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Quelle place occupe la notion de
but non-lucratif en droit de l’Union
européenne ?
Laëtitia Driguez, maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne,
IREDIES (Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne),
Ecole de Droit de la Sorbonne.
Romain Guerry, directeur des affaires publiques MGEN (mutuelle de santé).
Bruxelles, 08 juin 2017
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Un référence à l’origine : article 58 Traité de
Rome sur la liberté d’établissement.
Devenu l’article 54 TFUE (Traité de Lisbonne), il clôt le Chapitre II « Le
droit d’établissement ». Il est ainsi rédigé :
« Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État
membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou
leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté sont
assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre,
aux personnes physiques ressortissant des États membres.
Par sociétés on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y
compris les sociétés coopératives, et les autres personnes
morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés
qui ne poursuivent pas de but lucratif. »
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Quel est le sens de la phrase « à l’exception des
sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif » ?
Interprétations de nature institutionnelle :
La Commission européenne, SEC (1989) 2187 final du 18 décembre 1989
« Business in the « Economie Sociale » sector Europe’s frontier-free
market », pt. 3.2 :
Expliquant que les entreprises de l’Economie sociale sont intégrées dans
l’environnement juridique accompagnant le marché intérieur, bénéficient
pleinement, comme les autres entreprises, de la liberté d’établissement et de
la libre prestation de service, et sont soumises aux règles de la concurrence,
la Commission ajoute :
« Article 58, in particular, applies to any legal entity engaged in
economic activity including, therefore, mutual/cooperative enterprises ».
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Une interprétation qui s’appuie sur la
Convention de Bruxelles de 1968 sur la
reconnaissance des sociétés.
La Convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et
personnes morales, signée à Bruxelles le 29 février 1968 revient sur la
notion de société dans son article 2 :
« Sont également reconnues de plein droit les personnes morales de
droit public ou de droit privé, autres que les sociétés mentionnées à
l'article 1, remplissant les conditions prévues audit article, et qui, à
titre principal ou accessoire, ont pour objet une activité
économique exercée normalement contre rémunération ou qui,
sans contrevenir à la loi en conformité de laquelle elles ont été
constituées, se livrent en fait de manière continue à une telle
activité. »
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En résumé :
« L’équation » de l’article 54 du TFUE est la suivante :
Sociétés Coopérative Non lucrativité
Or : Coopérative zéro partage des bénéfices.
Donc : l’absence de partage des bénéfices ne
peut pas définir la non lucrativité.
Donc :
Non lucrativité autre chose
Non lucrativité fournir biens et services gratuits
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En fait, les entreprises de l’Economie sociale
n’ont pas d’identité reconnue en droit de l’UE
L’analyse des travaux européens sur des projets de
statuts pour les entreprises de l’économie sociale révèle
la quasi-absence de la référence au but non lucratif,
pourtant caractéristique de ces dernières.
Ainsi, en droit de l’Union européenne, les associations,
les mutuelles, les coopératives, et les fondations qui
fournissent un bien ou un service en contrepartie d’une
rémunération sont considérées comme des
entreprises « à but lucratif »
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Qu’une entité soit, en vertu de son droit national, qualifiée d’entité à but
non lucratif ou d’entité à but lucratif n’est jamais déterminant de
l’application du droit de l’Union.
Le droit européen de la concurrence, notamment le droit des
pratiques anticoncurrentielles ou celui des aides d’Etat, est
indistinctement applicable aux entités à but lucratif ou à but non lucratif.
L’examen de la jurisprudence démontre notamment que le but non
lucratif n’est pas un critère opératoire et c’est en tant qu’entreprises,
sans but lucratif au sens national du terme, que des associations, mais
aussi des mutuelles ou des institutions de prévoyance sont soumises
au droit de la concurrence.
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La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ou la
pratique décisionnelle de la Commission européenne ne manifestent
aucun intérêt pour la notion qui ne fait jamais l’objet d’un examen
spécifique.
Les entreprises « à but non lucratif », selon la description qu’en donne
leur droit national, ne bénéficient pas de dérogations aux règles
relatives aux libertés économiques ou à la concurrence sur la seule
considération de l’absence de but lucratif.
Le plus souvent, c’est la nature de leur activité qui est déterminante,
ce qu’illustre le traitement réservé aux services d’intérêt économique
général ou aux services sociaux d’intérêt général dont certains peuvent
être exercés par des entreprises qualifiées de sans but lucratif.
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Deux exceptions pour raisons éthiques et
économiques
1 : « Les jeux d’argent en Suède »
Des raisons éthiques ou morales ont pu être admises à justifier
qu’une activité économique soit réservée à des organismes sans but
lucratif
2 : « Les coopératives italiennes ».
Dans un arrêt de 2013, la Cour de justice a admis que des raisons
d’ordre économique liées aux conditions plus difficiles d’accès au
financement distinguent dans le droit des aides d’Etat les coopératives
des sociétés capitalistes.
Rappel : les coopératives ne peuvent pas émettre d’actions pour lever du
capital
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L’entreprise « à but lucratif» demeure le
standard
Le principe de neutralité du droit de l’Union européenne à
l’égard des formes d’organisation des entreprises ne
saurait masquer l’existence d’un « modèle » d’entreprise en
droit de l’Union qui fait référence : celui de l’entreprise à but
lucratif, c’est-à-dire celle qui reverse une partie de ses
bénéfices à ses propriétaires.
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CONCLUSION
Dans la classification binaire actuellement en
vigueur en Droit de l’UE, ni l’assimilation pleine
et entière aux entreprises à but lucratif (ie : qui
réalisent un bénéfice), ni la qualification
d’entreprise à but non lucratif (qui ne réalisent
pas de bénéfices) ne rendent compte de ce que
sont les entreprises de l’économie sociale et de
leurs besoins.
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Alors que faire ?
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Introduire une troisième notion en droit de l’UE : la
lucrativité limitée.
Elle définirait l’ensemble des organisations qui réalisent un bénéfice mais n’ont pas
pour but de le distribuer, s’intercalant ainsi entre celles qui ont pour visée de n’en
réaliser aucun (à but non-lucratif) et celles qui ont pour objectif d’en réaliser un
maximum pour pouvoir en distribuer le plus possible (à but lucratif)
Il y aurait trois niveaux de lucrativité :
- Niveau 1 : l’entreprise « désintéressée » qui ne vise à réaliser aucun bénéfice car
elle produit des biens ou services non marchands (absence d’échange monétaire)
- Niveau 2 (nouveau) : l’entreprise à lucrativité limitée : son but premier n’est pas de
réaliser des bénéfices mais si elle en produit elle ne peut pas les distribuer ou alors
de manière limitée.
- Niveau 3 : l’entreprise à but lucratif. Vise à réaliser un maximum de bénéfices pour les
distribuer aux propriétaires de l’entreprise.
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Une notion qui ouvrirait de nouveaux droits.
Cette notion européenne, en ce sens qu’elle serait définie au niveau
européen, serait opérationnelle puisqu’elle pourrait donner lieu à l’application
de règles particulières en matière de droit de la concurrence ou de fiscalité
par exemple.
Il s’agirait dans tous les cas de rétablir l’équilibre de la concurrence avec les
entreprises à but lucratif qui ne subissent pas, pour l’accès au capital les
mêmes contraintes.
Le rapport de Laëtitia Driguez formule 10 propositions politiques, juridiques
et opérationnelles.
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Merci de votre attention
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