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18 formation | mise au point OptionBio | mardi 19 mars 2013 | n° 486 La brucellose a été décrite à Malte par les méde- cins britanniques vers 1850, pendant la guerre de Crimée. Le bacille responsable a été isolé par David Bruce en 1887 (figure 1). En 1905, Themistocles Zammit travaillant à Malte constate que toutes les chèvres de l’île sont positives pour le test de Wright et conclut à une anthropozoonose. La brucellose avait disparu de France depuis 2005, la dernière épizootie chez les moutons et les chèvres remontant à 2003. Une surveillance annuelle est réalisée par des tests sérologiques (Rose Bengale et fixation du complément) dans les élevages selon les réglementations européennes (64/432/EEC et 91/68/EEC puis 2009/976 EU). En outre, tout avortement de ruminant doit entraîner un contrôle supplémentaire. | Figure 2. Une vache atteinte = troupeau abattu ! Brucellose Un cas humain dans les Alpes En France, la brucellose est une maladie à déclaration obliga- toire (n° 16), les cas humains devant être vérifiés par le Centre national de référence (AFSSA, Maisons-Alfort). De 2002 à 2011, 219 cas ont ainsi été notifiés, dont 183 cas (84 %) chez des patients ayant consommé des produits laitiers dans des pays d’endémie, 14 cas (6 %) chez du personnel de laboratoire mani- pulant des souches de Brucella, et 17 cas (8 %) concernant des rechutes de brucellose antérieure. Or, en janvier dernier, un cas de brucellose humaine a été diagnostiqué dans les Alpes. Ce patient, n’ayant pas voyagé, n’étant ni fermier, ni éleveur et n’ayant pas eu de contact avec des laboratoires de biologie, a été considéré comme un cas « autochtone », ce qui a déclenché une série d’investigations sanitaires, même si aucun autre cas humain n’a été signalé depuis. Une enquête sanitaire : le Reblochon ? En effet, en avril, suite à un avortement chez une vache laitière dans une ferme de la même région des Alpes, le diagnos- tic de brucellose est affirmé, en isolant la souche Brucella melitensis biovar 3 (la plus fréquente) du lait de cette vache. Cette vache appartenait à un troupeau de 21 vaches laitières, dont aucune autre ne présentait de symptômes cliniques ni biologiques (figure 2). Mais l’application de la législation française a entraîné l’abattage de tout le troupeau, avec une analyse des ganglions lymphatiques des animaux abattus. Les cultures sont restées négatives, sauf pour deux vaches, dont la vache index, mais la PCR a permis de déceler 4 autres animaux positifs. L’enquête vétérinaire dans les fermes avoisinantes est restée négative. L’origine de cette épidémie reste inexpliquée : contact avec un animal importé d’un autre élevage éloigné ou avec un animal sauvage, comme les chamois (qui peuvent être porteurs de cette même souche) ; l’enquête n’est pas close. DR DR DR | Figure 1. David Bruce (1855-1931).

Attention, la brucellose revient en France!

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OptionBio | mardi 19 mars 2013 | n° 486

La brucellose a été décrite à Malte par les méde-cins britanniques vers 1850, pendant la guerre de Crimée. Le bacille responsable a été isolé par David Bruce en 1887 (figure 1). En 1905, Themistocles Zammit travaillant à Malte constate que toutes les chèvres de l’île sont positives pour le test de Wright et conclut à une anthropozoonose.La brucellose avait disparu de France depuis 2005, la dernière épizootie chez les moutons et les chèvres remontant à 2003. Une surveillance annuelle est réalisée par des tests sérologiques (Rose Bengale et fixation du complément) dans les élevages selon les réglementations européennes (64/432/EEC et 91/68/EEC puis 2009/976 EU). En outre, tout avortement de ruminant doit entraîner un contrôle supplémentaire.

| Figure 2. Une vache atteinte = troupeau abattu !

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BrucelloseUn cas humain dans les AlpesEn France, la brucellose est une maladie à déclaration obliga-toire (n° 16), les cas humains devant être vérifiés par le Centre national de référence (AFSSA, Maisons-Alfort). De 2002 à 2011, 219 cas ont ainsi été notifiés, dont 183 cas (84 %) chez des patients ayant consommé des produits laitiers dans des pays d’endémie, 14 cas (6 %) chez du personnel de laboratoire mani-pulant des souches de Brucella, et 17 cas (8 %) concernant des rechutes de brucellose antérieure.Or, en janvier dernier, un cas de brucellose humaine a été diagnostiqué dans les Alpes. Ce patient, n’ayant pas voyagé, n’étant ni fermier, ni éleveur et n’ayant pas eu de contact avec des laboratoires de biologie, a été considéré comme un cas « autochtone », ce qui a déclenché une série d’investigations sanitaires, même si aucun autre cas humain n’a été signalé depuis.

Une enquête sanitaire : le Reblochon ?En effet, en avril, suite à un avortement chez une vache laitière dans une ferme de la même région des Alpes, le diagnos-tic de brucellose est affirmé, en isolant la souche Brucella melitensis biovar 3 (la plus fréquente) du lait de cette vache. Cette vache appartenait à un troupeau de 21 vaches laitières,

dont aucune autre ne présentait de symptômes cliniques ni biologiques (figure 2). Mais l’application de la législation française a entraîné l’abattage de tout le troupeau, avec une analyse des ganglions lymphatiques des animaux abattus. Les cultures sont restées négatives, sauf pour deux vaches, dont la vache index, mais la PCR a permis de déceler 4 autres animaux positifs. L’enquête vétérinaire dans les fermes avoisinantes est restée négative. L’origine de cette épidémie reste inexpliquée : contact avec un animal importé d’un autre élevage éloigné ou avec un animal sauvage, comme les chamois (qui peuvent être porteurs de cette même souche) ; l’enquête n’est pas close.

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| Figure 1. David Bruce (1855-1931).

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En même temps, une alerte sanitaire a été déclenchée concernant les fromages « Reblochon » fabriqués dans cette ferme (figure 3), soit environ 20 kg par jour. En effet, ce fro-mage, fait à partir de lait cru, nécessitant une période de maturation de 3 à 4 semaines, a été commercialisé avant la découverte du diagnostic de brucellose dans le troupeau. Les lots de fromage ont été retirés du commerce et les médecins de la région ont été prévenus. L’identification des souches du patient et de la vache a montré la concordance des deux souches. Un interrogatoire plus poussé du patient a alors permis de retrouver la notion d’une visite de cette ferme quelques mois auparavant, avec la consommation de fro-mage « Tome blanche », stade précoce de la préparation du Reblochon. Aucun autre visiteur n’a fréquenté cette ferme depuis cette visite.

Une anthropozoonose cosmopoliteLa brucellose, ou fièvre de Malte, ou encore mélitococcie, est due à des coccobacilles, Gram -, aérobies, très résistants dans la nature Brucella melitensis, B. abortus bovis et B. abortus suis (figure 4). Cette affection est cosmopolite, mais son incidence a beaucoup régressé en Europe du Nord et en Amérique du Nord. Elle est encore assez fréquente en Asie, en Amérique latine et en Afrique, avec une incidence moyenne de 500 000 cas par an, selon l’OMS. Son contrôle est difficile car il existe de nombreux réservoirs animaux (ovins, caprins, bovins, porcins, camélidés, cervidés) chez qui la maladie provoque des avortements. La contamination humaine s’effectue de façon directe (manipu-lation de produits d’avortements, de placenta, de litières) chez les professionnels (éleveurs, vétérinaires, bouchers) ou indirecte par ingestion de produits laitiers.Après pénétration digestive ou parfois cutanée (excoriation), le germe dissémine par voie lymphatico-sanguine pour atteindre le foie, la rate, la moelle osseuse ou les organes génitaux. Là, il survit dans les macrophages en formant une réaction lympho-plasmocytaire granulomateuse.

Dans la grande majorité des cas, l’affection reste asympto-matique. En cas de brucellose aiguë septicémique de primo-invasion, apparaissent progressivement une fièvre à 38 °C, ondulante, « sudoro-algique », une asthénie, des arthralgies et une hépato-splénomégalie dans 40 % des cas. Au bout de quelques semaines ou mois, peuvent survenir des rachialgies, une sacro-iléite ou une arthrite coxo-fémorale. La forme chro-nique se manifeste par une asthénie physique et psychique, des polyalgies et un syndrome dépressif.

Diagnostic : isolement du germeLe bilan biologique usuel n’est pas démonstratif : leuco-neu-tropénie, élévation modérée de la CRP et des constantes hépa-tiques. Le diagnostic ne peut être affirmé que par la mise en évidence de la bactérie par hémoculture. La PCR peut être prati-quée sur les divers produits pathologiques. Les sérodiagnostics (séroagglutination de Wright, technique Elisa et immunofluores-cence indirecte) manquent de spécificité. Il en est du même du test au Rose Bengale (figure 5).Le traitement est basé sur les antibiotiques : doxycycline asso-ciée aux aminosides. La rifampicine est à éviter en première intention, car il y a environ 20 % de souches résistantes à ce produit. La prophylaxie est basée sur le contrôle régulier du cheptel et des aliments d’origine animale ainsi que sur les mesures d’hygiène (gants, vêtements de protection, lavage des mains) chez le personnel professionnellement exposé. |

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

PATRICE BOUREE1, ALIREZA ENSAF2

1. Consultation des maladies tropicalesInstitut Alfred- Fournier, Paris.

2. HSF, Le Kremin-Bicêtre.

SOURCEMailles A, et coll. Re-emergence of brucellosis in cattle in France and risk for human health. Eurosurv 2012;17: pii 20227.

| Figure 4. Brucella. | Figure 5. Test au Rose Bengale.

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