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Cahier de recherche Working Paper
N°43 – 2006
De l’atomisation à l’oligopolisation : stratégies de concentration dans les
industries maritime et portuaire conteneurisées
Yann Alix
Professeur, Ecole de Management de Normandie
1
Avertissement
Le présent texte constitue une synthèse d’un papier et d’une conférence
présentés au colloque international sur la conteneurisation organisé par
l’Entreprise Portuaire de Béjaïa (EPB) les 2 et 3 juillet 2005 à Béjaïa en
Algérie.
2
Introduction
La mondialisation des échanges est un fait accompli de l’économie du XXIème siècle.
L’uniformisation des pratiques de consommation continue de favoriser l’émergence d’un
marché unique dans lequel les firmes multinationales localisent et délocalisent leurs
unités de production/distribution au gré des avantages comparatifs de chacune des
régions du monde.
Ce marché global apparaît d’autant moins indivisible qu’il repose sur la performance
économique et la fiabilité logistique d’un réseau multimodal de transport d’envergure
planétaire. L’industrie du transport conteneurisé sert les intérêts d’une mondialisation de
l’échange tout en s’en nourrissant pour soutenir une logique de développement très
semblable à celle d’autres secteurs industriels ou de services.
Standardisation des pratiques, homogénéisation des services, recherche d’économies
d’échelle et d’envergure demeurent les caractéristiques prégnantes d’un marché
conteneurisé dominé par des entreprises maritimes de plus en plus concentrées, réunies
sous diverses formes de partenariat technique (alliances stratégiques,
conférences/consortiums, services conjoints/partages de slots, etc.).
Dans ce contexte, la présente contribution a pour objectif d’analyser le phénomène de la
concentration des activités au sein des grands armements de lignes régulières. Après
avoir rappelé les principales caractéristiques d’un oligopole et ses conséquences tangibles
sur le fonctionnement du marché, une analyse statistique vise à démontrer l’ampleur de
la concentration des actifs maritimes aux mains d’un groupe restreint d’acteurs privés qui
tendent, de surcroît, à combiner des logiques intégratrices verticales et horizontales tout
le long de la chaîne internationale de transport. Cette évolution est mise en avant dans
une dernière partie afin de considérer les conséquences directes et indirectes sur les
réseaux portuaires, eux-mêmes confrontés à l’avènement des opérateurs globaux de la
manutention qui croît au fur et à mesure du rachat des entreprises régionales et/ou du
retrait des autorités publiques de la gestion et l’exploitation commerciales des opérations
portuaires conteneurisées.
1. Principes généraux sur l’oligopole
Considérant la présente communication, les quelques éléments généraux sur la notion
d’oligopole sont rappelés uniquement pour en saisir l’envergure dans le contexte du
transport maritime conteneurisé. Aussi, il n’est pas de l’ambition de l’auteur de prétendre
3
cerner les nuances fines sur le sujet, et ce d’autant plus qu’elles sont largement illustrées
par une abondante littérature scientifique et appliquée.
En premier lieu, il convient de rappeler que la détermination d’une situation d’oligopole
est établie lorsqu’un nombre limité de vendeurs cerne un marché constitué d’un nombre
important de consommateurs. Ce rapport de l’offre et de la demande permet aux firmes
de limiter les formes de la concurrence. Il est alors admis que les compagnies
dominantes disposent d’un pouvoir de marché.
Ensuite, les firmes dominantes se connaissent les unes les autres et ajustent leurs
politiques stratégiques de développement en fonction du positionnement effectif de
chacune. Elles sont susceptibles de s’aligner les unes par rapport aux autres en matière
de produits et de tarifs. Elles sont à même de développer des liens d’interdépendance
pour se prémunir de l’entrée sur le marché de nouveaux concurrents.
Les modalités de la relation qui unit les acteurs de l’oligopole peuvent être basées sur
des alliances, des formes de coopération, des ententes réciproques et temps à autre, des
clauses non-écrites pour un partage « concerté » du marché.
Dans un oligopole, les entreprises parviennent à contrer l’intervention de concurrents par
les coûts et par les volumes. Les économies d’échelle générées par la massification des
productions imposent aux concurrents éventuels de mobiliser d’importants capitaux pour
espérer s’aligner sur les coûts unitaires maîtrisés par les acteurs dominants.
Ce processus de concentration et de maîtrise relative des conditions du marché se
retrouvent dans de nombreux secteurs industriels et de services. Le cas de position
dominante de l’entreprise Microsoft et de ses pratiques «abusives » au détriment des
concurrents informatiques constitue un exemple d’une situation oligopolistique, à la limite
du monopole abouti. Autre exemple moins connu, les concentrations des entreprises
multinationales sur le marché global du vin avec les conséquences d’une restructuration
orchestrée par une vingtaine d’acteurs dominants1. Coelho et Rastoin décrivent même la
constitution effective d’un véritable oligopole à franges, avec une myriade de petites et
moyennes entreprises nationales et internationales qui côtoient un groupe dominant de
grandes entreprises de plus en plus concentrées.
1 Coelho A., Rastoin, J.L., 2004, Vers l’émergence d’un oligopole sur le marché mondial du vin ? in Marchés et stratégies des acteurs dans la filière vitivinicole. Dunod. Paris.
4
Sans entrer dans les détails sémantiques et empiriques, la nature de l’oligopole envisagé
dans les contextes maritime et portuaire se rapproche de cet oligopole à franges,
caractérisé par le contrôle majoritaire du marché par quelques firmes et la pérennité
d’une kyrielle de compagnies de petites tailles sur les franges restantes du même marché
ou du même secteur.
2. Un oligopole à franges sur les lignes conteneurisées ?
Par son implication directe dans la mondialisation de la production et des échanges, le
secteur du transport conteneurisé ne cesse de croître depuis son avènement dans le
courant des années 1960. Les pratiques techniques, technologiques et logistiques du
transport des marchandises ont été transformées au fur et à mesure de l’imposition du
standard conteneurisé. Au cours de la dernière décennie, le succès de la conteneurisation
s’est accéléré tel que le suggère les données sur la capacité totale déployée entre 1996
et 2005 (Figure 1). Le marché conteneurisé a plus que doublé avec une capacité totale
déployée qui avoisine dorénavant les 8 millions d’EVP pour un total proche de
4 000 unités cellulaires. Le taux de croissance annuelle sur la dernière décennie avoisine
les 10% et les perspectives jusqu’en 2008 demeurent très positives avec un
dépassement des 10 millions d’EVP pour les seuls navires cellulaires conteneurisés.
Figure 1
Capacité conteneurisée des 100 premiers opérateurs mondiaux
Source : BRS Alphaliner
3 195
4 8185 239
5 7016 335
7 0057 691
0
1 000
2 000
3 000
4 000
5 000
6 000
7 000
8 000
En m
illie
rs d
'EVP
1996 2000 2001 2002 2003 2004 2005Année
Yann Alix
5
Sur le plan portuaire, les estimations du marché tablent sur un 6% de croissance
annuelle dans le secteur de la manutention, soit un total anticipé de presque 650 millions
d’EVP de capacité à l’horizon 2015 ; soit deux fois plus que pour l’année 2003 (OSC,
20052). La moitié de cette capacité de traitement sera localisée en Asie du sud-est avec
la pérennité d’une croissance chinoise à deux chiffres. Les transbordements sur des
plates-formes d’éclatement spécialisées ainsi que les mouvements transcontinentaux de
boîtes vides devront continuer d’augmenter, en proportion du déséquilibre croissant des
flux import/export entre les principales aires de production et de consommation
mondiales. Les solutions commerciales et techniques prônées par la plupart des
armateurs passent alors par la massification et la concentration des capacités, le
déploiement d’un plus grand nombre de services3 et le lancement d’unités navales
toujours plus grandes4. Ces stratégies doivent permettre une maîtrise optimale des coûts
et des parts de marché en cherchant toujours plus d’économies d’échelle et d’économies
d’envergure.
Dans ce contexte rapidement brossé, la pérennité commerciale d’une activité de
transport de lignes régulières dépend directement de la santé des taux de fret :
baromètre de la fluctuation entre l’offre et la demande de services de transport. Or, dans
le système actuel, en quête de toujours plus de concentration et de massification, les
compagnies les plus aptes à survivre demeurent celles qui disposent de la capacité
financière et commerciale à résister au moment de la baisse cyclique des taux de fret.
La constitution d’une industrie de type oligopolistique sur la ligne régulière conteneurisée
est une résultante de ces contractions des actifs entre les mains des plus puissants. Lors
d’une période d’euphorie tarifaire comme celle que l’industrie est en train de vivre depuis
plusieurs années, les entreprises engrangent toutes d’importants dividendes. Les leaders
du secteur cherchent alors à densifier leurs activités par des stratégies de croissance
immédiate. La réactivité sur le marché se manifeste par de grandes opérations de
fusions/acquisitions qui solutionnent à court terme l’impérieuse nécessité de déployer de
la capacité sur les segments porteurs. Le secteur subit alors une contraction avec des
attaques économiques et boursières sur les compagnies dont les structures financières ne
sont pas fermées.
2 Ces estimations sont toujours sujettes à caution puisque d’autres analystes (Drewry Shipping Ltd et Clarkson) annoncent un total de 600 millions pas avant 2020. 3 Le numéro 1 mondial, Maersk, proposait en nom propre un total de 116 services différents au 1er novembre 2004 (Source : BRS Alphaliner). 4 Au 1er janvier 2005, 165 unités de plus de 7 500 EVP de capacité étaient en commande alors que 49 navires de plus de 7 500 EVP ont été mis en circulation dans le courant de l’année 2004 (Source : BRS Alphaliner).
6
Les deux exemples les plus récents se retrouvent dans la spectaculaire offre publique
d’achat (OPA) du numéro 1 mondial (Maersk Line) sur le numéro 3 (P&O Nedlloyd), lui-
même issu du produit d’une fusion d’actifs il y a moins d’une décennie5. Maersk Line,
opérateur de plus d’un million d’EVP de capacité, prendrait le contrôle des 428 000 EVP
du groupe P&O Nedlloyd pour déployer une flotte mondiale supérieure à 500 navires.
L’offre financière de 2,3 milliards d’euros permettrait au géant danois d’accroître sa part
totale sur le marché mondial conteneurisée de 12,4% à 17,8%6 (calculée en nombre
d’EVP déployé).
Cette acquisition pose déjà le problème de la position dominante que pourrait occuper la
nouvelle entité Maersk sur certains segments maritimes tels que les dessertes entre
l’Europe de l’Ouest et les ports de la cote Est des Etats-Unis par exemple. La
Communauté européenne d’une part et l’administration américaine d’autre part
observent avec attention les potentielles dérives commerciales et tarifaires qui pourraient
découler de cette prise de position de Maersk7.
Second exemple encore plus récent, l’annonce officielle de négociations ouvertes entre
CMA CGM8, leader français et 5ème mondial du transport conteneurisé, avec l’entreprise
Delmas, acteur historique des services entre l’Europe et l’Afrique9. Les 50 navires de
Delmas (dont 23 en propriété), permettraient à CMA-CGM de devenir le numéro 3
mondial avec une flotte totale opérée de 230 navires à l’horizon 2008. Dans cette
optique, la CMA CGM renforcerait une capacité de transport en forte croissance ces
dernières années, conséquence de l’arrivée massive de grands navires issue
d’ambitieuses commandes10 pour répondre au positionnement précoce de la compagnie
sur le marché chinois11.
Le renforcement d’une structure oligopolistique, constituée en période de croissance des
activités, se réalise alors que le « prédateur » cherche à accroître immédiatement son
positionnement concurrentiel. La victime de l’achat conclut une cessation de ses activités
avec souvent une très confortable plus value issue de la rareté des capacités disponibles
sur le marché et de la surenchère concomitante exercée sur les valeurs nominales de 5 Début 1997, les deux entreprises unifiées avaient même occupé le premier rang mondial en termes de capacité totale déployée. 6 Les échos, Maersk Sealand offre 2,3 milliards d’euros pour acquérir P&O Nedlloyd. 12 mai 2005. 7 Journal de la marine marchande, Maersk/Royal P&O Nedlloyd inférieur ou supérieur à 25% des marchés pertinents. 20 Mai 2005. p4. 8 Le premier groupe français de la ligne régulière conteneurisée est le résultat d’une fusion entre la Compagnie maritime d’affrètement (CMA) et la Compagnie générale maritime (CGM) en 1996. 9 Le Monde, La CMA-CGM pourrait devenir le troisième armateur mondial.18 juin 2005. 10 Un total de 45 navires et plus de 200 000 EVP de capacité était annoncé par les responsables de CMA CGM à la fin de l’année 2004. 11 La Chine représente un tiers des trafics conteneurisés de la CMA CGM à la fin de l’année 2004 avec des perspectives de croissance dans le sens des exportations qui atteignent 22% ! Voir à ce sujet The Giant’s Long March. CMA CGM Magazine, n° 25, janvier 2005, 8-11.
7
chaque unité concédée. Dans ce cas de figure, l’oligopole semble se façonner « au profit
de tous », comme une conséquence quasi naturelle d’un marché où les grandes firmes
cannibalisent les moins solides.
A l’heure d’écrire ces lignes, d’autres spéculations animent les spécialistes de la ligne
régulière. Les appétits des compagnies chinoises (CSCL et Cosco en autres) et la bonne
santé financière des firmes européennes (MSC et Hapag Lloyd notamment) laissent à
penser que des opérateurs comme CP Ships, Hyundai ou encore Hanjin/Senator
pourraient faire les frais d’une nouvelle ère de consolidation. Leur capital non-verrouillé
et leur taille idéale (toutes dans le top 15 avec des capacités totales déployées entre 200
et 300 000 EVP) constituent des arguments de choix pour un renforcement de l’oligopole
sur les grands marchés orientés Est-Ouest. Il faut savoir qu’avec la fusion annoncée des
intérêts conteneurisés de Maersk-P&O Nedlloyd et le renforcement de CMA CGM, ce
serait près de 40% de la capacité totale déployée qui serait contrôlée par les 4 premiers
operateurs mondiaux à la fin de l’année 2005. Pour le Top 10, la quote-part atteindrait
dorénavant près de 60% de l’offre totale mondiale (après intégration de P&O Nedlloyd et
de Delmas), contre 43,6% il y a dix ans (Figure 2)12.
Figure 2
Les leaders mondiaux du conteneur de plus en plus concentrés …
Source : BRS Alphaliner
43,6%
71,1%
52,7%
79,8%
56,4%
86,4%
0,0%
20,0%
40,0%
60,0%
80,0%
100,0%
1996 2000 2005
% top 10 % Top 25
Yann Alix
12 … et à peine plus de 30% dans le courant des années 1980.
8
Cette concentration par les leaders mondiaux s’avère d’autant plus rapide et
spectaculaire si l’on se rappelle que le Top 20 mondial concentrait seulement 35% de la
capacité totale déployée en 1985… et 38,8 % en 199013.
Autre situation, même sanction : l’oligopole maritime se consolide également au moment
des périodes de flottement, quand les taux de fret se déprécient face à la concomitance
d’une surcapacité de la flotte mondiale (côté offre) et un ralentissement de la demande
mondiale de services (côté demande). L’armement italo-suisse MSC et le canadien CP
Ships demeurent les deux exemples emblématiques d’une croissance acquise sur les
difficultés économiques/financières/logistiques de concurrents de taille modeste,
incapables de résister à la guerre tarifaire et l’implantation de nouveaux services de
Global Carriers.
A chaque période de « temporisation » du marché, CP Ships a ainsi intégré plusieurs
compagnies, toutes spécialistes de marchés niches, avec des flottes souvent peu
spectaculaires, que ce soit en nombre de navires et/ou en capacité nominale. Ainsi, en
une décennie, pas moins de 9 opérateurs ont été intégrés au giron du spécialiste
canadien pour le faire intégrer le Top 15 du classement mondial (Figure 3).
Toutes les compagnies absorbées ont originalement conservé leur raison sociale
d’entreprise et leurs spécialités sur les segments où elles étaient originellement
positionnées. Cette visibilité commerciale préservée14 (nom de la compagnie, couleur
distincte) n’empêche pas de constater une autre forme de contraction du marché avec la
disparition d’entités commerciales au profit de quelques nouveaux « global carriers des
marchés secondaires ».
13 Source : Diverses livraisons de Containerisation International 14 Plusieurs articles de presse ont indiqué au premier trimestre 2005 que la direction générale de CP Ships avait l’intention de changer sa stratégie en intégrant toutes les bannières de son groupe maritime sous les uniques couleurs de CP Ships. Ceci marquerait un tournant et un ajustement aux pratiques courantes enregistrées dans le secteur de la ligne régulière. Voir à ce sujet Journal de la marine marchande, CP Ships, un seul nom pour tous. 20 mai 2005, p12.
9
Figure 3
Croissance par acquisitions : l’exemple de Canadian Pacific Ships
1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
La montée en puissance de MSC concrétise une autre forme de concentration horizontale
du secteur. L’armateur italo-suisse s’était fait le spécialiste des rachats d’unités
conteneurisées d’occasion acquérant ainsi les navires aptes à servir son expansion sur les
marchés Nord/Sud. Tel qu’indiqué à la figure 4, MSC s’est constitué une flotte et une
capacité de transport à une vitesse fulgurante, rachetant des dizaines de bateaux pour
atteindre le plateau des 200 navires au début des années 2000. Cette stratégie a
entretenu de nouveau le renforcement d’une structure oligopolistique du secteur car le
rachat des navires se réalisait autant auprès des leaders mondiaux en cours de
renouvellement de leur flotte que par l’intégration de capacités issues de compagnies
secondaires vouées à disparaître.
10
Figure 4
Source : MSC Yann Alix
Exemple d’une croissance organique unique : Mediterranean Shipping Company
L’exemple de MSC s’avère d’autant plus pertinent que dès 2001-2002, l’opérateur italo-
suisse consolide ses actifs par une nouvelle stratégie de croissance basée sur l’achat de
navires neufs de grandes tailles15. A l’instar de ses concurrents immédiats, MSC se lance
dans une politique de croissance par l’augmentation de ses carnets de commande.
Tel que constaté à la figure 5, les perspectives de consolidation de l’activité
conteneurisée mondiale demeurent d’autant plus importantes que les leaders globaux
s’imposent comme les acteurs les plus actifs sur les commandes de navires neufs. Près
de 45% de la capacité mondiale conteneurisée en commande en janvier 200516 concerne
le top 5 des armements, soit 1,45 millions d’EVP pour un total de 253 navires !
Maersk Line a en commande 86 navires, contre 46 navires pour MSC, 45 pour CMA CGM
et 40 pour P&O Nedlloyd ! Il est impératif de remettre cette vague de construction navale
dans son contexte historique. Le volume en commande de Maersk en 2005 (477 020
EVP) dépasse largement la capacité totale déployée par cette même compagnie… en
15 Ce changement s’accompagne du positionnement stratégique de la compagnie sur les segments Est-Ouest. 16 Ce calcul se base sur le total des commandes des 100 premiers armateurs mondiaux.
11
199517 (360 000 EVP) ! De même, le total de toutes les commandes cumulées au 1er
janvier 2005 représente dorénavant 53 % de la flotte totale existante.
Figure 5
0
100 000
200 000
300 000
400 000
500 000
Maersk-S.L. MSC Evergreen P&ONedlloyd
CMA-CGM APL Hanjin-Senator
NYK Cosco China SCL
Le carnet de commandes du TOP 10 au 1er janvier 2005
1,45 M pour le Top 5
45 % du total
Source : BRS AlphalinerYann Alix
Il est à noter également la montée irréversible de China SCL dans le classement mondial
avec un carnet de commandes digne du Top 5 (40 unités pour 262 500 EVP). Au-delà du
top 10, seuls Mitsui OSK Line (14), CSAV (15) et Yang Ming Line (18) présentent des
commandes de plus de 100 000 EVP. Plus révélateur encore, aucune compagnie au-delà
du Top 25 n’a de commandes excédant 16 000 EVP, soit la capacité de deux navires
reçus par MSC et CSCL en 2004 ! Enfin, les compagnies comprises entre la onzième et la
centième place présentent un carnet de commandes total légèrement supérieur à 1
millions d’EVP, soit environ un tiers du grand total.
Cette concentration à venir dans le contexte du déploiement des capacités futures
devient un nouvel argument de la composition progressive d’un oligopole maritime. Les
leaders mondiaux, déjà grandis par les processus de fusion/acquisition, disposent
également des carnets de commandes les plus ambitieux. La conséquence directe sera
un cloisonnement du marché mondial Est-Ouest par une maîtrise accrue des termes de
17 Maersk apparaissait déjà au premier rang mondial en termes de capacité totale déployée en EVP.
12
l’échange. Les quotes-parts de marché continueront de croître au détriment d’acteurs de
tailles moyenne et petite. Ces derniers seront incapables à terme de résister aux
pressions concurrentielles des économies d’échelle et d’envergure générées, entre
autres, par le gigantisme naval et la massification des capacités.
Dans ce sens, force est de constater que seules les grandes firmes mondiales disposent
du levier financier suffisant pour soutenir le lancement en série de navires géants
supérieurs à 7 500 EVP. CMA-CGM, MSC et les compagnies chinoises ont d’ores et déjà
des livraisons de navires supérieurs à 9 000 EVP de capacité pour début 2006. Une fois
encore, le Top 5 consolide sa position dominante et alimente la construction d’une forme
oligopolistique de marché (Figure 6).
Figure 6
0
200 000
400 000
600 000
800 000
1 000 000
1 200 000
1 400 000
1 600 000
100 /
499
500 /
999
1 000
/ 1 49
9
1 500
/ 1 99
9
2 000
/ 2 49
9
2 500
/ 2 99
9
3 000
/ 3 99
9
4 000
/ 4 99
9
5 000
/ 7 49
9
> 7 50
0
Yann Alix Source : Compilations de ISL et de CFORT
Composition de la flotte de porte-conteneurs cellulairesCarnet de commande – situation en Mars 2005 – En EVP
MSC
CMA CGM
CSCL
Maersk, etc…
Commandes en série
Pouvoirs technique, commercial
et capitalistique
Au regard des carnets de commandes et des repositionnements de capacités, les 7 500
EVP et + bouleversent même les configurations de desserte des marchés localisés en
dehors des routes orthodromiques Est-Ouest. La feederisation croissante à partir des
points nodaux des réseaux des navires géants agence de nouvelles relations maritimes et
portuaires dans des régions comme le bassin méditerranéen, l’espace Caraïbes ou les
dessertes intra-asiatiques.
13
Le reclassement des navires de moindres tailles concurrence largement les capacités
« historiques » déployées sur les marchés secondaires, détenues la plupart du temps par
des compagnies régionales spécialisées. Cet afflux de capacités aux couleurs des leaders
mondiaux encourage une forme d’oligopolisation du marché avec la disparition
progressive des spécialistes régionaux incapables de soutenir la pression tarifaire de ces
nouveaux concurrents (Alix and all, 1999). La logique prégnante du « tout-conteneur »
renforce également cette évolution par la substitution de navires combinés et rouliers
aux coûts d’exploitation trop importants pour soutenir la concentration conteneurisée.
Malgré des spécificités régionales fortes comme par exemple les circuits de
remorques/caisses mobiles sur les marchés du Maghreb, cette transposition vers le
conteneur semble, à terme, inéluctable.
Pour terminer, il convient de revenir sur les modalités de l’organisation technique et
commerciale du transport de lignes régulières pour parfaire la démonstration de cette
constitution de l’oligopole maritime. En effet, les accords de partenariats comme les
consortia, les conférences et les partages de capacités ont tous pour ambition de
mutualiser les risques inhérents à la versatilité des flux et des taux de fret. D’autres
arguments sont valables comme il est possible de le constater dans la figure 7. Le
partage des capacités soutient un accroissement des réseaux et des couvertures
géographiques (Slack and all, 2002). Les stabilisations tarifaires et concurrentielles
entraînent une certaine forme de sécurité dans un marché hautement capitalistique. Les
échanges de slot tentent de contrecarrer les incontournables déséquilibres de flux entre
routes maritimes.
Néanmoins, la rationalisation du déploiement des capacités s’inscrit surtout dans une
volonté de contrôle optimal des conditions fluctuantes de marché. Elle consolide l’idée
prégnante d’une organisation en oligopole avec une planification quasi concertée des flux
et des capacités disponibles sur le marché actuel, et surtout futur. Cette tendance lourde
n’implique pas nécessairement un alignement total des stratégies de la part des
opérateurs de lignes régulières (Frémont et Soppé, 2003).
14
Figure 7
Globalisation de la demande
Industrielle et manufacturière
Globalisation des contrats
liners / shippers Partage
des portfolios de slots
et maximisation des capacités
Réponse technique aux
Trade imbalances
Partage des boîtes / terminaux portuaires
Dilution des risques financiers
- construction - terminaux - dessertes intermodales
Couverture des marchés
(des attentes régionales aux besoins mondiaux)
Economies d’ échelle et économies d’envergure
Constitutions oligopolistiques
(fermeture virtuelle du marché Les motivations
de la croissanceet des alliancesdans le shipping
Yann Alix
Il convient de mentionner le poids croissant des alliances stratégiques dans les parts de
marché sur les segments Est-Ouest pour se convaincre de la difficulté de persister en
situation d’outsider indépendant. Les trois grandes alliances mondiales (Grand Alliance,
NW Alliance, CHKY Alliance) + Maersk Sealand contrôlaient plus de 70% des capacités
déployées à la fin de l’année 2004 sur les trois routes Est-Ouest.
Cette concentration des capacités et des flux confèrent aux acteurs des alliances un
pouvoir de marché de plus en plus difficile à contester par des opérateurs indépendants
aux moyens techniques et financiers largement inférieurs. Et la situation tend à devenir
de plus en plus mondiale avec des positionnements massifs des leaders mondiaux sur les
marchés Nord-Sud encore contrôlés par une myriade de spécialistes historiques. D’où la
question de savoir si cette organisation en oligopole à franges perdurera encore
longtemps face aux logiques intégratrices et massificatrices de quelques firmes toujours
plus globales ?
15
3. De l’oligopole maritime à l’oligopole des manutentionnaires portuaires
privés ?
En guise de discussion, il est intéressant de reporter la démonstration proposée sur le
secteur de la ligne régulière à l’industrie de la manutention portuaire. En effet, une des
premières conséquences de l’organisation oligopolistique des services maritimes
intervient sur la dynamique du maillon portuaire. Sous l’impulsion des chargeurs
industriels et face à cette intégration des acteurs maritimes est apparue une nouvelle
forme de service global au sein de la chaîne internationale de transport conteneurisé.
Les opérateurs mondiaux de la manutention portuaire sont apparus comme les nouveaux
acteurs forts de la chaîne conteneurisée. Ces derniers ont rapidement entamé, à l’instar
des armateurs globaux, de vastes politiques d’expansion basées sur le rachat, la fusion,
l’acquisition et la victoire sur les appels d’offres à concession portuaire.
D’une envergure régionale et nationale, la compétitivité entre opérateurs de terminaux
est devenue intra et intercontinentale. Les dynamiques de la concentration deviennent
autant horizontale (limitation du nombre d’acteurs dans la manutention portuaire
conteneurisée) que verticale avec la lutte entre les entreprises spécialisées dans la
manutention et les armateurs globaux impliqués dans la gestion de la manutention (APM
Terminal pour Maersk Line, Ports Synergy pour P&O Ports et CMA CGM, Evergreen, etc.).
Les recettes de la consolidation portuaire apparaissent semblables à celles rencontrées
dans le transport maritime de lignes régulières. En premier lieu, un désengagement
progressif des Etats-nations dans le contrôle de la manutention. Cette libéralisation a
permis l’implantation de schémas de gestion et d’exploitation ouverts aux entreprises
privées, souvent plus performantes et capables de soutenir les investissements massifs
requis pour l’outillage et l’exploitation d’un terminal à conteneurs (Cullinane
et Song,2002). Le port-foncier (landport), qui consiste à concéder les fonctions
commerciales du terminal à un opérateur spécialisé, est dorénavant devenu le modèle de
référence18, laissant ainsi le champ libre aux positionnements stratégiques des
opérateurs internationaux (Figure 8).
18 Selon une étude de l’IAPH réalisée en 1999 auprès de 210 ports mondiaux représentant plus de 50% du trafic portuaire mondial, le schéma de landlord port concerne 70 % des établissements retenus.
16
Figure 8
Le schéma de port-foncier – Landport – devient une norme mondiale
Entreprises portuaires
Spécialistes de la manutention
SUPERSTRUCTURES
Gestion commerciale& exploitation technique
PortiquesEngins
BâtimentsEntrepôts, etc
Autorités
portuaires
INFRASTRUCTURES
Gestionrégalienne
QuaisDiguesBassins
Terre-plein, etc
GESTION
CONCERTEE
Yann ALIX
Ensuite, la forte demande de services portuaires partout dans le monde a convergé avec
le développement d’une expertise « vendable » sur le marché international de la
manutention portuaire. Des ports comme Singapour ou Dubaï disposent de compétences
reconnues et développent des politiques d’expansion en dehors de leur périmètre
portuaire acquis. Ces entreprises privées disposent de capacités financières conséquentes
pour mettre en exploitation des terminaux plus grands, mieux équipés et mieux gérés.
Ces compétences permettent d’atteindre des tailles critiques et soutiennent l’éviction des
petits opérateurs, souvent incapables de répondre aux impératifs d’investissements
requis pour soutenir une compétition autant intra-portuaire (entre exploitants de
terminaux au sein du même port) qu’inter-portuaire (entre ports).
En outre, la mobilisation en capital et l’évaluation des facteurs de risques se trouvent
diluées par l’internationalisation des politiques d’investissement de ces nouveaux
opérateurs globaux de terminaux. Ces derniers entament l’activité portuaire de la
manutention sur un plan mondial. Chaque port et chaque projet de terminal devient une
possibilité nouvelle d’implantation et d’expansion. Un changement radical de mentalité et
de savoir-faire a été opéré au détriment de petits acteurs régionaux de la manutention,
souvent trop repliés sur leur pré-carré portuaire.
17
Cet accroissement de la taille critique des opérateurs permet aussi de soutenir des
économies d’échelle, avec un amortissement des investissements en proportion des
volumes manipulés sur plusieurs terminaux dans le monde. A titre d’exemple, les
systèmes informatiques propres à chaque opérateur peuvent être optimisés et
renouvelés assez rapidement pour soutenir un positionnement toujours plus concurrentiel
vis-à-vis des autres spécialistes du secteur (exemple de PSA). De même, les contrats
avec les fournisseurs de matériel peuvent être l’objet de négociations tarifaires.
En outre, ces opérateurs globaux mettent en avant leur pouvoir d’attraction sur les
armateurs mondiaux et leur capacité de négociations avec les global shippers. Ils
cherchent à disposer d’un pouvoir de fidélisation des clientèles terrestres et maritimes
par une standardisation des pratiques de gestion et d’exploitation sur tous les terminaux
contrôlés. Une certaine homogénéisation de la qualité du service portuaire tend à devenir
un argument commercial de poids, en rupture certaine avec les situations souvent
instables rencontrées à l’interface portuaire. Les opérateurs globaux de terminaux,
disséminés sur les cinq continents, opèrent une forme de maillage mondial, à l’instar des
grandes chaînes de l’hôtellerie ou de la location de véhicules. Les clients se globalisent
(les compagnies maritimes) et les clients des clients exigent des services mondialisés (les
grandes chargeurs internationaux auprès des armateurs et intégrateurs logistiques) dans
une logique porte-à-porte (Figure 9).
Par conséquent, la logique d’une commercialisation attractive d’un service portuaire
optimisé et de plus en plus uniformisé fait son chemin pour aboutir à une absorption
irréversible des petites et moyennes entreprises de manutention, incapables de faire le
poids au moment des renégociations des concessions d’exploitation avec les autorités
portuaires19.
19 Sauf dans certains cas comme pour le port du Havre par exemple où les trois exploitants de la manutention, tous français, sont parvenus à s’associer avec les leaders mondiaux de la ligne régulière (Maersk, MSC et CMA CGM) pour une exploitation des futurs terminaux de Port 2000.
18
Figure 9
L’opérateur global de manutention portuaire… de nouveaux services « oligopolisés »
CHARGEURS
Globalisation de la demande de services
de transport maritime
ARMATEURS GLOBAUX &
INTEGRATEURS LOGISTIQUES
Couverture mondiale des marchés et
réponses a-modalesen port-à-port / porte-à-porte
OPERATEUR GLOBAL DE MANUTENTION PORTUAIRE
- Nouveaux services « vendables »à une échelle quasi-mondiale
- Expertises technique et commerciale
- Capacités financières
- Taille critique
- Pouvoir de négociation / fidélisation
- Contrats globaux Shippers/Carriers
Des ports qui « externalisent » PSA - DPA
Des conglomérats spécialistes HPH - SSA
Des armateurs qui intègrent… APM – P&O Ports
Dans le même ordre d’idée, ces opérateurs globaux de terminaux cherchent de plus en
plus à offrir des services supplémentaires une fois le conteneur sur le quai. Des inland
terminals et des services logistiques connexes (stockage, transport terrestre, etc.)
s’additionnent pour évincer des opérateurs régionaux la plupart du temps cantonnés à
leur corps de métier. Cette stratégie d’intégration des métiers de la filière logistique reste
encore marginale. Toutefois, elle répond aux exigences affichées des grands chargeurs
industriels en quête de prestations intégrées de type porte-à-porte avec un unique
interlocuteur logistique. Ce dernier doit avoir les moyens de cette intégration, avec le
contrôle du flux physique et du flux d’information. Les opérateurs globaux de terminaux
aboutissent progressivement à cet état de fait très compétitif, agissant comme un levier
face à la concurrence portuaire et para-portuaire.
19
Si l’on revient sur le plan purement portuaire, la gestion et l’exploitation des activités
conteneurisées à l’interface bord-à-quai ont pris une envergure mondiale considérable au
cours des dernières années. Tel qu’indiqué dans la figure suivante, les trois plus
importants opérateurs mondiaux disposent dorénavant d’une part conséquente du
marché mondial de la manutention (29% fin 2002) et tous les opérateurs globaux réunis
présentent une part majoritaire dans le total mondial manutentionné.
Parmi les principales firmes, on retrouve les entreprises portuaires qui ont su développer
des expertises internationales vendables (PSA et Dubai PA), des experts mondiaux issus
de puissants conglomérats (Hutchison et SSA) et des groupes rattachés à des armateurs
internationaux de la ligne régulière en quête de concentration verticale (APM Terminals,
P&O Ports, Evergreen, Cosco et Hanjin).
Afin de réaliser ce que peut représenter le total manipulé par le leader mondial en 2002,
il faut savoir que les 36 millions de boîtes de Hutchison équivalent au total manipulé par
l’ensemble des terminaux conteneurisés du pourtour de la Méditerranée, ports européens
du sud inclus20. Le volume total des trois leaders mondiaux demeure supérieur au total
des trafics conteneurisés manipulés sur tout le continent nord-américain !
20 Dans son rapport annuel de 2005, Hutchison Port Holdings indique contrôler 219 quais sur 39 ports dans 19 pays pour un total manipulé de 47,8 millions d’EVP pour l’exercice 2004. Pour PSA, le total atteint 33 millions en 2004 dont 20 millions seulement à Singapour. Enfin, APM Terminals conforte sa troisième place mondiale en 2004 avec un 20,6 millions de boîtes sur 35 terminaux dans le monde, talonné par P&O Ports qui présente un total d’environ 20 millions de boîtes manutentionnés sur 27 terminaux internationaux.
20
Figure 10
Yann Alix Source : Drewry Shipping Consultants
Les principaux opérateurs privés de terminaux à conteneurs en 2002
0 5 10 15 20 25 30 35 40
Autres
SSA
Hanjin
Cosco
Dubai PA
Evergreen
Eurogate
P&O Ports
APM Temrinals
PSA
HPH
Global operators total : 160 M Teu’s
or 58 % of World Container Port throughput
Top 3 : 80 M Teu’s
or 29 % of World Container Port Throughput
Millions de Teu’s
Les structures historiques de gestion/exploitation, basées sur des ententes négociées
entre acteurs locaux de la manutention et pouvoirs régaliens, ont éclaté sous la pression
concurrentielle de ces nouveaux acteurs internationaux. Les activités de dizaines
d’entreprises locales et nationales ont été absorbées, diminuant ainsi le nombre total des
firmes spécialisées dans la manutention des conteneurs (Cariou, 2001).
L’internationalisation du marché des services de la manutention portuaire s’est réalisée
en quelques années seulement, laissant s’épanouir des spécialistes géants.
Cette concentration aussi rapide que spectaculaire de la manutention portuaire mondiale
se confirme dans l’illustration de la figure suivante qui reprend le positionnement des
leaders mondiaux sur l’Europe portuaire. Hutchison et PSA se sont imposés en une
décennie les leaders européens de la manutention des conteneurs, derrière Eurogate,
entreprise aux capitaux allemands, maître encore de la manutention des boîtes dans les
deux ports hanséatiques de Bremerhaven et de Hambourg.
21
Figure 11
EUROGATE
10,7 millions d’EVP
Bremerhaven (Ger)
Hambourg (Ger)
Gioia Tauro (It)La Spezia (It)Livorno (It)Ravenna (It)Salerno (It)Cagliari (It)
Lisboa (Port)
HUTCHISON (HPH)
7 millions d’EVP
Rotterdam (NL)- Delta terminal
- Home Terminal
Harwich (UK)Felixstowe (UK)
Thamesport (UK)
Willebroeck (B)
Duisbourg (Ger)
Gdynia (Pol)
PSA Group
6 millions d’EVP
Antwerp (B)4 terminaux
Zeebrugge (B)
Rotterdam (NL)Barge Terminal
Genoa (It)Venice (It)
Sines (Port)
Les trois plus importants manutentionnaires en Europe (début 2004)
Yann Alix
Il convient de préciser que ces situations de monopole sur un terminal, voire sur un port,
n’impliquent pas nécessairement des dérives dans la proposition des tarifs et/ou des
services. A l’échelle de la rangée portuaire nord-européenne, la proximité géographique
des ports et la relative superposition des dessertes du marché intérieur laissent encore
aux armements de lignes régulières toute la latitude de se désengager d’un terminal
devenu trop cher ou pas assez efficace. Le nombre d’acteurs de la manutention diminue,
pas le choix des alternatives portuaires.
Le degré de la contestabilité de l’offre de services portuaires européens s’interprète
dorénavant à une échelle plus continentale que locale ou régionale. Les acteurs
dominants luttent désormais pour le contrôle de toutes les infrastructures en projet et à
venir, que ce soit en Europe de l’ouest mais aussi en Asie du sud-est et sur le sous-
continent indien. Ce processus s’accentue d’ailleurs avec les mises en concession de la
plupart des terminaux portuaires sud-américains et africains, deux continents où le
positionnement des opérateurs globaux reste marginal.
22
En somme, toutes les régions portuaires du monde, dans les limites de la stabilité
politique et économique, demeurent susceptibles d’intéresser un opérateur global. Elles
entrent par conséquent dans un autre rapport de force concurrentiel où les opérateurs
globaux insufflent de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire et de nouveaux
moyens économiques/financiers.
Le pouvoir de négociation des entreprises locales, sa connaissance « intime » du marché
d’implantation de même que la fidélisation historique de ses clientèles maritimes et
terrestres ne pèsent guère face à la concurrence issue de ces consortiums industriels
internationaux. Dans cette industrie hautement capitaliste, les entreprises de
manutention d’envergure locale ne doivent leur survie que par la création de joint-
venture avec un opérateur global de manutention ou de transport maritime conteneurisé
(exemple pour les futurs terminaux de Port 2000 au port du Havre). A terme, ces
entreprises de manutention visent à se partager les parts de plus en plus intéressantes
d’une industrie conteneurisée génératrice de fortes plus-values.
La figure 12 met en perspective les opportunités à venir sur le créneau de la gestion
privée des superstructures portuaires. En effet, les projections proposées soulignent que
les opérateurs globaux capteront une part croissante de la capacité de traitement
portuaire d’ici 2008, au détriment d’une gestion publique en perte de vitesse et
d’opérateurs privés plus modestes.
23
Figure 12
53,8%
22,3%
23,9%
55,6%
21,8%
22,6%
56,0%
22,6%21,4%
56,7%
23,0%20,3%
0
50
100
150
200
250
300
2002 2004 2006 2008
Opérateurs globaux Autres privés Secteur public Yann Alix
Sou
rce
: Dre
wry
Shi
ppin
g C
onsu
ltant
s et
Bai
rd, 2
003
Forecast development of container port capacity by ownership
Milli
ons
d’EV
P
Selon l’étude de Drewry, les opérateurs globaux devraient contrôler 56,7% des futurs
développements conteneurisés mondiaux à l’horizon 2008. Le gain des parts de marché
se réalise au détriment des entreprises portuaires du secteur public qui passe à 20%
seulement en 2008 contre presque 24% 6 ans plus tôt. Les opérateurs globaux, quand ils
ne contrôlent pas l’intégralité des superstructures (exploitation et gestion), investissent
dans le capital des entreprises gestionnaires (Notteboom, 2002). Les pouvoirs de
régulation, qu’ils soient d’envergure nationale ou supranationale, supervisent en quelque
sorte cette libéralisation des services portuaires tout en surveillant les éventuels dérives
d’un marché trop cloisonné. L’Union européenne surveille de près les positionnements de
HPH et de PSA en Europe du nord et en Europe du sud. De même, la concentration des
actifs sur les terminaux à conteneurs anglais laisse planer le spectre de la possible
distorsion de concurrence avec un abus de position dominante dans les politiques
tarifaires de l’opérateur HPH. Face à cette évolution capitalistique du marché de la
manutention portuaire conteneurisée, les organismes de régulation semblent les derniers
remparts pour garantir une structure équitable de tarifs en corrélation avec la gamme
des services proposés.
24
Autre créneau portuaire fondamental pour les opérateurs globaux de terminaux, les
plates-formes d’éclatement sur lesquels s’opèrent les transbordements conteneurisés.
Les déséquilibres de flux entre les grands segments posent le coûteux problème de la
gestion des boîtes vides et du repositionnement des capacités sur l’espace terrestre
(Lopez, 2003). Ce marché constitue un marché portuaire en soi avec des doubles, voire
des triples manutentions qui exigent des matériels de manutentions verticales et
horizontales ultra performants.
La figure suivante met en perspective les volumes à venir qui devront être transbordés
dans le monde et particulièrement dans les zones portuaires déjà en proie à des déficits
chroniques de capacités de traitement. Les retards dans les grands projets
d’infrastructures portuaires (Appleton, 2005).et l’exacerbation des problèmes de
congestion rendent encore plus sensibles le contrôle de ces interfaces de transbordement
(HVB Group, 2005). L’exploitation et la gestion de ces nœuds stratégiques demeurent au
cœur des politiques de pénétration du marché portuaire des leaders mondiaux de la
manutention.
Figure 13
Volumes conteneurisés transbordés
Perspectives mondiales pour 2010
7 M EVP
12 M EVP
14 M EVP
10 M EVP65 M EVP
Source : Ocean Shipping Consultants
Yann Alix
0 20 40 60 80
2002
2001
2000
1990
1980
+ 1 630 %
Sour
ce :
Dre
wry
cont
aine
r Mar
ket
4,3 M
74,4 M
25
De surcroît, ces quelque 100 millions de boîtes transbordées à l’horizon 2010 (contre 4,3
millions en 1980 !) représentent une autre opportunité de consolidation du marché pour
les opérateurs globaux de terminaux. Seuls les géants de la manutention pourront
investir à la hauteur du défi technologique, logistique et financier qui se profile. La
pérennité de la plate-forme d’éclatement conteneurisé ne repose pas uniquement sur
l’excellence de sa position stratégique à la convergence de lignes maritimes principales et
secondaires. L’investissement quasi systématique dans les dernières innovations
techniques et technologiques s’avère décisive pour assurer les cadences de manutention
optimales sur les grands navires.
Dans ce sens, le contrôle stratégique du transbordement s’adresse de facto à ces
opérateurs globaux… et à un groupe restreint d’armateurs de lignes régulières, eux-
mêmes acteurs prégnants de la concentration des activités de transport et de
manutention. L’importante mobilisation en capital pour contrôler ces ports de
transbordement renforce les parts de marché relatives des géants de la manutention,
affaiblissant in fine les opérateurs locaux et régionaux trop modestes pour miser
financièrement sur cette nouvelle manne conteneurisée.
Cette évolution apparaît inéluctable pour faire face aux concentrations verticales et
horizontales qui s’opèrent en amont et en aval de l’interface portuaire. Elle implique
l’érection de barrières économiques et financières à l’entrée d’entreprises portuaires
ayant l’ambition d’un positionnement concurrentiel direct. La constestabilité du marché
de la manutention se trouve par conséquent limitée par la monopolisation croissante des
leaders mondiaux sur l’activité d’un terminal, d’un port, d’une région portuaire, voire
même d’une rangée portuaire complète (politiques de HPH et PSA en Europe du nord et
du sud).
Qu’elle soit de type organique et/ou par rachat des opérateurs locaux/régionaux, cette
croissance des opérateurs globaux agit comme une forme de contrepoids face au pouvoir
de marché acquis par des transporteurs maritimes toujours plus ambitieux sur toute la
chaîne logistique (Slack and all, 1996). De même, l’émergence de ces entreprises de
manutention à une échelle internationale soutient la résistance du maillon portuaire vis-
à-vis des grands chargeurs industriels et des intégrateurs logistiques eux-mêmes en
proie à une spectaculaire intégration verticale.
26
A l’instar des perspectives de croissance dans la ligne régulière, le secteur de la
manutention se trouvera de plus en plus concentré, avec des acteurs de moins en moins
nombreux et de plus en plus puissants en termes de parts de marché mondial. D’où la
perspective d’une industrie de la manutention de type oligopolistique, avec des
entreprises privées disséminant des expertises partout dans le monde et devant négocier
directement avec les organes de régulation nationaux et supranationaux (Union
européenne par exemple) en charge du contrôle des positions dominantes.
Sur le plan mondial, de véritables réseaux de compétences portuaires privées sont en
train de se construire avec la perspective de pouvoir proposer non plus une prestation
déterminée dans un port donné, mais un ensemble de services portuaires garantis sur
une route maritime complète. Quelques opérateurs globaux de terminaux (entreprises
portuaires et compagnies maritimes) pourraient alors devenir les « chefs d’orchestre »
d’une nouvelle géographie portuaire conteneurisée mondiale.
Reste à déterminer l’impact à moyen et long termes de ces positionnements
d’entreprises portuaires internationales sur le fonctionnement intrinsèque des entités
portuaires (Comtois et Slack, 2003) et analyser les conséquences de cette externalisation
de la compétence de gestion/exploitation portuaire pour des économies
régionales/nationales de plus en plus interreliées.
27
Conclusion
Les conséquences maritimes et portuaires de ces constitutions oligopolistiques dans une
industrie de services hautement capitalistique apparaissent nombreuses. Elles peuvent
tout d’abord susciter la crainte de voir émerger des barrières à l’entrée de nouveaux
concurrents. Une forme de cartellisation internationale des activités de transport et de
manutention laisse apparaître le spectre d’une possible distorsion de la concurrence.
L’émergence d’un nouveau rapport de force entre autorités portuaires, exploitants de
terminaux et armateurs se cristallise autour des impératifs économiques, financiers et
logistiques d’un marché conteneurisé de plus en plus « privatisé ».
La question qui se pose relève de l’organisation complète de la chaîne et des réseaux de
transport conteneurisé. Les acteurs de la manutention et les armateurs globaux signent
dorénavant des contrats globaux de services avec des clauses de priorité, voire
d’exclusivité. Les intégrations horizontales et verticales impliquent de potentielles
distorsions concurrentielles, tant auprès des ports non-inclus dans ces réseaux exclusifs
que pour les armements écartés des accords de négociations.
La conséquence de ces constitutions oligopolistiques reste la modification des termes de
la concurrence et de la compétitivité entre les parties prenantes du système de transport
conteneurisé. Au-delà, ce sont les interdépendances des économies-nations qui peuvent
être bouleversées, au gré des positionnements stratégiques de ces firmes
multinationales. L’inclusion ou l’exclusion aux systèmes logistiques de transport peut
soutenir ou handicaper la compétitivité des produits d’une région, d’un pays, voire même
d’un ensemble sous-régional de pays.
De plus, il s’observe également un changement des échelles de temps et d’espace. Le
temps de la concession portuaire devient le pallier de temps de référence pour le
positionnement concurrentiel d’un port. Il suffit pour cela de se rappeler de la négociation
ouverte qu’avait lancée la compagnie Maersk au moment du renouvellement de son
engagement portuaire à New York en 1996-1997.
De même, l’échelle de la route maritime s’efface définitivement au profit d’une
concurrence maritime globale et globalisée. L’échelle de l’entité portuaire dans un espace
régional/national se confond dans une nouvelle forme de concurrence entre les tenants
de l’oligopole de la manutention. Les concurrences portuaires se placent autant entre
deux exploitants privés sur un même port qu’entre ces deux mêmes exploitants
28
positionnés sur des ports situés à des milliers de kilomètres les uns des autres. Cette
situation n’est guère nouvelle. C’est l’ampleur économique et financière de ces acteurs
dominants qui modifie les conditions de la « contestabilité » sur le marché. La
structuration des réseaux de transport et des réseaux portuaires se trouve conditionnée
aux décisions stratégiques du développement de ces quelques dizaines d’entreprises
multinationales. Les services maritime et portuaire continuent de muer sous la force d’un
marché libéralisé.
Pour la recherche opérationnelle sur les réseaux de transport, il devient impérieux de
considérer sous un autre angle les termes de la concurrence et de la compétitivité
maritimo-portuaires dans le contexte de ces consolidations loin d’être terminées.
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