View
233
Download
1
Category
Preview:
Citation preview
DOSSIER PROFESSIONNEL
PRIORISATION DES ACTIONS POUR
PROTEGER PATRIMONIALEMENT ET PERSONNELLEMENT MONSIEUR D.
Aurore GOGUÉ
Promotion MJPM 7
Janvier-décembre 2015
2
REMERCIEMENTS
Je remercie tout d’abord mon maître de stage, Madame Fabienne DUTOIT, pour
m’avoir donné ma chance, pour m’avoir fait confiance dès le départ et pour tout ce
qu’elle m’a appris. Elle m’a tout simplement donné l’envie, et ce très rapidement, de
devenir plus spécifiquement Mandataire Hospitalier.
Je remercie Mariame pour m’avoir conseillée et guidée dans le cadre de ce dossier,
mais aussi pendant toute la durée de mon stage.
Je remercie aussi tout le personnel du Centre Hospitalier de Wasquehal pour son
accueil chaleureux durant ces 10 semaines de stage.
Je remercie en particulier Madame G., psychologue au sein du Centre Hospitalier
Intercommunal de Wasquehal, de m’avoir consacré du temps pour mon dossier
professionnel.
Je remercie le personnel encadrant des CEMEA de Lille pour la qualité des
interventions que nous avons eu tout au long de cette année.
Je remercie Amélie T., Consultante Emploi et Mobilité, pour m’avoir aidée à me
poser les bonnes questions au bon moment.
Et pour terminer, je remercie de manière générale toutes les personnes qui m’ont
soutenue, de près comme de loin, durant toute cette année, synonyme pour moi de
renouveau.
3
SOMMAIRE
I. Monsieur D. : un dossier presque vide au départ qui nécessite la priorisation
d’actions urgentes et importantes. ______________________________________________________________ 10
1. Présentation de Monsieur D. et de la mesure de protection ______________________________________ 10
a) Présentation de Monsieur D. ____________________________________________________________________ 10
b) Le Jugement de tutelle __________________________________________________________________________ 11
c) Consultation du dossier au tribunal ____________________________________________________________ 12
2. Les actions urgentes à mettre en œuvre ___________________________________________________________ 13
a) Souscription d’une mutuelle ____________________________________________________________________ 13
b) Recherche des comptes bancaires ______________________________________________________________ 14
c) Réexpédition du courrier et protection du logement __________________________________________ 14
3. Les actions importantes menées parallèlement ___________________________________________________ 17
a) Contact avec le médecin traitant ________________________________________________________________ 17
b) Les démarches administratives indispensables _______________________________________________ 18
c) L’inventaire ______________________________________________________________________________________ 21
d) Les actions pour améliorer la situation financière _____________________________________________ 22
II. Monsieur D., une personne à protéger aussi avec des actions moins urgentes mais
tout aussi importantes. ____________________________________________________________________________ 25
1. Le contexte familial _________________________________________________________________________________ 25
2. Rencontres avec Monsieur D. ______________________________________________________________________ 26
3. Entretien avec la psychologue qui s’occupe de Monsieur D. ______________________________________ 27
4. Les photos de Monsieur D. _________________________________________________________________________ 29
5. Echanges avec les aides-soignants _________________________________________________________________ 30
6. Autres actions envisageables avec Monsieur D. ? _________________________________________________ 32
CONCLUSION _____________________________________________________________________________________ 33
GLOSSAIRE _______________________________________________________________________________________ 34
4
PRESENTATION PERSONNELLE
Mon parcours scolaire et professionnel
J’ai intégré la formation Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs (MJPM) au
sein des CEMEA dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Pour
comprendre ce choix, il faut revenir sur mon parcours scolaire et professionnel, une
quinzaine d’années en arrière.
Après l’obtention de mon baccalauréat ES (Economique et Social), j’ai intégré l’Ecole
de Commerce et de Gestion d’Orléans. Le secteur bancaire m’attirait déjà fortement,
c’est donc tout naturellement que j’ai effectué mes différents stages pendant 2 ans et
demi au sein de plusieurs banques, notamment dans leur service Marketing. Après
avoir validé mes trois années d’études, je ne me sentais pas encore prête à me
lancer dans la vie active, j’ai donc continué mes études à la faculté de Nanterre. J’ai
suivi en effet une Maîtrise de Science de Gestion en apprentissage au sein de la
même entreprise qui m’avait accueillie lors de mon dernier stage, le CCF (Crédit
Commercial de France devenu depuis HSBC). J’ai donc continué à approfondir mes
connaissances en Marketing bancaire durant deux années me destinant à devenir
Chef de Produits. Mais la réforme LMD (Licence Master Doctorat) instituée au début
des années 2000, m’a poussée à poursuivre mes études, la notion de bac+4 étant
amenée à disparaître. Je suis donc repartie pour une 6ème année d’étude à
l’université de La Rochelle en vue d’obtenir un DESS Marketing des Services devenu
Master de Gestion par la suite.
Une fois le diplôme obtenu, j’ai commencé à postuler auprès des rares services
Marketing des Banques de la Région mais les recruteurs mettaient à chaque fois en
exergue mon manque d’expérience commerciale, indispensable pour intégrer un
service marketing. J’ai donc réorienté mes recherches pour devenir conseiller
financier et La Banque Postale m’a alors recrutée en 2006. J’ai occupé ce poste
pendant presque 8 ans à Poitiers mais je ne m’épanouissais pas vraiment dans cette
fonction, n’étant pas un choix voulu au départ. J’ai essayé à plusieurs reprises
d’évoluer vers de nouveaux postes, sans succès. Un dernier refus d’évolution
courant 2013 a fini par me convaincre que je devais reprendre ma vie professionnelle
en main et je me suis donc décidée à suivre un bilan de compétences auprès d’un
5
organisme indépendant de La Poste. La consultante emploi et mobilité a surtout joué
au départ un rôle de psychologue pendant plusieurs semaines puis m’a posé une
multitude de questions et fait passer des tests afin de cerner ma personnalité et mes
compétences. Elle a mis en évidence plusieurs métiers dont celui de MJPM sur
lequel j’ai effectué de nombreuses recherches. Je me suis souvenue au même
moment d’une MJPM indépendante que j’avais rencontré au début de ma carrière
lors d’entretiens commerciaux et qui m’avait fortement marquée. Elle venait
notamment faire le point sur les comptes de ses majeurs protégés, des placements,
des retraits, se renseigner sur des produits. J’étais admirative du métier qu’elle faisait
sans forcément tout connaître de sa profession car je la sentais très impliquée dans
son travail mais aussi très épanouie.
Au même moment, courant 2013, j’ai fait le choix avec mon mari de venir nous
installer dans le Nord pour nous rapprocher de son lieu de travail. J’ai donc pris la
difficile mais évidente décision de démissionner pour repartir à zéro après avoir pesé
les pour et les contre, car cela était synonyme de diminution de revenus et de perte
d’un statut professionnel donc d’une certaine reconnaissance sociale dans la société.
Courant 2014, j’ai occupé le poste de conseiller commercial acceptation partenariat
au sein de Cofidis pendant 6 mois afin de pouvoir percevoir un salaire et d’ouvrir des
droits pour le financement d’une formation. Au cours de ce contrat, j’ai donc
commencé les démarches pour intégrer les CEMEA de Lille auprès du Fongecif, de
Pôle Emploi et du Service Chômage de La Poste.
Mes motivations pour le métier de MJPM
Ce que j’aimais le plus dans mon ancien métier, c’était de pouvoir aider les gens, les
personnes les plus vulnérables de mon portefeuille, celles dont ma direction se
préoccupait peu. J’éprouvais plus de satisfaction à trouver une solution pour ces
personnes plutôt que de réussir à vendre un produit, placement ou service à des
clients plus aisés ne rencontrant aucune difficulté.
J’ai réalisé que ma journée de travail prenait du sens quand j’aidais mes clients en
les orientant vers le bon organisme. Cela pouvait concerner des demandes pour :
La Banque de France pour monter un dossier de surendettement
6
L’UDAF1 pour monter un dossier de micro-crédit
L’assistant(e) social(e)
Etablir un budget, en réclamant des remboursements de frais auprès du
Centre Financier
…
Malgré tout, ce n’était pas mon rôle et cela restait frustrant.
Cela aurait été plus logique de suivre la formation de MJPM après des études plus
orientées sociales, mais âgée aujourd’hui de 34 ans, j’ai atteint une maturité acquise
au cours de mes différentes expériences professionnelles et personnelles. Cela me
permet de croire que j’ai des épaules plus solides pour faire face aux situations les
plus difficiles et je suis désormais certaine du sens que je veux donner à ma vie.
Le métier de MJPM que je ne connaissais pas auparavant est donc plus en
adéquation avec mes aspirations et me permettra d’être plus utile à la société, ceci
officiellement et non plus officieusement.
Mon stage
J’ai effectué mon stage de 10 semaines auprès de Madame Fabienne DUTOIT,
MJPM en établissement au Centre Hospitalier de Wasquehal, et par convention
inter-établissements, intervenant dans 15 EHPAD2 de la région, rattachés auprès des
tribunaux de Lille, Roubaix et Tourcoing.
Le centre de gériatrie « Le Molinel » existe depuis 1978. C’est un établissement
public de santé à vocation gériatrique comprenant 60 lits de soins de suite et de
réadaptation (SSR), 60 lits de soins de longue durée (SLD) et 120 lits d’EHPAD.
Depuis juin 2009, un bâtiment spécifique de 56 lits a été ouvert pour l’accueil des
patients déments déambulants, "Le nouvel Horizon".
En 1999, l’établissement a fusionné avec la maison de retraite du Golf (EHPAD)
accueillant 86 résidents. L’établissement dispose aussi d’un SSIAD (service de soins
1 Union Départementale des Associations Départementales 2 Direction de l'information légale et administrative (Premier ministre) : Un établissement d'hébergement pour
personnes âgées dépendantes (Ehpad), anciennement dénommé "maison de retraite", est une structure médicalisée ayant vocation à accueillir des personnes âgées.
7
infirmiers à domicile) et d’un CLIC (centre local d’information et de coordination
gérontologique).
Mme Dutoit exerce à Wasquehal depuis 2009 et dépend directement du directeur du
CHI. L’établissement a en effet entrepris de remettre en place un MJPM avec la mise
en application de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection
juridique des majeurs. Il est en effet important de rappeler que les établissements
publics hébergeant des personnes âgées sont tenus de désigner un MJPM, si la
capacité d'accueil est supérieure à 80 lits1, ce qui n’est pas respecter par tous les
établissements, les sanctions étant inexistantes.
En plus du MJPM, le service tutélaire est constitué d’une assistante et d’une
secrétaire, toutes les 2 à mi-temps. Le Directeur de l’établissement doit respecter
l’indépendance de son MJPM, conformément au décret n°2008-15052 qui en précise
les modalités. Par ailleurs, ce dernier dispose d’un bureau fermé et de tout le
matériel bureautique nécessaire (fax, imprimante, ordinateur,…) afin d’assurer la
confidentialité de ses dossiers.
Mes missions
Le mandataire hospitalier est seul et ne peut pas s’appuyer sur d’autres services. Il
assume la pleine responsabilité de ses actes et prend seul toutes les décisions
relatives à ses missions. Cette particularité m’a donc permis d’aborder tous les
aspects de la fonction :
Consultation de dossiers au tribunal
Participation à des auditions
Rencontre avec les majeurs et leur famille
Inventaire de logements
Constitution de dossiers administratifs : dossier de surendettement, demande
d’allocation logement, demande d’allocation de solidarité pour les personnes
âgées, dossier MDPH3
Comptes de gestion
Calcul de budgets
1 Art L 472-5 et D 472-13 du Code de l’Action sociale et des familles 2 Décret relatif à la déclaration prévue à l’article 472-6 du code de l’action sociale et des familles 3 Maison Départementale des Personnes Handicapées
8
Rédaction de requêtes
Rédaction de courriers à destination de différents organismes (banque,
assurance,…)
Courriers d’ouverture pour une nouvelle mesure
Contact avec les différents partenaires (déménageurs, notaire, agent
immobilier,…)
J’ai eu aussi l’occasion de participer à certaines réunions externes organisées entre
autres par le Conseil Départemental ou encore de rencontrer les autres MJPM
hospitaliers regroupés au sein de la COMAJEPH1, un groupe d’échange régional.
1 Commission des Mandataires Judiciaires à la Protection des Majeurs Protégés des Etablissement Publics Hospitaliers du Nord Pas de Calais
9
INTRODUCTION
J’ai choisi de traiter comme sujet le cas d’un majeur protégé, Monsieur D., sur qui
nous ne possédions quasiment aucun élément au début de sa mise sous protection.
Cette situation n’est malheureusement pas anodine, souvent liée à un isolement
familial et une situation sociale précaire. Bien souvent, ce sont les services sociaux
qui effectuent un signalement auprès du Procureur de la République, soit dans le
cadre d’interventions au domicile, soit lors d’une hospitalisation.
Pour Monsieur D., c’est l’assistante sociale du centre hospitalier qui a procédé au
signalement, constatant sa vulnérabilité et sa fragilité lors de son hospitalisation,
ainsi que son isolement.
En l’absence de toute famille, informations administratives ou autres, il
convient dans un premier temps, de prioriser les actions à mener afin de
protéger rapidement Monsieur D., tant au niveau patrimonial que personnel, et
lui permettre de retrouver une autonomie nécessaire.
La situation de Monsieur D. soulève aussi une interrogation plus globale : face
à une personne isolée et en rupture totale avec la vie, que peut apporter une
protection juridique et quelles sont les missions du MJPM ?
L’urgence s’est avérée plus importante pour la protection patrimoniale, la situation
financière étant critique, mais cela ne signifie pas pour autant que la protection de la
personne est mise de côté car il s’agit bien, au travers de la protection patrimoniale,
de stabiliser la personne et de la remettre au centre de sa vie.
J’aborderai donc en première partie les différentes actions urgentes et importantes à
mettre en place. Puis, dans une seconde partie, j’ai choisi de mettre plus en avant la
personne qu’est Monsieur D., en faisant un zoom sur une action spécifique moins
urgente mais tout aussi importante.
La situation de Monsieur D. est volontairement peu détaillée au départ pour que vous
puissiez vivre le même cheminement que nous et apprendre au fur et à mesure les
éléments tout comme nous l’avons vécu.
10
I. Monsieur D. : un dossier presque vide au départ qui nécessite
la priorisation d’actions urgentes et importantes.
1. Présentation de Monsieur D. et de la mesure de protection
a) Présentation de Monsieur D.
Monsieur D. a 67 ans et a été mis sous protection juridique fin mars 2015 au titre de
la tutelle, suite au signalement effectué par l’assistante sociale du CHI de Wasquehal
début octobre 2014. Selon son rapport, Monsieur D. a en effet été retrouvé errant
dans les rues de Mons-En-Baroeul au début de l’été 2014 par la police municipale
puis a été hospitalisé au Centre Hospitalier (CH) de Lille. Il portait uniquement une
blouse médicale. Il avait été auparavant suivi par les services sociaux de la ville de
Mons-En-Baroeul (CCAS, CLIC-RESPA) qui ont ensuite essayé, sans succès, de le
suivre après sa sortie d’hôpital. A la suite d’une nouvelle hospitalisation en date du
31/07/2014, il a été admis dans le service de soins de suite et de réadaptation du
CHI de Wasquehal au mois d’août, à la demande de l’Hôpital de Lille, muni
uniquement de sa carte vitale et d’un rapport médical du CH de Lille.
Par ailleurs, l’assistante sociale nous a précisé que Monsieur D. n’avait
vraisemblablement pas de famille, qu’il vivrait dans un logement insalubre à Mons,
qu’il était suivi par le Centre Communal d’Action Sociale de Mons (CCAS) qui
détenait probablement les clés de son logement.
Les seules informations dont nous disposons au départ sont donc très minces :
Indication de son médecin traitant dans la partie « proches » du dossier
administratif.
Clés de son logement qui sont au CCAS.
Rapport médical de l’hôpital de Lille précisant des informations médicales
quant à son état de santé : démence liée à l’alcool et au tabac, sevrage
effectué, trouble de la marche et dénutrition.
Nous contactons donc le médecin coordinateur du service de convalescence, qui
nous indique que Monsieur D. est atteint de la maladie de Korsakoff (lésions
11
cérébrales irréversibles causées entre autres par un alcoolisme chronique, voir détail
en 2ème partie, p°28), qu’il montre des signes d’agressivité et de violence, que la
communication est compliquée, et qu’il est préférable de le rencontrer avec des
soignants. Lors du premier entretien avec Madame Dutoit, il n’a effectivement pas
souhaité lui parler.
Commence à partir de ce moment-là un long travail d’investigation tant sur le plan
administratif que sur le plan personnel et humain.
b) Le Jugement de tutelle
Monsieur D. bénéficie d’une mesure de protection au titre de la tutelle avec pour
mission de le représenter à la fois pour ses biens mais également pour l’ensemble
des actes relatifs à sa personne, avec suppression de son droit de vote. Ce jugement
n’appelait pas de commentaires particuliers.
Le jugement fait apparaître aussi un certain nombre de rappels qui ne figurent pas
toujours dans les jugements d’ouverture comme le droit à l’information (art 457-1 du
code civil1), les droits relatifs aux actes strictement personnels (art 458 du code civil2)
et aux décisions relatives à la personne (art 459 du code civil). En ce qui concerne
Monsieur D., le juge s’appuie sur l’alinéa 2 de cet article3 pour donner une mission
de représentation de la personne au tuteur désigné.
La mission concernant la protection de la personne est donc bien établie, claire et
sans équivoque.
1 « La personne protégée reçoit de la personne chargée de sa protection, selon des modalités adaptées à son état et sans préjudice des informations que les tiers sont tenus de lui dispenser en vertu de la loi, toutes informations sur sa situation personnelle, les actes concernés, leur utilité, leur degré d'urgence, leurs effets et les conséquences d'un refus de sa part. » 2 « Sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l'accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée. Sont réputés strictement personnels la déclaration de naissance d'un enfant, sa reconnaissance, les actes de l'autorité parentale relatifs à la personne d'un enfant, la déclaration du choix ou du changement du nom d'un enfant et le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant. » 3 « Lorsque l'état de la personne protégée ne lui permet pas de prendre seule une décision personnelle éclairée, le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué peut prévoir qu'elle bénéficiera, pour l'ensemble des actes relatifs à sa personne ou ceux d'entre eux qu'il énumère, de l'assistance de la personne chargée de sa protection. Au cas où cette assistance ne suffirait pas, il peut, le cas échéant après l'ouverture d'une mesure de tutelle, autoriser le tuteur à représenter l'intéressé. »
12
c) Consultation du dossier au tribunal
Nous sommes allées consulter le dossier de Monsieur D. au tribunal d’instance de
Lille. A première vue, et par rapport à d’autres dossiers que j’ai eu l’occasion de
consulter, celui de Monsieur D. semble peu fourni. Je prends donc note de tous les
éléments importants.
Tout d’abord, je lis le procès-verbal de l’audition de Monsieur D. qui indique les
éléments suivants :
- « ne connaît personne pas même l’assistante sociale du centre hospitalier de
Wasquehal qui a rédigé la requête auprès du Procureur et qui l’a donc
rencontré plusieurs fois
- a des difficultés à s’exprimer à cause de sa langue
- n’est pas bien
- n’a pas d’argent de poche. »
Monsieur D. ne pouvant se déplacer facilement, il a donc été auditionné par le juge
des tutelles au sein du CHI de Wasquehal.
Je découvre ensuite un courrier rédigé par une personne du CLIC-MAIA1, Madame
V., résumant la situation de Monsieur D., suite à son intervention à domicile le 31
juillet 2014. En effet, ce service a été sollicité entre ses deux hospitalisations à Lille.
J’apprends surtout que Monsieur D. avait un bon relationnel avec un de ses voisins,
Monsieur E., et que ce dernier ne l’a pas vu sortir de chez lui depuis 15 jours.
Madame V. s’est donc rendu à son domicile et a dû solliciter l’aide de Monsieur E.
pour ouvrir la porte de Monsieur D. Madame V. retrouve un homme recroquevillé
dans son lit dans son urine et ses excréments, peu cohérent et peu coopérant, qui ne
sait plus parler, qui se laisse aller et qui veut aller à l’hôpital. Elle décrit son
logement, description que je retrouverai telle quelle lors de l’inventaire.
Je trouve enfin le certificat médical établi fin août 2014 par un médecin inscrit sur la
liste du Procureur. Ce dernier parle d’une altération générale de son état avec
1 MAIA : maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer, réalisent l’intégration du sanitaire et du médico-social au plan local et constituent effectivement la réponse adaptée pour simplifier le parcours du couple malade/aidant, évaluer et orienter.
13
déshydratation, intempérance et désorientation cognitive sur fond d’alcoolisme. Il
précise que les faits nouveaux sont oubliés au fur et à mesure et fait bien référence
au syndrome de Korsakoff. Il évoque aussi des troubles de la marche et des
difficultés à effectuer les gestes d’hygiène de base. Il termine sur les notions
d’isolement social et dépendance très fortement marquées.
2. Les actions urgentes à mettre en œuvre
Nous avons priorisé nos actions en fonction de la situation de Monsieur D. avec la
mise en œuvre d’actions urgentes et importantes. L’urgence nous est dictée par la
situation de Monsieur D., manifestement en rupture sociale et familiale totale.
a) Souscription d’une mutuelle
La souscription d’une mutuelle n’est pas obligatoire mais dans le cas de Monsieur D.,
il convient d’arrêter l’hémorragie financière due à ses frais de santé, et notamment à
son hospitalisation en service de soins de suite et de réadaptation où il se trouve
actuellement. En effet, les remboursements de la CPAM ne couvrent pas l ’ensemble
des dépenses engagées, et selon le rapport de l’assistante sociale, Monsieur D. n’a
pas de mutuelle. Lors de la prise en charge du dossier de Monsieur D., nous avons
constaté une dette d’environ 2.900 euros de frais d’hospitalisation, non remboursés
par la CPAM.
La souscription d’une mutuelle est un acte d’administration (cf. décret n°2008-1484
du 22 décembre 2008) qui ne nécessite donc pas l’autorisation du Juge des Tutelles
dans le cadre d’une tutelle.
Nous avons donc pu souscrire directement auprès de l’un de nos assureurs
partenaires une mutuelle pour Monsieur D. et ce au plus vite. Notre mission est bien
de veiller à ses intérêts et de faire en sorte qu’il ait le moins de frais possibles à sa
charge.
14
b) Recherche des comptes bancaires
La recherche des comptes bancaires se fait par le biais de Ficoba1 et fait partie des
premières actions à mettre en œuvre. L’étude des relevés de comptes de Monsieur
D. permettra en effet d’identifier les sommes créditées (pensions, salaires,…), de
vérifier les éventuelles opérations suspectes, et permettra enfin la rédaction de
l’inventaire de son patrimoine qui doit se faire dans les 3 mois (art 503 alinéa 1 du
code civil).
Le tuteur peut effectivement se faire communiquer tous renseignements et
documents nécessaires à l’établissement de l’inventaire auprès de tout organisme
public ou privé, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou bancaire
(art 503 alinéa 2 du code civil).
Cette action est systématique lors d’une nouvelle mesure de protection mais dans le
cas de Monsieur D., elle devient tout particulièrement urgente car nous ne disposons
à ce moment-là d’aucune information concernant la situation financière de Monsieur
D. En temps normal, nous arrivons à obtenir ces informations soit par le majeur lui-
même, soit par l’intermédiaire du dossier administratif de l’Ehpad.
c) Réexpédition du courrier et protection du logement
Le logement fait partie des points d’ancrage essentiels des majeurs protégés dans la
société. La protection du logement, c’est aussi assurer les mesures conservatoires.
Pour une personne protégée qui n’habite plus dans son logement, c’est entre autres :
Lui demander qui détient les clés
Vérifier avec l’équipe médicale si la personne peut se déplacer pour nous
accompagner dans son logement
Dans le cas contraire, demander à la personne protégée l’autorisation de
pénétrer au domicile sous forme d’une attestation, faire l’inventaire en
présence de deux témoins, prendre les documents nécessaires à la
gestion, mettre au coffre si besoin les objets de valeur, prévoir de lui
1 CNIL : FICOBA sert à recenser les comptes de toute nature (bancaires, postaux, d’épargne…), et à
fournir aux personnes habilitées des informations sur les comptes détenus par une personne ou une société.
15
apporter des affaires personnelles et souvenirs pour personnaliser son
nouveau lieu de vie
Si la personne n’est pas en état de s’exprimer comme ce fut le cas pour
Monsieur D., adresser une requête au juge des tutelles pour être autorisé à
entrer dans les lieux
Prendre toute mesure conservatoire pour le logement avec notamment le
suivi du courrier et la vérification de la couverture d’assurance.
La réexpédition du courrier de Monsieur D. est donc mise en place. Cette
procédure permet de réceptionner le courrier reçu et d’avoir plus
d’informations sur sa situation.
Monsieur D. a en effet quitté son logement fin juillet 2014 et n’y est plus
retourné depuis. Nous ne possédons pas au tout début de la mesure les clés
du logement et nous devons de toute façon attendre l’autorisation du juge des
tutelles pour pouvoir y pénétrer.
Dans l’urgence et en attendant l’autorisation du juge des tutelles, nous
demandons à la régie de l’établissement de nous avancer les frais d’une
réexpédition de courrier afin de pouvoir commencer à réceptionner le courrier
et de découvrir éventuellement des informations importantes qui nous
permettraient d’avancer sur son dossier. La réception des premiers courriers
met en évidence une situation financière dramatique (courriers d’huissiers,
relances,…).
Au vu des premiers éléments, Monsieur D. ne possèderait pas d’assurance
habitation (pas de contrat, pas de paiement de police d'assurance, absence
depuis 8 mois du logement au moment de la mise sous protection juridique).
Nous lui avons donc souscrit une nouvelle assurance. Il s’agit, tout comme la
souscription d’une mutuelle santé, d’un acte d’administration, ce qui a permis
une fois de plus d’agir directement auprès d’un assureur partenaire.
Cette urgence fait partie des actes prioritaires car une assurance habitation
est obligatoire pour un locataire et si ce dernier n’est pas assuré mais
responsable, il sera tenu d’indemniser personnellement les victimes.
16
Nous savons que le logement est insalubre mais nous ne savons pas à quel
point. Il n’est plus habité depuis plusieurs mois et peut être sujet à différents
problèmes : cambriolage, incendie, dégât des eaux, mise en danger d’un
autre locataire,…
Il convient également de déterminer quel est le bailleur. Je contacte le CCAS
de Mons-En-Baroeul, qui a en sa possession les clés du logement et qui me
précise qu’il s’agirait de Villogia. Nous prenons donc contact avec cet
organisme afin de confirmer cette information et de vérifier le paiement des
loyers mais ce dernier nous informe qu’il n’est pas possible d’obtenir des
informations par téléphone et qu’il faut d’abord leur écrire. Un courrier leur est
donc adressé.
Enfin, grâce au partenariat avec les médecins et soignants de l’établissement
que nous contactons, il nous est précisé que compte tenu de l’état de santé
de Monsieur D., il semble difficile d’envisager un retour à domicile, même
avec des aides ponctuelles.
L’article 426 alinéa 3 du code civil précise que « S’il devient nécessaire ou s’il
est de l’intérêt de la personne protégée qu’il soit disposé des droits relatifs à
son logement ou à son mobilier par l’aliénation, la résiliation ou la conclusion
d’un bail, l’acte est autorisé par le juge ou par le conseil de famille s’il a été
constitué, sans préjudice des formalités que peut requérir la nature des biens.
Si l’acte a pour finalité l’accueil de l’intéressé dans un établissement, l’avis
préalable d’un médecin, n’exerçant pas ou n’occupant pas un emploi dans cet
établissement, est requis. […] »
Afin de respecter cette disposition et eu égard aux diagnostics effectués par
les soignants, nous faisons appel à un médecin extérieur à l’établissement,
inscrit sur la liste du procureur, afin qu’il puisse se prononcer sur le retour ou
non à domicile de Monsieur D. ainsi que sur la nécessité d’intégrer ou non une
maison de retraite.
Une fois le certificat établi, nous envoyons au juge des tutelles une requête lui
demandant l’autorisation de pénétrer dans le logement, de résilier le bail, de
débarrasser et nettoyer le logement, de récupérer les valeurs, titres ou
17
documents afin d’en assurer la conservation et de procéder à l’état des lieux
de sortie.
Dès réception de l’autorisation du juge des tutelles, un dossier d’admission est
instruit afin que Monsieur D. puisse intégrer l’EHPAD du Molinel à Wasquehal,
au même endroit que le SSR du CHI, et un courrier en recommandé est
adressé à la société Villogia afin de résilier le bail.
3. Les actions importantes menées parallèlement
En parallèle, nous exécutons d’autres actions importantes, comme toutes les
démarches habituelles auprès des organismes, mais nous ne disposons d’aucun
document qui aurait pu nous aider (avis d’imposition, caisses de retraite, relevés
bancaires…).
a) Contact avec le médecin traitant
J’ai contacté le médecin traitant de Monsieur D. qui figurait dans la rubrique
« proches » du dossier administratif du CHI de Wasquehal afin d’obtenir le maximum
d’information. J’arrive à lui parler directement et ce dernier à la gentillesse de
répondre à toutes mes questions. Il a rencontré effectivement Monsieur D. à
plusieurs reprises notamment pour des problèmes d’alcoolisme très prononcés. Il
m’explique que ce dernier a eu 2 compagnes successives, la première pendant
presque 30 ans qui est repartie dans sa région natale à cause de l’alcoolisme de
Monsieur D. Une seconde avec qui il est resté quelques années, est partie pour les
mêmes raisons. Il n’a pas connaissance d’enfants que pourraient avoir Monsieur D. Il
me confirme que son logement est dans un état d’insalubrité extrême. La seconde
compagne fait toujours partie des patients du médecin traitant. Je lui donc propose
de lui laisser nos coordonnées pour qu’il lui transmette et qu’elle nous contacte si elle
est d’accord, pour que nous puissions en savoir davantage sur Monsieur D. A ce
jour, elle ne s’est pas manifestée.
18
b) Les démarches administratives indispensables
Dès la réception d’une nouvelle mesure, la démarche habituelle est d’écrire à tous
les organismes principaux pour leur notifier la mise sous protection d’un majeur :
impôts, banques, assurances, caisses de retraite, sécurité sociale, mutuelle,…
Les impôts
Nous devons tout d’abord obtenir la déclaration sur les revenus car nous sommes à
ce moment-là en pleine période de déclaration et il est fort probable que le courrier
ait déjà été envoyé directement à l’adresse de Monsieur D.
Je contacte donc la Trésorerie dont dépend fiscalement Monsieur D. et cette
dernière me renvoie aussitôt la déclaration dématérialisée.
La déclaration apporte plusieurs informations intéressantes : d’une part le montant
annuel des revenus de l’année précédente, et d’autre part, les différents organismes
de retraite. Nous découvrons aussi que Monsieur D. possède des capitaux mobiliers
auprès de la Caisse d’Epargne mais rien n’indique à ce moment-là qu’il s’agit de sa
banque principale.
La banque
Ficoba nous répond dans les 15 jours ce qui permet de nous confirmer que la
banque principale de Monsieur D. est bien la Caisse d’Epargne.
En effet, c’est la seule banque qui apparaît dans la liste de tous les comptes,
toujours à la même adresse. Certains comptes épargne ont été clôturés et à ce
moment-là, il s’avérerait que Monsieur D. possèderait un compte-chèques ainsi
qu’un livret d’épargne populaire (LEP). Ces informations restent bien entendu à
vérifier.
Nous pouvons donc désormais écrire à la Caisse d’épargne et leur demander
d’effectuer toutes les opérations suivantes :
Modifier l’intitulé de l’ensemble de ses comptes
19
Nous expédier tout courrier concernant Monsieur D.
Annuler le fonctionnement de toutes les cartes de crédit existantes
Nous fournir la liste des prélèvements automatiques.
N’autoriser aucune opération sans l’autorisation du tuteur, et annuler
toute procuration à compter de ce jour.
Nous transmettre la liste de produits et services souscrits par Monsieur
D. ainsi que toutes les informations les concernant
o S’il s’agit d’un livret épargne : sa nature, sa date de souscription
et sa situation
o S’il s’agit d’un placement : sa nature, sa date de souscription,
son niveau de risque, les conditions de rémunération et de
garantie éventuelle.
o S’il s’agit d’un contrat d’assurance : la date de souscription, les
conditions contractuelles générales et particulières, la clause
bénéficiaire, le montant et la périodicité des primes
o S’il s’agit d’un autre type de produit : descriptions et conditions
contractuelles.
Nous informer sur l’existence d’un coffre et le nom des personnes ayant
accès
Les caisses de retraite
La réception des premiers relevés de comptes ainsi que la lecture de la déclaration
des impôts sur le revenu nous permet de connaître désormais les organismes de
retraite de Monsieur D. : la CARSAT1 et la MSA2.
Il est essentiel d’obtenir au plus vite ces informations pour voir si tous les droits à la
retraite de Monsieur D. ont bien été demandés et pour leur demander les derniers
relevés, nécessaires pour certaines demandes comme l’aide sociale à l’hébergement
ou encore l’allocation logement social.
Nous leur écrivons aussi pour leur demander de virer désormais les pensions sur une
ligne comptable ouverte à la Trésorerie de Wasquehal dont dépend le CHI, au nom
de Monsieur D. En effet, il s’agit là encore d’une spécificité du MJPM hospitalier qui
1 Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail 2 MSA : Mutualité Sociale Agricole
20
est soumis aux règles de la comptabilité publique et ne peut procéder seul à
l’exécution financière des dépenses et des recettes de la personne protégée. Cela
signifie entre autres que pour toute facture à régler, le MJPM envoie un ordre de
paiement au trésorier chargé d’appliquer les instructions du MJPM, mais aussi que le
MJPM hospitalier ne dispose d’aucun moyen de paiement comme un chéquier ou
une carte de paiement.
Suite à notre notification, nous réceptionnons les relevés de la CARSAT que j’étudie
de plus près et une information m’interpelle : Monsieur D. bénéficie d’une majoration
pour enfant. Le dossier prend donc une toute nouvelle tournure et nous allons devoir
creuser immédiatement cette nouvelle piste.
Nous contactons la CARSAT qui nous confirme l’existence de 3 enfants : des
jumelles et un fils, et un statut familial indiquant qu’il est veuf. Je contacte donc la
mairie de Lens où Monsieur D. s’est marié pour avoir plus de renseignements car
avec un peu de chance, les enfants seraient nés aussi sur cette commune, mais pas
de traces.
Ayant des doutes, nous poussons donc les investigations : je contacte ainsi la mairie
de Lille puisque le dernier logement de Monsieur D. était situé à Mons-En-Barœul.
Nous aurons une fois de plus des interlocuteurs prêts à nous renseigner au mieux
car la mairie me confirmera en effet l’existence de ces 3 enfants avec leurs prénoms
et leurs dates de naissance.
Une autre action s’impose en ce qui concerne les ressources de Monsieur D. En
effet, ce dernier peut prétendre à l’allocation de solidarité pour personnes âgées
anciennement minimum vieillesse, ne percevant pas plus de 800 euros de revenus
par mois et ayant plus de 65 ans. J’ai donc constitué un dossier en ce sens.
Nous avons retrouvé aussi lors de l’inventaire, un relevé provenant d’un organisme
assureur et mentionnant un contrat retraite souscrit par la société La Voix du Nord.
Nous leur avons donc écrit pour leur notifier la mise sous tutelle de Monsieur D. Ces
derniers nous ont répondu qu’il s’agissait d’un contrat sous forme de rente s’élevant
à 707 euros au total et qu’il était possible de choisir un paiement unique étant donné
le montant peu élevé. Nous avons donc choisi cette solution, ce qui a permis
21
d’alimenter un peu plus la ligne comptable au nom de Monsieur D. au sein de la
Trésorerie de Wasquehal.
Cela montre l’importance de bien vérifier tous les documents car nous aurions très
bien pu passer à côté de ce contrat.
c) L’inventaire
Le juge des tutelles a répondu favorablement à notre requête. L’inventaire est
toujours effectué en présence d’un de nos partenaires qui aura la charge de vider le
logement et de procéder à la vente du mobilier non conservé par la personne
protégée.
Nous avons donc procédé à l’inventaire début mai. Ayant encore peu d’éléments à
ce moment-là ou du moins des indices incertains, concernant notamment les
éventuels enfants, j’espérais grandement retrouver tout ce dont nous aurions besoin
pour poursuivre notre mission dans les meilleures conditions possibles : livret de
famille, papiers importants, adresse des enfants,…
Nous avons donc pénétré dans un logement laissé tel quel depuis fin juillet 2014 en
présence de deux témoins et nous avons établi l’inventaire. Ma première impression
est que Monsieur a eu une vie « sociale » bien remplie : nombreuses photos aux
murs ainsi que dans les placards, nombreuses collections diverses et variées, effets
personnels féminins restés dans le logement (bijoux, vêtements, cosmétiques,…),
cassettes vidéos, bibelots,… Avant ce logement, j’ai eu l’occasion d’accompagner
Mme Dutoit à deux reprises pour des inventaires et j’ai pu constater qu’il y avait très
peu d’effets personnels et très peu de « vie ».
Le sentiment d’une fracture brutale avec la vie est perceptible : tous ses papiers sont
empilés sur sa table de salon, son réfrigérateur est complétement vide et les affaires
sont entassées dans toutes les pièces. Nous apprenons effectivement que notre
majeur avait cessé toute alimentation depuis le mois de juin.
L’unique point positif de tout cela est que j’ai réussi à retrouver le livret de famille
ainsi qu’un petit calepin contenant l’adresse de ses enfants.
Une fois l’inventaire terminé et dès l’accord du juge, nous avons pris RDV avec la
personne chargée de débarrasser le logement. Ce dernier est donc revenu quelques
22
semaines plus tard en prenant soin de conserver toutes les affaires personnelles1 de
Monsieur D. et les laisser à sa disposition. Nous nous sommes tout de même posé la
question concernant les affaires féminines et nous avons tenté de contacter son
ancienne compagne par téléphone (numéro trouvé dans un carnet appartenant à
Monsieur D.) mais le numéro n’était plus attribué tout comme celui trouvé dans
l’annuaire.
Nous avons rapporté tous les documents trouvés au bureau afin de les trier, de les
classer par dossier et de les étudier de plus près.
Nous avons aussi pris RDV avec Villogia en juillet pour l’état des lieux sortant. Le
bailleur a tout de suite constaté le mauvais état général du logement (fenêtre cassée,
balcon rempli de fientes, d’œufs et de cadavres de pigeons, peintures abîmées,
système de chauffage installé illicitement et plus aux normes,…). Villogia a pris note
de la situation de Monsieur D. : logement en location depuis plus de 30 ans,
insolvabilité et hospitalisations. Nous n’avons pas eu de nouvelles depuis ce qui
nous laisse espérer une renonciation à d’éventuels frais de remise en état.
d) Les actions pour améliorer la situation financière
La réception des premiers courriers de Monsieur D. suite à la demande de
réexpédition et notamment des courriers de relance de différents organismes nous
laisse entrevoir une situation financière difficile.
Lors de l’inventaire du logement, nous retrouvons plusieurs factures non réglées
(hôpital, ambulancier, EDF, téléphone portable…) ainsi que des réserves d’argent
utilisées et non remboursées, des amendes, des relevés bancaires, des jugements
datant du début des années 80, des courriers de mutuelle indiquant que le contrat,
faute de règlement des cotisations, avait été résilié, ce qui confirme le constat.
Monsieur D. a une faible retraite (une pension de 651 euros de la CARSAT ainsi
qu’une pension de 89 euros de la MSA), n’a pas d’épargne et a accumulé de
nombreuses dettes qui continuent encore d’augmenter avec les frais d’hébergement
1 Art 427 du code civil alinéa 3 : « […] les souvenirs, les objets à caractère personnel, ceux indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades sont gardés à la disposition de l'intéressé, le cas échéant par les soins de l'établissement dans lequel celui-ci est hébergé. »
23
en SSR. En effet, après croisement entre la réponse de Ficoba et le retour de la
Caisse d’Epargne, il ne reste plus qu’un compte courant ne présentant pas une
avance importante. Nous n’avons donc pas d’autres solutions que de constituer un
dossier de surendettement auprès de la Banque de France, le but étant d ’obtenir un
effacement total de sa dette. A l’heure où je rédige ce dossier, la Banque de France
a jugé la demande de Monsieur D. recevable avec une orientation de procédure de
rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, nous attendons donc la décision
finale. Cette décision est importante car elle permet de suspendre automatiquement
les procédures d’exécution en cours, déjà existantes sur un certain nombre de
dettes, ainsi que les intérêts ou les éventuelles pénalités de retard. J’ai pu tout de
même constater que certains organismes continuaient d’envoyer des mises en
demeure, mais il s’agit peut-être de relances générées automatiquement.
Monsieur D. devant intégrer un EHPAD, il semble évident, compte tenu de sa
situation, qu’une demande d’aide sociale à l’hébergement (ASH) doit être effectuée,
le coût du logement étant largement supérieur aux ressources de Monsieur D.
L'ASH1 permet de prendre en charge tout ou partie des frais liés à l'hébergement
d'une personne âgée chez un accueillant familial ou en établissement. Elle est
attribuée sous condition de ressources. Elle est versée par les services du
département.
Nous envoyons donc un courrier aux enfants pour les informer de la situation de leur
père et leur demander s’ils sont d’accord pour participer à ses frais d’hébergement,
avant de saisir le Juge aux Affaires Familiales (JAF) en cas de non réponse. En effet,
selon l’article 205 du code civil, « Les enfants doivent des aliments à leurs père et
mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. »
Nous relevons en parallèle dans les différents documents récupérés dans le
logement de Monsieur D. et rapportés au bureau, que ses enfants ont été placés
avant l’âge de 12 ans pendant plus de 36 mois2. Cette information est essentielle car
dans ce cas, les enfants peuvent être exonérés de l’obligation alimentaire. En effet,
l’article 207 du code civil prévoit que si « le créancier a lui-même manqué gravement
1 Définition de Service-public.fr 2 Article 132-6 du code de l’action sociale et des familles : « Les enfants qui ont été retirés de leur milieu familial par décision judiciaire durant une période d'au moins trente-six mois cumulés au cours des douze premières années de leur vie sont, sous réserve d'une décision contraire du juge aux affaires familiales, dispensés de droit de fournir cette aide. »
24
à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou
partie de la dette alimentaire. » Nous renvoyons donc le dossier au Conseil
Départemental en leur mentionnant cette nouvelle information. Nous attendons
actuellement leur réponse.
J’ai aussi rempli un dossier d’allocation logement social, Monsieur D. pouvant y
prétendre. L’allocation qui sera allouée sera directement versée au Conseil
Départemental par l’intermédiaire de la Trésorerie lorsque la demande d’aide sociale
à l’hébergement sera acceptée.
Quant à son budget, Monsieur percevra 10% de ses ressources avec un minimum
légal de 96 euros par mois, qui correspond à la somme minimale laissée à la
disposition des personnes placées dans un établissement public au titre de l’aide
sociale aux personnes âgées 1 . Le solde sera effectivement reversé au Conseil
Départemental qui prendra aussi en charge sa mutuelle à hauteur de 119 euros par
mois, ce qui est suffisant dans le cas de Monsieur D. Son budget prend ainsi compte
d’éventuelles dépenses de santé non remboursées par la Sécurité Sociale, de
coiffeur, de produits de soin, de vêtements et du paiement d’une responsabilité civile
obligatoire. Une partie est aussi conservée pour les dépenses personnelles et son
argent de poche.
Il s’agit d’un budget prévisionnel qui sera réévalué plus tard. Depuis sa mise sous
protection juridique, Monsieur D. n’a pas demandé d’argent donc le total est pour le
moment conservé sur un compte au sein de la trésorerie de Wasquehal à son nom.
Ainsi, toutes les demandes qui peuvent améliorer la situation financière de
Monsieur D. sont en cours : dossier de surendettement auprès de la Banque de
France, aide sociale à l’hébergement, allocation logement social, allocation de
solidarité pour les personnes âgées. Nous n’avons eu aucun retour de ces
organismes pour le moment.
1 Article R 231-6 du Code de l’Action Sociale et des Familles A savoir : Pour les personnes percevant l’AAH, la somme qui est laissée à disposition s’élève à 240,14 euros par mois, soit 30 % de l’AAH (pour les personnes qui ne travaillent pas).
25
II. Monsieur D., une personne à protéger aussi avec des actions
moins urgentes mais tout aussi importantes.
1. Le contexte familial
Monsieur D. s’est marié au début des années 70 à Lens. Il a donc 3 enfants, des
jumelles nées en 1974 et un fils né en 1975. Les différents jugements retrouvés dans
son logement nous apprennent qu’il entame une procédure de divorce à la fin des
années 70 et que les enfants ont bénéficié dès 1978 d’une mesure d’action
éducative en milieu ouvert puis ont été confiés par ordonnance de garde au Service
de l’Aide Sociale à l’Enfance et enfin ont bénéficié d’une orientation définitive en
famille d’accueil à partir de 1982.
Le livret de famille indique que la mère des enfants est décédée en 1984 mais que le
jour exact n’est pas établi. Nous avons retrouvé des correspondances écrites par les
filles de Monsieur D. donc le contact n’a pas été rompu entre lui et ses enfants. Ces
derniers sont restés jusqu’à leur majorité dans la même famille d’accueil. Les photos
parlent aussi d’elles-mêmes : on y voit ses filles et ses petits-enfants.
C’est l’appel téléphonique d’une de ses filles au mois de juillet qui nous en apprend
plus sur leur vie. Elle n’a pas vu son père depuis une vingtaine d’années et l’a
longtemps accusé d’avoir « tué » indirectement sa mère n’allant pas lui rendre visite
alors qu’elle était malade. C’est lui qui ne donnait plus de nouvelles à chaque fois
lorsque le relationnel était coupé. Elle nous apprend qu’elle a 5 enfants de 5 pères
différents et qu’elle bénéficie d’une tutelle aux prestations familiales. Sa sœur est
suivie pour des problèmes psychiatriques et elle ne parle pas de son frère. Elle nous
laisse sa nouvelle adresse car celle que nous avons utilisée n’est plus bonne. Elle
nous dit aussi qu’elle viendra voir son père 2-3 fois par an car elle habite loin.
C’est effectivement ce qu’elle a fait début août en venant voir son père pendant 5
jours. C’est une aide-soignante qui nous informe de cette visite le lendemain de son
départ avec quelques doléances de sa part. J’étais présente ce jour-là et nous
n’avons pas compris avec Madame Dutoit pourquoi elle n’était pas venue nous voir,
notre bureau étant à l’étage inférieur de celui de Monsieur D. Cela a été proposé
d’ailleurs par les aides-soignantes mais sans succès. C’est dommage car nous
26
aurions pu faire connaissance avec elle mais c’est son choix et nous devons le
respecter.
En attendant, cette dernière a évoqué le fait qu’il n’y avait pas de photos dans la
chambre de son père et qu’elle aimerait bien qu’il y en ait d’elle. La demande n’est
pas choquante en elle-même comme je le préciserai plus loin, mais comment faire
alors que nous ne la connaissons même pas physiquement ?
L’aide-soignante nous précise aussi que Monsieur D. n’a pas eu l’air de la
reconnaître pendant ces 5 jours, fait peu surprenant quand on en sait un peu plus sur
sa pathologie (que j’aborderai ci-après). Nous n’avons pas eu de nouvelles d’elle
depuis sa venue.
Sa sœur jumelle s’est quant à elle manifestée suite à la réception de notre courrier.
Elle a été prise de panique et nous explique qu’elle n’a pas les moyens de verser des
obligations alimentaires à son père, ne percevant que l’AAH1. Madame Dutoit l’a
rassurée et lui a expliqué les règles relatives au versement de l’obligation
alimentaire, qui dans son cas particulier, l’exonèrera très certainement de tout
versement vis-à-vis de son père.
Elle nous raconte aussi que sa mère a été « tuée » par son compagnon de l’époque.
Ce sujet représente vraisemblablement un lourd contentieux familial, plus qu’on
aurait pu l’imaginer au départ.
A ce jour, nous sommes toujours sans nouvelle du fils de Monsieur D. Il serait venu
lui rendre visite au début de l’été mais nous n’avons pas plus d’information.
Lorsque nous lui avons posé la question, Monsieur D. nous a dit qu’un monsieur est
venu le voir mais que ce n’était pas son fils.
2. Rencontres avec Monsieur D.
Lors de la première rencontre entre Madame Dutoit et Monsieur D., ce dernier n’a
pas été en mesure d’exprimer ses attentes par rapport à sa mesure ni d’en
comprendre la portée. Il s’est montré plutôt agressif et n’a pas souhaité lui parler.
1 AAH : allocation adulte handicapé
27
Le médecin de l’établissement nous avait reprécisé par téléphone peu de temps
après qu’il fallait éviter d’y aller seul pour le rencontrer. A partir de ce moment-là, je
suis restée sur l’idée que Monsieur D. était une personne agressive et violente en
permanence.
Comme je l’ai expliqué précédemment, sa fille est venue lui rendre visite au mois
d’août et a indiqué aux aides-soignants qu’elle souhaitait que des photos d’elle et ses
enfants soient accrochées dans la chambre de son père. Nous avons donc contacté
les psychologues pour avoir un bilan psychologique et avoir leur avis sur les photos
et la réaction éventuelle de Monsieur D. La première psychologue que j’ai eu au
téléphone m’a indiqué que Monsieur D. était uniquement en capacité d’avoir un
entretien simple qui impliquait seulement des réponses par oui ou par non et qu’il
n’était pas très contributif dans la conversation. Nous sommes donc allées le voir
début septembre pour voir si tout allait bien, s’il avait besoin de choses en particulier
et si cela lui ferait plaisir d’avoir des photos. L’échange était effectivement basé sur
beaucoup de réponses par oui, peu par non et Monsieur D. n’a pas montré le
moindre signe de violence ni d’agressivité. Il était seulement agacé par son voisin de
chambre qui faisait beaucoup de bruit. Ce fut pour moi ma première rencontre avec
Monsieur D. et j’étais donc bien éloignée de l’idée que je m’étais faite. J’ai rencontré
au hasard d’un couloir la psychologue qui s’occupe de Monsieur D. Elle me confirme
qu’il faut procéder par étape pour ne pas le brusquer mais qu’il serait bon néanmoins
qu’il dispose de quelques photos.
3. Entretien avec la psychologue qui s’occupe de Monsieur D.
Madame G. m’a reçue fin septembre à ma demande pour m’apporter des
compléments d’information sur la maladie de Korsakoff et sur la situation de
Monsieur D.
Elle m’a tout d’abord expliqué qu’elle n’avait pas fait de bilan psychologique car les
demandes sont désormais priorisées et doivent forcément passer par un médecin.
Monsieur D. n’est pas, en effet, prioritaire car son diagnostic médical a déjà été posé
et n’est pas sujet à une éventuelle évolution. Son profil psychologique n’aurait pas
été de toute façon évident à établir car la maladie de Korsakoff se caractérise entre
autres par des oublis à mesure ce qui entraverait éventuellement un travail sur le
28
long terme sur plusieurs entretiens. Le même problème se retrouve aussi pour la
maladie d’Alzheimer.
Le syndrome de Korsakoff1
Le syndrome de Korsakoff est causé principalement par un alcoolisme chronique et a
pour conséquence des lésions cérébrales irréversibles. Il se caractérise par un oubli
massif de la plupart des informations perçues par le patient après l’installation de la
maladie et engendre diverses difficultés comme la désorientation spatio-temporelle,
de fausses reconnaissances, des fabulations et une anosognosie (trouble
neuropsychologique qui fait qu'un patient atteint d'une maladie ou d'un handicap ne
semble pas avoir conscience de sa condition).
Madame G. m’explique aussi que ce sont souvent des patients « jeunes » par
rapport aux autres maladies neurodégénératives qui présentent toutefois quelques
points plus positifs comme l’arrêt de l’évolution une fois le sevrage de l’alcoolisme
effectué. Elle préconise plusieurs attitudes à adopter face à une personne atteinte du
syndrome de Korsakoff :
faire des phrases courtes
parler à sa hauteur
procéder par « essai-erreur » si on a un doute sur une information à lui
apporter
ne pas la contrarier
jouer sur l’aspect émotionnel.
J’ai évoqué aussi son agressivité que je n’ai pas ressentie lors de mes deux visites.
Madame G. m’a expliqué que Monsieur D. était surtout agressif envers le personnel
soignant qui le sollicitait beaucoup sur les gestes de la vie quotidienne comme la
toilette, des gestes qu’il pense acquis, d’où son incompréhension face à ces
demandes journalières. Quant aux autres personnes qui lui rendent visite, comme
les médecins ou son tuteur par exemple, elles viennent avec une certaine
bienveillance donc l’agressivité de Monsieur D. est moins palpable.
1 Source : « vivre avec le syndrome de Korsakoff » Eclat-graa.org
29
J’interroge Madame G. sur la participation aux animations et cette dernière m’indique
que Monsieur D. prend part à de nombreuses activités comme l’handi-chien et il lui a
été proposé d’assister à la messe Monsieur D. étant catholique pratiquant. Il est
aussi stimulé pour la toilette et l’habillage.
Enfin, j’aborde un dernier point qui m’a marqué lors de ma première rencontre avec
Monsieur D. Ce dernier était très perturbé par son voisin de chambre très bruyant,
notamment lorsque nous lui parlions. Je suis bien consciente des problématiques
rencontrées en termes de logistique et de logique entre les différentes pathologies
(peut-on mettre un patient atteint de telle pathologie dans la même chambre qu’un
patient atteint de telle autre pathologie ?) mais je me suis tout de même posée la
question plus spécifiquement pour Monsieur D. Madame G. me confirme
effectivement que ce n’est pas évident de répondre à tous les souhaits des patients
et que dès que c’est possible, certains changent de chambre ou obtiennent une
chambre individuelle. Il se trouve que cela a été abordé pour Monsieur D. puisqu’une
information a été laissée en ce sens dans son dossier médical.
4. Les photos de Monsieur D.
Monsieur D. n’avait pas émis le souhait d’avoir des photos dans sa chambre mais sa
fille en a fait la demande lors de sa visite. Ceci dit, même s’il existe une histoire de
vie complexe, le MJPM est là aussi pour écouter la famille qui connaît mieux le
majeur protégé tout en agissant dans son intérêt et son bien-être aussi.
Dans ce cadre-là, la demande me paraît plutôt intéressante car effectivement, le
voisin de chambre de Monsieur D. a plusieurs photos sur son mur.
J’avais aussi remarqué les nombreuses photos dans l’appartement de Monsieur D.
et la majorité de ses effets personnels récupérés est d’ailleurs constitué de photos
représentant sa famille mais aussi des plantes, des jardiniers et son chien.
Après avoir vérifié que cela pourrait l’intéresser lors de ma première rencontre avec
lui, j’ai regardé toutes les photos que nous avions récupérées dans son appartement
et j’ai priorisé celles déjà en cadre, notamment des photos anciennes. Je me suis dit
que ces photos étant déjà mises en avant dans son appartement, il y serait très
certainement plus sensible et sa mémoire serait sûrement plus certaine sur celles-ci.
Puis j’ai essayé de retrouver des photos de ses enfants, opération peu évidente ne
30
les connaissant pas. J’en ai sélectionné une dizaine, comme me l’avaient conseillé
les psychologues, en espérant que l’ancienneté des photos évoquerait des souvenirs
à Monsieur D. Nous sommes donc retournées le voir fin septembre avec Mme Dutoit
pour lui montrer les photos et il a reconnu toutes les personnes, les nommant
quasiment toutes : ses grands-parents, ses parents, ses enfants, ses petits-enfants
et lui quand il était plus jeune. Il nous a répété à plusieurs reprises qu’il était content.
Je suis donc revenue mi-octobre avec les photos installées sur deux grands cadres
récupérés. Sur les conseils de la psychologue, je lui ai demandé s’il savait qui j’étais,
ce à quoi il a répondu « oui oui ». Je lui ai dit que je lui rapportais ses photos, il s’est
tout de suite assis sur son lit et a montré un vif intérêt tout comme lors de la
précédente rencontre. Je lui ai proposé d’installer un cadre sur sa commode, et
l’autre au-dessus de son lit. Il a une fois de plus manifesté son contentement.
J’ai relevé aussi une information dans une étude qui me paraît importante à
souligner : « le maintien d’activités que la personne appréciait et qui lui
procurent du plaisir va permettre de maintenir une qualité de vie satisfaisante
et éviter un repli sur soi chez une personne déjà confrontée fréquemment à
des situations d’échec. »1
En lisant cette analyse, je me dis que l’action que j’ai menée se rapproche un peu de
cette notion de qualité de vie satisfaisante mais du coup, me ramène aussi à la
réalité du travail d’un MJPM : avons-nous été trop loin dans cette action ? Ma
fonction de stagiaire m’a permis effectivement d’avoir cette liberté d’agir mais en
prenant du recul, je me dis que ce travail aurait dû peut-être être fait en partenariat
avec la psychologue, en lui suggérant tout simplement de faire un travail sur les
photos de Monsieur D., source de plaisir pour lui.
5. Echanges avec les aides-soignants
J’ai eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises avec les aides-soignants de l’étage
de Monsieur D. et j’ai toujours trouvé ces contacts très enrichissants et surtout
indispensables. Ce sont en effet les personnes qui sont le plus en contact avec nos
1 Source : « vivre avec le syndrome de Korsakoff » Eclat-graa.org
31
majeurs protégés et qui possèdent aussi des informations que nous n’avons pas
toujours.
Les missions du MJPM ne sont pas toujours bien comprises et délimitées en milieu
hospitalier. Les aides-soignants en EHPAD sont aussi confrontés à une multitude de
MJPM qu’ils soient hospitaliers, privés ou encore issus du milieu associatif, avec
parfois des façons de travailler et des fréquences de visite différentes, même entre
MJPM du même secteur, ce qui les pousse parfois à ne pas faire de distinction,
surtout lorsqu’un problème survient avec un autre mandataire.
En ce qui concerne Monsieur D., je me suis présentée une première fois auprès des
aides-soignants du 5ème étage, en leur expliquant l’action menée sur les photos, ce
qu’ils ont eu l’air d’apprécier. Cet échange a permis aussi de faire le point sur les
besoins spécifiques de Monsieur D., notamment un réveil pour pouvoir regarder
l’heure, à la demande de ce dernier.
Lorsque je suis retournée apporter les photos à Monsieur D. (car il y a eu plusieurs
tentatives auparavant qui n’ont pas abouti soit parce que Monsieur D. dormait, soit
parce qu’il était parti en animation, soit parce qu’il se promenait tout simplement dans
le bâtiment), j’ai de nouveau rencontré les aides-soignants. C’est à ce moment-là
qu’ils m’ont expliqué que Monsieur D. ne dormait pas forcément, qu’il ne fallait pas
hésiter à y retourner car il « comatait » seulement par moment. Une des aides-
soignantes me précise aussi que Monsieur D. attend ses photos. Cette information
me surprend et du coup lève une idée fausse. En effet, bien que mon stage se soit
terminé fin septembre, cela me tenait à cœur d’apporter les photos à Monsieur D.
Comme je l’expliquais précédemment, j’y suis allée de nombreuses fois sans
succès. Sachant que j’allais revenir une dizaine de jours plus tard, je me suis dit que
cela ne représenterait pas un long délai pour Monsieur D., pensant qu’il aurait oublié
nos deux dernières rencontres. Et bien, je ne saurai jamais si Monsieur D. se
souvenait réellement de moi, mais en tout cas, il n’avait pas oublié ses photos !
32
6. Autres actions envisageables avec Monsieur D. ?
Aujourd’hui, je me pose effectivement cette question : pouvons-nous envisager
d’autres actions à court terme à mettre en œuvre pour Monsieur D. ? D’un point de
vue médical, nous savons que le syndrome de Korsakoff est irréversible et ne
connaîtra aucune amélioration selon les données acquises de la science. J’ai aussi
appris par la psychologue qu’un travail sur la mémoire était inutile. D’un point de vue
administratif et financier, toutes les demandes qui peuvent améliorer son quotidien
sont en cours (effacement de ses dettes, demande d’une nouvelle prestation
vieillesse, allocation logement, aide sociale à l’hébergement,…). Les enfants ont nos
coordonnées et peuvent donc nous joindre à tout moment.
D’un point de vue de la personne, Monsieur D. a l’air de bien s’être adapté à son
nouvel environnement, il participe aux animations et se promène seul dans
l’établissement. Nous avons aussi déterminé que les photos étaient quelque chose
d’important pour lui et sachant qu’il en reste beaucoup dans des sacs, il serait
intéressant de les confier aux aides-soignants ou à sa psychologue pour
éventuellement continuer ce travail de reconnaissance. Par ailleurs, cela a permis de
rétablir une communication, et surtout gagner sa confiance.
Nous pouvons aussi recueillir les volontés de Monsieur D. quant aux soins de fin de
vie et ses obsèques. Dans ce cadre et afin d’optimiser l’échange, un contact avec la
psychologue quant à la façon d’aborder le sujet avec Monsieur D. reste primordial.
33
CONCLUSION
La protection juridique de Monsieur D. et les actes menés par le MJPM lui ont permis
de retrouver sa dignité, de reprendre sa vie en main et de solutionner ses difficultés
patrimoniales.
Monsieur D. était un homme presque nu au départ, au sens propre comme au sens
figuré. Il est arrivé au CHI de Wasquehal quasiment sans rien, sans vêtements mais
aussi sans papiers, sans histoire de vie, sans passé et avec une situation financière
critique.
Nous avons dû rassembler les pièces du puzzle petit à petit mais il a fallu prioriser
des actions urgentes et importantes afin de répondre au mieux à notre mission de
protection de ses biens et de sa personne.
Monsieur D. est certes atteint d’une pathologie qui entraîne un certain nombre de
conséquences mais c’est avant tout une personne avec une identité et une histoire
de vie.
Aujourd’hui, c’est un homme qui reconstruit sa vie petit à petit, une nouvelle vie sans
souvenir récent du fait de sa pathologie mais qui vit au jour le jour, qui participe aux
animations, qui s’alimente à nouveau, qui se promène dans le bâtiment, qui vit tout
simplement.
Le relationnel avec Monsieur D., qui au départ était inexistant, se développe
doucement mais sûrement, Monsieur D. commençant à reconnaître Madame Dutoit
lors de ses visites. L’évolution est flagrante entre un refus de communiquer au départ
et un petit sourire de reconnaissance aujourd’hui.
Dans le département du Nord, on recense plus de 330 EHPAD pouvant accueillir
presque 23.000 personnes. Mais ce n’est pas forcément 23.000 personnes qui
attendent la mort comme souvent on le pense, ce sont aussi des lieux de vie où des
personnes peuvent y rentrer dès 60 ans, et pourquoi pas y passer une trentaine
d’années. Ce ne sont pas forcément les pires années qui les attendent mais plutôt
une nouvelle vie et nous contribuons à apporter la sécurité et la sérénité tout en
respectant leur histoire, leurs choix et leur autonomie.
34
GLOSSAIRE ASH : Aide Sociale à l’Hébergement
CARSAT : Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail
CHI : Centre Hospitalier Intercommunal
JAF : Juge aux Affaires Familiales
MJPM : Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs
MSA : Mutualité Sociale Agricole
SSR : Soins de Suite et de Réadaptation
Recommended