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Mémoire de Master 2 : Gestion de Patrimoine et Banque Privée
« La finance comportementale et les investisseurs
fortunés : un conflit d’intérêts ? »
Thibauld HAMAIDE
Sous la direction de :
Directeur du Master 261 – Frédéric GONAND
Directrice adjointe du Master 261 – Amélie de BRYAS
Université Paris-Dauphine
12 Avenue Léonard de Vinci
92400 Courbevoie
Année universitaire 2017 - 2018
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Page 3 sur 74
Je dédie ce Mémoire
À mes parents pour leur amour inestimable, leur confiance, leur soutien, leurs sacrifices et toutes
les valeurs qu’ils m’ont transmises
À toute ma famille ainsi qu’à mes amis
Page 4 sur 74
Remerciements
Dans le cadre de mon apprentissage réalisé chez BNP Paribas Banque Privée en parallèle de
mes études au sein du Master 2 « Gestion de Patrimoine et Banque Privée » à l’université Paris-
Dauphine et pour la rédaction de ce Mémoire, je tiens à remercier l’ensemble de mon équipe qui
m’a aidé et qui a eu la gentillesse de m’inculquer les connaissances et les compétences essentielles
afin de réaliser au mieux mes différentes missions.
Tout d’abord, je souhaite remercier Madame Patricia Seres, ma tutrice et Responsable du
Centre Banque Privée de Saint-Germain-en-Laye, qui m’a donné l’opportunité de réaliser cette
alternance dans la renommée Banque Privée de BNP Paribas. Elle m’a accordé tout le temps
nécessaire aux mises au point sur l’avancement de mon parcours. Ainsi, elle a pleinement assuré
son rôle de tutrice en me donnant de multiples conseils tout en assurant mon suivi dans l’intégration
de l’équipe.
Je tiens à remercier Madame Sandra Philippot qui m’a été d’une aide précieuse. Elle a su
m’accompagner en se montrant disponible et à l’écoute dès mon arrivée et ceci malgré un emploi
du temps chargé en tant que Responsable d’Équipe Banque Privée. J’ai eu la chance d’être sous sa
responsabilité et c’est grâce à elle que j’ai pu me familiariser avec la Banque Privée de BNP Paribas.
Je remercie Monsieur Maxime Viémont, spécialiste de la finance comportementale chez
B*Capital, pour avoir eu la gentillesse de m’accorder une interview dans le cadre de ce Mémoire.
Mes remerciements s’adressent également à mon encadrant Monsieur Éric Labbé, enseignant
à l’université Paris-Dauphine mais également gérant de portefeuilles actions chez CPR Asset
Management, pour la gentillesse et le privilège qu’il me fait d’accepter de superviser la rédaction
de mon Mémoire.
Je souhaite également remercier les membres du jury qui me font l’honneur d’évaluer mon
Mémoire.
Finalement, j’adresse mes remerciements à l’ensemble de mes camarades de promotion au sein
de l’Institut de Gestion de Patrimoine pour l’ambiance générale et son esprit de corps et en
particulier à Clément pour son amitié et pour sa présence dans les moments difficiles.
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Avertissement
Je certifie sur l’honneur que le présent Mémoire est le fruit d’un travail personnel et que tout
référence directe ou indirecte aux travaux de tiers est expressément indiquée. Je demeure seul
responsable des analyses et opinions exprimées dans ce document : l’Université Paris-Dauphine
n’entend y donner aucune approbation ni improbation.
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Résumé
La théorie financière classique suppose que les agents économiques sont doués d’une rationalité
parfaite. Cependant, de nombreuses anomalies telles que l’incidence de la météo sur le cours des
actions ou les surréactions des marchés remettent en cause cette approche classique. La finance
comportementale cherche à expliquer ces anomalies à travers les heuristiques de jugement et les biais
cognitifs et émotionnels des investisseurs. Elle est devenue un réel enjeu dans le domaine de la
gestion de patrimoine. La clientèle, non professionnelle, des banques privées est plus susceptible
d’être soumise à ces biais comportementaux qui nuisent à la performance de leurs portefeuilles ainsi
qu’à leur relation avec leur conseiller financier. Ainsi, ces derniers ont commencé à éduquer leurs
clients afin de se différencier d’un marché hautement concurrentiel. Pour autant, l’utilité de la finance
comportementale reste difficilement mesurable.
Mots-clés : finance comportementale, gestion de patrimoine, investisseurs fortunés.
Abstract
The classical financial theory assumes that economic agents are perfectly rational. However,
several anomalies such as the impact of weather on stock prices or overreactions of markets challenge
this conventional approach. Behavioral finance seeks to explain these anomalies through the
heuristics in judgment and the cognitive and emotional biases of investors. It has become a real issue
in wealth management. Private banks unprofessional customers are more likely to be subject to these
behavioral biases which harm the performance of their portfolios and their relationship with their
financial advisor. Thus, the latter started to educate their customers in order to differentiate
themselves from this highly competitive market. Nevertheless, the usefulness of behavioral finance
remains difficult to quantify.
Keywords: behavioral finance, wealth management, high net worth investors.
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Table des matières
I. Introduction générale ...................................................................... 9
II. L’avènement de la finance comportementale ............................. 11
1) Introduction .................................................................................................. 11
2) L’essoufflement du paradigme de la finance classique ............................. 12
a) La découverte d’anomalies ................................................................................... 11
La rationalité parfaite des investisseurs ................................................................... 12
L’hypothèse d’efficience des marchés financiers .................................................... 16
Les anomalies classiques ......................................................................................... 19
b) L’existence des opportunités d’arbitrages .......................................................... 22
Les limites de l’arbitrage ......................................................................................... 22
L’exemple des fonds fermés .................................................................................... 26
3) L’approche psychologique de la finance comportementale ...................... 28
a) Les heuristiques classiques ................................................................................... 28
L’heuristique d’affect .............................................................................................. 28
L’heuristique de représentativité ............................................................................. 31
L’heuristique d’ancrage ........................................................................................... 33
b) Le danger des biais comportementaux ................................................................ 34
L’excès de confiance ............................................................................................... 34
L’effet de disposition ............................................................................................... 37
Le biais de confirmation .......................................................................................... 39
c) Quelques illusions .................................................................................................. 41
L’effet de cadrage .................................................................................................... 41
L’illusion de contrôle .............................................................................................. 43
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III. Les enjeux en gestion de patrimoine ............................................ 45
1) Introduction .................................................................................................. 45
2) L’accompagnement nécessaire des clients fortunés .................................. 46
a) Intégrer la finance comportementale à la gestion privée ................................... 46
Pourquoi ? ............................................................................................................... 46
Définir une allocation d’actifs mieux adaptée ......................................................... 48
b) Une autre segmentation de la clientèle privée ..................................................... 55
Des premiers modèles incomplets ........................................................................... 55
Le modèle Myers-Briggs Type Indicator® (MBTI) ................................................ 57
c) Les enjeux des acteurs de la gestion de patrimoine ............................................ 58
Mettre en avant la gestion sous mandat ................................................................... 58
Un réel intérêt ou un outil marketing ? .................................................................... 61
3) Étude de cas ................................................................................................... 64
Monsieur Lecocq ..................................................................................................... 64
Identification des biais ............................................................................................. 64
Influence sur l’allocation d’actifs ............................................................................ 65
Modérer ou adapter ? ............................................................................................... 65
L’allocation recommandée ...................................................................................... 66
IV. Conclusion générale ....................................................................... 67
V. Annexes ........................................................................................... 69
Annexe n°1 : Les 16 personnalités du test MBTI®................................................. 69
Annexe n°2 : Les 16 fonds de finance comportementale dans l’étude .................... 70
Annexe n°3 : Les principaux biais comportementaux d’un individu ...................... 71 ²
VI. Bibliographie .................................................................................. 72
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I. Introduction générale
« The investor’s chief problem – and even his worst enemy – is likely to be himself. »1
(Benjamin Graham)
La citation ci-dessus de Benjamin Graham en 2009 pourrait se voir comme l’écho du célèbre
discours, datant du 5 décembre 1996, d’Alan Greenspan qui était alors président de la Réserve
fédérale des États-Unis (FED). Ce dernier mettait en avant « l’exubérance irrationnelle des marchés
financiers ». Ses propos soulignaient l’écart d’évaluation des prix réalisée par les marchés financiers,
derrière lesquels se trouvent des humains et algorithmes, et celle que Monsieur Greenspan prétendait
comme « réelle ». De manière empirique, et dès lors que cet écart s’amplifie, cette décorrélation peut
aboutir aux fameuses bulles financières.
En s’intéressant à la bulle technologique dans les années 2000, ou plus récemment à la crise
financière de 2007, des académiciens ont commencé à remettre en cause les modèles financiers
classiques issus d’hypothèses que l’on peut tirer du modèle d’évaluation des actifs financiers
(MEDAF) elles-mêmes issues des travaux de Markowitz 2 . L’efficience des marchés ou le
comportement rationnel des agents économiques furent l’objet de critiques et semblaient insuffisants
pour expliquer les chocs boursiers. En effet, ces modèles tels que celui de Sharpe (1964) reposant
sur la construction de l’équilibre des actifs financiers, celui de Modigliani et Millier (1958) sur la
valorisation d’une entreprise dans un marché efficient ou encore le très célèbre modèle de Black and
Scholes (1973) proposant une méthode de valorisation des options sont tous des modèles dont les
hypothèses initiales sont très simplificatrices. Ainsi, en plus de la connaissance parfaite des
informations par chaque agent ou l’absence de coût de transaction, le fait que chaque acteur du
marché soit rationnel est admis dans la plupart de ces modèles classiques.
Mais peut-on affirmer que chaque acteur est cartésien et logique dans l’intégralité de ses choix ?
Il conviendrait aussi de différencier les investisseurs professionnels qui ont une certaine éducation
financière et les investisseurs privés et particuliers ne bénéficiant pas nécessairement de la même
expérience des marchés financiers. Les premiers seraient les plus à même à avoir un raisonnement
logique financier tandis que les seconds se baseraient plus facilement sur leurs convictions
personnelles. Dans les deux cas, il apparaît que l’être humain n’agit pas toujours de manière
1 Benjamin Graham (2009). “The Intelligent Investor, Rev. Ed”, p.8, Harper Collins 2 Harry Markowitz (1952). The Journal of Finance, Vol. 7, No. 1. pp. 77-91
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rationnelle. En d’autres termes, les investisseurs sont soumis à des biais psycho-sociologiques non
pris en compte dans la théorie financière dominante.
La finance comportementale, présentée en première partie de ce Mémoire, est l’une des branches
de l’économie s’intéressant aux théories sociologiques et psychologiques des individus mais
appliquées aux théories financières. Elle tend peu à peu à remplacer l’approche néoclassique
dominante depuis les années 1950. La psychologie est l’étude scientifique des comportements et des
processus mentaux et cherche à savoir comment ces derniers sont affectés par l’état physique, mental
et les évènements extérieurs. La sociologie aborde principalement l’influence des relations sociales
et des groupes sur les attitudes et comportements d’un individu. Quant à la finance, elle peut ici
correspondre à la discipline qui cherche à déterminer les valeurs et les prises de décisions adéquates.
Néanmoins, cette nouvelle vision alternative de la finance admet des limites quant à sa modélisation
et à l’absence de modèle général permettant de mieux comprendre la valorisation des actifs.
Ce travail aborde, en seconde partie, l’aspect de cette finance comportementales appliquée aux
investisseurs privés et fortunés qui sont généralement accompagnés en banque privée, en cabinet de
gestion de patrimoine ou encore dans un family office. Ces individus n’agissent pas
systématiquement, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, de manière à optimiser leurs
profits. En effet, ces derniers agissent régulièrement avec un excès de confiance, d’optimisme ou de
manière excessive face aux flux d’informations et selon la manière dont on leur présente. C’est le
phénomène inverse des programmes informatiques développés par des « quants » près des salles des
marchés qui exécutent un programme informatique codifié où les biais psychologiques sont quasi-
inexistants bien que leurs développeurs soient des humains qui restent fortement conscients de
l’existence de biais comportementaux.
L’un des objectifs principaux des clients fortunés, dans ces établissements privés, est de faire
fructifier leur patrimoine financier. Or, ces individus soumis à leurs propres biais psychologiques
agissent-ils toujours dans cet intérêt ? Une forme de conflit d’intérêts entre les sentiments d’un
individu et ses objectifs rationnels semble donc se dessiner. Il apparaît évident que les banquiers
privés doivent appréhender la finance comportementale car ces derniers travaillent avant tout avec
des clients exigeants et non des institutionnels. Ces professionnels de la finance ont pour mission de
prévenir leurs clients quand ceux-ci sont soumis à des biais comportementaux. En d’autres termes,
le banquier privé peut être perçu comme un « ajusteur » de rationalité pour un individu qui semblerait
être trop optimiste. En arrivant à montrer l’intérêt de cet ajustement, les conseillers peuvent réussir à
renforcer la relation avec leurs clients ainsi que leur loyauté. L’étude de la finance comportementale
prend donc tout son sens aussi bien pour les investisseurs fortunés que pour leurs banquiers privés.
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II. L’avènement de la finance
comportementale
1) Introduction
La première partie de ce Mémoire se veut théorique et explique pourquoi cette nouvelle branche
de l’économie a commencé à naître. L’approche classique de la finance a été remise en cause suite à
l’observation de plus en plus d’anomalies telles que l’incidence de la météo ou du calendrier sur la
valeur des actifs financiers. Ces dernières ont été mises en avant à travers des publications dans des
journaux mondialement connus comme le Journal of Financial Economics dans la deuxième partie
du XXème siècle. Grâce à ces publications, la finance comportementale commence à mieux se faire
connaître au détriment des défenseurs de la théorie financière classique qui acceptent ses
insuffisances. Celles-ci concernent aussi bien l’efficience des marchés financiers, les opportunités
d’arbitrages et se voient confirmées par l’existence de biais psychologiques qui influencent les prises
de décision ainsi que les préférences des agents économiques face au risque.
Par la suite, le cadre conceptuel de la finance comportementale, connaissant un nouveau souffle
avec le prix Nobel d’économie en 2002 de Daniel Kahneman, est traité au regard de deux alternatives
à la théorie de l’espérance d’utilité qui constitue l’un des piliers de la finance classique. Il s’agit de
la dépendance du rang et l’approche par perspectives. Aussi, la théorie de la gestion de portefeuille
issue des travaux de Markowitz semble insuffisante si ses hypothèses ne sont plus respectées par les
investisseurs. Les portefeuilles optimaux au sens de Markowitz et l’allocation des actifs financiers
ne sont plus les mêmes si l’on prend en compte les biais comportementaux des agents économiques.
De plus, il apparaît que les individus ne traitent pas de la même manière une seule et même
information. Les décisions prises par les investisseurs sont guidées par leurs sentiments et cela peut
expliquer les volumes de « trading » parfois importants sur les places boursières. Par exemple, un
investisseur fortuné français préfèrera investir sur des actions françaises même s’il lui est possible
d’intervenir sur le marché espagnole ou chinois pour le même prix. L’étude psychologique de la
finance comportementale sera l’objet d’un chapitre de ce Mémoire.
Finalement, cette nouvelle branche de la finance ne vient pas remplacer la théorie standard mais
cherche à offrir de nouvelles perspectives pour les investisseurs. Élaborer une théorie ou des modèles
prenant en considération les biais comportementaux n’est pas une chose aisée et constitue une
véritable limite de cette nouvelle économie dite « expérimentale ».
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2) L’essoufflement du paradigme de la finance classique
a) La découverte d’anomalies
La rationalité parfaite des investisseurs
La théorie financière classique admet que les agents économiques sont doués d’une rationalité
dite « parfaite » quand ces derniers font face à des choix risqués. Ce comportement implique que les
décisions prises par les investisseurs suivent un objectif précis : maximiser leur espérance d’utilité3.
Comment qualifier la rationalité dans les modèles théoriques ? Il s’agit, pour un investisseur, de
prendre des décisions en accord avec les informations qu’il possède et que celles-ci aient pour unique
but d’optimiser sa satisfaction. Ainsi, un tel investisseur doit être capable de modifier ses choix
d’investissement au regard des informations qui lui parviennent et agir de façon cohérente selon leur
contenu.
Face au risque et à l’incertain, l’investisseur rationnel cherche à maximiser l’utilité espérée. Cela
suppose la validité de certains axiomes issus des travaux de Von Neumann et Morgenstern (1947)
quand un individu se retrouve face à des loteries (des actifs financiers) ou à des portefeuilles
(assimilable à une combinaison de loteries) :
- L’axiome n°1 de préférence précise qu’un investisseur a toujours un choix de préférence
entre deux loteries ;
- L’axiome n°2 de transitivité admet qu’un investisseur préférant une loterie n°1 à une loterie
n°2 et cette même loterie n°2 à une loterie n°3 préfère alors la loterie n°1 à la loterie n°3 ;
- L’axiome n°3 de non-saturation indique qu’un agent recherche toujours à accroître son
utilité sans que ce dernier ne se sente saturé ;
- L’axiome n°4 de continuité considère qu’il existe une probabilité p vérifiant : 0 < p <1 telle
que [x, z ; p, 1 − p] ~ [y; 1] en considérant 3 loteries x, y et z où l’investisseur admet le
classement suivant : x ≻ y et y ≻ z (d’où par transitivité : x ≻ z) ;
- L’axiome n°5 d’indépendance implique qu’un individu est indifférent entre une
combinaison de loteries et sa version « réduite ». Aussi, on précise que l’intervention d’une
troisième loterie ne modifie pas les préférences d’un individu entre les 2 premières ce qu’on
peut décrire tel que : x ≻ y ⇔ [x, z ; p, 1 − p] ≻ [y, z ; p, 1 − p].
La plupart des modèles financiers incorporent ces axiomes de rationalité repris sous le théorème
de Neumann-Morgenstern. Ce dernier propose qu’un individu rationnel sélectionne la loterie ou une
3 Von Neumann J. et Morgenstern O. (1947). Theory of Games and Economic Behavior
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combinaison de loteries lui offrant la plus grande utilité. Cette utilité est maximale, pour le second
cas, dès lors que l’espérance d’utilité entre les combinaisons est la plus grande. La solution du
paradoxe de Saint-Pétersbourg4 a montré que les agents économiques ont une aversion au risque.
Chaque individu possède une fonction d’utilité. Cette fonction d’utilité associe une mesure de
satisfaction ou d’utilité selon la richesse que possède un investisseur. Soit une fonction d’utilité telle
que U(800) = 10 et U(600) = 5 (individu neutre au risque). Soit une loterie n°1 (L1) et une loterie
n°2 (L2) telle que :
- L1 = [800, 0 ; 0,8 , 0,2] où la probabilité d’avoir une richesse égale à 800 est de 0,8 contre
une probabilité de 0,2 pour n’avoir aucune richesse ;
- L2 = [600 ; 1] où la probabilité d’avoir une richesse égale à 600 est de 1.
Un investisseur parfaitement rationnel et neutre au risque préfère la loterie n°1 car son espérance
d’utilité qui est de : 0,8 * 10 + 0,2 * 0 = 8 est supérieure à celle de la loterie n°2 qui est de : 1 * 5 =
5. À noter que si la fonction d’utilité est affine (pour les individus neutres au risque), alors l’espérance
d’utilité est égale à l’utilité des espérances de richesse. À l’inverse, l’aversion au risque est
représentée par une fonction d’utilité de forme concave telle une fonction logarithmique. Soit une
fonction d’utilité représentant un risquophobe : u(x) = (49+x)1/2. L’investisseur a une probabilité de
4/7 d’avoir une richesse x1 = - 41 et une probabilité d’avoir richesse x2 = 51 :
Fig 1 - Exemple de fonction d’utilité d’un risquophobe
4 Bernoulli, Daniel; “Specimen theoriae novae de mensura sortis” in Commentarii Academiae Scientiarum
Imperialis Petropolitanae 5 (1738)
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L’étude de cette fonction nous apprend qu’un investisseur averse au risque voit une plus grande
utilité dans l’espérance possible de sa richesse que dans l’espérance des utilités des 2 états de richesse
possibles : x1 et x2. Qu’en conclure ? Cet individu préfère choisir une loterie « certaine » (p = 1) dont
la valeur est égale à la valeur espérée d’une loterie « risquée ». Il refusera donc de participer à un jeu
qui semble équitable vu qu’il choisira toujours la solution de sécurité. Les individus neutres au risque
présentent une fonction d’utilité de forme affine et chercheront, par conséquent, à maximiser leur
utilité. Enfin, les risquophiles possèdent une fonction d’utilité de la forme convexe et accepteront de
participer à un jeu qui est équitable contrairement au risquophobes. Néanmoins, les agents
économiques intervenant sur les marchés financiers ne sont pas tous averses au risque bien qu’ils en
représentent une majorité. Or, c’est ce point de vue qui est adopté dans la plupart des modèles
financiers de la théorie classique. La théorie de gestion de portefeuille nous apprend qu’un
investisseur rationnel procède à l’allocation de son portefeuille de telle manière à maximiser
l’espérance de rentabilité pour un niveau de risque donné ou alors de minimiser la variance d’un
portefeuille pour un niveau d’espérance de rentabilité fixée. Aussi, l’aversion au risque présumée des
agents économiques est au cœur du MEDAF (modèle d’équilibre des actifs financiers), puisqu’à
l’équilibre, ce modèle admet l’existence d’une prime de risque rémunérant le risque d’une action vis-
à-vis du marché :
𝐸(𝑅𝑖) = 𝑅𝑓 + βi ∗ (𝐸(𝑅𝑀) − 𝑅𝑓)
Où :
- Ri est la rentabilité d’un titre i ;
- RM est la rentabilité du portefeuille de marché ;
- Rf est le taux sans risque ;
- βi est le bêta du titre, c’est-à-dire la propension qu’à le titre à varier par rapport au marché
de référence. Cela correspond au risque systématique du marché.
Bien que ce modèle fût validé de manière empirique par Jensen et Scholes (1972), nous verrons
que ce dernier omet de prendre en compte des éléments indépendants du risque de marché tels que
la taille des entreprises ou encore les biais comportementaux des agents économiques corrigeant et
refondant le MEDAF.
Une autre critique de la rationalité parfaite des investisseurs et ouvrant la voie à la finance
comportementale réside dans le paradoxe d’Allais (1953)5 dont les résultats démontrent une violation
de l’axiome d’indépendance présenté précédemment.
5 Allais M. [1953b], « Le comportement de l’homme rationnel devant le risque », Econometrica, 21, p. 503-
546.
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L’expérience peut être présentée de cette manière :
Fig 2.1 – Présentation des loteries
En principe, et en accord avec la théorie de l’espérance d’utilité, si la loterie 1A dans
l’expérience n°1 est choisie par un agent, alors la loterie 2A dans l’expérience n°2 devrait être
également choisie. Pourquoi ? Cela est dû à l’axiome d’indépendance. Dans les faits, les loteries des
deux expériences peuvent être réécrites ainsi :
Fig 2.2 – Réécriture de la présentation des loteries
Selon l’axiome d’indépendance, le gain commun des 2 loteries pour chaque expérience ne
devrait pas être considéré dans le choix de la prise de décision entre 2 loteries d’une même
expérience. Cependant, plusieurs expériences ont montré que des individus interrogés préféraient la
loterie 1A à la loterie 1B alors qu’ils préféraient la loterie 2B à la loterie 2A. Pourtant, si on écarte
les gains communs des 2 loteries de l’expérience n°2 (le fait de ne rien gagner à 89%) et les gains
communs des 2 loteries de l’expérience n°1 (le fait de gagner 1 million à 89%) alors on remarque
que les résultats possibles et restants sont identiques pour l’expérience n°1 et l’expérience n°2. De
ce fait, un individu préférant le résultat restant possible de 1 million à 11% de la loterie 1A aurait dû
préférer le résultat restant possible de 1 million à 11% de la loterie 2A.
Qu’en conclure ? Dans une situation de loterie entre un gain sûr et une distribution de gains où
il existe une petite probabilité de perte (ici 1%) mais dont l’espérance est plus élevée, l’agent
économique préfère choisir la loterie avec le gain sûr. Cela reflète l’aversion au risque d’un individu.
À l’inverse, cette même augmentation de 1% de risque de la loterie 2A à la loterie 2B ne semble pas
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produire le même effet car l’investisseur choisira tout de même la loterie 2B. Quelques années plus
tard, Kahneman et Tversky (1979) démontrent que les agents économiques accordent plus de poids
aux issues positives certaines qu’à celles qui ne sont que probables.
L’hypothèse d’efficience des marchés financiers
L’hypothèse d’efficience des marchés financiers est directement liée à la compréhension et
l’anticipation de la valeur des actifs dans les marchés financiers. La question sous-jacente de
l’efficience est de savoir si les prix reflètent réellement la valeur fondamentale de leurs actifs. Les
formations des bulles financières comme celles de 1987 ou plus récemment de 2008 pouvait-elles
être anticipées ? Si les crises financières sont mises sous le dos de la cupidité ou de la corruption de
« mauvaises » personnes, alors les marchés financiers ne sont pas à blâmer eux-mêmes. Pourtant, la
mise en place de réformes et autres lois ou directives en vue de corriger et empêcher l’apparition de
nouvelles bulles n’a jamais été efficace de manière empirique. Et si les marchés financiers étaient
par nature instables et que les crises étaient dans l’ordre naturel des choses ? Si les prix ne
représentent pas la vraie valeur des choses alors il convient de se demander si l’existence même des
marchés financiers et son rôle d’allocation des ressources peut déstabiliser les économies qui y sont
liées. Le débat sur l’efficience ou non des marchés est donc ouvert.
Dans un premier temps, l’efficience peut être perçue de trois manières différentes sur les
marchés :
- L’efficience informationnelle (celle qui nous intéresse pour la suite) : la formation des prix
des actifs incorpore toute l’information disponible passée, présente et future ;
- L’efficience allocationnelle : l’épargne des investisseurs est orientée vers les emprunteurs
les plus productifs contribuant au développement de l’économie ;
- L’efficience opérationnelle : les prêteurs d’épargne et les demandeurs de fonds sont
confrontés de manière optimale sur les marchés financiers.
Une première approche théorique de l’efficience des marchés financiers est apportée par Fama
en 19656, puis en 19707 où il intègre la notion d’informations obtenues par les acteurs du marché : «
Un marché est dit efficient si et seulement si l’ensemble des informations disponibles concernant
chaque actif financier côté sur ce marché est immédiatement intégré dans le prix de cet actif ». En
d’autres termes, les investisseurs parfaitement rationnels, comme décrits auparavant, prennent en
compte les flux d’informations publiés afin d’ajuster leurs prises de positions ainsi que leurs
6 Fama E.F. (1965), « The behavior of stock market prices », Journal of Business, vol. 38, n° 1, p. 31-105. 7 Fama E.F. (1970), « Efficient capital markets: a review of theory and empirical work », The Journal of
Finance, vol. 25, n° 2, p. 383-417.
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anticipations. Ainsi, les cours des titres s’ajustent sur les marchés et reflètent leur valeur intrinsèque
ou « valeur fondamentale ». On notera que la théorie financière classique admet la notion d’atomicité
des acteurs sur un marché financier conduisant à une forte concurrence ainsi qu’à la recherche de
profit. Par ce mécanisme, la cotation de l’actif financier ne s’écarte pas ou peu de sa valeur
fondamentale. Cette dernière, V0, se calcule via une actualisation des sources de revenus du titre
telles que les dividendes et la valeur de la cession du titre à la dernière date :
𝑉0𝑖 =
𝐷1𝑖
(1 + 𝑟)+
𝐷2𝑖
(1 + 𝑟)2+
𝐷3𝑖
(1 + 𝑟)3+ ⋯ +
𝐷𝑛𝑖
(1 + 𝑟)𝑛
Où :
- 𝑉0𝑖 est la valeur fondamentale ou intrinsèque d’un titre i ;
- 𝐷𝑡𝑖 correspond au flux à la date t anticipé et dégagé par le titre i ;
- r est le taux d’actualisation demandé par l’investisseur et dépendant du risque que ce dernier
perçoit ;
- n correspond aux différentes périodes dans le temps jusqu’à la cession du titre i.
Cette efficience décrite par Fama n’a lieu que dans un marché où les coûts de transaction sont
inexistants, où l’information est disponible gratuitement à tous les acteurs du marché et de manière
permanente et où les investisseurs sont parfaitement rationnels et dont leurs anticipations sont
homogènes. Le comportement du prix d’un titre à l’arrivée d’une nouvelle information non anticipée,
et au regard de la méthode d’actualisation, suit une marche aléatoire ou « random walk ».
La notion de « marche aléatoire » signifie, dans le cadre des marchés efficients, que la variation
de prix d’un titre est décorrélée de son prix passé. Ce caractère aléatoire rend impossible de prévoir
ces futures évolutions de prix. Aussi, dans une telle hypothèse, l’espérance de gain de chaque actif
suivant cette marche est nulle étant donné qu’on se situe dans un jeu équilibré. Le fait de ne pas
pouvoir anticiper le prix d’un titre en se basant sur ses prix passés rend inutile l’analyse technique.
Aussi, les effets de momentum ou reverseal ne peuvent pas être prédits sur des marchés efficients. Il
apparaît donc évident que dans une telle hypothèse de marché, celui-ci devient impossible d’être
« battu » puisqu’il n’est pas possible pour un investisseur d’exploiter une information vue que cette
dernière est déjà incorporée dans le prix du titre reflétant sa valeur fondamentale. Acheter un actif
sous-évalué ou vendre un actif surévalué n’existe pas dans un tel marché.
Fama, en 1970, suggère qu’il existe différentes formes d’efficience en considérant les différents
niveaux d’informations. La première est la forme « faible » et propose que la connaissance et
l’analyse des cours et des informations passés ne permettent pas à un investisseur de battre le marché.
L’analyse technique est donc inutile dans un tel contexte. La seconde est la forme « semi-forte » et
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admet que le prix d’un titre reflète toute l’information publique actuelle et passée que l’on peut
trouver sur des sites boursiers. Cette forme d’efficience incorpore la forme d’efficience précédente.
L’analyse fondamentale est inefficace sous cette forme. Enfin, la troisième est la forme « forte » et
correspond à l’efficience la plus totale. Cela signifie qu’un investisseur ne peut pas battre le marché
à travers les informations passées, présentes et publiques mais également privées et non médiatisées.
Dans ce scénario le plus extrême, un délit d’initié n’est donc pas profitable.
La plupart des études empiriques montrent que c’est la forme « semi-forte » d’efficience qui
semblerait ne pas être totalement vérifiée. La forme « faible » est vraisemblablement vraie et est
reconnue par la majorité des professionnels tandis que la forme « forte » est très peu plausible étant
donné l’efficacité des délits d’initiés. Cela a pu s’illustrer par le célèbre trader Ivan Boesky. C’est
donc la seconde forme d’efficience qui regroupe les intérêts des académiciens.
L’existence-même de certains investisseurs très célèbres tels que Warren Buffet suffirait à
prouver l’inexactitude de cette forme d’efficience vu que ces derniers sont censés exploiter
l’information publique et passée. Il convient d’adopter un autre point de vue à travers une simple
expérience. Soit un groupe de 10 000 personnes jouant à un jeu de pile ou face. À chaque période,
chacune d’entre elles lance sa pièce et note le résultat obtenu. Si la pièce est non truquée, il est logique
de s’attendre à une même probabilité de « pile » ou « face » à chaque lancé. Ainsi, au premier essai,
on peut donc s’attendre à voir apparaitre 5 000 « face » et 5 000 « pile » bien qu’en vérité, le résultat
sera légèrement différent. Au second essai, on devrait logiquement s’attendre à ce qu’un quart des
participants (2 500) ait eu deux fois « face » ou deux fois « pile » d’affilée. Au bout de 8 lancés,
environ 10 000/(28) = 39 participants auront obtenu 8 fois le côté « pile » ou « face » d’affilée. Peut-
on dire que ces 39 personnes viennent contredirent les lois probabilistes d’un simple jeu de pile ou
face ? Et que peut-on dire des personnes ayant obtenus 7 fois « face » sur les 8 lancés ? On devrait
en dénombrer en moyenne 312. Au final, sur ces 10 000 participants, au moins 350 auront obtenu au
minimum 7 fois « face » sur les 8 lancés. Peut-on dire que ce sont des « experts » au lancé de pièce ?
On pourrait croire que la survenance de tels résultats extrêmes remette en question le côté aléatoire
de ce jeu. On peut assimiler cela à la performance des gérants de fonds. Si l’on considère un marché
aléatoire, les résultats des fonds devraient être aléatoires. Cependant, il existera toujours un faible
pourcentage d’investisseurs qui se démarqueront sur la base de leur historique de performance. Cette
anomalie, découverte par les partisans de la finance comportementale, suggère que les résultats issus
d’un processus aléatoire montrent des tendances, des répétitions et d’autres récurrences bien que ces
résultats soient générés de manière aléatoire. Les séries statistiques ne semblent donc pas avoir une
apparence purement « hasardeuse ». Il s’agit donc d’une fausse preuve contre la notion d’efficience
des marchés financiers contrairement aux anomalies décrites par la suite.
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Les anomalies classiques
On considère qu’une « anomalie » est une observation en inadéquation avec la théorie financière
néoclassique dominante. Leurs découvertes sont d’autant plus cruciales étant donné que jusqu’en
1976, les études statistiques ont amené à découvrir cette efficience des marchés financiers tandis que
par la suite, cette efficience était devenue l’une des conditions de nombreux modèles financiers. On
peut, par exemple, citer l’étude « Martingales and stochastic integrals in the theory of continuous
trading » de Harrison et Pliska en 1981 sur les variations en bourse. Bien qu’un grand nombre
d’anomalies furent mises en avant par William Schwert8, nous allons nous concentrer sur les trois
anomalies les plus connues.
La première catégorie d’anomalies concerne le calendrier. La plus connue concernent le mois
de janvier. Après une première observation de Richard Thaler dans « The Winner’s Curse » (1976),
puis confirmée par Lakonishok et Smidt 9 , il apparaît que les actions d’entreprises à faible
capitalisation offrent une meilleure rentabilité durant le mois de janvier et plus particulièrement lors
des deux premières semaines (Keim en 1983). On pourrait croire que la découverte de cet « effet »
du mois de janvier en 1976 ait pu mener à sa disparition à travers son exploitation par les investisseurs
voulant en tirer profit. Mais en réalité, Haugen et Jorion (1996) découvrent que cette anomalie
perdure. De plus, Hansen et Lunde (2003) arrivent à montrer que cet effet s’observe également dans
de nombreux pays tels que la France, l’Italie ou encore le Japon. Mais comment l’expliquer ? La
première hypothèse découle d’une tentative d’optimisation fiscale. Pour rappel, une perte encaissée
suite à la vente d’une action vient en réduction du revenu imposable. Cette règle fiscale existe dans
de nombreux pays. Or, les actions des petites entreprises sont connues pour être fortement volatiles.
De ce fait, elles sont les plus à même de subir une moins-value et d’être vendues en fin d’année pour
des raisons fiscales. Puis, en début d’année, ces actions qui ont été survendues et dont les cours ont
baissé (actions sous-valorisées) font face à une envolée des prix et battent l’ensemble des marchés.
Néanmoins, cette explication est affaiblie par le fait que les années fiscales sont différentes dans
plusieurs pays comme en Australie où elle débute en juillet. Une autre explication, ici psychologique
et mise en avant par les théoriciens de la finance comportementale, réside dans le fait que les
investisseurs voient la fin d’année comme une forme de bilan (vente et baisse des cours) tandis que
le début d’année est la promesse d’un nouveau commencement (achat et hausse des cours). C’est la
comptabilité mentale des investisseurs. D’autres chercheurs tels que Grinblatt et Moskowitz (mars
2004) suggèrent que les gérants de fonds qui surperforment leur indice de référence tendent à vouloir
8 Schwert, G. William, Anomalies and Market Efficiency (October 2002). Simon School of Business Working
Paper No. FR 02-13. 9 Josef Lakonishok et Seymour Smidt, « Are Seasonal anomalies real? A ninety-year perspective, » Review of
Financial Studies 1, no 4 (Winter 1988): 403-425.
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s’en approcher en fin d’année. Ainsi, les actions phares de ces fonds qui ont permis de surperformer
sont vendues en fin d’année afin de mieux représenter la constitution de l’indice de référence. De
nouveau sur le marché, ces dernières sont aussitôt achetées par de nouveaux gérants de fonds amenant
à une hausse généralisée des marchés. Cependant, cette explication devrait s’appliquer à toutes les
entreprises et non seulement aux entreprises les plus faiblement capitalisées.
Il existe également, et plus fréquemment, une autre anomalie calendaire portant sur le week-
end. L’anomalie observée est la suivante : les rendements des actions sont plus élevés en fin de
semaine qu’en début de semaine. Des données compilées sur les marchés USA après 1952 ont même
montré que les rendements étaient négatifs, en moyenne, le lundi. Cela va donc en opposition avec
l’hypothèse d’efficience des marchés issue de la théorie dominante. Cet effet est constaté dans
différents pays tels que les USA, le Japon ou encore Taiwan alors qu’il est inexistant en Slovénie ou
République Tchèque. L’explication réside-t-elle dans le « blues » du retour au travail le lundi ou
d’une correction des marchés suite aux ébullitions des traders le vendredi avant de partir en week-
end ? La question reste en suspens. Dans la même lignée, les marchés USA ont souvent connu, avant
1991, des rendements anormalement élevés la veille des vacances10. Cet effet a continué après cette
date au Royaume-Uni et à Hong Kong.
La deuxième catégorie d’anomalies concerne la météo. Il existerait un lien entre les aléas
météorologiques et le sentiment des investisseurs sur les marchés financiers. Il s’agit d’une violation
de l’hypothèse de rationalité parfaite des intervenants de la bourse puisque le degré d’ensoleillement
influence le prix des actifs. David Hirshleifer et Tyler Shumway ont cherché à quantifier ce lien en
200311. Ils se sont intéressés à des donnés statistiques sur les rendements des marchés de plusieurs
villes, dont Paris et Londres, avec un niveau moyen d’ensoleillement (noté de 0 pour un temps
éclairci à 8 pour un temps nuageux) datant de 1982 à 1997. La régression de ces informations a abouti
à la formule suivante :
𝑟𝑖,𝑡 = ∝𝑡+ βiC ∗ 𝑀𝑜𝑦𝑖,𝑡 + 𝜀𝑖,𝑡
Où :
- 𝑟𝑖,𝑡 : rendement de l’indice de marché pour une ville i sur la journée t ;
- 𝑀𝑜𝑦𝑖,𝑡 : moyenne de l’indice du temps de 0 à 8 corrigée des effets de saisonnalité ;
- βiC = - 0,011 et est statistiquement significatif au sens de Student ;
10 Ryan Chong, Robert Hudson, Kevin Keasy and Kevin Littler, “Pre-Holday Effects: International Evidence
on the decline and reversal of a stock market anomaly”, Journal of International Money and Finance 24, no.
8 (December 2005): 1228-1229 11 David Hirshleifer and Tyler Shumway, “Good Day Sunshine: Stock Returns and the Weather”, The Journal
of Finance, Vol. 58, No. 3 (Jun., 2003), pp. 1009-1032
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- 𝜀𝑖,𝑡 : bruit blanc.
Le bêta de la formule montre qu’il existe donc une relation négative entre l’indice du temps et
le rendement des actions. En d’autres termes, plus le niveau d’ensoleillement est élevé, plus les
marchés financiers sont haussiers. À noter que d’autres paramètres tels que la pluviosité ou encore
l’enneigement n’affectent pas les résultats.
La dernière catégorie d’anomalies étudiée concerne la taille des capitalisations et remet en cause
directement le MEDAF issu de la théorie classique. Banz (1981) démontre que cette caractéristique,
et d’autres telles que le PER (Price Earning Ratio), le rapport de la valeur comptable sur la valeur
de marché (B/M : Book to Market Ratio) ou le rendement des entreprises (dividende/cours)
influencent la rentabilité des actions. En effet, Fama et French (1992) mettent en évidence, sur le
marché américain et sur la période de 1963 à 1990, que les 10% d’entreprises à plus faible
capitalisation surperforment de 0,74% (mensuellement) les 10% d’entreprise à plus forte
capitalisation. Aussi, cette anomalie de surperformance est également constatée pour les entreprises
aux PER faibles, aux B/M élevés (actions à caractère value) ou disposant d’un rendement de
dividende élevé. Les deux chercheurs remarquent également que les entreprises aux caractères value
(B/M élevé), qui sont sur-performantes, possédaient le bêta le plus faible. Or, selon les prévisions du
MEDAF, plus une entreprise dispose d’un bêta peu élevé, plus sa rentabilité moyenne est faible.
Cette observation est donc paradoxale face au modèle de la théorie classique. Pour prendre en compte
ces différents facteurs, Fama et French (1993) construisent un nouveau modèle qui incorporent la
prime de risque du marché déjà présente dans le MEDAF (différence entre la rentabilité du marché
et de l’actif sans risque) avec deux nouveaux facteurs de risque : le SMB (small caps minus big caps)
pour la taille de capitalisation et le HLM (high B/M minus low B/M) pour l’effet value/growth.
Le modèle est le suivant :
𝐸(𝑅𝑖) – 𝑅0 = 𝑎𝑖 + 𝑏𝑖 [𝐸(𝑅𝑀) – 𝑅0] + 𝑠𝑖 𝐸(𝑆𝑀𝐵) + ℎ𝑖 𝐸(𝐻𝑀𝐿)
Où :
- 𝐸(𝑅𝑖) – 𝑅0 : rentabilité moyenne excédentaire du titre i face au marché ;
- 𝑏𝑖 : bêta du titre i ;
- [𝐸(𝑅𝑀) – 𝑅0] : prime de risque du marché ;
- 𝑠𝑖 𝐸(𝑆𝑀𝐵) : différence de rentabilité entre un portefeuille composé d’entreprises à faibles
capitalisations et d’un portefeuille composé d’entreprises à forte capitalisation ;
- ℎ𝑖 𝐸(𝐻𝑀𝐿) : différence de rentabilité entre un portefeuille composé d’entreprises à
caractère value et d’un portefeuille composé d’entreprises à caractère growth.
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Comment expliquer les effets de taille de capitalisation ainsi que l’effet value sur la rentabilité
moyenne des actions ? Plusieurs réponses ont été apportées par différents chercheurs. Les auteurs du
modèle ci-dessus estiment que le bêta ne prend pas en compte la fragilité financière des entreprises
de petites capitalisations alors que les investisseurs la perçoivent et demandent, en contrepartie, une
rentabilité supérieure face à ce risque. Chan et Lakonishok (2002) proposent une analyse
comportementale des agents économiques pour expliquer la surrentabilité des actions value. Il
s’avère que cette catégorie d’actions a de faibles performances, selon ces auteurs, en termes de de
croissance du chiffre d’affaires ou des bénéficies. Or, il existe un biais psychologique appelé « biais
de représentativité » suggérant que les investisseurs perçoivent dans le futur une répétition de ces
mauvaises performances et préféreront, à contrario, les actions à caractère growth dont la croissance
est supérieure. De plus, les glamour stocks (autre désignation des actions growth) appartiennent
généralement à des secteurs facilement médiatisables par les journalistes spécialisés en finance et
autres analystes. Ainsi, les gestionnaires de portefeuille possèdent ce type d’actions dans leurs fonds
d’investissements tels que les OPCVM. La raison ? En cas de faible performance de leurs fonds, ils
ne pourront pas être blâmés d’avoir réalisé un stock-picking concernant des actions peu suivies par
les analystes financiers en buy-side ou sell-side. La conséquence est que les actions value sont sous-
valorisées car délaissées tandis que les actions growth sont sur-valorisées car achetés massivement
par les gestionnaires de fonds. Le marché ne peut rester dans un tel état longtemps car des arbitrages
vont avoir lieu. Ainsi, la correction s’effectue en général lors de la publication des résultats des
actions value, souvent meilleurs, que le consensus des analystes. Cela explique la forte rentabilité
moyenne de ce type d’actions.
b) L’existence des opportunités d’arbitrages
Les limites de l’arbitrage
La théorie financière classique réfute toute imperfection possible sur les marchés financiers.
Ainsi, la cotation d’une action est censée représenter sa « vraie » valeur ou « valeur fondamentale »
rendant impossible l’exploitation des prix pour réaliser une plus-value. La finance néo-classique
admet également que les investisseurs irrationnels ne peuvent subsister longtemps sur les marchés.
En réalité, ces derniers sont susceptibles de prendre plus de risques et d’accroître, mécaniquement,
leurs gains sur un horizon de court-terme (permettant leur survie) qui peuvent être supérieurs à ceux
des agents rationnels.
La notion d’arbitrage renvoie à l’utilisation de pratiques et méthodes, par les investisseurs,
permettant de profiter des incohérences de prix sur les marchés financiers. Ces arbitragistes profitent
de l’inefficience des marchés financiers. Néanmoins, de telles opérations sont rares par nature étant
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donné que les investisseurs les exploitent très rapidement en rendant de nouveau les prix cohérents.
Un arbitrage pur, contrairement à un arbitrage spéculatif, suppose de réaliser un gain sans aucune
prise de risque. Par exemple, une entreprise X se voit cotée à Paris et à New-York. Supposons que
l’action ait un prix de 80$ aux États-Unis contre 60€ en France. Si le taux de change EUR/USD est
de 1,20 alors il existe une opportunité d’arbitrage. Celle-ci consiste à acheter le titre en France pour
60€ et de le vendre sur le marché américain pour 80€. La plus-value générée, sans prise de risque,
est alors de : 80 – 60*1,2 = 8$. Une autre technique d’arbitrage connue est d’emprunter à un taux x
et de prêter à la suite à un nouveau taux y sachant que y > x. L’existence-même d’opportunités
d’arbitrages est en violation avec l’hypothèse d’absence d’opportunités d’arbitrages (AOA) issue de
la théorie financière classique.
Des opportunités d’arbitrages peuvent persister dans le temps dès lors que leurs disparitions
dépendent de la psychologie des investisseurs et quand l’horizon d’investissement est très lointain.
En effet, les agents peuvent avoir intérêt à ne pas les exploiter systématiquement. On parle alors de
« limites d’arbitrages » car selon certaines circonstances, il n’est pas possible pour un investisseur
de réaliser un arbitrage rapidement. La raison principale est que les stratégies d’arbitrages, censées
permettre de retrouver au titre sa valeur fondamentale, sont en réalité souvent risquées, coûteuses et
parfois restrictives.
Nous pouvons distinguer 3 problèmes principaux limitant les arbitrages :
1) Le risque spécifique d’une entreprise. Par exemple, nous pouvons supposer que la valeur de
l’action Orange est sous-cotée et que, par conséquent, un investisseur décide d’acheter
beaucoup d’actions de cette entreprise. Par la suite, des nouvelles négatives et non anticipées
affectent la valeur de l’action Orange et baissent encore plus le prix de celle-ci. Bien
évidemment, l’investisseur pourrait chercher à se couvrir du risque spécifique de Orange
mais cette opération pourrait être imparfaite et coûteuse.
2) Le risque des noise traders (les traders faisant du « bruit spéculatif »). Un noise trader est
un trader dont les opérations sur les marchés financiers ne sont pas basées sur de
l’information vérifiée ou sur des analyses financières sérieusement étudiées. De tels traders
peuvent s’arranger ensemble pour empirer le mauvais pricing d’une action sur le court terme.
Ce type de manœuvre oblige les arbitragistes à liquider leurs actions rapidement en les
sanctionnant de fortes pertes. Cette forme de risque est également appelée « risque
sentimental ». Cela signifie que le risque de cotation d’un titre peut dépendre uniquement
des sentiments ou des croyances irrationnelles et non d’analyses financières basées sur les
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bilans ou comptes des résultats des entreprises. Cette forme de risque peut donc se greffer
aux risques systématiques de marché et aux risques spécifiques des entreprises.
Un investisseur peut, à travers une analyse technique, déceler si une action est anormalement
traitée par des noise traders car ces derniers génèrent de forts volumes de trading. Des
indicateurs de volume peuvent être utilisés pour détecter cette forme de risque. Les deux
indicateurs les plus connus sont le Positive Volume Index (PVI) et le Negative Volume Index
(NVI). Ceux-ci permettent de déterminer si l’évolution de prix des actions est directement
corrélée ou non avec l’évolution des volumes de trading. Le premier fonctionne de la manière
suivante :
- Si le volume d’échanges diminue par rapport à hier : l’indice reste inchangé ;
- Si le volume d’échanges augmente par rapport à hier : l’indice évolue
o Positivement : si le cours de clôture d’aujourd’hui est supérieur à la veille ;
o Négativement : si le cours de clôture d’aujourd’hui est inférieur à la veille.
La formule du PVI est la suivante : PVI actuel = Ancien PVI + {[(Cours de clôture
d’aujourd’hui-Cours de clôture d’hier) / Cours de clôture d’hier)] x Ancien PVI}.
Le NVI fonctionne de manière opposée :
- Si le volume d’échanges augmente par rapport à hier : l’indice reste inchangé ;
- Si le volume d’échanges diminue par rapport à hier : l’indice évolue
o Positivement : si le cours de clôture d’aujourd’hui est supérieur à la veille ;
o Négativement : si le cours de clôture d’aujourd’hui est inférieur à la veille.
La formule du NVI est la suivante : NVI actuel = Ancien NVI + {[(Cours de clôture
d’aujourd’hui-Cours de clôture d’hier) / Cours de clôture d’hier)] x Ancien NVI}.
Concernant le PVI, si ce dernier augmente ou diminue, il peut donner un indicateur de
tendance haussière (bullish) ou baissière (bearish) des marchés. Pour le NVI, si ce dernier
augmente cela signifie que les prix augmentent malgré une baisse de volume alors que s’il
diminue, cela veut dire que les prix baissent car peu d’investisseurs traitent l’action.
Pour repérer une forte activité de noise traders, les investisseurs préfèrent se fier au PVI pour
déterminer si le prix d’une action est fortement dépendant du volume de trading généré par
ce type de traders qui composent une part importe d’investisseurs non-professionnels. À
l’inverse, le NVI est préféré pour détecter les mouvements cohérents de prix car il
déterminera comment les investisseurs institutionnels et professionnels traitent l’action. En
effet, le volume sera moins élevé car les noise traders ne sont pas en activité et le prix sera
donc déterminé plus « intelligemment ». Ci-dessous, le graphique montre l’exemple d’un
PVI quand celui-ci reste inchangé (volume en baisse) ou quand il augmente (volume en
hausse et prix en hausse).
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Fig 3 – Détermination du Positive Volume Index (PVI)
3) Les coûts de transaction. Étant donné qu’une opération d’achat ou de vente sur les marchés
financiers est coûteuse, il est possible, dans certains cas, que le coût associé soit supérieur
au gain potentiel d’une stratégie d’arbitrage. Une autre forme de coût « caché » est celui issu
des entreprises peu liquides. Si un investisseur pense qu’une entreprise est sous-valorisée, et
que l’action de celle-ci est peu liquide, et qu’il place un ordre important sur le marché, alors
le prix d’achat pourrait significativement augmenter selon le fonctionnement du carnet
d’ordre. C’est donc une nouvelle limite aux opérations d’arbitrages. Ainsi, des prix peuvent
rester incohérents à cause du risque et des coûts associés à ces stratégies d’arbitrages.
Les auteurs Abreu et Brunnermeir 12 expliquent en 2002 une autre forme, aussi
comportementale, de limite d’arbitrage appelée « risque de synchronisation ». Ce risque sous-entend
que les investisseurs prennent conscience, les uns à la suite des autres, de la possibilité d’une
opportunité d’arbitrage sur le marché. Un problème de coordination apparaît. En effet, une anomalie
ne peut être exploitée de manière optimale que si un nombre suffisant d’arbitragistes viennent à
l’éliminer. Il existe donc un risque pour un investisseur, en prenant une position trop tôt, d’intervenir
seul ou avec trop peu d’arbitragistes. À l’inverse, en se positionnant trop tard, il existe également un
autre risque qui est de ne pas profiter de l’opération d’arbitrage. Abreu et Brunnermeier13 montrent
12 Abreu, Dilip, and Markus K Brunnermeier. “Synchronization risk and delayed arbitrage”. Journal of
Financial Economics 66 (2002): , 66, 341-360. Print. 13 Abreu, Dilip, and Markus K Brunnermeier. “Bubbles and Crashes”. Econometrica 71 (2003): , 71, 173-204.
Print.
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également que les bulles spéculatives peuvent naître de ce risque de synchronisation. En effet, les
arbitragistes vont parfois opérer dans le même sens que la bulle, alimentant cette dernière, afin de
pallier aux coûts et risques auxquels ils sont soumis.
L’exemple des fonds fermés
Il est possible d’illustrer l’existence d’opportunité d’arbitrage à travers les fonds fermés, tels
que certains OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières), que les clients en
banque privée connaissent bien via leurs assurances-vie. Par définition, de tels fonds possèdent un
nombre de parts constant. Les émissions de parts sont impossibles et si un investisseur souhaite
souscrire au fonds, il devra obligatoirement s’adresser à un vendeur détendeur de parts de ce fonds.
Par exemple, un portefeuille initial de 1 000 000 € à 1 000 € la part possède 1 000 parts. En théorie,
si ce fonds fermé dégage une performance de 10%, alors la valeur du fonds sera de 1 100 000 € et,
in fine, la valeur de la part sera de 1 100€. En pratique, des études empiriques ont montré que la
valeur d’une part pouvait s’éloigner de son prix théorique. Pour reprendre l’exemple précédant, le
portefeuille pourrait être valorisé à 1 500 000 €, pour 1 000 parts, mais avec une part valorisée à
1 200 €. Cette décote, ou discount, serait alors de 20%. Une opportunité d’arbitrage apparaît : vendre
le portefeuille à découvert et acheter les parts du fonds en dessous du prix théorique pour réaliser une
plus-value de 300 € par part. Cependant, pour que le bénéfice ait réellement lieu, le prix de la part
du portefeuille doit effectivement rejoindre le prix théorique. Ainsi, l’arbitragiste pour solder sa
position. Un tel arbitrage peut se compliquer si le discount persiste très longtemps comme ce fut le
cas avec le fonds « Tri-Continental Corporation » qui a vu ses parts décotées d’environ 20% sur la
période de 1960 à 1985. Ce phénomène de discount sur les parts peut s’expliquer par la mauvaise
perception par un investisseur irrationnel de l’action du portefeuille par rapport à l’ensemble de ce
dernier. Au contraire, si la valeur de la part est supérieure à son prix théorique, alors on parle d’une
prime. Celle-ci est très fréquente à l’ouverture d’un fonds afin de palier à son coût de « lancement ».
Des explications rationnelles et comportementales ont été apportées pour comprendre ces
phénomènes de variations de prix de parts des fonds fermés. La première réponse traditionnelle
concerne le coût d’agence. En effet, un investisseur peut exiger une décote de la part du fonds étant
donné qu’il ne connaît pas la qualité du gestionnaire de portefeuille. La deuxième explication repose
sur l’illiquidité possible des actifs composant le fonds. Le phénomène de discount apparaît alors
évident si un arbitragiste achète le portefeuille composé d’actifs peu liquides et le vend par la suite.
Étant donné que le marché va subir une forte vague de ventes d’actifs peu liquides, alors l’arbitragiste
devra baisser ses prix de vente en conséquence pour trouver sa contrepartie. La dernière explication
rationnelle s’intéresse à la fiscalité des plus ou moins-values. La plupart des pays taxent le montant
d’une plus-value générée par un investisseur. Par exemple, un investisseur non professionnel dans
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une banque privée peut décider de vendre un panel d’actions individuelles sur son compte de titres
dont les plus-values et moins-values se compensent afin d’optimiser la pression fiscale. Cependant,
en détenant la part d’un fonds, ce même investisseur n’aura pas la main pour choisir quelles actions
acheter ou vendre de ce fonds. Il devra donc « subir » la taxe générée par la plus-value de la part du
fonds sans optimisation fiscale. Le coût fiscal peut donc ici correspondre au discount de la valeur des
parts.
Concernant les éléments comportementaux, ce sont principalement les anticipations des
arbitragistes qui vont influencer le discount ou la prime des parts de fonds fermés. Par exemple, le
fonds « First Israël » présentait une situation de discount avant l’accord de paix israélo-palestiniens
qui amena, par la suite, à une prime de plus de 25%. Autre exemple connu : le fonds « Germany
Fund » dont la prime était de 100% durant plusieurs mois à la suite de la chute du mur de Berlin alors
qu’il était en situation de discount auparavant. Une autre étude intéressante, menée par Barberis14,
s’intéresse à l’évolution des discounts de fonds USA mais dont la composition des actions était
étrangère. Par exemple, un gérant de portefeuille américain qui travaille chez BlackRock peut avoir
son fonds chez un dépositaire américain avec des parts commercialisées uniquement aux USA mais
dont les actifs sont des actions intégralement espagnoles. Barberis a observé que l’ensemble des
discounts des fonds américains investis dans d’autres pays évoluaient de la même manière en suivant
l’indice américain. Cependant, les actions composant chacun des fonds évoluaient selon les indices
de leurs pays respectifs. Ainsi, cette asymétrie met en avant le comportement des investisseurs situés
dans le même pays.
Enfin, un dernier problème à soulever concerne la pratique du benchmarking que les
investisseurs connaissent bien à travers les Exchange Traded Funds (ETF). Cette pratique de gestion
illustre bien l’aspect comportemental qui prédomine sur la performance. En effet, le gérant achète ou
vend les actions selon leurs entrées ou sorties dans l’indice suivi et cela de manière indépendante aux
analyses fondamentales ou techniques qui sont faites sur ces actions. Le mécanisme des ETFs
amplifie les volumes sur les marchés, et peut alimenter les bulles, en cherchant à suivre un indice.
Par exemple, si les ventes massives de l’action Carrefour baissent son prix et la valeur du CAC40,
alors tous les ETFs vont vendre à leurs tours l’action Carrefour pour représenter au mieux le CAC40
et entraînant de nouveau une baisse de la valeur.
Il convient dès à présent de rentrer dans le vif du sujet en abordant les composantes
psychologiques de la finance comportementale.
14 Barberis, Nicholas & Shleifer, Andrei & Wurgler, Jeffrey, 2005. "Comovement," Journal of Financial
Economics, Elsevier, vol. 75(2), pages 283-317, February.
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3) L’approche psychologique de la finance comportementale
a) Les heuristiques classiques
L’heuristique d’affect
La définition d’une heuristique est apportée par Jean-Louis le Moigne, chercheur des sciences
de la complexité, en 1991 : « Une heuristique est un raisonnement formalisé de résolution de
problème dont on tient pour plausible, mais non pour certain, qu'il conduira à la détermination d'une
solution satisfaisante du problème »15. On s’intéressera au domaine de l’heuristique de jugement
pour mieux comprendre la finance comportementale. Celle-ci suppose qu’un individu peut être
amené à faire des raccourcis mentaux et à raisonner de manière intuitive ou approximative afin de
résoudre un problème rapidement. Cependant, ce type de raisonnement n’est pas toujours efficace.
Bien que cette notion relève de la cognition sociale, la plupart des heuristiques classiques telles que
celles de représentativité ou d’ancrage ont été approfondies par Daniel Kahneman16, économiste et
psychologue, qui a permis une reconnaissance grandissante de la finance comportementale grâce à
son prix Nobel d’économie en 2002.
La plupart des managers financiers se basent sur des règles approximatives pour prendre des
décisions et sont donc soumis à ces heuristiques. La « mère » des heuristiques pourrait être
l’heuristique d’affect. En effet, de nombreuses personnes disent se fier à leur instinct. Un tel individu
préfèrera et choisira une décision dont l’issue probable lui semble émotionnellement satisfaisante.
Plus simplement, si une personne ressent une émotion positive à propos d’une activité, alors il va
surévaluer ses bénéfices tandis qu’il en minora les risques qui lui sont liés. Se baser sur l’instinct est
directement lié, pour les investisseurs, à se baser sur l’intuition et l’expérience. L’intuition et
l’expérience sont deux composantes essentielles pour les individus amenés à faire des choix puisque,
utiliser à bon escient, elles permettent de mieux évaluer les risques et les bénéfices d’un
investissement par exemple. Néanmoins, ces deux attributs ne devraient pas remplacer une analyse
formelle et constructive mais venir en complément. Cela est d’autant plus vrai sur le long terme.
L’aversion aux pertes est une heuristique d’affect classique. Certains investisseurs ont tellement
peur de réaliser des pertes financières qu’ils sont incapables de réaliser des opérations risquées afin
15 Arnaud André-Jean. Jean-Louis Le Moigne, La modélisation des systèmes complexes, 1990. In: Droit et
société, n°19, 1991. Le rapport des jeunes au Droit à l'Est et à l'Ouest, sous la direction de Chantal Kourilsky.
p. 424. 16 Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Science,
185(4157), 1124-1131.
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d’augmenter leur rentabilité. Dans une telle situation, les investisseurs sont paralysés par la peur du
risque au point d’être incapable de profiter de certaines opportunités qui leur sont offertes. Voici un
exemple :
Fig 4.1 – Scénario n°1
Fig 4.2 – Scénario n°2
Auriez-vous préféré le choix A pour le premier scénario comme 85% des interrogés et le choix
D pour le second scénario comme 70% des interrogés17 ? Si tel est le cas, vous accordez plus
d’importance à la notion de gain ou de perte qu’à ce qui compte vraiment, à savoir l’incidence sur
votre patrimoine. En réalité, les deux scénarios sont identiques de ce point de vue. En effet, un
individu se retrouverait avec 1 500 € qu’il sélectionne le choix A du scénario n°1 ou le choix C du
17 Hillier, D., Clacher, I., Ross, S., Westerfield R., Jordan, B. (2014). Fundamentals of Corporate Finance, 574-
575.
Vous obtenez 1 000 €. On vous offre deux choix :
Choix A :
Vous obtenez 500 € supplémentaire.
Choix B :
Vous jouez à pile ou face. Si « face »,
vous gagnez 1 000 € supplémentaire. Si
« pile », vous ne gagnez rien.
Vous obtenez 2 000 €. On vous offre deux choix :
Choix C :
Vous perdez 500 €.
Choix D :
Vous jouez à pile ou face. Si « face »,
vous perdez 1 000 €. Si « pile », vous ne
perdez rien.
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scénario n°2. Aussi, un autre individu aurait eu une chance sur deux de finir avec 2 000 € s’il avait
sélectionné le choix B du scénario n°1 ou le choix D du scénario n°2. Ainsi, un investisseur rationnel
aurait choisi la même option A et C ou B et D pour les deux scénarios. En réalité, beaucoup de
personnes s’écartent de l’option C car elle entraîne une perte certaine. Or, des recherches ont montré
que les individus sont réticents à subir des pertes et préfèreront parier pour éviter cela.
L’aversion aux pertes est également connue sous l’autre nom de « break-even effect ». Ce nom
vient du fait que certaines personnes réalisent de mauvais investissements ou projets en espérant que
quelque chose, un miracle, arrive et permette de s’en délivrer sans essuyer de pertes. Un exemple
historique connu est celui de Nicholas Leeson qui causa la faillite de la Barings Bank, la plus
ancienne banque d’affaires du Royaume-Uni, en 1995. Ce trader avait caché ses pertes sur un compte
propre pendant plusieurs années en espérant « se refaire » mais sans succès. Ainsi, ses pertes étaient
passées de 2 millions de livres en 1992 à 23 millions de livres à la fin de 1993, pour finir sur une
perte de 208 millions de livres à la fin de l’année 199418.
Une autre illustration de l’aversion aux pertes est celle de « l’évitement de la dette ». Pour
rappel, le financement d’une entreprise par la dette permet de réduire ses revenus soumis à
l’imposition des sociétés. Cependant, de nombres entreprises cotées en bourse ont une structure
capitalistique sans dette (ou peu). Étant donné que ce type de financement augmente la possibilité de
subir des pertes, voire une faillite, le renoncement à ce bouclier fiscal est dû à la peur des managers
financiers. En conclusion, c’est l’aversion aux pertes qui prime dans une telle situation.
Le « statut quo » est une autre forme de l’heuristique d’affect. Il traduit le fait que de nombreux
individus préfèrent ne prendre aucune décision ou prendre à nouveau des décisions déjà passées.
Cela est compréhensible dans le sens où, comme pour l’aversion aux pertes, un investisseur serait
terrifié de risquer de l’argent sur un terrain inconnu. Ne rien faire peut donc être perçu comme une
meilleure solution pour une telle personne. Néanmoins, ce type de comportement n’optimise par le
rendement potentiel possible.
À titre d’exemple chez BNP Paribas Banque Privée, un client fortuné avait de nombreuses
liquidités sur la poche espèces de son Plan d’Épargne en Actions (PEA). Mais il ne voulait pas
investir ses liquidités, par peur, et laissait donc « dormir » son argent. Il aurait été plus profitable de
le laisser sur un compte d’épargne classique bien que les intérêts soient fiscalisés. Dans le même
registre, un client ne souhaitait pas vendre ses positions de l’entreprise Technicolor alors qu’il était
18 Greener, Ian. (2006). Nick Leeson and the Collapse of Barings Bank: Socio-Technical Networks and the
'Rogue Trader'. Organization. 13. 421-441. 10.1177/1350508406063491.
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Point d’entrée du client de BNP Paribas Banque
Privée avec 800 actions
en position de perte depuis très longtemps car il avait acheté ses actions avec un ami qui était l’un
des managers de cette entreprise à l’époque. Au lieu de vendre ses actions pour les réinvestir sur un
autre support avec plus de potentiel le client était soumis à un biais émotionnel qui le reliait à son
ami et espérait également un « break-even effect » de l’action pour éponger ses pertes.
Fig 5 – Cours de « Technicolor » sur les dernières années
L’heuristique de représentativité
L’heuristique de représentativité propose qu’une personne prend des décisions en se basant sur
des stéréotypes ou en extrapolant des phénomènes isolés. En effet, les individus ont tendance à
classifier des expériences nouvelles dans de plus grandes catégories d’idées ou de pensées qu’ils ont
construit au fil de leurs expériences de vie. Il s’agit d’une forme de réflexe de survie lorsqu’une
personne fait face à quelque chose d’inconnu ou un danger. Ce réflexe, ou calcul mental, de
classification instantanée peut être néfaste sur la manière de comprendre l’élément nouveau.
Dans le même registre, mais dans le domaine des probabilités, on fait souvent référence à
l’erreur du parieur ou gambler's fallacy. Cette erreur traduit le phénomène que les individus se
réfèrent à « la loi des petits nombres ». Par exemple, un client de banque privée remarque que les
recommandations d’arbitrages sur son assurance-vie, préconisées par son conseiller, sont fructueuses
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dans deux cas sur trois. Si le client croît à cette loi, alors il estimera que son banquier privé aura
raison, sur le long terme, dans deux tiers de ses recommandations. De tels processus mentaux peuvent
facilement améliorer ou détériorer une relation entre un investisseur privé et son conseiller et peuvent
également nuire aux intérêts de deux parties. Un autre erreur similaire est la « loi des moyennes ».
Par exemple, on propose de lancer 10 fois de suite une pièce. Les 6 premiers lancés ont donné face.
Une personne pourrait parier que la prochaine tentative tombera sur pile afin de respecter au mieux
la répartition égalitaire de pile ou face sur les 10 lancés. En conséquent, un tel individu pense qu’un
événement qui n’est pas apparu depuis longtemps a plus de chance de survenir sur le court-terme.
Les investisseurs privés font souvent face à deux aspects de l’heuristique de représentativité. La
première est l’effet de catégorisation. Il consiste pour un individu à se laisser guider par les
stéréotypes. Par exemple, un investisseur fortuné repère une entreprise dont il souhaite acheter les
actions, jugées de la catégorie « growth », pour son PEA. En effet, il souhaite diversifier cette
enveloppe financière car il pense détenir trop d’actions value. En catégorisant cette action en tant
que « growth », cet investisseur se réfère rapidement aux avantages et inconvénients inhérents à ce
type d’investissement. En réalité, cela revient à omettre d’autres variables permettant de réaliser un
investissement avec succès. Cette heuristique s’explique par l’envie d’éviter le travail fastidieux de
recherche et de diligence normalement nécessaire (appelé equity research). De manière plus
générale, l’effet de catégorisation est dangereux pour des prospects qui cherchent un conseiller privé.
Par exemple, en se basant sur la performance de celui-ci sur les derniers mois ou l’année écoulée, le
prospect peut généraliser la performance réalisée sur cette courte période à la compétence générale
en matière d’allocation d’actifs du conseiller. Aussi, un investisseur souhaitant gérer son propre
portefeuille peut être amener à suivre en particulier un analyste financier d’une entreprise d’equity
research, telle que Exane attachée à BNP Paribas Banque Privée, car ses dernières analyses d’actions
se sont avérées exactes et profitables. Cependant, se baser et juger de la compétence d’un analyste à
travers quelques rapports pour un professionnel ayant des années de carrières est une erreur.
La seconde est l’effet d’extrapolation. Faisant référence à « la loi des petits nombres »
précédemment évoquée, cet effet suggère qu’un individu extrapole, sur la base d’un faible échantillon
de données, un phénomène sur une plus grande envergure ou sur sa population dite « réelle ». Un
investisseur peut ainsi croire que le comportement d’une seule action, comme Total, est
représentative de la santé économique du secteur pétrolier. Autre exemple : un investisseur peu
appétent au risque détient quelques actions d’un pays Z étranger qui ont peu performé depuis 3 ans.
Étant donné son profil de risque, cet investisseur souhaite diversifier son patrimoine à travers des
obligations gouvernementales notées triple Aaa par Moody’s. Si l’investisseur a tendance à être sous
l’effet d’extrapolation, alors il refusera d’investir dans ces obligations très peu risquées si elles
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proviennent du pays Z suite à la mauvaise expérience, extrapolée, qu’il a eu avec les actions du même
pays.
L’heuristique d’ancrage
L’heuristique d’ancrage décrit un phénomène d’estimation approximative réalisée par un
individu détenant peu d’informations. En général, ce dernier se base sur une « ancre », pouvant être
une valeur, servant alors d’estimation initiale. Le raccourci mental démarre à partir de cette ancre et
peut biaiser l’estimation finale. Aussi, on constate que les individus arrivent plus facilement à
comparer de manière relative que de manière absolue et expliquant alors l’origine de cette heuristique
naturelle. Daniel Kahneman, dans Judgement under Uncertainty: Heuristics and Biases, réalise
diverses expériences afin de mettre en avant cette heuristique. Une d’entre elles consiste à séparer
des groupes d’individus dans différentes salles avec une boîte contenant des bonbons. Par la suite,
on demande à chaque groupe une estimation du nombre de bonbons contenus dans le récipient à la
vue de son volume qui est le même dans chaque salle. Cependant, la subtilité intervient avant de
poser la question. En effet, une personne dans chaque groupe intervient et énonce une phrase de
nature quantitative telle que : « Regardez, il y au moins 3 000 étoiles dans le ciel ! ». Il s’avère que
le nombre évoqué, et différent dans chaque salle, devient l’ancre pour l’ensemble des individus du
groupe. Ainsi, la réponse donnée par le groupe sera proche de 3 000 bonbons dans la boîte. Il peut
être sensiblement différent dans un autre groupe dont le commentateur aurait évoqué 600 étoiles dans
le ciel.
Dans le domaine de la gestion de patrimoine, cette heuristique peut influencer les investisseurs
au moment d’acheter ou de vendre une action. En effet, un client s’intéressant aux marchés financiers
peut suivre un titre dont il estimera le point d’entrée ou de sortie idéal en fonction de l’ancre, c’est-
à-dire le prix de ce titre, qu’il s’en ait fait. Par exemple, s’il observe que le cours de l’action
« Renault » oscille aux alentours de 80€, alors son ancre sera de 80€ et servira comme base de
réflexion pour savoir si la valeur est sous-évaluée ou surévaluée. Cette heuristique est d’autant plus
visible dès lors qu’une information importante influence le prix de l’action et la décale de l’ancre
imaginé par l’investisseur privé et le pousse à réaliser des arbitrages.
L’heuristique d’ancrage amène les investisseurs à faire des erreurs de jugement et d’évaluation
sur des valeurs ou indices. En général, ces derniers réalisent des prévisions qui sont trop proches des
valeurs actuelles. Par exemple, si un investisseur remarque que le CAC40 avait une valeur moyenne
de 5 300 points entre décembre 2017 et août 2018, alors il s’en servira comme ancre. De ce fait, il
s’attendra à ce que le CAC40 finisse l’année 2018 entre 5 000 ou 5 800 points. Un investisseur
rationnel ferait une estimation absolue et non relative basée sur l’ancre. En banque privée,
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l’heuristique d’ancrage est fortement présent lors des rendez-vous où le banquier et le client discutent
des performances des fonds d’une assurance-vie. De manière générale, si un client s’aperçoit qu’un
fonds actions a réalisé une performance de +10% en 2015, + 7% en 2016 et +8% en 2017, alors le
client se fixera une « ancre » de performance entre +7% et +10% et s’attendra à avoir le même
résultat l’an prochain. Ce processus mental intervient même si le DICI (document d’information clé
pour l’investisseur) d’un fonds précise toujours : « les performances passées ne préjugent pas des
performances futures ». Plus globalement, un investisseur peut être ancré sur la santé économique
ou la viabilité d’une entreprise. Cela est d’autant plus vrai si le client était manager de ladite
entreprise pour laquelle il possède des actions car il pensera en savoir toujours plus que le marché en
lui-même.
Bien que l’heuristique d’ancrage semble être un défaut, elle peut s’avérer utile lors d’une phase
de négociation. Des études ont montré que les deux contreparties négocient la plupart du temps sur
des conditions fixées dès le début de l’entretien. Pour en tirer profit, il convient pour l’une des parties
de mettre en avant une offre moins « généreuse » qu’elle pourrait en réalité proposer. La personne
en face déterminera alors cette offre comme l’ancre. Cette stratégie s’applique également quand on
propose une gamme de choix à un client. La meilleure solution est de commencer par celle qui est la
plus avantageuse pour l’offrant puisqu’elle servira d’ancre pour la contrepartie. Cette phase de
négociation est fortement présente lors d’une entrée en relation en banque privée où sont négociés
les forfaits, les taux pour un prêt ou encore les frais de versements ou d’arbitrages pour un contrat.
Finalement, prendre conscience du phénomène d’ancrage peut également servir comme stratégie
d’investissement. Elle consiste à suivre les prévisions des analystes en equity research qui sous-
estiment, via le phénomène d’ancrage, les résultats financiers nets à venir pour une entreprise (à la
hausse comme à la baisse). Par exemple, si un analyste est ancré à un résultat net potentiel d’une
entreprise et qu’effectivement le résultat net est en hausse après publication, alors il serait judicieux
d’acheter le titre puisque l’analyste aura sous-évalué l’amplitude de l’augmentation du résultat net.
Cette méthode est à appliquer si cette tendance à sous-évaluer est observée par l’investisseur.
b) Le danger des biais comportementaux
L’excès de confiance
La notion de « biais comportemental » a été apportée, comme pour les heuristiques, par les
psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky en 197019 . Un biais cognitif représente une
19 Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Science,
185(4157), 1124-1131.
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déviation de l’esprit ou d’un jugement purement rationnel et logique. Ce processus mental est
généralement systémique à la différence d’une simple erreur qui est aléatoire. Les biais induisent une
simplification du traitement de l’information afin qu’il soit le plus rapide possible. Ces biais sont
fortement exploités dans le domaine de la publicité afin de transmettre des messages plus facilement,
chez les médias pour capter l’attention et donner de l’importance à des informations futiles ou encore
dans des entreprises telles que les casinos profitant de la méconnaissance des clients dans les lois
probabilistes et des biais cognitifs qui y sont relatifs. En finance comportementale, ces biais cognitifs
sont nombreux. Les trois principaux sont décrits par la suite.
Le biais d’excès de confiance suppose qu’un individu a tendance à se croire plus intelligent et
détenir plus d’informations que la moyenne des autres individus. De nombreuses personnes sont
soumis à ce biais cognitif quand ils évaluent leur capacité à savoir investir avec succès. Il est possible
de distinguer deux catégories d’excès de confiance :
1) L’excès de confiance dans les prédictions. Par exemple, un investisseur privé souhaite
investir dans une action éligible à son Plan d’Épargne en Actions (PEA) et cherche à estimer
la future valeur de celle-ci. Si l’investisseur est très confiant, alors il est probable qu’il sous-
évalue la marge d’évolution possible du prix de l’action. Ainsi, il s’attendra surement à une
hausse ou une baisse maximale de 7% ou 8% alors que l’étude des cotations passées montre
une magnitude beaucoup plus élevée. Un tel investisseur biaisé aura donc tendance à sous-
estimer les risques de pertes de ses supports d’investissements : PEA, compte de titres ou
assurance-vie.
2) L’excès de confiance dans le jugement. Par exemple, un client reçoit de manière
hebdomadaire une liste d’actions positionnées à l’achat ou à la vente par sa banque privée.
Il repère une entreprise dans laquelle il a envie d’investir jugeant qu’il s’agit d’un bon
investissement. Soumis au biais cognitif, cet investisseur privé rejettera le risque de perte et
sera certain de sa décision d’investissement au point d’être surpris si la performance n’est
pas celle attendue. Un investisseur dont la majorité des décisions d’investissement est
biaisée par cet excès de confiance dans le jugement a de grande chance d’avoir un
portefeuille peu diversifié. En effet, il cherchera les futures actions « pépites » du moment
quitte à en être obnubilé tout en oubliant le principe de diversification qui est cher aux
gestionnaires de patrimoine.
Ces excès de confiance biaisent les décisions d’investissements et amènent inévitablement aux
erreurs. Un investisseur peut ainsi être insensible aux informations négatives sur une société si ce
dernier est aveuglé par son investissement qu’il juge bon. Aussi, l’excès de confiance amène à un
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volume de trading plus important que la moyenne. Cela s’explique par le sentiment de détenir des
connaissances et informations spécifiques que les autres n’ont pas. Or, les investisseurs passant des
ordres de manière excessive ont tendance à avoir de moins bons résultats sur le long terme. Cela
s’explique en partie par les coûts de transactions qui y sont associés. Aussi, des études20 ont montré
que les hommes avaient, en moyenne, un volume d’échanges plus important que celui des femmes.
L’explication est psychologique et réside dans le fait que les hommes ont tendance à avoir plus
facilement confiance en eux que les femmes.
Fig 6 – Mise en évidence de la relation négative entre excès de trading et performance21
Le graphique ci-dessus nous montre qu’un investisseur faisant de nombreux allers-retours dans
son portefeuille (high turnover) et à hauteur de 23% de celui-ci chaque mois obtiendra en moyenne
une performance d’environ 12% annuellement. Plus le remplacement des actions d’un portefeuille
est peu fréquent (low turnover), plus la performance annuelle augmente. Il en résulte de la meilleure
performance sur le long terme des actions smallcap et des actions values plébiscitées par les
investisseurs individuels. Dans leur étude, Barber et Odean montrent également que les fonds
d’investissement tels que les OPCVM détenus dans les assurances-vie ont la même relation négative.
20 Brad M. Barber, Terrance Odean; Boys will be Boys: Gender, Overconfidence, and Common Stock
Investment, The Quarterly Journal of Economics, Volume 116, Issue 1, 1 February 2001, Pages 261–292, 21 Brad M. Barber and Terrance Odean, “Trading is Hazardous to Your Wealth: the Common Stock Investment
Performance of Individual Investors,” Journal of Finance, Vol. 55, no.2, pp. 773-806, April 2000.
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Ainsi, les gérants de fonds, des professionnels de la finance, ne sont pas immunisés de ce biais
psychologique.
En somme, l’excès de confiance est l’un des biais cognitifs les plus dangereux pour les
investisseurs privés. Il incite à détenir des portefeuilles peu diversifiés, sous-estimer les risques de
perte et passer de (trop) nombreuses opérations d’achats et de ventes d’instruments financiers qui,
ensemble, détériorent la performance escomptée.
Un gestionnaire de patrimoine devrait mettre en garde ses clients sur les risques associés à un
excès de confiance. En gestion conseillée, il conviendrait de mettre en relation la performance des
trades du client avec la fréquence des investissements réalisés. Aussi, il peut être parfois nécessaire
de présenter aux clients des études académiques voire menées par les banques privées elles-mêmes
(cf. la deuxième partie de ce Mémoire) afin de montrer l’incidence de l’excès de confiance. Quant
au principe de diversification des portefeuilles, il est nécessaire de rappeler aux clients que de très
grandes entreprises, telles que Facebook le 26 juillet 2018, ont pu subir des pertes importantes en
bourse. En outre, c’est au conseiller en gestion de patrimoine de montrer l’intérêt de la diversification
à travers différentes stratégies : les tailles de capitalisation, la géographie, les stratégies growth and
value, les classes d’actifs (actions, obligations, matières premières …), les secteurs (santé,
immobilier, finance, énergie …) ou encore les thématiques (le big data, l’environnement, le
vieillissement de la population …).
Enfin, on peut constater que ce biais cognitif est moins présent pour les individus suivis en
banque privée ou par des conseillers spécialisés car, en principe, cet accompagnement souligne
l’inexpérience du client en matière de gestion financière. Ainsi, il est susceptible d’être moins biaisé
par une compétence surestimée que d’autres individus qui préfèreraient se former en autodidacte
grâce à internet ou à des livres en la matière.
L’effet de disposition
L’effet de disposition est un biais cognitif de jugement mis en avant en 1985 par Shefrin et
Statman22. Cet effet explique que les investisseurs individuels ont tendance à vendre très rapidement
des actifs financiers générant une plus-value alors qu’ils ont tendance à vendre beaucoup plus tard
ceux qui sont « perdants ». Ce type de comportement amène les investisseurs privés à gérer leurs
supports d’investissement de manière non optimale.
22 Shefrin, Hersh & Statman, Meir. (1985). The Disposition to Sell Winners Too Early and Ride Losers Too
Long. Journal of Finance.
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L’effet de disposition peut s’expliquer par le fait qu’un investisseur a tendance à croire, de
manière irrationnelle, que la valeur d’un actif qu’il possède en portefeuille va revenir à sa moyenne
de long terme. Ainsi, un individu a plus de chance de vendre son action lors d’une phase haussière
(situation « gagnante ») afin d’échapper au renversement de tendance qu’en phase baissière (situation
« perdante ») afin de pouvoir profiter d’un reversement de tendance. La fierté explique également le
biais de disposition. En réponse à l’aversion au regret, autre biais cognitif mis en avant par Shefrin
et Statman, il est plus simple pour un investisseur individuel d’encaisser ses gains et de ne pas réaliser
ses pertes.
En outre, le concept de « comptabilité mentale »23 développé par Thaler en 1985 explique
également la gestion de portefeuille sous-optimale pour un investisseur soumis en plus à l’effet de
disposition. Ce phénomène décrit le processus cognitif d’un individu à créer des cases « mentales »
dans lesquelles sont placées des capitaux et qui sont séparées en fonction de la provenance des fonds
ou de leurs utilisations. Typiquement, une personne a tendance à gérer les sommes issues de son
travail de manière plus prudente que celles issues d’un bonus, de cadeaux ou d’héritages. Cette
approche est irrationnelle puisqu’un individu devrait normalement avoir une approche plus holistique
de ses capitaux dans le but d’optimiser le rapport entre le rendement et le risque. Ce comportement
est dangereux pour un investisseur individuel car il peut biaiser la pondération des actifs dans ses
supports d’investissement. Par exemple, en 2001, Benartzi et Thaler24 proposent à des individus de
placer leurs capitaux entre deux fonds (n°1 et n°2). La composition de ces fonds est différente selon
les trois expériences :
Fig 7.1 – Expérience n°1
Fig 7.2 – Expérience n°2
23 Thaler, R. H. "Mental accounting and consumer choice" (1985) Marketing Science, 4, 199-214. 24 Benartzi, Shlomo, and Richard H. Thaler. 2001. "Naive Diversification Strategies in Defined Contribution
Saving Plans." American Economic Review, 91 (1): 79-98.
Fonds n°1 :
100% en actions (risque +++)
Fonds n°2 :
100% en obligations (risque +)
Fonds n°1 :
100% en actions (risque +++)
Fonds n°2 :
50% en obligations et 50% en
actions (risque ++)
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Fig 7.3 – Expérience n°3
Les auteurs remarquent que les participants répartissent leurs capitaux en fonction du nombre
d’options proposées et non au regard de la part totale investie sur les actifs les plus risqués, à savoir
les actions. Ainsi, chaque fonds correspond à une « case mentale » précédemment évoquée. De
manière générale, cette étude montre que les participants ont réparti leur richesse à hauteur de 50%
dans chaque fonds et cela quelle que soit sa composition selon les différentes expériences. Il s’agit
d’une diversification naïve de la forme « 1/n » où n correspond au nombre de choix proposés. Les
résultats des 3 expériences sont les suivants :
- Expérience n°1 : fonds n°1 investi à hauteur de 54% de la richesse globale = 54% d’actions ;
- Expérience n°2 : fonds n°1 investi à hauteur de 46% de la richesse globale = 73% d’actions
(46% * 100% + 54% * 50%) ;
- Expérience n°3 : fonds n°1 investi à hauteur de 61% de la richesse globale = 30,50%
d’actions (61% * 50%).
Cette étude montre que la comptabilité mentale biaise les décisions d’investissements puisque
les épargnants n’évaluent pas correctement le risque global de leur portefeuille se traduisant ici par
la pondération en actions. Enfin, la sous-optimalité d’un portefeuille s’explique également par la
négligence de la fiscalité française eu égard à la déduction des moins-values sur le revenu imposable
dans cette catégorie. Nous avions remarqué, au sujet des anomalies calendaires, que les investisseurs
avaient tendance à vendre en fin d’année pour solder les moins-values des plus-values afin de
marquer la fin des investissements annuels. L’effet de disposition est donc moindre durant le mois
de décembre puisque les considérations fiscales l’emportent sur la fierté.
Le biais de confirmation
Le biais de confirmation décrit le phénomène qu’un individu a tendance à privilégier les
informations qui vont dans le sens de ses idées et à rejeter celles qui s’y opposent. En effet, les gens
ont tendance à se convaincre des choses auxquelles ils croient fortement. L’explication naturelle de
Fonds n°1 :
50% en obligations et 50% en
actions (risque ++)
Fonds n°2 :
100% en obligations (risque +)
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ce biais provient du fait qu’il est plus simple pour une personne d’exploiter une information la
confortant que d’essayer de comprendre une information contradictoire.
Voici un exemple classique de biais de confirmation. Quatre cartes sont posées sur une table et
ont chacune une face différente : « A » pour la première, « B » pour la seconde, « 2 » pour la
troisième et « 3 » pour la dernière. L’affirmation suivante est à évaluer : « Une carte avec une voyelle
sur une face présente un nombre pair sur son autre face ». Pour se faire, on vous demande quelle(s)
carte(s) au minimum doit-on retourner afin de juger ou non de la véracité cette affirmation.
Fig 8 – Expérience du biais de confirmation avec 4 cartes
Dans la plupart des cas, les participants ont tendance à choisir en premier la lettre « A », ce qui
est correcte. Si on découvre un nombre impair derrière, alors l’affirmation est erronée et l’expérience
terminée. Mais si on découvre un nombre pair, alors l’expérience continue et les résultats montrent
que les participeront choisiront alors la carte avec le chiffre « 2 ». Malheureusement, ce n’est pas le
bon choix à faire. En effet, si on trouve une consonne derrière la carte, nous ne pouvons rien affirmer.
Il s’agit d’une erreur issue de la logique booléenne : si un évènement A implique un évènement B (A
=> B), alors il serait faux d’affirmer que ce même évènement B implique nécessairement l’évènement
A (B => A). La vraie équivalence est : si l’évènement B n’a pas lieu alors l’évènement A non plus
(/B => /A). Il aurait fallu retourner la carte « 3 » à la place puisque découvrir une voyelle sur l’autre
face aurait contredit l’affirmation. En conclusion, choisir la carte « 2 » est un exemple du biais de
confirmation. Les participants préfèrent la carte « 2 » à la carte « 3 » car, soumis au biais de
confirmation, ils cherchent à valider l’affirmation initiale et non à la réfuter en premier lieu.
Pour les investisseurs individuels accompagnés par un gestionnaire de patrimoine, ce biais
représente quelques dangers. Le premier est qu’un tel investisseur chercherait des informations
confirmant son choix d’investissement en omettant celles en contradiction avec ses croyances. Sur
le long terme, cet « aveuglement » persistant peut l’amener à ne pas analyser rationnellement un titre
susceptible de voir sa valeur fortement baisser. Un autre danger est de trop se focaliser sur des
indicateurs techniques tel que le « 52-Week High/Low » correspondant aux prix le plus élevé et le
plus bas d’une action sur l’année écoulée. Un individu remarquant qu’une action a dépassé son plus
haut niveau depuis 52 semaines aura tendance à ne pas considérer ce titre comme un bon
investissement de peur d’un retournement de tendance. Aussi, en banque privée, il n’est pas rare de
A B 2 3
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rencontrer des managers d’entreprises cotées du CAC40 comme Danone. De tels clients sont plus
enclin à investir dans les actions de leur entreprise. Ces dernier ont fortement tendance à trouver des
arguments démontrant que l’entreprise pour laquelle ils travaillent a de bonnes perspectives. Enfin,
comme le biais d’excès de confiance, le biais de confirmation conduit à des portefeuilles peu
diversifiés. Convaincus de leurs bonnes décisions d’investissement, et en rejetant tout ce qui pourrait
les contrarier, ces investisseurs individuels construisent des portefeuilles de plus en plus
déséquilibrés. Cette observation est d’autant plus vraie sur le long terme.
Un banquier privé devrait rappeler l’existence de ce biais à ses clients. Considérer l’ensemble
des informations facilite les décisions raisonnées et permet d’éviter des erreurs grossières. Si une
décision d’investissement est basée sur quelques critères précis dont le « 52-Week High/Low »
évoqué précédemment, il serait préférable de réaliser une contre-vérification avec d’autres
indicateurs. Par exemple, la recherche fondamentale, qui s’oppose à l’analyse technique, permet
d’apporter d’autres éléments de décision en s’intéressant à l’entreprise dans sa globalité, sur son
secteur ou son industrie en général.
c) Quelques illusions
L’effet de cadrage
L’effet de cadrage, plus connu sous son anglicisme framing effect, décrit le comportement que
peut avoir un individu selon la manière dont on lui décrit une situation. En effet, la forme ou le
« cadre » d’un problème énoncé influence les décisions que peut prendre une personne.
Normalement, un individu rationnel devrait donner la même réponse à une même question
qu’importe la manière dont celle-ci est posée. Cependant, Kahneman et Tversky démontrent le
contraire à travers une expérience à 2 scénarios25.
« Une catastrophe survient et 600 personnes sont susceptibles de mourir. Vous avez le choix de
mener une opération de secours afin de les sauver ».
Scénario n°1 :
- Option A : Vous pouvez sauver 200 personnes à coup sûr ;
- Option B : Il y a une chance sur trois que les 600 personnes survivent et deux chances sur
trois que personne ne survive.
25 Daniel Kahneman et Amos Tversky, « Choices, Value, and Frames », American Psychologist 39, no. 2
(1984).
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Scénario n°2 :
- Option C : 400 personnes vont mourir ;
- Option D : Il y a une chance sur trois que personne ne meurt et deux chances sur trois que
les 600 personnes meurent.
Les participants ont tendance à choisir l’option A pour le scénario n°1 et l’option D pour le
scénario n°2. Pourtant, en réexaminant le problème, on remarque que les conséquences des options
A et C sont identiques et de même pour les options B et D. Seule la formulation du problème a été
modifiée entre les deux scénarios : positive pour le scénario n°1 et négative pour le scénario n°2.
C’est cette différence qui tend les individus à réagir de manière différente face à ce problème
illustrant l’effet de cadrage.
Pour un investisseur individuel, cette forme d’illusion intervient dans l’acception ou non du
risque qu’il est prêt à prendre. Selon la formulation positive ou négative de l’investissement, la
décision finale peut être différente. Par exemple, un client d’une banque privée se voit proposer deux
OPCVM d’actions pour son assurance-vie qu’il souhaite diversifier. En réalité, la composition des
deux fonds est identique mais le client apprend que le premier OPCVM va lui permettre d’atteindre
son objectif de diversification à 80% tandis qu’avec le second OPCVM, il lui manquera 20% de son
objectif pour atteindre une diversification parfaite. Ce client sera plus susceptible de choisir le
premier fonds d’investissement eu égard à sa formulation positive. L’aversion aux pertes va
également de pair avec l’effet de cadrage. En effet, un investisseur ayant subi des pertes a de fortes
chances d’adopter un comportement à risque tandis qu’un investisseur ayant profité de gains
préfèrera un investissement peu risqué. Or, cette vision du risque est affectée par l’effet de cadrage
et peut donc s’avérer être un danger.
L’effet de cadrage influence donc les décisions d’investissement et peut amener à faire des
erreurs. Par exemple, chez BNP Paribas Banque Privée, les clients doivent compléter un profil
financier pour déterminer leurs connaissances des marchés financiers et un profil de risque pour
déterminer les investissements qui leur conviendraient le mieux. La manière dont sont formulés ces
questionnaires (négativement ou positivement) est susceptible de biaiser le client et l’amener à
refuser ou accepter des investissements, tels que des produits structurés ou des SCPI, qui pourraient,
en réalité, lui convenir. Ainsi, le devoir de conseil ne serait pas pleinement assuré. Un banquier privé
ou gestionnaire de patrimoine doit être vigilant dans la manière, positive ou négative, dont il présente
les propositions d’investissement à ses clients puisque le client y est sensible via l’effet de cadrage.
L’effet de cadrage « proche », qui est une composante de l’effet de cadrage, décrit le comportement
d’un individu à se focaliser sur le court-terme pour choisir un investissement, ou de manière plus
générale, à omettre une analyse holistique de ses portefeuilles et de son patrimoine au moment
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d’investir. Un tel individu est illusionné par un investissement qui lui semble attractif au risque de
ne pas considérer l’ensemble du risque qu’il supporte déjà.
Pour un gestionnaire de patrimoine, il est donc important de bien évaluer l’appétence au risque
de son client en faisant attention à la manière dont il formule les questions. Afin de se défaire de
l’effet de cadrage « proche », le conseiller a intérêt, avant de proposer un investissement, de rappeler
l’état actuel de l’ensemble de ses investissements et de ses objectifs financiers avant d’éviter les
futures déconvenues. L’allocation des actifs doit répondre aux objectifs du client en ce sens. Pour
éviter le double effet de l’aversion aux pertes et de l’effet de cadrage, il convient de rappeler les
principes de la diversification de portefeuille afin de continuer à faire des investissements raisonnés
et non dépendants des gains ou pertes récemment réalisés. Quant aux questionnaires distribués lors
d’une entrée en relation pour déterminer le niveau de risque et de connaissance du client, le banquier
privé se doit de se soucier de leur bonne compréhension pour le client. C’est également le moment
idéal pour détecter des biais qu’aurait un client. Finalement, le gestionnaire de patrimoine a tout
intérêt à proposer de manière neutre une proposition d’investissement afin que son client ne subisse
pas l’effet de cadrage. En ce sens, le DICI d’un fonds d’investissement peut aider le conseiller
puisque sa rédaction est neutre et contrôlée par la loi. C’est d’ailleurs pour cela que sa remise est
obligatoire avant tout investissement dans une assurance-vie.
L’illusion de contrôle
L’illusion de contrôle décrit le comportement d’un individu qui pense avoir le contrôle de ce
qui va lui arriver. Par exemple, certains joueurs de casinos pensent pouvoir obtenir un nombre plus
élevé en secouant vigoureusement un simple dé. Une doctorante en psychologie d’Harvard, Ellen J.
Langer, a mis en avant cette illusion et la définit comme26 : « la prévision d’un succès personnel avec
une plus forte probabilité qu’elle ne l’est objectivement ». Elle avait remarqué que des joueurs pour
lesquels on laissait choisir leurs numéros pour une loterie étaient prêts à payer plus cher le ticket
qu’une simple loterie où les nombres étaient assignés de manière aléatoire.
Plus récemment en 2004, Gerlinde Fellner27 explique l’incidence de cette illusion pour un
investisseur. Elle remarque que l’illusion de contrôle tend les investisseurs à acheter des actions dont
ils pensent en avoir l’influence. Selon ses observations, Gerlinde Fellner explique que les
investisseurs cherchent avant tout des actions sur lesquelles ils peuvent exercer une forme de contrôle
sur leur rendement.
26 J. Langer, Ellen. (1975). The Illusion of Control. Journal of Personality and Social Psychology. 27 Gerlinde Fellner, 2004. "Illusion of control as a source of poor diversification: An experimental approach,"
Papers on Strategic Interaction 2004-28, Max Planck Institute of Economics, Strategic Interaction Group.
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Par exemple, un investisseur individuel peut avoir envie de profiter de la fiscalité de son PEA
afin de ne pas être fiscalisé sur ses dividendes contrairement à un compte de titres classique. Une
stratégie classique en gestion financière est d’investir sur les actions dites « aristocrates ». Il s’agit
d’actions dont les dividendes n’ont jamais baissé en 15 ans, voire mieux, qui ont augmenté chaque
année leurs dividendes sur la même période. C’est le cas d’Air Liquide ou de Sanofi par exemple.
Un tel investisseur pourrait penser qu’il a le contrôle de ses futures rendements étant donné la
linéarité constante de ces « aristocrates » et le fait qu’elles aient survécu à la crise de 2008.
Cette illusion de contrôle incite les investisseurs à réaliser beaucoup plus d’opérations qu’un
investisseur prudent. Cela est d’autant plus vrai pour les investisseurs individuels en ligne y
consacrant une partie de leur vie (peu accompagnés par des gestionnaires de patrimoine) et qui sont
indépendants puisque ces derniers pensent avoir un meilleur contrôle que la moyenne en disposant
de plus d’informations. Or, comme nous avions vu précédemment avec le biais d’excès de confiance,
un volume de trading trop élevé nuit aux rendements. La mauvaise diversification est plus probable
chez les investisseurs souffrant de cette illusion de contrôle. En effet, ils concentreront leurs
investissements sur les actifs sur lesquels ils pensent détenir le contrôle de ses résultats. Enfin, cette
illusion amène les investisseurs à se servir plus fréquemment des ordres à « cours limité » ou d’autres
techniques similaires. Ce type d’ordre donne facilement l’impression à un individu d’avoir le
contrôle sur l’investissement qu’il veut réaliser. Pour autant, employer ces mécanismes résulte très
souvent d’une opportunité surestimée, ou pire, d’un achat non nécessaire basé sur des prix arbitraires.
Cette illusion de contrôle se doit d’être levée par le gestionnaire de patrimoine en rappelant à
ses clients qu’ils ne peuvent pas contrôler les résultats de leurs investissements. Même Warren Buffet
n’avait pas échappé à des erreurs notamment avec US Airways qui n’avait pas pu verser de
dividendes à Berkshire Hathaway à causes de trop fortes charges minorant les bénéfices. Un
investisseur devrait toujours se remémorer les risques inhérents à un investissement avant le réaliser
tout en cherchant des contre-arguments. Le banquier privé doit pouvoir recentrer les objectifs du
client en lui demandant pourquoi il veut faire cet investissement, s’il a bien pris en compte l’ensemble
des risques relatifs et s’il sait à quel moment il lui sera opportun de vendre. D’ailleurs, le gestionnaire
de patrimoine peut conseiller à son client de tenir une liste des investissements passés avec les
arguments rationnels qui avaient été avancés. En déterminant l’ensemble des caractéristiques et
points d’analyse qui ont été fructueux dans le choix de ces investissements profitables, un client sera
moins susceptible d’être soumis à l’illusion de contrôle par la suite.
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III. Les enjeux en gestion de
patrimoine
1) Introduction
La première partie de ce Mémoire nous montre que ces heuristiques de jugements, biais cognitifs
et de perceptions (illusions) sont des sources d’erreurs qui peuvent s’additionner à un mauvais stock-
picking. Il existe donc de réels enjeux pour les acteurs de la gestion de patrimoine qui doivent
sensibiliser leur clients à ce sujet pour mieux répondre à leurs objectifs financiers tout en considérant
leur aversion au risque.
Depuis quelques années, les banques privées ont commencé à s’intéresser à la finance
comportementale de manière plus approfondie. Par exemple, BNP Paribas Banque Privée propose
sur sa chaîne YouTube une playlist de 10 vidéos, à destination des clients, expliquant l’influence des
biais cognitifs dans le cadre de la gestion financière de leurs avoirs. D’ailleurs, B*Capital, société de
bourse de BNP Paribas Banque Privée, met en avant son expertise dans ce domaine au service des
clients en gestion sous mandat.
Pour illustrer la seconde partie de ce Mémoire, une interview a été réalisée avec Monsieur
Maxime Viémont qui est le spécialiste en finance comportementale de chez B*Capital. Des
références et explications issues de cet entretien viendront en complément par la suite.
Nous mettrons en avant l’importance de la finance comportementale pour les gestionnaires de
patrimoine. Cette nouvelle approche de la finance doit être prise en compte dans l’allocation d’actifs
des portefeuilles des clients. Pour se faire, il convient d’identifier les biais comportementaux
auxquels sont soumis les clients afin de mieux les prendre en considération pour la suite de la relation.
Une nouvelle segmentation de la clientèle est donc possible au-delà de sa connaissance financière et
de son aversion au risque. Si les biais cognitifs révélés détournent le jugement de manière excessive
et nuisent aux décisions d’investissement, la gestion sous mandat, étudiée par la suite, reste une
solution que la banque privée peut mettre en avant. Nous verrons également que la finance
comportementale est devenue un argument commercial de différenciation à l’heure où la baisse des
taux d’intérêt et la mise en place de la directive MiFiD 2 viennent freiner l’activité de gestion privée.
Une étude de cas viendra compléter la mise en pratique de cette « nouvelle finance » dans le domaine
de la gestion privée.
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2) L’accompagnement nécessaire des clients fortunés
a) Intégrer la finance comportementale à la gestion privée
Pourquoi ?
L’illustration des biais cognitifs et les conseils proposés aux gestionnaires de patrimoine qui ont
été évoqués précédemment nous montrent que la finance comportementale devrait être prise en
compte pour une gestion optimale des avoirs financiers des clients. Au-delà de la notion de
performance, les acteurs de la gestion de patrimoine doivent pérenniser la relation qu’ils ont avec
leurs clients. Cette relation vitale dépend notamment du bien-être du client et s’exprime par la
confiance à son interlocuteur. Mais le sentiment de plaisir ou d’inconfort peut subir des à-coups si
un investissement est gagnant ou perdant. C’est ce que nous apprend la théorie des perspectives
proposée par Daniel Kahneman et Amos Tversky28.
Fig 9 – La fonction d’évaluation pour un investisseur28
28 Kahneman, Daniel & Tversky, Amos. (1992). Advances in Prospect Theory: Cumulative Representation of
Uncertainty. Journal of Risk and Uncertainty
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Si les investisseurs étaient toujours logiques et cartésiens alors la courbe ci-dessus serait linéaire.
Normalement, toute hausse ou baisse de 15% d’un titre a le même impact financier entre 0% et 15%
ou entre 85% et 100%. Mais l’impact financier et l’impact psychologique, c’est-à-dire le ressenti,
sont totalement différents. Avec une plus-value latente d’environ 15%, l’investisseur est fortement
tenté de vendre sa position trop tôt pour éviter que le titre revienne au prix d’achat. De plus, étant
donné la forme de la courbe, cet investisseur aura déjà un niveau de plaisir élevé. Quelques
pourcentages de performance en plus auraient peu d’effet sur sa satisfaction (le gain marginal de
plaisir décroît). En d’autres termes, le plaisir ressenti est plus fort quand la performance passe de 0%
à 15% que de 60% à 75%. En vendant trop tôt une position gagnante, l’investisseur individuel peut
se priver d’une partie importante de la hausse.
En situation inverse, une perte se creusant entre 0% et -15% provoque un fort malaise. Celui-ci
est bien plus fort qu’en situation de gain d’où la forme de la pente plus accentuée. La raison est que
l’investisseur a du mal à admettre la situation et perd sa lucidité tout en s’accrochant à l’espoir de
voir le titre remonter même si tous les indicateurs ne vont pas en ce sens. L’idée de vendre à perte
est mal acceptée. Plus tard, quand la moins-value devient significative, l’impact psychologique d’une
baisse supplémentaire est plus faible. L’investisseur pense alors qu’il est trop tard pour vendre et se
comporte donc de manière passive et conserve ses titres. Pourtant, chaque baisse supplémentaire de
10% a le même impact financier négatif qu’en début du mouvement baissier. Paradoxalement, même
si le titre revenait à son prix d’achat, l’investisseur aura tellement souffert de cette période de moins-
value latente qu’il s’empressera de le revendre et sans bénéfice.
En somme, les positions fortement perdantes deviennent rarement gagnantes et les positions
gagnantes sont rarement exploitées au mieux car elles sont vendues trop tôt. Aussi, il convient de
limiter ses pertes et les accepter très tôt pour en réduire l’impact sur le portefeuille global. Pour se
faire, de nombreux banquiers privés conseillent à leurs clients de placer des ordres à seuil de
déclanchement qu’ils ont peu l’habitude d’utiliser à défaut des ordres à cours limité, ou plus souvent,
des ordres au marché. Ce type d’ordre permet de couper plus rapidement ses pertes en vendant
automatiquement un titre dès lors que celui-ci franchit un cours défini à l’avance par l’investisseur.
D’ailleurs, il permet également à l’investisseur privé de ne plus avoir à suivre en permanence
l’évolution de ses titres via internet. Il sera donc moins susceptible de faire une erreur d’opération en
étant sous l’emprise de ses biais cognitifs. Mettre en avant ce type d’ordre lors d’un rendez-vous et
le proposer à un prix identique qu’un ordre classique permet de mieux sensibiliser les clients.
Intégrer la finance comportementale à la gestion privée est nécessaire, à la fois pour améliorer
les performances financières de ses clients mais également pour maintenir une relation commerciale
de confiance en évitant que les biais cognitifs génèrent des frustrations inutiles.
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Définir une allocation d’actifs mieux adaptée
Les biais cognitifs « coûtent » environ 3% de performance par an aux investisseurs nous apprend
Maxime Viémont, spécialiste de la finance comportementale chez B*Capital. En plus d’irriter le
client, cette perte peut vexer les gestionnaires en patrimoine se remémorant des choix
d’investissements initiaux non validés par le client. En effet, les clients peuvent se détourner des
modèles de portefeuilles proposés par les conseillers au moment de l’investissement de leurs
liquidités. Il arrive que les intérêts du client puissent être en contradiction avec leurs biais et
tendances psychologiques. Ainsi, un conflit d’intérêts semble se dessiner. Obnubilé par
l’optimisation fiscale, un investisseur privé présentant une forte aversion au risque peut, par exemple,
préférer investir dans un plan d’épargne en actions (PEA) composé d’actifs risqués, les actions, alors
qu’une assurance-vie investie majoritairement en fonds en euros lui conviendrait mieux. Pire, une
fois que son PEA aurait atteint le plafond de versement de 150 000 €, il pourrait décider d’ouvrir un
PEA-PME n’acceptant que des actions ou fonds smallcap qui sont plus risqués par nature. Un
conseiller en gestion de patrimoine devrait donc toujours dissocier l’aspect fiscal d’un support
d’investissement, cher aux français, de son fonctionnement et objectifs.
La meilleure allocation d’actifs pour un client pourrait donc être contre ses tendances
psychologiques naturelles. Parfois, prendre plus de risque leur permettrait de mieux servir leurs
intérêts et objectifs financiers. Mais sortir de sa zone de confort n’est pas toujours aisé. Selon le père
de la finance comportementale, Daniel Kahneman, la gestion financière est avant tout une « activité
de prescription dont l’objectif principal devrait être de guider les investisseurs individuels afin qu’ils
prennent les décisions servant au mieux leurs intérêts »29. Ainsi, une bonne allocation d’actifs devrait
permettre au client d’atteindre ses objectifs tout en lui assurant un « confort » psychologique pour
qu’il puisse continuer la relation avec leur conseiller en gestion de patrimoine.
Mais comment déterminer les biais psychologiques d’un client ? L’exercice est compliqué car
un investisseur n’est pas forcément conscient de ses propres erreurs systématiques qui sont issues de
ses émotions. La directive MiFiD 2 a renforcé, au niveau de la conformité, les questionnaires que les
banques doivent distribuer à leurs clients afin d’évaluer leurs appétences au risque et leur
connaissances des marchés financiers. Bien que ces questionnaires soient utiles dans la constructions
des portefeuilles, ces derniers admettent des limites. William Sharpe, prix Nobel d’économie, estime
que ces questions permettant de juger du niveau de risque acceptable ne sont pas suffisantes pour
une bonne allocation d’actifs. En effet, en plus d’ignorer l’existence des biais cognitifs, ces derniers
29 Kahneman, Daniel & W Riepe, Mark. (1998). Aspects of Investor Psychology. Journal of Portfolio
Management - J PORTFOLIO MANAGE.
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peuvent donner des résultats différents selon la manière dont ils sont présentés aux clients (cf. l’effet
de cadrage mentionné auparavant). La formulation des questions est donc primordiale pour juger de
la vraie appétence au risque du client. La directive MiFiD 2 a corrigé une mauvaise habitude qui
concernait l’actualisation trop peu fréquente de ces questionnaires. En effet, les niveaux de risques
acceptés par un client évoluent naturellement au cours de sa vie et de ses projets. L’autre problème
vient du fait que les conseillers en gestion de patrimoine interprètent les résultats de manière trop
littérale. Par exemple, un client pourrait indiquer que la perte maximale annuelle qu’il serait prêt à
accepter serait de 15% sur l’ensemble du portefeuille investi. Cela ne veut pas dire qu’un portefeuille
idéal serait systématiquement dans cette zone de perte latente en permanence. D’un point de vue de
la finance comportementale, les questionnaires de risque « classiques » sont plus adaptés à des
investisseurs institutionnels qu’à une clientèle de banque privée. En effet, une allocation d’actifs qui
est construite à partir d’un modèle mathématique de variance peut être facilement modifiée par un
client suite à ses réactions biaisées sur les fluctuations de court-terme des marchés financiers. Cela
se ferait au détriment du plan d’investissement défini en amont. Comme nous l’avions vu
précédemment, ces nombreux allers-retours dans un portefeuille peuvent coûter chers via les frais
engendrés. L’identification des biais comportementaux doit donc se faire le plus rapidement possible.
Les clients peuvent se sentir gêner de parler de leurs émotions dans une banque privée. Maxime
Viémont admet que les clients pris en charge chez B*Capital ont généralement trois attitudes
différentes :
- Les clients qui ne voient pas l’intérêt de parler « psychologie » dans un milieu financier et
qui sont réfractaires à toute question. Ils refuseront systématiquement de prendre en
considération les notions de finance comportementale pour leurs choix d’investissement ;
- Les clients qui acceptent d’en parler mais qui auront du mal à corriger leurs erreurs et
abandonneront assez vite. Il s’agit majoritairement des clients en « gestion conseillée » qui
viennent demander des avis ponctuels à la société de bourse. Malheureusement, ces clients
suivis de manière plus personnalisée, à raison de la valeur de leurs actifs supérieure à la
moyenne de la banque privée de BNP Paribas, sont ceux qui sont les plus actifs sur les
marchés financiers et les plus susceptibles de commettre des nombreuses erreurs ;
- Les clients qui comprennent l’intérêt de la finance comportementale et préfèrent déléguer la
gestion de leurs avoirs à B*Capital. En effet, ils n’ont généralement pas le temps, ni les
connaissances techniques financières nécessaires et admettent ne pas pouvoir contrôler leurs
émotions lors des phases de décisions. La « gestion sous mandat » est préférable pour eux.
La société de bourse B*Capital possède ses propres profils de risques et de connaissances
financières qui s’ajoutent à ceux réalisés par BNP Paribas Banque Privée. Maxime Viémont nous
indique que ces catégories sont ainsi créées selon les biais des clients. Par exemple, un client pour
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Modérer & Adapter
Modérer & Adapter
Adapter
Modérer
lequel on détecte un excès de confiance sera géré sous un profil dit « offensif » avec son propre
processus de gestion.
John Longo et Michael Pompian ont proposé deux principes de construction de portefeuilles30
qui prennent en compte les biais cognitifs d’une clientèle privée. Ceux-ci doivent être pris en compte
en plus de l’appétence au risque du client, de ses classes d’actifs préférées ainsi que de ses objectifs
financiers. Ceux deux auteurs préconisent aux conseillers en gestion de patrimoine de savoir modérer
ou adapter une allocation d’actifs. Dans ce cas, « modérer » signifie contrebalancer le raisonnement
biaisé du client afin de lui proposer une allocation d’actif prédéterminée. « Adapter » une
recommandation d’allocation d’actifs est parfois nécessaire pour que le client se sente à l’aise avec
ses portefeuilles. Mais dans quel cas un conseiller doit-il intervenir ? Cela présuppose un calcul assez
subtil. En effet, il convient de mesurer la meilleure « récompense » entre :
- Maintenir un portefeuille construit de manière rationnelle et dont le profil rendement/risque
est maximisé ;
- Avoir raison sur le fait d’arriver à changer l’avis du client, quitte à lui donner tort, alors qu’il
préfèrait une autre allocation d’actifs construite en partie sur ses propres biais.
Fig 10 – Illustration graphique des deux principes de M. Pompian et J. Longo
30 M. Pompian and J. Longo, “Incorporating Behavioral Finance into Your Practice.” Financial Planning
Association, Journal of Financial Planning, March 2005
Client très fortuné :
Adapter
Client peu fortuné :
Modérer
Biais cognitifs :
Modérer
Biais émotionnels :
Adapter
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Le premier principe concerne la richesse des clients. L’idée est de modérer les clients les moins
fortunés quand adapter une allocation d’actifs suffira pour les plus aisés. En effet, si une allocation
est peu efficiente pour un client de la première catégorie, car trop dépendante des biais de ce dernier,
alors il pourrait revoir drastiquement à la baisse son niveau de vie. À l’inverse, les clients suivis en
gestion de fortune (avoirs supérieurs à 5 millions d’euros en général) seront moins influencés dans
leurs quotidiens par quelques erreurs. Ainsi, si l’allocation biaisée que réalise un client lui-même est
amenée à mettre en danger ses conditions de vie, alors il sera nécessaire de modérer drastiquement
son allocation quitte à la revoir entièrement. Dans tous les autres cas, adapter l’allocation via des
arbitrages sur les différents portefeuilles du client suffira. Seuls les cygnes noirs, ces évènements très
rares mais extrêmement significatifs tels que les crises financières, devraient être la seule source de
danger pour les clients.
Le deuxième principe s’intéresse à la nature des biais dont souffre un investisseur individuel.
On peut distinguer deux grandes catégories de biais : les biais cognitifs et les biais émotionnels. Les
biais cognitifs résultent d’erreurs de raisonnement. Ainsi, un conseil avisé et de bonnes informations
transmises aux clients peuvent les corriger. À l’inverse, les biais émotionnels résultent d’impulsions
ou de l’intuition plutôt que d’une forme de calcul consciente. Ils sont donc plus difficiles à corriger.
Les heuristiques décrites en première partie ou le biais de confirmations sont considérés comme
cognitifs. L’aversion aux pertes est considérée comme un biais émotionnel tout comme l’effet de
dotation qui décrit le fait qu’un individu donne plus de valeur à un bien qu’il possède qu’à celui qu’il
ne possède pas (même s’il s’agit du même bien).
Ces deux principes doivent être appliqués en parallèle. Ainsi, un client très fortuné soumis à de
nombreux biais cognitifs devrait voir son allocation modérée au début puis pourra être adaptée de
temps en temps selon la nature de ses biais. Ces deux principes seront mis en application dans l’étude
de cas plus tard.
De manière plus quantitative, un investisseur rationnel devrait respecter l’optimisation de son
portefeuille entre le risque de ce dernier et son rendement attendu. Pour rappel, selon la théorie du
portefeuille moderne de Harry Markowitz, les portefeuilles efficients que devrait choisir un
investisseur se situent à l’intersection de la frontière d’efficience (composé de l’ensemble des
portefeuilles optimaux) et des courbes d’indifférence qui dépendent de l’inversion au risque de
l’investisseur.
Sur le schéma ci-après, le portefeuille C est préféré pour un investisseur averse au risque et
recherchant du rendement, le portefeuille A est choisi par l’investisseur légèrement averse au risque
(nature humaine) tandis que le portefeuille B convient à l’investisseur le plus averse au risque. Les
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Niveau de risque (écart-type) du portefeuille
Ren
dem
ent
esp
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du
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le
C
A
B
C2
C3 C4 Frontière efficiente
C1
courbes C1, C2, C3 et C4 sont les courbes d’indifférences où la C1 correspond à l’utilité la plus
élevée et C4 la plus faible. La frontière efficience correspond à l’ensemble des portefeuilles optimaux
au-dessus des pointillés verts. En effet, pour un niveau de risque donné, le portefeuille sur la frontière
efficience aura un meilleur rendement que le portefeuille de l’autre côté de la frontière comme le
montre les pointillés rouges. Un investisseur rationnel n’investira que sur la frontière efficiente.
Fig 11 – Représentation graphique du rendement d’un portefeuille de 2 actifs selon son risque
Un investisseur biaisé déviera nécessairement du modèle d’optimisation entre la variance d’un
portefeuille et son rendement attendu. Le graphique ci-dessus n’est qu’une version simplifiée du
modèle puisque le portefeuille ne contient que deux actifs. Une allocation d’actifs considérant
l’existence de biais ne devrait pas s’écarter de plus de 20% du modèle d’allocation pour une
optimisation suivant le modèle « classique ». La valeur de 20% est prise, car en général, les clauses
d’un contrat entre un conseiller et son client prévoit une liberté de plus ou moins 10% sur la
pondération de chaque classe d’actifs. Par exemple, un compte de titres standardisé par BNP Paribas
Banque Privée destiné à des clients légèrement « offensifs » est composé de :
- 60% d’actions (on ne prend pas en compte la géographie ni les aspects growth ou value ni la
taille de capitalisation) ;
- 40% de produits à revenus fixes tels que des obligations (on omet également le fait qu’il
s’agisse ou non d’obligations investment grade ou high-yield).
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+
+
Différence de
performance
À la suite de la règle énoncée, le banquier privé pourrait se permettre de construire un
portefeuille dont la pondération en action varie de 50% à 70% et la pondération en produits à revenus
fixes entre 30% et 50%. Voici la méthode illustrée pour un autre portefeuille donné :
Dans son rapport de 2017, « The Great Opportunity - Great Wealth Investment Report »31, la
banque privée d’UBS montre qu’un portefeuille dont les risques sont équitablement répartis entre les
6 facteurs ci-après surperforme le marché US représenté par le MSCI USA total return (net) :
momentum, value, smallcap, faible volatilité, rendement et qualité.
Fig 12 – Surperformance d’un portefeuille équilibré à travers les 6 facteurs31
31 Disponible ici : https://uhnw-greatwealth.ubs.com/media/11188/great-wealth-investment-report.pdf
Recommandation
optimale du modèle
classique
(pondérations)
Recommandation de
l’allocation
considérant les biais
(pondérations)
Changement en
% (valeur
absolue)
Changement en
% (moyenne
pondérée)
Actions 70% 75% + 7,14% - 5%
Obligations 25% 15% - 40% - 10%
Liquidités 5% 10% + 100% - 5%
TOTAL 100% 100% Facteur d’ajustement des biais = 20%
La limite est respectée
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Selon UBS Banque Privée, certains de ces facteurs exploitent les biais comportementaux des
marchés pour obtenir une meilleure performance.
Le momentum : pour combattre l’heuristique d’ancrage qui empêche les actions de suivre la
notion de « marche aléatoire » puisqu’elles deviennent corrélées en phase haussière et baissière. Cela
s’explique par le fait que les investisseurs, biaisés, n’incorporent pas entièrement toutes les nouvelles
informations, bonnes ou mauvaises, et préfèrent se référer à leurs ancres. Le momentum permet de
profiter de ces phases de hausse ou de baisse.
La stratégie value : pour combattre sur le long-terme l’aversion aux pertes des investisseurs
professionnels et individuels. En effet, les premiers sont soumis au risque de carrière et cela explique
en partie la surperformance des actions value sur le long terme comme expliqué dans l’anomalie de
taille de capitalisation dans la première partie de ce Mémoire. Quant aux investisseurs privés, la sous-
valorisation des actions et des fonds value s’explique par l’aversion aux pertes. Elle traduit ici le
phénomène qu’un individu privé a plus de chance de se retirer d’un fonds sous-performant que
d’entrer dans un fonds surperformant.
L’investissement en smallcap : pour combattre les politiques contraignantes d’investissement
des investisseurs institutionnels. De nombreux ETFs ont pour sous-jacent des indices représentant
des valeurs largecap (S&P 500, Eurostoxx 50 …), car biens connus par les individus privés qui les
achètent, et laissant donc une opportunité de croissance pour les valeurs smallcap que les
investisseurs individuels peuvent exploiter.
L’investissement dans la faible volatilité : pour combattre l’excès de confiance des investisseurs
institutionnels. Étant donné que l’effet de levier autorisé est limité pour les professionnels, ces
derniers cherchent à prendre plus de risque à travers des actifs plus risqués car ils ont facilement
confiance en eux. Les investisseurs privés peuvent tirer parti de ce biais comportemental en
investissant, à l’inverse, dans les actions à faible volatilité pour exploiter l’anomalie de faible
volatilité découvert par Robert Haugen en 197232. L’excès de confiance des clients suivis par un
gestionnaire de patrimoine peut également être canalisé en investissant dans des produits dits
« passifs » à faibles coûts tels que les ETFs. Par exemple, la banque JPMorgan a lancé en août 2018
une application sur mobile permettant de traiter ce type de fonds gratuitement. Concernant les autres
facteurs du portefeuille présenté, la qualité et le rendement, ils serviront à mieux diversifier le
portefeuille.
32 Haugen, Robert A., and A. James Heins, (1972) “On the Evidence Supporting the Existence of Risk
Premiums in the Capital Markets”, Wisconsin Working Paper, December 1972.
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Individualiste
Vedette
Aventurier
Gardien
b) Une autre segmentation de la clientèle privée
Des premiers modèles incomplets
Dans leur article « A New Paradigm for Practical Application of Behavioral Finance : Creating
Investment Programs Based on Personality Type and Gender to Produce Better Investment
Outcomes » de 2004, John Longo et Michael Pompian montrent qu’il existe un lien entre le genre et
la personnalité d’un investisseur individuel avec leurs biais comportementaux. Différents modèles
connus en psychographie peuvent être utilisés en finance comportementale :
Le modèle de Barnewall : il distingue les investisseurs actifs ou passifs dans la création de leurs
richesses. Les investisseurs qui auraient acquis une richesse de manière passive, à travers un héritage
ou via le gain d’un jeu de hasard par exemple, auraient une forte aversion pour le risque et
recherchaient avant tout à avoir des portefeuilles très diversifiés. À l’inverse, ceux dont l’épargne
s’est construite de manière active, par le travail, se comporteraient de manière beaucoup plus risquée
quitte à peu diversifier leur portefeuilles et auraient un biais d’excès de confiance. Néanmoins, ce
modèle admet des limites. En effet, il ne prend pas en compte le genre, masculin ou féminin, de
l’investisseur et peut paraître réducteur en s’intéressant uniquement à l’origine de la richesse alors
que l’être humain est plus complexe ;
Le modèle de Bailard, Biehl et Kaiser (BBK) :
Fig 13 – Représentation graphique du modèle BBK
Confiant
Anxieux
Prudent Impulsif
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Le modèle BBK recense 5 personnalités classées au regard de 4 variables que présentent un
individu : sa confiance ou son anxiété et sa prudence ou son impulsion. Les personnalités sont :
1) L’individualiste. Il représente la majorité des investisseurs (plus de 75%). Généralement, il
s’agit d’indépendants tels que des docteurs ou avocats mais on retrouve également de
nombreux ingénieurs dans cette catégorie. Ils ont une certain degrés de confiance en eux et
ont un esprit analytique et méthodique et sont donc comparables à des investisseurs
rationnels.
2) L’aventurier. Ces personnes sont difficiles à conseiller puisqu’elles ont déjà leurs propres
opinions sur leur manière d’investir et ne se privent pas de prendre des risques. Cette
personnalité recherche avant tout des forts rendements et à court terme.
3) La vedette. Ces investisseurs ont très rarement des idées sur la manière dont il faut investir.
Ils comparent systématiquement leurs performances à celles des autres quitte à générer un
fort renouvellement de leur portefeuille entrainant des frais supplémentaires.
4) Le gardien. Il s’agit majoritairement de la typologie de client suivie par les gestionnaires de
patrimoine. Ce type d’investisseur est prudent et anxieux concernant ses avoirs financiers.
Par manque de connaissance en matière d’investissement, ils se dirigent vers des conseillers
qui les guideront vers des placements généralement peu risqués (le départ à la retraite est
une problématique majeure des gardiens).
5) Le modéré. Cet investisseur est le plus équilibré des cinq. Ce type de profil est assez rare et
peut se classer, à moyen terme, dans l’un des quatre profils ci-dessus. Un tel client est averse
au risque mais n’hésitera pas à en prendre s’il en voit réellement l’intérêt.
Le modèle de Bailard, Biehl et Kaiser permet de comprendre quelques comportements
d’investissement mais, comme le modèle de Barnewall, il n’est utile qu’avec certains clients et reste
très généraliste.
Au-delà de ces modèles, et concernant le genre de l’investisseur, les résultats des recherches de
Barber et Odean33 sont les plus importants. Les deux auteurs arrivent à la conclusion que les hommes
ont plus souvent confiance en eux que les femmes dans les activités d’investissement. En effet, sur
33 Brad M. Barber, Terrance Odean; Boys will be Boys: Gender, Overconfidence, and Common Stock
Investment, The Quarterly Journal of Economics, Volume 116, Issue 1, 1 February 2001, Pages 261–292
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une période de 6 ans, les hommes réalisent 45% plus d’opérations sur les marchés financiers que les
femmes.
John Longo et Michael Pompian ont tenté de trouver un nouveau paradigme qui relierait le genre
et la personnalité d’un individu avec ses biais comportementaux. Pour se faire, ils ont combiné le
célèbre test MBTI (modèle Myers-Briggs Type Indicator®) avec leur propres questionnaires
déterminant les biais comportementaux des participants.
Le modèle Myers-Briggs Type Indicator® (MBTI)
Ce test de personnalité est le plus connu dans le monde et sert à de nombreux RHs d’entreprises
pour évaluer le potentiel de leurs candidats. Il permet de distinguer 16 profils selon 4 aspects de la
personnalité humaine :
- L’extraversion (E) ou l’introversion (I) : pour déterminer si on tire son énergie du monde
intérieur ou extérieur ;
- La sensation (S) ou l’intuition (N) : pour déterminer si on recueille l’information sur des faits
ou des nouvelles possibilités ;
- La pensée (T) ou le sentiment (F) : pour déterminer si on prend une décision de manière
rationnelle ou selon ses valeurs personnelles ;
- Le jugement (J) ou la perception (P) : pour déterminer si on préfère un mode de vie organisé
ou souple.
Il existe donc 16 combinaisons/personnalités possibles : ISTJ, ISFJ, INFJ, INTJ, ISTP, ISFP,
INFP, INTP, ESTP, ESFP, ENFP, ENTP, ESTJ, ESFJ, ENFJ, et ENTJ. L’annexe n°1 présente leurs
descriptions de manière non exhaustive.
Le questionnaire du MBTI et le questionnaire de détermination des biais comportementaux
(construit sur les travaux de Daniel Kahneman et Riepe34) ont été testés sur plus de 100 investisseurs
durant l’été 2002. Pour construire leur nouveau modèle, John Longo et Michael Pompian ont
commencé par déterminer les personnalités des individus, puis les ont recoupées avec la liste
existence de biais comportementaux. Les deux auteurs ont surtout cherché à déterminer si les profils
extrêmes, comme les extravertis vs les introvertis, ou les hommes vs les femmes, présentaient de
manière récurrente des biais différents. Les résultats obtenus sont les suivants :
34 Kahneman, Daniel & W Riepe, Mark. (1998). Aspects of Investor Psychology. Journal of Portfolio
Management - J PORTFOLIO MANAGE.
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Pessimiste
Réaliste
Grande aversion au risque
Optimiste
Spéculatif
Faible aversion au risque
INFJ ESTP ENFJ
INFP
INTJ
ISFJ
ENFP
ENTJ
INTP
ISTJ
ISFP
ESFJ
ENTP
ESTJ
ISTP
ESFP
Fig 14 – Résultats du croisement des 2 questionnaires
On remarque donc qu’un homme ESTP, appelé « l’entrepreneur » selon le test, sera
l’investisseur le plus susceptible de prendre des risques dans ses choix à l’opposée d’une femme
INFJ, autrement appelée « l’avocate ». Ainsi, une allocation d’actifs devrait prendre en compte ces
différents types de personnalité mais le coût d’implémentation pourrait freiner les banques privées à
l’appliquer. Idéalement, un conseiller en gestion de patrimoine pourrait demander à ses clients de
passer le test MBTI. En expliquant l’intérêt de passer ce questionnaire, et du fait qu’ils doivent le
payer, les clients seraient plus à même de discuter de leurs propres biais comportementaux. Ces
facteurs psychologiques sont à prendre en compte dans le souci d’une relation durable qui dépasse
la notion de performance sur un portefeuille.
c) Les enjeux des acteurs de la gestion de patrimoine
Mettre en avant la gestion sous mandat
La « gestion sous mandat » correspond à une gestion déléguée des avoirs financiers d’un client
à un professionnel de la finance. C’est l’opposé de la « gestion conseillée » où le client décide seul
des investissements qu’il réalisera ou non. Certaines banques privées appliquent un seuil d’actifs
financiers à posséder afin d’accéder à ce service. Cette forme de gestion est privilégiée pour les
investisseurs individuels n’ayant pas le temps ou les connaissances nécessaires pour investir leurs
portefeuilles. Mais, il est également possible de proposer ce type d’offre pour un client qui
occasionnerait trop d’erreurs dû à ses biais comportementaux. La sensibilisation du client à la finance
comportementale est donc nécessaire lors de l’entrée à relation. Pour autant, cette pratique est loin
d’être appliquée dans toutes les banques privées.
Femme Homme
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Il est facile de penser qu’un professionnel de la finance, possédant de longues années
d’expériences dans le milieu de la gestion financière, serait insensible aux biais comportementaux,
heuristiques et autres illusions. Ces professionnels sont avant tout des humains, et de ce fait, le risque
d’erreur subsiste à ce niveau-là. Aussi, la notion de finance comportementale est récente et la plupart
des praticiens exerçait ce métier bien avant sa popularisation par Daniel Kahneman en 2002.
Comment éviter que les gérants de portefeuilles ne soient à leurs tours biaisés ? Maxime
Viémont, spécialiste de la finance comportementale chez B*Capital, réalise des points
hebdomadaires avec les équipes de gérants afin de faire le point sur leurs pratiques et méthodes
d’investissement. Sont ainsi passées en revue toutes les erreurs qui auraient pu être commises pour
des raisons irrationnelles. Du fait de l’existence d’un grand nombre de biais, Maxime Viémont s’est
restreint aux 20 plus importants et qui ont le plus d’influence sur les décisions d’investissement. En
dehors de l’approche éducative, B*Capital a choisi d’adopter un process de gestion drastique pour
éliminer les biais comportementaux de certains gérants. En effet, à travers l’interface du portefeuille
d’un client de la société de bourse, il est désormais impossible pour un gérant de lire :
- La date d’achat des titres ;
- Le prix d’achat moyen pondéré (PAMP) d’une ligne de titres ;
- Et mécaniquement, la plus ou moins-value latente relative à cette ligne.
Grâce à ce processus ambitieux, l’heuristique d’ancrage est supprimée puisque le gérant ne va
plus s’attarder sur le moment auquel les titres ont été achetés. Aussi, en supprimant l’affichage de la
plus ou moins-value latente, l’aversion aux pertes et l’effet de disposition disparaissent. Les titres
peuvent donc être achetés ou vendues selon des vrais arguments rationnels et après une analyse
fondamentale, technique et quantitative de ces derniers. Cependant, l’avantage de l’optimisation
fiscale à travers le report des moins-values est perdu sur un compte de titres classique.
La gestion sous mandat va permettre de suivre une stratégie claire, définie en amont avec le
client, dont l’allocation d’actifs évoluera au grès de la conjoncture économique. Les banques privées
mettent en avant la gestion sous mandat pour accompagner le client car les gérants de portefeuilles
savent :
1) À quel moment investir, sortir du marché, renforcer ses positions ou les alléger. En effet, de
nombreux aspects psychologiques empêchent les clients peu appétents aux marchés
d’investir. La gestion sous mandat permet d’éviter l’effet de résistance au changement. Dans
un marché neutre ou baissier, les aspects négatifs prédominent pour un investisseur
individuel. Si le marché repart à la hausse, ce même investisseur peut rester ancrer dans son
mode de pensée négatif. En effet, la nouveauté est perçue comme générant plus de risques
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que d’avantages. La statu quo est donc préféré mais pourrait empêcher le client de profiter
d’une grande partie de la phase haussière. Aussi, la peur de perdre ou de se tromper peut
paralyser l’investisseur de passer à l’acte : c’est l’aversion aux regrets. La notion du cadrage
peut également biaiser un client alors qu’un gérant sous mandat saura analyser une situation
avec du recul. En effet, de nombreux clients ont tendance à regarder les mouvements récents
et en tirer des conclusions hâtives. Par exemple, entre le début de décembre 2014 et la fin de
janvier 2015, le CAC40 a pris +15%. Il était donc normal pour certains investisseurs de ne
pas entrer sur le marché qu’ils jugeaient comme trop haut et de patienter pour acheter plus
bas. Mais en réalité, sur la configuration à long terme du CAC40, le marché sortait d’une
phase corrective qui avait duré plus de 7 mois. Après janvier 2015, le CAC40 avait pris de
nouveau +15% en 2 mois.
2) La meilleure manière de diversifier un portefeuille. Pour rappel, une bonne diversification
est sensée réduire le risque global d’un portefeuille, apporter des relais de croissances au sein
des différentes classes d’actifs et permettre de recourir à des stratégies différentes dans des
phases de marché complexes. La gestion sous mandat va empêcher l’investisseur individuel
de modifier son allocation d’actifs dans des situations de marché peu propices. La première
erreur consiste à réduire le niveau de risque dans les creux de marché puisque l’investisseur
ressent du dégoût. À l’inverse, l’investisseur peut considérablement augmenter sa tolérance
au risque, en étant euphorique, dans les « tops » de marché. Le biais de familiarité peut
également priver un client de stratégies pouvant être performantes. Par exemple, de
nombreux investisseurs ne souhaitent pas investir dans les pays émergents. Enfin, la peur du
manque à gagner peut entraîner un client à prendre une position de manière précipitée et dont
le timing sera souvent mauvais. Tous ces biais ont tendance à déformer l’allocation réalisée
initialement en gestion conseillée qui permettait répondre aux objectifs financiers à long
terme. La gestion sous mandat permet d’éviter ces risques.
3) Arbitrer. L’acte d’arbitrage peut être entravé par l’effet de dotation, expliqué auparavant, qui
empêche un client de vendre. Si le client possède des titres depuis très longtemps, alors il
aura beaucoup de mal à les vendre et préfèrera différer l’arbitrage prévu. L’effet est même
amplifié si les titres ont été reçus en héritage. Un gérant sous mandat ne sera pas soumis à
ce type d’affect.
4) Avoir un regard contraire au consensus des investisseurs, brokers et analystes en equity
research. Un gérant sous mandat aura plus de facilité à prendre des positions avant
l’ensemble des investisseurs et évitera l’effet « moutonnier » ou « comportement grégaire »
des clients se renseignant sur des sites d’informations publiques. Les investisseurs
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individuels sont fortement affectés par le biais de disponibilité et considèrent plus probable
une information immédiatement disponible comme celle des médias généralement. Un
gérant sous mandat ne s’intéresse pas à ces sources aux qualités éparses : forum sur internet
avec des avis d’amateurs, émissions de télévision dont l’avis est peu approfondi, vidéos sur
internet dont l’objectif est de placer un produit … Le gérant de portefeuille sous mandat
travaille quant à lui avec ses sources en interne et se laissera moins facilement influencer par
les médias.
Un réel intérêt ou un outil marketing ?
La finance comportementale pourrait être l’un des nouveaux vecteurs marketing au sein des
banques privées et des cabinets en gestion de patrimoine. Dans un contexte de baisse des taux
d’intérêts rongeant les bénéfices et d’implémentation de la directive MiFiD 2 complexifiant et
alourdissant les processus de vente et de gestion financière, la finance comportementale pourrait se
voir comme un relais de croissance en servant d’outil de différenciation sur un marché actuellement
agité et fortement concurrentiel.
Cette nouvelle approche de la finance est de plus en plus enseignée et tend à gagner en popularité
chez les professionnels. Par exemple, l’institut mondialement connu du CFA (Chartered Financial
Analyst) et son diplôme professionnel font référence dans les standards à maîtriser dans le domaine
de la gestion d’actifs. La plupart des gérants de fonds séniors possèdent le titre du CFA qui est parfois
nécessaire pour travailler dans des sociétés de bourse. La finance comportementale est enseignée dès
le niveau 3 (il est nécessaire de passer trois niveaux pour avoir le titre), et y est présentée comme un
outil essentiel pour la gestion d’un portefeuille et de manière plus globale pour la gestion de
patrimoine (PWM ou Private Wealth Management). D’ailleurs, l’importance de la finance
comportementale est telle qu’elle couvre 10% de la pondération de l’examen final du niveau 3, le
plus dur, et ceci malgré les nombreuses autres notions techniques en parallèle. L’institut du CFA a
intégré cette nouvelle branche de la finance dans son curriculum de cours dès l’année 2007, soit 5
ans après le prix Nobel de Daniel Kahneman, alors que les banques privées se sont emparées du sujet
quelques années plus tard. Dans le milieu académique, la plupart des recherches en finance
comportementale sont faites dans les pays anglo-saxons et la France accuse un retard dans l’intérêt
de cette science. Cela se traduit également dans les formations délivrées aux étudiants. Une grande
majorité des universités anglo-saxonnes enseignent la finance comportementale dès la première
année de Bachelor (première année de Licence en France) alors qu’en France, la notion est abordée
dès le grade de Master et dans des formations très spécifiques telles que le Master 222 « Gestion
d’Actifs » de l’université Paris-Dauphine. Pour autant, le Master 261 « Gestion de Patrimoine et
Banque Privée » de la même université ne l’enseigne pas alors, comme nous avons pu le constater
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jusqu’ici, qu’elle trouve toute sa place dans une relation entre un conseiller en gestion de patrimoine
et son client.
Même si elle tend à gagner en popularité chez les professionnels, la finance comportementale
est loin d’être une science connue parmi la clientèle d’investisseurs privés. BNP Paribas Banque
Privée est l’établissement la mettant le plus en avant via sa chaîne YouTube, ses publications
mensuelles sous format papier et envoyées aux clients et, plus important, elle l’implémente dans les
stratégies de gestion sous mandat via sa société de bourse B*Capital. Société Générale Banque Privée
enseigne cette notion, de manière publique, à travers ses lettres mensuelles disponibles sur son site
internet. Ces deux banques privées sont les seules à réellement faire un effort de communication sur
le sujet et dont les publications sont retrouvables sur les deux premières pages du moteur de recherche
Google. Paradoxalement, malgré cet effort, la finance comportementale n’est quasiment jamais
abordée lors d’un entretien avec un client. Il s’agit pour autant d’un sujet de discussion qui trouve
tout son sens dans l’intérêt de celui-ci et a le mérite d’aborder un thème « original » du monde
financier. La principale raison est le manque de formation en interne dans ces banques qui préfèrent
enseigner des techniques commerciales ou en relation avec l’actualité pour répondre aux
interrogations des clients (comme pour la loi des finances 2018 récemment). Aussi, certains
conseillers ne se sentent pas à l’aise sur ce sujet et préfèrent l’éviter de peur que la personne en face
ne la prenne pas au sérieux en rejetant cette notion aux compétences des psychologues. Un long
travail d’information est donc nécessaire, aussi bien pour les professionnels du milieu, que pour les
individus qui pourraient être soumis à ces biais.
Une autre exploitation marketing de la finance comportementale se trouve directement dans la
gestion d’actifs et résulte en une stratégie à part entière de fonds d’investissement. À l’heure des
nouvelles stratégies de « smart beta » ou plus récemment de « risk premia », un fonds dont le
principe de gestion se base sur les concepts de la finance comportementale peut paraître vendeur. Par
exemple, la société de gestion « LSV Asset Management » a une politique d’investissement, pour
l’ensemble de ses fonds, basée sur l’exploitation des biais comportementaux des agents
économiques. Leur fonds « LSV Value Equity Fund » (LSVEX) utilise un modèle quantitatif pour
choisir des actifs sous-évalués (stratégie value) dont la date d’achat est déterminée avant une
appréciation de leurs valeurs à court et moyen terme. En effet, nous avions vu que les actions value
étaient délaissées à cause des biais psychologiques. Le modèle cherche à classer les actions selon
différents facteurs dont l’équipe de gestion pense qu’ils détermineront les futures rendements. Le
modèle du processus de gestion est perpétuellement redéfini par les quants. Cet aspect automatisé du
choix des valeurs permet, selon la société de gestion, d’écarter les biais comportementaux et autre
heuristiques de jugement. Cependant, est-ce réellement une stratégie profitable ? Une étude réalisée
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par le Journal of Investing35 s’est penchée sur 16 fonds d’investissement, présentée dans l’annexe
n°2, se disant recourir à la finance comportementale comme stratégie de gestion. Les résultats ont
montré que ce type de fonds avait plutôt la cote auprès des épargnants puisque les souscriptions
mensuelles surpassaient celles des fonds plus « classiques ». Aussi, la plupart des fonds étudiés ont
battu l’indice du S&P 500. Voici les performances du fonds « LSV Value Equity Fund » (LSVEX) :
Fig 15 – L’évolution de la valeur de 10 000$ investis dans le fonds « LSVEX » face au S&P 50036
Cependant, l’étude suggère que ces 16 fonds ne cachent en réalité qu’une stratégie classique de
value sans approche réellement innovante. Aussi, les auteurs nous apprennent que ces fonds n’ont
pas des rendements anormalement élevés, en se basant sur le modèle à quatre facteurs de Carhart
(1997), compte tenu du risque couru. Seul le style value, la « value premium », en référence au
facteur HML du modèle de Fama et French (1993), explique la surperformance de ces fonds sur
l’indice américain. Le Journal of Investing conclut que la stratégie de ces fonds, basée sur la finance
comportementale, n’offre pas un avantage réellement significatif si ce n’est qu’en terme d’attraction
de capitaux pour ces sociétés de gestion d’actifs. L’application pratique de cette nouvelle finance ne
serait qu’un outil marketing même si les professionnels reconnaissent son apport dans la recherche
financière académique.
35 Colby Wright, Prithviraj Banerjee et Vaneesha R Boney, « Behavioral Finance: Are the Disciples Profiting
from the Doctrine? », The Journal of Investing Winter 2008, 17 (4) 82-90 36 Les Échos, « Finance comportementale : des fonds presque comme les autres », 12/02/2007
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3) Étude de cas
Monsieur Lecocq
Nous sommes en avril 2009. Martin est banquier privé chez BNP Paribas Banque Privé.
Monsieur Lecocq, un de ses clients, est un veuf de 72 ans dont le train de vie est plutôt modeste. Ses
sources de revenus sont sa retraite et son portefeuille dont la valorisation atteint 1 000 000 d’euros.
Monsieur Lecocq a été présenté à Martin, par sa fille, Maëva, que ce dernier connait depuis plus de
4 ans. Monsieur Lecocq confie que son objectif principal est de pouvoir vivre de son portefeuille
jusqu’à la fin de ses jours. En effet, les revenus de sa retraite sont insuffisants selon lui. Aussi,
Monsieur Lecocq est très averse au risque au point de ne vouloir essuyer aucune perte. En effet, il se
rappelle que sa femme avait perdu beaucoup d’argent lors de la crise 2008 avant de décéder. Lors de
son 1er rendez-vous, le banquier privé remarque que Monsieur Lecocq est plutôt tenace et inflexible
sur sa manière de penser, et plus spécialement sur l’opinion qu’il a des marchés financiers.
Identification des biais
Monsieur Lecocq n’a jamais pris en compte les recommandations de Martin en matière
d’arbitrages pour son portefeuille. D’ailleurs, celui-ci ne contient que des obligations
gouvernementales et d’entreprises notées « AAA » (investment grade) par les agences de notation.
Ces obligations sont, par conséquent, très peu risquées mais leur rendements sont faibles. Son
banquier privé s’inquiète de l’évolution de l’inflation en France qui pourrait éroder la valeur de son
portefeuille. Pour rappel, une remontée des taux en cas d’inflation serait le synonyme d’une baisse
de la valorisation de ses obligations. Ses refus systématiques d’arbitrages seraient, selon Martin, dus
aux biais comportementaux de Monsieur Lecocq. En discutant des enjeux de la finance
comportementale, il arrive à faire passer à son client un test de personnalité rapide.
En ressortent les biais suivants :
- L’aversion aux pertes : la douleur d’une perte est beaucoup plus fort que le plaisir d’un gain
identique ;
- L’heuristique d’ancrage : la tendance naturelle à se référer au niveau actuel du marché,
comme ancre, afin de prédire les tendances à venir ;
- Le biais de statu quo : le fait de refuser le changement et préférer l’inertie.
En supplément, Martin délivre de nouveau le questionnaire de profil de risque standardisé de
BNP Paribas Banque Privée. Après sa complétude par Monsieur Lecocq, il définit l’allocation
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Modérer & Adapter
Modérer & Adapter
Adapter
Modérer
Monsieur LECOCQ
d’actifs correspondant : 70% d’obligations, 20% d’actions et 10% de liquidité. Ainsi, son client
pourrait supporter plus de risques que son portefeuille actuel possède. Les biais comportementaux
de Monsieur Lecocq ont donc une influence selon Martin.
Influence sur l’allocation d’actifs
Les biais de Monsieur Lecocq l’amènent à cette allocation initiale. En effet, en étant averse aux
pertes et n’aimant pas le changement (statu quo), le client préfère garder son allocation d’actifs
sécurisée actuelle : 100% d’obligations avec la note maximale des agences de notation. De plus, étant
donné que le CAC40 a subi une forte chute, en se référant à avril 2009, Monsieur Lecocq est peu
rassuré sur l’avenir et ne préfère donc pas investir sur les marchés des actions (heuristique d’ancrage).
Ainsi, l’investissement en obligations peu risquées ou en fonds en euros à travers une assurance-vie
étaient les deux seules solutions qui pouvaient l’intéresser.
Modérer ou adapter ?
Monsieur Lecocq, en ayant un portefeuille valorisé à 1 000 000 d’euros, n’est pas considéré
comme suffisamment riche, sur une clientèle en gestion de patrimoine, pour pouvoir adapter son
portefeuille de temps à autre selon les recommandations de Martin. Cela est d’autant plus vrai sur le
long terme. De plus, les biais de Monsieur Lecocq sont principalement émotionnels (aversion aux
pertes et statu quo) et non cognitifs. Ils seront donc difficiles à « corriger » malgré les conseils
rationnels envoyés par son banquier privé. Cela complique également le fait de vouloir modérer son
allocation d’actifs.
Fig 16 – Situation de Monsieur Lecocq selon les deux principes de M. Pompian et J. Longo
Client très fortuné :
Adapter
Client peu fortuné :
Modérer
Biais cognitifs :
Modérer
Biais émotionnels :
Adapter
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+
+
Un compromis entre modérer et adapter semble donc se dessiner. Dans le premier cas, il aurait
fallu prendre l’allocation standardisée : 70% d’obligations, 20% d’actions et 10% de liquidité. Dans
le second cas, l’allocation des 100% d’obligations serait restée la même. Étant donné la situation, il
est nécessaire pour Martin de trouver un juste milieu.
L’allocation recommandée
Un bon compromis résulterait dans l’allocation suivante : 75% d’obligations, 15% d’actions et
10% de liquidités. Elle respecterait l’allocation standardisée de BNP Paribas Banque Privée tout en
laissant quelques concessions aux biais de Monsieur Lecocq. Le facteur d’ajustement des biais est
de 10% et n’excède donc pas le seuil des 20% recommandé précédemment (cf. « définir une
allocation d’actifs mieux adaptée ») : cette nouvelle allocation d’actifs est donc viable.
Voici le résultat illustré :
Recommandation
optimale du modèle
classique
(pondérations)
Recommandation de
l’allocation
considérant les biais
(pondérations)
Changement en
% (valeur
absolue)
Changement en
% (moyenne
pondérée)
Actions 20% 15% - 25% - 5%
Obligations 70% 75% + 7,14% + 5%
Liquidités 10% 10% 0% 0%
TOTAL 100% 100% Facteur d’ajustement des biais = 10%
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IV. Conclusion générale
« People in standard finance are rational. People in behavioral finance are normal. »37
(Meir Statman)
La théorie financière classique repose sur la parfaite rationalité de l’ensemble des agents
économiques. Cette construction suppose que les investisseurs privés cherchent à maximiser leur
espérance d’utilité. Ces derniers, selon l’approche standard, sont supposés être averses au risque. En
d’autres termes, un investisseur préfèrera toujours l’espérance des gains d’une loterie plutôt que de
participer à celle-ci.
Cependant, la validité des axiomes de Von Neumann et Morgenstern encadrant la théorie de
l’espérance d’utilité est remise en cause à travers différentes études expérimentales. La violation de
ces axiomes de rationalité, sur lesquels reposent des modèles classiques prédictifs, est le début d’une
suite de nombreuses autres anomalies qui fragilisent les piliers de la théorie financière dominante.
Les inefficiences de marchés, les anomalies calendaires, l’incidence de la météo sur les indices
boursiers, les effets de taille de capitalisation ou l’existence d’opportunités d’arbitrage nourrissent la
« finance comportementale » qui est le versant alternatif à cette approche classique.
Cette nouvelle branche de la finance cherche à comprendre ces anomalies en s’intéressant aux
travers comportementaux des agents économiques tels que les heuristiques de jugements et les biais
cognitifs et émotionnels. Ces derniers entrent en conflit avec les intérêts d’une clientèle suivie en
banque privée ou en cabinet de gestion de patrimoine. En général, les clients fortunés préfèrent être
accompagnés à cause du manque de temps et de connaissances en gestion financière. Contrairement
aux professionnels, ils sont plus facilement susceptibles d’être soumis à ces biais psychologiques.
Bien que relativement récent, il existe un réel enjeu dans le domaine de la gestion de patrimoine. En
effet, ces travers comportementaux nuisent aux performances financières des portefeuilles (PEA,
compte de titres ou assurance-vie) que les clients cherchent à faire fructifier pour des questions de
transmission, de préparation à la retraite ou, plus simplement, de perception de revenus réguliers afin
de financer des projets privés ou professionnels à venir. Les erreurs les plus courantes sont : une
mauvaise diversification et un turnover trop fréquent des portefeuilles (excès de confiance et illusion
de contrôle), la mauvaise évaluation des risques (effet de disposition et effet d’ancrage) ou encore un
mauvais timing de vente (aversion aux pertes et effet de dotation). Le coût estimé de l’ensemble de
37 Statman, Meir, Behavioral Finance: Finance with Normal People (February 17, 2014). Borsa Istanbul
Review, pp. 1-9, 2014.
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ces erreurs systématiques est évalué à 3% par an selon Maxime Viémont, spécialiste de la finance
comportementale chez B*Capitale.
Le conflit d’intérêts, entre les objectifs du client et sa manière d’investir, perdure à travers ce
nouvel « effet de mode » qu’est la finance comportementale. Des nouveaux fonds d’investissements
basant leur stratégies sur cette nouvelle théorie financière, avec des frais d’entrée non négligeables,
se voient comme attractifs auprès d’une clientèle en quête d’une nouvelle « perle rare ». Pour autant,
la performance de ce type de fonds, comme nous le montre l’étude du Journal of Investing, n’est pas
anormalement élevée et repose avant tout sur le style value, bien plus classique. La finance
comportementale reste avant tout, et à l’heure actuelle, un outil marketing pour les établissements de
gestion de patrimoine et les sociétés en gestion de portefeuille.
Intégrer la finance comportementale dans le quotidien des conseillers en gestion de patrimoine
peut se voir comme naturel dans leur devoirs de conseil. Ceux-ci ont tout intérêt à sensibiliser leur
clients sur ses conséquences. Ils pourront canaliser leurs craintes et leurs peurs, leur proposer des
solutions adéquates telles que la gestion sous mandat et adapter ou modérer leur allocations d’actifs
en gestion conseillée. Un client conscient des enjeux de la finance comportementale pourra
rationnaliser ses décisions d’investissement en lien avec ses objectifs à moyen et long terme et
abordera naturellement les volets juridiques et fiscaux de ces derniers. La finance comportementale
peut donc servir les intérêts du client en lui permettant de mieux se connaître lui-même et de prendre
de la hauteur sur l’ensemble de son patrimoine et de ses objectifs quitte à le rediriger sur d’autres
thématiques liées au métier de conseiller privé.
La finance comportementale est-elle le nouveau paradigme financier à venir de la gestion de
patrimoine ? Il reste à espérer que la reconnaissance académique apportée par Daniel Kahneman,
prix Nobel d’économie en 2002, et Richard H. Thaler, prix Nobel d’économie en 2017, sur le sujet
permettront d’aboutir à la construction d’un modèle d’équilibre cohérent. Ainsi, une meilleure
compréhension et quantification de l’influence exercée par la finance comportementale apporteront
une nouvelle forme de valeur ajoutée aux clients fortunés. L’application pratique de la finance
comportementale devrait facilement trouver sa place dans un milieu où les relations humaines sont
toutes aussi importantes que les performances financières.
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V. Annexes
Annexe n°1 : Les 16 personnalités du test MBTI®
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Annexe n°2 : Les 16 fonds de finance comportementale dans l’étude
- Dreman Concentrated Value Fund
- Dreman Financial Services Fund
- Dreman High Return Eq A
- Dreman Small Cap Value A
- JPMorgan Intrepid America Sel
- JPMorgan Intrepid Con-Sel
- JPMorgan Intrepid GR-Sel
- JPMorgan Intrepid Mid-Cap Select
- JPMorgan Intrepid Val-Sel
- JPMorgan Undiscovered Mgrs Behavioral Growth
- JPMorgan Undiscovered Mgrs Behavioral Value
- Legg Mason Value Trust
- LSV Value Equity (LSVEX)
- Nicholas-Applegate Capital Management US Large Cap Growth
- Nicholas-Applegate Capital Management US Mid Cap Growth
- SunAmerica Focused Large Cap Value
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Annexe n°3 : Les principaux biais comportementaux d’un individu
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VI. Bibliographie
Livres :
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Autres sources :
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comportementale---des-fonds-presque-comme-les-autres.htm
Interview physique de Maxime Viémont, spécialiste de la finance comportementale chez B*Capital,
société de bourse de BNP Paribas Banque Privée, réalisée le mercredi 25 juillet 2018.
Playlist de vidéos « Finance comportementale, BNP Paribas Banque Privée / B*Capital » réalisée
par BNP Paribas Banque Privée sur la plateforme YouTube®, 2016, lien url internet :
https://www.youtube.com/watch?v=P2Hkgza6zUg&list=PLZ_BvzoGL6FoWQvt0WTuJOW6yJtl1
E3_A
Rapport de la banque privée d’UBS, 2017. « The Great Opportunity - Great Wealth Investment
Report », lien url internet : https://uhnw-greatwealth.ubs.com/media/11188/great-wealth-
investment-report.pdf