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wwwdunodcom6496962ISBN 978-2-10-051583-7
psychologie cognitive
psychologie sociale
psychologie clinique
La question des motifs de nos actes et des processus menant agrave la deacutecision et agrave lrsquoaction est depuis toujours au cœur de la penseacutee humaineAujourdrsquohui porteacutee par les theacuteories de la valeur de lrsquoat-tribution de lrsquoauto-efficaciteacute des buts de lrsquoautodeacutetermi-nation et de la compeacutetence la psychologie des motiva-tions fait une large place agrave lrsquoanalyse des repreacutesentations drsquoavenir du contexte social et de la conception de soiDans cet ouvrage vingt auteurs explorent de maniegravere claire et peacutedagogique les approches theacuteoriques de la motivation et la porteacutee de ses enjeux pour les pratiques sociales ndash la premiegravere partie preacutesente de faccedilon syntheacutetique les
courants theacuteoriques dominants de la psychologie socio-cognitive des motivations
ndash la deuxiegraveme partie passe en revue un ensemble de pratiques sociales traverseacutees par la notion de motiva-tion et dans desquelles la probleacutematique du passage agrave lrsquoaction est deacuteterminante
Destineacute aux eacutetudiants de master et doctorat en psy-chologie STAPS gestion et sciences de lrsquoeacuteducation cet ouvrage inteacuteressera aussi les professionnels de la psychologie de lrsquoeacuteducation de la formation des adultes du sport de lrsquoorientation et du management
PhILIPPe CArreacute
Professeur en sciences de lrsquoeacuteducation agrave lrsquouniversiteacute Paris Ouest-Nanterre La Deacutefense
FABIeN FeNOuILLeT
Maicirctre de confeacuterences en sciences de lrsquoeacuteducation agrave lrsquouniversiteacute Paris Ouest-Nanterre La Deacutefense
Avec la collaboration de
JACQueS AuBreTALBerT BANDurASerGe BLANChArDeacuteTIeNNe BOurGeOISPhILIPPe BruNeLNOeacuteMIe CArBONNeAuYVeS ChANTALLAureNT COSNeFrOYANTONIA CSILLIKPIerre-heNrI FrANCcedilOISDOMINIQue GeLPePATrICK GOSLINGMArC-ANDreacute
K LAFreNIEgravere JACQueS LeCOMTeSALVATOre MAuGerIThIerrY MeYerSANDrINe SChIANO-
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Sous la direction de
Philippe Carreacute et Fabien Fenouillet
Sous la direction de Philippe Carreacute et Fabien Fenouillet Traiteacute de
psychologie de la motivation
traiteacute de psychologie de la motivation
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Carre 02indd 1 271008 170354
Traiteacute de psychologie de la motivation
P01-P04-LIM-9782100515837 Page I Mardi 21 octobre 2008 1132 11
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P S Y C H O S U P
Traiteacute de psychologie de la motivation
Sous la direction de
Philippe Carreacuteet Fabien Fenouillet
P01-P04-LIM-9782100515837 Page III Mardi 21 octobre 2008 1132 11
copy Dunod Paris 2009
P01-P04-LIM-9782100515837 Page IV Mardi 21 octobre 2008 1132 11
ISBN 978-2-10-053515-6
LISTE DES AUTEURS
Ouvrage reacutealiseacute sous la direction de
Avec la collaboration de
Philippe CARREacute Professeur en sciences de lrsquoeacuteducation agrave lrsquouniversiteacute Paris Ouest-Nanterre La Deacutefense
Fabien FENOUILLET Maicirctre de confeacuterences en sciences de lrsquoeacuteducation agrave lrsquouniversiteacute Paris Ouest-Nanterre La Deacutefense
Jacques AUBRET Professeur eacutemeacuterite de psychologie de lrsquoorientation agrave lrsquoInetop (Cnam)
Albert BANDURA Professeur de psychologie sociale Stanford University (USA)
Serge BLANCHARD Chercheur en psychologie de lrsquoorientation agrave lrsquoInetop (Cnam)
Eacutetienne BOURGEOIS Professeur de sciences de lrsquoeacuteducation agrave lrsquouniversiteacute catholique de Louvain (Belgique)
Philippe BRUNEL Maicirctre de confeacuterences HDR en sciences et techni-ques des activiteacutes physiques et sportives agrave lrsquouniver-siteacute de Limoges
Noeacutemie CARBONNEAU Doctorante universiteacute du Queacutebec agrave Montreacuteal (Canada)
Yves CHANTAL Maicirctre de confeacuterences agrave lrsquouniversiteacute de LimogesLaurent COSNEFROY Maicirctre de confeacuterences en sciences de lrsquoeacuteducation
agrave lrsquoIUFM de RouenAntonia CSILLIK Maicirctre de confeacuterences en psychologie agrave lrsquouniversiteacute
Paris Ouest-Nanterre La DeacutefensePierre-Henri FRANCcedilOIS Maicirctre de confeacuterences en psychologie sociale
agrave lrsquouniversiteacute de PoitiersDominique GELPE Chercheur laboratoire SACO universiteacute
de Poitiers et AFPAPatrick GOSLING Professeur en psychologie du travail agrave lrsquouniversiteacute
Paris Ouest-Nanterre La DeacutefenseMarc-Andreacute K
LAFRENIERE
Doctorant universiteacute du Queacutebec agrave Montreacuteal (Canada)
9782100515837-Carrebook Page V Jeudi 23 octobre 2008 818 20
Jacques LECOMTE Chargeacute de cours agrave lrsquouniversiteacute Paris Ouest-Nanterre La Deacutefense
Salvatore MAUGERI Maicirctre de confeacuterences en sociologie agrave lrsquouniversiteacute drsquoOrleacuteans
Thierry MEYER Professeur de psychologie sociale agrave lrsquouniversiteacute Paris Ouest-Nanterre La Deacutefense
Sandrine SCHIANO-LOMORIELLO
ATER agrave lrsquouniversiteacute de Limoges
Robert VALLERAND Professeur de psychologie sociale agrave lrsquouniversiteacute du Queacutebec agrave Montreacuteal (Canada)
9782100515837-Carrebook Page VI Jeudi 23 octobre 2008 818 20
SOMMAIRE
CHAPITRE 1 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF (Philippe Carreacute) 1
Premiegravere partie
Convergences theacuteoriques
CHAPITRE 2 LA THEacuteORIE SOCIALE COGNITIVE UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE (Albert Bandura) 15
CHAPITRE 3 LA THEacuteORIE DE LrsquoAUTODEacuteTERMINATION ET LE MODEgraveLE HIEacuteRARCHIQUE DE LA MOTIVATION INTRINSEgraveQUE ET EXTRINSEgraveQUE PERSPECTIVES INTEacuteGRATIVES (Robert J Vallerand Noeacutemie Carbonneau Marc-Andreacute K Lafreniegravere) 47
CHAPITRE 4 LES THEacuteORIES DE LrsquoATTRIBUTION CAUSE ET RESPONSABILITEacute
(Patrick Gosling) 67
CHAPITRE 5 LES THEacuteORIES REPOSANT SUR LE CONCEPT DE BUT (Laurent Cosnefroy) 89
CHAPITRE 6 LA THEacuteORIE DU FLUX COMMENT LA MOTIVATION INTRINSEgraveQUE DONNE DU SENS Agrave NOTRE VIE (Jacques Lecomte) 107
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VIII TRAITEacute DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION
Deuxiegraveme partie
Enjeux pour les pratiques
CHAPITRE 7 MOTIVATION ET APPRENTISSAGES SCOLAIRES (Laurent Cosnefroy et Fabien Fenouillet) 127
CHAPITRE 8 MOTIVATION ET VIE ADULTE (Jacques Aubret) 147
CHAPITRE 9 MOTIVATION ET ORIENTATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE
(Serge Blanchard et Dominique Gelpe) 167
CHAPITRE 10 MOTIVATION ET TRAVAIL (Salvatore Maugeri) 187
CHAPITRE 11 MOTIVATION ET MANAGEMENT (Pierre-Henri Franccedilois) 211
CHAPITRE 12 MOTIVATION ET FORMATION DES ADULTES (Eacutetienne Bourgeois) 233
CHAPITRE 13 MOTIVATION ET PRATIQUE SPORTIVE (Philippe C Brunel Yves Chantal et Sandrine Schiano-Lomoriello) 253
CHAPITRE 14 MOTIVATION COMMUNICATION DES RISQUES ET CHANGEMENT DrsquoATTITUDE (Thierry Meyer) 273
CHAPITRE 15 LrsquoENTRETIEN MOTIVATIONNEL (Antonia Csillik) 289
CHAPITRE 16 VERS UNE APPROCHE INTEacuteGRATIVE DES THEacuteORIES DE LA MOTIVATION (Fabien Fenouillet) 305
Bibliographie 339
Index des notions 381
Index des auteurs 383
Table des matiegraveres 385
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Chapitre 1
DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF1
1 Par Philippe Carreacute
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1 UNE PREacuteOCCUPATION UNIVERSELLE
La question des motifs de nos actes et des processus qui megravenent agrave la deacutecisionet agrave lrsquoaction est au cœur de la penseacutee humaine Les essais drsquoexplication dudeacutesir de la volonteacute du besoin de la passion bref de toutes les tendanceshumaines qui megravenent agrave lrsquoaction sont au cœur des plus grands systegravemesphilosophiques de lrsquohistoire selon Eacutepicure (341-270 av J-C) par exemplelaquo agrave propos de chaque deacutesir il faut se poser cette question ldquoQuel avantagereacutesultera-t-il si je ne le satisfais pas rdquo raquo La question du pourquoi de nosactes recouvre aujourdrsquohui a fortiori des enjeux universels pour la connais-sance des faits humains et lrsquoaction quotidienne On en trouve des exemplesreacuteguliers dans la plupart des domaines de la vie sociale En eacuteducation biensucircr un numeacutero reacutecent du Monde de lrsquoeacuteducation qui faisait eacutetat du thegravemearriveacute largement en tecircte du deacutebat national sur lrsquoeacutecole affichait en couverture letitre suivant laquo Motiver motiver comment motiver les eacutelegraveves raquo Le mondeprofessionnel est eacutevidemment un autre lieu de questionnement reacutecurrent surla question managers responsables de ressources humaines et leaders cher-chent depuis longtemps les laquo cleacutes raquo de lrsquoimplication des salarieacutes supposeacuteegarante de la performance globale drsquoune entreprise Le thegraveme de lrsquoengagement(au travail dans la recherche drsquoemploi lrsquoinsertion le deacuteveloppement descompeacutetenceshellip) traverse de faccedilon lancinante les preacuteoccupations dominantesdes speacutecialistes de lrsquoorientation de la formation de lrsquoemploi de lrsquoorganisationTous les territoires de la vie sociale et priveacutee sont quotidiennement investispar un questionnement prosaiumlque sur les raisons de nos actes des motivationsdrsquoachat aux motifs du crime en passant par lrsquointerrogation sur les mobilesles raisons les explications du comportement du parent du collegravegue delrsquoamoureux ou de lrsquoamie voire encore du sien propre La question de laquo pour-quoi nous faisons ce que nous faisons raquo est une constante de la reacuteflexionhumaine qursquoelle soit quotidienne ou scientifique
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4 TRAITEacute DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION
Au plan scientifique la plus ancienne des notions forgeacutees dans ce domainefoisonnant la plus reacutepandue empiriquement la mieux eacutetablie theacuteoriquementmais aussi la plus contesteacutee mdash et parfois la plus contestable mdash est bien sucircrcelle de motivation deacutefinie comme un laquo construit hypotheacutetique raquo censeacutedeacutecrire les facteurs internes et externes produisant laquo le deacuteclenchement ladirection lrsquointensiteacute et la persistance du comportement raquo (Vallerand et Thill1993) On peut en retrouver les racines scientifiques dans la psychologiecomportementaliste des deacutebuts du XXe siegravecle Crsquoest sans doute cet heacuteritagepesant (et pour drsquoaucuns honteux) qui explique en partie le caractegraverelaquo sulfureux raquo du terme aujourdrsquohui Le concept de motivation est en effettregraves ineacutegalement usiteacute son statut scientifique plus ou moins reconnu dans lapsychologie et les sciences de lrsquoeacuteducation de langue franccedilaise aujourdrsquohuiEn sciences humaines la notion de motivation est souvent ignoreacutee parfoismeacutepriseacutee voire releacutegueacutee au rang de savoir de sens commun Son eacutevocationdeacuteclenche des attitudes diverses que lrsquoon peut reacutesumer comme suit
ndash la deacuteneacutegation la motivation est alors conccedilue comme un concept creacuteeacute detoutes piegraveces pour deacutecrire des eacutetats que lrsquoon nrsquoarrive pas agrave expliquer construction agrave la fois inutile et artificielle lrsquoinvoquer devient superflu voiremystificateur Il convient donc de lrsquoeacuteliminer du vocabulaire scientifique
ndash lrsquoindiffeacuterence tenant lrsquoexistence de ce laquo quelque chose qui fait agir raquo pourune eacutevidence indiscutable mais dans lrsquoincapaciteacute drsquoen tirer des apportsdans lrsquointervention ou la compreacutehension des pheacutenomegravenes humains on passela notion par laquo pertes et profits raquo en regrettant parfois de ne pouvoir mieuxlrsquoexploiter
ndash la reacutesignation crsquoest la posture laquo pessimiste raquo et par conseacutequent deacutefaitistedu convaincu qursquolaquo on est motiveacute ou on ne lrsquoest pas raquo sous lrsquoeffet drsquoune loidu laquo tout ou rien raquo dont on pourrait sans doute retrouver les racines dansle terreau biologique pavlovien de la notion
ndash lrsquoincantation cette figure repreacutesente une variante de la preacuteceacutedente enpratique porteacutee par une conception plus optimiste mais sans doute aussiillusionneacutee de la toute-puissance de cette laquo eacutenergie raquo mysteacuterieuse eteacutevanescente qui deacuteterminerait de faccedilon automatique lrsquoinvestissementindividuel dans lrsquoaction
On peut trouver au relatif deacuteni de statut scientifique de la motivation sur lechamp intellectuel franccedilais un certain nombre de raisons par-delagrave le manquede connaissance des ouvrages eacutecrits en anglais sur le thegraveme On y perccediloit lestraces laisseacutees par les interpreacutetations de trois systegravemes drsquoideacutees dominantsqui se sont inteacuteresseacutes aux motifs du comportement dans la psychologie duXXe siegravecle beacutehaviorisme psychanalyse humanisme Si lrsquoon interroge prati-ciens des ressources humaines de la formation ou eacutetudiants en psychologieou sciences de lrsquoeacuteducation quant aux grands auteurs sur la motivation onobtient geacuteneacuteralement une liste baroque de peacutedagogues philosophes et psycho-logues parmi lesquels figurent en bonne place Freud Skinner et Maslow Or
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on sait agrave quel point les expeacuteriences de conditionnement classique puis opeacuterantont donneacute de la motivation une image reacuteductrice et caricaturale et si avecPetot (in Vallerand et Thill 1993) on admet que laquo la psychanalyse est pourlrsquoessentiel une theacuteorie de la motivation raquo alors on reconnaicirctra que ces deuxsystegravemes ont diffuseacute de cette theacutematique une image partielle contestable etdeacutecourageante Quant agrave Maslow connu pour le scheacutematisme de sa laquo pyramidedes besoins raquo aujourdrsquohui largement contesteacutee (si ce nrsquoest pour sa valeurpragmatique du moins quant agrave sa validiteacute theacuteorique) sa vision simplificatricedu fonctionnement de la motivation a sans doute contribueacute agrave deacutecreacutedibiliser lanotion
De sorte qursquoagrave lrsquooreacutee des anneacutees 1990 hormis lrsquoexception notable que repreacute-sente lrsquoouvrage pionnier de Nuttin Theacuteorie de la motivation humaine (1980)le champ scientifique francophone de la motivation est en friche Lrsquoouvragefondateur de Vallerand et Thill (1993) a alors permis de deacutesenclaver la notionde ses gangues caricaturales de lui (re)donner statut de concept scientifiqueet a contribueacute agrave lrsquoessor de la recherche francophone sur cette question Lespublications sur ce thegraveme se sont en effet multiplieacutees au cours des toutesderniegraveres anneacutees principalement dans le champ de lrsquoeacuteducation scolaire (Viau1994 Lieury et Fenouillet 1996 Delannoy 1999 Galand et Bourgeois2006) celui du travail (Michel 1989 Francegraves 1995 Feertchak 1996 Leacutevy-Leboyer 1998 2007 Maugeri 2004) de la formation (Carreacute 1998 2001) oudu sport (Cury et Sarrazin 2001) allant jusqursquoagrave entraicircner le deacutesenfouissementde la penseacutee des preacutecurseurs1 Cette production srsquoinscrit dans le sillage drsquounemodification des paradigmes dominants de lrsquoeacutetude de la motivation humaineet teacutemoigne de lrsquoessor remarquable de ce thegraveme de recherche qui ne fait quesrsquoaccroicirctre en milieu anglo-saxon depuis les anneacutees quatre-vingt-dix (Weiner1992 Higgins et Kruglanski 2000 Tesser Stapel et Wood 2002 Mc Inerneyet Van Etten 2004 Elliot et Dweck 2005 Reeve 2005 Shah et Gardner2008) Cet essor srsquoinscrivant sur un fond drsquointeacuterecirct sensible aux Eacutetats-Unisdepuis plus drsquoun demi-siegravecle ainsi qursquoen attestent les centaines de productionsde recherche preacutesenteacutees dans le cadre des Nebraska Symposia on Motivationreacuteunis annuellement depuis 1953hellip
2 RENOUVEAU THEacuteORIQUE
Le paradigme nouveau de la motivation a ainsi pris son envol au tournant duXXIe siegravecle dans le cadre drsquoune peacuteriodisation socio-historique parfois qualifieacutee
1 Ainsi du reacutecent ouvrage sur la psychologie de P Diel (Bavelier 1998)
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6 TRAITEacute DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION
de laquo post-moderne raquo pour illustrer la rupture socieacutetale avec la moderniteacuteindustrielle et son deacutepassement vers des formes ineacutedites de fonctionnementeacuteconomique social technologique et culturel au plan mondial Ce contextesrsquoaccompagne au plan des ideacuteologies de la chute des grands systegravemes expli-catifs laquo donneurs de sens raquo qui ont domineacute la penseacutee du XXe siegravecle Chacunde ces systegravemes drsquointerpreacutetation du monde est porteur drsquoune conception dusujet et se traduit dans les orientations theacuteoriques dominantes des sciencessociales et humaines agrave une eacutepoque donneacutee Ainsi particuliegraverement en milieufrancophone du socio-structuralisme drsquoinspiration marxiste puis bourdieu-sienne caracteacuteriseacute par la vision drsquoun sujet-habitus deacutetermineacute voire alieacuteneacute parses conditions objectives drsquoexistence son appartenance de classe sa positiondans le champ eacuteconomique et culturel Ainsi eacutegalement du sujet-pulsion de lapsychanalyse aux prises avec les forces complexes de son univers inconscientou du sujet-reacuteponse du beacutehaviorisme reacuteagissant aux stimulations de sonenvironnement selon les lois du conditionnement Ainsi enfin du sujet-deacutemiurge des psychologies humanistes tendu vers lrsquoactualisation de soi dansla toute-puissance de sa liberteacutehellip
Par contraste le XXIe siegravecle voit surgir et se deacutevelopper de nouveaux systegravemesexplicatifs plus modestes moins marqueacutes du sceau de leurs ideacuteologiesfondatrices mieux eacuteprouveacutes agrave lrsquoaune de deacutemarches drsquoanalyse rigoureuses etcontrocircleacutees autour drsquoun paradigme sociocognitif Agrave travers celui-ci se dessinela figure drsquoun sujet-arbitre ultime juge de la combinatoire eacutevolutive de sesdeacuteterminations socio-familiales de ses expeacuteriences de vie et de lrsquoexercice de sapuissance personnelle drsquoagir (Ricœur) dans un retour agrave la formule sartriennequi pose lrsquoeacutenigme de lrsquoexistence comme laquo ce que lrsquoon fait de ce que la vie afait de nous raquo
Renouveau il ne srsquoagit plus en effet ici de concevoir la motivation commeil y a un quart de siegravecle autour du concept initial drsquoorientation beacutehavioristeindissolublement lieacute aux theacuteories du conditionnement animal Ni commelrsquoexpression drsquoun laquo deacutesir raquo aux contours flous porteacute par les logiques opaquesde lrsquoinconscient ni comme aujourdrsquohui encore se plaicirct parfois agrave le deacutevoyerune certaine litteacuterature manageacuteriale ou peacutedagogique feacuterue de scheacutemas simplespour mettre au travail eacutequipes deacutemobiliseacutees ou eacutelegraveves apathiques Lrsquoeacutemer-gence et la domination graduelles du paradigme cognitiviste initial du dernierquart du XXe siegravecle nrsquoont pas immeacutediatement changeacute grand-chose agrave cettedeacutesaffection pour la recherche motivationnelle Psychologie laquo froide raquo centreacuteesur les processus de traitement de lrsquoinformation longtemps domineacutee par lameacutetaphore de lrsquoordinateur humain la psychologie cognitive de lrsquoapprentis-sage tout en reconnaissant lrsquoimportance des aspects dynamiques affectifsmotivationnels de lrsquoaction les releacuteguait preacuteciseacutement au champ de lrsquoeacutemotionet de lrsquoaffectiviteacute laquo sous-traitant raquo parfois la question agrave la psychanalysehellip
Crsquoest dans ce cadre chaotique donc propice aux remises en question etporteacute par lrsquoessor drsquoune psychologie cognitive laquo chaude raquo aux confins de lapenseacutee de lrsquoeacutemotion et de lrsquointention que reacuteapparaicirct le concept de motivation
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aux Eacutetats-Unis drsquoabord puis via le Queacutebec sous nos latitudes On y deacutecouvreun ensemble conceptuel en voie drsquoorganisation (Weiner 1992) riche de lavision ouverte drsquoun sujet social actif co-auteur de sa propre histoire agissantagrave lrsquointeacuterieur drsquoun reacuteseau de contraintes et deacuteterminations externes aveclesquelles il est en perpeacutetuelle interaction
Porteacute par les theacuteories de lrsquoexpectation et de la valeur de lrsquoattribution delrsquoauto-efficaciteacute des buts de lrsquoautodeacutetermination et de la compeacutetence lenouveau courant de la psychologie des motivations fait une large place agravelrsquoanalyse des repreacutesentations drsquoavenir du contexte social et de la conceptionde soi Crsquoest dire qursquoil croise agrave la fois les probleacutematiques cognitives classiquesdes repreacutesentations les theacuteories psychosociales du laquo soi raquo et les psychologiesmateacuterialistes de la personnaliteacute (Leontiev Wallon Segraveve) Ce courant srsquoinscritdans la mouvance drsquoune psychologie sociocognitive laquo chaude raquo heacuteritiegraverede la psychologie sociale expeacuterimentale tourneacutee vers lrsquoeacutetude rigoureuse etcontrocircleacutee des interactions entre facteurs dispositionnels contextuels et compor-tementaux de la vie psychique Dans le preacutesent ouvrage quinze auteurs baseacutesdans quatre pays (France Belgique Canada Eacutetats-Unis) inscrits dans cettediscipline ou des disciplines voisines des champs de lrsquoeacuteducation de lrsquoorien-tation de la clinique des activiteacutes sportives ou du travail font ici la deacutemonstra-tion de la puissance heuristique et de la surface theacuteorique des laquo nouvelles raquoapproches de la motivation et de la porteacutee de leurs enjeux pour les pratiquessociales
La premiegravere partie du preacutesent ouvrage est deacutedieacutee agrave une preacutesentationsyntheacutetique des courants theacuteoriques dominants de la psychologie socio-cognitive des motivations
Cette section srsquoouvrira avec la theacuteorie sociocognitive de Bandura theacuteoriedrsquoimpact majeur en psychologie aujourdrsquohui Lrsquoœuvre de cet auteur deacutebuteacuteeagrave Stanford il y a plus de cinquante ans et poursuivie avec teacutenaciteacute par lepsychologue vivant aujourdrsquohui le plus citeacute au monde (Carreacute 2004) est baseacuteesur une conception de lrsquoagentiviteacute humaine qui fait de nous les laquo co-construc-teurs raquo de nos propres destineacutees (chapitre 2) Au cœur de cette conceptionglobale du fonctionnement humain la notion drsquolaquo auto-efficaciteacute raquo fait figuredrsquoorganisateur des conduites aux sources du comportement motiveacute
Autre grande proposition theacuteorique en deacuteveloppement permanent depuisune trentaine drsquoanneacutees la theacuteorie de lrsquoautodeacutetermination de Deci et Ryanconvoque lrsquohypothegravese du triple besoin de compeacutetence drsquoautodeacutetermination etdrsquoaffiliation sociale pour nous conduire via un ensemble de laquo mini-theacuteories raquovers une construction majeure et influente de la motivation intrinsegraveque et extrin-segraveque applicable agrave diffeacuterents niveaux de geacuteneacuteraliteacute situationnel contextuelet global (Vallerand et coll chapitre 3)
Les theacuteories de lrsquoattribution mettent en relief diverses conceptions du sujethumain laquo de la meacutetaphore du scientifique naiumlf agrave celle de lrsquoordinateur qui setrompe du juriste naiumlf au sujet socialement inseacutereacute deacutetermineacute par des repreacute-
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8 TRAITEacute DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION
sentations sociales ou des normes raquo (Gosling) La faccedilon dont nous expliquonsnos actes la fonction que remplissent ces explications et leur importancedans nos comportements sont les entreacutees choisies pour le chapitre 4
Les theacuteories laquo reposant sur le concept de but raquo font lrsquoobjet drsquoun chapitre quipasse en revue le rocircle de ces organisateurs de lrsquoaction que sont les buts oulaquo repreacutesentations internes drsquoun reacutesultat deacutesireacute raquo (Cosnefroy) Caracteacuteristiquesdes buts liens entre buts et performances distinction entre buts de performanceet buts drsquoapprentissage sont certains des thegravemes examineacutes ici (chapitre 5)
Enfin en clocircture de cette partie agrave vocation plus theacuteorique le chapitre 6(Lecomte) preacutesente la theacuteorie du laquo flux raquo ou expeacuterience optimale et examinecette situation drsquoextrecircme motivation intrinsegraveque au cours de laquelle lrsquoindi-vidu srsquoengage laquo corps et acircme raquo dans une activiteacute pour elle-mecircme qursquoilsrsquoagisse du travail des pratiques culturelles ou des loisirs faisant eacutemerger lesconditions de cette mise en action hyper-motiveacutee caracteacuteriseacutee par la conver-gence de buts clairs drsquoune perception de controcircle drsquoune concentrationmaximale et drsquoun sentiment de deacutefi
3 RICHESSE DES IMPLICATIONS POUR LES PRATIQUES SOCIALES
La seconde partie de lrsquoouvrage passe en revue un ensemble de pratiquessociales traverseacutees par la notion de motivation et au cours desquelles laprobleacutematique du passage agrave lrsquoaction est deacuteterminante
Nous commencerons le peacuteriple avec en toute logique la question premiegraverede lrsquoeacutecole et des apprentissages scolaires (Cosnefroy et Fenouillet) Confor-meacutement aux deacuteclarations reacutecurrentes des eacuteducateurs et des responsables dusystegraveme scolaire le chapitre 7 met ainsi en lumiegravere la pertinence des questionsabordeacutees par les diffeacuterentes theacuteories de la motivation En deacutepit drsquoune impres-sion de laquo puzzle conceptuel raquo que donne de prime abord la litteacuterature dans cedomaine la lecture du chapitre confirme lrsquoimpact essentiel que lrsquouniverstheacuteorique sociocognitif de la motivation peut avoir sur lrsquoameacutelioration despratiques et la compreacutehension des dynamiques de lrsquoapprentissage scolaire autriple plan de son deacuteclenchement sa reacutegulation et ses modes de meacutemorisation
Passant de lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte on abordera ensuite la question dudeacuteveloppement de la vie entiegravere de la jeunesse au grand acircge Deux grandesquestions sont ici traiteacutees comment observer les motivations au cours de lavie adulte comment les deacutevelopper (Aubret chapitre 8) On percevralrsquoimportance de ces questions agrave lrsquoheure ougrave lrsquoinvitation qui se fait souventinjonction agrave devenir laquo agent de soi-mecircme raquo devient de plus en plus universelle
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qursquoil srsquoagisse de rapport au travail agrave la formation aux choix de vie profes-sionnels et priveacuteshellip
La transition sera fluide avec le chapitre 9 sur lrsquoorientation professionnelleDans ce domaine lrsquoeacutetude scientifique de la motivation a de longue date eacuteteacuteprise au seacuterieux au plan empirique comme theacuteorique ce qui srsquoexplique faci-lement compte tenu de lrsquoeacutevidence de la probleacutematique du choix de nos actesdans le secteur de lrsquoorientation En particulier la question des laquo repreacutesentationsde soi raquo comme laquo scheacutemas directeurs de la conduite raquo question preacuteeacuteminentedans le domaine conduit directement vers les theacuteories sociocognitives passeacuteesen revue dans la premiegravere partie de lrsquoouvrage Les thegravemes du sentimentdrsquoefficaciteacute personnelle de lrsquoautodeacutetermination et des buts trouvent ici peut-ecirctre encore plus qursquoailleurs une eacutevidente leacutegitimiteacute dans le cadre drsquounelaquo conception drsquoun sujet actif agent de ses conduites qui construit sa reacuteflexiondans le cadre de lrsquointeraction sociale de la relation de conseil raquo (Blanchard)
Suite logique de notre progression agrave travers cet ouvrage le thegraveme de lamotivation trouve un sens vif aujourdrsquohui dans le contexte du travail Confir-mant que laquo chaque theacuteorie de la motivation porte la marque de son eacutepoque raquoMaugeri (chapitre 10) souligne le caractegravere strateacutegique pour lrsquoentreprise dela question des motivations qursquoil srsquoagisse de lrsquoengagement dans le travail delrsquoorientation des efforts des salarieacutes de la force et de la persistance de leurimplication dans la tacircche Le monde industriel et des services drsquoaujourdrsquohuiest piloteacute par une individualisation des modes de gestion et une autonomisationdes eacutequipes qui jointes agrave lrsquoincertitude dominante qui pegravese sur les eacuteconomiescapitalistes implique un recours accru aux ressources des personnesqursquoelles soient cognitives ou affectives Dans un tel contexte historiqueeacuteconomique et social la theacutematique des motivations trouve drsquoeacutevidence sajustification
Le management est degraves lors au cœur drsquoune eacuteventuelle laquo gestion des moti-vations raquo des eacutequipes et des individus Responsable des reacutesultats obtenuspar le systegraveme humain dont il a la charge le manager se voit contraintaujourdrsquohui de penser les leviers drsquoaction qui pourront agir sur lrsquoefficaciteacutecollective drsquoougrave bien sucircr la centraliteacute du thegraveme qui nous inteacuteresse ici Commelrsquoindique Franccedilois le domaine des sciences de gestion et plus preacuteciseacutementdu management a de longue date exploreacute les ressources que les theacuteories dela motivation pouvaient apporter agrave lrsquoameacutelioration de lrsquoefficience des orga-nisations Leadership habilitation (empowerment) du personnel contrat etdeacutemocratie organisationnelle sont certains des thegravemes abordeacutes dans cetteperspective (chapitre 11)
De faccedilon tregraves lieacutee aux chapitres preacuteceacutedents la question de la formation desadultes fait lrsquoobjet du chapitre 12 Pour Bourgeois laquo cette question est plusque jamais agrave lrsquoordre du jour raquo la responsabilisation des salarieacutes mentionneacuteeci-dessus mais eacutegalement des demandeurs drsquoemploi en peacuteriode de tensions surle marcheacute du travail sans omettre la lancinante preacuteoccupation de deacuteveloppement
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10 TRAITEacute DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION
des compeacutetences voire celle du deacuteveloppement drsquoune laquo apprenance raquo citoyennesont autant de raisons de se pencher avec seacuterieux sur la theacutematique de lamotivation Lrsquoauteur du chapitre passe en revue les deux situations que formentlrsquoentreacutee en formation et lrsquoengagement dans les apprentissages reliant lesdimensions majeures que sont les repreacutesentations de la valeur de la forma-tion et des chances de reacuteussite que le sujet srsquoattribue dans le contexte de sesinteractions avec son contexte peacutedagogique et organisationnel
Dans le domaine du sport (chapitre 13) on constate que les eacutetudes sur lamotivation font partie de plein droit des reacutefeacuterences theacuteoriques incontourna-bles dans le traitement de probleacutematiques essentielles comme la performanceet le fair-play Agrave partir des constructions theacuteoriques du sentiment drsquoauto-deacutetermination de lrsquoauto-efficaciteacute et des buts Brunel et ses collaborateurssoulignent la pertinence des theacuteories sociocognitives de la motivation dans lacompreacutehension des comportements lieacutes agrave la pratique sportive qursquoelle soittourneacutee vers lrsquoameacutelioration des performances ou le souci de reacutealisation desoi
Les deux derniers chapitres de cette seconde partie consacreacutee aux usagesdes theacuteories de la motivation traitent de leur importance dans les domainesdu changement drsquoattitudes et du conseil (theacuterapeutique ou autre) Meyerpreacutesente dans le chapitre 14 la perspective de la laquo cognition motiveacutee raquo etillustre ce cadre de reacuteflexion par lrsquoexemple de la communication des risquesIl indique agrave quel point cette question srsquoapplique laquo agrave tous les domaines danslesquels lrsquoincertitude et la deacutecision sont impliqueacutees raquo crsquoest dire lrsquoimpor-tance de ce chapitre Agrave sa suite est preacutesenteacutee une nouvelle approche delrsquoentretien dit laquo motivationnel raquo gracircce auquel les theacuteories de la motivationtrouvent une application directe dans le traitement par theacuterapies bregraveves dedivers dysfonctionnements psychiques (Csillik chapitre 15) Dans un croise-ment avec lrsquoapproche rogeacuterienne du deacuteveloppement de la personne on pourralire ici agrave quel point la combinatoire drsquoun climat drsquoacceptation et de lrsquousagedes concepts sociocognitifs de motivation peut mener agrave la reacutesolution de troublesaussi divers que lrsquoalcoolisme les toxicomanies les comportements agrave risqueet les deacuteregraveglements alimentaires permettant la mise en synergie des dimensionscognitives eacutemotionnelles et comportementales de lrsquoengagement autodirigeacutedans le changement
Enfin en maniegravere de clocircture (provisoire) du dossier Fenouillet nous livreune synthegravese ambitieuse de soixante-quinze entreacutees conceptuelles dans lrsquouniversen eacutebullition des theacuteories de la motivation Deacutebouchant apregraves une analyseminutieuse de la litteacuterature principalement anglo-saxonne du domaine surun modegravele inteacutegratif de la motivation il nous permet de terminer lrsquoouvragesur des perspectives de clarification du champ complexe proteacuteiforme etessentiel de lrsquoanalyse du comportement motiveacute Eacutelargissant la probleacutematiqueagrave la volition comme phase seconde du processus motivationnel il ouvre avecle chapitre final de lrsquoouvrage la perspective drsquoune conception englobante desdimensions laquo conatives raquo du choix et de lrsquoorientation des conduites conception
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construite agrave partir de lrsquoarticulation des concepts motivationnels agrave proprementparler et de leurs contreparties volitionnelles liant en une synthegravese heuristiquedimensions preacutecomportementales et comportementales de lrsquoaction motiveacutee
4 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF
Et ainsi de faccedilon prospective on pourra se demander si les anneacutees quiviennent ne seront pas celles de lrsquoeacutemergence dans le cadre drsquoune psycho-logie geacuteneacuterale en recomposition drsquoun laquo tiers secteur raquo caracteacuterisant par-delagraveles champs cognitif et affectif (ou eacutemotionnel) la speacutecificiteacute des comporte-ments volontaires deacutepassement dialectique des repreacutesentations et des affectsagrave travers lrsquoanticipation de lrsquoaction lrsquoengagement le projet la construction desoi et de son propre devenirhellip
Crsquoest sans doute le pari que font de nombreux auteurs quand ils introduisentagrave la suite de M Reuchlin (1990) le terme de conation pour reacuteunir lrsquoensembledes observations des concepts et des theacuteories portant sur laquo le choix et lrsquoorien-tation des conduites raquo Crsquoest un certain retour agrave lrsquoeacutetude des motivations maisdeacutebarrasseacutee de sa gangue de repreacutesentations aujourdrsquohui deacutesuegravetes et trans-formeacutee par les apports du raz-de-mareacutee cognitif Meacutecanismes drsquoanticipationet de repreacutesentation de lrsquoavenir logique des buts et du projet drsquoune partperception de compeacutetence auto-efficaciteacute et auto-attributions drsquoautre partprocessus drsquoautodeacutetermination et de reacutegulation enfin forment alors les premiersjalons conceptuels drsquoune eacutetude de la conation qui vient combler les lacunesde la reacuteflexion sur les facteurs dynamiques non strictement cognitifs durapport agrave lrsquoaction de la construction de soi et du rapport aux autres et au mondeDans cette conception le sujet social est vu comme un agent de son propredeacuteveloppement agrave la fois laquo producteur et produit de son existence raquo (Bandura2003) deacuteployant son agentiviteacute dans le jeu permanent des interactions entreperception de soi reacutegulation du comportement et eacuteveacutenements du contexte devie Le laquo soi raquo ne se ramegravene plus alors agrave un ensemble de caracteacuteristiquesobjectives et deacutetermineacutees mais devient le produit eacutevolutif drsquoun laquo meacutelangetoujours singulier de deacuteterminations de hasard et de choix de meacutemoire derencontres et de projets raquo (Deschavanne et Tavoillot 2007) Au cœur de cettecombinatoire la motivation agit comme un juge arbitre (Weiner 1992) ducomportement humain On comprend degraves lors lrsquoimportance nouvelle que cechamp de recherche prend en psychologie aujourdrsquohui
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Premiegravere partie
CONVERGENCES THEacuteORIQUES
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Chapitre 2
LA THEacuteORIE SOCIALE COGNITIVE
UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE1
1 Par Albert Bandura Adaptation par S Brewer et P Carreacute de lrsquoarticle laquo Social cognitive theory An agentic perspective raquo Annual Review of Psychology 2001 52 1-26
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Ecirctre un laquo agent raquo signifie faire en sorte que les choses arrivent par son actionpropre et de maniegravere intentionnelle Lrsquoagentiviteacute englobe les capaciteacutes lessystegravemes de croyance les compeacutetences autoreacutegulatrices ainsi que les structureset les fonctions distribueacutees au travers desquelles srsquoexerce lrsquoinfluence person-nelle elle nrsquoest pas une entiteacute discregravete localisable Les traits fondamentauxde lrsquoagentiviteacute donnent agrave chacun la possibiliteacute de jouer un rocircle dans sondeacuteveloppement personnel et dans sa capaciteacute agrave srsquoadapter et agrave se renouveleravec le temps qui passe Avant drsquoaborder la perspective agentique de la theacuteoriesociale cognitive il convient drsquoaccorder aux changements de paradigme quisont intervenus au cours de la bregraveve histoire de la psychologie un momentdrsquoattention Si dans le cadre de ces transformations theacuteoriques les meacutetaphorescentrales ont certes eacutevolueacute il nrsquoen reste pas moins que dans leur majoriteacuteles theacuteories accordent agrave lrsquohomme peu ou pas de capaciteacutes drsquoagentiviteacute
1 LES CHANGEMENTS DE PARADIGME DANS LES THEacuteORIES PSYCHOLOGIQUES
Une majeure partie des premiegraveres theacuteories psychologiques fut fondeacutee sur desprincipes comportementalistes souscrivant agrave un modegravele laquo entreacutee-sortie raquo (input-output) ougrave le comportement est certes rendu possible par un conduit inteacuterieurqui relie ces deux pocircles sans toutefois qursquoil exerce une influence propre surlrsquoaction Selon cette vision le comportement humain est formeacute et controcircleacute parles stimuli environnementaux de maniegravere automatique et meacutecanique Cet axede reacuteflexion est peu agrave peu passeacute de mode avec lrsquoavegravenement de lrsquoordinateurqui amena agrave assimiler lrsquoesprit agrave un calculateur biologique Dans ce modegravelele conduit inteacuterieur est devenu le lieu de nombreuses repreacutesentations etopeacuterations de calcul geacuteneacutereacutees par des penseurs intelligents et astucieux
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18 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
Si lrsquoordinateur est capable de reacutealiser des opeacuterations cognitives de reacutesolutionde problegravemes lrsquohomme ne peut plus ecirctre priveacute de penseacutee reacutegulatrice Aussile modegravele input-output a-t-il eacuteteacute supplanteacute par un modegravele tripartite input ndashlinear throughput ndash output Lrsquoesprit en tant que calculateur numeacuterique estdevenu le modegravele conceptuel de lrsquoeacutepoque Si lrsquoorganisme laquo sans esprit raquo eacutetaitdevenu plus cognitif il eacutetait toujours aussi priveacute de conscience et de capaciteacutesagentiques Pendant des deacutecennies la meacutetaphore informatique du fonction-nement humain qui reacutegnait a veacutehiculeacute lrsquoimage drsquoun systegraveme informatiquelineacuteaire dans lequel lrsquoinformation est digeacutereacutee par un processeur central quifabrique les solutions selon des regravegles preacutedeacutetermineacutees Lrsquoarchitecture de lrsquoordi-nateur lineacuteaire de lrsquoeacutepoque a dicteacute le modegravele conceptuel du fonctionnementhumain
Le modegravele lineacuteaire a agrave son tour eacuteteacute remplaceacute par des modegraveles computa-tionnels organiseacutes de maniegravere plus dynamique qui reacutealisent de multiples tacircchessimultaneacutees et interactives pour tenter de mieux reproduire le fonctionnementdu cerveau humain Dans ce troisiegraveme modegravele lrsquoinput de lrsquoenvironnementdeacuteclenche un processus intermeacutediaire dynamique agrave multiples facettes pourproduire lrsquooutput Ces modegraveles dynamiques comportent des reacuteseaux neurauxmulti-niveaux aptes agrave assurer des fonctions intentionnelles logeacutees au sein drsquounreacuteseau exeacutecutif subpersonnel lequel fonctionne en lrsquoabsence de toute activiteacuteconsciente par lrsquointermeacutediaire de sous-systegravemes plus eacuteleacutementaires Les organessensoriels transmettent des informations agrave un reacuteseau neural qui assume le rocirclede laquo machine mentale raquo capable de maniegravere non consciente de reacutealiser lesfonctions de conceptualisation planification motivation et reacutegulation Dansson analyse du computationnisme Harre (1983) fait remarquer que ce nesont pas les individus mais leurs composants subpersonnels qui orchestrentleurs conduites Le niveau personnel suppose lrsquoexistence drsquoune consciencepheacutenomeacutenale et lrsquoutilisation intentionnelle drsquoinformations et de moyens drsquoauto-reacutegulation pour faire advenir des eacuteveacutenements deacutesireacutes
La conscience est la substance mecircme dont est faite la vie mentale ellerend non seulement possible la gestion de lrsquoexistence mais la rend dignedrsquoecirctre veacutecue La conscience fonctionnelle implique lrsquoaccegraves intentionnel et letraitement deacutelibeacutereacute des informations en vue de la seacutelection la construction lareacutegulation et lrsquoeacutevaluation des conduites Ces opeacuterations sont effectueacutees gracircceagrave la mobilisation intentionnelle et agrave lrsquoutilisation productive de repreacutesentationspragmatiques et seacutemantiques des activiteacutes des buts et drsquoautres eacuteveacutenementsfuturs Dans son livre clairvoyant sur la cognition veacutecue (experienced cognition)Carlson (1997) souligne le rocircle central joueacute par la conscience dans la reacutegula-tion cognitive de lrsquoaction et le deacuteroulement des eacuteveacutenements mentaux Il y aeu un certain nombre de tentatives visant agrave reacuteduire la conscience soit agrave unesorte drsquoeacutepipheacutenomegravene reacutesiduel drsquoactiviteacutes effectueacutees au niveau subpersonnelsoit agrave un sous-systegraveme exeacutecutif inteacutegreacute agrave la laquo machine raquo de traitement delrsquoinformation soit encore agrave un aspect attentionnel du traitement de lrsquoinfor-mation Comme le fameux eacuteleacutephant imperceptible malgreacute sa taille dans ces
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explications drsquoordre subpersonnel de la conscience lrsquoindividu qui conccediloitdes fins et agit intentionnellement pour les reacutealiser est invisible En outre cesexplications reacuteductrices demeurent conceptuellement probleacutematiques parceqursquoelles eacutecartent les caracteacuteristiques essentielles de lrsquohomme que sont lasubjectiviteacute la deacutelibeacuteration autodirigeacutee et la reacuteflexiviteacute autoreacuteactive Pour desraisons sur lesquelles nous reviendrons drsquoici peu la conscience ne saurait ecirctrereacuteduite agrave un sous-produit non fonctionnel de lrsquooutput drsquoun processus mentalreacutealiseacute de faccedilon meacutecanique agrave des niveaux infeacuterieurs non-conscients Pourquoiune telle conscience eacutepipheacutenomeacutenale passive aurait-elle eacutevolueacute et perdureacuteen tant qursquoenvironnement psychique dominant dans la vie des gens Sansconscience pheacutenomeacutenale et fonctionnelle les personnes ne sont que des auto-mates supeacuterieurs qui subissent des actions deacutepourvus de toute subjectiviteacuteou de controcircle conscient De la mecircme faccedilon de tels ecirctres ne posseacutederaientaucune vie pheacutenomeacutenale significative ni aucun sentiment drsquoidentiteacute stableenracineacute dans leur maniegravere de vivre leur vie et drsquoy reacutefleacutechir
Green et Vervaeke (1996) ont observeacute qursquoagrave lrsquoorigine de nombreuxadeptes du connexionnisme et du computationnisme ont tenu leurs modegravelesconceptuels pour des modegraveles approximatifs des activiteacutes cognitives Orplus reacutecemment certains drsquoentre eux sont devenus des mateacuterialistes eacutelimi-natifs qui assimilent les facteurs cognitifs au phlogistique drsquoautrefois Seloncette vision les personnes nrsquoagissent pas sur la base de leurs croyances butsaspirations ou attentes mais crsquoest plutocirct la mise en route de leur reacuteseau neuralau niveau subpersonnel qui les incite agrave agir Dans sa critique de lrsquoeacuteliminati-visme Greenwood (1992) affirme que les cognitions sont des facteurs psycho-logiques pourvus de contenus seacutemantiques dont le sens ne deacutepend en rien despropositions explicatives dans lesquelles elles figurent Le phlogistique nrsquoavaitni fondement empirique ni valeur explicative ou preacutedictive En revanche lesfacteurs cognitifs excellent pour preacutedire le comportement humain et guider desinterventions efficaces Pour trouver leur chemin dans un monde complexeplein de deacutefis et de risques les individus doivent ecirctre capables de formulerde bons jugements agrave propos de leurs propres capaciteacutes de preacutevoir les effetsprobables des divers eacuteveacutenements et conduites possibles de mesurer lrsquoeacutetenduedes opportuniteacutes et des contraintes drsquoordre socio-structurel qui se preacutesententagrave eux et de reacutegler leur comportement en conseacutequence Ces systegravemes decroyances constituent un modegravele opeacuteratoire du monde qui permet agrave chacunde produire des reacutesultats souhaiteacutes et drsquoeacuteviter ceux qui ne le sont pas Descapaciteacutes en matiegravere drsquoanticipation ainsi que des capaciteacutes geacuteneacuteratives etreacutefleacutechies sont donc vitales pour la survie et les progregraves humains Les facteursagentiques qui srsquoavegraverent explicatifs preacutedictifs et drsquoune valeur fonctionnelledeacutemontreacutee peuvent ecirctre traduits et modeacuteliseacutes dans un autre langage theacuteoriquemais en aucun cas eacutelimineacutes (Rottschaefer 1985 1991)
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20 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
2 UNE THEacuteORIE PHYSICALISTE DE LrsquoAGENTIVITEacute HUMAINE
Comme nous lrsquoavons deacutejagrave affirmeacute lrsquoecirctre humain nrsquoest pas simplement lrsquohocircteet spectateur de meacutecanismes internes orchestreacutes par des eacuteveacutenements dumonde exteacuterieur Il est lrsquoagent plutocirct que le simple exeacutecutant de lrsquoexpeacuterienceLes systegravemes sensoriels moteurs et ceacutereacutebraux constituent les outils auxquelsles personnes ont recours pour reacutealiser les tacircches et atteindre les buts quidonnent sens direction et satisfaction agrave leur vie (Bandura 1997 Harre etGillet 1994)
Les recherches sur le deacuteveloppement ceacutereacutebral mettent en eacutevidence le rocircleinfluent que joue lrsquoagentiviteacute dans lrsquoeacutevolution de la structure neuronale etfonctionnelle du cerveau (Diamond 1988 Kolb et Whishaw 1998) Cenrsquoest pas uniquement le fait drsquoecirctre exposeacute agrave une stimulation qui apparaicirctdeacuteterminant mais lrsquoaction agentique dans lrsquoexploration la manipulation etlrsquointervention sur lrsquoenvironnement En reacutegulant leur motivation et leursactiviteacutes les personnes produisent les expeacuteriences qui forment le substratneurobiologique fonctionnel de compeacutetences symboliques sociales psycho-motrices et autres Il est eacutevident que la nature de ces expeacuteriences est fortementdeacutependante des types drsquoenvironnements sociaux et physiques que les personneschoisissent et construisent Une perspective agentique favorise le deacutevelop-pement de recherches susceptibles de fournir de nouvelles pistes par rapportagrave la construction sociale de la structure fonctionnelle du cerveau humain(Eisenberg 1995) Il srsquoagit drsquoun espace drsquoinvestigation ougrave la psychologie peutfaire des contributions uniques et fondamentales agrave la compreacutehension bio-psychosociale du deacuteveloppement de lrsquoadaptation et du changement humains
La theacuteorie sociale cognitive soutient un modegravele drsquoagentiviteacute eacutemergente etinteractive (Bandura 1986 1999a) La penseacutee nrsquoest pas une entiteacute deacutesincarneacuteeimmateacuterielle qui existerait indeacutependamment des eacuteveacutenements neuraux qui laproduisent Les processus cognitifs sont des activiteacutes ceacutereacutebrales eacutemergentesqui exercent une influence deacuteterminante Les proprieacuteteacutes eacutemergentes se distin-guent qualitativement des eacuteleacutements qui les constituent et nrsquoy sont donc pasreacuteductibles Pour reprendre lrsquoanalogie de Bunge (1977) les proprieacuteteacutes uniqueset eacutemergentes de lrsquoeau telles que la fluiditeacute la viscositeacute et la transparence nesont pas simplement les proprieacuteteacutes agreacutegeacutees de ses microcomposants agravesavoir lrsquooxygegravene et lrsquohydrogegravene Agrave travers leurs effets interactifs ces deuxcorps se transforment en pheacutenomegravenes nouveaux
Il est neacutecessaire de faire la distinction entre le substrat physique de la penseacuteesa construction et son usage fonctionnel Lrsquoesprit humain est geacuteneacuterateurcreacuteateur proactif et reacuteflexif non pas seulement reacuteactif Lrsquoenterrement deDescartes et de sa vision dualiste du monde nous oblige agrave relever lrsquoimmensedeacutefi explicatif qui consiste agrave bacirctir une theacuteorie physicaliste de lrsquoagentiviteacute
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humaine et drsquoune theacuteorie cognitive non dualiste Comment font les personnespour produire les penseacutees qui exercent une influence deacuteterminante sur leursactions Quels sont les circuits fonctionnels de lrsquoanticipation de la planifi-cation proactive de lrsquoaspiration de lrsquoauto-eacutevaluation et de lrsquoautoreacuteflexion Plus important encore comment ces capaciteacutes sont-elles intentionnellementmobiliseacutees
Les agents cognitifs reacutegulent leurs actes par le biais drsquoune causaliteacute cogni-tive laquo descendante raquo tout en subissant la mise en activiteacute de leur organismepar la stimulation sensorielle laquo ascendante raquo (Sperry 1993) Lrsquohomme estcapable de concevoir intentionnellement des eacuteveacutenements uniques drsquoimaginerdes conduites ineacutedites et de choisir de mettre ou non lrsquoune de ces conduites agraveexeacutecution Agrave condition drsquoecirctre inciteacute agrave reacutealiser une telle tacircche chacun drsquoentrenous est capable spontaneacutement et de maniegravere tout agrave fait deacutelibeacutereacutee de construireun sceacutenario des plus farfelus comme par exemple lrsquoimage drsquoun hippopotamerose en tenue de soireacutee en train de voler au-dessus de la lune en chantant lascegravene de folie de lrsquoopeacutera Lucia di Lammermoor Les notions drsquointentionnaliteacuteet drsquoagentiviteacute soulegravevent la question fondamentale de savoir comment nouscreacuteons des activiteacutes sur lesquelles nous exerccedilons une forme de controcirclepersonnel lequel deacuteclenche les eacuteveacutenements subpersonnels neurophysiolo-giques neacutecessaires agrave la reacutealisation de certaines intentions et aspirations Ainsicrsquoest en agissant sur la croyance bien-fondeacutee que lrsquoexercice est beacuteneacutefiquepour la santeacute que les individus srsquoengagent dans diverses activiteacutes physiquesfavorables au maintien de leur santeacute sans avoir la moindre ideacutee de la maniegraveredont ces eacuteveacutenements surviennent au niveau subpersonnel Le reacutesultat en termesdrsquoeacutetat de santeacute est le double produit drsquoune causaliteacute agentique et drsquoune causaliteacutelieacutee au laquo simple raquo deacuteroulement des eacuteveacutenements chaque type de causaliteacute opeacuterantagrave diffeacuterents moments de la seacutequence
La discipline psychologique eacutevolue en suivant deux laquo chemins conceptuels raquobien divergents Lrsquoun des axes theacuteoriques se donne comme objet de clarifierla nature des meacutecanismes fondamentaux qui gouvernent le fonctionnementhumain Les eacutetudes allant en ce sens sont fortement centreacutees sur le fonction-nement interne de lrsquoesprit dans le traitement la repreacutesentation le rappel etlrsquoutilisation des informations codeacutees en vue drsquoassurer la bonne gestion desexigences lieacutees agrave la reacutealisation de tacircches varieacutees Elles visent eacutegalement agravedeacuteterminer lrsquoendroit dans le cerveau ougrave ces nombreux eacuteveacutenements se produi-sent En regravegle geacuteneacuterale ces processus cognitifs sont eacutetudieacutes sous une formedeacutesincarneacutee coupeacutee de la vie interpersonnelle sans tenir compte des deacutemar-ches deacutelibeacutereacutees des personnes ni de leurs capaciteacutes autoreacuteflexives Or lesgens sont des ecirctres capables de ressentir et de se fixer des buts Face auxexigences prescrites par diverses tacircches les hommes agissent consciemmentafin de produire les reacutesultats qursquoils souhaitent plutocirct que de subir simplementdes eacuteveacutenements au cours desquels les forces situationnelles agissent sur leursstructures subpersonnelles pour produire des solutions Dans des situations
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22 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
expeacuterimentales des participants srsquoefforcent de savoir ce qui est attendu drsquoeux ils construisent des hypothegraveses et mettent leurs compeacutetences agrave lrsquoeacutepreuve eneacutevaluant les reacutesultats de leurs actions ils se fixent des buts drsquoordre personnelet se mobilisent pour obtenir des performances qui plaisent aux autres lesimpressionnent ou les satisfassent eux-mecircmes lorsqursquoils rencontrent desdifficulteacutes ils commencent agrave tenir une sorte de dialogue interne avec eux-mecircmes pour srsquoencourager ou se deacutecourager face agrave lrsquoaction srsquoils interpregravetentleurs eacutechecs en se disant que les difficulteacutes rencontreacutees peuvent ecirctre vaincuesils redoublent leurs efforts mais ils se deacutemoralisent srsquoils voient en leurs eacutechecsdes signes de faiblesses personnelles srsquoils se croient exploiteacutes contraintsinsulteacutes ou manipuleacutes ils reacutepondent de maniegravere apathique peu coopeacuterativevoire mecircme avec hostiliteacute Dans les sciences cognitives ces facteurs motiva-tionnels mdash tout comme drsquoautres facteurs lieacutes agrave lrsquoautoreacutegulation qui gouvernentnon seulement le niveau mais encore la qualiteacute de lrsquoengagement personnel dansdes activiteacutes prescrites mdash sont vus comme laquo allant de soi raquo au lieu drsquoecirctreinclus explicitement dans des structures causales (Carlson 1997)
Le second axe theacuteorique est centreacute sur le fonctionnement de facteurssocialement situeacutes et sur le rocircle que ces facteurs macro-analytiques jouentdans le deacuteveloppement lrsquoadaptation et le changement humains Dans ce cadretheacuteorique le fonctionnement humain est analyseacute comme un pheacutenomegravenesocialement interdeacutependant et richement contextualiseacute qui est orchestreacute demaniegravere conditionnelle au travers des dynamiques de divers sous-systegravemessocieacutetaux et de leurs interactions complexes Or dans cette approche macro-analytique les meacutecanismes censeacutes relier les facteurs drsquoordre socio-structurelagrave lrsquoaction reacuteelle demeurent en grande partie inexpliqueacutes Une theacuteorie compreacute-hensive doit deacutepasser ce genre de dualisme analytique en inteacutegrant lesdimensions causales personnelle et sociale dans une seule structure de causaliteacuteEn effet les influences socio-structurelles opegraverent neacutecessairement au traversde meacutecanismes psychologiques pour produire des effets comportementauxNous reviendrons plus tard agrave la question des rapports reacuteciproques ou bidirec-tionnels qui caracteacuterisent les interactions entre les structures sociales etlrsquoagentiviteacute personnelle
3 LES TRAITS FONDAMENTAUX DE LrsquoAGENTIVITEacute HUMAINE
Les traits fondamentaux de lrsquoagentiviteacute humaine soulegravevent la question de ceque signifie le fait drsquoecirctre humain Nous allons les examiner dans les sectionssuivantes
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31 Lrsquointentionnaliteacute
Lrsquoagentiviteacute deacutesigne tout acte reacutealiseacute intentionnellement Par exemple lrsquoindi-vidu qui brise un vase dans un magasin drsquoantiquiteacutes suite au croche-pied faitaccidentellement par un autre client ne serait pas consideacutereacute comme lrsquoagent delrsquoeacuteveacutenement en question Bien entendu les transactions humaines impliquentdes incitations circonstancielles mais celles-ci ne jouent pas le rocircle de forcesdeacuteterminantes Les individus peuvent choisir de se comporter en srsquoaccommodantdes autres personnes et des circonstances ou bien se comporter diffeacuteremmenten exerccedilant une auto-influence Une intention est une repreacutesentation drsquouneaction future non encore reacutealiseacutee Elle ne se reacuteduit pas agrave une simple attente niagrave une preacutediction de telles actions futures mais constitue un engagementproactif qui tend vers leur reacutealisation Les intentions et les actions sont deuxaspects diffeacuterents drsquoune mecircme relation fonctionnelle articuleacutee dans le tempsDegraves lors il est important de parler des intentions comme eacutetant enracineacuteesdans des motivations personnelles qui affecteront la reacutealisation des actions agraveun moment ulteacuterieur
Lrsquoagentiviteacute dite laquo de planification raquo (planning agency) peut produire diversreacutesultats Les reacutesultats ne sont pas les caracteacuteristiques drsquoactes agentiquesmais en sont bien les conseacutequences Comme lrsquoexplique Davidson (1971) desactions conccedilues pour atteindre un but deacutetermineacute peuvent neacuteanmoins occa-sionner des conseacutequences assez diffeacuterentes Il donne lrsquoexemple du meacutelanco-lique Hamlet qui poignarde intentionnellement lrsquohomme cacheacute derriegravere unetapisserie croyant qursquoil srsquoagit du roi seulement pour deacutecouvrir agrave sa grandehorreur qursquoil a assassineacute Polonius Le meurtre du roi eacutetait bien intentionnelmais crsquoest une autre victime qui a eacuteteacute tueacutee Quelques-unes de nos actionsreacutealiseacutees avec la conviction qursquoelles vont engendrer des reacutesultats souhaiteacutesfinissent en reacutealiteacute par produire des conseacutequences qui ne sont ni envisageacuteesni voulues Par exemple il nrsquoest pas rare que les individus contribuent agrave leurpropre malheur en reacutealisant des transgressions intentionnelles suite agrave degraves erreurs de calcul quant agrave leurs conseacutequences Certaines politiques etpratiques sociales conccedilues avec les meilleures intentions srsquoavegraverent infructueusesvoire contre-productives parce que leurs effets neacutefastes nrsquoont pu ecirctre preacutevusEn bref le pouvoir drsquoecirctre agrave lrsquoorigine drsquoactes visant des buts donneacutes constituele trait distinctif de lrsquoagentiviteacute personnelle Que lrsquoexercice de cette agentiviteacuteait des effets beacuteneacutefiques ou nuisibles qursquoil donne lieu agrave des conseacutequencesnon envisageacutees est une tout autre question
Les intentions sont centreacutees sur des plans drsquoaction Les projets sont rarementeacutelaboreacutes dans le deacutetail degraves le deacutebut Il faudrait ecirctre quasiment omniscientpour pouvoir anticiper chaque deacutetail circonstanciel De surcroicirct transformerun futur imagineacute en reacutealiteacute exige des intentions orienteacutees vers le preacutesent ou leproche avenir qui servent agrave guider et encouragent agrave aller de lrsquoavant (Bandura1991b) Dans lrsquoapproche fonctionnaliste de lrsquoagentiviteacute intentionnelle proposeacuteepar Bratman (1999) des intentions partielles initiales sont compleacuteteacutees et
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ajusteacutees reacuteviseacutees affineacutees ou mecircme reconsideacutereacutees agrave la lumiegravere de nouvellesinformations qui se preacutesentent au cours de lrsquoexeacutecution drsquoune intention Nousallons bientocirct voir que la reacutealisation de projets drsquoavenir neacutecessite bien plusque des intentions parce qursquoen termes de causaliteacute lrsquoeacutetat intentionnel ne suffitpas agrave lui seul Drsquoautres aspects autoreacutegulateurs de lrsquoagentiviteacute contribuent agravela mise en œuvre reacuteussie des intentions Autre dimension fonctionnelle delrsquointention agrave preacuteciser la plupart des activiteacutes humaines impliquent la partici-pation drsquoautres agents Ces activiteacutes conjointement reacutealiseacutees requiegraverent unengagement agrave lrsquoeacutegard drsquoune intention partageacutee ainsi que la coordination deprogrammes drsquoaction interdeacutependants Le deacutefi des activiteacutes collaborativesest de reacuteussir lrsquointeacutegration des divers inteacuterecircts personnels au service de butscommuns et drsquointentions collectives poursuivies de concert
32 La penseacutee anticipatrice
Lrsquoeacutetendue temporelle de lrsquoagentiviteacute va au-delagrave de la planification drsquoactionsfutures La perspective drsquoavenir se manifeste de faccedilons multiples et diversesLes personnes se fixent des buts anticipent les conseacutequences probablesdrsquoactions futures seacutelectionnent et creacuteent des seacutequences drsquoaction susceptiblesde produire des reacutesultats souhaiteacutes et drsquoeacuteviter des reacutesultats facirccheux (Bandura1991b Feather 1982 Locke et Latham 1990) Agrave travers lrsquoexercice de lapenseacutee anticipatrice les personnes se motivent et guident leurs actions danslrsquoanticipation drsquoeacuteveacutenements futurs Quand elle se projette sur des objectifsvaloriseacutes agrave long terme une perspective anticipatrice donne de la direction dela coheacuterence et un sens agrave la vie Agrave mesure que les personnes eacutevoluent tout aulong de leur parcours de vie elles continuent agrave preacutevoir lrsquoavenir reacuteorganisentleurs prioriteacutes et structurent leur vie en conseacutequence
Les eacuteveacutenements futurs ne sauraient ecirctre les causes drsquoune motivation oudrsquoune action preacutesente parce qursquoils nrsquoont pas drsquoexistence propre Cependant eneacutetant repreacutesenteacutes cognitivement dans le preacutesent les eacuteveacutenements futurs preacutevi-sibles se transforment en autant de laquo motivateurs raquo et de laquo reacutegulateurs raquo ducomportement Agrave travers cette forme drsquoautoguidance anticipatrice le compor-tement est motiveacute et dirigeacute par des buts projeteacutes et par des reacutesultats anticipeacutesau lieu drsquoecirctre laquo causeacute raquo par un eacutetat futur virtuel
Les personnes construisent des attentes de reacutesultats agrave partir des relationsconditionnelles qursquoelles observent entre les eacuteveacutenements qui surviennent dansle monde qui les entoure et les reacutesultats que des actions donneacutees produisent(Bandura 1986) La capaciteacute agrave faire peser lrsquoinfluence des reacutesultats anticipeacutessur des activiteacutes en cours favorise lrsquoadoption drsquoun comportement preacutevoyantCela donne aux individus la possibiliteacute de transcender les contraintes de leurenvironnement immeacutediat tout en leur permettant de faccedilonner et de reacutegulerleur preacutesent de faccedilon agrave ce qursquoil corresponde agrave un futur souhaiteacute En reacutegulantleur comportement par le biais des attentes de reacutesultats les personnes adoptent
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des conduites aptes agrave produire des reacutesultats positifs et eacutecartent celles quirisquent drsquoentraicircner des reacutesultats peu satisfaisants ou peacutenalisants Cela dit lesreacutesultats anticipeacutes que ceux-ci soient drsquoordre mateacuteriel ou social ne sont pasle seul type drsquoincitation susceptible drsquoinfluencer le comportement humaincomme le suggeacutererait une approche fonctionnaliste sommaire Si les actionsnrsquoeacutetaient accomplies que par rapport aux reacutecompenses et punitions externesque les individus peuvent anticiper ceux-ci se comporteraient comme desgirouettes changeant constamment de direction pour se conformer auxinfluences varieacutees qui pegravesent sur eux au hasard des circonstances En reacutealiteacuteles personnes manifestent un degreacute consideacuterable drsquoautodirection face agrave lamyriade drsquoinfluences concurrentes qui se preacutesentent agrave eux en permanenceUne fois qursquoelles adoptent des normes personnelles les personnes reacutegulentleur comportement par le biais de reacutesultats dits laquo auto-eacutevaluatifs raquo (self-evaluative outcomes) lesquels peuvent renforcer ou contrecarrer lrsquoinfluencede reacutesultats externes
33 Lrsquoautoreacuteactiviteacute (self-reactiveness)
Lrsquoagent ne doit pas ecirctre seulement capable de planifier et de preacutevoir maisaussi de se motiver et de srsquoautoreacuteguler Apregraves avoir adopteacute une intention etun plan drsquoaction on ne peut pas simplement rester inactif agrave attendre que lesperformances approprieacutees apparaissent Lrsquoagentiviteacute implique ainsi non seule-ment la capaciteacute agrave faire des choix deacutelibeacutereacutes et des projets drsquoaction mais aussiagrave former des cours drsquoaction approprieacutes et agrave motiver et reacuteguler leur mise agraveexeacutecution Cette autodirection agrave multiples facettes opegravere au travers desprocessus autoreacutegulateurs reliant la penseacutee agrave lrsquoaction Lrsquoautoreacutegulation dela motivation de lrsquoaffect et de lrsquoaction est gouverneacutee par un ensemble desous-fonctions laquo autoreacutefeacuterentes raquo Ces sous-fonctions comprennent lrsquoauto-observation lrsquoautoguidance de la performance via les standards personnelset les autoreacuteactions correctives (Bandura 1986 1991b)
Observer son comportement et les conditions agrave la fois cognitives et environ-nementales dans lesquelles celui-ci srsquoactualise constitue le premier pas pourlrsquoameacuteliorer Toute action implique une influence autoreacuteactive qui se formeagrave travers la mesure du reacutesultat obtenu par rapport aux buts et standardspersonnels Les buts doublement enracineacutes dans un systegraveme de valeurs et unsentiment drsquoidentiteacute personnelle donnent aux activiteacutes leur signification etleur orientation Ils ne motivent pas tant directement que par lrsquoengagementauto-eacutevaluatif dans une activiteacute donneacutee En rendant leur auto-eacutevaluationcontingente agrave lrsquoatteinte des standards personnels les gens donnent agrave leursactiviteacutes une direction tout en creacuteant des auto-incitations pour soutenir leursefforts en vue drsquoatteindre lrsquoobjectif Ils font des choses qui leur procurentune satisfaction personnelle un sentiment de fierteacute et de valeur de soi ils
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eacutevitent drsquoadopter des conduites qui megravenent agrave lrsquoinsatisfaction agrave lrsquoautodeacutevalori-sation et agrave lrsquoautocensure
Les buts ne mettent pas automatiquement en route les auto-influences quigouvernent la motivation et lrsquoaction Lrsquoauto-engagement lieacute agrave lrsquoeacutevaluationdes buts personnels est affecteacute par les caracteacuteristiques des buts en questionnotamment par leur degreacute de speacutecificiteacute leur niveau de deacutefi et la proximiteacutetemporelle Les buts geacuteneacuteraux sont trop flous et trop peu impliquants pourservir efficacement de guides et drsquoincitations agrave lrsquoaction Des buts stimulantsdeacuteclenchent un inteacuterecirct puissant et un engagement complet dans lrsquoactiviteacuteLrsquoefficaciteacute des buts en termes drsquoautoreacutegulation deacutepend fortement de ladistance temporelle agrave laquelle ils sont projeteacutes Les sous-buts dits proximauxmobilisent des auto-influences et dirigent ce que lrsquoon fait ici et maintenantEn revanche les buts dits distaux servent agrave eacutetablir le cours geacuteneacuteral desconduites mais sont compte tenu des multiples influences concurrentes tropeacuteloigneacutes dans le temps pour fournir agrave lrsquoaction preacutesente des incitations et desguides efficaces Les meilleurs progregraves vers des avenirs valoriseacutes sont observeacuteslorsque des systegravemes de buts structureacutes et hieacuterarchiseacutes combinent aspirationsagrave long terme et autoreacutegulation agrave court terme Les buts aux fortes proprieacuteteacutesauto-engageantes motivent lrsquoaction drsquoune maniegravere particuliegraverement efficace(Bandura 1991b Locke et Latham 1990)
Lrsquoagentiviteacute morale occupe une place importante dans lrsquoautodirection Lestheacuteories psychologiques de la moraliteacute sont fortement centreacutees sur le raison-nement moral au deacutetriment de la conduite morale Une theacuteorie complegravete delrsquoagentiviteacute morale doit concilier les savoirs et le raisonnement sur la moraliteacuteavec les conduites Ceci neacutecessite une theacuteorie agentique de la moraliteacute plutocirctqursquoune theacuteorie reacuteduite aux repreacutesentations de la moraliteacute Le raisonnementmoral se traduit en actions au travers de meacutecanismes autoreacutegulateurs commele jugement moral du bien ou du mal inheacuterent agrave une conduite donneacutee auregard des standards personnels du sujet et des circonstances de cetteconduite et les autosanctions agrave travers lesquelles lrsquoagentiviteacute morale srsquoexerce(Bandura 1991a)
Dans le deacuteveloppement des compeacutetences et des aspirations les standardspersonnels concernant le meacuterite srsquoeacutelegravevent agrave mesure que les connaissances etles compeacutetences sont acquises et les deacutefis sont releveacutes Dans le cadre desconduites sociales et morales les standards autoreacutegulateurs sont plus stablesCe nrsquoest pas toutes les semaines que les gens changent drsquoavis sur le juste oulrsquoinjuste le bien ou le mal Une fois que les individus ont adopteacute un standardmoral les autosanctions neacutegatives qursquoils srsquoinfligent en reacuteaction aux actes quitransgressent leurs standards personnels tout comme les autosanctionspositives qursquoils srsquoattribuent agrave la suite des conduites fidegraveles agrave leurs standardsmoraux servent drsquoinfluences autoreacutegulatrices (Bandura 1991b) La capaciteacuteagrave srsquoautosanctionner donne un sens agrave la notion drsquoagentiviteacute morale Les auto-reacuteactions tant eacutevaluatives qursquoanticipatrices fournissent les reacutegulateurs moti-
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vationnels et cognitifs des conduites morales Les autosanctions garantissentun certain alignement entre les standards personnels et les conduites Lesindividus porteurs drsquoune forte eacutethique communautaire agiront pour promou-voir le bien-ecirctre drsquoautrui mecircme parfois au prix de leurs propres inteacuterecirctspersonnels Pousseacutees par la situation agrave se comporter de faccedilon inhumaine lespersonnes peuvent choisir de se comporter autrement en exerccedilant une auto-influence qui contrebalance les pressions exteacuterieures Il nrsquoest pas rare que lesindividus investissent si fortement leur estime de soi dans certaines convic-tions qursquoils accepteront de se soumettre agrave des formes de souffrance et depunition seacutevegraveres plutocirct que de ceacuteder agrave ce qursquoils considegraverent comme injusteou immoral
Lrsquoexercice de lrsquoagentiviteacute morale se preacutesente sous deux modes principaux le mode inhibiteur et le mode proactif (Bandura 1999b) La forme inhibitricese manifeste dans le pouvoir drsquoeacuteviter de se comporter de maniegravere inhumaineLa forme proactive srsquoexprime dans le pouvoir de se conduire de maniegraverehumaine
Cela eacutetant les standards moraux ne fonctionnent pas comme des reacutegulateursinternes fixes des conduites Les meacutecanismes autoreacutegulateurs ne fonctionnentqursquoagrave condition drsquoecirctre mobiliseacutes dans lrsquoaction Il existe de nombreuses manœu-vres psychosociales qui permettent aux individus par le biais de leurs auto-reacuteactions morales de se deacutesengager de maniegravere seacutelective agrave lrsquoeacutegard de conduitesinhumaines (Bandura 1991b) Plusieurs de ces meacutecanismes de deacutesengagementmoral prennent racine dans la reconstruction cognitive de la conduite elle-mecircme Ceci est possible en rendant personnellement etou socialement accep-table la conduite nocive en la repreacutesentant comme si elle servait des finssocialement dignes ou morales en la masquant sous un langage eacutedulcoreacuteeacutemailleacute drsquoeupheacutemismes et en proposant des comparaisons avec drsquoautresactes encore plus inhumains Drsquoautres meacutecanismes affaiblissent le sentimentdrsquoagentiviteacute personnelle dans les conduites neacutefastes en diluant et deacuteplaccedilantles responsabiliteacutes Les autosanctions morales peuvent eacutegalement ecirctre affai-blies ou deacutesengageacutees au terme du processus de controcircle dans la mesure ougrave lesujet ignore minimise ou discute les effets condamnables de sa conduite Undernier ensemble de pratiques deacutesengage les autosanctions inhibitrices endeacuteshumanisant les victimes soit en leur attribuant des caracteacuteristiques bestialessoit en affirmant qursquoelles sont responsables de leurs propres malheurs Lesindividus preacutesentant une forte tendance au deacutesengagement moral se sententpeu coupables de leurs actes reacutepreacutehensibles sont moins prosociaux tout eneacutetant plus enclins agrave des ruminations vengeresses (Bandura et al 1996b) Parle deacutesengagement seacutelectif de leur agentiviteacute morale les personnes qui seconduisent par ailleurs moralement et vertueusement sont capables de perpeacutetrerdes transgressions et des actes drsquoinhumaniteacute dans drsquoautres sphegraveres de leur vie(Bandura 1999b Zimbardo 1995)
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34 Lrsquoautoreacuteflexion
Lrsquoecirctre humain nrsquoest pas seulement lrsquoagent de son action mais eacutegalementlrsquoexaminateur de son propre fonctionnement La capaciteacute meacutetacognitive agravereacutefleacutechir agrave soi-mecircme ainsi qursquoagrave la viabiliteacute de ses penseacutees et de ses actionsconstitue encore un trait fondamental de lrsquoagentiviteacute humaine Au travers dela conscience autoreacuteflexive (reflective self-consciousness) chacun a la possi-biliteacute drsquoeacutevaluer sa motivation ses valeurs et le sens qursquoil donne agrave ce qursquoilentreprend dans la vie Crsquoest au niveau de lrsquoautoreacuteflexion que les individusabordent les conflits entre diffeacuterentes incitations motivationnelles pour ensuitechoisir drsquoagir en faveur de lrsquoune ou de lrsquoautre drsquoentre elles La veacuterification dela justesse de ses penseacutees est aussi fortement deacutependante de moyens ditslaquo autoreacuteflexifs raquo (self-reflective means) (Bandura 1986) Dans lrsquoexercice decette capaciteacute meacutetacognitive les personnes mesurent la justesse de leurspenseacutees preacutedictives et opeacuteratoires selon les reacutesultats de leurs actions les effetsproduits par les actions drsquoautrui ce que les autres croient et diverses deacuteductionsdeacuteriveacutees de connaissances eacutetablies et de ce qui srsquoensuit neacutecessairement
Parmi les meacutecanismes drsquoagentiviteacute personnelle aucun nrsquoest plus central niomnipreacutesent que la croyance personnelle dans sa capaciteacute agrave exercer un certaindegreacute de controcircle sur son propre fonctionnement et sur les eacuteveacutenements delrsquoenvironnement (Bandura 1997) Les croyances drsquoefficaciteacute constituent lefondement de lrsquoagentiviteacute humaine Si les personnes ne croient pas qursquoilspeuvent par leurs propres actions produire les reacutesultats souhaiteacutes tout eneacutevitant que des eacuteveacutenements facirccheux surviennent ils ont peu de raisons drsquoagirou de perseacuteveacuterer face aux difficulteacutes Si drsquoautres facteurs peuvent servir deguides ou de motivateurs ils nrsquoen sont pas moins enracineacutes dans la croyancecentrale selon laquelle nous posseacutedons la capaciteacute de produire des effetspar nos actions Des meacuteta-analyses confirment le rocircle influent joueacute par lescroyances drsquoefficaciteacute dans le fonctionnement humain (Holden 1991 Holdenet al 1990 Multon et al 1991 Stajkovic et Luthans 1998)
Lrsquoauto-efficaciteacute perccedilue joue un rocircle essentiel dans la structure causale dela theacuteorie sociale cognitive parce que les croyances drsquoefficaciteacute affectentlrsquoadaptation et le changement non seulement directement mais eacutegalement agravetravers lrsquoimpact qursquoelles exercent sur drsquoautres deacuteterminants (Bandura 1997 Maddux 1995 Schwarzer 1992) De telles croyances deacuteterminent par exem-ple si les personnes pensent de maniegravere pessimiste ou optimiste si leurspenseacutees les aident agrave reacutesoudre des problegravemes ou entravent leur deacutemarche Lescroyances drsquoefficaciteacute occupent une place centrale dans lrsquoautoreacutegulation dela motivation par lrsquointermeacutediaire des deacutefis lieacutes aux buts que lrsquoon se fixe et auxreacutesultats que lrsquoon attend Crsquoest en partie sur la base des croyances drsquoefficaciteacuteque les personnes choisissent les deacutefis qursquoelles vont relever deacutecident desefforts qursquoelles vont deacuteployer dans lrsquoactiviteacute de leur dureacutee de perseacuteveacuteranceface aux obstacles et aux eacutechecs et qursquoelles perccediloivent leurs eacutechecs commeeacutetant motivants ou deacutemoralisants La probabiliteacute que les individus agiront
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selon les reacutesultats qursquoils attendent de leurs performances futures deacutependeffectivement des croyances qursquoils ont deacuteveloppeacutees quant agrave leur capaciteacute ouiou non agrave produire ces mecircmes performances Un fort sentiment drsquoefficaciteacuteau laquo coping raquo (concernant sa capaciteacute agrave faire face agrave drsquoeacuteventuelles difficulteacutes)reacuteduit la vulneacuterabiliteacute au stress et agrave la deacutepression dans des situations exigeantestout en renforccedilant la reacutesilience face agrave lrsquoadversiteacute
Les croyances drsquoefficaciteacute jouent eacutegalement un rocircle dans les trajectoiresde vie en exerccedilant une influence aussi bien sur les types drsquoactiviteacutes que surles environnements que les personnes choisissent Tout facteur susceptibledrsquoinfluencer les comportements de choix du sujet peut affecter profondeacutementla direction de son deacuteveloppement En effet les influences sociales agrave lrsquoœuvredans les environnements choisis par le sujet continuent agrave deacutevelopper certainescompeacutetences valeurs et centres drsquointeacuterecirct bien longtemps apregraves que le deacuteter-minant deacutecisionnel a eu son effet initial Ainsi en choisissant organisant etfaccedilonnant leurs environnements les personnes participent activement agrave leurdevenir
La rapiditeacute des changements informationnels sociaux et technologiquesdonne toute son importance agrave lrsquoefficaciteacute perccedilue en matiegravere de deacuteveloppementpersonnel et de capaciteacute agrave se renouveler au cours de lrsquoexistence Dans le passeacutele deacuteveloppement acadeacutemique des eacutetudiants eacutetait en grande partie deacutetermineacutepar les eacutecoles drsquoougrave ils venaient De nos jours lrsquoInternet donne aux eacutetudiants despossibiliteacutes illimiteacutees pour qursquoils apprennent agrave piloter leurs propres appren-tissages Aujourdrsquohui sans restriction ni de temps ni drsquoespace les eacutetudiants ontagrave leur disposition les meilleures bibliothegraveques les meilleurs museacutees labora-toires et professeurs Les autoreacutegulateurs efficaces eacutetendent leurs connaissanceset leurs compeacutetences cognitives tandis que les autoreacutegulateurs inefficacesprennent du retard (Zimmerman 1990)
Lrsquoautoreacutegulation devient aussi un facteur cleacute dans la vie professionnelleAutrefois les salarieacutes apprenaient un meacutetier donneacute pour ensuite lrsquoexercer plusou moins de la mecircme maniegravere et dans la mecircme entiteacute tout au long de leurcarriegravere Eacutetant donneacute le rythme soutenu des changements le savoir et lescompeacutetences techniques deviennent vite obsolegravetes agrave moins drsquoecirctre mis agrave jouret adapteacutes aux nouvelles technologies Dans lrsquoorganisation moderne le sala-rieacute doit prendre en charge son eacutevolution professionnelle en vue de tenir unevarieacuteteacute de postes et de fonctions au cours de sa carriegravere Il doit cultiver demultiples compeacutetences pour satisfaire aux exigences et aux rocircles professionnelsqui ne cessent drsquoeacutevoluer Lrsquoadaptabiliteacute agentique collective srsquoapplique tantau niveau organisationnel qursquoau niveau de la ressource humaine Les orga-nismes doivent apprendre vite et innover en permanence pour survivre etprospeacuterer dans des conditions marqueacutees par de rapides changements techno-logiques et des marcheacutes mondialiseacutes Ils sont ainsi confronteacutes au paradoxedrsquoavoir agrave se preacuteparer au changement au sommet de leur reacuteussite Ceux quisont lents agrave changer perdront gros
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La santeacute est un exemple drsquoautoreacutegulation dans une sphegravere importante de lavie Ces derniegraveres anneacutees il y a eu un changement majeur dans la conceptionde la santeacute passant drsquoun modegravele fondeacute sur le traitement agrave un modegravele fondeacutesur le bien-ecirctre La santeacute humaine est fortement influenceacutee par les habitudeslieacutees au style de vie de chacun ainsi que par les conditions environnementalesCela permet aux individus drsquoexercer un certain degreacute de controcircle sur leur eacutetatde santeacute En effet agrave travers la gestion de leurs propres habitudes les individusreacuteduisent les risques majeurs pour la santeacute et megravenent des vies plus saines etproductives (Bandura 1997) Si les immenses avantages de ces quelqueshabitudes de santeacute lieacutees au style de vie eacutetaient disponibles sous forme decomprimeacute cette invention serait reconnue comme une perceacutee historique dansle champ de la meacutedecine
4 LA GESTION AGENTIQUE DU HASARD
Srsquoil y a beaucoup de choses que les gens font expregraves afin drsquoexercer un certaindegreacute de controcircle sur leur deacuteveloppement personnel et sur les circonstancesde leur vie il existe aussi beaucoup de hasard dans le cours que prend lrsquoexis-tence En effet certains des deacuteterminants qui exercent la plus forte influencesur les directions que prend notre vie se produisent agrave travers les circonstancesles plus triviales Crsquoest au travers de circonstances souvent tout agrave fait fortuitesque les personnes empruntent de nouvelles trajectoires deacuteveloppementalesqursquoil srsquoagisse de choix amoureux professionnels ou drsquoaffaires malencontreusesObservez lrsquoinfluence des eacuteveacutenements fortuits qui preacutesident au choix drsquoun oudrsquoune conjoint(e) Un vol retardeacute par une tempecircte inattendue amegravene la rencon-tre de deux personnes qui par hasard se trouvent assises lrsquoune agrave cocircteacute delrsquoautre agrave lrsquoaeacuteroport en attendant que le temps se legraveve Cette rencontre aleacuteatoiredonne lieu par la suite agrave un mariage un deacutemeacutenagement et un changement detrajectoire professionnelle Aucun desdits eacuteveacutenements ne se serait produit siagrave ce moment-lagrave le pilote nrsquoavait pas reccedilu lrsquoordre de ne pas deacutecoller pourcause de mauvais temps (Krantz 1998) Un eacutediteur entre dans une salle deconfeacuterence au moment ougrave elle se remplit rapidement pour assister agrave uneconfeacuterence sur laquo la psychologie des rencontres fortuites et des trajectoires devie raquo Il prend une place libre pregraves de lrsquoentreacutee Quelques mois plus tard ileacutepouse la femme agrave cocircteacute de qui il avait pris place ce jour-lagrave Si le futur marieacutetait entreacute ne serait-ce que quelques secondes plus tard la reacutepartition desplaces assises aurait eacuteteacute diffeacuterente et lrsquohistoire de vie des deux eacutepoux auraiteacuteteacute incomparable Une union conjugale srsquoest formeacutee de maniegravere tout agrave faitfortuite lors drsquoune confeacuterence consacreacutee aux deacuteterminants fortuits desexistences humaines (Bandura 1982)
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Un eacuteveacutenement fortuit qui se produit dans des conditions incertaines aussisocialement meacutediatiseacutees soient-elles est deacutefini comme eacutetant la rencontre nonintentionnelle de personnes qui ne se connaissent pas Quoique la successiondrsquoeacuteveacutenements de part et drsquoautre de la rencontre fortuite possegravede chacune sespropres deacuteterminants la convergence des deux trajectoires se produit inopi-neacutement plutocirct que de maniegravere preacutevue (Nagel 1961) Ce nrsquoest pas pour direqursquoun eacuteveacutenement fortuit nrsquoa pas de laquo cause raquo mais plutocirct qursquoil y a un degreacuteeacuteleveacute de hasard dans les conditions deacuteterminantes de leur rencontre Parmiles innombrables pheacutenomegravenes fortuits qui caracteacuterisent la vie quotidiennebon nombre nrsquoaffectent la vie des personnes que superficiellement alors quedrsquoautres produisent des effets plus durables ou drsquoautres encore propulsentles individus dans de nouveaux itineacuteraires de vie La puissance de la plupartdes influences fortuites ne reacuteside pas tant dans les proprieacuteteacutes des eacuteveacutenementseux-mecircmes que dans la constellation complexe drsquoinfluences transactionnellesque ceux-ci deacuteclenchent (Bandura 1982 1998) Du cocircteacute des personnes leursattributs systegravemes de croyances centres drsquointeacuterecirct et compeacutetences deacuteterminentsi oui ou non une rencontre fortuite donneacutee se transformera en relation durableDu cocircteacute socio-structurel lrsquoimpact des rencontres fortuites deacutependra en partiede la capaciteacute des milieux sociaux ougrave les individus se trouvent plongeacutes agrave lesretenir et les influencer
Le hasard ne signifie pas lrsquoincontrocirclabiliteacute de ses effets On peut profiterdu caractegravere fortuit de la vie On peut faire en sorte que la chance sourie enpoursuivant une vie active ce qui augmente la qualiteacute et le type de rencontresfortuites qursquoon peut faire Le hasard est favorable aux individus curieux etentreprenants qui bougent agissent et explorent de nouvelles activiteacutes (Austin1978) Les gens peuvent aussi mettre la chance de leur cocircteacute en cultivant leurscentres drsquointeacuterecirct leurs compeacutetences et les croyances personnelles constructivesCes ressources internes donnent agrave chacun la possibiliteacute de tirer le meilleurparti des occasions qui se preacutesentent de temps agrave autre de maniegravere tout agrave faitinattendue Pasteur (1854) lrsquoa bien dit en affirmant que laquo la chance ne souritqursquoagrave lrsquoesprit preacutepareacute raquo Lrsquoautodeacuteveloppement permet agrave chacun de participerplus activement agrave la construction de son destin dans le cours de sa vie Cesdiverses activiteacutes proactives illustrent la gestion agentique du hasard
Dans les analyses causales de trajectoires deacuteveloppementales on fait peu decas des facteurs fortuits alors qursquoils dominent les recommandations drsquoavenirqursquoil srsquoagisse drsquoatteindre le souhaitable ou drsquoeacuteviter des inconveacutenients(Bandura 1995 1997 Hamburg 1992 Masten et al 1990 Rutter 1990)Quant au deacuteveloppement personnel les efforts sont centreacutes sur le deacuteploiementdes ressources personnelles qui permettent de tirer avantage des aleacuteas promet-teurs Pour ce qui est de la protection de soi on aide les individus agrave deacutevelopperles capaciteacutes autoreacutegulatrices qui non seulement leur permettent drsquoeacuteviter lespiegraveges sociaux qui peuvent se preacutesenter agrave eux de maniegravere inattendue et lesinciter contre leur inteacuterecirct agrave adopter des lignes de conduite potentiellement
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nuisibles mais leur donnent eacutegalement des outils pour pouvoir srsquoextirper detelles situations difficiles si jamais ils srsquoy trouvent coinceacutes
5 LES MODALITEacuteS DE LrsquoAGENTIVITEacute HUMAINE
La recherche et lrsquoeacutelaboration theacuteorique agrave propos de lrsquoagentiviteacute humaine sesont essentiellement limiteacutees agrave lrsquoexercice individuel de lrsquoagentiviteacute Pourtantce nrsquoest pas la seule maniegravere dont les gens exercent une influence sur leseacuteveacutenements affectant leur existence La theacuteorie sociale cognitive distinguetrois modaliteacutes diffeacuterentes de lrsquoagentiviteacute personnelle par procuration etcollective
Les analyses preacuteceacutedentes se sont centreacutees sur la nature de lrsquoagentiviteacutepersonnelle directe ainsi que sur les processus cognitifs motivationnelseacutemotionnels et de seacutelection au travers desquels elle produit des effets donneacutesDans de nombreux domaines de fonctionnement les individus nrsquoexercentpas de controcircle direct sur les conditions sociales ni sur les pratiques institu-tionnelles qui affectent leur vie quotidienne Dans ces circonstances ilsrecherchent leur bien-ecirctre leur seacutecuriteacute et les reacutesultats qursquoils valorisent parprocuration Dans ce mode drsquoagentiviteacute par la meacutediation sociale ils essaientde trouver des personnes ayant de lrsquoinfluence et du pouvoir pour srsquoassurerdrsquoobtenir les reacutesultats qursquoils souhaitent Personne nrsquoa le temps lrsquoeacutenergie niles ressources pour maicirctriser tous les domaines de la vie quotidienne Unfonctionnement reacuteussi implique neacutecessairement un meacutelange drsquoefficaciteacute parprocuration dans certains domaines de fonctionnement pour libeacuterer du tempset de lrsquoeacutenergie afin de geacuterer directement drsquoautres aspects de sa vie (Baltes1996 Brandtstaumldter 1992) Par exemple pour obtenir ce qursquoils deacutesirent lesenfants srsquoappuient sur leurs parents les conjoints srsquoappuient lrsquoun sur lrsquoautretandis que les citoyens tentent drsquoinfluencer les actes de leurs repreacutesentantsleacutegaux Le controcircle par procuration deacutepend drsquoune efficaciteacute sociale perccediluepour influencer les efforts de meacutediation des autres
Les individus ont recours au controcircle par procuration dans des domainesougrave ils peuvent exercer de lrsquoinfluence directe mais sans avoir deacuteveloppeacute lesmoyens pour le faire Ils croient que les autres peuvent mieux faire qursquoeuxou bien ils ne veulent pas srsquoimposer le poids de certains aspects lieacutes agrave lrsquoexer-cice du controcircle direct Le controcircle personnel nrsquoest ni une pulsion inneacutee ni untrait universel comme certains le preacutetendent Le controcircle personnel a descoucircts qui peuvent en atteacutenuer lrsquoattractiviteacute Lrsquoexercice drsquoun controcircle efficacerequiert la maicirctrise de connaissances et de compeacutetences accessibles unique-ment par de longues heures de travail ardu De plus conserver des aptitudes
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dans un contexte marqueacute par des conditions de vie en perpeacutetuel changementdemande un investissement permanent en temps en efforts et en ressourcespour se renouveler tout le temps
Lrsquoexercice du controcircle personnel impose non seulement un travail conseacute-quent drsquoautodeacuteveloppement continu mais il geacutenegravere freacutequemment drsquoimpor-tants risques responsabiliteacutes et sources potentielles de stress Les gens nesont pas particuliegraverement avides drsquoavoir agrave porter les fardeaux de la responsa-biliteacute Bien trop souvent ils renoncent au controcircle en le confiant aux autresalors qursquoil srsquoagit de domaines ougrave ils pourraient exercer une influence directeIls agissent ainsi pour se libeacuterer des exigences de performance et des respon-sabiliteacutes lourdes que comporte le controcircle personnel Le controcircle par procu-ration peut ecirctre utiliseacute drsquoune maniegravere qui favorise lrsquoautodeacuteveloppement ouqui freine lrsquoappropriation de compeacutetences personnelles Dans ce dernier casune partie du prix de lrsquoagentiviteacute par procuration est la vulneacuterabiliteacute tribu-taire des compeacutetences du pouvoir et des faveurs drsquoautrui Les gens ne viventpas leur vie de faccedilon isoleacutee Beaucoup de ce qursquoils recherchent ne saurait sereacutealiser que par des efforts socialement interdeacutependants Par conseacutequentils doivent collaborer avec drsquoautres pour obtenir ce qursquoils ne peuvent avoirtout seuls
La theacuteorie sociale cognitive eacutetend le concept drsquoagentiviteacute humaine jusqursquoagravelrsquoagentiviteacute collective (Bandura 1997) La croyance qursquoont les gens depouvoir produire collectivement des reacutesultats souhaiteacutes est une composanteessentielle de lrsquoagentiviteacute collective Les reacuteussites des groupes ne sont passeulement geacuteneacutereacutees par le partage des intentions du savoir et des compeacutetencesde ses membres mais eacutegalement par la synergie des dynamiques interactives etcoordonneacutees qui caracteacuterisent leurs transactions Eacutetant donneacute que la perfor-mance collective drsquoun systegraveme social implique des dynamiques transaction-nelles lrsquoefficaciteacute collective perccedilue est une proprieacuteteacute eacutemergente au niveau dugroupe elle nrsquoest pas simplement la somme des croyances des individus enleur efficaciteacute Cela dit il nrsquoexiste pas drsquoentiteacute eacutemergente qui opeacutererait indeacute-pendamment des croyances et des actions des individus qui composent lesystegraveme social Ce sont les personnes qui agissent conjointement agrave partir decroyances partageacutees non pas un esprit de groupe deacutesincarneacute qui reacutefleacutechitvise des reacutesultats se motive et reacutegule son action agrave cette fin Les croyancesdrsquoefficaciteacute collective servent des fonctions semblables agrave celles du sentimentdrsquoefficaciteacute personnelle et fonctionnent au travers de processus tout agrave faitanalogues (Bandura 1997)
Des eacutetudes empiriques en provenance de divers champs de rechercheconfirment lrsquoimpact de lrsquoefficaciteacute collective perccedilue sur le fonctionnement dugroupe (Bandura 2000) Certaines de ces eacutetudes ont eacutevalueacute les effets delrsquoefficaciteacute collective perccedilue quand elle est expeacuterimentalement induite agrave desniveaux diffeacuterencieacutes Drsquoautres eacutetudes ont examineacute les effets qursquoexercent descroyances drsquoefficaciteacute collective deacuteveloppeacutees naturellement sur le fonction-nement de divers systegravemes sociaux y compris les systegravemes eacuteducatifs les
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entreprises les eacutequipes sportives les entiteacutes de combat les communauteacutesurbaines et des groupes drsquoaction politique Dans leur ensemble les reacutesultatsmontrent que plus lrsquoefficaciteacute collective perccedilue est forte plus les aspirationsdrsquoun groupe et son investissement dans ses projets sont eacuteleveacutes plus il reacutesisteface aux obstacles et aux revers meilleurs sont son moral sa reacutesilience faceau stress et ses performances
Les theacuteories de lrsquoagentiviteacute humaine et collective sont eacutemailleacutees de dualismesdiscutables que la theacuteorie sociale cognitive rejette Ces dualismes concernentlrsquoagentiviteacute personnelle contre les structures sociales lrsquoagentiviteacute autocentreacuteecontre le sens de communauteacute et lrsquoindividualisme contre le collectivisme Leclivage entre agentiviteacute et facteurs socio-structurels oppose les theacuteoriespsychologiques aux theacuteories sociologiques suggeacuterant qursquoil srsquoagit de theacuteoriesconcurrentes du comportement humain ou que chacune se reacuteserve les droitsexclusifs agrave lrsquoeacutegard de laquo son raquo niveau de causaliteacute laquo propre raquo Le fonctionnementhumain est enracineacute dans des systegravemes sociaux Ainsi lrsquoagentiviteacute personnelleopegravere-t-elle au sein drsquoun vaste reacuteseau drsquoinfluences socio-structurelles Engrande partie les structures sociales repreacutesentent des systegravemes de regraveglesautoriseacutees des pratiques sociales et des sanctions conccedilues pour reacuteguler lesaffaires humaines Ces fonctions socio-structurelles sont assureacutees par le biaisdrsquoecirctres humains qui occupent ces rocircles autoriseacutes (Giddens 1984)
Dans le cadre des regravegles structurelles des systegravemes sociaux on observe defortes variations personnelles quant agrave leur interpreacutetation leur adoption leurtransgression voire lrsquoopposition active agrave leur eacutegard (Burns et Dietz 2000)Ces transactions nrsquoimpliquent pas une dualiteacute entre une structure sociale reacuteifieacuteeet deacutesarticuleacutee drsquoavec les personnes et leur agentiviteacute mais bien une interactiondynamique entre les individus et ceux qui supervisent le fonctionnementinstitutionnel des systegravemes sociaux La theacuteorie sociale cognitive explique lefonctionnement humain en termes de causaliteacute triadique reacuteciproque (Bandura1986) Dans ce modegravele de causaliteacute reacuteciproque les facteurs personnels internessous la forme drsquoeacuteveacutenements cognitifs affectifs et biologiques le comportementet les influences environnementales fonctionnent tous comme des deacuteterminantsen interaction qui srsquoinfluencent bidirectionnellement Lrsquoenvironnement nrsquoestpas une entiteacute monolithique La theacuteorie sociale cognitive distingue entre troistypes de structures environnementales (Bandura 1997) Lrsquoenvironnementpeut ainsi ecirctre imposeacute choisi ou construit Ces diffeacuterentes structures environ-nementales recouvrent des degreacutes de modifiabiliteacute impliquant la mise en œuvrede formes diffeacuterentes drsquoagentiviteacute personnelle tant en termes de peacuterimegravetre quede centration
Dans la theacuteorie sociale cognitive les facteurs socio-structurels opegraverentau travers des meacutecanismes psychologiques du soi pour produire des effetscomportementaux Ainsi par exemple les conditions eacuteconomiques le statutsocial et les structures eacuteducatives et familiales affectent le comportementnon pas directement mais en grande partie au travers de leur impact sur lesaspirations des individus leur sentiment drsquoefficaciteacute leurs standards personnels
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leurs eacutetats affectifs et autres influences autoreacutegulatrices (Baldwin et al 1989 Bandura 1993 Bandura et al 1996a 2000a Elder et Ardelt 1992) Les deacuteter-minants socio-structurels et psychologiques ne peuvent pas non plus faire lrsquoobjetdrsquoune classification dichotomique parfaitement nette reacutepartis en influencesproximales ou distales La pauvreteacute identifieacutee en tant que statut socio-eacutecono-mique bas nrsquoest pas une affaire de causaliteacute agrave multiples niveaux ni de causaliteacutedistale Manquer drsquoargent pour subvenir aux besoins de sa famille a drsquoimpor-tantes reacutepercussions sur la vie quotidienne et ce drsquoune maniegravere tregraves laquo proxi-male raquo La multicausaliteacute implique la codeacutetermination du comportement pardes sources drsquoinfluence diffeacuterentes non pas des deacutependances causales entreniveaux distincts
Le laquo systegraveme de soi raquo nrsquoest pas seulement un conducteur des influencessocio-structurelles Bien que le soi soit socialement constitueacute crsquoest en exerccedilantune auto-influence que les agents humains interviennent de faccedilon proactivemdash et non seulement reacuteactive mdash pour faccedilonner les caracteacuteristiques de leurssystegravemes sociaux Dans ces transactions agentiques les gens sont autant lesproducteurs que les produits des systegravemes sociaux Lrsquoagentiviteacute personnelle etla structure sociale opegraverent de maniegravere interdeacutependante Les structures socialessont creacuteeacutees par lrsquoactiviteacute humaine et les pratiques socio-structurelles agrave leurtour imposent des contraintes et fournissent des ressources et des opportuni-teacutes pour le deacuteveloppement et le fonctionnement personnels
Un autre clivage discutable assimile incorrectement lrsquoauto-efficaciteacute agrave uneforme drsquoindividualisme autocentreacute imbueacute drsquoeacutegoiumlsme tout en lrsquoopposant auxliens communautaires et agrave la responsabiliteacute civique Un sentiment drsquoefficaciteacutenrsquoexalte pas neacutecessairement le soi ni nrsquoencourage un style de vie une identiteacuteou une morale ignorant bien-ecirctre collectif Agrave travers lrsquoexercice ineacutebranlabledrsquoune auto-efficaciteacute commandant le respect Gandhi a mobiliseacute une forcecollective massive provoquant une vague de changements sociopolitiquesmajeurs Il menait une vie asceacutetique sans complaisance personnelle Si lacroyance dans le pouvoir de produire des reacutesultats est mise au service de butsrelationnels et de fins socialement beacuteneacutefiques elle favorise la vie de lacommunauteacute au lieu de lrsquoaffaiblir En effet les eacutetudes deacuteveloppementalesmontrent qursquoun sentiment eacuteleveacute drsquoefficaciteacute promeut une orientation pro-sociale caracteacuteriseacutee par la coopeacuteration lrsquoentraide et le partage ainsi qursquouninteacuterecirct particulier pour le bien-ecirctre des uns et des autres (Bandura et al 1996a1999 2000b)
Une autre antithegravese dualiste assimile incorrectement lrsquoauto-efficaciteacute agravelrsquoindividualisme et lrsquooppose au collectivisme au niveau culturel (Schooler1990) Les cultures ne sont pas des entiteacutes monolithiques comme des descrip-tions steacutereacuteotypiques laissent entendre Ces classifications culturelles geacuteneacuteralesmasquent la diversiteacute intraculturelle ainsi que les points communs partageacutespar des personnes drsquohorizons culturels diffeacuterents Les systegravemes socioculturelstant individualistes que collectivistes se preacutesentent sous une varieacuteteacute de formes(Kim et al 1994) Lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute geacuteneacuterationnelle et socio-eacuteconomique est
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courante parmi les individus issus de systegravemes culturels diffeacuterents et lrsquoonobserve encore plus de variations intra-individuelles au sein des rapportssociaux entre membres de famille amis et collegravegues (Matsumoto et al 1996)En outre les gens expriment leurs orientations culturelles de maniegravere condi-tionnelle plutocirct qursquoinvariante en se conduisant de faccedilon sociable dans certainesstructures incitatives et individualistes en dans drsquoautres (Yamagishi 1988)Les comparaisons biculturelles dans lesquelles les individus issus drsquoun seulmilieu collectiviste sont compareacutes sur la base drsquoindices globaux avec desindividus issus drsquoun milieu individualiste peuvent faire naicirctre de nombreusesgeacuteneacuteralisations trompeuses
Pour que les gens puissent mettre en commun leurs ressources et collaboreravec succegraves il faut que les membres drsquoun groupe jouent leurs rocircles et coor-donnent leurs actions avec un sentiment drsquoefficaciteacute eacuteleveacute Une collectiviteacutene peut ecirctre efficace avec des membres qui abordent les problegravemes de la vierongeacutes par le doute sur leur capaciteacute agrave reacuteussir ou agrave perseacuteveacuterer en face desdifficulteacutes Si lrsquoon valorise lrsquoefficaciteacute personnelle ce nrsquoest pas pour honorerlrsquoindividualisme mais parce qursquoun fort sentiment drsquoefficaciteacute est vital pour unfonctionnement efficace qursquoil srsquoagisse de celui drsquoun individu ou de membresdrsquoun groupe qui collaborent En effet un sentiment drsquoefficaciteacute personnellerobuste dans la gestion de ses circonstances de vie et la participation agrave la miseen place de changements socieacutetaux durables contribue substantiellement agravelrsquoefficaciteacute collective perccedilue (Fernandez-Ballesteros et al 2000)
Les recherches interculturelles mettent en eacutevidence la valeur fonctionnellegeacuteneacuterale des croyances drsquoefficaciteacute Lrsquoefficaciteacute personnelle perccedilue contribueau fonctionnement productif drsquoindividus issus de cultures collectivistes demecircme qursquoagrave celui de personnes eacuteleveacutees dans des cultures individualistes (Barley1993 1994) Cela dit lrsquoenracinement culturel faccedilonne la maniegravere dont lescroyances drsquoefficaciteacute se deacuteveloppent les fins qursquoelles servent et les dispositifssocio-structurels au travers desquels elles sont mises en œuvre Les gensissus de cultures individualistes se sentent plus efficaces et obtiennent demeilleures performances dans un systegraveme orienteacute vers lrsquoindividu tandis queceux issus de cultures collectivistes srsquoestiment efficaces et travaillent plusproductivement dans un systegraveme orienteacute vers le groupe Un faible sentimentdrsquoefficaciteacute en matiegravere de coping rend vulneacuterable au stress autant dans descultures collectivistes qursquoindividualistes (Matsui et Onglatco 1991)
Il existe des personnes de sensibiliteacute collectiviste qui vivent dans descultures individualistes et vice versa Quelle que soit leur culture drsquoorigineles gens atteignent leur degreacute drsquoefficaciteacute et de productiviteacute le plus eacuteleveacutelorsque leur orientation psychologique coiumlncide avec la structure du systegravemesocial (Barley 1994) Tant au niveau drsquoanalyse socieacutetal qursquoindividuel uneforte efficaciteacute perccedilue favorise lrsquoeffort collectif et le niveau de performance
Les cultures ne sont plus insulaires Les interdeacutependances transnationaleset les forces eacuteconomiques mondiales affaiblissent les systegravemes normatifs
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sociaux et culturels restructurent les eacuteconomies nationales et faccedilonnent lavie politique et sociale des socieacuteteacutes (Keohane 1993 Keohane et Nye 1977)Les liens sociaux et les engagements communautaires eacuteloigneacutes des lois ducommerce sont particuliegraverement vulneacuterables agrave lrsquoeacuterosion par les forces drsquounmarcheacute mondial qui se deacutegage de toute obligation sociale Lrsquointerconnectiviteacutemondiale geacuteneacuteraliseacutee fait que ce qui se produit sur le plan eacuteconomique oupolitique dans une reacutegion peut affecter le bien-ecirctre de vastes populations agravelrsquoautre bout du globe En outre les technologies de teacuteleacutecommunication avan-ceacutees diffusent des ideacutees des valeurs et des styles de comportement agrave travers lesnations agrave un rythme sans preacuteceacutedent Lrsquoenvironnement symbolique alimenteacutepar les satellites de communication transforme les cultures nationales tout enhomogeacuteneacuteisant notre conscience collective Avec le deacuteveloppement accru ducybermonde les gens seront encore plus fortement enveloppeacutes dans desenvironnements symboliques mondialiseacutes De plus les migrations de massesont en train de modifier les paysages culturels La diversiteacute ethnique crois-sante donne une fonctionnaliteacute agrave lrsquoefficaciteacute biculturelle pour laquo naviguer raquo agravetravers les doubles exigences de sa subculture ethnique et de la socieacuteteacute dansson ensemble
Ces nouvelles reacutealiteacutes impliquent drsquoeacutelargir le cadre des analyses inter-culturelles en passant de lrsquoeacutetude des forces sociales opeacuterant au sein de socieacuteteacutesdonneacutees agrave celle des forces exteacuterieures qui agissent sur elles Eacutetant donneacutelrsquoenracinement international croissant lrsquointerdeacutependance des socieacuteteacutes ainsique lrsquoadheacutesion toujours plus forte agrave la culture symbolique de lrsquoInternet lesquestions drsquointeacuterecirct portent sur la maniegravere dont les forces nationales et mondialesinteragissent et faccedilonnent la nature de la vie culturelle Agrave mesure que lamondialisation affecte de plus en plus profondeacutement la vie des individus unfort sentiment drsquoefficaciteacute collective apte agrave creacuteer des systegravemes transnationaux quifonctionnent dans lrsquointeacuterecirct des citoyens devient indispensable agrave lrsquoameacuteliorationde lrsquointeacuterecirct commun
6 LES INFLUENCES QUI MINENT LrsquoEFFICACITEacute COLLECTIVE DANS DES SOCIEacuteTEacuteS EN MUTATION
Les progregraves reacutevolutionnaires des technologies eacutelectroniques ont transformeacutela nature lrsquoeacutetendue et les lieux de lrsquoinfluence humaine Ces nouvelles reacutealiteacutessociales donnent aux gens des possibiliteacutes immenses drsquoexercer des formesdrsquoinfluence sur leur deacuteveloppement personnel et de faccedilonner leur avenir socialOr bien des conditions de la vie contemporaine minent le deacuteveloppement etle maintien de lrsquoefficaciteacute collective Des influences transnationales lointaines
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ont des effets massifs agrave lrsquoeacutechelle locale sur la vie des individus Ces forcestransnationales ne sont pas faciles agrave deacutemecircler et encore moins agrave controcirclerElles posent des deacutefis aux systegravemes gouvernementaux quant agrave leur capaciteacute agraveexercer des influences deacuteterminantes sur la vie eacuteconomique et nationale dupays Alors que le besoin drsquoactions citoyennes efficaces et collectives srsquoaccen-tue le sentiment drsquoimpuissance collective augmente Dans un contexte ougrave lecontrocircle transnational ne cesse de prendre de lrsquoampleur les Eacutetats-nationsaugmentent leur influence et leur capaciteacute de controcircle en fusionnant pourcreacuteer des uniteacutes reacutegionales plus importantes telles que lrsquoUnion europeacuteenneCeci eacutetant ces unions reacutegionales coucirctent cher Paradoxalement pour gagneren controcircle international les nations sont obligeacutees de neacutegocier des accordsreacuteciproques qui entraicircnent une certaine perte de leur autonomie nationale etdes changements dans leurs modes de vie traditionnels (Keohane 1993)
La vie quotidienne est de plus en plus reacuteguleacutee par des technologies complexesque la plupart des individus ne comprennent pas et ne pensent pas pouvoirbeaucoup influencer Ces mecircmes technologies qursquoils creacuteent pour geacuterer leurenvironnement de vie peuvent paradoxalement devenir une force contraignantequi agrave son tour controcircle la maniegravere dont ils pensent et se comportent Lesmeacutecanismes sociaux de chaque socieacuteteacute posent des deacutefis non moins importantsLes beacuteneacuteficiaires des pratiques socio-structurelles existantes usent de leurinfluence pour preacuteserver leurs inteacuterecircts propres De longs deacutelais entre lrsquoactionet lrsquoatteinte de reacutesultats concrets deacutecouragent les efforts de changement socialsignificatif Selon la meacutetaphore de John Gardner laquo amener le changementsocial nrsquoest pas un sport pour qui manque de souffle raquo
Les efforts sociaux pour ameacuteliorer la vie impliquent la fusion drsquointeacuterecirctspersonnels varieacutes en faveur de valeurs et de buts fondamentaux partageacutes Cesderniegraveres anneacutees nous avons assisteacute agrave une fragmentation sociale accrue dansdes groupes drsquointeacuterecirct seacutepareacutes chacun faisant eacutetat de sa propre efficaciteacutefactionnelle Le pluralisme prend la forme drsquoun factionnalisme militant Parconseacutequent les individus exercent certes une plus grande influence factionnellemais reacutealisent moins au niveau collectif en se neutralisant mutuellement Desurcroicirct les migrations de masse contribuent agrave la fragmentation sociale Lessocieacuteteacutes se reacutevegravelent plus diverses et plus difficiles agrave feacutedeacuterer autour drsquounevision unie et drsquoun projet au niveau du pays
Lrsquoampleur des problegravemes humains sape eacutegalement lrsquoefficaciteacute perccedilue poury trouver des solutions viables Des problegravemes mondiaux drsquoampleur croissanteinsufflent le sentiment paralysant que les gens ne peuvent pas faire grand-chose pour les reacuteduire Les effets agrave lrsquoeacutechelle mondiale sont les produitsdrsquoactions locales La strateacutegie qui consiste agrave laquo penser globalement raquo tout enlaquo agissant localement raquo constitue un effort pour rendre aux gens le sentimentde leur efficaciteacute agrave faire la diffeacuterence Les applications macro-sociales desprincipes sociocognitifs agrave travers les meacutedias eacutelectroniques illustrent agrave quelpoint des efforts collectifs modestes peuvent avoir un impact consideacuterable
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sur des problegravemes mondiaux majeurs tels que la croissance deacutemographiquefulgurante (Bandura 1997 Singhal et Rogers 1999)
7 LA PRIMAUTEacute EacuteMERGENTE DE LrsquoAGENTIVITEacute HUMAINE DANS LA CO-EacuteVOLUTION BIOSOCIALE
Il existe un malaise grandissant face au deacutetournement progressif de diffeacuterentsaspects de la psychologie vers la biologie On proclame partout lrsquoexistencede deacuteterminants biologiques du comportement humain tandis que les dyna-miques psychosociales sont deacuteclasseacutees en faveur des neurodynamiques Il estagrave craindre qursquoagrave mesure que nous confions des parts toujours plus importantesde la psychologie aux disciplines placeacutees plus bas dans la chaicircne alimentaireil ne reste plus de cœur constitutif agrave la discipline psychologique La fragmen-tation disciplinaire la dispersion et lrsquoassimilation aux neurosciences seraientle destin de notre discipline Contrairement aux proclamations des oracles dedeacutepossession la psychologie est lrsquounique discipline qui englobe de faccedilonprivileacutegieacutee lrsquointeraction complexe entre les deacuteterminants intrapersonnelsbiologiques interpersonnels et socio-structurels du fonctionnement humainLa psychologie est donc la discipline la mieux armeacutee pour faire avancer unecompreacutehension de la nature biopsychosociale et inteacutegrative des hommes etde la maniegravere dont ils gegraverent et faccedilonnent le monde quotidien autour drsquoeuxIl est ironique qursquoune discipline fondamentale et inteacutegratrice dont lrsquoobjetest toute la personne qui agit dans mdash et sur mdash le monde envisage de sefractionner et de reacutepartir des parties subpersonnelles agrave drsquoautres disciplinesLa science psychologique doit formuler et articuler une vision large de lrsquohommenon pas une vision reacuteductrice et fragmentaire
Le raisonnement sous-jacent agrave ces tendances est alimenteacute par le reacuteduction-nisme conceptuel par le dualisme analytique de lrsquoinneacute et de lrsquoacquis et parlrsquoeacutevolutionnisme unilateacuteral Comme nous lrsquoavons noteacute les eacuteveacutenements mentauxsont des activiteacutes ceacutereacutebrales mais cela nrsquoimplique pas la reacuteduction de lapsychologie agrave la biologie Savoir comment fonctionnent les meacutecanismesbiologiques renseigne peu sur la maniegravere dont srsquoorchestrent ces meacutecanismes agravedes fins varieacutees Par analogie le laquo software psychosocial raquo nrsquoest pas reacuteductibleau laquo hardware biologique raquo Chacun est gouverneacute par ses propres principesqui se doivent drsquoecirctre eacutetudieacutes indeacutependamment
Une preacuteoccupation majeure de la psychologie concerne la deacutecouverte deprincipes pour la structuration drsquoenvironnements visant des changementspsychosociaux et des niveaux de fonctionnement donneacutes Ce thegraveme exogegravenenrsquoa pas drsquoeacutequivalent dans la theacuteorie neurobiologique et lrsquoon ne peut donc
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tirer de celle-ci des lois psychologiques Par exemple la connaissance descircuits ceacutereacutebraux impliqueacutes dans lrsquoapprentissage ne nous dit pas grand-chosesur la maniegravere drsquoimaginer les meilleures conditions drsquoapprentissage en termesde niveau drsquoabstraction de nouveauteacute et de deacutefi ni sur la faccedilon drsquoinciter lesgens agrave precircter attention aux informations pertinentes agrave les traiter et agrave les orga-niser ni encore sur la maniegravere de preacutesenter lrsquoinformation et pas plus sur lefait de savoir si lrsquoindividu apprend mieux en situation solitaire coopeacuterativeou compeacutetitive Ce sont les principes psychologiques qui permettent depreacuteciser les conditions optimales
Eacutetudier lrsquoactivation du circuit neuronal sous-jacente au discours laquo I Havea Dream raquo de Martin Luther King ne nous livrerait que drsquoinfimes renseigne-ments sur la nature puissante et socialement eacutedifiante du discours sur lrsquoeffortagentique et deacutelibeacutereacute qui a permis sa conception ou encore sur la passioncivique qui a impulseacute sa creacuteation et sa preacutesentation publique Les analysesmoleacuteculaire cellulaire et biochimique ne sauraient pas plus expliquer cesactiviteacutes agentiques Il y a peu au niveau neuronal qui puisse nous eacuteclairersur la maniegravere dont nous pouvons former des parents des enseignants desdirigeants ou des reacuteformateurs sociaux efficaces
Les principes psychologiques ne peuvent pas transgresser les capaciteacutesneurophysiologiques des systegravemes qui les sous-tendent Cependant lesprincipes psychologiques doivent ecirctre eacutetudieacutes indeacutependamment Si lrsquoonempruntait la piste glissante du reacuteductionnisme le voyage traverserait labiologie et la chimie pour se terminer dans le domaine des particules sub-atomiques Puisque certaines proprieacuteteacutes eacutemergent agrave travers diffeacuterents niveauxde complexiteacute ni les lieux intermeacutediaires ni la destination finale en termes departicules subatomiques ne sont en mesure de deacutecouvrir les lois psychologiquesdu comportement humain
La biologisation de la psychologie qui est depuis peu devenue agrave la modebeacuteneacuteficie aussi de la promotion sans critique de lrsquoeacutevolutionnisme unilateacuteralRefusant de srsquoavouer vaincue la geacuteneacuteticisation du comportement humain estpromue plus ardemment par les eacutevolutionnistes psychologues que biologistes(Buss et Schmitt 1993 Bussey et Bandura 1999) Dans leurs analyses lecomportement humain est facilement attribueacute agrave une programmation ancestraledeacuteterministe et agrave des traits universels Les biologistes eacutevolutionnistes soulignentla diversification des pressions de seacutelection pour lrsquoadaptabiliteacute aux diffeacuterentstypes de milieux eacutecologiques (Dobzhansky 1972 Fausto-Sterling 1992 Gould 1987) Des milieux socialement construits se diffeacuterencient nettementde telle sorte qursquoaucun mode drsquoadaptation sociale unique convienne agrave toutesles situations
Lrsquoorigine ancestrale des structures corporelles et des potentialiteacutes biologiquesdrsquoune part et les deacuteterminants reacutegissant les comportements drsquoaujourdrsquohui etles pratiques sociales drsquoautre part sont deux choses tout agrave fait diffeacuterentesPuisque des potentialiteacutes eacutevolueacutees peuvent favoriser diverses fins lrsquoorigine
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ancestrale ne dicte ni le fonctionnement social actuel ni un dispositif socio-structurel unique Trop souvent la multicausaliteacute du comportement humainest expliqueacutee de faccedilon trompeuse en termes drsquoune ventilation aleacuteatoire enpourcentages drsquolaquo inneacute raquo et drsquolaquo acquis raquo Ce dualisme analytique est erroneacutepour plusieurs raisons il ignore lrsquointrication interdeacutependante de lrsquoinneacute et delrsquoacquis De plus lrsquoacquis socialement construit joue un rocircle dans le faccedilonnagede la nature humaine
Si la theacuteorie sociale cognitive reconnaicirct le rocircle influent de facteursdrsquoeacutevolution dans lrsquoadaptation et le changement humains elle rejette lrsquoeacutevolu-tionnisme unilateacuteral drsquoapregraves lequel la biologie eacutevolueacutee faccedilonne le compor-tement mais ougrave sont neacutegligeacutees les pressions de seacutelection inheacuterentes auxinnovations sociales et technologiques qui agissent sur lrsquoeacutevolution biologiqueDans la vision bidirectionnelle des processus drsquoeacutevolution les pressions environ-nementales ont favoriseacute non seulement des changements dans les structuresbiologiques mais aussi par exemple la locomotion debout qui a contribueacuteau deacuteveloppement des outils et leur utilisation Ces capaciteacutes ont permis agrave unorganisme de manipuler drsquoalteacuterer et de construire de nouvelles conditionsenvironnementales Les innovations environnementales de plus en pluscomplexes ont creacuteeacute agrave leur tour de nouvelles pressions de seacutelection qui ontjoueacute un rocircle dans lrsquoeacutevolution de capaciteacutes cognitives et de systegravemes biolo-giques speacutecialiseacutes dans la conscience fonctionnelle la penseacutee le langage etla communication symbolique
Lrsquoeacutevolution humaine fournit les structures corporelles et les potentialiteacutesbiologiques non pas des preacuteceptes comportementaux Les influences psycho-sociales agissent au travers de ces ressources biologiques afin de faccedilonnerdes formes de comportement adaptatives Fortes de leur eacutevolution les capaciteacutesbiologiques avanceacutees peuvent ecirctre utiliseacutees pour creacuteer des cultures diversesagrave caractegravere agressif pacifiste eacutegalitaire ou autocratique Gould (1987) expliquebien que la biologie fixe des contraintes qui varient en nature degreacute et forcedans divers domaines drsquoactiviteacute mais que dans la plupart des sphegraveres dufonctionnement humain la biologie autorise une large gamme de possibiliteacutesculturelles Il soutient de faccedilon convaincante que les preuves encouragentune vision potentialiste plutocirct que deacuteterministe Dans cette analyse peacuteneacutetranteil srsquoavegravere que la bataille explicative majeure nrsquoest pas entre lrsquoinneacute et lrsquoacquiscomme on le maintient souvent mais celle de savoir si lrsquoinneacute opegravere de faccedilondeacuteterministe ou potentialiste Par exemple les individus de grande taille ontle potentiel pour devenir de bons joueurs de basket-ball mais la taille nedeacutecregravete pas la reacuteussite en basket Je doute que la constitution geacuteneacutetique desAllemands nazis qui ont commis des actes de barbarie sans preacuteceacutedent soitreacuteellement diffeacuterente de la celle des Suisses paisibles des cantons germano-phones de ce pays Les gens ont un potentiel biologique drsquoagression mais lareacuteponse agrave la variation culturelle des comportements agressifs reacuteside davantagedans lrsquoideacuteologie que dans la biologie
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Gould poursuit en faisant remarquer que le deacuteterminisme biologique estsouvent enveloppeacute drsquoun langage interactionniste afin de le rendre plus accep-table La co-eacutevolution bidirectionnelle biologie-culture est alors reconnuemais crsquoest la biologie eacutevolueacutee qui est preacutesenteacutee comme la force dominanteLe cocircteacute culturel de cette causaliteacute bidirectionnelle passe relativement inaperccedilulorsque la constitution geacuteneacutetique est faccedilonneacutee par les pressions adaptativesdrsquoenvironnements socialement construits Le deacuteterminisme biologique estaussi souvent habilleacute drsquoun langage qui souligne la modifiabiliteacute on reconnaicirctalors la malleacuteabiliteacute des dispositions eacutevolueacutees mais un pouvoir deacuteterminantleur est attribueacute en mecircme temps qursquoon eacutenonce des reacuteserves face aux effortsvisant agrave changer des pratiques et des dispositifs socio-structurels existantspreacutetendument reacutegis par les dispositions eacutevolueacutees De tels efforts sont consi-deacutereacutes non seulement comme voueacutes agrave lrsquoeacutechec mais socialement nuisiblesparce qursquoils vont agrave lrsquoencontre des lois de la nature (Wilson 1998)
Selon la vision de Gould (1987) la biologie laisse agrave la culture la bride surle cou tandis que Wilson maintient que la biologie tient la culture en laisseNotre faccedilon de conceptualiser la nature humaine deacutetermine dans quelle mesureles obstacles aux changements sociaux sont rechercheacutes dans la dispariteacutegeacuteneacutetique ou bien dans la mecircleacutee qui oppose divers inteacuterecircts inflexibles Ledeacuteterminisme biologique plaide pour la loi de la nature alors que le poten-tialisme biologique qui considegravere que la nature humaine permet une gammede possibiliteacutes donne plus de poids agrave la loi des opportuniteacutes des privilegraveges etdu pouvoir Ainsi la vision du deacuteterminisme biologique souligne les contrainteset les limites inheacuterentes agrave notre nature celle du potentialisme biologiquemet lrsquoaccent sur les possibiliteacutes humaines
Srsquoil y a beaucoup drsquohomogeacuteneacuteiteacute geacuteneacutetique agrave travers les cultures il existeune diversiteacute eacutenorme dans les systegravemes de croyances et les conduites Eacutetantdonneacute cette variabiliteacute le codage geacuteneacutetique qui caracteacuterise lrsquohomme met eneacutevidence le pouvoir de lrsquoenvironnement orchestreacute par lrsquoaction agentiqueLrsquoagression supposeacutee geacuteneacutetiquement programmeacutee comme un universel biolo-gique est un bon exemple La grande diversiteacute interculturelle contredit lavision selon laquelle les gens sont intrinsegravequement agressifs Il existe descultures belliqueuses qui engendrent lrsquoagression en la modelant de toutesparts en y attachant prestige et valeur fonctionnelle pour en tirer statut socialavantages mateacuteriels et de controcircle social Il existe eacutegalement des culturespacifiques ougrave lrsquoagression interpersonnelle est rare parce qursquoelle est deacutevaloriseacuteerarement modeleacutee et nrsquoa pas de valeur fonctionnelle (Alland 1972 Bandura1973 Sanday 1981)
La diversiteacute intraculturelle remet aussi en question lrsquoideacutee que lrsquoagressionserait une caracteacuteristique inneacutee de la nature humaine Les Eacutetats-Unis sontune socieacuteteacute relativement violente mais les Quakers ameacutericains qui sontentiegraverement immergeacutes dans cette culture adoptent le pacifisme comme modede vie La troisiegraveme forme de variabiliteacute concerne la transformation rapidede socieacuteteacutes guerriegraveres en socieacuteteacutes paisibles Les Suisses ont eacuteteacute les principaux
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fournisseurs de soldats mercenaires en Europe mais au fur et agrave mesure qursquoilsse transformaient en peuple pacifique la seule trace de leur passeacute militaristeest le plumage des gardes du Vatican Pendant des siegravecles les Vikings ont pilleacutedrsquoautres nations Apregraves une guerre prolongeacutee avec la Russie qui a eacutepuiseacute lesressources de la Suegravede le peuple srsquoest souleveacute et a imposeacute un changementconstitutionnel qui interdit aux rois de deacuteclarer la guerre (Moerk 1995) Cetacte politique a rapidement transformeacute une socieacuteteacute belliqueuse en une socieacuteteacutepaisible qui a servi de meacutediateur de la paix entre des nations en guerre Cettemeacutetamorphose culturelle rapide souligne le pouvoir de lrsquoacquis Dans lescomparaisons transculturelles la Suegravede compte parmi les pays les moinsviolents du monde
Une vision biologiquement deacuteterministe rencontre des problegravemes encoreplus eacutepineux face au rythme auquel srsquoeffectuent des changements sociauxLes individus ont peu eacutevolueacute geacuteneacutetiquement au cours des derniegraveres deacutecenniesmais ils ont changeacute consideacuterablement agrave travers les transformations rapidestant culturelles que technologiques qui ont marqueacute leurs croyances leursmœurs les rocircles sociaux qursquoils occupent et leurs styles de comportementLes systegravemes sociaux et les styles de vie sont modifieacutes par les moyenssociaux plutocirct que par une deacutependance sur le processus agrave la fois lent et tregraveslong de seacutelection biologique Comme le dit avec concision Dobzhansky (1972)lrsquoespegravece humaine a eacuteteacute seacutelectionneacutee non gracircce agrave sa rigiditeacute comportementalemais gracircce agrave sa capaciteacute drsquoapprendre et de modifier son comportement afinde srsquoadapter agrave des milieux remarquablement varieacutes La rapiditeacute des change-ments sociaux teacutemoigne du fait qursquoeffectivement la biologie permet unegamme de possibiliteacutes
Affirmer qursquoun trait distinctif des hommes est leur modifiabiliteacute ne revientpas agrave dire qursquoils nrsquoont pas de nature (Midgley 1978) ou qursquoils viennent aumonde sans structure et limites biologiques La plasticiteacute intrinsegraveque agrave lanature humaine deacutepend des structures et des meacutecanismes neurophysiologiquesspeacutecialiseacutes qui ont eacutevolueacute au cours du temps Ces systegravemes neuraux avanceacutessont speacutecialiseacutes pour canaliser lrsquoattention deacutetecter la structure causale dumonde exteacuterieur transformer ces informations en repreacutesentations abstraitesinteacutegrer et exploiter celles-ci agrave des fins adaptatives Ces systegravemes de traitementde lrsquoinformation eacutevolueacutes autorisent preacuteciseacutement les caracteacuteristiques agentiquesspeacutecifiquement humaines symbolisation geacuteneacuterative penseacutee anticipatriceautoreacutegulation eacutevaluative autoreacuteflexion et communication symbolique
Les systegravemes neurophysiologiques ont eacuteteacute faccedilonneacutes par les pressions delrsquoeacutevolution mais les gens ne sont pas simplement des produits reacuteactifs de cespressions de seacutelection Drsquoautres espegraveces sont fortement programmeacutees degraves lanaissance pour la survie steacutereacuteotypique dans un habitat particulier En revancheau lieu drsquoecirctre laquo precircts agrave lrsquousage raquo les styles de vie humains sont largementfaccedilonneacutes dans et par lrsquoexpeacuterience agrave lrsquointeacuterieur de limites biologiques Lrsquoexer-cice de capaciteacutes agentiques joue un rocircle primordial dans les processus de
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co-eacutevolution humains Les hommes ne font pas que reacuteagir aux pressions deseacutelection ce sont les agents qui produisent de nouvelles pressions agrave une allurede plus en plus vertigineuse
Agrave travers lrsquoaction agentique les gens imaginent des faccedilons de srsquoadapter defaccedilon flexible agrave des environnements geacuteographiques climatiques et sociauxremarquablement divers Ils deacutecouvrent des maniegraveres de contourner lescontraintes physiques et environnementales de concevoir et reconstruire desenvironnements agrave leur goucirct drsquoinventer des styles comportementaux qui lesmegravenent aux reacutesultats qursquoils souhaitent et de transmettre ces styles agrave autrui parle biais du modelage social et drsquoautres modes drsquoinfluence expeacuterientiels Parces moyens astucieux les personnes ameacuteliorent leurs chances de reacuteussir dansla lutte pour la vie Le deacuteveloppement des connaissances ne cesse drsquoameacuteliorerle pouvoir humain pour controcircler transformer et creacuteer des environnementsdrsquoune complexiteacute et drsquoune porteacutee croissantes Nous construisons des techno-logies physiques qui modifient radicalement la maniegravere dont nous vivonsnotre vie quotidienne Nous creacuteons des appareils et des engins qui compensentextraordinairement nos limites sensorielles et physiques Nous deacutevelopponsdes meacutethodes meacutedicales et psychologiques qui nous permettent drsquoexercerune part de pouvoir sur notre vie physique et psychosociale Agrave travers lrsquoingeacute-niositeacute de nos meacutethodes contraceptives qui ont deacutecoupleacute les pratiques sexuellesde la procreacuteation les humains ont deacutejoueacute et controcircleacute leur systegraveme de repro-duction eacutevolueacute Carl Djerassi inventeur de la pilule contraceptive preacutedit quede futurs deacuteveloppements dans le domaine des technologies de reproductionvont permettre de seacuteparer le sexe de la feacutecondation en entreposant des ovuleset en injectant du sperme in vitro avant la reacuteinsertion dans lrsquouteacuterus et la miseau monde de lrsquoenfant agrave un moment choisi (Levy 2000)
Les hommes ont creacuteeacute des biotechnologies leur permettant de remplacerdes gegravenes deacutefectueux par des gegravenes modifieacutes et de changer la constitutiongeacuteneacutetique de certaines plantes et de certains animaux en y implantant desgegravenes de provenances diverses Dans le cadre drsquoune biotechnologie florissantequi prend de vitesse les processus geacuteneacutetiques de lrsquoeacutevolution nous sommesaujourdrsquohui en mesure de cloner des clones et drsquoexplorer des meacutethodessusceptibles drsquoalteacuterer les codes geacuteneacutetiques de notre espegravece Agrave mesure que lesscientifiques eacutelaborent des technologies toujours plus performantes leurpermettant de reconfigurer certains aspects de la nature humaine le cocircteacutepsychosocial de la co-eacutevolution gagne du terrain Ainsi du fait de lrsquoagentiviteacutede lrsquoingeacutenierie geacuteneacutetique les ecirctres humains sont en passe de devenir des agentsmajeurs de leur propre eacutevolution pour le meilleur ou pour le pire
Avec la poursuite des deacuteveloppements en biotechnologie nous sommesconfronteacutes agrave la perspective drsquoune construction sociale plus directe de lanature humaine via le design geacuteneacutetique des ecirctres humains selon certainssouhaits ce qui mobilisera toujours davantage notre vigilance et notre enga-gement eacutethique
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Toute possibiliteacute technologique trouve agrave terme son application pratiqueComme nous lrsquoavons noteacute plus haut les facteurs geacuteneacutetiques ne sauraientfournir que des potentialiteacutes et non des attributs psychosociaux deacutefinitifsPourtant il ne manque pas drsquoindividus doteacutes de ressources et de croyancesdans le deacuteterminisme geacuteneacutetique pour mener des tentatives drsquoingeacutenierie geacuteneacute-tique de la nature humaine Les valeurs auxquelles nous adheacuterons et lessystegravemes sociaux que nous eacutelaborons pour surveiller les usages de nos puis-santes technologies joueront un rocircle essentiel dans ce que nous deviendronset dans notre maniegravere drsquoorienter notre destin
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Chapitre 3
LA THEacuteORIE DE LrsquoAUTODEacuteTERMINATION
ET LE MODEgraveLE HIEacuteRARCHIQUE
DE LA MOTIVATION INTRINSEgraveQUE
ET EXTRINSEgraveQUE PERSPECTIVES
INTEacuteGRATIVES1
1 Par Robert J Vallerand Noeacutemie Carbonneau et Marc-Andreacute K Lafreniegravere
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Le concept de la motivation peut ecirctre deacutefini comme un construit hypotheacutetiqueutiliseacute pour deacutecrire les forces inteacuterieures etou exteacuterieures qui engendrentlrsquoinitiation la direction lrsquointensiteacute et la persistance du comportement (Vallerandet Thill 1993) Lrsquoaccent mis sur les forces internes et externes est coheacuterentavec la preacutesence de deux grands types de motivation agrave savoir la motivationintrinsegraveque et extrinsegraveque La motivation intrinsegraveque (consistant agrave faire uneactiviteacute pour le plaisir inheacuterent agrave celle-ci) et la motivation extrinsegraveque(consistant agrave faire quelque chose pour atteindre un but deacutetacheacute de lrsquoaction)permettent de donner un sens agrave plusieurs pheacutenomegravenes drsquoimportance en ce quia trait au fonctionnement humain
Au cours des trente derniegraveres anneacutees un grand inteacuterecirct a eacuteteacute porteacute agrave lrsquoeacutetudede la motivation intrinsegraveque et extrinsegraveque Lrsquoobjectif de ce chapitre est debrosser un tableau sommaire de deux modegraveles permettant de mieux compren-dre ces deux types de motivation Dans un premier temps nous preacutesentonsun bref aperccedilu de la Theacuteorie de lrsquoAutodeacutetermination (TAD Deci et Ryan2000) Cette theacuteorie propose une conception organismique de la motivationintrinsegraveque et extrinsegraveque axeacutee sur la dialectique entre lrsquoenvironnement et lapersonne dans sa quecircte de satisfaction de besoins psychologiques Cetteconception conduit agrave une analyse des eacuteleacutements cleacutes menant aux anteacuteceacutedentset conseacutequences des deux types de motivation Au fil des anneacutees les recher-ches meneacutees sur la motivation intrinsegraveque et extrinsegraveque ont deacutemontreacute que lapersonnaliteacute la motivation au quotidien et la motivation envers des domainesde vie plus geacuteneacuteraux eacutetaient influenceacutees par une multitude de facteurs et abou-tissaient agrave plusieurs conseacutequences distinctes Srsquoappuyant sur ces recherches eten particulier sur la TAD le modegravele hieacuterarchique de la motivation intrinsegravequeet extrinsegraveque (Vallerand 1997 Vallerand et Ratelle 2002) a eacuteteacute proposeacuteafin drsquoexaminer la complexiteacute de la dynamique motivationnelle Ce modegravele estpreacutesenteacute dans la seconde moitieacute du chapitre Finalement ce chapitre concluten soulignant certaines pistes de recherches futures
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1 LA THEacuteORIE DE LrsquoAUTODEacuteTERMINATION
Dans une vision classique aristoteacutelicienne du deacuteveloppement humain lesindividus possegravedent une tendance naturelle vers lrsquoactualisation de soi et lrsquointeacute-gration Cette conception se retrouve dans plusieurs theacuteories humanistes dela personnaliteacute (par exemple Maslow 1955 Rogers 1963) ainsi que danscertaines approches cognitives du deacuteveloppement (par exemple Piaget 1971 Werner 1948) Neacuteanmoins en deacutepit de sa longeacuteviteacute et de sa populariteacute cepostulat nrsquoest pas sans critiques Parmi les plus ardents opposants de cetteperspective plusieurs theacuteories issues du beacutehaviorisme postulent qursquoil nrsquoy a pasde direction inneacutee au deacuteveloppement mais plutocirct que celui-ci est deacutetermineacutepar les apprentissages passeacutes et les contingences preacutesentes (par exempleSkinner 1953)
La TAD (Deci et Ryan 2000) assimile ces deux points de vue apparemmentdivergents en reconnaissant que lrsquoecirctre humain possegravede une tendance naturellevers lrsquoactualisation de soi mais en ne neacutegligeant pas lrsquoinfluence de lrsquoenviron-nement dans le deacuteveloppement de celui-ci Ainsi la TAD postule que tous lesindividus ont une tendance inneacutee et naturelle agrave deacutevelopper un soi de plus enplus eacutelaboreacute et unifieacute (Sheldon et Kasser 2001) Neacuteanmoins la theacuteorie postuleqursquoil y a des facteurs sociaux speacutecifiques qui peuvent soutenir ou entraver cettetendance En drsquoautres mots le contexte dans lequel lrsquoindividu eacutevolue peutsoutenir ou restreindre celui-ci lors de sa tentative de maicirctriser et drsquointeacutegrerses expeacuteriences dans un soi coheacuterent
Un mouvement srsquoest amplifieacute agrave la fin des anneacutees 1950 et au deacutebut des anneacutees1960 proposant que les besoins inneacutes de compeacutetence (White 1959) drsquoauto-nomie (Angyal 1941 deCharms 1968) et drsquoappartenance sociale (Harlow1958) eacutetaient indispensables agrave lrsquoengagement proactif de lrsquoindividu dans sonenvironnement Ce mouvement appeleacute approche organismique postule queles individus srsquoengagent activement dans lrsquoenvironnement parce qursquoils sontfondamentalement motiveacutes agrave satisfaire leurs besoins psychologiques
La TAD srsquoinscrit dans cette perspective theacuteorique en proposant la preacutesencedrsquoune dialectique entre lrsquoenvironnement et la personne dans sa recherche desatisfaction des besoins de compeacutetence drsquoautonomie et drsquoappartenance socialeLrsquoautonomie reacutefegravere agrave la perception drsquoecirctre la source de nos agissements (Deciet Ryan 1985a Ryan et Connell 1989) Lrsquoautonomie est valoriseacutee lorsquenous agissons par inteacuterecirct et en coheacuterence avec nos valeurs (Deci et Ryan2002) La compeacutetence est le sentiment drsquointeragir effectivement avec notreenvironnement et lrsquoexpeacuterience drsquoexercer nos capaciteacutes (Deci 1975) Finalementlrsquoappartenance sociale reacutefegravere agrave un sentiment de connexions reacuteciproques avecles autres et agrave une perception drsquouniteacute seacutecurisante avec drsquoautres individus(Baumeister et Leary 1995 Ryan 1995) Ainsi lrsquoenvironnement social quipermet la satisfaction des trois besoins psychologiques soutient la croissance
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psychologique de lrsquoindividu alors que lrsquoenvironnement qui entrave cettesatisfaction compromet le deacuteveloppement optimal de celui-ci De plus la TADpropose que les trois besoins psychologiques sont universels Ainsi ils nesont pas acquis mais plutocirct inneacutes Bien que la faccedilon de satisfaire les besoinspsychologiques puisse varier selon la culture la TAD propose que la naturemecircme de ceux-ci est culturellement invariante
Au fil des ans la TAD srsquoest deacuteveloppeacutee sous la forme de plusieurs sous-theacuteories chacune eacutetant associeacutee agrave un processus motivationnel distinctCollectivement les mini-theacuteories constituent la TAD Celles-ci sont preacutesenteacuteesdans les sections suivantes
11 La theacuteorie de lrsquoeacutevaluation cognitive
La theacuteorie de lrsquoeacutevaluation cognitive a eacuteteacute formuleacutee afin de deacutecrire les effetsdu contexte social sur la motivation intrinsegraveque des individus (Deci 1975 Deci et Ryan 1980) La motivation intrinsegraveque est le prototype de lrsquoauto-deacutetermination et repreacutesente un engagement par inteacuterecirct et plaisir (Ryan etDeci 2000) Donc un comportement intrinsegravequement motiveacute est eacutemis pour lasatisfaction inheacuterente du comportement contrairement agrave la motivation extrin-segraveque qui est inciteacutee et soutenue par des contingences et des renforcementsqui sont dissocieacutes de lrsquoaction
La distinction intrinsegraveque-extrinsegraveque a meneacute aux premiegraveres eacutetudes dansle domaine Plus speacutecifiquement les premiegraveres recherches se sont interrogeacuteessur les effets des reacutecompenses extrinsegraveques sur la motivation intrinsegraveque enversune activiteacute inteacuteressante Les eacutetudes initiales (Deci 1971 1972a 1972b Kruglanski Friedman et Zeevi 1971 Lepper Greene et Nisbett 1973) onttoutes deacutemontreacute que les reacutecompenses concregravetes (par exemple de lrsquoargent)ou symboliques (par exemple un tropheacutee) diminuaient la motivation intrin-segraveque Cette deacutecouverte a eacuteteacute un sujet tregraves controverseacute (voir Eisenberger etCameron 1996) puisqursquoelle eacutetait en contradiction avec les theacuteories comporte-mentalistes de lrsquoeacutepoque En deacutepit de cette controverse une meacuteta-analyse decent vingt-huit expeacuterimentations a confirmeacute que les reacutecompenses extrinsegravequesdiminuent bel et bien la motivation intrinsegraveque (Deci Koestner et Ryan 1999)De plus les eacutetudes initiales de Deci (1971 1972a 1972b) ont eacutegalementdeacutemontreacute que les reacutetroactions et les commentaires positifs en lien avec lacompeacutetence de la personne dans le cadre de lrsquoactiviteacute avaient comme effetdrsquoaugmenter plutocirct que de reacuteduire la motivation intrinsegraveque
La theacuteorie de lrsquoeacutevaluation cognitive permet drsquoexpliquer les deux typesdrsquoeffets opposeacutes des reacutecompenses et du feedback de compeacutetence de la faccedilonsuivante La TAD propose que les besoins de compeacutetence et drsquoautonomiefont partie inteacutegrante de la motivation intrinsegraveque et que les eacuteveacutenementscontextuels (par exemple une reacutecompense) devraient influencer la motivation
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intrinsegraveque dans la mesure ougrave ceux-ci sont veacutecus comme eacutetant favorables ounuisibles agrave la satisfaction des besoins psychologiques Ainsi une reacutecompensemoneacutetaire suite agrave lrsquoexeacutecution drsquoune tacircche diminue la motivation intrinsegravequepuisque les raisons pour faire lrsquoactiviteacute sont alors attribueacutees agrave un facteurexterne (ie lrsquoargent) et non pas agrave la tacircche en soi Il y a alors une diminutiondu sentiment drsquoautonomie perccedilue et cela entraicircne une reacuteduction de la moti-vation intrinsegraveque De plus une reacutetroaction positive suite agrave une performanceaugmente la motivation intrinsegraveque puisque le sentiment de compeacutetence estalors satisfait
En plus des eacutetudes sur la motivation intrinsegraveque drsquoautres eacutetudes ontdeacutemontreacute que les menaces de punitions (Deci et Casio 1972) les buts imposeacutes(Mossholder 1980) la surveillance (Lepper Greene et Nisbett 1975 Plantet Ryan 1985) et la compeacutetition (Deci Betley Kahle Abrams et Porac 1981)diminuaient tous la motivation intrinsegraveque car ces facteurs sont typiquementperccedilus comme eacutetant controcirclants Ils ont donc comme effet de brimer le besoindrsquoautonomie de la personne et par conseacutequent sa motivation intrinsegravequeenvers lrsquoactiviteacute en question Peu drsquoeacutetudes ont porteacute sur les facteurs pouvantrehausser la motivation intrinsegraveque par le biais du locus de causaliteacute plusinterne Neacuteanmoins Zuckerman Porac Lathin Smith et Deci (1978) ontdeacutemontreacute que le fait de laisser de la liberteacute lors de lrsquoexeacutecution drsquoune tacirccheamplifiait la motivation intrinsegraveque envers celle-ci (voir Vallerand 19972007a 2007b pour des recensions)
12 La theacuteorie de lrsquointeacutegration organismique
Alors que la theacuteorie de lrsquoeacutevaluation cognitive porte sur les effets des variablessocio-contextuelles sur le comportement intrinsegravequement motiveacute la theacuteorie delrsquointeacutegration organismique propose une taxonomie des types de reacutegulationspour la motivation extrinsegraveque pouvant varier selon le degreacute drsquointeacuteriorisationdans le soi (Deci et Ryan 2002) La motivation extrinsegraveque par reacutegulationexterne repreacutesente une motivation afin drsquoobtenir une reacutecompense ou drsquoeacuteviterune punition Il y a alors absence drsquointeacuteriorisation dans le soi La reacutegulationintrojecteacutee reacutefegravere agrave des contingences externes qui ont eacuteteacute partiellement inteacute-rioriseacutees dans le soi Elle repreacutesente des comportements eacutemis pour eacuteviter lahonte ou rehausser lrsquoestime de soi La reacutegulation identifieacutee caracteacuterise uncomportement eacutemis par choix permettant drsquoatteindre des buts valoriseacutes Lareacutegulation inteacutegreacutee reacutesulte drsquoune forte identification et drsquoune inteacutegrationcongruente avec les valeurs et les buts de lrsquoindividu Enfin notons qursquoil estaussi proposeacute que la personne puisse deacutemontrer une absence relative demotivation appeleacutee amotivation Lrsquoamotivation est donc un eacutetat drsquoabsencedrsquointention drsquoeacutemettre un comportement Ainsi lrsquoindividu ne perccediloit pas deraison de faire le comportement (Vallerand 1997)
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Il est agrave noter que le continuum drsquoautodeacutetermination (ie la cateacutegorisationdes diffeacuterents types de reacutegulations selon le degreacute drsquointernalisation dans lesoi) ne repreacutesente pas des stades de deacuteveloppement Ainsi les individuspeuvent se situer agrave nrsquoimporte quel point sur le continuum en fonction desexpeacuteriences passeacutees et du contexte social immeacutediat (voir figure 31)
Puisque les diffeacuterents types de motivation repreacutesentent des degreacutes distinctsdrsquoautodeacutetermination il est possible de produire un index en pondeacuterant lesdiffeacuterents construits motivationnels selon le niveau drsquoautodeacutetermination etpar la suite en les additionnant (Ryan et Connell 1989 Vallerand 1997)Cette meacutethode a eacuteteacute appliqueacutee agrave plusieurs domaines tels que les eacutetudes(Miserandino 1996 Ryan et Connell 1989) les relations amoureuses (BlaisSabourin Boucher et Vallerand 1990) la religion (OrsquoConnor et Vallerand1990 Ryan Rigby et King 1993) la politique (Koestner Losier Vallerandet Carducci 1996) et les comportements eacutecologiquement responsables(Green-Demers Pelletier et Meacutenard 1997) Les recherches ont deacutemontreacute defaccedilon systeacutematique plusieurs avantages agrave ecirctre motiveacute de faccedilon autodeacutetermineacuteeParmi ces avantages notons une plus grande persistance une performanceaccrue et une meilleure santeacute physique et psychologique (voir Vallerand1997 Vallerand et Grouzet 2001)
13 La theacuteorie des orientations de causaliteacute
La theacuteorie des orientations de causaliteacute a eacuteteacute deacuteveloppeacutee afin de tenir comptedes diffeacuterences individuelles et stables dans lrsquoorientation motivationnelle
Figure 31Le continuum drsquoautodeacutetermination
Amotivation
Aucunereacutegulation
Type
de m
otiva
tion
Type
de r
eacutegula
tion
Reacutegulationexterne
Reacutegulationintrojecteacutee
Reacutegulationidentifieacutee
Reacutegulationinteacutegreacutee
Reacutegulationintrinsegraveque
Motivation extrinsegraveque Motivation intrinsegraveque
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54 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
geacuteneacuterale de lrsquoindividu agrave interagir avec lrsquoenvironnement Une eacutechelle mesurantce construit a eacuteteacute conccedilue (Deci et Ryan 1985b) Celle-ci speacutecifie trois typesdrsquoorientation (ie les orientations autonome controcircleacutee et impersonnelle) quidiffegraverent quant agrave leur degreacute drsquoautodeacutetermination Lrsquoorientation autonomecorrespond agrave une tendance geacuteneacuterale agrave reacuteguler ses comportements sur la basede ses inteacuterecircts personnels et de ses valeurs profondes Elle implique unedisposition vers la motivation intrinsegraveque et les motivations extrinsegravequesautodeacutetermineacutees (ie les reacutegulations inteacutegreacutee et identifieacutee) Lrsquoorientationcontrocircleacutee est une tendance agrave reacuteguler ses comportements par obligation etouagrave cause de pressions externes ou internes agrave lrsquoindividu Elle se traduit par uneinclinaison vers des reacutegulations introjecteacutee et externe Lrsquoorientation imper-sonnelle est une propension agrave se comporter de faccedilon passive et non intention-nelle Elle correspond agrave une tendance vers lrsquoamotivation Deci et Ryan(1985b) ont deacutemontreacute que lrsquoorientation autonome est associeacutee positivement agravelrsquoactualisation de soi agrave lrsquoestime de soi et agrave drsquoautres indices de bien-ecirctrepsychologique Quant agrave lrsquoorientation controcircleacutee elle nrsquoest pas associeacutee au bien-ecirctre mais est lieacutee agrave une plus grande conscience de soi publique de mecircmeqursquoagrave la personnaliteacute de type A Celle-ci est caracteacuteriseacutee par lrsquoagressiviteacutelrsquoimpatience et lrsquoimposition drsquoexigences extrecircmement eacuteleveacutees pour soi-mecircmeFinalement lrsquoorientation impersonnelle est associeacutee agrave une faible estime desoi et agrave la deacutepression
14 Conclusion
La TAD souligne le fait que lrsquoenvironnement social peut repreacutesenter autantun allieacute qursquoun ennemi dans la tentative de la personne drsquointeragir de faccedilonautodeacutetermineacutee avec son environnement et drsquointeacutegrer ses expeacuteriences dansun soi coheacuterent (Deci et Ryan 2000) De plus la satisfaction des besoinspsychologiques de base (ie autonomie compeacutetence et appartenance sociale)facilite la motivation intrinsegraveque et lrsquointeacutegration des motivations extrinsegravequesLa TAD est formuleacutee selon plusieurs sous-theacuteories partageant les mecircmesfondements theacuteoriques La theacuteorie de lrsquoeacutevaluation cognitive traite des effetsdu contexte social sur la motivation intrinsegraveque La theacuteorie de lrsquointeacutegrationorganismique porte sur lrsquointeacutegration des motivations extrinsegraveques dans le soiLa theacuteorie des orientations de causaliteacute deacutecrit les diffeacuterences individuellesdans lrsquoorientation motivationnelle geacuteneacuterale de lrsquoindividu agrave ecirctre autodeacutetermineacuteEn somme la TAD et ses sous-theacuteories proposent une conception de la moti-vation intrinsegraveque et extrinsegraveque avec un regard particulier sur la dynamiqueentre lrsquoindividu et le contexte social
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2 LE MODEgraveLE HIEacuteRARCHIQUE DE LA MOTIVATION INTRINSEgraveQUE ET EXTRINSEgraveQUE
Tout comme la TAD le Modegravele hieacuterarchique de la motivation intrinsegraveque etextrinsegraveque (Vallerand 1997 2001 2007a Vallerand et Grouzet 2001 Vallerand et Miquelon sous presse Vallerand et Ratelle 2002) srsquoinscrit dans lecadre de lrsquoapproche organismique Ce modegravele accorde une place preacutepondeacute-rante agrave la quecircte de la personne afin de satisfaire ses besoins psychologiquesdrsquoautonomie de compeacutetence et drsquoappartenance sociale en interaction avecson environnement (Vallerand 2000) De plus en accord avec la TAD lemodegravele hieacuterarchique propose aussi la preacutesence de multiples formes de moti-vation extrinsegraveque Toutefois comme nous le verrons ci-dessous ce modegravelepropose aussi un certain nombre de prolongements agrave la TAD La preacutesentesection propose donc de preacutesenter un bref survol des postulats du modegravelehieacuterarchique ainsi que certaines eacutetudes empiriques supportant celui-ci
21 Un aperccedilu du modegravele
Avant de preacutesenter le modegravele plus en profondeur illustrons agrave lrsquoaide drsquoune miseen situation diffeacuterents eacuteleacutements faisant partie du modegravele hieacuterarchique Nousreviendrons agrave celle-ci tout au long du chapitre
Prenons le cas drsquoAmeacutelie une adolescente de 16 ans Ameacutelie est le genre depersonne qui fait geacuteneacuteralement les choses parce qursquoelle aime les faire Ainsielle fait du sport passe du temps avec ses amis et va agrave lrsquoeacutecole principalementparce que ces activiteacutes lui procurent du plaisir Par conseacutequent ces activiteacutessont une source de bien-ecirctre et de satisfaction pour elle Neacuteanmoins en ce quia trait au piano qursquoAmeacutelie pratique depuis de nombreuses anneacutees le portraitest diffeacuterent En effet Ameacutelie ne joue pas du piano pour le plaisir inheacuterent agravecette activiteacute mais bien parce qursquoelle se sent obligeacutee de le faire pour ne pasdeacutecevoir ses parents qui croient beaucoup en son potentiel de musicienne Enoutre Ameacutelie sent beaucoup de pression de la part de sa professeure de pianoune femme tregraves controcirclante et autoritaire qui ne semble jamais satisfaite desperformances de son eacutelegraveve et insiste pour qursquoelle joue des piegraveces qui ne luiplaisent pas Donc pour Ameacutelie jouer du piano est associeacute agrave lrsquoimpressiondrsquoecirctre controcircleacutee et de ne pas pouvoir faire de choix ni exprimer ses preacutefeacuterencesPar conseacutequent la motivation intrinsegraveque drsquoAmeacutelie est faible elle ressent peude satisfaction dans la pratique de son instrument et ses performances musicalessont pour le moins meacutediocres
Heureusement les choses ont reacutecemment changeacute dans la vie drsquoAmeacutelie aveclrsquoarriveacutee drsquoun nouveau professeur de musique Ce nouveau professeur exerce
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beaucoup moins de controcircle sur ses eacutetudiants et les amegravene agrave prendre plaisir agravejouer du piano plutocirct que de viser la perfection degraves le deacutepart Il encouragedrsquoailleurs Ameacutelie agrave choisir elle-mecircme les piegraveces qursquoelle souhaite interpreacuteterDepuis lrsquoarriveacutee du nouveau professeur Ameacutelie reacutealise qursquoelle prend de plusen plus de plaisir agrave jouer du piano et conseacutequemment elle pratique de plus enplus dans ses temps libres et ses performances musicales srsquoameacuteliorent de faccedilonconsideacuterable Drsquoailleurs le nouveau professeur de musique drsquoAmeacutelie lui areacutecemment demandeacute si elle aimerait participer agrave un reacutecital de musique et lrsquoainviteacutee agrave choisir une piegravece qursquoelle aimerait preacutesenter Ravie Ameacutelie a seacutelec-tionneacute la piegravece de son choix et passe les semaines suivantes agrave la travailler afindrsquoen maicirctriser les moindres deacutetails Jour apregraves jour ses parents sont eacutetonneacutes dela voir prendre autant de plaisir agrave pratiquer sa piegravece La jeune fille se surprendelle-mecircme agrave penser que jouer du piano est plutocirct agreacuteable apregraves tout Le jourdu reacutecital arrive enfin et Ameacutelie trouve un grand plaisir agrave jouer et sa perfor-mance est spectaculaire Degraves la fin de son numeacutero plusieurs personnes vont lavoir pour la feacuteliciter de sa performance La jeune fille se sent tregraves fiegravere et repartchez elle le sourire aux legravevres Satisfaite elle a deacutejagrave hacircte drsquoecirctre agrave sa prochaineleccedilon de piano
22 Les niveaux de geacuteneacuteraliteacute de la motivation
Nous avons vu preacuteceacutedemment que pour analyser en deacutetail les processusmotivationnels trois construits fondamentaux doivent ecirctre consideacutereacutes lamotivation intrinsegraveque la motivation extrinsegraveque et lrsquoamotivation Tels queproposeacutes par le Modegravele hieacuterarchique ces trois construits existent agrave troisniveaux de geacuteneacuteraliteacute chacun ayant ses caracteacuteristiques propres (1) leniveau situationnel (2) le niveau contextuel et (3) le niveau global (voirfigure 32)
221 Le niveau situationnel
La motivation situationnelle reacutefegravere agrave la motivation drsquoun individu quand il esten train de faire une activiteacute speacutecifique agrave un moment preacutecis dans le tempsElle correspond agrave un eacutetat motivationnel et non agrave une caracteacuteristique indivi-duelle stable Par exemple dans notre exemple introductif Ameacutelie a faitpreuve de motivation intrinsegraveque lors du spectacle Les eacutetudes de GuayVallerand et Blanchard (2000) repreacutesentent un exemple de recherche portantsur la motivation situationnelle puisque ces chercheurs eacutetaient inteacuteresseacutes agraveobserver la motivation des eacutetudiants agrave reacutealiser une tacircche acadeacutemique particu-liegravere agrave un moment bien preacutecis dans le temps LrsquoEacutechelle de motivation situa-tionnelle (Guay et al 2000) est utiliseacutee pour mesurer la motivation auniveau infeacuterieur de la hieacuterarchie
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222 Le niveau contextuel
La motivation contextuelle reacutefegravere agrave la tendance plus ou moins stable delrsquoindividu agrave ecirctre motiveacute intrinsegravequement motiveacute extrinsegravequement ou amotiveacutedans une laquo sphegravere drsquoactiviteacutes raquo bien preacutecise (Emmons 1995) Blais VallerandGagnon Briegravere et Pelletier (1990) ont reacuteveacuteleacute que parmi la multitude decontextes de vie des jeunes adultes les trois plus importants sont lrsquoeacuteducationles loisirs et les relations interpersonnelles Selon le modegravele hieacuterarchique lesindividus deacuteveloppent une orientation motivationnelle preacutepondeacuterante pourchaque contexte de vie si bien que tout comme Ameacutelie une personne peutavoir une reacutegulation externe contextuelle envers la musique tout en eacutetantmotiveacutee intrinsegravequement envers le sport La motivation au niveau contextuelest susceptible drsquoecirctre influenceacutee par des facteurs sociaux propres au contexteen question Lrsquoeacutetude de Blais et al (1990) sur la motivation dans les relationsamoureuses et les eacutetudes de Vallerand et ses collegravegues (par exemple VallerandFortier et Guay 1997) sur la motivation scolaire sont des exemples drsquoeacutetudesportant sur la motivation dans un contexte de vie speacutecifique De nombreuseseacutechelles ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees afin de mesurer la motivation contextuellechacune drsquoelles portant sur un contexte de vie speacutecifique LrsquoEacutechelle de moti-vation en eacuteducation (Vallerand Blais Briegravere et Pelletier 1989 Vallerand et al1992 1993) lrsquoInventaire des motivations interpersonnelles (Blais Vallerand
Figure 32Le modegravele hieacuterarchique de la motivation intrinsegraveque et extrinsegraveque
Facteurs sociaux Meacutediateurs
Nive
au g
lobal
Nive
au co
ntextu
elNi
veau
situa
tionn
el
Facteursglobaux
Affect
ComportementCognition
Affect
ComportementCognition
Affect
ComportementCognition
Autonomie
Appartenancesociale
Appartenancesociale
Appartenancesociale
Compeacutetence
AutonomieCompeacutetence
AutonomieCompeacutetence
Facteurscontextuels Eacuteducation
MI ME AMLoisirs
MI ME AMRelations
interpersonnellesMI ME AM
Facteurssituationnels
Motivation situationnelleMI ME AM
Motivation globaleMI ME AM
Motivation contextuelle
Niveaux hieacuterarchiques de motivation Conseacutequences
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Pelletier et Briegravere 1994) et lrsquoEacutechelle de motivation dans les loisirs (PelletierVallerand Blais Briegravere et Green-Demers 1996) en sont des exemples
223 Le niveau global
La motivation globale est la forme la plus stable de motivation et constitueen quelque sorte un aspect de la personnaliteacute de lrsquoindividu Ainsi la motiva-tion globale reacutefegravere agrave une orientation motivationnelle globale (ou geacuteneacuterale) agraveinteragir avec lrsquoenvironnement selon un mode intrinsegraveque extrinsegraveque ouamotiveacute Ainsi dans notre exemple Ameacutelie eacutetait preacutesenteacutee comme ayant unepersonnaliteacute (ou une motivation globale) intrinsegraveque Les recherches effec-tueacutees sur lrsquoEacutechelle drsquoorientation de causaliteacute geacuteneacuterale (Deci et Ryan 1985b)par les membres du groupe de Rochester (par exemple Hodgins et Deci1999 Hodgins Liebeskind et Schwartz 1996 Knee et Zuckerman 19961998) de mecircme que celles conduites sur lrsquoEacutechelle de motivation globale parGuay Mageau et Vallerand (2003) illustrent les efforts faits pour comprendrela motivation agrave ce niveau de la hieacuterarchie
Il est important de distinguer les trois diffeacuterents niveaux de motivationparticuliegraverement si lrsquoon veut comprendre les deacuteterminants et les conseacutequencesde la motivation Par exemple il est important drsquoidentifier correctement qursquouneacutetudiant est motiveacute extrinsegravequement dans le contexte scolaire afin de pouvoirutiliser la strateacutegie drsquoenseignement adeacutequate lui permettant de devenir plusautodeacutetermineacute dans ce domaine
23 Les deacuteterminants de la motivation
Dans cette section les deacuteterminants (ou anteacuteceacutedents) de la motivation intrin-segraveque de la motivation extrinsegraveque et de lrsquoamotivation seront abordeacutes Nouspreacutesenterons des eacutetudes qui ont mesureacute des deacuteterminants motivationnels etleur impact sur la motivation aux trois niveaux de geacuteneacuteraliteacute
231 Les deacuteterminants sociaux
La motivation agrave un niveau de geacuteneacuteraliteacute donneacute deacutepend drsquoabord et avant toutde facteurs sociaux Les facteurs sociaux reacutefegraverent aux facteurs humains et nonhumains (par exemple des affiches publicitaires) que les individus rencontrentdans leur environnement social Tout comme la motivation les facteurs sociauxse distinguent quant agrave leur niveau de geacuteneacuteraliteacute situationnel contextuel ouglobal Il est attendu que les facteurs sociaux agrave un niveau hieacuterarchique donneacuteinfluencent plus fortement la motivation au niveau correspondant
Un facteur social situationnel est une variable preacutesente agrave un moment preacutecisdans le temps Par exemple recevoir des feacutelicitations suite agrave un reacutecital de piano
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reacuteussi comme ce fut le cas pour Ameacutelie constitue un facteur situationnel Enaccord avec la theacuteorie de lrsquoeacutevaluation cognitive les recherches anteacuterieuresreacutevegravelent que les facteurs situationnels ont une influence importante sur lamotivation situationnelle Plusieurs variables situationnelles ont eacuteteacute eacutetudieacuteesnotamment le feedback positif et neacutegatif de performance (Vallerand 1983 Vallerand et Reid 1984 1988) la faccedilon de preacutesenter un message (ie soit defaccedilon agrave controcircler ou agrave soutenir lrsquoautonomie de la personne qui reccediloit lemessage Mageau et Vallerand 2003 Pelletier et Vallerand 1996) le succegraveset lrsquoeacutechec (Grouzet Vallerand Thill et Provencher 2004 Vallerand Gauvinet Halliwell 1986a) et mecircme la compeacutetition (Vallerand Gauvin et Halliwell1986b) Il est important de noter que lrsquoeffet drsquoun facteur situationnel donneacute surla motivation situationnelle ne devrait pas perdurer sur une base temporelleson impact eacutetant limiteacute au moment preacutesent Cela est particuliegraverement vrailorsque le facteur nrsquoest preacutesenteacute qursquoune seule fois (voir Loveland et Olley1979) Pour produire un effet agrave plus long terme il est neacutecessaire de preacutesenter lefacteur situationnel de faccedilon reacuteguliegravere et dans le mecircme contexte Il deviendraalors un facteur contextuel
Les facteurs contextuels repreacutesentent des variables qui reviennent de faccedilonreacutecurrente dans un contexte de vie speacutecifique Par exemple le fait drsquointeragirde faccedilon reacuteguliegravere avec une professeur de piano coercitive repreacutesente unfacteur contextuel ayant une influence sur la motivation drsquoAmeacutelie envers lepiano Toutefois comme ce facteur eacutetait propre au contexte musical il nrsquoa paseu drsquoimpact sur la motivation drsquoAmeacutelie envers drsquoautres domaines de sa viecomme le sport ou les eacutetudes Les recherches anteacuterieures ont eacutetudieacute lrsquoinfluencedes facteurs contextuels sur la motivation dans une varieacuteteacute de domaines telsque lrsquoeacuteducation (Deci Vallerand Pelletier et Ryan 1991) le travail (BlaisBriegravere Lachance Riddle et Vallerand 1993) les relations amoureuses (Blaiset al 1990) et le sport (Fortier Vallerand Briegravere et Provencher 1995 PelletierFortier Vallerand et Briegravere 2001)
Finalement les facteurs globaux reacutefegraverent aux variables qui sont preacutesentesdans lrsquoensemble des diffeacuterents aspects de la vie drsquoune personne Les parentsconstituent un exemple de facteurs sociaux globaux En effet puisque lesparents sont preacutesents dans la majeure partie des contextes de vie de leursenfants on srsquoattend naturellement agrave ce qursquoils aient une influence sur le deacutevelop-pement de la personnaliteacute et sur la motivation globale de ces derniers (Eccleset Wigfield 2002) Les travaux drsquoAssor Roth et Deci (2004) ont deacutemontreacuteque les enfants qui percevaient leurs parents comme leur procurant un amourconditionnel ougrave lrsquoaffection nrsquoeacutetait donneacutee que si les enfants agissaient commeles parents le deacutesiraient mdash ce qui constitue une forme tregraves pernicieuse decontrocircle parental mdash rapportaient un haut niveau de reacutegulation introjecteacuteedans plusieurs contextes de leur vie tels que les sports et les eacutetudes Il sembledonc que le comportement des parents dans lrsquoeacutetude de Assor et al ait mis enopeacuteration un mode de fonctionnement geacuteneacuteraliseacute agrave plusieurs sphegraveres de lavie des jeunes mdash ce qui correspond au niveau global de la hieacuterarchie
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232 Les deacuteterminants internes
Le modegravele hieacuterarchique apporte une contribution novatrice en soulignant unedeuxiegraveme source pouvant influencer la motivation agrave un niveau donneacute soitlrsquoeffet descendant (top-down) de la motivation au niveau supeacuterieur sur lamotivation du niveau directement infeacuterieur de la hieacuterarchie Ainsi la motivationglobale drsquoun individu est susceptible drsquoaffecter ses motivations contextuelleset de la mecircme faccedilon la motivation contextuelle drsquoun individu est susceptibledrsquoaffecter sa motivation au niveau infeacuterieur (ie sa motivation situationnelle)Selon le modegravele hieacuterarchique la motivation globale devrait avoir plus drsquoeffetsur la motivation contextuelle que sur la motivation situationnelle puisque lapremiegravere est situeacutee juste au-dessous dans la hieacuterarchie alors que la secondeest situeacutee deux niveaux plus bas De nombreuses eacutetudes ont appuyeacute lrsquoeffetdescendant Par exemple Blanchard Mask Vallerand de la Sablonniegravere etProvencher (2007 Eacutetude 1) ont mis en eacutevidence que plus des athlegravetes deacutetenaientune motivation contextuelle autodeacutetermineacutee envers le sport (ici le basket-ball)plus ils deacutemontraient une motivation situationnelle autodeacutetermineacutee lors dumatch de basket-ball subseacutequent Les eacutetudes de Lavigne Vallerand et Miquelon(2007) et de Vallerand Chantal Guay et Brunel (2008 Eacutetude 1) ont repro-duit ces reacutesultats dans le domaine de lrsquoexercice physique et de lrsquoeacuteducationrespectivement
Il est important de noter que lrsquoeffet descendant de la motivation situeacutee agrave unniveau donneacute sur la motivation situeacutee au niveau infeacuterieur est soumis agrave la regraveglede la speacutecificiteacute (Vallerand 1997) Ainsi la motivation situationnelle enversune tacircche speacutecifique (par exemple faire un devoir de chimie un samedi soir)devrait ecirctre principalement influenceacutee par la motivation contextuelle directe-ment relieacutee agrave cette activiteacute (dans ce cas-ci la motivation envers les eacutetudes) etbeaucoup moins par les autres motivations contextuelles non pertinentes(comme la motivation envers les relations interpersonnelles par exemple) Desrecherches reacutecentes soutiennent cette hypothegravese (voir par exemple Vallerandet al 2008a Ntoumanis et Blaymires 2003)
Le modegravele hieacuterarchique postule que les contextes de vie repreacutesentent desstructures cognitives (un peu comme des scheacutemas) permettant de stocker enmeacutemoire non seulement les motivations contextuelles mais eacutegalement desindices contextuels se rattachant aux conditions dans lesquelles les activiteacutespertinentes agrave ce contexte sont habituellement effectueacutees Il peut donc ecirctrepostuleacute que lrsquoactivation drsquoun indice contextuel pourrait ecirctre suffisante pourrendre opeacuteratoire la motivation se rattachant agrave ce mecircme contexte et parconseacutequent mettre en branle lrsquoeffet descendant sur la motivation situationnelleIl semble que de tels effets pourraient mecircme se produire en dehors du champde conscience (Bargh 2005) Une eacutetude de Ratelle Baldwin et Vallerand(2005 Eacutetude 1) soutient cette hypothegravese Ces chercheurs ont en effet deacutemontreacuteque le simple fait drsquoentendre un son en sourdine (et en dehors du champ deconscience) ayant eacuteteacute preacutealablement associeacute agrave plusieurs reprises agrave un message
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coercitif (laquo vous devez absolument passer au prochain dessin comme vousecirctes supposeacute le faire raquo) lors drsquoune participation agrave une premiegravere tacircche megravene agraveune motivation situationnelle intrinsegraveque plus faible sur une seconde tacircchesimilaire agrave la premiegravere Ceci est conforme au modegravele hieacuterarchique En effetce dernier postule que le fait drsquoeffectuer une nouvelle activiteacute megravene agrave lacreacuteation drsquoun nouveau contexte drsquoactiviteacutes dans lequel sont remiseacutes les indicesenvironnementaux et la motivation contextuelle se rattachant agrave lrsquoactiviteacute ycompris les sons et messages entendus Par la suite lorsqursquoune activiteacute serattachant agrave ce contexte de vie est rencontreacutee (la seconde activiteacute) le simplefait drsquoentendre un son stockeacute en meacutemoire permet de deacuteclencher la motivationcontextuelle stockeacutee en meacutemoire avec cet indice (le son) et lrsquoeffet descendantsuit son cours Ces reacutesultats soutiennent non seulement lrsquoeffet descendantproposeacute par le modegravele hieacuterarchique mais deacutemontrent eacutegalement que cet effetpeut srsquoappliquer agrave de nouvelles activiteacutes Notons enfin que Guay et al (2003Eacutetude 1) ont deacutemontreacute agrave lrsquoaide de deux eacutetudes longitudinales effectueacutees aupregravesde lyceacuteens que la motivation globale autodeacutetermineacutee mesureacutee au temps 1 agravelrsquoaide de lrsquoindex drsquoautodeacutetermination pouvait preacutedire la motivation contextuelleautodeacutetermineacutee envers les eacutetudes ou lrsquoeacuteducation (eacutegalement mesureacutee agrave lrsquoaidede lrsquoindex drsquoautodeacutetermination) jusqursquoagrave cinq ans plus tard Lrsquoeffet descendantsemble donc se produire eacutegalement du niveau global au niveau contextuel
Le modegravele hieacuterarchique propose un autre deacuteterminant interne de la motiva-tion lrsquoeffet ascendant (bottom-up) Il srsquoagit drsquoun effet reacutecursif que la moti-vation situeacutee agrave un niveau donneacute peut avoir avec le temps sur la motivationsitueacutee au niveau supeacuterieur La motivation situationnelle est donc susceptibledrsquoaffecter la motivation contextuelle qui elle est susceptible drsquoaffecter lamotivation globale Ainsi au bout de plusieurs pratiques et seacuteances ougrave Ameacuteliesrsquoest sentie motiveacutee intrinsegravequement agrave jouer du piano au niveau situationnel(gracircce agrave son nouveau professeur) la jeune fille a commenceacute agrave deacutevelopperune motivation intrinsegraveque contextuelle envers le piano Drsquoun point de vuetheacuteorique consideacuterer lrsquoexistence drsquoun tel effet reacutecursif permet drsquoexpliquerles changements motivationnels pouvant survenir avec le temps Les eacutetudesde Blanchard et al (2007) et de Lavigne et al (2008) deacutemontrent bien queles individus qui vivent de la motivation autodeacutetermineacutee de faccedilon reacutepeacuteteacutee auniveau situationnel sont susceptibles de deacutevelopper une motivation plus auto-deacutetermineacutee dans le contexte associeacute Pareillement le fait de vivre de faccedilonreacutepeacuteteacutee de la motivation autodeacutetermineacutee dans diffeacuterents contextes de vie peuten venir agrave produire des changements de personnaliteacute au niveau global (voirGuay et al 2003 Eacutetude 1)
24 Les conseacutequences de la motivation
Lrsquoeacutetude de la motivation est importante car elle nous permet aussi de preacutedireplusieurs conseacutequences (Vallerand et Blanchard 1998) En effet un musicien
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qui est motiveacute agrave pratiquer sa piegravece devrait normalement mieux reacuteussir qursquounautre qui traicircne les pieds Les conseacutequences motivationnelles sont principale-ment de nature cognitive affective et comportementale La concentrationlrsquoattention et la meacutemoire sont des exemples de conseacutequences cognitives Lesconseacutequences affectives incluent le plaisir lrsquointeacuterecirct les eacutemotions et la satis-faction Finalement le choix drsquoaction la persistance dans lrsquoactiviteacute et laperformance constituent des conseacutequences comportementales (voir Vallerand1997 pour une revue de diverses conseacutequences motivationnelles) Ces troistypes de conseacutequences existent eacutegalement aux trois niveaux de geacuteneacuteraliteacute(ie situationnel contextuel et global) de la hieacuterarchie Drsquoailleurs il estproposeacute que le niveau de geacuteneacuteraliteacute des conseacutequences deacutepend du niveau degeacuteneacuteraliteacute du type de motivation qui les a produites Par exemple la motivationsituationnelle va engendrer des conseacutequences qui sont eacutegalement situation-nelles Il est agrave noter que le continuum drsquoautodeacutetermination qui a eacuteteacute preacutesenteacutepreacuteceacutedemment (et selon lequel les conseacutequences les plus positives seraientproduites par les motivations les plus autodeacutetermineacutees et inversement) existeaux trois niveaux de geacuteneacuteraliteacute Au niveau contextuel par exemple un soutienpour le continuum a eacuteteacute obtenu en ce qui concerne une pleacuteiade de conseacute-quences affectives telles que la satisfaction lrsquointeacuterecirct et le plaisir veacutecus dansle milieu du sport (Briegravere Vallerand Blais et Pelletier 1995 Pelletier et al1995) et du travail (Blais et al 1993) Il en est de mecircme en ce qui a trait auxconseacutequences cognitives telles que la concentration en milieu sportif (Briegravereet al 1995) et scolaire (Vallerand et al 1989 Vallerand et al 1993) etaux conseacutequences comportementales telles que la persistance dans le sport(Pelletier et al 2001) et dans les eacutetudes (Vallerand et Bissonnette 1992 Vallerand et al 1997)
Des reacutesultats similaires ont eacuteteacute obtenus au niveau situationnel en ce quiconcerne plusieurs conseacutequences (pour des recensions voir Vallerand 19972001 2007a 2007b Vallerand et Grouzet 2001 Vallerand et Ratelle 2002 Vallerand et Rousseau 2001) Pour ce qui est des conseacutequences au niveauglobal peu drsquoentre elles ont eacuteteacute eacutetudieacutees Une exception est lrsquoeacutetude de RatelleVallerand Chantal et Provencher (2004) qui a porteacute sur le rocircle de la motiva-tion globale dans la preacutediction de lrsquoajustement psychologique aupregraves drsquouneacutechantillon de la population geacuteneacuterale Les reacutesultats drsquoune analyse par eacutequa-tions structurelles ont deacutemontreacute que les illusions cognitives positives que lesgens entretiennent sur eux-mecircmes (voir Taylor et Brown 1988) preacutedisaientleur motivation globale un an plus tard et celle-ci en retour preacutedisait lechangement drsquoajustement psychologique srsquoeacutetant produit durant lrsquoanneacutee Plusla motivation globale eacutetait autodeacutetermineacutee plus il y avait eu une augmentationdrsquoajustement psychologique au cours de lrsquoanneacutee La motivation globalepermet donc agrave la personne de vivre des conseacutequences psychologiques impor-tantes au niveau global
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25 Preacutesentation drsquoeacutetudes inteacutegratives
Lrsquoune des hypothegraveses fondamentales du modegravele hieacuterarchique postule quelrsquoimpact de lrsquoenvironnement se produit par le biais drsquoune chaicircne causale deprocessus psychologiques telle que suit laquo facteurs sociaux agrave meacutediateurspsychologiques (satisfaction des besoins psychologiques) agrave motivation agraveconseacutequences raquo (voir la figure 32) De plus cette seacutequence se produit auxtrois niveaux de geacuteneacuteraliteacute Une eacutetude expeacuterimentale a eacuteteacute reacutealiseacutee au niveausituationnel afin de tester la seacutequence (Grouzet Vallerand Thill et Provencher2004) Ainsi des eacutetudiants universitaires ont eacuteteacute aleacuteatoirement assigneacutes agrave unecondition de succegraves ou drsquoeacutechec sur une tacircche expeacuterimentale (les laquo NINAs raquoougrave il faut trouver le mot NINA cacheacute dans un dessin) Par la suite leursperceptions de compeacutetence et drsquoautonomie (les perceptions drsquoappartenancesociale ne furent pas mesureacutees car la tacircche fut reacutealiseacutee individuellement)leur motivation situationnelle ainsi que diverses conseacutequences situationnel-les (concentration et intentions de perseacuteveacuterer agrave la tacircche) furent mesureacutees Lesreacutesultats drsquoanalyses de variance ont deacutemontreacute que les participants en condi-tion de succegraves avaient rapporteacute de plus hautes perceptions de compeacutetence etdrsquoautonomie de motivation autodeacutetermineacutee situationnelle et des plus hautsniveaux de conseacutequences (par exemple intention de continuer agrave faire lrsquoacti-viteacute) que ceux en condition drsquoeacutechec Par contre encore plus important lesreacutesultats drsquoune analyse par eacutequations structurales ont procureacute un soutien agrave laseacutequence inteacutegrative proposeacutee par le modegravele hieacuterarchique en deacutemontrant quelrsquoeffet du succegraves et de lrsquoeacutechec sur les conseacutequences eacutetait meacutedieacute par lesperceptions de satisfaction des besoins et la motivation
Plusieurs recherches ont procureacute un soutien pour une telle seacutequence auniveau contextuel Ainsi dans le cadre drsquoeacutetudes sur lrsquoabandon scolaire (egLavigne et al 2007 Vallerand et Bissonnette 1992 Vallerand Fortier etGuay 1997 Vallerand et Seneacutecal 1992) Vallerand et ses collegravegues ontdeacutemontreacute que lorsque les professeurs les parents et lrsquoadministration scolairesoutiennent lrsquoautonomie des eacutelegraveves les besoins drsquoautonomie et de compeacutetencede ces derniers srsquoen trouvent alors satisfaits ce qui en retour megravene agrave unemotivation contextuelle scolaire autodeacutetermineacutee Celle-ci megravene alors agrave desintentions de perseacuteveacuterer agrave lrsquoeacutecole qui se traduisent en comportement reacuteellrsquoanneacutee scolaire suivante (Vallerand et al 1997) Cette seacutequence a eacuteteacute aussireproduite en ce qui concerne lrsquoabandon sportif en milieu de natation (Pelletieret al 2001) et de handball (Sarrazin et al 2002) respectivement au Canadaet en France
La seacutequence causale a eacuteteacute peu eacutetudieacutee au niveau global Toutefois lrsquoeacutetudede Philippe et Vallerand (2008) procure un certain soutien pour la seacutequencecausale proposeacutee Ainsi il a eacuteteacute deacutemontreacute que plus des reacutesidences pourpersonnes acircgeacutees soutenaient le besoin drsquoautonomie de ces derniegraveres (telqursquoeacutevalueacute objectivement par des juges) plus les personnes acircgeacutees avaient unniveau eacuteleveacute de sentiments drsquoautonomie qui en retour menaient agrave une
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motivation autodeacutetermineacutee envers leurs principaux domaines de vie Enfinplus la motivation eacutetait autodeacutetermineacutee plus il y avait eu une hausse drsquoajus-tement psychologique au cours de la derniegravere anneacutee Mecircme si la mesure de lamotivation nrsquoeacutetait pas globale en tant que telle le fait que six contextes devie aient eacuteteacute affecteacutes de la mecircme faccedilon suggegravere fortement que le facteurglobal (les reacutesidences) avait deacuteclencheacute une seacutequence causale qui a meneacute agrave desconseacutequences globales (ajustement psychologique) par le biais des sentimentsdrsquoautonomie et de motivation globaux
Si les eacutetudes preacuteceacutedentes ont procureacute un soutien important pour la seacutequencemotivationnelle causale aux trois niveaux une eacutetude reacutecente (Vallerand etal 2008b Eacutetude 1) a permis de tester simultaneacutement la validiteacute de plusieurspostulats issus du modegravele hieacuterarchique Cette eacutetude reacutealiseacutee dans le contextede lrsquoeacuteducation a inteacutegreacute les trois niveaux de geacuteneacuteraliteacute de la hieacuterarchieDrsquoabord la motivation situationnelle de mille eacutetudiants du lyceacutee venant toutjuste de deacutebuter une tacircche acadeacutemique en classe a eacuteteacute eacutevalueacutee Puis ces mecircmeseacutetudiants ont compleacuteteacute une varieacuteteacute drsquoeacutechelles mesurant des conseacutequencescognitives affectives et comportementales situationnelles (crsquoest-agrave-dire lieacuteesagrave la tacircche acadeacutemique en cours) ainsi que leurs intentions de poursuivre cettetacircche La motivation globale de ces eacutetudiants de mecircme que leur motivationcontextuelle envers les loisirs lrsquoeacuteducation et les relations interpersonnelles onteacutegalement eacuteteacute mesureacutees Les reacutesultats issus drsquoanalyses par eacutequations structu-relles supportent le modegravele hieacuterarchique de multiples faccedilons Premiegraverementles reacutesultats mettent en eacutevidence qursquoil est possible de distinguer la motivationau niveau global contextuel et situationnel ce qui confirme la structure hieacuterar-chique du modegravele Deuxiegravemement les reacutesultats soutiennent lrsquoeffet descendant(top-down) selon lequel la motivation globale influence chacune des troismotivations contextuelles De surcroicirct seule la motivation contextuelle enversles eacutetudes influence la motivation situationnelle envers la tacircche acadeacutemiquece qui est conforme aux postulats du Modegravele hieacuterarchique Les reacutesultatssupportent eacutegalement lrsquoimpact de la motivation sur les conseacutequences tel queproposeacute par le modegravele hieacuterarchique En effet il est possible de distinguerlrsquoinfluence de la motivation sur les trois types de conseacutequences soit les conseacute-quences cognitives affectives et comportementales De plus tel qursquoattenduseule la motivation situationnelle a une influence sur les conseacutequences situa-tionnelles Ainsi ni la motivation globale ni contextuelle nrsquoa drsquoimpact directsur les conseacutequences situationnelles En somme lrsquoeacutetude de Vallerand et sescollegravegues (2008b Eacutetude 1) procure un soutien indeacuteniable agrave plusieurs postulatsdu modegravele hieacuterarchique
26 Pistes de recherches futures et conclusion
Le modegravele hieacuterarchique ouvre la voie agrave de nouvelles directions de rechercheLrsquoune des pistes de recherche future porte sur une analyse plus complegravete desdeacuteterminants distaux motivationnels Par exemple puisque le style drsquointeraction
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du superviseur repreacutesente un deacuteterminant social proximal important de lamotivation du subordonneacute il devient important de pouvoir identifier lesfacteurs pouvant influer sur le style drsquointeraction du superviseur Ainsi lapression venant de la direction le style habituel de gestion du superviseur et laperception que se fait ce dernier de la motivation du subordonneacute repreacutesententdes facteurs qui semblent importants agrave eacutetudier (voir Mageau et Vallerand2003)
Une autre piste importante porte sur une meilleure compreacutehension de lamotivation globale et ses diverses fonctions Ainsi Vallerand (2007a) proposeque la motivation globale puisse non seulement mener directement agrave diversesconseacutequences de niveau global (par exemple lrsquoajustement psychologique)mais puisse aussi avoir une fonction de protection face aux messages sociauxnocifs que la personne pourrait recevoir En outre il semble que la motivationglobale puisse mener agrave un meacutecanisme drsquointeacutegration adaptative des diversesmotivations contextuelles Ainsi plus une personne posseacutederait une motivationglobale autodeacutetermineacutee moins elle devrait vivre de conflits entre les diversesmotivations contextuelles (par exemple entre sa motivation envers les eacutetudeset sa motivation envers les loisirs) Ces pistes neacutecessitent drsquoecirctre exploreacuteesdans les recherches futures
Une autre direction prometteuse semble ecirctre lrsquoeacutetude des variables meacutediantlrsquoinfluence de la motivation sur les conseacutequences distales En effet la moti-vation peut ecirctre consideacutereacutee comme une variable cleacute deacuteclenchant certainsprocessus dont certains peuvent mener agrave des conseacutequences plus distales Parexemple dans une eacutetude reacutecente utilisant des analyses par eacutequations structu-relles Donahue et al (2006) ont deacutemontreacute que la motivation intrinsegraveque pourle sport influait positivement sur les valeurs drsquoesprit sportif des athlegravetes quielles-mecircmes preacutedisaient neacutegativement lrsquoutilisation de produits dopants Demecircme Miquelon et Vallerand (2006) ont deacutemontreacute qursquoune motivation auto-deacutetermineacutee envers des objectifs scolaires menait agrave des strateacutegies de copingadaptatives qui preacutedisaient une meilleure santeacute psychologie et physique Cesrecherches soulignent lrsquoimportance de consideacuterer le rocircle meacutediateur de diversprocessus entre la motivation et certaines conseacutequences distales
3 CONCLUSION GEacuteNEacuteRALE
Le but de ce chapitre eacutetait double Dans un premier temps nous deacutesirionspreacutesenter une vue drsquoensemble de la theacuteorie de lrsquoautodeacutetermination (Deci etRyan 1985a 2000 Ryan et Deci 2000) Cette theacuteorie porte sur le degreacutedrsquointentionnaliteacute (ou drsquoautodeacutetermination) des comportements humains crsquoest-agrave-dire agrave quel point les gens endossent leurs actions avec un sentiment dechoix plutocirct qursquoavec un sentiment de contraintes etou de pressions internes
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ou externes La TAD propose un continuum allant du type de motivation leplus autodeacutetermineacute (ie la motivation intrinsegraveque) jusqursquoagrave lrsquoabsence demotivation (ie lrsquoamotivation) en passant par diffeacuterents types intermeacutediaires(ie la reacutegulation externe la motivation introjecteacutee la motivation identifieacuteeet la motivation inteacutegreacutee) Selon la TAD plus les gens possegravedent un profilmotivationnel autodeacutetermineacute plus ils devraient vivre des conseacutequences posi-tives alors qursquoun profil motivationnel non autodeacutetermineacute megravene geacuteneacuteralementagrave des conseacutequences neacutegatives
Dans un second temps nous avons brosseacute un tableau sommaire du modegravelehieacuterarchique de la motivation intrinsegraveque et extrinsegraveque qui prolonge etenrichit la TAD en soutenant notamment que la motivation se doit drsquoecirctreeacutetudieacutee selon trois diffeacuterents niveaux de geacuteneacuteraliteacute le niveau situationnel leniveau contextuel et le niveau global Le modegravele englobe de nombreusesfacettes de la motivation notamment les diffeacuterentes repreacutesentations de lamotivation que possegravede lrsquoindividu les deacuteterminants et les conseacutequences de lamotivation ainsi que les relations entre les types de motivation La theacuteorie delrsquoautodeacutetermination de mecircme que le modegravele hieacuterarchique ouvrent la voie agravede nombreuses directions de recherche Dans cette optique nous espeacuterons queles travaux que ces deux modegraveles theacuteoriques sauront geacuteneacuterer permettront defaire avancer la compreacutehension des processus psychologiques qui sous-tendentla motivation humaine
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Chapitre 4
LES THEacuteORIES DE LrsquoATTRIBUTION
CAUSE ET RESPONSABILITEacute1
1 Par Patrick Gosling
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1 INTRODUCTION
Dans la vie de tous les jours dans les meacutedias au travail comme dans la viepriveacutee la question de la cause des eacuteveacutenements qui nous arrivent ou arriventaux autres de nos propres conduites ou de celles des autres est freacutequemmentposeacutee Elle alimente nos conversations quotidiennes guide nos interactionsavec les autres fait partie de notre perception de la reacutealiteacute physique ousociale Ce pheacutenomegravene naturel et spontaneacute est lrsquoobjet de ce que lrsquoon appelleles theacuteories de lrsquoattribution
Trois questions peuvent ecirctre poseacutees agrave propos de nos explications quotidiennes
ndash laquo comment explique-t-on raquo cette question a fait lrsquoobjet du plus grandnombre de travaux elle concerne lrsquoanalyse des processus de la faccedilon donton explique En particulier la question de lrsquoobjectiviteacute ou de la rationaliteacutede nos explications quotidiennes a eacuteteacute freacutequemment au centre des deacutebats
ndash laquo pourquoi explique-t-on raquo elle renvoie agrave lrsquoanalyse de la fonction indivi-duelle et sociale que remplissent les explications fonction de compreacutehensionde controcircle de preacutediction de justification ou de rationalisation de noscomportements drsquointeacutegration de la nouveauteacute
ndash laquo quand explique-t-on raquo cette question a eacuteteacute jusqursquoici peu abordeacutee et onpeut le regretter elle a trait agrave lrsquoimportance de lrsquoexplication dans noscomportements et interactions quotidiennes nrsquoexplique-t-on que lesconduites ou les eacuteveacutenements anormaux extrecircmes ou neacutegatifs Est-ceun processus freacutequent Est-ce un processus spontaneacute Quelle est sonimportance notamment en tant que deacuteterminant de nos comportements
Derriegravere ces questions se profile la question plus geacuteneacuterale du lien entre lescognitions et les conduites Lrsquohomme est-il une machine rationnelle agrave lrsquoimagedrsquoun ordinateur qui reacutefleacutechit calcule analyse avant drsquoagir quoiqursquoavec denombreuses erreurs (des laquo biais raquo) ou lrsquohomme se contente-t-il bien souvent
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drsquoagir en fonction des situations et des normes de comportement attacheacutees agraveces situations les explications ne venant ensuite que rationaliser et justifier agraveses propres yeux ou aux yeux des autres son comportement Cette questionest sous-tendue par un deacutebat plus geacuteneacuteral lrsquohomme est-il un sujet libre deses choix ou est-il deacutetermineacute par des forces exteacuterieures des reacutegulariteacutes socialesqui lui preacuteexistent et srsquoimposent agrave lui Dans le premier cas les cognitionsrepreacutesentations ou explications sont les principaux deacuteterminants du compor-tement dans le second elles ne sont que des justifications ou rationalisationsapregraves-coup de comportements dont lrsquoorigine se trouve dans la situation
Les theacuteories de lrsquoattribution ne preacutetendent pas reacutepondre agrave cette questionqui relegraveve aussi de la philosophie Elles srsquoefforcent plutocirct de repeacuterer lesdeacuteterminants de nos explications et les conseacutequences de ces derniegraveres sur noscomportements dans des situations expeacuterimentales comme sur le terrainDepuis cinquante ans que les theacuteories de lrsquoattribution existent il faut bienreconnaicirctre que la conception du sujet rationnel qui tente de comprendreobjectivement la reacutealiteacute pour agir ou reacutepondre en conseacutequence a eacuteteacute quelquepeu battue en bregraveche La quasi-totaliteacute des recherches destineacutees agrave eacutevaluer larationaliteacute des sujets dans une situation expeacuterimentale conclut agrave la non-ratio-naliteacute des reacuteponses Or ce nrsquoest pas la capaciteacute des sujets agrave raisonner qui esten jeu puisque des physiciens confronteacutes agrave ce type de donneacutees font lesmecircmes erreurs Il srsquoagit plutocirct de lrsquointention du sujet de son but dans unesituation expeacuterimentale comme dans la vie quotidienne quand on donnecomme consigne de reacutepondre rationnellement la rationaliteacute augmente consi-deacuterablement La question nrsquoest pas tant de savoir si lrsquohomme peut ecirctre ou nonrationnel mais de savoir quand il lrsquoest une reacuteponse en apparence quelquepeu simpliste mais qui est supporteacutee par un certain nombre de validationsempiriques est que lrsquohomme est rationnel quand il a une bonne raison de lrsquoecirctrenotamment quand quelqursquoun (par exemple un psychologue) le lui demandeCe qui est apparemment peu freacutequent
Ce qui tendrait agrave vouloir dire que dans la plupart des situations sociales cenrsquoest pas la rationaliteacute qui caracteacuterise le fonctionnement des sujets Pourtantnous allons le voir les psychologues les psychologues sociaux comme lesautres ont fait agrave partir des anneacutees cinquante de la rationaliteacute le modegravele dufonctionnement de lrsquohomme cognitif
Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale les premiers theacuteoriciens des attributions ont surtoutmis lrsquoaccent sur les processus plus que sur les contenus des attributionsNeacuteanmoins en psychologie sociale tout au moins il semble difficile de deacutecrireles processus sans tenir compte des situations des contenus et des positionsrelatives de lrsquoacteur et de lrsquoobservateur
Nous aborderons dans la premiegravere partie les premiers travaux des fondateursde ces theacuteories en indiquant les principaux domaines (attributions de lrsquoacteuret de lrsquoobservateur attributions des performances) avant de proposer dans ladeuxiegraveme partie une perspective plus sociale et de terminer dans la troisiegravemepartie sur lrsquoeffet du contexte sur les attributions
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2 LES PREMIERS TRAVAUX DE LrsquoINTENTION Agrave LA MOTIVATION
21 Le rocircle central de lrsquointention dans lrsquoexplication de lrsquoaction
Heider (1958) est consideacutereacute comme le fondateur des theacuteories de lrsquoattributionSelon lui nous sommes confronteacutes agrave un monde complexe et changeant etnous avons besoin de le simplifier pour le comprendre le preacutedire le controcircleret le maicirctriser Les attributions ont pour fonction drsquoatteindre cet objectif enrepeacuterant des caracteacuteristiques stables de la conduite et des eacuteveacutenements quipermettent d rsquoen rendre compte La recherche de stabiliteacute drsquoordre de logiquede compreacutehension est ainsi placeacutee au premier rang des motivations humaines
Selon Heider nous employons trois types de causes pour expliquer nosconduites ou les conduites drsquoautrui la capaciteacute la motivation et lrsquoenviron-nement La motivation peut elle-mecircme ecirctre deacutecomposeacutee en deux causes lrsquointention et lrsquoeffort Heider a proposeacute deux regroupements possibles de cescauses
ndash une distinction entre les causes personnelles et impersonnelles les premiegraveresregroupent les capaciteacutes de la personne et la motivation (incluant lrsquointen-tion et lrsquoeffort) Les secondes concernent lrsquoenvironnement de lrsquoaction lasituation
ndash une distinction entre la motivation et la possibiliteacute la motivation inclutlrsquointention et lrsquoeffort la possibiliteacute inclut la capaciteacute et lrsquoenvironnement
On peut repreacutesenter ses conceptions au moyen du scheacutema suivant
Figure 41Les diffeacuterentes causes possibles (Heider 1958)
Forces personnelles Forces impersonnelles
Action = f (motivation yen capaciteacute + environnement)
Intention
Possibiliteacute
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La relation entre la motivation et la capaciteacute (ou entre la motivation et lapossibiliteacute) est multiplicative crsquoest-agrave-dire que les deux doivent ecirctre preacutesentespour que lrsquoon puisse faire une attribution de lrsquoaction agrave la personne Par contrela relation entre les forces personnelles et impersonnelles est additive crsquoest-agrave-dire que lrsquoune des deux doit ecirctre preacutesente pour qursquoil y ait une explication
Deux lectures peuvent ecirctre faites de ce scheacutema
ndash la distinction entre motivation et possibiliteacute les deux termes regroupanteux-mecircmes lrsquoensemble des causes sont neacutecessaires agrave lrsquoaction
ndash la distinction entre les forces personnelles et impersonnelles (que lrsquoonappellera par la suite la dimension interne-externe) qui se preacutesente commeune alternative on fait une attribution interne ou externe chacune drsquoellesest suffisante
Crsquoest la seconde distinction qui a eacuteteacute retenue de faccedilon quelque peusimplificatrice par les successeurs de Heider et qui est agrave la base de la plupartdes travaux sur lrsquoattribution causale Lrsquoobjectif des chercheurs a alors eacuteteacute dedeacutecrire les conditions ou les conseacutequences drsquoune attribution interne ou externeplutocirct que de deacutecrire les attributions pour elles-mecircmes Cette simplification asans doute eu des effets dommageables sur le deacuteveloppement des theacuteories delrsquoattribution et sur leur capaciteacute agrave rendre compte des explications reacuteelles dansdes situations sociales
Mais dans lrsquoesprit de Heider ces causes ne sont pas indeacutependantes nonseulement la capaciteacute et lrsquoenvironnement deacuteterminent la possibiliteacute mais deplus lrsquoeffort est le meilleur moyen de connaicirctre la difficulteacute de la tacircche quifait partie de lrsquoenvironnement De mecircme la chance comme facteur causaldeacutepend de ce que nous connaissons des capaciteacutes de la personne la reacuteussiteinattendue drsquoune personne dont nous pensons qursquoelle avait peu de capaciteacutespour cette tacircche se verra attribuer agrave la chance
La capaciteacute est lieacutee agrave lrsquoenvironnement dans le concept de possibiliteacute plusla tacircche est difficile plus jrsquoai besoin de capaciteacutes importantes et inversementune tacircche facile ne requiert pas beaucoup de capaciteacutes De ce fait agrave lrsquointeacuterieurde la causaliteacute personnelle la motivation est la cause la plus importantela seule cause veacuteritablement personnelle indeacutependante de lrsquoenvironnementDe plus agrave lrsquointeacuterieur de la motivation crsquoest lrsquointention qui est deacuteterminantecar elle deacutefinit le but que se fixe lrsquoacteur
On peut ainsi opposer lrsquointention agrave toutes les autres causes qui concernentles moyens en relation avec lrsquoenvironnement Cette importance de lrsquointen-tionnaliteacute de la cause est souligneacutee par de nombreux auteurs ce point seradeacuteveloppeacute dans la section B
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22 La liberteacute et le choix de lrsquoaction
Agrave la suite de Heider Jones et Davis (1965) se sont plus particuliegraverement inteacute-resseacutes aux conditions des attributions internes (appeleacutees aussi dispositionnellesparce qursquoelles supposent chez la personne une disposition agrave adopter laconduite objet de lrsquoattribution) La condition principale pour qursquoune telleattribution ait lieu est que lrsquoobservateur suppose chez lrsquoacteur une intention cette derniegravere se deacutecompose en deux eacuteleacutements
ndash la conscience chez lrsquoacteur des effets de son action
ndash la capaciteacute agrave produire ces effets
Srsquoil manque un de ces deux eacuteleacutements il ne peut y avoir drsquoattribution interne ainsi en droit peacutenal la deacutebiliteacute ou la maladie mentale eacutelimine la responsabiliteacutede lrsquoaccuseacute En effet dans ces deux cas la personne nrsquoest pas perccedilue commeeacutetant consciente des conseacutequences de son acte
Comme Heider Jones et Davis soulignent lrsquoimportance de lrsquointentioncomme facteur causal central de la causaliteacute personnelle de lrsquoaction Lapreacutesence de lrsquointention permet agrave lrsquoobservateur drsquoinfeacuterer chez lrsquoacteur unedisposition personnelle (un trait de personnaliteacute par exemple) En dehors desdeux conditions citeacutees (conscience et capaciteacute) un certain nombre drsquoautresconditions permettent drsquoaugmenter la probabiliteacute drsquoune attribution interne
ndash le fait que lrsquoacteur soit libre drsquoeffectuer lrsquoaction crsquoest-agrave-dire qursquoil ait lechoix entre plusieurs actions Si les contraintes de la situation sont tropfortes lrsquoattribution interne agrave la personne est peu probable En particulierplus une action est socialement deacutesirable moins lrsquoobservateur sera precirct agravepenser que lrsquoacteur eacutetait libre drsquoeffectuer lrsquoaction
ndash il faut que lrsquoaction preacutesente des effets speacutecifiques (appeleacutes effets laquo noncommuns raquo) diffeacuterents des effets obtenus par drsquoautres actions pour quelrsquoobservateur puisse en conclure que lrsquoacteur voulait obtenir cet effet aumoyen de cette action
23 Le modegravele du statisticien naiumlf
Pour Kelley (1967) un autre theacuteoricien important des theacuteories de lrsquoattributionles individus sont motiveacutes pour atteindre la maicirctrise cognitive de la structurecausale de leur environnement Pour cet auteur quand les gens expliquentcrsquoest avant tout pour comprendre Leur motivation essentielle est la recherchede la veacuteriteacute Alors que Jones et Davis ont eacutetudieacute les conditions drsquoune attribu-tion interne Kelley se preacuteoccupe surtout des conditions drsquoune attributionexterne juste Qursquoest-ce qui fait que lrsquoexplication de la conduite est juste dansquel cas est-elle incorrecte et pourquoi
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Selon lui lrsquoobservateur se comporte un peu agrave la maniegravere drsquoun laquo statisticiennaiumlf raquo qui utilise des modegraveles de traitement des donneacutees proches drsquoune techni-que statistique appeleacutee analyse de la variance Pour faire une attributionlrsquoobservateur eacutevalue plusieurs paramegravetres Imaginons un individu qui licencieacutepar son entreprise fait appel aux prudrsquohommes pour contester le licenciementLrsquoobservateur qui cherche agrave expliquer ce comportement se demande toutdrsquoabord si drsquoautres employeacutes licencieacutes de lrsquoentreprise font eux aussi appelaux prudrsquohommes ce faisant il eacutevalue le consensus Puis il se demande si cetemployeacute a deacutejagrave reacuteagi de la sorte agrave la suite drsquoun eacuteventuel preacuteceacutedent licencie-ment ici il srsquointerroge sur la consistance du comportement de cet employeacuteEnfin il peut aussi se demander si dans drsquoautres circonstances cet employeacute agravetendance agrave reacuteagir de cette faccedilon laquo contestataire raquo (eacutevaluation de la distinctiviteacutedu comportement) Si lrsquoobservateur conclut agrave la suite de ces investigationsque cet employeacute est le seul agrave reacuteagir de cette faccedilon qursquoil a deacutejagrave reacuteagi de lasorte lors drsquoun preacuteceacutedent licenciement et que de plus il manifeste dans descirconstances diverses une tendance geacuteneacuterale agrave contester alors il auratendance agrave faire une attribution interne de ce comportement Des conclusionsopposeacutees lrsquoamegraveneront agrave lrsquoinverse agrave faire une attribution externe
De nombreux travaux ont tenteacute de valider empiriquement ces hypothegraveseset ont conclu agrave lrsquoexistence de laquo biais raquo venant entraver la logique du raison-nement des sujets Mais comme Kelley (1972) lrsquoa reconnu par la suite leplus souvent quand on explique un eacuteveacutenement ou une conduite on utilisedes proceacutedures plus rapides et plus eacuteconomiques Il a alors introduit la notionde laquo scheacutema causal raquo qui est laquo une conception geacuteneacuterale que la personne aconcernant la maniegravere dont certains types de causes interagissent pour produireun type drsquoeffet particulier raquo (Kelley 1972 p 153 citeacute par Deschamps 1996p 218)
24 La divergence acteur-observateur
Plusieurs recherches portent sur les diffeacuterences entre les attributions faitespar un acteur sur sa propre conduite (auto-attributions) et celles effectueacutees parun observateur sur la conduite de lrsquoacteur (heacuteteacutero-attributions) Les reacutesultatsde ces expeacuteriences donnent agrave penser que les attributions faites par lrsquoacteurdiffegraverent de celles faites par lrsquoobservateur drsquoune maniegravere geacuteneacuterale lrsquoacteura tendance agrave expliquer son comportement par la situation alors que lrsquoobser-vateur a tendance agrave faire des attributions externes de ce mecircme comportement
Plusieurs interpreacutetations ont eacuteteacute proposeacutees de ce reacutesultat Pour Jones etNisbett (1972) acteur et observateur ne possegravedent pas la mecircme information lrsquoacteur dispose de plus de deacutetails sur la genegravese de son comportement sur sescirconstances son histoire Drsquoautre part lrsquoattitude de lrsquoacteur diffegravere aussi decelle de lrsquoobservateur ce qui est important pour lrsquoun ne lrsquoest pas forceacutementpour lrsquoautre lrsquoacteur connaicirct ses motivations qui peuvent rester eacutetrangegraveres
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agrave lrsquoacteur De plus non seulement lrsquoinformation est diffeacuterente mais sontraitement lrsquoest aussi pour lrsquoobservateur ce qui est important crsquoest le compor-tement non la situation il va comparer lrsquoacteur avec drsquoautres personnespeut-ecirctre lui-mecircme il va donc ecirctre conduit agrave faire des attributions internesLrsquoacteur au contraire eacutevalue son comportement par rapport agrave ses autrescomportements ce qui diffegravere alors crsquoest la situation qui devient de ce faitpreacutegnante agrave ses yeux En deacutefinitive un comportement perccedilu par lrsquoobservateurcomme une conseacutequence de lrsquointention de lrsquoacteur sera envisageacute par ce mecircmeacteur comme une reacuteponse agrave la situation
La relation entre lrsquoacteur et lrsquoobservateur est deacuteterminante pour Regan etTotten (1975) lorsqursquoil y a empathie entre un acteur et un observateur cedernier ne fait pas plus drsquoattributions internes que lrsquoacteur
Jones et Nisbett (1972) concluent de la mecircme faccedilon agrave lrsquoinfluence de lrsquoimpli-cation de lrsquoobservateur sur les attributions dans le cas ougrave lrsquoobservateur estimpliqueacute dans la conduite ou la performance de lrsquoacteur il aura tendance agraveadopter des explications proches de celles de lrsquoacteur
Pour Buss (1978) les attributions de lrsquoacteur et de lrsquoobservateur sont concep-tuellement diffeacuterentes le premier cherchant agrave eacutetablir les raisons de soncomportement le second les causes du comportement de lrsquoacteur Les deuxexplications relegravevent drsquoune logique diffeacuterente lrsquoexplication donneacutee par lrsquoacteureacutetant avant tout une justification une rationalisation de son comportement
En reacutesumeacute la relation entre lrsquoacteur et lrsquoobservateur (proximiteacute empathie)lrsquoeacutevaluation positive ou neacutegative du comportement de lrsquoacteur ainsi que lesattentes de lrsquoacteur et de lrsquoobservateur jouent un rocircle important dans ladivergence acteur-observateur
25 Les attributions des performances la motivation agrave la deacutefense du soi
251 Lrsquoaugmentation et la deacutefense de lrsquoestime de soi
De nombreux travaux sur les attributions des performances prennent pourhypothegravese et concluent agrave une tendance agrave expliquer la reacuteussite par des facteursinternes et lrsquoeacutechec par des facteurs externes ce que lrsquoon deacutesigne habituellementpar le biais de complaisance (self serving bias)
Cette formulation manifeste en fait elle-mecircme un biais par rapport auxreacutesultats obtenus en ce sens que le biais dit de complaisance est souvent relatif ce que lrsquoon observe en fait crsquoest que les attributions de la reacuteussite sont plusinternes que celles de lrsquoeacutechec et celles de lrsquoeacutechec plus externes que cellesde la reacuteussite Mais globalement le plus souvent les attributions sont plusinternes qursquoexternes aussi bien pour la reacuteussite que lrsquoeacutechec Ce qui pose laquestion de lrsquoimportance de ce biais souvent preacutesenteacute comme la caracteacuteristique
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essentielle des attributions de la reacuteussite et de lrsquoeacutechec par rapport par exempleau biais drsquointernaliteacute (le fait que les gens ont tendance agrave faire le plus souventdes attributions internes) Une des faccedilons de lever lrsquoambiguiumlteacute de la formulationest de postuler lrsquoexistence de deux biais le biais auto-avantageux (attributionsplus internes qursquoexternes pour la reacuteussite) et le biais auto-deacutefensif (attributionsplus externes qursquointernes pour lrsquoeacutechec)
252 Internaliteacute stabiliteacute intentionnaliteacute
La focalisation exclusive sur la dimension interne-externe occulte drsquoautresreacutesultats agrave un niveau plus fin et plus pertinent pour rendre compte des processusattributionnels Selon Weiner et al (1972) le succegraves et lrsquoeacutechec peuvent ecirctreattribueacutes agrave quatre types de causes la capaciteacute lrsquoeffort la difficulteacute de latacircche et la chance Mais la dimension interne-externe ne suffit pas pour diffeacute-rencier ces causes Il propose trois dimensions au lieu drsquoune lrsquointernaliteacute(srsquoagit-il drsquoune cause interne ou externe ) la stabiliteacute (srsquoagit-il drsquoune causestable ou instable ) et le controcircle (srsquoagit-il drsquoune cause controcirclable ou incontrocirc-lable par lrsquoacteur ) Par exemple la capaciteacute est une cause interne stable etincontrocirclable la chance une cause externe instable et incontrocirclable etc
La stabiliteacute permet de diffeacuterencier les causes modifiables agrave court terme(lrsquoeffort la chance) et les causes non modifiables agrave court terme (la capaciteacutela difficulteacute de la tacircche) (Weiner et al 1972)
Lrsquointentionnaliteacute oppose agrave lrsquointeacuterieur des causes internes les causes inten-tionnelles (le versant interne des causes controcirclables deacutefinies par Weiner lrsquoeffort le deacutesir de reacuteussir) et les causes non intentionnelles (la capaciteacute lestraits de personnaliteacute) Cette dimension a eacuteteacute prise en compte degraves les premierstravaux des theacuteoriciens de lrsquoattribution (Heider 1944 1958) elle est au cœurdu deacutebat sur les distinctions conceptuelles entre causes et raisons attributioncausale et attribution de responsabiliteacute
253 Perspective cognitive et motivationnelle
Globalement deux types drsquointerpreacutetation srsquoopposent classiquement agrave proposdes attributions de la performance comme dans drsquoautres domaines de lapsychologie sociale le point de vue cognitif qui met lrsquoaccent sur le traitementde lrsquoinformation effectueacute par le sujet et le point de vue motivationnel quimet lrsquoaccent sur le but poursuivi par le sujet Dans le domaine des explica-tions de la reacuteussite et de lrsquoeacutechec par exemple deux interpreacutetations se sontainsi opposeacutees
ndash lrsquointerpreacutetation motivationnelle lrsquoacteur par ses attributions tente de deacutefen-dre (attribution externe de lrsquoeacutechec) ou drsquoaugmenter (attribution interne dela reacuteussite) son estime de soi (Zuckermann 1979)
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ndash lrsquointerpreacutetation cognitive a avanceacute trois arguments (Miller et Ross 1975)baseacutes sur le fait que les gens en geacuteneacuteral srsquoattendent agrave mdash et souhaitent mdashreacuteussir
Ces deux interpreacutetations ont rassembleacute des donneacutees empiriques conformesagrave leurs preacutedictions Seuls quelques travaux ont tenteacute de les mettre en compeacute-tition Une des maniegraveres de tenter de trancher entre ces deux interpreacutetationsest de manipuler les attentes les interpreacutetations cognitive et motivationnellemegravenent en effet a priori agrave des preacutedictions diffeacuterentes
ndash drsquoun point de vue cognitif si je mrsquoattends agrave reacuteussir (ce que lrsquoon supposeecirctre en geacuteneacuteral le cas) et que je reacuteussis mes attentes sont confirmeacutees etjrsquoemploierai une causaliteacute interne si jrsquoeacutechoue jrsquoemploierai une causaliteacuteexterne mes attentes nrsquoeacutetant pas confirmeacutees En attente drsquoeacutechec crsquoestlrsquoinverse Ce qui fait que de ce point de vue le biais dit de complaisancene devrait srsquoobserver qursquoen attente de reacuteussite
ndash le point de vue motivationnel megravene normalement aux preacutedictions inverses si je mrsquoattends agrave reacuteussir le fait de reacuteussir ne me permet pas drsquoaugmenterbeaucoup mon estime de soi et lrsquoeacutechec doit conduire agrave une baisse de monestime de soi Si je mrsquoattends agrave eacutechouer par contre la reacuteussite me permetdrsquoaugmenter mon estime de soi et jrsquoai pour lrsquoeacutechec une laquo excuse raquo toutetrouveacutee (la tacircche eacutetait difficile) Le biais de complaisance devrait doncsrsquoobserver en attente drsquoeacutechec non de reacuteussite
En dehors des interpreacutetations cognitive et motivationnelle des attributionsune troisiegraveme interpreacutetation plus sociale postule que les gens cherchent agrave sevaloriser aux yeux des autres en srsquoattribuant le creacutedit de leurs reacuteussites et nonde leurs eacutechecs (Bradley 1978) Ce courant fait partie de ce que lrsquoon pourraitappeler plus globalement la conception normative des attributions
3 LA MOTIVATION SOCIALE
31 La norme drsquointernaliteacute
Dans le domaine des attributions beaucoup de reacutesultats peuvent faire et ontfait lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation en termes de normes normes de genre (Deauxet Emswiller 1974) norme drsquointernaliteacute (Jellison et Green 1981 Beauvois1984 Dubois 1994) normes de responsabiliteacute attacheacutees aux rocircles (Heider1958 Hamilton 1978 1980 Fincham et Jaspars 1980)
Le point de deacutepart du courant de recherche sur la norme drsquointernaliteacute estdouble les travaux sur le locus of control et les theacuteories de lrsquoattributionBien que portant lui aussi sur les explications le locus of control diffegravere de la
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notion drsquoattribution Trois aspects paraissent essentiels pour distinguer locusof control et attributions tout drsquoabord le locus of control est une anticipationgeacuteneacuterale a priori de la personne par rapport agrave ce qui lui arrive alors quelrsquoexplication causale est une explication apregraves-coup drsquoun comportement oudrsquoun eacuteveacutenement De plus alors que les travaux sur le locus of control ne sereacutefegraverent qursquoagrave la dimension interne-externe et utilisent la plupart du temps deseacutechelles dichotomiques dites laquo agrave choix forceacute raquo de mesure de cette dimensionles theacuteories de lrsquoattribution utilisent des dimensions des meacutethodologies etdes conceptualisations plus varieacutees En reacutesumeacute le locus of control porte sur lescroyances de lrsquoindividu concernant le controcircle interne ou externe des eacuteveacutene-ments il peut ecirctre assimileacute agrave un trait de personnaliteacute ou agrave une croyancealors que les attributions concernent les explications drsquoun eacuteveacutenement ou drsquouneconduite
Le problegraveme poseacute par les travaux sur la norme drsquointernaliteacute est la focalisationexclusive sur la dimension interne-externe qui pourrait donner agrave penser quela mesure de lrsquointernaliteacute est le seul domaine de recherches dans lrsquoeacutetude desattributions Malgreacute son importance indeacuteniable drsquoautres travaux tregraves nombreuxeux aussi mettent lrsquoaccent sur drsquoautres dimensions des explications lastabiliteacute la controcirclabiliteacute et lrsquointentionnaliteacute Agrave lrsquointeacuterieur des causes internesde nombreux reacutesultats permettent de diffeacuterencier la capaciteacute cause internestable incontrocirclable et non intentionnelle et lrsquoeffort cause interne instablecontrocirclable et intentionnelle (Nicholls 1976 Sohn 1977 Covington etOmelich 1979 a et b 1984 Covington Spratt et Omelich 1980 Surber 1981 Brown et Weiner 1984 Weiner et Brown 1984 Hewstone 1990 Feather1992 Juvonen et Murdock 1993 1995 Weiner 1996)
Plusieurs auteurs ont notamment deacuteveloppeacute des travaux sur lrsquointentionnaliteacuteet la responsabiliteacute ce qui permet de diffeacuterencier clairement les deux conceptsdrsquointernaliteacute et de responsabiliteacute
32 Internaliteacute et responsabiliteacute une distinction conceptuelle neacutecessaire
Dans lrsquointroduction de leur article Jellison et Green (1981) insistent sur unpoint essentiel quand lrsquoindividu est confronteacute agrave un eacutechec il est non seule-ment victime drsquoun eacuteveacutenement neacutegatif mais il est en mecircme temps confronteacute agraveun dilemme concernant ce qursquoon pourrait appeler la justification de soneacutechec Soit il lrsquoexplique de faccedilon externe crsquoest-agrave-dire non normative dupoint de vue de lrsquointernaliteacute soit il lrsquoexplique de faccedilon interne et il srsquoexposeselon les termes mecircmes de Jellison et Green laquo agrave la punition potentielle poursa responsabiliteacute constateacutee raquo Il y a lagrave un glissement seacutemantique de lrsquointerna-liteacute agrave la responsabiliteacute lourd de conseacutequences En effet on vient de le voirHeider avait clairement distingueacute au sein des facteurs internes la capaciteacute et
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lrsquointention regroupant la capaciteacute avec les facteurs externes sous lrsquoappellationde possibiliteacute et opposant une causaliteacute centreacutee sur lrsquointention agrave une causaliteacutescientifique ce que plusieurs auteurs ont explicitement repris et deacuteveloppeacuteEn assimilant internaliteacute et responsabiliteacute on gomme cette distinction essen-tielle et on srsquoempecircche de comprendre les reacuteponses des sujets face agrave cedilemme
321 La norme de responsabiliteacute
Lrsquointernaliteacute se reacutefegravere agrave lrsquoensemble des facteurs internes agrave lrsquoindividu alorsque la responsabiliteacute fait plus particuliegraverement reacutefeacuterence aux facteurs inten-tionnels au sein des facteurs internes Agrave la suite de Heider un certain nombredrsquoauteurs ont mis lrsquoaccent sur lrsquointention Ces auteurs ont mis lrsquoaccent surdeux types de causaliteacute une causaliteacute centreacutee sur la recherche de lrsquointentionet une causaliteacute agrave caractegravere rationnel scientifique Crsquoest encore une foisHeider qui a ouvert la voie dans un de ses premiers articles
Lrsquoorigine et la cause
Dans un article datant de 1944 intituleacute laquo Perception sociale et causaliteacutepheacutenomeacutenale raquo Heider eacutetablit une distinction entre lrsquoorigine et la cause Leprototype de lrsquoorigine est la personne prototype qui srsquoappuie sur lrsquoexpeacuterienceoriginelle chez lrsquoenfant de lrsquounion de lrsquoagent et de lrsquoaction Heider se reacutefegravere agraveFauconnet (1928) lrsquohomme est une cause premiegravere au moins pour laqualiteacute morale de ses actes Agrave lrsquoinverse la science ne connaicirct que des causessecondaires toute cause est lrsquoeffet drsquoune autre cause il nrsquoy a pas de diffeacuterencede nature entre la cause et lrsquoeffet il nrsquoy a pas non plus de cause initiale maisau contraire une reacutegression causale sans fin Pour Fauconnet la recherche dela cause premiegravere personnelle srsquoenracine dans le besoin social de trouver uneresponsabiliteacute aux deacutelits et aux crimes pour pouvoir ensuite appliquer unesanction La socieacuteteacute ne peut annuler les crimes mais en punissant les personnesdeacuteclareacutees responsables elle les compense En geacuteneacuteralisant on peut fairelrsquohypothegravese que cette recherche de responsabiliteacute srsquoapplique non seulementaux crimes mais agrave tout ce qui paraicirct deacuteviant anormal eacutetrange non-familier(Moscovici 1983) Une des fonctions de nos explications quotidiennes est lafamiliarisation de lrsquoeacutetrange
Moscovici (1983) srsquoappuie sur les ideacutees de Fauconnet et de Heider et parledrsquoune double causaliteacute (ou drsquoune bi-causaliteacute)
ndash lrsquoimputation crsquoest une recherche de responsabiliteacute la question que sepose spontaneacutement lrsquohomme de la rue devant un eacuteveacutenement eacutetrange nonfamilier est laquo Qui est agrave blacircmer raquo Lrsquoattitude sous-jacente agrave nos explica-tions spontaneacutees est le soupccedilon la suspicion laquo Il nrsquoy a pas de fumeacutee sansfeu raquo Cette recherche de responsabiliteacute est stimuleacutee par la perception drsquouncontraste entre la repreacutesentation a priori drsquoun pheacutenomegravene (le prototype) et
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le pheacutenomegravene observeacute ou en drsquoautres termes entre la regravegle et lrsquoexceptionle familier et le non-familier le normal et lrsquoanormal Cette perception delrsquoeacutetrange deacuteclenche spontaneacutement en nous la recherche drsquointentions cacheacuteesde motifs obscurs Il cite MacIver (1942) laquo Crsquoest lrsquoexception la deacutevia-tion lrsquointerfeacuterence lrsquoanormaliteacute qui stimule notre curiositeacute et sembleappeler une explication Et nous attribuons souvent agrave une laquo cause raquo tout cequi nous arrive qui caracteacuterise la situation nouvelle non anticipeacutee oualteacutereacutee raquo
Cette causaliteacute est une causaliteacute primaire non reacutefleacutechie spontaneacutee qursquoilappelle aussi une causaliteacute laquo agrave la premiegravere personne raquo
ndash lrsquoattribution crsquoest une causaliteacute secondaire laquo agrave la troisiegraveme personne raquocrsquoest-agrave-dire qursquoelle nrsquoest pas spontaneacutee mais apprise au cours de lrsquoeacuteduca-tion lrsquoapprentissage du langage et du discours rationnel de la sciencenous dicte cette forme de raisonnement Cette causaliteacute est celle qui a eacuteteacuteprise comme modegravele comme reacutefeacuterence par les principaux theacuteoriciens delrsquoattribution crsquoest la deacutemarche de lrsquohistorien du psychologue ou plusgeacuteneacuteralement de lrsquohomme de science Agrave lrsquoinverse de la premiegravere elleminimise dans les pheacutenomegravenes conduites ou eacuteveacutenements la part drsquointen-tion ou de responsabiliteacute et cherche au contraire agrave les eacutetudier drsquoune maniegravereimpartiale
Le point important est que pour cet auteur dans la causaliteacute primaire crsquoestlrsquoexplication qui domine elle est domineacutee par le pourquoi et il y a passageautomatique de la description agrave lrsquoexplication Dans la causaliteacute secondaireau contraire crsquoest la description qui domine la question essentielle est lecomment elle cherche agrave eacuteliminer le pourquoi
En se centrant sur les causes laquo rationnelles raquo les theacuteories de lrsquoattributionnrsquoont pris en compte qursquoun seul type de causaliteacute la causaliteacute scientifiqueOr bien souvent dans la vie de tous les jours lrsquoindividu ne se comporte pascomme un statisticien mais bien plutocirct comme un juriste
La responsabiliteacute le modegravele du laquo juriste naiumlf raquo
Les theacuteoriciens classiques (Heider Kelley ou Weiner par exemple) mentionnentprincipalement des raisons intra-individuelles pour lesquelles les gens fontdes attributions le besoin de controcircle le besoin de compreacutehension et lebesoin de sauvegarder lrsquoestime de soi Le besoin de compreacutehension expliqueque les gens fonctionnent comme des laquo statisticiens naiumlfs raquo le besoin decontrocircle ou de sauvegarde de lrsquoestime de soi explique qursquoils commettentquelques laquo erreurs raquo cumulant paradoxalement le double handicap de lanaiumlveteacute et de la mauvaise foi Ces interpreacutetations srsquoappuient explicitementsur le sens commun sur des dichotomies qui nous sont familiegraveres la raisonet lrsquoaffect notamment
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Fincham et Jaspars (1980) prennent comme point de deacutepart la distinctionentre attribution causale et attribution de responsabiliteacute Dans lrsquoattribution deresponsabiliteacute le sujet responsable doit rendre compte de quelque chosedevant quelqursquoun (responsable vient du mot latin respondere reacutepondre)Une personne est rendue responsable par une demande qui lui est faite derepousser des accusations qui si elles eacutetaient eacutetablies conduiraient agrave lasanction Les auteurs font le parallegravele en srsquoappuyant notamment sur les travauxde Hart et Honoreacute (1959) entre lrsquoexplication quotidienne et la deacutemarche juri-dique pour eacutetablir la responsabiliteacute peacutenale de lrsquoaccuseacute deux eacuteleacutements sontneacutecessaires la reacutealiteacute de lrsquoacte (actus reus) et la reacutealiteacute de lrsquointention (mensrea) Si lrsquoacte est eacutetabli il convient de se demander srsquoil y a eu intention et sicette derniegravere est eacutetablie on applique la sanction Dans les situations quoti-diennes les eacuteleacutements pris en compte sont les mecircmes mais le raisonnementqui leur est appliqueacute est inverse puisqursquoun individu ou un groupe sontvictimes drsquoune sanction peacutenale (prison) ou sociale (situation drsquoexclusion deminoriteacute ou de domineacute drsquoeacutechec scolaire) crsquoest donc qursquoils sont coupables le raisonnement sous-jacent agrave nos explications quotidiennes est laquo Il nrsquoy apas de fumeacutee sans feu raquo
Lrsquoordre de la deacutemarche leacutegale est
Cause + Intention AElig Blacircme AElig Punition
Celui de nos explications quotidiennes est
Punition AElig Blacircme AElig Cause + Intention
Malgreacute lrsquoinversion du raisonnement dans les deux cas il srsquoagit de mettreen relation un comportement deacuteviant avec une intention coupable Enpreacutesence drsquoun eacuteveacutenement anormal la penseacutee de sens commun seacutelectionneparmi lrsquoensemble des causes possibles celle qui correspond agrave ce scheacutema avecle double avantage de simplifier le problegraveme et de pouvoir le controcircler enagissant sur lui
Responsabiliteacute et normes sociales
Pour Hamilton (1980) le point important dans lrsquoattribution de responsabiliteacuteest de deacuteterminer si lrsquoacteur aurait pu faire autrement en fonction de la situa-tion Si dans une situation donneacutee tout homme raisonnable aurait agi defaccedilon identique lrsquoacteur nrsquoest pas coupable Si agrave lrsquoinverse il avait la possi-biliteacute de reacutesister aux pressions de la situation exteacuterieure alors il est consideacutereacutecomme responsable du point de vue leacutegal ou moral
Lrsquoattribution de responsabiliteacute met donc en jeu une norme sociale (laquo lrsquohommeraisonnable raquo) en relation avec une situation Fincham et Jaspars (1980) vontplus loin en avanccedilant lrsquoideacutee que selon la position sociale et les normes qui ysont attacheacutees la responsabiliteacute nrsquoest pas la mecircme Autrement dit il ne srsquoagitplus seulement de lrsquohomme raisonnable mais de lrsquohomme raisonnable ayantune position sociale deacutetermineacutee et des normes attacheacutees agrave cette position Ces
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auteurs reprennent la notion avanceacutee par Hamilton (1978 1980) de responsa-biliteacute de rocircle en utilisant la distinction faite par Heider entre 5 niveaux deresponsabiliteacute1 Ils avancent lrsquoideacutee que si du point de vue leacutegal ou moral lapossibiliteacute theacuteorique existe drsquoecirctre responsable agrave chacun de ces cinq niveauxdans les faits seuls certains individus assumant certains rocircles sociaux peuventecirctre tenus pour responsables aux niveaux les plus eacuteleveacutes (les plus exigeants)Selon les normes attacheacutees aux positions sociales le niveau de responsabiliteacutede la personne sera donc tregraves diffeacuterent La notion de responsabiliteacute de rocirclepeut mecircme ecirctre preacuteciseacutee en distinguant les attentes de rocircle des observateurset de lrsquoacteur Des conflits entre ces diverses repreacutesentations du rocircle peuventeacutevidemment entraicircner des divergences concernant le niveau de responsabiliteacuteaffeacuterent au rocircle
Un dernier point important si la notion drsquointention est indispensable poureacutetablir la responsabiliteacute au plan leacutegal ou moral lrsquoabsence drsquointention peutaussi ecirctre une condition suffisante pour eacutetablir la responsabiliteacute (voir parexemple la notion leacutegale de non-assistance agrave personne en danger) Lrsquoabsencedrsquoeffort est ainsi une cause freacutequemment invoqueacutee par les enseignants pourexpliquer lrsquoeacutechec de leurs eacutelegraveves
En bref lrsquoexplication quotidienne entretient un lien de similariteacute eacutetroitavec la recherche leacutegale de responsabiliteacute beaucoup plus qursquoavec la deacutemarchedu statisticien ou du psychologue expeacuterimental Les reacutesultats expeacuterimentauxclassiques doivent ecirctre rapporteacutes aux conditions dans lesquels ils ont eacuteteacute produitset analyseacutes crsquoest-agrave-dire en dehors du contexte socio-normatif dans lesquelsils sont produits Il nrsquoempecircche que les processus mis agrave jour fonctionnent
1 Les cinq niveaux distingueacutes par Heider (1958) sont les suivants ndash 1er niveau (le plus exigeant) une personne est tenue responsable pour chaque eacuteveacutenement qui
est drsquoune maniegravere ou drsquoune autre relieacute agrave elle par exemple un ministre peut ecirctre tenu pourresponsable de toute faute commise par lrsquoun de ses subordonneacutes ou une personne peut ecirctretenue pour responsable des crimes de ses ancecirctres
ndash 2e niveau tout ce qui est causeacute par la personne lui est imputeacute mecircme si elle ne lrsquoavait paspreacutevu Par exemple le conducteur drsquoun veacutehicule ayant causeacute un accident de voiture peut ecirctredeacuteclareacute responsable de cet accident Crsquoest ce que Piaget appelle la responsabiliteacute objective
ndash 3e niveau une personne est perccedilue responsable pour chaque eacuteveacutenement dont elle est la causeet qursquoelle peut avoir preacutevu mecircme si cet eacuteveacutenement nrsquoest pas le reacutesultat drsquoune intention carelle aurait pu lrsquoeacuteviter mais ne lrsquoa pas fait laquo par stupiditeacute neacutegligence ou faiblesse morale raquo(Heider 1958 p 113)
ndash 4e niveau une personne est perccedilue responsable pour ce qursquoelle a eu lrsquointention de faire crsquoest ce que Piaget appelle la responsabiliteacute subjective
ndash 5e niveau une personne nrsquoest pas forceacutement perccedilue comme entiegraverement responsable de sonintention car celle-ci est vue comme ayant sa source dans lrsquoenvironnement En derniegravereanalyse la responsabiliteacute de lrsquoaction appartient agrave la situation externe
Par exemple un chef drsquoentreprise pourra ecirctre tenu responsable drsquoun accident survenu dans sonentreprise alors mecircme que cet accident a eacuteteacute causeacute par la faute drsquoune autre personne (niveau 1)Un eacutelegraveve peut ne pas ecirctre tenu pour responsable de son eacutechec mecircme srsquoil srsquoavegravere qursquoil nrsquoa faitaucun effort pour reacuteussir dans la mesure ougrave lrsquoon considegravere que son absence drsquoeffort vient deconditions familiales affectives ou socio-eacuteconomiques handicapantes (niveau 5)
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aussi sans doute dans des conditions sociales laquo reacuteelles raquo Mais leur inter-preacutetation neacutecessite de les replacer dans le cadre dans lequel ils sont habituel-lement utiliseacutes crsquoest ce qui a eacuteteacute fait au moyen du parallegravele entre la deacutemarchejuridique et lrsquoexplication de sens commun
Plusieurs travaux ont montreacute lrsquoimportance de la prise en compte du contextepour comprendre nos explications sociales Ces travaux montrent que desprocessus tels que le biais de complaisance la divergence acteur-observateurou le biais drsquointernaliteacute sont profondeacutement modifieacutes selon le contexte
4 LrsquoEFFET DU CONTEXTE
41 Public ou priveacute
Bradley (1978) a montreacute que dans un contexte public des auto-attributionscontre-deacutefensives (attributions de lrsquoeacutechec agrave des facteurs internes et de lareacuteussite agrave des facteurs externes) pouvaient ecirctre utiliseacutees par les sujets commestrateacutegie de preacutesentation de soi Ross constate un pattern de reacuteponses simi-laire en demandant agrave des sujets jouant le rocircle drsquoenseignants drsquoexpliquer leurreacuteussite ou leur eacutechec agrave enseigner une leccedilon agrave des eacutelegraveves Srsquointeacuteressant aupoint de vue de lrsquoobservateur de telles attributions Tetlock (1980) montreque cette strateacutegie est efficace il demande agrave des observateurs drsquoeacutevaluer desenseignants ayant fait des attributions deacutefensives ou contre-deacutefensives lesobservateurs eacutevaluent plus favorablement les attributions modeacutereacutement contre-deacutefensives que les attributions deacutefensives
Monteil Bavent et Lacassagne (1986) observent un deacutecalage chez desenseignants entre les explications publiques de lrsquoeacutechec scolaire (ils pensentque leurs reacuteponses seront publieacutees dans un journal drsquoune feacutedeacuteration deparents drsquoeacutelegraveves) et priveacutees (pas de publication annonceacutee) les enseignantsen condition laquo publique raquo ont tendance agrave donner des explications de lrsquoeacutechecplus externes (le milieu social) que les enseignants en condition laquo priveacutee raquo(les capaciteacutes des eacutelegraveves) Gosling (1992) observe les mecircmes reacutesultats endiffeacuterenciant des enseignants qui acceptent de donner leur nom (situationdrsquoindividuation) pour un entretien futur et ceux qui refusent (situationdrsquoanonymat) les premiers eacutetant plus externes que les seconds en conditionlaquo anonymat raquo les enseignants rendent responsables les eacutelegraveves de leur eacutechec(attribution au manque drsquoeffort notamment) mais pas en condition laquo indi-viduation raquo (attribution au milieu social aux horaires trop lourds auxprogrammes)
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84 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
42 Lrsquoeffet de lrsquointerlocuteur la viseacutee sociale de lrsquoexplication
Juvonen et Murdock (1993) interrogent au moyen de sceacutenarios des eacutetudiantssur la faccedilon dont ils expliqueraient une reacuteussite ou un eacutechec agrave un examensrsquoils reacutepondaient agrave un enseignant un parent ou un camarade Les reacutesultats(tableau 41) montrent clairement que vis-agrave-vis des adultes les eacutelegraveves cher-chent surtout agrave eacuteviter lrsquoexplication de lrsquoeacutechec par le manque drsquoeffort (et lasanction qui lui est lieacutee) ce qui nrsquoest pas du tout le cas vis-agrave-vis de leurspairs pour lesquels le manque de travail peut ecirctre une valeur sociale relative-ment dominante De mecircme la chance est plus souvent employeacutee par leslyceacuteens quand ils expliquent leur reacuteussite agrave un de leur camarade plutocirct qursquoagraveun adulte mais crsquoest lrsquoinverse pour lrsquoeacutechec Enfin lrsquoeacutequiteacute de lrsquoeacutevaluation(qui remplace ici la difficulteacute de la tacircche) est plus souvent utiliseacutee pour lareacuteussite expliqueacutee agrave un enseignant qursquoagrave un camarade ou agrave leurs parents etcrsquoest lrsquoinverse pour lrsquoeacutechec
Notons que dans cette expeacuterimentation les auteurs demandaient explicite-ment aux eacutelegraveves de reacutepondre en cherchant agrave se faire laquo bien voir raquo de lapersonne agrave laquelle ils srsquoadressaient ce qui montre que les lyceacuteens sont toutagrave fait laquo clairvoyants raquo conscients des usages normatifs des explications Ils
Tableau 41Explications de la reacuteussite et de lrsquoeacutechec selon la personne
agrave laquelle srsquoadressent les sujets (Juvonen et Murdock 1993)
Parents Enseignants Pairs
Reacuteussite
Capaciteacute 5 44 4
Effort 78 816 277
Eacutequiteacute 48 54 47
Chance 375 354 5
Eacutechec
Capaciteacute 51 52 42
Effort 296 422 591
Eacutequiteacute 583 448 516
Chance 426 474 369
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savent qursquoil vaut mieux dire agrave un camarade que lrsquoon reacuteussit par chance et quelrsquoon eacutechoue par manque drsquoeffort et agrave un enseignant que lrsquoon reacuteussit du faitde lrsquoeacutequiteacute de son eacutevaluation et que lrsquoon eacutechoue par manque de capaciteacute Cesusages sociaux des explications ont eacuteteacute largement sous-estimeacutes jusqursquoagravemaintenant dans lrsquoeacutetude des attributions en dehors des travaux sur la normedrsquointernaliteacute
Si ces reacutesultats font apparaicirctre drsquoautres normes concernant les attributionsque la norme drsquointernaliteacute ils ne remettent pas en cause lrsquoexistence de cettederniegravere dont lrsquoefficaciteacute sociale a eacuteteacute amplement deacutemontreacutee notammentdans les situations drsquoeacutevaluation Ils montrent qursquoagrave cocircteacute de cette normedrsquoautres normes jouent aussi un rocircle notamment pour la reacuteussite (norme demodestie) De plus agrave un niveau plus fin la distinction entre capaciteacute et effortjoue un rocircle tregraves important et permet de distinguer lrsquoeffet de deux types denormes distinctes lrsquoeacutethique du travail et la norme de reacuteussite
Lrsquoessentiel est la viseacutee sociale de lrsquoattribution (Doise 1993) La reacuteussite etlrsquoeacutechec mettent en jeu des viseacutees sociales diffeacuterentes Pour lrsquoeacutechec lrsquoenjeuest celui de la responsabiliteacute on cherche agrave lrsquoeacuteviter pour soi-mecircme et agravelrsquoeacutetablir pour les autres Il srsquoagit donc drsquoune diffeacuterence entre soi et autruientre lrsquoacteur et lrsquoobservateur Pour la reacuteussite lrsquoenjeu est celui de lrsquooppo-sition entre reacuteponse publique et priveacutee La laquo vraie raquo explication est internemais il est valoriseacute drsquoafficher une explication externe On demande agrave celuiqui eacutechoue drsquoecirctre sincegravere et responsable agrave celui qui reacuteussit drsquoecirctre modesteNon seulement les observateurs mais les acteurs eux-mecircmes sont conscientsde ces valorisations normatives des explications et ils savent les utiliser defaccedilon diffeacuterencieacutee selon le public auquel ils srsquoadressent
43 Attributions et relations inter-groupes
Un des facteurs importants deacuteterminant le contenu et la forme des repreacutesen-tations et des explications est lrsquoappartenance groupale Selon le ou les groupesauxquels lrsquoindividu srsquoidentifie les conceptions du monde et les explicationspreacutesentent des diffeacuterences importantes
Crsquoest notamment le cas lorsque les attributions concernent des relationsentre groupes dans ce cas lrsquoappartenance collective prime sur les caracteacute-ristiques individuelles (Deschamps 1987) De nombreuses recherches ontmontreacute que lorsqursquoil y avait agrave faire une attribution pour une conduite ou uneacuteveacutenement positifs la causaliteacute eacutetait plus interne pour lrsquoin-group que pourlrsquoout-group (et lrsquoinverse dans le cas drsquoeacuteveacutenements ou de conduites neacutegatifs)(Deschamps 1987) Neacuteanmoins des recherches ont donneacute des reacutesultatsinverses Towsend (1979) a montreacute que les pauvres ont une causaliteacute internede la pauvreteacute ce qui indique que la relation existant entre la position sociale
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86 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
et les repreacutesentations ou les attributions est loin drsquoecirctre meacutecanique du faitnotamment de la hieacuterarchie inteacuterioriseacutee par les individus des positionssociales De plus chaque individu appartient agrave des groupes multiples et reacuteagiten fonction de ses diverses appartenances qui sont parfois conflictuelles Ainsicertains enseignants ont une repreacutesentation conflictuelle de lrsquointelligencepartageacutes entre leur rocircle drsquoenseignant et leur rocircle de parent (Mugny et Carugati1985) Gosling (1992) montre lrsquoexistence chez les enseignants drsquoun conflitentre leur appartenance syndicale ou leurs reacutefeacuterences ideacuteologiques drsquoune partet leur rocircle drsquoenseignant drsquoautre part
Comme le montre lrsquoenquecircte citeacutee sur la pauvreteacute le statut social joue unrocircle important dans lrsquoidentification au groupe pouvant aller jusqursquoagrave inverserla sureacutevaluation sociocentrique (en produisant un biais en faveur de lrsquoout mdashgroup) Pagegraves (1968) propose une distinction entre deux types de population
ndash les populations laquo endonomes raquo ou auto-ideacutealisantes pour lesquelles il y acoiumlncidence de la norme ideacuteale et de la norme statistique (la tendancecentrale) ce serait le cas des populations europeacuteennes et anglo-saxonnes
ndash les populations laquo exonomes raquo pour lesquelles il y a non-coiumlncidence entreles normes ideacuteales et la tendance statistique centrale
Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale les groupes dominants ou agrave haut statut sont plusendonomes que les groupes domineacutes et ont donc tendance agrave augmenter lebiais socio-centrique en leur faveur Deaux et Emswiller (1974) montrent ainsique la reacuteussite est expliqueacutee par la capaciteacute pour un homme et agrave la chancepour une femme Plus preacuteciseacutement ces reacutesultats se veacuterifient dans une tacirccheperccedilue comme masculine mais pas dans le cas drsquoune tacircche perccedilue commefeacuteminine pour laquelle un homme est perccedilu comme aussi compeacutetent qursquounefemme
Taylor et Jaggi (1974) interrogent des sujets de religion hindoue par ques-tionnaire ils avaient pour tacircche drsquoeacutevaluer des sujets hindous et musulmansau moyen drsquoune liste drsquoadjectifs comme preacutevu les sujets eacutevaluent plusfavorablement leur propre groupe Dans une seconde tacircche les sujets lisaientdes sceacutenarios dans lesquels quelqursquoun (hindou ou musulman) avait agrave leur eacutegardun comportement deacutesirable ou indeacutesirable Ils devaient ensuite expliquerle comportement de lrsquoacteur au moyen de quatre ou cinq causes possiblesLes reacutesultats (tableau 42) montrent que les comportements deacutesirablessont expliqueacutes de faccedilon plus interne quand il srsquoagit drsquoun hindou plutocirct quedrsquoun musulman et que crsquoest lrsquoinverse pour un comportement indeacutesirable
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44 Dissonance cognitive et explications causales
La dissonance cognitive (Festinger 1957) est un eacutetat drsquoinconfort psychologiqueressenti par un individu suite agrave une inconsistance interne par exemple entreune attitude et un comportement Une faccedilon simple de reacuteduire ce malaise estdrsquoeacutelaborer une explication de cette inconsistance par exemple une explicationdu comportement inconsistant avec lrsquoattitude initiale (laquo en geacuteneacuteral je deacutetestementir mais cette fois jrsquoai menti parce que jrsquoai penseacute que la veacuteriteacute lui aurait eacuteteacuteinsupportable raquo) De la mecircme faccedilon les membres drsquoune secte qui preacutevoyaientla fin du monde (Festinger Riecken Schachter 1956) ont expliqueacute lrsquoeacutechecde leur propheacutetie par lrsquoefficaciteacute de leur croyance leur foi a sauveacute le mondeUn autre mode de reacuteduction de la dissonance plus simple parce qursquoil neneacutecessite pas lrsquoeacutelaboration drsquoune explication est le deacuteni de responsabiliteacute(Gosling Denizeau Oberleacute 2006) un peu comme font les enfants quireacutepondent laquo ce nrsquoest pas ma faute raquo quand on leur reproche quelque chosece mode de reacuteduction deacutefensif est employeacute sous des formes plus eacutelaboreacuteesdans la vie quotidienne pour diminuer le malaise voire la culpabiliteacute ressentiepar un acte inconsistant avec une attitude ou une valeur agrave laquelle on adhegravere
5 CONCLUSION
Les theacuteories de lrsquoattribution ont emprunteacute agrave diverses conceptions du sujethumain de la meacutetaphore du scientifique naiumlf agrave celle de lrsquoordinateur qui setrompe du juriste naiumlf au sujet socialement inseacutereacute deacutetermineacute par des repreacute-sentations sociales ou des normes La valeur sociale de nos explications aremplaceacute la notion de validiteacute objective Plutocirct que de savoir quelle est lrsquoexpli-cation juste de nombreux auteurs pensent maintenant que le sujet se preacuteoccupede savoir quelle est lrsquoexplication socialement valoriseacutee Plutocirct que de chercheragrave comprendre le sujet eacutevalue autrui agrave travers ses heacuteteacutero-attributions et estmotiveacute agrave ecirctre eacutevalueacute favorablement par autrui au moyen de ses auto-attributions
Tableau 42Pourcentage des causaliteacutes internes attribueacutees par des sujets hindous (Taylor et Jaggi 1974)
Deacutesirable Indeacutesirable
Hindou 5833 25
Musulman 1166 325
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88 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
La norme drsquointernaliteacute cela a eacuteteacute maintes fois deacutemontreacute joue un rocircle depremier plan dans nos explications Les travaux dans ce domaine ont permisde mettre lrsquoaccent sur la valorisation sociale des explications dans les situa-tions drsquoeacutevaluation notamment Il convient sans doute maintenant de prendreen compte drsquoautres normes pour rendre compte de faccedilon plus diffeacuterencieacutee etplus preacutecise de nos explications
Pour ce faire lrsquoeacutevaluation de la conduite ou de lrsquoeacuteveacutenement objet delrsquoattribution joue un rocircle essentiel La valeur sociale positive ou neacutegativede la conduite ou de lrsquoeacuteveacutenement lrsquoimportance de cette valeur pour le sujetdeacuteterminent le type drsquoexplication qui en sera donneacute tout autant que la cible(soi ou autrui)
En ce qui concerne les conduites et les eacuteveacutenements neacutegatifs crsquoest laquestion de lrsquointention et de la responsabiliteacute qui guide nos explications Ladiffeacuterence soi-autrui est ici centrale on se focalise sur lrsquoattribution de responsa-biliteacute agrave autrui dans le cas drsquoune conduite neacutegative drsquoautrui (ou drsquoun eacuteveacutenementneacutegatif) et sur lrsquoeacutevitement de responsabiliteacute dans le cas de notre proprecomportement ou drsquoun eacuteveacutenement qui nous arrive Cette diffeacuterence entre soiet autrui joue surtout dans le cas drsquoune conduite ou drsquoun eacuteveacutenement avec unfort enjeu social dans le cas drsquoune tacircche moins importante la norme deresponsabiliteacute pour soi comme pour autrui lrsquoemporte
Dans le cas drsquoune conduite ou drsquoun eacuteveacutenement positif lrsquointention nrsquoestpas une question et la diffeacuterence soi-autrui est moins preacutegnante Dans cecas-lagrave crsquoest la situation publique ou priveacutee qui joue un rocircle de premierplan en situation priveacutee ou en cas drsquoune tacircche importante crsquoest la valeur dusoi qui est en jeu et on srsquoattribue le beacuteneacutefice de ses reacuteussites alors qursquoensituation publique ou en cas de tacircche peu importante on cherche agrave ecirctreeacutevalueacute favorablement au travers de ses explications et on attribue sa reacuteussiteou sa conduite agrave la situation
Ces propositions ne sont bien entendu que des pistes pour les recherchesfutures dans ce domaine elles tentent de faire le pont entre des recherchesempiriques ameacutericaines tregraves nombreuses dans le domaine des attributions etla perspective europeacuteenne deacuteveloppeacutee notamment en France autour de la notionde norme drsquointernaliteacute Nombre de recherches nord-ameacutericaines prennentexplicitement en compte le contexte et les normes dans leurs analyses drsquoautresprennent en compte des variables contextuelles sans les theacuteoriser explicitementen termes de normes ou de contexte Il reste donc agrave faire un travail importantde mise en perspective des travaux empiriques habituellement interpreacuteteacutesdrsquoun point de vue strictement intra-individuel en les eacuteclairant au moyen destheacuteorisations proposeacutees par des auteurs franccedilais ou europeacuteens Sans douteces theacuteorisations devront aussi srsquoadapter et se diffeacuterencier pour rendre comptede reacutesultats empiriques qui ne cadrent pas complegravetement avec les premiegraveresformulations geacuteneacuterales
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Chapitre 5
LES THEacuteORIES REPOSANT SUR
LE CONCEPT DE BUT1
1 Par Laurent Cosnefroy
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1 LES BUTS DU CONCEPT AUX THEacuteORIES
Un but est une repreacutesentation interne drsquoun reacutesultat deacutesireacute (Austin et Vancouver1996 Karoly 1999) Il est agrave la fois une cible le reacutesultat agrave atteindre et ce quiguide lrsquoaction en lui donnant direction et eacutenergie Deux types de buts sont agravedistinguer classiquement repeacutereacutes dans la litteacuterature par le couple approachavoidance (approcheeacutevitement en franccedilais)1 Les buts positifs sont attractifsils impliquent de reacuteduire la distance entre lrsquoeacutetat actuel et un eacutetat final deacutesireacute les buts neacutegatifs induisent le mouvement inverse lrsquoobjectif est drsquoaccroicirctre ladistance entre lrsquoeacutetat actuel et un eacutetat final non deacutesireacute Dans ce cas le butrechercheacute est drsquoeacuteviter des conseacutequences jugeacutees neacutegatives ce qui expliquelrsquoappellation de buts drsquoeacutevitement (Elliot 2006) Les buts susceptibles dediriger la conduite dans une situation donneacutee sont multiples Prenonslrsquoexemple drsquoun eacutetudiant de classe preacuteparatoire dont le but immeacutediat est dereacuteussir le prochain devoir de matheacutematiques Ce but est inteacutegreacute agrave un but pluslarge reacuteussir le concours drsquoentreacutee agrave une grande eacutecole qui lui-mecircme peut-ecirctreau service drsquoun but agrave long terme geacuteneacuteral comme acceacuteder agrave un emploi bienreacutemuneacutereacute ou prestigieux Il est donc freacutequent que des buts srsquoenchacircssent etsrsquoorganisent de faccedilon hieacuterarchique en fonction de leur niveau drsquoabstraction(Austin et Vancouver 1996) Les buts de haut niveau de geacuteneacuteraliteacute sont desbuts personnels qui donnent sens agrave la vie et deacuteterminent les trajectoires despersonnes (Karoly 1999) Ils fournissent une information non seulement surce que la personne essaie de faire mais aussi sur ce qursquoelle essaie drsquoecirctre parexemple quelqursquoun de chaleureux qui aide autrui ou qui cherche continuel-lement agrave se deacutevelopper (Emmons 2005 Carver et Scheier 1995) Une
1 Nous reprenons cette traduction litteacuterale consacreacutee par lrsquousage mais peu adapteacutee au franccedilaisApprocheeacuteloignement ou rechercheeacutevitement seraient plus preacutecis Il nous arrivera drsquoemployerces expressions dans le cours du texte
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92 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
taxonomie des buts freacutequemment citeacutee est celle eacutetablie par Ford (1992) Elledistingue vingt-quatre buts ordonneacutes en deux grandes cateacutegories les butsinternes agrave la personne et ceux centreacutes sur la relation personne environnementDans la premiegravere figurent des buts affectifs par exemple la recherche de situa-tions procurant une excitation intense et des buts cognitifs tels que satisfairesa curiositeacute faire preuve de creacuteativiteacute comprendre et acqueacuterir du savoirDans le second groupe Ford distingue entre autres les buts drsquoappartenancevisant agrave srsquointeacutegrer agrave un groupe et agrave eacuteviter le sentiment drsquoisolement les butsde responsabiliteacute sociale ougrave lrsquoobjectif consiste agrave agir drsquoune faccedilon qui estvaloriseacutee par les personnes importantes de lrsquoenvironnement ou encore lesbuts drsquoaffirmation de soi qui poussent agrave adopter des conduites permettant soitde se percevoir comme une personne diffeacuterente des autres soit de ressentirun sentiment de liberteacute et de controcircle personnel dans ce que lrsquoon entreprendBeaucoup de ces buts apparaissent comme des projets personnels des lignesde conduite sur le long terme Agrave ce stade la frontiegravere entre buts et valeursdevient teacutenue comme en teacutemoigne la comparaison de la theacuteorie de Ford agrave latheacuteorie des valeurs de Schwarz (1992) On trouve dans cette derniegravere unevaleur appeleacutee self-direction qui consiste agrave promouvoir une penseacutee et uneconduite indeacutependantes Elle se manifeste par le besoin drsquoexplorer la recherchede lrsquoautonomie et de la creacuteativiteacute la possibiliteacute de fixer soi-mecircme ses propresobjectifs caracteacuteristiques qui correspondent en tout point au but drsquoaffirmationde soi et au but drsquoexploration de la taxonomie de Ford Les chercheurs sur lapersonnaliteacute se centrent plutocirct sur ces buts de haut niveau proches des valeurstandis que les chercheurs sur la motivation privileacutegient des buts de niveauintermeacutediaire (Austin et Vancouver 1996) Dans cette derniegravere approche unbut est agrave la fois une variable proximale directement responsable de la conduiteet une variable intermeacutediaire car il est lui-mecircme deacutetermineacute par drsquoautres eacuteleacutementsLes valeurs et la personnaliteacute geacutenegraverent des buts qui a leur tour pilotent lrsquoactionimmeacutediate (Latham et Pinder 2005) mais les caracteacuteristiques de lrsquoenviron-nement influencent aussi le choix des buts Ceux-ci sont donc deacutetermineacutesagrave la fois par des variables internes et externes Le poids respectif de ces deuxsources fait deacutebat entre les chercheurs nous y reviendrons
Si les buts peuvent ecirctre multiples les contextes dans lesquels ils se formentle sont tout autant travail situations drsquoapprentissage activiteacutes sportives oude loisir vie quotidienne Dans ces conditions il est difficile drsquoimaginerlrsquoavegravenement drsquoune theacuteorie des buts qui se situerait agrave un tel niveau de geacuteneacutera-liteacute qursquoelle nrsquoaurait guegravere de sens Pour que lrsquoentreprise soit viable il estindispensable de restreindre lrsquoobjet drsquoeacutetude en adoptant un angle drsquoattaquespeacutecifique soit en partant drsquoun domaine (les buts adopteacutes dans les situationsde travail ou drsquoapprentissage) soit drsquoune classe de buts pouvant srsquoactualiserdans diffeacuterents domaines par exemple les buts sociaux Deux theacuteories sedeacutetachent plus particuliegraverement illustrant chacune lrsquoune des perspectivesdeacutecrites La theacuteorie de la fixation des objectifs (goal-setting theory) due agraveLocke et Latham srsquoest deacuteveloppeacutee dans le monde du travail et y a rencontreacute
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un succegraves consideacuterable Elle a circuleacute vers drsquoautres domaines en particulierle sport (Sarrazin et Famose 2005) ou la santeacute (la reacuteeacuteducation de patients handi-capeacutes cf Hurn Kneebone et Cropley 2006) mais peu encore vers lrsquoeacuteducationougrave son influence reste marginale La theacuteorie des buts de compeacutetence agrave laquellesont attacheacutes les noms de Dweck Nicholls Elliot et Harackiewicz se centresur une classe de buts ceux qursquoil nous importe drsquoatteindre lorsque notreobjectif est drsquoecirctre compeacutetent Son contexte de preacutedilection est le monde delrsquoeacuteducation et de la formation mais elle fonctionne eacutegalement au-delagrave deses frontiegraveres initiales en particulier dans les contextes sportifs ougrave elle estdrsquoapplication courante Sans atteindre la mecircme notorieacuteteacute elle a eacutegalementeacuteteacute utiliseacutee dans le monde du travail (Vandewalle 2001)
Nous allons consacrer ce chapitre agrave une preacutesentation et agrave une comparaisonde ces deux theacuteories
2 DE LA MOTIVATION DrsquoACCOMPLISSEMENTAUX BUTS DE COMPEacuteTENCE
Dans le domaine des buts de compeacutetence trois geacuteneacuterations de theacuteories se sontsucceacutedeacutees La theacuteorie de la motivation drsquoaccomplissement (achievement moti-vation) formaliseacutee au deacutebut des anneacutees cinquante par Atkinson et McClellandest lrsquoancecirctre de la theacuteorie des buts de compeacutetence ou plutocirct des theacuteories desbuts de compeacutetence puisqursquoil convient de distinguer deux versions biendistinctes La premiegravere srsquoest constitueacutee au deacutebut des anneacutees quatre-vingtgracircce aux travaux de Dweck et de Nicholls puis agrave la fin des anneacutees quatre-vingt-dix une refonte importante a eacuteteacute engageacutee sous la houlette drsquoElliot et deHarackiewicz puis de Elliot seul Ces deux versions successives sont engeacuteneacuteral deacutesigneacutees par le mecircme nom Les deux appellations les plus courantessont theacuteorie des buts drsquoaccomplissement (achievement goal theory) et theacuteoriede lrsquoorientation des buts (goal orientation theory) Ces buts eacutetant centreacutes surla compeacutetence Elliot et Dweck (2005) ont reacutecemment proposeacute de remplaceraccomplissement par compeacutetence afin de parler deacutesormais de motivation agrave lacompeacutetence et de buts de compeacutetence1 Par souci de lisibiliteacute nous deacutesigne-rons par theacuteorie de lrsquoorientation des buts le modegravele de la premiegravere geacuteneacuterationet reacuteserverons lrsquoappellation theacuteorie des buts de compeacutetence au modegravele actueldrsquoElliot
1 Deacutenomination que nous avions nous-mecircme suggeacutereacutee (Cosnefroy 2004)
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94 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
21 Les conditions requises pour produire des buts centreacutes sur la compeacutetence
Les trois geacuteneacuterations de theacuteories mdash motivation drsquoaccomplissement orientationdes buts buts de compeacutetence mdash partagent le mecircme cadre de validiteacute Celui-ci est expliciteacute degraves les premiers travaux de McClelland et Atkinson et ne serapas remis en cause dans les deacuteveloppements theacuteoriques ulteacuterieurs Des butsdrsquoaccomplissement ou de compeacutetence vont apparaicirctre dans des achievementsettings expression sans eacutequivalent en franccedilais crsquoest-agrave-dire des situations ougravela personne sait que lrsquoaction accomplie peut ecirctre eacutevalueacutee (par lui-mecircme ou pardrsquoautres) en termes drsquoeacutechec ou de reacuteussite Le jugement porteacute sur lrsquoactiviteacuteconduit agrave percevoir la personne comme compeacutetente srsquoil y a reacuteussite ouincompeacutetente srsquoil y a eacutechec Ces situations se rencontrent dans tous types dedomaines eacuteducation travail sport mais aussi activiteacutes de loisirs Ainsi unmusicien amateur qui vient improviser en public avec un groupe drsquoamis setrouve confronteacute agrave une situation ougrave sa compeacutetence est en jeu mecircme si le groupedrsquoamis ou le public ne se considegraverent pas comme un jury chargeacute drsquoeacutevaluer laprestation du nouveau venu Toutes ces situations impliquent donc une certaineprise de risque sur le plan personnel puisque lrsquoactiviteacute mise en œuvre devientaussi une performance qui peut ecirctre mise au creacutedit ou au deacutebit de la personneDans ce contexte les theacuteoriciens de la motivation drsquoaccomplissement postulentque deux types de motivation vont entrer en conflit la motivation drsquoaccom-plissement et la motivation agrave eacuteviter lrsquoeacutechec La premiegravere incite agrave rechercherle succegraves car la reacuteussite procure joie et fierteacute La seconde conduit agrave ne passrsquoengager dans lrsquoaction de crainte drsquoun eacutechec qui confronterait trop intenseacutementagrave des sentiments drsquohumiliation et de honte (Atkinson 1964) Toute situationdrsquoeacutevaluation de la performance activera ces deux tendances ce qui aura poureffet de provoquer une oscillation de lrsquoactiviteacute entre approche et eacutevitementde la tacircche lrsquoune ou lrsquoautre lrsquoemportant selon que la probabiliteacute de reacuteussir oudrsquoeacutechouer srsquoimpose (Atkinson 1974) Le conflit est ainsi le corollaire de lamotivation drsquoaccomplissement
22 La distinction performancemaicirctrise
Au deacutebut des anneacutees quatre-vingt Dweck (1986) et Nicholls (1984) posentles fondations de ce qui sera appeleacute deacutesormais la theacuteorie des buts drsquoaccom-plissement ou de lrsquoorientation des buts Ils introduisent la distinction entredeux types de buts qui repreacutesentent deux faccedilons de deacutefinir la compeacutetence etde lrsquoeacutevaluer
ndash les buts de maicirctrise ou drsquoapprentissage (mastery learning goals chez Dwecktask goals chez Nicholls) ougrave lrsquoobjectif de la personne est drsquoapprendre de
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deacutevelopper de nouvelles habileteacutes de comprendre ou de maicirctriser quelquechose de nouveau Ecirctre compeacutetent signifie apprendre comprendre progresserEn fait deux normes distinctes organisent ce but on juge par rapport agrave latacircche (degreacute de perfection) et dans ce cas ecirctre compeacutetent signifie maicirctriserla tacircche ou par rapport agrave soi en se reacutefeacuterant agrave ses performances anteacuterieures(on parle souvent de but autoreacutefeacutereacute) Le but est drsquoapprendre de progressermecircme si au final la maicirctrise de la tacircche nrsquoest pas parfaite
ndash les buts de performance (performance goals chez Dweck ego-involvementgoals chez Nicholls) sont des buts ougrave la comparaison sociale joue un rocircledeacuteterminant Centreacute sur la valorisation de soi lrsquoobjectif est drsquoobtenir desjugements favorables sur sa compeacutetence Avoir appris ou progresseacute nesuffit pas pour se sentir compeacutetent Il importe avant tout de savoir ougrave lrsquoonse situe par rapport aux autres Ecirctre compeacutetent signifie faire mieux que lesautres (Nicholls 1984) Lrsquoopposition entre buts de maicirctrise et de perfor-mance se reacutesume bien par ce jeu de mots qursquoaffectionne Dweck provingonersquos ability improving onersquos ability
Lrsquointeacuterecirct majeur de ces travaux est de montrer qursquoun but est bien plus qursquouneintention laquo Les buts qursquoun individu poursuit creacuteent un cadre pour interpreacuteteret reacuteagir aux eacuteveacutenements qui se preacutesentent raquo eacutecrivent Elliott et Dweck (1988)La mecircme situation sera perccedilue de faccedilon bien diffeacuterente selon le but adopteacuteUne tacircche difficile est une opportuniteacute drsquoapprendre quelque chose (but demaicirctrise) ou une menace pour lrsquoestime de soi (but de performance) (Dweck1986 Dweck et Leggett 1988) Dans le cas des buts de performance plus lereacutesultat sera obtenu sans effort plus la deacutemonstration de la compeacutetence seraconvaincante La satisfaction que le reacutesultat procure est inversement propor-tionnelle agrave la quantiteacute drsquoeffort deacuteployeacute Lrsquoerreur est perccedilue de faccedilon beau-coup moins menaccedilante si lrsquoengagement dans la tacircche est soutenu par un butde maicirctrise Elle est alors interpreacuteteacutee comme le signe qursquoil faut augmenterlrsquoeffort ou changer de strateacutegies ecirctre compeacutetent implique davantage drsquoeffortAu fond seuls des buts de maicirctrise permettent reacuteellement de tirer parti delrsquoerreur Le rocircle deacutevolu agrave lrsquoeffort reacutevegravele ainsi deux theacuteories implicites de lacompeacutetence Lrsquoune est fondeacutee sur un schegraveme de compensation inverse ougrave lacompeacutetence proche drsquoune aptitude srsquooppose agrave lrsquoeffort lrsquoautre est construitesur un schegraveme de covariation ougrave effort et compeacutetence sont associeacutes (Dweck1986 Thill 1999) La theacuteorie des buts drsquoaccomplissement a rencontreacute un vifsuccegraves dans lrsquoeacuteducation mais a aussi eacuteteacute utiliseacutee dans le managementVandewalle (2001) insiste sur lrsquoutiliteacute des buts drsquoapprentissage dans des entre-prises aujourdrsquohui confronteacutees agrave un environnement eacuteconomique complexe etchangeant Se centrer sur lrsquoapprentissage plutocirct que sur la performance permetdrsquoecirctre plus reacuteceptif agrave de nouvelles expeacuteriences de valoriser la coopeacuteration etde mieux tenir compte des feedbacks pour analyser les erreurs autant decaracteacuteristiques deacuteterminantes pour des eacutequipes travaillant sur des projetscomplexes requeacuterant une forte creacuteativiteacute
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23 Des buts drsquoaccomplissement aux buts de compeacutetence
Agrave partir de la theacuteorie de lrsquoorientation des buts un eacutelargissement en deux tempsva srsquoopeacuterer conduisant agrave introduire drsquoabord un troisiegraveme but mdash lrsquoeacutevitementde la performance mdash puis au modegravele actuel en quatre buts correspondant agravequatre deacutefinitions distinctes de la compeacutetence
231 La distinction recherche de la performanceeacutevitement de la performance
La distinction entre recherche du succegraves et eacutevitement de lrsquoeacutechec au cœur dela motivation drsquoaccomplissement a disparu dans la theacuteorie des buts drsquoaccom-plissement qui lui substitue le couple maicirctriseperformance Les buts demaicirctrise sont du cocircteacute de la recherche du succegraves puisqursquoils poussent agrave srsquoengagerdans la tacircche pour la maicirctriser ou tout simplement pour progresser Enrevanche les buts de performance sont plus heacuteteacuterogegravenes Les deacutefinir commela recherche de jugements favorables sur soi ou lrsquoeacutevitement de jugementsdeacutefavorables crsquoest cristalliser en une seule entiteacute ce qui eacutetait seacutepareacute dans lamotivation drsquoaccomplissement Cette conception large des buts de performancepourrait expliquer les reacutesultats de recherche contradictoires les concernantEn effet si aux buts de maicirctrise sont reacuteguliegraverement associeacutes une perceptionpositive de lrsquoeffort un traitement profond de lrsquoinformation et une prise derisque accrue une configuration claire peine agrave eacutemerger des recherches consa-creacutees agrave lrsquoeffet des buts de performance Ils peuvent ecirctre associeacutes ou pas agrave desreacutesultats scolaires positifs agrave une motivation intrinsegraveque ou extrinsegraveque pourla tacircche Lrsquohypothegravese selon laquelle des buts de performance auraient deseffets beacuteneacutefiques lorsque le sentiment de compeacutetence est eacuteleveacute nrsquoest pasconfirmeacutee dans toutes les recherches ayant traiteacute cette question (Midgley etal 2001)
Chercher un jugement favorable nrsquoa pas la mecircme signification et nrsquoimpliquepas les mecircmes conduites que chercher agrave eacuteviter un jugement deacutefavorable Leconcept de but de performance est probablement trop geacuteneacuteral et gagnerait agraveecirctre scindeacute en deux buts permettant ainsi de reacuteintroduire lrsquoeacutevitement delrsquoeacutechec comme force motivationnelle autonome Crsquoest ce que font Elliot etHarackiewicz (1996) en distinguant un but orienteacute vers la deacutemonstration desa propre compeacutetence (performance-approach goal recherche drsquoun jugementfavorable de la part drsquoautrui) et un but consistant agrave eacuteviter la deacutemonstrationde son incompeacutetence (performance-avoidance goal eacutevitement drsquoun jugementdeacutefavorable de la part drsquoautrui) Le passage de deux agrave trois buts a pour effetdrsquoatteacutenuer lrsquoopposition frontale entre buts de maicirctrise et buts de performanceLes nombreuses recherches qui vont ecirctre meneacutees agrave partir de ce nouveau para-digme accreacuteditent lrsquoideacutee qursquoil est possible dans la mecircme situation de se
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donner agrave la fois des buts de maicirctrise et de recherche de la performance autre-ment dit que la compeacutetition avec autrui et lrsquointeacuterecirct pour lrsquoactiviteacute peuventcohabiter Ce remaniement de la theacuteorie aboutit incontestablement agrave une formede reacutehabilitation des buts de recherche de la performance La motivationintrinsegraveque pour la tacircche qui se traduit par le fait drsquoecirctre inteacuteresseacute par ce quelrsquoon fait et drsquoy passer du temps sans y ecirctre contraint peut ecirctre associeacutee aussibien agrave des buts de maicirctrise qursquoagrave des buts de recherche de la performanceDans le domaine scolaire la recherche de la performance peut conduire agrave demeilleurs reacutesultats que des buts de maicirctrise (Harackiewicz et al 2000 2002)
Par ailleurs consideacuterer la tendance agrave lrsquoeacutevitement de lrsquoeacutechec comme un butagrave part entiegravere crsquoest signifier que la protection de lrsquoestime de soi est un ressortessentiel des conduites Aux enjeux cognitifs lieacutes agrave la reacutealisation de la tacircchese greffent des enjeux personnels activer une repreacutesentation de soi acceptableDegraves lors peuvent se deacutevelopper toute une seacuterie de conduites deacutefensives dontle but nrsquoest pas tant drsquoeacuteviter lrsquoeacutechec que les conclusions neacutegatives que lrsquoonpeut en tirer agrave savoir que la personne est incompeacutetente Parmi ces meacutecanismesde deacutefense figurent les strateacutegies drsquoauto-handicap qui consistent agrave se mettrevolontairement des bacirctons dans les roues afin de disposer drsquoune excuse en casdrsquoeacutechec par exemple travailler au dernier moment Nous renvoyons le lecteurau chapitre sur la motivation scolaire pour une description plus preacutecise de cesstrateacutegies
232 Un quatriegraveme but laquo lrsquoeacutevitement de la maicirctrise raquo
Crsquoest dans une publication de 1999 qursquoElliot avance un quatriegraveme but intituleacuteeacutevitement de la maicirctrise (mastery-avoidance goal) Si lrsquoon considegravere que ladistinction entre approche et eacutevitement est fondamentale pour deacutefinir lesbuts il nrsquoy a alors aucune raison de ne pas lrsquoappliquer aux buts de maicirctrisedrsquoougrave cet eacutetrange eacutevitement de la maicirctrise qui semble agrave premiegravere vue tout agravefait contre-intuitif En reacutealiteacute le terme drsquoeacutevitement est parfaitement justifieacutepuisque lrsquoobjectif est drsquoeacuteviter une issue jugeacutee neacutegative perdre ses compeacute-tences oublier ce qursquoon a appris ne pas maicirctriser totalement la tacircche ou toutsimplement stagner Ce but gagne en importance agrave mesure que la personneprend de lrsquoacircge et qursquoelle srsquoaperccediloit que ses compeacutetences peuvent se deacuteteacuteriorerLrsquoobjectif est drsquoeacuteviter de perdre ou le moins possible le niveau de compeacutetenceatteint anteacuterieurement Elliot illustre cette deacutefinition drsquoexemples emprunteacutes agravediffeacuterents secteurs drsquoactiviteacute eacuteviter le deacuteclin chez un sportif la perte desactiviteacutes physiques et intellectuelles chez les personnes acircgeacutees et plus geacuteneacutera-lement eacuteviter de perdre la main aussi bien dans des activiteacutes professionnellesque de loisir (Elliot 1999 Elliot et Mc Gregor 2001) Mais ce but peut ecirctrepoursuivi eacutegalement lorsque la norme est deacutefinie en reacutefeacuterence agrave la tacircche elle-mecircme La crainte est alors de ne pas reacuteussir parfaitement la tacircche Ce butengendre des conduites perfectionnistes ougrave lrsquoaccent est mis sur lrsquoeacutevitement detoute erreur Des personnes nouvellement embaucheacutees dans une entreprise
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devant faire la preuve de leurs compeacutetences au cours de leur peacuteriode drsquoessaiseraient particuliegraverement reacuteceptives agrave ce type de but
Elliot et Mc Gregor (2001) ont construit une eacutechelle de douze items (troispar but) pour eacutevaluer les quatre buts de compeacutetence dans les contextes drsquoappren-tissage et de formation Cette eacutechelle a eacuteteacute adapteacutee et valideacutee en franccedilais parDarnon et Butera (2004) Une eacutechelle a eacuteteacute creacuteeacutee pour le sport (ConroyElliot et Hofer 2003) et une autre pour le monde du travail (Baranik Barronet Finney 2007) Les analyses factorielles confirmatoires mises en œuvrepour eacutetudier les proprieacuteteacutes psychomeacutetriques de ces eacutechelles ont confirmeacute lapertinence du modegravele en quatre buts lequel a eacutegalement eacuteteacute valideacute dans drsquoautresrecherches (Cury et al 2006 Elliot et Reis 2003 Fryer et Elliot 2007)
Un autre apport de la conceptualisation en quatre buts est de clarifier lerocircle du sentiment drsquoefficaciteacute personnelle sur le choix des buts Le lien entresentiment drsquoefficaciteacute personnelle eacuteleveacute et recherche de la performance a eacuteteacutepostuleacute par beaucoup drsquoauteurs (Dweck Nicholls Covington) mais les recher-ches meneacutees sur cette question nrsquoont pas toujours confirmeacute cette hypothegraveseCury et al (2006) ont montreacute que la compeacutetence perccedilue influencerait lavalence du but adopteacute Plus le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle est eacuteleveacuteplus les buts drsquoapproche (qursquoil srsquoagisse de la recherche de la maicirctrise ou de laperformance) sont privileacutegieacutes
3 LA THEacuteORIE DE LA FIXATION DES OBJECTIFS (GOAL-SETTING THEORY)
Elle a eacuteteacute construite au cours des quarante derniegraveres anneacutees drsquoabord parLocke seul puis en tandem avec Latham Psychologues du travail et des orga-nisations Locke et Latham se sont demandeacute quels liens pouvaient exister entreles buts conscients et la performance au travail Leur objectif est drsquoabordpragmatique comprendre la performance pour pouvoir agir sur elle Ceciexplique probablement le caractegravere inductif de la theacuteorie clairement revendiqueacuteagrave plusieurs reprises par les auteurs Drsquoentreacutee de jeu il a eacuteteacute exclu de proceacutederdeacuteductivement en testant une agrave une des hypothegraveses theacuteoriques (Latham etLocke 2007) La fixation des objectifs a drsquoabord eacuteteacute une technique avantdrsquoecirctre une theacuteorie (Latham et Pinder 2005) Les recherches ont deacutebuteacute agrave lafin des anneacutees soixante (Locke 1968) cependant un exposeacute systeacutematique de latheacuteorie nrsquoapparaicirct veacuteritablement qursquoen 1990 dans un ouvrage en co-signature(Locke et Latham 1990) La theacuteorie a geacuteneacutereacute un nombre impressionnant detravaux plus de mille agrave la fois de laboratoire et de terrain portant sur plusde quarante mille personnes dans au moins huit pays diffeacuterents et ceci surune peacuteriode de plus de trente ans (Locke et Latham 2002) Ces reacutesultats
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permettent drsquoactualiser en permanence la theacuteorie telles les versions succes-sives drsquoun mecircme logiciel qui srsquoapparente ainsi agrave une theacuteorie ouverte selonlrsquoexpression de Locke et Latham (2006) susceptible de deacuteveloppementsdans de nombreuses directions Mais le cœur de la theacuteorie reste le mecircme aufil des versions successives Voyons de quoi il se compose
31 Lrsquoimpact des buts difficiles
Agrave la question initiale laquo les buts ont-ils un effet sur la performance raquo les auteursapportent une reacuteponse preacutecise qui constitue la piegravece maicirctresse de lrsquoeacutedificetheacuteorique il existe une relation lineacuteaire positive entre la difficulteacute du but etla performance En drsquoautres termes plus le but agrave atteindre est difficilemeilleure est la performance Deux caracteacuteristiques du but sont importantessa speacutecificiteacute et sa difficulteacute On obtient des performances plus eacuteleveacutees enfixant un but difficile mais speacutecifique qursquoen demandant de faire de son mieuxEn reacutealiteacute quand on demande agrave des personnes de faire de leur mieux but nonspeacutecifieacute elles ne le font pas parce qursquoil persiste une ambiguiumlteacute sur le reacutesultatagrave atteindre ce qui peut conduire agrave consideacuterer comme acceptable un largeeacuteventail de performances Toutefois dans une perspective motivationnelleon ne peut en rester au constat drsquoune relation lineacuteaire positive entre difficulteacutedu but et performance Il reste agrave eacutelucider les raisons pour se fixer ou accepterdes buts eacuteleveacutes Lrsquoatteinte de ces buts procure des beacuteneacutefices pratiques (gainsreacuteussite sociale) et psychologiques (fierteacute sentiment de compeacutetence et renfor-cement de lrsquoestime de soi) qui contribuent agrave la satisfaction que la personneretire de son travail Locke et Latham srsquoattardent assez peu sur cette questionpourtant fondamentale et leur reacuteponse nrsquoest pas totalement satisfaisante Latheacuteorie des buts de compeacutetence a montreacute de faccedilon convaincante que le senti-ment drsquoecirctre compeacutetent nrsquoest pas lieacute agrave la difficulteacute des buts Au contraire mecircmelorsque la personne est mue par le deacutesir drsquoeacuteviter lrsquoeacutechec parvenir agrave uneperformance agrave peine moyenne suffit agrave soutenir le sentiment de compeacutetencepuisque le pire lrsquoeacutechec a eacuteteacute eacuteviteacute
La theacuteorie preacutecise eacutegalement les meacutecanismes par lesquels les buts agissentce qui permet de reacutepondre agrave une autre question pourquoi se fixer un but a-t-ildes effets positifs sur la performance Quatre meacutecanismes sont agrave lrsquooriginede lrsquoeffet des buts directionnaliteacute eacutenergisation persistance et conduite strateacute-gique (Locke et Latham 2002 Latham 2004) Un but canalise lrsquoattentionvers des activiteacutes pertinentes pour atteindre les buts fixeacutes et de ce fait permetde distinguer les conduites prioritaires des conduites parasites par lesquellesil ne faut pas se laisser distraire Lrsquoeacutenergisation est la traduction du constatempirique que les buts difficiles conduisent agrave faire plus drsquoeffort que les butsfaciles Lieacutee agrave lrsquoeffort eacutegalement la persistance insiste plus sur la dimensiontemporelle que sur lrsquointensiteacute de lrsquoeffort Un but difficile suscite un effortplus prolongeacute qursquoun but facile Enfin un but pousse la personne agrave adopter
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une conduite strateacutegique qui lrsquoincite agrave mobiliser le savoir pertinent ou agravedeacutecouvrir le savoir requis neacutecessaire agrave lrsquoatteinte du but
Outre les caracteacuteristiques (goal attributes) et les meacutecanismes (goalmechanisms) un troisiegraveme pan de la theacuteorie agrave la fois le plus deacuteveloppeacute etle plus sujet agrave eacutevolution est consacreacutee aux variables modeacuteratrices (goalmoderators) qui amplifient ou restreignent lrsquoeffet positif des buts sur laperformance Ceci permet de complexifier lrsquoeacutenonceacute initial relatif agrave la relationlineacuteaire positive entre buts et performance en en preacutecisant les conditions devaliditeacute
32 Les conditions de lrsquoefficaciteacute les variables modeacuteratrices
321 La complexiteacute de la tacircche et les compeacutetences de la personne
Un but ne peut ecirctre atteint que si la personne possegravede les compeacutetences requisesLorsque la tacircche est trop complexe et qursquoun savoir ou un savoir-faire suffi-samment deacuteveloppeacute nrsquoest pas accessible un but eacuteleveacute perd de son impactpositif Dans ce cas il est plus efficace de demander de faire de son mieuxque de fixer des buts trop eacuteleveacutes geacuteneacuterateurs drsquoanxieacuteteacute Une autre solutionconsiste agrave deacutefinir des buts intermeacutediaires Ceux-ci fournissent des feedbackssuppleacutementaires qui permettent drsquoeacutevaluer la progression vers lrsquoatteinte dubut et drsquoidentifier pas agrave pas les erreurs Chercher immeacutediatement la perfor-mance dans une tacircche complexe risque de se faire au deacutetriment de lrsquoacquisitiondes connaissances et des strateacutegies pertinentes Crsquoest pourquoi la meilleuresolution consiste agrave valoriser des buts drsquoapprentissage plutocirct que des buts deperformance Dans ces conditions la confrontation agrave une tacircche complexedevient effectivement stimulante et les performances sont eacuteleveacutees Dans certai-nes publications reacutecentes la difficulteacute de la tacircche et les compeacutetences de lapersonne sont consideacutereacutees comme deux variables distinctes (Latham 2004 Latham et Locke 2007) Ce choix est deacutelicat Une tacircche nrsquoest pas complexeen soi en revanche elle peut ecirctre jugeacutee telle par quelqursquoun qui ne possegravede pasles compeacutetences requises pour la mener agrave bien La complexiteacute de la tacircchedeacutepend de diffeacuterences individuelles (Austin et Vancouver 1996) Quoi qursquoilen soit lrsquoinsistance sur les compeacutetences preacuterequises (et il srsquoagit bien ici de lacompeacutetence objective et non du sentiment de compeacutetence) rappelle quemotivation et cognition ont partie lieacutee et srsquoinfluencent mutuellement Leniveau initial de connaissances deacutetermine eacutegalement la motivation Des butsde performance stimulent la mobilisation des connaissances (cf le meacutecanismede la conduite strateacutegique deacutecrit ci-dessus) en revanche des buts drsquoapprentis-sage en facilitent lrsquoacquisition La theacuteorie des buts drsquoaccomplissement trouvedonc une porte drsquoentreacutee via la variable complexiteacute de la tacircche dans la theacuteorie
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de la fixation des objectifs Les reacutefeacuterences y sont de plus en plus nombreusesces derniegraveres anneacutees (Seijts et Latham 2005 Latham et Locke 2007)
322 Lrsquoengagement de la personne et lrsquoadheacutesion au but fixeacute
Pour srsquoengager dans des tacircches difficiles qui requiegraverent un effort important ilconvient drsquoecirctre persuadeacute que le but agrave atteindre est important et accessibleDiffeacuterentes techniques sont utilisables pour rendre un but plus importantOutre des reacutecompenses de toutes sortes (gains promotion) le style de mana-gement est une variable deacutecisive Ainsi proceacuteder collectivement agrave la deacutefinitiondes buts et amener les personnes agrave srsquoengager publiquement augmente lrsquoimpor-tance perccedilue du but (Latham 2004 Locke et Latham 2002) Lrsquoaccessibiliteacutedu but est drsquoune tout autre nature puisqursquoil renvoie au sentiment drsquoefficaciteacutepersonnelle Atteindre un but difficile est un projet stimulant pour autant quelrsquoon se sente capable de lrsquoatteindre avec ce que lrsquoon est et les ressources donton dispose Lorsque le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle est eacuteleveacute il est plusfacile de trouver des strateacutegies performantes de perseacuteveacuterer davantage et dereacutepondre de faccedilon plus adapteacutee aux feedbacks neacutegatifs Et il est aussi plusfacile de se fixer des buts eacuteleveacutes Le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle estainsi un maillon indispensable dans lrsquoeacutedifice construit par Locke et Lathamqui soulignent eux-mecircmes les proximiteacutes entre leur theacuteorie et la perspectivesociale-cognitive de Bandura (Locke et Latham 2002) En effet lrsquoeacutenonceacutefondamental de la theacuteorie part du constat de la relation positive entre butsdifficiles et performance mais la theacuteorie nrsquoexplique pas quel est le ressortmotivationnel qui pousserait agrave se fixer ou agrave accepter des buts difficiles Lesquatre meacutecanismes de directionnaliteacute eacutenergisation persistance et conduitestrateacutegique expliquent pourquoi il est preacutefeacuterable de se fixer des objectifs preacutecisplutocirct que drsquoen rester agrave des objectifs vagues Ils ne sont drsquoaucun secours pourcomprendre le passage de buts faciles agrave des buts difficiles Crsquoest le conceptdrsquoauto-efficaciteacute qui remplit cette fonction
323 Le feedback
Il est capital de recevoir un feedback sur lrsquoaction en cours En lrsquoabsence decette information il devient tregraves difficile drsquoajuster la direction ou la quantiteacutedrsquoeffort pour atteindre le but fixeacute Plus encore le feedback a un veacuteritableeffet motivationnel lorsque les personnes srsquoaperccediloivent qursquoelles sont endeccedilagrave de leur but elles vont augmenter lrsquoeffort pour lrsquoatteindre La rechercheactive drsquoun feedback est associeacutee agrave la qualiteacute des performances Toutefoiselle est elle-mecircme sous la deacutependance drsquoautres variables modeacuteratricesnotamment le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle et lrsquoorientation des butsrecherche de la performance ou apprentissage (Latham et Pinder 2005) Laconfrontation agrave lrsquoerreur est deacutestabilisante et il y a de bonnes raisons toutes enrapport avec lrsquoestime de soi de vouloir y eacutechapper Le feedback et son analyse
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sont indispensables pour avancer pour autant sa prise en compte ne va pas desoi On touche lagrave probablement agrave ce qui constitue une faiblesse de la theacuteorieIl convient en effet de distinguer entre lrsquoinformation en retour qui est donneacuteeou pas et sa prise en compte par la personne Locke et Latham insistentplutocirct sur le premier point or la difficulteacute principale est vraisemblablementsur le second Se pencher sur ses erreurs oblige agrave se confronter agrave une imagede soi parfois douloureuse qui parasite fortement lrsquoanalyse distancieacutee delrsquoerreur ou qui conduit plus radicalement agrave ignorer le feedback Sur ce pointla theacuteorie des buts de compeacutetence est en mesure drsquoapporter un eacuteclairagesignificatif nous y reviendrons En tout eacutetat de cause la veacuteritable variablemodeacuteratrice nous semble plus la prise en compte ou non du feedback (ce quisuppose bien sucircr qursquoil y en ait un) que le feedback en lui-mecircme
4 LES BUTS DrsquoAPPRENTISSAGE ET DE PERFORMANCE VUS PAR LES DEUX THEacuteORIES
41 Les deacuteterminants des buts
Les buts sont agrave la croiseacutee de plusieurs influences besoins caracteacuteristiquesde la personne (perceptions de soi valeurs traits de personnaliteacute) et caracteacute-ristiques de lrsquoenvironnement Les deacutebats entre les chercheurs portent sur lepoids respectif de ces influences mais cette question nrsquoest pas simplementde pure theacuteorie Elle a en effet drsquoimportantes implications pratiques Plus onconsidegravere que les buts sont deacutetermineacutes par lrsquoenvironnement plus il est envi-sageable drsquoamener les personnes agrave adopter certains buts en agissant sur lescaracteacuteristiques de ce dernier Au contraire plus on considegravere les buts commeeacutetant lrsquoeacutemanation de besoins ou de caracteacuteristiques personnelles plus ilseacutechappent agrave toute construction induite de lrsquoexteacuterieur
Pour Covington (2000) lrsquoadoption de buts centreacutes sur la compeacutetencereflegravete une lutte permanente pour maintenir un sens de la valeur personnelleet lrsquoappartenance agrave une socieacuteteacute qui valorise en premier lieu la compeacutetenceLa valeur de soi passe de faccedilon privileacutegieacutee par le sentiment drsquoecirctre compeacutetentil est donc vital de proteacuteger ce dernier Le fait que les buts de compeacutetenceconstituent une classe de buts agrave part entiegravere activables dans de nombreuxcontextes et que les personnes deacuteploient des strateacutegies complexes pour seproteacuteger de lrsquoeacutechec conduit agrave penser que les buts de compeacutetence sont proba-blement au service de besoins plus fondamentaux La theacuteorie des buts decompeacutetence confirme drsquoune certaine faccedilon qursquoecirctre compeacutetent est bien unbesoin fondamental du moins aujourdrsquohui dans les socieacuteteacutes occidentales
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comme affirmeacute dans la theacuteorie de lrsquoautodeacutetermination (Deci et Ryan 1985)et dans la theacuteorie de la valeur de soi (Covington 2000) Harackiewicz poursa part insiste sur lrsquointeraction des facteurs contextuels et de personnaliteacutedans la deacutetermination des buts Lrsquoenvironnement rend saillant un but plutocirctqursquoun autre mais cela aura des effets diffeacuterents selon la personnaliteacute des indi-vidus (Barron et Harackiewicz 2001) Pour Elliot (1999) en revanche lesbuts induits par lrsquoenvironnement seul sont plus faibles et moins durables queceux susciteacutes par des facteurs internes
Chez Locke et Latham les buts de maicirctrise1 et de performance peuventtraduire des orientations deacutependant de la personnaliteacute ou des cadres de penseacuteeinduits par lrsquoenvironnement Cette derniegravere perspective prend cependant uneplace croissante dans les publications les plus reacutecentes Ce sont les consignesdonneacutees aux personnes qui orientent vers lrsquoun ou lrsquoautre but Demander aupersonnel drsquoatteindre 20 de part de marcheacute drsquoici la fin de lrsquoanneacutee creacutee un butde performance lui demander de trouver une ou plusieurs strateacutegies innovantesqui permettrait drsquoaugmenter les parts de marcheacute induit un but drsquoapprentissage(Seijts et Latham 2005) Les recherches de Latham et de ses collaborateursen entreprise rejoignent les recherches meneacutees agrave lrsquoeacutecole sur le climat de laclasse (cf Sarrazin et al 2006 pour une revue de question) Elles montrentlrsquoinfluence des caracteacuteristiques du contexte sur la formation des buts La faccedilondont le supeacuterieur hieacuterarchique ou lrsquoenseignant formule ses attentes imprimesa marque sur les attitudes deacuteveloppeacutees ensuite par les collaborateurs ou leseacutelegraveves
42 Apprentissage et performance parle-t-on de la mecircme chose dans les deux theacuteories
Le transfert du concept de but drsquoapprentissage (ou but de maicirctrise) vers latheacuteorie de la fixation des objectifs srsquoaccompagne drsquoune leacutegegravere torsion desens Un but drsquoapprentissage stimule lrsquoimagination il engage agrave deacutecouvrir et agravesortir des sentiers battus (laquo think outside the box raquo Seijts et Latham 2005)La transposition au monde du travail a pour effet de modifier la hieacuterarchiedes attributs associeacutes au but drsquoapprentissage en mettant en avant la creacuteativiteacuteCertes agrave lrsquoeacutecole le fait drsquoaugmenter ses connaissances ouvre agrave de nouvellesexpeacuteriences et en ce sens permet une certaine creacuteativiteacute mais les chercheursse reacutefeacuterant agrave la theacuteorie des buts de compeacutetence dans le domaine de la formationnrsquoont jamais explicitement mis en avant ce motif Une autre diffeacuterence reacutesidedans les relations entre buts de performance et but drsquoapprentissage (demaicirctrise) Dans la theacuteorie de la fixation des objectifs lrsquohorizon temporel de
1 Rappelons que lrsquoexpression utiliseacutee dans la theacuteorie de la fixation des buts est but drsquoapprentissageet non but de maicirctrise
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ces buts est diffeacuterent En dernier ressort il srsquoagit toujours pour les personnestravaillant dans lrsquoentreprise drsquoatteindre un but de performance mais celui-ciest un but distal inapproprieacute tant que les compeacutetences requises pour lrsquoatteindrene sont pas suffisamment inteacutegreacutees Il est alors judicieux drsquointroduire un butproximal qui est un but drsquoapprentissage Aussi les buts sont-ils ameneacutes agrave sesucceacuteder Il y a un temps pour lrsquoapprentissage et un temps pour la performance(Latham et Locke 2007 Seijts et Latham 2005) Cette hieacuterarchisation tempo-relle est eacutetrangegravere agrave la theacuteorie des buts de compeacutetence Lrsquoobjectif final nrsquoestpas neacutecessairement la performance en outre si la personne est orienteacutee versdes buts de performance mais juge qursquoelle ne possegravede pas les compeacutetencesneacutecessaires il est probable qursquoelle activera plutocirct des buts drsquoeacutevitement delrsquoeacutechec que des buts drsquoapprentissage Ce dernier point met en relief le deacuteca-lage entre la theacuteorie actualiseacutee des buts de compeacutetence et la version qui acirculeacute vers la theacuteorie de la fixation des objectifs En fait cette derniegravere sefonde sur le modegravele de la premiegravere version celui de Dweck et Nicholls quiignore la distinction entre recherche de la performance et eacutevitement de lrsquoeacutechecOr la prise en compte de lrsquoeacutevitement de lrsquoeacutechec en introduisant agrave une lecturedeacutefensive des conduites permettrait de comprendre la nature de la reacutesistanceau feedback et eacuteviterait drsquoaborder ce dernier uniquement sous un angle cognitif
5 EN CONCLUSION QUELQUES PERSPECTIVES COMMUNES
Il nous semble que les theacuteories de la fixation des objectifs et des buts decompeacutetence partagent au moins deux perspectives de recherche pour lesanneacutees agrave venir La premiegravere concerne lrsquoeacutevolution des buts aux diffeacuterentesphases de la vie Un inteacuterecirct nouveau se fait jour pour ce que lrsquoon pourrait appe-ler lrsquoau-delagrave de la reacuteussite une fois le pic de performance atteint le spor-tif sur le deacuteclin la seconde partie de la carriegravere lrsquoapproche de la retraite Lebut drsquoeacutevitement de la maicirctrise reacutecemment proposeacute par Elliot (1999) estparticuliegraverement adapteacute pour comprendre les dynamiques engendreacutees parlrsquoacircge ou la perte progressive drsquoexpertise De leur cocircteacute Latham et Locke (2007)avancent aussi lrsquohypothegravese que les buts changent en fonction de lrsquoacircge Lrsquohorizontemporel limiteacute des travailleurs plus acircgeacutes inciterait agrave prendre davantage encompte les aspects eacutemotionnels et le bien-ecirctre dans le choix des buts Lrsquounedes conseacutequences en serait que les buts sociaux seraient davantage valoriseacutesqursquoen deacutebut de carriegravere La seconde perspective de recherche concernelrsquointeraction et plus particuliegraverement les conflits entre les buts La theacuteorie dela fixation des objectifs a abordeacute le conflit sous lrsquoangle des deacutesaccords entrelrsquoindividu et le groupe ou des dimensions de la performance agrave valoriser parexemple la quantiteacute ou la qualiteacute (Locke et al 1994 Locke et Latham
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LES THEacuteORIES REPOSANT SUR LE CONCEPT DE BUT 105
2002 2006) En revanche rien nrsquoest dit et il en va de mecircme dans la theacuteoriedes buts de compeacutetence sur les conflits internes agrave lrsquoindividu reacutesultant de lapoursuite de buts multiples Pourtant beaucoup de buts qui ne sont pas enrapport direct avec la reacutealisation de la tacircche ou la recherche de la compeacutetenceentrent dans lrsquoentreprise ou dans la classe en particulier lrsquoaffirmation de soi(eacuteviter la conformiteacute au groupe) la recherche de lrsquoaffiliation (eacuteviter lrsquoisole-ment) et la responsabiliteacute sociale (se conduire de faccedilon juste et eacutequitablesrsquoentraider) Il est vraisemblable que crsquoest une configuration de buts et nonun but seul qui deacuteclenche lrsquoaction (Boekaerts De Koning et Vedder 2006) Leseffets dysfonctionnels des conflits de buts agrave la fois sur le plan opeacuteratoire (laperformance) et sur le plan eacutemotionnel (la tension et la frustration ressenties)ont eacuteteacute peu eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent de mecircme que les processus agrave lrsquoœuvrepour construire des compromis psychologiquement acceptables qui donnentsatisfaction au moins en partie agrave chacun des buts poursuivis
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Chapitre 6
LA THEacuteORIE DU FLUXCOMMENT
LA MOTIVATION INTRINSEgraveQUE
DONNE DU SENS Agrave NOTRE VIE1
1 Par Jacques Lecomte
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Mihalyi Csikszentmihalyi professeur eacutemeacuterite de psychologie agrave lrsquouniversiteacutede Claremont en Californie a ainsi reacutesumeacute lrsquoesprit qui a preacutesideacute agrave lrsquoensemblede ses recherches scientifiques
laquo Au cours des trente derniegraveres anneacutees mon travail a consisteacute agrave deacutevelopper unepheacutenomeacutenologie systeacutematique utilisant les outils des sciences sociales mdash psy-chologie et philosophie essentiellement mdash pour tenter de reacutepondre agrave la question Que vaut la vie Et agrave une autre plus pratique Comment chaque individupeut-il se creacuteer la meilleure vie possible raquo (Csikszentmihalyi 2005)
1 SE SENTIR PORTEacute PAR LE FLUX
Crsquoest dans ce cadre qursquoil a meneacute un vase programme de recherches sur leflux (flow) ou expeacuterience optimale termes qui deacutesignent lrsquoeacutetat dans lequel setrouve un individu fortement engageacute dans une activiteacute pour elle-mecircme(Csikszentmihalyi 2004) Pourquoi avoir choisi ce mot Tout simplementparce que plusieurs des nombreux sujets qursquoil a intervieweacutes lui ont reacuteponduqursquoils se sentaient alors comme porteacutes par un flux
Par exemple un compositeur interrogeacute sur la faccedilon dont il se sentaitlorsqursquoil eacutecrivait avec aisance de la musique a reacutepondu
laquo On est dans un eacutetat extatique agrave un tel point qursquoon sent comme si on nrsquoexistepresque plus Jrsquoai eacuteprouveacute cela agrave diverses reprises Mes mains semblent deacutetacheacuteesde moi-mecircme et je nrsquoai pas agrave intervenir dans ce qui est en train de se passer Jesuis simplement assis agrave observer dans un eacutetat drsquoeacutemerveillement Et la musiquejaillit drsquoelle-mecircme comme un flux raquo (Csikszentmihalyi 1999)
Csikszentmihalyi peut drsquoailleurs ecirctre assez lyrique lorsqursquoil deacutecrit cetteexpeacuterience speacutecifique
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laquo Voilagrave ce que nous entendons par expeacuterience optimale crsquoest ce que ressentle navigateur quand le vent fouette son visage et que le bateau fend la mermdash les voiles la coque le vent et la mer creacuteent une harmonie qui vibre dans sesveines crsquoest ce qursquoeacuteprouve lrsquoartiste peintre quand les couleurs srsquoorganisentsur le canevas et qursquoune nouvelle œuvre (une creacuteation) prend forme sous lamain de son creacuteateur eacutebahi crsquoest le sentiment drsquoun pegravere (ou drsquoune megravere) faceau premier sourire de son enfant raquo (Csikszentmihalyi 2004)
Une question essentielle pour Csikszentmihalyi eacutetait de savoir dans quellescirconstances le flux se manifeste Il a drsquoabord obtenu des donneacutees par cesoutils habituels que sont les interviews et les questionnaires Mais afindrsquoacqueacuterir une plus grande preacutecision il a deacuteveloppeacute une meacutethode particuliegravere-ment originale laquo lrsquoeacutechantillonnage drsquoexpeacuterience veacutecue raquo (experience samplingmethod ESM) qui permet drsquoobtenir des donneacutees sur les penseacutees eacutemotionset activiteacutes drsquoun individu en milieu naturel Le sujet emmegravene partout avec luiun petit appareil qui lui envoie un petit signal sonore agrave diffeacuterents momentsaleacuteatoires de la journeacutee (de cinq agrave huit fois) et il inscrit son niveau de bien-ecirctre agrave cet instant ainsi que la situation dans laquelle il se trouve Il est doncpossible de mettre en relation les eacuteveacutenements de sa vie et les eacutemotions etpenseacutees eacuteprouveacutees agrave ces moments
Les recherches reacutealiseacutees sur le flux aupregraves de milliers de personnes inter-rogeacutees par Csikszentmihalyi ou drsquoautres universitaires agrave travers le monde ontmontreacute que lrsquoexpeacuterience optimale est deacutecrite de la mecircme faccedilon agrave lrsquooccasiondrsquoactiviteacutes tregraves diffeacuterentes par les femmes et les hommes les jeunes et lesmoins jeunes les gens de diffeacuterentes conditions sociales et de diffeacuterentescultures Lrsquoexpeacuterience inteacuterieure peut ecirctre quasiment identique pour un joueurdrsquoeacutechecs en plein tournoi ou un alpiniste qui gravit la montagne pour unvieux Coreacuteen en meacuteditation ou un jeune Ameacutericain qui fait de la moto avecsa bande
Un mot de prudence toutefois avant drsquoaller plus loin mecircme si ellesrsquoexprime geacuteneacuteralement sous une forme positive lrsquoexpeacuterience optimale nrsquoestpas un gage de vertu Il est fort possible qursquoHitler et drsquoautres dictateurseacuteprouvaient un sentiment de flux lorsqursquoils reacutealisaient leurs entreprisesmortifegraveres Csikszentmihalyi lui-mecircme cite le cas drsquoEichmann qui a calme-ment et meacuteticuleusement organiseacute le transport de milliers de personnes versles chambres agrave gaz et pour qui les regravegles de la bureaucratie eacutetaient sacreacuteeslaquo Il a probablement eacuteprouveacute lrsquoexpeacuterience optimale en preacuteparant les horairescomplexes des trains en livrant le ldquostockrdquo disponible agrave lrsquoendroit preacutevu ettransporteacute au moindre coucirct [hellip] Le sens de sa vie lui eacutetait fourni par uneinstitution fortement organiseacutee rien drsquoautre nrsquoimportait raquo (Csikszentmihalyi2004) Le flux doit neacutecessairement ecirctre reacuteguleacute par une vision eacutethique delrsquoaction entreprise
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2 LrsquoADEacuteQUATION ENTRE LES EXIGENCES DE LA TAcircCHE ET LA CAPACITEacute PERCcedilUE
Un aspect essentiel du flux est le lien existant entre les exigences drsquoune tacirccheet le sentiment que la personne a de pouvoir la reacutealiser Cependant un lecteurattentif des deux principaux ouvrages de Csikszentmihalyi sur le flux (tousdeux traduits en franccedilais) risque drsquoecirctre deacutecontenanceacute par la preacutesence de deuxfigures contradictoires (figures 61 et 62)
Ces deux figures sont coheacuterentes pour affirmer que la poursuite drsquoambitionstrop eacuteleveacutees par rapport aux capaciteacutes engendre de lrsquoanxieacuteteacute (quart nord-ouestdes figures) tandis que le choix de buts trop faciles par rapport aux capaciteacutesentraicircne de lrsquoennui (sud et sud-est)
Mais il y a une forte divergence entre les deux figures au sujet du flux Eneffet
ndash selon la premiegravere figure (1990) le flux (ou expeacuterience optimale) se mani-feste tout le long drsquoun large laquo couloir raquo (du sud-ouest au nord-est) lorsqueles niveaux drsquoexigence imposeacutes par la tacircche et de capaciteacutes de lrsquoindividupour accomplir celle-ci sont identiques quels que soient ces niveaux (faiblemoyen ou fort)
ndash en revanche selon la seconde figure (1997) le flux nrsquoapparaicirct que lorsqueles niveaux drsquoexigences et de capaciteacutes sont eacuteleveacutes (quart nord-est) en
Figures 61 et 62Deux repreacutesentations diffeacuterentes du flux mdash ou expeacuterience optimale mdash
en relation avec drsquoautres eacutetats de la personne (Csikszentmihalyi 2004 p 89 Csikszentmihalyi 2005 p 43)
Capaciteacutes de lrsquoindividu
Expeacuterienceoptimale
AnxieacuteteacuteExcitation
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Apathie
CapaciteacutesMinimum Maximum
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drsquoautres termes il se manifeste lorsque les aptitudes drsquoune personne sontpleinement mises agrave contribution par lrsquoexeacutecution drsquoune tacircche difficile maisreacutealisable Il agit donc comme une incitation au deacutepassement Inversementen cas de faible niveau drsquoexigence et de capaciteacutes crsquoest lrsquoapathie qui a leplus de probabiliteacute de survenir (quart sud-ouest)
Pourquoi une telle diffeacuterence entre ces deux figures Il semble que ce soitune eacutetude meneacutee par Csikszentmihalyi et ses collaborateurs qui lrsquoait conduitagrave cette eacutevolution Lors de cette recherche les auteurs ont demandeacute agrave quarante-sept adolescents italiens de mesurer les fluctuations de ce qursquoils eacuteprouvaientselon le niveau drsquoexigence des tacircches et de sentiment de capaciteacute agrave pouvoirles accomplir (Massimi Csikszentmihalyi et Carli 1987)
Des eacutechelles en dix points ont eacutevalueacute diffeacuterents aspects de lrsquoexpeacuterience etles compeacutetences et deacutefis perccedilus associeacutes avec lrsquoactiviteacute reacutealiseacutee Ces eacutechellesrassemblaient quatre groupes drsquoitems des questions relatives aux eacutemotions(heureux gai sociable amical) agrave lrsquoactivation (alerte actif fort exciteacute) agravelrsquoefficaciteacute cognitive (concentration conscience non tourneacutee vers soi-mecircmemdash unself consciousness mdash calme) agrave la motivation (deacutesir de faire lrsquoactiviteacutecontrocircle de lrsquoaction se sentir libre ecirctre impliqueacute)
Les reacutesultats sont tregraves clairs
ndash la situation de forte exigence et de forte capaciteacute est positivement correacuteleacuteeavec tous les items preacutesenteacutes ci-dessus tout particuliegraverement la concentra-tion le sentiment de controcircle de lrsquoaction lrsquoimpression drsquoecirctre actif impliqueacutelibre exciteacute ouvert calme deacutesireux drsquoaccomplir la tacircche
ndash inversement la situation de faible exigence et de faible capaciteacute est neacutegative-ment correacuteleacutee avec tous les items preacutesenteacutes ci-dessus tout particuliegraverementla concentration le sentiment de controcircle de lrsquoaction le sentiment drsquoecirctrefort actif impliqueacute exciteacute ouvert deacutesireux drsquoaccomplir la tacircche
On se trouve donc devant deux eacutetats de la personne totalement opposeacutes(contrairement agrave la figure 61) ce que Csikszentmihalyi et ses collaborateursqualifient dans la figure 62 de flux et drsquoapathie
Agrave titre drsquoillustrations arrecirctons-nous sur quelques-uns des diffeacuterents eacutetatsressentis
ndash concentration elle est tregraves forte lorsque lrsquoexigence de la tacircche est eacuteleveacutee lasituation la plus favorable eacutetant celle agrave exigence eacuteleveacutee et capaciteacute moyenneElle est faible lorsqursquoil y a faible exigence plus la capaciteacute est faiblemoins la concentration est eacuteleveacutee
ndash sentiment de controcircle il est tregraves bas en cas de faible capaciteacute quel que soitle niveau drsquoexigence la situation avec le moins de sentiment de controcircleest celle avec faible compeacutetence et niveau moyen de deacutefi
ndash bonheur la situation la plus propice au bonheur est celle avec exigenceset capaciteacutes eacuteleveacutees Toutes les situations agrave faibles compeacutetences sontinversement correacuteleacutees au bonheur la pire situation eacutetant celle avec deacutefimoyen et faibles capaciteacutes
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ndash sentiment de force Toutes les situations agrave exigence eacuteleveacutee sont susceptiblesde donner le sentiment drsquoecirctre fort la situation la plus favorable eacutetant celleagrave exigence et compeacutetences eacuteleveacutees En cas de faibles compeacutetences pluslrsquoexigence est basse plus le niveau de se sentir fort est bas ce qui estcontre-intuitif
ndash se sentir impliqueacute toutes les situations agrave exigence eacuteleveacutee sont susceptiblesde donner le sentiment drsquoecirctre impliqueacute la situation la plus favorable eacutetantcelle agrave exigence eacuteleveacutee et faible capaciteacute Inversement toutes les situationsagrave faible exigence sont susceptibles de ne pas donner le sentiment drsquoecirctreimpliqueacute la situation la moins favorable eacutetant celle avec faibles exigenceset compeacutetences
ndash deacutesir de reacutealiser lrsquoactiviteacute en cas de forte exigence il nrsquoy a deacutesir de reacutealiserlrsquoactiviteacute que lorsque la capaciteacute est eacuteleveacutee ou moyenne En cas de faiblecapaciteacute il nrsquoy a pas de deacutesir drsquoaccomplir lrsquoactiviteacute quel que soit le niveaudrsquoexigence
Cette eacutetude montre eacutegalement que ce sont lrsquoart ou les hobbies qui geacutenegraverentle plus souvent du flux chez ces jeunes tandis que crsquoest la teacuteleacutevision quigeacutenegravere le plus souvent de lrsquoapathie ceci parmi une quinzaine drsquoactiviteacutes(eacutetudes scolaires nourriture transport repos sport teacuteleacutevision eacutecouter de lamusique lecture etc) Enfin elle nous preacutesente les pourcentages respectifsdu temps passeacute par les jeunes se situant dans chacune des situations selon ledegreacute drsquoexigence de la tacircche et de capaciteacute auto-estimeacutee
Figure 63Pourcentages respectifs du temps passeacute par des jeunes
selon le degreacute drsquoexigence de la tacircche et de capaciteacute auto-estimeacutee
Deacutefi eacuteleveacutecompeacutetences faibles
Deacutefi eacuteleveacutecompeacutetences moyennes
Deacutefi eacuteleveacutecompeacutetences eacuteleveacutees
Deacutefi moyencompeacutetences eacuteleveacutees
Deacutefi faiblecompeacutetences eacuteleveacutees
Deacutefi faiblecompeacutetences moyennes
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3 LES CARACTEacuteRISTIQUES DU FLUX
Les entretiens effectueacutes par Csikszentmihalyi lui ont permis de deacutecrire lescaracteacuteristiques du flux (Csikszentmihalyi 2004)
La tacircche entreprise est reacutealisable mais constitue un deacutefi et exige une aptitudeparticuliegravere
Csikszentmihalyi reconnaicirct que lrsquoon peut eacuteprouver une grande joie uneextase deacuteclencheacutee par une meacutelodie un beau panorama ou toute autre chose cependant affirme-t-il laquo dans la grande majoriteacute des cas lrsquoexpeacuterience optimalese produit quand une activiteacute est dirigeacutee vers un but et gouverneacutee par desregravegles une activiteacute qui repreacutesente une certaine difficulteacute (un deacutefi) qui exigelrsquoinvestissement drsquoeacutenergie psychique et qui ne peut ecirctre reacutealiseacutee sans lesaptitudes requises raquo
Comme nous lrsquoavons vu preacuteceacutedemment laquo lrsquoexpeacuterience optimale survientlorsqursquoil y a une correspondance adeacutequate entre les exigences de la tacirccheet les capaciteacutes de lrsquoindividu [hellip] Cette correspondance adeacutequate entre lesexigences de lrsquoactiviteacute et les aptitudes de lrsquoindividu constitue la caracteacuteristiquela plus fondamentale de lrsquoexpeacuterience optimale Pour ecirctre plus preacutecis il faudraitdire que les exigences de la tacircche doivent se situer tout juste au-dessus desaptitudes actuelles de lrsquoindividu sinon il nrsquoy aurait pas de deacutefi raquo
Lrsquoindividu se concentre pleinement sur ce qursquoil fait sans se laisser distraire
Mecircme si lrsquoexpeacuterience optimale semble se produire facilement ce nrsquoest pasle cas car elle requiert de la concentration un grand effort physique ou uneactiviteacute mentale disciplineacutee Csikszentmihalyi cite agrave cet eacutegard un poegravete etalpiniste
laquo La mystique de lrsquoescalade crsquoest lrsquoescalade Vous arrivez au sommet et vousecirctes enchanteacute mais vous voudriez que lrsquoascension dure toujours La justificationde lrsquoescalade crsquoest lrsquoescalade comme la justification de la poeacutesie crsquoest lrsquoeacutecri-ture Vous ne conqueacuterez rien drsquoautre que vous-mecircme [hellip] Il nrsquoy a pas de raisonagrave lrsquoescalade si ce nrsquoest lrsquoascension elle-mecircme crsquoest une communication avecsoi-mecircme raquo
La cible viseacutee est claire et lrsquoactiviteacute en cours fournit une reacutetroactionimmeacutediate
Lrsquoindividu peut srsquoengager totalement dans le flux car son objectif estclairement identifieacute et qursquoil beacuteneacuteficie drsquoune reacutetroaction immeacutediate Le contenude cette reacutetroaction est en lui-mecircme peu important ce peut ecirctre lrsquoendroit ougraveun joueur de tennis envoie la balle ou la lumiegravere drsquoespoir dans les yeux dupatient agrave la fin drsquoun rendez-vous Lrsquoinformation essentielle reacuteside dans cetteconclusion laquo Jrsquoai atteint mon but raquo
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La personne exerce le controcircle sur ses actions
La personne qui vit une expeacuterience optimale ressent qursquoelle maicirctrise bienla situation ce qui nrsquoest pas le cas dans nombre drsquoautres moments de la viequotidienne Csikszentmihalyi qui srsquoest notamment inteacuteresseacute aux adeptes desports agrave haut risque souligne que ce qui est frappant chez eux crsquoest que leurenchantement ne provient pas du danger lui-mecircme mais de lrsquoaptitude agrave leminimiser Ce nrsquoest pas une sorte de frisson pathologique consistant agrave frocirclerla catastrophe qui les stimule mais le sentiment drsquoecirctre capable de maicirctriserdes situations potentiellement dangereuses
La preacuteoccupation de soi disparaicirct mais paradoxalement le sens du soiest renforceacute agrave la suite de lrsquoexpeacuterience optimale
Nous sommes souvent preacuteoccupeacutes de lrsquoimage que nous donnons de nousaux autres et agrave nous-mecircmes tandis que le flux ne laisse pas de place agrave lrsquoexamendu soi Csikszentmihalyi cite le teacutemoignage drsquoun navigateur en solitaire laquo On srsquooublie soi-mecircme on oublie tout on ne voit plus que le balancementdu bateau sur la mer le jeu de la mer autour du bateau laissant de cocircteacute toutce qui nrsquoest pas essentiel raquo
Cependant de faccedilon paradoxale le soi est geacuteneacuteralement renforceacute agrave la suitedrsquoune expeacuterience de flux car lrsquoindividu a pu tirer profit au maximum de sescompeacutetences et srsquoest mecircme parfois enrichi de nouvelles aptitudes
La perception de la dureacutee est alteacutereacutee
Csikszentmihalyi confirme ce que Maslow avait deacutejagrave rapporteacute agrave savoirque la plupart des gens qui font lrsquoexpeacuterience du flux signalent une sensiblemodification de leur perception du temps celui-ci laquo passe raquo geacuteneacuteralementplus vite lors drsquoune expeacuterience intense mais crsquoest parfois le contraire
4 LE TRAVAIL UNE SOURCE IMPORTANTE DE FLUX
Lrsquoexpeacuterience optimale reacutesulte drsquoune interaction entre lrsquoindividu et la situationEn bref toute activiteacute peut engendrer le flux mais certaines situations y sontplus propices que drsquoautres parallegravelement tout individu peut eacuteprouver le fluxmais certaines personnes y sont plus sensibles que drsquoautres Csikszentmihalyiparle agrave ce propos drsquoactiviteacutes et de personnes laquo autoteacuteliques raquo terme unissantdeux mots grecs autos (soi) et telos (but ou fin) (Csikszentmihalyi 2004) Lesactiviteacutes creacuteatives la musique le sport sont des sources typiques de flux Mais ilsrsquoagit eacutevidemment plus de tendances que drsquoune radicale dichotomie Ainsi laplupart de nos activiteacutes ne sont ni purement autoteacuteliques ni purement laquo exo-teacuteliques raquo (faites pour des raisons externes) mais une combinaison des deux
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Lrsquoune des deacutecouvertes les plus surprenantes de Csikszentmihalyi et sescollaborateurs est que les gens ont environ trois fois plus de probabiliteacute drsquoexpeacute-rimenter le flux au travail que dans les loisirs avec cependant des diffeacuterencesselon le type de fonction (Csikszentmihalyi 2004 Csikszentmihalyi etLefevre 1989) comme le montre le tableau 61
Pour les directeurs les activiteacutes les plus susceptibles de contribuer au fluxeacutetaient de laquo parler de problegravemes raquo et de laquo faire du travail administratif raquo bienque le travail administratif repreacutesentacirct une proportion encore plus importantedes moments de non-flux Pour les employeacutes de bureau la principale sourcede flux eacutetait drsquoeacutecrire agrave lrsquoordinateur et pour les ouvriers crsquoeacutetait de reacuteparer dumateacuteriel ou de travailler sur les ordinateurs
Lorsque ces diverses personnes nrsquoeacutetaient pas au travail leurs expeacuteriencesde flux se ressemblaient beaucoup plus et provenaient surtout du fait deconduire et de parler avec les membres de leur famille ou avec leurs amis
Le travail preacutesente des caracteacuteristiques particuliegraverement susceptibles degeacuteneacuterer une sensation de flux En effet il est geacuteneacuteralement accompagneacute drsquounbut et de regravegles claires il provoque une reacutetroaction immeacutediate la satisfactiondu devoir accompli il favorise la concentration et limite la distraction ildonne un sentiment de controcircle et sa difficulteacute est (en principe) en rapportavec les capaciteacutes de celui qui lrsquoaccomplit Pour beaucoup de gens le restede lrsquoexistence nrsquooffre pas les mecircmes possibiliteacutes Quand ils sont chez eux ilsont rarement un but bien deacutefini ils ignorent srsquoils font bien ou mal ce qursquoilsfont ils peuvent avoir le sentiment que leurs aptitudes sont sous-employeacutees
Cet effet positif est particuliegraverement bien mis en eacutevidence par ce teacutemoignagede Yazid Sabeg 55 ans preacutesident du conseil drsquoadministration drsquoune socieacuteteacute denouvelles technologies
laquo Le travail est [hellip] le plus formidable moyen drsquoautoreacutealisation et de libeacuterationde soi Il nrsquoy a pas de secret les loisirs ne permettent pas un investissement etune implication aussi entiegravere que la conduite drsquoun projet professionnel Lesloisirs procurent eacutevidemment de la joie de la deacutetente des sensations fortes mais la tregraves haute satisfaction le sentiment de lrsquoenjeu nrsquoy sont jamais aussi
Tableau 61Pourcentage de personnes indiquant la preacutesence
de lrsquoexpeacuterience optimale (sur 4 800 reacuteponses au cours drsquoune semaine)
Travail Loisirs
DirecteursCols-blancsCols-bleusEnsemble
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forts que dans la conduite drsquoun travail auquel on croit Comme le travail permetdrsquoacqueacuterir un savoir-faire ou une expertise il contribue agrave la deacutefinition de soiagrave la construction drsquoune identiteacute
Ce qui donne un sens si fort et si complet au travail crsquoest bien le sentiment deproduire une œuvre mdash mecircme agrave une eacutechelle modeste mdash et drsquoen ecirctre responsableQuand il donne agrave lrsquoindividu la possibiliteacute de concevoir et drsquoorganiser un projetle travail permet de se deacutesigner soi-mecircme comme un auteur et crsquoest cela quiest le plus gratifiant [hellip] Le travail est donc la plus grande source de plaisir etle meilleur moyen de satisfaire son deacutesir drsquoaccomplissement raquo (Institut Man-power 2006)
Les deux teacutemoignages qui suivent montrent que ce sentiment de flux autravail peut se manifester dans des activiteacutes professionnelles tregraves diverses
Colette C 54 ans dirige une exploitation vinicole avec son mari
mdash Moi jrsquoaime ce meacutetier-lagrave Pour moi un des moments que jrsquoaime beaucoupdans le travail des vignes crsquoest le moment du relevage le mois ougrave la vigne esten fleurs en mai ou juin
mdash Crsquoest dur de relever pourtanthellip
mdash Non crsquoest pas trop dur et puis on a lrsquohabitude On nrsquoest pas des mauviettesQuand les vignes elles poussent tu les regardes avant qursquoelles soient releveacuteeson dirait un feu drsquoartifice ccedila explose Ca part dans tous les sens vrille en avantou soit la tecircte recourbeacutee comme un nageur precirct agrave foncer lagrave Jrsquotrouvehellip crsquoestsouple sous tes doigts crsquoest en train de pousser crsquoest de la matiegravere vivanteCrsquoest sensationnel puis ccedila sent bon la vigne en fleurs et tout Alors lagrave pour lesrelevages je laisse pas ma place Jrsquoy vais avec plaisir il fait beau il faitchaud Jrsquoaime le travail des vignes [hellip] Jrsquoaime tailler Jrsquoaimehellip un pied de vignetrsquoen as pas deux pareils donc tu deacutecides comment tu vas le laisser lehellip [hellip]Pour moi un pied de vigne crsquoest un ami crsquoest un enfant qursquoon doit eacutelever soi-gner et qui reacuteagit en fonction de ce que tu lui donnes Donc moi jrsquoaime bientailler Les journeacutees agrave tailler au milieu des vignes toute seule je ne donneraispas ma place raquo (Baudelot et Gollac 2003)
Michel Chevalier 62 ans directeur de socieacuteteacute laquo Jrsquoai le souvenir de mrsquoecirctreretrouveacute dans la rue agrave 5 ou 6 heures du matin un dimanche apregraves avoir passeacutela nuit agrave eacutecrire un article avec un ami Jrsquoeacutetais probablement tregraves fatigueacute maisje marchais tregraves rapidement avec des pas leacutegers et assureacutes et avec le sentimentdu travail bien fait Et pourtant qursquoy avait-il drsquoimportant agrave co-eacutecrire un articleet pourquoi eacutecrire toute la nuit plutocirct que de faire cela petit agrave petit dans la journeacuteeet sur plusieurs semaines [hellip] En fait ce qui nous avait vraiment plu agrave tousles deux crsquoest probablement lrsquoeffort que nous avions fourni ensemble et lrsquoat-tention que nous avions ducirc fournir pour rester eacuteveilleacutes et qui nous avait donneacuteune forme drsquoivresse personnelle [hellip] Je sais par expeacuterience que ces peacuteriodesde travail intense me laissent des souvenirs de pleacutenitude et de satisfaction plusgrands que lorsque jrsquoai passeacute un jour agrave la campagne ou chez des amis [hellip] Letravail est pour moi une source de satisfaction et de deacutepassement de soi raquo(Institut Manpower 2006)
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Il y a cependant un paradoxe troublant puisque la plupart drsquoentre nous disonspreacutefeacuterer les loisirs au travail ce qursquoont drsquoailleurs veacuterifieacute Csikszentmihalyi etses collaborateurs Lorsqursquoils demandent agrave des sujets laquo Deacutesirez-vous en cemoment faire quelque chose drsquoautre raquo ceux-ci reacutepondent beaucoup plussouvent oui lorsqursquoils sont au travail que lorsqursquoils sont en loisirs
Tel est donc le paradoxe selon Csikszentmihalyi laquo Au travail les gensrencontrent des deacutefis stimulants se sentent heureux creacuteatifs et connaissentde grandes joies dans leur temps libre ils utilisent peu leurs aptitudes sesentent passifs et insatisfaits pourtant ils voudraient travailler moins et avoirplus de loisirs raquo (Csikszentmihalyi 2004)
Cet auteur propose trois explications possibles agrave cette situation
ndash les gens semblent tregraves influenceacutes par le steacutereacuteotype fortement enracineacute selonlequel le travail est supposeacute ecirctre non deacutesirable En deacutecidant srsquoils souhaitenttravailler ou non les gens jugent leurs deacutesirs par des conventions socialesplus que par la reacutealiteacute de leurs ressentis
ndash il est difficile de maintenir longtemps un haut niveau de deacutefi et de concen-tration de sorte qursquoil faut reacutecupeacuterer ne rien faire ou reacutealiser des activiteacutespeu exigeantes Cependant fait remarquer Csikszentmihalyi nombreusessont les personnes pour lesquelles la distinction travail-loisirs semblequasi inexistante (pas seulement chez les cadres)
ndash lorsque le travailleur a lrsquoimpression drsquoinvestir son eacutenergie contre son greacuteetou pour le profit de quelqursquoun drsquoautre il considegravere que cette eacutenergie estperdue et que le temps consacreacute au travail est soustrait agrave sa vie Dans cecontexte lrsquoexpeacuterience positive eacuteprouveacutee momentaneacutement au travail perd desa valeur parce qursquoelle ne contribue pas aux buts agrave long terme de lrsquoindividu
Les recherches de Csikszentmihalyi ont reacuteveacuteleacute trois principales sourcesdrsquoinsatisfaction lieacutees au travail le salaire nrsquoentrant pas en ligne de compte
ndash le manque de varieacuteteacute (provenant surtout des cols-bleus aux prises avec destacircches routiniegraveres) pour y remeacutedier il faut changer drsquoemploi (ce qui estsouvent impossible) ou changer sa faccedilon de percevoir la tacircche en y trouvantdes deacutefis
ndash les conflits interpersonnels (principalement avec les patrons) ce problegravemepeut ecirctre reacutesolu par la discussion lrsquoouverture et lrsquoacquisition drsquoaptitudesde communication
ndash lrsquoeacutepuisement provoqueacute par les exigences de la tacircche le stress et le peu detemps libre (provenant surtout de ceux situeacutes plus haut dans la hieacuterarchie) selon Csikszentmihalyi le stress deacutepend beaucoup moins des conditionsobjectives (agrave moins qursquoelles ne soient extrecircmes) que de la pression quechacun se fait subir Il y a des centaines de faccedilons drsquoy remeacutedier meilleureorganisation du travail gestion adeacutequate de son temps deacuteleacutegation desresponsabiliteacutes communication ouverte avec les pairs et les patrons sans
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parler des facteurs exteacuterieurs agrave lrsquoemploi discipline de vie loisirs adeacutequatsvie familiale eacutequilibreacutee exercice physique etc
5 LA PERSONNALITEacute DES INDIVIDUS AUTOTEacuteLIQUES
Les personnes autoteacuteliques sont celles qui ont des expeacuteriences de flux relative-ment souvent quelle que soit lrsquoactiviteacute qursquoelles font La meacutethode ESM deacutecriteen deacutebut de cet article a reacuteveacuteleacute que certaines personnes sont en situation deflux 70 de leur temps et drsquoautres moins de 10 Csikszentmihalyi en adeacuteduit logiquement que les premiegraveres sont plus autoteacuteliques que les secondesSelon lui laquo lrsquoindividu autoteacutelique nrsquoa pas un grand besoin de possessions dedistractions de confort de pouvoir ou de ceacuteleacutebriteacute car presque tout ce qursquoilfait lrsquoenrichit inteacuterieurement Comme il expeacuterimente le flux dans son travailsa vie familiale ses relations avec les autres quand il mange et mecircme quandil est seul et inactif il est moins deacutependant des reacutecompenses exteacuterieures quimotivent les autres agrave se satisfaire drsquoun quotidien routinier vide de sens Il estplus autonome plus indeacutependant parce qursquoon ne le manipule pas facilementagrave coups de menaces ou de reacutecompenses exteacuterieures En mecircme temps il estplus impliqueacute dans tout ce qui lrsquoentoure parce qursquoil est pleinement investidans le courant de la vie raquo (Csikszentmihalyi 2005)
Ainsi les individus autoteacuteliques sont moins preacuteoccupeacutes drsquoeux-mecircmes etinvestissent plus drsquoeacutenergie psychique dans leur rapport agrave la vie Leur inteacuterecirctenvers lrsquoexistence nrsquoest pas seulement passif contemplatif il implique unevolonteacute de comprendre voire de reacutesoudre des problegravemes Linus Paulingdeux fois laureacuteat du prix Nobel a deacuteclareacute lors drsquoun entretien laquo Je peux toutaussi bien dire que jrsquoai travailleacute sans arrecirct ou que je nrsquoai jamais travailleacute raquo(Csikszentmihalyi 2004)
Csikszentmihalyi souligne positivement la dualiteacute des individus autoteacuteliquespeut-ecirctre de maniegravere trop idyllique
laquo Ces personnes sont agrave la fois originales et meacutethodiques indeacutependantes etresponsables entreprenantes et disciplineacutees intuitives et rationnelles De pluselles marient une saine fierteacute de leur individualiteacute et un inteacuterecirct authentique agravelrsquoendroit drsquoautrui II est plus facile de se situer agrave lrsquoun ou lrsquoautre pocircle de cesdualiteacutes mais crsquoest la synthegravese de lrsquoapparente antinomie de ces processus quipermet de connaicirctre freacutequemment et intenseacutement lrsquoexpeacuterience optimale tout encontribuant au mieux-ecirctre de lrsquohumaniteacute raquo (Csikszentmihalyi 2004)
Derniegravere remarque agrave propos des personnes autoteacuteliques ce type depersonnaliteacute peut srsquoacqueacuterir en particulier au travers de lrsquoeacuteducation familiale
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120 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
Kevin Rathunde un collegravegue de Csikszentmihalyi a constateacute que les adoles-cents qui ont connu certaines formes de relations avec leurs parents sont plusheureux plus satisfaits et plus forts (dans la plupart des situations de la vie)que leurs pairs qui nrsquoont pas beacuteneacuteficieacute de pareilles relations (Csikszentmihalyi2004)
Preacutecisons toutefois qursquoil srsquoagit lagrave de reacutesultats statistiques qui nrsquoimpliquentaucunement un deacuteterminisme individuel les nombreux travaux sur la reacutesi-lience ont mis agrave jour le potentiel preacutesent chez toute personne mecircme cellesayant subi des traumatismes dans lrsquoenfance
Cinq eacuteleacutements caracteacuterisent un contexte familial favorisant lrsquoexpeacuterienceoptimale
ndash la clarteacute lrsquoenfant sait ce que ses parents attendent de lui les objectifs etles feed-back ne sont pas ambigus
ndash lrsquointeacuterecirct lrsquoenfant perccediloit que ses parents se preacuteoccupent de ce qursquoil fait etde ce qursquoil ressent
ndash le choix lrsquoenfant sent qursquoil a une gamme de possibiliteacutes parmi lesquellesil peut choisir y compris celui de transgresser les regravegles (dans la mesureougrave il est precirct agrave en subir les conseacutequences)
ndash la confiance permettant agrave lrsquoenfant de mettre de cocircteacute le bouclier de sesdeacutefenses drsquoecirctre moins preacuteoccupeacute de lui-mecircme bref drsquoecirctre authentique etde srsquoimpliquer dans ce qui lrsquointeacuteresse
ndash le deacutefi les parents srsquoefforcent constamment de fournir des possibiliteacutesdrsquoaction de difficulteacute croissante agrave mesure que lrsquoenfant grandit Ce laquo contextefamilial autoteacutelique raquo fournit la base ideacuteale pour vivre en bonne santeacutepsychique profiter de la vie et ecirctre heureux
Or si ces attitudes eacuteducatives favorisent lrsquoapparition du flux chez lrsquoenfantcrsquoest tout simplement parce qursquoelles sont celles de tout individu en situationdrsquoexpeacuterience optimale buts et regravegles clairs reacutetroaction sentiment de controcircleconcentration sur la tacircche en cours motivation et deacutefi
Un trait de personnaliteacute particuliegraverement correacuteleacute au flux est lrsquoaltruismeMihalyi Csikszentmihalyi et John D Patton ont meneacute une eacutetude aupregraves dehuit cent cinquante-six adolescent(e)s nord-ameacutericains relative aux liens entrecertaines valeurs et la preacutesence plus ou moins forte de flux chez ces jeunesLe reacutesultat qui les a le plus impressionneacutes est la forte correacutelation entre altruismeet flux (Csikszentmihalyi et Patton 1997)
Les chercheurs ont utiliseacute la meacutethode drsquoeacutechantillonnage drsquoexpeacuterience (ESM)afin drsquoobtenir une mesure dans la variation du flux ainsi qursquoun questionnairedrsquoaltruisme
La figure 64 montre que les adolescents tregraves altruistes vivent nettementplus de moments de flux que ceux qui revendiquent cette valeur agrave un degreacutemoindre et ce pour toutes les activiteacutes maintien (manger srsquohabiller soins
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hygieacuteniques etc) loisirs actifs loisirs passifs socialisation travail scolaireet travail
Ces reacutesultats sont correacutelationnels et ne permettent donc pas de savoir sicertains adolescents font preuve drsquoun niveau eacuteleveacute drsquoaltruisme parce qursquoilseacuteprouvent le flux ou inversement srsquoils sont dans le flux parce qursquoils sontaltruistes ou encore srsquoil y a causaliteacute reacuteciproque Mais Csikszentmihalyi etPatton penchent plutocirct pour la seconde hypothegravese (lrsquoaltruisme conduit auflux) en srsquoappuyant sur les reacutesultats drsquoeacutetudes anteacuterieures Ils font remarquernotamment que lrsquoattention positive agrave autrui attire souvent un comportementreacuteciproque plutocirct que de lrsquoindiffeacuterence ce qui geacutenegravere plus de sens et de joie agravesa vie Mais surtout selon ces auteurs la forte relation entre lrsquoaltruisme et leflux peut srsquoexpliquer par la theacuteorie de lrsquoexpeacuterience optimale Une jeunepersonne dont lrsquoattention est surtout mobiliseacutee vers le bien-ecirctre drsquoautrui seretrouve freacutequemment dans des situations ougrave les buts sont clairs et reacutealisablesDe plus une orientation altruiste est susceptible de lever lrsquoobstacle le plusimportant agrave lrsquoatteinte drsquoun eacutetat de flux crsquoest-agrave-dire une trop grande attentionsur lrsquoego et ses besoins En dirigeant son eacutenergie sur le bien-ecirctre des autresun jeune homme ou une jeune fille se libegravere de cette preacuteoccupation de lrsquoegoqui sape tant drsquoeacutenergie psychique Plutocirct que drsquoecirctre mobiliseacutee agrave srsquoobserver etagrave se surveiller une grande partie de lrsquoeacutenergie psychique se libegravere et se renddisponible agrave la poursuite des buts que la personne srsquoest fixeacutee Ceci caracteacuteriseun paradoxe de lrsquoexpeacuterience optimale laquo Ce nrsquoest qursquoen srsquooubliant soi-mecircmeque le soi prend de lrsquoampleur raquo
Figure 64Comparaison du niveau de flux rapporteacute par les personnes qui se situent
dans le quartile infeacuterieur ou supeacuterieur relativement agrave lrsquoaltruisme lorsqursquoelles sont engageacutees dans diffeacuterents types drsquoactiviteacutes
Plus altruistesMoins altruistes
Maintien Travail
Types drsquoactiviteacutes
Altruisme
d
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veacutec
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flux
Loisir actif(358)(221)(369)
30354045505560657075
Loisirpassif
(447) (474) (374)
Activiteacutessociales
Travailscolaire
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6 LE FLUX UNE COMPOSANTE DU BONHEUR
En lisant attentivement les eacutecrits de Csikszentmihalyi on se trouve confronteacuteagrave un autre paradoxe mais qui ne lrsquoest qursquoen apparence Cet auteur affirme drsquounepart que laquo la psychologie de lrsquoexpeacuterience optimale porte sur le processus de larecherche du bonheur par la maicirctrise de sa vie inteacuterieure raquo (Csikszentmihalyi2004) et drsquoautre part que laquo plus que le bonheur ce sont ces moments drsquointenseimplication dans lrsquoexpeacuterience veacutecue qui ameacuteliorent la qualiteacute de la viePendant une expeacuterience flux le bonheur nrsquoexiste pas car pour le ressentir ilfaut se concentrer sur son eacutetat inteacuterieur et cela distrairait de la tacircche entre-prise raquo (Csikszentmihalyi 2005) Par exemple un alpiniste un chirurgien ouun musicien ne peuvent pas se permettre de se demander srsquoils sont heureuxpendant qursquoils accomplissent leur tacircche Ce nrsquoest qursquoapregraves celle-ci lorsquela personne revient sur ce qui srsquoest passeacute qursquoelle est heureuse envahie parun sentiment de gratitude pour la qualiteacute de ce qui vient drsquoecirctre veacutecu De plusles expeacuteriences optimales ne sont pas neacutecessairement agreacuteables au momentougrave elles se produisent en raison des efforts qursquoelles imposent agrave lrsquoindividu Parexemple eacutecrit Csikszentmihalyi un nageur peut avoir les muscles endolorisles poumons brucirclants et ecirctre eacutecraseacute de fatigue pourtant ces moments peuventcompter parmi les meilleurs de son existence laquo Lrsquoexpeacuterience optimale queproduisent ces instants donne un sentiment de maicirctrise qui srsquoapprochedrsquoaussi pregraves que lrsquoon puisse lrsquoimaginer de ce qursquoon appelle le bonheur raquo(Csikszentmihalyi 2004)
Le paradoxe commence agrave se dissiper lorsque nous comprenons queCsikszentmihalyi nous parle de deux types de situation susceptibles drsquoapporterdeux satisfactions diffeacuterentes (Csikszentmihalyi 2005)
ndash les plaisirs passifs (repos du corps chaleur du soleil relation paisible) quisont des moments preacutecieux mais qui procurent un bonheur fragile quideacutepend des conditions exteacuterieures
ndash la satisfaction procureacutee par le flux qui deacutepend surtout de nous et qui eacutelargitnotre expeacuterience existentielle
Le paradoxe disparaicirct complegravetement lorsque nous opeacuterons clairement ladistinction entre sens et bien-ecirctre (Lecomte 2007) Les plaisirs passifs eacutepheacute-megraveres dont parle Csikszentmihalyi relegravevent du bien-ecirctre les satisfactionslieacutees au flux relegravevent du sens Et ce nrsquoest que lorsque les deux sont preacutesentssimultaneacutement que lrsquoindividu eacuteprouve un bonheur complet
Soulignons pour finir que cette connaissance du flux peut faciliter une dyna-mique de changement chez lrsquoindividu voire entraicircner des effets theacuterapeutiquesCsikszentmihalyi fait remarquer que la figure 62 peut ecirctre agrave lrsquoorigine drsquouneeacutevolution personnelle Si un individu se trouve dans la portion laquo Excitation raquo
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de cette figure ce qursquoil ressent nrsquoest pas forceacutement deacutesagreacuteable puisqursquoil sesent actif et impliqueacute cependant il se sent peu en controcircle Srsquoil souhaiteacceacuteder agrave lrsquoeacutetat de flux il lui faut acqueacuterir de nouvelles capaciteacutes Si inverse-ment une personne se situe plutocirct dans le secteur laquo Controcircle raquo elle se sentforte et satisfaite mais manque de concentration drsquoimplication et de lasensation de faire des choses importantes Elle peut parvenir au flux en se fixantcomme objectif de reacutealiser des tacircches plus difficiles
Quant agrave lrsquoaspect theacuterapeutique Csikszentmihalyi nous apprend que lepersonnel drsquoun hocircpital psychiatrique utilise reacuteguliegraverement lrsquoESM aupregraves despatients afin de mieux comprendre ce qursquoils pensent et ressentent eacutemotion-nellement pour pouvoir adapter leur traitement Le processus de gueacuterisondrsquoune patiente est particuliegraverement instructif agrave cet eacutegard elle eacutetait hospitali-seacutee depuis dix ans pour schizophreacutenie chronique et en manifestait les symp-tocircmes habituels (confusion mentale absence drsquoaffect etc) Pendant les deuxsemaines drsquoobservation agrave lrsquoaide de lrsquoESM elle rapporta une humeur positiveagrave deux reprises au moment ougrave elle prenait soin de ses ongles Lrsquoeacutequipemeacutedicale a fait venir une manucure pour enseigner agrave la patiente les rudimentsdu meacutetier Celle-ci manifesta beaucoup drsquointeacuterecirct et se mit rapidement agrave pren-dre soin des ongles des autres patients Son eacutetat srsquoameacuteliora de faccedilon remar-quable au point qursquoelle put reacuteinteacutegrer la communauteacute (sous surveillance) etouvrit un petit salon de manucure Un an plus tard elle subvenait agrave sesbesoins (Csikszentmihalyi 2004)
Flux motivation intrinsegravequeet expeacuteriences paroxystiques
Proximiteacutes et diffeacuterencesLe flux est une expeacuterience proche de la motivation intrinsegraveque drsquoune part(Csikszentmihalyi 1990) et des expeacuteriences paroxystiques deacutecrites par AbrahamMaslow drsquoautre part (Massimi Csikszentmihalyi et Carli 1987) au point queCsikszentmihalyi a parfois affirmeacute qursquoil srsquoagissait du mecircme pheacutenomegravene Il existepourtant certaines diffeacuterences entre ces conceptsRappelons tout drsquoabord ce que sont les laquo expeacuteriences paroxystiques raquo (peakexperiences) mises en eacutevidence par Abraham Maslow lrsquoun des principaux repreacute-sentants de la psychologie humaniste (Maslow 1972) Celui-ci avait poseacute laquestion suivante agrave cent quatre-vingt-dix eacutetudiant(e)s laquo Pouvez-vous deacutecrire et direce que vous pensez de la plus merveilleuse expeacuterience de votre vie au cours delaquelle vous avez pu eacuteprouver un sentiment de pleacutenitude et de ravissement raquoCe qui lrsquoa conduit agrave repeacuterer les caracteacuteristiques de ce qursquoil a appeleacute les laquo expeacute-riences paroxystiques raquo Entre autres ces expeacuteriences constituent une fin en elles-mecircmes et non un moyen la personne perd la notion du temps et de lrsquoespacecomme si elle se trouvait transporteacutee dans un autre monde ougrave le temps peut sedilater ou au contraire passer tregraves rapidement
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124 CONVERGENCES THEacuteORIQUES
Selon Maslow laquo les expeacuteriences paroxystiques par leur survenue occasionnellepeuvent rendre la vie digne drsquoecirctre veacutecue Elles donnent du sens agrave la vie prouventque la vie vaut drsquoecirctre veacutecue [hellip] Cela prouve agrave lrsquoexpeacuteriant qursquoil y a des finaliteacutesdans le monde qursquoil y a des choses des objets ou des expeacuteriences auxquelsaspirer qui valent pour eux-mecircmes Ce qui constitue une reacutefutation de la propositionque la vie et lrsquoexistence nrsquoont pas de sens En drsquoautres termes les expeacuteriencesparoxystiques sont une illustration concregravete de lrsquoaffirmation que ldquola vie vaut drsquoecirctreveacutecuerdquo ou que ldquola vie a un sensrdquo raquo (Maslow 2004)Malgreacute la grande proximiteacute entre le flux et lrsquoexpeacuterience paroxystique un eacuteleacutementfondamental les distingue selon Maslow la volonteacute nrsquointervient pas dans lrsquoexpeacute-rience paroxystique (laquo On ne peut pas commander une expeacuterience paroxystique elle arrive agrave la personne crsquoest tout raquo) tandis que Csikszentmihalyi affirme que leflux est le produit drsquoune action deacutelibeacutereacutee de lrsquoindividuQuant agrave la distinction entre le flux et la motivation intrinsegraveque elle semble reacutesideressentiellement dans la notion de concentration personnelle On peut fort bienecirctre motiveacute intrinsegravequement pour une activiteacute qui requiert une faible concentrationalors que cet eacuteleacutement est essentiel dans la theacuteorie du fluxUne eacutetude de Reed W Larson de lrsquouniversiteacute de lrsquoIllinois met clairement cela eneacutevidence (Larson 2000) Elle montre que la grande majoriteacute du temps desadolescents se passe dans deux situations opposeacutees Lors du travail scolaire ilsexpeacuterimentent de la concentration et du deacutefi mais sans ecirctre motiveacutes intrinsegraveque-ment inversement dans la plupart des loisirs (par exemple en regardant la teacuteleacute-vision et en interagissant avec leurs amis) ils eacuteprouvent de la motivation intrinsegravequemais ne sont pas dans un contexte de concentration et de deacutefiEn revanche certaines activiteacutes agrave la fois volontaires et structureacutees relegravevent duflux selon Larson car elles comportent agrave la fois de la motivation intrinsegraveque et dela concentration Il srsquoagit par exemple du sport des hobbies de lrsquoengagementdans une association
Tableau 62Cateacutegorisation des activiteacutes drsquoadolescents en fonction du niveau
de concentration et de motivation intrinsegraveque (drsquoapregraves Larson 2000)
Faible Forte
Forte
Motivation
Relations amicales
FLUXSport arts hobbies engagement au sein drsquoune association
Intrinsegraveque
Faible
Travail scolaire
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Deuxiegraveme partie
ENJEUX POUR LES PRATIQUES
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Chapitre 7
MOTIVATION ET APPRENTISSAGES
SCOLAIRES1
1 Par Laurent Cosnefroy et Fabien Fenouillet
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1 LA MOTIVATION DES APPRENTISSAGES SCOLAIRES UN PROBLEgraveME DE CHOIX
La question de la motivation en contexte scolaire peut ecirctre appreacutehendeacutee agravepartir de deux figures embleacutematiques de ce microcosme institutionnel
La premiegravere dans le deacutesordre est celle de lrsquoeacutelegraveve curieux qui srsquointeacuteresseagrave tout et que tout inteacuteresse Cet inteacuterecirct pour les matiegraveres scolaires peut prendrediffeacuterentes formes comme le fait de poser des questions drsquoaller au-delagrave desexigences ou encore de surprendre lrsquoenseignant par la qualiteacute et la richessedu discours tenu sur une connaissance ordinairement meacuteconnue Les eacutelegravevesqui entrent dans cette cateacutegorie sont geacuteneacuteralement peu nombreux mais fonttout aussi couramment partie de ceux qui obtiennent les meilleures eacutevaluationsCrsquoest pourquoi il est plus simple de dire qursquoil srsquoagit ici du portrait type dubon eacutelegraveve En partant de ces caracteacuteristiques il peut sembler eacutevident que lrsquoundes problegravemes majeurs que doit relever la motivation dans le cadre scolaireest celui drsquoune augmentation du nombre drsquoenfants reacuteellement inteacuteresseacutes parce qursquoils doivent apprendre La question que devraient travailler tous leschercheurs qui laquo srsquointeacuteressent raquo de pregraves ou de loin agrave la motivation scolaireserait donc en lien avec les moyens les proceacutedeacutes ou les meacutethodes permettantdrsquoaugmenter lrsquointeacuterecirct des apprentissages scolaires
La theacuteorie de lrsquoautodeacutetermination de Deci et Ryan (2002) peut de ce pointde vue se reacuteveacuteler assez utile Nous ne reviendrons pas ici sur la description decette theacuteorie puisqursquoun chapitre du preacutesent ouvrage lui a eacuteteacute consacreacute (chapi-tre 3) Rappelons simplement que pour ses auteurs srsquoil existe diffeacuterentes formesde motivations lrsquoune drsquoentre elles la motivation intrinsegraveque place lrsquointeacuterecirctau cœur du comportement Pour Deci et Ryan (2002) les personnes intrinsegrave-quement motiveacutees srsquoengagent librement dans des activiteacutes pour le plaisir etlrsquointeacuterecirct que procurent leurs pratiques
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Pour cette theacuteorie la liberteacute de srsquoengager ou non dans une activiteacute constitueun pilier fondamental de la motivation Autrement dit lorsque lrsquoindividu alrsquoimpression drsquoecirctre un pion mucirc par des forces exteacuterieures sa motivation enest alteacutereacutee (DeCharms 1968) De nombreux facteurs peuvent avoir un impactneacutegatif au travers de cet aspect controcirclant qursquoils induisent sur le comporte-ment En vertu de ce principe plusieurs expeacuteriences ont pu montrer qursquounereacutecompense a pour effet de diminuer lrsquointeacuterecirct et le temps que lrsquoindividu estprecirct agrave consacrer agrave une activiteacute (Deci 1971 Ryan Mims et Koestner 1983 Boggiano et Ruble 1979 Fisher 1978) Diffeacuterentes formes de contraintestelles que les pressions temporelles (Amabile Dejong et Lepper 1976) oumecircme la surveillance drsquoun professeur envers ses eacutelegraveves (Lepper et Greene1975) ont pour effet drsquoalteacuterer la motivation intrinsegraveque De tregraves nombreuseseacutetudes et expeacuteriences se sont attacheacutees agrave deacutemontrer lrsquoimpact neacutegatif quepouvaient avoir toutes formes de pressions ressenties sur la motivation intrin-segraveque (Fenouillet 2003a) Lrsquoideacutee centrale qui se deacutegage de toutes ces eacutetudesest donc que lrsquointeacuterecirct porteacute agrave une activiteacute est en relation avec la liberteacute perccediluelors de sa pratique
Degraves lors une des questions centrales indeacutependamment de la meacutethode miseen œuvre tourne autour de la liberteacute dont dispose lrsquoeacutelegraveve agrave lrsquoeacutecole Le systegravemescolaire est loin de lui laisser une grande marge de manœuvre et est plutocirctstructureacute autour drsquoune multitude de contraintes comme lrsquoobligation scolaireou les astreintes temporelles lieacutees au deacutecoupage de la journeacutee en plageshoraires Nous voyons ici au travers de ces deux exemples parmi drsquoautresque cet ideacuteal drsquoune promotion de lrsquointeacuterecirct pour les matiegraveres scolaires est dansla pratique tregraves difficile agrave mettre en place
Pour Deci et Ryan (2002) la motivation intrinsegraveque nrsquoest cependant pas laseule forme de motivation Il existe eacutegalement une motivation dite extrinsegravequequi stipule que lrsquoindividu agit cette fois dans lrsquoobjectif drsquoobtenir quelque chosede seacuteparable de lrsquoactiviteacute elle-mecircme comme peut lrsquoecirctre une reacutecompense Ilserait inexact de croire que la motivation extrinsegraveque est moins inteacuteressanteque la forme intrinsegraveque Cette motivation est elle aussi sensible agrave lrsquoautonomiedont beacuteneacuteficie lrsquoeacutelegraveve autrement dit il existe des formes fortement autodeacuteter-mineacutees de motivation extrinsegraveque Dans ce cas lrsquoactiviteacute scolaire nrsquoest pasreacuteguleacutee par lrsquointeacuterecirct que lui porte lrsquoeacutelegraveve mais par lrsquoimportance ou la valeurqursquoil lui accorde Dans le cadre scolaire cela veut dire par exemple quelrsquoeacutelegraveve a compris que les apprentissages sont importants pour son avenir oupour le meacutetier qursquoil veut reacutealiser plus tard En deacutefinitive la ligne de partitionentre motivation intrinsegraveque et extrinsegraveque nrsquoest pas aussi pertinente qursquoil yparaicirct pour comprendre la motivation de lrsquoeacutelegraveve Il est sans doute preacutefeacuterablede lui substituer celle qui existe entre motivation autonome qui impliquechoix personnel et motivation controcircleacutee qui suppose coercition et pression
Il est difficile de donner des recettes ou des meacutethodes pour susciter lrsquointeacuterecirctou pour faire en sorte que lrsquoeacutelegraveve accorde de lrsquoimportance aux activiteacutesscolaires Cependant il semble possible de procircner un principe sans lequel
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lrsquoun et lrsquoautre peuvent difficilement srsquoeacutepanouir Ce principe est celui drsquounerecherche drsquoautonomie Mecircme si lrsquoenseignant est lui aussi contraint par unsystegraveme scolaire par ailleurs tregraves pesant il nrsquoest pas sans moyen drsquoactionDans une eacutetude meneacutee sur cent trente-deux professeurs et mille deux centcinquante-cinq eacutelegraveves Roth et al (2007) montrent qursquoil existe une relationentre la perception drsquoautonomie de lrsquoenseignement telle que la rapportelrsquoenseignant et lrsquoaugmentation des motivations autonomes pour lrsquoapprentis-sage telles que les perccediloivent les eacutelegraveves Dans une autre eacutetude Vansteenkisteet al (2004) montrent que lorsque le contexte drsquoenseignement est orienteacutevers lrsquoautonomie de lrsquoapprentissage plutocirct que vers son controcircle les eacutelegravevesse montrent plus persistants et ont de meilleures performances
Tregraves tocirct les auteurs de la theacuteorie de lrsquoautodeacutetermination ont eacuteteacute sensibles agravelrsquoimportance de lrsquoautonomie dans le contexte scolaire puisqursquoil existe uneeacutechelle datant du deacutebut des anneacutees quatre-vingt permettant de deacuteterminer silrsquoenseignant aura tendance agrave avoir une orientation controcirclante ou autonomi-sante (Deci et al 1981) Cette eacutechelle de trente-deux items expose une seacuteriede situations-problegravemes accompagneacutees drsquoune liste de quatre solutions possiblesen termes de remeacutediation Lrsquoenseignant doit dire pour chacune de ces quatresolutions srsquoil considegravere qursquoelle est ou non approprieacutee
Voici pour illustrer notre propos un exemple directement extrait de cetteeacutechelle (Deci et al 1981)
Donny perd souvent le controcircle de lui-mecircme ce qui a pour effet de creacuteer unecertaine agitation avec les enfants de son entourage Il fait la sourde oreille agravevos demandes ce qui vous inquiegravete car dans ces conditions vous ne voyez pascomment il pourrait ameacuteliorer ses relations avec autrui Quel moyen drsquoactionsemble le plus approprieacute
1 Vous insistez sur lrsquoimportance de se controcircler pour reacuteussir non seulement agravelrsquoeacutecole mais aussi dans drsquoautres situations
2 Vous le mettez dans une classe speacuteciale susceptible de mettre en place lesmesures adeacutequates en termes de reacutecompenses mais aussi de contraintes
3 Vous lui faites voir comment les enfants se comportent dans diverses situationset vous lrsquoencouragez agrave faire de mecircme
4 Vous vous rendez compte que Donny nrsquoa sans doute pas toute lrsquoattentiondont il a besoin ce qui marque le deacutebut drsquoune prise de conscience envers lui
Les enseignants qui sont favorables aux deux premiegraveres reacuteponses sontconsideacutereacutes comme plus controcirclants que ceux qui ont accordeacute plus drsquoimportanceaux deux derniegraveres Il reste que mecircme si lrsquoenseignant adopte une attitudemoins controcirclante envers ses eacutelegraveves lrsquoenfant fait partie drsquoun contexte plusgeacuteneacuteral qui deacutepasse de loin le cadre scolaire Le contexte familial a lui aussiun impact important sur lrsquoautonomie de lrsquoeacutelegraveve Grolnick et Ryan (1989) ontainsi montreacute que lrsquoautonomie parentale est positivement correacuteleacutee avec lrsquoauto-reacutegulation du comportement ainsi qursquoavec diffeacuterentes formes de reacuteussitescolaire
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La theacuteorie de Deci et Ryan (2002) permet donc de comprendre que tout cequi va encourager la participation au processus de deacutecision promouvoir lareacutesolution de problegraveme de maniegravere indeacutependante ou encore augmenter laresponsabilisation du comportement pour ne citer que ces exemples peutpotentiellement avoir un impact positif sur lrsquointeacuterecirct (au sens large du terme)que lrsquoeacutelegraveve accorde aux matiegraveres scolaires Nous voyons bien qursquoil ne srsquoagitpas ici drsquoappliquer une recette pour relever le piment que pourrait avoir telleou telle matiegravere mais plutocirct de mettre en place une action plus globale insti-tuant un climat scolaire fait drsquoun ensemble drsquoactions concerteacutees Il reste quecette mise en œuvre est assujettie agrave un autre facteur de poids que nous avonspour lrsquoinstant passeacute sous silence la perception de compeacutetence Cettederniegravere nrsquoest pas agrave confondre avec la notion de compeacutetence qui est lieacutee auxdiffeacuterents savoirs que possegravede lrsquoindividu Il srsquoagit plutocirct ici de lrsquoappreacuteciationdu jugement que porte lrsquoeacutelegraveve sur ce qursquoil pense avoir comme compeacutetence etce indeacutependamment drsquoune eacutevaluation (plus ou moins) objective qui pourraitecirctre produite par ailleurs
La perception de compeacutetence nrsquoest pas eacutetrangegravere agrave la figure embleacutematiquedu bon eacutelegraveve telle que nous avons pu la deacutecrire plus haut puisque ce dernierest assez logiquement un des premiers de sa classe Crsquoest drsquoailleurs agrave sedemander srsquoil est possible que lrsquoeacutelegraveve qui srsquointeacuteresse agrave ce qursquoil apprend puisseavoir de mauvaises notes Crsquoest bien sucircr le cas mais presque par accident ilsemble impensable drsquoenvisager qursquoun tel eacutelegraveve puisse reacutepeacuteter ce genre demeacutesaventure Crsquoest drsquoailleurs une des principales diffeacuterences avec la deuxiegravemefigure embleacutematique que nous allons prendre pour poursuivre notre exposeacute lrsquoeacutelegraveve en eacutechec scolaire
Cette fois il semble heureux que peu drsquoeacutelegraveves entrent dans cette cateacutegorieLe manque drsquointeacuterecirct que manifestent les eacutelegraveves en eacutechec scolaire nrsquoest quelrsquoun des maux dont ils sont accableacutes Le principal est sans doute la faiblessechronique de leurs notes drsquoougrave les diffeacuterentes deacutenominations dont ils sont ouont eacuteteacute affubleacutes notamment celle de cancre qui marque encore tous les espritsDans la mesure ougrave les eacutevaluations peuvent ecirctre attribueacutees aux capaciteacutes delrsquoeacutelegraveve il semble au premier abord qursquoil soit plus indiqueacute de traiter ceproblegraveme au travers de dispositifs de remeacutediation Drsquoun point de vue motiva-tionnel le principal problegraveme se trouve justement au niveau de ce genredrsquoattribution En effet lrsquoenseignant ou les parents ne sont pas les seuls agrave tenirce genre de raisonnement le principal concerneacute lrsquoeacutelegraveve le tient eacutegalementImaginons une situation ougrave un individu se trouve perpeacutetuellement en eacutechecquels que soient lrsquoeacutenergie et les efforts drsquoingeacuteniositeacute qursquoil deacuteploie parailleurs resterait-il perpeacutetuellement motiveacute En fait tout deacutepend justementdu raisonnement qursquoil tient face agrave cet eacutechec Srsquoil attribue ses eacutechecs reacutepeacuteteacutes agraveun manque drsquointelligence il en arrivera assez vite agrave la conclusion qursquoil estinutile de perseacuteveacuterer Agrave lrsquoinverse srsquoil srsquoaperccediloit que ses eacutechecs peuvent ecirctreattribueacutes agrave des conditions momentaneacutement deacutefavorables alors il lui suffiradrsquoattendre patiemment son heure
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Pour Heider (1958) le reacutesultat drsquoune action est fonction des forces person-nelles et environnementales Les forces personnelles peuvent agrave leur tour ecirctrescindeacutees en deux sous-composantes que sont le pouvoir et lrsquoeffort Le pouvoirfait reacutefeacuterence aux capaciteacutes relativement stables de lrsquoindividu (comme lesaptitudes) alors que lrsquoeffort est lieacute agrave lrsquointention de lrsquoindividu et agrave lrsquoeacutenergieqursquoil deacuteploie pour arriver agrave ses fins Le pouvoir et lrsquoeffort sont des facteursmultiplicatifs Par conseacutequent si lrsquoun ou lrsquoautre est nul les forces personnellessont eacutegalement nulles Les forces personnelles sont fonction de la motivationet du pouvoir de lrsquoindividu Autrement dit plus grande est lrsquohabileteacute moinslrsquoeffort a besoin drsquoecirctre important pour affronter un obstacle environnementalAinsi si une personne voit une autre maicirctriser une situation difficile enfaisant peu drsquoefforts elle va en deacuteduire que cette derniegravere dispose drsquounegrande habileteacute Agrave lrsquoinverse si la situation nrsquoest pas maicirctriseacutee en deacutepit drsquouneffort important alors lrsquoindividu estimera que la compeacutetence est faible
Le modegravele attributionnel tel qursquoil est deacuteveloppeacute ici srsquoest reacuteveacuteleacute relativementfructueux pour expliquer les raisonnements que peuvent tenir les ecirctres humainsParmi les diffeacuterentes theacuteories qui lrsquoont utiliseacute lrsquoune drsquoentre elles la reacutesignationapprise srsquoest reacuteveacuteleacutee ecirctre un modegravele explicatif particuliegraverement pertinent pourcomprendre lrsquoeacutechec scolaire Bien qursquoil ne soit pas possible de deacutevelopperdans les quelques lignes de ce chapitre une description pousseacutee de cette theacuteorieil reste possible drsquoen donner au moins une deacutefinition Pour Maier et Seligman(1976) les pheacutenomegravenes regroupeacutes sous le terme de laquo reacutesignation apprise raquodeacutefinissent un eacutetat dans lequel lrsquoorganisme a appris que les reacutesultats sontincontrocirclables par ses reacuteponses ce qui induit chez lui une passiviteacute face auxeacuteveacutenements aversifs qui peuvent advenir Abramson Seligman et Teasdale(1978) ont proposeacute un modegravele attributif de la reacutesignation qui permet de prendreen compte les infeacuterences des individus sur lrsquoabsence de controcircle Pour cesauteurs trois dimensions attributionnelles sont agrave prendre en compte
ndash dimension interneexterne les individus vont se demander si lrsquoabsence decontrocircle est lieacutee agrave eux comme leurs capaciteacutes ou si elle est causeacutee par despheacutenomegravenes exteacuterieurs comme la chance
ndash dimension globalespeacutecifique quand la reacutesignation apparaicirct dans toutesles situations on peut alors la qualifier de globale alors que si elle nrsquoapparaicirctque dans certaines cateacutegories de situations alors elle est consideacutereacutee commespeacutecifique Un individu qui attribue son incapaciteacute de controcircle agrave un manquedrsquointelligence produit une attribution globale Agrave lrsquoinverse srsquoil estime quecette absence de controcircle est lieacutee agrave un manque de travail alors il produitune attribution speacutecifique
ndash dimension stabletemporaire si lrsquoabsence de controcircle est susceptible dedurer sans perspective de fin alors la reacutesignation est consideacutereacutee commestable Par contre si la reacutesignation est seulement transitoire et biencirconscrite dans le temps alors elle est consideacutereacutee comme instable Le
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manque drsquointelligence est un facteur stable alors que le manque drsquoeffortest un facteur transitoire
Les eacutelegraveves reacutesigneacutes crsquoest-agrave-dire en eacutechec scolaire vont avoir tendance encas drsquoeacutechec agrave faire des attributions internes globales et stables Par exemplepour expliquer une mauvaise note en matheacutematiques lrsquoeacutelegraveve va dire qursquoilmanque drsquointelligence En cas de reacuteussite les eacutelegraveves reacutesigneacutes vont agrave lrsquoinversefaire des attributions externes speacutecifiques et instables En cas de reacuteussite enmatheacutematiques lrsquoeacutelegraveve aura donc tendance agrave dire qursquoil a eu de la chance Cestravaux permettent de comprendre qursquoune fois que lrsquoeacutelegraveve en vient agrave faire cetype drsquoattribution corroboreacute geacuteneacuteralement par son entourage le problegraveme demotivation nrsquoest plus lieacute agrave lrsquointeacuterecirct que pourraient avoir telles ou telles activiteacutesscolaires Diffeacuterentes eacutetudes montrent que des individus qui se reacutesignent durantune activiteacute bien qursquoils aient des capaciteacutes cognitives tout agrave fait normalesreacutesolvent moins de problegravemes et se montrent beaucoup plus lents que desindividus non reacutesigneacutes de capaciteacute eacutequivalente (Hiroto et Seligman 1975 Klein et Seligman 1976 Roth et Kubal 1975) Il nrsquoentre pas dans le cadrede ce court exposeacute de voir les solutions agrave mettre en œuvre pour sortir uneacutelegraveve de lrsquoeacutechec drsquoun point de vue motivationnel Cependant cette theacuteoriemontre que lrsquoeacutevaluation scolaire mais aussi les appreacuteciations verbales quiaccompagnent les performances des eacutelegraveves se trouvent elles aussi au cœur dela motivation (pour aller plus loin voir Fenouillet 2003b)
En dehors de lrsquoautodeacutetermination et de lrsquoattribution causale trois autrestheacuteories ont inspireacute de nombreux travaux sur la motivation scolaire la theacuteoriedes buts de compeacutetence la theacuteorie sociale cognitive de Bandura et la theacuteorievaleurattentes drsquoEccles Examinons agrave preacutesent leur apport speacutecifique agrave lacompreacutehension de la motivation scolaire
Agrave lrsquoeacutecole ou en formation le regard de lrsquoenseignant est un regard eacutevaluateurMecircme en dehors des moments formels drsquoeacutevaluation lrsquoactiviteacute de lrsquoapprenantest en permanence interpreacutetable en termes de reacuteussite ou drsquoeacutechec Dans un telcontexte chercher agrave ecirctre compeacutetent devient un but particuliegraverement importantLa contribution majeure de la theacuteorie de lrsquoorientation des buts (ou theacuteorie desbuts de compeacutetence) est drsquoavoir montreacute qursquoecirctre compeacutetent et reacuteussir pouvaitecirctre deacutefini de plusieurs faccedilons et qursquoen fonction de la deacutefinition adopteacuteelrsquointerpreacutetation de la situation drsquoapprentissage et les conduites mises enœuvre changeaient Nous renvoyons le lecteur au chapitre sur les buts (chapi-tre 6) pour une description plus preacutecise de cette theacuteorie et de son eacutevolution aucours des derniegraveres anneacutees Rappelons simplement la deacutefinition des buts enrapport avec la compeacutetence Les buts de maicirctrise correspondent agrave un deacutesirdrsquoapprendre de progresser ou de maicirctriser la tacircche tandis que les buts derecherche de la performance ou drsquoeacutevitement de lrsquoeacutechec deacutefinissent la compeacute-tence socialement par comparaison avec autrui Lrsquoobjectif est alors de fairemieux que les autres (but de recherche de la performance) ou drsquoeacuteviter deparaicirctre incompeacutetent (but drsquoeacutevitement de lrsquoeacutechec) Ecirctre compeacutetent signifie
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eacutegalement preacuteserver le niveau atteint en eacutevitant de baisser par rapport auxreacutesultats anteacuterieurs Cette deacutefinition de la compeacutetence correspond au butdrsquoeacutevitement de la maicirctrise dont on peut penser qursquoil joue un rocircle importantchez les bons eacutelegraveves Rien nrsquoempecircche drsquoappreacutecier agrave la fois la compeacutetition etde deacutevelopper un inteacuterecirct veacuteritable pour ce qui est appris autrement dit il estpossible de suivre simultaneacutement plusieurs buts de compeacutetence Il sembleraitmecircme que lrsquoassociation des buts de maicirctrise et de recherche de la performancesoit particuliegraverement fructueuse chacun eacutetant agrave lrsquoorigine drsquoeffets speacutecifiquesLes premiers seraient associeacutes agrave lrsquointeacuterecirct pour une discipline les seconds agrave lareacuteussite dans cette discipline (Harackiewicz Barron Tauer et Elliot 2000)Srsquoil paraicirct souhaitable de favoriser un deacuteveloppement eacutequilibreacute des buts demaicirctrise et de recherche de la performance en pratique il est tregraves faciledrsquoinstaller un climat de classe qui favorise les buts de performance Outre lefait que la compeacutetition est omnipreacutesente et valoriseacutee dans de nombreux secteursde la socieacuteteacute la concurrence entre les eacutetablissements scolaires pousse agravedeacutevelopper lrsquoeacutemulation entre les eacutelegraveves afin qursquoils atteignent le meilleur niveaupossible pour asseoir lrsquoimage de lrsquoeacutetablissement Une centration excessivesur la performance inciterait agrave des comportements de tricherie chez les eacutelegraveves(Anderman Griesinger et Westerfield 1998) Valoriser les progregraves reacutealiseacutes etencourager lrsquoautonomie contribuerait au contraire agrave installer des buts demaicirctrise Il nrsquoest pas inutile de preacuteciser que favoriser lrsquoautonomie des eacutelegravevessuppose de leur laisser faire des choix ou drsquoaccepter de passer plus de tempsque preacutevu sur un point ce qui requiert une grande flexibiliteacute de la part desenseignants (Tessier Sarrazin et Trouilloud 2006)
Les buts deacutefinissent les raisons de srsquoengager dans lrsquoactiviteacute scolaire ilspermettent de donner sens agrave cette derniegravere Pour autant ils ne suffisent pas agravedeacuteclencher lrsquoengagement et lrsquoeffort srsquoils ne srsquoaccompagnent du sentiment drsquoecirctresuffisamment compeacutetent pour reacuteussir Le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle(voir le chapitre qui lui est consacreacute dans ce livre) est un jugement sur sacapaciteacute agrave atteindre un certain niveau de performance dans un domainedonneacute Lrsquoeacutelegraveve pense qursquoil peut reacuteussir ce qursquoil entreprend avec les moyensqui sont les siens Ainsi affirmer laquo Je pense que je peux mrsquoen sortir cetteanneacutee en anglais raquo ou laquo Je pense que si je fais un minimum de travail jrsquoauraifacilement la moyenne en anglais raquo traduit un sentiment drsquoefficaciteacute person-nelle eacuteleveacute en anglais Le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle est un deacuteterminantessentiel de la motivation Il influence positivement le deacuteveloppement desinteacuterecircts scolaires et professionnels (Cosnefroy 2007b Fouad Smith et Zao2002) et aide agrave persister face agrave la difficulteacute (Zimmerman 2000) Dans ledomaine scolaire il se construit surtout agrave partir de lrsquoexpeacuterience de la reacuteussiteet du soutien reccedilu de la part de personnes jugeacutees importantes parmi lesquellesles enseignants Ce soutien se manifeste par des commentaires positifs et desencouragements qui accompagnent le travail accompli et les reacutesultats obtenusLe poids de ces deux meacutecanismes nrsquoest pas le mecircme chez les garccedilons et lesfilles ces derniegraveres srsquoappuyant davantage sur le jugement drsquoautrui que sur
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leur propre jugement pour construire le sentiment de compeacutetence (Usher etPajaregraves 2006) Bien que ce soit davantage la perception du reacutesultat que lereacutesultat objectif qui deacutefinisse lrsquoexpeacuterience de la reacuteussite la reacuteussite objectivedemeure un eacuteleacutement deacutecisif pour conforter le sentiment drsquoefficaciteacute personnelledrsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoacceacuteder aux expeacuteriences neacutecessaires pour deacutevelopper lescroyances drsquoefficaciteacute Or cet accegraves est parfois biaiseacute dans certains domainespar la socialisation diffeacuterencieacutee des garccedilons et des filles On voit donc toutelrsquoimportance de lrsquoenvironnement qui va permettre plus ou moins largementde vivre des expeacuteriences drsquoapprentissage diversifieacutees
Dans le modegravele de Eccles (Eccles 2005 Eccles et Wigfield 2002) la moti-vation reacutesulte de la combinaison de deux ensembles de croyances concernantles attentes de succegraves et la valeur attribueacutee agrave lrsquoactiviteacute Le premier aspect renvoieen grande partie agrave lrsquoideacutee sous jacente au sentiment drsquoefficaciteacute personnelle ecirctre motiveacute suppose de se penser suffisamment compeacutetent pour reacuteussir Laveacuteritable originaliteacute du modegravele reacuteside plutocirct dans la faccedilon dont est penseacutee lavaleur de lrsquoactiviteacute Celle-ci provient de quatre composantes qui se cumulentpour former ce qursquoEccles appelle la valeur subjective de la tacircche La premiegraverecomposante met lrsquoaccent sur lrsquoorigine socioculturelle de la motivation Leschoix sont influenceacutes par des scheacutemas culturels lieacutes au sexe agrave lrsquoappartenancereligieuse agrave lrsquoorigine sociale ou ethnique notamment Ainsi dans la mesureougrave garccedilons et filles construisent drsquoeux-mecircmes des repreacutesentations diffeacuterentescertains domaines ne preacutesenteront pas le mecircme attrait Cette composanteappeleacutee attainment value traduit ce que lrsquoon pourrait appeler la deacutesirabiliteacutede lrsquoactiviteacute lrsquoimportance qursquoelle revecirct pour exprimer des aspects de soi jugeacutescentraux en rapport avec ses groupes drsquoappartenance La valeur attribueacutee agravelrsquoactiviteacute provient eacutegalement de lrsquoutiliteacute qursquoon lui accorde et du plaisir quiest associeacute agrave sa pratique Une discipline peut ecirctre motivante parce qursquoelle estsource de plaisir et utile simultaneacutement Les motivations intrinsegraveque etextrinsegraveque peuvent se combiner et ce cas de figure est freacutequent chez leseacutelegraveves inteacuteresseacutes par une discipline (Cosnefroy 2007a) Elle provient enfin ducoucirct perccedilu de lrsquoactiviteacute qui prend en compte les eacuteventuels effets secondairesneacutegatifs du succegraves Un eacutelegraveve heacutesitera agrave travailler beaucoup et agrave participer dansune discipline qursquoil affectionne de peur de srsquoattirer des remarques deacutesagreacuteablesde ses camarades Le coucirct perccedilu srsquoeacutevalue eacutegalement par le temps que lrsquoacti-viteacute prend au deacutetriment drsquoautres activiteacutes Srsquoengager dans un domaine crsquoest nepas en choisir un autre qui preacutesenterait eacutegalement des avantages Le coucirct estalors lieacute agrave lrsquoimportance de ce que lrsquoon doit abandonner La valeur subjectivede lrsquoactiviteacute reacutesulte de lrsquoaddition de ces quatre composantes qui se complegravetentou entrent en contradiction Il arrive en effet que des forces contradictoiressoient agrave lrsquoœuvre obligeant agrave pondeacuterer le poids de ces composantes pourprendre une deacutecision Crsquoest ce que doit faire un eacutetudiant qui est tirailleacute entrelrsquoattrait pour certaines eacutetudes et leurs faibles deacuteboucheacutes professionnels Lemodegravele drsquoEccles insiste donc sur la dimension conflictuelle de tout choix et
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integravegre par lrsquointermeacutediaire de la composante appeleacutee attainment value uneforte dimension socioculturelle
La diversiteacute des paradigmes theacuteoriques disponibles pour comprendre lamotivation scolaire peut donner lrsquoimpression que lrsquoeacutetude de celle-ci ressemblebeaucoup plus agrave un puzzle conceptuel qursquoagrave une carte dont les lignes de forceseraient clairement eacutetablies En reacutealiteacute la recherche est plus structureacutee qursquoilnrsquoy paraicirct au premier abord Elle srsquoorganise autour de deux grands ensemblesde croyances qui soutiennent la motivation drsquoune part les croyances quideacutefinissent dans quelle mesure la personne peut ou non srsquoengager dans lrsquoacti-viteacute avec succegraves crsquoest lrsquoobjet des recherches qui se reacutefegraverent au sentimentdrsquoefficaciteacute personnelle et agrave lrsquoattribution causale drsquoautre part les croyancesqui deacutefinissent les raisons de srsquoengager dans lrsquoactiviteacute auxquelles srsquointeacuteressentles recherches issues du modegravele drsquoEccles de lrsquoautodeacutetermination et de lrsquoorien-tation des buts Aussi les recherches sur le sentiment drsquoefficaciteacute personnelleet lrsquoorientation des buts pour ne prendre qursquoun exemple se complegravetent-ellesplus qursquoelles ne srsquoopposent puisqursquoelles mettent lrsquoaccent sur deux sourcesdistinctes de la motivation En outre on observe dans les theacuteories qui traitentdes raisons de lrsquoengagement des points communs comme la distinctionextrinsegravequeintrinsegraveque preacutesente agrave la fois chez Eccles et chez Deci et Ryanou une proximiteacute entre certains concepts en particulier la motivation intrin-segraveque lrsquointeacuterecirct et les buts de maicirctrise qui tous trois renvoient agrave une mecircmeexpeacuterience drsquoimmersion dans une activiteacute source en elle-mecircme de satisfactionEn deacutefinitive ces theacuteories ne sont pas agrave consideacuterer comme des univers eacutetanchesisoleacutes les uns des autres Il existe indeacuteniablement des points de passage delrsquoune agrave lrsquoautre qursquoil convient de mieux explorer et crsquoest probablement une destacircches majeures assigneacutees agrave la recherche sur la motivation scolaire dans lesanneacutees agrave venir
2 LA REacuteGULATION DE LA MOTIVATION
Le concept de motivation associe deux temps distincts Un temps initialdrsquoorientation de la conduite ougrave lrsquoenvie de srsquoinvestir dans une discipline sedeacuteveloppe et un temps second drsquoimpact direct sur les apprentissages gracircce agravela persistance et au soutien de lrsquoeffort une fois engageacute dans le travail Lamotivation se traduit par un apprentissage autonome controcircleacute de lrsquointeacuterieurappeleacute communeacutement apprentissage autoreacuteguleacute (Zimmerman 2001) Certainschercheurs distinguent nettement ces deux temps preacutefeacuterant parler de volitionpour deacutesigner les meacutecanismes qui assurent le controcircle de lrsquoaction et reacuteservantle terme de motivation agrave la recherche de ce qui fait sens dans une discipline etdonne envie de srsquoy investir laquo La motivation aide lrsquoeacutelegraveve agrave se mettre au travailtandis que la volition lrsquoaide agrave poursuivre raquo (Corno 2004) Cette opposition a
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pour inconveacutenient drsquoocculter les liens entre ces deux niveaux La motivationinitiale pour une discipline permet drsquoallouer des ressources pour soutenirlrsquoeffort et rester au travail par conseacutequent elle aide agrave effectuer au quotidien defaccedilon autonome le travail demandeacute dans cette discipline Lrsquoatteinte du but nrsquoenest pas garantie pour autant La motivation initiale peut en effet srsquoaffaiblirsous lrsquoeffet drsquoobstacles inattendus Ceux-ci sont de deux ordres un conflitentre le travail et drsquoautres activiteacutes concurrentes qui oblige agrave deacuteployer plusdrsquoeffort que preacutevu pour rester concentreacute une confrontation impreacutevue agrave ladifficulteacute susceptible de creacuteer des eacutetats eacutemotionnels deacuteplaisants qursquoil fautalors reacuteussir agrave contenir pour poursuivre efficacement Les eacutelegraveves doivent trouverdes reacuteponses adapteacutees pour lutter contre la distraction et surmonter la diffi-culteacute Pour y parvenir il ne suffit pas qursquoils soient disposeacutes agrave le faire (ecirctremotiveacutes) ils doivent eacutegalement disposer drsquoun reacutepertoire de strateacutegies efficacesIllustrons ce dernier point drsquoun exemple
Un eacutelegraveve venant drsquoentrer en seconde est particuliegraverement motiveacute par la physique-chimie Il obtenait en troisiegraveme de bons reacutesultats souligneacutes par les appreacuteciationsdu professeur ce qui a contribueacute agrave deacutevelopper un sentiment drsquoefficaciteacute person-nelle eacuteleveacute Il valorise la discipline agrave la fois pour des raisons extrinsegraveques carelle est utile en contribuant au deacuteveloppement de nouvelles techniques et pourdes raisons intrinsegraveques attesteacutees par le vif plaisir qursquoil ressent agrave acqueacuterir desconnaissances qui modifient sa compreacutehension du monde environnant Sentimentde compeacutetence et valeur confeacutereacutee agrave la discipline deacutefinissent un niveau eacuteleveacute demotivation qui le conduit en seconde agrave consacrer de lui-mecircme du temps et delrsquoeffort aux exercices et agrave la reacutevision des devoirs sur table Cependant la naturedu travail demandeacute a changeacute et tregraves rapidement il obtient pour la premiegraverefois une note en dessous de la moyenne Lrsquoeffort nrsquoa pas suffi il lui aurait falluaussi ajuster ses strateacutegies drsquoapprentissage Ceci requiert un effort particulierpour prendre conscience des insuffisances de ses meacutethodes et en envisager denouvelles mais lrsquoeacutenergie neacutecessaire pour alimenter cet effort suppose agrave sontour que lrsquoeacutelegraveve trouve des ressources en lui-mecircme pour ne pas ceacuteder audeacutecouragement induit par un eacutechec obtenu agrave la suite de ce surcroicirct de travailSans ce double travail meacutetacognitif et motivationnel les reacutesultats meacutediocressrsquoenchaicircneront au risque drsquoestomper la motivation initiale pour la discipline
Il est donc approprieacute de parler agrave la suite de Wolters (2003a) de reacutegulationde la motivation pour deacutesigner les moyens par lesquels les eacutelegraveves inter-viennent activement pour maintenir leur effort et leur deacutesir de travailler dansune discipline en deacutepit des distractions et des difficulteacutes auxquelles ils sontconfronteacutes
Les travaux qui ont exploreacute cette question (par exemple Corno et Kanfer1993 Mac Cann et Garcia 1999 Pintrich 1999 Wolters 1998 1999 2003a Zimmerman et Martinez-Pons 1986 1988) font apparaicirctre cinq types destrateacutegies pour maintenir lrsquoeffort Lrsquoune drsquoelles consiste agrave activer diffeacuterentsbuts qui justifient de poursuivre le travail jusqursquoau bout Lrsquoapprenant ne se
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laisse pas aller agrave des penseacutees deacuteleacutetegraveres il srsquoefforce de les controcircler en setenant un discours inteacuterieur convaincant qui met en relief toutes les bonnesraisons qui justifient de mener agrave son terme le travail en cours par exemplefaire plaisir agrave ses parents passer dans la classe supeacuterieure se montrer agrave soiou aux autres de quoi on est capable Les possibiliteacutes sont nombreuses mais unsceacutenario semble particuliegraverement freacutequent chez les eacutelegraveves lrsquoauto reacutecompense(Wolters 1999) La motivation est ici soutenue par la perspective drsquounereacutecompense extrinsegraveque agrave lrsquoacte drsquoapprendre Penser agrave ce que lrsquoon pourrafaire drsquoagreacuteable une fois le travail acheveacute (jouer voir des amis) aide agrave semettre au travail et agrave maintenir lrsquoeffort Une autre strateacutegie largement moinsusiteacutee que la preacuteceacutedente consiste agrave entretenir le sentiment drsquoefficaciteacute person-nelle soit en se prodiguant des encouragements tels que laquo vas-y raquo laquo tu peux lefaire raquo soit en fractionnant la tacircche en sous-tacircches de faccedilon agrave ce que chacunedrsquoelles apparaisse maniable Ainsi faire une liste des eacutetapes intermeacutediairespuis les barrer au fur et agrave mesure de leur reacutealisation donne lrsquoimpression que letravail progresse (Wolters 1998) Le controcircle de lrsquoenvironnement (Zimmermanet Martinez-Pons 1986) a pour fonction de favoriser la concentration Il consisteagrave ameacutenager lrsquoendroit ougrave lrsquoon travaille pour empecirccher lrsquoirruption de distrac-tions Eacuteteindre la radio srsquoenfermer dans sa chambre en sont deux exemplestypiques Sur un tout autre versant la reacutegulation des eacutemotions consiste agrave inter-venir activement pour eacuteviter que des eacutemotions deacutesagreacuteables se deacuteveloppentde faccedilon envahissante et viennent parasiter lrsquoattention lrsquoanalyse distancieacuteedes erreurs et drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la qualiteacute des meacutethodes de travail misesen œuvre Lrsquoeacutetude des eacutemotions associeacutees aux apprentissages srsquoest consideacutera-blement deacuteveloppeacutee ces derniegraveres anneacutees gracircce notamment aux travaux deBoekaerts (1993) et de Pekrun (Pekrun et al 2002) Goetz Preckel Pekrunet Hall (2007) ont ainsi eacutetudieacute lrsquoeacutevolution de quatre eacutetats eacutemotionnels chezdes eacutelegraveves de sixiegraveme avant au deacutebut agrave la fin et apregraves un examen de matheacute-matiques Ils observent une relation inversement proportionnelle y comprischez des eacutelegraveves posseacutedant des compeacutetences eacuteleveacutees en raisonnement abstraitentre le plaisir et lrsquoaccomplissement de la tacircche Si lrsquoexamen de matheacutemati-ques peut ecirctre anticipeacute comme une activiteacute agreacuteable pour certains eacutelegraveves cetteperception ne cesse de se deacutegrader au fur et agrave mesure du deacuteroulement delrsquoexamen La colegravere mdash crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutenervement et les mouvements drsquohumeursusciteacutes par lrsquoactiviteacute mdash suit le trajet exactement inverse Au plus bas avantque ne deacutebute lrsquoexamen elle ne cesse drsquoaugmenter tout au long de lrsquoeacutepreuveet ceci indeacutependamment des capaciteacutes cognitives des eacutelegraveves De mecircme lrsquoennuiest plus intense agrave la fin de lrsquoexamen qursquoau deacutebut En revanche lrsquoanxieacuteteacute est agraveson maximum avant le deacutebut de la tacircche elle diminue une fois lrsquoeacutepreuvecommenceacutee et nrsquoeacutevolue guegravere par la suite Ces reacutesultats montrent que latonaliteacute eacutemotionnelle est susceptible de varier du tout au tout entre le deacutebutet la fin drsquoun travail Le plaisir initial peut vite ceacuteder le pas agrave des affectsdeacuteplaisants comme lrsquoennui ou lrsquoeacutenervement qui vont prendre une place crois-sante au fur et agrave mesure de lrsquoavancement du travail Srsquoils deviennent trop
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intenses le risque est de bacirccler le travail ou de lrsquoarrecircter deacutefinitivement Il estdonc crucial pour rester motiveacute et poursuivre au mieux le travail engageacute dedeacutevelopper des strateacutegies pour reacuteguler ces deux ressentis surtout lrsquoeacutenerve-ment qui est lieacute speacutecifiquement agrave la confrontation agrave la difficulteacute (Cosnefroy2008) Enfin une autre ressource pour soutenir la motivation consiste agraverechercher de lrsquoaide Zimmerman et Martinez-Pons (1986) la considegraverentcomme une strateacutegie cognitive puisqursquoelle permet drsquoobtenir des informa-tions sur la tacircche agrave accomplir La collaboration avec autrui permet aussi dereacutesister agrave la tentation drsquoarrecircter en ce sens il srsquoagit drsquoune forme de reacutegulationde lrsquoeacutemotion une strateacutegie speacutecifique de reacuteduction du stress passant parlrsquointeraction sociale
Les deux premiegraveres strateacutegies que nous avons deacutecrites visent directementle soutien des croyances motivationnelles crsquoest-agrave-dire le renforcement desrepreacutesentations concernant la valeur de la tacircche en cours et le sentimentdrsquoefficaciteacute personnelle Agrave lrsquoexception de la strateacutegie du fractionnement de latacircche qui est une strateacutegie comportementale elles reviennent agrave controcircler lespenseacutees de faccedilon agrave construire un discours inteacuterieur qui influence les repreacute-sentations de la tacircche et les repreacutesentations de soi Les trois derniegraveres strateacutegiesnrsquoagissent pas directement sur les croyances motivationnelles mais visentplutocirct agrave maintenir un contexte favorable en combattant les facteurs commele deacutebordement eacutemotionnel ou lrsquoirruption de distractions qui compromettentla poursuite du travail Dans ce cas ce sont plutocirct des strateacutegies comporte-mentales (faire une pause srsquoenfermer dans sa chambre) qui sont solliciteacutees
Il existe aussi une autre forme de reacutegulation de la motivation dont lrsquoobjetparadoxalement est de proteacuteger le sentiment de compeacutetence en eacutechouantvolontairement Lorsqursquoun eacutelegraveve ou un eacutetudiant pressent qursquoil va eacutechouerdans un travail qursquoil juge important une des issues possibles est de deacutevelopperdes strateacutegies drsquoauto-handicap lesquelles consistent agrave se creacuteer volontairementdes obstacles pour srsquoempecirccher de reacuteussir (Jones et Berglas 1978) Une telleconduite consistant agrave se mettre des bacirctons dans les roues peut paraicirctre surpre-nante En reacutealiteacute elle est destineacutee agrave proteacuteger des implications neacutegatives drsquouneacutechec en fournissant une explication qui eacutevite de remettre en cause lescompeacutetences de la personne Un eacutetudiant qui la veille drsquoun examen importantet difficile passe une soireacutee arroseacutee avec des amis et se couche tregraves tardpourra mettre sur le compte de la fatigue une eacuteventuelle contre-performanceComme le montre cet exemple les strateacutegies drsquoauto-handicap ne se reacuteduisentpas agrave une rationalisation apregraves-coup de lrsquoeacutechec La menace de lrsquoeacutechec pousseagrave creacuteer avant la mise au travail le sceacutenario qui va permettre lrsquointerpreacutetationacceptable de cet eacutechec Ces strateacutegies sont en quelque sorte le neacutegatif de lastrateacutegie de controcircle de lrsquoenvironnement qui consiste comme nous lrsquoavonsvu agrave se proteacuteger de toutes distractions Se laisser distraire par des amissrsquoimpliquer dans de nombreuses activiteacutes hors lrsquoeacutecole ne pas travailler agrave fondtravailler au dernier moment (ce qursquoon appelle la procrastination) srsquooccuper
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de son petit fregravere ou aider ses parents agrave des tacircches domestiques toutes cesconduites au service de lrsquoauto-handicap ont en commun la reacuteduction de lrsquoeffortLe temps consacreacute agrave ces activiteacutes est autant de temps de moins consacreacute autravail Dans ces conditions il devient possible drsquoimputer lrsquoeacutechec au manquede travail plutocirct qursquoau manque de compeacutetences La plupart des chercheursconsidegraverent que ces conduites sont mises en œuvre consciemment mais toutse passe alors comme si elles eacutechappaient agrave tout controcircle Crsquoest drsquoailleurs ceque disent explicitement certains des eacutetudiants intervieweacutes par Martin MarshWilliamson et Debus (2003) crsquoest plus fort qursquoeux ils ne peuvent srsquoempecirc-cher drsquoadopter ces conduites Comme le souligne Covington (Covington etOmelich 1985) lrsquoeffort est bien une arme agrave double tranchant agrave la fois indis-pensable pour reacuteussir et menace potentielle contre lrsquoestime de soi puisquefaire des efforts et eacutechouer megravenerait irreacutemeacutediablement agrave un jugement neacutegatifsur les compeacutetences de la personne Les buts de maicirctrise ou de recherche dela performance ne sont pas associeacutes ou neacutegativement aux conduites drsquoauto-handicap En revanche la crainte de lrsquoeacutechec est le terreau sur lequel ellesprospegraverent Plusieurs recherches ont montreacute reacutecemment que les buts drsquoeacutevite-ment de lrsquoeacutechec favorisaient de telles conduites (Elliot Cury Fryer et Huguet2006 Urdan 2004 Urdan et Midgley 2001) Un autre facteur eacutetroitementlieacute aux conduites drsquoauto-handicap est le sentiment drsquoefficaciteacute personnellePlus ce dernier est faible plus des conduites telles que la procrastination ontdes chances de se deacutevelopper (Wolters 2003b) Envisageacutees surtout dans leurfonction de protection de lrsquoestime de soi il arrive mais plus rarement queles conduites drsquoauto-handicap soient au service de la valorisation de soi Enreacuteussissant avec panache en se jouant des obstacles que lrsquoon a soi-mecircme placeacutessur la voie de la reacuteussite on deacutemontre incontestablement ses compeacutetencesReacuteussir en srsquoauto-handicapant renforce les attributions de compeacutetence (Feicket Rhodewalt 1997) Quelle que soit la fonction qursquoelles servent les conduitesdrsquoauto-handicap prennent place sur un fond drsquoincertitude par rapport agrave sespropres compeacutetences (Urdan et Midgley 2001)
En reacutesumeacute la reacutegulation de la motivation srsquoeffectue par des strateacutegies aussibien discursives que comportementales jouant sur une large palette incluantle renforcement des croyances motivationnelles le controcircle des distractionset le maintien drsquoun certain bien-ecirctre par la reacutegulation des eacutemotions ou le soutiendrsquoautrui Ces strateacutegies font lrsquoobjet drsquoun apprentissage probablement plus ausein de la famille ou entre pairs agrave lrsquoeacutecole que par lrsquointermeacutediaire des ensei-gnants qui privileacutegient davantage la dimension cognitive des apprentissagescrsquoest-agrave-dire lrsquoaide meacutethodologique au sens strict Cette reacutegulation nrsquoadvientque si le niveau initial de motivation est suffisamment eacuteleveacute Lorsque ce nrsquoestpas le cas le doute sur le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle et la prioriteacuteaccordeacutee aux buts drsquoeacutevitement de lrsquoeacutechec favorisent une autre forme de reacutegula-tion plus deacutefensive dont le but est de proteacuteger des jugements drsquoincompeacutetenceassocieacutes agrave lrsquoeacutechec
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3 LES STRATEacuteGIES DE MEacuteMORISATION
Il peut sembler eacutevident que la motivation ait un impact sur lrsquoapprentissageEn effet les eacutelegraveves motiveacutes vont faire plus drsquoeffort et passer plus de temps agraveapprendre Dans la mesure ougrave lrsquoapprentissage est correacuteleacute positivement avecle temps passeacute agrave apprendre cette explication peut paraicirctre suffisante pourexpliquer lrsquoimpact de la motivation Cependant si le temps et lrsquoeacutenergie sontneacutecessaires pour apprendre garantissent-ils pour autant une bonne perfor-mance Il est cette fois plus difficile de reacutepondre Agrave premiegravere vue commenous avons pu le voir dans le cadre de la theacuteorie de lrsquoattribution plus lrsquoeffortest impliqueacute pour atteindre un certain niveau de performance moins les apti-tudes le sont Autrement dit les eacutelegraveves qui doivent faire le plus drsquoeffort sontceux qui ont le moins de capaciteacutes Ce raisonnement nrsquoest pas sans poserproblegraveme puisque si lrsquoeffort est un indicateur de capaciteacute lrsquoindividu a donctout inteacuterecirct agrave en faire le moins possible pour srsquoestimer le plus compeacutetentpossible Au-delagrave des implications motivationnelles ce type de raisonnementrepose-t-il sur une base creacutedible du point de vue des meacutecanismes cognitifsqui sont en jeu dans lrsquoapprentissage
Parler de meacutecanisme cognitif dans le cadre de lrsquoapprentissage revient agrave seposer la question du point de vue de la meacutemoire Autrement dit il faut ici sedemander quel pourrait ecirctre lrsquoimpact de la motivation sur la meacutemoire Avantde pouvoir reacutepondre agrave cette question il est neacutecessaire drsquoexaminer plus endeacutetail les constituants de la meacutemoire tels que les conccediloit actuellement lapsychologie cognitive (figure 71)
Figure 71Action de la motivation sur la meacutemoire (Fenouillet 2003b)
Motivation Processusde controcircle
Attention
Reacutepeacutetition
Strateacutegiesdiacuteorganisation
des connaissances
Meacutemoireagrave court terme
Meacutemoireagrave long terme
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La meacutemoire nrsquoest pas une mais multiple et lrsquoaction de la motivation surces diffeacuterentes meacutemoires est distincte en fonction de celle qui est consideacutereacuteeDeux grands ensembles doivent ecirctre pris en compte pour comprendre lefonctionnement de la meacutemoire
Le premier regroupe les processus cognitifs lieacutes la meacutemoire agrave court termePour comprendre ce qursquoest la meacutemoire agrave court terme il faut prendre unetacircche de meacutemorisation relativement simple Imaginons la preacutesentation drsquouneliste de seize mots preacutesenteacutes un par un pendant une seconde suivie drsquoun rappelsur papier libre Dans un tel cas de figure lrsquoindividu ne serait en mesure derappeler que sept plus ou moins deux mots Cette limitation nrsquoest pas speacutecifiqueaux listes de mots des milliers drsquoeacutetudes depuis plus drsquoun siegravecle ont montreacute qursquoilexiste une limite au nombre drsquoinformations qursquoil est possible de meacutemoriseren une seule fois (Lieury 2005) Cette limite est imputable agrave la meacutemoire agravecourt terme Tout le monde peut en faire lrsquoexpeacuterience lorsqursquoil srsquoagit de retenirun numeacutero de teacuteleacutephone Il est geacuteneacuteralement neacutecessaire de le reacutepeacuteter plusieursfois pour le retenir en entier et mecircme dans ce cas il est impeacuteratif de ne pasecirctre distrait pendant lrsquoopeacuteration sinon il risque de totalement disparaicirctre Eneffet non seulement la quantiteacute drsquoinformations qursquoil est possible de stockeren meacutemoire agrave court terme est limiteacutee en taille mais elle lrsquoest eacutegalement endureacutee Peterson et Peterson (1959) ont montreacute que lrsquoinformation ne peutsubsister que quelques dizaines de secondes au-delagrave de ce deacutelai elle disparaicirctpurement et simplement
Heureusement lrsquoindividu nrsquoest pas totalement deacutemuni face agrave cette doublelimite que connaicirct la meacutemoire agrave court terme Il peut mettre en place deuxstrateacutegies La plus eacutevidente est lrsquoattention Il semble assez clair que si lrsquoindi-vidu accorde toute son attention aux informations qursquoil doit meacutemoriser il enretiendra davantage La deuxiegraveme que tout le monde utilise spontaneacutementlorsqursquoil srsquoagit de retenir un numeacutero de teacuteleacutephone est la reacutepeacutetition Le simplefait de reacutepeacuteter un numeacutero de teacuteleacutephone permet drsquoaller au-delagrave de la limitetemporelle eacutevoqueacutee preacuteceacutedemment
Avec de telles limites il peut paraicirctre difficile de comprendre comment ilest possible malgreacute tout agrave lrsquoecirctre humain drsquoemmagasiner tant drsquoinformationsdont la plupart persistent durant la vie entiegravere de lrsquoindividu En fait lameacutemoire agrave court terme nrsquoest qursquoun lieu de transit la veacuteritable finaliteacute de lrsquoinfor-mation au moins du point de vue de lrsquoapprentissage est ce que tous lesspeacutecialistes appellent la meacutemoire agrave long terme Cette deuxiegraveme meacutemoire a lamerveilleuse proprieacuteteacute drsquoecirctre theacuteoriquement illimiteacutee agrave la fois en termes detemps et de capaciteacute Bien entendu pour qursquoune information passe en meacutemoireagrave long terme il est neacutecessaire qursquoelle laquo survive raquo au sas que repreacutesente lameacutemoire agrave court terme Un des moyens que nous utilisons laquo presque raquo sponta-neacutement pour augmenter cette probabiliteacute est lrsquoorganisation de lrsquoinformationPar exemple bien qursquoun numeacutero de teacuteleacutephone soit composeacute de dix chiffres nousles regroupons spontaneacutement deux par deux pour les retenir plus aiseacutementainsi au lieu drsquoavoir dix informations agrave retenir nous nrsquoen avons plus que cinq
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Lrsquoorganisation de lrsquoinformation est drsquoautant plus omnipreacutesente en meacutemoireagrave long terme qursquoelle participe activement eacutegalement agrave la reacutecupeacuteration delrsquoinformation En effet dans la mesure ougrave un nombre incalculable drsquoinfor-mations peut ecirctre stockeacute en meacutemoire agrave long terme il est deacutelicat de pouvoirles retrouver sans un minimum drsquoorganisation Ainsi les strateacutegies drsquoorgani-sation comme le sont par exemple les preacuteceacutedeacutes mneacutemotechniques (Lieury2005) sont la clef de toute forme drsquoapprentissage agrave long terme
Ce bref exposeacute permet de comprendre que lrsquoimpact de la motivation surla meacutemoire emprunte des chemins qui ont deacutejagrave eacuteteacute traceacutes par les theacuteoriesmneacutemoniques comme nous pouvons le voir sur la figure 71 Tout drsquoabord ilconvient de constater que cette action est indirecte La motivation agit sur lameacutemoire au travers des processus que peut controcircler lrsquoindividu Cela impli-que qursquoelle nrsquoagit pas sur ceux qui sont totalement automatiseacutes et donc nonconscients Par exemple la motivation nrsquoagit pas sur les meacutemoires sensorielles(qui nrsquoont donc pas eacuteteacute preacutesenteacutees plus haut) car agrave ce niveau le traitement delrsquoinformation repose sur des processus automatiques
En ce qui concerne la meacutemoire agrave court terme la motivation agit sur deuxprocessus qui sont directement controcircleacutes par lrsquoindividu lrsquoattention et lareacutepeacutetition Lrsquoeacutelegraveve motiveacute est geacuteneacuteralement attentif et agrave lrsquoinverse une tregraves grandedispersion en classe peut ecirctre lrsquoindicateur drsquoun problegraveme de motivationCependant ces deux meacutecanismes ne garantissent pas que lrsquoeacutelegraveve ait au boutdu compte correctement retenu sa leccedilon
En effet lrsquoobjectif de tout apprentissage est la meacutemoire agrave long termeLa motivation va agir sur la meacutemoire agrave long terme au travers des strateacutegiesdrsquoorganisation de lrsquoinformation Lrsquoeacutelegraveve motiveacute est celui qui cherche enpermanence la meilleure strateacutegie possible pour apprendre car il sait intuiti-vement que crsquoest par ce biais qursquoil aura la possibiliteacute de meacutemoriser davantagedrsquoinformations Les eacutelegraveves friands de meacutethode drsquoapprentissage ou de conseilspour retenir telle ou telle regravegle de grammaire reacutetive font preuve au traversdrsquoune telle curiositeacute drsquoune reacuteelle motivation Agrave lrsquoinverse les eacutelegraveves deacutemotiveacutesen eacutechec scolaire ne cherchent nullement agrave connaicirctre les meilleures meacutethodespour apprendre de mecircme qursquoils ont tendance agrave fuir tous les conseils et astucesqui peuvent leur ecirctre prodigueacutes agrave ce niveau alors qursquoils en auraient davantagebesoin que les autres
Lrsquoaction de la motivation sur la meacutemoire agrave long terme est diffeacuterente enfonction des connaissances anteacuterieures de lrsquoeacutelegraveve Les eacutetudes sur lrsquoexpertise(Ericsson Krampe et Tesh-Roumlmer 1993) ou celles sur la meacutemoire encyclo-peacutedique (Lieury 2005) montrent que plus les individus ont de connaissancesdans un domaine plus ces connaissances sont structureacutees entre elles Dans lamesure ougrave la motivation agit sur les possibiliteacutes drsquoorganisation qursquoa lrsquoindi-vidu quand il apprend de nombreuses eacutetudes ont montreacute que lrsquoaction de lamotivation est drsquoautant plus forte que lrsquoeacutetudiant a de connaissances dansun domaine (cf Fenouillet 2003b pour une revue) Si lrsquoeacutetudiant a peu deconnaissances lrsquoaction de la motivation va ecirctre faible car les possibiliteacutes
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drsquoorganisation le sont eacutegalement Par contre si lrsquoindividu a beaucoup deconnaissances dans un domaine alors en fonction de la motivation le stockdes nouvelles informations qursquoil peut emmagasiner peut varier du simple audouble (Fenouillet et Lieury 1996)
Ce dernier aspect est agrave prendre particuliegraverement en compte dans touteforme drsquoapprentissage En effet si lrsquoeacutelegraveve part avec moins de connaissances queles autres mecircme srsquoil est plus motiveacute qursquoeux sa reacutetention sera geacuteneacuteralementinfeacuterieure En voyant ses faibles performances malgreacute des efforts conseacutequentsce type drsquoeacutelegraveve a donc plus de risque de se reacutesigner (Abramson et al 1978)Inciter lrsquoeacutelegraveve agrave produire plus drsquoeffort pour atteindre le niveau des autresrisque alors drsquoecirctre contre-productif car lrsquoeacutelegraveve nrsquoa pas les moyens drsquoaugmenterimmeacutediatement ses performances Agrave lrsquoinverse les eacutelegraveves qui ont beaucoup deconnaissances peuvent de temps agrave autre avoir de faibles performances Poureux ces relatives contre-performances peuvent rapidement trouver une solutionavec le retour drsquoune motivation plus forte La conduite agrave tenir est donc pources derniers totalement diffeacuterente Augmenter la demande agrave leur eacutegard peutcette fois avoir un effet beacuteneacutefique sur les performances Cependant mecircmedans ce cas si lrsquoobjectif est de soutenir la motivation sur le long terme il fautle faire en veillant au maximum agrave ne pas obliteacuterer lrsquoautonomie de lrsquoeacutelegraveve
4 CONCLUSION
Apregraves avoir rappeleacute briegravevement lrsquoapport des principales theacuteories qui ont irrigueacuteles recherches nous avons consacreacute lrsquoessentiel de ce chapitre agrave deux aspectspeu connus de la motivation scolaire sa reacutegulation et son action sur la meacutemoireLa neacutecessiteacute drsquoentretenir la motivation prend agrave rebours une theacuteorie impliciteprobablement fort reacutepandue chez les eacutelegraveves la theacuteorie du laquo deacuteclic raquo ougrave ilsuffirait drsquoavoir enfin trouveacute de bonnes raisons de srsquointeacuteresser agrave une disci-pline pour ecirctre motiveacute une fois pour toutes Tel nrsquoest pas le cas et la motivationnrsquoest pas ce qui se substitue agrave lrsquoeffort mais bien ce qui le rend supportable etefficace moyennant la mise en œuvre de strateacutegies adeacutequates De mecircme lamotivation nrsquoa pas drsquoeffet magique sur la meacutemoire Lrsquoenvie drsquoapprendrenrsquoapporte rien en elle-mecircme En revanche elle rend disponible pour apprendreet utiliser des strateacutegies efficaces qui seules auront un impact sur la qualiteacutede la meacutemorisation Si la motivation est au carrefour de forces multiples quieacutechappent en partie aux enseignants cela ne signifie nullement que ces dernierssoient deacutepourvus de moyens drsquoaction pour promouvoir la motivation de leurseacutelegraveves Favoriser lrsquoautonomie eacuteviter drsquoinstaurer un climat exacerbeacute de compeacute-tition transmettre des strateacutegies pour se preacutemunir des distractions geacuterer leseacutemotions ou apprendre efficacement sont autant de leviers agrave leur dispositionpour tenter drsquoen infleacutechir le cours
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Chapitre 8
MOTIVATION ET VIE ADULTE1
1 Par Jacques Aubret
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Lrsquoeacutetude des motivations dans les parcours de vie de lrsquoadulte soulegraveve deuxquestions comment deacutevelopper les motivations des personnes pour qursquoellesadaptent leurs comportements de maniegravere agrave reacutepondre positivement aux attenteseacuteconomiques et sociales que la collectiviteacute fait peser sur elles Commentobserver et mesurer les motivations chez nos contemporains pour comprendrevoire expliquer ou anticiper un certain nombre des difficulteacutes ressenties ouexprimeacutees par rapport au travail aux autres et agrave eux-mecircmes Pour reacutepondreagrave la premiegravere question il faut srsquointeacuteresser aux theacuteories dans lesquelles lamotivation est consideacutereacutee comme un processus ce qui est induit par la deacutefi-nition de Vallerand (1993 p 18) laquo Le concept de motivation repreacutesente leconstruit hypotheacutetique utiliseacute afin de deacutecrire les forces internes etou externesproduisant le deacuteclenchement la direction lrsquointensiteacute et la persistance ducomportement raquo Identifier ces forces et observer comment elles interagissentsont des objectifs communs des chercheurs et praticiens Pour reacutepondre agrave laseconde question les psychologues ont construit et valideacute des questionnairesqui utilisent les meacutethodes et les techniques psychomeacutetriques pour quantifieren quelque sorte la force de certaines tendances de la personnaliteacute plus oumois stables dans le temps Les deux approches (processus motivationnels etstructures de la personnaliteacute) peuvent se concilier lorsqursquoil est possible detrouver des indicateurs correspondant aux dimensions repeacutereacutees dans les modegravelestheacuteoriques afin drsquoidentifier les facteurs de la personnaliteacute ou du contexte devie sur lesquels on peut agir pour deacutevelopper des motivations Le soutien socialproposeacute aux personnes en difficulteacute prend appui sur les reacuteponses apporteacuteespar la recherche agrave ces deux questions initiales Nous traiterons donc succes-sivement du problegraveme de lrsquoobservation des motivations chez lrsquoadulte descaracteacuteristiques des situations et des eacuteveacutenements de la vie qui sollicitent descomportements motiveacutes et du soutien social
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150 ENJEUX POUR LES PRATIQUES
1 OBSERVER LES MOTIVATIONS CHEZ LrsquoADULTE
Lrsquoobservation des motivations chez lrsquoadulte comme chez lrsquoadolescent sefait principalement sur la base de passations de questionnaires standardiseacutesLe plus freacutequemment il est demandeacute au sujet drsquoindiquer son degreacute drsquoaccordavec un eacutenonceacute-cible Cet accord est recueilli sous une forme binaire (ouinon)ou sous des formes qui permettent lrsquoexpression de nuances (type eacutechelle deLickert) Exemple drsquoeacutenonceacute laquo Jrsquoai souvent du mal agrave mener mes projets agraveterme raquo Choix de reacuteponses possibles laquo Pas du tout drsquoaccord raquo laquo Pas vraimentdrsquoaccord raquo laquo Plutocirct drsquoaccord raquo laquo Tout agrave fait drsquoaccord raquo Les reacuteponses ainsiobtenues permettent un traitement quantitatif des contenus exprimeacutes etlrsquoutilisation des meacutethodes classiques de validation en psychomeacutetrie
Si la notion de motivation renvoie agrave une multitude de facettes comme lemontre la preacutesentation des modegraveles theacuteoriques qui encadrent cette notionquelles sont donc les dimensions pertinentes permettant drsquoobserver les moti-vations chez lrsquoadulte Il suffit de consulter les questionnaires de motivationen usage soit par les gestionnaires de ressources humaines soit par lespsychologues pour se rendre compte que ces dimensions apparaissent drsquoaborddans leur heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute On srsquoest focaliseacute par exemple sur les caracteacuteristiquesdes sujets plus ou moins stables dans le temps et en fonction des contextesqui jouent un rocircle sur les processus de deacuteclenchement et drsquoactivation desconduites humaines Ces caracteacuteristiques sont exprimables en positif ou enneacutegatif En positif elles se nomment selon les eacutetudes et les modegraveles inteacuterecirctsbesoins valeurs tendances ou dispositions agrave agir etc En neacutegatif elles concer-nent la recherche des eacuteleacutements de personnaliteacute qui selon les circonstancespeuvent constituer des freins pour lrsquoaction Lrsquoanxieacuteteacute ou la peur de lrsquoeacutechecpar exemple font partie de ces caracteacuteristiques On a pu aussi se focaliser surles objets les situations les eacuteveacutenements qui en tant que tels ont des proprieacuteteacutesattractives ou reacutepulsives dont lrsquointensiteacute est plus ou moins variable selon lessujets et selon les circonstances Ces proprieacuteteacutes sont consideacutereacutees sous lrsquoangledes valeurs (y compris les valeurs eacuteconomiques) du prestige et drsquoune maniegravereplus geacuteneacuterale en fonction de ce qursquoelles procurent au sujet comme satisfactionou rejet Les liens avec la motivation ne sont pas toujours manifestes Cesliens sont les plus eacutevidents lorsqursquoils se reacutefegraverent directement aux dimensionsexpliciteacutees par les formalisations theacuteoriques de la motivation les items relatifsau sentiment drsquoefficaciteacute de compeacutetences ou drsquoautodeacutetermination en fontpartie Moins eacutevidents mais tout aussi pertinents sont les items portant surdes aspects des comportements ou de la personnaliteacute dont on a par ailleursestimeacute les liens avec lrsquoorientation lrsquoengagement et la perseacuteveacuterance danslrsquoaction locus de controcircle estime de soi degreacute drsquoanxieacuteteacute besoin de reacuteussitepeur de lrsquoeacutechec inteacuterecircts valeurs horizon temporel recherche drsquoeacutequiteacute ou de
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coheacuterence cognitive etc En tout eacutetat de cause aucun questionnaire ne peutecirctre qualifieacute a priori de questionnaire de motivation Ce sont les eacutetudes de vali-dation qui autorisent lrsquointerpreacutetation des observations en termes de motivation
Les questionnaires de motivation nrsquoont pas une validiteacute pour toutes lessituations ou les eacuteveacutenements de la vie Il existe par exemple des eacutechelles demotivation pour les lyceacuteens pour les personnes acircgeacutees pour les sportifs pourles deacutepressifs en vue de la preacutevention du suicide des eacutechelles de motivationagrave la consommation drsquoalcool etc Crsquoest ainsi que le modegravele theacuteorique de Deciet Ryan (1985) a eacuteteacute utiliseacute par Pelletier et ses collegravegues (Pelletier et al1997) pour deacutevelopper un questionnaire portant sur la motivation du clientface agrave la theacuterapie le Client Motivation for Therapy Scale (CMOTS) N deLeval (2008) a mis au point une eacutechelle synoptique des trois Temps (ES3TD)pour les deacutepressifs et autres dans laquelle on explore lrsquohorizon temporel dessujets Le QMA mesure la motivation lrsquoactiviteacute le besoin de reacuteussite et la peurde lrsquoeacutechec chez les jeunes de 14 agrave 20 ans utilisable en orientation et danscertaines limites pour le recrutement (Aubret 1989 Aubret et Bernaud1996) Forner (1992) eacutevalue avec le QMF le besoin de reacuteussite lrsquointernaliteacuteet lrsquoexternaliteacute et la perspective temporelle Vallerand et OrsquoConnor (1991)proposent une eacutechelle de motivation pour les personnes acircgeacutees
Lrsquoutilisation des tests et des questionnaires est tregraves variable drsquoune peacuteriodeagrave une autre de lrsquohistoire des pratiques psychologiques Le deacuteveloppementdes bilans de compeacutetences orienteacutes vers le deacuteveloppement de la prise deconscience de soi dans ses rapports au travail agrave autrui agrave soi donne uneactualiteacute agrave toutes les eacutepreuves destineacutees agrave eacutevaluer ces repreacutesentations de soi(exemple Inventaire drsquoestime de soi de Coopersmith) agrave identifier ce qui peutfreiner ou au contraire faciliter lrsquoengagement dans lrsquoaction comme le senti-ment drsquoefficaciteacute personnelle (Sadri et Robertson 1993) ou de compeacutetence(eacutechelles varieacutees de mesure du sentiment drsquoauto-efficaciteacute) ou lrsquoautodeacutetermi-nation et le sentiment de controcircle (questionnaire de laquo locus de controcircle raquo deRotter)
Les eacutetudes de validiteacute invitent les utilisateurs de questionnaires agrave la prudenceOn sait par exemple que le controcircle interne est un facteur motivationnelmais les liens entre le controcircle interne et la reacuteussite sont assez complexesCrsquoest ce que montre M Huteau (1995) dans une synthegravese de travaux depsychologie sociale visant agrave comparer des sujets plutocirct internes et des sujetsplutocirct externes Les internes sont geacuteneacuteralement plus efficaces que les externesdans les apprentissages ils sont plus actifs dans le traitement des informationsqui les concernent ils srsquoengagent plus facilement dans des situations quiexigent des efforts drsquoadaptation ils ont une plus grande confiance en soi etsont moins sensibles agrave lrsquoinfluence sociale etc Neacuteanmoins la supeacuterioriteacute delrsquoefficaciteacute des laquo internes raquo est loin drsquoecirctre geacuteneacuterale Huteau constate sur unpublic drsquoenfants et drsquoadolescents que les internes nrsquoont pas un deacuteveloppementintellectuel plus preacutecoce et que chez les adultes ils ne sont pas plus efficacessur les tests cognitifs Il conclut que les diffeacuterences interindividuelles en
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matiegravere drsquointernaliteacute et drsquoexternaliteacute teacutemoigneraient drsquoabord de diffeacuterencesdans le degreacute drsquointeacuteriorisation drsquoune norme sociale drsquointernaliteacute
Lrsquousage des questionnaires standardiseacutes nrsquoest pas la seule forme drsquoobser-vation des motivations Agrave ces approches quantitatives on peut opposer lesapproches cliniques comme celles qui exploitent les donneacutees drsquoentretiensbiographiques ou de reacutecits de vie (pour une preacutesentation deacutetailleacutee de cesmeacutethodes voir Delory-Monberger (2000) Dominice (1990)) Le recours agrave cesmeacutethodes notamment dans le cadre de la formation continue et de lrsquoorienta-tion professionnelle des adultes ouvre la voie agrave des formes drsquoobservationindividualiseacutees et personnaliseacutees pour ce qui concerne les repreacutesentations desoi lrsquoanalyse du parcours et des expeacuteriences de vie la perception de sespropres ressources
2 VIE ADULTE ET MOTIVATIONS
La vie adulte offre en permanence dans son deacuteroulement les occasionsdrsquoeacuteprouver la force des motivations de les mettre en eacutechec de les reacuteorienterDans de nombreuses recherches on associe le concept de soi et la motivationLeacutevy-Leboyer (1992) indique comment les buts et les objectifs que srsquoassignelrsquoindividu constituent un eacuteleacutement pivot de la relation entre motivation et self-concept laquo Nous creacuteons une auto-motivation au fur et agrave mesure de nos activiteacutesen eacutevaluant ce que nous faisons par rapport agrave des objectifs que nous noussommes fixeacutes agrave la fois parce qursquoils nous semblent reacutealistes du point de vuede notre image de soi et parce que les atteindre possegravede une valeur agrave nosyeux raquo (p 54)
21 Acircge transitions et motivations
Le parcours de vie de lrsquoadulte peut srsquoeacutenoncer au moins de deux maniegraveres lrsquoune teacutemoigne de la continuiteacute de lrsquoaffirmation de soi lrsquoautre marque les eacutetapesles transitions et les ruptures attacheacutees agrave lrsquoavanceacutee en acircge et aux eacuteveacutenementsde la vie
La continuiteacute srsquoobserve par exemple dans les entretiens biographiquesdans lrsquoexpression du laquo je raquo qui structure le reacutecit autour des rapports agrave soi auxautres au travail agrave la vie Diverses eacutetudes (Havet 2002 Demouge 2006)ont montreacute comment le soi et les images de soi se construisent dans le tempsde la vie adulte Orienteacute par lrsquoengagement vers le monde exteacuterieur dans lapremiegravere peacuteriode de la vie (laquo projection de soi raquo vers les autres pour les 25-30 ans) peacuteriode qui correspond agrave lrsquoentreacutee dans le monde du travail et aux
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conquecirctes relationnelles le soi acquiert progressivement une capaciteacute agravesrsquoaffirmer en tant que soi par rapport aux autres agrave dire et agrave penser son aveniragrave partir drsquoun laquo je veux raquo eacuteclaireacute par lrsquoexpeacuterience de la vie (laquo retour verssoi raquo) Si la quarantaine peut srsquoanalyser comme un moment de transitionles veacutecus des adultes sont cependant bien diffeacuterencieacutes agrave cet acircge en ce quiconcerne les hommes et les femmes Agrave cette eacutetape du parcours de vie lesconsideacuterations sur le veacutecu passeacute et preacutesent amegravenent certaines femmes agrave deacutesirervivre pour elles-mecircmes alors qursquoau mecircme acircge les hommes peuvent resterplus deacutependants de leur volonteacute de dominer de leur envie de prestige (unecertaine maniegravere de vivre laquo par raquo les autres)
Le temps de la vie adulte obeacuteit agrave des rythmiciteacutes externes marqueacutees pardes ruptures parfois brutales sans possibiliteacute de retour en arriegravere Exemples lrsquoacircge de la majoriteacute lrsquoavegravenement de la paterniteacute ou de la materniteacute lrsquoentreacuteedans la vie professionnelle lrsquoeacutepreuve du chocircmage les changements profes-sionnels la fin de la vie professionnelle et le passage agrave la retraite etc Cettesuccession de peacuteriodes diffeacuterencieacutees tant sur le plan des repreacutesentationssociales que sur celui de la structuration des rocircles et des interactions laquo individu-collectiviteacute raquo fait lrsquoobjet drsquoattentes de preacutejugeacutes de steacutereacuteotypes drsquointerditsLe vocabulaire de la langue franccedilaise oppose ainsi de maniegravere traditionnelleenfance adolescence vie adulte et vieillesse Drsquoautres formes de cateacutegorisationplus marqueacutees par lrsquoengagement dans la vie professionnelle distinguent lesjuniors (jeunes adultes) les personnes matures (mitan de la vie) les seniors(derniegraveres anneacutees de la vie professionnelle) et les personnes du troisiegraveme etdu quatriegraveme acircge (retraiteacutes) Ces classifications seraient sans importancesous lrsquoangle des motivations si elles nrsquoeacutetaient pas associeacutees agrave des maniegraveresde fixer lrsquoacircge des individus dans des cateacutegories normeacutees agrave travers lesquellesils sont identifieacutes et jugeacutes par rapport au travail et agrave la collectiviteacute De ce pointde vue lrsquoacircge nrsquoest pas seulement un repegravere chronologique de lrsquoavancementdans un parcours de vie mais il est un indicateur drsquoune eacutevolution preacutevisibledu potentiel humain de lrsquoentreacutee dans la vie adulte jusqursquoaux manifestationslieacutees au vieillissement tant en ce qui concerne les capaciteacutes physiques etphysiologiques que les capaciteacutes psychologiques
La motivation joue dans lrsquoexpression des continuiteacutes et des ruptures au coursde la vie le rocircle drsquoun processus reacutegulateur Ainsi R J Vallerand et G F Losier(1994) considegraverent dans cette logique que la theacuteorie de lrsquoautodeacuteterminationpeut ecirctre appliqueacutee aupregraves des populations eacutetudiantes des niveaux primairessecondaire et universitaire chez des adultes drsquoacircge moyen et aupregraves des person-nes acircgeacutees Les auteurs preacutecisent eacutegalement que dans le cas des personnesacircgeacutees les reacutesultats des recherches suggegraverent qursquoun profil motivationnel auto-deacutetermineacute est associeacute de faccedilon positive entre autres agrave la satisfaction de vieet agrave la participation dans les loisirs Selon eux laquo les gens qui possegravedent dehautes attentes drsquoauto-efficaciteacute et des sentiments drsquoautodeacutetermination eacuteleveacutesmontrent geacuteneacuteralement une plus grande motivation ainsi que des niveaux deperformance de creacuteativiteacute plus eacuteleveacutes que les gens ayant des niveaux faibles
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drsquoauto-efficaciteacute et drsquoautodeacutetermination raquo (p 174) Drsquoautres chercheurs onttenteacute de modeacuteliser les diffeacuterentes eacutetapes de ce processus Sur ce point lesconclusions des eacutetudes de Leacutevy-Leboyer (1998) sur la motivation dans lrsquoentre-prise ont une porteacutee plus geacuteneacuterale que ce qui concerne speacutecifiquement la vieprofessionnelle Selon elle laquo le processus motivationnel reacutepegravete sous formede boucle les six eacutetapes suivantes jrsquoaccepte un objectif je pense que je suiscapable de lrsquoatteindre je sais quels reacutesultats je vais recevoir en retour je passede lrsquointention agrave lrsquoaction je reccedilois des informations utiles sur ma performanceen cours de route je confirme ou je reacutevise mes objectifshellip et ma motivation raquo(p 231)
Reprises sous forme de questions ces six eacutetapes peuvent constituer une grilledrsquoobservation des conditions de vie propres agrave certaines peacuteriodes de la vie quiautorisent ou non certaines modaliteacutes de reacuteponse et drsquoanalyse des reacutecitsbiographiques La nature des reacuteponses agrave ces questions varie selon les peacuteriodesde la vie Si la peacuteriode preacute-professionnelle (scolarisation dans lrsquoenfance etlrsquoadolescence parcours dans lrsquoenseignement supeacuterieur) et la peacuteriodeprofessionnelle creacuteent naturellement des occasions de se donner des objectifsdrsquoavenir (problegravemes traiteacutes dans le cadre des actions drsquoorientation scolaire etprofessionnelle) la peacuteriode post-professionnelle sollicite beaucoup plus forte-ment la volonteacute et les valeurs individuelles et peut expliquer parfois lelaquo vide raquo que ressentent certains salarieacutes au moment du passage agrave la retraitelorsque ce passage devient synonyme drsquoabsence de projet de but drsquoobjectifDans la mecircme ligne et contrairement au temps de la retraite les peacuteriodesscolaire et universitaire et la peacuteriode professionnelle sont baliseacutees par deseacutevaluations varieacutees associant objectiviteacute et subjectiviteacute (eacutevaluations peacutedago-giques examens eacutevaluations professionnelles etc) qui donnent aux individusdes occasions de tester leur capaciteacute agrave reacuteussir sources de sentiment de compeacute-tence et drsquoimages positives de soi propres agrave deacutevelopper des motivations agravesrsquoengager
On peut srsquointerroger sur le poids de certaines variables consideacutereacutees commefacteurs positifs de reacutealisation personnelle ou comme eacuteleacutements de contraintespouvant conduire agrave des formes aveacutereacutees de deacutemotivation Il a eacuteteacute mis eneacutevidence (Aubret et Demouge-Olivier 2002) agrave partir de lrsquoanalyse de contenusdrsquoentretiens biographiques recueillis pregraves de personnes parvenues au mitande la vie professionnelle des effets cumuleacutes de la variable genre et du statutprofessionnel atteint agrave un moment donneacute du parcours professionnel Toutsemble se passer comme si les projets et les strateacutegies des personnes srsquoadap-taient agrave la vision qursquoelles ont de leur avenir non pas de maniegravere meacutecaniquedans la mesure ougrave lrsquoavenir serait parfaitement preacutevisible agrave leurs yeux maisen donnant le sentiment qursquoelles ont inteacutegreacute et inteacuterioriseacute dans la conceptionmecircme de leur orientation les normes sociales attacheacutees agrave leurs cateacutegoriesdrsquoappartenance tant en ce qui concerne la gestion de leur vie professionnelleque la gestion des rapports laquo vie personnelle vie professionnelle raquo Sicomme lrsquoexprime Maslow (1943) le besoin de reconnaissance est un besoin
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fondamental qui pousse lrsquohomme agrave lrsquoaction la recherche des moyens de lesatisfaire prend des formes diffeacuterentes selon les variables consideacutereacutees Agrave statutprofessionnel eacutegal les femmes doivent se battre plus que les hommes pourecirctre reconnues et progresser dans leur carriegravere Crsquoest peut-ecirctre un eacuteleacutementdrsquoexplication entre le laquo vouloir raquo et le laquo devoir raquo exprimeacutes dans les reacutecits parles hommes et le laquo pouvoir raquo exprimeacute par les femmes Les hommes peuvent sepermettre de vouloir les femmes srsquointerrogent drsquoabord sur ce qui est possibleLes verbes laquo ecirctre raquo et laquo avoir raquo plus centreacutes sur le preacutesent se retrouvent chezles plus favoriseacutes (les laquo hommes-cadres raquo) sous lrsquoangle du plan de la carriegravereIls laquo sont raquo cadres et en tant que tels disposent deacutejagrave drsquoun laquo capital raquo qursquoil estnaturellement possible de faire fructifier lorsque les circonstances le permet-tent Quant aux laquo femmes-ouvriegraveres raquo le deacutesir drsquoapprendre exprimeacute dans lesentretiens est la seule ouverture susceptible drsquooffrir des perspectives positivesdrsquoavenir dans la mesure ougrave le capital savoir est perccedilu comme la cleacute delrsquoeacutevasion de la condition de la femme plutocirct consideacutereacutee (encore aujourdrsquohui)dans les repreacutesentations culturelles et sociales comme voueacutee aux tacircchesdomestiques et familiales mobilisant des savoirs et savoir faire socialementpeu valoriseacutes et sans applications professionnelles dans un projet de carriegravere
Deux peacuteriodes de la vie ont fait lrsquoobjet de travaux plus speacutecifiques touchantau deacuteveloppement des motivations Il srsquoagit de la peacuteriode professionnelle etdes phases de la vie marqueacutees par le vieillissement
22 Vie au travail et motivations humaines
Un abondant corpus conceptuel theacuteorique et expeacuterimental existe dans ledomaine de la motivation au travail comme le montre la revue de question deKanfer (1990) de Francegraves (1995) ougrave celle de C Leacutevy-Leboyer (1998) Sur leterrain psychologues sociologues du travail gestionnaires et managers desressources humaines se sont inteacuteresseacutes aux relations entre les motivationshumaines et la vie au travail sous le triple aspect de lrsquoimplication de lrsquohommeau travail des conditions qui rendent le travail attractif pour lrsquoinvestissementhumain et de la gestion des personnels Les chapitres preacuteceacutedents ont donneacuteune large part aux approches theacuteoriques et expeacuterimentales On peut degraves lorsse poser leacutegitimement la double question comment le savoir des uns (ceuxdes chercheurs) peut-il enrichir le savoir-faire des autres (praticiens des orga-nisations de travail) et comment les problegravemes qui remontent du terrainpeuvent-ils devenir objets de questionnement pour les chercheurs
La rencontre des savoirs en vue de lrsquoameacutelioration des savoir-faire et delrsquoefficaciteacute des travailleurs srsquoest opeacutereacutee depuis longtemps tant en matiegravere derecrutement que de gestion des ressources humaines drsquoameacutelioration desconditions de travail et de gestion des carriegraveres des salarieacutes On se souvientde lrsquoexpeacuterience ceacutelegravebre qui illustre lrsquoimportance de la reconnaissance de lavaleur de lrsquohomme au travail et de ses effets sur la productiviteacute Il srsquoagit des
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travaux visant une ameacutelioration des conditions mateacuterielles des ouvriers(expeacuterience meneacutee dans les ateliers de la Western Electric agrave Hawthorne vers1930 sur lrsquoeacuteclairage des usines) De nombreux managers des ressourceshumaines se sont inspireacutes et srsquoinspirent encore de la theacuteorisation des besoinshumains de Maslow Celui-ci distingue cinq cateacutegories de besoins que touthomme tend agrave satisfaire les besoins physiologiques lieacutes agrave la survie des indi-vidus ou de lrsquoespegravece (faim soif sexualiteacute etc) le besoin de seacutecuriteacute quiconcerne la recherche de protection contre les menaces de lrsquoenvironnement le besoin drsquoappartenance comme besoin de se sentir accepteacute et aimeacute par autrui(groupes drsquoappartenance) le besoin drsquoestime comme besoin drsquoecirctre reconnude se sentir utile drsquoecirctre valoriseacute le besoin drsquoaccomplissement et de reacutealisationde soi Agrave la suite de Maslow il a eacuteteacute postuleacute une hieacuterarchisation des besoinslrsquoapparition de besoins supeacuterieurs eacutetant de nature agrave reacuteduire et agrave neutraliser lesbesoins de niveaux infeacuterieurs Lrsquoavegravenement de la psychologie cognitive estvenu enrichir ce scheacutema primaire Entre le stimulus et la reacuteponse comporte-mentale il y a place pour des opeacuterations psychologiques susceptibles deporter agrave la fois sur lrsquointerpreacutetation du stimulus et le traitement anticipeacute de lareacuteponse agrave eacutelaborer On sait donc agir sur la reacuteactiviteacute des travailleurs enjouant sur des facteurs deacutesirables (primes promotions etc) Drsquoougrave lrsquoimportanceattacheacutee par C Leacutevy-Leboyer (1998) aux strateacutegies drsquoentreprise en vue dedeacutevelopper les motivations des salarieacutes On a pu tester ainsi lrsquoattractiviteacute desreacutecompenses en matiegravere de promotion ou de salaire (le salaire au meacuterite laparticipation aux beacuteneacutefices par exemple) mais aussi lrsquoinfluence de lrsquoorgani-sation du travail et le rocircle des eacutequipes (la valeur positive du travail par eacutequipe)lrsquoimportance du controcircle et du sentiment de responsabiliteacute sur son travail
Autres exemples Hackman et Oldham (1975 1976) se sont inteacuteresseacutes auxeffets conjugueacutes des forces incitatrices du besoin de deacuteveloppement personnelet des caracteacuteristiques de lrsquoemploi sur la motivation et la satisfaction au travailPlusieurs facteurs ont eacuteteacute identifieacutes comme eacutetant susceptibles drsquoinfluencer leniveau drsquoattractiviteacute drsquoun emploi (autonomie diversiteacute des compeacutetencesrequises identification et caractegravere senseacute de la tacircche possibiliteacute drsquoun retoureacutevaluatif) et de deacutevelopper une motivation interne eacuteleveacutee lorsque trois typesde besoin de deacuteveloppement personnel sont satisfaits le travailleur doit seconsideacuterer responsable des reacutesultats de son travail il doit pouvoir donner dusens agrave son activiteacute et ecirctre ameneacute agrave percevoir un feed-back de qualiteacute Adams(1963) rendait compte de la motivation au travail par une tendance de lrsquoindi-vidu agrave comparer sa situation personnelle agrave celle drsquoautres personnes dans lebut de savoir srsquoil est traiteacute avec eacutequiteacute Plus tard en prenant appui sur cettetheacuteorie Greenberg (1990) deacuteveloppe le concept de justice organisationnelle justice distributive (sentiment de justice agrave lrsquoeacutegard de lrsquoattribution par lrsquoorga-nisation du salaire des primes de la promotion de lrsquoeacutevaluation des respon-sabiliteacutes) et justice proceacutedurale (sentiment de justice vis-agrave-vis des proceacutedureset des processus mis en œuvre dans lrsquoorganisation pour prendre des deacutecisions)
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Les effets constateacutes srsquoexpriment en termes drsquoaccroissement de la motivationinterne par rapport au travail (travail assumeacute plutocirct que ressenti comme imposeacute)satisfaction au travail qualiteacute et performances reacuteduction de lrsquoabsenteacuteisme
Le besoin drsquoecirctre reconnu et appreacutecieacute est agrave la base de theacuteories ceacutelegravebres dumanagement humain McGregor (1960) a proposeacute deux visions diffeacuterentesdes ecirctres humains lrsquoune fonciegraverement neacutegative appeleacutee laquo theacuteorie X raquo etlrsquoautre fonciegraverement positive appeleacutee laquo theacuteorie Y raquo Apregraves avoir observeacute lamaniegravere dont les managers se comportent avec les travailleurs McGregorconclut que la vision manageacuteriale de la nature humaine est fondeacutee sur unregroupement de postulats En accord avec la theacuteorie X lrsquoindividu moyeneacuteprouve une aversion inneacutee pour le travail et fera tout pour lrsquoeacuteviter puisqueles individus nrsquoaiment pas le travail ils doivent ecirctre contraints controcircleacutes oumenaceacutes de sanctions si lrsquoon veut qursquoils fournissent les efforts neacutecessaires agrave lareacutealisation des buts organisationnels les individus fuient les responsabiliteacutes la plupart des travailleurs placent la seacutecuriteacute au-dessus de tout et ont relative-ment peu drsquoambition En opposition avec cette vision neacutegative de la naturehumaine McGregor liste quatre autres postulats qursquoil regroupe sous latheacuteorie Y lrsquoeffort dans le travail est aussi naturel que le repos ou le jeu lrsquoindividu peut se diriger et se controcircler lui-mecircme lorsqursquoil se sent responsabledes objectifs du travail qursquoil accomplit lrsquoindividu moyen peut apprendre nonseulement agrave accepter mais aussi agrave rechercher des responsabiliteacutes la creacuteati-viteacute la capaciteacute agrave imaginer des solutions nouvelles pour reacutesoudre les problegravemesorganisationnels sont largement distribueacutees dans la population Si le managertrouve une place aujourdrsquohui conforteacutee dans lrsquoensemble des actions de gestiondes ressources humaines crsquoest que lrsquoon reconnaicirct que lrsquoaction humaine nrsquoestpas seulement piloteacutee par lrsquoapplication de regravegles drsquoorganisation du travail et dereacutepartition des compeacutetences mais par des interactions entre des responsablesdrsquoeacutequipe et des travailleurs qui rendent ces regravegles acceptables par lestravailleurs et applicables en situation professionnelle (voir Aubret Gilbertet Pigeyre 2005)
Si le recours agrave la motivation fait partie du vocabulaire classique desgestionnaires et des managers corpus theacuteorique agrave lrsquoappui les problegravemesrencontreacutes au quotidien par ces mecircmes praticiens interpellent les savoirs tropvite construits et utiliseacutes Il faut rendre compte des pheacutenomegravenes de deacutemoti-vation ou drsquoabsence de motivations On connaicirct le problegraveme dans sa versionlaquo scolaire raquo lorsqursquoon tente drsquoexpliquer les laquo deacutecrochages raquo des eacutelegraveves parlrsquoabsence de motivations agrave apprendre ou dans sa version laquo seconde chance raquopour les jeunes adultes sortis du systegraveme scolaire sans qualification profes-sionnelle agrave qui lrsquoon propose des actions de re-motivation dans les organismesdrsquoaccueil comme les missions locales les eacutecoles de la seconde chance etc
Les difficulteacutes agrave rendre compte de ces pheacutenomegravenes proviennent de lacomplexiteacute des conduites humaines qui impose dans une recherche drsquoexpli-cation de ne pas dissocier un facteur favorable au comportement motiveacute delrsquoensemble des facteurs qui peuvent jouer en sens inverse La mecircme exigence
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impose de reconnaicirctre la possibiliteacute drsquoeffets paradoxaux lorsque lrsquoon se reacutefegravereagrave des modegraveles trop simplificateurs Par exemple attribuer des reacutecompenses enmatiegravere salariale ne joue sur les motivations au travail que dans un ensembledrsquoautres conditions souvent exteacuterieures au travail (conditions attacheacutees agrave lavie familiale par exemple) qui doivent rester favorables Donner de lrsquoinitiativeau salarieacute nrsquoest positif sur sa performance que dans la mesure ougrave les deacutecisionsqursquoil doit prendre sont compatibles avec son degreacute drsquoanxieacuteteacute Autrement ditsi les besoins agrave satisfaire ont valeur de stimulus il peut exister des conflits debesoin qui en neutralisent la force et les effets Ces conflits de besoin peuventfournir un cadre interpreacutetatif aux situations drsquoeacutepuisement professionnel(burn out) de stress ou de souffrance au travail (Dejours 1998 Ehrenberg1998) que vivent aujourdrsquohui certains de nos contemporains On peut aussiles invoquer pour rendre compte des difficulteacutes observeacutees lorsque se posentpour des raisons personnelles ou professionnelles des problegravemes de mobiliteacuteou de reacuteorientation professionnelle Par exemple une personne peut souhaiterentrer dans une deacutemarche de reacuteorientation professionnelle (besoin drsquoaccom-plissement de soi) et en mecircme temps redouter la perte de seacutecuriteacute et de confortqursquoengendrent les routines de la vie (besoin de seacutecuriteacute) De plus en plus detravailleurs en fin de carriegravere professionnelle aspirent agrave prendre leur retraite(nouvelle forme drsquoexpression du besoin drsquoaccomplissement) tout en prenantconscience que la fin de la vie active les prive drsquoun reacuteseau de relationsprofessionnelles et de travail propre agrave satisfaire leurs besoins drsquoappartenanceet drsquoestime
Reconnaicirctre une pluraliteacute de raisons drsquoagir crsquoest introduire lrsquoideacutee drsquouneconcurrence possible entre ces raisons Un arbitrage srsquoimpose On peut leconcevoir agrave travers la reacutefeacuterence agrave la notion de laquo meacuteta motivation raquo (cf Kanfer1990) pour signifier que le sujet nrsquoest pas seulement une machine agrave traiter delrsquoinformation ou agrave produire des valeurs il doit eacutevaluer les risques de soninvestissement dans lrsquoaction On a valoriseacute de ce point de vue les approchesrationnelles et normatives des prises de deacutecisions Lrsquohomme traite et cherche agravereacutesoudre des dissonances cognitives (reacutefeacuterence aux theacuteorisations de Festinger)agrave maintenir des eacutequilibres menaceacutes ou agrave reacutetablir des eacutequilibres deacutetruits (reacutefeacute-rence au concept drsquohomeacuteostasie) agrave agir pour reacuteduire ce qursquoil perccediloit commecontraire agrave lrsquoeacutequiteacute (theacuteorie drsquoAdams) Pour certains la rationaliteacute des prisesde deacutecisions peut srsquoexprimer sous forme drsquoeacutequations (par exemple theacuteoriesur lrsquoutiliteacute espeacutereacutee) Pour drsquoautres au contraire lrsquoindividu est aveugle agrave unepartie des deacuteterminants de ses actions (ce que mettent en eacutevidence les theacuteori-sations freudiennes sur lrsquoinconscient) Les avanceacutees reacutecentes des neurosciencesmontrent de ce point de vue la pluraliteacute des modaliteacutes de traitement par lesystegraveme nerveux des stimulations qui parviennent au sujet humain et validentlrsquohypothegravese drsquoun traitement preacutealable non cognitif (drsquoordre eacutemotionnel) desinformations servant de base agrave un traitement cognitif potentiellement concur-rentiel (Damasio 1995) Une theacuteorisation de lrsquoinvestissement de la ressource
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humaine ne peut se passer du recours agrave une fonction de reacutegulation Si cettefonction intervient essentiellement comme une fonction de reacutegulation desdysfonctionnements reacuteels ou anticipeacutes de lrsquoadaptation humaine (indeacutecisionpassage agrave lrsquoaction impossible production drsquoefforts deacutemesureacutee sentimentdrsquoinefficaciteacute ou drsquoincompeacutetence etc) on srsquointerrogera neacutecessairement sur lalogique ou les logiques qui gouvernent lrsquoexercice de cette fonction Pourcertains cette logique est produite par le sujet lui-mecircme comme un modedrsquoecirctre et drsquoexpression de soi Il convient donc de parler drsquoautoreacutegulation (autodetermination) aux composantes diverses et associeacutees self observation (selfmonitoring) self-eacutevaluation (self judgments) self-control Lrsquoapproche desprocessus motivationnels nous renvoie ainsi vers une diffeacuterenciation inter-individuelle dans la mesure ougrave les capaciteacutes des individus agrave anticiper lesconseacutequences de leurs actions lesquelles mobilisent toutes les formes deconnaissance drsquoimage drsquoestime de soi de sentiment de compeacutetence (cfBandura 2003) sont susceptibles de varier drsquoun individu agrave un autre
Dans cette perspective on peut se demander dans quelle mesure les eacutevolu-tions des modes de gestion des ressources humaines facilitent ou neutralisentla possibiliteacute drsquoecirctre gestionnaire de soi Au cours de ces trente derniegraveres anneacuteesnous avons eacuteteacute teacutemoins de la diffusion drsquoinjonctions paradoxales et du deacutevelop-pement de pratiques aux finaliteacutes ambigueumls au discours sur lrsquoacteur respon-sable on peut opposer le constat drsquoune socieacuteteacute fondeacutee sur des reacutegulationseacuteconomiques mondialiseacutees qui semblent laisser peu de place agrave lrsquoexpressionde la liberteacute humaine De mecircme se deacuteveloppent des pratiques drsquoentreprisesqui en preacuteconisant fortement lrsquoinitiative et la responsabiliteacute des travailleursdeux caracteacuteristiques qui selon Zarifian (2001) sont les marques de la compeacute-tence creacuteent les conditions de lrsquoapparition du stress chez les travailleurs culpa-biliseacutes parce qursquoils ont le sentiment de ne jamais en faire assez Lrsquoeacutevaluationau meacuterite et agrave la productiviteacute peut conduire agrave motiver les uns momentaneacute-ment plus performants et agrave deacutemotiver les autres sensibles agrave tout ce qui peutprovoquer le sentiment drsquoecirctre deacuteconsideacutereacute
23 Vieillissement accidents de la vie motivation et deacutemotivation
Le deacuteveloppement des motivations au cours de la vie deacutepend de caracteacuteristiquespersonnelles que les tests psychologiques mettent en eacutevidence mais il se reacutealisedans des environnements physiques et sociaux et agrave travers des eacuteveacutenementspreacutevisibles ou fortuits sources de repreacutesentations de sentiments de frustrationsqui favorisent ou contrecarrent ce deacuteveloppement Le processus motivationnelsemble particuliegraverement affecteacute par le vieillissement comme le montrentdiverses eacutetudes sur ce pheacutenomegravene
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231 Le vieillissement
Le vieillissement comporte deux aspects souvent lieacutes vieillissement biolo-gique et physiologique caracteacuteriseacute par une diminution des performancesbiologiques et physiologiques et vieillissement psychologique caracteacuteriseacute parune reacuteduction du rendement intellectuel et mental Ces pheacutenomegravenes sont natu-rellement associeacutes avec les progregraves en acircge mais peuvent aussi ecirctre lrsquoeffet demaladies ou drsquoaccidents de santeacute Ils donnent lieu eacutegalement agrave lrsquoobservationde diffeacuterences interindividuelles
On a constateacute que tous les individus ne vieillissent pas au mecircme rythmePar exemple en ce qui concerne le vieillissement physiologique certainsindividus sont dits victimes drsquoun survieillissement lorsque leurs performancesphysiologiques sont infeacuterieures agrave ce qursquoelles sont en moyenne pour leurcateacutegorie drsquoacircge et drsquoun sous-vieillissement lorsque les performances physio-logiques sont supeacuterieures agrave la moyenne des performances des individus dumecircme acircge chronologique
Ainsi dans une eacutetude reacutealiseacutee sur des eacutechantillons drsquoouvriers de 6 cantonssuisses et du Queacutebec agrave lrsquoaide questionnaires F Forest et U Forest-Streit(1980 1981) constatent que les individus sur-vieillis relativement aux autreschoisiraient une autre profession manuelle (item relatif agrave lrsquoexpression de leurinsatisfaction au travail) srsquoils en avaient la possibiliteacute alors que les sous-vieillischoisiraient plutocirct une autre profession qui impliquerait une haute compeacute-tence technique (ingeacutenieur architecte etc) Quand on demande aux sujetssous forme de question ouverte ce qursquoils considegraverent important dans untravail les sur-vieillis insistent plus de maniegravere statistiquement significativesur la preacutesence drsquoun syndicat fort et sur les beacuteneacutefices marginaux alors queles sous-vieillis au contraire considegraverent que lrsquoutilisation de leurs capaciteacutes demecircme que les possibiliteacutes de perfectionnement sont beaucoup plus impor-tantes Agrave une question fermeacutee sur les deacutesavantages du travail les plus fortesassociations avec le survieillissement concernent les mauvaises relationshumaines le travail trop dur physiquement lrsquoimpossibiliteacute drsquoutiliser sescapaciteacutes la difficulteacute drsquoobtenir des promotions Les sur-vieillis deacutenoncentlrsquointervention drsquoeacuteleacutements exteacuterieurs ayant perturbeacute leur formation (difficulteacutesfinanciegraveres responsabiliteacutes familiales guerre etc) ce qui nrsquoest pas le cas dessous-vieillis Ces derniers en revanche obtiennent des scores eacuteleveacutes relati-vement agrave la motivation la motivation totale (score total agrave un questionnairede motivation) est associeacutee au sous-vieillissement mais dans cette motivationtotale la crainte de lrsquoeacutechec serait plus associeacutee au sous-vieillissement quelrsquoespoir de reacuteussite Les auteurs manifestent une certaine prudence quant agravelrsquointerpreacutetation causale en termes de motivation des relations statistiquesobserveacutees la motivation nrsquoeacutetant que lrsquoun des aspects des caracteacuteristiques descomportements en question Toutefois cette observation met bien eacutevidenceau-delagrave des effets eacuteventuels des formes drsquoimplication au travail sur la santeacute etle bien ecirctre physique les diffeacuterences drsquoattitudes des personnes quant aux
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sentiments de dominer ou de subir leur environnement de travail et quant agraveleur volonteacute de srsquoinvestir le cas eacutecheacuteant dans de nouvelles formes drsquoactiviteacuteprofessionnelle
Les effets du vieillissement ont fait lrsquoobjet de nombreuses eacutetudes tant surles plans physiologique et meacutedical que sur le plan psychologique On peutfaire le point sur cette question agrave travers les actes de colloques ou les revues dequestions sur le sujet (Charles et al 2006) Si le problegraveme du vieillissementinteacuteresse plus particuliegraverement les personnes ayant atteint la soixantaine ilssont souvent anticipeacutes dans le mental des sujets degraves que les symptocircmes quicaracteacuterisent le vieillissement apparaissent chez des personnes plus jeunesMais on sait que ce qui se produit au niveau des sentiments peut produire lesmecircmes effets sur les personnes que la reacutealiteacute des faits Quels sont donc cesprincipaux effets
Des modifications anatomiques et physiologiques sont constateacutees sur lecerveau notamment lrsquoaccroissement de lrsquoespace ventriculaire et lrsquoalteacuterationde certaines structures au niveau du lobe frontal Parallegravelement on note unediminution particuliegraverement significative des capaciteacutes drsquoaudition et de visionSous lrsquoangle psychologique et cognitif les effets du vieillissement sont ressen-tis sur les capaciteacutes mneacutesiques (deacuteficit de la meacutemoire agrave court terme et de lameacutemoire de travail problegravemes drsquoencodage et de reacutecupeacuteration des informa-tions) Certes se plaindre drsquoune diminution des capaciteacutes mneacutesiques dans lavie quotidienne est relativement banal agrave tout acircge Mais cette laquo plainte mneacutesi-que raquo prend de lrsquoimportance chez les personnes acircgeacutees dans la mesure ougrave ellepeut faire penser agrave la maladie drsquoAlzheimer deacutebutante qui de fait commencesouvent par des troubles mneacutesiques Avant 60 ans 10 des sujets se plaignentde pertes de meacutemoire alors qursquoils sont de 15 agrave 25 apregraves la soixantaineLes 80 ans repreacutesentent une peacuteriode critique
Lrsquoexpression langagiegravere est eacutegalement toucheacutee par le vieillissement lescapaciteacutes seacutemantiques sont preacuteserveacutees tandis que les dimensions syntaxiquesde la fonction langagiegravere sont progressivement alteacutereacutees Mais on retiendraparticuliegraverement les effets du vieillissement sur les capaciteacutes attentionnellesdes sujets (affaiblissement de la capaciteacute agrave demeurer en eacutetat drsquoalerte difficulteacutesagrave traiter plusieurs sources drsquoinformation agrave la fois) et sur les capaciteacutes deraisonnement (performances en diminution sur les eacutepreuves de raisonnementinductif de raisonnement deacuteductif et de raisonnement verbal) Par exempleon observe que le temps de traitement de mot soumis agrave un effet laquo Stroop raquoaugmente fortement agrave partir de la cinquantaine (Comalli et al 1962) Leprincipe consiste agrave preacutesenter au sujet des mots recelant une ambiguiumlteacute percep-tive le mot laquo vert raquo eacutecrit en rouge Le temps de lecture reste agrave peu pregraves lemecircme selon lrsquoacircge En revanche nommer la couleur demande de plus en plusde temps Sur des eacutepreuves de raisonnement numeacuteriques (par exempletrouver le nombre qui complegravete la seacuterie suivante 84 66 52 42 36hellip) lessujets acircgeacutes reacuteussissent presque aussi bien que les sujets jeunes sur des seacuteriesfaciles mais ils mettent beaucoup plus de temps en revanche sur les seacuteries
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difficiles ils mettent toujours beaucoup plus de temps mais ils reacuteussissent deuxfois moins bien (pour une eacutetude approfondie voir Lemaire et Bherer 2005)
Ces modifications physiologiques et psychologiques expliquent les pheacuteno-megravenes drsquoabsence de motivation ou de deacutemotivation constateacutes chez les sujetsacircgeacutes Il srsquoagit selon Thomas et Hazif-Thomas (2006) de renoncement agrave fairede perte drsquointeacuterecirct pour les activiteacutes de la vie quotidienne de baisse de la vigi-lance et des processus attentionnels de diminution de la perseacuteveacuterance defatigue et de deacutesengagement de lrsquoindividu pour srsquooccuper drsquoautrui ou de lui-mecircme Selon eux la deacutemotivation est un refus drsquoaborder les crises incontour-nables une faccedilon de lacirccher prise devant des situations qui ne se preacutesenterontplus se reacuteinvestir dans la reacutealiteacute nrsquoest plus acceptable Elle comporte troisversants le refus des deacutesirs encore possibles le renoncement agrave lrsquoengagementrelationnel et le repli sur soi le refus de se projeter dans lrsquoavenir et la pertede lrsquoanticipation
La deacutemotivation nrsquoest pas une fataliteacute chez les personnes acircgeacutees De nouvellesformes drsquoexpression des motivations voire de nouvelles motivations peuventapparaicirctre comme le montre une eacutetude de Dessaint et Boivert (1991) sur lesmotivations agrave apprendre Lrsquoenquecircte a eacuteteacute reacutealiseacutee sur les problegravemes speacutecifiquesde la formation agrave distance En fait les auteurs constatent que les adultes jeuneset acircgeacutes qui suivent des cours traditionnels ou agrave distance le font surtout pouracqueacuterir des connaissances (inteacuterecirct cognitif) En revanche cette recherche meten eacutevidence le fait que la formation agrave distance semble convenir aux personnesacircgeacutees et cela mecircme si elle limite les contacts sociaux La principale motivationagrave suivre des cours pourrait ecirctre la formation agrave distance elle-mecircme Autrementdit cette eacutetude montre lrsquoimportance de lrsquoadaptation de lrsquoenvironnement auxproblegravemes particuliers rencontreacutes par les personnes du fait de leur acircge Lrsquoeacutetudemontre en outre que les personnes acircgeacutees suivent des cours agrave distance pourcombler un besoin de deacutepassement et de deacutefi La formation agrave distance leurpermet drsquoaller au maximum de leurs capaciteacutes physiques et intellectuellesApprendre agrave son rythme ne pas avoir agrave se deacuteplacer ne pas avoir agrave se compareragrave des eacutetudiants plus jeunes et peut-ecirctre plus en forme intellectuellement estassureacutement selon les auteurs une grande source de motivation
232 Handicaps et accidents de santeacute
Les rapports entre motivations et accidents de santeacute peuvent ecirctre vus dansune double perspective La premiegravere fait de la motivation lrsquoune des causesdes accidents lrsquoautre traite des effets des handicaps et des accidents de la viesur les processus motivationnels
Dans la premiegravere perspective les eacutetudes conduites notamment sur les prati-ques sportives agrave risque (Richalet 2006) font apparaicirctre chez leurs adeptesune tendance comportementale agrave la recherche de sensation dont lrsquointensiteacutefait lrsquoobjet de diffeacuterences interindividuelles Cette tendance est caracteacuteriseacutee
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de la maniegravere suivante recherche de danger et drsquoaventure agrave travers desactiviteacutes agrave risque recherche drsquoexpeacuteriences nouvelles sollicitant lrsquoesprit et lessens comportement et consommation de substance facilitant toute forme dedeacutesinhibition aversion pour toute activiteacute routiniegravere Des eacutechelles de mesure1
ont permis drsquoeacutetablir un score geacuteneacuteral refleacutetant la tendance comportementaleagrave la recherche de sensation (Zuckerman 1999) Les eacutetudes dans le domainesportif montrent que les pratiquants drsquoactiviteacutes agrave risque obtiennent agrave ceseacutechelles des scores plus eacuteleveacutes que les autres De mecircme il existe des correacutela-tions significatives entre les scores agrave ces eacutechelles et le nombre drsquoaccidents
Le second aspect traite de la motivation comme une variable intermeacutediaireentre les accidents de la vie et leurs conseacutequences Le parcours de vie estfait drsquoeacuteveacutenements et drsquoimplications dans des situations dont une grande partest impreacutevisible quant aux moments ougrave ils surviennent Agrave ce titre il y a lesaccidents de la vie quotidienne (accidents domestiques accidents du travailaccidents de la circulation etc) les handicaps et les accidents de santeacute detous ordres (maladie et infirmiteacutes heacutereacuteditaires cancers accidents cardiaqueset vasculaires santeacute mentale effets de la consommation du tabac de lrsquoalcoolet des drogues tentatives de suicide etc) Quel que soit le degreacute de graviteacuteles atteintes corporelles et psychologiques conduisent ineacutevitablement lespersonnes qui en sont victimes agrave des interrogations sur leur projet lrsquoimageqursquoelles donnent ou qursquoelles se donnent drsquoelles-mecircmes le sentiment de deacutepen-dance les risques et lrsquoanxieacuteteacute devant lrsquoaction Le processus motivationnel estaffecteacute et doit prendre en compte de nouvelles contraintes
On peut cependant consideacuterer ces deux perspectives dans une visiondrsquoensemble le processus de motivation consideacutereacute comme variable inter-meacutediaire preacutesentant de nombreuses similitudes avec la motivation consideacutereacuteecomme cause Crsquoest lrsquoun des principes de la reacuteeacuteducation En effet noussommes parfois eacutetonneacutes devant les paris et les risques que prennent certainespersonnes affecteacutees par des problegravemes de santeacute ou handicapeacutees suites agrave lamaladie ou agrave des accidents (naissance transports travail) Il faut chercher dansles nombreux articles publieacutes par les personnels soignants et les reacuteeacuteducateursles relations qui peuvent srsquoeacutetablir entre lrsquoengagement des personnes danslrsquoactiviteacute et le soutien agrave la motivation Nous citerons comme exemple typiquele travail du corps meacutedical aupregraves de traumatiseacutes cracircniens apragmatiques2Selon le personnel meacutedical lrsquoactiviteacute sportive constitue un outil privileacutegieacute dedeacuteveloppement des motivations Diverses techniques sont utiliseacutees telles quele choix de sports pratiqueacutes anteacuterieurement au traumatisme la compeacutetition agrave
1 La notion de recherche de sensations issue des travaux de Zuckerman est eacutevalueacutee agrave lrsquoaidedrsquoeacutechelles speacutecifiques La premiegravere qui date de 1964 est un auto-questionnaire appeleacute laquo eacutechellede recherche de sensations raquo
2 Dr Jean-Franccedilois Patry Dr Heacutelegravene Corneloup Mme Ckrystel Simon Dr Xavier de Boissezonlaquo Traumatisme cracircnien et pratique sportive raquo httpwwwanmsrassofranmsr0055sporthandipatryhtm
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deux la mise en valeur agrave travers le sport drsquoune compeacutetence valorisante telleslrsquoadresse la vitesse lrsquoestheacutetique la bonne santeacute les progregraves neurologiques lavalorisation des reacuteussites etc Certaines activiteacutes sportives sont plus stimu-lantes que drsquoautres et notamment les activiteacutes de plein air proposant varieacuteteacuteet vitesse de deacuteplacement comme la voile les sports meacutecaniques et les sportsen tandem Des risques de deacutemotivation sont agrave eacuteviter la fatigabiliteacute agrave lrsquoeffortphysique la fatigabiliteacute attentionnelle la monotonie des activiteacutes le deacutecalageentre performances espeacutereacutees et performances atteintes lrsquoangoisse et en premierlieu lrsquoangoisse de la chute
3 CONCLUSION SOUTIEN SOCIAL ET MOTIVATIONS
Il existe des pratiques sociales et des pratiques drsquoentreprise qui prennent encompte lrsquoimportance des motivations dans la construction du lien social dans lacollectiviteacute et dans les organisations de travail Ces pratiques sont inteacutegreacuteesau fonctionnement des entreprises lorsqursquoelles constituent le fil directeur despratiques de management Elles sont eacutegalement mises en œuvre dans desorganismes exteacuterieurs aux entreprises qui accueillent les jeunes et les adultesengageacutes dans des deacutemarches drsquoinsertion et de reacuteinsertion professionnelle ouqui se posent des problegravemes de conversion professionnelle
Dans ce domaine la pratique consideacutereacutee comme typique est le bilan decompeacutetences professionnelles et personnelles tel qursquoil est deacutefini par la loifranccedilaise laquo Les actions permettant de reacutealiser un bilan des compeacutetences etcont pour objet de permettre agrave des travailleurs drsquoanalyser leurs compeacutetencesprofessionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivationsafin de deacutefinir un projet professionnel et le cas eacutecheacuteant un projet de forma-tion raquo (loi du 31 deacutecembre 1991) Il ne srsquoagit pas de substituer agrave la deacutemarchereacuteflexive sur soi celle drsquoeacutevaluations objectives externes mais drsquoutiliser cesexpertises comme des eacuteleacutements de confrontation et de confortation de ladeacutemarche reacuteflexive sur ses expeacuteriences et son parcours de vie Accompagneacuteeet compleacuteteacutee par la reacutedaction drsquoun portfolio (ou portefeuille de compeacutetences)la deacutemarche se reacutesume ainsi laquo Se connaicirctre pour se faire reconnaicirctre raquoLrsquoidentification des compeacutetences et des motivations est lrsquoune des bases desactions de re-motivation
Au-delagrave du bilan de compeacutetences on perccediloit au sein des entreprises unrenouveau des pratiques de management Ce renouveau va de pair avec lamonteacutee drsquoune logique de compeacutetences qui valorise au-delagrave de la qualificationprofessionnelle lrsquoadaptabiliteacute permanente du salarieacute aux objectifs et auxcontextes changeants des systegravemes de production Lrsquohomme est le plus souvent
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deacuteposseacutedeacute de la maicirctrise de la continuiteacute de ses emplois et contraint drsquoassumerpour une grande part le deacuteveloppement de son employabiliteacute au cours de savie professionnelle Le management concerne toutes les actions ayant pourobjet lrsquoaccompagnement de personnes dans lrsquoorientation de leurs activiteacutes lesoutien de leur investissement et de leur deacuteveloppement professionnelslrsquoaide apporteacutee agrave lrsquoadaptation aux conditions du travail
Bilan de compeacutetences et pratiques de management illustrent le pheacutenomegravenede deacuteveloppement depuis une vingtaine drsquoanneacutees et sous des formes varieacutees(dont le coaching le tutorat le mentorat etc) de pratiques drsquoaccompagnementdes adultes pour lrsquoensemble des activiteacutes humaines et agrave tous les acircges de la vieLrsquoactiviteacute de conseil en vue de faciliter une prise de deacutecision (par exemple leconseil en orientation) ne suffit plus lrsquoaccompagnement se reacutealise dans desinteractions susciteacutees en cours de reacutealisation (conduite drsquoactiviteacutes reacutealisationde projets) entre une personne accompagneacutee et son tuteur (ou coach) dont latacircche est de fournir en cours de reacutealisation tous les eacuteleacutements qui permettentdrsquoanalyser son comportement et de le guider vers le but
On peut srsquointerroger sur la justification de ces pratiques qui drsquoune certainemaniegravere srsquoappuient sur un postulat de fragiliteacute de lrsquoindividu humain dans sonparcours de vie alors qursquoon le soumet agrave des injonctions telles qursquolaquo ecirctre agentde soi raquo lesquelles peuvent paraicirctre irreacutealistes agrave bien des eacutegards On peuteacutegalement se demander si le soutien social est agrave la hauteur des forces contrairesqui agissent en permanence sur lrsquoindividu humain pour alieacutener son pouvoirdrsquoautonomie Si le taux de suicide (et en particulier de suicide des jeunes) estplus eacuteleveacute que celui des accidents de la route (chaque anneacutee en France centsoixante mille personnes tentent de mettre fin agrave leurs jours douze mille yparviennent) si la souffrance au travail lrsquoeacutepuisement professionnel ou lestress deviennent objets de deacutebats publics crsquoest sans doute que lrsquoinsatisfactiondevant les conditions de vie et le malaise de vivre risquent de tuer en quelquesorte les motivations agrave vivre tout simplement
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Chapitre 9
MOTIVATION ET ORIENTATION
SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE1
1 Par Serge Blanchard et Dominique Gelpe
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Lrsquoorientation scolaire et professionnelle concerne une diversiteacute de publics etde situations Le conseil en orientation a pour objectif drsquoaider les personnesagrave faire un choix drsquoeacutetudes de formation de profession ou drsquoemploi et agrave srsquoyengager Dans le domaine de lrsquoorientation on considegravere la motivation commela reacutesultante drsquoun ensemble de caracteacuteristiques de la personne interagissantavec les situations reacutesultante dont on peut eacutevaluer la laquo force raquo et la directionagrave lrsquoaide de questionnaires ou de techniques drsquoentretiens structureacutes Mais lesfacteurs motivationnels peuvent aussi ecirctre abordeacutes sous leurs aspects proces-suels dynamiques eacutevoluant au cours de lrsquoactiviteacute de conseil Nous montreronsque les theacuteories sociocognitives de Bandura et de Deci et Ryan peuventsuggeacuterer aux conseillers drsquoorientation des pistes drsquointervention susceptiblesdrsquoaider la personne agrave entretenir et agrave renforcer sa motivation ou agrave en modifierles composantes au cours de sa deacutemarche drsquoorientation et de ses insertionsfutures
1 LrsquoORIENTATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE ET LE CONSEIL EN ORIENTATION
11 Lrsquoorientation scolaire et professionnelle
Lrsquoorientation scolaire et professionnelle (Guichard et Huteau 2006) concerneune pluraliteacute de publics (colleacutegiens lyceacuteens eacutetudiants jeunes adultes demoins de 25 ans sans emploi salarieacutes en reconversion chocircmeurshellip) et deprobleacutematiques qui vont du choix parfois contraint drsquoune filiegravere drsquoeacutetude auxchangements professionnels choisis ou subis de salarieacutes en passant par lestransitions eacutetudestravail la reacuteinsertion professionnelle des personnes au
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chocircmage la reprise drsquoun travail apregraves une interruption choisie la gestion desfins de carriegravere etc Dans tous ces cas le conseiller est ameneacute agrave srsquointerrogeravec le beacuteneacuteficiaire sur ses motivations agrave srsquoengager dans une deacutemarche drsquoorien-tation et sur les moyens contribuant agrave les renforcer ou agrave les reconfigurer danssa situation scolaire ou professionnelle future celle qui fait preacuteciseacutementlrsquoobjet drsquoun choix et drsquoune deacutecision au cours de la prestation de conseil
12 Le conseil en orientation
Le conseil en orientation peut ecirctre deacutefini comme lrsquoactiviteacute drsquoaide qursquounconseiller apporte agrave un consultant (ou agrave un groupe de consultants) placeacute devantun choix drsquoeacutetudes de formation professionnelle drsquoinsertion professionnelleou de reacuteinsertion La faccedilon dont le travail est reacuteguleacute entre le conseiller et leconsultant a un effet notable sur la motivation de ce dernier (et sur celle duconseiller srsquoil observe une progression de la deacutemarche) Il existe plusieursstyles plusieurs courants de conseil en orientation (Angeville et Bellenger1989) Notons aussi que le mot conseil a deux acceptions principales en fran-ccedilais la premiegravere associeacutee aux termes de laquo consultation deacutelibeacuteration raquo delaquo projet de dessein mucircri et reacutefleacutechi raquo et au-delagrave de laquo sagesse preacutevoyance raquoet la seconde qui est celle laquo drsquoavis que lrsquoon donne agrave quelqursquoun sur ce qursquoildoit faire raquo (Rey Dictionnaire historique de la langue franccedilaise) Crsquoest agrave lapremiegravere de ces acceptions que la conception du laquo tenir conseil raquo de Lhotellier(2001) peut ecirctre rattacheacutee Ses axes majeurs sont les suivants
ndash instaurer une relation dialogique dans le cadre drsquoune alliance de travail quiclarifie les buts du consultant les moyens envisageacutes pour atteindre cesbuts et le rocircle de chacun tout au long de la deacutemarche il est particuliegravere-ment important que les relations entre le conseiller et le consultant soientfondeacutees sur la co-responsabiliteacute et la confiance mutuelle
ndash construire de faccedilon meacutethodique le sens de la situation-problegraveme agrave laquellele consultant est confronteacute le premier temps consistant agrave analyser sademande et agrave lrsquoaider agrave preacuteciser les objectifs qursquoil fixe agrave sa deacutemarche
ndash ecirctre sensible aux aspects temporels (dureacutee moment et rythme) une tensionpouvant se manifester entre le temps personnel du beacuteneacuteficiaire et le tempsdes dispositifs institutionnels
Si la finaliteacute du laquo tenir conseil raquo est drsquoeacutelaborer une deacutecision fondatricedrsquoune action senseacutee responsable et autonomisante Lhotellier souligne qursquoilsrsquoagit aussi de deacuteboucher sur une action Le fait que la personne se sentecapable drsquoatteindre ses objectifs (sentiment drsquoefficaciteacute relatif aux objectifs)et le fait que les tacircches poursuivies soient perccedilues comme pertinentes et effi-caces pour les atteindre sont des eacuteleacutements importants susceptibles drsquoaccroicirctrela motivation du consultant Notons enfin que la participation active du consul-tant agrave la situation de conseil (deacutelibeacuteration commune travail de co-construction)
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est source de motivation agrave la fois dans la deacutemarche et pour les actions futuresqui suivront
13 Les techniques drsquoeacutevaluation au service de la motivation du consultant
La mise en relation de reacutesultats drsquoeacutevaluation portant sur les compeacutetences et lescapaciteacutes et sur des dimensions de lrsquoimage de soi et la confrontation de ceseacutevaluations aux informations sur lrsquoenvironnement (secteurs professionnelsmeacutetiers emplois filiegraveres drsquoeacutetude etc) favorisent une mobilisation des personnesdans un projet
La formalisation des compeacutetences singuliegraveres mises en œuvre dans dessituations concregravetement identifieacutees (pratique du portfolio cf Aubret et Blan-chard 2005) est dynamisante car elle permet agrave la personne de srsquoapproprierson expeacuterience La recherche active drsquoinformations dans lrsquoenvironnement(enquecirctes structureacutees par un objectif personnaliseacute) joue un rocircle similaire demotivation des personnes dans leur deacutemarche Lrsquoeacutevaluation des dimensions dusoi quant agrave elle peut recourir agrave diffeacuterentes techniques comme les entretiensdrsquoexplicitation et drsquoanalyse des expeacuteriences anteacuterieures et les questionnairesou supports drsquoexploration portant sur les inteacuterecircts les valeurs lrsquoestime de soiles buts etc Ces dimensions de la motivation peuvent ecirctre abordeacutees commedes eacutetats agrave un moment donneacute et eacutevalueacutees en vue de hieacuterarchiser des optionset de faire un choix Elles peuvent aussi ecirctre envisageacutees comme des processusdynamiques et eacutevalueacutees dans un but de compreacutehension de leur genegravese (situa-tions passeacutees) et de remaniement en vue drsquoune meilleure adaptation agrave lasituation future qui sera choisie souvent dans le cadre de compromis agrave faireau sein drsquoun systegraveme de contraintes Cette seconde perspective prend en comptele fait qursquoune deacutemarche drsquoorientation se deacuteroule dans une certaine dureacutee etqursquoelle est eacutevolutive elle commence le plus souvent avant la prestation deconseil et se poursuit au-delagrave
2 LA MOTIVATION ET SON EacuteVALUATION EN ORIENTATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE
Dans le domaine de lrsquoorientation scolaire et professionnelle lrsquoutilisation dequestionnaires drsquointeacuterecircts et de valeurs (Vrignaud et Bernaud 2005) a preacuteceacutedeacutelrsquoutilisation des questionnaires dits de laquo motivation raquo centreacutes directementsur les actions et leurs buts Les theacuteories de la motivation sont nombreuses
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(Fenouillet 2003a Vallerand et Thill 1993 Weiner 1992) ce qui srsquoexpliquepar la complexiteacute des processus motivationnels
De fait aucune theacuteorie nrsquoa pour ambition de rendre compte agrave elle seule delrsquoensemble des pheacutenomegravenes en jeu Chaque theacuteorie met donc lrsquoaccent sur telou tel aspect de la motivation rendant compte de la direction drsquoune conduitede sa laquo force raquo et de sa persistance dans le temps Crsquoest ainsi que Carreacute (1999)essaye de deacutegager les implications de diffeacuterentes theacuteories de la motivationsa synthegravese mettant lrsquoaccent sur la repreacutesentation de lrsquoavenir (eacutelaboration deprojet) la perception des compeacutetences (importance de lrsquoaide agrave leur clarifica-tion et agrave leur renforcement) et lrsquoautodeacutetermination (rocircle du libre choix et delrsquoautonomie)
21 Quelques questionnaires franccedilais drsquoinvestigation de la motivation
Le questionnaire de motivation agrave lrsquoactiviteacute (QMA) drsquoAubret (1989a et b)eacutevalue trois dimensions la motivation-activiteacute (ardeur agrave lrsquoouvrage appli-cation teacutenaciteacute volonteacute) le besoin de reacuteussite ou drsquoaccomplissement et lapeur de lrsquoeacutechec
Le questionnaire de motivation pour les situations de formation (QMF) deForner (1992a et b) eacutevalue trois dimensions le besoin de reacuteussite (tendanceagrave agir en eacutetant stimuleacute par la fierteacute anticipeacutee de la reacuteussite) drsquoAtkinson (1983)le controcircle interne-externe (sentiment drsquoavoir prise sur un eacuteveacutenement versusperception drsquoun eacuteveacutenement comme reacutesultant de la chance du hasard ou deacutepen-dant de la puissance drsquoautrui) la perspective temporelle (ie laquo lrsquoespace danslequel peut se deacutevelopper la motivation dans sa forme cognitive crsquoest-agrave-diresous la forme de construction drsquoobjets-buts et de projets raquo (Nuttin 1985))
Lrsquoeacutechelle de motivation aux eacutetudes (EME) de Vallerand (BlanchardVrignaud Lallemand Dosnon et Wach 1997) eacutevalue trois grandes dimen-sions (cf sect 41 infra) la motivation intrinsegraveque (activiteacute exerceacutee pour leplaisir et la satisfaction qursquoelle procure) la motivation extrinsegraveque (activiteacuteexerceacutee pour atteindre un objectif par exemple travailler dur une matiegraverescolaire agrave fort coefficient dans lrsquoexamen final) et lrsquoamotivation (opeacuterationna-liseacutee par des items du type laquo je ne parviens pas agrave comprendre ce que je faisau lyceacutee raquo) qui est proche du concept de reacutesignation apprise de Seligman (cfVallerand et Thill 1993 p 386-390)
LrsquoInventaire des ressources motivationnelles perccedilues en formation (IRMF)(Gelpe 2007) srsquoapplique aux formations professionnelles qualifiantes pouradultes il est bacircti sur le mecircme modegravele theacuteorique que lrsquoEME preacuteceacutedente
Les deux derniers questionnaires diffegraverent des preacuteceacutedents en ce qursquoilsdonnent des indications non seulement sur la laquo force raquo des conduites maisaussi sur leur direction (objectifs poursuivis ou reacutesultats attendus)
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22 Lrsquoutilisation des questionnaires de motivation dans une perspective coopeacuterative
Lrsquoutilisation des tests et des questionnaires a longtemps eacuteteacute associeacutee au courantexpert du conseil en orientation Super (1959) pense qursquoil est preacutefeacuterable laquo de nepas soumettre le client agrave une batterie de tests apregraves une interview drsquoaccueil raquoet laquo qursquoil vaut mieux donner un ou des tests seulement lorsque le conseilleret le client estiment lors drsquoun entretien qursquoils ont besoin de donneacutees quepeut leur fournir un test raquo (p 534) Dans le cadre du bilan de compeacutetencespar exemple les techniques drsquoeacutevaluation sont utiliseacutees de faccedilon coopeacuterativeavec le beacuteneacuteficiaire (Blanchard 2007) les reacutesultats eacutetant la proprieacuteteacute dubeacuteneacuteficiaire La situation drsquoeacutevaluation dans laquelle se trouve le beacuteneacuteficiaireest une situation de reacuteflexion sur soi laquo drsquoauto-emprise analytique raquo (Lemoine2004) assisteacutee par le conseiller Un effort tout particulier est fait par leconseiller dans la preacutesentation des eacutepreuves dans la preacutesentation des reacutesultats(Blanchard Sontag et Leskow 1999) et dans lrsquoaide agrave leur appropriation(Taiumleb 2005) ou agrave leur exploitation (Gelpe et Desbuquois 2008) par lebeacuteneacuteficiaire
La passation drsquoun questionnaire de motivation permet drsquoengager unereacuteflexion sur lrsquoattitude drsquoune personne agrave lrsquoeacutegard drsquoune situation actuelle oudrsquoun projet En effet cette eacutevaluation nrsquoa pas pour objectif de valider ou derejeter un projet mais plutocirct de permettre au consultant de mieux comprendreses choix et attitudes Un tel travail de reacuteflexion conduit souvent les personnesagrave eacutevoquer des aspects drsquoelles-mecircmes qursquoelles nrsquoavaient pas auparavant exprimeacutescomme lrsquoillustre le cas de Veacuteronique (Aubret Blanchard et Volvey 1998p 65)
Veacuteronique terminale S redoublante pour raisons de santeacute ne srsquoest paspreacutesenteacutee au bac lrsquoanneacutee passeacutee Elle a des inteacuterecircts litteacuteraires et artistiquesdominants mais soutient que les sciences offrent plus de seacutecuriteacute Par ailleurspoursuivre en sciences constitue pour elle une faccedilon de justifier sa diffeacuterenceavec sa sœur jumelle (laquelle qui reacuteussissait moins bien que Veacuteronique ensciences lorsqursquoelles eacutetaient ensemble en seconde a depuis inteacutegreacute une faculteacutede lettres)
Les scores qursquoelle obtient au QMF (Besoin de reacuteussite laquo moyen raquo Controcircleinterne laquo fort raquo Perspective temporelle laquo faible raquo Motivation totale agrave lareacuteussite laquo moyen raquo) suggegraverent une relative application agrave la tacircche (on pourraitdire sans problegraveme) une forte maturiteacute indiqueacutee par le controcircle interne (Veacuteroni-que se sent largement responsable de ses actions et leurs reacutesultats) et une diffi-culteacute agrave se projeter dans lrsquoavenir Lrsquoanalyse de ces reacutesultats amegravene Veacuteronique agraveintroduire dans lrsquoeacutechange un nouvel aspect de sa vie lieacute agrave la situation mateacuterielledifficile de sa famille elle travaille tous les week-ends comme ses sœurs pourameacuteliorer les finances familiales Il apparaicirct alors que le choix de Veacuteroniquesignifieacute initialement en termes de seacutecuriteacute et drsquoaffirmation personnelle relegravevedrsquoun systegraveme de motivations plus large qui englobe la prise en compte de sa
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situation sociale et familiale dont elle nrsquoa parleacute facilement qursquoapregraves le com-mentaire sur la perspective temporelle Prendre conscience de cela permet agraveVeacuteronique de mieux assumer son choix et par lagrave de le renforcer
3 LrsquoAPPORT DE LA THEacuteORIE SOCIALE COGNITIVE Agrave LA COMPREacuteHENSION ET AU SOUTIEN DES CONDUITES MOTIVEacuteES
La motivation peut aussi ecirctre consideacutereacutee sous ses aspects processuels comment la personne renforce ou modifie-t-elle sa motivation dans le cadrede ses conduites de reacutealisation de projets La mise au premier plan de lapersonne comme laquo agent raquo de son orientation cherchant agrave avoir prise sur sonenvironnement amegravene agrave srsquointeacuteresser aux repreacutesentations de soi et de lrsquoenviron-nement et aux modaliteacutes de leur eacutevolution La theacuteorie sociale cognitive deBandura invite les professionnels du conseil en orientation professionnelle agraveconsideacuterer les motivations des personnes comme un systegraveme organisateur etreacutegulateur (qui renvoie agrave une conception du soi ne se limitant pas agrave unecollection de caracteacuteristiques) qursquoil srsquoagit non seulement de comprendre maisaussi de faire eacutevoluer
31 Du soi au sentiment drsquoefficaciteacute personnelle
Reuchlin (1991 p 128) souligne qursquolaquo il est en fait tregraves difficile de distinguerdes cateacutegories de variables qui opeacuterationnaliseraient valeurs motivations inteacute-recircts attitudes raquo Il suggegravere que laquo des concepts theacuteoriques plus larges incluantces diffeacuterents types de variables comme celui drsquoimage de soi sont peut-ecirctremieux adapteacutes agrave lrsquoeacutetat de la question raquo La psychologie du soi a donneacute lieu agraveune multipliciteacute de points de vue et de theacuteories (Oubrayrie-Roussel et Roussel2001) Toutefois en deacutepit des problegravemes de meacutethode qursquoelle pose lrsquoexplorationdu concept de soi preacutesente selon Reuchlin (1990 p 110) deux inteacuterecirctsmajeurs laquo Elle met en eacutevidence lrsquointrication neacutecessaire des facteurs cognitifset conatifs elle illustre la neacutecessiteacute de prendre en compte des uniteacutes drsquoanalyserelativement larges les repreacutesentations de soi [hellip] constituant les scheacutemasdirecteurs de la conduite raquo
Selon Gecas (1991 p 174) laquo du fait que lrsquoindividu a un soi il est motiveacutepour le maintenir et pour le rehausser (estime de soi) pour le concevoircomme efficace et important (sentiments drsquoefficaciteacute personnelle) et pourlrsquoexpeacuterimenter comme reacuteel et ayant du sens (sentiments drsquoauthenticiteacute) [hellip]Deacutefendre lrsquoideacutee que lrsquoestime de soi lrsquoauto-efficaciteacute et lrsquoauthenticiteacute sont des
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composantes motivationnelles du soi implique qursquoil y a des eacutetats positifs etneacutegatifs associeacutes agrave chacune de ces motivations raquo Selon Gecas la perceptiondrsquoinefficaciteacute est veacutecue comme absence de pouvoir absence drsquoaide infeacuterioriteacutevoire deacutesespoir elle geacutenegravere un sentiment de reacutesignation ou drsquoimpuissance(Lieury et Fenouillet 1996)
Baumeister (1998) deacutegage trois motivations relatives agrave la connaissance desoi a) le deacutesir drsquoapprendre des choses sur soi (les personnes cherchent agraveeacutevaluer leurs capaciteacutes leurs opinions et leurs traits) b) le deacutesir de recueillirune information permettant une mise en valeur de soi c) le deacutesir de confirmerles croyances acquises sur soi (motif de coheacuterence de stabiliteacute) Toute personnedeacutesire donc agrave la fois se connaicirctre et proteacuteger certaines images de soi
32 La theacuteorie de Bandura appliqueacutee agrave lrsquoorientation scolaire et professionnelle
Bandura (2003) souligne lrsquoimportance des croyances relatives agrave lrsquoefficaciteacutepersonnelle dans les conduites de projet Lorsque les personnes ont inteacutegreacutediffeacuterentes informations agrave partir de leur expeacuterience passeacutee leurs jugementsdrsquoefficaciteacute affectent en retour leurs comportements de faccedilon directe agravetravers la mise en jeu et la persistance de lrsquoeffort et de faccedilon indirecte par lechoix des activiteacutes et du but agrave atteindre Lorsque le but lui paraicirct secondaireou que sa conduite lui semble inapproprieacutee pour la reacutealisation de lrsquoobjectifdeacutesireacute lrsquoindividu exerce peu drsquoefforts Plus il a la conviction qursquoil peut adopteravec succegraves le comportement requis plus il srsquoassigne des buts eacuteleveacutes et main-tient son engagement dans lrsquoactiviteacute Parfois le but est reacuteellement attractifmais lrsquoespoir de voir ses capaciteacutes srsquoameacuteliorer semble si mince qursquoil lui paraicirctsuperflu de srsquoimpliquer dans des activiteacutes cognitives ou sociales Agrave lrsquoinverseun obstacle peut amener une personne agrave travailler plus durement et agrave persisterlorsqursquoelle possegravede une grande confiance en son efficaciteacute personnelle Bandura(2003) deacutecrit le rocircle des expeacuteriences individuelles de reacuteussite et des situationsdrsquoapprentissage par observation dans le deacuteveloppement des sentiments drsquoeffi-caciteacute Il met lrsquoaccent sur les liens existant entre les sentiments drsquoefficaciteacuteles inteacuterecircts et la motivation (buts engagement et persistance)
La theacuteorie sociale cognitive appliqueacutee au domaine de lrsquoorientation scolaireet professionnelle (Lent 2008) se preacutesente comme un systegraveme inteacutegrateur desperceptions de soi et de lrsquoenvironnement des inteacuterecircts et des buts Lent souli-gne notamment lrsquoimportance des sentiments drsquoefficaciteacute personnelle desattentes de reacutesultats et des obstacles perccedilus eacuteleacutements sur lesquels le travailde conseil peut se focaliser comme nous allons le voir La theacuteorie socialecognitive a susciteacute des interventions individuelles et collectives dans le champdu conseil en orientation En voici quelques exemples
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321 Le travail sur la repreacutesentation des compeacutetences renforce le sentiment drsquoefficaciteacute
Du fait que le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle (SEP) se deacuteveloppe au coursdes expeacuteriences personnelles de reacuteussite le travail de recensement et drsquoanalysedes activiteacutes reacuteussies par le consultant mdash travail conduit par exemple au coursde lrsquoactiviteacute de bilan de compeacutetences ou de validation des acquis de lrsquoexpeacute-rience mdash contribue agrave clarifier ses compeacutetences et agrave renforcer son sentimentdrsquoefficaciteacute relatif aux activiteacutes concerneacutees consideacutereacutees dans leur contexteCe renforcement du sentiment drsquoefficaciteacute est susceptible de dynamiser lesconduites de projet du beacuteneacuteficiaire
Laplante Motel Dalmard et Gauthier (2001) dans une enquecircte sur uneacutechantillon repreacutesentatif de cinq mille huit cents cadres demandeurs drsquoemploiayant reacutealiseacute un bilan de compeacutetences montrent que le bilan a permis auxbeacuteneacuteficiaires drsquoameacuteliorer la perception de leurs compeacutetences (94 ) de mieuxconnaicirctre leur personnaliteacute (84 ) drsquoacqueacuterir une plus grande confiance ensoi (84 ) de valider des pistes professionnelles (78 ) drsquoameacuteliorer lrsquoeffica-citeacute de leur recherche drsquoemploi (73 ) et enfin de reacutefleacutechir agrave leurs besoinsen formation (64 ) Les effets perccedilus de la deacutemarche de bilan de compeacutetencesconcernent agrave la fois des aspects personnels (meilleure connaissance de sescompeacutetences de sa personnaliteacute et acquisition drsquoune plus grande confianceen soi) et des aspects plus techniques (validation de pistes professionnellesameacutelioration de lrsquoefficaciteacute de la recherche drsquoemploi et reacuteflexion sur sesbesoins en formation)
322 Le conseiller cherche agrave eacutelargir lrsquoeacuteventail des options envisageables par le consultant
Au cours drsquoentretiens de conseil en orientation Lent (2008) utilise des tech-niques drsquoentretien pour travailler drsquoune part sur les repreacutesentations desconsultants en matiegravere de SEP afin drsquoeacutelargir lrsquoeacuteventail des options entrelesquelles ils peuvent raisonnablement choisir et drsquoautre part sur la repreacute-sentation des obstacles qursquoils pensent rencontrer au cours de la reacutealisation deleur projet
Lrsquoentretien de cartes meacutetiers
Le conseiller propose au consultant de trier une centaine de professions(inscrites sur un carton) en trois tas a) je pourrais choisir cette profession b)je ne choisirais pas cette profession et c) je ne sais pas Il demande ensuite auconsultant de prendre les meacutetiers du tas a et de les classer en sous-groupesselon la consigne laquo Classez ensemble les meacutetiers que vous choisiriez pour lamecircme raison raquo Le conseiller aide ensuite le consultant agrave expliciter les raisons
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de ses regroupements Cette technique permet au consultant de clarifier sesinteacuterecircts ses valeurs ses motivations et ses repreacutesentations professionnelles(Blanchard Volvey Homps et Prieur 1995)
Lent enrichit cette technique en srsquointeacuteressant aussi aux professions classeacuteesdans les cateacutegories b et c Le consultant classe ces professions dans des cateacute-gories speacutecifiques refleacutetant
ndash les croyances drsquoefficaciteacute (laquo je pourrais choisir cette profession si je pensaisavoir les capaciteacutes pour lrsquoexercer raquo)
ndash les attentes de reacutesultats (laquo je pourrais la choisir si je pensais qursquoelle pourraitmrsquoapporter des choses que je valorise raquo)
ndash le manque complet drsquointeacuterecirct (laquo je ne la choisirais en aucun cas raquo) ou touteautre cateacutegorie
Les professions classeacutees dans les cateacutegories laquo croyances drsquoefficaciteacute raquo etlaquo attentes de reacutesultats raquo sont ensuite exploreacutees du point de vue du reacutealismedes capaciteacutes et des perceptions de reacutesultats On peut ensuite srsquoengager dansune deacutemarche plus approfondie de recherche drsquoinformations tendant agrave eacutelargirlrsquoeacuteventail des options possibles retenues par le consultant
323 Le conseiller aide au repeacuterage des motivations dominantes et des obstacles eacuteventuels
Lorsque la recherche drsquoinformations sur soi sur les formations et les profes-sions est consideacutereacutee comme suffisante et que le deacutecideur heacutesite entre deux outrois options professionnelles le conseiller peut lui proposer une techniquedrsquoentretien de feuille de bilan-inventaire (Baudouin Blanchard et Soncarrieu2004) qui consiste agrave comparer de faccedilon systeacutematique les avantages et lesinconveacutenients lieacutes agrave chacune des options
Lrsquoentretien de feuille de bilan inventaire
Cette technique aide le consultant agrave expliciter ses inteacuterecircts ses valeurs et sesmotivations Wheeler et Janis (1980) preacutesentent le cas drsquoun eacutetudiant qui heacutesiteentre deux opportuniteacutes drsquoemploi agrave la sortie de son universiteacute et montrentque le travail drsquoanalyse des avantages et des inconveacutenients de chaque emploilrsquoamegravene agrave prendre conscience drsquoune motivation qui ne lui eacutetait pas claireauparavant il valorise finalement lrsquoemploi qui lui offrira les perspectives depromotion les plus inteacuteressantes Lent (2008) utilise cette mecircme techniqueavec une jeune femme qui envisage de reprendre des eacutetudes universitairestechnique qui conduit agrave identifier un obstacle important au projet de reprisedrsquoeacutetude et agrave travailler par la suite sur les moyens de surmonter cet obstacle
Des interventions collectives drsquoorientation scolaire et professionnelle sedonnent pour objectif de renforcer les sentiments drsquoefficaciteacute de lyceacuteens ou
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drsquoeacutetudiants Nota Soresi et Ferrari (2008) ont proposeacute un programme de forma-tion comprenant une seacuterie drsquoexercices agrave des colleacutegiens dans le but de deacutevelopperleurs SEP Vouillot Blanchard Marro et Steinbruckner (2004) preacutesentent notam-ment des eacutetudes sur les effets de programmes destineacutes agrave deacutevelopper les SEP delyceacuteennes et drsquoeacutetudiantes agrave lrsquoeacutegard des eacutetudes scientifiques et techniques
En reacutesumeacute la theacuteorie sociale cognitive appliqueacutee agrave lrsquoorientation scolaire etprofessionnelle a susciteacute des interventions individuelles et collectives qui sefocalisent sur la prise de conscience et le remaniement eacuteventuel des SEPactuels et sur une reacuteflexion relative aux attentes de reacutesultats et aux obstaclesperccedilus dans la reacutealisation des projets Cette theacuteorie se deacutemarque par lagrave drsquouneconception de la personnaliteacute fondeacutee sur des traits stables qui cherchecouramment agrave eacutetablir une congruence entre un profil drsquointeacuterecircts et des choixscolaires ou professionnels Si elle ouvre des perspectives drsquointervention surles reacutegulations possibles des trajectoires scolaires et professionnelles encorefaut-il souligner que cela peut neacutecessiter des interventions mdash par exemplecelles qui visent agrave modifier les SEP drsquoun consultant mdash se deacuteroulant sur unemoyenne ou une longue dureacutee
4 LES REacuteGULATIONS INTERNES ET EXTERNES DES CONDUITES
La theacuteorie sociale cognitive de lrsquoorientation scolaire et professionnelle (Lent2008) met lrsquoaccent sur les effets de trois variables dans le deacuteveloppementprofessionnel les sentiments drsquoefficaciteacute les attentes de reacutesultats (ie antici-pation des reacutesultats probables qursquoune action permet drsquoobtenir) et les butsqursquoon cherche agrave atteindre par une action Les attentes de reacutesultats bienqursquoelles aient eacuteteacute moins eacutetudieacutees sont centrales car elles confegraverent via lesbuts une signification aux actions dont elles constituent la raison drsquoecirctre ou lemotif Parce qursquoelles portent sur les effets immeacutediats des actions elles four-nissent des repegraveres essentiels pour comprendre comment un sujet aborde unesituation et pour envisager avec lui un eacuteventuel enrichissement ou change-ment de la configuration de ses buts De fait si le repeacuterage des attentes pluscirconstancielles des personnes peut renforcer leur motivation agrave reacutealiser unprojet agrave plus long terme il peut aussi compenser lrsquoabsence de reacuteel projet
Nous preacutesentons le modegravele des motivations de Deci et Ryan (1991) quifournit des repegraveres utiles pour investiguer la structure des attentes et des butsassocieacutes aux actions entreprises ou envisageacutees
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41 Lrsquoinventaire des sources de motivation variant par leur degreacute drsquoautodeacutetermination
Deci et Ryan (1991) et Pelletier et Vallerand (1993) deacutefinissent les motivationscomme des sources perccedilues de reacutegulation des conduites La motivation nedeacutepend pas du seul sujet ni des seules conditions situationnelles mais reacutesulte deleur interaction Ces sources de reacutegulation sont distribueacutees sur un continuumselon qursquoelles sont fortement autodeacutetermineacutees agrave fort controcircle externe ouinexistantes dans ce dernier cas les conduites sont amotiveacutees crsquoest-agrave-diredeacutenueacutees drsquointentionnaliteacute Nous preacutesentons dans le deacutetail ce modegravele desmotivations que le conseiller peut utiliser comme grille drsquoanalyse dans sapratique
411 Les sources de motivation autodeacutetermineacutees
On en distingue trois
ndash la motivation intrinsegraveque est deacutefinie par le plaisir lrsquointeacuterecirct ou le bien-ecirctreeacuteprouveacutes au cours de lrsquoexercice drsquoune activiteacute Elle est tregraves fortement correacuteleacuteeavec le sentiment drsquoautodeacutetermination Elle se traduit par un sentiment dereacutealisation de soi (par exemple se deacutepasser dans une activiteacute difficile) dedeacuteveloppement des connaissances ou de stimulation eacutemotionnelle (intel-lectuelle estheacutetiquehellip) Sur le continuum drsquoautodeacutetermination se distribuent ensuite les sourcesextrinsegraveques de motivation lieacutees aux buts ou aux reacutesultats viseacutes par lrsquoactiviteacute
ndash la reacutegulation inteacutegreacutee correspond agrave la cognition selon laquelle lrsquoactiviteacutesrsquointegravegre au concept de soi le reacutesultat viseacute eacutetant la satisfaction drsquoexercerune activiteacute participant de la deacutefinition de soi (par exemple eacutetudier leslettres pour un individu se deacutefinissant comme passionneacute de litteacuteratureapprendre un meacutetier dont lrsquoexercice est perccedilu comme une composante desa personnaliteacute) Comme la motivation intrinsegraveque cette source de reacutegula-tion extrinsegraveque se deacutefinit par un laquo engagement total du soi raquo la premiegravererenvoyant agrave des comportements spontaneacutes suscitant en tant que tels uninteacuterecirct la seconde agrave des comportements laquo mis en œuvre librement parceqursquoils constituent un moyen drsquoobtenir un reacutesultat estimeacute signifiant etimportant par la personne raquo (Deci Ryan et Williams 1996 p 169 traductionpersonnelle)
ndash la reacutegulation identifieacutee moins autodeacutetermineacutee que les preacuteceacutedentes srsquoassocieagrave une activiteacute choisie dont le sujet identifie les reacutesultats agrave la reacutealisationdrsquoobjectifs de vie ou de valeurs sans que ceux-ci constituent des compo-santes structurant de faccedilon centrale le concept de soi1 (par exemple exercer
1 Les reacutegulations inteacutegreacutees et identifieacutees sont souvent confondues dans les questionnaires
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un emploi reacutepondant agrave des critegraveres choisis de compeacutetence de climat oudrsquoeacutequilibre de vie choisir une filiegravere drsquoeacutetude reacutepondant agrave une aspirationdrsquoapplication pratique ou de deacuteboucheacute professionnel rapide)
Le sentiment drsquoautodeacutetermination geacutenegravere un sentiment de compeacutetenceassimilable au SEP Il est positivement correacuteleacute avec lrsquointeacuterecirct pour lrsquoactiviteacutela satisfaction la concentration dans la tacircche la creacuteativiteacute la performance etla reacuteussite le niveau drsquoeacutetudes lrsquoestime de soi la persistance et neacutegativementavec lrsquoanxieacuteteacute (Deci et Ryan 1987 Vallerand 1997)
412 Les sources de motivation faiblement autodeacutetermineacutees
La reacutegulation introjecteacutee est preacutesente dans une activiteacute effectueacutee pour seconformer agrave des normes sociales inteacuterioriseacutees faites siennes le reacutesultat viseacuteeacutetant la preacuteservation drsquoune bonne image de soi Gelpe (2007) distingue deuxtypes de reacutegulation introjecteacutee perccedilue en formation lrsquoune centreacutee sur la tacircche(par exemple srsquoimpliquer dans une formation pour se prouver qursquoon estcapable drsquoy reacuteussir) lrsquoautre sur le systegraveme de vie (par exemple suivre uneformation pour ne pas rester sans rien faire)
La reacutegulation externe la moins autodeacutetermineacutee est lieacutee agrave une activiteacute surlaquelle srsquoexerce un fort controcircle exteacuterieur Elle implique cependant uneintentionnaliteacute minimale du sujet correspondant agrave la recherche (ou lrsquoeacutevitement)de renforcements positifs (ou neacutegatifs) Gelpe (2007) distingue trois types dereacutegulation externe perccedilue en formation les incitations au travail (laquo danscette formation on est vraiment pousseacute agrave travailler raquo) le climat (laquo le plaisirque je prends agrave discuter avec les autres stagiaires me soutient beaucoup raquo) etles soutiens socio-familiaux (laquo si je reacuteussis agrave surmonter les difficulteacutes du stagecrsquoest gracircce agrave mes proches qui me soutiennent pour aller jusqursquoau bout raquo)
413 Lrsquoamotivation
Deacutefinie par lrsquoincapaciteacute agrave identifier les buts ou agrave preacutevoir les reacutesultats drsquouneactiviteacute (perception de perte de repegraveres sur soi et lrsquoenvironnement) elleengendre une difficulteacute agrave orienter ses conduites et agrave srsquoy impliquer Elle peutporter sur des caracteacuteristiques intrinsegraveques agrave lrsquoactiviteacute (laquo bien souvent je necomprends pas ce qursquoon me demande de faire raquo laquo quand je deacutebute un exerciceje suis presque certain(e) que je vais eacutechouer raquo) ou sur des caracteacuteristiquesextrinsegraveques (laquo parfois je me demande si ma formation va changer quelquechose dans ma vie professionnelle raquo) Legault Green-Demers et Pelletier(2006) distinguent quatre dimensions drsquoamotivation scolaire relatives auxcapaciteacutes aux dispositions agrave lrsquoeffort agrave lrsquointeacuterecirct pour lrsquoactiviteacute et agrave la valeurde celle-ci et montrent les effets des unes ou des autres sur la performancela difficulteacute agrave srsquoimpliquer lrsquoestime de soi ou lrsquointention drsquoabandonner
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Le modegravele de Deci et Ryan a eacuteteacute opeacuterationnaliseacute par des questionnairesportant sur les eacutetudes (Vallerand Blais Briegravere et Pelletier 1989 Blanchardet al 1997) le travail (Blais Briegravere Lachance Riddle et Vallerand 1993)la formation professionnelle (Gelpe 2001 2007) ou lrsquoeacutelaboration drsquoun choixde carriegravere (Guay 2005) Dans la pratique il permet de faire le point avec lespersonnes sur leur faccedilon de vivre une situation actuelle ou drsquoenvisager unesituation future (par exemple un emploi occupeacute et un nouvel emploi rechercheacutecf infra le cas de Myriam) Lrsquoobjectif nrsquoest pas de se focaliser sur la force oula faiblesse des motivations autodeacutetermineacutees mais de prendre en comptetoutes les sources de reacutegulation afin de comprendre et de faire eacutevoluer lesattitudes des personnes relatives agrave leurs insertions scolaires ou professionnellesactuelles et agrave venir (Gelpe 1999)
42 La valorisation de la motivation intrinsegraveque et lrsquooubli des reacutegulations externes
421 Motivation intrinsegraveque et motivations extrinsegraveques autodeacutetermineacutees
Lrsquoadaptation agrave certaines activiteacutes requiert plutocirct que de lrsquointeacuterecirct ou du plaisirle sentiment qursquoelle est importante et consistante avec ses valeurs et ses buts(Losier et Koestner 1999) Ainsi la motivation intrinsegraveque contrairement agrave uneideacutee assez reacutepandue peut ecirctre moins laquo efficace raquo que les reacutegulations inteacutegreacuteesou identifieacutees Losier et Koestner (ibid) rapportent une eacutetude non publieacuteemontrant que la reacutegulation identifieacutee et non la motivation intrinsegraveque entraicircneune diminution future de lrsquoanxieacuteteacute perccedilue par des eacutetudiants lors de leurpassage agrave un niveau supeacuterieur ou de leur entreacutee dans la vie active
422 Motivations autodeacutetermineacutees et reacutegulations externes
De faccedilon geacuteneacuterale les motivations autodeacutetermineacutees associeacutees agrave des projetsscolaires ou professionnels ont une forte valeur sociale qui influence par unpheacutenomegravene de deacutesirabiliteacute sociale les discours tenus par les consultants ilsjugent socialement utile de dire qursquoils ont un projet personnel et un inteacuterecirctintrinsegraveque pour lrsquoactiviteacute envisageacutee pour justifier leur demande et symeacutetri-quement de taire les motifs moins laquo nobles raquo deacuteterminant les buts qursquoilspoursuivent
Il arrive que des personnes abandonnent une formation qualifiante agrave son deacutebutalors qursquoelles avaient auparavant exprimeacute leur souhait de se former dans lemeacutetier choisi Les psychologues qui nous rapportent ces cas expriment souventleur crainte de ne pas avoir assez renforceacute les motivations laquo internes raquo des consul-tants Il est aussi possible que ce dont ont besoin certains consultants crsquoest dese sentir autoriseacutes agrave exprimer leur inteacuterecirct modeacutereacute pour le meacutetier (ou pour laformation proprement dite) et drsquoecirctre aideacutes agrave se repreacutesenter la formation selon
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des buts moins autodeacutetermineacutes par exemple en termes drsquoutiliteacutes perccedilues Ainsiseraient-ils mieux preacutepareacutes (car moins surpris) agrave se confronter aux difficulteacutesinheacuterentes agrave lrsquoapprentissage du meacutetier ou agrave lrsquoennui provoqueacute par certainscontenus jugeacutes peu inteacuteressants
De fait la deacutecision de faire une formation qualifiante ne srsquoeacutetaye pas toujourssur la seule motivation agrave apprendre ou agrave exercer le meacutetier preacutepareacute mais surles incitations externes agrave se former ou lrsquoobligation perccedilue de se former pourrecouvrer un emploi (Gelpe 2004) De mecircme le maintien dans le temps desconduites de recherche drsquoemploi ne relegraveve pas seulement de la motivation agraveexercer lrsquoemploi rechercheacute mais des attentes de reacutesultats immeacutediats pour lavie personnelle Bagozzi Bergami et Leone (2003) soulignent ainsi que lapreacutediction ou lrsquoexplication drsquoactions particuliegraveres requiegraverent de prendre encompte les motifs contextuels speacutecifiques plutocirct que les buts ou besoinsgeacuteneacuteraux Ainsi le thegraveme de la motivation dans le conseil en orientation nedoit pas ecirctre circonscrit aux motivations agrave exercer tel ou tel meacutetier maisinclut les motivations lieacutees agrave la reacutesolution de problegravemes ou agrave lrsquoinsertion danstelles situations scolaires ou professionnelles contraintes
Ainsi si les situations-problegraveme scolaires ou professionnelles obligentsouvent agrave des choix contraints limitant le rocircle joueacute par les motivations lesplus autodeacutetermineacutees cela ne signifie pas que les conduites concerneacutees sontexemptes de motivation Elles sont a minima motiveacutees en eacutetant reacuteguleacutees pardes facteurs externes lesquels impliquent une certaine intentionnaliteacute du sujetEn outre les reacutegulations autodeacutetermineacutees et externes ne srsquoopposent pasneacutecessairement Par exemple Otis Grouzet et Pelletier (2005) montrent quelrsquoeacutecole joue un rocircle instrumental (reacutegulations externe ou introjecteacutee) quisoutient la recherche de reacutealisation de buts personnels (reacutegulation identifieacutee)Pour Lepper Henderlong-Corpus et Iyengar (2005) laquo rechercher seulementun plaisir immeacutediat sans accorder une attention aux contingences et contraintesexternes pourrait substantiellement diminuer les futurs reacutesultats et opportuniteacutesdes eacutelegraveves raquo (ibid p 191 traduction personnelle)
Le rocircle des reacutegulations externes rejoint lrsquoanalyse de Bandura (1999) relativeaux effets de lrsquoenvironnement sur le deacuteclenchement et la maintenance desconduites en dehors drsquoune intentionnaliteacute forte du sujet Pour le praticiencela veut dire qursquoil doit aider le consultant agrave repeacuterer ces reacutegulations externesqui constituent parfois le seul mobile initial de deacuteclenchement drsquoune actionet dont la prise de conscience diminue le sentiment drsquoamotivation Ces reacutegu-lations ne se limitent pas agrave lrsquoeacutevitement de sanctions (eacutechec au diplocircme pertedrsquoindemniteacutes de chocircmagehellip)1 ou agrave lrsquoobtention drsquoavantages mateacuteriels (un
1 Pour le psychologue lrsquoeacutevitement de sanctions ne se traite pas sur le registre moral mais commeune donneacutee de lrsquoenvironnement du sujet agrave laquelle le psychologue en toute neutraliteacute invite soninterlocuteur agrave reacutefleacutechir
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salaire) elles renvoient agrave toutes les formes de structuration externe (scolairepeacutedagogique professionnelle familiale socialehellip) qui agrave un premier niveaupermettent au sujet laquo deacutesorienteacute raquo peu confiant dans sa capaciteacute agrave deacutecider ouagrave agir de faccedilon autonome de prendre conscience qursquoil nrsquoest (ou ne sera) passeul pour aborder la situation consideacutereacutee
43 Lrsquoaide agrave lrsquointernalisation des reacutegulations externes
Deci et Ryan (1991) considegraverent que les individus tendent agrave chercher lesconditions sociales et psychologiques leur permettant de guider leurs condui-tes ils tendent par internalisation des reacutegulations externes et inteacutegration ausoi des reacutesultats positifs obtenus agrave autonomiser leurs conduites crsquoest-agrave-direagrave les associer agrave des buts des valeurs et des inteacuterecircts personnels Ce processusdrsquointernalisation deacutepend de lrsquoinformation contextuelle que reccediloit le sujet enamont et au cours de lrsquoaction Pour Middleton et Toluk (1999) lorsque le sujetperccediloit une activiteacute comme non stimulante ou trop controcircleacutee il recourt agrave unsystegraveme drsquointerpreacutetation de lrsquoactiviteacute en termes de gains et de coucircts si les gainssont jugeacutes supeacuterieurs le sujet peut srsquoengager dans lrsquoactiviteacute cet engagementen retour peut favoriser un changement drsquoattitudes agrave lrsquoeacutegard de lrsquoactiviteacute etpermettre lrsquoeacutemergence de valeurs intrinsegraveques accordeacutees agrave lrsquoactiviteacute
Le rocircle du conseiller est ainsi crucial pour aider le consultant agrave identifier ettraiter les informations contextuelles susceptibles de favoriser un processusdrsquointernalisation Cela passe par un pointage des eacuteleacutements de la situation(veacutecue ou envisageacutee) que le sujet privileacutegie et de ceux qursquoil neacuteglige et parune mise en relation de ces perceptions avec lrsquoimage de soi Il srsquoagit pour leconsultant drsquoentrevoir en quoi les actions engageacutees sous lrsquoeffet de deacutetermi-nants externes peuvent produire des reacutesultats preacutesentant un inteacuterecirct personnelPar exemple les soutiens sociaux envisageacutes comme deacuteterminant externe(laquo ma famille mrsquoa pousseacute agravehellip raquo) peuvent se transformer en objectif auto-deacutetermineacute (partager avec sa famille les difficulteacutes veacutecues ou rehausserlrsquoestime de soi du fait de lrsquointeacuterecirct exprimeacute par sa famille pour lrsquoaction qursquoonentreprend) Ce processus drsquointernalisation deacutepasse les limites des presta-tions courtes de conseil lesquelles ont pour fonction drsquoinitier une dynamiquequi amegravene les personnes agrave aborder leurs insertions scolaires ou profession-nelles contraintes dans des dispositions plus ouvertes sur un controcircle internede lrsquoactiviteacute Dans des prestations plus longues comme les bilans de compeacute-tences ou lrsquoaccompagnement drsquoune transition entre un emploi perdu et unnouvel emploi un travail psychologique est possible visant une appropriationprogressive de certains compromis degraves lors qursquoils integravegrent des objectifs etdes choix plus personnels
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44 La construction dynamique drsquoune probleacutematique et de sa reacutesolution
Les dimensions issues drsquoune approche sociocognitive sont modifiables par uneactiviteacute drsquoautoreacuteflexion qui laquo apparie ses propres penseacutees et quelques indica-teurs de reacutealiteacute raquo (Bandura 1999 p 180 traduction personnelle) Cette auto-reacuteflexion srsquoexerce dans lrsquoactiviteacute en fonction des reacutesultats obtenus et desfeed-back reccedilus (laquo controcircle reacuteactif raquo) aussi bien qursquoen amont drsquoun choixdrsquoactiviteacute (laquo controcircle proactif raquo)
Dans cette perspective les questionnaires drsquoeacutevaluation de dimensions dela motivation doivent ecirctre envisageacutes comme producteurs de cleacutes drsquoanalyse(ou drsquoanticipation) du fonctionnement du sujet dans sa situation actuelle (oufuture) Ce travail drsquoanalyse en modifiant les repreacutesentations que le sujet ade lui-mecircme comme sujet interagissant avec les situations modifie en retourla configuration de ses sources de motivation Crsquoest ainsi que dans une inter-action dynamique drsquoeacutevaluation et de construction partageacutees le professionnelet le consultant procegravedent agrave une eacutelucidation drsquoune situation-problegraveme scolaireetou professionnelle et envisagent les modaliteacutes de son deacutepassement (Gelpe etDesbuquois 2008) Voici une illustration succincte drsquoune telle deacutemarche avecle cas de Myriam
Myriam 35 ans geacuterante drsquoun magasin de chaussures depuis plusieurs anneacuteesfait un bilan de compeacutetences en vue drsquoune reconversion Elle nrsquoa pas drsquoideacutee dereacuteorientation car elle nrsquoa travailleacute que dans la vente et nrsquoa pas de diplocircme
La deacutemarche de conseil consiste tout drsquoabord agrave aider Myriam agrave expliciter larepreacutesentation qursquoelle se fait de sa situation-problegraveme Il apparaicirct que lamaison megravere dont deacutepend le magasin a proceacutedeacute reacutecemment agrave des licenciementseacuteconomiques de salarieacutes de ce magasin creacuteant un climat deacuteleacutetegravere qui metMyriam dans une grande anxieacuteteacute Crsquoest dans ce contexte qursquoelle remet en causeson inteacuterecirct pour le secteur de la vente
La psychologue propose agrave Myriam de remplir lrsquoInventaire des motivations autravail de Blais lequel fait apparaicirctre un score important de motivation intrin-segraveque et un score notable drsquoamotivation La mise en correspondance de cesindications paradoxales avec des aspects preacutecis de son activiteacute amegravene Myriamagrave prendre conscience qursquoelle se reacutealise encore dans les activiteacutes dont la conduitene deacutepend pas de la maison megravere gestion quotidienne financiegravere et organisa-tionnelle animation de son eacutequipe Une investigation des valeurs de travail deMyriam lui permet de confirmer et drsquoexpliciter ce type drsquointeacuterecircts Par contreMyriam a perdu la maicirctrise (amotivation) de la strateacutegie eacuteconomique du maga-sin Eacutetant sans diplocircme (elle a commenceacute agrave travailler agrave 17 ans) elle se retrouveavec un faible sentiment drsquoefficaciteacute personnelle agrave lrsquoeacutegard tant de la gestionde la crise actuelle de son magasin que de lrsquoeacutelaboration drsquoune nouvelle orien-tation Ayant ducirc travailler sans grande latitude de choix Myriam agrave 35 ans nesait plus ce que finalement elle attend du travail alors mecircme que celui-ci a prisde fait une place centrale dans son systegraveme de vie
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Les reacuteflexions conduites avec Myriam complexifient la probleacutematique initialecentreacutee sur un changement de meacutetier Le travail de conseil srsquooriente alors sur uneanalyse du contexte en vue de rehausser le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle deMyriam et sur une reacuteflexion relative agrave ses attentes agrave lrsquoeacutegard du travail de sonmeacutetier actuel et drsquoune reconversion Ce travail amegravene Myriam agrave la deacutecision deneacutegocier avec son entreprise ou de rechercher ailleurs des conditions de travaillui donnant une plus grande autonomie de gestion lrsquoideacutee drsquoune reacuteorientationest abandonneacutee
5 CONCLUSION ORIENTATION FACTEURS MOTIVATIONNELS ET CONSEIL
La prise en compte de la motivation dans les prestations de conseil en orien-tation scolaire ou professionnelle est une question deacutelicate drsquoautant que lamotivation est souvent conccedilue de faccedilon plutocirct globale et intuitive et elle donnelieu agrave des pratiques contrasteacutees Preacutesentons-en trois formes prototypiques
Une premiegravere conception qui se rattache agrave une conception laquo diagnostiquepronostique raquo du conseil se donne pour objectif de deacuteterminer un niveauglobal et unidimensionnel de motivation des personnes en vue de seacutelectionnercelles qui laquo sont motiveacutees raquo et drsquoengager aupregraves de celles qui laquo ne sont pasmotiveacutees raquo une intervention drsquoaide ou de remeacutediation
Une deuxiegraveme conception dite laquo centreacutee sur la personne raquo reacutecuse touteforme drsquoeacutevaluation de la motivation consideacutereacutee comme stigmatisante lanotion de motivation y est elle-mecircme plutocirct neacutegligeacutee au profit drsquoune focali-sation sur la personnaliteacute ou sur lrsquoanalyse de blocages psychologiques eacuteventuelsqui peuvent mecircme se situer hors du domaine professionnel
Enfin une troisiegraveme conception considegravere la motivation agrave travers le degreacute decongruence entre les compeacutetences et les capaciteacutes drsquoune part et la situationveacutecue ou envisageacutee drsquoautre part Dans ce cas lrsquoinvestigation de la motivationsous drsquoautres de ses formes est reacuteputeacutee peu utile degraves lors qursquoun travail appro-fondi drsquoidentification des compeacutetences et de repeacuterage des situations offertespar lrsquoenvironnement est entrepris
Tout au long de ce chapitre nous avons preacutesenteacute une quatriegraveme conceptionqui deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est possible mdash a) en passant drsquoune conception globalede la motivation agrave une conception analytique qui permet de la deacutecomposer enplusieurs sous-facteurs motivationnels speacutecifiques conccedilus comme eacutevolutifs b)en utilisant les techniques drsquoeacutevaluation dans une perspective coopeacuterative avecle consultant et c) en consideacuterant certaines caracteacuteristiques psychosocialesdu consultant (par exemple en travaillant avec lui sur les soutiens sur lesquelsil peut compter dans son environnement social et sur les obstacles qursquoil est
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susceptible de rencontrer) mdash de concevoir des prestations de conseil qui nevisent ni agrave cateacutegoriser les individus ni agrave les enfermer dans des caracteacuteristiquespersonnologiques immuables mais agrave creacuteer les conditions drsquoune eacutelaboration dechoix assumeacutes et drsquoune meilleure implication des personnes dans ces choixau sein drsquoenvironnements plus ou moins contraints
Dans le cadre du conseil en orientation le travail de reacuteflexion engageacute avecle consultant sur ses facteurs motivationnels vise agrave contribuer agrave deacutevelopperson agentiviteacute (au sens de puissance drsquoagir) et agrave le rendre proactif face agrave lareacutesolution de situations-problegravemes scolaires ou professionnelles speacutecifiquesLrsquoorientation et les facteurs motivationnels peuvent ecirctre communeacutement deacutefinisen termes de direction (choix butshellip) drsquointensiteacute (implication eacutenergieefforthellip) et de persistance (dureacutee) de conduites speacutecifiques conccedilues commese deacuteployant selon un processus dynamique (eacutevolutif et adaptatif) Le conseilen orientation a preacuteciseacutement pour fonction de stimuler et de renforcer ceprocessus agrave la fois dans le temps preacutesent (forceacutement limiteacute) du conseil etdans le temps futur du sujet interagissant avec son environnement scolaire ouprofessionnel Le fait mecircme que le consultant et le conseiller tiennent conseilagrave propos drsquoun problegraveme (veacutecu positivement ou neacutegativement) et deacutelibegraverentsur sa deacutelimitation puis sa reacutesolution (selon lrsquoacception de deacutecision relative agravedes actions agrave conduire et non de solution globale) srsquoaccorde avec la concep-tion drsquoun sujet actif agent de ses conduites qui construit sa reacuteflexion dans lecadre de lrsquointeraction sociale de la relation de conseil Le rocircle du conseillerne consiste pas agrave donner la solution au problegraveme mais agrave creacuteer cet espacedrsquoeacutechange de reacuteflexion et de soutien social permettant au consultant de prendreune deacutecision eacuteclaireacutee
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Chapitre 10
MOTIVATION ET TRAVAIL1
1 Par Salvatore Maugeri
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1 INTRODUCTION
La probleacutematique de la motivation au travail est une probleacutematique double-ment moderne Drsquoabord une telle question ne peut se poser dans une socieacuteteacutede castes drsquoordres ou de privilegraveges Dans ces socieacuteteacutes crsquoest la naissance quifixe le meacutetier ou la cateacutegorie de meacutetiers que le fils (et la fille selon les cas)est appeleacute agrave exercer Inutile alors de se preacuteoccuper de ce qui laquo motive raquo lesindividus Mais la monteacutee en force de lrsquoindustrie au cours du XIXe siegravecleintroduit un nouveau rapport au travail Au fur et agrave mesure que srsquoaffirme larationalisation des activiteacutes il faut srsquoassurer de lrsquoengagement des individusdans le travail (Michel 1991) En effet bien des tacircches confieacutees agrave la grandemajoriteacute des salarieacutes occupeacutes dans les usines perdent une part substantiellede leur inteacuterecirct du fait de lrsquoextrecircme parcellisation des activiteacutes Qualiteacute etquantiteacutes baissent Il faut trouver les cleacutes drsquoun laquo reacuteenchantement raquo du travail(Sievers 1990)hellip Crsquoest ainsi drsquoabord et avant tout agrave des fins de productiviteacuteet drsquoameacutelioration de la qualiteacute du travail que le management srsquoest inteacuteresseacute agravela motivation
2 LrsquoEacuteVOLUTION DES REPREacuteSENTATIONS ET DES PRATIQUES DE TRAVAIL
Durant toute lrsquoAntiquiteacute et une grande partie de lrsquoegravere chreacutetienne le travail estreacuteserveacute aux esclaves ou aux serfs parce qursquoil est consideacutereacute comme une acti-viteacute deacutegradante Il faut attendre la reacuteforme protestante pour que le travailacquiegravere ses lettres de noblesse et se fasse laquo vocation raquo au service de la glori-fication de Dieu puis obligation morale laiumlque (Weber 2003) On peut parler
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de veacuteritable reacutevolution Le travail devient une valeur centrale dans lrsquoeacutevalua-tion de lrsquoindividu de la mecircme faccedilon qursquoil est deacutesormais consideacutereacute comme lerouage eacuteleacutementaire de la grande meacutecanique sociale Une nouvelle science mdashlrsquoeacuteconomie mdash est constitueacutee pour reacuteveacuteler au monde les ressorts intimes delrsquoeacutevolution humaine
Avec la reacutevolution industrielle le travail se meacutecanise se concentre et sedeacutemultiplie Au passage du XIXe au XXe siegravecle le management va se constituerpour le laquo rationaliser raquo Ce mouvement va avec Taylor en particulier dessaisirle travailleur de toute initiative en termes de conception et de rythme desactiviteacutes Il le conduira petit agrave petit agrave nrsquoecirctre plus qursquoun exeacutecutant passif deprescriptions conccedilues par drsquoautres (Desmarez 1986)
Crsquoest dans ce contexte geacuteneacuteral de laquo rationalisation raquo des activiteacutes produc-tives autrement dit dans lrsquounivers particulier de la production industriellemassifieacutee et parcelliseacutee que naicirctront les premiegraveres preacuteoccupations en termesde motivation Une telle concomitance ne peut pas ecirctre fortuite Il faut en tenircompte pour appreacutecier la nature et la porteacutee des reacuteflexions motivationnelles
3 MOTIVATION SATISFACTION IMPLICATION PREacuteAMBULE CONCEPTUEL
31 Approche eacutetymologique de la motivation
Selon le dictionnaire eacutetymologique (Picoche 2002 Le Petit Robert 1979) leterme motivation deacuterive du latin movere qui au XIe siegravecle prend le sens delaquo mouvoir raquo laquo se mouvoir raquo Il donne motus soit laquo mouvement raquo Celui-cidonnera motivus laquo motif raquo ou laquo mobile raquo crsquoest-agrave-dire laquo ce qui met en mouve-ment raquo dont deacutecoulera une famille de termes comme mouvant mouvancemouvementeacute et aussi moteur motion locomotion mobiliteacute tous lieacutes aumouvement physique Agrave partir du XIIIe siegravecle apparaissent des termes plus enrapport avec les eacutemotions les sentiments en somme avec la psychologiecherchant agrave traduire cette fois les laquo mouvements de lrsquoacircme raquo comme eacutemoieacutemouvoir eacutemouvant mais aussi commotion et commotionner Plus significa-tif encore srsquoagissant de rendre la double parenteacute avec les notions de mouve-ment et drsquoeacutemotion le XVIIIe siegravecle a ajouteacute meute eacutemeute et encore mutin etmutinerie Le XIXe et le XXe siegravecle inventeront motivation autrement ditdans son acception psychologique laquo lrsquoaction des forces (conscientes etinconscientes) qui deacuteterminent le comportement raquo et les adjectifs motiveacutedeacutemotiveacute et immotiveacute soit le comportement de celui qui laquo a une motivation raquoou qui nrsquoen a pas
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Si lrsquoon voulait deacutepasser le cadre strict de la philologie on pourrait dire quelaquo la motivation crsquoest lrsquoensemble des eacutemotions (conscientes ou non) qui mettentlrsquoindividu en mouvement raquo (Le Robert) Il srsquoagit en somme drsquoun processuspsychique fondeacute sur les eacutemotions et qui entraicircne une action
32 Les deacutefinitions reacutecentes
Les deacutefinitions de la motivation au travail proposeacutees par les chercheurs enpsychologie reprennent ces eacuteleacutements eacutetymologiques Quoiqursquoil existe unnombre indeacutetermineacute de deacutefinitions celle proposeacutee en 1955 par Jones etensuite par Porter et Lawler (1968) fait deacutesormais autoriteacute La motivationau travail y est deacutecrite comme une eacutenergie qui deacutetermine un type de compor-tement La conception eacutenergeacutetique de la motivation se retrouve quasimentdans toutes les deacutefinitions Chez Steers et Porter (1991) par exemple lamotivation se deacutefinit comme laquo ce qui stimule le comportement humain raquo cesont laquo les forces eacutenergeacutetiques qui chez les individus les poussent agrave secomporter de certaines maniegraveres raquo La motivation est laquo ce qui dirige ou cana-lise un tel comportement raquo ou laquo comment ce comportement est maintenu etsoutenu raquo (citeacute par Roussel 1996) Eacutenergie donc ou encore volonteacute commechez Leacutevy-Leboyer (1984) pour qui laquo la motivation est un processus quiimplique la volonteacute drsquoeffectuer une tacircche ou drsquoatteindre un but raquo Preacutecisonsque cette eacutenergie cette volonteacute sont agrave la fois dans le sujet et dans son environ-nement En effet les psychologues parlent des laquo forces environnementales raquoqui deacuteclenchent certaines conduites Pinder (1984) par exemple estime que lamotivation au travail est un ensemble de forces eacutenergeacutetiques qui proviennentaussi bien de lrsquointeacuterieur de lrsquoecirctre humain que de son environnement poursusciter le comportement lieacute au travail et pour deacuteterminer sa forme sadirection son intensiteacute et sa dureacutee
Eacutenergie orienteacutee durablement vers un but volonteacute soutenant un effort versun reacutesultat aspiration autrement dit attente deacutesir souhait expectativehellip lamotivation toutefois ne se donne jamais agrave voir directement Elle nrsquoest acces-sible qursquoagrave travers un comportement Autrement dit il srsquoagit drsquoun construithypotheacutetique qui vise agrave repreacutesenter un processus psychique supposeacute Plusencore crsquoest un processus personnel directement relieacute aux expeacuteriences delrsquoindividu agrave son passeacute son eacuteducation sa socialisation Parler de la motivationdrsquoun individu crsquoest vouloir refaire la genegravese de sa laquo fabrication raquo psycho-logique et sociale et comprendre son comportement crsquoest en quelque sortepreacutetendre vouloir construire la theacuteorie de son action Alors mecircme que pourappreacutehender la motivation en matiegravere de travail on ne dispose que de deuxoutils drsquoabord des laquo scores de performances raquo mesurant objectivement lescomportements observables et hypotheacutetiquement la motivation qui les sous-
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tend ensuite des laquo eacutechelles de mesure drsquoattitude raquo qui cherchent agrave eacutevaluerquantitativement une disposition psychologique avec tout ce que cela a dediscutable compte tenu des critiques qursquoon peut eacutemettre agrave lrsquoencontre de toutdispositif drsquoenquecircte fondeacute sur lrsquoopinion que les gens se font drsquoeux-mecircmes
33 Motivation et satisfaction
Le terme satisfaction est quasiment consubstantiel aux eacutetudes de motivationCrsquoest pourquoi on ne peut le passer sous silence au risque de se laisser prendrepar les glissements seacutemantiques qui caracteacuterisent les usages communs LeRobert la deacutefinit comme laquo le sentiment de bien-ecirctre le plaisir qui accompagnelrsquoaccomplissement de ce qursquoon attend ce qursquoon deacutesire ce qursquoon souhaite raquoLa satisfaction au travail partage de ce fait les mecircmes difficulteacutes drsquoappreacutehensionque la motivation eacutetant comme elle une reacuteaction avant tout intra-psychiquereacutesultant de lrsquoeacutevaluation par lrsquoindividu de son travail et de son emploi et dusentiment que les reacutesultats obtenus agrave travers eux sont conformes agrave ses attentesagrave ses aspirations comme agrave ses valeurs Il reacutesulte de cette deacutefinition que lasatisfaction est bien une conseacutequence des attentes de lrsquoindividu On ne peut pasecirctre satisfait de ce qursquoon nrsquoattend pas ce qursquoon ne deacutesirait pas preacutealablementCrsquoest bien ce qui relie la satisfaction agrave la motivation Pour mieux le comprendrereprenons la deacutemonstration de Francegraves (1995) Si lrsquoon pose la question desavoir pourquoi lrsquoon travaille la reacuteponse immeacutediate est laquo pour gagner savie raquo Crsquoest dans la grande majoriteacute des cas absolument vrai mais insuffisantUne telle reacuteponse nrsquoexplique en rien pourquoi on srsquooriente vers telle ou telleformation choisit tel ou tel meacutetier et une fois en poste pourquoi on srsquoinvestitplus ou moins intenseacutement dans son activiteacute Seul un deacutetour par le concept demotivation permet selon Francegraves drsquoenvisager moins naiumlvement cette questionLa motivation est pour lui lrsquoensemble des aspirations qursquoun travailleur attacheagrave son travail sachant 1) que chacune de ces aspirations est plus ou moinssusceptible de se concreacutetiser dans la mesure ougrave elles deacutependent du type detravail confieacute au salarieacute et 2) que chaque aspiration est affecteacutee drsquoun coefficientde deacutesideacuterabiliteacute autrement dit drsquoune valeur diffeacuterentielle
Pour lrsquoexprimer autrement on dira que tous les emplois ne permettent pasde laquo vivre raquo eacutegalement le mecircme type de motivation autrement dit nrsquoautorisentpas le mecircme type drsquoaspirations et que les diffeacuterentes attentes drsquoun salarieacutesont elles-mecircmes plus ou moins souhaiteacutees valoriseacutees Francegraves eacutecrit qursquoellesont des laquo valences raquo diffeacuterentes Aussi pour mesurer la motivation lrsquoauteurpropose lrsquoeacutequation suivante
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La force de la motivation (M) est la somme (Acirc) allant de 1 agrave k des attentes(A) que le travailleur place dans son emploi Chacune de ces attentes ayantune deacutesirabiliteacute autrement dit une laquo valence raquo (V) plus ou moins grande
La satisfaction partant se deacutefinit agrave partir de la motivation comme laconfrontation des attentes avec les reacutesultats obtenus (O)
On retiendra donc que la satisfaction se mesure agrave partir du niveau dedivergence entre ce qursquoune personne deacutesire et ce qursquoelle retire effectivementde son emploi La satisfaction deacutepend donc de la motivation on nrsquoest satisfaitque de ce qursquoon deacutesire alors qursquoon peut fort bien ecirctre laquo motiveacute raquo autrementdit aspirer agrave des reacutesultats qursquoon nrsquoa pas encore obtenus
34 Lrsquoobjet du deacutesirhellip
Ce que les salarieacutes peuvent bien laquo deacutesirer raquo agrave travers leur travail et la valeurqursquoils attachent agrave ces aspirations varie eacutevidemment drsquoun individu agrave lrsquoautredrsquoun continent agrave lrsquoautre et bien sucircr drsquoune eacutepoque agrave lrsquoautre Cela constitue deacutejagraveune difficulteacute dans la laquo gestion des motivations raquo Par ailleurs un travail oumieux un emploi nrsquoest pas une entiteacute monolithique mais un ensemble detacircches et drsquoactiviteacutes dont chaque facette peut faire lrsquoobjet drsquoune attente parti-culiegravere (Frisch-Gauthier 1974) Crsquoest un surcroicirct de complexiteacute du strict pointde vue de la mesure de la motivation On srsquoest essayeacute neacuteanmoins depuislongtemps agrave lister ce qui dans le travail et lrsquoemploi pouvait ecirctre source demotivation et de satisfaction De nombreuses classifications sont agrave notredisposition Nous en seacutelectionnerons quelques unes agrave titre drsquoexemples
Le Job Description Index de Smith Kendall Hulin (1969) propose cinqfacettes du travail qui peuvent ecirctre source de motivation et de satisfaction
ndash le travail la tacircche lrsquoactiviteacute en tant que tels
ndash les reacutemuneacuterations
ndash les promotions
ndash les supeacuterieurs
ndash les collegravegues
Heneman et al (1989) distinguent trois aspects reacutesumant les preacuteceacutedents
ndash les regravegles et pratiques organisationnelles touchant au statut agrave la reacutemuneacute-ration aux promotions
ndash lrsquoentourage social (collegravegues et supeacuterieurs)
ndash le travail en lui-mecircme
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Francegraves (1995) distingue lui treize aspects
ndash les occasions de deacutevelopper des relations
ndash le sentiment drsquoestime
ndash lrsquoindeacutependance de penseacutee et drsquoaction
ndash lrsquoeacutetablissement de buts et drsquoobjectifs
ndash lrsquoeacutetablissement de meacutethodes
ndash la seacutecuriteacute de lrsquoemploi
ndash les aides aux collegravegues
ndash la reacutetribution
ndash le sentiment de prestige
ndash lrsquoautoriteacute attacheacutee agrave la position
ndash le sentiment drsquoecirctre informeacute
ndash le deacuteveloppement et le progregraves personnels
ndash le sentiment de reacutealisation de soi
Drsquoautres taxinomies anglo-saxonnes pour la plupart proposent des listesplus ou moins longues [cinq aspects pour le Need Satisfaction Questionnaire(Porter 1961) vingt critegraveres pour le Minnesota Satisfaction Questionnaire(Weis et al 1967 et 1977)] recoupant les aspects eacutevoqueacutes plus haut Danstous les cas les dimensions du travail qui sont susceptibles de motiver et desatisfaire les salarieacutes touchent agrave ce qursquoon appelle en geacuteneacuteral des laquo besoins raquomdash besoins mateacuteriels et physiques et besoins psychologiques
Crsquoest agrave travers la deacutefinition de ces laquo besoins raquo que srsquoest ouverte lrsquoeacutetude dela motivation au travail Crsquoest ce que nous allons voir Mais auparavant il y alieu de livrer un reacutesultat plutocirct surprenant
35 En guise de mise en garde liminaire
La psychologie du travail nrsquoa jamais pu soutenir la moindre hypothegravesedrsquoenchaicircnement lineacuteaire entre motivation satisfaction et performance autravail (Frisch-Gauthier 1974 Michel 1989 Francegraves 1995 Roussel 1996)En particulier la relation satisfactionefficience nrsquoa jamais eacuteteacute deacutemontreacuteeempiriquement tandis que la motivation nrsquoa jamais eacuteteacute consideacutereacutee commeun facteur preacutedictif de la performance Il srsquoagit lagrave de points de vue deacutejagraveanciens (Kanh et Katz in Friedmann et Reynaud 1958) Pour garantir laperformance il vaut mieux srsquoen remettre agrave une bonne seacutelection technique dupersonnel en fonction du poste agrave pourvoir en y ajoutant des dispositifs desurveillance et de controcircle ad hoc En somme les psychologues sont bien loinde valider lrsquoideacutee drsquoune incidence de la motivation et de la satisfaction sur laperformance La raison est que les salarieacutes attendent simplement drsquoeacuteprouver
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de la satisfaction dans leur emploi ils aspirent agrave se voir confier un travail quileur permette de laquo vivre leur motivation raquo La motivation en effet nrsquoest enrien propre aux activiteacutes de travail Elle est une disposition geacuteneacuterale capablede srsquoinvestir dans toute situation qui srsquoy precircte Elle engage lrsquoindividu danstoutes les dimensions de son ecirctre et se trouve au carrefour du passeacute dupreacutesent et de lrsquoavenir tels qursquoils sont penseacutes ressentis imagineacutes par le sujetagrave partir du sens qursquoil donne agrave lrsquoexistence (Mucchielli 2000) Sans doute est-ilpossible de trouver des passerelles entre les inteacuterecircts des employeurs et cesaspirations agrave la pleacutenitude de soi mais dire que la motivation et la satisfactionau travail sont les cleacutes de la performance et de lrsquoefficience productive est unecontre-veacuteriteacute entretenue sans doute plus ou moins consciemment par lemanagement lui-mecircme agrave des fins de manipulation
On va voir que ce que le management recherche crsquoest lrsquoimplication autravail et ce sont des dispositifs drsquoincitation agrave lrsquoeffort qursquoil lui faut trouverPas une meacutethode de laquo gestion des motivations raquohellip
4 NAISSANCE ET DEacutePLOIEMENT DES THEacuteORIES DE LA MOTIVATION AU TRAVAIL
En gestion le terme motivation serait apparu pour la premiegravere fois aux Eacutetats-Unis dans le champ du marketing au cours des anneacutees 1930 Il a eacuteteacute adopteacuteeacutegalement par les managers dans leurs tentatives de comprendre et drsquoinfluencerle comportement des hommes au travail Du point de vue du management ilsrsquoagit en fait de deacutefinir ce qui dans lrsquoesprit des salarieacutes peut constituer desmobiles drsquoaction afin drsquoagir sur ces mobiles pour ameacuteliorer les prestationsautrement dit les pousser agrave faire mieux et plus dans lrsquoaccomplissement deleurs tacircches On pose ici la question de lrsquoimplication au travail En effet lalaquo bonne volonteacute raquo du salarieacute mdash autrement dit une part indeacutetermineacutee eteacuteminemment labile de lrsquoattitude des individus mdash est en toutes circonstancesindispensable agrave lrsquoexeacutecution efficiente des tacircches (Coriat et Weinstein 1995)lrsquoexpeacuterience laissant voir que le salaire agrave lui seul nrsquoest pas en mesure degarantir lrsquoimplication des individus (Karpik 1966) Drsquoautres facteurs existenton va le voir sur lesquels le management a appris agrave srsquoappuyer
41 Naissance des theacuteories de la motivation au travail
Crsquoest dans les eacutecrits de deux auteurs canoniques F Taylor et H Fayol qursquoonpeut relever les proleacutegomegravenes drsquoun inteacuterecirct formel pour ces questions Dans
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ces eacutecrits cependant il nrsquoest jamais question explicitement de laquo motivation raquo(le terme nrsquoa pas encore eacuteteacute adopteacute par les speacutecialistes de gestion) Mais cettepreacuteoccupation est deacutejagrave preacutesente chez ces auteurs
Il est drsquousage de consideacuterer que F Taylor fondateur du Scientific Management(OST en franccedilais) eacutetait le propagandiste drsquoune vision purement disciplinaireet utilitariste de la motivation menace punitions reacutecompenses peacutecuniaires(Pouget 1998) Les textes de lrsquoAmeacutericain laissent cependant apparaicirctre saconscience de lrsquoinsuffisance de ces conceptions sur la motivation salariale(Vatin 1990) Taylor nrsquoa pas manqueacute de souligner combien lrsquoattitude des chefsagrave lrsquoeacutegard de leurs subordonneacutes tout comme la perspective drsquoune promotionvers des emplois moins frustres constituait pour les ouvriers laquo intelligents raquoune source de laquo stimulation raquo qursquoil ne fallait pas neacutegliger Des consideacuterations dumecircme type pourraient ecirctre faites agrave propos de Fayol (Fayol 1918-1979) LeFranccedilais nrsquoa pas manqueacute aussi de souligner combien la relation entre les chefset leurs subordonneacutes se devait drsquoecirctre placeacutee sous des principes geacuteneacuteraux dejustice drsquoeacutequiteacute de bienveillance de responsabiliteacute etc pour ecirctre efficacementaccomplie
42 Limites de lrsquoorganisation du travail
Si la penseacutee de ces auteurs a deacutepasseacute le cadre drsquoune approche strictementdisciplinaire et utilitariste de la motivation crsquoest assureacutement qursquoils ont comprisles limites de toute forme drsquoincitation purement peacutecuniaire Mais leur regardnrsquoa pas su deacutepasser certaines normes sociales de lrsquoeacutepoque Taylor en particuliernrsquoa jamais eacuteteacute capable de voir les limites de son systegraveme de reacutemuneacuteration agrave lapiegravece ineacutevitablement soumis aux influences de lrsquoopinion Il est vain desrsquoimaginer qursquoon puisse fixer objectivement le niveau drsquoune laquo bonne raquo reacutemu-neacuteration pour chaque emploi Le systegraveme taylorien comme tout systegravememeacuteritocratique integravegre sa part de subjectiviteacute dans lrsquoappreacuteciation de leurlaquo juste raquo reacutemuneacuteration En somme les niveaux de salaire sont des laquo conven-tions sociales raquo Agrave ce titre elles sont contestables ouvertes agrave la poleacutemiquePar ailleurs tout systegraveme de reacutetribution fondeacute sur le rendement individuelsouffre du deacutefaut de son genre aucun individu nrsquoagit indeacutependamment deceux qui lrsquoentourent quotidiennement dans le travail Il existe des solidariteacutescollectives avec leurs codes et leurs regravegles internes qui se superposent auxcodes et regravegles hieacuterarchiques La sociologie a forgeacute les notions de laquo reacutegula-tion formelle raquo et laquo informelle raquo pour deacutesigner ces reacutealiteacutes indeacutepassables detoute organisation (Pillon et Vatin 2003) Lrsquoaction de lrsquoindividu srsquoinscrit dansles normes eacutedicteacutees agrave la fois par le haut et par les pairs agrave partir des relationsqui se nouent au quotidien autour du travail Il ne peut en ecirctre autrementparce que lrsquoeffort productif dans toute entreprise comptant plus drsquoun salarieacuteest neacutecessairement un effort collectif Cette laquo eacutepaisseur sociale raquo du travaille fordisme sous la pression des mouvements ouvriers a eacuteteacute contraint de la
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reconnaicirctre dans les laquo conventions collectives raquo justement et dans la remiseen cause des systegravemes individualistes de reacutetribution au profit des systegravemes dequalification garantissant un mecircme salaire aux individus occupant les mecircmespostes et des reacutemuneacuterations indexeacutees sur les hausses de productiviteacute Et lagraveougrave les reacutemuneacuterations au rendement ont continueacute agrave ecirctre appliqueacutees on srsquoestrendu compte de toute faccedilon de lrsquoeacutechec pratique du Scientific Management
En effet conccedilu avant tout pour lutter contre la laquo flacircnerie raquo le laquo freinage raquoouvriers le systegraveme taylorien nrsquoa jamais pu eacuteliminer ces comportements desateliers (Roy 2006) Au contraire il a ajouteacute au comportement de freinage lescomportements de laquo coulage raquo des temps crsquoest-agrave-dire les strateacutegies collec-tives des ouvriers pour reacutefuter les temps de base imposeacutes par le bureau desmeacutethodes et lrsquoobliger agrave augmenter le temps minimum attribueacute agrave chaque piegraveceEn somme tout un jeu collectif autour des temps de base srsquoest organiseacute Etce jeu eacutetait permis par les regravegles mecircmes du systegraveme taylorien pourtantpreacutetendument conccedilu pour lrsquointerdire parce qursquoil eacutetait en reacutealiteacute incapable dedeacuteterminer scientifiquement les temps Taylor ne pouvait deacutefinir les temps detravail optimum pour la bonne et simple raison qursquoil ne disposait pas drsquounetheacuteorie physiologique accomplie En particulier il ne disposait pas drsquounetheacuteorie de la fatigue qui lui eut permis de deacutefinir scientifiquement les mouve-ments les temps de travail et de repos compatibles avec la physiologie humaineTaylor du reste srsquoest eacutechineacute agrave deacutevelopper des systegravemes complexes drsquoorgani-sation du travail deacutebouchant sur une meacutecanisation de lrsquohomme alors qursquoileut mieux valu chercher agrave meacutecaniser le travail lui-mecircme partout ougrave cela eacutetaitpossible
Est-ce eacutetonnant alors que le taylorisme ait preacutesenteacute tant de dysfonction-nements
43 Elton Mayo Hawthorne et lrsquoessor des theacuteories psychologiques de la motivation
Crsquoest pour remeacutedier agrave ce qursquoon a appeleacute le laquo syndrome taylorien raquo que certainschercheurs aux Eacutetats-Unis se sont occupeacutes degraves le milieu des anneacutees 1920drsquoanalyser plus en deacutetail la motivation ouvriegravere Par syndrome taylorien ilfaut entendre une seacuterie de dysfonctionnements limitant les performances etdonc les profits des entreprises turn-over absenteacuteisme non-qualiteacute mauvaisusages des machines parfois sabotages Lrsquoexpeacuterience fondatrice de la deacutecou-verte des sources psychologiques de la motivation salariale concernait initia-lement un groupe drsquoouvriegraveres (Leacutecuyer 1994) Agrave ce propos il convient desouligner 1) lrsquoancrage laquo ouvrieacuteriste raquo des eacutetudes motivationnelles originellesLes premiers travaux formels sur la motivation salariale srsquointeacuteressaient avanttout aux salarieacutes drsquoexeacutecution et 2) la distribution sexueacutee des protagonistesde la recherche les sujets de lrsquoexpeacuterience sont des femmes alors qursquoagrave
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lrsquoinverse expeacuterimentateurs observateurs ou analystes sont eux des hommesAgrave lrsquoeacutepoque la science avait un sexe et ce nrsquoest certainement pas sans effetsur les reacutesultats qui en ont eacutemergeacute
Lrsquoexpeacuterience qui nous inteacuteresse est connue sous le nom drsquoexpeacuteriencelaquo drsquoHawthorne raquo du nom de la ville ougrave se situait lrsquoentreprise dans laquelle ellesrsquoest deacuterouleacutee Nous sommes pregraves de Chicago La Western Electric grandeentreprise de fabrication de mateacuteriel teacuteleacutephonique confie agrave ses ingeacutenieurs en1924 le soin de tester le rocircle de lrsquoeacuteclairage sur la productiviteacute Comme danstoute entreprise tayloriseacutee lrsquousine drsquoHawthorne souffre du laquo mal taylorien raquoUne ameacutelioration en matiegravere drsquoeacuteclairage peut-elle avoir une incidence positivesur le confort des salarieacutes reacuteduire les symptocircmes deacutenonceacutes et par enchaicircnementameacuteliorer le rendement ouvrier Voilagrave ce qursquoil srsquoagit de mettre agrave lrsquoeacutepreuveCrsquoest donc par une action sur les conditions de travail ici le niveau drsquoeacuteclairageqursquoon cherche agrave agir sur la productiviteacute
Pour conduire leurs expeacuteriences les ingeacutenieurs constituent drsquoabord ungroupe expeacuterimental de cinq femmes sur lequel on testera les variations drsquoeacuteclai-rage et un groupe teacutemoin soumis aux conditions de travail du reste de lrsquoatelierdont lrsquoeacuteclairage reste inchangeacute Apregraves plusieurs tests divers les reacutesultatstombent la productiviteacute a augmenteacute dans le groupe expeacuterimental agrave mesureqursquoon a ameacutelioreacute lrsquoeacuteclairage Ce reacutesultat plaide donc en faveur drsquoune inci-dence positive de lrsquoeacuteclairage sur la productiviteacute ouvriegravere Il y a toutefois unproblegraveme la productiviteacute du groupe expeacuterimental est resteacutee supeacuterieure agrave laproductiviteacute de lrsquoatelier mecircme en cas de baisse de lrsquoeacuteclairage et surtout ellea augmenteacute eacutegalement dans le groupe teacutemoin ougrave aucun changement drsquoeacuteclai-rage nrsquoa eacuteteacute reacutealiseacutehellip Lrsquoeacutenigme Hawthorne est alors forgeacutee pour les deacutecenniesagrave venir quelque chose drsquoautre que lrsquoeacuteclairage autrement dit qursquoune actionsur les conditions de travail doit ecirctre invoqueacute pour expliquer ces reacutesultatssurprenants Ce quelque chose il reviendra agrave Elton Mayo chercheur agrave laHarvard Business School de le deacutecouvrir Crsquoest agrave lui et agrave son eacutequipe que lesingeacutenieurs font en effet appel agrave partir de 1927 pour interpreacuteter les reacutesultatsobserveacutes
44 Deacutecouverte de la laquo logique des sentiments raquo
Quelle est donc la deacutecouverte de Mayo Son analyse des reacutesultats drsquoenquecirctele conduit agrave lrsquohypothegravese que ce nrsquoest ni lrsquoaction sur les conditions de travailni les diffeacuterentes modaliteacutes de reacutemuneacuteration proposeacutees aux ouvriegraveres aucours des expeacuteriences posteacuterieures agrave 1927 qui expliquent leur rendementsupeacuterieur Mayo deacutecregravete que les sources de changement sont entiegraverementpsychologiques Elles reposent sur ce qursquoil baptisera la laquo logique des senti-ments raquo qui peut srsquoeacutenoncer ainsi quand un salarieacute se sait ecirctre lrsquoobjet drsquouneaction destineacutee agrave ameacuteliorer ses conditions de travail quelle que soit lareacutealiteacute de ces ameacuteliorations il reacuteagira positivement En somme les ouvriegraveres
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reacuteagissent positivement parce qursquoelles se savent au centre drsquoun dispositif quimet en relief leur contribution agrave lrsquoeffort de la firme accorde de lrsquoimportanceagrave leur travail srsquointeacuteresse agrave la faccedilon dont elles sont ameneacutees agrave le faire Enprenant en consideacuteration le travail des salarieacutees en tenant compte de leursentiment de leurs opinions en les instituant comme partie prenante drsquouneffort drsquoameacutelioration on obtient une plus grande implication On deacutecouvreainsi lrsquoimportance du laquo facteur humain raquo dans lrsquoorganisation
De nombreuses expeacuterimentations suppleacutementaires ont eacuteteacute conduites pourvalider ces reacutesultats On a agi sur les pauses la distribution de boissonschaudes ou froides selon les saisons les temps et les rythmes de travail lesformes et les regravegles de la motivation avec toujours le mecircme reacutesultat Qursquoonchange ou qursquoon revienne aux conditions initiales le rendement du groupeexpeacuterimental reste supeacuterieur au rendement du reste de lrsquousine Agrave la fin desexpeacuteriences en 1932 il est estimeacute agrave 30 La laquo logique des sentiments raquoconfirme ainsi sa force Pour obtenir une plus grande productiviteacute on peutaussi mdash on doit mdash srsquoen remettre agrave des expeacutedients laquo symboliques raquo agrave uneaction de type psychologique jouant sur le style drsquoencadrement mis en placeagrave lrsquoeacutegard des salarieacute(e)s Une vaste enquecircte par questionnaire reacutealiseacutee agravetravers toute la socieacuteteacute confirmera cette ideacutee Les ouvriers affirment leurattachement agrave un style de management plus laquo amical raquo plus ouvert pluschaleureux On lrsquoappellera la friendly supervision La direction de lrsquousinesous la feacuterule des chercheurs deacuteclare alors la fin du management autoritairequi avait les faveurs des contremaicirctres jusque-lagrave parce que formeacutes agrave lrsquoeacutecoletaylorienne Le bon laquo encadrant raquo deacutesormais est un ecirctre humain sensibleaux attentes des salarieacutes Il doit se montrer compreacutehensif ecirctre agrave lrsquoeacutecouteconseiller plutocirct que commander Il doit informer et laquo motiver raquo ses troupespour donner le meilleur drsquoelles-mecircmeshellip
45 Lrsquoheacutereacutediteacute de Mayo structuration du paradigme laquo du contenu raquo
Plusieurs traditions de recherche vont se deacutevelopper agrave partir de ces travauxUn courant de recherche issu des travaux de Maslow (1943) et de McGregor(1963) va prolonger la reacuteflexion en direction de la laquo participation raquo drsquoabordde lrsquolaquo enrichissement des tacircches raquo ensuite R Likert C Argyris H Leavittmontreront agrave partir de recherches resteacutees ceacutelegravebres que la performance desorganisations augmente avec le degreacute de participation des salarieacutes agrave lrsquoorganisa-tion des activiteacutes (Kennedy 1999) Un style de commandement laquo participatif raquolaquo deacutemocratique raquo sera la garantie drsquoune plus grande efficience productiveparce que plus en phase avec les laquo besoins supeacuterieurs raquo de la laquo pyramide raquo deMaslow
Dans ce modegravele pyramidal mdash tarte agrave la cregraveme de tous les manuels degestion des ressources humaines mdash les besoins humains sont organiseacutes selon
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un plan vertical allant des besoins laquo primaires raquo ou laquo infeacuterieurs raquo de survieet de seacutecuriteacute aux besoins laquo secondaires raquo ou laquo supeacuterieurs raquo de socialisationdrsquoestime et de reacutealisation de soi Le management participatif est plus conformeaussi au rapport au travail tel qursquoil a eacuteteacute deacutefini par McGregor ougrave la visiontaylorienne neacutegative de lrsquohomme au travail (ou laquo theacuteorie X raquo aversion pourle travail immaturiteacute deacutesinteacuterecirct pour les responsabiliteacuteshellip) est remplaceacuteepar une vision positive (ou laquo theacuteorie Y raquo) ougrave le travail devient le moteurcentral de lrsquoeacutepanouissement individuel Les individus ne fuient pas le travailsont capables drsquoinitiatives et de responsabiliteacute contrairement agrave ce que pensaitTaylor Et mecircme mieux ils aiment le travail degraves lors que celui-ci est penseacutede faccedilon agrave permettre agrave lrsquoindividu de satisfaire la totaliteacute de ses besoins telsqursquoils ont eacuteteacute deacutefinis par Maslowhellip
Du cocircteacute de lrsquoenrichissement des tacircches crsquoest surtout agrave F Herzberg que latradition rend hommage (Kennedy 1999) et ses travaux trouveront desapplications dans de nombreux courants en particulier dans lrsquoeacutecole socio-technique anglaise agrave partir des anneacutees cinquante (Pillon et Vatin 2003) Latheacuteorie laquo bi-factorielle raquo de la motivation de Herzberg repose sur une visionlaquo duale raquo de lrsquoecirctre humain en parfaite harmonie avec la theacuteorie des besoinsde Maslow Cette laquo double nature humaine raquo srsquoexprime dans le travail Celui-ci doit ecirctre la source de la satisfaction des besoins physiologiques commepsychologiques qui habitent tout ecirctre humain Or mdash et Herzberg reprend iciles convictions de McGregor mdash le travail taylorien permet tout juste agravelrsquohomme de satisfaire ses besoins physiologiques agrave travers le salaire notam-ment Mais cet apport nrsquoest pas une source de satisfaction Il est tout justeune source de laquo non-insatisfaction raquo Pour que lrsquoindividu soit satisfait de sontravail il faut prendre en compte ses besoins supeacuterieurs Or toute la partiesupeacuterieure de la pyramide de Maslow est mdash dans le travail taylorien mdashneacutegligeacutee lrsquohomme nrsquoest qursquoune machine humaine priveacutee de ses capaciteacutesdrsquoimagination drsquoinvention drsquoinvestissement intellectuel et symbolique Pourouvrir le travail agrave la dimension spirituelle de lrsquohomme il faut le laquo redessiner raquo(crsquoest le job desing) afin de lrsquoenrichir et de lrsquoeacutelargir
451 Apports et limites des relations humaines
Voilagrave en quelques mots la descendance de lrsquoeacutecole des relations humainesaux theacuteories de la motivation telle du moins que la recherche les a enregistreacuteeset classifieacutees Pour caracteacuteriser ce type drsquoapproche fondeacute sur la notion debesoin on parle de laquo paradigme du contenu raquo Dans le cadre de ce paradigmele chercheur en motivation doit passer en revue tout ce qui chez lrsquoecirctrehumain peut ecirctre source de motivationsatisfaction On a vu plus haut lescaracteacuteristiques du travail et de lrsquoemploi qui peuvent faire lrsquoobjet drsquoattenteschez les salarieacutes Nous nrsquoy reviendrons donc pas Preacutecisons que la liste desbesoins eacutetant deacutefinie on considegravere que le management nrsquoa plus qursquoagrave agir dansle sens de la satisfaction de ceux-ci pour stimuler la motivation des salarieacutes
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Le modegravele est assez pavlovien on lrsquoaura compris et il serait inteacuteressant silrsquoon avait la place de se livrer agrave un bilan critique de lrsquoeacutecole des Relationshumaines et de ses avatars On dira simplement que Mayo et son eacutequipe ontfait preuve drsquoune certaine frivoliteacute meacutethodologique que les reacutesultats des expeacuteri-mentations ont eacuteteacute biaiseacutes et incomplets et au total que lrsquoeacutecole des Relationshumaines nrsquoa pas remis en cause lrsquoorganisation taylorienne des activiteacutes Ellecautionne les vues manageacuteriales sur la division des tacircches preacuteconisantsimplement drsquoy introduire un peu plus de douceur un zeste drsquohumaniteacutenotamment au niveau des relations entre les ouvriers et les contremaicirctres
452 Critique du paradigme du contenu
Les mecircmes critiques de fragiliteacute meacutethodologique et de hardiesse theacuteoriquesont adresseacutees aux theacuteories des besoins et des courants qui en sont issus Ceux-ci sont tombeacutes drsquoaccord pour dire qursquoagrave la source du comportement salarieacuteexistent des aspirations moins mateacuterialistes que lrsquoimaginaient les ingeacutenieursPrendre en charge les besoins supeacuterieurs crsquoest aller au-devant des attentes desatisfaction des salarieacutes et crsquoest par conseacutequent agir positivement sur lrsquoimpli-cation et la productiviteacute Mais heacutelas la fameuse laquo pyramide des besoins raquo deMaslow nrsquoa rien de scientifique On cherche depuis toujours agrave eacutetablir la listedes besoins laquo fondamentaux raquo de lrsquoecirctre humain Et surtout lrsquoideacutee que le travailpuisse constituer le veacutehicule universel de lrsquoeacutepanouissement individuel ne reflegraveterien drsquoautre que les preacutesupposeacutes culturels des chercheurs Le travail nrsquoest unevaleur que pour les populations occidentales une valeur au demeurant en crisesi lrsquoon en croit certaines recherches en tout cas dans une frange de plus enplus grande de la population priveacutee de travail
Dans un autre registre des recherches plus approfondies laissent apparaicirctreque les formes laquo participatives raquo drsquoorganisation sont supeacuterieures aux formeslaquo autoritaires raquo mais dans certaines conditions seulement ce qui montre lepoids du contexte dans la valeur relative des formes organisationnelles (Francegraves1995) La taille du groupe de travail en particulier est un eacuteleacutement agrave prendreen consideacuteration pour deacutefinir la bonne formule drsquoorganisation de mecircme que lescaracteacuteristiques geacuteneacuterales des tacircches confieacutees aux salarieacutes un environnementstressant lieacute agrave des incertitudes techniques au danger ou agrave la pression commer-ciale par exemple appelle des formes de travail plus autocratiques Cesconclusions sont reprises par le courant organisationnel dit laquo de la contin-gence raquo (Pillon et Vatin 2003) Drsquoautres recherches montrent que le deacutesir departicipation nrsquoest assureacutement pas une donneacutee universelle Pas plus que ledeacutesir drsquoeffectuer des tacircches enrichies Au total il semble bien difficile detrouver des recettes toutes faites pour laquo geacuterer les motivations raquo (Michel 1989)Les contingences geacuteneacuterales du travail et lrsquoidentiteacute des individus sont si varieacuteeset changeantes qursquoil semble vain de preacutetendre donner a priori des cleacutes drsquoorga-nisation fondeacutees sur des consideacuterations geacuteneacuterales relatives aux laquo besoins raquosupposeacutes des individus Et la notion de laquo mobile raquo que certains chercheurs
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ont cru bon de substituer agrave celle de besoin nrsquoa pas reacuteussi agrave lever ces difficulteacutesquoique les theacuteories qui srsquoy reacutefegraverent aient mis lrsquoaccent sur la complexiteacute desprocessus cognitifs sous-jacents agrave la dynamique motivationnelle On sentaitbien qursquoune diversiteacute drsquoaspirations sous-tendait le comportement des salarieacuteset que chacun deacuteployait une casuistique complexe pour doser son implicationau travail en fonction de la valeur accordeacutee agrave telle ou telle opportuniteacute lieacutee agraveson emploi Il fallait tenter de rendre compte de cette dynamique cognitivepour approcher de plus pregraves la veacuteriteacute des motivations du travailleur
Ce fut le rocircle du laquo paradigme du processus raquo drsquoouvrir ce nouveau chantier
5 LE PARADIGME DU laquo PROCESSUS raquo
Il ne saurait ecirctre question ici drsquoun bilan exhaustif de ce courant Il est issu dereacuteflexions preacuteparatoires de Hull en 1952 Elles ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees durantplus de trente ans entre autres par Porter (1961) Porter et Lawler 1968)Lawler (1973) Campbell et Pritchard (1976 cf Levy-Leboyer 1984 2001 Roussel 1996) La formulation qursquoen a donneacutee Vroom en 1964 est consideacutereacuteecomme la plus pertinente (Vroom 1964) Nous la prendrons comme base enindiquant ensuite les inflexions que certains chercheurs lui ont fait subirNotre objectif est de donner un aperccedilu de la logique de ce paradigme et drsquoensouligner les limites
51 Intention geacuteneacuterale du paradigme du processus
Lrsquoeffort principal de ce courant de recherche est drsquoeacuteclairer la dynamiquecognitive qui preacuteside agrave la prise de deacutecision Il srsquoagit autrement dit de consi-deacuterer les raisons que se donnent les individus pour agir Voilagrave pourquoi il estsouvent question de choix et de cognition dans ce paradigme qui est aussiappeleacute laquo paradigme du choix cognitif raquo On admet ici que tout individu faitdes laquo calculs raquo pour hieacuterarchiser ses preacutefeacuterences et organiser sa conduite Ilconvient alors drsquoeacutelucider le travail inteacuterieur auquel se livre le travailleur afinde choisir parmi les stimuli exteacuterieurs ceux qursquoil preacutefegravere et qui vont condi-tionner son comportement Voilagrave pourquoi on parle de laquo paradigme duprocessus raquo La motivation nrsquoest pas envisageacutee comme un eacutetat stable maiscomme une dynamique sans cesse relanceacutee par les situations auxquelles sontconfronteacutes les individus
En mecircme temps que lrsquoimportance du contexte on souligne donc ici lacentraliteacute des dimensions subjectives du comportement humain Lrsquoindividunrsquoest pas seulement un ecirctre de besoin il est aussi un ecirctre de raison qui sait
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prioriser ordonner ses attentes et ses aspirations Il faut donc rendre comptede cette dynamique eacutevaluative pour rendre au comportement humain lrsquoindeacute-termination qui le distingue du comportement animalhellip Modegravele profondeacutementrationaliste le paradigme du processus srsquoest fondeacute sur des modeacutelisations detype matheacutematique qui constituent agrave la fois son principal attrait et sa plusgrande faiblesse du fait mecircme de la fragiliteacute des donneacutees qursquoil traite Voyonsce qursquoil en est
52 La theacuteorie EIV
Locke qui en 1968 a revisiteacute lrsquoapproche de Vroom a contribueacute agrave la faireconnaicirctre sous la deacutenomination de laquo theacuteorie EIV raquo (Locke 1968) pourExpectation Instrumentality and Valence On lrsquoappelle encore laquo theacuteorie desattentes raquo ou laquo theacuteorie de lrsquoexpectation raquo Cette theacuteorie deacutefinit de faccedilon scheacutema-tique la motivation comme le reacutesultat de la probabiliteacute perccedilue par un individudrsquoatteindre par son action un certain niveau de performance (Expectation)Cette eacutevaluation de premier niveau deacuteterminera la probabiliteacute perccedilue drsquoobtenirun certain niveau de reacutecompense (Instrumentality) Cette eacutevaluation de secondniveau sera eacutevalueacutee agrave son tour du point de vue de sa deacutesirabiliteacute de sa valeur(Valence) Au terme du processus lrsquoindividu choisira drsquoagir ou de ne pas agiret srsquoil agit il modulera son engagement en fonction de ce qursquoil aura perccedilucomme eacutetant les reacutecompenses atteignables et la valeur qursquoil leur attache Dansce processus chaque terme de lrsquoeacutevaluation doit ecirctre supeacuterieur agrave zeacutero sans quoile processus motivationnel est bloqueacute (on parle de theacuteorie laquo multiplicative raquo)Ce qui donne
M = EIV
avec M = motivation E = expectation V = valence pour que M gt 0 il fautque E I et V gt 0
Il faut insister sur la nature subjectiviste et probabiliste de ce modegravele Toutle processus est sous-tendu par des eacutevaluations purement subjectives de lrsquoindi-vidu touchant drsquoabord ses capaciteacutes agrave reacutealiser une performance agrave atteindreun certain objectif ensuite sur la probabiliteacute subjectivement estimeacutee quelrsquoatteinte de lrsquoobjectif srsquoaccompagne drsquoune certaine reacutecompense enfin il estde mecircme de la troisiegraveme eacutetape celle de lrsquoeacutevaluation de la deacutesideacuterabiliteacute de lavaleur de la reacutecompense aux yeux de lrsquoindividu Celle-ci srsquoaccompagne audemeurant drsquoun risque de conflit de valence degraves lors que lrsquoindividu se trouvedans lrsquoobligation de comparer entre elles les diffeacuterentes valeurs qui srsquoatta-cheront aux diffeacuterents reacutesultats de ses diffeacuterentes possibiliteacutes drsquoengagement
Complexiteacute cognitive assureacutement de ce modegravele du laquo choix cognitif raquo quifait de lrsquoecirctre humain une veacuteritable machine computationnelle H Simon prixNobel drsquoeacuteconomie a toutefois montreacute que si lrsquohomme est un ecirctre de calculsrationnels il ne lrsquoeacutetait que de faccedilon limiteacutee Son information est limiteacutee ce
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que le modegravele du laquo choix cognitif raquo retient mais aussi ses capaciteacutes deraisonnement ce que le modegravele neacuteglige mdash et ceci a fait dire agrave Simon quetoute deacutecision est finalement le reacutesultat non pas drsquoune rationaliteacute absolue ousubstantive mais drsquoune rationaliteacute processuelle ou limiteacutee srsquoarrecirctant sur lasolution jugeacutee non pas la meilleure mais celle qui est jugeacutee satisfaisante Ilaurait fallu inteacutegrer cette nuance dans le modegravele pour lui donner plus dereacutealisme Mais ce nrsquoest pas tout
53 Les difficulteacutes du paradigme du choix cognitif
La clarteacute du modegravele du choix cognitif (laquo lrsquoindividu est motiveacute quand 1) il secroit capable drsquoatteindre une performance 2) quand il croit que cette perfor-mance lui octroiera un avantage 3) quand cet avantage est valoriseacute raquo) semblepurement theacuteorique degraves lors qursquoon aborde le chapitre des meacutethodes mises enœuvre pour lrsquoeacuteprouver empiriquement En effet pour appliquer cette theacuteorieil faut en passer par des recueils de donneacutees deacuteclaratives assez complexes etentacheacutees des deacutefauts de toutes les enquecirctes drsquoopinion quand il srsquoagit dereacutepondre agrave un questionnaire on a montreacute que les reacuteponses fournies eacutetaientpour certaines personnes non pas les reacuteponses correspondant aux convictionsde la personne mais les reacuteponses correspondant agrave lrsquoideacutee que le reacutepondant sefait de la bonne reacuteponse ou agrave lrsquoideacutee qursquoil se fait de la reacuteponse que lrsquointer-viewer attend de lrsquointervieweacute En somme le cadre mecircme de lrsquoenquecircte nrsquoestjamais un espace neutre dans lequel les intervieweacutes se comportent laquo naturel-lement raquo tout simplement parce que la situation drsquointerview nrsquoest pas unesituation laquo naturelle raquo
Au delagrave mecircme de ces consideacuterations eacutepisteacutemologiques soulignons ladifficulteacute intrinsegraveque de lrsquoenquecircte comme on peut lrsquoimaginer agrave travers desmesures de ce genre
et
ougrave Fi [= la force motivationnelle crsquoest-agrave-dire la force de lrsquointention drsquoagirpour accomplir une action (i)] deacutepend de Eij [= lrsquointensiteacute de la croyance quelrsquoaction (i) sera suivie du reacutesultat (j) crsquoest-agrave-dire drsquoun niveau de performancedonneacute (crsquoest lrsquoexpectation)] de Vj [= la valence pour lrsquoindividu du reacutesultat
Fi fi EijV j( )j 1=
n
sum=
V j fj VkI jk( )k 1=
n
sum=
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(j)] de Ijk [= lrsquoinstrumentaliteacute du reacutesultat (j) du point de vue de sa capaciteacute agravefaire obtenir une reacutecompense de niveau (k)] et enfin de Vj [= la valence pourlrsquoindividu de ce reacutesultat niveau (k)]
Inutile de commenter la lourdeur des questionnaires qui sous-tendent unetelle enquecircte et les difficulteacutes drsquointerpreacutetation qui en reacutesultent En outre latheacuteorie est parfaitement muette sur ce qui peut expliquer la nature des eacutevalua-tions faites par les individus tant en termes drsquoexpectation que de valence(laissons de cocircteacute lrsquoinstrumentaliteacute qui peut ecirctre relativement bien codifieacutee danslrsquoentreprise) Partant comment agir sur les motivations si on ignore pour-quoi les gens srsquoestiment capables de tel niveau de performance plutocirct que telautre supeacuterieur Et si par exemple un individu privileacutegie avant toute chosela seacutecuriteacute de lrsquoemploi que peut-on faire si lrsquoentreprise aux prises avec lesprocessus de globalisation et de deacutelocalisation est incapable de la garantir Lui dire alors de changer drsquoemploi Mais si partout y compris aujourdrsquohuidans lrsquoadministration le modegravele de la flexibiliteacute prime doit-on alors mettreen œuvre une opeacuteration de coaching pour lrsquoamener agrave changer ses preacutefeacuterences Ougrave est alors la laquo gestion des motivations raquo
54 Les adaptations et leurs limites
Nous nrsquoignorons point que certains modegraveles ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes pour reacutepondreagrave une partie de nos objections (Fenouillet 2003a) Des modegraveles inteacutegrantpar exemple une certaine laquo caracteacuterologie raquo dans leur mesure en particulierla propension variable drsquoun individu agrave lrsquoautre agrave affronter des situations risqueacuteesou fortement incertaines (crsquoest le thegraveme du motive to achievement de McClel-land et al) ou encore la propension variable aussi drsquoun individu agrave lrsquoautredrsquoimputer succegraves ou eacutechecs agrave soi-mecircme ou agrave lrsquoenvironnement (crsquoest le thegravemedu laquo lieu de controcircle raquo) etc Drsquoautres modegraveles ont voulu desserrer les deacuteter-minismes motivationnels introduire le temps et donc le changement dans nosaspirations pour faire de notre motivation un processus lui-mecircme eacutevolutifhellipLes regravegles qui en deacutecoulent en termes de laquo gestion de la motivation raquo nrsquoendemeurent pas moins floues Crsquoest le principal reproche
La lourdeur des recueils de donneacutees lrsquoincertitude en termes drsquointerpreacutetationdes reacutesultats et plus encore en termes drsquoaction en direction de la gestion desmotivations a finalement condamneacute le succegraves de ce paradigme aux yeux despraticiens drsquoentreprise qui cherchent avant tout des outils simples pratiquesfacilement mobilisables et peu coucircteux pour circonvenir si cela est possibleles motivations des salarieacutes Crsquoest sans doute ce qui explique lrsquoessor etlrsquoapparent succegraves du troisiegraveme paradigme apparu dans le champ des eacutetudesmotivationnelles
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6 LA MOTIVATION laquo CULTURELLE raquo LE PARADIGME DU BUT
Au cours des anneacutees 1980-1990 un nouveau paradigme dans les eacutetudesmotivationnelles srsquoest affirmeacute Il a eacuteteacute nommeacute laquo paradigme du but raquo (voirchapitre 4) Il est difficile de se prononcer sur sa veacuteritable consistance Ilsemble se situer agrave la croiseacutee des apports des paradigmes preacuteceacutedents Ce para-digme ne manque pas de sophistication theacuteorique Nous en ferons lrsquoeacuteconomieici pour nous concentrer sur ses principes pratiques
61 Le contexte socio-eacuteconomique
Ce paradigme apparaicirct en mecircme temps que se diffusent les modegraveles drsquoorga-nisation du travail laquo japonais raquo et que se structurent de nouvelles logiques demarcheacute (Plane 2000) Agrave la production de masse fordienne fondeacutee sur desbiens standardiseacutes de grande seacuterie succegravede un modegravele de productionconsom-mation fondeacute sur des biens diversifieacutes changeant au rythme des goucircts duconsommateur Le pilotage par lrsquoaval le flux tendu etc constituent lesnouveaux principes de gestion du travail Ces nouveaux modegraveles drsquoorganisationappellent de nouveaux principes de management et de nouvelles dispositionschez les salarieacutes en particulier les opeacuterateurs dont deacutepend in fine la bonneexeacutecution des tacircches Le culte de la performance doit leur ecirctre inculqueacute mdash dela mecircme faccedilon qursquoil a eacuteteacute inculqueacute aux cadres au cours des deacutecennies anteacute-rieures Pour cela il faut des cleacutes drsquoaction simples rapides peu coucircteusesCrsquoest principalement par une action sur lrsquoidentiteacute et la culture qursquoest passeacuteela conversion des opeacuterateurs aux nouveaux principes de management(Louart 1997 Coutrot 1999) On amegravene les salarieacutes agrave partager les valeursfondamentales de lrsquoentreprise
62 Lrsquoeffet de buthellip
Le paradigme du but ou encore de laquo lrsquoautoreacutegulation raquo a eacuteteacute forgeacute pouraccompagner le mouvement de modernisation des entreprises (Leacutevy-Leboyer1984 2001 Roussel 1996) Il vise agrave fonder lrsquoactiviteacute entrepreneuriale sur ladeacutefinition collective drsquoobjectifs dont la gestion va servir de soubassement agravela dynamique motivationnelle prise en charge par lrsquoencadrement Il se fondesur lrsquoeacutetude des meacutecanismes volitifs cherchant agrave clarifier les modaliteacutes dupassage de lrsquointention agrave lrsquoaction et agrave eacutelucider le rocircle tenu par les facteurs depersonnaliteacute et les facteurs sociaux dans ce passage En ce sens il doit beau-coup au paradigme preacuteceacutedent tout en cherchant agrave rompre avec sa faiblesse
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opeacuteratoire Locke en 1968 est lrsquoinitiateur du mouvement Il sera suivi par denombreux autres chercheurs qui ambitionnent de fournir au management despolitiques drsquoaction en direction de leurs salarieacutes
Agrave la question de savoir comment motiver les salarieacutes et plutocirct que dedeacuteterminer par quelle mysteacuterieuse recette on peut amener un salarieacute agrave atteindreun reacutesultat souhaiteacute Locke (1968) tregraves pragmatique reacutepond laquo en lui fixantun objectif raquo Crsquoest ce qursquoil appelle laquo lrsquoeffet de but raquo selon lequel le but enlui-mecircme indeacutependamment des incitations eacuteconomiques ou mateacuterielles estporteur de motivation dans la mesure ougrave la possibiliteacute agrave se repreacutesenter demaniegravere claire son travail sous forme drsquoobjectifs preacutecis aurait la faculteacutedrsquoordonner drsquoorganiser et de stimuler la conduite Derriegravere cette simpliciteacuteapparente voire cette trivialiteacute se tient un quart de siegravecle de recherche quatrecents expeacuterimentations conduites dans huit pays et sur quarante mille sujets(Levy-Leboyer 2001) Ces vastes investigations permettent de preacuteciser lesconditions drsquoopeacuterationnaliteacute de cet effet de but
63 Les conditions de validiteacute du modegravelehellip
En premier lieu les attributs du but en particulier son contenu sont deacutetermi-nants Les buts se distinguent par leur varieacuteteacute leur temporaliteacute leur difficulteacuteUn but trop simple ne motive pas car il nrsquoest pas gratifiant On entendsouvent les managers dans les entreprises dire qursquoil faut laquo challenger raquo lesindividus indiquant que la difficulteacute est un facteur de stimulation Elle estpar ailleurs un gage de confiance investi dans le salarieacute Toutefois il ne fautpas se montrer trop exigeant Le salarieacute doit se reconnaicirctre les capaciteacutes agraveatteindre le but ce qui introduit un biais agrave la fois cognitif et psychologiqueque lrsquoencadrant doit prendre en charge Un but par ailleurs est drsquoautant plusmotivant qursquoil est preacutecis Enfin les buts se distinguent aussi par leur inten-siteacute Crsquoest-agrave-dire le degreacute de reacuteflexion mis en jeu pour les eacutelaborer et eacutelaborerle plan drsquoaction pour les atteindre Agrave cet eacutegard on sait qursquoun but est drsquoautantmieux approprieacute par le salarieacute qursquoil a participeacute agrave sa formulation On retrouve iciles acquis du courant participatif Toutefois est-on sucircr que cette participationces actions de clarification et les deacutefis lanceacutes aux salarieacutes suffisent agrave emporterla deacutecision Non nous disent les speacutecialistes Lrsquoeffet de but est au rendez-vous eacutegalement parce qursquoagrave la participation on adjoint la force de convictiondu cadre Celui-ci peut compter drsquoune part sur sa position statutaire pourinfluencer le salarieacute dans la mesure ougrave le conformisme du salarieacute induit parles effets de hieacuterarchie constitue un stimulant intrinsegraveque pour tout individu(on semble ici srsquoapproprier les travaux inquieacutetants de Milgram 1994) Maislrsquoencadrant doit aussi srsquoappuyer sur sa capaciteacute agrave laquo vendre raquo le but agrave ses salarieacutesIl doit ecirctre force de conviction savoir distiller les informations pertinentesaux salarieacutes en phase de neacutegociation du but et tout au long du processus dereacutealisation de la performance Lrsquoeffet de but en somme doit ecirctre assorti drsquoun
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travail permanent de communication au double sens du terme crsquoest-agrave-dire detransfert drsquoinformations mais aussi au sens de la pragmatique drsquoinfluenceen direction du salarieacute Une fois qursquoils ont adheacutereacute au but les salarieacutes doiventecirctre informeacutes des reacutesultats atteints de la distance qui les seacutepare encore de lareacutealisation complegravete du but Drsquoougrave lrsquoimportance des dispositifs de reporting desreacutesultats des tableaux de bord et des recueils drsquoinformation que les entreprisesont deacuteveloppeacutes derniegraverement Ce retour drsquoinformation est un moment privi-leacutegieacute dans la relation entre salarieacutes et cadres pour construire collectivementle processus de motivation Les formes du leadership sont lagrave encore impor-tantes et on se souvient dans les entreprises des laquo leccedilons raquo drsquoHawthorneCes eacutechanges permanents drsquoinformation constituent des eacutetapes importantesde la consolidation de la motivation degraves lors que lrsquoencadrant srsquoen saisit pourrelancer les aspirations des individus tester leur degreacute de satisfaction lesencourager en cas de baisse jouer sur les affects divers qui se structurentautour de la performance pour susciter un mouvement ascensionnel vers lareacuteussite Pour cela il doit se mettre agrave lrsquoeacutecoute de ses collaborateurs Il doitapprendre agrave les connaicirctre Il doit jouer avec les propensions caracteacuterologiquesdes uns et des autres soutenir celui qui manque drsquoestime de soi tempeacuterer lesaspirations de celui qui survalorise la reacuteussite au deacutetriment des moyens misen œuvre etc En somme lrsquoeffet de but exige beaucoup des cadres et surtoutintegravegre agrave ses modegraveles des dimensions psychologiques moins preacutesentes dansle paradigme preacuteceacutedent peut-ecirctre Dans le mecircme temps il complique encoreplus le cadre analytique de la laquo gestion des motivations raquo degraves lors qursquoil envi-sage lrsquoindividu dans de nombreuses dimensions de sa constitution psycho-logique et sociologique Les assises scientifiques du modegravele subissent ainsi unamoncellement de theacuteories et drsquoapports disciplinaires divers dont la concep-tualisation paraicirct extrecircmement difficile ouvrant la voie sur le terrain agrave despratiques faites plus de bon sens et drsquoempirisme que de rigueur scientifique
64 hellipet ses difficulteacutes drsquoapplication
Crsquoest que la motivation on srsquoen rappelle est fortement lieacutee agrave la personnaliteacuteCela oblige agrave prendre en consideacuteration les besoins et aspirations de chacuntout en sachant qursquoil nrsquoy a pas drsquoeacutetat motivationnel stable et que la nature etla hieacuterarchie des besoins et aspirations changent sans cesse dans lrsquoindividuau greacute de ses modifications identitaires (Mucchielli 1986) Cette diversiteacute desparamegravetres individuels se voit compliqueacutee par la grande diversiteacute des situa-tions organisationnelles Chaque entreprise est un microcosme dont les loissont donneacutees par ses caracteacuteristiques internes et environnementales Commentdans ces conditions laquo geacuterer les motivations raquo selon un programme qui seveut scientifique
Agrave la reacuteflexion on srsquoaperccediloit que les laquo cleacutes drsquoaction raquo proposeacutees au mana-gement sont de facture tout agrave fait traditionnelle un peu de meacuteritocratie agrave la
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Taylor mecircme si on ne sait souvent pas bien mesurer le meacuterite individuel unpeu drsquoenrichissement et drsquoeacutelargissement des tacircches pour varier les activiteacutesconfieacutees aux salarieacutes un peu de participation notamment dans la deacutefinitiondes buts en conformiteacute avec lrsquoeacutecole des Relations humaines et enfin beau-coup de communication en direction de la creacuteation drsquoune culture commune auservice de la performance collective conformeacutement aux acquis du paradigmedu buthellip
7 CONCLUSION LrsquoAVENIR DE LA GESTION DES MOTIVATIONS AU TRAVAIL
On a proposeacute ici une histoire des theacuteories de la motivation au travail Lrsquoensei-gnement principal est certainement que chaque theacuteorie de la motivation portela marque de son eacutepoque De nos jours le monde de lrsquoentreprise presse leschercheurs de livrer des cleacutes drsquoaction rapides faciles drsquoutilisation peu coucircteusescomme le sont certaines machines finalement qui se substituent agrave lrsquohommeparce qursquoelles eacuteconomisent le temps les processus et les budgets On peutpreacutedire sans grand risque que les prochaines avanceacutees en la matiegravere neproviendront pas de nouvelles deacutecouvertes dans lrsquoorganisation psychologiquede lrsquohomme ni dans une mutation de ses dynamiques psycho-eacutenergeacutetiquesou volitives mais bien plutocirct des nouvelles exigences organisationnelles desfirmes qui les emploieront Preacutedire en somme les tendances agrave venir de larecherche sur les motivations au travail crsquoest drsquoabord faire des hypothegraveses surce que seront lrsquoeacuteconomie et la socieacuteteacute demain Nous laisserons agrave drsquoautres lesoin de cet exercicehellip
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Chapitre 11
MOTIVATION ET MANAGEMENT1
1 Par Pierre-Henri Franccedilois
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Selon Goguelin (1989) laquo management vient [du latin] manus ldquola mainrdquopar lrsquoitalien managgiare et lrsquoanglais to manage ldquomanier conduire avoirbien en mainrdquo raquo Thieacutetart (1982) le deacutefinit comme laquo art ou maniegravere deconduire une organisationhellip raquo Nous retiendrons que le manager est celuiqui fait en sorte que le systegraveme humain dont il est responsable parvienne agravedes reacutesultats Pour ce faire il met en œuvre les moyens techniques financiers ethumains en assumant les fonctions de direction de planification drsquoorganisationet de controcircle (Gruegravere 2005)
La motivation est un concept cleacute pour comprendre le processus qui megravene agravela performance Dans sa revue de question consacreacutee aux theacuteories ducomportement organisationnel Miner (2003) souligne que celui qui voudraitcreacuteer une theacuteorie valide et applicable fera bien de regarder du cocircteacute des theacuteo-ries de la motivation Si on considegravere en outre drsquoune part qursquoagrave lrsquoheure de lamondialisation lrsquoefficaciteacute de nos systegravemes de travail est souvent eacutevoqueacuteecomme la condition du succegraves voire de la survie de nos socieacuteteacutes et quedrsquoautre part la recherche sur la motivation au travail a enregistreacute nombredrsquoavanceacutees dans les derniegraveres deacutecennies on conccediloit tout le bien fondeacute deconsacrer un chapitre agrave la question du management et de la motivation dansun ouvrage deacutedieacute agrave la psychologie de la motivation
Une des avanceacutees de la recherche sur la motivation au travail est selonLatham et Pinder (2005) de porter attention agrave lrsquoensemble des aspects de lamotivation et non plus de focaliser sur un seul Ainsi les effets de la motiva-tion classiquement eacutetudieacutes eacutetaient la performance de travail et la satisfactionils vont maintenant du comportement citoyen au comportement contre-productif(ibid) Les alertes sur le dumping social ou sur les reacutepercussions eacutecologiquesnrsquoamorcent-elles pas la reacuteflexion sur de nouveaux critegraveres de performanceorganisationnelle Schermerhorn Hunt Osborn et de Billy (2006) placentle leadership eacutethique parmi les changements cleacutes des nouveaux milieux detravail
Ce chapitre est centreacute sur des processus motivationnels agrave prendre en comptedans le cadre drsquoun management psychologique (Goguelin ibid) La premiegravere
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partie preacutesente un modegravele de motivation social cognitif et ses applicationspour le management La deuxiegraveme partie reprend des apports de la recherchesur le leadership et les articule au modegravele La troisiegraveme partie met en perspec-tive le rocircle motivateur du manager agrave partir de trois sources theacuteoriques lacritique socio-normative lrsquoengagement lrsquoapproche interculturelle Nous finis-sons avec lrsquoeacutevocation de concepts cleacutes pour un management de la motivationque sont lrsquohabilitation du personnel le contrat psychologique et la deacutemocratieorganisationnelle
1 UN MODEgraveLE SOCIAL COGNITIF DE LA MOTIVATION
Les modegraveles sociaux cognitifs de la motivation trouvent leur source dans lestravaux de Tolman (1932) et de Lewin (1936 1938) Dans ces conceptionsla motivation pour un comportement reacutesulte de la combinaison de deux compo-santes lrsquoattraction (valence) qursquoexerce le but sur lrsquoindividu et la croyanceque le comportement megravenera au but Avec la ceacutelegravebre theacuteorie du chemin et dubut House (1971) reacutealise une synthegravese de la theacuteorie motivationnelle desattentes et de travaux anteacuterieurs sur le leadership qui ont suggeacutereacute que lesleaders performants indiquent aux subordonneacutes les reacutecompenses qursquoils peuventobtenir Lrsquoessentiel du modegravele de House peut ecirctre appreacutehendeacute agrave partir de laformalisation de Vroom (1964) dont nous rappelons les principales compo-santes dans le paragraphe suivant reacutesultats de premier et second niveauexpectation instrumentaliteacute valence
Pour Vroom (ibid) les reacutesultats de premier niveau correspondent agrave uneperformance (le rendement le chiffre drsquoaffaires reacutealiseacute dans le moishellip) Lesreacutesultats de second niveau correspondent aux conseacutequences psychologiquesdes performances pour lrsquoindividu (satisfaction personnelle reconnaissancesociale reacutecompenses et sanctions promotionhellip) La valence renvoie agrave lrsquointen-siteacute du caractegravere attractif ou aversif du reacutesultat de second niveau pour lrsquoindi-vidu Lrsquoinstrumentaliteacute renvoie agrave lrsquointensiteacute du lien perccedilu entre reacutesultat depremier niveau et reacutesultat de second niveau Une performance nrsquoa pas decaractegravere attractif en soi mais en fonction de ses conseacutequences positives ouneacutegatives attendues par lrsquoindividu crsquoest le modegravele de la valence de VroomLrsquoexpectation renvoie agrave lrsquointensiteacute du lien perccedilu entre lrsquoeffort et la perfor-mance Elle est forte quand lrsquoindividu est persuadeacute que ses efforts aboutirontagrave la performance La force de motivation pour un comportement deacutependdonc de lrsquoexpectation et du caractegravere attractif de la performance (deacuteduit de lavalence) crsquoest le modegravele de lrsquoexpectation Selon Vroom crsquoest un lien multi-plicatif qui existe entre valence et instrumentaliteacute et entre expectation et
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valence ce qui implique que si une des trois composantes (valence instrumen-taliteacute ou expectation) est faible ou nulle il en va de mecircme pour la motivationtotale
Pour House (ibid) les fonctions de motivation drsquoun leader sont drsquoaccroicirc-tre les valences positives associeacutees aux objectifs de travail aux moyens deles atteindre et drsquoaugmenter la perception de lrsquoinstrumentaliteacute de ceschemins drsquoaccegraves aux objectifs Dans un modegravele inteacutegreacute de la motivation et duleadership Neider et Schriesheim (1988 voir figure 111) indiquent que lemanager propose au subordonneacute des reacutecompenses que celui-ci valorise qursquoillie les reacutecompenses valoriseacutees aux performances qursquoil accentue les relationsentre lrsquoeffort et les performances de travail Au moins deux lectures de cespreacuteconisations sont possibles elles ont trait aux moyens utiliseacutes par le managerpour influencer les repreacutesentations des subordonneacutes Lrsquoune drsquoessence plutocirctcomportementaliste revient agrave consideacuterer que le manager doit organiser letravail de ses subordonneacutes de telle faccedilon que ses comportements soient renfor-ceacutes de faccedilon stimulante Lrsquoautre drsquoinspiration plus sociale cognitive accentuele rocircle peacutedagogique du leader qui par ses explications parvient agrave susciterune repreacutesentation motivante de la situation de travail Les deux approchesne sont nullement antagonistes le manager peut organiser et expliquer
Comme les travaux de Vroom ceux de Bandura plus reacutecents (1997 2003)se sont montreacutes feacuteconds pour aborder les questions de management et demotivation Nous en rappelons lrsquoessentiel ci-dessous pour ensuite proposerune articulation avec ceux de Vroom et House
Figure 111Un modegravele inteacutegreacute de la motivation et du leadership dans la perspective de la theacuteorie du chemin et du but (drsquoapregraves Neider et Schriesheim 1988)
Effort eacuteleveacutepour ecirctre
performant
Le subordonneacutepossegravede les traitset compeacutetences
neacutecessaires
Le managerpropose au subordonneacute
des reacutecompensesque celui-ci
valorise
Le manageraccentue les relations
entre lrsquoeffort etles performances
de travail
Le manager lieles reacutecompensesvaloriseacutees auxperformances
Le subordonneacutecomprend les
exigences du travail
Pas drsquoobstaclesagrave la performance
Le subordonneacutea un sentimenteacuteleveacute drsquoeacutequiteacute
Le subordonneacute perccediloit
les reacutecompensescomme importantes
Performancede travail
eacuteleveacutee
Obtention dereacutecompenses
valoriseacutees
Attitudesau travailpositives
Turnover etabsenteacuteisme
faibles
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Dans la theacuteorie sociale cognitive (TSC) de Bandura deux composantesmajeures des repreacutesentations du sujet sous-tendent les processus motivation-nels le sentiment drsquoefficaciteacute personnelle (SEP) et lrsquoattente de reacutesultat (AR)Le SEP concerne lrsquoeacutevaluation par le sujet de ses propres capaciteacutes agrave mettreen œuvre les moyens identifieacutes comme menant aux effets rechercheacutes Avoirdeacuteveloppeacute un SEP pour certaines activiteacutes conduit agrave seacutelectionner preacutefeacuterentiel-lement ces activiteacutes agrave y investir davantage drsquoeffort et agrave srsquoy montrer plusperseacuteveacuterant notamment quand surviennent des difficulteacutes Le SEP compteparmi les meilleurs preacutedicteurs psychologiques des performances (meacuteta-analyse de Sadri et Robertson 1993)
Lrsquoattente de reacutesultat correspond aux croyances drsquoun individu que certainscomportements peuvent permettre drsquoatteindre des reacutesultats viseacutes Pour expli-quer la diffeacuterence entre SEP et AR Bandura preacutecise que laquo lrsquoauto-efficaciteacuteperccedilue [le SEP] est un jugement porteacute par lrsquoindividu sur ses capaciteacutes agrave orga-niser et eacutemettre certains types de performances alors que lrsquoattente de reacutesultatest un jugement sur les conseacutequences probables de ces performances raquo (1997)Dans le scheacutema qursquoil propose pour situer SEP et AR (ibid Bandura 2003)Bandura indique clairement que le SEP concerne le lien entre la personne etses comportements alors que lrsquoAR concerne le lien entre ces comportementset leurs reacutesultats LrsquoAR dans la TSC (ibid) se divise en trois grandes cateacutego-ries reacutesultats mateacuteriels (par exemple reacutemuneacuteration) reacutesultats sociaux (recon-naissance prestigehellip) et reacutesultats auto-eacutevaluatifs (satisfaction fierteacutehellip) Bienentendu les reacutesultats peuvent aussi ecirctre neacutegatifs (peacutenaliteacutes deacutesapprobationdeacutevalorisation de soihellip) et la motivation est alors de les eacuteviter ou les controcirc-ler Pour Bandura les attentes de reacutesultats se constituent agrave partir des expeacuterien-ces veacutecues par le sujet et aussi par modelage Par la reacuteflexion sur ses propresactions ou sur celles drsquoune personne observeacutee (modegravele) le sujet infegravere descroyances sur les comportements efficaces qui peuvent mener agrave certainsreacutesultats attendus Ces regravegles de fonctionnement infeacutereacutees seront ensuiteappliqueacutees dans lrsquoautoguidage des activiteacutes
Les compeacutetences drsquoencadrement ont fait lrsquoobjet de travaux speacutecifiquesdans lrsquooptique de la TSC On citera un ouvrage de psychologie du management(Sims et Lorenzi 1992) ougrave lrsquoapproche sociale cognitive qui est deacutepeintefonde les pratiques de management sur la reacutegulation des repreacutesentations queles membres de lrsquoorganisation se font drsquoeux-mecircmes du travail des autresCrsquoest notamment avec des objectifs soigneusement eacutelaboreacutes que cet encadre-ment srsquoopegravere (la TSC integravegre particuliegraverement bien les apports des travaux deLocke (1997) sur les objectifs ou buts) Les objectifs sont speacutecifiques plutocirctqursquoambigus difficiles plutocirct que faciles ou impossibles Ils permettent deseacutevaluations aux eacutetapes intermeacutediaires quand ils sont complexes ou eacuteloigneacutesdans le temps Le degreacute de directiviteacute ou de participation varie dans lrsquoeacutelabo-ration des objectifs Lrsquoencadrant peut ecirctre ameneacute agrave privileacutegier lrsquoassignationde buts au deacutebutant (qui risquerait de se fixer lui-mecircme des objectifs mal
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adapteacutes le conduisant agrave des difficulteacutes et donc agrave une auto-eacutevaluation neacutegative)et proceacutedera de faccedilon concerteacutee avec le plus expeacuterimenteacute Les effets de lacompeacutetition interindividuelle et intergroupale doivent aussi ecirctre judicieuse-ment appreacutecieacutes dans cette opeacuteration de deacutetermination des buts par exemplela compeacutetition est susceptible drsquoaccroicirctre la speacutecificiteacute et la difficulteacute desbuts mais les situations de travail neacutecessitent souvent de la coopeacuteration plutocirctque de la compeacutetition Lrsquoencadrant aura recours au modelage en attirantlrsquoattention sur les comportements efficaces en favorisant leur meacutemorisationet en encourageant leur reproduction leur confeacuterera un caractegravere motivant enrendant saillante leur relation avec des reacutesultats valoriseacutes par les encadreacutes(performance reconnaissance primeshellip) Mais lrsquoessentiel pour lrsquoencadrantselon la TSC est le deacuteveloppement du SEP de ses collaborateurs
Dans la perspective de la TSC le rocircle du manager est alors de faire en sorteque ses collaborateurs eacuteprouvent cette confiance dans leurs capaciteacutes Lapremiegravere source de SEP eacutetant la reacuteussite il convient donc de mettre ces colla-borateurs en situation de succegraves psychologique (pour reprendre une expressiondrsquoArgyris 1974) par des objectifs approprieacutes et par tout autre moyen agrave ladisposition du manager Le SEP peut aussi ecirctre favorablement influenceacute enproposant des modegraveles auxquels les collaborateurs pourront srsquoidentifier Lemanager sera eacuteventuellement ce modegravele pour certaines activiteacutes mais lrsquoimpor-tant est que les collaborateurs soient au contact de personnes compeacutetentes etefficaces dont lrsquoobservation conforte leurs croyances dans leurs proprescapaciteacutes La persuasion verbale les encouragements du manager peuventrassurer quant agrave la possession des capaciteacutes requises Le fait de reacutealiser lesactiviteacutes professionnelles dans une ambiance deacutetendue favorise une eacutevalua-tion positive des actions Le manager srsquoarrange donc pour rassembler lesconditions dans lesquelles ses collaborateurs eacuteprouveront un solide SEP parrapport aux activiteacutes qursquoils ont en charge
Le manager devrait ecirctre aussi particuliegraverement attentif aux aspects de lasituation de travail qui megravenent les collaborateurs agrave ressentir qursquoils œuvrentdans un environnement reacuteactif Cette perception correspond agrave une AR deniveau eacuteleveacute croyance que lrsquoaction meneacutee conduit agrave des reacutesultats rechercheacutesComme on le voit dans la figure 112 (emprunteacutee agrave Bandura 2003) lrsquoenga-gement productif se trouve dans la cellule ougrave SEP et AR sont forts Nousreviendrons sur le rocircle du manager vis-agrave-vis de lrsquoAR apregraves avoir preacutesenteacute notremodegravele geacuteneacuteral car celui-ci permet de traiter ce point avec une meilleurepreacutecision
Pour Bandura (2003) ce qui distingue la TSC des approches expectation-valence comme celle de Vroom crsquoest lrsquoinsistance de la TSC sur les croyancesde lrsquoindividu relatives agrave ses propres capaciteacutes et non sur les attentes On situeratoutefois dans une mecircme famille sociale cognitive (Franccedilois 2003) la TSC etles theacuteories des attentes
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Lrsquoarticulation de la TSC avec lrsquoapproche expectationvalence de Vroompeut ecirctre introduite en rappelant qursquoune des critiques faite agrave Vroom est lafaiblesse de conceptualisation de lrsquoexpectation (Thill 1993) Les travauxdrsquoElen Skinner (1996) sont utiles pour eacutetablir cette articulation scheacutematiseacuteedans la figure 113 Dans sa typologie des construits de controcircle Skinnerpropose trois grandes cateacutegories selon que les construits se reacutefegraverent aux rela-tions agent-fins agent-moyens ou moyens-fins Les fins correspondent auxreacutesultats rechercheacutes et sur lesquels les individus essaient drsquoexercer un controcircleles agents sont les personnes ou groupes qui exercent le controcircle les moyenssont les voies par lesquelles le controcircle est effectueacute
Skinner (ibid) classe le SEP de Bandura et lrsquoexpectation de Vroom dansla cateacutegorie relation agent-moyens Le SEP serait alors une composanteessentielle de lrsquoexpectation (Franccedilois 2002 2003) si lrsquoindividu a des doutessur ses capaciteacutes agrave reacutealiser les comportements requis pour une performancele lien perccedilu entre les efforts produits et la performance est minimiseacute
Skinner classe dans la cateacutegorie relation moyens-fins lrsquoinstrumentaliteacute deVroom et lrsquoattente de reacutesultats de Bandura Nous proposons de distinguer ausein de la cateacutegorie relation moyens-fins ce qui est du registre de lrsquoexpecta-tion (attente de reacutesultat de premier niveau AR1 que nous avons aussi nommeacuteerepreacutesentation de lrsquoefficaciteacute des moyens REM dans des textes anteacuterieurs)et ce qui est du registre de lrsquoinstrumentaliteacute (attente de reacutesultat de secondniveau AR2) LrsquoAR1 relegraveve de lrsquoexpectation puisqursquoelle est identification eteacutevaluation des moyens qui megravenent agrave une performance Ce qui est diffeacuterent dela croyance que cette performance servira les desseins (AR2) Sur un planlogique ces deux composantes sont neacutecessaires agrave la motivation On lrsquoa vupour lrsquoinstrumentaliteacute
ATTENTES DE REacuteSULTAT
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RevendicationReprochesMilitantismeChangement de milieu
Engagement productifAspirationsSatisfaction personnelle
ndashReacutesignationApathie
AutodeacutevalorisationDeacutecouragement
Les + et les ndash repreacutesentent les caracteacuteristiques positives et neacutegatives des croyances drsquoefficaciteacute et des attentes de reacutesultat
Figure 112Les effets des diffeacuterents modes de croyances drsquoefficaciteacute et drsquoattentes de reacutesultat
de performance sur le comportement et lrsquoeacutemotionnel (Bandura 2003 p 38)
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Figure 113Scheacutema de synthegravese des approches de la motivation sociale cognitive
de V-H Vroom A Bandura et E Skinner
EXPECTATION VALENCEDE SECOND NIVEAU
VALENCEDE PREMIER NIVEAU
Modegravele de la valenceModegravele de lrsquoexpectation
SENTIMENT DrsquoEFFICACITEacutePERSONNELLERelation agent-moyensEx penser posseacutederles compeacutetences neacutecessaires
Le manager contribue agrave lafixation drsquoobjectifs adapteacutesfavorise le succegraves descollaborateurs les metau contact de modegravelesles encourage
REacuteSULTATDE 1er NIVEAUPerformance
Ex respecterdeacutepasserles quotasde production
REacuteSULTATDE 2e NIVEAUConseacutequencede la performance
Ex Satisfactionpersonnellepromotionreacutemuneacuterationreconnaissance
INSTRUMENTALITEacuteATTENTE DE REacuteSULTATDE 2e NIVEAU (AR2)Relation moyens-fins
Le manager organise un lienfort entre performanceet reacutesultats valoriseacutes parles collaborateurs etsrsquoarrange pour que ceux-ciaient une repreacutesentationexacte de ce lien
ENVIRONNEMENT CULTUREL ET SOCIAL
Le manager contribue agrave la construction drsquoune culture (organisationnellede groupe de travailhellip) favorisant la motivation agrave la performance
le deacuteveloppement des compeacutetences les comportements citoyens etc
ATTENTE DE REacuteSULTATDE 1er NIVEAU (AR1) Relation moyens-finsEx avoir confiance dans lesperformances techniques et lafiabiliteacute de lrsquooutillage penserdisposer drsquoun mode opeacuteratoireefficace comportementsidentifieacutes comme efficaces
Le manager organiseles conditions de reacutealisationde la performance et clarifieles moyens pour y parvenir
Sphegravere individuelle
Sphegravere sociale
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Avec lrsquoAR1 lrsquoidentification des moyens pour reacutealiser une performanceutile favorise la motivation alors que ne pas savoir comment il est possibledrsquoatteindre cette performance aura lrsquoeffet inverse Ainsi avec le SEP lrsquoAR1vient compleacuteter une deacutefinition plus preacutecise de lrsquoexpectation que celle propo-seacutee par Vroom Lrsquoexpectation comporte alors les croyances de lrsquoindividu surles moyens permettant drsquoatteindre une performance et les croyances relativesagrave ses propres capaciteacutes agrave mettre en œuvre efficacement ces comportements
Le management pourrait influencer lrsquoattente de reacutesultats des niveaux 1 et 2LrsquoAR1 recouvre par exemple la croyance qursquoon a agrave sa disposition un mateacuterielapproprieacute pour reacutealiser la tacircche mais aussi la connaissance des proceacutedures etmodes opeacuteratoires et leur acceptation et leur creacutedibiliteacute (penser que leur miseen œuvre est efficace) LrsquoAR1 comporte notamment la repreacutesentation quelrsquoopeacuterateur se fait des compeacutetences requises pour la tacircche On conccediloit doncque le manager par son action sur le systegraveme de travail peut influer sur ceniveau drsquoAR par exemple en veillant agrave maintenir un niveau drsquoorganisation etde deacutefinition des tacircches qui soit effectivement opeacuterationnel et compris etaccepteacute par les opeacuterateurs Dans notre modegravele il y a deux voies par lesquellesle manager peut accentuer lrsquoexpectation celle de lrsquoAR1 et celle du SEP ParlrsquoAR1 les opeacuterateurs savent de quels moyens ils disposent pour accomplir letravail et par le SEP ils ont confiance dans leur capaciteacute agrave mettre en œuvreces moyens La TSC permet donc de preacuteciser comment lrsquoaction manageacuterialepourrait infleacutechir la perception des relations entre lrsquoeffort et les performancesde travail (cf modegravele de Neider et Schriesheim ibid) LrsquoAR2 ou instrumen-taliteacute garde tout son inteacuterecirct pour le manager la motivation agrave accomplir uneperformance est conditionneacutee par le fait que la performance aux yeux desopeacuterateurs aura des conseacutequences qursquoils recherchent On constate en appli-quant ce modegravele motivationnel au management que conserver le conceptdrsquoinstrumentaliteacute de Vroom contribue agrave la finesse de lrsquoanalyse
Un aspect reste agrave aborder pour achever la preacutesentation du modegravele de moti-vation la construction sociale des repreacutesentations On a argumenteacute lrsquoideacuteeselon laquelle le versant social de la TSC pourrait ecirctre renforceacute par rapportau versant cognitif (Franccedilois 2004a) Si Bandura integravegre tout agrave fait dans sonsystegraveme theacuteorique le fait que les repreacutesentations sont influenceacutees par lrsquoenviron-nement social (influence drsquoun modegravele des meacutedias de lrsquoeacuteducationhellip) il resteque souvent il srsquoen tient agrave une description de processus cognitifs alors qursquouneinterpreacutetation faisant plus de place aux deacuteterminants sociaux serait possiblePar exemple agrave propos du sentiment drsquoefficaciteacute collective (SEC) nous avonsreleveacute (Franccedilois et Aiumlssani 2002) que Bandura privileacutegie une lecture cogniti-viste (lrsquoindividu constate que lrsquoeacutequipe est efficace) par rapport agrave une lecturequi pourrait ecirctre plus psychosociale (construction par les interactions entremembres de lrsquoeacutequipe de repreacutesentations concernant lrsquoefficaciteacute collective)Or cette construction sociale des repreacutesentations impliqueacutees dans lesprocessus motivationnels trouve plusieurs sources drsquoeacutetayage dignes drsquoattentionEn puisant dans les ressources theacuteoriques de la theacuteorie des repreacutesentations
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sociales (Moscovici 1961) associeacutees agrave celles de la TSC (Franccedilois et Aiumlssaniibid) nous avons meneacute plusieurs eacutetudes empiriques montrant lrsquoancrage socialdes repreacutesentations des compeacutetences Ainsi les repreacutesentations que lrsquoindividuse fait des compeacutetences en geacuteneacuteral (ses deacutefinitions des compeacutetences) cellesqursquoil se fait des compeacutetences requises pour une tacircche (AR1) ou celles qursquoilse fait de ses propres compeacutetences (SEP) sont-elles au moins partiellement lereflet drsquoune eacutelaboration collective et non strictement le reacutesultat de son traite-ment (individuel cognitif) des informations dont il dispose sur lui-mecircme sesactions et son environnement (Franccedilois 2005) Un autre point drsquoappui decette orientation se trouve dans les travaux reacutecents de la psychologie culturelle(Markus et Kitayama 2003) ou interculturelle (Smith et Bond 1993) Cesapproches soulignent le fait que la culture a une forte incidence sur la faccedilondont les gens se repreacutesentent eux-mecircmes et le monde qui les entoure et ceteffet concerne aussi les repreacutesentations impliqueacutees dans les processus motiva-tionnels dont il a eacuteteacute question plus haut Nous reviendrons sur ces aspectsmais signalons drsquoembleacutee le lien fort qursquoils ont avec le thegraveme du managementCe lien apparaicirct clairement avec la neacutecessiteacute pour les managers drsquoarriver agravepromouvoir une certaine faccedilon de voir qui soit partageacutee dans leur eacutequipe etqui favorise la performance individuelle et collective neacutecessiteacute qui a souventeacuteteacute abordeacutee sous lrsquoangle de la culture organisationnelle (voir plus loin) Ainsien œuvrant au deacuteveloppement drsquoune certaine culture drsquoentreprise le managerpeut obtenir un effet sur des composantes motivationnelles du modegravele
2 LEADERSHIP ET MOTIVATION
Aborder la question de la motivation des subordonneacutes par lrsquoeffet preacutesumeacute duleadership revient agrave focaliser sur un deacuteterminant individuel le leader Lesapplications aux fonctions drsquoencadrement des conceptions de Vroom et Banduratrouveacutees dans la litteacuterature se precirctent agrave cette remarque La seconde partie duchapitre rappelle drsquoautres travaux sur le leadership qui ont aideacute agrave comprendrecomment le manager influe sur la motivation de ses collaborateurs et signaleles articulations avec le modegravele social cognitif
21 Approches classiques des traits du leader agrave ses comportements
La recherche de caracteacuteristiques personnelles permettant de preacutedire et drsquoexpli-quer la qualiteacute du leadership a eacuteteacute peu fructueuse (Bass 1990) Lrsquoapprochecomportementale qui a suivi lrsquoa eacuteteacute bien plus La consideacuteration (accordeacutee parle leader aux subordonneacutes) et la structuration (organisation du travail par le
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leader) ont notamment eacuteteacute mises en relation avec la satisfaction au travail etavec la performance au travail Yukl (1971) dans son modegravele des liens multi-ples indique que consideacuteration et structuration sont en lien avec la motivationdes subordonneacutes En se rapportant agrave notre modegravele social cognitif de la moti-vation on conccediloit qursquoune attitude empathique et drsquoeacutecoute de la part du leaderfavorise le fait de savoir ce qui est important pour ses subordonneacutes et puisseconstituer un soutien moral aidant au SEP La structuration des tacircches et dusystegraveme de reacutecompenses devrait permettre de clarifier les AR Si en outre lastructuration facilite lrsquoatteinte des objectifs de travail les SEP srsquoen trouverontrehausseacutes
La prise en compte du contexte est apparue neacutecessaire pour saisir les effetsdu leadership depuis les travaux de Fiedler (1965) Pour Yukl (ibid) un leaderaura peu de chances drsquoameacuteliorer la performance de son groupe srsquoil ne peutintervenir sur au moins lrsquoune des trois variables situationnelles motivationdu subordonneacute organisation des tacircches et des rocircles compeacutetences des subor-donneacutes Avec les substituts du leadership qui comprennent diverses variablesde contexte (Kerr 1977 Kerr et Jermier 1978) lrsquoaction du leader peut ecirctrerendue impossible ou non neacutecessaire Le systegraveme de travail (bureaucratisationcentralisationhellip) aneacuteantit parfois les efforts du leader pour motiver les membresde son eacutequipe Fondeacute sur les repreacutesentations que les individus deacuteveloppent agravepropos de leur environnement le modegravele social cognitif est lui toujourscontextualiseacute
22 Leadership transformationnel
Cette forme de leadership est particuliegraverement en prise avec les questions demotivation et repreacutesente un des courants de recherche sur le leadership enmilieu organisationnel les plus actifs depuis une vingtaine drsquoanneacutees On esten preacutesence de leadership transformationnel quand les leaders
ndash incitent leurs collegravegues et subordonneacutes agrave envisager leur travail selon denouvelles perspectives et la mission de lrsquoeacutequipe ou de lrsquoorganisation avecdavantage drsquoacuiteacute
ndash contribuent au deacuteveloppement des capaciteacutes et du potentiel de leurs collegravegueset subordonneacutes
ndash motivent ceux-ci agrave privileacutegier lrsquointeacuterecirct du groupe par rapport aux inteacuterecirctsindividuels (Bass et Avolio 1994 p 2)
La composante la plus eacutetudieacutee du leadership transformationnel a eacuteteacute lecharisme concept ancien reacuteactualiseacute et opeacuterationnaliseacute par Bass et ses colla-borateurs (voir notamment Bass 1990) Pour cet auteur le leader charismatiqueinspire loyauteacute et fierteacute de travailler avec lui respect et foi dans les objectifsIl a la capaciteacute de voir et transmettre ce qui est reacuteellement important Il donneun sens agrave la mission des membres du groupe Les subordonneacutes srsquoidentifient agrave
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lui et eacuteprouvent des sentiments intenses agrave son eacutegard ils ont un degreacute eacuteleveacute deconfiance envers lui Le leader charismatique stimule motive et inspire lesmembres du groupe
Quand le leadership conduit agrave adheacuterer fortement aux objectifs mais sanscette part drsquoidentification au leader qui est la marque du charisme on est enpreacutesence drsquoun leadership drsquoinspiration (Bass ibid) Creacuteer la vision drsquoun eacutetatfutur attractif et montrer aux subordonneacutes comment lrsquoatteindre sont descomposantes de base du processus drsquoinspiration (ibid) Le leader drsquoinspirationsuscite des attentes eacuteleveacutees chez ses subordonneacutes agrave lrsquoeacutegard du travail et delrsquoorganisation Il aide ses subordonneacutes agrave concevoir et exprimer clairementleurs attentes et srsquoimplique lui-mecircme par rapport aux objectifs et agrave la visioncommune Lrsquoesprit drsquoeacutequipe avec un tel leader se trouve renforceacute et leseacutequipiers sont plus enthousiastes et optimistes Cette forme de leadership auraitdonc une reacutesonnance agrave la fois sur les sentiments drsquoefficaciteacute personnels etcollectifs et sur les AR
23 Theacuteories implicites du leadership et attributions
La cognition sociale concerne le traitement par lrsquoindividu des informationssur le monde social Dans lrsquoorganisation un individu donneacute traite les infor-mations concernant ses collegravegues ses supeacuterieurs et subordonneacutes les clientsle public les situations de travail individuelles ou collectives (entretiensreacuteunionshellip) les rocircles professionnels et les regravegles (implicites ou explicites) defonctionnement Lrsquoapproche cognition sociale renseigne sur certaines condi-tions de lrsquoeacutemergence du leadership (Lord Foti et De Vader 1984) mais aussisur certains processus drsquoinfluence pour modifier les repreacutesentations
Lrsquoeacutetude des lois drsquoattribution drsquoune cause agrave un eacuteveacutenement (Weiner 1980)1
a eacuteteacute appliqueacutee au leadership Lrsquoexemple du biais eacutegocentrique par lequellrsquoindividu a tendance agrave srsquoestimer responsable de ses succegraves plutocirct que de seseacutechecs est bien connu Identifier ce pheacutenomegravene et le consideacuterer comme naturelest un pas pour un manager vers la compreacutehension de ses subordonneacutesLrsquointerpreacutetation drsquoune situation est tregraves diffeacuterente selon qursquoune attributioninterne ou externe est faite et les comportements qui srsquoensuivent aussi pour-quoi changer la maniegravere drsquoexeacutecuter son travail si on pense que la piegravetreperformance obtenue est due agrave lrsquoeacutequipement deacutefectueux ou agrave la malchance Cet exemple suggegravere que lrsquoattribution influence lrsquoAR Pour Bandura (2003)lrsquoeffet des attributions sur la motivation de performance est surtout meacutediatiseacutepar les croyances drsquoefficaciteacute crsquoest-agrave-dire que lrsquoattribution favorise motivationet performance si elle augmente le SEP par exemple si la personne pense avoirreacuteussi parce qursquoelle a les compeacutetences requises
1 Voir chapitre 4 dans cet ouvrage
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Sims et Lorenzi (1992) proposent quelques pistes drsquoaction pour laquo mana-ger raquo le biais eacutegocentrique encourager verbalement le fait de reconnaicirctreune erreur et reacuteprimander la dissimulation rechercher les causes reacuteelles etutiliser lrsquoeacutecoute active marquer la diffeacuterence entre les circonstances etlrsquoeffort comme causes possibles donner des objectifs speacutecifiques aux subor-donneacutes (ou mieux les neacutegocier avec eux) ecirctre plus attentif aux comportementset moins aux attitudes et traits de personnaliteacutehellip Une approche de Martinkoet Gardner (1987) met en rapport les interpreacutetations en termes drsquoattributioncausale du cadre et du subordonneacute et montre lrsquointeraction des deux logiquesindividuelles Par exemple si le cadre et le subordonneacute considegraverent que lrsquoeacutechecest ducirc agrave la malchance le cadre ne prendra pas de mesures et le subordonneacutene modifiera pas son comportement Si le cadre et le subordonneacute attribuentlrsquoeacutechec du subordonneacute agrave un manque drsquoeffort et que le cadre reacuteprimande lesubordonneacute le subordonneacute va accroicirctre son effort Cependant si le subor-donneacute continue agrave avoir de faibles reacutesultats ou si le cadre continue agrave sanctionnerneacutegativement le subordonneacute celui-ci attribuera la persistance de lrsquoeacutechec auxconditions exteacuterieures celles-ci comprenant les comportements punitifs ducadre
24 Leadership et justice organisationnelle
Depuis Adams (1965) et sa theacuteorie de la balance on sait que la perceptiondrsquoeacutequiteacute ou drsquoiniquiteacute peut conduire lrsquoindividu agrave moduler ses efforts danslrsquoorganisation Par exemple srsquoil eacutevalue qursquoil reccediloit moins qursquoil ne le devraiten contrepartie de ce qursquoil apporte agrave lrsquoentreprise le collaborateur pourrarevoir agrave la baisse sa contribution afin de reacutetablir lrsquoeacutequiteacute Les travaux sur lajustice organisationnelle sont venus compleacuteter cette approche Pour Lathamet Pinder (ibid) la perception de justice est aussi importante pour leleadership qursquoelle lrsquoest pour la motivation du personnel Les leaders doiventecirctre perccedilus comme justes par rapport aux reacutesultats obtenus et aux processusen lien avec les besoins psychologiques importants Si les employeacutes srsquoestimenttraiteacutes de faccedilon injuste ils peuvent reacutepondre sur le mode affectif (par exempleengagement faible) et comportemental (par exemple turnover)
Il nrsquoy a pas consensus sur les dimensions qui structurent la justice organi-sationnelle mais il est courant de distinguer la justice distributive qui permetagrave chacun de recevoir en fonction de sa contribution et la justice proceacuteduralequi renvoie ici au respect des regravegles explicites La justice interactionnellecrsquoest-agrave-dire celle qui correspond au sentiment drsquoecirctre traiteacute correctement par sonsupeacuterieur (les meacuteta-analyses citeacutees par Latham et Pinder la deacutesignent commedistincte de la justice proceacutedurale agrave laquelle certains auteurs la rattachent) estaussi agrave prendre en compte car elle exerce un rocircle tregraves important dans lesorganisations (Louche 2007) Lors drsquoune eacutetude sur les comportements anti-
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sociaux au travail nous avons constateacute agrave quel point le manque de respectaffecte psychologiquement ceux qui en sont atteints (Zeacutephir et Franccedilois2004) Conceptuellement le sentiment de justice srsquoarticule avec lrsquoattente dereacutesultat de second niveau et lrsquoinstrumentaliteacute dans le sens ougrave il devraitsrsquoassortir de la perception drsquoun environnement de travail reacuteactif (Banduravoir plus haut figure 112) et renforcer les croyances en la possibiliteacute drsquoobtenirles reacutesultats valoriseacutes
25 Leadership et culture organisationnelle
Beacutelanger (1986) propose cette deacutefinition de la culture organisationnelle laquo Une configuration plus ou moins homogegravene ou coheacuterente de repreacutesenta-tions et de significations ou de postulats [] qui ont cours agrave un momentdonneacute dans une organisation de travail qui sont partageacutes par les diversescateacutegories professionnelles et qui orientent et donnent un sens agrave leur actiondans un contexte socioculturel donneacute raquo
Pour Schein (1985) les leaders integravegrent et transmettent la culture organi-sationnelle 1) par ce agrave quoi ils accordent leur attention ce qursquoils mesu-rent et controcirclent 2) par leurs reacuteactions aux incidents critiques et aux crises3) par leur choix de critegraveres pour lrsquoallocation de ressources 4) par le mode-lage deacutelibeacutereacute des rocircles lrsquoenseignement et lrsquoentraicircnement (coaching) 5) parleur choix de critegraveres pour lrsquoattribution de reacutecompenses et de statuts 6) parleur choix de critegraveres de recrutement seacutelection promotion mise agrave lrsquoeacutecart eacutevic-tion Ce serait une des caracteacuteristiques des leaders transformationnels quedrsquoagir sur la culture alors que les autres leaders se comporteraient dans lecadre de la culture de leur organisation (Bass ibid)
De mecircme qursquoil nrsquoy a pas un one best way to manage il nrsquoy a pas demodegravele ideacuteal de culture qui serait lrsquoapanage des organisations performantes(Smith et Peterson 1988) Ceci implique pour les managers drsquoecirctre attentifsagrave la culture de leur organisation et agrave son eacutevolution permanente Il y a cepen-dant des aspects de la culture qursquoun manager souhaitera voir se deacutevelopperfavorablement par exemple une culture de lrsquoeacutevaluation des repreacutesentationsfavorables agrave la formation une culture du management des erreurs organisa-tionnelles (Van Dyck Frese Baer et Sonnentag 2005) Srsquoagissant de laformation nous avons rapprocheacute la culture apprenante de Schein (ibid) desrepreacutesentations des compeacutetences (Franccedilois et Aiumlssani ibid) La cultureapprenante srsquoassortirait de repreacutesentations des compeacutetences dites increacutemen-tielles dans la terminologie de Levy et Dweck (1998) (voir aussi Bandura ibid)Les personnes ayant ce type de conceptions des compeacutetences considegraverentcelles-ci comme malleacuteables et donc possibles agrave ameacuteliorer par appren-tissage contrairement aux personnes qui ont des conceptions fixistes descompeacutetences
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Dans cette seconde partie on voit comment le leader influence les repreacute-sentations que ses collaborateurs eacutelaborent agrave propos de la situation de travailOutre le leadership plusieurs courants de recherche et de reacuteflexion importantssont utiles pour appreacutehender le lien entre management et motivation Crsquoestlrsquoobjet de la troisiegraveme partie
3 MANAGEMENT ET MOTIVATION APPROCHES COMPLEacuteMENTAIRES
Lrsquoapproche socio-normative critique la theacuteorie de lrsquoengagement le manage-ment interculturel apportent des eacuteclairages compleacutementaires sur les processusdu modegravele social cognitif agrave lrsquousage du manager
31 Approche socio-normative critique
Beauvois (1984) a revisiteacute la ceacutelegravebre theacuteorie du controcircle interne versusexterne de Rotter (1954) en mettant en eacutevidence une norme drsquointernaliteacute Lasupeacuterioriteacute des reacutesultats (par exemple reacuteussite scolaire professionnelle) despersonnes ayant tendance agrave srsquoattribuer la responsabiliteacute de leurs actes (plutocirctque de lrsquoattribuer agrave des facteurs exteacuterieurs comme les circonstances ou lachancehellip) serait due agrave lrsquoapprobation sociale de cette faccedilon drsquointerpreacuteter lareacutealiteacute (et non aux qualiteacutes intrinsegraveques des personnes internes) La fonctionde ce renforcement social (lrsquoapprobation) serait la preacuteservation du systegravemesocial
Le manager normatif du point de vue de lrsquointernaliteacute favorise les attributionsinternes chez ses collaborateurs il les incite agrave internaliser Sur le versant delrsquoefficaciteacute de telles attributions procegravedent drsquoune responsabilisation des colla-borateurs drsquoune socialisation par inteacuteriorisation des normes de fonctionnementSur le versant de la critique socio-normative elles correspondent pour lecollaborateur agrave une interpreacutetation erroneacutee de la deacutetermination de ses proprescomportements cas typique drsquoalieacutenation qui consiste ici agrave mener agrave leur insudes personnes ou des groupes agrave penser et agir agrave lrsquoencontre de leurs inteacuterecirctsLrsquoalieacutenation est particuliegraverement aveacutereacutee quand on favorise lrsquointernalisationde lrsquoeacutechec Pour ne pas laquo faire de vagues raquo on voit bien qursquoil vaut mieux quecelui qui nrsquoa pas eu la promotion attendue soit persuadeacute que crsquoest parce qursquoilnrsquoa pas les qualiteacutes requises plutocirct qursquoil ne se dise et dise autour de lui quecrsquoest le systegraveme drsquoeacutevaluation laquo qui ne va pas raquo Toute la sagesse du managersera ici de trouver le point drsquoeacutequilibre entre responsabiliser et deacutemotiver Silrsquoattribution interne drsquoun eacutechec se fait en termes de compeacutetences celles-ci
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pouvant ecirctre acquises (par formation ou par expeacuterience) le collaborateur peutessayer drsquoameacuteliorer les compeacutetences requises pour le poste (encore faut-ilqursquoelles soient correctement deacutefinies) Si lrsquoattribution se fait en termes detraits peu eacutevolutifs comme la personnaliteacute ou les aptitudes alors le systegravemeaura bien eacuteteacute preacuteserveacute mais au deacutetriment de la dynamique individuelle Ondevine les reacutepercussions sur les SEP et AR
Un collectif de recherche coordonneacute par lrsquoeacutequipe SACO de lrsquouniversiteacute dePoitiers et subventionneacute par le ministegravere de lrsquoEacuteducation nationale de lrsquoensei-gnement supeacuterieur et de la recherche dans le cadre drsquoune action concerteacuteeincitative du reacuteseau national des Maisons des Sciences de lrsquoHomme exploreactuellement lrsquohypothegravese de lrsquoexistence drsquoune norme de motivation intrinsegraveque(Franccedilois 2004b) Ces travaux srsquoinscrivent dans la perspective socio-normativedont il vient drsquoecirctre question et srsquoappliquent de faccedilon critique au modegravele deDeci et Ryan (1985)
Deci et Ryan (ibid) ont proposeacute de classer diffeacuterentes formes de motivationselon un continuum drsquoautodeacutetermination Selon ces auteurs il y a un besoinpsychologique fondamental de se sentir agrave lrsquoorigine de ses actes besoindrsquoautonomie qui fonde lrsquoautodeacutetermination Celle-ci est en lien avec deuxautres besoins fondamentaux besoin de compeacutetence et besoin drsquoaffiliationLa forme de motivation la plus typiquement autodeacutetermineacutee est la motivationintrinsegraveque (MI) Les diffeacuterents types de motivation extrinsegraveque (ME) seplacent agrave des niveaux plus ou moins autodeacutetermineacutes sur le continuum Crsquoestpar un processus drsquointernalisation des renforcements externes que la ME gagneen autodeacutetermination
Les travaux du collectif ont pu mettre en eacutevidence la valorisation socialedes formes intrinsegraveques et autodeacutetermineacutees de motivation Quand les genscherchent agrave se faire bien voir ils mettent lrsquoaccent sur ces formes (Franccedilois2006) Ils deacuteclarent avoir de lrsquointeacuterecirct pour les activiteacutes y prendre plaisir et srsquoyreacutealiser (registre de la MI) ils avancent que ce type de travail est conforme agraveleurs choix de vie (registre de la ME autodeacutetermineacutee) Pour se faire bien voirils eacutevitent les arguments motivationnels de type extrinsegraveque faiblement auto-deacutetermineacutes comme les avantages mateacuteriels ou prouver qursquoon est capable Laconnaissance de ces strateacutegies drsquoauto-preacutesentation aidera le manager agrave analyserles deacuteclarations de motivation par exemple dans les proceacutedures de recrutement
En matiegravere drsquoeacutevaluation il semble que la personne motiveacutee intrinsegravequementsoit plus perccedilue comme agreacuteable sur le plan relationnel et celle motiveacutee extrin-segravequement davantage comme quelqursquoun drsquoefficace (Franccedilois 2007) Cesreacutesultats renvoient respectivement aux dimensions deacutesirabiliteacute et utiliteacute sociales(Cambon 2006a et b) En fait crsquoest surtout la composante stimulation de laMI (trouver du plaisir dans les activiteacutes de travail) qui nrsquoest pas rattacheacutee agravelrsquoutiliteacute alors que les formes de ME y sont drsquoautant plus associeacutees qursquoellessont autodeacutetermineacutees (Franccedilois 2008) Ces tendances geacuteneacuterales de perceptionde la motivation seraient identiques chez des eacutevaluateurs professionnels
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(Franccedilois Deacuteziri Lesieur et Louche agrave paraicirctre) mais il reste agrave savoir commentceux-ci tiennent compte du contexte dans leurs jugements professionnelsPour le manager il ressort de ces travaux qursquoen lrsquoabsence drsquoune analyserigoureuse de la situation de travail les valorisations sociales implicitesconstituent des biais potentiels dans lrsquoeacutevaluation des collaborateurs ou lesrecrutements
Une autre difficulteacute avec le modegravele de Deci et Ryan appliqueacute agrave la gestiondes ressources humaines est la place accordeacutee agrave lrsquointernalisation Explicite-ment plusieurs auteurs de ce courant tablent sur ce processus pour amenerles agents agrave faire drsquoeux-mecircmes les tacircches reacutebarbatives que spontaneacutement ilsrechignent agrave exeacutecuter et qui neacutecessitent donc une reacutegulation par lrsquoencadrementhieacuterarchique (voir Franccedilois 2006 Valleacutee et Franccedilois agrave paraicirctre) La theacuteoriede Deci et Ryan stipule qursquoen renforccedilant le sentiment de compeacutetence et celuidrsquoecirctre soutenu socialement la motivation autodeacutetermineacutee est rehausseacutee Silrsquoencadrant parvient agrave persuader ses collaborateurs que la tacircche reacutebarbativedemande des compeacutetences et qursquoil leur assure son soutien alors les collabo-rateurs devraient plus volontiers reacutealiser ces tacircches (Gagneacute et Deci 2005 Sheldon Turban Brown Barrick et Judge 2003) Dans lrsquooptique theacuteoriquede Deci et Ryan il srsquoagit donc drsquoaider les collaborateurs agrave inteacutegrer la neacuteces-siteacute drsquoeffectuer des aspects peu attractifs du travail ce qui relegraveve drsquoune fonc-tion formatrice socialisante du management Mais dans certains contextesorganisationnels ougrave le management eacutethique nrsquoest pas sans faille le risqueexiste qursquoune telle internalisation ne serve des fins moins constructivescomme celles deacutepeintes par la critique socio-normative de lrsquointernalisa-tion
32 Engagement
Cette theacuteorie trouve son origine principalement dans les travaux de Kiesler(1971) dont Beauvois et Joule (2002) nous rappellent une formulationinitiale laquo Lrsquoengagement serait tout simplement [hellip] le lien qui existe entrelrsquoindividu et ses actes raquo Meyer et Herscovitch (2001) ajoutent que ces actessont orienteacutes vers une cible (par exemple lrsquoorganisation le meacutetier lrsquoenca-drant lrsquoeacutequipe la mission le clienthellip) Meyer Becker et Vandenberghe (2004)preacutecisent que lrsquoengagement est une des forces eacutenergisantes qui contribuentau comportement motiveacute
Locke (ibid) place lrsquoengagement comme variable meacutediatrice entre lesobjectifs et la performance (lrsquoengagement favorise lrsquoatteinte des objectifs doncla performance) et comme conseacutequence de la motivation (la satisfaction reacutesul-tant de lrsquoaction renforce lrsquoengagement organisationnel) Cette conception estcompatible avec le modegravele social cognitif que nous proposons lrsquoengagementinterviendrait ainsi comme reacutegulateur entre lrsquoexpectation (SEP et AR1) et lesreacutesultats de premier niveau
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Si lrsquoon srsquointeacuteresse aux anteacuteceacutedents de lrsquoengagement organisationnel ontrouve qursquoil est principalement lieacute agrave la satisfaction au travail (Meyer StanleyHerscovitch et Topolnytsky 2002) qursquoelle soit intrinsegraveque (r = 068) ouextrinsegraveque (r = 071) Pour le manager qui veut des collaborateurs engageacutes leschoses sont claires ils doivent tirer de la satisfaction de leurs activiteacutesprofessionnelles Dans une perspective plus fondamentale Beauvois et Joule(ibid) nous livrent drsquoautres cleacutes rappelant que le degreacute drsquoengagement vis-agrave-visdrsquoun acte sera drsquoautant plus fort que lrsquoacteur aura le sentiment drsquoavoir agi entoute liberteacute de son propre choix que cet acte a de lrsquoimportance agrave ses yeux(par exemple parce qursquoil est coucircteux) qursquoil a eacuteteacute eacutemis en public et qursquoilsemble irreacutevocable Ici la psychologie sociale expeacuterimentale met agrave jour uneveacuteritable technologie pour obtenir lrsquoengagement La qualiteacute des objectifspoursuivis deacutetermine si on est en preacutesence drsquoun management constructif ouqui cegravede aux tentations de la manipulation
33 Management interculturel
Dans notre modegravele de synthegravese lrsquoenvironnement culturel influe sur le traite-ment individuel de lrsquoinformation motivationnelle La psychologie culturelleet interculturelle fournit nombre drsquoarguments pour eacutetayer cette option qui a desimplications sur le plan du management des motivations Des deacuteveloppementsreacutecents confortent ce point de vue
Agrave la lecture de Markus et Kitayama (2003) on comprend qursquoil y a un risquedrsquoerreur scientifique agrave consideacuterer comme universels les processus psycho-logiques observeacutes dans la classe moyenne nord ameacutericaine Cette remarqueconcerne la conception de lrsquoagentiviteacute (faccedilon drsquoagir sur le monde) indeacutepen-dante centreacutee sur lrsquoindividu comme origine des actions sur ses choix saliberteacute ses intentions ses mobiles sa capaciteacute de controcircle Ce modegravele drsquoagen-tiviteacute nrsquoest pas le seul existant Un autre modegravele interdeacutependant met lrsquoaccentsur les relations entre les gens la solidariteacute la prise en compte des attentesdrsquoautrui la responsabiliteacute et les obligations vis-agrave-vis des autres le controcirclecollectif Or non seulement les processus relatifs agrave lrsquoagentiviteacute varient drsquouneculture agrave lrsquoautre mais il semble qursquoils varient aussi selon la classe socialedrsquoappartenance Si le modegravele indeacutependant est repreacutesentatif des pays occiden-taux notamment Eacutetats-Unis et le modegravele interdeacutependant attacheacute aux paysorientaux et socieacuteteacutes traditionnelles les sujets nord ameacutericains issus de classesmoins favoriseacutees (opeacuterationnaliseacutees par le niveau drsquoeacuteducation) seraient moinsenclins agrave adopter et agrave se comporter selon le modegravele indeacutependant Dans lrsquoappro-che culturelle les processus psychologiques ne sont pas consideacutereacutes commeuniversels car ils sont deacutetermineacutes par le fonctionnement des systegravemes sociaux eacuteconomie lois politique technologie ressources mateacuterielleshellip (Nisbett et al2001) Les variations en fonction de la classe sociale rapporteacutees par Markuset Kitayama indiquent que les processus psychologiques deacutependent de la
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place occupeacutee agrave lrsquointeacuterieur drsquoun systegraveme social donneacute Il nrsquoapparaicirct donc pasfondeacute drsquoappliquer systeacutematiquement les modegraveles indeacutependants
Le manager est une fois de plus averti de la neacutecessiteacute de prendre en consi-deacuteration la dynamique des repreacutesentations de ses collaborateurs qui nrsquoest pasneacutecessairement la mecircme que la sienne ni celle des modegraveles indeacutependants dela motivation Markus et Kitayama (ibid) signalent que la TSC de Banduraavec le concept de sentiment drsquoefficaciteacute collective fait partie des tentativesde conceptualiser lrsquoagentiviteacute autrement que sur le mode indeacutependant
4 SYNTHEgraveSE ET PERSPECTIVES
Le lecteur aura trouveacute dans les pages preacuteceacutedentes nombre drsquoindicationsmontrant lrsquoinfluence possible du management sur les repreacutesentations impli-queacutees dans les processus motivationnels Dans un article de 1996 noussignalions deacutejagrave lrsquoavanceacutee des travaux en psychologie pour arriver agrave un mana-gement du sens et alerteacute aussi contre la tentation de srsquoen servir agrave des finsmanipulatoires plutocirct que constructives Lrsquousage drsquoune technologie psycho-sociale pour infleacutechir le sens attribueacute aux eacuteleacutements du travail nrsquoest envisageableque dans un cadre eacutethique Il ne nous appartient pas ici de deacutefinir un tel cadremais on peut le souhaiter eacutetabli de sorte qursquoen soient eacuteloigneacutes les risquessignaleacutes drsquoalieacutenation Les concepts drsquoempowerment et de contrat psycho-logique sont en rapport avec cette orientation
Lrsquoempowerment ou habilitation du personnel dans son acception structuralecorrespond agrave des pratiques de deacuteleacutegation drsquoautoriteacute et de responsabiliteacute enversles employeacutes et dans son acception psychologique agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue etressentie par les employeacutes de cette deacuteleacutegation (Mathieu Gilson et Rudy2006) Le versant psychologique de lrsquohabilitation est agrave lrsquoeacutevidence en priseavec des processus motivationnels puisqursquoil est question de perceptions deses propres compeacutetences pour accomplir le travail de sentiment drsquoauto-deacutetermination ou de liberteacute dans lrsquoaccomplissement des tacircches de la convictionde faire un travail important et qui contribue agrave lrsquoefficaciteacute du systegraveme CommeMenon (2001) nous pensons qursquoil ne faut pas dissocier les dimensions struc-turales et psychologiques Par lrsquoaction sur le structurel (deacutefinition de posteenrichissement des tacircches autonomie processus de deacutecision) le managementdu sens est en prise avec les pratiques reacuteelles et eacutevite lrsquoeacutecueil du recours tropexclusif aux processus drsquoinfluence et de persuasion
Agrave la suite des travaux de Rousseau (2001) et de Morrison et Robinson(1997) nous retiendrons que le contrat psychologique (CP) est un scheacutema oumodegravele mental agrave partir duquel lrsquoindividu perccediloit et eacutevalue sa relation agravelrsquoorganisation La norme de reacuteciprociteacute joue un rocircle important dans les
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processus lieacutes au CP Elle amegravene lrsquoindividu en fonction de sa perception depromesses eacutemises par lrsquoorganisation et de facteurs personnels agrave deacutevelopperdes attentes vis-agrave-vis de sa situation de travail Lorsque lrsquoindividu estime quelrsquoorganisation ne respecte pas ses obligations cette rupture du CP entraicircnedes conseacutequences en termes drsquoinsatisfaction de deacutesengagement drsquointentionde quitter lrsquoorganisation (Dulac 2005) ce qui touche de pregraves agrave des processusmotivationnels Une part de responsabiliteacute dans la formation et le deacuteveloppe-ment du CP eacutechoit au manager par la qualiteacute des relations qursquoil entretientavec ses collaborateurs et le soutien organisationnel agrave leur eacutegard qursquoil saurafavoriser
Les thegravemes que nous venons drsquoeacutevoquer en rapport avec la motivationrenvoient plus ou moins implicitement agrave lrsquoexercice de la deacutemocratie au seinde lrsquoorganisation Belle occasion de rappeler que dans notre modegravele de moti-vation les processus intra-psychiques sont en eacutetroite relation avec le systegravemesocial Le modegravele expectation-valence base de notre approche a eacuteteacute critiqueacutepour ecirctre fondeacute sur le principe de la recherche de la satisfaction maximale(Thill ibid) qui plus est individuelle Il est notoire que les motivationsindividuelles sont potentiellement divergentes sinon conflictuelles Le fonc-tionnement deacutemocratique du systegraveme social influencerait les processus moti-vationnels individuels par exemple en rendant moins probables les objectifset moyens drsquoaction nuisibles au collectif en renforccedilant le sentiment desoutien social et les chances de reacuteussite (collaboration constructive) quifondent le SEP
Des promoteurs du fonctionnement deacutemocratique des organisations commeButcher et Clarke (2002) srsquoeacutemeuvent des modestes avanceacutees dans ce domainelors des derniegraveres deacutecennies Pour ces auteurs la deacutemocratie organisationnelleest une reacuteponse aux impeacuteratifs reacuteels du monde des affaires avanceacutees techno-logiques innovation globalisation et inteacuterecirct croissant pour lrsquoeacutethique dans lesaffaires contraignent le management dans le sens deacutemocratique (ibid) Levin(2006) cite le facteur eacuteconomique comme une des trois raisons drsquoopter pourle fonctionnement deacutemocratique Une autre raison est lrsquoeacutethique le refus delrsquoalieacutenation des travailleurs creacutee les conditions drsquoune agentiviteacute bien fondeacutee(et non fondeacutee sur un malentendu comme dans lrsquoalieacutenation que nous avonsdeacutecrite plus haut) Troisiegraveme raison de Levin (ibid) la politique le fonc-tionnement deacutemocratique des organisations favorise celui de nos socieacuteteacutesOn rejoint ainsi Mintzberg (1983) pour qui laquo une socieacuteteacute ne peut se dire libresi ses principales institutions [les organisations] ne sont pas sous controcircledeacutemocratique raquo Management et motivation sont bien en prise avec des enjeuxcruciaux
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Chapitre 12
MOTIVATION ET FORMATION DES ADULTES1
1 Par Eacutetienne Bourgeois
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1 LA MOTIVATION UNE QUESTION TABOUE DANS LE CHAMP DE LA FORMATION
Le fait mecircme de se poser la question de la motivation dans le champ de laformation drsquoadultes ne va pas sans soulever certaines ambiguiumlteacutes qursquoil srsquoagitde clarifier drsquoembleacutee Sur le terrain mdash les entreprises les administrationspubliques la formation professionnelle lrsquoinsertion socioprofessionnelle etcmdash cette question est plus que jamais agrave lrsquoordre du jour comment dynamiser(re)motiver les employeacutes et les cadres susciter une implication plus forte etplus entiegravere de toute leur personne dans leur travail comment laquo reacuteactiver raquo(sic) (re)mettre en projet des chocircmeurs ou des personnes agrave faible niveau dequalification comment motiver les apprenants en formation etc Elle faitdonc ainsi lrsquoobjet drsquoun intense usage social mdash dans le discours et les prati-ques mdash qui nrsquoa pas manqueacute drsquoecirctre repeacutereacute finement analyseacute et le plus souventstigmatiseacute par les sociologues contemporains On connaicirct lrsquoargument et sesmultiples variantes Lrsquoinjonction faite aux salarieacutes chocircmeurs analphabegravetespublics faiblement qualifieacutes cadres etc agrave se motiver et agrave se former partici-perait en bref de ce laquo nouvel esprit du capitalisme raquo (Boltanski et Chiapello1999) qui vise agrave rendre individuellement responsables de leur sort les acteursdu monde du travail Qursquoils soient confronteacutes agrave drsquoincessantes restructurationsde leur entreprise agrave une exigence croissante de laquo mobiliteacute raquo de laquo flexibiliteacute raquode laquo productiviteacute raquo etc les employeacutes et les cadres doivent se former mdash et semotiver mdash pour laquo rester dans la course raquo maintenir leur laquo employabiliteacute raquoet crsquoest agrave eux qursquoincombe la responsabiliteacute de le faire Et si drsquoaventure ilsperdent leur emploi qursquoagrave cela ne tienne il srsquoagira lagrave encore de laquo reacuteactiver raquole chocircmeur il lui revient de se (re)motiver et se former encore pour resterlaquo dans le coup raquo maintenir son employabiliteacute
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236 ENJEUX POUR LES PRATIQUES
Mais la question pour nous est la suivante Peut-on au nom de cettedeacutenonciation mdash aussi leacutegitime soit-elle mdash de lrsquousage social de la notion demotivation (et mecircme plus largement de formation) en arriver agrave interdirede penser de se poser la question mdash dans le registre de lrsquointelligibiliteacute mdash desprocessus motivationnels en formation Chercher agrave comprendre ces processusindividuels et psychosociaux (il en va de mecircme plus largement pour laquestion de lrsquoapprentissage adulte) suppose-t-il que lrsquoon soit drsquooffice a priorisuspecteacute de participer agrave lrsquoavegravenement de ce laquo nouvel esprit du capitalisme raquo Le parti pris dans cette contribution est que non Que progresser dans lacompreacutehension des processus drsquoapprentissage et de motivation peut tout aussibien servir drsquoautres fins politiques et ideacuteologiques que celle-lagrave Que mieuxcomprendre comment un adulte apprend et srsquoengage dans un processus deformation peut tout aussi bien servir un projet laquo eacutemancipatoire raquo de formationDans le fond ce problegraveme concerne plus globalement toute recherche dansle champ de lrsquoeacuteducation mais elle est particuliegraverement brucirclante dans celui dela formation drsquoadultes speacutecifiquement plus particuliegraverement srsquoagissant de laquestion de la motivation
2 LA MOTIVATION CONCEPT DrsquoACTION OU CONCEPT DrsquoINTELLIGIBILITEacute
Un deuxiegraveme problegraveme concerne le statut eacutepisteacutemologique et theacuteorique de lanotion de motivation Celle-ci relegraveve typiquement de ce que Barbier appelle lalaquo seacutemantique de lrsquoaction raquo (Barbier 2000) investie comme on lrsquoa dit drsquousagessociaux plus ou moins intenses au mecircme titre que drsquoautres en vogue dans lechamp de la formation tels que laquo compeacutetences raquo laquo besoins de formation raquolaquo interdisciplinariteacute raquo etc Vu leur fonction sociale les concepts de ce typese caracteacuterisent par une grande polyseacutemie des contours flous un faible degreacutedrsquolaquo observabiliteacute raquo autant de caracteacuteristiques qui leur permettent preacuteciseacutementdrsquoexercer les fonctions sociales dont ils sont investis dans les champs depratiques concerneacutes En ce sens ils se distinguent de laquo concepts drsquointelligibi-liteacute raquo dont la fonction premiegravere est de rendre compte (deacutecrire comprendreexpliquer interpreacuteter) drsquoexistants observeacutes (ibid) Or comme souvent ensciences humaines une mecircme notion est investie de cette double fonction etde ce double statut de concept drsquoaction et drsquointelligibiliteacute Crsquoest bien entendule cas de la notion de motivation couramment utiliseacutee tant par les profes-sionnels sur le terrain que par les chercheurs Or se mettre agrave utiliser la notionagrave des fins drsquointelligibiliteacute nous confronte immeacutediatement agrave ses limites pour untel usage Comment puis-je en effet observer laquo la motivation raquo drsquoun apprenant Le paradigme social-cognitif au centre de ce Traiteacute (et discuteacute eacutegalement parBourgeois 2006a Galand et Bourgeois 2007) permet de transformer la notion
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