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27.62 601438

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 368 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 27.76 ----------------------------------------------------------------------------

Le Pétrin Rose

Pierre Peytavin

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Pierre Peytavin

Le Pétrin Rose

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Ouvrages du même auteur,

aux EDITIONS EDILIVRE

• MESSAOUDA

• AU CARREFOUR DU TRIDENT D’OR

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Prologue

Ecrire pour aligner des ombres… Lire pour les animer « chinoisement ». Longer la frontière de la vérité et du fantastique

en y laissant des lambeaux d’imagination. Ecrire pour rouler des phrases comme une avalanche

d’idées, maîtrisée. Lancer une rumeur comme une vague sur des

brisants d’indifférence.

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J’ai réussi à dévier Toulon et je me rapproche d’Hyères, terme de mon voyage en voiture. Je laisserai ma voiture à la Capte, chez Tardieu puis je dois embarquer au port Saint Pierre pour passer 3 semaines de vacances chez la mère Guérin à l’île du Levant ! Du bonheur en perspective !

Je suis fonctionnaire au ministère de la qualité de la vie : la Q. D. V. et je pars en vacances ! Une seule QDV m’intéresse à l’instant : la mienne ! C’est égoïste, c’est simpliste, c’est laxiste ; allez-y de tous les « istes » : je pars ! Nous sommes le Jeudi 1 juillet 1976.

La circulation est devenue, tout à coup plus fluide. J’enfonce l’accélérateur pour m’approprier la nationale au moins pendant quelques secondes. Le double carburateur de ma R 15 décongestionne ses soupapes qui souffrent de dévirilisation depuis qu’on a limité la vitesse.

Mais tout à coup, sur le bas-côté droit de la route deux déesses, pouces pointés vers la mer surgissent du

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talus, ou semblent tomber d’un pin parasol, réclamant la charité routière. En cette première année de « bison futé » j’eusse peut-être mieux fait de poursuivre ma route mais si la réflexion est humaine l’instinct reste animal et devant ce qui m’apparaît être des anges, la chair devient vite faible et l’esprit aventureux.

Je m’arrête, feux de détresse en action, mais le flot routier qui me suivait perd patience, et actionne des klaxons rageurs. Je garde un calme suffisant pour entendre mon premier concert de cigales de l’année tout en prenant en charge les deux quémandeuses de conducteurs complaisants. N’oublions pas que je me targue d’appartenir à un ministère dont l’appellation ne ronfle peut-être pas à vos oreilles, mais qui dicte aux miennes d’écouter au moins ceux qui en sont réduits à mendier leur trajets sur les routes de France !

Puis nous repartons en tête d’un convoi fébrile et surchauffé. Il ne se passe rien dans l’immédiat parce que j’évite d’harceler mes hôtes de questions importunes. Mais ma langue se tortille pour un brin de causette avec des passagères qui vous feraient pâlir de jalousie…

Pour vous je me présente : Bernard BERNARD ! Cela va vous paraître saugrenu mais mon nom et mon prénom sont les mêmes. Une idée de mon père pour assurer prétendait-il la survie des « BERNARD ». Même si apparemment cela ne saute pas aux yeux j’ajouterai que je suis jeune, dynamique, que j’aime le sport, la danse, la musique, l’aventure, l’imprévu, les

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voyages, et que je suis célibataire : le pack complet de l’homme qui a le minimum pour être heureux mais qui, comme tous les heureux ne sait s’en contenter…

Si le marasme économique n’était pas là pour obnubiler mon esprit, en permanence, j’oserais dire qu’il doit être difficile d’être mieux loti !

Mais je suis brusquement tiré hors de mes rêveries par une voix du genre de celles qui forcèrent Jeanne d’Arc à filer sur Rouen.

– Te voilà compromis jeune homme ! – Comment ? Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ! C’est l’ange blond assis à mes côtés, qui vient de

déposer cette phrase sur mon épaule droite, et sur un ton qui ne me paraît pas des plus naturels la voix poursuit :

– J’ai « bien dit » compromis pour recel de malfaiteurs.

– Mais encore ?! Et instinctivement je me retourne. Et l’ange à

crinière brune assis à l’arrière me colle un truc froid sur la nuque qui pourrait bien être contondant, ou pire, détonant.

Une sorte de stéthoscope, dans lequel j’entends battre mon cœur, enserre soudain mes tempes. Une bouffée de chaleur, qui n’a rien à voir avec la canicule de juillet, me parcourt le corps, et en un clin d’œil, je me remémore tout ce qu’on peut raconter au sujet de l’auto-stop. La voix arrière m’intime l’ordre d’accélérer. J’obéis, ne serait-ce que pour prendre le

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temps de réfléchir. On peut gâcher un congé payé si on ne consacre pas le trajet à cogiter. Voici que l’occasion m’en est donnée.

Ces filles ont dû atteindre la route au moment de mon passage ou alors elles étaient là depuis quelques temps à la recherche de l’automobiliste complaisant, répondant à certains critères bien définis. La bonne poire par exemple… J’ai donc été sélectionné pour l’opération otage. Finissons-en avec la tergiversation. Quand on se targue d’appartenir au ministère de la qualité de la vie, on a l’habitude d’être fustigé par le quolibet. Je ne vais donc pas me laisser embobiner par deux nanas en goguette, qui arrondissent leur fins de mois, en réclamant manu-militari, au petit écureuil de la Caisse d’Epargne de leur donner les plus belles noisettes des coffres-forts.

Voilà où conduit l’égalité des sexes mal interprétée. On veut jouer de la gâchette dans le hall des banques et on vit sur les chaises de sa cuisine parce qu’un jour une souris s’y promenait.

– Racontez-moi ça mesdemoiselles. Puis-je faire quelque chose pour vous ? Je m’appelle Bernard. Je ne veux pas mourir si loin de Paris,

– Docilité c’est longue vie Bernard, C’est ma voisine de droite qui parle, une blonde

aux cheveux longs, aux yeux gris perle, shorts-jeans coupés à la tenaille de maréchal-ferrant, pantoufles de corde. Son chemisier indien est noué sous une poitrine qu’on n’a pas le temps de décrire aujourd’hui,

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mais en d’autres circonstances on aurait pu développer la description.… On s’y attardera plus tard si la conjoncture… Bref ! sa compagne de la banquette arrière est habillée exactement de la même manière, même coiffure, même yeux, mais brune. Deux sœurs ! Des jumelles, pour être précis. Elles ont deux sacs de sport identiques.

Tout en continuant à me rappeler son existence par un massage métallique très appuyé au niveau de la deuxième vertèbre dorsale, la brune reprend la parole :

– Nous avons besoin de toi pour nous ramener à Toulon.

– Vous avez dit « compromis », ça signifie quoi ? – On t’expliquera plus tard… – Il fallait faire du stop dans l’autre sens pour

Toulon ! – On a essayé, puis on t’a vu et… tu vas te

retourner quand on te le dira. – Le plus tôt sera le mieux. Je pars en vacances, je

n’ai vraiment pas le temps de me livrer aux transports armés ! Franchement, en vous prenant à bord je ne pensais pas…

– Tiens, à ce carrefour tu vas te retourner. Mon gros sapiens de cerveau me suggère de

stopper brutalement en travers de la route, de klaxonner à membrane que veux-tu, pour faire coffrer les dianes-chasseresses, la main sur l’arme. Je présume qu’elles n’oseraient pas tirer mais je présume encore

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que leur maîtrise des révolvers n’est peut-être pas à son apogée et cela pourrait générer des blessures !

Et qui pis est, l’objet en métal qui se prend pour un mini marteau-piqueur dans mon dos, m’oblige à réviser mes jugements hâtifs. Une gâchette fatiguée peut trahir un doigt nerveux, et je veux revoir la Tour Eiffel en fin de mois !

Comme prévu je manœuvre pour affronter Toulon. Je m’en veux d’avoir dévié cette ville. L’eussé-je traversée un autre serait à ma place à cette heure-ci certes mais faut-il se vanter d’aimer 1’aventure quand on a peur au volant, entre deux huîtres perlières ? Maintenant la blonde aussi a sorti son écrin à balles, et elle le tient au chaud contre mon ventre. C’est la bombe au cobalt qui va dénouer la ganse formée par mon intestin grêle quand il a dû faire le reportage de l’invasion chylienne au grand côlon transversal.

Je plaisante pour me rassurer côté cerveau mais coté abdomen je suis plus près d’un transit incontrôlé que d’une fanfaronnade maîtrisée !

La circulation est toujours aussi intense dans l’autre sens, mais les galeries des voitures sont moins encombrées.

– Je pouvais très bien vous conduire à Toulon sans ce déploiement d’artillerie. Pouvons-nous au moins écouter la radio ?

J’allonge la main sur un bouton. – Non ! dit la bonde. On n’est pas là pour la

musique, mais pour parler finances…

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Je fais semblant de fermer la radio. En réalité, j’ai mis en marche le magnétophone que j’utilise pour des interviews occasionnels. En effet, au ministère de la qualité de la vie, en première instance nous devons connaître les besoins réels humains. Puisqu’on ne peut pas toujours les déchiffrer dans 1e rictus socio-facial du peuple, nous avons recours au dialogue. Bricoleur par nature, parce que sans le travail manuel l’esprit ne cesse d’élucubrer, j’ai transformé ma R 15 en Watergate ambulant. L’allume-cigare a été remplacé par un micro, discret comme une affaire de mœurs. Habituellement je préviens mes interlocuteurs que je ne travaille pas pour la C. I. A., ou le quai des Orfèvres, mais pour un ministère qui essaie de mieux les comprendre, de mieux les aider, à condition qu’on lui ouvre son cœur. En vérité je vous dirai au passage que la qualité de la vie c’est une opération à cœur ouvert.

Je reprends (et je joue la décontraction pour montrer que je suis le gars courageux qui ne va pas se laisser compter fleurette par deux échantillons de mauvaise graine).

– Je vous assure Mesdemoiselles, que si tous êtes en fuite, vous auriez très bien pu filer, sans me mêler à vos histoires et « gratis pro déo », grâce à votre bonne présentation. Vous ne devez pas lever le pouce longtemps pour affoler les routiers.

– Il n’est pas question de stop aujourd’hui. Nous sommes poursuivies et nous n’avons pas le temps de choisir nos chevaliers-servants.

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– Personne n’a l’air de vous suivre ! – Si ! On te racontera plus tard. – Plus tard ? Je n’ai rien à faire à Toulon. Je dois

m’embarquer demain à Hyères pour un séjour à l’île du Levant.

– Et bien, à ce carrefour, reprend la brune, tu tourneras à droite.

J’obéis. Je n’ai pas le réflexe de lire la pancarte, mais à en juger par le mauvais état du chemin vicinal que nous prenons, nous ne devons plus aller sur Toulon.

– Ce n’est pas notre route, hasardé-je. – T’occupes ! – Je vous préviens que si vous me parlez sur un

ton trop autoritaire vous ne tirerez rien de moi. Je me conduirai comme vous ; comme un homme !

Je reste tout étonné de l’assurance dont j’ai fait preuve, en déballant cette phrase amidonnée, tant il est vrai qu’il y a en nous, des potentiels assoupis, qui n’attendent qu’un déclic pour libérer leur énergie… Je profite de l’instant d’hésitation qui suit, pour allonger ma tirade.

– Ecoutez. Je suis disposé à faire tout ce que vous voudrez mais remisez vos joujoux dans vos sacs à mains. J’ai fait la guerre avant vous et je sais qu’on utilise toujours ces trucs-là à contretemps, ou à mal-escient. Je vous transporte gratuitement sur votre lieu de vacances préféré, et je me retire sur la pointe des pieds. Je ne vous aurais jamais vues !

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– S’il, n’avait été question que de nous faire véhiculer, nous aurions pris le train ou un taxi. Nous avons besoin d’argent. Arrête la bagnole !

– Au milieu d’un sentier ? – Débrouille-toi pour te garer sur le talus. – La R 15 est basse. Je vais toucher. Je ne veux pas

abîmer mon châssis. – Si tu savais comme on s’en tape de ton chassis !

Allez ! Presse ! Les filles sont entrain de s’énerver. A leur

conduite brouillonne je présume qu’elles modifient leur plan toutes les minutes, et sans pouvoir se concerter. Le résultat risque d’être inattendu. Cela peut me perdre ou me sauver. Je cherche à gagner du temps.

– Si vous avez besoin, d’argent je vais vous en donner ou du moins vous dépanner.

– C’est précisément pour cela que nous t’avons dévié de ta route.

– Cela ne m’explique pas pourquoi je suis « compromis ».

Je m’arrête n’importe comment car j’ai tout à coup décidé d’en finir avec cette bêtise qui va gâcher mes vacances.

Je sors mon porte-feuille, et vide le contenu sur le tableau de bord, 650 F.

– Vous en avez assez pour vous barrer en vitesse et surtout pour me laisser tranquille. Pour aujourd’hui Je suis roulé mais.

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– Des menaces ? – On ne tue pas pour une si petite somme, et

quand on n’a pas les moyens de partir aux Canaries, on cherche un emploi de plongeuse dans un restaurant ou à la limite, dans votre cas, on s’adresse à un cabaret pour faire du strip-tease…

Menacé par deux armes tenues par des mains qui tremblent je trouve mes répliques particulièrement audacieuses !

Soudain j’ai coupé court à toute politesse quand j’ai réalisé que je venais d’être stupidement dépouillé de ma monnaie par deux demoiselles que j’aurais installées sur un piédestal si nos destinées s’étaient rencontrées dans un jardin public. Ce qui me rend plus fou de colère encore ce sont ces milliers de cigales qui continuent de zézayer l’inexorable appel de l’été. Cette symphonie en sol bruissant ressemble en fait à une raillerie, et me fait prendre conscience que je ne suis pas le jouet d’une hallucination mais la triste victime du relâchement des mœurs, du progrès du banditisme, de la prolifération des armes, de l’escalade de la violence. Autant de mots que j’ai entendus ailleurs sans trop y prêter attention… Que de si belles filles, (peut-être des femmes) en soient réduites à obtenir les faveurs, mêmes financières, d’un jeune homme, par le langage des armes, dénote franchement le tangage des mœurs et le roulis de la moralité.

Et qu’adviendra-t-il de la qualité de la vie quand

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toutes les valeurs auront sombré, quand la conscience du Bien et du Mal aura été ensevelie sous la grande pierre de l’indifférence générale ? Et je philosophe pour qui, dans cette volière à cigales ?

Au premier abord j’avais vu dans ces deux championnes de 1’auto-stop deux amatrices de hold-up qui ayant raté leur sortie, voulaient me prendre pour otage. C’est tellement connu ce genre d’échappatoire. Insensé raisonnement ! Sottes appréhensions ! les jumelles qui sont sur le point de me déposséder de ma monnaie, donnent plutôt l’impression d’en être à leur premier essai.

– Donne aussi ton carnet de chèques ! dit la brune.

– Et pourquoi pas ma chemise ? Elle s’empare de la clé de contact qu’elle remet à

sa complice. Puis de la main gauche elle fourre les billets dans son sac tandis que la droite tremble, en tenant le pistolet. Ce tremblement me donne des angoisses, et me rassure tout de même. Mais je suis également menacé à l’arrière. C’est vraiment la première fois, où me trouvant enserré entre deux détentrices d’un charme féminin aussi évident, je suis aussi peu préoccupé de la cueillette des roses.

Vivre c’est connaître les moments les plus divers. Celui-ci fait partie de la collection. Si vous ne l’avez vu qu’au cinéma votre masochisme profond aura des carences qui se traduiront par des refoulements dont on ne saurait prévoir les manifestations.

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Quant à moi je vais modifier certains concepts dès qu’on m’aura lâché vivant de ce piège à souris. Si je meurs… Fait divers parmi tant d’autres. Mais non. Je ne vais pas mourir là ! C’est sur !

Suis-je bête ! Et le service militaire ça sert à quoi ? J’ai appris l’esquive salvatrice… Non, elles n’oseront pas tirer ! Elles cherchent de l’argent, c’est tout ! Je ne vais tout de mène pas me laisser dépouiller ! Et ce pensant, ma main gauche ouvre la portière, et je plonge, comme un légionnaire à l’entraînement, dans les premières broussailles en vue. Un coup de feu claque mais après trois ou quatre secondes qui m’ont donné le temps de me mettre à couvert.

– Bernard ! écoute ! On va s’arranger ! Dans la vie, c’est un conseil, il faut souvent

s’arranger avec soi-même, avant de participer à l’organisation que nous propose autrui. Je ne dois mon salut qu’à ma rapidité d’exécution, laquelle a dû provoquer la seconde de stupeur qui m’a mis hors d’atteinte des gâchettes. Et saurai-je un jour qui de la blonde ou de la brune a osé tirer sur un fonctionnaire ! Je ne prends pas le temps de me retourner pour dire adieu à ma belle limousine orange des jours heureux ; je fonce tête baissée dans les épineux. Mon pantalon y perd quelques lambeaux de dignité, et ma chemise y laisse la légion d’honneur, mais je me retrouve sain et sauf, à cinquante mètres du front. J’écoute. C’est comme si on avait enfermé mon cœur dans une camisole de force. Il se débat à

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grands coups d’oreillettes. Quant aux cigales… « Et bien elles dansent maintenant » ! Finalement je n’ai pas remis mon carnet de chèque à la blonde, avant de m’envoler dans le décor. Je le tiens toujours dans la main droite. Et bien que la situation ne m’incline pas au lyrisme, je suis tout haletant en respirant le thym, la sariette, la lavande et autres romarins que j’ai foulés dans ma fuite. Tout cela me remet en mémoire que les vacances commencent, qu’elles éclatent, qu’il faut en profiter au maximum… Mon Dieu que j’en profite !.

Comme il ne se passe rien pendant vingt-huit décennies, je sors de mes ronciers pour inspecter les environs. Comme un voleur de poules, je me rapproche de la R. 15. Les filles sont toujours là… La brune rédige ses mémoires sur une feuille de carnet. Je ne signale pas ma présence. Quelque chose me dit que mes ex-conquêtes n’ont pas le permis de conduire et qu’elles laissent un message ou un billet d’excuses avant de rejoindre Cythère. Je ne signale pas ma présence, trop intrigué par le comportement des jumelles. Cinq minutes passent. On entend vrombir des moteurs sur une route lointaine. Les deux sœurs ont repris leur sac puis elles claquent les portières, et s’éloignent. Comme elles n’ont plus leurs revolvers en service, mes esprits rejoignent leurs pénates. J’ai un autre jeu de clés tenu par une fixation spéciale à aimant, caché le long du châssis, sous la voiture.

A la QDV on n’est pas des « sans cervelle » ! du moins en apparence.

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Je me précipite, dès que les filles abordent le premier détour du chemin, mais la brune se retourne, m’aperçoit et avant que toutes les deux ne détalent comme des gazelles poursuivies elle me lance :

– Nous étions sûres que tu allais revenir. On t’a laissé un mot. A demain !

Assez flirté pour aujourd’hui ! Je les laisse filer, trop heureux de retrouver ma belle R 15 neuve de série, de la Régie Renault. Ne m’ont-elles pas crié : « A demain ! » ? Cela signifie quoi ?

La clé de contact dérobée est enfoncée à sa place sur le contact. Dans le vide du compte-tours j’aperçois cinq cents francs. La carte de visite est ainsi libellée :

– « Merci pour les 150 F ! On te les rendra demain à 9h à la terrasse du Bar “Le Grillon” au port Saint-Pierre, à Hyères. »

Signé : Natacha et Alexandra. Qu’en pensez-vous ? Tout cela ne nous dit pas

laquelle est la brune ou la blonde mais vous a-t-on fixé des rendez-vous aussi canailles ? En connaissez-vous des délinquantes de cet acabit, qui, en fuite vous fixe un rendez-vous pareil ? Vraiment je suis bien tombé ! Et maintenant je ne me préoccupe même pas de savoir comment elle vont rejoindre Toulon ! Une autre « poire » va prendre le relai, et demain on se retrouvera tous au « Grillon ». Comment vais-je dormir la nuit prochaine dans l’alléchante perspective de revoir ces deux diablesses ? J’aime 1’érotisme quand il vous élève à ce degré d’excitation, quand on