"LA DRÔLE DE GRIPPE" Pandémie grippale 2009 : essai de cadrage et de suivi Patrick LAGADEC Janvier 2010 Cahier n° 2010-03 ECOLE POLYTECHNIQUE CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DEPARTEMENT D'ECONOMIE Route de Saclay 91128 PALAISEAU CEDEX (33) 1 69333033 http://www.enseignement.polytechnique.fr/economie/ mailto:[email protected]
Analyse de la gestion de la pandémie grippale en france en 2009
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1. ECOLE POLYTECHNIQUE CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE
SCIENTIFIQUE "LA DRLE DE GRIPPE"Pandmie grippale 2009 : essai de
cadrage et de suivi Patrick LAGADEC Janvier 2010 Cahier n 2010-03
DEPARTEMENT DECONOMIE Route de Saclay 91128 PALAISEAU CEDEX (33) 1
69333033 http://www.enseignement.polytechnique.fr/economie/
mailto:[email protected]
2. "LA DRLE DE GRIPPE" Pandmie grippale 2009 : essai de cadrage
et de suivi Patrick LAGADEC1 Janvier 2010 Cahier n 2010-03Rsum : Ce
cahier est une contribution au retour dexprience quil faudrait
mener sur la pandmie grippale 2009. Il tente de cerner le terrain
sur lequel sest droul la crise, et qui a nourri la crise en
profondeur. Il fournit aussi, en seconde partie, le tableau de bord
de rflexion et de proposition de lauteur, tout au long de
lpisode.Abstract: This document is a contribution to the debriefing
process that ought to be launched, internationally, on the 2009
"phoney flu" pandemic. The initial section provides some keys to
the understanding of the context of this crisis. The second section
is a day-by-day follow up of questions and proposals put forward by
the author during this episode.Mots cls : Pandmie, Grippe A-H1N1,
pilotage, tableau de bord stratgiqueKeywords: Pandemic, A (H1N1)
Flu, Strategic ApproachType de classification : AMS1 Patrick
Lagadec est Directeur de Recherche, Dpartement dEconomie, Ecole
Polytechnique
3. SommaireFil rougep. 3Approche..p. 5 Ruptures, obstacles,
dpassement Crises, un autre univers A(H1N1), cas dcole
ContributionI LE FRONT DES PANDMIES, 2003-2009 : AVANCES TACTIQUES,
DCROCHAGE STRATGIQUE..p. 161. Points forts ...p. 17 1) Un effort
massif, continu et coordonn de veille, dexpertise et de
planification 2) Un effort gnral indit en termes de Continuit
dActivit 3) Un effort srieux en matire dexercices2. Points
faiblesp. 21 1) Un confidentiel dfense originel 2) Une approche
initiale ferme et cloisonne 3) Une culture de Plan, une culture PCA
4) Une dynamique public-priv souvent surprenante 5) Une culture
Command and Control , top down 6) La dimension thique mise sous le
boisseau3. Des socles et des contextes globaux en proie des
dislocations majeuresp. 35 1) De nouveaux fronts de vulnrabilit, un
terreau danxit gnrale 2) Un domaine de la sant publique emblmatique
des crises globales mergentes 3) Lombre immdiate de crise financire
de 2007 et ses suites en 20084. Le dfi du pilotage et de la
conduite collective en Terra Incognita .p. 38 1) Un sursaut dcisif
en intelligence dcisionnelle et aptitudes stratgiques 2) Des
couches obscures revisiter et clarifier la solution militaire La
question des Quarantaines massives Etats-Unis 3) Des voies
nouvelles pour naviguer en Terra Incognita Le plan US de 2006,
Extraits : Limportance de la mobilisation du tissu socital ; une
approche systmique ; une approche sense de la quarantaine de masse
; une communication qui fasse sens ; des messages de prparation
pour le citoyenII A(H1N1), AVRIL 2009- JANVIER 2010 :
QUESTIONNEMENTS ET PROPOSITIONS CHAUD p. 53Avril-juin : Alerte et
dclenchement des plans.p. 54Juin- aot : La grippe dsertep.
97Aot-oct. : Confusion, entre Grippette qui tue et Vaccins non
merci ! . p. 122Novembre-dcembre 2009 : la vaccination se cherche,
la grippe reflue...p. 159Epilogue (provisoire ?), janvier 2010 : le
plan implose, les critiques explosentp. 166
4. 2 Je compris ce moment-l quelle tait la faon de raisonner de
mon matre []. Je restai perplexe. "Mais alors, osai-je commenter,
vous tes encore loin de la solution Jen suis trs prs, dit
Guillaume, mais je ne sais pas de laquelle. Donc, vous navez pas
quune seule rponse vos questions ? Adso, si tel tait le cas,
jenseignerais la thologie Paris. Paris, ils lont toujours, la vraie
rponse ? Jamais, dit Guillaume, mais ils sont trs srs de leurs
erreurs. Et vous, dis-je avec une infantile impertinence, vous ne
commettez jamais derreurs? Souvent, rpondit-il. Mais, au lieu den
concevoir une seule, jen imagine beaucoup, ainsi je ne deviens
lesclave daucune. [] ce moment-l, je lavoue, je dsesprai de mon
matre et me surpris penser : Encore heureux que linquisition soit
arrive. Umberto Eco Le Nom de la rose, Grasset, 1982 Livre de
Poche, 1986, p. 385-386. Lack of mathematical culture is revealed
nowhere so conspicuously as in meaningless precision in numerical
calculation Gauss In Silvio Funtowicz and Jerome Ravetz The
Arithmectic of scientific uncertainty, Phys. Bull. 38, 1987, p.
412-414 The story of the 1918 influenza virus [] is also a story of
science, of discovery, of how one thinks, and of how one changes
the way one thinks [] They created a system that could produce
people capable of thinking in a new way []. John M. Barry The Great
Influenza The Epic Story of the Deadliest Plague in History,
Penguin Books, New York, 2004, p. 5 et 7
5. 3 Fil rouge Si on me dit : puisque le modle nexiste pas, la
question na pas de sens je rpondrai : a cest une rponse de
technicien mais pas de scientifique . Je me rclame ici de ce qui
fait la science en acte, qui est prcisment de se risquer aux
questions pas possibles. Maurice Bellet, 20041Au tournant de lanne
2010, les acteurs comme les lecteurs du feuilleton droutant dela
grippe A(H1N1) se rveillent entre sonns et dboussols . Il avait
tquestion de 1918 longueur de semaines et de mois voici que la
grippette triomphe, et donne toute sa puissance une thse dont la
solidit daprs-coup mritecertainement plus de circonspection que de
vnration aveugle. Longtemps, chacunstait flicit de la grande
premire que constituait cette gestion de criseeffectivement
nouvelle en termes de dtection, de raction, de communication
voicicette mme conduite de crise dsormais en bien mauvaise passe.
Tout avait t mis enuvre pour, cette fois, faire bonne figure. Tout,
au terme (provisoire ?) delengagement, est en place pour une
libration expiatoire la mesure de linquitude(qui neut pas que de
fausses raisons), et plus encore pour lutilisation de cette crise
toutes les fins dj sur tagre. Cest la loi des crises.Cette
contribution, dont le fil rouge est lappel de meilleures capacits
de prise derecul en situation de crise quand il est si tentant de
se jeter dans les bras dunprincipe de prcaution mal compris, ou
linverse dans une posture danti-prcautionmilitante, plaide aussi
pour une prise de recul dans les reconstructions daprs-coup. Sinous
nous satisfaisons des dlices de la polmique politico-mdiatique, des
charmesdes raccourcis expditifs, de la seule lecture en termes de
communication , nous neferons que nous mettre en vulnrabilit
toujours plus srieuse. Cest lexigence dunvritable retour
dexprience, rgulirement demand, rarement mis en uvre.La perspective
de fond ici retenue est fondamentalement la suivante : au-del de
cettecrise, le problme est que nos logiciels de rfrence pour
traiter les crises de notretemps ne sont plus les bons. Il y a
dcalage manifeste entre, dune part, les cblages depilotage qui sont
les aujourdhui les ntres et, dautre part, les nouveaux enjeux
descrises contemporaines. Il nous faudrait dautres visions, dautres
dmarches, et defortes capacits de prise de recul. Nous y opposons
le plus souvent des principes et deslogiques daction dpasss : des
plans prtendus flexibles mais qui sont le plus souventdes carcans,
de la prcision numrique qui donne lillusion de scientificit,
deslogiques de rponse quand il faudrait des logiques de
questionnement, des amasorganisationnels quand il faudrait
dispositifs pilotage le tout sur fond nostalgiquedune logique
militaire ptrie de la gloire de Ina et de lombre de Sedan.Limpratif
de fond est de comprendre nos difficults structurelles. Il y a en
effetdimmenses dfis devant nous. Nous les avions dj points dans nos
travaux surKatrina. Les autorits amricaines furent cloues au pilori
pour ne pas avoir ordonnune vacuation gnrale. Elles furent certes
bien loin de faire montre dunecomptence minimale. Mais demain je
dis bien demain, pas dans 50 ans , avec les1 "Auxprises avec le
chaotique", lcoute de Maurice Bellet, Philosophe, Entretien avec
PatrickLagadec, vido, montage Aurlien Goulet, Avril 2004.
6. 4dsordres climatiques par exemple, nous aurons des dilemmes
terribles affronter : a)vacuer systmatiquement de grandes zones
urbaines chaque alerte forte, sachantquil faut environ 7 jours pour
vacuer une zone comme Houston, quil peut y avoir nalertes par
saison, avec impossibilit davoir des donnes assures avant quil ne
soittrop tard ; b) attendre den savoir suffisamment pour agir en
grand, et prendre chaque fois le risque dhcatombes (et,
accessoirement, de convocation en HauteCour). Qui aurait, ds
prsent, la solution veuille bien la prsenter.Certes, bien des
lments rendaient le pilotage de la grippe 2009 un peu
moinscrpusculaire, et de moins en moins obscur au fil des semaines
partir des premiresalertes Janet Napolitano, Secrtaire du DHS aux
Etats-Unis, sut rajuster la postureds le 5 mai 2009. Mais cest bien
sur ces dilemmes, vritables dfis pour nos thorieset pratiques de la
dcision, quil nous faut rflchir pour enrichir et faire muter
noslogiques de pilotage et de conduite collective. Pour cela, nous
allons avoir davantagebesoin dun surplus dintelligence partage que
de satisfecit dvitement ou decondamnations sarcastiques. Cela tant
pos, lexigence de rigueur est centrale : on nesaurait tricher avec
les enjeux qui se prsentent dsormais sur tous les fronts. Laqualit
de notre questionnement aujourdhui fera la qualit de nos logiques
de pilotagede demain.Ce cahier tente dapporter des lments de
rflexion destination des dcideurs, desexperts, des acteurs de
terrain ; des tudiants et futurs dirigeants aussi, car ce sujet
descrises mergentes va devenir de plus en plus dcisif mme sil
nexiste gure encore,sauf accident, comme dimension pertinente
(voire tolrable) dans nos formationsdexcellence.Lardente obligation
est de ne pas nous remettre dans lornire fatale de LEtrangedfaite
si pathtiquement dissque par Marc Bloch. Avec pour diagnostic
ternel cequil dit en substance : Ils ne pouvaient pas penser cette
guerre [crise, pour ce quinous concerne], ils ne pouvaient donc que
la perdre . A nous de tout mettre en uvrepour tenter de mieux
comprendre, pour mieux agir. Cest dans cette perspective detravail
collectif, dont personne ne peut prtendre avoir dj les cls, que
sinscrit cettecontribution.
7. 5 Approche Anticipation-Prparation-Dtection-Raction :
assurment, le traitement de lapandmie grippale qui sest dclenche au
Mexique la fin du mois avril 2009 peuttre lu comme un exemple de
progrs dcisif en matire de rponse une menacedenvergure mondiale. Ce
fut dailleurs la lecture longtemps mise en avant par nombredacteurs
et dobservateurs. Nous sommes bien loin de la constance
danslaveuglement qui, jusquau bord du gouffre, a marqu la pandmie
financire de2007-2008. Et voici que, maintenant, la grippe ayant
dsert le champ de bataille,nombre de voix slvent pour mettre en
pices tout ce qui a t fait au cours des moisdengagement o le monde
allait enfin pouvoir prendre sa revanche sur le cataclysmede 1918.
Allons-nous nous contenter de ces mouvements de balanciers, les
triomphateursdaujourdhui se prparant devenir les victimes de la
prochaine bataille ? Il fautouvrir largement le dossier, non le
fermer la hte, aprs avoir sauv les meubles ou pris quelques
dividendes circonstanciels en attendant le prochain rendez-vousavec
ce monde des crises dcidment si barbare. Cela exige dcarter les
monceaux de plans, de directives, dorganigrammes, destatistiques,
de courbes, de sondages, de communiqus, de contestations, de
consterna-tions, dalarmisme vendeur comme de rassurances infondes,
de thories toutesfaites, rassurantes aussi longtemps quelles
restent labri du rel Il faut mmedpasser laffichage compulsif,
confit dans labsurde, dun Principe de Prcaution soudain devenu cl
dexplication universelle, aprs avoir t vid de tout sens. Il
fautarrter de jeter des confettis dans le ventilateur mdiatique,
dans lespoir de sortir dudsarroi par un surcrot de confusion. Il
faut accepter le questionnement, victime premire des temps de
turbulencessvres. Il faut prendre le risque de lexploration cest
dire de la marche sans cartesni boussoles certifies. Car le terrain
couvrir est largement inconnu, et cest bien lnotre difficult
essentielle. Le premier pas franchir : comprendre que cette pandmie
A(H1N1) exprime lesnouvelles formes de crises dun monde en proie
des mutations majeures (bien au-del du domaine spcifique de la Sant
publique), qui appellent dautres visions,dautres modes daction et
de gouvernance.Ruptures Fondamentalement, nous sommes convoqus sur
un autre terrain des vulnrabilits,des risques et des crises.
Contrairement aux urgences bien ciseles que traitentquotidiennement
les services de secours, loin des dsastres mono-cause qui ont
donnlieu llaboration de plans doprations bien codifis au cours des
derniresdcennies, les crises contemporaines projettent sur des
espaces largement inconnus.Ces crises reclent des piges tous
azimuts, quil sagisse de leur caractrisation (sous-estimation,
sur-estimation, mal-estimation), de leur conduite (sous-raction,
sur-raction, mal-raction), et plus encore des phnomnes chaotiques
quelles dclen-chent dans toutes les directions. Nous navons pas les
cls de comprhension de cesespaces, nous ne disposons pas les
grammaires daction qui nous seraient ncessaires.Dployer les
pratiques connues, actionner mme les meilleures pratiques concoctes
au sicle dernier, se rvle insuffisant. Plus grave, de plus en plus
souvent :ces lectures et ces actions sont rapidement dsintgres ou
mme retournes pour
8. 6devenir les meilleurs allies des crises lordre du jour.
Quand il y a rupture des rgles du jeu , la combinaison des moyens
ordinaires reste vaine. Prcisment, la puissance de ces crises qui
simposent dsormais sur tous les frontstient trois failles majeures
de notre ct. Nous sommes surclasss intellectuellement. Les cadrages
qui nous permettaient depenser le monde et ses accidents ne sont
plus oprants. Cet aboutissement cul-de-sacest rcurrent dans
lhistoire, nous sommes seulement confronts une nouvelleexigence de
rinvention. A cette heure o tous les fronts de risques et de
crisessemblent lcher , pour se recombiner, on pourrait se souvenir
de ce moment derupture si bien saisi par la grande Barbara Tuchmann
: En ce matin de mai 1910, alors que neuf rois suivaient la
dpouille mortelle dEdouard VII dAngleterre, la splendeur du
spectacle fit ber dadmiration bien des spectateurs dans la foule
dense et recueillie.[] Lensemble reprsentait soixante-dix nations ;
jamais tant de grands de cette terre ne staient encore trou- vs
ainsi runis, jamais plus ils ne devaient ltre sous cette forme. Le
carillon assourdi de Big Ben sonnait neuf heures quand le cortge
quitta le palais, mais lhorloge de lHistoire marquait le crpuscule
; le soleil du vieux monde se couchait dans une gloire blouissante
quon ne reverrait plus. [] Lord Esher nota dans son journal
:Jamais, il ne sest produit une telle rupture. Toutes les vieilles
boues qui balisaient le chenal de notre vie semblent avoir t
balayes. 2 Nous sommes dpasss stratgiquement. Telle la chevalerie
franaise Crcy ouAzincourt, ou les armes prussiennes Ina, quelque
chose ne va plus , qui nestpas simplement de lordre de lemploi des
moyens, mais prend racine dans desquilibres fondamentaux du monde,
dans nos conceptions de la science, de nosinstitutions, de nos
responsabilits et modes de gouvernance. Cest l encore un dfiqui
nest pas nouveau. Il suffit de relire Clausewitz mditant sur
leffondrementdIna : Au cours de la dernire dcennie du sicle pass,
lorsquon vit cet extraordinaire bouleversement de lart de la guerre
qui rendit inefficace une bonne partie des mthodes de guerre des
meilleures armes, et que les succs militaires prirent une ampleur
laquelle nul navait song jusqualors, il parut vident quil fallait
imputer tous les faux calculs lart de la guerre. Il tait clair que
lEurope, limite par lhabitude un cercle troit de conceptions, avait
t surprise par des possibilits qui dpassaient ce cercle [] Les
effets extraordinaires de la Rvolution franaise lextrieur
provenaient videmment moins des mthodes et des conceptions
nouvelles introduites par les Franais dans la conduite de la guerre
que des changements dans lEtat et ladministration civile, dans le
caractre du gouvernement, dans la condition du peuple, et ainsi de
suite. Les autres gouvernements se firent une opinion errone de
tout cela, et entreprirent de se maintenir avec des moyens
ordinaires contre des forces dun genre nouveau et une puissance
dbordante : ctaient des fautes politiques. Pouvait-on reconnatre et
corriger ces erreurs en partant dune conception purement militaire
de la guerre ? Impossible. 3 Peut-on, aujourdhui, faire entendre
que les nouveaux dfis en termes de crises etde ruptures appellent
de mme dautres conceptions, dautres organisations, dautres2Barbara
Tuchman : Aot 14, Les Presses de la Cit, Paris, 1962, p. 11 ; 24.3
Carl von Clausewitz : De la guerre, 10-18, Ed. de Minuit, Paris,
1955. (p. 460-461)
9. 7mthodes ? Extrmement difficile, est-on contraint de
rpondre, si lon sen tient lexprience quotidienne de ceux qui, sur
tous les continents, sefforcent de travaillersur ce chemin. Car le
dfi le plus formidable tient aux terreurs psychiques dclenches la
moindre vocation de perte de comprhension, de perte de matrise, et
dexigenceimprative de rinventions par construction vertigineuses.
Cest le troisime et plusgrand obstacle passer. Nous sommes bloqus
psychologiquement. Car entrer dans ces univers
instables,spongiformes, aux repres dlogs, nous est proprement
intolrable. Nous sommestrop marqus par lide devenue naturelle de
Progrs, de comprhension portede modle, de contrle acquis sur les
choses et les systmes. La moindre bance, idede faille ou sensation
dignorance rsistante, prend vite la figure de linsoutenable.
Leslignes de Nicole Fabre, psychanalyste, sinterrogeant sur le
refus radical de Descartesde se porter sur la question du vide
ouverte par Pascal, nous mettent sur la voie de lacomprhension de
nos difficults ouvrir les nouvelles pistes, et cela est vrai sur
tousles continents. Les refus et capitulations daujourdhui, dont on
pourrait citerdinnombrables illustrations, sont largement motivs
par des dynamiques qui prennentracines dans ces couches profondes :
Sa pense forme un tout. Son uvre aussi. Aucun interstice nexiste
par o elle serait attaquable. Aucun vide. Comme aucun vide nest ses
yeux pensable dans la nature. Sa controverse sur le vide, notamment
avec Pascal loccasion des expriences du vif-argent, son refus du
vide, sont si surprenants chez un homme qui se rfra tant lexprience
chaque fois que cela lui tait possible, que lon ne peut pas ne pas
y voir lexpression de sa personnalit ou de sa problmatique. Si bien
que cest en termes de rsistance que jen parlerai. Si Descartes
rsiste lide du vide, si le vide lui apparat inconcevable et
choquant ce point, cest parce que le vide est le symbole du nant,
ou du chaos. Il est un risque de dsordre. En rejetant si
vigoureusement ce concept, Descartes manifeste sous des apparences
rationnelles langoisse du nant (de la mort?) et la crainte de
perdre la solidit dun systme qui ne tient que parce quil ny demeure
aucune faille. 4 Dans ce contexte, le mot dordre universel nest pas
le passage par la lucidit maislexigence dtre anesthsi et rassur
nimporte quel prix mme au prixdune dbcle condition quelle soit
diffre, non imputable, et toujours aise habiller de communication
chatoyante. Dans cet espace dfensif, le questionnementest demble
hors la loi, la mobilisation des rponses connues lhorizon
rapidementimpos. Certes, il faut le reconnatre, les voies de
passage sont dlicates. Mais nous navonsgure le choix. On ne peut se
contenter, pour couvrir labstention, de plaider loptimisme et le
danger quil y aurait de crier Au loup ! pour rien ; etdinvoquer
linverse, pour couvrir les dclenchements hyperboliques, limpratif
du principe de prcaution (principe dont linstrumentalisation na
plus grand chose voir avec son essence originelle). Il nous faut
lever ces obstacles, par le travail, lchange, lexploration,
linvention,avec le plus grand nombre dacteurs commencer par ceux
qui ont dminentesresponsabilits, mais sans oublier ni ceux qui sont
directement au front, ni ceux qui se4Nicole Fabre : LInconscient de
Descartes, Bayard, Paris 2004. (soulign par moi)
10. 8trouvent en bout de chaine l o explosent toutes les
insuffisances en lieu et placedes assurances et rassurances de
convenance. Lexprience de la Grippe A(H1N1) doit tre mise
contribution pour nous aider tous avancer dans les franchissements
dobstacles qui sont aujourdhuincessaires. Mieux traite que la
pandmie financire, mais cependant encore bienproblmatique, elle
devrait constituer aussi une occasion autrement mieux mise profit
pour ces avances majeures quil nous faut accomplir dsormais sur le
front desgrandes turbulences plantaires.Crises, un autre univers
Nous sommes entrs dans le monde des grandes pandmies, de toutes
natures. Il vanous falloir repenser de fond en comble nos sciences
et nos pratiques en matire derisques et de crises au moment mme o
les avances majestueuses du sicle dernieren ces disciplines
commenaient tre graves dans le marbre acadmique et les meilleures
pratiques gestionnaires. Insistons. Lombre de la crise dclenche de
tels mcanismes de fuite,daveuglement, de repli le pilote dans ses
plans, ladministrateur dans ses directives,lexpert dans ses
chiffres, le gestionnaire dans ses botes outils, lintervenant
dansses fiches rflexes, le communicant dans ses lments de langage,
le politique dans sesassurances, luniversitaire dans ses
bibliographies, etc. quil faut en effet un coup deforce pour
suggrer que chacun veuille bien sortir de sa niche de protection.
De quoi sagit-il ? Tentons dexpliciter un peu davantage.5 Le
tableau de nos crises a mut. Etant donn le potentiel de
dstabilisation de toutvnement grave, et bien plus encore ltat gnral
des contextes dactivits et de viemarqus par leur extrme instabilit
intrinsque et leur sensibilit aux perturbations(relles ou perues),
toute entre en crise ouvre sur des univers en abme quil
estimpossible de cerner dentre de jeu, et mme de tenir pour matriss
quand on aenfin pu commencer les comprendre et les traiter.
Limpossibilit mme de clore etde stabiliser le champ prendre en
considration en reconfiguration-mutationconstante, tant dans son
primtre, dans son essence, que dans ses dynamiques apparat la fois
comme la caractristique essentielle et le moteur principal de
cescrises qui mergent dsormais. On se retrouve dans des turbulences
de plus en pluscomplexes, de plus en plus ouvertes des ruptures
brutales et de possibles excursionsaux extrmes. Le problme est bien
moins lvnement accidentel que le contexteen surfusion , prt aux
dislocations les plus surprenantes aux moindresperturbations.5
Voirnotamment : Patrick Lagadec: "The Megacrisis Unknown Territory
- In Search of Conceptualand Strategic Breakthroughs, summary of
the book chapter to be published in Rosenthal et al., inSpecial
issue : "Mega-crises in the 21st Century", October 2009, Magazine
for National Safety &Security and Crisis Management, Special
issue Ministry of the Interior, The Hague, The Netherlands(pages
40-41)
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/Megacrises%20Lagadec.pdfPatrick
Lagadec: "A New Cosmology of Risks and Crises: Time for a Radical
Shift in Paradigm andPractice", to be published in a special issue:
"A new world of crisis: challenges for policymaking",Special
editor: Arjen Boin (Louisiana State University), Review of Policy
Research, Volume 26,Number 4, pp. 475-488, Fall issue 2009.
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/New_Cosmology.pdf
11. 9 Confrontes ce tableau essentiellement marqu par
linstabilit globale etstructurelle, nos logiques danalyse comme de
dcision apparaissent fondamentale-ment dcales. Elles sont ancres
sur des visions de mondes stables, compartiments,connus, ne
connaissant que des dysfonctionnements eux-mmes
connus,statistiquement mesurs, matrisables partir de dispositifs et
doutils valids, et quoiquil en soit marginaux en termes dimportance
relative par rapport aux systmesconcerns. Le schma de rfrence
implicite est quune bonne organisationhirarchique, bien renseigne
par les experts, est en mesure de faire rentrer toute
effer-vescence spcifique dans les canaux et silos prdtermins, avec
processus derduction continu de la complexit, de lincertitude, et
de la perturbation. Ds lors, le schma oprationnel consacr est
simple : nonciation ex ante desproblmes, codification des rponses y
apporter, rapidit et automatisme dexcutionds lentre dans les
scnarios tablis. Ce sont l nos cadrages de rfrence pourmatriser
efficacement les risques de perturbation. Toujours dans cet univers
mental, la formation, lentranement, les exercices, visentprcisment
bien faire connatre les scripts, les lignes daction, les
dispositifs, lesoutils, prvus pour identifier, rduire et cicatriser
au plus vite les carts accidentelsavec le normal . Le droulement
sans fioritures des procdures arrtes est garantde russite. Sous
rserve, bien entendu, quon sache accompagner le tout par
unecommunication mdiatique intense, respectant la rgle de clart et
de transparence comme cela est dsormais bien compris. En dpit des
relles avances que traduisent ces dispositions, le diagnostic
estproccupant sur le fond. Dans la mesure o lessence des crises
contemporaines ne correspond plus cettevision y compris aux
meilleures techniques de gestion de crise , mmecompltes par une
communication de crise formellement irrprochable , noussommes et
serons constamment en situation de haute vulnrabilit chaque
irruptionde crise non strictement conventionnelle au sens durgence
connue, claire,spcifique, et circonscrite. Le principe de
scnarisation a priori, de primat des rponsessur le questionnement
(avec mme trs souvent la suspicion jete sur tout
relquestionnement), dautomatisme dans les droulements prtablis, de
centralisation etde hirarchisation dautant plus strictes que les
enjeux sont graves (avec associationtrs peu prise des acteurs de
terrain) sont autant de rfrences identitaires de nossystmes de
gouvernance. Ils prparent trs mal au traitement des univers
volatils,chaotiques qui forment le thtre doprations des crises
contemporaines. Autre ligne de proccupation, qui souligne lurgence
des transformations requises :il ne sagit pas de nous prparer
quelque phnomne de lordre de la crue millnaire,mais bien des enjeux
dsormais rcurrents, et mme normaux (au sens de CharlesPerrow,
Normal accidents). Dans un monde en mutation-reconfiguration
profonde, lefait de la crise majeure devient constitutif de nos
dynamiques et processus collectifs.Nous passons du registre de
laccidentel au registre du structurel. Et du marginal auvital. Voil
qui change la donne, mme sil est toujours trs difficile de nous
sortir dela reprsentation : crise = accident = services de secours
= fiche rflexe. Bien sr, nousavons dj un peu ouvert la bote outils
en introduisant la dimension communication la fin du sicle dernier
; mais ctait l en quelque sorte unsimple ajout, pour donner aux
administrs quelques explications destines les rassurer . Cet ajout
sympathique devient problmatique ds lors que lon na plusgrand chose
expliquer si ce nest le caractre trs difficilement comprhensible
et
12. 10fondamentalement instable et non linaire des phnomnes en
cause. Bien sr, certainsexperts continuent brandir leur tendard
triomphant ; mais leur assurance apparatrapidement surfaite,
surtout lorsque la prcision arithmtique croit comme le cube dela
perte de pertinence. Et lon prend vite conscience du fait que nos
logiqueshabituelles de rponse sont en quelque sorte vides de leur
substance. Ou mme pire,et il faut le redire : elles en viennent se
faire tte de pont de la crise.Lapplication consciencieuse des
meilleures pratiques disponibles en arrive devenir le meilleur
levier de la dstabilisation en marche. Il faut accepter le caractre
abyssal de ces difficults ; et tout mettre en uvre pourles
comprendre et les traverser. Ce nest pas parce quil faut changer de
paradigmecognitif quil faut capituler sur le front intellectuel, ou
se contenter de brandir desthories toutes faites et mdiatiquement
porteuses. Ce nest pas parce quil fautchanger de paradigme de
pilotage, quil faut abdiquer de ses responsabilits, ou serfugier
dans la prestidigitation politico-mdiatique. Le grand danger serait
en effetque, face trop de difficults, trop dchecs aprs avoir tout
essay , chacun sereplie finalement sur la conviction quil ny a rien
faire dans ce monde dcidmenttrop complexe pour nos socits et leurs
institutions, trop barbare pour nos codesscientifiques et
dcisionnels, trop loign des attentes des administrs, trop
dangereuxpour la scurit des carrires, pour que lon puisse encore
esprer conduire la chosepublique, et la conduire en lien avec le
citoyen. Nous sommes donc appels engager dimposants travaux tant de
recherche que demise en uvre oprationnelle, afin de relever le dfi
qui nous est impos sur ce frontdes crises en mergence. Il ne sagit
pas dajouter telle ou telle case supplmentaire delecture et
daction, mais bien de mettre laccent sur notre capacit ds la phase
deformation, de prparation, et instantanment toute mergence de
phnomnetroublant de prise de recul, de questionnement ouvert, de
conduite plus dynamiqueque mcaniste, dintelligence du chaotique
plus que du mcanique embot. Ce ne serapas simple, ce ne sera
rapide. Ce qui doit nous inciter commencer au plus vite
pourreconstruire nos capacits dintelligence et daction sur ces
thtres doprationsdroutants, o il faut se mfier de tout, y compris
des rfrences et outils jusquicitenus pour les plus indiscutables.
Au nombre des rponses dvelopper, lexprience montre quil nous
fautorganiser des capacits de questionnement et dinvention
oprationnelle configurspour le temps rel, les possibilits de
ruptures brutales, les piges constants. Cestnotamment la dmarche de
Force de Rflexion Rapide , formule depuis plus detrois annes
maintenant et mise en uvre dans certaines grandes organisations.
Lideest de dployer le plus en amont possible, et tout au long de
lpreuve, une capacit dequestionnement sur quatre dimensions :
Au-del des apparences, de quoi sagit-il rellement ?, Quels sont les
piges ? , Quelles nouvelles cartes dacteurs ? , Quelles initiatives
? . 66 Broux, Pierre, Xavier Guilhou, Patrick Lagadec (2007),
"Implementing Rapid Reflection Forces",Crisis Response, vol. 3,
issue 2, March 2007, pp.
36-37.http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/Implementing_Rapid_Reflection_Forces.pdfBroux,
Pierre, Xavier Guilhou, Patrick Lagadec (2008), "Rapid Reflection
Forces put to the realitytest", Crisis Response, Vol 4, Issue 2,
March 2008, pp.
38-40.http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/038-040.crj4.2.Lagadec.pdf
13. 11 Il ny a plus de pilotage possible sans la mise en place
de pareilles capacits dequestionnement organises. Non pas entre
deux portes , au gr dagitations decouloirs, de livraisons de
statistiques, de prescriptions de communicants-prestidigita-teurs,
de bombardements dinstructions par quelque conseiller OVNI Bref,
les crisescontemporaines imposent dautres rgles du jeu. Il serait
avis dengager ds prsentde courageuses dmarches dexploration et de
prparation, de simulation et deformation7, pour ne pas laisser le
dossier en dshrence, abandonn finalement toutesles
instrumentalisations.A(H1N1), cas dcole Le dernier pisode de crise
complexe en date est donc celui de la pandmie grippaleA(H1N1), qui
a commenc inquiter et mobiliser les grands acteurs de la plante
lafin du mois davril 2009. Comme indiqu prcdemment, le dossier a t
mieux trait que bien dautrespisodes rcents et cela est mettre au
crdit de toutes les instances en charge de lasant publique, depuis
lOMS jusqu tous les ministres et autres organes en chargede la sant
de par le monde. Contrairement ce qui a t fait lors de la crise
financireen 2007-2008, nous avons vu ici : dintenses efforts de
prparation aux pandmies(avec limplication dun grand nombre dacteurs
notamment les entreprises en chargedes grands rseaux vitaux), la
dtection trs rapide du phnomne pandmique, lesuivi mondial de la
progression des cas depuis le centre stratgique doprationsanitaire
(SHOC) de lOMS Genve, le dclenchement des mesures prvues,
unedclinaison rapide lchelle mondiale de ces rponses durgence, une
communicationfactuelle respectant la lettre les recommandations des
manuels de communication decrise disponibles depuis vingt ans, etc.
Et pourtant : les dfis voqus prcdemment nont cess de mettre en
difficult lesdynamiques de rponse, et laboutissement aujourdhui est
svre. Les pilotes ont tconfronts des questions sans cesse plus
nombreuses, ouvrant sur dautres questionstoujours plus
crpusculaires Comment suivre la vitesse de dissmination dun mal,
quand lunit de mesure nest plus le mois mais la journe ou lheure en
raison des nouveaux modes de transport ? Comment songer des lignes
barrires, quand toute la vie conomique et sociale est fonde sur une
connectivit de plus en plus dense et que lide mme de barrire se
fracasse sur le fait de la contagiosit dun mal avant quil ne se
soit manifest par des symptmes permettant des discriminations bien
assures ? Comment anticiper, lorsque le risque de mutation des
agents (le virus en lespce), double dune mutation des contextes,
sont les traits essentiels de la menace ?7 Les formations organises
le sont le plus souvent partir de principes qui dj reclent les
checs venir : il faut avant tout, exige-t-on, rassurer les
responsables en leur apportant des botes outils ; ces responsables
sont ce points fragiles , argumente-t-on, quil ne faut pas les
soumettre trop dinconfort ; il faut les prparer drouler des
procdures qui les protgeront des questions,surtout pas affronter
des situations sans rponses prtablies ; il faut les entrainer
communiquer pourrassurer, donc sur les situations dj bien balises
par les experts, etc.
14. 12 Comment planifier une action, si le temps de la mise en
uvre (scientifique, industrielle, oprationnelle), comme dans le
dossier des vaccins, contraint des dcisions qui ne peuvent
sinscrire dans la totale flexibilit exige ? Comment tenir la fois
les dimensions mondiale, nationale, hyper-locale ? Comment rester
en phase avec lopinion, qui peut brutalement passer de la d-
nonciation virulente de la sous-raction (comme pour la canicule)
laccusation tout aussi vindicative de sur-raction (comme pour la
vache folle), tout en se gardant la possibilit de reprendre la voie
de la traduction en Haut Cour si les conditions changent
soudainement ? Comment rpondre de faon matrise aux craintes
collectives, par exemple au sujet de privilges accords quelques-uns
en matire de protection (via des vaccins, notamment) qui se
transforme en quelques semaines en un refus viscral de se voir
concern par ces mmes mesures de protection (Vaccins, non merci !) ?
Comment, prcisment, oprer en matire de communication, lorsque le
front nest plus le journal tlvis mais la jungle dInternet, terrain
de rve pour la floraison de ces thories du complot qui seules
peuvent prtendre expliquer si simplement linextricable8 (et se
voient trangement consolides par des pilotages ou carambolages bien
mal venus9) ? Comment le dirigeant peut-il piloter lorsquil se voit
contraint de surfer sur des logiciels imposs (sauf sil a fait un
gros effort de distanciation, avant la crise, au dmarrage de la
crise, et tout au long de la crise10), et qui se rvlent des piges ?
Comment peut-il tracer ses lignes daction, si lexpertise dont il
peut bnficier est dabord construite pour les situations
relativement stables, non pour des univers chaotiques ? Et si toute
discussion sinscrit dabord dans des champs de conflits et de
concurrences ayant bien dautres motivations et oprateurs que le
sujet mme de la crise en cause ? Comment conduire des pilotages
stratgiques, qui supposent des questionnements partags, quand la
norme est de monter des runions bien formelles o lon conforte des
certitudes planifies, et lon consolide les bornages de territoires
et les champs de pouvoir ? Un travail simpose sur ces questions
difficiles. Cela suppose de toujours affirmerune distance critique
davec le faire immdiat, qui pourtant exige sans conteste
uninvestissement dj considrable. La difficult est grande, mais ne
pas prendre letemps et lnergie de ce questionnement est rapidement
synonyme de mise en logiquedchec.8 Y compris par labsurde le plus
vident comme cette assertion si sre delle-mme selon laquelle seuls
ceux qui taient vaccins contre la grippe ont t tus par la grippe de
1918 9 Par exemple lorsque, au beau milieu dune polmique mondiale
sur un complot des firmes pharma-ceutiques mondiales , le patron de
lune dentre elle, tout entier plong dans ses paramtres
financiers,se flicite en point de presse des substantiels bnfices
que la vaccination va engendrer pour sonGroupe 10 Voir le cas de
John Kennedy et de ses conseillers qui, sur la crise de missiles de
Cuba (1961),doivent lutter avec une nergie stupfiante et une
intelligence thorique et oprationnelle exceptionnellepour ne pas
laisser enfermer dans des rgles dengagement pralablement arrtes
rglesoprationnelles qui, in fine, sous couvert de ncessit technique
non discutables, dictent la politique etpeuvent conduire au dsastre
stratgique.
15. 13 La principale force des crises hors normes, qui
deviennent nos crises quasiquotidiennes, est prcisment de tuer
toute capacit et vellit de prise de recul. Laprincipale mesure de
salubrit dcisionnelle devrait consister affirmer,
prparer,sauvegarder, dvelopper cette aptitude la rflexion en recul
partage. Pour lheure, le passage nest pas encore fait : la crise
tient encore nos systmesdcisionnels. L est sa puissance
essentielle, et cest bien l quil nous faut intervenir.On ne peut
laisser le monopole de la distanciation critique aux
commissionsdenqute, quand elles sont effectivement cres, et quelles
dcident de menereffectivement le travail de
questionnement.Contribution Ce cahier, propose deux espaces dexamen
: Une rflexion sur lavant-crise (Partie I) : comment je lis les
documents et les mises en uvre qui ont structur nos prparations
lpreuve ; Un suivi de la priode avril 2009 janvier 2010 (Partie
II), sorte de main courante au long de lpisode. Le premier chapitre
Le front des pandmies, 2003-2009, avances tactiques,dcrochage
stratgique , tente de peindre un tableau distanci de lpisode. Il
est bientrop tt pour arrter un texte de fond. On trouvera ici tout
au plus une contribution larflexion, qui gagnera tre lue en lien
avec quantits dautres productions quiviendront ou sont dj venues
sur le cas. Lobjectif est de contribuer cette rflexion,certes
difficile et haut risque, sur les voies de progrs inventer. Le
second chapitre A(H1N1, avril 2009-dcembre 2010 : questionnement
etpropositions chaud , est en quelque sorte mon tableau de bord
personnel au longde lpisode. Jai tent, comme dautres, un travail de
points rguliers. Il part duprincipe que lobservateur analyste na
pas seulement rdiger des fiches pour publierex post avec le confort
de la distance, la connaissance du fin mot de lhistoire maisbien
prendre le risque de la production en temps rel. De faon continue,
jai tent de clarifier par crit mes pistes et ttonnements
danslanalyse. Certaines de ces notes ont pu tre mises en ligne ds
leur rdaction, enpremier lieu via le site de lEspace Ethique de
lAP-HP (Assistance Publique-Hpitaux de Paris).11 Dautres ont
seulement fait lobjet denvoi certaines personnesde mon rseau,
national et international. Dautres encore sont juste restes sur
monordinateur. Je les reprends ici, en les situant plus prcisment
dans leur trajectoire. Cestextes cits (et retranscrits en bleu)
sont retranscrits tels quils ont t proposs, etnont bien videmment
pas t r-crits avec le bnfice de la connaissancedaujourdhui. Leur
intrt est de fournir de faon brute un travail de confrontation
aujour le jour aux inconnues, aux questions, aux piges sans
camouflage des risquesderreurs, ou des erreurs effectives.
Apprendre accepter lide de pouvoir se tromperconstitue la premire
qualit des dcideurs de demain. Cela peut aussi faire sens de11
LEspace Ethique de lAP-HP, sous la direction du Pr. Emmanuel Hirsch
et du Dr Marc Guerrier estun lieu dchange particulirement riche et
quasi unique avec qui jai eu la chance de pouvoir travailleravant
et depuis le dbut de lpisode. Notamment dans le projet ambitieux,
conduit par EmmanuelHirsch, de livre de rflexion sur la pandmie :
Pandmie grippale lordre de mobilisation, Editions duCerf, septembre
2009.
16. 14faire comprendre que la rflexion en recul, tout au long
dune crise complexe etopaque, peut avoir quelque intrt. Jai pens
pertinent de regrouper ici ces crits (dans un Cahier spcifique),
afin degarder une trace plus aisment consultable de ce travail de
rflexion men partir des sorties du systme tel quil tait possible de
les saisir travers la lecture desjournaux, des dpches dagence, de
discussions avec des collgues franais outrangers.12 Les traces ici
proposes sont donc tout fait partielles et limites ; ilserait mme
tonnant quelles ne soient pas marques derreurs manifestes. En
cesdomaines tourments, la justesse du propos nest garantie qu celui
qui sabstient, ouqui sexprime uniquement dans laprs-coup. On notera
que ce sont surtout les premiers temps de lpisode qui ont attir
marflexion. Cest bien au moment des lectures et dmarches initiales
que tout sejoue . Si, demble, lexigence du questionnement en recul
est absente ou trsinsuffisante, le reste nest rapidement que
priptie. Bien entendu, en ces domaines, tout crit sexpose deux
cueils : Le premier : celui de la condamnation indcente, si
confortable labri du clavier et si aise lorsque lon dispose, du
moins le croit-on ( tort dailleurs), du fin mot de lhistoire. Mon
collgue et ami Mike Granatt, fondateur et premier chef du Civil
Contingencies Secretariat du Cabinet Office Londres, aime ainsi
rappeler les mots de Shakespeare : Mens evil manners live in brass.
Their virtues, we write in water (Henry VIII). Dun point de vue
mthodologique, il faut naturellement prendre garde ne pas rcrire
lhistoire une fois les verrous dincertitude levs. Il faut se mfier
des concerts de critiques et autres rve- parties coagules la hte,
qui viennent triompher par le verbe sur les dbris de lincertitude
et de la peur avec un aplomb, des raccourcis et des confusions qui
annoncent bien des fiascos venir. Il faut assurer, l encore, une
capacit de jugement en recul : en ces matires, la certitude
donneuse de leons nest assure qu linconscient et lirresponsable. La
prudence simpose, tant les situations sont et restent volatiles :
Judgments about the failure or success of public policies or
programs are highly malleable.13 Les crises peuvent rapidement
devenir la poursuite, sur dautres terrains, de conflits trangers
aux pisodes examins : on ne saurait devenir lotage ou linstrument
de ces dynamiques parasites. Le second : labstention
prcautionneuse, la fuite dans labscons, qui traduisent une
recherche de mise en protection systmatique, de rassurance et de
valorisation dans des constructions qui tiennent le temps dune
opportunit mdiatique aux dpens de la justesse et du courage de
lanalyse. Les enjeux sont vitaux sur ces sujets, toute facilit se
paiera cher la prochaine crise. Conscient de ces risques, jai tent
dviter les deux lignes dcueil. Mais, icicomme ailleurs, le risque
nul nexiste pas.12 Mais quasiment jamais avec des acteurs
directement impliqus dans le pilotage du dossier ( une oudeux
exceptions prs et je remercie ici les responsables en question pour
leur confiance) tant il esthabituel de voir les systmes se fermer
ds lors quils sont en difficult. 13 Mark Bovens & Paul T Hart,
Understanding Policy Fiascoes, Transaction Publishers,
London,1996.
17. 15 Laxe de la rflexion reste dans mon champ de spcialit :
le pilotage stratgique deces pisodes opaques, instables, qui
peuvent tout moment ouvrir sur des turbulencessvres, des mutations
improbables, des montes aux extrmes, ou linverse desrsorptions
impossibles expliquer aisment. Certes, cette question de
lintelligence et du pilotage des grandes crises nest pasencore
reconnue comme susceptible de pertinence scientifique ou dintrt
stratgique,mais je plaide que les seules connaissances des
caractristiques dun virus ou dunmdicament, des courbes de
contamination, des lments de communication ,npuisent pas le sujet.
Bien au contraire : aussi longtemps que lon se focalisera defaon
presque exclusive sur les contenus techniques, les
machineriesorganisationnelles, et les contreforts de communication,
sans engager de travail aussisrieux sur les conduites stratgiques
et les dmarches qui peuvent les consolider, nousaurons les plus
grandes peines surnager dans les mers en furies que lvent les
risqueset les crises de notre temps. Lhypothse est que ce type de
rflexion continue et en recul serait hautementsouhaitable a) au
sein des instances les plus impliques dans le pilotage de ce type
dedossier, tant lchelle internationale que nationale 14 ; b) entre
grands acteurs publicset privs ; c) entre experts ; d) et,
assurment, de faon ouverte avec un large public puisque la
dynamique en cause est demble marque par limportance cruciale de
laconfiance. Une confiance qui passe par du partage : des visions,
des perceptions, desincertitudes, des ignorances plus encore, et
des propositions. Cest l le message essentiel, et sans doute
pesant, des pages qui vont suivre. Leproblme crucial qui marque le
pilotage des grandes crises actuelles ne tient pas telleou telle
erreur de dcision, ni mme de communication cette dernire tant
miseen avant de faon compulsive, comme si tous les problmes taient
dsormaisuniquement lis des dfauts de communication. Il tient un
dcalage de plus enplus net entre nos modes dapproche et de
pilotage, dune part, et la nature des crises traiter, dautre part.
Aussi longtemps que des ruptures positives dcisives nauront past
opres sur ces terrains qui intressent aussi bien la prparation des
dirigeants,les formations fondamentales, les exercices, les formes
de discussions sociales autourde ces risques et de ces crises hors
cadres nous resterons particulirementexposs des enchanements de
fiascos, ou tout au moins de difficults extrmes dansla conduite de
nos vulnrabilits et de nos crises. Un lourd travail de retour
dexprience, national et international, est devant nous. Jene livre
ici quune petite contribution cet effort essentiel si nous voulons
gagner enintelligence et capacit de pilotage pour mieux traverser
ces crises vraies, fausses,construites, subies qui vont devenir la
marque dun monde travers de mutationsacclres. Puissions-nous faire
montre de la responsabilit qui simpose, et ne pasnous contenter
dattendre une autre crise capable de faire oublier celle-ci.14Cest
ce type de fonction que javais song lorsque, dans les annes 1990,
javais t nomm expertauprs de lOMS pour les questions de risques
majeurs, pour une priode de quatre annes, renouvelequatre autres
annes. Mais, au cours de ces huit annes, aucune runion ne fut
organise, sans doutepour la raison habituelle que les spcialistes
des vraies sciences sont seuls pertinents pour rgler lessituations
difficiles.
18. 16 I LE FRONT DES PANDMIES, 2003-2009 AVANCES TACTIQUES,
DCROCHAGE STRATGIQUE
19. 17 Les crises se nourrissent tout la fois de foisonnements
de circonstancesparticulires (au moment spcifique de lmergence du
phnomne, et durant tout ledveloppement de lpisode), du pass immdiat
(ce qui a t fait juste avant notamment dans le cas qui nous occupe
dans le domaine de la prparation particulire la pandmie grippale),
de sdimentations sur longue priode et de maints facteurscontextuels
autres que ceux immdiatement en cause mais qui influent pourtant,
parcontamination des perceptions notamment, sur la crise qui
survient. Plus la crise estsvre, plus les lments sdiments et les
tendances lourdes , viennent modeler lescombinaisons qui se
manifestent et construisent la forme de la crise, ses ressorts,
seslogiques, ses surprises, ses mutations. Avant dengager lexamen
au jour le jour de cette grippe qui ne fut pas celleattendue, je
voudrais donc rflchir aux lments foisonnants de ce tableau
derfrence sur lequel sest inscrite la grippe A(H1N1), tout au moins
en France. Lesdynamiques mergentes conjuguent, selon des processus
particulirement difficiles lucider, bifurcations de circonstances
et terreaux contextuels, avec des issues lafois prvisibles et
imprvisibles, normales et aberrantes. Je ne ferai ici quouvrir la
rflexion sur ce tableau pralable, tant il y aurait fairepour le
peindre avec quelque exactitude et justesse danalyse. A tout le
moins, tentonsde desserrer lcheveau et de tracer quelques pistes de
rflexion.1. Points forts1) Un effort massif, continu et coordonn de
veille, dexpertise et de planification LOMS a jou un rle majeur de
chef dorchestre en matire de surveillance,dexpertise et de
planification15 sur la pandmie grippale, depuis les annes
2003-2005, marques par lpisode du SRAS et le dveloppement de la
grippe aviaireH5N1. Un imposant centre de crise permettant de
dtecter et de suivre des pisodespandmiques a t mis en
fonctionnement Genve, vritable Quartier Gnral de ladfense mondiale
contre les pidmies. Des niveaux de rfrence ont t tablispour moduler
les mobilisations et les niveaux dengagement oprationnel ; ces
niveaux ont t dcalqus dans les grands plans nationaux.16 En France,
notamment, les autorits ont mis au point un plan national
deprvention et de lutte Pandmie grippale qui reprend larchitecture
du plan OMS.Ce plan, dont la premire mouture date de 2004, a permis
de clarifier des niveaux derfrence, une stratgie gnrale de rponse,
des principes de conduite oprationnelle.On notera linscription, trs
nouvelle dans les grands plans durgence du pays, duprincipe d un
large effort de communication et dinformation : Durant la phase
pandmique, les pouvoirs publics veillent informer le plus
compltement possible la population sur la situation, les mesures
prises et les prconisations. La politique de communication est
anime en mode centralis par la cellule15 WHO : WHO global influenza
preparedness plan The role of WHO and recommendations fornational
measures before and during pandemics, 2005.16 Voir par exemple :UK:
Explaining Pandemic Flu A guide from the Chief Medical Officer,
NHS, 2005.US : National Strategy for Pandemic Influenza
Implementation Plan, Homeland Security Council,May 2006.
20. 18 interministrielle de crise appuye par la cellule de
communication. La cellule de communication est associe trs en amont
et de manire trs troite aux informations reues et aux projets
prpars par la cellule de crise. Elle a pour missions, pour ce qui
relve de la communication gouvernementale : - la veille mdiatique
et lanalyse de ltat de lopinion ; - la communication
gouvernementale externe ; - la coordination des actions
dinformation assures par les ministres ; - le soutien et la
coordination des informations diffuses par les prfets au niveau
local ; - la communication interne en direction des services et des
agents de lEtat. Elle est compose de reprsentants des ministres
chargs de lintrieur, de la sant, de la dfense, des affaires
trangres et, en tant que de besoin, dautres ministres ; dun
reprsentant du secrtariat gnral de la dfense nationale, dun
reprsentant du service dinformation du gouvernement, dquipes ddies
la veille, aux relations presse, lInternet, llaboration dlments de
langage. Elle est segmente en direction des cibles identifies
(leaders dopinion, relais, mdias, grand public, agents de lEtat et
encadrement, secteur priv, Franais de ltranger ). La communication
vers le grand public devra permettre dindiquer les mesures
individuelles ncessaires, notamment en matire de protection et
dhygine, de recours au systme de sant, de fonctionnement de
lactivit conomique. 17 Ce plan na cess ce qui est l aussi un point
novateur remarquable dtre ajustau fil des annes. Ainsi, la premire
version, prsente le 13 octobre 2004, tait mar-que par des
prescriptions rigides la rigidit tant souvent le trait identitaire
desgrands plans dEtat : Fermeture ou contrle des frontires ; arrt
des transports collectifs et restriction des dplacements
(dplacements individuels, isolements, cordons sanitaires) ;
fermeture des tablissements denseignement ; limitation des grandes
manifestations sportives, fermeture des salles de spectacle ;
suspension des rassemblements de population ; limitation de toutes
les manifestations sous forme de spectacles, rencontres sportives,
foires et salons et clbrations culturelles, etc. 18 Cinq annes plus
tard, dans sa quatrime dition (2009), le plan pandmie
gagnesingulirement en adaptabilit. La machinerie commence souvrir
aux ralits dunesocit devenue complexe, qui ne peut plus tre rgente
partir dun GQG militaire,digne de 1870 ou de 1914, do partiraient
des ordres pour excution sur la ligne defront. Ce plan de 200919
dans ses rajouts liminaires tout au moins (qui semblenttraduire de
douloureux accouchements, dpres discussions et la ncessit de
sauto-convaincre) , frappe ainsi par :17 Prsentation du plan
gouvernemental de lutte contre la pandmie grippale dorigine aviaire
au 13octobre 2004 ,
http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/grippe_aviaire/aviaire3.htm#num218
idem.19 Premier Ministre, Secrtariat Gnral de la Dfense Nationale :
Plan national de prvention et delutte Pandmie grippale , n
150/SGDN/PSE/PPS du 20 fvrier 2009 (abroge et remplace le
plannational n 40/SGDN/PSE/PPS du 9 janvier 2007), 4me dition
2009.http://www.grippeaviaire.gouv.fr/IMG/pdf/PLAN_PG_2009.pdf
21. 19 a) Lnonc de ruptures salutaires Loin des mcaniques
simplistes de bouclage et de blocage [] si des mesures limites de
contrle aux frontires restent possibles [] le prsent plan franais
ne retient pas loption disoler le pays par une mesure de fermeture
des frontires. Il tient comme un lment important le maintien des
changes internationaux, notamment pour tout ce qui concerne la
rponse sanitaire la pandmie. Le plan vise galement prserver le
fonctionnement aussi normal que possible de la socit et des
activits conomiques. (p. 4) Loin de lautomatisme procdurier et fix
par avance Aucune mesure nest automatique. Chacune doit tre examine
par la Cellule interministrielle de crise au niveau national, au
cas par cas, en fonction de lvolution de la situation. (p. 2)
Evaluer en permanence le degr de prparation du dispositif par des
exercices aux diffrents niveaux de ltat et par la dfinition
dindicateurs de prparation. (p. 9) Loin du modle autoritaire,
centralis, militaire Il sagit : de maintenir le lien de confiance
entre la population et les pouvoirs publics, notamment grce une
communication coordonne, transparente et continue ; dexploiter le
retour dexprience dvnements rels et dexercices nationaux ou
internationaux pour amliorer la prparation du pays face aux menaces
sanitaires majeures. (p. 5) b) Des perspectives socitales indites
Solidarit et continuit de la vie sociale Les actions de lEtat et
des divers organismes publics et privs ne sauraient suffire elles
seules. Une mobilisation active de la population est galement
indispensable. Elle implique une participation active de la
population la solidarit familiale et de voisinage, par exemple : -
aide aux personnes isoles ou malades, tant pour les dmarches et
courses de la vie quotidienne que pour la liaison avec le corps
mdical et lapprovisionnement en mdicaments ; - garde individuelle
des enfants, au niveau de la famille ou des voisins, voire en
utilisant la ressource des tudiants librs par la fermeture des
tablissements denseignement suprieur ; - poursuite de la
participation la vie conomique et sociale, dans le respect des
mesures annonces par les pouvoirs publics et des plans de continuit
des employeurs. - Cette mobilisation peut relever de linitiative
individuelle. Elle peut aussi sinscrire dans le cadre de la
participation aux rserves ou laction associative. - Le strict
respect du maintien domicile, ds lors que lon est touch par la
grippe, relve galement du devoir de solidarit, pour limiter
lextension de la maladie. (p. 16) Information, gage de cohsion
Lefficacit du dispositif prvu dans le plan repose sur le maintien
dun lien de confiance fort entre les autorits gouvernementales et
la population. Cela implique une information transparente, continue
et factuelle donnant lassurance que les pouvoirs publics sont mme
de grer la situation dans ses composantes
22. 20 sanitaires et organisationnelles. Pour les pouvoirs
publics, placs en position dmetteur de linformation, la
communication vise galement informer et donc attnuer les craintes
et lanxit de la population et viter le risque de dsinformation, de
rumeurs, voire de dstabilisation. Dans ce cadre, les objectifs de
communication sont : - dinformer en permanence la population sur la
situation et les mesures prises ; - dentretenir la confiance de la
population et la crdibilit des pouvoirs publics ; - dinciter chaque
citoyen devenir acteur et responsable face au risque, et favoriser
la solidarit nationale ; - dinformer sur la faon dont on peut
retarder larrive de lpidmie sur le territoire franais ; - dinformer
les cibles prioritaires (enfants, ressortissants franais, ) sur les
mesures spcifiques les concernant ; - de prparer le pays grer le
risque en coordination avec les partenaires euro- pens et
internationaux ; - daider grer la crise et maintenir lorganisation
de la socit pendant la pandmie ; - de prparer la sortie de crise et
la reprise de la vie normale. (p. 17) Prise en compte de
limportance dun consensus social autour de principes thiques Une
pandmie grave est une situation exceptionnelle qui exigera la
dfinition de priorits daccs aux moyens sanitaires, un effort de
solidarit tous les niveaux, un engagement de ceux dont les missions
impliquent un contact direct avec les malades. Un consensus sur des
valeurs thiques partages sera indispensable pour prserver la
cohsion de la socit, par exemple : - devoir de solidarit tous les
niveaux, depuis le niveau international jusquau niveau local ; -
face au devoir de soin par les professionnels de sant, devoir de la
socit de les protger, ainsi que leurs familles et ceux que leur
fonction conduit sexposer (y compris les collaborateurs
occasionnels du service public) et dassurer lavenir des familles de
ceux qui auraient t victimes de la maladie ; - approche thique dans
llaboration de priorits daccs aux ressources limites, y compris en
matire de produits de sant et affichage de ces priorits ds lors
quelles sont arrtes ; - rejet de la stigmatisation des malades
isols ou des personnes maintenues en quarantaine. (p. 9) c)
Laffichage dune initiative remarquable Un comit dinitiative et de
vigilance civiques a t cr par dcret du 12 dcembre 2006 auprs du
ministre de la sant, pour proposer au Gouvernement toute action
pouvant amliorer lappropriation par la population des mesures de
prvention et de lutte contre la pandmie grippale et autres crises
sanitaires exceptionnelles et de contribuer renforcer la
mobilisation de la population dans la perspective dune telle
pandmie. (p. 16)2) Un effort gnral indit en termes de Continuit
dActivit Demble, ct des lignes habituelles de planification
tatique, les responsablesont inscrit la proccupation de la
continuit des activits, et notamment de lafourniture des services
offerts par les grandes entreprises de rseaux. La question desPCA
(Plans de Continuit dActivit), sest impose comme prioritaire, dans
le
23. 21discours des pouvoirs publics, mais aussi dans les
pratiques de gestion des risques etdanticipation des crises dans
nombres de grands groupes de rseau. Dinnombrables livres,
confrences, sminaires, ont t proposs pour clarifier lestypes de
prparation mettre en uvre. Cest probablement l aussi une premire :
lamobilisation du ministre de lEconomie comme fer de lance de ce
projet deprparation du pays ce type dpreuve ; la mobilisation
active des grands oprateurspour clarifier les points de
vulnrabilit, rflchir aux mesures prendre, arrter desdcisions en
matire dacquisition de moyens de protection (masques, antiviraux,
etc.),intgrer la dimension Ressources humaines, cerner les problmes
lis aux fonctionsessentielles satisfaire, rflchir aux questions
thiques qui pourraient se poser, etc.Avant que la grippe A ne
frappe, beaucoup avait t fait en termes de PCA pour unepandmie
grippale de type aviaire.203) Un effort srieux en matire dexercices
Des exercices pandmie : avec des bases vidos trs vigoureuses
ralises par leSGDN, des exercices exigeants ont t conduits (30 juin
2005 ; 25-26 avril 2006), cequi a permis de prparer les quipes,
douvrir des questions, daffiner les prparations.Des efforts ont t
engags lchelon europen (exercice des 23-24 novembre 2005). De hauts
responsables impliqus : cela fut tout fait remarquable dans le cas
dunministre de la Sant (Xavier Bertrand) qui participa
personnellement fait encorerarissime un exercice national qui ne
sinscrivait pas dans la logique habituelle de dmonstration . Des
entreprises impliques : des exercices ont aussi t conduits au sein
desentreprises, en lien avec les services de lEtat, et en condition
raliste (port de masquesdurant lexercice).2. Points faibles Lexamen
appellerait de srieuses investigations pour peindre le tableau
avecprcision et exactitude. Ce tableau a comport de nombreuses
couches et retouches.Comment ces ajustements ont-ils t oprs, et se
sont-ils conjugus ? Les sdimenta-tions successives ont-elles
conduit un ensemble fort dune cohrence interne permet-tant
daffronter des turbulences svres, ou bien y a-t-il eu ajouts de
couches, avecpossibilits que certaines logiques profondes
reviennent simposer sans pravis ?Prcisment, les assurances en
termes de mobilisation du corps social, dinitiatives enmatire
dthique, de dsignation de tel ou tel pilote, etc. ont-elles
dfinitivementeffac la logique secret dfense , qui avait port le
premier plan sur ses fondsbaptismaux ? Les grandes crises
contemporaines posent deux dfis : des capacits de pilotage,lorsquil
faut affronter linconnu, lhypercomplexe (et pas seulement afficher
destableaux de missions) ; des capacits de cohsion, puisque cest la
texture sociale qui20Voir par exemple : Dr. Sandrine Segovia-Kueny
et Laurence Breton-Kueni : Raliser un PCAPandmie grippale dans une
organisation Pourquoi et comment ?, AFNOR, 2008. Voir lesnombreuses
confrences et sminaires organiss par le Haut Comit Franais pour la
Dfense Civile.
24. 22est dsormais concerne, et non plus telle ou telle
garnison devant tenir telle ou telleplace forte sur une ligne
frontire clairement tablie depuis des sicles. 21 On peut, pour le
moment, enregistrer les facteurs suivants, qui seront mieux cernssi
quelque retour dexprience approfondi est engag sur lpisode.1) Un
confidentiel dfense originel Cette option est souvent dplore.
Ainsi, le Pr. William Dab, ancien DirecteurGnral de la Sant : La
prparation de la version initiale du plan de lutte contre une
pandmie grippale a donc t conduite de pair avec les services du
Secrtariat gnral pour la Dfense nationale et ceux de la Scurit
civile. Mais, cette poque, lessentiel du plan fut class
confidentiel dfense . Certes, nous nen sommes plus l, mais il
convient de garder lesprit ce trait initial [] [] jinsiste : jusqu
la nomination dun dlgu interministriel la grippe aviaire, nous
avons d composer avec le fait que le plan de lutte contre une
pandmie grippale tait en grande partie class confidentiel dfense .
Cest une ralit incontournable laquelle nous avons d faire face 22
Ou le Pr. Didier Houssin, actuel Directeur Gnral de la Sant et
Dlguinterministriel la lutte contre la grippe aviaire (dcret n
2005-1057 du 1erseptembre 2005) : La France a ragi rapidement ds le
dbut 2004 et sest engage, sous lgide du SGDN, dans llaboration dun
plan densemble, dont on peut peut-tre regretter quil ait t classifi
dfense . 23 On sapplique le plus souvent souligner que ce temps du
confidentiel dfense est rvolu ce quattestent les imposants efforts
dinformation, de sminaires ouverts,de communications mdiatiques.
Ainsi le Pr. Dab, au Quotidien du Mdecin : Avec un vaccin efficace
mais en quantit insuffisante pour lensemble de la population, la
question des groupes prioritaires est cruciale, souligne le Pr
William Dab, titulaire de la chaire hygine et scurit au CNAM
(Conservatoire national des arts et mtiers). Qui sera prioritaire?
Ceux qui ont les moyens de payer? Ceux qui sont risque le plus lev
de mortalit (mais le sait-on?)? Ceux dont les activits sont
indispensables la continuit de la vie du pays? Et qui va dcider de
cela? Et avec quel processus de lgitimation des choix? Lancien
Directeur gnral de la sant considre quautour de telles questions,
assez simples finalement formuler, se dessine une occasion de
consolider la maturit sociale face un phnomne, lpidmie, qui a
toujours suscit des peurs profondes et des ractions brutales.21Pour
une analyse plus dveloppe, voir : Patrick Lagadec : Audit des
capacits de gestion des crises -Cadrage, Evaluation, Initiatives,
Cahier du Dpartement dEconomie, n 2009-19, Ecole Polytechnique,Juin
2009. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/cahier_%202009-19.pdf22
Pr. William Dab : La pandmie grippale une opportunit pour faire
progresser les pratiquesthiques en sant publique , in Emmanuel
Hirsch (sous la direction de) : Emmanuel Hirsch : Pandmiegrippale
lordre de mobilisation, Cerf, 2009, p. 149-158. (citations pages
151 et 155)23 Audition du Pr. Didier Houssin par la Mission
dInformation sur la Grippe aviaire, Prsident M.Jean-Marie Le Guen,
Rapporteur M. Jean-Pierre Door, Dputs, Tome 1 : Menace de
pandmiegrippale : prparer les moyens mdicaux, n 2833, 26 janvier
2006, (page
132).http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-info/i2833-tI.pdf
25. 23 Le temps de la maturit dmocratique est venu, selon lui,
pour communiquer avec la population et pas seulement avec les
professionnels. Lpoque du confidentiel dfense , qui a prsid
llaboration du premier plan pandmie, en 2003, aprs la catastrophe
de la canicule, est dfinitivement rvolue. 24 Questions : Et si
cette inscription originelle, au-del des volonts des acteurs,
signifiait la prgnance toujours dterminante dune rfrence profonde,
universelle, spontane savoir que la perspective dune situation hors
norme fait immdiatement craindre dsordre et chaos social,
impliquant le primat donner au militaire et aux seules logiques
hirarchiques ? Cela en dpit de centaines dtudes montrant que le
rflexe de centralisation autoritaire est surtout fond sur des
mythes, quil aboutit souvent rajouter une seconde catastrophe la
premire, conduit tuer les capacits collectives de
responsabilisation, tout en aboutissant finalement, lorsque le
pouvoir central doit reconnatre quil ne peut pas tout, des
dcompensations brutales extrmement dangereuses en termes de cohsion
sociale. Et si ce drapeau initial, navait pas t dissout loccasion
des nombreux ajuste- ments du plan au fil des annes ? Sil jouait
encore dans la fixation que lon observe, par exemple sur des
personnels rquisitionns , sur des gymnases , sur la mise lcart
dacteurs essentiels mdecins, pharmaciens ? Bien entendu, de
nombreux facteurs sont mis en avant pour expliquer les options
prises (limitation des moyens, technique de vaccination, jeux
conomiques, dfense de territoires, partage des rles, etc.), et
chacun mrite attention. Bien entendu, on doit se fliciter quune
instance en charge de la scurit de lEtat, et forte de ses
attributions en ces matires, soit entirement mobilise. Mais il
reste que des questions se posent sur notre rapport au Command and
Control dans un monde devenu autrement plus complexe que par le
pass dans lequel les horizons militaires sont de plus en plus
spcifiques, le civilo-militaire de plus en plus important envisager
dans sa complexit, et le civil souvent en charge, comme dans le cas
des rseaux vitaux, de la dfense systmique du pays.2) Une approche
initiale ferme et cloisonne Ce fut le trait dominant dans les annes
2004-2005 lors de nombreuses journesdinformation-sensibilisation
organises au profit de cadres du secteur public etsecteur du priv
dans la perspective de la pandmie H5N1 attendue. La toute
premireconfrence organise par le Haut Comit Franais pour la Dfense
Civile, en 2004 fut remarquablement dmonstrative. Seules avaient la
parole les autorits publiques et dabord le Secrtariat Gnral de la
Dfense Nationale.24Le Quotidien du Mdecin, 9 septembre
2009.http://www.quotimed.com/dossiers/index.cfm?fuseaction=viewcontent&DSIdx=2462
26. 24 La salle, qui devait couter, ne pouvait que compter les
contradictions et les lignes de conflits entre les acteurs publics
qui ne dialoguaient pas entre eux (comme si le plus important tait
de marquer des territoires). Lorsquun responsable dun grand rseau
critique osa poser une question au sujet du Plan quil voulait bien
suivre mais quil aurait quelque difficult appliquer effectivement
tant donn quil nen avait pas t destinataire , il fut vertement
remis sa place par un participant zl sur le thme que le plan tait
encore confidentiel et quil en recevrait copie en temps utile. 25
La logique gnrale de rfrence tait du type : Laissez-nous vous
expliquer/Voici les scnarios/Voici les cadrages de base dans
lesquels vous devrez vous inscrire/Vous naurez qu appliquer ce que
lon vous aura dit . Lors dune autre confrence, destination cette
fois des responsables du secteur du Tourisme (2006), on retrouva la
mme logique : exposs disjoints de trois institutions en charge,
dpart des intervenants officiels aprs ces temps dexposs des
problmes arrts et des prescriptions dictes les professionnels tant
alors laisss seuls avec leurs ventuelles questions pratiques . Le
seul domaine de responsabilit de lautorit est dans lnoncia- tion
des problmes, la fixation des rponses pas dans le partage des
questions ni lajustement des rponses avec les intresss au front.3)
Une culture de Plan, une culture PCA Assurment, il est bon davoir
des plans. Ils permettent de prparer des lignes derponse, des
organisations, des moyens, des rgles demploi, qui viteront
paralysie,pertes de temps, et consommation dnergie sur des sujets
qui auraient pu tre clarifispralablement. Le plan permet aux
acteurs de se concentrer, en situation, sur les pointsles plus
dlicats.26 Encore faut-il que ces plans soient vritablement
inscrits dans cette perspective dedonner aux acteurs des outils de
base leur laissant plus de libert pour lequestionnement afin de
traiter le non anticip. Encore faut-il que ces plans ne tombentpas
dans des cultures qui feront de loutil une cage, une vaste usine
gaz , dont lesrgles, les subdivisions, les embotements, en arrivent
tuer toute autre proccupationque le reprage dans la machinerie. Le
problme gntique des plans, sauf remarquable vigilance stratgique,
est quilsprvoient tout sauf linattendu. Plus prcisment, quils en
viennent tuer lidemme dinattendu, rendre suspecte la proccupation
pour ce qui fait lessence mmede la crise : la surprise stratgique.
Le pige fonctionne dautant plus efficacement siles plans sont reus
par les destinataires comme des Lignes Maginot permettant de se25
En sance je mis un mot ce directeur de scurit pour le fliciter de
cette simulation in vivo sistimulante. Par la suite, je pus lui
demander si ce type de runion lui tait vraiment utile. Il me
rponditque oui : elle lui permettait, non bien sr de se renseigner
sur le comment faire , ni de recevoir desinstructions, mais de
savoir o en taient les protagonistes publics, pour caler ensuite
ses stratgies enfonction des failles que ce type de confrence
permet de dceler, surtout si elles sont claires etprofondes.26 Pour
une analyse approfondie, voir : Patrick Lagadec: "La Question des
plans - Entre points dappuiet piges stratgiques", Cahier n2009-40,
Dpartement dEconomie, Ecole polytechnique, octobre2009.
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/2009-40.pdf
27. 25garantir contre linattendu, et de se protger de toute
critique ils auront suivis lalettre les prescriptions imposes. Le
contre-sens conduit rapidement au non sens lheure de la crise. Le
plan a fait tant dhypothses implicites, a exclu tant dequestions,
voire lide mme de question, quil se montre rapidement hors
sujet,inutilisable mais cependant toujours rfrence impose. Ce fut
le diagnostic du DrYoung, en charge du pilotage sur SRAS Toronto :
La premire victime du SRASfut le plan lui-mme ; le problme se
posait depuis moins de cinq minutes que le plantait dpass . 27 La
logique mentale et stratgique dominante est le plus souvent de type
entonnoir , avec en bout de chaine des prescriptions oprationnelles
tenues pour les bonnes rponses . Ce type de droulement de procdures
est ncessaire, maislargement insuffisant et dangereux pour des
crises hors cadres. Le risque est que lonne soit jamais prpar se
poser des questions, sinterroger avec dautres, inventerdes
trajectoires nouvelles. En crise non conventionnelle, il ny a pas
de solution dansle cadre, il faut immanquablement se projeter dans
linconnu. Ce qui est ncessairecomme appui de base devient aussi,
dans le mme temps, un pige stratgique. Ces failles taient
perceptibles lors des runions de prsentation du plan : Fixation sur
les organigrammes : tiqueter des territoires de responsabilit nest
pas trs compliqu ; le problme est de voir avec les acteurs comment
ils pourront sacquitter effectivement de la mission quon leur
assigne. Si on se contente de dcrire ce qui devra se passer, en
disant que cest cela qui se passera, sans coute des acteurs, lusine
gaz devient rapidement une friche industrielle, avec des acteurs
qui ne jouent plus leur rle, des OPA sur les responsabilits, des
jeux de concurrence o chacun joue sa carte, et o la rsolution de la
crise devient assez rapidement trs accessoire. Hypothses fermes :
tout se droule lintrieur de cadres figs. Certes, on proclamera le
haut degr dadaptabilit du plan, mais sa forme, sa dynamique
interne, sa prsentation, sa diffusion, son utilisation, sont aux
antipodes de ces protestations de flexibilit. On ne sait pas
lavance quelles seront les conditions qui prvaudront au jour J,
mais on sait au moins, sans trop dincertitude, qu la moindre
hypothse nouvelle le bel ensemble versera dans le ravin ou, tout au
moins, le ctoiera de faon dangereuse. Plus tard, effectivement, on
dcouvrira notamment que les plans, toute la mcanique des niveaux
dalerte, taient fonds sur le principe dune grippe forte ltalit
quand le H1N1 avait dautres caractristiques ; le H1N1 ne vint pas
de Chine ou dExtrme-Orient, hypothse de presque tous les crits
antrieurs ; et le plan sarrtait avant larrive du vaccin, quand la
France, par exemple, fut touche au moment o le vaccin commenait tre
disponible, ce qui ouvrit sur des turbulences totalement hors plan.
Lorsque tout est mis en logique de plan, les adaptations sont
extrmement difficiles. Il ne sagit pas ici de faire une critique
avec le bnfice dune connaissance daprs-coup. Il sagit de souligner
que, demble, on pouvait pointer les limites du systme, anticiper de
svres dysfonctionnements ds linstant o on sortirait de lpure fixe
quel que soit le dysfonctionnement. Cette fois-ci la menace rompit
lengage-27 "Leadership in the age of unconventional crises and
chaotic environments", Dr. James Young,O. Ont., M.D, Special
Advisor to the Deputy Minister, Public Safety Canada talking to
Patrick Lagadec,October 2007. Montage, sous-titrage, Vido-Adapt,
Immdiares, Dcembre 2007.
28. 26 ment, demain elle pourrait submerger le terrain, ou le
prendre par un biais totalement surprenant.4) Une dynamique
public-priv souvent surprenante Le secteur public a beaucoup fait
pour appeler le secteur priv des mobilisations ce qui tait certes
souvent ncessaires. Mais il lui est rarement arriv de comprendreque
le secteur priv, et notamment le secteur des grands oprateurs de
rseaux, taitpeut-tre sur de nombreux points en avance, et quil
aurait parfois bien mieux valulcouter que de le convoquer et lui
faire des discours ce quil lui faudrait faire.5) Une culture
Command and Control , top down Les crises contemporaines, demble
systmiques, ne se traversent que via unemobilisation des tissus
socitaux concerns. Ce fut flagrant dans le cas de canicule en2003,
qui conforta la remarquable tude dEric Klinenberg sur la canicule
de Chicagoen 1995.28 Certes, il serait grave doublier les
responsabilits propres des instancesdirigeantes, les impulsions
quelles doivent imprativement donner, les dilemmesquelles ont le
devoir de trancher, les conflits quelles doivent aider rsoudre,
etc.Mais, lorsque lon voit, longueur de runions, une coute trs
pauvre des questionsdes acteurs qui tiennent les fronts les plus
sensibles, et la dynamique de dfiance quimarque trop souvent les
rapports entre strates de responsabilit, on peroit avec unevidence
difficile dmentir la fragilit des machineries prpares et vnres. On
me rapporta ainsi le cas dun service durgence soulignant, dans
telle runion dinformation (pourtant ferme), que le plan reposait
sur la capacit des malades appeler, mais que le standard habituel
ne tiendrait pas. Raction la tribune : Iltiendra. Question suivante
. Dans une autre runion, elle aussi strictement
entreprofessionnels, la question fut pose du problme li la garde
des enfants en bas ge,prvue dans le plan en raison de la fermeture
des coles, et qui posait question dans unmilieu fminis. Raction dun
participant zl : Ce sera la Guerre. Donc la questionne se pose pas
. Lincapacit tolrer toute question est invitablement peruecomme
signe clair de la fragilit de celui qui prtend avoir autorit et
rponses ; etdclencheur dune dfiance maximale si daventure la
situation devient non nominale. Michel Setbon, sociologue
spcialiste des grandes questions de sant publique, nacess de
plaider pour des dmarches reposant davantage sur lcoute et la
confiance.Les populations ne sont pas des collections de pices
lmentaires amorphes quilsuffit de faire rentrer dans des botes
prpares la perfection comme on le ferait dansun jeu de Lego. Mais,
l encore, la moindre ouverture semble impossible aux
espritscartsiens au sens le plus pauvre, terroriss lide que la
prise en compte desinterlocuteurs puisse venir mettre des grains de
sable dans une machinerie dont lasurvie tient prcisment labsence
totale de question et de difficults autres queplanifies donc
rsolues par avance. A titre dillustration, on peut reprendre
quelquesobservations et formules dbut 2009 : Les responsables de la
politique sanitaire [souligne ainsi Michel Setbon] ne devraient pas
seulement se focaliser sur la question technique : "Que faire et
quelles mesures doit-on mettre en place pour contrler la pandmie ?"
La question laquelle ils sont galement confronts est : "Comment
faire pour que chaque28 Eric Klinenberg (2002), Heat Wave, A Social
Autopsy of Disaster in Chicago, The University ofChicago Press,
Chicago and London.
29. 27 citoyen fasse ce qui sera ncessaire pour briser le plus
rapidement possible la chane de contagion interhumaine dun nouveau
virus grippal hautement pathogne ?" Cela tout en prvenant les
phnomnes de panique et de surraction, et ceux dincrdulit fataliste.
Devant des hauts fonctionnaires qui ne cachaient ni leur intrt