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50 ans de management des organisations Par Luc Boyer - Novembre 2005 NDLR : A l’occasion de la sortie de son livre Nota bene, 50 ans de management des organisations (Ed. d’Organisation), Luc Boyer nous a autorisé à reproduire ici quelques extraits du premier chapitre de son texte passionnant, intitulé «les leçons de l’histoire». Comme il l’écrit lui-même : «L’analyse historique des méthodes d’organisation et de management permet de prendre conscience du fait que les rapports d’autorité et la forme des structures mises en place diffèrent selon le contexte plus ou moins complexe dans lequel ils s’établissent. Toutes choses égales par ailleurs, ce contexte permet souvent d’expliquer pourquoi et comment les différents systèmes ont pu résister ou ont échoué.» Nous présenterons ainsi une succession de 7 articles : 1. L’antiquité 2. Les modèles romains et grecs 3. L’organisation et le management au Moyen Âge 4. L’organisation et le management à la période moderne (évolution générale) 5. L’organisation et le management à la période moderne (le modèle vénitien) 6. L’organisation et le management à la période moderne (le modèle français) 7. Les leçons de l’histoire en matière d’organisation L’antiquité Pendant la longue période de l’Antiquité, l’agriculture resta prédominante : si l’industrie existe, elle est limitée à trois produits principaux : les outils, les vêtements et la poterie. Il n’existe aucune force motrice hors celle de l’homme employée en abondance et à bas prix. Les mines et les grands chantiers relèvent d’entreprises d’Etat. En Egypte, l’influence des crues du Nil a favorisé très tôt l’émergence d’une organisation et d’une réglementation pointilleuse permettant la gestion des terres cultivables et l’allocation de l’eau nécessaire. L’un des traits fondamentaux de cette civilisation était l’absolutisme 1

50 Ans de Management Des Organisations

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Un bref descriptif de l'évolution du management

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50 ans de management des organisations (1)

50 ans de management des organisationsPar Luc Boyer - Novembre 2005NDLR : A loccasion de la sortie de son livre Nota bene, 50 ans de management des organisations (Ed. dOrganisation), Luc Boyer nous a autoris reproduire ici quelques extraits du premier chapitre de son texte passionnant, intitul les leons de lhistoire.

Comme il lcrit lui-mme : Lanalyse historique des mthodes dorganisation et de management permet de prendre conscience du fait que les rapports dautorit et la forme des structures mises en place diffrent selon le contexte plus ou moins complexe dans lequel ils stablissent. Toutes choses gales par ailleurs, ce contexte permet souvent dexpliquer pourquoi et comment les diffrents systmes ont pu rsister ou ont chou.

Nous prsenterons ainsi une succession de 7 articles :

1. Lantiquit

2. Les modles romains et grecs

3. Lorganisation et le management au Moyen ge

4. Lorganisation et le management la priode moderne (volution gnrale)

5. Lorganisation et le management la priode moderne (le modle vnitien)

6. Lorganisation et le management la priode moderne (le modle franais)

7. Les leons de lhistoire en matire dorganisationLantiquitPendant la longue priode de lAntiquit, lagriculture resta prdominante : si lindustrie existe, elle est limite trois produits principaux : les outils, les vtements et la poterie. Il nexiste aucune force motrice hors celle de lhomme employe en abondance et bas prix. Les mines et les grands chantiers relvent dentreprises dEtat.

En Egypte, linfluence des crues du Nil a favoris trs tt lmergence dune organisation et dune rglementation pointilleuse permettant la gestion des terres cultivables et lallocation de leau ncessaire. Lun des traits fondamentaux de cette civilisation tait labsolutisme tatique : le pharaon (et son administration) tait le fondement du systme, avec une lgitimit la fois religieuse, politique et conomique.

Ladministration grait le territoire et les gouverneurs des nmes (les districts), fonctionnaires la fois judiciaires et administratifs, dfendaient les intrts du pouvoir central. Depuis lpoque la plus ancienne, ladministration a toujours t fortement centralise et hirarchise.

Ce schma sera boulevers, pendant le Nouvel Empire qui remplacera les gouverneurs et la vieille noblesse fut remplace par un corps de fonctionnaires royaux. Une importante arme royale sera mise sur pied et son dveloppement sera lorigine dune ingrence de plus en plus vive dans les affaires de lEtat. Le clerg suivra la mme volution.

Une des toutes premires coles dadministration pour les fonctionnaires sera cre avec, comme programme, lapprentissage de lcriture, des principes et des lois rgissant la nation. Tout fonctionnaire devait avoir t lve de cette cole dans laquelle il apprenait notamment, quen Egypte, tout devait tre justifi par un crit pour avoir une valeur lgale ou officielle.

Lensemble des moyens de production tait la proprit de lEtat : si la proprit individuelle ntait pas inconnue, la terre tait au pharaon. A certaines poques, le roi tait, de plus, propritaire de tous les mtiers. Chacune des administrations possdait ses propres artisans et ses propres ouvriers, rpartis en quipes la tte desquelles se trouvait un chef. Ce principe de forte hirarchisation se traduisait par la production priodique dinventaires, de cadastres, de dclarations et de recensements mettant en vidence une gestion financire labore (comme on peut en juger en lisant les tablettes funraires retrouves). Il en allait de mme de la gestion des terres du clerg.

LEgypte antique a eu un rle majeur dans llaboration de la pense managriale dans la mesure o elle a illustr, pour la premire fois (ds 3000 ans avant J.-C.), la trilogie planification/organisation/contrle) dans une dfinition de fonction qui a fait la preuve de son efficacit dans les grands travaux.

On a pu observer, par ailleurs, que, deux mille ans avant J.-C., le roi Hammourabi faisait mention de la notion de salaire minimum. Le concept de responsabilit/culpabilit tait la rgle - ainsi, par exemple, on coupait la main du chirurgien maladroit -. Sous le rgne de Nabuchodonosor, on utilisait des techniques de contrle de la production en change de salaires variables et stimulants.Les modles romain et grecLa premire royaut romaine fut construite sur les restes de LEtrurie qui avait dvelopp une conomie pastorale o les entreprises domestiques regroupaient, autour du pre de famille, sa femme, ses enfants et quelques esclaves.

Lexpansion conomique et militaire de Rome a totalement modifi le schma ancien de rpartition des terres. Au dpart, les nouvelles terres conquises taient distribues aux vtrans, sous forme de colonies (du latin colere, cultiver), ce qui rpondait la fois des objectifs stratgiques et des intrts alimentaires. Mais, rapidement, la concentration des proprits (en raison dune distribution non quitable), leur mode dexploitation par une main doeuvre servile obtenue bas prix et la ruine des petits propritaires ont favoris le dveloppement de latifundiae (vastes proprits) qui deviendront lun des traits caractristiques de la civilisation romaine.

Souvent, les Romains vainqueurs se livrrent une exploitation brutale des vaincus. Limmense patrimoine immobilier pris sur lennemi devenait ager publicus, proprit de lEtat. Celui-ci conservait gnralement les entreprises valeur stratgique (les mines par exemple) et les faisait exploiter en rgie directe par des esclaves. Les terres de culture taient divises selon deux modes de production :

les unes, les moins nombreuses, taient donnes, en pleine proprit, titre individuel ou titre de colonie des Romains ;

les autres, taient donn en bail (contre redevances) ceux qui taient, le plus souvent, les anciens propritaires du sol.

La conqute militaire a ainsi totalement transform leur condition juridique de libert en dpendance. Bien plus, Rome imposait parfois aux pays conquis une rglementation conomique son profit exclusif : par exemple, en Gaule narbonnaise, elle a longtemps interdit la culture de la vigne et de lolivier pour protger la production romaine.

Ces schmas furent rompus quand lempereur concentra tous les pouvoirs entre ses mains, avec pour souci principal de trouver les moyens de grer efficacement limmense empire quil cherchait constituer. Sa puissance militaire tait renforce par une puissante organisation administrative. En raison de limportance des communications, des corps spciaux tels que le service de la poste impriale furent crs. Lessor industriel reste le fait le moins remarquable de cette civilisation. Mme sils furent rels, les progrs techniques restrent faibles car on prfrait employer des esclaves plutt que davoir recours des innovations. Quand une exploitation industrielle existe, elle est surtout de type artisanal et fabrique des produits de bas de gamme destins lexportation.

Deux sicles de pax romana en Gaule neurent pas pour consquence de crer la concentration agricole quon aurait pu imaginer : le nombre des hameaux se dveloppe plus que celui des villas-villages, un proltariat intrieur se constitue avec les paysans la campagne et les esclaves dans les villes. Un systme de type fodal se met dj en place, dissolvant politique pour certains, usurpation de pouvoir pour dautres.

On dispose pour suivre lvolution de cette poque de nombreux tmoignages dauteurs qui, parfois entrent dans le dtail de la gestion. Ainsi Caton (200 ans avant J.-C.) dcrit avec prcision les fonctions dagent de matrise. En Grce, Xnophon, lun des lves prfrs de Socrate, crit LAnabase qui, en racontant la campagne de Cyrus contre Artaxercs et la retraite des Dix Mille (400 ans avant J.-C.) donne de prcieuses indications sur lorganisation dune arme en campagne et sur les diffrents modes de commandement parfois dmocratiques- appliqus dans larme grecque. De mme, dans les Dits mmorables de Socrate, il voque le management dans un dialogue entre Socrate et Nicomarque pour y voir une dmarche spcifique, irrductible tout autre savoir. sa Rpublique, Platon trace les premires dune science conomique et pose la spcialisation comme source du rendement.

Lorganisation et le management au Moyen geOn peut considrer que la notion dEtat est absente pendant la priode allant du V au X sicle. Lordre romain tant dtruit, un nouvel ordre parvint stablir en cinq sicles : lun spirituel, la foi chrtienne, lautre temporel, la fodalit fonde sur la puissance de lhomme de guerre. Le systme mis en place consacrait limportance des relations humaines.

Lexploitation du sol - le modle domanial - a marqu toute la premire partie du Moyen ge. Il semble tre le rsultat de problmes dexploitation poss au matre par un esclavage en droute et des possessions disperses. On observera plusieurs solutions, notamment en Gaule du Nord. Stabilis, le systme durera quatre sicles. Lide, assez rpandue, danarchie fodale est sans doute fort exagre. Lautorit, dans ces espces de principauts, tait dautant plus relle et efficace quelle correspondait aux structures sociales, techniques et mentales de lpoque. Bien quon puisse se reprsenter cette priode comme un ensemble dentits socio-conomiques produisant, avant tout, les denres ncessaires leurs propres besoins, le fodalisme na pas empch les changes commerciaux. Lpoque en a connu de trs importants.

Ds le XII sicle, lEurope Occidentale tait parvenue au stade de la consommation indirecte et ce, pour deux raisons :

dune part, grce lamlioration des conditions de production agricole et lextension des zones cultives qui craient des surplus en nature qui, pour tre rentables, devaient tre vendus ;

dautre part, du fait du dveloppement concomitant des villes qui abritaient les artisans prts acheter ces denres.

Une nouvelle classe de marchands se formait ainsi ayant principalement deux origines. Ce pouvait tre des agents du seigneur (ou ses paysans) qui reprsentaient ses intrts ou qui sinstallaient leur propre compte et les agents des commerants spcialiss. Au fur et mesure que les villes grandissaient, elles offraient aux paysans une possibilit nouvelle demploi, mme prcaire, tout en contribuant une modification importante des rapports au sein des domaines seigneuriaux : les villes, fortes de leur importance et de leur nouveau rle conomique, eurent vite assez de puissance pour se doter dune organisation particulire : les communes ou les franchises.

Lorganisation comme les rapports entre les diffrentes parties prenantes du rgime fodal ont, paradoxalement, des rsonances trs modernes, une poque o des formes trs varies de maillage, dartisanat plus ou moins intgr lentreprise se dveloppent.

Lorganisation et le management la priode moderne1. Une volution gnraleLe XV sicle est marqu par larrive au pouvoir de Louis XI en France, dIsabelle de Castille en Espagne et de Henri VII en Angleterre qui, tous, rtabliront lordre intrieur. Cette convergence de larrive dun pouvoir central fort nest pas due au hasard. Des innovations de la plus haute importance modifient profondment les rapports entre individus et pouvoir central, donnant celui-ci la possibilit , la ncessit dagir comme entrepreneur, rgulateur, mdiateur. Il en fut ainsi pour la gnralisation de limprimerie(dont on ne dira jamais assez limportance), les modifications de la forme des bateaux (les caravelles) et les instruments de navigation (astrolabe), les armes feu bien utiles pour favoriser le commerce LEtat, cest dsormais un roi dont la lgitimit est de nouveau forte, une bureaucratie charge de la gestion du royaume et, enfin, divers corps consultatifs que le pouvoir met en place pour tre assist dans ltablissement et lapplication de la lgislation fiscale. Le nouveau systme est fond sur un mcanisme de march international fonctionnant avec laide de lEtat sans que ce dernier en ait vritablement le contrle.

Trois conditions ont t ncessaires cette volution :

un agrandissement du monde gographique concern ;

la mise au point de mthodes de travail et de contrle de ce travail, diffrentes selon les types de production et les rgions ;

la mise en place dappareils tatiques puissants.

Le Portugal a jou un rle pionnier dans cette volution Cest le dveloppement urbain qui permettra les premires manifestations du capitalisme, en premier lieu sous une forme commerciale. On les voit apparatre essentiellement dans deux rgions conomiquement favorises : les Flandres et lItalie du Nord. Le commerce maritime avec lOrient a dot les rpubliques italiennes dune grande masse de capitaux et les Pays-Bas ont t lun des principaux entrepts entre lorient et lEurope du Nord.

Lorganisation nouvelle, qui annoncera plus tard la grande industrie, est de type industrie domestique caractrise par limportance des corps de mtiers et la parcellisation des units de production. Les artisans, surtout dans les mtiers de lalimentation, du btiment et du vtement disposent eux-mmes de leurs moyens de production ; ils travaillent seuls ou avec un ou deux compagnons et vendent directement. Le rgime corporatif - lorganisation des communauts de mtier - tend maintenir lartisan dans une situation assez humble, en sopposant la concurrence, en limitant le nombre dapprentis et en assurant tous la main-doeuvre mais en quantit limite.

Dans limmense majorit des villes, les corporations ont maintenu le rgime de la petite industrie. Cest seulement dans les corporations marchandes quune diffrenciation sest produite entre les matres et que linvestissement a pu crotre. Cest en tout cas dans ce contexte de structuration des mtiers que vont, petit petit, se dvelopper les premires industries. Pourtant, sil existe quelques entreprises que lon pourrait qualifier de prive, elles sont largement soumises au contrle et la rglementation tatique.

Le plus curieux est que, pendant cette priode dinitialisation, lidologie dominante ntait pas celle de la libre entreprise ou de lindividualit mais celle de ltatisme ou de la raison dEtat. Except peut-tre aux Pays-Bas (les Provinces Unies), cette omniprsence de lEtat intervient selon deux schmas tout fait diffrents :

soit, il sagit de protger les commerants et les producteurs et de crer des conditions favorables leur dveloppement ;

soit, il sagit, de faon rsolue et autoritaire de crer une industrie.

Ces deux schmas simplifis peuvent tre ceux quont connu respectivement les villes italiennes et la France de Colbert. Cependant, au-del de ces diffrences, lexigence dune production de plus grande masse et le recours un salariat important mais vari quant son statut, ncessitent pour lItalie comme pour la France la mise en place dune organisation et dune gestion des hommes complexes.

2. Le modle vnitienVenise avait bti sa renomme sur son commerce avec lOrient dont elle avait le quasi-monopole. Ce commerce seffectuait par voie maritime. Trs rapidement les marchands dcidrent de construire leurs propres navires, en plus dtre armateurs. Pendant quelques cent cinquante ans, la construction navale fut lapanage des matres artisans aids de leurs compagnons. Mais cette forme plutt inefficace (manque de capitaux, incapacit suivre le rythme de la demande) na rapidement plus rpondu aux exigences des marchands. Aprs tre intervenu en donnant des aides aux constructeurs, lEtat est devenu lui-mme producteur en crant lArsenal qui compta rapidement 2 000 ouvriers.

Lorganisation tait assez souple mais semblait suffisante. Des agents de lEtat avaient pour tche de transmettre les ordres du Snat lArsenal. Le Snat avait mme cr des commissions consultatives pour rsoudre certains problmes dimportance. Elles avaient une mission de type stratgique. La gestion tait assure par des conseillers politiques. Le processus de production tait divis en trois dpartements :

le premier avait la charge de la construction de linfrastructure du navire ;

e second, la mise en place des planches sur cette infrastructure ;

le troisime, la finition.

Dans les deux premiers travaillaient des matres artisans, encadrs dans une forte organisation corporative. La puissance de cette dernire faisait que, dune part, le Snat leur avait maintenu certains privilges lis leur mtier (par exemple, le droit de garder les retailles de bois pour leur usage personnel), et, dautre part, que ces artisans profitaient de leur corporation pour tenter de travailler moins durement. Il en rsultait une discipline assez relche. Les contrematres et les superviseurs que le Snat avait essay de mettre en place taient mal accepts, les artisans ne reconnaissant que la comptence technique. Les essais de standardisation des tches furent peu nombreux. Il est intressant de constater que cest dans le troisime dpartement, celui o les artisans taient les moins nombreux, que lorganisation tait la plus structure. Le problme de la gestion comptable sest trs vite pos. Curieusement, pour ce concerne les stocks de bois, essentiels pour une telle industrie, le laisser-aller tait la rgle. En revanche, le systme comptable, au sens strict, tait trs dvelopp : un italien du nom de Pacioli an avait tabli les grands principes.

Pendant la mme priode, ds le XV sicle, en Italie du Nord, les familles marchandes avaient recours des manufactures dissmines dans les provinces (F. Braudel, 1984), tout comme Benetton cinq sicles plus tard. Au XVI sicle, lorsque les cots de la main-doeuvre locale devinrent trop levs, les familles firent appel de la main doeuvre trangre venant de Grce, de Chypre et de Dalmatie, voire des Flandres et dAngleterre o la main doeuvre tait meilleur march et la rglementation plus souple.

Les chantiers navals de Venise reprsentaient le plus grand ensemble industriel du monde cette poque. Ils savaient distinguer les cots (fixes, variables, extraordinaires), tenir une comptabilit matires et financire et des inventaires. La productivit reposait sur la spcialisation. A peu prs la mme poque, lors dune guerre contre lAngleterre, les chantiers navals hollandais pouvaient produire un vaisseau par jour, si on leur donnait trois mois pour sorganiser, ce qui nest pas sans rappeler la performance des chantiers Kaiser qui lanaient un liberty ship en cinq jour pendant la Seconde Guerre Mondiale.

3. Le modle franaisSous Colbert (entre 1660 et 1690), lintervention de lEtat dans les affaires conomiques tait justifie par la volont de crer une industrie en France. Colbert tait persuad que seul lEtat tait capable de rtablir la grande industrie. Les particuliers ntant pas en mesure davancer les capitaux ncessaires la cration des manufactures, ltat devait sen charger. Par le jeu des concessions de monopoles de fabrication, il se donnait les raisons dintervenir, en particulier par voie rglementaire, pour lever toute incertitude quant aux approvisionnements et aux dbouchs. De leur ct, les ouvriers devait se soumettre des codes de conduite prcis. Colbert avait mis au point un systme de contrle de leur application. Au sommet de la pyramide se trouvait le surintendant gnral, cest--dire le ministre lui-mme. Il nommait les inspecteurs qui avaient pour mission de veiller au travail dans les manufactures et de surveiller les gardes et jurs chargs de faire appliquer les rglements par les municipalits o taient situes les fabriques. Les intendants devaient rgler les conflits entre inspecteurs et gardes et renseigner le pouvoir sur ltat des manufactures. Tout tait prvu et planifi par des rglements trop nombreux pour permettre une quelconque initiative personnelle en cas de problme. Il fallait, si un problme se posait, remonter au niveau le plus haut de la hirarchie (celui de Colbert) qui rcrivait le rglement pour tenir compte de la nouvelle situation. Ce systme, trs lourd, freinait toute volution.

Lobjectif du producteur ntait pas la production faible cot mais celle de trs haute qualit. Les ouvriers taient surtout des artisans, pays cher et qui lemploi tait presque garanti vie. Ce nouveau mode de production, mal admis par les matres artisans travaillant en usine -lieu clos auquel ils ntaient pas habitus et soumis un contrle strict- na pas facilit les relations sociales de sorte que de nombreuses grves clatrent. Le systme seffondra assez rapidement sans que lon sache trop si la cause de la chute tait la surprotection de lEtat, le manque de dynamisme des producteurs ou lindiscipline des ouvriers. A la mme poque, lorganisation de La Ferme gnrale par Sully et Colbert pour collecter les impts avec efficacit peut tre considre comme un exemple dont on peut noter la modernit. Trs centralises, strictement stratifies, les administrations des impts indirects de lAncien Rgime correspondent tout fait ce que M. Crozier appellera le modle bureaucratique franais. Elles ne sont pas pour autant exemptes de critiques : elles souffraient de nombreux dfauts du fait du manque de coordination et des cloisonnements qui existaient entre chaque dpartement qui avait la charge dun impt particulier, et qui, par l mme, pouvait devenir indpendant de la politique de la Ferme gnrale.

Dans un autre domaine, celui des fortifications et des grands travaux, il est intressant de rappeler, quau XVIII sicle, Vauban recommande de clarifier la raison dtre dun projet, de procder un diagnostic de la situation, dlaborer des plans daction, de budgter partir des crdits allous, dexcuter et de contrler : du Fayol avant lheure. Il conseille de rmunrer les ouvriers non au temps mais daprs le volume de terre enleve et la nature du terrain1.

En France toujours, Jacques Savary publie en 1675 le parfait ngociant qui indique celui qui investit dans les usines de production trois stratgies possibles :

soit, se lancer dans une production courante ;

soit inviter une fabrication trangre ;

soit crer un produit nouveau.

Il dcrit les emplois et identifie les comptences associes en notant que lvolution des moeurs cre beaucoup de soucis au manager : Les apprentis devraient aussi suivre la bonne et ancienne coutume daller les dimanches la messe de paroisse avec leurs matres. Cela se pratiquait par tous les ngociants il ny a pas encore 30 ans ; mais la plupart des matres daujourdhui se sont relchs, parce que la plupart sont aussi libertins que leurs apprentis, aussi ne faut-il pas stonner des dsordres qui arrivent journellement dans le commerce2.

Colbert sinspira de la visite de Henri III aux arsenaux de Venise en 1574 pour monter une formidable opration de propagande. Larsenal de Toulon devait construire un vaisseau en sept heures, do une trs remarquable organisation avec des notes de management, une mesure des temps, des modes opratoires et des description de postes.

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1 Colonel Rochas dAiglun, Vauban, Ses oisivets, Berger-Levrault, 19102 J. Savary, Le parfait ngociant, 1675Les leons de lhistoire en matire dorganisationLanalyse historique des mthodes dorganisation et de management permet de prendre conscience du fait que les rapports dautorit et la forme des structures mises en place diffrent selon le contexte plus ou moins complexe dans lequel ils stablissent.

Toutes choses gales par ailleurs, ce contexte permet souvent dexpliquer pourquoi et comment les diffrents systmes ont pu rsister ou ont chou. Une organisation se maintient quand un systme de valeurs et didentification des relations sociales est clairement identifi. Le chef se donne des titres et sa nomination, ou son investiture, sont entoures dun crmonial qui permet de lidentifier comme tel : Napolon se fit nommer empereur en mmoire de Csar et de Charlemagne.

La priode fodale a pris fin, en tant que principe social, quand les ncessits de la guerre ont impos une rforme de la tactique et de larmement. Les paysans furent regroups en milices et encadrs par des gnraux que le roi ou lempereur nommait en personne : cest cette centralisation de la force arme qui a permis laffirmation de la notion dEtat.

Llment moteur du dveloppement conomique qua reprsent la bourgeoise en Occident tait, en Chine, presque entirement consacr la dfense et au maintien de traditions et de valeurs ancestrales.

Lvolution de la science de lorganisation et du management montre combien les mthodes de gestion, pour labores quelles soient, deviennent peu satisfaisantes lorsquelles nintgrent pas le nouveau contexte. Dj, Sun Tzu insistait sur la ncessit, pour le guerrier, de sadapter aux facteurs dterminants de lenvironnement.

A NOTRE AVISLapproche historique de lorganisation met en vidence quelques caractristiques communes aux diffrentes poques et aux groupes voqus, comme par exemple :

la spcialisation qui procure lefficacit ;

lexistence dun chef, dun leader organisant le groupe ;

la ncessit davoir une vision ou une mission pour sceller le groupe ;

le rle, ou la ncessit, dun Etat pour engager de grands travaux, avec des modalits dintervention fort diffrentes selon le contexte, avec souvent des drives bureaucratiques - ltat se prenant en quelque sorte au jeu, diminuant de ce fait linitiative individuelle ;

Les changements organisationnels et politiques forts ont toujours t provoqus par des ruptures, entranes par des innovations qui ncessitent gnralement la mise en place et lintervention dun pouvoir fort. Ce pouvoir central a trs vite pris deux formes diffrentes : soit lEtat prenait directement en compte lapplication des innovations (les grandes fabriques de Colbert), soit il considrait que son rle devait de limiter faciliter la dynamique des entrepreneurs privs (globalement, lapproche anglo-saxonne). Beaucoup ont vu derrire ces orientations fort diffrentes et qui allaient marquer pour longtemps les politiques conomiques et sociales des tats une diffrence dorigine religieuse (Max Weber) entre les catholiques et les tenants de la rforme.De la rvolution industrielle nos jours, il est dun grand intrt de constater combien ces caractristiques conservent, au-del des chocs technologiques, leur permanence.

Histoire du Management

Le verbe manager vient de l'italien maneggiare (contrler), influenc par le mot franais mange (faire tourner un cheval dans un mange). A cette notion il faut aussi ajouter la notion de "mnage" (grer les affaires du mnage), qui consiste grer des ressources humaines et des moyens financiers (le majordome "chef de la maison" avait en charge de grer les quipes, ainsi que les moyens comme les stocks des produits alimentaires). Il faut galement ajouter aux origines du mot management la notion de mnagement, car on ne peut rellement manager les quipes et les ressources, que si on sait les mnager (qui veut voyager loin, mnage sa monture).Pour conclure sur l'origine du mot management, il semble intressant de se souvenir que le "a" en anglais peut se prononcer "a" ou "". De fait si l'on remplace les a du mot manager par des "" on retrouve deux mots bien franais : 1er cas m(a)nager (rfrence au mnage et au mnagement), 2me cas man(a)ger (rfrence au mange). Le terme anglais management retrouve donc grce cette lecture ses origines franaises. En France, ce vocable voque l'volution d'une approche uniquement oriente cot vers une approche plus globalisante oriente aussi synergie et rentabilit. Bien que le terme anglais management ait t adopt par l'Acadmie franaise avec une prononciation francise, l'Office qubcois de la langue franaise ne recommande pas l'emploi de cet emprunt intgral l'anglais qui n'ajoute rien de plus que les termes gestion et administration.

Le management est une discipline relativement rcente. Au XIXe sicle, on ne voulait plus payer des ouvriers pour leur polyvalence, mais plutt uniquement pour ce qu'ils savaient faire de mieux. Vers la fin du XIXe sicle, Frederick Taylor propose le concept dorganisation scientifique du travail. Celui-ci repose sur la dcomposition du travail en gestes lmentaires chronomtrs et organiss rationnellement pour former une chane de production. Paralllement, Henri Fayol propose une approche similaire, avec un mme souci de prcision et de rationalit, l'administration et l'organisation bureaucratique. On parle alors d'administration moderne, qui fut alors et est toujours aujourd'hui la base de tout manuel de gestion. Il amne les concepts de systmatisation du travail du dirigeant, de la prvision jusqu'au contrle en passant par la dcision. On reconnait alors les principes de gestion : prvoir, organiser, commander, coordonner et contrler. Aujourd'hui, on reconnait plutt ces termes sous le PODC: Planifier, Organiser, Diriger et Contrler (Roue de Deming).

C'est au dbut du XXe sicle que Max Weber intervient dans la dfinition du management. Ses ides des sciences de gestion apparaissent en France vers la fin des annes 1970, dbut des annes 1980. Elles regroupent notamment la gestion des ressources humaines, la stratgie d'entreprise, la finance ou le marketing. Elles combinent des approches la fois dductives ( partir de postulats thoriques que l'on teste, on produit des outils de gestion et on modifie la thorie) et inductives ( partir d'une observation de la ralit managriale, on tente de comprendre les dysfonctionnements d'une organisation par exemple). Elle produit donc ce que certains auteurs appellent une connaissance technoscientifique.PAGE 11