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10 www.leprogres.fr SAMEDI 6 AOÛT 2016 LE PROGRÈS A ccompagner les détenus dans leur recherche d’emploi, vérifier qu’ils se soignent ou paient leurs indemni- tés, mettre en place des groupes de pa- role, repérer ceux qui basculent dans l’islam radical, gérer la paperasse ad- ministrative… Les vingt-sept con- seillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) stéphanois gèrent chacun cent trente dossiers, quand les normes pénitentiaires européennes en préconisent soixante. « C’est de l’abattage, on gère des masses de gens » Dans les territoires ruraux, le ratio est aussi plus élevé, avec une moyenne de cent dossiers par personne, comme, par exemple, au Puy-en-Velay. Conscient du rapport déséquilibré (conseillers/personnes prises en charge), le ministère de la Justice a an- noncé un recrutement de mille agents en 2014. Avec les départs à la retraite et changements de profession, les quatre embauches au Service péni- tentiaire d’insertion et de probation de la Loire n’ont pas changé la donne. Le 10 juin, quinze agents se sont dé- placés durant leur pause déjeuner – ils n’ont pas le droit de grève – devant le Palais de justice de Saint-Étienne. Lassés, ils sont venus réclamer de meilleures conditions de travail. Une petite blonde, en poste à la mai- son d’arrêt de La Talaudière, fulmi- nait. « On fait de la quantité au détri- ment de la qualité. Le premier entretien individuel (sorte d’analyse complète du détenu : situation per- sonnelle, familiale, but dans la vie, et base du projet d’accompagnement, NDLR), est passé d’une heure à trente minutes. Les rendez-vous mensuels, supposés créer un lien de confiance et assurer une continuité dans le suivi, n’ont lieu que tous les deux ou trois mois, et se résument par un bonjour, contrôle des obligations, au revoir ». À côté, un collègue annonçait vingt- cinq rendez-vous dans son planning du jour. « C’est de l’abattage. On gère des masses de gens. On se contente de les renvoyer vers la CAF ou les assis- tantes sociales. » « Il arrive qu’ils nous laissent des mes- sages suicidaires sur le répondeur quand ils vivent une période difficile. Mais avec tout le boulot qu’on a, on ne prend pas forcément la peine de les écouter… », ajoute un autre con- seiller. À l’association du Grep de la Loire (Groupe réinsertion emploi proba- tionnaires), les détenus ne s’y trom- pent pas. « Les CPIP, c’est des fonc- tionnaires de l’État, ils rendent des comptes. Si t’as envie de parler de tes problèmes, ils te disent qu’il y a des psychologues pour ça », résume Maydhine, 27 ans, les yeux cernés, condamné à 36 mois de détention pour violences, en régime de semi-li- berté. Samir, 34 ans, voix posée et bra- celet électronique au pied, dénonce une hypocrisie. « Tant que tu passes pas devant le JAP (juge d’application des peines), t’es pas leur priorité. » Marion Saive NOTE Contactée, la direction du Service pénitentiaire d’insertion et de probation de la Loire n’a pas donné suite à nos sollicitations. LOIRE ENQUÊTE La Loire, territoire à composante rurale, n’est pas la priorité de l’Admi- nistration pénitentiaire, qui renforce d’abord les régions dites à risques. À Saint-Étienne donc, les dossiers s’entassent. En sous-effectif, les 27 conseillers pénitentiaires croulent sous le travail. Le suivi des détenus et la réinsertion sont mis à mal. Et le contexte terroriste rebat les cartes des services pénitentiaires. n Pour le milieu fermé, la maison d’arrêt de La Talaudière comptait 329 personnes détenues au 1 publie plus aucun chiffre depuis le premier trimestre 2015. Au 1 er janvier 2015, le Service pénite « Soit on fait un service minimum pour tout le monde, soit on fait des choix », tranche Philippe Pottier, ex-directeur de l’École nationale de l’Administration pénitentiaire, retraité depuis janvier. Les condamnés en assises et les agresseurs sexuels sont prioritai- res sur les auteurs de vols ou braquages. « C’est humain, on va d’abord vers les dossiers pour lesquels on craint le plus la récidive », commente Olivier Caquineau, secrétaire général Sne- pap-FSU. Même si les études démontrent que le violeur récidive deux fois moins (19 % sur mineur, 39 % sur adulte) que le petit délinquant (74 % pour un vol simple, 76 % pour violences) (1) . Ces derniers n’ont parfois qu’un seul rendez-vous sur toute la durée de leur détention. « C’est pourtant avec ces jeunes en manque de repères qu’on peut agir. Pour beaucoup, il suffirait de leur redonner une place dans la société », commente une travailleuse sociale d’un foyer d’hébergement pour sortants de prison. Alors, ce manque d’accompagnement se traduit en « sorties sèches » : 80 % des détenus français quittent la prison sans même que leur pièce d’identité n’ait été renouvelée ou qu’une procédure pour l’accès aux droits sociaux n’ait été lancée. Or, sans suivi, 63 % des sortants de détention y retournent dans les cinq ans. Avec un taux de récidive global à 59 %, en hausse de sept points depuis la fin des années 90, la France est loin de ses voisins nordiques : 20 % environ pour la Finlande et la Norvège, qui ont préféré la réhabilitation à la prison. (1) Étude de 2011 d’Annie Kensey (chercheuse et démographe de l’Administration pénitentiaire) menée sur un échantillon national de 7 000 sortants de prison, entre le 1 er juin et le 31 décembre 2002. 59 % de taux de récidive en France, 20 % en Scandinavie La situation préoccupante des 130 Le nombre de dossiers suivi par chacun des vingt-sept con- seillers pénitentiaires de Saint- Étienne. En France, un CPIP suit en moyenne 70 dossiers, mais suivant les régions et les problématiques de terrain, le ratio n’est pas le même. À Marseille, « capitale de la criminali- té », les services ont été renforcés et chaque CPIP suit environ 60 dossiers. L’urgence des conseillers, c’est d’être à jour dans les dossiers. Aides à la décision judiciaires depuis 2014, ils transmettent les comptes-rendus d’entretiens aux magistrats qui jaugent, sur le papier, le profil des détenus pour leur accorder ou non leur aména- gement de peine. Bilan, les agents tapent rapport sur rapport. Le plus souvent assis devant leurs ordinateurs, les conseillers sor- tent peu rencontrer les familles ou participer aux formations de l’École nationale de l’Administra- tion pénitentiaire, à Agen. « Je m’interdis de les faire, sinon je rame pendant des semaines pour rattraper le retard dans mes dos- siers », dit une CPIP. ZOOM « Je m’interdis de faire des formations, sinon je rame pour rattraper le retard »

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SAMEDI 6 AOÛT 2016 LE PROGRÈS

Accompagner les détenus dans leurrecherche d’emploi, vérifier qu’ils

se soignent ou paient leurs indemni-tés, mettre en place des groupes de pa-role, repérer ceux qui basculent dans l’islam radical, gérer la paperasse ad-ministrative… Les vingt-sept con-seillers pénitentiaires d’insertion et deprobation (CPIP) stéphanois gèrent chacun cent trente dossiers, quand lesnormes pénitentiaires européennes en préconisent soixante.

« C’est de l’abattage, on gère des masses de gens »

Dans les territoires ruraux, le ratio est aussi plus élevé, avec une moyenne decent dossiers par personne, comme, par exemple, au Puy-en-Velay.Conscient du rapport déséquilibré (conseillers/personnes prises en charge), le ministère de la Justice a an-noncé un recrutement de mille agentsen 2014. Avec les départs à la retraite et changements de profession, lesquatre embauches au Service péni-tentiaire d’insertion et de probation de la Loire n’ont pas changé la donne.Le 10 juin, quinze agents se sont dé-placés durant leur pause déjeuner – ilsn’ont pas le droit de grève – devant le Palais de justice de Saint-Étienne. Lassés, ils sont venus réclamer de meilleures conditions de travail.Une petite blonde, en poste à la mai-son d’arrêt de La Talaudière, fulmi-nait. « On fait de la quantité au détri-ment de la qualité. Le premier entretien individuel (sorte d’analyse complète du détenu : situation per-sonnelle, familiale, but dans la vie, et base du projet d’accompagnement,

NDLR), est passé d’une heure à trenteminutes. Les rendez-vous mensuels, supposés créer un lien de confiance etassurer une continuité dans le suivi, n’ont lieu que tous les deux ou trois mois, et se résument par un bonjour, contrôle des obligations, au revoir ».À côté, un collègue annonçait vingt-cinq rendez-vous dans son planning du jour. « C’est de l’abattage. On gère des masses de gens. On se contente deles renvoyer vers la CAF ou les assis-tantes sociales. »« Il arrive qu’ils nous laissent des mes-sages suicidaires sur le répondeur quand ils vivent une période difficile. Mais avec tout le boulot qu’on a, on neprend pas forcément la peine de les écouter… », ajoute un autre con-seiller.À l’association du Grep de la Loire (Groupe réinsertion emploi proba-tionnaires), les détenus ne s’y trom-pent pas. « Les CPIP, c’est des fonc-tionnaires de l’État, ils rendent des comptes. Si t’as envie de parler de tes problèmes, ils te disent qu’il y a des psychologues pour ça », résume Maydhine, 27 ans, les yeux cernés, condamné à 36 mois de détentionpour violences, en régime de semi-li-berté. Samir, 34 ans, voix posée et bra-celet électronique au pied, dénonce une hypocrisie. « Tant que tu passes pas devant le JAP (juge d’application des peines), t’es pas leur priorité. »

Marion Saive

NOTE Contactée, la direction du Service pénitentiaire d’insertion et de probation de la Loire n’a pas donné suite à nos sollicitations.

LO I R E ENQUÊTE

La Loire, territoire à composante rurale, n’est pas la priorité de l’Admi-nistration pénitentiaire, qui renforce d’abord les régions dites à risques. À Saint-Étienne donc, les dossiers s’entassent. En sous-effectif, les 27 conseillers pénitentiaires croulent sous le travail. Le suivi des détenus et la réinsertion sont mis à mal. Et le contexte terroriste rebat les cartes des services pénitentiaires.

nPour le milieu fermé, la maison d’arrêt de La Talaudière comptait 329 personnes détenues au 1er juillet, pour 7 conseillers d’insertion et de probation. Pour le milieu ouvert, l’Administration pénitentiaire ne publie plus aucun chiffre depuis le premier trimestre 2015. Au 1er janvier 2015, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation de la Loire suivait 1 931 personnes pour une vingtaine de CPIP. Photo LE PROGRÈS

« Soit on fait un service minimum pour tout le monde, soit on faitdes choix », tranche Philippe Pottier, ex-directeur de l’Écolenationale de l’Administration pénitentiaire, retraité depuis janvier.Les condamnés en assises et les agresseurs sexuels sont prioritai-res sur les auteurs de vols ou braquages. « C’est humain, on vad’abord vers les dossiers pour lesquels on craint le plus larécidive », commente Olivier Caquineau, secrétaire général Sne-pap-FSU. Même si les études démontrent que le violeur récidivedeux fois moins (19 % sur mineur, 39 % sur adulte) que le petitdélinquant (74 % pour un vol simple, 76 % pour violences) (1). Cesderniers n’ont parfois qu’un seul rendez-vous sur toute la durée deleur détention. « C’est pourtant avec ces jeunes en manque derepères qu’on peut agir. Pour beaucoup, il suffirait de leurredonner une place dans la société », commente une travailleusesociale d’un foyer d’hébergement pour sortants de prison.Alors, ce manque d’accompagnement se traduit en « sortiessèches » : 80 % des détenus français quittent la prison sans mêmeque leur pièce d’identité n’ait été renouvelée ou qu’une procédurepour l’accès aux droits sociaux n’ait été lancée. Or, sans suivi,63 % des sortants de détention y retournent dans les cinq ans.Avec un taux de récidive global à 59 %, en hausse de sept pointsdepuis la fin des années 90, la France est loin de ses voisinsnordiques : 20 % environ pour la Finlande et la Norvège, qui ontpréféré la réhabilitation à la prison.

(1) Étude de 2011 d’Annie Kensey (chercheuse et démographe de l’Administration pénitentiaire) menée sur un échantillon national de 7 000 sortants de prison, entre le 1er juin et le 31 décembre 2002.

59 % de taux de récidive en France,20 % en Scandinavie

La situation préoccupante des conseillers pénitentiaires

130 Le nombre de dossiers suivi par chacun des vingt-sept con-seillers pénitentiaires de Saint-Étienne. En France, un CPIP suit en moyenne 70 dossiers, mais suivant les régions et les problématiques de terrain, le ratio n’est pas le même. À Marseille, « capitale de la criminali-té », les services ont été renforcés et chaque CPIP suit environ 60 dossiers.

L’urgence des conseillers, c’est d’être à jour dans les dossiers. Aides à la décision judiciaires depuis 2014, ils transmettent les comptes-rendus d’entretiens aux magistrats qui jaugent, sur le papier, le profil des détenus pour leur accorder ou non leur aména-gement de peine. Bilan, les agents tapent rapport sur rapport. Le

plus souvent assis devant leurs ordinateurs, les conseillers sor-tent peu rencontrer les familles ou participer aux formations de l’École nationale de l’Administra-tion pénitentiaire, à Agen. « Je m’interdis de les faire, sinon je rame pendant des semaines pour rattraper le retard dans mes dos-siers », dit une CPIP.

ZOOM

« Je m’interdis de faire des formations, sinon je rame pour rattraper le retard »

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LOI - 1

ACTU LOIRE ET RÉGION

LO I R E ENQUÊTE

nPour le milieu fermé, la maison d’arrêt de La Talaudière comptait 329 personnes détenues au 1er juillet, pour 7 conseillers d’insertion et de probation. Pour le milieu ouvert, l’Administration pénitentiaire ne publie plus aucun chiffre depuis le premier trimestre 2015. Au 1er janvier 2015, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation de la Loire suivait 1 931 personnes pour une vingtaine de CPIP. Photo LE PROGRÈS

La situation préoccupante des conseillers pénitentiaires

Avec les attentats terroristes qui se-couent la France depuis un an et demi,les fichés S retiennent toute l’atten-tion des conseillers pénitentiaires. Dé-jà sous l’eau, les conseillers d’insertiondoivent repérer les comportements is-lamistes radicaux des détenus. Mais avec une sensibilisation express d’unedemi-journée pour la majorité d’entre eux, qui se résume à différencier sala-fisme et terrorisme ou visionner un film scénarisé sur la radicalisation, les outils sont maigres pour agir sur le ter-rain. Barbes trop longues ou soudain rasées, propos anti-français et conver-sions à l’islam sont parfois signalés à tort et à travers.

« Alors est-ce qu’on ouvre le parapluie ? »« Après le 13 novembre, on a entendudes “Vous l’avez bien cherché, vu comme vous nous traitez, faut vous attendre à ce que ça recommence”. Pourtant, ces mêmes personnes trai-tent Daesh de salauds… C’est comple-xe, explique une CPIP. Si on ne dit rienet qu’il se passe quelque chose, ça re-tombe sur nous. Alors est-ce qu’on ouvre le parapluie et on signale tout

comportement suspicieux ? Ou on prend le risque de trier et de passer à côté d’individus radicalisés ? »« On doit renseigner ? Ou prendre en charge les personnes qu’on soupçon-ne d’être radicalisées ? », questionne un autre. Pour répondre à l’urgence et renforcer les équipes, le Plat (Plan de lutte antiterroriste), ordonné à la va-

vite en février 2015, a été lancé. Il a permis de créer 483 postes d’éduca-teurs et dégager un budget de 80 M€. Après une formation éclair d’un an, les psychologues tout juste sortis de l’Enap ont été engagés pour travailler en binôme avec les conseillers d’inser-tion.Censée soulager les services péniten-

tiaires, cette cohabitation vire au fiasco. Faute de consignes claires, les deux corps de métiers naviguent à vue. « Ils ont zéro expérience en mi-lieu pénitentiaire, lâche un CPIP. Ils assistent aux entretiens individuels, ont accès à nos dossiers… On se mar-che dessus. Quand t’as un collègue clairement étiqueté “lutte contre la ra-dicalisation” à côté de toi, ça facilite pas le boulot ! Ils ont créé une usine à gaz. »Et l’actualité maintient la pressiondans les services. Après l’assassinat duprêtre de Saint-Étienne-de-Rouvray, le 26 juillet, par deux jeunes hommes –l’un sous bracelet électronique, l’autrefiché S – les services pénitentiaires sont pointés du doigt. Lorsqu’un dra-me de ce type se produit, l’opinion pu-blique, mobilisée via les médias, s’échauffe, désigne des coupables.Sous pression, l’Administration péni-tentiaire demande des comptes aux services, relit rapports et évaluations des CPIP, tente de comprendre ce qui a pêché dans le suivi du détenu… Quitte à donner de nouvelles directi-ves aux agents, et à rendre leurs mis-sions encore un peu plus confuses.

Radicalisation, terrorisme : « Ils ont créé une usine à gaz »

nL’assassinat du prêtre de St-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) a été commis par deux hommes, l’un sous bracelet électronique, l’autre fiché S. Photo MaxPPP

« Les actions sont très variables d’un territoire àl’autre. Il ne se passe pas la même chose à Saint-Étienne et Roanne, ou à Corbas et Villefranche.Pourtant, Corbas et Villefranche dépendent du mêmeservice pénitentiaire d’insertion et de probation(SPIP), Saint-Étienne et Roanne du même également.Tout dépend aussi des relations qui sont entretenuesentre le directeur d’un SPIP et ses agents. À ce quej’entends, elles ne sont pas mauvaises dans la Loire. Cen’est pas le même cas à Villefranche et Corbas.Suite à la loi pénitentiaire du 15 août 2014, beaucoupde choses positives ont été faites pour la réinsertion,notamment les alternatives à la prison et les aménage-ments de peine. Mais derrière, ce n’est pas appliqué :cela demande plus de suivis pour les juges, les Institu-tions et les SPIP ne sont pas préparés… Sans compterque ces mesures alternatives dépendent des juges et duparquet, qui craignent de les mettre en place.Mais la frilosité n’est pas uniquement du côté des jugesd’application des peines (JAP). Les conseillers doiventmonter un dossier et convaincre le juge de mettre enplace l’aménagement de peine. Un JAP volontaire avecun CPIP convaincu du bien-fondé de la loi de 2014, çafonctionnera, mais c’est très variable suivant les per-sonnes qui dialoguent ensemble. Sans compter que lesCPIP suivent trop de personnes pour connaître lesdossiers… Leurs missions ont changé : ils sont passésde la prise en charge des détenus à leur évaluation, ilsne sont plus dans l’action. »

« La loi pénitentiaire de 2014 n’est pas appliquée »Bernard Lecogne, délégué régional de la Farapej (Fédération des associations réflexion-action, prison et justice)

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LOCA

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42D - 1

ACTU GIERJEUDI 12 MAI 2016 LE PROGRÈS

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Ils ont perdu leurs cheveux longs etblonds. Les trois compères de la ban-

de des quatre, André, Denis et Joël (Hu-bert est décédé en mai 2008), amis d’en-f ance , co l l ègues à l ’us ine de robinetterie et fans des Verts, se remé-morent leur périple jusqu’à Glasgow (Écosse), quarante ans plus tôt, pour assister à la finale de la Coupe des clubschampions européens contre le Bayern Munich.

« 70 000 spectateurs assistent à la finale du Petit Poucet contre la grosse cylindrée »

Samedi 8 mai 1976. Les quatre amis, la vingtaine, embarquent dans la Simca 1501 d’Hubert. « On s’était dit que si Saint-Étienne allait en finale, on mon-tait pour voir le match. C’est un truc quise vit une fois. C’était l’occasion : on vi-vait chez nos parents, on travaillait. L’argent qu’on gagnait, c’était pour les fêtes et le foot. Alors on a posé notre semaine de congé. » Après une étape à Calais, ils prennent « le bac », le ferry, qui les amène à Douvres, en Angleter-re. « On avait du temps devant nous,

alors on a voulu prendre les petites rou-tes. Déjà que rouler à gauche, c’était pas simple. Il a fallu demander notre chemin en anglais… Bref, on s’est per-du un tas de fois, mais on est arrivés le mardi, la veille de la finale », se rappelleJoël. Les supporters sont accueillis comme des princes dans la ville ouvriè-re, qui arbore les mêmes couleurs que les Stéphanois : le vert et le blanc du Celtic, un des deux clubs de foot local.

« On était bien vus, le public était ac-quis à notre cause. On jouait quasi-ment à domicile », ajoute André, le sé-rieux du groupe. Le stade d’Hampden Park est complet. « 70 000 spectateurs assistent à la finale du Petit Poucet con-tre la grosse cylindrée ». Rocheteau, Santini, les frères Revelli, Lopez, Lar-qué, Curkovic, Janvion, Bathenay, Sar-ramagna, Piazza… « Une bande de po-tes qui jouaient ensemble depuis plus de cinq ans. On n’avait pas de joueurs stars comme au Bayern, tout le monde était au même niveau. »Le trio feuillette le magazine de l’épo-que, Le Miroir du foot, titré « L’épopée de Saint-Étienne, 100 photos choc », minutieusement conservé par Denis. Ilmontre du doigt André, grimpé en hautd’un poteau dans les rues de Glasgow, sur une photo en noir et blanc. L’après-match. « On se serait cru à Sainté, on

était chez nous, du vert partout, c’était l’euphorie. Les Allemands, on les voyait pas, on les entendait pas… » Pourtant, la finale se solde par une dé-faite. 1-0 pour le Bayern. Les trois amis se souviennent des joueurs stéphanois,en pleurs à la fin du match. « On y a cru jusqu’au bout, dit Denis, encore abattu.Ils étaient loin d’être dominés. La faute à pas de chance, les fameux poteaux carrés… » « Une finale, on a l’habitude de dire que ça se gagne, commente Joël.Mais en France, on aime bien les Pouli-dor. S’ils avaient gagné, ça n’aurait peut-être pas eu le même impact. »Restés quelques jours en Écosse après la finale, André, Denis, Joël et Hubert arrivent à Paris deux jours après le pas-sage des Stéphanois, acclamés en hé-ros sur les Champs-Élysées. « Gagné ou perdu, l’événement était écrit. »

Marion Saive

nNoël Reat, président du club de supporters des Verts de la Vallée du Gier, André Peyraverney, Denis Pavel et Joël Degraix se replongent dans les photos et les souvenirs de Glasgow. Photo Marion SAIVE

« À Glasgow on était bien vus, on jouait presque à domicile »

S A I N T- C H A M O N D F IN A LE 1976

Ils étaient quatre. Quatre potes de 20 ans à rêver grâce aux matches épiques des Verts, en 1976. Alors quand Saint-Étienne s’est qualifié pour la finale de la Coupe des clubs champions européens, ils ont sauté dans leur voiture, direction Glasgow.

Le club de supporters des Vertsde la Vallée du Gier vend lescasquettes de l’époque, produi-tes au Puy-en-Velay en 1976,lors de l’épopée des Verts (Denisen porte une sur la photo).CONTACT Noël Reat, président du club de supporters de la Vallée du Gier. Tél. 06.83.12.95.83. Prix : 12 euros adhérents, 15 euros extérieurs.

Des casquettes collector à la vente

} Une finale, ça se gagne.Mais en France, on aime bien les Poulidor. ~

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Document:/BJP/01-Q15/Parutions/Frigo/Pages/Actualité/Locales/42D/Annonay-région/fait div Marion.pgl BJP_Q15_Print ... Auteur:saivema Date:18/11/2016 23:31:41

Dans le quartier des Sept Mares d’Élancourt ,

« 7-8 », ils l’appellent « la p’tite dame ». 1 m 55, Portu-gaise, la soixantaine, che-veux bruns attachés en queue-de-cheval bien tirée en arrière. « Insignifiante mais gracieuse », « c’est pas Claudia Schiffer ». La « ma-mie classique qui se noie dans la masse » a volé le ta-bac presse où elle travaillait comme femme de ménage.Sur l’esplanade, le Carre-four Market monopolise l’espace, au milieu des HLM crépit beige. Au balcon, une femme noire fume sa ciga-rette. Sous les terrasses en escaliers, les balustrades se découpent en vaguelettes. La pierre blanche a noirci. Ce mauvais Gaudi fait écho aux villes nouvelles cons-truites dans les années 1970. Les commerces se sont mul-tipliés au pied des tours. Boulangerie, école de con-duite, cinéma, salle de spec-tacle, bar brasserie, librairie. Et, un tabac presse. Le store est relevé aux trois quarts et l’allée piétonne déserte. Il suffit de pousser la porte pour rencontrer les Elan-cour tois . La masse de clients s’agite, fait la queue aux caisses, réclame des gains.

1 133 jeux à gratter, chipés par la femme de ménage

Dans le coin à gauche, c’est l’espace PMU. Olivier, yeux très clairs limite vitreux, dents jaunies, encourage son cheval devant le poste télé. « Et merde, le 2 est déjà arrêté ». Ex-manager chez Carrefour Market, il vendait « des belles gambas 70 heu-res par semaine ». Burn Out. Alors, il se tourne vers les paris. Devient addict. « Addictus, en latin, c’est mettre son corps en gage. Ça vient d’un Romain qu’était criblé de dettes. D’ailleurs, c’est fini pour aujourd’hui, je m’en vais. »Upside down de Diana Ross résonne dans l’établisse-ment. Le patron débarque.

Trapu, lunettes ébréchées, crâne chauve parsemé de tâ-ches brunes. Diamant à l’oreille gauche, un Mon-sieur Propre version minia-ture. À 54 ans, divorcé et père d’un fils unique de 24 ans, Eric Lopeze a repris le Mag Presse d’Elancourt il y a 7 ans, « parce que c’était une bonne affaire ». Mais il p e r d d e s s o u s . 170 000 euros. Soit les 1 133 jeux à gratter, chipés par la femme de ménage.Une situation qui durait de-puis un an et demi. Un an et demi de « surveillance rap-prochée du personnel, d’in-terrogatoires, de fouilles des comptes bancaires des em-ployés ». Une « sale am-biance » qui provoque le dé-p a r t d e D e l p h i n e , en juillet 2015, suivi de Xavier, en janvier. Les vols conti-nuent malgré les cinq camé-ras de surveillance. Avec l’aide de la Française des jeux et du commissariat de police de Trappes, Eric monte un stratagème. « On a mis des tickets invalidés dans le stock de jeux à grat-ter prêts à la vente. Elle a voulu retirer son gain, mais le ticket était piégé, on l’a repérée comme ça. »Le mardi 23 février au soir, la police l’arrête. « Les flics ont débarqué au tabac, elle est partie avec les bracelets. Au départ, elle a nié. 5 minu-tes après, elle avouait. » Elle est condamnée à 12 mois de prison avec sursis. Sa fille de 28 ans, avec qui elle parta-geait les tickets volés, prend

6 mois avec sursis pour com-plicité. « Je suis déçu, elle bossait là depuis 2012, je connaissais toute sa famille, je les voyais tout le temps. C’était des grands sourires, et ils me l’ont fait à l’en-vers », s’emporte le patron. En colère, mais compatis-sant : « Elle vient pas d’un milieu aisé, elle vit avec ma-ri, fils, fille et petit fils… Elle essaye de s’en sortir. Elle a eu un mauvais délire. »Pour la boulangère d’en fa-ce, c’est l’incompréhension. « Ça me scie », lâche Deni-se, épais trait d’eye-liner grossièrement tracé sous les yeux. Cheveux blonds plati-ne rasés, son pendentif Har-ley Davidson dépasse de son col roulé. « Tous les soirs, elle prenait ses deux baguet-tes. Elle n’avait pas l’air dans le besoin, elle ne se refusait pas un petit gâteau de temps en temps. » Elle réfléchit. « C’est vrai que ça fait un

moment que je ne l’ai pas vue. » Fanny, la coiffeuse à la crinière peroxydée et la voix de pompier, achète ses clopes quotidiennes chez Eric. Elle est plus incisive : « Heureusement qu’il avait déclaré sa femme de ména-ge. D’après ce qu’on dit, le mari était même pas au cou-rant qu’elle volait. Du jour au lendemain, ta femme qui roule pas sur l’or achète des écrans télés, plein d’électro-ménager, et en plus, s’en vante à tout le monde. Il de-vait bien savoir… ».

« Ça m’apporte rien qu’une femme soit en prison, j’veux récupérer mon argent »

Les on-dit circulent dans le quartier. « À ce qu’il paraît, les policiers ont perquisiti-onné leur domicile d’Elan-

court, mais aussi celui du Portugal. »Eric veut renvoyer l’affaire en appel. « Ça m’apporte rien qu’une femme soit en prison, j’veux récupérer mon argent. Pour l’instant, la banque me suit, sinon je fermais boutique. » Il a les yeux rougis de fatigue. « Ça fait 14 mois que j’ai pas pris de vacances à cause de cette histoire. » Six jours sur sept levé à 5 h 30, il rentre le soir à Houdan, à 30 km d’ici. « À 21 heures, j’avais pas envie de me rajouter une corvée. » Alors, Eric a repris une fem-me de ménage, qu’il « con-naît bien ». Malgré cette proximité avec sa nouvelle employée, les règles ont changé. Passées 19 heures, impossible pour Sylvie d’ac-céder aux jeux à gratter, bou-clés dans la réserve. La con-fiance a ses limites.

Elisa Vallon et Marion Saive

É L A N C O U R T FA IT DI V E R S

La p’tite dame qui vole, gratte, gagneDans la banlieue d’Élan-court (78), on tombe des nues. La femme de ménage du tabac presse du quartier des Sept Mares, invisible jusque-là, a volé son patron. Préjudice : 170 000 euros.

!Les commerces se sont multipliés au pied des tours du quartier des Sept Mares d’Élancourt. Photo Marion SAIVE

!Au fond à droite, l’espace PMU du tabac-presse attire les parieurs. Photo Marion SAIVE

Page 5: Portfolio Marion Saive

!4 h55

Alexandre et Coralie Cotte, 29 ans, se penchent à la fenêtrede la cuisine. La silhouette du paysage vallonné de la vallée du Gier se dessine dans la nuit. Le thermomètre extérieur affi-che 3°C. En cinq minutes, ils avalent leur café, se brossent les dents et enfilent polaires et pantalons. Fin prêts pour tra-vailler. Equipés de lampes tor-ches, ils marchent jusqu’à la fromagerie, à quelques mètres de leur maison en bois. Ele-veurs de vaches laitières à Saint-Paul-en-Jarez, dans la Loire, les Cotte vivent à cent à l’heure, essayant de concilier vies familiale, syndicale et pro-fessionnelle.L’air est chaud à la fromagerie. Les deux agriculteurs enfilent leurs tabliers et bottes en plasti-que blanc. L’attrape-mouches qui pendouille au plafond en a capté plus d’une au vol. Une odeur de vanille se dégage du lait caillé que Coralie remue. Aplein volume, la station locale Radioscoop donne l’horosco-pe du jour et les fait chanton-ner sur du Daft Punk, tandis qu’ils mettent en pot les froma-ges blancs. Courte pause-café pour Alexandre, pressé ce ma-tin-là. Il est convoqué à 14h30 au commissariat de Saint-Etienne pour avoir déversé du fumier devant le Géant Casinode Monthieu, le 15 août. Le couple est militant. Lui, est ad-ministrateur départemental des Jeunes Agriculteurs de la Loire. Elle, ancienne secrétai-re cantonale du même syndi-

cat. Tous deux déplorent l’em-prise qu’exercent les groupes laitiers français sur les produc-teurs « qui ne savent pas se dé-fendre ou qui n’ont plus la for-ce de le faire ». « En 60 ans, Lactalis, Sodiaal et Danone sont devenus tellement gigan-tesques qu’ils peuvent se pas-ser de nous, ils amassent du po-gnon et nous regardent couler les uns après les autres », assè-ne Alexandre. Sa femme et lui s’en sortent avec un revenu mensuel inférieur au Smic. « Jene demande pas à toucher des mille et des cents, juste vivre demon métier. On en vient à compter le moindre centime,

c’est triste », poursuit Coralie. Son mari embraye : « Quand on voit que l’on n’obtient aucu-ne de nos revendications, on réalise qu’on ne pèse pas lourd dans la balance socio-écono-mique. Mais je continue d’y croire, parce que si on suscite autant d’intérêt, c’est qu’on a notre place. »Les Cotte ont racheté 25 % desparts sociales d’un Gaec (Groupement agricole d’ex-ploitation en commun) que trois frères et deux de leurs conjointes ont créé, auquel ils se sont greffés en 2009. Huit personnes au total, dont Loïc, un salarié de 22 ans, payé au Smic pour ses 42 heures heb-domadaires. Un investisse-ment à 280 000 euros pour Alexandre et Coralie, terrain, maison et parts sociales com-pris. Au sein du Gaec, ils diri-gent l’atelier de transforma-tion du lait. Tommes, bleus, beurre, crème, yaourts et bou-teilles de lait en sortent chaque semaine, distribués dans trois magasins de producteurs du coin et fromageries renom-mées de Saint-Etienne.

!7h30 Coralie retourne à la maison

manger un bout et « lever les deux p’tiotes », Lily, cinq ans, et Anaëlle, un an. Bref instant en famille, si cher à l’agricultri-ce. Sur la route pour déposer ses filles à l’école et chez la nou-nou, elle croise le camion-ci-terne de Sodiaal, de passage pour relever les 6000 litres de lait du tank. Avec seulement 10 % de la production en ventedirecte, il leur est impossible dese passer de la coopérative lai-tière.Les jeunes parents se sont ren-contrés en BTS agricole. Un choix d’étude que la mère de Coralie, une institutrice ayant vu « ses frères et sœurs trimer toute leur vie à la ferme », a longtemps rejeté. Les parents d’Alexandre, un retraité « mé-cano poids lourds » et une em-ployée France Télécom, n’ont pas plus de lien avec l’agricul-ture. Ces deux-là ont « chopé levirus » au contact de leurs on-cles et tantes agriculteurs, aux côtés desquels ils ont grandi. Le couple affiche un taux d’en-dettement de 40 %. Des chif-fres qui font bondir leurs pa-rents, même s’ils restent infimes face aux 80 % que d’autres supportent. Ces em-prunts, Coralie y pense à cha-

que fois qu’elle monte sur une échelle. « Surtout ne pas tom-ber ». La peur de faire reposer les dettes sur les épaules de ses filles. Grâce aux élevages de la-pins, volailles, et de la ferme auberge du Gaec, le manque à gagner de la production laitiè-re est compensé. Depuis le dé-but de la crise laitière, leurs sa-laires n’ont pas baissé. Un revenu mince, mais d’énormesavantages en nature.

!12 heuresAu menu, bœuf et gratin de chou-fleur – des produits de leur ferme - , que Coralie a eu letemps de préparer la veille, jour de congé hebdomadaire. « La seule chose que l’on achè-te encore, c’est du dentifrice oudu shampoing », sourit-elle.A grands coups de fourchette, Alexandre engloutit son dé-jeuner et saute sur sa moto pour se rendre au commissa-riat. Les jouets des enfants jon-chent le sol du salon. Pas le temps de ranger, il faut finir d’empaqueter les yaourts à la fromagerie. De retour, Alexan-dre prend le relais pour « per-cer les bleus », Coralie part pré-cipitamment chercher les fillesà l’école.

S A I N T- PA U L - E N - J A R E Z REPORTAGE

« L’agriculture est un éternel recommencement »

!Lâcher des génisses dans le pré. Photo Marion SAIVE

!16 heures

Avec Loïc, Alexandre faitmonter les génisses de troismois dans la bétaillère. Pre-mier lâcher dans le pré.Craintives, « les bouïous »(gros veaux en patois sté-phanois) font le tour de l’en-clos, prennent un coup dejus en touchant du museaule fil électrique, puis brou-tent enfin. Dans la cour dela ferme, les voituress’amassent. Une vingtained’agriculteurs endimanchéssont venus assister à l’essaid’une ensileuse à 150 000euros. Si celui-ci s’avèreconcluant, le Gaec achèterala machine avec six agricul-teurs des environs, par lebiais de la Cuma (Coopéra-tive d’utilisation de matérielagricole). Vient l’heure dela traite. Alexandre revêt sacombinaison de travail grisfoncé et regroupe ses va-ches. Hippie, Uderzo, Frou-frou, Cocaïne, Girardot… Illes connaît par cœur. « C’estsurtout à leurs mamellesque je les identifie. Je lesvois défiler matin et soir de-vant moi, c’est la partie queje connais le mieux », plai-

sante-t-il. Pendant plusd’une heure, s’ensuit unemusique rythmée et méca-nique des trayeurs pompantle lait des Montbéliardes etPrim’Holstein. Pam Pam Tchhh. Ambiance beat-box.Cachou et Yago, les deuxchiens « bâtards pure race »du couple, lèchent le lait quis’écoule d’un pot percé, àmême le sol. Loïc peste, unevache vient de lui déféquerdessus. « Les joies de latraite ». Parti pour se mettreà son compte, le jeune hom-me a finalement abandonnél’idée. « C’est trop de res-ponsabilités, beaucoup d’in-vestissements, et le lait n’estpas bien payé. Je suis jeune,j’ai envie de profiter de majeunesse, avoir mes week-ends... ». Il est coupé par lavoisine, une des privilégiésà venir chercher son lait à laferme. Un côté relationnelqu’Alexandre tient à entre-tenir : « Un agriculteur, c’estcomme un facteur, tout lemonde le connaît, il rend

service. »Pour les Cotte, être agricul-teurs ne signifie pas se cou-per du monde. Malgré unrythme effréné, Coralietrouve le temps d’aller chezle coiffeur, prend soin dequitter ses « habits depouilleuse » quand elle vachercher sa fille à l’école ets’apprête pour tenir la per-manence du magasin deproducteurs. Avec un ami,ag r i cu l t eur lu i aus s i ,Alexandre pratique l’escala-de en salle, les vendredissoirs. Le couple prétend « mener une vie normale »,aime « faire la bringue avecles potes », passe des soiréesen amoureux en centre-vil-le. Mais Coralie et Alexan-dre doivent se contenterd’une à deux semaines decongés par an, arrivent enretard au restaurant parcequ’une vache a avalé unepomme de terre de travers,passent le réveillon en sallede traite, et ont fait unecroix sur les escapades en

moto le dimanche, le ski àhaut niveau pour Alexan-dre et le basket pour Cora-lie.Avant de terminer sa jour-née de travail, Alexandremonte au Crêt du Penduavec sa « Ferrari tout ter-rain », une vieille CitroënAX toute crottée dotée depneus neige. Du haut de lacolline, il contemple ses150 hectares de terrain. Lesvertes prairies, les génissesqui broutent au loin, le bar-rage en pierres du Dorlay.« Quand je reviens de mesréunions syndicales sur Pa-ris, que je quitte la grisailleet la foule incessante du mé-tro, je viens là et je me disque j’ai vraiment de la chan-ce. »

!19 heures. Le jeune père ironise, unbrin de foin dans la bouche :« Le luxe, c’est de rentrerchez soi à pied. » A peineouvre-t-il la porte que Lilylui saute dessus et réclame

son bisou du soir. Les en-fants couchés, le couple sa-voure une bière bien méri-tée. Ils travaillent chacun 80heures par semaine. Ilsaimeraient lâcher prise, parmoments. « Le problème,c’est que je veux tout letemps savoir où sont mesvaches et comment ellesvont... », soupire Alexandre.« Et le jour où j’arrive à nepas me prendre la tête, jereçois un coup de fil de lagendarmerie pour me pré-venir qu’une de mes vachesse promène sur la route. »Se déconnecter, c’est tout leprogramme de la soirée. Lapetite famille se prépare, el-le est invitée à 20 heurespour partager une raclettechez des amis. « On va sûre-ment rentrer vers 1 heuredu matin, ça piquera un peuplus demain matin, mais onse lèvera. » Coralie esquisseun sourire : « L’agricultureest un éternel recommence-ment ».

Marion Saive

! Instant de dépaysement face au barrage du Dorlay. Photo Marion SAIVE

!Découpe et emballage des fromages. Photo Marion SAIVE

Le couple Cotte vit à cent à l’heure. Producteurs laitiers à Saint-Paul-en-Jarez dans la Loire (42), Coralie et Alexandre tentent de conci-lier vies professionnelle et familiale, avec un revenu inférieur au Smic.

Page 6: Portfolio Marion Saive

!4 h55

Alexandre et Coralie Cotte, 29 ans, se penchent à la fenêtrede la cuisine. La silhouette du paysage vallonné de la vallée du Gier se dessine dans la nuit. Le thermomètre extérieur affi-che 3°C. En cinq minutes, ils avalent leur café, se brossent les dents et enfilent polaires et pantalons. Fin prêts pour tra-vailler. Equipés de lampes tor-ches, ils marchent jusqu’à la fromagerie, à quelques mètres de leur maison en bois. Ele-veurs de vaches laitières à Saint-Paul-en-Jarez, dans la Loire, les Cotte vivent à cent à l’heure, essayant de concilier vies familiale, syndicale et pro-fessionnelle.L’air est chaud à la fromagerie. Les deux agriculteurs enfilent leurs tabliers et bottes en plasti-que blanc. L’attrape-mouches qui pendouille au plafond en a capté plus d’une au vol. Une odeur de vanille se dégage du lait caillé que Coralie remue. Aplein volume, la station locale Radioscoop donne l’horosco-pe du jour et les fait chanton-ner sur du Daft Punk, tandis qu’ils mettent en pot les froma-ges blancs. Courte pause-café pour Alexandre, pressé ce ma-tin-là. Il est convoqué à 14h30 au commissariat de Saint-Etienne pour avoir déversé du fumier devant le Géant Casinode Monthieu, le 15 août. Le couple est militant. Lui, est ad-ministrateur départemental des Jeunes Agriculteurs de la Loire. Elle, ancienne secrétai-re cantonale du même syndi-

cat. Tous deux déplorent l’em-prise qu’exercent les groupes laitiers français sur les produc-teurs « qui ne savent pas se dé-fendre ou qui n’ont plus la for-ce de le faire ». « En 60 ans, Lactalis, Sodiaal et Danone sont devenus tellement gigan-tesques qu’ils peuvent se pas-ser de nous, ils amassent du po-gnon et nous regardent couler les uns après les autres », assè-ne Alexandre. Sa femme et lui s’en sortent avec un revenu mensuel inférieur au Smic. « Jene demande pas à toucher des mille et des cents, juste vivre demon métier. On en vient à compter le moindre centime,

c’est triste », poursuit Coralie. Son mari embraye : « Quand on voit que l’on n’obtient aucu-ne de nos revendications, on réalise qu’on ne pèse pas lourd dans la balance socio-écono-mique. Mais je continue d’y croire, parce que si on suscite autant d’intérêt, c’est qu’on a notre place. »Les Cotte ont racheté 25 % desparts sociales d’un Gaec (Groupement agricole d’ex-ploitation en commun) que trois frères et deux de leurs conjointes ont créé, auquel ils se sont greffés en 2009. Huit personnes au total, dont Loïc, un salarié de 22 ans, payé au Smic pour ses 42 heures heb-domadaires. Un investisse-ment à 280 000 euros pour Alexandre et Coralie, terrain, maison et parts sociales com-pris. Au sein du Gaec, ils diri-gent l’atelier de transforma-tion du lait. Tommes, bleus, beurre, crème, yaourts et bou-teilles de lait en sortent chaque semaine, distribués dans trois magasins de producteurs du coin et fromageries renom-mées de Saint-Etienne.

!7h30 Coralie retourne à la maison

manger un bout et « lever les deux p’tiotes », Lily, cinq ans, et Anaëlle, un an. Bref instant en famille, si cher à l’agricultri-ce. Sur la route pour déposer ses filles à l’école et chez la nou-nou, elle croise le camion-ci-terne de Sodiaal, de passage pour relever les 6000 litres de lait du tank. Avec seulement 10 % de la production en ventedirecte, il leur est impossible dese passer de la coopérative lai-tière.Les jeunes parents se sont ren-contrés en BTS agricole. Un choix d’étude que la mère de Coralie, une institutrice ayant vu « ses frères et sœurs trimer toute leur vie à la ferme », a longtemps rejeté. Les parents d’Alexandre, un retraité « mé-cano poids lourds » et une em-ployée France Télécom, n’ont pas plus de lien avec l’agricul-ture. Ces deux-là ont « chopé levirus » au contact de leurs on-cles et tantes agriculteurs, aux côtés desquels ils ont grandi. Le couple affiche un taux d’en-dettement de 40 %. Des chif-fres qui font bondir leurs pa-rents, même s’ils restent infimes face aux 80 % que d’autres supportent. Ces em-prunts, Coralie y pense à cha-

que fois qu’elle monte sur une échelle. « Surtout ne pas tom-ber ». La peur de faire reposer les dettes sur les épaules de ses filles. Grâce aux élevages de la-pins, volailles, et de la ferme auberge du Gaec, le manque à gagner de la production laitiè-re est compensé. Depuis le dé-but de la crise laitière, leurs sa-laires n’ont pas baissé. Un revenu mince, mais d’énormesavantages en nature.

!12 heuresAu menu, bœuf et gratin de chou-fleur – des produits de leur ferme - , que Coralie a eu letemps de préparer la veille, jour de congé hebdomadaire. « La seule chose que l’on achè-te encore, c’est du dentifrice oudu shampoing », sourit-elle.A grands coups de fourchette, Alexandre engloutit son dé-jeuner et saute sur sa moto pour se rendre au commissa-riat. Les jouets des enfants jon-chent le sol du salon. Pas le temps de ranger, il faut finir d’empaqueter les yaourts à la fromagerie. De retour, Alexan-dre prend le relais pour « per-cer les bleus », Coralie part pré-cipitamment chercher les fillesà l’école.

S A I N T- PA U L - E N - J A R E Z REPORTAGE

« L’agriculture est un éternel recommencement »

!Lâcher des génisses dans le pré. Photo Marion SAIVE

!16 heures

Avec Loïc, Alexandre faitmonter les génisses de troismois dans la bétaillère. Pre-mier lâcher dans le pré.Craintives, « les bouïous »(gros veaux en patois sté-phanois) font le tour de l’en-clos, prennent un coup dejus en touchant du museaule fil électrique, puis brou-tent enfin. Dans la cour dela ferme, les voituress’amassent. Une vingtained’agriculteurs endimanchéssont venus assister à l’essaid’une ensileuse à 150 000euros. Si celui-ci s’avèreconcluant, le Gaec achèterala machine avec six agricul-teurs des environs, par lebiais de la Cuma (Coopéra-tive d’utilisation de matérielagricole). Vient l’heure dela traite. Alexandre revêt sacombinaison de travail grisfoncé et regroupe ses va-ches. Hippie, Uderzo, Frou-frou, Cocaïne, Girardot… Illes connaît par cœur. « C’estsurtout à leurs mamellesque je les identifie. Je lesvois défiler matin et soir de-vant moi, c’est la partie queje connais le mieux », plai-

sante-t-il. Pendant plusd’une heure, s’ensuit unemusique rythmée et méca-nique des trayeurs pompantle lait des Montbéliardes etPrim’Holstein. Pam Pam Tchhh. Ambiance beat-box.Cachou et Yago, les deuxchiens « bâtards pure race »du couple, lèchent le lait quis’écoule d’un pot percé, àmême le sol. Loïc peste, unevache vient de lui déféquerdessus. « Les joies de latraite ». Parti pour se mettreà son compte, le jeune hom-me a finalement abandonnél’idée. « C’est trop de res-ponsabilités, beaucoup d’in-vestissements, et le lait n’estpas bien payé. Je suis jeune,j’ai envie de profiter de majeunesse, avoir mes week-ends... ». Il est coupé par lavoisine, une des privilégiésà venir chercher son lait à laferme. Un côté relationnelqu’Alexandre tient à entre-tenir : « Un agriculteur, c’estcomme un facteur, tout lemonde le connaît, il rend

service. »Pour les Cotte, être agricul-teurs ne signifie pas se cou-per du monde. Malgré unrythme effréné, Coralietrouve le temps d’aller chezle coiffeur, prend soin dequitter ses « habits depouilleuse » quand elle vachercher sa fille à l’école ets’apprête pour tenir la per-manence du magasin deproducteurs. Avec un ami,ag r i cu l t eur lu i aus s i ,Alexandre pratique l’escala-de en salle, les vendredissoirs. Le couple prétend « mener une vie normale »,aime « faire la bringue avecles potes », passe des soiréesen amoureux en centre-vil-le. Mais Coralie et Alexan-dre doivent se contenterd’une à deux semaines decongés par an, arrivent enretard au restaurant parcequ’une vache a avalé unepomme de terre de travers,passent le réveillon en sallede traite, et ont fait unecroix sur les escapades en

moto le dimanche, le ski àhaut niveau pour Alexan-dre et le basket pour Cora-lie.Avant de terminer sa jour-née de travail, Alexandremonte au Crêt du Penduavec sa « Ferrari tout ter-rain », une vieille CitroënAX toute crottée dotée depneus neige. Du haut de lacolline, il contemple ses150 hectares de terrain. Lesvertes prairies, les génissesqui broutent au loin, le bar-rage en pierres du Dorlay.« Quand je reviens de mesréunions syndicales sur Pa-ris, que je quitte la grisailleet la foule incessante du mé-tro, je viens là et je me disque j’ai vraiment de la chan-ce. »

!19 heures. Le jeune père ironise, unbrin de foin dans la bouche :« Le luxe, c’est de rentrerchez soi à pied. » A peineouvre-t-il la porte que Lilylui saute dessus et réclame

son bisou du soir. Les en-fants couchés, le couple sa-voure une bière bien méri-tée. Ils travaillent chacun 80heures par semaine. Ilsaimeraient lâcher prise, parmoments. « Le problème,c’est que je veux tout letemps savoir où sont mesvaches et comment ellesvont... », soupire Alexandre.« Et le jour où j’arrive à nepas me prendre la tête, jereçois un coup de fil de lagendarmerie pour me pré-venir qu’une de mes vachesse promène sur la route. »Se déconnecter, c’est tout leprogramme de la soirée. Lapetite famille se prépare, el-le est invitée à 20 heurespour partager une raclettechez des amis. « On va sûre-ment rentrer vers 1 heuredu matin, ça piquera un peuplus demain matin, mais onse lèvera. » Coralie esquisseun sourire : « L’agricultureest un éternel recommence-ment ».

Marion Saive

! Instant de dépaysement face au barrage du Dorlay. Photo Marion SAIVE

!Découpe et emballage des fromages. Photo Marion SAIVE

Le couple Cotte vit à cent à l’heure. Producteurs laitiers à Saint-Paul-en-Jarez dans la Loire (42), Coralie et Alexandre tentent de conci-lier vies professionnelle et familiale, avec un revenu inférieur au Smic.

Page 7: Portfolio Marion Saive

« Si vous permettez, je travailleen même temps, je suis à la

bourre. J’aimerais avancer sur ce cor-net Gaillard et Loiselet, avant de partiren vacances ce soir, avec ma femme ». Il passe sa main sur le cornet à pistons pour repérer les irrégularités de sa courbe. Saisit une tige en laiton munie d’une olive, l’introduit, et tapote sur l’instrument, avec un petit marteau, pour le débosseler. Fabrice Wamber-gue, 44 ans, luthier-vents dans un petit atelier de 11 m², perdu dans un immeu-ble qu’il partage avec des artistes, à Montreuil, fait partie des 30 % de Fran-çais qui se sont reconvertis profession-nellement. Luthier 2.0, sa carte de visi-te, c’est son site, sur lequel il poste des articles sur les tubas, cornets et trom-pettes qu’il répare. C’est comme ça quele saxophoniste Jacques Schwarz-Bart, « une grosse bête du jazz under-ground », lui a confié son Selmer MarkVI, début juillet, et que le bouche-à-oreille est en train de le faire décoller.

« J’ai baigné dans un environnement musical de qualité, mon père est un grand mélomane fan de jazz »

Fabrice n’a pas la tête de l’emploi. Che-valière en argent à l’annulaire, montre de sport imposante au poignet, polo aucol remonté, jean délavé et Converses blanches. Seul son tablier bleu, tâché par le laiton « très salissant », le trahit. Requiem pour un con résonne depuis son poste radio, placé sous son plan detravail. « Y’a pas à dire, FIP, c’est peut-être une radio de vieux, mais c’est la plus éclectique. » Fabrice aurait aimé vivre dans les années 1960. Tutoyer lesartistes et musiciens qu’il admire.Quelque chose le démange. « Je suis impatient de travailler sur le basson, mais il faut d’abord que j’en termine avec ce cornet », soupire-t-il. Il sourit : « Celui-là, je serai content de le voir partir, j’en chie. » Pour le plaisir, Fabri-ce se rend dans des clubs de jazz pari-siens, au Sunset Sunside ou au Duc desLombards. Erre dans des expositions avec son fils, né d’un premier mariage, « grand dadais d’1m90 qui joue de la guitare, un vrai Wambergue. »Il enfile des gants de plastique bleu, avant de souder une pièce sur le cor-net. « J’ai baigné dans un environne-ment musical de qualité, mon père est un grand mélomane fan de jazz. » Son premier émoi musical, en 1986, c’est du rap. « J’ai 15 ans, je suis en voyage à New-York, j’entends le groupe de hip-hop Run-DMC à la radio. Il se passe untruc. » Adolescent, la musique est sa

religion, John Coltrane son dieu. Sa voie semble tracée, mais pour faire « comme les potes », il se lance dans des études de droit. Licence à Nanter-re, sans conviction. « Rien que de fou-tre les pieds là-bas, j’avais la gerbe. » Il monte une société d’import de guita-res acoustiques, « des Breedlove à 11 000 francs ». Craque son PEL. Se « plante lamentablement » au bout d’un an. « J’étais un branlos’à l’épo-que ». Alors, il entame une carrière dans le textile, « un truc purement ali-mentaire ».De simple vendeur de jean, il passe di-recteur adjoint de WMK, une marque de textile parisienne « à 300 millions d’euros le chiffre d’affaires ». « On a vuun fort potentiel en lui, il a gravi les échelons et on a fini dans le même bu-reau », s’extasie Gautier, l’ex-patron devenu le meilleur ami. Sauf qu’après 17 ans dans la boîte, le poste lui « tape sur la santé ». « J’étais proche du burn-out, je me suis sauvé à temps. » Parti avec un gros chèque, il rêve de retour-ner à ses loisirs d’ado, et « bricoler sur des binious ». Il achète les outils, le lo-cal, se forme trois jours à l’Institut tech-nologique européen des métiers de la musique, sous les yeux inquiets de sa femme, professeure des écoles à Saint-Denis.Il tire une bouffée de sa clope électroni-que : « J’ai eu la chance de rencontrer

un maître suisse qui m’a pris sous son aile. » Le reste, il l’a appris tout seul. « On est très manuels dans la famille »,confie son père Alain, concepteur de pipelines à la retraite. « Je le soutiens à 100 % dans sa démarche. Son ancien job lui assurait des revenus mais ne lui apportait rien, il a gagné en qualité de vie. »

« Je ne suis pas un assisté, je me suis construit tout seul. Les mecs qui font grève, ça me saoule »

Un avis que ne partage pas la mère, avec laquelle Fabrice ne désire pas gar-der contact. « Une promotrice immo-bilière » dont il est « diamétralement l’opposé. » Son fils de 16 ans, lui, ne mesure pas l’impact de la reconver-sion de son père - il faut dire que Fabri-ce ne s’étendait pas sur son « métier d’avant » - mais s’intéresse, pose des questions, et lui rend visite à l’atelier.Et le reste ? La politique ? Il fait cla-quer son gant en plastique : « Je m’en fous. Droite, gauche, c’est kif kif. Y’a le FN et y’a les autres ». Il ajoute : « Par mon éducation, je suis peut-être un peu plus à gauche ». Mais ultra-libéral. « Je ne suis pas un assisté, je me suis construit tout seul. Moi, les mecs qui font grève, ça me saoule. »

L’actualité ? Pareil : « ça m’emmerde profondément. » Il préfère parler litté-rature américaine, grand fan de James Ellroy et John Fante, et de séries télés, avec « le casting plastique de malade des gonzesses de Mad Men » et « l’es-thétique sublime de Breaking Bad ». Fabrice est maniaque. « C’est ce qui fait qu’il commence à être reconnu », se réjouit son père. « Il va au bout des choses et au bout de ses idées, il a l’amour du travail bien fait et cherche àsatisfaire ses clients. La musique, c’est son moteur », confesse l’ancien boss. Fabrice est conscient de ses compéten-ces, même s’il reconnaît avoir encore àapprendre. « Il a un don naturel. C’est mon meilleur élève. Il est curieux, tou-jours l’esprit en alerte », raconte Vin-cent Liaudet, son maître luthier qui l’appelle affectueusement « Mon Toyet » (mon doux imbécile en suisse).Les deux hommes sont très complices.« C’est un deuxième frère pour moi », dit le professeur. Fabrice jette un œil vers une caisse en plastique. « Bon, vous savez quoi, je vais lâcher ce cornet et je vais attaquer le basson, j’ai envie de tester un truc là. » Il colle son œil sur l’instrument, com-me un marin scrutant l’horizon avec sa longue vue. « Merde, il vient d’où ce trou ? »

Marion Saive

M O N T R E U I L PORTRAIT

Fabrice, maniaco-musicienÀ 41 ans, Fabrice Wambergue a divisé son salaire par trois pour se reconvertir en luthier-vents. Ce fanatique de musique s’épanouit dans son nouveau travail.

!Fabrice Wambergue, 41 ans, luthier 2.0. Photo DR

Page 8: Portfolio Marion Saive

Mésentente entre voisins assortied’une bonne dose d’alcool. C’est

ce qui semble avoir motivé Paul Koffi,35 ans, père de trois enfants, Françaisd’origine libérienne. La justice l’accu-se de « violences ayant entraîné six jours d’incapacité de travail » sur son voisin de palier d’un immeuble social,Cédric Kazmeirzack, trentenaire, pè-re de deux enfants… et flic.Après 48 heures en garde à vue, le pré-venu comparait ce mardi midi devantla XXIIIe chambre du tribunal cor-rectionnel de Paris. C’est la troisième fois qu’il fait face aux juges, après vio-lences sur son épouse en 2009 et con-duite en état d’ivresse en 2014.Grand trapu, mono sourcil épaisen V, cheveux rasés et barbe en col-lier, Koffi se tient bras croisés dans le box. Il prend soin de ne pas plisser son ensemble de survêtement Adidasbleu électrique, floqué au logo du club de foot Chelsea.

Trois adultes, trois enfants et trois trottinettes dans une cage d’ascenseur

À l’énoncé des faits, il gesticule, sur-joue avec ses mains, s’offusque. Paris XXe. Ce samedi 12 mars, M. Koffi a bu. Il revient des courses avec sa fille de 11 ans. Se gare à l’arrache sur une place de livraison. Galère à trouver son badge d’ascenseur. M. Kazmeir-zack rentre de promenade avec sa femme et leurs deux filles, de 12 et 4 ans. Les voisins du 4e ne s’aiment pas. Cinq ans que la situation s’enve-nime entre les deux familles et que lesmenaces de Koffi s’intensifient à l’égard du flic. S’ensuit un huis clos oppressant : trois adultes, trois en-fants et trois trottinettes dans une ca-ge.À l’audience, le président Thouvenot,mâchoire large, raie plaquée côtédroit et petites lunettes, condense la suite des faits : « Langage discour-tois, intimidations, menaces. Vous frappez à deux reprises votre voisin, devant femme et enfants. » « Carot-tes, champignons, tomates, les cour-ses volent dans la cage d’ascenseur, les enfants sont en pleurs », ajoute la victime.Depuis 2008, Paul Koffi est manager chez Office dépôt, un magasin de mo-bilier de bureau à Villepinte. Il gagne 1 500 euros par mois et paye 500 de loyer. Son avocate, Maître Alaoui, pe-tite quinqua iranienne, cheveux aca-jou et grosses lunettes, abat sa pre-mière carte. Tremblante, elle tend une feuille au président. « Partout, ondit de lui qu’il est impeccable et res-ponsable dans son travail. Voyez vous-même. » Le président se tourne vers l’une des deux assesseurs, plai-

sante, joue avec un élastique. L’avo-cate poursuit : « Peut-être que M. Ka-zmeirzack se prend pour le gendarmede l’immeuble, impose sa loi… ça aga-ce. »

« On ne peut pas dire que vous soyez le voisin idéal »

Face à l’enquête de voisinage, l’argu-ment est léger. Thouvenot prend une inspiration : « Trouble la résidence,régulièrement alcoolisé, ne sait pas communiquer calmement, cache des canettes derrière le compteur électri-que du 4e, peu loquace, comporte-ment à problèmes… Vous n’avez pas l’air agréable à rencontrer dans lescouloirs, on ne peut pas dire que vous

soyez le voisin idéal. » L’avocate ten-te une nouvelle approche : « On ne peut pas priver M. Koffi de son tra-vail. Il a trois enfants à nourrir, son nourrisson est un grand prématuréqui a besoin de soins. » Dans le box des prévenus, Koffi pleure, essuiegrossièrement ses larmes, comme un enfant grondé.Viennent les réquisitions. Une voixpuissante s’élève. « Quelle sera laprochaine étape ? Un préjudice plus important ? Je m’inquiète énormé-ment pour l’avenir de ces deux fa-milles. Je suis d’autant plus inquiète que M. Koffi n’a eu aucun mot pour lavictime. » La procureure requiert dix mois d’emprisonnement, dont cinq avec sursis, mandat de dépôt et régi-

me de semi-liberté pendant cinq mois.« Un dernier mot, M. Koffi ? ». Son visage se tend, il joint les mains, im-plore son voisin. Il est devant le mur des lamentations. « Je suis désolé de ce qui est arrivé. Tout ça m’a servi de leçon, venir ici, pas voir mon fils pen-dant trois jours… » Cédric Kazmeir-zack ne daigne même pas le regarder.C’est l’heure du jugement. Koffi s’agi-te sur le banc. Frénétique, il enchaîne les signes de croix, embrasse pouce etindex. L’ensemble collégial a suivi les réquisitions de la procureure, et ajou-te 1 300 euros pour préjudices physi-que et moral. La prestation théâtrale n’aura pas suffi.

Marion Saive

PA R I S ( PA L A I S D E J U S T I C E ) COM PA RU T IONS IM M É DI AT E S

Les signes de croix n’auront pas suffiAlcool et querelle de palier. Un mélange explosif pour ce père de famille, qui se présente aux juges pour la troisième fois.

!Palais de justice de Paris, mardi 15 mars 2016. Photo Marion SAIVE

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! vendredi 23 octobre de 14h à 18h! samedi 24 octobre

de 10h à 12h et de 14h à 18h! dimanche 25 octobre de 10h à 12h

TEMOIND’UNÉVÉNEMENTVOUS AVEZUNE INFO

FILROUGE

À la paroisse arméniennecatholique de Saint-Chamond, Hovig ( 1 ) ,

grand gaillard de 21 ans, et sa mère Gayané (1), enseignante en littérature de 45 ans, pren-nent place autour de la table. Fin juin, ils ont quitté leur vil-lage d’Al-Fourat (à 300 kmd’Alep, à l’est de la Syrie) pourla France.

« On ne comprenait plus qui était allié avec qui et qui se battait contre qui »Gayané, réfugiée syrienne, 45 ans

Après être passés par Bey-routh (Liban) et Istanbul(Turquie), Gayané, son mari,Hovig et sa sœur de 16 ans, ont été hébergés dans un petitappartement, au premier étage de la paroisse. Ils habitent depuis peu unlogement à Saint-Chamond etsuivent des cours de français à l’Ifra (Institut de formation

R h ô n e - A l p e s ) d e S a i n t -Étienne.Avant que la guerre civile n’éclate en Syrie, Gayané etson fils se souviennent qu’ilsvivaient « en parfaite harmo-nie » avec leurs voisins , « que chacun respectait les tradi-tions de l’autre » et qu’ils « célébraient même les fêtesreligieuses chez leurs amis musulmans. » Mais « ces deuxdernières années, c ’étaitdevenu très difficile, on ne comprenait plus qui était alliéavec qui, qui se battait contre qui », confie Gayané, le visage fermé. Coupures d’eau et d’électricité à répétition, vols de voitures, tirs d’obus en pleine nuit, « on n’était plus en sécurité », poursuit-elle, mains jointes sur la table. « Je continuais d’étudier mes cours d’économie à la bougie, chez moi, le soir, jusqu’au jour où des tirs de mortiers sont partis dans toutes lesdirections à l’université », se rappelle Hovig, emmitouflé d a n s s a d o u d o u n e b l e u marine. Se nourrir devenait compliqué, les terroristesc o u p a n t l e s r o u te s p o u r empêcher le ravitaillement

des villages. « À la boulange-rie, 500 personnes faisaient laqueue pour acheter un painqui coûtait trois fois plusc h e r » , r e l a t e l e j e u n e homme. Sans compter la vio-lence des terroristes. « Un jour, ils ont arrêté un amiau volant de sa voiture et ilsl’ont menacé : “ Renie ta reli-gion et tes origines, sinon on te coupe la tête” », rapporte-t-il, faisant mime de se trancherla gorge. « Ils kidnappent leschrétiens et demandent des rançons en retour », renchérit sa mère, qui précise : « Mais les musulmans qui refusentde se plier aux terroristes sont autant menacés. »La famille, qui bénéficie dustatut de réfugié politique, n’a pas eu à payer de visa. Seuls

les billets d’avion étaient àleur charge.Une somme conséquente, que quelques amis d’Hovig, restés en Syrie, n’avaient pas les moyens d’avancer.Les papiers déf init i f s en cours, l ’ intégration de la famille « à l’occidentale » sepoursuit, même si Gayanéavoue que le café et le brin decausette, le matin chez ses voisines syriennes, lui man-quent un peu. Désormais, elle dit vouloir « faire (ma) vie en France. » Hovig, qui ne lâche pas son téléphone portabledes mains, lève soudaine-ment les yeux : « Mon avenirétait compromis en Syrie, en cours, l’apprentissage est pri-mitif. En France, il y a plus de possibilités, on évolue vite. »« On retournera peut-être un jour en Syrie, quand la guerre sera finie, mais uniquement pour vendre notre maison. » E l l e m a r q u e u n e p a u s e . « Encore faut-il qu’elle n’ait

pas disparu sous les bombes, ou que les prix de l’immobi-lier n’aient pas trop baissé »,ajoute-t-elle, esquissant unsourire. ■(1) Les noms ont été modifiés afin d’éviter tous risques pour eux et leur famille.

Marion Saive

SAINT-CHAMONDSAINT-CHAMOND Réfugiés syriens : « D’abord Réfugiés syriens : « D’abord on vit, après on philosophe »on vit, après on philosophe »Témoignage. Arrivés fin juin en France, Gayané et son fils Hovig, réfugiés syriens arméniens et chrétiens, nous livrent leur témoignage.

35 000C’est l’estimation qui est faite du nombre d’Arméniens catholi-ques, en Syrie, en 2015.« Cent ans après le génocide arménien, l’histoire recommence et les Arméniens chrétiens fuient leur pays d’accueil », déplore Annik Boyadjian, présidente de la paroisse. Les membres de la famille de Gayané ont essaimé un peu partout en Europe, pour des rai-sons de sécurité. Une sœur est à Stockholm (Suède), une autre à Vienne (Autriche).D’une vie prospère à précaire

Par manque de nourriture, la famille tente de faire parvenir de la marchandise d’Irak, passe par les lignes téléphoniques turques pour communiquer, achète un petit générateur pour subvenir à ses besoins en électricité. Les séjours à Alep, pour rendre visite à la famille, aller chez le coiffeur et faire les magasins, se font rares. Désormais hors de danger, ils gardent un esprit pragmatique : « D’abord on vit, après on philosophe. La priorité, c’est les papiers, apprendre le français et les études. Les amis, les activités, ça passe après », résume Hovig.

■ Hovig et Gayané (de dos pour ne pas être reconnus), accompagnés du père Antranik Atamian, prêtre de la paroisse arménienne de Saint-Chamond, qui a bien voulu traduire de l’arabe au français. Photo Marion Saive

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42D - 1

ACTU GIERJEUDI 5 JANVIER 2017 LE PROGRÈS

www.leprogres.fr

Il faut passer plusieurs sasavant de pénétrer dans le

« showroom » de la bijouterie septuagénaire Dorey, à Loret-te. Sol en jonc de mer, vitrines de bois clair, quelques fau-teuils molletonnés. Dans les vitrines éclairées, des bagues, colliers et bracelets sertis de pierres précieuses sont soi-gneusement disposés. Le lieu épuré force au silence.Dans son bureau jouxtant l’ac-cueil, Romain Pangaud, veste noire brodée à son nom, gros-se montre au poignet et mo-cassins aux pieds, travaille sur des boucles d’oreilles serties de pierres précieuses via un lo-giciel CAO (conception assis-tée par ordinateur). Un post-it indique le numéro de la police sur son PC, sécurité oblige.

Un artisan émerveilléL’artisan joaillier de 35 ans a racheté la bijouterie aux fils Dorey en 2010 et allie depuis tradition et modernité. À l’écouter parler du rubis qu’il vient de dénicher (« un rouge chatoyant, pas trop foncé, avec une belle vivacité »), on sent que le petit-fils de viticul-teur, près de 20 ans de métier, est resté un gamin émerveillé. Ce diplômé « expert en dia-mants taillés » de l’Institut in-ternational de gemmologie d’Anvers, labellisé joaillier de France en 2012 (ils sont 50 à

pouvoir s’en targuer dans l’Hexagone) et maître artisan joaillier en 2015, se dit « à con-tre-courant du luxe industriel parisien ».« Eux, c’est les bijoux en série, la sous-traitance à l’étranger et un marketing abusif. Nous n’avons pas à rougir », dit-il. Lui mise sur le sur-mesure et laqualité. « Production contrô-lée », « développement mesu-ré », « forte sélection sur les pierres », « traçabilité », « cri-tères d’exigence »…Romain calibre ses mots com-me il travaille. Avec minutie. Quand on lui demande com-ment se porte l’entreprise, il ré-pond à demi-mot : « L’activité nous va bien. » Chez lui, les gens viennent par recomman-dation. Pas de « style mar-qué », une palette d’offres très large et des demandes atypi-

ques (à Noël, un client lui a de-mandé de créer un pendentif en forme de serre d’aigle te-nant une grosse pièce en or).

« Le bijou, c’est un objet de bonheur »

La société de huit salariés allie traditionnel (travail à la main du métal forgé, croquis réali-sés au crayon de bois) et mo-derne (CAO, découpe laser et impression 3D). Deux mois peuvent s’écouler entre le mo-ment où Romain choisit une pierre précieuse (les diamants viennent du Japon, des États-Unis ou d’Anvers, les émerau-des et saphirs du Sri Lanka, lesrubis de Birmanie) et le début du travail de conception.« Le bijou, c’est un objet de bonheur, il est là pour faire plaisir à quelqu’un. En tant

qu’artisan joaillier, on entre dans l’intimité du cadeau, du geste, c’est gratifiant. On s’amuse à créer selon la per-sonnalité des clients. »Il doit justement recevoir un Suisse qui souhaite imaginer avec lui sa bague de fiançailles.Deux heures et demie de routealler, autant au retour, et les mêmes trajets le jour où il vien-dra chercher le produit fini à l’atelier. La qualité a un prix.

Marion Saive

LO R E T T E A RT IS A N AT D ’ A RT

Bijouterie-joaillerie Dorey : 70 ans au service des pierres précieusesIl y a sept ans, Romain Pan-gaud et sa femme Sandrine ont racheté leur atelier-bouti-que à la famille Dorey. Ici, on travaille les métaux et les pierres précieuses depuis70 ans. Dans la tradition et avec des outils modernes.

nUn bijoutier à l’œuvre. Photo Yves FLAMMIN

3C’est le nombre de maîtres artisans joailliers dans la Loire : Audouard (Saint-Étienne), Taillandier (Mont-brison), Dorey (Lorette).

Historique :Pierre Dorey a créésa bijouterie en 1946. Ses deux fils, Jean-Pier-re et Noël, ont pris la suite. Il y a sept ans, Romain Pangaud et sa femme, Sandrine (qui s’occupe de la gestion, comptabilité et partie commerciale), ont ra-cheté la société, repre-nant la totalité de l’ef-fectif. Depuis,le couple Pangaud a renforcé l’artisanat, investi dans des locaux et nouvelles machines dernière génération, formé deux apprentis, étofféles collectionsQuelques dates :2010 : 1er prix de la reprise d’entreprisede la Loire2012 : label joailleriede France2015 : titre de maître artisan joaillier2013 et 2016 : investis-sements dansde l’outillage moderne et « showroom »totalement rénové.

n Photo Yves FLAMMIN

REPÈRE

Autre ambiance côté atelier. Sur fond demusique pop rock, Damien, dix ans demétier, et Régis, plus du double, assis faceà l’établi en chêne, bustes penchés enavant, travaillent minutieusement. Sous lepuits de lumière (le plafond est vitré), l’unagrandit une alliance trop petite, l’autre,fraise du chirurgien en main, s’applique àsertir un saphir rose sur une monture deboucle d’oreille. « Il essaye d’utiliser leminimum de métal pour mettre en valeurla pierre », explique Romain Pangaud, ac-coudé à un laminoir vieux de deux siècles.

Plus que la création, l’activité de répara-tion occupe la majeure partie du temps deDamien. « Avant, les femmes gardaientles bijoux dans leurs couffins et ne lessortaient que pour les grandes occasions.Aujourd’hui, elles veulent les porter, d’oùl’usure », détaille Romain. Sous les postesde travail des artisans, une peau de cuirrécupère la limaille d’or, formée aprèslimage des bijoux. Le précieux métal, ve-nu se loger sous les ongles de Régis etDamien, est lui aussi mis de côté. On nebadine pas avec l’or.

Utiliser le minimum de métal pour mettreen valeur la pierre précieuse

Même s’il n’est pas adepte du « merchandi-sing », Romain sait valo-riser son entreprise : « C’est la seule bijoute-rie de la Loire à être tenue par des joailliers de métier depuis trois générations. » Il s’ap-puie sur ses points forts : une fabrication française exclusive, au cœur de l’atelier, à un

prix juste. Quitte à flir-ter, parfois, avec ce marketing qu’il exècre. « La beauté, la pureté, la perfection est pour Romain Pangaud une devise de tous les ins-tants », peut-on lire sur la page Facebook de la bijouterie Dorey.PRATIQUE Bijouterie joaillerie Dorey, 27, rue Jean-Jaurès, Lorette. Tél. 04.77.73.33.60.

ZOOM

« La seule bijouterie de la Loire tenue par des joailliers de métier depuis trois générations »