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Code établissement 0782540M Baccalauréat session 2015 Epreuves anticipées de français Descriptif des lectures et activités de 1ère S-SVT Ce descriptif contient 6 séquences. Les lectures analytiques sont signalées en gras Sorties proposées : Une sortie obligatoire : La Colère de Dom Juan, mise en scène de Christophe Luthringer au Théâtre Alexandre Dumas de Saint-Germain en Laye. Deux sorties facultatives : Nous ne sommes pas seuls au monde (texte et mise en scène d'Elise Chatauret) au Collectif 12. L'Or de Blaise Cendrars adaptation et mise en scène de Xavier Simonin, au théâtre de la Nacelle à Aubergenville. Salon du livre (une partie de la classe seulement, certains élèves participant à un voyage en Espagne) La partie « lectures et activités personnelles » est laissée à l'initiative de chaque élève. Visa du professeur : Melle Valette Visa du Chef d'établissement : M. Poigt 1/59

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Code établissement 0782540M

Baccalauréat session 2015Epreuves anticipées de français

Descriptif des lectures et activités de 1ère S-SVT

Ce descriptif contient 6 séquences. Les lectures analytiques sont signalées en grasSorties proposées : – Une sortie obligatoire : La Colère de Dom Juan, mise en scène de Christophe Luthringer au Théâtre Alexandre Dumas de Saint-Germain en Laye.– Deux sorties facultatives :

– Nous ne sommes pas seuls au monde (texte et mise en scène d'Elise Chatauret) au Collectif 12.– L'Or de Blaise Cendrars adaptation et mise en scène de Xavier Simonin, au théâtre de la Nacelle à Aubergenville.

– Salon du livre (une partie de la classe seulement, certains élèves participant à un voyage en Espagne)La partie « lectures et activités personnelles » est laissée à l'initiative de chaque élève.Visa du professeur : Melle Valette Visa du Chef d'établissement : M. Poigt

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SEQUENCE N° 1

Métamorphoses du blason, témoignages des métamorphoses de l'écriture poétique

Objet d’étude, Ecriture poétique et quête de sens du Moyen-Age à nos jours

Problématique : dans quelle mesure l'écriture du blason et ses métamorphoses sont-elles révélatrices des interrogations du poète sur le monde et son art ?

Lectures analytiquesGroupement de textes

●Le Sourcil, Maurice Scève, 1536●Les Plaintes d’Acante, « Beau monstre de Nature... » Tristan l’Hermite, 1634● « Un Hémisphère dans une chevelure », Petits poèmes en prose, Baudelaire, 1869.● « Femme noire », Chants d’ombre, Senghor, 1945

Activités complémentaires

Groupement de textes : Comment les poèmes mettent-ils en valeur les parties du corps ? -Sonnet 189, Les Amours, Ronsard, 1553-La Chevelure, Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1857-1861-La Courbe de tes yeux, Capitale de la douleur, Paul Eluard, 1924

Lecture cursiveCahiers de Douai de RimbaudEn quoi ces cahiers témoignent-ils d'une quête de l'écriture nouvelle ? Comment cette recherche se manifeste-t-elle ?

Activités en lien avec l'histoire de l'Art

Le blason dans les autres artsComment la partie du corps est-elle mise en scène ? Quelles sont les techniques spécifiques à chaque forme artistique?►Analyse de trois œuvres de Man Ray ; Le Violon d'Ingres (1919), Le Cou (1929?), Les Mains de Gala et Dali (1936)►Analyses de deux mises en scène de l'acte III scène 1 de Pelleas et Mélisande de Maeterlinck et Debussy (1893-1903) :-mise en scène de Stéphane Braunshweig à l'Opéra comique en 2010 avec Karen Vourc'h (Mélisande), Phillip Addis, (Pelléas )-mise en scène de Pierre Boulez au Welsh National Opéra en 1992, avec Alison Hagley (Mélisande) et Neill Archer (Pelléas)►Les élèves ont réalisé leurs propres blasons photographiques à l'issue de cette séquence.

Lectures et activités personnelles

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SEQUENCE N° 2

Du réel à l'imaginaire, transformation de figures du réel en figures mythiques

L'Or de Blaise Cendrars, 1925, coll Folio

Objet d’étude Le personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours

Problématique : Comment le roman permet-il une transformation du réel en légende ?

Lectures analytiques

- incipit du roman ; début jusqu'à « On vit entrer l'étranger dans le syndic. »- « Le grand Ouest » :p 34-35 « Un jour il a une illumination... Johann August Suter est un homme d'action »-Discours du Maire de San Francisco ; la construction de la légende de Suter, p 110-112 « Extrait du discours de Kewen...c'est celui de l'immortel Suter »

Activités complémentaires (textes et documents en lien avec l'histoire de l'art)

►Le personnage de Suter ; comment l'Or de Cendrars lui permet-il d'accéder au statut de personnage légendaire ?►Comparaison de Suter avec la figure de référence du conquérant : Alexandre le Grand ; comment cette figure de l'Histoire est-elle parée de préoccupations contemporaines des artistes ?

• La Bataille d'Alexandre d'Albrecht Altdorfer, 1529, • l'Entrée d'Alexandre le Grand dans Babylone, Le Brun, 1665• César sur la tombe d'Alexandre, Gustave Courtois, 1878

►Analyses d'autres représentations de l'Ouest mythique : -bande-annonce de How the west was won (John Ford, 1962), -le duel dans Il était une fois dans l'ouest,(1968), Sergio Leone, -travail en collaboration avec le professeur d'anglais sur Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton (2006) -analyse du tableau de John Gast, American Progress, 1872 -un poème de Jules Laforgue, « Albums », 1887►Les élèves volontaires ont assisté à une représentation de l'adaptation théâtrale de l'Or, par Xavier Simonin à la Nacelle d'Aubergenville.

Lectures cursives Un roman au choix parmi les suivants : Bel-Ami de Maupassant, le Rouge et le Noir de Stendhal, La Condition humaine de Malraux.

Lectures et activités personnelles

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SEQUENCE N° 3

Personnages de roman, des figures de l'héroïsme ?

Objet d'étude Personnage de roman du XVII au XXème

Problématique : on qualifie souvent les personnages de roman de héros ; dans quelle mesure l'emploi de ce terme est-il justifié ?

Lectures analytiquesGroupement de textes

-La Princesse de Clèves, Mme de Lafayette, 1678, Portrait de Melle de Chartres, : « Il parut alors une beauté... de grâce et de charmes. »-le Père Goriot, Balzac , 1834 ; leçon de Mme de Beauséant à Eugène de Rastignac : « Le monde est infâme et méchant... sourit au sourire de sa cousine, et sortit » - Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830 « J'ai gagné une bataille... serait-ce un jour la sienne ? »-Voyage au bout de la Nuit, Céline, 1932 : « Le village, c'était réservé... le dîner du général était prêt »

Activités complémentaires

►Evolution et construction du héros ; Parcours de l'exposition numérique « La fabrique du Héros », site de la Bnf►Corpus ; personnages de roman criminels : Dans quelle mesure les circonstances viennent-elles influer sur le crime ? -Le meurtre de Camille dans Thérèse Raquin, Zola, 1867, -Incipit de la Condition humaine Malraux,1933, -Le meurtre dans L'Etranger de Camus, 1942►Une grande partie des élèves a été invitée au salon du livre (exceptés les élèves participant cette semaine-là à un voyage en Espagne)

Lecture cursive L'Etranger Albert Camus ; construction du personnage de Meursault, l'antihéros ?

Activités en lien avec l'histoire de l'Art

Images de Héros :Les élèves doivent choisir trois ou quatre documents iconographiques représentant des héros ou héroïnes. Ils doivent être capables d'expliquer leurs choix et en quoi les documents mettent en valeur des qualités héroïques des personnages.

Lectures et activités personnelles

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Séquence n° 4

Penser le bonheur humain ; l'écriture de l'Utopie

Objet d'étude La question de l'homme dans les genres de l'argumentation

Problématique Dans quelle mesure l'écriture des utopies permet-elle une réflexion critique sur le monde contemporain des auteurs ?

Groupement de textes

►Rabelais, Gargantua, 1534 « L'abbaye de Thélème », 1534 :« Toute leur vie était régie... qu'au premier de leurs noces »►Montaigne, Essais, livre I, chap XXVI « l'âme qui loge la philosophie...fantôme à étonner les gens »►Fénelon, , les Aventures de Télémaque, 1699 , description de la Bétique :« Mentor nous dit qu'il avait été autrefois... la crainte des justes dieux »►Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772, discours du vieux Tahitien « Puis, s'adressant à Bougainville...que des biens imaginaires »

Œuvre intégraleAlbert Jacquart,Mon Utopie, 2006

Collection livre de poche

►Introduction : « J'atteins l'âge... Cité idéale », p 7-9► Déclarer la guerre à la maladie ; « La hiérarchie dans la capacité de la maladie... explorer le système solaire » p88-91 ►De l'importance de l'école pour permettre l'utopie ; « Mettre en place un enseignement fondé... « laissez-moi devenir celui que je choisis d'être. » » p181-183

Activités complémentaires

●Caractéristiques des premières utopies-Thomas More, l'Utopie, 1516 : « Les deux rives de l'Anhydre... tourner les esprits vers cette direction »-Campanella, La Cité du Soleil, 1623 : « Le Gênois : je rencontrai sans tarder... merveilleusement conçu se dresse au milieu »●Réflexion sur la contre-utopie ; dans quelle mesure les définitions de l'utopie contiennent-elles leurs propres limites et la dérive vers l'état totalitaire ?

Activités en lien avec l'histoire de l'art (travail en collaboration avec le professeur documentaliste)

Travail de recherche sur l'iconographie de l'Utopie ; chaque groupe présente une œuvre parmi la liste suivante :-représentation de l'Ile d'Utopie de Thomas More, 1516, exemplaire de Louvain-Coupe du cénotaphe de Newton, Boullée-Vue intérieure du Familistère de Godin, à Guise (carte postale de 1905-1908)-Tour de Babel de Bruegel l'Ancien, 1563-Cité idéale, panneau d'Urbino, 1460- 1500 (auteur indéfini)

Lectures cursives Voltaire, Candide, 1759Télémaque, Fénelon, 1699, Livre V

Activité personnelle

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SEQUENCE N° 5

Conflit théâtral ; entre duel et duo

Objet d’étude Texte et représentation

Problématique : Le conflit théâtral n'est-il pas à la fois duel et duo ?

Lectures analytiques

-Horace, Acte IV scène 5, Corneille, 1640 : le paroxysme du conflit. Un duel dont la construction relève du duo-Le Prince travesti, acte II scène 7, Marivaux : le conflit amoureux ; duel en quête de duo.-Hernani, acte IV, scène 4, Victor Hugo, 1830, le conflit politique-Les Bonnes, Genet, scène d'exposition, 1947; le duo des sœurs permet de jouer le duel social.

Activités complémentaires

►rappel des grandes scansions de l'histoire du théâtre (baroque, classicisme, romantisme, théâtre moderne, définition du marivaudage)►définition des grands genres théâtraux ; comédie, tragédie, drame, théâtre moderne►Analyse de mises en scène : Quels éléments scéniques au service du conflit ?-la mort de Camille dans Horace par Naïdra Ayadi, théâtre de la tempête, 2009-Présentation de la mise en scène des Bonnes par Guillaume Clayssen, comédie de l'est (disponible sur théâtre.net)-mise en scène de Pierre Heitz des Bonnes de Jean Genet (disponible sur théâtre.net)

Lectures cursive Molière, Dom Juan. Dans quelle mesure le conflit caractérise-t-il le personnage de Dom Juan ?

Représentations proposées aux élèves pour favoriser leur réflexion sur la mise en scène

La colère de Dom Juan, mise en scène Christophe Luthringer, théâtre Alexandre Dumas de Saint-germain en Laye (sortie obligatoire sur temps scolaire) 16 avril 2015L'Or, adaptation du roman de Cendrars par Xavier Simonin, théâtre de la Nacelle, AubergenvilleNous ne sommes pas seuls au monde, texte et mise en scène Elise Chatauret, Collectif 12

Lectures et activités personnelles

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SEQUENCE N° 6

Du conflit extérieur au conflit intérieurLes Justes d'Albert Camus (1949)

Objet d’étude Texte et représentation

Problématique : Dans quelle mesure le conflit théâtral favorise-t-il l'expression de la réflexion politique et philosophique ?

Lectures analytiques

-Entrée en scène de Yanek ; « on sonne. Deux coups puis un seul... je suppose qu'il faut prévenir le portier ? »-Echec de l'attentat : « Kaliayev, égaré : Je ne pouvais pas prévoir...j'obéirai à l'Organisation »-une scène d'amour : « Dora : il y a trop de sang... Kaliayev : tais-toi, Dora »

Activités complémentaires

-Eléments de contextualisation des Justes (contexte d'écriture et contexte de l'argument théâtral)-Les personnages de Stepan et de la Grande Duchesse-La question du meurtre politique dans les Justes.-Analyse des propositions de mises en scène de Guy-Pierre Couleau (théâtre de l'Athénée, 2008)-Réflexion sur les enjeux du costume de scène ; les élèves ont assisté à une présentation par un conférencier du Grand Palais de l'exposition Jean-Paul Gaultier.

Lectures cursives

Alfred Jarry, Ubu Roi, 1899 (quelles autres armes sont proposées ici pour interroger le pouvoir?)Albert Camus, Les Meurtriers délicats, 1948 in La Table Ronde, texte préfigurant le chapitre du même nom dans l'Homme révolté.

Représentations proposées aux élèves pour favoriser leur réflexion sur la mise en scène

La colère de Dom Juan, mise en scène Christophe Luthringer, théâtre Alexandre Dumas de Saint-germain en Laye (sortie obligatoire sur temps scolaire) 16 avril 2015L'Or, adaptation du roman de Cendrars par Xavier Simonin, théâtre de la Nacelle, AubergenvilleNous ne sommes pas seuls au monde, texte et mise en scène Elise Chatauret, Collectif 12

Lectures et activités personnelles

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Métamorphoses du blason, témoignages des métamorphoses

de l'écriture poétique

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Texte n°1 (lecture analytique)

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Sourcil tractif en voûte fléchissantTrop plus qu'ébène, ou jayet noircissant.Haut forjeté pour ombrager les yeux,Quand ils font signe, ou de mort, ou de mieux.Sourcil qui rend peureux les plus hardis,Et courageux les plus accouardis.Sourcil qui fait l'air clair obscur soudain,Quand il froncit par ire, ou par dédain,Et puis le rend serein, clair et joyeuxQuand il est doux, plaisant et gracieux.Sourcil qui chasse et provoque les nuesSelon que sont ses archées tenues.Sourcil assis au lieu haut pour enseigne,Par qui le cœur son vouloir nous enseigne,Nous découvrant sa profonde pensée,Ou soit de paix ou de guerre offensée.Sourcil, non pas sourcil, mais un sous-cielQui est le dixième et superficiel,Où l'on peut voir deux étoiles ardentes,Lesquelles sont de son arc dépendantes,Étincelant plus souvent et plus clairQu'en été chaud un bien soudain éclair.Sourcil qui fait mon espoir prospérer,Et tout à coup me fait désespérer.Sourcil sur qui amour prit le pourtraitEt le patron de son arc, qui attraitHommes et Dieux à son obéissance,Par triste mort et douce jouissance.O sourcil brun, sous tes noires ténèbres,J'ensevelis en désirs trop funèbresMa liberté et ma dolente vie,Qui doucement par toi me fut ravie.

(Blason de Maurice Scève, 1536

tractif : bien faitjayet : jaishaut forjeté : construit en saillie

accouardis : lâches, peureux

ire : colère

archées : arcs formés par les sourcils

allusion aux différents « cieux » de la cosmologie médiévalepourtrait : portraitattrait : attiredolente : qui souffre

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Maurice Scève, « Le Sourcil », Poésies, 1536

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Texte n°2 (lecture analytique) Tristan L'Hermite,

Beau Monstre de Nature il est vrai ton visageEst noir au dernier point mais beau parfaitement

Et l'Ebène poli qui te sert d'ornementSur le plus blanc ivoire emporte l'avantage

O merveille inconnue à notre âgeQu'un objet ténébreux luise si clairement

Et qu'un charbon éteint brûle plus vivementQue ceux qui de la flamme entretiennent l'usage

Entre ces noires mains je mets ma libertéMoi qui fus invincible à toute autre Beauté

Une More m'embrase une Esclave me dompte

Mais cache-toi Soleil toi qui viens de ces lieuxD'où cet Astre est venu qui porte pour ta honteLa nuit sur son visage et le jour dans ses yeux

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« Beau Monstre de nature », Les Plaintes d'Acante, Tristan L'Hermite,

1634

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texte n°3: (lecture analytique) Baudelaire

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique. Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris

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Un Hémisphère dans une chevelure, Petits poèmes en prose, 1869

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Texte n°4 lecture analytique, Senghor

Femme nue, femme noireVêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux.Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi, je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calcinéEt ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle.

Femme nue, femme obscureFruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma boucheSavane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'EstTamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueurTa voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée.

Femme noire, femme obscureHuile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du MaliGazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peauDélices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or rouge sur ta peau qui se moireA l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

Femme nue, femme noireJe chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'EternelAvant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.

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Femme noireLéopold Sédar Senghor, Chants d'ombre 1945

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Document complémentaire (entraînement à la question de corpus)

Baudelaire, « La Chevelure », Les Fleurs du Mal, 1857-1861

Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscureDes souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,Tout un monde lointain, absent, presque défunt,Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !Comme d'autres esprits voguent sur la musique,Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêveDe voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boireA grands flots le parfum, le son et la couleur ;Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloireD'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresseDans ce noir océan où l'autre est enfermé ;Et mon esprit subtil que le roulis caresseSaura vous retrouver, ô féconde paresse,Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;Sur les bords duvetés de vos mèches torduesJe m'enivre ardemment des senteurs confonduesDe l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière [lourde

Sèmera le rubis, la perle et le saphir,Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourdeOù je hume à longs traits le vin du souvenir ?

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Ronsard, les Amours, sonnet 189 (1553)Son chef est d'or, son front est un tableau,Où je vois peint le gain de mon dommage,Belle est sa main, qui me fait devant l'âgeChanger de teint, de cheveux et de peau.

Belle est sa bouche, et son soleil jumeau,De neige et feu s'embellit son visage,Pour qui Juppin reprendrait son plumage,Ore d'un Cygne, or le poil d'un Taureau.

Doux est son ris, qui la mesduse mêmeEndurcirait en quelque roche blême,Vengeant d'un coup cent mile cruautés,

Mais tout ainsi que le Soleil effaceLes moindres feux(1), ainsi ma foi surpasse Le plus parfait de toutes ses beautés (2).

(1)= astres(2)= fidélitéDerniers vers : ma fidélité par ses beautés surpasse le plus bel astre

La courbe de tes yeux, Paul Eluard Capitale de la douleur, 1926

La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœurUn rond de danse et de douceur,Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécuC'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,Roseaux du vent, sourires parfumés,Ailes couvrant le monde de lumière,Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseur de bruits et sources des couleurs

Parfums éclos d'une couvée d'auroresQui gît toujours sur la paille des astres,Comme le jour dépend de l'innocenceLe monde entier dépend de tes yeux pursEt tout mon sang coule dans leurs regards

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Analyse des œuvres de Man Ray

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Le Violon d'IngresMan Ray, 1919

Le CouMan Ray 1929 ?

Les mains de Gala et Dali 1936

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Pelléas et Mélisande, ACTE III, scène 1 Maeterlinck, 1893

Texte mis en musique par Debussy entre 1893 et 1903

Scène I. Mélisande, Pelléas Une des tours du château (Un chemin de ronde passe sous une fenêtre de la tour.) MÉLISANDE(à la fenêtre tandis qu'elle peigne ses cheveux dénoués) Mes longs cheveux descendent jusqu'au seuil de la tour;Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour,Et tout le long du jour,Et tout le long du jour.Saint Daniel et Saint Michel,Saint Michel et Saint Raphaël,Je suis née un dimanche,Un dimanche à midi… (Entre Pelléas par le chemin de ronde.) PELLÉASHolà! Holà! ho! MÉLISANDEQui est là? PELLÉASMoi, moi, et moi! Que fais-tu là, à la fenêtre, en chantant comme un oiseau qui n'est pas d'ici? MÉLISANDEJ'arrange mes cheveux pour la nuit… PELLÉASC'est là ce que je vois sur le mur? Je croyais que tu avais de la lumière… MÉLISANDEJ'ai ouvert la fenêtre; il fait trop chaud dans la tour… Il fait beau cette nuit. PELLÉASIl y a d'innombrables étoiles; je n'en ai jamais vu autant que ce soir; mais la lune est encor sur la mer… Ne reste pas dans l'ombre, Mélisande, penche-toi un peu, que je voie tes cheveux dénoués. MÉLISANDEJe suis affreuse ainsi… PELLÉASOh! oh! Mélisande, Oh! tu es belle! Tu es belle ainsi! Penche-toi! Penche-toi! Laisse-moi venir plus près de toi… MÉLISANDEJe ne puis pas venir plus près de toi… Je me penche tant que je peux… PELLÉASJe ne puis pas monter plus haut…donne-moi du moins ta main ce soir avant que je m'en aille… Je pars demain. MÉLISANDENon, non, non… PELLÉASSi, si, je pars, je partirai demain…donne-moi ta main, ta main, ta petite main sur les lèvres… MÉLISANDEJe ne te donne pas ma main si tu pars… PELLÉASDonne, donne, donne… MÉLISANDETu ne partiras pas? PELLÉASJ'attendrai, j'attendrai…

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MÉLISANDEJe vois une rose dans les ténèbres… PELLÉASOù donc? Je ne vois que les branches du saule qui dépasse le mur… MÉLISANDEPlus bas, plus bas, dans le jardin; là-bas, dans le vert sombre… PELLÉASCe n'est pas une rose… J'irai voir tout à l'heure, mais donne-moi ta main d'abord; d'abord ta main… MÉLISANDEVoilà, voilà, je ne puis pencher davantage. PELLÉASMes lèvres ne peuvent pas atteindra ta main! MÉLISANDEJe ne puis me pencher davantage… Je suis sur le point de tomber…Oh! Oh! mes cheveux descendent de la tour! (Sa chevelure se révulse tout à coup tandis qu'elle se pence ainsi, et inonde Pelléas.) PELLÉASOh! oh! qu'est-ce que c'est? tes cheveux, tes cheveux descendent vers moi! Toute ta chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est tombée de la tour! (moins vite et passionnément contenu) Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche… Je les tiens dans le bras, je les mets autour de mon cou… Je n'ouvrirai plus les mains cette nuit! MÉLISANDELaisse-moi! laisse-moi! tu vas me faire tomber! PELLÉASNon, non, non! Je n'ai jamais vu de cheveux comme les tiens, Mélisande! Vois, vois, vois, ils viennent de si haut et ils m'inondent encore jusqu'au cœur;Ils m'inondent encore jusqu'au genoux!Et ils sont doux, ils sont doux comme s'ils tombaient du ciel! Je ne vois plus le ciel à travers tes cheveux.Tu vois, tu vois? Mes deux mains ne peuvent pas les tenir; il y en a jusque sur les branches du saule…Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains, et ils m'aiment, ils m'aiment plus que toi! MÉLISANDELaisse-moi, laisse-moi… Quelqu'un pourrait venir… PELLÉASNon, non, non, je ne te délivre pas cette nuit… Tu es ma prisonnière cette nuit, toute la nuit, toute la nuit… MÉLISANDEPelléas! Pelléas! PELLÉASJe les noue, je les noue aux branches du saule… Tu ne t'en iras plus…tu ne t'en iras plus…regarde, regarde, j'embrasse tes cheveux…Je ne souffre plus au milieu de tes cheveux…Tu entends mes baisers le long de tes cheveux?Ils montent le long de tes cheveux…Il faut que chacun t'en apporte…Tu vois tu vois, je puis ouvrir les mains…J'ai les mains libres et tu ne peux plus m'abandonner… (Des colombes sortent de la tour et volent autour d'eux dans la nuit.) MÉLISANDEOh! oh! tu m'as fait mal! Qu'y a-t-il Pelléas?Qu'est-ce qui vole autour de moi?

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PELLÉASCe sont les colombes qui sortent de la tour… Je les ai effrayées; elles s'envolent… MÉLISANDECe sont mes colombes, Pelléas. Allons-nous-en, laisse-moi elles ne reviendraient plus… PELLÉASPourquoi ne reviendraient-elles plus? MÉLISANDEElles se perdront dans l'obscurité… Laisse-moi! laisse-moi relever la tête…J'entends un bruit de pas…Laisse-moi!C'est Golaud! Je crois que c'est Golaud!Il nous a entendus… PELLÉASAttends! Attends! Tes cheveux son autour des branches…Ils se sont accrochés dans l'obscurité…Attends! Attends (Entre Golaud par le chemin de ronde.) Il fait noir. GOLAUDQue faites-vous ici? MÉLISANDECe que je fais ici? GOLAUDJe…Vous êtes des enfants…Mélisande, ne te penche pas ainsi à la fenêtre, tu vas tomber…Vous ne savez pas qu'il est tard?Il est près de minuit.Ne jouez pas ainsi dans l'obscurité.Vous êtes des enfants… (riant nerveusement) Quels enfants!Quels enfants! (Il sort avec Pelléas.)

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Séquence n°2

Du réel à l'imaginaire, transformation de figures du réel en

figures mythiques

L'Or de Blaise Cendrars, 1925

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Séquence n° 2, lecture analytique texte 1

L'Or, Blaise Cendrars, 1925

CHAPITRE I 1

La journée venait de finir. Les bonnes gens rentraient des champs, qui une bine sur l'épaule ou un panier au bras. En tête venaient les jeunes filles en corselet blanc et la cotte haut-plissée. Elles se tenaient par la taille et chantaient :

Wenn ich ein Vöglein wär Und auch zwei Flflglein hätt

FIög ich zu dir... Sur le pas de leur porte, les vieux fumaient leur pipe en porcelaine et les vieilles tricotaient de longs bas blancs. Devant l'auberge « Zum Wilden Mann » on vidait des cruchons du petit vin blanc du pays, des cruchons curieusement armoriés d'une crosse d’évêque entourée de sept points rouges. Dans les groupes on parlait posément, sans cris et sans gestes inutiles. Le sujet de toutes les conversations était la chaleur précoce et extraordinaire pour la saison et la sécheresse qui menaçait déjà la tendre moisson. C'était le 6 mai 1834. Les vauriens du pays entouraient un petit Savoyard qui tournait la manivelle de son orgue de Sainte-Croix, et les mioches avaient peur de la marmotte émoustillée qui venait de mordre l'un d'eux. Un chien noir pissait contre l'une des quatre bornes qui encadraient la fontaine polychrome. Les derniers rayons du jour éclairaient la façade historiée des maisons. Les fumées montaient tout droit dans l'air pur du soir. Une carriole grinçait au loin dans la plaine. Ces paisibles campagnards bâlois furent tout à coup mis en émoi par l'arrivée d'un étranger. Même en plein jour, un étranger est quelque chose de rare dans ce petit village de Rünenberg; mais que dire d'un étranger qui s'amène à une heure indue, le soir, si tard, juste avant le coucher du soleil? Le chien noir resta la patte en l'air et les vieilles femmes laissèrent choir leur ouvrage. L'étranger venait de déboucher par la route de Soleure. Les enfants s'étaient d'abord portés à sa rencontre, puis ils s'étaient arrêtés, indécis. Quant au groupe des buveurs, « Au Sauvage », ils avaient cessé de boire et observaient l'étranger par en dessous. Celui-ci s'était arrêté à la première maison du pays et avait demandé qu'on veuille bien lui indiquer l'habitation du syndic de la commune. Le vieux Buser, à qui il s'adressait, lui tourna le dos et, tirant son petit-fils Hans par l'oreille, lui dit de conduire l'étranger chez le syndic. Puis il se remit à bourrer sa pipe, tout en suivant du coin de l’œil l'étranger qui s'éloignait à longues enjambées derrière l'enfant trottinant. On vit l'étranger pénétrer chez le syndic.

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Séquence n°2 lecture analytique 2

L'Or, Chapitre 2, 7Blaise Cendrars, 1925

Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n'en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous parlent de l'Ouest, ne parlent en somme que de l'Ouest.L'Ouest.Mot mystérieux.Voici la notion qu'il en a.De la vallée du Mississipi jusqu'au-delà des montagnes géantes, bien loin, bien loin, bien avant dans l'ouest, s'étendent des territoires immenses, des terres fertiles à l'infini. La prairie. La patrie des innombrables tribus peaux rouges et des grands troupeaux de bisons qui vont et viennent comme le flux de la mer.Mais après, mais derrière ?Il y a des récits d'Indiens qui parlent d'un pays enchanté, de villes d'or, de femmes qui n'ont qu'un sein. Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur chargement de fourrures ont entendu parler sous leur haute latitude de ces pays merveilleux de l'Ouest, où, disent-ils, les fruits sont d'or et d'argent.L'Ouest ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi y a-t-il tant d'hommes qui s'y rendent et qui n'en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux Rouges ; mais celui qui passe outre ? Il meurt de soif ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ? Qu'a-t-il vu ? Pourquoi y a-t-il tant parmi ceux qui passent chez moi qui piquent directement au nord et qui, à peine dans la solitude, obliquent brusquement à l'ouest ?La plupart vont à Santa Fé, cette colonie mexicaine avancée dans les montagnes Rocheuses, mais ce ne sont que de vulgaires marchands que le gain facile attire et qui ne s'occupent jamais de ce qu'il y a plus loin.Johann August Suter est un homme d'action.

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Séquence n°3 lecture analytique 3

L'Or, Chapitre 13, 52Blaise Cendrars, 1925

Extrait du discours de Kewen, premier maire de San Francisco :« … Ce pionnier, plein d'un grand courage et poussé par un étrange pressentiment, se détache des beaux souvenirs de sa jeunesse, s'arrache aux charmes de son foyer, abandonne le cercle familial, quitte sa patrie pour venir, par des sentiers insoupçonnés, se jeter dans le pays des aventures et des dangers. Il traverse des plaines arides sous un soleil de feu, il franchit des montagnes, des vallées, des chaînes rocheuses. Malgré la faim, la fièvre, la soif, malgré les sauvages sanguinaires qui lui dressent des embuscades et sont à son affût dans la prairie, il passe outre, les yeux fixés sur cet endroit du ciel où le soleil plonge tous les jours dans la mer de l'Ouest. Ce point l'attire comme le voyageur dans les Alpes de sa belle patrie qui ne quitte pas des yeux le sommet de la montagne recouvert de neiges éternelles, qui franchit les abîmes et les glaciers, et qui ne pense qu'au panorama grandiose et à l'air pur et vivifiant que l'on trouve sur ces hauteurs. « Et comme autrefois Moïse au sommet du Pisgah, c'est ainsi qu'il est debout sur la crête neigeuse de la Sierra, et son œil s'éclaire et son âme se réjouit : son regard découvre enfin la Terre promise. Mais, plus heureux que le législateur d'Israël, il lui est donné de pénétrer dans ce pays, et il y descend armé d'un nouveau courage et d'une force fraîche qui lui font braver la solitude et les privations, et lui permettent de dédier à Dieu ce nouveau pays qu'il vient de découvrir, à Dieu, à la liberté et à sa chère patrie, l'Helvétie.Dans l'Histoire des siècles écoulés et des peuples disparus il y a des noms de grands hommes qu'on ne peut jamais oublier. Epaminondas, vertu et amour de la patrie, rayonne comme une gloire sur l'histoire de la délivrance de Thèbes. Hannibal, le courageux, qui mena ses armées victorieuses par dessus les Alpes et foula le sol classique d'Italie, survivra longtemps à l'histoire de Carthage. En nommant Athènes, on nomme ses divins fils, et le nom de Rome est consacré par la gloire d'hommes illustres. Ainsi, dans les temps futurs, quand la plume de l'historien voudra tracer l'origine et la fondation de notre chère Patrie, qui sera alors un des plus puissants pays du monde, quand cette plume voudra décrire la misère et les privations du début et raconter la lutte pour la liberté de l'Ouest, un nom rayonnera au-dessus de tous : c'est celui de l'immortel SUTER ! »

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Séquence n°2 Document complémentaire, le mythe de l'OuestNB ; ce document est à lier à des extraits cinématographiques ; la Bande-annonce de How the West was won de John Ford, 1962, et la scène de duel dans Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone, 1968

Jules Laforgue, « Albums », Des Fleurs de bonne volonté, 1887

On m’a dit la vie au Far-West et les Prairies,Et mon sang a gémi : « Que voilà ma patrie !... »

Déclassé du vieux monde, être sans foi ni loi,Desperado ! là-bas, là-bas, je serais roi !....

Oh là-bas, m’y scalper de mon cerveau d’Europe !Piaffer, redevenir une vierge antilope,

Sans littérature, un gars de proie, citoyenDu hasard et sifflant l’argot californien !

Un colon vague et pur, éleveur, architecte,Chasseur, pêcheur, joueur, au-dessus des Pandectes !Entre la mer, et les États Mormons ! Des venaisons

Et du whisky ! vêtu de cuir, et le gazonDes Prairies pour lit, et des ciels des premiers âges

Riches comme des corbeilles de mariage !....Et puis quoi ? De bivouac en bivouac, et la Loi

De Lynch ; et aujourd’hui des diamants bruts aux doigts,Et ce soir nuit de jeu, et demain la refuite

Par la Prairie et vers la folie des pépites !....Et, devenu vieux, la ferme au soleil-levant,Une vache laitière et des petits-enfants....Et, comme je dessine au besoin, à l’entrée

Je mettrais : « Tatoueur des bras de la contrée ! »Et voilà. Et puis, si mon grand cœur de Paris

Me revenait, chantant : « Oh ! pas encor guéri !Et ta postérité, pas pour longtemps coureuse !.... »Et si ton vol, Condor des Montagnes-Rocheuses,

Me montrait l’Infini ennemi du confort,Eh bien, j’inventerais un culte d’Âge d’or,

Un code social, empirique et mystiquePour des Peuples Pasteurs, modernes et védiques !....

Oh ! qu’ils sont beaux les feux de paille ! qu’ils sont fous,Les albums ! et non incassables, mes joujoux !....

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séquence n°2 Document complémentaire, NB ; ce document est à lier à des extraits cinématographiques, la Bande-annonce de How the West was won de John Ford, 1962, et la scène de duel dans Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone, 1968

American Progress, John Gast, 1872

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Séquence n°2 ; document complémentaire la figure mythique Alexandre le Grand à travers l'art

La Bataille d'Issos, 1529, Altbrecht Altdorfer

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séquence n°2, document complémentaire la figure mythique d'Alexandre le Grand à travers l'art.

L'Entrée d'Alexandre le Grand dans Babylone, Charles Le Brun, 1665

César au tombeau d'Alexandre le Grand, Gustave Courtois, 1878

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Séquence n°3

Personnages de roman ; des figures de l'héroïsme ?

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Séquence 3, texte 1 (lecture analytique)

Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s'imaginent qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. Mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d'une femme, qui est d'aimer son mari et d'en être aimée.

Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fût dans une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le vidame alla au-devant d'elle ; il fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes.

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La Princesse de Clèves, Mme de La Fayette 1678

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Séquence 3, Texte 2 (lecture analytique)

Le monde est infâme et méchant, dit enfin la vicomtesse. Aussitôt qu'un malheur nous arrive, il se rencontre toujours un ami prêt à venir nous le dire, et à nous fouiller le cœur avec un poignard en nous en faisant admirer le manche. Déjà le sarcasme, déjà les railleries! Ah! je me défendrai. Elle releva la tête comme une grande dame qu'elle était, et des éclairs sortirent de ses yeux fiers.- Ah! fit-elle en voyant Eugène, vous êtes là! - Encore, dit-il piteusement. - Eh bien! monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l'être. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes. Quoique j'aie bien lu dans ce livre du monde, il y avait des pages qui cependant m'étaient inconnues. Maintenant je sais tout. Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint. N'acceptez les hommes et les femmes que comme les chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n'avez pas une femme qui s'intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante. Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor; ne le laissez jamais soupçonner, vous seriez perdu. Vous ne seriez plus le bourreau, vous deviendriez la victime. Si jamais vous aimiez, gardez bien votre secret ! ne le livrez pas avant d'avoir bien su à qui vous ouvrirez votre cœur. Pour préserver par avance cet amour qui n'existe pas encore, apprenez à vous méfier de ce monde-ci. Ecoutez-moi, Miguel... (Elle se trompait naïvement de nom sans s'en apercevoir.) Il existe quelque chose de plus épouvantable que ne l'est l'abandon du père par ses deux filles, qui le voudraient mort. C'est la rivalité des deux sœurs entre elles. Restaud a de la naissance, sa femme a été adoptée, elle a été présentée ; mais sa sœur, sa riche sœur, la belle madame Delphine de Nucingen, femme d'un homme d'argent, meurt de chagrin ; la jalousie la dévore, elle est à cent lieues de sa sœur ; sa sœur n'est plus sa sœur; ces deux femmes se renient entre elles comme elles renient leur père. Aussi, madame de Nucingen laperait-elle toute la boue qu'il y a entre la rue Saint-Lazare et la rue de Grenelle pour entrer dans mon salon. Elle a cru que de Marsay la ferait arriver à son but, et elle s'est faite l'esclave de de Marsay, elle assomme de Marsay. De Marsay se soucie fort peu d'elle. Si vous me la présentez, vous serez son Benjamin, elle vous adorera. Aimez-la si vous pouvez après, sinon servez-vous d'elle. Je la verrai une ou deux fois, en grande soirée, quand il y aura cohue; mais je ne la recevrai jamais le matin. Je la saluerai, cela suffira. Vous vous êtes fermé la porte de la comtesse pour avoir prononcé le nom du père Goriot. Oui, mon cher, vous iriez vingt fois chez madame de Restaud, vingt fois vous la trouveriez absente. Vous avez été consigné. Eh bien! que le père Goriot vous introduise près de madame Delphine de Nucingen. La belle madame de Nucingen sera pour vous une enseigne. Soyez l'homme qu'elle distingue, les femmes raffoleront de vous. Ses rivales, ses amies, ses meilleures amies voudront vous enlever à elle. Il y a des femmes qui aiment l'homme déjà choisi par une autre, comme il y a de pauvres bourgeoises qui, en prenant nos chapeaux, espèrent avoir nos manières. Vous aurez des succès. A Paris, le succès est tout, c'est la clef du pouvoir. Si les femmes vous trouvent de l'esprit, du talent, les hommes le croiront, si vous ne les détrompez pas. Vous pourrez alors tout vouloir, vous aurez le pied partout. Vous saurez alors ce qu'est le monde, une réunion de dupes et de fripons. Ne soyez ni parmi les uns ni parmi les autres. Je vous donne mon nom comme un fil d'Ariane pour entrer dans ce labyrinthe. Ne le compromettez pas, dit-elle en recourbant son cou et jetant un regard de reine à l'étudiant, rendez-le moi blanc. Allez, laissez-moi. Nous autres femmes, nous avons aussi nos batailles à livrer.

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Le Père Goriot, chapitre 1Balzac, 1834

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Séquence 3, texte 3 lecture analytique

Julien, jeune homme pauvre et ambitieux, est précepteur des enfants du maire, M. de Rênal. Il vient d’obtenir une double victoire : l’attention de la maîtresse de maison, et une augmentation de son salaire.

J’ai gagné une bataille, se dit-il aussitôt qu’il se vit dans les bois et loin du regard des hommes, j’ai donc gagné une bataille. Ce mot lui peignait en beau toute sa position, et rendit à son âme quelque tranquillité. Cette méditation sur ce qui avait pu faire peur à l’homme heureux et puissant contre lequel, une heure auparavant, il était bouillant de colère, acheva de rasséréner l’âme de Julien. Il fut presque sensible un moment à la beauté ravissante des bois au milieu desquels il marchait. D’énormes quartiers de roches nues étaient tombés jadis au milieu de la forêt du côté de la montagne. De grands hêtres s’élevaient presque aussi haut que ces rochers dont l’ombre donnait une fraîcheur délicieuse à trois pas des endroits où la chaleur des rayons du soleil eût rendu impossible de s’arrêter. Julien prenait haleine un instant à l’ombre de ces grandes roches, et puis se remettait à monter. Bientôt par un étroit sentier à peine marqué et qui sert seulement aux gardiens de chèvres, il se trouva debout sur un roc immense et bien sûr d’être séparé de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la position qu’il brûlait d’atteindre au moral. L’air pur de ces montagnes élevées communiqua la sérénité et même la joie à son âme. Le maire de Verrières était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous les insolents de la terre ; mais Julien sentait que la haine qui venait de l’agiter malgré la violence de ses mouvements, n’avait rien de personnel. S’il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours il l’eût oublié, lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. Je l’ai forcé, je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice. Quoi ! Plus de cinquante écus par an ! Un instant auparavant, je m’étais tiré du plus grand danger. Voilà deux victoires en un jour ; la seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment. Mais à demain les pénibles recherches. Julien, debout sur son grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher, quand elles se taisaient tout était silencieux autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque épervier parti des grandes roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps à autre, décrivant en silence ses cercles immenses. L’œil de Julien suivait machinalement l’oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement. C’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ?

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Le Rouge et le Noir Chapitre X, première partieStendhal, 1830

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Séquence 3,texte 4

Le village c’était réservé rien que pour l’État-major, ses chevaux, ses cantines, ses valises, et aussi pour ce saligaud de commandant. Il s’appelait Pinçon ce salaud là, le commandant Pinçon. J’espère qu’à l’heure actuelle il est bien crevé (et pas d’une mort pépère). Mais à ce moment-là, dont je parle, il était encore salement vivant le Pinçon. Il nous réunissait chaque soir les hommes de la liaison et puis alors il nous engueulait un bon coup pour nous remettre dans la ligne et pour essayer de réveiller nos ardeurs. Il nous envoyait à tous les diables, nous qui avions traîné toute la journée derrière le général. Pied à terre ! À cheval ! Repied à terre ! Comme ça à lui porter ses ordres, de-ci, de-là. On aurait aussi bien fait de nous noyer quand c’était fini. C’eût été plus pratique pour tout le monde.

« Allez-vous-en tous ! Allez rejoindre vos régiments ! Et vivement ! qu’il gueulait. – Où qu’il est le régiment, mon commandant ? qu’on demandait nous… – Il est à Barbagny. – Où que c’est Barbagny ? – C’est par là ! »

Par là, où il montrait, il n’y avait rien que la nuit, comme partout d’ailleurs, une nuit énorme qui bouffait la route à deux pas de nous et même qu’il n’en sortait du noir qu’un petit bout de route grand comme la langue.

Allez donc le chercher son Barbagny dans la fin d’un monde ! Il aurait fallu qu’on sacrifiât pour le retrouver son Barbagny au moins un escadron tout entier ! Et encore un escadron de braves ! Et moi qui n’étais point brave et qui ne voyais pas du tout pourquoi je l’aurais été brave, j’avais évidemment encore moins envie que personne de retrouver son Barbagny, dont il nous parlait d’ailleurs lui-même absolument au hasard. C’était comme si on avait essayé en m’engueulant très fort de me donner l’envie d’aller me suicider. Ces choses-là on les a ou on ne les a pas.

De toute cette obscurité si épaisse qu’il vous semblait qu’on ne reverrait plus son bras dès qu’on l’étendait un peu plus loin que l’épaule, je ne savais qu’une chose, mais cela alors tout à fait certainement, c’est qu’elle contenait des volontés homicides énormes et sans nombre.

Cette gueule d’État-major n’avait de cesse dès le soir revenu de nous expédier au trépas et ça le prenait souvent dès le coucher du soleil. On luttait un peu avec lui à coups d’inertie, on s’obstinait à ne pas le comprendre, on s’accrochait au cantonnement pépère tant bien que mal, tant qu’on pouvait, mais enfin quand on ne voyait plus les arbres, à la fin, il fallait consentir tout de même à s’en aller mourir un peu ; le dîner du général était prêt .

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Voyage au bout de la nuitChapitre 4, Céline, 1932

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Séquence n°4

Penser le bonheur humain; l'écriture de l'Utopie

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Séquence n°4 lecture analytique 1

Gargantua fait construire une abbaye idéale, Thélème, pour remercier Frère Jean des Entommeures d’avoir contribué à repousser Picrochole et son armée.

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté ou leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi avait décidé Gargantua. En leur règlement, il n'y avait que cette clause (1):

FAIS CE QUE VOUDRAS (2)parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, conversant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile soumission ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant qui les poussait vers la vertu, pour se libérer et s'affranchir du joug de la servitude, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu, et convoitons ce qui nous est refusé.

Grâce à cette liberté, ils entrèrent en rivalité pour faire tous ce qu'ils voyaient plaire à un seul Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « Buvons » tous buvaient ; s'il disait « Jouons », tous jouaient ; s'il disait « Allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c'était pour la chasse au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées (3), avec leur fier palefroi (4), portaient chacune sur leur poing finement ganté un épervier, un lanier (5), un émerillon (6) ; les hommes portaient les autres oiseaux. Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait aucun ou aucune parmi eux qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler cinq ou six langues, et s'en servir pour composer en vers comme en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si adroits à pied et à cheval, vigoureux, si vifs, et maniant si bien toutes les armes, que ceux qui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames si élégantes, si mignonnes, moins désagréables, plus habiles de leurs mains à tirer l'aiguille et à toute activité digne d'une femme noble et libre que celles qui étaient là. Pour ces raisons, quand le temps était venu pour l'un des membres de quitter cette abbaye, soit à la demande de ses parents, soit pour d'autres causes, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l'avait choisi pour chevalier servant, et ils se mariaient. Et s'ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l'amitié, ils le faisaient encore mieux dans le mariage ; ils s’aimaient autant à la fin de leurs jours qu'au premier de leurs noces.

Notes : 1. Clause : article d'un contrat que l'on s'engage à respecter. 2. La devise deThélème découle du nom de cette abbaye d'un nouveau genre, qui signifie en grec «vouloir ». 3. Haquenée : jument facile à monter. 4. Palefroi : cheval de promenade, richement harnaché. 5. Lanier: faucon mâle dressé. 6. Émerillon : petit faucon.

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RABELAIS, Gargantua, extrait du ch. 57,

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Séquence n°4 lecture analytique 2

L’âme qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain encore le corps. Elle doit faire luire jusques au dehors son repos et son aise ; doit former à son moule le port extérieur, et l’armer par conséquent d’une gracieuse fierté, d’un maintien actif et allègre, et d’une contenance contente et débonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c’est une éjouissance constante : son état est comme des choses au-dessus de la lune : toujours serein. C’est « baroco » et « baralipton »(1) qui rendent leurs suppôts ainsi crottés et enfumés, ce n’est pas elle : ils ne la connaissent que par ouï dire. Comment ? elle fait état de sereiner les tempêtes de l’âme et d’apprendre la faim et les fièvres à rire, non par quelques épicycles(2) imaginaires, mais par raison naturelles et palpables. Elle a pour but la vertu, qui n’est pas, comme dit l’école, plantée à la tête d’un mont coupé, raboteux et inaccessible. Ceux qui l’ont approchée la tiennent, au rebours, logée dans une belle plaine fertile et fleurissante, d’où elle voit bien sous soi toutes choses ; mais si peut-on y arriver, qui en sait l’adresse, par des routes ombrageuses, gazonnées et doux fleurantes, plaisamment et d’une pente facile et polie, comme est celle des voûtes célestes. Pour n’avoir hanté cette vertu suprême, belle, triomphante, amoureuse, délicieuse, pareillement et courageuse, ennemie professe et irréconciliable d’aigreur, de déplaisir, de criante et de contrainte, ayant pour guide nature, fortune et volupté pour compagnes, ils sont allés, selon leur faiblesse, feindre cette sotte image, triste, querelleuse, dépite, menaceuse, mineuse, et la placer sur un rocher, à l’écart, emmi des ronces, fantôme à étonner les gens.

Baroco et baralipton ; termes qui permettent de mémoriser des formes de syllogismesépicycles : invention des astronomes pour tenter de rendre compte du mouvement apparent des astres.Texte de 1588Ajout (après 1588)

Traduction de André Lanly, édition Gall, 2009 ;L'âme qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain le corps lui aussi. Elle doit faire luire jusqu'au dehors sa tranquillité et son bonheur ; elle doit former à son moule le port extérieur et l'armer par conséquent d'une fierté gracieuse, d'un maintien actif et allègre et d'une physionomie calme et amène. Le signe distinctif le plus net de la sagesse est une constante bonne humeur : son état est comme celui des choses sous la lune : toujours serein. C'est barroco et baralipton qui rendent leurs serviteurs ainsi crottés et enfumés, ce n'est pas elle ; ils ne la connaissent que par ouï-dire.Comment [est-elle] ? Elle se propose d'apaiser les tempêtes de l'âme et d'apprendre à rire à ceux qui souffrent de la faim et des fièvres, non par quelques épicycles imaginaires, mais par des raisons naturelles et palpables. Elle a pour but la vertu qui n'est pas, comme le dit l'école, plantée au sommet d'un mont abrupt, raboteux et inaccessible. Ceux qui l'ont approchée estiment au contraire qu'elle est logée sur un beau plateau fertile et fleuri d'où elle voit bien des choses sous elle ; et même si l'on peut parvenir jusqu'à elle, à condition de connaître la bonne direction, c'est par des routes ombragées, gazonnées et doux fleurantes, agréablement et par une pente facile et unie comme est celle des coûtes célestes. Parce qu'ils n'ont pas fréquenté familièrement cette vertu suprême, belle, triomphante, amoureuse, délicieuse tout ensemble et courageuse, ennemie déclarée et irréconciliable de l'aigreur, du déplaisir, de la crainte et de la contrainte, ayant pour guide la nature, pour compagne la bonne fortune et la volupté, ils sont allés, faibles qu'ils sont, imaginer cette sotte image triste, querelleuse, maussade, menaçante, faisant une mine renfrognée, et la placer sur un rocher, parmi les ronces, fantôme propre à effrayer les gens.

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Montaigne, Essais, Livre I, chapitre XXVI

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Séquence n°4 lecture analytique 3

Le navigateur Bougainville a raconté son voyage à Tahiti.. Diderot rédige un supplément fictif au Voyage de Bougainville ; il y donne la parole à un vieux tahitien...

C’est un vieillard qui parle. Il était père d'une famille nombreuse. A l'arrivée des Européens, il laissa tomber des regards de dédain sur eux sans marquer ni étonnement, ni frayeur, ni curiosité. Ils l'abordèrent ; il leur tourna le dos et se retira dans sa cabane. Son silence et son souci ne décelaient que trop sa pensée : il gémissait en lui-même sur les beaux jours de son pays éclipsés. Au départ de Bougainville, lorsque les habitants accouraient en foule sur le rivage, s'attachaient à ses vêtements, serraient ses camarades entre leurs bras, et pleuraient, ce vieillard s'avança d'un air sévère, et dit : «Pleurez, malheureux Tahitiens ! pleurez ; mais que ce soit de l'arrivée, et non du départ de ces hommes ambitieux et méchants : un jour vous les connaîtrez mieux. Un jour, ils reviendront, le morceau de bois que vous voyez attaché à la ceinture de celui-ci, dans une main, et le fer qui pend au côté de celui-là, dans l'autre, vous enchaîner, vous égorger, ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices ; un jour, vous servirez sous eux, aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu'eux. Mais je me console ; je touche à la fin de ma carrière, et la calamité que je vous annonce, je ne la verrai point. Ô Tahitiens ! ô amis ! vous auriez un moyen d'échapper à un funeste avenir ; mais j’aimerais mieux mourir que de vous en donner le conseil. Qu'ils s'éloignent, et qu'ils vivent. »

Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : « Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature : et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles, nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? Orou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles, dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de l'être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t'emparer comme de la brute, le Tahitien, est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance, contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris, parce que nous n'avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos cabanes, qu'y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu'où tu voudras ce que tu appelles commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s'arrêter, lorsqu'ils n'auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. »

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DIDEROT, Supplément au voyage de Bougainville, 1772

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Séquence n°4, lecture analytique 4

Adoam, un habitant de Tyr, décrit à Télémaque les merveilles de la Bétique. L'évocation cette société idéale contient une critique implicite de la monarchie absolue. Ce pays semble avoir conservé les délices de l'âge d'or. Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons n'y soufflent jamais. L’ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants, qui viennent adoucir l'air vers le milieu du jour. Ainsi toute l'année n'est qu’un heureux hymen du printemps et de l'automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson. Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris. Les montagnes sont couvertes de troupeaux, qui fournissent des laines fines recherchées de toutes les nations connues. Il y a plusieurs mines d'or et d'argent dans ce beau pays; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l'or et l'argent parmi leurs richesses: ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme. [ ... ] Ils ont horreur de notre politesse; et il faut avouer que la leur est grande dans leur aimable simplicité. Ils vivent tous ensemble sans partager les terres; chaque famille est gouvernée par son chef, qui en est le véritable roi. Le père de famille est en droit de punir chacun de ses enfants ou petits-enfants qui fait une mauvaise action ;mais avant que de le punir, il prend les avis du reste de la famille. Ces punitions n’arrivent presque jamais ; car l’innocence des mœurs, la bonne foi, l’obéissance et l’horreur du vice habitent cette heureuse terre. Il semble qu’Astrée, qu’on dit qui est retirée dans le ciel, est encore ici-bas cachée parmi ces hommes. Il ne faut point de juges parmi eux, car leur propre conscience les juge. Tous les biens sont communs : les fruits des arbres, les légumes de la terre, le lait des troupeaux sont des richesses si abondantes, que des peuples si sobres et si modérés n’ont pas besoin de les partager. Chaque famille, errante dans ce beau pays transporte ses tentes d'un lieu à un autre, quand elle a consumé les fruits et épuisé les pâturages de l'endroit où elle s'était mise. Ainsi, ils n'ont point d'intérêts à soutenir les uns contre les autres, et ils s'aiment tous d'une amour fraternelle que rien ne trouble. C'est le retranchement des vaines richesses et des plaisirs trompeurs qui leur conserve cette paix, cette union et cette liberté. Ils sont tous libres et tous égaux. On ne voit parmi eux aucune distinction que celle qui vient de l'expérience des sages vieillards ou de la sagesse extraordinaire de quelques jeunes hommes qui égalent les vieillards consommés en vertu. La fraude, la violence, le parjure, les procès, les guerres ne font jamais entendre leur voix cruelle et empestée dans ce pays chéri des dieux. Jamais le sang humain n'a rougi cette terre; à peine y voit-on couler celui des agneaux. Quand on parle à ces peuples de batailles sanglantes, des rapides conquêtes, des renversements d'états qu'on voit dans les autres nations, ils ne peuvent assez s'étonner. "Quoi! disent-ils, les hommes ne sont-ils pas assez mortels, sans se donner encore les uns aux autres une mort précipitée? La vie est si courte ! Et il semble qu'elle leur paraisse trop longue ! Sont-ils sur la terre pour se déchirer les uns les autres et pour se rendre mutuellement malheureux?

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Les Aventures de Télémaque, livre VII, 1699Fénelon

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Séquence 4, lecture analytique 5Mon Utopie, Albert Jacquard, 2006

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Séquence n°4, lecture analytique 6

Droit Humain, Mon Utopie, Albert Jacquard, 2006

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Séquence n°4, lecture analytique 7

Mon Utopie, « La Cité où tout est école »Albert Jacquard, 2006

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Séquence 4, document complémentaire, description d'Amaurote

Les deux rives de l’Anhydre sont mises en rapport au moyen d’un pont de pierre, construit en arcades merveilleusement voûtées. Ce pont se trouve à l’extrémité de la ville la plus éloignée de la mer, afin que les navires puissent aborder à tous les points de la rade.

Une autre rivière, petite, il est vrai, mais belle et tranquille, coule aussi dans l’enceinte d’Amaurote. Cette rivière jaillit à peu de distance de la ville, sur la montagne où celle-ci est placée, et, après l’avoir traversée par le milieu, elle vient marier ses eaux à celles de l’Anhydre. Les Amaurotains en ont entouré la source de fortifications qui la joignent aux faubourgs. Ainsi, en cas de siège, l’ennemi ne pourrait ni empoisonner la rivière, ni en arrêter ou détourner le cours. Du point le plus élevé, se ramifient en tous sens des tuyaux de briques, qui conduisent l’eau dans les bas quartiers de la ville. Là où ce moyen est impraticable, de vastes citernes recueillent les eaux pluviales, pour les divers usages des habitants.

Une ceinture de murailles hautes et larges enferme la ville, et, à des distances très rapprochées, s’élèvent des tours et des forts. Les remparts, sur trois côtés, sont entourés de fossés à sec, mais larges et profonds, embarrassés de haies et de buissons. Le quatrième côté a pour fossé le fleuve lui-même.

Les rues et les places sont convenablement disposées, soit pour le transport, soit pour abriter contre le vent. Les édifices sont bâtis confortablement ; ils brillent d’élégance et de propreté et forment deux rangs continus, suivant toute la longueur des rues, dont la largeur est de vingt pieds.

Derrière et entre les maisons se trouvent de vastes jardins. Chaque maison a une porte sur la rue et une porte de jardin. Ces deux portes s’ouvrent aisément d’un léger coup de main, et laissent entrer le premier venu.

Les Utopiens appliquent en ceci le principe de la possession commune. Pour anéantir jusqu’à l’idée de la propriété individuelle et absolue, ils changent de maison tous les dix ans et tirent au sort celle qui doit leur tomber en partage.

Les habitants des villes soignent leurs jardins avec passion ; ils y cultivent la vigne, les fruits, les fleurs et toutes sortes de plantes. Ils mettent à cette culture tant de science et de goût, que je n’ai jamais vu ailleurs plus de fertilité et d’abondance réunies à un coup d’œil plus gracieux. Le plaisir n’est pas le seul mobile qui les excite au jardinage ; il y a émulation entre les différents quartiers de la ville, qui luttent à l’envi à qui aura le jardin le mieux cultivé.

Vraiment, l’on ne peut rien concevoir de plus agréable ni de plus utile aux citoyens que cette occupation. Le fondateur de l’empire l’avait bien compris, car il appliqua tous ses efforts à tourner les esprits vers cette direction

Amaurote : ville principale de l’île d’Utopie. L’Anhydre est le fleuve qui la traverse.

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Thomas More, l’Utopie, 1516

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Séquence n°4, document complémentaire

Le Gênois : Je rencontrai sans tarder une troupe considérable d’hommes et de femmes en larmes. Nombreux étaient ceux qui entendaient ma langue ; ils me conduisirent à la Cité du Soleil.L’Hospitalier : Dis-moi à quoi elle ressemble et comment elle est gouvernée.Le Gênois : Au sein d’une vaste étendue découverte s’élève une colline ; c’est là qu’est situé le gros de l’agglomération. Cependant son enceinte déborde largement le pied de l’éminence, ce qui donne à la ville plus de deux milles de diamètre et sept de pourtour et lui permet de contenir plus d’habitations que si elle se trouvait toute dans la plaine. Sept grands cercles qui portent le nom des sept planètes la constituent. L’accès de l’un à l’autre est assuré par quatre routes et quatre portes orientées sur les quatre aires du vent. Mais tout est disposé de telle manière qu’après la prise du premier cercle l’on rencontrerait plus de difficultés au deuxième et ainsi de suite ; et il faudrait la prendre sept fois d’assaut pour la vaincre. Mais je crois que le premier cercle est lui-même imprenable tant il est large et protégé de terre, avec ses boulevards, ses tours, son artillerie et, plus avant, ses fossés.

Nous entrâmes par la porte du nord, qui est recouverte de fer et qu’un mécanisme ingénieux fait lever et retomber. L’on aperçoit alors un espace de cinquante pas qui sépare la première muraille de la seconde. Une chaîne continue de palais qui semblent n’en former qu’un s’appuie au mur et en suit le mouvement. Au-dessus l’on a construit des balcons de garde bâtis avec des colonnes, et qui ressemblent aux cloîtres de nos religieux ; au bas il n’y d’entrée que du côté qui regarde vers l’intérieur du palais. Les chambres qui comportent des fenêtres orientées vers l’intérieur et vers l’extérieur sont belles ; un petit mur les sépare les unes des autres. Le mur extérieur a huit palmes d’épaisseur, le mur intérieur trois, et les murs médians environ un.

L’on arrive ensuite à la deuxième terrasse, inférieure en largeur de deux ou trois pas. On aperçoit la seconde enceinte avec ses balcons surplombants et ses galeries. Vers l’intérieur, il y a un mur circulaire qui enserre les palais compris dans cette terrasse. Ici, les cloîtres ont des colonnes situées en bas et en haut de belles peintures ; ainsi d’étage en étage, l’on arrive à la dernière enceinte ; l’on ne monte qu’au passage des portes, qui sont doubles, une vers l’extérieur, l’autre vers l’intérieur ; mais les escaliers sont tels qu’ils rendent la montée insensible car les degrés sont inclinés et d’un relief à peine perceptible.

Au sommet de la colline s’étend une vaste esplanade. Un temple monumental merveilleusement conçu se dresse au milieu.

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Tommaso Campanella, la Cité du Soleil, 1623

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Séquence n°5

Le Conflit théâtral ;entre duel et duo

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Séquence n°5 Le conflit au théâtrelecture analytique n°1

Horace, Acte IV scène 5Corneille, 1640

Pour éviter une guerre entre Rome et Albe, villes cousines mais ennemies, les champions des deux villes (Les Horace pour Rome et les Curiace pour Albe) se sont affrontés dans un combat à mort. Or, ces deux familles étaient liées par le mariage de Sabine (sœur Curiace) et l'aîné des Horace, et Camille (sœur des Horace) s'apprêtait à épouser à son tour le fils ainé des Curiaces. Son frère a donc assassiné son fiancé. Cette scène présente leur confrontation au retour d'Horace.

SCÈNE V.Horace, Camille, Procule.Procule porte en sa main les trois épées des Curiaces.

HORACEMa soeur, voici le bras qui venge nos deux frères,Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires,Qui nous rend maîtres d'Albe ; enfin voici le brasQui seul fait aujourd'hui le sort de deux états ;Et rends ce que tu dois à l'heur de ma victoire.

CAMILLERecevez donc mes pleurs, c'est ce que je lui dois.

HORACERome n'en veut point voir après de tels exploits,Et nos deux frères morts dans le malheur des armes

Sont trop payés de sang pour exiger des larmes :Quand la perte est vengée, on n'a plus rien perdu.

CAMILLEPuisqu'ils sont satisfaits par le sang épandu,Je cesserai pour eux de paraître affligée,Et j'oublierai leur mort que vous avez vengée ;Mais qui me vengera de celle d'un amant,Pour me faire oublier sa perte en un moment ?

HORACEQue dis-tu, malheureuse ?

CAMILLEô mon cher Curiace !

HORACEÔ d'une indigne soeur insupportable audace !D'un ennemi public dont je reviens vainqueurLe nom est dans ta bouche et l'amour dans ton coeur !Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire !Ta bouche la demande, et ton coeur la respire !Suis moins ta passion, règle mieux tes désirs,Ne me fais plus rougir d'entendre tes soupirs ;Tes flammes désormais doivent être étouffées ;Bannis-les de ton âme, et songe à mes trophées :Qu'ils soient dorénavant ton unique entretien.

CAMILLEDonne-moi donc, barbare, un coeur comme le tien ;Et si tu veux enfin que je t'ouvre mon âme,Rends-moi mon Curiace, ou laisse agir ma flamme :Ma joie et mes douleurs dépendaient de son sort ;Je l'adorais vivant, et je le pleure mort.Ne cherche plus ta soeur où tu l'avais laissée ;

Tu ne revois en moi qu'une amante offensée,Qui comme une furie attachée à tes pas,Te veut incessamment reprocher son trépas.Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes,Qui veux que dans sa mort je trouve encore des charmes,Et que jusques au ciel élevant tes exploits,Moi-même je le tue une seconde fois !Puissent tant de malheurs accompagner ta vie,Que tu tombes au point de me porter envie ;Et toi, bientôt souiller par quelque lâchetéCette gloire si chère à ta brutalité !

HORACEÔ ciel ! Qui vit jamais une pareille rage !Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage,Que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur ?Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur,Et préfère du moins au souvenir d'un hommeCe que doit ta naissance aux intérêts de Rome.

CAMILLERome, l'unique objet de mon ressentiment !Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !Rome qui t'a vu naître, et que ton coeur adore !Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !Puissent tous ses voisins ensemble conjurésSaper ses fondements encore mal assurés !Et si ce n'est assez de toute l'Italie,Que l'orient contre elle à l'occident s'allie ;Que cent peuples unis des bouts de l'universPassent pour la détruire et les monts et les mers !Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,Et de ses propres mains déchire ses entrailles !Que le courroux du ciel allumé par mes voeuxFasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudreVoir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,Voir le dernier Romain à son dernier soupir,Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !

HORACE, mettant l'épée, à la main, et poursuivant sa soeur qui s'enfuit.C'est trop, ma patience à la raison fait place ;Va dedans les enfers joindre ton Curiace

Camille, blessée derrière le théâtre.Ah ! Traître !

HoraceAinsi reçoive un châtiment soudainQuiconque ose pleurer un ennemi romain !

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Séquence n°5Lecture analytique 2Le Prince travesti, acte II, scène7Marivaux, 1724

LÉLIO.Oui, Madame, je vois bien que votre résolution est prise. La seule espérance d'être uni pour jamais avec vous m'arrêtait encore ici ; je m'étais flatté, je l'avoue ; mais c'est bien peu de chose que l'intérêt que l'on prend à un homme à qui l'on peut parler comme vous le faites. Quand je vous apprendrais qui je suis, cela ne servirait de rien; vos refus n'en seraient que plus affligeants. Adieu, Madame ; il n'y a plus de séjour ici pour moi ; je pars dans l'instant, et je ne vous oublierai jamais. Il s'éloigne.HORTENSE, pendant qu'il s'en va.Oh ! Je ne sais plus où j'en suis ; je n'avais pas prévu ce coup-là. Elle l'appelle.Lélio ! LÉLIO, revenant.Que me voulez-vous, Madame ? HORTENSE.Je n'en sais rien ; vous êtes au désespoir, vous m'y mettez, je ne sais encore que cela. LÉLIO.Vous me haïrez si je ne vous quitte. HORTENSE.Je ne vous hais plus quand vous me quittez. LÉLIO.Daignez donc consulter votre cœur. HORTENSE.Vous voyez bien les conseils qu'il me donne ; vous partez, je vous rappelle ; je vous rappellerai, si je vous renvoie ; mon cœur ne finira rien. LÉLIO.Eh ! Madame, ne me renvoyez plus ; nous échapperons aisément à tous les malheurs que vous craignez ; laissez-moi vous expliquer mes mesures, et vous dire que ma naissance... HORTENSE, vivement.Non, je me retrouve enfin, je ne veux plus rien entendre. Échapper à nos malheurs ! Ne s'agit-il pas de sortir d'ici ? Le pourrons-nous ? N'a-t-on pas les yeux sur nous ? Ne serez-vous pas arrêté ? Adieu ; je vous dois la vie ; je ne vous devrai rien, si vous ne sauvez la vôtre. Vous dites que vous m'aimez ; non, je n'en crois rien, si vous ne partez. Partez donc, ou soyez mon ennemi mortel ; partez, ma tendresse vous l'ordonne ; ou restez ici l'homme du monde le plus haï de moi, et le plus haïssable que je connaisse. Elle s'en va comme en colère.LÉLIO, d'un air de dépit.Je partirai donc, puisque vous le voulez ; mais vous prétendez me sauver la vie, et vous n'y réussirez pas. HORTENSE, se retournant de loin.Vous me rappelez donc à votre tour ? LÉLIO.J'aime autant mourir que de ne vous plus voir. HORTENSE.Ah ! Voyons donc les mesures que vous voulez prendre.LÉLIO, transporté de joie.Quel bonheur ! Je ne saurais retenir mes transports. 43/59

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Séquence 5 lecture analytique 3Hernani, acte IV, scène 4

Victor Hugo, 1830

Hernani est un ennemi de Don Carlos, roi d'Espagne, futur Charles Quint. Les deux hommes aiment la même femme, Dona Sol. L'acte IV se déroule dans le tombeau de Charlemagne à Aix-la Chapelle. Dans cette scène, Don Carlos vient juste d'être désigné empereur ; il prend en flagrant délit de conjuration un ensemble de grands d'Espagne, parmi lesquels se trouve Hernani, dont les conjurés ne connaissaient pas la véritable identité.DON CARLOS, aux conjurés.Silence tous. — Votre âme est-elle raffermie ?Il convient que je donne au monde une leçon.Lara le castillan et Gotha le saxon,Vous tous ! Que venait-on faire ici ? Parlez !HERNANI, fait un pas. Sire,La chose est toute simple ; et l’on peut vous la dire.Nous gravions la sentence au mur de Balthazar ;Il tire un poignard et l’agite.Nous rendions à César ce qu’on doit à César.DON CARLOS, à don Ruy Gomez.Bien ! — vous traître, Silva ?DON RUY GOMEZ. Lequel de nous deux, sire ?HERNANI, se tournant vers les conjurés.Nos têtes et l’empire !… il a ce qu’il désire.A l’empereur.Le bleu manteau des rois pouvait gêner vos pas.Le pourpre vous va mieux, le sang n’y paraît pas !DON CARLOS, à don Ruy Gomez.Mon cousin de Silva, c’est une félonieA faire du blason rayer ta baronnie !C’est haute trahison, don Ruy, songes-y bien.DON RUY GOMEZ.Les rois Rodrigue font les comtes Julien.DON CARLOS, au duc d’Alcala.Ne prenez que ce qui peut être duc ou comte.Le reste !…Les grands seigneurs sortent du groupe des conjurés où est resté Hernani. Le duc d’Alcala les entoure de gardes.DOÑA SOL, à part.Il est sauvé !…44/59

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HERNANI, sortant du groupe des conjurés.Je prétends qu’on me compte !A don Carlos.Puisqu’il s’agit de hache ici ; puisqu’Hernani,Pâtre obscur, sous tes pieds passerait impuni ;Puisque son front n’est plus au niveau de ton glaive ;Puisqu’il faut être grand pour mourir, — je me lève !Dieu, qui donne le sceptre et qui te le donna,M’a fait duc de Ségorbe et duc de Cardona,Marquis de Monroy, comte Albatera, vicomteDe Gor, seigneur de lieux dont j’ignore le compte.Je suis Jean D’Aragon, grand-maître d’Avis, né Dans l’exil, fils proscrit d’un père assassinéPar sentence du tien, roi Carlos de Castille.Le meurtre est entre nous affaire de famille.Vous avez l’échafaud, nous avons le poignard.Donc le ciel m’a fait duc, et l’exil montagnard.Mais puisque j’ai sans fruit aiguisé mon épéeSur les monts, et dans l’eau des torrents retrempée,Il met son chapeau.Couvrons-nous, grands d’Espagne.Tous les conjurés grands d’Espagne se couvrent en même temps.Oui, nos têtes, ô roi,Marquis de Monroy, comte Albatera, vicomteDe Gor, seigneur de lieux dont j’ignore le compte.Je suis Jean D’Aragon, grand-maître d’Avis, né Dans l’exil, fils proscrit d’un père assassinéPar sentence du tien, roi Carlos de Castille.Le meurtre est entre nous affaire de famille.Vous avez l’échafaud, nous avons le poignard.Donc le ciel m’a fait duc, et l’exil montagnard.Mais puisque j’ai sans fruit aiguisé mon épéeSur les monts, et dans l’eau des torrents retrempée,Il met son chapeau.Couvrons-nous, grands d’Espagne.Tous les conjurés grands d’Espagne se couvrent en même temps.Oui, nos têtes, ô roi,, j’avais oublié cette histoire.HERNANI.Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire.L’affront que l’offenseur oublie en insensé,Vit, et toujours remue au cœur de l’offensé !DON CARLOS.Donc, je suis, c’est un titre à n’en point vouloir d’autres,Fils de pères qui font choir la tête des vôtres ?DOÑ A SOL, à genoux devant l’empereur.Sire ! Pardon ! Pitié, sire ! Soyez clément !Ou frappez-nous tous deux, car il est mon amant,Mon époux. En lui seul je respire ! Oh ! Je tremble !…Sire ! Ayez la pitié de nous tuer ensemble !Majesté ! Je me traîne à vos sacrés genoux !45/59

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Je l’aime ! Il est à moi comme l’empire à vous !…— Oh ! Grâce !L’empereur la regarde immobile. Quel penser sinistre vous absorbe ?DON CARLOS, avec un soupir profond.Allons, relevez-vous, duchesse de Ségorbe,Comtesse Albatera, marquise de Monroy…A Hernani.Tes autres noms, don Juan ?HERNANI. Qui parle ainsi ? Le roi ?DON CARLOS.Non, l’empereur.DOÑA SOL, se relevant.Grand Dieu !DON CARLOS, la montrant à Hernani.Duc, voilà ton épouse.HERNANI, les yeux au ciel.Juste dieu !DON CARLOS, à don Ruy Gomez.Mon cousin, ta noblesse est jalouse,Je sais ; mais Aragon peut épouser Silva.DON RUY GOMEZ, sombre.Ce n’est pas ma noblesse.HERNANI, regardant dona Sol avec amour et la tenant embrassée.Oh ! Ma haine s’en va !

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Séquence 5Lecture analytique 3 Les Bonnes, acte I,1Jean Genet, 1947La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond, une fenêtre ouverte sur la façade de l’immeuble en face. A droite, le lit. A gauche, une porte et une commode. Des fleurs à profusion. C’est le soir. L’actrice qui joue Solange est vêtue d’une petite robe noire de domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de souliers noirs à talons plats. Claire, debout, en combinaison, tournant le dos à la coiffeuse. Son geste –le bras tendu– et le ton seront d’un tragique exaspéré. Et ces gants ! Ces éternels gants ! Je t’ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C’est avec ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non, ne mens pas, c’est inutile. Pends-les au-dessus de l’évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas être souillée ? Tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes crachats ! Mais cesse ! Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de gants de caoutchouc, observant ses mains gantées, tantôt en bouquet, tantôt en éventail. Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas, nous avons le temps. Sors ! Solange change soudain d’attitude et sort humblement, tenant du bout des doigts les gants de caoutchouc. Claire s’assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les objets de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage. Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas là ? (Elle se retourne.) Claire ! Claire ! Entre Solange. Solange Que Madame m’excuse, je préparais le tilleul (Elle prononce tillol.) de Madame. Claire Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L’éventail, les émeraudes. Solange Tous les bijoux de Madame ? Claire Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d’hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années. Solange prend dans l’armoire quelques écrins qu’elle ouvre et dispose sur le lit. Pour votre noce sans doute. Avouez qu’il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le ! Solange s’accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis. Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu’ils dorment en vous, ma fille, qu’ils y croupissent. Ah ! ah ! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) pensez-vous qu’il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la brume de vos marécages ? Solange, à genoux et très humble. Je désire que Madame soit belle. Claire, elle s’arrange dans la glace. Vous me détestez, n’est-ce pas ? Vous m’écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. (Elle se lève et d’un ton plus bas.) On s’encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. C’est mortel. (Elle se mire encore.) Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais. Jean Genet, Les Bonnes (1947), © Marc Barbezat, éd. L’Arbalète.

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Les Justes

Albert Camus

(1949)

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Séquence 6 Lecture analytique 1 Les Justes, acte I

Albert Camus, 1949

On sonne. Deux coups, puis un seul. Dora s'élance.ANNENKOV : C'est Yanek.STEPAN : Ce n'est pas le même signal.ANNENKOV :Yanek s'est amusé à le changer. Il a son signal personnel.Stepan hausse les épaules. On entend Dora parler dans l'antichambre. Entrent Dora et Kaliayev, se tenant par le bras, Kaliayev rit.DORA : Yanek. Voici Stepan qui remplace Schweitzer.KALIAYEV : Sois le bienvenu, frère.STEPAN : Merci.Dora et Kaliayev vont s'asseoir, face aux autres.ANNENKOV : Yanek, es-tu sûr de reconnaître la calèche ?KALIAYEV : Oui, je l'ai vue deux fois, à loisir. Qu'elle paraisse à l'horizon et je la reconnaîtrai entre mille ! J'ai noté tous les détails. Par exemple, un des verres de la lanterne gauche est ébréché.VOINOV : Et les mouchards ?KALIAYEV : Des nuées. Mais nous sommes de vieux amis. Ils m'achètent des cigarettes. (Il rit.)ANNENKOV : Pavel a-t-il confirme le renseignement ?KALIAYEV : Le grand-duc ira cette semaine au théâtre. Dans un moment, Pavel connaîtra le jour exact et remettra un message au portier. (Il se tourne vers Dora et rit.) Nous avons de la chance, Dora.DORA, le regardant : Tu n'es plus colporteur ? Te voilà grand seigneur à présent. Que tu es beau. Tu ne regrettes pas ta touloupe ?KALIAYEV, il rit : C'est vrai, j'en étais très fier. (À Stepan et Annenkov.) J'ai passé deux mois à observer les colporteurs, plus d'un mois à m'exercer dans ma petite chambre. Mes collègues n'ont jamais eu de soupçons. « Un fameux gaillard, disaient-ils. Il vendrait même les chevaux du tsar. » Et ils essayaient de m'imiter à leur tour. DORA : Naturellement, tu riais.KALIAYEV : Tu sais bien que je ne peux m'en empêcher. Ce déguisement cette nouvelle vie... Tout m'amusait.DORA : Moi, je n'aime pas les déguisements. (Elle montre sa robe.) Et puis, cette défroque luxueuse ! Boria aurait pu me trouver autre chose. Une actrice ! Mon cœur est simple.KALIAYEV, il rit : Tu es si jolie, avec cette robe.DORA : Jolie ! Je serais contente de l'être. Mais il ne faut pas y penser.KALIAYEV : Pourquoi ? Tes yeux sont toujours tristes, Dora. Il faut être gaie, il faut être fière. La beauté existe, la joie existe ! « Aux lieux tranquilles où mon cœur te souhaitait...DORA, souriant : Je respirais un éternel été... »KALIAYEV : Oh ! Dora, tu te souviens de ces vers. Tu souris ? Comme je suis heureux...STEPAN, le coupant : Nous perdons notre temps. Boria, je suppose qu'il faut prévenir le portier ?

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Lecture analytique 2 séquence n°6

Les Justes, Acte IIAlbert Camus, 1949

KALIAYEV, égaré. Je ne pouvais pas prévoir... Des enfants, des enfants sur-tout. As-tu regardé des enfants ? Ce regard grave qu'ils ont parfois... Je n'ai jamais pu soutenir ce regard... Une seconde auparavant, pourtant, dans l'ombre, au coin de la petite place, j'étais heureux. Quand les lanternes de la calèche ont commencé à briller au loin, mon cœur s'est mis à battre de joie, je te le jure. Il battait de plus en plus fort à mesure que le roulement de la calèche grandissait. Il faisait tant de bruit en moi. J'avais envie de bondir. Je crois que je riais. Et je disais « oui, oui »... Tu comprends ? Il quitte Stepan du regard et reprend son attitude affaissée. J'ai couru vers elle. C'est à ce moment que je les ai vus. Ils ne riaient pas, eux. Ils se tenaient tout droits et regardaient dans le vide. Comme ils avaient l'air triste ! Perdus dans leurs habits de parade, les mains sur les cuisses, le buste raide de chaque coté de la portière ! Je n'ai pas vu la grande-duchesse. Je n'ai vu qu'eux. S'ils m'avaient regardé, je crois que j'aurais lancé la bombe. Pour éteindre au moins ce regard triste. Mais ils regardaient toujours devant eux. Il lève les yeux vers les autres. Silence. Plus bas encore. Alors, je ne sais pas ce qui s'est passé. Mon bras est devenu faible. Mes jambes tremblaient. Une seconde après, il était trop tard. (Silence. Il regarde à terre.) Dora, ai-je rêvé, il m'a semblé que les cloches sonnaient à ce moment-là ?

DORA Non, Yanek, tu n'as pas rêvé. Elle pose la main sur son bras. Kaliayev relève la tête et les voit tous tournés vers lui. Il se lève.

KALIAYEV Regardez-moi, frères, regarde-moi, Boria, je ne suis pas un lâche, je n'ai pas reculé. Je ne les attendais pas. Tout s'est passé trop vite. Ces deux petits visages sérieux et dans ma main, ce poids terrible. C'est sur eux qu'il fallait le lancer. Ainsi. Tout droit. Oh, non ! Je n'ai pas pu. Il tourne son regard de l'un à l'autre. Autrefois, quand je conduisais la voiture, chez nous, en Ukraine, j'allais comme le vent, je n'avais peur de rien. De rien au monde, sinon de renverser un enfant. J'imaginais le choc, cette tête frêle frappant la route, à la volée... Il se tait. Aidez-moi... Silence. Je voulais me tuer. Je suis revenu parce que je pensais que je vous devais des comptes, que vous étiez mes seuls juges, que vous me diriez si j'avais tort ou raison, que vous ne pouviez pas vous tromper. Mais vous ne dites rien. Dora se rapproche de lui, à le toucher. Il les regarde, et, d'une voix morne : Voilà ce que je propose. Si vous décidez qu'il faut tuer ces enfants, j'attendrai la sortie du théâtre et je lancerai seul la bombe sur la calèche. Je sais que je ne manquerai pas mon but. Décidez seulement, j'obéirai à l'Organisation.

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Lecture analytique 3 séquence n°6

Les Justes, Acte IIIAlbert Camus, 1949

DORA Il y a trop de sang, trop de dure violence. Ceux qui aiment vraiment la justice n'ont pas droit à l'amour. Ils sont dressés comme je suis, la tête levée, les yeux fixes. Que viendrait faire l'amour dans ces cœurs fiers ? L'amour courbe doucement les têtes, Yanek. Nous, nous avons la nuque raide. KALIAYEV Mais nous aimons notre peuple. DORA Nous l'aimons, c'est vrai. Nous l'aimons d'un vaste amour sans appui, d'un amour malheureux. Nous vivons loin de lui, enfermés dans nos chambres, perdus dans nos pensées. Et le peuple, lui, nous aime-t-il ? Sait-il que nous l'aimons ? Le peuple se tait. Quel silence, quel silence... KALIAYEV Mais c'est cela l'amour, tout donner, tout sacrifier sans espoir de retour. DORA Peut-être. C'est l'amour absolu, la joie pure et solitaire, c'est celui qui me brûle en effet. À certaines heures, pour-tant, je me demande si l'amour n'est pas autre chose, s'il peut cesser d'être un monologue, et s'il n'y a pas une réponse, quelquefois. J'imagine cela, vois-tu : le soleil brille, les têtes se courbent doucement, le cœur quitte sa fierté, les bras s'ouvrent. Ah ! Yanek, si l'on pouvait oublier, ne fût-ce qu'une heure, l'atroce misère de ce monde et se laisser aller enfin. Une seule petite heure d'égoïsme, peux-tu penser à cela ? KALIAYEV Oui, Dora, cela s'appelle la tendresse. DORA Tu devines tout, mon chéri, cela s'appelle la tendresse. Mais la connais-tu vraiment ? Est-ce que tu aimes la justice avec la tendresse ? Kaliayev se tait. Est-ce que tu aimes notre peuple avec cet abandon et cette douceur, ou, au contraire, avec la flamme de la vengeance et de la révolte ? (Kaliayev se tait toujours.) Tu vois. (Elle va vers lui, et d'un ton très faible.) Et moi, m'aimes-tu avec tendresse ? Kaliayev la regarde. KALIAYEV, après un silence. Personne ne t'aimera jamais comme je t'aime. DORA Je sais. Mais ne vaut-il pas mieux aimer comme tout le monde ? KALIAYEV Je ne suis pas n'importe qui. Je t'aime comme je suis. DORA Tu m'aimes plus que la justice, plus que l'Organisation ? KALIAYEV Je ne vous sépare pas, toi, l'Organisation et la justice. DORA Oui, mais réponds-moi, je t'en supplie, réponds-moi. M'aimes-tu dans la solitude, avec tendresse, avec égoïsme ? M'aimerais-tu si j'étais injuste ? KALIAYEV Si tu étais injuste, et que je puisse t'aimer, ce n'est pas toi que j'aimerais. DORA

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Tu ne réponds pas. Dis-moi seulement, m'aimerais-tu si je n'étais pas dans l'Organisation ? KALIAYEV Où serais-tu donc ? DORA Je me souviens du temps où j'étudiais. Je riais. J'étais belle alors. Je passais des heures à me promener et à rêver. M'aimerais-tu légère et insouciante ? KALIAYEV, il hésite et très bas. Je meurs d'envie de te dire oui. DORA, dans un cri. Alors, dis oui, mon chéri, si tu le penses et si cela est vrai. Oui, en face de la justice, devant la misère et le peuple en-chaîné. Oui, oui, je t'en supplie, malgré l'agonie des enfants, malgré ceux qu'on pend et ceux qu'on fouette à mort... KALIAYEV Tais-toi, Dora.DORA Non, il faut bien une fois au moins laisser parler son cœur. J'attends que tu m'appelles, moi, Dora, que tu m'appelles par-dessus ce monde empoisonné d'injustice... KALIAYEV, brutalement. Tais-toi. Mon cœur ne me parle que de toi. Mais tout à l'heure, je ne devrai pas trembler.

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Lecture CursiveLes Meurtriers délicats

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