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avalanche est certainement l’ac- cident type où la rapidité d’inter- vention peut conditionner les lus personne n’ignore la courbe de survie de Brugger maintes fois reprise pour sensibiliser sur la nécessité d’être rapide et efficace. Si la rapidité dépend souvent de para- mètres que nous ne maîtrisons pas entièrement, comme la localisation dif- ficile, le transport sur les lieux, la météorologie, etc., nous avons le devoir en tant que professionnels, spé- cialistes et pratiquants, d’être efficaces. Cette efficacité passe par une forma- tion adaptée bien sûr, mais aussi par une pratique et un entraînement régu- liers. Voici donc quelques pistes pour parfaire cette efficacité et donner encore plus de chances aux victimes d’avalanches. > D e l a locali sation au dégagement Rappel sur les mesures prélimi- naires L’arrivée des sauveteurs sur l’ava- lanche ou l’intervention de monta- gnards présents sur le site ne doit pas se traduire par une action précipitée et désordonnée, et faire oublier les règles élémentaires de prudence. Une analyse sereine de la situation commence par une quête visuelle, une recherche d’indices et une prise de renseignements et de témoignages. Le ski qui dépasse de la neige à vingt mètres du sauveteur en train de s’ex- citer sur son Arva et qui part, l’oeil rivé sur sa diode lumineuse, n’est malheu- reusement pas une légende. Ma lucidité initiale m’a donc permis de localiser rapidement la victime. Je me sens tout proche et sur le point d’abou- secours Secours Neige et Avalanches n° 110 Juin 2005 1 Soins aux victimes d’avalanches : premiers secours L ava l a nche est ce rtaine m e nt la ccid e nt t y pe où la r a pidité d’intervention peut conditionner les chances de sur vie. Nous avons le devoir en tant que pr ofessionnels, spécialistes et pratiquants, d’être efficaces. Voici donc quelques pistes pour parfaire cette effi - cacité et donner encor e plus de chances aux victimes d’avalanches. par Pier re DURAND Guide de haute montagne PGHM de l’Isère L

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1er Secours

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avalanche est certainement l’ac-cident type où la rapidité d’inter-vention peut conditionner les luspersonne n’ignore la courbe de

survie de Brugger maintes fois reprisepour sensibiliser sur la nécessité d’êtrerapide et efficace.Si la rapidité dépend souvent de para-mètres que nous ne maîtrisons pasentièrement, comme la localisation dif-ficile, le transport sur les lieux, lamétéoro logie, etc., nous avons ledevoir en tant que professionnels, spé-cial istes et pratiquants, d’êtreefficaces.

Cette efficacité passe par une forma-tion adaptée bien sûr, mais aussi parune pratique et un entraînement régu-liers. Voici donc quelques pistes pourparfaire cette efficaci té et donnerencore plus de chances aux victimesd’avalanches.

> De la loca lisa tion au dégagement

Rappel sur les mesures prélimi-nairesL’arr ivée des sauveteurs sur l’ava-lanche ou l’intervention de monta-gnards présents sur le site ne doit passe traduire par une action précipitée etdésordonnée, e t fa ire oublier lesrègles élémentaires de prudence.Une analyse sereine de la situationcommence par une quête visuelle, unerecherche d’indices et une prise derenseignements et de témoignages.Le ski qui dépasse de la neige à vingtmètres du sauveteur en train de s’ex-citer sur son Arva et qui part, l’œil rivésur sa diode lumineuse, n’est malheu-reusement pas une légende.Ma lucidité initiale m’a donc permis delocaliser rapidement la victime. Je mesens tout proche et sur le point d’abou-

secoursSecours

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Soins aux victimes d’avalanches :

premiers secours

L’avalanche est certainement l’accident type où la rapidité

d’intervention peut conditionner les chances de survie. Nous avons

le devoir en tant que professionnels, spécialistes et pratiquants,

d’être efficaces. Voici donc quelques pistes pour parfaire cette effi-

cacité et donner encore plus de chances aux victimes d’avalanches.par Pier re DURAND

Guide de haute montagne PGHM de l’Isère

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tir. Encore faut-il pouvoir la situer précisé-ment et surtout la dégager ! Le sac est surle dos, la pelle et la sonde sont à la maindès le début de la recherche.

Le dégagementEnfin ma sonde touche au but et il faut creu-ser. Là encore, il faut faire preuve de juge-ment et optimiser les efforts. Bien sûr, laconfiguration du terrain peut m’imposer unetechnique de dégagement. Mais il ne fautpas oublier qu’une victime au fond d’uncône de plus d’un mètre est difficile à gérer.Je préfère un accès latéral, coordonné aucreusement le long de la sonde que j’auraipris soin de laisser en place.

Avantages :

➜ La neige ne retombe pas sur la victimeau fur et à mesure du dégagement.

➜ Les premiers gestes de secours sontplus faciles à exécuter.

➜ Une plateforme se constitue naturelle-ment pour travailler sur la victime.

➜ La tranchée et la cavité de dégagementconstituent souvent un abri efficace pourattendre le médecin.

Le travail sera bien sûr plus facile si aumoins deux personnes creusent.Une fois la jonction faite avec la victime, jecreuse afin de dégager la tête. Cependantune stimulation de la partie découverte peutdéjà renseigner sur l’état de conscience del’enseveli.

> Bilan et premiers gestes

L’observation au dégagement de la tête

En dégageant la tête, attention, une obser-vation minutieuse peut apporter des rensei-gnements majeurs quant à la marche àsuivre médicale (poursuite ou non de laréanimation).➜ La neige forme-t-elle une cavité (souvent

glacée) devant le visage de la victime ?➜ Les orifices naturels (bouche, nez) sont-

ils dégagés ou encombrés de neige ?➜ Quelle est la couleur de la peau (pâle,

bleue).➜ Quelle heure est-il ?Bien se souvenir de ces éléments et lesfournir à l’arrivée du médecin ou des sau-veteurs.

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Dégagement d’une victime ensevelie, son surf sur le dos, et vérificationde la présence d’une cavité buccale.

Les voies aériennes sont dégagées, une réanimation est pratiquée.(Belledonne février 2004 – 2 morts).

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Faire le bilan vitalAprès ces observations importantes,un bilan des fonctions vitales est prati-qué sans attendre le dégagementcomplet. Il s’agit là de la procédureclassique de secourisme conformeaux protocoles enseignés : Conscien-ce / Ventilation / Circulation.Pour vér ifier si la personne estconsciente, je l’appelle, lui demande sielle m’entend et de réagir à un ordresimple « Hé ho ! vous m’entendez ?Ouvrez les yeux ou s errez-moi lamain ». Je lui serre également la mainou lui touche la joue.Si elle ne répond pas, je m’assurequ’elle respire. C’est la chose la plusdélicate à faire car souvent c’est peuvisible (manque d’ampli tude), pasbruyant et d ifficilement détectab le,surtout s’il fait froid, s’il neige, s’il ven-te ou s’il fait nuit. Je conseillerais dene pas perdre de temps et sans réflé-chir d’insuffler deux fois immédiate-ment. Si la personne respirait déjà,elle vous le fera vite savoir (toux, mou-vements d’agitation) !Si elle ne respire pas ou ne réagit pasaux deux insufflations, c’est le déga-gement rapide du thorax (si ce n’estdéjà fait) et l’attaque d’un massagecardiaque. Il est préférable d’avoirdéjà vu ces gestes largement ensei-gnés dans de multiples formations.Si nous sommes plusieurs, parallèle-ment, certains prendront soin de par-faire le dégagement, d’élargir la plate-forme autour de la victime et de luiretirer skis, bâtons, surf, raquettes etautre sac à dos.Si aucun risque de sur-accident n’està craindre, j’évite de déplacer la victi-me et j’améliore l’entrée du trou pourqu’elle bénéficie d’un abri acceptable.

Ouf ! elle respireElle respire mais est inconsciente. Jemaintiens le plus possible l’axe tête-cou-tronc et je la place sur le coté afinqu’elle ne s’étouffe pas en cas devomissement (Posi tion Latérale deSécurité).Je l’isole au mieux du froid (tapis desac, corde, skis, couvertures de sur-vie, vêtements) et la surveille attenti-vement en attendant l ’arrivée dessecours.

Si la victime est consciente, c’estencore mieux. L’important c’est qu’ellele reste. Pour ne pas aggraver sonétat, je ne l’oblige pas à se lever ou àse mouvoir inutilement. Je maintiensle mieux possible l’axe tête-cou-tronc,l’isole du froid et tente de la réchauffer.Il est important de pouvoir l’allonger.Un bilan lésionnel complémentaire estalors fait pour identifier les éventuelsautres traumatismes (plaies, fractures,autres douleurs).La prise du pouls et de la fréquencerespiratoire à intervalles réguliers inté-resseront le médecin à son arrivée.S’il se fait attendre, ces informationspourront être données par radio outéléphone et aideront certainementdans le choix de la stratégie thérapeu-tique.Quel que soit l’état de la victime, jesuspecte tou jours un traumatismegrave (colonne, crâne, hémorragieinterne). J’observe tout comportementparticulier comme l’agitation, l’abatte-ment et l’évolution dans le temps.

L’hypothermieTout blessé en montagne va se refroi-dir, a fortiori s’il est enseveli. Chez unevictime indemne, l’hypothermie vadonner des manifestations de fris-sons, de troubles neurologiques et dela conscience. Chez l’avalanché, tousces signes peuvent être dus égale-ment à d’autres causes.Sur une victime inconsciente, je sus-pecte systématiquement une hypo-thermie grave ou profonde (- de 28°).La priorité est d’empêcher la chute detempérature. Je l’isole alors le mieuxpossible du froid. Je sais qu’il est illu-soire de la réchauffer en dehors dumilieu hospitalier, mais je fais le maxi-mum car, même dégagée, la victimecontinue à se refroidir.

Si la victime est consciente, l’hypo-thermie est généralement moyenneou légère (+ de 30°). Un réchauffe-ment est possible si j’en ai les moyens(locaux chauffés, chaufferettes). Laconsommation de boissons et d’ali-ments chauds est réservée aux vic-times conscientes qui ne pourraientêtre évacuées rapidement (évacuationterrestre par moyens de fortune). L’ob-servation reste de rigueur : pâleur,arrêt des frissonnements, abattementsont des signes d’aggravation de l’hy-pothermie. Je considère que tout ava-lanché est hypotherme et le traitecomme tel. L’existence de blessurespeut aggraver le refroidissement.

> Confronté à plusieursvictimes

Aïe ! C’est le pire des scénarios, sur-tout si je suis seul à pouvoir intervenir.Il n’y a là aucune recette miracle, toutau plus quelques idées et aides à ladécision. Le plus important et qui nousfait le plus défaut dans une situation àfort stress, c’est une bonne dose debon sens.

Analysons une situation type :

Mon Arva capte plusieurs signaux etme conduit rapidement à proximité dupremier enseveli. Le sondage m’in-dique une profondeur min ime (±1mètre). Je creuse, dégage partielle-ment et procède au bilan vital.➜ Il est conscient : je dégage ses

membres supérieurs, le rassure etrecherche la victime suivante.

➜ Il respire mais est inconscient : jedégage son torse et recherche lavictime suivante.

➜ Il ne respire pas et ne réagit pas àmes deux insufflations :❚ quid du massage cardiaque ?

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❚ je continue la réanimation enhypothéquant les chances desurvie des autres ensevelis ?

❚ ou j’abandonne et grève peut-être ses propres chances ? C’estla difficile question !

Une analyse méticuleuse et uneréflexion teintée de bon sens pourronttoutefois m’aider dans mes choix.➜ Je regarde la profondeur d’enseve-

lissement : creuser à plus d’unmètre peut s’avérer long et hypo-théquer les chances de tous lesensevelis (parfois plus de 40 mi-nutes pour sorti r une personneensevelie à 1,50 m).

➜ J’observe l’existence d’une cavitédevant le visage laissant penserque la victime a respiré un certaintemps avant son dégagement.

➜ Je repère le teint livide, les grossesdéformations de l’axe tê te-cou-tronc et éventuellement la présen-ce d ’une mydriase1 b i l a t é r a l e(signe d’asphyxie lors d’ensevelis-sement de courte durée).

De toute façon je dois faire un choix etne pas trop me poser de questions.Les facteurs affecti fs et psycholo-giques se chargeront de me compli-quer la tâche (c’est ma femme, monfrère, mon ami). Dans le cas où desvictimes sont trouvées partiellementdégagées et conscientes, je sais quecelles qui font le plus de bruit ne sontpas forcément les plus urgentes àtraiter.

> Evacuation par desmoyens de fortune

La situation n’est pas désespérée,mais il faut toutefois redescendrenotre victime. Une simple fracture ouentorse du genou peut devenir drama-tique si elle oblige une nuit à la belleétoile par -30° ou en pleine tempête.Heureusement, le sac du profession-nel ou du montagnard averti que jesuis, regorge de cordes, cordelettes,sangles et autres mousquetons, dequoi bricoler un traîneau, un brancardou un cacolet de fortune. Avec un peud’astuce, j’aurai vite fait de confection-ner une attelle, une minerve ou unpansement.

D’ailleurs avant de par tir, j’ai prissoin de rajouter dans mon fond desac :

➜ une attelle préformable (de typeSam® Splint)

➜ une thermos de boisson chaude(en cas d’évacuation longue etpour le reste du groupe)

➜ des couvertures de survie➜ des vêtements de rechange

chauds➜ une veste en duvet➜ gants, bonnet, lunettes : souvent

perdus dans l’avalanche !➜ une pharmacie pour les petits

bobos : traitement des plaies, der-mabrasions, coupures, des bandesde contention (cohéban®), éven-tuel lement un anti-douleur (di -antalvic®) … >>>

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Ornon 2002 : 45 minutes à 1,60 m et…indemne !

Note1. Mydriase : dilatation prolongée et excessive

de la pupille due à l’accommodation de l’œil àl’obscurité et à la distance ou à l’action decertaines drogues.

Ó

Confection d’une minerveavec une attelle Sam® Splint

Traîneau avec skis et sacs.

Attelle avec veste et bâtons.

Exemples

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> Se préparer à l’arrivéedes sauveteurs

Préparation de la victimeJ’ai fait tout ce que j’ai pu pour la pré-server médicalement. Il me reste à lapréparer à sa médicalisation et à sonévacuation. ➜ Je l’habille chaudement et la pré-

pare au souffle de l’hé licoptère(explications, masque). Je fixe soli-dement les vêtements et couver-tures de survie.

➜ J’élargis la plate-forme pour facili-ter le travail des sauveteurs et dumédecin.

➜ J’effectue une dernière prise dupouls et de la fréquence respiratoi-re pour la communiquer aux sauve-teurs dès leur arrivée.

Préparation du reste du groupeLe reste du groupe n’est pas à négli-ger. Certaines personnes peuvent êtrechoquées et seront à prendre en char-ge par les sauveteurs. Je surveille tout

particulièrement les proches (famille)des victimes.➜ Je regroupe personnes et

matériels.➜ Je vei lle à tout ce qui peut

s’envoler.➜ Je fais plier les sondes et coucher

skis et bâtons.

À l’arrivée de l’équipe de secoursA l’approche de l’hélicoptère, je signa-le ma présence (bras en Y, fusée).

Dès l’arrivée des sauveteurs :➜ Je me présente.➜ J’énonce les évènements chrono-

logiquement : nombre et état desvictimes, heure de l’avalanche,durée d’ensevelissement, gestese ffectués, évolution de l’état desanté…

➜ Je propose mes services (mais neles impose pas).

> Réflexions…

Je peux m’étonner d’être mis sur latouche par l’équipe des sauveteurs àleur arrivée. Certes, je suis fatigué,choqué aussi, mais après tout ce queje viens de faire, j’ai du mal à passer lerelais. J’ai un peu un sentiment…presque de culpabilité, surtout de res-ponsabilité.Je me sens responsable des évène-ments, des démarches, des gestesentrepris et des conséquences qui endécoulent.J’ai du mal à comprendre et à accep-ter la lenteur des secours, la froideurdes sauveteurs, cette neutralité dontj’aurais pourtant aimé m’armer lors demon intervention.Je sais pour tant qu’ il faut cetteréflexion, ce recul et ce sang-froidpour gérer le secours avec efficacité,sérieux et rigueur. Il en va de la sau-vegarde de tous, pratiquants etsauveteurs. ❚

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Cacolet avec sac à dos. Cacolet avec cordes.

Descente d’un traîneau de fortune.