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Cahier de recherche Working Paper N°43 – 2006 De l’atomisation à l’oligopolisation : stratégies de concentration dans les industries maritime et portuaire conteneurisées Yann Alix Professeur, Ecole de Management de Normandie [email protected] 1

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Page 1: Cahier de recherche

Cahier de recherche Working Paper

N°43 – 2006

De l’atomisation à l’oligopolisation : stratégies de concentration dans les

industries maritime et portuaire conteneurisées

Yann Alix

Professeur, Ecole de Management de Normandie

[email protected]

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Page 2: Cahier de recherche

Avertissement

Le présent texte constitue une synthèse d’un papier et d’une conférence

présentés au colloque international sur la conteneurisation organisé par

l’Entreprise Portuaire de Béjaïa (EPB) les 2 et 3 juillet 2005 à Béjaïa en

Algérie.

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Page 3: Cahier de recherche

Introduction

La mondialisation des échanges est un fait accompli de l’économie du XXIème siècle.

L’uniformisation des pratiques de consommation continue de favoriser l’émergence d’un

marché unique dans lequel les firmes multinationales localisent et délocalisent leurs

unités de production/distribution au gré des avantages comparatifs de chacune des

régions du monde.

Ce marché global apparaît d’autant moins indivisible qu’il repose sur la performance

économique et la fiabilité logistique d’un réseau multimodal de transport d’envergure

planétaire. L’industrie du transport conteneurisé sert les intérêts d’une mondialisation de

l’échange tout en s’en nourrissant pour soutenir une logique de développement très

semblable à celle d’autres secteurs industriels ou de services.

Standardisation des pratiques, homogénéisation des services, recherche d’économies

d’échelle et d’envergure demeurent les caractéristiques prégnantes d’un marché

conteneurisé dominé par des entreprises maritimes de plus en plus concentrées, réunies

sous diverses formes de partenariat technique (alliances stratégiques,

conférences/consortiums, services conjoints/partages de slots, etc.).

Dans ce contexte, la présente contribution a pour objectif d’analyser le phénomène de la

concentration des activités au sein des grands armements de lignes régulières. Après

avoir rappelé les principales caractéristiques d’un oligopole et ses conséquences tangibles

sur le fonctionnement du marché, une analyse statistique vise à démontrer l’ampleur de

la concentration des actifs maritimes aux mains d’un groupe restreint d’acteurs privés qui

tendent, de surcroît, à combiner des logiques intégratrices verticales et horizontales tout

le long de la chaîne internationale de transport. Cette évolution est mise en avant dans

une dernière partie afin de considérer les conséquences directes et indirectes sur les

réseaux portuaires, eux-mêmes confrontés à l’avènement des opérateurs globaux de la

manutention qui croît au fur et à mesure du rachat des entreprises régionales et/ou du

retrait des autorités publiques de la gestion et l’exploitation commerciales des opérations

portuaires conteneurisées.

1. Principes généraux sur l’oligopole

Considérant la présente communication, les quelques éléments généraux sur la notion

d’oligopole sont rappelés uniquement pour en saisir l’envergure dans le contexte du

transport maritime conteneurisé. Aussi, il n’est pas de l’ambition de l’auteur de prétendre

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Page 4: Cahier de recherche

cerner les nuances fines sur le sujet, et ce d’autant plus qu’elles sont largement illustrées

par une abondante littérature scientifique et appliquée.

En premier lieu, il convient de rappeler que la détermination d’une situation d’oligopole

est établie lorsqu’un nombre limité de vendeurs cerne un marché constitué d’un nombre

important de consommateurs. Ce rapport de l’offre et de la demande permet aux firmes

de limiter les formes de la concurrence. Il est alors admis que les compagnies

dominantes disposent d’un pouvoir de marché.

Ensuite, les firmes dominantes se connaissent les unes les autres et ajustent leurs

politiques stratégiques de développement en fonction du positionnement effectif de

chacune. Elles sont susceptibles de s’aligner les unes par rapport aux autres en matière

de produits et de tarifs. Elles sont à même de développer des liens d’interdépendance

pour se prémunir de l’entrée sur le marché de nouveaux concurrents.

Les modalités de la relation qui unit les acteurs de l’oligopole peuvent être basées sur

des alliances, des formes de coopération, des ententes réciproques et temps à autre, des

clauses non-écrites pour un partage « concerté » du marché.

Dans un oligopole, les entreprises parviennent à contrer l’intervention de concurrents par

les coûts et par les volumes. Les économies d’échelle générées par la massification des

productions imposent aux concurrents éventuels de mobiliser d’importants capitaux pour

espérer s’aligner sur les coûts unitaires maîtrisés par les acteurs dominants.

Ce processus de concentration et de maîtrise relative des conditions du marché se

retrouvent dans de nombreux secteurs industriels et de services. Le cas de position

dominante de l’entreprise Microsoft et de ses pratiques «abusives » au détriment des

concurrents informatiques constitue un exemple d’une situation oligopolistique, à la limite

du monopole abouti. Autre exemple moins connu, les concentrations des entreprises

multinationales sur le marché global du vin avec les conséquences d’une restructuration

orchestrée par une vingtaine d’acteurs dominants1. Coelho et Rastoin décrivent même la

constitution effective d’un véritable oligopole à franges, avec une myriade de petites et

moyennes entreprises nationales et internationales qui côtoient un groupe dominant de

grandes entreprises de plus en plus concentrées.

1 Coelho A., Rastoin, J.L., 2004, Vers l’émergence d’un oligopole sur le marché mondial du vin ? in Marchés et stratégies des acteurs dans la filière vitivinicole. Dunod. Paris.

4

Page 5: Cahier de recherche

Sans entrer dans les détails sémantiques et empiriques, la nature de l’oligopole envisagé

dans les contextes maritime et portuaire se rapproche de cet oligopole à franges,

caractérisé par le contrôle majoritaire du marché par quelques firmes et la pérennité

d’une kyrielle de compagnies de petites tailles sur les franges restantes du même marché

ou du même secteur.

2. Un oligopole à franges sur les lignes conteneurisées ?

Par son implication directe dans la mondialisation de la production et des échanges, le

secteur du transport conteneurisé ne cesse de croître depuis son avènement dans le

courant des années 1960. Les pratiques techniques, technologiques et logistiques du

transport des marchandises ont été transformées au fur et à mesure de l’imposition du

standard conteneurisé. Au cours de la dernière décennie, le succès de la conteneurisation

s’est accéléré tel que le suggère les données sur la capacité totale déployée entre 1996

et 2005 (Figure 1). Le marché conteneurisé a plus que doublé avec une capacité totale

déployée qui avoisine dorénavant les 8 millions d’EVP pour un total proche de

4 000 unités cellulaires. Le taux de croissance annuelle sur la dernière décennie avoisine

les 10% et les perspectives jusqu’en 2008 demeurent très positives avec un

dépassement des 10 millions d’EVP pour les seuls navires cellulaires conteneurisés.

Figure 1

Capacité conteneurisée des 100 premiers opérateurs mondiaux

Source : BRS Alphaliner

3 195

4 8185 239

5 7016 335

7 0057 691

0

1 000

2 000

3 000

4 000

5 000

6 000

7 000

8 000

En m

illie

rs d

'EVP

1996 2000 2001 2002 2003 2004 2005Année

Yann Alix

5

Page 6: Cahier de recherche

Sur le plan portuaire, les estimations du marché tablent sur un 6% de croissance

annuelle dans le secteur de la manutention, soit un total anticipé de presque 650 millions

d’EVP de capacité à l’horizon 2015 ; soit deux fois plus que pour l’année 2003 (OSC,

20052). La moitié de cette capacité de traitement sera localisée en Asie du sud-est avec

la pérennité d’une croissance chinoise à deux chiffres. Les transbordements sur des

plates-formes d’éclatement spécialisées ainsi que les mouvements transcontinentaux de

boîtes vides devront continuer d’augmenter, en proportion du déséquilibre croissant des

flux import/export entre les principales aires de production et de consommation

mondiales. Les solutions commerciales et techniques prônées par la plupart des

armateurs passent alors par la massification et la concentration des capacités, le

déploiement d’un plus grand nombre de services3 et le lancement d’unités navales

toujours plus grandes4. Ces stratégies doivent permettre une maîtrise optimale des coûts

et des parts de marché en cherchant toujours plus d’économies d’échelle et d’économies

d’envergure.

Dans ce contexte rapidement brossé, la pérennité commerciale d’une activité de

transport de lignes régulières dépend directement de la santé des taux de fret :

baromètre de la fluctuation entre l’offre et la demande de services de transport. Or, dans

le système actuel, en quête de toujours plus de concentration et de massification, les

compagnies les plus aptes à survivre demeurent celles qui disposent de la capacité

financière et commerciale à résister au moment de la baisse cyclique des taux de fret.

La constitution d’une industrie de type oligopolistique sur la ligne régulière conteneurisée

est une résultante de ces contractions des actifs entre les mains des plus puissants. Lors

d’une période d’euphorie tarifaire comme celle que l’industrie est en train de vivre depuis

plusieurs années, les entreprises engrangent toutes d’importants dividendes. Les leaders

du secteur cherchent alors à densifier leurs activités par des stratégies de croissance

immédiate. La réactivité sur le marché se manifeste par de grandes opérations de

fusions/acquisitions qui solutionnent à court terme l’impérieuse nécessité de déployer de

la capacité sur les segments porteurs. Le secteur subit alors une contraction avec des

attaques économiques et boursières sur les compagnies dont les structures financières ne

sont pas fermées.

2 Ces estimations sont toujours sujettes à caution puisque d’autres analystes (Drewry Shipping Ltd et Clarkson) annoncent un total de 600 millions pas avant 2020. 3 Le numéro 1 mondial, Maersk, proposait en nom propre un total de 116 services différents au 1er novembre 2004 (Source : BRS Alphaliner). 4 Au 1er janvier 2005, 165 unités de plus de 7 500 EVP de capacité étaient en commande alors que 49 navires de plus de 7 500 EVP ont été mis en circulation dans le courant de l’année 2004 (Source : BRS Alphaliner).

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Page 7: Cahier de recherche

Les deux exemples les plus récents se retrouvent dans la spectaculaire offre publique

d’achat (OPA) du numéro 1 mondial (Maersk Line) sur le numéro 3 (P&O Nedlloyd), lui-

même issu du produit d’une fusion d’actifs il y a moins d’une décennie5. Maersk Line,

opérateur de plus d’un million d’EVP de capacité, prendrait le contrôle des 428 000 EVP

du groupe P&O Nedlloyd pour déployer une flotte mondiale supérieure à 500 navires.

L’offre financière de 2,3 milliards d’euros permettrait au géant danois d’accroître sa part

totale sur le marché mondial conteneurisée de 12,4% à 17,8%6 (calculée en nombre

d’EVP déployé).

Cette acquisition pose déjà le problème de la position dominante que pourrait occuper la

nouvelle entité Maersk sur certains segments maritimes tels que les dessertes entre

l’Europe de l’Ouest et les ports de la cote Est des Etats-Unis par exemple. La

Communauté européenne d’une part et l’administration américaine d’autre part

observent avec attention les potentielles dérives commerciales et tarifaires qui pourraient

découler de cette prise de position de Maersk7.

Second exemple encore plus récent, l’annonce officielle de négociations ouvertes entre

CMA CGM8, leader français et 5ème mondial du transport conteneurisé, avec l’entreprise

Delmas, acteur historique des services entre l’Europe et l’Afrique9. Les 50 navires de

Delmas (dont 23 en propriété), permettraient à CMA-CGM de devenir le numéro 3

mondial avec une flotte totale opérée de 230 navires à l’horizon 2008. Dans cette

optique, la CMA CGM renforcerait une capacité de transport en forte croissance ces

dernières années, conséquence de l’arrivée massive de grands navires issue

d’ambitieuses commandes10 pour répondre au positionnement précoce de la compagnie

sur le marché chinois11.

Le renforcement d’une structure oligopolistique, constituée en période de croissance des

activités, se réalise alors que le « prédateur » cherche à accroître immédiatement son

positionnement concurrentiel. La victime de l’achat conclut une cessation de ses activités

avec souvent une très confortable plus value issue de la rareté des capacités disponibles

sur le marché et de la surenchère concomitante exercée sur les valeurs nominales de 5 Début 1997, les deux entreprises unifiées avaient même occupé le premier rang mondial en termes de capacité totale déployée. 6 Les échos, Maersk Sealand offre 2,3 milliards d’euros pour acquérir P&O Nedlloyd. 12 mai 2005. 7 Journal de la marine marchande, Maersk/Royal P&O Nedlloyd inférieur ou supérieur à 25% des marchés pertinents. 20 Mai 2005. p4. 8 Le premier groupe français de la ligne régulière conteneurisée est le résultat d’une fusion entre la Compagnie maritime d’affrètement (CMA) et la Compagnie générale maritime (CGM) en 1996. 9 Le Monde, La CMA-CGM pourrait devenir le troisième armateur mondial.18 juin 2005. 10 Un total de 45 navires et plus de 200 000 EVP de capacité était annoncé par les responsables de CMA CGM à la fin de l’année 2004. 11 La Chine représente un tiers des trafics conteneurisés de la CMA CGM à la fin de l’année 2004 avec des perspectives de croissance dans le sens des exportations qui atteignent 22% ! Voir à ce sujet The Giant’s Long March. CMA CGM Magazine, n° 25, janvier 2005, 8-11.

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Page 8: Cahier de recherche

chaque unité concédée. Dans ce cas de figure, l’oligopole semble se façonner « au profit

de tous », comme une conséquence quasi naturelle d’un marché où les grandes firmes

cannibalisent les moins solides.

A l’heure d’écrire ces lignes, d’autres spéculations animent les spécialistes de la ligne

régulière. Les appétits des compagnies chinoises (CSCL et Cosco en autres) et la bonne

santé financière des firmes européennes (MSC et Hapag Lloyd notamment) laissent à

penser que des opérateurs comme CP Ships, Hyundai ou encore Hanjin/Senator

pourraient faire les frais d’une nouvelle ère de consolidation. Leur capital non-verrouillé

et leur taille idéale (toutes dans le top 15 avec des capacités totales déployées entre 200

et 300 000 EVP) constituent des arguments de choix pour un renforcement de l’oligopole

sur les grands marchés orientés Est-Ouest. Il faut savoir qu’avec la fusion annoncée des

intérêts conteneurisés de Maersk-P&O Nedlloyd et le renforcement de CMA CGM, ce

serait près de 40% de la capacité totale déployée qui serait contrôlée par les 4 premiers

operateurs mondiaux à la fin de l’année 2005. Pour le Top 10, la quote-part atteindrait

dorénavant près de 60% de l’offre totale mondiale (après intégration de P&O Nedlloyd et

de Delmas), contre 43,6% il y a dix ans (Figure 2)12.

Figure 2

Les leaders mondiaux du conteneur de plus en plus concentrés …

Source : BRS Alphaliner

43,6%

71,1%

52,7%

79,8%

56,4%

86,4%

0,0%

20,0%

40,0%

60,0%

80,0%

100,0%

1996 2000 2005

% top 10 % Top 25

Yann Alix

12 … et à peine plus de 30% dans le courant des années 1980.

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Page 9: Cahier de recherche

Cette concentration par les leaders mondiaux s’avère d’autant plus rapide et

spectaculaire si l’on se rappelle que le Top 20 mondial concentrait seulement 35% de la

capacité totale déployée en 1985… et 38,8 % en 199013.

Autre situation, même sanction : l’oligopole maritime se consolide également au moment

des périodes de flottement, quand les taux de fret se déprécient face à la concomitance

d’une surcapacité de la flotte mondiale (côté offre) et un ralentissement de la demande

mondiale de services (côté demande). L’armement italo-suisse MSC et le canadien CP

Ships demeurent les deux exemples emblématiques d’une croissance acquise sur les

difficultés économiques/financières/logistiques de concurrents de taille modeste,

incapables de résister à la guerre tarifaire et l’implantation de nouveaux services de

Global Carriers.

A chaque période de « temporisation » du marché, CP Ships a ainsi intégré plusieurs

compagnies, toutes spécialistes de marchés niches, avec des flottes souvent peu

spectaculaires, que ce soit en nombre de navires et/ou en capacité nominale. Ainsi, en

une décennie, pas moins de 9 opérateurs ont été intégrés au giron du spécialiste

canadien pour le faire intégrer le Top 15 du classement mondial (Figure 3).

Toutes les compagnies absorbées ont originalement conservé leur raison sociale

d’entreprise et leurs spécialités sur les segments où elles étaient originellement

positionnées. Cette visibilité commerciale préservée14 (nom de la compagnie, couleur

distincte) n’empêche pas de constater une autre forme de contraction du marché avec la

disparition d’entités commerciales au profit de quelques nouveaux « global carriers des

marchés secondaires ».

13 Source : Diverses livraisons de Containerisation International 14 Plusieurs articles de presse ont indiqué au premier trimestre 2005 que la direction générale de CP Ships avait l’intention de changer sa stratégie en intégrant toutes les bannières de son groupe maritime sous les uniques couleurs de CP Ships. Ceci marquerait un tournant et un ajustement aux pratiques courantes enregistrées dans le secteur de la ligne régulière. Voir à ce sujet Journal de la marine marchande, CP Ships, un seul nom pour tous. 20 mai 2005, p12.

9

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Figure 3

Croissance par acquisitions : l’exemple de Canadian Pacific Ships

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

La montée en puissance de MSC concrétise une autre forme de concentration horizontale

du secteur. L’armateur italo-suisse s’était fait le spécialiste des rachats d’unités

conteneurisées d’occasion acquérant ainsi les navires aptes à servir son expansion sur les

marchés Nord/Sud. Tel qu’indiqué à la figure 4, MSC s’est constitué une flotte et une

capacité de transport à une vitesse fulgurante, rachetant des dizaines de bateaux pour

atteindre le plateau des 200 navires au début des années 2000. Cette stratégie a

entretenu de nouveau le renforcement d’une structure oligopolistique du secteur car le

rachat des navires se réalisait autant auprès des leaders mondiaux en cours de

renouvellement de leur flotte que par l’intégration de capacités issues de compagnies

secondaires vouées à disparaître.

10

Page 11: Cahier de recherche

Figure 4

Source : MSC Yann Alix

Exemple d’une croissance organique unique : Mediterranean Shipping Company

L’exemple de MSC s’avère d’autant plus pertinent que dès 2001-2002, l’opérateur italo-

suisse consolide ses actifs par une nouvelle stratégie de croissance basée sur l’achat de

navires neufs de grandes tailles15. A l’instar de ses concurrents immédiats, MSC se lance

dans une politique de croissance par l’augmentation de ses carnets de commande.

Tel que constaté à la figure 5, les perspectives de consolidation de l’activité

conteneurisée mondiale demeurent d’autant plus importantes que les leaders globaux

s’imposent comme les acteurs les plus actifs sur les commandes de navires neufs. Près

de 45% de la capacité mondiale conteneurisée en commande en janvier 200516 concerne

le top 5 des armements, soit 1,45 millions d’EVP pour un total de 253 navires !

Maersk Line a en commande 86 navires, contre 46 navires pour MSC, 45 pour CMA CGM

et 40 pour P&O Nedlloyd ! Il est impératif de remettre cette vague de construction navale

dans son contexte historique. Le volume en commande de Maersk en 2005 (477 020

EVP) dépasse largement la capacité totale déployée par cette même compagnie… en

15 Ce changement s’accompagne du positionnement stratégique de la compagnie sur les segments Est-Ouest. 16 Ce calcul se base sur le total des commandes des 100 premiers armateurs mondiaux.

11

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199517 (360 000 EVP) ! De même, le total de toutes les commandes cumulées au 1er

janvier 2005 représente dorénavant 53 % de la flotte totale existante.

Figure 5

0

100 000

200 000

300 000

400 000

500 000

Maersk-S.L. MSC Evergreen P&ONedlloyd

CMA-CGM APL Hanjin-Senator

NYK Cosco China SCL

Le carnet de commandes du TOP 10 au 1er janvier 2005

1,45 M pour le Top 5

45 % du total

Source : BRS AlphalinerYann Alix

Il est à noter également la montée irréversible de China SCL dans le classement mondial

avec un carnet de commandes digne du Top 5 (40 unités pour 262 500 EVP). Au-delà du

top 10, seuls Mitsui OSK Line (14), CSAV (15) et Yang Ming Line (18) présentent des

commandes de plus de 100 000 EVP. Plus révélateur encore, aucune compagnie au-delà

du Top 25 n’a de commandes excédant 16 000 EVP, soit la capacité de deux navires

reçus par MSC et CSCL en 2004 ! Enfin, les compagnies comprises entre la onzième et la

centième place présentent un carnet de commandes total légèrement supérieur à 1

millions d’EVP, soit environ un tiers du grand total.

Cette concentration à venir dans le contexte du déploiement des capacités futures

devient un nouvel argument de la composition progressive d’un oligopole maritime. Les

leaders mondiaux, déjà grandis par les processus de fusion/acquisition, disposent

également des carnets de commandes les plus ambitieux. La conséquence directe sera

un cloisonnement du marché mondial Est-Ouest par une maîtrise accrue des termes de

17 Maersk apparaissait déjà au premier rang mondial en termes de capacité totale déployée en EVP.

12

Page 13: Cahier de recherche

l’échange. Les quotes-parts de marché continueront de croître au détriment d’acteurs de

tailles moyenne et petite. Ces derniers seront incapables à terme de résister aux

pressions concurrentielles des économies d’échelle et d’envergure générées, entre

autres, par le gigantisme naval et la massification des capacités.

Dans ce sens, force est de constater que seules les grandes firmes mondiales disposent

du levier financier suffisant pour soutenir le lancement en série de navires géants

supérieurs à 7 500 EVP. CMA-CGM, MSC et les compagnies chinoises ont d’ores et déjà

des livraisons de navires supérieurs à 9 000 EVP de capacité pour début 2006. Une fois

encore, le Top 5 consolide sa position dominante et alimente la construction d’une forme

oligopolistique de marché (Figure 6).

Figure 6

0

200 000

400 000

600 000

800 000

1 000 000

1 200 000

1 400 000

1 600 000

100 /

499

500 /

999

1 000

/ 1 49

9

1 500

/ 1 99

9

2 000

/ 2 49

9

2 500

/ 2 99

9

3 000

/ 3 99

9

4 000

/ 4 99

9

5 000

/ 7 49

9

> 7 50

0

Yann Alix Source : Compilations de ISL et de CFORT

Composition de la flotte de porte-conteneurs cellulairesCarnet de commande – situation en Mars 2005 – En EVP

MSC

CMA CGM

CSCL

Maersk, etc…

Commandes en série

Pouvoirs technique, commercial

et capitalistique

Au regard des carnets de commandes et des repositionnements de capacités, les 7 500

EVP et + bouleversent même les configurations de desserte des marchés localisés en

dehors des routes orthodromiques Est-Ouest. La feederisation croissante à partir des

points nodaux des réseaux des navires géants agence de nouvelles relations maritimes et

portuaires dans des régions comme le bassin méditerranéen, l’espace Caraïbes ou les

dessertes intra-asiatiques.

13

Page 14: Cahier de recherche

Le reclassement des navires de moindres tailles concurrence largement les capacités

« historiques » déployées sur les marchés secondaires, détenues la plupart du temps par

des compagnies régionales spécialisées. Cet afflux de capacités aux couleurs des leaders

mondiaux encourage une forme d’oligopolisation du marché avec la disparition

progressive des spécialistes régionaux incapables de soutenir la pression tarifaire de ces

nouveaux concurrents (Alix and all, 1999). La logique prégnante du « tout-conteneur »

renforce également cette évolution par la substitution de navires combinés et rouliers

aux coûts d’exploitation trop importants pour soutenir la concentration conteneurisée.

Malgré des spécificités régionales fortes comme par exemple les circuits de

remorques/caisses mobiles sur les marchés du Maghreb, cette transposition vers le

conteneur semble, à terme, inéluctable.

Pour terminer, il convient de revenir sur les modalités de l’organisation technique et

commerciale du transport de lignes régulières pour parfaire la démonstration de cette

constitution de l’oligopole maritime. En effet, les accords de partenariats comme les

consortia, les conférences et les partages de capacités ont tous pour ambition de

mutualiser les risques inhérents à la versatilité des flux et des taux de fret. D’autres

arguments sont valables comme il est possible de le constater dans la figure 7. Le

partage des capacités soutient un accroissement des réseaux et des couvertures

géographiques (Slack and all, 2002). Les stabilisations tarifaires et concurrentielles

entraînent une certaine forme de sécurité dans un marché hautement capitalistique. Les

échanges de slot tentent de contrecarrer les incontournables déséquilibres de flux entre

routes maritimes.

Néanmoins, la rationalisation du déploiement des capacités s’inscrit surtout dans une

volonté de contrôle optimal des conditions fluctuantes de marché. Elle consolide l’idée

prégnante d’une organisation en oligopole avec une planification quasi concertée des flux

et des capacités disponibles sur le marché actuel, et surtout futur. Cette tendance lourde

n’implique pas nécessairement un alignement total des stratégies de la part des

opérateurs de lignes régulières (Frémont et Soppé, 2003).

14

Page 15: Cahier de recherche

Figure 7

Globalisation de la demande

Industrielle et manufacturière

Globalisation des contrats

liners / shippers Partage

des portfolios de slots

et maximisation des capacités

Réponse technique aux

Trade imbalances

Partage des boîtes / terminaux portuaires

Dilution des risques financiers

- construction - terminaux - dessertes intermodales

Couverture des marchés

(des attentes régionales aux besoins mondiaux)

Economies d’ échelle et économies d’envergure

Constitutions oligopolistiques

(fermeture virtuelle du marché Les motivations

de la croissanceet des alliancesdans le shipping

Yann Alix

Il convient de mentionner le poids croissant des alliances stratégiques dans les parts de

marché sur les segments Est-Ouest pour se convaincre de la difficulté de persister en

situation d’outsider indépendant. Les trois grandes alliances mondiales (Grand Alliance,

NW Alliance, CHKY Alliance) + Maersk Sealand contrôlaient plus de 70% des capacités

déployées à la fin de l’année 2004 sur les trois routes Est-Ouest.

Cette concentration des capacités et des flux confèrent aux acteurs des alliances un

pouvoir de marché de plus en plus difficile à contester par des opérateurs indépendants

aux moyens techniques et financiers largement inférieurs. Et la situation tend à devenir

de plus en plus mondiale avec des positionnements massifs des leaders mondiaux sur les

marchés Nord-Sud encore contrôlés par une myriade de spécialistes historiques. D’où la

question de savoir si cette organisation en oligopole à franges perdurera encore

longtemps face aux logiques intégratrices et massificatrices de quelques firmes toujours

plus globales ?

15

Page 16: Cahier de recherche

3. De l’oligopole maritime à l’oligopole des manutentionnaires portuaires

privés ?

En guise de discussion, il est intéressant de reporter la démonstration proposée sur le

secteur de la ligne régulière à l’industrie de la manutention portuaire. En effet, une des

premières conséquences de l’organisation oligopolistique des services maritimes

intervient sur la dynamique du maillon portuaire. Sous l’impulsion des chargeurs

industriels et face à cette intégration des acteurs maritimes est apparue une nouvelle

forme de service global au sein de la chaîne internationale de transport conteneurisé.

Les opérateurs mondiaux de la manutention portuaire sont apparus comme les nouveaux

acteurs forts de la chaîne conteneurisée. Ces derniers ont rapidement entamé, à l’instar

des armateurs globaux, de vastes politiques d’expansion basées sur le rachat, la fusion,

l’acquisition et la victoire sur les appels d’offres à concession portuaire.

D’une envergure régionale et nationale, la compétitivité entre opérateurs de terminaux

est devenue intra et intercontinentale. Les dynamiques de la concentration deviennent

autant horizontale (limitation du nombre d’acteurs dans la manutention portuaire

conteneurisée) que verticale avec la lutte entre les entreprises spécialisées dans la

manutention et les armateurs globaux impliqués dans la gestion de la manutention (APM

Terminal pour Maersk Line, Ports Synergy pour P&O Ports et CMA CGM, Evergreen, etc.).

Les recettes de la consolidation portuaire apparaissent semblables à celles rencontrées

dans le transport maritime de lignes régulières. En premier lieu, un désengagement

progressif des Etats-nations dans le contrôle de la manutention. Cette libéralisation a

permis l’implantation de schémas de gestion et d’exploitation ouverts aux entreprises

privées, souvent plus performantes et capables de soutenir les investissements massifs

requis pour l’outillage et l’exploitation d’un terminal à conteneurs (Cullinane

et Song,2002). Le port-foncier (landport), qui consiste à concéder les fonctions

commerciales du terminal à un opérateur spécialisé, est dorénavant devenu le modèle de

référence18, laissant ainsi le champ libre aux positionnements stratégiques des

opérateurs internationaux (Figure 8).

18 Selon une étude de l’IAPH réalisée en 1999 auprès de 210 ports mondiaux représentant plus de 50% du trafic portuaire mondial, le schéma de landlord port concerne 70 % des établissements retenus.

16

Page 17: Cahier de recherche

Figure 8

Le schéma de port-foncier – Landport – devient une norme mondiale

Entreprises portuaires

Spécialistes de la manutention

SUPERSTRUCTURES

Gestion commerciale& exploitation technique

PortiquesEngins

BâtimentsEntrepôts, etc

Autorités

portuaires

INFRASTRUCTURES

Gestionrégalienne

QuaisDiguesBassins

Terre-plein, etc

GESTION

CONCERTEE

Yann ALIX

Ensuite, la forte demande de services portuaires partout dans le monde a convergé avec

le développement d’une expertise « vendable » sur le marché international de la

manutention portuaire. Des ports comme Singapour ou Dubaï disposent de compétences

reconnues et développent des politiques d’expansion en dehors de leur périmètre

portuaire acquis. Ces entreprises privées disposent de capacités financières conséquentes

pour mettre en exploitation des terminaux plus grands, mieux équipés et mieux gérés.

Ces compétences permettent d’atteindre des tailles critiques et soutiennent l’éviction des

petits opérateurs, souvent incapables de répondre aux impératifs d’investissements

requis pour soutenir une compétition autant intra-portuaire (entre exploitants de

terminaux au sein du même port) qu’inter-portuaire (entre ports).

En outre, la mobilisation en capital et l’évaluation des facteurs de risques se trouvent

diluées par l’internationalisation des politiques d’investissement de ces nouveaux

opérateurs globaux de terminaux. Ces derniers entament l’activité portuaire de la

manutention sur un plan mondial. Chaque port et chaque projet de terminal devient une

possibilité nouvelle d’implantation et d’expansion. Un changement radical de mentalité et

de savoir-faire a été opéré au détriment de petits acteurs régionaux de la manutention,

souvent trop repliés sur leur pré-carré portuaire.

17

Page 18: Cahier de recherche

Cet accroissement de la taille critique des opérateurs permet aussi de soutenir des

économies d’échelle, avec un amortissement des investissements en proportion des

volumes manipulés sur plusieurs terminaux dans le monde. A titre d’exemple, les

systèmes informatiques propres à chaque opérateur peuvent être optimisés et

renouvelés assez rapidement pour soutenir un positionnement toujours plus concurrentiel

vis-à-vis des autres spécialistes du secteur (exemple de PSA). De même, les contrats

avec les fournisseurs de matériel peuvent être l’objet de négociations tarifaires.

En outre, ces opérateurs globaux mettent en avant leur pouvoir d’attraction sur les

armateurs mondiaux et leur capacité de négociations avec les global shippers. Ils

cherchent à disposer d’un pouvoir de fidélisation des clientèles terrestres et maritimes

par une standardisation des pratiques de gestion et d’exploitation sur tous les terminaux

contrôlés. Une certaine homogénéisation de la qualité du service portuaire tend à devenir

un argument commercial de poids, en rupture certaine avec les situations souvent

instables rencontrées à l’interface portuaire. Les opérateurs globaux de terminaux,

disséminés sur les cinq continents, opèrent une forme de maillage mondial, à l’instar des

grandes chaînes de l’hôtellerie ou de la location de véhicules. Les clients se globalisent

(les compagnies maritimes) et les clients des clients exigent des services mondialisés (les

grandes chargeurs internationaux auprès des armateurs et intégrateurs logistiques) dans

une logique porte-à-porte (Figure 9).

Par conséquent, la logique d’une commercialisation attractive d’un service portuaire

optimisé et de plus en plus uniformisé fait son chemin pour aboutir à une absorption

irréversible des petites et moyennes entreprises de manutention, incapables de faire le

poids au moment des renégociations des concessions d’exploitation avec les autorités

portuaires19.

19 Sauf dans certains cas comme pour le port du Havre par exemple où les trois exploitants de la manutention, tous français, sont parvenus à s’associer avec les leaders mondiaux de la ligne régulière (Maersk, MSC et CMA CGM) pour une exploitation des futurs terminaux de Port 2000.

18

Page 19: Cahier de recherche

Figure 9

L’opérateur global de manutention portuaire… de nouveaux services « oligopolisés »

CHARGEURS

Globalisation de la demande de services

de transport maritime

ARMATEURS GLOBAUX &

INTEGRATEURS LOGISTIQUES

Couverture mondiale des marchés et

réponses a-modalesen port-à-port / porte-à-porte

OPERATEUR GLOBAL DE MANUTENTION PORTUAIRE

- Nouveaux services « vendables »à une échelle quasi-mondiale

- Expertises technique et commerciale

- Capacités financières

- Taille critique

- Pouvoir de négociation / fidélisation

- Contrats globaux Shippers/Carriers

Des ports qui « externalisent » PSA - DPA

Des conglomérats spécialistes HPH - SSA

Des armateurs qui intègrent… APM – P&O Ports

Dans le même ordre d’idée, ces opérateurs globaux de terminaux cherchent de plus en

plus à offrir des services supplémentaires une fois le conteneur sur le quai. Des inland

terminals et des services logistiques connexes (stockage, transport terrestre, etc.)

s’additionnent pour évincer des opérateurs régionaux la plupart du temps cantonnés à

leur corps de métier. Cette stratégie d’intégration des métiers de la filière logistique reste

encore marginale. Toutefois, elle répond aux exigences affichées des grands chargeurs

industriels en quête de prestations intégrées de type porte-à-porte avec un unique

interlocuteur logistique. Ce dernier doit avoir les moyens de cette intégration, avec le

contrôle du flux physique et du flux d’information. Les opérateurs globaux de terminaux

aboutissent progressivement à cet état de fait très compétitif, agissant comme un levier

face à la concurrence portuaire et para-portuaire.

19

Page 20: Cahier de recherche

Si l’on revient sur le plan purement portuaire, la gestion et l’exploitation des activités

conteneurisées à l’interface bord-à-quai ont pris une envergure mondiale considérable au

cours des dernières années. Tel qu’indiqué dans la figure suivante, les trois plus

importants opérateurs mondiaux disposent dorénavant d’une part conséquente du

marché mondial de la manutention (29% fin 2002) et tous les opérateurs globaux réunis

présentent une part majoritaire dans le total mondial manutentionné.

Parmi les principales firmes, on retrouve les entreprises portuaires qui ont su développer

des expertises internationales vendables (PSA et Dubai PA), des experts mondiaux issus

de puissants conglomérats (Hutchison et SSA) et des groupes rattachés à des armateurs

internationaux de la ligne régulière en quête de concentration verticale (APM Terminals,

P&O Ports, Evergreen, Cosco et Hanjin).

Afin de réaliser ce que peut représenter le total manipulé par le leader mondial en 2002,

il faut savoir que les 36 millions de boîtes de Hutchison équivalent au total manipulé par

l’ensemble des terminaux conteneurisés du pourtour de la Méditerranée, ports européens

du sud inclus20. Le volume total des trois leaders mondiaux demeure supérieur au total

des trafics conteneurisés manipulés sur tout le continent nord-américain !

20 Dans son rapport annuel de 2005, Hutchison Port Holdings indique contrôler 219 quais sur 39 ports dans 19 pays pour un total manipulé de 47,8 millions d’EVP pour l’exercice 2004. Pour PSA, le total atteint 33 millions en 2004 dont 20 millions seulement à Singapour. Enfin, APM Terminals conforte sa troisième place mondiale en 2004 avec un 20,6 millions de boîtes sur 35 terminaux dans le monde, talonné par P&O Ports qui présente un total d’environ 20 millions de boîtes manutentionnés sur 27 terminaux internationaux.

20

Page 21: Cahier de recherche

Figure 10

Yann Alix Source : Drewry Shipping Consultants

Les principaux opérateurs privés de terminaux à conteneurs en 2002

0 5 10 15 20 25 30 35 40

Autres

SSA

Hanjin

Cosco

Dubai PA

Evergreen

Eurogate

P&O Ports

APM Temrinals

PSA

HPH

Global operators total : 160 M Teu’s

or 58 % of World Container Port throughput

Top 3 : 80 M Teu’s

or 29 % of World Container Port Throughput

Millions de Teu’s

Les structures historiques de gestion/exploitation, basées sur des ententes négociées

entre acteurs locaux de la manutention et pouvoirs régaliens, ont éclaté sous la pression

concurrentielle de ces nouveaux acteurs internationaux. Les activités de dizaines

d’entreprises locales et nationales ont été absorbées, diminuant ainsi le nombre total des

firmes spécialisées dans la manutention des conteneurs (Cariou, 2001).

L’internationalisation du marché des services de la manutention portuaire s’est réalisée

en quelques années seulement, laissant s’épanouir des spécialistes géants.

Cette concentration aussi rapide que spectaculaire de la manutention portuaire mondiale

se confirme dans l’illustration de la figure suivante qui reprend le positionnement des

leaders mondiaux sur l’Europe portuaire. Hutchison et PSA se sont imposés en une

décennie les leaders européens de la manutention des conteneurs, derrière Eurogate,

entreprise aux capitaux allemands, maître encore de la manutention des boîtes dans les

deux ports hanséatiques de Bremerhaven et de Hambourg.

21

Page 22: Cahier de recherche

Figure 11

EUROGATE

10,7 millions d’EVP

Bremerhaven (Ger)

Hambourg (Ger)

Gioia Tauro (It)La Spezia (It)Livorno (It)Ravenna (It)Salerno (It)Cagliari (It)

Lisboa (Port)

HUTCHISON (HPH)

7 millions d’EVP

Rotterdam (NL)- Delta terminal

- Home Terminal

Harwich (UK)Felixstowe (UK)

Thamesport (UK)

Willebroeck (B)

Duisbourg (Ger)

Gdynia (Pol)

PSA Group

6 millions d’EVP

Antwerp (B)4 terminaux

Zeebrugge (B)

Rotterdam (NL)Barge Terminal

Genoa (It)Venice (It)

Sines (Port)

Les trois plus importants manutentionnaires en Europe (début 2004)

Yann Alix

Il convient de préciser que ces situations de monopole sur un terminal, voire sur un port,

n’impliquent pas nécessairement des dérives dans la proposition des tarifs et/ou des

services. A l’échelle de la rangée portuaire nord-européenne, la proximité géographique

des ports et la relative superposition des dessertes du marché intérieur laissent encore

aux armements de lignes régulières toute la latitude de se désengager d’un terminal

devenu trop cher ou pas assez efficace. Le nombre d’acteurs de la manutention diminue,

pas le choix des alternatives portuaires.

Le degré de la contestabilité de l’offre de services portuaires européens s’interprète

dorénavant à une échelle plus continentale que locale ou régionale. Les acteurs

dominants luttent désormais pour le contrôle de toutes les infrastructures en projet et à

venir, que ce soit en Europe de l’ouest mais aussi en Asie du sud-est et sur le sous-

continent indien. Ce processus s’accentue d’ailleurs avec les mises en concession de la

plupart des terminaux portuaires sud-américains et africains, deux continents où le

positionnement des opérateurs globaux reste marginal.

22

Page 23: Cahier de recherche

En somme, toutes les régions portuaires du monde, dans les limites de la stabilité

politique et économique, demeurent susceptibles d’intéresser un opérateur global. Elles

entrent par conséquent dans un autre rapport de force concurrentiel où les opérateurs

globaux insufflent de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire et de nouveaux

moyens économiques/financiers.

Le pouvoir de négociation des entreprises locales, sa connaissance « intime » du marché

d’implantation de même que la fidélisation historique de ses clientèles maritimes et

terrestres ne pèsent guère face à la concurrence issue de ces consortiums industriels

internationaux. Dans cette industrie hautement capitaliste, les entreprises de

manutention d’envergure locale ne doivent leur survie que par la création de joint-

venture avec un opérateur global de manutention ou de transport maritime conteneurisé

(exemple pour les futurs terminaux de Port 2000 au port du Havre). A terme, ces

entreprises de manutention visent à se partager les parts de plus en plus intéressantes

d’une industrie conteneurisée génératrice de fortes plus-values.

La figure 12 met en perspective les opportunités à venir sur le créneau de la gestion

privée des superstructures portuaires. En effet, les projections proposées soulignent que

les opérateurs globaux capteront une part croissante de la capacité de traitement

portuaire d’ici 2008, au détriment d’une gestion publique en perte de vitesse et

d’opérateurs privés plus modestes.

23

Page 24: Cahier de recherche

Figure 12

53,8%

22,3%

23,9%

55,6%

21,8%

22,6%

56,0%

22,6%21,4%

56,7%

23,0%20,3%

0

50

100

150

200

250

300

2002 2004 2006 2008

Opérateurs globaux Autres privés Secteur public Yann Alix

Sou

rce

: Dre

wry

Shi

ppin

g C

onsu

ltant

s et

Bai

rd, 2

003

Forecast development of container port capacity by ownership

Milli

ons

d’EV

P

Selon l’étude de Drewry, les opérateurs globaux devraient contrôler 56,7% des futurs

développements conteneurisés mondiaux à l’horizon 2008. Le gain des parts de marché

se réalise au détriment des entreprises portuaires du secteur public qui passe à 20%

seulement en 2008 contre presque 24% 6 ans plus tôt. Les opérateurs globaux, quand ils

ne contrôlent pas l’intégralité des superstructures (exploitation et gestion), investissent

dans le capital des entreprises gestionnaires (Notteboom, 2002). Les pouvoirs de

régulation, qu’ils soient d’envergure nationale ou supranationale, supervisent en quelque

sorte cette libéralisation des services portuaires tout en surveillant les éventuels dérives

d’un marché trop cloisonné. L’Union européenne surveille de près les positionnements de

HPH et de PSA en Europe du nord et en Europe du sud. De même, la concentration des

actifs sur les terminaux à conteneurs anglais laisse planer le spectre de la possible

distorsion de concurrence avec un abus de position dominante dans les politiques

tarifaires de l’opérateur HPH. Face à cette évolution capitalistique du marché de la

manutention portuaire conteneurisée, les organismes de régulation semblent les derniers

remparts pour garantir une structure équitable de tarifs en corrélation avec la gamme

des services proposés.

24

Page 25: Cahier de recherche

Autre créneau portuaire fondamental pour les opérateurs globaux de terminaux, les

plates-formes d’éclatement sur lesquels s’opèrent les transbordements conteneurisés.

Les déséquilibres de flux entre les grands segments posent le coûteux problème de la

gestion des boîtes vides et du repositionnement des capacités sur l’espace terrestre

(Lopez, 2003). Ce marché constitue un marché portuaire en soi avec des doubles, voire

des triples manutentions qui exigent des matériels de manutentions verticales et

horizontales ultra performants.

La figure suivante met en perspective les volumes à venir qui devront être transbordés

dans le monde et particulièrement dans les zones portuaires déjà en proie à des déficits

chroniques de capacités de traitement. Les retards dans les grands projets

d’infrastructures portuaires (Appleton, 2005).et l’exacerbation des problèmes de

congestion rendent encore plus sensibles le contrôle de ces interfaces de transbordement

(HVB Group, 2005). L’exploitation et la gestion de ces nœuds stratégiques demeurent au

cœur des politiques de pénétration du marché portuaire des leaders mondiaux de la

manutention.

Figure 13

Volumes conteneurisés transbordés

Perspectives mondiales pour 2010

7 M EVP

12 M EVP

14 M EVP

10 M EVP65 M EVP

Source : Ocean Shipping Consultants

Yann Alix

0 20 40 60 80

2002

2001

2000

1990

1980

+ 1 630 %

Sour

ce :

Dre

wry

cont

aine

r Mar

ket

4,3 M

74,4 M

25

Page 26: Cahier de recherche

De surcroît, ces quelque 100 millions de boîtes transbordées à l’horizon 2010 (contre 4,3

millions en 1980 !) représentent une autre opportunité de consolidation du marché pour

les opérateurs globaux de terminaux. Seuls les géants de la manutention pourront

investir à la hauteur du défi technologique, logistique et financier qui se profile. La

pérennité de la plate-forme d’éclatement conteneurisé ne repose pas uniquement sur

l’excellence de sa position stratégique à la convergence de lignes maritimes principales et

secondaires. L’investissement quasi systématique dans les dernières innovations

techniques et technologiques s’avère décisive pour assurer les cadences de manutention

optimales sur les grands navires.

Dans ce sens, le contrôle stratégique du transbordement s’adresse de facto à ces

opérateurs globaux… et à un groupe restreint d’armateurs de lignes régulières, eux-

mêmes acteurs prégnants de la concentration des activités de transport et de

manutention. L’importante mobilisation en capital pour contrôler ces ports de

transbordement renforce les parts de marché relatives des géants de la manutention,

affaiblissant in fine les opérateurs locaux et régionaux trop modestes pour miser

financièrement sur cette nouvelle manne conteneurisée.

Cette évolution apparaît inéluctable pour faire face aux concentrations verticales et

horizontales qui s’opèrent en amont et en aval de l’interface portuaire. Elle implique

l’érection de barrières économiques et financières à l’entrée d’entreprises portuaires

ayant l’ambition d’un positionnement concurrentiel direct. La constestabilité du marché

de la manutention se trouve par conséquent limitée par la monopolisation croissante des

leaders mondiaux sur l’activité d’un terminal, d’un port, d’une région portuaire, voire

même d’une rangée portuaire complète (politiques de HPH et PSA en Europe du nord et

du sud).

Qu’elle soit de type organique et/ou par rachat des opérateurs locaux/régionaux, cette

croissance des opérateurs globaux agit comme une forme de contrepoids face au pouvoir

de marché acquis par des transporteurs maritimes toujours plus ambitieux sur toute la

chaîne logistique (Slack and all, 1996). De même, l’émergence de ces entreprises de

manutention à une échelle internationale soutient la résistance du maillon portuaire vis-

à-vis des grands chargeurs industriels et des intégrateurs logistiques eux-mêmes en

proie à une spectaculaire intégration verticale.

26

Page 27: Cahier de recherche

A l’instar des perspectives de croissance dans la ligne régulière, le secteur de la

manutention se trouvera de plus en plus concentré, avec des acteurs de moins en moins

nombreux et de plus en plus puissants en termes de parts de marché mondial. D’où la

perspective d’une industrie de la manutention de type oligopolistique, avec des

entreprises privées disséminant des expertises partout dans le monde et devant négocier

directement avec les organes de régulation nationaux et supranationaux (Union

européenne par exemple) en charge du contrôle des positions dominantes.

Sur le plan mondial, de véritables réseaux de compétences portuaires privées sont en

train de se construire avec la perspective de pouvoir proposer non plus une prestation

déterminée dans un port donné, mais un ensemble de services portuaires garantis sur

une route maritime complète. Quelques opérateurs globaux de terminaux (entreprises

portuaires et compagnies maritimes) pourraient alors devenir les « chefs d’orchestre »

d’une nouvelle géographie portuaire conteneurisée mondiale.

Reste à déterminer l’impact à moyen et long termes de ces positionnements

d’entreprises portuaires internationales sur le fonctionnement intrinsèque des entités

portuaires (Comtois et Slack, 2003) et analyser les conséquences de cette externalisation

de la compétence de gestion/exploitation portuaire pour des économies

régionales/nationales de plus en plus interreliées.

27

Page 28: Cahier de recherche

Conclusion

Les conséquences maritimes et portuaires de ces constitutions oligopolistiques dans une

industrie de services hautement capitalistique apparaissent nombreuses. Elles peuvent

tout d’abord susciter la crainte de voir émerger des barrières à l’entrée de nouveaux

concurrents. Une forme de cartellisation internationale des activités de transport et de

manutention laisse apparaître le spectre d’une possible distorsion de la concurrence.

L’émergence d’un nouveau rapport de force entre autorités portuaires, exploitants de

terminaux et armateurs se cristallise autour des impératifs économiques, financiers et

logistiques d’un marché conteneurisé de plus en plus « privatisé ».

La question qui se pose relève de l’organisation complète de la chaîne et des réseaux de

transport conteneurisé. Les acteurs de la manutention et les armateurs globaux signent

dorénavant des contrats globaux de services avec des clauses de priorité, voire

d’exclusivité. Les intégrations horizontales et verticales impliquent de potentielles

distorsions concurrentielles, tant auprès des ports non-inclus dans ces réseaux exclusifs

que pour les armements écartés des accords de négociations.

La conséquence de ces constitutions oligopolistiques reste la modification des termes de

la concurrence et de la compétitivité entre les parties prenantes du système de transport

conteneurisé. Au-delà, ce sont les interdépendances des économies-nations qui peuvent

être bouleversées, au gré des positionnements stratégiques de ces firmes

multinationales. L’inclusion ou l’exclusion aux systèmes logistiques de transport peut

soutenir ou handicaper la compétitivité des produits d’une région, d’un pays, voire même

d’un ensemble sous-régional de pays.

De plus, il s’observe également un changement des échelles de temps et d’espace. Le

temps de la concession portuaire devient le pallier de temps de référence pour le

positionnement concurrentiel d’un port. Il suffit pour cela de se rappeler de la négociation

ouverte qu’avait lancée la compagnie Maersk au moment du renouvellement de son

engagement portuaire à New York en 1996-1997.

De même, l’échelle de la route maritime s’efface définitivement au profit d’une

concurrence maritime globale et globalisée. L’échelle de l’entité portuaire dans un espace

régional/national se confond dans une nouvelle forme de concurrence entre les tenants

de l’oligopole de la manutention. Les concurrences portuaires se placent autant entre

deux exploitants privés sur un même port qu’entre ces deux mêmes exploitants

28

Page 29: Cahier de recherche

positionnés sur des ports situés à des milliers de kilomètres les uns des autres. Cette

situation n’est guère nouvelle. C’est l’ampleur économique et financière de ces acteurs

dominants qui modifie les conditions de la « contestabilité » sur le marché. La

structuration des réseaux de transport et des réseaux portuaires se trouve conditionnée

aux décisions stratégiques du développement de ces quelques dizaines d’entreprises

multinationales. Les services maritime et portuaire continuent de muer sous la force d’un

marché libéralisé.

Pour la recherche opérationnelle sur les réseaux de transport, il devient impérieux de

considérer sous un autre angle les termes de la concurrence et de la compétitivité

maritimo-portuaires dans le contexte de ces consolidations loin d’être terminées.

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