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L’Atelier de Cartographie La recherche en biodiversité 1 LA RECHERCHE EN BIODIVERSITE : ANALYSE ET EXPLORATION CARTOGRAPHIQUE DE LA BASE DE DONNES NATIONALE DES ACTEURS, STRUCTURES ET PROJETS DE RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITE Le siège de la F.B.B. à Paris (musée océanographique). Les trois textes suivants sont issus du blog http://ateliercartographie.wordpress.com et ont été publiés en février 2011. Il s’agit de posts de synthèse sur le travail d’analyse et de cartographie des informations contenues dans la Base de Données de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB). J’ai mené ce travail en coopération avec Cédric Chavériat (que j’ai eu le plaisir d’accueillir en formation de cartographie de l’information, le responsable de la base), Flora Pelegrin (responsable du pôle Stratégie et Animation Scientifiques), Fatima Fadil (chargée de mission portail et interfaces web) et Xavier Le Roux (directeur de la FRB). Ces trois posts contribuent à éclairer la démarche et la méthode qui aboutit aux cartes présentes dans le rapport officiel de la Fondation et publiquement accessible (http://www.fondationbiodiversite.fr/publications/rapports-et-expertises#bdd). Loin d’être achevée, cette expérience exploratoire de grandes masses de données mérite d’être poursuivie. Franck GHITALLA.

La recherche en biodiversite

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L’Atelier de Cartographie La recherche en biodiversité

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LA RECHERCHE EN BIODIVERSITE : ANALYSE ET EXPLORATI ON CARTOGRAPHIQUE DE LA BASE DE DONNES NATIONALE DES ACTEURS, STRUCTURES ET PROJETS DE RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITE

Le siège de la F.B.B. à Paris (musée océanographiqu e).

Les trois textes suivants sont issus du blog http://ateliercartographie.wordpress.com et ont été publiés en février 2011. Il s’agit de posts de synthèse sur le travail d’analyse et de cartographie des informations contenues dans la Base de Données de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB). J’ai mené ce travail en coopération avec Cédric Chavériat (que j’ai eu le plaisir d’accueillir en formation de cartographie de l’information, le responsable de la base), Flora Pelegrin (responsable du pôle Stratégie et Animation Scientifiques), Fatima Fadil (chargée de mission portail et interfaces web) et Xavier Le Roux (directeur de la FRB). Ces trois posts contribuent à éclairer la démarche et la méthode qui aboutit aux cartes présentes dans le rapport officiel de la Fondation et publiquement accessible (http://www.fondationbiodiversite.fr/publications/rapports-et-expertises#bdd). Loin d’être achevée, cette expérience exploratoire de grandes masses de données mérite d’être poursuivie.

Franck GHITALLA.

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La recherche en biodiversité : exploration cartogra phique d’une communauté d’acteurs (première partie)

La Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (1) (FRB) vient de rendre public son rapport sur la

« Base de Données Nationale des acteurs, structures et projets de recherche sur la biodiversité ».

J’en suis corédacteur à titre de « cartographe » en association étroite avec Cédric Chavériat (que j’ai

eu le plaisir d’accueillir en formation de cartographie de l’information, le responsable de la base), Flora

Pelegrin (responsable du pôle Stratégie et Animation Scientifiques), Fatima Fadil (chargée de

mission portail et interfaces web) et Xavier Le Roux (directeur de la FRB). Ce rapport est le résultat

d’un long travail d’analyse et de mise au format des données que gère la FRB depuis 2009 et le

déploiement public de la BDD constituent l’une des missions de la fondation.

Le territoire numérique que nous avons exploré et analysé est vaste et complexe : la BDD contient à

ce jour des informations sur plus de 4300 chercheurs français et 1200 étrangers qui publient dans des

journaux internationaux à comité de lecture et/ou participent à des projets de recherche financés sur

appels à projets compétitifs. Elle contient aussi des renseignements sur 342 laboratoires de recherche

français participant plus ou moins directement à la recherche sur la biodiversité, et 308 projets de

recherche financés depuis 2005 sur ce thème. Néanmoins, comme je l’espérai depuis le début de ce

partenariat avec la FRB, les cartographies ont contribué de façon significative à l’étude de questions

complexes pour un champ de recherches très pluridisciplinaire où le chimiste croise l’éthologue ou le

biologiste dans l’étude de biotopes qui s’étendent depuis les fonds marins, les milieux aquatiques

continentaux, les zones cultivées jusqu’aux déserts, sous l’angle de l’histoire comme de la génétique.

1 http://www.fondationbiodiversite.fr/

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Quels sont donc leurs principaux objets et écosystèmes étudiés ? Comment les différentes disciplines

sont représentées au sein d’une telle communauté ? Comment s’organisent les réseaux de

collaborations entre laboratoires de recherche, entre acteurs individuels, ou entre disciplines au sein

d’une telle communauté et pourquoi ? Comme le souligne le rapport « Au fil de ce rapport se dessine

la géographie d’une communauté de recherche pluridisciplinaire, travaillant sur une large gamme

d’enjeux, et dont l’ampleur était jusqu’ici méconnue ». Et la troisième partie du rapport, intitulée «

Analyse des réseaux de collaborations » et où se concentrent les cartographies (au sens où je

l’entends dans l’Atelier), constitue, à ma connaissance, une contribution inédite pour un rapport

d’activité officiel dans l’analyse des données archivées par une grande institution de recherche.

La production cartographique. Le travail cartographique réalisé pour la FRB s’est déroulé sur plus

d’un an et a permis de capitaliser de nombreuses informations importantes dans la perspective d’un

déploiement de la méthode et des outils sur d’autres données ou d’autres bases (notamment dans les

organismes de recherche). J’ai notamment pu vérifier à quel point le déploiement d’un projet

cartographique d’ampleur dans une organisation entraîne un coût en termes d’investissement humain

: formation des acteurs, temps consacré au projet, difficultés techniques à surmonter. En particulier, il

apparaît indéniablement que les croisements des différentes dimensions de l’information dans une

BDD nécessaires à la production de cartographies multiples (et il en irait de même si les cartographies

avaient été produites à partir d’un fichier Excel avec ses lignes et ses colonnes) constitue un test

qualité de grande ampleur pour le système d’information interne à une organisation. C’est à mon

sens, un exemple frappant du statut des « SI » aujourd’hui, utilisés souvent pour archiver des

données et que l’on mobilise pour sortir deux ou trois fois dans l’année pour extraire des statistiques

générales et approximatives ou encore pour produire un tableau de données synthétique sur les

projets « en cours ». L’application d’une « couche cartographique » ne va pas de soi et, en tout état

de cause, ne supporte ni l’approximation des informations (par exemple la façon de labelliser des

objets ou de noter des affiliations) ni les « manques » ou les « trous ». Cela est vrai techniquement

(par exemple dans les dates associées aux données puisqu’il est possible de produire des vues

temporelles avec GEPHI) mais aussi et surtout en termes de communication publique : des acteurs,

des laboratoires ou des entités peuvent soit absentes de la carte soit présentes plusieurs fois parce

que les informations contenues dans le SI sont défaillantes et le regard des experts ou des acteurs

peut être sévère sur la carte quand elle contient trop d’approximations. Avec les « coupes

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transversales » qu’exercent les structures de graphes sur les BDD (comme une série de contrôles),

on aperçoit rapidement le niveau qualitatif des informations archivées et, au-delà, les capacités d’une

organisation à mobiliser son « système d’information » pour des applications externes.

C’est tout l’avantage, comme à la FRB, de placer la gestion de la BDD sous la responsabilité

d’acteurs ou de services tournés vers l’animation scientifique, la communication publique ou la gestion

des interfaces web, autrement dit dans des « lieux » ou des « fonctions » d’une organisation orientés

vers les usages et les services. Les travaux cartographiques qui y ont été déployés ont été couplés

dès le départ à des questions d’épistémologie des disciplines, de nature des réseaux de

collaborations entre laboratoires ou d’agrégation de compétences chez les chercheurs autour de

certaines problématiques. Les cartographies contenues dans le rapport ne constituent qu’une partie

seulement de la production. Elles témoignent cependant de la capacité de la Fondation de la

Recherche sur la Biodiversité à déployer maintenant sur ses propres données un système continu

d’observation, un observatoire effectif et régulier de ses propres archives qui lui permet ainsi de

monitorer les différentes dimensions de la recherche en biodiversité.

Les dimensions de l’information . Ce sont ces différentes dimensions de l’information contenues

dans la structure de données que le travail cartographique a pour objectif de traiter en les croisant. La

méthode déployée est celle de VisIR (2) en privilégiant notamment l’analyse des projets labellisés

et/ou financés par la fondation. Le modèle d’analyse utilisé permet de décrire le paysage de la

recherche en biodiversité en termes de structures (unités mixtes ou propres, institutions

administratives de rattachement, etc.), d’acteurs individuels (notamment parce qu’une partie

significative des informations présentes dans la base proviennent des fiches de renseignement

remplies par les chercheurs eux-mêmes), de thématiques (mots-clés notamment), de disciplines

scientifiques (distribuées sur deux niveaux de hiérarchie et que le dispositif cartographique à inciter à

fixer et à éclaircir), de localisation géographique des acteurs et des structures, d’objets d’étude

(terrains d’étude, taxons et écosystèmes étudiés).

2 http://www.slideshare.net/Ghitalla/cartographier-un-ple-de-comptitivit

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A partir de là, le travail de croisement peut commencer selon une procédure réglée et dont la

fondation a développé toute la connectique logicielle à titre pérenne :

Nous n’avons pas procédé à tous les croisements possibles, bien qu’ils soient nombreux étant donnée

la richesse des dimensions des données. En détail, le tableau suivant donne une idée du nombre de «

photographies » déployables sur le système continu de production de données qu’est la base de la

FRB :

Laboratoires et structures de recherche. On lira dans le rapport les analyses qu’en tire la FRB sur

le paysage de la recherche en biodiversité, notamment sur la richesse du réseau de collaborations

entre disciplines comme entre structures de recherche. En particulier, il s’agissait d’évaluer le degré

de coopération inter-régionale entre structures de recherche impliquées dans la participation

commune à des projets financés. La carte, évidemment, est anonymisée car il n’est pas question de

classer les institutions ou les laboratoires mais de visualiser de façon synthétique le tissu de

collaborations qui s’est construit en plusieurs appels à projets successifs depuis 2005.

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Quand elle intègre toutes les informations de la base, cette carte peut être mobilisée pour favoriser la

mise en réseaux des acteurs et permettre la mise à disposition de la communauté scientifique un outil

d’aide au montage de partenariats de recherche. En particulier, elle peut constituer un élément

important pour améliorer la mobilisation de l’expertise dans le domaine de la biodiversité, pour i)

répondre aux besoins des organisations nationales et internationales à l’interface sciences/sociétés

ou sciences/politiques (ipBes, IUCN, ministères, etc.), et ii) disposer d’un outil pour identifier des

experts dans le cadre de la gestion d’appels à projets. La vue produite correspond à une cartographie

type « réseaux sociaux » mais d’autres sont possibles à partir du même jeu de données (b :

géoréférencement des laboratoires et structures et vue circulaire associée, c : autre spatialisation

mais avec des calculs de « centralité » pour analyser les laboratoires ou structures jouant un rôle clé

en termes de partenariats scientifiques) :

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Au-delà des laboratoires et structures reliés entre eux par la participation commune à des projets

labellisés, se dessinent deux grands ensembles de données : les réseaux d’acteurs et de chercheurs

(reliés entre eux par des mots-clés ou des thématiques de recherche en partie communes) et la

“géographie” des disciplines dans laquelle prennent place les projets scientifiques et la recherche en

biodiversité.

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La recherche en biodiversité : des acteurs, des pro jets et des thématiques (deuxième partie)

L’analyse des réseaux d’acteurs a constitué un terrain riche de données dans l’exploration de la Base

de la FRB. Il s’est agi d’un chantier stratégique car on touche là à l’une des missions essentielles de la

Fondation : la construction de projets de recherche communs entre chercheurs issus d’institutions

différentes et inscrits dans des laboratoires différents, dans un démarche interdisciplinaire de

mutualisation des moyens et des résultats et dans une perspective de co-construction avec les

acteurs de la société civile. A ce titre, le travail de longue haleine de la Fondation pour la Recherche

sur la Biodiversité ne laisse pas de me fasciner dans un paysage de la recherche académique

découpée verticalement en disciplines, laboratoires, institutions et/ou universités aujourd’hui

autonomes et jalouses de leurs spécificités et de leurs moyens humains et financiers. C’est en

explorant les relations que les acteurs entretiennent au niveau individuel que se mesure au mieux la

recherche sur la biodiversité comme l’agrégation d’une communauté : plus encore que les disciplines

ou les laboratoires, les connexions inter-personnelles constituent un marqueur (ou un niveau de

« granularité ») pertinent pour comprendre la géographie sociale qui gouverne l’émergence d’un

champ de recherche.

Les données contenues dans la base auraient pu être mobilisées pour tenter, une énième fois,

d’évaluer « l’excellence » scientifique des acteurs. Au contraire, dès le départ, l’étude s’est orientée

vers la recherche de ces indicateurs qui permettent de comprendre comment les connaissances sur la

biodiversité sont une production collective issue d’un vaste réseau d’acteurs coopérants, qui

s’agrègent autour d’objets d’étude comme les écosystèmes plus que par distribution en disciplines ou

en laboratoires. Pour y arriver, Cédric Chavériat, à la Fondation, a développé toute cette connectique

nécessaire à la circulation de l’information depuis la BDD jusqu’aux structures de graphes de façon

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pérenne, et donc jusqu’aux nombreuses cartographies produites. Dans un premier temps, il a fallu

« transformer les liens acteur-projet en liens acteur-acteur, en considérant que la participation de

différents acteurs à un même projet génère des liens entre tous ces acteurs » comme le précise le

rapport. Les liens entre acteurs ont été enrichis ensuite en fonction du nombre de projets communs et,

enfin, différents processus de traitement de l’information liée aux acteurs dans le BDD (profil,

disciplines, mots-clés associés, terrain de recherche…) ont été mis en place pour faire varier la

structure de graphe en fonction de différents paramètres. Toute cette connectique BDD-FRB / GEPHI

a permis, par exemple, de colorer les nœuds ou de faire varier leur taille en fonction de paramètre

comme la présence de mots-clés commun dans les domaines de recherche ou des projets auxquels

sont associés les acteurs.

Les graphes acteurs-acteurs (reliés les projets) ont été les premiers à être produits : ils comprennent

1655 individus différents participant à 185 projets (issus de plusieurs Appels A Projets, AAP) pour

lesquels les consortia sont connus et renseignés dans la base. Hormis quelques groupes isolés du

reste de la structure générale, la grande majorité des acteurs sont connectés entre eux, de proche en

proche, dans une géographie très clutérisée (et habituelle en matière de cartographie des sciences,

qu’il s’agisse d’articles ou de revues). La recherche en biodiversité apparaît donc constituée comme

un continuum de « noyaux denses de compétences ». Bien qu’anonymisés dans le rapport, les

graphes laissent apercevoir le rôle important que jouent certains individus à l’articulation de plusieurs

clusters et dont le rôle est capital pour assurer à cet espace son unité comme le montre la vue

centrale de l’exemple plus haut où ils apparaissent sous forme de nœuds rouge dont la grosseur varie

en fonction de leur score de « centralité ». A droite, la vue ne laisse apparaître en rouge (rôle de

premier plan) et en vert (rôle de second plan) que les acteurs en position centrale participant à

plusieurs projets et ayant des thématiques de recherche complémentaires mais différentes.

Ces graphes, typiques des réseaux sociaux, ont servi de base à l’étude des autres dimensions de

l’information contenues dans la base. La FRB fournit régulièrement un travail conséquent de remise à

jour des données en les enrichissant systématiquement : la Fondation dispose ainsi de profils

« acteurs » à jour et, donc, d’un puissant outil d’analyse qui peut servir maintenant d’aide à la

mobilisation d’experts et à la formation de consortiums de recherche. En particulier, le croisement de

différentes sources d’information constitue un moteur essentiel de renseignement des informations

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(alors mobilisable pour enrichir les capacités descriptives des nœuds du graphe). En dehors des

projets dépendant des Appels à Projets (AAP) gérés par la FRB, quatre autres sources d’information

sont utilisées à ce jour par la Fondation pour l’enrichissement des informations « acteurs » :

Les organismes français de recherche membres fondat eurs de la FRB. Fin 2010 ces organismes

(BRGM, Cemagref, CIRAD, CNRS, Ifremer, INRA, IRD, MNHN) ont transmis à la FRB des listes

d’acteurs relevant de leur organisme et qu’ils considéraient comme pertinents pour la base de

données nationale. Parmi les acteurs identifiés, 2099 acteurs n’étaient pas déjà présents dans la

base. La validation de ces acteurs supplémentaires, par recherche bibliographique, est en cours.

Des recherches internet. L’équipe FRB peut incorporer des acteurs dans la base de données après

recherche sur internet et identification de laboratoires ou d’équipes de recherche dans le domaine de

la biodiversité, suivi d’un processus de validation par recherche bibliographique.

Des recherches bibliographiques. Ceci permet de valider si un acteur ne faisant pas partie d’un

projet de recherche biodiversité et pré-identifié par un organisme de recherche ou la FRB est à

prendre en compte ou non dans la base, en fonction de publications qu’il a ou pas sur le thème

biodiversité (depuis 2005). Les acteurs peuvent aussi être directement identifiés par recherche

bibliographique. L’établissement d’un profil bibliographique étant particulièrement laborieux pour

l’ensemble du champ biodiversité, cette approche n’est réalisée à ce stade que pour des thèmes

particuliers (par exemple celui des scénarios de la biodiversité, en cours).

Enquête auprès des chercheurs. Chaque personne dont les informations sont entrées dans la base

de données est ensuite contactée par mail pour l’informer que nous stockons des informations la

concernant et lui permettre de faire valoir son droit d’accès, de rectification ou d’opposition,

conformément à la loi informatique et libertés de 1978. L’acteur peut compléter et corriger les

informations le concernant, ou signaler des modifications à effectuer sur les structures ou projets qui

lui sont rattachés. Il peut aussi quantifier la part de la biodiversité dans ses travaux de recherche. Il

peut enfin donner les autorisations d’utilisations de la totalité ou d’une partie des données le

concernant.

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L’ensemble de ces informations vient donc nourrir, in fine, les graphes d’acteurs. On peut ainsi croiser

les graphes acteurs-acteurs (reliés par les projets) à des batteries de mots-clés significatifs décrivant

soit le champ disciplinaire auxquels appartiennent les acteurs, soit les thématiques abordées dans les

projets, soit encore les objets, les terrains sur lesquels ils travaillent de concert. Parmi toutes ces

variables, plusieurs ont été testées et l’une s’est révélée particulièrement intéressante : la

« géographie » des écosystèmes sur lesquels travaillent les acteurs.

En termes descriptifs, cette carte est d’une autre nature que celle des laboratoires, souvent de

grosses structures à fort effectifs rassemblant des chercheurs travaillant sur des thèmes qui peuvent

être très différents (sans parler, comme je l’ai maintes fois expérimenté auparavant, du fait que les

cartographies de laboratoires qui reposent par exemple sur les informations contenus dans leurs sites

web ou les documents officiels qu’ils produisent me semblent assez artificiels et généraux, souvent

tournés vers des objectifs de communication institutionnelle). La carte acteurs-écosystèmes révèle au

contraire un vaste réseau d’affinités thématiques qui transcende aussi bien les appartenances

institutionnelles que disciplinaires : des clusters d’acteurs (vers la gauche de la carte) travaillent sur la

biodiversité marine (les mots clés vont de la « haute mer » aux «estuaires », et incluent aussi « socio-

écosystème», traduisant sans doute l’historique de l’approche écosystémique utilisée dans la

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communauté marine) tandis que les mots clés « récif corallien » et « Île» sont localisés ensemble à

proximité du cluster marin, mais pas en son sein, traduisant une spécificité partielle des acteurs

travaillant sur ces milieux. Des clusters d’acteurs (vers le bas de la carte) travaillent sur la biodiversité

des eaux douces (les mots clés sont ici « rivière», «dulçaquicole», ou « hydrosystème») tandis que

d’autres acteurs (vers le centre de la carte) sur les « zones urbaines », les « sites pollués » ou les «

friches industrielles », bien qu’il soit difficile d’identifier un cluster précis pour ces acteurs. Dans la

partie haute de la carte, des clusters d’acteurs travaillent sur différents types d’écosystèmes terrestres

(forêt tropicale, forêt tempérée, prairie, montagne, agro-écosystème…), dans une déclinaison

systématique des biotopes placés aujourd’hui sous l’observation des scientifiques. Il me semble

évident aujourd’hui que l’on pourrait tirer de cette cartographie, en la scénarisant, un instrument

pédagogique des plus efficaces pour faire découvrir toute la richesse de la recherche en biodiversité.

Cette approche par les acteurs, au-delà des écosystèmes, permet en retour de qualifier de façon fine

la géographie thématique des laboratoires (ou leurs « spécialités » à partir des terrains réel occupés

par les chercheurs). On peut ainsi croiser les disciplines auxquels se réfèrent les acteurs avec la carte

des laboratoires pour apercevoir les réseaux transversaux réels d’où émergent des objets communs

de recherche. C’est ce type de connectique analytique qu’a développé Cédric Chavériat, notamment à

partir de procédures qui permettent pour chaque laboratoire identifié de calculer le nombre relatif de

chercheurs par disciplines ou objets d’étude et, ainsi, de faire varier les vues produites sous GEPHI

(3). Dans les deux vues ci-dessous (produites dans le rapport final), si la grosseur des nœuds des

laboratoires dépend du nombre de participations à des projets labellisés par la FRB, les couleurs en

termes de dégradés et d’intensité dépendent des objets d’étude réels des chercheurs et de leur

nombre respectif :

3 http://gephi.org

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Les variations de vues rendues possibles par le croisement de variables sont en réalité

impressionnantes, et le travail d’exploration n’a fait que commencer. Une certitude cependant : ces

variations ne sont déployables que si les données sont issues d’un long travail de vérification

manuelle et si elles admettent de nombreuses dimensions, souvent issues de plusieurs sources

d’information. Deux conditions sine-qua-non de cartographies de l’information pertinentes.

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La recherche en biodiversité : la géographie des disciplines (troisième partie)

“Il se peut bien – et encore, ce serait à examiner – qu’une science naisse d’une autre; mais jamais une science ne peut naître de

l’absence d’une autre, ni de l’échec, ni même de l’obstacle rencontré par une autre” (p.140), FOUCAULT, M., Les mots et les choses,

Gallimard, 1966.

L’exploration cartographique de la base de données de la Fondation pour la Recherche sur la

Biodiversité ne s’est pas achevée, ni même focalisée, sur la seule géographie des acteurs et des

laboratoires. Bien qu’importantes pour leurs enjeux institutionnels et politiques, les cartographies des

structures de recherche et de leurs domaines respectifs de compétences comptent moins, pour un

néophyte comme moi, que les cartographies des disciplines. Car les cartographies de disciplines ou

des « sciences » constituent des instruments privilégiés d’interrogation en épistémologie des

sciences, comme celles que produisent aujourd’hui des chercheurs comme Richard Klavans

(4) ou Loët Leydesdorff (5). Elles renseignent, à grande échelle, sur cette « tectonique » des

connaissances scientifiques où figurent de grands ensembles connus mais aussi des domaines

émergents. Traditionnellement, elles sont calculées à partir de l’analyse de millions de publications

indexées dans des bases éditeurs comme le Web of Science (6) ou Scopus (7), en incluant différents

niveaux d’analyse comme celui des revues ou encore des descripteurs de contenus comme

les Subject Categories. Méthodologiquement, le travail collaboratif mené avec Cédric Chavériat,

Xavier Leroux et Flora Pelegrin sur les disciplines de la biodiversité s’inscrit dans cette tradition de la

« cartographie des sciences » et elle s’est accompagnée du même type de questionnement ou

d’objectifs : la « recherche sur la biodiversité » constitue-t-elle un espace original et autonome dans le

paysage des connaissances ? Cette géographie admet-elle des sous-parties originales et distinctes ?

Quels sont les liens qui les unissent ou, à l’inverse, les éléments qui les distinguent ? En somme : est-

il envisageable de produire une sorte de « boussole thématique » qui permettrait de naviguer dans

l’espace de la recherche sur la biodiversité et d’en apercevoir les grands traits d’un seul coup d’œil ou

d’y situer un champ de recherche précis ?

Certes, le rapport sur la base de données (8) contient déjà des éléments significatifs la « recherche en

biodiversité » comme l’évolution du nombre de publications référencées dans le Web of Science sous

4 http://mapofscience.com/ 5 http://www.leydesdorff.net/ 6 http://thomsonreuters.com/products_services/science/science_products/a-z/web_of_science/ 7 http://www.info.sciverse.com/scopus 8 http://www.fondationbiodiversite.fr/publications/rapports-et-expertises#bdd

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la rubrique « biodiversité » ou encore les estimations réalisés par la fondation sur le temps/chercheurs

alloués sur des champs de recherche qui en relèvent.

Cependant, ces éléments ne renseignent pas sur la façon dont les disciplines s’agrègent dans le

domaine de la biodiversité, si elles s’associent ou non en ensembles cohérents (pour un spécialiste

comme pour un néophyte) ou, même, s’il est simplement possible d’en dessiner une géographie

interprétable. En somme, que peut nous apprendre transformation de la liste ou de l’arborescence des

disciplines sur la biodiversité en matrice de graphe où les objets sont liés par la dynamique propre des

projets labellisés ?

L’objectif, ici, n’a pas été de produire une carte générale des sciences, ni même d’y situer la

recherche en biodiversité (ce que l’on peut faire à partir de grandes bases comme le WoS), mais

seulement de remonter « en abstraction » (depuis le niveau granulaire des acteurs) vers la façon dont

s’agencent les grands continents de la connaissance scientifique et de sa distribution en disciplines à

travers notre analyse des projets labellisés par la Fondation. Là aussi, c’est à partir des informations

archivées par la Fondation sur les projets que se sont effectués les différents niveaux d’intégration

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des données accumulées à travers les Appels A Projets (AAP) successifs depuis 2005. En son

principe, la méthode paraît simple : les acteurs sont associés à des disciplines dans leur profil de

compétences, ces acteurs sont liés entre eux par la participation à des projets communs, ce qui

permet, in fine, de comprendre comment 96 disciplines identifiées par la FRB sont liées entre elles à

travers plus de 180 projets labellisés et financés auxquels participent près de 1700 chercheurs.

Cette carte qui figure dans le rapport permet de visualiser, sous ses grandes lignes, la distribution des

disciplines, regroupées en 9 familles, dont trois sont statistiquement les plus représentées (le

« cœur » de la recherche en biodiversité : « Ecologie », « Classes et classifications du vivant »,

« Biologie cellulaire et moléculaire »). Hormis cet agrégat central de disciplines souvent associées à

des chercheurs et de façon simultanée (l’épaisseur des liens entre les nœuds étant pondérés en

fonction de degrés de co-occurrences des disciplines), la carte contient quelques éléments curieux

pour un néophyte comme la « Cladistique » (9) (ou l’étude de la classification des êtres vivants, selon

leurs relations de parenté, dans un cadre évolutionniste) ou encore « Evo-devo » (10) (génétique

évolutive du développement) sans oublier la « Mammalogie » (11) (étudier les origines,

le comportement, le régime alimentaire, la diversité génétique et la dynamique des populations des

mammifères) que je ne connaissais pas.

D’autres vues ont été produites, notamment pour mesurer la richesse des liens qui unissent les

disciplines autour des liens intenses qui forment le « cœur » de la recherche sur la biodiversité. Au-

9 http://fr.wikipedia.org/wiki/Cladistique 10 http://fr.wikipedia.org/wiki/Evo-devo 11 http://fr.wikipedia.org/wiki/Mammalogie

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delà de l’écologie, de la biologie cellulaire et moléculaire et des classifications du vivant, de

nombreuses relations secondaires existent :

La respatialisation des données avec Gephi (forceatlas2) a permis de produire d’autres vues dont une

a été retenue pour produire la carte des disciplines dans sa version « poster » imprimable :

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Si on l’examine de près, la topologie des disciplines qui se dessine laisse apercevoir combien la

« recherche en biodiversité » semble traversée par plusieurs dynamiques transversales et je crois y

apercevoir un certain ordre. Par exemple, on peut s’en rendre compte en réduisant la vue et en

conservant que les titres des catégories :

Ou encore en colorant les zones de la carte en fonction de la concentration des couleurs dans les

nœuds et les liens qui les relient :

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Cette vue synthétique tient plus du schéma plus que de la projection de graphe et fournit à mon

sens (à titre d’esquisse de « boussole ») des informations secondaires importantes. Ici, ce n’est plus

seulement un « cœur » dense de trois grands domaines disciplinaires qui est présenté mais quelque-

chose comme la topologie (particulière à la biodiversité) des connaissances produites dans un

domaine pluridisciplinaire. La bi-partition y est manifeste de gauche à droite, entre la « biologie »

(j’aurais tendance à dire « sciences du vivant et de la nature ») et les SHS (au sens large : l’homme et

l’univers tels qu’ils sont produits culturellement, historiquement et géographiquement). Si l’on en

revient à la carte générale (donc à une structure de graphe qui est fondamentalement affaire de liens)

et que l’on s’y promène en partant des deux disciplines les plus éloignées l’une de l’autre sur un plan

horizontal (la « Thérapeutique » à gauche, « Langues et Littérature » de l’autre) on peut se rendre

compte que le graphe contient comme une déclinaison des disciplines qui, de proche en proche et

telles qu’elles sont liées dans des projets effectifs menés par les chercheurs, nous fait passer (et sans

hiérarchie puisque les liens sont non dirigés) de l’univers des « corps » biologiques (substrat naturel

de la biodiversité) à l’univers abstrait et contingent de la culture et de ses productions (ici, la littérature

mais en passant aussi par d’autres productions comme l’agriculture, les sciences de l’ingénieur ou les

biotechnologies que l’on peut regrouper sous le label de « services éco-systémiques »). Dans ce type

de parcours, de gauche à droite et inversement, l’Ecologie et la Biologie des Populations constituent,

non plus un cœur dense, mais des disciplines-pivot.

Mais une autre lecture cardinale est possible, et très complémentaire. Sur le schéma, les deux

ensembles majeurs que sont la « Biologie » et les « Sciences de la société » sont reliés via une ligne

de fracture dont « l’Ecologie » et la « Biologie des populations » sont encore le pivot : vers le haut, se

profilent un ensemble de disciplines qui traitent de « l’environnement » au sens large, tel qu’il est

produit, cultivé, exploité (sciences et techniques) ou tel qu’il impose aussi ses contraintes

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L’Atelier de Cartographie La recherche en biodiversité

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(bioclimatologie). Mais la distribution des disciplines, dans la moitié supérieure de la carte, ne me

semble pas aléatoire : de part et d’autre d’une ligne verticale, Ecologie/Botanique/Climatologie, on

trouvera (sans surprise) d’un côté les disciplines qui étudient « l’environnement » sous l’angle de la

culture (Ecologie urbaine, Aménagement de l’Espace et Urbanisme, Histoire, Sciences politiques…)

et, de l’autre côté, les disciplines qui étudient l’environnement sous l’angle de ses rapports au vivant

(Ecotoxicologie, Biotechnologie végétale, Endocrinologie et Métabolisme…).

Dans la partie inférieure de la carte, la distribution obéit aux mêmes principes, mais au regard des

espèces vivantes qu’il faut décrire, inventorier, analyser en tant que telles mais aussi dans leurs

relations réciproques à titre de systèmes (ou « d’écosystèmes »). En bas, à gauche, un ensemble

gouverné par la biologie des interactions (Virologie, Parasitologie, Biotechnologies animales…) et, à

droite, l’ensemble complémentaire des disciplines qui étudient les espèces vivantes (animales et

végétales) sous l’angle de leur production historique (Sciences forestières, Agriculture, Sciences

Vétérinaires, Bio-ingénierie…).

L’interprétation que je livre ici souffre évidemment de limites : je ne suis pas un expert du domaine

(malgré mon « stage » dans les données de la FRB) et, plus encore, le support numérique comme ici

mon blog ne donne qu’un aperçu général de patterns visuels et logiques qui méritent d’être explorés à

partir d’un poster affiché sur un mur. De plus, un algorithme comme Forceatlas2 admet des limites

malgré sa pertinence en matière de recherche de patterns visuels et statistiques. Cependant, s’il vous

prend comme moi d’arpenter le poster imprimé, vous vous apercevrez à quel point la distribution

spatiale des disciplines semble gouvernée par un ordre de plus en plus perceptible, au point d’essayer

d’en dessiner la logique comme je l’ai fait :

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C’est ma « boussole thématique », limitée à ma simple expérience de cartographe et d’analyste des

données de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité. Elle mériterait d’être testée et discutée

et je regrette que les « spécialistes » en Information Scientifique et Technique passent autant de

temps à calculer de ridicules indicateurs individuels de « visibilité » à partir des seules publications,

dont une partie seulement est indexée, dans un seul catalogue, et sur les seules citations

rétrospectives. L’exploration des fonds documentaires et des données archivées dans les organismes

de recherche et de formation contiennent pourtant bien des objets plus riches à explorer. Ce premier

travail exploratoire laisse apercevoir la diversité et la complémentarité des disciplines scientifiques et

des chercheurs engagés aujourd’hui dans la « recherche sur la biodiversité ». Je comprends que la

carte que nous avons produite avec Cédric Chavériat apparaisse quelque peu complexe mais, à

l’évidence, et au-delà de notre travail, c’est bien la recherche sur la biodiversité elle-même qui

apparaît comme riche et complexe. Et cette vaste diffraction des disciplines scientifiques naît d’une

lumière unique, celle de la question de la vie :

« La biodiversité est la vie, le public s’en rend com pte et attend nos connaissances pour vivre

différemment, en harmonie avec la biosphère » , Patrick Duncan, Président de la FRB.