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amiante sida maladie des taudis santé publique accidents du travail égalité de traitement Charte sociale européen convention de l'OIT régularité de séjour aide médicale État solidarité CMU saturnisme groupe d’information et de soutien des immigrés Accès aux soins des étrangers : entre discriminations et inégalités Actes de la journée du 15 octobre 2003 les journées d’études gisti, cancers professionnels présomption de fraude Discriminations indirectes APS pour soins

Accès au soins des étrangers : entre discriminations

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santé publique

accidents du travail

égalité de traitement

Charte sociale européen

convention de l'OIT

régularité de séjour

aide médicale État

solidarité

CMU

saturnismegroupe

d’informationet de soutiendes immigrés

Accès aux soins des étrangers :entre discriminations et inégalités

Actes de la journée du 15 octobre 2003

les journéesd’études

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cancers professionnels

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Discriminations indirectes

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Journée d’étude du 15 octobre 2003

Accès aux soins des étrangers :entre discriminations et inégalités

Propos introductifs 3Nathalie Ferré, présidente du Gisti

La lente restriction des droits jusqu’aux réformes CMU/AME 6Adeline Toullier, juriste

Les derniers mauvais coups du gouvernement 11Noëlle Lasne, médecin

Les textes internationaux, une protection trop méconnue 15Isabelle Daugareilh, chercheur au CNRS (CONTRASEC – Université Bordeaux 4)

Quelles politiques en matière de santé ? 20Pierre Volovitch, chercheur à l’IRES, institut de recherches économiques et sociales

Une exemple d’inégalités : le saturnisme 24Élisabeth Chatenet, présidente de l’association des familles victimes du saturnisme

Quel droit à la santé au travail ? 27Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm(nstitut national de la santé et de la recherche médicale)

Les avatars du droit au séjour des malades 32Arnaud Veïsse, médecin-coordonateur au Comède (comité médical pour les exilés)et membre de l’ODSE (observatoire du droit à la santé pour les étrangers)

Publié avec le soutien de CERC-association

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L’accès aux soins des étrangers : entre discriminations et inégalités Page 3

Nous avons pris l’habitu-de, depuis quelques années, denous réunir dans le cadre dejournées d’études, pour discu-ter des grandes orientationsdes politiques nationale eteuropéenne en matière d’asi-le et d’immigration ou de trai-ter d’un sujet relevant de cetensemble, comme ce fut le caspour la journée consacrée auxmineurs étrangers isolés sur leterritoire national.

Nous avons ressenti en2003 le besoin d’aborder laquestion de l’accès aux soinsdes étrangers et de déroger à« la règle » d’une seule jour-née d’études par an. Pourquoisoudain une telle urgence ?Elle est liée aux attaques por-tées par le gouvernement con-tre le système de protectionsociale. La méthode utiliséeest des plus contestables : unamendement déposé sur leprojet de loi de finances rec-tificative pour 2002 prévoitnotamment, sous prétexte deresponsabiliser les plus dému-nis, d’introduire un ticket mo-dérateur pour les personnesbénéficiaires de l’aide médica-le Etat. Cet amendement, mal-gré une importante mobilisa-tion associative, est adopté,mais le décret mettant enœuvre le nouveau dispositifsera « bloqué ». Noëlle Lasne,de Médecins sans frontières,nous parlera des atteintes por-tées à l’accès effectif aux soinset à leur prise en charge pourles personnes sans ressourcesou disposant de peu de res-sources, au rang desquelles fi-

gurent les sans-papiers et lesétrangers en situation admi-nistrative précaire (« Les der-niers mauvais coups du gouver-nement »). Ces restrictions dedroits, frappant d’abord lesplus fragiles, préfigurent-ellesune réforme en profondeur,en particulier de l’assurancemaladie, qui laissera de côtéceux qui ne pourront paspayer, les autres pouvant setourner vers un système pri-vé de protection ? Est-on enmarche vers une prise en char-ge des soins à plusieurs vites-ses, avec son lot d’effets dé-sastreux pour la santé publi-que ?

Cette journée d’étudesest l’occasion de s’interrogersur l’idée de solidarité à la-quelle est attaché en principetout système de protectionsociale. Force est cependantde constater que cette notionest à géométrie variable.Qu’est-ce qui doit déterminerle droit à être protégé par lacollectivité ? Quels sont lescritères d’application desdroits sociaux ? La personne,la résidence, la nature del’aléa... ?

Le système français deprotection sociale repose surdeux principes généraux : leprincipe de la territorialité etle principe d’égalité. Ces deuxprincipes traverseront les in-terventions de cette matinée.Le premier, par opposition au

principe de la personnalité,veut que la résidence en Fran-ce détermine l’accès auxdroits. La territorialité doitjouer au niveau de l’affiliationen ce sens que la personne quiréside et travaille en Francedoit être affiliée à un régimefrançais, et au niveau du droità prestation directement dé-pendant de la résidence enFrance. Ce qui vaut pour l’en-semble de la protection socia-le – sous quelques réserves –vaut en particulier pour l’ac-cès aux soins et à la préven-tion. L’existence de conven-tions internationales et lesexigences propres au droit del’Union européenne permet-tent une mise à l’écart du prin-cipe de territorialité.

En réalité, cette condi-tion tenant à la résidence enFrance s’est effacée, pour lesseuls étrangers, au profitd’une autre, celle de la régu-larité du séjour. Conditionposée d’abord pour le bénéfi-ce des prestations familiales,elle s’est imposée à son tourpour les prestations maladiepar la loi du 24 août 1993. Elleest pratiquement généraliséeà l’ensemble des prestations,sous réserve pour partie del’aide sociale. Adeline Toullierretracera cette histoire de« La lente restriction des droitsjusqu’aux réformes CMU etAME ». Elle montrera la dis-parition progressive et labo-

Propos introductifs

Nathalie Ferré, présidente du Gisti

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rieuse de la condition de na-tionalité et la naissance d’uneautre, plus insidieuse, surfond de politique migratoire,aux effets d’exclusion et destigmatisation.

Comme nous l’avons in-diqué précédemment, le prin-cipe d’égalité est égalementcensé gouverner le système deprotection sociale. Pourautant, il a été bien malmenépendant des années. La façondont il a été entendu et inter-prété par la jurisprudencemontre les limites de la soli-darité de la France à l’égardde ses étrangers. Le conseild’Etat, dans une décision du30 juin 1989 « ville de Paris c/Levy », juge illégale, car por-tant atteinte au principe d’éga-lité, une prestation facultati-ve – une allocation de congéparental d’éducation – réser-vée aux familles dont l’un desparents a la nationalité fran-çaise ou est ressortissant dela Communauté européenne.L’occasion, pour la haute ju-ridiction administrative, dedire qu’une différence de trai-tement ne peut résulter qued’une loi, que les objectifspoursuivis par la Ville de Pa-ris (« l’équilibre démographi-que » et le « désir de remédierà l’insuffisance des famillesnombreuses françaises ») neconstituent pas un motif d’in-térêt général, et qu’enfin iln’existe pas de différence ob-jective entre les familles fran-çaises et les familles étrangè-res (différence qui, si elle avaitété établie, aurait pu justifierun traitement différent).

Le Conseil constitution-nel a, de son côté, considéréque la loi excluant des étran-gers résidant régulièrement enFrance du droit à bénéficierdu fonds national de solidari-té – prestation non contribu-tive – méconnaissait le prin-cipe d’égalité à valeur consti-tutionnelle (DC 22 janvier

1990). Isabelle Daugareilhévoquera sans doute cette dé-cision traitant incidemmentdu conflit entre normes inter-nes et normes issues des con-ventions internationales (« Lestextes internationaux, une pro-tection trop méconnue »). Maisce n’est pas là l’essentiel deson propos : l’auteur s’atta-chera d’abord à mettre en évi-dence les vertus des textes in-ternationaux, la façon dont ilspeuvent être utilement invo-qués devant le juge françaispour reconnaître certainsdroits sociaux.

On ne saurait concluresur le principe d’égalité sanss’arrêter un instant sur la dé-cision du 13 août 1993, ren-due par le Conseil constitu-tionnel, à propos de la secon-de loi Pasqua. Les auteurs ontcoutume de dire que cette dé-cision a bâti un véritable sta-tut constitutionnel pour lesétrangers résidant en France.Qu’en est-il réellement ?« … Les étrangers jouissent desdroits à la protection sociale, dèslors qu’ils résident de manièrestable et régulière sur le terri-toire français », telle est la for-mule consacrée. Il résulte decette jurisprudence une par-faite égalité entre Français etétrangers séjournant réguliè-rement et de façon stable enFrance, ce qui est prompt àchasser toutes les prestations,y compris facultatives, verséespar des collectivités locales,établissant une différence detraitement. Encore faut-ils’entendre sur la notion de« séjour régulier et stable ». Parailleurs, la décision établit unedifférence entre étrangers ré-sidant régulièrement et étran-gers « irréguliers » dont il con-vient de mesurer la pertinen-ce au regard de l’objet mêmede la protection sociale et desimpératifs de santé publique.Au bout du compte, le Con-seil constitutionnel considère

que la loi, en fixant une dou-ble condition de régularité etde stabilité du séjour pourl’accès aux prestations socia-les – du moins pour la plupartd’entre elles –, ne viole pas ledroit à la santé et à une pro-tection sociale minimale.C’est une position ambiguë,qui mérite à tout le moins dis-cussion. Cette différence detraitement se traduisant parune privation de droits ou leurrestriction, pour les seuls ir-réguliers, se justifierait parl’existence d’une différencede situation entre ces dernierset les étrangers réguliers.Mais cette différence de situa-tion a-t-elle à faire avec l’ob-jet de la protection sociale ?

Telles sont les principalesinterrogations de la matinée.L’après-midi sera consacrée,dans une approche davantagepluridisciplinaire, aux impli-cations sanitaires de ce systè-me de prise en charge et d’ac-cès aux soins, en particulierquand elles sont aux prisesavec d’autres éléments telsque le logement, l’emploi,l’appartenance à une catégo-rie socio-professionnelle…C’est la conjonction de l’en-semble de facteurs qui cons-truit les inégalités sociales desanté.

Dans une perspective plusglobale, Pierre Volovitch(« Quelles politiques en matièrede santé ? ») analysera la signi-fication et les conséquencesd’un dispositif à plusieurs vi-tesses en termes de santé pu-blique. Quelle lecture politico-économique peut-on faire d’unsystème qui crée des catégo-ries, qui donc produit d’inévi-tables inégalités – juridiques etsociales – et aboutit à stigma-tiser des groupes de popula-tions ? La mise à l’écart dessans-papiers augure bien maldes changements plus pro-fonds à venir. Au nom d’uneprétendue maîtrise des dépen-

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ses de santé, les pouvoirs pu-blics dessinent le visage de laprise en charge future des soinsmédicaux et de la prévention :une pour « les pauvres », aurabais, et une pour « les ri-ches » qui pourront, grâce àdes mutuelles performantes,continuer à être normalementsoignés. Il suffit de jeter un œilsur la prochaine loi de finan-ces et de tendre l’oreille auxdiscours politiques actuelspour craindre le pire.

Deux exemples significa-tifs permettent de montrerque les inégalités face aux pro-blèmes sanitaires sont patentset qu’elles ne résultent passeulement de considérationsjuridiques. Elisabeth Chatenetanalysera tout d’abord les ré-ponses institutionnelles don-nées, en termes de santé pu-blique, au problème du satur-nisme touchant principale-ment des familles étrangères :manque d’efficacité, lenteur àprendre en compte les consé-quences sanitaires dramati-ques produites par l’intoxica-tion au plomb, absence de re-

logement prioritaire… Autantd’éléments qui amènent à ré-fléchir, sur fond parfois de dis-cours culturalistes particuliè-rement dangereux (c’est« culturel », pour ces enfantsissus de parents immigrés delécher les murs, ce qui servi-rait d’explication à leur étatde santé déficient).

L’autre exemple est celuides accidents du travail et desmaladies professionnellesdont se saisira à son tour An-nie Thébaud-Mony, sachantqu’en principe sur le terraindu droit, la prise en charge deslésions professionnelles n’estpas subordonnée à une con-dition de régularité du séjour.C’est une discussion autourdes statistiques de la caissenationale d’assurance maladieà laquelle nous invitera AnnieThébaud-Mony. Ces élémentschiffrés qui, rappelons-le, nerendent pas parfaitementcompte de l’ampleur des ac-cidents et des maladies pro-fessionnels, montrent une« suraccidentabilité » de cer-taines catégories sur la base

de différents éléments se con-juguant : précarité du contrat(les salariés intérimaires sontparticulièrement exposés auxaccidents), manque d’expé-rience professionnelle, an-cienneté, âge et… nationalité.

Enfin, parce que le corpsmalade bénéficie d’un traite-ment particulier au regard del’admission au séjour – la ma-ladie, le handicap légitiment ladélivrance d’un titre pour desconsidérations humanitai-res –, il conviendra de clorecette journée par un examende l’article 12 bis 11° de l’or-donnance du 2 novembre1945 prévoyant la délivranced’un titre de séjour à l’étran-ger malade et de ses dérives(Arnaud Veïsse, « Les avatarsdu droit au séjour des mala-des »). La réglementation finitpar enfermer l’étranger danssa maladie, car il sait que c’estla seule possibilité pour lui dedemeurer sur le sol français.

Inégalités et discrimina-tions semblent bien caracté-riser l’accès aux soins desétrangers.

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La lenterestriction des droits

Les discriminations directesdont ont longtemps été victimesles étrangers ont peu à peu laisséla place à d’autres formesde discriminations moinsflagrantes mais qui poursuiventla même finalité : le refus de leurreconnaître le même droit qu’auxnationaux et aux communautairesen matière de protection socialeen général et d’accès aux soinsen particulier.

Par Adeline Toullier, juriste

Le thème de la protectionsociale des étrangers ne sau-rait être abordé sans savoir siet dans quelle mesure lesétrangers doivent se voir re-connaître les mêmes droitssociaux qu’aux nationaux,s’ils doivent remplir les mê-mes conditions d’accès que lesFrançais ou s’ils peuvent êtresoumis à un régime distinct et,dans l’affirmative, dans quel-les limites. Les réponses à cesinterrogations n’ont pas étéuniformes au fil du temps, augré de la définition qu’on abien voulu donner à la solida-rité. Notion à dimensions va-riables, la solidarité a guidé lamise en place de discrimina-tions plus ou moins ostensi-bles dont ont fait l’objet lespopulations étrangères.

Dans un premier temps,c’est le nationalisme qui a pri-mé : la nationalité était en soiun obstacle à la jouissance dudroit à la protection sociale.On parle de « discrimination

directe » à chaque foisqu’« une différence de traite-ment est fondée sur une carac-téristique précise ». C’est-à-dire que les règles d’éligibili-té de certains dispositifs po-sent une condition explicite denationalité et traitent diffé-remment les personnes selonleur nationalité : les Françaispeuvent bénéficier d’une pres-tation sociale tandis que lesnon-nationaux ne peuvent yprétendre.

La France (mais elle n’estpas le seul État à avoir suivicette voie !) a progressive-ment eu recours aux discrimi-nations directes afin de limi-ter les avantages sociauxqu’elle mettait en place à sesseuls nationaux.

Un compromis absurde

Lors de la Révolution,l’avènement du suffrage uni-versel donnant plus d’impor-tance à la qualité de citoyenfrançais face aux populationsétrangères, suscite une accep-tion restrictive de la fraterni-té et de la solidarité. Du coup,les étrangers sont exclus dubénéfice des droits sociaux,au mépris des principes mê-mes censés fonder le lien so-cial et de la proclamation dudroit à l’assistance en vérita-ble droit de l’homme univer-sel, droit naturel reconnu àtout homme vivant en socié-

té(1). C’est qu’on craint(déjà !) l’afflux massif des in-digents étrangers, alors onopte pour un absurde com-promis : accorder le droit à lasubsistance à tous les hommesmais réserver son exerciceaux seuls citoyens. La sociétéa alors des obligations extrê-mement limitées à l’égard desétrangers : elle doit seulementpourvoir à la guérison del’étranger malade jusqu’auretour dans son pays. Peuimporte le lieu de résidence,c’est l’État de naissance quidésigne le débiteur de ce« droit inaliénable ».

Lors de l’élaboration desgrandes lois d’assistance et deprévoyance de la IIIe Répu-blique, le sort des étrangersfut remis sur le métier : sousl’influence de la tendance pro-tectionniste, les non natio-naux furent exclus du bénéfi-ce des premières lois sociales,tant en matière d’emploi quede protection sociale.

Ainsi, tandis que les loisrelatives à l’aide aux indigentsde 1851 ou sur les sociétés desecours mutuels en 1849 nefaisaient aucune distinctionselon la nationalité, les dispo-sitions adoptées dans ces mê-mes matières à compter de lafin du XIXe siècle réserventun sort différent selon la na-tionalité, voire excluent tota-lement les non-nationaux dudispositif. Sous réserve de ré-

1. « La notion defraternité en droitpublic français, lepassé, le présentet l’avenir de lasolidarité »,MichelBORGETTO,1993, LGDJ et« Les droitssociaux desétrangers »Karine MICHE-LET, L’Harmattan,2002.

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ciprocité accordée au titre detraités internationaux, lesétrangers seront ainsi exclusdes dispositifs sur l’assistan-ce médicale gratuite en 1893,sur les retraites ouvrières en1910, sur les vieillards et in-digents en 1905 et sur les fem-mes en couches en 1913. Laloi du 9 avril 1898 sur les ac-cidents du travail met en pla-ce des régimes d’indemnisa-tion distincts selon la nationa-lité. La loi du 31 mars 1905viendra assouplir cette discri-mination mais laissera subsis-ter quelques différences detraitement.

Au final, ce n’est qu’ex-ceptionnellement, pour desraisons de santé publique,que la législation sociale ad-met les étrangers résidant enFrance à son bénéfice (vac-cination gratuite, assistance àl’enfance, ou assistance auxtuberculeux).

La situation évolueautour d’une date charnière :1945-1946. La sécurité socia-le se construit en 1945 en lienétroit avec l’emploi : l’essen-tiel des droits sociaux s’ac-quiert à travers le travail. L’en-semble du système contribu-tif repose sur une logique d’as-surance sociale, et la solidari-té professionnelle devient laclé de voûte du dispositif. Lecritère déterminant est celuide l’activité professionnelle etla nationalité devient, à toutle moins dans le champ con-tributif, indifférente. La con-ception de la protection socia-le qui prévaut à partir de 1945pour ce qui concerne la sécu-rité sociale est donc celled’une citoyenneté sociale derésidence(2).

1946, c’est la date de laConstitution de la IVe Répu-blique qui proclame des« principes particulièrement né-cessaires à notre temps », dontrésultent des droits sociaux

accordés à « tout homme », à« tous », ou à « chacun ».

Tout autre est la logiqueretenue en 1945 pour le non-contributif, l’assistance et lefacultatif : dans ces domaines,la nationalité française estalors encore requise. C’est, enparticulier, le cas pour lesprestations non contributivesservies aux personnes âgéeset handicapées : le fonds desolidarité vieillesse (FSV, ex-FNS) et l’allocation adultehandicapé (AAH).

Des discriminationsqui persistent

Ces discriminations di-rectes ont longtemps persis-té. Leur suppression n’ad’abord concerné que les res-sortissants communautairespouvant se prévaloir de la li-berté de circulation, puis s’estétendu à l’ensemble des res-sortissants communautaires.Mais il a fallu des milliers derecours individuels, sur labase de textes internationauxprévoyant l’égalité de traite-ment entre nationaux et non-nationaux, en particulier lesaccords conclus entre l’Unioneuropéenne et des États tiers,et une condamnation de laFrance par la Cour de justicedes Communautés européen-nes (CJCE) pour que le légis-lateur français finisse par s’in-cliner, en 1998, et reconnais-se le droit aux prestations noncontributives aux étrangersextra-communautaires.

Cet abondant conten-tieux a généré des mises aupoint unanimes : les discrimi-nations directes fondées sur lanationalité dans le champ dela protection sociale sont in-compatibles avec les normesjuridiques en vigueur en Fran-ce, qu’elles soient de rangconstitutionnel ou internatio-nal. Pour autant, si elles ont

pour l’essentiel disparu, desdiscriminations nationalespersistent ponctuellement.On relèvera en particulier lesort, encore en suspens, réser-vé aux anciens combattants etanciens fonctionnaires descolonies, dont les pensionssont encore « cristallisées »en dépit de condamnationspar le Conseil d’État(3). Ou en-core, des initiatives locales departis extrémistes préconisantla « préférence nationale ».

En dépit de ces « pochesde résistance », la conditionde nationalité n’a plus sa pla-ce dans l’ordre juridique fran-çais en matière de protectionsociale, et c’est l’un des prin-cipes fondateurs retenus en1945 qui prévaut : la territo-rialité des prestations. Ceprincipe circonscrit l’étenduedu système soit à ceux qui ré-sident, soit à ceux qui tra-vaillent sur le territoire, et nesuppose aucune condition denationalité ni de régularité deséjour ou de travail. Ainsi,étrangers autorisés à séjour-ner ou non, travailleurs étran-gers et français déclarés ounon sont pris en charge dèslors qu’ils sont présents sur leterritoire français, la présen-ce s’entendant de la résiden-ce de fait, habituelle et nonadministrative.

Et tant que l’immigrationen France demeure une immi-gration de travail, la questionde l’accès aux soins ne se poseque de façon résiduelle : laFrance a besoin de bras etl’étranger, en tant que tra-vailleur, bénéficie de la sécu-rité sociale.

La donne se modifie avecla fermeture des frontières etl’arrêt de l’immigration de tra-vail : la question du droit à laprotection sociale des étran-gers revient alors avec davan-tage d’acuité. Puisque les nor-mes juridiques en vigueur en

2. V. « Laprotection socialedes ressortis-sants d’Etats tiersdans l’Unioneuropéenne : versune citoyennetésociale derésidence ? »,Antoine MATH,juin 2003,Document detravail de l’IRES,n°01-03, http://www.ires-fr.org/files/publica-tions/doc%20travail/doc0301.pdf

3. Voir « Lesspoliés de ladécolonisation »Plein Droit n°56,mars 2003.

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» La réforme de la couverture maladieuniverselle, si elle a eu des effets positifspour les plus démunis, a égalementpoussé à son paroxysme la mise enquarantaine des sans-papiers,cantonnés à l’aide médicale de l’État.

France interdisent toute dis-crimination directe fondée surla nationalité, le législateuremprunte des chemins dé-tournés pour parvenir auxmêmes fins. Il s’ingénie àmaintenir et mettre en placed’autres restrictions aboutis-sant à l’exclusion des étran-gers du bénéfice de la protec-tion sociale.

Une érosion progressivedes droits

L’exigence de la régulari-té de séjour constitueaujourd’hui l’expression prin-cipale de cette entrave à l’ac-cès à la protection sociale desétrangers. Elle s’est introdui-te progressivement avantd’être généralisée. Au débutdes années soixante-dix, lefait, pour l’étranger, d’avoirpénétré et/ou séjourné demanière irrégulière en Fran-ce était uniquement sanction-né sur le plan pénal, et sa si-tuation au regard du séjourn’avait aucune répercussionsur l’accès à la protection so-ciale. Le code de sécurité so-ciale ne faisait d’ailleurs aucu-ne allusion à la régularité duséjour, seule la « résidence enFrance » étant requise. Dansce contexte, seul l’employeurd’un étranger en situation ir-régulière non déclaré s’expo-se à des sanctions : le rem-boursement aux organismesde protection sociale du mon-tant des prestations versées.L’étranger sans papiers échap-pe à tout processus punitif :la logique contributive s’appli-que seule.

Mais l’édifice s’effondreprogressivement. L’idée appa-raît en 1975 avec la loi relati-ve à l’IVG qui subordonnenon seulement la prise encharge mais aussi le droit dese faire pratiquer une IVG àla détention d’un titre de sé-jour d’une durée de validité de

plus de trois mois. L’accès audispositif se trouve ainsi inter-dit à toute personne sous visade courte durée.

En 1978, la mise en pla-ce de l’assurance personnelle(aujourd’hui disparue et rem-placée par la CMU) constitueune nouvelle occasion de réi-térer l’obstruction en posantl’exigence d’un titre de séjourd’une durée de validité de plusde trois mois.

La loi du 29 décembre1986 dite « loi Barzach » re-lative aux prestations familia-les poursuit et complète cettelogique en introduisant unedouble exigence de régularité(art. L 512-2, D 511-1 etD 511-2 du code de sécuritésociale) : d’une part, la régu-larité de séjour de l’allocatai-re et, d’autre part, la régula-rité d’entrée de l’enfant au ti-tre duquel les prestations fa-miliales sont demandées (àmoins qu’il soit né en Fran-ce).

La loi du 1er décembre1988, complétée par celle du29 juillet 1992 relative auRMI subordonne le bénéficede celui-ci à deux conditions :d’une part, la régularité du sé-jour au moment de la deman-de attestée soit par la produc-tion d’une carte de résident,soit par une carte de séjourtemporaire ouvrant droit autravail, d’autre part, la justifi-cation d’une résidence régu-lière ininterrompue depuistrois ans sous couvert de ti-tres de séjour ouvrant droit autravail.

Le coup ultime est portépar la loi du 24 août 1993 dite« loi Pasqua » qui généralisel’exigence de la régularité deséjour pour l’accès à la pro-tection sociale dans son en-semble. Pour des raisons desanté publique, des garde foussont mis en place pour lessans-papiers (sous certainesconditions) au sein du dispo-sitif d’aide sociale. A cettedate, les étrangers dépourvusde titre de séjour ne sont pasles seuls à relever de l’aide so-ciale : ils cohabitent encoreavec les autres « pauvres ».

Discriminationsindirectes

La réforme de la couver-ture maladie universelle, en2000, si elle a eu des effets po-sitifs en terme d’effectivitéd’accès aux soins pour lesplus démunis, a égalementpoussé à son paroxysme lamise en quarantaine des sans-papiers : ils sont cantonnés àl’aide médicale de l’État, undispositif qui leur est désor-mais réservé. L’exigence de larégularité de séjour n’est pasla seule restriction apportée àl’accès à la protection socialepour les étrangers. D’autresconditions, véritables « discri-minations indirectes », parfoismoins perceptibles de primeabord, ont pris place.

C’est la Cour de justicedes Communautés européen-ne qui a introduit, en 1974,dans l’affaire Sotgiu, la défi-nition de la discrimination

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indirecte : « les règles d’égali-té de traitement, [résultant] dutraité prohibent non seulementles discriminations ostensibles,fondées sur la nationalité, maisencore toutes formes dissimuléesde discrimination qui, par ap-plication d’autres critères de dis-tinction, aboutissent en fait aumême résultat ». Bien plustard, cette notion a été repri-se en droit interne, notam-ment par le Conseil d’État en2002, dans l’affaire Spaggia-ri. Une discrimination indi-recte est constituée lors-qu’une « mesure apparemmentneutre aboutit en fait au mêmerésultat qu’une discriminationdirecte » sans justification ob-jective et raisonnable, c’est-à-dire sans que la différence detraitement de fait soit appro-priée, légitime et nécessairepour atteindre l’objectif pour-suivi. Ainsi, il y a discrimina-tion indirecte lorsqu’une con-dition, un critère ou une pra-tique affecte une proportionplus élevée de personnesd’une catégorie que les autres,parce que cette condition estplus difficilement remplie parcette catégorie : par exemple,une condition de lieu de nais-sance, de nationalité des en-fants ou de durée de résiden-ce préalable sur un territoireest plus difficile à satisfairepour un étranger que pour unnational.

Dans une logique de va-ses communicants, ces nou-velles restrictions ont été in-troduites au fur et à mesureque la condition de nationali-té tombait. Cela a été parexemple le cas pour les pres-tations non contributives dontle bénéfice suppose désormaisune « résidence habituelle »(en plus d’être régulière, celava sans dire !). A défaut d’êtredéfinie par la loi, cette notionest livrée en pâture aux orga-nismes de sécurité sociale quien viennent à interdire toute

absence du territoire français,même pour de courtes pério-des, par exemple pour des va-cances, sous peine de perdreles droits aux prestations noncontributives.

Une sournoiserie compa-rable s’exprime à travers l’exi-gence de la résidence en Fran-ce des personnes à charge oude la communauté de vie desmembres d’un couple pourqu’une majoration pour con-joint à charge soit attribuée,tout en soutenant que rienn’interdit juridiquement à lacommunauté de vie de perdu-rer lorsque les conjoints rési-dent dans des lieux séparés…

La durée de trois annéesde séjour préalable avec droitau travail requise pour béné-ficier du RMI peut égalementêtre considérée comme unediscrimination indirecte auregard du principe d’égalité detraitement, puisqu’elle estconsidérée comme telle auregard du droit communautai-re pour les ressortissants del’Union européenne.

Le prétextede l’ordre public

Des arguments invoquéspour justifier ces amputations– la sauvegarde de l’ordre pu-blic, de l’intérêt général oul’utilité collective –, aucunn’est convaincant… voire, ilsnous convainquent que le ca-ractère universel du droit à laprotection sociale s’impose.

Si on considère que ladéfense de l’ordre public re-pose sur la prévention desdésordres et des conflits, surle maintien de la paix et de latranquillité, il serait inoppor-tun de refuser des prestationssociales. Au contraire, et bienque cette conception apparais-se quelque peu dépasséeaujourd’hui, la défense de l’or-dre public invite plutôt à oc-

troyer des droits sociaux àtous. Pendant les trente glo-rieuses, et tant qu’il y avait unbesoin de main-d’œuvre, cet-te logique a prévalu. Avec larécession économique, lespouvoirs publics ont eu l’idéed’habiller des considérationséconomiques, à la réalité dou-teuse d’ailleurs(4), du manteaude la sauvegarde de l’ordrepublic, afin de justifier la miseen place de discriminationsdans le champ social. Seloneux, l’immigration irrégulièreserait attentatoire à l’ordrepublic ; or, accorder des pres-tations sociales aux sans-pa-piers susciterait un appel d’airpour l’immigration irréguliè-re, donc, il faut refuser ces« avantages sociaux ».

Pas plus convaincant estl’argument tiré de l’intérêtgénéral ou de l’utilité collec-tive. Si on considère que l’in-térêt général correspond à cequi est pour le bien public, àl’avantage de tous, sa sauve-garde invite à ce que la pro-tection sociale soit octroyéede manière universelle : ladélinquance provoquée parl’indigence diminue ainsi. Onminimise en effet trop sou-vent le fait que la société tireprofit des prestations socialesdistribuées ; c’est pourtant labase du système de sécuritésociale français qui vise à« débarrasser les hommes de lahantise du lendemain », à lesdépartir de l’insécurité maté-rielle qui bride l’existence età donner « plus de bien-être ».Et pour que ce profit socialsoit le plus efficace et largepossible, il convient de n’ex-clure aucun bénéficiaire.

Faut-il le rappeler, ledroit à la protection de la san-té fait partie des droits del’homme et, en tant que tel,est inhérent à la personne hu-maine et doit donc avoir uneportée universelle, indépen-dante de la nationalité et de

4. « Immigration,Emploi etChômage : unétat des lieuxempirique etthéorique » CERC– Association,n° 3, 1999.

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la situation administrative. Ilest attaché au genre humain,au fait d’être membre d’unesociété, d’être citoyen. Le fac-teur déclenchant du bénéficede la protection sociale con-siste soit en l’état de besoin(logique d’assistance), soit enla survenance de certains évé-nements ou risques indépen-dants dans ce cas, de la situa-tion économique de la victi-me (logique d’assurance), etdans tous les cas, de sa situa-tion administrative.

Des droits détournés

Cette acception de la so-lidarité est loin de résonnercomme une évidence et long-temps les droits sociaux ontété considérés comme l’ac-cessoire des droits fondamen-taux dits « classiques ». Cet-te réticence à reconnaîtreleur caractère « inaliénable etsacré » et à les mettre en

œuvre s’explique par des con-sidérations d’ordre financier,économique et politique : lesouci des États de protégerl’activité économique de leurnationaux contre la concur-rence étrangère, la peur del’invasion (qu’on attend tou-jours !) due à l’attractivitéd’un dispositif et parce que laplupart des droits sociaux,contrairement aux libertéstraditionnelles ont un coûtpour l’État.

Depuis la décision duConseil constitutionnel du22 janvier 1990, il est admisque les dérogations à l’égaliténe peuvent plus se justifier parle seul fait que des étrangerssont en cause. Si le principed’égalité n’est pas absolu, untraitement différencié ne peutêtre conçu que pour autantqu’il repose sur des raisonsobjectives et raisonnables pro-portionnées au but poursuivi.Alors on s’interroge sur les

justifications de cette naturequi pourraient soutenir la sub-sistance de discriminations di-rectes ou indirectes à l’encon-tre des étrangers en matièrede protection sociale.

En l’état, il y a donc anti-nomie entre la condition derégularité de séjour et les fon-dements et les principes defonctionnement de la sécuri-té sociale. Et tant qu’une jus-tification objective ne se des-sinera pas, il faudra se con-tenter d’un constat : l’ampu-tation des droits sociaux desétrangers a pour seule justifi-cation de servir la politique demaîtrise des flux migratoires.Le droit de la protection so-ciale s’y trouve dès lors subor-donné et détourné, au méprisde sa raison d’être, nourris-sant et légitimant des prati-ques déviantes de la part desorganismes de protection so-ciale, désormais auxiliaires depolice…

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Noëlle Lasne, docteur, Médecins sans frontières

Le droit à l’accès auxsoins des personnes résidanten France, quelle que soitleur situation au regard duséjour est inscrit dans les tex-tes depuis fort longtemps, demême d’ailleurs que leur droità l’aide sociale, et en particu-lier à l’hébergement. Certes,ce droit a évolué. Il s’appli-que aujourd’hui à toutes lespersonnes résidantes en Fran-ce, et s’inscrit dans une loi quiest la même pour toutes lespersonnes démunies : la loi decouverture maladie universel-le (CMU) mise en œuvre enjanvier 2000. Ce droit, dési-gné sous le vocable « d’aidemédicale de l’État », est undispositif d’accès aux soinsgratuit répondant aux mêmesconditions d’attribution quela couverture maladie univer-selle, et doit être ouvert com-me le droit à la CMU dans lescaisses primaires d’assurancemaladie. Il permet que toute

personne résidant en Francesans titre de séjour ait accèsà la prévention et aux soinsmédicaux lorsqu’elle en a be-soin.

Ce qui caractérise ce dis-positif, ce n’est donc pas tel-lement sa forme ou son con-tenu (proche de celui de laCMU) mais plutôt le débatchronique qu’il engendre, defaçon cyclique et incontour-nable, sous des formes quenous pouvons, avec le reculdes années, identifier plus pré-cisément. Que perdure undroit, et un seul – le droit auxsoins –, pour ces indésirablesqui n’en ont aucun, suscitechez les politiques au mieuxune réserve prudente, au pireune irritation insupportable.Et tous les deux ou trois ans,de façon aussi inexorable queles marées – je parle des ma-rées noires – s’exprime clai-rement la volonté politique demettre un terme à l’exercicede ce droit.

Obstructionadministrative

La première des solu-tions, la plus simple et la pluséprouvée, est de ne pas appli-quer les textes : les organisa-tions humanitaires médicalesont bien connu cette époque,antérieure à la loi de 92 mo-dernisant l’aide médicale, oùaucune mairie n’acceptait

d’instruire le dossier d’aidemédicale d’une personne sanstitre de séjour. On lui disaitpurement et simplementqu’elle n’avait aucun droit, cequi était faux. La palme re-vient en ce domaine à la Villede Paris, qui a refusé pendantdes années d’instruire les dos-siers, dossiers que les assistan-tes sociales de Médecins sansfrontières envoyaient doncdirectement au conseil géné-ral. Aucun de ces dossiers n’ajamais été rejeté, mais aucunn’a jamais été instruit norma-lement : une personne se pré-sentant non accompagnée à lamairie n’avait aucune chancede faire valoir son droit.

Cette difficulté à appli-quer la loi concernant la po-pulation de « sans-papiers »s’est rejouée récemment lorsde la mise en place de la cou-verture maladie universelle,donnant lieu à des scénariostragi-comiques : dans les Bou-ches-du-Rhône, la caisse pri-maire d’assurance maladieavait imaginé de faire fonc-tionner un centre, uniquepour tout le département etréservé aux seules personnessans papiers, déclarées inter-dites de séjour dans les mursdes caisses d’assurance mala-die. Cette organisation parfai-tement discriminatoire a prisfin en 2001. Seule la caisseprimaire d’assurance maladiede Paris persiste encore dans

Les derniers mauvaiscoups du gouvernement

Le dispositif de l’aide médicalede l’État permet que toutepersonne résidant en France,quelle que soit sa situationau regard du séjour, puisse avoiraccès aux soins. Mais cedispositif qui protège un droitfondamental, est fragile. Sousprétexte d’abus, de fraudes, dedépenses exorbitantes, il estpériodiquement menacé,sinon de disparaître, du moinsd’être rendu inopérant.

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son refus d’accueillir, dans lesmêmes locaux, les bénéficiai-res de la CMU et ceux del’aide médicale de l’État…

Il est aussi possible dedissuader les gens d’exercerleur droit. En 1992, la direc-tion d’un grand hôpital pari-sien recruta une personne àtemps plein pour récupérerses créances irrecouvrables.Les personnes dont l’hospita-lisation avait généré des im-payés recevaient un courrierleur indiquant le montant desfrais hospitaliers (plusieurs di-zaines de milliers de francs)avec un papillon à découperpour effectuer le règlement.Puis, elles étaient convoquéespersonnellement et lorsqu’ils’agissait de personnes sanstitre de séjour (dont on avaitomis d’ouvrir les droits àl’aide médicale), les menacespleuvaient, comme celle deprévenir la police.

Il est intéressant de no-ter qu’un an plus tard, ce pos-te a été supprimé car pas uncentime n’avait été récupérépar la méthode consistant àréclamer des sommes farami-neuses à des personnes insol-vables… Quant aux intéres-sés, ils se contentaient dechanger d’adresse ou de neplus consulter, ou bien de serendre, le plus tard possible,dans un autre hôpital.

La logique du rejet

En 1992, j’ai reçu au cen-tre MSF une jeune femme quiavait subi ces menaces à plu-sieurs reprises avec somma-tion de régler les frais d’hos-pitalisation de son bébé. Per-sonne ne lui avait indiquéqu’elle pouvait bénéficier del’aide médicale hospitalière.Lorsque le bébé est tombé ànouveau malade, elle n’a pasosé retourner dans le servicede pédiatrie et s’est rendue

dans une autre hôpital dé-pourvu de pédiatre. Le bébéest mort aux urgences. Elle areçu chez elle la facture de laconsultation.

Dans les solutions quisont avancées aujourd’huipour dissuader les personnesétrangères sans titre de séjourde faire valoir leur droit àl’aide médicale, en exigeantd’elles des pièces impossiblesà fournir ou le paiementd’une partie de leurs soinsmédicaux, on retrouve cettelogique de rejet dont noussavons depuis longtemps cequ’elle génère : la paralysiedes soignants, les créances ir-recouvrables et irrecouvréespour les établissements desoins, le retard aux soins oul’absence de soins pour lesmalades eux-mêmes.

L’expérience des pa-tients, des soignants et desgestionnaires est identique ence domaine : si le soin coûtecher, le non-soin coûte enco-re plus cher. Il est curieuxque les politiques soient ré-fractaires à une telle unani-mité. De surcroît, Médecinssans frontières récuse totale-ment les chiffres avancésquant à la consommation desoins des bénéficiaires del’aide médicale de l’État. Ceschiffres additionnent, en ef-fet, des créances hospitalièresirrecouvrées antérieures à laloi et des dépenses de santédécidées au cas par cas par leministère à titre humanitaire,décisions discrétionnaires ré-servées aux non résidents etconcernant en général dessoins très coûteux.

Un article du Figaro endate du 27 octobre 2003 ti-tre ainsi : « Les stupéfiantes dé-rives de l’aide médicale auxsans-papiers » en citant exclu-sivement des exemples de pri-se en charge pour des per-sonnes non résidantes, com-

me le roi d’Afghanistan ou unfootballeur étranger ! Cetteprise en charge n’a rien à voiravec un dispositif de soins quiconcerne des personnes en si-tuation de grande pauvretérésidant en France. Il est in-digne que l’on essaie de nousfaire croire que les servicesde l’État ne peuvent faire ladistinction entre le roid’Afghanistan et une femmede ménage hébergée dans safamille et résidant en Francesans papiers. C’est sur la basede ces amalgames scandaleuxque le dispositif d’aide médi-cale de l’État est discrédité etconsidéré comme ruineux.

Climat xénophobe

Qu’à cela ne tienne, ilfaut donc supprimer pure-ment et simplement le droit àl’aide médicale des personnessans papiers. C’est ce que pré-voira monsieur Pasqua en1993. Dans le projet de loiinitial, toute forme d’accèsaux soins est supprimé pourcette population, y comprispour les mineurs ! Les réac-tions associatives et celle –inattendue – du Conseil del’Ordre des médecins per-mettront in extremis que Bal-ladur tranche en faveur dumaintien de l’aide médicaleaux personnes sans titre deséjour. Mais cette aide médi-cale va s’exercer dans un cli-mat de xénophobie paroxys-tique où le délit de séjour ir-régulier est en voie de crimi-nalisation et où chacun secroit tout permis : au centreMSF nous recevons une fem-me atteinte d’un cancer qui sevoit annoncer par le chef duservice hospitalier qu’on luifera une séance de chimiothé-rapie – et une seule – avantqu’elle ne rentre dans sonpays. Ce médecin écrit sur saprescription « une chimiothé-rapie cadeau ».

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Une autre patiente, qui vachercher ses bons d’aide mé-dicale un par un au bureaud’aide sociale entre deux vo-missements, s’entend direchaque fois qu’on lui en don-ne un : « Encore ! n’exagérezpas quand même ! ».

Un « crédit à laconsommation »

C’est le thème de l’abusqui, lorsqu’il est porté officiel-lement et encouragé par le dis-cours politique s’exprime trèslargement au guichet : le pa-tient cancéreux en situationrégulière se soigne, celui quin’a pas de titre de séjour abu-se ; le premier a besoin desoins, le second consomme dusoin. L’aide médicale est unesorte de crédit à la consom-mation qui permet aux étran-gers de piller notre système deprotection sociale.

Ce discours atteindra sonapogée en 1995 lorsque Su-zanne Sauvaigo, magistrate etparlementaire, dirigera unecommission dont l’objectifavancé est de durcir les « loisPasqua ». La commission pro-posera que soient réservésaux sans-papiers « les seulssoins d’urgence ». Le thèmede l’abus, exploité par mada-me Sauvaigo, est, pour desraisons obscures, ciblé sur lescures thermales : les person-nes sans titre de séjour se li-vreraient à une gabegie decures thermales… Les orga-nisations humanitaires médi-cales sont très étonnées : eneffet, pour obtenir l’admissi-on d’un patient tuberculeuxsans papiers dans le moindreétablissement de convalescen-ce, il faut se livrer à une véri-table guerre de tranchée.Obtenir une cure thermaleprise en charge par l’aidemédicale relèverait donc dumiracle.

La direction de l’assistan-ce publique est convoquée parla Commission Sauvaigo. Sesreprésentants sont interrogéssur le comportement des as-sistantes sociales des serviceshospitaliers, sommées de dé-noncer les personnes sans pa-piers qu’elles prennent encharge aux services de police.Jacques Myard, parlementai-re en exercice, ne comprendpas que l’on ne puisse pas luidire combien d’étrangers fré-quentent les hôpitaux publicset s’indigne que la CNIL aitinterdit la tenue de fichiersdistinguant les Français mala-des et les étrangers malades.

Les propositions radica-les de la commission Sauvaigone seront pas suivies d’effet.En revanche, le thème des« soins d’urgence » fait sonchemin. On le retrouveaujourd’hui dans le projet deloi de finances 2004 sous laforme de « soins essentiels ».L’aide médicale serait demainréduite, dans son contenu etpour cette seule population, àla prise en charge de « soinsmédicaux essentiels ».

Une règle inopéranteet dangereuse

En tant que médecins,nous rappelons que cette dis-tinction est inepte médicale-ment, que le soin médical estun geste continu qui ne s’ar-rête pas à la prise en chargede l’urgence et ne peut fairel’économie de la prévention.Qu’il ne peut par ailleurs êtrequestion de délivrer des soinsmédicaux différents à une par-tie de la population résidant

en France, en la sélectionnantau faciès à l’accueil des urgen-ces ou dans les cabinets de vil-le. Qu’une telle distinction estimpraticable, inopérante etdangereuse et qu’aucun soi-gnant ne peut accepter de lamettre en œuvre.

On peut se demandercomment le dispositif d’aidemédicale aux personnes sanstitre de séjour existe encore,pourquoi il a résisté à tant d’as-sauts successifs. C’est qu’il estmalgré tout très difficile d’as-sumer ouvertement une poli-tique de non soin. Il est trèsdifficile de dire : je refuse quecette personne soit soignéelorsqu’elle est malade. Il estencore plus difficile de dire :j’interdis qu’elle le soit.

Le gouvernement ne s’yest pas trompé qui ne parle àaucun moment de supprimerle droit à l’aide médicale. Ilentend simplement mettre enplace des conditions qui ren-dent impossible l’exercice dece droit : suppression de lagratuité, exigence de piècesimpossibles à produire, délaisd’instruction rédhibitoiresetc. Par ailleurs, le discoursréitéré sur les abus dont noussommes abreuvés, sans qu’ilsoit jamais nécessaire d’ap-porter la moindre preuve del’existence de ces abus, per-met de discréditer ce droit auxyeux du public, mais aussi desservices administratifs et desinstitutions de soin.

Le dispositif de l’aide mé-dicale de l’État, qui existe dansle code de l’aide sociale de-puis plusieurs dizaines d’an-nées sous différentes formes,permet, malgré ses imperfec-

» Le patient cancéreux en situationrégulière se soigne, celui qui n’a pas detitre de séjour abuse. Le premier a besoinde soins, le second consomme du soin.

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tions, que toute personne ré-sidant en France, quelle quesoit sa situation en regard duséjour, puisse avoir accès auxsoins. Nous avons donc à dé-fendre ce dispositif non pas entant que tel – nous connais-sons ses insuffisances – maisparce qu’il représente un droitfondamental, et qu’il s’agitbien de revenir sur un droitfondamental. Cela, seules lesassociations peuvent le dire, ettenter de le faire savoir.

Aujourd’hui, la culture del’abus est en progression cons-tante dans les paroles et dansles esprits. Il suffit à présent,pour discréditer un droit,d’affirmer que certains enabusent. Cette méthode pour-rait permettre de faire dispa-raître une bonne partie desdroits sociaux acquis ces cin-quante dernières années. Siles plus pauvres et les étran-

gers sont en tout premier lieususpectés d’abuser, – de l’aidemédicale de l’État, de la cou-verture maladie universelle,du revenu minimum d’inser-tion, des allocations chômage– nous sommes tous des sus-pects en puissance.

C’est la fameuse méta-phore de la fracture au ski,développée récemment parnotre premier ministre : il estnormal que celui qui se frac-ture le membre inférieur dansla rue soit pris en charge parla sécurité sociale. S’il se frac-ture la jambe au ski, en revan-che, cette prise en charge posequestion : il s’agit en effet d’unrisque privé, contre lequel illui appartient de s’assurer. Onretrouve cette volonté de frag-menter la prise en charge dusoin – essentiel, non essentiel,public ou privé – et l’on com-prend bien la logique écono-

mique illusoire et la volontéd’organisation du système desoins sur lesquelles s’appuiece raisonnement. Le problè-me est que rien de tout celan’a à voir ni avec la maladieni avec la mort, et encoremoins avec le corps humain.C’est aux médecins et aux pa-tients qu’il appartient d’affir-mer qu’on ne peut assurer lecorps humain comme on as-sure une automobile, avec desbonus, des malus, des retraitsde points et des primes aumérite.

L’accès aux soins ne semérite pas. Heureusement. Àpied, à cheval, en voiture oudu haut d’un échafaudage,avec ou sans papiers, avec ousans salaire, avec ou sans ca-sier judiciaire, fumeurs et nonfumeurs, ça s’appelle toujoursun droit fondamental. Mêmeà ski.

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Le principe de non discri-mination en raison de la na-tionalité figure dans de nom-breux textes de droit socialinternational ratifiés par laFrance. Ceux-ci ont été pour-tant peu utilisés par les défen-seurs. Il est vrai que la normeinternationale est dotée decaractéristiques qui la rendentdifficilement praticable ou in-certaine quant à son effetpour le justiciable. Le tri en-tre instruments déclaratifs etnormatifs réduit tout d’abordla portée du droit social inter-national.

L’applicabilité des textesinternationaux est souventsoumise à des conditionsstrictes d’effet direct et/ou deréciprocité. Les textes ayantun effet direct (self-executing)sont plutôt rares ; cela suppo-se un texte clair, précis et im-médiatement exigible. Dans

Les textes internationaux,une protection méconnue

Isabelle Daugareilh, chercheur au CNRS(Contrasec – Bordeaux 4)

ces conditions, un particuliera la faculté de se saisir du tex-te international dit parfait par-ce qu’il s’impose par lui-même, dès lors qu’il a été ra-tifié par l’État. Les normes in-ternationales sont souventsoumises à la condition deréciprocité, à savoir que desdroits équivalents, compara-bles ou considérés comme telsdoivent avoir été reconnusaux ressortissants des Étatssignataires.

Lorsque, d’autre part, ledroit international consacredes droits économiques et so-ciaux, ce qui est le cas dudroit à la santé et à la sécuri-té sociale, ce sont de « pau-vres droits ». Comparés auxdroits civils et politiques, cesont des droits qui, sur le planinternational, souffrent sou-vent de ne pas être justicia-bles. Ils ne font pas en effetl’objet d’un contrôle juridic-tionnel international directe-ment accessible par les per-sonnes mais seulement decontrôles inter-étatiques (sou-vent organisés à partir de rap-ports établis par les Étatsmembres eux-mêmes).

Formellement consacrésdans des textes internatio-naux distincts des droits civilset politiques, les droits écono-miques et sociaux, malgré unedoctrine forte de l’indivisibi-lité des droits fondamentauxde l’homme ont, pour toutes

ces raisons, été sous-estiméssur le plan du contentieux in-terne. Ceci étant, le principede l’égalité de traitement et denon discrimination est consa-cré par des normes internatio-nales qui véhiculent des logi-ques différentes de celles quipeuvent prévaloir sur le plannational. Ces normes sontcontrôlées dans leur applica-tion par des organes interna-tionaux – juridictionnels ounon – qui recourent à desméthodes d’interprétation quise distinguent de celles dujuge national. Ces logiques etces méthodes sont à l’originede conflits et de tensions,sources d’inspiration et d’ac-tion encore fécondes.

Des textes plus ou moinscontraignants

De nombreux textes pro-duits par les Nations uniessont purement déclaratifs etne peuvent donc avoir d’inté-rêt que d’un point de vue rhé-torique. D’autres instaurentdes obligations à charge desÉtats qui peuvent faire l’ob-jet d’un contrôle sur le planinterne et international.

Le Pacte international re-latif aux droits économiqueset sociaux des Nations uniesdu 16 décembre 1966 recon-naît le droit de toute person-ne à la sécurité sociale et auxassurances sociales. Le Pacte

Même s’ils sont formellementconsacrés dans des textesinternationaux, les droitséconomiques et sociauxont toujours été sous-estiméssur le plan du contentieux interne.Pourtant, égalité de traitementet non discrimination sont desprincipes fixés par des normesinternationales que des organesinternationaux sont chargésde contrôler. La confrontation avec le droit interne est souvent àl’origine de conflits et de tensions.

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international des droits civilset politiques consacre, pour sapart, le principe de non dis-crimination en raison de la na-tionalité, principe applicableaux droits économiques et so-ciaux depuis les décisions duComité des droits de l’hom-me de 1987. C’est sur cettebase que la France fut con-damnée en avril 1989 (affaireIbrahim-Gueye) par le Comi-té des droits de l’homme àpropos de la cristallisation despensions de militaires. Ceciétant, le juge administratiffrançais n’admet pas le carac-tère contraignant du texte in-ternational et ne s’estime paslié par la jurisprudence duComité des droits l’homme.

En ratifiant les conven-tions de l’OIT, les États s’en-gagent davantage car ils intè-grent dans leur ordre juridiquedes normes impératives, créa-trices d’obligations juridiques.Le contrôle internationalqu’elles engendrent est nonjuridictionnel, basé sur les rap-ports présentés par les Étatsmembres. Si le juge nationaladmet l’effet direct des con-ventions de l’OIT, toutes n’ontpas les mêmes vertus selonqu’elle sont soumises ou nonau principe de réciprocité.

Les deux conventions lesplus significatives qui s’appli-quent spécifiquement aux tra-vailleurs migrants sont lesConventions 97 de 1949 surles travailleurs migrants (ra-tifiée par la France) et 143 de1975 (non ratifiée par la Fran-ce). Ces deux textes ont pourpoint commun de ne pas êtresubordonnés au principe deréciprocité. La première con-vention contient l’engage-ment de l’État qui la ratified’appliquer, dans le domainede la sécurité sociale, le prin-cipe de non discriminationapplicable à tout risque cou-vert par un système de sécu-rité sociale. Elle comprend

cependant des tempéramentsen ce qui concerne le main-tien des droits acquis ou encours d’acquisition. Ladeuxième convention pose unprincipe d’égalité de traite-ment à l’égard de tous les tra-vailleurs migrants. Elle établitl’obligation de respecter lesdroits fondamentaux del’homme, quelle que soit leursituation administrative dansle pays d’accueil. Selon lacommission d’experts, lajouissance de ces droits nesaurait être liée à une exigen-ce relative à la citoyenneté ouà la résidence légale dans lepays d’emploi. Il en est ainside la sécurité sociale et autresavantages.

Le principe de l’égalitéde traitement

Les autres Conventionsde l’OIT dont peuvent béné-ficier les migrants sont cellesqui portent sur la sécurité so-ciale en général ou sur certainsrisques. Il s’agit principale-ment de la convention 102 de1952 relative à la norme mi-nimum de sécurité sociale (ra-tifiée par quarante États dontla France), 118 de 1962 surl’égalité de traitement en ma-tière de sécurité sociale (rati-fiée par trente-huit États dontla France) et 157 sur la con-servation des droits acquis ouen cours d’acquisition (rati-fiée par trois États sans laFrance). Ces conventions po-sent le principe d’égalité detraitement entre résidents na-tionaux et non nationaux.Outre qu’elles autorisent lesÉtats à apporter des tempé-raments en ce qui concerneles prestations exclusivementfinancées par les fonds publicsvia des conditions de résiden-ce, elles sont soumises à lacondition de la réciprocitéglobale ou particulière – pourcertains avantages sociaux.

Moins nombreux, les ins-truments européens non com-munautaires sont aussi subor-donnés à la condition de réci-procité. Tel est le cas de laConvention européenne sur lestatut juridique du travailleurmigrant de 1977 (ratifiée parla France en 1983) qui consa-cre l’égalité de traitement en-tre travailleurs, ou de la Con-vention européenne d’assis-tance sociale et médicale de1949 (ratifiée par la France)qui étend au domaine de l’as-sistance sociale et médicale leprincipe d’égalité de traite-ment fondé sur la réciprocitéconsacré, pour la sécurité so-ciale, par les accords intéri-maires européens et par laConvention européenne desécurité sociale. Deux instru-ments européens se distin-guent cependant.

Le premier, la Charte so-ciale européenne révisée con-sacre le principe de l’égalitéde traitement en matière desécurité et d’assistance socia-le et médicale. Longtemps res-tée dans l’ombre de la Con-vention européenne des droitsde l’homme, la Charte s’estenrichie en 1999 d’une nou-velle procédure de réclama-tions collectives reconnue àtrois catégories d’organisa-tions (organisations interna-tionales d’employeurs et detravailleurs, organisations in-ternationales non gouverne-mentales dotées d’un statutconsultatif auprès du Conseilde l’Europe et inscrites surune liste spéciale, enfin orga-nisations nationales représen-tatives d’employeurs et de tra-vailleurs).

Cette faculté nouvelle-ment offerte ne comprend pasde droit de recours individuelet ne peut pas porter sur dessituations individuelles. Lesrésultats des contrôles opérésfont état de violations, par les

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États membres, du principede l’égalité de traitement enmatière de droit à la sécuritésociale et d’assistance socialeet médicale. Tel était le cas dela France avant la promulga-tion de la loi portant CMU.Tel est toujours le cas à pro-pos de la condition de résiden-ce imposée aux seuls étran-gers pour accéder au RMI. Ettel pourrait à nouveau être lecas si les nouvelles mesuresenvisagées relatives aux con-ditions d’accès à l’AME ve-naient à être adoptées et mi-ses en œuvre.

De nouvelles possibilitésde recours

Quant à la Conventioneuropéenne des droits del’homme, elle n’était pas des-tinée à avoir un rayonnementen matière sociale. Mais, dansl’arrêt Gayguzuz du 18 sep-tembre 1996, la Cour euro-péenne des droits de l’hom-me a décidé que le droit à lanon discrimination – en rai-son de la nationalité – consa-cré par l’article 14 de la Con-vention, associé au droit aurespect des biens de l’arti-cle 1 du Protocole n° 1 était« applicable » aux droits so-ciaux. Par ailleurs, le contrô-le du respect de la Conven-tion est le fait d’une juridic-tion spéciale, la Cour euro-péenne, qui peut être direc-tement saisie par toute per-sonne relevant de la juridic-tion d’un État membre.

Cette faculté de saisinedirecte du juge européenajoutée à la procédure de ré-clamations collectives dans lecadre de la Charte sociale per-met de combiner des recoursinternationaux sur le princi-pe de non discrimination ense fondant sur deux textescomplémentaires consacrantles droits fondamentaux del’homme.

Il paraît moins probableque la Charte de Nice ait uneportée comparable. Rédigée« à droit constant », elle con-sacre plutôt l’inégalité entreles citoyens de l’Union euro-péenne et les ressortissantsdes États tiers. D’une part,l’article 21, § 2 stipule quetoute discrimination en raisonde la nationalité est interditedans le champ d’applicationdu Traité. D’autre part, les ar-ticles 34 et 35 renvoient, pourl’exercice des droits à la sé-curité sociale, à l’aide socialeet aux services de santé auxlégislations nationales.

D’autres normes interna-tionales reconnaissent avec lamême force – contraignante– le principe d’égalité de trai-tement ou de non discrimina-tion en raison de la nationali-té. Il s’agit des conventionsbilatérales de sécurité socialeet des accords de coopérationmultilatéraux liant des Étatstiers à l’Union européenne etsur lesquels a pu être fondéeune abondante jurisprudencecommunautaire et nationaleen matière de prestations so-ciales non contributives.

Dans l’ensemble assezvaste des normes internatio-nales pouvant fonder un re-cours devant le juge nationalcontre une discrimination enraison de la nationalité dansl’accès aux prestations socia-les, la Convention européen-ne des droits de l’homme oc-cupe une place particulière :elle est d’application univer-selle, d’effet direct et elle re-pose sur un dialogue des ju-ges non institutionnalisé, mais

efficace. L’arrêt Gayguzuz quenous venons de citer en est l’il-lustration. Cette décision a étédirectement utilisée par lejuge français pour écarter l’ap-plication du droit national, en1999, par la Cour de cassa-tion (affaire Bozkurt), et en2001 par le Conseil d’État (af-faire Diop).

Les deux juridictions ontrepris à leur compte l’intégra-lité de l’interprétation du jugeeuropéen pour déciderqu’étaient contraires à la Con-vention les législations fran-çaises qui posaient le critèrede nationalité comme condi-tion d’accès aux prestationssociales non contributives oucomme condition pour avoirdroit à une pension de retrai-te militaire non cristallisée.Dans ces deux grands arrêts,il s’agissait d’une discrimina-tion directe, en raison de lanationalité, subie par desétrangers en situation réguliè-re ou pour lesquels laquestion du séjour était indif-férente. La question est alorsde savoir si un étranger sanstitre de séjour régulier rési-dant sur le territoire nationalpourrait revendiquer le béné-fice de prestations maladie ennature en dehors des possibi-lités offertes par l’aidemédicale ou d’une demandedérogatoire auprès du minis-tre compétent ?

Si le droit à la santé estun droit fondamental del’homme et ne peut donc pascomprendre de distinction enraison de la nationalité, est-iljuridiquement possible de le

» Le critère de la régularité du séjourconduit à des incohérences au seindu droit national, sources d’inégalitéset de discriminations que rien ne permetde légitimer.

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limiter par des considérationstenant à la situation adminis-trative de l’intéressé ? Endroit international, la répon-se varie selon le champ d’ap-plication personnel des textes.S’ils portent sur les droits del’enfant, les réfugiés politiques(demandeurs d’asile) ou lesapatrides, les conventions in-ternationales qui s’y rappor-tent rejettent de manière ex-presse ou implicite toute for-me de limitation. En dehorsde ces hypothèses, les textessont moins clairs.

Objectivité, légitimité,proportionnalité

La question a été traitéepar la Cour de cassation dansun arrêt du 19 décembre 2002.La Haute Cour a rappelé quel’ayant droit de nationalitéétrangère doit justifier d’un ti-tre de séjour ou d’une deman-de de titre de séjour pour pou-voir bénéficier de la prise encharge des soins délivrés surle territoire national. Ces exi-gences figurent aux articlesL.161-25-2 et D.161-15 ducode de la sécurité sociale. Lesdemandeurs faisaient valoirque ces dispositions étaientcontraires aux articles 8 et 14de la Convention européennedes droits de l’homme.

La Cour de cassation aestimé que l’exigence de la ré-gularité du séjour était com-patible avec la Conventioneuropéenne car la dispositionlégale en cause était objectiveet justifiée « par la nécessitépour un État démocratiqued’exercer un contrôle à l’entréede son territoire et que l’ouver-ture des droits sociaux pour leconjoint de l’assuré n’est subor-donnée qu’à la production d’unrécépissé de demande de titre deséjour et non à une autorisationadministrative ». On retrouvedans l’appréciation de la Hau-te juridiction les trois tempé-

raments au principe de nondiscrimination acceptés par lejuge européen : l’objectivité,la légitimité et la proportion-nalité.

Faut-il voir dans les élé-ments retenus par la Cour decassation, pour admettre laproportionnalité entre le butpoursuivi et les moyens utili-sés, une possible fissure d’unsystème légal bâti sur la con-dition de régularité du séjour ?Le récépissé de première de-mande de titre de séjour ac-compagné du certificat de con-trôle médical délivré parl’OMI au titre du regroupe-ment familial est le titre quipermet au membre de la fa-mille qui rejoint le demandeurrésidant en France d’entrer etde séjourner régulièrementsur le territoire. En principe,arrivé à ce stade, toutes lesconditions posées par la loipour bénéficier du droit auregroupement familial ont faitl’objet de contrôles qui per-mettent d’une part d’obtenirun visa pour accéder au terri-toire et, d’autre part, de dé-poser effectivement une de-mande de titre de séjour unefois arrivé sur le territoire.

La loi du 11 mai 1998ayant abrogé la possibilité,pour le préfet, de procéder àune double vérification, la re-mise en cause de l’autorisa-tion d’admis-sion ne peut êtrequ’exceptionnelle (rupture dela vie commune, fraude).Dans ces conditions, la nuan-ce apportée par la Cour decassation entre l’autorisationadministrative et le récépisséde demande de titre de séjourpeut paraître d’une portée trèslimitée.

Les circonstances de l’es-pèce auraient pu cependantconduire la Cour à une autresolution car il y avait urgenceà délivrer des soins. Or, com-ment justifier la coexistence

de solutions contraires pourdes situations analogues ?Dans un cas, un résident dé-pourvu de ressources, et quel-le que soit sa situation admi-nistrative, a accès aux soinsen milieu hospitalier pris encharge par l’aide médicale.

Une incompatibilitéde nature

Dans un autre cas, un ré-sident, parce qu’il est ayantdroit d’un assuré social, nepeut pas bénéficier de l’aidemédicale et se voit imposerd’exhiber un titre de séjour ouun récépissé de demande deséjour pour pouvoir avoirdroit aux prestations en na-ture de l’assurance maladie ;à défaut, c’est l’impasse.

Cette hypothèse de nondroit est totalement dépour-vue de justification objectiveet raisonnable puisque, parailleurs, le législateur a lui-même mis en place un systè-me d’aide médicale ouvert àtous les résidents quelle quesoit leur situation administra-tive, au titre de l’universalitédu droit à la santé.

Quelles considérationstrès fortes pourraient justifierun telle différence de traite-ment entre des situations aufond analogues ? L’argumentde la Cour de cassation selonlequel un État démocratiquedoit pouvoir contrôler l’accèsà son territoire pourrait-il êtreretenu comme un argumentde poids justifiant des différen-ces de traitement en matièred’accès aux soins de santé,alors que cet État a voulu met-tre en place un système d’ac-cès aux soins pour tous lesrésidents et a été plus loin enreconnaissant un droit au sé-jour aux étrangers malades ?

En d’autres termes, etdans l’espèce, comment l’Étatfrançais pourrait-il justifier,

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devant le juge européen, qu’iltraite différemment deux ré-sidents étrangers en situationirrégulière si ce n’est parcequ’il dispose d’une législationqui contient en matière de san-té non pas une contradictionmais une incompatibilité denature entre l’universalité et lacondition de régularité ? Cet-

te incompatibilité repose surune discrimination indirecte enraison de la nationalité nonconforme à la Conventioneuropéenne des droits del’homme, à la Charte socialemais aussi à l’alinéa 11 duPréambule de la Constitutionfrançaise que la loi portantCMU devait permettre de met-

tre en œuvre. La décision dela Cour de cassation montrebien que le critère de la régu-larité du séjour conduit à desincohérences au sein du droitnational, sources d’inégalitéset de discriminations qui pour-raient être condamnées par lejuge européen parce que rienne permet de les légitimer.

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Les inégalités de santé nefont pas l’objet, en France,d’un suivi ni régulier, ni suffi-sant. C’est pourquoi la publi-cation, en 2000, du livre col-lectif de l’INSERM « Les iné-galités sociales de santé » estun événement important(1).

De ce livre on peut tirerau moins trois informations :

1 - Dans le cadre d’uneamélioration générale del’état de santé, les inégalitéssociales de santé demeurentd’une grande stabilité. Lacomparaison des enquêtes(1979-1985) et (1987-1993)sur les causes de décès deshommes actifs entre 25 et54 ans montre que, pour tou-tes les causes de mortalité etpour toutes les catégories so-ciales, les taux de décès ontdiminué, mais que la surmor-talité des ouvriers/employéspar rapport aux cadres supé-rieurs et professions libéralesest restée assez stable, pas-sant, sur les mêmes périodes,de 2,9 à 2,6(2).

2 - Ces inégalités ne seconcentrent pas sur des grou-pes marginalisés, elles traver-sent l’ensemble de la société.

3 - La France connaît,dans le domaine des inégali-tés sociales de santé, une si-tuation plus mauvaise que cel-le qui prévaut dans les autrespays de l’Union européenne(voir tableau).

Ces inégalités de santétrouvent leur source principa-le dans les inégalités sociales.Interviennent ici les condi-tions de logement, l’alimenta-tion, les conditions de travail(ou de non-travail).

ciales), si elle progresse for-tement chez les plus jeunes(alimentation), elle augmen-te ces dernières années toutspécialement dans les zonesqui ont connu une forte dé-gradation de leur situationéconomique.

La complexité des causess’ajoute à la non-formationdes professionnels du soin surce sujet pour les conduire àune prise en charge exclusi-vement sanitaire qui traite lessymptômes dans une ignoran-ce totale des causes.

La notion même de be-soin de santé, et donc de re-

Quelles politiquesen matière de santé ?

Pierre Volovitch, chercheur à l’IRES, institut de rechercheéconomique et sociale

Les inégalités de santé,que les enquêtes font apparaîtrecomme terriblement stables,trouvent leur source principale dansles inégalités sociales et découlentde causes souvent multiples etcombinées. Les questions de santésont des questions collectives quidemandent des réponses collectivesqui ne se limitent pas aux soins.

cours aux soins, est fortementmarquée socialement. Les ca-tégories favorisées exprime-ront des besoins de santé dansdes conditions de gêne ou dedouleurs qui ne seront pasprésentées comme des pro-blèmes de santé par des po-pulations plus modestes. Deces différences de perceptiondécoulent des comportements

1. « Les inégalitéssociales desanté », coéditépar l’Inserm et LaDécouverte, estun gros livre440 pages, à nepas lire d’un trait,mais que chaquegroupe militantdevrait posséderpour organiserdes discussionsautour de tel outel chapitre.

2. Inserm :« Les inégalitéssociales desanté », page 153.

Si, dans certains cas, lacause est unique et peut doncêtre identifiée : amiante, sa-turnisme…, en général lescauses sont souvent multipleset combinées. Ainsi, dans destravaux récents sur l’obésité,G. Salem et son équipe mon-trent que si celle-ci a toujoursété plus présente chez lesplus pauvres (inégalités so-

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clairement différenciés dansl’accès aux soins. De nom-breuses études dans diffé-rents pays d’Europe font ap-paraître que les catégoriessociales favorisées ont recoursaux soins de façon précoce(plus de recours à la préven-tion, plus de recours à la mé-decine de ville, moindre re-cours à la médecine hospita-lière), tandis que les catégo-ries plus modestes n’ont re-cours aux soins que lorsquele problème de santé ne peutplus être ignoré (moindre re-cours à la médecine de ville,recours plus important à lamédecine hospitalière).

Si les obstacles financiersà l’accès aux soins jouent unrôle dans ces différences decomportements, elles n’en ex-pliquent qu’une partie. Dansles pays de l’Europe du Nordoù l’accès aux soins est tota-lement gratuit, on constateque ces différences dans lerecours aux soins existentégalement.

Si l’on tient compte deces données, il est clair qu’unepolitique de santé ne devraitpas se limiter à une politiquedu soin. Une réelle politiquede santé est une politique qui,à propos de chaque choix col-lectif, qu’il concerne le travail,l’alimentation, le logement,l’éducation… se pose la ques-tion de l’impact de cette déci-sion sur la santé.

De ce point de vue, iln’existe pas en France de po-litique de santé. Dans notrepays, la dimension santé deschoix collectifs est systémati-quement placée en secondplan. Pour illustrer cette réa-lité, il suffit de rappeler que,si un problème de santé a sonorigine dans l’alimentation, leministère compétent est le mi-nistère de l’agriculture, si leproblème de santé a son ori-gine dans les conditions de tra-

vail, cela relève du ministèredu travail...

Dans ce pays, la santé estle plus souvent réduite auxsoins, les soins eux-mêmesn’étant pensés que commeune relation individuelle. Carce pays, qui n’a pas de politi-que de santé, n’a pas non plusde politique du soin. Le sys-tème de soins est aujourd’huiprofondément morcelé : ville/hôpital, généralistes/spécialis-tes, médecins/paramédi-caux… , et a le plus grand malà s’articuler avec le secteur dutravail social.

Cette présentation de lasituation est-elle trop négati-ve ? Des évolutions sont in-contestablement en cours. Lapublication des rapports sur lasanté des Français par le Hautcomité de santé publique,l’existence de lieux de débats,largement perfectibles, au ni-veau national avec laconférence nationale de santéet surtout au niveau régionalavec les conférences régiona-les de santé, la volonté de l’ac-tuel ministre de la santé de fai-re voter une « loi de santé pu-blique », l’accord général surle fait qu’il faut penser lessoins dans le cadre d’un « sys-tème » et articuler ce systèmede soins avec le secteur so-cial… Toutes ces évolutionsmanifestent que la probléma-tique de santé publique, et cel-le de l’organisation du systè-me de soins, sont en train defaire leur chemin. Les obsta-cles demeurent puissants.

Quel pourrait être ici lerôle de l’assurance maladie ?

En 1945, la mise en place del’assurance maladie ne visaitpas à construire un autre sys-tème de soins, encore moinsde santé. Au fil des années, lechamp de compétence de l’as-surance maladie à été de plusen plus réduit.

A contre-courant de cet-te évolution, l’actuelle direc-tion de la CNAM voudrait fai-re sortir les conventions qu’el-le signe avec les professionnelsde santé du strict domaine ta-rifaire et leur donner un con-tenu plus large intégrant unepolitique d’organisation dusoin (médecin référent) voirede santé publique (campagnesur l’usage des antibiotiques).

Quelle peut être demainla place future de l’assurancemaladie dans la mise en placed’une politique de santé ? Cerôle futur est fortement lié àla place que ces organismes,leurs structures nationales,mais aussi, et peut-être sur-tout, leurs structures localespourront prendre dans les ré-flexions et les débats autourdes politiques de santé publi-que. De ce point de vue, leurcomposition (ouverture ounon aux mutuelles, aux asso-ciations…) mais aussi le rôleet les moyens des « adminis-trateurs » qui y représententles assurés sociaux, serontsans doute déterminants.

Les questions ouvertes icisont multiples. Place de l’Etatet de l’assurance maladie ? Al’intérieur de l’acteur étatique,quelles places respectivespour l’administration et pour

» Une réelle politique de santéest une politique qui, à propos de chaquechoix collectif, qu’il concerne le travail,l’alimentation, le logement, l’éducation…se pose la question de l’impactde cette décision sur la santé.

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le parlement ? Quel rôle etquelle composition des orga-nes de l’assurance maladie ?Quelle relations avec les pro-fessionnels ? C’est des répon-ses à l’ensemble de ces ques-tions que dépend largement lamise en place d’une politiquede santé publique réellementet largement débattue.

La mise en place de laCMU nous apporte deux in-formations importantes.

En rendant effectif ledroit à l’accès à l’assurancemaladie de base et en ajoutantà cette couverture de base unecouverture complémentairede bon niveau(3), la CMU àpermis un meilleur accès auxsoins.

lioré la situation. Mais ellen’est pas une condition suffi-sante. Il y a, dans les inégali-tés d’accès aux soins, des di-mensions sociales et culturel-les que la CMU ne prendaucunement en charge.

La mise en place de laCMU est également importan-te par l’éclairage qu’elle nousapporte sur une questiond’actualité : quelle place pourles couvertures complémen-taires ?

Le constat est unanime,le fait d’être couvert par l’as-surance maladie de base nepermet pas, aujourd’hui enFrance, d’accéder aux soins.On aurait pu espérer que, dece constat unanime, naisse un

de report de réforme, maisqui pourra toujours servir.

La situation actuelle enmatière de complémentaireest profondément inégalitaire.Inégalités entre ceux qui peu-vent se payer une complémen-taire et ceux qui ne le peuventpas. Inégalités de niveau decouverture entre des complé-mentaires qui apportent unecouverture de bon niveau etcomplémentaires beaucoupmoins protectrices. Inégalitésdans le financement car si cer-taines cotisations de complé-mentaires sont proportionnel-les au revenu d’autres sont for-faitaires, avec d’éventuellesmodulations en fonction del’âge.

objectif également unanime :améliorer le niveau de priseen charge de l’assurance ma-ladie de base. C’était oublierque les raisonnements politi-ques sont aujourd’hui écraséspar le dogme de la nécessai-re diminution des prélève-ments obligatoires. Du cons-tat unanime est donc sortieune réponse dominante : ilfaut permettre à tous d’accé-der à une couverture complé-mentaire(4). L’accès de tous àune complémentaire étaitdéjà le fond du rapport Bou-lard qui a préparé la mise enplace de la CMU. C’est leprojet affiché du rapportChadelat remis au printempsà l’actuel ministre de la san-té, actuellement remisé aufond d’un tiroir pour cause

La complémentaire CMU,vu la population couverte, nepouvait que répondre à cesquestions. Elle est gratuite etuniforme. Dans cette situa-tion, la possibilité offerte auxbénéficiaires de la CMU de« choisir » leur complémen-taire n’avait pas de sens. Ré-sultat : pour plus de quatre bé-néficiaires sur cinq, la com-plémentaire est prise en char-ge par l’assurance maladie debase, situation que le disposi-tif mis en place n’avait prévuque pour des cas très minori-taires. Les bénéficiaires de laCMU ont « choisi » une aug-mentation du niveau de cou-verture de l’assurance mala-die de base.

Chadelat a bien comprisl’écueil. Si l’on veut qu’il y ait

3. Le CREDES acalculé que leniveau decouvertureapporté par lacomplémentaireCMU estsupérieur à 40 %des couverturesoffertes sur lemarché.

4. Car, commechacun sait,lorsque chacunpaye unecotisationsociale, ilacquitte unprélèvementobligatoire alorsque, lorsque toutle monde paieraune primed’assurancecomplémentaire,ces sommes neseront pas desprélèvementsobligatoirespuisque cetteprime, quechacun acquit-tera, demeurera…facultative.Miracle duformalismestatistique.

Le mode d’accès auxsoins des bénéficiaires de laCMU demeure tout à fait spé-cifique. On retrouve ici, demanière renforcée, la sous-consommation de soins de vil-le et la sur-consommation hos-pitalière propres aux popula-tions modestes déjà évoquéeci-dessus. Le peu de reculdans la mise en place de lamesure ne permet pas de dires’il s’agit d’un phénomène quis’amoindrira avec le temps oud’une caractéristique plus pé-renne.

Nous l’avons vu en par-lant des inégalités de santé. Lagratuité de l’accès aux soinsest sans aucun doute une con-dition nécessaire à la réduc-tion des inégalités. Et, de cepoint de vue, la CMU a amé-

Écart des dépenses annuelles selon les catégories socioprofessionnelles

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concurrence entre complé-mentaires, il faut qu’il y ait unchoix. Il ne faut donc pas en-cadrer les complémentairesdans des contraintes trop ri-gides portant sur les tarifs etsur la couverture offerte.Mais s’il y a concurrence, quiddes inégalités ?

Le choix dès lors est biencelui-ci. Ou bien chacun peutaccéder à une complémentai-re dont le contenu est définiet le prix encadré. Mais alorsoù est la concurrence et alorspourquoi préférer cette solu-tion à une amélioration de lacouverture maladie de base ?Ou bien chacun peut accéderà une complémentaire sansque le niveau de couverturesoit défini et les prix encadrés,

5. Nous rappelercar après tout lesgrandes politi-ques d’hygiènequi s’étaientattaquées à laqualité deslogements, del’eau, qui avaientmis en placeles vaccinations,et les politiquessociales sur letravail desenfants« savaient »déjà tout cela.

on aura de la concurrence etdes inégalités.

Nous avons cru un mo-ment que les problèmes desanté pouvaient être traitéspar les soins, dans le cadred’un « dialogue singulier »entre le professionnel et lemalade. L’amiante, la vachefolle, le SIDA, le saturnisme,l’explosion des troubles mus-culo-squelettiques directe-ment liés à l’évolution des con-ditions de travail, la progres-sion de l’obésité… sont venusnous rappeler que les ques-tions de santé sont aussi desquestions collectives qui de-mandent des réponses collec-tives dont les domaines d’ap-plication ne se limitent pasaux soins(5).

Et, depuis Hirschman,nous savons qu’il y a deux fa-çons de prendre en charge lesquestions collectives. Le dé-bat public ou le marché. Met-tre en place un débat publicsur les questions de santé nesera pas simple, car si la san-té à un caractère collectif,ses enjeux, la douleur et lamort, ont une dimension ir-réductiblement individuelle.Mais si nous ne savons pasposer et résoudre la questiondes choix dans le domaine dela santé dans le cadre d’undébat collectif, les mar-chands, eux, sont prêts.Prêts à nous fournir des so-lutions plus simples, plus dis-crètes, plus individuelles etplus inégales.

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Je ne suis pas médecin,mais depuis vingt ans maîtres-se d’école, et depuis cinq ansdirectrice d’une école mater-nelle dans le 19e arrondisse-ment de Paris. Des enfantsvictimes du saturnisme, nousen voyons tous les jours. Toushabitent des immeubles à ris-que, presque tous sont dépis-tés par les PMI et presquetous ont des résultats deplombémies très élevés. Beau-coup ont des troubles du com-portement (sautes d’humeur,sommeil trop lourd ou hype-ractivité), certains ont des re-tards de langage, d’autres,plus rares, réussissent tout àfait leur scolarité. Tous ontdes séquelles plus ou moinsimportantes, plus ou moinsdécelables.

Depuis peu, on peut lireclairement le résultat desplombémies dans le carnet desanté, et depuis peu, la méde-cine, et la médecine scolaire

Le saturnisme

Élisabeth Chatenet, présidente de l’association des famillesvictimes du saturnisme

Depuis 1998, l’association desfamilles victimes du saturnismemène un combat sans relâche contrece que l’on appelle la « maladie destaudis ». A côté de l’aide matériellequ’elle apporte, c’est surtout sur leplan judiciaire que l’associationplace ses espoirs pour que les tortsfaits à ces familles, en particulieraux enfants, soient reconnus et queles victimes soient enfinindemnisées.

en particulier, prennent encompte cette maladie.

L’AFVS(1) créée en 1998pour lutter contre l’explosionde cette maladie réapparuedans les années 80 et aider lesfamilles qui en sont victimes,se bat pour faire connaître cevéritable problème de santépublique. Elle se bat par tousles moyens légaux à sa dispo-sition, engage des actions enjustice, aide les familles dansleurs démarches, dans leursefforts pour s’extraire d’unlogement qui empoisonneleurs enfants. Elle lutte, mal-gré de faibles moyens hu-mains, pour faire reconnaîtreles conditions de vie indignesde toute une partie de la po-pulation, la plus faible, la plusdémunie. Elle lutte pour queceux qui ont fui la misère,voient les torts qui leur sontfaits reconnus y compris enjustice.

C’est ainsi qu’une des dé-marches « phare » de l’asso-ciation est le dépôt de deman-des en indemnisation auprèsde la Commission d’indemni-sation des victimes d’infrac-tions (CIVI). Cette démarchen’est pas originale puisqu’ellea déjà été utilisée par les mem-bres de l’Association nationa-le des victimes de l’amiante(ANDEVA). Elle consiste àdemander au juge judiciairede reconnaître qu’il y a eu in-

fraction (même si les auteursde celle-ci ne sont pas con-nus), et que cette infractionest à l’origine de préjudicesmatériels et moraux subis parles victimes.

Dans le cas particulier dusaturnisme, le fondement decette procédure repose surl’idée selon laquelle les admi-nistrations concernées, parleur inaction ou leur actiontrès tardive (en manquementde leurs obligations légales),et cela malgré leur parfaiteconnaissance des situations,sont responsables de diffé-rents dommages causés parcette maladie. Par consé-quent, les victimes (les enfantset leurs parents) doivent êtreindemnisées.

Une première victoire,concernant plusieurs dossiersqui représentaient une qua-rantaine d’enfants, a été ob-tenue le 25 juillet 2002. LaCIVI de Paris, présidée parMadame Bertella Geoffroy aen effet estimé que, « (…)Après la délivrance des soins,l’information donnée aux pro-priétaires impliquait d’effectuerdes travaux de décontamina-tion, et l’information donnéeaux autorités administrativesimpliquait d’assurer un loge-ment provisoire voire définitifà la famille seuls moyens destopper le saturnisme. C’estd’ailleurs ce que préconise la loi

1. AFVS, c/o ESH,78/80 rue de laRéunion, 75020Paris –[email protected]

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du 29 juillet 1998, sur le sa-turnisme ;

A cet égard, peu importeque les plombémies dangereusespour la santé aient été relevéesavant ou après la promulgationde la loi du 29 juillet 1998 dansla mesure où celle-ci ne vient quepréciser, par une réglementation,les obligations des propriétaireset autorités administratives lors-que des cas de saturnisme sontdécelés dans un immeuble etdans la mesure où le délitd’omission de porter secourssanctionne non pas le manque-ment d’une obligation édictéepar la loi mais le manquementau devoir d’humanité ».

Un recours en appel a étéformé contre cette décisionpar le « fonds de garantie desvictimes des actes de terroris-me et d’autres infractions »(2).

Une deuxième série com-posée de cinq dossiers a étédéposée au printemps 2003 etexaminée par la CIVI de Pa-ris le 25 septembre dernier. Ladécision doit être rendue le20 novembre [voir en enca-dré, le communiqué diffusé aulendemain de cette décision.NDLR]

Quel qu’en soit le résul-tat, ce qui frappe d’embléec’est l’angle de défense adop-té par les administrations :l’avocat du fonds de garantiesoutient, en effet, qu’il nes’agit pas à proprement par-ler de « victimes de saturnis-me » car, une fois que les en-fants atteints ont bénéficié dutraitement approprié (en l’es-pèce la chélation(3)), on esti-me qu’ils sont « guéris ». Deplus, si victimes il y a, la fauteen incombe aux parents quisont allés « squatter » des lo-gements insalubres mettantainsi en péril la santé de leursenfants. Ces arguments sontsurprenants car ils feignentd’ignorer toutes les étudesscientifiques qui ont été me-

nées à la fois sur cette ques-tion du saturnisme propre-ment dite, et sur toute la pro-blématique liée au logement.

Cela étant, quel que soitle contenu du jugement quisera être rendu le 20 novem-bre prochain par la CIVI deParis ou la décision de la Courd’appel de Paris, l’AFVS con-tinuera à déposer des requê-tes auprès des tribunaux pourfaire valoir les droits des vic-times du saturnisme ainsi quepour rappeler les devoirs desadministrations concernées.

Dans ce combat, on cons-tate cependant que les ensei-gnants, qui sont pourtant destémoins privilégiés, ne sontpas du tout ou peu sensibili-sés à cette maladie et à seseffets, et continuent à attri-buer les symptômes visiblesdu saturnisme à l’origine eth-nique ou à de mauvaises pra-tiques d’éducation des pa-rents. Il est vrai qu’ils sont peupréparés à enseigner à tous

ces enfants qui vivent si malchez eux que l’école devientaccessoire et loin de leur quo-tidien.

Nous avons observé àl’école des troubles physiques,encore que les symptômes dusaturnisme ne se voient pas entant que tels. Mais il existeaussi des troubles mentaux desenfants et des adultes, une dé-sorganisation des familles quivivent dans des logements sur-peuplés et insalubres. Lesadultes, occupés à leur survieimmédiate, à l’obtention depapiers nécessaires et souventinaccessibles dans un environ-nement hostile, n’accordentpas toute l’attention nécessai-re à l’éducation de leurs en-fants, ce qui construit un re-tard scolaire durable, aggravépar la maladie. Les enfants, quise retrouvent en trop grandnombre dans les mêmes éco-les, les mêmes classes, ne bâ-tissent pas le réseau des ami-tiés enfantines qui permet depasser par-dessus les barrières

2. Le Fonds degarantie prévupar l’articleL 422-1 du codel’assurance estchargé d’apporterréparation« des dommagesrésultant d’uneatteinte à lapersonne ».

3. La chélation estun traitement quiconsiste à drainerle plomb encirculation dansle corps. Iln’éliminecependant pas leplomb stockédans les os.L’hospitalisationdu patient estnécessaire.

– Communiqué –

SATURNISME : NOUVELLE VICTOIRE DES FAMILLES

Le 25 Juillet 2002, la Commission d’indemnisation des victimes d’in-fractions (CIVI), présidée par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroyavait reconnu, pour la première fois, le préjudice d’« omission deporter secours à personne en danger » porté à treize familles d’en-fants intoxiqués par le plomb.

Le 25 septembre 2003, cinq nouveaux dossiers de familles victimesdu saturnisme, soutenues par l’AFVS, ont été présentés devant laCIVI.

Au cours de l’audience, le Fonds de garantie et le procureur de laRépublique, avaient plaidé l’inexistence de l’infraction, l’irrecevabi-lité des requêtes et demandé à la CIVI de surseoir à statuer.

Le 20 novembre 2003, la CIVI a rendu un deuxième jugement positifsur ces dossiers en reconnaissant le caractère matériel de l’infrac-tion et la recevabilité des requêtes d’indemnisation présentées parles familles. Comme la première fois, une expertise médicale déter-minera l’importance du préjudice.

L’AFVS se félicite de ce jugement qui marque une autre étape impor-tante dans la lutte menée par les familles pour la reconnaissance deleurs droits, et qui confirme l’urgence sanitaire représentée par lesaturnisme infantile, ce que l’administration avait remis en cause.

AFVS, le 21 novembre 2003

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de langue, de coutumes, de mi-lieu. Ils restent « entre eux ».Leur intégration s’en trouveretardée ou stoppée ; les ghet-tos se durcissent, le commu-nautarisme s’installe, avec larévolte de ces enfants devenusadolescents qui sont cons-cients de vivre dans un mon-de à deux vitesses. Deux mon-des cohabitent, séparés parune barrière qui prépare lesdéséquilibres de demain, nour-rit la rancœur et le racisme.

Aujourd’hui, tout le mon-de en parle, le Monde a ré-cemment publié une page en-tière sur le saturnisme(4), lesarticles de presse s’accumu-lent. La mairie de Paris, l’Etatfinancent des actions de dé-pistage, répertorient, invento-rient les zones à risque. Lesplombémies sont rembour-

sées à 100 %, M. Delanoë lan-ce un programme d’éradica-tion de l’habitat insalubre àParis, des conventions sontsignées, des lois paraissent.

Tout cela est bien, et nousne pouvons qu’approuver cet-te volonté affichée d’avancer,cette levée de la loi du silen-ce, cette démarche d’inventai-re qui permet de prendre lamesure de la catastrophe sa-nitaire.

Mais je veux dire claire-ment ceci : la France vieillit,et nous avons besoin des im-migrés, de leurs bras et deleur tête, de leurs enfants, dela force et de la richessequ’ils apportent dans leurvolonté de fuir la misère etde s’intégrer à une sociétéd’abondance.

Je me rappelle un articlede Libération qui expliquait,chiffres à l’appui, le besoinvital de notre société d’« im-porter » des immigrés pourpallier le vieillissement de lapopulation européenne. Ça,c’est un argument économi-que, cynique, certes, maisc’est la réalité. Mais le Norda pillé et pille encore le Sud ;aujourd’hui il faut absolumentrenier les réflexes coloniaux,il faut instaurer des relationsd’entraide et arrêter de con-sidérer l’immigration commeun fléau, un flux qu’il faut ta-rir. Il ne faut pas installer debarrières, qui seront toujoursdérisoires (tous les murs finis-sent par tomber), mais instal-ler, organiser un véritable ac-cueil des immigrés et de leursfamilles.

En 2003, à Paris, des familles viventtoujours dans des logements insalu-bres et dangereux. Leurs enfants s’in-toxiquent tous les jours au plomb.« Du plomb dans la tête » témoignede leur lutte quotidienne face au mallogement, la maladie et l’exclusion.

Un documentaire pour les associa-tions, les enseignants, les travailleurssociaux, les médecins et les élus char-gés du logement et de la lutte contrel'exclusion.

A commander à l’Association des fa-milles victimes du saturnisme(AFVS), 78-80 rue de la Réunion,75020 Paris – Tél. 01 44 64 04 47

VHS, 50 min, 20 € franco de port

4. Le Mondedu 16 septembre2003, « Nouvellemobilisationcontre lesaturnisme,la maladie destaudis ».

DU PLOMB DANS LA TÊTE – Un film de Fabrizio Scapin

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En 1991, un dossier de larevue Plein droit intitulé« Quel droit à la santé pourles immigrés ? » faisait appa-raître les dénis de droit à lasanté au travail et les formesde discrimination qui l’ac-compagnent dans le vécu quo-tidien du travail des hommeset des femmes immigrés enFrance. Il mettait égalementen évidence l’inégalité entreFrançais et immigrés face à lamaladie ou dans l’accès à lacontraception. Concernant lesaccidents du travail et les ma-ladies professionnelles, le dos-sier concluait à la nécessitéd’une plus grande visibilitédes atteintes à la santé liéesau travail des étrangers, l’ob-jectif étant de garantir l’égali-té des droits en matière deprévention et de réparation deces atteintes tout en amélio-rant ces droits eux-mêmes.

A partir de quelquesexemples, ce texte montrecomment l’invisibilité des at-

teintes liées au travail desétrangers s’est renforcée avecles transformations du travaildepuis vingt ans. Dans uneseconde partie, à partir del’exemple de l’amiante, laquestion d’un droit à la retrai-te sera évoqué notammentpour ceux que le travail a usésprématurément.

Depuis la fin des annéessoixante-dix, la sous-traitanceet l’intérim sont devenus,pour les directions d’entrepri-ses, les principaux outils de lagestion de l’emploi, du travailet des risques. Trois types derisques permettront d’en il-lustrer l’impact sur les condi-tions de santé au travail destravailleurs étrangers ou issusde l’immigration : risque im-médiat – l’accident du travail–, risque d’usure par l’inten-sification du travail que per-met la précarisation et l’indi-vidualisation des emplois, ris-ques à effet différé quand tousles risques se cumulent enbout de cascade de sous-traitance.

« Sous-traitez vosaccidents du travail »

A l’institut de veille sani-taire, on parle de mortalitéévitable… notamment quandon parle de celle des jeunes demoins de vingt-cinq ans. Onmet donc d’emblée l’accent

sur la faute personnelle desvictimes : les jeunes n’ont pasle sens du danger, ils« aiment » prendre des ris-ques. Ce qu’oublient le plussouvent ces analystes de lamortalité précoce, c’est l’im-portance des accidents du tra-vail dans cette mortalité juvé-nile : un accident du travail surquatre touche un jeune demoins de vingt-cinq ans, alorsque les jeunes de cette tran-che d’âge ne représentent enmoyenne que 7 % de la po-pulation salariée ayant unemploi. Les jeunes d’origineouvrière sont les plus touchés.Parmi eux, nombreux sontceux issus de l’immigration.L’histoire qui suit montre lesconditions d’entrée dans la vieactive de ces jeunes : intéri-maires, préposés au travaildangereux, manquant de for-mation, ils subissent des rap-ports de domination au seinmême du collectif de travail.

Deux jeunes d’originemaghrébine (vingt-six etvingt-et-un ans), sont recrutésen intérim par une société desous-traitance. Il s’agit d’uneopération de nettoyage de si-los dans l’industrie alimentaireen Seine Saint-Denis. Ils doi-vent pulvériser un produit éti-queté en allemand dans des si-los de plusieurs mètres dehaut. Aucune information neleur a été donnée concernant

Quel droit à la santéau travail ?

Annie Thébaud-Mony, sociologue, directrice de recherche(Inserm E341 - CRESP-Université Paris XIII)

En France, les atteintes liéesau travail concernent chaque annéeenviron mille décès par accidentsdu travail, trois mille décèspar cancers dus à l’amiante,sans parler des centaines demilliers d’autres accidents dutravail et maladies professionnelleslaissant les victimes handicapées.Parmi eux, les travailleursétrangers ou issus de l’immigrationsont sur-représentés.

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la toxicité du produit et lesprécautions à prendre. Ils des-cendent dans un des silos,épandent le produit et meu-rent asphyxiés. Des ouvriersde l’entreprise utilisatrice pas-sant non loin du silo dirontplus tard que l’odeur était in-supportable. « Qui peut bientravailler dans des conditionspareilles ? » se sont-ils de-mandés, suspectant des « tra-vailleurs extérieurs » d’êtrenégligents. Ignorant la présen-ce des intérimaires dans lesilo, ils n’ont pas cherché plusloin.

Il s’agissait en effet detravailleurs « extérieurs »,non salariés de l’entreprise,même s’ils intervenaient dansle cadre habituel de tâchesd’entretien nécessaires à laproduction. Il n’y a donc paseu de réunion extraordinaireni d’enquête particulière duCHS-CT. Seul l’inspecteur dutravail a établi un bilan des in-fractions commises. Mais lesfamilles de ces jeunes ne l’ontpas su et personne ne leur asuggéré d’engager une « ac-tion en faute inexcusable del’employeur » pour qu’aumoins les responsabilités del’accident soient établies etnommées par un juge, au nomd’un principe de justice élé-mentaire et pourtant si rare-ment appliqué. La réparationde l’accident du travail s’estéteinte d’elle-même avec l’ab-sence d’ayants droit des jeu-nes victimes. Un accidentd’intérimaire… cela ne coûtepas cher à l’entreprise !« Sous-traitez vos accidents dutravail » proposait la plaquet-te publicitaire d’une entrepri-se de maintenance et d’entre-tien…

En France, les atteintesliées au travail concernentchaque année environ 1 000décès par accidents du travail,3 000 décès par cancers dusà l’amiante, sans parler des

centaines de milliers d’autresaccidents du travail et mala-dies professionnelles laissantles victimes handicapées. Par-mi eux, les travailleurs étran-gers ou issus de l’immigrationsont sur-représentés.

L’opacité de la sous-traitance et de l’intérim

Dans le cas de la catas-trophe de Toulouse, person-ne ne veut incriminer le mo-teur de la richesse d’entrepri-ses comme Total-Fina-Elf, àsavoir le recours à la sous-traitance et à l’intérim qui, parleur opacité, permet aussi defaire porter l’entière respon-sabilité de l’accident sur l’in-térimaire lui-même. Récusantd’emblée toute responsabili-té dans la catastrophe, les di-rigeants de la firme ont com-mencé par désigner un bouc-émissaire, un intérimaired’origine maghrébine tra-vaillant sur le site, décédé dansl’explosion, qui a été suspec-té d’être un « fou de Dieu ».Le seul sur les vingt-et-unmorts de ce drame. Les rai-sons du soupçon : son originearabe et ses vêtements quiauraient pu être les mêmesque ceux que portaient les ter-roristes du 11 septembre. Ci-tée à témoigner dans le cadrede l’enquête de police, la fa-mille de cet intérimaire a dûrépondre dans la douleur à cessoupçons pour le disculpermais n’a pu plaider la fauteinexcusable de l’employeurpuisque les responsabilités nesont toujours pas établies.

Sous-traitance encore…celle du nettoyage : universi-tés, hôpitaux, bureaux, im-meubles, TGV, avions, com-merces sont nettoyés par destravailleurs invisibles, hom-mes et femmes « spécialisés »dans le travail de la propreté.« On ne choisit pas le nettoya-ge, on tombe dans le nettoya-

ge » disait un travailleur por-tugais expliquant son travaildans le cadre d’une étude surles conditions de travail dansle nettoyage urbain à Paris etMontréal (H. Bretin, 2000). Sivous venez tôt le matin avant8 heures ou si vous restezaprès 18 heures, vous les ren-contrerez : elles sont algérien-nes ou antillaises, ils sont turcsou maliens… Mais un jour, ilsne sont plus là, remplacés pard’autres. S’il vous arrive d’in-terroger sur leur absence vousapprendrez, par exemple, quel’une, algérienne, a eu un ac-cident du travail pendant l’été,qui n’a pas été déclaré parl’employeur : blocage de doslié au port de charges (trop ?)lourdes. Quatre mois plustard, elle est toujours arrêtéeet se demande si l’employeurva la reprendre. La reconnais-sance de l’accident du travail(qu’elle a elle-même dû décla-rer) tarde à venir. L’employeurle contesterait-il ? Ou bien lemédecin-conseil pense-t-il quela « fragilité » personnelle dela victime est la cause premiè-re de l’accident plus encoreque le travail ?

« Tous les ouvriers du net-toyage ont le dos foutu » ditune de ses collègues, com-mentant l’accident. Deux ansplus tôt, l’entreprise avait per-du le marché. La nouvelle en-treprise a supprimé un postede travail sur deux. Cela signi-fie le double de travail dans lemême temps pour la mêmepaye, soit le SMIC. Le « don-neur d’ordre » – ici une uni-versité – n’a pas à connaîtredes conditions qui ont permisl’abaissement du coût du net-toyage des locaux. Cela déga-ge un peu le budget universi-taire toujours insuffisant !

Une des collègues de cet-te travailleuse, algérienne aus-si, est atteinte de leucémie àcinquante deux ans. Serait-ceen raison des solvants et

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autres produits d’entretienqu’elle manipule depuis plusde vingt ans ? Le médecins’est fait un peu tirer l’oreillepour faire un certificat médi-cal de maladie professionnel-le. Il ne connaît pas bien la lé-gislation et à quoi cela va ser-vir : elle est déjà en « longuemaladie ». Ce médecin et elle-même ignorent les droits as-sociés à la reconnaissance enmaladie professionnelle, no-tamment la revalorisation desindemnités journalières et laprotection de l’emploi des per-sonnes reconnues atteintes demaladie professionnelle. L’in-visibilité des cancers profes-sionnels commence par unesous-déclaration impression-nante. Selon les estimationsdes épidémiologistes les plusprudents en matière de chif-fres, en France, moins de 1 %des cancers attribuables autravail seraient déclarés.Comme le montre la situationprécédente, un cancer suscep-tible d’être indemnisé chezune ouvrière du nettoyage,cela vaut-il le temps médicalnécessaire à la rédaction d’uncertificat médical ?

Un dernier exemple, ce-lui des travailleurs saisonniersinvisibles des grand domainesagricoles du sud de la France.Ils viennent souvent du Ma-roc et du Portugal, pour quel-ques mois chaque année (P.Herman, 2003). Ce sont lescontrats de l’Office des migra-tions internationales, les« contrats OMI ». PatrickHerman raconte l’histoire deFatima et de son mari. Elle,employée de maison, en tota-le infraction par rapport aucontrat passé au Maroc pourtravaux agricoles. Victimed’un accident du travail, l’em-ployeur refuse de le déclarerpuisque cet accident du tra-vail s’est produit en effectuantle ménage dans la maisonalors que son contrat de tra-

vail stipulait « travaux agrico-les ». Elle attend le jugementdes prud’hommes. En atten-dant, elle a perdu son emploi(ce qui remet en cause son ti-tre de séjour) et son domici-le. Son mari travaillait dans lesvergers et les serres, exposéaux pesticides dont certainssont cancérogènes. Dans unverger, il a fait une chute re-connue en accident du travailmais à un taux de 18 % quine lui maintient pas ses droitsau séjour… à 2 % près(1).

Pas de vrai politiquede prévention

Les grandes enquêtes surles conditions de travail duministère du travail montrentune évolution structurelle pré-occupante, avec la persistan-ce des risques classiques (ex-positions aux produits toxi-ques, au bruit, aux risquesd’accident) et une forte aug-mentation des contraintestemporelles et organisation-nelles, marquant la croissan-ce de la flexibilité du tempsde travail et l’intensificationdu travail. Cette évolution estinégalement partagée entreles salariés. Toutes les don-nées convergent pour mon-trer que les processus de dis-crimination à l’embauche,face aux possibilités de qua-lification et dans l’affectationaux postes à risque (en parti-culier à risques cumulés) des-sinent, pour nombre de tra-vailleurs étrangers et issus de

l’immigration, des parcoursprofessionnels marqués parl’enfermement dans les tra-vaux non qualifiés, pénibles etinsalubres, par l’intermitten-ce dans l’emploi et par l’ins-cription dans des secteursd’activité aux conventionscollectives peu favorables.

Une enquête en cours surles cancers d’origine profes-sionnelle en Seine-Saint-De-nis, permet la reconstitutionsystématique des parcoursprofessionnels de patients at-teints de cancer dans troishôpitaux du département (A.Thébaud-Mony, 2003). Dansla moitié des cas, les patientsont moins de soixante ans.Parmi ces derniers, nombreuxsont les travailleurs étrangersou issus de l’immigration, no-tamment maghrébine.

Ainsi, aux deux extrêmesde leur vie active, les tra-vailleurs étrangers ou issus del’immigration subissent plusque les travailleurs français lesconséquences de l’absenced’une véritable politique pu-blique de prévention en milieude travail et buttent sur despratiques discriminatoires in-sidieuses ou directes des ins-titutions sanitaires et sociales.

Ce bilan oblige à s’inter-roger non seulement sur l’évo-lution des droits à la santé autravail dans sa double dimen-sion de réparation et de pré-vention, mais aussi sur la ma-nière dont les mouvementssociaux qui luttent pour la dé-

» Ainsi, aux deux extrêmes de leur vie active,les travailleurs étrangers ou issus del’immigration subissent plus que lestravailleurs français les conséquencesde l’absence d’une véritable politiquepublique de prévention en milieude travail.

1.L’article 15.4° del’ordonnance du2 novembre 1945prévoit en effet ladélivrance deplein droit d’unecarte de résident« À l’étrangertitulaire d’unerente d’accident dutravail ou demaladie profes-sionnelle verséeversée par unorganisme françaiset dont le tauxd’incapacitépermanente estégal ou supérieurà 20 % [...] »

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fense de ces droits prennenten compte la situation des tra-vailleurs étrangers ou issus del’immigration.

Dans le numéro de la re-vue Plein droit évoqué plushaut, nous faisions référenceaux grandes luttes des mi-neurs marocains des annéesquatre-vingt dans les bassinshouillers de Lorraine et duNord-Pas-de-Calais. La re-connaissance des pneumoco-nioses, la prise en compte dela pénibilité des années defond dans les mesures de re-traite anticipée faisaient par-tie des revendications portéespar ces luttes. Une fois lespuits fermés, peu a été obte-nu. Le chômage s’est installé,la solidarité entre Français etimmigrés, actifs et chômeurss’est délitée.

La lutte de l’amiante

La principale lutte en ma-tière de santé au travail desdix dernières années a été cel-le de l’amiante. L’associationnationale de défense des vic-times de l’amiante (ANDEVA)compte aujourd’hui plus dehuit mille adhérents dans prèsde trente associations localesou régionales. Chacune d’el-les a une histoire particuliè-re. D’anciens bastions dumouvement ouvrier y sont re-présentés – les chantiers na-vals, civils et militaires, lestransports publics (SNCF,RATP), la sidérurgie et la mé-tallurgie – mais aussi, dans unemoindre mesure, les secteursplus éclatés du BTP (essen-tiellement à travers les entre-prises de fibrociment) et dutextile…

Dans ces secteurs, l’indi-vidualisation des parcoursprofessionnels, la fréquencedes changements d’emplois,l’intermittence de l’activité, lahiérarchisation des tra-

vailleurs en fonction des ni-veaux de sous-traitance sontautant d’obstacles à la mobi-lisation collective. Nombreuxsont les étrangers salariésdans ces secteurs où le droitdu travail est constammentbafoué.

La lutte sur l’amiante aindéniablement permis desavancées importantes en droitde la santé au travail, à com-mencer par l’interdiction de lacommercialisation et de l’usa-ge de l’amiante en 1997(2). Ellen’a cependant pas vraimentpermis d’agir sur l’inégalité detraitement entre travailleursfrançais et étrangers. Un ac-quis important de la lutte surl’amiante permet de le mon-trer. Il s’agit de l’accès à la ces-sation anticipée d’activité desanciens travailleurs del’amiante (ACAATA).

En premier lieu, peuventbénéficier de l’ACAATA, lestravailleurs d’entreprises figu-rant sur la liste de celles re-connues comme ayant notoi-rement exposé leurs salariésà l’amiante. Cette liste est éta-blie par le ministère, sur con-sultation d’un commissiondans laquelle siègent l’Etat, lesreprésentants des partenairessociaux, les associations dedéfense des victimes del’amiante. Figurent dans cet-te liste essentiellement lesgrands donneurs d’ordre con-cernés et les entreprises ayanttransformé ou utilisé très di-rectement l’amiante. En re-vanche, même dans des sec-teurs comme le BTP ou la ré-paration automobile, oncompte peu d’entreprises fi-gurant sur la liste surtout lors-qu’il s’agit de celles situées enfin de cascade de sous-traitance. Or, dans les annéesd’usage intense de l’amiante(50-90), ce sont celles quicomptaient aussi la plus forteproportion de travailleurs im-migrés.

En second lieu, peuventégalement bénéficier del’ACAATA, les travailleurs re-connus atteints de maladieprofessionnelle liée à l’amian-te. Or, la reconnaissance pas-se par une enquête sur l’ex-position. Lorsque les postesde travail occupés par la vic-time sont peu spécifiques d’unexposition à l’amiante, les em-ployeurs refusent de reconnaî-tre cette exposition, ce quientraîne le rejet de la décla-ration de maladie profession-nelle. C’est notamment le casdes travailleurs étrangers, po-lyvalents, manœuvres, anciensOS ou ayant occupé d’autresemplois non qualifiés. Pour-tant, dans la démolition, parexemple, ou la réparationautomobile, ils ont souventété (et le sont encore) les pré-posés aux travaux les plusexposés.

Enfin si, formellement,ayant réuni les conditions re-quises, les travailleurs étran-gers et immigrés peuvent enbénéficier, le niveau de pen-sion octroyé(3) en a dissuadéplus d’un de demander l’accèsà ce droit. Il faut ici soulignerque certaines entreprises ontutilisé l’ACAATA pour licen-cier, ne laissant alors pas lechoix aux travailleurs concer-nés, ce qui leur a fait perdreleurs droits au licenciement.

Vers une retraiteanticipée ?

On ne dispose pas dedonnées fiables sur la morta-lité précoce des travailleursétrangers vivant ou ayant vécuen France. Mais, dans l’inéga-lité générale d’espérance devie à trente-cinq ans entreouvriers et cadres (huit ans enmoyenne), on peut avancerl’hypothèse que les étrangerssont les plus concernés par lamortalité précoce. Leur inser-tion dans les secteurs de la

2. Pour plusd’informationsur ces droits,cf. site : http://.andeva.free.fr

3. Pour lequell’ANDEVArevendiquedepuis plusieursannées un niveauminimuméquivalent auSMIC.

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L’accès aux soins des étrangers : entre discriminations et inégalités Page 31

production les plus exposés àl’amiante devrait leur permet-tre d’accéder de plein droit àla cessation anticipée d’acti-vité des anciens travailleurs del’amiante.

L’expérience de cette dis-position est importante puis-qu’elle anticipe peut-être surdes dispositifs à venir concer-nant l’accès à la retraite anti-cipée tenant compte de l’ex-position à d’autres risques ouà la pénibilité du travail. Leconseil d’orientation des re-traites en étudie actuellementla possibilité. Les syndicats etassociations de défense desdroits des étrangers ont là unchamp important à investirpour qu’une égalité de droitdevant la loi ne vienne pas ren-forcer encore une forte iné-galité de fait en raison desconditions d’emploi, de salai-re, de santé et de travail destravailleurs étrangers ou issusde l’immigration.

La seule revendicationpermettant de surmonter cesprocessus discriminatoires se-

rait d’introduire pour des pos-tes de travail reconnus com-me dangereux, pénibles oufortement contraints, un droità des points retraite supplé-mentaires : un an pouvantalors compter pour un an etdemie voire deux ans. Ce quiest aujourd’hui reconnu com-me droit pour les parlemen-taires ou pour certains fonc-tionnaires affectés à l’étrangerne devrait-il pas figurer aupremier rang des revendica-tions pour les travailleurs, engrande majorité étrangers,victimes de l’usure au travailet de l’exposition à des risquesprofessionnels à effet différécomme les cancers ?

Les atteintes à la santéliées au travail ont été consi-dérées pendant un siècle com-me une composante inélucta-ble du progrès industriel. Laloi de 1898 sur les accidentsdu travail ouvrait seulementun droit à indemnisation desvictimes et de leurs familles.La lutte sur l’amiante a remisen cause cette « fatalité » so-cialement construite.

En février 2002, les ar-rêts de la chambre sociale dela cour de cassation concer-nant la faute inexcusabled’employeurs ayant exposéleurs salariés à l’amiante a in-troduit une brèche d’impor-tance dans la logique univoquede l’indemnisation des attein-tes liées au travail. Est désor-mais reconnue comme fauteinexcusable de l’employeur, lefait que celui-ci connaissait ouaurait dû connaître le risqueet ses conséquences et qu’iln’a pas respecté l’obligation desécurité. Cette jurisprudenceobtenue par l’articulation d’unmouvement social et de stra-tégies judiciaires ouvre pluslargement la voie de l’actionen faute inexcusable devantles tribunaux des affaires desécurité sociale pour toutes lesvictimes concernées. Elle con-duit à redonner sens à la pré-vention. C’est aussi le seulmoyen de lutter contre inéga-lités et discriminations concer-nant les étrangers en matièred’accidents du travail et demaladies professionnelles.

Bibliographie

– Bretin H., « Le nettoyage, aux confins du jour et de la nuit », LesAnnales de la recherche urbaine, n° 87, septembre 2000

– Herman P., 2003, « Voyage au pays des hommes invisibles. Fruitset légumes au goût amer », Le Monde diplomatique, avril 2003

– Thébaud-Mony A., Boujasson, M. Levy, C. Lepetit, P. Goulimaly,H. Carteron, M. Vincenti Parcours-travail et cancers professionnels.Recherche-action en Seine Saint-Denis (France), revue PISTES(Perspectives Interdisciplinaires sur la Santé et le Travail, Montréal),Vol.5 n° 1, mai 2003

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Pour des étrangers at-teints de maladies graves, dé-boutés du droit d’asile, autressans-papiers ou encore sor-tants de prison, la nécessité deprévenir un éloignement duterritoire synonyme d’inter-ruption des soins médicauxs’est manifestée au début desannées quatre-vingt-dix. L’in-fection à VIH-sida a joué unrôle déterminant dans la mo-bilisation initiale de plusieurséquipes médicales, d’associa-tions et de services ministé-riels. Utilisée à titre épidémio-logique lors d’une étude pourdes détenus malades en 1992-1993, la liste des affections delongue durée de la sécuritésociale (ALD30) a initiale-ment permis d’élargir cetteproblématique au-delà de l’in-fection à VIH. Les différentscollectifs associatifs mobiliséspour défendre les étrangersmalades (ADMEF 1994, UR-MED 1995, ODSE 2000) ont

revendiqué depuis lors la pri-se en compte de situations in-dividuelles dans le cadre d’undroit au séjour global, qui nesaurait être limité par voieréglementaire à une liste préé-tablie d’affections médicales.

C’est en 1997 qu’a étéinscrite pour la première foisdans la loi la protection con-tre l’éloignement d’étrangers« atteints de pathologie gra-ve » (Debré). Depuis la loi de1998 (Chevènement), le dis-positif législatif a élargi lesconditions de la protectioncontre l’éloignement (art 25-8°), et s’est enrichi du droitau séjour, formalisé par la dé-livrance de plein droit d’unecarte de séjour temporaire« vie privée et familiale »(CST) avec droit au travailpour l’étranger « résidant ha-bituellement en France dontl’état de santé nécessite une pri-se en charge médicale dont ledéfaut pourrait entraîner pourlui des conséquences d’une ex-ceptionnelle gravité, sous réser-ve qu’il ne puisse effectivementbénéficier d’un traitement ap-proprié dans le pays dont il estoriginaire. » (art 12 bis11° del’ordonnance du 2 novembre1945).

La reconnaissance légaledu droit au séjour des étran-gers malades, sans équivalenten Europe, devait permettre

d’en finir avec les pratiquesarbitraires précédentes, lors-que les préfectures décidaientau cas par cas et « à titre hu-manitaire » la délivrance desautorisations provisoires deséjour « pour soins » (APSsans droit au travail). Souli-gnons ici l’un des paradoxes dela loi Chevènement : avec lacréation concomitante de l’asi-le territorial qui entérinaitalors l’application restrictivede la Convention de Genèvepar la France, l’arbitraire pré-fectoral censé disparaître desprocédures relatives aux ma-lades s’est trouvé renforcépour une partie des deman-deurs d’asile. La confusion desdeux demandes, traitées auxmêmes guichets, a opéré dansde nombreux cas au détrimentdes étrangers concernés.

Les voies du séjoursont impénétrables

La singularité du droit auséjour pour raison médicaletient à la double évaluation,administrative et médicale,qu’il requiert. Selon la régle-mentation, la demande doitêtre effectuée par l’étrangerau guichet de la préfecture àl’aide d’un formulaire et d’at-testations relatives à sa domi-ciliation, son identité et sonancienneté de résidence enFrance. Protégé par le secret

Les avatars du droitau séjour des malades

La reconnaissance légale du droitau séjour des étrangers malades,devait permettre d’en finir avec lespratiques arbitraires précédentes.Cinq ans après sa création, le droitau séjour pour raison médicalereste comme un plein droit virtuel.Les pratiques de nombreusespréfectures et la diffusion de textesd’application de plus en plusrestrictifs dessinent une politiquede dissuasion et de déni du droitau séjour.

Arnaud Veïsse, médecin coordinateur du Comité médical pour lesexilés (Comede). Le Comede est membre de l'Observatoire du droità la santé des étrangers (ODSE)

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médical, le rapport médicalrédigé par un praticien hospi-talier ou un médecin « agréé »est destiné au médecin inspec-teur de santé publique (MISP)de la DDASS, qui doit rendreun avis écrit au préfet sur lanécessité d’une prise en char-ge médicale, la gravité poten-tielle de l’absence de prise encharge, et les possibilités d’ac-cès aux soins au pays d’origi-ne. Au vu de cet avis, maissans avoir compétence liée, lepréfet décide de la délivrancedu titre de séjour.

La non reconnaissanced’un droit

Cette procédure supposeainsi, outre la constitution dudossier administratif, la réali-sation successive d’un mini-mum de deux expertises mé-dicales, celle du médecin trai-tant puis celle du MISP, voirede trois lorsque le médecintraitant n’est ni hospitalier ni« agréé » par la préfecture.Or, à ce jour, si l’on disposedes statistiques de délivrancedes titres de séjour par lespréfectures, aucun rapportrelatif aux avis médicaux ren-dus par les MISP n’a jamaisété publié, alors même queces avis fondent la majoritédes refus de délivrance de ti-tre. A l’heure actuelle, etquoique non exhaustives, lesseules sources d’informationglobale sur l’application effec-tive du droit au séjour pourraison médicale sont les rap-ports du ministère de l’inté-rieur et ceux de l’observatoi-re du droit à la santé desétrangers (ODSE).

Selon le ministère de l’in-térieur, les préfectures demétropole ont délivré 623 127titres de séjour à des étrangersau cours de l’année 2002,dont 207 476 premières déli-vrances. Le motif médical aété retenu pour 8 987 bénéfi-

ciaires d’une CST « vie privéeet familiale » d’une duréed’un an (81 %) ou de quel-ques mois. Parmi eux, 3 370ont obtenu cette CST pour lapremière fois, soit une aug-mentation de 16,6 % par rap-port à 2001. Le motif médi-cal représente ainsi 1,6 % desmotifs de délivrance de pre-mier titre pour l’année 2002,les « étrangers malades »étant principalement originai-res d’Afrique (74 %) et d’Asie(16 %). Le nombre de refusde délivrance de CST, dont lescas de délivrance d’APS avecou sans droit au travail, n’estpas communiqué par le minis-tère de l’intérieur.

A partir de l’expériencequotidienne des associationsqui le composent, les rapportsde l’ODSE permettent uneanalyse qualitative des prati-ques des préfectures et, dansune moindre mesure, cellesdes MISP dont l’avis, mêmeen cas de décision négative,est très rarement communi-qué au demandeur malgré sondroit d’accès théorique (con-firmé par la Commission d’ac-cès aux documents adminis-tratifs). Cinq ans après sacréation, le droit au séjourpour raison médicale restedécrit dans le rapport 2003 del’ODSE comme un plein droitvirtuel. Les pratiques de nom-breuses préfectures et la dif-fusion de textes d’applicationde plus en plus restrictifs des-sinent une politique de dissua-sion et de déni du droit au sé-jour, le traitement des dossiersrestant conçu comme huma-nitaire, ainsi que la préfectu-

re de Seine-Saint-Denis l’écriten février 2002 : « Monsieur,vous avez sollicité l’autorisationde prolonger exceptionnelle-ment et provisoirement votreséjour sur le territoire françaispour raisons médicales. [...] Jevous précise que les autorisa-tions de prolonger le séjour [...]ne sont pas un droit ».

Passeportpour l’exclusion

Il n’est donc pas surpre-nant que des autorisationsprovisoires de séjour restentdélivrées à la place des cartesde séjour temporaires pré-vues par la loi. Cette pratiqueest parfois motivée par unesurinterprétation départe-mentale du critère de « rési-dence habituelle » (fixée parcirculaire à une année sur leterritoire avant la délivrancede la CST), l’exigence abusi-ve d’un passeport que denombreux exilés ne peuventse procurer, ou encore le re-cours à l’argument de « mena-ce à l’ordre public » pour refu-ser la délivrance de CST à despersonnes malades pourtantinexpulsables. Véritable pas-seport pour l’exclusion cardépourvu de droit au travailou à des ressources légales,cette APS délivrée à des étran-gers malades résidant enFrance depuis plus d’un analimente les petites et grandesmisères de la survie : mendi-cité, travail dissimulé, exploi-tation, prostitution.

Le pouvoir discrétionnai-re reconnu aux autorités con-

» Le droit au séjour pour raison médicalen’est un progrès qu’en tant que traitementpalliatif dans l’attente du traitementde fond de l’exclusion : le droit de vivreen bonne santé.

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duit comme toujours à desdifférences géographiquesd’application de la loi. L’exi-gence de documents non pré-vus par les textes réglemen-taires permet de bloquer laprocédure administrative àtout moment. Les refus dedélivrance des récépissés dedemande de carte de séjour,également en violation de laloi, témoignent de la suspicionà l’égard de demandeurs sup-posés vouloir bénéficier indû-ment des droits attachés à cedocument. Renforcée parl’exigence également abusivede la présentation d’un « cer-tificat médical » au guichet,cette suspicion conduit auxnombreux cas observés deviolation du secret médicaldans les services préfectorauxde réception des étrangers, età la stigmatisation des « ma-lades » dans les salles d’atten-te de ces services.

La présomption de frau-de à l’égard des demandeurss’étend progressivement auxintervenants médicaux et as-sociatifs qui leur viennent enaide : médecins traitants nonhospitaliers (limitation auxmédecins « agréés » par lapréfecture, en vertu de l’ar-rêté du 8 juillet 1999), asso-ciations de soutien aux étran-gers (contrôle illégal de leur« agrément » en matière dedomiciliation par les préfec-tures), médecins « agréés »(dont les « abus de délivrancede certificats médicaux » sontévoqués par une circulaire duministère de l’intérieur en jan-vier 2003), et enfin les MISP(soupçonnés de complaisan-ce lors d’un débat le 8 juillet2003 à l’Assemblée nationa-le). Elle s’étend égalementaux demandeurs d’asile ma-lades, contraints, par la plu-part des préfectures, de re-noncer au bénéfice du statutde réfugié pour obtenir laCST « vie privée et familia-

le », une autre pratique sansaucun fondement légal quiparticipe en outre de la crisedu droit d’asile.

Cette confusion entre leregistre humanitaire et celuidu droit, droit au séjour etdroit d’asile, se répercute surles demandes, parfois dénom-mées « asile médical » par lapersonne (un patient : « Per-mettez-moi de vous envoyermon dossier et l’attestationmédicale qui dit que je suis uneréfugiée politique et demandeurd’asile en France et atteinte dudiabète et grossesse de six mois[...] Actuellement j’habite àLyon et je n’ai aucune aide fi-nancière. Je vous prie de bienvouloir étudier mon dossier carj’ai besoin de l’attestationComede pour l’Ofpra ») ou sessoutiens (une association : « Jene vois plus aucun moyen de ladéfendre juridiquement [...] Jevous prie de la recevoir pour unevisite médicale, soit pour savoirsi s’impose un suivi médical sé-rieux en France, soit en cas con-traire pour expliquer les causesde son état de détresse et confir-mer sa situation grave au regardde l’humanitaire, auquel casj’interviendrai directement(avec plus d’efficacité) auprès duministère de l’intérieur »).

Divulgationdu secret médical

On retrouve un argumen-taire similaire dans le certifi-cat d’un médecin hospitalier :« Madame est suivie pour uneHTA nécessitant une bithéra-pie. Ce certificat est fait en rai-son de la situation de la patien-te : ses deux enfants sont actuel-lement en France ; l’un d’euxest né en France en 1999. Laréunification de la famille estactuellement en cours. Comptetenu de ces circonstances, le sta-tut familial en cours de réorga-nisation et la pathologie de lapatiente, je sollicite que son re-

cours de régularisation se fassedans les meilleurs délais ». Cetype de certificats « descrip-tifs », fréquemment délivrés àla place des rapports médi-caux confidentiels prévus parles textes, contribue en outre– involontairement – à la di-vulgation du secret médicalauprès des agents non médi-caux de la préfecture.

L’argumentaire employétémoigne de la situation para-doxale dans laquelle se trou-ve le médecin traitant. L’ob-tention d’une carte de séjourpour raison médicale est cer-tainement destinée à amélio-rer la santé de son patient enlui donnant les moyens demener une vie normale. Or, lerecours au registre humanitai-re, destiné à appuyer la deman-de, risque au contraire de ladesservir en masquant l’ex-pertise technique relative à laprise en charge médicale. Onobserve en effet, depuis quel-ques mois, une augmentationdes avis défavorables renduspar les MISP, avis argumentéssoit sur la faiblesse du risquede défaut de prise en chargemédicale, soit le plus souventsur les possibilités théoriquesd’accès aux soins dans le paysd’origine. Cette évolution versune expertise « renforcée » setraduit par la multiplicationdes refus de renouvellementde CST pourtant délivrées de-puis plusieurs années, alorsmême que ni l’état de santé nila prise en charge médicalerequise n’ont évolué.

La question des possibi-lités effectives d’accès auxsoins au pays est extrêmementcomplexe lorsqu’il s’agit, com-me c’est le cas dans cette pro-cédure, d’y répondre pourune personne donnée dont onignore les capacités de res-sources financières et de mo-bilité en cas de retour au pays.Dans ce domaine, l’expertiserepose ainsi sur une estima-

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tion réalisée à partir d’indica-teurs indirects sur les systè-mes de santé, les plus exhaus-tifs étant fournis par les agen-ces de l’ONU. Selon le Pro-gramme des Nations uniespour le développement(PNUD), la moitié de la po-pulation mondiale est dépour-vue de structures sanitaires,1,2 milliards de personnessurvivent avec moins de undollar par jour, et 900 millionsn’ont pas accès aux servicesde santé de base, donc enco-re moins aux soins destinésaux affections graves.

Au-delà des quelques di-zaines de malades bénéficiantde programmes thérapeuti-ques expérimentaux fournispar l’aide internationale, letraitement de l’infection àVIH ou des hépatites viraleschroniques est inaccessibledans les pays en voie de déve-loppement. Pour d’autresmaladies chroniques commele diabète ou l’hypertensionartérielle, le coût de la priseen charge dépend des moda-lités thérapeutiques, certainsmédicaments essentiels étantaccessibles dans les dispensai-res de santé. Dans de nom-breux cas, un accès aux soinsest possible, mais à des soinslimités par rapport aux be-soins réels de la prise en char-ge. En cas de retour au pays,un malade sierra-leonais de-vra obtenir les soins nécessai-res à son état dans un systè-me de santé qui compte 7médecins pour 100 000 habi-tants (303 en France), dépen-se 22 dollars par an en moyen-ne pour soigner ses ressortis-sants (2 074 en France) et af-fiche un taux de mortalité in-fantile de 180 pour 1000 (4en France).

L’expertise médicale peuts’avancer à estimer un pronos-tic, à partir des connaissancesaccumulées sur les complica-

tions à court, moyen ou longterme de telle ou telle affec-tion connue. Ce risque peutêtre aggravé selon le retentis-sement clinique objectivable,la co-existence d’autre(s)affection(s) ou encore la co-existence d’autres facteurs derisque. Mais on touche alorsaux limites de l’avis médical.La traduction d’un pronosticen situation d’une « excep-tionnelle gravité » déborde duchamp de la médecine pour sesituer dans le domaine éthi-que. C’est pourtant, à l’heureactuelle, sur l’appréciation decette situation que se fondel’avis du médecin inspecteurde santé publique.

Des questions d’ordrejuridique, éthiqueet politique

Actuellement, lorsquel’avis du MISP diverge de ce-lui du médecin traitant, les re-cours contentieux fondés surcette divergence relèvent de lajuridiction administrative. Or,dans le projet de loi sur l’im-migration, un amendement àl’article 7 prévoit que le MISPpuisse saisir une « commis-sion médicale », sans que l’onconnaisse à ce jour ni les ob-jectifs, ni les modalités d’unetelle saisine. Ce projet posenotamment deux problèmes.En l’état, cette commissionn’apparaît pas comme une ins-tance de recours, puisquel’étranger ne peut la saisir.D’autre part, sa compositionexclusivement « médicale »est discutable, s’agissant d’ap-précier ce caractère « d’ex-ceptionnelle gravité » qui re-lève plutôt d’une « commis-sion d’éthique ». Car lesquestions continuent : si lerisque de perdre dix annéesde vie en cas de complica-tions précoces d’un diabètemal équilibré est « exception-nellement grave », qu’en est-

il du risque similaire pourune personne non malade,expulsée vers la Sierra-Leo-ne, où l’espérance de vie enbonne santé est actuellementestimée à vingt-quatre ans ?

Exigence légitime, l’appli-cation la plus rigoureuse pos-sible du droit existant ne per-mettra pas de faire l’économied’un débat sur ces questions.Car s’il a effectivement béné-ficié à un certain nombred’étrangers malades, le droitau séjour pour raison médica-le n’est un progrès qu’en tantque traitement palliatif dansl’attente du traitement defond de l’exclusion : le droitde vivre en bonne santé. Or,celui-ci dépend essentielle-ment des conditions socio-politiques des pays « d’origi-ne », et de la nature des liensqu’ils entretiennent avec lespays « d’accueil ». Edifiantecomparaison proposée parl’OMS : les subventions agri-coles versées dans les pays ri-ches représentent plus de300 milliards de dollars paran, soit six fois le montantd’une aide publique au déve-loppement orientée vers lasanté et l’éducation.

Une bonne nouvelle, tou-tefois : selon la commissionMacroéconomie et Santé, aug-menter de 10 % l’espérancede vie permet une croissancede 0,3 % de PIB pour les paysles plus pauvres. Investir dansla santé, ça profite à tout lemonde.

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Les publications- Une présentation détaillée et le sommairedes dernières publications (guides, cahiers,notes pratiques)- Des articles de Plein Droit et que desnotes pratiques consultables en ligne

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Pratique- Des modèles de recourset des courriers-typesaccompagnés de conseilspratiques- Des adresses utiles

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Idées- Le texte des communiqués du Gisti et desactions collectives- Des articles de réflexion à lire sur place- Des dossiers (Sangatte, Discrimination...)

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Défendre les droits des étrangersLe Gisti est né en 1972 de la rencontre entre des travailleurs sociaux, des militantsassociatifs en contact régulier avec des populations étrangères et des juristes. Cettedouble approche, à la fois concrète et juridique, fait la principale originalité du groupe.

Le Gisti s’efforce de répondre, sur le terrain du droit, aux besoins des immigrés et desassociations qui les soutiennent. Ce mode d’intervention est d’autant plus nécessaire que laréglementation relative aux étrangers est trop souvent méconnue, y compris des administrationschargées de l’appliquer.

Défendre l’État de droitDéfendre les libertés des étrangers, c’est défendre l’État de droit.

Le Gisti publie et analyse un grand nombre de textes, en particulier ceux qui ne sont pasrendus publics par l’administration.

Il appuie de nombreux recours individuels devant les tribunaux, y compris devant laCommission et la Cour européennes des droits de l’homme. Il prend aussi l’initiative dedéférer circulaires et décrets illégaux à la censure du Conseil d’État.

L’ensemble de ces interventions s’appuie sur l’existence d’un service de consultationsjuridiques par téléphone et par courrier, et sur une permanence d’accueil hebdomadaireoù des juristes bénévoles conseillent et assistent les étrangers qui rencontrent desdifficultés pour faire valoir leurs droits.

Participer au débat d’idées et aux luttes de terrainMais le droit n’est qu’un moyen d’action parmi d’autres : l’analyse des textes, la défensede cas individuels, les actions en justice n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans uneréflexion et une action globales.

Le Gisti entend participer au débat d’idées, voire le susciter, à travers la presse, des colloqueset des séminaires, des réunions publiques. Il s’investit également dans des actions collectivesdéfensives, mais aussi offensives visant à promouvoir l’égalité des droits entre migrantscommunautaires, migrants des pays tiers et nationaux. Le Gisti agit ici en relation avec lesassociations immigrées, les associations de défense des droits de l’homme, les organisationssyndicales et familiales aux niveaux national ou européen.

Le GISTI est agréé par la Fondation de France. Les dons qui lui sont adressés sont déductibles des impôtsà hauteur de 60 % dans la limite de 20 % du revenu imposable. Vous avez aussi la possibilité de lui fairedes dons par prélèvements automatiques (n’hésitez pas à nous écrire pour obtenir de plus amplesinformations : Gisti, 3 villa Marcès, 75011 Paris).

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Hors série de Plein Droit

Directrice de la publication : Nathalie Ferré

Commission paritaire n° 69437

Février 2004ISBN 2-914132-27-1

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