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L’influence du raffinement et du faste de la cour impériale chinoise sur les cours européennes et l’engouement pour les « Chinoiseries » avec son apogée au 18ème siècle : le style rococo (1720 à 1770).
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De Marco Polo aux Chinoiseries du 18ème siècle Lucia Fesselet-Comina, novembre 2009
L’influence du raffinement et du faste de la cour impériale chinoise sur les cours
européennes et l’engouement pour les « Chinoiseries » avec son apogée au 18ème siècle :
le style rococo (1720 à 1770).
Une définition de ce terme de « Chinoiserie » sur Wikipedia :
« Une chinoiserie est un objet d’art dont l’esthétisme procède du courant orientaliste. Il
évoque l’attrait du collectionnisme pour les objets et architectures provenant d’Extrême-
Orient, plus que de Chine en particulier. Il reflète un goût pour un Orient rêvé, son imagerie et
ses symboles, dans la forme (asymétrie, jeux sur les échelles) comme dans le fond (motifs et
canons) ; l’art d’Asie orientale à proprement parler n’en est pas le moteur. »
J’ai trouvé cette notion de collection et de collectionneur très appropriée car elle va prendre
toute son importance dans les cours européennes au 17ème et 18ème siècles pour culminer dans
le style rococo du 18ème siècle et que le peintre François Boucher était également un
collectionneur passionné de chinoiseries.
Pour expliquer l’engouement des Européens pour les chinoiseries du 18ème siècle, il faut
remonter le temps et dire, peut-être de façon un peu simpliste, que ce qui est lointain et
inaccessible nous fait rêver et est, souvent, plus intéressant voire fascinant que ce que l’on a
« à portée de la main ».
Peinture de François Boucher Le Jardin chinois (1742)
« S’il est certain, et cela a été démontré (Stein,1996), que Boucher s’est beaucoup servi d’objets véritablement chinois pour meubler ses peintures, et qu’en ce sens elles sont une création moins fantaisiste qu’on ne l’a souvent dit, il n’a en rien tenté d’imiter les conventions des peintres de l’Extrême-Orient. Sa façon de se servir des volumes et de la lumière est foncièrement celle d’un Européen du 18ème siècle »
Figure 1
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A l’Antiquité et au Moyen Âge, une certaine vision s’impose-t-elle déjà ?
On peut faire remonter à l’Antiquité les échanges entre les civilisations d’Europe et
d’Extrême-Orient. Pour cet article, je remonterai au Moyen Âge, car l’un des premiers
personnage à nous avoir fait connaître la Chine, est Marco Polo, le marchand vénitien qui
nous à emporté sur « la route de la soie » à travers son voyage et ses récits dans « Le Livre
des merveilles du monde ». Ce livre, au 14ème siècle, va fasciner des générations de
lecteurs, il s’agit d’un récit « merveilleux » et cette vision « merveilleuse » et positive va
rester comme indissociable de l’image liée à la Chine pendant plusieurs siècles.
Comment les cours occidentales eurent-elles accès aux arts et aux techniques de
l’Extrême-Orient ?
Par les récits et publications et les objets importés :
Après une parenthèse de deux siècles où les routes terrestres entre l’Europe et l’Asie se
referment, la Chine est « redécouverte » par les navigateurs européens au début du 16ème
siècle, les premiers sont des marchands, les Portugais d’abord, puis les Espagnols et au siècle
suivant les Hollandais et les Anglais avec leurs fameuses « Compagnie des Indes Orientales ».
Les marchands étaient souvent accompagnés par des ambassadeurs de leur pays et par des
jésuites qui faisaient également office d’interprète dans les transactions avec les autorités
impériales.
De quelles façons ces marchands, ambassadeurs et missionnaires au 16ème et 17ème
siècle influenceront-t-ils cette vision de la Chine ?
Car certains d’entre eux ont laissés des récits qui non seulement apportent une foule
d’informations précises sur le pays, son peuple et sa civilisation, mais aussi excitent
l’imagination et la curiosité d’un public friand d’exotisme. De ces récits se dégage une image
de la Chine globalement positive qui explique l’engouement dont témoignent les chinoiseries.
L’intérêt de ces ouvrages tient d’abord à l’abondance des informations qu’ils fournissent sur
un pays que son éloignement rend d’autant plus fascinant. « Certains récits, comme celui de
Johan Nieuhoff, de même que la Description…de Du Halde et les Nouveaux mémoires du
père Le Compte, se présentent comme de véritables encyclopédies abordant tous les aspects
du pays et de sa civilisation….Leurs descriptions détaillées, tout autant que les planches
extrêmement précises (dessin ou gravures) dont ils sont souvent agrémentés, ont fourni aux
artistes européens une grande variété de motifs exotiques mais réalistes – éléphants, palmiers,
poissons volants, Grande Muraille ou brouette à voile – que leur accumulation, leur
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combinaison ou leur mise en scène feront néanmoins apparaître comme irréels dans les
chinoiseries »*.
On peut faire un lien entre l’influence de tous ces récits et parutions et les importations dans
les cours européennes de marchandises et d’objets depuis la Chine impériale. Mais ce qui a
surtout frappé l’imaginaire des cours occidentales, ce sont les descriptions détaillées dans tous
ces récits des fastes de la cour de l’empereur de Chine, « sur les splendeurs des palais de
l’empereur à Pékin et le raffinement de leur décoration intérieure, la magnificence des habits
de cour richement brodés et colorés, la complexité et le faste des rites accompagnant les
audiences impériales, la somptuosité des fêtes et des banquets, ou encore le prodigieux
déploiement de chars, palanquins, chevaux, soldats, musiciens, tentes et étendards auquel
donnaient lieu les voyages à travers l’empire et les grandes chasses que prisaient tout
particulièrement les empereurs mandchous »*.
Pour comprendre la fascination des européens pour la Chine et cet engouement pour les
chinoiseries et il faut lier tous ces éléments que sont l’exotisme, le raffinement, la technologie,
ainsi que la richesse et la puissance de l’empereur.
En Europe, d’autres phénomènes viennent influencer cet engouement pour les
« chinoiseries », leur collection et leur imitation, il s’agit de l’apparition du phénomène
de mode au 18ème siècle et le début de l’industrialisation :
La vogue des collections de porcelaines d’Orient se développa au 17ème siècle, au cours
duquel des quantités aussi importantes que variées de porcelaine de Chine étaient importées
Johan Nieuhoff L’Ambassade de la Compagnie orientale des Provinces Unies vers l’Empereur de la Chine ou du Grand Cam de Tartaries, 1665
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en guise de lest dans les navires chargés de cargaisons de thé des différentes Compagnies
européennes des Indes orientales. « En Angleterre, la collection de porcelaines la plus
fameuse appartenait à la reine Marie II, épouse de Guillaume III d’Orange-Nassau : sept cent
quatre-vingt-sept pièces étaient exposées dans ses appartements au palais de Kensington…Il
apparaît que la reine Marie collectionnait les porcelaines bleu et blanc et polychromes, ainsi
que les faïences de Delft réalisées à l’imitation des porcelaines orientales »*.
De cette citation, on peut faire deux remarques :
La première, que ce phénomène de mode de faire une collection de chinoiseries se retrouve
dans la plupart des cours européennes de l’époque avec très souvent des cabinets de
porcelaines décorés de laque chinoise et aménagés pour mettre les collection de
« chinoiseries » en valeur, ainsi on peut citer des collections célèbres de l’époque :
En France, à Versailles, celles du roi Louis XIV, de son fils Louis XV et du duc d’Orléans,
Le grand Trianon fut bâti en réponse à la manie qui s’était emparée de la cour pour les
ornements et le mobilier orientaux : soies brodées, porcelaine bleu et blanc, boîtes laquées,
cabinets de laques qui pouvaient ou non être de véritables laques chinois ou japonais, et
paravents en laque. « Il régnait au Trianon une atmosphère décrite comme à la chinoise, ou à
la façon de la Chine. Dans sa Description sommaire du château de Versailles, J-F Félibien
tenait en 1674 le Trianon pour une conséquence de l’engouement pour la Chine »*.
Cabinet des laques de Dayton House, vers 1700
Figure 3
Le cabinet de porcelaines d’Oranienbourg. Allemagne, avant 1690
Figure 4
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La plus célèbre collection européenne du 18ème siècle fut celle d’Auguste le Fort, roi de
Pologne et électeur de Saxe, à partir de 1715 environ. L’idée lui fut vraisemblablement
inspirée par une visite à Berlin en 1706 où il aurait admiré le cabinet de Charlottenburg.
L’échange qu’il fit d’un régiment de dragons contre douze grands vases chinois est devenu
depuis légendaire. Pour abriter sa collection, Auguste acquit en 1717 un palais qu’il nomma
« palais japonais », il collectionnait également les porcelaines de Maissen.
On peur citer aussi en Allemagne, à Berlin, la collection et le cabinet de porcelaine de la reine
Sophie Charlotte (épouse de Frédéric 1er) et en Italie on retrouve des chinoiseries dans tous les
royaumes avec des particularités par régions selon leurs différentes cultures.
La deuxième remarque, par rapport à la collection de la reine Marie, est qu’elle collectionnait
également des imitations de porcelaines chinoises fabriquées à Delft, car un autre phénomène
de mode se développe dans toutes les cours européennes, c’est la création de manufactures
pour fabriquer leur propre porcelaine, comme la Manufacture royale de Maissen fondée en
1710 par Auguste le Fort. « L’immense collection de porcelaines extrême-orientales
d’Auguste le Fort incita la manufacture royale a créer des copies de modèles extrême-
orientaux…Le roi voulait ainsi prouver que la porcelaine de sa manufacture avait la même
qualité technique et artistique que la chinoise, et aussi, d’une certaine façon élargir sa
collection en s’affranchissant des importations coûteuses »*.
Il y a dans toutes les cours royales un phénomène de mode qui découle de l’identification à la
splendeur et à la puissance que suscite la Chine, ainsi qu’à la fascination pour son raffinement
et son esthétisme au travers de ses avancées technologiques dans la fabrication de la
porcelaine et de la laque, par exemple.
Manufacture napolitaine, 3ème quart du XVIII ème siècle Plateau de table Florence, Palais Pitti, appartements royaux (d’après Colle, 2003, p.87)
Figure 5
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Quelle est, en parallèle, l’image de la Chine auprès des artistes au 17ème et 18ème siècle et
leur influence sur l’engouement pour les chinoiseries dans le reste de l’aristocratie et de
la bourgeoisie ?
Les artistes s’inspirent des mêmes récits de jésuites, ambassadeurs et marchands que les cours
européennes et eux aussi s’émerveillent de la Chine, s’en inspirent et laissent aller leur
imagination à l’exotisme et au raffinement.
Toutes ces scènes hautes en couleur qui ont stimulé la plume des voyageurs ne pouvaient que
séduire aussi les artistes européens qui, tel François Boucher avec sa série de « tapisseries
chinoises », en ont repris à l’envi et décliné avec plus ou moins de fidélité les thèmes et les
motifs. Boucher s’est également inspiré de Watteau et de ses propres collections de
chinoiseries, il avait accumulé des centaines de pièces de porcelaine et de laque et de
nombreux autres objets extrême-orientaux. « Occupant une situation au carrefour du
commerce, de la production artistique et du goût, Boucher allait exercer une influence
incomparable sur le style de la chinoiserie tant en France qu’à l’étranger »*.
On peur citer les chinoiseries dite de « Höroldt » à la manufacture de Meissen qui a réunis
dans un livre plus de mille dessins. « Ses décors de porcelaine incarnent donc sa vision
personnelle de la chinoiserie….Ces Chinois qui jouent, boivent du thé, se promènent sous des
ombrelles et jouissent de tous les aspects agréables de la vie, le plus souvent dans une
atmosphère sereine et estivale, incarnant, au-delà leur valeur hautement décorative, la
nostalgie utopique du paradis terrestre »*.
Rouen Plat ovale (vers 1750)
« Ce plat peut passer pour un exemple parfait du style rococo. On trouve ici les caractéristiques du rococo : expansion de la forme qui échappe à un contour rigide pour s’étendre et se contracter d’une manière rythmique ; abolition de la distinction entre les parties de l’objet ; recouvrement par un décor qui les unifie et en fait comme une page unique. Le type du dragon, emprunté à l’art chinois, est ici combiné avec un très ancien motif occidental. Cet amalgame est caractéristique de la chinoiserie » Figure 6
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Au 18ème siècle, avec la hausse du niveau de vie et des dépenses et le nouvel art de vivre qui
se met en place, la demande pour les chinoiseries importées ou imitées est de plus en plus
grande, « vers 1725, toutes les manufactures européennes se livraient avec joie à l’art de la
copie de porcelaine de Chine et du Japon….cette mode était achevée vers 1745….Le temps de
la copie avait pris fin, celui de l’invention commençait, la chinoiserie allait naître. Elle
trouvait son origine dans l’exotisme des décors chinois dont on ne comprenait rien, elle trouva
son apogée dans sa liaison avec les traditionnels décors grotesques européens »*.
A quel moment cette mode des chinoiseries commence-t-elle à « passer de mode » ?
Dans le courant du 18ème siècle, la mode change dans les cours royales européennes :
Avec la désaffection pour les divagations rocaille et rococo, avec le retour progressif d’un
style plus classique, encouragé en France par Louis XVI et en Angleterre par les créations de
Robert Adam, la mode de la chinoiserie, dans son acception 18ème siècle, déclina. Toutefois,
elle ne fut pas abandonnée. « Elle fut très souvent intégrée dans le nouveau langage classique,
donnant lieu à une chinoiserie tardive et productive jusqu’aux année 1830 »*.
Cela vient aussi du fait que la porcelaine chinoise devient très accessible, par exemple, entre
1700 et 1705, environ 4 à 5 millions de porcelaines furent importées dans la seule ville de
Londres, le marché est inondé, les prix s’effondrent et la porcelaine devient accessible aux
classes moyennes. Dans la bourgeoisie, qui est souvent en décalage par rapport à l’aristocratie
(c’est le propre du phénomène de copiage) l’engouement pour les chinoiseries prendra
également une très grande ampleur, en amenant ce phénomène à son apogée : la période
rococo (1720 à 1770).
Sources (*) Catalogue et livre sur l’exposition « Pagodes et dragons » du Musée Cernuschi qui a eu lieu à Paris en 2007 (Paris Musée, 2007) Figures 1 à 6 sont tirées du catalogue et livre « Pagodes et dragons » du Musée Cernuschi, Paris musées, 2007 Site http://fr.wikipedia.org/wiki/Chinoiserie
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