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Tourisme et “style de vie vénitien” : réflexions dans une perspective géographique
Federica Letizia Cavallo (fcavallo@unive.it)
Montpellier, Université Paul ValéryBéziers, Master Tourisme et Développement Durable des Territoires
Vendredi 10 octobre 2014
Genre de vie
“Complexe d’activités habituelles caractéristiques d’un groupe humain et liées à l’entretien de sa vie (…) éléments matériels et spirituels, techniques, procédés transmis par la tradition et grâce
auxquels les hommes s’assurent une prise sur les éléments naturels” (Maximilien Sorre, 1948)
Style de vie
Ensemble intégré de matériels -objets, pratiques, significations- dont la cohérence peut être gardée ou modifiée au fur et à mesure,
dans un processus de négociation continue (McCracken, 1990)
“Venezianità”Particularités, pratiques, rituels, valeurs, traditions vivantes …
• Linge étendue• Usage du dialecte vénitien• Socialité sur les “campi” (places)• Rythme de vie décontracté• Consommation de boissons alcoolisées
(“ombre”, spritz)• Courses au marché en plein air permanent• Habitude de tutoyer• Bottes de pluie• …• …
• DEPLACEMENTS À PIED• USAGE DES BATEAUX
Les lois de l’habiter à Vénise(Pascolo, 2012)
• Loi de la proximité : des choses, des maisons, des personnes
• Loi de la lenteur : mobilité douce (à pied), santé, qualité du temps, socialité
• Loi de la beauté : harmonie des détails avec l’ensemble, absence de “gaspillage” d’espace, mesure et forma urbis idéelle
Et la narration touristique du “style de vie vénitienne”…
Le genre de vie/style de vie vénitien historique-traditionnel était essentiellement lagunaire et insulaire. Cela impliquait un rapport direct et quotidien avec la Lagune et ses îles.
Et aujourd’hui?“L’ancien rapport qui faisait du vénitien un “lagunaire” est en crise depuis longtemps” (Balboni, De Marchi, Lando, Zanetto, 1977)
Processus de: Modernisation, polarisation de la population, zonage
déséquilibré du système territorial Venise-Mestre-Marghera, tourisme…
“Rien d’étrange dans tous cela, sauf la perte, désormais définitive, d’une culture et d’un style de vie inexportable de la Lagune” (Zanetto, 1998)
“Donc, quand tu sors le matin à la recherche de la “vie vénitienne”, de la vraie ville que seuls les habitants connaissent, tu ne rencontres que d’autres touristes comme toi” (Lanapoppi, 2011, p. 13)
“Vénitiens et touristes sont au fond réunis dans le même piège auquel tous les deux veulent fortement croire. Les premiers “font semblant” de vivre encore dans une ville réelle (…). Les seconds “font semblant” de venir dans une ville réelle, tout en sachant que désormais il s’agit d’un parc à thème …” (Tantucci, 2011, p. 33)
Le genre/style de vie historique-traditionnel de la ville d’eau possède avec les bateaux les unités minimales d’interaction avec la Lagune.
Pas seulement un moyen de transport et d’exercice d’activités économiques, mais aussi:
• moyen de contact avec les environnements et les paysages lagunaires
• Elément à travers lesquels connecter les îles et vivre la Lagune comme “tissu connectif”- et non pas comme une facteur d’isolement
• Dépôt de valeurs, de savoir-faire, de significations anthropologiques et symboliques
• Moyens de connaissance spatiale, d’orientation et de mobilité
Bateaux et mobilité aquatique comme premier élément
“spatialement significatif” du style de vie vénitien
Aujourd’hui le rapport de la ville et de ses habitants avec la Lagune a changé, aussi en raison du tourisme (et le tourisme a introduit le rapport des touristes avec la Lagune).
Les embarcations ont fonctionné comme des indicateurs de ces transformations.
Rôle des bateaux éloquent par rapport à la définition/négociation des espaces vécus de la quotidienneté et du loisir(à la fois pour la population, pour les city users non touristes, et pour les touristes/excursionnistes)
Le cas des paquebots
Pas par hasard, beaucoup de conflits socio-territoriaux entre acteurs divers, porteurs d’intérêts différents et/ou de façons différentes de vivre et de représenter la Lagune (conflits qui impliquent habitants et touristes) tournent autour de :
• Les espaces d’eau (bassin de San Marco, Canal de la Giudecca, Lagune Nord) comme terrain de dispute, concret et idéal (les mouvements sociaux à Venise ont un lien direct avec les espaces d’eau : l’Arsenal, l’île abandonnée de Poveglia, le comité de citoyens “No Grandi Navi”, …)
• Les embarcations comme élément pivot, à la fois concret et symbolique
• Île domaniale abandonnée • Enchères pour un bail emphytéotique de 99 années :
160.000 € : Poveglia per tutti (99 par personne) 513.000 € : Luigi Brugnaro
• Enchères suspendues
L’île de Poveglia
• Vaporettos• Taxis d’eau• Autres hors-bord privés• Embarcations de transport
Conflictualité composée, rendue plus complexe par :• Corporations/groupes d’intérêts liés aux services touristiques
fournis par bateau• Superposition (mais pas harmonisation) des prix entre service
de transport public et service touristique• Éléments environnementaux nocifs et/ou risqués liés à
l’emploi de certaines embarcations• Valeur patrimoniale attribuée aux embarcations historiques
et tutelle consécutive
• Gondoles• Autres embarcations traditionnelles (rame/voile) • Grands navires de croisière• House boats• kayaks• Bateaux “immobiles” (magasin de fruits-légumes, terrasse de bistrot)
Le cas de la gondole : du genre de vie vénitien à la consommation touristique …
en passant par la patrimonialisation
PATRIMOINE TANGIBLE :• Bateau traditionnel de la noblesse et des fêtes (surtout au
XVIIIe siècle)
• Chantiers navals (traditionnels appelés «squeri» ou plus modernes)
Squero de San Trovaso
Le cas de la gondole : du genre de vie vénitien à la consommation touristique ….
en passant par la patrimonialisation
PATRIMOINE INTANGIBLE :• Savoir faire des fabricants (“maestri d’ascia”) - (gondole
construite sur mesure selon les paramètres anthropométriques de chaque gondolier)
• La façon de ramer (avec une rame, debout, à l’avant, …)
Cela se superpose (et parfois s’oppose) à la dimension de …
La gondole comme manège …• (Presque) plus utilisée comme moyen de transport par les
vénitiens• La gondole, «c’est seulement pour les touristes»
«poltrone a dondolo per cretini» («fauteuils à bascule pour crétins») (Filippo Tommaso Marinetti, Contro Venezia passatista, 1910)
… et comme souvenir vénitien par excellence (référence matérielle qui fait circuler l’image touristique de la ville)
Un souvenir «durable»
Venetian Resort Hotel Casino, Las Vegas
Et la gondole est un élément essentiel aussi des répliques hyperréelles de Venise
Chine: Venetian Macao, Macao
Plus que reproduire Venise, il reproduit Las Vegas (la copie de la copie)
Japon: Tokyo Disney Resort, Venetian gondolas
• Attraction insérée dans une «baie Méditerranéenne» (entre “Istanbul” et un “volcan”)• Les Gondole roulent sur des rails sous l’eau
Le «travail à la chaine» des gondoliers du Basin Orseolo (Place San Marco): marchandisation/commodification/banalisation touristique
La gondole : un élément qui faisait partie du style de vie lagunaire qui est passé par des processus de patrimonialisation et « mise en tourisme » : aujourd’hui, est-ce un simulacre?
“Echapper aux modèles de développement exclusivement bâtis sur une logique de filière,
aux stéréotypes et normalisations incapables de prendre sérieusement en compte les hommes
- habitants comme touristes -, leurs usages et leurs territoires”
Prospectus de présentation master TDDT
L’exception de la «gondola traghetto» (service de navette pour traverser le Grand Canal) :
compromis/superposition/contaminationentre style de vie vénitien et tourisme
Usage commun, prix différenciés
Compétence topographique et mobilité piétonnière
Deuxième élément “spatialement significatif”du style de vie vénitien
• Capacité d’orientation dans une topographie complexe (en tant que mobilité secondaire : auparavant la mobilité passait par les canaux, pas par les « calli »)
• Vécu spatio-temporel dérivant de la mobilité piétonnière dans une ville aussi complexe
Thème du labyrinthe dans lequel “se perdre” (cartes, adresses, GPS « ne suffisent pas »)
http://capitan-mas-ideas.blogspot.com.es
Scarpa, 2000
Things to do in Venice
Davis-Marvin, 2004
Se perdre : agréable ou désagréable, mais la majorité des touristes ne se perd pas parce qu’ils parcourent seulement les « autoroutes piétonnières touristiques » (Lando, 2008)
(Lando, 2008)
L’effet de “déplacement” des activités commerciales
• Les vénitiens ont les clés pour s’orienter dans le labyrinthe• MAIS les touristes aussi ont leur propre “capital mobilitaire”
(Ceriani e Sebregondi, 2007)
Les deux mobilités ne sont pas indépendantes mais elles s’entrecroisent selon, au moins, trois modalités:
A. Stratégie d’évitement des parcours/espaces touristiques par les vénitiens («andar per sconti»)
B. Stratégie de repli sur des espaces publics urbains “non touristiques” (et demande de nouveaux espaces de ce type)
C. Partage, plus ou moins conflictuel, de certains espaces/parcours
Fermeture des “sottoporteghi” (Campo Santa Margherita )
1. Bateaux, « lagunarité » et mobilité aquatique (élément qui a subi une érosion par le tourisme)
2. Compétence topographique et mobilité piétonnière(élément affiné par le tourisme)
MAIS dans les deux cas, manque (ou faiblesse) de la perméabilité, du passage de ses éléments du style de vie vénitien entre locaux et touristes.
Existe-t-il des activités et des images touristiques qui peuvent renforcer les pratiques et les représentations associées au style de vie vénitien et promouvoir la circulation d’expériences et vécues entre les vénitiens et les touristes?
Peut-on faire du style de vie vénitien un atout touristique (sans marchandisation)? Et cela peut-il contribuer à sa survie?
La dichotomie touriste-habitant
Doxey's Irridex ‘‘Irritation’’ Index (Doxey, 1976).
• 56.684 habitants (résidents dans la ville lagunaire)• 25.000 étudiants (dont 6.000 habitent en ville)• 22 millions touristes par an (COSES, 2007) 30,3 millions (Italia Nostra, 2011)• Capacité de charge touristique: 12 millions par an maximum (Costa et Van der Borg, 1988)
Comment dépasser la contradiction?
Niveau théorique-interprétatif :touriste comme “habitant temporaire”
La mise en avant de la pratique touristique comme un mode d’habiter a été une remise en cause radicale de la perspective sur les touristes.
Non seulement la théorie classique contestait la capacité d’attachement aux lieux des touristes lors de leur déplacement, mais aussi le terme «habiter» avait jusque-là été utilisé de façon restrictive, au sens de «résider», vocable qui évoque traditionnellement la plus grande stabilité spatio-temporelle.
Définir le tourisme comme étant un «mode d’habiter temporaire» … (Equipe MIT, 2006, p. 274).
Niveau théorique-interprétatif :le touriste comme “habitant temporaire”
« … l’effacement de la distinction classique entre le touriste et l’habitant, au profit d’un continuum de statuts et de pratiques (touristes classiques, résidents de passage, résidents temporaires, habitants aux fortes pratiques culturelles et récréatives, populations voisines, etc.). Prenant acte de cette évolution, certains chercheurs proposent même de remplacer le terme du touriste par celui d’occasionnel» (Commet et Etcheverry - http://poetiquepublique.fr )
Niveau concret (celui du gestionnaire)
Comme faire pour que les vénitiens considèrent les touristes comme des vénitiens temporaires?
Comme aider les touristes a se considérer comme des vénitiens temporaires, qui partagent le style de vie local et développent de la topophilie envers la ville?
Quelles politiques? Quelles initiatives? Quelles actions (et quels acteurs)?
Précondition : Contraste du déséquilibre numérique entre touristes et habitants :• Contrôle des flux• Maintien/augmentation de la population de la ville
Le rôle des « prescripteurs touristiques » (Commet et Etcheverry - http://poetiquepublique.fr )
• les « touristes alternatifs » : les repeaters, « ceux qui connaissent bien la destination et veulent aller au-delà » et les innovateurs, qui cherchent l’inédit, l’insolite, la sortie des clichés des stéréotypes, du « déjà vu »; ceux qui ont le goût des marges». Propriétaires de résidences secondaires; rôle pivot des français. Écotourisme dans la lagune, sport nautiques, petits îles de la Lagune…
• les opérateurs touristiques : petits opérateurs locaux qui offrent des expériences thématiques ou dans la lagune
Les prescripteurs touristiques (Commet et Etcheverry - http://poetiquepublique.fr )
• les élites culturelles de la ville : rôle de Ca’ Foscari et IUAV?
• les nouveaux arrivants : pas beaucoup d’immigration à Venise, mais bourgeoisie intellectuelle cosmopolite (voir ci-dessus)
• les « communautés » : leurs fêtes et leurs rituels, à condition qu’elles soient partagées, peuvent favoriser l’appropriation symbolique des lieux. Pas le Carnaval, mais le Vogalonga, la fête de la Sensa, du Redentore, de la Madonna della Salute. Hypothèses de « communautés patrimoniales » , ouverture des maisons, « randonnées » guidées par le vénitiens ….
Exemples de partage du style de vie vénitien par rapport aux bateaux/mobilité aquatique/lagunarité
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