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1 THÉRÈSE NON STOP Lecture continue des œuvres de sainte Thérèse d’Avila à l’ouverture du 5 e centenaire de sa naissance 15 octobre 2014 – 15 octobre 2015 Bruxelles INTRODUCTION En ce jour où nous ouvrons, dans la prière et la longue écoute d’extraits de ses œuvres, l’année du 5 e centenaire de la naissance de sainte Thérèse de Jésus (1515-2015), nous vous proposons de commencer par reprendre simplement avec elle, et sous forme de prière, quelques petits passages d’une de ses poésies qui explicitent un peu le choix de son nom et suggèrent, ébauchent, et résument à traits de poème ce qu’a été sa vie, son chemin. « Je suis tienne, pour Toi je suis née, Que veux-Tu faire de moi ? Je suis tienne, puisque Tu m’as créée, Tienne, puisque Tu m’as rachetée, Tienne, puisque Tu me supportes, Tienne, puisque Tu m’as appelée, Tienne, puisque Tu m’as attendue, Tienne, puisque je ne suis pas perdue, Que veux-Tu faire de moi ? Voici mon cœur, je le dépose dans Ta main, Avec mon corps, ma vie, mon âme, Mes entrailles et tout mon amour. Que je me taise ou que je parle, Que je porte des fruits ou non ;

Therese non stop (1)

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THÉRÈSE NON STOP

Lecture continue des œuvres de sainte Thérèse d’Avila

à l’ouverture du 5e centenaire de sa naissance

15 octobre 2014 – 15 octobre 2015

Bruxelles

INTRODUCTION

En ce jour où nous ouvrons, dans la prière et la longue écoute d’extraits de ses œuvres, l’année du 5e centenaire de la naissance de sainte Thérèse de Jésus (1515-2015), nous vous proposons de commencer par reprendre simplement avec elle, et sous forme de prière, quelques petits passages d’une de ses poésies qui explicitent un peu le choix de son nom et suggèrent, ébauchent, et résument à traits de poème ce qu’a été sa vie, son chemin.

« Je suis tienne, pour Toi je suis née,

Que veux-Tu faire de moi ?

Je suis tienne, puisque Tu m’as créée,

Tienne, puisque Tu m’as rachetée,

Tienne, puisque Tu me supportes,

Tienne, puisque Tu m’as appelée,

Tienne, puisque Tu m’as attendue,

Tienne, puisque je ne suis pas perdue,

Que veux-Tu faire de moi ?

Voici mon cœur, je le dépose dans Ta main,

Avec mon corps, ma vie, mon âme,

Mes entrailles et tout mon amour.

Que je me taise ou que je parle,

Que je porte des fruits ou non ;

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Que Ta Loi me montre ma plaie,

Ou l’Évangile, sa douceur,

Dans la peine ou dans la jouissance,

Que Toi seul Tu vives en moi ;

Que veux-Tu faire de moi ?

(Extraits Poésies II En las manos de Dios)

Ces quelques vers « témoignent d’une vie qui se reçoit de l’amour de Dieu et s’offre à lui sans retour. Cette vie est celle de sainte Thérèse de Jésus. Son expérience spirituelle lui a permis de vivre les vérités révélées à un degré éminent. Dans le Christ, l’être humain créé par Dieu à son image, est racheté ; par lui, chaque personne est appelée et attendue ; avec lui, nous sommes conduits au salut ; à son exemple, la personne se réalise moyennant l’obéissance au dessein du Père » (Proposition pour la préparation de la célébration du Ve centenaire de la naissance de sainte Thérèse de Jésus par le Chapitre général des carmes déchaux, § 1).

Sur ce chemin d’Évangile sur lequel nous sommes tous conviés à marcher, Thérèse est un modèle et un maître qui nous initie à cet heureux compagnonnage avec le Christ Jésus.

Dans les premiers siècles du christianisme, dans les déserts d’Égypte, de Palestine ou de Syrie, quand un assoiffé de Dieu désirait apprendre d’un ancien quelle était la route à suivre pour avoir la vie véritable, il venait frapper à la porte d’un de ces pères qui habitaient dans le désert, et il lui demandait : « Abba, dis-moi une parole ». Aujourd’hui, nous osons demander : « Thérèse, notre mère, redis-nous des paroles qui touchent et nourrissent nos âmes et nos cœurs. Qu’à travers tous ces récits, ces expériences relues et partagées que nous écouterons, nous entendions ce qui nous désaltérera et nous fera reprendre avec détermination et courage le chemin qui conduit à la vie véritable.

« Thérèse, dis-moi une parole ! »

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PREMIÈRE PARTIE

La jeune Thérèse et sa vie relationnelle en famille

1515-1535

Du livre de la VIE

Prologue

Dieu soit remercié pour toujours, lui qui m’a attendue si longtemps !

Je le supplie de tout mon cœur,

de me donner d’écrire ce récit en toute clarté et vérité.

Mes confesseurs me demandent cela.

Je le sais, le Seigneur, lui aussi, le veut depuis longtemps,

mais, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas osé le faire.

Qu’il en reçoive gloire et louange !

J’espère aussi que, maintenant, mes confesseurs me connaîtront mieux.

De toute façon, ils pourront me rendre plus forte

et m’aider à faire un peu ce que je dois au service du Seigneur.

Que toute chose lui rende gloire pour toujours ! Amen.

V 1

1. J’avais de bons parents, ils menaient une vie droite

et ils respectaient Dieu avec confiance.

Mes parents, et les bienfaits de Dieu pour moi,

c’était suffisant pour me rendre bonne...

Mais je suis trop mauvaise.

Mon père aime les bons livres.

Il en possède en castillan et il les fait lire à ses enfants.

Notre mère a le souci de nous faire prier,

elle nous apprend à aimer Notre-Dame et quelques amis de Dieu.

Les livres de mon père et l’éducation de ma mère m’éveillent petit à petit.

J’ai alors six ou sept ans, je crois.

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L’exemple de mes parents est une aide.

Ils aiment par-dessus tout faire le bien.

Mon père a un très grand amour des pauvres,

et il est bon pour les malades, même pour les serviteurs.

Il est tellement bon envers eux

que jamais on n’a pu le décider à avoir des esclaves.

Il a pitié d’eux.

Un jour, une esclave d’un de ses frères se trouve chez nous ;

il en prend soin comme de ses enfants.

Elle n’est pas libre, et cela lui fait beaucoup de peine.

Mon père est un homme très loyal.

Jamais on ne l’entend dire des paroles grossières ou parler mal des autres,

c’est un homme d’honneur.

2. Ma mère, elle aussi, a un grand amour du bien.

Pendant toute sa vie, elle est très malade.

C’est une femme très discrète.

Elle est très belle, pourtant elle ne s’occupe pas de sa beauté.

Elle s’habille déjà comme une femme très âgée,

et elle meurt à trente-trois ans.

Elle est très douce, et son jugement est excellent.

Pendant sa vie, elle a beaucoup souffert

et elle meurt comme une vraie chrétienne.

3. J’avais deux sœurs et neuf frères.

Grâce à Dieu, tous ressemblent à mes parents.

Comme eux, ils aiment faire le bien, mais pas moi.

Pourtant, mon père me préfère à tous les autres.

Il a raison, je crois,

parce que, avant de commencer à offenser Dieu,

je le respectais et je l’aimais.

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Quand je vois tous ces dons du Seigneur,

et le mauvais usage que j’en ai fait,

j’ai pitié de moi.

Mes frères ne m’empêchent pas du tout de servir Dieu.

L’un d’eux a presque mon âge.

Lui et moi, nous nous réunissons pour lire la vie des amis de Dieu.

Ce frère est mon préféré.

Mais je les aime tous beaucoup, et tous m’aiment beaucoup aussi.

4. Je lis donc la vie des femmes qui ont souffert pour lui jusqu’à mourir.

Je trouve qu’elles ont acheté à bon marché,

le bonheur de goûter Dieu pour toujours.

Aussi, je désire vivement mourir de cette façon.

Ce n’est pas parce que j’aime Dieu,

mais je veux goûter tout de suite,

le grand bonheur du ciel que ces livres racontent.

Donc, mon frère et moi, nous cherchons le moyen de réaliser ce projet.

Nous avons décidé de partir au pays des Maures,

en mendiant notre nourriture par amour pour Dieu.

Et nous espérons que les Maures nous couperont la tête.

Il me semble que Dieu nous donne du courage.

Mais nous sommes très jeunes et il est difficile de partir.

Nos parents sont le plus grand obstacle.

« Pour toujours, toujours ! »

En lisant ces livres, nous sommes impressionnés.

Nous découvrons que la vie avec Dieu dure toujours,

mais que la vie loin de Dieu dure toujours, elle aussi.

Nous parlons longtemps de tout cela.

Nous aimons répéter sans cesse :

« Pour toujours ! toujours ! toujours ! »

Pendant un long moment, je répète ces paroles

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et, dès mon jeune âge,

le Seigneur me donne de comprendre le chemin de la vérité.

5. Je me rends compte d’une chose :

il est impossible d’aller dans un pays où l’on nous tuera pour Dieu.

Alors nous décidons de mener une vie d’ermites.

Nous essayons comme nous pouvons

de faire des ermitages dans le jardin de la maison.

Pour cela, nous plaçons des petites pierres les unes sur les autres

et elles tombent aussitôt.

Donc, nous n’arrivons absolument pas à réaliser notre désir.

Aujourd’hui encore, je suis émue en voyant

tout ce que Dieu m’a donné quand j’étais si jeune,

et cela, je l’ai perdu par ma faute.

6. Je donne aux pauvres tout ce que je peux,

mais j’ai bien peu de chose à leur donner.

Je recherche la solitude pour faire mes prières.

Elles sont nombreuses, et, surtout, je récite le chapelet.

En effet, ma mère aime beaucoup cette manière de prier

et elle nous apprend à l’aimer.

Quand je joue avec d’autres petites filles,

j’aime faire des monastères

et imaginer que nous sommes des religieuses.

À ce moment-là, il me semble que je désire devenir religieuse, moi aussi.

Pourtant, ce désir n’est pas aussi fort que celui d’être martyre ou ermite.

7. J’ai à peu près douze ans quand ma mère meurt,

je m’en souviens très bien.

Alors, je commence à comprendre ce que j’ai perdu

et je vais, très triste, prier devant une statue de Notre-Dame.

Je la supplie de devenir ma mère.

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Je la prie simplement, en pleurant beaucoup,

mais cela est une aide pour moi.

J’ai toujours trouvé la Vierge Marie chaque fois que je l’ai priée,

et elle m’a enfin ramenée à elle.

Maintenant encore, j’ai beaucoup de peine en pensant à tout cela.

Je me demande pourquoi je n’ai pas continué à suivre

les bons désirs de mon enfance.

V 2

1. Ma mère aime lire des livres de chevalerie

et son défaut me fait beaucoup de mal.

Chez elle, ce n’est pas une faute,

mais, chez moi, oui.

Je prends donc l’habitude de ces lectures.

Ce petit défaut que je vois chez ma mère

commence à refroidir mes bons désirs

et il me fait négliger le reste.

Il me faut toujours un nouveau livre et rien d’autre ne m’intéresse.

2. Je me mets à porter de beaux vêtements, des bijoux.

Je souhaite plaire, c’est pourquoi je veux paraître belle.

Je fais très attention à la beauté de mes mains, de mes cheveux,

aux parfums.

Je donne beaucoup d’importance à des choses sans valeur

parce que je prends un grand soin de ma personne !

4. Je tiens follement à cet honneur sans valeur.

Pour le garder, je ne prends pas les moyens nécessaires,

mais je fais seulement très attention

à ne pas me perdre moi-même complètement.

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7. Mon père m’aime beaucoup,

et je suis très habile pour lui cacher mes mauvaises manières.

J’ai un très grand souci de mon honneur

et je fais très attention à tout garder secret.

Mais j’oublie que Dieu voit tout et qu’on ne peut rien lui cacher.

8. Le Seigneur m’a fait ce don : partout où je vais,

les gens sont contents de moi.

Oui, c’est vrai, on m’aime beaucoup.

À ce moment-là, je ne veux absolument pas devenir religieuse.

V 3

Je souhaite que Dieu ne me donne pas cette vocation.

Pourtant, le mariage me fait peur.

J’ai une grande amie dans un monastère.

Si je dois être religieuse, c’est une bonne raison

pour aller dans ce monastère-là et non dans un autre.

Je cherche plutôt mon plaisir et ma vanité,

et non ce qui est bon pour moi.

Ces bons désirs d’être religieuse me viennent de temps en temps,

mais ils disparaissent aussitôt,

et je n’arrive pas à me décider.

6. Je lutte pendant trois mois.

Pour me convaincre, je me dis :

les peines et les difficultés de la vie religieuse sont très grandes.

Elles ne peuvent pas être plus grandes que celles du purgatoire

que nous supporterons avant de paraître devant Dieu.

Or, moi, je mérite vraiment de souffrir loin de Dieu pour toujours.

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Alors, vivre un temps de souffrance sur la terre, ce n’est pas grand-chose.

Ensuite, j’irai tout droit près de Dieu, et c’est là mon désir.

Ce qui me pousse à devenir religieuse,

c’est, je crois, une peur d’esclave plutôt que l’amour.

L’esprit du mal me souffle cette idée :

tu ne supporteras pas les difficultés de la vie religieuse,

tu aimes trop ton confort.

J’essaie de chasser cela en pensant aux souffrances du Christ.

C’est peu de chose d’en supporter quelques-unes pour lui.

Je pense aussi sans doute, mais je n’en suis pas sûre,

que le Christ m’aidera à les accepter.

Pendant cette période, l’esprit du mal ne me laisse jamais tranquille.

7. J’ai déjà le goût des bons livres, ils me font vivre.

Je lis les lettres de saint Jérôme.

Cela me donne beaucoup de courage, et je me décide à parler à mon père.

Pour moi, c’est presque comme si je prenais l’habit religieux.

En effet, je tiens beaucoup à mon honneur,

et maintenant que j’ai parlé,

je ne crois pas possible de revenir en arrière.

Thérèse carmélite au monastère de l’Incarnation à Avila

1535 - 1562

V 4

1. Au moment où je prends ces décisions,

je persuade l’un de mes frères de devenir religieux, lui aussi.

Je lui dis que le monde ne vaut pas grand-chose.

C’est pourquoi nous nous mettons d’accord

pour aller un jour, tôt le matin,

au monastère où se trouve mon amie.

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Je me sens très attirée par ce lieu.

Cette dernière décision est très solide.

Mais je me sens capable d’aller dans n’importe quel monastère

si je pense mieux servir Dieu à cet endroit,

ou si mon père le veut.

Je commence à chercher davantage ce qui est bon pour moi.

J’oublie complètement ma santé !

Je me souviens de ceci, et je crois que c’est vrai :

quand je quitte la maison de mon père, je souffre terriblement.

Je ne crois pas que je souffrirai davantage au moment de ma mort.

Chacun de mes os semble se séparer des autres.

Mon amour pour Dieu n’est pas encore assez fort

pour dominer l’amour que j’ai pour mon père et pour ma famille.

Alors, je lutte violemment contre moi-même.

Si le Seigneur ne m’aidait pas,

tous mes efforts ne suffiraient pas pour avancer.

Mais Il me donne le courage de me vaincre moi-même,

et de faire ce que j’ai décidé.

Dès que je reçois l’habit religieux,

le Seigneur me fait comprendre aussitôt quels bienfaits il accorde

à ceux qui luttent contre eux-mêmes pour le servir.

Personne ne connaît mon combat,

on voit seulement mon très grand courage.

En même temps, je sens une si grande joie

d’être dans la vie religieuse,

que, jusqu’à maintenant, cette joie ne m’a pas quittée.

3. Ô Dieu, vous êtes mon Bien le meilleur

et je trouve en vous mon repos.

votre bonté et votre grandeur m’ont remplie de bienfaits.

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Vous m’avez conduite par tant de détours

à être religieuse dans ce monastère !

Là, vous avez beaucoup de servantes que je peux imiter.

Votre amour doit me suffire pour mieux vous servir !

Je ne sais comment continuer mon récit.

Je me souviens : le jour où j’ai prononcé mes vœux,

j’étais vraiment convaincue et très joyeuse.

Je me suis engagée avec vous, mon Dieu,

comme une femme s’engage avec son mari.

4. Seigneur, les grands dons que vous commencez à me faire

brillent en moi d’une vive lumière.

Pourtant, mes mauvaises actions cachent cette lumière.

Hélas, mon Créateur, quand je cherche une excuse à tout cela,

je n’en trouve aucune ! Je ne peux accuser personne, sauf moi.

En effet, à cette époque, vous commenciez à me montrer votre amour.

Si je vous avais aimé un peu en retour,

je n’aurais pas pu aimer quelqu’un d’autre,

et cela aurait tout sauvé.

Mais par ma faute, je n’ai pas connu ce bonheur.

Que votre bonté, Seigneur, vienne donc à mon aide !

7. Mon oncle me donne un livre, appelé Troisième Abécédaire.

Ce livre enseigne la prière de recueillement.

Pendant cette première année, je lis de bons livres

et maintenant je n’en veux plus d’autres,

parce que les autres livres m’ont fait du mal.

Je ne sais pas encore comment faire oraison, ni comment me recueillir.

Aussi, ce livre me donne beaucoup de joie

et je décide, de toutes mes forces, de suivre le chemin qu’il montre.

Je prends le chemin de la prière avec ce livre pour maître.

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En effet, je n’ai pas trouvé de maître,

je veux dire, un confesseur qui me comprenne.

Pourtant, à partir de ce moment-là, pendant vingt ans,

j’ai beaucoup cherché.

Sur le chemin de l’oraison,

le Seigneur commence à me combler de joies profondes.

Il veut bien me donner la prière paisible.

Quelquefois, Il m’accorde aussi la prière d’union.

Mais je ne sais rien sur ces deux manières de prier.

Je ne me rends pas compte du don que Dieu me fait.

Cela m’aiderait tellement de le comprendre.

J’essaie dans la mesure du possible

de vivre en gardant présent en moi Jésus-Christ,

Lui qui est notre Bien et notre Seigneur.

Et c’est ma manière de prier.

Quand je pense à une scène de la Passion,

je me représente Jésus à l’intérieur de moi-même.

8. Aussi, la lecture est un grand secours, même si elle est courte.

Elle aide à se recueillir.

9. Maintenant, je le crois, le Seigneur n’a pas voulu

que je trouve un tel maître pour me guider.

Pendant dix-huit ans, j’ai beaucoup souffert

et j’ai connu de grandes sécheresses

parce que je ne pouvais pas réfléchir.

Je n’aurais pas pu vivre cela si longtemps, sans l’aide d’un livre.

Le livre est un bon remède,

il me tient compagnie ou, comme un bouclier,

il reçoit souvent les coups de mes pensées.

Mais, quand je n’ai pas de livre,

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je suis, aussitôt, remplie de distractions.

Au contraire, avec un livre,

je rassemble assez vite mes pensées parties de tous côtés,

et je n’ai pas de difficulté à me recueillir.

Souvent, il me suffit de l’ouvrir.

Quelquefois, je lis peu, d’autres fois, je lis beaucoup.

11. On me commande d’écrire ma vie.

Alors, je le dis, si je devais raconter en détail

comment Dieu s’est conduit envers moi dès le début,

ce serait impossible.

Mon intelligence est trop petite.

Je ne peux pas dire la grandeur de tous ses bienfaits pour moi.

Je ne peux pas parler de mon ingratitude et de ma méchanceté,

car j’ai tout oublié.

Merci à Dieu pour toujours,

Lui qui m’a si longtemps supportée ! Amen !

V 8

2. J’ai passé près de vingt ans de ma vie sur une mer orageuse.

Je me relevais, mais mal, puisque je retombais.

En effet, je ne trouvais pas mon bonheur en Dieu,

et le monde ne me satisfaisait pas non plus.

Au milieu des plaisirs du monde,

je me rappelais ce que je devais à Dieu, et cela me gênait.

Quand j’étais avec Dieu, mon attachement pour le monde me troublait.

Ce combat est très pénible.

Je ne sais pas comment j’ai pu le supporter un seul mois,

et bien plus, pendant tant d’années.

Malgré tout, je vois clairement la grande bonté du Seigneur pour moi.

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Il me donnait le courage de l’oraison.

Et pendant plus de dix-huit ans j’ai lutté et j’ai combattu.

J’étais partagée entre Dieu et mes relations.

V 9

1. J’étais fatiguée de la vie que je menais.

Mais, malgré mon désir,

mes mauvaises habitudes ne me laissaient pas en paix.

Un jour, j’entre à l’oratoire

et je vois une statue qu’on avait laissée là.

On l’avait apportée pour une fête qui avait lieu au monastère.

C’est un Christ couvert de blessures.

Cette statue me touche tellement que j’en suis bouleversée.

Elle représente bien ce qu’Il a souffert pour nous.

À ce moment-là, je me rends compte

que j’ai montré vraiment peu de reconnaissance pour ces blessures,

et j’en ressens une douleur très vive.

J’ai alors l’impression que mon cœur se brise,

et je me jette près du Christ en pleurant beaucoup.

Je le supplie de me donner des forces pour toujours,

afin de ne plus jamais l’offenser.

2. J’aime beaucoup sainte Marie-Madeleine.

Je pense très souvent à sa conversion,

en particulier, quand je reçois le Corps du Christ.

À ce moment-là, je suis sûre que le Seigneur est là, en moi.

Je me mets à ses pieds, et mes larmes sont vraiment sincères.

Pourtant, je ne sais pas ce que je dis.

Dans sa grande bonté, le Seigneur me permet de pleurer à cause de lui,

et pourtant, j’oublie très vite mes larmes.

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Je demande à cette grande amie de Dieu d’obtenir mon pardon.

4. Voici ma façon de faire oraison :

je n’arrive pas à prier avec mon intelligence.

Alors j’essaie de me représenter le Christ en moi,

et je préfère le rejoindre quand je le vois complètement seul.

Oui, quand il est seul et triste comme un pauvre,

je crois qu’il doit m’accueillir.

Par exemple, je me trouve très bien avec le Christ au Jardin des Oliviers.

Je ressens sa tristesse.

Je le vois qui transpire.

Dans ma prière, je désire pouvoir essuyer la sueur de sa souffrance.

Mais, je m’en souviens, je n’ai jamais osé le faire.

Je reste là aussi longtemps que je peux penser à lui.

Moi, je ne peux penser au Christ que dans son être d’homme.

Je n’ai jamais pu me le représenter intérieurement.

Pourtant, j’ai lu beaucoup de choses et regardé beaucoup d’images de lui.

Je suis comme une personne aveugle ou qui est dans le noir.

7. À ce moment-là, on me donne les Confessions de saint Augustin.

On dirait que le Seigneur l’a permis,

car je n’ai pas cherché ce livre et je ne l’avais jamais vu.

J’aime beaucoup saint Augustin, voici pourquoi :

le monastère où j’ai été pensionnaire appartenait à son Ordre,

et, de plus, saint Augustin est un homme qui a offensé Dieu.

En regardant l’amour que Dieu a pour moi, je reprends courage.

Non, jamais je n’ai douté de son amour qui pardonne,

mais, souvent, j’ai douté de moi.

8. Quand je commence à lire les Confessions,

je crois me reconnaître dans ce livre.

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Je me mets à prier beaucoup ce grand ami de Dieu.

Au moment où il se convertit,

il entend une voix dans le jardin.

Quand j’arrive à ce passage,

dans mon cœur, j’ai l’impression que le Seigneur me parle aussi à moi.

V 19

9. Un jour, pendant la récitation des Heures, (…) arrivée au verset « Ô juste que

tu es, Seigneur, droiture tes jugements » (Ps 118, 137), je songeais combien ces

paroles étaient véritables. (…) Et je me demandais comment ta justice permettait

qu’un si grand nombre de tes fidèles servantes soient privées des consolations et

des faveurs que tu m’accordais à moi, malgré toutes mes misères. Tu m’as

répondu alors, Seigneur : « Sers-Moi et ne t’occupe pas d’autre chose. » Ce fut la

première parole que j’entendis de toi, et j’en fus donc fort étonnée.

5. À l’époque où la lecture d’un bon nombre de livres écrits en castillan se trouva

interdite, j’en eu beaucoup de peine, car j’en lisais plusieurs avec plaisir et

désormais je m’en voyais privée, la lecture n’en étant plus permise qu’en latin.

Notre Seigneur me dit : « Ne t’afflige pas, Je te donnerai un livre vivant. » (…) Le

Seigneur m’a instruite de tant de façons, avec tant d’amour, que les livres me

furent désormais à peu près inutiles (…). Sa Majesté a été le vrai livre où j’ai

trouvé toutes les vérités. Béni soit ce livre qui imprime en nous ce qu’il faut lire

d’une manière qu’on ne peut oublier !

Chemin de prière de Thérèse de Jésus

V 11

1. Je vais donc parler maintenant de ceux

qui commencent à être des serviteurs de l’amour.

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À mon avis, c’est bien ce que nous devenons,

quand nous décidons de suivre celui qui nous a tant aimés

sur ce chemin de l’oraison.

Quel grand honneur !

Il est si grand que je ressens une joie extraordinaire en y pensant.

Nous sommes très lents à nous donner totalement à Dieu !

Nous sommes si importants à nos yeux !

Or, le Seigneur Dieu ne veut pas nous laisser goûter à un bien si grand

sans nous le faire payer très cher.

Alors, nous n’en finissons pas de nous préparer.

4. Nous croyons tout donner, mais nous offrons seulement à Dieu

les intérêts de ce que nous possédons,

et nous restons propriétaires de nos biens.

Nous décidons d’être pauvres, c’est excellent.

Mais, souvent, nous recommençons à être inquiets,

et nous faisons tout pour ne pas manquer

non seulement du nécessaire, mais aussi des choses inutiles.

Et nous cherchons à avoir des amis qui nous donneront tout cela.

6. Je vais prendre une comparaison.

La personne qui commence à faire oraison doit comprendre ceci :

elle entreprend de cultiver un jardin où le Seigneur se plaira.

La terre n’est pas de bonne qualité, elle est pleine de mauvaises herbes.

C’est le Seigneur Dieu qui arrache les mauvaises herbes

pour y mettre de bons plants.

Il faut le savoir :

c’est déjà fait quand une personne décide de faire oraison

et qu’elle s’est mise en route.

Avec l’aide de Dieu, nous devons chercher à être de bons jardiniers.

Faisons pousser ces plantes, arrosons-les avec soin.

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Alors elles ne mourront pas,

mais un jour, elles donneront des fleurs,

et leur parfum fera plaisir à notre Seigneur.

Il viendra donc souvent jouir de ce jardin.

Il sera heureux au milieu des fleurs que sont les vertus.

7. Voyons maintenant comment nous pouvons arroser,

alors, nous comprendrons ce que nous avons à faire,

et la peine que cela nous coûtera.

Il y a quatre manières d’arroser, je crois :

tirer de l’eau d’un puits avec beaucoup de mal,

faire tourner une noria.

Je l’ai fait quelquefois :

c’est moins pénible et on tire davantage d’eau.

Amener l’eau d’une rivière ou d’un ruisseau.

De cette manière, on arrose beaucoup mieux.

En effet, la terre reçoit davantage d’eau,

on n’a pas besoin d’arroser aussi souvent,

et le jardinier se fatigue moins.

Enfin, quand il pleut beaucoup,

c’est le Seigneur lui-même qui arrose.

Nous, nous ne faisons rien du tout,

et cette façon d’arroser est bien meilleure que tout ce que j’ai dit.

8. Je vais maintenant appliquer à la prière

ces quatre manières d’arroser le jardin pour l’empêcher de sécher.

À mon avis, cela peut permettre d’expliquer un peu

les quatre degrés de l’oraison.

Le Seigneur, dans sa bonté, m’en a donné quelquefois l’expérience.

Qu’il m’aide à le dire :

cela pourra être utile à l’une des personnes

qui m’ont demandé d’écrire.

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9. Voici ce que nous pouvons dire

de ceux qui commencent à faire oraison.

Pour eux, c’est très difficile de tirer l’eau du puits, je l’ai dit :

ils sont habitués à tout écouter, à tout regarder,

ils doivent faire effort pour se recueillir,

c’est un dur travail.

Ils doivent prendre l’habitude

de rester maîtres de leurs yeux, de leurs oreilles,

et le faire au moment de l’oraison.

Ils doivent aussi rester dans la solitude, en s’éloignant de tout,

et penser à leur vie passée.

Les débutants comme les gens d’expérience,

tous, doivent faire cela très souvent.

Mais ils doivent y penser plus ou moins,

comme je le dirai plus tard.

Au début, ceux qui commencent à prier sont tristes,

ils n’arrivent pas à savoir s’ils regrettent leurs péchés.

Pourtant, ils les regrettent,

puisqu’ils décident très sincèrement de servir Dieu.

Ils doivent chercher à méditer sur la vie du Christ,

et cela fatigue leur intelligence.

Nous pouvons apprendre ces choses par nous-mêmes,

avec l’aide de Dieu, bien entendu.

Sans lui, nous le savons bien,

nous ne pouvons pas avoir une bonne pensée.

En agissant ainsi, nous commençons à tirer l’eau du puits.

J’espère qu’il y aura de l’eau, si Dieu le veut bien,

mais, au moins, nous n’en manquerons pas par notre faute.

Oui, nous essayons de tirer l’eau du puits,

et nous faisons ce que nous pouvons pour arroser les fleurs.

Page 20: Therese non stop (1)

20

Le Seigneur Dieu est très bon.

Si, quelquefois, il veut que le puits soit à sec,

c’est pour des raisons qu’il connaît,

et sans doute pour notre plus grand bien.

V 14

1. Nous savons donc déjà combien il en coûte d’arroser ce verger,

lorsqu’on tire l’eau du puits à la force du bras.

Parlons maintenant de la seconde façon de tirer l’eau

que prescrit le Maître du verger :

l’usage d’une noria à godets permet de puiser l’eau avec moins d’efforts,

et de se reposer, sans travailler continuellement.

2. Ici l’âme commence à se recueillir.

5. Dans sa grandeur, Dieu veut que cette âme comprenne

que Sa Majesté est si près d’elle

qu’elle n’a déjà plus besoin de lui envoyer de messagers,

elle peut lui parler elle-même, et pas à grands cris,

car elle est déjà si proche qu’il lui suffit de remuer les lèvres pour être comprise.

6. C’est au plus intime d’elle-même que notre âme ressent cette satisfaction,

elle ne sait d’où elle lui vient ni comment,

souvent même elle ne sait que faire, ni quoi vouloir, ni quoi demander.

9. Revenons maintenant à notre jardin, ou verger,

voyons comment ces arbres commencent à bourgeonner pour fleurir

et donner ensuite des fruits,

ainsi que les fleurs et les œillets pour donner leurs parfums.

Je me plais à faire cette comparaison, car souvent, à mes débuts

(et plaise au Seigneur que j’aie déjà commencé à servir Sa Majesté,

je précise donc au début de ce que je vais maintenant raconter de ma vie),

Page 21: Therese non stop (1)

21

je considérais avec délices mon âme comme un jardin,

où le Seigneur se promenait.

Je le suppliais d’exalter l’odeur des petites fleurs de vertu qui commençaient,

ce me semblait, à vouloir éclore,

et de les cultiver pour sa gloire puisque je ne voulais rien pour moi ;

et qu’il coupe celles qu’il voudrait,

car déjà je savais qu’il en pousserait de plus belles.

10. Ô mon Seigneur et mon Bien !

Je ne puis dire cela sans larmes, pour les grandes délices de mon âme.

Songer que vous voulez, vous, Seigneur, demeurer ainsi avec nous !

Puisque vous demeurez dans le Saint Sacrement,

en toute vérité on peut le croire, il en est ainsi,

et en grande vérité nous pouvons user de cette comparaison ;

et si nous ne vous perdons pas par notre faute,

nous pouvons jouir de Votre compagnie,

et vous vous réjouissez de la nôtre,

puisque vous dites que vos délices sont d’être avec les enfants des hommes !

Ô mon Seigneur! Qu’est-ce là ?

Cette parole m’est d’une grande consolation chaque fois que je l’entends,

il en fut ainsi même au temps de mes pires égarements.

V 16

1. Parlons maintenant de la troisième façon d’arroser ce jardin:

l’eau coule de la rivière ou de la fontaine,

et l’on arrose avec beaucoup moins de peine,

bien qu’il faille un peu travailler à acheminer l’eau.

Ici, le Seigneur veut aider le jardinier,

tant qu’il devient quasiment jardinier lui-même,

car il fait tout.

Page 22: Therese non stop (1)

22

C’est ainsi que depuis environ cinq ou six ans

le Seigneur m’a accordé abondamment cette oraison,

bien des fois, sans que j’y entende rien, et sans que je sache en parler ;

J’avais été souvent ainsi, comme folle et enivrée de cet amour,

mais jamais je n’avais pu saisir comment cela se produisait.

Je comprenais bien que c’était Dieu,

mais je ne pouvais concevoir comment il agissait.

Béni soit le Seigneur qui m’a accordé ce régal !

V 17

1. L’âme ne s’appartient plus, elle est toute donnée au Seigneur ;

elle n’a donc à se soucier de rien.

Elle me paraît seulement ébahie de voir le Seigneur se montrer si bon jardinier

qu’il ne veut lui permettre de faire aucun travail ;

elle n’a qu’à se délecter du parfum naissant des fleurs.

Pour brève que soit cette étape,

le jardinier qui est, somme toute, le créateur de l’eau,

la prodigue sans mesure,

et ce que la pauvre âme n’a pu, d’aventure,

obtenir en vingt ans de travail intellectuel,

ce jardinier céleste le lui donne en un instant :

les fruits poussent,

il les fait si bien mûrir que l’âme peut se nourrir sur son verger,

de par la volonté du Seigneur.

Mais il ne l’autorise pas à en distribuer les fruits

jusqu’à ce que cette nourriture l’ait si bien fortifiée.

V 18

5. Plaise au Seigneur de m’enseigner les mots qu’il faut

Page 23: Therese non stop (1)

23

pour dire quelque chose de la quatrième eau.

Dans toutes les manières d’oraison, le jardinier travaille un peu,

mais dans les dernières, le travail s’accompagne d’une telle béatitude

et de telles consolations que l’âme voudrait ne jamais en sortir ;

il ne s’agit donc pas pour elle de travail, mais de gloire.

V 20

22. L’âme lui remet les clefs de sa volonté.

Voilà donc le jardinier devenu gouverneur ; elle ne veut rien faire,

sauf la volonté du Seigneur,

et, quant à elle, n’être maîtresse ni d’elle-même ni de rien,

pas même d’une pomme de ce jardin :

s’il y a là quelque chose de bon, que Sa Majesté en fasse le partage ;

car à partir de ce jour elle ne veut rien posséder en propre,

mais que Dieu use de tout à son gré et pour sa gloire.

29. C’est le Maître du verger qui distribue les fruits, et pas elle ;

ainsi, rien ne colle à ses mains ;

tout le bien qu’elle possède est dirigé vers Dieu ;

si elle parle d’elle, c’est pour Sa gloire.

Elle sait que rien ne lui appartient dans ce jardin,

elle ne pourrait l’ignorer, même si elle le voulait, car elle le voit de ses yeux ;

bon gré mal gré on les lui ferme aux choses du monde,

afin qu’elle les garde ouverts pour comprendre la vérité.

« À partir d’ici, c’est un nouveau livre, où plutôt une nouvelle vie » (V 23, 1)

V 23

7. Je veux reprendre maintenant le récit de ma vie, là où je l’ai laissé.

Page 24: Therese non stop (1)

24

Je crois que je suis partie plus loin que je n’aurais dû le faire,

mais cela aidera à mieux comprendre la suite.

À partir d’ici, c’est un nouveau livre, où plutôt une nouvelle vie.

Jusque-là, c’était ma vie

mais depuis que j’ai commencé à parler de l’oraison,

il me semble que ce n’est pas ma vie, mais la vie de Dieu en moi.

En effet, s’il n’en était pas ainsi, je n’aurais pas réussi en si peu de temps

à délaisser mes habitudes et mes actions si mauvaises.

Merci au Seigneur, qui m’a libérée de moi-même.

Vision de l’enfer

1560

Ce qu’on appelle « vision » de l’enfer n’est pas une vision, une réalité qui se donne à voir, mais une expérience existentielle dans la vie de Thérèse. Cela lui arriva en août-septembre 1560, six ans après sa conversion. Le lieu qu’elle appelle « enfer » est un lieu qu’elle expérimente plus qu’elle ne le voit. C’est le lieu de la négation absolue, négation de vie, d’avenir, de lumière, de vérité, d’altérité. Cette expérience très brève la marque au fer rouge pour toute sa vie et elle la considère comme « l’une des plus grandes grâces du Seigneur ». Thérèse est poussée à ce point crucial du dernier retranchement, à cette expérience qu’on appelle « le point zéro de notre faiblesse » en vue d’expérimenter la miséricorde de Dieu. De cette expérience d’enfer découle vitalement la fondation de son premier Carmel de San José.

V 32

1. Longtemps après que le Seigneur m’eut déjà accordé nombre des faveurs dont

j’ai parlé, ainsi que d’autres très grandes, un jour où j’étais en oraison, soudain,

sans savoir comment, il me sembla que je me trouvais tout entière enfoncée en

enfer. Je compris que le Seigneur voulait me montrer la place que les démons m’y

avaient préparée et que j’avais méritée par mes péchés. Ce fut extrêmement bref,

mais quand je vivrais de bien longues années, je crois impossible de l’oublier.

L’entrée semblait une sorte de ruelle très longue et très étroite, une manière de

four très bas, sombre et resserré. Le sol me parut couvert d’une eau boueuse fort

sale, d’odeur pestilentielle, grouillante de petits reptiles répugnants. On voyait au

bout une concavité creusée comme un placard dans la muraille ; c’est là qu’on me

Page 25: Therese non stop (1)

25

mit, très à l’étroit. Tout cela était délectable à voir, comparé à ce que j’éprouvais.

Ce que j’en dis n’est pas exagéré.

2. Ce que j’éprouvais, on ne peut ni tenter de l’exprimer, ni le comprendre ;

j’avais dans l’âme un feu que je suis impuissante à définir et à décrire. Les

douleurs étaient si intolérables que moi qui en ai supporté de très graves en cette

vie, et, selon ce que disent les médecins, des plus aiguës qu’on puisse ressentir

ici-bas, (la contraction de tous mes nerfs quand je fus percluse (Vie 6, 2) sans

parler de beaucoup d’autres maux, dont quelques-uns, comme je l’ai dit, venaient

du démon), tout cela n’est rien en comparaison avec ce que je sentis là, sachant

que ce serait sans fin ni cesse. Ces souffrances ne sont donc rien, comparées à

l’agonie de l’âme, une oppression, un étouffement, une affliction si sensible

jointe à un chagrin si désespéré, si désolé, que je ne saurais l’exprimer. C’est peu

dire que sans fin on vous arrache l’âme, on pourrait croire que quelqu’un d’autre

vous ôte la vie, alors qu’ici l’âme se déchire elle-même. Je ne puis décrire ce feu

intérieur, ni le désespoir qui s’ajoute à de si graves tortures et douleurs. Je ne

voyais pas qui me les infligeait, mais il me semblait sentir qu’on me brûlait, qu’on

me déchiquetait, et je répète que ce feu et ce désespoir intérieurs sont ce qu’il y

a de pis.

Dans ce lieu pestilentiel, si dénué de tout espoir de consolation, il n’est question

ni de s’asseoir, ni de se coucher, il n’y a pas de place ; j’étais dans cette espèce de

trou creusé dans la muraille, ces murailles, épouvantables à voir, se resserrent sur

elles-mêmes, tout vous étouffe ; il n’y a pas de lumière mais de très épaisses

ténèbres. Je ne comprends pas comment il peut se faire que, sans lumière, on

voie pourtant tout ce qui doit affliger la vue.

Il ne plut pas au Seigneur de me montrer alors autre chose de l’enfer. Je compris

bien que c’était une grande grâce, et que le Seigneur avait voulu que je visse de

mes yeux le lieu d’où sa miséricorde m’avait délivrée. Ce n’est rien que d’en

entendre parler, de penser à différentes tortures, comme je l’ai fait, (rarement,

car on ne peut bien conduire mon âme par la crainte), ni d’évoquer les démons

qui vous tenaillent, ni d’autres supplices que j’ai lus ; il n’y a rien de comparable à

cette peine, car c’est autre chose. Enfin, la différence est aussi grande qu’entre un

Page 26: Therese non stop (1)

26

dessin et la réalité, et une brûlure ici-bas est bien peu de chose, comparée à ce

feu de l’enfer.

4. J’en fus si épouvantée que je le suis encore en écrivant ceci, pourtant près de

six ans se sont écoulés, mais il me semble que, de peur, la chaleur naturelle de

mon corps se glace, là où je suis. Je ne me rappelle donc pas avoir subi des peines

ni des douleurs sans penser que tout ce qu’on peut endurer ici-bas n’est rien ; je

crois donc que la plupart du temps nous nous plaignons pour rien. Ce fut, je le

répète, l’une des plus grandes grâces que le Seigneur m’ait faites, elle m’a

immensément aidée à ne plus craindre les tribulations et les contradictions de

cette vie et à tâcher de les supporter en rendant grâces au Seigneur, qui, me

semble-t-il maintenant, m’a délivrée de si perpétuels et si terribles maux.

6. J’ai encore tiré de là une immense compassion pour tant d’âmes et

l’impétueux élan d’être utile aux âmes ; il me semble, vraiment, que pour en

délivrer une seule de ces tortures, j’endurerais mille morts de très bon cœur.

Peu à peu, un projet se dessine

V 32

10. Un jour, une personne avec qui je me trouve

me parle, à moi et à quelques autres, des questions qu’elle se pose.

Elle se demande si nous ne sommes pas faites

pour être moniales à la manière des religieuses déchaussées.

D’après elle, il est même possible de fonder un monastère.

Moi, je le désire.

Je commence donc à en parler à une amie veuve qui a le même désir.

Alors elle cherche comment trouver de l’argent pour cela.

Aujourd’hui je vois bien qu’il nous était difficile de réussir :

seul notre désir nous permettait d’y croire.

D’autre part, j’hésite :

Page 27: Therese non stop (1)

27

je suis vraiment très heureuse dans la maison où je vis.

Je l’aime et j’apprécie la chambre que j’occupe.

Malgré cela, nous nous mettons d’accord pour présenter ce projet à Dieu.

11. Un jour où j’ai communié,

le Seigneur Dieu me commande vivement

de travailler de toutes mes forces à réaliser ce projet.

Il me promet que le monastère se fera sûrement,

que Dieu y sera très bien servi.

Il me dit d’appeler ce monastère « Saint Joseph »

Celui-ci nous gardera à l’une des portes, Notre-Dame gardera l’autre,

et le Christ sera au milieu de nous.

Ce couvent sera une étoile de vive lumière.

En ville, on commence seulement à parler de ce nouveau monastère,

et pourtant une grande persécution s’élève contre nous.

Tout le monde nous insulte,

se moque de nous, raconte cela en peu de mots.

Les gens disent que ce projet est stupide.

Ils me disent à moi que je suis bien dans mon monastère.

Je suis déprimée et je me recommande à Dieu.

Le Seigneur Dieu se met à m’encourager.

Il me dit : « Ainsi tu vas comprendre les souffrances

des amis de Dieu qui ont fondé des Ordres religieux.

Tu souffriras beaucoup plus que tu ne peux imaginer, mais ne t’en occupe pas. »

Les moqueries et le bruit sont si violents, même dans mon monastère,

que le Provincial trouve difficile de s’y opposer.

Il change donc d’avis et refuse son autorisation.

En tous points, le Provincial semble avoir raison.

Il abandonne donc cette idée et refuse l’autorisation.

Je ne parle pas de ce que Dieu m’a fait comprendre,

mais je lui présente les raisons humaines qui me poussent.

Page 28: Therese non stop (1)

28

Lettre du 23 décembre 1561 à don Lorenzo de Cepeda à Quito

Avila, 23 décembre 1561

À Don Lorenzo de Cepeda, frère de la Sainte, à Quito.

Señor,

Que l’Esprit-Saint soit toujours avec vous, amen, et qu’il vous récompense du soin que vous avez pris de nous secourir tous avec tant de diligence. J’espère en la Majesté de Dieu que vous gagnerez ainsi beaucoup à ses yeux ; car l’argent est vraiment arrivé si à point pour tous ceux à qui vous en envoyez que ce fut pour moi une bien grande consolation.

Mais comme je vous l’ai écrit bien longuement, pour beaucoup de raisons et de causes que je ne puis éluder, car Dieu les inspire, on ne peut donc en parler par lettres, sachez seulement que des personnes saintes et doctes estiment que je dois faire trêve de lâcheté et tout mettre en œuvre pour fonder un monastère où il n’y aura que quinze religieuses sans jamais dépasser ce nombre, en très étroite clôture, sans jamais sortir ni voir personne sans voile devant le visage, très établies dans l’oraison et la mortification, comme je vous l’ai écrit plus longuement.

Je suis soutenue par cette dame, Doña Yomar qui vous écrit. (…) Son mari est mort il y a neuf ans en lui laissant une rente de trente mille réaux. (…) Bien que veuve à vingt-cinq ans, elle ne s’est pas remariée, et s’est beaucoup donnée à Dieu. Elle est d’une grande spiritualité. Il y a plus de quatre ans que nous sommes liées d’une amitié plus étroite que si elle était ma propre sœur ; bien qu’elle m’aide beaucoup, car elle me donne une grosse partie de ses revenus, elle est sans argent pour le moment ; tout ce qu’il faut faire, je le fais moi-même, ainsi que l’achat d’une maison ; je l’ai achetée, mais secrètement, car par la grâce de Dieu on m’a donné deux dots d’avance ; je ne saurais pas toutefois comment faire bâtir des choses nécessaires. Donc, sans rien d’autre que ma confiance (puisque Dieu veut que je fasse ce couvent, Il y pourvoira), j’ai passé la commande aux ouvriers. Cela semblait de la folie ; arrive Sa Majesté qui vous inspire d’y pourvoir ; ce qui m’a le plus ébahie, c’est que j’avais le plus grand besoin des quarante piastres que vous avez ajoutées. Je crois que saint Joseph (c’est ainsi que s’appellera le couvent), a voulu que rien ne manquât, et je sais qu’il vous le rendra. Enfin, quoique pauvre et petite, cette maison a une belle vue sur la campagne. Cela fait, il n’y avait plus d’argent.

On est allé demander les bulles à Rome, car quoique le couvent soit de mon ordre, nous serons sous l’obédience de l’Évêque.

J’espère en Dieu que ce sera pour sa plus grande gloire, s’il nous permet d’aboutir, et il en sera ainsi, sans nul doute, car les âmes qui doivent y entrer sont

Page 29: Therese non stop (1)

29

très choisies, elles donnent de grands exemples d’humilité comme de pénitence et d’oraison. Recommandez notre entreprise à Dieu ; avec Son aide, ce sera chose faite lorsqu’Antonio Moràn partira.

Je me trouve en ce moment chez la Señora Doña Yomar pour traiter de toutes ces affaires ; cela m’a consolée ; (…) je suis donc beaucoup plus libre de faire ce que je veux que chez ma sœur. Ici nous ne parlons que de Dieu, et nous vivons dans un grand recueillement. J’y demeurerai jusqu’à ce qu’on m’ordonne autre chose, bien que pour m’occuper de l’affaire susdite, il vaudrait mieux que je reste ici.

Sachez que quelques fort bonnes personnes qui connaissent notre secret – je parle de l’affaire – tiennent pour miraculeux votre envoi d’une telle somme d’argent en ce moment. J’espère que lorsqu’il nous en faudra d’autre, Dieu inspirera à votre cœur, même malgré vous, de venir à mon secours.

Votre bien sincère servante.

Doña Teresa de Ahumada.

V 33

1. Les affaires en sont là et tout est presque terminé.

En effet, le contrat doit être signé le jour suivant.

C’est alors que le Père Provincial change d’avis.

Je crois qu’il a été poussé par un ordre de Dieu,

comme la suite l’a prouvé.

On avait beaucoup prié,

c’est pourquoi le Seigneur a ordonné que la fondation

se réalise d’une autre manière, pour la rendre plus parfaite.

2. Je suis très mal vue dans mon monastère.

En effet, je veux en fonder un autre,

où la clôture sera mieux observée.

Les sœurs disent : « C’est une insulte pour nous.

Vous pouvez bien servir Dieu ici,

Page 30: Therese non stop (1)

30

puisqu’il y a des religieuses meilleures que vous.

Vous n’aimez pas cette maison.

Vous feriez mieux de lui trouver des revenus

que d’en chercher pour un autre monastère. »

Les unes, très peu nombreuses, demandent qu’on me jette en prison,

d’autres prennent ma défense.

Je le vois bien : en beaucoup de choses, elles ont raison,

et, quelquefois, je leur donne des explications.

Mais, comme je ne peux pas dire le plus important,

c’est-à-dire l’ordre que j’ai reçu du Seigneur,

je ne sais pas quoi faire.

Alors, d’autres fois, je me tais.

7. Pendant cinq ou six mois, je garde le silence sur cette affaire.

Je ne m’en occupe pas, je n’en parle pas.

Et le Seigneur ne me demande jamais de m’en occuper.

Je ne comprends pas pourquoi,

mais je ne peux m’empêcher de penser que le projet se réalisera.

11. Quelquefois, dans ma tristesse, je disais :

« Mon Seigneur, pourquoi me demandez-vous

des choses qui semblent impossibles ?

C’est vrai, je ne suis qu’une femme, si, du moins, j’étais libre...

or, je suis liée de tous côtés, sans argent,

sans savoir où en trouver.

Et pour l’autorisation du Pape, et pour le reste,

qu’est-ce que je peux faire, Seigneur ? »

12. Un jour, comme je venais de communier, le Seigneur me dit :

« Je t’ai déjà dit d’entrer comme tu pourras. »

Page 31: Therese non stop (1)

31

Et il s’écrie : « Oh ! comme les hommes désirent la richesse !

Tu penses même que la terre va te manquer !

Et Moi, J’ai dormi combien de fois à la belle étoile,

parce que Je ne savais pas où aller ! »

J’ai eu très peur et j’ai vu qu’il avait raison.

Je vais à la petite maison, je fais le plan,

et je vois que le monastère sera petit mais parfait.

Je ne cherche pas une maison plus grande.

Je fais arranger celle-là pour qu’on puisse y vivre.

Tout sera simple et sans décoration,

mais rien ne doit y être mauvais pour la santé,

comme on doit toujours le rechercher.

Les cinq années les plus paisibles dans la vie de Thérèse de Jésus

1562-1567

F 1

1. Saint Joseph d’Avila étant fondé, j’y demeurai cinq ans ; je comprends

maintenant que ce furent les années les plus paisibles de ma vie ; mon âme

regrette souvent leur calme et leur quiétude. En ce temps-là y entrèrent

quelques jeunes filles fort religieuses que le monde semblait pourtant s’être

acquises, à en juger par les recherches de leur luxe. Le Seigneur les tira en toute

hâte de ces vanités, il les amena dans sa maison et les doua de perfections telles

que j’en fus confondue ; elles atteignirent le nombre de treize, chiffre qu’il était

convenu de ne pas dépasser.

6. Je me délectais dans la compagnie d’âmes si saintes et si limpides, en un lieu

où leur unique soin était de servir et de louer Notre-Seigneur. Sa Majesté nous

envoyait le nécessaire sans que nous ayons à le demander ; les rares fois où nous

en manquâmes, leur joie n’était que plus vive. Je louais Notre-Seigneur de leurs

hautes vertus, et en particulier de l’insouciance où elles étaient de toutes choses,

sauf de le servir. Moi, leur supérieure, je ne me rappelle pas avoir appliqué mon

esprit à nos besoins ; je croyais fermement que le Seigneur ne ferait pas défaut à

celles qui ne s’inquiétaient que de savoir comment le contenter. Lorsqu’il n’y

avait pas de quoi les nourrir et que je demandais de donner ce dont nous

disposions à celles qui en avaient le plus besoin, nulle n’estimait y avoir droit : il

en était ainsi jusqu’à ce que Dieu envoyât ce qu’il fallait pour toutes.

Page 32: Therese non stop (1)

32

Je suis tienne, pour Toi je suis née ;

Que veux-Tu faire de moi ?

Majesté souveraine

Éternelle Sagesse,

Bonté si bonne pour mon âme,

Toi, Dieu, Altesse, Être unique, Bonté,

Vois mon extrême bassesse,

Moi qui Te chante aujourd’hui mon amour.

Que veux-Tu faire de moi ?

Je suis tienne, puisque Tu m’as créée,

Tienne, puisque Tu m’as rachetée,

Tienne, puisque Tu me supportes,

Tienne, puisque Tu m’as appelée,

Tienne, puisque Tu m’as attendue,

Tienne, puisque je ne suis pas perdue,

Que veux-Tu faire de moi ?

Que veux-Tu donc, Seigneur très bon,

Que fasse un si vil serviteur ?

Quelle mission as-tu donnée

À cet esclave pécheur ?

Me voici, mon doux Amour,

Doux Amour, me voici,

Que veux-Tu faire de moi ?

Voici mon cœur, je le dépose dans Ta main,

Avec mon corps, ma vie, mon âme,

Mes entrailles et tout mon amour ;

Doux Époux, mon Rédempteur,

Page 33: Therese non stop (1)

33

Pour être tienne,

Je me suis offerte,

Que veux-Tu faire de moi ?

Donne-moi la mort, donne-moi la vie,

La santé ou la maladie

Donne l’honneur ou le déshonneur,

La guerre ou la plus grande paix,

La faiblesse ou la pleine force,

À tout cela je dis oui :

Que veux-Tu faire de moi ?

Donne-moi richesse ou pauvreté

Réconfort ou désolation,

Donne-moi la joie, la tristesse,

Donne-moi l’enfer ou donne-moi le ciel,

Vie douce, soleil sans voile,

Puisque toute à Toi je me rends,

Que veux-Tu faire de moi ?

Si Tu le veux, donne-moi l’oraison ;

Sinon, donne-moi la sécheresse ;

Si Tu le veux, donne-moi abondance et dévotion,

Et sinon, la stérilité,

Ô Souveraine Majesté !

En cela seul je trouve la paix.

Que veux-Tu faire de moi ?

Donne-moi donc la sagesse,

Ou, pour Ton amour, l’ignorance ;

Donne-moi d’années d’abondance,

Page 34: Therese non stop (1)

34

Ou de faim et de disette ;

Donne-moi ténèbres ou clarté,

Bouscule-moi de-ci de-là,

Que veux-Tu faire de moi ?

Veux-Tu que je me repose ?

Par amour, je veux le repos.

Si Tu m’ordonnes le travail,

Je veux mourir en travaillant

Dis-moi où, comment et quand,

Dis-le-moi, doux Amour, dis-le

Que veux-Tu faire de moi ?

Donne-moi Calvaire ou Thabor,

Désert ou terre d’abondance,

Que je sois Job en sa douleur,

Jean, reposant sur ton cœur,

Que je sois vigne féconde,

Ou stérile, s’il Te plaît ainsi.

Que veux-Tu faire de moi ?

Que je sois Joseph enchaîné,

Ou fait gouverneur de l’Égypte,

David souffrant des tourments,

Ou David élevé très haut ;

Que je sois Jonas naufragé,

Ou bien Jonas sauvé des eaux,

Que veux-Tu faire de moi ?

Que je me taise ou que je parle,

Que je porte des fruits ou non ;

Page 35: Therese non stop (1)

35

Que ta Loi me montre ma plaie,

Ou l’Évangile, sa douceur,

Dans la peine ou dans la jouissance,

Que Toi seul Tu vives en moi ;

Que veux-Tu faire de moi ?

Je suis tienne, pour Toi je suis née

Que veux-Tu faire de moi ?

CHEMIN DE PERFECTION

Le Chemin de Perfection évoque l’aventure intérieure de ceux qui choisissent de

suivre Jésus-Christ, parce que Jésus-Christ les a appelés à faire ce choix. C’est

l’aventure même de Thérèse et celle de ses sœurs. Le Chemin est une longue

lettre que la Mère Thérèse destine à ses « filles » du Carmel de Saint Joseph

d’Avila à leur propre demande. Elle leur transmet par écrit la « manière de vivre »

carmélitaine, tant au cours des récréations qu’au cours des chapitres

communautaires. Ce livre est né dans un climat de confiance, d’intimité et

d’amour réciproque. Femme pleine de vie, de spontanéité dans l’expression, de

sagesse dans le conseil, de force dans la persuasion, Thérèse nous balise le

chemin, le sien, le nôtre, qui débouche dans la lumière.

Dans ce livre, je donne des conseils et des avis

à mes filles, les religieuses des monastères que j’ai fondés

avec l’aide de Notre-Seigneur

et de la glorieuse Vierge Mère de Dieu, notre Dame.

Je leur ai donné la première Règle de l’Ordre de Notre-Dame du Carmel.

Je m’adresse, en particulier,

aux religieuses du monastère de Saint Joseph d’Avila,

le premier que j’ai fondé.

Au moment où j’écris ce livre, j’en suis la prieure.

Page 36: Therese non stop (1)

36

C 1

5. Ô mes sœurs dans le Christ,

aidez-moi à supplier le Seigneur pour son Église.

C’est pour cela qu’il vous a réunies ici

et qu’il vous a appelées à la vie religieuse.

C’est cela qui doit vous occuper, que vous devez désirer.

C’est pour cela que vous pleurez,

et c’est cela qu’il faut demander.

Non, mes sœurs, nos affaires ne sont point celles du monde.

Le monde est en feu.

De nouveau, des gens veulent condamner le Christ, comme on dit.

Ils disent contre lui mille mensonges,

et veulent détruire son Église.

Et nous perdrions du temps à prier pour des choses

qui empêcheraient une personne d’aller au ciel,

si, par hasard, Dieu nous écoutait !

Non, mes sœurs, ce n’est pas le moment de prier Dieu

pour des affaires peu importantes.

Les trois pierres de fondation de la communauté thérésienne

C 4

4. J’insisterai seulement sur trois points

qui sont dans la Règle elle-même.

Il est important de les observer

pour posséder la paix intérieure et extérieure

que le Seigneur nous a tant recommandée.

Le premier, c’est de nous aimer les unes les autres,

le deuxième, c’est de nous détacher de tout ce qui est créé,

Page 37: Therese non stop (1)

37

et le troisième, c’est la véritable humilité.

Je la cite la dernière et, pourtant, c’est la principale,

car elle les contient toutes.

C 8

1. Parlons maintenant du détachement que nous devons pratiquer,

car tout en dépend, s’il est parfait.

Je dis que tout en dépend.

En effet, dès que nous nous attachons seulement au Créateur,

sans rechercher les créatures,

le Seigneur Dieu nous donne sa force.

Alors, il nous suffit de faire peu à peu ce que nous pouvons,

et nous n’avons plus beaucoup à combattre.

Le Seigneur est la source de tous les biens.

C 13

1. Mes sœurs, je vous répète souvent une chose,

et je veux maintenant l’écrire ici,

pour vous empêcher de l’oublier :

dans cette maison et pour toute personne qui veut être parfaite,

il est important d’éviter à tout prix

des expressions comme celles-ci :

« J’avais raison », « on m’a fait du tort »,

« la personne qui m’a fait cela n’avait pas raison ».

Que Dieu nous protège des mauvaises raisons !

2. Supportons les humiliations avec Jésus.

Est-ce que nous sommes les fiancées d’un si grand Roi, oui ou non ?

Page 38: Therese non stop (1)

38

Si nous le sommes, est-ce qu’une femme d’honneur ne prend pas sa part

des humiliations que son mari subit ?

Elle le fait, même malgré elle.

Enfin, tous deux partagent honneur ou déshonneur.

Mais vouloir participer à son Royaume et en jouir,

sans participer à ses humiliations et à ses souffrances,

c’est de la folie.

C 16

1. Vous m’avez demandé de vous donner la base de l’oraison.

Croyez ceci :

celui qui ne sait pas disposer les pièces au jeu d’échecs jouera mal,

et, s’il ne sait pas faire échec, il ne saura pas faire mat.

Et cette manière de jouer nous sera tout à fait permise :

si nous l’utilisons souvent,

très vite nous ferons mat ce Roi divin.

Il ne pourra pas s’échapper de nos mains, il ne le voudra même pas.

2. Dans ce jeu, c’est surtout la dame qui fait la guerre

et toutes les autres pièces l’aident.

Il n’y a pas de dame comme l’humilité pour obliger le Roi à se rendre.

L’humilité l’a fait descendre du ciel dans le sein de la Vierge,

et, grâce à l’humilité, nous l’attirerons dans notre âme par un cheveu.

Croyez-moi, plus on est humble, plus on le possède

et moins on est humble, moins il vient en nous.

5. Donc, mes filles, si vous voulez que je vous parle du chemin

qui mène à la contemplation,

acceptez que je m’attarde un peu à des choses

Page 39: Therese non stop (1)

39

qui pour le moment vous paraissent peut-être peu importantes.

Pour moi, elles le sont vraiment.

Si vous ne voulez pas en entendre parler,

ni les mettre en pratique,

restez toute votre vie avec votre oraison silencieuse.

En effet, je vous l’affirme, à vous et à toutes les personnes

qui recherchent ce bien :

vous n’arriverez pas à la vraie contemplation.

Je peux me tromper, parce que j’en juge par moi-même.

J’ai essayé pendant vingt ans.

9. Quand nous ne nous donnons pas au Seigneur Dieu complètement,

comme il se donne à nous,

il nous permet pourtant de rester dans l’oraison silencieuse

et il vient nous visiter de temps en temps,

comme un maître va voir ses ouvriers dans sa vigne.

Si, au contraire, nous nous donnons à lui,

le Seigneur nous traite comme des enfants chéris.

Il ne veut pas nous voir loin de lui, Il ne s’éloigne pas de nous,

puisque nous ne voulons pas être loin de lui.

Il nous fait asseoir à sa table,

il nous donne sa propre nourriture,

il prend même le morceau de sa bouche pour nous le donner.

C 19

2. Il y a des personnes aussi agitées intérieurement qu’un cheval emballé.

Rien ne peut les arrêter. Elles vont ici ou là, toujours inquiètes.

Cela vient de leur nature, ou bien c’est Dieu qui le permet.

Je les plains beaucoup.

Page 40: Therese non stop (1)

40

Elles sont, pour moi, comme des personnes qui ont très soif,

et qui voient l’eau de très loin.

Mais quand elles veulent l’atteindre, elles trouvent quelqu’un

pour les empêcher de passer,

au début, au milieu et au bout du chemin.

Quand elles ont vaincu les premiers ennemis,

difficilement, très difficilement,

il arrive qu’elles se laissent vaincre par d’autres ennemis.

Alors elles préfèrent mourir de soif

plutôt que de boire une eau qui leur coûtera tant de peine.

Elles n’ont plus de force, elles manquent de courage.

D’autres personnes luttent pour vaincre les deuxièmes ennemis,

mais elles n’ont plus de force devant les troisièmes.

Pourtant, elles ne sont peut-être qu’à deux pas

de la source qui donne la vie.

Or, le Seigneur a dit à la Samaritaine :

« Qui boira de cette eau n’aura plus jamais soif. »

Comme elle est juste et vraie,

cette parole dite par celui qui est la Vérité même !

Nous n’aurons plus soif des choses de cette vie,

mais la soif des choses d’une autre vie grandira en nous.

La soif naturelle ne peut pas nous en donner une idée.

Nous avons vraiment soif de connaître cette soif !

Nous comprenons sa grande valeur

et, même si cette soif est très pénible, fatigante,

elle apporte ce qui est seul capable de l’apaiser.

C’est pourquoi elle éteint seulement le désir des choses de la terre.

Quand Dieu calme la soif avec cette eau pleine de vie,

il peut nous accorder la plus grande faveur :

nous laisser encore avoir soif.

Page 41: Therese non stop (1)

41

Et cette soif grandit chaque fois que nous buvons de cette eau.

14. Mes filles, j’ai voulu vous montrer le but et la récompense

avant la bataille.

Je vous ai dit le bien qu’on éprouve

à boire l’eau de cette fontaine céleste, cette eau vive.

Pourquoi, d’après vous ?

C’est pour que vous marchiez avec courage

sans vous inquiéter des peines et des difficultés du chemin,

sans vous lasser.

Car il est possible qu’à l’arrivée,

vous n’ayez plus qu’à vous baisser pour boire à la source.

Pourtant, vous abandonnez tout et vous perdez ce bien.

Oui, vous pensez que vous n’aurez pas la force de l’atteindre

et qu’il ne vous est pas destiné.

15. Considérez que le Seigneur invite tout le monde.

C’est tout à fait vrai, on ne peut pas en douter.

Si cette invitation n’était pas générale,

le Seigneur ne nous appellerait pas tous,

et même s'il nous appelait, il ne dirait pas :

« Je vous donnerai à boire ».

Il pourrait dire : « Venez tous car, finalement, vous ne perdrez rien,

et Je donnerai à boire à ceux que Je choisirai ».

Mais, puisqu'il dit « tous », sans réserve,

tous ceux qui ne resteront pas en chemin

ne manqueront pas de cette eau vive, j’en suis sûre.

Le Seigneur Dieu lui-même nous l’a promise :

qu’il nous donne de la chercher comme il faut.

Page 42: Therese non stop (1)

42

C 21

2. Je reviens, maintenant, à ceux qui veulent suivre ce chemin

jusqu’au but, c’est-à-dire arriver à boire de cette eau vive.

Comment doivent-ils commencer ?

Je dis que c’est très important.

Ils doivent être vraiment décidés à ne pas s’arrêter

avant d’être arrivés à cette eau,

continuer à marcher malgré les difficultés, les obstacles,

les souffrances, les critiques jusqu’à ce qu’ils atteignent la source.

Qu’ils continuent, même s’ils doivent mourir en chemin

ou s’ils manquent de courage devant les épreuves,

même si le monde s’écroulait.

C 23

6. … Ce voyage a ceci de bon :

Dieu donne beaucoup plus qu’on ne demande,

beaucoup plus qu’on n’ose désirer.

Cela est absolument certain…

C 26

3. Je ne vous demande pas de penser à Lui,

ni de réfléchir beaucoup,

ni d’avoir de grandes et belles idées.

Non, je vous demande une seule chose : le regarder.

Qui vous empêche de tourner votre cœur vers ce Seigneur,

un instant seulement, si vous ne pouvez pas faire plus ?

Vous êtes capables de regarder des choses très laides,

Page 43: Therese non stop (1)

43

et vous ne pourriez pas regarder

l’être le plus beau qu’on peut imaginer ?

Mes filles, votre Bien-aimé ne vous quitte jamais des yeux.

Il a supporté de votre part mille choses laides et horribles,

et, pourtant, il n’a pas cessé de vous regarder.

Ne plus tourner les yeux vers ces choses extérieures

pour le regarder, lui, de temps en temps,

est-ce que c’est trop pour vous ?

Vous le savez, il n’attend de vous qu’un regard,

comme il le dit à la Bien-aimée du Cantique.

Quand vous le voudrez, vous le trouverez.

Il désire vraiment que nous le regardions souvent,

c’est pourquoi il ne néglige rien pour nous aider à le faire.

4. D’après ce qu’on dit, voici comment une femme doit agir avec son mari,

pour être une bonne épouse :

s’il est triste, elle doit se montrer triste,

s’il est joyeux, elle doit se montrer joyeuse,

même si elle ne l’est pas.

Mes sœurs, voyez à quel esclavage vous avez échappé !

Voyez comment le Seigneur agit envers nous,

en toute vérité, sans faire semblant.

Il se fait lui-même votre serviteur, il veut que vous soyez reine,

et Il se soumet à votre volonté.

Si vous êtes joyeuses, contemplez-le ressuscité.

Vous n’avez qu’à imaginer comment il est sorti de la tombe,

et vous serez dans une grande joie.

Quelle clarté ! Quelle beauté ! Quelle grandeur !

Comme il apparaît vainqueur et joyeux !

Il sort du combat où il a gagné un si grand Royaume !

Page 44: Therese non stop (1)

44

Ce Royaume, il le veut tout entier pour vous,

comme il est lui-même, tout entier à vous.

Alors, tourner quelquefois les yeux

pour regarder celui qui vous donne tant,

est-ce que c’est trop pour vous ?

6. Marchons ensemble, Seigneur.

Oui, je dois aller partout où vous irez,

je dois passer par où vous passerez.

1567 : Thérèse et l’aventure des fondations

Raconter l’histoire des Carmels fondés, telle est la norme que le Père Jeronimo de

Ripalda précise à Thérèse en lui demandant un récit écrit. Qu’elle s’en tienne à la

règle suivie dans le Livre de la Vie pour le récit de la première fondation de Saint

Joseph d’Avila : inspiration, mise en œuvre, difficultés et réussite finale. C’est ce

qu’on appelle en narrativité les quatre « actes » : mise en route, mise en acte,

dénouement et conclusion. Dès le départ, Thérèse évite le formalisme des vieux

chroniqueurs qui écrivaient pour édifier. Elle préfère un style simple et vrai,

caractérisé par une grande liberté d’expression, sans omettre pourtant à certains

endroits de donner « avis et conseils » aux prieures et à ses premières lectrices de

ses Carmels. En premier lieu, elle écrit uniquement pour les petites communautés

qu’elle vient de fonder et à usage interne.

Le livre des Fondations constitue ainsi le tissage multicolore de ses aventures de

fondations des dix-sept carmels féminins sur la trame de l’amour fidèle de Dieu

présent et vivifiant. Si Dieu est l’acteur principal des Fondations, Thérèse en est à

la fois l’auteur et le narrateur qui en raconte l’histoire. S’exprimant en « je », elle

n’est pas en dehors du récit, mais elle s’y inscrit, elle s’y révèle, elle s’identifie avec

lui. Entre les mains de Dieu, Thérèse se perçoit comme son instrument pour

réaliser son œuvre à lui se considérant comme « presque rien » (F 13, 7) et

comme quelqu’un qui « aide Dieu parce qu’il l’appelle à ses côtés » (F 29, 8).

Thérèse est fondatrice et mystique à la fois, et, dans son récit, elle assemble

spontanément et vitalement mystique et histoire.

Page 45: Therese non stop (1)

45

Avila, 18 février 1567

F 1

7. Au bout de quatre ans, ou peut-être un peu plus, vint me voir un frère

franciscain, nommé Frère Alonso Maldonado, grand serviteur de Dieu ; comme

moi, il désirait le bien des âmes, il pouvait agir, et je l’enviais beaucoup. Il venait

de rentrer des Indes. Il se mit à me parler des millions d’âmes qui se perdaient là-

bas faute de doctrine, il nous exhorta à la pénitence dans un sermon et par sa

conversation, et partit. Je restais si meurtrie par la perdition de tant d’âmes que

j’en étais hors de moi. Je me retirai en larmes dans un ermitage ; je clamais à

Notre-Seigneur, je le suppliais de me donner le moyen de contribuer à lui gagner

quelques-unes de ces âmes par mes prières, puisque le démon lui en enlevait

tant, et que je ne servais à rien d’autre. J’enviais ceux qui pouvaient s’y employer

pour l’amour de Notre-Seigneur, dussent-ils souffrir mille morts. Lorsque nous

lisons dans la vie des saints qu’ils ont converti des âmes, j’en éprouve plus de

dévotion, de tendresse, d’envie, que pour tous les martyres qu’ils subissent ; car

Notre-Seigneur m’a inclinée à croire qu’il apprécie une âme gagnée par nos

prières et notre industrie aidées de sa miséricorde plus que tout ce que nous

pouvons faire à son service.

8. Alors que j’étais ainsi en très grande peine, une nuit, en oraison, Notre-

Seigneur se présenta à moi ainsi qu’il lui arrive de le faire, et il me dit avec

beaucoup d’amour, comme s’il eût cherché à me consoler: « Attends un peu, ma

fille, et tu verras de grandes choses. » Ces mots se gravèrent dans mon cœur si

fortement que rien ne pouvait m’en distraire. Et bien qu’il m’ait été impossible de

deviner à quoi ils faisaient allusion, faute de pouvoir orienter mon imagination, je

fus consolée, et persuadée que ces paroles disaient vrai ; mais je n’imaginai point

la façon dont elles devaient se réaliser. La moitié d’une autre année s’écoula ainsi,

à ce qu’il me semble.

F 2

1. Les Généraux de notre Ordre résident à Rome, jamais aucun d’eux n’était venu

en Espagne, une visite semblait donc impossible. Mais rien n’est impossible à

Notre-Seigneur pour l’accomplissement de ses desseins ; Sa Majesté ordonna

donc ce qui jamais encore n’était advenu. Il me semble en avoir éprouvé d’abord

de l’ennui, car, comme je l’ai dit en relatant la fondation de Saint Joseph, et pour

Page 46: Therese non stop (1)

46

la raison déjà donnée, cette maison n’était pas sous la juridiction des Carmes. Je

redoutais deux choses : l’une, que le Général ne me fît des reproches, et sans

bien connaître les faits, il aurait eu raison ; l’autre, qu’il me donnât l’ordre de

retourner au monastère de l’Incarnation, de la Règle mitigée, ce qui aurait fait

mon désespoir, pour des raisons inutiles à dire. Il suffit de savoir que je n’aurais

pu, dans cette maison, observer la Règle primitive, et que les sœurs y sont au

nombre de cent cinquante ; on trouve plus d’accord et de quiétude lorsqu’elles

sont peu nombreuses. Notre-Seigneur fit mieux que je n’eusse pu le penser, car le

Général le sert avec tant de sagesse, il est si prudent et si docte qu’il tint l’œuvre

pour bonne et ne me manifesta aucun mécontentement. Il se nomme Fr. Jean-

Baptiste Rubeo de Ravena, et il est, avec raison, très éminent dans l’Ordre.

2. Lorsqu’il vint à Avila, je m’efforçai d’obtenir qu’il vînt à Saint Joseph, et

l’Évêque consentit à ce qu’on lui fît le même accueil qu’à lui-même. Je lui rendis

compte simplement et sincèrement de ce qui s’était passé ; je suis naturellement

portée à agir ainsi à l’égard des supérieurs qui tiennent la place de Dieu ainsi

qu’envers les confesseurs, advienne que pourra, faute de quoi mon âme ne se

sentirait pas en sûreté. Je lui dévoilai mon âme et lui fis en partie le récit de ma

vie, bien qu’elle soit fort misérable. Il me réconforta beaucoup et m’assura qu’il

ne m’ordonnerait pas de quitter ce monastère.

5. Quelques jours plus tard, je considérai combien il était nécessaire, si nous

fondions des monastères de religieuses, qu’il y eût des religieux soumis à la

même Règle ; ils me semblaient rares dans cette Province, au point de craindre

de ne plus bientôt en trouver un seul, et, remettant tout dans les mains de Notre-

Seigneur, j’écrivis à notre Père Général une lettre pour le supplier de toutes mes

forces, lui donnant les raisons pour lesquelles ce serait grandement servir Dieu.

(…) L’essentiel était fait, j’eus l’espoir que le Seigneur ferait le reste.

7. Ô grandeur de Dieu! Comme vous montrez votre puissance en donnant de

l’audace à une fourmi ! (…) Amen.

15 août 1567 : 2e carmel fondé à Medina del Campo

Le premier voyage de Thérèse d’Avila à Medina del Campo durant l’été 1567 est

signe d’une orientation nouvelle et d’un style nouveau. Elle se fraie un chemin

Page 47: Therese non stop (1)

47

dans un contexte social et ecclésial qui lui est défavorable à double titre : Thérèse

est femme et moniale cloîtrée.

F 3

2. J’avais donc l’autorisation de fonder des monastères, mais point de maison, ni

un liard pour en acheter une. Quant au crédit, si le Seigneur ne s’était pas porté

garant pour moi, qui donc en aurait accordé à l’errante que je suis ? Le Seigneur y

pourvut : il fit qu’une vertueuse fille qui ne trouvait pas de place à Saint Joseph

apprit que je fondais un autre couvent ; elle vint me prier de l’y prendre. Elle

avait quelques sous, fort peu, pas assez pour acheter une maison, mais de quoi

en louer une (ce que nous essayâmes de faire) et participer aux frais du voyage.

Sans autre appui, nous partîmes d’Avila, deux religieuses de Saint Joseph et moi,

quatre religieuses de l’Incarnation (le couvent de la Règle mitigée où j’étais avant

la fondation de Saint Joseph), avec notre Père chapelain Julien d’Avila.

3. Lorsque cela se sut dans la ville, il y eut force médisances ; les uns me tenaient

pour folle ; les autres attendaient de voir comment tournerait cette extravagance.

L’Évêque lui-même jugeait que ma folie était grande, on me l’a répété depuis,

mais il ne me fit alors aucune remarque, et ne voulut pas s’y opposer – il

m’aimait beaucoup – pour ne pas me faire de peine. Mes amis m’en disaient de

toutes sortes, mais je n’en faisais que peu de cas ; ce dont ils doutaient me

semblait si aisé qu’ils ne réussirent pas à me persuader que cela risquait de ne

pas aboutir. (…)

7. Nous atteignîmes Medina del Campo la veille de la fête de Notre-Dame d’août,

à minuit. Nous descendîmes de voiture devant le monastère de Sainte-Anne pour

ne pas faire de bruit, et nous nous dirigeâmes à pied vers la maison. Dieu nous

fut miséricordieux, car il y avait une course de taureaux le lendemain, les

taureaux étaient à cette heure-là lâchés par les rues, nous eûmes bien de la

chance de ne pas buter dedans. Nous ne pensions à rien, tant nous étions

absorbées ; le Seigneur nous protégea, comme il protège ceux qui veulent le

servir, et certes nous ne prétendions à rien d’autre.

8. Arrivées à la maison, nous entrâmes dans un patio. Les murs me semblèrent

fort croulants, mais moins que ne le révéla le jour à son lever.

Page 48: Therese non stop (1)

48

9. Nous étions pourtant très gênées par le manque de clous, et ce n’était pas

l’heure d’en acheter. Nous nous mîmes à récupérer ceux qui étaient dans les

murs, et à force de travail, nous trouvâmes ce qu’il nous fallait. Les uns

tapissaient, nous nettoyions le sol, enfin nous fîmes si bien diligence qu’au petit

matin l’autel était dressé, la cloche dans un corridor, et l’on dit immédiatement la

messe. Cela suffisait pour prendre possession. Nous n’en savions rien, et

posâmes le Très Saint Sacrement ; nous suivîmes la messe à travers les fentes

d’une porte en face de l’autel faute d’autre endroit où nous mettre.

10. Jusque-là j’avais été très contente, car c’est pour moi une grande joie de voir

une église de plus où se trouve le Saint Sacrement ; mais cette joie fut de courte

durée. Après la messe, comme je regardais le patio par une fenêtre, je vis

presque tous les murs par terre ; il faudrait bien des jours pour les reconstruire. Ô

grand Dieu ! Quelle ne fut pas l’angoisse de mon cœur !

17. Peu de temps après vint nous voir un jeune Père qui étudiait à Salamanque ;

un autre l’accompagnait, qui me parla avec admiration de la vie de ce Père. Il se

nommait Fr. Jean de la Croix. Je louai Notre-Seigneur et ce qu’il me dit me causa

une grande joie, car lui aussi voulait entrer chez les Chartreux. Je lui fis part de

mes projets et j’insistai beaucoup pour qu’il attendît que le Seigneur nous donnât

un monastère et comme il serait bon, s’il voulait se parfaire, que ce fût dans

l’Ordre même, et combien il y servirait mieux le Seigneur. Il y consentit et me

donna sa parole à condition que cela ne tarde pas trop longtemps. Lorsque j’eus

deux religieux pour débuter, je vis l’affaire faite, bien que je ne sois pas encore

aussi contente du Prieur ; j’attendis donc quelque temps, et puis il fallait savoir

où commencer.

18. La bonne renommée des moniales croissait dans la ville, on commençait à les

vénérer, avec raison, si j’en juge bien, car chacune d’elle ne songeait qu’à mieux

servir Notre-Seigneur. Elles menaient la même vie qu’à Saint Joseph d’Avila dont

nous gardions la Règle et les Constitutions. Le Seigneur en attira d’autres, elles

prirent l’habit, et il leur octroyait des grâces telles que j’en étais émerveillée.

Qu’il soit loué à jamais, amen ; car il semble n’attendre que d’être aimé pour

aimer.

Page 49: Therese non stop (1)

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Lettre de septembre 1568 à Francisco de Salcedo

Valladolid, fin septembre 1568.

À Don Francisco de Salcedo à Avila

Jésus soit avec Votre Grâce. Gloire à Dieu, après sept ou huit lettres d’affaires que je n’ai pu éviter, il me reste un peu de temps pour me reposer en vous écrivant ces lignes, afin que vous sachiez bien que les vôtres m’apportent une grande consolation. Ne croyez pas perdre votre temps en m’écrivant, j’ai souvent besoin de vous lire, à condition que vous ne me disiez pas si souvent que vous êtes vieux, car j’en ai de la peine dans toute ma cervelle ; comme si la vie était assurée aux jeunes ! Que Dieu vous accorde de vivre jusqu’à ma mort. Alors, pour ne pas me trouver là-bas sans vous, je tâcherai d’obtenir de Notre-Seigneur qu’il vous emmène au plus vite.

Parlez à ce Père (Jean de la Croix), je vous en supplie, et aidez-le dans cette affaire, car pour petit qu’il soit, j’entends qu’il est grand aux yeux de Dieu. Il va certes beaucoup nous manquer ici, il est sensé, et propre à notre mode de vie, je crois donc que Notre-Seigneur l’y a appelé. Il n’est moine qui ne dise du bien de lui, il a vécu dans une grande pénitence, malgré sa jeunesse. Il semble que le Seigneur le conduise par la main, car bien que les affaires nous aient donné maints prétextes, et que moi, qui ai été souvent ce prétexte, je me sois parfois fâchée avec lui, jamais nous n’avons vu en lui une imperfection. Il a du courage ; mais il est seul, et il a besoin de tout ce que lui donne Notre-Seigneur ... il prend tout très à cœur. Il vous donnera de nos nouvelles.

J’apprécie à sa valeur la surenchère de six ducats, mais je donnerais bien davantage pour vous voir. Il est vrai que vous valez plus cher que moi ; car qui priserait une nonnette pauvre ? (…)

L’indigne et sincère servante de Votre Grâce.

Teresa de Jésus, Carmélite.

Je vous demande à nouveau, par charité, de parler à ce Père (Jean de la Croix) et de lui donner les conseils que Vous jugerez bons sur son genre de vie. L’esprit dont le Seigneur l’a doué, sa vertu au milieu de bien des occasions d’en manquer, m’ont beaucoup encouragée à croire que nous commençons bien. Son oraison est fort élevée, et il a du jugement ; que le Seigneur le fasse aller de l’avant.

Page 50: Therese non stop (1)

50

Fondation de Duruelo, premier couvent de carmes déchaux

18 novembre 1568

F 13

1. Avant d’aller fonder la maison de Valladolid, j’étais convenue avec le Père

Antoine de Jésus – alors supérieur du couvent de Sainte-Anne, de l’Ordre du

Carmel, à Medina – et avec Frère Jean de la Croix que, s’il se fondait un

monastère de la Règle primitive des Carmes déchaux, ils seraient les premiers à y

entrer ; comme il semblait impossible de trouver une maison, je m’en remettais

obstinément au Seigneur ; car comme je l’ai dit, j’étais maintenant satisfaite de

ces pères. Le Seigneur avait bien éprouvé le Fr. Antoine de Jésus pendant l’année

où j’avais eu affaire à lui, et il avait tout supporté avec une grande perfection.

Quant au Fr. Jean de la Croix, il n’avait pas besoin d’être mis à l’épreuve, car bien

que demeurant encore avec les Pères vêtus de drap, et chaussés, il avait toujours

vécu avec beaucoup de perfection et de religion. Notre-Seigneur, qui m’avait

donné l’essentiel, c’est-à-dire des religieux pour commencer la réforme, arrangea

le reste.

2. Un gentilhomme d’Avila, nommé Don Rafael, apprit – je ne sais plus comment,

car je ne le connaissais pas – que l’on voulait fonder un monastère de Carmes

déchaux ; il vint m’offrir, dans un petit hameau qui ne comptait que fort peu

d’habitants, une vingtaine, je ne sais plus au juste, une maison qu’habitait le

receveur de ses propriétés. Bien que me doutant bien de ce que ce devait être, je

louai Notre-Seigneur et remerciai le gentilhomme. Il me dit que la maison se

trouvait sur la route de Medina del Campo, je pourrais donc la voir en allant

visiter la Fondation de Valladolid. Je lui promis d’y aller, ce que je fis ; je partis

d’Avila au mois de juin avec une compagne et le Père Julien d’Avila, le prêtre dont

j’ai parlé, chapelain de Saint Joseph, qui m’aidait dans ces voyages.

Page 51: Therese non stop (1)

51

3. Nous partîmes de bon matin, mais ignorants des chemins, nous nous

perdîmes ; le village est peu connu, il nous fut difficile de nous renseigner ; cette

journée fut donc très pénible, car le soleil donnait très fort. Lorsque nous nous

croyions proches, nous avions encore autant de chemin à faire que nous en

avions parcouru. Jamais je n’oublierai notre fatigue et notre désarroi au cours de

ce voyage ; nous n’arrivâmes que peu avant la nuit.

Nous trouvâmes la maison dans un tel état, si malpropre et si pleine de gens qui

fêtaient l’août, que nous n’osâmes y passer la nuit. Elle comprenait un « portal »

de grandeur raisonnable, une salle doublée d’une soupente et une petite

cuisine : c’était là tout l’édifice de notre monastère.

4. Les Pères Antoine et Jean de la Croix ne s’inquiétaient pas d’une si petite

maison dans un si petit village. Dieu avait doué le Père Antoine de plus de

courage que moi : il répondit que non seulement il vivrait là, mais dans une

porcherie. Frère Jean de la Croix était dans le même état d’esprit.

5. Je partis avec le Père Jean de la Croix pour la Fondation de Valladolid. Nous y

passâmes quelques jours, sans clôture, car des ouvriers réparaient la maison ;

cela me permit d’informer le Père Jean de la Croix de notre mode de vie, afin

qu’il en connaisse bien toutes choses, nos mortifications aussi bien que notre

amitié fraternelle, et les récréations en commun. Tout cela est prévu avec

beaucoup de modération, uniquement pour nous permettre de connaître nos

fautes et de nous détendre un peu et mieux supporter les rigueurs de la Règle. II

était si bon que j’avais, moi, bien plus à apprendre de lui qu’il n’avait à apprendre

de moi ; mais je n’en fis rien, occupée seulement à l’instruire des façons des

sœurs.

7. Dieu secourable ! Que de choses apparemment impossibles j’ai vues au cours

de ces négociations, et qu’il fut facile à Notre-Seigneur d’aplanir les difficultés !

Page 52: Therese non stop (1)

52

Que je suis confuse, voyant ce que j’ai vu, de n’être pas meilleure que je ne le

suis ! Je m’en étonne à mesure que j’écris, et je désire que Notre-Seigneur fasse

comprendre à tout le monde que dans ces fondations nous n’avons presque rien

fait nous autres, créatures. Le Seigneur a tout agencé, en partant de débuts si

humbles que Sa Majesté elle seule pouvait les élever jusqu’au point où elles en

sont. Qu’Elle soit à jamais bénie. Amen.

F 14

6. Le premier ou le second dimanche de l’Avent de cette année de 1568 (je ne

me rappelle plus lequel de ces dimanches ce fut), on dit la première messe dans

cette petite crèche de Bethléem, car on ne peut mieux la nommer. Au carême

suivant, je m’y arrêtai en allant visiter la fondation de Tolède. J’arrivai un matin ;

le Père Antoine de Jésus balayait la porte de la chapelle, le visage joyeux, à son

habitude. Je lui dis: « Qu’est-ce là, mon Père ? Qu’est devenu ce point

d’honneur ? » M’exprimant son contentement, il répondit ces mots : « Je maudis

le temps où j’en ai eu. » En entrant dans l’église, je fus émerveillée par l’esprit que

le Seigneur y avait mis. Je ne fus pas la seule : deux marchands de mes amis qui

avaient fait la route de Medina avec moi ne faisaient que pleurer.

7. Je n’oublierai jamais la petite croix de bois du bénitier ; une image en papier

représentant le Christ qui y était collée inspirait plus de dévotion que si elle eût

été chose très bien sculptée. Le chœur était dans la soupente, dont une moitié

était surélevée, on pouvait donc y dire les heures, mais il fallait beaucoup se

baisser pour entrer entendre la messe. De chaque côté de la chapelle, ils avaient

deux petits ermitages où ils ne pouvaient se tenir qu’étendus ou assis, ils les

avaient remplis de foin (car il y fait très froid, et la toiture était si basse qu’elle

touchait presque leur tête) ; deux lucarnes ouvraient sur l’autel ; ils avaient une

pierre pour chevet, leurs croix et leurs têtes de morts. J’appris qu’après Matines

et jusqu’à Prime, au lieu d’aller se reposer, ils restaient là, en si grande oraison

Page 53: Therese non stop (1)

53

qu’il leur arrivait d’aller à Prime avec leur habit couvert de neige, sans s’en

apercevoir. Ils récitaient les Heures avec un autre Père, celui-ci habillé de drap,

qui se fixa auprès d’eux sans pourtant changer d’habit, car il était très malade, et

avec un fort jeune frère qui n’avait pas encore reçu les ordres.

8. Ils allaient prêcher dans de nombreux villages des environs, privés jusque-là de

toute doctrine (une de mes joies en fondant cette maison en ce lieu fut de savoir

qu’il n’y a même pas de monastère proche), et de toute vie religieuse, ce qui était

grande pitié. Au bout de peu de temps ils avaient un tel crédit que ce fut pour

moi une très grande consolation. (…) Ils étaient si contents que tout effort leur

semblait léger.

Fondation du Carmel de Pastrana

23 juin 1569

F 17

1. Il y avait quinze jours que la maison de Tolède était fondée, nous étions à la

veille de la Pentecôte ; il avait fallu organiser l’église, placer les grilles, et autres

choses encore ; il y avait eu beaucoup de travail (comme je l’ai dit nous

habitâmes cette maison un an), j’étais fatiguée d’avoir passé ces journées avec les

ouvriers, mais enfin tout était terminé. Ce matin-là, en prenant place au

réfectoire pour déjeuner, c’était pour moi une si grande consolation de songer

que je n’avais plus rien à faire, que je pourrais, pour la Pentecôte, me réjouir un

moment avec Notre-Seigneur, que j’en perdais presque le manger, tant mon âme

était comblée.

2. Je ne méritais pas cette consolation, car à ce même instant, on vint

m’annoncer l’arrivée d’un serviteur de la princesse d’Eboli, femme du Ruy Gomez

Page 54: Therese non stop (1)

54

de Silva. J’allai le voir, et j’appris qu’elle m’envoyait chercher, car nous étions

d’accord depuis longtemps, elle et moi, pour fonder un monastère à Pastrana ; je

ne pensais pas que cela se fasse aussi vite. J’en fus peinée, la fondation de Tolède

était si récente, il y avait eu de l’opposition, il me semblait très dangereux de tout

quitter ; je décidai donc immédiatement de ne pas partir, et je le dis. Le serviteur

répondit que c’était impossible, la princesse était déjà à Pastrana, elle n’y allait

que dans ce but, et ce serait l’offenser. Malgré tout, je n’avais pas moindrement

l’idée de partir, je dis donc au messager d’aller manger, j’écrirais à la princesse, et

il s’en retournerait. C’était un très honnête homme, et il céda à mes raisons

malgré l’ennui qu’il en avait.

3. Les religieuses qui devaient demeurer dans ce monastère venaient d’arriver ;

je ne voyais pas le moyen de les laisser aussi vite. J’allai devant le Très Saint

Sacrement demander au Seigneur de m’accorder d’écrire à la princesse une lettre

qui ne la fâchât point, ce qui nous eût nui, car pour les couvents réformés

d’hommes que nous commencions à fonder, et pour toutes choses, l’appui de

Ruy Gomez, si bien vu par le roi et par tout le monde, nous était nécessaire. Je ne

me rappelle pourtant pas si je pensais à cela sur le moment, mais je sais bien que

je ne voulais pas la mécontenter. J’en étais là lorsqu’on me dit de la part de Notre-

Seigneur de ne pas manquer d’y aller – pour des raisons plus importantes que

cette fondation, et d’emporter la Règle et les Constitutions.

Lettre du 17 janvier 1570 à Don Lorenzo de Cepeda

Tolède, 17 janvier 1570

À Don Lorenzo de Cepeda, à Quito

JHS

Que l’Esprit-Saint soit toujours avec Votre Grâce. Amen.

Page 55: Therese non stop (1)

55

Je vous ai écrit que les couvents fondés sont déjà au nombre de six, et deux de

moines, également Déchaux, de notre Ordre ; je le tiens pour une grande grâce

du Seigneur, car ils progressent beaucoup en perfection, ainsi que ceux des

religieuses ; ils sont tous sur le modèle de celui de Saint Joseph d’Avila, tant et si

bien qu’on dirait une seule et même chose ; je prends courage lorsque je vois

avec quelle sincérité on y loue le Seigneur, et dans quelle pureté d’âme.

Je suis actuellement à Tolède. J’y suis arrivée il y a environ un an, la veille de

Notre-Dame de Mars ; mais je suis partie d’ici pour l’une des terres de Ruy

Gomez, qui est Prince d’Eboli, on y a fondé un monastère de moines et un autre

de religieuses, qui sont fort bien. Je suis revenue achever d’installer cette maison-

ci qui promet d’être très importante. Ma santé a été meilleure cet hiver, le climat

de cette région est admirable ; s’il n’y avait d’autres inconvénients, (vous ne

trouveriez pas ici ce qu’il faut à vos enfants), j’ai parfois envie de vous voir vous y

installer, à cause du climat. Mais il est des sites, dans la région d’Avila, où vous

pourrez passer l’hiver, comme le font quelques personnes. Je pense à mon frère

Jeronimo de Cepeda, j’espère qu’il se portera mieux si Dieu le ramène ici. Tout se

passe comme Sa Majesté le veut, car je crois qu’il y a quarante ans que je ne me

suis aussi bien portée, j’observe pourtant la règle comme les autres, jamais de

viande, sauf en cas de grande nécessité.

J’ai eu la fièvre quarte il y a un an, mais après ma santé a été bien meilleure.

Juan de Ovalle vous a écrit qu’il est parti d’ici pour Séville. Un de ses amis l’a si

bien conseillé qu’il a retiré l’argent le jour même de son arrivée. Il l’a apporté ici,

on nous donnera les pièces à la fin de ce mois de janvier. Le compte des droits

qu’ils ont retenus fut fait devant moi ; je le joindrai à ma lettre ; je ne suis pas peu

fière de m’être occupée de tout cela, je deviens une si grande marchandeuse et

manieuse d’affaires, pour ces maisons de Dieu et de l’Ordre, que je suis au

courant de tout ; comme je considère vos affaires comme les Siennes, je me

réjouis de mes capacités. (…)

Lorsque j’en aurai fini ici, je voudrais retourner à Avila, je suis encore Prieure

de Saint-Joseph, je ne voudrais pas fâcher l’Évêque, car je lui dois beaucoup, ainsi

que l’Ordre tout entier. J’ignore ce que le Seigneur va faire de moi, il se peut que

j’aille à Salamanque, où on me donne une maison ; car, malgré ma fatigue, ces

maisons font tant de bien dans les villes où elles se trouvent que ma conscience

m’ordonne de faire tout mon possible. Le Seigneur comble ce couvent de tant de

grâces que cela me donne du courage. (…)

Ils sont aveugles au point de me faire crédit, je ne sais comment ; tant et si

bien qu’il est des gens pour me prêter mille, deux mille ducats. Alors que

j’abhorre l’argent et les affaires, le Seigneur ne veut point que je m’occupe

Page 56: Therese non stop (1)

56

d’autre chose, et ce n’est pas une petite croix. Plaise à Notre-Seigneur que je lui

sois utile, car tout aura une fin.

En fait, il me semble que votre présence ici me sera un soulagement, j’en

trouve si rarement sur cette terre que Notre-Seigneur consentira peut-être à

m’accorder celui-là ; puissions-nous, ensemble, mieux rechercher son honneur, sa

gloire, et aider les âmes à progresser ; car rien ne m’est douloureux comme de

voir tant d’âmes se perdre, et ces Indiens me coûtent bien cher.

C’est aujourd’hui le 7 janvier. Année 1570.

L’indigne servante de Votre Grâce.

Teresa de Jésus, Carmélite.

J’ai pris une religieuse sans rien, j’ai même tenu à lui donner son lit, j’ai offert

cela à Dieu pour qu’il vous ramène en bonne santé avec vos enfants. Rappelez-

moi à eux. (…) Je prends ainsi beaucoup de religieuses, lorsqu’elles sont

spirituelles, et le Seigneur en amène d’autres qui apportent de quoi tout faire.

Il en est entré une à Medina avec huit mille ducats, une autre va entrer ici, elle

en apporte neuf mille, sans que je lui aie rien demandé ; elles sont si nombreuses

qu’on peut en louer Dieu. Lorsqu’elles ont l’esprit d’oraison, elles ne cherchent

pour ainsi dire rien d’autre que ces maisons, où elles ne sont jamais plus de

treize ; comme d’après les Constitutions nous ne demandons rien pour nous, que

nous ne mangeons que ce qu’on dépose dans le tour, ce qui est très éprouvant,

nous ne pouvons être nombreuses. Je crois que vous vous réjouirez beaucoup de

voir ces maisons. Nous ne devons rendre compte de ce qu’on nous donne à

personne, nul n’a rien à y voir, sauf moi, et je n’en ai que plus de mal.

Fondation du Carmel de Salamanque

1er novembre 1570

F 18

4. Dans ces récits des Fondations, je ne parle pas de la grande épreuve des

voyages par le froid, sous le soleil ou sous la neige qui parfois ne cessait de toute

la journée, le nombre de fois où nous nous sommes perdues, où j’eus de grands

Page 57: Therese non stop (1)

57

maux ou une grosse fièvre ; mais, gloire à Dieu, moi qui n’ai d’ordinaire qu’une

faible santé, je voyais clairement que Dieu me donnait des forces. Il m’est arrivé,

alors qu’il était question d’une fondation nouvelle, d’être si malade et si

endolorie que j’étais bien inquiète ; je croyais même ne pas pouvoir rester dans

ma cellule sans me mettre au lit ; je me tournais alors vers Notre-Seigneur, je me

plaignais à Sa Majesté, je lui demandais comment il voulait que je fasse

l’impossible, et, bien que souffrante, Sa Majesté me donnait des forces ; il semble

que je m’oubliais moi-même dans la ferveur qu’il m’inspirait, et à force de soucis.

F 19

3. Cette maison (de Salamanque) fut la première que je fondai sans y poser le

Très Saint Sacrement ; j’avais cru jusqu’alors que la prise de possession n’était pas

valable sans cela ; j’appris que je me trompais, et cela me fut un grand réconfort,

tant les étudiants l’avaient mal tenue. Ils doivent manquer de soin car la maison

était dans un tel état que cette nuit-là ne fut pas sans travail. On dit la première

messe le lendemain matin et je fis appeler les autres religieuses qui devaient

venir de Medina del Campo. Ma compagne et moi passâmes seules la nuit de la

Toussaint. Sachez, mes sœurs, que lorsque je me rappelle la frayeur de ma

compagne, Marie du Saint-Sacrement, une religieuse plus âgée que moi et

grande servante de Dieu, j’ai envie de rire.

5. Lorsque ma compagne se vit enfermée dans cette pièce, elle se calma un peu

en ce qui concernait les étudiants, bien qu’elle jetât sans cesse des regards

peureux autour d’elle ; le démon lui suggérait sans doute des idées de danger

pour me troubler moi aussi, car mon cœur est si faible qu’il suffit de peu de

chose. Je lui dis : « Que cherchez-vous ? Personne ne peut entrer ici. » Elle me dit :

« Ma Mère, si je mourais ici subitement, que feriez-vous toute seule ? » C’eût été

un rude coup, elle me força à y penser un peu, et même à avoir peur ; je n’ai pas

peur des corps morts, mais mon cœur flanche, même lorsque je ne suis pas

Page 58: Therese non stop (1)

58

seule. Les cloches qui sonnaient le glas y étaient pour quelque chose, car ainsi

que je l’ai dit, c’était la nuit des âmes du purgatoire, et le démon avait de quoi

nous faire perdre la tête avec des enfantillages ; lorsqu’il voit que nous n’avons

pas peur de lui, il prend des voies plus détournées. Je lui répondis : « Ma sœur, si

cela devait être, j’aviserais. Pour le moment, laissez-moi dormir. » Nous avions

passé deux mauvaises nuits et le sommeil eut tôt fait de nous délivrer de la peur.

Les autres religieuses arrivèrent le lendemain, et il n’en fut plus question.

12. Ce que je sais, c’est que dans aucun des couvents de cette première Règle que

le Seigneur a fondés, les religieuses n’ont subi, de loin, de si grandes épreuves.

Mais elles sont si bonnes, par la miséricorde de Dieu, qu’elles supportent tout

joyeusement. Plaise à Sa Majesté de les aider ainsi à progresser, car il importe

peu d’avoir ou non une bonne maison ; nous aimons même nous trouver dans

une maison d’où l’on peut nous chasser, lorsque nous nous rappelons que le

Seigneur du monde n’en posséda aucune. Nous dûmes souvent loger dans des

maisons qui ne nous appartenaient point, au cours de ces fondations, et jamais,

en vérité, je n’ai vu une religieuse s’en affliger. Plaise à la Divine Majesté, dans

son infinie et miséricordieuse bonté que les demeures éternelles ne nous

manquent point. Amen, amen.

Lettre du 7 novembre 1571 à dona Luisa de la Cerda

L’Incarnation d’Avila, 7 novembre 1571

À Doña Luisa de la Cerda à Paracuellos

La grâce de l’Esprit-Saint soit avec Votre Seigneurie. J’ai écrit trois fois à Votre

Seigneurie depuis que je suis dans cette maison de l’Incarnation, il y a un peu

plus de trois semaines ; rien ne semble vous être parvenu. Je prends si bien ma

part de vos épreuves qu’en ajoutant toutes celles que j’ai ici à cette peine je n’ai

plus à me soucier d’en demander d’autres à Notre-Seigneur. Qu’il soit béni pour

tout ! (…)

Page 59: Therese non stop (1)

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Ah ma dame, lorsqu’on a connu le calme de nos maisons et qu’on se retrouve

dans ce tumulte, c’est à se demander comment on peut y vivre, car il y a de quoi

souffrir de toutes les façons ! Malgré tout, gloire à Dieu, la paix règne, et c’est

beaucoup, alors qu’on les prive peu à peu de leurs amusements et de leurs

libertés ; malgré leurs qualités, car, vrai, il y a beaucoup de vertu dans cette

maison, c’est disent-elles, une mort qu’un changement d’habitudes. Elles le

supportent bien, et me respectent beaucoup ; mais elles sont cent trente, et

Votre Seigneurie comprendra les précautions qu’il faut prendre pour leur faire

entendre raison. Nos monastères me causent quelques soucis, mais comme je

suis venue ici par obéissance, j’espère que Notre-Seigneur ne permettra pas que

je leur manque, et qu’il en prendra soin. Il ne me semble pas que mon âme soit

inquiète dans cette Babylone, et je le tiens pour une grâce du Seigneur. (…)

Fait à l’Incarnation d’Avila le 7 novembre.

L’indigne servante et sujette de Votre Seigneurie.

Teresa de Jésus.

Arrêt des fondations durant trois ans

1571-1574

Je vis mais sans vivre en moi

Je vis mais sans vivre en moi ;

Et mon espérance est telle

Que je meurs de ne pas mourir.

Je vis déjà hors de moi

Depuis que je meurs d’amour ;

Car je vis dans le Seigneur

Qui m’a voulue pour lui.

Quand je lui donnai mon cœur,

Page 60: Therese non stop (1)

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Il y inscrivit ces mots :

Je meurs de ne pas mourir.

Cette divine prison

De l’amour avec qui je vis

A fait de Dieu mon captif

Et de mon cœur un cœur libre

Mais voir mon Dieu prisonnier

Cause en moi une telle passion

Que je meurs de ne pas mourir.

Combien longue est cette vie !

Et qu’il est dur cet exil,

Cette prison, ces fers aussi

Où l’âme est tenue captive.

À lui seul l’espoir d’en sortir

Me cause douleur si cruelle

Que je meurs de ne pas mourir.

Ah ! qu’elle est triste la vie,

Où l’on ne jouit pas du Seigneur !

Et si l’amour lui-même est doux

La longue attente ne l’est pas ;

Ôte-moi, mon Dieu, cette charge

Plus lourde que l’acier,

Car je meurs de ne pas mourir.

Je vis dans la seule confiance

Que je dois un jour mourir,

Parce que, par la mort, c’est la vie

Page 61: Therese non stop (1)

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Que me promet mon espérance.

Mort où l’on ne gagne la vie,

Ne tarde pas, puisque je t’attends,

Car je meurs de ne pas mourir.

Vois comme l’amour est fort ;

Ô vie, ne me sois pas à charge !

Regarde ce qui seul demeure :

Pour te gagner : te perdre !

Qu’elle vienne la douce mort !

Ma mort, qu’elle vienne bien vite,

Car je meurs de ne pas mourir.

Cette vie de là-haut

Vie qui est la véritable,

– Jusqu’à ce que meure cette vie d’ici-bas –

Tant que l’on vit on n’en jouit pas.

Ô mort ! ne te dérobe pas.

Que je vive puisque déjà je meurs,

Car je meurs de ne pas mourir.

Ô vie, que puis-je donner

À mon Dieu qui vit en moi

Si ce n’est de te perdre, toi,

Pour mériter de le goûter !

Je désire en mourant l’obtenir,

Puisque j’ai si grand désir de mon Aimé

Que je meurs de ne pas mourir.

Page 62: Therese non stop (1)

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Lettre du 13 février 1573 au Père Gaspar de Salazar

L’Incarnation d’Avila, 13 février 1573

Au Père Gaspar de Salazar à Cuenca

Que la grâce de l’Esprit-Saint soit toujours avec Votre Grâce. Amen. (…)

Il y a des jours, et même des mois, j’ai reçu de vous une lettre pleine de bons

conseils et d’avis. Elle vint à temps pour me donner du courage, mais vos prières

doivent m’avoir été encore plus utiles. Je vous annonce donc que le Seigneur a

accordé tant de grâces à cette maison que ni la résistance à l’obéissance ou au

recueillement ne m’y affligent plus, tout se passe ici comme à Saint-Joseph, je

vous le certifie. Le Seigneur communique à ces âmes tant de grâces que j’en suis

étonnée. Le P. Visiteur qui nous a visitées il y a un mois ne le fut pas moins de ne

rien trouver à corriger. Remerciez Notre-Seigneur. Il a mis au monastère du

Carmel un prieur, un sous-prieur, un portier et un sacristain Déchaux, et il y a

longtemps que l’un d’eux, le Père Jean de la Croix, fort saint, confesse ici. Il a fait

beaucoup de bien et tous les autres sont fort à mon gré.

Ce fut une grande chose, et si cette maison leur était entièrement confiée,

comme je l’espère dans le Seigneur, je n’aurais plus besoin de rester ici. Veuillez le

lui demander, cela arrangerait tout.

De grandes épreuves ne m’ont pas manquées jusqu’à présent, ni les occupations,

ni la mauvaise santé en hiver, car cette maison aggrave mes maux. Je considère

tout cela comme bien employé quand je vois les grâces que Sa Majesté m’a faites.

Je désirais fort vous donner ces nouvelles et j’éprouverais à vous voir une grande

consolation. (Passez à l’autre page car j’ai pris du mauvais papier). Que le

Seigneur accomplisse sa volonté en toutes choses. (…)

Tout va pour le mieux à Malagón ; Brianda de San José y est déjà Prieure, et

l’autre est revenue ici, chez elle. Je me porte actuellement mieux que d’habitude.

Ne m’oubliez pas dans vos prières, car j’en fais autant pour vous, pour misérable

que je sois.

C’est aujourd’hui le 13 février 1573.

Page 63: Therese non stop (1)

63

Fondation du Carmel de Ségovie

19 mars 1574

F 21

1. J’ai dit comment, après la fondation des monastères de Salamanque et d’Alba

et avant que celui de Salamanque ait sa maison propre, le Père Maître Pierre

Fernandez, alors commissaire apostolique, m’avait donné l’ordre de me rendre

pour trois ans à l’Incarnation d’Avila ; il vit l’embarras où se trouvait la

communauté de Salamanque, et il m’envoya les installer dans une maison à elles.

Un jour, en oraison, le Seigneur me fit dire d’aller fonder à Ségovie. (…) Le

Seigneur me dit d’en parler, et qu’il agirait.

4. …afin que nulle fondation ne soit exempte de difficultés, en sus d’arriver à

Ségovie avec une grosse fièvre, des dégoûts et maux intérieurs faits d’une très

grande sécheresse et obscurité de l’âme, ainsi que des maux corporels de toute

sorte dont la crise aiguë dura bien trois mois, je fus tout le temps malade

pendant les six mois que j’y passai.

5. Nous posâmes le Très Saint Sacrement le jour de Saint Joseph ; bien que nous

ayons l’autorisation de l’Évêque et celle de la ville, je n’avais voulu entrer que la

veille, secrètement et de nuit.

8. Mes filles, vous qui lirez ces fondations, il est bon que vous sachiez ce que

nous leur devons ; sans y avoir aucun intérêt, ils se sont donné beaucoup de mal

pour ces monastères dans lesquels vous êtes heureuses de vivre. Recommandez-

les à Notre-Seigneur, qu’ils tirent quelque profit de vos prières ; si vous saviez ce

qu’ils ont souffert, les mauvaises nuits, les mauvais jours, la fatigue des voyages,

vous le feriez de grand cœur.

Page 64: Therese non stop (1)

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Lettre de fin septembre 1574 à Mère Marie Bautista à Valladolid

Ségovie, septembre 1574.

À Mère Maria Bautista, à Valladolid.

L’Esprit-Saint soit avec Votre Révérence, ma fille. Il me semble que la peine

que vous éprouvez me console de ne pas aller vous voir. Mais enfin le Seigneur

peut soudain arranger les choses d’une façon que nous ne pouvons prévoir en ce

moment, et nous donner plus de temps, car vraiment, pendant mon séjour ici il

n’y avait pas moyen de faire mieux ; nous retrouver si brièvement eût été une

grande fatigue ; tout se passe en visites, et à prendre sur le sommeil pour

bavarder, sans compter les paroles oiseuses, tant j’avais envie de vous voir. Mais

je ne puis confier à des lettres beaucoup de choses que j’aimerais Vous dire,

entre autres ma volonté de ne pas affliger le Maître de Medina. (…)

Je vous disais que nous avions trouvé l’argent, et que tout est conclu, gloire à

Dieu. J’accélère les travaux pour que nous déménagions avant mon départ, je ne

sais si cela sera prêt. Il y a peu de choses à faire, et la maison est à côté de celle-

ci. N’ayez point de peine. Que Dieu vous récompense de vos conseils. (...) Sachez

que Beas n’est pas en Andalousie, mais à cinq lieues en deçà, je sais d’ailleurs que

je ne puis rien fonder en Andalousie. (…)

J’emmène comme Prieure Ana de Jésus, l’une de celles que nous avons prises

à Saint-Joseph. Elle est de Placencia, elle a été à Salamanque et y est encore.

Pour le moment je n’en vois pas d’autre qui convienne pour là-bas. Vous voyez

qu’il n’y avait pas moyen de refuser Beas en ce moment ; nous avons même

besoin d’un autre monastère.

Fondation du Carmel de Beas

24 février 1575

Lettre du 12 mai 1575 à Isabel de Santo Domingo

Beas, 12 mai 1575.

À la Mère Prieure des Déchaussées de Médina.

La grâce de l’Esprit-Saint soit avec Votre Révérence, ma fille. Béni soit Dieu,

vos lettres sont arrivées, je les attendais bien ; cela me montre que je vous aime

Page 65: Therese non stop (1)

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mieux que d’autres plus proches parentes, vos lettres me semblent toujours trop

courtes. (…)

Oh ma mère, comme j’ai désiré vous avoir avec moi ces jours-ci ! Sachez-le, ce

furent-là, je le crois, les plus beaux de ma vie, et je n’exagère pas. Le Père Maître

Gracian vient de passer ici plus de vingt jours. Je l’ai beaucoup vu sans arriver, je

vous le dis, à apprécier cet homme à toute sa valeur. À mes yeux il est parfait, et

pour nous, bien mieux que tout ce que nous pourrions demander à Dieu.

Maintenant vous allez toutes demander à Sa Majesté de nous le donner pour

supérieur. Je pourrai ainsi me reposer sur quelqu’un du gouvernement de ces

maisons, car jamais je n’ai vu tant de douceur dans la perfection. Que Dieu le

conduise par la main, qu’Il le garde, je ne renoncerais pour rien au monde au

bonheur que j’ai eu de le voir et de m’entretenir si longuement avec lui.

C’est aujourd’hui la fête de l’Ascension.

La servante de Votre Révérence

Teresa de Jésus.

Je me demande pourquoi vous êtes si pressée de faire faire profession à Juana

Bautista. Laissez-la attendre encore un peu, car elle est bien jeune ; si vous êtes

d’un autre avis, et si vous êtes contente d’elle, faites comme vous l’entendez ;

mais je ne jugerais pas mauvais de l’éprouver encore ; elle m’a paru malade.

Fondation du Carmel de Séville

29 mai 1575

F 24

1. Lorsque le Père Maître Jérôme Gracian me rendit visite à Beas, (...) nous ne

nous étions encore jamais vus, malgré le grand désir que j’en avais ; nous nous

étions, oui, écrit quelquefois. Je fus extrêmement heureuse de son arrivée, tant

j’avais entendu dire de bien de lui, mais je m’en réjouis bien davantage quand je

commençai à avoir affaire à lui ; il me plut tellement qu’il me sembla que ceux

qui le louaient étaient loin de le connaître.

2. J’étais alors si fatiguée qu’il me semble que le Seigneur me fit sentir, dès que je

le vis, tout le bien qui, par lui, nous viendrait. Je vécus donc, ces jours-là, dans

Page 66: Therese non stop (1)

66

une joie si excessive, j’éprouvais un tel réconfort, qu’en vérité je m’en étonnais

moi-même. Il n’était alors commissionné que pour l’Andalousie, mais lorsqu’il

était à Beas, le nonce lui demanda de venir le voir et étendit ses pouvoirs aux

Déchaux et Déchaussées de la province de Castille. Mon esprit était si joyeux en

ces jours-là que je ne me lassais pas de remercier Notre-Seigneur, j’aurais voulu

pouvoir ne rien faire d’autre.

5. Nous organisâmes le voyage, car les grosses chaleurs commençaient ; le Père

commissaire apostolique, Gracian, partit à l’appel du nonce, et nous pour Séville

avec mes bons compagnons, le P. Julien d’Avila, Antoine Gaytan et un moine

Déchaux. Nous allions dans des chariots très couverts, telle était toujours notre

façon de voyager ; arrivés à l’auberge, nous prenions une chambre quelconque,

ce qu’il y avait, et l’une des sœurs recevait à la porte ce dont nous avions besoin ;

même ceux qui faisaient route avec nous n’y pénétraient pas.

6. Nous eûmes beau nous hâter, nous n’arrivâmes à Séville que le jeudi avant la

Sainte Trinité, après avoir beaucoup souffert de la chaleur en route ; nous ne

voyagions pourtant pas à l’heure de la sieste, mais sachez, mes sœurs, que

lorsque nous revenions aux chariots sur lesquels le soleil avait donné, c’était

comme entrer au purgatoire. Parfois la pensée de l’enfer, mais aussi celle d’agir et

de souffrir pour Dieu, donnaient à ces sœurs beaucoup de contentement et de

joie. Mes six compagnes étaient de si belles âmes qu’avec elles je me serais

risquée en terres turques, elles auraient été de force à tout endurer, ou pour

mieux dire Notre-Seigneur leur aurait donné le courage de souffrir pour lui ; tels

étaient leurs vœux et l’objet de leurs entretiens ; elles étaient bien exercées dans

l’oraison et la mortification ; comme elles allaient s’établir au loin, j’avais choisi

les plus capables. Tout cela fut utile, tant nous subîmes d’épreuves ; je tairai les

plus graves, de crainte de blesser certaines personnes.

Page 67: Therese non stop (1)

67

10. Un peu auparavant, deux jours peut-être, nous avions été en difficultés à la

traversée en bac du Guadalquivir ; on ne put passer nos chariots là où les câbles

étaient tendus, mais en biais, en nous aidant un peu du câble, que nous biaisions

également. Ceux qui le tenaient le lâchèrent, ou je ne sais ce qui se passa, mais le

bac qui portait le chariot partit à la dérive sans câbles ni rames. L’affliction du

passeur m’apitoyait plus que ne me troublait le danger ; nous, en prières ; tous

les autres poussaient de grands cris.

11. Un gentilhomme nous regardait d’un château voisin ; il s’émut de compassion

et envoya quelqu’un à notre aide ; à ce moment-là nous tenions encore le câble,

c’est-à-dire que nos frères s’y accrochaient de toutes leurs forces, mais la force de

l’eau les entraînait tous et en jetait à terre quelques-uns. Le fils du passeur me

toucha à tel point que jamais je ne l’oublierai. Il devait avoir dix ou onze ans, et

son angoisse de voir son père en peine me faisait louer Notre-Seigneur. Mais Sa

Majesté ne nous met à l’épreuve qu’avec pitié, il en fut ainsi cette fois-là : le bac

s’échoua sur un banc de sable, l’eau était basse d’un côté, cela nous tira d’affaire.

Nous aurions eu du mal à retrouver le chemin, car la nuit était tombée, si

quelqu’un n’était venu du château pour nous guider. Je n’avais pas l’intention de

parler de ces choses-là, elles sont sans importance, j’aurais énormément à dire de

nos accidents de voyage, mais on m’a harcelée pour que je m’attarde sur celui-ci.

F 26

2. Dieu ne me permit pas d’entendre une seule fois la messe dans notre église.

Mon départ refroidit beaucoup la joie des religieuses, elles en eurent beaucoup

de peine. Nous avions passé cette année toutes ensemble et subi tant d’épreuves

que comme je vous l’ai annoncé je ne parle pas des plus graves. Je crois bien qu’à

part la première fondation d’Avila à laquelle rien ne peut être comparé, nulle

autre ne m’a autant coûté que celle-ci, car mes plus grandes souffrances ont été

intérieures. Plaise à la Divine Majesté d’être toujours bien servie dans ce couvent,

comme je l’espère ; à ce prix, j’estimerai peu de chose tout ce que j’ai supporté.

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68

Fondation du Carmel de Caravaca

1er janvier 1576

F 27

17. Vous avez vu, mes filles, que nous avons enduré quelques peines, bien que je

croie n’avoir écrit que les moindres ; le détail en serait lassant ; tant de voyages,

dans l’eau et la neige, les chemins où l’on se perd, et surtout souvent ma si

mauvaise santé ; je ne sais si j’ai dit qu’au cours de notre premier voyage à Beas

j’avais la fièvre et tant de maux à la fois que, voyant mon état et tout ce qui nous

restait à parcourir, je me rappelais notre père Élie fuyant devant Jézabel, et je

m’écriais comme lui : « Seigneur, comment pourrai-je endurer tout cela ? À vous

d’y veiller. » Vrai, lorsque Sa Majesté me vit si faible, elle m’ôta subitement ma

fièvre et mon mal ; à tel point que je crus tout d’abord que l’entrée d’un serviteur

de Dieu, un ecclésiastique, m’avait guérie : ce fut d’ailleurs peut-être cela ; en

tout cas je fus tout à coup délivrée de mes maux internes et externes. Lorsque

j’étais bien portante, je supportais joyeusement les fatigues corporelles.

18. Mais ce n’était souvent pas une petite épreuve que de s’accommoder du

caractère de tous ceux dont nous avions besoin dans chaque localité. Et

l’obligation de quitter mes filles et mes sœurs que j’aime tant pour me rendre à

un point ou un autre ne fut pas la plus légère de mes croix, particulièrement

lorsque je pensais ne plus jamais les revoir, et que je voyais leur grand regret et

leurs larmes. Bien qu’elles soient détachées de toutes choses, Dieu ne leur a pas

donné ce détachement-là, pour aggraver sans doute mes tourments, car je ne

suis pas non plus détachée d’elles, malgré mes efforts pour ne pas le montrer, et

je les grondais inutilement, car l’amour qu’elles me portent est grand, et bien des

choses prouvent qu’il est sincère.

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Lettre du 5 octobre 1576 au Père Jérôme Gratien

Tolède, 5 octobre 1576.

Au Père Jeronimo Gracian.

La grâce de l’Esprit-Saint soit avec Votre Paternité, mon Père. Si la lettre que

Votre Paternité a envoyée par la Cour n’était pas arrivée, je serais dans un bel

état, car c’est aujourd’hui le lendemain de la Saint-François, Frère Antonio n’est

pas venu, et j’ignorais encore si Votre Paternité était arrivée en bonne santé

lorsque votre lettre m’est parvenue.

Béni soit Dieu qui vous accorde de vous bien porter, ainsi que Pablo, dans la

paix intérieure. Vraiment, une amélioration si complète semble surnaturelle ;

tout cela doit être nécessaire à notre nature, car des choses semblables nous

aident beaucoup à nous humilier et à nous connaître. J’ai beaucoup demandé au

Seigneur cette accalmie, les épreuves que vous subissez me semblaient

suffisantes : veuille Votre Paternité le lui dire de ma part.

Je suis actuellement libre de tout souci ; je ne sais comment cela tournera,

mais on m’a donné une cellule aussi isolée qu’un ermitage, très gaie, ma santé

est bonne, je suis loin de ma famille, bien que leurs lettres me rejoignent encore ;

ma seule peine est le souci de ce qui se passe là-bas. Je puis dire à Votre

Paternité que pour mon agrément, ce fut une bonne idée de me laisser ici, je

maîtrise même mieux que d’habitude la peine dont je vous parle.

Hier soir, je lisais les histoires de Moïse, les épreuves qu’il imposa à ce Roi avec

ces plaies, et à tout le royaume, et comment on ne l’a point touché ; en fait, je

suis à la fois effrayée et joyeuse de voir que personne n’a le pouvoir de nuire

lorsque le Seigneur ne le veut pas. J’ai apprécié l’histoire de la mer Rouge, me

rappelant que nous demandons beaucoup moins. Il m’a plu de voir ce saint au

milieu de ces combats sur l’ordre de Dieu. Je me suis réjouie de voir mon Élisée

dans la même situation ; je l’ai offert de nouveau à Dieu. Je me suis rappelé les

faveurs qu’Il m’a faites, et Joseph m’a dit : « Vous avez encore bien plus à

supporter pour l’honneur et la gloire de Dieu. » Je brûlais de me voir en mille

dangers pour le servir. Je passe ma vie à des choses comme celles-là, j’ai

également écrit les bêtises que je vous envoie.

Je vais me mettre au récit des Fondations, Joseph m’a dit qu’il serait utile à

bien des âmes. Avec son aide, je crois qu’il en sera ainsi, mais indépendamment

de ces paroles j’étais déjà décidée à le faire par obéissance envers Votre

Paternité. J’ai été contente de la longue communication que vous avez faite au

Chapitre. Je me demande comment ceux qui ont écrit le contraire ne rougissent

point. Il est fort heureux que ceux qui seraient partis malgré eux s’en aillent de

leur plein gré. Il me semble que Notre-Seigneur arrange nos affaires. Plaise à Sa

Majesté qu’elles s’achèvent pour sa gloire et pour le bien de ces âmes. Vous feriez

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70

fort bien de leur commander de votre monastère ce qu’ils ont à faire, ils n’auront

pas à se demander si vous allez au chœur, ou si vous n’y allez pas. Je vous le dis,

tout ira mieux. Ici les prières ne manquent point, ce sont de meilleures armes

que celles dont usent ces pères.

La fille et servante de Votre Paternité

Teresa de Jésus.

Poème de Thérèse

Nada te turbe,

nada te espante,

todo se pasa,

Dios no se muda,

la paciencia

todo lo alcanza.

Quien a Dios tiene

nada le falta.

Sólo Dios basta.

Que rien ne te trouble,

Que rien ne t’effraie ;

Tout passe.

Dieu ne change pas,

La patience obtient tout.

Celui qui a Dieu ne manque de rien.

Dieu seul suffit.

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Le Château Intérieur ou Les Demeures

Le Château intérieur ou le livre des Demeures est le dernier livre doctrinal de Thérèse. Thérèse se trouve à l’étape de sa pleine maturité humaine et spirituelle, mais elle traverse aussi l’une des étapes les plus douloureuses de sa vie. Elle revient d’Andalousie, épuisée à tous points de vue, accusée et consignée à demeurer au Carmel de Tolède par les autorités suprêmes de l’Ordre. C’est à Tolède que le Livre de la Vie, son « petit livre » comme elle l’appelle, continue d’être séquestré par l’Inquisition. Thérèse a récemment manifesté son désir de compléter le récit de sa vie par la narration des diverses expériences mystiques construite entièrement sur l’expérience vécue du narrateur. Tel fut le germe du nouvel écrit qui deviendra son joyau de maturité. Thérèse a de plus à Tolède, un directeur spirituel d’exception, le bibliste Alonso Velazquez (1533-1587), évêque d’Osma depuis 1578 et futur évêque de St Jacques de Compostelle, qui l’a toujours soutenue dans l’œuvre de ses fondations. Il est aussi grand ami du Père Jérôme Gratien. Tous deux encouragent Thérèse à reprendre la plume. Ce qu’elle fit. Elle écrit le Château intérieur en six mois (du 2 juin 1577 au Carmel de Tolède au 29 novembre 1577 au Carmel d’Avila).

Les Demeures sont une biographie de Dieu, de ce que Dieu fait dans l’homme. Dieu est le thème des Demeures. Thérèse ouvre son dernier écrit par l’émerveillement devant la beauté de la personne humaine comparée à un château. Ce château, c’est d’abord celui de son âme à elle, de sa vie et de son histoire. En même temps, elle lance une sorte de pont-levis pour communiquer aussi avec le château de ses lecteurs. Simplement au moyen de quelques convictions essentielles, d’expériences profondes qu’elle livre en écrivant comme elle parle et avec beaucoup d’empathie.

Thérèse de Jésus, religieuse de Notre-Dame du Mont Carmel, a écrit ce livre

appelé Château intérieur pour ses sœurs et filles, les religieuses carmélites

déchaussées.

JESUS

L’obéissance m’a commandé peu de choses plus difficiles

que celle d’écrire maintenant sur l’oraison.

Premièrement, il me semble que le Seigneur ne me donne

ni l’inspiration ni le désir de le faire.

Deuxièmement, depuis trois mois, ma tête est si faible

et si pleine de bruit que j’ai de la peine à écrire,

même pour les affaires indispensables.

Page 72: Therese non stop (1)

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Mais je sais que la force de l’obéissance rend d’ordinaire les choses faciles,

même quand elles semblent impossibles.

C’est pourquoi je me décide volontiers à le faire.

Je commence donc mon travail aujourd’hui

jour de la très sainte Trinité, le 2 juin 1577.

Actuellement, je suis au monastère Saint Joseph du Carmel, à Tolède.

Premières Demeures

Chapitre 1

1. Je ne savais pas quoi dire

ni de quelle manière je devais commencer cet acte d’obéissance.

Aussi, aujourd’hui j’ai supplié notre Seigneur de parler à ma place,

et ce qui sera la base de mon écrit m’est venu à l’esprit :

je vais considérer notre âme comme un château

fait d’un seul diamant ou d’un cristal très pur

et dans lequel il y a de nombreuses pièces,

comme il y a au ciel de nombreuses demeures.

En effet, si on y réfléchit bien, mes sœurs,

l’âme du juste n’est rien d’autre qu’un paradis

où le Seigneur dit qu’il trouve son plaisir.

Ce Roi si puissant, si sage, si pur, si rempli de tous les biens,

comment vous représentez-vous l’endroit où il aime demeurer ?

Moi, je pense que rien ne peut être comparé

à la grande beauté d’une âme et à ses grandes possibilités.

Vraiment, notre intelligence, même si elle est très fine,

peut à peine arriver à le comprendre.

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Elle ne peut pas davantage se représenter Dieu.

Si c’est vrai et c’est un fait, il n’y a aucune raison de se fatiguer

pour chercher à comprendre la beauté de ce château.

Le Seigneur dit : « L’âme est faite à mon image. » Cela suffit.

Nous pouvons donc à peine comprendre

la grande dignité et la beauté de l’âme.

2. Mais nous ne cherchons pas l’essentiel

Par notre faute, nous ne nous comprenons pas nous-mêmes,

nous ne savons pas qui nous sommes.

C’est bien dommage.

En général, nous savons que nous avons une âme,

parce que nous l’avons entendu dire,

et parce que la foi nous l’enseigne.

Mais quels biens y a t-il en elle ?

Qui l’habite ?

Quelle est sa grande valeur ?

Nous réfléchissons rarement à tout cela.

C’est pourquoi nous cherchons si peu à conserver sa beauté.

3. Considérons que ce château a de nombreuses demeures, comme je l’ai dit.

Les unes sont en haut, les autres en bas, d’autres sur le côté.

La principale se trouve au centre, au milieu de toutes les autres.

C’est là que se passent les choses les plus secrètes entre Dieu et l’âme.

Vous ne devez pas vous représenter ces demeures

l’une derrière l’autre, sur une ligne.

Fixez plutôt votre regard au centre.

C’est la pièce où se trouve le roi.

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Pensez à un palmier nain :

plusieurs écorces entourent le cœur délicieux

que l’on veut atteindre pour le manger.

De même il y a beaucoup de demeures dans ce palais, autour et au-dessus.

On doit toujours considérer les choses de l’âme

dans leur totalité, leur largeur, leur grandeur,

puisque rien ne les dépasse.

L’âme est capable de beaucoup plus que nous ne croyons.

Et le soleil qui est dans ce palais éclaire toutes ses parties.

Quand une personne pratique l’oraison,

un peu ou beaucoup,

il est très important de la laisser libre.

Laissez-la aller dans ces demeures,

en haut, en bas et sur les côtés,

puisque Dieu lui a donné une si grande dignité.

Qu’elle ne s’oblige pas à rester longtemps dans la même salle,

ne serait-ce que celle de la connaissance de soi.

Croyez-moi, envolez-vous quelquefois

pour contempler la grandeur et la beauté de Dieu.

Là, vous découvrirez votre petitesse mieux qu’en vous-même.

Et, croyez-moi, avec la force de Dieu,

nous pratiquerons bien mieux le bien

que si nous restons très attachées à notre terre.

Deuxièmes Demeures

Chapitre unique

1. Venons-en maintenant à parler des personnes

Page 75: Therese non stop (1)

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qui entrent dans les deuxièmes demeures.

Nous parlons des personnes qui ont déjà commencé à faire oraison.

Elles ont compris qu’il est très important pour elles

de ne pas en rester aux premières demeures.

Mais, bien souvent, elles ne sont pas décidées à les quitter

parce qu’elles ne s’éloignent pas toujours des occasions de pécher.

Ces personnes, d’une certaine façon, ont plus à souffrir

que celles qui sont dans les premières demeures.

Mais elles ne courent pas autant de dangers,

parce que déjà elles semblent les comprendre.

On peut avoir grand espoir

qu’elles pénètreront davantage à l’intérieur du château.

Je dis qu’elles ont plus à souffrir

que celles qui sont dans les premières demeures.

En effet, celles-ci sont comme des muets qui n’entendent pas.

Ils souffrent moins de ne pas pouvoir parler

que s’ils entendaient et ne pouvaient pas répondre.

Pourtant, on ne peut pas désirer être sourd,

car enfin, c’est une bonne chose d’entendre ce qu’on nous dit.

Les personnes qui habitent les deuxièmes demeures

entendent donc les appels que le Seigneur leur adresse,

parce qu’elles se rapprochent

de l’endroit où habite le Seigneur Dieu.

C’est un très bon voisin.

Sa bonté est si grande !

Sans doute, nous continuons à nous occuper

de nos passe-temps, de nos affaires,

de nos plaisirs, des tromperies du monde.

Page 76: Therese non stop (1)

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Nous tombons dans le péché,

et nous nous relevons de nos fautes.

Car les bêtes sont très venimeuses,

très dangereuses, très remuantes.

Il est presque impossible

de ne pas faire de faux-pas et de ne pas tomber.

Malgré tout cela, notre Seigneur apprécie beaucoup

que nous l’aimions

et que nous recherchions sa compagnie.

Aussi, il ne manque pas, un jour ou l’autre,

de nous appeler à nous rapprocher de lui.

Et sa voix est si douce que la pauvre âme se désole

de ne pas accomplir immédiatement

ce qu’il lui demande.

A cause de cela, comme je l’ai dit,

elle souffre plus que si elle ne l’entendait pas.

Ne vous découragez pas

si vous ne répondez pas immédiatement

à l’appel du Seigneur.

Le Seigneur Dieu sait attendre longtemps, des jours et des années,

surtout quand il découvre en nous des bons désirs

et de la persévérance.

C’est la persévérance qui est la plus nécessaire ici :

avec elle, on gagne toujours beaucoup.

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Troisièmes Demeures

Chapitre 1

2. Par la bonté de Dieu,

certains ont remporté la victoire dans ces combats en continuant leurs efforts.

Ils sont entrés dans les troisièmes demeures.

Que leur dirons-nous ? Simplement ceci :

"Il est heureux celui qui respecte le Seigneur."

Je parle des personnes qui sont entrées dans les troisièmes demeures.

Le Seigneur les a aidées à dépasser les premières difficultés.

Ce n’est pas une petite chose,

mais une très grande faveur.

Comme le Seigneur est bon,

il accorde cette faveur a beaucoup de personnes en ce monde,

à mon avis.

Ces personnes désirent vivement ne pas l’offenser.

Elles évitent les fautes, même légères.

Elles réservent des heures au recueillement.

Elles emploient bien leur temps.

Elles aiment le prochain et le prouvent par des actes.

Elles font preuve de sagesse,

dans leurs paroles, leur manière de se vêtir,

et de tenir leur maison.

Elles sont dans un état digne d’être désiré.

Nous pouvons penser

que rien ne les empêchera d’entrer dans la dernière demeure.

Le Seigneur ne leur refusera pas cela, si elles le veulent.

Elles sont bien disposées

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et peuvent recevoir de lui toutes sortes de faveurs.

Mais il ne faut pas retourner vers les reptiles des premières salles,

même par le désir.

Cela ne fait aucun doute :

si nous continuons à rester pauvres et à tout abandonner,

nous arriverons à ce que nous désirons.

Mais ce sera à une condition

et je vous demande d’y faire bien attention :

regardez-vous comme des servantes ordinaires.

Quatrièmes Demeures

Chapitre 1

1. Pour commencer à parler des quatrièmes demeures,

j’avais bien besoin de compter sur l’Esprit Saint. C’est ce que j’ai fait.

Je l’ai supplié de parler à ma place pour dire des choses

que vous pourrez comprendre car ce sont des choses surnaturelles.

Il est très difficile de les faire comprendre si le Seigneur ne s’en charge pas.

2. Ces demeures sont plus proches de celle où le Roi se trouve.

Elles sont donc d’une très grande beauté.

Il y a des choses très délicates à voir et à entendre.

On croira que, pour arriver à ces demeures,

il faut avoir vécu très longtemps dans les autres.

C’est vrai que, normalement, il faut être passé

par celles que je viens de décrire.

Mais ce n’est pas une règle absolue,

comme vous l’avez entendu dire souvent.

Page 79: Therese non stop (1)

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En effet, le Seigneur donne ces biens qui lui appartiennent

quand il veut, comme il veut, et à qui il veut,

sans faire de tort à personne.

7. Pour beaucoup avancer sur ce chemin

et monter aux demeures que nous désirons,

il ne s’agit pas de beaucoup penser mais de beaucoup aimer.

C’est pourquoi faites tout ce qui vous pousse à aimer davantage.

Aimer, nous ne savons peut-être pas ce que c’est,

je n’en serais pas étonnée.

Aimer, ce n’est pas avoir un très grand plaisir,

mais c’est être très décidée à vouloir contenter Dieu en tout.

Mais ne croyez pas qu’il ne faut pas penser à autre chose

et que, si vous êtes un peu distraite, tout est perdu.

Maintenant je voudrais parler de ce que j’appelle les plaisirs donnés par Dieu.

Ailleurs, je les ai appelés prière paisible.

Celles qui en ont l’expérience par la bonté de Dieu me comprendront.

Pour mieux comprendre supposons ceci :

Nous voyons deux fontaines qui remplissent d’eau deux bassins.

Je ne trouve rien de mieux que l’eau

pour expliquer certaines choses spirituelles.

Ces deux bassins se remplissent d’eau par des moyens différents.

Pour le premier, elle vient de très loin.

Elle est amenée de façon artificielle par de nombreux aqueducs

Elle est comme les joies obtenues par la méditation.

En effet, elles proviennent de nos pensées.

Dans la méditation, nous nous aidons des efforts de l’intelligence.

Finalement, ces joies viennent de notre activité.

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Elles répandent dans l’âme quelque chose de profitable

en faisant du bruit comme je l’ai dit.

Le deuxième a été creusé à la source même de l’eau

et il se remplit peu à peu, sans bruit.

Si la source est abondante, comme c’est le cas ici,

quand le bassin est plein, il en sort un grand ruisseau.

On n’a pas besoin d’intervenir.

On n’a pas à craindre que les aqueducs tombent en ruine.

L’eau continue toujours de couler.

Dans ce bassin, l’eau vient de la source même qui est Dieu.

Quand le Seigneur Dieu veut accorder quelque faveur surnaturelle,

Il produit, au plus profond de nous-même,

une très grande paix, la tranquillité, la douceur.

Je ne sais pas où, ni comment,

car ces plaisirs et ces délices ne sont pas sentis dans le cœur,

comme ceux d’ici-bas.

- Je dis au début car, ensuite, ils inondent tout. -

Cette eau va se répandre à travers toutes les demeures,

toutes les puissances de l’âme et, enfin, elle va atteindre le corps.

C’est pourquoi j’ai dit qu’elle commence en Dieu et finit en nous.

Celui qui l’aura goûtée le verra.

Vraiment, la personne tout entière jouit

de ce plaisir et cette douceur.

En écrivant cela, je pensais à ce verset :

« Tu as dilaté mon cœur »

10. Nous sommes à lui, mes sœurs,

qu'il fasse de nous ce qu'il voudra.

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Qu’il nous conduise par la voie qui lui plaira.

Je crois bien que le Seigneur ne manquera pas

de nous accorder cette faveur et beaucoup d’autres

que nous ne savons pas désirer.

Cinquièmes Demeures

Chapitre 1

1. Ô mes sœurs ! Comment vous dire les richesses, les trésors

et les plaisirs qui se trouvent dans les cinquièmes demeures ?

Je crois qu’il vaudrait mieux ne pas en parler,

car on ne peut pas les décrire

et les comparaisons ne peuvent pas servir pour les expliquer.

Que le Seigneur nous montre le chemin,

qu'il nous donne la force d’âme pour creuser

jusqu’à ce que nous ayons découvert ce trésor caché.

Car en vérité, il est en nous-mêmes.

C’est ce que je voudrais vous faire comprendre.

9. J’en viens au signe que je dis être le vrai.

Parfois Dieu lui-même se fixe dans l’âme.

Pendant qu’elle est dans cet état,

elle ne voit rien, elle n’entend rien, ne comprend rien.

Lorsqu’elle revient à elle, elle ne peut pas avoir de doute :

elle était en Dieu et Dieu était en elle. ,

Cette vérité demeure en elle avec une grande force.

Même si des années passent,

sans que Dieu lui accorde, de nouveau, cette faveur,

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elle ne l’oublie pas

et elle ne peut pas douter de l’avoir reçue.

10. Vous me direz : "Comment l’a-t-elle vu

ou comment l’a-t-elle compris,

puisqu’elle ne voit et n’entend rien ?"

Je ne dis pas qu’elle l’a vu à ce moment-là

mais, ensuite, elle le voit, clairement.

Ce n’est pas une vision mais une certitude

que Dieu seul peut donner à l’âme.

11. C’est Dieu qui agit dans l’âme

Il ne faut pas vous tromper :

cette certitude de la présence de Dieu n’est pas due

à une forme corporelle,

comme le corps de notre Seigneur Jésus Christ

dans le très Saint Sacrement, bien que nous ne le voyions pas.

Ici, il n’est pas sous cette forme,

c’est sa divinité seule.

Comment pouvons-nous être sûrs de ce que nous voyons ?

Moi, je ne le sais pas, c’est l’œuvre de Dieu.

Nous ne pouvons rien, malgré nos efforts,

pour obtenir cette faveur de l’union.

C’est l’œuvre de Dieu, ne cherchons pas à comprendre.

12. A propos de l’expression "nous ne pouvons rien",

je me rappelle ce que vous avez entendu dire par l’épouse du Cantique :

« Le roi m’a introduite dans ses celliers. »

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Je comprends qu’il s’agit du cellier où le Seigneur veut nous mettre

quand il le veut et comme il le veut.

Nous ne pouvons pas y entrer de nous-mêmes,

même si nous faisons beaucoup d’efforts.

Le Seigneur Dieu doit nous y mettre

et entrer lui-même dans le centre de notre âme.

Et pour mieux montrer ses merveilles,

il veut que nous n’y soyons pour rien.

Il veut seulement que notre volonté lui soit entièrement soumise.

Il entre dans le centre de l’âme, sans passer par aucune porte,

comme il entra chez ses disciples en disant :

"La paix soit avec vous",

et comme il sortit de la tombe, sans soulever la pierre.

Vous le verrez encore mieux dans la dernière demeure.

Chapitre 2

Je vais me servir d’une comparaison qui convient.

Vous avez déjà entendu dire

de quelle façon merveilleuse la soie est produite.

Dieu seul peut inventer une chose pareille.

C’est une graine qui ressemble à un petit grain de poivre.

Je ne l’ai jamais vue, mais j’en ai entendu parler.

Quand le mûrier commence à avoir des feuilles,

cette graine commence à vivre sous l’action de la chaleur.

En effet, elle est comme morte,

jusqu’au jour où cet aliment qui la nourrit apparaît.

Elle mange ces feuilles de mûrier jusqu’à ce qu’elle ait grandi.

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4. Quand le ver a grandi, il commence à fabriquer la soie

et à construire la maison où il va mourir.

Je voudrais faire comprendre que cette maison, c’est le Christ.

Je crois avoir lu ou entendu quelque part :

« notre vie est cachée dans le Christ. »

5. Vous voyez donc, mes filles,

ce que nous pouvons faire avec l’aide de Dieu.

Que le Seigneur lui-même soit notre demeure.

En effet, je dis qu’Il est la demeure

et que nous pouvons la fabriquer pour nous y installer.

Mais oui, nous le pouvons !

Il ne s’agit pas d’enlever ou d’ajouter quelque chose à Dieu,

mais il s’agit de nous enlever quelque chose

et d’ajouter autre chose.

C’est ainsi que ces petits vers agissent.

Nous n’aurons pas fini de faire tout ce que nous pouvons,

un petit travail qui n’est rien,

quand Dieu l’unira à sa grandeur.

Il lui donnera une si grande valeur

que la récompense, ce sera le Seigneur lui-même.

Et comme c’est lui qui aura fait presque tous les frais,

il unira nos petites peines à ses grandes souffrances,

pour que tout soit un.

6. Courage, mes filles ! Vite à l’œuvre pour tisser ce cocon.

Renonçons à notre orgueil et à notre volonté.

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Détachons-nous des choses de la terre.

Faisons des actes de pénitence.

Mettons dans notre vie l’oraison, la mortification, l’obéissance

et tout le reste que vous connaissez.

Qu’il meure, oui, qu’il meure, ce ver,

comme il le fait, dès qu’il a terminé l’œuvre

pour laquelle il a été créé !

7. Voyons donc ce que ce ver devient.

C’est pour cela que j’ai dit tout le reste.

Quand il est dans cet état d’oraison, bien mort au monde,

il se transforme en petit papillon blanc.

O grandeur de Dieu ! Comme l’âme se transforme ici

parce qu’elle a été un tout petit moment mêlée à la grandeur de Dieu

et si unie à lui !

Vraiment, je vous dis que l’âme elle-même ne se reconnaît pas.

En effet, remarquez quelle différence il y a

entre un ver, qui est laid,

et un petit papillon blanc.

C’est la même chose pour l’âme.

Elle ne sait pas comment elle a pu mériter un si grand bien.

Elle ne sait pas d’où il peut venir, ce qu’il veut dire,

mais elle sait bien qu’elle ne le mérite pas.

Elle éprouve le désir de louer le Seigneur.

Elle voudrait s’anéantir et souffrir mille morts pour Lui.

Elle désire que tout le monde connaisse Dieu.

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Sixièmes Demeures

Chapitre 1

1. Avec l’aide de l’Esprit Saint,

parlons maintenant des sixièmes demeures.

Là se trouve l’âme déjà blessée par l’amour de l’Époux.

Elle cherche davantage à être seule.

Elle ne désire qu’une seule chose : jouir à nouveau de sa présence.

Mais l’Époux ne réalise pas encore ce désir si fort de l’âme.

O Seigneur ! combien d’épreuves intérieures et extérieures l’attendent

avant l’entrée dans la septième demeure !

Chapitre 2

1. On pourrait croire que nous avons bien oublié le petit papillon.

Mais non.

Car les souffrances dont nous parlons

servent à le faire voler plus haut.

Voyons comment l’Époux agit en lui,

comment il l’amène à désirer vivement être uni à lui,

il emploie des moyens très délicats.

L’âme n’entend aucun bruit, mais elle comprend très bien que Dieu l’appelle.

Elle sent qu’elle est blessée intérieurement,

d’une blessure délicieuse,

mais elle ne sait pas comment, ni qui l’a blessée.

Elle voit que cette blessure est un don précieux,

elle voudrait ne jamais en guérir.

Elle comprend qu’il est présent mais qu'il ne veut pas se montrer,

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ni lui permettre de jouir de sa présence.

L’âme éprouve une peine très vive

mais en même temps délicieuse et douce.

2. Le Bien-aimé paraît appeler l’âme

par un signe tellement certain qu’elle ne peut pas en douter.

C’est comme un sifflement qui la touche au cœur,

elle est forcée de l’entendre.

Ô mon Dieu, que vos secrets sont profonds !

Chapitre 11

1. Les faveurs de Dieu nous apportent aussi des souffrances

L’Époux a accordé à l’âme beaucoup de faveurs.

Ont-elles été suffisantes

pour que le petit papillon soit enfin satisfait et se pose ?

Non, ces faveurs ne suffisent pas, bien au contraire.

L’âme va beaucoup plus mal.

Chaque faveur nouvelle augmente son chagrin.

Voici pourquoi : elle connaît de mieux en mieux les grandeurs de son Dieu,

mais elle se voit séparée de lui et très éloignée de jouir de lui.

Ainsi, le désir grandit peu à peu au cours des années

et il conduit l’âme à une très grande peine.

J’ai dit « des années »,

mais je sais bien qu’on ne peut pas imposer un délai à Dieu.

En un instant, il peut amener une âme

à l’état le plus élevé de la faveur dont je parle ici.

Le Seigneur peut tout ce qu'il veut

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et il désire faire beaucoup pour nous.

Septièmes Demeures

Chapitre 1

1. Mes sœurs, j’ai beaucoup parlé de ce chemin spirituel.

Vous pensez, peut-être, qu’il n’y a plus rien à en dire.

Le croire serait une grande erreur,

car la grandeur de Dieu n’a pas de limites

et ses œuvres n’en ont pas non plus.

3. Quand notre Seigneur le veut bien,

il a pitié de celle qui a souffert

et qui souffre à cause de son désir de s’unir à lui.

Cette âme, il l’a déjà prise spirituellement pour épouse.

Avant que le mariage spirituel soit réalisé, Il l’introduit dans sa demeure

qui est la septième.

Chapitre 2

9. Le Seigneur introduit l’âme dans sa demeure à lui.

C’est le centre de l’âme elle-même.

Il semble qu’il n’y a plus de mouvements dans l’âme,

dès qu’elle entre dans cette demeure.

Alors, ni les puissances, ni l’imagination ne peuvent lui faire du tort,

ni lui enlever sa paix.

11. Dans les autres demeures, il y a un grand désordre,

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89

des bêtes féroces venimeuses, beaucoup de bruit.

Mais, dans la septième demeure,

rien ne peut entrer pour en faire sortir l’âme.

Les bruits qu’elle entend lui causent quelque peine

mais sans la troubler et lui enlever la paix.

Car les passions sont déjà vaincues.

Chapitre 3

1. Nous disons donc, maintenant,

que ce petit papillon est mort avec une très grande joie

car il a trouvé le repos

et le Christ vit en lui.

Voyons comment il vit et comment cette vie est différente

de celle qu’il avait autrefois.

D’après ce que je peux comprendre, les effets sont les suivants :

2. Le premier est un grand oubli d’elle-même

et vraiment l’âme ne semble plus exister, comme je l’ai dit.

Elle est dans un état où elle ne se reconnaît plus.

Elle ne se souvient plus s’il y a pour elle un ciel, une vie, un honneur,

car elle est tout occupée à chercher la gloire de Dieu.

Le Seigneur Dieu lui a dit :

« Prends soin de Mes affaires, Je m’occuperai des tiennes ».

Il semble que ces paroles se sont réalisées.

Ainsi, tout ce qui peut arriver ne lui cause aucun souci.

Elle est dans un étrange oubli de toute chose.

On dirait qu’elle n’est plus rien

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90

et qu’elle ne voudrait plus être rien, en rien.

Pourtant, lorsqu’elle comprend qu’elle peut aider

à augmenter d’un point la gloire et l’honneur de Dieu,

elle donnerait sa vie de très bon cœur.

15. L’âme reste en paix.

Je vous dis, mes sœurs, que les croix ne leur manquent pas.

Mais cela ne les inquiète pas et ne leur enlève pas la paix.

Quelques tempêtes passent vite, comme une vague,

et le calme revient.

La présence du Seigneur leur fait vite tout oublier.

Chapitre 4

6. Ô mes sœurs,

l’âme en qui le Seigneur habite, d’une manière si particulière,

comme elle s’occupe peu de son repos, de son honneur,

comme elle est loin de rechercher l’estime !

Puisqu’elle est toujours avec Lui,

elle doit peu s’occuper d’elle-même, c’est normal.

Elle cherche le moyen de mieux le contenter.

Elle cherche en quoi et comment montrer son amour.

C’est à cela qu’elle pense sans cesse.

Tel est le but de l’oraison, mes filles.

Voilà à quoi le mariage spirituel sert :

toujours donner naissance à des actes, des actes.

Le Seigneur notre Dieu nous a montré son amour par tant d’actes.

Comment pouvons-nous le contenter seulement avec des paroles ?

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91

9. Je le répète, pour atteindre ce but,

les fondations ne doivent pas reposer uniquement

sur la prière et la contemplation.

Si vous n’essayez pas de pratiquer les vertus,

vous resterez toujours des naines.

15. Le Seigneur ne regarde pas tant la grandeur des œuvres

que l’amour avec lequel nous les accomplissons.

Si nous faisons ce que nous pouvons,

le Seigneur Dieu nous aidera à faire davantage, chaque jour.

Offrons au Seigneur le sacrifice intérieur et extérieur

qui dépend de nous.

Le Seigneur Jésus l’unira

à celui qu'il a offert pour nous à son Père sur la croix.

II lui donnera la valeur que notre amour mérite,

même si nos œuvres sont petites.

Jésus

1. Quand j’ai commencé à écrire ce qui précède,

je n’étais pas très contente, comme je l’ai dit au début.

Maintenant que c’est terminé, j’éprouve une grande joie,

car la peine qu’il m’a donnée fut bien employée,

même si je reconnais que cette peine fut légère.

2. Bien sûr, vous ne pourrez pas entrer dans toutes les demeures

par vos propres forces,

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92

même si vous croyez qu’elles sont grandes.

C’est le Seigneur du château lui-même, qui peut vous y introduire.

3. Je parle seulement de sept demeures.

Pourtant, dans chacune d’elles, il y en a beaucoup : en bas, en haut,

sur les côtés, avec de jolis jardins, des fontaines,

et des choses délicieuses.

Aussi, vous souhaiterez passer votre vie

à chanter les louanges de ce grand Dieu.

Il a créé ce château à son image et à sa ressemblance.

Si vous trouvez quelque chose de bon dans cette description,

croyez vraiment que le Seigneur Dieu me l’a inspiré

pour vous donner de la joie.

Si vous trouvez quelque chose de mal, cela vient de moi.

5. Cet écrit fut achevé au monastère Saint Joseph d’Avila, en 1577,

la veille de saint André,

pour la gloire de Dieu qui vit et règne à jamais. Amen.

Le NOTRE PÈRE dans le CHEMIN DE PERFECTION

Le projet initial de rédiger le Chemin de Perfection ne provient pas d’une

proposition de Thérèse, mais d’un désir qui prend corps à l’intérieur du groupe des

jeunes carmélites du premier carmel de Saint Joseph qui échangent avec elle à

partir d’un thème lancé au cours des récréations communautaires. « Je me suis

donc décidée à leur obéir », écrit-elle dans le prologue pour leur dire quelque

chose sur l’oraison. Cet écrit deviendra le manuel d’une communauté chrétienne,

la pédagogie spirituelle pour ériger une communauté de femmes, de chrétiennes

et finalement de femmes de prière. L’originalité de Thérèse est d’insérer le Notre

Père dans le chemin de prière qu’elle partage à ses sœurs. La perfection, c’est le

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Père, et le Chemin qui y conduit, c’est Jésus. Ce voyage vers le Père, en compagnie

de Jésus réserve beaucoup de surprises, dont la principale est sans doute cette

descente dans les profondeurs du cœur humain, où Il demeure caché.

C 27

« Notre Père »

1. Notre Père qui êtes aux cieux,

ô mon Seigneur, on voit bien que vous êtes le Père d’un tel Fils

et on voit bien que votre Fils est le Fils d’un tel Père !

Soyez-en remercié pour toujours !

L’âme aurait raison de rentrer en elle-même,

de se recueillir pour s’élever davantage au-dessus d’elle-même.

Elle écouterait ce Fils béni,

Il lui ferait connaître où se trouve son Père

qui est aux cieux.

Quittons la terre, mes filles !

2. Fils de Dieu, ô mon Seigneur,

vous nous accordez vraiment beaucoup à la fois dès le premier mot !

Vous êtes tellement humble que nos demandes deviennent les vôtres.

Vous avez voulu devenir le frère de personnes sans valeur et misérables !

Quand vous demandez à votre Père de voir en nous ses enfants,

vous nous donnez en son nom tout ce qu’on peut donner

et votre parole se réalise toujours.

Vous obligez votre Père à l’accomplir, et ce n’est pas rien !

Il doit nous supporter puisqu'il est notre Père,

même quand nous agissons très mal !

Si nous revenons vers lui comme le fils perdu,

Il doit nous pardonner.

Il doit nous consoler dans nos peines,

il doit nous nourrir comme un tel Père sait le faire,

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car il est forcément meilleur que tous les pères de la terre.

On ne trouve en lui que le bien parfait,

et, en plus de tout cela,

Il doit nous faire participer à votre héritage de Fils.

4. Jésus veut ce que le Père veut

Ô Jésus, dans votre bonté, vous montrez clairement

que vous ne faites qu’un avec votre Père :

Votre volonté est la sienne, et sa volonté est la vôtre.

Vous le reconnaissez clairement, mon Seigneur !

Vous avez pour nous un immense amour !

5. Nous sommes les enfants de Dieu

Eh bien, mes filles, est-ce que Jésus ne vous semble pas un bon maître ?

Il veut nous attacher à ce qu’il nous enseigne

et, pour cela, il nous accorde d’abord une très grande faveur.

Alors, quand nous prononçons ces mots : « Notre Père »,

nous devons essayer de les comprendre avec notre intelligence,

et notre cœur doit être bouleversé devant un amour si grand.

Cela est normal, n’est-ce pas ?

Sur la terre, un fils cherche à connaître qui est son père,

surtout s’il sait que ce Père est bon,

plein de grandeur et de puissance.

Vous devez toutes être égales.

Voyez le groupe formé par le Christ.

Pierre n’était qu’un pêcheur,

et le Seigneur lui a donné plus de pouvoir

qu’à Barthélémy qui était fils de roi !

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Le Seigneur Dieu savait bien ce qui se passe dans le monde :

on discute pour savoir qui vient d’une famille plus ou moins noble.

C’est comme si on discutait de la qualité d’une terre

pour bâtir une maison en dur ou en terre battue !

Mon Dieu, quelle peine on se donne !

Que Dieu vous garde, mes sœurs, de discuter ainsi,

même pour plaisanter : il ne vous éloignera pas de lui,

si vous vous conduisez comme ses vraies filles.

Alors, faisons tout pour ne pas perdre un Père comme lui.

C 28

« Notre Père qui es aux cieux »

2. Dieu est aussi présent en nous

Vous savez que Dieu est partout.

Or, cela est clair :

quand le roi est dans un lieu,

on dit que les grands du pays s’y trouvent aussi.

Donc, là où est Dieu, là est le ciel.

Sans aucun doute, vous pouvez croire

que là où est le Seigneur Dieu, là aussi est toute la gloire.

Voyez ce que dit Saint Augustin :

il avait cherché Dieu en beaucoup d’endroits,

il l’a trouvé au centre de lui-même.

À votre avis, est-ce qu’il est peu important,

pour une personne facilement distraite,

de comprendre cette vérité ?

Oui, il est important pour elle

de voir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel

Page 96: Therese non stop (1)

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pour parler avec son Père éternel et se réjouir avec lui,

qu’elle n’a pas besoin de lui parler fort.

Même si elle parle très bas,

il est si près de nous qu’il entend.

Elle-même n’a pas besoin d’ailes pour aller le chercher

mais elle doit se mettre dans la solitude,

le regarder en elle-même,

ne pas s’étonner en découvrant un hôte aussi bon.

Elle doit lui parler avec grande humilité, comme à un Père,

le supplier comme un Père, lui raconter ses peines.

Elle doit comprendre en même temps qu’elle n’est pas digne d’être sa fille.

3. Supposons ceci :

le Roi du ciel et de la terre vient dans ma maison,

il vient me donner ses faveurs et se réjouir avec moi.

Et moi, par humilité, je ne veux pas lui répondre ni être avec lui.

Je refuse de recevoir ce qu’il me donne et je le laisse seul !

Et quand il m’invite à lui exprimer mes désirs et qu'il insiste,

je crois me montrer humble en restant dans ma pauvreté !

Et je l’oblige à repartir,

parce qu’il voit que je ne me décide pas à lui répondre !

Quelle belle humilité !

Mes filles, laissez de côté une humilité de ce genre.

Traitez avec Dieu comme avec un père,

comme avec un frère,

comme avec un seigneur,

comme avec un mari,

tantôt d’une manière, tantôt d’une autre.

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Il vous enseignera lui-même

Essayez, mes filles, de mériter de vous réjouir avec lui,

et de vous jeter dans ses bras.

Vous savez ce que vous devez faire pour lui plaire.

Ne soyez pas stupides, rappelez-lui sa parole :

puisqu’il est votre Bien-aimé,

demandez-lui de vous traiter comme sa bien-aimée.

5. Certaines personnes pourront ainsi se renfermer

dans le « petit ciel » de leur âme.

C’est Dieu qui l’a fait comme il a fait la terre,

et il habite là.

Elles prendront l’habitude de ne pas regarder au-dehors,

de ne pas rester là où les sensations extérieures peuvent distraire.

Celles-là suivront un excellent chemin, à mon avis.

Elles arriveront sûrement à boire l’eau de la source,

car elles font beaucoup de chemin en peu de temps

Elles ressemblent au voyageur qui monte sur un bateau.

Si le vent est un peu favorable,

il arrive en quelques jours au but de son voyage.

Mais ceux qui vont par la route mettent beaucoup plus longtemps.

9. Imaginons ceci :

en nous, il y a un palais d’une très grande richesse.

Tout le bâtiment est en or et en pierres précieuses,

enfin, il est digne d’un aussi grand Seigneur.

Et vous, mes sœurs, vous jouez vraiment un rôle

dans la beauté de cet édifice,

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car il n’y a pas de palais aussi beau

qu’une personne pure et pleine d’habitudes bonnes.

Plus ces habitudes sont solides,

plus les pierres précieuses du palais sont brillantes.

Et, dans ce palais, habite ce grand Roi

qui a bien voulu être votre Père.

Son trône est d’un très grand prix,

et c’est votre cœur.

Il y a en nous quelque chose de bien plus précieux

que ce que nous voyons au dehors

et cela ne peut pas se comparer.

Ne croyez pas que notre intérieur est vide.

11. Cependant, pour moi, cela a été obscur pendant un certain temps.

Je comprenais bien que j’avais une âme,

mais je ne comprenais pas ce qu’elle méritait,

ou quel est celui qui l’habitait.

Je me suis attachée à des choses de peu de valeur,

cela me rendait aveugle.

Je ne comprenais pas comme aujourd’hui

qu’un si grand Roi demeure dans le petit palais de mon âme.

Si je l’avais compris,

je ne l’aurais pas laissé seul si souvent, je crois,

je serais restée davantage avec lui,

j’aurais fait davantage attention pour que le palais soit moins sale.

Comme c’est admirable !

Celui qui remplirait des milliers de mondes de sa grandeur

s’enferme dans une si petite chose.

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C’est vrai, il est le Seigneur,

il apporte donc avec lui la liberté,

et, parce qu'il nous aime, il se fait petit comme nous.

12. Au commencement, l’âme peut être troublée : elle se voit trop petite

pour contenir en elle Celui qui est si grand.

Alors, le Seigneur ne se fait pas connaître à elle tout de suite.

Il la fait grandir peu à peu,

Il la prépare pour qu’elle puisse recevoir ce qu'il veut mettre en elle.

J’ai dit qu'il apporte avec lui la liberté,

car il peut agrandir ce palais.

L’essentiel pour nous c’est cela :

nous devons lui donner vraiment ce palais,

le débarrasser de tout le reste.

Ainsi, il pourra y mettre ou enlever ce qu’il veut, comme chez lui.

Le Seigneur Dieu a de bonnes raisons pour cela,

ne lui refusons rien.

Dieu ne force pas notre volonté,

Ii prend ce que nous lui donnons.

tant que nous ne sommes pas complètement livrées à lui.

Cela est sûr.

Cette vérité est très importante,

aussi je vous la répète très souvent.

Le Seigneur n’agit pas dans l’âme

avant qu’elle soit complètement débarrassée

et lui appartienne entièrement.

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C 29

2. Fixez vos yeux sur vous-même,

regardez à l’intérieur de vous-même, comme je l’ai dit,

vous y trouverez votre Maître,

il ne vous manquera jamais.

Plus les joies extérieures vous manqueront,

plus il vous donnera la joie intérieure.

4. Lorsqu’elle veut rentrer en elle-même,

dans ce paradis avec son Dieu,

elle ferme la porte à toutes les choses du monde.

Je dis lorsqu’elle veut.

En effet, comprenez bien ceci :

il ne s’agit pas d’une chose qui nous dépasse,

mais elle dépend de notre volonté,

et nous pouvons la réaliser, avec l’aide de Dieu.

Sans lui, nous ne pouvons rien,

nous ne sommes même pas capables d’une bonne pensée.

5. Au milieu de nos occupations habituelles,

il faut nous retirer en nous-mêmes.

Même s’il ne dure qu’un instant,

le souvenir de celui qui me tient compagnie,

à l’intérieur de moi-même,

me fait à lui seul beaucoup de bien.

Enfin, nous devons prendre l’habitude de goûter ce bonheur :

il n’y a pas besoin d’élever la voix

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pour parler au Seigneur Dieu,

car il nous fera sentir sa présence.

Si nous passions une heure à dire un seul « Notre Père »,

ce serait très bien.

Nous comprenons que nous sommes avec lui,

nous savons ce que nous lui demandons.

Nous sommes sûres qu’il désire nous accorder cela,

et qu’il est très heureux d’être avec nous, cela suffit.

Il n’aime pas que nous nous cassions la tête,

en lui parlant beaucoup.

8. Qu'il vous trouve prêtes alors, et près de lui.

Que le Seigneur nous accorde de ne jamais nous éloigner de sa présence ! Amen.

C 30

1. Mon Seigneur, vous ne pouviez donc pas

vous contenter d’une seule parole et dire :

« Donnez-nous, Père, ce qui nous convient. » ?

Cela suffisait, puisqu'il comprend tout très bien.

2. Mais vous savez qui nous sommes, mon Seigneur,

nous sommes loin d’obéir comme vous à la volonté de votre Père,

vous savez que nous avons besoin de préciser nos demandes.

Ainsi, nous voyons si nous demandons bien ce qui est bon pour nous.

Nous sommes faits ainsi :

quand nous ne recevons pas ce que nous voulons,

nous nous servons de notre liberté pour refuser ce que le Seigneur nous donne.

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Même quand il nous donne ce qu’il y a de meilleur,

si nous ne voyons pas tout de suite ces biens dans nos mains,

nous pensons que nous ne serons jamais riches.

4. Or Jésus, dans sa bonté, nous invite à dire ces mots

et à demander que le Royaume vienne en nous.

« Que votre Nom soit sanctifié, que votre règne vienne ».

Admirez maintenant, mes filles, la grande sagesse de notre Maître.

À mon avis, c’est le moment de bien comprendre

ce que nous demandons par ce Royaume.

Le Seigneur Dieu a vu ceci : nous sommes très faibles,

nous ne pouvons donc pas reconnaître qui il est,

ni chanter sa louange, ni reconnaître sa grandeur,

ni rendre gloire au Père Éternel de la manière qui convient.

Il faut pour cela que le Seigneur Dieu nous aide,

en nous donnant son Royaume dès ici-bas.

C’est pourquoi Jésus, dans sa bonté,

a placé ces deux demandes l’une à côté de l’autre.

5. Il me semble que le Royaume du ciel nous offre de grands biens,

parmi beaucoup d’autres :

les choses de la terre n’ont plus d’importance,

nous avons le calme et la gloire en nous-mêmes,

nous sommes joyeux de la joie de tous,

nous sommes toujours en paix.

Nous possédons un grand bonheur intérieur.

En effet, nous voyons que tous reconnaissent le Seigneur

et chantent sa louange.

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Ils rendent gloire à son Nom, et personne ne l’offense.

Tous ont de l’amour pour lui,

et l’âme elle-même ne peut faire autre chose que l’aimer.

6. En effet, il nous invite à lui faire cette demande très importante,

mais il ne dit pas de demander l’impossible.

Avec l’aide de Dieu,

celui qui vit sur la terre peut obtenir ce qu’il demande.

Sans doute, ce sera plus parfait

pour ceux qui sont déjà dans le ciel.

Oui, nous voyageons sur la mer, et nous sommes encore en chemin.

C 31

2. Prier de cette manière, c’est nous établir dans la paix,

ou plus exactement, c’est le Seigneur qui nous établit dans la paix

par sa présence.

En effet, notre intelligence, notre volonté, notre mémoire se calment.

Il a agi ainsi avec Siméon, l’homme juste.

La personne qui prie de cette manière comprend alors

qu’elle est déjà près de son Dieu.

Elle semble ne faire qu’un avec lui,

elle est presque totalement unie à lui.

Elle comprend cela bien autrement qu’avec ses yeux, ses oreilles

et ses autres sens extérieurs.

Cela ne veut pas dire que cette personne voit Dieu

avec les yeux de son corps ou de son âme.

Siméon, l’homme juste, ne le voyait pas non plus.

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Il voyait seulement Jésus,

un petit enfant pauvre plein de gloire.

En regardant ce qui le couvrait

et les rares personnes qui étaient avec lui,

il aurait pu le prendre pour un fils de pauvres,

et non pas pour le Fils de notre Père du ciel.

Mais l’Enfant lui-même s’est fait connaître à lui.

Quand la personne qui prie arrive à cette étape,

elle comprend, mais ce n’est pas aussi clair.

En effet, elle ne comprend pas encore

comment elle peut comprendre.

Elle sait seulement qu’elle se trouve dans le Royaume de Dieu,

ou du moins près du Roi qui va lui donner le Royaume.

Et elle est remplie d’un si grand respect qu’elle n’ose rien demander.

Elle ressemble à quelqu’un qui va bientôt arriver à la fin de son voyage.

Il se repose pour mieux continuer sa route

et alors, il aura deux fois plus de forces pour cela.

3. Dieu est l’unique nécessaire

La personne qui prie ainsi se sent bien physiquement,

et spirituellement, elle est très heureuse.

Le seul fait d’être près de la source lui cause un grand bonheur,

et elle n’a déjà plus soif.

Elle a l’air de ne plus rien avoir à désirer.

Son intelligence, sa volonté, sa mémoire sont au repos,

elles n’agissent pas, elles ne voudraient plus agir.

Tout semble la gêner et l’empêcher d’aimer.

Ces personnes passeront une heure à dire un « Notre Père ».

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Elles sont si proches de Dieu

que lui et elles se comprennent sans paroles.

Dans le palais, près de leur Roi,

elles voient qu'il commence à leur donner son Royaume.

Elles ne semblent plus être dans le monde,

elles ne veulent voir et entendre personne, sauf leur Dieu.

Rien ne les rend tristes,

et on dirait que rien ne peut les rendre tristes.

Enfin, elles sont heureuses et ressentent une joie profonde.

Pendant tout ce temps, elles sont totalement plongées en Dieu.

Aussi elles ne se souviennent pas

qu’elles ont encore quelque chose d’autre à désirer.

Elles ont plutôt envie de dire avec l’apôtre Pierre :

« Seigneur, dressons ici trois tentes » (Matthieu 17,4).

8. C’est la même chose entre un mari et une femme qui s’aiment :

chacun veut ce que l’autre veut.

Mais quand l’homme est mal marié,

on connaît les difficultés qu’il cause à sa femme.

9. Faites bien attention à cette comparaison

qui me semble très juste.

Ici, la personne qui prie est comme un enfant

que sa mère allaite.

Sa mère lui présente son sein,

et il n’a pas besoin de téter.

Elle fait couler le lait dans sa bouche pour le contenter.

De même, dans la prière paisible, notre volonté aime,

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et notre intelligence ne fait aucun effort.

Le Seigneur veut

que notre volonté comprenne qu’elle est unie à lui,

et pour cela elle n’a pas besoin de l’intelligence.

Elle doit seulement boire le lait

que le Seigneur Dieu lui donne

et goûter cette douceur.

10. Quand une personne est totalement unie à Dieu,

elle n’a même pas besoin d’avaler la nourriture.

Le Seigneur la met en elle, elle ne sait pas comment.

13. Mes sœurs, restez attentives

quand le Seigneur vous accordera ce bienfait.

Sinon, pensez que vous perdrez un grand trésor.

Et vous faites beaucoup plus

en disant de temps en temps une seule parole du « Notre Père »

qu’en le récitant souvent à toute vitesse.

Celui que vous priez est tout près de vous, il vous entendra sûrement.

Et croyez que c’est la vraie manière de le louer

et de le reconnaître comme Dieu.

En effet, vous faites alors partie de sa maison,

vous rendez gloire au Seigneur,

vous le louez en l’aimant et en le désirant davantage.

Et vous ne pourrez plus alors abandonner son service, je crois.

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C 32

« Que votre volonté soit faite »

1. Jésus, notre Maître, nous a appris dans sa bonté,

à demander quelque chose d’un grand prix.

Cette prière contient tout ce que nous pouvons demander sur la terre.

De plus, il nous fait l’immense faveur

de nous regarder comme des frères et sœurs.

Que veut-il que nous donnions à son Père ?

Qu’est-ce qu’il lui offre de notre part ?

Qu’est-ce qu'il nous demande ?

C’est ce que nous allons voir maintenant.

2. Dans votre bonté, vous avez bien fait, notre Maître,

de présenter cette demande.

En effet, quand la terre deviendra le ciel,

votre volonté pourra s’accomplir en moi.

C’est pourquoi, si nous refusons de faire réellement

ce qu’il a promis en notre nom,

il n’est pas normal de continuer à dire cette demande du « Notre Père ».

6. Gloire à votre nom pour toujours !

Je serais dans une belle situation, Seigneur,

si la réalisation de votre volonté dépendait de moi ou non !

Je vous offre librement la mienne, même si c’est par intérêt.

Après une longue expérience, oui, j’ai la preuve,

qu’il est intéressant pour moi

de faire exactement ce que vous voulez.

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6. N’ayez pas peur,

elle ne consistera pas à vous donner richesses, plaisirs, honneurs

ou encore toutes les choses de cette terre.

Il vous aime trop, il apprécie trop ce que vous lui donnez

et il veut vous payer généreusement.

En effet, il vous donne son Royaume dès cette vie.

7. À ceux qu’il aime plus, il donne plus,

à ceux qu'il aime moins, il donne moins.

Il tient compte du courage qu’il voit en chacun de nous

et de l’amour que nous avons envers lui, le Seigneur Dieu.

Il voit une chose :

une personne qui a beaucoup d’amour envers lui

peut souffrir beaucoup pour lui.

Celle qui a peu d’amour envers lui souffre peu.

À mon avis, les forces que nous avons

pour souffrir beaucoup ou peu

dépendent de l’amour que nous ressentons.

En effet, si vous ne lui donnez pas votre volonté,

vous êtes comme ceux qui montrent un bijou.

Ils font le geste de le donner,

ils demandent que les gens le prennent,

mais quand ceux-ci tendent la main pour le prendre,

ils retirent le bijou et le gardent solidement.

Donnons-lui une fois pour toutes ce bijou,

au lieu de lutter pour le garder.

C’est vrai, Dieu ne nous donne rien le premier,

pour que nous lui donnions notre volonté.

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Mais souvent, nous luttons pour ne pas donner notre bijou,

et de plus, nous le mettons dans la main du Seigneur

pour le reprendre.

9. Voici le but de tous les conseils que vous trouverez dans ce livre :

nous donner entièrement au Créateur,

lui remettre notre volonté et nous détacher des créatures.

Mais souvent, nous luttons pour ne pas donner notre bijou,

et de plus, nous le mettons dans la main du Seigneur

pour le reprendre.

Nous commençons par être généreuses,

ensuite nous sommes avares,

et il aurait peut-être mieux valu ne pas donner tout de suite.

10. Seigneur, que votre volonté s’accomplisse en moi

de toutes les manières que vous voulez, mon Seigneur.

Si vous voulez que ce soit dans les souffrances,

donnez-moi la force de souffrir.

Si c’est dans les persécutions et les maladies,

les insultes et les difficultés,

je suis prête, je ne détournerai pas mon visage, ô mon Père,

et il n’y a pas de raison que je tourne le dos.

Votre Fils vous a donné ma volonté avec celle de tous les humains.

Il ne serait donc pas normal de ne pas accepter ce qui arrive.

Mais je vous en prie, accordez-moi le Royaume

qu’il vous a demandé pour moi.

Alors je pourrai tenir ma promesse.

Et servez-vous de moi comme d’un bien qui vous appartient,

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selon votre volonté.

12. Quand l’âme se donne à lui,

non seulement il est uni à elle étroitement

et ne forme plus qu’une seule personne avec elle,

mais il met en elle toute sa joie.

et il lui découvre ses secrets.

Voici pourquoi elle est dans la joie :

elle comprend ce qu’elle a gagné,

elle reçoit une part de ce que le Seigneur veut lui donner.

Il la traite avec tant d’amitié qu’il lui rend sa volonté

tout en lui accordant la sienne.

En effet, dans une amitié si profonde,

le Seigneur aime quelquefois laisser cette personne

commander à son tour.

Il accomplit ce qu’elle lui demande,

comme elle-même accomplit ce que le Seigneur lui demande.

Il obéit bien mieux qu’elle, car il est puissant:

Il peut tout ce qu'il veut, et il ne cesse jamais de vouloir.

C 33

« Donne-nous aujourd’hui le pain de chaque jour »

1. En son nom et au nom de ses frères et sœurs, il a prié ainsi :

« Donnez-nous aujourd’hui, Père, notre pain de ce jour. »

Par amour pour Dieu, mes sœurs, comprenons

ce que notre Maître demande dans sa bonté.

Ne passons pas en courant sur ces paroles,

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notre vie en dépend.

Ce que vous avez donné, pensez que c’est très peu,

car vous avez beaucoup à recevoir.

Je le vois : cette prière est la seule

où il répète les mêmes paroles.

Il demande que le Père nous donne notre pain

de chaque jour, mais il insiste :

« Donnez-nous aujourd’hui... »

Il met aussi son Père en avant.

Voici ce que Jésus semble lui rappeler :

le Père nous a déjà donné son Fils une fois.

Ce Fils est mort pour nous,

et maintenant il nous appartient.

Le Père ne doit pas nous le reprendre,

mais nous le laisser jusqu’à la fin du monde.

Il doit lui permettre de servir chaque jour.

Avec quel trésor est-ce que nous pouvons acheter votre Fils ?

Pour le vendre, nous le savons,

il a fallu trente pièces d’argent.

Mais pour l’acheter, cela dépasse tous les prix.

Il est une seule personne avec nous, du point de vue humain,

puisqu'il est devenu un homme comme nous.

Il est maître de sa volonté.

Il rappelle donc à son Père

qu'il peut nous donner la sienne, car elle nous appartient.

Il dit alors : « notre pain ».

Il ne fait pas de différence entre lui et nous.

C’est nous qui la faisons, en ne nous donnant pas chaque jour au Seigneur Dieu.

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C 34

1. À mon avis, quand nous demandons « notre pain de ce jour »,

nous le demandons « pour toujours ».

Je me suis posé cette question : pourquoi, après avoir dit « de ce jour »,

le Seigneur Jésus insiste-t-il en disant :

« Donnez-le nous aujourd’hui, Père ? »

2. Quand le Seigneur Jésus dit « aujourd’hui », je crois qu’il parle d’un jour,

c’est-à-dire de la durée du monde,

car le monde ne dure vraiment qu’un jour.

Et Jésus dit à son Père : « Puisqu’il s’agit seulement d’un jour,

laissez-moi vivre ce temps comme un serviteur ».

Le Seigneur Dieu nous a donné son Fils,

et il l’a envoyé dans le monde par sa seule volonté.

Et maintenant, le Fils lui-même ne veut pas nous abandonner.

Il veut rester ici avec nous,

pour le plus grand honneur de ses amis et la honte de ses ennemis.

Maintenant, il demande encore au Père

de nous donner ce pain sacré, aujourd’hui.

Le Seigneur Dieu nous a donné cette nourriture,

cette manne des êtres humains,

que le Corps du Christ est pour nous.

Il nous l’a donnée pour toujours, nous en sommes sûrs.

3. C’est vrai, le fait qu'il soit caché sous les apparences du pain et du vin

peut diminuer un bonheur si grand.

C’est même une grande souffrance pour les personnes

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qui n’ont pas d’autre amour ni d’autre consolation.

4. Ne cherchez pas avec inquiétude une autre nourriture,

vous qui faites totalement confiance à Dieu.

5. Vous êtes comme le serviteur auprès de son maître,

il cherche à le contenter en tout.

Et le maître doit donner à manger au serviteur

pendant que celui-ci est chez lui et qu’il le sert.

C’est son devoir, même s’il est très pauvre,

et n’a rien pour lui-même ni pour son serviteur.

Ce n’est pas le cas ici.

Notre maître sera toujours riche et puissant.

Il ne serait donc pas bien

que le serviteur demande à manger.

Il le sait : son maître est attentif et continuera à le nourrir.

Avec raison, il dira à son serviteur :

« Efforce-toi de me servir et de me contenter.

Quand tu t’inquiètes pour des choses qui ne te regardent pas,

tu fais tout de travers ».

Alors, mes sœurs, celui qui veut ce pain-là,

qu’il le demande.

Mais nous, demandons à Dieu, le Père éternel,

de mériter recevoir notre Pain venu du ciel.

Maintenant, Jésus est caché,

et les yeux de notre corps ne peuvent connaître la joie de le contempler.

Qu’il se découvre à notre cœur et qu’il se fasse connaître à lui !

C’est là une autre nourriture pleine de joie, délicieuse, et qui nous fait vivre.

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12. Quand vous venez de recevoir le Seigneur,

vous l’avez en personne devant vous.

Alors, essayez de fermer les yeux, ouvrez votre cœur

et regardez en vous-même.

C 36

« Pardonne-nous… »

Attention, mes sœurs !

Il ne dit pas : comme nous pardonnerons.

Nous devons comprendre cela :

celui qui demande un don aussi grand, le pardon de ses fautes,

et qui a déjà remis sa volonté à celle de Dieu,

doit avoir déjà pardonné.

C’est pourquoi il dit : comme nous pardonnons.

Celui qui a dit sincèrement au Seigneur cette parole :

« Que votre volonté soit faite »,

doit avoir déjà tout pardonné, ou du moins, y être bien décidé.

C 37

2. Je me suis demandé une chose :

le Seigneur Dieu n’a pas expliqué ces choses si élevées et si obscures

de manière à ce que nous les comprenions tous.

Pourquoi donc ?

Je pense que le Seigneur a laissé cette prière un peu obscure,

parce qu’elle doit être pour tous.

Ainsi, chacun peut demander ce qui lui convient

et y trouver un soutien.

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3. Considérez que ces deux choses,

donner à Dieu notre volonté et pardonner,

sont les mêmes pour tout le monde.

On peut le faire plus ou moins, comme je l’ai dit, c’est vrai.

Les personnes parfaites abandonneront leur volonté parfaitement

et elles pardonneront avec la perfection que j’ai dite.

Nous, mes sœurs, nous ferons ce que nous pourrons.

Le Seigneur reçoit tout ce qu’on lui donne.

On dirait qu’il a passé, en notre nom,

une sorte de contrat avec son Père éternel.

C’est comme s'il avait dit :

« Vous, Seigneur, faites ceci, et mes frères et sœurs feront cela ».

Il ne manquera pas à sa parole, c’est sûr.

Oh ! Oh ! Il est très bon payeur et il paie très largement.

C 39

« Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal ! »

6. Donc, Père éternel, nous ne pouvons faire qu’une seule chose :

demander votre secours. (…)

Seigneur, dites-nous une parole pour que nous nous comprenions nous-mêmes

et que nous soyons rassurées.

Vous le savez bien :

ceux qui marchent sur ce chemin de l’oraison ne sont pas nombreux.

S’ils doivent y marcher en ayant peur de tant de choses,

ils seront encore plus rares.

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C 40

1. Notre bon Maître, donnez-nous quelque moyen

de vivre sans trop de secousses

au milieu des combats.

Nous pouvons avoir ce moyen, mes filles.

Le Seigneur Dieu nous l’a donné :

c’est « l’amour et le respect confiant ».

L’amour nous fera avancer rapidement,

le respect confiant nous fera avancer

en regardant où nous posons les pieds,

pour ne pas tomber sur le chemin.

Nous tous qui vivons sur la terre,

nous trouvons tant d’obstacles sur ce chemin !

Ainsi, nous serons bien sûres que personne ne nous trompera.

8. Que le Seigneur Dieu nous donne cet amour

avant de nous retirer de cette vie.

Car ce sera une grande chose à l’heure de la mort,

de voir ceci :

nous allons être jugées par Celui que nous aurons aimé plus que tout.

Nous ne partirons pas vers une terre étrangère,

mais nous rentrerons chez nous.

En effet, c’est la demeure de celui que nous aimons tant et qui nous aime.

C 41

1. J’ai été très longue !

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Et pourtant, je l’ai été moins que je l’aurais voulu :

j’ai tant de bonheur à parler d’un tel amour !

Que sera le bonheur de le posséder ?

Que le Seigneur me le donne, parce qu’il est le Seigneur.

C 42

« Délivre-nous du mal ! »

À mon avis,

Jésus avait de bonnes raisons de faire cette demande pour lui-même.

En effet, nous le voyons bien fatigué de cette vie,

quand pendant la Cène il dit à ses apôtres :

« J’ai désiré d’un grand désir prendre ce repas avec vous. »

On voit donc combien il doit être fatigué de vivre.

Et aujourd’hui, ceux qui ont cent ans,

ne sont pas fatigués de vivre,

et ils désirent seulement vivre plus longtemps.

Il est vrai que notre vie n’est pas aussi dure,

nous avons moins de peines

et nous sommes moins pauvres que Jésus.

Sa vie entière n’a été qu’une mort continuelle.

Il avait toujours devant les yeux

cette mort si cruelle qu’on allait lui faire subir !

Et c’était la plus petite de ses douleurs.

En effet, il voyait tant d’offenses faites à son Père,

une foule de personnes en train de se perdre.

Sur terre, c’est un grand tourment pour une personne remplie de charité.

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Mais pour ce Seigneur qui est la charité,

sans bornes et sans mesure,

c’était une souffrance bien plus profonde.

Il a donc tout à fait raison de demander à son Père

de le délivrer de tant de maux et de peines,

de lui accorder le repos pour toujours dans son Royaume.

En effet, le véritable héritier de ce Royaume, c’est lui.

Amen ! Cet amen achève toutes les demandes du Notre Père.

Je le comprends de cette manière :

puisque tout se termine avec lui,

le Seigneur demande que nous soyons délivrés de tout mal,

pour toujours.

Je supplie donc le Seigneur

de me délivrer de tout mal, pour toujours. (…)

Oh ! mon Seigneur et mon Dieu,

libérez-moi enfin de tout mal,

et conduisez-moi là où sont tous les biens !

5. Voyez, mes sœurs,

comment le Seigneur m’a déchargée de mon travail :

Il nous a montré, à vous et à moi,

ce chemin que j’ai commencé à vous décrire.

Il m’a fait comprendre les grandes choses que nous demandons

dans cette prière de l’Évangile.

Merci à lui pour toujours !

Non, je ne pensais pas du tout qu’elle renfermait de si grands secrets.

Vous avez pu voir qu’elle contient tout le chemin de la vie spirituelle,

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depuis le commencement,

jusqu’au moment où Dieu saisit la personne tout entière.

Alors, il la fait boire en abondance

à cette source d’eau pleine de vie qui se trouve au bout du chemin.

À mon avis, mes sœurs,

le Seigneur a voulu nous faire comprendre

le grand réconfort qui est contenu dans cette prière.

Elle est très utile pour les personnes qui ne savent pas lire.

Si elles comprennent bien une telle prière,

elles peuvent y trouver beaucoup de vérités et de réconfort.

7. Merci et louange au Seigneur.

Car tout le bien que nous pouvons dire, penser, ou faire,

c’est lui qui nous le donne. Amen.

Poème de Thérèse

Âme, cherche-toi en Moi

Âme, cherche-toi en Moi,

Et Moi, cherche-Moi en toi.

L’amour a si bien réussi,

Âme, à te reproduire en Moi,

Que même le plus grand peintre

Ne saurait, avec autant d’art,

Dessiner une telle image.

Par l’amour, tu fus créée,

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Belle, très belle, et c’est pourquoi

Peinte dans mes entrailles,

Si tu te perdais, mon aimée,

Tu devrais te chercher en Moi.

Car je sais que tu trouveras

Au fond de mon cœur ton portrait,

Peint de façon si ressemblante

Que, te voyant, tu te réjouiras

De te voir si bellement peinte.

Si, par hasard, tu ne savais

En quel endroit me trouver, Moi.

Ne t’en va pas de-ci, de-là,

Mais si tu veux me trouver,

Cherche-toi en Moi.

Puisque tu es mon logis,

Tu es ma maison, ma demeure,

Aussi j’appelle à tout instant,

Si je trouve fermée

La porte de ta pensée.

Hors de toi, ne me cherche pas,

Parce que, pour me trouver, Moi,

Il suffit que tu m’appelles ;

Et à toi j’irai sans tarder,

Et Moi, cherche-Moi en toi.

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Alma, buscarte has en Mí

Alma, buscarte has en Mí,

Y a Mí buscarme has en ti.

De tal suerte pudo amor,

Alma, en Mí te retratar,

Que ningún sabio pintor

Supiera con tal primor

Tal imagen estampar.

Fuiste por amor criada

Hermosa, bella, y así,

En mis entrañas pintada,

Si te perdieres, mi amada,

Alma, buscarte has en Mí.

Que yo sé que te hallarás

En mi pecho retratada,

Y tan al vivo sacada,

Que si te ves te holgarás,

Viéndote tan bien pintada.

Y si acaso no supieres

Dónde me hallarás a Mí,

No andes de aquí para allí,

Sino, si hallarme quisieres,

A Mí buscarme has en ti.

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Porque tú eres mi aposento,

Eres mi casa y morada,

y así llamo en cualquier tiempo,

si hallo en tu pensamiento

estar la puerta cerrada.

Fuera de ti non hay buscarme,

Porque para hallarme a Mí,

Bastará sólo llamarme,

Que a ti iré sin tardarme

Y a Mí buscarme has en ti.

Fait à Bruxelles par la « famille thérésienne » :

Les carmélites de St Joseph Le Carmel

rue Philomène, 29 rue de Lausanne, 22

B-1030 BRUXELLES B-1060 BRUXELLES

L’Institution Thérésienne

Boulevard Lambermont, 262 B-1030 Bruxelles

2 février 2015

Fête de la Vie Consacrée

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CONSEILS D’UTILISATION

Les numéros des paragraphes correspondent à la numérotation officielle des œuvres

complètes de Thérèse d’Avila.

Au niveau de la présentation du texte, l’utilisation de diverses traductions entraîne

des différences dans la mise en page.