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JUIN 1994 volume 9, numéro 38 AVALANCH PORTES OUVERTES L'AVALANCHE fait boule de neige BULLETIN DE LIAISON DU REGROUPEMENT PROVINCIAL DES MAISONS D'HÉBERGEMENT ET DE TRANSITION POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE

AVALANC JUIN 1994 • volumHe 9, numéro 38bv.cdeacf.ca/CF_PDF/1994_06_3028_1994v9n38.pdf · particulièrement touchées par l'assassinat de Ginette Desjardins, coordonnatrice de

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JUIN 1994 • volume 9, numéro 38

AVALANCHP O R T E S O U V E R T E S

L'AVALANCHE

fait boulede neige

BULLETIN DE LIAISONDU REGROUPEMENT PROVINCIALDES MAISONS D'HÉBERGEMENT ET DE TRANSITIONPOUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE

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Remerciements

Merci à toutes celles qui, depuisletoutdébutdel'Avalanche,se sont impliquées dans le comité de coordination du bulletin deliaison. Certaines y ont participé quelques mois et d'autres, desannées, mais toutes y ont investi de l'énergie et un temps énormeà concevoir le contenu de chaque numéro, à écrire des articles"dans la solitude", à solliciter les autres pour des sondages, desidées, des entrevues, à retranscrire, et surtout à trouver des titres!Toutes ont contribué à la richesse de notre bulletin qui, sans elles,n'auraient pu vivre jusqu'à ce jour:

Marie Adornetto, Danielle Berthiaume, Marie Bisaillon,Colette Breton, Denise Caron, Jacinthe Filion, Louise Geoffrion,Michaôlle Jean, Ginette Lambert, Ghyslaine Legros, DeniseLemieux, Louise de Margo, Nazili Mulford, Diane Prud'homme,Pierrette Robitaille, Linda Lee Ross, Ginette Thibault.

Nous remercions aussi tous les membres du comité exécutifqui, à tour de rôle, ont rempli la page du Mot de l'exécutif, parfoisanonymement sous le couvert du comité exécutif, parfoisouvertement Fleurette Boucher, Rachel Boutin, Colette Breton,BritaBrown,AndréeCôté,LilianeCôté,IsabelleDrolet,CharlotteGirard,LorraineGodard,Eli2abethHarper,MadeleineLacombe,Jocelyne Martin, Jocelyne Nadon, Lise Rossignol, DeniseTremblay.

Et enfin, nous ne pourrions passer outre toutes celles quiont envoyé des textes, des articles de journaux à paraître, desinformations, des témoignages, des suggestions, des lettres ouver-tes, des textes anglais à traduire, celles qui ont accepté d'êtreinterviewées ou d'écrire sur commande, celles qui, comme leRassemblement des intervenantes-enfants, ont demandé une chro-nique sur les jeunes (COUCOU) ou Ginette Thibault qui aura sunous amuser avec sa rubrique MINE ET RUMINE.

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AVALANCHE PORTES OUVERTES • JUIN 1994

SOMMAIRE

Editorialpar Diane Prud'homme

1986

1. Quand la passion est une arme!par Michaëlle Jean

1987

2. Les femmes hébergées nous regardent!par Michaëlle Jean

3. De la nécessité de la luttepar Madeleine Lacombe

4. Une place pour les enfants et lesadolescentes vivant en maisond'hébergement par Claudine Pierre

5. La victimisation des femmespar Andrée Laf rance

6. Les limites des maisons dans la préventionpar Madeleine Lacombe

Les recommandations par Marie Adornetto

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1988 16

7. La sexualité blessée par Michaëlle Jean 16

8. Être ou ne pas être par Diane Prud'homme 18

9. Les batteurs de femmes: bourreaux ou victimes ?editorial du Châtelaine par Martine Démangeet réponse par Diane Prud'homme 20

10. Les principales luttes des maisonspar Madeleine Lacombe 22

11. Ça change quelque chose dans ma vie ?parGuylaineDucharme 24

1989

12. Veux-tu savoir la dernière ?par Diane Prud'homme

13. Et si un jour... par Madeleine Lacombe

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14. Quand le gouvernement analyse la violenceconjugale sous l'angle familialistepar Elizabeth Harper

15. L'affaire Chantai Daigle par Andrée Côté

16. Quand la colère gronde en nous!par Diane Prud'homme

1990

17. Elles étaient une fois... mes intolérancespar Pauline

Les événements de Poly par Liliane Côté

1 8. Voter pour voter... 50 ans plus tard!Conférence de Armande St-Jean,transcrite par Denise Caron

19. Le burnout dans l'équipe ou l'épuisementféministe par Pierrette Robitaille

20. Nos relations d'amoure féministes,lesbiennes par Louise de Margo

21 . La reconnaissance économique à prendrepar Rachel Boutin

Sorties par Jacinthe Filion

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2 -Avalanche Portos OUWKW juin 1994

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1991

22. Horrore, moi et les fêtespar Dominique Bilodeau

23. Le dire ou pas le dire par Ginette Thibault

24. La pauvreté des femmes: une violenceéconomique par Linda Lee Ross

25. E=MC2 ou embonpoint = mauvaiseconscience2 par Ginette Thibault

26. Quand il y a du sang, est-ce que ça fait plusmal ? par Linda Lee Ross

1992

27. C'est quoi, selon toi, une féministe en 1992?par Denise Caron

28. Il n'y a pas de racisme en maison, mais...par Charlotte Girard

29. Peur de la colère par Colette Breton

La peur des différences par Marie Bisaillon

30. Mon mec à moi par Diane Prud'hommeSors-tu avec quelqu'un qui...par Colette Breton

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31. Pareilles, pas pareilles, on s'appareilleRésumé de la conférence de Roxanne Simard:"Une femme en santé: d'où vient cetteextra-terrestre?" par Diane Prud'homme 67

1993 69

32. Résistance des médias aux différentesanalyses sociales et politiques des groupesféministes par Denise Lemieux 69

33. On ne naît pas femme, on le devientpar Ginette Lambert 72

34. Le mythe de l'instinct maternelpar Ghyslaine Legros 74

35. Histoire d'une militante: Madeleine Lacombepar Diane Prud'homme 76

Le militantisme par Denise Lemieux 78

36. Et toi, Diane, où en est ta relation au pouvoir?extrait d'une entrevue avec Diane Lemieuxpar Diane Prud'homme 79

Le pouvoir! Quel pouvoir?... En avons-nous?En voûtons-nous? Pour quoi faire?par Louise Riendeau 80

1994

37. Quand l'histoire de la violence faite auxfemmes s'écrit sur deux roues ou labicyclette comme objet de socialisationpar Denise Tremblay 81

Coordination : Diane Prud'hommeComité du recrutement des textes : Colette Breton,Denise Lemieux, Micheline Pelissier, Diane Prud'homme,Pierrette Robitaille.

Page couverture : Ginette ThibaultMise en pages : Avant-propos liéeImpression : Imprimerie DistinctionDépôt légal : 4e trimestre 1986

REGROUPEMENT PROVINCIAL DES MAISONS D'HÉBERGEMENT ET DETRANSITION POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE

5225, rue Berri, bureau 304, Montréal Qc H2S 2S4Téléphone : (514) 279-2007 Télécopieur : (514) 279-4109

Avalanche Portes ouvertes-juin 1994- 3

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4 -Avalanche Portes ouvertes-juin 1994

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EDITORIAL

L'Avalanche fait boule de neigeDiane Prud'homme

U n journal, un bulletin de liaison, un "entre nous", réclament lesintervenantes des maisons d'hébergement, réunies en assemblée

générale annuelle. On est en 1985. "Un lieu privilégié pour se connaître,échanger sur nos pratiques, témoigner de nos réalités, réfléchir sur notreanalyse, s'informer sur ce qui se fait ici et ailleurs, avancer ensemble et,surtout, laisser place à la parole des femmes hébergées, des travailleuses etdes militantes. Une parole "libre", à l'abri des jugements et de la censure!Un journal ànotre image, quoi!, qui nous ressemble, avec nos mots, avec nosréalités, fait par des femmes pour des femmes.

Dès 1986, une permanente duRegroupement est mobilisée sur le"dossier bulletin", un concours est lancé(pour y trouver un nom) et un comité demilitantes est peu à peu formé; le ventest dans les voiles, l'excitation dans lesairs, et le journal commence à prendreforme.

D'abord, un nom. Quel nomportera-t-il? Le concours porte fruit(même s'il n'y avait pas de prix pour lesgagnantes!), des suggestions nousparviennent de partout parmi lesquel-les le Conseil d'administration doittrancher. C'est à la région 08 Abitibi/Témiscamingue que revient l'honneurpour sa proposition: L'AVALANCHE;nom qui nous aura toutes séduites pourla citation de Florence Luscomb (1910)sur ce que représente une avalanche:

"Rien au monde n'est plusfragile qu'un flocon de neige et rienn'est plus Irréversible qu'uneavalanche! Mais une avalanche n'estrien déplus que des milliers de floconsde neige. Ainsi, si chacune de nous,petit flocon de neigeJaisait simplementsa part, notre force serait irréversible".

Ensuite, un contenu. De quoinoircirons-nous nos pages? Dechroniques régulières(motderexécutif,lu vu entendu, revue de presse, flash

cubes, droitdeparole,etc.),d'un dossierthématique par numéro, choisi à partirde l'actualité, de sondages, d'entrevues,de témoignages, d'opinions. Et le tout,écrit de la main, non pas de journalistes,mais bien de militantes, de femmes etd'enfants hébergés, de travailleuses etde membres des conseils d'admi-nistration. C'est le réseau tout entier quise met à l'écriture!

Et enfin, la forme. Cinq paru-tions par année, tirées chacune à 100exemplaires et distribuées gracieu-sement aux maisons membres à raisonde deux exemplaires par maison. Lebudget étant h'mité, la facture est simple,et le journal, mince.

Nous voilà en novembre 1986 etun premier Avalanche fait son appa-rition. Le mouvement des maisons voitenfin naître son journal !

Depuis, l'Avalanche fait boulede neige. D'un 13 pages, il est passé à45; d'un tirage de 100 exemplaires, ilest passé à 300. Il y a maintenant destravailleuses, des femmes hébergées etdes militantes qui sontpersonnellementabonnées.

D'un contenu très ciblé sur laproblématique et la réalité des maisonsd'hébergement, il s'ouvre de plus enplus à des intérêts variés qui touchent

tous les aspects de la condition de viedes femmes.

L'intérêt pour l'Avalanche faitaussi boule de neige. De plus en plus,des intervenantes, fières de leur journal,demandent à étendre sa couverture àd'autres réseaux. En même temps, desgens de l'extérieur, exposés à l'Ava-lanche "par hasard", sollicitent unabonnement. Il n'existe nulle partailleurs un journal "spécialisé" sur leterrain de la pratique en violenceconjugale.

Que faire? Autant nous voulionsconserver le caractère intimiste etpresque "familial" de l'Avalanche, avecsa facture toute simple, autant nousreconnaissions l'importance d'ouvrirnos portes. La question fut tranchée:sur cinq numéros par année, il y en auraquatre pour l'interne et un Portesouvertes pour tout le monde.

C'est ainsi que vous avez sousles yeux, le tout premier bulletin Portesouvertes, L'Avalanche fait boule deneige, une rétrospective des 37 numérosdéjà parus sur 8 ans. Rétrospectivequelque peu sommaire, me direz-vous,puisqu'un seul article d'environ deuxpages par numéro fut sélectionné par uncomité de lecture, qui avait pourconsigne de retenir des articles qui cor-respondent le plus possible au dossierattitré. Tâche ingrate, nous enconvenons, que de choisir 80 pages surune possibilité d'environ 1000. Enfin,budget oblige!

Vous trouverez donc dans cetteAvalanche Portes ouvertes les 37 articlesretenus, laissés dans leurforme originaleet dans toute leur simplicité.Pour chaquearticle, est inscrit le titre du numérod'où il est tiré et la date de parution.

Alors voila, place à la lecture dupremier AVALANCHE PORTESOUVERTES.

wMHfttoiiiin 1004.

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volume 1, numéro 1, novembre 1986 : Les femmes assassinées

Quand la passion est une arme!M ichaëlle Jean

Malgré le fait que ce soit la première édition de VAvalanche et que l'équipe déborded'enthousiasme, nous avons tout de même choisi de s'attaquer à un sujet grave: celui desfemmes assassinées par leur conjoint. Et ce, tout d'abord parce que nous avons étéparticulièrement touchées par l'assassinat de Ginette Desjardins, coordonnatrice de laMaison des femmes de la Côte-Nordetmembre du Conseil d'administration du Regroupement,survenu en septembre 1986, et aussi parce que le nombre de ces homicides conjugaux va enaugmentant, et l'idée est insupportable. Ce numéro se veut donc un hommage à Ginette et àtoutes les autres femmes assassinées par leur conjoint.

P artout dans chacune desrégions du Québec, une

maison d'hébergement, un parent ouune amie porte le deuil d'une femmeassassinée par son conjoint. Destininsolite, drame passionnel, fatalité, dira-t-on. Le mutisme reste complet et legeste criminel est vite étouffé, camouflésous le sceau du privé. Embarras,sentiment d'impuissance ou torpeur,taire ces meurtres,c'est en quelque sorteles cautionner.

L'ambiguïté demeure dans letraitement de la violence surtoutlorsqu'elle survient en contexte familialou conjugal. Des femmes en meurent,des enfants sont terrorisés et la tolérancepopulaire est désarmante. En effet, lesmentalités sont encore largement im-prégnées de préjugés véhiculés pendantdes siècles et voulant qu'un homme aitle droit d'agir comme il l'entend àl'endroit de "sa" femme. Le vieil adage"bats ta femme tous les jours; si tu nesais pas pourquoi, elle le sait" fera peut-être sourire ceux et celles qui le croientd'une autre époque et révolu, mais dansles faits, il estcruellementd'actualité. Ilsuffit de lire certains propos tenus parles médias ou même par nos tribunaux,pourréaliseràquelpointl'on incriminefacilement la victime en la rendantresponsable des méfaits sur sa personne:il s'agira d'une femme infidèle et d'un

mari lésé, d'une épouse provocatrice etd'un hommepresqu'en légitime défenseou à bout de nerfs. Toutes lesexplications et tous les prétextes amenéspar les meurtriers pour se justifier serontadmis et il s'en tirera à meilleur comptequ'un autreaccusé d'une fraude mineurepar exemple. Une étude menée à traversle Canada par le Women's ResearchCenter de Vancouver, a démontré que90 % de la population canadienne estimequ'un homme ne battera ou ne tuerajamais une femme sans que cette der-nière ne porte une part de responsabilité.

Combien de victimes encorepour déclencher l'alarme?

Il y a un côté amer à l'idée dedevoir compiler statistiquement lenombre de femmes torturées ou mises àmort par leur conjoint, pour amener unepopulation et ses dirigeants politiques àréagir. Tout esprit soucieux du respectde l'intégrité et des droits de chaqueindividu devrait bondir à l'idée qu'unefemme, ne serait-ce qu'une femme aumonde, puisse subir un tel sort. La so-ciété québécoise actuelle s'est peut-êtrelibéralisée en adoptant, entre autres,une charte des droits de la personne plusconséquente, mais elle n'est pas moinstributaire des valeurs misogynes

colportées par l'histoire et elle tendencore aujourd'hui à perpétuer ou ànormaliser dans le couple des rapportsde force dominant/dominée.

Au cours de la dernière décennie,le mouvement féministe aura beaucoupdit et beaucoup fait pour permettre auxfemmes de s'affranchir du statu quo,mais l'incrédulité, le silence etl'injusticesont encore des géants à "abattre" pourdénoncer la gravité du contrôle absoludes hommes sur les femmes par laviolence. Pour y arriver, des donnéesqui soulignent l'ampleur du phénomènedes femmes assassinées par leur conjoints'imposent. Les statistiques à cet effetont été jusqu'à tout récemment unedenrée très rare. Il aura fallu, une fois deplus, l'initiative ou la pression desgroupes de femmes pour que soit miseen évidence la proportion des femmesviolentées par leur conjoint et de cellesqui en meurent. Les statistiques dontnous disposons présentement provien-nent du Centre canadien de la statistiquejuridique à Ottawa. Ces chiffres préci-sent le nombre de femmes (mariées etconjointes) assassinées au Canada parleur mari ou conjoint ainsi que le pour-centage de ces homicides par rapport aunombre total des meurtres commis enmilieu familial (père-mère-frère-soeur-oncle-tante-enfants-cousin-cousine) de1981 à 1984.

6 • Avalanche Pbrtasouwwtes'juin 1994

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Année

1981

1982

1983

1984

Femmes assassinées

80

77

83

63

%

41,7

37

38,4

32

Les statistiques pour l'année1985 seront disponibles dès décembre1986, or récemment, ne serait-ce quesur le territoire de la Communautéurbaine de Montréal, l'escouade deshomicides de la police locale dénombraittrois fois plus de "drames passionnels"comparativement à la même époquel'an dernier (Le Journal de Montréal,21 août 1986, p.3).

Le tableau est d'autant plussombre que ces statistiques n'incluentpas les femmes qui décèdent à plus oumoins long terme des suites de mauvaistraitements.

Une femme sur sept est violentéephysiquement, psychologiquement ousexuellement par son conjoint, au périlde sa vie et souvent même de celle deses enfants.

La justice? deux poids, deuxmesures

Les seules expressions "dramepassionnel" et "crime passionnel"couramment utilisées par le systèmejudiciaire laissent entendre qu'uneconnotation différente est apportée auxcrimes commis dans un contexte conju-gal. Le caractère souvent crapuleux deces meurtres est nettement atténué parles tribunaux qui ne perçoivent pas

comme des criminels ces maris ou cesconjoints, mais voient le geste meurtriercomme un accident de parcours, uneperte de contrôle, un signe de désespoir,une tragédie. Les sentences prononcéesparlent d'elles-mêmes: rappelons-nousle cas de Diane Nemey poignardéeplusieurs fois et mutilée par son mari,l'accusation de ce dernier sera réduitepar la couronneàhomicide involontaire.

Un article de la Presse Cana-dienne rapporte le témoignage d'unreprésentant de la justice qui affirmeconnaître "beaucoup de cas où deshommes ont prémédité la mort de leurfemme. Us ont acheté une arme à feu,des m imitions et ontattendu la premièreoccasion pour s'en débarrasser. Os sontgénéralement condamnés à trois ans deprison, peine qui est toujours réduitepour bonne conduite. En règle générale,ils sont libres au bout de deux ans etmême d'un an seulement." (La Presse,Montréal, mardi 10 décembre 1985).Le harcèlement, lesmenaces, les sévicesantérieurs, infligés à la femme par sonconjoint ne seront pas toujours retenuscomme preuve suffisante par la cour.Les hommes plaident la "provocation",les procureurs de la couronne acceptentfacilementcette défense et renchérissenten faisant le procès de la victime et enlaissant entendre que l'homme qui netue "que" safemme.n'estpas dangereux.

Fatalité ou pas, il faut surtout

voir venir le pire

À la mort de notre amie Ginette,coordonnatrice de la Maison des femmesde la Côte-Nord à Baie-Comeau, PierrePascau, chroniqueur d'une émission deradio àMontréal, posait en ondes laques-tion suivante: "Comment une femmeavertie, impliquée dans une ressourcequi vient en aide aux femmes victimes deviolence, une spécialiste de la question,peut-elle connaître une telle fin?"

À nous de répondre qu'aucunefemmen'estàl'abrid'une telle situationet, lorsque comme Ginette, elle prendratous les moyens nécessaires pour sesoustraire à cette violence, elle risqueraencore le pire. Pourtant, les femmesparlent de menaces de mort proférées àleur endroitpar leur conjoint, ellesdisentaussi le harcèlement qu'elles subissentet leurs inquiétudes. On aura tendance àvouloir les rassurer, à nier le danger ouà sous-estimer le risque. Les policiersdisent disposer de peu de moyens pourgarantir toute protection aux femmesqui en font la demande, ils seront aussiréticents à appliquer l'article du codecriminel stipulant qu'une accusationpeut être portée dans les cas de menaceset que lorsque le moindre indice laissecroire qu'il y a danger que lecontrevenant mette ses menaces àexécution, le policier peut procéder àune arrestation.

En ce qui concerne les femmeshébergées dans nos maisons, il estimportant que nous demeurionsvigilantes à leur départ car, la périodecritique est souvent celle qui suivral'hébergement: c'est le moment où leconjoint la sachant seule, cherchera à laterroriser ou à s'en prendre de nouveauà elle. Il est de notre devoir d'informerles femmes des recours possibles, de lessensibiliser à la gravité des menaces, deprévoir avec elfes des stratégies. (...)Nous devons nous défaire de l'emprisede la pudeur et de la réticence àenfreindre tes limites du privé.

AvalanchePBrtssotMWtB»-juin 1994- 7

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volume 2, numéro 2, janvier 1987 : las maisons d'hébergement., vous connaissez?11 " .J-L......................... ,.,,,

Les femmes hébergées nous regardent!Michaëlle Jean

L'année 1986 tire à sa fin, lesmaisons d'hébergement auront

franchi le cap des 10 ans. Une petite histoirelaborieuse qui témoigne de la volonté desfemmesàconcrétiser leurs actions pour lutteret riposter contre la violence en milieuconjugal, solidairement (solidement), entrefemmes. Les premières ressources pourfemmes victimes de violence voyaient lejour en 1975, dix ans plus tard un véritableréseau, plus de 40 maisons, s'est constitué etcontinue de se ramifier.

L'action des bâtisseuses, au-delà del'aide directe apportée à des milliers defemmes violentées par leur conjoint, visaitaussi à verser la problématique sur la placepublique et à susciter une mise en branle del'engrenage politique et gouvernementalquant aux droits des femmes à l'intégrité, àla protection et à la réparation. Nous avonsforcé nos interlocuteurs ministériels àprendreposition en matière de violence faite auxfemmes en milieu conjugal. Du côté public,l'affluence des femmes dans chacune desmaisons d'hébergement mise sur pied,témoigne de l'impact de nos campagnespour diffuser notre raison d'être et les servicesque nous offrons. Les maisons servent aussi,presque généreusement, de "terrain d'essai"à des centaines d'étudiantes chaque année.

La preuve n'est pas à faire, plusieurssavent aujourd'hui qu'il existe un recourspour les "femmes battues''. Mais quelle estla perception des femmes hébergées face àleur séjour en maison d'hébergement ?Quelles sont leurs recommandations ?

Le Regroupement a invité lesanciennes hébergées à leur assembléegénérale de 1983 à prendre la parole pourqu'elles nousfassentpart de leurs perceptionsquant à l'amélioration possible des servicesofferts en maison etdes conditions de vie desfemmes.

m Tableau des recommandations

Que dans toutes les maisons soit aménagée unesalle de détente ou de repos qui soit plus calme.

Que l'on conserve ou que l'on ouvre desmaisons qui respectent l'aspect familial soit de4 ou S familles maximum.

Que la distribution du lait se fasse dans nosmaisons au même titre que dans nos écoles.

Que l'intimité des femmes soit préservée enayant des chambres fermées à clé.

Qu'à la demande d'une femme hébergée,l'animatrice intervienne pour faire respecter lesrèglements de la maison.

Que des rencontres soient organisées danschaque maison pour les ex-résidentes. Onsouhaite également des rencontres d'ex-résidentes au niveau régional et provincial.

Que dans chacune des maisons soit établi unprogramme d'activités manuelles, sportives ouculturelles tant pour les femmes hébergées quepour leurs enfants et ce, à l'intérieur de lamaison comme dans le quartier.

Que toutes les maisons assurent à la femmehébergée un service de halte garderie.

Que les maisons organisent un cours de relationd'aide pour les ex-résidentes qui veulent fairedu bénévolat à la maison.

Que chaque maison ait une banque delogements temporaires accessibles pour lesrésidentes qui ont des difficultés de relogement.

Que du personnel, soient exclus les hommes.Cependant, un homme pourrait, s'il estcompétent, faire de l'intervention auprès desenfants comme bénévole.

8 • Avalanche Portes ouvertes- juin 1994

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Que dans toutes les maisons soit assuré leservice de nuit par une animatrice auminimum.

Que le personnel soit mieuxformé pour donner l'information précisequant aux droits et aux services des femmeshébergées.

Que les maisons d'hébergement soientpublicisées dans les ressources et les autresorganismes tant locaux que régionaux ouprovinciaux.

Qu'une seule animatrice soit la personne deréférence auprès d'une femme hébergéependant et après son séjour.

Que les résidentes soient informées dans lesmaisons où un dossier personnelest ouvert, que l'accès à ce dossier par larésidente et la confidentialité soientassurés.

Qu'aucune concession ne soit faite par leRegroupement provincial sur la question del'application de la directive voulant que lesmaisons perçoivent un pourcentage de l'aidesociale versée aux femmes hébergées.

Que la gratuité pour les femmes hébergées soitmaintenue dans toutes les maisons.

Que le Regroupement provincial forme unComité de Surveillance qui recevra les plaintesquant aux droits et aux services assurés par lesmaisons. Ce dit Comité serait formé d'unmembre du conseil d'administration duRegroupement provincial, d'une travailleuse etd'une ex-résidente.Les résidentes devront être informées del'existence de ce Comité.

S'il existe des moments où nos convictions sontébranlées, il en est d'autres où tout fait sens, où le geste estsans équivoque, où les mots viennent d'eux-mêmes. J'aiplaisir à me rappeler ces deux jours de juin ' 83 où pour moi,"la cause" s'enrubannait de couleurs que j'aimais. L'air deréjouissance dans mon coeur, c'était toutes ces femmes,"anciennes hébergées", au même banc que "nous autres",animatrices et membres du Conseil d'administration. Lesfemmes nous regardent, me disais-je, elles sontquotidiennement témoins de nos actions, il faut les entendre,il faut leur permettred'en rendre compte. L'élan de solidaritédont a découlé un réseau d'entraide et de lutte contre laviolence faite aux femmes, un mouvement politiqueimportant, se faisait plus cohérent et tenait tête au maternageet à la condescendance à l'endroit des femmes. Donner laparole aux femmes que nous hébergeons n'est pas fairepreuve de générosité ou d'ouverture d'esprit, c'est êtreconséquentes avec nous-mêmes.

Par ces quelques recommandations, des femmes,anciennes hébergées, y ont mis du leur, non pas à titre de"bénéficiaires" d'un service mais avec un désir profond des'impliquer et d'entrer dans la ronde. À les relireattentivement, trois ans plus tard, il est heureux de constaterque leur contribution n'aura pas été vaine car plusieurséléments de ces recommandations qu'elles nous ontsoumises, ont été repris à la lettre par un bon nombre demaisons: ne serait-ce qu'en termes d'amélioration des lieuxphysiques, de la réflexion sur l'intervention, des programmesde suivi, des activités pour les enfants, des principesmaintenus (gratuité, confidentialité, ne pas hypothéquer lesprestations d'aide sociale des femmes hébergées, etc.), de laprésence d'anciennes hébergées au sein des équipes detravail et des conseils d'administration, de la mise endisponibilité d'une animatrice la nuit, etc.

Quant à la toute dernière recommandation pour un"Comité de surveillance", là aussi, nous prenons les moyensen conséquence. Comment? direz-vous. En revendiquant unfinancement décentpour des conditions de travail optimales(anti burnout). En se donnant une "charte" sur la qualité denotre intervention. En allant à fond, comme nous n'avonsjamais cessé de le faire, dans des programmes de formationconçus à partir de nos ressources au Regroupementprovincial, à l'image de nos principes fondamentaux et desdroits que nous revendiquons, en fonction de ce qui fait desmaisons une ressource alternative de première ligne.

Chacune de ces démarches témoigne de notrevigilance quant au maintien de nos engagements à l'endroitdes femmes victimes de violence.

Avalanche Portesowertef juin 1994- 9

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volume 2, numéro 3, mars 1987 : Travailler an mason d'hébergement... Oui, mais à quel prix ?

De la nécessité de la lutteMadeleine Lacombe pour le Comité exécutif

E

Insidieusement, lesinterventionsgouvernementalesont infériorisé letravail des maisonspar rapport à celuidu réseauinstitutionnel.Insidieusement,parce que sondiscours parlait dereconnaissance sansjamais admettre quela reconnaissancepassait par le pouvoiréconomique.

n février 1979 naissait leRegroupement provincial

des maisons d'hébergement. Au-delàde créer des liens et des échanges entreles maisons, leRegroupement avait prin-cipalement deux objectifs: porter sur laplace publique la problématique desfemmes victimes de violence et assurerle développement à travers le Québecd'un réseau universel de maisonsd'hébergement.

Si le premier objectif a étélonguement atteint, le second nous amenées à travers diverses péripéties quipourraient maintenant coûter la vie àcertaines maisons si nous ne réagissonspas! Quant aux autres maisons, si leursurvie immédiaten'estpas compromise,il faut bien voir que c'est l'essencemême en mouvement qui est remise encause.

Mouvement qui était né de lavolonté des femmes à vouloir sortir dulong et ténébreux couloir de notrehistoire, de notre conditionnement àêtre soumises, possédées, dominées.Mouvement qui a couvé longtemps, ensilence, avant d'éclater au grand jour,avant de percer les murs du silence etd'étendre ses rayons aux autres femmes.

Mouvement par lequel nousvoulions redonner aux femmes laconfiance en soi. La confiance en soi,c'est la valeur que l'on s'accorde,l'importance que l'on se donne et laconviction que nul n'a le droit de nousagresserphysiquement, verbalement oupsychologiquement Que nul non plus,n'a le droit de nous exploiter et de nousdominer. Cette confiance, elle doit nousvenir de l'intérieur, d'un intérieur parfoislointain parce qu'il a été écrasé pendanttant et tant d'années.

Chassez le "conditionnement",et le voilà qu'il revient au galop!L'urgence des luttes, les conditionsmisérables dans lesquelles nous devons

opérer, le manque de ressources ont eugain de nos grands espoirs. Doucement,sans s'en rendre compte, nous avonsaccepté comme travailleuses, militantes,bénévoles, femmes, d'être exploitées,et non reconnues. Doucement, nousavons crû que cette non-reconnaissanceétait "normale" tout en continuant àtenir auprès des femmes hébergées notrediscours de reconnaissance, deconfian-ce en soi, d'autonomie; doucement, sansnous rendre compte "qu'on ne donnepas ce qu'on n'a pas".

Insidieusement, les interventionsgouvernementales ont infériorisé letravail des maisons par rapport à celuidu réseau institutionnel. Insidieusement,parce que son discours parlait dereconnaissance sans jamais admettreque la reconnaissance passait par lepouvoir économique.

Nous devons maintenant prendreconscience de nos conditions commefemmes, travailleuses et militantes. Lesfemmes cessent d'être inférieures lejour où elles se découvrent exploitées.À ce moment seulement, elles peuventrefuser les limites que les autres leur ontimposées, en l'occurrence les gouver-nements actuels et précédents dans ledossier des maisons d'hébergement. Àce moment seulement, nous ressentironsla nécessité de rompre avec ceux quinous maintiennent dans l'ombre et lanon-reconnaissance. À ce moment seu-lement, nous pourrons nous affirmercomme étant notre principal élément dereconnaissance; parce que la recon-naissance comme la liberté, ça ne sedonne pas, ça se prend! On ne peut sesentir puissantes si socialement etpolitiquement, on n'a aucun pouvoir.

La lutte pour le financementadéquat des maisons d'hébergement etde transition pour femmes victimes deviolence est un retour aux sources, àl'essence mêmedumouvementque nousavions amorcé quelques 10 ans plus tôt!

10 • Avalanche Portesoumtes-juin 1994

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volume 2, numéro 4, juin 1987 : Pis moLI

Une place pour les enfants et les adolescent(e)s vivanten maison d'hébergement

Claudine Pierre

D epuis le tout début desmaisons, les enfants et les

adolescent(e)s des femmes violentéesont toujours été accueillis, mais au coursdes années, les maisons d'hébergementse sont rendu compte qu'il faut faire uneplace "plus grande" aux jeunes hébergésparce qu'ils sont, eux aussi, témoins ouvictimes de violence.

Oui, ces enfants sont tous témoinset/ou victimes de violence". Ils ont vuou vécu des scènes qui les ont troubléset même parfois traumatisés. Eux aussi,ilsontbesoind'aide! Comme leur mère,ils arrivent en maison dans un état decrise. Ils sont inquiets et insécures, etparfois très perturbés. Ils viennent dequitter leur père ou l'ami de leur mère,leur domicile, leurs amis et souvent,leur école. La plupart n'ont pas étéconsultés, ni informés; ils n'ont eu qu'àsubir la situation et à suivre leur mère. Ils'avère donc important et primordial deleur expliquer ce qui arrive dans leurvie; et la façon de le dire peut varierselon leur âge et leurs capacités. Ils ontbesoin de comprendre, d'être écoutés,rassurés et sécurisés tout autant que leurmère. Sinon, comment peuvent-ils sesentir aimés et acceptés?

De plus en plus, nous prenonsconscience de l'ampleur des besoinsdes enfants hébergés, et sommesconvaincues qu'il faut engager des inter-venantes qui s'occupent spécifiquementd'eux. Il est aussi nécessairequ'on metteà leur disposition des locaux adéquats,soit une salle pour les enfants et unepour les adolescent(e)s.

Il va sans dire que, pour leurbien-être, il faut prévoir l'accès à unecour ou à un terrain de jeu, à proximitéde la maison d'hébergement.

Hélas, plusieurs maisons n'ontaucune intervenante auprès des jeunes.Et les maisons qui en ont déjà uneréalisent quec'estnettementinsuffisant,

car chaque enfant exprime des besoinsdifférents selon son âgeetlesproblèmesrencontrés dans sa famille. De plus,cette animatrice doit viser dans sonintervention la consolidation de larelation entre la mère et ses enfants.

Certaines résidences manquentd'espace intérieur et extérieur pour lesjeunes tandisqued'autres, ont des piècesréservées pour eux ainsi qu'une courbien aménagée. Nous pouvons doncconstater que certaines maisons sontassez fonctionnelles, d'autres le sontmoins.

Toutefois, je crois que la plupartdes maisons s'entendent pour affirmerl'importance de faire de la préventionauprès de ces jeunes. Ils sont des can-didats potentiels pour reproduire ou poursubir cette même violence. Il faut doncleur montrer à ne pas la normaliser, nepas la tolérer ou ne pas tenter de lareproduire. Il faut, en fait, briser le plustôt possible la longue chaîne de laviolence familiale.

Il faut comprendre aussi quel'enfance est un stade important dans ledéveloppement de l'individu et touteperturbation importante peut lui nuirepour sa vie future. Ainsi, notre milieudoit permettre à l'enfant de traversercette situation de crise dans un climat decalme, de sécurité et de confiance. Bref,il faut lui donner la place qui lui revientet lui faire sentir qu'il est important,qu'il est une personne à "pan entière".

D'ailleurs, malgré le manque depersonnel et le peu de ressourcesdisponibles pour les jeunes dans nosmaisons, nous pouvons tout de mêmeconstater, durant le séjour, certainschangements dansleurs comportements.Ils sont plus sociables et plus positifsqu'à leur arrivée. Ils ont aussi plus defacilité à s'exprimer et à s'extérioriser.Ils sortent de leur séjour plus calmes etdétendus.

pour le Rassemblementdes intervenantesauprès des jeunes

Nul doute que les maisons déploientun effort considérable pour faireune place importante aux jeunes,

mais il n'en demeure pas moins quele manque de ressources financières

nous empêche de développer etd'améliorer les servkes déjà offerts.

H revient donc à nous,intervenantes auprès des femmes et

des enfants, de sensibiliserdavantage les gouvernants et la

population afin que tous accordentune attention plus grande aux

adultes de demain.

Rebâtir la famille en crise en aidantdès aujourd'hui les parents de l'an

2000, est un défi de taille qu'ilincombe à tous et à toutes de

relever.

Avalanche Portesoweites- juin 1994- 11

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volume 2, numéro 5, septembre 1987 : ta victimisation; un nouvel éclairage sur la violence conjugale

La victimisation des femmesAndrée Lafrance

L a victimisationdes femmes est un

processus qui nous amène àtolérer la violence. Ce qui veutdire que dès notre enfance, onapprendra à développer unseuil de tolérance à la violencetrès élevé et à développer laperception que, quoi que nousfassions, nous n'avons pas decontrôle sur notre vie, que nousne pouvons pas améliorer notresituation, que nous sommesperdantes d'avance; ce qu'onappelle le sentiment d'im-puissance.

Cette analyse de laviolence, développée par laRiposte des femmes, nousdonne un nouvel éclairage surla problématique de la violencefaite aux femmes parce qu'ellenous permet d'explorer notreréalité de façon différente;d'abord, pour être en mesurede reconnaître la violence quinous es t faite et pour être capa-ble de reconnaître les moyensque nous avons développéspour résister et pour se défendrecontre la violence.

Nous ne sommes pasconscientes de la façon dontnous résistons à la violence.Nous sommes plutôt amenéesà nous percevoir comme desfemmes soumises, dépendan-tes, passives, qui se résignent àsubir la violence, qui ne sedéfendent pas et qu'il y a desfaçons adéquates et inadé-quates de réagir.

C'est ainsi que nousapprenonsàdéfînir notre réalitéen fonction du regard que l'onpose sur nous.

Nous apprenons très jeunes à vivre avec un climat de menace, de peur;nous apprenons toutes petites la menace du viol par le harcèlement sexuel età vivre avec cette peur, à la contrôler, à la cacher parce qu'en contre-partie,l'entourage nous dit que nous sommes peureuses, que nous exagérons la peurressentie, que nous dramatisons la situation. Notre entourage, nos parentsnous mettent en garde contre les dangers d'agression et nous conseillent dene pas se laisser accoster par des étrangers, de ne pas leur parler, de ne pass'approcher de tel oncle, de ne pas se promener nue dans la maison, de ne passortir à la noirceur.

En fait, on nous met en garde d'un danger sans nous expliquerexactement contre quoi nous avons à nous protéger et comment nousdéfendre. Tout ce que nous comprenons, c'est que certaines situationspeuvent être dangereuses et que si nous ne sommes pas assez prudentes, nousrisquons de nous faire agresser.

Puisque nous ne pouvons identifier la nature du danger dont on nousparle, tout ce qui est extérieur nous semblera menaçant La peur que nousressentons cessera de devenir un signal d'alarme puisqu'il deviendra pournous un état habituel d'être continuellement aux aguets. Nous apprenonsdonc à anticiper le pire et cette façon de réagir deviendra notre façon d'êtreface à n'importe quelle situation. Ce qui veut dire qu'en tout temps, devantune situation insécurisante, on va vite entrevoir et retenir le scénario le plusangoissant et celui qui nous apparaît hors de notre contrôle, comme parexemple: un rejet, un échec dans le travail, le viol, les coups, un meurtre, etc.

Par conséquent, lorsque nous nous retrouvons avec un conjointviolent, nous avons beaucoup de difficultés à reconnaître le climat de tensiondans lequel nous nous retrouvons et de quelle façon il est maintenu puisqu'ilfait partie de notre état de suivie. Mais, par contre, nous le ressentons puisquenous cherchons à faire baisser cette tension, à surveiller nos paroles, nosgestes pour ne pas le contrarier, à chercher à lui faire plaisir, à calmer lesenfants. Nous cherchons ainsi à nous protéger contre la menace de violencequ'elle soit explicite (menace de coups, injures, menace de rupture, excèscolérique, etc.) ou implicite (par des attitudes, des regards, un silence froid,la rétention des sentiments ou d'approbation, intimidation, etc.).

Notre façon d'entrevoir le pire nous amènera à nous remettre enquestion si la menace n'est pas concrétisée (j'ai dû m'imaginer tout cela) ouà nous responsabiliser si nous nous faisons agresser en comprenant que leclimat de tension aurait dû nous servir d'avertissement

12 «Avalanche tot» «Mîtes-juin 1994

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Quand nous nous faisons agresser, que ce soit au niveau psy-chologique, physique ou sexuel, nous aurons dans un premier temps lesentiment qu'on n'a pas le droit de nous injurier, de nous frapper, de nousharceler sexuellement. Nous nous sentons humiliées et en colère. Noussommes outragées.

Tous les messages que nous avons reçus antérieurement et la réactionde notre entourage feront en sorte que nous annulerons rapidement nossentiments d'outrage: "Tu n'as pas été prudente", "Tu as probablement faitquelque chose qui l'a nus en colère", "Tu n'as qu'à éviter cette personne","Tu as le don de te mettre toujours dans des situations malsaines", que cesoit en minimisant ou en ridiculisant le caractère ou la gravité de l'agressionque nous avons subie, ou en nous en rendant responsables, cela nousamènera à remettre en question notre perception de la situation et notre façond'y réagir.

Nous apprenons à ne pas en parler de peur d'être davantageculpabilisées ou ridiculisées, à nous méfier de nos propres perceptions faceà l'agression en se responsabilisant.

C'est aussi de cette façon que nous apprenons à nous percevoircomme des êtres fragiles, dépendantes, émotives et âne plus reconnaître nosmoyens de défense et notre capacité à réagir aux événements, à prendre desdécisions, à prendre du contrôle sur notre vie. L'invalidation constante denos perceptions nous amènera à développer une surcrédibilité des propos etdes valeurs masculines et à définir notre réalité à partir du point de vue deshommes.

Ainsi, lorsque nous nous faisons agresser par notre conjoint, nossentiments d'outrage, notre colère seront rapidementanéantispar les remordsdu conjoint et par les efforts de celui-ci à justifier ses comportements. Quece soit en minimisant le caractère et la gravité de l'agression, en évoquantles problèmes reliés à la consommation d'alcool ou de médicaments, enprétextant qu'il ne peut contrôler sa violence, en nous répondant que nousdramatisons ou que nous sommes complètement folles, en reprenantrapidement la vie normale de tous les jours, en se montrant affectueuxcomme si rien ne s'était passé ou en affirmant que nous n'avions qu'à ne pasle provoquer; toutes ces réactions et justifications nous amèneront à nousvoir comme responsables des comportements du conjoint et à croire qu'enmodifiant nos attitudes et nos comportements, la violence va se résorber.

En revanche, si nous nous con-formons à l'image et aux rôles qui noussont dévolus, on nous assurera d'unecertaine "valorisation sociale" et de"bénéfices" reliés aux rôles tradi-tionnels.c'est-à-dire une prise enchargeet une protection au niveau économique,émotif et social. Par contre, nous nousretrouvons moins autonomes financiè-rementou carrément dépendantes. Nousdéveloppons des formes de pouvoirindirectes, les formes de pouvoir directesétant considérées pour nous comme del'agressivité. Nous nous sentirons enperte d'identité et de valorisationpersonnelle, parce que cantonnées dansun projet de vie défini d'avance, quandnous nous faisons dire que nous nousoccupons mal de nos enfants, de notreconjoint ou quand nous n'avons pluspersonne de qui prendre soin...

De même la rémission duconjoint contribuera à oblitérer nossentiments d'agressivité et de méfianceen se montrant affectueux, en réalisantdifférentes promesses, en faisantmiroiter les avantages de la survie ducouple ou de la famille, puis se montreradésespéré, voire "suicidaire" s'il y amenace de rupture. Tout ceci main-tiendra un seuil de tolérance élevé àl'agression puisque le conjoint nourritl'espoir qu'il ne sera plus violent sinous répondons à sa demande.

Conséquemment, l'invalidationconstante de nos perceptions constitueune forme de violence en soi puisqu'elleamène à voir les agressions commeinévitables et justifiées.

Avalanche Portes owwtw juin 1994- 13

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volume 2, numéro 6, novembre 1987 : La prévention: un vaccin contre le crime

Les limites des maisons dans la préventionMadeleine Lacombe

A u-delà des limitesqui noussont imposées par une si-

tuation financière encore très précaire,il faut bien comprendre que les maisonsd'hébergement et de transition pourfemmes victimes de violence ne sontpas l'unique solution au problème de laviolence conjugale.

Bien qu'elles sont un élémentessentiel dans l'intervention auprès desfemmes, il est évident que commesociété, nous n'arriverons à quelquechose de très concret (baisse de laviolence) que lorsque tout te milieu sesera totalement impliqué. Par milieu,nous entendons, entre autres, le systè-me judiciaire, le système de la santé etdes services sociaux, ainsi que le publicen général, plus spécifiquement le réseaude relations et de connaissance de lavictime.

Dans beaucoup de milieux enco-re, malheureusement, les intervenantesdes maisons d'hébergement ontla tristeimpression de porter à elles seules lefardeau de la violence conjugale. Nonseulement limitées par des contraintesbudgétaires très réelles, elles sont aussilimitées par la non intervention de leurmilieu. D arrive donc très souvent quecette triste impression se transforme enun sentiment d'impuissance -d'abord,de frustration ensuite.

Frustration quand dans certainesrégions, les femmes ne peuvent plusobtenir de mandat d'aide juridique pourun article 745* (mandat de garder lapaix), alors que l'agresseur, lui (sonmari), profite pleinement de celle-cipour sa défense. Frustration quand lapolice ne prend pas au sérieux desmenaces de coups ou de mort Je mesouviens d'une femme à qui son mariavait répété pendant deux ans - "je vaiste la péter ta tête de cochon". Quand elleest arrivée à la maison d'hébergement,

il venait de lui frapper la tête une dizainede fois sur tes murs en la tenant par lescheveux! Il faut bien comprendre que laviolence est une escalade, les coupsvont toujours finir par arriver.

Impuissance, devant la façondont sont menées certaines enquêtes...La politique d'intervention en matièrede violence conjugale a été un grand pasàbeaucoupd'endroits. n reste cependantencore beaucoup à faire. Frustration etimpuissance aussi quand une femme estallée une dizaine de fois à l'urgenceavec des brûlures, des marques au cou,des coups de "strappes" et que tout lemonde a fermé les yeux et préféré croirequ'elle était tombée dans les escaliers.Frustration aussi quand une travailleusesociale renvoie une femme au foyer enlui disant de faire un effort pour mieuxcomprendre son mari, ou parce que sesenfants aiment beaucoup trop leur pèreetqueceseraitdommageablepoureux...la séparation. Rester là est en fait aussidommageable pour les enfants à causedu climat et des valeurs qu'ils sont entrain d'intégrer. Là aussi un travail desensibilisation se fait, mais beaucouptrop de personnes encore ne veulent paschanger leur "pattern".

Impuissance et frustration enfinquand une femme retourne chez ellesous la pression de sa famille et de lafamille de l'agresseur: "il n'est pas sipire que cela, et puis il amène l'argent,t'as une belle maison". La preuve ultimede la violence du mari apparaît à tout lemonde le jour où la femme estassassinée. Quand le milieu cessera-t-ilde se fermer les yeux? Combien y aura-t-il encore de femmes assassinées parcequ'on ne veut pas entendre les cris chezles voisins, parce qu'on ne veut pas voirles bleus, les yeux continuellementrougis par tes pleurs, l'air apeuré desfemmes victimes de violence conjugale?Combien?

Il y aurait encore tantet tant de choses à dire,

à suggérer, à faire...Pour vous mettre sur la piste,

nous avons choisiquelques recommandations

qui pourraient déjà êtreun début dans te sens de la

prévention du crime!

* Article 745 devenu aujourd'hui l'article810 au code criminel.

14 • Avalanche flwtesowtwfcs'juin 19*»

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Des recommandationsMarie Adornetto

Que faire si votre voisinese fait battre ?

- N'hésitez pas à téléphoner à la police. Cettefemme est en danger et ne peut appeler elle-même.

- Rompez le silence dès que vous vous retrou-vez seul(e) avec votre voisine. Parlez-en luisimplement Peut-être n'attend-elle que celapour se vider le coeur.

- Nelajugezpas;faites-luisavoirquevousêteslà, que vous pouvez l'aider, mais ne prenezpas de décision à sa place.

- De nombreuses ressources existent pour lesfemmes violentées. Référez-la à la maison devotre quartier ou à la ligne téléphoniqueprovinciale SOS Violence conjugale 1-800-363-9010 (pour la région de Montréal :873-9010).

- Offrez-lui de l'aide concrète. Elle est sou-vent épuisée. Offrez-lui, par exemple, del'accompagner ou de garder ses enfantspendant qu'elle fait ses démarches.

- Elle peut porter plainte au criminel contre sonconjoint s'il y a voies de fait ou menacesgraves. Renseignez-vous auprès de votre postede police.

- Si elle refuse de partir de la maison, ne lablâmez pas. Vous lui aurez donné del'information et montré quequelqu'un(e)s'enpréoccupe. Elle s'en rappellera quand ellesera prête. Assurez-lui que vous demeurezdisponible si elle change d'idée.

Aider quelqu'un, ce n'est pas lui direquoi faire, c'est d'abord l'écouter, ensuite l'in-former de ses droits et des recours. C'est aussilui offrir une aide concrète. "Nous, qui faisonsrien, qui abandonnons cette femme et la lais-sons sombrer dans la conspiration du silence,nous sommes tous coupables de non assistanceà une personne en danger".0)

Recommandations au personnel dela santé et des services sociaux

- Écoutez ce que les femmes vous disent!Ouvrez vos oreilles et tentez de décoder lemessage qui peut vous être transmis.

- Organisez-vous pour rencontrer la femmeseule. Si son conjoint est avec elle et insistepour être présent, expliquez-lui que ce sontles procédures normales d'être seul(e) avecvotre cliente.

- N'ayezpaspeurd'enparler.Lafemmebattues'attend à ce que quelqu'un s'aperçoive de lasituation qu'elle vit Par exemple, un médecinpeut dire: "J'ai vu plusieurs femmes avec desmarques comme les vôtres qui, en fait, avaientun mari violent, est-ce votre cas?"

- Informez-vous sur les ressources existantesdans votre région; équipez-vous de dépliants;lisez des textes sur la problématique.

- Si vous êtes face à une femme battue, vérifiezsi elle est en danger immédiat Informez-lades ressources; dites-lui qu'elle n'est pas laseule dans son cas. Donnez-lui du temps etassurez-la de votre support mais, sans luifaire de promesses que vous ne pourrez tenir.

- De nombreuses femmes violentées croientêtre la source du problème. Elles pensentparfois être folles. Comme intervenante),prenez position. Il est important de lui direque rien ne justifie la violence, quoi qu'elleait pu faire.

- Respectez sa décision. Une femme qui n'estpas prête à entreprendre des démarches sefermera si vous insistez ou décidez pour elle.Par contre, quand elle sera prête, elle pourracontacter la ressource dont vous lui aviezparlée.

(1) «Battre sa femme, c'est criminel», SophieGiroimay, Coup de Pouce, printemps 86.

Avalanche Portas ouvwtes-juin 1994- 15

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volume 3, numéro 7, février 1988 : Blessées dans notre sexualité?!!

La sexualité blesséeMichaëlle Jean

L es recherches sur laproblématique de la "vio-

lence conjugale" ont à ce jourrelativement peu exploré la sexualitécomme lieu dans le couple où peuts'exercer le pouvoir, le contrôle et laviolence contre les femmes. Pour mieuxs'attaquer aux agressions à caractèresexuel, il fallait d'abord reconnaître lephénomène au-delà des mythes et despréjugés, en cerner l'incidence, lesmanifestations et les effets, décortiqueraussi certains facteurs sociaux tels, entreautres, la socialisation différenciée deshommes et des femmes sur une basesexiste, les valeurs misogynes etpatriarcales, la pornographie, le tabouautour de là sexualité qui contribuent àmaintenir le silence etrambiguïté autourde cette violence ou encore qui lacautionnent Devant cette réalité sociale,collective de la violence faite auxfemmes dans ses manifestations les plushideuses et inacceptables sur tous lesplans, physique, psychologique etsexuel, le Regroupement provincial ainsique ses maisons membres estimaientcapital d'articuler leur argumentationautour d'un maximum de donnéescollées au vécu des femmes violentées.Cette étude "La sexualité blessée" apermis en ce sens aux maisonsd'hébergement de préciser leurréflexionsur la violence sexuelle et de mieuxrépondre aux besoins des femmeshébergées qui ont eu à subir de telssévices. Les résultats servent nonseulement à des fins de sensibilisationdu public mais aussi à l'intervention.Ces femmes subissent couramment desagressions àcaractère sexuel, perpétréespar leur conjoint ou partenaire, et quivont du harcèlement à l'intimidation, lamanipulation, la brutalité, au viol. Parmiles 264 répondantes, 219 femmes, soit83 % de l'échantillonnage, ont étéviolentées sexuellement par leurconjoint

Une sexualité chargéed'insatisfaction etd'imposition

Lorsqu'on général les répondan-tes abordent la sexualité vécue avec leurconjoint, elles font un bilan qui, pour lamajorité, tend vers une grandeinsatisfaction. 66,3 % déclarent que lesrapports sexuels avec le conjointn'étaient "jamais" ou "seulementparfois" des moments particuliers detendresse ou de rapprochement 61 %attestent d'une sexualité faite demoments douloureux et humiliants.65,1 % indiquent que leur sexualitéavecceconjointétaitchargéed'angoisseet d'inquiétude. De plus, 75,4 % desrépondantes ontsignaléque les rapportssexuels avec le conjoint qui les agressaitconstituait une "façon d'avoir la paix";or, il apparaît que parmi celles qui, àleur détriment, en arrivaient à cecompromis, 87,8 % étaient harcelées ouagressées sexuellement après avoir étémalmenées ou brutalisées par l'agres-seur. Très nombreuses, 83,7 % sontaussi les répondantes qui ont rapportéque, durant la dernière année de viecommune ou de relation avec leurconjoint, tes rapports sexuels leur étaientimposés par celui-ci. Les femmesviolentées sexuellement par leurconjoint font état d'exigences, d'actes,verbal ou physique, à caractère sexuel,qui portaient atteintes à leur intégritésexuelle. Les situations les plus fré-quemment exprimées sont les suivantes:être insultée, humiliée pendant unrapport sexuel; être prise de force, êtrepénétrée de force dans l'anus; êtrebrutalisée pendant un rapport sexuel(frappée, immobilisée, mordue, bous-culée, etc.) contre son gré; être harceléesexuellement (pressions et menaces);être ligotée de force pendant un rapport

sexuel; être violée après avoir été battueou injuriée; être forcée d'agir selon lesfantasmes sexuels du conjoint oupartenaire. Il ressort indubitablementqu'il ne s'agit nullement de gestessexuels impliquant librement deuxindividus consentants mais biend'agressions, de sévices infligés à cesfemmes par leur conjoint 75,7 % desrépondantes ont de plus témoigné queleur conjoint manifestait le désir de rap-ports sexuels après les avoir battues ouinjuriées. Dans ces mêmes conditions,53 % des femmes étaient prises de force,violées par leur conjoint Ces agressionspouvaient s'étaler sur des années de viecommune ou de relation avec le conjointen question: de 1 à 5 ans pour plus de lamoitié des répondantes (56,8 %), de 6 àlOans (20,9 %),de 11 à20ans (15,8 %),de 21 à 50 ans (6,5%).

Les effets de la violencesexuelle

Les femmes agressées par leurconjoint viventénormémentd'angoisse,d'inquiétude, des moments douloureuxet humiliants qui affectent grandementleur vie, leur santé physique etpsychologique. Toutes les fois où ellesétaient brutalisées sexuellementpar leurconjoint, les répondantes disent s'êtresenties profondément dévalorisées eten colère, elles vivaient aussi unsentiment d'impuissance entretenu parla peur et la honte. De plus, il est ressortidu côté des femmes violentéessexuellement, comparativement auxautres répondantes qui n'avaient passubi d'agressions à caractère sexuel,qu'elles étaient davantage ou plusfréquemment sujettes à des troubles desommeil et de l'appareil digestif, auxmaux de tête, aux douleurs musculaires,

16 -Avalanche PBrtss ouwwfcs-juin 1994

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aux problèmes d'ordre gynécologique,à l'anxiété, à divers degrés de dépres-sion, et aux accès de fatigue chronique.

La pornographieLa pornographie est utilisée par

plusieurs hommes comme lieu d'ap-prentissage ou source d'inspirationquant à leur pratique sexuelle. En effet,45,5 % des répondantes rapportent queleur conjoint leur demandait, lors desrapports sexuels, d'imiter des situationstelles que représentées dans des revues,vidéos, films, spectacles de sexe ou àcontenu pornographique. De façonsignificative, 60,5 % des hommes (con-joints ou partenaires des répondantes del'étude) qui maltraitent leur conjointe,puisent ou alimentent leurs fantasmessexuels d'images ou pratiques véhicu-lées par la pornographie. En moyenne,3 hommes sur 4 qui ont recours à laviolence sexuelle consomment fréquem-ment de la pornographie.

L'inceste

137 femmes de l'étude, soitenviron 51,9 % des répondantes, ontaffirméavoir été victimes d'inceste dansleur enfance. Elles ont été outragéessexuellement par des personnes mem-bres ou proches de leur famille.

Apprentissage de la sexualitéavant 18 ans

Presque toutes les répondantes(94,3 %) ont affirmé que la sexualitéétait un sujet rarement ou pratiquementjamais abordé dans leur famille. Lesfemmes de l'étude rapportent qu'endehors du contexte familial, elles ontsouvent vécu des expériences sexuellesdifficiles dans leur jeunesse. Leurspremiers contacts sexuels (mis à partl'inceste pour celles qui en étaient vic-

times) avec soit des jeunes de leur âge,des copains ou des amis, n'étaient pastoujours désirés par elles, mais leur ontété dans certains cas imposés (68,5 %).De ces femmes, la majorité (81,5 %) ditn'avoir jamais parlé de ces situationslorsqu'elles les ont vécues.

De nombreuses femmesauront eu un rapport blessé àla sexualité des l'enfance

II est notable, relativement à lasexualité vécue par les femmes dans

leur enfance, que l'inceste ou les agres-sionsàcaractère sexuel, adviennentplusfréquemment que d'autres formes desévices physiques. Les répondantes ontdavantage été maltraitées sexuellementdans leur famille (51,9 %) ou par desamis dans leur adolescence (68,5 %)qu'autrement Dans ces circonstances,l'intégrité sexuelle de ces enfantsappelées à devenir des femmes, toutcomme leur vision de la sexualité et del'amour sont gravement entachées. Cesexpériences malheureuses sont vécuesdans le mutisme et la confusion, sans lesupport nécessaire pour combattre ledilemme et les conséquences souventdésastreuses qui s'en suivent

Conclusion

La violence sexuelle dont les femmes sont victimes en situationde couple ne doit plus être occultée. Cette étude, nous l'avons vu, netraite pas de cas isolés, ni de pratiques sadomasochistes consenties. Laproblématique abordée s'engage sur la piste d'un phénomène sociald'envergure, car elle ouvre une brèche sur la réalité des femmesviolentées par leur conjoint, mari ou partenaire. Sept femmes surdix maltraitées physiquement ou psychologiquement à l'intérieur deleur relation conjugale sont aussi agressées sexuellementpar leur conjointLes agressions sexuelles, leur incidence ainsi que leurs retombées,ajoutent une dimension majeure au "puzzle" de la problématique. Lapièce manquante retrouvée, le tableau reconstitué révèle les couleursalarmantes d'une situation criante et insupportable pour des milliers defemmes. Mise à découvert, la sexualité est manifestement un lieu danslecoupleoùpeuts'exercerpouvoir.domination et contrôle. Les agressionssont multiples, encaissées par les femmes, dites, on te sait, "du sexefaible". On ne dira jamais assez l'impact des valeurs et stéréotypessexistes rattachés à la socialisation des individus dès l'enfance. Résultat,escompte ou pas: l'intériorisation de cette gamme de comportementsprescrits sur la base du sexisme systématique, institutionnalisé etnormalisé.produitdes garçons agressifs et des filles dociles; des hommesqui trouvent légitime te recours à la violence à des fins de contrôle surleur conjointe; des femmes subjuguées, traquées, aux prises avec unsentiment d'impuissance face à la violence qui leur est faite. Aux prisesavec un sentiment de culpabilité, dévalorisées quant à l'image qu'ellesont d'elles-mêmes, accablées par la honte elle sentiment d'impuissance,rongées par la colère, les femmes violentées sexuellement désirent sortirde ce marasme qu'elles nomment très souvent "cauchemar". Lesrépondantes recrutées parmi les femmes qui eurent recours aux maisonsd'hébergement, affirmentque bien souvent,c'est auprès des intervenantesde ces maisons qu'elles auront trouvé le support et l'aide nécessaire pourrepousser le silence, briser l'isolement et se retrouver.

Avalanche Portes ouvertes-juin 1994- 17

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volume 3, numéro 8, avril 1988 : L'intervention en mason d'hébergement: féministe ou pas?o:-:-X':-:-:-:-:-::^ ^K^ wx-:-K<<'K :-:-:oK'X':':':<-:-M

Etre ou ne pas êtreDiane Prud'homme

V ers 12-13 ans, ma"meilleure" amie et moi,

bien installées derrière le "shed" rouge(là où l'on pouvait fumer en cachette),avions pris l'habitude de faire état desinjustices qui nous accablaient. Cettefois-ci, nous prononcions, pour unepremière fois, nos observations sur lesinjustices relativement au fait d'êtreune fille, telles que les filles ont desmenstruations et pas les gars, les fillesdoivent faire la vaisselle et pas les gars,les filles doivent se raser le poil (desaisselles et des jambes) et pas les gars,les filles doivent faire le ménage lesamedi et pas les gars, etc.

Plus tard, vers 15-16ans, toujoursavec la même amie, nos observationsavaient "évolué" au point de s'attarderdavantage à l'autorité que détenait nosgrands frères sur nos vies. Pire, on envoulait à leurs privilèges quant auxheures de sortie, à l'argent de poche, àl'auto disponible pour eux, etc.

À 18 ans, je quittais la cellulefamiliale pour entrer à l'université.Enfin, la liberté! Fini le contrôle desparents et des frères sur ma vie! J'entraisdans un monde "évolué". J'ai partagéalors un appartement avec deux gars, enleur spécifiant que je ne serais pas labonne de service. "Oui, oui, bien sûr".

La première session étant àpeineamorcée que je me suis retrouvée àdébattre la fameuse question du partagedes tâches, de la vaisselle, du ménage(qui devait laver le bol de toilette!). Ilsoubliaient leur tour, ce n'était pas parmauvaise volonté! Alors, non seulementj'avais écopé du rôle de surveillante destâches ménagères mais, en plus, j'avaiscelui de maternage. Leurs problèmesétaient tellement plus graves que lesmiens, si vous saviez. D faut comprendre,eux autres, c'est pas pareil! Parfois,j'enrageais; parfois, je faisais le ménage

à leur place (écœurée de répéter);sou vent, je les écoutais. Tranquillement,je prenais conscience que mon milieufamilial n'était pas si déconnecté de laréalité (contrairement à ce que jecroyais), j'y retrouvais les mêmes frus-trations et les mêmes entraves à maliberté.

Ces observations m'ont alorsmenée au Centre des femmes del'université où l'on revendiquait lareconnaissance des femmes sur lecampus (on est en 1977 et j'ai 20 ans),ne serait-ce que pour obtenir desdistributrices de serviettes hygiéniquesdans les toilettes pour femmes! C'est làque j'ai fait la rencontre avec les pro-blèmes des femmes. J'ai été surprise deconstater que je n'étais pas la seule àvivre ce sentiment d'injustice et à croireà une incompétence personnelle. Jepensais que je n'avais pas le tour! Maisnon, nous vivions toutes ce sentiment

Mais voilàqu'àpartir du momentoù j'ai commencé à militer au Centredes femmes, à identifier les rapports depouvoir entre les hommes et les femmes,à revendiquer les droits des femmes et àdéfendre mes positions même dans leprivé, je fut étiquetée féministe. O.K.pour l'étiquette, mais pour moi, je nefaisais que relever des injustices qui, àmon avis, méritaient réparation.

En fait, je ne comprenais pas queles autres aient une vision différente dela mienne tellement je la trouvaisévidente et logique. Comment se fait-ilque tout le monde ne perçoive pas cesincohérences, que tout le monde nes'indigne pas devant les injusticesflagrantes faites aux femmes? Ondénonçait l'apartheid, on militait pourles prisonniers politiques, on s'indignaitdu sort des travailleurs exploités par lesemployeurs, on marchait pour la paix,mais on ne voyait pas le sexisme, ni la

violence faite aux femmes. C'est quandmême spécial! Non seulement on ne levoyait pas, mais, en plus, on discréditaitle féminisme.

Quand est venu le temps de fairemon stage en psychologie, il était alorstout naturel de demander au directeurdu centre qu'il me réfère des femmes.Pas de problèmes pour cela, d'autantplus qu'il y a davantage de femmes qued'hommes qui recourent à des soinspsychologiques, c'est bien connu! Saufque je ne voulais pas que des femmescomme clientes, je voulais aussi êtreencadrée par une superviseure féministeayant comme base l'interventionféministe. "Mais "ça", ça n'existe pas",me dit-on! "Pourrais-je alors avoir aumoins une superviseure féministe ? Non,ma chère, parce que non seulement, iln'y a pas de superviseure féministe,mais il n'y apas de femme superviseuretout court!" Des hommes m'ont doncsupervisé sur la base de l'interventionhumaniste, psychodynamique, beha-vioriste ou gestaltiste. Un seul pointcommun dans toutes les approches: tousles clients sont des humains et onintervient auprès d'une femme commeauprès d'un homme. La variable sexen'existe pas en intervention!

Prises devant les faits, j'ai quandmême réussi à trouver quelquesrationalisations pour "normaliser" lasituation (en bonne fille). Je me suis ditqu'en maîtrisant l'analyse féministe, jen'avais qu'à la transférer dans mesinterventions; ce qui ferait de moi uneintervenante féministe. C'est simple lavie! Sauf que... comment s'y prend-on?Une féministe écoute-t-elle d'une autrefaçon? Vapour l'analyse desproblèmes,mais comment intervient-on quand onest féministe? Je ne savais pas, etpersonne ne pouvait me conseiller.D'autant plus que je me butais à larésistancedes superviseurs, mon analyse

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n'est pas objective! Je ne prends pasassez de distance avec la cliente! Mêmeles autres stagiaires questionnaient cetteanalyse dite "socio-politique", pas assezpsychologique. Que faire? Croire quecette femme qui a été battue estprobablement inscrite dans ladynamique du masochisme? Laquestionner à savoir d'où vient cetteperception qui lui fait croire qu'elle nemérite que le rejet eU'abus?Pire,qu'ellerecherche le mépris? Fouiller en elled'où ça vient? Trouver pourquoi elle nes'aime pas? etc. Alors mieux vaut finirle stageet chercher des réponses ailleurs.Ce qui a fait de moi une intervenante,mais pas féministe!

Après avoir fini mon stage, jecommence à travailler en maisond'hébergement où, là enfin, il n'y a pasde superviseurs qui s'objectent àl'analyse féministe. Sauf que les mêmesquestions se posent: comment définirl'intervention féministe? Commentintroduire mon analyse dans l'inter-vention auprès des femmes? Être uneintervenante féministe, ce n'est pas justeintervenir avec un contenu féministe?Ce n'est pas parce que je suis féministeque je sais faire de l'interventionféministe. Les travailleuses de la maisonse questionnaient etcherchaient à savoircomment on pouvait adapter l'interven-tion féministe à la problématique de laviolence conjugale et au contexte d'unemaison d'hébergement?

Et comme onn'étaitpasles seulesà se poser ces questions (il va sans direque l'on faisait partie d'un courant), dèsle début des années 80, un collectifd'intervenantes féministes s'estconstitué à Montréal pour échanger etdévelopper des outils. Par la suite, deslivres et des ouvrages ont été traduits oupubliés, et on a commencé à voir plusclair sur l'intervention féministe.

D'ailleurs, Pierrette Simard, aprésenté une définition fort intéressantedans son texte: "L'intervention féminis-te: un ensemble d'outils thérapeutiques".

"Je crois fondamentalement qu'être intervenante féministesignified'abord et avanttout être femme et être féministe; ce quiveut dire entre autres qu 'il n'y a pas de cloison hermétique entrema vie professionnelle et ma vie personnelle. Cela signifie aussiêtre consciente que toutes les femmes, justement parce que noussommes femmes dans une société définie par et pour leshommes, nous avons en commun que ce soit des luttes, desrévoltes ou des rires.

Être féministe veut dire encore questionner cetteorganisation sociale. Une analyse féministe implique par ailleursune remise en question de la relation d'aide ou relationthérapeutique elle-même, et force à reconnaître les enjeux de cerapport et à le nommer différemment

Être femme et féministe avant d'être intervenante,questionner ces rapports de domination, y compris celui del'intervenante face à une cliente, signifie aussi pour moi dépasserla position intellectuelle de celle qui adhère à un discours etregarder comment je l'applique concrètement dans ma viepersonnelle. Et de partir justement d'où je suis comme femme,des expériences que j'ai vécues, des difficultés que j'ai connuesà travers ce cheminement et non simplement d'un discours,pour être et travailler avec d'autres femmes, pour fixer desobjectifs, pour comprendre l'exigence d'un changement.

Être intervenante féministe, c'est selon moi d'abord êtreféministe, avoir une lecture féministe du vécu des femmes,questionner l'organisation sociale patriarcale qui oppresse lesfemmes, développerdes réflexes féministes devant des situationsquotidiennes etj 'ajouterais agir pour forcer des changements ausein des institutions sociales qui sont les véhicules de cesoppressions.

L'intervention féministe est plus qu 'un nouvel ensembled'outils à acquérir pour avoir un coffre mieux garni et se sentirmieux équipée pour faire face à toutes sortes de bris quipourraient survenir. Elle est plus aussi que de nouvelles habiletésà développer pour intervenir cette fois-ci auprès des femmes,comme il y en a pour travailler avec les couples, les familles, lesenfants. Le processus me semble tout à fait inverse. Je vois celacomme un ensemble de stratégies et d'objectifs oui, maisauxquels on adhère de l'intérieur."

Avalanche Potes ouvertes- juin 1994* 19

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volume 3, numéro 9, juin 1988 : Les groupes pour hommes agresseurs: une panacée?

Les batteurs de femmes : bourreaux ou victimes ?Martine Démange

Editorial dela revueChâtelainedu mois denovembre 1987

I 1 s'appelait Jacques Lavoie.En septembre dernier il s'est

pendu dans une cellule du poste 21 deVille de LaSalle quelques minutes aprèsson incarcération, n était le treizièmecette année à choisir le suicide, l'évasiondéfinitive. Et comme neuf autres decette sinistre liste, il venait d'être arrêtépour voies de fait contre sa compagne.C'était un batteur de femmes, commeon dit maintenant Et ces batteurs defemmes, depuis un an, depuis que lapolice a ordre de les arrêter, que plainteou non soit portée, ont fait quadrupler lenombre de suicides dans les postes depolice du Québec. Ils ne se pendent pastous, mais 10 sur 2 800, c'est déjàbeaucoup trop.

Quelques semaines auparavant,on retrouvait le corps d'Hélène Lizotte,battue, menacée de mort par un ex-conjoint que cette fois-ci la justice avaitdécidé de libérer sous cautionnement.Elle non plus n'a pas été la seule victimede telles circonstances en 1987 et depart et d'autre, entre les meurtres et lessuicides, il est probable que les mortss'équilibrent.

Arithmétique assez horrible, quine règle rien, qui ne satisfait personne.Bien sûr, on va aménager la loi, garderà vue après leur arrestation ces prévenusbatteurs de femmes dont on se révèle deplus en plus les tendances suicidaires,libérer au contraire avec beaucoup deprudence les récidivistes, ceux quiprofèrent des menaces de mort Si on enreste là, on évitera ainsi peut-êtrequelques drames, ou plutôt on lesretardera. La vraie solution n'estsûrement pas d'ordre judiciaire.

C'est un étrange amour, tordu etmalade, qui lie souvent les batteurs de

femmes à leurs victimes, mais un amourtout de même, infantile, égoïsteetjaloux,tellement possessif que la moindrevelléité d'autonomie est vécue commeune trahison. Ce sontla plupart du tempsdes hommes solitaires, sans amis, sansintérêts réels extérieurs au foyer, deshommes en perte de contact avec laréalité. La seule personne avec qui ilsréussissent encore à communiquer,même mal, même par la violence, c'estleur femme et c'est chose connue desmaisons d'accueil pour femmes battuesque le désespoir et la panique de ceshommes-là quand leurs femmes sedécident à bout de ressources à lesquitter. Ils sont prêts alors à toutpromettre, à tout jurer pour qu'ellesreviennent. Si elles refusent, c'est ladéroute, la dérive totale qui là aussi vaparfois jusqu'au suicide. Si ellesacceptentde revenir et beaucoupd'entreelles le font, le cycle infernal ne tardepas à se rétablir. D'une façon ou d'uneautre, l'histoire finit mal! Eh bien non,pas toujours.

Il existe maintenant un certainnombre de centres de thérapie, d'aidepsychologique pour "batteurs de fem-mes". Ils n'acceptent généralement des'y rendre (c'est-à-dire n'acceptent lefait qu'ils sont malades et ont besoin dese faire soigner) que très difficilement,en dernière extrémité, comme conditionobligatoire au retour de leur femme.Mais la bonne nouvelle, c'est que letaux de réussite de ces centres-là estexceptionnellement élevé.

Alors la solution c'est d'abordde protéger les femmes, bien sûr, maisaussi de soigner et non de punir leurspitoyables bourreaux avant qu'ilsn'aillent ajouter d'une manière ou del'autre au nombre de victime.

20 • Avalanche Potes ouvertes • juin 1994

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Les pauvres hommes batteursDiane Prud'homme

Voici la réponse duRegroupement à('editorial deMartine Démange.Il est à noter quecette lettre a étéenvoyée à la revueChâtelaine et n'ajamais été publiée.

m

es maisons d'hébergementtravaillent depuis plus de

12 ans à dénoncer la problématique desfemmes victimes de violence et à leurvenir en aide ainsi qu'à leurs enfants.Notre expérience sur le terrain nousamèneàrediscuterlargementréditorialde novembre: "Les hommes batteurs:bourreaux ou victimes".

Non, Mme Démange, les mortsrelativement à la violence conjugale nes'équilibrent pas: 10 hommes suicidésen prison sur 2,800 hommes arrêtésn'équivaut quand même pas 300 000hommes batteurs au Québec en libertépendant que 25 femmes par année sefont assassiner par leur conjoint (misesà pan celles qui meurent à la suite deleurs blessures), pendant que 300 000femmes se font battre, injurier, brûler,menacer de mort, violer, dénigrer parleur conjoint À notre avis, le compten'y est pas: la souffrance des hommesne connaîtra jamais l'ampleur de celledes femmes et des enfants impliquésdans le milieu de violence. Pour nous, ily a un responsable de cette violence et iln'est pas une victime!

Non, Mme Démange, cet hommeviolent n'a pas à recevoir un traitementde faveur de la part de la justice. Aumême titre que tous les autres criminels,l'homme batteur doit être sentence etcondamné par notre système judiciaire.Il doit être responsabilisé de son acte,sinon il saura (comme depuis toujours)interpréter notre silence, comme unecomplicité, du moins une tolérance! Si,par contre, votre argument soutient quel'emprisonnement ne change en rienson problème de violence, aussi biendire qu'il faut transformer le systèmecarcéral puisque ni le tueur, ni le voleurne changeront durant leur séjour enprison. Aussi bien tout remettre enquestion ou rien? De toute façon, il luiest possible présentement de suivre unethérapie en prison comme tous les autres

détenus: l'important pour nous est qu'ilsoit reconnu coupable du crime qu'ilaura commis et qu'il soit puni selon lesrègles de notre justice!

Non, Mme Démange, les hom-mes batteurs ne sont pas des malades;ce sont des hommes qui font un choix,qui utilisent leur force ou leur pouvoird'homme pour arriver à leur fin, pourcontrôler davantage leur "propriété":leur femme! Ils ne sont pas violentsavec leur voisin, leur patron, ou leurpère; seulement avec leur femme (etpréférablement lorsqu'il n'y a pas detémoin!).

Et ce rapport de domination deshommes sur les femmes (qui n'a rien àvoir avec l'amour) est pourtant large-ment cautionné dans notre société.Pourquoi alors, lorsque leur dominationesttrèsexpliciteetdevientdérangeante,devrait-on en faire des malades? Pourmieux les plaindre (comme ceux qui sesuicident en prison) ou encore, pourcroire que la société n'a rien à changerdans nos relations hommes-femmes!Non, la violence ne se soigne pas àl'hôpital! On ne peut l'enrayer que parun changement social qui passera parl'égalité entre les sexes.

Un dernier point Mme Démange,depuis plusieurs années les femmes sesont créées une nouvelle force: lasolidarité. À travers cette force, lesfemmes ont décidé de s'intéresser àelles, de penser à elles et de s'entraidercollectivement pour faire reconnaîtreleurs droits. Cette solidarité se fait trahirlorsque, dans un magazine pourfemmes,une éditorialiste nous fait allègrementla morale sur le sort "des pauvreshommes batteurs"! Ne pourrait-on paspour une fois se préoccuper plutôt duson de ces femmes et enfants violentésd'autant plus que si nous ne le faisonspas, qui le fera? Sûrement pas leshommes batteurs.

Avalanche Portes O<MM*W juin 1994- 21

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volume 3, numéro 10, septembre 1988 : Oe la nécessité d'agir

Les principales luttes des maisonsMadeleine Lacombe

M ême s'il y a nécessitéd'agir politiquement et

que cela semble aller de soi, il n'en estpas toujours de même dans la pratique.C'est-à-dire qu'au départ, on peut met-tre sur pied une maison d'hébergementou venir y travailler tout simplementpour aider les femmes victimes deviolence conjugale, les soutenir dansleurs démarches et les accompagnerdans leur cheminement La réalité sechargera rapidement de nous ramenersur la terre et de nous faire voir que, sansune lutte de tous les instants, on ne peutvenir en aide réellement aux femmesvictimes de violence conjugale.

Les premières luttes, conscientesou inconscientes, des maisons d'hé-bergement ont sans doute été de fairereconnaître, par leur milieu respectif,la nécessité d'une ressource pour lesfemmes victimes de violence conjugale.Car, si la violence conjugale estaujourd'hui un thème "à la mode", ilfaut se rappeler qu'en parler il y a 15ans, c'était automatiquement êtreclasséeparmi tes folles, les hystériques ou lesparanoïaques. De quelques maisonsqu'elles étaient en 1974, à 45 maisonsmembres aujourd'hui, on peut dire quela lutte a porté fruit

La deuxième difficulté à laquelleil a fallu s'attaquer a été de fairereconnaître que la violence conjugalen 'était pas un problème individuel maisun problème social, supposant déjà quela violence conjugale dépassaitlargement le simple fait isolé que l'onauraitbien voulu minimiser socialementLes maisons d'hébergement ont aussirefusé de considérer les femmes comme"mésadaptées sociales". Elles ont viteidentifié la violence conjugale comme"l'une" des facettes de l'oppression faiteaux femmes. Elles ont dû, de plus,démontrer que la violence conjugale, cen'était pas seulement des bleus, des

cassures qu'on peut montrer (femmesbattues), mais bien plus souvent de laviolence psychologique et verbale,laissant des séquelles invisibles à l'oeilnu mais combien profondes.

C'est en s'identifiant aux fem-mes victimes de violence conjugale, enles côtoyant dans le quotidien, que lesintervenantes et les militantes desmaisons ont pu développer une analyseet une approche spécifique de laproblématique. C'est en s'inspirant desnotions de l'approche globale et del'intervention féministe que les maisonsont initié un mode d'interventionefficace auprès des femmes victimes deviolence. Efficace parce que tenantcompte de leurs besoins, tout enreconnaissant leurs forces et en croyantà leur potentiel. C'est avec acharnementet souvent envers et contre tous que lesmaisons ont ensuite "vendu" cetteanalyse et cette approche à la sociétéentière.

n est important de souligner, acestade-ci, que les luttes "dites politiques"ne se font pas toujours danslarueàcoupde pétitionset de rencontres de ministres.Elles se fontaussi par notre interventionquotidienne, par notre acharnement àdénoncer les lacunes et les injustices,par notre courage à lever le voile sur desproblématiques tabous. Les premièresluttes des maisons d'hébergement sesont donc effectuées dans leurs milieuxrespectifs, sur les mentalités, sur lesinstitutions et contre les mythes et lespréjugés. Ce furent des pressions sur leréseau pour que les femmes victimes deviolence conjugale soient dépistées etmieux considérées. Pressions sur lespoliciers et sur l'appareil judiciaire pourqu'elles soient entendues et crues.Pressions sur l'aide sociale, où on devaitmême les accompagner pour que leursdroits soient reconnus et respectés.Pressions sur les familles respectives

afin qu'elles puissent trouverl'aideetlesupport nécessaires.

Ce sont des luttes de longuehaleine, un travail sous-terrain sansgloire, sans héroïne. Un travaillongtemps non reconnu et qui a couvéen silence avant d'éclater au grand jour,avant de percer les murs du silence etd'étendre ses rayons aux autres femmes.Mais ce sont des luttes qui ont eu leurseffets et, même s'il reste encorebeaucoup à faire, il faut reconnaître quesans une action concertée des maisonsd'hébergement, nous ne serions jamaisarrivées à faire reconnaître les besoinset les droits des femmes hébergées.

C'est afin d'être plus efficacesdans ce travail de conscientisation, dedénonciation, de revendications que lesmaisons ont mis sur pied le Regrou-pement provincial. Elles se dotaient parle fait même d'une voix provinciale,d'une force politique active et d'uninterlocuteur officiel auprès dugouvernement et des différents réseaux.Le Regroupement a marqué un pasimportant dans la vie politique desmaisons d'hébergement n ne faut pasoublier cependant, que l'apport dechaque maison dans son milieu, dechaque travailleuse et militante dans samaison, le dossier ne se serait jamaisrendu là où il en est actuellement.

Outre le travail en vase clos, letravail d'éducation sous-terrain, lesmaisons ont aussi mené des actionsaxées sur les pouvoirs politiques enplace; elles ont obligé le gouvernementà reconnaître la distinction entre laproblématique du viol et de la violenceconjugale, produit une déclaration desdroits des femmes victimes de violenceconjugale. Elles ont fait des pressionssur le ministère de la justice pour quedes changements soient apportés dansle traitement de la violence conjugale,

22 • Avaltnd» Portes «•juin 1994

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pour qu'elle soit criminalisée. Pressions sur ladirection de l'aide sociale pour que les femmesvictimes de violence conjugale ne soient paspénalisées de leur passage en maison d'héber-gement coupure du 85$,aidesocialeaux femmesde moins de 30 ans, prestations pour les femmesimmigrantes, représentations à la Commissiondes Affaires Sociales sur la réforme.

On ne peut passer sous silence enfin, lalutte pour la reconnaissance des maisons d'hé-bergement à titre de ressources alternatives. Lalutte pour la reconnaissance de tous leurs serviceset de la qualité de leur intervention. Luttes qui sesont traduites par la demande d'un financementadéquat etrécurrenL Luttes qui nous ont amenéesà poser diverses actions publiques: occupationdu salon rouge, dépôt collectif, conférences depresse, pressions sur les députés à multiplesreprises, mobilisation de la population, présenceà la Commission Parizeau (pouvoir des muni-cipalités), présence remarquée à la CommissionRochon. Enfin, toute une année complèted'actions et de stratégies ponctuées, qui nous ontamenées en grand nombre sur la collineparlementaire.

À ce niveau aussi les maisons ont eu unrôle très important dans leurs milieux respectifs.Un rôle de leader, de catalyseur; elles ont dûdémontrer leur expertise, leurs compétences, setailler une place parmi tous(tes) les intervenantesduréseau,nouvellementformé(e)setse réclamantaussi de l'approche globale et de l'interventionféministe. Convaincre leurs concitoyen(ne)s dela nécessité des maisons d'hébergement, de leursservices et de la nécessité de leur apporter leursappuis. La réponse a été inconditionnelle,chapeau!

Toutes ces luttes se sont échelonnées surplus de 14 ans (origine des premières maisons,1974) et ont animé les colloques régionaux sur laviolence en 1980,lapolitiqued'aide aux femmesviolentées et la formation du réseau en 198S,Décision 85.Un peu plus tard en 1986, la politiqued'intervention en matière de violence conjugaleet la formation des policiers. Elles ont mené auplan triennal en 1987 et à la vaste campagnepublicitaire sur la violence conjugale en 1988.

C'est une lutte de longuehaleine qui a porté ses fruits maisqui n'est pas terminée. C'est unelutte qui se continue, mais à d'autresniveaux, avec d'autres enjeux. C'estune lutte qui nécessitera toujoursnotre présence active sur le terrain,la qualité de notre intervention. Cettelutte, elle ne peut se terminer parcequ'elle a pris racine en nous, parcequ'elle grandit avec nous et quechacune devient de plus en plusconvaincue que le privé est politiqueet que les gestes que nous posonsdans le quotidien ont des incidencessur la et le politique et de par le faitmême, sur la condition des femmesen général.

AvalanchePbrtflsouvertBS-juin 1994- 23

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volume 3, numéro 11, novembre 1988 : Travailler en maison d'hébergement, ça change pas le monde... mais..!

Ça change quelque chose dans ma vie ?Guylaine Ducharme (La Rosé des Vents)

tre intervenante en maisond'hébergement pour fem-

mes victimes de violence... ça changequelque chose dans ma vie? OUI! Aumoment même où j'ai pris connaissancede la question, c'est un gros oui qui arésonné en moi. Mais qu'est-ce qui atant changé? me suis-je demandée.Qu'est-ce que ça change aujourd'hui?En quoi est-ce différent d'un autretravail?

De façon très terre à terre, ce sontd'abord mes conditions de vie et monstyle de vie qui se sont transforméslorsque j'ai commencé à travailler à LaRosé des Vents, voilà un peu plus dequatre mois. Du jour au lendemain, jesuis passée du travail à temps partiel autravail à temps plein, d'un travail sansrapport avec mes études à un travail quia tout à y voir, du bénévolat au travailrémunéré, des études au marché dutravail, de la dépendance à la relativeindépendance économique... ce qui, ai-je besoin de le dire, n'est pas peu dechoses dans la vied'une personne. Bienque tous ces changements soient trèssouhaités et très heureux dans ma vie,ils me demandèrent et me demandentencore une somme importanted'énergieet d'adaptation.

Plus qu'au simple fait de tra-vailler, c'est au travail lui-même quej'ai dû et que je dois encore m'adapter.

Alors que j'ai été formée àl'intervention à long terme, c'est avecdu court terme et de l'intervention decrise que je dois travailler. Alors quej'avais appris et envisagé de travailleravec une clientèle de classe moyenne,c'est avec des femmes de milieudéfavorisé que je travaille le plussouvent Alors que j'ai été formée àprocéder par entrevue, à ne voir lesfemmes qu'une heure durant, c'est auquotidien que je dois vivre avec elles.

Alors que je ne savais vraimentintervenir qu'au niveau psychologique,c'est à tous les niveaux que je doistravailler psychologique, économique,juridique, social... Alors que., c'est..

Les exemples sont nombreux.Même si j'avais passablement lu sur laviolence conjugale... même si j'avaisabordé l'intervention de crise, l'in-tervention féministe, je me suis viterendu compte que je ne connaissaisque bien peu de choses par rapport à laréalité et, finalement, que j'avaisbeaucoup à apprendre. Entre les livreset la réalité... Entre ce que je croyais etce qui est... Entre ce que je pensais faireet ce que je fais... il y a tout un monde.C'estàcet écart entre les choses que j'aidû m'adapter. Combien de fois, depuismes débuts, me suis-je gratté la têtepour comprendre, pour savoir où jem 'envais, qu'est-ce que je fais... Et ce n'estpas fini! Semble-t-il, et je le crois, que jene possède même pas le quart desinformations et de l'expérience qu'ilme "faudrait avoir". Bref, c'est toutema façon de voir, de penser etd'intervenir que je révise depuis que jetravaille en maison d'hébergement

Qu'est-ce que ça change aujour-d'hui le fait de travailler à La Rosé desVents? Jepensequeçam'amèned'abordà être plus consciente d'innombrableschoses. Aujourd'hui, je suis plusconsciente de la problématique de laviolence conjugale et de l'ampleur dece problème dans notre société, plusconsciente du vécu des femmes dans lecouple et dans notre société ainsi que del'influence malsaine de notre éducationsexiste, plus consciente des difficultésvécues par les femmes lorsqu'elles veu-lent finir une relation, de la dépendanceaffective, économique, de la mentalitédans laquelle baigne notre société quiest celle du "couple à tout prix", desdifférences entre les hommes et les

Alors que je ne savaisvraiment intervenir qu'auniveau psychologique, c'est àtous les niveaux que je doistravailler: psychologique,économique, juridique,social...

24 • Avalanche ftxtesoMw*». juin 1994

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femmes dans la réalité du couple. Certes,le travail en maison d'hébergementaiguise la conscience que j'avais deplusieurs réalités mais, puisqu'il y atoujours un mais, même si ce que jevois, j'entends et je découvre me boule-versentàcertainségards, me travaillent,sonnent parfois l'urgence en moi, mequestionnent quant aux conditions devie des femmes et quant à la réalité ducouple, je ne me laisse pas pour autant,démolir par tout cela.

Au contraire, il me semble mêmey trouver une plus grande force. C'estcomme si le fait de travailler avec cesfemmes m'amenait à me sentir plusforte dans ce que je suis. Je suis plusattentive et plus sensible à mon vécu defemme, à mes conditionnements, auxpièges que je me tends, aux types derelations que j'entretiens avec l'autresexe, avec mes ami(e)s, ma famille,mon conjoint., à ma propre violence.J'ai le goût plus que jamais de prendrema place, de dire ce que je pense, defaire respecter mes valeurs, mes limites,de revendiquer, de négocier...

C'est comme si tous les droits,les valeurs, les façons de vivre que jereconnaissais aux femmes que jerencontre, je me les reconnaissais à moi-même encore plus. C'est comme si, toutd'un coup, à force de voir des femmesdire les mêmes choses, vivre les mêmeschoses, vouloir les mêmes choses, j'aile goût de me battre encore plus fort. Jesuis sortie de mon isolement moi aussiet je me sens plus forte dans mes valeurs.Je reconnais davantage les valeursd'intimité, de complicité et d'inter-dépendance dans le couple.

Il existe un monde de femmes,des valeurs de femmes, des désirs defemmes... et tout cela est aussi légitimeque les valeurs d'hommes. Quand lereconnaîtrons-nous? Quand lui

donnerons-nous sa place, juste sa placemais toute sa place? Quand les hommesviendront-ils s'asseoir à la table desnégociations? Je souhaite qu'on enfinisse avec ce monde tout masculin etqu'on y mette un peu de féminin là-dedans. On a un bout de chemin à faire,mais eux aussi à bien des égards. Cen'est pas la guerre mais je pense que lesfemmes ne sont plus prêtes à payer leprix qu'elles payaient pour être femme,épouse et mère, et il faudra s'ajuster unjour ou l'autre. Tout cela pour dire quec'estdansceseauxquejepataugQdepuisque je travaille en maison d'héber-gement.

Très importantégalement, depuisque je travaille ici, il y a ce désir deprendre soin de moi. Oui, il y a beaucoupà faire et tout est urgent, pressant, vital-mais moi.j'ai des limites et ilm'importede les respecter dans tous les sens dumot. Prendre soin de moi, ce n'est passeulement me dorloter, me bercer, c'estpeut-être et surtout prendre ma place,mettre mes limites, établir mes prioritéset ne jamais dépasser mes capacités.C'est cela que je suis en train d'ap-prendre en maison d'hébergement...peut-être parce qu'il y a longtemps queje suis rendue là!

En quoi est-ce différent que detravailler comme comptable chezProvigo? C'est à des personnes hu-maines, des problèmes humains etsociaux que je fais face tous les jours.

C'est un travail qui est trèsexigeantettrès impliquant émotivement,et comme c'est toi ton principalinstrument, il importe de toujourst'améliorer mais aussi de t'arrêter.

Travailler en maison d'hé-bergement, ça change pas le mondesauf que...

C'est un travail qui est trèsexigeant et très impliquantémotivement, et comme c'esttoi ton principal instrument, ilimporte de toujourst'améliorer mais aussi det'arrêter.

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volume 4, numéro 12, février 1969 : Quand tes théories frôlent l'impertinence

Veux-tu savoir la dernière ?Diane Prud'homme

L es hypothèses et les théories'relatives à la violence

conjugate (comme la plupart des sujets)émergent essentiellement des re-cherches effectuées dans les universitésou dans les instances institutionnellesdésignées à la recherche telles que lesDSC et CRSSS.

Ce sont les lieux du savoir,accrédités pour la recherche, désignés àl'avancement de la science. Il n'en estdonc pas différent pour la violenceconjugale. Des chercheur(e)s et desétudiant(e)s ont émis et émettent encoredes hypothèses (à confirmer ou infirmer)pour tendre vers de nouvelles avenuesqui pourraient enfin nous fairecomprendre les véritables causes de laviolence conjugale et ses solutions.

Dans les universités, les pro-fesseurs se doivent de faire de larecherche et de publier dans les revuesscientifiques, la recherche faisant partieintégrante de leur fonction. De là, leurvient l'accessibilité à différents fondsde recherche principalement réservésaux chercheur(e) universitaires, et quisont habituellement accordés selon descritères particuliers et selon des thèmesprivilégiés par l'organisme quisubventionne.

La violence conjugale, étant unsujet d'actualité rendu public par tesfemmes et de plus en plus appuyé parles médias et les gouvernants, s'inscritd'ores et déjà comme un thème àprioriserdanslarecherched'autantplusqu'il fut très peu abordé par la sciencejusqu'à ce jour.

Ainsi, à partir du moment où laproblématique s'estavérée"populaire",les chercheur(e)s se sont pointé(e)s aurendez-vous: que ce soit en sciencessociales, service social, psychologie,nutrition, criminologie, sciencesinfirmières, droit, sociologie, etc. Tout

cela est très intéressant. Enfin, oneffectue des recherches pour mieuxcomprendre cette problématique ! Enfin,on veut intervenir et agir contre laviolence ! Enfin, on veut former lesfutur(e)s intervenantes ! Oui, tout celaest de bonne vertu et est très louablesauf que... cela pose certains problèmes.

Problème no 1

Les chercheur(e)s sont desthéoriciens qui, doit-on le répéter, sonttrès souvent déconnecté(e)s du milieupour lequel ils travaillent. Que savent-ils des femmes victimes de violence etdes hommes violents ? Pas plus que ceque les livres et l'enseignement leur ontraconté ! De profanes, ils s'improvisentexperts de par une recension delittérature, une hypothèse bien placée,une recherche, une publication, unestatistique révélatrice!

Bien sûr, nous pourrions êtretenté(e)s de comprendre logiquementque les femmes victimes de violence nequittent pas leur conjoint parce qu'ellesrencontrent des difficultés affectives àprovoquer une rupture. Mais la réalitén'est pas toujours logique; il y ad'autresfaits qui la nuancent: la peur des re-présailles, la victimisation, te sentimentd'échec sont des sentiments quiappartiennent à la plupart des femmeset qui font en sorte que le seuil detolérance à la violence est plus élevéchez ces dernières. Ce sontlà des réalitésqui ne peuvent se comprendre quelorsque l'on est en contact avec desfemmes victimes de violence.

Le chercheur qui n'est pasconscient de l'oppression faite auxfemmes et de la victimisation qui enrésulte, et qui ne s'inspire pas du vécudes femmes, pourra toujours émettredes hypothèses qui semblent logiques

et rationnelles (ex: corrélation entre laconsommation d'alcool et la violence),mais qui sont en fait déconnectées desfaits réels et qui, bien souvent, ne fontqu'entretenir les mythes et les préjugésà l'endroit des femmes victimes deviolence. Il s'avère donc extrêmementimportant que les chercheur(e)ss'entendent sur une grille d'analysecommune pour faire converger lesénergies dans un même objectif : celuid'éclairer une société et démystifier laviolence conjugale.

Problème no 2

Quelles sont les intentions de larecherche ? Pourquoi une telle rechercheest entreprise? Est-ce une prémisse à laspécialisation de l'organisme ou del'institution? Est-ce une préoccupationpersonnelle du chercheur? Est-ce unbon sujet pour obtenir des fonds derecherche ? Est-ce un atout dans sacarrière universitaire? Est-ce par intérêtde faire changer la situation, parmilitantisme?

L'intention de la recherche estun élément important à évaluer. Le (la)chercheuse), qui souvent est décon-necté^) de la réalité du champ d'étude(nous l'avons déjà dit), aura tendance àvouloir faire avancer la science, publierdans les revues spécialisées et déve-lopper une expertise dans le domaine.Mais, trop souvent, le (la) chercheuse)ne tiendra pas compte de l'impact decette recherche sur les femmes victimesde violence, l'impact politique desrésultats. Et voilà où se trouve le noeuddu problème parce qu'en sciences,l'objectivitéetla neutralité sont les motsde passe, pas question de politique.

Mais, si la recherche doitcontribuer à l'avancement des chan-gements de valeurs face aux femmes, il

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faut prévoir l'impact politique de sarecherche sur la compréhension de laproblématique. C'est la première chosesur laquelle le (la) chercheuse) doit sepencher: de quelle façon ma recherchesera aidante pour les femmes victimesde violence et leurs enfants. Il est plusfacile denuirequed'aider.Lechercheurse doit donc d'être conscient po-litiquement de ce qu'il fait II ne peutfaire une recherche sur la violenceconjugale que pour obtenir des créditspersonnels. Il doit comprendre laproblématique jusque sur le terrain et ildoit prévoir l'impact et l'utilisationpotentielle des résultats de sa recherche.

Puisque ces conditions ne sontque rarement rencontrées au Québec, ilconvient de penser que la recherchetelle qu'elle est articulée actuellements'avère dangereuse.

Les nombreuses hypothèsesparfois divergentes, et ses résultatsparfois contradictoires, parfois inutiles,parfois intéressants... ne font que semerdes doutes et maintenir le statu quo:laquelle est vraie, laquelle est fausse.Inutile de dire que l'analyse féministeest rapidement évacuée parmil'ensemble de ces discours.

De surcroît, ces différentsdiscours entretiennent l'espoir que l'onréussira à découvrir la "véritable cause"de la violence conjugale ainsi que la"solution" à ce fléau. Ce qui donnel'impression qu'on n'aura pas à changerles valeurs oppressives pour les femmes,car le mal sera bientôt extirpé de notresociété d'une autre façon!

Problème no 3

Les résultats de ces recherchessontbien souvent interprétés à la lumièredes principes qui ont fait jaillir leshypothèses. Ce qui fait que la plupartdes hypothèses sont confirmées mêmesi elles sont biaisées (voir Strauss etCelles sur le nombred'hommes battus).

Prenons le cas où une rechercherévélait que 75 % des hommes violentssont chômeurs; ce qui nous laisse croireque le chômage peut être une causeimportante de la violence et s'ensuitl'analyse du prototype du chômeur,rejeté, en perte d'estime personnelle etfrustré de sa condition qui, à bout denerfs, perd le contrôle sur sa femme.

Un chercheur, connecté à laréalité de la domination des hommes,pourrait interpréter que le chômage estun prétexte pour justifier la "perte decontrôle" et la violence de l'homme.Mais si le chercheur ne l'est pas, il estfacile alors d'y voir une cause à effet:chômage=frustration = violence. Sanstoutefois, tenir compte de la variablesexe: est-ce que les femmes chômeusesbattent leur conjoint?

Si l'on pousse la caricature plusloin, fier de ces résultats confirmésscientifiquement, le chercheur pourraitfaire la promotion de l'équationchômage et violence et ainsi fairecomprendre implicitementaux femmesd'être un peu plus tolérantes à la violencede leur conjoint chômeur puisque lechômage est un fléau difficile à vivrepour les hommes qui se doivent depourvoir à leur famille.

Si ces résultats ne sont pascontestés et critiqués, on peut se payerla fantaisie d'imaginer les suites. Lesgouvernants intéressés par la statistiquedécident d'agir en développant desprogrammes spéciaux pour les"chômeurs violents": style P.D.E.spécialisé ! On prioriserait l'embauchede ces chômeurs! Les femmescontinueraient à être violentées, leshommes violents (parce que chômeurs)travailleraient, la population, déjàhautement imposée et taxée, paieraitpour maintenir en place cesprogrammesspéciaux inutiles et le gouvernementaurait la conscience tranquille. Il estclair que cet exemple est farfelu mais ildémontre le cheminement de larechercheeffectuée dans l'inconsciencepolitique.

Le (la) chercheuse) se doit d'êtreconscience) de l'impactde sa recherchesur les femmes mais aussi de larécupération possible des gouvernantsou autres qui sont à la recherche desolutions magiques, en identifiant "unemaladie" pour traiter des non-malades.

Suite à ces différents problèmesposés par la recherche effectuée dansnos institutions, il faut d'abordreconnaîtred'abordlarésistanceànotreanalyse féministe; analyse rejetéed'emblée par la science sous des motifsde non objectivité (comme si mettre del'avant une corrélation entre l'alcool etla violence était objectif). Cetterésistance se trahit en fait parl'émergence des multiples projets quirecherchent encore et toujours les"causes" de la violence conjugale. Onréfute l'idée del'oppression; on ne capi-tule pas; on cherche des réponses pluspointues, plus ciblées, plus médicales àces grandes questions sociales.

En conclusion, les discours quiémergent de parts et d'autres et quibrouillent les cartes, freinent actuel-lementla réflexion sur la discriminationbasée sur le sexe et favorisent dessolutions régressives et curatives. Ceciest possible parce que les chercheursrésistent à l'analyse féministe, parcequ'ils ne veulent pas tenir compte del'impact politique des résultats de leurrecherche, parcequ'ils sont déconnectésde leur champ d'intérêt et du milieu-terrain qui détient l'expertise.

Ces handicaps nous amènent àconclure à l'importance que leschercheurs se connectent aux femmesdu milieu de la pratique, celles qui sontimpliquées. Et ce, afin de faire ressortirune réalité qui, par voie politique,donnera du support aux femmesvictimes de violence et à leurs enfants,et qui fera avancer notre compréhensionde la problématique de façonàl'enrayerau lieu de la cautionner etd'entretenir latolérance sociale à la violence. Sinon, larecherche en violence conjugale n'apasraison d'exister !

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volume 4, numéro 13, avril 1989 : L'impuissance justifie-t-elle la clandestinité ?vKttvï&tt&fttvtttt

ET SI UN JOUR...Madeleine Lacombe pour le Comité exécutif

fl Jt orie est allée à la cour V autre jour; soniKI mari a été condamné à cinquante

dollars (50 $) d'amende pour l'avoir battue unetroisième fois. Marie est retournée chez elle sesentant impuissante face à tout cela.

Pierrette subit le harcèlement de son ex-maridepuis plus de six mois. Cela, malgré un 745, malgrél'intervention de la police, malgré... Pierrette se sentvraiment impuissante et songe à retourner avec luipour avoir un peu de paix.

Moi, chaque fois que je vais à la cour avec unefemme, j'enrage. Mais de fois en fois, cette rage setransforme en impuissance. Que puis-je faire, aufond, face à cet appareil ?

Il y a quelques mois, un mari a rôdé autour dela maison trois ou quatre jours. Juste pour nous fairepeur, juste pour nous montrer ! La police refusaitd'intervenir puisqu"'il ne faisait rien". Nous noussentions atteintes et impuissantes.

Jocelyne a perdu la garde de ses enfants. Sonmari a vraiment été dégueulasse envers elle. Toutétait bon pour lui faire perdre la garde de sesenfants. Jocelyne est revenue à la cour complètementvidée. Délavée. Que d" impuissance, une fois déplus,face à son désespoir.

Jeanne vient en cachette quelques fois. Sonmari la bat, mais il est policier ! Personne ne veutdonc intervenir etsurtoutpas ses collègues de travail.Jeanne vit beaucoup d'impuissance et nous-mêmesne savons pas trop comment nous y prendre.

Vous pouvez sans doute ajouterencore et encoreàcettelisted'exemples.Ce qu'il en restera toujours est im-puissance, impuissance, impuissance.Que de fois ce mot revient-il dans notrelangage. Que de fois pourtant avons-nous pensé l'avoir banni à tout jamais.Ne nous sommes-nous pas prises enmain, nous les femmes ? N'avons-nouspas mis sur pied toutes sortes de services,nous les femmes ? N'avons-nous pascru même que ça "y était", à un certainmoment donné ?

Et pourtant... on nous a viterécupérées. On a vite compris, c'est laplus grande force du système patriarcal,que notre force à nous justement, c 'étaitd'être marginales, de se situer en dehorsdes règles sociales. Que notre force,c'était aussi notre révolte que nousmettions au service de notre créativitépour trouver de nouvelles pistes desolution. On nous a écoutées, on arécupéré notre discours, fait de laproblématique un sujet à la mode donttout le monde pouvait s'occuper. Ahoui ! on nous a aussi subventionnées,pas assez pour que nous devenionsmenaçantes en ayant le temps deréfléchir, mais juste assez pour que noussoyons toujours débordées par lademande d'hébergement ! D'ailleursne sommes-nous pas jugées là-dessusnous, notre taux d'hébergement ! Nousessayons donc de répondre à toutes lesdemandes, tous les besoins, jusqu'aujour où nous nous sentons dépassées,dépossédées etànouveau impuissantes.Notre belle révolte, mal canalisée, s'estretournée contre nous, Et pourtant..

Et pourtant, le sens ultime denotre travail, de notre engagement n 'est-il pas de se reprendre en main commefemmes, de se redonner de la force, du

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courage, de la puissance ? Que nousapporte de pouvoir répondre à toutes lesdemandes, si au bout du compte nousnous sentons essoufflées, dépossédées,épuisées, en burn out ? Comment alorsreprendre du pouvoir sur notre travail ?Commentreprendre du pouvoir sur notreintervention ? Comment reprendre ànouveau "le contrôle" ? Comment eneffet, donner le goût aux femmes denous suivre sur ce terrain, si tout nesemble que durs labeurs, sacrifices, bumout, etc. ?

Comment reprendre du terrain,se réapproprier les choses ? Une despistes se trouve sans doute dans larecherche de pouvoirs parallèles, depratiques alternatives ! En termes trèsclairs, ça se pose de la façon suivante:que faire quand ça fait vingt fois que "jeme pette la gueule" sur la même porte ?Que faire lorsque nous nous trouvonstoujours dans le même genre de scénarioque ceux énoncés plus haut ? Que faire"d'autre" que d'aider les femmes àmieux supporter la machine ? Que fairede plus, que de leur apporter du supportpour se "péter la gueule", elles aussi, detoute façon contre une machine qui entout temps, n'a jamais été pour nous ?

Bien sûr, il y a le travail à longterme, travail sur des changements delois, d'attitudes, de mentalités, etc...Mais à court terme, ici et maintenant,n'y aurait-il pas des choses que l'onpourrait faire ? Des choses qui seraientaidantes, énergisantes. Des choses quinous feraient plaisir. Des choses où onentrerait en contact avec notre force,avec notre pouvoir, avec notrepuissance. Nous l'avons souligné audépart, notre force à nous se situe dansla marginalité, en dehors des règlessociales...

Ce numéro nous apporte des exemples de pratiquesalternatives, de pouvoir parallèle. Peut-être ne sont-ellespas applicables à notre réalité ? Peut-être ne sont-ellespas de celles dont nous avons envie d'utiliser. Cesexemples ont à tout le moins, le mérite d'avoir redonnédu pouvoir, un pouvoir très réel à certaines femmes. Ilsont aussi le mérite de nous faire voir d'autres approches,d'autres solutions. Est-ce que ça ne nous fait pas aumoins rêver à d'autres possibilités, d'autres pratiques,d'autres avenues ? Et si on se laissait tenter ?

Se laisser tenter implique beaucoup de chosescependant. Ça implique qu'on prend du temps pour seressourcer (lectures, échanges, recherche) commeintervenantes et militantes. Du temps, pas en plus denotre travail, mais du temps dans notre travail, du tempsintégré à nos fonctions, du temps pour réfléchir, prendredu recul, évaluer notre pratique. Du temps aussi pour sequestionner, se laisser aller à nos fantasmes d'actionpossibles. Du temps pour canaliser notre révolte. Dutemps pour redevenir créatrices, quoi !

Ce temps, cependant, personne ne nous le donnerasur un plateau d'argent. Ce temps, nous devrons décider,toutes ensembles, de le prendre si nous voulons vraimentvoir la face du monde se transformer un jour. Utopique ?Nous ne croyons pas ? Trop d'énergies ? Et toutes cellesalors, que nous mettons à nous indigner contre lesystème,contre notre impuissance. Toutes ces énergies négativesqui se retournent contre nous ? Ne serait-ce que celles-là,nous serions étonnées de les utiliser et de voir là où ellespeuvent nous mener. Notre force réelle, elle se situe dansla subversion *, pas dans le respect des nonnes établies.Tentant non ? Et si on essayait au moins d'y penser ? Etsi un jour...

* Subversif (Petit Robert) : qui renverse, détruit l'ordreétabli; qui est susceptible de menacer les valeurs reçues

Avalanche/tares ouverts*-juin 1994- 29

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volume 4, numéro 14, juin 1989 : La famille oui... mais à quel prix!

Quand le gouvernement analyse la violence conjugalesous l'angle familialiste

Elizabeth Harper, traduit librement par Diane Prud'homme

S elon l'étude historique deGordon, faite aux États-

Unis, la réponse des services sociaux àla violence conjugale est déterminéepar le climat politique, particulière-ment par la montée et la chute dumouvement des femmes et de d'autresmouvements politiques. Mais, pouranalyser adéquatement la réponse dugouvernement au problème de laviolence conjugale, il est important debien situer sa perception de l'institu-tion de la famille et identifier commentcette perception empêche la venue deréponses adéquates.

La famille idéale est basée surtrois croyances. Un premier élémentest que la famille relève du privé, ce quia longtemps protégé la famille de touteintrusion et intervention de l'État. Cettenotion du privé empêchait les voisins,la famille et la police d'intervenir dansles situations de violence conjugale.Mëmeaujourd'hui, la familleest encorevue comme un terrain d'intimité où sesmembres peuvent s'y réfugier.L'expression "l'homme est maître dansson royaume" nous rappelle bien que cequi se passe dans chaque maison est dudomaine du privé, etque par conséquent,le contrôle ou l'autorité exercée ne peutêtre questionnée par les gens del'extérieur. Cette notion de familleprivée nous rappelle aussi que, pourcontrer la violence conjugale, l'inter-vention doit être subtile afin qu'elle nesoit pas perçue comme une intrusion àl'intimité familiale.

Le second élément de la familleidéale est la croyance que l'homme està la tête de la famille et de là, a le droitd'exercer son pouvoir et autorité surtous les autres membres de la famille.Cette croyance était confirmée en 1973par l'Institut canadien de l'opinionpublique qui, suiteàunsondage.révélaitque 63 % des gens interviewés con-

sidéraient malheureux le déclin du rôledominant de l'homme dans la famille.Cette croyance se reflète aussi par le faitquec'est seulement en 1983 quelecodecriminel a reconnu l'agression sexuelled'un homme sur son épouse. AuQuébec,ce n'est qu'en 1986 que la violenceconjugale fut déclarée comme uneoffense criminelle et que le policier futmandaté pour déposer des charges.

Le troisième élément de la fa-mille idéale est la croyance qu'il fautpréserver la famille à tout prix. Mêmeaujourd'hui, le mariage est vu commeun engagement durable pour le meilleuret pour le pire, et la famille bi-parentaleest vue comme étant le modèle idéalpour élever des enfants. Pour préserverla famille et "pour le bien des enfants",les femmes ont mis et mettent encore decôté leurs besoins et ont nié leursinsatisfactions maritales. Quoique lafamille monoparentale est plus courantedans notre société, elle est encoreconsidérée comme un modèle familialdéviant. Ce qui transparaît d'ailleursdans les politiques de l'aide sociale etd'autres législations qui entretiennentla monoparentalité dans la pauvreté.

Selon Pleck, les politiques so-ciales concernant la violence conjugalen'apparaissent que pour répondre auxpressions féministes etàcelles des autresmouvements sociaux, et non pas à causedes incidences de la violence conjugale.C'est pourquoi, même si le mouvementdesfemmes faitapparaître des politiqueset des changements législatifs en vue deprotéger les victimes, l'efficacité detelles réformes dépendra toujours de laperception de l'État quant à la familleidéale. D'ailleurs, on est à même deconstater que les politiques socialesactuelles ont permis à l'État des'introduire dans la sphère familiale,mais, en même temps, elles réussissentà préserver la famille et à protéger lemodèle idéal.

Pour analyser adéquatementla réponse du gouvernement

au problème de la violenceconjugale, il est important de

bien situer sa perception del'institution de la famille et

identifier comment cetteperception empêche la venue

de réponses adéquates.

30 • Avalanche flDrtasouwnW-juin 1994

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Le mouvement des femmes adéfini que la violence faiteaux femmes provient de ladomination des hommes surles femmes et de l'accès inégalpour les femmes au pouvoirpolitique, économique etidéologique.

Depuis 1976, les maisonsd'hébergement font des pressions sur legouvernement pour obtenir unepolitique de financement équitable pourtoutes les maisons. En janvier 1979, leministère des Affaires sociales sortpubliquement sa première politiqueconcernant les femmes victimes de vio-lence intitulée: "Documentd'orientationsur les centres de dépannage pour lespersonnes en difficulté". L'inter-prétation de l'État du phénomène de laviolence conjugale est alors que lesfemmes victimes de violence sont endifficulté et décrites comme des adultesmésadaptées. "Par mésadaptés sociauxadultes, nous entendons: itinérantes,alcooliques, toxicomanes, ex-détenues,chômeuses chroniques, adultespossédants de légers troubles decomportement, etc... tout comme laclientèle des femmes en difficulté."

Cette politique montre bien ladifficulté de l'État à percevoir adé-quatement le phénomène de la violenceconjugale comme un problème social.En supposant que les femmes victimesde violence sont des femmes endifficulté, l'État nie que les femmesvictimes de violence ont des besoinsspécifiques pour des services spéci-fiques. En décrivant cette clientèlecomme des "personnes mésadaptées",l'État renforce la notion que la violenceconjugale est un problème privé etindividuel, et que les femmes sontresponsables de leurs situations. Cettepolitique sociale évitait de questionnerl'institution de la famille, la dynamiquedu pouvoir entre les sexes, ainsi que leconcept de la famille idéale.

En juin 1985, le ministère desAffaires sociales rend publique la plusrécente politique sociale en matière deviolence conjugale intitulée "Une poli-tique d'aide aux femmes violentées".Une fois de plus, cette politique est une

réponse aux pressions des maisons surl'État pour obtenir un financementadéquat pour leurs organismes. Et unefois de plus, les maisons constatent quel'État est incapable de répondre effi-cacement à ce problème.

La première section de lapolitique fournit une analyse de laproblématique. Cette analyse s'inspirede la théorie féministe développéedepuis les 10 dernières années sur ladomination des hommes ainsi que lepouvoir hiérarchique, politique,idéologique, physique et économiquedes hommes sur les femmes. De touteévidence, le reste de la politiquecontredit cette analyse.

Contrairement aux études desféministes et de Linda McLeod, cettepolitique entretenait de faux stéréotypessur les femmes victimes de violence, ense centrant sur les caractéristiques desfemmes hébergées. Ce qui niel'existence de femmes victimes deviolence dans les classes moyennes etsupérieures et n'encourage pas ledéveloppement de services dans cescommunautés.

Le mouvement des femmes adéfini que la violence faite aux femmesprovient de la domination des hommessur les femmes et de l'accès inégal pourles femmes au pouvoir politique, éco-nomique et idéologique. La violencefaite aux femmes est le produit d'unesociété sexiste donnant le droit auxhommes de dominer les femmes. Alors,contrairement à l'analyse féministe,cette politique sociale a radicalementredéfini le problème de la violenceconjugale en supposantque le faitd'êtreviolentée est le résultat de la pauvreté etdu manque d'éducation.

Ce qui nous éloigne de l'urgencede se pencher sur la réévaluation desrelations entre les hommes et les femmes

Avalanche Portas ouvertes-juin 1994- 31

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et sur les inégalités qui entretiennent cetype de violence.

Ce qui nous éloigne aussi de lanécessité d'une réforme quant àl'institution de la famille qui entretientencore le fait que l'homme soit le chefde la maison et qu'il ait un droit decontrôle absolu sur tous les membres desa famille.

Cette analyse a pour effet deprotéger la familleetde la traiter commeune institution privée. Ce qui dépolitisele problème et permet d'ignorer l'a-nalyse féministe pour enrayer les causesde la violence faite aux femmes.

Les bases de la politique d'aideaux femmes violentées définissentaussiles femmes comme des mères et/ouménagères. Une fois déplus, les femmesne sontdéfiniesqu'àtravers teur relationà une sphère privée. Cette politique n'apu reconnaître qu'aujourd'hui, plus de50 % des femmes mariées et 63 % desfemmes avec des enfants d'âge pré-scolaire travaillent à l'extérieur de lamaison aussi bien qu'à l'intérieur. Cemanque de reconnaissance de laparticipation des femmes sur le marchédu travail perpétue l'image de la femmedéfinie à travers sa relation avec sonconjoint et ses enfants. Ce qui maintientet renforce le rôle traditionnel desfemmes: celui de nourrir etde s'occuperdes enfants, de cataloguer leur désir etleur besoin en fonction de la famille.

Selon Abromovitz,l'aide sociale,à travers ses politiques et ses program-mes, renforce elle aussi les relationspatriarcales dans la famille et la dé-pendance économique des femmes.Abromovitzetles féministes socialistessoutiennent que l'intérêt de l'État est demaintenir cette relation dans la famillepour assurer la survie du capitalisme etdu patriarche.

La politique d'aide aux femmesviolentées fournit de plus un portrait del'homme violent. Une fois de plus, elleprésente un profil biaisé, soutenant quel'homme violent n'est pas scolarisé, ades problèmes d'alcool et de drogue eta connu des expériences de violencedans son enfance. Par cette définition,la politique renforce le mythe que cesfacteurs causent la violence. Quoiqu'ily a des cas où des hommes ont connudes histoires liées à l'alcool ou à laviolence dans l'enfance, ça n'expliquepas pourquoi d'autres hommes qui nepartagent pas ce type d'expériences sontpourtant eux aussi violents, pas plusque ça n'explique l'inverse. Mettrel'emphase sur ces facteurs excuse laviolence des hommes et insinue qu'ilsne sont pas responsables de leurs actes.

D'autre part, en 1987, leministère de la Santé et des Servi-ces sociaux accordait 200 000 $ auxgroupes qui offrent des services pourles hommes violents. Ce 200 000 $ futpuisé à même les fonds destinés auxmaisons. Le fait qu'ils sont sub-ventionnés par le M.S.S.S. plutôt quepar le ministère de la Justice montre lacontradiction de l'État à savoir que laviolence conjugale n'est pas perçuecomme une offense criminelle qui doitpasser par la cour et les programmes deréhabilitation, mais plutôt comme unproblème familial qui doit passer par lesservices sociaux.

En mars 1986, le ministère de laJustice du Québec rendait publique unepolitique intitulée: "Politique d'in-tervention en matière de violenceconjugale". Cette politique annonçaitque la violence conjugale seraitdésormais traitée comme une offensecriminelle. Quoique cette politiquecriminalise la violence conjugale, lesdirectives concernant les sentences ladecriminalise. Les agresseurs, si

Les bases de la politiqued'aide aux femmes violentées

définissent aussi les femmescomme des mères et/ou

ménagères. Une fois de plus,les femmes ne sont définiesqu'à travers leur relation à

une sphère privée.

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Dans le contexte où l'Étatcoupe les budgets dans lesservices sociaux et les soins desanté, et qu'il opte pour ladésinstitutionnalisation, lafamille devient unealternative économique poursuppléer et offrir les servicesqui revenaient jadis à l'État.

éligibles au traitement, auront le choixde suivre un groupe de thérapie avantd'être sentences. Si le traitement estjugé réussi, l'agresseur sera pardonnéet aura une sentence réduite. Si letraitement échoue ou si l'agresseur estnon eligible pour suivre un traitement,il sera sentence selon la gravi téducrime.La sentence peut être l'ordonnance degarder la paix, une thérapie, les travauxcommunautaires ou la prison pour lessituations extrêmes.

Cette politique sociale annonceclairement l'ambivalence de l'État àcriminaliser la violence conjugale. Lesystème judiciaire a fait une énormeerreur en proposant la thérapie commemoyen de prévention à la récidive.L'intérêt de l'agresseur pour suivre lathérapie ne sera pas de se responsabiliserde la violence qu'il acômmis à l'endroitde sa conjointe, mais plutôt d'éviter lasentence.

En février 1988, le M.S.S.S. deconcert avec le ministère de la Justice,lancent une campagne de sensibilisationsur la violence conjugale par le biais dela télévision, radio, journaux etdépliants. Le thème de cette campagneétait: la violence conjugale estinacceptable. Les maisons dénoncentce thème puisqu'il ne parle pas ducaractère criminel de la violenceconjugale. Le terme inacceptable faitréférence à la responsabilité des victimesface à la situation qu'elles subissentparce qu'elles acceptent la violence etnecherchent pas del'aide.La campagneétait aussi critiquée parce qu'elle neparlait pas du besoin de sécurité desvictimes; elle mettait sur un plan d'éga-lité la victime et l'agresseur. De plus, lacampagne mettait l'emphase sur laviolencephysique,omeuantrexpérien-ce des femmes subissant la violencepsychologique, verbale, sexuelleet éco-nomique. S uiteàla critique, la deuxième

phase de la campagne fut annulée.

Entre 1979 et 1988, le gou-vernement a donc posé des gestessignificatifs pour composer avec lespressions des maisons et les besoins desfemmes victimes de violence conjugale.Mais l'État a reformulé le problème:alors que les femmes l'avait définicomme originant d'une inégalité depouvoir entre les sexes, il devient unproblèmed'incapacité individuelle. Lespolitiques sociales ne s'attaquent pas àla source du problème; elles n'ont pasproduit de critique sur les relations depouvoir dans la famille et de là, ontprotégé la famille au détriment de lavictime.

Les intérêts àpréserver la famillesont particulièrement significatifs auQuébec, d'abord à cause du problèmededénatalité et ensuite.pour des raisonséconomiques.

Dans le contexte où l'État coupeles budgets dans les services sociaux etles soins de santé, et qu'il opte pour ladésinstitutionnalisation, la familledevient une alternative économiquepoursuppléer et offrir les services quirevenaient jadis à l'État Ce qui réduitles coûts de santé et de services sociaux.Il en est de même pour l'aide socialequi, par ses coupures et l'émergencedes critères de contrôle, envoie lemessage aux femmes qu'il est dans leurintérêt financier de rester avec leurconjoint, sinon elles seront"surveillées''parrÉtatpourlesforceràaller travaillerouétudier(mêmes'iln'apasd'emplois).

En bref, les politiques socialesne pourront jamais aider les femmesvictimes de violence avec les tendancesqu'elles mettent de l'avant. L'État voit,actuellement, trop d'intérêt à préserverla famille et trop peu à soutenir lesfemmes victimes de violence.

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volume 4, numéro 15, septembre 1989 : Échec et mat à la régionalisation

L'affaire Chantai DaigleAndrée Côté

TP\ ans le manifeste des femmes sur l'avortementf", on lit:JL/ Forcer une femme à mener à terme une grossesse nondésirée est un viol La forcer sous la menace d'emprisonnement,à porter dans son corps un enfant qu'elle ne veut pas mettre aumonde, c'est de la violence physique et psychologique.

Chantai Daigle était victimede violence conjugale.

Elle a rencontré Jean-GuyTremblay le 26 novembre; le 20 janvier1989, il lui proposait le mariage. Audébut de leur relation, il était le garsparfait, "un être doux, plein d'attentionetdetendresse."^

À compter de cette demande enmariage, Tremblay a commencé à luidemander avec insistance d'avoir unenfant Elle lui disait qu'elle n'était pasprête. Avec les jours qui passaient, ildevenait de plus en plus insistant, lamenaçant de jeter ses anovulants. Elle aarrêté de prendre des moyenscontraceptifs à la fin du mois de janvier.

Au début du mois de février,Tremblay a emménagé chez elle et ilsont fait la plupart des préparatifs pourleur mariage, prévu pour le 29 juillet.Dès le début de la cohabitation, l'attitudede Tremblay a changé du tout au tout.Chantai dit: "II devient de plus en plusdominant, excessivement jaloux etpossessif, con trôlantetsurveillanttoutesmes allées et venues." Les querelles semultipliaient et Tremblay a commencéà lui faire des menaces physiques. Ill'accusait d'être "infidèle" et la traitaitde tous les noms.

Vers la fin du mois de mars 1989,Chantai a su qu'elle était enceinte.Après la confirmation de sa grossesse,Tremblay a commencé à être physique-

ment violent. Il la secouait et la projetaitsur le plancher. Et après, il s'excusait.Plus le temps avançait, plus il devenaitviolent. En mai 1989, il lui a dit que sielk continuait à faire "sa tête de cochon",elle finirait dans Allô Police. Il lui disaitqu'elle devrait avorter si la situationentre eux ne s'améliorait pas. Il la me-naçait de la défigurer et de la "dompterune fois pour toutes".

Elle a pensé à le quitter, mais elleavait peur de lui. Le 1er juillet, il aessayé de l'étrangler. Elle s'est réfugiéechez son propriétaire qui a appelé lapolice. Jean-Guy a encore promis de neplus recommencer.

Le 3 juillet, la famille de Chantaiest venue la chercher; elle a quitté sondomicile pour vivre chez son père àChibougamau. Le 4 juillet, elle aentrepris des démarches pour obtenirun avortement. Le 7 juillet, elle avaitrendez-vous au Centre hospitalier deChibougamau. Le lendemain, ellequittait Chibougamau pour se rendre auseul hôpital du Québec qui pratique desavortements tardifs, leCentre hospitalierde l'université de Sherbrooke.

Alors qu'elle était en route, unhuissier l'a arrêtée pour lui signifierl'injonction interlocutoire provisoireque Jean-Guy Tremblay avait obtenuela veille au Palais de justice de Québec.

Une injonction interlocutoire estprononcée le lundi 17 juillet par le juge

Jacques Viens (dont la Coalition ademandé la démission). Il a jugé qu'uneinjonction était nécessaire pour protégerle droit à la vie de l'enfant non né et lesdroits personnels de Jean-GuyTremblay.

Trois jours plus tard, soit le 20juillet, la Cour d'appel siégeait enurgence sur l'appel de Chantai Daigle.Quatre hommes et une femme ontentendu des plaidoiries qui ont duréjusqu'à 3 heures de l'après-midi.0'

La Cour d'appel a rendu sadécision le 26 juillet. Elle a jugé que lefoetus est un être humain et qu'enconséquence, il a un droit à la vie.Qu'un géniteur peut interdire à unefemme d'avorter parce qu'il ades droitsen tant que père de l'enfant. Qu'unefemme doit avoir des "motifsraisonnables" et "acceptables" pourpouvoir obtenir un avortement et queles raisons de Chantai ne répondaientpas à ce critère. Un des juges affirmaitmême qu'il n'est pas nécessaire de sepencher sur les conséquences d'unematernité non désirée sur la vie deChantai Daigle. Finalement, le jugementde la Cour d'appel du Québec est àl'effet que le droit à la liberté énoncé àl'article 7 de la Charte canadienne desdroits et libertés, n'inclut pas le droitpour une femme de décider de façonautonome de mettre un enfant au mondeou pas.

Le lendemain, 10 000 femmesmanifestaient dans les rues de Montréalet, dans plusieurs régions, les femmesse sont regroupées pour faire part deleur protestation. Nous avons reçu destélégrammes et des appels de plusieursendroits au Québec, de l'Acadie et deplusieurs villes au Canada.

Le 8 août, laCour suprêmecassaitl'injonction interlocutoire et déclaraitmal fondé en droit le jugement de la

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cour d'appel du Québec. Les motifs decette décision devraient être rendus aucours de l'automne.

* * *

InterdireàChantald'avorter étaitla seule façon pour Jean-Guy Tremblayd'exercer un contrôle sur elle. Et il avaittout essayé. Les tribunaux québécois sesont faits complices de cette violenceconjugale. Combien d'autres femmesseraient ainsi placées sous la tutelle deleur conjoint si on reconnaissait un droità la vie aux foetus ?!?

Toute loi qui viendrait limiter lesdroits des femmes à contrôler leur corpset leur force de reproduction ouvrirait laporte à de tels abus.

Il ne faut pas accepter le"compromis" sur ravortement que legouvernement fédéral vanous proposercet automne: cela permettrait auxhommes d'avoir un meilleur contrôlesur nos maternités et nos vies toutesentières. Par exemple, une loi quipermettrait ravortement sur demandejusqu'à un certain stade permettrait decontrôler les conditions dans lesquellesune grossesse désirée sera vécue parune femme après un tel stade. En effet,au nom du meilleur intérêt du foetus,l'État, le Juge ou le père pourraientinterdire à une femme de fumer, de tra-vailler devant un écran cathodique, defaire du temps supplémentaire, de faireun travail stressant et quoi encore !?

La Coalition affirme que legouvernement provincial doit main-tenantfournirdesservicesd'avortementde qualité, accessibles aux femmes detoutes les régions et de touteslescultures.À mon avis, il faudrait demander augouvernement de mettre en place desservices d'avortement dans tous lesCLSC et qu'au moins un hôpital parrégion offre des services d'avortementstardifs/4' Déplus, il est impérieux que legouvernementreconnaisse aux femmesen attente de reconnaissance d'un statut

de réfugiées le droit d'obtenir desservices d'avortement, parce qu'àl'heure actuelle, on les leur refuse !

Ce sont peut-être des préoc-cupationsquipourraientêtre véhiculéesdans les mois à venir lors de nosinterventions dans le dossier de larégionalisation.

* * *

Les femmes se sont démontréespuissantes et bien organisées pouraffronter cette "crise" de ravortement.

Au Regroupement provincial,Germaine Vaillancourt a accompli untravail de mobilisation et de coordinationsensationnel. Les travailleuses desmaisons et celles de SOS Violenceconjugale se sont mobilisées en grandnombre, partout au Québec. RaquelSépulvéda de Secours aux femmes atraduit le Manifeste des femmes enespagnol et l'a présenté à une foule de2 000 femmes réunies mercredi le 19août pour la soirée de solidarité avecChantai Daigle. Elizabeth Harper etLiseRossignol ont rédigé un communiquéde presse où elles affirment: "ChantaiDaigle est une victime de violenceconjugale et notre système judiciaire apermis à son conjoint de continuer àexercer cette violence. Nous anticiponsles effets négatifs qu'auront cesévénements sur les intervenants de lajustice qui travaillent en violenceconjugale.

Ces jugements sont un feu vert àla violence faite aux femmes, puisqu'onlegitimise le pouvoir des hommes et ledroit de lescontrôler. Notre magistraturenous a fait la démonstration de sacomplicité avec les hommesagresseurs...

Ce sont toutes les femmes de laprovince de Québec qui se voientretirerle droit à l'égalité, puisqu'elles perdentle droit de contrôle sur leur corps, leurvie et leur destinée.

(1) Le Manifeste a été adopté lors d'uneassemblée féministe convoquée d'urgen-ce, lundi le 24 juillet 1989; plus d'unecinquantaine de femmes étaientprésentes et à peu près 25 groupes defemmes, comité de condition fémininesyndical et d'autres groupes étaientreprésentés. Cette assemblée a donnélieu à la création d'un comité ad hoc dela Coalition québécoise pour le droit àl'avoilement.

(2) Affidavit détaillé de Chantai Daigleproduit lors de l'audition de la requêteen injonction interlocutoire, paragraphe8. Toutes les informations sur les faits decette cause sont tirées de l'affidavit deChantai.

(3) Me Suzanne Guillet et moi-mêmesommes allées au Palais dans le butd'offrir notre assistance à l'avocat deChantai. Pendant deux jours, un comitéad hoc d'avocates a préparé des notes etautorités sur les questions de droit quidevaient être soulevées devant la Courd'appel. Nous avons tenté à plusieursreprises d'entrer en communication avecl'avocat de Chantai Daigle, mais sanssuccès. Nos appels n'étaient jamaisretournés. Le jour de l'audition de lacause, Me Bédard n* a pas accepté notrecollaboration.

(4) Seulement 4 femmes sur mille se fontavorter après 20 semaines de grossesse.Les femmes qui ont recours àl'avortement après 20 semaines provien-nent souvent de régions éloignées où iln'y a pas de service d'avortementaccessible, ou encore ce sont desadolescentes ou des femmes qui doiventavorter pour des raisons médicales.

Avalanche Portes oiws/iw juin 1994- 35

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volume 4, numéro 16, novembre 1989 : La colère des femmes

Quand la colère gronde en nous !Diane Prud'homme

R ien n'est plus laid qu'unefemme en état d'ébriété.

Sauf, peut-être, une femme en colère!m'a-t-on maintes fois répété (à un pointtel que j'étais certaine que c'était undicton!). Pourquoi est-ce si laid? ai-jedéjà demandé avec innocence. "Parceque ce n'est pas féminin", m'a-t-onrépondu. Ah! bon.

Ainsi, je ne vous apprendrai riensi je vous dis que les femmes sontconditionnées au contrôle de leur colère(question de féminité), que c'est mêmel'élément-clé de leur socialisation. Mais,plus je réfléchis sur la question etplus jecrois que l'inhibition de la colère desfemmes n'est pas que le résultat de lasocialisation, elle fait aussi partie desconséquences aux expériencesd'oppression. Je m'explique.

Il a déjà été question dans cejournal de la victimisation des femmesen lien avec le cycle de la violence deshommes. Sans reprendre en détail ceschéma, je m'y référerai pour expliquerde quelle façon des femmes sont piégéesdans leur colère par la violence deshommes. On apprend très jeune qu'il ya des dangers particuliers aux filles etaux femmes. Ces dangers ne sont pasnommés mais on sait qu'ils sontprovoqués par les hommes et que seulseux, peuvent nous en protéger. Malgrécette protection, nous expérimentonsquand même, à des degrés divers,différentes formes d'agression de la partde notre père, frère, oncle, voisin, profes-seur, amoureux ou étranger. Et c'est àpartir de ces expériences d'agressionque les femmes apprennent entre autres,à inhiber leur colère.

Il est clair que nous interprétonsces agressions de façon quelque peudifférente selon notre histoire, nospropres armes, nos expériences, notre

personnalité, etc. Mais chose certaine,nous ressentons toutes de la colèrelorsque nous sommes agressées.TOUTES LES FEMMES SESENTENT OUTRAGÉES devantl'agression d'un homme qu'il soit unproche ou un étranger, que ce soit sousforme de harcèlement, d'agressionsexuelle, physique ou verbale.

En fait, la colère est un sentimentdonné à toutes personnes, hommes oufemmes. Et quelle que soit notresocialisation, tout le monde la ressent.

Toutefois, il existe des situationsoù il est préférable d'inhiber, retenir,refouler, contrôler, nier ou rationaliserce sentiment. Et c'est là que notrevictimisation entre enjeu. Lorsqu'il y aagression, nous sentons indéniablementla colère. Mais lorsqu'il y a eu plusieursexpériences d'agression et qu'à chaquefois, quoique l'on dise, quoique l'onfasse, l'agresseur n'est jamais puni, n'estjamais accusé, et est parfois mêmevalorisé, l'on expérimente un grandsentiment d'impuissance. (On ne se sentvraiment pas du bon bord). Alors notresentiment décolèrepeutêtrerapidementévacué et ce, pour différentes raisons.On en vient à comprendre que, suite àl'agression, l'homme et la sociétéresponsabiliseront la femme du gestequ'il vient de poser soit en l'accusantdirectement, soit en lui demandant decomprendre la situation, ou encore enjustifiant son geste. Bref, on ne sait plusqui est responsable de l'agression; toutce que l'on sait, c'est que ce n'est pasentièrement la faute de l'homme. Lasociété entérine cette version dedéresponsabilisation de l'homme enacceptant la thèse commequoilafemmeaurait pu le provoquer (cause enseptembre 1989 au Connecticut où levioleur fût libéré parce que le jugeconsidérait que la femme l'avaitprovoqué en se promenant en mini-

jupe), ou que cet homme est malade ouquece n'était qu'un jeu (inceste), que lafemme n'a pas d'humour (harcèlement)ou en niant carrément l'agression oupire encore, en s'abstenant, ne faisantrien devant la plainte.

Lafemme ressent donc une colèremais en même temps, les messagesantérieurs, les normes sociales etl'accusation qui est portée contre ellefont en sorte qu'elle doute de saresponsabilité. Est-ce ma faute? jen'aurais pas dû sortir aussi tard le soir,je n'aurais pas dû lui dire telle chose, jen'aurais pas dûm'habiller de cette façon,je n'aurais pas dû le suivre, je n'auraispasdû lui répondre sur ce ton, jen'auraispas dû passer près de ce chantier, jen'aurais pas dû... Et très rapidement sesubstituent à la colère, le doute et lesentiment d'être en partie responsablede l'agression.

Ce sentiment de responsabilitéface à l'agression est entériné par lesintervenantes sociaux(ales) quiviennent en aide aux victimes. Quandune femme victime d'inceste, de viol,de harcèlement sexuel ou de violenceconjugale demande de l'aide, elle seretrouve devant des intervenantes quisont le reflet de notre valeurs sociales.nsinterprètenU'expérience de la victimecomme étant le résultat d'unedynamique personnelle. Il en est demême pour les intervenantes del'appareil judiciaire, l'employeur,l'agent d'aide sociale, le psychologue,le médecin, l'auxiliaire familiale, etc.qui demandent aussi à la victimed'assumer une part de responsabilité.

Il y a de quoi faire une saintecolère (qui passerait sûrement pour del'hystérie!). D'ailleurs, lorsqu'unefemme prend du recul par rapport auxagressions qu'elle a vécues et qu'elleanalyse ce qui s'est passé et sa réaction,

36 -Avalanche PortasoowrtBs-juin 1994

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elle ressent une grande colère devantl'impuissance des femmes dansl'organisation sociale qui entretient cet-te injustice. Mais lorsque la femme estprise dans l'action, elle vit tout celasous le règne de la peur. Elle est seuleavec le ou les agresseurs. Qu'arrivera-t-il si elle exprime sa colère? Est-elle enposition pour l'exprimer? Quand onsait que l'agresseur utilise la violencepour amener la femme à se soumettre àlui, comment peut-on s'y rebeller? Nesera-t-il pas plus violent si elle résiste?Qui tient le bon bout du bâton? Si elle sefâche, c'est avec plus de violence quel'agresseur la contrôlera, si elle ne sefâche pas, on parlera de consentement

II s'avère donc souvent plusprudent ou plus stratégique de ne pasexprimer notre colère dans un contexted'agression. Et quand on pense stratégie,on ne pense déjà plus à ce que l'on vit:on retient le coeur pour laisser place à latête! Et la colère, c'est une question decoeur.

Par conséquent, dans un contexteoù les femmes sont appelées dès leur"tendre enfance" à subir différentesformes d'agression et à être maintenuessous le contrôle des hommes, commentpourraient-elles librement et sainementexprimer leur colère?

Quand bien même on lesencouragerait toutes jeunes à exprimerce sentiment, il n'en demeure pas moinsque l'oppression qu'elles vivent tout aulong de leur vie ferait en sorte qu'ellesseraient appelées à être stratégiques(question de survie) etàdoser leur colèredans un contexte d'agression. Et cedosage ne peut faire autrementqu'amener les femmes à apprendre à secouper de leur colère jusque dans lessituations où il n'y a pas d'agression.Dans la mesure où l'expression de lacolère est associée à une perte (perte dela vie, de sécurité physique oud'affection), il risque d'y avoir unegénéralisation pour toutes les situationsoù la colère est ressentie.

Comment s'étonner alors du faitque les femmes se sentent maladroitesface à leur propre colère et à celle desautres. Il n'est donc plus seulementquestion d'amener les femmes às'affirmer etàse réapproprier leur colère(comme plusieurs tentent de nous lefaire croire), il faut d'abord amorcerune lutte collective contre l'oppression,quitte à faire une "sainte colère publi-que"! Bien sûr, en même temps, nouspourrons commencer à se donner dusoutien pour nous permettre de nousdéfaire de la responsabilité qui nousincombe face aux agressions.

Et enfin, nous pourrons analyserrimpactderoppressionsurrexpressionde notre colère et travailler à ladévictimisation.

LES CONSÉQUENCESD'UNE COLÈRE RETENUE

À force de retenir sa colère etd'avoir peur de l'exprimer, à force d'êtreprudente et stratégique, à force decomprendre, d'être FINE, de s'inhiber,decroirequel'onpeutéviterragression,à force de se contrôler, qu'arrive-t-ilaux femmes?

Bien sûr, il arrive que l'on penseque c 'est un état naturel chez la femme.On pense que c'est inné. On s'attend àce que toutes les femmes correspondentà cette image. On s'attend à ce quejamais elles ne se rebellent. Et tout cebeau portrait offre de magnifiquesarguments pour justifier la résistance àdes changements sociaux.

Mais de façon plus individuelle,la colère retenue amène les femmes àl'exprimer de deux façons: l'agressivitéretournée contre soi, ou l'agressivitédirigée contre les autres.

Ces deux issues ont de particulierleur intensité. Les femmes la dirigent defaçon démesurée contre soi ou la dirigentde façon démesurée contre les autres.Les deux façons sont mal jugées.

Le premier choix est la voiede la majorité des femmes.

Cette issue nous explique en faitpourquoi tant de femmes connaissent ladépression: état qui résulte d'un tropplein d'agressivité dirigée vers soi. Ellenous explique donc le peu d'estime queles femmes ont d'elles-mêmes, leurdénigrement envers leur proprepersonne, leur manque de confiance,leur manque d'assurance, leur difficultéà se "vendre",leur trop grande humilité,leurs grandes angoisses, les insomnies,les somatisations, etc. Dans des casextrêmes, on retrouve des femmes quis'auto-mutilentet se suicident! L'impactestdouloureux, surtout dans une sociétéqui valorise "l'agressivité normale":celle des hommes. Cette formed'expression incite aussi à une prise depouvoir indirecte, jugée comme de lamanipulation.

La 2e issue, plus rare, estl'explosion d'agressivité.

Là où les femmes n'ont plus rienà perdre, là où elles ne peuvent plusendurer ou tolérer lamoindre contrainte,le moindre contrôle de la part des autres.

Ces femmes qu'on connaît peuet qui nous semblent si étrangères depar un comportement atypique parrapport à la norme ont cependant unpoint en commun: un vécu de violenceextrêmement lourd.

On ne parle pas ici de délinquancemais bien de femmes qui ont décrochéparce qu'elles ne peuvent plus suivre lerôle qui leur avait été désigné.

Piégées de toutes parts, la sou-pape a sauté. Ne pouvant plus retenircette colère, cette amertume devant lavie, ne pouvant plus garder cetteagressivité pour et contre soi, elles sesont gelées pour pouvoir la diriger àl'extérieur de soi sans sentirlaculpabilitéet la responsabilité, pour ne plus sesentir du tout!

Avalanche Portes ouvertes-juin 1994- 37

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volume 5, numéro 17, février 1990: L'intolérance

Elles étaient une fois... mes intolérancesPauline de la Séjournelle

P etites et grandes, celles-làqui ont coloré ma vie, celles-

là même qui ont fait que ma vie a pris ladirection qu'elle sentait idéale.

H y a presque trois ans, je foulaisla porte de la maison d'hébergement Jequittais un conjoint avec qui j'avaisvécu pendant dix-sept années, et quim'avait agressée dans tous les sens dumot.

Je devais aussi dire NON à laviolence de mes fils adolescents,imprégnés du même désir de contrôleque leur père.

Toutes ces années de tensions,d'éclatements et de répits m'avaientamenée à développer un moyen de sur-vie : la consommation de médicaments.

Rapidement, je me suis dirigéed'une thérapie à l'autre, d'un CLSC àl'autre, d'une pilule à l'autre, décorti-quée, épiée, interrogée, responsabilisée.Il n'était jamais fait mention des mots"violence conjugale".

À la maison d'hébergement,toute ma souffrance a commencé às'évacuer, lentement, d'une façonimprévisible, au fur et à mesure quej'identifiais la vraie cause de tant deblessures: j'étais violentée par monconjoint

S'ensuivit l'apprentissage dudroitàl'intolérance.dudroitàexprimermes intolérances. Et, au gré desévénements, ce sentiment se teintaitdifféremment :

- Intolérance face aux enfants: j'avaissi mal à mes enfants!

- Intolérance face à mon épuisementphysique: après dix minutes de travail,je sentais la nécessité de dormir quatreheures!

- Intolérance devant mes pertes demémoire : voilà que j'oubliais com-

ment faire une recette, moi qui avaisétécuisinièredurantplusieurs années.

- Intolérance face à mon corps, auxmaladies à répétition.

Intolérante, je le suis encore lors-que je revis certaines de mes thérapies.Comme réponse à mes angoissantesquestions, on me disait que la vie memontrerait à mieux vivre...

Dans un mouvement anonyme,je me suis sentie intolérante quant onm'a lancé que j'avais une facture àpayer, que la souffrance, ça fait grandirenamour ! ! Cela m'amène à revoir monexaspération quand j'apprenais, jeuneenfant que Dieu était vengeur, punitif.

Je ne pouvais tolérer la vie d'uncouple heureux, marchant main dans lamain, avec ses rires...

Ma pauvreté, mon chèqueridicule me faisaient vivre de grossesintolérances.

L'intervenante que je suis de-venue est, elle aussi, sujette à vivre del'intolérance :

- quandlafemmequiestenfacedemoiressemble à ma mère;

- quand une femme m'enlève du poêleen me disant : "je vais faire le repas,je vais te montrer comment... ";

- quand, lors des accompagnements àl'hôpital, le médecin invalide la fem-me dans ses souffrances physiques etmorales;

- quand une femme est dénigrée parcequ'ellecraint "trop" son conjointpourporter plainte;

- quand Monsieur profite de laclémence de la cour;

- quand une femme reçoit d'injurieuxfous rires comme appui de l'assis-tance, à l'audition de son témoignage.

JE SUIS INTOLERANTE

L'injustice appelle monintolérance. Comment ne pas

être en "maudit" quand tout lesystème en place hurle à nos

oreilles de femmes que le pouvoirappartient aux hommes ?

Synonyme de monféminisme, mais aussi d'une

socialisation "de fille", telle estmon intolérance. Amplifiée ou

diminuée, au fil de mes luttes, denos luttes quotidiennes...

Elles étaient une fois... mesintolérances, et elles seront

encore.

38 • Avalanche Portes ouvertes* juin 1994

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Les événements de PolyLiliane Côté pour le Comité exécutif

L e 6 décembre 1989 restera une date historique dans l'histoire desfemmes au Québec. Après toutes ces années de lutte pour dénoncer

la violence qui nous est faite quotidiennement, espérions-nous ou osions-nousespérer que des choses avaient changé, que la haine et le mépris des hommesenvers les femmes étaient moins présents, avaient moins de prises. Hélas, il n'enétait rien.

Ce soir-là, j'ai ressenti beaucoup de tristesse et de rage entremêlées. Noushaïssaient-ils jusque là, jusqu'à vouloir nous éliminer ? On nous a dit et on nousle dira encore que c'est l'acte d'un cerveau détraqué, mais détraqué par qui ? Parla société machiste dans lequel vivait cet homme qui avait appris à dominer lesfemmes. Celles-ci refusant la domination, il s'est buté à un mur.

Le pouvoir et le contrôle qu'il voulait utiliser comme arme ne pouvantsuffire, il s'est muni d'une arme qui tue pour contrôler par la mort, la peur, ladestruction. Détruire celles qui sont trop menaçantes et qui veulent transformerla société où les femmes pourraient vivre dans des rapports égalitaires avec leshommes. Non plus dans des rapports de domination où les hommes imposent lesnormes et les rôles, et les femmes qui les subissent.

La réflexion et l'action que nous portons sur la violence faite aux femmesont-elles influé globalement sur la société suite à cet événement ? Quellecouverture médiatique a été donnée à cette tragédie ?

Plusieurs "psy" ont eu la parole et se sont empressés de qualifier ce gestede celui d'un déséquilibré, d'un malade, un geste isolé sans même mentionner queles victimes, TOUTES les victimes, étaient des femmes. Peut-être est-ce le fruitdu hasard ! Différents intervenants et d'autres du monde ordinaire ont questionnéla violence dans laquelle nous vivons quotidiennement (décence oblige). Lesémissions violentes à la T.V. ont-elles diminué, l'image des femmes y a-t-ellechangé ? Quelques journalistes ont apporté une réflexion intéressante.

La place laissée aux féministes a été très mince et quand on a voulu parler,dénoncer, on nous a accusées de récupérer ce drame pour s'en servir commetribune pour nos revendications. Comme si ce qui est arrivé était sans lien avec laviolence quotidienne faite aux femmes.

La dernière action et peut-être la plus intéressante à analyser est la pétition,initiée à la poly par l'association des étudiants, pour interdire les armes à feu. Lesgars (parce que ce sont eux qui ont lancé cette pétition), n 'ayant pu sauver les fillesle 6 décembre ont décidé de partir en croisade pour interdire les armes à feu.

Ainsi, ils se déculpabilisent et encore une fois tentent de nous protéger.Parle-t-on de récupération dans ce cas ?...

m lil

Avalanche Portes ouvertes-juin 1994» 39

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volume 5, numéro 18, avril 1980: Voter pour voter... 50 ans plus tard!

Voter pour voter... 50 ans plus tard !Armande Saint-Jean

À la veille du grand rassemblement des femmespour le 50e anniversaire du droit de vote desfemmes au Québec, le Regroupement fête alorsson 10e anniversaire d'existence. On est en 1989.Pour souligner l'événement, on s'offre tout uncadeau: Conférence de Madame Armande Saint-Jean, journaliste, féministe et professeure encommunication, à notre assemblée généraleannuelle. Conférence à ce point dynamique etstimulante que Denise Coron du comité Avalanchel'a transcrite et fait publier dans le bulletin deliaison. Cependant, vue la longueur du texte, nousavons dû, pour les fins de F Avalanche Portesouvertes, en sacrifier une bonne partie pour n'enchoisir qu'une petite fraction, que voici.

R apidement, je vais essayerde vous dire ce qui, à mon

avis, a changé au Québec depuis 25,50, 100 ans. Je pense que fondamen-talement, on a réussi à changer la placeque les femmes occupent dans la société.Nous avons cessées d'être seulementdes mères de famille et d'être confinéesaux rôles strictement maternels ou deleur prolongement. Maintenant, ondéfinit les femmes autrement que parcette fonction première et essentielle.Ensuite, je pense qu'on a aussi réussi àchanger, dans une certaine mesure, lamentalité de tout le monde à l'égard desfemmes. De tout le monde, signifieégalement des femmes elles-mêmes.

Je crois que les femmes,aujourd'hui, sedéfinissent, se perçoiventdifféremment d'il y a 25 ans. Je ne dispas que tout a été fait mais on peutmesurer aujourd'hui l'évolution de la

conception de qui on est, de ce qu'onfait dans la société, depuis 25 ans.

Il y a aussi au niveau de la sociétéune conscience, une sensibilitédifférentes. C'est-à-direqu'onacomprisque les femmes n'étaient pas des hom-mes et n'étaient pas des êtres non plus.Nous sommes sorties d'une période oùnous n'existions pas pour passer à lapériode où nous voulions être commeles hommes, pour maintenant commen-cer à nous identifier, nous les femmes,selon une spécificité.

La dynamique des rapports entreles hommes et les femmes a évolué. Jene vous dirai pas qu'elle est dépourvuedésormais de tout ce qu'il y aurait à ychanger, mais je constate qu'un certainchangement s'est effectué, ce qui faitqu'un certain nombre de choses ne sontplus à négocier en ce moment. L'attitude

de certains hommes a évolué autant àl'intérieur de leurs rapports privés quedans leurs rapports à la société.

On pourrait parler longtemps duchemin parcouru. Ce que je veux vousdire maintenant c'est ce qui, à mon avis,a changé et ce qui n'a pas changé. Étantmilitante, impliquée depuis unevingtaine d'années dans les actions dechangement, j'ai tendance à regarderbeaucoup plus ce qui nous reste à faireque ce qu'on a fait. Essentiellement,nous n'avons pas changé le rapport depouvoir entre les hommes elles femmes.Nous vivons encore une situationd'oppression où le pouvoir est répartien fonction du sexe et des rôles de façonà ce que collectivement et indivi-duellement nous soyons, au départ,défavorisées.

Fondamentalement, nous vivonsdans une société masculine qui estconçue pour favoriser les hommes. Lasociété est dominée par les hommes quiexercent le pouvoir, qui en tirent desprivilèges et qui ne sont pas prêts àrenoncer à ceux-ci. Je donne toujoursl'exemple de la clôture quand je parlede ça. Pour moi, le partage du pouvoirse fait en fonction d'une ligne tracéeentre deux groupes de personnes.Autrefois, on disait que d'un côté, onavait des hommes, des dominants parhéritage et de l'autre, des femmesdominées par conditionnement. Au-jourd'hui, la ligne existe toujours et ona d'un côté les dominants, ces person-nes qui choisissent de tirer profit des

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règles du système patriarcal à leuravantage et on retrouve des femmesdans ce clan des dominants, et de l'autrecôté des dominées qui sont celles quicontinuent à assumer les fonctions deservice envers le clan des dominantscomme dans toute hiérarchie et onretrouve une partie d'hommes qui sont,eux aussi, définissables commedominés.

On n'a pas non plus changé lesystème des valeurs prédominantes dansle fonctionnement de la société. Lesvaleurs sont toujours patriarcales etfondées dans un rapport d'inégalité etune dynamique de compétition et dedomination qui suppose une hiérar-chisation. C'est la force du systèmepatriarcal d'être extrêmement flexibleetsoupleafïn de se refaire constammentpour s'ajuster, et l'assimilation des fem-mes dans cette dynamique de pouvoiren est la preuve.

Tant qu'on n'aura pas réussi àimposer nos règles du jeu, qui serontdes règles redéfinies en fonction d'uneperspective féministe, il restera dutravail à faire. Je ne peux cependantprévoir ce qu'il adviendra quandles règles du jeu seront changées et quetout le monde jouera autrement. Ce queje peux dire, c'est que c'est énorme dechanger les règles du jeu au niveau dela société.

On n'a pas réussi à changerprofondément l'image des femmes quiest projetée dans la société en général età travers les médias. Je regardel'exploitation qu'on fait de la femmeparfois de façon grossière mais souventde façon plus subtilequ'autrefois. C'esttout ce que nous sommes de beau, defin, de noble, de grand qui est subvertidans la publicité, dans l'image qu'ondonne de nous-mêmes. La société n'apas encore réussi à saisir ce que sont lesfemmes et à nous redonner une imagequi soit conforme à comment on se voit,comment on se sent et comment on saitqu'on est.

Je ne me décourage pas car lemouvement n'a jamais cessé depuis 25,50 ans, un siècle... des siècles. On nerecommence pas à zéro à chaque fois.Jusqu'à présent, le changement a été sigrand et il va si loin qu'il a même réussià déclencher une force. D'ailleurs, onpeut mesurer la force de l'impact d'unmouvement par les représailles qu'ildéclenche. Si on regarde à travers l'his-toire, tous les phénomènes historiquesonteu un ressac. La révolution françaisea déclenché la terreur, la révolutionbolchevique a amené le stalinisme, larévolution chinoise de Mao a amené larévolution culturelle, la révolution desfemmes a amené ce formidable ressacdu système patriarcal auquel on assistedepuis une dizaine ou une quinzained'années.

Pour mieux comprendre, je croisqu'il estimportantd'identifier commentce système fonctionne aujourd'hui. Àpremière vue, on croirait qu'on estencore mobilisé sur les foyers actifs.Les foyers où se manifeste davantageen ce moment la dynamique dumouvement des femmes sont contenusà l'intérieur de questions plus mobi-lisantes quireprésententdes symptômesde ce ressac formidable. La question del'avortement est redevenue une batailleau plan juridique après avoir été unacquis important et qui, maintenant, sejouxte à la question des droits du foetus.On est en train d'ériger une barrièreentre les droits de l'une et les droits del'autre.

La question de l'emploi où lesprogrammes d'accès à l'égalité pro-gressent, mais très lentement, et suscitentencore beaucoup de contrepartiesnégatives. Plus globalement, au niveaude l'emploi, le fait est que les femmesgagnent encore, en moyenne, les 2/3 dusalaire des hommes. La bataille desinfirmières est très symptomatique decette lutte de fond que les femmes sonten train de mener pour rejoindre l'égaliténon pas formelle, car dans les faits lesconventions collectives ne véhiculent

plus de discrimination systématique,mais dans la réalité on sait que ladiscrimination systémique fait quel'écart est maintenu entre les groupes.

La question de l'économie.Autrefois, on parlait des femmes quidevenaient de plus en plus pauvres.Aujourd'hui, on dit quelapauvretés'estféminisée, parce qu'on sait que le grosdes gens qui vivent en deçà du seuil dela pauvreté sont des femmes. Le ressacse manifeste également au niveau desservices (garderies, accès aux servicesde santé, etc.) que l'État avait entreprisde donner aux femmes et qui sontmaintenant menacés.

Et finalement, la violence que jeplace toujours en dernier parce qu'elleest très fondamentale. Elle me sembleêtre la riposte la plus viscérale dusystème à travers les individus qui lacomposent

La violence conjugate bien sûr,mais la violence sociale aussi. Je nepense pas qu'on puisse hiérarchiser àsavoir laquelle est la plus grave. Onpeut au moins constater que, pour unproblème considérable de violenceconjugale, on retrouve aussi unesituation intolérable de violence sociale.Nous avons recommencé à avoir peur,nous avions presque oublié qu'on nepeut plus sortir le soir sans être au moinsdans une attitude d'auto-défensementale. On a recommencé à nousharceler sexuellement de façon plus oumoins directe ou plus ou moins visible.Il y avait un certain temps que nousavions été libérées de cela, mais çarevient H y a aussi toute la violencepsychologique qui estexercéeàrendroitdes femmes, des façons les plus cruellesque vous connaissez aux façons les plussophistiquées. Par exemple.chaquefoisque l'on s'identifie comme féministe etqu'on se fait ridiculiser et traiter de tousles noms.

Et la signification de ces foyersactifs est à la mesure du contexte danslequel nous nous trouvons.

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volume 5, numéro 19, juin 1990: Qui s'y frotte, s'équipe !

Le burnout dans l'équipe

ou l'épuisement féministe !Pierrette RobitaiUe

E st-ce qu'intervenir jouraprès jour auprès des fem-

mes les moins bien nanties et prendre deplus en plus conscience de tout le chaossocial existant, ne serait pas se rendrevulnérable au virus de l'écœurementprofessionnel? La portée émotionnellede la violence faite aux femmes à tra-vers les conditionnements sexuels etsociaux qu'elle met au grand jour, avecles relations, les remises en questionsur les différents modèles de pouvoirengendre une réaction tant sur les plansindividuel, familial qu'institutionnel.Dans un tel contexte, en tant quetravailleuse et en tant que femme, l'onse doit d'être aux aguets et user deréalisme afin de "dealer" avec lesdualités du système en place pour nepas se perdre dans les "mea culpa" etdans la soumission. D'ailleurs, plusspécifiquement à l'intérieur des mai-sons d'hébergement, il est ressorti trèsclairement que les luttes et les reven-dications des premières annéesd'implantation ou de maintien d'unservice comme le nôtre, se vivent tropsouvent dans l'ombre sans presqueaucune reconnaissance du milieuenvironnant, malgré toute l'énergiedéployée et les actions réalisées. Lafatigue est sous-jacente et la périoded'incubation diffère selon la résistanceet l'adaptation de chaque individuconfrontée à cette dure réalité. Leburnout rôde.

Attardons-nous un peu auxinfluences du burnout lors d'un conflitau sein d'une équipe de travail: conflitqui, en l'occurrence, serait mal géré,mal identifié. Le malaise flotte dansl'air. L'atmosphère s'alourdit sans que

pour autant aucune des parties en causene s'attribue une responsabilitéquelconque. Le blâme est leplus souventbalayé en dessous du tapis ou dans lacour du voisin.

Le burnout ou l'épuisementféministe est essentiellement voca-tionnel en partie, du moins, pouiTimagequi s'y rattache : aider, soigner. De cefait, par souci d'idéologie et de profes-sionnalisme, la candidate au burnoutfait souvent fi de ses propres besoinsélémentaires et de ses propres capacités.Le zèle à outrance, les attentes exces-sives, c'est le supplice de la goutte d'eauqui vient petit à petit noyer les énergieset briser notre équilibre intérieur. Onaccélère la cadence, on prend lesbouchées doubles, on se livre au jeu dela productivité qui nous amène à nousdépasser pour être dans la course; on enfait toujours trop ou jamais assez. Ceuxet celles qui flirtent avec le burnoutéprouveront un sentiment d'impuis-sance et toute tâche, aussi menuesoit-elle, prendra des dimensionsdisproportionnées et insupportables.Beaucoup déblocages organisationnelsémergeront à partir de ces carences àl'intérieur de nos équipes respectives.

Nous pouvons aisément tracerun profil type de personnes plussusceptiblesqued'autresd'être affligéesde ce mal du siècle. À titre d'exemple,voici comment plusieurs éléments de ceprofil de la candidate au burnout peuventse retrouver chez l'une d'entre nous.Examinons une recette adaptée, tirée deF extraitd'un article de HugueueO'Neildans Actualité médicale du 29 janvier1989, que je trouve succulent

Ingrédients

- Prenez une jeune intervenantefraîchement moulue (depréférence dans le milieusocial à forte tendanceidéologique).

- Attribuez-lui une personnalitéénergique, entreprenante et quidégage un charisme certain.

- Remplissez-lui la tête d'unidéal élevé et surtout des rêvesque ses pauvres parents oud'autres femmes n'ont puréaliser.

- Placez-la dans une grandemarmite (une maisond'hébergement peut fairel'affaire).

- Laissez-la seule pour éviterqu'elle bénéficie de l'appui deses collègues, bref, qu'elle setape l'ouvrage toute seule.

- Veillez à ce qu'elle développele sentiment d'êtreindispensable,«omnipuissante» etirremplaçable.

- Évitez de la récompenser oude la gratifier pour son travail.

- Offrez-lui un poste avec deplus en plus de responsabilités.

- Laissez-la mijoter quelquesannées, après quoi le tout seraprêt à servir.

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D'emblée, nous sommes toutesportées à déceler plus facilement lessignes avant-coureurs du burnout cheznos collègues que pour nous, et mêmede mettre celles-ci en garde contre leseffets dévastateurs. Mais malheureu-sement quand ce fléau s'acharne surnotre personne, on ne le voit pas, on lenie.

Et les conséquences directes etindirectes sur notre entourage et surnotre travail se multiplient à un rythmeeffarant.

On ne peut gérer sainement unconflit si l'une des parties nie ou ignoresa responsabilité partielle ou totale etce, quelquefois strictement par souci desauvegarder une image performante etd'autonomie à toute épreuve.

Par contre, si l'on admet, neserait-ce que du bout des lèvres que sonburnout s'avère être une crise de crois-sance, un appel à l'écoute du corps, unefaçon de se redéfinir pour aiguillonnerson cheminement, la plus grande partiedu chemin libérateur est déjà gagnée.Onparlerad'une valorisation dubumoutou encore des bienfaits implicites deson apparition.

Mais lorsqu 'on a poings et piedsliés par ce problème, on y perçoit diffi-cilement les aspects positifs ainsi queles à-côtés gratifiants.

Le bumout, à l'intérieur d'unedynamique de travail où chacune esttrop respectueuse par peur de blesser,oùchacuneapeurd'entrerdansl'enversdu décor et de faire tomber les masques

de superwomen, finira par «démotiver»le groupe tout entier en égrenant petit àpetit les aptitudes de chacune.

Après un certain temps deretenue, lorsque la pression s'amplifie,on assiste à des lapidations de parts etd'autres, soit individuellement ou parclan. Le laps de temps écoulé entre lasimple fatigue et l'épuisement total auraeu raison du bon entendement et denotre potentiel de concession.

Un autre point à souligner est lapart du burnout qui résulte de l'incom-pétence. En effet, plusieurs personnesseraient inefficaces à cause de l'écartentre leurs aptitudes et les exigences deleurs fonctions.

Bref, on peut être compétent ducôté théorique et ne pas savoir s'enservir à bon escient sur le terrain. Cesdites personnes feront de leur milieu detravail un milieu stressant non seulementpour elles-mêmes mais pour les autres.

La recherche du pouvoir pources individus les aura donc poussées àaccepter des postes qui se mariaient malà leur personnalité ou à leurs habilitésréelles, ce qui provoquait chez elles desdépenses d'énergie liée à leur angoissecommunautaire.

Pour conclure, dans chacune denos équipes de travail, il serait bon,régulièrement, d'établir un parallèleentre le bumout et les tensions qui sepointent dans l'équipe, afin de prévenu-dés situations incontrôlables quiempoisonnent notre environnement detravail.

Le bumout, àl'intérieur d'une

dynamique de travailoù chacune est trop

respectueuse par peurde blesser, où chacune

a peur d'entrer dansl'envers du décor et de

faire tomber lesmasques de

superwomen, finirapar «démotiver» le

groupe tout entier enégrenant petit à petit

les aptitudes dechacune.

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volume 5, numéro 20, septembre 1990: L'amour avec un grand F...éminisme !

Nos relations d'amoure féministes, lesbiennesLouise de Margo

D 'après moi, être féministe,c'est désapprendre tout

notre apprentissage patriarcal et ainsidécouvrir vraiment qui nous sommesen tant que femmes. Plusieurs faussesnotions nous ont été inculquées dèsnotre naissance et elles servent à garderla femme dans un rôle très précis, su-bordonnée à l'homme. Nous savonsque tout ce que nous avons appris estinventé par les hommes pour maintenirleur pouvoir. Mais ces notions sont sibien imbibées dans notre culturequ'ellesnous paraissent "normales". II nous estdonc parfois difficile de trouver la véritéet d'identifier les faussetés dans notrevie. Le processus de désapprentissageest graduel, nous ne pouvons pas effacerle patriarcat d'un seul coup. Parfoisnous nous concentrons à désapprendrecertains aspects de notre vie et en négli-geons d'autres. Pour moi c'est ainsi, etle plus grand aspect de ma vie que j'ainégligé, c'est ma vie amoureuse.

Je crois encore au grand amour!Jesuisencoreillusionnéeparridéologiepatriarcale de l'amour "romantique"!Je suis atteinte d'érotomanie depuis queje suis petite fille! Je suis d'ailleursl'éternelle petite fille qui ne peut pasvivre, qui ne peut pas commencer àvivre, qui croit qu'elle n'est pas vivantesans la sécurité d'avoir quelqu'un(e)qui va la protéger et l'aimer.

Quelqu'un(e) qui justifiera sonexistence. Le Prince Charmant, le GrandAmour. Ce besoin appris et voulu ainsipar les hommes, mais tout de mêmepathétique, d'ÊTRE à travers un autre,de trouver son identité à l'extérieur desoi, ce refus, par peur, de faire face àsoi-même.

C'est peut-être ironique et mêmeinconcevable qu'une lesbienne fémi-niste soit tombée dans le piège deCendrillon. Mais justement, j'ai lu les

mêmes contes de fées, écouté les mêmeschansons "romantiques", en somme,j'ai subi le même apprentissage quetoutes les femmes.

Il va sans dire que mes relationsamoureuses sont toujours insatisfaisan-tes. J'attends laPrincesse Charmante etelle n'existe pas. Je ne peux qu'êtreprofondément insatisfaite. Il n'y a pasde Prince Charmant non plus. Attendrel'une ou l'autre, c'est aussi victimisant.

Lorsque je tombe amoureuse, jepossède et je dévore l'autre comme onm'a appris à le faire. Je m'attends à cequ'elle puisse combler tous mes besoins,qu'elle m'aime jusqu'à la mort (etseulement moi!) et qu'elle prenne soinde moi (même si je sais très bien que jesuis mieux placée pour le faire). Etlorsqu'arrive la séparation inévitable,jecroisquec'estdemafaute.quejen'aipas assez aimé.

Je suis au point de remettrel'accouplement même en question.L'accouplement n'est-il pas fondé surl'idéologie mise en place par l'hommepour facilement s'approprier unefemme?

Je sens qu'il est dangereux detenter de vivre l'amoure entre femmesdansuntelencadrementmâleetabsurde.Je suis avertie et je continue à réfléchir,à désapprendre et à découvrir.

Le silence violent

II me semble que la plus grandeinfluence (néfaste) sur le couple lesbienest le silence que nous impose la société.La société nous défend d'exister, nenous permet pas de s'aimer. Nousréussissons tout de même, mais encachette, dans le silence et le mensonge.Il ne faut surtout pas s'afficher comme

Je crois encore au grandamour! Je suis encore

illusionnée par l'idéologiepatriarcale de l'amour

"romantique"!

44 • Avalanche Portes ouvertes- juin 1994

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lesbienne! La société nous a déjàétiquetées comme originales et anor-males. Nous, nous cédons et vivonsnotre amoure en cachette, parfoissimplement pour éviter des conflits etdes complications, d'autres fois, c'estune question de survie. Les lesbiennescanadiennes ne peuvent pas présente-menttraverser les frontières américainesparce que dans certains états des États-Unis, c'est contre la loi d'être lesbienne.Les lesbiennes américaines se fontenlever leurs enfants et elles peuventêtre mises en prison. Même si leslesbiennes canadiennes sont protégéespar les chartes (fédérale et provinciale)des droits de la personne, elles peuventperdre leur emploi (l'employeur utilisantun autre prétexte, bien sûr).

Alors le message est clair pournous toutes et la plupart d'entre noussommes piégées dans des relationsamoureuses invisibles. Je dis piégéescar bien souvent, dans un tel contexte,la relation n'a aucune chance de survie.

Notre existence est niéedans une société qui nereconnaît que la réalité(l'expérience) mule.

L'amoure d'unefemme pour une autre nous aété représentée au moyen desilence et de mensonges. Alorscomment se reconnaître etvivre une sexualité, uneamoure saine? Le mensonge,devenu stratégie, s'imbibedans nos relations amoureuseset il en résulte une inau-thenticité vulgaire.

Adrienne Rich, 1977

Vivre une relation amoureuse ensilence veut dire, entre autres, prétendrequ'on n'est que de bonnes amies, soitdevant la famille, les collègues de tra-vail ou partout à l'extérieur. Ne pasdémontrer d'affection devant les gens,faire chambre à part lorsqu'on reçoitquelqu'un à coucher chez nous. Il n'estcertainement pas question de célébrernotre amoure ni d'annoncer la sépara-tion éventuelle. Et c'est peut-être lepire, vivre le deuil seule, sans qu'il soitreconnu comme tel, sans aide, sanssympathie, sans congé de maladie.

Je ne suis pas nécessairementd'accord avec la célébration du couple,peu importe les sexes impliqués, maisde là à nier notre existence, il y a unemarge. ' Et même si certaines (lesféministes hétéros par exemple) qui nenient pas notre existence, décident denous accepter ou de nous tolérer, je nesuis pas moins insultée. Je suis loin deme croire anormale, au contraire. Cen'estpas pour rien d'ailleurs qu'on nousimpose ce grand silence violent. Lepatriarcat a survécu jusqu'à maintenantgrâce au silence entre les femmes. Lesilence et le mensonge perpétuent lahaine et détruisent toutes possibilitésd'alliance.

Graduellement, avec les annéeset après quelques relations amoureusessilencieuses, je suis arrivée à refuser devivre en cachette. C 'est très difficile detenir à un tel principe lorsqu'on seretrouve "en amour" avec une lesbien-ne qui tient à se cacher (et avec raisonbien souvent). Mais accepter de vivreen silence, dans le mensonge, c'estd'accepter la haine envers les femmes,et envers soi-même.

Je souhaite que toutes leslesbiennes exposent leur amoure augrand jour!

Graduellement, avecles années et aprèsquelques relations

amoureusessilencieuses, je suis

arrivée à refuser devivre en cachette.

Avalanche Portas ouue/tes-juin 1994- 45

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volume 5, numéro 21, novembre 1990: Pauvres nous autres $

La reconnaissance économique à prendre..Rachel Boutin pour le Comité exécutif

XT ous évoluons dans une société capitaliste, une société de1N production et de consommation où les richesses sont mal

réparties, une société où le pouvoir économique est masculin au"pluriel". Cette société permet aux femmes de produire beaucoupplusque de consommer. Le travail des femmes reste encore peu reconnuet les écarts de salaire entre les hommes et les femmes demeurentindécents. Nous sommes encore à 65 % du salaire des hommes. Et lespolitiques mises en place au cours des dernières décennies n'ont pascorrigé ces inégalités socio-économiques. En 1987, une étudedémontrait qu'un homme ayant une 12e année de scolarité gagnait unsalaire équivalent, et parfois supérieur, à une femme ayant uneformation de bachelière. On sait que les métiers d'homme sont bienmieux rémunérés que les métiers de femmes, encore en 1990. Et queles femmes possèdent à peine 1/10 des biens immobiliers sur laplanète.

Ces inégalités économiques entraînent d'autres inégalités surles plans social, politique et familial. Les politiques gouvernementalesactuelles encouragent la dépendance économique des femmes (ex:aide sociale - Loi 37, coupures des subventions du MSS S, du Secrétariatd'État, etc.) et le retour au silence. Selon une étude réalisée par leConseil canadien du bien-être social, les femmes sont plus pauvresqu'il y a 10 ans. Ces politiques taisent les failles de l'organisationsociale et consacrent le pouvoir patriarcal.

L'autonomie et la prise de pouvoir sur notre vie passent parnotre indépendance financière. L'autonomie des femmes exige que lasociété reconnaisse notre contribution à l'économie et que nous nousreconnaissions la valeur de ce que nous y apportons. Nous avonssouvent tendance à en minimiser l'importance. (...)

Notre qualité de vie dépend du droit au travail, du droit à unsalaire décent, donc, de la reconnaissance des maisons d'hébergementet de ce que nous valons.

46 -Avalanche Portes ouvertes- juin 1994

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SortiesJacinthe Filion

T oute petite, je rêvais d'unecarrière plaisante et agréa-

ble: "Quand je serai grande, je seraivétérinaire! " Aujourd'hui, j'ai 28 ans etje retourne aux études dans le domainede l'enseignement, après avoir travail-lé durant 6 ans dans une maisond'hébergement. Après mon cégep, j'aicommencé à m'y impliquer commemilitante. Ainsi, je reprenais le modèletypiquement féminin qu'on m'avaitinculqué: le don de soi-même, gratuitdans la mesuredu possible. Le bénévolatne constitue-t-il pas un lieu majo-ritairement comblé par les femmes?

Depuis la nuit des temps, nousfaisons passer nos besoins après ceuxde tout et un chacun. Dans mon esprit(pas très enclin à laconscience féministeàl'époque),j'étais donc làpour répondreaux besoins des autres, j'étais "au servicedes autres". Pas pour moi!

Au bout de quelques mois, unsalaire (dérisoire, vous en convien-drez....) venait me comblerd'allégresse!Je le recevais telle une grâce heb-domadaire! La coordonnatrice me fitremarquer qu'il n'y avait pas là de quoisauter au plafond, que l'ampleur denotre travail valait bien davantage.

Il est vrai que, malgré toute laflamme féministe qu'arboré notreengagement, notre salaire demeuresynonyme de "serrage de ceinture" etde "remplissage de cartes de crédits"...

Le gouvernement connaît biennos faiblesses et notre grandeur d'âmelégendaire. La main d'oeuvre à bonmarché que nous sommes (nous et lesfemmes en général) encaisse. Pas lesgros sous, mais plutôt les contrecoupsd'une société non-égalitaire.

La pauvreté caractérise le mondedes femmes. Maints obstacles sedressent sur notre sentier évolutif quandnous sommes en quête d'une identité

économique. Les individus qui profitentd'une situation financière en viable sontélevés aux premiers rangs de la visibilitésociale.

Or, nous les femmes, avonsappris à ne pas "élever" la voix, à"élever" plutôt nos enfants COMMEIL FAUT, à "élever" notre âme au-dessus des biens de la terre. Leretranchement dans le mutisme, çanousconnaît. Catapultées bien souvent,malgré nous, dans des sphères tradi-tionnellement réservées aux femmes,nous bénéficions de peu de chancesd'avancement. Et quand nous OSONSnous diriger vers la chasse gardée deshommes, nous devons donner le 300 %de nous-mêmes pour y bâtir unecrédibilité. Nous devons croire très forten la légitimité de notre action pourréussir à affronter les injures et lesmoqueries incessantes d'une société quitolère mal "cette intrusion". Son attituderéprobatrice se traduit par le salaire quenous recevons qui n'a rien de com-parable avec celui d'un homme.

Ainsi, quand vient le temps(comme si c'était une nécessité...) pourle couple de concevoir une famille, lecalcul n'est pas long à faire pourdéterminer qui sacrifiera son travail auprofit (???) de l'éducation des enfants.Les pressions venant de partout, nouslavent le cerveau avec insistance: "Enbas-âge, l'enfant a BESOIN de saMÈRE".

Cette conception pesante, alliéeà notre certitude que, de toute façon,avec un salaire minimum, c'est plusrentable de rester chez-soi que de payerune gardienne, nous éteint. Notre désirde réalisation est annihilé et lentement,commence l'enlisement dans les sablesmouvants de la souffrante solitude.

Ici, je ne veux ni condamner, nidésapprouver les femmes qui, librement,ont choisi de demeurer à la maison. Ce

quejedéplore.c'estjustement le manqued'alternative auquel nous avons accès.Trop fréquemment, nous sommes prisesen otage dans nos propres maisons,devant rendre des comptes à un conjointou à un gouvernement... L'aide socialeest malheureusement le lot d'unemajorité de femmes monoparentales.Ce pis-aller nous guette surtout nous,les femmes, tel un cul-de-sac imprévudans nos projets d'avenir.

Nous avons été dupées par lepatriarcat qui nous a fait croire que nousavions une existence de rêve. Il nousdonnel'illusion qu'après la sacro-sainte-famille et les chaussettes à repriser, lavie cesse. Lorsque nous réfutons cettethéorie, la colère monte en nous. Onnous enjoint alors d'étouffer cesentiment d'injustice, ce sanglot de ragequi nous envahit. On nous qualified'anarchistes, de folles. On nous veutinternées. Internées dans un isolementabrutissant, anesthésiant

Si nous sommes attentives, dessons risquent de nous atteindre, dessons qui ont quelque chose en communavec nous... Puis, de très loin, desclameurs nous parviennent. Ce sont lesrevendications de nos consoeursféministes qui nous permettent de nousdéfaire de cette peau de culpabilité quinous glaçait l'en-dedans, au pointd'engourdir notre potentiel. Parcequ'enfin, nos malaises sont nommés,identifiés, à travers la voix d'autresfemmes. Il est, il sera toujours le tempsde sortir de la pauvreté, sortir du silence...

Sortir en courant si le coeur nousen dit! Nous avons appris jeunes à courir,courir pour fuir, courir pour conquérir.

L'isolement social derrière, lalibératrice autonomie devant...

Ne plus faire volte-face, sinonpour prendre la main de ma voisine, dema mère, de mon amie, de ma soeur!

Avalanche flortes ouvertes >juin 1994> 47

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volume 6, numéro 22, février 1991 : Les mensonges d'Honoré

Horrore, moi et les fêtesDominique Bilodeau

L e 31 août 1990, je repartais du Regroupementle nez et la poitrine dans les airs et le sourire

aux lèvres. Après trois jour s, nous avions mis au mondeuneformation sur la dévie timisation. T étais fier e de nous,j'avais l'impression de participer à un moment historiquedans la vie des femmes. Je nous sentais une for ce d'actionet de changement. Nous avions trouvé une façon decheminer individuellement et collectivement à la reprisede pouvoir sur nos vies et à la dénonciation de l'oppressiondeshommessurlesfetnmes.NousavionsidentifiéHorrore:l'Horrore personnelle et l'Horrore collective, le pourquoide leur existence et le processus pour les neutraliser.

D'abord, qui est Horrore?

Horrore, c 'est la victime en nous,c'est la voix, de l'impuissance. Ne vousest-il jamais arrivé de vous sentir piégéespar une situation du seul fait que vousêtes une femme? De croire que quoi quevous fassiez, vous ne pouvez rien fairepour améliorer la situation? De douterde vous, de vos capacités à prendre ducontrôle sur la situation? D'avoir peurde réagir, de vous culpabiliser et decraindre les réactions des autres?Comme la plupart des femmes, à forcede le vivre, Horrore s'est immiscée envous pour alimenter et maintenir à desdegrés divers un sentiment qu'il n'y arien à faire. Chaque femme porte en elleson Honore qui se confectionne au fildes expériences qui ont réduit sonpouvoir. Horrore, c'est notre petite voixintérieure qui entretient notre sentimentd'impuissance.

Chaque Horrore personnelle estalimentée par l'Horrore collective quiest au service de la société patriar-cale. On la retrouve au sein de l'Église,de la famille et de toutes les institutionssociales, légales, politiques et éco-nomiques. Elle influence grandementles valeurs et détermine l'ordre établi.Elle est la gardienne de la suprématiemasculine. Son mandat est de faire naî-tre en chacune de nous une Horrore quinous maintiendra tout au long de notrevie dans la soumission, la dépendance,le doute, la culpabilité, l'insécurité, lamésestime, la passivité, l'isolement,l'impuissance quoi! Son principal rôleest donc de nous coincer dans le mouleque les sociétés patriarcales ontconfectionné pour les femmes afin quesoient préservés les privilèges et lepouvoir réservés aux hommes.

Il faut donc, dans un premiertemps, identifier notre Horrore person-nelle, voir quelles sont ses origines,comment et quand elle se manifeste,quelle place elle occupe dans ma vie. Ilfaut amorcer un dialogue avec elle,analyser les pressions qu'elle exercesur moi et amorcer une argumentationcontraire à ses propos. Il est importantde faire des liens entre mon Horrorepersonnelle et l'Horrore collective et decomprendre pourquoi et comment cettedernière alimente la première. Contre-argumenter Horrore n'est pas une tâchefacile car elle se manifeste parfoissubtilement et insidieusement Nous nesommes pas toujours conscientes de saprésence et de ses effets néfastes dansnotre vie. Elle est souvent conforta-blement installée en chacune de nous etse permet de prendre toute la place.C'est donc une lutte que nousentreprenons contre Horrore et ce n'estpas de toutrepos. Décider de confronterson Horrore, c'est remettre en questionla socialisation et la victimisation desfemmes; nous rencontrons donc denombreuses résistances, n est importantde s'allier à d'autres femmes quientreprennent une démarche semblableafin de se soutenir, de se valider et dedéboucher sur une lutte contre l'Horrorecollective pour une société égalitaire.

48 -AvalanchePortes«AWtes-juin 1994

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Pourquoi Horrore?...

La formation vous apporterala réponse!!!

Donc, depuis septembre 1990,on se promène dans les maisons pourprésenter Horrore. Je suis souventbouleversée quand à leur tour, d'autresfemmes me présentent leur Horrore;elle prend toutes sortes de formes, devoix et de langages différents, mais elleengendre presque toujours les mêmesconséquences négatives sur nos vies:l'absence de pouvoir.

Au début du mois de décembre,j'avais décidé de faire taire mon Horroreet de ne pas assister au party de Noël enfamille. Je craignais de m'y chicaneravec mes frères et je ne trouvais pas quel'effort que cela me demandait en valaitla peine.

Enfin, pour faire une histoirecourte, j'ai des "crottes sur le coeur"envers mes frères, reliées à leurcomportement avec ma mère. Je doism'avouer, même si je comprends, queje suis déçue de la façon dont ma mèrea acheté la paix avec eux en cédant àleur demande. Donc, du 1er au 20décembre, à chaque fois que Horroretente des'exprimer sur le sujet, je réussisà la faire taire:

Horrore:

"Un party de famille, tu devraisy aller, sinon cela va faire un froid!Noël, en plus, c'est une fête de famille,y faut que tu sois là."

Moi:

"Jesuisécoeurée de toujours fairesemblant que tout va bien, qu 'on est unefamille unie. Mes frères violententpsychologiquement ma mère, je ne leprends pas! Cette année, je n'y vaispas."

Sentant la soupe chaude, ma mèreet mes frères redoublent de gentillesseet personne ne parle du party de Noël.On tente ainsi d'atténuer mon sentimentde révolte et de m'amener malgré moi àparticiper aux réjouissances familialesdes Fêtes. Plus on se rapproche du party,plus Horrore se fait présente:

"Voyons donc, tu vas gâcher lesfêtes de tout le monde, ça ne sera paspareil si tu n'es pas là... Pense à la peineque tu vas faire à ta mère! En plus, t'aspas de pouvoir sur la situation, mets-toià OFF et fais acte de présence".

Ou encore:

"Pourquoi tu prends les chosesaussi personnellement, regarde tessoeurs, elles réussissent à tasser ça,pourquoi tu compliques toujours tout?!Tes exigences sont trop grandes etirréalistes, ta mère te l'adit les hommeschangeront jamais, tu te fatigues pourrien!"

Le 23 décembre, ma mère metéléphone pour me dire qu'elle nousattend tous à souper le 25 décembresans vraiment questionner ma présence!Suis-je allée? Celles qui me connaissentle savent, mais pour les autres, à suivredans l'atelier "Les mensongesqu'Horrore me contait..."

Entreprendre unprocessus dedévictimisation estl'histoire d'une vie,il y a certainsdomaines où il estplus facile decontre-argumenterHorrore alors qu'ily en a d'autresoù... Il faut sedonner du temps,de la pratique et...le droit à l'erreur!

Avalanche Portes ouvertes'jf*n 1994 •

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volume 6, numéro 23, avril 1991 : Place aux amazones

Le dire ou pas le direGinette Thibault

'était en 1959, imaginezun peu l'atmosphère :

Duplessis vivait ses derniers mois, maispersonne encore ne pouvait l'empêcherde faire son ravaud souvent jusquedans nos consciences enfantines (lescadenas ne barraient pas seulement desbicyclettes)... Le non moins austèrepape Pie XII s'éteignait, tandis que ducôté des femmes célèbres, Elizabethrégnait en silence, Marilyn Monroetournait Certains l'aiment chaud (!), etl'exemple à suivie était.. Sainte-Jeanne-d'Arc (patronne de mon école). Biensûr, on glissaitrapidement sur ses habitsd'homme et ses faits d'armes pour neretenir que les voix du Seigneur qui laconduiraient à son martyre... (belleperspective!)... Bref,c'étaitpasrigolo,je portais un corset à baleines qui meblessait au sang (si si !), des bas decachemire beige (non, on ne voyait pasle poil des jambes au travers!) avec desjarretières, le tout modestementrecouvert d'un jumper bleu marine etd'une blouse bien attachée aux poignetset au cou...

C'était en 1959 et j'avais 11 ans.À cette époque, il me semble qu'onportait nos 11 ans avec plus... d'enfan-cequemaintenant Onétaitplutôt sages.Ce que j'avais fait de plus audacieux àcette dateavait été la lecture, en cachette,d'un photo-roman (même si les soeursnous mettaient en garde : ces livrespeuvent faire perdre la Foi — Hum...).Les influences extérieures n'étaientpoint faites de Ninja Turtles ou de Centwatts, mais de Guides catholiques duCanada, de Jeunesse étudiante...catholique, et de Famille Trappe...!(bref, 45 watts auraient été biensuffisants). C'est sûr, il y en avait desplus délurées qui lâchaient l'école en6e ou 7e année, qui se maquillaient etqui connaissaient un certain Elvis...mais elles étaient peu nombreuses

dans notre petit patelin. Et puis tout lemonde se donnait la main... pour lesregarder de travers...

Cette journéede septembre 1959allait changer le cours de mon existenced'une manière telle que plus rien neserait plus jamais pareille; elle serait lapremière d'une autre vie, ma premièreen déportée... déportée loin, très loin demon enfance. Comme en quarantainedu reste du monde. Et pour longtemps.Je ne le savais pas, mais j'allais enprendre pour au moins 20 ans ! 20 ansde silence, de vie en sourdine, under-ground quoi !

C'était la rentrée scolaire. Nousétions toutes dans la cour du couvent àattendre la présentation de nosinstitutrices et la formation des classes.La porte de l'école s'ouvre et la soeurdirectrice s'amène avec le pelotond'enseignantes. Elles devaient être unedouzaine de titulaires, religieuses oulaïques en plus des spécialistes engymnastique et en arts ménagers. C'estdans cette dernière catégorie que setrouvait celle qui allait (sans rien faireet sans qu'elle ne le sache jamais),m'annoncer le chemin de ma vraievocation. Mademoiselle Landry étaitlà ! Un peu en retrait, bien droite,grande, belle. Je suis certaine qu'àLourdes, Bernadette Soubirous devantla Madonne n'a pas été plus saisie quemoi ! Bon, bon, je prends un exempleplus moderne : je n'ai jamais pris le Con-corde, mais ça doit être ça le BANGsupersonique.

J'étais a-m-o-u-r-e-u-s-e !!!Dans un film, l'action se serait figée, ily aurait eu disparition du son en fondupuis, focus sur mon air abasourdie(franchement ce mot est faible) et unevoix off qui dirait... qui... ben qui di-rait rien. Le monde s'était arrêté, plusrien d'autre n'existait., elles s'aimèrent

et eurent de nombr...Wô! Là! Suffitle cinéma, ce n'est pas la vie, que non !

Sauve qui peut aux abris !

Quand je repense à tout çaaujourd'hui, ce qui me sidère, c'est lecolossal silence que je me suis imposédès cet instant Et moi qui me croyaisnaïve. J'ai battu en retraite loin desautres; je me suis exilée profondémenten moi, là où c'était doux, beau,POSSIBLE. Dans mes premiersphantasmes, j'étais dans ses bras, sur lepoint de mourir (parce qu'ayant fait unbouclier de mon corps pour LA sauverELLE, j'avais été atteinte mortellementMOI) etau moment des adieux, n'ayantplus rien à perdre, je lui avouais toutmon amour, et qu'est-ce qui arrivaitvous pensez? Ben oui. Elle aussi medisait-elle tendrement, elle m'aimait...et je mourais au paroxysme du bonheur.Je m'endormais là-dessus le soir,c'étaitbeau hein?

Les enseignements du père,les terreurs de la fille...

Mais comme une éponge, j'étaisdéjà toute imbibée des valeurs-z-en-vigueur et du fait que ÇA était anormal.Ce qui était correct c'était d'être atti-ré^) par le sexe opposé... QueÇA étaittellement laid, que même le nom queÇA avait, l'était Enfer et damnation !Un jour, (plus tard) j'ai entendu monpère raconter que celles qui faisaientÇA finissaient par avoir le clitoris aussigros qu'un pénis!!! BRRR! Effroi etconsternation !'

Alors, j'ai organisé ma résis-tance, ma survie. Je ravalais, je metaisais, je faisais semblant Parfois

50 • Avalanche Pûtes owwiw juin 1994

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même je me faisais semblant à moi-même de ne pas être «comme ça»... j'ensuis même venue à avoir des chums quej'aiaimés(sisiî). Maisc'étaitrarementlumineux, flamboyant comme l'amoursecret que j'ai eu pour mademoiselleLandry.

Pendant 20 ans, je n'ai pas trouvéle moyen d'être moi-même ni desurmonter la désapprobation socialesurtout qu'il me semblait qu'il n'y avaitpas d'autres lesbiennes dans toutAlmaville. En touscas,pasde lesbiennespratiquantes !

Vous êtes-vous déjà arrêté augrand vide culturel et à sesconséquences sur ledéveloppement et l'évolutionintrinsèque d'une futurelesbienne que j'étais?

Non hein? J'aurais été biensurprise. La définition de culture dansle dictionnaire se lit comme suit :

Développement de certaines facultés del'esprit par des exercices intellectuelsappropriés. Parext. Ensemble de con-naissances acquises qui permettent dedévelopper le sens critique, le goût, lejugement.

Souvent, je me demande où j'enserais, si j'avais eu accès à une culturelesbienne. Si j'avais eu, des exemples,des écrits, des films, des chansons, deslivres, des filles main dans la main, desconversations, des émissions, desjournaux... Bref, si la société nous avaitintégrées dans la VIE ORDINAIREplutôt que de pogner le fixe sur lescochoncetés2 que nous sommes supposéfaire.

Ah! Fiouf! Je vois déjà lafemme mature que je serais.

Le front haut, le regard plein deconfiance et d'assurance, l'espritdéveloppé à plein, je nagerais dans la

sérénité. Au lieu de ça, j'ai commencémon adolescence à 25 ans, j'ai attendula trentaine pour finalement faire... ça.Bref, mon horloge biologique est unehorloge grand-père !

Pourquoi écrire ?

Ma quête d'identité sera toujoursmon lot, mais maintenant ça va mieux(y'était temps !). Par exemple, c'est lapremière fois que j'écris publiquementce que je suis. Oups ! ce n'est pas toutà fait vrai. Imaginez-vous donc, quej'ai déjà, dans le plus grand secret, confiémes peurs d'être anormale à... JanetteBertrand du temps où elle avait uncourrier du coeur dans Le Petit Journal(si!). Je lui demandais de ne pas publierma lettre de peur d'être reconnue et lasuppliais aussi de ne pas me parler depsychiatre... Quel a été son conseil?D'aller voir un p-s-y-c-h-i-a-t-r-e ! Ceque je fis quelques années plus tard, auxalentours de la vingtaine. Lectricesavides, je vous livre en exclusivité unrésumé des dires du docteur Poulainqui, s'installant confortablement dansson fauteuil, les mains jointes en pointesà la hauteur du visage, me dit comme ça:«J'ai eu une patiente (!) comme vous.L'an dernier, sur mes conseils, elle estallée faire du ski à Saint-Gérard et., ellea rencontré un jeune homme (!!) et ilsvont se marier cette année (!!!)». Bravodoc ! Fin psychologue va !

C'est donc la première fois quej'écris sans inhibitions, ou presque. Ledire ou pas le dire, dépend d'une foulede facteurs, comme le tempérament dela fille, de son éducation et du climatsocial. J'ai fait un bon bout dans la vie,mais ce n'est pas suffisant pour que jem'ouvre comme cela publiquement(souventpas nécessaire non plus). Maisici, ces pages me sont ouvertes autantme semble-t-il que les esprits (c'estfranchement inhabituel, d'ordinaire cequ'on rencontre chez les gens qui sedisent ouverts, c'est du genre :fai rien

contre ça, du moment que vous vouscomportez comme du monde normal[sic]).

Le dire ici, aujourd'hui, c'est mamodeste contribution pour aider àcombattre ces idées préconçues, c'estessayer de démontrer par exemple, queles lesbiennes ne forment pas un blocmonolithique (pas plus que lesféministes d'ailleurs qu'on met souventtoutes dans le même panier, d'oùl'expression -.nous, LA femme! [que jeprends encore aux Folles Alliées...]).

Un autre exemple : les lesbiennessont attirées par TOUTES les femmes(comme si les femmes hétéros étaientattirées par TOUS les hommes) d'oùl'expression :j-fassez fatiguée-là !3

Ou encore pire : elles sont toutesattirées par les petites filles (une de mesamies s'est vu refuser le droitd'approcher de sa nièce parce que sonfrère disait avoir peur qu'elle ne sautesur sa fille) d'où l'expression : Et tasoeur !?!!?

Le dire ici aujourd'hui avec leton et les propos que j'ai choisis, c'estaussi porter l'espoir que l'undergroundreste tout seul dans son trou, sans plusjamais personne pour le traverser, c'estespérer que les lesbiennes vivent... AUGRAND JOUR (Hé hé hé, ça vousrappelle quelque chose?) !4

1. Au cas où il y aurait des inquiètes, jepuis vous l'assurer: non, ce n'est pasvrai.

2. Cochoncetés est emprunté aux Follesalliées, troupe de théâtre féministe deQuébec.

3. Dominique Lévesque du Groupesanguin

4. Au grand jour a été rédigé en 1990 parMadeleine Lacombe sur l'histoire dudéveloppement du réseau des maisonsdu Regroupement provincial

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volume 6, numéro 24, juin 1991 : La pauvreté des femmes : un vol organisé li!

La pauvreté des femmes : une violence économiqueLinda Lee Ross

E n maison d'hébergement,on est témoin de la pauvreté

dans laquelle nombre de femmes seretrouvent lorsqu'elles laissent leurconjoint violent. En effet, elles ontsouvent l'impression que le prix à payerpour rompre avec une relation violenteet contrôlante est de vivre dans lapauvreté, une nouvelle forme deviolence: la violence économique. Poureffacer les mythes qui entourent lapauvreté et ainsi déculpabiliser lesfemmes à faibles revenus, il fauts'attaquer à des valeurs qui se situent àla base même de notre société, tellesl'individualisme et la conception dutravail.

La pauvreté : une violenceéconomique

Pour comprendre la pauvretécomme étant une forme de violence,nous devons nous référer à notrecompréhension de la violence conjugale.Nous savons très bien que c'est par leprocessus de victimisation que lesfemmes sont préparées à tolérer laviolence. Elles apprennent que, poursurvivre, elles doivent se décentrerd'elles-mêmes pour être présentes et àl'écoute des besoins des autres. Ellesapprennent que, lorsqu'elles s'affir-ment et prennent "trop" de place, ellespeuvent faire face à la menace deviolence physique, psychologique ousexuelle. La victimisation économi-que des femmes va de pair avec lavictimisation en général. La non-reconnaissance ou la sous-valorisationde nos capacités à l'école de mêmequ'au travail est tellequ'un bonjour, onfinit par intégrer les pertes relativementau fait de s'affirmer et de se faireconfiance.

Le terme pauvreté est souventemployé pour décrire de façon généraleun niveau de vie ou une situation

économique qui est en-dessous de la"norme". Mais pour comprendre lapauvreté, il est important de réviser etd'approfondir cette définition. Lapauvreté se mesure généralement dedeux façons. Dans un premier temps,une personne ou une famille est ditepauvre, quand son revenu n'atteint pasun certain niveau établi par la société,d'où l'expression: "le seuil de lapauvreté". Par ailleurs, la pauvreté peutêtre relative, c'est donc dire qu'unepersonne ou une famille peut vivre au-dessus de ce seuil et être en situation deprivation si leur situation économiquene leur permet pas d'accéder au mêmeniveau de vie que leur entourage. Lapauvreté des femmes peut être vue sousces deux angles: elles vivent sous leseuil de la pauvreté et de plus, pour laplupart, n'ont pas accès au mêmestandard de vie que les hommes.

Et la pauvreté des femmes n'estpas un phénomène malheureux quirelève du hasard; elle fait partieintégrante du système économique danslequel nous vivons. Autrement dit, nonseulement le système capitaliste etpatriarcal engendre et maintient lapauvreté des femmes, mais en plus, il endépend. Ainsi, ce système ne pourraitexister sans la non-reconnaissance dutravail des femmes, sans la ségrégationdes emplois des femmes qui demeurentpour la plupart mal rémunérés. Vu souscet angle, le terme pauvreté peut êtresubstitué par l'expression : violenceéconomique. Cette violence économi-que est une forme spécifique de contrôlesocial qui sen à garder les femmes àleur"place". La famille, selon les valeurstraditionnelles de notre société, doit êtreune entité autonome qui répond auxbesoins moraux et économiques de tousses membres. Les hommes avaient laresponsabilité économique, tandis queles femmes avaient la responsabilité

Nous savons très bienque c'est par le processusde victimisation que lesfemmes sont préparées àtolérer la violence. Ellesapprennent que, poursurvivre, elles doivent sedécentrer d'elles-mêmespour être présentes et àl'écoute des besoins desautres.

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morale de l'unité familiale. À cet égard,le travail des femmes n'a jamais étéperçu comme un travail ayant une valeuréconomique. Mais en réalité, ce travailnon-rémunéré des femmes et intégré àune responsabilité familiale estindispensable au système capitaliste toutcomme la «ghettoïsation» des emploisà faibles revenus rend accessible unearmée de travailleuses à "bon marché".Si le travail des femmes comme mère,éducatrice,infïrmière,psychologue,etc.était reconnu et récompensé économi-quement, on peutrapidement s'imaginerle coût social, compte tenu de l'ampleurde la tâche et de la disponibilité requise(24 heures sur 24).

Les politiques actuelles, qui sontde tendance «familialiste», renforcentla responsabilité de la famille à prendresoin de ses membres et à répondre aubesoin de "la communauté". Mais enfait, on sait très bien que le terme"famille"est un grand euphémismepourdésigner les femmes. Il faut donc endéduire qu'à travers sa politique «fa-milialiste», le gouvernement demandeaux femmes de poursuivre leur travailbénévole de soutien moral dans lafamille et dans la communauté. Il vadonc sans dire que, même si de plus enplus de femmes travaillent à l'extérieurde la maison, même si la structurefamiliale s'est modifiée, le gouver-nement tient à conserver le caractèrebénévole à toute action morale et com-munautaire (soin, support, aide) et de cefait, maintient la non-reconnaissancefinancière du travail des femmes : seulle travail qui se situe au-delà de sestâches et de son rôle mérite unerémunération.

Pour celles qui se retrouvent àl'extérieur du cadre de la famillenucléaire, telles que les femmes victimesde violence conjugale qui décident dequitter le conjoint violent, il ne rested'autres choix que la pauvreté. Pourune majorité d'entre elles, l'aide socialeest la seule issue pour sortir de la

violence. Elles se voient donc passer ducontrôle et de la violence du conjoint àla violence économique de l'État et aucontrôle des agents de l'aide sociale.Que ce soit dans le cadre de la famille,ou dans le cadred'une institution sociale,elles se retrouvent dépendantes d'unsystème qui les opprime.

"L'individualisme" ou lavache sacrée du capitalisme

Pour s'attaquer à la pauvreté, ilfaut aussi démystifier certaines valeursde base telle l'individualisme qui prônele "qui veut, peut". À vrai dire,l'individualisme trouve ses originesdans la théorie de Darwin qui a mis del'avant la notion de "la survie du plusfort" ou "la loi de la jungle". Le Québecn'a jamais adhéré entièrement à cettethéorie. Ses politiques sociales onttoujours été basées sur l'idéologie de"l'individualisme modifié" où l'État sedevait d'aider les individus qui nepouvaienttrouverlesrevenus suffisantspour vivre, comme par exemple, enpériode de récession. Mais peu à peu,les politiques sociales ont régressé à unpoint tel qu'elles se rapprochent de plusen plus du "Darwinisme social" quisoutient que la pauvreté d'un individus'explique par ses caractéristiquespersonnelles. La pauvreté vue sous cetangle, ramène la responsabilité àl'individu; s'il est pauvre, c'est qu'iln'a pas essayé de s'en sortir, c'est qu'ilest paresseux ou encore qu'il a unefaiblesse quelconque. La réforme del'aide sociale présente une orientationqui reflète très bien ce type de dis-cours : il faut développer l'employa-bilité des bénéficiaires afin d'enrayer lapauvreté, sous-entendan t ainsi que nousvivons dans une société juste où tout lemonde peut trouver sa place sur le mar-ché du travail. On peut déceler entre leslignes de cette réforme.qu'àl'exceptionde quelques personnes considéréescomme "inaptes" au travail, la majoritédes autresquiontrecoursàl'aide sociale,

Mais en fait, on saittrès bien que leterme "famille" estun grandeuphémisme pourdésigner lesfemmes.

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devraient démontrer une volontéde travailler et trouver une autre sourcede revenu que l'État. En bref, elles neméritent pas d'aide financière.

Toutefois, refuser cette analysede la pauvreté, c'est attaquer une desvaches sacrées du capitalisme : celle quidéfend "la liberté et le potentiel del'individu" comme quoi toute personnea accès au succès et peut réussir si ellele veut bien et si elle y travaille fort.Mais l'accessibilité est un mythe. Nousn'avons pas toutes accès au mêmeniveau de vie. Dans notre société,certains valent plus que d'autres. Leshommes blancs, de descendance judéo-chrétienne, occupent actuellement lesommet de la hiérarchie. Ils ont accèsaux meilleures écoles et par conséquent,obtiennent les emplois les mieuxrémunérés. C'est la combinaison dusexe, de la classe sociale et de l'ethnied'une personne qui garantit sa placedans la hiérarchie sociale. C'est doncdire qu'une femme de couleur n'aurapas les mêmes possibilités et le mêmeaccès au marché du travail qu'unefemme blanche d'origine européenneou américaine. À sa victimisation defemme, s'ajoutent les effets dévastateursdu racisme. Dès le bas âge, à l'écolecomme ailleurs, on lui transmettra lemessage qu'elle n'arrivera jamais àréussir comme un homme et même,comme une femme blanche.

"La culture de la pauvreté"ou blâmer la victime

Comme si la notion de "qui veut,peut" n'était pas suffisante pourculpabiliser les femmes à faiblesrevenus, on ajoute la théorie de "laculture de la pauvreté". Selon cette vi-sion, la pauvreté est le résultat cultureld'une personne. La pauvreté esthéréditaire. Les pauvres "sont malélevés". Ils n'investissent pas leursénergies à la bonne place, ils manquentd'éducation, de discipline, d'organi-sation, de buts. La sociologie alongtemps soutenu ces théories sansvraiment comprendre pourquoi les

enfants de familles à faibles revenus seretrouvaienteux aussi en état de pauvretélorsqu'ils étaient plus vieux. Cette ditescience ne comprenait pas le manque deressources et rinaccessibih'té au marchédu travail. Combien de fois avons-nousentendu ce discours : 'Pourquoi lespersonnes sur le B.S. dépensent toutleur argent dans la bière ou les cigarettesplutôt que de nourrir leurs enfants ?" Lapauvreté des autochtones est souventjustifiée de la même façon comme si lesmauvaises habitudes, telles l'alcoolismeet la paresse, sont à la base de leursconditions économiques plutôt quel'impérialisme, le racisme et le génocideculturel.

Enfin, ce n'est que par uneredéfinition de notre conception dutravail etdes valeurs dechaquepersonnedans la société que nous pourronsvaloriser le travail des femmes et défaireles ghettos d'emplois de "femmes".Certes, ce ne sont pas seulement lesfemmes qui se retrouvent dans lapauvreté. La situation économiqued'une personne est dictée par sa relationau marché du travail. Les jeunes, lespersonnes âgées, les minorités visibles,les personnes peu scolarisées, ou vivantavec un handicap, ont eux aussi de ladifficulté à trouver une place sur lemarché du travail. Mais il est essentielde comprendre que, si le travail desfemmes, des jeunes décrocheurs ou despersonnes handicapées était mieuxrémunéré, le système économique danslequel nous vivons ne fonctionneraitplus. Une hiérarchie n'existe que si lesdominants dominent les dominées. Lapauvreté n'existe que par la distributioninégale des ressources et des biens. Sil'on croit que la reconnaissance dutravail des femmes est urgente etessentielle, c'est que l'on sait que lesfemmes restent dans des relationsviolentes parce qu'elles n'ont pasd'alternative économique. Le discoursféministe ne nourrit pas à lui seul lesenfants affamés; le partage du paindevient essentiel à notre lutte contre laviolence faite aux femmes.

Comme si la notionde "qui veut, peut"n'était passuffisante pourculpabiliser lesfemmes à faiblesrevenus, on ajoutela théorie de "laculture de lapauvreté".

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volume 6, numéro 25, septembre 1991 : Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle !zyf&S:^^

E=MC2 ou Embonpoint = Mauvaise Conscience2

ou histoires pathétiques et questions existentielles entourant l'épaisseur de la peau

Ginette Thibault

Julie et sa grand-mèreou les leçons de la vie

«Non dit-elle, je ne veux pas defrites, je vais prendre juste de la saladeà midi... nous les femmes, c'est commeça, si on ne veut pas engraisser, on estmieux de toujours faire attention hein?»(Julie... 6 ans). Anecdote authentique,rapportée par ma mère, ravie de memettre sous le nez un exemple de bonsens.... Elle devait se rappeler encore lefil à retordre que je lui donnais dansmon jeune temps, quand il fallaitm'habiller. En fait il s'agissait plutôt«d'élastiques» à retordre... quand j'ypense... Imaginez la chose: pour empê-cher mes bourrelets de «ressortir», nonseulement, mon soutien-gorge «embar-quait» par-dessus ma gaine, mais il étaitrattaché à celle-ci par des «élastiques»et des agrafes, de telle sorte que jepuisse memouvoir(!)* et que LE TOUTreste bien en place... (snif, snif dit lajeune fille).

Une fois j'ai été maigreou la fois que j'ai fait unedépression nerveuse

J'avais 20 ans. Pour toutes sor-tes de raisons (que je vous raconteraiquand vous aurez 7 ou 8 heures delibre), j'avais un épouvantable mal devivre, j'étais pognée comme c'est paspermis**. Ce fut la descente, j'ai piquédu nez, je voulais disparaître de cetteterre. Je sais qu'il y a des moyens plusrapides et efficaces, mais le mien, fut decesser toute activité, y compris celle dem'alimenter. Ce qui fut fît, fut fait., jeme suis mise (sans m'en apercevoir audébut) à maigrir, maigrir, maigrir.N'allez pas croire que cela m'aramenée

à la vie, c'était bien plus compliqué queça. Le mal dont je souffrais était bienplus profond quel'epaisseur de ma peau.Voilà où je veux en venir : à cetteépoque, pour ne pas dire à ce momentprécis, le monde s'est mis à me dire :«T'as donc l'air bien!» Personne nes'occupait de la petite flamme de plusen plus «pâlotte» dans mon oeil. Per-sonne ne se souciait de ce que j'étaismoins... comique. Non. Je pesais 100livres, c'était suffisant (snif, snif, ditencore la même fille).

Hors de la minceur point desalut

Tout cela m'a grandement aidéeàentreprendreetàpousser une réflexionsérieuse de plusieurs centaines de mil-liers d'heures, sur : le regard d'autrui vsnotre propre bien-être... J'ai fait uneEinstein de moi et j'ai commencél'exploration de ma propre théorie de larelativité:

E=MC2 ou Existence =Minceur x Contraintes2

J'en suis venue à me poser toutessortes de questions toutes plus

vachement existentielles les unes queles autres, comme : «Devais-je pourexister, me contraindre à la minceur(qui ne m'étaitpourtantpas naturelle)???— Est-ce que je ne m'aime pas parceque je suis grosse ou parce qu'on m'aentré dans le crâne (comme dans celuide Julie) que c'était laid?!?—Qui c'estqui décide?» Doutes et interrogations.Sombres pensées.

Les régimes «à perpette»,les résistances de Ginette

Tout le monde a peur d'être «benhiverné», et je comprends pourquoiquand je surprends certains regards...ou quand quelques bien-pensantes per-sonnes font l'association : grosseur etlaisser-aller(!). Même les «cools» lais-sent un peu de leur magnanimité de côtédevant l'obésité. En vérité, en vérité jevous le dis : l'intolérance guette lesgrosses encore plus que la crise cardia-que.

J'ai assez hâte que cette modepasse... que le marché plus que lucratifdes «régimes» de tout acabit jette sondévolu ailleurs... Je le répète : j'ai hâteque cette mode cesse. Verrais-je ça demon vivant? Peu de chances, hein!

Aujourd'hui, la folie de la-minceur-à-tout-prix a atteint tout le monde, les jeunes, les moinsjeunes, même les bébés, même les... MINCES !!!C'est là que des fois, quand le moral est bas, j'ai unmalin plaisir à penser que je ressemble aux «belles»de cette terre : elles ET moi, on se trouve grosses,elles ET moi, ON S'AIME PAS !

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Songe d'une nuit d'été I

La saga d'une grosse jovialenée dans le mauvais siècle

Car, c'est bien de mode dont il est question. Voyez-vous, il en a déjà été tout autrement. Ah! Que ne suis-je néeau 13e, 14e,ou 15e siècle... Là, les rondeurs se portaient avecfierté et volupté. Oh! combien j'eus été populaire! Je mevois d'ici, en grosse paysanne, sabots alertes et manchesretroussées, donnant son change à un mari qui, grâce à macorpulence, aurait eu la réputation d'être un homme pros-père... C'étaitcomme ça dans le temps, on évaluait la fortuned'un homme à la grosseur de son tas de fumier et au tour detaille de sa femme (rigoureusement authentique). Qu..quoi?Le mari, vous dites?*** Heu, oui, dans cette vie-là j'auraiseu un mari en effet.. que voulez-vous, ça aurait fait partie desquelques petits... inconvénients de ces siècles... difficile defaire autrement hein? Aurais-je pris le risque d'afficher mespréférences et tout de go, me retrouver au bûcher avec messemblables? «Nenni! M'est avis qu'il eût mieux valu queje restions mariée vivante que lesbienne morte!» me serais-je dit dans mon gros intérieur.

Songe d'une nuit d'été II

La saga de la fillenée dans la mauvaise moitié du siècle

Bon. Je suis née au 20e siècle. Mais quand même,c'est bien moi ça, il aura fallu que je vois le jour et messemblables dans sa DEUXIÈME moitié. Allez-donc mabonne dame! Une misère! Que ne suis-je née vers 1900,1905 ? J'aurais eu encore une petite chance de correspondreaux critères z'esthétiques z'en vigueurs... Par exemple,même morte la reine Victoria pognait toujours; les rondeursinspiraient encore les artistes à ce que je sache... Ah! Je mevois en grosse ouvrière de manufacture! La salopette pous-siéreuse, revenant rapidement de l'usine après son 12 heuresde travail, se demandant ce qu'elle allait bien pouvoir faireà souper pour... son mari... Ah! Non non non! Pas encore lecoup du mari... n n'y a vraiment pas d'époque parfaite... àmoins qu'on se tourne vers l'avenir...

Songe d'une nuit d'été III

La saga des sagas :E = MC2

ou Équilibre = Mode x Courage2

Je me vois déjà. Nous sommes en 2023,toutes dans l'immense salle décorée pourl'occasion : La présentation des Collectionsprintemps-été des plus grandes couturières deréputation internationale. Quoi? Vous dites ?J'ai dit «toutes» et «couturières»? Mais oui, àcette époque, on aura fait la révolution (tant qu'àrêver que le règne change, on ne va pas se gênerhein?). Nous aurons toutes accès à la Hautecouture qui se sera démocratisée depuis la finde la quasi exclusivité masculine en cette matiè-re (vers 2017, 2018) et surtout, depuis lagrande révolte populaire contre le linge «cheap»des magasins Croteau (en février 2019). Maistaisons-nous un peu, la présentatrice, JasmineLabelle s'approche du micro : «Mesdames, enfinnous y voilà! C'est avec le plus grand des plaisirs,que je vous annonce le retouràla mode du...corpsbien en chair... — non, non, encore bien mieuxque ça:—Chères spectatrices, c'est avec une joienon dissimulée que je vous annonce LA nouvellemode : à partir de dorénavant, il y en aura pourtoutes et chacune d'entre nous, petites, moyennes,grandes, maigres, grosses...»

Yééé! Au diable le mari! Àbaslamauvaiseconscience! Vive le beau linge! Ouououh... jesuis au comble du bonheur, je glousse, et., àchaque fois c'est pareil : je me réveille!

**

Vous devriez essayer ça...

Remarquez... après avoir passé sa primejeunesse dans remballage décrit ci-haut...

*** Voir à ce sujet Le dire ou pas le dire dansces pages

56 • Avalanche Portes ouvertes- juin 1994

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volume 6, numéro 26, novembre 1991 : À qui de droit!

Quand il y a du sang, est-ce que

ça fait plus mal ?Linda Lee Ross

D epuis le jugement de lacour Suprême reconnais-

sant le syndrome de la femme battue,plusieurs s'interrogent à savoir quel seral'impact d'une telle décision sur lesfemmes violentées et le travail en maisond'hébergement.

Certes, ce jugement reconnaîtl'expérience psychologique des femmesvictimes de violence conjugale mais, ilsoulève surtout, pour la première fois,le fait qu'une femme battue a le droit dese défendre pour des motifsraisonnables.

Autrement dit, une femme doitavoir des raisons suffisantes pourjustifier la légitime défense; prouverqu'il y a eu danger pour sa vie et qu'elleaurait pu être tuée ou blessée si elle nes'était pas défendue. C'est ici qu'ildevient primordial de comprendrel'expérience d'être violentée par unconjoint. Les femmes qui se défendentet qui tuent leurs conjoints appréhendentleur mort lors d'une agression nonseulement parce qu'elles se réfèrent à lanature des gestes posés mais aussi parcequ'elle connaît le potentiel violent deson conjoint à partir des expériencespassées.

Est-ce pour autant une victoireque de reconnaître qu'une femme peutaller jusqu'au meurtre pour se défendrecontre un conjoint violent ? À premièrevue, peut-être que oui. Cependant, cejugement nous parle beaucoup del'incompétence du système judiciaire àintervenir avant l'escalade de la

violence. Ça me fait penser à l'enfant àqui on permet de pleurer que lorsque sablessure saigne; du même coup, onl'encourage à ouvrir sa plaie pour êtrebien certain de la faire saigner.

Le système judiciaire ne sait pasrépondre aux besoins des femmes etenfants violentés, pas à cause du sexismedes lois mais surtout à cause dutraitement qu'on en fait L'interprétationde la loi, mise à la faveur des hommes,n'est en fait que le reflet des valeursvéhiculées dans notre culture sexiste. Ily a le policier qui minimise la violenced'un conjoint et qui refuse de voir laviolence conjugale au même titre quetout autre acte criminel; il y a les avocatsqui brusquent les femmes et qui nepartagent pas l'information sur leprocessus judiciaire; il y a les juges quiont tendance à sympathiser avec l'accuséou à blâmer la victime parce qu'elletémoigne mal ou qu'elle protège sonconjoint, sans comprendre son expé-rience.

En bref, recourir au systèmejudiciaire pour se protéger d'un con-joint violent est presque une farce.L'augmentation des meurtres conjugauxque l'on a connue l'automne passé(1990) n'a pas fait réagir le systèmejudiciaire, sauf pour le ministre de lajustice, M. Gil Rémillard, qui a crû bonde mettre de l'avant la médiationfamiliale afin d'éviter que se perpétuece genre de drames. Ce type de décla-ration par l'État ne fait que confirmerson incompréhension de la probléma-tique de la violence conjugale, partant

du fait que la victime et l'agresseur sontsur le même pied d'égalité en terme depouvoir, et que la violence conjugalen'est en fait qu'une histoire de famillequ'il faut régler en famille.

Le syndrome de la femmebattue versus le syndrome deStockholm

Le syndrome de la femme bat-tue a été critiqué pour sa tendance àindividualiser, voire même "médica-liser" la violence conjugale.

La "médicalisation" est unprocessus par lequel les événements dela vie, telle la naissance, l'adolescenceou la mort, sont sous le contrôle del'institution médicale. Les définitionsde la pathologie et de la non pathologieintra-psychique servent à classifier detels événements. En définissant l'expé-rience d'une femme violentée commeun syndrome, on la classifie parmi lesmaladies.

Ce syndrome ne vient alorsque s'ajouter à une longue liste de

maladies ou de comportementspathologiques par lesquels la

médecine traditionnelle a vouluexpliquer la violence faite aux

femmes, tels le complexe d'Électra,l'envie du pénis, l'hystérie, le

masochisme et enfin, depuis 1985, le"self-defeating personality" (lapersonnalité auto-destructrice)

— un désordre de la personnalité.

Avalanche Portesounertas-juin 1994- 57

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Vue sous cette angle, la violencetend à s'expliquer d'abord et avant toutpar des facteurs psychologiques etindividuels; ce qui entretient l'idée queles femmes qui ont été violentées dansleur enfance le seront plus tard par leursconjoints.

En faisant référence au syndro-me de la femme battue, la juge Wilsonpermet la reconnaissance de l'ex-périence d'être violentée par un conjoint;ce qui est un premier pas. Toutefois, ens'attardant à l'analyse individuelle del'expérience, on se rend compte que lesyndrome en donne un portrait erroné.La violence conjugale ne se vit passeulement en couple, elle est intégrée àune culture, à une communauté et à unesociété. H est important de considérercomment l'entourage réagira à laviolence. Cette réaction sociale aura unimpact direct sur la perception de lafemme et sa façon de réagir à la violencequ'elle subit. Le support de la famille,d'une amie, d'une infirmière ou d'uneavocate, qui lui propose un séjour enmaison d'hébergement pour réfléchirsur la situation, lui apportera une visiondifférente de ses droits et ses besoins.

Le syndrome de Stockholmfournit une explication plus nuancée derexpériencedesfemmes violentées pourfaire reconnaître et comprendre leursvécus. Selon cette vision, l'explicationde la violence par la reproduction despatterns de l'enfance à la vie adulte esterronée; ce serait plutôt l'expérienced'être captive dans une relation qui

expliquerait le fait que les femmesrestent ou pas avec un conjoint violent.S'attarder aux expériences antérieuresde violence vécues par la victime estéquivalent au fait de demander à unotage pris dans un détournementd'avionsi son père a battu sa mère. Le syndromede Stockholm ajustement été étudié surdes personnes prises en otage en Suèdeen 1973.Par ces études, onapuretrouverdes similitudes entre les otages et lesfemmes violentées quant à leursréponses émotives et leurs perceptionscognitives.

Le syndrome démontre que lesotages peuvent développer des liensavec leurs ravisseur parce qu'ils enviennent à croire qu'à n'y a aucuneautre issue pour survivre que de protégerà tout prix cette relation.

On retrouve quatre pointe d'analogie entre la femmevictime de violence et le syndrome de Stockholm:

1) les deux, l'otage et la femme violentée, perçoiventune menace pour leur vie et croient que le ravisseurou le conjoint violent peut la mettre à exécution;

2)

3)

4)

les deux ont l'impression que le ravisseur oul'agresseur éprouve une certaine tendresse poureux, même si elle est minimale;

les deux sont isolés de toute autre perception quecelle de leur ravisseur;

les deux croient qu'il n'y a aucune possibilité des'échapper de la situation.

58 • Avalanche Portas ouvertes- juin 1994

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On comprend ainsi que la femmecaptive ne pourra jamais s'échappertant et aussi longtemps qu'elle croiraque sa survie dépend de sa relation avecle ravisseur, et ce, même s'il y a desopportunités. Par la suite, si la femmeconstate que sa survie n'est plus assuréepar larelation, elle pourra alors se séparerpsychologiquement du conjoint violent.Cette analyse de la violence conjugalenous permet de comprendre pourquoiles femmes violentées tuent leursconjoints lorsqu'il y a une escalade dela violence.

Pour ces dernières, venir enmaison d'hébergement ou déménager àl'extérieur de la province ne serontjamais des solutions satisfaisantes parcequ'elles croient que leurs conjointsréussiront toujours à les retrouver, vuel'intensité de violence qu'elles aurontsubie.

D'un côté, elles sont con-vaincues qu'il est impossible de quitterle conjoint et, de l'autre, il n'est pluspossible de survivre psychologiquementà cette violence ; il ne reste alors qu'àattendre le bon moment et se défendrequand elle est le plus sûr de réussir(c'estelle ouc'est lui qui en mourra).Lejugement de la Cour suprême a sureconnaître l'escalade de la violence etla menace constante qui font en sorteque la femme a des motifs raisonnablesd'appréhender sa mort même lorsqu'ellene vit pas une agression.

La prévention comme moyende légitime défense

La protection des femmes etenfants violentés ne peut être assuréeque par la prévention. Et le systèmejudiciaire doit jouer un rôle dans cetteprévention en reconnaissant la violencedès ses débuts.

C'est dans le quotidien que lesfemmes doivent pouvoir se défendre etrefuser la violence. Pour y arriver, ellesdoivent savoir qu'il existe unealternative à la violence, et que celle-ciest inacceptable. Il faut intégrer quenous avons le contrôle absolu de notreterritoire et que nous avons le pouvoirde déterminer qui peuty venir, quand etcomment.

Mais pour dénoncer la violenced'un conjoint, il faut aussi être assuréequ'on a des droits, qu'on va être crue etcomprise. Attendre l'escalade de laviolenceavantde permettre auxfemmesde se défendre est une attitudeirresponsable. Elle laisse place à desdéfinitions judiciaires qui doiventdélimiter le degré de violence nécessairepour mériter une défense ou unesanction. Si comme société, on estimeque la violence faite aux femmes estinacceptable à tous les niveaux, lejudiciaire doit être en congruence avecces valeurs et travailler à les défendre.

H est totalement injuste derendre une femme coupablede meurtre au premier degréquand elle tue son conjointaprès avoir subi de la torturependant des années; mais ilest tout aussi grave qu'unefemme doive aller jusque làavant que le systèmejudiciaire intervienne. Etdans ce contexte, le systèmejudiciaire doit porter unepart de responsabilité et deculpabilité !

Avalanche Portes ouvertes-juin 1994-59

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volume 7, numéro 27, février 1992: Où sont rendus nos ponchos?

C*est quoi selon toi être une féministe en 1992 ?propos tirés d'un sondage (maison), recueillis par Denise Caron

D ix-sept femmes de 24 à 62 ans et 4 hommes entre30 et 48 ans ont répondu à notre question

"choc" : C est quoi selon toi une féministe en 1992 ? Ces gensproviennent de différents milieux et représentent monsieuret madame "toutlemonde" avec leur lot de préjugés pour oucontre. Suite à la lecture des résultats de notre sondageprovincial, (eh oui! provincial, des gens de Montréal, de laGaspésie de la Mauricie, et de Lanaudière), il m'a semblépertinent défaire ressortir f essentiel sous quatre thèmes:l'image de la féministe, comment on la définit, le vécuféministe en 1992, et l'identification au féminisme.

Je n'aipas commenté le sondage, je vous laisse le soinde le faire à votre guise.

1. L'image de la féministe

- C'est une professionnelle d'environ40 ans. Elle afaitdesétudes et possèdeun "look" de forte personnalité. Ellen'est pas conservatrice dans sonapparence. Elle a l'air jeune, même à40 ans.

- Elle a peu ou pas d'enfants parcequ'elle veut être libre de son temps etqu'elle ne croit plus au rôle du père.

- C'est une personne crainte ou pasaimée, surtout par les traditionnels,hommes ou femmes.

- Elle travaille avec les femmes oudans un milieu où elle n'est pas au basde l'échelle. Elle n'accepterait pasd'être sous les ordres de plein demonde.

- Pour d'autres, la féministe travailledans le domaine social, dans une cause

qui la passionne et la stimule parl'intérêt qu'elle y porte, plus que parle revenu qu'elle en retire. Ou encore,on la voit comme étant une femme decarrière, consciente des pièges quereprésente larelation de pouvoir entreles hommes et les femmes.

Certaines personnes perçoivent laféministe comme étant uneemmerdeuse, une frustrée, uneagressive qui se croit supérieure àl'homme. Une interviewée expliqueen partie cette vision des gens par lefait que certains pensent qu'on a toutréglé, nous les femmes, et qu'ondevrait se taire.

Les féministes sont agaçantes commefemmes; ce qui a pour effet d'éloignerles hommes d'elles.

Elles exagèrent un peu trop parfoisdans leurs revendications.

2. Comment on la définit

- La féministe est celle qui revendiqueles droits des femmesetrégaUté entreles sexes. C'est également une femmeconsciente de ce qui a été acquis etqui l'intègre dans son quotidien. Ellepossède le contrôle de sa vie.

- C'est une femme qui s'affirme, quin'est plus soumise et qui semble biendans sa peau. Elle pense à elle, estcapable de fonctionner seule et de sedébrouiller sans nécessairementavoirun homme dans sa vie.

- Elle lutte afin de prendre sa place etêtre respectée en tant qu'individu, entant que femme. Elle veut êtreautonome, pouvoir prendre desdécisions et être maîtresse de sa viesans dépendre du mari.

- Elle est fonceuse, encore extrémisteet militante.

- La féministe est une femme qui prendla défense des femmes sans pourautant être contre les hommes, ni"une femme aux femmes". Êtreféministe, c'est d'aimer les femmesparce qu'on estfemmeetqu'on désirepour soi et pour les autres femmes, lerespect et l'équité des droits.

- La féministe exprime ses besoins etrespecte ceux-ci.

- Elle n'a pas peur de s'identifierpubliquementcommeétantféministe.Elle s'inscrit dans un changementsocial en profondeur en portant desprincipes d'égalité et de justice. Elletravaille à construire un projet desociété basé sur des relationségalitaires.

60 -Avalanche Portes ouvertes-juin 1994

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3. Le vécu féministe en 1992

Elle est plus centrée sur son bien-êtreparce qu 'il y a maintenant des acquis.Lanécessité de lutter est moins grandeaujourd'hui grâce aux gains obtenuspar les luttes de l'autre génération.

Pour certains, la féministed'aujourd'hui défend encore lesmêmes choses que celle des années'75. Elle fait sienne la lutte que lesfemmes mènent depuis des sièclespour la promotion de la femme.

De nos jours, pensent d'autres, laféministe ne revendique quelorsqu'elle est brimée dans ses droits.Elle est moins extrémiste dans sesrevendications.

Elle possède un niveau de conscienceplus élevé que la moyenne des gens.

Plusieurs personnes considèrent quela féministe est isolée. Souvent miseà l'écart et dénigrée. C'est égalementune femme épuisée.

Une femme nous témoigne même sesentir marginale comme féministe.Elle a l'impression de n'avoir per-sonne pour la soutenir dans son milieu.Elle se demande si les féministes nesont pas en voie de disparition.

Les féministes de 1992 sont plusindividualistes. Ceci peut être dû aufait qu'elles sont tannées de passerdes messages et de ne pas êtreentendues.

Contrairement aux féministes d'a-vant, les féministes d'aujourd* hui fontde petites actions. C'est sans doute liéàl'épuisement et au manque de relève.

On remarque que les hommes"nouveaux" qui ont jadis supporté lesféministes sont devenus intolérantscar ils sont tannés de leurs reven-dications. Ils ont l'impression que lesféministes ont obtenu assez de gains.

- Avant, le féminisme, c'était de faireavancer la condition des femmes, dedéfendre les droits des femmes.Maintenant, c'est être le chien degarde au niveau des acquis qui sontfragiles. Il est important de lespréserver et de continuer à faire laplace qui revient aux femmes.

- Côté "look", la féministe version an-nées '90 se confond facilement dansla population. Elle se faitplus discrètequ'àl'époque où elle ne se maquillaitpas, ne se rasait pas, portait desbottines et fumait le cigare.

Selon quelques personnes, cetteimage de la féministe enragée desannées '60 qui haïssait les hommes, agrandement nui au féminisme d'au-jourd'hui qui est plus équilibré.

4. L'identification auféminisme

- À prime abord, on constate que lesvaleurs féministes sont maintenantnormalisées, c'est-à-dire quebeaucoup de femmes ont intégré lesvaleurs féministes mais refusent des'identifier comme telles à cause despréjugés.

- Plusieurs femmes vivant avec unhomme ont peur de s'identifier auféminisme car, pour elles, féminismeet vie de couple paraissent inconci-liables. Trouver l'équilibre enessayant de concilier les deux con-cepts équivaut, pour les jeunesfemmes, à se marginaliser, se fairejuger, se débattre. C'est lourd et çafait peur.

- Une femme interviewée ne pouvait,selon elle, s'identifier commeféministe parce qu'elle était mariée,mère de trois enfants et esthéticienne.Elle était pourtant consciente d'avoirintégré les valeurs féministes.

En guise deconclusion, je vous serscette remarque d'unepersonne interrogée:

Le féminisme nedevrait pas exister. C'estinjuste de penser que Vondoive lutter, se solidariser,se regrouper, juste pouravoir accès aux droits etprivilèges qui sontgratuitement décernés auxhommes.

Avalanche Portas ouvertes- juin 1994- 61

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volume 7, numéro 28, avril 1992: Je ne suis pas raciste mats...

Il n'y a pas de racisme en maison, mais...Charlotte Girard, autochtone et coordonnatrice de l'Auberge de l'Amitié à Roberval

L es femmes autochtones sont bizarres...tu n'trouves pas ?

Les indiennes sont toutes des alcooliques !

Pas question qu' on accueille une indienne ici' t... sinon moi jedémissionne !

Qu'est-ce qu'on va faire avec elle ?

Y a rien à faire avec elle !

Qu'est-ce qu'a fait ici't ct'indienne-là ?

Regarde-lui l'allure... pas question que je couche ici'tsiy ades indiennes !

Qu'a retourne dans sa réserve !

J"veux pas que mes enfants jouent avec des indiens !

C'est normal pour elle "LA VIOLENCE", a toujours vécudans ça !

L'autre jour, y'a un avocat qui disait que l'inceste, pis lesagressions sexuelles "c'est normal" pour une indienne... çafait partie de ses moeurs !

T es sûrement pas une indienne "pure", si tu as réussi à faireun bac !!!, etc.

Qui de nous n'apas entendu l'unede ces exclamations, dans nos maisons,en participant à un colloque, lors d'uneréunion, autour d'une table de concer-tation ou ailleurs ?

Cette théorie de la hiérarchie desraces nous conduit inévitablement àpréserver la race dite "supérieure" etpar le fait même, nous donne le droit dedominer les autres en créant un climatde menace, de peur, de rejet

Déjà toute petite, nous apprenonsà vivre sous des menaces imprégnées deracisme, de rejet, de danger. Nous nesommes pas conscientes de la façondont nous résistons au racisme.

Nous sommes plutôt amenées à

nous percevoir comme des femmessoumises, dépendantes, passives, qui serésignent à subir le racisme commefaisant partie intégrante de la vie desfemmes autochtones. C'est ainsi quenous apprenons à définir notre réalité,en fonction du regard que l'on pose surnous.

La victimisation des femmesautochtones n'est absolument pas dif-férente de la victimisation de la femmeblanche. Sauf que, lorsqu'elle est hébe-rgée dans l'une de nos maisons, elle estd'abord victime de violence conjugaleet de plus, victime de racisme. Nousféministes, qui travaillons depuis plusde 20 ans à faire respecter les droits desfemmes et à améliorer la condition

sociale des femmes; nous, qui prônonsla solidarité, l'égalité; nous, qui avonsfait un choix un jour celui de faireconfiance aux femmes ! Commentpouvons-nous tolérer le racisme dansnos maisons ? Comment pouvons-nousrire d'une blague sur les femmesautochtones ? Comment pouvons-nousaccepter de déménager une indienned'étage parce qu'une femme blanchen'accepte pas de dormir sur le mêmeétage?

S'il se vit des situations sem-blables dans votre maison, il est quandmême possible d'y remédier !

D'abord, reprenons notreexpertise sur la violence conjugale etnotre théorie sur la victimisation.

RÉFLÉCHISSONS et A-NALYSONS le tout en faisantdisparaître nos préjugés et les mythespar rapport à la femme autochtone.AJOUTONS unebonnedosed'essencede féminisme (pure si possible),amalgamons une grosse tasse d'égalitéet de solidarité. REMPLAÇONS lemot violence par racisme et COU-RONNONS le tout d'une bonne portionde confiance aux femmes.

PARTAGEONS notre recetteavec toutes les femmes blanches et lesfemmes autochtones lors d'un souperbénéfice et vous m'en redonnerez desnouvelles...

Si c'est vrai pour la violenceconjugale, c'est aussi vrai pour leracisme. Vous qui connaissez bien notreexpertise, réfléchissez-y... vous n'ytrouverez pas beaucoup de différenceau goût...

C'est ainsi que, graduellement,nous sommes parvenues à fairedisparaître le racisme envers les femmesautochtones dans notre maison.

62 • Avalanche Portesouvwtes-juin 1994

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volume 7, numéro 29, juin 1992: Mortes de peur III

Je ne sais pas si vous avez déjà remarqué, mais on utilise le mot peur àtoutes les sauces. J'ai peur de me faire mal, j'ai peur des araignées, j'ai peur dedevenir folle, j'ai peur qu'il soit triste, j'ai peur d'être jugée, j'ai peur de tomber,etc... Dans notre langage populaire, le mot peur convient à plusieurs états. Il estcourt, il résonne bien et il se fait comprendre vite. Les femmes portent leur lot depeurs; d'ailleurs elles sont souvent décrites comme des "peureuses". Mais, peut-on répliquer que si on avait plus de contrôle sur les événements, on aurait moinspeur. Prendre du contrôle, c'est une belle façon de retourner sous terre lesfantômes qui nous habitent À moins que vous ayez peur aussi des fantômes !

Peur de la colèreColette Breton

'est bien difficile d'écriresur le sujet: être interve-

nante et avoir peur de la colère !Qu'est-ce que les autres vont dire !?Elle ne s'en sort pas... j'hésite à écrire.Je réfléchis un peu et au fond, je n'ai paspeur du jugement des autres. Je sais oùj'en suis dans mon cheminement et ça,la peur de la colère.c'est encore présent.

Alors que je suis parvenue àfoncer dans bien d'autres peurs, la peurde la colère résiste et elle est la plusdévastatrice en moi. Elle est celle quiest encore agglutinée à la victimisationjuste là, où mes réflexes de défense, desurvie, d'affirmation ont été cassés parla violence vécue. L'inquiétude quipersiste devant la colère: les cassuressont-elles assez colmatées pour résisterà son impact?

C'est sûr, il est des colères aveclesquelles je peux facilement demeureren spectatrice, observer l'autre, l'écouteret intervenir ce sont les colères à proposdes autres.

Il en est tout autrement devantles colères qui sont ou qui semblentdirigées contre moi (serais-je coupablede quelque chose ?).

Les deux éléments qui meperturbent le plus: les yeux et l'énergie.Les yeux de la colère sont durs, vitreux,intransigeants et ils me percent Ils mefont ressentir l'énergie volcanique quise propulse hors de l'autre. J'ai peur...j'ai peur que toute cette larve rejaillissesur moi, qu'elle m'envahisse, me noie.J'ai déjà peur de la souffrance, de lamort. Toute ma qualité de conscienceest altérée. Tout se bouscule dans matête, je vais mal, j'entends mal, monestomac se tord, je ne sais plus où est lemur, où est l'autre. Mon instinct desurvie vient à ma rescousse et m'amèneà me protéger.

Quand j'étais victime de vio-lence, je mettais mes bras sur ma tête, jefermais les yeux, je serrais les dents, jeme rentrais la tête entre les épaules etj'attendais le pire: qu'il me tue.

Aujourd'hui, il reste encore destraces de cette peur, de ces réflexes desurvie.

Devant la colère, ça commencede la même façon. Les yeux et l'énergierappellent à ma conscience le danger. Jene disparais plus comme avant je voisun peu, j'entends un peu, je ne perds pastotalement la conscience et physi-quement, je ne me cache plus avec mesbras.

Mais la colère me saisit encore etmon émotivité grandit et me perturbe.C'est moins intense et ça dure aussimoins longtemps: ce qui me permet decommencer à réagir plus sainement

Je sais que je réagis avec mesexpériences passées, avec mes peursdisproportionnées d'être anéantie. Lesyeux et l'énergie de la colère sont là: ilsexistent. Ils me font peur ou mechoquent. Avec le temps, je sais que jetrouverai un moyen terme, un passagesécurisant entre la peur et la témérité.

Avalanche Portas ouvertes-juin 1994- 63

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La peur des différencesMarie Bisaillon

M,oije n'aime pas ça cellesqui me regardent comme

si j'étais une extra-terrestre et quis'imaginent que je cache des microsdans mes oreilles. Je n'aime pas ça nonplus, les voir parler aux murs ets'imaginer qu'ils lui répondent. Jeri aime pas ça parce que je ne sais pasquoi leur dire, quoi faire non plus. Jeme sens alors bien démunie. Je me disque si elles allaient penser que je veuxleur faire du mal, elles pourraientm'attaquer pour se défendre. Non, jen'aime pas ça. La violence, merci pourmoi. Et puis oui, aussi bien le dire, j'aipeur. La maladie mentale, foi peur deça. On ne sait jamais ce qu' elles peuventfaire ces femmes-là. De toute façon, onn'est pas la ressource pour elles !

Ces mots, je les ai pensés etdialogues avec moi-même à maintesreprises. Même que ça me dérangeait auplus haut point (Se remettre en question,on connaît ça nous autres !). Comme ilme restait un stage à faire pour terminermes études, je me suis dit: "Autant yaller carrément et voir comment ça sepasse pour elles, la maladie mentale".Et bien, j'en suis sortie avec une visiontransformée. Les principes del'intervention féministe, ça s'appliqueà toutes les femmes. Cependant, j'ai étéconfrontée à des portes closes. Desfemmes victimes de violence conjugale,il y en a là aussi, autant que chez lesautres femmes. Une sur 7, disent lesstatistiques. Tenter de faire admettreune femme qui a des problèmes de santémentale dans une maison d'héber-gement pour femmes victimes deviolence, n'est pas une sinécure. Il y atoujours les centres de crise, lesressources pour femmes en difficulté.Mais celle qui vit aussi la violenceconjugale a besoin d'une interventionspécifique de haute qualité: la nôtre,celle que nous avons développée au fil

des ans. Il lui faut la meilleure. Et lameilleure, c'est chez-nous, dans nosmaisons à nous.

En santé mentale, il y a plusieursapproches. Il y a celle de la psychiatrietraditionnelle avec le pouvoir dupsychiatre qui décide de la liberté ou del'internement dechaque "malade". C'estl'approche des diagnostics (étiquettes),des médicaments (camisoles de forcepharmacologiques qui transforment lapersonne en zombie et lui nient toutesformes d'émotion). Il y a les ordres de lacour, les cures fermées, les électro-chocs(ça, c'est lorsqu'on ne sait pas tropcomment traiter le/la malade).

À l'opposé, il y a l'approche del'anti-psychiatrie. Il n'y a plus alors demaladie mentale mais une souffranceémotionnelle intense amenant desréponses différentes. Par exemple, noussommes habituées aux réponses desfemmes violentées qui arrivent chez-nous: peur, colère, pleurs, tremblements.Pour celle qui a aussi des problèmes desanté mentale, à ces réponses peuvents'ajouter les hallucinations, le délire.

L'approche véhiculée par l'anti-psychiatrie est une approche alternativeet globale en ce sens qu'elle supporte lapersonne tout en lui permettant de vivresafolie jusqu'au bout et ainsi s'en sortir.

Entre ces deux approches, il y atoute une série d'interventions faitespar des organismes communautairesfortement impliqués dans le milieu. Ilsont développé une approche globale, unsuivi long terme, un service d'accom-pagnement et de défense des droits. J'yai rencontré des gens pas mal "auboutte". Des gens qui ont la foi dans lepotentiel des usagères et usagers.

Mais pour les femmes violentées,ils sont dans l'impasse. Ils ne connaissentpas, ne savent pas comment agir, quoi

faire. Alors, ils réfèrent. Hélas, une foisde plus, les portes sont closes.

Pour les femmes qui arrivent dansnos maisons, la rupture d'avec leconjoint, qu'elle soit momentanée oudéfinitive, amène un stress important,une situation de crise. Pour la femmequi a, en plus, des problèmes de santémentale, sa fragilité émotionnelle luifait vivre un stress décuplé. Sous lasouffrance, certaines décideront deglisser dans la folie. À leur arrivée dansla maison ou dans les quelques jours quisuivent, ce stress intense amènera unecrise de décompensation. Nous sommesalors confrontées à une situation im-prévue et nous nous sentons démunies.Et face à l'inconnu, on a peur. On craintde perdre le contrôle de ce qui peut sepasser. Souvent, ces crises arrivent lesoir ou la nuit et on a, en plus, laresponsabilité de toute la maisonnée,c'est-à-dire les femmes et les enfantsqui en ont assez des crises et des risquesde violence et qui n'aspirent qu'à latranquillité, du moins pour quelquesjours.

Les besoins de ces femmes sontévidents et tragiques. Avec les faiblesmoyens financiers que nous avons,comment peut-on y répondre ? Si onpouvait se familiariser avec la réalité deces femmes, peut-être nous sentirions-nous moins démunies ? La formation ?Probablement. Mais où trouver le tempset l'argent alors que notre capacitéfinancière diminue d'année en année ?

Avec cet article, je ne prétendspas apporter toutes les réponses. Jevoudrais simplement nous sensibiliserà cette réalité. Et peut-être, ensemble,trouver des éléments de réponse. Unechose est certaine, on ne peut laisser cesfemmes se faire hospitaliser etretoumeravec leur conjoint en niant la violencesubie et en mettant la cause sur leur"folie".

64 -Avalanche Portas ouvertes-juin 1994

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volume 7, numéro 30, septembre 1992: Quand le jeune prince devient MI

Mon mec à moiDiane Prud'homme

es jeunes filles d'aujourd'hui rêvent-elles encore auprince charmant? Cherchent-elles encore le grand

amour? Sont-elles aussi prêtes à autant de compromis pour"garder un chum"? Ont-elles aussi besoin de plaire? D'êtrereconnues par les gars ? À toutes ces questions, j 'aurais tendanceà répondre oui, mais avec des "bémols". Des choses ont changé.Elles ne rêvent sûrement plus des demandes en mariage en bonneet due forme, l'homme à genou, la bague au doigt. Peut-être pasnon plus de l'homme pour la vie, pour le meilleur et pour le pire.Mais elles rêvent sûrement et tout autant du grand amour et duromantisme. Et elles sont prêtes à "beaucoup" pour avoir le garsqu'elles veulent et le garder auprès d'elles. Au nom de l'amour,elles sont même prêtes à tolérer leur contrôle, tout comme nous.

Dernièrement, je suis alléedonner une conférence au cégep et lesrévélations que j'ai reçues de la pan desadolescentes ressemblaient en partie àtout cela. Ces filles avaient aussi espéréles changer. Et ces filles avaient aussiespéré qu'en les quittant, ils revien-draient avec de grandes déclarations.Et ces filles avaient tout fait pour ne pasles perdre tellement elles les aimaient!De ce que j'entendais, presque rienn'avait changé, les stratégies nefonctionnent pas plus. L'amour se portemal, quelque soit l'âge! Harlequin(qu'elles n'ont peut-être même pas lu)puise ses idées à même nos valeurs etl'idée de pouvoir changer un homme debout en blanc existe malheureusementmême chez les jeunes. L'idée du princequi ne l'est pas mais qui le deviendra,l'idée que c'est à la fille de voir à sonéducation romantique, l'idée d'accepterle contrôle du jeune amoureux parcequ'il a des problèmes de jalousie, sontencore présentes. Tout est là parce queles gars et les filles reçoivent encore lesmêmes messages. Les gars apprennentencore qu'ils sont les numéro 1 sur terreet les filles apprennent encore à s'ou-blier, à les admirer, à vouloir leur plaireet à les comprendre dans leurs écarts.

Les seules différences sont qu'au-jourd'hui, les jeunes filles ont lapossibilité de s'en parler entre elles, delaisser moins de chances au coureur, deconnaître plusieurs hommes. Ellesidentifientetdénoncentplus rapidementla violence qu'elles ont vécue parcequ'elles en entendent davantage parler.Je fus étonnée de les voir prendre lemicro et raconter tout haut leur expé-rience devant une salle mixte d'environ200 personnes. Elles parlaient aussi deleur mère qui était violentée ou de leursoeur. Sauf qu'elles n'en parlent pas auprésent, elles en parlent au passé, unefois que la situation est réglée (commenous autres !). Mais ça fait déjà ça!Lorsqu'il était question de jalousie et decontrôle sur la façon de s'habiller, surles choix des ami(e)s, des études, dessorties, sur les pressions sexuelles, ellesse reconnaissaient, elles acquiesçaient.

Une jeune fille dans la salleracontait que jamais, elle aurait crû êtreviolentée parce qu'elle était avisée, elleétaitinformée sur la violence conjugale,parce que les filles d'aujourd'hui sontlibérées et autonomes, parce qu'ellessont éduquées, etc. Elle avait l'im-pression que c'était des histoires quin'arrivaient qu'aux bonnes femmesmariées et que la nouvelle génération enétait exemptée. Elle avait maintenanttoute une autre perception depuisqu'ellel'avait vécue elle-même. Et elle n'avaitpas su quoi faire.

Alors voilà, dans une époque ditpost-féministe où les femmes sontsupposées avoir gagné toutes lesbatailles!!!, où les jeunes filles sonttentées de s'en tenir aux acquis, où lesjeunes parlent d'une planète à sauversans égard pour ses habitants, des jeunesfilles sont violentées par leur chum etenplus, elles n'ont aucune ressource pourelles, sinon celle de s'en parler plusouvertement!

Avalanche Portes ouvertes- juin 1994- 65

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Sors-tu avec quelqiTun qui...Colette Breton

D ans le cadre d'un atelier sur laviolence conjugale avec des

adolescentes du niveau secondaire, ColetteBreton a construit et utilisé ce questionnairepour faire identifier la violence conjugalevécue chez les jeunes.

Sors-tu avec quelqu'un qui...

- te dit des choses qui te font de la peine- te dit ou fait des choses qui te font

choquer- te dit ou fait des choses qui t'humilient- te pousse- te lance des objets- te menace de lancer des objets- te dit qu'il casserait tout- te boude, refuse de discuter

- essaie de te contrôler- te donne des ordres- critique ton habillement- critique ce que tu dis- critique ta famille, tes amies- prend toutes les décisions- ne prend pas tes opinions

est jalouxest possessifinsinue que tu fais ceci ou celate surveillete fait surveillerte fait choisir entre lui, les amis et lafamillen'accepte pas que tu cassesessaie de te manipulerte manipule

abuse d'alcoolabuse de droguesfait pression sur toi pour que tu con-sommes

• croit que l'homme doit contrôler• croit que la femme doit obéir

provoque l'entourage au point det'avertir à son propos

• se promène avec une arme

- a une histoire de bataille- perd vite les pédales- te serre fort les bras, les doigts- te claque des fois- te promet de téléphoner mais...- t'empêche de sortir- vient te chercher quand il a le temps- te fait des pressions pour du. sexe- t'oblige pour du sexe- te prend de force- croit que les filles sont des objets

sexuels

Excuse sa violence par:

son passéla boissonla droguela gangla perte de contrôle

66 -Avalanche Portes ouvertes-juin 1994

- est violent

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volume 7, numéro 31, novembre 1992 la violence conjugale et la santé mentale: quel dilemme I

Pareilles, pas pareilles, on s'appareilleDiane Prud'homme

E n mars 1990, le Re-groupement provincial

organisait un colloque qui portait letitre: "Pareilles, pas pareilles, ons'appareille" (dont les actes n'ont pasencore été publiés). Il se voulait un lieud'information et d'échange par rapportaux différences que pouvaient vivre lesfemmes victimes de violence. Certainesappelaient "cela" les doubles pro-blématiques, d'autres les doublesvulnérabilités; toutes s'entendaient pourdire que ces différencesfaisaient surtoutétat des doubles oppressions. Il étaitdonc question des femmes victimes deviolence: autochtones, handicapées,immigrantes, ayant des problèmes detoxicomanie ou encore de santé mentale.Mieux comprendre les différencespourmieux, intervenir!

Lors de la soirée d'ouverture,Roxanne Simard, psychologue et co-auteure du livre: "Va te faire soigner,t'es malade", fut invitée à faire uneconférence pour partager son analysesur les problèmes de santé mentale quepouvaient vivre les femmes en général.Voici donc un libre résumé* de cetexposé, intitulé: "Unefemme en santé:d'où vient cette extra-terrestre ?

Pour comprendre les problèmesde santé des femmes, il faut d'abordcomprendre que la santé n'est pas unacquis individuel qui serait propre àchaque femme (et que chacuneposséderait en plus ou en moins, selonson âge, son milieu ou son potentielpersonnel) mais bien un "construit"collectif, propre à l'ensemble desfemmes.

* Ce résumé a été conçu à partir des notesprises lors de l'exposé; il n'est pas celuide l'auteure de la conférence.

On fabrique des femmes maladespar une socialisation qui semble del'ordre de la nature. On les fabriquesage, conformiste, retirée, inhibée,imparfaite, incomplète, dépendante,craintive, altruiste, servante, dévouée,passive, etc. de sorte que dès leurenfance, elles ne questionnent pasl'ordre des choses. Elles apprennent àse soumettre aux désirs et aux attentesdes autres. Elles ne revendiquent rien,elles reprennent le discours des autres:de leur mari, du médecin, etc...

En bref, les femmes sontsocialisées contre la nature et lesprincipes de base de la santé. Et l'onsurenchère le trouble en présentant cettesocialisation comme étant un fait de lanature de la femme, faisant partie del'ordre des choses. Freud ne dira pasque les femmes deviennent passives oumasochistes mais qu'elles le sont de parleur nature.

Si fine, douée, épanouie soit-elle, chaque femme partage avec toutesles autres le poids de la féminité, c'est-à-dire que chacune doit répondre auxattentes placées au dessus de toutes lesautres. En ce sens, les femmes peuventbien échapper à la rougeole, aux M.T.S.,au sida... mais elles ne peuvent échapperà la féminité, donc à la maladie.

Féminité et maladie sontinterchangeables. Une femme en santédans notre culture est aussi choquant etdérangeant qu'un homme malade. Siles femmes étaient en santé, elles sedéfendraient dans la maison commedans la rue, elles auraient accès auxlieux de pouvoir, ce qui n'est pas le cas.

Malgré le fait qu'il y ait certainesfemmes qui, individuellement, sontplusen santé que d'autres, il faut comprendreque la femme collective est malade carelle ne peut échapper à la féminité.

La maladie des femmes semanifestera par la dépression. Lesfemmes vivront à des degrés divers lamésestimedesoi,ladèpendance,roublide soi. Elles doivent s'associer à unhomme ou à une institution. Elles ont dela valeur par procuration, par quelqu'unde plus valable qui les aura choisies.Voilà le fondement même de ladépression.

Par l'apprentissage de la peur,les femmes sont fabriquées en êtredéprimées. Leur impuissance et leurapprentissage à ne pas s'accorder devaleur et de dignité rendent les femmesvictimes des hommes et des institutions.

La dépression des femmes estdonc normale, elle est définie commenaturelle. Toutefois, certaines femmesvont plus loin que d'autres dans la sou-mission; elles deviennent immobiles,apathiques, résignées, autodestructri-ces. En fait, elles croient si peu en leurpotentiel qu'elles ne font plus rien. Ellessont l'image criante de ce que l'on neveut pas voir. Effacées jusqu'àl'anéantissement, elles sont "la vraiefemme réussie", "la femme parfaite",mais déprimées d'une manière patho-logique.

Cette dépression pathologiquedérange parce que, à ce stade, la femmen'est plus en mesure d'être au servicedes autres; elle a dépassé certaineslimites (il ne faut pas qu'elles serventmoins)et dans ce sens.d'une dépressionnormale, elle passe à une dépressionpathologique. Les institutions tenterontalors de "soigner" leur abdication auxservices conjugal, maternel, domes-tique, etc. plutôt que de s'attarder aumanque d'estime personnelle.

Ces femmes qui vivent unedépression pathologique démontrentdonc l'absurde du modèle féminin où

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les attentes et exigences envers ellesmènent à la maladie.

On retient trois grandescatégories de maladieféminine:

1) la dépression normale (les femmesconformes)

2) la dépression pathologique (lesfemmes trop conformes)

3) l'hystérie (les femmes non-conformes)

Les hystériques sont les rebelles,les "critiqueuses", celles qui ne viventpas le "trip" de la vraie femme. Ellessont quand même diagnostiquées parles professionnelles. Ces femmes nesont pas de vraies femmes: elles sontagressives, courageuses, combatives;en bref, elles affichent des traitsmasculins. Ce sont les hystériques, les"mal baisées".

Plusieurs femmes ne seconforment pas à un modèle précis maiselles seront toujours quand mêmeétiquetées de malades, d'anormales. Enfait, il est normal pour une femme d'êtredéprimée, donc d'être malade.

La santé ne se conjugue pas auféminin. Il serait plus simple de poser lediagnostic FEMME plutôt que dechercher le type de maladie. Devenir deplus en plus femme, c'est devenir deplus en plus malade.

Trois maladies secondaires

Lorsquelamaladiedelaféminitédevient trop lourde, entrent en jeul'alcool, les médicaments ou la drogue.Pour maintenir notre première maladie(la féminité), on fait appel à unedeuxième maladie. On est toutessusceptibles de devenir toxicomanes ou

alcooliques pour tenter de réconcilierl'irréconciliable. Il faut dire d'abordque la dépression rime bien avec pilules.Il est donc tout à fait normal que lesfemmes prennent des pilules; c'estd'ail-leurs une façon d'affirmer sa féminité.

Quant à l'alcool et à la drogue, làencore, les femmes consomment laféminité malgré qu'elles semblentemprunter un comportement lié à laculture masculine. En fait, ellesempruntent les excès et non pas lesvaleurs qui s'y rattachent

L'intervention féministe

Suite au constat de la santémentale déficiente des femmes par lesimple fait d'être femme, un seul typed'intervention peut agir: celui del'intervention féministe parce que cettedernière vise d'abord à amener lesfemmes à faire l'expérience du respectd'elle-même. Les femmes doivent êtreaidées pour elles-même et non pas pourles ramener dans le chemin traditionnel,soit au service des autres.

Plus concrètement,l'intervention féministe sedéfinit par différentestechniques:

1. Les femmes s'aident elles-mêmespour et par elles-mêmes;

2. La relation entre les femmes seveut de type égalitaire et nonhiérarchique;

3. L'intervention de groupe est unmoyen valorisé pour son support etl'entraide qu'il suscite entre lesfemmes;

4. Uncontratestétablientrelesfemmesqui définit les objectifs et les butspoursuivis.

En bref, l'approche féministeremet en question ce qui est suppo-sément "naturel" chez la femme et lesvaleurs intériorisées par celle-ci. Le butde l'intervention féministe est donc dedéfaire le noeud.

Il est faux de prétendre que lesfemmes sont battues par hasard. Il y aune orchestration sociale qui fait qu'ily a des gagnants et des perdantes, despropriétaires et des propriétés.

Toutes les femmes ne sont pasbattues, mais collectivement, la femmeest battable. Toutes les femmes ne sontpas violées ou incestuées, maiscollectivement, elles sont violables ouincestuables.

Et c'est par l'interventionféministe que les femmes peuventprendre conscience de l'oppression desfemmes par les hommes, de l'imagecollective qui leur est attribuée et àpartir de laquelle elles peuvent réagircollectivement et individuellement.

En conclusion

La dépression des femmes relèvede l'adhésion inconditionnelle aumodèle féminin. La course vers laféminité est alors une course sans fin,c'est le concours Miss Univers.

Les femmes sont donc maladesd'une culture qui définit la féminitételle qu'on la connaît dans une sociétépatriarcale, d'une culture qui défend etexcuse la violence des hommes pour enaccuser les femmes.

Par conséquent, pour intervenirdans la dépression des femmes, il fautdémystifier l'idéal féminin.

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volume 8, numéro 32, février 1993 : C'est écrit dans le journal pis 'a passe à T. V. !

Résistance des médias aux différentes analysessociales et politiques des groupes féministes

Denise Lemieux

O n ne peut le nier, les différents médias fontdavantage état des différentes discriminations

et violences dont les femmes sont victimes. Et cela, sanscontredit, est le résultat des nombreux efforts de dénonciationdes groupes de femmes. Malheureusement, il nous fauttoutefois constater qu'au-delà des faits souvent spectaculairesrapportés par les médias, l'analyse mise de l'avant par lesgroupes féministes pour expliquer les causes profondes desdifférentes discriminations et violences dont les femmes sontvictimes, est très souvent occultée. Le présent article présentequelques pistes de réflexion à ce propos.

1. COMMENT LESMÉDIAS RÉSISTENT-ILSAUX ANALYSESFÉMINISTES ?

1.1 En ne retenant que l'aspectspectaculaire des différentessituations vécues par les femmes(pauvreté, violence conjugale, viols,harcèlement, etc.).

De la violence cachée, il y aencore quelques années, les médias sontpassés à la "violence spectacle". Desdétails souvent sordides sont donnés àtel point qu'on cultive une forme devoyeurisme chez les lecteurs et lectriceset qu'on risque de développer unebanalisation de la violence et unetolérance encore plus grande de lapopulation face à celle-ci: à moins queça saigne, y'a rien là ! Il nous faut êtreconscientes que "la violence spectacle"peut être aussi piégeante pour lesfemmes que la violence cachée.

1.2 En donnant une importancedémesurée etnon critique aux thèsescontraires aux analyses féministes.

Ce fut le cas de tout le tapagepublicitaire fait autour du Manifested'un salaud (nombreux articles, en-trevues, lignes téléphoniques, etc.) etdes conclusions d'une rechercherapportant que les femmes seraient plusviolentes que les hommes. Cette der-nière nouvelle se retrouvait en pagecouverture du journal Le Soleil du23 octobre 1992 alors que, paradoxale-ment, le lendemain, le même journal,dans un minuscule entrefilet, rapportaiten page A-16 le meurtre d'une femmepar son conjoint.

Aucun lien ne fut fait entre lesconclusions étonnantes de cetterecherche et la réalité quotidienne desfemmes pourtant porteuse deconclusions tout à fait autres à l'effet

que ce sont elles qui sont avant toutvictimes de la violence des hommes.L'encre dont sont emplies de multiplesrecherches aux fondements souventdouteux aurait-elle désormais plus depoids que le sang des victimes, en chairet en os ?

Quant au Manifeste à" un salauddans lequel Roch Côté, sans une oncede rigueur scientifique, "pourfend" lesthèses, statistiques et revendicationsféministes, on se retrouve ici devantl'illustration-type où, "se déclarant laproie des dominés, l'oppresseur seprésentera à plus forte raison comme lavictime du militant qui prône leurémancipation.

Considérant les inégalités qu'il aentretenues comme une "discriminationà rebours", le dominant cultivera laproblématique spécieuse qui voudraitqu'en réoccupant le champ entier de sesdroits, l'opprimé tyrannise celui qui l'enavait d'abord délogé".(1)

alanchA Portas emuartes* on 1994> 69

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1.3 En individualisant et isolant lessituations de violence vécues parlesfemmes plutôt que d'en faire unelecture sociale et globale.

En persistant à faire une lectureindividuelle, sans aucun lien entre elles,des multiples situations de violencevécues par les femmes, les médiasévitent de toucher ce qui constitue lescauses véritables de la violence faiteauxfemmeset, ce faisant, ne contribuentpas à enrayer celle-ci. Au contraire, ilspeuventmêmecontribueràFentretenir."L'information réduite aux petiteshistoires quotidiennes, sans perspective,sans mise en situation et sans suivi,contribue à endormir les citoyens et àrenforcer tous les pouvoirs. Elle libèrede moins en moins, elle ne développepas la conscience collective, ellel'endort". »

1.4 En filtrant ou, carrément, en nerapportant pas certains événementstouchant les femmes et groupes defemmes.

Je pense ici à la couverturemédiatique faite en novembre dernier àl'occasion de l'événement public tenupar le conseil d'administration de lamaison d'hébergement de Charlesbourgafin de questionner l'ingérence d'uncertain Marc-Yvan dans le projetd'implantation d'une maison d'héber-gement pour femmes victimes deviolence conjugale dans son proprecomté. Si la presse alternative (Vieouvrière, Relations, Compte-rendu duCAPMO) a fait ou fera, dans sesprochaines parutions, une couvertureintéressante de cet événement, parcontre, la situation fut très décevante ducôté des médias traditionnels. De cecôté-là, seul un hebdo local a fait unarticle. Malheureusement, l'essentieln'y était pas: aucune allusion aux

orientations féministes et alternativesadoptées par le groupe, aucune allusionà l'ingérence politique du ministre,aucun lien entreFannoncederouvertureimminente d'une autre maisond'hébergement ayant eu, celle-là, lesfaveurs du MSSS. Quant aux autresmédias, ils ont invoqué pour ne pas faired'articles, ou que "l'affaire" était troppolitique, ou que ça n'intéresserait pasles lecteurs et lectrices.

1.5 En cultivant les préjugés de lapopulation plutôt qu'en contribuantà changer les mentalités.

Je n'en puis plus de lire lesreportages sur différents meurtres defemmes. C'est classique, on y lit presquetoujours que l'homme était dépressif etque tous ses voisins ont toujours perçucelui-ci comme un homme paisible.Quand lira-t-on qu'il est fort possiblequ'un homme soit dépressif mais qu'enpareil cas, il a la responsabilité d'allerchercher de l'aide et que rien nel'autorise pour autant à tuer sa femme etses enfants ? Quand lira-t-on donc quele fait qu'un homme "paraisse" paisiblene garantisse en rien que l'on a affaire àun homme non violent et que, commeme disait un jour une femme hébergée,les gars violents n'ont pas les yeuxoranges et les cheveux rouges ? Quanddonc les journalistes iront voir derrièrela dépression, derrière l'alcool, derrièrele visage sympathique d'un conjointpour remonter aux causes profondes etvéritables de la violence faite auxfemmes et donner un message clair à lapopulation: rien ne justifie la violence.Pas même une dépression, pas mêmeune peine d'amour, pas même un verreen trop. Pourtant, "ce serait le propre dela véritable information que de secouerles préjugés et les idées reçues; que derendre mal à l'aise et de forcer laréflexion".(3) Cette réflexion sur la

violence faite aux femmes, elle estpourtant fort bien menée et documentéeà partir de la parole même des femmesqui en ont été victimes (du moins decelles qui étaient encore en vie pour entémoigner) et de celles qui lesaccompagnent. Pourquoi donc nosanalyses féministes sont-elles tropsouvent ignorées ? Pourquoi ?

2. POURQUOI LESMÉDIAS RÉSISTENT-ILSAUX ANALYSESFÉMINISTES ?

Les analyses féministes sont tropsouvent ignorées par les médias parceque ceux-ci sont contrôlés par les tenantset les défenseurs d'une sociétéprofondément capitaliste et patriarcale.

Ainsi, le principe premier desmédias, ce n 'est plus l'information, maisles ventes. "Les médias vivent en effetde la vente de leurs lecteurs ou auditeursà des annonceurs. Ils doivent doncdavantage plaire que déranger (...) Leseul critère, c'est de vendre de la copieet la justification, c'est que "le mondeaime ça de même".<4)La loi du profit estlentement venue gruger et tuer l'âme dela véritable information qui estd'éduqueretdecontribueràfaireévoluerles mentalités.

Quand, à cela, vient s'ajouter lefait que les propriétaires des principauxmédias aussi bien que les journalistessont fort majoritairement des hommes,on peut mieux comprendre pourquoi lesanalyses féministes se retrouventdoublement ligotées par ceux-ci. Outrele fait de ne pas bien se vendre (rapporterdes gros sous), "elle (l'approcheféministe) présente le quintuple traversd'être centrée sur la société — non passur l'individu;

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—de s'adresser à toutes les femmes—non pas à un quelconque groupe-cible ;

—d'interpeller tous les hommes—nonpas un individu avec des problèmespersonnels ;

— de revendiquer la responsabilisationpar la criminalisation — non pas ladéresponsabilisation par la thérapie ;

— et de choisir les femmes d'abord —non pas la famille —".<5)

Dans un tel contexte, on peutcomprendre que les hommes quidétiennent les pouvoirs économique,politique et idéologique ont tout intérêtà contrôler la diffusion de toute formed'analyse (féministe ou autre) pouvantvenir menacer leur autorité, sur la basede leur capital aussi bien que de leursexe.

1. Noël, Lise (1989), L'intolérance. Uneproblématique générale, éd. du Boréal,Ottawa, p. 249.

2. Guay, Jacques (1991), Médias etviolence dans La non-violence : unealternative à découvrir, textesrassemblés par les Ami-e-s de la Terrede Québec, éd. Débats, Montréal, p. 18-19.

3. Godard, Lorraine (1989), Analyse de lapolitique gouvernementale en matièrede santé et de services sociaux et laviolence conjugale. Regroupementprovincial, Montréal, p. 24.

4. Guay, Jacques (1991), op. cit p. 16.

5. Ibid.

3. MAIS QUE FAIRE ALORS ?

Les quelques pistes de réflexion ici explorées viennentconfirmer l'importance qu'il ne suffitpas que les femmes investissentles médias en plus grand nombre pour que nos analyses féministessoient plus largement diffusées et documentées. Parallèlement, ilnous faut travailler à transformer les structures, l'organisation, lesmentalités elles règles du jeuquirégissentnos différentes institutionspatriarcales et capitalistes dont celles des médias. Ne l'oublions pas:ce sont aux causes profondes de la discrimination dont nos analysesfont l'objet qu'on doit attaquer. Car, sinon, ici comme ailleurs, onrestera piégées; les efforts isolés et les succès à petite échelle de nosdifférents groupes, quant à la diffusion de leurs analyses féministes,seront constamment neutralisés par le raz-de-marée patriarcal etcapitaliste qui imprègne et envahit profondément toutes nosinstitutions.

Dans ce dossier-ci touchant les médias, comme dans biend'autres, les changements sociaux et politiques que nous souhaitonsseront à la mesure de nos solidarités et de nos alliances entre groupesde femmes et autres groupes luttant, tout comme nous ou via uneautre problématique, dans une perspective de transformation sociale.

Toutefois, c'est souvent ici, sur le terrain des changementssocio-politiques de fond, que, comme femmes, notre "Horrorecollective" se sent la plus impuissante et a le plus peur: en raisond'une part, de la grosseur et de la lourdeur de la "machine" à fairebouger et, d'autre part, de l'ampleur des ripostes personnelles,sociales et politiques qu'entraînent souvent nos différentessensibilisations et revendications en ce sens. À cela s'ajoute, auniveau des dénonciations que nous voulons faire dans les médias, lespectre paralysant de la "poursuite en diffamation", noire volonté,bien souvent, d'avoir une certaine éthique (respect, objectivitébasée sur les faits, etc.) et de ne pas utiliser les "armes" reprochéesà nos adversaires. Si bien, qu'avant même d'avoir parlé, on seretrouve souvent bâillonnées... par nous-mêmes.

Au niveau des médias comme àbien d'autres niveaux touchantnos luttes socio-politiques, nous avons à nous dévictimisercollectivement, de la même façon que nous avons appris et que nouscontinuons à apprendre à le faire dans nos vies privées: en partageantnotre vécu et nos difficultés à ce niveau, en analysant les stratégiesutilisées par les différentes institutions pour discriminer et discréditernos analyses féministes, en élaborant des contre-stratégies et destactiques communes, en menant des offensives concertées avecd'autres groupes de femmes, groupes populaires et communautaires,syndicats, etc.

Avalanche Portes ouvertes-juin 1994* 71

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volume 8, numéro 33, avril 1993 -.Honore part en vacances, vive le plaisir I

On ne naît pas femme, on le devientGinette Lambert

L es femmes d'aujourd'hui sonten train de détrôner le mythe de

la féminité; elles commencent àaffirmer concrètement leurindépendance; mais ce n'est pas sanspeine qu'elles réussissent à vivreintégralement leur condition d'êtrehumain. Élevées par des femmes, ausein d'un monde féminin, leurdestinée normale est le mariage quiles subordonne encore pratiquementà l'homme; le prestige viril est bienloin de s'être effacé: il repose encoresur de solides bases économiques etsociales. Comment fait-ellel'apprentissage de sa condition,comment réprouve-t-elle, dans quelunivers se trouve-t-elle enfermée,quelles évasions lui sont permises,voilà ce que je chercherai à décrire.Alors seulement, nous pourronscomprendre quels problèmes seposent aux femmes qui, héritantd'un lourd passé, s'efforcent deforger un avenir nouveau.

Quand j'emploie les mots "femme"ou "féminin", je ne me réfèreévidemment à aucun archétype, àaucune immuable essence; après laplupart de mes affirmations, il fautsous-entendre "dans l'état actuel del'éducation et des moeurs". Il nes'agit pas ici d'énoncer des véritéséternelles mais de décrire le fondcommun sur lequel s'enlève touteexistence féminine singulière.

Extrait du livre: "Le deuxième sexe 1", deSimone de Beauvoir, écrit en 1948-49.

Ensuite, Simone de Beauvoir,dresse un tableau qui rejoint éloquem-ment le schéma de la victimisation telqu'on le connaît. Comment le garçonest encouragé dans sa manière d'existerà se poser pour soi. Comment il saisitson corps comme un moyen de dominerla nature et comme un instrument decombat; il s'enorgueillit de ses musclescomme de son sexe; à travers jeux,sports, luttes, défis, épreuves, il trouveun emploi équilibré de ses forces; enmême temps, il apprend la douleur, àrefuser les larmes du premier âge. Ils'éprouve aussi comme "pour autrui",mais ce qui est très important, c'estqu'il n'y a pas d'opposition fonda-mentale entre le souci de cette figureobjective qui est sienne et sa volonté des'affirmer dans des projets concrets. Aucontraire, chez la femme, il y a au départun conflit entre son existence autonomeet son "être-autre"; on lui apprend quepour plaire, il faut chercher à plaire, ilfautsefaireobjet; elle doitdonc renoncerà son autonomie. On la traite commeune poupée vivante et on lui refuse laliberté; ainsi se noue un cercle vicieux,car moins elle exercera sa liberté pourcomprendre, saisir et découvrir le mondequi l'entoure, moins elle trouvera en luides ressources, moins elle oseras'affirmer comme sujet.

Ah ! Le plaisir du sexe....(toujours d'après la lecture duDeuxième sexe)

L'acte de chair, s'il n'est passanctifié par le code, par le sacrement,est une faute, une chute, une faiblesse,la femme doit défendre sa vertu, sonhonneur, si elle "cède", si elle "tombe",elle suscite le mépris, tandis que dans leblâme même qu'on inflige à sonvainqueur, il entre de l'admiration. Auxtabous, aux inhibitions provenant de

son éducation et de la société, se su-perposent des dégoûts, des refus qui ontleur source dans l'expérience erotiqueelle-même: les uns et les autres serenforcent mutuellement si bienqu'après le premier coït, la femme estsouvent plus révoltée qu'auparavantcontre son destin sexuel. D'ailleurs,l'homme fut-il déférent et courtois, lapremière pénétration est toujours unviol. Le regard est danger; toute jeunefille au moment du verdict masculindoute de soi, souffre de ces mollets troprobustes, de ses seins trop discrets outrop lourds, etc. Les mains sont uneautre menace.

La femme n'a généralement pasaccès à l'univers de la violence; elle n'ajamais connu l'épreuve que le jeunehommeasurmontéàtravers les bagarresde l'enfance et l'adolescence: d'êtreune chose de chair sur laquelle autrui aprise; et maintenant elle est empoignée,elle est emportée dans un corps à corpsoù l'homme est le plus fort; elle n'estplus libre de rêver, de reculer, demanoeuvrer; elle est livrée au mâle, ildispose d'elle. Ces étreintes analoguesà celles de la lutte alors qu'elle n'ajamais lutté la terrorisent.

Au début de sa vie erotique,l'abdication de la femme n'est pascompensée par une jouissance violenteet sûre. Elle sacrifierait bien plusfacilement pudeur et orgueil si elles'ouvrait ainsi les portes d'un paradis.C'est au contraire un phénomène inso-lite; le plaisir vaginal ne se déclenchepas tout de suite - à peine 4 % desfemmes ont du plaisir dès le premiercoït; 50 % n'atteignent pas le plaisirvaginal avant des années, n est vrai qu'àdéfaut de satisfaction "normale",l'homme peut toujours lui donner leplaisir clitoridien. Mais beaucoup defemmes le refusent parce que, plus quele plaisir vaginal, il apparaît comme

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infligé; car si la femme souffre del'égoïsme des hommes qui ne pensentqu'à leur propre assouvissement, elleest aussi heurtée par une volonté tropexplicite de lui donner du plaisir. Lafemme acceptera beaucoup plus faci-lement leplaisir s'il lui semble découlernaturellement de celui que l'hommeprend lui-même, comme il arrive dansun coït normal réussi.

Même lorsque la femme surmon-te ses résistances, et connaît au boutd'un temps plus ou moins long le plaisirvaginal, toutes les difficultés ne sontpas abolies car le rythme de sa sexualitéet celuide là sexualitémâlenecoûicidentpas. Elle est beaucoup plus lente à jouirque l'homme.

De plus, la volupté n'a pas dutout chez la femme la même figure quel'homme. On ne sait pas exactement sile plaisir vaginal aboutit jamais à unorgasme défini. Ce qui est certain, c'estque le coït a pour l'homme une finbiologique précise: F ejaculation, unefois obtenue, elle apparaît comme unaboutissement et sinon, commel'assouvissement du désir, du moinscomme sa suppression.

Au contraire, chez la femme, lebut est au départ incertain, et de natureplus psychique que physiologique; elleveut le trouble, la volupté en généralmais son corps ne projette aucuneconclusion nette de l'acte amoureux; etc'est pour cela que pour elle, le coïtn'est jamais toutàfait fini: il ne comporteaucune fin. La jouissance féminine estirradiée dans le corps tout entier; elle

n'est pas toujours centrée sur le systèmegénital; même alors les contractionsvaginales plutôtqu'un véritable orgasmeconstituent un système d'ondulations,qui naissent en rythme, s'effacent, sereforment, atteignent par instant unparoxysme, puis se brouillent et sefondent sans jamais mourir tout à fait.Du fait qu'aucun terme fixe ne lui estassigné, le plaisir vise l'infini: c'estsouvent une fatigue nerveuse oucardiaque ou une satiété psychique quilimite les possibilités erotiques de lafemme plutôt qu'un assouvissementprécis; même comblée, même épuisée,elle n'est jamais tout à fait délivrée.

Beaucoup s'imaginent que "fairejouir" une femme est une affaire detemps et de technique, donc de violence;ils ignorent à quel point la sexualité dela femme est conditionnée parl'ensemble de la situation. Si des mots,des gestes contestent la magie descaresses, l'envoûtement se dissipe.

L'asymétrie de l'érotisme mâleet femelle crée des problèmes insolublestant qu'il y a lutte des sexes; ils peuventaisément se trancher quand la femmesent chez l'homme à la fois désir etrespect; s'il la convoite dans sa chairtout en reconnaissant sa liberté, elle seretrouve l'essentiel au moment où ellese fait objet; elle demeure libre dans sasoumission àlaquelleelleconsent Alorsles amants peuvent connaître chacun àleur manière une jouissance commune;le plaisir est éprouvé par chaquepartenaire comme étant sien, tout enayant sa source dans l'autre.

Ce qui est nécessaire à une telleharmonie, ce ne sont pas des raffi-nements techniques mais plutôt, sur lesbases d'un attrait erotique immédiat,une réciproque générosité de corps etd'âme. Cette générosité est souventempêchée chez l'homme par sa vanité,chez la femme par la timidité; tantqu'ellen'apas surmonté ses inhibitions, elle nesauraitlafaire triompher. C'estpourquoile plein épanouissement sexuel estgénéralement chez la femme asseztardif; c'est vers 35 ans qu'elle atteintérotiquement son apogée.

La différence qui se pose entre lafemme qui a pris conscience de lasocialisation et de sa victimisation etcellequilasubitsanslasaisirclairement,est que, lorsqu'elles s'installent dans unbon bain mousse avec chandelle, lapremière sait pourquoi elle demeureparfois tendue comme une barre de fer,les orteils retroussés; et l'autre sedemande: "Qu'est-ce quet'asàpas êtreheureuse ? Tes enfants sont biens, tonmari ? Bah ! L'amour triomphe de tout!À quelque chose, malheur est bon !L'oisiveté est mère de tous les vices !Tout vient à point qui sait attendre ! Quia bu boira, mais une fois n'est pascoutume ! De deux maux, il faut choisirle moindre*..."

* Saviez-vous quece dernier dicton nous vient

de Socrate qui aurait expliqué ainsipourquoi 0 aurait une pris unefemme de très petite taille ? ...

AvalanchePortesowMes-juin 1994> 73

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volume 8, numéro 34, juin 1993 :

Cochez oui, cochez nonMère pantoute Q QMère aboutie Q QMère déboute Q QMère qui doute Q QMère pour toute Q QMèreauboutte Q Q

Le mythe de l'instinct maternelGhyslaine Legros

u ne petite révision de lanature du mythe

Quelle femme n'apas été habitéepar le mythe de l'instinct maternel, sicher à notre image de la femme idéale,de la vraie femme dans notre sociétéactuelle? Ce mythe est à la femmecomme le sont les papiers mouchoirs àKleenex et les réfrigérateurs aux frigi-daires. L'un devient l'autre et c'est ledébut d'un mythe.

Mais ne pensez surtout pas qu'en1993, on y échappe. Ce mythe, il estfort de plusieurs siècles de transmission.Il y a des époques où il était moinsprésent, économie oblige. ElisabethBadinter le relate dans son livre"L'amour en plus". Mais il a repris enforce et a atterri dans notre siècle avecplus de véhémence que jamais.

D'où vient ce foutu mythe? Àquoi sert-il exactement ou plus encoreà qui sert-il? Allez-y, faites votre petiteenquête. Demandez à notre Horrorenationale ce qu'elle en pense.

"Impossible que tu ne veuillespas d'enfants, tu ne seras pas une "vraiefemme".

Une vraie femme connaîtra lamaternité (est-ce un commandement?).

Toute femme est émue devantun enfant et sait spontanément s'enoccuper.

Avoir un enfant, c'est tellementnaturel.

Que penser des problèmes desanté graves ou malaises de toutes sortesqu'éprouvent certaines femmes pendantla grossesse.

La force d'un mythe

J'ai emprunté quelques citationsà Paula Caplan dans son livre intitulé"C'est pas la faute des mères", qui elle-même cite quelques auteurs.

"Une femme a besoin de donner.Elle ne peut s'en empêcher.

... cette culpabilité maternelle...émerge dès les premiers pleurs del'enfant. (Nancy Mairs)

Les femmes sont naturellementmaternelles, elles possèdent unecapacitéinfinie de se donner.

L'attitude féminine de basecomprend une proportion d'acceptationet une femme ressentie besoin de donnerafin de se sentir utile." (Lajungienne,Irène Claremont de Castillejo)

Affirmer de telles choses ad'autant plus d'impact que ces théo-riciens et théoriciennes sont descontemporains. Ils réussissent aussi àocculter des analyses qui ont lequalificatif d'être féministes, doncdangereuses, et quiremettent en questionces théories. Mais, le mythe est encoretrès vivant.

Conséquence : les recherchestendent à prouver que les femmes sontpresque toujours à la hauteur du mythedu don de soi. Elles consacrerontbeaucoup plus de temps que les hommesaux soins des enfants et aussi de leursproches.

"Puisque le mythe du don de soifait aussi profondément partie de notreidentité féminine, il ne nous est pasfacile de renoncer au don total de soi.

Quand nous nousdemandons: «Qui suis-je?», de nombreuses femmes répondent:«Une personne qui aide, qui donne, quimaterne. Sinon, j'ignore qui je suis.»

Ce mythe de l'instinct maternelne peut que générer de la culpabilitéchez les femmes puisqu 'elles devraientsavoir d'instinct s'occuper de leurenfant Quant en fait, il n'en est rien.Dans son livre, Paula Caplan écrit qu'iln'est pas rare qu'une mère n'éprouvepas un amour immédiat et total pour sonnouveau-né.

"Lorsque la mère rentre chez elleavec son bébé, tous les préjugés sur lematernage l'empêchent de jouir de sonenfant autant qu'elle le voudrait.Puisque la croyance veut que lamaternité rende une femme naturel-lement heureuse et sereine, à chaquefois que la mère est fatiguée et qu'elleéprouve du ressentiment devantl'abondance des besoins de son enfant,elle croit faillir dans son rôle. Une mèrepeut éprouver du bonheur, certes, maisaussi de la panique, de la peur, de lacolère, du désespoir."

MERE OU FEMME SANSENFANT

Tout au long de ma vie, j'ai faitpartie du clan des "fausses femmes",pas d'enfant. Je ne suis pas une vraiefemme puisque la maternité n'a pascomblé ma vie. Et on ne s'est pas gênépour me le dire. J'ai eu droit à descommentaires à peine déguisés sur monétat de "non-productivité". Même un demes patrons s'en est mêlé pour me fairecomprendre qu'une vraie femme...

74 -AvalanchePutesowwrtwjuin 1994

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Que d'années de remise enquestion sur mon statut et surtout, surmon avenir. La question qui m'obsédaitétait alors: Comment se fait-il que cefameux instinct maternel ne venait pascogneràmaporte.alorsqu'au contraire,il m'assommait par la culpabilité qu'ilfaisait naître en moi?

Dans son livre, Susan D. William,relate que toutes les femmes sontdéfinies dans notre société en terme demère ou de femme sans enfant encomparaison avec les hommes qui nesont jamais étiquetés en terme de pèreou de non-père. Ils sont des hommes, unpoint c'est tout.

C'est une appellation qui estpropre à la femme, et socialement, ellesera identifiée en ces termes: mère oufemme sans enfant Susan D. Williamsouligne que cette façon de décrire legenre féminin s'est surtout faite à partirdu déterminisme biologique.

Ayant la possibilité biologiqued'enfanter, les femmes seront toujoursaux prises avec ce dilemme. En plus des'ajouter à la pression venant dedifférentes composantes sociales tellesla religion et la culture, notre rapportavec la sexualité, le modèle parental,notre statut économique et notre degréd'éducation, exerceront une influencesur notre choix d'être ou de ne pas êtremère. Alors pulsion du bas-ventre, oùes-tu?

C'est dangereusement réduc-tionniste de considérer le choix d'êtremère uniquementcomme "une décisionpersonnelle". Selon Susan D. William,la reproduction est plutôt le résultat del'intersection des choix personnel,biologique, social et politique.

Malgré te fait que ces facteursmettent en perspective la désuétude du

mythe de l'instinct maternel, il subsistequand même. Mais, il n'en apas toujoursété ainsi.

D'où vient ce mythe et quesert-il?

Un jour naquit le mythe del'instinct maternel, mais il y a eu despannes. Elisabeth Badinter l'expliquetrès bien dans son livre "L'amour enplus". Au 18e siècle, on laissaitlittéralement mourir les enfants.

"Comment rendre compte d'untel désintérêt pour l'enfant, aussi con-traire à nos valeurs actuelles."

"Pour quelles raisons l'indiffé-rence du XVIIIe siècle s'est-elle muéeen mère-pélican au XIXe siècle et auXXe siècle?"

"Étrange phénomène que cettevariation des attitudes maternelles quicontredit l'idée répandue d'un instinctpropre également à la femelle et à lafemme."

Dans cette optique, nous avonsdu mal à rendre compte des ratés del'amour maternel, comme cette froideuret cette tendance à l'abandon quiapparaissent dans la France urbaine duX Vile siècle et se général! sent au sièclesuivant. À ce phénomène, dûmentconstaté par les historiens, on trouvanombre de justifications économiqueset démographiques."

... Autre façon de dire quel'instinct de vie l'emporte sur l'instinctmaternel. Tout au plus reconnut-onqu'il est malléable et peut-être sujet àéclipses. Selon Elisabeth Badinter,l'instinct maternel est tributaire de lasituation économique, sociale et desvaleurs véhiculées à travers lesdifférentes époques de l'histoire.

Enfin, indépendamment dumythe, il faut reconnaître quec'est une granderesponsabilité qui incombeaux femmes de mettre unenfant au monde. Elleaccepte, par sa biologie et sonanatomie, la perpétuité del'espèce. Et de plus, nonseulement elle offre à saprogéniture la conception, lagestation, et la naissance,mais c'est aussi à ellequ'incombé le soin desenfants.

À partager, S.V.P.

Avalanche Panes ouvertes' juin 1994- 75

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volume 8, numéro 35, septembre 1993 : Après l'ère de la milite sans Smites I

MADELEINE LACOMBE: HISTOIRE D'UNE MILITANTE

Diane Prud'homme

L'Avalanche a rencontré Madeleine Lacombe pour en savoir plus surson histoire de militantisme. Un bref rappel pour vous dire que MadeleineLacombe est une "vieille" militante du Regroupement (entre autres), ayantété membre du Conseil d'administration en 1982-83 et Présidente de 1986à 1989.Elleaaussi été formatrice, militante sur différents comités, consultanteet conférencière. C'est d'ailleurs elle qui a implanté la ligne de référence SOSViolence conjugale.

D f. Quelle est la trajectoire quit'a amenée à devenir une militanteféministe?

M.L. Si être féministe, c'est devoir les inégalités et de lutter pour queça change, je peux dire que je suisféministe depuis que je suis toute petiteparce que très jeune, j'ai réalisé qu'il yavait une inégalité entre les hommes etles femmes; et pas juste dans le partagedes tâches. Jeune, je suis alléeen familled'accueil et j'ai donc de près deux cou-ples. Avec mon père et ma mère, c'étaitévidentparceque mon père était violent;donc le "pattern" était plus visible.

Mais dans la famille d'accueil, lebonhomme ne parlait pas du tout, etpour tout le monde, c 'était la femme quiétait dominatrice parce qu'elle parlaitbeaucoup. Mais moi, je me souviensque je sentais que c'était lui qui avait lepouvoir quand même, juste par sa façonde ne pas parler. Et je la voyais qui allaitsouvent pleurer dans sachambre. Donc,j'ai réalisé très jeune qu'il y avait unproblème de pouvoir. De plus, je voyaisles filles qui devaient faire le ménage etqui n'étaient pas contentes de cela. Trèsjeune, il était aussi très clair que je nemarierais jamais; je ne voulais pas vivrecette inégalité-là. Voilà, ça, c'est unniveau.

Très jeune, j'étais aussi cons-ciente que chez nous, on était pauvre etque c'était pas le même sort pour tout-le monde. J'avais donc déjà uneconscience et un sentiment de révolte.Vers 15-16 ans, j'ai commencé à militersur l'indépendance du Québec enparticipant aux manifestations. À 17ans, j'étais en contact avec lesmouvements de gauche. Par contre, jene comprenais pas grand chose parceque je venais d'un milieu défavorisé.J'avais laissé l'école en 9e année; doncau niveau du discours, il y avait deschoses que je ne comprenais pas, desanalyses que je ne pouvais pas faire; cequi me rendait d'ailleurs insatisfaite.

Df. Mais où était rendu tondésir de ne pas te marier ?

M.L. Vers 13-14 ans, j'ai dûchanger. J'étais prise avec mon désird'être aimée et avec l'éducation quej'avais reçue. Même si toute petite,j'avais noté que je ne voulais pas ça,probablement que mon éducation a prisle dessus. J'étais partagée entre lesvaleurs que j'avais reçues, de ce que jeconnaissais qu'on doit donner à un garsetmonbesoind'être aimée comme fille.Quandj'étaispetiteJ'aimaisçagrimperdans les arbres, chasser les grenouilles.Et je me suis ramassée à 13-14 ans avec

une peur des bibittes. J'étais devenue lavraie fille. C'est là que l'éducation m'arattrapée.

Pour revenir au militantisme, il yavait donc vers 16-17 ans le contactavec les groupes de gauche. Vers 18-19ans, j'ai réalisé que dans les groupes degauche, les gars m'écoutaient parce quej'étais la belle fille qui parlait, mais leson réservé aux filles dans le groupeétait les tâches secondaires. En 1970,j'étais enceinte, j'étais dans un groupede gauche à ce moment-là et il y a eu làcrise d'octobre. Et les mesures de guerrefaisaient qu'on ne pouvait plusmanifester. Plusieurs avaient peur, ilsbrûlaient leurs livres. Alors les femmesdu groupe ont décidé de faire quelquechose pour rester en activité, quelquechose "d'innocent", qui ne ferait paspeur à personne mais qui ferait que l'oncontinuerait à se réunir, à lutter et àrevendiquer. Comme par hasard, ons'estretrouvé une gang de femmes enceinteset on a mis sur pied le mouvement pourl'abolition de la publicité faite auxenfants. Dans le temps, il y avaitbeaucoup de publicité à la télévisionpour vendre des jouets, des publicitésqui s'adressaient directement auxenfants. Si aujourd'hui, c'estréglementé, c'est à partir de cemouvement-là. Nous autres, on étaitenceintes, on venait toutes d'un milieudéfavorisé et on voyait que les enfantsétaient tous sollicités de façon effarantepour acheter des jouets de toutes sortes;alors on a fait un mouvement autour decette problématique. Et là, parce qu'onétait des femmes enceintes, on a pu fairedes manifestations durant la période deNoël, chez Sears.

76 -AvalanchePortasouwtes-jum 1994

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Etlà, considérantqu'on était justedes femmes, on s'est mise à parlerdavantage des problèmes de femmes,de la contraception, de l'avortement, dufait d'avoir des enfants, des garderies.Ce qui correspond aussi au mouvementdu début des années '70 au Québec.

Après cela, je suis retournée auxétudes et j'ai fait les sciences politiques.J'avais toujours le sentiment del'injustice tant par rapport à la classesociale dont j'étais issue que pour lesfemmes. Mais en même temps, je sentaisque je manquais d'outils pour expliquertout cela. Les explications que j'avaistrouvées dans les groupes de gauche neme suffisaient pas.

Je suis déménagée à Sherbrooke,j'ai eu mon bébé et j'avais commencé àêtre en contact avec des groupes defemmes. En 1976, il estarrivéau Québecles cours d'auto-défense Wendo. Cequi m'a intéressée parce que j'étais trèsactive étant jeune et je m'étais faitesouvent agressée. J'ai toujours réussi àm'en sortir parce que je n'ai jamaisacceptéd'être une victime, je n'ai jamaisaccepté qu'un gars me coince. Il fautdire que j'ai aussi mangé des coups.Mais en même temps, j'avais appris quesi je m'en étais tirée, c'était parce quej'avais été chanceuse. Je n'avais pasbien travaillé, je n'avais pas fait lesbonnes affaires, j'étaischanceuse. Donc,même si je m'en étais toujours tirée,j'avais en tête que c'était parce quej'étaischanceuse et qu'un jour arriveraitoù je ne m'en tirerais pas. Donc cescours ont correspondu à quelque chosed'important pour moi. Le wendo parlaitde la vie quotidienne et comment sesortir de certaines situations. Au départ,j'ai suivi ce cours-là pour moipersonnellement. Et ça m'a tellementplu que j'ai décidé de devenirinstructrice. Parallèlement à ça, j'ai finisciences politiques, j'ai enseigné auniveau collégial et je donnais des coursd'auto-défense les fins de semaine.J'habitais Sherbrooke et dans une petite

ville comme ça, tu es vite reconnue etidentifiable. Et comme dans les cours,on parlait d'agressions sexuelles, deviolence conjugale, de toutes lesproblématiques, on m'a vite identifiéecomme personne ressource. Et à unmoment donné, quand les femmes sefaisaient agresser, on leur disaitd'appeler Madeleine Lacombe. Je mesuis mise à les recevoir chez moi etaprès un an, j'en suis venue à recevoir 8à 10 téléphones par semaine. J'étaisalors dans un comité de condition fé-minine au cégep et on s'est mise à parlerde cela; on a pris des renseignements,on a visité des centres de viol et desmaisons d'hébergement, et on a décidéde mettre sur pied un centre d'aide pourles victimes de viol à Sherbrooke. Àpartir de là, on s'est mise à travailler encollaboration avec la maisond'hébergement de Sherbrooke. Et de filen aiguille, je me suis impliquée enviolence.

Très rapidement, j'ai réalisé queje pouvais aider des femmes, les aider àpleurer un peu, à aller à la police, maisla situation ne changerait pas si la sociéténe changeait pas, si les lois nechangeaient pas. Dans SOans, on aideraitencore les femmes de la même façon eton ne s'en sortirait jamais. J'ai fait de larelation d'aide durant 5 ans maisparallèlement, je travaillais la dimensionpolitique et de lutte. Il fallait changerdes choses, il fallait des changementsau niveau des mentalités. Donc, j'aitoujours axé mes énergies sur ladimension politique, sur l'aspectconférence pour demander deschangements. Et avec le temps, cetaspect est devenu beaucoup plusimportant que la relation d'aide.

O.P. Est-ce que c' était importantpour toi à" être partie prenante et d êtreactive dans ce changement-là ? Tuaurais pu en être témoin.

M.L. Ah non! De par nature, jesuis une fille qui est active et qui estimpliquée. Oui, c'était important. De

toute façon, ça ne se posait pas commeça, c'était là et il fallait que j'en fassepartie.

O.P. Te considères-tu encoreaujourd'hui comme une militante ?

M.L. Militante ? Oui, danslamesure où s'il se passe quelque chosedemain matin, je vais sauter, c'est clair.Si demain, quelque chose m'interpelle,je vais être sur la place publique. Jepense que je vais être une militante àvie, je pense que je suis tombée dansune potion magique comme Obélix.Mais je suis en période de réflexion et jesuis à chercher pour moi comment fairele joint entre le politique et le féminisme.Avant, j'avais un sentiment qu'un jourj'irais en politique. Maintenant, çacommence à être plus clair mais je neveux pas aller en politique pour aller enpolitique, c'est pas une carrière que jecherche. Mais je demeure militante;aussitôt que quelque chose me touche,aussitôt qu'il y a une injustice, je veuxque tout le monde en entende parler, jeveux que tout le monde le sache, je veuxque tout le monde fasse quelque chose.Donc, si un jour je vais en politique, jevais y aller appuyée par une base, ouinterpellée par quelqu'un. Et je croisaussi que ça va être dans le cadre d'untroisième parti parce que ceux qui sontlà actuellement ne me disent plus rien.Oui, je suis une militante dans le sensque je ne suis pas une fille passive. J'aibeaucoup le sens du politique et je penseque tout le monde doit s'impliquer et àtoutes sortes de niveaux. Sauf que jepense actuellement que ma consciencecontinue de s'élargir. Autant j'étaisconsciente jeune des différences auniveau social, après c'était au niveaudes femmes et là je m'en vais à unniveau plus international. C 'est souventles mêmes problématiques, les mêmesmanières de faire et j'ai de plus en plustendance à globaliser et à toute mettreensemble.

Alors je pense que je vais mourirvieille et militante !

Avalanche Portes ouvertes- juin 1994» 77

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Le militantismeDenise Lemieux

Être militant et militante

Giulio Girardi, dans un ouvrage intitulé La militance et ses défisaujourd'hui^, parle de ce qu'est être militant et militante, dans uneperspective qui tient du "sens" profond que Ton peut donner à notremilitance et du "sens" que celle-ci peut même donner à nos vies.

Pour Girardi, "homme de coeur, de gauche et de solidarité",ÊTRE MILITANT OU MEDITANTE C'EST:

Être sujet de sa vie:

Être sujet d'un combat:

Marcher à contre-courant

Se réaliser soi-même avec les autres:

Adhérer à un nouveau point de vue: celui des pauvres, des margi-naux et marginales, des opprimé(e)s:

Croire en la force cachée mais réelle des opprimé(e)s:

Être animé(e) par l'espérance d'une société alternative:

S'engager sans attendre les garanties de succès.

Dans cette perspective, sûrement Girardi pourrait-il lui aussiaffirmer

"La militance, comme construction collective des sociaux pourune société plus juste et fraternelle, peut être une des formes de bonheur.Redonner le goût du collectif et de la solidarité, l'espérance de l'idéal etde l'avenir, reste en tout étant de cause, dans un monde dur et incertain,UN PARI, UN DÉFI et, en définitive, UNE VOLONTÉ".

(Michel Tozzi)

(I) Girardi, Giulio (1991), La militance et ses défis aujourd'hui, Collectif québécoisde conscientisation.

78 • Avalanche Pattes ouvertes- juin 1994

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volume 8, numéro 36, décembre 1993 : Tout a-t-il Me dit sur le pouvoir? Peut-être... mais pas par nous /sssss-s

ET TOI DIANE, OÙ EN EST TA RELATION AU POUVOIR ?

Diane Prud'homme

P our discuter de la relation des femmes avec le pouvoir,Avalanche a rencontré Diane Lemieux, coordonnatrice

du Regroupement québécois des CALACS, membre du Panelcanadien sur la violence faite aux femmes et de plus en plussollicitée comme conférencière sur la violence faite aux femmes.En voici un très bref extrait:

Df. Ce qui m'intéresse audépart, c'est de savoir comment tuvoyais le pouvoir quand tu es entréeau Regroupement des CALACS etcomment ta pensée a évolué jusqu'àaujourd'hui ?

D.L. Ma pratique de pouvoir abeaucoup évolué. C'est en travaillantde façon beaucoup plus collectiveque s'est faite cette évolution. J'avaisune vingtaine d'années lorsque je suisentrée dans le mouvement desCALACS. J'avais toujours été trèsleader et j'ai toujours jonglé avec lepouvoir. Mais maconception a quandmême changé dans le sens où audépart, j'avais des valeurs decompétition beaucoup plus fortes. Jen'étais pas compétitive dans le sens"chiante" du terme mais ce n'étaitpas de la solidarité. Une des premièreschoses que j'ai apprise dans lesgroupesdefemmes,c'est la solidarité,pas juste avec des mots mais dans lapratique. Même jeune, j'étaisféministe mais c'était un féminismetrès individuel dans le sens où jepercevais les changements sous unangle plus individuel que collectif.J'ai compris par la suite que le faitque d'autres femmes vivent de ladiscrimination, cela a un impact surmoi. J'ai démystifié certainescroyances comme celle qui dit "quandon veut, on peut !" J'ai réalisé que

même si, moi personnellement, je medébrouillais assez bien, il y avait desconséquences au fait que j'étais unefille. D'ailleurs, j'en ai vécu : j'ai eupeur, je me suis retrouvée dans dessituations dangereuses, il y a des foisoù je n'étais pas respectée.

Ma notion de pouvoirachangé,j'ai appris à l'exercer autrement Jepense qu'elle a aussi changé à causede ma "sécurité personnelle". Si jejongle bien avec le pouvoir, c'est enpartie dû au fait que j'ai acquis unebase de confiance intouchable pourdes raisons qui me sont attribuables etd'autres qui sont attribuables à deséléments extérieurs. La confiance dontje te parle, c'est comme si j'avais undouze pouces de confiance. Lorsquej'ai des attaques de confiance, il restetoujours un deux pouces que personnene peut toucher. Je pense que cettebase de deux pouces me permet dejouer avec le pouvoir de façonconfortable. Je vais être capabled'entendre les critiques parce que jene me démolirai pas. Je vais êtremoins sur la défensive parce que je neserai pas en train de me dire que je nesuis pas bonne, que je ne vaux rien. Jevais me dire que j'ai été moins bonneà ce moment-là pour tel événement,mais cane touchera pas profondémentma valeur personnelle. C'est pourmoi une clé bien importante.

Df. Tu ne victimises pas avec lepouvoir ?

D.L. Non. Je ne me sens pas mal avecla notion de pouvoir. Le pouvoir ne me faitpas frissonner, il ne merebute pas. J'ai mêmedu plaisir, ça ne me fait pas peur. J'aidécouvert qu'il y a deux sortes de pouvoir: lepouvoir "sur" et le pouvoir "de". Le pouvoir"sur", jen'en ai pas besoin. Jen'ai pas besoind'écraser du monde parce que je sais ce queje vaux fondamentalement. Bien sûr, j'aimes vagues d'inquiétudes et d'angoisses, jene suis pas sûre de moi 24 heures par jour.C'est le pouvoir "de" qui me donne du "fun";le pouvoir d'influencer, le pouvoir dechanger, c'est celui-là qui me "drive". Defaçon générale,leshommesavaient le pouvoir"de" et le pouvoir "sur".Les femmes leur ontreproché à un niveau collectif le pouvoir surelles mais aussi le pouvoir d'avoir tout !Quand les femmes l'ont contesté, ellescherchaient à récupérer le pouvoir "de" et lepouvoir sur elles, sur leurs vies. Mais lesféministes ont un rapport amour/haine avecle pouvoir. Je pense que nous avons un boutà faire en ce sens.

J'ai beaucoup apprisavec le processusde gestion collective. Le concept a aussiévolué. Nous sommes parties d'une visionoù toutes étions égales. Ce qui estcomplètement illusoire. Nous avons despouvoirs différents, des compétencesdifférentes. N'essayons pas de les nier. J'aitoujours refusé de m'écraser au nom de la"collectivité". Ceci étant dit, je suis prête àcomposer avec le fait que nous n'ayons pastoutes le même pouvoir et qu'en certainescirconstances, j'en ai plus dans un groupe. Jene me nierai pas pour autant. En mêmetemps, j'accepte d'être sur la ligne de feu, jene me plains pas, j'ai du plaisir à développerune idée et d'essayer de la faire passer pourque les gens comprennent et que les femmess'yretrouvent.J'aiacceptéd'avoir le pouvoir,maintenant il faut que je compose avec lesresponsabilités.

Avalanche Portes ouvertes • juin 1994- 79

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Le pouvoir ! Quel pouvoir ?... En avons-nous ?En voulons-nous ? Pour quoi faire ?

Louise Riendeau

Parler de pouvoir dans les groupes de femmes constituesouvent un défi des plus délicats. Nous ne sommes pas toujourstrès à l'aise avec cette notion. Et pour cause! Le pouvoir quenouscomaissonslemieuxetsurlequelnouspouvonsfacilementdiscourir, c' est celui dont on a abusé pour nous contrôler, nousignorer, nous tasser individuellement et socialement. Celui-là,nous en avons une connaissance intime, viscérale et noussommes prêtes à le combattre. Ajuste titre!

Pour lutter contre les abus depouvoir, nous nous sommes regrou-pées, organisées -et nous avons tentéd'instaurer entre nous des relations pluségalitairesetplusrespectueuses. Malgrécela, nous avons encore plusieursbatailles à gagner et nous restons mal àl'aise avec le pouvoir. Celui que nousavons entre nous, celui que nous devonsutiliser pour arriver à nos fins, pourchanger le monde.

À l'interne, nous devons inventerde nouveaux modèles de relation et degestion. Ce n'est pas toujours facile,nous avons peur d'abuser de notrepouvoir au point que nous en arrivonsparfois à nier nos différences—tant lesforces que les faiblesses —, au pointque nous nous drapons dans une fausseégalité qui, au bout du compte, finit parcréer des iniquités. Par peur de nommerle pouvoir, nous l'occultons. Il nedisparaît pas pour autant. Au contraire,il finit par nous obliger à utiliser entrenous des stratégies détournées, au boutdu compte plus difficiles à détricoterque le pouvoir lui-même.

Un autre malaise que nous vivonsavec le pouvoir se situe dans le champextérieur. Alorsquenoustentonsd'aiderles femmes à avoir plus de prises surleur vie, à tasser leur Horroie, nous

nous sentons impuissantes face à lasociété, face au monde politique, face àla régionalisation, etc.

Pourtant, ce n'est pas tout à faitvrai. La route est longue, mais nousfaisons des gains. N'est-ce pas, du moinsen partie, notre acharnement, notredétermination, notre message maintesfois répété qui ont conduit le MSSS àinscrire la violence faite aux femmesparmi ses 19 objectifs de santé et debien-être. N'avons-nous joué aucunrôle pour amener le fédéral à mettre enplace son Initiative contre la violencefaiteaux femmes. Initiative, qui a, entreautres, débouché sur le rapportdu comitécanadien sur la violence faite auxfemmes. Et comme nous, le comitéarrive à la conclusion que ce sont lesvaleurs patriarcales et toutes lesinéquités qu'elles engendrent qui sont àla source de cette violence. Dans sesrecommandations, il propose d'ailleursune série de mesures pour changer notresociété. N'est-ce pas aussi grâce àl'existence-mêmederessources commeles maisons, les CALACS, les centresde femmes et grâce aux changementsinstitutionnels que nous avons obtenusque les femmes interrogées parStatistique Canada ont senti l'espacesocial suffisant pour dénoncer laviolence qu'elles ont subie. Il y a, ne

serait-ce que dix ou vingt ans, la mêmeenquête ne serait sans doute pas arrivéeaux mêmes conclusions. Les rapportsentre les hommes et les femmes n'enétaientpas pour autant plus harmonieux.

Ces avancées, si minimes soient-elles, nous indiquent que le changementsocial est amorcé. Nous devons doncconclure que nous ne sommes pastotalement impuissantes, que nous avonsun certain pouvoir d'influence. Biensûr, la société ne rate pas une chanced'alimenter nos Honores collective etpersonnelle mais si nous lui opposionsune Horome, armée, outillée, prête àlivrer la bataille?

C'est en fait la voie que nousproposait le C.A. du Regroupement,lorsqu'en septembre, il adoptait lesgrandes orientations suivantes: amenerle mouvement des maisonsàse recentrersur lui-même, à se mettre à jour, às'articuler, faire le point pour voir où ilen est rendu par rapport à sa mission dechangement social, questionner etarticuler ses actions en fonction de cettemission, décider de ce qu'il souhaiteêtre dans l'avenir et développer sesalliances.

Notre charte, notre expertise, nosalliances ne sont pas des fins en soi. Cesontdesoutils pour négocier.pour lutter,pour réaliser notre mission. Nousdisposons aussi à l'intérieur même denotre mouvement d'un lieu privilégiépour nommer, apprivoiser, exercer lepouvoir. Débusquer, traquer les abus,ce n'est pas éliminer le pouvoir, c'estreprendre celui qui nous appartient SiHonore laissait la place à Horoïhe...

•Avalanche Portes ouvert»-juin 1994

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volume 9, numéro 37, mats 1994 : S/ on mettait notre grain de sable dans l'engrenage de la violence conjugale

QUAND L'HISTOIRE DE LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES S'ÉCRIT SURDEUX ROUES OU LA BICYCLETTE COMME OBJET DE SOCIALISATION

Denise Tremblay

II y a une vieille histoire debicyclette vécue dans mon enfance;histoire qui merevientcomme un de cesrêves répétitifs. Histoire que j'ai liée àma socialisation de fille et qui met enlumière quelques-unes des règles non-dites qui nous conditionnent dans nosrôles, et ce, tout en situant les zones depouvoir des deux sexes. Du côté deshommes, la bicyclette vient égalementde faire son apparition pour illustrerleur propre socialisation.

Mon intention est de mettre icien parallèle ces deux versions:masculine et féminine afin d'amorcerune réflexion sur le pouvoir, ses règleset ses conséquences.

Commençons tout d'abord parla version masculine que je rapporte enessayantd'être le plus conforme possibleaux propos tenus par l'auteur.

Il était une fois une histoirede bicyclette, versionmasculine

II était donc une fois quelquepart au Québec, un petit garçon, qui enfaisant l'apprentissage de tenir enéquilibre sur deux roues, tombe de sabicyclette. En toile de fond, il estimportant de ne pas oublier la présencedu méchant: rôle tenu ici par la normede compétition. Tomber de sa bicyclette,ne pas être le meilleur, à la limite ne pasvenir au monde en sachant déjà se teniren équilibre sur deux roues, est une tarepersonnelle pour un petit garçon.

Donc, dans cette histoire, le petitgarçon tombe inévitablement H est biensûr blessé physiquement. Un bondiachylon, un peu de mercurochrome etle tour est joué. On n'en parle plus. Maisla réalité est autre. Blottie dans l'ombre,la norme de compétition poursuit notrehéros à deux roues dans les moindres

retranchements de son imagepersonnelle. Les ecchymoses bienvisibles, douloureuses, mettent enévidence l'impossibilité du petit garçonde se soustraire à son échec personnel.Dans le langage de l'atelier au colloque(là où fut racontée cette histoire), cetteblessure à l'ego du petit garçon a étéappelée "marque". La chute entraînedonc une première "marque à l'ego" quiest porteuse de souffrancespsychologiques.

L'histoire se poursuit: le petitgarçon, tout en pleurs, se réfugie dansles bras de sa mère et se fait dire: "Ungarçon, ça ne pleure pas": deuxième"marque à l'ego". Non seulement ungarçon ça ne tombe pas, mais en plus, çane pleure pas. Souffrances et pressionssociales par l'introduction d'unedeuxième norme sociale qui annule ladouleur physique et psychologique touten faisant complètement abstraction del'absurdité qui exige de savoir avantd'apprendre.

Cette histoire de la souffrancerepose effectivement sur une réalité.Un échec, c'est toujours très difficile àprendre et ça fait mal à l'ego. Il reste unemarque. Mais en plus, si le droit à laconsolation, au maternage dans son sensle plus supportant est nié, on se sent bienseul. Dans les faits, c'est une partie desoi qui est niée ainsi que l'accès àl'expression des sentiments de tristesse.Le petit garçon de cette histoire est prisdans un cercle infernal de devoir être leplus fort, le plus solide de tous et ce, ense coupant de sa souffrance intérieure etde ses capacités physiques réelles.

Toutefois, le problème avec cetexemple est qu'il ne montre qu'un côtéde la socialisation, qu'il laisse en planune partie de la réalité. Elle commenceavec une bicyclette et se termine avecl'impossibilité d'être ou si vous préférez

l'obligation d'être tellement plus. Il y ade gros morceaux de la réalité qui nonseulement sont niés mais qui sontcarrément manquants.

Premier questionnement: n'yaurait-il que des désavantages pourl'egoà la compétition ? Sans entrer dans lapolémique compétition-coopération, ilpeut résulter de la compétition unrenforcement de l'ego individuel etcollectif. L'exemple des Canadiens quigagnent la coupe Stanley illustre bienles genres de gains qui en résultent Êtrereconnu, confirmé dans ses forces,connaître ses limites est bien rassurantpour le moi et fournit une base solide àl'acquisition de pouvoirs parallèles telsque négocier son salaire, son statutsocial, sa santé, etc. Des pouvoirs quisont questionnâmes en terme d'équitésociale mais qui font partie de notreréalité quotidienne. Il doit bien y avoirdes avantages à être le meilleur, le plusgrand, le plus...

Rappelons qu'à la base, la chutede la bicyclette est inévitable comme ladestinée d'Oedipe dans le mythe grec.Sans trahir le propos de cette histoire desocialisation, il est possible de croireque le petit garçon, arrivé à l'âge adulte,a pu cumuler une somme importante de"chutes" ou si vous préférez, d'échecspersonnels en fonction des attentessociales très fortes liées à son sexe. Cepetit garçon, qui se transforme en pèreabsent est-il si affaibli et souffrant qu'ilfaille le protéger d'un autre échec en luiniant le droit d'être responsable de sesactes, de ses choix et ainsi reporter cetteresponsabilité sur la mère présente, cellequi refuse de consoler (d'ailleurs jecommence à me demander si les mèresont un ego pour que l'on en fasse si peude cas).

Cette histoire de bicyclette servaitd'exemple pour illustrer la souffrance

Avalanche PortesocAwrtw juin 1994- 81

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des hommes, le système de protectionindividuelle qu'ils doivent ériger poursurmonter ces blessures à l'ego etl'approche qu'il faut prioriser lorsquenous sommes en relation d'aide avecdes conjoints violents (ne pas lesbrusquer). Selon cette logique et cellequi est de prendre le mal à la source, nefaudrait-il pas plutôt thérapeutiser lesmères des conjoints violents plutôt quede soigner les conjoints violents ? Cepère est absent et consulte peu pour lesenfants comme le démontrent lesstatistiques de Parents Anonymes).

D était une fois une histoirede bicyclette, versionféminine

Jevouspropose une autre versiondu processus de socialisation. Cettehistoire de bicyclette, je la traîne dansmes bagages depuis quelques années.Elle a refait surface à l'âge adulte et aservi de point de départ à certainesréflexions sur les rapports homme/femme. Si je me permets de la mettresur papier, c'est qu'il m'apparaissait yavoir un écart important entre cettehistoire et la précédente qui m'a étérapportée. Je dois dire qu'il y a tout demême un terrain sur lequel nous nousrejoignons et faisons consensus: labicyclette.

Il était donc une petite fois(comme dit mon fils), il y a un peumoins de trente ans, dans une petiteville de province, une famille moyenne.Un père, une mère, trois enfants et unchat (pas de tondeuse à gazon, c'est unefamille pauvre). L'aînée (moi-même) a9 ans, le frère a 8 ans et la petite soeur,6 ans.

C'est le début de l'été, noussommes le samedi (mon père est là) et ily a dans l'air une atmosphère de fête.Une grande décision a été prise. C'estaujourd'hui que nous passonsdu tricycleusé jusqu'à la corde à la bicyclette.

Les yeux brillent, l'excitation està son maximum. Il faut dire que depuisquelques semaines, nous, les troisenfants, avions travaillé de concert pourfaire valoir nos "droits" à un vrai bicycleà deux roues, et ce, sans nous appuyersur la charte des droits et liberté desenfants del'O Jsf.U. (chartequin'existaitd'ailleurs pas encore à cette époque).Vous pouvez donc vous imaginer letype d'arguments (harcèlement,minouchage, comparaison avec lespetits voisins,...)

Quoi qu'il en soit, je revois partirmon père qui avait la responsabilité defaire l'achat tant désiré. Il y a l'attente,une demi-heure, une heure, une éternité.Enfin, elle est là: UNE BELLEBICYCLETTE TURQUOISE.

Mais tout à coup, la fêtetourne au drame, commedans un cauchemar toutbascule. C'est la criseinternationale, le drameexistentiel, le discours dubudget. Mon frère est enlarmes. La belle bicycletteturquoise est une bicyclettede fille (première marque àson ego!). Le drame quoi!

Discussion sous les pleurs, lescris de part et d'autres: justifications,argumentations.

Frère: Premier et seul argument:Qu'est-ce que mes chums vont dire ?

Soeurs: Premier argument:Qu 'est-ce que nos chums vont dire si onchange pour une bicyclette de gars (lamême norme sociale pour les filles) ?

Deuxièmeargument: Onestdeuxfilles et il n'y a qu'un seul garçon (la loidu 50+1 en démocratie).

Troisième argument: Une barre,ça fait mal quand on tombe dessus (lachute inévitable).

Frère-soeurs: Pleurs et boudage.

Tentative de négociation de mapart: et si on achetait deux bicyclettes,une de fille et une de gars. Regard desparents et ma mère qui dit: non, c'estpas possible. Silence. Ma mère et monpère qui se regardent, et ma mère quitranche: retourne au magasin et échangela bicyclette.

Je vous passe l'entre-deux: les"cessez depleurer sinon pas de bicyclettedu tout", les "soyez raisonnables,comprenez", etc. et l'ultime négociationoù il a été affirmé clairement que mêmes'il s'agirait d'une bicyclette de gars,elle était pour les trois enfants. Ouf,nous avions au moins sauvé les meubles.

Dans les heures et les semainesqui ont suivi, nous avions le choix, masoeur et moi: ou nous faisions fi de notreorgueil et affrontions le regard de nosamies ainsi que la barre, ou bien nousnous passions carrément de bicyclette,cet objet d'autonomie tant convoité.C'est ce que j'appelle un "vrai choix",un choix plein de conséquencesdésagréables d'un côté comme del'autre.

Nous avons donc opté pour lapremière alternative. Ici, je ne peuxinfirmer ou confirmer si la premièrechute de mon frère a laissé une marqueà son ego et si ma mère l'a marqué unedeuxième fois. Mais comme mes parentsétaient normalement socialisés et monpère le plus souvent absent, je seraistentée de croire que mon frère désiraitêtrelemeilleuretatoutfaitpourprotégerson orgueil face à ses chums. En ce quiconcerne le fameux "un garçon, ça nepleure pas", si mon frère ne l'a pasentendu à cette occasion, il l'avaitsûremententenduavantetpas seulementde ma mère.

82 -Avalanche Portos ouvertes-juin 1994

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Il y a également eu, au fil desmois, des négociations quotidiennespour empêcher que mon frère ne prennele monopole complet de la bicyclette.La dernière négociation établissant lapropriété collective nous a servid'argument. Nous avions tout de mêmeréussi à établir un droit de jouissancecollective de la bicyclette. Il y a tout demême des limites à l'injustice.

Cette histoire a une fin et lavoici.

Ma soeur et moi avions fait leprojet de ramasser nos sous pour acheternotre propre bicyclette, une bicyclettede fille bien entendu. Projet que nousavons réalisé quelques années plus tardalors qu'il était presque temps de passerau permis de conduire. Il y aurait bienune histoire ou deux à raconter autourde l'automobile mais cela pourra fairepartie d'un autre texte.

Qu'une telle anecdote refassesurface après bien des années a de quoisurprendre, n y a peut-être une marqueà mon ego là-dessous, qui sait ?

Mais mon propos n'est pas deme "soigner" mais, plutôt de fouiller àtravers cette histoire d'enfance les règlesnon-dites qui ont influencé ma façond'être, de penser et d'avoir, au sensmatériel du terme.

Cette histoire de bicyclette,lorsqu'ellem'est revenue, se situait dansun processusde réflexion sur les rapportsde pouvoir entre les hommes et lesfemmes. Quand on me demandecomment je suis devenue féministe, jecite toujours en exemple cette histoirede bicyclette. En effet, il y a là tous leséléments de l'injustice liée au sexe: unobjet de désir (la bicyclette), uneimpossible satisfaction des acteurs enprésence (une seule bicyclette), unrapport de force (arguments-pleurs) etun dénouement (un gagnant- deuxperdantes).

Dans ma tête de petite fille et defemme, car les deux se confondent,cette histoire me lançait le message trèsclair qu'il estplus important de protégeret de sauver l'honneur d'un garçon quecelui de deux filles. Etc'est parti pour lesoutien et l'oubli de soi. Cet ego doitêtre drôlement important pour que lebesoin de l'un l'emporte sur le besoindes deux autres.

De plus, si on fait si facilement fide l'honneur des filles et de la règle dela majorité, se pourrait-il que les garçonssouffrent plus que les filles ? Les larmesde deux filles pèseraient-elles moinsdans la balance que celles d'un seulgarçon?

Et nous nous demandonscomment cela se fait-il que les femmesacceptent tant l'inacceptable. Il y aégalement d'autres règles sociales quiressortent le front commun frère-soeurspour obtenir une bicyclette s'est effritélorsqu'il a été question de reconnais-sance sociale. À noter qu'une seuletentative pour trouver une issueacceptable a été initiée du côté des filles(deux bicyclettes). Lorsque les dés sontjetés, il reste la menace de représailles(pas de bicyclette), la compréhension etl'oubli de soi (sois raisonnable).

Cette histoire m'apparaît appor-ter un questionnement sur l'impactnégatif de ce système de protection del'ego masculin. Ce que ma soeur et moiavons appris de cette histoire - histoirequi a pu se répéter en différentes tonali-tés tout au long de notre histoire defemmes -, c'est la solidarité et l'ap-prentissage de notre propre capacité àdevenir active. Nous avons dû travaillerpour avoir ce que nous désirions, nousunir dans le changement possible denotre réalité par l'achat d'une autrebicyclette et partager une injustice quinous a obligées à renégocier notreespace, à ne pas croire à la solutionmagique du parent tout puissant quirépondra à nos besoins.

Nous avons dû également pilersur notre orgueil, sur cet ego sacré. Lefait de ne pas avoir été surprotégéesnous a en quelque sorte servies etobligées à faire face directement ouindirectement (évitement) à lafrustration.

Je ne sais pas si l'inverse estaussi vrai en ce qui concerne mon frère.Mais, comme disait ma mère, à vouloirtrop faire le bien, on finit par faire lemal. À gonfler outre mesure un ballon,il devient fragile à la moindre pression.

Comment ne pas voir ledanger qu'il y a de protégerl'ego masculin au détrimentde l'ego féminin ? D y a dequoi fausser le rapport depouvoir du petit garçon quideviendra grand avec lesfemmes et qui sera convaincude son droit de vie ou de mortsur l'autre. La solution à laviolence conjugale passe parun changement de base danscette règle d'or, non écritedans aucune charte desdroits, mais très présentedans le quotidien.

Nous avons un problème réelaujourd'hui avec ces petitsgarçons devenus grands dontnous trouvons les gestesinacceptables et non pascriminels, et avec ces fillettesdevenues grandes à qui nousdemandons de porter plaintedans la mesure où leurconjoint n'en souffrira pas.Le gros bon sens ne peut-ill'emporter un bon jour ?

Avalanche Portes ouvertes- juin 1994* 83

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NOUVEAU

Un grain de sable dans l'engrenagePistes de solution pour contrer la violence conjugale

Depuis les années 1970, la vision so-ciale et politique de la violence conjugales'est beaucoup modifiée. Notre société estpassée du déni à la reconnaissance du phéno-mène de la violence faite aux femmes. Desactions significatives ont été réalisées, desmesures concrètes ont été prises et diversesamorces de solutions ont été proposées. Pourtenter de régler une fois pour toutes le pro-blème de la violence conjugale, plusieurspersonnes ont senti l'urgence d'agir.

Mais, dix, quinze ou vingt ans plustard, quel est le bilan de l'impact de cesmesures sur l'expression de la violence con-jugale ?

Force nous est de constater que malgrédes efforts accrus et malgré le fait que lesfemmes tolèrent moins longtemps la violencequi leur est faite, il semble y avoir autant demanifestations du phénomène, fl y a eu peu dechangements réels quant aux résultats desmesures prises et ce "quelque chose qui ac-croche" nous fait croire que notre société estpassée à côté des vraies solutions.

Ce document se veut donc un regardcritique sur les actions et les valeurs de notresociété, de même que la résistance à puiserune solution qui émane de la source même duproblème. H propose en outre quelques pistesde solution cohérentes avec le bilan etl'analyse présentés. C'est le grain de sabledans l'engrenage de la violence conjugalequ'entend jeter le Regroupement provin-cial des maisons d'hébergement et detransition pour femmes victimes de vio-lence conjugale.

pistesde

solutionpour

contrerla

violenceconjugale

REGROUPEMENT PROVINCIAL DES MAISON* D-HÉBEBOEMBWT ET DE TRANSITIONPOUR FBMMEt VICTIME* DE MOLBWE COMJUGMf

REGROUPEMENT PROVINCIAL DES MAISONS D'HÉBERGEMENT ET

DE TRANSITION POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE5225, rue Berri, bureau 304, Montréal Qc H2S 284

Téléphone : (514) 279-2007 Télécopieur : (514) 279-4109

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LES MAISONS MEMBRES DU REGROUPEMENT PROVINCIAL DES MAISONS D'HÉBERGEMENT ET DE TRANSITIONPOUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE

• BAS ST-LAURENT/GASPÉSK

La GigogneMatane, (418) 562-3377

Maison L'Orée de PabosPabos, (418) 689-6288

La DébrouilleRimouski, (418) 724-5067

L'Aid'ElteGaspé, (418) 368-6883

L'ÉmergenceCarteton, (418) 364-7782

L'AccalmieIles de la Madeleine, (418) 986-5044

• SAGUENAY/LAC ST-JEAN

Halte-SecoursDolbeau, (418) 276-3965

L'Auberge de l'AmitiéRoberval, (418) 2754574

La ChambréeJonquière, (418) 547-7283

• MONTRÉAL/LAVAL

Assistance aux FemmesMontréal, (514) 270-8291

Auberge TransitionMontréal, (514) 481-0496

Multi-FemmesMontréal, (514) 523-1095

Escale pour ElleMontréal, (514) 493-4004

Maison du RéconfortVerdun, (514) 768-8648

Le PréludeLaval, (514) 682-3050

Refuge pour les femmes de l'ouestde l'île, Roxboro, (514) 620-4845

• MAURICIBBOIS-FRANCS

La SéjournelleShawinigan, (819) 537-8348

L'Entre-TempsVictoriavilte, (819) 758-6066

La Rosé des Vents de DrummondDrummondville, (819) 472-5444

Le Toit de l'AmitiéLa Tuque, (819) 523-7829

Maison de ConnivenceTrois-Rivières, (819) 379-1011

La NacelleNicolet, (819)293-6942

• ESTRIE

La Bouée Régionale du Lac-MéganticLac-Mégantic, (819) 583-1233

La MéridienneWeedon, (819) 877-3050

• QUÉBEC/CHAUDIÈRE-APPALACHES

La CitéeThetford Mines, (418) 335-5551

Maison des Femmes de QuébecQuébec, (418) 522-0042

Maison d'hébergementpour femmes immigrantes,Ste-Foy, (418) 652-9761 .

Maison Havre l'ÉclairdeSt-Georges, (418) 227-1025

Havre des FemmesL'Islet-sur-Mer, (418) 247-7622

La MontéeLa Malbaie, (418) 665-4694

La Jonction pour ElleLévis, (418) 833-8002

• LAURENTIDES/LANAUDIÈRE

La TraverseJoliefle, (514) 759-5882

Maison d'ArianeSWérôme, (514) 432-9355

L'Ombre-ElleSte-Agathe-des-Monts,(819) 326-1321

La Passe-R-Elledes Hautes LaurentidesMont-Laurier, (819) 623-1523

Maison L'Esther,St-Eustache (514) 974-2769

• MONTÉRÉGIE

La Clé sur la PorteSaint-Hyacinthe, (514) 774-1843

Le Coup d'ElleSt-Jean-sur-Richelieu,(514)346-1645

Horizon pour ElleCowansville, (514) 263-5046

La Ré-SourceChàteauguay, (514) 699-0908

• OUTAOUAIS

Centre MechtildeHull, (819) 777-2952

L'Autre chez soiAylmer, (819) 685-0006

Maison Unies-Vers-FemmesGatineau, (819) 568-4710

Maison Clair de l'UneBuckingham, (819) 986-8286

•NORD OUEST

Alternative pour EllesRouyn, (819) 797-1754

Maison MikanaAmos, (819) 732-9161

Le Nid, Val d'Or,(819)825-3865

-CÔTE NORD

Maison des Femmes de Baie-ComeauBaie-Comeau/Haute-Rive,(418)2964733

L'Amie d'ElleForestville, (418) 587-2533

Le Coin des FemmesSept-lles, (418) 962-8141