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C A N A B S I Là où on ne nous attend pas... CANEBIERE • Paroles de • Paroles de fumeurs fumeurs • Trafics • Trafics • Douanes Presse Presse • Histoire FUMéES  TUES • Règlements • Règlements de comptes de comptes • Santé • Santé • Conso • Conso • Economie • Economie • Légalisation • Légalisation • Reportages • Reportages Livres Livres

Canebière Cannabis

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Magazine réalisé par les étudiants de deuxième année de l'IEJ Marseille, qui a pour thème la relation qui existe entre la Canebière et le chanvre.

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Page 1: Canebière Cannabis

CANAB

SI

Là où on ne nous attend pas...

CANEBIERE

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2L’ÉDITO

Pétard de sort !

Marseille se calcine…Monte une envie de s’en prendre au destin.Pétard de sort, d’en finir vraiment avec ces pétardsrebaptisés Kalach pour faire genre, ces règlementsde compte à dix balles, ces palmarès hebdo-madaires, mensuels, annuels, compta morts vio-lentes.Monte une envie de se mettre en pétard, de parlerfort, de dire assez !Monte une envie de s’étonner. Tout ça pour ça, pource produit interdit en vente partout et qui lui aussifini par se mettre en boule, se rouler en pétard.Monte une envie de le dire autrement, de revenir aubon français. Alors va pour “putain de destin !”, oualors pourquoi pas, et sans trop y croire, s’en remet-tre au catalan, puisque dans cette langue “sort” veutdire enfin “bonne chance”.Monte une envie… de parler d’autre chose.Tiens, pourquoi pas de poésie avec Rimbaud morten 1891, lui aussi anonyme, dans la belle Phocée.Qu’Arthur nous pardonne, mais aujourd’hui son“dormeur” ne serait plus du “val” mais bel et biencitadin et du “van”. Par contre il serait toujours…Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue. Les pieds dans sa bagnole, il fait un somme… Lesembruns ne font pas frissonner sa narine. Il dortdans le soleil, la main sur la poitrine. Tranquille !Il a entre deux et vingt trous noirs au coté droit.Olivier VERgniOT

Journaliste, chargé de cours à L’IEJ Marseille et les “journalistes en herbe” en 2e

année Mag/IEJ

03Histoires

Etymologie et histoire de la Canebière, com-merce de chanvre

05Livres

Michel Henry, François Missen, Elina Feriel... Ilsécrivent sur le cannabis

08Presse

Presse nationale/Presse régionale : Commenttraitent-ils le sujet du cannabis à Marseille ?

09Police/Douanes

Traque aux stupéfiants

12Conso

Portraits de consommateurs

16Médecine

Le cannabis thérapeutique

18International/Economie

Un marché complexe

20 Roman Génération H

Alexandre Grondeau : analyse et interview

21Immersion

Plongée dans les cités

22Portrait

Entretien avec Cédric Fabre, auteur de Marseille’s burning

L’équipe

Rédactrices en chef : Andréa Dubois et Tiffanie BonneauEquipe de rédaction : Thomas Acariès, Emy Assouline, Estelle Bar-lot, Estelle Cantone, Iris Cazaubon, Loic Chalvet, Steve Claude, LoiseDelassus, Kevin Derveaux, William Goutard, Elise Lasry, GuillaumeLopez, Manon Mathieu, Thomas Maroto, Marion Monaque, SandraMoutoussamy, Elisa Philippot, Florian Saintilan, Younes Tigheght,Romain Truchet, Alexis Verdet, Simon Viens.

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N

3HISTOIRES

Can ebière - Cannabis

Canebière, véritable symbole marseillais. “Elle est née, a grandi, s’est transformée”, comme le dit Adrien Blès, la rue la plus célèbre de Marseille n’a pas toujours été l’artère

touristique et culturelle qu’elle est aujourd’hui. 400 ans plus tôt, celle qui se jette sur le Vieux Port était réputée pour être l'un des plus grands comptoirs de chanvre au monde.Tout comme Rome, La Canebière ne s’est pas faite enun jour. Aujourd’hui, longue d’un kilomètre, elle partde l’église des Réformés pour se déverser dans leVieux Port. C’est au Xe siècle que l’on retrouve les premièrestraces écrites du lieu. L’endroit était tout d’abord connu sousle nom de plan Fourmiguier, une zone marécageuse à l’em-placement de l’actuel “Quai des Belges”. C’est en 1672 quele nom de Canebière apparait pour la première fois dans lesarchives, (juste après la destruction des remparts de la cité).En fait c’est quelques années plus tôt, qu’un plan d’urban-isme, relatifs à l’agrandissement de la ville, prévoit la créa-tion d’une promenade publique, que l’on connaîtaujourd’hui sous le nom de Canebière.

Une artère connue dans chaque hémisphèreA cette époque la future célèbre avenue, ne fait que 250mètres de long et 11 mètres de large. Elle prend fin auniveau du cours Belsunce. Au delà, l’avenue est alors diviséeen une multitude de petites rues. “Cours Saint Louis”, “Lesallées de Meilhan” et “rue Noailles”. Cette dernière, subsistejusqu’en 1861, avant d’être englobée par l’artèrephocéenne, afin de la faire communiquer avec les allées deMeilhan (Allées Gambetta).le cours Saint Louis a eu une très grande importance, dans

l’histoire de la Canebière. En effet, c’est à son croisementavec le Cours Belsunce et l’avenue, que se situe le point zéro(calcul des distances) de Marseille et le commencement del’artère. Jusqu’en 1927 la numérotation de l’avenue se faisaitdu cours et non du quai des Belges comme aujourd’hui. Plustard, c’est dans un soucis d’élargissement de la rue, que lesallées de Meilhan sont devenues parties intégrantes de LaCanebière. En effet d’importants travaux d’élargissement ont lieu à par-tir de 1857. Le Conseil municipal adopte le projet “à 30mètres” et décide que la nouvelle artère sera dans l’axe duboulevard de la Madeleine, aujourd’hui boulevard de laLibération. Pour ceci, des démolitions sont effectuées auniveau du cours Saint Louis, la première maison est touchéeen 1860. De nombreuses modifications ont ensuite lieu au fil des an-nées, pour une rue toujours plus grande et imposante. Enfin,c’est en 1927, que La Canebière prend la forme qu’on luiconnaît aujourd’hui, 30 mètres de large, plus d’un kilomètrede long . C’est également à ce moment, que le conseil mu-nicipal décide de supprimer le mot “rue”, à l’instar de la cap-itale. Si depuis les évolutions n’ont été que mineures, lesChamps Elysées marseillais n’ont peut être pas fini de setransformer, d’évoluer au rythme de la ville.guillaume LOPEZ

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Alors La Canebière, véritable terre mère de la culture et du com-merce du chanvre ? Pour s’en assurer il est naturel et évident des’intéresser à l’origine du nom de l’artère marseillaise. Bien deschercheurs d’étymologie se sont exercés sur ce nom. L’orthographe dela célèbre rue marseillaise a connu quelques modifications entre le XVI-Ième et le XIXème siècle pour des conflits de racine latine et provençale.Ainsi, En 1784, le nom de la rue, qui ne porte qu’un “n” est gravé aux an-gles des rues. C’est en 1857 qu’on découvre sur les plaques de porcelainele toponyme “Cannebière” avec deux “n”, les édiles ayant voulu reprendrela racine latine de “Cannabis”. Finalement, la première orthographe estrétablie en 1927 afin de respecter l’origine provençale “Canebe” du chan-vre. Le toponyme “Canebière” est également l’équivalent du français“chènevière”, à savoir un champ de chènevis, nom donné à la graine dechanvre, de la famille du cannabis. Qu’elle prenne un ou deux “n” La Canebière rappellera toujours le lieuoù l’on entreposait le chanvre pour la fabrication des élingues et autrescordages, fabriqués sur place par les cordiers.Tiffanie BOnnEAU

Quand Marseille tirait sur la cordeJusqu'au XIXème siècle, les corderies occupaientune place importante dans l'économie marseil-laise. Rechercher le lien historique entre le nomde la célèbre Canebière et le chanvre mène di-rectement à cet artisanat. C'est à partir du XIIIème siècle que les archives dela chambre de commerce révèlent une activité in-tense des corderies. La clientèle des cordiersmarseillais va alors, du simple pêcheur à la ma-rine royale, en passant par les navires de com-merce. Les cordes en chanvre tressées àMarseille avaient très bonne réputation. Et quidit production haut de gamme dit matière pre-mière de qualité. Les cordiers importaient doncd'Italie et d'Autriche le meilleur chanvre del'époque. Un document des archives de la cham-bre de commerce atteste que 600 balles de chan-vre (environ 50 tonnes), sont importées duPiemont au cours de l'année 1543. A la fin duXVIIème, suite à l'agrandissement de la ville, lescordiers s'installent sur l'espace laissé libre parla destruction des remparts (le bas de l'actuelleCanebière). Comment justifier ce déménage-ment?Difficile de recueillir un témoignage d'époque.Certes... En revanche la proximité de l'arsenal desgalères, un gros client des corderies, peut justi-fier le choix du nouvel emplacement. Mais PierreEchinard, historien et membre de l'Académie de

Marseille, souffle une autre hypothèse...Selon lui, l'humidité du lieu serait respons-able de la décision des cordiers. Le bas de LaCanebière (l'actuel Quai des Belges) était àl'époque une zone marécageuse alimentéepar des ruisseaux qui descendaient deLongchamps et formaient des flaques d'eaustagnante le long de la rue. Or, dans le travaildu chanvre, une étape consiste à fairemacérer les tiges pour en faciliter la sépara-tion des fibres sur toute la longueur (le rouis-sage). Les cordiers utilisaient l'eau quistagnait sur La Canebière pour réaliser cetteopération. Pour Pierre Echinard, c'est doncla proximité de l'eau qui a motivé les cordiersà s’installer sur La Canebière. Juste un instant, tentons d'imaginer cettefameuse artère sans voiture ni métro, deuxfois moins large... Au loin l'arsenal desGalères qui résonne dans le port. De part etd'autre de la rue, des quantités as-tronomiques de tiges de chanvre jonchent lesol et macèrent dans l'eau stagnante. Uneodeur forte s'en dégage. Et au premier plan,un cordier qui s'échinent à tresser les fibres...Le lien historique entre le nom de LaCanebière et le Cannabis est sous nos yeux.Kevin DERVEAUX

- Du chanvre “made in Marseille” ?Il est certain qu’on importait de grosses quantités de chanvre sur LaCanebière au XVIIème siècle, mais l’artère marseillaise avait-elle sespropres champs de chanvre ? Nous avons posé la question à PierreEchinard, historien et membre de l’Académie de Marseille, et JeanContrucci ancien journaliste de La Provence.“Je ne pense pas qu’il y ait eu à Marseille même une culture du chanvre[…] En tous cas, s’il y a eu du chanvre cultivé en Provence, ce n’est cer-tainement pas sur la Canebière”, déclare Jean Contrucci. Pierre Echi-nard reste, lui, très évasif sur le sujet : “Je ne pense pas que ce soit alléjusqu’à la culture de chanvre sur La Canebière, cependant rien ne leprouve, et rien ne le réfute.” L’énigme de possibles cultures de chanvreaux alentours La Canebière reste donc intacte, pour le moment…

T.B.

- Entre chanvre et chanvre.Bien qu'il existe aujourd'hui une mul-titude de variété de chanvre, naturellesou hybrides, on peut les classer endeux grandes familles : le chanvre dit“agricole”, plus riche en fibre ; et lechanvre dit “indien” à haute teneur entétrahydrocannabinol (THC). Depuis leXXème siècle lorsque l'on parle decannabis, on fait souvent référence auchanvre indien, utilisé pour ses pro-priétés psychotropes. Mais depuis l'an-tiquité, la fibre du chanvre agricole estexploitée dans deux nombreux do-maines comme la fabrication du papier,de cordage, de vêtement, d'huiles etmême de billet de banque. Toujourscultivée en France, le chanvre agricoleest aujourd'hui utilisé notamment dansl'industrie textile ou dans la construc-tion, comme isolant.K.D.

HISTOIRES

- 22 livres le quintal !En 1756, selon un arrêt du Roi, le chanvre importé du Royaume, no-tamment de Bresse, Auvergne ou encore de Bourgogne était au prixde 22 livres le quintal. Il est aujourd’hui très compliqué de retrouverla valeur précise de la livre de France en euros. Mais une chose estsûre, le prix du chanvre a quelque peu augmenté aux alentours de LaCanebière.g.L

- Pousse-toi que je m’y metteAvec le développement de l’arsenal des galères à la fin du XVIIèmesiècle, les cordiers sont contraints de déménager de leur emplace-ment (actuel Quai des Belges et Quai de Rive-Neuve). Pour les arti-sans du chanvre il était impensable de quitter la Canebière et sesruisseaux si propices à la macération des tiges de la plante. Pour sefaire entendre, les fabricants cordiers se sont unis et ont mené unelongue bataille épistolaire (comme en témoigne la lettre d’époque,ci-jointe) avec la chambre des Commerces de Marseille pourrécupérer un emplacement digne de ce nom. Finalement, les cordiersseront déplacés au sud de l'arsenal, où fut construite une nouvellecorderie qui donna son nom au boulevard de la Corderie.T.B

- “Cane…Cane…Caneb”Tellement chère au peuple phocéen, l’artèreprincipale de la ville est très présente dansla culture populaire du midi. Avec notam-ment une désormais célèbre chanson. Ecritepar Servil et composée par Vincent Scottoen 1935, la simple ”Canebière” est un véri-table honneur fait à l’incontournable av-enue. Interprétée par Alibert, “Elle est lacapitale des marins de l'univers” et le resterasans doute encore longtemps dans l’âme desmarseillais. Elle résonne encore dans lestribunes du stade Vélodrome, scandéecomme chant d’encouragement.

g.L.

Page 5: Canebière Cannabis

5LE H AU PIED DE LA LETTRE

“Savoir relativiser le danger des drogues”Michel Henry est journaliste à Libéra-

tion depuis 1985 et s’intéresse deprès aux faits de société. En 2011, le

reporter a écrit “Drogues pourquoi la légalisa-tion est inévitable”, un essai dans lequel ildénonce la prohibition du cannabis appliquéeen France…

Avec la légalisation du cannabis, ne craignez-vous pas uneexplosion de la consommation?C'est possible. Mais on ne sait pas tant qu'on ne l'a pas fait. Ona des exemples étrangers: le Portugal a dépénalisé l'usage en2001 sans constater d'augmentation de la consommation. AuxPays-Bas, la vente de cannabis est tolérée dans les coffee-shopsdepuis presque 40 ans, et en proportion de la population, il ya moitié moins de fumeurs qu'en France, où c'est interdit.L'idée, c'est que si on légalise, on récupère l'argent auparavantdépensé en vain pour la répression et on l'utilise pour des cam-pagnes de prévention, actuellement inexistantes en France.Le cannabis doit-il être différencié des drogues dures ? Bien sûr. Il n'y a pas d'accoutumance autre que psychologique,pas d'overdose possible. Certaines personnes fument ducannabis pendant des années sans que cela leur cause de prob-lème sérieux. Cela ne signifie pas que c'est sans danger mais ilfaut savoir relativiser les dangers des drogues.Qu'apporterait la légalisation du cannabis au point de vueéconomique en France ? L'Etat économiserait des centaines de millions d'euros dépen-sés en pure perte chaque année dans la répression. Le systèmejudiciaire serait désengorgé de toutes les petites affaires destupéfiants qui l'encombrent quotidiennement. Policiers etgendarmes pourraient se consacrer à des taches plus impor-tantes que la chasse au fumeur de joints. Les règlements decompte mortels autour du trafic diminueraient. La vie danscertaines cités rendue impossible par le deal pourrait changer.Economiquement, un nouveau secteur productif serait enplace, avec des emplois créés.Si on ne légalise pas le cannabis, est-ce avant tout unequestion de morale?De préjugés. Beaucoup d'élus savent que l'attitude actuelle estidiote et hypocrite (ne serait-ce que parce que beaucoup ont

certainement eu une expérience avec le cannabis par exemple)mais ils pensent que l'opinion publique serait défavorable àtoute avancée. Ils ont tort. En fait, ils devraient faire un effortd'explications vis-à-vis du public. En Suisse, les citoyens ontvoté à 66% pour la distribution gratuite d'héroïne à certainstoxicomanes, une fois qu'on leur a expliqué l'intérêt de la chose.Durant la dernière campagne, la légalisation du cannabis n'apas été au centre des débats, comment l'expliquez-vous ?Parce que tout le monde a peur de ce sujet. La gauche a peurde passer pour laxiste. La droite pense qu'il faut se montrerdur. En fait, la question des drogues permet aux politiques derouler des mécaniques et de faire croire qu'ils peuvent encorejouer aux durs: ils n'ont plus d'influence sur la vie économique,sur la finance internationale, ne peuvent pas grand-chose con-tre le chômage, mais dans toute cette impuissance ils peuventgrâce à une politique répressive sur les drogues illégales pré-tendre qu'ils sont en mesure d'exercer leur pouvoir.

“Avec la légalistation, l’état économiserait des centaines de millions d’Euros”

La légalisation du cannabis serait-elle un moyen de mettrefin au trafic ?Bien sûr ce serait une manière d'améliorer la situation mêmesi tout ne serait pas réglé, puisque même dans un système lé-galisé, il reste un trafic. Aux Pays-Bas, où l’on vit sous un régimede tolérance, la moitié du marché du cannabis passe encore parle trafic illégal, selon les estimations. Ce qui veut dire aussiqu'on a au moins réussi à faire passer l'autre moitié dans le sys-tème "légal".La France doit-elle prendre exemple sur les Pays-Bas et lesystème des coffee-shop ? Peut-être. C'est une voie. Mais les Pays Bas sont dans un sys-tème hybride: si tout majeur a le droit de s'acheter jusque 5grammes de cannabis, le coffee shop qui le lui vend n'a lui pasle droit de s'approvisionner. Ce qui signifie que ce cannabisqu'il vend légalement, il l'achète illégalement. Une hypocrisiequi s'explique par le fait que le pays n'a pas voulu légaliser laproduction. Même si le Parlement avait par deux fois voté cettemesure, le gouvernement a refusé de la mettre en place de peurd'une réprobation internationale qui aurait été néfaste à sesintérêts commerciaux.

MICHEL HENRY - JOURNALISTE À LIBÉRATION

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6Certains états des Etats-Unis ont légalisé le cannabis,d'autres ont une politique très stricte à ce sujet, le payspeut-il être le premier à faire bouger les choses à traversle monde? Bien sûr, les Etats-Unis sont les gendarmes du monde en lamatière sur la planète, qui vit depuis les années 1970 sous lerégime de la "guerre à la drogue" introduite par Nixon. Donc,s'ils bougent, ça aura forcément un impact énorme partout.Mais leur situation est paradoxale: d'un côté, certains Etats lé-galisent, de l'autre, les prisons sont pleines de gens poursuivispour trafic de stups (au moins 500 000 personnes). Le systèmele plus répressif cohabite avec des situations très contrastées:notamment avec la légalisation du cannabis thérapeutique, unénorme "cannabizness" s'est mis en place dans certains Etats. Dans quel but avez-vous écrit ce livre? Avez-vous eu desréactions de politiques depuis? Pour combattre l'hypocrisie générale et donner les basesfactuelles d'un débat. Des réactions? Peu. Les positions restentmalheureusement figées. Mais on ne perd pas espoir…

Propos recueillis par Estelle BARLOT

(*) Michel Henry – Drogues : Pourquoi la légalisation est in-évitable- Editions Denoël

LE LiVREDe son propre aveu, Michel Henry n’a “jamais consomméde stupéfiants”. Un détail qui n’a cependant pas empêchéce journaliste à Libération d’écrire en 2011 un essai inti-tulé Drogues : pourquoi la légalisation est inévitable. Enquatre grands chapitres, il y dresse le bilan d’un échec de40 ans de guerre contre la drogue, dénonce les dangersde la prohibition, l’inaction des politiques français maisaussi l’irrationalité qui consiste à autoriser l’alcool et letabac tout en interdisant le cannabis, pourtant bien moinsnocif.L’auteur fait également le tour d’horizon des paysétrangers sans oublier d’appuyer ses propos à l’aide dedifférents intervenants tels que policiers, médecins ou en-core politiciens. Et même si le titre de son livre peutlaisser penser le contraire, dans sa conclusion, MichelHenry reste lucide quant aux chances de voir une légali-sation prochaine du cannabis “Tous ceux que cette per-spective effraye peuvent malgré tout se rassurer : ce n’estpas pour demain”. LégALiSATiOn ET DéPénALiSATiOn : QUELLE DiFFéREnCE ? Légaliser, consiste à organiser un marché régulé d'unedrogue, comme l'est le tabac par exemple: on autorise lavente, sous certaines conditions (pas de vente auxmineurs, une quantité maximale par personne, pas depublicité, des points de vente contrôlés et réglementés endehors desquels le commerce est interdit, etc).Dépénaliser, c'est ne plus poursuivre pour usage dedrogues. Le consommateur a droit à une quantité mini-male légale pour laquelle il ne sera pas poursuivi. Mais lavente des drogues reste interdite.

E.B.

Marseille capitale européenne de laculture. La cité phocéenne met la barre

haute pour satisfaire touristes et habitants venant profiter de son

soleil et de sa chaleur sous le regardbienveillant de la Bonne-Mère. Mais

derrière le sea, sex and sun se cache uncôté sex (surtout) drug and rock n’ roll. La drogue, une thématique dans les médias souventprésentée de manière identique. Règlements decomptes, violence, trafics en tous genre, tirs deKalachnikov, caïds abattus… Toute une mayonnaise qui atendance à agacer Philippe Pujol, journaliste à La Marseil-laise. “On parle autant de Marseille parce que tout a été faitpour. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, certains élusPS locaux ont volontairement dramatisé la situation pourremettre en question sa politique sur l’insécurité”. DenisTrossero, à la tête du service faits-divers de La Provencevoit cela de manière différente. “Il y a beaucoup de journal-istes à Marseille, donc une caisse de résonance supérieure àd’autres villes, un pouvoir d’attraction inégalé également”.En dehors du “mythe” construit et adopté par les médias,l’approche du fait-diversier de La Marseillaise se veut dif-férente. “Contrairement aux journalistes de La Provence, jene pars pas sur le terrain pour servir aux lecteurs ce qu’ilssouhaitent entendre”. Explique Pujol. Un sujet connu et mé-connu à la fois, composé de beaucoup d’idées reçues. “On

Marseille vue par la presse nationaleTrafic de drogue et règlements de compte, Marseillefait couler beaucoup d’encre. Mais qu’en dit la pressenationale ? Envoyés spéciaux, correspondants, re-porters ; nous avons cherché à rencontrer ceux qui,depuis Paris, traitent « notre » actualité brulante.Paris Match, le Nouvel Obs, ou encore Libération, possèdent desjournalistes « affectés » à une ville précise. Pour Paris Match, à Mar-seille, il s’agit d’Emilie Blachère. Une journaliste reporter qui vit àParis mais « descend » de temps en temps, pour des enquêtes.Libération a mis toutes les chances de son côté. Olivier Bertrand,correspondant à Marseille pour Libé, est un habitué des grandesvilles. Plus facile à localiser, il a bien voulu nous rencontrer… Journaliste à Paris puis correspondant à Lyon, Olivier Bertrand estarrivé à Marseille en 2011. Il avoue privilégier les longues enquêtesaux réactions à chaud : « j’essaie autant que je peux de prendre durecul, de mettre les choses en perspective, de ne pas coller trop lenez dans le guidon de l’actualité ». L’intérêt pour le journaliste étantd’amener une information supplémentaire, contrairement à la PQR,

LE H AU PIED DE LA LETTRE

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peut traiter cette thématique de mille façons différentes. Ladrogue et le trafic…un vieux sujet marseillais”. Expose le jour-naliste de La Provence. Tout commence par les femmesA la Marseillaise, “le but est d’aller chercher ce qui n’est pas vis-ible et de faire avec ce qu’on veut bien nous donner”. Cesquelques “fuites” qui ne risqueront jamais de mettre en périlles concernés et leurs affaires. “Tout se base sur une relation deconfiance entre le journaliste et son contact”. Sur ce point, lesdeux journalistes s’entendent. Une fois acquise, hors de ques-tion de la trahir, sous peine de se discréditer, non pas auprèsd’une personne, mais avec tous. Une relation solide ne se con-struit pas en un jour, plusieurs années sont parfois nécessaires.Tout commence par les femmes. Ce sont elles qui, en temps quespectatrices au premier rang, détiennent toutes les informa-tions sur le réseau. Comment vont les enfants, où en est lagrossesse… des discussions bien loin des trafics et du deal. “Ilfaut parler avec elles et s’intéresser sincèrement aux probléma-tiques et aux sujets qui animent leur quotidien”, raconte Pujol.Créer une complicité. Si elles ne prennent pas part au com-merce de drogue, elles-en connaissent les principaux protago-nistes et les protègent. De fil en aiguille, des confidences et desrecommandations. Alors on modifie, on camoufle, un 30 ansqui devient 26, un Toufik qui se change en Christophe… Autant de stratagèmes littéraires nécessaire à la préservationdu lien entre le journaliste et ses sources, sans jamais mentirsur le fond. A l’évocation de la fameuse “loi du silence”, les faits-diversiers sont tous deux d’accord. “Bien sûr qu’il y en a une. Jete raconte ça mais tu dis rien, je t’en parle mais je n’existe pas…C’est comme ça”. Autre élément avec lequel jongler, le contactavec la police. Les approches diffèrent. Philippe Pujol ne se”contente pas des informations que les policiers donnent”. Etprivilégie le contact avec les personnes concernées. “A la dif-

férence de Denis Trossero, je ne me rapproche pas vraiment despréfets de police et tout le ramdam. Serrer des mains, ce n’est pasmon truc”Le spectre de Tony MontanaEntre ombre et paillettes, la question est de trouver un justemilieu. Il n’est pas question de descendre en flèche le traficdans les cités ni de le changer en un petit monde tout doux. Laproblématique existe et les règlements de comptes sont euxaussi présents. Mais encore une fois, où est le mythe, où est la‘réalité’ aussi impossible soit elle à donner. « Les règlementsde comptes, c’est compliqué. Souvent ce sont des guerres deterritoires et des histoires d’argent. » Eclaire Philippe Pujol.Denis Trossero complète, “Aujourd’hui il n’y a plus vraiment degrosses pointures. Ce sont des jeunes qui aspirent à grimper dansle réseau avec des rêves de réussite, qui hélas s’achèveront sou-vent par la prison, ou ce que j’appelle, l’accident du travail”.Car c’est bien des jeunes dont il est question. “Ces règlementsde comptes faits à coups de ‘Kalach’, ce ne sont pas les gros quis’entretuent. Ceux-là sont plus réfléchis et n’auront aucunscrupules à approcher leur cible, suffisamment pour leur tirerdessus avec un 9 mm”. Ici, les caïds ne se donnent que l’illusiond’être forts et tout puissants en maintenant la gâchette à bonnedistance tandis que leur fusil vomit des rafales de balles.Le paraître. Un cercle vicieux au sein des cités où le spectre deTony Montana plane au dessus de ces ados pour la plupart unpeu perdus. “Ils ne connaissent que ça, le deal et les coups”. Ter-mine Pujol. “Pour sûr ça fait rêver de mener la belle vie entouréde belles filles… Mais ce mythe reprit par la presse pour rassurerles lecteurs est très loin des véritables problématiques qui en-tourent le sujet”.

Elisa PHiLiPPOT

Zoom sur... La presse régionale

Marseille vue par la presse nationalequi apporte « des éléments de compréhension du jour au lendemain».Libération semble avoir pris le parti d’analyser plutôt que de réagir :« En règle générale j’essaie de prendre un petit peu plus de temps.Quelques jours, quelques semaines s’il le faut même des fois quelquesmois, cela arrive ; pour essayer de comprendre un petit peu mieux leschoses ».Olivier Bertrand explique pourtant : « Il peut arriver que dans la nuitnous apprenions la mort d’un jeune, et que le lendemain, voire lesurlendemain, je publie un papier d’une page. Cela m’est arrivé il n’ya pas très longtemps. Dans ce papier j’ai essayé d’expliquer les causesdes rajeunissements des jeunes hommes impliqués dans des réseauxde stups. »Ce « parigot » comme on dit à Marseille, semble s’être bien intégré àsa ville d’adoption. Né en banlieue Parisienne, il n’a pas eu de mal àcomprendre le fonctionnement d’une ville gangrénée par le trafic decannabis. Pour lui « ce n’est pas plus compliqué pour un Marseillaisque pour un non Marseillais, d’obtenir des informations, parce qu’unjournaliste qui commence à Marseille aura rarement des sources plus« utiles » dans les cités ». Il suffit simplement, pour Olivier Bertrand,de se construire un réseau solide dans la ville. Un bon réseau passe,

selon lui, par une « relation de confiance ». Avec les trafiquants quiouvrent leur porte pour des enquêtes. Mais surtout avec la police : «Au fur et à mesure, on rencontre des policiers plus intéressants. Desrelations se nouent avec certains d’entre eux, surtout lorsqu’ilss’aperçoivent que l’on retranscrit fidèlement ce qu’ils nous divulguentet que l’on garde les offs pour nous. ». Il en va de même pour les mag-istrats et les travailleurs sociaux. L’important étant de « respecter lesrègles ».Marseille ville de la drogue ? plus que Lyon en tout cas : « Cesvilles sont extrêmement différentes ! D’abord sur le plan des règle-ments de compte parce que je n’ai quasiment aucun souvenir d’enavoir connu à Lyon. » il ajoute « Notamment parce que dans les ban-lieues Lyonnaises, ce sont de très grosses cités et non pas pleins depetites cités comme à Marseille. Elles sont très structurées et trèstenues par les réseaux de drogue. Les rivalités sont gérées par lesgrands voyous, sans que ça tire à la Kalachnikov. »D’une manière générale, Olivier Bertrand et ses collègues déplorentune certaine difficulté de se rendre dans les cités pour des enquêtesde terrains.Andréa DUBOiS

LE H AU PIED DE LA LETTRE

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Marseille et ses TRAFICSfeuille à feuille…

Marseille, La Canebière, son cannabis, sesquartiers, ses complexités… Cette année encore

la cité phocéenne a inspiré tout un lot d’au-teurs. Sélection de trois livres enquêtes/té-

moignages sur la drogue et les mafias. MarseilleMafias, Marseille Connection, Au bout de la vio-

lence (respectivement de José d’Arrigo,François Missen et Elina Feriel). Les titresclaquent mais les histoires racontées sont

moins brillantes. Ecrits de journalistes du cruet d’une ancienne fille des quartiers, Marseille

sans éclat, mise à nu.Marseille, la drogue, un problème qui ne date pas d’hier. DansMarseille Connection le journaliste François Missen se rep-longe quarante ans en arrière, époque où déjà il avait suivile combat des autorités contre “l’hydre mafieuse de l’héroïne locale”.L’auteure d’ Au bout de la violence Elina Feriel se rappelle aussi de cesannées 80 comme l’ “âge d’or” de l’héro. Originaire du “terre-terre”expression qui signifie que l’on est né ou que l’on vit dans les quartiersNord, elle livre sans détour le témoignage poignant de son parcoursdans la cité, émaillé de souffrances et de deuils. La “cité” lui a pris lestrois “hommes de sa vie”. Tous sont morts sous les balles, victimes desviolences liées de près ou de loin aux trafics. Elina s’est retrouvéeveuve à 27 ans. Son mari, Sabri, épousé à la sortie du lycée, avaitmonté un important trafic de cannabis. Elle raconte l’ascension deSabri, l’argent de la drogue, les combines pour le blanchir. Elle ex-plique les territoires, l’entrée dans la cours des grands, avec les “amis”de la mafia, les services à rendre, la peur pour son mari. Un récit quimet une réalité, un quotidien derrière les chiffres de la drogue, ceuxen euros ou en tombeaux.

Ces chiffres ont les retrouves dans Marseille Mafias signé de José d’Arrigo. Le journaliste livre un ouvrage clair et bien documenté sur lasituation actuelle des trafics à Marseille. De nombreuses interviewsappuient un regard sans concession et un bilan sombre porté sur lacité phocéenne. L’état déplorable de Marseille “part du sommet, lescandale du conseil général, les subventions factices du conseil régionalaux associations de quartier, en passant par tout le reste : trafic dedrogue […]” constate José d’Arrigo. Une toile de mafia étouffe la belleMassilia jusque dans ses associations censées relever la “misère so-ciale”, ce dont témoigne aussi Elina Feriel dans Au bout de la violence.La mise en place de nouveaux équipements stades etc dans les citésne suffit pas à faire changer les mentalités. Paradoxalement “dans laplupart des secteurs, la drogue et le commerce de la drogue sont de-venus le seul tissu social et de solidarité” affirme José d’Arrigo. ElinaFeriel fait le même constat. Dans la tête des jeunes des cités entre ledécrochage scolaire, le racisme à l’embauche et la crise, “la droguec’est LE moyen de s’en sortir”.Et la police dans tout ça ? Pour nos auteurs l’échec est flagrant surtous les tableaux et sans être manichéen “il y a des policiers qui fontleur boulot” concède Elina Feriel. Cependant les “flics ripoux” courentaussi les rues de la cité. José d’Arrigo pointe le manque de moyens. Cequi ressort c’est que les policiers sont au courant et dépassés quandils ne sont pas hypocrites et complices. Alors que faire ? Le souvenirdu “héros” s’impose comme l’exemple à suivre. Celui du commissairedivisionnaire Marcel Morin : l’homme qui a éradiqué la “french con-nection” dans les années 70. “Il suffisait de vouloir” écrit José d’Arrigo.François Missen retrace la croisade du policier, l’homme phare de sonlivre, les moyens policiers et judiciaires mis en places à l’époque. ElinaFeriel évoque d’autres solutions légalisation, intervention de l’armée.Le sale bilan posé, pour ces auteurs une question reste : l’Etat tientil réellement à régler le problème. Pour Elina Feriel et José d’Arrigol’insécurité semble toujours bonne à exploiter en politique. En atten-dant on continuer d’aller “toucher”, tranquille, sous les yeux de labonne mère. On y vient prier pour les morts et remercier pour le busi-ness.

Marion MOnAQUE

LE H AU PIED DE LA LETTRE

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Mais que fait la Douane?

Existe-t-il aujourd’hui une redondance quant au rôle desdouanes face aux brigades de police et de gendarmerie,d'ores et déjà spécialisées dans la lutte contre le traficde stupéfiants ?Avec l’apparition de la douane “volante”, particulièrement ac-tive sur nos autoroutes et dans les zones frontalières, il est dif-ficile d’appréhender dans le tentaculaire système administratiffrançais la place des douaniers dans les opérations an-tidrogues. “Mais il ne faut pas voir la multiplication des servicescomme un mauvais dispatche”, explique Sophie Hocquerelle, re-sponsable du service presse pour les Douanes françaises. “Ilexiste en matière de lutte contre le trafic (de cannabis, ndlr) unevéritable complémentarité entre les ‘stups', la gendarmerie et lavolante.”

à chacun ses trafiquantsUne complémentarité exemplaire… en théorie. En pratique, sipoliciers, gendarmes et douaniers coopèrent plus ou moins debon cœur, il n'en demeure pas moins un clivage sectoriel sur leterrain, parfois sur fond de “guerre” – auquel chacun préfèrele terme “challenge” – pour rapporter la plus belle prise.Chaque service a son rôle à jouer et ses cibles préférées : la BAC(Brigade Anti Criminalité), dealers des grandes villes et descités, les “stups'” (brigade des stupéfiants), démantèlementsde trafics en place, et la Douane aux “livraisons”.Qu'elles soient maritimes, par l'acheminement clandestin decontainers remplis de drogue, aériennes, via le système de fretou routières, par le très en vogue système des “go-fast”, les en-

trées de feuilles, plans ou résine de cannabis sur le sol françaisrestent la priorité des services de Douanes. “Les méthodes ontchangées, les équipements ont changés, les trafiquants aussi ontchangés, plus armés et beaucoup plus dangereux... Mais frontal-ière ou volante, la douane était et reste aujourd'hui encore lepremier rempart contre les trafics”, insiste Sophie Hocquerelle.De nouvelles méthodes qui ont permis aux douanes de saisiren 2012 près de 20 tonnes de cannabis, pour un total de 48millions d’euros de marchandise.Un mauvais ordre des priorités ?Si le cannabis est devenu presque monnaie courante dans lesgrandes villes (escalade de la violence, guerres de territoire etrèglements de comptes entre dealers en prime), il est essentielde mettre en perspective ces réseaux clandestins avec ceuxd’autres types de trafics, bien plus mortels encore. Comme lesoulignent eux-mêmes les douaniers rencontrés, “le cannabis,c’est 75% des saisies de stupéfiants, mais même pas un quart desrecettes pour les trafiquants”. Là où politiques et citoyens ré-clament toujours plus de résultats dans la lutte contre lecannabis, peut-être serait-il donc aujourd'hui plus constructifde prendre conscience de l'ampleur de la tâche que représentepour tous les services de douanes et de police confondus lalutte contre la multitude de réseaux de contrebandes en tousgenres. Armes, drogues dures et même trafic d’êtres humains,les douaniers avouent sans complexe prioriser ces combats“plus urgents et bien plus importants sur le plan sécuritaire”.

Steve CLAUDE

Depuis l'ouverture des frontières et la libre circulation au sein de l'UE,les services des Douanes ont vu leurorganisation et leurs méthodes de travail radicalement changer. Maisquel est concrètement aujourd'hui le rôle des Douanes françaises dans lalutte contre le trafic de cannabis ?

Des postes frontières à la volanteDeux dates clés sont à citer dans l'évolution des Douanes : le 1er janvier 1993 et le 26 mars 1995. Correspondant respective-ment à l'ouverture des frontières puis à la libre circulation au sein de l'espace Schengen, ces deux événements – qui divisentaujourd'hui encore la classe politique – ont entraîné dans leur sillage la disparition du métier de douanier que chacun con-naissait jusqu'à lors. Fini les interminables files de voitures aux frontières et les fouilles systématiques à la recherche demarchandises de contrefaçon ou de contrebande. Mais pas question pour autant de licencier les centaines d'agents à l'époqueen poste aux abords du pays. Sécurité oblige, l’État français décide dès 1994 de lutter contre les trafics en tous genres, dontle très lucratif trafic de cannabis, par la création d'une Douane mobile, dite “volante”. Très présente sur les autoroutes, cettebrigade aux moyens considérables se veut le nouveau fer de lance des autorités, en réponse à la forte recrudescence des con-trebandiers suite à la suppression des postes de contrôle frontaliers. S.C.

HALTE DOUANES

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Depuis 2001, dans le cadre du plan Vigipirate les con-trôles douaniers dans la darse conteneur de Mar-seille-Fos se sont intensifiés. Certes il est difficile dedéceler toutes les cargaisons douteuses étant donné le faibleeffectif d’officiers en comparaison du nombre de con-teneurs, mais leurs contrôles se veulent efficaces. Lorsqueles douaniers ouvrent un conteneur, ils décèlent une fraudedans 50% des cas. “Tout est informatisé depuis 25 ans. Toutesles donnés des conteneurs sont entrés dans le logiciel Delta. Ilfait une analyse du type de marchandise, de sa provenance,du pays et de la fiabilité de l’opérateur chargé du fret. En fonc-tion de ces mots clés, il nous signale une éventuelle fraude.Après on contrôle les documents pour vérifier si tout est enrègle”, explique Frédéric Eymard, Inspecteur Régional ad-joint du bureau de Fos/ Port Saint Louis du Rhône. “Bien en-tendu, on est plus vigilant sur certaines filières commel’Amérique du Sud.” Ce ciblage est fait par la brigade de Mar-seille, en cas de suspicion sur la marchandise, ils demandentpar exemple aux brigadiers de Port Saint Louis du Rhône defouiller le conteneur.“On le positionne dans un hangar et on camion le passe aucamion-scanner. En fonction des images, on ouvre, on dépotequelques cartons pour vérifier s’il y a fraude. Si l’on trouvequelque chose, le conteneur est entièrement dépoté pourrépertorier la saisie”, témoigne Sébastien Pons, Adjoint dela Brigade de surveillance externe de Port Saint Louis. Leport est une entrée sur Marseille, mais il n’est pas le point

stratégique du trafic de cannabis. “Nos saisies ne sont pasénormes, le vecteur routier est privilégié. La résine remontedu Maroc par l’Espagne et elle est acheminée dans la régionpar les “Go-fast”.Cannabis en baisse, cocaïne en hausseCoté port, les saisies de cannabis sont en baisse, celles decocaïne en hausse. En revanche les conteneurs sont de plusen plus utilisés comme test par les trafiquant en matièred’innovation de camouflage de marchandise illicite. Deux techniques sont employées : Le “Rip-off” qui consisteà dissimuler la came dans le fret, par exemple en Amériquedu Sud ils mettent des carottes de cocaïnes à l’intérieur destrous de rondelles d’ananas, mises en conserves puissoudées. La seconde consiste à placer le paquet à l’entrée du con-teneur, les trafiquants n’ont plus qu’à ouvrir la porte et seservir. “Cette méthode implique un lien de connivence avecdes personnes du site, mais aucune enquête n’a réussi à le dé-montrer pour l’instant (…) les dockers et la douane ne tra-vaillent pas en collaboration, eux se chargent de lamanutention et nous de la surveillance des fraudes”, confieFrédéric Eymard. La dernière “grosse” saisie dans le port de Marseille re-monte à décembre 2012 : 74kg de résine de cannabis con-fisqués à l’arrivée d’un ferry en provenance d’Alger.

Loïc CHALVET

Port sous contrôle

Chaque année, près d’un million de conteneurs transitent par le port de Marseille-Fos et… 180 douaniers sont mobilisés pour empêcher au mieux la circulation de la drogue dans le bassin méditerranéen.

HALTE DOUANES

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En 2011, Manuel Valls lance sa réforme majeure les ZSP,Zones de Sécurité Prioritaire. “Des territoires ciblés danslesquels des actes de délinquance ou d'incivilité sont struc-

turellement enracinés” comme l’a défini le ministre de l’in-térieur. Dans la cité phocéenne, 6 arrondissements, quicontiennent les cités les plus sensibles, ont été classées ZSP. Onen compte déjà une quinzaine en France, (une cinquantained’ici septembre 2013). Des zones où près de 2 millions defrançais vivent. Pour le Gouvernement, les ZSP c'est une autremanière de traiter la délinquance. “On cible un secteur, onanalyse le type d'infractions qu'on y commet et on y met lesmoyens”. Justement, 3 millions d’euros ont été alloués à ceszones de sécurité prioritaire. Un apport qui a permis le dé-ploiement de plus de 200 policiers et gendarmes à Marseille,ainsi qu’un renfort de 240 CRS. Grâce à cette aide, Manuel Valls a mis en place une nouvellestratégie d'occupation du terrain. Elle consiste à “bloquer lescités” avec des opérations “coup de poing”. Les forces de police

se mettent en place dans les quartiers et montent la garde du-rant plusieurs jours, voir plusieurs semaines. Une présence quipermet d’endiguer le trafic de drogue sur du moyen terme. Unemanière de faire plus dissuasive, en comparaison avec lesopérations menées les années précédentes où les forces del’ordre investissaient les caves et les halls de cité, le tempsd’une journée.L’affaire de la Bac Nord a elle aussi poussé Manuel Valls à unremaniement en profondeur. Une affaire de corruption et dechantage dans laquelle 17 policiers se sont retrouvés im-pliqués. En réponse à ce marasme, Manuel Valls a dissout cettebrigade. Mais le ministre de l’intérieur ne s’arrête pas la, il a aussi in-auguré en février le centre de supervision urbain (CSU) d’oùl’on contrôle plus de 200 caméras qui scrutent les faits etgestes des habitants. Vols, dégradations, agressions, on en at-tend plus d’un millier d’ici la fin 2014.T.A. et F.S.

Manuel Vallscontre-attaque

Le Gouvernement a lancé de nombreusesmesures pour combattre la violence à Marseille.Objectif principal : éradiquer les règlements decomptes, dans les cités, liés au trafic de drogue.

Retour sur 8 mois de lutte.

Parole aux habitantsPour endiguer le trafic de cannabis qui gangrène certaines citésde Marseille, Manuel Valls s’essaye à une stratégie novatrice.Bloquer l’entrée de ces quartiers avec des unités de CRS. Lespoliciers occupent la zone avec des camions pendant plusieurs se-maines ce qui est censé empêcher clients et dealers d’opérer leurstransactions.A la cité de la Sauvagère, dans les quartiers Sud, les forces de l’ordreont employé cette technique coup de poing durant deux semaines.Trois mois plus tard, on peut toujours se procurer de la résine oumême de l’herbe sans difficulté. Les “choufs” ont repris leur place,prêt à sonner l’alerte dès qu’un véhicule de la police est en approche.Tahagan habite au premier étage d’un des blocs situé à deux pas dupoint de vente. Il vit dans un trois pièces où il élève son fils de deuxans avec sa femme. Pour lui “la police n’a rien changé et ne changerajamais rien. Ils ont peut être arrêter la vente pendant deux semainesmais ça a repris de plus belle. Ce trafic est trop lucratif ils n’arrêterontjamais”. Ce qui inquiète le plus ce trentenaire, c’est l’éducation deson enfant. “Comment voulez vous que j’explique à mon fils qu’il fautaller à l’école alors qu’il pourrait faire de l’argent facilement avec eux.Ils emploient les jeunes très tôt dès dix ans parfois”. Une situation quine cesse d’empirer. Hélène réside dans le quartier depuis une ving-

taine d’années. “Avant ce n’était pas comme ça”, se souvient-elle. “Ilsont commencé leur trafic il y a une dizaine d’année. Depuis tout achangé, ils dégradent et salissent tout. On ne se sent plus en sécuritésurtout depuis la dernière fois”.“La dernière fois” dont Hélène parle, c’était le 14 Janvier. A uneheure du matin, cinq coups de feu ont retenti visant un jeune hommede 24 ans. Tête présumée du réseau de la cité il a été touché à lanuque. Il s’en est sorti et a été écroué. “J’ai eu la peur de ma vie, je necomprenais pas ce qui se passait. Depuis je pense parfois à déménagermais je suis trop attaché à mon quartier”, soupire t-elle.Pour ce qui est du blocage de l’entrée de la citée son avis est mitigé.“ça me rassurait de voir les policiers veiller sur nous mais d’un autrecôté je me sentait encerclé presque en guerre avec toutes les armesqu’ils portaient. Et puis cela n’a pas changé grand chose, le trafic arepris et nous sommes confrontés aux mêmes problèmes”.Le 1er juin une manifestation sera organisée par un collectif des citésdes quartiers Nord. Ils veulent mobiliser les Marseillais pour luttercontre toutes les formes de violences existantes dans ces cités etHélène compte bien y participer.

Florian SAinTiLAn

KIF ET KEUFS

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Silence… ça tourne ! ADRIEn*, 22 AnS

"J'ai construit ma personnalité en fumant"Premier joint à 14 ans. Deux ans après il fumait tous les jours. "J’ai l’im-

pression d’avoir toujours fumé, ça fait partie de moi." Aujourd'hui ildépense entre de 150 à 200 euros par mois pour sa consommation"C'est une somme, mais j'ai décidé de ne fumer que de la qualité. Pour çail faut mettre le prix." Les effets ont changé avec le temps. "En tant queconsommateur quotidien je ne ressens plus ce que peuvent ressentir desconsommateurs occasionnels. Avec un joint ou deux je ne suis pas défoncé,je suis simplement détendu. Avec les années tu cherches juste une décon-traction… Quand je m'ennuie je roule car quand je fume le temps fuit. J’aicommencé à l’époque où c’était invivable chez moi. Mes parents n’étaientjamais là, j’avais envie de combler leur absence. Avec le temps ils l’ont re-marqué, ils n’ont jamais été d’accord mais cela m’est égal. Ce n’est pasparce qu’on fume qu’on rate sa vie. Mon frère fume une dizaine de jointspar jours depuis qu’il a 15 ans. Cela ne l’empêche pas d’être en master 2et d’être un élève brillant… Avec le joint tu as parfois des trous de mémoiremais cela reste momentané. Le plus mauvais dans la fumette c'est le tabacpour les poumons. Maintenant quand je monte les escaliers je suis essouf-flé direct."

LISA, 20 AnS"il faut faire attention

à ne pas s'enfermer là dedans"Au lycée Lisa fumait un joint de temps en temps avec lescopines. Après le bac elle a décidé de s'installer avec son co-pain. Là les choses ont commencé à se gâter. "A nous deux onfumait 15 à 20 joints par jour, j'avais besoin de trois pétardspour démarrer la journée. Au bout d'un moment tu fumes unbédo avant chaque chose que tu vas faire. Tu ne penses plusqu'à ça, tu tournes en rond." Si Lisa et son copain pouvaientse permettre une telle consommation c'est parce qu'ils cul-tivaient leur propre cannabis. "Le matériel nous a coûté dansles 800 euros mais avec ce qu'on fumait et ce qu'on vendaittout à largement été remboursé. Je ne suis pas de ceux qui vousdirons qu'on ne peut pas être dépendant au cannabis, je croisà l'addiction. " Un jour Lisa en a eu marre. Elle a quitté co-pain, appartement, plantes... est rentrée chez ses parents etn’a plus rien touché pendant 8 mois. "J’ai réalisé que je fumaispour combler un vide." Aujourd'hui étudiante en deuxièmeannée de licence elle refume, mais avec modération. "Il fautavoir été accro pour savoir où sont tes limites. Aujourd'hui jesais que je ne retomberai jamais dedans."

SAM, 24 AnS "Je vois la fumette

comme une sorte de discipline"Avant d’entrer dans les études supérieures Sam ne touchaitni à l’alcool ni à la drogue. Après deux ans de prépa il entreen école d’ingénieurs "J’ai tenu deux mois puis j’ai commencé.Je suis curieux de base, j’ai essayé, j’ai kiffé, j’ai adopté. Fumerm’a changé, j’ai découvert une nouvelle façon de penser.Quand tu fumes tes neurones se connectent différemment, tute mets à penser à des choses auxquelles tu ne penserais pasforcément en temps normal." Sam fait aussi de la musique."Quand je fume j’ai l’impression que ma créativité est décu-plée. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’artistes et de genscélèbres fument. Je suis sûr que Steeve Jobs fumait. J’ai eu uneéducation sévère, aujourd’hui si mes parents apprennent queje fume et même que je cultive je me fais découper en rondelles.Mais je suis bien comme je suis et je n’ai pas envie de changer.Je dois donc vivre avec cette épée de Damoclès au dessus de latête." Sam compare la fumette à une discipline. "Dans ma têteune personne qui fume et arrive à maitriser sa consommationpourra, plus tard, faire ce qu’il veut dans sa vie. Personnelle-ment ce qui me permet de me contrôler c’est le sport. Je pra-tique un sport de combat à un niveau national. Si je n’avaispas ça pour calmer ma conso, je pense que je partirais en cac-ahuète."

iris CAZAUBOn* Les prénoms ont été modifiés.

Un fumeur de cannabis est un jeune dépravé qui porte des dreadlocks `et "squatte" le canapé toute la journée sans projet d'avenir… Un cliché parmi tant d’autres.

En réalité, il n'existe pas de "profil type" du fumeur. Chacun à un comportement, une façon bien à lui d'appréhender le produit. Parole aux principaux intéressés...

SOPHIE, 50 AnS

"Je fume pour calmer mes douleurs" A l’adolescence Sophie fumait quelques pétards "comme tous lesjeunes". Elle a ensuite arrêté de nombreuses années car elle n’envoyait plus l’utilité. Aujourd’hui, maman d’un garçon de 13 ans ellea quelques problèmes de santé. "J’ai des douleurs neuropathiques(lésions au niveau des nerfs) qui me font beaucoup souffrir. Aucunmédicament n’arrivait à me soulager. Un jour j’ai fumé un pet pourvoir. Et ça m’a vraiment calmé. " Elle insiste sur le fait qu’elle n’estpas "accro". "Je fume maximum deux joints dans la journée quandla douleur est trop insupportable. Je trouve d’ailleurs que lesmédecins sont beaucoup trop fermés sur le sujet." Avec un budgetde 50 euros par mois Sophie est une petite consommatrice. "Il y atrois ans je plantais, mais j’ai eu des problèmes avec mes graines etj’ai arrêté. Je fume pour la douleur mais aussi pour le fun, autantprofiter de tous les effets."

Photos Iris CAZAUBON

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Quand les parents fument, les enfants...

JULiE, 23 AnS, mère d’une fille de deux ans et demi consommedepuis 10 ans de manière régulière. Elle confie qu’elle n’a réellementarrêté que pendant sa grossesse et que l’arrivée de son enfant n’a rienchangé à son addiction. Pour l’éducation, elle n’y voit aucun problème.Ce n’est pas parce qu’elle fume que sa fille sera mal élevée et qu’ellesera pré-destinée à consommer elle aussi. Quand on lui demande cequ’elle pense d’un parent qui ne fume pas, elle répond : “Je pensemieux aimer ma fille en étant maman et fumeuse que certains parentsnon fumeurs”. La jeune maman fait tout pour que sa fille ne soit pasexposée aux nuisances visibles de sa pratique, “Je vais me cacher leplus longtemps possible“. Elle fait attention à ne pas “rouler” devant safille et elle ne fume que lorsque celle-ci est couchée. La jeune mamanévite que l’enfant ait le moindre contact possible avec le cannabis.Julie reconnait cependant que son addiction est un problème. Ne gag-nant pas sa vie la drogue lui crée un réel problème financier. L’argentqui part en cannabis pourrait evidemment lui servir à faire plus d ‘ac-tivités avec sa fille ou alors à lui acheter plus de cadeaux. Ou encoreelle constate que par moment ses troubles de la concentration devi-ennent récurrents et de plus en plus fréquents au quotidien. Malgréquelques tentatives pour arrêter, elle continue, car le geste revient,naturellement.

MATHiEU 24 AnS, papa d’un enfant de 4 ans explique par contre que,lui, a décidé d’arrêter de fumer dès la naissance de son bébé. Addictpendant 8 ans, le cannabis faisait totalement parti de son quotidien.Conscient des problèmes de santé et financiers que lui apportait sadépendance, il s’est dit que c’était impossible de mêler majijuana etenfant. “Le choix a été très rapide à faire, je n’ai eu aucune hésitation”.Que pense–t–il alors de l’éducation donnée par des parents qui sontrestés dans cet engrenage? “Elever un enfant dans un milieu où ladrogue fait déjà parti du quotidien me parait compliqué et risqué, com-ment par la suite lui expliquer que ce n’est pas bien, il deviendra lui aussiforcément fumeur.” A propos des parents qui choisissent de rester con-sommateurs, ses propos sont sans concessions: “ce sont des irrespon-sables”. Alors être parent et fumer du cannabis, un bien ou un mal ?Chacun voit midi à sa porte et l’éducation reste quelque chose de trèssubjectif. Certains le voient comme un problème et d’autres trouventque si le juste milieu est appliqué aucun soucis ne devrait se passer.Cependant, peu de médias, peu d’associations parlent de ce prob-lème… La question que l’on peut alors se poser et pourquoi le gou-vernement ou l’univers médical n’agit pas plus ? Le nombre desparents consommateurs augmentent mais pas celui des solutions…

Loïse isabelle DELASSUS

Les adolescents et leurs problèmes avec le cannabis sont au coeur des priorités médicales et gouvernemen-tales, leur comportement à risque inquiète. Mais comment cela se passe-t-il quand ce sont les parents eux

même qui fument? Si la consommation change les sensations, les perceptions, la capacite de mémoire immédi-ate, la concentration, la vigilance et les réflexes, est il possible de “fumer” et d’élever un enfant? Des parents

fumeurs et non fumeurs nous expliquent leur quotidien.

Fumer fait un tabac !Le cannabis a beau être illégal, les accessoires pour lefumer ne le sont pas… Et pullulent dans les tabacs. Desmagasins proposent même uniquement des articles

clairement liés à la “fumette”. Un business totalement légalet qui marche plutôt bien.Rue de la Palud dans le 1er arrondissement de Marseille. Il y a plus de15 ans maintenant Fred a installé son magasin “Goa”, du nom de laville indienne destination phare des routards des seventies. En vitrinedes vêtements hippies, des affiches, un étal de piercings. Mais à l'in-térieur, bercé de musique reggae, on découvre tout un attirail de"fumette". Pipes, bangs*, grinders* en métal ou en plastique, briquetsà l’effigie de Bob Marley ou ornés de feuilles de cannabis, papiers àrouler, petites et longues feuilles, naturelles ou aromatisées, transpar-entes, du carton*… Il y en a pour tous les goûts et de toutes les tailles.Un pas de porte dédié à la culture hippie ou de ce qu’il en reste, milieuqui ne se cache pas de fumer un bon "bédo" de temps en temps. “Jeviens d’acheter un grinder* et des feuilles à la pêche. C’est un cadeaupour mon copain. Il ne reste plus qu’à aller chercher de quoi remplirtout ça…”, rigole d’ailleurs une jeune femme en sortant de la boutique. Mais il ne faut pas forcément aller dans un magasin spécialisé pourtrouver du papier à rouler, des pipes et autres accessoires. Dans lestabacs classiques connus de tout le monde les buralistes voient passeret servent aussi de nombreux “consommateurs”, tous différents. “Lesgens n’ont aucune honte à venir acheter des feuilles longues, que l’on

vend en grande quantité. Des jeunes ou moins jeunes, des hommes, desfemmes, même des enfants essaient” constate un buraliste du centreville. “On vend de tout, même des joints pré-roulés qu’il faut remplir” .Tout ça dans une légalité un peu paradoxale, surtout lorsque l’on voittoutes les interventions menées à Marseille par le gouvernement pourarrêter la vente. “Les policiers ont beau venir de plus en plus nombreuxdans les cités, cela n’arrête pas le trafic, ou seulement pour quelquesheures. On trouve des feuilles, du carton, tout pour rouler, de partout,alors autant légaliser et arrêter cette hypocrisie”, propose un consom-mateur venu acheter son “matos” au tabac du coin. Hypocrisie : d’uncoté on aide et on pousse à la consommation, de l’autre on surveilleet on réprime… Cherchez la logique !

Estelle CAnTOnE

*Bang : pipes à eau qui permet d’aspirer une grande quantité de fumée d’uncoup.*Grinder : petite boîte ronde qui permet d’effriter l’herbe.*Carton : unjoint se roule, non avec un filtre mais avec un bout de carton. Les paquets defeuilles sont tous munis de cartons à l’intérieur.

Photo E.C.

CULTURES ET CANNABIS...BILLES

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En 2001, le film Requiem For a dream change la vision de ladrogue et de ses consommateurs, les faisant passer de junkiefun et populaires à des individus dépravés et complètementdéboussolés. Le réalisateur Darren Aronofsky avec ce film coup depoing à marqué toute une génération.Oubliez Dennis Hopper et Jack Nicholson de Easy Rider. Aujour-d’hui ce sont plutôt les Jared Leto et Jennifer Connelly qui incar-nent les junkies, fini aujourd‘hui l’identification aux personnageset pour la génération de jeunes des années 2000, leur image parrapport à la drogue traité dans le film est à des années lumières dela réalité. L’histoire traite de la déchéance de quatre personnes(dont trois jeunes) qui s’inventent un paradis artificiel en sedroguant (dans le film c’est l’héroïne qui est mise en avant). Interrogés sur ce film, certains jeunes consommateurs de cannabisà la vie active “normale” (lycée/ travail/logement) se montrentunanimes ; pour eux la drogue et en particulier la consommationde cannabis, n'a rien à voir avec Requiem for a dream :“Je me suis vraiment ennuyée, ça dramatise trop et nous fait lâcherdans le récit, nous dit Nathalie 20ans, “je n’ai pas besoin de voir unfilm pour connaître les conséquences de l’héroïne ou autre drogue”

raconte, Sylvain, 18 ans, vivant en Nouvelle-Calédonie. Quant àPierre 23 ans, son avis est légèrement plus poussé “je ne vis pas dutout dans l’univers du film, ce n’est pas parce que tu consommes quetu es un junkie prêt à tout pour fumer, j’ai une famille stable et desamis équilibrés, le contexte du film change tout donc je ne me senspas concerné”.Delphine, étudiante en fac de psycho, a un avis plus nuancé ”je suisd'accord que c'est exagéré mais dans tous les cas, le but principal dufilm était de sensibiliser. D'autant que l'auteur du livre à partirduquel le film a été adapté a souffert d'addictions également. C'estun regard personnel d'un écrivain et d'un réalisateur, qui souhaiteservir une cause universelle”. Malgré un succès critique et populaire indéniable, le film continuede diviser et reste perçu négativement par la majorité des consom-mateurs de stupéfiants. Pour eux l’œuvre de Darren Aronofsky neleur était pas adressé directement. Elle s’adresse plutôt à un autrepublic dans une optique de prévention, d’où la dramatisation miseen scène sur certaines drogues.

Thomas MAROTO

Requiem For a dream : Vérité ou Cliché ?

OMJe te kiffeLe Vélodrome attire chaque week-end des dizaines de milliers de spectateurs. Edifice à ciel ouvert, le stade n'est pas soumis à la loi Evin. Chacun peut fumer librement sa cigarette, mais pas seulement. Phénomène représentatif d'un usage de plus en plus décomplexé, le cannabis est aussi consommé sans aucunecrainte. Le seul contrôle a lieu à l'entrée. Dans les tribunes, le joint devient banal, toléré.Nicolas, 27 ans, est un habitué du virage nord “je ne suis pas

abonné mais je dois assister à une dizaine de rencontres par sai-son, j'y vais un peu à la carte”. Nicolas est également un fumeuroccasionnel “je ne suis pas un fumeur régulier dans le sens ou je fume

de temps en temps, en soirée, mais quand je vais au Vélodrome, on estsouvent trois ou quatre et on fait toujours tourner quelques bédos”.Quand on lui demande la raison de ce rituel, il met en avant la con-vivialité. Selon lui, le cannabis permet de mieux apprécier l'ambiance,d'être vraiment attentif au jeu et, quand celui-ci ralentit, de participerà des discussions passionnées “c'est vraiment pour ça que j'aime fumerau stade, tu passes un moment de détente avec tes potes, tu passes lejoint tout en commentant la dernière passe manquée d'untel...”. Si onfait abstraction de la substance illicite, le discours de Nicolas est celuidu supporter lambda.Viviane a la cinquantaine. Elle est abonnée aux Yankees depuis unequinzaine d'années. Elle ne fume pas de tabac, et encore moins ducannabis. Pour elle, la tolérance doit être la règle “Je suis toujours assiseavec les mêmes personnes et autour de nous, ça fume constamment.Honnêtement ça ne me dérange pas qu'on fume à quelques mètres demoi, chacun fait ce qu'il veut du temps qu'il respecte l'autre. Le problèmec'est quand on prend tout dans la tête...”. D'autres habitués des gradinsphocéens sont plus véhéments, comme en témoignent les débats en-flammés sur les forums de fans. Pour les détracteurs, la loi doit êtrerigoureusement appliquée : le cannabis est illégal, il n'a pas sa placedans une tribune.Et comme Viviane, ils sont nombreux à se plaindre de la “fumée”.

Nicolas, quant à lui, défend une attitude responsable “Quand on esttrop serrés on se met à l'écart, il y a toujours de l'espace sur les côtés.En tout cas, personne ne m'a jamais demandé de bouger ou d'éteindremon joint”. La politique de l’interditQuelle serait la solution pour éradiquer la consommation dans lesstades ? Une fouille approfondie ? Cela prendrait trop de temps. Con-trôler pendant la rencontre ? Il est impensable de faire du cas par casau regard du nombre de spectateurs... Pourquoi cette tolérance tacite ? Un élément de réponse pourrait êtrel'impact faible sur la sécurité. Il y a des fumeurs aux quatre coins duVélodrome, mais les échauffourées ont toujours lieu aux mêmes en-droits, entre les mêmes personnes. Et le facteur récurent est l'alcool,pas le cannabis.Reste l’aspect sanitaire. Pour supprimer les volutes de fumée, des ini-tiatives prennent forme. Ainsi, il est maintenant interdit d’allumer uneclope au Camp Nou, l’antre du prestigieux Barça. En France, c’est Lillequi veut aérer son Grand Stade. Dans un rapport parlementaire rendupublic fin février, les membres du Comité d'évaluation et de contrôledes politiques publiques préconisaient une interdiction complète. Si la tendance persiste, et tout porte à le croire, la prohibition sera larègle. Et tant pis pour la tolérance.

Romain TRUCHET

CULTURES ET CANNABIS...BILLES

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Cannabis : I N ou OUT ?

Chacun sa plantation. L’un est étudiant, l’autre scientifique, lesdeux ont bien étudiés leur sujet avant de se lancer. Thomas surson ordinateur, Eric à travers ses voyages. L’ “herbe”, ils connaissent. Thomas a beaucoup travaillé son dossier, ila passé en revue tous les sites, livres, et autres guides permettantd’effectuer une petite plantation. Il aurait pu produire à l’extérieur,ses parents ont un grand jardin mais comme il habite maintenant seulen ville il a préféré cultiver dans son appartement. Une plantation quine dérange pas heureusement son colocataire lequel est “au parfum”mais remarque, “c’est juste que ça sent fort”.

Du coup Thomas a acheté un filtre pour masquer l’odeur tenace deses petites plantes. Le coin de culture ? Une sorte d’armoire en toileappelée “box”, Thomas y héberge quatre plants qui donneront chacunprés de 250 grammes de “substances”. Deux semaines c’est le tempsqu’a mis Thomas pour réceptionner tout le nécessaire et l’installer.Pour Eric, cela n’a pas été la même chose. Il est de la vielle école. “J’aiplanté pendant cinq ans au nez et à la barbe de tout le monde”, à la cam-pagne, en périphérie d’une grande ville. Dans cette propriété, Ericavait un terrain avec au fond une longue haie. Il a tout planté derrièrecette haie et s’est contenté d’arroser régulièrement. “Si vous aviez vuça pousse comme de la mauvaise herbe”. Il en fumait un peu et le restefinissait en poussière séchée au soleil. “Je n’y passais pas trop de temps,je surveillais à des périodes stratégiques”. Plusieurs fois des ra-masseurs avisés ont tenté de lui chaparder son butin, sans succès.Souvenirs, souvenirs “le matin quand je me réveillait, je sentais l’odeurdes plantes de mon lit”. Nostalgie… Avec la retraite qui arrive, il pensereprendre la plantation. A l’inverse Thomas commence à se lasser, il en est déjà à sa cinquièmerécolte. Il lui faut trois mois pour récolter et entamer son petit rituel.D’abord goûter aux fruits de ses efforts avec quelques amis “priv-ilégiés” puis sortir les boites à chaussures pour ranger le trésor inter-dit. “Dernière récolte et j’arrête, ça me prend trop de temps”. Du tempsmais aussi de l’argent. Sa “box” est gourmande en électricité, et puisThomas craint de se faire attraper. Maintenant trop de personnessavent qu’il produit, il avoue même devenir quelque peu parano, “c’est

pour ça qu’à part les amis proches, je garde tout pour moi, pour éviterque ça se sache”. Ne pas prendre de risques, un des maitres mots desproducteurs clandestins, sauf… pour Eric. Il n’a pas arrêté de cultiverà cause des risques, et s’il reprend, il ne s’inquiètera pas trop. “C’estdifficile d’être discret, l’odeur est très forte.” De toute façon, selon lui,“la police a d’autre chose à faire que d’’empêcher un vieux de fumer sonherbe”. Il en oublie quelques fois que l’usage seul du cannabis est pas-sible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.

Younes TigHEgHT

Produire chez soi ou dans la nature. Deux manières de faire : “inbox” chez soi, ou bien “out” en extérieur. A l’heure où les Cannabis Social Club prônent la désobéissance civile,nombre de “producteurs” de cannabis sont encore loin d’être prêt à témoigner à visage

découvert. Rencontre en toute discrétion avec Thomas 19 ans, et Eric 56 ans, petits cultivateurs anonymes.

Photo Iris CAZAUBON

CULTURES ET CANNABIS...BILLES

“J’ai planté pendant cinq ans au nez et à la barbe de tout le monde”

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16MÉDECINE DOUCE

Arrivé en Europe au XVIIIème siècle, le cannabis a joué unrôle important dans la médecine. Utilisé contre ladouleur, il disparaît au XXème siècle remplacé pard’autres médicaments. La découverte de récepteurs cannabi-noïdes a récemment relancé le débat. Considéré encore commeune drogue, le cannabis médical se heurte à des législations re-strictives. Malgré une utilisation divertissante, il sembleraitqu’il existe des vertus thérapeutiques dans sa consommation.Pour aller au-delà du tabou, certaines associations luttent pourla légalisation du cannabis médical. Franjo Grotenhermen, doc-teur allemand, est responsable de l'association internationalepour le cannabis médical. Il déclare dans son ouvrage, Cannabisen médecine : “L’utilité médicale du cannabis, et des cannabi-noïdes pris séparément, est maintenant très largement acceptéepar la communauté scientifique. Mais le climat et la situation lé-gale restent difficiles pour les patients d’autres pays comme laFrance, la Grèce ou la Suède. Des débats rationnels commencentseulement dans ces pays qui accusent un retard de près de 15ans par rapport aux autres pays”. La France ne semble pasvouloir légaliser le cannabis, aussi bien pour des cas médicauxque pour une consommation libre. Et même si ces derniersmois, le débat s'est relancé, la question du cannabis médicalreste entière. Le Docteur Grotenhermen défend le cannabis médical car il estconvaincu de ses bienfaits dans certaines maladies. “Pourbeaucoup de mes patients, le cannabis est un moyen de trouverdu réconfort et d’oublier la douleur”. La consommation peut

avoir un effet antidouleur pour les souffrances chroniques ré-sistantes. Il peut même être excellent pour stimuler l'appétiten cas d'anorexie. Ses propriétés anti-vomitives sont égale-ment efficaces lors de chimiothérapie. Le cannabis médicalpeut se considérer comme un médicament si ses effetss'adaptent aux symptômes de certaines maladies. “Beaucoupde patients ont un meilleur contrôle de leurs symptômes, ilsretrouvent souvent une vie normale grâce au cannabis”.La consommation du cannabis, lors de traitement, peut êtreenvisagée de différentes façons. Elles sont même parfoispréférables à la fumette, car l’inhalation semble la plus risquée.Tisanes, cachets, vapeurs, sprays, ces formes de prises seraientmoins nocives que le joint. De plus, les sites internet vendantdu cannabis se multipliant, on ne cesse d'innover. Selon le neu-rochirurgien, Docteur Meyer, praticien à Grenoble : “La voieorale serait plus efficace par rapport aux joints, et surtout il ya moins d’accoutumance” . Si la prise de cannabis reste tout demême dangereuse, c’est qu’elle peut entrainer un cancer dupoumon. Le risque est même plus élevé que pour le tabac.Le cannabis provoque également certains effets qui peuventdétraquer l’organisme. Le Docteur Meyer parle de troublespsychiatriques avancés, comme la schizophrénie, ou de trou-bles de la mémoire. Le cannabis, malgré un effet positif lorsd’un traitement symptomatique reste tout de même unedrogue. Mais parfois sur avis médical, il semble bien que l’onpeut traiter le mal par le mal.

Emy ASSOULinE

Cannabis sur ordonnanceEn Europe, seuls l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne le Royaume-Uni et les Pays-Bas autorisentle cannabis médical. En France, la consommation du cannabis à usage thérapeutique resteun sujet sensible. Un tabou qui commence à peine à bouger. Le cannabis entre aspects

positifs et risques sur l’organisme.

Elise LASRY, Sandra MOUTOUSSAMY, Estelle BARLOT

Les pays d'Europe ont des législations très disparates concernant l'usage du cannabis. Certains permettent égalementl'usage médical. Voici une carte qui vous renseignera sur le sujet.

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Fumer au travailATTEnTiOn DAngER !

De plus en plus d'entreprises, en coordination avec la médecine du travail,

s'intéressent au test de dépistage ducannabis. Des tests destinés aux postes dits àrisque et réalisés sous certaines conditions.Après les tests d'alcoolémie, voici les tests de dépistagedu cannabis ! Les chefs d'entreprise deviennent friandsde ce dispositif. Dans le code du travail il n'y a aucuneclause relative à l'usage de stupéfiant, mais en pratique lestests sont autorisés. Les employeurs ont le droit d'en réclamersi la personne concernée convoite ou détient un poste à re-sponsabilité. Des postes qui nécessitent des exigences de sécu-rité, de maîtrise du comportement, de conduite de véhiculesou encore de manipulation de produits dangereux. Ledépistage d’usage de stupéfiant et une procédure particulièreet très encadrée.Le dépistage ne doit pas être effectué systématiquement etdoit apparaître dans le règlement intérieur de l'entreprise. Deplus, il faut respecter ce que l'on appelle “les règles d'informa-tion individuelle”, c'est à dire expliquer le pourquoi dudépistage et les conséquences d'un résultat positif. L'employédoit également avoir un droit de refus. Par ailleurs “si la dépen-

dance est avérée et qu'elle met en péril le travail ou l'entreprise,la médecine du travail aura pour mission d'orienter la personnepour qu'elle se soigne” explique Nadia, membre du dispositifd'Appui Drogues et Dépendances (DADD) en région PACA. Anoter que dans le cadre de l'examen, le secret médical joue. Carle médecin ne doit prononcée qu'une inaptitude et non révélerune quelconque autre information.Toutefois aujourd’hui “les consommations excessives ponctuellesont tendance à augmenter au travail” constate Marie-LaureHémery, médecin du travail. Et c'est ce qui inquiète. La Missioninterministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie(MILDT) considère qu'un dixième des salariés se réfugient

dans la drogue pour faire face à leur travail. Un autre organ-isme , l'institut national de prévention et d'éducation pour lasanté (INPES) diffuse lui tous les cinq ans un baromètre con-sacré à l'usage de substances psychoactives dans le milieu pro-fessionnel. D'après l'étude de 2010, la consommation decannabis varie en fonction des secteurs d'activités. Ainsi, lesplus touchés sont les arts et spectacles avec 16,6% de consom-mateurs dans l'année, la construction, avec 13%, l'héberge-ment et la restauration (pas de chiffres déterminés). Plus dutiers des fumeurs de tabac et le quart des fumeurs de cannabisont affirmé avoir augmenté leur fréquence d'utilisation à causede la pression et de problèmes professionnels.Pour essayer d’enrayer ce phénomène, la MILDT a publié unguide pour conseiller les entreprises sur les techniques deprévention contre la consommation et l'abus de substancespsychoactives telles que le cannabis. La sensibilisation est trèsimportante. En région PACA, un réseau informel de profession-nels s'est constitué et en train de se former pour apprendre àintervenir dans le milieu des entreprises dans le cadre de mis-sion d'information/prévention.Sandra MOUTOUSSAMY

information/formation avant tout“On est une vigilance sanitaire”. Voilà comment Elisabeth Frauger,responsable adjointe du Centre d'Evaluation et d'Information surla Pharmacodépendance (CEIP) – Addictovigilance décrit son serv-ice. Son équipe recueille les cas de dépendance, d'abus ou encored'usage détourné de substances psychoactives et notamment decannabis. La collecte s'effectue auprès des professionnels de santé(médecins, laborantins) ou encore des urgences médicojudiciaires,les services de police et de gendarmerie. Il y a quelques années,l'une de ces études a révélé plusieurs catégories de dépendants : lesconsommateurs de cannabis pur, ceux qui le fument et boivent etles jeunes qui sont plus concernés par l'abus et la dépendance. A lasuite de ces recherches ils identifient les risques et impacts psychi-atriques pour en informer les professionnels de santé. Le centre agit

sur toute la région Provence Alpes Côte d'Azur ainsi que sur laCorse.Prévenir reste le maître mot du CEIP. Il n'est jamais confronté auxpatients mais interagit directement avec les médecins, urgences,laboratoires de toxicologie etc... Ces derniers sont orientés et con-seillés sur les cas de dépendance auxquels ils font face. Ils peuventeux-mêmes solliciter l'aide du CEIP ou c'est le centre qui vient à eux.L'équipe d'Elisabeth Frauger se déplace régulièrement dans lesstructures spécialisées des usagers de drogue. Elle diffuse alorstoutes les informations collectées sur la région et réponde aux ques-tions. “Le plus souvent on intervient sur les nouvelles drogues de syn-thèses”, déclare l'adjointe. Une mission d'information qu'elle jugeindispensable.

S.M.

MÉDECINE DOUCE

Elise LASRY, Sandra MOUTOUSSAMY, Estelle BARLOT

Page 18: Canebière Cannabis

18INTERNATIONAL

Cannabis connexionMarseille capitale ?En février 2013 Courrier International au travers d’une sélec-tion d’articles internationaux avait dressé sur Marseille unportrait pittoresque mais pessimiste. Ces articles anglo-sax-ons se focalisaient sur les problèmes d’immigration et la présencemusulmane dans la ville. Mais également tous ces papierspointent du doigt un trafic de drogue gangrénant la ville. Si l’on demande à un étranger ce qu’il sait de Marseille, un certainnombre vous répondront qu’ils ont déjà entendu parler de laFrench Connexion, rendu célèbre aux Etas Unis par le filméponyme. Cette organisation contrôlait jadis l’approvisionnementen héroïne du monde à travers un vaste réseau entre Marseille etles USA. C’est malgré tout cette image dépassée de la ville que lesinstances donnent à travers leurs rapports. L’INCB (bureau inter-national de contrôle des narcotiques) fait référence à Marseillecomme ancienne plaque tournante du trafic d’opium mais guèreplus. Mais la réalité actuelle est tout autre. L’âge d’or des réseauxde contrebande de drogue à structure pyramidale est révolu. Letrafic de stupéfiant marseillais est maintenant dominé par desréseaux plus petits et moins élaborés. Ces réseaux sont certes plusfaciles à fragiliser une fois les leaders localisés. Mais ces organi-sations sont bien plus nombreuses et bien plus facile à mettre enplace. Que fait l’OnUDC ?Malgré cette situation préoccupante, les organisations interna-tionales de luttes contre le trafic de stupéfiant ne semblent pass’intéresser au cas marseillais outre mesure. Le cas de l’ONUDC(L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime) est révéla-teur. La dernière mention de Marseille parmi les points de transitprincipaux de la résine de cannabis dans un de ses rapports datede 2008. Depuis plus de traces de la cité phocéenne sur la cartede la drogue. Il faut dire que l’ONUDC, consacre la majorité de sonbudget à la lutte contre le blanchiment d’argent. Si problèmes dedrogue il y a, l’agence se concentre d’avantage sur l’Afghanistan,la frontière mexicaine et/ou l’Afrique de l’ouest. Europol (agence de coopération des polices européennes) est laseule organisation de lutte contre la criminalité à consacrer plusd’un paragraphe au trafic de cannabis à Marseille dans son rap-port de 2012. Pour Europol, Marseille est devenu un point de tran-sit, de stockage et de réexpédition de la résine de cannabis enprovenance pour l’essentiel du Maroc. Pourtant Marseille neparait pas être la priorité d’Europol dont les budgets limités sontconsacrés à la collecte d’informations que les polices locales n’u-tilisent que très peu. Pendant ce temps les médias français multi-plient les unes. Fustigeant l’urgence de la problématique de ladrogue à Marseille. Cependant il semble que les vingtaines demeurtres marseillais ne pèsent pas lourd face aux 3000 morts dela guerre contre les cartels au Mexique.

Alexis VERDET

nos amis du RifAcheminé à travers l’Espagne par go Fast ou par mer lecannabis se retrouve à Marseille. Mais d’où provient-il ?Selon les chiffres publiés par l’OnUDC , 21% de la pro-duction mondiale de cannabis provient de la région duRif au Maroc. Pourtant les actions en vue de diminuer la production decette drogue sur le territoire chérifien manquent cruelle-ment. il faut dire que le souverain Hassan ii et son suc-cesseur Mohamed Vi sont tous deux des partenairesprivilégiés et des amis de longue date de nombreux payseuropéens ainsi que des Etats Unis. On comprend doncpourquoi on ne cherche pas à froisser le royaume. Occa-sionnellement pour faire plaisir à leurs partenaires et àseul but de détente diplomatique, le royaume du Maroclance des mesures symboliques comme la prohibition dela vente de feuilles de tabac à rouler, ou l’interdiction desvols hélicoptères civils dans le royaume. Chaque annéeles autorités marocaines procèdent à une très média-tique campagne d’éradication de champs de cannabispour prouver leur bonne volonté. Dans son rapport annuel les drogues de 2013 L’inCBfélicite paradoxalement le Maroc pour sa coopérationdans la lutte contre l’économie de la drogue. Selon lemême rapport la culture de cannabis au Maroc s’est sta-bilisée aux environs de 47 400 ha en 2013, ce qui estlégèrement en dessous des chiffres des années précé-dentes. Mais la question à laquelle personne ne répondest, comment éradiquer une culture qui est historique-ment liée à la région du Rif surtout dans la partie centraleentre Chefchaouen et Targuist, région dans laquelle lapauvreté et l’analphabètisation est encore importante ?Le pouvoir marocain y trouve-t-il son compte ? il faut toutde même se remémorer l’histoire tumultueuse de cetterégion frondeuse qui reste en dehors de circuits touris-tiques. De ce fait la culture de cannabis et son trafic à par-tir des enclaves espagnols de Ceuta et Melilla reste lamajeure source de revenu des habitants du Rif. De pluscomment obliger les paysans du Rif à changer le type deculture de leurs champs quand le cannabis rapporte plusque l’orge ou le blé ? Le gouvernement Marocain se contente actuellement decoopérer avec les instances internationales de lutte con-tre les stupéfiants en apportant son aide contre le traficde drogue dures, et en renforçant les contrôles aux fron-tières. Toutes ces actions contribuent à détourner le re-gard des acteurs internationaux du vrai problèmemarocain, la culture du cannabis. Pendant que le Marocmultiplie les diversions, les organisations interna-tionales préfèrent se concentrer sur des dossiers plusbrulants et médiatiques comme le Mexique etl’Afghanistan laissant à l’Europe la question marocaine.

A.V.- Rapport de l’ONUDC 2008 et 2012, Rapport de l’INCB 2013, Rapport Europol 2012

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Le trafic du cannabis est un commerce risqué et peu lucratif.Pourtant le cliché du dealer ayant fait fortune dans le négocede résine, au volant d’une berline, montre de luxe au poignet, ala vie dure. En France une étude de l’OFDT( Observatoire français desdrogues et des toxicomanie) estime à 23 000 le nombre d’individusimpliqué dans le commerce de cannabis. La grande majorité d’entreeux, environs 220 000, ne gagne pas plus de 580 euros par mois, soitun peu plus du RSA (475 euros). Christian Ben Lakhdar, maître de con-férences de l'Université Catholique de Lille Chargé d'études à l’OFDTsouligne “que ces chiffres sont beaucoup plus proche du chiffre d’affairesque du revenu net”. En ce qui concerne Marseille Claire Duport, socio-logue, indique “aucune recherche fiable ne permet actuellement dequantifier avec précision et certitude les quantités de cannabis im-portées, et donc de quantifier les revenus que le trafic génère”. Pour au-tant, le journaliste à La Marseillaise, Philippe Pujol qui a beaucoupenquêté sur le trafic de drogue dans les cités marseillaises est sanséquivoque, “dire que les dealers tirent d’importants profits du trafic estun fantasme absolu, ce commerce génère des revenus que l’on peutplutôt qualifier de rente de survie”. Outre les faibles sommes que tire la majorité des dealers, ce com-merce vu sous le prisme des risques qu’il comporte, devient défini-tivement un emploi paupérisant. Le risque d’interpellation estimportant, “et une condamnation par la justice représente une sortieforcée du marché du travail illicite, et donc une perte de revenu” noteChristian Ben Lakhdar. Entre 2006 et 2012 le nombre d’interpella-tions pour usage, revente et trafic de cannabis a doublé, selon leschiffre de l’OFDT. En 2008 la durée moyenne de détention était de 8,8mois selon le Ministère de la Justice. A cette peine de prison s’ajouteune lourde amende et depuis 2008 la saisie des avoirs criminels ainsique les stocks de marchandise trouvés chez le dealer. Mais “les pertesde revenus peuvent ne pas provenir seulement de la régulation policièreet juridique du marché du travail illégal”, comme le rappelle ChristianBen Lahkdar, le monde du trafic de stupéfiant est un milieu violent,où les conflits se règlent souvent dans le sang, et non devant un tri-bunal. Qui peut bien vouloir dans de telle condition être carriéristedans le commerce du cannabis ? Qui peut continuer à croire que cecommerce fait recette facile ?

Pour Phillippe Pujo,l les dealers ne sont ni à plaindre, ni à blâmer. Cecidit il, continue de conter ses histoires, ces enfants martyrs shootés àla came depuis leur plus jeune âge, qui finissent par travailler gratu-itement, pour quelques grammes de résine et le repas du midi. Lecommerce du cannabis est un commerce de la dette, très vite unebonne partie de ces travailleurs effectue leur besogne pour rem-bourser la drogue ou l’argent que leur a prêté le chef de bande, si bienqu’ils se trouvent forcés de dealer, pris au piège. “Le deal mène au chô-mage ou à la mort” résume Philippe Pujol. Mais le chômage est detoute façon une réalité pour la majorité de la population des quartiersdits “sensibles”. Dans les ZUS (zones urbaines sensibles), lieux de la majorité destrafics, le chômage est en moyenne deux fois plus importantqu’ailleurs, et à diplôme égal, un individu résident d’une ZUS a deuxfois moins de chance de trouver un emploi. Christian Ben Lakhdarconclu “si le marché du travail offre des opportunités lucratives, alorsles incitations à s’engager dans le trafic de drogue seront moinsélevées”. Philipe Pujol a même observé chez les dealeurs des qualitésrecherchées dans le monde du travail, capacité d’adaptation, sensinné du commerce, grande motivation…« Les élus ne sont pas idiots »Pour Philippe Pujol, des solutions institutionnelles existent, mais surle long terme, hors du temps politique calqué sur les échéances élec-torales. Impossible dans cette situation de prendre des décisions(dépénalisation, ect) susceptibles de choquer l’électorat. “Les intérêtsne convergent pas, alors ils laissent faire” indique le journaliste, “c’estune bonne façon d’acheter la paix sociale”.Le deal est donc souvent un choix contraint qui permet un revenu desubsistance. Il crée parfois du chômage en fauchant dés l’enfance lestravailleurs mineurs du cannabis. Mais pris dans la totalité, le com-merce crée de la richesse, cette manne, même infime une fois dis-séminée aux quatre coins des cités permet de vivre à bon nombre defamilles. Dés lors on peut se demander si l’Etat se donne tous lesmoyens pour supprimer définitivement cette économie illégale ?

Simon ViEnS

N’en déplaise à l’imaginationpopulaire, les travaux dechercheurs montrent que le commerce ducannabis crée peu de

richesse, bien qu’en périodede crise, il reste une sourcede subsistance qui comptepour les plus pauvres. À leur

risques et périls.

ÉCONOMIE

Mauvaise Fortune

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Génération

Le héros du roman est très militant, est-ce que c’est aussi le butdu livre ?Le héros n’est pas militant au sens où il n’est pas impliqué dans desassociations, il ne fait pas de politique. Il est plutôt dans une démarchehédoniste, épicurienne. Par contre il a une analyse des problèmes dela société, notamment au niveau des libertés. Si j’avais voulu faire unlivre militant j’aurais fait un essai, là j’ai écrit l’histoire de deux jeunesqui voyagent, ça parle de liberté, de plaisir, de sexe et de musique. Maison peut y voir deux messages couplés et si vous me demandez si jeconsidère que consommer du cannabis est grave, la réponse estévidemment non.Dans une interview pour Libération vous disiez que vous aviezfait de nombreux entretiens pour ce roman. Alors, plutôt soci-ologique ou plutôt autobiographique comme vous le dites survotre site ?C’est une sorte de littérature gonzo, comme Las Vegas Parano. Ceroman raconte une histoire que j’ai vécue, mais romancée, notammentpour préserver l’anonymat de certaines personnes. Comme c’était ily a vingt ans j’ai pu la peaufiner, notamment en interrogeant des gens,à cause de mes réflexes d’universitaire, mais ça reste une oeuvre lit-téraire. Son but premier est de distraire les gens, ensuite de parlerd’une époque peu explorée par la littérature, enfin de faire passer unbon moment.Donc les années 90, c’est parce que c’était une période dont onparlait peu ?Oui, c’était peu traité. Il y a aussi cette notion d’être jeune, dont parlele livre et qui était très forte dans les années 90. Il y avait plus de lib-erté qu’aujourd’hui, l’impression que tout était possible, et c’était unpeu vrai. Beaucoup de choses étaient encore floues, échappaient en-core à la police. C’était aussi une époque de révolutions musicales : latechno avec les tecknivals qui fleurissaient un peu partout, le reggaeavec le renouveau du roots, l’explosion du rap...

Vous dites que les français fument un joint le soir, que beaucoupde fumeurs sont avocats, cadres etc., mais à part quelques con-ducteurs qui prennent les héros en stop le roman parle beaucoupde “marginaux”, n’y a-t-il pas une contradiction ?Génération H est le premier tome d’une trilogie où on va suivre lesmêmes héros pendant des années [ndlr : le prochain tome devrait sor-tir fin 2014]. Là ils ont 17 ans donc ils sont plus trashs, c’est le principede la jeunesse de faire des excès. Notez cependant qu’ils ne sont passi marginaux que ça : ils sont scolarisés, ils ont la tête sur les épaules,ils travaillent quand ils ont besoin d’argent... En tous cas les héros decette bande ont réellement existé et aujourd’hui certains sont avocatsou commerciaux, ils sont mariés, ont des enfants, ils sont parfaitementinsérés dans la société. Je parle souvent de ces personnes-là parcequ’on les oublie dans l’image du fumeur de cannabis.Vous parlez aussi de “fumer un joint comme on boirait un verrede vin”, or beaucoup de personnages et surtout les héros fumenten permanence... à ce niveau ce serait plus de l’alcoolisme non ?Là-encore, les héros n’ont que 17 ans... on peut dire que la mesure naîtde l’excès. Il faut dissocier la quantité qu’ils consomment de leurrecherche de qualité : ils fument beaucoup, mais pas n’importe quoi,ils sont dans une démarche gustative et esthète. Un œnologue aussi adû expérimenter l’ivresse au début. Il est toutefois vrai qu’il y a unecontradiction mais l’être humain est paradoxal. C’est aussi l’un desavantages de l’oeuvre littéraire de ne pas être forcément cohérente,de pouvoir comprendre les paradoxes de l’humain.Comment ce roman a-t-il été reçu par vos collègues universi-taires ?Bien sûr en écrivant un tel livre je n’ai pas une image d’enfant sage,mais quand tu es écrivain on n’a pas à te juger. J’ai eu des collèguesheureux de m’entendre dans les médias, peut-être des jalousies maisça s’est arrêté là. Le métier d’intellectuel est de créer et de réfléchir,c’est ce que je fais. Elise LASRY

Une France qui a intégré le cannabis dans sa culture, voilà le portrait que dresse le livre Génération H. Rencontre avec son

auteur, Alexandre Grondeau, 35 ans, également critique musical et géographe

à l’université d’Aix-Marseille.Été 1995, une petite bande de lycéens parcourt la Francepour les vacances, assoiffée de liberté mais surtout dehaschisch. Des festivals de country aux ferias en passantpar les free parties, ils vont rencontrer toute une génération quia fait du “joint” le nouveau verre de vin. Alexandre Grondeau s'estinspiré de ses rencontres avec de nombreux amateurs decannabis, ce qui donne au roman une certaine valeur soci-ologique, quoiqu'il soit surtout inspiré de la jeunesse de l'auteur.Ce récit initiatique est aussi très pédagogique ; le néophytepourra découvrir les différences entre afghan, marocain ouskunk, la définition d'un shilom ou le mode d'emploi d'un bang.Le roman porté par la musique, dont l'auteur est passionné : reg-gae ou techno, elle traverse le récit et accompagne partout leshéros et le lecteur – une playlist est d'ailleurs proposée à la findu livre. Sur le site (www.generation-h.com), vous pourrez retrou-ver une compilation mais aussi d'autres bonus, comme des té-moignages vidéos de consommateurs.aschH

À L’OUVRAGE

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Entre trouille et fouillele business continue

Dans la cité de La Sauvagère, deux personnes fouillent les“clients” avant de les faire entrer dans le hall, où sedéroule la transaction. “Détends toi mon pote, y a pasde problème” lance un des « gardes » à un client un peu stressé.“On vérifie juste que personne n’ait d’arme” indique Sofiane,membre du réseau de la cité. A la question “Avez-vous peur d’unrèglement de compte ? ”, Mehdi, de la cité Bassens, répond“Franchement non, de toute façon on s’y attend même pas quandça arrive”. Du côté du 15ème arrondissement de Marseille, à la cité Cam-pagne-Levêque, la fouille est aussi de rigueur. Dans ce réseautrès bien organisé, rien n’est laissé au hasard. Aucun sac n’estautorisé dans le hall, et le client doit le laisser au bas des es-caliers. Un jeune homme armé est quelque fois présent devantl’entrée. En une demie heure il fait deux-trois allers retours.Mais il n’est pas menaçant. “On est obligé de se défendre au casoù” précise Dylan. Quelques minutes après une demi douzainede transactions, un jeune homme arrive, 15 ans tout au plus,sac McDonald’s dans les mains. “Tiens cousin”. Cet adolescentest un “chouf”, un guetteur. En plus de surveiller une éventuellearrivée de la police, certains sont chargés d’apporter à mangeraux dealers, qui ne peuvent pas bouger pendant plusieursheures. Ici, le trafic a changé. Il y a un an, il était impossible devoir le dealer, des caddies bloquaient les escaliers, et ce dernierse trouvait juste derrière. Seulement son bras était visible lorsdes transactions. Après plusieurs descentes de police, les trafi-quants ont fait profil bas, et les escaliers ont été libérés. Même

les murs qui entourent ce point de vente ont été repeints. Leclient est même fidélisé, à partir de 30 euros d’achats, un pa-quet de feuille est offert. Du côté de la Sauvagère, les “choufs”sont en alertes. La police patrouille non loin d’ici. Le dealer“porteur”, qui possède toute la marchandise sur lui, s’enfuit encourant. “Attendez la 10 minutes, le temps qu’ils partent” lancecalmement Sofiane aux clients venu se ravitailler. Impassiblealors que leur vie se joue en ce moment même, l’un d’eux sepermet une petite plaisanterie “On va devoir sortir le Uzi” glisset-il avec le sourire. Cette relation avec la police est toujours aussi étroite. Surtoutdepuis que les cités ont été prises d’assaut par les CRS. “C’estvrai, ca fait chier qu’ils bloquent les cités” explique Mehdi, avantd’ajouter “ça dure 2-3 semaines, même pas, le ‘biz’ reprendquand ils partent”. Une sorte de cercle vicieux du jeu du chat etde la souris.

Thomas ACARiES

Quartiers nord, quartiers Sud, le trafic de drogue sévit sur l’ensemble

du territoire marseillais. Sur les pas de trois dealers, au cœur de la cité

phocéenne.

Cannabis Social Clubs : alternative au marché noir ?Pour se procurer du cannabis en France, les dealers sont presquele passage obligé, ce qui implique trafic et risques sanitaires(mélange avec des produits chimiques). Contre ces problèmes, desusagers ont créé les Cannabis Social Clubs (CSC). Le principe est decultiver du cannabis pour une vingtaine de membres maximum,avec interdiction de revendre ou de faire consommer à desmineurs. Près de 500 existeraient en France, avec une volonté decréer un débat et de faire changer les mentalités. Dominique Broc,44 ans, est le chef de file des cannabis social clubs. Il y a 1 mois, ila crée officiellement l’association des cannabis social clubs français(CSCF). Dans les colonnes de Libération, il estime qu’ “une actionrépressive du gouvernement serait intenable politiquement”, il apourtant était condamné a 8 mois de prison avec sursis pour pos-

session de cannabis. A Marseille, un CSC a déclaré son existence enpréfecture il y a quelques semaines. Comme les vingt autres enFrance qui ont pris ce risque, ils sont suspendus aux différentes dé-cisions de justice. Damien est un jeune marseillais de 22 ans. Il a décidé de se mettreen danger pour faire avancer le débat. “Pour l’instant il s’agit d’unpetit groupe de trois. Mais nous n’avons pas comme certains pris lerisque de commencer à cultiver. Mais on essaye de faire avancer leschoses, de créer un débat au niveau national et local”. Pour ces mem-bres, la solidarité est quelque chose d’essentiel dans le mouvement: “le principe c’est qu’on est tous ensemble, si on tombe, on le fait en-semble”. Damien espère aussi pouvoir échapper comme beaucoupau marché noir du cannabis et ses réseaux mafieux.

William gOUTARD

SUR LE TERRAIN

Page 22: Canebière Cannabis

Marseille’s Burning est votre 4ème roman policier,pourquoi ce choix du polar ?Je suis auteur mais aussi journaliste, et le polar, c’est le jour-nalisme du roman. Ce genre littéraire réaliste permet de radi-ographier une ville. Je ne cherche pas à coller à une tendancemais plutôt à contourner l’idée générale ; grâce au polar j’ex-plore la ville et ses dysfonctionnements.Vous parlez beaucoup de Marseille Capitale Européennede la Culture 2013 …Oui, j’ai d’ailleurs tout fait pour trouver un éditeur capable deme publier au printemps 2013 afin de m’immiscer. Dans monlivre il y a tout un catalogue de happening pour casser MP2013,alors si quelqu’un veut les réaliser, qu’il se serve !Que représente la chanson Marseille’s Burning, d’où vientcette relation étroite entre rock et polar dans vos écrits ?Le polar est depuis longtemps une littérature de jazz mélan-colique faite par un mec un peu cabossé. Je trouvais cette imageun peu dépassée. Dans Marseille on entend aussi du rock, durap musique très combative, le rock par contre c’est plus lachanson des gens qui baissent les bras. J’aimais assez l’idée dé-calée d’avoir un personnage dingue de rock dans la capitaledu rap. Ce titre, Marseille’s Burning est aussi un hommage augroupe The Clash, à leur chanson London is Burning. Mytholo-gie de ces villes qui flambent. Or sur Marseille toutes les con-ditions seraient réunies pour que tout explose : exclusion,chômage, tensions sociales… La chanson, que le personnageabandonne dans le livre est une pirouette pour dire : non, Mar-seille ne brûle pas.Mais vous écrivez tout de même “Marseille ville-trottoir”,“en manque d’affectif”, “où la misère engendre la violence”… C’est vrai ! Il y a un sentiment d’insécurité affective à Marseille,une paranoïa ambiante. Cette ville se sent mal aimée, sansréelle prise en charge collective ou politique de son destin. Laville est sale et les slogans inscrits partout sont “Marseille villepropre”. Comme “Fier d’être Marseillais” ça veut dire quoi ? Tout

est hasard. On pourrait aussi être fier de venir d’ailleurs ou dese montrer plus ouvert sur le monde.Au travers de votre roman vous placez vous plutôt endéfenseur ou en accusateur de Marseille ?Casser Marseille, non en aucun cas. On a besoin de ville commecelle là, qui se place au contraire des autres. Marseille est ditebien plus raciste que les autres villes de France, mais c’est enfait la seule qui expérimente l’accueil, et elle le fait sans moyen.Le cœur de la cité phocéenne c’est un quartier arabe, berbère,noir africain, c’est une chance. Il y a une forme d’amour-haine,mais les Marseillais ont quand même ce talent de se moquerd’eux même. J’aime cette ville, elle me guérit de beaucoup dechose. Mais un polar, c’est forcément critique, donc il critique,mais pas de façon amère. Pourquoi abordez-vous le thème de la drogue, est-ce in-contournable à Marseille ?Un texte de Walter Benjamin où il se balade sur le Vieux-Portsous emprise de hachich m’a inspiré. En même temps, Mar-seille est la ville de la French Connexion. La drogue faite partiedu quotidien de la ville comme le clientélisme, la saleté j’étaisforcé d’en parler. La culture du pétard est un peu partout dansla rue. En plein centre-ville on peut croiser des gens défoncés.La Canebière est une rue où l’on peut acheter de l’herbe et dushit tous les 30 mètres. Mais je ne fais pas pour autant un livresur la drogue, ni sur les cités, je ne peux ni ne veux pas parlerde ce que je ne connais pas. Ce sont simplement des élémentsincontournables ici.Des projets pour la suite ?Oui, je vais reprendre mon personnage et faire encore une suiteà ces deux polars. Je continuerai tant qu’il y aura des choses àexplorer à Marseille. L’intrigue policière n’est en réalité qu’unprétexte pour parcourir et observer la ville.

Propos recueillis par Manon MATHiEU

Entretien avec...

Cédric FabreTrafics, drogue, règlements de compte, clandestinité et pau-vreté. Avec son polar Marseille’s Burning, Cédric Fabre plongele lecteur dans le côté sombre et caché de Marseille. Ce côtéignoré qui pourtant semble définir la ville au-delà de sesfrontières. Sur le fil d’une banale histoire de corruption, de sexe et dechantage, la violence grandit entre les personnages, aux orig-ines multiples mais aux passés pas si différents. L’illustrationdevenue classique d’une ville cosmopolite et multiethnique.Phil, baroudeur, barman et batteur à ses heures, poursuit une enquête pour pro-téger son fils des dangers de la rue. L’histoire se construit.Au-delà des clichés sur la “délinquance” et les “quartiers”, l’auteur dépeint une villerock, trash et empreinte de libertés. Un roman-noir qui se veut aussi critique de la so-ciété et de Marseille Capitale Européenne de la Culture. Pensées comme un film, lesscènes de ce roman sont toujours réalistes, décrites avec précision, sans oublier labande-son, entre les pages, de Keny Arkana aux Ramones en passant par Rory gal-lagher. Par contre, la chanson Marseille’s Burning, Phil ne l’écrira jamais ; le moyen d’in-sérer un peu d’espoir pour la cité-foutoir, où l’on craint toujours le pire, mais quifinalement ne brule pas.

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