12) Cours Du 2 Mai 2007 JAM

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    Orientation lacanienne III, 9.

    Jacques-Alain Miller

    Douzième séance du Cours 

    (mercredi 2 mai 2007)

    XII

    Je crois être venu à bout, durant cemois où je ne vous ai point vu, derédiger ce que j'ai appelé le tout dernierenseignement de Lacan. Je dois direque ça m'enlève un poids. J'en étais,pour utiliser un mot de ce tout dernierenseignement, j'en étais empêtré.

    Et maintenant j'en suis tout étourdi.

    Je ne suis pas étourdi des tours etdes détours de ces dits. En tout cas jene le suis plus justement pour les avoirsuivis, ces tours et ces détours, cesméandres, jusqu'à en faire, c’est aumoins ce que parfois je rêve, jusqu'à enfaire une voie romaine.

    La voie romaine, vous le savez, lavoie romaine c’est v-o-i-e, v-o-i-x c'estce que je pousse pour arriver à me faireentendre. La voie romaine c'est, vous lesavez, la métaphore dont Lacandécorait le Nom du père dans sontroisième Séminaire, cette voietranscendante, transcendant lesdiverticules, les attributions, leschemins de traverse.

    Évidemment, j'exagère en disant, endisant que je suis arrivé à la voieromaine mais tout de même, hier soir,en cherchant - quelques heuresfinalement - quel titre donner pour à lapremière des leçons du dernier

    Séminaire de Lacan, et à la dernièreleçon, j'ai eu le sentiment fugitif que jereconstituais la voie romaine de ce tout

    dernier enseignement, une voieromaine parmi tous ces méandres.

    Mais, bon, la métaphore de la voieromaine ne convient pas du tout auxnœuds borroméen, ni non plus à ce quis'appelle le tore – t-o-r-e – la chambre àair, qui sont les deux objetsmathématiques que Lacan associedans son tout dernier enseignement.

    Ce sont, si l'on veut, des boussoles,dont il se sert mais qui n’indiquent pasexactement des points cardinaux, cespoints cardinaux, en croix, quipermettent de s'orienter, à partir de saposition.

    Évidemment, la boussole estdevenue plus complexe et plus préciseavec le développement que lui a donnéle GPS. Ce sont des instruments, cesboussoles, à donner la direction, versoù aller et il faut croire que cettemétaphore m’a toujours été chèrepuisque j'ai intitulé ce cours, depuis sondébut, « L'orientation lacanienne. »

    Mais dans le tout dernierenseignement de Lacan, la direction,c'est le tournage en rond, voire lepiétinement. C'est un tout autre registrede métaphores aussi.

    Alors, ce TDE, tout de même,explore ce que le tournage en rond ade structure. Pour employer un mot,structure, qui y est soigneusementévité, pour des raisons que jerecompose et que je dirai tout à l'heure.

    Le tournage en rond a une structure,

    on le voit dans le nœud borroméen, quiassocie plusieurs tournages en rond,selon une disposition de prime abordsurprenante, et qui montre que letournage en rond est susceptible d'unecomplexité qu'on ne soupçonnait pas.

    Quant au tore, il associe tournage enrond et trou. Et, d'ailleurs, à l'occasionon peut se servir des ronds de ficellecomme autant de tores. Les tores, parexemple, sont susceptibles des'associer à la mode borroméenne mais

    il y a, évidemment, certaines difficultésà reconstituer et simplifier, dans

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    l'ensemble les dessins de Lacan, maisenfin ça n’est pas là qu'est,contrairement à ce que l'on pense, ladifficulté principale qui est de rédiger cequi reste de parole.

    Si on se laisse porter par le tournageen rond, sans doute on en est étourdi.La structure, en revanche, est ce quipermet de sortir de l'étourdissement etdonc je crois y être parvenu. Cocorico !

    Non, ce qui m’étourdi aujourd'hui, cematin, en ce moment, c’est de sortir dece dialogue avec Lacan qui m'a aspiré,dans lequel je me suis enfermé,enfermé à l'aise, d'autant plus à l'aiseque je vous ai oubliés, c’est de sortir dece confinement pour vous en faire

    rapport. Alors qu'est-ce que j'ai à direau rapport ?Déjà je vous informe que j'en suis à

    quatre Séminaires de Lacan achevés,l'éditeur aura à publier à son rythme.J'ajoute même pour m'encourager que j'en serais à six, je l'espère, enseptembre prochain. Et s'il faut que jerassure ceux qui s'inquiétaient del'achèvement de cette tâche avant que je ne disparaisse, et qui déjà metrouvaient un petit peu malade comme

    ça, j'en aurais ensuite encore six àrédiger avant de passer à autre chose.

    Le tout dernier enseignement deLacan est exactement constitué dedeux Séminaires. Le XXIV, qui suit leSinthome, et le XXV. Et, je les feraispublier en un seul volume, ce qui doncfera, quand l'ensemble sera disponible,25 Séminaires en 24 volumes.

    Après, Lacan ne s'est pas tu, il acontinué de prendre la parole. Il m'aremis des dossiers et ce qu'il a pu direen 1980 a déjà, à l'époque, été publié.

    Mais, je vous en informe, ce n'estplus le Séminaire de Jacques Lacan. Jeconsidère que Lacan a fixé les bornesde son Séminaire, à proprement parler,en donnant pour titre auSéminaire XXV, de 1977-78, le titre Lemoment de conclure. Et tout démontreque ceci doit être pris à la lettre.

    Ce titre est évidemment uneréférence à sa logique temporelle,

    développée, publiée, à la fin de laSeconde guerre mondiale, sous le titredu « Temps logique » et on peut

    espérer de l'exploration de ce momentde conclure des lumières sur ce qui aprécédé. D'ailleurs ce moment deconclure ne sera pas publié à la fin dela publication du Séminaire de Jacques

    Lacan mais dans son cours.Le temps est certainement un soucide Lacan, au moment d'arrêter, maispas seulement. Il avait déjà, par lepassé, dans son écrit Radiophonie dégagé ce principe de il faut le temps,pour l'analyse et on peut releverqu’ensuite Lacan a voulu parler sous letitre La topologie et le temps,  ce quifigure d'ailleurs sous une forme erronéesur le rabat des Séminaires.

    C'est pas moi qui ai fait inscrire ça

    d'ailleurs, c'est quelqu'un qui tenaitbeaucoup à s'assurer, aux éditions duSeuil, que tout y serait publié et doncqui, chaque année, y rajoutait le titre, j’ai laissé ça en l'état mais il n'y aurapas de Livre XXVI, ni XXVII, ni XXVIII,du Séminaire.

    Mais enfin c'est une indication queLacan s’est soucié du rapport de latopologie et du temps. Et on voitd'ailleurs ce souci pointer dès sonSéminaire du Sinthome, et on

    comprend qu'il ne s'agit pas du tempslinéaire, du temps qu'il faut pour aller deA à B, ça c'est la voie romaine, ça c'estle temps de la trajectoire quand onespère qu’après c'est autre chose, letemps associé à la topologie, c'estd'abord un temps circulaire, c'est letemps du tournage en rond, ce n’estpas l’absence de temps.

    L'absence de temps, c'est l'éternitédont Lacan dit précisément dans lemoment de conclure que c'est unechose qu'on rêve. Ajoutons que ça n'estpas spécial à l'éternité, d’être unechose qu'on rêve. On voit défiler dansle tout dernier enseignement bien deschoses dont on croyait qu'on ne rêvaitpas et dont on découvre qu’en tout casil y en a au moins un qui pense que cesont des rêves, ou, ce qui estlégèrement décalé, des fantasmes.

    Le rêve de l'éternité, que Lacancensure déjà dans son Séminaire du

    Sinthome, c'est le rêve qui consiste àimaginer, dit-il, qu'on se réveille.

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    Et, conformément à ce qui apparaîtdans l'écrit qui met un point final auSéminaire du Sinthome, conformémentà l'esprit d'un laps, le tout dernierenseignement de Lacan se déploie,

    dans un espace où il n'y a pas deréveil, où le réveil, je le cite, estimpensable, où le réveil lui-même estun rêve.

    Il faut avouer que c'est réaliste,enfin, réaliste au sens du réel. A-t-on jamais vu pour quiconque que la passeconstitue un réveil ? Qu'il n'y a pas deréveil veut dire que par tout un aspect,on n’en sort pas et c'est peut-êtreprécisément ce qui prête à rire, c'estl'accent nouveau que Lacan met sur : la

    vie est comique.Ah ! Il l’avait déjà dit que la comédiel’emportait en vérité sur la tragédie. Et ill’avait dit au nom du phallus, au nom dela valeur sexuelle toujours cachée, ycompris au fond de la déplorationcachée au fond de l’impasse, cachéedans la béance du rapport à l'Autre.Mais ici, la comédie tient aux vainstournages en rond. Et le sinthomereçoit lui-même cette valeur d'être,disons l'inconscient en tant qu'on n'en

    sort pas.Et c'est pourquoi, à l'occasion, je dis

    à l'occasion parce que ça n'est pastoujours, Lacan formule dans son toutdernier enseignement qu’il n'y a pas delibération du sinthome, qu’il n'y a pasde dissolution du sinthome.

    À d'autres moments, à un autremoment il peut parler de défaire lesinthome. Mais là, ce ne sont que, jecrois, que les diverticules du sinthomequ'il vise, et non pas le sinthomecomme voie romaine, je veux dire lesinthome comme cette nouvelle voieromaine qu’est le tourner en rond. Pasde libération du sinthome, il s'agitseulement, dit-il, que l'on sachepourquoi on en est empêtré.

    Évidemment, c'est une propositionproblématique parce qu'elle établit uneliaison entre l'analyse et le savoir, uneliaison fort douteuse, suspecte ; adjectifque Lacan utilise dans son tout dernier

    enseignement, ébranleur de fantasmes.On peut parler d'une liaison del'analyse et du savoir où on s'imagine

    qu'on progresse parce qu’on éclairciraitl'analyse, ce qu'est l’analyse par cequ'est le savoir qu'on croit savoir. Maisc'est bien la question qui est ouvertedans le tout dernier enseignement.

    Qu'est-ce que le savoir ? On peut direau moins, à ce niveau de ce toutdernier enseignement, que le savoirn'est pas un réveil et que s'il fallaitchoisir, ce serait plutôt un rêve. C'estlà-dedans que Lacan fraye sontournage en rond. L’être humain,comme il l’écrit à l'époque, les trumains,l’être humain est condamné au rêve.

    Les trumains 

    Ah ! Il y a dire sur l'être humain, parrapport à ce que Lacan appelait leparlêtre.

    Le parlêtre 

    La différence, c'est d'abord privilégiéle pluriel. Et c'est ce qui se dégage pourmoi de la lecture et de la rédaction,c’est que Lacan met l’accent sur cecique l'humain est par essence social.

    La topologie, si apparente dans sesfastes borroméens et toriques, latopologie est incessamment doubléed'une sociologie. Lacan, d'ailleurs,retrouve là ses amours de jeunessepuisque il n'avait pas abordé le thèmede la famille autrement qu’en mobilisantles références à la sociologie et àl'ethnologie, et qui ont continué de luifaire cortège.

    Ici, la sociologie de Lacan collaboreau dégoupillage, à la suspicion portée

    sur le fantasme omniprésent.Voyez, par exemple, cette remarquequ'on pourrait négliger de l'avant-dernière leçon de Lacan : pourquoi ledésir passe-t-il à l'amour ? dit-il. Lesfaits ne permettent pas de le dire. Jenote sa référence au factuel, qui tient àce qu'il faut bien parler, distinguer, desniveaux. Lacan ne fait pas fauted’opposer au fantasme les faits.

    Même si, à un autre niveau,l'assignation de faits peut être, bien sûr,

    elle aussi suspectée. Oui, il dit les faits,il dit les faits de la même façon que,

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    dans ce dernier enseignement, ce quiest parlé utilise en général la plupart dutemps les vocables les plus courants dela langue.

    Il y a un contraste constant entre le

    dépouillement de la langue, qui tientprécisément à l’éviscération desfantasmes et donc tout est de l'ordre dece qu'on appelle ceci. Il faut biend’ailleurs, en rédigeant, que j’ensupprime, de ces guillemets, sans quoice ne serait plus lisible, mais enfin j’enlaisse suffisamment pour qu'on saisisseque les termes techniques, enparticulier de la psychanalyse, sontsaisis tous avec des pincettes, mis àdistance. Donc il y a un contraste

    constant entre l'usage de la langue laplus familière et d'autre part l’hypertechnicité apparente bien en évidencedes figures topologiques.

    Donc, - pourquoi le désir passe-t-il àl'amour ? Les faits ne permettent pasde le dire. Il y a sans doute des effetsde prestige.

    On peut difficilement aller plus loindans le ravalement discret de la vieamoureuse. En incluant ainsi l'opérationdu semblant dans l'amour, Lacan verse

    cette notion dans le registre de lasociologie. Il en va de même, à monsens, quand il ose dire del'interprétation, notre sainteinterprétation, l'interprétation qui esttout ce que nous avons pour opérer,dans notre tradition lexicale, au moins,sémantique, quand il ose dire del'interprétation qu'elle dépend du poidsde l'analyste. C'est-à-dire, là encore,effet de prestige. Et, à l'occasion, cemouvement va jusqu'à rabattrel'interprétation sur la suggestion,horresco referens.

    Le jeu de massacre, parce que c'estça le tout dernier enseignement deLacan, c'est le jeu de massacre, c'estpour ça que c’est, contrairement auxapparences, si amusant, et ça l'emportede s’encouder sur tous les livres noirsde la psychanalyse, le jeu de massacrecontinue jusqu'à poser que l'analyse estune magie, mais oui ! Et qu'on s'y

    efforce, en effet, avec les moyens dubord, et à bord on n’a essentiellementque la parole appuyée sur les effets de

    prestige, on s’y efforce d'émouvoir unechose voilée, et on s'imagine qu'on yarrive.

    Alors quand on est deux à sel’imaginer, ça va déjà mieux, mais ce

    n'est pas pour autant qu'on fait preuvecontre la réduction de la psychanalyseà la magie. J'ajouterai encore cetteproposition à quoi un Bourdieu n'auraitpas fait objection - je cite Lacan :l'analyse est un fait social. Il ne faut pascroire que quand il le dit, ça voudraitdire : elle est entre autres un fait social ;c’est, au contraire, une définition dessens.

    Les évocations auxquelles je viensde procéder suffisent à étayer la thèse

    que le tout dernier enseignement deLacan constitue, en même temps qu'ils'évertue pour la psychanalyse jusqu'àpresque son dernier souffle, et par-là iltémoigne comme une sorte de martyrde la psychanalyse, eh bien en mêmetemps, le tout dernier enseignement deLacan constitue une déflation del'analyse.

    Il s'agit de savoir si elle est salutaire.Une déflation de l'analyse et, cela vasans dire, des psychanalystes mais ça,

    Lacan l’avait commencé déjà bien plustôt, une déflation, disons undégonflage.

    Je peux vous confier ici le vers quim'est venu à l'esprit en rédigeant cemoment de conclure, en y mettant ladernière main. C'est un vers de T.S.Eliot, qui est une lecture de Lacanqu’on retrouve à travers le Séminaire.C'est aussi sur T.S. Eliot que Lacanavait choisi de terminer son discours deRome « Fonction et champ de la paroleet du langage », passage sur ce quedisait le tonnerre : bang bang ! Enl'occurrence, ça venaient desUpanishads :  dadada ! dit le tonnerre.C'est un passage du grand poème deT.S. Eliot qui s'appelle The Waste Land -la Terre dévastée. Eh bien le vers quim'est venu, moi, c'est sans doute levers de Eliot qui est peut-être engénéral le vers qui est le plus cité dansle domaine anglo-américain, c'est le

    dernier vers du poème qui s'appelleThe hollow men - Les hommes creux.

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    The hollow men

     Il se prête à beaucoup

    d’interprétations qui ne vont pas mal

    avec l’homme torique que proposeLacan, qui est aussi creux.Chez T.S. Eliot, il y a plusieurs

    thèses d'ailleurs sur d’où vient leshollow men, l’expression. Lui aprétendu qu'il avait emprunté hollow d'un côté, men  ailleurs, on a quandmême retrouvé dans le Jules César  deShakespeare, dans la bouche duconspirateur Cassius, l’expression dehollow men. Chez T.S. Eliot, ça a sansdoute plutôt une valeur pascalienne : le

    cœur de l'homme est creux et pleind'ordures.Au début du poème, c’est démontré

    plein de résonances pour ce qui est dela description des derniers hommes, dela description de l'être humain, de ladernière des civilisations. Je le lis enfrançais pour que vous me suiviez,dans la traduction de Pierre Leiris. Çan’est pas ça le vers qui m’est venu,c’est le tout denier, mais enfin ça donnel'atmosphère.

    Nous sommes les hommes creuxLes hommes empaillésCherchant appui ensembleLa caboche pleine de bourre. [Headpiece filledwith straw] Hélas !Nos voix desséchées, quandNous chuchotons ensembleSont sourdes, sont inanes[ Are quiet and meaningless]Comme le souffle du vent parmi le chaume sec[Or rats’ feet over broken glass]Comme le trottis des rats sur les tessons brisésDans notre cave sèche.

    Silhouette sans forme,[c'est une jolie traduction pour Shape withoutform, shade without colour ], ombre décolorée[Paralysed force, gesture without motion ;]Geste sans mouvement, force paralysée ;

    Oui. Eh bien ce poème quicommence ainsi se termine sur nosdeux vers : le premier est trois foisrépété.

    This is the way the world ends[C’est ainsi que finit le monde]

    This is the way the world endsThis is the way the world ends

    Et alors viens le vers qui m’est revenuen mémoire, sur le coup : Not with a bangbut a whimper. 

    Not with a bang, but a whimper

     C’est ainsi que le monde finit, non

    pas sur un bang, non pas sur un boum,dit Pierre Leiris, ça ne finit pas commepar le tonnerre, comme finit le discoursde Rome, ça finit sur un whimper. Pierre Leiris traduit sur un murmure. Unmurmure, c'est aussi un gémissementet, pour moi, c’est le bruit de lachambre à air qui se dégonfle.

    Lacan a choisi, je prends ça commeça, il a choisi de finir son Séminaire nonpas sur quelque chose que dirait letonnerre, ça c’est le comble dufantasme, tonnerre  ça se ramène à lavoix humaine, il le termine sur ledégonflage du tore psychanalytique. Çafinit à tout petits pas, ça finit sur letrottis de rats.

    Mais, pour autant, ça dit beaucoup.En tout cas c’est un fait de ce vers, jesuis allé après vérifier, grâce à Google,où ça se retrouve, les références sont

    innombrables, il y a des groups de rapqui s'appellent comme ça, il y a desfilms, il y a des articles scientifiques quiont ça pour titre ou pour exergue, c’estpartout dans la cultureanglo-américaine. Voilà, ça me sembletraduire la valeur à donner à la déflationde la psychanalyse à laquelle Lacan achoisi de procéder.

    Sa sociologie, comme je l'ai appelée,voyez je prends moi aussi, bien forcé, je prends moi aussi le style « prendre

    les mots avec des pincettes » - lasociologie de Lacan, elle tient, aussibien dans le Séminaire XXIV, que dansle Séminaire XXV, à l'apprentissage dela langue. On voit bien par-là ladistance que Lacan prend avec lefantasme de la structure.

    Le fantasme de la structurecomporte explicitement que le langageest déjà là, mais pas l’accent surl'apprentissage. Là, au contraire,l'accent est mis sur le tissage de

    l'apprenti si je puis dire. Et c'est àprendre le plus simplement du monde,

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    on apprend à parler, dit Lacan, çalaisse des traces, ça a desconséquences, ce sont d'ailleurs cesconséquences qu'on appelle lesinthome.

    On apprend à parler et ça vous vientdes parents proches, c'est ça le visagedu grand Autre dans l'apprentissage dela langue. Et c'est pourquoi il y a unesociologie immédiate du parlêtre, c'estpour ça que le parlêtre, c'est lestrumains.

    J’arrive à vous le justifier ! Je m'étaisdit qu'il faudrait que je le fasse quandmême, ne pas laisser passer à l’as lestrumains.

    Les trumains c'est vissé, c’est là-

    dessus que se visse la sociologie deLacan. Et c'est pourquoi il peut dire à lafois le rapport sexuel il n'y en a pas,tout ce qui serait rapport sexuel, c'estun ensemble vide et en même tempsdire : il y a rapport sexuel entre lesparents et les enfants, ou il y a rapportsexuel entre trois générations, par quoiil faut entendre sans doute ceux quivous ont appris la langue, ceux à partirdesquels vous avez appris la langue,plus le surmoi qui vous ont véhiculé

    ainsi, le dépôt, le dépôt de culture, lebouillon de culture qu'ils vous ont faitboire.

    Et, en effet, d'un côté il n’y a pas derapport sexuel mais de l'autre il y a toutde même l’œdipe, c'est-à-dire il y aquand même un objet sexuel aveclequel il y a rapport sexuel, la mère, et ily a quand même quelqu'un qui faitobstacle, quelque chose.

    Alors, je demandais tout à l'heure :qu'est-ce que le savoir qui seraitfoncièrement associé à lapsychanalyse ? Je crois que la réponsequ'on peut retenir de ce qu’en ditLacan, dans le moment de conclure,c'est la définition selon laquelle lesavoir consiste dans le lisible, et quelleque soit la suspicion qu'il jette surl’interprétation des rêves, dont il dit àl'occasion : il est impossible decomprendre ce que Freud a voulu dire -il veut dire par-là que c'est quand

    même un délire, on ne voit paspourquoi il s'en priverait puisque lui-

    même s'accuse, à un moment, d’avoir,dans son Séminaire, déliré.

    Néanmoins, on peut admettre que lerêve, le lapsus, le mot d'esprit, ça se litet ce qu'on appelle interpréter, c’est lire

    autrement. C'est ainsi que quand il sepose une fois de plus la question : lesujet supposé savoir quoi, il donne unefois cette réponse : le sujet supposésavoir lire autrement ; à condition delier l'autrement  au sigle S de grand Abarré.

    S(A) 

    Ce qui veut dire, ici, que ce lireautrement,  on ne peut s'en défaussersur personne. Lire autrement, ce n'estpas lire le grand livre de la création, lacréation de l’inconscient par exemple ;ça comporte quelque chose d'arbitraire.

    Disons, en employant le mot entreguillemets puisque nous avons perduconfiance dans ce savoir aussi, c'estpas « scientifique. » Lire autrementn'est pas automatique. Et ce n'est pasnon plus la vérité, même si on peutdécorer ça de son nom, le faire croire

    par prestige. Ça a quelque chosed’aléatoire. Simplement, tout ce qu'onpeut dire, c'est que l'interprétationcomme lire autrement demande l'appuide l'écriture, c'est-à-dire la référencefaite à ce que les sons émis peuvents’écrire autrement que comme ça a étévoulu.

    C'est pourquoi Lacan dit, mais d'unefaçon dont on voit le caractèreesquissé : il y a sûrement de l'écrituredans l'inconscient.

    Oui, l'autre lecture dont il s'agitprend appui sur l'intention de direquelque chose. L'autre lecture, qui estcelle de l'analyse, prend appui surl'intention de l'analysant de direquelque chose. C'est cette intentionqu'on attribue à la conscience, qu'onattribue au moi, dont même c’est decette intention qu’on définit laconscience, d'où la valeur que Lacanaccorde à la bévue quand les mots neservent pas votre intention.

    Alors, en somme, ce que Lacanappelle le symbolique se révèle

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    essentiellement inadéquat et le toutdernier enseignement de Lacan est auxprises avec l'inadéquation dusymbolique. Il n'aurait pas de raisond'être sinon.

    Le symbolique, au fond, c'est unfacteur de confusion. C'est le signifiantqui fait qu'on ne s'y retrouve pas et, enparticulier, c'est le signifiant qui estresponsable du non-rapport sexuel,chez l’être humain. Il faut direnon-rapport sexuel, je dirais même cequi se dégage du moment de conclure,c’est que c’est même trop dire, c'est unrapport sexuel confus.

    L'amour est confusion.On sait bien que c’est fait de bric et

    de broc, de pièces et de morceaux quisont… il y a un moment, enfin, où seproduit le passage du désir à l'amour.L'amour est confusion, il y entre duprestige, du semblant, il y entre del'erreur sur la personne et donc, dans letout dernier enseignement de Lacan, ilfaut se faire au ravalement dusymbolique. Ça n'était pas le cas avant,bien sûr, ça n'était pas ainsi quandLacan pouvait lui-même se stigmatiseren disant : j'ai déliré avec la

    linguistique. En quoi avait-il déliré avecla linguistique ?

    Son délire avec la linguistique, c'étaitprécisément de mettre l'accent sur laprimauté du mot sur les choses,d'attribuer aux mots le pouvoir de fairepour nous les choses. C'est ainsi qu'ilrend compte de la Chose freudienne endisant que ça voulait dire le moulagedes choses sur les mots.

    De ce fait, il a développé que lapsychanalyse comportait que dans tousles cas, la structure linguistiqueprévaut. Là, le mot de structure était àsa place et mis au premier plan.

    Dans son tout dernier enseignement,sans dire le mot, c'est une toute autredéfinition de la structure qui est enœuvre.

    C'est ce qu'il dit, c’est comme ça que je lis la première phrase de sa toutedernière leçon du 8 mai 1978 : Leschoses peuvent légitimement être dites,

    savoir se comporter.Légitimement,  c'est amusant cetadverbe, ça vient à la place de

    véridiquement, on n’est pas dans levrai, on a le droit. C'est déjà un terme,précisément, qui relève, si je puis dire,de la sociologie, le légitime. Les chosespeuvent être dites savoir se comporter.

    Là, s'il y a structure, ce n'est pas destructure linguistique qu’il s'agit, c'est, si je puis dire, de structure chosique. Çasuppose un savoir se comporter , savoirse comporter mieux que nous nepouvons le savoir nous-mêmes, commele démontrent les surprises queproduisent les objets mathématiques,les choses mathématiques, les chosesque Lacan manie. J'enlèvemathématiques puisqu’il en fait desobjets, à l'occasion manipulables avec

    les mains, par préemption, c’est leschoses qui savent se comporterprécisément par différence avec lestrumains qui, eux, ne savent pascomment se comporter, en raison -entre guillemets - de la structuresymbolique, de l'école de confusion, del'école de perdition que constitue lalangue.

    C'est précisément parce que lestrumains, eux, ces trumains ne saventpas comment se comporter, qu’on a

    inventé pour leur bénéfice destechniques, pour leur apprendre.

    C'est sur la confusion du symboliqueque repose, l'émergence et la floraisonde nos TCC, alors que les choses s’enpassent et qu'il y a l'analyse pouressayer de faire passer un trumain àcomment se comporter avec lesinthome.

    Autrement dit le problème qui nepouvait pas être formulé dans le délirelinguistique lacanien, c'estl'inadéquation des mots aux choses, cequi veut dire, par abstraction,l'inadéquation du symbolique au réel.

    Et on voit ainsi, dans sa toutedernière leçon Lacan, si je me souviensbien, Lacan, je m'en souviens bien,Lacan figurer ce que serait l’adéquationpar l’enlacement de deux ronds, celuidu symbolique et du réel.

    Cet enlacement voudrait dire : voilà,ça tient ensemble, et que l'imaginaire

    est ailleurs. Ça n'est pas loin de ce queLacan formulait au début de son écritsur « La lettre volée. » En revanche,

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    c'est ce que récuse le tout dernierenseignement de Lacan, en posantque, je le cite - l’adéquation dusymbolique au réel ne fait les chosesque fantasmatiquement.

    C'est un fantasme de croire que lemot fait la chose, un fantasme de croireque le symbolique soit adéquat au réel.

    Alors, quand il dit fantasme, qui estun mot clé du Moment de conclure,Lacan n'entend pas exactement unrêve, le fantasme s’en distingue d’êtreune aspiration. C'est pourquoi il peutparler d'une suggestion de l'imaginairepar le symbolique.

    C'est bien ce qui met en question ladéfinition de l'analyse par le savoir.

    Pourquoi ? C’est que le savoir n'est quefantasme, c'est-à-dire c'est uneaspiration du symbolique suggérantl'imaginaire. C'est pourquoi dès lapremière leçon du Moment de conclure, Lacan avait pu dire que la géométrieeuclidienne a tous les caractères dufantasme, en particulier l'idée de laligne droite et on sait que la critique dela ligne droite, il lui fait déjà un sortdans son Séminaire du Sinthome,comme je l’ai signalé. C'est pourquoi on

    saisit ce que Lacan essaye, avec latopologie, de sortir du fantasmegéométrique.

    Cette tentative, je ne lui ai pastrouvé de meilleur épinglage que depêcher dans la dernière leçon de ceMoment de conclure  l'expression quifigure comme en passant dans laphrase, une phrase qui doit être – Il n’ya rien de plus difficile que d'imaginer leréel. Eh bien tout compte fait, c’est çaqui a fait pour moi le titre de cette toutedernière leçon de Lacan, et comme lemot d'ordre de ce moment de conclure,de cet effort qui a laissé perplexe, enson temps, tous ceux qui n'étaient pasles ouvriers aidant Lacan dans cettetâche.

    La tentative, c’est imaginer le réel,précisément parce que le symboliquen'est pas adéquat au réel, parce que lesymbolique n’est associé au réel quepar le fantasme en tant que suggestion

    de l'imaginaire. Alors essayonsd'associer le réel à l'imaginaire,essayons d'imaginer le réel. C’est, me

    semble-t-il, la clé de toutes cesmanipulations de Lacan dans son toutdernier enseignement. Imaginer le réelpasse par cette étrange matérialisationque constituent ces figures, qui sont

    figures d'objets, cette matérialisationqui est une matérialisation, dit Lacan, àun moment du fil de la pensée. Il dit ça, je le mets en rapport avec ce qu’il ditpar ailleurs - l'analyse est un fait socialqui se fonde sur la pensée. Eh bien, ilme semble que Lacan, ici, tente unematérialisation de la pensée, ce qui estaussi imaginer le savoir des choses,avec, comme il le dit, des précautionsoratoires, c'est-à-dire parler, et c'est lerythme de ce Séminaire, des

    précautions, ce qui est dit dans leSéminaire est de l'ordre de laprécaution oratoire, pour montrer qu'il ya là des choses qui, elles, savent secomporter et que nous courons aprèselles, après la façon dont elles seretournent, se renversent, se nouent,etc..

    Cette matérialisation est surtoutsensible quand on procède à ce qui estl'acte majeur dans le dernierenseignement de Lacan, qui est l'acte

    de couper, qui rend sensible qu’on aaffaire à de l’étoffe, à du tissu. Ce qu'ilprétend, c'est que ça renvoie à cequ’une psychanalyse a d’étoffe.

    Alors, sans doute, il commence sonSéminaire du Moment de conclure  endisant c'est une pratique de bavardage,ce qui constitue un ravalement de laparole, mais enfin c'est précisémentparce que c'est une pratique debavardage que tout repose sur ceci :est-ce que l'analyste sait comment secomporter ? D'où l'opposition, dans cebavardage, entre l'analysant qui parleet dont Lacan dit - il faut s'ensurprendre - qu'il fait de la poésie, çaveut dire là que ce n'est pasl'interprétation qui est de la poésie dansle Moment de conclure, c'est un pas enavant sur ce que j'ai évoqué la dernièrefois.

    L'analysant parle tandis quel'analyste tranche. On peut dire que

    c'est ce que multiplient les essaistopologiques de Lacan, ce sontprécisément des figurations de ce que

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    l'analyste tranche, des figurations par lacoupure, en tant qu'elle a le pouvoir dechanger la structure des choses.

    Là, ce n'est pas le mot qui fait lachose, c'est précisément la coupure qui

    change la structure des objetsreprésentés. La difficulté majeure, c'estque si le symbolique est inadéquat auréel, il n'y en a pas moins ce que Lacanappelle une béance entre l'imaginaire etle réel, une béance où se loge notreinhibition à imaginer comment secomportent les choses dont il s'agit, et ildonne l'exemple du piétinementnécessaire pour surmonter cetteinhibition.

    Ça n'enlève pas du tout son sérieux

    à la psychanalyse, les mots n'ont pas lepouvoir que l’on croyait quand ondélirait, il n'empêche que les mots ontdes conséquences et qu'il s'agit de serendre compte et d’évaluer cesconséquences. Il s'agit, dit Lacan, quel'analyste se rende compte de la portéedes mots pour son analysant.

    Au fond, le modèle de l'acteanalytique dans le tout dernierenseignement de Lacan, et dans satoute dernière pratique, c'est la

    coupure. Il dit à un moment : agir parl’intermédiaire de la pensée confine à ladébilité mentale. C'est pourquoi ilessaye d'élaborer un acte qui ne seraitpas débile ; il le dit : un acte qui ne soitpas débile mental. Cet acte, tel qu'ilapparaît de ce qui nous reste dumoment de conclure, cet acte qui neserait pas débile mental et qui nepasserait pas par la pensée, c'est lacoupure.

    C'est pourquoi je prends au sérieuxcette aspiration dont témoigne Lacan àun moment, et dans une forme quimérite d'être retenue, élever lapsychanalyse à la dignité de lachirurgie. Vous avez remarqué qu'ilemploie là la même forme syntaxiqueque celle qu'il avait utilisée à propos dela sublimation : élever l'objet à la dignitéde la chose.

    Et, en effet, là, c'est le fantasme deLacan qui s'exprime dans cette

    aspiration, c’est de la sublimation qu'ils'agirait. Élever la débilitépsychanalytique à l'assurance

    souveraine du geste chirurgical, decouper, et ce serait la sauvegarde de lapsychanalyse.

    Bon. À la semaine prochaine.

    Fin du Cours XII de Jacques-AlainMiller du 2 mai 2007