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Atousceuxquiontperduquelqu’un.Necessezjamaisd’avancer.Celaneveutpasdirequevoustournezlapageouquevousoubliez,
maissimplementquevousêtestoujoursvivant.Pasàpas,jouraprèsjour.Cettehistoireestpourvous.
Prologue
GREY10mai2012
— Et c’est là-bas que nous attendrons le début de la cérémonie, les filles et moi, dis-je endésignant lechapiteau installésur lecôté.PouréviterqueBenaperçoivemarobe, lacoordinatricesouhaitequenousnousy regroupionspendantque lephotographeprendradesphotosdesgarçonsd’honneur,del’autrecôtédelamaison.
Jejetaiuncoupd’œilderrièremoipourvérifieroùmamèreetmafuturebelle-mèreenétaientde leur débat à propos de la tonnelle et retins un sourire.Depuis queBen etmoi avions choisi laMaison du lac comme lieu de réception pour notremariage, elles n’avaient cessé d’osciller entredeuxoptions:laisserlatonnelleenl’étatouladécorerdefeuillageetdefleurs.Et,d’aprèslesbribesdeconversationquejepouvaissaisir,ellesn’avaienttoujourspasprisdedécision.Personnellement,jem’enmoquais.Toutcequejevoulais,c’étaitépouserBen.Et,danstroisjours,ceseraitchosefaite.
—Grey,cetendroitestcarrémentsublime!Jen’enrevienspasquetuaiesréussiàlelouerdansundélaiaussicourt,ditmademoiselled’honneuretmeilleureamie,Janie,complètementmédusée.
—Jesais.C’estparfait,non?—Absolumentparfait!Jeluiprislamainetposailatêtesursonépauletandisquej’observaislapartiedelapropriété
oùsedérouleraitlaréception.Benetmoiavionspromisànosfamillesquenousattendrionsd’avoirobtenunotrediplômede
find’étudesuniversitairespournousmarier,maislapromesseavaitétébeaucoupplusdifficileàtenirque nous ne le pensions.De retour au bercail pour les vacances d’été, nous avions fait part à nosfamillesdenotredécisiondequitterlecampusetdenousinstallerensembleàlarentrée.
Mesparentsn’avaientpas trèsbienpris lanouvelle. Ilsnevoulaientpasquenouscohabitionsavant d’être mariés. Je pense que ça maintenait mon père dans l’illusion que j’étais toujours soninnocentepetitefille.
MaisjesortaisavecBendepuismestreizeans,etcelafaisait troisansquenotrerelationavaitcessé d’être innocente. Evidemment, papa n’avait pas besoin de le savoir. Après une longuediscussionavecnosparents,nousavionsobtenuqu’ilsnous laissentnousmariermaintenantplutôtquedansdeuxans.
Çaremontaitàseptsemaines.MêmesiBenm’avaitdéjàdemandédel’épouseràNoël,nousnenous étions fiancés officiellement qu’après avoir obtenu l’accord de nos parents et nous avionsimmédiatement commencé à préparer notre mariage. Sept semaines de fiançailles, sept ansensemble…etdanstroisjoursjeseraisenfinMmeBenjaminCraft.
Vulalenteuraveclaquellelesdernièressemainess’étaientécoulées,j’avaisl’impressionquelegrandjourn’arriveraitjamais.
Montéléphonesonna,etjelesortisdemapoche.J’esquissaiunsourireenvoyantlenometlevisage de Jagger s’afficher sur l’écran, mais j’ignorai l’appel. Je remis mon téléphone dans mapoche et, tout en tenant fermement la main de Janie, je me dirigeai vers l’endroit où les autresdemoiselles d’honneur s’étaient regroupées pour discuter. Mes tantes et ma grand-mère s’étaientjointesauduodiscutantdelatonnelleetalimentaientledébaten«pour»eten«contre.»
—Alors, qu’est-ce qu’on va faire ce soir ? lançai-je en espérant obtenir des infos sur monenterrementdeviedejeunefille.
—Bienessayé!répliquaJanie.
Ellecommençaàdirequelquechose,maismontéléphonesonnadenouveau.En découvrant qu’il s’agissait encore de Jagger, j’envisageai pendant quelques secondes de
répondre, avant de rire doucement et d’ignorer une seconde fois l’appel. Je savais pourquoi ilappelait. Il s’ennuyait ferme et voulait que je le sauve de la partie de golf queBen et les garçonsdevaientdisputeravantlasoiréed’enterrementdeviedegarçon.Normalement,jeluiauraisévitélatorturedejoueraugolf,maiscettejournéeétaitcelledeBen.S’ilvoulaitalleraugolfavecsabande,Jaggerpouvaitbienfaireuneffortpoursonmeilleurami.
Presqueimmédiatementaprèslesecondappel,jereçusuntexto.
Répondsàceputaindetéléphone,Grey!
Jesursautaiquandletéléphonesonnadansmamainalorsquejevenaisàpeinedefinirdelirelemessage et, pendant quelques secondes, je fus incapable de faire autre chose que de le fixer. Unesensationdepeuretdemalaiseseformadansmapoitrine,avantdesedéroulerjusqu’àmesbrasetmonestomac.
Quelque part, deux autres sonneries résonnèrent, mais je n’y prêtai pas vraiment attention,incapableque j’étaisdedétacher lesyeuxdusourireencoinde Jagger surmonécran.D’undoigttremblant,j’appuyaisurleboutonvert,avantdeporterletéléphoneàmonoreille.
Avantquejepuissedirequoiquecesoit,savoixpaniquéeenvahitlecombiné.—Grey?Grey!Tueslà?Merde,Grey,disquelquechosepourquejesachequetueslà!J’entendais une sirène et des cris en arrière-plan, et la sensation qui avait envahimon corps
menaçaitmaintenantdem’étouffer.J’ignoraiscequiétaitentraindesepasser,maisd’unecertainefaçon… d’une certaine façon je savais que ma vie tout entière était sur le point de changer.Mesjambescommencèrentàflageoler,etlesoufflememanqua.
—Je…Qu’est-ceque…Jem’interrompis etme tournaiversmamère et celledeBen.Elles étaient toutes lesdeuxau
téléphone.LamèredeBenhurlait,levisagecouvertdelarmes.Mamèreavaitl’airdequelqu’unquivenaitdevoirlesols’ouvrirsoussespieds.
Jagger parlait. Je ressentais l’intonation frénétique de sa voix, mais j’avais du mal à meconcentrersurlesmots.Onauraitditqu’ilhurlaitàdeskilomètresdemoi.
—Quoi?dis-jedansunmurmure.Toutlemondeautourdemoipaniquait,essayantdecomprendrecequisepassait.Unedemes
amiesdemandaàquijeparlais,maisjenepouvaismêmepasmetournerpourlaregarderoupourvérifierqui avaitposé laquestion. Jenepouvaispasdétacher lesyeuxdesdeuxautres femmesautéléphone.
—Grey!Dis-moioùtues.Jevienstechercher!Jebattisdespaupièresetbaissailesyeux.J’étaisassiseparterre.Quandm’étais-jeassise?Janiem’attrapaparlesépaulesetmesecoua.Commejegardaislesyeuxrivéssurmamèreet
celledeBenquis’accrochaientl’uneàl’autre,ellepritmonvisageentresesmainspourm’obligeràlaregarder.
—Quoi?répétai-jed’unevoixàpeineaudible.Juste avant que Janie saisisse mon téléphone, j’entendis un son lourd et douloureux, une
exclamationdésespéréequejen’avaisjamaisentenduechezJaggerdepuisonzeansquenousétionsamis. La douleur qu’il exprimait m’arracha un cri aigu, et je ne luttai même pas contre Janielorsqu’elles’emparademontéléphone.
Jenecomprenaisrienàcequisepassaitautourdemoietpourtantjesavaistout.D’unecertainefaçon,j’avaisentendulesparolesdeJagger.
Unepart demoi saisissait ceque révélaient ces cris horrifiésqui sepropageaient rapidementparmimesamis,mafamille,celledeBen…
Unepartdemoireconnaissaitlasensationdepertequis’étaitajoutéeàlapeuretàladouleuretpressentaitcequ’ellesignifiait.
Une part de moi savait que le mariage que j’envisageais quelques minutes plus tôt n’auraitjamaislieu.
Chapitre1
Deuxansplustard…
GREY10mai2014
Aprèsm’êtrehabilléedansunbrouillard,jem’assissurlelitetfistournerentremesdoigtslechapeau àbord rigidequi complétait la tenuede remisedesdiplômes, le fixant jusqu’à ceque leslarmesbrouillentmavision.
Jesavaisquejedevaispartir,maisjem’enfichais.Çam’étaitégaldem’êtremaquilléepourlapremièrefoisdepuisdeuxansetdetoutsaccager.Ça
m’étaitégald’avoirterminémesétudes.Çam’étaitégald’avoirdéjàvingtminutesderetardavantdem’êtreassise.
Jemefichaisdetout.Melaissanttombersurlecôté,jesaisislachaînequin’avaitpasquittémoncoudepuislesdeux
ans qui venaient de s’écouler, la tirai hors de mon chemisier et refermai les doigts autour del’alliancequej’avaisachetéepourBen.Jen’avaispasétécapabledem’enséparer,commesij’avaisbesoindegarderunepetitepartdeluiavecmoi.Etjenepouvaiscesserdepenserqu’aujourd’huiilauraitdûlaporter.
L’annéeprécédenteavaitétéplusfacileàsupporterquecelled’avant.Jen’avaispaseubesoinquemesamism’encouragentconstammentàétudier.Jen’avaispaseubesoinqueJaniemesortedulittouslesmatinsetmeforceàmedoucheretàm’habiller.J’avaismêmeôtéetrangémabaguedefiançailles quelques mois auparavant. Mais cela faisait très exactement deux ans aujourd’hui quej’avais montré à mes amis l’endroit où j’allais épouser Ben. J’étais alors totalement insouciante,détachéedetoutcequ’ilpouvaityavoirdemaldanscemonde.
EtBenétaitmort.Avingtans,soncœuravaitlâché,etilétaitmortavantmêmedes’effondrersurleparcoursde
golf.D’après lesmédecins, l’affection dont il souffrait était rarissime, et aucun test n’aurait pu ladétecter.Jenelesavaispascrusàl’époqueet,mêmesidepuisj’avaisludesarticlesconsacrésàcesujet,jen’étaispassûredelescroireaujourd’hui.
Des bruits de pas lourds résonnèrent dans le couloir demon appartement quelques secondesavantqueJaggerapparaissesurleseuildemachambre,l’airsombre.
—Allez,sorsdelà,dit-il.Ilesttempsdepartir.—Jenepeuxpas.M’accrochantdésespérémentàl’alliance,jemarmonnai:—Commentcélébrerquelquechoselejouroùlemalheurs’estabattusurmoi?Avecunsoupir,Jaggers’écartadel’embrasuredelaporte,fitquelquespasverslelitets’assità
côtédemoi,enregardantfixementdevantluitandisquelesilenceemplissaitlachambre.—Franchement,jen’ensaisrien,Grey,répondit-ilenfinavecunpetithochementd’épaule.Tout
cequejepeuxtedire,c’estqueBenvoulaitça.—Ilauraitdûêtrelà.—Jesais.—Nousaurionsdûfêternosdeuxansdemariagedansquelquesjours.Ilyeutunlongsilence,avantqueJaggerrépète:—Jesais.Jem’obligeaiànepascontinuer.
Rien de ce que je pourrais dire maintenant ne nous aiderait ni l’un ni l’autre. Et, surtout, jen’avaisqu’uneenvie:meroulerenboulesurcelitquiauraitdûêtrenotrelitetmelaissersubmergerpar le chagrin.Mais je devaisme souvenir que cette journéen’était pas difficile quepourmoi. Jen’étaispaslaseuleàavoirperduBen.JaggeretBenétaientamisdepuisl’âgedesixanset,deuxansplustôt,ilsétaientenpleineconversationquandBens’étaitsoudaineffondré.
—Jag?murmurai-je.—Oui,Grey?—Commentonvafaire?Lematelas bougea tandis qu’il se penchait pour poser les avant-bras sur ses cuisses, tout en
tournantlatêteafindepouvoirmeregarder.—Quoidonc?—Pourallerdel’avant.Jepensaisquecetteannéeseraitplusfacile.J’avaisl’impressionqueje
m’ensortaismieux,jusqu’àlasemainedernière.Etpuis,aujourd’hui…Jelaissailesmotsensuspensquelquessecondes,avantd’ajouter:—Ondirait que le tempsn’apaspassé.Ondirait que je suis revenueaumomentoù tum’as
récupérée pour m’emmener à l’hôpital. J’ai l’impression que mon univers vient à nouveau des’effondrer.Ilyaencoredesjoursoùjen’aipasenviedesortirdemonlit,maisçan’ajamaisétéaussidurqu’aujourd’hui.
—Iln’yapasderéponseàcettequestion.Et,mêmes’ilyenavaitune,ceseraitdifférentpourtoi,pourmoi,etpourtousceuxquiontdéjàétéconfrontésàcettesituation.Jemelèveetjecontinueàavancerparcequejesaisquej’aiquelquechosequimepousseàvivre.Etjesaisquec’estcequeBenvoudrait. Je ne réfléchis pas à la façon dont je vais aborder le lendemain. Je prends simplementchaque jourcomme ilvient. Ilyaura toujoursdes joursplusdifficilesque lesautres,Grey. Il fautjustelesacceptercommeonacceptelesbonsjoursetcontinueràvivre.
—J’ail’impressiondetrahirsamémoireenpassantàautrechose.— Personne n’a jamais dit qu’il fallait passer à autre chose. Il faut simplement continuer à
avancer.Jecroisaisonregardalorsqu’ilselevaitetsetournaitentendantunemainversmoi.—Tuesprêteàyaller?demanda-t-il.—Non,répliquai-je.Maisjeglissaiquandmêmemamaindanslasiennepourqu’ilm’aideàmeleverdulit,nouai
mesbrasautourdesatailleetposaimatêtesursonépaule.Jaggerresserrasesbrasautourdemoietapprochasatêtedelamiennepourparlerdoucementà
monoreille.—Ne pense pas à la semaine prochaine, ni à demain, ni même à ce soir. Concentre-toi sur
l’instant présent. Pour le moment, nous devons aller à ta remise de diplôme. Et d’ailleurs noussommesvraimentenretard.
Jeprisuneprofondeinspiration,relâchaimonsouffleetfinisparhocherlatête.—Jecroisquejesuisprêteàyaller.—Trèsbien.Ilsepenchapourprendremonchapeauetmatogesurlelit,etpivotasursestalonspourquitter
lapièce.Jelesuivisdanslecouloir,marquantunepausedevantlemiroirfixéau-dessusdelaconsolede
l’entréeafind’essuyerduboutdesdoigtslestracesdemascaraquiavaitcoulésousmesyeux.Unefoisquenousfûmesinstallésdanssavoiture,jetouchaisonavant-brasetattendisqu’ilme
regarde.—Merci,Jagger.D’êtrevenumechercher,dem’avoir…merci,quoi.
Iln’imaginaitpasàquelpoint je luiétais reconnaissante,et jen’auraispassucomment le luiexpliquer.Simplement,ilétaittoujourslàpouraméliorerleschoses,toujourslàpourm’aider…
Toujourslàpourêtretoutcedontj’avaisbesoin.Ilsecoualentementlatête,etsesyeuxvertsrestèrentrivésauxmiens.—Parfois,moiaussij’aibesoindemotivationpouravancer.Tun’aspasàmeremercier.Dis-
moiseulementquandtuasenviedeparlerdelui,d’accord?—Ouais.Jelâchaisonbras,mecalaicontreledossieretrefermailesdoigtsautourdelalonguechaîne
quisoutenaitl’alliancedeBen,réconfortéeparlacertitudequ’ilseraitfier,àcetinstant,deJaggeretdemoi.
***
Jetinslecoupjusqu’àlafindelacérémoniederemisedesdiplômessansmeremettreàpleurer,maispasuninstantjenemeréjouisqu’elleaitlieu.
Anotrearrivée,Jaggers’étaitéloignédemoiet,s’ilavaitréussijusqu’alorsàmeremonterlemoral,etmêmeàmefairerire,sansluij’étaisviteretombéedansunétatoùjepouvaiscraqueràtoutmomenttantcettejournéeétaitchargéedetristesse.
Ça ne s’était pas arrangé quand Janie m’avait serrée dans ses bras plus longtemps que lanormale.Puisj’avaisvumesparentsetmonfrèreaîné,etaucund’euxn’avaitréussiàproduireautrechosequ’unsourirecontraintetàmarmonner«félicitations».
Lerepasquiavaitsuivin’avaitpasétéplusfacile.Undemesonclesavaitmentionnéladateetm’avaitdemandécomment jegérais lachose.Ças’était terminéendrôledepantomime,où tout lemonde se donnait des coups de pied sous la table et se lançait des regards entendus, commepourdire : « Mais ferme-la, bon sang ! » Pendant les quarante-cinq minutes suivantes, plus personnen’avaitditunmot,pasmêmepourremercierlaserveuselorsqu’elleavaitapportélacommande.
Mêmesij’adoraismafamille,jefussoulagéequandmonfrèremeraccompagnachezmoi.—Çava,mapuce?Tutienslecoup?s’enquit-ilengarantsavoiture.—Çadépenddesjours.—Maiscen’estpaslecasaujourd’hui.Cen’étaitpasunequestion.Ilsavait.—Ouais,c’estça,dis-jeàvoixbasse.Pasaujourd’hui.—Tuveuxquejemonte?Jepeuxpasserlanuitcheztoietrentrerdemain.—Non,çava.Jen’aipasvraimentdormilanuitdernièreetjevaissûrementmecouchertoutde
suite.—Grey,ilest4heuresdel’après-midi.Ilmejetaunregardentreapitoiementettendresse,etjenevoulaisnidel’unnidel’autre.—Lajournéeaétéplutôtdifficile,etjesuisfatiguée.Ilrestasilencieuxuneminute,avantdesetournersursonsiègepourmefaireface.—Jem’inquiètepourtoi.—Tunedevraispas.Çafaitdeuxans.Jecommenceàallermieux.—Vraiment ? demanda-t-il avec un petit rire dénué d’humour. Je savais que ce ne serait pas
facilepourtoiaujourd’hui.Maisenfin,merde,combientupèses?—Quoi?Maisjen’ensaisrien.—Çat’arrivedeteregarderdanslemiroir?Tusaisdequoituasl’airdanstesvêtements?On
diraitceuxdequelqu’und’autre,quis’habilleraitdansunetailleoudeuxdeplus.Baissantlesyeuxversmonchemisieretmajupe,jesecouailatête.
—Maisnon,ils…Jemange,tupeuxmecroire.D’ailleurs,tuasbienvuaudéjeuner.J’aimangélamoitiéd’unhamburger.
—Non,Grey.C’estmoiquiaimangélamoitiéde tonhamburger!Toi, tun’aspasarrêtédesouleveretde reposer l’autremoitié, et tun’asmêmepasprisne serait-cequ’unebouchée. Je t’aibienobservée.Tuasgrignotédeuxfrites.C’esttout.
J’essayai de repenser au restaurant, mais je ne me souvenais de rien. Pour ce qui était desvêtements, c’était lapremière fois aujourd’huique je faisaisvraimentattentionàceque jeportais.Depuisdeuxans,jemecontentaisdem’habilleraveccequimetombaitsouslamainetjesortaissansmesoucierdesavoirdequoij’avaisl’air.
—Qu’est-cequetuveuxquejetedise,Graham?J’essaie.Tun’aspasidéedecequec’estquedeperdrequelqu’unquiaététoutpourtoipendantlamoitiédetavie.Quelqu’unàquituavaisdonnétoncœur,quetudevaisépouser…Tunecomprendspascequej’aitraversé.
Essuyantmesjoueshumides,j’ajoutai:—J’aiterminémesétudes.Jevis.Qu’est-cequetuveuxdeplus?—Jeveuxquetuvives,Grey.—Jeviensdetedire…— Tu existes ! aboya-t-il, me coupant la parole. Tu existes, tu ne vis pas. Tu traverses les
événementssansréalisercequetufais,nipourquoi.—Maisarrêtedemejuger!criai-je.Tunesaispascequejeressens.Qu’est-cequetusaisdema
vie?Tunesaisriendemavie,d’accord?Enplus,tutebasessurcequetuasvuaujourd’hui,etc’estloind’êtreunejournéeévidentepourmoi.Tusaisbiencequeçamerappelle!
Ilmepritlamain,laserraet,lorsqu’ilparlaànouveau,savoixétaitcalme.—Mapuce,jenemebasepasuniquementsurcequej’aivuaujourd’hui.Janieestinquiètepour
toi…—Janie?Janie?Tudemandesàmesamiesdem’espionner?—Grey…—Aquelrythmeellesterenseignentsurmoi?Hein?Est-cequ’ellesprennentdemesnouvelles
uniquementpourtedirecommentjevais?Parcequejenelesvoisplustrèssouvent.Mais,d’unautrecôté,quivoudraitpasserdutempsavecquelqu’unquinefaitqu’exister?
—Grey!s’exclama-t-illorsquej’ouvrislaportièreetdescendisdeson4x4.—Vatefairevoiravectesconneriesd’existence,Graham!Jevaisbien.Jefaisfacedelaseule
façonquejeconnaisse,etJe.Vais.Bien.Jememoquaisd’avoirlevisagebaignédelarmes.Jememoquaisderéagirdefaçonexcessive.
Sijeréagissaiscommeça,c’estquej’avaispeurqu’ilaitraison.Etjenelevoulaissurtoutpas.J’enavaisassezquetoutlemondemeregardeavecsympathieouavecpitié.J’enavaisassezque
toutlemondesetaisequandj’entraisdansunepièce.J’enavaisassezdelafaçondonttoutlemondesemblaitmarchersurdesœufsavecmoi.Etj’enavaisassezd’avoirl’impressiondeleurdonnerdesraisonsdelefaire.
Jemedirigeaiversmonimmeuble,ignorantlavoixdeGrahamtandisqu’ilm’emboîtaitlepas.Dansmaprécipitationàsortirmesclésdemonsac,jeleslaissaitomber.Alorsquejemepenchaispourlesramasser,monpiedglissahorsdemasandale,jeperdisl’équilibreetatterrislourdementsurlesgenouxetlesmains.
Ignorant le contenu de mon sac répandu sur le sol en ciment, je basculai en arrière pourm’asseoirsurmestalonsetmemisàpleurer,têtebaissée.
Lecorpssecouédesanglots,jesentisdeuxlargesmainsmesaisirlesavant-brasetlesrepoussaiavecagacement.
—Laisse-moitranquille,Graham!m’écriai-je.
—Chut,toutvabien,susurraunevoixprofonde.Jelevailatêtejustecequ’ilfallaitpourapercevoirJagger,avantqu’ilm’aideàmeredresseret
m’attiredanssesbras.—Toutvabien.Jepressaimonfrontcontresontorseetsecouailatête.—Non,çanevapas.Cettejournéen’enfinitpas.Etlafaçondonttoutlemondemeregardeou
meparlemedonnel’impressionquejenesuispasàlahauteur.—Pas à la hauteur ? répéta-t-il enme soulevant lementon.Loin de là,Grey.Tu es forte, tu
progresses.Chaquejour,tufaisunpasdeplus.Certainsnelevoientpasparcequ’ilss’attendentàcequetucraques.Cen’estpasparcequ’ilss’imaginentquetun’espasàlahauteurquec’estréellementlecas.
—Maisilsneveulentpasparlerdelui,nidecequiestarrivé.Grahamprétendquejenemangerienetquejeperdsdupoids.Ilditquejenefaisqu’existeretsuivrelemouvement,maisquejenevispasvraiment.IlditqueJaniesefaitdusoucipourmoi…
—Qu’ilaillesefairevoir!Ilsetrompecomplètement.Ilnevitpasavectoiauquotidienpourapprécierlafaçondonttut’ensors.
Jaggerplongeasesyeuxvertsdanslesmiens.—Tafamillenet’apasbeaucoupvuecetteannée,etducoupilsnesaventpascommentgérerla
situation. Surtout aujourd’hui, à cause de ce que ça représente pour toi. Et, pour ce qui est de tonfrère, c’est normal qu’il s’inquiète pour toi. Mais ne te laisse pas influencer par ce qu’il t’a dit.Aujourd’hui,c’étaitexceptionnel,etilt’ajugéesuruneexception,d’accord?
Ilresserrasesbrasautourdemoiets’inclinaenarrièrejusqu’àtoucherlemur.—Tut’ensorstrèsbien,jet’assure.Jen’étaispascertained’êtred’accordavecluisurcepoint.Cettejournéemefaisaittoutremettre
enquestion.Ilmesoutintjusqu’àcequej’arrêtedepleureretmerelâchadèsquejecommençaiàm’écarter.—Aufait,qu’est-cequetufaisici?—J’aipenséquetuauraisbesoind’unpeudecompagnie,vuquec’estunjourexceptionnel.Désignantquelquechosederrièremoid’unsignedetête,ilajouta:—Maisjevaisyallerpourquetupuissespasserdutempsavectonfrère.Jejetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépauleetvisGrahamquinousobservaitd’undrôled’air,
lesbrascroiséssurletorse.—Ilestlàdepuiscombiendetemps?murmurai-jeàJaggerquandjemeretournaipourluifaire
facedenouveau.—Depuisledébut.—Alors,ilt’aentendu…—Oui,maisilsaitquej’airaison.LeregarddeJaggerdérivapar-dessusmonépaule,unsourcillevéenguisededéfisilencieux,
maisGrahamneditrien.—Passeunpeudetempsavec…—Jen’enaipasenvie,lecoupai-je.J’aibesoind’êtreseuleouavecquelqu’unquisaitceque
c’estdes’obligeràavancer.Ilm’observauninstant,avantdehocherlatête.—D’accord.Allons-y.— On ne reste pas ici ? demandai-je, tandis qu’il se penchait et commençait à remettre les
affairesdansmonsac.
—Non.Tuveuxcontinueràavancer,Grey,et tunepourraspas lefairesionresteassisdansl’appartementtoutelanuit.
JerécupéraimonsacetmetournaipoursuivreJagger,Grahamnouscollantauxbasques.Jaggermetintouvertelaportièredesavoitureetlarefermaderrièremoiaprèsquejemefus
installée.JecroisaialorsleregarddeGraham,postéàquelquespasducapot.Mon frère saisit le bras de Jagger aumoment où celui-ci passait devant lui, et je rouvris la
portière,prêteàintervenirencasdebesoin,mêmesijesavaisquejeseraisincapabledelesarrêters’ilsenvenaientauxmains.
—Assure-toiqu’elleaillebien,ditGrahamd’unevoixdure.—Qu’est-ce que tu crois que je fais depuis deux ans ? siffla Jagger entre ses dents, tout en
libérantsonbras.Ellevabien.C’estunejournéedifficilepourelleaujourd’hui,maistunepeuxpaslatraitercommesielleétaitenporcelaineàcaused’uneputaindemauvaisejournée.Elleabesoindeparlerde lui.Elleabesoindeparlerdecequis’estpassé.Parcontre,ellen’apasbesoinquevousagissiez commevous l’avez tous fait aujourd’hui, en la regardant comme si elle était uneparfaiteinconnuepourvous.
—Tul’asbienobservée?demandaGrahamenserapprochant.Tuvoiscommeelleestmaigre?—Oui,jelavois.Jelavoistouslesjours.C’estvraiqu’elleaperdubeaucoupdepoids,mais
elleenaaussirepriscesderniersmois.Fais-luiunpeuconfiance,bordel!Neprendspaspourargentcomptant toutceque teditJanie.Janien’estpasassezsouventdans lesparagespour tedonnerdesnouvellesfiables.Situasenviedesavoircommentvatasœur,pose-luilaquestion.Neluidispastoicommentelleva.
SansattendrelaréponsedeGraham,Jaggerfitletourducapotetseglissaderrièrelevolant.Grahamsemblaithésiterentrel’enviedem’empêcherdepartiravecJagger,et lesoulagement
demevoirm’enaller.Lorsquejerefermaimaportière,ilposalamainsursontorse,enungestequiétaitnotrefaçon
denousdiresilencieusement«jet’aime»,etgardasesyeuxrivésauxmiensjusqu’àcequejeposeàmon tour la main sur ma poitrine, hochant une fois la tête tandis que Jagger quittait sa place destationnement.
JAGGER10mai2014
Je déposai brutalementmon téléphone sur la table et soupirai enme passant lesmains sur levisage.Aprèsavoirroulésansbutpendantquelquesheures,lamusiqueàfondetlesvitresbaissées,nousavionsatterridansl’undesendroitsquenousavionsl’habitudedefréquenteravantlamortdeBen.Ilyavaitdesconcertsleweek-end,etlameilleurebouffeducoin.
—C’étaitGraham,devinaGrey.—Mouais.Ilvoulaits’assurerquetuallaisbien.—J’espèrequetunet’amusespasàluitransmettredesinfossurmoitoiaussi.—Tuplaisantes?Tonfrèremedéteste.Jenesavaismêmepasqu’ilavaitmonnumérojusqu’à
cetinstant.Etpuis,sijeluidonnaisdetesnouvelles,ilnet’auraitpassortitoutescesconneries,ettafamilleauraitagidifféremmentàlaremisedesdiplômes.Acepropos,masœurauraitbienaiméteparlermais,quandelleavucommentilssecomportaient,ellen’apasosésemanifester.
—Charlieétaitlà?Ilyavaitaussitamèreettonfrère?Jemeretinsdesoupireretmecontentaidesecouerlatête.—Non.Mamèreétaitprobablementtropoccupéeparsondernierpetitamiendate.Greylevalesyeuxaucielenentendantmentionnerlespetitsamisdemamèreetretroussales
lèvresenunsourireironique.—Jenepensepasquecesoitpourçaqu’ellenes’estpasmontrée.Mais j’auraisaiméparler
avecCharlie.Çafaituneéternitéquejenel’aipasvue.Greyfitunepetitemoue,avantdetournerlatêtepourjeterunregardverslascènequandtoutle
mondesemitàapplaudir.Jen’avaispasmislespiedsicidepuisdeuxans,etçameparaissaitàlafoisbizarreetagréable
demeretrouverdanscetendroit.UnpeucommesijepouvaisvoirBenassisenfacedemoi,justeàcôtédeGrey.Maiscetteimages’évanouitàpeineévoquée.
—Çat’arriveparfoisdepenserqu’ilestentraindedisparaître?demandai-jesoudain.Greyrelevalatête,lesyeuxécarquillés.—Quoi?—Ben.Tun’aspasl’impressionquesonsouvenirdisparaît?Partout,autourdenous.—Si,j’aitoutletempscetteimpression,murmura-t-elle,toutenhochantlatêted’unairabsent.
Jemesuisobligéeànepasrachetersoneaudetoilette,carilyadesmomentsoùjenemerappelleplus son odeur. Quand je m’en rends compte, je panique complètement. J’ai peur de l’oublierdéfinitivementetj’aialorsenvied’alleracheterunnouveauflacon.Maisjesaisqu’ilnefautpas.Jesaisqueçam’empêcherad’avancer.Jene…
Elle s’interrompit dans un sanglot et posa une main sur sa bouche tandis que ses yeux seremplissaientdelarmes.
—Jenemesouviensplusdesonrire.Jenemesouviensplusdecequejeressentaisquandilmeprenaitdanssesbras…
Ellemelançaunregardtotalementdésemparé.—J’aipeurderetourneràThatch,Jag.—Pourquoi?—Jen’aipasenviedepasserdevantl’anciennemaisondesesparents,ensachantquetoutcequi
pouvaitmerappelerBenadisparu.
Jem’effondraicontreledossierdemonsiègeensoupirant.—Ouais,j’avaiscomplètementoublié.SixmoisaprèsledécèsdeBen,sesparentsavaientdéménagé.Ilsnes’étaientpascontentésde
changerdemaisonoudeville.Ilsétaientcarrémentpartisàl’autreboutdupayspourfuirlesouvenirdeleurfilsunique.
Quelquepart, onpouvait les comprendre :dansunevillede la tailledeThatch, les souvenirsétaientpartout.D’ailleurs,audébut,jepensaiscommeeux.
Aujourd’hui,j’étaisdanslemêmeétatd’espritqueGrey.J’étaisterrifiéàl’idéedel’oublieretjemedemandaissisesparentsregrettaientd’êtrepartis.
—Qu’est-cequetuvasfaire,alors?Elle battit plusieurs fois des paupières, comme si elle était complètement ailleurs, et finit par
hausserlesépaules.—Jevaisquandmêmeyaller,dit-elle.Cen’estpasmieuxderesterdanscetappartement.C’est
luiquil’avaitchoisiet,quandj’ysuis,jen’arrêtepasdepenserquenousdevrionsyvivreensemble.Audébut,çavaêtredifficile,maisj’aibesoinderetourneràlamaison.Ettoi?
Greyesquissaunsourire,etc’étaitsirarequejefaillisluisourireenretour,jusqu’àcequ’elleterminesaphrase.
—Jemesuistoujoursditquetufiniraispart’enalleraussi.Aprèstout,tun’aspasd’attaches,aucunefillen’ajamaisréussiàtegarder,etjenet’imaginepastefixerquelquepartpourtoujours.
Ellenepouvaitpasl’imaginer,évidemment.Jebaissailesyeuxpourqu’ellenepuissepasvoircequ’elledevaitcontinueràignorer.Siaucunefillen’avaitpumegarder,c’estparcequejen’appartenaisqu’àelle.J’avaiseumon
lotd’aventures sans lendemainaprès avoirquittéThatch.Amon retour, jen’avais euqu’une seulepetiteamie—etencore,cen’étaitquedansl’espoird’obteniruneréactiondelapartdeGrey.Puisc’étaitdevenuunefaçondedétournermonattentiondelarelationentreelleetBen.
SiBenn’étaitpasmortets’ilss’étaientmariés, jeseraisévidemmentreparti.Parcequec’étaitunechosederesterenretrait,denerienluidire,dansl’espoirqu’ellefiniraitunjourparvoirenmoicequejevoyaisenelle,maisc’enétaitunetoutautred’accepterqu’elleneseraitjamaisàmoi.
Mais, bien que je ne sois pas certain qu’elle parvienne un jour à trouver la force d’aller del’avant, iln’étaitpasquestionpourlemomentqueje la laisselivréeàelle-même.Ellen’étaitpasàmoi,maiselleavaitbesoindemoi.Etjeseraislàpourelletantqueceseraitlecas.
—Alors,oùpenses-tualler?demanda-t-elle.—AThatch,dis-jed’unevoixbasseetgrave.MaplaceestàThatch.
Chapitre2
JAGGER16mai2014
Passantenrevuemontrousseaudeclésjusqu’àcequejetrouvecellesdeGrey,jedéverrouillailaportedesonappartementetentrai.
—Grey?criai-je,aprèsavoirrepoussédupiedunepiledecartonsafindemefrayerunpassagedanslecouloir.
—Danslachambre,répondit-elle,etjemedirigeaialorsverslefonddel’appartement.—Tut’ensorsavecton…Jem’interrompisbrusquementetnepusm’empêcherd’éclaterderireenladécouvrant.Ils’étaitécoulépresqueunesemainedepuis laremisedesdiplômes,etc’étaitaujourd’huique
nous devions quitter Pullman pour retourner à Thatch. Nous avions passé l’essentiel des deuxderniersjoursàemballernosaffairesetàchargernosmeublesdanslecamiondelocation,defaçonàpouvoirpartiraujourd’hui.
Mais Grey étant Grey… Il fallait toujours qu’elle fasse les choses à la dernière minute. Et,visiblement,çanes’étaitpaspassécommeellel’auraitvoulu.
Elle était assise par terre, à côté du sac de couchage dans lequel elle avait passé la nuit, ets’efforçaitdecollectertouslesarticlesdebainéparpilléssurlesolautourd’elle.
—Tuasoubliédescotcherlefondducarton?—Tagueule,Jag,grogna-t-elle,toutencontinuantàfourrerdestrucsdanslecarton.—Jeprendsçapourunoui.Tul’asfaitcettefois?Elle s’interrompit, rejeta la tête en arrière d’un air catastrophé et marmonna quelque chose
d’inaudible.Jememarraiunefoisdeplusetentraidanslapièce,enmepenchantpourramasserlerestedes
affaires.—C’estbon.Onvajustescotcherledessusetretournerlecartonavecbeaucoupdeprécautions.
D’accord?—C’estdingue,jen’arrivepasàmeconcentreraujourd’hui.Ellecontinuaàmarmonner,etjenepusm’empêcherdesourire.J’avaiscraintquecesoitdurpourelledequitterl’appartementoùelleauraitdûvivreavecBen.
Mais,endehorsdufaitqueçal’agaçaitdefairelescartons,jevoyaisqu’elleallaitbien.—Tusavais…Pointant versmoi uneboîte de tampons, elle écarquilla les yeuxquand elle réalisa ce qu’elle
avaitenmain.Levisagesoudainaussirougequesescheveux,ellelaissaprécipitamment tomber laboîtedanslecartonets’éclaircitlagorge.
—Bref,tusavaisquej’aiemballétoutesmesfringueshier?—Oui,Grey,j’étaislà.—Non,jeveuxdire,absolumenttoutes.Cequisignifiequejen’avaisrienàmemettrecematin
quandjesuissortiedelasalledebains.Lesyeuxrivésausol,j’essayaidenepasl’imaginersousladouche.—Heureusement que les cartonsqui contenaientmesvêtementsn’étaient pasdans le camion,
reprit-elle.Donc,jelesaitousouverts,vuquejen’avaispasécritdessusledétaildeleurcontenu,j’yaiprisdestrucsetj’airemisduscotch.Etc’estseulementensuitequejemesuisrenducomptequej’avaissortideuxT-shirts,etriend’autre.
Ellesoupira.—Çaaétécommeçatoutelamatinée.Ondevraitm’interdiredeconduireaujourd’hui.Jetendislebrasderrièremoipourattraperlerouleaudescotch.—Laisse-moideviner,tun’aspasprisdecafécematin?—Jel’aiemballéhieraussi!Sontonhorrifiémefitcomprendrequ’ellesel’étaitreprochétoutelamatinée.—C’estpourçaquejefaistoujourstoutàladernièreminute,grommela-t-elle.—Nousallonspasserdevantunetonnedecoffeeshops.Onteprendraquelquechoseenroute.
Et,situfaistoutàladernièreminute,c’estparcequetunesauraispasquoifairedetoi-mêmesituétais vraiment dans les temps. A croire que tu as peur que tonmonde implose, ou quelque chosecommeça.
Ellelevalebraspourmefrapperetlelaissafinalementretomber.—Bon,finissons-enavecça,dit-elled’untondécidé.—Ilterestequoiàfaire?—Justelecamionàfinirdecharger.C’étaitlederniercarton.—Lecamionestplein.Ilvafalloirmettrecequirestedanstavoiture.Jeretournaidoucementlecarton,scotchailesrabatsetmelevaientendantlamainàGreypour
l’aideràseredresser.—Allez,mettons-nousenrouteavantquelemanquedecaféineterendedingue.Jeprislecarton,l’empilaisurunautreetmedirigeaiverslesalon.—Euh…Grey,oùsonttesclés?demandai-je,aprèsavoirjetéuncoupd’œilverslecomptoir
delakitchenette.—Dansmonsac,dit-elle,depuisl’autreboutducouloir.—Ouais.Ettonsac,ilestoù?—Surlecomptoir,commed’hab…Elles’interrompitenapparaissantaucoindusalon,fronçantlessourcilstandisqu’elleobservait
lecomptoirnu.Jelaregardaiouvrirlentementlabouche,toutenécarquillantlesyeux,alorsquesonregardse
portaitsurlescartonsentassésdanslesalon.—Oh!merde!Aprèsavoirouvertdeuxcartonspourretrouversonsacetsesclés, jefinisde toutcharger,et
nouspûmesenfinprendrelaroutepourThatch.Enfin…seulementaprèsavoirfaitlepleindesavoiture,cequ’elleavaitoubliédefaire,etlui
avoirtrouvéuncafé.
***
Ilnenousfallutquetroisheuresàpeinedetrajetpourregagnerlavilleoùnousavionsgrandi.Petite en taille et en population, elle était chargée de souvenirs qui m’assaillirent dès qu’apparutl’immenselacsurlesrivesduquelellesesituaitJemedemandaicequeressentaitGreyàprésentquenousétionsarrivés.
Elleavaitréussipéniblementàypasserunmoisl’étédernier,maisn’avaitpastrouvélecouragederevenirpourlesvacancesd’hiver.Mêmesielleallaitbeaucoupmieux,aupointquec’étaitellequiavaitsuggérédes’installerànouveauici,jemerappelaisparfaitementqu’elleavaitavoué,pasplustardquelasemainedernière,avoirpeurd’yrevenir.
Jeme doutais qu’à cet instant elle était en train de serrer dans samain la bague deBen, quipendait à une chaîne autour de son cou, mais j’ignorais si elle était heureuse de se rappeler les
momentspassésiciavecluiousilessouvenirsétaienttropdouloureux.Jenetardaipasàavoirmaréponse.A ladernière seconde, elleprit la sortievers le cimetière, et je freinai en catastrophe afinde
pouvoirlasuivre.Letempsquejemegareetquejedescendeducamiondelocation,elleétaitdéjàdevantlatombe
deBen.Ellerestalàquelquesinstants,envacillantsursesjambes,lesdoigtscrispéssurlachaîneautour
desoncou,puistombasoudainàgenoux.Je commençai à faire quelques pas vers elle, avant deme forcer àm’arrêter et à revenir en
arrièrepourprendreappuicontrelecamion.Ellen’étaitpasrevenueicidepuislesfunérailles,etjesavaisqu’elleavaitbesoindelefaire,et
de le faireseule.Mais,pourellecommepourmoi, il fallaitque jesois làquandelleseraitprêteàpartir.
Ma gorge se serra quand j’entendis ses pleurs, et je baissai les yeux en luttant contre mespropreslarmes,sonchagrins’ajoutantaumien.
Je ne supportais pas que Ben ne soit plus là. Je ne supportais pas la douleur de Grey. Je nesupportaispascesentimentdenerienpouvoirfairepourl’aider.
Je relevai la tête quelques secondes avant que Grey s’affale contre moi et l’entouraiautomatiquementdemesbras.
Jenesaispascombiendetempsnousrestâmescommeça,maissonvisageétaitrougeethumidedelarmeslorsqu’elleseredressa.
Sonregardétaitunpeuperduquandellescrutalesalentours,commesiellereprenaitlentementconscience,etelleavaitdumalàretrouversonsouffle.
—Commenttutesens?demandai-je.—Brisée.Ettoi?Je suis brisé aussi,pensai-je. Je me brise un peu plus à chaque fois que ça t’arrive. Je suis
déchiré. Jemedéteste de te désirerautant. J’ai enviede soulager ton chagrin. J’ai enviequemonmeilleuramirevienne.Jevoudraisêtremortàsaplacepourquetusoisànouveauheureuse.
Plongeantlesyeuxdanssonregarddemiel,jehaussailesépaules.—Çava.J’essaied’allerdel’avant.—Jesais.Moiaussi.Mercid’êtreresté,maistun’étaispasobligédelefaire.Jene répondispas.Toutceque j’auraispudireaurait étéde trop.A laplace, je restai làà la
serrercontremoi,jusqu’àcequ’ellesoitprêteàpartir.
GREY16mai2014
Jaggerposauncartonet soupiraenessuyantd’un reversdemain lasueurquiperlait sur sonfront.
— C’est ton dernier, je crois. Si je trouve quelque chose qui t’appartient en déballant mesaffaires,jeteledéposeraiplustard.
Jetantuncoupd’œilàlachambreoùj’avaispassémonenfance,jemarmonnai:—Net’enfaispas.Cen’estpasgravesinousavonsoubliéquelquechose.Toutvaresterdans
lescartonsjusqu’àcequejetrouveunappartement…ouquejedécidedecequejevaisfaire.—Entoutcas,situasbesoindequoiquecesoit,n’hésitepasàmeledire.Ilmarquaunehésitation,avantd’esquisserunsouriregêné.—Bon…ehbien…jevaisyaller.—Jet’accompagne,décidai-jespontanément.—Cen’estpaslapeine,Grey,jepeuxmedébrouiller.J’affichaiunemoueboudeuse.—Alors,commeça,tupeuxm’aideràchargeretdéchargertoutesmesaffaires,ettoituvaste
débrouillertoutseul?Cen’estpastrèsjuste.Ilm’interrompitenposantlamainsurmonépauleetplongeasesyeuxvertsdanslesmiens.—Çavaaller.Tun’espassupposéeallervoirtonfrère?—Jeluiaiditquejepasseraiscesoir.Ilnem’attendpasavantunbonmoment.—Grey…—Jagger…,l’imitai-je,attendantqu’ilcède.—D’accord,dit-ilensoupirant.Allons-y.Je n’avais vraiment aucune envie de rester seule et j’aurais saisi le premier prétexte pour
l’accompagner.Même si jem’étais préparée à ce retour, les souvenirsm’avaient heurtée de pleinfouet,etj’avaispeurdecraquer.
***
—Qu’est-cequ’onfaitlà?demandai-jedixminutesplustardquandnousnousarrêtâmesdevantunentrepôtquiappartenaitàsafamille.
Nimoderne ni ancienne, la façade en briques sombres était plutôt banale. J’étais déjà passéedevantquand j’étaisadolescente,mais jen’yétais jamaisentrée.Lesgrands-parentsdeJaggers’enétaientservispourleurcommercejusqu’àcequ’ilsprennentleurretraite,etilétaitrestéàl’abandonjusqu’àcequesamèretraverseunedesesnombreusesphases.Encouragéeparsonmaridel’époque,elleavaitdécidédes’essayeràlapoterie.Poursadéfense,cefutlapluslonguedeseslubiesetdesesrelationsamoureuses,lesdeuxayantduréunbondeuxansetdemi.
—Tuvasstockertesaffairesicienattendantdetrouverunappartement?UnelueurquasimachiavéliquebrillaitdanslesyeuxdeJaggerquandilsetournaversmoi,etje
comprisqu’ilmecachaituntruc.—Quelquechosedanslegenre…—C’estbizarre,maisj’ail’impressionquetuessayaisdem’empêcherdeveniravectoiparce
quetumijotesquelquechose.
Unbrasposésur levolant, il leva innocemmentunsourcil, tandisquesonsourire légendaireéclairaitsonvisage.
—Jenevoispasdutoutdequoituveuxparler.—Maisoui,c’estça!—Bon, tu as l’intentiondedescendre et dem’aider ou tu vas rester là à poser des questions
idiotes?Jeletoisaienplissantlesyeux.—Jenet’aipasvubougernonplus,jetesignale.Il se pencha tellement près de moi, semblant remplir tout l’habitacle du camion, que j’eus
soudaindumalàrespirer.—Jepassemontempsàbouger,Grey.J’attendsseulementquetulefassesavecmoi.Avantque jepuisse répondreouque je trouve lemoyende faire redémarrermoncœur, il se
reculaetsortitducamion.Jerestailàquelquessecondes,hébétée,puisjelesuivis.Au lieu d’aller à l’arrière du camion pour l’ouvrir, il se dirigea vers la porte latérale de
l’immeuble et sortit un trousseau de clés de sa poche.Quand il eut trouvé celle qu’il cherchait, ildéverrouilla la serrure etme lança à nouveauun regardmystérieux, avant depousser le battant etd’entrer,enallumantaupassagelesplafonniers.
—Oh!lavache,c’estimmense!dis-je,impressionnée,toutenregardantautourdemoi.Ignorantmaremarque, il sedirigeaversunevastecuisineséparéedurestede lapièceparun
longcomptoirengranit.Unmorceaudepapierétaitposédessus,etillepritpourleliretandisquejelevaislesyeuxversl’étageduloftcouvrantlamoitiédelasurface.
—Charlieestpasséeremplirlefrigoetlesplacards,dit-il.Jeledévisageaisanscomprendre.—Tuvasm’expliquercequisepasse?Unpetitsourireretroussalecoindeseslèvres,tandisqu’ilhaussaitlesépaules,l’airderien.—C’estchezmoi,maintenant.—Tuvast’enservircommestudio?— Non. Il y a deux pièces à l’arrière. L’une me servira effectivement de studio, l’autre à
entreposerdesaffaires,maisjevaisvivreici.—Sérieusement?J’écarquillailesyeuxtoutenconsidérantànouveauleslieux.—J’ignoraisqu’onpouvaitvivreici.—Quandmesgrands-parentsl’utilisaient,l’étageétaitconstituéd’unbureauouvertpourqu’ils
puissentvoircequisepassaitenbas.Ilyavaitjusteunepetitesalled’eau,maisnousl’avonsagrandieet remodelée. Ilyades toilettesà l’arrière,etd’autres ici,ajouta-t-ilendésignantuneportesur lecôté.Etnousavonsinstalléuncellieretunebuanderie.Al’étage,lesolétaitdéjàenplancher,etnousn’avonsrieneuàfaire.Quantausoldebétondurez-de-chaussée,nousl’avonssimplementciréennoir.
Jebaissailenezverslesoletacquiesçaid’unsignedetête.—Çavabienaveclesmursenbriquesapparentes.Etlacuisine?—Ah,oui,dit-ilensedéplaçantpourlaregarder.Elleestnouvelle.—Elleestimmense.TandisqueJaggermarmonnaituneapprobation,jeluidonnaiuncoupdecoudedanslescôtes.—Jeterappellequetunecuisinespas.—Non,reconnut-ilenriant.Maisçafaitbien.
Je contemplai quelques secondes la cuisine, avantdeme tournervers Jagger et de l’observeravecattention.
—C’estqui«nous»?Ilaffichaunemineperplexe.—Pardon?—Tun’aspasarrêtédedire«nous»pendantquetum’expliquaistoutcequiavaitétéfait.Est-ce
quequelqu’unemménageavectoi?Je réalisaialorsqu’ilyavaitpeut-êtreuneautre raisonàsonmanqued’enthousiasmeà l’idée
quejel’accompagne…Jen’avaispasvuJaggeravecunefilledepuisdesannées,maisj’ignoraiségalementqu’ilavait
transformél’entrepôtenloft.Etj’avaisététellementoccupéeàessayerdedonnerunnouvelélanàmaviequ’ilétaitfortpossiblequejesoispasséeàcôtéd’unchangementdetailledanssavieamoureuse.
Cettepenséemecoupa lesouffleetmeprocuraundrôledenœudà l’estomac,sansque jeneparvienneàencomprendre la raison. Jemedemandaiun instant s’il s’était rabibochéavecsonex,LeAnn,etlenœudsefitplusserré,setransformantenquelquechosedesipeufamilieretsimalvenuquejem’efforçaidechasserdemonespritl’idéequeJaggerpuisseêtreavecquelqu’und’autre.
—Laissetomber,cenesontpasmesaffaires,aprèstout,dis-jeavectouteladésinvolturedontj’étaiscapable.
—Depuisquandmavieneteconcernepas,Grey?Tun’aspascessédet’enmêlerdepuisquenousavonsneufans.
Ilritet,tandisqu’ilcommençaitàsedirigerverslaported’entrée,ajouta:—Personnenevaemménageravecmoi.«Nous»,c’estseulementmoietlesouvriersquim’ont
aidépourlarénovation.—D’accord.Jepoussaiunlourdsoupiretluiemboîtailepas,sansparveniràdécidersij’étaissoulagéeou
dépitéeparcequ’ilm’avaitcachéquelquechosedecetteimportance.— Quand as-tu commencé la rénovation ? demandai-je en prenant appui contre le flanc du
camion.—L’automnedernier.—Etpourquoitunem’asriendit?JenesavaismêmepasquetuavaisenviedereveniràThatch
jusqu’àlasemainedernière,etpendanttoutcetempstuastransformél’entrepôtpourpouvoirvivreici.
Jagger évita de me regarder tandis qu’il passait devant moi pour aller ouvrir l’arrière ducamionet,pourlasecondefoisaujourd’hui,jecomprisqu’ilmecachaitquelquechose.
— Je ne pensais pas que c’était important. On devait se concentrer sur les examens de find’année.
Il voulait sûrement dire qu’il voulait que jeme concentre surmes examens. Je savais que jefinirais par revenir àThatch, et Jagger aussi,mais nous n’en avions jamais vraiment parlé car çanousauraitobligésàévoquerBen.
Comprenant cela, j’eus soudainma réponse. Jagger essayait toujoursdemeprotéger, et c’estpourçaqu’ilavaitfaittouscesmystèresàproposdel’entrepôt.
Aulieud’essayerd’enavoirconfirmation,jemetusetl’aidaiàviderlecamion.
***
Quelques heures plus tard, nous avions réussi à faire entrer tous mes meubles dans la plusgrandepiècedufond,etavionsinstallétouteslesaffairesdeJaggerdanslesalonetlachambre.Je
m’étais aussi découvert une nouvelle aversion pour les escaliers, n’étant pas bâtie pour aider àtransporterdesmatelasetdescommodessurdeuxvoléesdemarches.
—Tutienslechoc?demandaJaggerendescendant.—Non,marmonnai-je,affaléesurlesol.—Turegrettesd’avoirinsistépourm’accompagner?—Etcomment!Cesontsurtoutmesjambesetmesbrasquiregrettent.Iléclataderire.—Entoutcas,j’approuveentièrementtadécisiondeconserverlesolenciment,déclarai-jeen
passantlespaumessurlesollisseetfrais.C’estfoucequec’estagréable,cettefraîcheur.—Ehbien,jesuisheureuxd’avoirtonapprobation,alorsquec’estfaitdepuisdesmois.Ilsepenchaau-dessusdemoi,avecunsourireencoin.— Il faut que j’aille rendre le camion. Tu veux venir avec moi ? On ira déjeuner, et je te
raccompagneraicheztoi.—Jenepeuxpasbouger,dis-jed’untongeignard.Commenttuveuxquej’arriveàmonterdans
cefichucamion?—Nejouepaslesdivas,protesta-t-ilenmetendantlamain.Jelasaisisetgrommelaitantetplustandisqu’ilmehissaitverslui.—J’allaistefaciliterleschosesenteproposantdemesuivreauvolantdemavoiture,expliqua
Jagger,maisiln’yaplusrienàtirerdetoi,apparemment.Jevaisdoncêtreobligéderemorquermavoiturederrièrelecamionetjevaisbienmemarrerenteregardantessayerdetehisser…
Jem’empressaiderépliquer,l’interrompanttandisqu’ilsedirigeaitverslaporte:—Non!Jevaisconduiretavoiture.Toutplutôtquederemonterdanscemauditcamion.—C’estcequeje…pensais…Ils’étaitmisàparlerauralenti,etsibasquejel’entendisàpeinejureravantdeluipercuterle
dos.Jagger tenait la porte ouvertemais, à sa façon de replier le coude, je compris qu’il l’aurait
referméesinousn’étionspasdéjàentraindefranchirleseuil.—Qu’est-ceque…Tiens,bonjour,madameEaston.Jetantuncoupd’œilàJagger,jemeglissaisoussonbraspourembrassersamère.— Bonjour, ma belle. Je suis tellement contente que vous soyez de retour pour de bon, les
enfants.JeregardaiderrièreellecherchantlasœuretlejeunefrèredeJagger,quin’étaitencorequ’un
bébé.—OùsontCharlieetKeith?—Keithfaitlasieste.Charlieestàlamaisonavecluipendantquejefaisdescourses.—Oh!ehbien,nousétionssurlepointde…—Qu’est-cequetufichesici?demandaJaggerenseplaçantentresamèreetmoi.Ellelevalesyeuxauciel.—Pourquoitu…Ill’interrompitd’unsigne,plongealamaindanssapocheetmetenditsaclédevoiture.—Installe-toi,Grey,onpartdansuneseconde.J’écarquillailesyeuxmaisneluidisrien.—Aurevoir,madameEaston.—Aurevoir,mabelle.Abientôt.JemedirigeaiverslavoituredeJaggeret,quandjemetournaipourmeglisseràl’intérieur,je
visqu’ilsmeregardaienttouslesdeux.
Il en fallait beaucoup pour énerver Jagger, et encore, il se contentait de ricaner avecmépris,avantdetournerledosàlapersonneàquiilenvoulait.Cettefois,ilpeinaitàdissimulersacolère,etjen’encomprenaispaslaraison.
Iln’avaitrienditàproposdesamèrequipuissejustifiersonattitudeprésente.Jenel’avaisvueque deux ou trois fois depuis que nous étions tous partis à l’université,mais c’était en passant, etJaggern’étaitpasavecmoi.
MmeEastonétaitégaleàelle-même.Absolumentétourdissante,libre,avecunimmensesourirequeriennesemblaitpouvoiraffecter.Elleavaitbeauchangerdemarisetdehobbyscommed’autresdesous-vêtements,ellecultivaituneinsouciancepeucommune.
Elleétaitvraimentàpart,nesepréoccupantqued’elle-même.Ellen’avaitpasconsentiàprendrelenomdefamilledesesmaris,maisadoraitchangerdeprénom,exigeantqu’onl’appelleFleur,ouJade,ouquelqueoriginalitédecegenre.Lalisteétait infinie,sanscesserenouvelée,etellerefusaitobstinémentderépondreàsonprénomdebaptême,Cindy.
Elleavaitquaranteans,maisnelesparaissaitpas,etiln’étaitpasdifficiledevoirdequiJaggeretCharlie tenaient leur beauté. Ils avaient tous les deux ses lèvres pleines et ses pommettes hautespourlesquellescertainespersonnesauraientétéprêtesàtuer.Charlieavaitsesyeuxbleus,maiselleétait blonde alors que Jagger et samère avaient les cheveux noirs, et sa silhouette était nettementmoinspulpeusequecelledeCindy. Jen’avaispasvu ledernier-nédepuis l’étédernier, alorsqu’ildevait avoir dans les sixmois,mais j’étais certaine queKeith serait aussi beau que le reste de lafamille.
Cequi lesdifférenciaitvraiment,c’était leurpersonnalité.Tandisque leurmèreétaitunespritlibre,Charlieétait lecerveaudelafamille,etd’unetimiditémaladive.EtJagger…ehbien, ilavaittoujoursétépétridecontradictions.Ilétaittoutletempsprêtàs’amuser,nousentraînantBenetmoidans les situations les plus insensées, mais il avait aussi un côté très protecteur. Compte tenu del’insouciancedesamère,ilsecomportaitenparentpourCharlie.Etilnouspoussaitenpermanence,Benetmoi,ànousaméliorer.Et,mêmes’ilétaitcouvertdetatouages,s’ilpouvaitparaîtreeffrayantquand on ne le connaissait pas bien, et s’il avait un côté rebelle et sauvage, il pouvait aussi êtreincroyablementcalme,posé,artiste…
Bref,commejeledisais,ilétaitpétridecontradictions.Maisjenel’avaisjamaisvucommeça,toisantsamèredetoutesahauteur,leregardnoir,l’air
menaçant.Paslemoinsdumondeimpressionnée,Cindysoutintsonregardunmoment,puisellepivotasur
sestalonsetmarchaverssavoiture.Enfait,ellenemarchaitpas,elledansait,secomportantcommesiriennes’étaitpasséetquel’attitudedeJaggernel’affectaitabsolumentpas.
Dèsquesavoitureeutdémarré,Jaggermecherchadesyeuxetm’adressaunpetitsouriretriste,avantd’allerfermerlesportesarrièreducamionetdesemettreauvolant.
***
Aprèsqu’ileutdéposélecamionàl’agencedelocationetreprislevolantdesaproprevoiture,JaggersemitàparlerdeCharlieetd’unvoyagequ’elledevaitfairecetété,avantdemedemandercequejecomptaisfaireàThatch,etcombiendetempsjepensaisresterchezmesparents.Iln’yeutpasunblancdanslaconversationjusqu’àcequ’ilmedéposechezeux.
—Oh!avantquej’oublie,marmonna-t-il.Plongeant lamaindans sapoche, il tritura son trousseaude clés et endécrochaunequ’ilme
tendit.—Pourtoi.
—C’estcelledel’entrepôt?—Ouais.Celan’avait riend’extraordinairepournous.LorsqueBen,Jaggeretmoiavionsemménagéà
Pullman,chacundenotrecôté,nousavionséchangénosclés.—Essaiedet’amuseravectonfrèrecesoir.Mais,siçadevienttroppénibleousituasbesoinde
quelquechose,appelle-moi,d’accord?Jehochai la tête, fisungestepour sortirde lavoiture etm’interrompis.Bienqu’il ait fait en
sortequelaconversationnes’orientejamaisdanscettedirection,jenepusmeretenirdedemander:—Quesepasse-t-ilavectamère?Ilaffichaaussitôtunemineperplexe.—Commentça?—Nefaispasceluiquinecomprendpasdequoijeparle.Ilcontinuaitàmefixer,etjeressentisuneétrangetristessem’envahir.—Nousnousdisonstoujourstout.Etaujourd’huijedécouvrequetuastransformél’entrepôten
loft, tu te comportes bizarrement avec tamère, et… jeme demande ce que tume caches d’autre.Depuisquandleschosesont-elleschangéentrenous,Jagger?
Sonexpressions’adoucitlorsqu’ilpritconsciencedemapeine.—Rienn’achangé.J’avaisenviedetefaireunesurpriseavecl’entrepôt,c’estpourçaquejene
voulais pas que tum’aides àm’installer. Je voulais te le faire visiter une fois que tout serait prêt.Quant àmamère…Ne t’inquiète pas pour ça. Il ne se passe rien que tu aies besoin de savoir, jet’assure.
Jenerépondispas.Lecommentaireétaitsurprenantdelapartd’untypequim’appelaittoujourspourquejepuisse
luiremonterlemoralàchaquefoisquesamèreannonçaitqu’elleseremariait…unefoisdeplus.Ilsoupiraetsoutintmonregard.—Çafaitunanquejen’aipaseudesesnouvelles.Ellen’estpasvenueàlaremisedesdiplômes
etelledébarqueaujourd’huicommesiderienn’était.J’aiditàCharliequetoietmoirevenionsenvilleetquej’avaisaménagél’entrepôt,ellel’aditànotremère,quiadécidétoutàcoupqu’elleavaitenviedemerevoir,alorsquejemepassaistrèsbiend’ellejusqu’àmaintenant.
—C’esttamère,Jagger.—Ouais,dit-ilavecunrireamer.Détournantuninstantlesyeux,ilprituneprofondeinspiration,avantdemeregarderànouveau.— Je suppose que j’étais en colère parce qu’elle n’est pas venue la semaine dernière. Je
m’excuseraiplustard.J’étudiaisonexpressionpendantquelquessecondesavantdehocherlatête.Je ne le croyais toujours pas, mais la journée avait été longue et épuisante, aussi bien
physiquementqu’émotionnellement,etj’avaispeut-êtreexagérésaréaction.—D’accord.—ProfitedetasoiréeavecGraham.Onsevoitdemain.—Tun’enaspasencoremarredemoi?Unelueurmoqueusepassadanssonregard,maisiln’yavaitpasàsetrompersurlasincéritéqui
vibraitdanssavoixquandildit:—Jamais.
Chapitre3
JAGGER22mai2014
—Ondirait que tuvas t’éclater,Charlie. Je suis contentque tune restespas coincée ici avecmamancetété.
Commeellenerépondaitpas,jemetournaietvisqu’ellejouaitdistraitementaveclalanguettemétalliquedesacanettedesoda.
Jefronçailessourcils,étonnéparsonétrangeetbrusquesilence.Charlien’avaitpascessédeparlerduvoyagequ’elleallaitfaireavecdesamisàtraverstoutle
paysetquiallaitdureràpeuprèsunmoisetdemi,etàprésentellerefusaitdemeregarder.—Hé?Jeposailesavant-brassurlecomptoiretattendisqu’ellelèvelesyeuxversmoi.—Qu’est-cequisepasse?—Rien,prétendit-elle.—Arrête tesconneries!C’estmaman?Ellen’estpasd’accordpourcevoyage?Elle t’afait
uneréflexion?J’essayaisdegardermoncalmemais,dèsqu’ilétaitquestiondenotremère,j’avaisdumalàme
contenir.—Aucontraire.Ellepensequeçameferadubien.Elleditqueçavamedonnerl’occasionde
déployermesailes,oujenesaisquoi.JemesentisenpartiesoulagéqueCharlien’aittoujourspaslamoindreidéedelavraienature
denotremère.Mais,sicen’étaitpasellequilapréoccupait,c’étaitquelqu’und’autre.Inclinantlatête,jedemandai:—Alors,qu’est-cequiachangé,toutàcoup?Tuétaisintarissablesurcevoyageetmaintenant
tunedécrochesplusunmot.C’estquileresponsable?Tuveuxquej’ailleluicasserlagueule?Ellegloussa.—Ducalme,Jag,inutiledejouerlesdurs.Jepensaisseulementà…quelquechose,maisiln’ya
riendegrave.—Situdisça,c’estquec’estgravejustement.Raconte-moi.Sonregardbleusevoilad’inquiétude,etellesemorditl’intérieurdelajoue,avantdeprendre
uneprofondeinspiration.—Tucroisquejedevraisfairecevoyage?Jelaissaiéchapperunsoupirdesoulagement.Jenesaispascequejem’étaisimaginé.Qu’elle
avait rencontré quelqu’un ? Probable. Qu’elle était enceinte ? Invraisemblable. Que maman avaitcommencéàs’enprendreàelleaussi?Possible,bienqueCharlieaitdéjàprouvéqu’ellenesavaitrien.
—Biensûrquetudoisfairecevoyage,répondis-je.—Vraiment?Jen’ensuispassûre.J’aienvied’yaller,c’estvrai,maisletruc,c’estque…jene
saispas.Ondiraitquej’attendsquequelqu’unmedisequec’estunemauvaiseidée.—Pourquoi ce serait unemauvaise idée ? Tu as peur qu’il arrive quelque chose pendant ce
voyage,unaccidentouautre?—Non,cen’estpasça.MaisKeithvaresterlà,etilfautbienquequelqu’uns’occupedelui.—Cen’estpastonproblème,répliquai-jeenserrantlespoings.Ilaunemère,quejesache.
—Maistusaisbienquemamanal’habitudedes’enallersanscriergare.Ellepeutresterabsentependantplusieursjoursetellen’emmènejamaisKeithavecelle.
—Evidemmentqueje lesais!Elleacommencéà lefaireavecnousdèsqu’elleaestiméquej’étaisassezgrandpourm’occuperdetoi.Siellen’emmènepasKeithavecelle,c’estparcequetuesàlamaisonetqu’elleestconscientequetunelelaisseraspastoutseul.
—J’hésite,Jag…— Charlie, tu n’es pas responsable de lui. Tu dois faire ce voyage. Tu dois quitter Thatch
quelquetemps.Jerisnerveusement,toutenagitantlatête.—Merde,cequ’iltefaut,c’estalleràl’université.—Jefaisdesétudessupérieures.—Non,tusuisdescoursparcorrespondance.Çan’arienàvoir.—Qu’est-cequeçapeuttefaire?—Mais tu ne vois pas que tu gâches ton talent ?Tu es un génie,Charlie !Tu pourrais faire
tellementmieuxqueça!Jesaisquetuasdel’argentpourpayertesétudes,ettesnotestepermettentd’être acceptéen’importeoù. Jeveuxque tupartesd’ici et je ne comprendspaspourquoi tune lesouhaitespasaussi.Tuteprivesdelaviequetuméritesailleursqu’ici.
—Tuesbienrevenu,toi.Pourquoic’estsimalquejeveuillerester?Jegrommelaietmepassailamaindanslescheveux.—Iln’yariendemalàvouloirvivreici,maisjeveuxquetufassesl’expérienced’allerétudier
ailleursparcequeçat’apporteraénormémentdechoses.Maistoi,nonseulementtuteprivesdecetteopportunité,maistufaciliteslaviedemamanenélevantsonenfant.
Charliem’observaquelquesinstants,l’airblessé.—Tum’asélevée,Jagger.Çaveutdirequetuasl’impressiond’avoirgâchétavie?—Quoi ?demandai-jedansun souffle.Tuplaisantes ?Çan’a rien àvoir.Tuasdeuxansde
moinsquemoi,tumesuivaispartout.M’occuperdetoin’étaitpasplusdifficilequedem’occuperdemoi.Cen’étaitpasunecorvée.
—Quoiqu’ilensoit, ilfautbienquequelqu’unveillesurKeith.Et,contrairementàcequetupenses,jenemeprivederienenrefusantd’alleràl’université.Jen’aipasenviedeça.Sijenesuispastropbête,c’estparcequetum’aspousséeàétudiersansarrêt,maisjedétestel’école.Enplus,lesétudesquim’intéressentpeuventtrèsbiensefaireparcorrespondance,etcen’estvraimentpasdrôlepourmoiquetusoistoujoursentraindemepousseràfaireautrechose.
—D’accord.Jesuisdésolé.Onpeutchangerdesujet?—Biensûr.Ellelaissapasserunsilence.—J’aivuGreyaujourd’hui.—Jesais.Elleavaithâtedetevoir.Ellen’aparléquedeçacematinavantdepartir.—Ouais,c’étaitsympa.Ellememanquait.Çam’afaitplaisirdepasserànouveaudutempsavec
elle.Sonintonationmefitfroncerlessourcils.—Pourquoituparlescommeunrobot,alors?Ellehaussalesépaules.—Pasdutout.Jet’aiditquec’étaitsympa.Greyavaitl’air…bien.—Ouais.Lepremierjour,çan’apasétéfacilepourelle,maisellevabeaucoupmieux.—J’airemarqué,marmonnaCharlie,avecunvaguereprochedanslavoix.Jecontournailecomptoiretcroisailesbras.—Bon,qu’est-cequinevapas?Tuparaisdéçueoujenesaisquoi.
—Non,jedisjustequ’elleal’aird’allerbien.Savoixétaittoujoursmonocorde,etelleavaitundrôled’air.InquietpourGrey,m’imaginantqu’elleavaitpeut-êtrepucraquer,jeperdispatience.—Bon, écoute, je vois bien que quelque chose ne va pas. Il s’est passé quelque chose avec
Grey?—Pasdutout,répliquaCharlied’untonboudeur.Commejeviensdeteledire,ellevabien.Jelaissaimesbrasretomberlelongdemoncorps,etmesépauless’affaissèrent.—J’ail’impressionquejepasseàcôtédequelquechose.C’esttoiquiascommencéàparlerde
Grey,ettuasl’airvraimentbizarre.Ma sœur m’observa un long moment sans rien dire et, juste quand j’allais lui reposer la
question,ellelança:—Greyatournélapagecommesiriennes’étaitpassé.Ellevabien,etjenesaispascomment
ellepeutagircommesiBenn’avaitjamaisrienreprésentépourelle.Jen’encruspasmesoreilles.—Quoi?C’estçatonproblème?Commentpeux-tudireunechosepareille?Ellevitavecce
quis’estpasséchaquejour.Çaafailliladétruire,maiselleremontelapente.ElleessaiedecontinueràvivresaviecommeBenl’auraitvoulu.Tudevraisêtrefièred’elle.
Commeellenedisaitrien,j’insistai:—Çat’ennuiequemoijecontinueàavancer?—Non,Jagger,maiscen’estpaspareil.—Enquoic’estdifférent,putain?J’avaiscrié,enécartantlargementlesbras.—J’aivumonmeilleuramimourirdevantmoi!Nousfaisonstouscequenousdevonsfaire,ce
queBenauraitvouluquenousfassions.Çavafairedeuxans!—Elleallaitl’épouser,bordel!s’exclamaCharlie.J’eusunmouvementderecul.Masœurneréagissaitjamaiscommeça.—Jenecomprendspascommentellefaitpourlerayerdesonexistence,reprit-elle.Ondirait
qu’iln’ajamaiscomptépourelle.Jeserrailesdentsettentaidemecalmer.—Greycontinueàlutter.Commentpeux-tuluienvouloird’essayerdevivre?Masœurhochalatête,s’emparadesonsacetcommençaàsedirigerverslaporte.Comme j’allais luidemanderpourquoi ellepartait, elleme jeta soudainun regardpar-dessus
sonépauleetlâcha:—C’estlemeilleuramideBenquiditçaouletypequivoulaitluiprendreGrey?—Charlie!—J’aitoujoursvouluqueGreyettoisoyezensemble,Jag.Toujours.Lesyeuxbrillantsdelarmes,ellem’offritunsouriretimide.—J’aiattendulejouroùelleréaliseraitcequetuavaisàluioffrir,maiselleachoisiBen.Et
maintenantellefaitcommes’iln’avaitjamaisexisté.—Tunesaispascequetudis.Tun’aspasvul’enferqu’elleatraverséchaquejour.—Atonavis,qu’est-cequeBenenpenseraits’ilvousvoyaitsansarrêtensemble?Médusé,jelaregardaisortiretnefisrienpourl’arrêter.Ellesetrompaitcomplètement,maisjenesavaispasquoiluidirepourleluifairecomprendre.
Jen’avaisjamaisvumasœurréagircommeça,surtoutvis-à-visdeGrey.Çan’avaitaucunsens,etj’avaispeurqu’ellen’aitditquelquechoseàGrey.
Jeprismesclés,courusàmavoitureetappelaiGrey,maisson téléphonesonnadans levide,avantdebasculersurlamessagerie.
Jem’arrêtaidevantlaportièrecôtéconducteurdemavoiturepourécoutersavoix,commejelefaisaischaquefoisquejetombaissurlemessagedesonrépondeur,cettevoixheureuseetinsouciantequiétaitlasienneavantlamortdeBen.
Sans laisserdemessage, jememis auvolant etpris ladirectionde lamaisonde sesparents.Voyantquesavoituren’étaitpasgaréedevant,jenem’arrêtaipas.
Si elle n’était pas là et ne répondait pas au téléphone, il n’y avait que deux endroits où ellepouvaitsetrouver.
J’espéraisqu’ilnes’agissaitpasducimetière.Traversant la ville, j’essayai de nouveau son portable et, après avoir eu une seconde fois sa
messagerie,jem’engageaidansunvieuxcheminfamilier.LavoituredeGreyétaitgaréeprèsdulac,etjem’arrêtaiàcôté.Coupantlecontact,j’observai
uninstantlepontonetdistinguaiunesilhouetteétenduetoutaubout.—Jemedoutaisquetufiniraispardébarquerici,ditGreyd’untonamuséensehissantsurles
coudes,tandisquejeprogressaisverselle.—Çafaitlongtempsquetueslà?—Environtrenteminutes.Commenttuasdeviné?Jedétournailesyeux,fixantlamassesombredulac.—Tunerépondaispasautéléphone.—Ah…Lesondesonrirelégerrésonnauncourtinstantdansl’air,avantqu’elleajoute:—Jevaisfinirparcroirequetuesmédium.J’esquissaiunsourire,toutenm’installantàcôtéd’elle.—Jen’ensaisrien,maisçaseraitquandmêmeplussimplesitumepassaisuncoupdefilquand
tuasbesoindequelquechose.Commenousl’avionsfaitsisouventautrefois,nouslaissâmesunsilenceconfortables’installer
entrenous,tandisquenousnousperdionsdanslacontemplationduciel.Cetendroitétaitchargédesouvenirsqui,immanquablement,mesubmergeaientchaquefoisque
jevenais ici.Nousyavions fait lesquatrecentscoupsquandnousétionsados.C’est làque j’avaissurprisBenentraind’embrasserGrey,réalisantqu’ilmel’avaitpiquéesouslenez.C’estlàaussique,duranttoutl’étéquiavaitsuivilamortdeBen,j’avaisretrouvéGreyenpleurstouteslesnuitsetquej’étaisrestéavecellejusqu’àcequ’elles’endormed’épuisement,avantdelamettredansmavoitureetdelaramenerchezsesparents.
Enbiencommeenmal,jeconsidéreraistoujourscepontoncommelenôtre.—Qu’est-cequetufaislàcesoir?demandai-je.—J’enavaisenvie.Jevoulaismesouvenir…—Toutelavilleestrempliedesouvenirs,Grey…Jelaissaimaphraseensuspens,laquestiondesaprésenceicitoujourssous-jacente.Ellerestasilencieuseunmoment,avantdemurmurer:—C’estpeut-êtreparcequejesavaisquetuviendrais.Jesavaisquetuaffronteraislessouvenirs
decetendroitavecmoi.Et,mêmesicertainssontdifficiles,cesontlesplusbeauxquej’aidenoustrois.
Jetournailatêteverselle,attendantqu’ellemeregarde,etremarquaileslarmesquinoyaientsesyeux.
—Lesplusbeaux,répéta-t-elle,avantdefixerleciel.J’observaiuninstantsonprofiletlevaiàmontourlatêtepourcontemplerlesétoiles.—Raconte-moi.
***
Nousévoquâmeslonguementnosmeilleursmomentssurceponton.AplusieursreprisesjevisGreyessuyersesjoues,maisleplussouventsonrireemplitl’airnocturne.
Durant toutcetemps, jeguettaiunsignerévélantqueCharlie luiavaitditquelquechose,maisquandlaconversationdéviasurlavisitequ’elleavaitfaiteàmasœur,unpeuplustôtdanslajournée,elle ne laissa rien paraître d’autre qu’un immense sourire.Grey adoraitmapetite sœur, et rien nesemblaitavoirchangédansleurrelation.Quoiqu’ilsepasseavecCharlie,jedécidaideledécouvrirplustard.Jen’avaispasenvied’ennuyerGreyavecçamaintenant.
Sanscompterquej’étaistropoccupéàluttercontrel’enviedelaprendredansmesbrasetdeluiposerlaquestionquimetaraudaitdepuismestreizeans.Cettequestion,jel’avaisécritesurunpetitboutdepapierquej’avaisprévudeluidonner,justeavantquejeladécouvredanslesbrasdeBen.
Je ne sais pas pourquoi je n’avais jamais jeté cemessage. J’attendais peut-être secrètement lejouroùGreyquitteraitBen,etoùjepourraisleluidonner.
Bref,celafaisaitneufansqueceboutdepapierétaitplanquédanslaboîteoùjerangeaismesfusains.Lafillequiétaitallongéeàcôtédemoisurlepontonneleverraitjamais.Jeneluiposeraisjamaislaquestion.Et,pourtant,jenepouvaismerésoudreàmedébarrasserdecemessage.
GREY23mai2014
AprèsavoirfrappésanssuccèsàlaportedeJag,jemedébattisd’unemainavecmontrousseaudeclés,tandisquejetenaisfermementdel’autrelesachetcontenantdessandwichsetdesboissons.
Glissantlaclédanslaserrure,jelatournaietpoussailaporte.De lamusique à plein volumem’accueillit, et je souris, devinant que Jagger était en train de
dessiner.Jedéposaimesclés sur le comptoirde la cuisine, installai tout etmedirigeaivers le couloir
menantauxpiècessituéesàl’arrière.Jen’étaispasentréedanslestudiodeJaggerdepuisnotreretouràThatch,unesemaineplustôt,etj’avaishâtededécouvrirsonenvironnementdetravail.
Jetournaiàl’angleducouloir,etmonsourires’élargitquandjel’aperçus,torsenu,entraindetravaillersurunecréationdegrandetaille.
Rienqu’enlevoyant j’eus l’impressionbouleversanted’êtreà lamaison,cequin’avaitaucunsens.Siunendroitdevaitreprésentermonfoyer,çanepouvaitêtrequelamaisondemesparents.
Pourautant,cettesensationnefaiblitpas.Aucontraire,jelaressentisunpeuplusàchaquepasquimerapprochaitdel’hommeenfacedemoi.
Monsourires’évanouitquandilsepenchapours’essuyerlesmainsdansuneserviette,etquejeviscequ’ilétaitentraindedessiner.
Levisagequimefaisaitfaceétaitlemien,traitpourtrait.L’exécutionétaitparfaite,iln’yavaitrienàredirelà-dessus,saufqueJaggernefaisaitjamaisde
portrait.Ildessinaitdespaysages,desbâtiments,desobjets…pasdesgens.Mais,quandjedétachailesyeuxdeluietdel’œuvrequ’ilterminait,pourobserverlesdizaines
dedessinsaccrochéspartoutdanslapièce,jeréalisaiquej’avaistort.Ilyavaitpleindedessinsdegens…Ouplutôt,d’unepersonne.Uneseule.Moi.Mes expressions étaient toutes si parfaitement restituées qu’on aurait pu croire qu’il m’avait
priseenphotojusteavant.Surl’undesdessins,jeriais.Surunautre,j’étaistriste.Surunautreencore,jeregardaisdansle
vide…Découvrantlesuivant,jefusméduséeparlapassionquemonvisageexprimait.Onauraitditque
j’étaisamoureusedelapersonnequicontemplaitledessin…oudecellequil’avaitcréé.J’étaistellementpriseparcequejevoyais,etoccupéeàessayerd’encomprendrelepourquoi,
quejenem’aperçuspastoutdesuitequeJaggeravaitremarquémaprésence.Depuiscombiendetempsmeregardait-ilpaniquerensilencedevantcequejedécouvrais?Mesyeuxseposèrentfinalementsurluiquandlamusiques’arrêtabrusquement,etilmefallut
quelquessecondespourmerendrecomptequ’ilétaitterrifié.Ilavançaàpasprudentsversmoi,saboucheformantmonprénomsansqu’aucunsonn’ensorte,
sonexpressionindiquantclairementquejen’étaispascenséevoircesdessins.—S’ilteplaît,laisse-moit’expliquer.—Qu’est-cequec’estqueça?Pourquoitumedessines?—Grey,je…—Tunedessinespas lesgens.Tum’asditque tunesavaispas lefaire,que tuétaismauvais.
Pourquoitum’asditçasicen’estpasvrai,situavais…?
Lesmotsmemanquaient,etjefisungrandgestedelamainverssondessinencours,commesicelasuffisaitàterminermaphrase.
Jaggermefixad’unairdésespérépendantdelonguessecondes,sanspluschercheràmeparler.Jememisàcrier.—Pourquoitumedessines?Ilvacilla,maisgardalesilencetandisqu’ilsecouaitlatêted’unairimpuissant.—Réponds-moi !Jeveuxcomprendre!J’ignoreceque jedoisenpenser,etçamefaitpeur,
Jag!—Jenesaispascequetuveuxquejedise,répondit-ilenfintoutbas.—Maissi,tulesais!Tum’asdemandédetelaissert’expliquer,etj’attendsquetulefasses.Dis-
moipourquoijesuissurtouscesdessins,pourquoiiln’yapersonned’autre.—Parcequetueslaseulequej’aienviededessiner.—Pourquoi?Baissantlatête,ilseperditdanslacontemplationdusol.—Parce que je ne peuxpas t’avoir, et que c’est la seule façonque j’ai d’exprimer ce que je
ressenspourtoi.—Quoi?lâchai-jedansunsouffle.Ilserralesmâchoiresetprituneprofondeinspirationavantdesejeteràl’eau.—Je t’aime. J’ai toujourseu le sentimentque tuétais faitepourmoi. Jecroisque je t’aimais
déjàavantdesavoircequec’estqued’êtreamoureux.—Non,cen’estpaspossible!Tunepeuxpasêtreamoureuxdemoi!Jagger tendit les mains devant lui, comme s’il voulait m’atteindre, et son expression se fit
suppliante,maisjefisdemi-touretmeruaiverslacuisine.Récupérantmes clés et mon sac sur le comptoir, je me précipitai dehors et montai dansma
voiture.Aumomentoùjedémarrai,jeréalisaiqu’ilauraitpumerattraperfacilement.Et,s’ilnel’avait
pasfait,c’estparcequ’iln’enavaitpasenvie…cequinefaisaitqu’aggraverlasituation.Cen’estpasquejevoulaisqu’ilmeretienne.Maisjesavaisquejel’avaissuffisammentblessé
pourqu’ilnecherchemêmepasàlefaire.Etçamefaisaitsouffrirautantquesaconfessionm’avaitchoquée.
***
Je me garai en catastrophe devant la maison de mes parents et bondis hors de ma voiture.Grahamsetrouvaitsurleperron,commes’ils’apprêtaitàsortir.
—Qu’est-cequit’arrive?lança-t-ild’unevoixquel’inquiétuderendaitplusaiguë.—Je…Il…—Explique-toi,insista-t-ilenm’accompagnantdanslecouloir.Ques’est-ilpassé?—Oh!monDieu,ilyaunproblème?s’enquitmamèreenapprochantd’unpaslourdsurle
plancher.—Non,dis-jeentremesdents.Enfin…si.—Qu’est-ceque…,commençaGraham.Jeluicoupailaparole.—JesuisalléechezJagger,etiladesdessinsdemoiaffichéspartout.Ilpassesontempsàme
dessiner!dis-jed’untonexaspéré.—Enquoiçategêne?demandamamère,tandisqueGrahamricanait.—Maman,tunelesaspasvus.Cesont…
—Quoi?Ils’agitdedessinstendancieux?—Quoi?Maisnon!Qu’est-cequetuvasimaginer?Maisonauraitditque…Ilfaut lesvoir
pourcomprendre.Etilm’adit…Jeneterminaipasmaphrase,incapablederépétercequeJaggerm’avaitavoué.Pourl’instant,
j’étaisencoredansledéni,etlefaitd’enparleràquelqu’unenferaituneréalité.—Non,jecroisquejecomprends,fitmamèred’unevoixdouce.Sonvisageétait éclairéparcetteexpressiondecompassionque je lui avaisvue si souventau
cours des deux années qui venaient de s’écouler, mais cette fois un sourire bienveillantl’accompagnait.
SurprenantleregardentendudeGraham,jecomprisqu’ilsétaienttouslesdeuxaucourant.—Commentpouvez-voussavoirque…—Cen’estpasunsecret,machérie.Cegarçonestamoureuxdetoidepuis…—Non!Non,cen’estpaspossible!Merde.Ilssavaientetilsavaientl’airdetrouverquec’étaitunebonnechose.—Allons,ditGrahamensoupirant.Situfaisl’effortderéfléchirunpeu…—Maisc’estmonami!—Grey…,soufflamamère.—C’étaitl’amideBen!hurlai-je.Ilnepeutpas…Ilnepeutpas…Cen’estpasbien.Jecommençaisàsangloter,maispasunelarmenecoulait.—Jesuiscenséeêtresonamie.Commentpeut-ilmefaireça?J’allaisépousersonmeilleurami.Je n’étais pas certaine de m’exprimer de façon très cohérente, mais j’étais dépassée par les
événements.—J’aivulesdessins,ilestdevenunerveuxetilm’aexpliquéqu’ilavaittoujoursétéamoureux
demoi!Pourquoiilafaitça?Ilnepeutpasnousfaireça!—Reconnaisqu’ilatoujoursétédiscretàproposdesessentiments,soulignamamère.Tun’en
savaisrienjusqu’àaujourd’hui,et iln’auraitrienditsi tun’avaispasvulesdessins.Nousl’avionsdevinédèsquevousêtesdevenusamis,rienqu’àlafaçondontilteregardait.
—Maiscommentpouvez-voustrouverçanormal?J’étaissurlepointd’épouserBenquandilestmort. Comment pouvez-vous accepter que quelqu’un d’autre veuille être avecmoi ?Commentpouvez-vousfaireçaàBen?CommentJaggerpeutluifaireça?
—Machérie,çafaitdeuxans…—Jesais,maman!Tucroisquejenesaispasexactementcombiendetempsçafait?Maisj’ai
passéseptansavecBen.— Il est parti,Grey, dit-elle, tandis que les larmes emplissaient ses yeux et roulaient sur ses
joues.Jesaisquec’estdur,maisiln’estpluslà.Aujourd’hui,tuasquelqu’unàcôtédetoiquit’aimedepuisdesannées,quiatoujoursétélàpourtesouteniretquicontinueraàlefaire.C’estnormalquetuaimesànouveau.C’estnormalquetutourneslapage.
Jesecouailentementlatête.—Non,jenepeuxpas.Jetantuncoupd’œilàmonfrère,jel’apostrophai.—Pourquoitumeregardescommesijefaisaisuneerreur?TudétestesJagger.—Jeneledétestepas.Simplement…Illaissasaphraseensuspensethaussalesépaulestandisqu’ilcherchaitlesbonsmots.—Il était amoureuxdemapetite sœur.EtBenaussi.Acet âge-là, jen’appréciaispasque les
garçonsregardentmasœur,etencoremoinsqu’ilsaientdessentimentspourelle.Mais jenelesaijamaisdétestés,nil’unnil’autre.EtjerespecteJaggerpourlesoutienqu’ilt’aapportéduranttoutescesannées.
—Cen’estpaspossible,murmurai-je.—Situnel’appréciaispas,ditGraham,çaneteposeraitpasdeproblème,etlaconversationen
resterait là.D’accord,cette révélationpeut tesurprendre,mais iln’yapasdequoienfaire toutunplat.Situleprendsaussimal,c’estquetoiaussituesamoureusedelui.
—Quoi?Nonmais,çanevapas?—Et tu refusesde l’accepter, poursuivitGraham,parceque tu as l’impressionde trahirBen.
Saufqu’iln’yariendemaldanscettesituation.Mamanaraison:Benn’estpluslà,ettudoispasseràautrechose.
—Jenesuispasamoureusedelui!Grahamfitlagrimace,tandisquemamèremeregardaitavecl’aird’attendrequej’ouvreenfin
lesyeux.Maisjenepouvaispas.Jerefusaisd’ypenser.Parceque,s’ilsavaientraison…Non.Cen’étaitpaspossible.Je ne pouvais pas faire ça àBen. Je ne pouvais pas laissermes pensées s’orienter dans cette
direction.Biendécidéeànemeconcentrerquesur le souvenirdeBen, jeme ruaidans l’escalieretme
réfugiaidansmachambre.
JAGGER23mai2014
Portantlabouteilleàmeslèvres,jeprisunelonguegorgéedebièreavantdelaposeràcôtédemoi,sansjamaisquitterdesyeuxledessininachevétandisque,del’autremain,jepliaisetdépliaisunmessagevieuxdeneufans.
Alors que le plat de mon pouce passait sur le papier usé, les mots qui y étaient tracés sebousculaientàl’infinidansmatête.
Cesmots,jerêvaisdelesdiredepuisdesannéesetjesavaisàprésentquejeneleferaisjamais,decraintededétruirecequ’ilrestaitdenotreamitié.
Froissantleboutdepapier,jelejetaietmeprislevisagedanslesmains,enrêvantdepouvoirremonterletemps.
Siseulementjen’avaispasmislamusiqueàfond,jel’auraisentenduearriver.Et,sij’avaissuqu’elledevaitpassercematin,jenemeseraispasmisàdessiner,ellen’auraitpasvucesurquoijetravaillais,nilesautresportraitsd’elle,etjen’auraispasavouéquelquechosequin’auraitjamaisdûêtredit.
Je revoyais son expression horrifiée lorsque je lui avais confié que je l’aimais, quand montéléphonebipa.Jesoupiraiendécouvrantlenomquis’affichait,maisouvrisquandmêmelemessage.
Graham:Jepensequ’ilfautquetulesaches…GreyvientdepartirpourSeattle.Elleaditqu’elleallaitpasserl’étéchezJanie.Désolé,vieux.
Jereluslemessagetroisfois,avantdechercherlenumérodeGreydanslalistedemescontacts.Çasonnaetbasculasurlamessagerie.JenelaissaipasdemessageetappelaiaussitôtGraham.
—Salut.—Elleestpartiequand?—Justeavantquejeteprévienne.Jesuisvraimentdésolé,Jagger.Ellenousaditcequis’était
passécematin.Stupéfait,j’attendisqueGrahamsemetteàcrier,qu’ilmedisequejen’étaispasassezbienpour
Grey,qu’ilmereprochedel’avoirpousséeàpartir…maisriennevint.—Pourquoitumepréviens?demandai-je.Pourquoituesdésolé?Ileutundrôlederireetsoupira.—Greyaussicroyaitquejetedétestais,maiscen’estpaslecas.Aunmoment,j’aicraintquetu
necherchesàbriserlecoupledeGreyetBen,parcequetessentimentspourellesevoyaientcommelenez aumilieude la figure…Quand il estmort, jem’attendais à ce que tu tentes ta chance avecelle…
— Espèce de connard, marmonnai-je, mais il parla plus fort que moi, m’empêchant decontinuer.
— C’est ma petite sœur, mec. Je ne passais pas assez de temps avec vous trois pour savoircommenttuallaisréagir.Apparemment,jemetrompais.Maisj’aitoujoursfaitgaffeavectoi,parcequejenesavaispasàquoim’attendre.J’aiditàGreycematinquejeterespectais.Tunesaispasàquelpointj’appréciecequetuasfaitpourellecesdeuxdernièresannées.Tul’asaidéebienplusquen’importe lequel d’entre nous n’aurait pu le faire. Et tu l’as fait sans te soucier de savoir qu’elleignoraittoutdetessentiments.
Jerestaisimmobile,incapablededirequoiquecesoit.Jenem’attendaisvraimentpasàçadelapartdeGraham.
—Quand elle était petite, elle avait besoin demoi et de notre père.En grandissant, elle a eubesoindeBen.Etmaintenantelleabesoindetoi.Jesaisqu’ellet’aimeaussi.Nouslesavonstous.
J’eusunrireamer.—Non.Non,ellenem’aimepas.Tun’aspasvusonexpressioncematin.—Jel’aivuejusteaprès.Jenesaispascequis’estpassécheztoi,maisj’aivucombienelleétait
paniquée.Jesaisque,pourlemoment,elleestdansledéni,maisj’ailacertitudequ’ellet’aime.Elleapeur,Jagger,c’esttout.
—Jene…—Ellepensequ’ellen’apasledroitdet’aimer.AcausedeBen,àcausedecequetuétaispour
lui…Maisellet’aime,fais-nousconfiancesurcepoint.Jetediraisbiend’allerlachercher,maisjepensequ’elleabesoindefaireunepause.Elleabesoindepasserdutempsloind’icietdetoipourcomprendreceque tureprésentespourelle.Laisse-luideuxsemaines,Jagger.D’ici là,elleseraderetour.
Laconversationterminée,jerestaiassisunmoment,lesyeuxdanslevide,jusqu’àcequejen’enpuisseplusderessasser.
Traversantleloft,jemontaidansmachambreetenfilaiunechemise,avantdegagnermavoitureàpetitesfoulées.
Je roulai jusqu’à la sortie de la ville etme garai de façon à ce que les phares éclairentmonchemin.
Tremblantdetousmesmembres,jedemeuraienarrêtdevantlatombeettentaidemecontrôler.Aulieudequoi,jecraquaiettombaiàgenoux.
—Jesuisdésolé.Jesuistellementdésolé,putain,m’écriai-jedansunsanglot.J’essaiedenepasl’aimer,maisjenepeuxpas,etçametue.Elleestàtoi.Jesaisqu’elleestàtoi.Elleabesoindetoi.Pourquoitun’espluslà?Pourquoitun’espluslà,Ben?
Rejetantlatêteenarrière,j’observaileciel,toutencroisantlesmainssurmoncœur,etmemisàhurlerdanslevide.
—Reviens,Ben.Reviens.
TITREORIGINAL:LETTINGGO
Traductionfrançaise:CAROLEPAUWELS
Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:
Photo:©MARTASYRKO/TREVILLIONIMAGES
Réalisationgraphiquecouverture:
ATELIERDPCOM.
Tousdroitsréservés.
©2015,MollyJester.
©2016,HarperCollinsFrancepourlatraductionfrançaise.
Celivreestpubliéavecl’aimableautorisationdeHarperCollinsPublishers,LLC,NewYork,U.S.A.
ISBN978-2-2803-7482-8
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83-85,boulevardVincent-Auriol, 75646PARISCEDEX13.
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Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.
Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationdel’auteur,soitutilisésdanslecadred’uneœuvredefiction.Touteressemblanceavecdespersonnesréelles,vivantesoudécédées,desentreprises,desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.
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