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Document de synthèse issu des travaux menés par l'Anvie en 2013 sur l'évolution du monde du travail, des modes de consommation, de la gestion des risques et des politiques d'innovation.
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Anvie 14, rue de Liège, 75009 Paris – 01 42 86 68 80 – www.anvie.fr
« Best of » 2013
3
Sommaire
Présentation générale…………………………………………………………………………………………………5
Groupes de travail et rencontres organisés en 2013........…………………………………..…………..8
Mutations du travail, nouveaux enjeux sociaux en entreprise ..................................................... 11
Travail et représentation des intérêts collectifs à l’épreuve de la globalisation ............................................. 12 Pierre-Eric Tixier & Corinne Dequecker
Fonction RH et performance collective : l’exemple d’Orange .......................................................................... 15 Bruno Mettling
La problématique intergénérationnelle, une question trompeuse ? ................................................................ 17 Eric-Jean Garcia
Faire de la dynamique intergénérationnelle un vecteur de cohésion et de croissance.............................. 19 Pao Leng Damy
Comment renouveler la communication dans les entreprises ? ........................................................................ 21 Vincent Brulois
Prévention et gestion des risques et des crises .................................................................................... 23
Le management de la sécurité : entre arbitrages et compromis ...................................................................... 24 René Amalberti
Innovation .................................................................................................................................................................. 27
La théorie de l’évolution au secours de la crise entrepreneuriale et économique ....................................... 28 Pascal Picq
Innovation et adaptabilité, deux valeurs clés pour un leader de la chimie mondiale ................................ 32 Jean-Pierre Clamadieu
Comment inventer de nouvelles propositions de valeur ? L’exemple d’Air Liquide ..................................... 35 Olivier Delabroy
Organisation et stratégie ................................................................................................................................... 37
Comment réagir face au low cost ? ........................................................................................................................ 38 Emmanuel Combe
Chine, Inde, Afrique : où se situera le futur centre du monde ? ......................................................................... 40 Jean-Joseph Boillot
Va-t-on vers une « crise sans fin » ? ........................................................................................................................... 42 Myriam Revault d’Allonnes
L’Anvie en 2013 ....................................................................................................................................................... 46 Quelques chiffres ...................................................................................................................................................... 46
Les entreprises adhérentes à l’Anvie .................................................................................................................... 46
Les partenaires .......................................................................................................................................................... 46
Ils sont intervenus à l’Anvie en 2013 ............................................................................................................ 47 Chercheurs ................................................................................................................................................................. 47 Cadres d’entreprise ................................................................................................................................................. 49
5
Présentation générale
L’Anvie est un organisme de médiation entre la recherche en sciences
humaines et sociales et les entreprises. Sa vocation est de promouvoir les
sciences humaines et sociales comme une ressource stratégique pour
l'entreprise pour mieux comprendre les enjeux humains et organisationnels
liés à son activité et plus généralement les enjeux de société. Dans cette
perspective, l'Anvie développe des passerelles entre le monde de la
recherche et celui de l'entreprise en organisant des rencontres où
universitaires et professionnels confrontent les résultats de leurs recherches et
leurs expériences de terrain.
Créée en 1991, l'Anvie est née de la volonté conjointe des pouvoirs publics
et de dirigeants de grandes entreprises. Hubert Curien, ministre de la
Recherche, Michel Crozier, fondateur du Centre de sociologie des
organisations, et Bertrand Collomb, président de Lafarge, sont à l'origine de
cet organisme d'interface. L'Anvie est, dès sa création, soutenue par
plusieurs institutions de recherche en sciences de l'homme (CNRS, Maison
des sciences de l'homme, École des Hautes Études en Sciences Sociales) et
des groupes internationaux.
Après Bertrand Collomb (Lafarge) et Jean-Paul Bailly (La Poste), l’Anvie est
présidée depuis 2010 par Jean Monville, président d’honneur de Spie.
La valorisation des sciences humaines et sociales auprès des entreprises se
matérialise par l'organisation régulière de rencontres (colloques, petits-
déjeuners auteur, groupes de travail) ouvertes à tous les cadres
d'entreprises. La confrontation des points de vue des praticiens et des
chercheurs est enrichie par les interventions des participants. L'Anvie
propose ainsi aux cadres d'entreprises de prendre du recul, d'explorer de
nouvelles pistes de réflexion et de débattre avec leurs homologues. L'Anvie
organise, chaque année, entre 35 et 40 cycles de réunions au cours
desquelles interviennent 100 chercheurs et 160 professionnels d'entreprises
environ. L'Anvie organise également des séminaires internes et des
programmes d'études et de recherche.
Conformément à sa vocation, l'Anvie vise la valorisation de l'ensemble des
sciences humaines et sociales qui s'intéressent aux grandes évolutions de la
société et aux enjeux humains liés aux activités des entreprises. Son activité
s'adresse par ailleurs à toutes les fonctions de l'entreprise (RH, marketing,
juridique, innovation, communication, gestion des risques,
RSE/développement durable etc.).
7
Loin de s’être atténuée, la crise a continué à produire ses effets en 2013. Elle
a naturellement pesé sur les entreprises, contraintes de se transformer – voire
de se réinventer – pour trouver de nouveaux relais de croissance. Cette
problématique générale a été au cœur des travaux que l’Anvie a menés en
2013. Le « best of » qui suit rassemble quelques-unes des interventions de
chercheurs et de praticiens d’entreprise qui y ont été consacrées.
Cette crise, au dénouement si incertain qu’elle peut parfois sembler « sans
fin » (p. 42), vient modifier les règles du dialogue social et les pratiques
managériales (p. 12). Elle oblige également les entreprises à revoir
profondément leurs méthodes de communication (p. 21) en direction de
collaborateurs qui expriment de plus en plus leur incompréhension face aux
stratégies mises en œuvre. Phénomène parmi d’autres, le renouvellement
de la problématique intergénérationnelle (p. 17) rend nécessaire l’adoption
de nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines, ceci dans un
contexte où la fonction RH elle-même est amenée à évoluer (p. 15).
Conjuguée à la montée en puissance des pays émergents (p. 40), au
développement de nouveaux modèles d’affaires comme le low cost (p. 38)
et à l’apparition de risques inédits (p. 24), la crise peut très rapidement
conduire à la disparition d’une entreprise, voire d’un secteur d’activité.
Charge aux entreprises de capter les signaux faibles et d’innover pour
continuer à assurer leur pérennité – une logique notamment adoptée par
Solvay (p. 32) ou encore Air Liquide (p. 35). La théorie darwinienne de
l’évolution (p. 28) peut, à cet égard, être source de précieux enseignements
pour les entreprises qui cherchent à mieux innover et à se transformer.
Excellente lecture.
8
Groupes de travail et rencontres
organisés en 2013
Mutations du travail, nouveaux enjeux sociaux en
entreprise
Comment innover dans la gestion des carrières ?
Le télétravail, un enjeu de management
Accompagner et anticiper les transformations des organisations. Comment mieux associer les acteurs de
l’entreprise aux changements ?
Quelle diversité de leaders et de talents pour réussir les transformations de l’entreprise ?
Donner du sens, partager l’information à l’heure du numérique : comment mettre le manager au cœur
de la stratégie de communication ?
Comment développer les compétences émotionnelles au service de l’efficacité ?
Transformations des organisations et performance : comment mieux accompagner les démarches
qualité de vie au travail ?
Quel management des experts et des expertises ?
Comment faire de la mobilité interne un levier d’innovation managériale en temps de crise ?
Faire de l’entreprise un écosystème d’apprentissage
Quelle place pour l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans le management de la diversité ?
Comment la fonction RH peut-elle mieux contribuer au pilotage de la performance collective ?
Dynamiser la gestion des carrières
Esprit de service et innovation managériale
Anticiper les conséquences de la mutation des organisations - Comment aborder positivement le
changement ?
Le télétravail en marche : quels développements demain ?
Gestion des connaissances, réseaux sociaux d’entreprise, travail collaboratif : comment piloter
l’intelligence sociale ?
Du management intergénérationnel à l’innovation managériale : comment renouveler la gestion des
âges pour contribuer à la transformation de l’entreprise ?
Innovation
Quelle organisation et quel management pour favoriser le développement de la créativité ?
Innover par les services : quels modes de management et d'organisation pour créer de la valeur ?
Ecosystèmes d’innovation : Comment et avec qui collaborer pour innover plus vite et plus efficacement ?
9
Evolution des modes de vie et de consommation,
nouvelles perspectives marketing et relation client
Les mutations de l’univers du bébé et du jeune enfant – quelles influences sur les stratégies de marque et
de communication ?
Vendeurs et lieux de vente après la révolution numérique : quelle relation avec le consommateur ?
Bien vieillir : nouvelles représentations de l’âge, nouvelles aspirations des seniors, comment les intégrer
dans les stratégies de marque et de communication ?
Nouveaux regards sur les prix : face aux évolutions du low cost et du commerce en ligne, comment
réagir ? Quelles stratégies mettre en place ?
Organisation et stratégie
Résilience des entreprises familiales face à la crise : quels sont les secrets de leur capacité supérieure de
résistance aux crises ?
Brink’s France : une entreprise centenaire entre culture managériale française et américaine ?
« Chindiafrique » : la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain
Les sciences cognitives, état des lieux et perspectives pour l’entreprise
The Making Of The Nano (Tata Motors)
L’expérience moderne du temps : comment assumer l’incertitude ?
Penser global : quel apport des sciences sociales ?
La transformation de DCNS : tout changer pour rester fidèle à sa vocation d’acteur majeur du monde
naval
La théorie de l’évolution au secours de la crise entrepreneuriale et économique
Innovation et adaptabilité, deux valeurs clés pour Saint-Gobain, un leader de la chimie mondiale
Prévention et gestion des risques et des crises
Sécurité des contenus numériques et nouveaux risques : comment mieux appréhender le facteur humain
et faire évoluer les pratiques de management ?
Piloter la sécurité : sur quelles bases établir les arbitrages et compromis nécessaires ?
Responsabilité sociale de l’entreprise
Conformité, compliance : manager les nouveaux territoires du juridique
12
Travail et représentation des intérêts
collectifs à l’épreuve de la globalisation
Pierre-Eric Tixier
Corinne Dequecker
La crise de confiance réciproque qu’entretiennent dirigeants et salariés en
France atteint aujourd'hui des sommets inégalés. Elle pose toute la question
des pratiques managériales actuellement à l’œuvre et du renouveau des
règles de la négociation.
Les Français et l’entreprise : une relation faite de
défiance
Les relations des Français à l’entreprise sont
marquées par la défiance. En atteste le fait que
la communication des grandes
entreprises est considérée comme
masquant la réalité de leur activité
par 68 % d’entre eux, comme l’a
montré un sondage Viavoice de
février 2009. L’absence de
confiance dans les dirigeants est
massivement exprimée dans les
sondages sur les grandes
entreprises… Dirigeants, qui eux-
mêmes ne font pas confiance aux
salariés ! A noter en outre qu’en France, le
management obtient des scores parmi les plus
faibles dans les classements internationaux et
que le taux de syndicalisation est très faible (8%).
Le fait que l’exercice du
pouvoir soit marqué par la
distance sociale explique
largement la crise de
confiance entre dirigeants et
salariés
Les enquêtes menées depuis plusieurs années
par Pierre-Eric Tixier et Corinne Dequecker
analysent les racines de cette crise de confiance
réciproque. Elle s’explique notamment par le fait
qu’en France, le mode d’exercice du pouvoir est
historiquement marqué par la distance sociale.
La France se caractérise par une certaine forme
de « social-étatisme », reposant davantage sur
des processus de consultation-concertation que
sur une tradition de négociation.
Ce particularisme français se
traduit notamment par :
Un développement tardif
de la négociation collective en
France ;
Une stratégie dite de « la
mondialisation furtive » : une
entrée dans la globalisation en
maintenant la fiction de la
capacité du politique à réguler
l’économique et le social ;
La faiblesse de la culture économique et
la tradition du recours à l’Etat en cas de
difficulté économique ;
Une mise sous contrôle du management.
L’impact de la globalisation sur les pratiques
managériales
Les enquêtes menées par Pierre-Eric Tixier et
Corinne Dequecker montrent clairement que
l’ensemble des mécanismes organisationnels et
gestionnaires liés à la globalisation pose
aujourd’hui la question des pratiques
managériales et de la place et du traitement du
réel, qui ont éloigné encore davantage les
managers de ce réel. Citons quelques
verbatim :
Pierre-Eric Tixier est professeur des
universités à Sciences Po Paris et
chercheur au Centre de sociologie
des organisations. Il a notamment
publié Ressources humaines pour
sortie de crise (Vuibert, 2010).
Corinne Dequecker est maître de
conférences à Sciences Po Paris et
chercheur au Centre de sociologie
des organisations.
13
« La direction veut que ça bouge, mais fait tout
pour que ça ne bouge pas ! Le projet une vraie
ambition, mais derrière un soviet et un gosplan
là-haut qui usent les plus acharnés d’entre nous.
Les meilleures idées se transforment en usine à
gaz. »
« On s’adresse aux chefs d’établissement en leur
disant vous me fermez telle unité ! Je pose la
question : Est-ce que je peux fermer telle autre
parce que c’est plus adapté ? Réponse : vous
n’y pensez pas ! On explique aux chefs
d’établissement qu’ils sont responsables tout en
les déresponsabilisant. Finalement, il le fait parce
que six mois plus tard, il ne sera plus là ! ».
La globalisation et la crise du management,
nourrissent cette crise de confiance entre
dirigeants et salariés.
On constate que les mécanismes qui structurent
l’entreprise globalisée tendent à faire disparaître
le « social », terme à prendre au sens large. La
gouvernance actionnariale fantasme
l’entreprise comme « une bureaucratie de
verre » (Gomez) : il faut pouvoir tout mesurer, tout
évaluer, tout contrôler au détriment du travail
réel qui tend à s’effacer derrière les indicateurs
chiffrés.
Le management lui-même pris par cette logique
est devenu en quelque sorte mécaniste, en
difficulté pour expliquer ou justifier les décisions
et les objectifs. Il n’est pas en capacité
d’accompagner leur appropriation par les
équipes de terrain.
Il faut pouvoir tout mesurer,
tout évaluer, tout contrôler au
détriment du travail réel qui
s’efface derrière les
indicateurs
Les salariés, sans surprise, résistent à cette
virtualisation de la sphère du travail. Ils résistent
par exemple en se référant à une identité
imaginaire, mythique, qui glorifie le passé où le
travail était – c’est du moins ce qu’ils mettent en
scène - « bien fait ». Les directions, quant à elles,
véhiculent une représentation mythifiée du
modèle néolibéral. On assiste à la confrontation
de deux visions idéologiques du travail et de
l’entreprise. Cette opposition souvent frontale
génère de la suspicion entre directions, salariés
et organisations syndicales et nourrit la crise de
confiance.
Une crise de la négociation
On assiste parallèlement à une rupture entre la
sphère de la représentation et la sphère de la
négociation. Historiquement, le paradigme des
relations professionnelles était fondé sur un
encastrement entre travail, identité collective et
intérêt collectif. Il existait un continuum entre
représentants et représentés, continuum dont les
fondements se sont affaiblis tout au long du
XXème siècle.
Le mécanisme de la représentation ne
fonctionne donc plus efficacement. Le modèle
de l’entreprise globale qui a remplacé celui de
l’entreprise intégrée a conduit à une
différenciation des conditions d’emploi et des
situations de travail avec la multiplicité des
statuts d’emplois et le développement de la
sous-traitance. Conséquence : il est beaucoup
plus difficile pour les organisations syndicales de
représenter des profils de plus en plus diversifiés
de salariés dont les intérêts sont divers. Le rapport
des salariés aux organisations syndicales s’est
complexifié.
Il est devenu difficile pour les
organisations syndicales de
représenter des profils de plus
en plus diversifiés de salariés
dont les intérêts sont divers
Les salariés qualifient fréquemment les
organisations syndicales comme étant
« idéologiques », éloignées de leurs
préoccupations. Parallèlement, les attentes des
salariés sont ambivalentes. En fonction des
situations ou des enjeux, ils veulent un
syndicalisme capable de tenir à la fois des
positions réformistes et oppositionnelles. Ce que
la spécialisation des confédérations syndicales
françaises ne permet pas. A l’échelon local, on
assiste de plus en plus à une « adaptation » des
positions syndicales qui se traduit par un
brouillage du paysage syndical tant les
étiquettes sont parfois décalées des
revendications et des pratiques.
14
Que faire ?
Quelques pistes peuvent être tracées. Le
développement d’une gouvernance de
proximité constitue un enjeu managérial majeur.
Il s’agit de construire des mécanismes qui
permettent de réarticuler stratégie globale et
réalité locale et notamment de traduire une
stratégie globale, dans une vision à l’échelle
locale. Cela passe par l’émergence d’une figure
entrepreneuriale, une sorte de patron local, en
capacité de construire la légitimité et de porter
politiquement des références partagées pour
recréer un sentiment de communauté à
l’échelle locale qui fonde des intérêts communs
allant être le ressort d’une mobilisation sur des
enjeux de développement partagé. Un tel
processus passe par la création d’espaces de
débat pour permettre de penser les évolutions
des organisations et des conditions de travail, du
travail lui-même et leurs effets. Le face à face et
le débat sont donc absolument indispensables
pour repérer les enjeux pour les salariés et
construire des intérêts partagés entre direction,
salariés et syndicats. In fine, engager
collectivement les actions indispensables pour
articuler enjeux globaux, enjeux locaux et
intérêts des salariés permet de faire émerger et
d’incarner un « bien commun ». Pour qu’un tel
processus soit possible et productif, il doit être
pragmatique : il faut donc « coller » aux réalités
locales… encore une fois en veillant à ne pas
désarticuler le local du global. Il faut également
que les entreprises soient en mesure d’instaurer
un principe de subsidiarité du top management
au management de proximité – donc (re)donner
des responsabilités à tous les niveaux. Sur ce
point, force est de constater que les directions
sont pourtant très réticentes à remettre en cause
leur politiques managériales.
15
Fonction RH et performance collective :
l’exemple d’Orange
Bruno Mettling
Loin d’être cantonnée à un rôle exécutif, la fonction RH peut jouer un rôle
important dans l’élaboration de grands projets de transformation. Une logique
que Bruno Mettling a mise en œuvre à plusieurs reprises au cours de sa
carrière de DRH.
Les Ressources humaines : une fonction centrale
dans l’entreprise
Orange – comme, d’ailleurs, la Caisse nationale
des Caisses d’Epargne, où B.
Mettling a exercé la fonction de
DRH avant de rejoindre Orange –
est une entreprise qui considère
que la fonction RH est une fonction
centrale dans l’entreprise,
essentielle lorsqu’il s’agit de mener des grands
projets de transformation. La fonction RH a
notamment joué ce rôle lorsque les Caisses
d’Epargne ont changé de statut, en sortant du
giron de l’Etat pour devenir une banque à statut
coopératif : cette mission avait été confiée aux
Ressources humaines, avec un mandat politique
extrêmement fort. Chez Orange également, la
fonction RH bénéficie d’un soutien tout aussi fort
et explicite de la part des instances dirigeantes –
le DRH est d’ailleurs membre du Conseil
d’administration et porte le titre de Directeur
général adjoint. Il dispose, de fait, d’une grande
capacité de dialogue avec les autres fonctions
de l’entreprise.
Pour que la fonction RH bénéficie d’un tel
positionnement dans l’entreprise, il faut qu’elle
soit très lucide quant aux attentes dont elle fait
l’objet et, dans une certaine mesure, aux défauts
qui la caractérisent. En d’autres termes, quelle
posture la fonction RH doit-elle adopter ?
Trois commandes confiées à la fonction RH
Il faut rappeler tout d’abord trois commandes
principales sont confiées à la fonction RH : la
première étant d’ordre stratégique ; la seconde
portant sur ses propres process, qui s’insèrent
dans les process globaux de l’entreprise ; la
troisième enfin concernant sa propre
organisation. Sur ces trois dimensions, la fonction
RH doit apporter sa contribution, à « penser
grand angle » pour qu’elle puisse
peser sur les choix stratégiques de
l’entreprise. Il faut, pour cela,
qu’elle soit en mesure d’intégrer
les problématiques stratégiques
globales de l’entreprise pour
proposer ses propres solutions. La fonction RH, en
outre, doit accepter de sortir d’une certaine
forme de cloisonnement, en intégrant des profils
très différents, pas forcément RH ; il faut
également que les collaborateurs de la fonction
RH acceptent de « sortir » de celle-ci afin
d’intégrer les problématiques des autres
fonctions.
La fonction RH doit être en
mesure de « penser grand
angle » pour peser sur les choix
stratégiques de l’entreprise
Faire valoir la spécificité de la fonction RH
La fonction RH, en outre, doit faire valoir sa
spécificité – il faut, pour cela, qu’elle soit
consciente de ses caractéristiques propres, et de
sa valeur ajoutée. Plusieurs convictions fortes
peuvent, à ce titre, être affichées.
En premier lieu, la fonction RH ne doit pas mener
de faux combats quant à l’organisation de
l’entreprise, qui dépend très largement du défi
stratégique auquel est confrontée cette
dernière. Le cas de France Télécom est, à ce
titre, très parlant : l’entreprise était extrêmement
Bruno Mettling est directeur
général adjoint et directeur des
ressources humaines Groupe
d’Orange.
16
centralisée, cloisonnée, hiérarchisée
(organisation qui avait permis de répondre –
avec succès - au défi du déploiement de
l’internet et du téléphone mobile). Cette
organisation ne permettait pas de répondre à un
nouveau défi stratégique : la qualité de la
relation client. La fonction RH doit accepter
l’idée que le modèle de l’entreprise va être
centralisée à un moment, décentralisée à
d’autres, en fonction de l’émergence de
nouveaux défis ; tourné vers l’opérationnel à un
moment donné, tourné vers l’extérieur à d’autres
etc. En d’autres termes, la fonction RH doit
épouser les défis stratégiques de l’entreprise.
Etre en position d’anticipation
La fonction RH, alors que les entreprises sont de
plus en plus dans le temps court, doit être la
garante du temps long. Elle doit, en d’autres
termes « ramener » cette problématique du
temps long, en faisant montre en particulier
d’anticipation sur les grandes évolutions futures.
Cela vaut pour les compétences, les carrières ;
cela vaut aussi pour le contrat social de
l’entreprise que la fonction RH doit protéger.
Alors que les entreprises sont
de plus en plus dans le temps
court, la fonction RH doit être
la garante du temps long
Chez Orange par exemple, ce contrat social,
même en période de difficultés économiques,
repose sur le maintien des contrats de travail…
donc sur l’absence de plans sociaux. Cette
absence de plan social est contrebalancée par
le non-remplacement des départs en retraite.
Autre maître mot : il faut, dans le domaine social,
être imaginatif et innovant. Il faut, en matière
d’innovation sociale, que la fonction RH soit en
mesure de mieux se faire écouter.
La fonction RH peut mener des OPA sur certaines
problématiques fortes de l’entreprise.
L’animation des processus managériaux.
Plus une entreprise se transforme, plus les
rythmes s’accélèrent, plus il est
nécessaire que la RH intègre la
problématique de l’animation
managériale. La fonction RH doit, en
outre, s’intéresser davantage aux
référentiels managériaux, et faire en sorte
qu’ils soient régulièrement vus et, le cas
échéant, révisés.
La fonction RH doit, en outre, investir le
champ de l’accompagnement des
managers, ceci dans une dimension
collective.
La fonction RH doit rompre avec la
« RHrie », signe incontestable de repli
derrière des outils et des process – outils
et process devant par ailleurs être
décloisonnés.
Et le digital ?
La vague digitale bouleverse les entreprises ; elle
révolutionne tout particulièrement la relation
client, ceci de manière extrêmement rapide
comme l’atteste l’exemple du lancement, par
Orange, de la marque Sosh. Sans surprise, cette
vague digitale, où l’information est accessible
par tous et partout, allant de pair avec des
logiques coopératives et la toute-puissance du
temps réel, impacte directement l’organisation
de l’entreprise.
Quel doit être le rôle de la DRH face à cette
révolution ? Elle doit être en mesure, en premier
lieu, d’anticiper ses conséquences majeures – en
particulièrement sur l’équilibre vie
professionnelle-vie privée et plus simplement, sur
l’organisation/le lieu d’exercice du travail.
Les réseaux sociaux d’entreprise méritent enfin
d’être signalés. Orange dispose d’un RSE, Plaza,
où plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs
sont d’ores et déjà présents (40 000 environ, sur
un effectif total de 70 000). Les RSE sont une des
« briques » de la révolution digitale, qui doivent
donc être pris en compte.
17
La problématique intergénérationnelle,
une question trompeuse ?
Eric-Jean Garcia
Pour Eric-Jean Garcia, il est dangereux de généraliser les attentes et les
comportements de toute une génération. Un écueil indispensable à éviter par
les entreprises qui souhaitent mettre en place un management
intergénérationnel.
Un monde du travail devant s’adapter au profil
des nouveaux entrants
Quelles formes de management adopter pour
intégrer les nouvelles générations
de salariés et dynamiser
l’intergénérationnel au travail ?
Cette question est intéressante à
plus d’un titre. En particulier, elle
permet de souligner le fait que pour
la première fois dans l’histoire des
organisations, ce ne sont plus les jeunes qui
doivent s’adapter au monde du travail, mais le
monde du travail qui est enjoint de s’adapter au
profil des jeunes recrues.
Ce renversement de situation est intéressant
puisqu’il encourage les équipes dirigeantes et
managériales à être plus tolérantes et plus
accueillantes vis-à-vis des nouvelles générations.
Par exemple, lorsque l’on cherche à intégrer et
dynamiser les activités intergénérationnelles, on
est incités à nuancer la façon dont est conçu le
rôle du manager. On devient alors plus attentifs
au contexte, et donc de moins en moins
sensibles aux modèles de prêt-à-penser
managérial. Car au fond, face à la variété des
situations et des enjeux rencontrés, la rigidité des
organisations hiérarchiques est certainement le
meilleur moyen d’échouer. En revanche, si la
direction et les managers font preuve de
« créativité managériale », tous les espoirs sont
permis.
La dynamique intergénérationnelle : une
question trompeuse
La question de la dynamique
intergénérationnelle est trompeuse : elle peut
être à l’origine d’une confusion entre le
management intergénérationnel (l’intégration
et la dynamisation d’un collectif de personnes
d’âges et de cultures sociales et numériques
différentes, qui servent la transformation des
entreprises, mais qui ne sont pas
en soi des programmes de
transformation) et le
management transformationnel.
Les réponses managériales aux
accélérations du changement,
aux impératifs d’innovation, aux besoins d’agilité
accrue au travail doivent intégrer d’autres
paramètres que ceux spécifiques aux nouvelles
générations.
Par ailleurs, il est difficile et même dangereux de
généraliser les attentes et les comportements de
tout un segment de population – une génération
donnée. De la même façon que le
consommateur moyen n’existe que dans les
statistiques, aucun jeune n’est totalement
représentatif de la génération à laquelle il
appartient.
Le mot « fragmentation » est
vraisemblablement celui qui
caractérise le mieux les
générations actuelles
En réalité, ce qui caractérise le mieux les
générations actuelles, c’est le mot…
fragmentation. La fragmentation n’est pas
nouvelle en soi, mais elle tend à s’accentuer. Elle
constitue désormais un champ d’études
complexe et contesté. Par exemple, il est
devenu très difficile de rendre compte de la
multitude de facteurs sociaux, intellectuels,
culturels, économiques, numérique,
Eric-Jean Garcia est maître de
conférences en Politique RH et
directeur de l’Executive Master
Trajectoires Dirigeants
à Sciences Po.
18
géographiques… qui influencent le
comportement d’une même génération.
Comment être certain que l’on ne surestime ou
ne sous-estime pas tel ou tel facteur ? Des
facteurs qui montrent qu’à l’arrivée, il y a plus de
ressemblances entre des étudiants de Sciences
Po Paris avec ceux de Columbia University à
New York qu’avec des jeunes du même âge,
ayant quitté l’école à 16 ans, et vivant dans une
banlieue francilienne défavorisée.
Une perception contextuelle de la
problématique intergénérationnelle
Dans les entreprises, la perception de ce
phénomène est typiquement contextuelle, donc
baisée en fonction des expériences vécues,
notamment en termes de recrutement.
L’exemple d’Air Liquide, qui recrute
principalement de jeunes ingénieurs ayant déjà
une expérience à l’étranger en atteste. Pour le
DRH de cette entreprise, « Les connaissances et
les besoins en technologies numériques de ces
jeunes sont tels qu’il est devenu impossible de
leur imposer un ordinateur avec un système
d’exploitation fermé pour des conditions de
sécurité. Il a fallu adapter l’offre numérique,
après plusieurs recrutements ratés, pour que ces
jeunes puissent conserver leur environnement
personnel, en complément de celui de
l’entreprise. ». Le DRH de Safran, quant à lui,
souligne que « pour la première fois dans l’histoire
du Groupe, les jeunes ingénieurs en savent plus
que leurs aînés sur certains sujets stratégiques
comme les nouveaux alliages de matériaux
destinés à la construction aéronautique.
Autrement dit, la séniorité et l’expérience
donnent de moins en moins d’autorité à ceux qui
les possèdent. Pour pallier les tensions et réussir
l’intégration intergénérationnelle, il a fallu mener
des réflexions sur le management, notamment
sur celui des équipes projet autrefois
multidisciplinaires et plurigénérationnelles. »
Certaines entreprises recrutent des profils moins
pointus – c’est le cas de Mc Donald’s qui recrute
en France 35 000 personnes par an avec un taux
de turnover d’environ 95%. Le DRH de Mc
Donald’s France est confronté à une réalité
sociologique particulière : recruter des jeunes
souvent en échec scolaire, ayant grandi dans
des zones périurbaines en marge de la société.
Pour déceler et intégrer très vite ceux qui ont un
potentiel de manager, Mc Donald’s propose à
ses meilleures recrues un poste à responsabilité
au bout de six mois d’activité. Ils deviennent alors
des formateurs en charge de la formation et de
l’accueil des nouveaux arrivants. Pour eux, c’est
souvent la première fois qu’on leur fait
confiance, en leur donnant de véritables
responsabilités. Pour l’entreprise, c’est le meilleur
moyen d’intégrer rapidement ces jeunes.
La fragmentation croissante
des nouvelles générations doit
inciter les managers à
s’intéresser à la dimension
sociologique de leur rôle
Enfin, certaines expériences comme l’Ecole 42
de Xavier Niel tendent à démontrer les limites du
système éducatif de masse français, fondé sur le
diplôme. Il est frappant de voir, dans cette Ecole
42, des jeunes diplômés et non-diplômés se
passionner pour un travail exigeant,
chronophage et compétitif. On se rend compte
alors combien certains réalités sur les jeunes
peuvent être des clichés.
La fragmentation croissante des nouvelles
générations doit inciter les managers à
s’intéresser à la dimension sociologique de leur
rôle. Cette dimension sociologique sera peut-
être le marqueur d’une nouvelle génération de
managers, capables non pas de diriger au sens
strict du terme, mais de guider et d’inspirer en
explorant les conditions qui permettront à la
dynamique collective intergénérationnelle de
donner le meilleur d’elle-même.
19
Faire de la dynamique intergénérationnelle
un vecteur de cohésion et de croissance
Pao Leng Damy
Partant du constat que les attentes des différentes générations qui cohabitent
dans l’entreprise sont spécifiques, le Groupe Société Générale s’attache à
répondre précisément à leurs besoins respectifs. Objectif : accroître leur
engagement, développer leurs compétences, assurer la cohésion et l’agilité
de l’organisation.
La problématique intergénérationnelle : un enjeu
business
L’intergénérationnel est, pour la Société
Générale, un enjeu business
majeur. Le monde bancaire en
effet a connu, au cours des
dernières années, des
transformations extrêmement importantes. Ces
transformations sont à la fois structurelles et
conjoncturelles : crise de la zone euro,
deleveraging, gestion accrue des risques,
arrivée de nouvelles réglementations (BALE III en
particulier), révolution numérique, nouveaux
modes de consommation des clients, image
dégradée du secteur bancaire (subprimes,
fraude Kerviel..). Plus généralement, les banques
évoluent dans un monde plus incertain qui remet
en cause leur fonctionnement traditionnel. Ces
transformations ont, sans surprise, des impacts
business et obligent les banques à revoir leur
modèle opérationnel.
Les transformations que le
monde bancaire a connues
au cours des dernières
années ont des impacts RH
extrêmement importants
Dans un tel contexte, quels sont les enjeux pour
la Société Générale ?
Première priorité : renforcer la relation
client et la valeur ajoutée des services.
Seconde priorité : renforcer les valeurs
Groupe (innovation, professionnalisme,
esprit d’équipe).
Ces enjeux ont des impacts RH : il
s’agit de développer l’agilité de
l’entreprise pour non seulement
faire face à toutes les
transformations passées et à venir et faire en
sorte qu’elle demeure un lieu de travail attractif
pour toutes les générations.
La population Société Générale : état des lieux
En France, les 25-34 ans constituent la population
majoritaire (40% des effectifs totaux). C’est
également le cas au niveau mondial (40% des
effectifs totaux). Les 35-44 ans et les 45-55 ans
occupent une place peu ou prou similaire. La
moyenne d’âge Groupe s’établit à 37 ans. Le
turnover est de 13% au niveau du Groupe et de
7% pour la France.
Le management intergénérationnel : principaux
enjeux
Baby boomers, génération X et génération Y
présentent des caractéristiques, des attentes et
des valeurs différentes à la Société Générale.
Baby boomers : carrière à vie au sein de
la même entreprise, avancement lié au
mérite, respect de la hiérarchie, vision
globalement positive de l’avenir…
Génération X : population fortement
orientée résultats, travail vu comme une
réalisation de soi, autonomie,
Pao Leng Damy est responsable
Diversité et Inclusion Groupe à la
Société Générale.
20
indépendance, certain
désenchantement face à l’avenir…
Génération Y : fort optimisme, recherche
de sens, attention accrue à l’équilibre vie
professionnelle-vie privée, carrière qui
sera inévitablement réalisée dans
plusieurs entreprises, réelle appétence
aux nouvelles technologies (mais pas
tous, attention aux stéréotypes !),
Reconnaissance de l’autorité de
compétence et pas forcément de
hiérarchie…
Si une forte attention est accordée aux GenY
(comment les attirer, les motiver, les engager
dans l’organisation), la Société Générale
s’attache également à maintenir l’engagement
des baby boomers et à faire en sorte qu’ils
continuent à contribuer à la performance de
l’entreprise. Elle veille également à
l’employabilité et le développement des GenX,
particulièrement sollicités en termes de
productivité.
Face à ces trois générations aux préoccupations
et aux attentes différentes les unes des autres, la
Société Générale utilise différents outils pour
développer leurs compétences et leur
engagement et, au-delà, rester une entreprise
attractive et agile.
Outils d’évaluation Groupe non plus
basés uniquement sur des critères
quantitatifs mais également qualitatifs ;
Evaluation 360° pour les
« ‘ambassadeurs » de la banque (les
principaux cadres avec une possibilité
de coaching personnel) ;
Formation sur le management et le
leadership (existence d’une Corporate
University pour diffuser des
comportements et aptitudes
managériaux en phase avec nos valeurs
Groupe ) ;
Valorisation des synergies entre les
métiers (évolution transversale, qui
intéresse tout particulièrement la
génération Y, attachée au
développement par les compétences),
développement de l’employabilité des
salariés, élément essentiel pour assurer
l’agilité de l’entreprise.
Forte attention accordée au rôle du
management intermédiaire comme
relais essentiel de la communication
(bottom up et top down (par exemple
des « chats » via l’intranet avec des
dirigeants du Groupe) ;
Baromètre employeur (qui permet entre
autres de mesurer la fierté
d’appartenance et l’engagement des
équipes et de tirer les plans d’actions
nécessaires) ;
Flexibilité du travail (télétravail…) ;
Faire en sorte que la banque reste un
ascenseur social à tout âge. (ex cursus
cadre).
21
Comment renouveler la communication
dans les entreprises ?
Vincent Brulois
A l’heure où les salariés peinent à comprendre les décisions stratégiques que
prend le top management, la question de la communication devient cruciale.
Le rôle laissé au manager de proximité dans cette communication revêt une
importance toute particulière.
Des entreprises en transformation
Il est maintenant admis que le manager est à la
peine, dans une entreprise en « tension ». Le
changement est en effet continu dans les
organisations, qui sont confrontées à des
complexités financières, sociales,
territoriales… de plus en plus fortes.
Pour s’y adapter, l’entreprise se
transforme : elle adopte de
nouvelles stratégies, de nouvelles
organisations qui se succèdent de
plus en plus rapidement. Du point de vue du
manager de proximité et des salariés, ces
événements, ces changements manquent de
sens… tout particulièrement s’ils sont
abandonnés en cours de route.
Les salariés avouent leur
incompréhension face à la
stratégie des entreprises qui,
pourtant, n’ont jamais autant
communiqué sur leur
stratégie
Ces changements, ces transformations posent
des questions à l’entreprise et aux salariés :
Pour l’entreprise, quelle stratégie mener,
quelle organisation mettre en place ?
Pour les salariés, quel sens donner au
travail ?
On peut même considérer que l’entreprise s’est
transformée, comme l’ont montré Blandine
Segrestin et Armand Hatchuel dans Refonder
l’entreprise ou François Dupuy dans Lost
indicateur management : ces auteurs
considèrent tous que l’entreprise connaît une
crise dans son identité et dans ses finalités.
Segrestin et Hatchuel par exemple soulignent le
poids écrasant occupé par les actionnaires
depuis plusieurs années qui aurait nui aux
fondamentaux même de
l’entreprise, à sa mission et aux
intérêts qu’elle est censée servir.
Dans ce contexte, le salarié
n’accepte plus le changement
sans mot dire – il s’interroge voire met en
défiance toute décision prise par l’entreprise.
Certains chercheurs et analystes soulignent
l’incompréhension des salariés face à la
stratégie de l’entreprise alors même que l’on n’a
jamais autant communiqué sur la stratégie !
Communiquer en direction des salariés : oui,
mais comment ?
Les communicants se trouve de fait dans une
situation inconfortable : ils doivent continuer à
diffuser la parole officielle, alors que les salariés
accordent à cette dernière bien peu de crédit.
Il importe donc, plus que jamais, de faire
comprendre aux salariés où va l’entreprise. Le
communicant a un rôle primordial : il doit réduire
l’écart entre image projetée et réalité du terrain,
sachant que cet écart est l’une des principales
sources de défiance et de désengagement des
salariés.
Le communicant doit identifier et partager les
valeurs collectives : de fait, ils doivent être en
contact avec les salariés, les managers de
proximité, pour effectuer cet effort de
compréhension.
Vincent Brulois est maître de
conférences en sciences
de l’information
et de la communication
à l’Université Paris 13.
22
Un manager à la peine
Une évolution d’autant plus nécessaire que le
manager est à la peine. Une rupture dans la ligne
managériale s’est fait jour en effet entre la
grande majorité des managers, et les quelques
cadres dirigeants qui prennent les décisions. Le
manager de terrain se trouve en porte-à-faux sur
le terrain : les décisions stratégiques ne sont plus
expliquées et deviennent illisibles, ce qui affaiblit
considérablement la légitimité des décisions
prises… voire donne l’impression que la véritable
stratégie est tue, voire cachée.
Les communicants sont dans
une situation inconfortable : ils
doivent continuer à diffuser la
parole officielle, à laquelle les
salariés accordent peu de
crédit
En outre, en sur-organisant le travail, les
entreprises, loin de simplifier l’activité et les
organisations, génèrent de la confusion. À
travers procédures et processus, méfiance
(envers autrui, son manager, la direction) et
désenchantement (personnel) se sont
développés, du fait d’une pratique managériale
obligeant chaque jour le salarié « à suivre des
préceptes qu’il désavoue intérieurement » pour
reprendre une expression de Fleury. Le manager
est donc en peine de fournir des explications,
déficit d’explication qui ne fait que renforcer le
déficit de moyens qu’il est censé mettre à
disposition de ses collaborateurs. Maillon parmi
d’autres dans les grandes entreprises au territoire
d’action mondialisé, il s’est retrouvé coincé,
localement : entre son équipe, qui l’interpelle
légitimement sur ce qui est en train de se passer,
et une hiérarchie, éloignée du terrain et sans
responsabilité opérationnelle. Il est donc bien en
peine de fournir les explications attendues par
son équipe (compréhension du sens, des
contraintes, des finalités). Ce déficit
d’explications vient renforcer le déficit de
moyens qu’il peut mettre à disposition de ses
collaborateurs pour travailler. Il lui est difficile
dans ces conditions de tenir son rôle de
manager opérationnel.
Les salariés sont dans l’attente d’échanges et de
relations avec leur manager sur la façon de
« bien faire » son travail. Cette attente est
partagée par le manager. Mais il est lui-même
pris par du reporting (continuellement justifier) ou
par des tâches relevant de la gestion RH. Ses
activités informationnelles dévorent son temps
au détriment de ses activités
communicationnelles, donnant l’impression à
son équipe d’une absence de manager mais
d’une omniprésence du management,
favorisant l’idée d’un management outillé mais
déshumanisé. Il ne parvient plus à défendre des
valeurs qui comptent pour lui, mis sous tension
par des indicateurs de performance souvent
contradictoires qui alimentent son
incompréhension, le forçant alors à entrer en
résistance ou à se rebeller pour faire son travail !
Situation paradoxale et dangereuse pour
l’entreprise note David Courpasson car si le
manager entre en rébellion, « il sort de son rôle
traditionnel de “relais”, et ne peut plus être
considéré comme la personne de confiance de
la hiérarchie supérieure ».
Par manque de temps, le
manager de proximité néglige
la communication directe
dans le travail, faite
d’échanges informels et de
discussions collectives, voire
de disputes avec ses
collaborateurs
Et nombre d’enquêtes font part d’une
augmentation du pourcentage de managers
qui se déclarent gênés pour communiquer
auprès de leur équipe à cause du trop grand
décalage entre les messages de la direction et
la réalité du terrain. Par manque de temps, il
néglige la communication directe dans le
travail, faite d’échanges informels et de
discussions collectives, voire de disputes avec ses
collaborateurs, afin de se mettre d’accord sur la
compréhension des problèmes et d’explorer des
solutions.
24
Le management de la sécurité : entre
arbitrages et compromis
René Amalberti
Tendre vers toujours plus de sécurité ne constitue pas une stratégie efficace :
d’abord, parce qu’une trop grande sécurité peut tuer certains business
models ; ensuite, parce que les systèmes visant une ultra sécurité ne sont que
rarement opérants. Arbitrages et compromis sont donc indispensables.
Risques comparés dans les activités humaines
Selon les secteurs industriels, la probabilité de
survenue d’un risque réalisé va de 10-1à 10-7. Les
entreprises les moins performantes en termes de
sécurité ne sont pas, en général,
de très grandes entreprises. Il s’agit
souvent de PME, d’artisans (dans
la pêche par exemple)… mais
dont l’importance économique
est énorme. Il s’agit également du
secteur médical et hospitalier,
dont les marges de progression en
termes de sécurité sont réelles.
Quelques exemples
En France, plusieurs milliers de personnes
travaillent dans le secteur de la pêche
artisanale. Le taux de décès est de 1 pour 1 000
– ce qui est énorme. Quelles sont les raisons pour
lesquelles un capitaine de bateau de pêche
décide de rentrer au port ? Des marins, à qui l’on
a posé cette question, avancent parfois des
raisons d’ordre business (une brusque hausse des
cours, par exemple, obligeant le bateau à
rentrer rapidement au port pour vendre sa
pêche au meilleur prix), parfois pour des raisons
de sécurité (matériel cassé, blessés à bord etc.).
Mais il apparaît très clairement que les raisons
d’ordre business prédominent : on ne s’arrête de
pêcher que lorsque cela est intéressant d’un
point de vue financier. Pour autant, les marins
pêcheurs ne sont pas insensibles au risque.
Deuxième exemple : l’aviation civile. En 1994,
l’équipage d’un A310 de la compagnie Tarom
perd le contrôle de son avion au-dessus de Paris.
Il échappe de peu à l’accident. L’année
suivante, un autre A310 de la même compagnie
s’écrase au décollage au départ de Bucarest,
l’équipage n’ayant pas prêté suffisamment
d’attention à l’assiette et à l’inclinaison latérale
de l’avion. Les deux commissions
d’enquête respectives ont conclu
qu’il existait une perte de
compétences des pilotes sur les
manœuvres rares, liée à
l’automatisation dans les avions –
pour ces commissions, il fallait
former à nouveau les pilotes. Ces
recommandations n’ont pas été
du tout suivies, les autorités aéronautiques ayant
décidé, au contraire, de fiabiliser davantage les
systèmes automatiques de navigation pour qu’ils
puissent faire face à toutes les situations
imprévues.
Ces deux exemples montrent bien qu’en matière
de sécurité, plusieurs stratégies peuvent être
empruntées : dans le cas de la pêche,
l’exposition au risque est inévitable – il faut aller
chercher le poisson où il est. Les pêcheurs
demandent donc, logiquement, qu’on leur
donne les moyens de rester exposés au risque…
mais sans avoir d’accident. Dans le cas de
l’aviation civile, on écarte l’exposition au risque –
on l’annule même, puisqu’en cas de risque
avéré, les avions sont interdits de décollage. Il
s’agit d’un modèle de supervision. Le modèle de
risque et de sécurité ne se base pas sur des
experts, mais sur des opérateurs moyens
détenant un niveau de supervision très
sophistiqué.
René Amalberti est conseiller
sécurité des soins à la Haute
autorité de santé (HAS),
gestionnaire de la prévention des
risques pour le groupe MACSF et
directeur de la Fondation pour une
Culture de Sécurité Industrielle
(FonCSI).
25
Vers un nouveau modèle ?
Un troisième modèle peut être avancé : le
modèle HRO (high-reliability organisations). La
meilleure illustration de ce modèle est celle des
pompiers : il s’agit d’un modèle de groupe, qui a
la capacité de se donner un leader, d’identifier
des acteurs, et d’être autonome au niveau de
sa supervision. Il maîtrise deux savoirs, qu’il cultive
sans arrêt : le travail en équipe et le devoir
d’alerter lorsqu’une anormalité est constatée.
Face à une anormalité, le groupe est en mesure
de décider si le protocole doit être maintenu. La
récupération de l’anormalité, par rapport au
modèle de référence qui est la normalité, est au
cœur du modèle HRO. Les pompiers mettent
constamment en œuvre ce modèle, en ne
s’intéressant pas à la prévention des incendies,
mais, au contraire, à la manière dont les
incendies précédents ont été gérés pour, in fine,
s’améliorer.
Si la société civile milite
constamment pour toujours
plus de sécurité, l’ultra-
sécurité peut tuer certains
business models
Trois modèles de sécurité
Le modèle de la résilience, où il faut prendre des
risques pour exercer son métier (pêche,
urgences hospitalières, finance
internationale…). Dans ce modèle, le risque n’est
pas recherché mais il fait partie du métier. Le trait
de culture principal est le culte des exploits, le
fighting spirit. Les accidents sont multiples. La
sécurité est pilotée en n’analysant que les
succès. La sécurité est bâtie sur les récits des
experts référents, des « héros » qui ont survécu à
des situations exceptionnelles.
Le modèle des HRO. Là également, le risque
n’est pas recherché, mais il fait partie du métier
(pompiers, marine marchande, industrie
pétrolière etc.). Le trait de culture principal est le
culte de l’intelligence du groupe, du leader, de
l’équipe, du suivi de procédure intelligent. Les
accidents sont assez fréquents. On apprend des
échecs passés à mieux gérer la même situation
dégradée à l’avenir.
Le modèle de l’ultra sécurité. Le risque n’est pas
accepté – cette absence de risque, cette ultra
sécurité, sont les garantes du business model.
L’autonomie des individus et des groupes est
réduite autant que possible, les standards de
supervision sont pléthore. C’est le cas, par
exemple, dans l’aéronautique, le nucléaire… où
les standards sont mondiaux.
Il est essentiel que lorsque l’on discute de
sécurité, on sache à quel modèle il faut se
référer. A noter en outre que la société civile
« pousse » constamment pour évoluer vers
davantage de sécurité… alors même que l’ultra
sécurité peut « tuer » certains business models –
celui de la pêche artisanale par exemple.
Génériquement, la sécurité est organisée autour
de trois macro stratégies.
Ne rien faire. C’est le cas sur les schistes
bitumineux, où, en France, l’on attend
d’avoir des stratégies matures pour agir.
Cette stratégie est, sans surprise, très peu
utilisée.
Faire, en suivant toute les préconisations
de sécurité, ou revenir au no go de la
stratégie précédente.
Faire sans que toutes les préconisations
de sécurité soient réunies, ceci pour des
raisons tactiques ou stratégiques.
Quels compromis et arbitrages réaliser ?
Un compromis peut être défini comme un
processus de construction d’une solution
respectant au mieux les intérêts de chaque
dimension contradictoire en conflit sur la
décision. L’arbitrage, lui, renvoie à la décision
prise sur le compromis. Une logique de
progression doit être à l’œuvre pour parvenir à
l’arbitrage, en posant cinq questions : quel
univers ? Quel espace de négociation possible ?
Quel compromis faisable ? Quel arbitrage
réaliser ? Lorsque l’arbitrage est défavorable à la
sécurité, que faire pour que cette dernière soit
néanmoins assurée, sans être optimale ? Il y a un
élément essentiel à prendre en compte dans les
discussions : la qualité des systèmes de sécurité.
Il faut bien avoir à l’esprit que la qualité est un
espoir, un système de référence idéal qui
progresse continuellement au fur et à mesure de
l’accumulation des connaissances. Les
référentiels s’améliorent donc, et constituent
donc, à un instant « t », une borne haute.
Principal problème : cette borne haute est la
26
seule borne connue, écrite – on ne sait définir et
évoquer uniquement les référentiels idéaux et les
bornes hautes.
Le monde entier fonctionne sur borne haute en
termes de sécurité alors même qu’elle n’est
jamais atteinte ! Il serait beaucoup plus pertinent
de se référer aux bornes acceptables, ce qui
n’est jamais le cas. De fait, on ne connaît pas
cette borne acceptable. Plus inquiétant : les
dossiers remis aux tutelles font l’impasse sur la
borne acceptable et ne se réfèrent qu’aux
bornes hautes.
La sécurité, c’est être en
mesure de définir la borne
acceptable, et non des
dispositifs idéaux
Or la sécurité, c’est précisément être en mesure
de gérer la borne acceptable… et non de définir
des dispositifs idéaux. S’il n’est pas essentiel de
définir des bornes hautes, il est en revanche
important de définir des mécanismes de
compensation, lorsque l’on est en-dessous de la
borne haute et que la sécurité est encore
suffisante et acceptable lors d’un audit.
Pour atteindre cet objectif, plusieurs leviers
peuvent être actionnés.
Les règlements et les négociations
(internes à l’entreprise), afin de
déterminer ce qu’être en conformité
avec le règlement veut dire.
Le personnel (nombre, formation, niveau
de qualification).
La production (intensité et organisation).
Le modèle économique.
Le climat et la motivation.
A noter que dans une situation idéale, ces trois
derniers items deviennent secondaires, dans la
mesure où la sécurité est assurée « simplement »
par le fait qu’un travail suffisant a été effectué au
niveau de des règlements, et que l’on dispose de
suffisamment de personnels compétents.
Naturellement, si la production vient à
s’intensifier, la sécurité se trouve mise à mal.
C’est alors qu’il faut entrer dans une stratégie de
compensation en mettant en place des
stratégies de différents types.
Recours à des personnels plus qualifiés.
Réduction de lignes de production à
risques (ou de points à risques dans les
lignes de production).
Travail sur la qualité des managers et les
consignes qui leur sont données.
On peut conclure, à ce stade, que le
management de la sécurité doit s’appliquer
avant tout sur les mécanismes de compensation
– donc sur des situations de sécurité dégradées.
Assurer la sécurité, c’est maintenir sûr un
système… dégradé – dégradation née du fait
que la sécurité n’a pas été jugée prioritaire
lorsqu’il s’est agi d’arbitrer entre, par exemple,
sécurité optimale, théorique, et hausse de la
production.
Le management de la sécurité
doit avant tout concerner des
situations de sécurité
dégradées
Dans une entreprise, la gestion des risques est
distribuée dans des directions différentes, qui
essaient toutes d’optimiser leur feuille de route,
souvent au détriment des autres directions. Sans
surprise, les arbitrages sont spontanément peu
favorables à la sécurité. Ses meilleurs avocats
sont les accidents passés… et les tutelles externes
(quand elles existent) qui exigent une conformité
réglementaire. « S’abriter » derrière les tutelles
n’est pas sans risque, puisque les autres parties
prenantes peuvent alors exiger une mise en
conformité avec les règlements, alors que l’on
sait que mise en conformité ne rime en rien avec
sécurité, puisqu’elle fait abstraction des
mécanismes de compensation.
28
La théorie de l’évolution au secours de
la crise entrepreneuriale et
économique
Pascal Picq
Et si la pensée de Darwin était applicable aux entreprises ? C’est ce
qu’avance Pascal Picq pour qui les entreprises, comme les espèces,
doivent constamment s’adapter et innover pour rester en vie.
Plusieurs conceptions du monde
Trois conceptions du monde peuvent être
distinguées.
Le créationnisme, qui part du
principe que le monde ne
change pas, ou peu. Certains
pays sont influencés par ce
modèle, et considèrent que
les ressources ont été mises
sur la Terre par le Créateur, et
que l’on peut en jouir comme on le
souhaite. Ils contestent la théorie de
l'évolution, et les problématiques liés au
changement climatique.
D’autres pays voient l’évolution comme un
progrès – l’Homme étant l’aboutissement
de cette évolution. Ces pays partent du
principe que l’évolution est bonne, et
qu’elle peut être dirigée. Ils se fondent sur
une vision « soft » du développement
durable : si l’on consomme une partie des
ressources existantes, on léguera ces
ressources aux générations futures, qui les
géreront mieux que nous.
D’autres pays enfin ont fait leur la théorie
darwinienne, qui pose qu’il faut s’adapter à
un monde où le changement est de moins
en moins prévisible.
Selon la vision choisie, il est évident que l’on
n’a pas la même approche des
changements qui impactent le monde.
Ces trois manières d’analyser une même
situation génèrent, sans surprise, trois modes
d’action différents.
Crises, ruptures, changements : quelles
causes ?
Parmi les principales causes de
changement qui
caractérisent le monde, les
catastrophes naturelles
arrivent très largement en
tête. Elles sont d’ailleurs à
l’origine de bien des crises. A
noter à ce titre que la
génération actuelle n’a jamais connu de
changement brutal – catastrophe
naturelle, épidémie, ou encore guerre. Elle
n’a donc aucune expérience en la matière
et, de fait, est totalement démunie pour
affronter la crise actuelle.
Un écosystème est
d’autant plus vif et stable
que le nombre d’acteurs
est important
Le changement est également dû à ce
que l’on peut appeler la coévolution, c’est-
à-dire à l’évolution dans la diversité. On sait
qu’un écosystème est d’autant plus vif et
stable que le nombre d’acteurs est
important. Ainsi, plus le tissu économique
d’un pays est dense et varié, plus les
entreprises sont fortes et résistantes. On
touche là l’image de la Reine rouge d’Alice
aux pays des merveilles : alors qu’Alice
s’étonne que le paysage se déplace à la
même vitesse qu’elle lorsqu’elle court, la
Reine de cœur lui répond que « dans ce
Pascal Picq est
paléoanthropologue au Collège
de France. Il a notamment publié
Un paléoanthropologue dans
entreprise – S’adapter et innover
pour survivre (Eyrolles, 2011).
29
pays, il faut courir le plus vite possible pour
rester à sa place ». Cette image illustre
parfaitement la concurrence qui existe
entre les grandes entreprises : il faut
« bouger » constamment, innover, pour
rester dans la course. Il faut également
éviter tout isolationnisme, tout système
s’isolant étant voué à l’extinction.
Lamarck et Darwin, deux théories du
changement
Il existe deux principales théories du
changement dans la Nature, dues
respectivement à Lamarck et à Darwin.
Lamarck, il y a deux siècles, pose que les
espèces peuvent se transformer. Les
animaux, en d’autres termes, s’adaptent à
leur environnement pour répondre au
changement. Les entreprises innovantes ne
font pas autrement, en partant du principe
que le marché est la principale source
d’innovation. Cette innovation, active, fait
appel à la créativité et à l’observation de
l’environnement avant de mobiliser les
ressources nécessaires.
Pour Lamarck, l’évolution doit être conçue
comme des accumulations d’acquis au
cours de l’histoire d’une lignée. Cette
parabole peut être appliquée aux
entreprises : s’il faut s’adapter au marché, il
est possible de mobiliser ses compétences
internes pour rester dans la course.
Selon la taille des entreprises,
l’innovation doit être appliquée
de manière différente
La théorie darwinienne de l’innovation,
quant à elle, est une théorie de la diversité
où le couple variation/sélection occupe
une place centrale. Ce couple
variation/sélection a été très largement
repris par Schumpeter pour élaborer sa
théorie de l’innovation et, plus
précisément, la modélisation du couple
invention/innovation. La théorie
darwinienne est, de fait, source
d’enseignements cruciaux pour la vie de
l’entreprise.
Changer, innover, s’adapter : un impératif
Aux deux causes du changement
précédemment évoquées, une troisième
doit être mentionnée : les succès, les
victoires. Par exemple, plus une entreprise
gagne des parts de marché, plus elle se
met en danger dans la mesure où elle
sature ce même marché. Les entreprises
doivent donc constamment se demander
si leur marché n’est pas en voie de
saturation – donc s’il est temps, ou non, de
se diversifier. Ce sort est, typiquement, celui
qu’a connu Kodak qui, à trop se concentrer
sur ses points forts, n’a capté aucun des
signaux faibles et des sources d’innovation
qui auraient conduit cette entreprise à
diversifier son activité.
L’évolution ne constitue pas un long fleuve
tranquille, bien au contraire : elle est faite
de périodes de relative stabilité, voire de
progrès, entrecoupées de crises plus ou
moins fortes lors desquelles la sélection
intervient. Mais il n’y a pas de loi de la
sélection naturelle, celle-ci étant au
contraire un mécanisme. Ce mécanisme
est universel : dès qu’il y a un accroissement
de la diversité, une hausse de la population
et, dans le même temps, une raréfaction
des ressources, l’algorithme darwinien se
met en place.
Darwin et le management de l’innovation
Le processus darwinien du management
de la variation s’applique parfaitement au
management de l’innovation dans les
entreprises : il faut donner aux
collaborateurs les conditions leur
permettant de faire émerger des idées,
sans qu’elles soient jugées a priori ; il faut
ensuite opérer une sélection entre les idées
qui ont émergé ; il faut enfin créer les
conditions permettant à ces idées de se
transformer en produits ou en services.
Cette innovation darwinienne, que l’on
peut qualifier de proactive, ne se substitue
pas à une autre forme d’innovation plus
classique, que l’on peut qualifier d’active,
qui est du ressort de la R&D. Simplement,
selon les contextes, les environnements…
l’une peut se révéler plus efficace que
l’autre.
30
L’innovation, en outre, ne peut pas être
pratiquée de la même manière selon la
taille des entreprises. Dans les grandes
entreprises, l’innovation est principalement
incrémentale ; dans les petites entreprises
en revanche, il est beaucoup plus facile de
mettre en place des logiques d’innovation
darwinienne, à même de permettre
l’apparition d’innovations de rupture.
Europe, Amérique : deux conceptions du
progrès
Les entreprises européennes les plus
puissantes ont ceci de particulier d’avoir
une histoire relativement longue. Ce n’est
pas du tout le cas aux Etats-Unis, où plus de
la moitié des 25 premières entreprises ont
été créées il y a moins de 20 ans : Google,
Apple, Facebook, Amazon, Twitter…
Comment expliquer qu’en Europe
continentale, aucun pays n’ait été en
mesure de faire émerger de tels champions
au cours des dernières décennies ? En
Europe, la culture de l’essai-erreur est très
peu répandue – le progrès est vu comme
étant – et devant – être dirigé par l’Homme.
Sans surprise donc, le climat européen est
très peu favorable à l’émergence de
nouvelles filières et d’innovations de
rupture. Les entreprises européennes
savent accompagner le changement…
mais elles ne savent pas changer
l’environnement. Elles sont en mesure donc
de prendre des parts de marché sur des
marchés d’ores et déjà structurés, mais peu
enclines à faire émerger de nouveaux
marchés.
La culture de l’essai-erreur
est peu répandue en
Europe, contrairement aux
Etats-Unis où elle constitue
une norme
Darwin a montré que ce sont les
populations situées à la périphérie qui fixent
l’innovation le plus rapidement. On
retrouve ce constat dans la vie des
entreprises, comme l’atteste l’exemple
d’IBM. IBM a construit son succès sur les
mainframes et, lorsqu’il s’est agi d’investir le
marché de la micro-informatique,
l’entreprise a choisi de développer cette
activité à la périphérie de son cœur de
métier via une petite équipe d’ingénieurs.
Travaillant de manière relativement isolée,
cette équipe a pu fixer très rapidement les
innovations - IBM a pu très vite sortir son
premier PC.
Vers une entreprise darwinienne ?
L’entreprise darwinienne est celle qui joue
sur la diversité interne, son organisation et
son environnement. Toute entreprise
souhaiterait, dans l’absolu, être en
capacité de changer constamment et
rapidement. Cela n’est bien sûr possible
que dans les petites entreprises, peu
statiques, qui parviennent à fixer facilement
et rapidement l’innovation. Les entreprises,
en croissant, voient systématiquement leur
adaptabilité diminuer. Souvent, cette
baisse de l’adaptabilité s’accompagne de
l’émergence d’une organisation en silos,
dont on connaît l’impact négatif sur la
capacité d’innovation. Certaines
entreprises l’ont parfaitement compris, et
mènent régulièrement des opérations de
« désilotage » - par exemple en faisant en
sorte que les cadres des différentes entités
se rencontrent, se connaissent et
échangent sur leurs succès et - surtout – sur
leurs erreurs.
L’entreprise darwinienne
est celle qui joue sur sa
diversité interne, son
organisation et son
environnement
La mondialisation à l’œuvre depuis plus de
20 ans se caractérise actuellement par un
rattrapage des pays émergents par rapport
aux pays développés. Ce développement
très rapide s’explique principalement par le
fait que ces derniers ont réussi à capter les
innovations nées dans les pays émergents
lorsque ceux-ci ont délocalisé leurs
productions.
Dans le monde animal, il existe deux
stratégies d’innovation et de reproduction :
la première consiste à avoir un enfant tous
31
les quatre ans environ, et se traduit par une
espérance de vie élevée (baleines,
éléphants…). La seconde stratégie est plus
quantitative et repose sur un rythme de
reproduction très fort. L’espérance de vie
est moindre, mais le nombre d’individus plus
important. Ces deux stratégies se
retrouvent dans le monde de l’entreprise :
les stratégies hautement qualitatives
fonctionnent lorsque le marché est très
structuré, haut de gamme ; les stratégies
quantitatives fonctionnent sur des marchés
faiblement structurés. Les entreprises ont
donc tout intérêt à adopter des stratégies
différenciées selon les marchés où elles
évoluent.
32
Innovation et adaptabilité,
deux valeurs clés pour un leader de la
chimie mondiale
Jean-Pierre Clamadieu
Entreprise très stable, notamment en raison de la composition de son
actionnariat, Solvay n’en est pas moins une entreprise dotée d’une formidable
capacité d’adaptation, indispensable à son développement.
Histoire
Solvay est un groupe belge, leader de la chimie
mondial, fondé en 1863 par Ernest Solvay. En
1861, celui-ci découvre un
procédé permettant de produire
industriellement la carbonate de
soude, dont il dépose le brevet
deux ans plus tard. Il crée alors sa
première usine à Couillet, près de Charleroi. Si
Ernest Solvay a initialement créé les premières
capacités de production en Belgique, il s’est très
rapidement tourné vers la France qui constitue
un élément central de l’organisation de Solvay.
L’entité française joue d’ailleurs, encore
aujourd'hui, un rôle majeur dans la diffusion des
principes de management et de la culture de
l’entreprise.
La chimie européenne dispose
d’un réel avenir sur de nombreux
segments de production
Dans sa forme actuelle, le Groupe est le résultat
du rapprochement entre Solvay et Rhodia. Ce
rapprochement avec Rhodia a,
incontestablement, constitué une rupture dans
l’histoire de l’entreprise. En avril 2011, Solvay a
lancé une OPA amicale sur cette entreprise pour
3,4 milliards d’euros et l'a achevée en
septembre 2011 avec un franc succès. Jean-
Pierre Clamadieu, PDG de Rhodia, prend la tête
du nouvel ensemble en mai 2012. Cette
opération de rapprochement s’est déroulée très
rapidement, et l’adhésion des équipes de
Rhodia à ce projet a été quasi-immédiate.
Principale raison de cette adhésion : la
remarquable réputation dont jouit Solvay, à la
fois entreprise familiale et grand nom de la
chimie.
Une forte capacité d’innovation
Contrairement à de nombreux
clichés qui courent encore, la
chimie est une industrie en plein mouvement, très
innovante. Elle a clairement un avenir compte
tenu, justement, de sa très forte capacité
d’innovation. Si l’on prend l’exemple de
l’industrie automobile, la chimie apporte son
expertise pour que des véhicules plus légers, des
véhicules électriques… voient le jour. A-t-elle
pour autant un avenir en Europe ? Il faut avoir à
l’esprit que la production chimique est très
consommatrice en énergie. Dans le Jura par
exemple, le site de Tavaux consomme autant
d’énergie que la ville de Lyon ! Avec l’arrivée sur
le marché des gaz de schiste, le prix du gaz a
fortement décru aux Etats-Unis – et non en
Europe. Cela constitue pour les chimistes une
rupture majeure. La chimie amont européenne
va progressivement s’effriter – seules quelques
plates formes demeureront sur le Vieux
Continent.
En revanche, la chimie européenne a
clairement un avenir sur d’autres segments de
production, qui requièrent une moindre
consommation énergétique. La réponse qu’une
entreprise comme Solvay peut apporter, pour
assurer sa pérennité et son développement en
Europe, est clairement centrée autour de
l’innovation. Il existe en Europe un écosystème
Jean-Pierre Clamadieu est
président du Comité exécutif
de Solvay.
33
d'innovation très efficace, dans lequel Solvay
« se sent bien ». Laboratoires, universités,
entreprises partenaires… Aujourd'hui, Solvay
investit l’équivalent de 2,7% de son chiffre
d’affaires dans la R&D, chiffre qui peut monter à
6% ou 7% pour certaines activités. A noter que
Solvay collabore avec la recherche publique : il
existe quatre unités mixtes Solvay-CNRS en
France, aux Etats-Unis et en Chine. Solvay se
satisfait totalement de sa collaboration avec le
CNRS actuellement.
Solvay et Rhodia : des cultures d’entreprise très
proches
Solvay est un Groupe belge. Cela facilite-t-il les
projets de transformation qui sont en cours
depuis deux ans, suite au rapprochement de
Solvay et de Rhodia ? Incontestablement, oui : la
forte proximité culturelle entre la France et la
Belgique y a contribué. Surtout, le fait que les
deux entreprises aient compris ce que RSE
voulait dire pour un groupe de chimie a facilité
les choses.
La forte proximité culturelle entre
la France et la Belgique a facilité
le rapprochement entre Solvay et
Rhodia
Solvay et Rhodia ont en outre la même
approche du métier de chimiste, de sa vocation.
Proximité ne signifie pas similarité, au contraire :
les différences, certes subtiles, existent. Toujours
est-il qu’un rapprochement avec un Groupe
d’un autre pays que la Belgique aurait été plus
difficile. On peut considérer, aujourd'hui, que le
rapprochement est clairement une réussite. Les
équipes, dans leur très grande majorité, ne se
réfèrent plus à leur entreprise d’origine.
Un actionnariat stable
La pérennité du Groupe tient pour beaucoup à
la structure de son actionnariat – l’actionnariat
de Solvay est familial – la majorité du capital est
détenue par la famille Solvay. Celle-ci s’inscrit
explicitement dans une logique de très long
terme. Cela crée, sans surprise, un
fonctionnement d’entreprise très différent de
celui d’une entreprise cotée. La transmission de
l’entreprise est incontestablement au cœur de la
philosophie des propriétaires. Ce consensus
autour de la manière dont l’entreprise doit être
gérée sur le long terme n’empêche
naturellement pas les débats au sein des
instances dirigeantes. Ces débats sont même
parfois nourris – les propriétaires ne se
désintéressent pas du tout de la stratégie de
l’entreprise, bien au contraire.
Jusqu’en 2009, Solvay était à la fois chimiste et
pharmacien. Les activités pharmaceutiques ont
alors été vendues à Abbott, pour un montant de
six milliards d’euros. Les actionnaires ont gelé ces
six milliards – ils ne se sont pas versés de
dividendes exceptionnels, préférant conserver
cette somme pour réinvestir dans la chimie. Cet
investissement a pris la forme du rapprochement
avec Rhodia.
Une grande attention portée aux processus de
décision
Dans certaines entreprises familiales, on constate
parfois que de mauvaises décisions sont prises
par les actionnaires. Elles peuvent être évitées si
la direction a accordé une très grande attention
à la qualité des processus de décision – c’est le
cas chez Solvay. Il faut également s’assurer qu’il
existe un consensus dans la stratégie des
différents actionnaires de l’entreprise, qui
assurent le contrôle du capital. Les différentes
branches de la famille Solvay font montre, à ce
titre, d’un très fort alignement ; ils adhèrent à la
stratégie de l’entreprise ; ils acceptent la
stratégie de long terme évoquée ci-dessus ; ils
sont encore très attachés à leur entreprise.
Le fait que l’actionnariat de
Solvay soit familial crée un
fonctionnement d’entreprise
très différent de celui d’une
entreprise cotée
Le management, naturellement, fait tout pour
que l’entreprise soit en mesure de verser tous les
ans un dividende à ses actionnaires. Mais cela
ne constitue-t-il pas un frein aux investissements ?
Il faut rappeler tout d’abord que, lorsque cela est
possible, le dividende progresse. Tout est fait
pour que ce dividende ne recule jamais – il s’agit
d’ailleurs d’un engagement que prend le top
management.
Pérennité n’est pas antinomique avec
adaptabilité. Solvay fournit par exemple Apple
pour certains composants. Alors que Solvay
34
obéit à des cycles relativement longs – le pay
back des investissements s’élève à, au minimum,
six ans – une entreprise comme Apple obéit à
des cycles beaucoup plus courts. Pour s’adapter
aux contraintes de certains fournisseurs, Solvay a
choisi d’adapter son organisation, notamment
en décentralisant les centres de décision, en
cherchant à gagner en réactivité, en adoptant
des modes de gestion permettant de concilier
long et court termes, en étant en mesure
d’adapter très rapidement les infrastructures de
production – infrastructures pourtant très lourdes
– aux impératifs du marché.
35
Comment inventer de nouvelles
propositions de valeur ?
L’exemple d’Air Liquide
Olivier Delabroy
Les excellents résultats économiques et financiers de l’entreprise pourraient
inciter Air Liquide à se reposer sur ses lauriers. Il n’en est rien : l’entreprise
s’attache à décrypter les grands changements actuellement à l’œuvre pour
en déduire de nouvelles propositions de valeur.
Eléments de contexte
Air Liquide obéit à une logique produits « à part »
dans le monde industriel. Cette entreprise ne
vend en effet que quelques
produits gazeux (hélium,
hydrogène liquide, CO2 etc.), mais
qui sont présents dans toutes les
filières industrielles. L’entreprise cherche donc à
faire en sorte que ses produits créent de la valeur
dans les différentes filières, sachant que cette
production de valeur diffère profondément d’un
secteur à l’autre. Les cycles de vie,
d’investissement, de R&D… diffèrent tout autant,
ce qui complexifie l’établissement du business
model du Groupe, et la priorisation des grands
thèmes de sa politique de R&D.
La pérennité de l’entreprise passe
par sa mise en mouvement
Une grande entreprise comme Air Liquide ne
peut pas rester indifférente aux multiples
changements qui se déploient dans son
écosystème : digital, raréfaction des ressources,
changement climatique… Autant de
phénomènes qui vont impacter sa chaîne de
valeur. Il est indispensable, de fait, d’anticiper
leurs conséquences. A ceci s’ajoutent de
nouveaux modes d‘innovation dans son
écosystème, de type industriel (imprimantes
3D…) et sociétal (Autolib’…) dont il faut aussi
tenir compte.
Depuis plus de 30 ans les profits d’Air Liquide ont
progressé de manière constante. Le risque pour
toute entreprise dans cette situation est le
manque d’anticipation liée à un déficit
d’appétence au changement. On sait pourtant
que certaines grandes entreprises
peuvent s’écrouler extrêmement
rapidement, que certains secteurs
d’activité (téléphonie, édition) ont
changé du tout au tout dans des délais très
courts. La pérennité d’une entreprise,
maintenant, passe de plus en plus par sa mise en
mouvement.
Le business model chez Air Liquide
Air Liquide, pendant longtemps, a eu une
approche très technologique du marché, ce qui
ne l’a pas empêché de développer des business
models nouveaux, par exemple pour les
marchés de la Santé ou de l’Electronique. La
nécessité de formaliser dans le moindre détail les
business models du Groupe est réellement
apparue lorsqu’Air Liquide a cherché à
s’implanter dans les pays émergents. La
formalisation des business models et donc la
capacité à dupliquer les business models qui ont
fait leur preuve dans les pays matures ont
constitué clairement une arme pour sécuriser la
croissance de l’entreprise dans ces nouvelles
géographies.
Une telle approche aujourd'hui se révèle
insuffisante : même si l’entreprise accomplit tous
les efforts nécessaires en termes de R&D pour
assurer la compétitivité de son cœur de métier,
elle est challengée par de nouveaux entrants.
L’entreprise a donc choisi de se mettre en
Olivier Delabroy est directeur R&D
d’Air Liquide.
36
mouvement sur des territoires adjacents :
nouvelles technologies, nouveaux clients,
nouveaux business models. Ce business
adjacent n’est pas réalisé par les filiales, qui ne
sont pas en mesure de remplir cet objectif. De
fait, Air Liquide a créé un réseau de petites
entités (le réseau Advanced Business &
Technologies), qui travaillent en synergie, qui
sont suffisamment agiles pour mettre en place
de nouveaux business models. Ils sont donc
assurés par des entités dédiées, ce qui constitue
un fait sans précédent dans l’histoire de
l’entreprise.
De nouvelles sources de valeur
Au-delà de ces territoires adjacents, Air Liquide
s’attache à trouver de nouvelles sources de
valeur dans ce que l’on peut qualifier de
business models « transformants ». Ils existent par
exemple dans le paysage de la mobilité, où, à-
côté des moteurs classiques et des moteurs
électriques, Air Liquide peut trouver sa place
grâce au développement des piles à
combustibles qui font appel à l’hydrogène.
Encore faut-il être en mesure d’identifier
quelques sujets sur lesquels l’entreprise se donne
les moyens de faire un pari, accepter, pendant
un certain temps, de perdre de l’argent.
Comment identifier ces paris « transformants » ?
Pour ce faire, Air Liquide a créé i-Lab, structure
basée dans Paris intra muros, dans des locaux
dédiés. I-Lab est structuré en deux pôles : un think
tank devant s’intéresser aux grandes évolutions
sociétales à moyen terme et en déduire les
impacts sur les chaînes de valeur sur lesquelles Air
Liquide est présent ; un « Corporate Garage » qui
incube des idées, les prototype, de manière
complémentaire aux activités de la R&D
classique. I-Lab compte 15 personnes : quelques
ingénieurs, mais également un architecte, un
historien, un designer… Connecté à
l’écosystème mondial de l’innovation, le i-Lab a
notamment pour vocation de nouer des
partenariats avec des start-ups. ALIAD – qui est
un fonds d’investissement ayant la mission de
prendre des participations dans des startups –
partage les mêmes locaux que i-Lab.
L’exemple de l’impression 3D
Les imprimantes 3D, progressivement, vont
investir les entreprises qui les utiliseront pour
accélérer leurs capacités d’innovation. Très
probablement, les entreprises occidentales vont
rapatrier dans leurs pays d’origine la plupart des
activités de manufacturing. Certaines de ces
entreprises sont des clients d’Air Liquide, qui se
doit en conséquence de tenir compte de cette
évolution de fond pour positionner correctement
ses investissements. A noter en outre qu’Air
Liquide est directement intéressée par le
développement des imprimantes 3D, qui utilisent
du gaz (argon, azote, etc.). Si, a priori, Air Liquide
n’a aucun lien avec le marché des imprimantes
3D, un examen plus précis tend à prouver
exactement le contraire : ne pas anticiper le
développement de ce marché constitue un
risque réel ; l’anticiper, au contraire, ouvre de
formidables opportunités de développement.
Conclusion : comment manager l’innovation
dans de grandes entreprises ?
Il faut tout d’abord rappeler que le
management de l’innovation ne se substitue pas
aux dispositifs classiques de R&D – ils sont
complémentaires.
Ne pas anticiper le
développement d’un marché
constitue un risque réel ;
l’anticiper, au contraire, ouvre
de formidables opportunités
de développement
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à
avoir créé des structures poursuivant les mêmes
finalités que le i-Lab. On constate que dans la
quasi-totalité des cas, ces structures meurent très
rapidement. Pour éviter cet échec, plusieurs
conditions doivent être réunies.
Une telle initiative doit être inscrite dans la
stratégie du Groupe et doit être portée par le
CEO… sans être trop « proche » des entités
Corporate, au risque de se faire « cannibaliser »
par celles-ci. Il faut se limiter à quelques paris
transformants uniquement. Une approche
purement « techno » est clairement vouée à
l’échec. Une bonne identification des rôles et
responsabilités vis-à-vis du reste de
l’organisation. Enfin, il faut être en mesure de
créer rapidement de la valeur afin de gagner en
légitimité.
38
Comment réagir face au low cost ?
Emmanuel Combe
De nombreuses entreprises sont tentées par l’aventure du low cost. Mais celui-
ci obéit à des règles extrêmement spécifiques, que toutes les organisations
ne peuvent pas adopter.
Pour pouvoir réagir efficacement face au low
cost, plusieurs variables doivent être prises en
compte.
Se situe-t-on sur un marché
de niche ou sur un marché
de masse ?
Quelle est la taille du
marché ?
Existe-t-il déjà des
opérateurs low cost sur le
marché ?
Se situe-t-on sur un marché où la
différenciation par le produit ou le service
est possible ?
Marché de niche, marché de masse, deux
approches différentes
Pour les entreprises se situant sur un marché low
cost de niche – la banque par exemple – la
réponse peut être de deux ordres :
S’il n’y a pas d’autres acteurs, il peut être
intéressant d’entrer sur le marché pour attirer des
clients très sensibles au prix, que l’on n’aurait pas
pu capter par des offres traditionnelles, pour
ensuite les faire monter en gamme en leur
proposant ces dernières. Les cabinets d’experts-
comptables par exemple ont intérêt à proposer
une offre low cost à des TPE qui n’auraient pas
pu s’offrir des services plus chers. Lorsque ces TPE
seront devenues des PME rentables, il sera temps
de leur proposer une offre de conseil plus
classique, haut de gamme, à forte valeur
ajoutée.
S’il y a déjà des acteurs sur le marché de niche,
il faut s’assurer qu’il y a encore de la place pour
un nouvel entrant. On constate en effet que les
marchés de niche sont dominés par un nombre
très limité d’acteurs (le low cost automobile par
exemple est clairement dominé par Logan). Si
l’on décide de ne pas y aller, il faut
communiquer auprès des clients, leur expliquer
que son offre est de bien meilleure qualité que
celle des low costeurs, que le
rapport qualité-prix est plus
intéressant.
Si l’on se situe cette fois sur un
marché de masse, deux réponses
sont possibles.
Il n’y a pas encore d’acteurs low cost. Il faut alors
faire vite, investir ce marché, pour le préempter.
Il y a déjà des acteurs low cost. Toutes les
expériences passées ont montré qu’il fallait alors
agir très rapidement, engager la riposte le plus
vite possible. C’est ce qu’ont fait, en France, les
opérateurs historiques de la téléphonie mobile :
pour contrer l’arrivée fracassante de Free, de
nouvelles marques low cost ont été très
rapidement lancées – certaines avant même
l’entrée de Free sur le marché.
La nature de la riposte va dépendre des
possibilités de différenciation.
Si l’on se situe sur un marché où la
différenciation verticale existe (sur le
marché de la téléphonie : la possibilité
de proposer la 4G par exemple), il est
possible de proposer une offre low cost
pour les clients très sensibles au prix, et
une offre à plus forte valeur ajoutée pour
les autres. Cette différenciation verticale
n’est pas toujours possible, comme
l’atteste le cas de l’aérien court courrier
(trajets inférieurs à deux heures).
Plus précisément, si la différenciation
verticale se révèle impossible, les
entreprises n’ont d’autre choix que
d’engager une bataille frontale. Les
Emmanuel Combe est professeur
d’économie à l’Université Paris I
Panthéon Sorbonne et à ESCP
Europe. Il est également vice-
président de l’Autorité de la
concurrence.
39
entreprises doivent alors reprendre les
codes du low cost, tout en restant high
cost. Plus précisément, elles doivent à la
fois lancer une filiale low cost et
repositionner la manière dont l’offre high
cost est vendue en mettant l’accent sur
la transparence et, aussi, sur la
responsabilité du client censé savoir
précisément ce qu’il achète… et ce qu’il
n’achète pas.
Comment engager cette bataille frontale ?
Le mimétisme tarifaire peut être de mise. Il doit
s’accompagner, au moins sur le long terme,
d’une révision de la base de coûts.
On peut se lancer dans un mimétisme des coûts,
donc du produit. C’est ce qu’ont fait certaines
compagnies aériennes en réduisant le nombre
de services offerts... et en proposant en option
payante les services restants.
Peut-on se transformer en entreprise low cost ?
Oui à certaines conditions, mais il s’agit d’un
processus long et difficile. Certains affirment
même que l’on naît low cost, et qu’on ne le
devient pas… En outre, il n’est pas du tout
certain que cette logique soit pertinente, dans la
mesure où l’on sait qu’un marché, quel qu’il soit,
ne devient jamais 100% low cost.
Se transformer en entreprise
low cost est un processus long
et difficile
En outre, créer une filiale low cost est possible, à
la condition que l’on respecte des règles très
strictes : il faut sanctuariser l’offre low cost par
rapport à l’offre de référence ; il faut différencier
les codes au maximum pour éviter la
cannibalisation de la clientèle. Enfin, certaines
entreprises ont choisi de racheter un low costeur
– ce qu’a fait par exemple Iberia en acquérant
Vueling.
40
Chine, Inde, Afrique : où se situera le futur
centre du monde ?
Jean-Joseph Boillot
Pour Jean-Joseph Boillot, les économies occidentales n’ont pas encore pris la
mesure des formidables potentialités qu’offrent les pays émergents. Une
véritable révolution copernicienne semble indispensable.
Une économie mondiale basculant
progressivement vers le Sud
Les trois géants du monde – la Chine, l’Inde et
l’Afrique, qui représentent
ensemble la moitié de la
population mondiale - sont sur une
bonne trajectoire d’un point de
vue économique. Cela oblige les
économies occidentales à
réorienter leur stratégie en fonction
de cette évolution majeure.
La crise actuelle a commencé dans les années
70. Compte tenu de sa durée, elle irrigue
maintenant les esprits qui ne veulent pas voir
que, depuis 30 ans, l’économie mondiale
bascule progressivement vers le Sud. Il faut,
maintenant, que les esprits prennent conscience
de cet état de fait et arrêtent de croire que les
difficultés actuelles et passées ne sont que des
crises des économies occidentales.
Le basculement du monde que
l’on observe depuis dix ans va
tourner autour d’un triangle
composé de la Chine, de l’Inde et
de l’Afrique où les
complémentarités sont plus
nombreuses et plus fortes que les
rivalités
L’impossible intégration de la zone Asie
« L’obsession » autour de l’Asie est née dans les
années 90… alors même que le décollage des
pays asiatiques est plus ancien. Il est seulement
devenu visible dans les années 90, avec
l’émergence de l’économie chinoise. Pour
autant, on n’assiste pas à une zone asiatique
intégrée d’un point de vue économique. En
effet, la Chine a trop d’ennemis
autour d’elle pour être en mesure
de structurer cette zone.
En outre, l’Inde ne fait pas partie
de la zone Asie – elle diffère
profondément des pays asiatiques
d’un point de vue culturel ; elle
regarde autant, voire davantage, vers le Moyen-
Orient que vers l’Asie de l’Est. Ses élites – comme
sa diaspora – sont présentes partout dans le
monde ; le commerce extérieur de l’Inde est
extrêmement diversifié, et concerne notamment
l’Afrique.
L’Afrique entame sa transition économique
En ce qui concerne l’Afrique cette fois, de
nombreux indices montrent que la transition qui
a pris place en Chine dans les années 80 et dans
les années 90 en Inde est en train de voir le jour.
A noter que l’Afrique va produire trois fois plus de
jeunes actifs de moins de 30 ans que la Chine
dans les années à venir, alors même que celle-ci
va connaître un vieillissement significatif !
Un rapprochement sensible entre la Chine et le
continent africain
Probablement, le basculement du monde que
l’on observe depuis dix ans va « tourner » autour
d’un triangle composé par ces trois Géants où
les complémentarités sont plus nombreuses et
plus fortes que les rivalités.
Jean-Joseph Boillot est conseiller
au club du CEPII. Il a notamment
publié Chindiafrique - la Chine,
l'Inde et l'Afrique feront le monde
de demain (Odile Jacob, 2013)
avec Stanislas Dembinski.
41
La Chine va devenir mature sur le plan
économique, va continuer à s’affirmer, va
progressivement occuper les places les plus
élevées dans la chaîne de valeur ajoutée. La
Chine est donc là pour durer. La Chine a besoin
de débouchés, comme de matières premières.
Elle investit dans ce but progressivement le
continent africain qui, loin d’adopter une
position de dominé, épouse au contraire un
comportement sans aucun complexe vis-à-vis
de la Chine. L’Afrique en effet a choisi de faire
reposer sa croissance sur… les importations, en
achetant à des Chinois tous les produits
nécessaires à son développement à des coûts
extrêmement bas.
Et les entreprises occidentales ?
Les entreprises occidentales se doivent d’être
présentes dans cette zone, de s’y arrimer pour
trouver des relais de croissance. Cela a des
implications sur leurs politiques de recrutement.
Celles-ci doivent être aux couleurs du triangle
« Chindiafrique ». Il faut, dans les directions
générales, les équipes d’ingénieurs, les équipes
de marketing etc. des individus issus de chine,
d’Inde ou d’Afrique pour comprendre comment
ces pays « fonctionnent » d’un point de vue
culturel.
Les politiques de recrutement
des entreprises occidentales
doivent être aux couleurs du
triangle « Chindiafrique »
Les entreprises peuvent adopter une stratégie
offensive – c’est-à-dire entrer sur les marchés
indien, chinois, africains. Pour cela, la stratégie
traditionnelle d’envoi d’expatriés occidentaux
se révélera inefficace. Les succès d’entreprises
occidentales dans les pays émergents
présentent tous un point commun : les états-
majors des entreprises qui s’installent dans ces
pays, comptent systématiquement sur place des
locaux. Cela n’empêche pas, bien sûr, de
recourir à des expatriés qui, par exemple,
connaissent parfaitement les processus de
production que les locaux ne maîtrisent pas
forcément.
Malgré son émergence, l’économie africaine ne
parviendra pas à offrir du travail à tous les jeunes
Africains. Sans surprise donc, les flux migratoires
en provenance de l’Afrique vont s’accroître très
fortement au cours des prochaines décennies.
On peut même avancer que dans une trentaine
d’années, le bassin parisien sera,
majoritairement, une région… africaine. La
plupart des entreprises n’ont pas pris conscience
de cette évolution future et, encore aujourd'hui,
leurs équipes ne ressemblent pas à la population
française. Si elles ne changent pas leurs
politiques RH, ce décalage entre l’entreprise et
le monde qui l’entoure s’accroîtra encore
davantage… et l’entreprise française ne sera
plus en mesure de proposer des produits
adaptés à sa clientèle, ne sera même plus en
mesure de s’adresser à elle. Le basculement du
monde entraînera également un basculement
de la France et de ses entreprises, ce que ces
dernières n’ont pas forcément assimilé.
42
Va-t-on vers une « crise sans fin » ?
Myriam Revault d’Allonnes
Pour Myriam Revault d’Allonnes, l’incertitude générée par la crise ne doit pas
conduire à l’immobilisme. Elle oblige au contraire les individus et les
organisations à agir.
« La crise sans fin », une formule à double
détente
Cette formule ne propose pas une vision
pessimiste d’une crise qui n’en
finirait pas, mais s’attache plutôt à
analyser les mutations de notre
rapport au temps. Notre présent est
envahi littéralement par la crise,
mais la généralisation de ce terme, son usage
comme singulier collectif (comme le montre
l’utilisation fréquente de l’expression « la crise »)
ont pratiquement vidé la notion de son sens
originel. En effet, au départ, la notion de crise,
qui vient du grec krysis, désigne une situation
extrême, paroxystique, momentanée, qui
appelle nécessairement une sortie – il ne s’agit
pas d’un état durable, mais précisément d’un
état singulier. Or la crise désigne aujourd'hui un
état permanent, marqué du sceau de
l’indécision et dont on ne voit pas l’issue.
La force contraignante de la crise
ne consiste pas à nous enfermer
dans une fatalité dont nous ne
pourrions pas sortir. Elle exige au
contraire un retournement et une
réinvention de nos modes de
pensée et d’action
Ce constat amène une première hypothèse : il
s’agit d’un renversement de signification,
d’usage, d’utilisation, qui témoigne d’une
mutation tout à fait significative (au passé, au
présent, et surtout à l’avenir). Nous ne sommes
plus en effet dans la modernité triomphante qui
s’est exprimée avec la Philosophie des Lumières,
et qui était habitée par la croyance au progrès
généralisé, qui s’est effondré. Nous sommes
aujourd'hui face à un futur infigurable,
indéterminé... mais nous sommes néanmoins
contraints de reprendre en charge une question
essentielle pour toute société, celle de
l’orientation vers le futur. La force contraignante
de la crise, qui est manifeste, ne
consiste pas à nous enfermer dans
une fatalité dont nous ne
pourrions pas sortir. Elle ne signe
pas le terme d’un processus
inéluctable, mais exige au contraire un
retournement et une réinvention de nos modes
de pensée et d’action.
La crise : une perspective historique
Au-delà d’une description du phénomène donc,
l’enjeu de la réflexion réside dans la nécessité de
repenser le statut actuel de la crise qui est
devenue un état permanent, et non plus une
situation d’exception qui était au cœur de
l’origine étymologique de la notion de krysis.
La notion de crise, quels que soient son usage et
son contexte, est toujours liée à une expérience
temporelle. Elle est indissociable en effet d’une
conception et d’une expérience du temps. Chez
les Grecs, le terme de crise est utilisé dans le
domaine médical, dans la tragédie, dans
certains textes politiques et traduit un rapport à
un certain type de temporalité bien particulier :
chez les Grecs, l’idée d’un devenir historique est
totalement absente ; il s’agit d’une temporalité
politique, où le temps est essentiellement réglé
par l’action des hommes. Il n’est jamais question,
chez les Grecs, d’une temporalité historique,
d’un sens de l’Histoire, qui vont donner à la
notion de crise un sens tout à fait différent. Ce
n’est pas un hasard si, avec la Philosophie des
Lumières, la notion de crise sort de son usage
technique et restreint (essentiellement médical)
pour occuper une place centrale dans la réalité
politique et historique, en relation avec un
Myriam Revault d’Allonnes est
philosophe. Elle a notamment
publié La crise sans fin. Expérience
moderne du temps (Seuil, 2012).
43
nouveau concept historique : la modernité,
concept se posant comme une rupture radicale
avec l’ancien et la tradition, au nom d’une
certaine conception du progrès. A partir du
XVIIIème siècle et le début des Révolutions, la
notion de crise désigne les bouleversements
politiques.
Crise et modernité
C’est le projet moderne qui, en tant que tel,
installe en son cœur la notion de crise. En effet,
ce projet se caractérise par une rupture
fondamentale avec la tradition et les acquis de
la tradition. L’affirmation du projet moderne est
une affirmation de rupture radicale aussi bien au
niveau de la pensée, de la rationalité, que de
l’institution politique. La manière dont on pose les
problèmes à partir des Lumières est totalement
nouvelle. Diderot écrit ainsi : « peu importe que
d’autres avant nous aient pensé comme ceci ou
comme cela, pourvu que nous, nous pensions
juste et d’après les normes de notre seule
raison ». Il s’agit donc bien de penser
uniquement sur la base de la raison, et
indépendamment (voire contre) des autorités
établies. On peut appeler « crise » cette
instauration fondamentale de la modernité,
dans la mesure où elle introduit une rupture
radicale de ce qui précède, de toutes les notions
héritées de la coutume et de la tradition. La
volonté de l’attachement au passé marque
alors une véritable dissolution des repères de la
certitude provenant du passé, qui a entraîné une
triple crise : crise des fondements ; crise de la
normativité ; crise de l’identité. La rupture des
Temps modernes est une rupture qui ne se
contente pas de se démarquer du passé ; mais,
en récusant l’autorité des Anciens, elle leur ôte
toute valeur d’exemplarité.
De ce fait, la modernité va s’interroger de façon
incessante sur elle-même. Emergent donc, à ce
moment-là, une nouvelle expérience du temps,
un nouveau régime d’existence, et l’instauration
de l’historicité de l’Homme comme composante
fondamentale de l’existence humaine. A ce
moment-là, le devenir historique est doté d’une
valeur fondamentale : la modernité en effet, ne
pouvant plus s’appuyer sur le passé pour orienter
son action, va se projeter en avant et légitimer
cette même action par ce que l’on peut
appeler une « autorité futur ». En atteste le
triomphe du progrès, qui a, avec les Modernes,
constitué la principale source de légitimation
d’une action. Cette action, en outre, est alors
orientée en fonction du progrès à venir.
Vers un nouveau statut de la crise ?
Dans ces conditions, quel est le statut de la
crise ? Elle devient alors le moment difficile mais
nécessaire, par lequel il faut passer pour
progresser vers un avenir meilleur. La révolution
est le parfait exemple de cette crise difficile mais
nécessaire. Plus généralement, la crise devient
« le » moment incontournable, par lequel il faut
passer – et ce quels qu’en soient la gravité, le
moment paroxystique indispensable au passage
à un « autre » état.
Notre rapport au futur et à
l’avenir n’est plus régi par la
croyance dans le progrès,
mais est au contraire sous le
signe de l’indétermination et
de l’incertitude
L’époque actuelle – que l’on qualifiera de
contemporaine – se différencie par plusieurs
points des époques antérieures. En premier lieu,
le progrès, dans sa généralisation, s’est effondré.
Cela ne signifie pas que l’on ne croit plus qu’il
puisse y avoir des progrès… mais on ne croit plus
du tout à la coïncidence entre progrès
scientifique et technique et progrès moral
culturel. En outre, le constat a été fait que la
rationalité technique et scientifique pouvait
avoir des effets pervers, voire se retourner contre
elle-même. De fait, notre rapport au futur et à
l’avenir n’est plus régi par la croyance dans le
progrès, mais est au contraire sous le signe de
l’indétermination et de l’incertitude. Ce n’est
qu’un retournement de la grande philosophie
de l’Histoire : à l’idée que l’Histoire était
gouvernée par le progrès s’est substituée l’idée
selon laquelle l’Histoire est gouvernée par le pire
– ce qui peut être rassurant, car on sait alors où
l’on va.
Constats
Plusieurs constats, certes difficiles à entendre,
doivent être posés. Tout d’abord, le temps n’est
plus le moteur d’une Histoire à construire,
comme cela a été le cas jusqu’en 1914. Il n’est
44
plus davantage le moteur d’une tâche politique
à accomplir, mais est devenu un temps sans
promesse – un temps qui s’oppose ou qui diffère
d’un temps antérieur habité par la promesse
d’un progrès à venir. Le schéma prévalant
actuellement est celui d’un futur infigurable et
indéterminé. Il y a donc une nouvelle manière
d’être au temps, qui affecte à la fois le regard
que la société porte sur son avenir collectif, celui-
ci étant voué à l’incertitude, et les
représentations que les individus portent sur leur
propre avenir. L’orientation de leur existence leur
apparaît tout aussi incertaine que l’avenir
collectif. On a aujourd'hui affaire à une logique
de l’accélération qui diffère de celle qui était en
vigueur dans la modernité triomphante. La
logique de l’accélération actuelle est de plus en
plus frénétique… mais s’apparente à une
logique de « l’immobilité fulgurante » (cf. travaux
de P. Virilio), où tout semble changer très
rapidement, alors que rien ne se passe.
La logique de l’accélération
actuelle s’apparente à une
logique de l’immobilité fulgurante,
où tout semble changer alors que
rien ne se passe
Le temps que l’on vit nous confronte à de
nouveaux modes de dissolution de la certitude,
par les effets paradoxaux de la mondialisation,
par le développement du capitalisme financier,
l’épuisement des modalités traditionnelles de
l’action politique etc. D’une certaine manière, la
crise a totalement changé de sens. Ce
changement de sens témoigne d’un véritable
changement de paradigme qui affecte notre
rapport au temps.
Ce qui caractérise la notion de crise, c’est
qu’elle nie indissolublement la réalité objective
et l’expérience que nous en avons. La crise a été
effectivement le vécu de l’homme moderne,
depuis l’émergence de la Modernité ; elle est
aujourd'hui le vécu de l’homme contemporain.
Mais ces deux vécus ne sont pas identiques,
dans la mesure où le rapport à l’avenir s’est
totalement modifié.
La crise, force contraignante et force
d'obligation
La crise peut avoir une force contraignante,
comme cela a déjà été dit. Mais elle peut aussi
avoir une force d’obligation, en ce sens où elle
nous oblige à nous demander si le fait que
l’avenir soit incertain, indéterminé, constitue une
raison déterminante pour ne pas orienter notre
action. On peut même aller plus loin en
soulignant qu’un futur prédéterminé interdirait la
capacité d’initiative et d’action. Or nous
sommes confrontés à une situation dans laquelle
la considération d’un avenir incertain doit nous
obliger à repenser entièrement nos modalités
d’action. Elle doit surtout nous faire considérer
que toute société, quelle qu’elle soit, est habitée
par son rapport au temps. Celui-ci est même
constitutif des sociétés. Que l’on soit, aujourd'hui,
face à un avenir qui n’est pas préfiguré doit-il
nous empêcher d’agir ? Rien n’est moins certain,
bien au contraire.
45
Les Cahiers de l’Anvie
Documents de synthèse, ces Cahiers permettent de disposer d’une vision d’ensemble d’une thématique
donnée. Ils recensent quelques-unes des nombreuses contributions de chercheurs et de praticiens
d’entreprises présentées dans le cadre des travaux de l’Anvie.
Trois Cahiers sont d’ores et déjà parus et sont accessibles sur le site Internet de l’Anvie à la rubrique
« Comptes rendus et synthèses en libre accès » ou en cliquant sur les liens suivants :
Comment le numérique transforme l’entreprise
L’innovation, levier de performance pour l’entreprise
Les sciences cognitives, état des lieux et perspectives pour l’entreprise
46
L’Anvie en 2013
Quelques chiffres
23 entreprises adhérentes
95 intervenants chercheurs
159 intervenants d’entreprise
1 123 participants appartenant à 372 entreprises
38 rencontres et groupes de travail
Les entreprises adhérentes à l’Anvie
Académie du Service
Banque de France
Caisse des Dépôts et Consignations
Covea
Economie d'énergie
EDF
GDF Suez
La Poste
Lafarge
Maaf
Michelin
MMA
Orange France Telecom
RATP
Renault
RFF
RTE
Saint-Gobain
SNCF
Société Générale
Sodebo
Spie
Total
Les partenaires
Actubaby, La lettre de veille professionnelle de l’univers des bébés
Afje, Association française des juristes d’entreprise
AFCDP, Association Française des Correspondants à la protection des Données à caractère Personnel -
Correspondants Informatique et Libertés
Afci, Association française de communication interne
AFMD, Association française des managers de la diversité
AFRC, Association française de la relation client
Amarc, Association pour le management de la relation client
Anact, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
Cercle Magellan, Réseau professionnel des ressources humaines internationales
Cigref, Club informatique des grandes entreprises françaises
Club Gestion des connaissances
Clusif, Club de la sécurité de l’information français
CDSE, Club des directeurs de sécurité des entreprises
EIEBG, Euro-India Economic and Business Group
Fevad, Fédération e-commerce et vente à distance
IFM, Institut français du merchandising
ICSI, Institut pour une culture de sécurité industrielle
IMdR, Institut pour la maîtrise des risques
Institut des mamans, Institut d’études sur les enfants et la famille
LCDC, Le Cercle de la compliance
47
Ils sont intervenus à l’Anvie en 2013
Chercheurs
René AMALBERTI, Fondation pour une culture de sécurité industrielle (FONCSI),
Yanita ANDONOVA, Celsa
Norbert ALTER, Université Paris Dauphine
Fabienne AUTIER, EM Lyon
Isabelle BARTH, Ecole de management de Strasbourg
Romain BEAUME, Ecole Polytechnique
Patrick BESSON, ESCP Europe
Charles-Henri BEYSSERE DES HORTS, HEC
Marc BIDAN, Université de Nantes
Sylvie BLANCO, Grenoble Ecole de management
Alain BLOCH, HEC, Cnam
Jean-Joseph BOILLOT, CEPII
Ivan BOISSIERES, ESCP Europe
Audrey BONNEMAIZON, Université Paris Est Marne-La-Vallée
Jean-Pierre BOUCHEZ, Université de Versailles Saint-Quentin
David BOURGUIGNON, Université de Lorraine
Luc BOYER, Université Paris Dauphine
Joël BREE, Université de Caen
Vincent BRULOIS, Université Paris 13
Stéphanie BUISINE, ENSAM
Sylvie CADOLLE, Cerlis, Université Paris Descartes
Xavier CAROFF, Institut de psychologie
Philippe CARRE, Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Franck COCHOY, Université de Toulouse
Christophe COLLARD, EdHec Business School
Emmanuel COMBE, Université Paris I Panthéon La Sorbonne
Jean-Denis CULIE, Ecole de management de Normandie
Françoise DANY, EM Lyon
Philippe DAVEZIES, Université Claude Bernard Lyon I
Christian DEFELIX, IAE de Grenoble
Jérôme DENIS, Mines Telecom ParisTech
Mathieu DETCHESSAHAR, Université de Nantes
Cécile DEJOUX, Cnam
Maryse DUBOULOY, Essec
Aurélie DUDEZERT, IAE de Poitiers
Raffi DUYMEDJIAN, Grenoble Ecole de Management
Jean-Louis ERMINE, Telecom Ecole de management
Christophe FALCOZ, IAE de Lyon
Bjorn FASTERLING, EdHEC Business School
Charlotte FILLOL, Université Paris Dauphine
Eric FIMBEL, Reims Management School
Philippe GABILLIET, ESCP Europe
Eric-Jean GARCIA, Sciences Po Paris
Gilles GAREL, Cnam
Lionel GARREAU, Université Paris Dauphine
Jean-François GERME, Cnam
Patrick GILBERT, IAE – Université Paris I
Patrick GOUGEON, ESCP Europe
Serge GUERIN, ESG Paris
48
Denis GUIOT, Université Paris Dauphine
Pascale HEBEL, Credoc
Emilie HENNEQUIN, Université Paris I Panthéon Sorbonne
Rola HUSSANT-ZEBIAN, Université Paris Est Marne-La-Vallée
Christophe JEUNESSE, Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Roland JOUVENT, CNRS
Muriel JOUGLEUX, Université Paris Est Marne-La-Vallée
Anne JULIEN, Université de Reims Champagne Ardennes
Jean-Philippe LACHAUX, Inserm
Annie LAPERT MUNOS, Euromed Marseille
Florence LAVAL, IAE de Poitiers
Aurélie LECLERCQ VANDELANNOITTE, IESEG
Even LOARER, Cnam
Todd LUBART, Université Paris Descartes
Catherine MAMAN, Université Paris Est Marne-La-Vallée
Miguel MEMBRADO, Pôle Léonard de Vinci
Benoît MEYRONIN, Grenoble Management School
Philippe MOATI, Université Paris Diderot
Chantal MORLEY, Institut Telecom
Ingrid NAPPI-CHOULET, Essec
Florent NOEL, Université Paris I Panthéon Sorbonne
Xavier PAVIE, Essec
Jérôme PELISSE, ENS Cachan
Jean-Marie PERETTI, Essec
Claire PETITMENGIN, Institut Mines Telecom
Karine PICOT-COUPEY, Université de Rennes I
Pascal PICQ, Collège de France
Laëtitia PIHEL, Université de Nantes
Agathe POTEL, EM Lyon
Jean PRALONG, Rouen Business School
Myriam REVAULT D’ALLONNES, phiilosophe
Catherine ROLLET, Université de Versailles Saint-Quentin
Jean-Louis RAYNAUD, EdHEC Business School
Valérie RENAUDIN, Université Paris Dauphine
Thierry ROCHEFORT, IAE de Lyon
David SANDER, Université de Genève
Pierre-Yves SANSEAU, Grenoble Ecole de Management
Géraldine SCHMIDT, IAE – Université Paris I
Monica SINGHIANA, Université de Dehli
Pierre-Eric TIXIER, IEP de Paris
Véronique TRAN, ESCP Europe
Pascal UGHETTO, Université Paris Est Marne-La-Vallée
Jacqueline VACHERAND-REVEL, Ecole centrale de Lyon
Pierre VOLLE, Université Paris Dauphine
Thierry WEIL, Ecole des Mines de Paris
Michel WIEVIORKA, Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH)
49
Ils sont intervenus à l’Anvie en 2013
Cadres d’entreprise
Isabelle ADAM SWALES, Groupe Head of Talent Development Program and Top Management Training, BNP Paribas
Jean AGULHON, directeur des ressources humaines France et Affaires sociales, Renault
Stéphane AKNIN, directeur e-communication Groupe, AXA
Bethy-Alexandra ALBA-GALIAN, directeur juridique, Macif
Silvane ANGELINI, responsable du recrutement France, HP France
Guillaume APER, directeur adjoint de la communication, JC Decaux
Philippe ARRAOU, vice-président, Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables
Anne BABKINE, directrice de la marque, Elior
Francis BAENY, directeur des relations sociales, Safran
Didier BAICHERE, DRH France, CGI France
Dominique BAILLY, directeur du pilotage stratégique RH, La Poste
Philippe BARANSKI, directeur de la production, Pro BTP
Thomas BARBELET, directeur de la communication, Vinci Concessions
Christine BAUDOIN, avocat associé, LMT Avocats
Fabienne BEAUVISAGE, DRH, Whirlpool France
Sarah BENICHOU, chargée de mission au département Promotion des droits et de l’égalité, Défenseur des droits
Rachid BENSAHNOUNE, DRH en charge des diversités à l’international, L’Oréal
Alain BERNARD, RSSI, L’Oréal
Christophe BINOT, responsable Département conformité, Total
Eric BLANC-CHAUDIER, directeur emploi, stratégie et formation, AXA France
Christian BLATTER, chef de division Facteurs humains, SNCF
Laurence BLOCH, directrice, Hôtel Plaza Athénée
Régis BLUGEON, directeur des affaires sociales, Saint-Gobain
Morgane BOCAHUT, responsable RH, Clarins
Sophie BOCQUET, directrice, Citadium
Jean-Pierre BOIVIN, avocat, Cabinet Boivin et Associés
Martine BORDONNE, directrice des projets RH, Orange
Alain BRAUD, directeur des relations sociales, Michelin
Olivier BREDELOUX, représentant FORMATION à l’Observatoire de la qualité de vie au travail, Force Ouvrière
Charlotte BROCARD, responsable Orange Graduate, Orange
Valérie BROSSET-HECKEL, responsable Technique et Opérations, Veolia Water
Christine CASAHOURSAT, directeur Brand & Innovations, Vinci Concessions
Thierry CAZENAVE, responsable de la veille sociale, chargé de la diversité, PSA Peugeot Citroën
Michèle CHAMPAGNE, responsable des activités de veille et de capitalisation des savoirs, Veolia Water
Henri CHIGNIER, directeur exécutif, Kiloutou Global Services
Laurent CHOAIN, DRH, Mazars
Cécile CLOAREC, directeur Ressources humaines, Communication et Développement durable, Monoprix
Raphaël COLAS, responsable pôle Satisfaction clients et projets, direction de la qualité, La Poste
Hervé CONSTANT, DSI, GRT Gaz
Blandine CORDIER-PALASSE, managing partner, Cercle de la Compliance
Aline CREPIN, directrice RSE, Randstad
Philippe CUNY, directeur industriel zone Europe, Essilor International
Pao-Leng DAMY, responsable RH, Diversité et Inclusion Groupe, Société Générale
Isabelle DAVEZE, chef de projet Affaires sociales, Schneider Electric
Charles de FROMENT, responsable des affaires publiques, Manpower
Eric de LA PRESLE, chef de bureau marketing, publicité et communication de recrutement, Armée de Terre
Tugdual de LA TOUR, responsable de l’Alpha Projet, Crédit Agricole Ile-de-France
Arnaud DEBOEUF, directeur du programme Entry, Renault
Monique DELAMARE, directrice générale, TIGF
50
Pierre DELANOUE, responsable du programme mieux vivre au travail, SNCF
Agnès DELTENRE, directrice générale déléguée, Saint-Gobain Développement
Valérie DIXMIER, directrice de la formation Groupe, Lafarge
Natalie DOAT, directrice de l’observatoire sociale, Total
Stéphanie DOMMANGE, directrice régionale SNCF Pays de la Loire, SNCF
Carole DONNAY, directrice du département Santé au travail, médecin coordinateur territoire France, Schneider
Electric
Benoît DONON, responsable Veille sociale, qualité de vie et santé au travail, RFF
Richard DROUIN, directeur Environnement de travail, Bouygues Telecom
Francis DUCHATEAU, adjoint au chef du département Adeb, EDF R&D
Eric DUMONT, directeur Santé et sécurité France, Lafarge
Virginie DUTILLEUL, avocat associé, responsable du département Droit des affaires, Ernst&Young
David EXPERTON, Creativity & Best Practices manager, Pernod Ricard
Carine EYNARD, People Development manager, Sanofi
Nicolas FLAMANT, directeur des ressources humaines et du développement durable, Spie Batignolles
Jean-Pierre FOUCHE, responsable GPEC France, Orange
Marc FRANCOIS-BRAZIER, Human Resources Corporate Senior Vice President, Essilor International
Anne GABET, en charge de la refonte du système de gestion de carrière des cadres supérieurs, SNCF
Catherine GALL, directrice du pôle Recherche et prospective internationale, Steelcase
Nadine GALLART VALLE, directeur du développement managérial, Humanis
Nathalie GAUTIER, responsable des affaires sociales, Maaf Assurances
Sylvia GESNEL, directrice du recrutement et du développement RH, Ipsen
Paul-Olivier GIBERT, AFCDP
Marien-Noëlle GIBON, correspondant Informatique et Libertés, La Poste
Olivier GODART, coordinateur des projets stratégiques de l’enseigne, But
Yves GRANDMONTAGNE, directeur des ressources humaines, Microsoft France
Pierre GRAS, chef de service à la direction de la formation, Banque de France
Elisabeth GRIMALDI d’ESDRA, directeur des compétences du personnel et de la div, Michelin
Florence GUEMY, DRH et Développement projet, Groupe Bayard
Marie GUILLAUME, Talent Management & International Mobility, BNP Paribas
Jean-Michel GUILLAUMOND, directeur de l’innovation et de la qualité pour la banque de détail et à l’international,
Société Générale CIS
Alain GUILLOU, DRH Groupe, DCNS
Olivier HASSID, délégué général, CDSE
Philippe HUET, directeur délégué auprès du secrétaire général, directeur des risques et de l’audit Groupe, EDF
Jérôme INTROVIGNE, responsable Innovation, Groupe Poult
Sylvie KANDE de BEAUPUY, Chief Compliance Officer, Technip
Martine KERVER, secrétaire nationale Conditions de travail, handicap et santé au travail, CFE-CGC
Jana KLEY, directrice RH et Communication, Otis
Patrick LAGARDE, PDG, Brink’s France
Patrick LAGNIER, responsable du groupe d’employés EMEA Pride, HP France
Sylvie LAINE, déléguée générale, FNEP
Gilles LANDRY, directeur Prévention santé sécurité Groupe, Spie
Patrick LANGRAND, directeur du département Risques, contrôles et sécurité des SI Groupe, La Poste
Jean-Marc LAOUCHEZ, directeur Santé et environnement, Suez Environnement
Slimane LAOUFI, chef du pôle Emploi privé, Défenseur des droits
Eric LAURENT, administrateur RSE, conduite du changement, La Poste
Beatrix LAURENT MOULIN, directeur juridique, Manpower
François LAVEISSIERE, directeur de l’innovation, Auchan
Mylène LAVIALLE, fondatrice, squaredespetits.com
Dominique LAYMAND, VP Compliance & ethics EMEA, Bristol Meyrs Squibb
Marie LE BRETON, responsable d’enquêtes et d’études sociales, Total
Sina LEEMANN LE BOURGEOIS, directrice de la marque BabyNes, Nestlé
Sandrine LEFEVRE, responsable Développement managérial et culture d’entreprise, AXA France
Astrid LEGAY, responsable RH Senior, PepsiCo France
Jean-Sébastien LENIX, vice-président, Cabinet Nera Economic Consulting
Jean-Marc LEROY, directeur général, Storengy
Dominique LEVENT, directeur délégué à la créativité, Renault
51
Pascale LEVET, directrice technique et scientifique, Anact
Maryvonne LYAZID, adjointe au Défenseur des droits, Défenseur des droits
Myriam MAESTRONI, président, Economie d’énergie
Elodie MAZIERE LEFAIX, responsable Relations sociales, Maaf Assurances
Catherine MENGIN, directrice des solutions magasins, Toshiba Systèmes France
Bruno METTLING, DRH Groupe, Orange
Franck MIKULA, délégué national Santé au travail, conditions de travail, handicap, CFE-CGC
Valérie MOATI, présidente de l’association TEM, AXA France
Luis MOLINA, directeur de la direction Compétences et performance sociale, EDF
Jean-Michel MONNOT, directeur Diversité Europe, Sodexo
Benoît MONTET, Country Manager France, Top Employeurs
Adrien MOREIRA, responsable du site Cvous, Casino
Pierre MOREL A L’HUISSIER, député de la Lozère
Lionel MOURER, administrateur, Clusif
Anne MULLER, cadre supérieur de santé, Hôpital Sainte-Anne
Christian MUSIL, directeur du développement des ressources humaines, Apicil
Ronan NGUYEN, directeur juridique adjoint des relations humaines France, L’Oréal
Jacques NICOLI, responsable professionnalisation des RH, EDF
Jean-Baptiste OBENICHE, responsable du pôle Vie au travail et diversité, EDF
Pierre-Yves PANIS, directeur Design produits, directeur artistique, Orange
Damien PASQUINELLI, responsable Lab innovation Rhône-Alpes, Cap Gemini
Rémi PAULE, Global Technology Innovation, Sanofi Pasteur
Lazaro PEJSACHOWICZ, RSSI, Cnamts Uncam
Jean-Yves PETIT, directeur du développement social, La Poste
True Tam PHAM-THI, responsable Service santé et conditions de travail, Essilor International
Robert PIANA, directeur du projet Valorisation des logements des gares TN, SNCF
Fabrice POUSSIERE, ingénieur de recherche, Alcatel Lucent Bell Labs
Xavier QUERAT-HEMENT, directeur de la qualité Groupe, La Poste
Thierry ROBIN, RSSI, GRT Gaz
Nadia RODRIGUE, responsable Recrutement EPG-PS-SMS&P, Microsoft
Martin ROULLEAUX-DUGAGE, Knowledge Officer, Areva
Tanguy ROUMEGOUX, directeur adjoint de Ouigo, SNCF
Bruno ROUSSEAU, directeur gestion des talents-populations fonctionnelles, Lafarge
Stéphane SANCOIS, responsable mobilité Groupe, GDF Suez
Pierre SAULAIS, Senior Radar Expert, Thales
Christophe SAUSSE, DRH, Parrot France
Maurice SCHEID, International Sites HR Lead, HP France
Marie SEIGNEUR, directrice marketing Research & Consumer, Chanel Parfums Beauté
Nilou SOYEUX DU CASTEL, directrice de la communication interne, Orange
Merope SYLVESTER, Head of Compliance, Europe Retail and Business Banking, Barclays
Alice TAGGER, directeur du programme hauts potentiels, GDF University, GDF Suez
Raoul TEXTORIS, directeur EHS de la direction des services Groupe, L’Oréal
Anne THEVENET-ABITBOL, directrice Prospective et nouveaux concepts, Danone
Carole THOMAS, responsable Communication interne, 3F
Jean-Rémy TOUZE, DRH, Siemens Automative
Jean-Paul TREGUER, président, TV LowCost
Hélène VALADE, directrice du développement durable, Lyonnaise des Eaux
Sophie VANIER, directrice Marketing et communicaiton, Oxybul Eveil et Jeux
Cédric VERPEAUX, responsable du pôle Ville numérique, Caisse des Dépôts et Consignations
Guy ZINS, PDG, Steeltech