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Quarto n°2

Quarto.................................................................................................................................................................... 3 La Psychose ............................................................................................................................................................ 4

La Topologie dans l’ensemble de l’enseignement de Lacan Jacques-Alain Miller ......................................... 4 De quelques problèmes de surface dans la Psychose et l’Autisme Eric Laurent ........................................... 18

Quarto Cartels....................................................................................................................................................... 35 A propos du cartel Anne Lysy ......................................................................................................................... 35 Les deux faces du Cartel Moshe Krajzman.................................................................................................... 37

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Quarto SUPPLEMENT A LA LETTRE MENSUELLE DE L’ECOLE DE LA CAUSE FREUDIENNE PUBLIE À BRUXELLES

« La mort est du domaine de la foi. Vous avez raison de croire que vous allez mourir bien sûr ; ça vous soutient. Si vous n’y croyez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ? Néanmoins ce n’est qu’un acte de foi ; le comble du comble, c’est que vous n’en êtes pas sûrs. Pourquoi est-ce qu’il n’y en aurait pas un ou une qui vivrait jusqu’à 150 ans, mais enfin quand même, c’est là que la foi reprend sa force. »

Lacan, Louvain, 1972.

"Nous perdons notre président, façon de dire avec un mot, tellement moins que la place qui était la sienne et qu’il a donc rejointe maintenant dans le réel. Celle qu’il a nommée et quasi inventée, la place 'a', cause du désir. Comment ne pas promettre de poursuivre la tâche qu’il nous a assignée, que vous représentez puisqu’il vous avait adoptée pour sienne." Télégramme adressé à l’École de la Cause freudienne par l’Enseignement de clinique psychanalytique à Bruxelles.

« Ce n’est pas moi qui vaincrai, c’est le discours que je sers. Je vais dire maintenant pourquoi. Nous en sommes au règne du discours scientifique et je vais le faire sentir. Sentir de là où se confirme ma critique, plus haut, de l’universel de ce que "l’homme soit mortel". Sa traduction dans le discours scientifique, c’est l’assurance-vie. La mort, dans le dire scientifique, est affaire de calcul des probabilités. C’est, dans ce discours, ce qu’elle a de vrai. Il y a néanmoins, de notre temps, des gens qui se refusent à contracter une assurance-vie. C’est qu’ils veulent de la mort une autre vérité qu’assurent déjà d’autres discours. Celui du maître par exemple qui, à en croire Hegel, se fonderait de la mort prise comme risque ; celui de l’universitaire, qui jouerait de la mémoire "éternelle" du savoir. Ces vérités, comme ces discours, sont contestées, d’être contestables éminemment. Un autre discours est venu au jour, celui de Freud, pour quoi la mort, c’est l’amour. »

Lacan, L’étourdit, p. 31.

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La Psychose La Topologie dans l’ensemble de l’enseignement de Lacan

J.-A. Miller

En matière de mathèmes, la trivialité existe c’est-à-dire qu’un certain nombre de choses une fois saisies, n’ont pas besoin de s’entendre répétées. Toute la topologie de Lacan d’avant les nœuds est très rapidement trivialisable par une introduction méthodique et limitée. Le résultat c’est que je ne connais pas le signifiant auprès duquel ce que je vais vous dire va prendre sa valeur. Di Ciaccia m’a proposé de traiter de "La topologie dans l’ensemble de l’enseignement de Lacan", de sa place et des raisons de ce recours, de cette référence de Lacan, au-delà d’une manipulation topologique simple. Cela me convient tout à fait. La topologie importe à Lacan, c’est une question de fait. Mais pourquoi ? Partons du plus simple, et je ne vais pas vous faire des figures au tableau – sauf peut-être une élémentaire – et pour le reste essayons de cerner la place et de justifier l’importance de la topologie dans l’enseignement de Lacan. Effectivement je suis un lecteur de Lacan et je n’ai pas hésité à apporter les écrits. Évidemment c’est un style qui peut paraître plus adapté pour un séminaire que pour une conférence mais je crois que cela a sa valeur d’indiquer que nous ne sommes pas là à élucubrer mais à essayer à déchiffrer Lacan, et pour longtemps. Je crois qu’on ne peut pas extraire la topologie de Lacan hors de son enseignement. C’est une proposition qui peut s’entendre de deux façons : D’abord on ne peut pas amputer l’enseignement de Lacan de sa partie topologique sous prétexte que ce serait aride, pas intéressant, que ça ne concernerait pas l’expérience analytique, car simplement la topologie de Lacan est présente sous une forme discrète, dès le rapport de Rome, dès 1953 ; et elle marque sa place de façon éminente vers la fin de ce rapport de Rome alors qu’il est question de la fonction primordiale de la mort. Pourquoi primordiale ? Dans son vocabulaire de l’époque, certainement beaucoup plus dramatique, Lacan pose d’emblée que la mort a partie liée avec le symbolique, avec l’émergence de l’ordre symbolique. Il le dit de façon très hégélienne et qui a toute son importance : le symbole se manifeste d’abord comme meurtre de la chose. C’est-à-dire

que le symbole n’accompagne pas les choses, il n’y a pas de sympathie et de convenance naturelle entre le symbole et la chose, au contraire, il y a antinomie et comme exigence d’annulation de ce qui figure comme la chose par le symbole. Le symbole éternise la chose. Les symboles permettent à cette chose de perdurer au-delà de son existence et ainsi, par exemple pour le sujet humain, de rester objet de référence au-delà des limites de son existence. Tout cela est une analyse très hégélienne, le, symbolique n’est pas corrélatif d’un monde plein mais au contraire opère comme vidage de ce qui est la substance et matérialité du monde. Et si c’est une matérialité de symboles, c’est une matérialité supplémentaire, une matérialité de remplacement. A cet égard, elle conditionne la mort et elle conditionne le désir freudien, le désir comme éternel, le désir qui n’est pas attaché, comme les besoins, à tel ou tel objet particulier. Alors Lacan évoque ceci ; on ne peut rien atteindre du sujet d’avant la parole sinon, précisément sa mort, sa mortification signifiante, c’est-à-dire que le sujet parlant, d’être déplacé par le symbole subit d’entrée de jeu, une mortification qui sera plus tard, pour Lacan, son S sujet mortifié du signifiant. Comment, par rapport à ce qui fait la parole du sujet, situer cette mort qui appartient au symbole, qui lui est consubstantielle, bien que le mot "substance" soit problématique ? Nous pouvons dire, la mort c’est ce qui vient simplement après la vie, c’est quelque chose qui est purement et simplement extérieur au sujet parlant en tant qu’il est supporté par le vivant. Mais dès lors que nous admettons que le sujet parlant, mortifié par le signifiant, cette mort n’est pas simplement quelque chose qui est au-delà de la vie, c’est une fonction installée au cœur même de l’expérience de la parole. Il faut la différencier de la mort pour l’animal pour qui la mort, dit Lacan, est atteinte par un passage à l’inconsistant de la vie à la mort. Tandis que la mort dont il s’agit, cette mort présente dans le sujet du symbolique, elle a une place centrale dans la parole. Tout ce qui concerne l’existence du sujet prend son sens à partir de cette mort. C’est ce qui émerge spécialement dans la question névrotique, qui concerne la contingence de l’existence du sujet. Ce sens mortel est à la fois extérieur au langage et en même temps centrai à tout exercice de la parôle. C’est en ce point-là que Lacan introduit pour la première fois, dans un écrit, sa topologie : "dire que ce sens mortel révèle dans la parole un centre extérieur au langage est plus qu’une

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métaphore et manifeste une structure". Tous les problèmes de la topologie de Lacan sont déjà présents dans cette première phrase. Ce qui va justifier qu’il s’agit d’une structure c’est qu’il est question d’un centre efférent à la parole : le paradoxe est là, un point à la fois central et extérieur. Là est le pas de Lacan. Beaucoup de philosophes ont approché un tel paradoxe, une telle configuration. Ce qui est vraiment propre à Lacan, c’est de ne pas se contenter de ce qui Fait ici métaphore mais d’impliquer la structure qui fonde cette disposition spatiale. Jusqu’à "L’étourdit" et au-delà, c’est le même mouvement que nous trouvons, s’agissant de cette spatialisation : refus de la métaphore et implication de la structure jusqu’à en poser le statut problématique de "réel". Ce mouvement qui est constant chez Lacan, là où on ne pourrait voir que métaphore, il réinstitue la structure qui la supporte et en troisième temps il pose ces structures comme ayant rapport au réel même de ce dont il s’agit. Voilà cette introduction et vous voyez que ce n’est pas moi qui vais y placer la topologie – c’est explicitement mentionné, je vais vous lire ce paragraphe : "cette structure (d’un centre extérieur au langage) est différente de la spatialisation de la circonférence ou de la sphère où l’on se plaît à schématiser les limites du vivant et de son milieu, elle répond plutôt à ce groupe relationnel que la logique symbolique désigne topologiquement comme un anneau. A vouloir en donner une représentation intuitive (…)".

De quoi s’agit-il ? Si nous délimitons un espace, nous pouvons y situer un point extérieur. Le problème lié à l’expérience analytique et à la construction qui est celle de Lacan des rapports du symbolique et de la mort c’est que cet extérieur nous devons le retrouver en même temps à l’intérieur. Autrement dit, la zone extérieure doit en même temps se retrouver à l’intérieur. Cette mort terme peut-être trop dramatique n’est pas simplement périphérique, elle est aussi bien centrale. Nous avons ici très simplement cette position "d’exclusion interne" qui se retrouve à tous les niveaux de l’expérience analytique et de la théorisation par Lacan de ces phénomènes, nous retrouvons tout au long de son enseignement cette disposition d’exclusion interne. Voilà qui justifie ce que Lacan propose d’introduire – il ne le développera qu’après plusieurs années – une représentation, une forme

topologique : il semble que plutôt qu’à la superficialité d’une zone, c’est à la forme tridimensionnelle d’un tore qu’il faudrait recourir, pour autant que son extériorité périphérique et son extériorité centrale ne constituent qu’un seule région. Précisément le tore, (la chambre à air) est introduit comme une figure qui permet de supporter ce rapport d’exclusion interne qui est si fondamental. (Lacan le note p. 320-321 des Écrits.) Beaucoup reste à commenter de cette toute première introduction à la topologie par sa connexion avec la mort. Ensuite, nous verrons que la construction du désir chez Lacan en est une suite logique. Cet objet de désir Fut d’abord placé comme au-delà du vecteur du désir, vers quoi ce désir se dirige, objet foncièrement non atteignable parce que métonymique. C’est un moment crucial dans l’enseignement de Lacan que celui où de cet objet du désir, il distingue l’objet cause du désir qui se trouve, au contraire, en deçà de ce vecteur et qui fait fort bien comprendre pourquoi la progrédience du désir ne peut jamais récupérer, se complémenter de l’objet cause. Là aussi nous avons un rapport qui n’est pas sans pouvoir vous faire penser à cette exclusion interne. C’est là évidemment que contraste est à faire entre l’animal avec son passage inconsistant à la mort et ce que Lacan appelle encore l’être humain qui, lui, peut vouloir mourir. Il n’est pas indifférent que l’exemple qui vienne sous la plume de Lacan dans cette toute première émergence de la topologie soit l’exemple de l’être pour la mort, c’est Empédocle se jetant dans l’Etna et devenant ainsi par cet acte le symbole même de l’être pour la mort. Ce n’est pas indifférent parce que dans ce qui constituera une autre articulation de la topologie de Lacan, à savoir la construction qui figure comme position de l’inconscient où sont articulées l’aliénation et la séparation, c’est encore l’exemple d’Empédocle, le vouloir mourir d’Empédocle, qui vient sous la plume de Lacan. La connexion entre la topologie et la mort n’est pas simplement chez Lacan un accident, ça pourrait nous donner l’idée aussi de ce dont Lacan aurait parlé dans son séminaire "la topologie et le temps". On retrouve cette structure d’exclusion interne, quand Lacan plus tard essaiera de faire la topologie de la jouissance et il inventera même, à ce moment là, un terme plus Frappant que cette exclusion interne, le terme d’extimité de la jouissance, (remplacement dans le mot "intimité" du préfixe ex) rassemblant en un seul mot cette conjonction difficile entre un substantif et un adjectif qui lui est contraire. Cette structure

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demande à être exploitée aussi s’agissant du refoulement, dès lors que dans la psychanalyse le refoulement névrotique est coordonné au retour du refoulé. On ne peut pas se contenter pour le refoulement de poser un terme simplement extérieur, qu’il faut bien rendre compte aussi bien des modalités de son retour dans ce qui serait la surface interne. Tout cela demande encore une logique, une combinatoire différente s’agissant de la forclusion. La forclusion, c’est l’exclusion vers l’extérieur. Quand le terme de Forclusion est utilisé, il est corrélatif d’un retour sur l’autre dimension de l’élément exclu, à savoir forclos du symbolique, retour dans le réel. En tout cas nous pouvons maintenir ce terme d’extimité qui met en série ainsi un certain nombre de structures de la clinique lacanienne. Il y a certainement un effort constant chez Lacan pour résorber le pathématique dans la mathématique et c’est exactement dans cet effort qui n’aboutit pas à une résorption complète que Lacan voit ce qu’il appelle dans "l’Étourdit" "la conquête de la psychanalyse". Par exemple, on peut se fasciner du "trop" et il y a même un nom de cette expérience chez Lacan c’est le Mysticisme ; à cet égard, la psychanalyse fait mathème là où le mystique fait un objet de fascination. Évidemment personne ne soutient que tout dans l’expérience analytique peut être mathématisé simplement, ce qui fait l’avancée étonnante de l’enseignement de Lacan c’est l’effort constant d’obtenir des mathèmes à partir de cette expérience pas "toute" effectivement mathématiquable. Dès lors qu’on renonce à cet effort, l’expérience analytique ne demande qu’à virer à une pratique qui s’imaginerait autonome et qui pourrait simplement n’être plus rien que la fascination de l’indicible. La topologie de Lacan participe donc électivement à cet effort de mathématisation, c’est-à-dire à l’effort de dégager les relations en cause entre les termes qui sont en jeu dans l’expérience de la théorie analytique. Ces relations ne peuvent pas se suffire, d’être représentées par la sphère et par le plan, ce qu’on fait quand il s’agit d’animal. C’est une référence constante de Lacan prise chez les éthologues classiques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, pour l’animal on peut tout à fait se satisfaire d’un schématisme de cet ordre. L’animal, si l’on peut dire, est en position concentrique par rapport à l’environnement, il s’y ajuste exactement, il y a adéquation chez l’animal entre l’Umwelt, l’environnement, et l’Innenwelt que constitue l’animal lui-même. Or, la première découverte de l’expérience analytique c’est que pour le sujet en tant que sujet de la parole, il n’en est rien. On ne

peut pas présenter les rapports du sujet au désir de cette façon là, on ne peut pas représenter spécialement ce qui déconcerte chez lui cette harmonie ne serait-ce que ce paradoxe que Freud formulait comme la pulsion de mort. Deuxièmement, on ne peut pas prendre à part la topologie de Lacan, l’extraire de cet enseignement pour faire de cette topologie une discipline indépendante, c’est-à-dire que la topologie de Lacan n’a d’utilité que plongée dans son enseignement, ce n’est pas une discipline sui généris. Il ne peut pas y avoir des spécialistes de la topologie de Lacan qui parlent de la topologie de Lacan en considérant par exemple qu’elle est l’Innenwelt de l’Umwelt que serait l’ensemble de l’enseignement de Lacan. On a vu ces choses là se produire d’une autre façon dans l’idée que Freud faisait de la psychanalyse appliquée.A ce moment-là, on pouvait s’imaginer que d’un côté il y avait l’expérience analytique et que de l’autre côté il y avait ces différents domaines repérés universitairement l’ethnologie, le folklore, l’histoire de l’art, etc. Quand Freud parle de l’histoire de l’art, de l’ethnologie, ce qui l’occupe c’est toujours une question qui surgit dans l’expérience analytique et c’est pour répondre à cette question qui surgit dans l’expérience analytique qu’il a recours à ces références-là. "Totem et tabou" ce n’est pas un ouvrage d’ethnologie ou d’anthropologie ; c’est l’abord par Freud de la question du père dans l’analyse qui l’oblige pour certaines raisons de structure à avoir recours à une élaboration mythique. Pour Lacan, il n’y a pas de danger qu’on s’imagine pouvoir autonomiser les domaines où appliquer la psychanalyse. Cependant, il ne faudrait pas que l’on autonomise les références scientifiques de Lacan et que se créent des spécialistes de topologie de Lacan, des spécialistes de sa théorie des jeux, etc. Si cette tendance prenait corps, ce serait aussi vain que les efforts d’analyse appliquée. C’est d’autant plus vrai que la topologie de Lacan peut très difficilement devenir une discipline sui generis. En effet, de quoi est-elle faite ? Premièrement, il y a trois objets, et pas plus, avec une machinerie extrêmement simple ; maintenant on les trouve dans des petits volumes d’amusettes, de casse-tête etc. Cette topologie est au niveau de la géométrie projectile et de trois surfaces de cette discipline qui s’appelait classiquement l’analysis situs. C’est la bande de Mœbius, la bouteille de Klein et le cross-cap, figure un peu plus complexe, que Lacan a introduite à un moment très précis dans son séminaire sur l’identification. Deuxièmement, il y a les nœuds. Et précisément, le schéma du nœud bo., introduit spécialement dans le

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séminaire "Encore" et devenu avec R.S.I. un chapitre de l’enseignement de Lacan beaucoup plus complexe, beaucoup plus récent, d’une mathématique qui n’est pas elle-même achevée comme l’autre l’est. Donc la topologie de Lacan ce sont ces deux chapitres, rien de plus, assez hétérogènes, bien qu’il y ait quelques points de contacts ; mais ils répondent chacun à des questions de la théorie analytique qui ne sont pas immédiatement les mêmes. La position de Lacan s’agissant de ces schémas c’est ceci : "Ce n’est pas une métaphore'", c’est ce qu’il dit dès les premiers moments en 1953 et c’est ce qu’il continue de dire. Il critique et même il Se moque des schémas de Freud, qui n’ont pas prétendu être la chose même – Freud a toujours considéré qu’il s’agissait d’illustrations. Lacan critique ces schémas, spécialement celui de la seconde topique où Freud met en place le ça, le surmoi, le moi (dans son séminaire de Caracas en juillet 1980, qui paraîtra dans peu de temps) et il met en regard le nœud borroméen. La topologie, dit Lacan, ce n’est pas une métaphore mais ça représente la structure jusqu’au point, c’est le deuxième temps, de poser que c’est en quelque sorte le réel même en jeu dans l’expérience. Nous verrons qu’il faut qualifier cette assignation de réel faite à la structure et à la topologie qui la représente. C’est là le point sensible pour ceux qui s’intéressent spécialement à la topologie de Lacan, c’est ce nœud "métaphore, structure et réel". Cette topologie, nous nous la représentons, nous la manions spatialement ; parfois Lacan la valorise, au point de montrer un enchevêtrement de nœuds et de dire "C’est ça la chose même". A beaucoup, cela pouvait paraître excessif. Ce dont il s’agit avec la topologie, c’est de matrices, de combinaisons signifiantes. Ce n’est que secondairement, à cause de la naissance de la chose, que nous considérons qu’il s’agit d’espace, mais foncièrement la topologie de Lacan – c’est lui-même qui y a insisté – est intégralement réductible à une combinatoire. Nous nous la représentons et nous la manions d’une manière plus lourde et là il y a une distinction entre le premier versant de la topologie de Lacan et le second, entre la topologie des objets et la topologie du nœud borroméen. Mais on ne doit pas du tout abstraire la topologie de Lacan de tout ce qui est de l’ordre combinatoire dans son enseignement. Ça fait partie du même chapitre que ce qui, par exemple, concerne la topique du signifiant. Le graphe élémentaire, le schéma en Z, le schéma des lettres alpha, bêta, le graphe à deux étages sont combinatoires et font partie de la même série, sans oublier la combinatoire des quatre discours. Un

terme peut donc subsumer tous ces exercices, c’est celui de combinatoire, il permet de s’apercevoir que la topologie n’est pas un "isolable" dans l’enseignement de Lacan. La topologie s’introduit avec le signifiant et là où il n’y a pas signifiant, là où il n’y a pas, pour employer un terme que Lacan a utilisé puis abandonné, "une prise" par le symbolique, il n’y a pas besoin de topologie, on peut se contenter de la topologie de la sphère et du plan. On peut retenir ces idées avec une correction que Lacan a faite lui-même : tout corps vivant a une topologie au sens où il ne peut pas être réduit purement et simplement à l’étendue, au "partes extra partes "cartésien. C’est ce qui explique que Lacan ait pu se lancer dans des configurations du corps vivant, humain, torique etc. Ce sont des inspirations qui sont un peu" limites ", de la même façon, il pouvait noter que dans la nature on trouve des formes topologiques (dans le cerveau, il y a des enveloppements qui font penser à des formes topologiques.) Mais il faut mettre la pédale douce là-dessus sinon on se retrouve dans une philosophie de la nature. Donc, avec cette correction que je fais, la topologie tient au signifiant. A cet égard, qu’y a-t-il de commun entre combinatoire, topologie, voire théorie des ensembles, ou théorie des classes ? Qu’y a-t-il de commun avec ce qui apparaît comme réseau, comme chaîne, comme axiome etc. ? Ce que tout cela a de commun est tout à fait décisif pour saisir la place de la topologie dans l’enseignement de Lacan : tout cela se tient sur deux dimensions, on n’a besoin que de deux dimensions pour fonctionner. En effet, le lieu de l’Autre au sens de Lacan (qui est l’inconscient et le discours) n’a pas de profondeur. C’est par là que le style et l’expérience de l’analyse guidée par Lacan va tout à fait à l’encontre de l’expérience de tout le monde, c’est que, l’inconscient est un être de surface, l’inconscient n’est pas un être de profondeur. L’inconscient, ce n’est pas ce que l’an a à l’intérieur de soi, quelle que soit la façon dont on se figure ce soi, le plus souvent on se figure même le soi psychique sur le modèle du soi physique, c’est d’ailleurs le principe de la définition de l’âme chez Harry Schott que Lacan rappelle et finalement c’est toujours sur le modèle que Lacan semble hésiter. C’est très difficile de penser, d’arriver à soutenir et de nous habituer, même si nous n’y comprenons rien, à ceci : l’inconscient n’a pas de profondeur, ce n’est pas une intériorité ; il est au contraire foncièrement extérieur au sujet, au point que l’ordre symbolique (qui a été la novation à partir de quoi Lacan e repensé l’enseignement de Freud), c’est aussi bien le discours commun, tout ce qui est tradition, ce qui

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parle avant que le sujet surgisse. C’est ça l’Autre ce n’est pas seulement chacun son autre bien à soi, chacun son petit autre. Il y a aussi l’Autre majuscule : dans le plus grand empan de sa majuscule, il est effectivement notre extériorité, l’extériorité par rapport à tout sujet. Si vous lisez le Séminaire XI, vous voyez que l’inconscient n’est pas dans le sujet et l’analyste ne vient pas essayer de vous le faire recracher, mais que l’inconscient est extérieur par rapport au patient et à l’analyste qui redemandent de l’extérieur l’ouverture de ce qu’on peut continuer à appeler un espace. Autrement dit, la topologie des surfaces doit nous conduire sur le chemin où l’inconscient n’est rien d’intuitif. Je dois corriger un peu ce que j’ai dit que la topologie s’introduit avec le signifiant. C’est exact, mais il ne Faudrait pas en conclure que tout le champ de la psychanalyse se réduit à ce qui est signifiant. Que toute forme d’analyse se réduit à ce que Lacan a mis en valeur dans son texte" l’instance de la lettre ". C’est vrai qu’il y a l’instance de la lettre, mais il y a, solidaire mais distinct, et à articuler la théorie des pulsions. Dans "Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse", Lacan n’a pas mis le désir, il a mis la pulsion. Ce qui est important dans les 4 concepts, c’est leur choix. Par exemple, traditionnellement, on rabattait le transfert sur la répétition ; on n’aurait certainement pas distingué transfert et répétition. C’est justement la distinction entre transfert et répétition qui conditionne l’invention du sujet supposé savoir. Le sujet supposé savoir, c’est le ressort du transfert à condition qu’on ait éliminé de cette position de ressort, la répétition. La pulsion, dit Lacan dans" positions de l’inconscient "(Écrits) relève d’une topologie et non pas d’une énergétique. De toute façon, toute énergétique dépend du signifiant puisqu’elle dépend de l’introduction d’un certain nombre d’appareils signifiants dans le monde. C’est l’exemple que prend souvent Lacan "où est l’énergie d’une cascade" ? il faut commencer à y mettre l’énergie ; cela suppose donc l’introduction du signifiant pour que l’énergétique puisse avoir un sens. Sur la topologie des pulsions, Lacan n’a pas donné énormément d’informations mais suffisamment, en particulier par le recours à l’analyse vectorielle. Il fait référence aux théorèmes de Stokes dans" positions de l’inconscient "qui, est un chapitre non développé, non imagé de la topologie de Lacan, de la plus grande conséquence. Je prends le premier versant de la topologie avant R. S. I. c’est d’un côté la topologie du sujet et corrélativement, de l’objet (a) et la topologie de la pulsion et corrélativement de l’objet (a) c’est ce qui fait connexion entre ces deux

axes. A cet égard que permet la topologie ? Sans la topologie Lacan n’aurait sans doute pas pu élaborer le sujet sans substance que requiert l’expérience analytique. On utilise "S. S. S." pour dire "sujet supposé savoir", vous pouvez aussi utiliser les mêmes initiales "S. S. S." pour le sujet sans substance. Le sujet sans substance c’est aussi bien le sujet cartésien que Lacan pose comme le sujet même de la psychanalyse. Le sujet qui n’est plus que ponctuel une fois que tout ce qui forme ses propriétés et ses représentations est évacué. Le sujet dans l’analyse a été le plus souvent traité comme un sujet substantiel, un sujet qui résiste, comme un sujet aux instincts. C’est une construction extrêmement complexe que d’arriver à soutenir un discours qui induit une disjonction entre sujet et substance – disjonction qui est déjà présente dans les catégories d’Aristote ; il n’y a pas de doublet entre sujet et substance et ces deux termes ont chacun leur fonctionnement et le sujet non substantiel se supporte chez Lacan de topologie et de logique. C’est le sujet qui est mortifié par le signifiant ; nous le retrouvons là sous les espèces du sujet sans substance qui est aussi bien ce qui peut s’inscrire à l’aide, de ce que Lacan appelle le sigle général dans la bande de Mœbius, le HUIT inversé, que ce qui, finalement, dans les formules de la sexuation par exemple n’a pas d’autre être que d’être la valeur d’une variable de la fonction phallique. J’ai essayé de trouver une référence qui montrerait ce que c’est d’essayer d’élaborer un sujet sans substance sans avoir recours aux mathèmes. Chez Descartes, son sujet est très fugitivement sans substance, c’est au niveau du 5ème paragraphe de la seconde méditation qu’il est sans substance puisque ensuite aussitôt ça récupère sa substance – on discute d’ailleurs là-dessus. Quelqu’un qui se recommande de Descartes a essayé d’élaborer le sujet sans substance, et, cela n’a pas été sans influence sur Lacan, s’agissant de repousser la psychanalyse du moi, la promotion du moi dans l’expérience analytique qu’ont effectuée les anglo-saxons pendant et après Freud. J’entends Sartre, qui forme une référence de Lacan au début du Séminaire II : les élaborations les plus modernes de la philosophie s’agissant du sujet et du moi devraient nous permettre de ne pas nous, empêtrer dans cet énorme moi que mettent au point Kris, Lowenstein et Hartmann à Chicago alors que nous avons le témoignage de cette élaboration philosophique qui aboutit à un statut tout-à-fait extrême du sujet, un statut complètement désubstantialisé – cela fait l’intuition de Sartre. Il oppose d’un côté l’en soi, l’être comme ce qui est ce qu’il est, c’est une

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définition de Lacan, quand il parle de la psychose en disant que là il s’agit du réel comme ce qui est ce qui est c’est tout-à-fait l’en-soi sartrien. D’un autre côté, un autre type d’être, l’être de la conscience, ça c’est une espèce bien difficile à cerner, puisqu’elle est à être ce qu’elle est. Le voilà, Sartre, à essayer d’isoler par la magie du style, cela fonctionne par la répétition, par de grandes coulées verbales, de disposer la présence à soi de cet être si singulier, voilà ce qu’il dit dans "l’Être et le Néant" : "L’être de la conscience ne coïncide pas avec lui-même dans une adéquation première." Il parle encore du principe d’identité comme étant synthétique, comme étant une unification ; mais s’agissant de cet être qui craque, il n’y a pas d’identité de soi à soi, pas de coïncidence avec soi-même. La barre qui vient frapper le sujet, c’est la barre qui en même temps l’écarte du pur et simple principe d’identité. Sartre aperçoit bien la conséquence – c’est d’ailleurs pour cela que l’être qu’il essaye de saisir ne coïncide pas avec lui-même – la conséquence c’est que ce sujet est effectivement sujet à s’identifier. C’est bien parce qu’il y a un déficit au niveau du principe d’identité, s’agissant de cet être, qu’il s’identifie. Vous avez une corrélation immédiate de ce déficit au niveau du principe d’identité et tendance à l’identification – et c’est ce que Sartre a très bien analysé, au niveau de l’imaginaire – vous connaissez le fameux exemple du garçon de café qui se prend pour un garçon de café, c’est l’exemple de l’identification de l’imaginaire qui est supportée effectivement par un sujet en déficit d’identité. Quelques formules : "paraître sa propre coïncidence", "échapper à son identité", "le sujet est séparé de lui-même, et qu’est-ce qui le sépare de lui-même, ce n’est rien", "le pour soi existe sous la forme d’un ailleurs par rapport à lui-même", "c’est un être qui s’affecte perpétuellement d’une inconsistance d’être" – c’est là que Sartre parle d’un décalage perpétuel, d’un manque d’être, d’un défaut d’être. Vous avez une suite de métaphores extrêmement réussies, vous avez le terme de "manque", la connexion du désir et du manque. Sartre pose que la réalité humaine doit être elle-même un manque puisqu’elle fait venir le manque au monde et dès lors, dit-il, l’existence du désir comme fait humain suffirait à le prouver. Le désir ce n’est pas un état psychique, c’est un échappement à soi-même – le désir est le manque d’être. Je ne prends ici que ce qui nous permet d’apercevoir la parenté de son effort avec le type d’être que Lacan a essayé de saisir s’agissant du sujet. La différence majeure est que le déficit d’identité du sujet n’est jamais pensé que par rapport à l’en-soi opaque et

qu’à aucun moment tout ça n’est situé à partir du langage. Lacan, s’agissant d’un sujet non substantiel, l’a abordé par le mathème, d’abord en distinguant le conjectural le physique. Il a trouvé dans la théorie des jeux, dans la théorie des ensembles, plus largement la combinatoire dans la topologie du relevé, de quoi assurer la subsistance du sujet sans aucune substance en posant, ce qui effectivement fait défaut à Sartre, le lieu de l’Autre comme espace de combinatoires, la condition pour pouvoir poser un sujet sans substance, ce qui fait la seule substance de l’expérience analytique. Lacan en a évoqué une dans cette expérience dé-substantialisée, une seule qui serait comme la substance de l’expérience, c’est la jouissance. Un espace de combinatoires, un espace symbolique où s’articulent les signifiants, où se déploient ses chaînes, et qui effectivement n’a rien à faire avec aucun espace de l’intuition, avec aucun espace de l’esthétique au sens de Kant. C’est ce qu’on voit si l’on veut dès le stade du miroir, dès le stade du miroir qui est la première entrée de Lacan de l’extérieur dans te champ d’analyse, car ce n’est pas une expérience de psychanalyste celle du miroir, c’est une question d’observation. Dès le stade du miroir, le corps est essentiellement présent comme corps imaginaire ; il faudra tout l’enseignement de Lacan pour qu’il formule que l’imaginaire c’est le corps. C’est très près de ce qu’il a déjà dit que tout ce qui nourrit, à proprement parler, la vie fantasmatique, les formations imaginaires aient emprunté aux morcellements du corps. A cet égard, l’imaginaire est tout entier issu des parties du corps de l’être humain. Le principe du stade du miroir, c’est quand même la scission entre le corps spéculaire et le corps réel c’est-à-dire l’état de maturation du corps – tel que Lacan le présente – à l’époque – mais il faut admettre que c’est tout de même un corps éprouvé, c’est le corps tel qu’il est soi-disant ressenti par le sujet et dès lors on a à faire à deux modes de l’esthésie. C’est excessif de dire qu’il n’y a que le corps spéculaire, mais ce sont quand même deux corps, l’un est vu, l’autre est éprouvé, donc les deux concernent à cet égard l’esthésie. Si cette topologie est essentielle pour supporter le sujet sans substance, en même temps elle est nécessaire s’agissant de l’objet, que Lacan invente comme l’objet (a). Parmi ces objets, ce que Freud a découvert, ce que les freudiens ont arpenté sont deux objets simplement l’objet anal et l’objet oral. Par contre Lacan, il faut se demander grâce à quoi, y a ajouté deux objets, le regard et la voix, dont après coup l’évidence apparaît dans l’expérience analytique, dans la clinique. On n’a pas attendu Lacan pour savoir qu’il y a

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l’exhibitionnisme, qu’il y a le voyeurisme et qu’on entend des voix dans la psychose. Une fois que Lacan a fait surgir ces deux termes comme des objets, au fond il y a une certaine évidence je veux dire qu’il n’a pas vraiment été remis en cause, mais pourquoi Freud ne les a-t-il pas découverts alors que de ses textes cliniques mêmes on les voit s’organiser autour de ces terrains ? Je crois que cela tient à une illusion substantialiste, les deux premiers donnent le sentiment qu’ils sont matériels – et ils le sont – et, d’autre part, ils ont rapport avec la demande – le sein c’est l’objet de la demande à l’Autre – les fèces remettent la demande de l’Autre et au fond c’est toujours l’Autre de la demande qui est sollicité, qui est sollicitant, qui est en jeu. Partant de ça, le regard, c’est un être complètement évanescent. C’est très difficile d’admettre que l’œil soit un objet, un objet dont même un romancier peut faire une histoire. Oui, mais qu’est-ce qui fait obstacle à ce qu’on connaisse le regard comme un objet, c’est qu’on voulait l’objet substantiel. La matérialité légère de la voix, la voix d’ailleurs, ce n’est pas simplement le son – Lacan a peu développé cet objet – je l’ai fait il y a 3-4 ans pour essayer de le cerner… Contentons-nous de l’automatisme mental. Ces deux objets, Lacan ne les met pas en fonction dans la demande, il les met en fonction dans le désir. N’empêche que tous quatre, la clinique les fait objets pulsionnels, et ce qui est sensible dans l’enseignement de Lacan, c’est que la restitution de ces deux objets qui n’ont pas été thématisés comme tels par Freud passe par leur topologie – en tout cas pour le regard c’est évident – sans topologie du regard vous ne pouvez pas valider qu’il s’agit authentiquement d’un objet ; il vous faut un support pour cet être non substantiel et il n’y a que la topologie qui vous donne le support qui convient. C’est ce qui fait le grand paradoxe du champ de la pulsion scopique, du champ scopique, c’est que l’objet est immanent à la pulsion. Lacan a consacré une articulation topologique fine à saisir ça et on ne voit pas que sans cela on puisse le soutenir. D’une façon générale, la topologie est essentielle à toute élaboration de l’expérience analytique, dès lors qu’on s’aperçoit que l’expérience analytique, telle que Lacan l’aborde à partir du symbolique, c’est-à-dire en vidant, en annulant ce qui avait fait le texte complet des analystes d’avant, c’est-à-dire les formations imaginaires, en considérant qu’aucune n’est déterminante, ce qui compte, c’est la dialectique des formations imaginaires, leurs mouvements, leurs transformations signifiantes et qu’en elles-mêmes aucun recueil de ces formations imaginaires ne donne rien qui soit déterminant pour le sujet – donc à partir de cet extraordinaire vidage

de l’expérience analytique, il n’y a plus rien que matière de vide. C’est même ce qui est insoutenable dans la pratique de Lacan pour de très nombreux analystes que, finalement il puisse faire tendre l’expérience analytique jusqu’à cet être par excellence in substantiel qu’est la coupure, qu’il puisse d’abord inventer la coupure comme fonction de l’interprétation, comme scansion et progressivement réduire l’expérience elle-même à se tenir dans un certain mode de connaître. Par ce mode agressif, qui a fini par sortir ces derniers temps, ça donne : "cela fait 10 ans que Lacan ne faisait plus des psychanalyses" – c’est-à-dire une conception un peu sommaire du néant, du rien. C’est la conséquence précise du symbole et du meurtre de la chose. Cela veut dire que dans son ensemble la parole manque de références et que la langue dans son ensemble aussi bien comme formée des impulsions que dépose sans le savoir la parole manque de références ou que la référence manque à la langue, qu’on ne peut pas parler de références sinon par illusions et par quelque bout qu’on attrape la langue elle signifie, ça signifie oui, éclairer c’est une autre affaire. Jusqu’au point qui fait le privilège du mathème, à savoir foncièrement le zéro de référence. L’inconscient d’ailleurs n’est pas référé par la langue non plus. Alors, ce que Lacan appelle les discours, qu’est-ce que c’est ? Comment peut-il y avoir des discours s’il n’y a pas de références ? C’est vrai pour chaque discours, la référence manque. Ce que Lacan développe, c’est que cette référence manque de façon différente dans chaque discours. Lacan réduit l’expérience analytique à ça, c’est faire l’expérience du manque de références, c’est une expérience insoutenable de vidage de l’expérience et insoutenable pour ceux qui devraient être les agents de cette expérience de se tenir au niveau où une épreuve est faite du manque de références. Ce n’est pas du tout ce qu’il constate dans l’expérience analytique dont il a parlé au début, qui est apparue comme l’expérience des rapports, comme par exemple des personnages typiques du complexe d’Œdipe etc… Mais ce qui anime ce mouvement à son dernier terme c’est l’expérience du manque de références, ce n’est pas un être simple. Il y a plusieurs sortes de trous, le trou n’est pas un concept simple, par exemple comme celui qu’un Sartre essaye d’attraper au niveau du regard comme un être simple. Le trou est complexe et la topologie permet de construire des trous dans leurs diversités qui rendent compte très finement des différentes façons dont la référence manque selon les structures cliniques. Il est difficile évidement de se tenir au niveau où signifiants, situations et références sont

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antinomiques en tant qu’elle est la seule expérience qu’on peut approcher dans l’expérience. Cela veut dire qu’il n’y a pas d’autre référence que la signification. C’est ce que Lacan a appelé "la signification du phallus", le phallus c’est le nom de la signification en tant qu’elle est la seule référence qu’on peut approcher dans l’expérience. Et ce n’est pas pour rien que Lacan a choisi le terme "Bedeutung" terme allemand dont on sait qu’il offre à la traduction une difficulté spéciale, puisque tantôt on le traduit comme référence et tantôt comme signification. Vous êtes déjà familiarisés avec la topologie vraiment élémentaire du huit intérieur. C’est la Figure minimale pour se décaler par rapport au cercle et à la sphère, spécialement au cercle réductible au point par homotopie. Ce que Lacan démontre dans l’expérience analytique, c’est que la structure du sujet n’est pas réductible à la sphère, au cercle ou au point. Qu’il n’y a pas d’homotopie du sujet. L’objet ad-hoc inventé pour marquer cette irréductibilité, cette non homotopie du sujet, c’est l’objet "a". Cela est important à différents niveaux. D’abord ça peut être appréhendé au niveau de la discordance entre le désir et la demande. Le désir est l’effet – de l’impossible de la satisfaction de la demande – l’effet de l’impossibilité de l’Autre à répondre à la demande et c’est sur ce chemin que Lacan Finira par poser l’objet (a) comme cause du désir. Deuxièmement, cela s’aperçoit au niveau de l’analyse de la parole telle qu’elle est interprétée dans l’analyse, car le fait que le dispositif analytique soit un dispositif d’interprétation nécessite que le sujet soit pensé comme en deux endroits topologiquement définis. C’est ce que Lacan explique dans son séminaire sur l’identification. Il y a une duplicité de la condition subjective qui est d’ailleurs reflétée dans le doublé étage de son graphe ; le sujet ne peut pas être placé à un seul endroit et vous retrouvez cela repris dans position de l’inconscient et sous des formes toujours plus raffinées, plus précises ; lorsque le sujet apparaît à un endroit ainsi il doit apparaître ou doit disparaître à un autre endroit sous cette forme. Il y a toujours une duplicité subjective qui est précisément tout à l’opposé de l’unité subjective. Le sujet, tout en s’échappant continuellement à lui-même, est une seule échappée et il n’y a pas de représentation plus simple de cette duplicité que le huit intérieur. Là on voit en court-circuit une corrélation entre logique et topologie. Vous connaissez le paradoxe de Russel ? Deux termes sont ici reliés et on aperçoit en même temps qu’ils ne sont pas compatibles dans le même

espace, ils sont corrélés et en même temps antinomiques. C’est un type de relations qui perturbe les relations spatiales qu’on peut transcrire sur une zone. Comment peut-on rendre compte d’une telle corrélation antinomique – premièrement on peut dire que c’est un paradoxe – deuxièmement on peut introduire une barrière temporelle c’est-à-dire situer ce mouvement et dire que c’est un mouvement de battements. Chaque fais que ce terme est exclu en même temps il doit revenir et ainsi de suite. Voilà exactement ce que Lacan a posé comme topologie de l’inconscient gui comporte battements, ouvertures et fermetures de l’inconscient. A cet égard, le sujet de l’inconscient peut à la Fois être transcrit à partir du paradoxe de Russel. Reste le troisièmement qui explique ça, c’est le huit intérieur tel que la surface interne, l’extérieur-intérieur se traverse et à ce moment là vous pouvez dans la zone critique situer ce terme paradoxal qui sinon apparaîtrait comme atopique. Le huit intérieur c’est la façon la plus simple de représenter tout Ce après quoi Sartre courait, à savoir l’auto-différence. L’auto-différenciation du signifiant en tant qu’il ne peut pas se signifier lui-même, l’auto-différenciation du sujet en tant qu’il est représenté par un signifiant par rapport à un autre. Autrement dit, le huit intérieur n’est pas une complexité supplémentaire de la topologie apportée par Lacan, c’est au contraire une simplification qui vous évite de lire 600 pages d’approximations rhétoriques comme celles que Sartre fait dans "L’être et le néant". Je voudrais finir en vous parlant de topologie à un point où finalement la question n’est pas apparente. Ce serait vraiment trop long d’énumérer maintenant les trois objets que, dans la première topologie, Lacan prend les uns après les autres, et leurs formules. Je voudrais faire quelque chose qui est plus amusant, à savoir à quel point déjà la topologie de la surface était essentielle dans un texte où elle n’a pas l’air d’avoir tellement de place, à savoir dans "l’instance de la lettre "texte "princeps" et des plus connus de Lacan. Elle est déjà présente dans la lettre puisque la lettre comme dit Lacan c’est la structure localisée du signifiant, cela veut dire que déjà elle demande un espace où sont repérables les traits différentiels du signifiant qui pouvaient être matérialisés lorsque les imprimeurs avaient de petits caractères, chacun leur place. Nous avons là une représentation de la structure localisée du signifiant et Lacan ajoute, le signifiant se compose toujours selon les lois d’un ordre Fermé, c’est-à-dire que les unités signifiantes empiètent les unes sur les autres – il y a aussi des rapports d’enveloppement – et dans tout cela il Faut un substrat topologique, c’est la

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chaîne signifiante d’anneaux dont le collier se serre dans un autre collier, etc… Vous savez aussi que Lacan dit que la linéalité est insuffisante : il faut déployer des éléments signifiants sur une portée. On voit bien que le signifiant ne peut pas se contenter d’une dimension de la ligne ; il lui faut au moins la surface. Au moment où Lacan parlera de point de capiton, on pourrait croire alors que ça demande de l’épaisseur, que ça demande trois dimensions, et bien non, finalement son point de capiton il va le situer sur son graphe, c’est-à-dire à plat et sur deux dimensions. J’ai étudié les textes anglo-saxons récents parus l’année dernière et cette année aux Etats-Unis et en Angleterre sur la langage, pour voir où on en était et ce que l’on pouvait en tirer s’agissant de la psychanalyse. Dans le livre de Chomsky, où l’on lit une première phrase qui a l’air traduite avec une négation de plus, exactement, du texte de Lacan. Évidemment la négation change tout mais je peux dire que les arguments du dernier Chomsky se Font déjà réfuter en 1957 point par point par Lacan. J’ai utilisé simplement "L’instance de la lettre" pour mettre en série, en alternance et discuter ces textes récents, et je suis toujours sur la question qui m’embarrassait depuis quelques temps qui est que, vous savez que Lacan a repris toute la question de la métaphore et de la métonymie en particulier dans radiophobie (question 3). Il y critique un professeur de philosophie qui a dit des choses intéressantes mais qu’il faut tout de même contester. Il s’agit de Lyotard qui avait fait un article sous le titre "le travail du rêve ne pense pas" et ce texte effectivement a le très grand mérite de faire voir la fonction de la topologie de Lacan là où elle est quasiment invisible, c’est-à-dire dans ce texte. Lyotard met en cause ce qui est l’axe même du texte de Lacan, les deux mécanismes du rêve qu’il distingue comme essentiels (condensation et déplacement), d’une part, et d’autre part les deux mécanismes en tant qu’ils fonctionnent dans le discours (métaphore et la métonymie), et bien, à leur propos. La thèse de Lacan c’est qu’ils ne différent en rien sinon que dans le rêve il y a une condition supplémentaire qui est impliquée pour le signifiant, condition imaginaire, puisqu’il s’agit d’images. Dans le rêve il y a une inertie imaginaire qui s’ajoute et une mise en scène, une mise en figures qui, en quelque sorte, alourdit le fonctionnement mais il reste strictement le même. L’intérêt du travail de Lyotard c’est qu’il dit exactement le contraire, c’est-à-dire qu’il y a des lois qui sont propres à l’imaginaire, qui sont propres aux figures du rêve et qu’il y a une autonomie de la figure par rapport au

discours. C’est un de ses grands thèmes. Lacan au contraire ramène ce qui est "ordonnance imagée" au fonctionnement signifiant. L’enjeu, c’est l’incidence du signifiant. Et il s’appuie sur le fait que Freud lui-même effectivement différencie la pensée du rêve et le travail du rêve. Bien sûr, il y a la pensée du rêve qui peut être interprétée et il y a, par ailleurs, le travail du rêve qui fabrique cette forme particulière de la pensée du rêve et l’essentiel dans le rêve c’est le travail du rêve. Dans cette note de la Traun Jeutung il y a cette formule que Lacan a énormément utilisée – ce qui est amusant c’est qu’il ne s’en est pas tellement servi avant Lyotard, après ça revient comme un leit-motiev – "le travail du rêve ne pense pas, il se borne à transformer". C’est à ça que Lyotard donne toute sa valeur – au fond dit-il, le travail du rêve en tant que distinct de la pensée du rêve, le travail du rêve ne fait pas les interprétations, il ne traduit pas, il ne masque pas, là où il travaille ce n’est pas le masquage de la pensée inconsciente qui peut ensuite être restituée par une interprétation, c’est une opération sui generis sur l’image, sur la figure et ça demande de l’étendue et de la profondeur. Par exemple, la condensation c’est comme un processus physique, c’est-à-dire qu’un processus physique par lequel les objets qui occupent un espace seraient comprimés pour se loger dans un plus petit volume. Vous pouvez vous représenter cela très bien avec ces personnages qui intéressaient tellement Freud – les dieux et les dignités égyptiennes. Au fond il y a dans le rêve un élément où l’espace neutre du discours où se dispose le signifiant dans sa structure localisée est perturbé, devient opaque, et c’est là qu’il donne comme exemple ce drapeau (qu’évoque Lacan dans le texte de radiophonie) qui fait "révolution d’octobre" quand il est bien à plat et quand le vent passe dans les plis on voit que petit à petit on arrive à lire quelque chose comme "rêve d’or". Voilà le modèle d’une condensation freudienne. Si c’est vrai, alors on a besoin de trois dimensions, on a besoin des plis du drapeau et c’est ce qui intéresse Lyotard c’est de montrer que ce qui est en jeu c’est finalement un espace à 3 dimensions matérialisé et que le désir est une force qui opère dans cette troisième dimension. Lacan n’a pas peur de répondre, il remet le figuratif à sa place, c’est ce qu’il fait dans ce texte où il rapproche d’un côté Laplanche qui imageait l’inconscient (ces petits dessins où il y a des objets qui sont cachés, dont on ne voit pas bien les contours parce qu’ils sont derrière d’autres et quand on les regarde d’une certaine façon on arrive à voir, par exemple, les che-veaux de Napoléon (Laplanche avait inventé cet

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exemple pour faire bien comprendre ce qu’était l’inconscient et ça ne convient pas évidemment au caractère non substantiel de l’inconscient selon Lacan), et d’un autre côté Lyotard à propos de ses figurations. Lacan, au contraire, maintient que le seul élément freudien qui intéresse l’analyse ce n’est pas ce qui effectivement existe, ce qui est de l’ordre du travail du rêve, dans l’épaisseur de l’image, ce qui intéresse l’analyse et ce qui est freudien c’est ce qui peut se suffire du support à deux dimensions purement et simplement la typographique. Ce débat est très complexe, Jacobson et Lacan ne sont pas d’accord sur la condensation et le déplacement chez Freud, Lyotard ajoute son mot, il y a de quoi retourner beaucoup de fois cette question. Je soulignerai tout de même, toujours dans radiophonie, la position de la coupure interprétative que Lacan met en place ; il introduit et fait jouer la bande de Mœbius à propos de la question que se posait Laplanche de la double inscription. Comment une doublé inscription est-elle possible, d’un côté conscient et préconscient, de l’autre côté inconscient Lacan dit : "utilisez donc la bande de Mœbius, vous ne vous poserez pas de questions aussi sottes que de savoir comment il peut y avoir de double inscription, en Fait cela tient sur une surface à un seul bord, une seule face comme la bande à Mœbius et c’est seulement parce qu’il y a coupure interprétative que le discours se démontre avec un endroit et un envers. Voilà qui situe là, la coupure interprétative comme traverse sur la bande de Mœbius, coupure qui ouvre la bande de Mœbius et en fait un ruban avec un endroit et un envers. C’est une conclusion presque au conditionnel, problématique parce que cela voudrait dire que l’inconscient ne surgit que de l’interprétation elle-même, qu’il n’y a à interpréter que parce qu’il y a eu la coupure interprétative à qu’à cet égard l’interprétation constitue peut-être sa propre vérification – c’est que Lacan dit simplement. C’est seulement de la coupure interprétative que la surface se voit par après recto-verso, la double inscription freudienne ne serait donc du ressort d’aucune barrière mais de la pratique même qui en pose la question, à savoir la coupure dont l’inconscient à se désister témoigne qu’il ne consistait qu’en elle, soit que plus le discours est interprété, plus il se confirme d’être inconscient. Au point que la psychanalyse seule découvrirait qu’il y a un envers au discours. Exemple d’une utilisation extrêmement utile d’un objet aussi simple que la bande de Mœbius. Si j’ai réussi après tout à vous convertir, vous amener à penser que la topologie de Lacan loin de devoir être l’apanage de spécialistes

est à la portée des bonnes volontés, j’aurai fait j’espère, ce que Di Ciaccia espérait. Q. Lacan est-il structuraliste dans sa conception du langage ? Lacan n’a pas cessé de le répéter, implique qu’on ne cherche pas l’origine du langage, on le prend comme déjà là. Ce qui est une constante chez Lacan c’est l’anti-évolutionnisme et un discontinuisme. Le seul point où on peut dire qu’il est infidèle à ce principe, c’est précisément s’agissant du surgissement du sujet à partir du signifiant où effectivement il a, en quelque sorte assisté à l’origine du sujet. Si vous voulez, il y a deux phases. La première, et cela va toujours dans le sens de la précision, c’est poser qu’effectivement le signifiant est déjà là, l’ordre symbolique ne nous a pas attendu pour exister, le langage, comme il dit dans "L’instance de la lettre", préexiste avec sa structure du fait qu’on apprenne à parler, la structure du langage est indépendante de l’apprentissage qu’on peut en faire – c’est une position exactement contraire, lui il suppose qu’il est nécessaire que cette rupture soit déjà biologiquement inscrite pour que le sujet puisse y accéder inscrite dans chaque sujet, comme un organe qui se développe – ce qui d’ailleurs ne débouterait en rien puisqu’il n’est pas biologiste, c’est une fiction pure et simple. Lacan a, pour montrer comme évidence, que cet ordre précède et est préalable. Tout un moment on le voit dans ses thèmes, dans ses enseignements, parier de l’inscription du sujet dans l’ordre symbolique, l’insertion du sujet, de la façon, dont il entre dans l’ordre symbolique, avec cette difficulté qu’il n’est vraiment sujet comme tel que du fait qu’il est entré et donc préalablement, c’est un X, vous trouvez ça d’ailleurs dans son graphe, le graphe de Lacan où

vous avez un vecteur qui conduit au S d’avoir traversé le grand Autre et le point de départ du vecteur c’est un petit triangle, un delta qui naît de la pointe du vecteur, on ne peut rien en dire avant que

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cela ait traversé l’ordre symbolique et que donc le sujet ait été marqué du signifiant ; le sujet brut, on ne sait pas ce que c’est. Il y a donc toute une phase de son enseignement où il s’en tient là et, ensuite, et c’est vraiment inauguré avec "Position de l’inconscient", il prend la question beaucoup plus radicalement c’est-à-dire non pas "comment est-ce que le sujet entre dans l’ordre symbolique ?" mais "comment le sujet est produit par l’ordre symbolique, est effectué par le signifiant ?" et là vous avez cette construction relativement complexe de l’aliénation et de la séparation qui a pour but de nous faire assister à ce paradoxe de l’engendrement du sujet à partir du signifiant. On a l’impression dans cet enseignement d’une focalisation de plus en plus précise sur ces paradoxes qui sont ceux de l’ex-libido exactement. Comment de ce que là où il n’y avait rien un sujet puisse surgir ? Le paradoxe, même si on le sent, reste toujours présent, mais je suis d’accord avec votre référence. Q. : Je désire vous demander l’explication du point de départ de votre séminaire qui m’a mis dans l’embarras car je suis entièrement d’accord avec vous, à savoir que le recours de Lacan à la topologie était motivé par l’intention de dépasser, en quelque sorte, l’usage de métaphores. Or, justement ce que je ne vois pas, sans être mathématicien, c’est dans quelle mesure la topologie nous permet justement d’échapper à ces métaphores et je suis très heureux que vous ayez cité le travail de Lyotard que, par hasard j’ai relu il y a une quinzaine de jours. Dans son livre intitulé "Future édition" Lyotard débat aussi de ce problème, comment échapper à l’utilisation de métaphores. Il cherche du côté d’un certain matérialisme, dans le même moment probablement que Lacan il se pose également cette question. Comment voyez-vous cette échappatoire via la topologie de l’usage de la métaphore, et, peut-être une sous-question : prévoyez-vous un nouvel horizon parce que je voudrais faire une petite référence à ce que quelqu’un a cité St. Thomas. Si on peut définir, par exemple le langage religieux que nous connaissons en Occident venant du Judaïsme et du Christianisme, justement ce qui est propre à ce langage c’est l’usage des métaphores. Je pense au Nouveau Testament, chaque fois qu’on pose une question au Christ il répond : "le royaume des cieux c’est le pauvre".

— J.-A. Miller : Oui, c’est la question difficile d’autant que Lacan, à un des derniers séminaires qu’il a consacré au Nœud borroméen avec de grandes parts de silences, à dit : "finalement le nœud

borroméen c’est une métaphore impropre. Finalement c’était un fracas beaucoup plus important que la dissolution de l’école freudienne. Après avoir élaboré comme étant la chose même, la renonciation était catastrophique. J’ai une petite idée là-dessus mais je voudrais bien connaître l’avis de Soury sur le caractère de métaphore ou non car, indépendamment de tout ce qui est machinerie ou historique, situation de la topologie dans l’enseignement de Lacan, la question cruciale se joue, le statut de la topologie se joue entre métaphore, structure et réel.

Q. : Dans quel esprit P. Soury fait-il la topologie.

— J.-A. Miller : Vous connaissez le tableau de Magritte "Ceci n’est pas une pipe". Il représente une pipe, ceci n’est pas une pipe, évidemment ceci est tout-à-fait paradoxal puisque, en un sens, c’est une pipe. Dans l’autre sens ce n’est pas une pipe car c’est une pipe représentée donc, ce n’est pas une vraie pipe. D’autre part "ceci n’est pas une pipe" fait partie lui-même du tableau de la pipe et ce n’est pas extérieur au tableau ; donc il y a là une perturbation spatiale. Il y a un très joli article sur les paradoxes de ce tableau de Magritte, ce sont des paradoxes spatiaux. Nous pourrions aussi écrire : "ceci n’est pas une métaphore" en dessous du nœud borroméen et nous aurions peut-être les mêmes paradoxes que ce que démontre le tableau de Magritte de sorte que, nous l’aurions fait tous, il était écrit "ceci n’est pas le nœud borroméen". Ceci c’est une première évocation.

La seconde c’est que Lacan est celui qui pose : dans le langage il n’y a que métaphore et métonymie, il n’y a pas de mots propres, on ne parle jamais "qu’à côté" dans le mouvement de la langue qui emporte l’expression, d’où évidemment le saillant d’une affirmation comme "ceci n’est pas une métaphore" ce qui revient à dire "ceci n’appartient pas, n’est pas clarté dans le jeu de métaphore et de métonymie où toute parole est prise ; à cet égard mathème Fait quand même le troisième terme, après métaphore et métonymie. Le mathème, à cet égard, est supposé dans le langage être tout-à-fait limite et il ne peut pas être pris dans métaphore et métonymie au point même qu’on pourrait voir dans le gon des mathématiciens d’aujourd’hui pour nommer le terme usuel, très matériel, lors des objets qu’ils découvrent, comme un effort pour récupérer ce pouvoir métaphorique dont ils se saisissent. Par exemple il suffit qu’un mathématicien parle de filtre pour un objet mathématique et ça n’est pas une métaphore, même s’il essaie. La topologie ce n’est pas une métaphore,

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très simplement c’est parce que ça relève d’une combinatoire et qu’une combinatoire peut être exacte, utile ou mauvaise mais de toute façon elle ne sera pas une métaphore, elle est un calcul erroné ou exact – ça, c’est une Façon à minima de poser que ce n’est pas une métaphore par rapport aux formes que Freud déploie, au modèle que tel ou tel peut inventer. Je vais faire à P. Soury une troisième réponse. Il a raison, il ne peut pas donner une réponse, c’est comme le chaudron il faut donner beaucoup de réponses et tant pis si elles sont contradictoires. C’est assez proche de ce qu’évoque P. Soury, c’est qu’en elle-même la topologie n’est pas une métaphore ; ce qui pourrait la faire devenir c’est évidemment la fonction qu’elle prend dans l’enseignement de Lacan, c’est là qu’elle risque, par la signification qui s’y attache – et par signification il faut entendre et l’usage et la passion qu’elle peut susciter, c’est là que la signification s’introduit et qu’après tout on peut dire qu’il a choisi la topologie. Quelqu’un d’autre pourrait très bien choisir autre chose. J’ai essayé de montrer que ce n’est pas indifférent et que la topologie est essentielle à l’élaboration d’un sujet non substantiel, comme support d’un sujet non substantiel. Qu’en pense E. Porge ?

— E. Porge : Je ne sais si je dois, si on peut, répondre exactement à cette question. Je reviens à ce qui est, il me semble, tout-à-fait au cœur de ce débat autour de "la topologie de la psychanalyse", débat dans lequel, finalement tu as pris une position très nette, quand tu as dit "cette topologie nous la manions spatialement", "consciemment c’est intégralement réductible à une combinatoire". Il y a là une position très claire et le travail du rêve, c’est à reprendre, c’est dommage que tu n’as pas pu en parler plus longtemps. Je reviens aussi à la question de la fascination dans l’indicible, d’une expérience qui n’est pas toute mathématisable, de la place qu’on peut donner à cet indicible sans se laisser fasciner par lui. La topologie est-elle quelque chose qui est intégralement réductible à une combinatoire ? Tu dis : le troisième terme, c’est le mathème. Oui, le mathème par rapport à la métaphore, à la métonymie, le mathème pris sous certains angles peut être réduit à la question de la combinatoire. Mais il limite aussi à des choses qui ne seraient pas prises dans la combinatoire. La question de la lettre que tu as mentionnée à un moment donné, tu as dit : "Structure localisée du signifiant". D’après ce texte qui date d’un certain temps, il semble me souvenir – ce serait à vérifier – que Lacan dit que c’est "la structure essentiellement localisée du signifiant" et dit son dernier mot par la

suite dans un "discours qui ne serait pas du semblant", dans tout ce qui tourne autour de l’écriture chinoise, dans son article sur Lituraterre. Dans ce que l’on peut appeler la deuxième topologie sur les nœuds il a mis un soin extrême sur le dessin précisément et à la présentation. Quand on dit la topologie, est-ce qu’il n’y a pas une autre dimension à laquelle s’est heurté Lacan comme le rappelle Soury d’une façon justement qui est au-delà sûrement de ce mot des métaphores, une dimension proprement, qu’on peut appeler du dessin, qu’on peut appeler de la lettre du trait qui n’est pas réductible comme telle précisément à ce que la topologie par ailleurs, bien entendu, supporte de combinatoire. Il me semble qu’il y a là quelque chose dans tout ce qu’il a développé à partir du trait unaire et qui est absolument supporté par la topologie qui, justement fait que la topologie n’est pas intégralement réductible à une combinatoire.

— J.-A. Miller : Sur ce point, je pense que pour la question de la réduction de la topologie à la combinatoire j’ai soigneusement distingué le Lacan des trois objets et le Lacan du nœud borroméen et j’ai dit au moins, pour le Lacan des trois objets, mais ça vaut aussi bien pour l’élaboration du trait unaire. Pour le Lacan du nœud borroméen, il y a un paradoxe : il s’est avancé là dans un domaine où la mathématisation n’est pas achevée. La mathématisation des trois objets est faite depuis longtemps alors qu’il a eu cette audace de s’engager avec les nœuds dans certains objets dont, effectivement, le mathème n’a pas été élaboré très loin, il y a énormément de propriétés de nœuds qu’on peut formuler et dont on ne peut pas donner l’algorithme de transformation, il n’y a pas d’algorithme pour tester telle ou telle configuration. Alors quelle position prendre ? On peut dire : tant que le discours mathématique n’a pas fait la démonstration que c’est un corps épuisable, tout est possible et puis, d’un autre côté, on peut répondre que si on dit ça, c’est que vraiment on a perdu complètement les pédales, on n’est plus dans le discours de la science, il Faut maintenir que même si ça n’est pas découvert, ça doit l’être. Ce qu’il faut constater c’est que Lacan – quand il appris la théorie des jeux c’était quelque chose qui était déjà presque un gadget en tout cas qui avait été fondé et parcouru dans cette thèse fondatrice de Von Neuman. Lorsqu’il a pris les trois objets il a pris des objets sans problème – ici vous constatez qu’en 74 il s’est engagé à manier des objets effectivement à problèmes. Ce n’est absolument pas comparable aux trois premiers objets topologiques, élémentaires, simples qui ont dérouté son auditoire parce qu’il

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n’était pas familiarisé avec ça et qu’on a toujours des problèmes intuitifs à cause des objets il faut constater pourquoi à ce point de son avancée en 1974, Lacan s’est-il affronté à des objets, dont il n’avait pas l’assurance qu’ils étaient par ailleurs entièrement mathématisés. Ceci dit, il a quand même poussé la réduction globale de la topologie à la combinatoire : dans "l’Étourdit" il le pose purement et simplement, il le pose en considérant que cette discipline comme telle dans sa définition est combinatoire. On n’a pas affaire à de l’espace, on a affaire à une combinatoire. Évidemment, "l’Étourdit" c’est en 1972.

Ce n’était quand même pas un acte de foi ?

— Q. : Lacan a continué à travailler sur le nœud borroméen et encore pendant un certain temps – donc c’est que ce n’était pas…

— J.-A. Miller : Oui, dans le séminaire de Caracas, il met vis-à-vis le schéma de Freud de la deuxième topique et son nœud borroméen. Ce qui est extraordinaire, c’est que par l’effet de l’enseignement de Lacan on peut tendre à parler de la topologie. J’ai bien fait attention de marquer le rapport vivant de cette topologie de Lacan et de l’expérience analytique, j’avais tout de même respecté le sujet proposé ; mais, c’est assez extraordinaire dans quel désert de signification Lacan a conduit la psychanalyse. Pensez à ce que l’on faisait il y a encore quelques années lors des réunions à propos de la psychanalyse et de l’expérience analytique. On pouvait dire que Lacan avait déjà revalorisé l’Œdipe au moment où l’œdipe était oublié comme structure symbolique, il a remis en valeur la castration alors que l’analyse du moi avait déprécié cette fonction, phallus etc… quelles que soient là les différences d’accentuation que Lacan a apportées la restitution de l’enseignement de Freud qu’il a récupéré, on était encore à traiter les symptômes analytiques à partir de significations reconnaissables, par exemple l’action du père, cela pouvait donner lieu à des sainettes "il faut surtout bien que la maman parle en bien et avec respect du père". On constate que Lacan a progressivement effacé les tentations imaginaires – a d’une certaine façon, effacé progressivement les formations symboliques pour arriver à une désubjectivation du signifiant. Le mathème, c’est un signifiant désubjectivé, c’est un signifiant qui ne représente plus un sujet pour un autre signifiant ; or, voilà qu’il y a une pente à ne plus parler de la psychanalyse qu’en termes de signifiant désubjectivé. On pourrait bientôt se trouver devant la question "de quoi parlons-nous ?", nous parlons de topologie à la place

de parler de psychanalyse et ça, ce sera un moment très dangereux si le Or. Lacan ne poursuit pas son enseignement, un moment où dans le désert on voudra brusquement faire refleurir les oasis imaginaires ; le mouvement est déjà en cours parce que on ne Fera pas manger à tout le monde les sables du désert pendant longtemps. C’est pourquoi il faut conserver l’apport de Lacan – qui est avant tout la détermination foncière du sujet en faveur de l’imaginaire et de l’ordre symbolique et la psychanalyse joue dans l’ordre symbolique, il Faut faire de la topologie pour rendre compte de l’expérience analytique. J’ai essayé de marquer les conséquences que peut avoir cette approche topologique s’agissant du rêve ; mais je crois que ce serait une pente extrêmement dangereuse pour les lacaniens que de se vouer au seul signifiant désubjectivé.

Pour la question de la métaphore, il y a une réponse de Lacan, précise, datée : "le discours mathématique se distingue des autres discours par le fait que c’est la place du dire, du dire mathématique, – pour faire une approximation de l’énonciation mathématique – qui est analogue au réel. Ce qui distingue le discours mathématique, c’est que la place du dire est analogue à ce qu’est le réel pour les autres discours ; mais les autres discours sont conduits à serrer le réel à partir de l’impossible engendré par le dit, alors que dans le discours mathématique c’est la place du dire qui est l’analogue du réel. Au Fond, ma topologie, dit Lacan, c’est un dire et il semble que ce qu’il y a de mieux à faire c’est de lui faire tenir la place qu’a le réel dans le symbole", il dit ça très exactement – p. 32 de l’Étourdit : "déjà trop de commentaires dans l’imagerie de ce dire qu’est ma topologie. Un analyste véritable n’y entendrait pas plus que de faire à ce dire, jusqu’à meilleure à se prouver, tenir la place du réel". Jusqu’à ce qu’on trouve quelque chose de plus compact que cette topologie eh bien, ce dire topologique, faisons-lui tenir la place du réel. Il y a là l’idée de "jusqu’à meilleure à se prouver". Un analyste véritable, c’est-à-dire qui se confronte à la division du sujet avec le sujet non substantiel. Peut-on trouver meilleur réel que celui que constitue le dire topologique. Toute la difficulté est dans "le Faire tenir la place du réel" parce que il y a une sorte de "semblant réel" ; mais après tout un semblant réel qui fonctionne comme un réel, c’est un réel. Je crois que ce n’est pas une solution, je dis et je pense que dans ce paragraphe qui est à la fin de la page 32 de l’Étourdit Lacan a serré le problème et que là l’accent est plutôt sur "faisons comme si c’était ça", c’est finalement ce qu’il y a de moins imaginaire, de plus proche de l’expérience et peut-être que c’est

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avec cela que l’on fait de la psychanalyse convenable, c’est-à-dire celle qui Fait que le sujet a chance de se délester de l’objet a. — Q. : Une des choses qui me semblait très intéressante dans votre exposé c’était précisément que vous releviez le fait que la topologie peut éclairer la clinique. Il y a là quelque chose que j’ai lu récemment et qui m’a beaucoup frappé – je crois que c’est dans le séminaire 21 que cela se trouve où Lacan explique la façon dont il est venu à la topologie. Il y a là quelque chose qui est homologue dans la topologie en tant que c’est quelque chose qui est bâti uniquement sur des relations de voisinage, avec le savoir de l’association libre qui ne fonctionne que par là elle aussi. C’est tout-à-fait intéressant que vous ayez gardé un exemple concret qui va de l’utilisation de la topologie et parcourt la topologie mais en tant que guide de la pratique. — J.-A. Miller : Disons que là il y a connexion entre topologie et logique du signifiant. — Q. : Vous parlez du rapport de la mort à la parole, du rien, du vide, de faire l’expérience d’un manque de référence. J’ai l’impression que la topologie est le dernier rempart pour ne pas arriver à cette expérience du vide du manque de références et que ce qui, à mon sens, pourrait mener à cette expérience du vide et du manque de références est de dépasser la topologie. Ma question est de savoir dans quel sens il y a un risque de l’utilisation de la topologie pour, justement, refuser cette mort nécessaire pour réellement arriver à l’expérience du vide puisqu’il semble qu’il n’y a pas d’autres possibilités qu’une certaine forme de cette mort ; et en même temps, il y a quelque chose dans votre exposé en rapport avec ce que vous appelez l’énergétique. En même temps dans l’expérience du vide, ce qui est essentiellement présent, c’est l’énergie pure. Je sais que l’expérience psychanalytique a quelques doutes là-dessus mais je sens cette topologie comme la chose à laquelle la psychanalyse s’accroche pour ne pas "perdre les pédales", alors que c’est en perdant les pédales qu’on a l’expérience du vide.

— J.-A. Miller : Ce qui est conseillé, c’est que ce soit l’analysant qui perde les pédales. Le cas contraire arrive. La topologie, c’est ce que Lacan propose à l’analyste véritable pour tenir sa place. Je crois qu’il ne faut pas simplifier l’expérience du vide. Ce que nous apprend la topologie, c’est qu’il y

a plusieurs types de vide – que le vide n’est pas une idée simple, que ce n’est pas un abîme. C’est vrai que l’analyste établit un rapport entre sinon l’énergie du moins la libido, et le trou. Puisque Lacan a relevé que ce que Freud appelle zones érogènes libidinales, ce sont spécialement des points de structure topologiques, des points de bord. Est-ce que c’est ça le vide ? Un bord ça ne fait pas du plein et ce n’est pas non lus le vide absolu, c’est un être spécialement non substantiel qui caractérise les surfaces. Les topologies des trois objets sont spécialement caractérisées par la façon dont opèrent sur elles les bords qu’on peut y sectionner. Parler du vide au singulier, du trou au singulier, c’est du mysticisme et Lacan fait mathème là où il n’y aurait que trou – il y a 36 sortes de trous dans le discours – et entre le rien qui fait le fond de la demande d’amour, la demande d’amour concerne le rien du désir, le rien de l’indiscible, chaque fois, nous avons une position topologique distincte, une inscription sur des surfaces distinctes et à cet égard, on peut se passer de la topologie pour en parler ; mais les petites figures, les trois objets de Lacan, c’est finalement ce qu’on peut faire de plus simple pour éviter d’écrire "l’être et le néant" par ex.

— Q. : Lacan dit que le mathématicien par rapport à son objet, vraiment il y croit. Or pour l’analyste on peut tout de même penser qu’il ne croit pas en la topologie. Jusqu’où le travail de Lacan sur la topologie ne change-t-il pas la topologie elle-même, ainsi la linguistique s’est-elle transformée par rapport aux linguistes.

— J.-A. Miller : Pour ce qui est d’utiliser la linguistique dans la psychanalyse, il y a eu beaucoup plus à faire il y a 20 ou 30 ans. Quand vous lisez les dernières conférences de Chomsky du point de vue analytique, vous ne pouvez strictement rien en tirer. Quand aux changements de la topologie, je crois que là nous avons la certitude de Soury que l’accent mis par Lacan sur le nœud borroméen, la valeur qu’il lui a donnée, la promotion qu’il a faite, aura des effets mais cela ne changera rien à la discipline sur le fond.

La psychanalyse ne peut mettre en valeur que son point de vue, la position de l’énonciation, mais on n’a pas le témoignage de changements introduits dans les sciences dites humaines par la psychanalyse et d’ailleurs, il y a une incidence, une importation de concepts, on ne voit pas que pour le discours de la science, la psychanalyse y ait eu la moindre incidence pratique. C’est quelque chose que Lacan a certainement souhaité en énumérant à Vincennes, toutes ces disciplines : que l’analyste s’informe de

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linguistique, de logique, de topologie, (en espérant aussi qu’il y aurait un échange). Or quelque soit le nombre de logiciens, de linguistes et de topologues qui s’intéressent au discours analytique, il n’est pas sensible que cela modifie de fait l’exercice de cette discipline. — Q. : Vous avez parlé de topologie comme réel, en ce sens qu’elle est pour Lacan un instrument dans la cure, un instrument de coupure. Mais je crois qu’elle est le seul moyen de rendre compte de ce dont Lacan a parlé, lui est la question du changement de structure. La fin de l’analyse, pour lui, du moins dans certaines analyses, est d’arriver à quelque chose de l’ordre d’un changement de structure et c’est là que la topologie peut être aussi le moyen le plus simple, le plus réel, d’en rendre compte.

— J.-A. Miller : Disons que les transformations des surfaces topologiques sont effectivement spécialement propices à représenter les éventuelles transformations cliniques de structure. Dans le passage que j’ai cité, Lacan parle de coupure interprétative qui est la pure et simple section de la bande de Mœbius, du ruban à une face et d’un ruban à deux Faces. C’est beaucoup plus complexe dans l’étourdit, où l’interprétation est identifiée à une coupure fermée. Mais effectivement, dès qu’on identifie l’interprétation à des coupures, ces coupures pratiquées sur des surfaces, modifient les caractéristiques de la surface. Tant qu’on n’aura pas élaboré un langage qui mieux que la topologie nous donnera ça, il faut bien convenir topologie nous donnera ça, il faut bien convenir avec Lacan qu’on doit le garder.

25/04/81 Le texte de J.-A. Miller est la transcription de l’enregistrement de sa conférence. Il n’a pas été revu par l’auteur.

De quelques problèmes de surface dans la Psychose et l’Autisme

Eric Laurent

Je vais m’appliquer à ajouter mon commentaire à l’orientation que J. A. Miller venant ici a eu l’occasion de formuler récemment, soit ceci qu’on ne peut extraire la topologie de Lacan hors de son enseignement, au double sens où tout l’enseignement de Lacan suppose dès l’énoncé de sa thèse sur l’inconscient structuré comme un langage,

suppose une au-moins-une topologie, celle du tore, présente dès le rapport de Rome, et au deuxième sens où, à effectivement extraire la topologie du discours même où elle se tient dans Lacan, on risquerait de tomber dans cette psychanalyse appliquée à la topologie, qui par là trouverait essentiellement sa limite. Je voudrais aujourd’hui paradoxalement vous entretenir de quelques problèmes de surface dans la psychose et dans l’autisme, autrement dit à partir de matériaux cliniques. Soit prendre au sérieux cette affirmation de Lacan, selon laquelle c’est au nom de raisons cliniques qu’il a recourt à la topologie. Il y a là un paradoxe puisque, si la topologie est bien ce qui nous permet de nous rompre au mode d’être du sujet sans substance, de l’inconscient, pourquoi donc vouloir lui donner une substance clinique, vouloir l’illustrer en le gonflant de substance imaginaire. Peut-être après tout parce que nous sommes à propos de cette topologie du sujet et de l’objet, au cœur même de ce que nous devons désigner de "réel de l’imaginaire", c’est-à-dire ce qu’il y a de résidu inéliminable dans cet imaginaire déterminé par le symbolique. IL est Frappant d’ailleurs que ce terme si lacanien de résidu soit après tout celui qu’utilise Piaget lorsqu’il évoque le résidu intuitif jusqu’au sein des axiomatiques géométriques les plus épurées. Je vous présenterai donc quelques fragments d’une clinique du résidu, spécialement à propos des psychoses de l’enfant, telles que Lacan a pu les aborder dans ses premiers séminaires à propos des cas cliniques de Mélanie Klein. Nous suivrons dans une première partie le trajet qui amène Lacan du stade du miroir au stade des deux miroirs, et ensuite à celui que j’appellerais pour l’occasion le stade de la bande de Mœbius. Cette élaboration de l’analyse in situ à travers les Écrits est parallèle à ce que Lacan dit se lever, à la fin de ce recueil, sous le nom d’objet a. L’élaboration qui recourt à la nécessité topologique est d’autant plus insistante dans les Écrits que l’objet a devient de plus en plus l’axe autour duquel s’organise la théorie de Lacan. Cet objet qui n’est pas présent au début des Écrits surgit à la fin comme cet objet tel qu’il vérifie la division du sujet, le traversant sans qu’ils se pénètrent. Dans cette définition, on voit que cette division est même impensable sans le recours à un minimum de topologie simple du type bouteille, de Klein. Et c’est évidemment à partir de l’Étourdit (1973) que nous avons l’articulation dans un texte écrit de la topologie de Lacan, de sa topologie du sujet telle qu’elle se corrèle avec celle de l’objet. L’Étourdit est le seul grand texte topologique de Lacan, à partir duquel nous pouvons lire rétroactivement les

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séminaires et les textes parlés. A partir de l’objet a-sphère produit dans l’Étourdit, de nouvelles réorganisations s’imposaient sur par exemple tout le matériel clinique, que Lacan avait mis en ordre dans ses premiers séminaires. Il y avait à reprendre ce qui s’y était organisé sans l’objet a. Tout naturellement, c’est Rosine Lefort qui avait présenté au docteur Lacan lors d’un contrôle son cas de l’enfant au loup, repris dans le séminaire I, c’est tout naturellement elle, avec Robert Lefort, qui a réinterprété ce cas en y ajoutant tous les développements sur l’objet a, et en montrant les remaniements que cela implique. D’où l’accent mis par les Lefort dans leur livre "Naissance de l’Autre"(Seuil, 1980). Sans doute vaudrait-il mieux dire "naissance à l’Autre", puisque l’Autre est toujours déjà là. Mais ce qu’ils voulaient indiquer dans le titre, c’est qu’on peut naître non pas de sa mère, mais qu’on naît de l’Autre en tant que toujours déjà là, du moins pour l’être humain. Dans ce livre, ils en sont venus à mettre l’accent sur des phénomènes de surface pour tenir compte de l’apport asphérique de l’Étourdit, à la fois en montrant la fécondité de l’application, et en ouvrant de nouvelles perspectives de recherches cliniques, Mais de façon très curieuse, il n’y a pas que les disciples Français de Lacan qui en sont venus à mettre l’accent sur des phénomènes de surface et de production de surface. Et par des voies indépendantes liées celles-là aux contradictions de la dialectique contenant/contenu chez M. Klein, des psychanalystes anglais, spécialement ceux regroupés autour de Ronald Meltzer, en sont venus à reconnaître l’importance cruciale de ces questions de surface. La première partie de cet exposé concerne le trajet qui va, dans l’enseignement de Lacan, du stade du miroir à la bande de Mœbius, et ce plus particulièrement par rapport à la clinique des psychoses de l’enfant. Ensuite je voudrais mettre l’accent, dans ma seconde partie, sur le travail de Meltzer et son équipe, pour que nous puissions voir se profiler par différence des conséquences pratiques au niveau de la direction de la cure.

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Vous savez que dans le fond le stade du miroir chez Lacan est une vieillerie, puisqu’il en donne l’énoncé en 1936. De cet exposé nous n’en avons plus que les quelques lignes qui s’y réfèrent dans l’article de 1938 sur La famille, paru dans l’encyclopédie française. Lorsqu’il reprend ça en 1949 dans "Propos sur la causalité psychique", il nous dit que son intention était de manifester la collection d’un

certain nombre de relations imaginaires fondamentales dans un comportement exemplaire d’une certaine phase du développement. Ces relations imaginaires éclairent de façon crue le concept de narcissisme tel qu’il se proposait dans la théorie psychanalytique. Le stade du miroir est une balayette qui donne les règles de partage entre l’imaginaire et un au-delà de l’imaginaire, dans la mesure où il nous fait saisir l’importance du fait que le moi freudien n’est pas corrélé à une quelconque réalité, mais d’une part au corps propre, et de l’autre aux trois ordres d’identification que distingue la Massenpsychologie. De plus, le narcissisme, en tant qu’il est ce rapport radicalement agressif que l’homme entretient avec l’image qui se présente avec valeur d’anticipation fonctionnelle, permet de relire le fameux masochisme primordial freudien. Ces résultats sont acquis à partir d’une observation comportementale. C’est là l’occasion de nous demander pourquoi Lacan, par la suite, n’a pas tiré davantage profit des résultats obtenus par la débauche d’études comportementalistes. En fait il semble que ce soit plutôt ces études qui gagneraient à s’inscrire à la bonne place dans des repères de structure. Il suffit de pointer ici comme symptôme le peu de valeur effective que cette débauche d’études comportementalistes arrive à atteindre dans la théorie psychanalytique. Le contraste avec le parti tiré de cette toute petite expérience du miroir n’en est que plus frappant. Cependant, en 1949, il s’agit encore d’un inconscient structuré par l’imago, où ce qui domine, c’est une sémiologie allant, comme il dit, de la plus subtile dépersonnalisation à l’hallucination du double. Cet "inconscient au miroir" se trouvera remanié par la discontinuité de l’enseignement de Lacan, en particulier en 1953 lors de la mise au poste de commande de la structure proprement dite, celle d’un langage dans l’aphorisme qui fait thèse : "l’inconscient est structuré comme un langage". Notons qu’une des premières conséquences du discours de Rome où s’énonce cette thèse, c’est de plonger la catégorie du réel dans le stade du miroir. C’est à partir de là que Lacan introduit un seul miroir, mais différent de celui des années 30, un miroir concave. Avec ce dispositif simple, avec ce miroir concave qui donne une image réelle, Lacan essaye d’éclairer des cures analytiques d’enfants présentant des troubles qui sont en rapport avec ce qui chez l’adulte relève de la psychose. Ainsi Lacan se penche-t-il dans le séminaire 1 sur le cas de Dick, premier cas publié dans la littérature analytique du traitement d’un enfant psychotique. Ce

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dispositif simple fait surgir la particularité d’un lieu. Lacan constate en effet que cet enfant est doté dans son monde d’un objet qui est un lieu noir et vide, et qui se distingue des images en tant qu’elles se reflèteraient dans un miroir. L’ayant dit précédemment, je ne reprends pas ici le mouvement topologique que Lacan dessine dans cette cure, qui est le recouvrement du lieu noir et de l’objet. (NDR. in Quarto I). Lacan part du dispositif suivant qui nous donne, à partir d’un objet caché, une image réelle.

Alors, en accommodant ce dispositif au mouvement de la cure, celle-ci consistera à faire en sorte que le gosse puisse apercevoir les fleurs dans le vase, et faire en sorte que le lieu noir caché – ce lieu essentiel qui fait bouchon au départ, soit celui qui enserre ces différents objets. D’où l’accent mis par Lacan sur le fait que la cure, chez M. Klein, consiste à prendre des petits objets et les amener dans le sas tout noir entre la sortie et son bureau. Si on était winnicottien, on décrirait la merveille du lieu transitionnel. Ce qui n’est pas le cas, d’autant que l’important de ce lieu entre la sortie et le bureau n’est pas que ça fasse transition, mais que ça fasse noir. Il s’agit d’un type d’imagination du trou. Il s’agit de faire en sorte que ça fasse goulot, que ça prenne un objet. L’enseignement que Lacan en tire, c’est qu’il y a deux types d’images, les images réelles et les images imaginaires, et que les problèmes viennent du recollement des deux. II y a là mise en place d’un clivage à l’intérieur de ce que M. Klein nomme "real reality", d’un clivage entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. "C’est à nous de comprendre, nous dit Lacan, que dans la mesure où une partie de la réalité est imaginaire, l’autre est réelle, et inversement dans la mesure où l’une est réalité, c’est l’autre qui est imaginaire" (Séminaire 1). On voit à l’emploi des termes réel et réalité que nous sommes dans les années 53. Cette séparation entre ce qui est le réel de l’imaginaire et l’imaginaire de l’imaginaire, cette séparation est en même temps interpénétration, laquelle se manifeste par un signal, l’angoisse, signal que l’objet est bien là dans le goulot du vase. Et on sait que c’est à partir de là, du signal d’angoisse chez l’enfant, qu’il va se repérer dans le corps de l’Autre. Alors on voit que déjà là

pour se repérer dans Le corps de l’Autre, on doit introduire ce corps de l’Autre dans sa dimension au miroir, pour le coup miroir plan, le miroir concave ne suffisant plus. 11 y a l’introduction de l’image dans le miroir i'(a), qui fait que l’objet dans le goulot – l’angoisse signale qu’il se trouve à la bonne place – doit s’attraper par le recours au corps de l’Autre en tant que là il fait surface. Ce qui fait que M. Klein note ceci : "à la troisième séance, il se mit derrière la commode, là il eut un accès d’angoisse et pour la première fois, il m’appel a auprès de lui". Cet appel, nous devons le situer comme tel dans la relation du sujet avec l’image du corps, non pas en tant qu’elle est réelle, mais en tant qu’elle est située dans le plan imaginaire. Il nous faut donc prolonger la mise en place du miroir concave par le rappel du miroir plan, et les effets classiques du stade du miroir. C’est ce qui fait que c’est à partir de cet appel à l’autre que l’enfant déploiera l’agressivité. Alors voilà comment s’inscrit l’ensemble du dispositif des deux miroirs : lorsqu’il y a une première jonction entre imaginaire – Dick énonce "gare"-et symbolique"rentrer dans la gare, c’est rentrer dans maman"-, nous assistons à la mise en place du réel et de l’imaginaire autour d’une place vide, tandis qu’apparaissent angoisse d’une part, au moment où se conjoignent le vase et l’objet, et agressivité de l’autre, à partir du moment où il y a appel à la fonction du corps de l’Autre. Ça, c’est pour le point de jonction entre réel et imaginaire. Le cas de Robert, le garçon au loup, permet d’éclairer la fonction du point de jonction entre symbolique et imaginaire. Pour Dick, le point de jonction, c’était la gare, en tant qu’elle désignait pour lui l’objet qui manque, l’objet essentiel, la mère. Pour Robert cela sera le loup. Ce hurlement qu’il proférait sans cesse, Lacan le désigne comme "trognon" de la parole ; c’est à partir du moment où le loup disparaît de la cure que Robert pourra venir à se nommer. Mais le cas de Robert est aussi très intéressant en ce qu’il nous apporte le témoignage d’un décalage singulier entre la maturation sensori-motrice tout, à fait réalisée, car le gosse est capable de prendre les objets, et en même temps l’incapacité dans laquelle il se trouve de se tromper en effectuant un geste. C’est ce que repère très justement Rosine Lefort : il ne peut pas se tromper ; si jamais il se trompe, il faut qu’il refasse toute la séquence depuis le début. C’est crucial de voir un enfant qui est au fond réellement pris dans un tel type de chaîne qu’il ne peut absolument pas s’en écarter. Lacan assimile ces types de phénomènes à ce qu’il désigne alors comme écart entre la maturation réelle et la maîtrise imaginaire. 11 ne recule pas à considérer cette difficulté de l’articulation de l’image réelle du corps

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à sa prise dans l’imaginaire comme étant le point où se joue la schizophrénie. Ainsi est-il possible de repérer de manière constante chez Lacan une différence entre schizophrénie et paranoïa. Que ce soit dans le séminaire l’à propos du cas de Robert, que ce soit dans l’Étourdit dans une réponse à Guattari, il corrèle toujours la question de la schizophrénie avec la "maîtrise de l’organe", ce qui se formule alors comme articulation de l’image réelle du corps à la prise dans l’imaginaire. Cette alliance non consommée dans l’Autre du réel et de l’imaginaire est à séparer de ce qui se présente dans la psychose hallucinatoire de l’adulte comme intrication du réel et de l’imaginaire. Lacan dans son article de 1938 sur la famille évoque ceci à propos du paraphrène : "c’est la structure foncièrement anthropomorphique et organomorphique de l’objet qui vient au jour dans la participation mégalomaniaque, où le sujet dans la paraphrénie incorpore à son moi le monde". Il faut reprendre ces indications, mais notons là la portée clinique de la constitution de ce réel du corps imaginaire dans les rapports de a et de i (a), à distinguer du rapport de i (a) et i'(a). (Ndlr. cf. schéma Écrits, p. 680). Ajoutons quelques renseignements supplémentaires résultant de la mise en place de ce dispositif, en particulier sur le rôle essentiel que M. Klein fera jouer dans son œuvre à ce qu’elle appelle la phase de sadisme maximal dont le sujet se défendrait par expulsion. De quoi s’agit-il dans ce sadisme soi-disant psychotisant ? On sait qu’en ce qui concerne le sadisme, M. Klein, en élève de Karl Abraham, reprend à son compte l’enseignement d’Abraham sur la question. Dans son dernier grand article "Esquisse d’une histoire du développement de la libido"(1924), Abraham affecte chaque phase freudienne, l’orale, l’anale et la génitale, d’une composante sadique ; le sadisme fonctionne alors comme opérateur marqué ou non marqué. S’autorisant de la deuxième théorie des puisions de Freud qui oppose "pulsions de vie et pulsions de mort", elle isole le sadisme abrahamien ; elle n’en fait non plus un opérateur mais une phase à part entière, chronologiquement antérieure, dont le rythme ne pourra se marquer que par une sorte d’auto-référence en un minimum et un maximum. Si nous nous servons de l’enseignement des miroirs, nous voyons que c’est dans l’articulation de l’espace du miroir que se produit l’effet dont parle M. Klein. Si l’agressivité radicale, soit le désir de la disparition de l’autre en tant qu’il supporte le désir du sujet, si cette agressivité radicale est une forme très générale, c’est en effet la mise au premier plan des différentes facettes du narcissisme, du rapport au corps propre et au corps de l’autre qui est spécifique des trous

dont nous nous occupons. Il faudra donc distinguer avec Lacan dans la phénoménologie kleinienne, entre les Fantasmes paranoïdes qui se produisent lors de la constitution de l’objet en i (a) et les fantasmes de la position dépressive qui marque le rapport avec i' (a). Plus loin l’introduction du miroir plan permet de situer à une place symbolique la Fonction de la mère kleinienne présentée comme le lieu où vont se prendre les objets du désir. La mère réelle va s’inscrire ici comme le cadre où ces objets vont paraître à leur place, y revenir. Ce sera le cadre où le vase vide pourra se produire lorsque l’opération d’enregistrement de l’absence de la mère s’effectue. Ce n’est que lorsqu’il y a reconnaissance de la position symbolique de la mère réelle que peut se repérer alors l’être métonymique de l’objet imaginaire produit pour l’enfant. En effet, à qualifier de partiel l’objet archaïque, on ne fait que se fier à la définition imaginaire de la métonymie comme partie pour le tout. C’est ce caractère métonymique de l’objet qui règle la position corrélative du corps propre morcelé, au-delà de la question de la prématuration de la naissance. Cette métonymie que nous pouvons qualifier de maternelle est à accentuer pour saisir la différence entre le statut de l’objet métonymique produit à ce point et celui qui sera produit lors de l’opération de la métaphore paternelle. En ce sens la clinique kleinienne, clinique de l’équivalence des objets dans le contenant maternel, est une clinique de la métonymie. Si nous avons pu concevoir le vase comme vide, comme ce vide qui est le cadre que produit l’absence de la mère, la clinique du petit Dick nous fait saisir que c’est à partir du trou noir qu’il va constituer ce vase, ce contenant maternel ; de même la petite Gabrielle de Winnicott vise-t’elle directement par sa peur du noir la mère en tant qu’elle forme le cadre de ces objets qui défilent. Si nous avons pu concevoir le vase vide comme une sphère avec un trou, autrement dit un disque, les fleurs sont-elles pour autant à concevoir comme un plein ? Ce serait les délimiter à ne figurer que comme objet de la vision alors qu’elles sont objet du regard, rencontre de l’enfant et de celui vers qui il se retourne. Seule cette rencontre peut permettre au sujet d’apercevoir l’i (a) en tant que i' (a). Ce retournement nécessaire s’écrit sur le dispositif de Lacan en ce sens que l’œil ne voit pas directement l’i (a). Vous savez que sur son schéma des Écrits (p. 674 et 680), il y a un petit dispositif amusant ; il goupille la chose, la fiction, de telle façon que le sujet n’aperçoit pas directement l’imaginaire mais l’aperçoit à travers une image virtuelle. Il y a un retournement là à saisir, ce qui fait que le dispositif des deux miroirs est en fait une

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interpénétration de deux vides, deux modes du négatif, le lieu noir et ce qui manque comme fleurs. Curieux jeu de roulette : le noir est le manque, où seul l’impair est absent pour désigner la case où le jeton du joueur tente de s’inscrire dans l’ordre symbolique. En effet, le dispositif inscrit ce qu’il y a de réel dans l’imaginaire, entre i (a) et a, ce qu’il y a d’imaginaire dans l’imaginaire entre i' (a) et i (a), et ce qu’il y a de symbolique dans l’imaginaire, autrement dit la question de tout ce dispositif fait que le sujet d’un tâté est corrélé à un point idéal, de l’autre cet idéal est effectivement la limite symbolique de l’imaginaire. Une Fois que Lacan a son petit dispositif, le miroir plan, le miroir concave, les images réelles, virtuelles et le point symbolique, point d’où tout cela est commandé, Lacan va en jouer, pour nous montrer comment ce dispositif fonctionne sur toute l’étendue de la clinique et spécialement sur la conduite et la direction d’une cure proprement dite. L’opération d’une cure s’écrit comme les vacillations calculées, les relations par où l’image virtuelle vient au point où elle défaille sous l’image réelle. Qu’est-ce que c’est que défaillir sous l’image réelle ? Eh bien, c’est le repérage de ceci, que le sujet n’aperçoit l’objet de sa quête, celui qui vient compléter la sphère trouée, que dans l’autre. Il y a un moment où l’image réelle et l’image virtuelle se mettent l’une en dessous de l’autre ; le miroir plan bascule à l’horizontale, les deux images se mettent l’une en dessous de l’autre et viennent se confondre.

Écrits p. 680

Lacan nous montre ainsi qu’à la fin de l’analyse nous retrouvons le type de problème que nous trouvons à l’aurore de l’introduction du sujet dans le symbolique. Au fond, ce point d’aurore qu’il saisit dans ces cas cliniques de Mélanie Klein, à la frontière psychose-autisme, ces phénomènes de surface qui se produisent à ce moment là, nous les retrouvons absolument comme des phénomènes de surface et de recollement de surface à l’issue d’une psychanalyse. A l’époque, Lacan s’est servi d’une référence à l’histoire de l’art, précisément à la naissance du baroque, au passage renaissance/baroque, pour

montrer comment le sujet a pu être affecté dans toute sa représentation imaginaire à partir du moment où une position symbolique a été changée pour lui. Lorsque s’est mis au point le sujet de la science, tout l’art en a été modifié. Ce moment, c’est celui où le sujet perdait la substance corporelle pour passer dans l’étendue. Ainsi Descartes a-t-il défini un sujet coupé de toute adhérence corporelle : il doute de toutes ses représentations, il doute de l’image de l’autre, il rompt toutes les amarres de ses représentations, de tout ce qui peut lui venir comme corrélé à son corps. Nous avons d’un côté ce sujet coupé du corps, ce sujet ponctuel évanouissant, et de l’autre le corps qui se résorbe dans l’étendue. Dans le texte "Remarques sur le rapport de Daniel Lagache" où il introduit pour la première fois la référence à l’anamorphose, ce qui nous a permis, 10 ans après, d’avoir une exposition à Paris sur les anamorphoses, Lacan nous montre qu’au moment où dans l’histoire a surgi le sujet de la science, l’anamorphose dans l’art produisait par des effets optiques proprement dits cette réinscription du corps sur des paysages imaginaires ; sans cesse pouvaient se lire alors les nouvelles noces du corps et de l’espace alors que le sujet de la science venait de les rompre définitivement. L’anamorphose réinstalle les corps sur leur territoire par la perspective même qui pourtant signait le triomphe d’un sujet inscrit dans un espace mathématique décorporisé. Ce point de l’histoire de l’art est propice à rappeler les travaux de Panovsky (La perspective comme forme symbolique, Ed. Minuit, 1958) saluant la corrélation du triangle de la perspective, qui sera celle d’Alberti, avec l’effort de Nicolas de Cuse. Celui-ci a en effet désigné le monde hors d’une limite par la sphère des Fixes, dernière enveloppe corporelle qu’a connu notre monde. Il relativise ainsi le sens spatial du monde, son centre spirituel étant toujours Dieu dans la mesure où il explique que tout point de l’espace, quel qu’il soit, doit être considéré comme le centre de l’univers, tout comme la construction perspective peut déterminer en toute liberté le point de vue qui va chaque fois centrer le monde représenté dans chaque tableau. Dans la mesure où Lacan considère cette élation/dépression qui marque la chute de l’image virtuelle sous l’image réelle en place même du corps vide dans la série des effets de dépersonnalisation, il faudrait reprendre ça dans l’abord des phénomènes qui relèvent de la psychose. Contentons-nous de noter que le névrosé ne fait pas la même utilisation du point de fuite que Holbein dans "Les Ambassadeurs". Le névrosé tente de choisir son point de vue pour que ne lui apparaisse pas la tête de

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mort de la célèbre anamorphose ; mais quels que soient ses efforts au champ de l’imaginaire, ils ne doivent pas nous Faire oublier une loi qui fait partie de celles qu’a constitué la géométrie projective. Lorsque l’on veut projeter une sphère sur une surface, il y a au moins un point de cette sphère qui n’aura pas d’image, du moins en projection stéréographique, le point diamétralement opposé au point de projection. On peut évidemment traiter cette absence de différentes façons selon les géométries projectives : elles réintroduisent ce point manquant d’autant de façons qu’il existe de modes de projection. A l’inverse nous pouvons constater que le dispositif des deux miroirs tient compte de cet obstacle, dans la mesure où la sphère vide, image réelle qui se voit dans le miroir plan, était complétée d’au moins un point, celui où vient s’inscrire l’objet : la fleur, par sa tige, marque ce point qui troue la sphère. Ce point-là est décomplété – au moins celui où vient s’inscrire l’objet a. Ce point qui n’a pas d’image suffit à signaler la détermination par les lois du symbolique. C’est ce qu’on retrouve en 1958 dans "D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose", p. 553. Tout le monde s’est demandé ce qu’était ce crobar qui avait 4 sommets dont personne ne voyait beaucoup l’intérêt. En 1966, il a sorti une petite note dans laquelle il expliquait que c’était un plan projectif, et personne ne s’en était rendu compte. En 66, il en a donné la nature mais ça n’a eu de conséquences à proprement parler cliniques qu’après 1973, après la publication de L’Étourdit. Ce n’est qu’à partir de là que rétrospectivement nous avons pu lire à quel point ce schéma réinscrit les résultats obtenus dans le schéma des deux miroirs. La métaphore paternelle qui est inscrite de façon topologique et les champs de l’imaginaire et du symbolique sont articulés. Nous pouvons y lire qu’il y a recellement entre deux dispositifs en triangle, entre le symbolique et l’imaginaire, mais que cela ne peut se faire sans une torsion réelle. De même que la mère kleinienne se situait sur le miroir plan à la place de la mère réelle et produisait l’articulation des objets qu’appelle un type de retournement, le recollement du symbolique et de l’imaginaire ne se fait-il pas comme ça ? Cela ne se fait pas sans un type de retournement avec une torsion ; ainsi nous apparaît la véritable nature du miroir, autrement dit le miroir c’est une bande de Mœbius. La constitution du sujet, l’interpénétration de i(a) et de i'(a) se produisent comme effet d’un parcours le long du bord unique du cadre du miroir, qui n’a plus besoin de se présenter sans tain, pour ne pas séparer un dedans et un dehors, un espace réel et un espace

imaginaire. Il y a recollage réel de ces espaces tels qu’ils se présentaient dans les miroirs. Le sujet mœbien on peut le représenter autrement, comme dans l’Étourdit, non plus à partir de la mise à plat de la bande de Mœbius et du disque, mais comme un objet dans l’espace ; on a un très beau dessin dans le livre de Hilbert et Cohn-Vosse, "Anschauliche Géométrie"(1932). Le cross-cap est une espèce de mitre qui nous permet une représentation de ce gonflement imaginaire.

On a, à partir de l’Étourdit la véritable présentation du schéma des miroirs, comme recollage réel de la partie mœbienne et du disque, et qui s’écrit dans sa forme la plus simple S ◊ a, S poinçon de a. S, c’est la bande de Mœbius, structure du sujet. a, c’est le disque. Cette définition donnée dans l’Étourdit était déjà présente dans la petite note de 66, puisque Lacan considère que "seule la coupure révèle la structure de la surface entière de pouvoir y détacher ces deux éléments hétérogènes que sont (marqués dans notre algorithme S ◊ a du fantasme) S et a (p.554). C’était en germe. La forme généralisée en est donnée à partir de l’Étourdit qui nous permet donc de relire toutes ces questions de surface dès le début, dès qu’elles se présentent dans le stade du miroir. Terminons ces prolégomènes en notant que sous le schéma 8, nous avons signalé que ce n’est pas tellement au noyau psychotique auquel nous aurions à faire, en dernière instance, au moment du point de vacillement ultime de la cure ; nous avons à faire à un noyau de réel, un noyau de réel que gonfle le fantasme, ce qui implique que le psychanalyste sache à quoi s’en tenir justement à ces moments de fin de cure.

2 Ce trajet qui va du miroir au plan projectif a montré comment Lacan situe les rapports du sujet et de l’objet. Les Lefort en ont déduit un certain nombre

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d’hypothèses de travail qui leur a permis de réorganiser et de resituer la dynamique même de la cure des deux enfants, Nadia et Marie-Françoise (Naissance de l’Autre, Seuil, 1980). A partir de ceci (p. 390), le petit sujet à l’aube de la vie apparaît être une bande de Mœbius, bande tordue sur elle-même, surface à un seul côté, sans extérieur ni intérieur, et de plus surface topologiquement non trouée, ce qui fait question quant aux orifices réels du corps de l’enfant. Topologiquement, la structure du corps de Nadia, c’est-à-dire celle du petit sujet, c’est une bande de Mœbius. Le sujet, incontestablement, a cette structure, mais est-ce que c’est le corps du sujet ? C’est une question qui se pose et que l’on peut poser au travail des Lefort. Mais c’est la première partie, car ils continuent et de façon très intéressante. Si ce sujet est structuré comme une bande de Mœbius, il n’y a pas de trou ; alors comment le trou vient-il à la bande de Mœbius ? Le trou ne vient que par le bouchon. Le corps du petit sujet est d’abord bouché, non par un objet nourriture réelle mais par un objet pris sur l’autre, au champ de l’Autre, c’est-à-dire un objet signifiant. Qu’est-ce qu’un objet signifiant ? C’est dans la partie de ce qui peut se discuter, car il semble plutôt que Lacan vise à opposer, d’un côté la structure de l’objet, de l’autre la structure du signifiant. On voit néanmoins que l’orientation clinique du travail de Robert et Rosine Lefort, c’est de saisir et de nous faire sentir cette nouvelle perspective qu’offre au déchiffrage de la clinique le recollage de ces deux parties avec l’idée que le sujet tel qu’il est structuré se présente au départ sans trou ; pour que le trou vienne, il faut d’abord un objet pour boucher, il faut que le lambeau de disque apparaisse et à ce moment-là la surface type cross-cap met en place le trou. Comment repérer alors dans l’analyse le bouchage, comment le trou vient-il au sujet qui n’en a pas, si l’on se déprend de l’illusion naturaliste que tout corps a des orifices ? Les Lefort montrent ceci : que toute la clinique de la psychose, de l’autisme et des frontières nous montre que le corps du sujet se présente au départ sans trou, et que la dialectique contenant/contenu, au départ, se présente comme, non pas une opposition dialectique contenant/contenu, mais un recollement du soi-disant contenant et du soi-disant contenu à la manière de deux feuillets. Les Lefort opposent deux types de phénomènes cliniques, dont l’un consiste à ce que l’enfant se barbouille de nourriture et vient s’exposer devant le miroir. Ce corps caché qu’il ne peut atteindre, il y ajoute un objet-Fleur, un objet de type soit nourriture

soit merde, car il peut aussi se barbouiller de ses excréments. Il vient se mettre devant le miroir, et regarder cette constitution d’une surface comme recollement en somme de deux feuillets. Et alors, d’où vient le trou ? Il vient de ceci que, s’il ne vient pas de sujet, il ne peut venir que de l’Autre. En dialectique du désir lacanienne vous avez essentiellement deux termes, le sujet et l’Autre. Moyennant quoi ce qui est troué pour Nadia (P. 390) c’est le corps de l’Autre et elle explore aussitôt le trou de la bouche. C’est comme cela que Rosine Lefort interprète ce comportement répétitif de l’enfant qui saute sur son corps, met le doigt dans la bouche et en fait le tour. En quelque sorte l’enfant repère le trou de l’Autre ; comme analyste au départ, je suis à la place de l’Autre, elle y découpe la bouche, et ce trou elle le transporte dans ce geste ; son trou à elle. Cela commence à être l’obturation de sa bouche à elle par son doigt qui va servir à explorer la mienne. Le doigt avec lequel elle Fait le tour de la bouche de l’analyste elle le recolle dans la bouche ; c’est avec ce trou-là, un objet qu’elle a prélevé, qu’elle bouche son corps à elle. Voilà comment à la fois s’introduit le bouchon du sujet et en même temps s’introduit le trou. C’est du point de vue de l’observation clinique. Par le biais de cette structure, entre l’enfant et l’Autre s’établit une dialectique que Nadia pose très vite comme celle de l’objet séparable de mon corps, de l’autre que je suis, objet séparable qui est à la fois ce qui fait trou chez moi et mon trou chez elle. Nous avons fait un type de dialectique que les kleiniens connaissent bien contenant/contenu, l’analyste faisant contenant pour l’analysant. La variante plus lacanienne qu’introduisent les Lefort, c’est de considérer que cet autre est avant tout un type de contenant négatif et non pas positivé. Il ne s’agît pas d’une exaltation de la limite, mais bien de saisir que l’autre n’est contenant quoi que ce soit qu’en tant qu’il est contenant concernant un vide, ce qui introduit une intéressante distorsion par rapport à la dialectique kleinienne. Qu’est-ce que Rosine Lefort appelle "non pas par un objet nourriture réelle mais par un objet pris sur l’autre" ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Quel travail clinique ça recouvre ? Je pense qu’on peut en tout cas discuter l’opposition qu’elle fait entre ce qu’elle appelle objet nourriture réelle et objet signifiant. Je laisserai ça en suspens. Le plus important, c’est ce qu’elle montre bien avec Marie-Françoise, c’est de remarquer qu’à chaque fois, dans Le dispositif clinique, les Lefort introduisent de la nourriture proprement dite. C’est une particularité du dispositif des Lefort. Il est très rare que dans des analyses

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kleiniennes on introduise la moindre nourriture. C’est tout-à-fait même considéré comme interdit puisque ça renforce la pulsion. Il faut mettre uniquement des jouets pour pouvoir au fond saisir le jouet. Ainsi Winnicott insiste-t-il sur le Fait que la spatule est un type d’objet ; il dit "je n’ai vu un enfant être déçu du Fait que ça n’était pas de la nourriture". Cette remarque très ponctuelle permet de saisir que toute la visée de l’analyse chez Winnicott est d’éloigner de sa pulsion le petit sujet à l’aube de la vie, de lui donner les moyens d’introduire les types d’objet qui lui permettent de ne pas être angoissé. Là, au contraire, les Lefort introduisent de la nourriture réelle, je dirais plutôt nourriture affective. C’est là l’objet du besoin. Le point important, dans ce dispositif, c’est l’introduction de la nourriture. Cela ne se Faisait pas à l’époque, c’est une invention de Rosine Lefort, qui est due aux circonstances. Il y a maintenant d’autres analystes qui Font ça. Tustin décrit des cas comme ça (Ndlr. cf. Autisme et psychose, Seuil, 1977). On présente à un enfant l’objet du besoin. Que fait-il ? Eh bien, il hurle devant l’assiette de nourriture. Ce n’est pas du tout l’objet du besoin qui va satisfaire quoi que ce soit de sa demande ; ce n’est pas avec l’objet du besoin qu’on crée du désir. Là les Lefort montrent bien, à propos de Marie-Françoise, qu’il y a une distinction et une dialectique entre deux types d’objet, l’objet du besoin et l’objet de la demande. "… cette petite aussi dit maman, à cela près que c’est devant le réel de l’assiette de riz et non devant mon corps, l’objet de mon corps, qu’elle ne cherche pas à séparer. Son 'maman' ne me désigne pas". Donc, on a d’un côté l’objet du besoin qui se trimbale dans le monde tout seul, et devant lequel le gosse hurle de rage, et de l’autre côté, il appelle en même temps "maman". Ce phénomène clinique est distinct de ce qui se passait pour Nadia : celle-ci s’adressait à elle, et c’est sur elle, dans elle que la gosse va chercher l’objet. Là il y a une adresse, autrement dit une demande. A cet égard la fonction de type contenant opérée chez les kleiniens sous la face imaginaire est en somme une fonction de type symbolique : la fonction de l’adresse. Mais tant que l’appel n’a pas d’adresse, ça ne se formule pas comme demande. Et on a ce type d’appel pathétique de l’enfant psychotique hurlant de rage devant l’objet du besoin et n’arrivant pas du tout à mettre ensemble cet objet du besoin et "maman" devant ça. Simplement, ce n’est pas une demande. Il y a un très beau cas là-dessus, j’en ai parlé dans un article publié dans Ornicar, "Les structures freudiennes des psychoses infantiles" ; j’ai fait référence à un cas de Margareth Mahler, qui est une

psychanalyste américaine, faisant autorité dans ce qu’on appelle les psychoses symbiotiques. Elle a de très beaux cas dont celui d’un nommé Stanley. Il s’agit d’un gosse à qui on montre un livre de lecture, car ce qu’il supportait c’est que sa mère le fasse lire. D’un côté, il y avait un bébé qui pleurait de ne pas avoir ses jouets, et sur l’autre page, il y a un panda tout seul dans sa cage au zoo avec une assiette de nourriture à côté de lui. Tout ce que Mahler décrit dans cette analyse, c’est le gosse essayant de nourrir le panda. Mais justement que le panda ait son assiette, ça le fait hurler de désespoir parce que effectivement c’est un objet qui envahit de sa présence et se situe comme objet du besoin dont il n’a que faire, puisque ce qu’il cherche à rejoindre c’est impossible, c’est sur l’autre page, Ces objets qu’il peut demander sont les jouets qui sont hors de sa portée, et ce qui le fait hurler, c’est au contraire qu’il y ait cet objet-là, présent. C’est très amusant parce que quand on n’a pas les catégories du besoin et du désir et de la demande, eh bien ça devient tout de suite plus confus, et Margareth Mahler essaie d’expliquer que ce que cet enfant autiste aurait perdu, c’est la catégorie de la cause selon Piaget. Voilà en quelque sorte les types de phénomènes que permet de distinguer l’approche des Lefort. Celle-ci fait valoir un certain nombre de phénomènes cliniques qui ne sont encore repérés par la psychanalyse que peu à peu, essentiellement jusqu’ici dans les études anglo-saxonnes, que ce soit donc aux Etats-Unis Margareth Mahler, que ce soit dans l’Ecole kleinienne ; cette approche fait valoir au fond une richesse de petits phénomènes qui se mettent en ordre à partir de ces dispositifs de topologie lacanienne. On peut saisir l’articulation et les modes de recollement impossible et réel de l’objet et du sujet le long d’un bord unique, le long de ce miroir, avec les phénomènes que ça implique de retournement, de torsion, de point, etc… On voit que ça permet d’explorer avec soin tout un champ clinique en le supposant absolument structuré comme un langage, en supposant tout ce champ absolument déterminé, bien que l’enfant ne parle pas, ce qui est le cas, et pour Nadia et pour Marie-Françoise. Et même, qui plus est, Rosine Lefort considère qu’elle a analysé Nadia alors qu’elle ne lui a pas fait une seule interprétation pendant l’analyse. Elle considère qu’elle n’a pas ouvert la bouche pendant toute la première partie de l’analyse de Nadia ; néanmoins, elle considère qu’elle a interprété et que ça donne une analyse. Alors, c’est curieux par rapport à cette pratique soi-disant des lacaniens qui causent tout le temps ou qui ne valorisent que la zone où ça parle, et qui ne se

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rendent pas compte qu’il y a dans le monde des enfants qui ne parlent pas et pour qui la psychanalyse peut quelque chose. Évidemment, si la psychanalyse y peut quelque chose, c’est que, même s’ils ne parlent pas, ils sont absolument structurés comme cela. Tous les phénomènes qui se produisent sont des phénomènes déterminés par ce type de topologie, par ce type de structure, et donc en tout cas analysables. Ce qui fait que Rosine Lefort considère paradoxalement comme une interprétation le moment où elle dit "… dans ce cadre, retirer ma main du lit voisin a valeur d’interprétation et me pose au premier plan en tant qu’autre pouvant se séparer d’un objet, c’est-à-dire marqué du manque."(p. 28) Elle enlève sa main et elle considère que cela a exactement à ce moment valeur d’interprétation ; cela consiste à signaler elle, son désir ; autrement dit, effectivement, être marquée de l’objet. Voilà quelques résultats intéressants que présentent les Lefort et qui permettent de repenser ce qu’on appelle l’identification devant le miroir. Toutes les salles de thérapie d’enfants se sont remplies de miroirs dans les années 50 au point que dans les années 80, on ne sait plus quoi en faire. Les Lefort renouvellent le genre en montrant qu’il s’agit là de phénomènes de surface. En quoi ils innovent également par rapport à d’autres voies que kleiniennes. Dans un livre qui s’appelle "Exploration dans le monde de l’autisme"(Payot, 1981), paru en anglais en 1975, une équipe de gens de la Tavistock Clinic témoigne de son intérêt pour ces phénomènes limites entre psychose et autisme. Alors, pourquoi est-ce qu’ils appellent ça l’autisme ? L’autisme, c’est un objet nouveau dans le kleinisme. Les Lefort, en somme, n’ont pas besoin de parler d’autisme ; ils ont même le culot de parler à propos de Nadia d’un enfant normal. C’est un enfant que tout le monde donnerait autiste à 3 contre 1 ; et voilà qu’ils montrent bien que ce petit enfant absolument prostré, indifférent à tout, etc… était un enfant parfaitement normal, et que ça se détermine après-coup. Puisque l’analyse a marché, c’est qu’il était normal. Et ils n’ont pas besoin du tout après tout de se lancer là, ni d’introduire le monde de l’autisme ; ils considèrent que c’est le dispositif lui-même qui détermine après-coup le diagnostic. On voit que ça a marché dans le cas de Nadia et pas dans le cas de Marie-Françoise ; c’était que Marie-Françoise, elle, était psychotique. Alors, pourquoi est-ce que Meltzer a besoin de parler d’autisme ? C’est qu’il veut nous parler d’un phénomène entièrement nouveau dans le champ kleinien. Comme vous le savez, le champ kleinien,

en ce qui concerne les psychoses, porte toute son attention sur le mécanisme de clivage, un mécanisme de type : vous avez un sujet qui est clivé, autrement dit, il faut deux signifiants pour le représenter, et il se représente toujours auprès de quelque chose. Les kleiniens aperçoivent ça sur le mode imaginaire et font valoir dans la psychose comment ces phénomènes de clivage se reproduisent partout, et comment le sujet se représente auprès de tout un tas d’objets. Ce peut être auprès d’un électrophone – on appelle ça l’identification projective, – ce peut être auprès de tas d’objets bizarres qui, néanmoins, ont pour Fonction de permettre au sujet de se représenter. Ainsi tout en insistant sur le côté imaginaire, les kleiniens avaient-ils une petite longueur d’avance sur les commentaires souvent introduits dans l’école freudienne de Paris, lesquels hésitaient beaucoup à appliquer dans le champ de la psychose cette petite formule de Lacan "le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant". Alors, la nouveauté pour Meltzer, c’est de dire : nous voulons introduire un type d’état mental qui ne concerne pas le clivage, c’est-à-dire une psychose sans clivage ; "notre vision de l’autisme comme état mental total plutôt que clivé était soutenable". Faire appel, dans le champ de la psychose, à autre chose qu’à des mécanismes schizoïdes est une nouveauté dans ce champ kleinien. Ils se demandent alors si les phénomènes qui les intéressent dans ce champ relèvent de mécanismes normaux c’est-à-dire pour eux de mécanismes structuraux. Est-ce que c’est valable pour tout le monde ou est-ce que ce sont des phénomènes contingents liés uniquement à cette maladie particulières Sien sûr, dès qu’on découvre un phénomène relevant dans la psychanalyse d’une entité clinique, on s’aperçoit que ça vadrouille un peu partout, que ce sont des phénomènes qui relèvent plus généralement de la structure, et qu’ils sont valables pour tous. Ce qui nous intéresse, c’est qu’il y a deux phénomènes qui les retiennent. Ce qui les intéresse, c’est la dimensionnalité, comme ils s’expriment, du sujet. Ils nous disent :"Les notions d’uni et de bi-dimensionnalité sont vraiment difficiles à imaginer en dehors de l’expérience clinique avec l’enfant autistique." Vous voyez évidemment que ce n’est pas le point de vue de Lacan : la bi-dimension du sujet, ça dépend tellement peu de la clinique de l’enfant autistique que c’est absolument la dimension normale du sujet. Jacques-Alain Miller avait développé la dernière fois, ici, cette dimension foncièrement à deux dimensions du sujet. Le sujet structuré comme une bande de Mœbius, c’est un sujet plat qui se

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développe sur sa surface, c’est un être tout de surface. Ce qui fait que le sujet à deux dimensions c’est au fond le sujet lacanien. En ce sens, tous les lacaniens ont un penchant autistique ; ce sont des êtres à deux dimensions, ce sont des êtres plats. Alors, ils continuent : "… nous nous sommes aperçus qu’il y avait une confusion autour du terme adhésivité. L’expérience clinique des psychanalyses d’enfant est plus à penser dans le domaine de la psychose dite symbiotique où les phénomènes d’identification projective massive et pathologique sont à l’œuvre. On utilise les termes fusionnel, collé, etc… et on risque d’utiliser donc très vite le terme adhésivité ; celui-ci risque d’être repris dans les descriptions en fait tridimensionnelles de la psychose symbiotique." Alors, qu’est-ce qu’ils veulent dire ? Et bien je pense que pour nous y retrouver, il faut distinguer dans ce qu’ils appellent, eux, les phénomènes d’autisme, des phénomènes qui se situent là, de recollement de feuillets d’une surface ; comment ce corps réel et cet objet se recollent-ils pour faire surface. Évidemment, ceci diffère des troubles des mécanismes qui se situent à l’autre niveau, qui sont des troubles majeurs d’identification qui se déchaînent dans les psychoses dites symbiotiques. Alors, quels exemples nous donnent-ils pour saisir la bi-dimensionnalité et le mode d’identité qui lui correspond ? Ceux qui ont l’expérience des enfants autistiques, se référeront particulièrement au moment écholalique ou échopraxique ou à certains moments de distorsion très tangibles de leur perception de l’espace. "Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que, partant de présupposés très différents des nôtres, ils s’aperçoivent qu’il y a une corrélation essentielle entre la distorsion de l’espace et des phénomènes signifiants de type écholalie, l’échopraxie découlant de la série. Ce sont des phénomènes où, à un moment donné, s’effectue un type de croisement entre le symbolique, le réel et l’imaginaire qui fait qu’on voit réalisé dans l’imaginaire par écholalie ces chaînes symboliques. Ainsi, les moments où ces enfants hurlent de terreur quand un avion passe dans le ciel, ou quand un camion arrive dans la cour de la maison, l’avion et le camion sont là, sans limite entre l’intérieur et l’extérieur. Nous avons là un type d’espace qui ne suppose aucune mesure : que l’avion soit dans le ciel à 10. 000 mètres ou là, devant l’enfant, c’est la même chose. Ou encore, cette fillette se figeant soudain, devenant écholalique, en marne temps qu’elle tend la main pour attraper des voitures réelles qui sont à 300 mètres au-delà de la porte vitrée, mais qu’elle semble percevoir sur le même plan que la petite voiture miniature qu’elle

tient alors dans l’autre main. Pour nous, c’est très précieux ce type de phénomènes ; ils montrent bien la corrélation qu’il y e entre un phénomène écholalique et le fait que tendre la main vers une voiture à 300 mètres soit équivalent à tenir la petite auto dans l’autre main. Pour nous, il faut bien entendu rajouter qu’on y voit un type de torsion qui est d’identification entre ce qui se passe dans la main droite avec l’image de l’autre main tenant une auto. Ce type de torsion doit vous être sensible dans ce qu’on appelle le phénomène de latéralisation qui suppose des inversions d’images, avec toute une pathologie qui peut surgir à ce moment-là. Ainsi, à différencier suivant réel, symbolique et imaginaire, voit-on des phénomènes réels : le gosse se fige en même temps qu’on a passage à l’écholalie, lequel se présente sous forme de recollage impossible entre la petite auto d’une main et l’auto à 300 mètres de la porte vitrée, autrement dit dans le miroir. Autrement dit, ce qui est frappant, c’est qu’on a des gens qui sont attentifs à une série de phénomènes qui sont exactement les phénomènes qui nous intéressent : phénomènes de surface et de recollement de surfaces dans la psychose. Le point commun, c’est qu’après tout, leur sujet est un sujet bidimensionnel ; et c’est un sujet, qui e en plus des tas de propriétés, c’est qu’il se colle. Ils sont très attentifs à ça, spécialement au contact avec le corps du thérapeute ; lorsque l’enfant vient saisir la jambe du thérapeute, au lieu de simplement interpréter cela en termes de saisir un objet de masturbation ou simplement de s’agripper imaginairement, ils notent bien qu’il se colle comme sur une surface sur le corps du thérapeute. Il y a donc déjà ce point en commun. Deuxième point en commun, c’est "comment guérit-on ces enfants ?". Et bien, ils sont très bien orientés ; ils considèrent qu’on guérit ces enfants en introduisant un trou. Comment est-ce que ça se dit ? "Nous pensons que l’enfant a ache vé la formation d’un objet qui a un espace intérieur capable de recevoir sa douleur mentale (la corbeille à papier et l’espace au-dessous de la chaise du thérapeute)". Quiconque a eu l’occasion de rencontrer des enfants et de faire ce qu’il voulait avec, sait qu’il y a des moments où les enfants commencent à faire des trucs sous votre chaise, pour ceux qui ne sont pas assis par terre. Quand on est sur une chaise, à un moment donné, on peut commencer à dire "bien oui, voilà, c’est le moment où l’objet passe à l’état de l’objet anal ; parce qu’il tombe du thérapeute". C’est très compliqué de se dire ça. Ce qui est plus subtil, c’est de voir, comme ils le font. Quand il n’y a pas chez un enfant recollage entre le sujet et l’objet, c’est de voir qu’au-dessous du

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thérapeute, un espace vient se créer, et comme ils disent, ça ne peut être qu’un espace intérieur. Ils ont cette idée que le trou est un trou interne ; de même que Lacan a signalé qu’il y a, dans la topologie du tore, continuité de la surface extérieure à la surface intérieure, et qu’il faut distinguer du reste le trou qui fait l’intérieur du corps. Et bien, leur idée, c’est qu’après tout l’espace intérieur, c’est en même temps ce qui surgit à partir de l’espace extérieur. C’est une idée double. On peut créer des espaces intérieurs, dans le vocabulaire kleinien, à des enfants qui n’en ont pas. Évidemment, cela suppose qu’il y ait un type d’espace qui vienne au jour dans la cure, dans le transfert. Au fond, ils sont bien orientés ; voilà des sujets bi-dimensionnels, qui se guérissent en se créant des trous, et ce dans le transfert. Ces analystes considèrent qu’ils ont à se déprendre, au fond, de la position de type maîtrise de Mélanie Klein qui consistait à nommer. On a vu la dernière fois à propos du cas de Richard, la façon dont Mélanie Klein nomme tout ça à Richard qui n’avait pas de nom pour désigner les fèces, le pipi et le zizi, On lui nomme tout ça, et après, vogue la galère. Eh bien, différent de cela, nous avons le cas d’un petit garçon ; c’est paru sous le titre général "Les perturbations géographiques de l’espace de vie dans l’autisme". Il vient voir l’analyste à 12 ans. C’est une psychose qui s’est déclenchée très très tôt, puisqu’il avait déjà été soigné à la Hampstead Clinic jusqu’à 6 ans. La Hampstead Clinic, c’est essentiellement "annafreudien". Alors, je suppose qu’il y a une petite pointe quand même dans le fait que des kleiniens reprennent en second, une analyse qui a été faite à la Hampstead Clinic, et que quelqu’un parmi les thérapeutes dise, sur un ton parfaitement calme :"en somme, la première analyse à 6 ans a soigné l’autisme mais pour l’installer dans la psychose". Alors, voilà donc notre autiste qui arrive à 12 ans, et l’analyste lui dit "on va utiliser la salle 0." Le gosse lui dit "Pourquoi 0 ? Je suppose que c’est juste un numéro ". Alors là, il y a un jeu de mot entre 0 et zéro (chiffre). Là, immédiatement le gosse lui dit que le nombre et l’ensemble vide, c’est une question pour lui. Le gosse s’assied et dit" tu as des nerfs, de la chair, des os, et c’est tout ". Il évoque son analyste précédent jouant avec lui et dit alors" tu as un corps ". Bien, comment ne peut-on pas voir là, en somme, la première position transférentielle qui consistait à suggérer à l’enfant autiste qu’il a un corps, suggérer un possible recollage du sujet et de l’objet. Ainsi le second analyste interprète-t-il finement cette intervention comme le – souvenir de l’analyste précédent." Tu as un corps, de la chair et des os, et c’est tout ", et il

ajoute après une pause," une queue derrière ". Quand j’utilise le mot pénis, le gosse dit qu’il ne connaissait pas le mot. Là, on voit tout-à-fait le retour en somme de la technique à la Richard. Quand on veut convaincre un psychotique qu’il y a un objet qui s’appelle le pénis, il vous dit à un moment donné :" Moi, je ne connais pas le nom ". Et on pourra lui dire le nombre de fois qu’il faut, ça ne l’empêchera pas de vous dire qu’il ne connaît pas le nom. Donc ils s’écartent de ceux qui considèrent que la seule technique du traitement de la psychose consiste à suggérer au gosse qu’il a un corps. Pour cela, ceux dont ils s’écartent ont besoin de dire que eux, ils ne s’occupent pas du problème de la psychose mais de l’autisme. Cette seconde position est donc différente, puisque cet analyste ne s’installe pas en position de maîtrise, de nomination, en SI. Elle ne se met pas en position de persécuter le pénis, de courir partout après lui pour lui dire" ça s’appelle un pénis ". Ça me fait penser à un gamin qui avait une mère moderne, donc psychologisée, qui voulait absolument lui donner des cours sur ce qu’il pouvait attendre de son pénis, mais qui s’y prenait de Façon un peu inquiète, incontestablement. Ce qui fait que la vérité de la chose a éclaté, au moment où le gosse lui a dit" j’en ai marre de ces histoires de pénis ". Alors que la maman lui expliquait effectivement pendant 5 minutes comment faire des enfants, il lui dit :" Oui, je voudrais te poser une question maintenant : comment on fait les chapeaux ? H. C’est venu là de la bouche d’un enfant qui en avait un peu assez qu’on le persécute avec du S : ça s’appelle comme ça, et le maître a dit que ça s’appelait comme ça. Cette seconde analyste n’était pas du tout à cette place-là. Elle constate effectivement que le gosse répète "tu as un corps, tu as des nerfs, de la chair, et c’est tout", que ça ne l’a absolument pas convaincu, et que, d’autre part, son pénis y est associé. Alors que fait l’analyste ? Il s’installe en somme à la même place que Rosine Lefort. Cet analyste se met en position d’objet pour l’enfant, il va être le lieu de l’assaut, absolument. Au point qu’en une séance, le gosse faisant irruption dans le dispensaire – puisque c’est à la Tavistock Clinic que ça se passe –, tapant dans les couloirs avec une énergie formidable, se précipitant sur l’analyste, lui prend les cheveux et en vient à le griffer. On voit cette analyste en somme qui se laisse faire, qui se laisse monter dessus par le gosse qui la tire, et qui veut absolument la barbouiller, lui injecter de la nourriture. C’est-à-dire qu’on voit l’analyste se mettre en position d’objet a, de déchet qu’on peut battre, qu’on peut sauter ; cette place n’est pas du tout simple, elle est abordée du

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point de vue du sadisme supposé de l’enfant. Mais, après tout, l’analyste s’offre à cette position-là. Alors, voilà les points communs qui me paraissent extrêmement intéressants de ces cas qui nous sont publiés. Ce qu’il y a de bien aussi c’est que ce sont des cas qui ont été réalisés dans les années '60 ; ce sont les cas à ma connaissance les plus récents qui ont été publiés, puisque vous savez par exemple que les cas de Tustin datent des années '52, contemporains strictement de Rosine Lefort. C’est donc intéressant puisque tous les dix ans, incontestablement, l’approche clinique change ; dans ces cas des années '60, on voit déjà un changement de place dans le dispositif kleinien. On voit comment on laisse l’enfant jouer avec sa merde ; ainsi nous décrit-on de façon très juste la façon dont un des enfants qui se présente se met sur un pied, se retient de chier pendant quelques jours avant d’aller chez son analyste ; ensuite, dans l’analyse essentiellement, il se tient sur un pied et se met à devenir tout rouge et à pousser comme un dingue ; de temps en temps, un étron tombe ; et immédiatement, le gosse se roule dessus. La salle est organisée de façon à permettre ça et on voit ce type de recollement de l’objet quand il tombe, qui n’est pas du tout une récupération, mais tout-à-fait les processus qu’a analysés Rosine Lefort du type "se barbouiller avec". Ces processus-là sont maintenant repérés. On peut dire qu’à partir des années '60, dans des analyses d’écoles très différentes, ce type de phénomènes apparaît et est noté comme digne d’intérêt. Alors, à partir de ces points communs, on peut maintenant donner les différences. Parmi celles-ci, il y a l’évaluation d’un phénomène tout-àfait amusant. Un des analystes repère que le linoléum de la pièce est marqué – puisqu’il faut bien du lino par terre pour permettre tout ça – que ce matériau est strié. Le gosse hurle et frappe le lino. Ce qui est très amusant c’est d’avoir repéré que ce que le gosse frappe en frappant le lino, c’est les striures qui apparaissent comme autant de rivaux imaginaires. C’est une curieuse idée, mais, c’est tout-à-fait saisissant de voir que ce qui fait tache sur la surface est saisi par l’analyste comme ce qui déclenche la rage du gosse. Elle l’a repéré en se servant du rapport qu’avait le gosse à la fenêtre. Derrière la fenêtre, il y avait des oiseaux ; le gosse allait à la fenêtre, et tendait le poing, vert de rage, lorsqu’il y avait des petits oiseaux qui passaient. Ça déclenchait de temps en temps, pas tout le temps, des crises de rage épouvantables. A partir du moment où ils ont eu l’idée qu’il s’agissait de phénomènes de surface et non pas de profondeur, qu’il s’agissait que ça se

détache tout simplement sur la surface et que, pour le lino, c’était pareil, ils interprètent ça comme rivaux imaginaires. Comme toujours chez les kleiniens, ce sont des phénomènes épatants qui sont repérés, ce qui suppose qu’ils montrent leur travail d’observation ; mais pourquoi considérer ça comme un phénomène strictement imaginaire ? Est-ce qu’on ne pourrait pas saisir, au-delà de ce phénomène imaginaire, le problème en quelque sorte de ce qui toujours fait tache, ce qui fait trace pour le sujet ? Est-ce que ça n’est pas ce signifiant auprès de quoi il n’est pas représenté, auprès de quoi il ne peut pas être représenté, qui déclenche à ce moment-là des phénomènes imaginaires lorsqu’il y a effectivement un phénomène symbolique qui ne se produit pas ? Je dirais que dans tous les phénomènes de type rage imaginaire, rage narcissique sont toujours repérés le mécanisme symbolique qui ne fonctionne pas. Qu’est-ce qui fait que un sujet se met en rage ? On sait que dans la colère la plus normale, c’est-à-dire celle que nous avons tous, ce qui se bloque, c’est notre référence à l’autre ; comme le dit Lacan, c’est la mauvaise foi. Lorsqu’il n’y a plus l’autre de la bonne foi, qui est garant du fait qu’on peut continuer à parler, alors on a le sentiment de la mauvaise foi, de qu’on n'arrivera plus à se faire représenter par un signifiant pour un autre auprès de celui qui est en face ; à ce moment-là, l’autre de la bonne foi disparaissant, c’est la mauvaise foi qui apparaît, et ça déclenche la colère. On peut le prendre comme un phénomène imaginaire, de rage devant son image. Mais alors comment l’interpréter ? Et bien, il me semble que, en somme, ce qui fait tache, ce qui fait trace, il faudrait plutôt le rapprocher de ce que Lacan appelle la série holophrastique dans la fin du séminaire XI (p. 215). A propos de S1 et S2 et des phénomènes de non représentation du sujet, Lacan n’y va pas par quatre chemins ; il ose même dire que, à partir du moment où le sujet n’est plus représenté dans le circuit, nous pouvons concevoir l’essentiel de l’effet psychosomatique. Il montre comment, même dans l’expérience de Pavlov, il y a un sujet qui est représenté par un autre signifiant. C’est très intéressant, c’est resté encore non développé ça, je veux dire c’est à faire comme toujours, la corrélation, comprendre les trucs psychosomatiques par le behaviorisme ; pour une fois que le behaviorisme peut servir à quelque chose, il faudrait s’y mettre. Alors, là Lacan dit : "… j’irais jusqu’à formuler que, lorsqu’il n’y a pas d’intervalle entre S1 et S2, le premier couple de signifiants se solidifie, s’holophrase, nous avons le modèle de tout une série de cas". Donc, voilà une série holophrastique. Qu’est-ce qu’il y met ? Il dit, voilà

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vous avez un x – il a une petite écriture bizarroïde sur ce schéma dans ce séminaire-là –, le poinçon qu’il utilise ici dans le registre du signifiant, comme corrélation entre S1 et un signifiant qui, justement, ne viendra jamais à permettre de représenter le sujet X<>S1 ; un x qui ne se représente pas. C’est un essai qu’il a abandonné puisqu’il a réservé dans la suite le poinçon, pour la corrélation entre le sujet et l’objet. J’essaie de faire saisir ici ce qui fait qu’il n’y a justement pas de sujet auprès duquel l’enfant peut se représenter. Alors ça donne une série de cas. Ça donne par exemple l’enfant débile ; Lacan fait référence à ce que Mannoni dit là-dessus. Il continue en disant : "C’est assurément quelque chose du même ordre dont il s’agit dans la psychose. Cette solidité, cette prise en masse de la chaîne signifiante primitive est ce qui interdit l’ouverture dialectique qui se manifeste dans le phénomène de la croyance". Et, il continue ; "… toutes sortes d’expériences sont là pour en témoigner". Il étudie donc là le phénomène de la croyance en passant par l’exemple donné par Mannoni, à propos de Casanova. Et il termine sur le fort-da et sur l’examen de phénomènes qui sont à la limite de l’autre versant de la paranoïa, plutôt schizophrénique. Il construit donc une petite série. Et bien, il me semblé qu’une des façons de concevoir cette holophrase, c’est de voir que ce qui fait tache sur la surface telle que le petit sujet la saisit, c’est, loin il me semble que les taches soient là des rivaux imaginaires, c’est plutôt l’impossibilité qu’il a de se représenter lui, en tant que sujet, auprès de ce signifiant-là. Plus généralement, on peut dire que la différence d’abord entre les Lefort et ces analystes réunis autour de Meltzer, c’est que ces derniers ramènent effectivement des phénomènes symboliques à l’intérieur de cases imaginaires. Ce qui les amène à valoriser dans la cure la limite, le contenant et non pas le trou dans la structure. Et ça, c’est dit très justement par un de ces analystes à propos de cet enfant dont je parlais tantôt : "il est clair que la Tavistock Clinic était pour lui le corps de l’analyste de façon très concrète ; il se ruait pour y entrer et en sortir, pour rentrer et sortir des autres pièces, enfiler les corridors, franchir les portes d’incendie ; tout ceci, d’une manière extrêmement possessive, violente, et bousculante, comme s’il allait pouvoir vider, et détruire ou terroriser chaque personne qu’il rencontrait". Alors, il dit : "… sans doute avait-il une image de moi-même assimilée à un objet sans défense, plein de trous, sans aucune structure ou limite pouvant le contenir". Donc, le dispositif analytique consiste à créer une limite, un contenant qui peut contenir le gosse.

De ces séries de cas présentés et mis en série avec le travail des Lefort, nous avons maintenant à tirer des conséquences pratiques. La première conséquence consiste à opposer la pratique du trou à La pratique du contenant. La pratique du trou des Lefort, c’est effectivement de se réjouir lorsqu’on introduit le trou dans le dispositif du sujet qui parcourt ces trajets affolés comme bande de Mœbius ; ces trajets absolument affolés c’est aussi bien les trajets sur une surface non orientable. Dès lors, si les gosses autistes sont affolés, se cognent tout le temps contre les murs, ne reconnaissent pas les fonds de porte, et ne savent pas très bien où ils sont, ce n’est pas parce qu’ils ont des mécanismes neurologiques déréglés, ni parce que ce sont de grands excités. Ils ne s’y reconnaissent pas parce qu’ils sont foncièrement dans un monde non orienté. Ça les amène à tout un tas de mésaventures qui sont ces phénomènes de battements qui les agitent tant, comme on peut Le voir dans la pratique où on a du mal à causer un peu. On a beau leur présenter nos ours, nos machins, nos objets, etc…, le gosse rentre dans la pièce, puis fiche le camp. C’est à concevoir comme des trajets affolés, et comme une surface avec des trous dans lesquels on rentrerait comme dans du beurre. Alors, effectivement la pratique des Lefort consiste plutôt à se réjouir lorsque du trou apparaît, et à considérer qu’il n’est pas là au départ. Moyennant quoi, il y a là toute une clinique liée à cette pratique du trou, et qui, de façon symptomatique, est un petit peu moins différenciée dans les récits kleiniens que nous avons, bien qu’il y ait là des tas d’observations extrêmement fines et pertinentes d’un certain, nombre de phénomènes. En somme, ils sont moins bons, à propos de ces phénomènes que décrivent les Lefort comme l’exploration de la bouche, les différences entre le miroir et la vitre. Distinguer toutes les formes d’articulations possibles d’une surface et d’un bord, de cette adhésivité globale qui est le phénomène que repèrent Meltzer et son équipe (clinique de l’adhésivité), distinguer donc avec soin cette pratique du trou nous impose de revoir avec soin la pratique du recollage extrêmement variée au cours de l’analyse. Le deuxième point, me semble-t-il, c’est qu’après tout, cette équipe hésite à reconnaître qu’il y aurait transfert auprès des autistes. Ils considèrent que le transfert ne peut se produire que dans la psychose et que, dans la zone de l’autisme, ça n’est pas à partir de phénomènes transférentiels que s’opère le travail analytique. Ils considèrent que la pratique concerne tous ces comportements, qui semblent être des débris de fantasmes, de relations désorganisées – on utilise même le terme de démantèlement –, et que le

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travail d’interprétation de l’analyste a pour but l’identification de l’image fragmentée. C’est très différent de la pratique analytique ordinaire de reconstruction du fantasme inconscient à partir de ses dérivés conscients. En ce sens les interprétations du thérapeute concernant le phénomène autiste proprement dit ne pourraient guère être appelées psychanalytiques, car elles n’entreprennent pas de discerner les angoisses et les défenses, c’est-à-dire la métapsychologie, nais seulement de rassembler les fragments d’une expérience démantelée. Ces types d’interprétation, c’est ce qui peut se faire "faute de mieux"(en français dans le texte). En somme, ils hésitent là à reconnaître le transfert, à reconnaître qu’il s’agit là d’une interprétation au sens analytique, et ils préfèrent réserver ces deux termes, transfert et interprétation, pour la psychose. On se demande là pourquoi les kleiniens reculent, eux qui ont été si courageux pour nous indiquer, pour projeter même cette expérience du transfert du sujet, là où le sujet ne parlait pas ; parce qu’en même temps qu’ils hésitent à reconnaître là le transfert, pour le même enfant ils n’hésitent pas à reconnaître un rival œdipien dans la petite scénette que je vais vous lire. "Dans les 10 jours de vacances qui suivirent…"-, chez les kleiniens on fait toujours très attention aux vacances ; le vendredi et le lundi sont deux grands jours, parce que le vendredi, c’est le jour de départ en week-end, et le lundi, c’est le retour. Le fait que l’analyse soit arrêtée deux jours est censé provoquer des effets tout-à-fait spéciaux, et il faut faire très attention à l’angoisse du début du week-end et à l’agressivité du retour.-n… l’enfant se porta bien, se montra gai, en dehors du fait qu’il n’alla pas à selle les trais jours précédents la reprise de l’analyse. "C’est l’agressivité du redémarrage, il se contient franchement." Il fut très excité avant cette séance, traita à plusieurs reprises le thérapeute de vilain garçon, et au moment de repartir en regardant dans le miroir, il montra du doigt le thérapeute, et répéta cette accusation : vilain garçon. En entendant cogner à la porte d’à côté, il fit un large sourire et dit : papa. Mais quand le bruit se reproduisit, il enfouit sa tète dans la poitrine du thérapeute et sanglota, plaçant sa bouche contre celle du thérapeute lorsque celui-ci parlait ". Alors on voit la scène. Ils n’hésitent pas à reconnaître dans ce personnage de papa qui apparaît, le rival œdipien. Et ils nous disent que la façon dont il interprète le cognement d’à côté, c’est au fond le cognement à la porte du rapport sexuel qu’il entend entre le père et la mère. Ils n’hésitent pas à reconnaître là un type d’angoisse précoce – les kleiniens ont toujours projeté l’expérience œdipienne aux aurores même du

sujet, avant même qu’il ne parle –, mais ils reculent devant le transfert. Vient ensuite une déclaration très précieuse, car elle nous permettrait de dire qu’après tout il y a un type de transfert." Un enfant dit à un moment donné : je te coupe en morceaux et je te colle partout ". Et l’analyste met entre parenthèses "les objets bizarres de Sion ?", ce qui désigne un embarras de l’analyste. Qu’est-ce que ça veut dire ? Eh bien c’est exactement ce que Lacan explique dans l’Étourdit, page 39, que pour coudre ensemble une bande de Mœbius et un disque, il y a un certain nombre de phénomènes. Il part de la sphère et il note l’asphère, pour en faire la petite chirurgie qui la transforme en cross-cap. On a la sphère, il faut lui enlever un point ; ensuite à la place de ce point dont l’absence forme un disque, on recolle une bande de Mœbius. Lacan rend là les choses difficilement compréhensibles, parce qu’il utilise les expressions suivantes : le point hors-ligne et la ligne sans point. La ligne sans point, c’est le point de torsion de la bande de Mœbius. "Ai-je dit de la coupure en tant qu’elle est de la bande de Mœbius". Et puis d’autre part pour travailler, il faut un point hors ligne, c’est-à-dire ce point qui est sur la sphère proprement dite, n’importe où, pour qu’on puisse l’enlever et sur lequel on va coudre une bande de Mœbius. "Mais comme de cette surface, pour qu’elle permette cette coupure, on peut dire qu’elle est faite de lignes sans point par où partout sa face endroit se coud à sa face envers, c’est partout que le point supplémentaire à pouvoir se sphériser, peut être fixé dans un cross-cap". Ça veut dire qu’on peut enlever un point unique, n’importe où sur cette sphère, et à la place duquel on va coller une bande de Mœbius. Et comme il prend là les choses à l’envers, le point qui sphérise, c’est en même temps le point qui désphérise. Eh bien, quand le gosse dit à l’analyste "je te coupe en morceaux et je te colle partout", l’analyste occupe ce point qui est partout, ce point qui est hors ligne, il se met à l’incarner et permet après tout à ce gosse le recollage qui va le mener à la reconstruction du fantasme. C’est ce qui fait que ces analystes nous disent qu’il y a deux phases dans leurs analyses d’autistes… Il y a une première phase qui se ferait avec un type de transfert dont on ne sait pas quoi et qui mène ces autistes dans la psychose, là où, seconde phase, on travaille avec du fantasme. Mais toute la question est : comment passe-t-on d’un point à un autre, s’il n’y a pas de fantasme au départ. Ils expliquent : c’est parce que nous créons des espaces que nous permettons le développement du fantasme. Mais si on pousse un peu plus loin ce qu’ils ont tout-

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à-fait commencé à repérer, non pas en termes de contenant/contenu, mais en termes de surface et de recollement de surface, on voit qu’il y a tout intérêt à dire qu’il y a dès le départ des phénomènes de transfert, et qu’au fond l’analyste est à un type de position paradoxale qui permet au sujet d’opérer des recollages avec l’objet, ce qui va lui permettre de construire un fantasme et de s’introduire au fantasme. Alors voilà ce deuxième point : on suppose qu’il y a transfert dès le départ, et on peut voir dans certaines déclarations de ces enfants, l’embarras qu’il y a à en faire à la fois un point tournant et quelque chose qui était là au départ. En tout cas, c’est ça le point. A utiliser la topologie de Lacan, nous avons une méthode qui nous permet de mettre en série toute une série de phénomènes cliniques et d’éprouver la fécondité de cette approche. En somme, ça nous permet de ne pas dénier, à aucun de ces sujets, cette possibilité d’être au langage, et non pas dans un monde seulement composé d’images fixes, globalement autonomes les unes des autres. Ce sont des sujets qui peuvent arriver à faire des déclarations absolument saisissantes dont celle-ci : "Au cours d’une séance, il cura son nez, tint son doigt d’où pendait du mucus devant les yeux en disant : Minotaure possède l’homme". Comment ne pas supposer que ce soient des êtres tissés par le langage ? Les jeux de mots et les mots à double sens furent utilisés en grande quantité. Le pet qui suivit par exemple le commentaire d’un analyste fut la première indication de ce qu’on pût comprendre plus tard comme une extrême agressivité, comme une extrême jalousie meurtrière à l’égard des autres enfants, ce qu’il appelait un envoi à la chambre de gaz. Comment ne pas voir qu’il s’agit d’un être de langage lorsqu’il distingue effectivement les deux salles de consultations et fait entendre qu’il est celui qui est en train de crever dans une chambre à gaz ? Comment ne pas voir que ces individus aussi autistes qu’on veut bien le reconnaître, sont des êtres de langage, eux qui aperçoivent effectivement ce cauchemar vraiment analytique que Lacan appelle la lamelle (cf. Séminaire XI, p. 180) ? La lamelle, c’est quelque chose d’extra plat qui se déplace comme l’amibe, c’est un peu plus compliqué mais ça passe partout. C’est quelque chose qui a rapport avec ce que l’être sexué perd dans la sexualité, c’est comme l’amibe, immortelle, puisque ça survit à toute division, puisque ça subsiste à toute intervention. Cela n’est pas rassurant : supposez seulement que ça vienne vous envelopper le visage pendant que vous dormez tranquillement. Eh bien ce sont des gosses qui me paraissent vivre dans ce type

de cauchemar, ce qui fait que c’est aussi une raison de plus de la maintenir nous comme des êtres de langage. Alors je voudrais conclure sur tout ceci. Selon Piaget, nous grandissons. C’est sa thèse essentielle (cf. "La représentation de l’espace chez l’enfant.") Nous finissons par sortir d’un monde du voisinage pour entrer dans le monde de la mesure, au fur et à mesure de notre insertion dans le signifiant. La croyance de Piaget, c’est que nous sommes à l’abri dans ce monde de la mesure, dans cette géométrie où finit le petit sujet qui commence par être topologue. Heidegger lui n’avait pas prévu les camps, contrairement à Freud. Notez bien dans sa conférence sur la chose, que les objets fabriqués dans le monde de la mesure industrielle finissent par détruire pour nous toute mesure de la distance à la chose, toute dimension pour situer la chose. Il parle ainsi de l’objet "moderne", puisque phénoménologiquement la radio et la télévision détruisent pour nous la distance, nous plongent dans un monde où la notion de mesure qui détermine l’environnement est simplement perturbée ; mais ce ne sont que des traces phénoménologiques d’une perturbation d’un rapport à la chose. Il note ceci : le rapport de l’homme moderne à la chose, c’est cette uniformité dans laquelle les choses ne sont ni près, ni loin, où tout est pour ainsi dire sans distance. Il ajoute : ce rapprochement dans le sans-distance n’est-il pas encore plus inquiétant qu’un éclatement de toute chose. Contrairement à Piaget, Heidegger n’a pas d’optimisme de la distance ; il ne croit pas que le rapport de l’homme moderne à l’objet soit spécialement un monde qui le mette en paix avec le voisinage de l’objet de son désir. Ce que la psychanalyse va rajouter là dedans, c’est qu’elle nous a fait saisir, en augmentant notre rapport de fraternité avec ces enfants psychotiques, autistes où ces phénomènes sont cruciaux, à quel point le vide est ce qui fait le plus cher, le plus clair du rapport à ce qu’on appelle la culture. La jouissance y fait trou, il y a un vide. Comme le disait J. A. Miller dans un éditorial du magazine L’Âne, il faut construire sur le vide, car la béance est élaborable. Le trou n’est pas une idée simple. Il y a toutes sortes de trou selon la surface sur laquelle il se découpe. Si cette causerie a pu donner l’idée de ce que peut être la psychanalyse comme pratique du trou, alors il n’aura pas été absolument inutile. — Q. : A propos de l’absence d’angoisse chez certains psychotiques.

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— Eric Laurent : Lorsque l’enfant dit psychotique hurle devant l’objet du besoin, alors qu’il appelle de ses vœux nécessairement l’impossible, ce n’est pas de l’angoisse, dans la mesure où ça ne pousse pas à la demande. Certes, il y a un certain type de perturbation, on voit bien que le corps est affecté ; le gosse hurle, il est en nage, on voit bien qu’il souffre de quelque chose, mais désigner ça comme angoisse implique en tout cas de réformer cette angoisse-signal, et de la prendre plutôt comme Lacan le faisait, en angoisse qui signale un mode de présence de l’objet du besoin en tant qu’il est impossible de le demander. Ce qui est différent pour Dick, chez qui l’injection de symbolique opérée par M. Klein provoque la proximité de la demande. Ceci est différent du gosse qui hurle devant son assiette réelle, et qui n’arrive pas à demander : ça déclenche les circuits affolés du gosse. Il ne se maintient pas dans l’espace signifiant. D’un côté, il y a le cri, de l’autre l’objet du besoin devant lequel il est rejeté, du fait qu’il n’arrive pas à demander. En ce sens il y a une distinction entre ce qui passe par Dick dans les artéfacts du dispositif analytique, et ces moments de déstructuration, de désarticulation du sujet et de l’objet du besoin. — Q. : L’utilisation d’un savoir européen pour soigner des enfants africains ne peut-il pas être perçu comme destruction d’un savoir qui leur est propre ? — Eric Laurent : Ce que vous appelez le savoir, c’est effectivement cet inconscient structuré comme un langage. Dire que chacun possède un savoir qu’il ne sait pas, c’est apercevoir un type de savoir particulier. Pendant toute une partie de son enseignement, Lacan a plutôt mis l’accent sur le fait que le sujet de l’inconscient, qui surgit dans les lapsus, les rêves, c’est le trouble fête qui surgit dans le savoir. Ça surgit comme un éclair qui signale la présence de la vérité dans le tissu du savoir. Puis il a expliqué qu’opposer savoir et vérité, ce n’était pas non plus ce qu’il voulait faire. L’obscurantisme oppose savoir et vérité, et on n’a pas besoin de la psychanalyse pour ça. La psychanalyse ajoute par contre ceci, que la fameuse vérité a essentiellement la structure du savoir. Personne n’a vu des phénomènes repérés dans le champ freudien qui ne soient pas repérables comme un savoir. Alors, quant au respect qu’il convient d’avoir à l’égard de ces enfants, c’est une notion essentielle. C’est après tout l’éthique du psychanalyste que de se rompre aux phénomènes qui sont là, pour qu’il puisse les

accueillir sans se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. — Q. : Que représente pour un psychotique la rencontre avec un code, par exemple lorsqu’il approche la lecture et l’écriture ? Est-ce qu’on peut situer cette rencontre avec le code symbolique comme une expérience de trouée ? — Eric Laurent : Quand on dit "code symbolique", c’est un terme que Lacan a utilisé, mais il semble que tout son travail a été de le faire sauter. C’est un terme de linguiste. L’expérience analytique n’est pas une expérience de type "code", sinon ça donne une expérience de type M. Klein : ceci c’est pipi, ceci c’est caca. Là, ce que l’analyste va percevoir, c’est que ce que le gesse psychotique va entendre, ce n’est pas "ceci est pipi", mais une voix. Ça va immédiatement entrer dans un type de mécanisme où il va y avoir ce type de brouillage qui fait que nulle part il n’y aura de rapport pacifique entre le message et le code. Lacan distingue soigneusement la batterie du signifiant en tant qu’elle est complète, et le lieu de l’Autre en tant qu’il est toujours décomplété. Par rapport au corpus de la langue, la linguistique s’opère d’un vidage de tout ce qu’il y a de réel là dedans. Alors, une fois qu’on a liquidé tout le réel, tout ce qu’il y a de jouissance dans la langue, que reste-t-il ? II ne reste plus qu’à l’aimer, ce qui donne le purisme du linguiste par rapport à la langue. Le psychotique, lui, ne renonce pas o ça à tout ce qui fait que le code est pris comme dans la jouissance. Il n’est pas si facilement linguiste que ça. Quand on observe son apprentissage du code, on voit qu’il a beaucoup plus à faire au corps de la langue, plutôt qu’au corpus du code. Ce qui est frappant, c’est qu’il y a des enfants psychotiques qui savent parfaitement lire et écrire. Mais par contre, on a des gosses psychotiques, autistes qui ne savent ni lire, ni écrire. Là dessus, on a beaucoup à apprendre ; on constate souvent, quand on prend ces enfants en analyse, qu’on entre brutalement dans le domaine de l’écriture, mais que dans la plupart des cas, on est bien en peine de savoir pourquoi. Il y a des psychotiques qui écrivent, ce qui donne parfois des phénomènes saisissant. Par exemple ce psychotique qui disait : je ne peux pas écrire la voix, toute ma maladie se résume à cette formule, je peux vous l’écrire, mais je n’en parle pas. Il pouvait écrire : je suis la pierre philosophale. Toute ma stratégie consistait à ne pas prononcer ce qu’il avait écrit là. Il se mettait dans la position du névrosé qui va donner l’axiome de son désir, qui est le fantasme, mais lui, il donnait l’axiome de son délire. Ça

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introduit un type de rapport différent de l’écriture par rapport à ce qui se prononce et par rapport à l’imprononçable. On a aussi des psychotiques chez qui l’écriture fonctionne comme processus de morcellement. Ainsi tel sujet qui, dans les moments de schizophasie, déroule sur la surface-plan de la feuille de papier un certain type de formules, qui représentent en fait des trajets qui sont difficiles à étaler pour lui. L’écriture est mise à un moment donné en position de maître, de SI' et le sujet a vécu ça comme un code. Si le symbolique apparaît comme un code, alors il a toutes les chances d’être rejeté. Le mieux qu’il puisse faire, c’est de ne pas apparaître comme un code. Mais si c’est le cas, la question est de savoir auprès de qui ce code le représente. L’important est qu’il puisse être représenté par rapport à cette masse du signifiant, qu’il puisse y faire trou. — Q. : Est-ce que l’objet que vous mettez en position d’agent dans le discours de l’analyste aurait une connivence quelconque avec l’objet de la pulsion sadomasochiste. J’illustre ça par deux exemples. Le premier m’a été rapporté. Il s’agit d’un enfant qui avait été élevé par une personne qui l’avait attaché à une chaise : il pouvait seulement manger et déféquer. Quand on l’a trouvé, il ne pouvait que se débattre et se taper contre les murs sans se faire le moindre mal. Au cours de la thérapie, c’est au moment où les soignants se sont mis à pleurer à sa place, qu’il a commencé à parler. L’autre exemple, cité par Dolto, vient d’une constatation : des officiers français avaient remarqué pendant la guerre que, lorsqu’une bombe éclatait au milieu d’un groupe de soldats, certains criaient du fait de leurs blessures, et les autres qui étaient indemnes devenaient fou. La technique thérapeutique que les soldats avaient trouvé tout seul, c’était qu’il suffisait de mettre à mal, de frapper celui qui n’avait pas été touché, pour que tout risque de folie ponctuelle s’évacue. — Eric Laurent : Vous choisissez un exemple hors du champ de la psychanalyse pour interroger l’objet a dans la pratique psychanalytique. lin analyste en effet ne pleure pas à la place du patient, encore qu’il y a tout une variante de la psychanalyse moderne axée sur la dimension imaginaire du contre-transfert, qui dit que ça marche lorsque l’analyste s’hystérise. Il vaudrait quand même mieux que ce soit le patient lui-même qui vienne à pleurer. Ça lui ferait le plus grand bien. Mais après tout, il n’est pas déterminant que l’analyste se prenne pour le lieu de la vérité, qu’il se prenne lui pour le sujet. S’il se met à cette

position là, il met en place ce qui caractérise l’impossible du discours de l’hystérique, à savoir faire désirer. Ceci a toute sa valeur, mais ce n’est pas de l’analyse. Alors, arriver, en déployant l’identification hystérique à faire désirer ce gosse qui avait été mis en position de besoin, c’est un succès de l’hystérique. On connaît les tours de force de certains analystes qui fonctionnent au niveau de l’hystérie et qui ont pu faire surgir du désir là où on croyait que c’était perdu. La clinique de l’amour-passion apporte bien des choses. Mais là le discours analytique s’arrête. Le deuxième exemple se réfère à ce que Freud avait déjà abordé dans son texte sur le narcissisme, à propos des névroses narcissiques. Celles-ci ne se produisent jamais lorsqu’un sujet a été effectivement blessé ; par contre lorsqu’un sujet avait eu la frayeur de sa vie, de se retrouver par exemple devant la baïonnette prête à l’éventrer, ça provoque des névroses traumatiques. Ceci a Pernis aux psychanalystes de distinguer les névroses de guerre de ce qui relevait de l’hystérie. — Q. : A propos des rapports entre topologie et clinique. — Eric Laurent : Le recollement de deux surfaces, intérieur et extérieur, devrait nous permettre de repérer des phénomènes cliniques absolument inédits. De même le plan projectif permet-il de cerner ce qu’il en est de la position de l’analyste. Si on prend la représentation du cross-cap telle que Lacan la propose, il y a un point de singularité particulièrement remarquable. Ce point peut s’écrire n’importe où, mais il y a un moment donné où ce point doit être fixe. Suivant les représentations qu’on se donne du plan projectif, on pourrait imaginer que ça correspond à des positions de l’analyste en tant qu’il est le lieu d’où s’opère la coupure.

16/5/81

Le texte d’E. Laurent est la transcription de l’enregistrement de sa conférence. Il n’a pas été revu par l’auteur. Par contre, la première partie a été réécrite par E. Laurent et paraîtra prochainement dans Ornicar.

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Quarto Cartels A propos du cartel Anne Lysy

Le cartel fait problème. De nombreuses questions surgissent, qui concernent tant sa formalisation que son fonctionnement. J’ai rassemblé, pour vous les adresser, quelques réflexions à ce propos, nées au cours d’un travail en cartel entamé récemment. Ce sont en réalité des questions ou des hypothèses vraiment très générales, mais je les formule en guise d’introduction à un temps de méditation sur le cartel comme lieu de travail analytique, sur sa spécificité et son rapport aux autres lieux. Le cartel fait problème. Mais Lacan nous assure de ceci : "Ce n’est quand même pas une énigme". Il le disait à l’occasion de journées organisées à Paris en 1975 sur la fonction des cartels, dont les actes sont à lire dans les Lettres de l’École (n°18). Et Lacan de nous éclairer sur ce semblant de logogriphe : "il y a quelque chose de contenu dans ce mot : cartel, qui déjà lui-même évoque quatre, c’est-à-dire que le trois plus un, c’est bien tout de même ce que je considérerais comme permettant d’élucider son fonctionnement, et qu’on puisse aller jusqu’à six, il faudrait que d’abord la chose soit mise à l’épreuve ; j’ai employé le mot cartel mais, en réalité, c’est le mot Cardo qui est derrière, c’est-à-dire le mot gond, je l’avais avancé ce mot Cardo, mais bien sûr en faisant confiance à chacun pour y voir ce qu’il veut dire. J’ai préféré finalement le mot cartel parce qu’en même temps c’est une précision et que l’illustration que j’en donnais tout de suite en parlant au minimum de 'trois plus un' aurait permis d’attendre un jeu efficace (…)" (p. 221). S’il fut oublié, le mot cardo a néanmoins laissé des traces dans la formalisation actuelle du cartel. Carde signifie gond – il s’agit d’un type particulier de gonds : placés non sur les montants de la porte, mais en haut et en bas, dans le seuil et le linteau. Ce mot désigne aussi le pôle, l’extrémité de l’axe autour duquel tourne la terre. Il peut désigner enfin le pivot d’une affaire, le point capital, ce sur quoi repose et tourne tout le reste. Comment ne pas lire dans ce cardo que le cartel est le support d’un mouvement d’ouverture et de fermeture, ou encore l’axe, le tourillon qui permet le tourbillon ; qu’il est, enfin, le pivot, ce que Lacan nomme "l’organe de base" de l’École. Encore faut-il préciser comment le cartel peut faire charnière. C’est du côté du nombre et du nœud borroméen que l’on peut trouver quelque éclaircissement au sujet de

son fonctionnement, cela, Lacan nous en indique lui-même la voie. C’est dire comme le cartel est étroitement lié à ce qu’il articule dans son enseignement. "Le X 1 c’est très précisément ce qui définit le nœud borroméen, à partir de ceci que c’est à retirer cet 1 qui dans le nœud borroméen est quelconque, qu’on en obtient l’individualisation complète, c’est-à-dire que de ce qui reste – à savoir du X en question-il n’y a plus que de l’un par un." (p. 220) Autrement dit : il s’agit de faire tenir ensemble un certain nombre de ronds de ficelle, par exemple, de telle sorte que si l’on en coupe un, tous les autres soient libres, indépendants. Une première question que je me pose est celle du choix, expérience faite, du nombre 4+1. Pourquoi avoir précisé et fixé à quatre cet X qui, dans la première formulation du cartel, pouvait être aussi trois ou cinq ; "mais quatre est la bonne mesure" disait déjà Lacan. Il doit bien y avoir une raison. D’ailleurs, la fréquence du quatre dans l’enseignement de Lacan est frappante ; je songe aux "quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse", aux quatre objets, aux quatre discours… Partant du principe du nœud borroméen, l’on peut aussi s’interroger sur la fonction du Plus-Un dans un cartel. Une de ses fonctions serait-elle de lier et/ou de délier ? Lier qui, et qui à qui ; lier quoi (il est remarquable que jamais le mot "personne" n’apparaisse dans la formulation de janvier 1980) ? Comment définit ce lien, cet Un ? Si, comme l’affirme Lacan, cette fonction existe dans tout groupement, quelle est sa spécificité dans un cartel, lieu de travail analytique ? Pourquoi est-elle attribuée à une personne ? On pourrait en effet imaginer qu’elle soit assurée tour à tour par quelqu’un de différent. Ceci me mène à me demander ce qu’implique le choix du Plus-Un, le fait de nommer quelqu’un Plus-Un. Dans une réponse à Soury, Lacan souligne que le Plus-Un n’est pas tiré au sort. Quant à son rôle, il précise que c’est au Plus-Un "de veiller aux effets internes à l’entreprise, et d’un provoquer l’élaboration". Rien ne se produit donc s’il n’y a pas nœud. Je risque alors cette métaphore que vous reconnaîtrez, pour provenir du Séminaire sur "La lettre volée" qui ouvre les Écrits et où se démontre le fonctionnement d’une communication intersubjective véritable, c’est-à-dire "où l’émetteur (…) reçoit du récepteur son propre message sous une forme inversée" (p. 41) : le Plus-Un serait celui qui permettrait que dans les anneaux une circulation

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se fasse, qu’un trajet s’opère, et que les "lettres" arrivent à destination. Il assurerait ainsi un mouvement de tourbillon interne au cartel. En outre, étant donné sa place d’excentricité de un par rapport au quatre, peut-être a-t-il à ouvrir un passage vers l’extérieur, peut-être fait-il gond. Je crois néanmoins que ce sont davantage les effets que cette position particulière provoque au sein du cartel (cf. la production du nœud) qui permettent l’ouverture. D’autres dispositions du cartel me donnent à penser que son fonctionnement interne est aussi déterminé par ce qui l’ouvre sur l’extérieur : la permutation et la production de travaux susceptibles d’être communiqués ou publiés. Le principe de permutation fait du cartel un groupe temporaire : un terme de "un an, deux maximum" est fixé à ses activités ; L’effet de cette limite temporelle porte sur le type de lien social instauré dans un tel groupe : il s’agit pour Lacan de prévenir par là "l’effet de colle". Ce terme peut sembler faire de la dissolution du cartel une fin toute extérieure et arbitraire ; je me demande néanmoins s’il ne confère pas à son travail – peut-être par une nécessaire précipitation qu’impose son délai - une dimension temporelle différente ? Pour préciser ceci, il faudrait relire l’écrit sur "Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée" et examiner si la forme de logique collective que Lacan y développe peut trouver son application dans la pratique du cartel. En tout cas, la permutation offre la possibilité d’un fonctionnement logique, au-delà des personnes, dans la mesure où, comme le formule Pierre Soury, "n’importe qui peut être amené à collaborer en petit groupe avec n’importe qu’elle autre personne". Tourbillon que Lacan propose comme idéal à obtenir. J’ajouterai que le groupement de quatre se faisant disons "au hasard", ne permet en rien de préjuger une limitation d’effets d’amour et de haine ; effets dont il faudrait rendre compte. La dernière réflexion que je vous propose concerne le produit du travail, "produit propre à chacun, et non collectif". Pouvoir rendre compte du fait qu’un travail collectif, accompli dans une structure de quatre plus un et selon un rythme précis, précipite une élaboration individuelle, équivaudrait pour moi à cerner la spécificité du travail analytique de cartel. Que ce produit doive être individuel, "propre à chacun", révèle que le cartel est une affaire de sujet, et donc de vérité particulière. Cette vérité, c’est du récepteur que le sujet peut la recevoir. Que le Plus-Un assure à cet égard un rôle important dans le cartel, je le suggérais il y a quelques instants. Pierre

Malengreau écrivait récemment que le Plus-Un est chargé d’"interroger le rapport de chacun avec ce qu’il dit" (Delenda n°6, p. 19). On pourrait avancer qu’il veille à ce "qu’on dise" ne reste pas oublié. Cette production individuelle, je la vois dès lors comme une mise à l’épreuve pour chacun de son rapport au lieu commun et comme un effort de nomination (déjà dans le choix du sujet de travail) et de formulation, qui rende son expérience transmissible. J’aimerais l’appeler un événement d’écriture, avec ce que ceci implique de destitution subjective. En effet, "Écrire – nous dit Maurice Blanchot - c’est renoncer à se tenir par la main ou à s’appeler par noms propres, et en même temps ce n’est pas renoncer, c’est annoncer, accueillant sans le reconnaître l’absent – ou, par les mots en leur absence, être en rapport avec ce dont on ne peut se souvenir, témoin du non-éprouvé, répondant non seulement au vide dans le sujet, mais au sujet comme vide, sa disparition dans l’imminence d’une mort qui a déjà eu lieu hors de tout lieu" (L’écriture du désastre, p. 186). Si le mouvement de l’écriture est perpétuelle errance, effacement de toute certitude, espace de la dispersion où se ruine le Tout, mise en rapport avec ce qui échappe à tout rapport, avec le Dehors absolu, point qui est aussi l’intimité même et l’origine du mouvement comme non-origine et absence de centre, on comprendra que la parole qui le porte ne sera pas parole de maîtrise et de Sens absolu. D’aucuns rétorqueront que le cartel n’est pas le lieu d’une expérience littéraire. Peut-être. Que cette digression serve alors au moins à rappeler l’importance de l’écrit chez Lacan : son questionnement du style, l’écriture comme "ce que laisse de trace le langage" (Encore, Lituraterre), le mathème. La question que j’essaye de formuler par ces détours est celle de la nécessité de ce produit propre à chacun ; nécessité, et non but ou obligation. Le cartel serait-il un lieu privilégié de production, de provocation, comme le mot même le laisse entendre ? Cette production individuelle peut avoir un retentissement, non seulement à l’intérieur du cartel d’où elle est née, mais aussi à l’extérieur, par la communication ou la publication. C’est le moment de souligner l’importance de réunions de cartels et d’organes de publication : ils multiplient le tourbillon engendré au sein du cartel ; ils forment un autre lieu commun où, on peut du moins l’espérer, un souffle de critique empêchera le sommeil poussiéreux des archives. Car c’est bien de sommeil qu’il s’agit – et de le secouer. Si le sommeil est rassemblement,

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attachement à un lieu stable, protection de la demeure, le cartel, d’être cardo, pourrait bien s’avérer lieu d’aventure (dans tous les sens du terme) : il dispose, et de plusieurs façons, à l’éveil. En faire l’organe de base de l’École pourrait bien destiner l’analyste à être ce qu’est, selon Blanchot, l’écrivain : "l’insomniaque du jour". On peut en rêver.

Les deux faces du Cartel Moshe Krajzman

Une première face du cartel se donne comme celle de la consistance, la désignant ainsi comme ce qui résiste (Lacan), ce qui se cerne. Résistance qui le fait se nouer au réel et qui se présente indubitablement comme un des problèmes majeurs du fonctionnement des cartels. A savoir ce qui est nommé dans les cartels comme ligne de conduite : choisir ou non un thème, un texte, quel texte, se donner des limites ou non, ne pas sortir du sujet voire de la psychanalyse. C’est cette consistance comme matériel que, je crois, Lacan demandait de verser au dossier de la psychanalyse et c’est la raison pour laquelle, il me semble, il souhaitait que ce soit à titre de cartel qu’il y ait adhésion à l’École freudienne. Qu’il y ait en somme, irruption plutôt qu’adhésion. Que l’École attrape des boutons par quatre plus un. Une deuxième face ramasse la question du nombre minimum énoncé au titre de quatre : "Trois plus une personne,… je n’ai pas osé aller plus loin que cinq, ce qui additionné d’une personne fait six" (Lacan). Ce qui est donc considéré comme souhaitable c’est que le cartel soit de quatre à six, et ce qui est à justifier c’est ce nombre minimum exigible, et pourquoi Lacan pose cette nécessité de ne pas dépasser non plus le nombre de six. Il s’agit donc de montrer comment Lacan invoque la structure pour considérer le deux comme trop peu et même le trois comme trop peu. Situer le pourquoi quatre c’est s’appuyer de ce trop peu et du nœud à trois – dit borroméen. S’appuyer aussi sur cet énoncé que le désir, pour Lacan, est lié à la notion de trou tourbillonnant et qu’il faut au moins trois "ficelles" pour que ça fasse trou tourbillonnant. La ficelle du symbolisme d’abord qui "tourne en rond" et "ne consiste que dans le trou qu’il fait" (Lacan, 15/5/75 – RSI). Celle de l’imaginaire dans la mesure où le corporel qui s’y rapporte fait trou. Et la pratique de l’analyse nous montre bien que la fonction des orifices dans le corps en témoigne.

Celle du réel que Lacan, en le définissant comme univers l’impose comme cyclique, comme circulaire. Hypothèse qu’il suspend d’ailleurs aussitôt mais sans aller jusqu’à lâcher ceci que cet univers, même s’il n’est pas clos (au sens où il ne fait pas monde, au sens où le réel n’est pas tout), même s’il est simplement la consistance d’un fil (une droite à l’infini). "Ça suffit pour faire nœud borroméen avec deux cycles". Un trou, pour Lacan, "pour peu qu’il soit consistant, c’est-à-dire cerné, suffit pour nouer un nombre indéfini de consistances. Et ça commence à deux". Le trou, c’est l’interdit de l’inceste, donc du symbolique en quoi consiste cet interdit, qui noue le couple (par ailleurs dénouable). Et il faut du symbolique pour qu’apparaisse ce que Lacan, au lieu de l’appeler complexe d’Œdipe, préfère appeler Nom du Père. A entendre le père comme nom, c’est-à-dire le père comme nommant. Le trou tourbillonnant est un trou qui du même coup s’étend, et dans ses tourbillons s’inscrit le lieu de la castration. Et ce lieu, avec l’interdit de l’inceste, c’est ce que Lacan désigne du "non rapport sexuel". Bien entendu, le père comme nommant, cela implique que des noms du père, il peut y en avoir un nombre indéfini, Lacan ne manque pas, à plusieurs reprises de le rappeler. Mais comme dans le nœud borroméen, tout s’appuie sur un. Sur un "en tant que trou qui communique sa consistance à tous les autres". Alors un cartel, pourquoi 3 + 1 = 4 minimum, et pourquoi 5 + 1 = 6 maximum ? Paradoxalement Lacan part de l’identification. De l’identification au groupe. "Ce que je souhaite c’est quoi ? L’identification au groupe, parce que c’est sûr que les êtres humains s’identifient à un groupe ; quand ils ne s’identifient pas à un groupe, ils sont foutus, ils sont à enfermer. Mais je ne dis pas par là à quel point du groupe ils ont à s’identifier. Le départ de tout nœud social se constitue du non rapport sexuel comme trou, pas de deux – au moins trois. Et ce que je veux dire, c’est que, même si vous n’êtes que trois, ça fera quatre. Le plus-un sera là… C’est en retirant une réelle (une personne réelle) que le groupe sera dénoué – il faut pour ça qu’on puisse en retirer une réelle pour faire preuve que le nœud est borroméen et que c’est bien les trois consistances minimales qui le constituent". Il n’est évidemment pas question d’incarnation au point de voir le réel, le symbolique et l’imaginaire s’incarner dans des personnes nouées en cartels avec un "plus-un". Cela ferait du "Plus-un" un irremplaçable ou un… remplaçable. Celui que personne ne peut remplacer ou celui que n’importe qui peut remplacer. Dans le premier cas on aurait

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une pure incarnation, dans le second une pure fonction. Faisant cas de la nommination, du père comme nommant, il n’est pas évident qu’il faille opérer un classement de ce type (pure personne ou pure fonction). A fortiori si c’est le "Plus-un" d’un cartel dont il est question… La nommination, c’est ce qui fait trou, c’est même selon Lacan "la seule chose dont nous soyons sûrs que çà fasse trou". Dès lors, c’est le Nom du père accouplé au symbolique qui sera notre hypothèse de travail quant â situer le "Plus-un" d’un cartel.

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