14
1 LE LIVRE DES SOLEILS Atelier d’écriture du 26 août au 1 er septembre 2012 à Kergallic Belle-Ile en mer Olafur Eliasson, The Weather project, Londres, 2003 Après le sable, l’air et l’eau, c’est donc le feu solaire, avec sa force et sa vitalité, sa présence dans l’île et sur l’océan, qui nous invite à l’écriture. Il s’agit d’écrire sur un thème commun, à partir de propositions diverses, dans un esprit d’échange et de confiance. Pour bénéficier de la présence des éléments et de la beauté de l’île, des sorties sur le littoral sont proposées. Avec Michel Baranger Évelyne Chapon Agnès Gueuret Elyane Kaiser Marie Médète Claudie Ossola Marie-Claude Peyvieux Louise de Ravinel Danielle Réal et Bernadette Onfroy et la participation de Clara Achour Guillemette de Grissac

Atelier d’écriture du 26 août au 1er septembre 2012 à ...kergallic.org/IMG/pdf/le_livre_des_soleils_2012.pdf · Et celle qui rutile sur les eaux de la mer et celle qui triomphe

Embed Size (px)

Citation preview

1

LE LIVRE DES SOLEILS Atelier d’écriture du 26 août au 1er septembre 2012

à Kergallic Belle-Ile en mer

Olafur Eliasson, The Weather project, Londres, 2003

Après le sable, l’air et l’eau, c’est donc le feu solaire, avec sa force et sa vitalité, sa présence dans l’île et sur l’océan, qui nous invite à l’écriture. Il s’agit d’écrire sur un thème commun, à partir de propositions diverses, dans un esprit d’échange et de confiance. Pour bénéficier de la présence des éléments et de la beauté de l’île, des sorties sur le littoral sont proposées. Avec

Michel Baranger Évelyne Chapon Agnès Gueuret Elyane Kaiser Marie Médète Claudie Ossola Marie-Claude Peyvieux Louise de Ravinel Danielle Réal

et Bernadette Onfroy et la participation de Clara Achour Guillemette de Grissac

2

J1 Lundi 27 août 2012 Van Gogh … Ecriture spontanée à partir d’une reproduction du tableau de Van Gogh : MOISSON AVEC FAUCHEUR, 1889 (Essen, Museum Folkwang) Regarder simplement, sans analyse, sans réflexion, pour soi-même, y repérer un ou des éléments qui s’adressent à vous …

Dans les vagues colorées et ensoleillées du tableau, j’observe une petite maison gris-bleu …

aussitôt un souvenir d’adolescence émerge … Elyane

Le cercle solaire le bleu des montagnes les vagues tourbillonnantes des blés l'arbre solitaire comme l'homme au travail le ciel strié d'ombres le mas au creux de la colline est-ce une eau, un chemin entre l'habitation et le champ ? Agnès

« Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été […]

cette faucille d’or dans le champ des étoiles », rêvait Booz endormi.

Il peut toujours rêver, celui-là… et moi, je sue sous le soleil descendu sur ma peau, au bout de ma faucille brûlante, si petite, si mince pour couper cet immense horizon de blé, indéfini, trop vaste pour mon écrasante journée de labeur qui ne finira qu’à la nuit. … Michel

« Les cyprès me préoccupent toujours, je voudrais en faire des choses comme les toiles des tournesols, parce que cela m’étonne qu’on ne les ait pas encore faits comme je les vois… c’est la tache noire dans le paysage ensoleillé, mais elle est une des notes noires les plus intéressantes, les plus difficiles à taper juste… il faut les voir ici, contre le bleu, dans le bleu pour mieux dire ». Van Gogh, Lettre à Théo.

3

2° étape Écrire un récit à partir d’éléments du texte précédent.

La boule jaune

Elle a quatre ans, elle est belle, elle est vive, elle est noire. Jupette rose dans le vent, elle

court dans la prairie, virevolte avec le chien, s’arrête sous le prunier et croque une prune

tombée. Elle m’aperçoit : « Tu viens me pousser à la balançoire? Encore encore, jusqu’à

60 ! » Son grand-père sort devant la maison…Oh ! Assez de balançoire ! Encore un tour dans

la prairie, elle cueille trois fleurs qu’elle me tend « Tiens, c’est pour toi »

Elle rejoint son grand-père et rentre à la maison, furette dans le porte-parapluie d’où elle tire comme elle peut un bâton plus grand qu’elle et va dans la salle à manger. Elle s’allonge par terre, bâton à la main et le glisse sous le monumental buffet cherchant à en ramener quelque chose… en vain. Elle appelle à l’aide son grand-père qui l’a suivie et la regarde. Quelques poussières, de vieux patins, et puis enfin une toute petite boule jaune roule sur le parquet : ah ! la voilà la petite boule jaune que Manou m’avait donné. La petite se relève, pensive et immobile passe la boule d’une main dans l’autre. Elle regarde son grand-père : c’est Manou qui me l’avait donnée, eh bien Manou, elle est morte maintenant.

Marie

Labeur

[…]

…Et puis un jour de grande détresse, elle rencontra le soleil qui ne la quittera plus. Depuis ce jour là, aucune sensation d’oppression, d’étouffement, de solitude ne l’a plus jamais vaincue complètement .Elle vit tranquille, sans craindre la mort, heureuse d’exister et de respirer à son rythme. Sa vie n’est pas seulement faite de labeur ; elle est en marche. Un soleil mystérieux l’accompagne et rend magnifique cette marche laborieuse, aussi belle qu’une peinture de Van Gogh.

Danielle

Lecture en harmonie avec le thème : Une robe solaire, d'Ananda Devi

J 2 SOLEIL ET LUMIERE pour un « pas de deux »

De nombreux mythes célèbrent le soleil. Comme la cosmogonie des Incas par exemple où il est question de « cinq soleils ». Même si les scientifiques d’aujourd’hui ont modifié notre perception du soleil – des « soleils » et de l’univers. Pour autant l’art n'a pas fini de s'emparer à sa manière du thème solaire. (Cf document) Il ne s’agit pas d’un cours de littérature mais de « mettre en appétit », d’inciter à l’écriture et de proposer des références (cf « Documents »en annexe)

4

Les déclencheurs d’écriture sont empruntés à des poètes (contemporains) et à un écrivain « solaire »Albert Camus, dans L’été. Deux personnes écrivent à partie d’un même début :

Autour c’est le silence ; Tu appuies ton front contre la vitre ; Si nous devons vivre en exil ;

J’ai le goût de la lumière ; Il est midi, le jour lui-même ; Au milieu de la journée ; Au milieu

de l’hiver, j’apprenais …

J’ai le goût de la lumière.

J’aime me lever à l’aube pour la voir émerger de la nuit.

Pointer d’abord délicatement comme une jeune fille qui rentre du bal dans sa robe de

mousseline blanche, les boucles en désordre.

La lumière d’aube ferme en silence le rideau d’une vie secrète et s’enveloppe dans le

manteau des nuages et grandit.

Mais alors on n’y prend plus garde.

Pourtant j’ai le goût quand même de la lumière de plein jour, celle qui fait des taches claires

l’été entre les feuilles des arbres des squares : petits éclats, petits clins d’œil.

Et celle qui rutile sur les eaux de la mer et celle qui triomphe sur les pics des montagnes.

Là où j’habite il faut que le soleil entre, comme l’héliotrope à l’ombre je m’étiole.

J’ai le goût des lumières faibles, celle de la bougie, un halo réduit qui tremble sur l’intimité

d’un petit espace.

Celle du crépuscule quand on se trouve avec quelqu’un dans un jardin et que l’on ne se voit

presque plus, j’ai le goût de la lumière à peine.

J’ai le goût de la lumière des mots qu’on chuchote dans l’ombre : petits vers luisants, féérie

du silence.

J’ai le goût de leur lumière quand elle doit couler en cascade et en torrent pour écraser

maint piteux mensonge.

La lumière, je la goûte au présent, je l’ai comme un goût sur la langue et si jamais elle venait

à me faire défaut j’aurais, il me semble, comme on a le goût du sel sur la peau, une

empreinte de la lumière aimée.

Marie-Claude

J'ai le goût de la lumière. Me tourner vers elle, tourner mon visage vers la beauté de la

lumière. C'est pour ça que la cuisine est mon lieu préféré. Je choisirai toujours ma cuisine,

pas la bibliothèque, pour travailler. Je choisirai toujours ma cuisine, pas ma chambre, pour

écrire. La chambre est sombre, mais ma cuisine a le degré parfait d'ensoleillement.

J'ai le goût de la lumière, de la gaieté, de la beauté. En Irlande, j'ai choisi de regarder les

montagnes et les lacs à travers la lumière qui transperce les gouttes de pluie. Dans les pubs,

J'ai choisi de regarder les musiciens sous les spots qui éblouissent le bois sombre.

Mais à Dublin, la nuit m'a rattrapée. C'est la fin du voyage, en marchant dans les rues très

propres de la ville ensoleillée, le sac au dos, l'appareil photo à la main, c'est l'homme à terre

que je vois, roulé dans son duvet comme un escargot. Il s'est installé dans un renfoncement,

5

sous un immeuble, il s'est vraiment installé parce que, dans ses cartons autour de lui, je vois

qu'il y a une volonté d'agencement, je vois bien que la petite boite à gauche est une table de

nuit. Il a dû avoir très froid, le duvet est remonté jusqu'à son nez. Mais ses deux yeux

dépassent, ils s'ouvrent et se referment sous les rayons du soleil, je vois bien que ses yeux

les cherchent, qu'il tend le cou vers la lumière. Il a dû être comme moi autrefois, il a dû avoir

une pièce préférée dans son appartement, il a dû un jour, lui aussi, choisir une destination

pour ses vacances. Louise

« Au milieu de l’hiver, j’apprenais qu’il y avait en moi un été invincible » (Camus Retour à Tipasa)

J’ai le goût de la lumière.

Qu’elle s’appuie sur un objet même quelconque.

Sur une plante en graines rondes, une contremarche d’escalier ou un pied de chaise.

Le duvet d’une femme. Ou. Et.

J’ai le goût de la lumière depuis l’enfance.

Souvent, j’étais seul avec elle et sa fidélité consolide ma maison de plein air. Ma vision. Mes

yeux.

Joël Bastard

Van Gogh Coucher de soleil sur les blés

6

Il est midi

Il est midi, le jour lui-même, le soleil au zénith, tout indique qu’il est midi. La roche de granit scintille sur la plage du Pouldu à l’ouest du Morbihan, cet été 70. Aujourd’hui maman prépare une purée pour l’enfant qu’elle portait l’an dernier dans une robe pourtant ajustée. Elle maudissait alors les rondeurs nouvellement arrivées. Aussi quelle idée, cette robe courte aux motifs bananes sur fond marron qu’elle avait osée !

Evelyne

2° Consigne : l’écriture en miroir. Il s’agit de réagir au texte de l’autre.

. L'incendie Autour, c'est le silence, elle est arrivée à la fin ou au commencement. Autour, c'est le silence non pas un silence gris nuageux mais un vrai silence, parfumé des senteurs des garrigues, bercé par les mouvements du soir. Bientôt les grillons vont chanter. Elle attend le vrai silence, celui qui se fait présence, laisse couler les larmes, emplit le cœur de tendresse, élève au dessus des peurs, des colères, laisse surgir les passions.

Du haut de la colline devant le mas des Alpilles, elle contemple; elle s'enveloppe de crépuscule. Stridulation discrète dans les herbes. Juste pour elle un insecte frotte ses élytres. C'est le joueur de violon. Risée, les arbres bruissent sous le vent. « N'aie pas peur » chuchotent-ils, « nous sommes là avec toi ». Une mouche la frôle. Vrombissement

Elle est assise sur une roche encore tiède du soleil de la journée.

Plus bas, au loin, aux abords du maquis les incendies sont circonscrits. A peine quelques nuages de fumée montent vers le ciel.

C'est toujours pareil dans la région, les fous de feu, ivres de soleil embrasent la forêt. Elle ne comprend pas.

Les arbres suffoquent, la faune fuit, jusqu'au dernier moment les gens s'accrochent à leur maison condamnée. Ils l'ont construite avec amour rêve par rêve, pierre par pierre. Tout est calciné.

Il faudra tout recommencer. Ici ou ailleurs. Replanter, reconstruire, revivre, remourir toujours et encore.

Autour, c'est le silence. Les senteurs d'écorce tiède la rassurent. Toujours le silence parle plus fort que les paroles. Toujours les senteurs s'exhalent à cette heure. Un papillon se pose sur une fleur mauve ; fragilité de la beauté. Un lézard vient la rejoindre sur la pierre chaude. Ce coquin la regarde rêver.

Cette décision qu'elle croit devoir prendre pour l'avenir a-t-elle vraiment lieu d'être ?

S'en remettre au silence autour, le vrai bon silence du soir, celui dont nait la confiance.

Claudie

7

Incendie – écho

Le silence s’est installé dans une vacuité fertile. Elle ressent soudain tout ce qui l’a construite jusqu’à ce jour, tout ce qui la fabrique et la remplit. Une mouche bourdonne, une cigale en sourdine essaie un son de violon. Un arbre la salue, frottement de deux sèves qui se comprennent. Tous ici l’accueillent. Tous lui disent ces mots qui l’enrobent. Pourtant elle se dérobe. Car tous aussi disent le désastre qui suit la vision d’enfer. Alors, s’entêter à scruter le ciel, très haut, pour ne plus voir cette fumée diffuse qui bientôt se mêlera au nuage. Souhaiter que vite, vite. Vite, une pluie salvatrice vienne laver ce cratère. Que la nuit reste à la porte et que du fond noir du ciel se reconstruisent les astres. Que seuls lui suffisent le bleu de l’azur et le rêve d’une touffe de lavandes en fleurs.

Elyane

Lectures à haute voix des textes à la librairie Liber and co, à Palais.

J3 POESIE ET FORMES

A partir du poème d’Octavio Paz in Liberté sur parole

MAJUSCULE

Crête-cri de l'aube qui flambe. Premier œuf, premier coup de bec, cou coupé, allégresse! Des plumes volent, des ailes se déplient, des voiles se gonflent, des rames plongent dans le matin. Lumière sans rênes, lumière cabrée, la première ? Écroulements de cristaux qui dévalent la montagne, temples de glace à rompre les tympans. Elle n'a pas de saveur, elle n'a pas d'odeur, l'aube, l'enfant sans nom, encore sans visage. Elle arrive, elle avance, elle titube, elle s'éloigne. Elle laisse une traîne de

8

rumeurs qui ouvrent les yeux. Elle se perd en elle-même. Et le jour en colère écrase de son pied une petite étoile.

Proposition: choisir un élément du poème puis tirer au sort une forme : journal intime, lettre, récit, conte, recette, dialogue, mémoires, monologue ...»

Kergallic le 29 Aout 2012

Bonjour Alexis,

Je suis à Kergallic, le soleil sur mon visage, soleil de fin d’été entrecoupé d’averses.

Soleil instable. Soleil cou coupé disait Guillaume Apollinaire à propos du soleil couchant, trivialement arraché à son aura romantique, un soleil de sang. Dans les temps anciens, en Crète, chez les Aztèques, le Dieu Soleil voulait du sang, dans des rites flamboyants avec plumes et cymbales, le sang du roi ou des jeunes hommes, un sang glorieux, on n’offre pas en sacrifice ce qui est exténué. […]

Extrait lettre de Marie Claude

Allégresse

… Ensuite, être précis et exigeant sur les produits, ne choisir que ce qui renverse les sens. Se laisser surprendre aussi. Laisser venir à soi l'amertume, les larmes. Leur faire rendre toute leur eau. Battre la colère avec vigueur, jusqu'à l'apaisement. Ensuite, mélanger directement avec le reste, l'amour fou et le rire. Se rendre au repos, dormir. Se réveiller enfin, choisir l'endroit, choisir quelqu'un ou personne. Déguster tous les possibles. Extrait « Recette » de Louise

J4 Camus et le soleil zénithal

Dans toute l’ œuvre de Camus, on trouve la présence du soleil zénithal. Cf L'été où sont évoqués des mythes : Prométhée, le Minotaure, etc. Il y évoque les terres de l'innocence : « Il est midi le jour lui-même est en balance … moment d'équilibre où le monde n'est pas plus lourd à porter qu'une petite pierre. »

« Avec tant de soleil dans la mémoire, comment ai-je pu parier sur le non-sens ? On s’en

étonne autour de moi ; je m’en étonne aussi parfois. Je pourrais répondre, et me répondre,

que le soleil justement m’y aidait et que sa lumière, à force d’épaisseur, coagule l’univers et

ses formes dans un éblouissement obscur. » Albert Camus L’énigme p 85, in L’été. Proposition : s’affronter au soleil zénithal, avec la présence du soleil comme acteur, et avec la contrainte suivante : écrire à la deuxième personne : « tu » ou « vous ». Le choix de la forme est libre.

9

Mère solaire – années 60

Mère solaire, aux cheveux blonds, à Carrefour, du haut de tes talons, tu pèses les fruits et tu

maudis cette robe marron au motif bananes tendue sur ton ventre rond.

Chez Gardet, rue Royal, dans cette grande librairie d’Annecy aux fenêtres hautes, construite

en étages et demi-étages, le plancher craque sous le pas alerte du vendeur plus jeune que

toi, qui descend les escaliers, devant toi. Pendant que tu passes commande, tu m’autorises à

rester entre les rayonnages du secteur enfants et à regarder les livres de la bibliothèque rose

ou de la bibliothèque verte. Quelquefois tu achètes Alice ou Fantômette.

Dans la rue ensoleillée tu t’arrêtes, avec plaisir tu discutes de la pédagogie Freinet, avec un instituteur rencontré lors du dernier stage de recyclage. Il plaisante, tu ris. Puis comme en aparté, tu t’exclames : « Intéressant cet homme. Il rayonne ! » A midi tu rentres chez Mamie, je te suis, c’est jeudi ! Evelyne

Midi, le juste

Soleil,

ami de l'océan,

de ses vagues secrètes :

abîmes que tu guettes

comme si au zénith

ta seule occupation

soit d'y semer de l'or ! […] Agnès

Autan d’août

Te souviens-tu de cette matinée d’août sur la Garonne ? Au terme de cet été grisonnant du Morbihan, tu es venu saluer cette nouvelle petite

fille. Alma ne s’était pas trop pressée à remonter des eaux chaleureuses de la piscine maternelle ; elle avait choisi les premières heures de l’Assomption pour pointer son petit nez et sa tignasse brune sous le pâle soleil nocturne de la salle de travail.

Depuis trois jours, tu es là, à l’hôtel des Beaux-Arts, découvrant à ton lever les eaux miroitantes du fleuve. Mais rien qu’à franchir le Pont Neuf pour te rendre à l’appartement de la rue du Pont Vieux, il y a déjà de quoi tomber en chemin sous le poids de la canicule débutante. Tu t’es un peu attardé dans la belle cave voûtée de l’hôtel où on sert le petit déjeuner et tu as négligé la cour voisine de l’hôtel d’Assézat et le grand porche de la Daurade, te décidant enfin à rejoindre l’immeuble de ta fille.

Dès la sortie de l’hôtel, le couperet du soleil montant s’est abattu sur tes épaules. Pourtant le spectacle de la courbe du fleuve au pied du Château-d’eau et de l’Hôtel-Dieu s’étale, grandiose, sous ton regard fatigué. Les friselis du vent d’autan agitent les oriflammes occitans et les frondaisons de la Prairie des filtres. Et il te faut tenir ton panama d’une main pour le retenir de s’embarquer vers le Nord-Ouest.

À pas comptés, tu as marché vers l’autre rive, atteignant enfin les ombres des anciennes ruelles. Mais quand tu as sonné au bas de la maison, aucune voix n’a répondu ; le gardien t’a ouvert et tu as gravi les trois étages sans ascenseur. Porte close ! Cécile et

10

Chantal ont dû emmener les petits jusqu’aux jeux de Toulouse Plages. Tu décides de les y rejoindre, affrontant les degrés croissants. Les platanes du cours Dillon t’ont d’abord protégé et le miroitement de la Garonne t’a un instant fasciné. Mais la réverbération du sable blanc et chaud t’a bientôt sauté à la figure. Des enfants très dénudés s’y ébattent pourtant, se disputant seaux et pelles sous le regard alangui de leurs mères. Tu as bien vite cherché un banc à l’ombre des peupliers et des saules, près de la rive. De petites flaques de soleil dansent sur l’eau, fendue par les avirons des champions.

Toi, tu n’es plus un champion, le dos vaincu par ta lombalgie, les épaules écrasées par la température tropicale. Tu t’es pourtant traîné un peu dans les allées à la recherche de la femme et des enfants. En vain ! Et le soleil monte dans l’azur, même tamisé par la ramure des arbres et la brise du fleuve. Tu t’es écroulé sur un banc de bois dur, dépité, abandonné de ceux que tu cherchais ; de toute façon, tu n’aurais pas eu la force de jouer avec Abel, de faire risette au bébé sous son ombrelle.

Tu te sens plus bas que Sisyphe, incapable de rouler ce rocher de feu qui te menace et t’entraîne

Michel

Bientôt le soleil Imaginez une toile blanche tendue à l’horizontale, fixée par des liens entre deux arbres d’un côté, et la façade d’une vieille maison de village de l’autre. Vous êtes arrivé jusque-là. Vous avez gravi une petite rue en pente grossièrement pavée. Vous avez aimé traverser la vieille ville. Il fait frais à cette heure matinale et vous vous surprenez à craindre le soleil de midi. Vous êtes installé sous cet auvent léger, dans une chaise longue. Devant vous une petite estrade, un homme y règle un micro. Vous l’observez. Dans un moment ici, un poète chilien viendra lire ses poèmes. C’est lui que vous avez choisi d’écouter ce matin. Un peu plus loin, un texte inscrit sur une grande banderole ondule entre deux maisons. De votre place, vous pouvez lire : « J’irai encore dans des endroits cachés qui m’ont appartenu.. » (1) Voix Vives de la Méditerranée. Voix venues du soleil. Voix parfois chaudes, parfois terriblement écorchées, brûlantes de l’actualité de leur pays. […] Il fait doux ce matin. Bientôt le soleil inondera la ville et vous chercherez encore ces endroits aérés, abrités, émouvants. « On le sait pour qu’un son résonne, il faut du silence et de l’espace tout autour.. » Elyane

11

J5 GALAXIES !

À la fin du XVI° siècle Giordano. Bruno avait eu l'intuition que l’univers était plus vaste que ce que l’on enseignait. L'intolérance de ses contemporains face à ses idées l'ont conduit au bûcher. A chaque époque, dans chaque civilisation, on s’interroge devant l'immensité des espaces inter sidéraux. Et cette interrogation, cette émotion aussi, nous pouvons en faire au quotidien l’expérience. Il suffit de lever la tête vers les étoiles qui sont autant de soleils et nous laissent entrevoir et imaginer les galaxies.

La nuit étoilée de Vincent van Gogh (1889)

GALAXIES, telle est l’unique consigne et la grande liberté de cette dernière étape.

Contemplation

Elle est seule devant le mas dans le silence du soir. D'une des fenêtres ouvertes du village monte un air de flute Irlandaise. C'est un enfant qui joue «My heart will go on». Il hésite, recommence, ne va pas jusqu'au bout de la mélodie.

La lune nappe le village de paix. Les étoiles une a une s'allument. Elle n'ose pas bouger, n'ose plus respirer. Ne pas déranger l'immensité. Elle voudrait reconnaître Vega, Altaïre…. elle voudrait leur dire qu'elle les aime. Elles sont trop loin, trop haut, trop belles, comment leur faire savoir ?

Peut- être que si les humains regardaient les étoiles tous les soirs, ils ne se battraient plus.

A qui veut- elle envoyer ce message ?

Elle commence par ses enfants, ses amis, cet homme qu'elle a rencontré, la France, les continents, la terre entière …

12

La voute céleste s'agrandit, s'agrandit encore. Sa respiration à elle se fait ample. Myriades de terres et de soleil, espaces intersidéraux. Elle se remémore la dernière phrase d'un roman d'Andreï Makine, « il n'avait jamais vu, d'un seul regard tant de ciel ».

Ses pieds se collent à la terre. Je suis Claudie se dit elle.

Elle fait quelques pas. Le vaste est en elle. Elle est le tout, elle est unie aux souffles des mondes.

L'enfant, l'air de flute, les brins d'herbe, l'infiniment petit et l'infiniment grand se rencontrent à cet instant.

Enfin, l'enfant réussit à jouer l'air jusqu'au bout sans fausse note, la mélodie est claire, elle se dit que l'étoile juste au dessus doit s'appeler Clara. Elle sourit, il commence à faire frais.

Elle pousse la porte du mas qui grince un peu. Elle pensera à y mettre de l'huile.

Claudie

Galaxie NGC 4911, photo site de la NASA

Vertige Qui suis-je moi, femme de 69 ans dans l’immensité de l’univers ? Un grain de sable qui a pourtant sa place et participe sans le savoir au mouvement perpétuel des astres. Car tout bouge sans cesse avec la nuit, le jour, les saisons, les années. Tout se tient dans un équilibre mouvant. Il y a pourtant des tsunamis, des tempêtes, des volcans qui crachent le feu sans prévenir. L’univers est toujours en expansion. Cela donne le vertige. Mais l’homme avance dans cet inconnu ; il marche sur la lune, il envisage d’aller sur Mars, pourtant si lointaine. L’exploration des étoiles dans notre galaxie progresse de jour en jour.

13

Mystère que ces galaxies qui nous dépassent et qui ont, sans nul doute, une influence sur nous. Je pense à Vincent, un ancien élève dont la douceur et la profondeur du regard m’émouvait et m’échappait toujours ; j’ai parfois des nouvelles par ses parents, très fiers de lui : il est devenu astronome.

Danielle

Univers Étoiles et comètes au dessus de nos têtes se rient de nos efforts à étendre vers elles nos désirs de connaître. Sur le Pic du Midi quand s'ouvre la coupole c'est de nuit qu'il s'agit, seule porte d'entrée sur l'univers immense. Et la question demeure : « ténèbres » n'est pas nuit, soleil n'est point « lumière » ; quelle obscure alchimie dans le creuset du ciel déplace entre les astres le tracé des frontières ? Est-ce le télescope ou une autre lunette Inventée pour aller pénétrer les espaces qui nous renseignera ? Le mathématicien sur son ardoise écrit équations et calculs. L'astronome reprend, la Nasa fait le reste. Mythologie absente, Ariane tend son fil au moindre satellite. Hélas ! Trois fois hélas ! Au milieu des étoiles désormais nos engins tournent sans foi ni loi ! Poète, que fais-tu ? Mais lave donc ! Récure étoile après étoile, soleil après soleil, pour nous rendre à nous-mêmes ! Depuis toujours tu sais : la profondeur des cieux ne se mesure pas à ses « super nova » mais à ce don précieux de miroir qu'elle tend à nos sens aiguisés. Galaxie est en moi autant de points d'argent intimement tissés au gré des voies, lactées ou noires, côtoyées, traversées au long de mes années. Peu importe leurs noms : Saturne, Orion, Vénus, chariot, losange ou croix, comète ou météore !

14

Du magma de la terre à la clarté des astres, l'univers est en moi. Galaxie, je m'appelle et rien jamais ne m'ôtera la musique infinie que tout être me livre quand, en fermant les yeux, j'accueille en moi ses ondes. Agnès

LIRE et/ou relire les auteurs cités :

CAMUS Albert L’été 1954 ? Gallimard, Folio et édition électronique

CAMUS Albert, L’étranger, Folio et édition électronique

CORTAZAR Julio Les Armes secrètes 1951, Folio

DEVI Ananda Jaune : Une robe solaire, nouvelle parue dans « le Monde » du 06/08/2010.

FUENTES Carlos, Terra Nostra, 1977, Folio

NERUDA Pablo, J’avoue que j’ai vécu, 1975 Folio

PAZ Octavio Pierre de Soleil ; L’arc et la lyre ; Liberté sur parole, Poésie Gallimard.

Le texte de Joël BASTARD (né en 1955) est tiré de Au dire des pas, Dé bleu. Vous trouverez Joël Bastard sur le

net (Blog, Printemps des poètes, « Voix Vives » etc.)