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7/23/2019 Clavelin Sobre Duhem e Galileu
http://slidepdf.com/reader/full/clavelin-sobre-duhem-e-galileu 1/11
M Maurice Clavelin
Galilée et le refus de l'équivalence des hypothèsesIn: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications. 1964, Tome 17 n°4. pp. 305-314.
Citer ce document / Cite this document :
Clavelin Maurice. Galilée et le refus de l'équivalence des hypothèses. In: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications.
1964, Tome 17 n°4. pp. 305-314.
doi : 10.3406/rhs.1964.2369
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0048-7996_1964_num_17_4_2369
7/23/2019 Clavelin Sobre Duhem e Galileu
http://slidepdf.com/reader/full/clavelin-sobre-duhem-e-galileu 2/11
Galilée
et
le refus
de
l équiv alence des hypothèses
i
Dans
le
combat
copernicien
de
Galilée,
l année
1610
marque
une coupure décisive. Non
que
Galilée n ait déjà, avant cette
date, exposé plus ou moins ouvertement ses idées :
la
lettre à
Jacopo Mazzoni de 1597 ou les
Leçons
sur
la
nova de 1604
sont
à
cet égard autant
d indices d une
conviction depuis longtemps
affirmée
et
méthodiquement
approfondie.
Tout change cependant
avec l année 1610 porté par les découvertes dues au télescope,
et
riche
d une argumentation entièrement
renouvelée,
Galilée passe
alors brusquement du
plaidoyer
discret à la lutte ouverte. De la
publication du Sidereus Nuncius à
la
condamnation de 1633, pen
dant
près
d un
quart
de siècle,
c est
avec
toute son
énergie
que
Galilée va tenter d établir, puis
d imposer, la
vérité
du
coperni-
canisme ; pari difficile
s il
en
fut, menacé dès 1616, officiellement
perdu,
et en
réalité gagné au point de symboliser le triomphe de
la
libre raison sur les dogmatismes
et
les despotismes.
Faire le
bilan
des arguments
que
Galilée
exposa
inlassablement
durant
ces vingt-trois années,
et
dans des œuvres
aussi
diverses
que le Sidereus
Nuncius,
Les
lettres sur
les taches solaires, le Saggiatore
et
le Dialogue
sur
les deux plus grands systèmes
du
monde, n est
pas
chose
aisée.
Faute
d une
meilleure classification,
il
semble
toutefois
que les
preuves jugées
capitales
par Galilée, peuvent
s ordonner autour
de
trois grands thèmes. Et d abord
la vanité
de cette
partie
de
la philosophie naturelle traditionnelle où
le
géocentrisme avait trouvé jusque-là
un
support
physique
incontesté
(1) ; successivement Galilée
va en
abattre les pièces
(1)
Copernic
et Bruno
avaient
bien remis
en
cause
cette
philosophie
naturelle,
mais
leur argumentation, à
la
différence
de celle de Galilée,
demeurait purement théorique.
T.
XVII.
— 1964 20
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306
REVUE
D HISTOIRE DES SCIENCES
maîtresses
:
idée
d un centre unique
du
monde où les corps graves
trouveraient
leur lieu
naturel
;
croyance en
l existence de corps
légers
à côté
de ces mêmes corps
graves
;
enfin
et
surtout
affirmation
d une
différence
de
nature
entre
la
Terre
et
les
corps
célestes.
Tels
étaient les liens qui depuis vingt
siècles
unissaient le géocentrisme à
cette
image du monde
que sa
destruction ne pouvait
guère
ne
pas
apparaître comme une contribution de poids
en
faveur
du
nouveau
système (1).
Les
réponses aux multiples objections que
la tradition avait
élevées contre
un
éventuel
mouvement
de
la
Terre forment assez
naturellement
un deuxième groupe de preuves.
Les
mouvements
que nous
voyons se produire partout autour
de
nous
ne seraient-ils
pas
irrémédiablement
perturbés
et
rendus
impossibles
si
l on
attri
buait
à la Terre
un
mouvement
de
rotation ?
Introduisant
les notions
de conservation
du
mouvement
acquis et
de composition des m ou
vements
Galilée
pense avoir
montré,
dans la
deuxième journée
du
Dialogue,
qu il
n en serait rien. Mais d autres difficultés subsis
tent
le
diamètre
apparent des
étoiles
fixes,
joint
à l absence de
toute parallaxe, n oblige-t-il pas à leur prêter des dimensions défiant
l imagination et
à reculer
ainsi
à
l infini les
limites de l Univers ?
On sait
comment la
lunette permet d écarter cette objection :
annulant l effet d irradiation
et diminuant plus
de vingt
fois le
diamètre
apparent
des
étoiles
fixes,
elle
supprime
du
même
coup
la
nécessité
de leur
accorder
des dimensions
exorbitantes
;
si l on
donne alors
à
une étoile
de
sixième grandeur la taille du Soleil,
on
la situera
à
une
distance
certes
considérable (deux mille
fois le
rayon de
l orbite terrestre, estime
Galilée),
mais
non
infinie et
suffisante pour
expliquer
l absence
de
toute parallaxe (2).
Enfin
(et
ce sera le
troisième ensemble
de
preuves
réunies par
Galilée)
toutes les
observations
nouvelles,
dues
à la lunette,
s accor
dentmmédiatement avec
la
doctrine copernicienne, alors
qu elles
posent à
chaque
fois
un
nouveau problème à la doctrine ptolé-
maïque. Ne
citons qu un
exemple pour le moment : si le coperni-
canisme est vrai, on peut s attendre à
ce
que
le diamètre
apparent
de Mars soit
considérablement plus
grand
lors
de
l opposition, quand
il
est au plus près
de
la
Terre,
que
lors
de
la
conjonction
; suppri-
(1) Sur
ce
point on
peut
se reporter
à
l article que nous
avons
récemment
publié
« Galilée et la cosmologie
traditionnelle
» (Rev.
Hist.
Sci.,
t.
XV, 1962, pp. 1-26).
(2)
Cf.
Dialogue,
Troisième journée
G.
Galilei, Opere,
éd.
naz.,
t. 7,
pp.
386-87.
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GALILÉE ET LE
REFUS
DE
L ÉQUIVALENCE DES HYPOTHÈSES 307
mant à nouveau
l effet
d irradiation, la
lunette
permet
de
constater
que
la différence est
de un à
cinquante (1)
;
pour en
rendre
raison,
le système traditionnel n aura d autre moyen
que de prêter à
Mars
un
epicycle presque
aussi
grand
que
son
déférent,
ce
qui
ne
laisse pas d être profondément illogique.
Ces arguments sont
loin d être négligeables.
Pourtant,
si
impressionnants qu ils aient pu paraître
à
Galilée, il
n en
est pas
moins
vrai
qu aucun
d eux n est
concluant. Que
la philosophie
naturelle péripatéticienne
soit fausse,
qu aucune des
objections
avancées
contre le mouvement
de
la
Terre
ne
soit
valable, que
l observation
s accorde d emblée
avec le copernicanisme, tout cela
n enlève rien au fait
qu un
système géocentrique demeure parfait
ement
apable
de « sauver »
toutes
les apparences. Seule
la
méca
nique
céleste
de
Newton,
en
montrant l impossibilité physique
d une
cosmologie géocentrique, fera pencher définitivement la balance
en
faveur de
la représentation héliocentrique ; encore convient-il
de
noter
que
ce sera dans sa version képlérienne, c est-à-dire
sous
une forme que Galilée n a jamais expressément défendue.
Il
n est donc pas
douteux
qu en affirmant la
vérité de facto
du copernicanisme, Galilée a nettement outrepassé ce
qu autori
saient
es
découvertes
ou ses propres progrès
dans la
science
du
mouvement. Dans ces conditions la solution correcte n eût-elle
pas
été
de
parler
seulement
de
façon
hypothétique
?
Convaincu
(et
sur
ce
point à
juste
titre) que
le copernicanisme
fournissait
une
explication plus
simple et
plus maniable des mouvements célestes,
Galilée ne pouvait-il se
borner,
en
raisonnant ex supposiiione,
à
montrer sa supériorité
théorique,
sans chercher à
l imposer
comme
le modèle exact de l ordre
du monde ?
Or
la question
a
d autant
plus
de
sens que cette
solution fut
précisément celle que
certains
péripatéticiens
et
théologiens opposèrent
à l attitude
réaliste
de
Galilée.
Tel était déjà l avis d Osiander dans sa préface à l ouvrage
de
Copernic
;
tel
fut aussi
celui du théologien le plus important
de
l époque,
le
cardinal Bellarmin,
dont
une
lettre
expose
de
la
façon
la plus claire
cette
interprétation
hypothétique à
laquelle
se trou
vait
confronté Galilée.
Répondant, le
12
avril 1615, à
un
exposé
copernicien récemment
publié
par
le
P. Paolo Antonio
Foscarini,
Bellarmin distingue soigneusement
en
effet la
valeur
descriptive
du
copernicanisme
et
le
problème
de sa vérité
objective.
(1)
Ibid., pp.
366-67.
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308
revue d histoire
des
sciences
II
me semble
que votre
Paternité et
le seigneur
Galilée,
écrit-il, agi
raient prudemment en se contentant de parler ex supposiiione, et non
pas
d une manière absolue, comme j ai
toujours cru
qu avait parlé Copernic.
Dire qu en supposant la Terre en mouvement et le
Soleil
immobile,
on
sauve
toutes
les
apparences
mieux
que
ne
le
pourraient
faire
les
excen
triques
et les epicycles, c est très bien dire ; cela
n offre
aucun danger et
cela
suffît au mathématicien. Mais vouloir
affirmer que le Soleil
demeure
réellement
immobile
au
centre du monde, qu il tourne seulement sur
lui-
même, sans
courir d Orient en
Occident,
que la
Terre
occupe le
troisième
Ciel et qu elle
tourne
avec une
grande
vitesse autour
du Soleil, c est chose
fort
périlleuse
; cela risque non seulement d irriter tous les
philosophes
et tous
les théologiens
scolastiques, mais encore de nuire à la
foi
et de
rendre fausse la Sainte Ecriture...
Autre
chose
est
de prouver que
l on
sauve
les
apparences en
supposant que le Soleil
est au centre
du monde
et
que la Terre
est
dans le
Ciel,
autre chose
est
de démontrer qu en vérité
le
Soleil
est
au
centre du
monde
et
la
Terre
dans
le
Ciel
(1).
Un
compromis était donc possible sur la
base de Y
équivalence
des
hypothèses géocentrique et héliocentrique
;
si sage
que fût
cette
solution, au
moins à
première
vue, Galilée
la jugea
inac
ceptable.
Mais
il y a plus.
Cette
équivalence des hypothèses
que
rien
de
décisif
ne
permettait,
semble-t-il, de
refuser, ne
procédait-elle
pas aussi d une meilleure
compréhension
de
ce qu est une
théorie
physique ? En affichant
un
réalisme aussi tranché, Galilée
ne
se
méprenait-il
pas
sur
la
connaissance
physique
en général
et
sur
ses capacités à fournir une représentation exacte
du
réel ? En
d autres termes, les adversaires
péripatéticiens
de Galilée
ne
témoignaient-ils pas, dans
cette
circonstance particulière,
d une
plus juste appréciation
de
la
portée
et
des limites
de
toute
connais
sance cientifique ? Cette
interprétation
paradoxale, véritable
réhabilitation
de
la
science traditionnelle, a été
soutenue,
on
le
sait, par Pierre Duhem qui, s autorisant de
la
science moderne
et
de
ses
derniers
développements, jugeait radicalement
erronée
la
position de Galilée. Quel est
en
effet
le
but d une théorie
astrono
mique
comme
le
copernicanisme
ou
le
ptolémaïsme
?
Très
som
mairement on peut dire que ce
but
est double ;
d abord
synthétiser
l ensemble des connaissances
acquises
sous forme d un système
déductible de quelques principes
initiaux
;
ensuite
fournir
un modèle
(1) D après
Duhem
Etosiv та cpoavopieva, Essai
sur la notion
de théorie physique de
Platon à
Galilée
(Paris,
1908), pp. 128-29 (cité désormais sous
la
mention Essai) ;
la lettre
de
Bellarmin
date du 12 avril 1615.
Une
traduction française
intégrale
de cette
lettre
est
donnée par
G. De
Santillana (Le procès de Galilée, Paris, 1955, pp. 119-21).
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GALILÉE ET LE REFUS DE
L ÉQUIVALENCE DES HYPOTHÈSES 309
qui
en
«
sauvant
»
tous
les phénomènes, rende
compte
de leur
pro
duction et permette, le
cas
échéant,
de prédire leur retour
avec la
plus grande exactitude (1). Toutefois, si définir le
but
d une
théorie
ne
pose
pas
de
difficulté,
il
n en
va
plus
de
même dès
qu on
en
veut
parler
en
termes de
vérité ou d erreur. Suffit-il
en
effet
qu une
théorie soit
d accord avec
l expérience
pour qu on la
puisse dire
vraie
?
Certainement pas, car,
comme
le remarque avec
raison
Duhem,
il
faudrait encore
avoir
« examiné
complètement
les diverses
hypothèses auxquelles un groupe déterminé de
phénomènes
peut
donner
lieu »,
puis
avoir établi
leur incompatibilité avec l expérience ;
«
or
le physicien n est jamais sûr
d avoir
épuisé toutes
les suppos
itions
imaginables » (2). D une
théorie conforme à
l expérience,
on
peut donc
dire
qu elle
donne
une
image
plausible
du
réel,
et
rien
de
plus. Cette
première conclusion
étant acquise,
que se
passera-t-il
si, pour expliquer le même fait ou le même
ensemble
de
faits, deux
théories nettement
opposées se
trouvent en présence ? Faut-il,
par exemple, pour rendre compte des phénomènes célestes, admettre
que
la
Terre
est immobile, ou au contraire
lui accorder
le
mouve
ment Faut-il
prêter
à la lumière une structure corpusculaire
(comme le faisaient Newton et Laplace) ou au contraire l imaginer
comme une vibration transmise par
un
certain milieu (comme
le croyaient Huygens, Fresnel
et
Young) ? La nature étant uni-
voque
et
déterminée, une interprétation
hypothétique
ne
devient-
elle pas absurde ? En fait
il
n en est rien,
et l on
s en convaincra
en
examinant
le cas,
apparemment
le moins favorable, où une
conséquence
déduite
de l une des théories est confirmée par
l expé
rience, alors
que
l autre
théorie
est directement mise
en
échec.
Considérons ainsi
avec Duhem l expérience de
Foucault
sur
la
vitesse
de
transmission
de
la
lumière
(3). Selon l hypothèse corpus
culaire
la
lumière
devrait voyager
plus vite dans l eau que
dans
l air,
et inversement plus
vite dans
l air
que dans
l eau selon la
théorie
ondulatoire.
L expérience
que
Foucault
réussit
à
mettre
au point,
pour
départager les deux théories,
ne
laisse
aucun
doute :
la
lumière
se déplace plus vite dans
l air
que dans
l eau. Ne
peut-on
dire
alors
que
la
théorie ondulatoire est vérifiée
et la
théorie
cor
pusculaire
battue
en
brèche ? Une telle démarche, note
Duhem,
(1)
Cette
définition sommaire est
adaptée
de celle que
donne
Duhem dans
son ouvrage
La théorie physique, son
objet, sa
structure
(Paris,
1914),
pp.
24 sq.
(2)
La théorie
physique, p. 289.
(3)
Ibid.,
pp. 286 sq.
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310
REVUE
D HISTOIRE DES
SCIENCES
consiste au
fond
à
transporter en physique
le
raisonnement
par
l absurde
des
mathématiciens, et
à proclamer
la
vérité
d une
théorie
en
se
fondant
sur l impossibilité de
la
théorie
opposée (1).
Mais
le
mathématicien
et
le
physicien
se
trouvent
dans
des
situations
totalement différentes
;
si la méthode
par
l absurde est pleinement
valable en
mathématiques,
c est
que
les
deux
propositions entre
lesquelles il faut
choisir
sont
des
contradictoires, et que
de
la faus
seté
de
l une découle, en effet, automatiquement la vérité
de
l autre. Qui peut dire
en
revanche
qu une
théorie de physique
est la contradictoire
d une
autre
théorie
? La
théorie
corpusculaire
de
la
lumière n est
nullement la
contradictoire
de
la théorie ondul
atoire
tout au plus a-t-elle avec
elle un
rapport
de contrariété,
et
cela
signifie
que
si
les
deux
théories
ne
peuvent
être
vraies
ensemble, elles
peuvent fort
bien être fausses toutes
les deux.
A
cette difficulté vient d ailleurs s en
ajouter
une autre ;
en
effet, « le
physicien ne
peut
jamais soumettre au contrôle
de l expérience
une
hypothèse isolée, mais seulement tout
un
ensemble d hypo
thèses (2) ; s il est donc
loisible
de conclure, lorsqu une
prévision
s avère
erronée,
que
« l une au moins des hypothèses qui consti
tuent cet
ensemble
est inacceptable
»,
cela
ne
saurait signifier que
l ensemble
comme tel doit être définitivement rejeté.
Il
serait
téméraire
de
croire, écrit
Duhem,
...
que
l expérience
de
Foucault, condamne
sans retour l hypothèse de
l ém ission... ;
si les physi
ciens avaient attaché quelque prix à ce
labeur,
ils fussent
sans doute
parvenus à fonder sur
cette
supposition un système optique
qui
s accordât
avec
l expérience de Foucault (3).
Il n y a
donc pas, en ce qui concerne
les théories,
či1
expériences
cruciales susceptibles de décider
si
elles
sont
vraies ou
fausses
;
jouant
un
rôle essentiel dans
le progrès de
la science par la
coordi
nation
et
l économie
de
pensée qu elles rendent possibles, les théories
ne sont ni vraies ni
fausses : leur
seul
but
est
de
«
sauver
»
les
phé
nomènes
et
non
de se
prononcer
sur
la
nature
réelle
des
choses.
Or cette
conclusion ne
peut
que s imposer
a
fortiori lorsque
les
théories
en
présence réussissent toutes deux à sauver l ensemble
des phénomènes, comme le
faisaient précisément
les systèmes
géocentrique
et
héliocentrique au début
du
xvne
siècle. Aussi
(1) Cf. La théorie physique,
p. 280
; Essai,
p.
132.
(2) La
théorie physique, p. 284.
(3) Ibid.,
p.
284.
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GALILÉE ET LE REFUS DE L ÉQUIVALENCE DES HYPOTHÈSES 311
Duhem approuve-t-il sans
réserve l attitude
d Osiander et
de
Bellarmin, où
il
croit apercevoir une
appréciation
des théories
scientifiques
identique à celle que suggère
la science moderne.
Force
serait
ainsi
de
constater
que
«
la
logique était
du
parti
d Osiander,
de Bellarmin et
d Urbain
VIII, et
non pas du parti de Kepler
et
de Galilée ;
que ceux-là
avaient compris l exacte portée de la
méthode
expérimentale,
et
qu à
cet
égard ceux-ci s étaient mépris
(1)
».
Le refus
de
Galilée
d accepter
l équivalence des systèmes astr
onomiques pose donc à l historien
et
au philosophe deux
problèmes
bien distincts
a) Les adversaires
péripatéticiens
de
Galilée
avaient-ils
une
perception plus
aiguë
et plus juste
que lui de
ce qu est une
théorie
scientifique
?
b)
Quelles
sont
les
raisons
qui ont amené Galilée à
refuser
cette
équivalence (dont
il
savait
bien
que d un point
de
vue strictement
géométrique
elle était
irrécusable) (2), et
ces
raisons
sont-elles
susceptibles,
scientifiquement
parlant,
de justifier sa position ?
Le premier problème est facile à résoudre,
et il
n est pas besoin
de
longues recherches pour montrer
que Duhem
ne
peut prêter
à Osiander ou à Bellarmin une parfaite intelligence des théories
scientifiques
qu en
isolant
délibérément
leurs conclusions des
prémisses dont elles dérivent en droite
ligne.
Ces prémisses en effet
ne
sont
rien
d autre que
celles
de
la philosophie naturelle
tradi
tionnelle
;
loin d être inspirée par une réflexion authentique
sur
les
théories scientifiques
en
tant que telles,
la solution
préconisée par
les philosophes
et les théologiens hostiles au copernicanisme
se
borne à réaffirmer
l antique
opposition
du physicien et
de
l astr
onome, et la
nécessaire
prééminence du premier
sur le second.
Un
passage
de
Geminus, rapporté par Simplicius dans
son Comm
entaire
à
la
Physique
d Aristote,
résume fort bien le contexte
dont les
réflexions
d Osiander
et
de
Bellarmin sont indissociables (3).
(1)
Essai, p. 136. Duhem fait, il est
vrai,
une concession à Kepler et à Galilée dans
les
dernières
lignes de
V Essai,
mais cette concession ne
change
rien à l affaire «
En dépit
de
Kepler et de Galilée, nous
croyons
aujourd hui,
avec
Osiander et
Bellarmin,
que
les
hypothèses
de la physique ne sont que
des artifices
mathématiques,
destinés
à
sauver les
phénomènes
;
mais grâce
à Kepler
et
à Galilée, nous
leur
demandons de
sauver à
la
fois
tous
les
phénomènes
de l Univers
unanime » (p.
140).
(2) Nous
ne
connaissons pas
un
seul
passage
où Galilée ait nié l équivalence géomét
rique des systèmes héliocentrique et géocentrique.
(3) Simplicius, In
Aristotelis
physicorum libres quatuor priores commentaria, éd. Diels,
Berlin,
1882, pp. 291-92 ; nous suivons ici la traduction de Duhem
(Essai,
pp. 9 sq.).
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312
REVUE
D HISTOIRE DES SCIENCES
II appartient
à
la théorie physique,
écrit Geminus,
d examiner ce qui
concerne l essence du Ciel et des astres, leur puissance, leur qualité, leur
génération et leur destruction
; et,
par Jupiter, elle a
aussi le
pouvoir
de
donner des
démonstrations
touchant la grandeur, la figure,
et
l ordre de
ces
corps.
L astronomie
au
contraire
n a
aucune
aptitude
à parler
de
ces
premières
choses
; mais ses
démonstrations
ont
pour
objet l ordre des corps
célestes, après qu elle a déclaré
que le
Ciel est vraiment ordonné ; elle
discourt des figures, des grandeurs
et
des distances de la Terre, du
Soleil
et de la Lune ; elle
parle des
éclipses,
des
conjonctions
des astres, des
pro
priétés
qualitatives
et
quantitatives de leurs
mouvements.
Puis
donc
qu elle dépend de la théorie
qui
considère les figures au point de vue de la
qualité, de la grandeur
et
de la quantité, il
est
juste qu elle
requière
le
secours de l arithmétique et de la géométrie ; et au
sujet
de ces choses,
qui
sont les
seules dont elle
soit
autorisée à
parler, il
est
nécessaire qu elle
s accorde
avec l arithmétique et la géométrie.
Quelle
est
alors la
nature des
résultats
auxquels
parvient
l astronome ?
Il demande
par exemple, poursuit Geminus, pourquoi le Soleil, la
Lune et
les
autres astres errants semblent
se
mouvoir
irrégulièrement
;
que
l on
suppose excentriques
au
Monde les cercles
décrits par
les astres,
ou
que
l on
suppose chacun des astres
entraîné en la révolution d un
epicycle,
l irrégularité
apparente de
leur
marche
est
sauvée ;
il
faut donc
déclarer
que les apparences
peuvent être
également
produites par l une
ou
l autre
de ces
manières
d être, en sorte que l étude pratique des mou
vements
des
astres errants est
conforme
à
l explication que
l on en aura
supposée.
C est pour
cela
qu Héraclide
du Pont déclarait qu il
est possible
de
sauver
l irrégularité
apparente
du
mouvement
du
Soleil
en
admettant
qu il
demeure
immobile
et
que la
Terre
se
meut
d une certaine manière.
Il
n appartient
donc
aucunement
à l astronome de connaître quel corps
est
en repos
par
nature, de quelle
qualité
sont les corps mobiles ; il
pose
à titre d hypothèses
que
tels corps sont immobiles,
que
tels autres sont en
mouvement, et
il
examine
quelles sont les suppositions
avec
lesquelles
s accordent les apparences
célestes.
C est du physicien qu il
tient
ses
principes,
principes selon lesquels
les
mouvements
des
astres
sont
réguliers,
uniformes
et
constants.
Ce quelques
lignes suffisent, croyons-nous,
pour faire
entièr
ement
ustice
de
la
thèse
soutenue
par
Duhem. Loin
d anticiper
sur
les conclusions que
semble
imposer
la science moderne,
Bellarmin
se contente de reconduire une distinction qui est
la négation
de cette
même science (1).
S il
peut, en effet, placer
sur un
même plan
les
systèmes ptolémaïque
et
copernicien,
et
reconnaître leur égale
(1) Nous
ne
discuterons pas naturellement dans cet article
la
thèse épistémologique
générale
de Duhem
; seul nous intéresse
de
comprendre
pourquoi
Galilée
a
refusé l équ
ivalence
des
hypothèses
astronomiques, et
les
raisons de ce refus.
7/23/2019 Clavelin Sobre Duhem e Galileu
http://slidepdf.com/reader/full/clavelin-sobre-duhem-e-galileu 10/11
GALILÉE
ET LE REFUS DE L ÉQUIVALENCE DES HYPOTHÈSES 313
possibilité à condition
de les
présenter
ex
suppositione,
c est tout
simplement parce
que de tels
systèmes sont pour
lui
des
construc
tionsecondaires, dont le seul
but
est
de
compléter une analyse
cosmologique
antérieurement fournie
par
la philosophie
naturelle, et
dotée, par
là
même,
d une
vérité hors
de
contestation.
Pour
donner
raison à
Duhem,
il eût donc
fallu que
Bellarmin
remette encore
en
question ce discours
philosophique
préalable sur l ordre
du
monde,
la nature et
l emplacement de
ses différents
corps ;
or
non
seulement
il
n en est rien, mais
il
est aisé
de
voir que
seules ces
considérations
philosophiques préalables, tenues
pour inconditionnellement vraies,
permettaient aux
péripatéticiens
de
présenter une interprétation
hypothétique
des systèmes astronomiques. Accepter
l équivalence
des hypothèses que
lui
proposaient Bellarmin
et
les philosophes
ne
pouvait
par
conséquent
signifier
pour
Galilée,
dans
le
contexte
de l époque, qu une seule
chose
à
savoir le droit pour la philosophie
naturelle traditionnelle de continuer à précéder
et
à guider l analyse
scientifique
proprement
dite.
Quand Duhem
reproche à Galilée
d avoir
écarté la
« juste » conception de
Bellarmin,
cela revient à
lui
reprocher de n être pas resté
péripatéticien.
Cependant —
et
quel que soit l intérêt de cette première
conclusion — le problème principal demeure :
pourquoi
Galilée
qui était parfaitement conscient
de
la possibilité
de rendre
compte
de
toutes
les
observations
tant
d un
point
de
vue
ptolémaïque que
d un
point de
vue copernicien a-t-il délibérément affirmé la
vérité
du second ? A cet égard, l analyse précédente fournit sans doute
une précieuse indication
car
s il est vrai
que
l équivalence des
hypothèses découle directement
de
la philosophie naturelle tradi
tionnelle
refuser
cette
équivalence ne voudra-t-il pas
dire
en tout
premier lieu que l on refuse la conception
de
la science
et
de
la
rationalité
scientifique
dont
elle
est solidaire
?
Ainsi pressentons-
nous que derrière l adhésion
passionnée
au copernicanisme c est
toute une conception de
la
science, de son unité,
et
bien sûr de son
autonomie,
qui
se
trouve
mise
en
cause.
Si Galilée
choisit
la
doctrine
héliocentrique, c est donc selon toute probabilité, parce
qu elle
correspond
à un
idéal d intelligibilité supérieur
à
ses yeux à l idéal
dont se réclamait alors
la
doctrine géocentrique. Or
la
chance
veut
que
nous disposions, pour examiner le bien-fondé
de cette
hypothèse, d un texte rédigé par Galilée
peu
avant
la
première
condamnation de 1616. Comme ce texte est
peu
connu,
il ne
sera
pas inutile d en donner une
traduction
avant
de revenir
sur les
7/23/2019 Clavelin Sobre Duhem e Galileu
http://slidepdf.com/reader/full/clavelin-sobre-duhem-e-galileu 11/11
314 REVUE D HISTOIRE DES
SCIENCES
motifs qui
déterminèrent
Galilée
à rejeter cette
équivalence des
systèmes astronomiques dont s accommodait si bien
la
philosophie
traditionnelle.
II
CONSIDÉRATIONS SUR L OPINION COPERNICIENNE
Afin de supprimer (pour autant
que
Dieu me le permette) tout risque
de s écarter
de la plus
stricte équité dans
le règlement de la
controverse
en cours, je me propose de réfuter deux idées
que
certains, me semble-t-il,
tentent
de graver
dans l esprit
des
personnes chargées
de
délibérer
car
ces idées,
sauf erreur,
sont
étrangères
à la vérité (1).
Selon
la première,
aucune
raison n existerait de redouter une issue
scandaleuse ; la stabilité de la Terre
et
la mobilité du Soleil seraient en
effet
à
ce
point
démontrées par la
philosophie
qu aucun
doute n en pourrait
altérer la certitude, et, à
l inverse,
la
position
contraire constitue
un
tel
paradoxe
et une si manifeste
sottise
qu on doit être certain
que ni
aujour
d hui,ni jamais,
elle
ne sera
démontrée,
pas plus qu elle ne saurait trouver
place dans la tête d une personne sensée. L autre idée
que
l on tente d accré
diter st celle-ci : bien que cette
opinion
ait été soutenue
par
Copernic
et
d autres
astronomes, ce fut seulement ex
suppositione
et dans la mesure
où elle s accordait
plus
facilement avec
les
mouvements
apparents du
Ciel
et
les
calculs,
mais sans
que
ceux-là mêmes qui l utilisaient
aient
cru à
sa vérité
de fado
;
d où l on conclut
que
l on peut
en
toute
sécurité
pro
noncer un
décret de condamnation. Or, si je ne me trompe, ce raisonne
ment
st
faux
et
sans
rapport
avec
le
vrai,
comme
je
pense
le
montrer
par les considérations
qui
vont suivre
;
ces considérations
resteront
géné
rales et
susceptibles
d être comprises sans trop de
peine,
même par ceux
qui ne sont pas
vraiment
versés dans les
sciences
de la nature
et
dans
l astronom ie ; s il s agissait en effet de discuter avec ceux
qui
se
sont
ngu m nt exercés dans
ces
problèmes, ou du moins ont
assez
de temps
pour
l effort
de
réflexion
qu exige cette
matière
difficile, je
me bornerais à
recom
mander
la lecture de l ouvrage
de
Copernic — la
force
de
ses démonst
rations permettant
alors d apercevoir
clairement
le
degré de
vérité
ou
d erreur des deux idées
dont
nous
parlons.
Que la conception héliocentrique ne doive pas être dédaignée comme
une opinion ridicule, nous
en
trouvons une preuve évidente dans la
qualité
des hommes,
anciens
et
modernes,
qui l ont
professée
et
la
pro
fessent
; car
nul
ne pourra l estimer ridicule,
s il
ne tient
pour
sots
et
ridi-
(1)
G.
Galilei,
Opere,
éd. naz., t.
V,
pp. 351-363 ;
selon
Favaro, qui Га
publié
pour
la première fois, ce
texte
a été composé
par
Galilée en avril ou
mai
1615, réponse à la lettre
du cardinal Bellarmin mentionnée
plus
haut.
On
peut également penser qu il a été
rédigé au début
de 1616,
lors du
3e séjour de Galilée à
Rome. La rédaction sent d ail
leurs
la hâte, sans
les qualités littéraires
habituelles
chez
Galilée ; nous
n avons
pas
cherché
à
atténuer
l aspect
heurté du
développement. Le
titre
est de Favaro,
le
manuscrit
ne
contenant
aucune
indication
en ce
sens.
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