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© Tous droits réservés pédagogique... · être, sauver un monde à partir du livre Hitler et la fillette de Catherine Shvets, Flammarion Québec, Sauver un être, sauver un monde

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© Tous droits réservésPublié le 25/02/2016

[email protected]

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Livret pédagogique rédigé par Sonia Sarah Lipsyc et Ariel Ifergan en accompagnement de la pièce « Le Visiteur » d’Eric Emmanuel Schmitt, mise en scène par Ariel Ifergan.

- Productions Pas de Panique

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Ce livret est à l’usage de l’enseignant et de ses élèves. Il présente un résumé de la pièce, une notice biographique de l’auteur et diverses thématiques de la pièce comme la vie de Freud, sa relation à sa fille Anna, la psychanalyse, le nazisme à Vienne et l’Holocauste.

Veuillez noter que, dans la mesure du possible, une discussion peut-être organisée après la représentation entre les artistes et les élèves, si l’enseignant en fait la demande une semaine avant le spectacle. Nous proposons également d’organiser une visite dans l’établissement scolaire pour préparer les élèves avant leur sortie au théâtre.

Remerciements à Annie Ousset-Krief pour sa collaboration et à fcb pour sa relecture.

Pas de Panique aimerait remercier le Conseil des Arts et des Lettres du Québec (CALQ), le Conseil des Arts de Montréal (CAM), la Fédération CJA ainsi que la Communauté Sépharade Unifée du Québec (CSUQ) pour leur soutien et aide financière à la réalisation de la production Le Visiteur.

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Table des matières

Sur l’auteur : Eric-Emmanuel Schmitt...................................................................................................................... 6

Résumé de la pièce......................................................................................................................................................... 6

L’antisémitisme, le nazisme et l’Holocauste.......................................................................................................... 7

Lexique..................................................................................................................................................................... 7

Le nazisme à Vienne........................................................................................................................................... 8

Les Juifs autrichiens et la Shoah.................................................................................................................... 9

Freud.................................................................................................................................................................................... 9

Le fondateur de la psychanalyse................................................................................................................... 9

Qu’est ce que la psychanalyse ?..................................................................................................... 9

Sigmund Freud (1856-1939)........................................................................................................... 9

Freud et sa famille.............................................................................................................................................. 10

Ses rapports avec sa famille............................................................................................................ 10

Sa relation à sa fille Anna................................................................................................................. 10

Anna la psychanalyste....................................................................................................................... 10

Anna et sa conjointe Dorothy Burlingham................................................................................ 10

Freud et le judaïsme.......................................................................................................................................... 11

Un « Juif sans Dieu ».......................................................................................................................... 11

Freud, les dernières années de sa vie.................................................................................................................... 11

Souffrant mais apparemment toujours tiré à quatre épingles.......................................................... 11

Après Vienne, de 1938 à 1939................................................................................................................................... 12

La mort de Freud................................................................................................................................... 12

Deux personnalités importantes au moment du départ de Freud.................................... 12

Qui est Le Visiteur ? Les différentes identités de l’Inconnu............................................................................ 13

Et pour l’auteur ?.................................................................................................................................................. 14

Ressources bibliographiques...................................................................................................................................... 14

L’équipe............................................................................................................................................................................... 15

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Sur l’auteur : Eric-Emmanuel Schmitt

« Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Eric-Emmanuel Schmitt est devenu un des auteurs les plus lus et les plus représentés en France, Belgique et Suisse. On trouve ses livres traduits dans 35 langues et plus de 40 pays jouent régulièrement ses pièces. Eric-Emmanuel Schmitt s’est d’abord fait connaître au théâtre avec La Nuit de Valognes (1991), Le Visiteur (1993), un triomphe qui lui valut trois prix Molière en (1994) celui du meilleur auteur, Révélation théâtrale de l’année et meilleur spectacle, Golden Joe (1995), Variations Enigmatiques (1996), Le Libertin (1997), Milarepa (1997), Frédérick ou le Boulevard du Crime (1998), Hôtel des deux mondes (1999), Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (1999), Petits crimes conjugaux (2003), L’Évangile selon Pilate (2004), etc. Ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Prix de l’Académie Française en 2000.

Une brillante carrière de romancier, initiée par La Secte des Egoïstes, absorbe toute son énergie depuis L’Évangile selon Pilate (2000), livre lumineux dont La Part de L’autre (2001) se veut le côté sombre. Depuis, on lui doit Lorsque j’étais une oeuvre d’art (2002), une variation fantaisiste et contemporaine sur le mythe de Faust. Les récits de son Cycle de l’Invisible ont rencontré un immense succès aussi bien en francophonie qu’à l’étranger, aussi bien sur scène qu’en librairie. Milarepa sur le bouddhisme, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran sur le soufisme qui lui valut en 2004 le Grand Prix du Public à Leipzig, le Deutscher Bücherpreis, Oscar et la dame rose sur le christianisme et L’enfant de Noé (2004) sur le judaïsme sont dévorés par des millions de lecteurs de toutes les générations.

En octobre 2005, sa nouvelle fiction Ma vie avec Mozart sort simultanément dans plusieurs pays, de la Corée à la Norvège, en passant par la Grèce, l’Italie, la Suisse, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche et la Suède » 1.

Eric-Emmanuel Schmitt enchaîne romans, pièces de théâtre et recueils de nouvelles : 6 romans, 8 pièces de théâtre et 4 recueils de nouvelles ont été publiés depuis 2008. Son dernier roman, publié en 2015, La nuit de feu, relate sa « nuit mystique », vécue dans le désert du Hoggar. « Je suis né deux fois », écrit-il, « une fois à Lyon en 1960, une fois dans le Sahara en 1989 ».

Il s’est également essayé à l’écriture cinématographique (adaptation à l’écran de son recueil Odette Toulemonde et de son récit sur le christianisme Oscar et la Dame rose). L’auteur prolifique a également produit une bande dessinée, Les

1 Le Visiteur, Eric-Emmanuel Schmitt. Dossier préparé et rédigé par Catherine Marchasson, sur le site officiel de l’auteur : http://www.eric-emmanuel-schmitt.com/Accueil-site-officiel.html.

aventures de Poussin 1er, avec le dessinateur Janry. Il dirige le Théâtre Rive Gauche à Paris et siège à l’Académie Goncourt.

La pièce Le Visiteur a été créé en 1998 au Bic par le Théâtre Les gens d’en bas, cette production, à laquelle participait entre autre, Frédéric Desager, a tourné pendant plusieurs années au Québec.

Résumé de la pièceL’action se situe dans le cabinet de Sigmund Freud, à Vienne, le soir du 22 avril 1938. Les troupes allemandes ont envahi l’Autriche le 12 mars 1938 et commencent à faire régner l’ordre nazi.

Freud est avec sa fille, Anna. Ils discutent de la vieillesse, du péril nazi, de la violence à l’encontre des Juifs. Freud ne veut pas encore partir. Anna le presse de signer un document qui leur permettrait de quitter Vienne avant qu’il ne soit trop tard. Un homme de la Gestapo fait alors irruption dans l’appartement et menace le vieil homme. Anna réagit violemment, elle est arrêtée et emmenée dans les bureaux de la Gestapo pour interrogatoire. Freud, désespéré, appelle à l’aide l’ambassade américaine. L’ambassadeur accepte de l’aider à condition que Freud signe le document. Cette lettre est une négation de la réalité fasciste et des agissements criminels des nazis.

C’est alors qu’un homme surgit dans son cabinet. Le Visiteur refuse de donner son identité. Freud le traite d’abord comme un patient, tente l’hypnose, dialogue avec lui, puis devant l’improbable clairvoyance de certaines remarques sur l’avenir de l’humanité, il se résout à accepter le mystère.

Qui est ce visiteur ? Un fou ? Un mythomane ? Un fantasme ? Ou bien est-il, comme il le prétend, Dieu ? Cette rencontre va mettre à l’épreuve l’athéisme du psychanalyste et susciter une réflexion sur le Bien et le Mal, et sur le libre-arbitre de l’Homme.

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L’antisémitisme, le nazisme et l’Holocauste

Lexique2

• JuifLes Juifs partagent une histoire, une culture et une religion communes, cependant, certains d’entre eux ne sont ni croyants ni pratiquants. Descendants des Hébreux, ils ont vécu en terre d’Israël durant des siècles avant d’en être exilés par les Romains, il y a 2000 ans. Depuis, ils sont dispersés dans le monde entier à l’exception des Juifs qui sont toujours restés sur la terre d’Israël ou ont décidé de retourner y vivre depuis la création de l’État d’Israël (1948). Sont-ils des centaines de millions ? Non, juste 15 millions à peine. C’est une minorité. Ils sont citoyens des pays où ils habitent : Canada, Argentine, Russie, France, Angleterre, Maroc, Israël, etc. Les habitants d’Israël sont des Israéliens, ils peuvent être Juifs, - et ils le sont majoritairement- mais aussi musulmans, chrétiens, bouddhistes…

• Antisémitisme En 1879, le journaliste et agitateur politique allemand Wilhelm Marr écrit un pamphlet et fonde la Ligue antisémite, qui consacre l’entrée du terme antisémitisme (Antisemitismus) dans le vocabulaire politique. Produite directement par les idéologies nationalistes et racistes, alors en pleine expansion, cette expression nouvelle de la haine contre les juifs n’est cependant pas sans liens avec ce que Hannah Arendt désigne, dans la Préface de Sur l’antisémitisme, par « haine religieuse du Juif » (religious Jew-hatred) qu’on appelle aujourd’hui « antijudaisme », hostilité repérable dès l’Antiquité, qui va se prolonger et s’amplifier au Moyen Âge dans l’Occident chrétien, et finalement perdurer jusqu’au xxe siècle.3 Concrètement, les lois antisémites imposées par les nazis dès leur arrivée au pouvoir vont se traduire par toute une série de mesures discriminatoires : port obligatoire d’une étoile jaune sur les vêtements, interdiction des mariages mixtes, exclusion des écoles et de nombreux lieux publics, destitution des biens, etc. Ces mesures ont rapidement été suivies par la mise en œuvre du génocide.

2 Toutes les définitions de ce lexique sont tirées de Sonia Sarah Lipsyc, Livret pédagogique en accompagnement de la pièce Sauver un être, sauver un monde à partir du livre Hitler et la fillette de Catherine Shvets, Flammarion Québec, Sauver un être, sauver un monde a été adapté et mis en scène par Sonia Sarah Lipsyc, en 2011. Produit par Aleph, centre d’études juives contemporaines en partenariat avec Les Productions Pas de Panique. L’intégralité de ce livret peut-être envoyé sur demande.3 Adaptation libre de la définition tiré de : BENBASSA, Esther, Antisémitisme, www.universalis.fr/encyclopedie/antisemitisme

• Holocauste et ShoahDésigne le génocide de la seconde guerre mondial et le meurtre systématique de six millions de Juifs organisés par les nazis et leurs alliés. Ces meurtres de masse visaient également les homosexuels, les Tsiganes, les malades, les opposants politiques... Le terme « Shoah » veut dire « dévastation, anéantissement, catastrophe » ; alors qu’un « Holocauste », dans la Bible, représente le sacrifice d’un animal par le feu. Ce processus d’extermination commença en 1933 par l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne et s’acheva en 1945 avec la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le devoir de mémoire et l’importance d’enseigner l’Holocauste aujourd’hui.

www.mhmc.ca/fr/pages/enseignants

• Hitler (1889-1945) Allemand né en Autriche, le jeune Hitler est refusé à l’école des Beaux-Arts. Lors de la première guerre mondiale, il est simple caporal. Il dirige le parti national socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). En 1923, il participe à un coup d’état qui échoue. Hitler est arrêté mais va profiter de son procès pour augmenter sa notoriété. Il est condamné à cinq ans de prison mais demeurera incarcéré pendant moins d’une année au cours de laquelle il cristallise sa doctrine nazie et termine l’écriture de son livre Mein Kampf (Mon combat), un ouvrage raciste et antisémite. Hitler accède au pouvoir en 1933 et se fait appeler le Führer, « guide » en allemand. Il avait promis que l’époque du 3ème Reich, qu’il inaugurait avec le nazisme, durerait 1000 ans. Ce fut jusqu’à sa mort, en 1945, 12 ans d’horreur absolue.

Hitler ne cachait pas son plan d’éradication des Juifs. Il l’avait écrit dans Mein Kampf et l’avait mis en œuvre dès son arrivée au pouvoir en 1933. Tout le monde connaissait avant-guerre ces mesures anti juives et tout le monde a laissé faire.

Avec le déclenchement de la guerre, les premiers massacres de masses et « la solution finale », organisée secrètement par les nazis en 1942 à la conférence de Wannsee à Berlin, la mise à mort des Juifs s’est accélérée. Il y eut des millions de morts durant cette période parmi lesquels six millions de Juifs exterminés et aussi environ entre 250.000 et 500.0004 Tsiganes ou Roms, 12.000 homosexuels, 2500 témoins de Jehova.

4 Le chiffre est encore incertain car les historiens travaillent encore sur ce sujet. La première estimation est donnée par Louis Weber, The Holocaust Chronicle. A history in words and pictures, International Lincolnwood, USA, 2003 et la seconde dans l’article « Parajmos » dans Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Porajmos).

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• Nazi et GestapoAdepte du nazisme, acronyme de « national-socialisme », parti politique de Adolf Hitler prônant la supériorité de la race blanche, plus particulièrement des Aryens (blonds aux yeux bleus), sur les autres blancs, sur les slaves, sur les noirs5, les asiatiques, les Tsiganes, les Juifs, etc. Les nazis racistes, antisémites et violents vouaient un culte à leur chef, le « führer ». La gestapo était la police secrète nazie, fondée en 1933, et connue pour ses méthodes brutales. Elle traquait en particulier les Juifs et les résistants.

• S.S.Créé en 1925 et dirigée par Himmler à partir de 1929, «Shutzstaffel» est la police militarisée des forces nazies composée d’hommes très entraînés, bien équipés et fanatiques de l’idéologie nazie. Ils avaient en charge la protection d’Hitler, - ce que signifie leur nom « unité de protection » - et la mise en œuvre de la « solution finale ». L’importance des SS et de la Gestapo, va constamment augmenter jusqu’à la fin de la guerre, souvent au détriment de l’armée régulière (Wehrmarcht ou SA).

• DéportationPrendre de force un individu ou un groupe et l’emmener contre sa volonté dans un autre endroit, généralement en captivité.

• Camps de concentrationLes premiers ont été mis en place en Allemagne, dès 1933, avant la guerre, pour y emprisonner les opposants au régime nazi. Il y avait aussi des détenus de droit commun c’est-à-dire des délinquants, des prisonniers russes, des communistes ou des résistants, mais la majorité était des Juifs. Tous travaillaient dans des conditions épouvantables, comme des esclaves, jusqu’à ce que mort s’en suive. Ils étaient épuisés et affamés, on appelait ces camps « les camps de la mort lente ». Bergen-Belsen, Buchenwald, Dachau, Ravensbrück en Allemagne ou le Struthof en France comptent parmi ces camps. Des centaines de milliers de personnes y sont mortes.

• Camps d’extermination ou centres de mise à mort

Celles ou ceux qui étaient jugés « aptes au travail », c’est-5 « Les persécutions des Noirs, de 1933 à 1945, en Allemagne nazie et dans les territoires occupés par celle-ci, se manifestèrent par l’isolement, la stérilisation, les expériences médicales, l’incarcération, les brutalités et les meurtres. Toutefois, les Noirs ne firent pas l’objet d’un programme d’extermination systématique comme ce fut le cas pour les Juifs et d’autres groupes de population » dans « Les Noirs pendant la Shoah » in Encyclopédie Multimédia de la Shoah (http://www.ushmm.org/wlc/fr/article.php?ModuleId=226).

à-dire à l’esclavage, étaient envoyés dans les camps de concentration. Les autres, pratiquement dès leur arrivée, étaient assassinés dans les chambres à gaz. Hommes, femmes, enfants, vieillards…. Ils entraient nus dans une chambre pensant prendre des douches et mourraient asphyxiés par le gaz. Ensuite, leurs cadavres étaient brulés dans les fours crématoires. Ces camps de la mort ont été créés par les nazis pour assassiner les déportés.

Voici le nom des camps d’extermination qui résonnent comme des cimetières à ciel ouvert :

Auschwitz et Majdanek qui furent aussi des camps de

concentration, Belzec, Chelmno, Sobibor et Treblinka. Tous ces camps étaient situés en Pologne6.

Le nazisme à Vienne

En 1926 fut fondé à Vienne un parti national-socialiste, lié aux nazis allemands. Ce parti connut une progression notable dès 1930. Pendant un temps, les chanceliers autrichiens combattront l’idéologie nationale-socialiste : Engelbert Dollfuss (chancelier fédéral de 1932 à 1934), dissout le parti nazi en juin 1933. Les nazis l’assassineront un an plus tard, le 25 juillet 1934, lors d’une tentative de putsch. Son successeur, Kurt von Schuschnigg, tentera de poursuivre la même politique contre les nazis pendant deux ans, mais le nazisme tisse sa toile en Autriche et la crise économique du pays s’amplifie. Le chancelier opère alors un rapprochement avec Hitler et signa un accord avec lui le 11 juillet 1936.

Le nazisme va s’installer dans tout le pays. Sur ordre du gouvernement allemand, Schuschnigg est forcé de démissionner le 11 mars 1938. Le lendemain, Hitler envahit l’Autriche : c’est l’Anschluss. Les troupes allemandes sont acclamées par la population. L’Allemagne nazie construit son empire.

Vienne, capitale de l’Autriche, compte environ 180 000 Juifs, soit 10% de sa population. Ils font partie de l’élite sociale et intellectuelle de la société viennoise. Mais dès la démission de Schuschnigg, la foule se déchaîne contre eux. Tous les centres du pouvoir tombent dans les mains des nazis, les persécutions

6 « Situés principalement en Pologne pour des raisons d’économie de moyens (là réside une grande partie de la population juive d’Europe) et pour des raisons tactiques (l’antijudaïsme virulent des Polonais diminue les risques de réactions négatives des populations), les camps d’extermination prennent le relais des tueries de masse sur le « terrain » (Babi Yar septembre 1941) effectuées par les « Einsatzgruppen » (…) » Gérard.Rabinovitch , Questions sur la Shoah , Les essentiels Milan, Paris 2000, p 25. Sur 6 millions de Juifs qui périrent durant la Shoah, 3 millions furent des Juifs polonais soit 90% du judaïsme polonais. Ils moururent dans les ghettos et les camps de concentration ou furent assassinés, en particulier dans les camps d’extermination. »

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commencent. Arrestations en masse, commerces incendiés, Juifs molestés… la situation bascule rapidement dans l’horreur. Le dramaturge allemand Carl Zuckmayer, témoin des faits, décrit une ville submergée par la violence : « Cette nuit-là, l’enfer se déchaîna… La ville se transforma en une peinture cauchemardesque de Jérôme Bosch [...] Ce qui se déchaînait à Vienne était un torrent d’envie, de jalousie, d’amertume, d’aveuglement, une malveillante envie de revanche »7.

Face à ce monde dans lequel ils ne se reconnaissent plus, désespérés du silence des nations, cinq cents Juifs se suicident en l’espace d’un seul mois. Des milliers d’autres décident de fuir l’Autriche. Depuis la prise de pouvoir d’Hitler en 1933, les amis de Sigmund Freud le pressent de quitter Vienne, mais il refuse, persuadé que le nazisme ne prendra pas racine, en dépit de la vague déferlante d’antisémitisme.

« Il n’y a pas de nazis viennois », déclare-t-il à sa fille. « Non, père, tu as raison, il n’y a pas de nazis viennois… Il faudrait un nouveau terme pour l’immonde », réplique Anna dans la pièce. Il faudra l’arrestation d’Anna par la Gestapo pour que Freud comprenne l’imminence du danger et se décide à partir. Vienne est tombée dans la barbarie. Freud signera le 4 juin document dont il est question dans la pièce et que la Gestapo exigea qu’il signe afin de partir. Toutefois le P.S. ironique qu’il ajouta « Je puis cordialement recommander la Gestapo à tous » est peut-être une légende même si l’un de ses fils Martin attesta de son authenticité8.

Les Juifs autrichiens et la Shoah

Il y avait 192 000 Juifs en Autriche avant la guerre, soit 4% de la population totale.

Si on ajoute les personnes qui avaient un seul parent juif, celles qu’on appelait les « mischlings », les métisses, et qui seront, elles aussi déportées, on a un chiffre de près de 200 000 personnes. La grande majorité vivait à Vienne, environ 170 000.

Environ 130 000 Juifs ont émigré. 65 000 ont été déportées ou tués. 1 747 Juifs ont survécu à la déportation. Les autres ont survécu en se cachant.9

7 Cité par Evan Burr Bukey, Hitler’s Austria: Popular Sentiment in the Nazi Era, 1938-1945, The University of North Carolina Press, 2000.8 Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre, Seuil, Paris, 2014, p 503.9 www.ushmm.org/wlc/en/article.php?ModuleId=10005447 et www.holocaustresearchproject.org/nazioccupation/anschluss.html

Freud

Le fondateur de la psychanalyse

Qu’est ce que la psychanalyse ?

«Méthode d’investigation psychologique visant à élucider la signification inconsciente des conduites et dont le fondement se trouve dans la théorie de la vie psychique formulée par Freud»10.

Il s’agit d’une démarche thérapeutique fondée sur l’exploration de l’inconscient par la parole. L’analysant, généralement allongé sur un divan, associe librement des idées ou des images à partir de rêves, de souvenirs ou de tout autre événement de sa vie réelle ou fantasmée.

La psychanalyse est basée sur l’exploration de l’inconscient -où sont enfouis les refoulements et les pulsions - par la verbalisation du sujet, sa capacité, en présence du psychanalyste, à interpréter les discours, processus qui permettra de révéler l’influence de conflits inconscients sur les fonctionnements actuels afin de s’en libérer.

Sigmund Freud (1856-1939)

Freud achève ses études de médecine à Vienne en 1885. Il obtient alors une bourse postdoctorale pour étudier auprès du professeur Charcot, neurologue à l’hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris. Le docteur Charcot travaillait sur les névroses hystériques (manifestations physiques de troubles psychiques) qu’il traitait par l’hypnose. Freud intègrera cette technique dans sa pratique médicale, convaincu de son efficacité thérapeutique. Il adoptera par la suite la « cure cathartique », méthode élaborée par son ami, le docteur Josef Breuer. La cure cathartique reposait sur la narration sous hypnose d’événements traumatiques survenus dans le passé. Il collaborera pendant des années avec Breuer. De cette collaboration résultera la publication en janvier 1893 d’un article rédigé en commun, « Le mécanisme psychique des phénomènes hystériques ». Cet article sera repris en 1895 dans l’ouvrage Etudes sur l’hystérie, publication qui est considérée comme marquant le début de la psychanalyse. Freud pensait que « le procédé cathartique de Breuer » était une phase préliminaire à la psychanalyse. Mais devant le nombre de cas résistant à cette thérapeutique, il finira

10 www.larousse.fr/dictionnaires/francais/psychanalyse/64802.

Une du magazine Vu le 20 juillet 1932. Rue des Archives/Collection Bourgeron

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par conclure que cette méthode masquait une résistance à une véritable compréhension de la maladie. Il renoncera à l’hypnose, et substituera la méthode de l’association libre à la méthode cathartique : le patient doit exprimer toutes ses pensées, ses idées, images, émotions, tout ce qui lui traverse l’esprit, sans sélection aucune, même si ces matériaux lui apparaissent incohérents, ou dépourvus d’intérêt. La parole appartient au patient, le travail de l’analyste se fonde sur l’écoute neutre, ce que Freud appelle « attention flottante ». La psychanalyse était née.

Freud et sa famille

Ses rapports avec sa familleFreud, père de six enfants dont Anna la dernière, était proche d’eux ainsi que de ses gendres, brus et petits enfants à l’égard de qui il était bienveillant. Il les aidait tous également d’un point de vue matériel, en leur ayant cédé, par exemple, dès son premier livre tous ses droits d’auteur. Il se souciait de leur santé et il était « un père extrêmement présent et concerné par le tour que prend l’existence de chacun de ses enfants, sans jamais s’opposer à leur choix profond »11. En fait, Freud se vivait comme un patriarche. D’ailleurs, au moment de quitter Vienne pour se réfugier à Londres, Freud écrivait « Je me compare parfois au vieux Jacob que ses enfants avaient aussi emmené en Egypte à un âge avancé »12. Freud qui était Juif et connaissait la Bible, fait là référence à un passage de la fin du livre de la Genèse où répondant à l’invitation de son fils bien aimé Joseph, devenu grand intendant en Egypte, Jacob accepte de quitter sa terre natale pour aller vivre en Egypte, mais demanda que sa dépouille soit ramenée plus tard dans la ville de Hébron, dans l’antique Israël.

Sa relation à sa fille Anna

Anna la psychanalysteIl y eut entre Freud et sa fille Anna (1895-1982), une relation d’étroite complicité tant affective qu’intellectuelle. Sigmund Shlomo Freud et Martha eurent six enfants, trois garçons et trois filles et Anna fut la dernière d’entre eux. Anna, eut d’abord une formation d’institutrice à l’école Montessori de Vienne, car elle ne pouvait alors, en tant que femme, de façon tout à fait discriminative, entrer à l’université comme elle l’eût souhaité. Elle choisit peu après de devenir psychanalyste et

11 Clotilde Leguil, «Freud, l’homme qui aimait être père » dans Marianne, 18/11/2012 www.marianne.net/Freud-l-homme-qui-aimait-etre-pere_a224183.html12 Julie Clarini, «Papa prodigue et grand papa poule. « Lettres à ses enfants» de Sigmund Freud. » dans Le Monde, 02/11/2012 : www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/02/freud-papa-prodigue-et-grand-papa-poule_1784315_3260.html.

fut la seule enfant de Freud à avoir exercé le même métier que son père. Anna suivit, comme le veut l’expression de cette discipline, deux tranches d’analyse avec Freud, son père. Pratique qui serait impensable aujourd’hui – qu’un père psychanalyse sa fille - mais n’oublions pas que nous étions au début de la psychanalyse.

Il se peut d’ailleurs que Freud ait cité le cas de sa fille dans l’un de ses ouvrages et Anna va lui répondre… Lorsqu’elle présente sa conférence d’admission devant les membres de la Société psychanalytique de Vienne, à laquelle assiste bien sur Freud, elle choisit précisément de commenter le cas « anonyme », à son sujet, que son père avait publié…Il s’agit donc « d’un dialogue fille/père, où la fille parle à la fois le langage du père et le sien propre »13. Cette remarque est essentielle car elle souligne la proximité d’Anna avec Freud mais aussi son autonomie. D’ailleurs, Anna développera ses propres applications dans la psychanalyse pour enfant, aussi bien théoriquement que dans la pratique comme analyste. Sa place fut prépondérante dans l’héritage de la pensée et des institutions freudiennes.

Anna et sa conjointe Dorothy BurlinghamAnna habita à Vienne un appartement dans le même immeuble que ses parents alors que sa compagne Dorothy Burlingham et ses quatre enfants en occupe un autre au même endroit. À Londres, aussi, Anna résidera là où sont ses parents au 20, Maresfield Gardens, et Dorothy dans une maison voisine.

Toujours avec Dorothy et d’autres qui adhèrent à leurs projets pédagogiques et son approche psychanalytique, Anna fonda à Vienne et aussi à Londres, des institutions pour enfants destinées, avant tout, aux enfants nécessiteux.

Après la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste, elle créera avec Dorothy une institution qui accueillera des enfants notamment des enfants juifs. « Elle se confronta à la question de l’extermination en prenant en charge entre 1945 et 1947 six jeunes orphelins juifs allemands nés entre 1941 et 1942, et dont les parents avaient été envoyés dans les chambres à gaz. Internés au camp de concentration de Theresienstadt (Terezin), dans la section des enfants sans mère, ils avaient survécu, collés ensemble et privés de jouets et de nourriture. Quand ils furent confiés (…) à Anna, qui renoua à cette

13 Voir Lynda Hart, La performance sadomasochiste, entre corps et chair, Paris, EPEL, 2003.

Archives nationales Allemande, The Hague, Fotocollectie Algemeen Nederlands Persbureau, 1945-1989

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occasion avec la langue allemande, ils parlaient entre eux un langage ordurier rejetaient les cadeaux, détruisaient le mobilier, mordaient, frappaient, hurlaient, insultaient les adultes. Ils n’avaient pu survivre qu’en formant une entité unique qui leur servait de forteresse. Après un an de soins ils retrouvèrent une vie normale. Enfants du génocide et de l’abandon absolu, ils furent les premiers à expérimenter une nouvelle approche psychanalytique qui montrera aux générations futures que rien n’est jamais jouée d’avance et que, même dans les situations les plus extrêmes, une nouvelle vie est toujours pensable. Dans ce domaine, Anne Freud a révélé ses véritables dons de clinicienne. »14.

Anna demeure très proche de son père jusqu’à la toute fin tant au niveau professionnel que personnel. Elle reste avec lui à Vienne et accompagne ses parents jusqu’en Angleterre.

Freud et le judaïsme

Un « Juif sans Dieu »Le rapport de Freud au judaïsme est marqué par la complexité. Freud se décrivait comme un « Juif sans Dieu ». Pour lui, toute religion dénotait la faiblesse des civilisations, qui cherchaient un réconfort dans la croyance en l’existence divine. La période moderne insérait une rupture, car progrès et raison s’étaient substitués à ce stade « primitif » des sociétés.

Pourtant, il revendiquait son identité juive. Lorsqu’il épousa Martha Bernays, petite-fille du grand rabbin de Hambourg, il lui demanda de renoncer aux rituels religieux, mais il souhaitait conserver son judaïsme athée : « Bien que les formes dans lesquelles les vieux Juifs se sentaient à l’aise ne nous offrent plus d’abri, quelque chose d’essentiel, la substance même de ce judaïsme si plein de sens et de joie de vivre n’abandonnera pas notre foyer », lui écrivit-il avant leur mariage.

De même, il adhéra dès 1897 au B’nai Brith, cette organisation internationale dédiée à la lutte contre l’antisémitisme. Dans une lettre datant de 1926, adressée à sa loge de Vienne, il déclarait : « Il restait assez de choses propres à rendre irrésistible l’attrait du judaïsme et des Juifs, beaucoup d’obscures forces affectives – d’autant plus puissantes qu’elles se laissent moins saisir par des mots – et puis aussi la claire conscience d’une identité intérieure, le sentiment intime d’une même construction psychique ». Et dans une lettre adressée au musicologue Max Graf, père de son jeune patient Hans, il affirmait sa judéité, car « l’appartenance au judaïsme est une source d’énergie qui ne peut être remplacée par rien d’autre ».

Les formulations restent assez vagues et ne nous permettent

14 Elisabeth Roudinesco Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre, op cité p 520.

pas d’aboutir à une définition claire de ce qu’était le judaïsme de Freud : communauté de destin ? Héritage historique précieux ? Force d’une identité partagée, dont une partie reste inconsciente, soumise à l’affect ? Lui-même le dit, il y a quelque chose de miraculeux dans le judaïsme, qui échappe à toute analyse et ne se laisse pas saisir par les mots…

Freud, les dernières années de sa vie

Souffrant mais apparemment toujours tiré à quatre épingles

Freud, au moment où nous le surprenons dans la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, en 1938, est âgé de 82 ans et il lui reste une année à vivre. Il souffre d’un cancer de la mâchoire, il a subi plusieurs opérations, une trentaine, et porte une prothèse dans la bouche. À ce sujet, il garde le sens de l’humour… Ainsi, un jour où on demanda au Dr Freud, polyglotte, de parler en français et que, pour une raison ou une autre, cette fois-là il ne le désira pas, il répondit : « Ma prothèse ne parle pas français »15.

Son combat contre la maladie fut stoïque. Cependant, c’est un homme qui continua à écrire, à traduire, à recevoir quelques patients… et à fumer des cigares !

«Je crois que je dois au cigare ma capacité de travail et mon contrôle sur moi-même. Mon modèle était mon père qui était

gros fumeur et le resta toute sa vie »16.

Il s’amaigrit, mais resta toujours élégant. « Au début de l’année 1938, le cancer de Freud s’étendit (…). Chaque semaine, les lésions de la cavité buccale s’amplifiaient (…). Les interventions chirurgicales et les électrocoagulations retardaient la progression du mal. Soucieux de travailler encore et de conserver intacte sa vigilance, Freud, qui maigrissait à vue d’œil, refusait de prendre des antalgiques. Malgré les ravages qu’opérait la maladie sur son visage et l’augmentation de sa surdité consécutive à des infections post opératoires, il tenait à conserver une apparence décente »17.

Et Freud continua à écrire sur ses grands feuillets. Il travailla sur son dernier ouvrage, la 3ème version de Moise et le monothéisme. Il traduisit aussi avec sa fille Anna, en 1937, le livre de Marie Bonaparte sur son chien, Topsy, le chow-chow aux poils d’or. Ce fut l’un de ses derniers travaux d’écriture.15 Xavier Riaud, « Le cancer du maxillaire supérieur de Sigmund Freud (185661939) » dans Histoire de la médecine. www.histoire-medecine.fr/articles-histoire-de-la-medecine-cancer-du-maxillaire-superieur.php.16 René Krémer, « Le martyre de Sigmund Freud (1920-1939) » dans AMA-UCL. (Association des médecins Alumni de l’Université Catholique de Louvain. www.md.ucl.ac.be/ama-ucl/edito39.html.17 Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre, op cité p. 489.

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Après Vienne, de 1938 à 1939« Le Visiteur » se déroule la nuit du 22 avril 1938 à Vienne, et le 5 juin à l’aube, Freud, quittait l’Autriche et sa capitale où il avait vécu 79 ans, en prenant le train de l’Orient Express avec sa fille Anne, sa femme Martha, Paula, leur gouvernante et Josefine Stross, docteure afin de pouvoir surveiller sa santé. Les autres membres de la famille de Freud, dont ses enfants ou petits-enfants et sa belle-sœur Mina ainsi que Dorothy Burlingham, les avaient, pour la plus part, précédés. C’est Marie Bonaparte qui paya la rançon qu’exigea le régime nazi pour le départ de Freud18.

« Avant de quitter Vienne pour l’exil, Freud a choisi avec soin les quelques 800 livres qui formeront sa bibliothèque londonienne. À côté d’ouvrages et de revues scientifiques, il rassemble des histoires de l’art ou du judaïsme, mais aussi ses auteurs littéraires de prédilection : Shakespeare, Goethe, Gogol, Balzac ou Anatole France. »19. Il fit une escale à Paris avant de rejoindre sa famille à Londres où son disciple Ernest Jones s’était procuré tous les papiers nécessaires à un immigrant (titre de séjour et permis de travail). Malheureusement, Freud laissa derrière lui ses quatre sœurs Marie, Adolphine (Dolphi), Pauline (Paula) et Rosa pour lesquelles il n’avait pas réussi à obtenir pour elles des visas. Elles furent déportées pour trois d’entre elles au camp de concentration de Théresienstadt avant de mourir assassinées dans des camps de concentration et d’extermination dont Treblinka

Freud et sa famille s’installèrent au 20 Maresfield Gardens où le fondateur de la psychanalyse vécut ses dix-huit derniers mois.

Freud accorda en 1938, à la BBC, à partir de son domicile, une interview ; il s’agit du seul enregistrement que nous possédons de la voix de Freud. Il parle en anglais de la psychanalyse et conclut en allemand : « Dans ma quatre-vingt deuxième année, j’ai quitté mon chez-moi à Vienne à la suite de l’invasion allemande et je suis venu en Angleterre où j’espère terminer ma vie dans la liberté »20 . Il s’exprima « d’une voix étouffée par sa prothèse » à cause de son cancer à la mâchoire qui le faisait terriblement souffrir.

La mort de FreudFreud comprend que sa mort est proche lorsque son chien s’éloigne de lui : « incapable de supporter l’odeur très forte de la décomposition provenant des tumeurs buccaux de son 18 Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre, op cité p. 501.19 Olivier Douville, « Un enregistrement de la voix de Freud, 1938, pour la BBC », 24/10/2014 sur Olivier Douville Blog Spot Canada. www.olivierdouville.blogspot.ca/2014/12/un-enregistrement-de-la-voix-de-freud.html?view=sidebar.20 Ibidem.

maitre, Lun commence à se distancer de Freud, à se mettre à l’autre bout de sa chambre (…). Lorsque la douleur devient insupportable, Freud appelle à son chevet son médecin et ami Max Schur, le priant de tenir sa promesse de le délivrer de sa souffrance quand le temps serait venu. Selon le désir de Freud, Schur lui fait une injection sous-cutanée de deux centigrammes de morphine. Freud entre dans le coma et ne se réveille plus. Il meurt le 23 septembre 1939 à trois heures du matin »21.

Mais ce qui nous intéressera aussi ici, c’est qu’avant de demander à son médecin de lui injecter la dose létale, Freud au préalable lui « demanda d’en parler à Anna : « si elle pense que c’est juste, alors finissons-en ». Vivre dans de telles conditions n’avait plus à ses yeux aucun sens »22.

« Le matin du 26 septembre, le corps de Freud fut incinéré à Golders Green ; ses cendres y reposent dans son urne grecque préférée, cadeau de la princesse Marie Bonaparte. Ernest Jones prononça l’oraison funèbre, cependant que Stefan Zweig lui rendit un dernier hommage (…) »23.

Deux personnalités importantes au moment du départ de Freud.

• Marie Bonaparte (1882-1962), la princesse et l’amie indéfectible

La relation d’abord thérapeutique et ensuite d’amitié qui unit Marie Bonaparte, riche descendante de Napoléon, à Freud, fut importante. C’est elle, avec les autres diplomates cités dans la pièce, qui réussit à l’extirper des griffes du nazisme. Elle œuvra, grâce à ses contacts et sa fortune, à sauver Freud et sa famille du nazisme, car il fallait payer aux nazis une rançon pour quitter l’Autriche. Marie Bonaparte reçut Freud en France et participa amplement à la diffusion de son œuvre, car Freud était déjà à ce moment-là de sa vie, internationalement connu et reconnu. Lorsque Marie Bonaparte apprend qu’Anna est amenée à la gestapo, elle, qui se trouve à ce moment-là à Vienne, demande à être prise aussi, mais « les S.S, impressionnés par son statut d’altesse royale, ne voulurent rien entendre »24. Mieux encore, à partir de ce jour-là, elle occupe les escaliers de Freud ! « Pour éviter à l’avenir de telles intrusions, la princesse décida de monter la garde sur les marches l’escalier » écrit l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco et de citer l’auteur Detlef Berthelsen,

21 Pseudo La Cynophile, « Sigmund Freud et les chiens » dans Les chiens et leurs humains sur internet 19/03/2012 www.leschiensetleurshumains.wordpress.com/2012/03/19/sigmund-freud-et-ses-chiens/.22 Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre, op cité p. 512.23 Rolland Jaccard, Freud, Puf, Que Sais-Je ? Paris, 1983 p. 112.24 Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre op cité p. 497.

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dans son livre, La Famille de Freud au jour le jour : « Vison bleu-noir serré autour des épaules, aux mains des gants clairs et sur la tête un vaste chapeau d’apparence fragile. À côté d’elle, un sac de crocodile marron. Enveloppée d’un nuage de

stephanotis (apparenté au jasmin), son parfum préféré, elle demeurait accroupie »25. Imaginons cette femme, là sur les escaliers de la demeure et du cabinet de consultation de Freud au Berggasse 19 … Et à qui « on apportait du thé ou du chocolat » pour tenir le coup ! À l’insu toutefois de Freud qui, ou l’ignorait ou, embarrassé, ne voulait pas qu’elle reste là.

• John Cooper Wiley (1893-1967), diplomate

Les diplomates américains joueront un rôle important dans l’obtention des permis d’immigration pour Freud et sa famille (dix-sept personnes en tout. Malheureusement, ses quatre sœurs, restées à Vienne, mourront en déportation).

Dans la scène 3, après l’arrestation d’Anna, Freud téléphone à l’ambassade américaine. Il cherche à joindre John Cooper Wiley, le chargé d’affaires, afin de lui demander son aide. John C. Wiley connut une longue carrière diplomatique qui le mena de Moscou à Panama, en passant par la Colombie, l’Iran, la Lettonie, la Belgique et l’Autriche. Il était en poste à Vienne depuis le 26 septembre 1937, et avait été l’un des premiers à alerter sur la menace d’une invasion allemande. Il aida un certain nombre de personnalités juives – dont Freud – à quitter le pays. La délégation américaine à Vienne sera fermée le 30 avril 1938.

25 Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre op cité p. 498.

Qui est Le Visiteur ? Les différentes identités de l’Inconnu

Tout au long de la pièce, à travers le dialogue entre l’Inconnu et Freud, l’auteur Eric-Emmanuel Schmitt pose plusieurs questions fondamentales auxquelles il n’y a pas de réponses définitives.

La structure de la pièce repose sur deux axes dramatiques essentiels : la montée du nazisme et l’identité de l’Inconnu. La montée du nazisme en Europe s’exprime de façon générale par les inquiétudes d’Anna sur la situation politique et de manière très directe par les visites du SS, par l’arrestation de Anna et par la question centrale du départ de Freud. C’est cet enjeu qui ouvre la pièce dès la première scène :

Anna : « Signe la papier, papa, que nous puissions partir ! [...] N’attends pas que cela deviennent impossible ».

Pour Anna, c’est une question de vie ou de mort et le spectateur sait que l’Histoire va lui donner raison.

Le second axe dramatique concerne la question de l’identité de l’Inconnu. Même si l’auteur nous oriente vers une incarnation divine, la question va demeurer ouverte jusqu’à la toute fin de la pièce.

• Un mythomane : Pour Freud, l’Inconnu est d’abord un intrus qui entre chez lui en pleine nuit par la fenêtre. C’est un mythomane qui a beaucoup d’admiration pour Freud et veut le rencontrer, lui parler, se faire soigner peut-être. Lors de la scène 8, Freud est même convaincu qu’il s’agit de Walter Oberseit, un fou qui s’est échappé de l’asile et qui est recherché dans l’immeuble. Même si l’Inconnu semble avoir des pouvoirs surnaturels, tout au long de la pièce, il demeure possible que ce personnage soit un brillant mythomane doté de certains dons de voyance.

• Un fantasme : L’inconscient de Freud qui s’exprime à travers une hallucination ou un rêve. Plusieurs indices laissent penser que Freud pourrait s’être endormi après la scène 3 et qu’il ne se réveille qu’au retour de sa fille à la scène 11. Dans cette version, celle à laquelle adhère le personnage d’Anna (sc. 11), l’apparition de l’Inconnu et même les autres visites du Nazi sont le produit de l’imagination de Freud. L’Inconnu ne serait qu’un simple individu qui suit la famille Freud. Freud est épuisé par les

Marie Bonaparte, Sigmund Freud et William C. Bullitt. En route pour Londres. Escale à Paris, 5 juin 1938. www.loc.gov

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émotions, la maladie et les médicaments. Même si cette lecture n’est pas la voie privilégiée par l’auteur, on peut certainement y voir un parallèle avec la psychanalyse, l’analyse des rêves et de l’inconscient de l’homme. Plutôt que de considérer Dieu à l’extérieur de l’individu, on peut y voir la possibilité de placer Dieu dans les profondeurs de l’esprit humain, ce qui n’est pas forcement en opposition avec une conception religieuse.

• Une incarnation divine : Même si l’Inconnu entretient souvent une certaine ambiguïté, qu’il laisse même penser qu’il est bien Walter Oberseit pendant la scène 8, il prétend être une incarnation divine. Il refuse que Freud se laisse aller à croire en lui pour de mauvaises raisons, par peur ou par faiblesse (sc.4). Il ne cherche pas non plus à convertir Freud ou à répondre clairement à ses questions existentielles.

« Quand Dieu lui-même se définit, par la bouche de l’Inconnu, il se compare d’abord à un prince, que le spectacle des hommes et de sa perfection immortelle ennuie. Mais cette ironie désabusée

n’est qu’une façade. Le vernis craque rapidement. Dans la scène 10, il n’est plus le père grondeur qui réprimande ses

enfants rebelles et criminels, mais un père aimant qui ne peut qu’assister, malheureux, au spectacle. Les deux interlocuteurs

sont à nouveau d’accord. Les hommes sont libres, « pour le bien comme pour le mal, sinon la liberté n’est rien ». Les hommes sont libres, donc responsables de leurs propres actes. Alors,

qu’en est-il de ce Dieu ? « Donc vous n’êtes pas responsables ? » interroge Freud, sans obtenir de réponse. Ce Dieu-là serait-il soumis au destin, comme les Dieux antiques ? Est-il le simple

horloger de Voltaire, qui fabrique et ne répare pas ? La question reste évidement sans réponse.

« Je m’enveloppe d’obscur, j’ai besoin du secret ; [...] Je suis un mystère, Freud, pas une énigme. » (sc.16)26

Les seules réponses proposées par l’Inconnu sont donc que « la foi doit se nourrir de foi, non de preuves. » (sc.16) et donc qu’il faut accepter ce mystère.

Il avance également que l’Amour est le seul moteur valable tant pour la construction du monde que le fondement de la foi. (Sc.10)

- Freud « Alors, pourquoi l’avoir fait, ce monde ?

- Inconnu « Pour la raison qui fait faire toutes les bêtises, pour la raison qui fait tout faire, sans quoi rien ne serait... par amour. »

26 Le Visiteur, Eric-Emmanuel Schmitt. Dossier préparé et rédigé par Catherine Marchasson, sur le site officiel de l’auteur : http://www.eric-emmanuel-schmitt.com/Accueil-site-officiel.html.

Et pour l’auteur ?

Eric-Emmanuel Schmitt, philosophe de formation, très attaché au siècle des lumières et à une certaine laïcité, ne cache pas ses convictions spirituelles. Que ce soit dans son dernier ouvrage La nuit de feu où il évoque sa révélation ou encore, à travers les livres du Cycle de l’invisible, les personnages principaux de Schmitt sont toujours très croyants, animés d’une foi profonde, discrète et positive, et ce, dans toutes les religions.

Ainsi, l’auteur semble très attaché à présenter une forme de déisme, aussi éloigné des dogmes religieux que de l’athéisme pur et dur. Une foi inspirante, construite sur davantage de questions que de réponses, et plutôt compatible avec un esprit scientifique.

Ressources bibliographiquesOutre toutes références déjà données en notes de bas de page, nous reprenons ici les références principales auxquelles nous ajoutons d’autres suggestions par ordre alphabétique sur Sigmund Freud et l’Holocauste.

Catherine Clément, Pour Sigmund Freud, édition Menges, Paris, 2005.

Gérard Haddad, L’enfant illégitime. Sources talmudiques de la psychanalyse, Hachette, Paris, 1981.

Roland Jaccard, Rolland Jaccard, Freud, Puf, Que Sais-Je ? Paris, 1983.

Sonia Sarah Lipsyc, « Yentl et le divan de Shlomo Sigmund Freud » dans Yentl is back sur Tenoua, 2015 http://tenoua.org/yentl-07/.

Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre, Seuil, Paris, 2014.

Catherine Shvets, Hitler et la Fillette, Flammarion/Québec, 2010.

Art Spigelmann, Maus, un survivant raconte, Tome 1 : « Mon père saigne l’histoire » et Tome 2 : « Et c’est là que mes ennuis ont commencé », Flammarion, Paris, 1987 et 1992 (bandes dessinées).

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L’équipe

Ariel Ifergan - Metteur en scène Frédéric Desager - L’Inconnu

Alain Fournier - Sigmund Freud Jean-René Moisan - Officier SS

Karyne Lemieux - Anna Freud Frédérique Lapointe - Musique

Conception

Direction de production Alexandre Frenette Scénographie Jonas Veroff Bouchard Accessoires Fanny Denault Éclairages Marie-Aube St-Amant Duplessis Costumes Noémi Poulin Dramaturgie Sonia Sarah Lipsyc Graphisme Philippe Dumas Affiche (dessin) Lousnak

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