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21 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19 CAHIER Pour une approche généraliste S A N T E M E N T A L E Souffrances du lien social Généralistes et santé mentale Journée de réflexion organisée par le Centre de sociologie de la santé (Institut de sociologie, ULB), avec le Centre de diffusion de la culture sanitaire (CDCS, asbl), en collaboration avec la Faculté des sciences politiques et sociales de l’Universitaire instelling Antwerpen (UA) 21 septembre 2001 Université libre de Bruxelles

cahier Santé conjuguée n°19 - janvier 2002 (pdf, 1.9 Mo)

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21Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

CAHIER

Pour une approche généraliste

S A N T E M E N T A L E

Souffrances du lien socialGénéralistes et santé mentale

Journée de réflexionorganisée par le Centre de sociologie de la santé (Institut de sociologie, ULB),

avec le Centre de diffusion de la culture sanitaire (CDCS, asbl),en collaboration avec la Faculté des sciences politiques et sociales de l’Universitaire instelling Antwerpen (UA)

21 septembre 2001Université libre de Bruxelles

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C A H I E R

Prolégomènes en santé mentale page 26Grégory Lambrette, psychologue et psychothérapeute à la maison médicale Portes SudSanté mentale : notion abstraite, concept de santé publique ou préoccupation du bien-être desindividus ?

La fonction « psy » en maison médicale page 27Marianne Prévost, sociologue, chercheur à la Fédération des maison médicales,Vanni Della Giustina, psychologue à la maison médicale Bautista van Schowen, BénédicteDubois, kinésithérapeute à la maison médicale l’AsterQuels sont les contours de la fonction « psy » en maison médicale ? Qu’est-ce qui peut s’yjouer autrement ?

« Souffrances du lien social »Le 21 septembre 2001, le Centre de sociologie de la santé (Institut de sociologie, ULB), le Centrede diffusion de la culture sanitaire (CDCS, asbl), en collaboration avec la Faculté des sciencespolitiques et sociales de l’Universiteit van Antwerpen consacraient la première journée de l’automneà une réflexion sur le thème Souffrances du lien social - Généralistes et santé mentale. Santéconjuguée remercie les organisateurs de cette journée qui nous ont fourni, au prix d’un travail « àla cravache », la majeure partie des interventions et réflexions inspirées par les ateliers que nouspublions ici.

Ouvertures

Le fil conducteur autour de la nébuleuse page 30Madeleine Moulin, sociologue, professeur à l’Université libre de BruxellesAmorcer un dialogue peu habituel entre les mondes de la santé mentale et de la médecinegénérale : une initiative évidente mais pas sans risques.

2001, année de la santé mentale page 32Martine Baudin, sociologue, directrice de la Fondation Julie RensonPourquoi une année de la santé mentale ?

La santé mentale : un nouveau souci pour les généralistes page 33Herman Meulemans, sociologue médical, professeur à l’Universiteit van AntwerpenUn sondage réalisé en 2001 auprès de neuf cents personnes tout venant et auprès de deuxcents généralistes montrent comment les uns et les autres conçoivent la santé mentale et lamanière d’aborder les problèmes.

L’année 2001, année de la santé mentale, a été fertile en communications et en actions sur cethème aux multiples facettes. Nous vous en proposons une approche « généraliste », une lecture« de première ligne », angle de vision qui ne se veut cependant pas fermé, car la collaborationavec les spécialistes en la matière, individus comme institutions, demeure la condition sine quanon d’un système de santé mentale global et efficace.Après une réflexion d’ordre général sur la santé mentale et une autre plus spécifique sur la fonction« psy » en maison médicale, la majeure partie de ce cahier sera consacré aux travaux de la journée« Souffrances du lien social - Généralistes et santé mentale » organisée par l’Institut de sociologiede l’Université libre de Bruxelles.

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Souffrance du lien social, souci constant, souci croissant ? page 36Madeleine Moulin, sociologue, professeur à l’Université libre de BruxellesDans une organisation des soins et de la santé où chaque secteur veille sur ses prérogatives,le généraliste est amené à prendre en charge toutes sortes de souffrances pour lesquelles iln’est ni préparé ni soutenu.

Thématiques transversales

Thématiques transversales page 42Madeleine Moulin, sociologue, professeur à l’Université libre de Bruxelles

Des territoires : effectivité et symbolesLes coordinations entre intervenants : la place du médecin généralisteet de sa patientèle page 43

Jean-Yves Donnay, sociologue, Centre d’études et de recherches en administration publique(CERAP) de l’Université libre de BruxellesActeur-clé dans le champ de la santé mentale, le généraliste a à faire valoir ses spécificités età prendre sa place dans la coordination des soins.

Des temps pluriels, immanquablement subjectifs

Temps des uns, temps des autres : le temps au pluriel page 49Sylvie Carbonnelle, anthropologue, Centre de diffusion de la culture sanitaire,Université libre de BruxellesConstruction sociale, le temps constitue une limite constante aux pratiques soignantes.

De la prescription et de ses métaphores

Il y a prescription page 52Aldo Perissino, médecin interniste, hôpital Molière-LongchampsDe quelques spécificités de la relation au médicament en santé mentale.

Des formations et de leurs enjeux

L’enjeu de la formation page 55Marianne Gielen, licenciée en travail social, Université libre de BruxellesLe généraliste est trop peu formé et mal préparé à travailler en collaboration dans lesproblématiques de santé mentale. Mais peut-être le temps s’approche-t-il où on pourra mettrecette affirmation au passé...

Un exemple de formation du généraliste aux aspectspsycho-relationnels page 56

Paul Cnockaert, chargé de cours, Centre universitaire de médecine généraleà l’Université libre de BruxellesFlash constat sur les déficits de formation du généraliste.

Du chemin depuis 68 page 58Richard Hallez, médecin généraliste à la maison médicale Marconi,Centre universitaire de médecine générale à l’Université libre de BruxellesFlash constat sur les déficits de formation du généraliste.

Inventaire à la Prévert page 59Jean-Georges Romain, médecin généraliste, responsable du programme ALTOde la Société scientifique de médecine généraleFlash constat sur les déficits de formation du généraliste.

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C A H I E R

Enseigner pour mieux entendre, écouter et répondreà la souffrance mentale page 60

Pierre Firket, médecin généraliste, vice-président de l’Association des généralistesenseignants de l’Université libre de Bruxelles

La formation des médecins généralistes par tutorship page 63Luc Debaene, médecin généraliste à Antwerpen et Louis Ferrant, médecin généralisteà Bruxelles, assistants au Centre universitaire de médecine générale, Universitaire instellingAntwerpenOser aborder le champ des émotions et des sentiments : recherches-actions et expériencespilote débroussaillent la route vers une formation du généraliste au relationnel.

La place de la guidance psychologique en médecineou counseling médical page 68

Michel Delbrouck, médecin généraliste et psychothérapeute, secrétaire de la société BalintLe généraliste est parfaitement habilité à gérer certains aspects du transfert dans la relationsoignant-soigné. Jusqu’où et comment s’y aguerrir ?

La souffrance mentale : l’entendre, l’écouter, y répondre

Des regards tous différents page 72Madeleine Moulin, sociologue, professeur à l’Université libre de Bruxelles

Laisser du temps au temps page 73Miguelle Benrubi, médecin généraliste à la maison médicale la PasserelleLe temps haché de la médecine générale est-il une fatalité ?

Au fait, c’est quoi coordonner ? page 75Monique Boulad, médecin généraliste à la maison médicale la GlaiseRéflexions d’un médecin traitant qui se demande où est sa place au milieu de douze intervenantsréunis pour discuter d’une petite fille.

Médecin de famille, roue de secours et interprète page 78Anne Gillet, médecin généraliste, vice-présidente du Groupement belge des omnipraticiens,membre du Comité d’éthique de la Fédération des maisons médicalesLe généraliste : bien sûr au centre du dispositif de soins, mais surtout proche du patient.

Prescrire oui, mais quoi ou qui ? page 82Patrick Jensen, médecin généralistePour ne pas oublier que prescrire, en santé mentale plus qu’ailleurs, relève davantage de l’artde guérir que de la science.

Écouter n’est pas ne rien faire page 83Bernadette Taeymans, infirmière, revue Éducation santé et service Infor SantéQuand l’attente du patient n’est pas là où le médecin l’attend...

Le coup d’œil du psychotique. Et les questions qu’il pose page 84Peter Van Breusegem, médecin généraliste, vice-président du Brussels welzijnsraaden gezondheidsraad, président du Brussels overleg thuiszzorg et secrétaire du HuisartsenkringJusqu’où le regard du psychotique nous transperce-t-il ?

Généraliste et santé mentale : accessibilité tous azimuts ou rebut ? page 86Bernard Vercruysse, médecin généraliste à la maison médicale du Nord, président du Forumdes associations de médecins généralistesQuatre histoires et d’une manière ou d’une autre quatre patients dont personne ne veut...

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Conférences de clôture

Soins et logiques du don dans les replis des réseaux page 88René Devisch, anthropologue, psychanalyste, professeur à la Katholieke universiteit van LeuvenUn étrange diptyque, où le tableau de notre société, fondée sur la valeur individuelle et laproductivité paraît bien pauvre face au tableau d’une société (les Yakas) où le centre de gravitéde la personne ne se constitue pas dans le chef de l’individu mais dans la pratique du partage,de l’échange, du tissage de liens sociaux.

Des propos qui se rejoignent page 92Madeleine Moulin, sociologue, professeur à l’Université libre de Bruxelles

Comment être fou dans les règles ? page 93Francis Maertens, psychologue, président de l’Association des psychologues praticiensd’orientation psychanalytiqueLe manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux ou DSM, un outil formidablepour normaliser la folie sans se fatiguer.

La santé mentale, j’en parle. Et maintenant ? page 98Martine Baudin, directrice de la Fondation Julie RensonL’année de la santé mentale a révélé cinq « découvertes », elle a suscité quelques regrets maisaussi de l’espoir…

Au-delà de l’expertise, un certain humanisme rémunéré page 101Madeleine Moulin, sociologue, professeur à l’Université libre de BruxellesUn pas vers plus de santé mentale, vers moins de souffrance sociale ?

Elements de bibliographie page 104

Programme page 106

Remerciements page 108

De même qu’il serait peine perdue d’approcher la santé mentale sans penser l’articulationcorrecte des intervenants, il ne peut être question d’isoler une « bulle santé mentale » dansla société où elle se vit. C’est pourquoi nous poursuivrons dans notre prochain numéro parquelques réflexions d’apparence plus abstraite et générale sur le « social », apparencetrompeuse tant nous verrons combien ces mises en perspective révèlent les forces qui nouspoussent dans notre agir quotidien. Vous y trouverez entre autres des articles de « psy »(curieusement discrets dans cette livrasion) et de philosophes.

Bref aperçu de ce sommaire : une réflexion de Dany Robert Dufour sur la condition subjectiveà l’ère de l’économie de marché, une question de Jean-Pierre Lebrun : Guérir le social ? etune conférence-débat de Jean De Munck consacrée aux politiques de la subjectivité dansles sociétés post-industrielles, ainsi que les interventions des participants du colloque Santémentale, Vers quelles politiques coordonnées à Seraing ?

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C A H I E R

S’interroger sur la consistance d’une notiontelle que la « santé mentale », pour pertinentequ’elle puisse être, ne revient pas à nierl’existence d’une souffrance nommée pard’aucuns « maladie mentale ». Aussi et fort dece préalable, nous sommes en droit de nousinterroger s’il n’est pas quelques confusionslogiques à aborder sans distinguer aucunementle plus souvent entre la perspective clinique etla politique de santé publique qu’on luisupposerait. Mais qu’importe, la conceptiond’une certaine « normalité » que le débat ensanté mentale induit ne peut en éluder un autrenous semble-t-il.

Ainsi, la position selon laquelle la pathologiedéfinit le patient ou bien le contexte dans lequelon l’observe est un choix épistémologique dontl’importance nous paraît être fondamentale dansce qu’il génère cliniquement, socialementcomme politiquement. Or l’on sait que l’optionthéorique à laquelle chacun se réfère détermineson champ de vision et conditionne ses prisesde décision, qu’elle soit diagnostique,thérapeutique ou autre. Et la manière dont nousnous forgeons une connaissance contribue à« co-construire » des « réalités sociales » surbase desquelles nous fondons notre action.Aussi croyant décrire et expliquer desphénomènes, nous ne faisons le plus souventainsi qu’expliciter les limites de notre visiondu monde. Faut-il, sachant cela, agir encorecomme si l’on ignorait que les valeurs socialesque nos diagnostics stigmatisent participentparfois à ces formes d’exclusion que nouscombattons par ailleurs ?

Face à cela, force nous est de constater que lediscours ambiant s’étoffe au gré de certainesrecherches dont l’illusion quantitative est unvéritable coup de force destiné le plus souventà « plier » la réalité à quelques hypothèsesconcourant à percevoir la santé mentale endehors de tout contexte. Un peu à l’instar de ceque dénonçait Chamfort pour qui il y avait deuxtypes de moralistes, ceux qui ne voyaient lanature humaine que du côté « tragique » et ceuxqui ne souhaitaient la percevoir qu’en son côtéle plus naïvement paisible. En un cas commedans l’autre, la perspective est partiale et génèrequelques situations où l’on peut constater que

c’est moins la pathologie que certainescontingences de la vie qui décident d’uneintervention psycho-médico-sociale. C’estégalement oublier que c’est du rapport entre unmessage et son contexte qu’émerge lasignification et qu’étudier les faits en les isolantest une gageure pour qui souhaite appréhenderun pan de la nature humaine.

Selon nous toutefois, la co-évolution del’homme et du monde dans lequel il évolue esttelle que chaque individu s’adapte à sa manièreà son environnement à travers la pathologie, ladéviance, le conformisme social, et biend’autres formes encore. La question est alorsde savoir quel processus social, et non pasquelles réponses individuelles, « produit » dela santé mentale. Car il me semble, que l’onnous pardonne cette métaphore empruntée à unautre champ, qu’il est bien différent de traiterle cancer que de soigner un cancéreux. En effet,l’un exige recherche et expérimentation quandl’autre consiste à atténuer la souffrance d’unepersonne.

Réfléchir à la santé mentale et la pratiquer sonttoutefois deux choses, qui, bien que distinctes,doivent participer à affiner l’une par l’autre. Etce en considérant la santé mentale comme unesorte de métaphore dont la préoccupation doitégalement consister à s’interroger sur ce quiparticipe au bien-être des individus.

Prolégomènes en santé mentale

GrégoryLambrette,psychologue,psychothérapeuteà la maisonmédicale PortesSud à Arlon.

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

La porte d’entrée

En maison médicale, le « psy » travaille dansun contexte particulier, où les soignants sontavant tout de type médical et se situent enpremière ligne. Ces intervenants des soins desanté primaires ont donc une grande proximitévis-à-vis d’une population, qui a par ailleursaussi des caractères spécifiques.

La particularité des maisons médicales consisteen une approche globale de la santé et une ported’entrée au départ du médecin de famille. Leursignifiant premier est donc le « médical ». Celaa toute son importance puisque les signifiants

La fonction « psy » en maison médicaleUne approche spécifique en première ligne

MariannePrévost,

sociologue,chercheur à laFédération des

maisonsmédicales, Vanni

Della Giustina,psychologue à lamaison médicale

Bautista vanSchowen,

BénédicteDubois,

kinésithérapeuteà la maison

médicale d’Aster.

Psychologues quiont participé à la

réflexion :Vanessa Baio,

maison médicalela Brèche, Ariane

Bibrowskymaison médicale

de Forest,Catherine

Bremont, centremédical Galilée,

Luc Colinet,maison médicale

du Maelbeek,Marie-Françoise

De Munyck,maison médicale

Santé Plurielle,Muriel

Desmecht,maison médicale

Esseghem,Michel Elias,

maison médicaleMarconi, Martine

Hennuy, CentreObjectif SantéNamur, Agnès

Janssens, FreeClinic, FrançoiseLeroux, collectif

de santé laPerche

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Il y a aujourd’hui une quarantaine de« psys » - psychologues, psychothéra-peutes, psychiatres - travaillant dansvingt-huit maisons médicales. Depuisjuin 2001, quelques–uns d’entre eux sesont réunis, à plusieurs reprises, pourtenter de définir leur spécificité : quelssont les contours particuliers de lafonction « psy » dans une maisonmédicale, qu’est-ce qui peut s’y jouerautrement ? Les pratiques sont richeset diversifiées selon le contexte local,l’histoire de chaque équipe, son projet ;nous livrons ici quelques éléments quiont fait consensus dans ce grouped’échanges1.

déterminent pour la population la porte d’entréede l’institution et organisent également la miseen mots spécifique de la plainte. Pour unecertaine partie de la population, adresserdirectement une demande à un « psy » (en privé,ou dans une institution connotée « psy » commele centre de guidance, ou le planning) restedifficile (« je ne suis pas fou »), ou mêmeimpensable (pourquoi prendre contact avec un« psy » dans le cadre d’une gastro-entériterécidivante ?). La fonction « psy » peut, enmaison médicale, davantage se déployer dansla continuité d’une consultation de soins desanté primaires, même si l’offre psychothéra-pique au sens strict n’est évidemment pas dutout exclue.

Une maison médicale, c’est aussi une« maison », - autre signifiant déterminant -, ellefait partie du quartier, ce qui lui donne un aspectsécurisant et contenant qui la différencie d’unepolyclinique (« ici, je me sens chez moi »). Etc’est une maison dans laquelle se pratique unemédecine « de famille », inscrite par nature dansun trajet de vie, dans une relation où se retrouvela trace de toute une histoire, parfois surplusieurs générations, ce qui vient renforcer uncaractère protecteur - à questionner toujours,mais qui est nécessaire pour certains patients2,à ce moment précis de leur histoire, puisque« il y a lieu de créditer le patient d’un savoirsur sa démarche, savoir qu’il ne sait pasforcément qu’il sait mais que nous avons àrespecter »3.

Cet aspect contenant renvoie à l’effetd’« emboîtement » évoqué par M. Croisantdans une réflexion sur le lieu de la plainte,identifiant le sens que revêt l’adresse à uneinstitution (de santé mentale ambulatoire) plutôtqu’en privé : « on sait qu’en psychothérapiecadre et processus entretiennent une relation decontenu à contenant. On peut donc se demandersi nous aurions, en institution, un effet oùl’institution vaudrait elle-même commecontenant pour cet autre contenant qu’est lecadre »4. La maison médicale, ne vient-elle pasà son tour, comme dans un ensemble de poupéesrusses, jouer un rôle de contenant pour despatients encore plus loin de pouvoir élaborerune demande ?

(1) La réflexioncontinue, elle

s’approfondiraencore, et l’on yreviendra dans

un prochaincolloque en 2002.

(suite page suivante).

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C A H I E R

se développe sur le modèle de l’intervisiontransdisciplinaire et non de la supervision,nécessitant quant à elle une extériorité qui faitdéfaut au « psy » s’il fait partie de l’équipe. Lemodèle de l’intervision se justifie également dufait que le cadre de la consultation « psy » nepeut être transposé tel quel à la consultationmédicale, infirmière ou kinésithérapeute.

Ceci se met en place de différentes manières :

• Les co-consultations : on peut en maisonmédicale réaliser des consultations conjointesdu « psy » avec le médecin, l’infirmière ou lekinésithérapeute, ce qui ouvre à une toute autredimension de la collaboration transdisciplinaire.Ces consultations conjointes mettent biensouvent le « psy » en contact avec unepopulation qui ne s’adressera probablementjamais à lui directement. Il s’agit quelques foisde permettre une élaboration de la plainte dupatient pour qu’elle puisse advenir en demande,éventuellement suivie d’un accompagnement« psy »... Cela peut également répondre à unedifficulté particulière rencontrée par le soignantdans sa relation au patient. Ces consultationsconjointes peuvent se répéter sur un temps plusou moins long ; dans certains cas, quelquesséances suffisent pour aider le soignant àdébloquer une situation. Dans d’autres cas, lessoignants utilisent le temps qu’il faut pour quese tisse un transfert préalable à la mise en placed’une thérapie à plus long terme – qui peut sefaire dans la maison médicale ou ailleurs, selonles cas (centre de santé mentale, psychana-lyste, …). Le contact avec le « psy » dans lamaison médicale permet donc quelques fois deconduire des patients à adresser une demandeen dehors de la maison médicale, – ce quecertains n’auraient sans doute jamais fait sanscet intermédiaire.

• Le « psy » introduit un autre éclairage,apporte un décalage : par exemple en aidant àposer, pour un patient suivi par un médecin, undiagnostic qui aura des conséquences sur lesmodalités du suivi médical ; ou en aidantl’équipe à mieux comprendre le sens qu’a, pourcertains patients, le fait d’adresser desdemandes, des interpellations à différentssoignants ; ou encore, en étant particulièrementattentif, durant les réunions d’équipe, à veillerque se tissent les liens entre les situationsrencontrées et l’histoire des sujets ; il n’est pas

L’approche globale et la placedu sujet

La maison médicale travaille en interdisci-plinarité, ce qui est une condition propice àapprocher la personne sous ses différentesfacettes et à donner toute sa place à la dimensiondu sujet. Comme les autres soignants, le « psy »est soutenu par le travail de l’équipe, qui offreau patient la possibilité de venir « déposer »dans un même lieu les différents aspects de saproblématique – aspects différents, mais dontle travail en équipe intégrée permet, à tout lemoins, de ne pas entériner ou accentuer leclivage, voire même de restituer une cohérence,de retrouver un sens sur lequel le patient vient,à son insu peut-être, interpeller les membresde la « maison ». De par ses compétences, le« psy » apporte un soutien aux autresintervenants dans leur abord nécessaire desproblématiques psycho-relationnellesprésentées par les patients. Cette collaboration

La fonction « psy » en maison médicaleUne approche spécifique en première ligne

(2) MichelCroisant, « le lieude la plainte :l’institutionambulatoire,cadre spécifiqueenpsychothérapie… »in La Plainte et laréponse à laplainte, actes ducolloqueinternational des11-12-13 octobrel991, Fédérationdes maisonsmédicales.

(3) idem.

(4) idem.

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29Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

rare que la charge émotionnelle ou(contre)transférentielle de l’équipe génère uneanxiété difficile à élaborer et risque parfois dela conduire dans des discussions inextricables,entre autres sur les indications médicamen-teuses, les examens techniques, …

• La présence d’un « psy » dans l’équipefacilite et enrichit le dialogue entre lesdifférentes disciplines, qui ont chacune leurpropre mode d’approche de la plainte. Tropsouvent, dans les diverses institutions du réseaudes soins de santé, il y a des barrières entre« psy » et intervenants médicaux/paramédi-caux. Les échanges réguliers, basés sur unereconnaissance des compétences de chacun, telsqu’ils peuvent se pratiquer dans une équipe,facilitent la référence, les demandes d’avis. Ilsmodifient aussi les représentations respectivesdes différents soignants, les amenant à intégrerprogressivement dans leur propre abord dupatient, l’éclairage amené par les autresdisciplines.Le « psy » aide ainsi à renforcer le rôle préventifde la première ligne, mieux à même de détecteret d’apporter une réponse aux nombreuxproblèmes psychiques qui se présentent à ceniveau.

• Le « psy » assure une information – uneformation de l’équipe, en augmentant sacompréhension des dimensions psycho-relationnelles.

Cette collaboration permet donc de mieuxintégrer des secteurs souvent clivés, celui de lasanté physique et celui de la santé mentale.

L’accessibilité pratique

On a déjà abordé ci-dessus l’accessibilitésymbolique (la porte d’entrée). L’accessibilitéexiste aussi au niveau pratique : un rendez-vouspeut toujours être fixé très rapidement etcertaines maisons médicales proposent desconsultations sans rendez-vous, assurant dèslors une permanence, ce qui peut notammentrépondre à des cas d’urgence.Cette facilité d’accès peut avoir un effetpréventif (éviter/ou mieux gérer unehospitalisation, limiter les conséquences d’unecrise, accompagner l’entourage...). Bien sûr, il

convient d’être attentif à travailler cetteaccessibilité, qui peut devenir une arme à doubletranchant : une réponse « trop de tout, tout desuite » n’amène pas forcément à une démarchethérapeutique mais peut participer d’un désirexcessif de « réponse » immédiate... Cequestionnement est pertinent dans tous lesaspects du travail des maisons médicales, trèsaxées sur la proximité et l’accessibilité ; le« psy » apporte ici encore, son éclairageparticulier.

En guise de conclusion

On pourrait dire que la spécificité de la fonction« psy » dans une maison médicale tient àl’approche globale de la santé poursuivie parle centre de santé intégré, - travaillant enpremière ligne des soins de santé primaires -,laquelle repose (notamment) sur l’accessibilité(culturelle, pratique) et le travail interdisci-plinaire. Le « psy » apporte son regardparticulier, à l’instar des autres membres del’équipe, il apporte un « plus » au regardmédical et paramédical, au travail social etcommunautaire, à l’accueil, ... Il est donc unrouage indispensable de l’interdisciplinarité. Enmême temps, il enrichit son propre regard grâceà celui des autres.

Parmi l’ensemble des lieux accueillant lasouffrance psychique – centre de santé mentale,planning, hôpital, cadre psychanalytiqueprivé, ... - la maison médicale représente doncun lieu dont le signifiant a des caractères spéci-fiques, où la plainte peut venir se déposer à unmoment particulier de l’histoire, dans un contexteet selon un langage qui peuvent se décliner demanières souples et différenciées. ●

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C A H I E R

L’objectif que se sont donnés le Centre desociologie de la santé et le Centre de diffusionde la culture sanitaire en organisant cettejournée est simple : amorcer ou favoriser undialogue peu habituel entre les mondes de lasanté mentale et de la médecine générale.Derrière cette simplicité apparente, les écueilsguettaient qu’il n’est pas neutre de pointer aposteriori.

D’abord, débarquer au cœur d’une année decampagne1 d’un secteur, celui de la santémentale, légitimement préoccupé de son proprefonctionnement, de son image et de son impactauprès du public2 en disant : le secteur de lasanté mentale n’est pas le seul à avoir des chosesà dire sur la santé mentale, c’était en quelquesorte mettre les pieds dans le plat. Affirmer quetoute la première ligne du système de soins estconcernée, cette première ligne avec laquelleles rapports ne sont pas toujours aisés, ou quin’est guère familière, c’était en quelque sorteagiter les pieds dans le plat.

Ensuite, solliciter à propos de questions desociété larges l’univers des généralistes enpleins débats et réorientations internes, auxprises avec le reste du monde médical et les

décideurs politiques autour d’enjeux essentielspour les années à venir, n’était pas gagnéd’avance. L’attrait sociologique n’était audemeurant pas évident pour eux de primeabord ; de plus, ils connaissent peu ou mal lesecteur institutionnel de la santé mentale (quise laisse lui-même peu ou mal connaître);ajoutons qu’une certaine réserve à l’égard deleurs confrères psychiatres n’est pas rare. Quiplus est, il leur était demandé de s’interrogereux - en tant que professionnels - sur la manièredont ils conçoivent les souffrances du lien socialet leur manière de se situer par rapport auxquestions de santé mentale3. La démarche esttoute autre que celle qui consiste à produire lesrésultats « bouclés » d’une recherche, discuterdes pathologies des patients ou encore débattred’intérêts professionnels.

Vient s’ajouter à cela le caractère national del’initiative qui ne fut pas le moindre des défis,quoique des plus intéressants. Nous le savonsbien : les mondes francophone et flamand sontdésormais des cultures distinctes. Lesenseignements à tirer de cette distanciation deplus en plus radicale mériteraient colloque oupublication à eux seuls. Non pour la beauté oul’œcuménisme du geste, mais bien dans la

Le fil conducteur autour de la nébuleuse

MadeleineMoulin,sociologue,professeur àl’Université librede Bruxelles.

JournéeSouffrances du lien social

Ouvertures

(1) Voir le textesuivant deMartine Baudin.

(2) Le texted’HermanMeulemansmontre, si besoinétait, qu’il y aencore bien desdragonsfantasmatiques àchasser du senscommun en santémentale.

(3) Le même texted’HermanMeulemansconforte l’idéequ’il y a encorebien desclarifications derepères cliniquesauxquelles ilserait utile deformer lesgénéralistes etbien des supportssociaux qui leurviendraient enaide.

mesure où il y a là, de part etd’autre des implications indirec-tes et différées en matière depolitiques sociales et de sécuritésociale à envisager lucidement.Sans préjuger des curiositéséventuelles du côté des néerlan-dophones, il y a en tout cas despistes intéressantes pour lesfrancophones : les conceptionsde la rationalisation des réseauxde soins et de support social,l’accès aux données... etl’existence de données, lesinnovations pédagogiques (entreautres la formation à la médecinegénérale), les effets concretsd’une organisation communeRégion - Communauté (entreautres des économies d’échelle),la perméabilité à d’autresmodèles culturels étrangers quel’inévitable Hexagone, etc.

Enfin l’objet même de la journée,

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

les souffrances du lien social, volontairementpeu définitoire4 a moins permis de traiter dunœud de ces souffrances que des modalitéstransversales pour les aborder, et des nombreuxobstacles à franchir pour y parvenir. Cecimériterait également publication et colloques,tant cette nébuleuse pose des questionsauxquelles il n’est plus possible de se dérober,ni même d’apporter des remèdessymptomatiques. Leur liste est longue etouverte :

• Comment sereinement distinguer laprogression objective des souffrancesmentales de la progression des expressivitésde celles-ci ?

• Comment éviter de médicaliser lessouffrances liées aux conditions concrètes del’existence pour une part croissante de lapopulation, tout en accordant toute l’attentionindividualisée souhaitable ?

• Comment prendre en compte la réalité desprécarisations attendues ou brutales dans ununivers professionnel pas trop stabilisé lui-même (santé mentale), mal outillé et peureconnu dans ce domaine, et en butte à dessurcharges de travail bien objectivées(médecine générale) ?

• Comment résister surtout à la pressionexercée sur le non marchand en général (etle secteur de la santé mentale en l’espèce), etde plus en plus sur les généralistes pourprendre en charge toutes les misères dumonde, quand on sait que l’heure n’est guèreaux solutions collectives et solidaires ?

Les textes qu’on va lire ne constituent pas desactes au sens strict. Si certains sont les exposésfaits au cours de la journée, d’autres sont plutôtdes réflexions inspirées par les panels et lesateliers. ●

(4) VoirMadeleine

Moulin,Souffrances du

lien social, souciconstant, souci

croissant ?

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C A H I E R

« 2001, année de la santé mentale » est uneinitiative de cinq associations belges œuvrantdans le domaine de la santé mentale : la Liguewallonne pour la santé mentale, la Vlaamsevereniging voor geestelijke gezondheidszorg,la Ligue bruxelloise francophone pour la santémentale, la Fondation Julie Renson, et laFondation nationale Reine Fabiola pour la santémentale, dont les quatre premières sont parailleurs toutes membres.

dans le rejet et l’exclusion. Une parole poursortir aussi de la culpabilité qui mine lesrapports humains, de la faute du malade, de lafaute de son entourage, qui n’aident personne.Et, pragmatiques, nous avons travaillé pas à pas.Plutôt que de nous adresser à tout le monde à lafois, nous avons choisi d’organiser une séried’activités destinées à des publics variés : lesprofessionnels du secteur pour les associer auprojet et qu’ils s’en sentent partie prenante ; lesfamilles et usagers des services offerts, les élus,les milieux académiques, les médias, etc.,privilégiant à chaque fois rencontres etdialogues.Tous les projets n’ont pu être menés à terme,faute de temps, faute de moyens, faute de forcesde travail. Tout ce qui a été mis en œuvre a pul’être par un extraordinaire mouvement desympathie, d’enthousiasme, d’espoir aussi quequelque chose, peut-être, puisse bouger enfin.Certains projets sont nés « dans lemouvement », initiés par d’autres à l’annoncede notre ambition. Tous ne sont pasnécessairement porteurs des mêmes valeurs,mais la réalité est multiple et les besoins sontvariés. Tous indiquent l’espoir que les maladiesmentales soient reconnues comme unesouffrance et non comme une honte.Aujourd’hui, parler ensemble de la placequ’occupe le médecin généraliste dans ceprocessus de prise de parole sera notre priorité.L’importance de cet acteur particulier estapparue au travers des résultats d’un sondage(voir plus loin, Herman Meulemans). L’imageque le public a du médecin dans ce domainen’est pas celle que les médecins généralistessemblent avoir d’eux-mêmes. Toute image estmultiple, tout rôle varie selon l’acteur, il y a doncmatière à réfléchir ensemble sur ce qui est etpourquoi, et sur ce qui pourrait être et comment.Cette journée de réflexion, pas plus que cetteannée, ne se veulent conclusives et définitives.Cependant notre ambition, à l’issue de cettejournée, comme à l’issue du travail de toutecette année, est de dresser un premier bilan dela situation et de proposer des pistes d’action.Nous espérons être un relais vers les politiques,vers les médias, qui ont manifesté de l’intérêtpour notre initiative, le relais des multiplesparoles, pour faire sortir les maladies mentalesdu ghetto de la peur et du silence.

2001, année de la santé mentale

Martine Baudin,sociologue,directrice de laFondation JulieRenson.

Lorsqu’il y aura bientôtquatre ans, les ligues etles fondations ontimaginé d’organiser uneannée de la santémentale… elles se sontprises à rêver. Leurrêve : changer lesmentalités face auxtroubles psychiques,pour que ceux-ci sortentdu tabou et du méprisqui les entourent.Rêve évidemment tropambitieux ! Ce n’est pasen un an, fût-il hyper-actif, qu’un tel objectifpeut être atteint.Rêve trop ambitieuxaussi car ni le secteurprofessionnel, ni lesmilieux politiques, ni lesmédias, ne peuvent

JournéeSouffrances du lien social

Ouvertures

opérer instantanément un tel renversement deperspective.Rêve trop ambitieux enfin car les moyensnécessaires sont particulièrement difficiles àrassembler pour un tel projet.Aussi avons-nous fixé cette année en 2001 pourque, symboliquement, commence avec le sièclel’amorce de ce nouveau regard, par un premierpas : parler des questions de santé et de maladiesmentales.Une parole libre à leur propos est la premièreétape du processus : pouvoir dire, pouvoirentendre, pour expliquer, pour comprendre. Une

parole à faire circuler pour quese sache que cette souffrance vità côté de nous, parfois en nous,au quotidien ou par crise, etpouvoir vivre avec elle et non ●

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33Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

L’homme de la rue

L’éventail des problèmes psychiques dont onpeut souffrir est extraordinairement varié. Lestroubles psychiques peuvent être envisagéscomme autant de formes de comportementsressentis comme déviants. Pour maintenir lescomportements déviants dans des limitesacceptables, les malades mentaux doivent êtreprêts soit à faire appel aux professionnels, soità faire un effort personnel. De la nature dutrouble dépendra la demande de l’entourage,orientée soit vers une aide professionnelle, soitvers l’entraide et la solidarité.

Il ressort du sondage que les cas decomportements agressifs ou de troublesprésentant des risques graves pour la santécomme l’anorexie ou la boulimie, exigent uneaide professionnelle. C’est moins le cas pourles troubles de l’humeur tel que l’apathie,l’introversion ou le stress. La plupart desrépondants estiment que ceux qui souffrent dedécouragement, qui sont centrés sur eux-mêmesou survoltés, n’ont qu’à mieux se contrôler. Ilest manifeste que le degré de déviance parrapport à la norme attribué aux comportementsest fondamental pour comprendre le largeéventail de troubles psychiques, leurs causes etleurs conséquences.

En matière de soins en santé mentale, il n’y apas qu’un large spectre de troubles observables,il y a aussi un grand choix d’interventionsélaborées en réponse à cette multitude deproblèmes et de situations. Il est évident queces réponses sont liées à la culture et reflètentl’esprit du temps. Que faire de mieux pourempêcher que les problèmes psychiquess’aggravent ? En 2001, année de la santémentale, trois possibilités semblent s’offrir ànous, si l’on en croit le sondage.

La majorité des répondants disent qu’il faut enparler avec l’entourage et faire confiance aumalade. En ce début de troisième millénaire, letraitement thérapeutique en santé mentalesuppose beaucoup de communication, dans tousles sens du terme, et de concertation, avec lepatient, avec les intervenants, les experts,l’entourage au sens le plus large. Ceci serait leremède n°1.

Ensuite, beaucoup de répondants estiment quel’hygiène mentale est la clé par excellence pourse prémunir contre l’augmentation des troublespsychiques. Cette façon de voir reconnaîtl’importance d’un style de vie sain, une notionqui non seulement a gagné du terrain dans ledomaine des soins en santé mentale, mais estdéjà implicitement présente dans la définition

La santé mentale : un nouveau souci pour lesgénéralistes

HermanMeulemans,

sociologuemédical,

professeur àl’Universiteit van

Antwerpen.

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Que signifie au juste la santé mentale ?Par quoi la santé mentale est-ellemenacée ? Comment se soucie-t-on dela santé mentale ? Quel rôle assigne-t-on au médecin généraliste ? Quandfaut-il aborder un problème du point devue de la santé mentale ? Un sondage*réalisé en 2001 auprès de plus de neufcents personnes et deux cents médecinsgénéralistes, issus des trois régions dupays traitait ces questions, et encorebien d’autres. Je me propose derappeler quelques-uns des résultats enarrière-fond de cette journée deréflexion.

JournéeSouffrances du lien social

Ouvertures

notoire de la santé énoncée, il ya cinquante ans, par l’Organisa-tion mondiale de la santé. Lapromotion d’un style de vie sainserait donc le remède n°2.

* La santémentale. Attitudes

et réactions dugrand public,

Premiersrésultats d’une

enquêted’opinion,Research

Consult, Mars2001.

Traduction dunéerlandais parMartine Baudin.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

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34 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Enfin, un grand nombre de répondants faitconfiance aux divers intervenants profes-sionnels. Il ne s’agit pas uniquement desmédecins, mais d’un ensemble d’experts auxformations multiples : médecins de famille,psychiatres, psychologues, thérapeutes, quidispensent des soins intégraux et continus.Ceux-ci ne sont pas dispensés au sein d’un lieuthérapeutique défini, mais se répartissent entresoins à domicile, soins ambulatoires, soinsrésidentiels, et il est parfois difficile de délimiterles zones qui interfèrent. Le professionnalisme,synonyme d’une approche rationnelle,scientifique, est la base du remède n°3.

Dans les résultats du sondage apparaît encoreune autre dimension, particulièrement si l’onse penche sur les questions ayant trait à la santémentale des enfants et adolescents. Pour lesadultes, il est pertinent de distinguer soinsprofessionnels et entraide. Pour les enfants et

d’autres problèmes pourtant reconnus du mêmeordre, seules la punition et la remontranceconviendraient. Il s’agit d’école buissonnièreet de fugue, mais aussi de petite criminalité,vol ou vandalisme. Ainsi la dimensionrépressive, qui historiquement a beaucoupimprégné les soins psychiatriques, sembletoujours bien présente pour ce qui concerne lesenfants et les adolescents.

Le généraliste

Le sondage auprès des médecins généralistes aaussi donné quelques résultats intéressants.Pour quels types de problèmes psychiques lesgens font-ils appel aux médecins de famille ?Je vous en livre le trio de tête. D’abord: êtrestressé au point de ne pouvoir faire ce qu’ondoit. Ensuite: Etre tout le temps découragé,

La santé mentale : un nouveau souci pour les généralistes

les adolescents, cette distinction resteintéressante, mais à côté de ces deux typesd’orientation on voit aussi apparaître unetroisième dimension, la notion de punition.

Des réponses, il ressort clairement que pourcertains problèmes perçus comme d’ordrepsychique, une aide professionnelle ou del’entraide sera la meilleure solution. Mais pour

broyer du noir sans cesse. Etenfin: Etre apathique, sanspouvoir se secouer, ne rienfaire de bon. Trois variationssur un même thème.

Cela fait penser à ce qu’EmileDurkheim décrivait en 1897sous le concept d’anomie -cette tension paralysante quiapparaît quand la sociétéprescrit tout ce qui devraitêtre fait alors que dans lemême temps elle ne laisseaucun espace pour le faire.Les généralistes y sont ainsichaque jour confrontés, etexpérimentent combien il estdifficile de trouver uneréponse adéquate à cesproblèmes de mal-êtremental.

A la question de savoir quelle est leur attitude àl’égard d’un patient qui émet des plaintespsychiques, la plupart des médecins généralistesrépondent qu’il l’écoute tout simplement et luidit de se secouer. Donner des conseils concretsd’hygiène de vie, et prescrire des médicamentsne viennent qu’ensuite.La relation entre le patient et le médecin defamille ne s’en trouve pas simplifiée. Le modèle

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

du généraliste actif et du patient passif n’ajamais bien fonctionné et porte préjudice à laqualité de la médecine générale. Le modèle duguide et du patient pris par la main fonctionnejusqu’à un certain point, mais pour armer unpatient sur le plan psychique, ce modèle est unpeu court. Les généralistes se réfèrent de plusen plus ces derniers temps au modèle de lacollaboration réciproque pour faire face auxaffections psychiques.

D’après le sondage, la plupart des généralistesdisent poser des questions sur les problèmespsychiques signalés, ou les aborder eux-mêmesquand les patients n’en parlent pas sponta-nément. Les malades qui recherchent desréponses à leurs difficultés psychiques,considèrent indubitablement leur médecin defamille comme une personne de confiance oucomme quelqu’un susceptible de les orientervers un thérapeute, un psychiatre, un spécialisteou un centre adéquat. Le généraliste a donc bienune fonction supplémentaire, et doit en outrerépondre aux attentes énormes de l’entouragequi veut le voir intervenir sur un terrainélargi. ●

Bibliographie

Handbook of Medical Sociology, Upper SaddleRiver, Prentice-Hall, 2000.

Dunning A.J., Betoverde wereld. Over ziek en gezondin onze tijd. Amsterdam, Meulenhoff, 1999.

Research Consult, Enquête sur la santé mentale -sondage d’opinion sur l’image de la santé mentaleet de la maladie mentale en Belgique : enquête grandpublic/enquête médecins généralistes. 2001, annéede la santé mentale - Fondation Julie Renson,Bruxelles, mars 2001, 54 pp.

Schnabel P., De weerbarstige geestesziekte. Naar eennieuwe sociologie van de geestelijkegezondheidszorg. Nijmegen, SUN, 1995.

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36 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

De quoi et de qui parle-t-on ?Nous sommes tous concernés

D’abord, pourquoi ce terme « souffrance »,d’usage trivial et non expert ? Justement pourne pas recourir prématurément à la notion desanté mentale, ni à celle de maladie mentale,nébuleuse dans laquelle les confusions ne sontpas innocemment entretenues. En bref et pourcamper le propos, envisageons successivementces trois termes.

● A propos de la maladie mentale

Les troubles mentaux chroniques sont aussivieux que le monde. Ils sont la contrepartie dulangage et de la conscience qui font notreappartenance à l’humanité. Cela a peut-être de

prêtent le flanc à des idéologisationsimprovisées.

● A propos de la santé mentale

Pour autant qu’on accepte une autre définitionde la santé mentale que celle de l’ordre public,on peut s’avancer à considérer que les politiquesde santé mentale sont un lieu de mise enpratique du droit à la différence. A ce titre, lesdébats autour de la santé mentale et ses enjeuxnous concernent tous. D’ailleurs, bon an malan, tous les sondages, évaluations, inventaires,convergent en la matière : dans notre pays, untiers au moins de la population déclare connaîtreou avoir connu, à un moment ou l’autre, unproblème « psy », de santé mentale oupsychiatrique.

● A propos de la santé sociale

L’importance de la présence de relationssociales comme facteur de santé sociale ne faitguère plus de doute. Il est désormaiscommunément admis que la qualité et larichesse des liens sociaux sont des facteursfavorables au maintien et au développement dela santé mentale. L’évaluation subjective del’incidence du réseau de liens sociaux sur laperception de la santé est sans doute un apportmajeur dans la prise en compte des souffrancesdu lien social et des remédiations à leurapporter.

Ces précisions ne sont pas inutiles lorsqu’onregarde de près quelques faits simples commel’accroissement du nombre de prescriptions deneuroleptiques par les généralistes (décuplé endix ans), les jeux de ping pong entre servicesmédicaux et sociaux autour de certains clientsou usagers,... ou personnes en souffrance nonclairement ou définitivement labellisées.

Ensuite l’expression « lien social » ne dit pas apriori de qui on parle... et justement, ici nousn’allons pas parler prioritairement des patientset des usagers en tant que tels, mais bien desprofessionnels et de leurs soucis à propos deces derniers.

Nous allons le faire en partant de la perspective

Souffrance du lien social, souci constant, soucicroissant ?

MadeleineMoulin,sociologue,professeur àl’Université librede Bruxelles.

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Souffrances du lien social,... souciconstant ? Souci croissant ?... Simplechangement des mots pour le dire ousurenchère de paroles pour nousconvaincre que nous avons prise sur lesbéances et les aspérités du monde. Cesimperfections qui ont nom de maladiementale (voire de folie), de pauvreté, deprécarité, de déshérence, de désaffilia-tion, qui nous dérangent et dont nousne savons trop que faire, sinon pas dutout, et de moins en moins.

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JournéeSouffrances du lien social

Ouvertures

quoi nous effrayer, mais cela est.Le refus d’accepter cette réalitécomme une composanteeffective du réel contribue àentretenir des confusions qui

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37Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

épistémologique selon laquelle les profes-sionnels sont embarqués sur le même bateaude richesses (ne l’oublions pas), de gaspillages,d’ambivalences et de contradictions sociales,et qu’à ce titre, ils sont non seulementréceptacles des souffrances du lien social, desdifficultés d’être de leurs clients, patients,usagers, mais aux prises avec les leurs aussi,ce n’est pas rien dans l’affaire.

D’ailleurs, c’est ainsi qu’on peut en partiecomprendre les revendications et les réflexionsdes généralistes en quête de valorisation, derevalorisation, de reconnaissance (sociale,symbolique et matérielle). C’est ainsiégalement qu’on peut comprendre les senti-ments d’impuissance et de non-reconnaissancede bien des travailleurs des secteurs médico-social et de la santé mentale, tant en ambulatoirequ’en milieu institutionnel.

La prévalence du burn out, de l’alcoolisme, dela dépression et du suicide dans ces professionsdevrait suffire à nous persuader qu’uneapproche en totale extériorité - si experte soit-elle - des expressions contemporaines de lasouffrance d’être au monde et aux autres seraittrompeuse et surtout dépourvue d’enseigne-ments pour comprendre ce qu’est cet objet « lasanté mentale » et l’utilité d’en parler.

Enfin, dans le cadre de « 2001, année de la santémentale » la place centrale de la première ligneen général et des généralistes en particulier n’apas encore été abordée. Si on entend ne pasdonner à la santé mentale une acception tropétroite ou trop limitativement experte, il est bonque cette journée serve aussi à rappeler que lesecteur professionnel de la santé mentale n’estpas le seul à avoir des choses à dire sur la santémentale.

Les temps sont dursConditions de travail : tout se complique,

rien ne va plus, sauve qui peut

On demande de plus en plus et « un peu detout » au « social » (notons le flou entretenu del’expression), de porter tous les malheurs du

monde et de s’en porter garants1. Cela est patentdepuis les démarches les plus individualisanteset culpabilisantes jusque dans la dérivesécuritaire. Plus subtilement, on n’est pas loinde vouloir faire peser une partie de cette missionsociale sur les généralistes2. Ces dernierss’empressent d’ailleurs de mettre à juste titrele holà à cette pression quand cela n’est pasassorti d’une redistribution des rôles et desbénéfices3, redistribution des rôles auxquels ilsdevraient commencer par se familiariserd’ailleurs, isolés, peu enclins car pas formésqu’ils sont au départ au travail collectif, ou àtout le moins au travail contextualisé (la santécommunautaire, l’organisation d’une partie dutravail en réseau, ...).

On demande « trop » quoi aux généralistes aujuste ? D’adapter leurs pratiques au mondecontemporain ? Ce n’est pas le problème ; ils ytravaillent4. De s’occuper un peu plus de santéque de maladie ? Ce n’est pas le problème nonplus5. Non, le trop, c’est le glissement de laresponsabilisation à propos de questions surlesquelles ils n’ont pas plus de prise quen’importe qui. Comme le secteur de la santémentale me dira-t-on. Mais non. Eux, c’estcomme chez les homards, ils ont l’habituded’être plongés dans l’eau bouillante puisquec’est le mode de cuisson habituel ; et puis, ilssont « plutôt secteur public » et pas tout seuls ;d’ailleurs ils passent beaucoup de temps àdiscuter pendant leurs heures salariées, c’estbien connu.

Deux autres facteurs viennent rendre cetteredéfinition des tâches encore largementimpraticable dans l’état actuel des choses :

• Les options actuelles de la formationmédicale dans nos universités, j’y reviendraidans un instant.

• L’absence de lieux pour « en parler » ; paspour discuter, … simplement pour en parler : ilfaut pouvoir déposer les paquets de souffrancedes patients - sauf à surmédiquer rapidementou les faire entrer, souvent définitivement, dansles circuits psychiatriques -, lever des tabousplus incrustés qu’on veut bien le reconnaître àpropos de tout ce qui touche au mental. Il fautse donner le temps d’apprivoiser les peurs que

(1) A l ‘instar dece qui se passe à

l’école d’ailleurs.

(2) Voyons à cetégard l’usage de

la notion deterritoire

récemmentréhabilitée ainsi

que lesinfléchissements

de certainesformations

complémentaires,continuées, etc.

(3) « On veutfaire des

généralistes desassistants sociaux

perfectionnés »entend-ons’indigner

médiatiquementavec une pointe

de mépris.

(4) Voyons à cetégard la réflexion

en profondeurmenée par la

Fédération desassociations de

généralistes.

(5) Les avancéesde la réflexion

parmi lesgénéralistes

flamandss’orientent dans

ce sens en(re)mettant aucentre de leurs

préoccupations laglobalité, laprévention,

l’interrogationsur le « sujet

agissant » qu’estle patient.

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38 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

même un fonctionnement auto-référentieldécalé par rapport aux intentions. D’ailleurs,plus on en parle, plus le problème semblecomplexe et la recherche de solutionsdésespérée. D’autant plus quand les décisionset les multiples initiatives à substratréglementaire s’en mêlent. Ainsi, vous voulezune histoire belge ? Il n’est pas prévu degénéralistes dans les plates-formes deconcertation en santé mentale. Personne n’yavait songé (il n’est pas étonnant que cettejournée soit perçue comme utopique parcertains). Ca va changer dit-on et puis, ce n’estpas si important, c’est de toute façonactuellement de la concertation essentiellementinstitutionnelle,... alors, les gens là-dedans...

Pour tous - de tous horizons et de toutesdisciplines confondues -, les anecdotes duquotidien sont légion sur l’air : « zavez pas vumon patient ? ». « Mais qu’est-ce qu’ils lui ontmis ? ». « Touche pas à mon patient ! ». « Jene veux pas l’envoyer chez le psy mon patient ;il est peut-être fou, mais moi pas ! ». « J’ai dûappeler dix fois pour avoir des nouvelles de monpatient hospitalisé ». « Il n’y a jamais moyend’associer les généralistes à une prise en chargeglobale ». « Ils ne viennent jamais jusqu’àl’hôpital, ils n’ont pas le temps ou cela ne lesintéresse pas ». « Nous, centre de santé mentale,nous invitons toujours les équipes hospitalières,l’inverse n’est jamais vrai »…6

L’enjeu de la formationDis, comment on apprend tout cela,

la souffrance sociale ?

Il va en être beaucoup question au cours de cettejournée. Ceux qui sont là pour en parlercomprendront le langage que je vais tenirpuisque s’ils sont là, c’est précisément dans lamesure où ces questions leur tiennent à cœur etqu’ils entendront, j’espère, que je mets de l’eauà leur moulin.

Développement et transformation du cursus enmédecine générale, formations continuées,recyclages, usages et mésusages du systèmed’accréditation, toutes les universités et toutesles disciplines connaissent cette inflationquantitative. Quelles facultés pourraient être

Souffrance du lien social, souci constant, souci croissant ?

(6) La Belgiquen’a pas lemonopole en lamatière. Lerécent et copieuxrapport françaissur la psychiatrie(Piel et Roelandt)consacre quatremalheureusespages à lamédecinegénérale.

suscitent la différence et l’« ailleurs » oul’« autrement ». Il faut s’habituer à parler avecd’autres professionnels pour lever les craintesliées avant tout à des méconnaissances plus qu’àdes rejets ou la volonté de ne pas savoir. Et làon n’est pas au bout du chemin, loin s’en faut.

Des mondes closCommuniquons, communiquons...

Communiquer, échanger, partager, pluri-disciplinarité,... certes, mais il convient ausside regarder lucidement les limites du mythe etle coût des rites et d’analyser à quellesdéceptions relationnelles tout cela entendrépondre (les temps de réunion en santémentale, les modélisations de la communicationen médecine générale, par exemple).

Quoiqu’il en soit, vu relativement de l’extérieur,j’ai été frappée à maintes reprises parl’étanchéité des cloisons entre les secteurs, jedirais à leur discours défendant. Avec parfois

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39Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

mieux placées que les facultés de médecinepour savoir qu’il s’agit là d’un traitementsymptomatique à durée indéterminée et à effetscollatéraux considérables si on n’y met pas bonordre.

Propos paradoxal me direz-vous à l’heure oùun peu partout dans nos universités desméthodologies d’apprentissage nouvelles semettent en place, s’expérimentent, que lesrefontes de programmes vont bon train, que desdépartements de médecine générale se sontdéveloppés dans chaque université, que certainsont même conquis un territoire non négligeableau sein de leur faculté et que les généralistes sefont bien entendre pour le moment, malgré lagrogne hospitalière. Mais chacun ici sait quecela n’est pas suffisant. Et que là n’est d’ailleurspas le cœur du problème. C’est à une révisionbien plus en profondeur de la - des - forma-tion(s) médicale(s) qu’il convient de s’atteler.

Qu’il me soit permis ici de livrer deux réflexionssur cet univers étrange de la formation médicalequi garde son aura d’inaccessibilité pour lecommun des profanes dont je fais partie.

● L’hospitalocentrisme est en excellentesanté

Quand cessera-t-on de ne penser la formationmédicale qu’à l’abri des murs hospitaliers, et àpartir de la seule logique hospitalière ?

Les stages en médecine générale sont certes ungrand pas mais vous savons bien que cela esttotalement insuffisant, en quelque sorte unemplâtre sur une jambe de bois pour rester dansla métaphore médicale. Tout le système de santéd’ailleurs est pensé et construit pyramidalementà partir de l’hôpital : organisation des soins,acquisition des professionalismes différentiels,représentations de la maladie, de la souffrance,de l’« objet/sujet » patient. De la santé n’enparlons pas, puisqu’il n’en est pas question danscet univers total.Il est difficile de se dresser contre cette logique,son entrisme et l’extrême hiérarchisation dessavoirs et des pratiques que cela permet depréserver contre vents et marées. Tellementdifficile que le seul moyen est de donner lechange en se moulant au modèle dominant :protocoler le non objectivable en échelles

comptables et autres mesures rassurantes ; ilfaut que cela ressemble le plus possible à lamédecine « non générale », entendez la vraiemédecine, celle qui repose sur les acquisitionsliées à un pertinent découpage du réel, en termede connaissances, mais sans lien obligé avecles manières de faire, (c’est-à-dire l’organisa-tion des soins, la conception de la personne etde la relation avec le thérapeute ou le systèmede soins, etc.).

Non, justement. C’est autre chose de rencontrerquelqu’un chez lui, d’être seul à affronter lessituations délicates, par exemple sans uneinfirmière qui ramassera les morceaux ou plusconcrètement « tirera le rideau au bonmoment », d’être amené à ne jamais oublier uninstant le monde qui entoure le patient, la sociétédans laquelle ils sont embarqués tous les deux,d’acquérir et de développer cette difficilespécialité de la généralité car demandantsouplesse d’adaptation, prise de risques sansfilets, sans support relationnel ou institutionnelle plus souvent. Remarquons au passage qu’onfinirait par penser que ces apprentissages nesont pas nécessaires pour les spécialistes et ceuxqui « resteront » à l’hôpital. Pourtant, que jesache, c’est naître que 100 % et mourir que65 % des gens font à l’hôpital ; pour le reste,bien des moments, ils les passent extramuros … et cela ne va pas aller en s’améliorant :le commun des mortels séjournera de moins enmoins longtemps à l’hôpital.

De plus, une fois dehors, diplôme en poche, lesgénéralistes sont bien dehors et priés d’y rester.Ils sont a priori supposés ne plus rien avoir à yfaire. Ce dernier point, les psychiatres devraientl’entendre clairement dans le cadre qui nousoccupe.

● De quels savoirs s’agit-il ?

La conquête d’une légitimité académique de lapart des généralistes universitaires me donnel’impression d’un perpétuel maquis. Je dis celaavec admiration car la hiérarchie symboliquedes savoirs et des statuts est telle que leursapports sont toujours considérés au mieuxcomme secondaires, sinon négligeables.

En fait, pour le dire platement, aucune autrelogique que celle de la production de

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connaissances biomédicales n’a droit de citédans l’hôpital, ni en conséquence dans laformation des médecins. Y apprend-on lefonctionnement de la sécurité sociale, celui dusystème de santé ? Y est-on amené à réfléchirla pratique médicale face aux inégalitéssociales, autrement que comme variableéclairante ou confondante en épidémiologie. Yapprend-on réellement à s’interroger sur sonefficacité symbolique, sur les effets relationnelsde ses idiosyncrasies ? Y apprend-on le nonsoupesable, le non réductible aux sciencesbiomédicales ? Y apprend-on qu’il peut entrerde l’intuition, voire de l’empathie dans l’acuitédiagnostique et dans la force prescriptive ?...Bref, toutes ces qualités cliniques que l’onn’évoque que métaphoriquement (ou ironique-ment) jusque dans la législation sous le vocabled’« art de guérir » comme s’il y avait là quelquemal honteux quoique nécessaire, un petit piedde nez à la science avec lequel il faut biencomposer, que voulez-vous ma bonne dame…Comment être outillé dans ces conditions pouraffronter les souffrances du lien social qui sontbien là et bien réelles.

C’est là à mes yeux la question fondamentale àlaquelle s’atteler en profondeur : la médecineest la seule discipline à ne pas enseignerl’épistémologie7. On n’y apprend pas commentse construit ce savoir, dans quels contextess’élaborent ces connaissances. La productionde science va de soi, elle est en quelque sorteun donné. Le recours à la démarche expéri-mentale prend figure d’évidence. Sidérant ànotre époque. Pas innocent. Et lourd deconséquences pour notre propos.

Il n’y a donc pas d’histoire (au sens d’unediscipline critique) de la médecine, del’évolution de la pensée médicale et encoremoins de l’évolution des pratiques. Donc pasde conscience de la relativité des choses. Doncl’oubli du passé et de l’ailleurs... La convictiondes bienfaits du savoir cumulatif demeure laseule profession de foi légitime. Il en découlequ’on accumule : voyez la place que leremplissage des cursus laisse aux « autres »registres du savoir. Les histoires de la médecinesont d’ailleurs le plus souvent hagiographiques,centrées sur des personnages vénérés, en mêmetemps que les jeunes générations sont élevées

dans la culture « clystère, connais pas ». On faitcomme si les pratiques médicales (la relationthérapeutique, la rationalité de l’organisationdes soins, etc.) fonctionnaient sur le mêmemodèle que la démarche expérimentale. Oucomme si elles n’étaient pas fondatrices ausside la réalité quotidienne. C’est faux, mais çamarche,... au profit d’une certaine conceptionde la médecine, dans laquelle précisément,mental, souffrances non objectivables, inscrip-tion sociale, « légende personnelle » n’ont pasleur place, ou alors par l’entrée de service.

Or, c’est au contraire bien tout cela qui est aucentre de la médecine générale, en plus desconnaissances biomédicales à proprementparler, et qui en fait un métier complexe auxexigences multiples : culture générale decitoyen, connaissances du monde et desmilieux, connaissance des ressources dusystème de santé extrahospitalier. Le généralistedoit apprendre par lui-même, ruser avec sesapprentissages, ou alors solidement regretterd’être généraliste.

Ne jetons cependant pas le bébé avec l’eau dubain. De même que le développement deshôpitaux a permis les considérables avancéesdes connaissances, les choses bougent dans lesecteur de la première ligne ou à tout le moinsdes avancées sont possibles. Malheureusementdans des cénacles restreints et trop lentementen regard de l’évolution des changementspolitiques (ah ! La question de la permanenceen Belgique !) et de l’évolution des conditionsde vie concrètes pour une part croissante de lapopulation. Nous n’avons à cet égard pasterminé de réaliser que c’en est fini de la périodeoù il n’y avait que de « vrais bons pauvres » ;il existe maintenant des fragilités protéiformes,en croissance inquiétante, dans les milieux lesplus divers et avec une accélération desprocessus de rupture. Et ce sont les généralistesqui demeurent les mieux placés en premièreligne pour apporter les premières réponses à cessouffrances.

Des pistes de travail sont cependant bien là,pour nous indiquer que l’inventivité et laplasticité des esprits et des pratiques demeurentmobilisables, comme dans les exemples quisuivent :

Souffrance du lien social, souci constant, souci croissant ?

(7) Avec lapsychologie à maconnaissance ence qui concernel’Université librede Bruxelles.

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

• dans le secteur de la santé mentale :l’importance que revêtent l’évaluation et laplace des patients dans les démarches (lespratiques et les formations) ;

• le développement des notions de « circuitsde soins », d’hospitalisation psychiatrique àdomicile : il va falloir, fonctionnellement,coordonner les efforts et s’assurer de laparticipation active des généralistes dans cetteentreprise ;

• la réflexion menée en Flandre sur la prépon-dérance possible des préoccupations de santésur celles de maladie de la part des généra-listes ;

• la large discussion des généralistes franco-phones sur la fonction du généraliste auXXIème siècle, incluant des concepts quin’étaient pas même envisageables il y a dixou vingt ans : fonction de communication, desynthèse, généraliste acteur central d’unréseau de soins, acteur de santé commu-nautaire, etc. ;

• le changement du profil sociologique desgénéralistes dans les formations Balint : ilssont de plus en plus jeunes, même s’ilscontinuent à ne pas être nombreux. Ce dernierpoint est significatif en soi de l’esprit de laformation qui n’a pas intégré ce typed’apprentissage dans les cursus ;

• l’existence d’expériences et d’initiativeséparpillées, en général discrètes, et dontcertaines seront abordées dans les ateliers, ...

Et si les vents étaient favorables ?Rêvons un brin

Et pourtant, elle tourne.Le moment est, qui sait, bien choisi poursecouer le cocotier. L’objectif de cette journéen’est pas de procéder à l’analyse des différentsprojets gouvernementaux en gestation et desdéclarations d’intention que l’on peut voircomme un encouragement à l’imaginationvigilante si non à une conjoncture politiquefavorable. Nous les aurons cependant bien sûrprésents à l’esprit. Espérons entre autres que lamise à plat des heurs et malheurs des secteursde la santé mentale et de la médecine générale

dans leurs efforts de compréhension deslogiques en vigueur dans d’autres segmentsprofessionnels, seront entendus par celles etceux qui, participant à nos travaux, seront ensituation d’en répercuter les implications auniveau des décisions politiques, même s’ils nesont pas là - aucun d’entre eux ne l’estd’ailleurs - en représentation officielle.

Gageons qu’il y aura des enseignements à tirerde cette journée au-delà d’une meilleurereconnaissance des différences, ou pour le direautrement, au-delà d’une diminution significa-tive des méconnaissances délétères entre lessecteurs de traitement des souffrances du liensocial réunis. Sans quoi, pourquoi viendrions-nous ici nous enfermer ensemble toute unejournée, nous colloquer de concert ?

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C A H I E R

L’objectif des panels et des ateliers était derendre dicibles et discutables, les attentes, lesinquiétudes, les projets et les réalisations desgénéralistes et des intervenants en santémentale. Ces questions renvoient toujours,d’une manière ou d’une autre à la prise encompte, plus ou moins centrale, du lien social,de son inscription contextuelle, de sesexpressivités. Chaque intervenant fut doncinvité à situer son propos dans la concrétudede son métier, de son expérience quotidienne,qu’il s’agisse d’activités cliniques oud’enseignement. Ceci explique le caractèremosaïque des contributions, destinées avant toutà susciter les échanges.Pour les panels, la présidente de séance (Dr

Micheline Roelandt) a nonobstant incité, demain de maître, les intervenants à se situer parrapport à quelques questions centrales dont onretrouvera les traces dans certains textes plusque dans d’autres :

• Qu’est-ce qui fait que la souffrance mentaleest si difficile à entendre ?

• Quels sont les « tactiques » et les moyens quel’on peut néanmoins développer pour tenterd’y répondre ?

• Qu’est-ce qui permet à chacun, avec sesspécificités et idiosyncrasies, de dépasser cesdifficultés ?

• Au fond, qu’est-ce qu’on demande et qu’est-ce qu’on ne demande pas aux généralistes ?

• Qu’est-ce qui dans la formation et la forma-tion continuée des généralistes en particulierrépond à cet ensemble de préoccupations ?

• Que peut-on faire pour améliorer la situation,changer les structures, les pratiques et lesmanières de penser ?

• En filigrane, la question en suspens et omni-présente : la souffrance mentale, c’est quoiau juste ? Un deuil ? La psychose profonde ?La déprime même banale ou banalisée ? La

interrogations. Ainsi, la question du tempssoulève-t-elle immanquablement celle del’orientation donnée à la formation. Dans quellemesure est-on formé à prendre le temps « avec »ou à se plier à la logique implacable du do itnow ? La question des actes et gestes de laprescription constitue une métaphore à peinevoilée de la question des territoires et inclutcelle du temps par une autre entrée. La questiondes territoires constitue à elle seule unréceptacle de toutes les réactions les plusintenses, que ce soit par l’invocation descompétences et donc de la formation, par lerappel des conditions de travail et des difficultésdes mises en commun qui martèlent la questiondu temps. Enfin, en surplomb, la question de laformation et en particulier à la médecinegénérale, vient scander les constats et nourrirles projets.

Au-delà de ces mises à plat des quotidiensprofessionnels, se dégagent des questionssociologiques ou à tout le moins des pistesd’analyse à portée plus générale. C’est ainsi queles textes qui suivent se présentent en deuxvolets. Le premier propose un abord distanciéde chacune des quatre thématiquestransversales. Le second présente dans ledésordre des témoignages et expériences depraticiens des panels et des ateliers.

Thématiques transversales

pesanteur inéluctable de cer-taines conditions sociales ?...

Les thèmes des quatre atelierssont quant à eux comme quatrefaces, ou quatre portes d’entréecomplémentaires des mêmes

MadeleineMoulin,sociologue,professeur àl’Université librede Bruxelles.

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Polysémie du concept de« territoire »

Reformulées, ces interrogations invitaient àobjectiver les territoires de la santé mentale –tant ceux dans lesquels les professionnels« psycho-médico-sociaux » jouent un rôle depremier plan que ceux qui touchent directementles usagers – mais aussi à mettre en évidenceles ressorts des coordinations, les modalités detravail entre intervenants ou institutions, lesrationalités poussant les professionnels à sortirde leurs territoires, etc.

A la suite de l’exposition d’un cas pratique2

exemplifiant l’articulation de territoires occupéspar une pluralité d’acteurs professionnels, les

réactions des participants ont rapidement misen exergue que le concept de « territoire » nese laisserait pas réduire à une sémantiqueuniforme mais bien à l’aune d’un kaléidoscoped’idéologies professionnelles, de pratiquesdifférenciées et de ressources symboliquesinégalement distribuées dans le pilotage et lacoordination socio-sanitaire.

Opter pour une approche déconstructiviste, àsavoir un questionnement de la légitimité desentendements différenciés du concept, porte ensoi le risque d’un potentiel désenchantement duterritoire qu’on revendique. C’est parfois moinsau nom du service dont peuvent jouir desbénéficiaires qu’au regard de la contingenceéconomique que l’attachement à certainsdispositifs institutionnels peut se comprendre.Les intentions les plus généreuses de prise encharge des souffrances des liens sociaux nesuppriment pas la réalité d’un environnementoù règne une concurrence institutionnelleféroce. Environnement dans lequel lesintervenants professionnels sont amenés àdéfendre leurs subsides et à définirsingulièrement leur action par rapport à cellesd’autres intervenants.

Le propos qui suit vise essentiellement à utiliserles divergences de points de vue liés àl’acception du concept de « territoire » pour ensaisir les logiques. Cette façon d’opérer,heuristique, débouche sur quelques thématiquestransversales.

Les territoires vus par lesprofessionnels

Les coordinations entre intervenants :la place du médecin généraliste et de sapatientèle

Jean-YvesDonnay,

sociologue,Centre d’étudeset de recherches

en administrationpublique

(CERAP) del’Université libre

de Bruxelles.

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Œuvrant dans les champs psychia-trique et de la santé mentale, legénéraliste est confronté, qu’il le veuilleou non, à la problématique de lacollaboration professionnelle.Implicitement, cette observation servitde fil conducteur aux discussions del’atelier « territoires ». Si l’on consi-dère le territoire comme le « domainequ’une personne s’approprie, où elletente d’imposer ou de maintenir sonautorité, ses prérogatives1 », avec qui,quand, comment, pour quoi, pour quile généraliste se coordonne-t-il ?Quelles limites de compréhension, deconnaissances, d’intervention desdifférents acteurs professionnels duchamp de la santé mentale ?

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

(1) Le petitLarousse illustré,

2000, p. 1003.

(2) Voir texte deMonique Boulad,

dans ce mêmecahier.

Lié à des formations profession-nelles, des compétences et despositions dans un champ –pensons par exemple à ladirection des services de santémentale toujours assumée par unreprésentant du corps médicalalors que nombre d’activités

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des territoires :effectivité et symboles

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thérapeutiques sont menées par des thérapeutesnon-médecins – le concept de territoire seconjugue au gré des rapports de pouvoir entreles acteurs. A côté de ces processus de structuresociale, la constitution d’une équipe thérapeu-tique (ou d’un réseau de soins et d’encadrement,etc.) se doit d’articuler une pluralité de langagesprofessionnels ; si cette gageure peut parfoismener à des processus d’incommunicabilitéentre intervenants, elle a pour objectif une priseen charge holistique de l’usager.

En pratique, les professionnels voient sous desangles différents le même usager ; dès lorsémergent des préoccupations sensiblementdivergentes. Si les « psys » (psychiatres,psychologues, psychothérapeutes…) relèventd’une culture qui tend à percevoir dessubjectivités en mouvement – « De qui s’agit-il ? » – les généralistes restent formés àobjectiver des entités pathologiques, le plussouvent organiques – « De quoi s’agit-il ? ». Iln’en reste pas moins que confrontés enpermanence aux souffrances des liens sociaux,certains omnipraticiens se définissent avant toutcomme des « intervenants psycho-médico-sociaux ». S’inscrivant dans le paradigmesanitaire tel que déclaré à Alma-Ata (OMS,1978), ils revendiquent une pluralité de regardscapables de surmonter les tensions constitutivesentre le subjectivable et l’objectivable.

On appréciera l’influence de variablesenvironnementales (milieu géographiquecontraignant, conditionnement par le dispositifde travail, etc.) sur la diversité des conceptionsdes territoires. Sans viser une typologie desterritoires liée aux identités professionnelles desacteurs, on observe que pour le médecin conseildes mutuelles le territoire réfère à un lieu sesituant « autour du patient » dans lequel évolueun groupe d’intervenants du champ de la santémentale. Il s’agit donc d’un territoire déjàpartagé. Dans une posture de « surplomb » parrapport à ses confrères, il se définit parfoiscomme « chaînon manquant » entre ses assuréssociaux et les différents acteurs professionnels.Enfin, veillant à garantir une rationalitécommunicative au cœur de l’espace « patient/généraliste », il lui arrive de resserrer les liensunissant cette dyade, de conseiller au patientde consulter un autre intervenant, voire deproposer au généraliste une orientation vers unconfrère (exemple un psychiatre).

Confronté à un isolement géographique, lemédecin de campagne, quant à lui, rencontredes difficultés dans la mise en œuvre d’unecollaboration. Dans les régions mal desserviesen dispositifs institutionnels (services de santémentale, maisons médicales, psychiatreslibéraux…), à qui réfère le généraliste lorsqu’ilest confronté aux limites de sa pratique ?Lorsqu’au demeurant il a réussi « à relayer »,il déplore le manque de visibilité des stratégiescirculatoires choisies ou subies par ses patients.Comment dès lors s’assurer d’un suivi médicalefficient ? A entendre ce médecin de lacampagne namuroise, il semblerait que lasouffrance des liens sociaux n’épargne pasdavantage les généralistes : « En tant quegénéraliste de pratique individuelle dans uncabinet privé, en campagne en plus, sans réseauparticulier, je pense que c’est vraiment unisolement social dont on souffre nous-mêmes ! ». Si le généraliste travaille « en solo »ou s’il travaille en concertation (dans une équipeinstitutionnalisée, informelle…), sa conceptiondu territoire en sera divergente.

Quant aux médecins fonctionnaires chargés demettre en œuvre une politique de santé mentale,leur conception du territoire renvoie à une zonegéographique composée d’une pluralité dedispositifs institutionnels relevant du champ dela santé mentale ou de champs connexes(services de santé mentale, centres de planningfamilial, services actifs en matière detoxicomanies…). A Bruxelles, cette visionréticulaire semble étayée par un projet législatifvisant à créer une législation cadre dontdépendront plusieurs services ambulatoires desanté mentale ; on parle à cet égard d’un projetde « décret ambulatoire »3. Actuellement, leslégislations régionales favorisent despartenariats entre dispositifs institutionnels –c’est une façon de quitter son territoire – dansle but que ces coordinations servent in fine lesintérêts singuliers des patients.

Quels territoires pour lessujets-patients ?

A l’échelon fédéral, la politique de santémentale révèle de nouvelles formes deterritorialisation de l’action publique quianéantissent la prétention universelle des droits

Les coordinations entre intervenants :la place du médecin généraliste et de sa patientèle

(3) Voir Matot,J.-P., « Lesservices de santémentale àl’épreuve desdifférences », inCahiers depsychologieclinique,Bruxelles, DeBoeck Université,2001, n°17, pp.39-61.

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

sociaux. Alors que l’État social visait à garantirà tous une égalité d’accès aux biens de santémentale, la politique actuelle procède à unciblage – on parle dorénavant de « groupes-cibles » – des catégories de patients à prendreen charge.

Au niveau microsociologique, la conceptioncommunautaire de la santé table sur lamobilisation des ressources relationnelles etsubjectives des patients ; la santé mentale d’unindividu, c’est avant tout l’idée qu’il s’en fait.Aux antipodes d’une conception assurant leprimat au territoire biomédical de la santé(réseaux d’acteurs professionnels), cetteapproche globalisante considère le territoiresanitaire comme un « tissu social » (patient,famille, amis, réseaux de socialisation…) etentend restituer au sujet-patient la centralité desa place au sein de ses divers réseaux sociauxd’appartenance. Ce territoire bio-psycho-socialrepose sur l’idée que la santé mentale d’unindividu relève essentiellement de la totalité dece qui constitue son environnement social,culturel, communautaire, d’appartenanceethnique, communal, etc.

Bien que les usagers soient dépourvus decompétences spécifiques reconnues, lesintervenants tentent de respecter ce qui est perçucomme « leurs » territoires. Comment exercerson expertise et prodiguer une interventionmédicale sans étouffer l’usager, sa famille ?Sans envahir complètement son territoire ?Comment prendre en compte ses intérêts etattentes ? Si des devoirs d’ingérenceapparaissent légitimes et parfois obligatoires,il en va de même en ce qui concerne desinterdictions d’ingérence.

Dans le champ des sciences médicales, l’ethosde la post-modernité a enjoint le généraliste ànourrir une réflexion éthique censée luipermettre de prendre conscience de la réalitéde son rapport à l’autre et de se percevoir dansl’interdépendance humaine. Pour éviter deporter préjudice aux sujets-patients qu’ilobserve ou avec lesquels il s’entretient, il sedoit d’interroger les conséquences de ses actes,d’être conscient des effets parfois délétères decertaines de ses interventions, bref de tendrevers une posture réflexive incluant une éthiquede la responsabilité. En le respectant avec « soncontexte, ses convictions, ses qualités et ses

défauts qui, tous, doivent être pris tels quels,sans faire obstacle à la relation de soins4 », legénéraliste considère le sujet-patient dans saglobalité et tente de comprendre ses systèmesde valeurs.

Lors d’une « mise à distance » de ses pratiques,il reconnaît qu’en consultation l’actethérapeutique fondateur est l’écoute privilégiéedu patient, individu singulier. Cette démarchelui évite de l’assujettir, lui reconnaît un stockde ressources de sens capable d’orienter lathérapeutique, la médication éventuelle, etc., luiinterdit de revendiquer une seule et uniquevérité. Selon un ancien généraliste devenupsychiatre et directeur d’hôpital psychiatrique :« Comme généraliste et comme psychiatre, jeme suis aperçu qu’on revendiquait chacun cequ’était la vérité. Mais c’est pas nous la vérité !La vérité, c’est le sujet, c’est le patient ! ». Ases étudiants de quatrième doctorat, unprofesseur de médecine générale de poursuivreen répétant tel un credo : « Vous n’avez pas lamaîtrise en santé ! ».

Il reste qu’une éviction systématique desréunions de professionnels auxquelles sapersonne est indirectement associée risque àterme de vulnérabiliser la sécurité du patientliée à la clarté à l’égard des frontières de sonterritoire ; en atelier furent évoqués des cénaclesinterprofessionnels desquels le « salut » d’unepersonne ou d’une famille dépendait. Demanière à faire droit à la subjectivité du patient,à prendre en considération la demande de soinsqui fait sens pour lui, certains centresthérapeutiques ont par exemple organisé desréunions de travail entre professionnels,personnalisées, dans lesquelles les patients etleurs familles sont conviés. En optant pour desréunions mixtes, le personnel du centre se voiten même temps « tenu » vu qu’il se trouve enprésence des patients mais également « délié »car la patientèle sait pertinemment que lesthérapeutes leur accordent leur confiance.L’opportunité conférée aux patients de pouvoirparler en toute confiance revêt d’autant plusd’importance qu’elle s’opère dans un champ oùles paroles des « malades » sont toujourssuspectes d’être des symptômes. Dès lorscomment leur accorder crédit ? Rappelonsqu’en psychiatrie, et ce indépendamment desprogrès liés à la neurobiologie, le corrélatobjectif censé fonder la construction

(4) Hoerni, B.,« En principes »,

in Infinimentmédecins. Les

généralistes entrela science et

l’humain, s.l.d. deGalam, E., Paris,

Autrement, coll.« Mutations »,

1996, p. 182.

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hypothétique qu’est le diagnostic fait toujoursdéfaut ; les diagnostics de « maladie mentale »restent dès lors basés sur les faits, gestes, acteset dires du sujet.

Le généraliste : acteur-clé dansle champ de la santé mentale

Avant de situer la place des généralistes dansle champ de la santé mentale, il paraît primordialde mettre en exergue les transformations desfigures normatives de la subjectivité sur lanouvelle problématique régulatoire en santémentale. La prolifération de la sémantique liéeau « vécu » et l’extension de son usage –l’entrée par la souffrance psychique (nombrede patients consultent les généralistes enformulant une difficulté, un mal-être, voire uneplainte non symptomatique) plutôt que par letrouble objectif de jugement ou decomportement – permettent un développementpotentiellement infini du champ de la santémentale. L’attention et le succès portés à lathématique de la souffrance des liens sociaux,au détriment du vocabulaire spécialisé (commela névrose…), ainsi que son usage cognitif pourcomprendre et définir des problèmes sociauxtraduisent un passage progressif du traitementdes troubles psychiques à la médicalisation deplus en plus aisée, sinon systématique, de lasimple souffrance psychique existentielle.

Pour éviter les excès de responsabilisation etde culpabilisation des patients, une postureéthique permettra au généraliste de s’interrogersur les conditions sociales à l’œuvre dans lessouffrances des liens sociaux. La personne àqui il prodigue des soins est le fruit d’uncontexte macro-social dans lequel règnent desdifficultés structurelles : « La crise actuelle del’emploi peut (…) agir à la fois directement etindirectement sur l’équilibre psychologique despersonnes concernées. Le chômage, la précaritésociale et encore plus l’exclusion (…) portentatteinte à l’identité propre de la personne. Lesdifficultés sociales (précarité, licenciement(…), glissement social…) peuvent être vécuescomme des pertes induisant une blessurenarcissique (…) aboutissant à des syndromesou réactions anxio-dépressifs.5 »

Concomitamment aux transformations desschémas psychopathologiques – par exemple,la médicalisation de la désespérance liée à lacrise sociale – et à l’inadéquation de l’offrethérapeutique face aux souffrances d’abordsociales, on assiste au renforcement croissantdes spécialistes du « social » dans les équipesthérapeutiques. La conséquence en est lafragilisation de la position centrale despsychiatres au profit d’un rôle régulatoirenouveau échu à de nouveaux acteurs, parmilesquels les professionnels du socio-psycholo-gique et les généralistes. La mentalisation dusocial observée notamment par le biais desprescriptions massives d’antidépresseurs,anxiolytiques et autres neuroleptiques se payedonc, en retour, d’une socialisation du mental.Dans le fonctionnement des équipesthérapeutiques, cette dernière se donne à voirdans une transition « du traitement individueld’un patient par un thérapeute à la prise encharge d’un patient par un groupe plus ou moinscomplet de personnes (…) qui, chacune danssa position respective, position dont l’une peutprévaloir sur les autres, concourent à l’évolutionla plus favorable possible du sujet6 ». Le déficonsiste à construire des coopérations autourde problématiques désectorialisées danslesquelles les compétences de chaqueprofessionnel doivent être respectées ; ilconsiste également à éviter que desincompréhensions entre intervenants, desconfusions sémantiques, voire des décisionscontradictoires enjointes au patient n’aient deseffets iatrogènes.

Les généralistes occupent aussi un rôle majeurdans la prise en charge – fonctions de diagnosticet de traitement – des symptomatologiesspécifiquement psychiatriques. Des études ontmontré que la patientèle présentant des troublesanxieux ou dépressifs à manifestationpsychique ou psychosomatique représentait unepart croissante des motifs de consultations etune part importante du champ des soins de santémentale. Il n’en reste pas moins que nombre deces troubles sont sédimentés au départ decontextes précarisants. Ainsi en France, « lestraumatismes occasionnés par la précarisationsont désormais l’essentiel des problèmes traitéspar les psychiatres du cadre : dépressions,anxiétés chroniques, toxicomanies, alcoolisme

Les coordinations entre intervenants :la place du médecin généraliste et de sa patientèle

(5) Papadakos,V., Crise socialeet psychiatrie,Paris, PressesUniversitaires deFrance, coll.« Médecine etsociété », 1999,p. 32.

(6) Lanteri-Laura, G.,« L’histoirecontemporaine dela psychiatrie,dans ses rapportsavec la sociétéfrançaise », inEhrenberg, A. &Lovell, A. M.(s.l.d.), Lamaladie mentaleen mutation.Psychiatrie etsociété, Paris,Odile Jacob,2001, p. 257.

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

et automédication au long cours7 ». Ledéplacement insigne du marché du troublemental vers le généraliste s’explique aussi avecl’émergence des antidépresseurs de troisièmegénération et des récentes versions desnosographies cliniques, simplifiées. La prise encharge par les omnipraticiens des troublespsychiatriques et de santé mentale est devenuepossible « parce que les syndromes nonpsychotiques peuvent être diagnostiqués sansqu’une formation psychiatrique soit exigée :une classification psychopathologiquesimplifiée, ne nécessitant plus l’expertisepsychiatrique (…) et des médicaments (…) quidiminuent les symptômes, sans entraîner tropd’effets secondaires, permettent ainsi une priseen charge ambulatoire8. »

Offrant aux généralistes la possibilité de traiterde manière similaire une pluralité depathologies (psychoses, névroses, phobies,mélancolies, dépressions…) sans que l’on sachevraiment de quels traitements elles relèvent, lapsychopharmacologie porte en elle les germesd’une sorte d’« impérialisme »9. Pour éviter queles causes psychiques exactes ne soient pasreconnues, il s’agirait dès lors de « former lesgénéralistes à une prise en charge pluscomplète10 », comme l’affirme ChristineReynaert, chef du service de psychosomatiquede Mont-Godinne (UCL). Ce point ne résoutpas pour autant la question de la prescriptionde psychotropes dans un contexte deprécarisation. Comment rencontrer et entendrel’expression de la souffrance ? Quel sens luidonner ? Si le sens appartient aussi et surtoutau patient, certains généralistes se demandentcomment concilier le respect du rythme dechaque sujet – le psychotrope comme « bouéede secours », a-t-on entendu en atelier,octroyant à son bénéficiaire l’opportunité depostposer l’affrontement de situations tropproblématiques pour l’heure – et le scrupuleinhérent au « décervelage » des consciences.

La spécificité du territoire du généraliste résidedans sa connaissance quotidienne du patient etde son entourage familial et social. Intervenantsde première ligne, les généralistes jouissent deressources thérapeutiques certaines etdétiennent une position privilégiée dans lesystème de soins, indépendamment de

l’indigence de leur formation académique enpsychiatrie et santé mentale. Ainsi, ils sont lespremiers dépositaires des plaintes des patients :selon une étude européenne11, plus de la moitiédes patients consultent d’abord leur médecingénéraliste pour des problèmes mentaux. A titred’exemple, la co-thérapie illustre une de leurscollaborations avec les psychiatres : dans unsystème de double référence, certains assurentconjointement avec un thérapeute, qu’il soitmédecin (psychiatre) ou non, un suivimédicamenteux. De manière plus globale, onnotera qu’un des vingt et un objectifs de la« politique-cadre de la santé pour tous pour larégion européenne de l’Organisation mondialede la santé pour le 21ème siècle », Santé 21, leurest dévolu : « améliorer la santé mentale »12.

Le généraliste et les politiques decoordination et de concertation

Il y a quelques mois, un protocole d’accord futsigné par les différents ministres de la santé deBelgique concernant la réforme des soins depremière ligne. Les services intégrés de soins àdomicile (SID) devraient permettre uneamélioration des soins à domicile par le biaisd’une collaboration entre les différents acteursprofessionnels, dont les généralistes ; au seindes services intégrés de soins à domicile, cesderniers seront par ailleurs amenés à collaboreravec les maisons de repos, les hôpitaux et lesstructures de soins à domicile déjà existantes.Cet accord fait suite à la politique fédérale quistipule que « les soins de première ligne doiventêtre stimulés (…) {et que} des prestations dequalité ne sont possibles que par une bonnecollaboration entre les différents prestataires desoins des différentes professions de la santé13. »Présents tout au long de la note de politiquerelative aux soins de santé mentale14 de laministre de la Santé publique, les généralistesconstituent un enjeu majeur des politiques desanté publique. Ce document nous apprendqu’un des principes de base de l’actuelleréforme des soins de santé mentale concerne laprise en charge des soins de santé mentale, dansla mesure du possible, par les soins de premièreligne (soins à domicile, soins ambulatoires…).A cet égard, le généraliste est invité à « jouer

(7) Ehrenberg, A.,La fatigue d’être

soi. Dépression etsociété, Paris,

Odile Jacob,1998, p. 198.

(8) Ehrenberg, A.& Lovell, A. M.

(s.l.d.), Lamaladie mentale

en mutation.Psychiatrie et

société, Paris,Odile Jacob,2001, p. 21.

(9) VoirRoudinesco, E.,

Pourquoi lapsychanalyse ?,Paris, Fayard,

2001.

(10) Profil de lavie, Union

nationale desmutualités libres,Bruxelles, 2001,

n°62, p. 6.

(11) Étudedirigée en 1999

par Tylee,Gastpar, Lepineet Mendlewicz.

Elle a porté sur78.500 sujets

dont 7.800Belges.

(12) VoirPiquard, D., Le

travail en réseau,notes de cours à

l’adresse descandidats

spécialistes enmédecine

générale, ULB,2000-2001,

pp. 2-3.

(suite sur pagesuivante)

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48 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

un rôle de coordination dans la concertationentre les prestataires de soins qui sontdirectement au service du patient15. »

S’inspirant de la politique fédérale deréorganisation de la première ligne, la politiquede santé mentale de la Région wallonne a pourambition de replacer le généraliste au centre dusystème de soins et de l’utiliser en sa qualité decoordinateur, d’outil de concertation. Toujoursen Région wallonne, on notera le prochainremboursement INAMI de prestations deconcertation interdisciplinaire. Enfin, dans lecadre des appels à projets du ministre régionalwallon en charge de la santé qui visaient àintégrer des généralistes de première ligne dansle champ de la santé mentale, certains centresthérapeutiques de jour ont créé des dispositifs –par exemple, l’assemblée générale du service –permettant la rencontre des membres dupersonnel, des patients mais aussi d’inter-venants externes au centre : psychiatres,familles, généralistes... Le crédit accordé auxgénéralistes dans les nouveaux processusthérapeutiques reflète en réalité unereglobalisation du patient dans sonenvironnement, pensons ainsi à la valorisationde son environnement socio-familial ; cettesocialisation du travail thérapeutique considèreles nouveaux dispositifs institutionnels(exemple soins à domicile, post-cure, initiativesd’habitations protégées individuelles…)comme des milieux de vie générateurs deressources thérapeutiques.

On pointera également la volonté des différentspouvoirs de tutelle des services de santé mentaled’inviter les équipes thérapeutiques de cesdispositifs à solliciter la collaboration desgénéralistes (et les généralistes à se manifesterauprès d’elles) pour une prise en charge intégréedes personnes. Par ailleurs, certains services desanté mentale collaborent avec des généralistespour des bilans ou des diagnostics ; danscertains cas, la collaboration s’articule sur desprojets spécifiques comme les toxicomanies.Concernant les partenariats avec des dispositifshospitaliers, les collaborations demeurentgénéralement informelles et structurées autourde dossiers ponctuels de patients (exemple dansdes hôpitaux de jour). Enfin, une collaboration

plus institutionnalisée nous est offerte sousforme d’expérience-pilote en région liégeoiseoù des généralistes travaillent en collaborationavec les initiatives d’habitations protégées del’hôpital « Le Petit Bourgogne ». Toujours enrégion liégeoise, l’expérience du circuit de soinspsychiatriques à domicile intégrés (SPADI) viseà réinsérer dans leur environnement social despatients rétifs aux dispositifs de resocialisationmis en place par les arrêtés royaux de 1990(initiatives d’habitations protégées commu-nautaires) ; au domicile des patients, unecollaboration est mise sur pied avec leur réseaupersonnel dont le généraliste fait souvent partie.Enfin, on notera la place que la note de politiquerelative aux soins de santé mentale entenddonner aux généralistes dans les plates-formesde concertation en santé mentale. Si lors de leurcréation en 1990, elles avaient superbementoublié d’intégrer les généralistes comme acteursprofessionnels centraux du champ de la santémentale – il faut se rappeler l’hospitalocen-trisme de la réforme qui a accouché de cesdispositifs de concertation – actuellement, ilparaît par exemple « essentiel d’établir un lienentre les initiatives de collaboration existantesen faveur de soins à domicile et les plates-formes de concertation16. »

On retiendra que l’étude des différentescoordinations entre intervenants ne peut fairel’économie de thématiques qui lui sontconnexes. Ainsi, de manière indirecte ou plusfrontalement, les questions du « temps », de la« prescription » et de la « formation » ont étéévoquées.

Les coordinations entre intervenants :la place du médecin généraliste et de sa patientèle

(13) Note depolitique généralesanté publique,ministère fédéralde la Santépublique, de laProtection de laconsommation etdel’environnement,Bruxelles, 2000.

(14) La psychè :le cadet de messoucis ?,ministère fédéralde la Santépublique, de laProtection de laconsommation etdel’environnement,Bruxelles, 2001,pp. 1-34.

(15) Ibid., p.17.

(16) Ibid., p. 14.

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49Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Temps problème, temps allié, temps pour soi,temps pour l’autre, don de temps, tempsthérapeutique, temps relationnel, temps pourcomprendre la demande, temps perdu, manquede temps, temps d’un processus, temps familial,temps du patient, temps de l’urgence, temps deformation, temps de concertation, tempsd’écoute, temps de réflexion, temps d’attente,temps de diagnostic, temps de décision, tempspassé, temps présent et futur, temps individuel,temps collectif, temps fragmenté, tempscontinu ; ces termes ne constituent qu’unéchantillon des diverses manières de se référerau temps, de le décrire et le qualifier. D’emblée

le temps est connoté. Positivement : le tempscomme atout, comme outil thérapeutique ;négativement : le temps comme contrainteinsoutenable, source de sentiment de frustration,voire d’échec. Puis, il y a ceux qui se disent enpaix avec ce sujet : « Moi, le temps nem’inquiète pas trop ». Ou encore : « Le tempsne me stresse plus, j’ai réglé toutes mesangoisses à cet égard, et tant pis si je suis enretard ! ».Le temps pose question aussi : la question dupouvoir que les professionnels ont sur lui(« Comment maîtriser un temps qui nouséchappe sans arrêt ? ») ; ou encore, celle de sonefficience - ou rendement - (« Quel est le ’bontemps’ ? ») ; interrogation qui ne manque à sontour de renvoyer à celle de la détermination dela juste mesure du temps. Le ‘bon temps’ est-ilplutôt affaire de quantité - et dans ce cas, quelleest la durée recommandable (10 minutes, 15,1/2 heure, 1 h) ? - ou est-il davantage affaire de« qualité » ? Mais comment juger de la qualitédu temps ? En outre, y a-t-il un rapport entre laquantité de temps passée et sa qualité ?

Ce souci de la qualité du temps est révélateurde ce que la dimension temporelle ne se résumepas seulement à une contrainte extérieure,objective, mais est également considéréecomme le socle du processus thérapeutique àpartir duquel construire une relation où lespatients, comme les soignants eux-mêmes, ontà trouver leur compte. La notion de tempsrenvoie alors à un temps intérieur, un temps àhabiter en vue de conduire, ou simplementaccompagner, les patients vers un mieux-être.Cette qualité de temps-là semble de prime abords’apprécier de manière subjective, et tenir ausentiment de participer, même ponctuellement,au processus de transformation (dans le sensd’une amélioration) biologique, psychologique,

Temps des uns, temps des autres :le temps au pluriel

SylvieCarbonnelle,

anthropologue,Centre de

diffusion de laculture sanitaire,

Université librede Bruxelles.

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Lorsqu’on écoute les intervenants dessecteurs de la santé et de la santémentale évoquer la question du tempsdans leurs pratiques professionnellesrespectives, on est frappé de constaterque cette notion renvoie non seulementà des contenus, mais également à desvécus fort divers selon les uns et lesautres. De quoi parle-t-on quand onparle du temps ? Comment vit-on cetteréalité tout à la fois chronologique dutemps qui passe, et sociale du temps quel’on occupe et investit de sens ?

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et même sociale de leurspatients.Un intervenant met ainsi enexergue une conception dyna-mique, dialectique même, etrelationnelle du temps : « Letemps ne se refait pas, un patientqui guérit a été malade… Lesgens apprennent, les gens nesont jamais comme avant ».

JournéeSouffrances du lien social

ThématiquestransversalesDes temps pluriels,immanquablement

subjectifs

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50 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Les temps du généraliste

Globalement, il apparaît que généralistes etpsychologues conçoivent le rapport au temps,ou du moins la manière de se rapporter à lui, defaçon assez différente. Bien sûr le moded’exercice professionnel (salarié, indépendant,en solo ou en collectif, à l’acte ou au forfaitpour les médecins) influence radicalement lavaleur accordée au temps. L’adage selon lequel« le temps c’est de l’argent » n’a pas la mêmeforce de réalité selon que le revenu est garantiou qu’il repose sur le nombre de patients quel’on pourra recevoir. Cette variable estcependant loin d’être la seule à peser sur lesconceptions des uns et des autres.

La question du temps renvoie les généralistesde manière fondamentale à la conception de leurrôle et de ses limites. Son acuité est d’autantplus grande qu’ils tendent à promouvoir uneapproche dite globale du patient, une approchequi ne soit pas limitée aux aspects somatiques,mais qui englobe les dimensions psycholo-gique, sociale, culturelle. En effet, ceux qui ontintériorisé un tel modèle comme idéal depratique se trouvent confrontés à une exigencede soins qu’ils estiment difficilementcompatible, d’une part, avec le modèle de laconsultation classique (en solo), d’autre part,avec le maintien d’une frontière suffisante entreleur vie professionnelle et privée. Ils sontamenés à gérer un nombre considérable dechoses. Outre les examens requis parl’objectivation des plaintes afin d’élaborer undiagnostic et une procédure thérapeutique, ilsont à décoder ce qui parfois ne se dit pas, ni nese donne à voir : une détresse psychologique,des conditions de vie difficiles, une souffrancedue au contexte familial, social ouprofessionnel. Il leur faut dès lors travailler parstrates, feuilleter la réalité du patient dans sesmultiples aspects et organiser leur interventiondans le temps (l’immédiat, le court terme, lemoyen et le long terme). Ils jonglent en réalitéavec une temporalité plurielle, tout en ayant àréévaluer en permanence leur plan d’action, leurstratégie thérapeutique : que proposer ou mettreen place aujourd’hui, que faudra-t-il suggérerdemain, de quoi s’agira-t-il de tenir compteaprès-demain ?

Les généralistes savent bien qu’ils ne sont passeuls. Il existe sur le terrain - surtout en milieuurbain - une multitude d’autres professionnelset d’institutions avec lesquels travailler. Mais àquel moment référer le patient vers ces autrestypes d’intervenants ? Pas trop tôt, au risquequ’il ne se sente lâché par son thérapeute ; pastrop tard, au risque de retarder une prise encharge susceptible d’être salutaire… Jusqu’oùaller dans sa propre prise en charge ? A partirde quand passer la main ou tenter d’instaurerune collaboration ? De plus, face à la spécificitéde la souffrance psychique, les généralistes, entant qu’intervenants de première ligne,s’interrogent : sont-ils toujours les interlo-cuteurs adéquats ? Ne risquent-ils pas demédicaliser à outrance des problèmes qui nerelèvent pas de leur sphère de compétence ?

On le voit, la question du temps dériveinéluctablement vers celle des rôles de chacun,des territoires… Beaucoup de temps aussi estnécessaire pour identifier et apprendre àconnaître l’ensemble des ressources disponiblesen termes de services. A cet égard, les médecinsqui travaillent en maison médicale seconsidèrent privilégiés : ils ont la possibilité departager avec leurs collègues, ou carrément deleur déléguer, certains aspects du suivi de leurspatients ; voire simplement de discuter avecd’autres médecins de l’attitude thérapeutique àadopter. Il leur est également plus aisé de neplus répondre au téléphone au-delà de certainesheures, sachant qu’un autre médecin, au courantde la problématique de la personne concernée,pourra intervenir sans risquer de mettre à malle travail effectué jusqu’alors.

La diversité - pour ne pas dire la complexité –croissante des situations auxquelles sontconfrontés les généralistes les amène à devoirfaire face à un nouveau paradoxe : celui d’avoirà élargir sans cesse leur champ d’interventionau-delà de la sphère biomédicale (en venir à‘faire un peu de tout’), tout en conservant leurspécificité au sein de l’ensemble de l’offre desoins et de services sociaux (car s’ils sont deplus en plus ‘bons à tout faire’, ils ne peuventraisonnablement être bons en tout !). Quelleplace occuper alors par rapport à la visée d’uneapproche globale pour ne pas prendre trop encharge tout en assurant le nécessaire ; c’est-à-

Temps des uns, temps des autres : le temps au pluriel

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51Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

dire, pour rester cohérent sans pour autant sefaire submerger ? De toute évidence, il s’agitlà d’un difficile équilibre à trouver. Cela ne vapas de soi et nécessite déjà une certaineexpérience du métier. Bref, encore une questionde temps…

Les temps du « psy »

Pour les psychologues, les choses semblent plussimples si l’on peut dire. Intervenants dedeuxième ligne, c’est rarement à eux que revientle rôle d’agir dans l’urgence, ni celui d’orienterles personnes. Par définition, les psychologuesinscrivent leur travail dans la durée. Cela nesignifie pas que la question du temps n’entrepas dans leurs préoccupations, mais qu’elleprend une autre forme. Comme l’exprimait uneintervenante, dans la relation au patient, leprésent s’efface dans les questions du passé etdu futur. L’important est d’instaurer un rythmequi permette d’accorder le temps du thérapeuteet du patient de manière à avancer au mieuxdans le processus thérapeutique (la notion detemps renverrait à celle de bon rythme : ni troprapide, au risque de déstabiliser un patientfragilisé, ni trop lent, de crainte qu’il n’ait lesentiment de piétiner). Cela dit, avant de selancer dans un travail thérapeutique, lespsychologues ont besoin de cerner convenable-ment la demande. Si certains patients arrivent

d’eux-mêmes, d’autres, envoyés sur le conseil,voire l’indication d’un généraliste exigent deprendre du temps pour définir un cadre adéquat.Cela peut signifier de prendre contact avecl’ ‘envoyeur’ , et parfois même de l’impliquerdans le processus thérapeutique. Le temps dupsychologue est donc essentiellement définicomme un temps relationnel, que ce soit avecles patients ou les autres professionnels de santé.

Ainsi brossées schématiquement, ces diversesmanières d’appréhender le temps viennent nousrappeler que cette donnée à laquelle personnen’échappe (le temps se consomme et seconsume) est aussi une construction sociale. Sile temps - comme l’espace d’ailleurs - constitueune limite constante aux pratiques soignantes,il est intrinsèquement lié à l’organisation socialede ces pratiques, et aux activités concrètes queces pratiques requièrent. Il est déjà moinsétonnant dès lors que généralistes et psycho-logues en parlent de différentes voix. ●

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52 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

● La prescription comme refuge

Pour le patient :« Pour le patient, la prescription c’est qu’on atrouvé... il souhaite une solution qui n’implique

seurs c’est une avancée considérable. Pourcertains patients il s’est agi d’une ‘nouvellenaissance’ ». Insistance sur les difficultés à faireaccepter par le patient des médicaments quipeuvent le stabiliser. Le généraliste est unepersonne de confiance qui pourrait jouer un rôledans cette acceptation.

● La prescription comme limite

« Important pour les généralistes de connaîtreses limites. Surtout quand les frontières ne sontpas précises. Quand on ne sait pas, ons’abstient ».

● La prescription comme effet symboliqueet culturel

Le médicament est un objet thérapeutiqueoccidental.« Dans une étude citée par Philippe Pignare,les neuroleptiques sont remplacés par des sugarpills et les patients le savent. La moitié va mieuxet certains disent « on a mis autre chose que dusucre » (...) ».« Avec les patients maghrébins les anti-dépresseurs ça ne marche pas... L’effet est toutà fait inattendu... J’ai vu une femme marocainequi était par terre avec un demi-comprimé ».

● La prescription comme rapportindividualisé

Il n’y a pas de relation univoque entre undiagnostic et une médication. « L’étiquettediagnostique, c’est cliniquement une erreurgrossière (...) un schizophrène n’est pas un autreschizophrène (...) la seule chose c’est de ne pasmélanger les anxieux et ceux dont l’état est trèsdégradé ». Encore : « L’avantage de la prescrip-tion magistrale c’est que le médicament luiapparaît adapté à lui... ça joue dans la relation ».

● La prescription comme point d’ancrage

« La prescription c’est pas une questionopératoire, ça dépend de comment on parle dumédicament à celui à qui on le prescrit (...) çacrée un jeu à partir duquel le patient est un peuplus sujet (…). On peut développer tout undiscours autour du médicament, c’estpassionnant ». « Le médicament comme objettransactionnel ».

Il y a prescription

Aldo Perissino,médecininterniste, hôpitalMolière-Longchamps.

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Que le patient le veuille ou non, il fautun moment où la consultation setermine. Un moment où cet épisode dela relation thérapeutique arrive à unterme. Ce moment s’incarne volontiersdans la prescription, dont il est difficilede se passer. En quelque sorte, par lejeu du langage, « il y a prescription ».C’est fini, on passe à autre chose. Lepatient est nanti d’une ordonnance, quiva le conforter dans son statut depatient, en devenant porteur du pouvoirdu médecin devant un autre acteur, quisera l’exécutant de cette ordonnance.On retrouve les dimensions et leshésitations de cette manifestation dupouvoir médical dans les vignettes1 quinous sont rapportées à partir deséchanges qui ont eu lieu dans l’atelier« prescription ».

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(1) Le texte a pus’appuyer sur lesnotes de GuyLebeer.

JournéeSouffrance du lien social

Thématiquestransversales

De la prescription et deses métaphores

pas une remise en question tropprofonde. Le médicament c’estcomme un tuteur, pour que laplante croisse il lui faut de l’eauet du soleil ».

Pour le médecin :C’est un faux débat, lesmédicaments ne peuvent êtredévalorisés. « Les antidépres-

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53Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

● La prescription comme normalisation

Pour certains : le médicament c’est pourresocialiser. Y a-t-il (encore) une place pour lefou dans notre société ?Pour d’autres : refus d’être réduit à ce rôlenormalisateur : « on a quand même un savoirsur la maladie mentale. Il s’agit de cas com-plexes. C’est autre chose que des comporte-ments seulement difficiles... Alors bon, descomportements difficiles il faut vivre avec ».

● La prescription comme médicalisation deproblèmes sociaux

« 70 à 80% des patients psychiatriques ont desproblèmes sociaux. Je les réfère à un conseillerjuridique ».« Oui c’est vrai, des fois plutôt que de prescriredes médicaments, je prescris du syndicat, carle problème c’est parfois d’abord un problèmede travail ».

prendre le médicament qui le stabilise, et quil’empêche de se sentir « trop bien », encontrôlant ses épisodes maniaques. A l’autreextrémité, il y a le refus, ou du moins larésistance du praticien à satisfaire l’assuétudedu patient pour une substance, licite ou non,dont il voudrait bien pouvoir continuer à faireusage, et pour qui la consultation n’est qu’unpassage obligé vers la poursuite de cet usage(ou de cet « abus »). Le contexte, le contrôlesocial, jouent à plein dans la licité de cetteprescription, particulièrement pour legénéraliste, pour qui la marge de manœuvreentre l’orthodoxie et la demande est spéciale-ment étroite, en dépit de la relation privilégiée,« holistique », qu’il entretient avec son patient.

De plus, entre les deux extrêmes de la relationau médicament présentés de manière(délibérément) caricaturale, gît tout un éventailde situations pour lesquelles la relation entretraitement médicamenteux et guérison n’est pas

(2) DSM :manuel

statistique etdiagnostique des

troubles mentaux.Voir le texte de

Francis Martens.

Quelle que soit la pertinence de cesconsidérations, il convient, à leur propos ou enleur marge, de remettre en exergue les aléas dela prescription de psychotropes. Elle est en effettendue entre le refus et l’acceptation, tant dupatient que du praticien. A une extrémité duspectre de ce refus se trouve, peut-être, lecyclothymique qui voudrait bien arrêter de

précisément linéaire. Difficulté que viennentrenforcer un certain flou de la nosographie etdes différences d’écoles sur la nature ou lesmécanismes d’apparition des troubles. Entrepsychogenèse et neurobiologie, il n’y a pas quedes choix objectifs. Nous l’avons entendu, iln’est pas sûr que le DSM IV soit à même dedissiper ces brumes2.

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54 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Norbert Bensaïd3 écrivait en 1974 :

« Les médecins praticiens n’ont évidemmentpas à prendre en charge les grands maladesmentaux, mais si la fantaisie les prenait de faireune autre grève du zèle, qui consisterait àenvoyer aux spécialistes du psychisme tousleurs patients « fatigués », « déprimés »,« nerveux », « anxieux », « dystoniques », etc.,et si ces spécialistes décidaient de soigner cespatients sur le mode prolongé et soutenu quiest le leur, il faudrait probablement multiplierle nombre de ces spécialistes. On a, en outre,toutes les raisons de penser que les armes dontdisposent les psychiatres et la manière dont ilsen usent seraient totalement inadaptées autraitement de la plupart de ces patients, qui sontbeaucoup plus à l’aise en face de « leur »médecin. Grâce aux moyens dont celui-cidispose : un lien déjà existant, un capital deconfiance patiemment accumulé, la connais-sance de l’histoire et du milieu du malade, etgrâce surtout à un langage commun, le médecinpraticien a toutes les chances de mieux entendreet de mieux se faire entendre.

La distribution des malades – non psychiatri-ques – entre médecins et spécialistes dupsychisme supposerait en outre que certainsmalades se donnent ou s’acceptent d’embléecomme des malades psychiques ou que lesmédecins puissent d’emblée les étiquetercomme tels. Or, quand ces malades viennentconsulter, ils le font, le plus souvent, pour destroubles dits « fonctionnels », dont il est biendifficile de dire au départ quel sera le destin,s’ils resteront somatiques ou s’ils devront êtrepris en charge sur un autre mode (…).C’est ledestin de la relation qui fera que le malade seratantôt susceptible d’aller chercher ailleurs unevraie psychothérapie, tantôt condamné à n’êtrejamais soigné que sur un plan strictementorganique, tantôt pris en charge à ces deuxniveaux à la fois.

Mais tandis que s’élabore ce choix, tandis quese décide ce clivage, il risque de s’établir, entrele malade et le médecin, une relation affectivetrop intense (…). Quand l’envoi au psychiatredevient nécessaire, il est aussi, souvent, devenudifficile.

De toute façon, le recours à la psychiatrie nerésout pas le problème de savoir qui est malade,

Il y a prescription

(3) Norbert BenSaïd, Laconsultation,Mercure deFrance, Paris,1974, pp. 110-111.

mais seulement celui de savoir, à la rigueur,qui soignera le malade. A moins que l’on nedécide que les malades qui ne relèvent ni del’organicité pure, ni de la psychiatrie lourde,ne relèvent de personne ».

Un bon quart de siècle plus tard, le diagnostic aévolué et les ressources thérapeutiques se sontconsidérablement renforcées, mais l’enjeu restele même : ne pas abandonner la personne ensouffrance entre la psychè et le soma, nil’enfermer dans une de ces catégories, mais luiouvrir une relation dans laquelle exister entièreet se dire comme telle. La prescription, mêmesi elle vient clore un épisode de cette relation,n’en est que la conséquence, mais en rien lerésumé ni la finalité.

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55Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Deux questions sont le plus souvent avancées.D’une part les lacunes de la formation quiportent sur les « savoir être » et « savoircommuniquer ». Nous pouvons lire dans cetteattente un désir d’accueillir la souffrancepsychique et de collaborer à la prise en chargede la santé mentale de la population. Cettecollaboration est appréciable, notamment d’unpoint de vue préventif. Néanmoins, le lien avecle public de la psychiatrie demeure ténu.

Ensuite, comme une petite voix s’élève pourdire timidement « il y a aussi… », une autreattente, plus floue, qui concerne les apprentis-sages relatifs au travail en partenariat. Il s’agitd’un point délicat, terrain idéal de controversescar chargé d’enjeux, titillant la position des« candidats-partenaires ». Comment construireun partenariat lorsqu’il s’applique à un domainedans lequel certains sont spécialistes et d’autrespas ? Ajoutons à cela qu’il s’agit d’universdifficiles à circonscrire. Quelles sont les lisièresde l’un et de l’autre ? L’intersection estinévitable et les contours de celle-ci incertains.Où mettre les limites ? Difficile partage dusoma et de la psyché. Comment morceler les

êtres bio-psycho-sociaux ? Mais surtoutcomment les empêcher de résister à ce morcel-lement en s’insinuant dans les interstices ?

Sans pour autant les ériger en frères ennemis,nous pouvons avancer qu’un conflit d’intérêtest latent et ce d’autant plus qu’il s’agit de deuxgroupes particulièrement sensibles du point devue de leur légitimité. Les généralistes sontfragilisés par la culture ambiante de spéciali-sation de la médecine et les psychiatres sesouviennent d’un vieux combat, celui de lalégitimation de leur spécialisation, perceptibledans les efforts de conceptualisation médicalede la folie. La formation comme moyen departenariat court le risque d’être traversée parces diverses tensions. Mettre à découvert lespeurs et les enjeux sous-jacents est un préalableà l’instauration d’une complémentarité placéesous le signe du dialogue plutôt que sous celuide la confrontation.

Sans préjuger de ce qui est fait ou en projet dansle secteur de la santé mentale à cet égard, il estintéressant de pointer les avancées dans ce sensdans la formation universitaire du généraliste.Ainsi, la plupart des universités ont récemmentmisé sur la création ou le développement d’undépartement de médecine générale (voir lesarticles de Pierre Firket, Louis Ferrant et PaulCnockaert). Si ces cursus témoignent d’un soucide valoriser les dimensions spécifiques de lamédecine générale, des différences de sensibili-té sont néanmoins perceptibles, en particulieren ce qui concerne des enjeux actuels commela communication, la globalité, la subjectivité,la place des savoirs cognitifs et discursifs, etc.L’« atmosphère » et la prégnance des valeursdominantes du contexte d’apprentissage sontdéterminantes, au point que comparaisons etsurtout mises en commun des points fortsseraient à encourager. A défaut, il est possiblede mettre l’accent sur les réminiscences de laformation et leurs traces actuelles dans l’identitéprofessionnelle (voir les textes de Jean-Georges

L’enjeu de la formation

MarianneGielen, licenciéeen travail social,Université libre

de Bruxelles.

Un dialogue entre généralistes etprofessionnels de la santé mentale senoue, se renoue. La liaison est ancien-ne. La psychiatrie n’est-elle pas issuedu creux de la médecine ? Le contexteactuel réactive la question de leursrelations malaisées. En effet, l’heure estaux projets de circuit de soins, depsychiatrie à domicile, d’où la nécessitéde s’assurer la collaboration desgénéralistes. En outre, la pression estforte, qui tend à faire des généralistesdes réceptacles disponibles et polyva-lents de la souffrance psychique. C’estdans ce contexte que naissent d’éventu-elles collaborations et qu’apparaissentrivalités et incompatibilités. Les ques-tions de la formation des généralistessont empreintes de cette réalité.

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Romain et de Richard Hallez).

Enfin, le lieu est bien choisi pourrappeler l’importance du mou-vement Balint dans la formationdes généralistes aux dimensionspsycho-relationnelles (voir letexte de Michel Delbrouck).

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des formations et deleurs enjeux

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56 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Un exemple de formation du généraliste aux aspectspsycho-relationnels

Paul Cnockaert,chargé de cours,Centreuniversitaire demédecinegénérale àl’Université librede Bruxelles.

1er, 2ème, 3ème

doctorats

4ème doctoratfilière G(médec inegénérale)

DES(spécialisationen médecinegénérale)

Modalités

• cours - de psychiatrie- de médecine générale

(15h pour tous dont2h consacrées à larelation médecin-malade)

• stages :- hospitaliers- de médecine générale

(une semaine plein-temps,chez un généraliste)

- ex-cathedra - séminaires- ex-cathedra

• ~ 300h dont 48h d’orientationpsychologique

• 6 x 3h d’ateliers Balint

• 6 mois de stages chez un généraliste

- stages de sensibilisation+ 3h de séminaire enpetit groupe.

- ex-cathedra

- séminaires de cas, centréssur la relation, non directifs.

- stages d’accompagnement

• 51h de séminaires par anpendant 2 ans

• cours dont certains d’orientationpsychologique

- cas de la pratique,semi-directifs

- ex-cathedra et ateliers

Enseignements

F o r m a t i o nm é d i c a l econtinue

• symposium – séminairesdont certains orientés psy

• en petits groupes• Glems (Groupes locaux d’évaluation

de la pratique par des pairs)• groupes Balint

• formations orientées « relationnel » :RAT, toxico, alcool, soins palliatifs, …

- ex-cathedra + questions -réponses

- techniques d’auto-évaluation

- séminaires de cas, centréssur la relation, non-directifs

- en petits groupes, de cas,avec aspects théoriquespossibles

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des formations et deleurs enjeux

L’objectif de la formation du médecin généraliste est de lui donner des capacités suffisantes pourappréhender les problèmes somatiques tout en l’aidant à développer des capacités d’écoute, deconnaissance « psy », d’approche des réalités relationnelles, d’ouverture sociale. Quelle est lasituation actuelle ?

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57Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

L’étudiant(ét.), le médecin généraliste (MG) par rapport auxaux intervenants médicaux : ......... 13x

- Place par rapport aux services hospitaliers, au médecintraitant (MT), au psy, aux médecins spécialistes (M Sp) 5x

- Vécus (désaccords, agressivité) par rapport aux post gradués,à la garde, aux M Sp, aux maîtres de stages, au pouvoir médical 8x

Malaise par rapport au patient qui dérange : ......... 18x• avec plus ou moins d’agressivité :

- violent ou agressif 3x- qui interfère avec le diagnostic 3x- qui manipule 1x

• avec sentiment d’impuissance- malade qui impose sa volonté 1x- malade qui dit peu 3x- drogué 1x- divers 3x

• lors de l’examen clinique- d’un médecin, d’un patient cancéreux 3x

Malaise par rapport à la confrontation à plusieurs intervenants familiaux : ........... 3x

Position défensive par rapport à la loi de non-assistanceà personne en danger : ........... 5x

Malaise pour dire ou prendre en compte: ........... 4x- le pronostic 2x- le non-dit qui gène 1x- le langage non verbal 1x

Vécus qui interfèrent, qui gênent : ........... 7x- culpabilité(retard du diagnostic) 1x- la relation trop investie (> retrait de la relation) 2x- le trop d’affects qui bloque 1x- angoisse par rapport à la mort 1x- violence intérieure qui gène 2x

Gérer le doute : ........... 1x

Agir ou pas : ........... 2x

Aspects relationnels discutés en atelier Balint (3 x 11 cas ). Plusieurs items possibles par cas.

Environ 40 % des étudiants de la filière médecine générale suivent les ateliers Balint, où l’ondiscute de cas de manière non directive, et orientée sur les aspects de la relation médecin-malade.En guise d’illustration, voici une statistique des aspects relationnels discutés en atelier Balint, àpartir de 33 cas apportés par les participants.

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58 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

On est peu après 68, c’est l’antipsychiatrie, onferme les vieux asiles, les centres de santémentale commencent à s’ouvrir, on essaie des’occuper du malade mental « dans la cité »,

leptiques. Je me rappelle une campagne, àlaquelle on avait participé, qui avait commethème que le médicament ne devait rienrésoudre, qu’il y avait d’autres choses à faire.Cela a débouché pour moi sur le choix detravailler dans une équipe multidisciplinaire où,au niveau de la première ligne, il y avait desgénéralistes mais aussi des psychologues, despsychanalystes, des travailleurs sociaux,...

Ça nous permettait d’avoir une formationpermanente, d’avoir une vraie prise en chargeglobale des patients avec toute cette souffranceet, en milieu urbain où je travaille, un énormeisolement des gens. Travailler en équipe, çapermettait un soutien, une possibilitéd’intervision entre les différents intervenants ettous ceux qui ont pu faire cette démarche enont largement bénéficié.

Alors, il s’agissait, puisqu’on n’était pas bienformé, d’apprendre. Mais finalement, qu’est-ce qu’on avait à apprendre ? Je me rappelle unephrase du professeur Sourit qui disait àl’époque : « Essayez d’agrandir votre oreille »et effectivement il fallait apprendre à ouvrir lesyeux et les oreilles, à écouter mieux et plus,apprendre aussi à se taire, à effacer son savoirde façon à faire apparaître la vérité du patient,ce qu’il a vraiment à nous dire, ce qui est lefond de sa souffrance.

Cela amène souvent aussi le généraliste àenvisager son évolution personnelle, à faire desdémarches pour lui-même de façon à ne pasêtre mis en danger. Cela demande unedisponibilité de temps mais aussi unedisponibilité mentale.

Alors tout cela, on essaye de le répercuter dansles formations et, si très peu est fait au niveaude la formation générale, par contre, au niveaudu centre universitaire de médecine générale,en formation spécifique des généralistes de 4ème

doctorat, le nombre d’heures en relation avecles problèmes de santé mentale est trèsimportant. Il y a un espoir que des ouverturesse fassent dans les années qui viennent.

Du chemin depuis 1968

Richard Hallez,médecingénéraliste à lamaison médicaleMarconi, Centreuniversitaire demédecinegénérale àl’Université librede Bruxelles.

La faible proportion de formationpsycho-psychiatrique ne date pasd’hier. A la fin des années soixante (« lepost ’68 »), le cursus comporte 100 hde ce type sur 5.000. Et il n’y a pas deformation spécifique à la médecinegénérale. Or, c’est l’époque du succèsde l’antipsychiatrie…

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

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et donc, on demande auxmédecins généralistes d’essayerde le prendre en charge.

On avait une positionextrêmement critique etdéfensive par rapport à lamédicalisation, à l’usage desmédicaments et des neuro-

●JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des formations et deleurs enjeux

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59Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Le parcours d’un diplômé en 1978 à l’université de Liège :

Inventaire à la Prévert

Jean-GeorgesRomain, médecin

généraliste,responsable du

programmeALTO de la

Sociétéscientifique de

médecinegénérale.

(1) Cela vamieux : en 1999,

60 minutes surl’alcoolisme, 30pour les autres

dépendances.

(2) Cela changeaujourd’hui à

l’université deLiège (voir texte

suivant).

(3) Notons queles ateliers de laSociété générale

de médecinegénérale sont très

efficaces enmatière de

savoir-faire et lasociété Balint

offre desformations au

savoir être (voirtexte de MichelDelbrouck) en

dehors del’université.

7 ans d’études de base,5.000 h de formation,100 h de psychologie et psychiatrie,0 h de sociologie,30 minutes sur l’alcoolisme,0 minutes sur les drogues, la dépendance et les autresassuétudes1, …

et au passage 0 h sur la grippe.

Zéro h de formation à la communication,0 h à la rencontre d’un humain en consultation2,0 h d’intervision ou de formation transdisciplinaire,0 h de formation anthropologique ou éthologique,0 h de formation culturelle interethnique ou ethnologique,0 h de formation sur les problèmes de santé mentale (ou de

santé tout court) touchant les émigrants ou les immigrants,rien pour apprendre à communiquer avec un « kiné »,avec une infirmière, avec un psychologue ou avec uneassistante sociale...

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des formations et deleurs enjeux

Université pas vraiment universelle !

Quid d’un savoir sur le savoir (une épistémologie des sciences et des sciences humaines), unepédagogie des savoirs (apprendre à apprendre), un savoir-devenir (philosophique voire spirituel)...

Quid de la dynamique des groupes, de la dimension politique (au sens noble) du groupe, du conseilconjugal, de la sexologie ou de la systémique familiale ?3

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60 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Candide

Cela a toujours été considéré comme allant desoi, comme la prose…C’est a posteriori que lemédecin généraliste se découvre, en cheville,dans le champ social, qu’il doit s’y confronter,s’y habituer, en immersion forcée, pour fairel’expérience sur le tas de la complexité sociale,pour apprendre, par la méthode essai-erreur, lagestion des demandes intriquées, la découvertedes histoires et des parcours labyrinthiques despatients mais surtout pour mesurer l’impact ducontexte social, culturel, familial et économiquedu patient dans la genèse et le décours de lamaladie.

Il est, qu’il le veuille ou non, dans l’obligationde participer au lien social en tant qu’acteur s’ilveut simplement comprendre l’autre, dans saplainte et sa souffrance, lui donner une réponseglobale qui prend en compte la réalité complexede sa vie. Il ne peut pas en faire l’économie.

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Enseigner pour mieux entendre, écouter etrépondre à la souffrance mentale

Pierre Firket,médecingénéraliste,vice-président del’Association desgénéralistesenseignants del’Université librede Bruxelles.

Sans le savoir, sans en avoir prisconscience le plus souvent, le médecingénéraliste se trouve, frais émoulu, àla sortie du cursus facultaire, pris dansle maillage social, investi de missionshors champ médical pour lesquelles lemodèle médical enseigné ne l’a paspréparé. D’ailleurs, s’il avait su…

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des formations et deleurs enjeux

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61Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Encore aurait-il fallu que le modèle médicalenseigné et appris fusse adapté à cette réalité,que le médecin eusse la possibilitéd’appréhender à sa juste mesure les tenants etles aboutissants de la relation médecin-malade,en s’ancrant de plain-pied dans le cadre de viede son patient.En effet, faut-il l’écrire, l’enseignement de l’artde guérir n’a pas donné aux médecins des rueset des campagnes les clés de transposition d’unmodèle scientifique, causaliste et linéaire,inspiré d’une pratique hospitalière, rapidementinadapté aux besoins et aux demandes dupatient.

Ce défect pédagogique est structurel et culturel.La fonction du médecin généraliste n’avaitjamais été pensée. Il suffisait croyait-on detransposer la culture médicale hospitalière dansla rue… « Ce sont les mêmes malades aprèstout ». Disons, plutôt, les mêmes maladies, lesmêmes objets d’investigations, désaffectés leplus souvent. Ne parlons pas de la participationdu médecin au tissage social, elle n’était mêmepas conceptualisée, encore moins imaginée.

Les choses changent

Si la fonction du médecin généraliste dans lasociété est bien définie et reconnue, les moyensmis en œuvre pour « apprendre » la médecinegénérale, en amont et en aval du diplôme, sedéveloppent, s’inventent, pour répondre auxexigences complexes de la pratique médicaleextrahospitalière.

La question de la transmission d’un savoir-fairene pose pas trop de problèmes. Par contre, celled’un savoir-être en pose : se transmet-il,s’apprend-t-il ? Y a-t-il des modes d’emploi,des guidelines sauce EBM* en matièred’apprentissage cognitif, émotionnel etrelationnel ? Certainement pas. Alors, commentfaire ? Comment être « un pair » pour lenouveau promu sans recourir aux enseigne-ments normatifs et généralisés ?

Si « enseigner », c’est « apprendre àapprendre », on peut imaginer un modèle

d’enseignement qui, dans le cas du savoir-être,aurait pour objectif de donner à l’apprenantl’envie de s’investir dans la relation médecin-patient, d’aller à la rencontre de l’autre, deprendre le risque de la parole dans le colloquesingulier avec le patient pour entendre sademande, sa différence, son désir, lui permettrede se confronter à l’intersubjectivité au risquede se perdre, d’apprendre à « subjectiver » larelation médicale, en imaginant derrière l’objetde la plainte, le sujet malade. In fine, enseignerserait d’apprendre « à apprendre » à être acteurdu lien social.

Comprenons-nous bien. Il s’agit de laisser laplace à l’autre, l’apprenant, avec ses acquis, sesrepères, ses croyances, ses valeurs personnelles,et, individuellement, tels les compagnons-bâtisseurs, l’accompagner, en toute autonomie,dans la construction de ses paradigmes moraux,ses balises professionnelles, ses références de« bonne pratique », son bien-être… sanscontraintes normatives, « hygiéniques »,standardisées.

Trois expériences

Passer d’un savoir objectif à « un apprentissagede la subjectivité dans la relation » pourraitconstituer un défi pédagogique que nous avonsdécidé de relever avec les médecins enformation de deuxième et troisième cycle, enmettant en place trois expériences stratégiquescognitives, que je décrirai brièvement.

Dans le cadre du LAHREM (Laboratoired’apprentissages des habilités relationnelles enmédecine), un maître de stage, en tant quetuteur, accompagne un jeune médecin, dans leprocessus d’une consultation médicale, réelleou simulée. A cette occasion, la consultationest filmée. Un protocole pédagogique estclairement explicité à l’étudiant avec lesobjectifs fixés, la technique autoscopiqueutilisée avec ses avantages et ses limites, desrègles éthiques strictes précisées, entre autre enmatière de confidentialité. Le patient estinformé de la procédure et du cadred’enseignement.

*EBM =Evidence Based

Medecine, oupratique

médicale fondéesur des preuves

scientifiques.

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62 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Le jeune médecin, confronté la première foispeut-être à son image, a la possibilité, enparfaite confiance avec le tuteur, de vivreémotionnellement la consultation, d’analyserles mécanismes de communication (leslangages utilisés, les attitudes, les émotions,etc.) et, en résonance avec ses valeurs et sesconceptions, sa manière d’être dans la relationà l’autre. Il est impératif, dans ce modèlepédagogique cognitif, de veiller à ne pas donnerun enseignement d’un savoir qui seraittransmissible, clé sur porte, un « prêt à porter »de la relation. Il faut laisser la place à la création,à l’imagination, à la spontanéité, au respect del’autre, l’apprenant, en sachant qu’il n’existepas une façon de faire ni d’être… La réussitede ce type d’enseignement individualisé repose,en effet, sur cette espace de liberté, horscontrainte dictée, pour permettre à l’étudiant dese connaître, de se sentir, d’être à l’écoute deson désir de thérapeute. C’est à ce moment-làseulement qu’il pourra entendre l’autre et allerà sa rencontre, sans a priori.

Dans le cadre du CITES Prévert (Centred’information des thérapeutiques et d’études surle stress), une consultation de prévention ensanté mentale permet d’évaluer pluridiscipli-nairement la capacité d’adaptation cognitived’un individu à répondre aux sollicitations deson environnement social, culturel etprofessionnel. Comme il s’agit de préventionprimaire, les personnes qui consultent ne sontnormalement pas malades. Elles éprouvent, toutau plus, quelques manifestations physiolo-giques et cognitives fugaces, prémisseséventuelles d’un dysfonctionnement si laréponse adaptative demande un investissementtrop important.Lors de ce type de consultation, l’étudiant a unrôle d’observateur. Il est attentif à l’histoire del’usager, à sa façon de dire les sentiments, auxéléments anamnestiques prémonitoires, auxfacteurs de vulnérabilité et de potentialités, àl’interaction avec le médecin, l’objectif étantde le sensibiliser à une culture de la médecinepréventive en santé mentale pour lui donner

Enseigner pour mieux entendre, écouter et répondreà la souffrance mentale

envie de mieux comprendre et donc anticiper,les mécanismes psycho et physiopathologiquesde l’anxiété, de la dépression, et des maladiespsychosomatiques qui peuvent sourdre,subrepticement, au détour du parcours de toutun chacun.

Dans le cadre d’un stage de médecine généraledans un hôpital psychiatrique, le centrehospitalier Petit bourgogne, le médecin enformation se trouve en prise directe avec lapathologie mentale et surtout celui qui ensouffre. Dans ce cas disparaissent les repèrescliniques, les assurances et les certitudes. C’estl’apprentissage du doute, de la différence, del’étrangeté. Cela peut constituer une « épreuvede vérité » émotionnelle qui, si elle estaccompagnée d’une analyse réflexive,conditionnera le trajet professionnel pourl’avenir.

Ces trois types de recherche-actionpédagogique, inspirés des modèles psycholo-giques analytiques et systémiques, sont autantde possibilités d’apprendre les enjeuxrelationnels complexes, de s’y confronter, demettre en évidence des stratégies cognitivesd’apprentissage pour « oser aborder le champsdes émotions et des sentiments ».

C’est, de plus, une des missions des facultés demédecine que de donner les outils pédagogiquesadéquats en cette matière et c’est seulement àce prix que « le médecin généraliste du XXIème

siècle » (Charles Boelen) trouvera sa place dansla société, qu’il répondra à ce que l’on attendde lui comme acteur, responsable à part entière,dans le système des soins de santé, et qu’ilparticipera, mieux formé, à la confection« fraternelle » du tissu social (Attali).

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63Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

La formation des médecins généralistes partutorshipSouci de la santé mentale pour les futurs médecins généralistes

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des formations et deleurs enjeux

Introduction : trois niveauxd’enseignement

Dans la formation des généralistes, on metclassiquement l’accent sur l’acquisition desconnaissances médicales générales, l’appren-tissage de compétences et le développementd’attitudes. Par comparaison, les psycho-thérapeutes vont plus loin : ils suivent eux-mêmes un processus thérapeutique.

Dans la formation des médecins généralistes,on distingue trois niveaux d’approfondis-sement : le premier et le mieux connu estl’apprentissage et la construction d’un métier(« que faire en tant que médecin ? »). Le

troisième, comme les psychothérapeutes, est laformation de la personnalité et le développe-ment personnel (« qui suis-je en tant quepersonne ? »). Il ressort qu’en cette matière lesgénéralistes n’ont pas ou peu de tradition. Entreces deux niveaux, s’en trouve un intermédiaire :la croissance en tant que médecin. Balint2 l’adécrit et a développé la méthode des groupesd’intervisions Balint. De nombreux généralistesont dans le temps suivi des groupes Balint. Cetype de formation ne semble plus avoirbeaucoup d’adeptes aujourd’hui en Flandres.A l’Universitaire instelling Antwerpen nousavons cherché à développer un outil pour ceniveau intermédiaire en cours de formationprofessionnelle. Nous l’avons intitulé :tutorship. Pour le lecteur de Santé Conjuguée,peut-être moins familier des articles surl’enseignement, nous expliquerons et question-nerons comment ce niveau intermédiaire peutnous être utile comme médecin généraliste.

Conception de l’enseignement demédecine générale à l’Universitaireinstelling Antwerpen

En 1988, nous avons mis en place àl’Universitaire instelling Antwerpen unenouvelle formation des médecins généralistes.Dans une première phase, nous avons dressé laliste des objectifs de formation3. Pourl’élaboration du programme d’enseignement,nous nous sommes basés sur les travaux de

Luc Debaene,médecin

généraliste àAntwerpen,

Louis Ferrant,médecin

généraliste àBruxelles,

assistants auCentre

universitaire demédecinegénérale,

Universitaireinstelling

Antwerpen.

Traduction dunéerlandais parMartine Baudin.

Alors un professeur dit : parle-nous de l’enseignement.Et il dit : Personne ne peut révéler ce qui ne sommeille pas déjà à moitié

dans les brumes de ta conscience.1

(Kalel Gibran, Le Prophète).

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Qui suis-je en tant que médecin ? Quelest mon développement commemédecin ? Chaque médecin trouve sespropres réponses à ces questions.Au cours de la formationprofessionnelle en médecine généraleà l’ Universitaire instelling Antwerpen(UIA) cette question est poséeexplicitement dans le « tutorship ». Cetarticle décrit le tutorship, explicitecomment il se situe dans une conceptionde l’enseignement et en donne unéclairage critique.

Harden et de ses collaborateurs4

et en avons privilégié lesenseignements qui sedistinguent comme suit :orientés vers l’étudiant, orientésvers les problèmes, intégrés,orientés vers la société, avecpossibilités de choix systéma-tiques.

(1) Gibran K., DeProfeet, Den

Haag: Miranda,1986.

(2) Balint M., Thedoctor, his patient

and the illness,New York:

InternationalUniversitiesPress, 1957.

(3) Denekens J.,Van Royen P. et

al.Onderwijsdoelen

voorberoepsopleiding

Huisartsgeneeskunde,UIA, 987: 28.

(suite sur pagesuivante)

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64 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Depuis lors, nous avons formé treizegénérations de généralistes. Ils s’inscrivent àcette formation après six ans et demi deformation générale et suivent pendant leurdernier semestre quasi à temps plein uneformation professionnelle. Nous avons desgroupes de vingt-cinq à quarante-cinq étudiants.L’encadrement est assuré par une vingtaine deformateurs à temps partiel, essentiellement desgénéralistes.Disposer de nombreux formateurs pour un petitgroupe d’étudiants permet de travailler d’unemanière interactive et centrée sur l’expérience :on commence par expérimenter, ensuite ondiscute et prend conscience, afin de pouvoir selibérer du cas particulier et transposer ainsi lesacquis dans d’autres situations5.

Le tutorship est la pierre angulaire del’ensemble : chaque étudiant (pupil) a un tutorpersonnel (un des formateurs), qui le suitpersonnellement pendant ce dernier semestrede son processus d’apprentissage, le« processus de développement vers la fonctionde généraliste ».

Pour cela, nous nous sommes basés sur lesmodèles et conceptions de l’enseignementconfluent, issu de la psychologie humaniste, etinspiré de la Gestalt et de la Psychosynthèse.Par « confluent » on entendait à l’origine :l’intégration d’objectifs d’apprentissagecognitifs et affectifs. Le principe de base estque le domaine affectif (sentiments, valeurs,attitudes) peut influencer le processusd’apprentissage aussi bien positivement quenégativement. Le dessein est d’obtenir que lessentiments soutiennent le processus decompréhension au lieu d’interférer avec lui.La « confluence » concerne aussi l’aspectrelationnel de la situation d’enseignement. Ledéveloppement intra personnel ne s’élabore pasdans le vide, mais en interaction avec d’autres(les formateurs et les condisciples). Cettedimension interpersonnelle devient explicitedans le lien enseignant-enseigné. Bien que cevolet interpersonnel concerne surtout ledéveloppement personnel et la formation, cetélément est aussi une préparation à l’exercicede la profession qui comporte des liens decollaboration. Et in fine les champs intra etinterpersonnels ne sont pas indépendants d’uncontexte, c’est-à-dire le monde objectif dans

lequel les gens vivent (en particulier pour lesmédecins généralistes le milieu des soins desanté). Il y a donc confluence ou intégration detrois domaines : l’intrapersonnel, l’interperson-nel et le milieu (culture, soins de santé, société,etc.). Deux concepts importants interviennentencore : la disposition (l’étudiant est-il prêt pouraborder une nouvelle étape de sa formation ?)et la responsabilité (l’étudiant se sent-ilresponsable de sa propre formation ?).L’intégration des processus d’apprentissagecognitif et affectif est la base des échanges tutor-étudiants.

L’organisation pratique

● Quel étudiant pour quel tutor ?

Deux mois avant le début du cycle, les étudiantsrencontrent les formateurs : ils apprennent à seconnaître, et reçoivent un aperçu de ce que seraleur formation et du rôle qu’y joue le tutorship.Jusqu’en 1999 le tutorship consistait enrencontres régulières entre un étudiant et untutor. Depuis 2000, tout en gardant les mêmesconcepts de base, nous travaillons autrement.Un tutor accompagne un groupe de trois ouquatre étudiants. Cette modification n’est pasuniquement liée à la grande charge de travailde certains tutors, mais aussi au souci d’offriraux étudiants l’apport de leurs condisciples dumême groupe d’âge. Les étudiants, via le siteweb du Centre de médecine générale, reçoiventune description du tutorship et une présentationde chaque tutor. Nous leur demandons de fairele choix d’un tutor au plus tard une semaineaprès le début du semestre et de former ungroupe avec d’autres étudiants qui entament lemême cursus. Ils nous envoient pour cela unelettre de « sollicitation » dans laquelle ilsexplicitent leurs attentes à l’égard du tutorship.Ils signalent les noms de leurs tutors en premier,second et troisième choix. Quelques jours après,il leur est communiqué qui va avec qui.

● Le dialogue tutor/étudiant

Étudiant et tutor se rencontrent par groupes detrois à quatre étudiants toutes les quatresemaines, pour un entretien d’une à deuxheures. Ces rencontres ont lieu soit à l’Universi-

La formation des médecins généralistes par tutorship

(4) Harden R.,Sowden S. enDunn W.,« Educationalstrategies incurriculumdevelopment: thespices model »,MedicalEducation 1984;18:. 284-297.

(5) Whitmore D.,Psychosyntheseen educatie,Amersfoort: DeHorstink, 1983.

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65Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

taire instelling Antwerpen soit au cabinet dumédecin tutor.Étudiant et tutor analysent ensemble lesmotivations de l’étudiant pour ses études demédecine et leur évolution. La médecinegénérale est-elle son premier choix (ou ledeuxième, ou n’a-t-il pas encore vraimentchoisi) ? Quels sont ses intérêts en dehors de lamédecine ? Comment se situe l’étudiant dansson cursus de formation professionnelle, quelaisse-t-il tomber, où fait-il des choix ? En quelsdomaines se sent-il encore en difficulté etcomment envisage-t-il d’y remédier ? Quellecompétence concrète ne maîtrise-t-il pas encoreet où et comment compte-t-il les acquérir ?Quels sont ses points forts ?S’y discutent aussi la fin des études et la suite :s’installer ou non, sa place dans le système desoins, la formation continuée... La discussionse fait sous forme de séminaire pédagogique :chaque étudiant apporte les thèmes qui luiparaissent importants. Le tutor écoute, renvoie,contredit parfois, structure. Il invite les autresétudiants à réagir à ce que disent leurscondisciples. Il insiste aussi sur le caractère

● Intervision entre tutors

Les tutors ont deux séances d’intervision aucours des six mois de formation professionnelle.Nous vérifions comment chacun assure sontutorship et ce, sous la direction d’un spécialistedu comportement (un des collaborateurs). Nousexaminons les possibilités et les pièges.Ensemble, nous cherchons des solutions et desstratégies permettant de faire face auxdifficultés. Ces intervisions sont soumises à uncode d’éthique : les tutors ne détaillent pas lesfaits qui leur ont été confiés. Il semble judicieuxque nous nous réunissions en tant queformateurs et que nous échangions nosexpériences (en toute discrétion). Ensemble,nous suivons de près l’évolution de laformation. C’est ainsi que les intervisions desdernières années nous ont révélé clairement queles étudiants luttent contre l’angoisse determiner leurs études et de prendre leur place,incertaine, dans la santé publique. Ce genre dephénomène ne passe pas inaperçu dansl’enseignement de groupe, mais il est mieuxdécelable lors des entretiens individuels avec

confidentiel de ces discussions.Comme il fut exposé plus haut, ladisposition et la responsabilitéjouent ici un rôle important. Face àface avec le diplômé, les généralistesen formation entament un processusémotionnel intensif : au cours desrencontres avec le tutor ce champaffectif sera intégré au champcognitif. La relation personnelleavec le tutor et l’interprétation quecelui-ci donne aux thèmes débattuspermettent de plus une intégrationdes trois niveaux citésprécédemment : l’intrapersonnel,l’interpersonnel et le « monde ».Pour certains étudiants il peuts’avérer nécessaire, à leur demande,d’avoir aussi un entretien individuelsur l’un ou l’autre sujet dont ilspréfèrent ne pas parler en présencedu groupe. Ensemble, le tutor etl’étudiant évaluent si c’est vraiment nécessaireou si cela relève tout de même de la sphère dututorship, et si nécessaire, ils fixent un rendez-vous. Cette forme d’accompagnement n’est pasfavorisée pour ne pas perdre le caractère positifdu débat en petit groupe.

le tutor. Cela nous permet, à nous formateurs,de mieux adapter les processus collectifs à laformation.

Lors de l’intervision, les tutors tententégalement de mieux comprendre leur

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66 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

motivation et de la communiquer aux autres :pourquoi voulons-nous être des tutors ? Qu’est-ce que cela nous apporte ? Quelles sont nosmotivations ? Un des formateurs l’exprime demanière concise : « Une chose aussi essentiellenous instruit également ».

Il semblerait que développer l’attitude de baseadéquate pour un entretien pédagogique ne soitpas si évident pour les tutors. Ici, le mot clé est« acceptation » : accepter l’étudiant dans toutce qu’il fait et vérifier ensemble quels sont sesbesoins, ce qui lui est profitable, ce qui peutstimuler son processus d’acquisition et sondéveloppement. Cela signifie que le formateurdoit également développer cette attitude debase, l’acceptation, pour lui-même et oser seprofiler comme une personne et commevulnérable.

Discussion

Le tutorship décrit ci-dessus n’est pas encoreparfait. Il est récent et doit faire ses maladiesinfantiles.Les formateurs doivent encore apprendre leurfonction de tutor : certains sont trop peuconcernés, d’autres trop. Une approche au plusprès, tout en gardant ses distances, semble êtreun exercice d’équilibre difficile pour beaucoupde tutors. Nombre de formateurs font savoirqu’ils souhaiteraient plus d’intervisions et uneformation plus poussée au niveau de l’entretienpédagogique.Au début de cet article, nous avons situé letutorship entre les niveaux « construction d’unmétier » et « formation de la personnalité ».Chaque contact tutor - étudiant cherche sa voieentre ces deux niveaux, mais de manière encorevague. Le processus nécessite plus deconcertation et un accord formel concernantplusieurs codes, entre autres sur les distances àgarder et la sécurité.L’ensemble de la formation professionnelle abesoin d’être évalué : nous avons l’intentiond’examiner prochainement si les moyenspédagogiques nous permettent d’atteindre lesobjectifs pédagogiques. L’évaluationscientifique du tutorship est prioritaire. Enmême temps, nous voulons vérifier dans quellemesure il convient de l’intégrer plus tôt dans laformation.

● Réactions des étudiants

En attendant une enquête plus scientifiqueauprès des étudiants, nous avons tenté d’évaluercomment ils vivent le tutorship.Nous avons appris que nous devons accorderplus d’attention à la composition des groupestutor - étudiant : apparemment, différentsgroupes n’avaient pas assez « d’atomescrochus ». Citons une étudiante : « J’ai pudéduire des discussions avec mes camaradesque certains d’entre eux avaient un contactexcellent et sincère avec leur tutor ; pourd’autres, le contact se limitait à quelquesentretiens « sans vie ». Certains formateurs sontplus aptes que d’autres à assurer ce genre defonction. »

Plusieurs étudiants nous ont appris que letutorship est impopulaire au départ parce qu’onn’aime pas ce qu’on ne connaît pas. La mêmeétudiante nous écrit : « Notre groupe a accueillile tutorship avec des sentiments mitigés.Pendant six ans et demi, on nous apprend àpenser et agir de manière aussi impersonnelleet froide que possible. Et tout à coup, on nouspermet d’éprouver des sentiments, d’être dansl’indécision, d’avoir des doutes. Qui plus est,on peut même en parler ! »

● Le tutorship existe-t-il ailleurs ?

Les termes tutor et étudiant apparaissentfréquemment dans la littérature internationale,mais il s’agit toujours de fonctions différentes(peut-être aurions-nous dû choisir d’autrestermes).Généralement, les tutors sont des tuteurs depetits groupes de l’enseignement par études decas. Nous retrouvons également des étudiantsplus âgés (seniors) qui suivent les plus jeunes(juniors). Ce système semble exister depuis trèslongtemps à la Katholieke universiteit vanLeuven, l’université voisine. Pour la formationdes infirmiers, les tutors sont des directeurs destage. Dans les formations médicales néerlan-daises, nous trouvons le système de conseillersd’études. Il s’agit de pédagogues qui n’assurentpas eux-mêmes la formation. Seule la facultéde médecine de Maastricht dispose d’unsystème « décentralisé » d’accompagnementpédagogique : des formateurs et descollaborateurs scientifiques assistentindividuellement les étudiants, à raison d’un par

La formation des médecins généralistes par tutorship

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68 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

De la guidance psychologique...

Dans le domaine de la santé mentale, un desrôles du médecin de famille est de préparer, sibesoin en est, ses patients porteurs de troublespsychologiques à entamer un processuspsychothérapeutique. La psychothérapie n’estpas la solution univoque à tous les problèmesexistentiels. Parfois, quelques entretiens avecle médecin suffiront au patient pour traverserun moment pénible et retrouver un équilibrepersonnel et familial. Nous excluons du champde l’omnipraticien les troubles psychiatriquesgraves.

Les candidats patients à la guidance

que pour le patient, que l’un et l’autreapprennent à respecter ce temps d’apprivoise-ment. Notre expérience de praticien nousapprend que la durée de ce temps de préparationpeut prendre plusieurs mois à plusieurs années.Le déni, étape souvent première, est le painquotidien de notre pratique et nous connaissonsdes patients qui mourront à quatre-vingt ansn’ayant jamais cessé de somatiser.

Les patients révoltés, agressifs, déprimés sontégalement légion en clientèle. Le rôle dumédecin de famille est de les accompagner aufil des ans vers une découverte progressive deleur mal-être. Ces concepts sont applicables àtous les médecins et à tous les psychothéra-peutes. Pour certains, il suffira d’un ou deuxentretiens avec le praticien pour accepterd’entamer une réflexion plus approfondie enpsychothérapie et/ou en psychanalyse. Pourd’autres, un long apprivoisement ou unaccompagnement constant de leur soignant leurpermettra de réaliser le choix le plus adéquatpar rapport à ce qu’ils vivent. Souvent, les« vrais » patients psychosomatiques ne veulentpas entendre parler du versant psychologiquede leur affection médicale. Leur alexithymie lesincline à peu verbaliser, vivre et conscientiserleurs affects.

... au transfert vers leprofessionnel « psy »

Les psychologues et les psychothérapeutes necomprennent pas toujours la fonction spécifiquedu médecin de famille formé à la guidancepsychologique. Les professionnels durelationnel s’en trouvent lésés ou jaloux etcritiquent de manière acerbe ces confrères. Deleur côté, ces médecins se sentent incomprispar les « psy » et par réaction infantilepourraient avoir tendance à ne pas en référersuffisamment tôt à ceux-ci.A l’inverse, le médecin qui n’a pas assez depratique de la guidance psychologique ou quin’est pas à l’aise avec une approche plus émo-tionnelle de son patient aura tendance soit à niercelle-ci, soit par peur, à envoyer trop tôt sonpatient chez le professionnel de la relation d’aide.

MichelDelbrouck,médecingénéraliste etpsychothérapeute,secrétaire de lasociété Balint.

La place de la guidance psychologique enmédecine ou counseling médical

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

psychologique en médecinefamiliale ne souhaitent pasnécessairement entamer unepsychothérapie. Ils cherchentun tremplin, un tampon entreleur somatisation et une prisede conscience fine et mature deleurs ennuis de vie. Il paraîtimportant, tant pour le médecin

Le généraliste est parfaitement habilitéà gérer certains aspects du transfertdans la relation soignant-soigné.Jusqu’où et comment s’y aguerrir ?

JournéeSouffrances du lien social

Thématiquestransversales

Des formations et deleurs enjeux

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69Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Pour les praticiens, ce risque d’envoyer trop tôtchez le spécialiste en santé mentale est peuconnu. En général, le médecin a créé un climatde confiance par sa compétence, son savoir–faire et son savoir-être. Son écoute et sa

transférentielles présentes, qu’on le veuille ounon, en médecine organique. Le transfert s’ytravaille également bien que toutes sescaractéristiques ne soient pas abordées commeen psychanalyse ou en psychothérapie.

présence à l’Autre, son patient, l’ont positionnédans une relation d’authenticité. De ce fait, lepatient n’est pas prêt à investir un autresoignant. Si à un moment donné, le médecindépassé par la demande ou la problématiquedu patient lui propose de consulter unpsychothérapeute, le patient envoyé peut sesentir abandonné, rejeté, trahi, incompris parle médecin en qui il avait mis toute sa confianceet à qui il vient d’ouvrir son cœur et de dévoilerses émotions.D’expérience, ces patients que je reçois en tantque psychothérapeute, et qui me sont adressés« trop tôt », le sont par des médecins qui ont eupeur de mal faire, d’être incompétent dans cedomaine spécifique, ou qui ont craint l’émotiondu patient et donc leurs propres affects.

En référer trop tôt, signifie ne pas tenir comptedes relations transférentielles et contre-

... au transfert dans la relation

En pratique journalière, les médecins travaillentau niveau du transfert, mais la plupart du temps,ils n’en ont pas conscience. Certains en ignorentmême la notion. A la suite des travaux deMichaël Balint1, la notion de transfert a pris uneextension très large, jusqu’à couvrir la totalitédes relations médecin-malade, thérapeute-patient. Le médecin ne pourra découvrir,apprécier et gérer le transfert de son patient quedans la mesure où il connaît les caractéristiquesde son propre contre-transfert. Il deviendra parle fait même plus tolérant. Il prendra du reculet délimitera plus aisément ses plages horaires,ses territoires émotionnels, intellectuels etrelationnels et de compétence. Une gestionadéquate de ses affects lui évitera le Burn OutSyndrome2. Il est certain qu’en médecine, il ne

(1) MichaëlBalint,

psychiatre,psychanalyste

hongrois, élèvede Ferenczi,

émigré à Londress’est occupé de la

relation entre lemalade et sonmédecin sous

l’anglepsychanalytique.

Il a créé lesgroupes Balint.

(2) Burn OutSyndrome :

syndromed’épuisement

professionnel.

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67Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

groupe de dix-huit, et ce deux fois par anpendant toute la durée de leur formation.

● Options

Nous envisageons d’offrir un tutorship pendantles quatre années de doctorat à chaque étudianten médecine, du moins à ceux qui souhaitentdevenir des généralistes. Cela signifiecependant une charge considérable pour lecorps universitaire et, pour l’instant, nous nedisposons ni du temps, ni des moyens financiersnécessaires.Nous pensons également à des groupes plusnombreux, un tutor assistant régulièrement cinqà dix étudiants tout au long du doctorat. Cetteoption serait réalisable au niveau organisation-nel. Ce modèle n’offre cependant pas le carac-tère personnel d’un face-à-face ou le sentimentde sécurité qu’offrent les petits groupes forméspar les étudiants eux-mêmes. Sa plus-valueréside dans l’échange d’expériences qui se faitau sein d’un groupe d’étudiants.Cette forme pourrait peut-être être utilisée pourla formation professionnelle des grandesuniversités où un nombre plus limité deformateurs prend en charge un grouped’étudiants bien plus grand.Nous, les généralistes, avons relevé le gant. Quedire de tutors pour la formation des spécialis-tes (chirurgiens, pédiatres, internistes)… ?

● Le tutorship, préparation à la situationdu généraliste en formationprofessionnelle

Après sa formation de base, le généralistedevient généraliste en formation profession-nelle : il est suivi personnellement pendant deuxans par un modérateur-maître de stage etéventuellement par un maître de stage dans lapratique. Le Centre interuniversitaire de laformation des généralistes développe le profildu modérateur-maître de stage depuis desannées. Pouvons-nous contribuer à dessiner le(modérateur) maître de stage idéal grâce à notreexpérience en matière de tutorship ?

● Un tutor pour chaque généraliste sur leterrain ?

Il est nécessaire que les généralistes suivent uneformation continue. Nous avons développél’intérêt du niveau intermédiaire (« Qui suis-je

Bibliographie

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en tant que médecin, comment évoluer en tantque médecin ? ») dans cet article. D’après nous,les généralistes n’y accordent pas assezd’importance. Ne vaudrait-il pas la peine dedévelopper une nouvelle culture amenant lesgénéralistes à avoir des entretiens pédagogi-ques : pourquoi ne pas avoir régulièrement unentretien de type intégré avec un autregénéraliste (plus âgé ou ayant reçu uneformation en entretiens pédagogiques) ? Ceserait la meilleure prévention contre nosproblèmes de santé mentale tels que, parexemple, les phénomènes d’usure précoce.Cet article propose de prendre cette possibilitéen considération en guise de conclusion. ●

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s’agit pas d’entretenir cette « attentionflottante » propre aux psychanalystes. Parcontre, la méta-position3 du soignant par rapportà ce qui se passe au sein de l’interaction avecson patient lui permettra d’aller plus loin dansla compréhension et l’aide qu’il peut apporter,en dehors même d’un entretien de guidance.

Les frontières de l’approchegénéraliste

Les facettes transférentielles de la relationsoignant-soigné seraient de :

a) reconnaître le transfert au moment où ilapparaît ;

b) l’accepter sans critique, c’est-à-dire gérerses réactions contre-transférentielles ;

c) l’interpréter quand c’est indiqué ;d) découvrir la relation d’où il tire son origine

et interpréter celle-ci ;e) interpréter ce qui se rejoue ou ne se rejoue

pas dans la relation thérapeutique.

A mon sens, les points a) et b) seraient oupourraient être du domaine de la médecineorganique et les suivants seraient celui de lapsychothérapie et de la psychanalyse. Il n’estpas exclu pour ceux de nos confrères qui veulentaller plus loin d’aborder avec la prudence dusioux les trois derniers items. Mais je rappelleraialors la phrase de Freud qui souligne « qu’aucunanalyste ne va plus loin que ses proprescomplexes et résistances internes ne luipermettent » d’où il conclut à la nécessité d’uneanalyse personnelle (dite didactique) du futuranalyste.

Je dirai quant à moi qu’aborder ces itemsnécessite une psychothérapie de la part dumédecin. Les médecins qui font de la guidancepsychologique doivent connaître leurs limites.La psychothérapie, comme la médecined’ailleurs, est un art mais elle demande uneformation spécifique et longue et surtout uneintrospection personnelle solide et prolongée.La bonne volonté, les bonnes intentions et lebon sens populaire bien qu’utiles, ne suffisentpas pour s’occuper de l’âme de quelqu’un.

Le « psy » et le somatique

Au départ de mon expérience personnelle, ilme paraît judicieux sinon indispensable deséparer la prise en charge d’un patient pour sesaffections organiques et la prise en charge desa psychothérapie que je distingue la guidancepsychothérapeutique. Cette guidance s’occupedes deuils, d’un soutien pour une criseexistentielle passagère, de l’accompagnementet de la préparation à un chemin psychothé-rapeutique, d’une difficulté professionnelleponctuelle, etc.

Réaliser un électrocardiogramme ne signifie pasêtre un cardiologue. Réaliser un examengynécologique n’est pas être gynécologue.Réaliser un accouchement n’est pas être unobstétricien. Réaliser une anuscopie n’est pasêtre un gastro-entérologue. Examiner un enfantn’est pas être pédiatre mais faire de la pédiatrie.Faire de la psychothérapie n’est pas être unpsychothérapeute. Faire de la guidancepsychothérapeutique n’est pas être psychothéra-peute ou psychanalyste.

Une fois que la problématique est plusprofonde, archaïque, où le praticien se rendcompte que les enjeux sont d’importance et letravail long et intense, il sera bon qu’il réfère àun collègue spécialisé en psychothérapie. Unedes raisons fondamentales, outre la nécessitéd’une formation spécifique, réside dans lechangement de registres d’interventions. Enmédecine, nous travaillons au niveau du réel,nous intervenons sur les corps, dans la familleet au domicile du patient. En psychothérapie eten psychanalyse, nous œuvrons au niveaufantasmatique et transférentiel. Que penser ducas d’un homme, qui au niveau du transfert vousprendrait pour son père et sur lequel lelendemain de la séance vous pratiqueriez unacte de petite chirurgie ou du cas de la patientepour qui vous êtes le grand-père et chez quivous pratiqueriez un examen gynécologique.L’enchevêtrement des territoires nousreplongerait fantasmatiquement, doncinconsciemment, dans des problématiquesagressives, incestuelles, dont le ou la patiente

La place de la guidance psychologique en médecine ou counseling médical

(3) Méta-position : termedeprogrammationneuro-linguistique,signifiant lacapacité des’extrairementalement dela situation quel’on est en trainde vivre et del’observer commeun observateurextérieur pourraitle faire.

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71Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

ne pourrait aisément se débattre surtout si serejouait son scénario de vie au sein de laconsultation médicale et pour laquelle il ou elleviendrait chercher de l’aide psychologique.Ceci demanderait bien sûr un plus longdéveloppement.

Du besoin de formation

D’une part, une formation longue, précise etfocalisée sur une spécialisation dans undomaine précis, notamment la psychothérapie,représente une condition indispensable à cettereconnaissance. D’autre par, un niveaud’introspection représente une exigencespécifique à ce genre d’approche. Le gastro-entérologue ne doit pas avoir subi unecolonoscopie totale à l’instar du psychothéra-peute ou du psychanalyste qui est prié d’avoirété, si je puis dire, son propre cobaye et d’avoirsubi les mêmes « examens » qu’il fera subir ouplutôt proposera à son « client ».

La supervision de médecins formés à laguidance psychothérapeutique en médecine esttout à fait spécifique. Le médecin reçoit uneformation scientifique très poussée, trèscartésienne et il éprouve de grandes difficultésà appréhender les facettes que sont les fonctionssentiment, intuition, et sensation qui lui ont étédemandées d’abandonner dès son entrée dansles salles de dissection. Tout le travail vaconsister à lentement réintroduire cesdimensions dévolues « à la femme » mais qui,nous le savons, appartiennent également à lagent masculine. Qualité de cœur que lessoignants possédaient déjà avant leur entrée auxécoles de médecine sinon il est vraisemblablequ’ils n’auraient pas choisi ce métier. Rappelonsqu’en 2000, la ou les dernières années demédecine familiale sont féminisées à 80 %.Quels en sont le signifiant et la cause ? D’autrepart, les critères de sélection d’entrée en facultéde médecine sont majoritairement intellectuels.Il risque donc à terme d’y avoir un profondmalaise dans ce métier à vocation humaine etqui soigne des êtres humains et non des organes.Il serait souhaitable que les universités adaptent

les critères de sélection des candidats médecinsen relation avec leurs qualités humaines etenseignent, tout au long du cursus de cesmédecins, des formations à la communicationet à la relation d’aide.

Conclusions

Hormis les praticiens qui entament unepsychothérapie de ce type à titre personnel, laplupart d’entre eux risquent, à tort, d’êtreeffrayés par une démarche d’emblée émotion-nelle et corporelle. Ma pratique de médecin defamille et ma formation Balint m’ont permisd’approcher, depuis vingt ans, les peurs, lesréticences et la méfiance du corps médical faceaux cheminements psychanalytiques oupsychothérapeutiques.L’introduction progressive de la guidancepsychologique via les groupes Balint, via lesconférences et les journées d’études organiséespar les sociétés médicales va permettre sadiffusion. Mon hypothèse de travail est qu’ellene sera malheureusement vraiment acceptée parle monde médical que si elle est introduite etutilisée par les médecins eux-mêmes, du moinsdans un premier temps.Les jeunes médecins semblent de plus en plusintéressés par une approche plus globale del’individu et l’introduction de cette approcheen doctorat dans les dernières années des écolesde médecine a favorisé cet intérêt. ●

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72 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Les expériences, réflexions et témoignages quisuivent sont singuliers, et par-là même pleinsd’enseignements. Chacun construit, déconstruitet reconstruit sa réalité à sa manière, avec sonbagage d’espoir, de déceptions, de rêves etd’anticipation ; avec le poids aussi dessouffrances qui lui sont confiées. On retrouvedès lors dans le propos ce permanent triangled’interrogations croisées et enchevêtrées,commun à tous les métiers d’aide directe auxpersonnes : comment puis-je définir monidentité professionnelle ? Quelle légitimité puis-je donner à mon action (ou quelle légitimitépeut-elle m’être reconnue à travers monactivité) ? Et enfin, et ce n’est pas la moindredes questions : Que puis-je faire avec « toutcela » (cette science, ce petit pouvoir d’action,cette position de caisse de résonance sociale,etc.) pour « bien faire » (répondre à lasouffrance, améliorer les conditions d’existencedes plus fragilisés, œuvrer à l’amenuisementdes inégalités sociales, etc.) ?

Dans le présent chapitre, il est commodequoique non déterminant de proposer une grillede lecture (aux mailles tellement lâches qu’ellesn’emprisonnera aucun lecteur !) : tous lesauteurs se « positionnent », comme on ditmaintenant, d’une manière ou d’une autre àl’égard du temps et de l’espace comme si touteinterrogation sur les pratiques renvoyaitsystématiquement aux catégorisations les plusarchaïques de notre reconstruction de la réalité.C’est plutôt rassurant. D’autant que cettedémarche n’ôte rien à la palette infinie dessensibilités personnelles, ... indice parmid’autres de la richesse et de la variété de l’offre.

Ainsi, certains se positionnent avant toutcomme des prescripteurs individuels (ou desindividus prescripteurs), alors que d’autres sevoient comme un maillon d’une vaste institution

possibilités de lecture, une autre façon de voirconsiste à distinguer les propos centrés sur lespersonnes, des propos centrés sur les manièresde faire. Manières de dire, de toute manière, cequi importe, ce qui fait sens.

protéiforme. On verra certainsmettre en avant et avant tout lasouffrance ou la réalité del’autre, le patient, tandis qued’autres ont à cœur de mettreprioritairement l’accent sur lesconditions de travail desprofessionnels de la santécomme paramètre essentiel de laqualité du travail. Enfin, et cessuggestions n’épuisent pas les

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre

MadeleineMoulin,sociologue,professeur àl’Université librede Bruxelles. ●

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73Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

J’ai le sentiment de me battre avec le temps dumatin au soir. Ainsi, je commence, vers 8h30,par aller en visite à domicile, je sais qu’à 10h30,je dois être en consultation, que je vais êtreappelée sur mon portable pour d’autres visites,peut-être urgentes, peut-être à l’autre bout dela ville, dans les embouteillages, et que, lamatinée risque d’être chamboulée, que je vaisremettre des visites à l’après-midi pour arriverà la consultation dans les temps. La salled’attente sera pleine, « enfin c’est vousdocteur… », j’aurai deux ou trois coups de filà donner avant de commencer à recevoir lespatients. Celui qui vient pour une angine, je mepermets de l’examiner rapidement, j’ai vu quele suivant est un patient dépressif accompagnépar quelqu’un de son entourage. La consultationdure longtemps, pas assez encore, on seremettra un rendez-vous en dehors des heuresde consultation. Je raccompagne le patient, jesuis interpellée sur le pas de la porte pour uneordonnance de dépannage « en vitesse », etj’exhorte la personne suivante à entrer dans lecabinet… La journée se poursuivra commecela, en une série de petits temps hachés danslesquels patient et thérapeute devront trouverleur compte, entre satisfaction et frustration.

La médecine générale - comme d’autresprofessions de service -, a cette spécificité d’êtretributaire du temps de l’autre, des autres. Lesjournées se construisent et se déconstruisent augré des consultations et des appels à domicile :le temps est fragmenté. Comment maîtriser untemps qui sans cesse vous échappe ?

Parler de la santé mentale ? Sans entrer dans ledébat sur la psychosomatique, on s’accorderapour reconnaître l’importance de la prise enconsidération de la souffrance de la manière laplus globale possible, qui appréhende l’êtrehumain dans son contexte psychosocial etculturel. Cela aussi est particulier à la médecinegénérale : derrière toute plainte, aussi somatiquequ’elle paraisse, se cachent des souffrances d’unautre ordre, parfois difficiles à mettre au jour,et qui impliquent disponibilité, écoute, et temps.Au thérapeute de faire la part des choses. Unpatient qui a mal à la gorge verrait d’un drôled’œil son généraliste chercher un sens caché àson angine. Pourtant, si le même patient revientsans cesse avec la même plainte, mieux vaudrane pas rester sur le terrain purement somatiquepour comprendre et l’aider à dépasser son mal.

Il y a les patients chez qui il faudra du tempspour exprimer une souffrance mentale, etd’autres qui viennent d’emblée avec elle. Celapeut être un mal-être chez une personne qui parailleurs a des repères solides dans la vie. Legénéraliste doit aménager son temps pour veniren aide à ce type de personnes : il ne travaillepas dans un cadre temporel - ni spacial - strict,comme le fait le « psy ». Il ne travaille engénéral pas par contrat. Tout est à inventer aujour le jour et dans chaque situation : rendez-vous à échéances, référence au psycho-thérapeute, collaboration avec le psychiatre,consultation avec un proche… Encore unedifficulté pour appréhender chaque situation et

Laisser du temps au temps

MiguelleBenrubi, médecin

généraliste à lamaison médicale

la Passerelle.

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Le temps, qu’y a-t-il de plus commun,de plus partagé, mais aussi de plusimpalpable, de plus culturel, de plusindividuel donc, que la manière dontnous appréhendons tout le temps notretemps, et celui des autres ?

trouver à l’arraché le temps qu’ilfaut.

Quand la souffrance mentaleenvahit la personnalité entière,elle entrave la vie des gens à tousles niveaux relationnel, affectif,social et professionnel. Sansrepères et sans structures, lespersonnes accablées par unelourde histoire de manques, de

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre

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74 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

nous avons opté pour le système de paiementau forfait des soins de santé. Notre équipe estcomposée de généralistes, kinésithérapeutes,infirmière et infirmière sociale, accueillantes,assistante sociale. Nous nous réunissons toutesles semaines, réunion où nous présentons dessituations individuelles ou familiales difficiles,nous sommes encadrés par la psychologue dela maison médicale. Nous voyons parfois lesfamilles à deux, le généraliste et l’assistantesociale, l’infirmière ou la psychologue. Ce n’estpas toujours le généraliste qui est la personneréférente pour le patient, cela peut-êtrel’assistante sociale ou l’infirmière sociale quiorganise un suivi plus proche du patient. Nousnous constituons progressivement un réseaud’intervenants de première ligne dans lesquartiers où nous travaillons. Nous nous faisonsconnaître des grosses institutions psychia-triques, avons des contacts privilégiés avec lescellules sociales des centres de santé mentale,des antennes de CPAS, des services d’aide à lajeunesse, des ASBL, des centres d’aide auxtoxicomanes, des centres de réadaptationfonctionnelle, des PMS. Cela pour une meil-leure connaissance de nos institutionsrespectives sur le terrain et pour une meilleurecollaboration dans l’aide à apporter au patient.Cela demande du temps. Le système depaiement forfaitaire des soins, qui ne nous placepas dans un besoin de rentabilité à court terme,permet ce type d’organisation de notre travail.L’accueil, statut non reconnu par l’Inami, a unefonction capitale d’interface entre le patient etle « soignant ». Nous avons professionnalisécette fonction.

Même si les difficultés de la gestion du tempsau quotidien restent entières, le temps haché,fragmenté n’est peut-être pas une fatalité de lamédecine générale. A nous d’inventer desnouvelles pistes pour nous rendre propriétairessereins – heureux ? – du temps que nouspartageons avec les patients.

Laisser du temps au temps

solitude et de marginalisation, trouventdifficilement des lieux d’écoute et dereconnaissance. Pour ces patients en grandedétresse psychoaffective et sociale, legénéraliste est-il l’intervenant professionneladéquat ? Va-t-il pouvoir répondre à leursnombreuses attentes, qu’elles soient médicalesau sens le plus strict, ou plutôt de l’ordre del’accompagnement, de l’écoute bienveillante.

La sociologue Monique Van Dormael proposele schéma suivant sur les différents aspects dutravail du généraliste :

OBJECTIF SUBJECTIF

INDIVIDUEL somatique psychologique

COLLECTIF santé publique/social anthropologique/social

Si l’on considère la santé comme un état debien-être global, la médecine de première lignedoit se trouver à la croisée de ces quatremanières d’appréhender la maladie. Legénéraliste est-il formé à avoir cette vision trèslarge de la santé ? Comment ne pas tomber dansle travers de la médicalisation de ces nouvellespathologies qui découlent d’une profondedésorganisation et d’un malaise social général ?

A mon sens, il est impossible de travailler ensolo pour faire face à des situations d’ordretellement divers, aménager les contraintes detemps, et ménager les personnalités de chacun,aussi bien celle du patient que celle del’intervenant de la santé !

Je travaille comme médecin de famille dans uncentre de santé - ou maison médicale - où l’ondispense les soins de santé primaires. Ce modèleest perfectible, mais il est structurellementorganisé pour répondre de manière plus globaleaux attentes des personnes en souffrancementale. Deux points me paraissent importants :nous travaillons en équipe pluridisciplinaire, et

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75Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

J’ai été invitée par l’Aide et prévention parentsenfants (APEP) à participer à une réunion deconcertation à propos de la famille Dupont.L’APEP est un organisme qui s’occupe demaltraitance. Micheline Dupont, huit ans poseproblème. Elle double sa première année et sesrésultats scolaires sont très faibles. L’institutricea proposé aux parents de consulter le centrePMS à propos du retard scolaire de leur fille.Sur les conseils du PMS, une guidance au centrede santé mentale du quartier a été mise sur pied.Mais malgré cela, Micheline reste aussiremuante et difficile et ses résultats sont encoretrès insuffisants. L’institutrice ayant constaté àplusieurs reprises des traces de coups surl’enfant, s’est alors adressée à l’APEP pourtenter d’apporter une aide à la famille.

J’ai été invitée à la réunion en tant que médecintraitant de la famille. Je soigne en effet lesDupont depuis de nombreuses années. MadameDupont présente une pathologie psychiatriqueimportante. Elle est parfois abattue, dépressivevoire suicidaire, parfois très agitée et agressive.Il faut lui prescrire des médicaments à fortesdoses et cela l’empêche de s’occuper de sonménage et de ses enfants. Lorsqu’elle fait unetentative de suicide ou qu’elle décompense, iln’y a d’autre alternative que l’hospitalisationen urgence. Tout cela perturbe fort l’équilibrefamilial.Micheline a du mal à trouver sa place entre lesmoments où sa maman va mal et où l’on comptesur elle pour prendre en charge le ménage etson petit frère, et ceux où au contraire on luidemande d’être une petite fille sage etobéissante. De plus, elle vit dans la crainteconstante que sa mère ne fasse « des bêtises » :elle la surveille, la suit, la protège. Tout cela estpeu propice à l’étude !Monsieur Dupont a peur que ses enfantsMicheline et Jonathan, dix-huit mois, soientplacés. Crainte d’autant plus justifiée que le filsaîné de Madame, né d’un premier mariage, esten institution depuis sa petite enfance. Il veut àtout prix se montrer un père modèle. Il a doncsuivi tous les conseils de l’institutrice, visite auPMS, guidance… mais les échecs de Micheline,de même que son comportement turbulent quigêne les voisins, le mettent hors de lui : ilsprouvent qu’il est un père incapable et risquentd’attirer des plaintes et éventuellementl’intervention de la police. Alors, il corrigeMicheline pour qu’elle étudie bien, pour qu’ellesoit sage…

Et nous voilà donc à l’APEP. Nous étions douzeautour de la table : l’assistante sociale et lapédopsychiatre de l’APEP, l’institutrice deMicheline, la psychologue du PMS, lapsychologue du centre de santé mentale,

Au fait, c’est quoi coordonner ?

Monique Boulad,médecin

généraliste à lamaison médicale

la Glaise.

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La maladie mentale ne s’arrête pas auxportes de l’hôpital. Au contraire, c’està la sortie de l’hôpital que toutcommence. La maladie psychique a unretentissement énorme sur la famille,sur le moral et la santé, sur le travail etla vie sociale de chacun de sesmembres.L’aide à apporter au malade mental età sa famille est complexe et mobiliseun nombre considérable d’intervenantspsycho-médico-sociaux. Une réunioncomme celle qu’a organisée l’APEP(Aide et prévention parents enfants) ale grand mérite de mettre en présencetous ces intervenants et de leur faireprendre conscience de ce phénomène.

l’assistante sociale du centre desanté mentale, l’assistantesociale du CPAS dont dépend lafamille, l’assistant social ducentre de préformationdépendant du CPAS où M.Dupont suit un stage pour lemoment, l’assistante sociale del’institution où est placé le filsaîné de Mme Dupont, l’infirmière

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre

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76 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

de la consultation d’ONE qui suit Jonathan, lemédecin de l’ONE, moi, le médecin traitant dela famille.

Douze personnes pour une famille de cinqpersonnes. C’est beaucoup…. Ma premièrequestion a été : quel est mon territoire ? Quandje suis dans mon cabinet de consultation, ça meparaît évident, mais là…Le Petit Larousse définit « territoire » comme :« Etendue de terre dépendant d’un état, d’uneville, d’une juridiction. Zone occupée par unanimal ou une famille d’animaux délimitéed’une certaine manière et défendue contrel’accès des congénères ».Je me suis demandé s’il y a bien du travail pourchacun de nous, et dans ce cas, si le rôle dechacun est bien défini. Le territoire de chacunest-il clairement délimité ? Connaît-il avecprécision son champ d’intervention ? Identifie-t- il la juridiction pour laquelle il travaille ? Quese passe-t-il aux frontières du territoire ?Comment et contre qui chacun défend-il sonterritoire ? Quelle énergie est consacrée à cette

défense ? N’y-a t-il pas des zones de recouvre-ment, des doubles emplois ? Et chacun étantconfiné dans ses limites, peut-être y-a t-il desdemandes ou des besoins importants qui ne sontpas pris en charge.

Je me suis dit : « Puisque nous sommes sinombreux à intervenir, nous devons nouscoordonner ». Cela m’a semblé une évidence.Mais comment se parler entre personnes issuesde disciplines si différentes ? Comment traduireles différents jargons ? Est-ce possible sansperdre l’essentiel des informations ? Commenttrouver un langage commun pour éviter que lesdiscours ne se superposent sans qu’aucundialogue ne s’établisse entre eux ? Commentéviter qu’un discours ne s’impose et ne réduiseau silence tous les autres ? Comment à l’inverseéviter le piège du discours fade et superficielstyle « rapport d’activité » ?

De fil en aiguille, j’en suis arrivée à medemander s’il était bien opportun de nouscoordonner.

Au fait, c’est quoi coordonner ?

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Qu’avons-nous à nous dire ? Avons-nous lesmêmes objectifs ? Est-il possible, est-ilsouhaitable de tenir le même discours ? Lesinformations médicales dont je dispose, en quoiintéressent-elles les autres ? En quoi vont-ellesfaciliter leur travail ? Comment respecterchacun d’entre nous son secret professionnel,d’autant que ce secret couvre des informationsqui, dans le cadre d’une autre disciplineprennent un caractère d’indiscrétion ? En tantque médecin, je n’ai pas à interroger un patientsur ses revenus ou sur ses dettes alors que c’estla première question que lui posera l’assistantesociale du CPAS. Par contre elle n’a pas à savoirque telle personne souffre d’hémorroïdes,élément pas du tout indiscret dans un cabinetmédical.Une réunion telle que celle organisée parl’APEP représente un investissement énorme :douze professionnels réunis pendant deuxheures, cela fait vingt-quatre heures auxquellesil faut ajouter le temps de préparation, le tempsde contacter les personnes, de faire le rapportde réunion... Le jeu en vaut-il la chandelle ? Lerésultat obtenu justifie-t-il la mise ? Sommes-nous assez bien formés à ce type de travail pourqu’il soit efficient ? Selon quels critères évaluerle résultat ?

Enfin, je me suis demandé quel territoire restaità la famille. Face à ce grand nombre d’interve-nants, comment parvient-elle à se ménager et àsauvegarder un minimum d’intimité ? La santé,l’éducation des enfants, la gestion financière,les relations intra-familiales et le vécupsychique de chaque membre de la familleDupont sont objets d’aide et de contrôle. Quelleautonomie ont-ils encore ? Et lorsqu’ils larevendiquent, comment sont-ils entendus ? Ilme semble qu’ils jouissent de bien peu d’espaceet qu’avant même qu’ils aient le tempsd’élaborer une demande, la « bonne » solutionleur est apportée... ou imposée.

Dernière remarque : à cette réunion decoordination de l’APEP, il y avait deux grandsabsents ; les soignants de l’hôpital psychiatriqueet la famille elle-même. Je le souligne parceque c’est une constante. La collaboration entreles services hospitaliers et l’extérieur se fait trèspeu. L’information passe de médecin à médecinet est unilatérale, c’est-à-dire que le médecinhospitalier informe le généraliste de ce qui a

été fait au cours de l’hospitalisation et dutraitement à poursuivre. Les informations surle vécu quotidien du patient ne sont pastransmises à l’hôpital. De même, les discussionsà propos des usagers des services psycho-médico-sociaux se font entre professionnels, enl’absence des personnes concernées. Peut êtrepouvons-nous interroger ensemble ces façonsde pratiquer qui sont si habituelles que nousn’envisageons pas de faire autrement. Quegagnons-nous et que perdons-nous à travaillerde la sorte ?

Cette réunion qui de prime abord me semblaitune démarche assez évidente, a soulevé bienplus de questions qu’elle n’en a résolues.

• Comment se délimite le territoire de chaqueintervenant ?

• Comment communiquer entre territoiresdifférents ?

• Quel est l’intérêt de se cordonner etcommuniquer ?

• De quel territoire personnel l’usager desservices sociaux dispose-t-il encore ?

Ces différentes questions mériteraient unevéritable réflexion…

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C A H I E R

Les souffrances du lien social, vues par lesmédecins généralistes, ont de multiplesvisages : le harcèlement moral sur le lieu detravail ou à l’école, l’incompréhension dans lecouple, la tendance suicidaire, la maladiementale psychotique, la crise d’adolescence, lafugue, la demande d’avortement, la drogue, lemalaise face à la vieillesse, « cette tranche devie particulièrement menacée par la loi de ladésinsertion sociale ».

Quand j’ai terminé mes études de médecine, jesavais les maladies et leurs traitements. Je savaisles gestes pour palper les ventres, pour ausculterles cœurs. Mes longues études m’avaient appriscela avec soin. Mais je ne savais pas grandchose de l’humain rencontré. Je ne savais pasalors que j’avais rendez-vous avec lasouffrance, l’amour, la joie, la désespérance,que j’aurais à prendre la mesure de laprofondeur du désarroi, de la vie qui bascule,de l’espoir qui renaît, des gestes qui libèrent.

Au centre

Or, que peuvent les généralistes face aux raisonspsychosociales des maladies vécues par nosconcitoyens ? Que peuvent-ils apporter despécifique ? Où se situent-ils dansl’organisation des soins de santé, dans laréponse aux souffrances du lien social ?Dans le réseau de soins instauré par lepsychiatre traitant de référence, les équipeshospitalières d’urgence et d’unité de soinspsychiatriques, les équipes de centres de cure,d’habitations supervisées, d’ateliers protégés,les services sociaux... où situer la place desmédecins généralistes ?Les généralistes y revendiquent un rôle centralde par leurs spécificités-mêmes : accessibilité,déplacement à domicile, réponse rapide àl’évènement, travail dans la durée, coordinationdes interventions spécialisées, gestion desinteractions médicamenteuses et des examenscomplémentaires. Rôle central ne veut pas direrôle principal. C’est un rôle tout à fait particulierfait de disponibilité, offrant un regardparticulier, un temps privilégié pour dire,écouter, interpréter, donner sens à ce qui sepasse, gérer, conseiller…. Ce rôle central, ils lerevendiquent d’autant dans le domaine de lasanté mentale, parce que, ils « font » de la santémentale comme M. Jourdain faisait de la prose.Toute leur activité en est imprégnée. Mais ilest remarquable que dans l’organisationstructurée et plus institutionnalisée del’approche de la santé mentale ils tiennentsouvent le rôle de roue de secours, intervenantaprès 8h du soir ou le week-end, ou lors d’unesituation inextricable.

Tout près

La porte du cabinet du médecin généraliste estsouvent la première porte que l’on pousse, laplus proche, la plus accessible... à côté de laboulangerie. Le médecin de famille, on lerencontre à l’école des enfants, chez la voisinegrippée. C’est pourquoi on lui confierait peut-être plus facilement ces sentiments quitaraudent : l’impuissance face aux difficultés

Médecin de famille, roue de secourset interprète

Anne Gillet-Verhaegen,médecingénéraliste, vice-présidente duGroupementbelge desomnipraticiens,membre duComité d’éthiquede la Fédérationdes maisonsmédicales.

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La place du généraliste : au centre…tout près… entre… en cohérence.

Nos études ont occulté que c’estcela qui nous colle à la peau toutau long de notre travail. Quec’est cela qui imprègne profon-dément toutes nos rencontres.Qu’il nous est impossible de fairefi de l’esprit quand on accepte des’occuper du corps. Et que dansces rencontres nous avons, « àhuis clos, affaire à la santé ducorps social... » (H.Van Camp).

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

de vie, face à la maladie, l’angoisse face auxpremiers symptômes, quand ils n’ont pas encorereçu de nom, quand ils n’ont pas encore étédiagnostiqués comme maladie mentale.Et parce que le médecin de famille connaît lafamille et son environnement, parce qu’il a vécude près avec elle les mille événements qui fontsa vie, souvent pendant de longues périodes,nous pouvons penser qu’il est à l’écoute de cesinquiétudes exprimées, qu’il est attentif à cessignes peut-être annonciateurs.

C’est parce qu’il me connaît depuis sespremières otites, ses premiers vaccins et sespremiers chagrins que cet adolescent de quinzeans a osé venir en consultation seul pour meparler de sa mère qui l’inquiète. « Son visagese fige, elle ne se fâche même plus. »

Et jusque dans le paroxysme

C’est à 5h du matin qu’une jeune fille metéléphone : « Anne, dépêche-toi, papa va tuermaman ».

Le médecin généraliste peut donner un soutien« moral » éclairé, aider à comprendre le sensde certains événements ou tout simplement àse parler de choses douloureuses.

Je soigne un jeune patient depuis dix ans. Il aquinze ans aujourd’hui. Un jour il se présenteseul à la consultation. Il veut me parler : depuissix mois, il se drogue. Il est inquiet. Il aimeraitse sortir de ce piège. Il n’ose en parler à samère : « elle me tuerait ». Plusieurs fois je levois en consultation à l’insu de ses parents pourdiscuter de ça. Un matin, je suis appelée auchevet de sa mère grippée. C’est dimanche. J’aidu temps devant moi. Après les soinsnécessaires, la discussion dévie. Nous parlonsdes enfants, de leurs difficultés scolaires, deleurs copains... et de la drogue. La mère medit : « si mon fils devait se droguer, je crois queje le tuerai ! ». Le fils se mêle alors à laconversation, et explique à sa mère pourquoises copains se droguent et quel en est leurdésarroi. Après une heure de discussion la mèreme dit : « non, je ne tuerais pas mon fils, mais

je serais infiniment triste de n’avoir pas pul’aider ». On se quitte là. Le lendemain la mèreme téléphone : « docteur, vous devinezpourquoi je vous téléphone : mon fils m’aparlé ! ». Je sais aujourd’hui que ce gosse-là nese drogue plus.

Et puis le médecin généraliste peut gérer lesévénements dramatiques, prendre les décisionsde manière efficace et rapide, comme le patientet/ou sa famille auraient aimé qu’il les prenne,parce qu’il les connaît bien.

Entre

Son indépendance intellectuelle et financièrepar rapport à toute structure peut être un atoutmajeur dans l’aide fournie aux patients. Lepouvoir médical qu’il détient, il peut en faireun service pour tenter de protéger les plusfaibles... un coup de fil à une administration...une recommandation à un service médical... unenégociation entre confrères... peuventsolutionner des situations difficiles, éviter desdécisions malheureuses...

Le fait qu’il se déplace au domicile des patientslui permet d’aller à la rencontre des problèmesvécus à domicile, de façon plus authentique quedans le cabinet de consultation : il peut se rendrecompte sur place des problèmes. Il peut aussirencontrer celui dont la famille s’inquiète maisqui tarde à consulter... par crainte, ignorance,pudeur, déni... et lui proposer aide. Aide avantune éventuelle escalade dans la détresseamenant aux consultations dans un serviced’urgence avec toute la violence relationnelleet thérapeutique qu’elles peuvent occasionner.Il peut répondre aux urgences au domicile etorganiser l’intervention spécialisée (un contacttéléphonique avec le psychiatre est parfoissuffisant et l’on évite une hospitalisation ou letransfert en hôpital est décidé sous lasupervision du spécialiste). Le médecingénéraliste répond lui-même à l’urgence ougrâce à son service de garde, particulièrementsi dans ce service de garde travaillent desmédecins remplaçants ayant connaissance desproblèmes ou du moins y étant réceptifs, comme

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C A H I E R

l’est le médecin traitant. Un carnet médicalgardé à domicile facilite ce travail decollaboration.

soi et auxquels on ne prête pas attention tantqu’on est en bonne santé, mais qui nécessitentun apprentissage pour s’adapter à ce qu’ilscomportent de nouveau lorsque l’on est malade.N’oublions pas que les petites questions aidentà approcher les grandes. Parce qu’uneinformation il faut l’avoir bien entendue, parceque bien expliquée, il faut la réentendre parcequ’on a la mémoire courte et fragmentaire,parce qu’une nouvelle difficile a besoin d’êtreconfirmée pour être peu à peu acceptée. »(B.Hoerni-1991).

En cohérence

Mais lorsque le réseau de soins spécialisésinstauré autour du patient fonctionne de façonoptimale, pourquoi ne pas « se contenter » dece rôle de roue de secours et l’investir de façonpositive de la part des généralistes et l’apprécierà sa juste valeur de la part des spécialistes. Ilest bien entendu que pour pouvoir remplir cerôle, le généraliste doit être membre à partentière de l’équipe soignante et être tenu aucourant des évolutions des symptômes et destraitements pour pouvoir réagir quandnécessaire de façon la plus juste possible (lorsdes urgences par exemple).Il est remarquable que ce rôle de roue de secoursest souvent tenu en dehors de tout contact avecle patient. En effet, il nous arrive régulièrementde ne même pas connaître le patient. Ceci estremarquable avec les toxicomanes que nous nevoyons que rarement. Ils consultent, quand ilsconsultent, plus facilement les centresthérapeutiques spécialisés en toxicomanie.Nous, nous rencontrons les familles inquiètes,désemparées et nos savoir-faire et savoir-êtresont alors utilisés à leur soutien. C’est peut-êtrelà que l’appellation « médecin de famille »prend tout son sens.

Cette conception de travail de collaborationentre médecins psychiatres et médecinsgénéralistes, je suis convaincue que la plupartd’entre nous, tant spécialistes que généralistes,pourraient y adhérer, dans un esprit deconfraternité parce que nos rôles s’y révèlentcomplémentaires et non concurrentiels.Reconnaître, accepter et utiliser les spécificitésde chacun permet l’instauration d’un travail en

Médecin de famille, roue de secours et interprète

Interprète des patients et des familles, interprètedes spécialistes, il offre un autre regard, uneautre manière de dire, un temps supplémentairepour réexpliquer, resituer les informations déjàdonnées : les diagnostics, les traitements, lesimplications présentes et futures de certainesdécisions. Il offre aux patients et aux famillesun temps privilégié pour exprimer leursémotions, leurs convictions, le sens vécu desévénements, leurs soucis, même les plusprosaïques, ceux qui précisément interviennentdans la qualité de la vie, les contradictions, leshésitations, les retournements, les raisonsparticulières... pour tenter de leverincompréhensions et malentendus. Sachant quela tâche est difficile, qu’elle demande du tempset de la bienveillance.« Il est important pour les soignants de savoirqu’aucune information n’est inutile. La vie esttissée d’une multitude de détails qui vont de

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

réseau qui n’exclut personne et qui optimaliseles fonctions de chacun.Et je suis convaincue qu’un système cohérentest favorable au travail de « mise encohérence » que nous faisons avec nos patients.Parce qu’on peut penser que ce que nousmettons en place comme qualité de travail entreprofessionnels a des répercussions directes surnos relations thérapeutiques avec les patients :là où il n’y a pas de hiérarchie de valeur, là oùil y a négociation réciproque, là où il y a sérénitéentre professionnels de la santé, il y a place pourune relation humaniste avec les patients et leurfamille. Si les prestataires s’approprientl’interpellation réciproque comme outil detravail, ils permettront aux patients et leurfamille de s’approprier une place d’interlocu-teurs à part entière dans la démarche médicale.

En conclusion, allions-nous pour que danschacun de nos travaux, nous puissions faireémerger le sujet là où il n’y a plus de sujet,faire émerger le social là où il n’y a plus desocial. Plus globalement, témoignons de nosmétiers, donnons à notre société précisément« la chronique de ce qui résiste à l’encodage,aux statistiques, à l’information techno-scientifique,... cette chronique de la parole, dusilence qui en dit long, ou de la conversation àdemi-mot, de ce passage de l’homme, de lafemme, de l’enfant dans nos consultations... cetémoignage de l’existence singulière dupatient. » (H.Van Camp).

En dernier lieu, je m’adresse à mes confrèresspécialistes : éclairés sur la qualité de lacollaboration possible entre spécialistes etgénéralistes, il serait souhaitable qu’ilsconseillent à leurs patients de se choisir unmédecin de famille, et cela avant l’urgence. Ilnous est, en effet, pour nous généralistes,beaucoup plus difficile de devenir d’urgencemédecin traitant. ●

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C A H I E R

Tout acte médical se compose de trois temps :l’exposé des motifs justifiant la consultation,l’identification précise du problème, l’examenet la mise en place de solutions.C’est lors de cette dernière phase qu’intervientla prescription. C’est le moment jubilatoire oùle médecin croit avoir tout compris et pensepouvoir tout résoudre par quelques écritures.Et le plus extraordinaire, c’est que le patientn’est pas loin de partager à ce moment le mêmesentiment.

plutôt comme un premier pas posé ensemblevers un retour à l’autonomie.

En cela, la prescription peut prendre demultiples formes, car en plus du médicamentchargé de prendre en charge les excès ou lesdéficits en neurotransmetteurs ou récepteursdivers, je pourrais par exemple me prescriremoi-même.

Il m’arrive souvent, lors d’un entretien de me

Prescrire oui, mais quoi ou qui ?

Patrick Jensen,médecingénéraliste.

prescriptions de la loi quand ils’agit d’ordres formels etdétaillés. Voilà une interactivitéqui commence ou qui finit d’unebien curieuse manière.

J’ai cessé de considérer laprescription comme un ordreformel dont la transgression parle patient mènerait inévitable-ment au chaos… Je la vois ●

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre

Plus encore que lors de troubles somatiques, lasouffrance mentale ou psychologique exige uneparfaite interactivité. Or - petite incursion dansla sémantique -, prescrire signifie ordonnercommander, imposer, voire infliger.

Quant à la prescription, document écrit qui,transmis au pharmacien, permet au patientd’acquérir le médicament dont vous pensezqu’il a besoin, ne porte-t-elle pas aussi le nomd’ordonnance. Ne parle-t-on pas des

dire : mais bon sang si cettepersonne avait une vraie amie,elle ne serait pas ici dans moncabinet. Alors je prescris letemps (sujet d’un autreatelier), le temps d’undeuxième échange, le tempsd’une seconde communica-tion, le temps de l’écoute, letemps du miroir, le temps dela vie. Une fois sur deux lepatient annulera ce deuxièmerendez-vous, lorsque lepremier porte des fruitsdifférés qui rendent le secondinutile.

Je prescris aussi parfoisquelqu’un d’autre : lorsque jeperçois que les problèmes

évoqués sortent de ma compétence, de monterritoire (sujet d’un autre atelier) ou que lecontact ne s’établit pas. Cela peut être unpsychologue ou un psychiatre. Cela peut êtreun proche du patient. Cela peut être un livre ouun poème… Cela peut être une combinaisonde toutes ces formes, ce sera rarement deux foisla même.

Tout cela manque probablement de rigueur etdonne tout son sens au terme d’Art de guérir…même si une guérison ne peut être assurée àchaque coup… Et ce pour plusieurs raisons : jepeux me tromper, et ne voir que l’arbre quimasque la forêt. Une autre raison, dans moncas, résulte du fait que je considère commeessentiel de permettre au patient de faire preuved’autonomie en refusant la prescription.

Toujours l’interactivité au premier plan. Peutêtre pour que prescrire ne devienne jamaisproscrire.

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Il y a quelques années, je vivais des difficultésde couple importantes. Après un week-end plusdifficile que les autres, je suis allée chez monmédecin généraliste. J’étais bouleversée, j’avaisbesoin d’en parler à quelqu’un d’extérieur et jen’étais pas en mesure de travailler ce jour-là.Je lui ai expliqué le pourquoi de ma visite, jelui ai raconté ce qui c’était passé. A mademande, il m’a fait un certificat médical. Dansla foulée, il a voulu me prescrire unanxiolytique. Je lui ai répondu : non, je n’en aipas besoin, je préfère demander le soutien demon entourage et prendre un rendez-voussupplémentaire chez ma psy si nécessaire. Il ainsisté et m’a donné une prescription que j’aifinalement prise… pour le rassurer.

Cette tranche de vie personnelle pose sansdétour la question du rôle du généraliste, et pluslargement du professionnel de la santé, face àla souffrance psychologique de l’autre, à unmoment donné.Vraisemblablement, mon médecin était touchépar ce que je lui racontais. Je ne sais pas cequ’il pensait ou ressentait ; peut-être était-ilinquiet pour moi, mal à l’aise. Il voulait fairequelque chose pour m’aider et il a décidé deme prescrire un anxiolytique. Je ne le souhaitaispas, je n’en avais pas besoin, je ne l’ai d’ailleurspas utilisé. Sa prescription m’a surprise, ellen’avait pas de sens pour moi. Ce dont j’avaisbesoin, c’était de parler de ce que je vivais, departager avec un tiers ces moments douloureux,en un mot, d’être écoutée.

Ce n’est pas facile d’écouter. Pour moi, laqualité essentielle pour écouter, c’est d’avoirpris conscience de ses émotions, de ses histoireset images personnelles et d’en prendre distancepour entendre ce que l’autre nous dit.C’est aussi s’accepter faillible, vulnérable,parfois impuissant - en tous cas, pas toutpuissant - devant la souffrance de l’autre, c’ests’accepter avec des émotions.Tout cela est loin de la formation, médicale ouparamédicale, que nous avons reçue : noussommes formés à réfléchir rationnellement, àréagir, agir, traiter, prescrire. Souvent, « ne fairequ’écouter » est vécu comme ne rien faire. C’estdur de voir quelqu’un souffrir, nous avons enviede faire quelque chose pour l’aider, de nousréfugier derrière des actes, des prescriptions,des formules pseudo-encourageantes… Mais

c’est en reconnaissant cette difficulté et lesémotions qui l’accompagnent, que l’on peut êtreprésent à l’autre, l’écouter, l’accompagner.

Cette attitude – écouter sans projeter ses propresémotions, ses propres intentions – est le fruitd’un questionnement personnel, que ce soit parintervision, supervision, ou autre. Cela nécessiteaussi des espaces de parole pour les soignants,garantissant écoute, respect et confidentialité.Ce sont des démarches de cette qualité que j’aidemandées à mes collègues lorsque je travaillaiscomme infirmière à la maison médicale de

Ecouter n’est pas ne rien faire

BernadetteTaymans,

infirmière, revueEducation santéet service Infor

Santé.

(1) Nys-Mazure,Colette,

Célébration duquotidien,

Littératureouverte, Editions

Desclée DeBrouwer, 1997.

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre●

Forest. Dans l’accompagnement de certainspatients, cela m’était indispensable et l’impactsur notre manière d’aborder notre travail étaitessentiel. C’est également ce que j’initie dansdes projets de promotion de la santé avec mescollègues à la mutualité. C’est encore ce que jetente de faire découvrir à des futurs infirmierslors des quelques heures de cours que j’ail’occasion de leur donner. C’est aussi pourquoij’ai choisi de puiser dans mon histoirepersonnelle pour introduire mon propos.En conclusion, ou peut-être pour ouvrir d’autresrésonances encore, je vous livre quelquesphrases extraites d’un livre de Colette Nys-Mazure1 : « Accepter de laisserrouler l’autre sur son aire, sanscesser d’espérer un rétablisse-ment qu’il est seul à pouvoiropérer ; le laisser assumer savie, en l’environnant d’amourdiscret alors même qu’onpréférerait être acteur plutôtque spectateur. A moins quecette participation soit uneforme d’action. »

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C A H I E R

Dans les dernières vingt-quatre heures, j’airencontré au moins trois formes de souffrancespsychiques. Tous les généralistes connaissentla triste mine de la mère au foyer devenuedépressive et incapable d’assumer sa tâche,tourmentée par la culpabilité et la tristesse.

Beaucoup plus étrange est le regard sauvagedu jeune garçon psychotique dont la famille estvenu demander s’il est possible de le« colloquer » (il fut possible de proposer unehospitalisation volontaire).

Je me souviens du visage d’un jeune homme

rencontre bien d’autres encore. Mais sibeaucoup de gens, grâce à un traitement, vontmieux, le patient psychiatrique continue de nousposer question. Il nous interpelle sur notrecompétence, notre personnalité, notrefonctionnement quotidien comme généraliste.

Bien souvent, nous ne pouvons pas suivre lalogique du patient psychotique et nous sommesdéçus dans nos attentes paternalistes quand lepatient ne fait pas ce qui lui est demandé, parexemple continue à boire, ou quand untoxicomane maniaco-dépressif continue à sedroguer.

Il nous faut composer et avec les désillusions,et avec la souffrance, et cela ne réussit pastoujours. D’une façon ou l’autre, il faut semettre en perspective : soigner ou traiter, to cureou to care. Dépasser des frontières, mais fixerses propres limites : l’espace pour que le patientprenne ses propres décisions, et l’espacequ’exige le médecin.

Des questions insistantes

Les psychotiques nous posent de nombreusesquestions d’ordre éthique et déontologique, etmême d’ordre philosophique. Il s’agit aussi derapports de force : notre pouvoir à leur égard,comme prescripteur et décideur, et leur peur denotre force. La force de la prescription. L’usagede la force n’est pas toujours le fait dupaternalisme. Que demandons-nous à nospatients ? Qu’ils se comportent bien ! Que « toutsoit bien en ordre ». Qu’ils s’intègrent dans lasociété normale. Où voulons-nous lesconduire ? Quelles sont les limites del’humain ? Qu’est-ce qui est acceptable et cequi ne l’est pas ? Quelle est la qualité de leurvie ?

Accessibilité, qualité, coût dessoins

La société pose aussi des questions à foison :quels sont les revenus et les dépenses d’un

Le coup d’œil du psychotique.Et les questions qu’il pose

Peter VanBreusegem,médecingénéraliste, vice-président duBrusselswelzijnsraad etgezondheidsraad,président duBrussels overlegthuiszorg etsecrétaire duHuisartsenkring.

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Traiter des patients psychiatriques enpremière ligne : quel thème évocateur !Nous rencontrons tous les jours lasouffrance psychique dans notrepratique de généralistes. Beaucoup dedépressions, mais aussi des problèmesplus lourds se présentent chaque jour,plus lourds en ce qu’ils nous laissentencore plus perplexes que la souffrance« normale » des autres patients.

aux croûtes sanglantes sur soncrâne rasé, parce qu’il s’yfourrait sans arrêt les doigts,convaincu qu’il avait desbestioles entre son crâne et sescheveux. Il essayait de les enretirer et se blessait lui-mêmejusqu’au sang.

Ce sont trois visages différentsde la psychiatrie et il s’en

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre

Traduction dunéerlandais parMartine Baudin.

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85Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

patient psychotique et pour un patientpsychotique. Quel coût social acceptons-nouspour ce groupe, et quelle part pour les médecinset pour les soins ? La misère de ces personnesqui de mémoire d’homme sont broyés par unesociété impitoyable : rejetés du circuit dutravail, et dès lors exclus de la société, invalides,cassés, nommés « fous furieux » dans un articlede loi. Il reste beaucoup à faire en matièred’intégration sociale, de rejet de préjugés et demalentendus de toutes sortes.

Le patient nous regarde comme s’il nousinspectait en profondeur et, comme certainspsychotiques, semble avoir accès à notreinconscient. Le contact avec cette âme meurtriemais sensible exige un certain équilibre

intérieur. Dans mon propre fonctionnement, jeme sens soutenu par le groupe d’intervisionpsychiatrique des Brusselse Huisartsen d’unepart, et le groupe d’intervision de l’asbl Lama.L’intervision est un modèle particulièrementadapté comme soutien pour les médecins quisouhaitent se lancer dans cette spécialité.

La folie du Seigneur

Le contact avec les personnes souffrant detroubles psychiques a de tout temps fasciné. Lafolie a été honorée par des auteurs inattendustel que Saint-Ignace de Loyola, le fondateur desJésuites. Il ne s’est pas trompé de terme, en

italien La pazzia delsignore, en français La foliedu Seigneur. La folie dansle seigneur peut-être, ou lafolie divine. Ignacevoulait-il dire qu’il fallaitdépasser les limites de lafolie pour trouver lavérité ? La folie d’Ignaceest celle de l’amour foupour le Christ souffrant, cedont on peut devenir fou.Le patient se situe plus prèsde la vérité que nous, et ilnous permet de faire unpetit pas dans la directiondu mystère de l’être. Ignacedirait : le malade ne res-semble pas, mais est leChrist dans ses moments deplus grande souffrance. Ilnous regarde comme leJésus souffrant sur la pierrefroide, dans Ecce Homo.

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86 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Colette qui n’accepte que songénéraliste

Je connais Colette depuis plus de vingt ans. Lapremière fois que je l’ai vue, elle dormait dansson lit. Elle est mystique, déclarée schizophrènepuis borderline puis toute une autre séried’autres diagnostics au fur et à mesure de cesvingt ans et des psychiatres rencontrés. Elle aété abusée par son père dans sa jeunesse. Je lavois après pour une appendicite. J’assiste àl’opération. Plus tard, des gendarmesm’appellent la nuit car elle se promène sur lesmains place Rogier. La seule informationqu’elle peut donner, c’est le nom de sonmédecin généraliste. Je ne peux pas faire grand

hystériques, personne ne le sait mais elle finitpar être opérée par un stomatologue car elledétruit ses mâchoires. J’assiste à l’opérationqu’elle ne veut pas accepter sans que je ne soislà !Comme l’illustre l’histoire de Colette, nousavons une prise en charge extrêmement multipleet variée. De par notre pratique, on est appelablela nuit, on est appelable à domicile. On peutnous appeler pour un mal de tête et il y aurapeut-être une infection majeure, ou un test degrossesse ! Il est extrêmement difficile danscette dynamique d’avoir un cadre de référencepuisqu’on est rattrapable de tous les côtés. C’estun bien pour le patient parce qu’il peut aussirevenir nous poser toute une série de questions,en nous rattrapant par le « psy », le social, lesomatique mais cela nous met dans un cadreoù je ne trouve pas de paradigme pour m’yretrouver, avec d’autant plus de difficultés queni les « psy » ni le chirurgien ni le gynécologuene peuvent m’aider vraiment à gérer l’ensembledes pathologies de cette patiente.

Autre problème, toujours pour cette patiente,quand un médecin généraliste investit de façonimportante dans le temps une relationpsychosociale avec son patient et sa famille, ilest extrêmement difficile de faire un passage àun spécialiste par la suite car on entendtoujours : « il ne fait pas plus que vous ! ». Soitje transfère directement un patient ayant unproblème psychiatrique chez un psychiatre etcela peut se passer relativement facilement soitj’investis beaucoup la relation avant qu’il nepuisse arriver à faire la démarche et à cemoment la démarche est beaucoup plus difficilecar vécue comme un rejet de la part du médecingénéraliste.

Dutria dont les enfantsm’appellent papa

Dutria est une patiente turque que je connaisaussi depuis de très nombreuses années. Dansson jeune âge, elle faisait des crises d’hystériedans sa famille turque traditionnelle où ellevoulait se poser comme européenne avec tousles problèmes que cela génère. Ses parents l’ont

Généraliste et santé mentale : accessibilité tousazimuts ou rebut ?

BernardVercruyse,médecingénéraliste à lamaison médicaledu Nord,président duForum desassociations demédecinsgénéralistes.

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Quatre exemples de patients que jeconnais depuis longtemps et qui vontouvrir à quatre questions, quatrecaractéristiques peut-être de notrepratique de soins de santé mentale enmédecine générale.

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chose mais une relation s’établit.Je la revois ensuite pour unproblème de cystite et un test degrossesse, positif, et il y auratoute l’histoire de sa grossesse...Plus tard, elle ne supporte plusses règles et me demande untraitement pour les interrompre.Elle a des spasmes dumaxillaire, effet secondaire desneuroleptiques ou problèmes

JournéeSouffrances du lien social

La souffrancementale,

l’entendre,l’écouter,

y répondre

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87Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

mariée avec un indépendant qui n’a jamais puassumer ni son travail d’indépendant (il estcriblé de dettes) ni son rôle de père tant sur leplan financier que familial. Dutria, quandj’arrive à la maison veut montrer, qu’elle faitparticiper son mari et elle lui traduit tout ce queje dis en demandant son avis, mais on sent bienque le mari n’a pas grand chose à dire !D’ailleurs il se révolte dans l’alcool, dans laviolence en frappant ses enfants ou sa femme,dans les médicaments.Je suis appelé dans cette famille pour les crisesd’hystérie, pour une intoxication au CO, pourdes crises d’asthme de l’enfant, pour l’épilepsied’un autre enfant ! De nouveau pour beaucoupde choses. Je me dis qu’il faudrait essayer destructurer, de cadrer un petit peu cette familleet d’essayer, si les parents ne sont plus« sauvables », de « sauver les enfants » et doncon instaure un passage régulier dans la familletous les quinze jours pour voir les problèmesde santé qui s’y posent avec l’aide d’uneassistante sociale qui gère les problèmesfinanciers. Au bout de quelques années, à unmoment, un des enfants de la famille, setrompant, m’appelle papa !

Quel rôle de structuration d’une famille peut-on jouer, et qui va nous indiquer les règles poursavoir jusqu’ou ne pas aller et quelleintervention faire ou ne pas faire ? Quand jefais appel au psychiatre pour une évaluation dutype d’intervention qu’on peut avoir dans cesfamilles, je ne trouve pas de réponse parce quepersonne ne parvient à comprendre le typed’intervention que j’ai... sauf d’autresgénéralistes !

Ahmed dont personne ne veut

Ahmed est un psychotique parfois agressif,habitué des services d’urgence de tous leshôpitaux bruxellois. Il a déjà volé deux fois àla maison médicale ! Dans la salle d’attente, ilfait la quête ! Il est incapable d’une structura-tion, c’est vraiment un psychotique errant, dontpersonne ne veut, c’est un patient à jeter, unpatient qui ne s’inscrit dans aucunethérapeutique possible. On a essayé les centres

de jour, les centres de nuit, les hôpitauxpsychiatriques. Il signe des décharges à chaquefois. Il n’est pas vraiment dangereux ni pourlui ni pour les autres et donc on ne peut pas lecolloquer, ni le mettre en observation. Personnen’en veut ! La police ne s’en occupe pas « lepauvre il est malade, on ne va pas lecondamner ». Où peut-il encore aller ? Chez lemédecin généraliste ! Je pourrais dire : « il m’avolé, il a dépassé le cadre. On ne le prend plus ».Le problème est que si à la maison médicale onne le prend plus, ou si le médecin généralistene le prend plus, il ne reste plus personne pourl’accepter.

Nous avons un rôle au niveau des patients dontpersonne ne veut et c’est vrai pour beaucoupde pathologies : diabétiques, hypertendus,décompensés cardiaques, tous ceux qui ne semoulent pas dans la règle de la spécialisation,c’est nous qui nous en chargeons !

Frédéric et son « psy »

Frédéric est étudiant en éthique en France, ilne parvient pas à rédiger sa thèse car il a unblocage psychologique important. Il vient medire qu’il est suivi par un psychiatre et qu’ilvoit mieux son problème. Il me demande desmédicaments que le psychiatre ne lui a pasprescrits. C’est un bon jeu de fonction, unpsychothérapeute est quelqu’un qui ne prescritpas de médicament. Je lui prescris desanxiolytiques. Il revient huit jours plus tard endisant : « ma faculté en France me demande uncertificat disant que je ne peux pas, pour desraisons médicales, remettre ma thèsemaintenant et pouvoir la postposer ». Lepsychiatre me dit qu’il ne veut pas perturber larelation en remplissant des papiers. C’est doncle médecin généraliste qui peut s’occuper d’unerelation saine et des choses saines que lepsychiatre ne veut pas prendre en charge pourne pas perturber la relation.

A chaque relation, un rôle différent à jouer… ●

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88 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Mutation des représentationssociales de la dépendance

Au regard des idéaux et des valeursd’autonomie du sujet diversement prônés parl’Aufklärung et le marché néo-libéral, ainsiqu’au regard des projets de planificationprogressiste des divers champs d’action desindividus et des groupes régis par l’Etat dansl’espace-temps public, la perte d’autonomievoire la totale dépendance économique etinterpersonnelle (en particulier, dans le chef desimproductifs et des personnes dépendantes del’aide, tels les sans-travail, les désœuvrés et lesexclus, ou encore les personnes atteintes par levieillissement, les maladies dégénératrices, lapauvreté), tout comme l’errance (par exemple,des sans papiers, des exclus, des désaffiliés),

Soins et logiques du don dans les replis desréseaux

René Devisch,anthropologue,psychanalyste,professeur à laKatholiekeuniversiteit vanLeuven.

JournéeSouffrances du lien social

Clôtures

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Le fait que les discours politiques et lesimages médiatiques moralisatricesportant sur « les improductifs », « lessans papiers » et « la guerre contre leterrorisme » nous agacent, voire nousopposent les uns aux autres mêmeautour d’un verre ou d’un repas prisensemble, témoigne combien nosrepères subissent une mutation touchantà la construction post-progressiste desidéaux de l’individu, du bien-être et del’entraide, tout comme à la représen-tation de l’avenir de la société et del’Etat providence.

sont perçues désormais commedes a-normalités. Aujourd’hui,les institutions de l’Etat et de labio-médecine, vu leurs limitesfinancières, ont tendance àdéléguer la demande toujours

grandissante de soins, en particulier de la partdes improductifs, vers « la communauté ». Lesdemandes de soins se trouvent de plus en plusaffublées de significations imaginaires(Taguieff 2000). En effet, jusqu’aux années1960, la famille patriarcale et la « civilisationde la paroisse et/ou du syndicat » (Van Haver1995) avaient assuré tant bien que mal les diverssoins des sujets. Depuis lors, sous l’essor del’économie marchande centrée sur « la chosedite toujours plus utile et plus belle » et qui acontribué idéologiquement et financièrement àla mise en place de la « gouvernementalisationbio-politique » (Foucault 1975 ; Burchell,Gordon & Miller 1991 ; Dean 1999 : chap.5),de nombreux soins socio-sanitaires se sonttrouvés assumés par l’Etat providence et lemarché néo-libéral des services.L’accouchement, la maladie, la vieillesse, lehandicap, l’accident, la mort jouissentdésormais des droits d’hospitalisation etd’assurance-maladie, d’assurance-invalidité oud’assurance-vie. Par ses lois, ses politiques, sesinstruments d’information et ses servicesdominant de plus en plus l’espace public, l’Etatjoue un rôle d’arbitre autoritaire dans ladéfinition des liens, des attentes et desdépendances légitimes ou acceptables dans laquête de santé des citoyens. Dans notre mondemoderne, la santé n’est-elle pas devenue lavaleur première, en même temps que le dernierrefuge de la morale et de la solidarité (Aïach &Fassin 1994 ; Aïach & Delanoë 1998) ? Lagestion des savoirs techno-scientifiques et desstratégies collectives touchant à la santécommunautaire, tout comme l’admission dusujet aux services socio-sanitaires font l’objetd’une réglementation et d’une vasteplanification par l’Etat. Mais cette ambition del’Etat providence relative à la gouverne-mentalité bio-politique se trouve doublementpiégée : les idéaux de l’Aufklärung et lesrapports marchands autonomisent, voireatomisent l’individu tant pourvoyeur queconsommateur des services de plus en plusspécialisés, en vue de délivrer le client de sesleurres et de ses maux. Etant sujette aux lois dumarché, à la neutralité professionnelle et auxcritères scientifiques d’efficacité, l’expertiseprofessionnelle a fini par rejeter la présenceengagée, qui creuse le chemin de l’intériorité

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

de nouvelles pratiques de soins régies parl’espace-temps du volontariat, de la co-présenceengagée, du don de soi, de la gratuité, de laconfiance, de la générosité... (Berthoud et al.1993 ; Caillé 1994).Sommes-nous ici en face d’un clivagegrandissant entre public et privé, état et famille,soins instrumentalisés et présence affective,espace-temps de l’expertise technique et celuidu don de soi ?Par quels biais repenser le paradigme dusystème ‘fini’ des soins face à une demandeapparemment ‘infinie’ ? Comment redynamiserla jonction entre la professionnalisationinstrumentale des services biomédicaux etsanitaires, d’une part, et les liens affectifs etengagés dans les soins individualisés empreintsde gratuité et de générosité, prolongeant le rôlede la famille, d’autre part ? Où puiser les normesd’équité ?Vu l’ampleur et la complexité de la question,nous n’envisagerons que quelques pistes enpuisant dans notre expérience anthropologiquede terrain.

Au plus près des ressources dela guérison et du mieux-être

Le contact : un exemple

La conception de l’identité de la personne enmilieu des Yaka ruraux vivant au Sud-Ouest duCongo et à Kinshasa*, qui transparaît dans leurspratiques thérapeutiques, démontre l’impor-tance primordiale en thérapie des expériences

et de la reconnaissance réciproque, hors de sondomaine institutionnel spécialisé.C’est au cours des années nonante que deschamps et des organismes mobilisateursimportants d’intermédiaires de soins socio-sanitaires et socio-psychologiques sedéveloppent. Ces intervenants (s’organisantparfois en volontariat, composé en majorité « defemmes ») se situent entre les services publicset le réseau familial. Ils mettent en place desprogrammes d’aide à domicile (autour del’accouchement, de la maladie et autres pertesd’autonomie, des soins palliatifs, de la mort),alors que l’Etat par le truchement de l’Ordremédical ne cesse de superviser le classementdu degré indemnisable de perte d’autonomiedes personnes devenues dépendantes de cesmêmes soins offerts par ces intermédiaires.

Le lien dans les soins et leslogiques du don

La gestion bio-politique au niveau collectif,pour autant qu’elle est monopolisée par lepouvoir étatique ou déléguée par celui-ci audomaine bio-médical, privilégie l’atomisationdes individus et l’instrumentalisation de leursbesoins, d’une part, tout comme leurdépendance à l’égard des servicesinstitutionnalisés et commercialisés, d’autrepart. Hormis les soins aux nécessiteux graveshospitalisés, les soins socio-sanitaires destinésaux non-autonomes se trouvent relégués de plusen plus vers le privé domestique et les servicesintermédiaires : c’est là que se mettent en place

* René Devish atravaillé comme

anthropologuedans de

nombreux paysd’Afrique

(Congo, Ethiopie,Nigeria,

Ghana…) ainsiqu’en Israël. Ilest membre de

l’Ecole belge depsychanalyse. Ses

diversescollaborationsavec l’Institut

académique demédecine

familiale del’Université

d’Antwerpen,avec des

psychiatres et despsychothérapeutestravaillant auprès

des populationsémigrées de

l’Europe du sudet du Maghreb

tant à Tunis qu’àBruxelles et

Antwerpen l’ontconduit à affinersa connaissancede l’image et du

vécu trèsdifférenciés du

corps, ainsi quede l’impact que

la culture diteethnique et

familiale peutexercer sur le

patient (Devisch1991 ; Devisch &

Vervaeck 1986).

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C A H I E R

sensorielles et d’échange intercorporel etintersubjectif au niveau des seuils (voir aussiAnzieu 1985 ; Lichtenberg Ettinger 2000). Lescultes thérapeutiques y ré-élaborent lesdifférentes formes de contact, d’enveloppementet d’échange au niveau de la sensorialité, dansun espace-temps concentrique et cyclique,visant à ressourcer les valeurs de base. Parcontre, les processus identitaires (qui voient lejour au centre de la société et de la vie publique,en particulier à travers les pratiques del’éducation et de l’initiation des jeunes, toutcomme à travers les pratiques politiques tellesque palabre, juridiction, intronisation, ainsi qu’àtravers l’imposition ritualisée du nom, les ritesde mariage et de deuil) visent à émanciper lapersonne dans un espace-temps vertical etlinéaire face à l’instance ancestrale agnatiqueet à la hiérarchie des rapports de pouvoir(Devisch 1989, 1993 ; Devisch & Brodeur1996).A en considérer les métaphores de base, devenirune personne en milieu Yaka, c’est entrer dansun jeu de tissages multiples d’ordre sensoriel,sexuel et verbal, c’est nouer des échangestransmetteurs de vie, d’émotion, de savoir, etcela essentiellement entre parents agnatiqueset utérins, entre les vivants et les ancêtres, entreles êtres humains et les esprits de l’eau et de laforêt, entre les hommes et la nature.Paradoxalement, le centre de gravité de lapersonne ne se constitue pas dans le chef del’individu, mais dans la pratique du partage, del’échange, du tissage de liens. Le centre del’individu, appelé muutu est situé au niveau dela peau (luutu) avec ses capacités de contactsensoriel et sexuel, c’est-à-dire à l’interface(luutu) d’échange avec les autres et le monde.Devient une personne, celui qui remporte dusuccès à la chasse, qui excelle dans lareproduction physique et sociale du groupe,dont l’attrait dans la rencontre, les savoirséchangés et la parole d’autorité nouent, relientet stimulent. Devenir une personne, c’est êtreconnecté, relié, noué dans et avec ces champsde reproduction et d’échanges multiples quidonnent forme à l’univers de vie Yaka. Cetissage de nœuds ou d’articulations est vital.Plus l’individu entre dans de nombreux champsrelationnels pluriformes, plus il se constitue uneidentité connue de beaucoup, plus les regardset les paroles de ceux-là le renvoient à lui-mêmeet le raffermissent dans son identité. L’identité

Yaka a une structure d’enveloppe et de nœud(-biinda), c’est-à-dire de tissage et d’entrelace-ment à couches superposées. La perspectiveoccidentale moderne situant l’identité dans lenoyau issu d’internalisation, d’introjection etd’identification projective, ne semble pastraduire adéquatement la perspective Yaka.Tout ce qui nuit à la vie est conçu en termes devol ou de sorcellerie, thèmes servant d’ailleursà conceptualiser l’origine et la nature denombreuses maladies. L’effet d’un vol, d’unensorcellement, et aussi d’une maladie estassocié à un noeud soit inextricablement serré,soit délié. La maladie, tout comme le manquede personnalité, sont conçus soit comme untortillon (yibiinda, -biindama) ou un lacet quibloque les liens vitaux (-loka), soit comme unnoeud dénoué, un entrelacs embrouillé quidéfait l’échange vital (-kola) entre le corps, legroupe et le monde. La maladie est considéréesoit comme une torsion, comme ce qui obstrue,enferme, enlace, soit comme une intempérance,une dissolution, une effusion. L’endeuillé estun être dévêtu de sa ‘peau sociale’, détaché deses rôles, et courant le risque de s’évider.De nombreuses métaphores relatives au nœud,à l’action de nouer, d’entrelacer, de tisser, sontà la base de bien des thérapies et des rituelsYaka visant à intensifier la vie, la fécondité, lebien-être du groupe. Ainsi, par exemple, unethérapie s’achève normalement par le fait derenouer les rapports conjugaux, appelé« incitation mutuelle à s’entrelacer les jambes ».

Partage de fragilité et de dépendance dans uneère transitionnelle d’aide transformative

Le lien créé par le don de son temps voire parle don de soi, au cours de la dispensation dessoins avec les personnes dépendantes est autantdu côté de l’étonnement et de la merveille del’être, que du côté de la grisaille du monde, del’insignifiance du quotidien. « Il n’y a pas desens si le sens n’est pas partagé... parce que lesens est lui-même le partage de l’être » (Nancy1996 :20). Dans ce contexte de mutations encours des sociétés occidentales touchant laconstruction de l’individu et des liens, ce qu’ils’agit de promouvoir c’est une éthique de laresponsabilité commune, née du dialogue entreresponsabilités personnelles assumées face aupossible dans le partage des fragilités et desdépendances (Saillant & Gagnon 2000).

Soins et logiques du don dans les replis des réseaux

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91Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Pareille remobilisation de la bonne interdépen-dance correspond à la notion Yaka de cœur etde cordialité. Le cœur (mbuundu) métabolisela logique du lien et des nœuds en savoir, enitinéraire et en éthique. Dans la perspectiveYaka, le cœur incorpore, sous le mode d’undécodage, les multiples affects et les messagesdéjà décodés par l’ouïe. De plus, le cœur décodeet incorpore le précipité des messages émanantdes autres et des rêves, ainsi que les traceslaissées par les chances non réalisées quisommeillent dans les replis du présent. Le cœurtend à émanciper ces messages et ces chancesen cordialité, au sens de sociabilité et deconcorde, c’est-à-dire en conscience,communication, conseil, consentement,confiance, compassion, considération.Qu’est-ce que le cœur (mbuundu) pour lesYaka ? Le cœur est le foyer le plus vital de lapersonne, analogue au foyer familial (le foyerdu ‘corps social’), c’est-à-dire à l’entente et àla concorde (mbuundu mosi, littéralement « unseul cœur », yibuundwa : « concorde etcordialité ») entre parents et enfants, entre aînéset personnes qui en dépendent. Le cœur est doncun « entre-deux », un creuset et a une structured’enveloppe où les uns sont des supportsnécessaires aux (é)motions endogènes desautres et réciproquement.Le cœur n’est pas tellement considéré commel’organe du sang, de la passion, de l’attractionou de la répulsion qui, elles, sont des affectsrelevant beaucoup plus des registres del’olfaction et de la sexualité ludique etgénératrice. Le sujet émerge en transformantle cœur en un écran intermédiaire entre l’écouteet la parole, entre le pulsionnel et l’éthique. Lecœur est le foyer du regard interne, gnosiqueou représentatif (Maldiney 1973) de la personne(muutu) qui assure l’unité à ses multiplesparticipations, à ses multiples implicationsempathiques au niveau du corps orificiel etsensoriel (luutu).Comme organe qui reçoit les messages décodéspar l’ouïe, les emmagasine et y réfléchit, c’est-à-dire se les visualise en projetant leur contenusur des scènes des origines, le cœur est un écranautant qu’une source et une forme de savoir,de vertus, de discrétion, de jugement moral, dechoix, de conscience, de communication, deloyauté et de souci, de responsabilité et d’éthiquedu soin (Held 1993 ; Tronto 1993) appelant à agir-ensemble pour l’avenir des siens.

Bibliographie

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C A H I E R

Renaat Devisch termine sur une invitation trèsouverte à interroger le cœur, organeemblématique du don et plus encore de notrerapport au don. Après tout, c’est aussi de celaqu’il se sera agi au cours de cette journée :s’interroger de manière « professionnelle » surl’attention à l’autre en souffrance. Donner à cesinterrogations l’allure d’une analyse critique desbonnes et moins bonnes manières de faire jetersans doute un voile pudique sur les générositéssous jacentes à ces constructions. RenaatDevisch nous remet au cœur… si l’on peut dire,de ce processus de socialisation.

Francis Martens de son côté nous ramène aussiau cœur, oserait-on dire. Nous sommes plongéscette fois au cœur d’une des constructions lesplus sophistiquées de nos mises à distance dela souffrance de l’autre : le « DSM » (Manuelstatistique et diagnostique des troublesmentaux), en tant qu’instrument emblématiquelui aussi des codifications délétères qui mettentà distance du corps, du cœur de l’autre. Del’autre réduit à une valeur d’usage posée commeobjectivée. En totale extériorité. L’opposémême de la pensée symbolique, décrite parRenaat Devisch, qui met en route, elle, desvaleurs d’échange.

Des propos qui se rejoignent

MadeleineMoulin,sociologue,professeur àl’Université librede Bruxelles.

JournéeSouffrances du lien social

Clôtures

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Comment être fou dans les règles ?

Francis Martens,psychologue,président de

l’Association despsychologues

praticiensd’orientation

psychanalytique.

La fragilisation du lien social,l’effritement des solidarités,l’éclatement des repères symboliques,laissent nombre de citoyensdésemparés. De nouvelles formes desouffrances psychiques - dont lamoindre n’est pas le déni de la ditesouffrance par crainte de perdre sonemploi - font leur apparition. Côtépolitique, la santé mentale est de plusen plus un enjeu collectif. Côtépsychiatrique, les vieilles balisesnosographiques ne suffisent plus àorienter la clinique, et c’est tout lechamp qui demande à être repensé.Pourtant, il règne sur la psychiatriecontemporaine, « au nom de laScience » un nouvel obscurantisme enforme d’interdit de penser.

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Depuis l’an 1952, le Manuel statistique etdiagnostique des troubles mentaux, mieuxconnu sous le petit nom de « DSM », ne cessede croître sans embellir. Pourtant, son volumeet son emprise croissante sur la nosographiemondiale semblent être inversementproportionnels à son épaisseur conceptuelle -si du moins cet adjectif peut encore êtreemployé. Au début, le DSM - dont l’ambitionétait de favoriser entre praticiens la cohérenceet la fiabilité diagnostiques - s’inscrivait encoredans les schémas psychopathologiques de sontemps : tout praticien pouvait peu ou prou yretrouver ses poussins.

JournéeSouffrances du lien social

Clôtures

« Du passé faisons table rase »

Mais, en 1980, une équipe de psychiatres-chercheurs universitaires de haut vol, mandatéepar l’Association psychiatrique américaine(APA) et entraînée par le Dr Robert L. Spitzer(commandant de la Task Force on Nomen-clature and Statistics de l’APA), crée unvéritable séisme en publiant le DSM III qui faittable rase d’un passé malaisément quantifiable,au profit de signes tellement faciles à encoderque même de bons cliniciens devraient pouvoiry arriver. « Du passé faisons table rase »…Comme aimait à le rappeler Mao, « larévolution n’est pas un dîner de gala ». C’estainsi que passent à la trappe, non seulementtoute approche psychodynamique, mais lanotion même de névrose et a fortiori d’hystérie(qui faisaient encore, en 1968, les délices duDSM II). En contrepartie, au fil des subséquentsDSM, d’autres « troubles » montent en force.Par exemple, ceux du sommeil qui permettentau psychiatre hospitalier - bardé d’électrodeset de graphiques - de regarder enfin droit dansles yeux ses collègues d’autres spécialités. Avecle DSM IV, le projet se radicalise. L’hystérie,après avoir été larguée en tant qu’entiténosographique, disparaît totalement du lexiquerepris en fin de volume. La classificationdiagnostique psychiatrique peut désormais seprésenter à ses consœurs comme n’importequelle nosographie de bonne compagnie.

À cet égard, la préface des traducteurs enfrançais du Mini DSM-IV (1996) est sansambiguïté : « il n’y a pas (affirme le DSM-IV)de distinction fondamentale à établir entretroubles mentaux et affections médicalesgénérales » - il s’agit de créer « une véritablenosographie psychiatrique » en rapatriant lespsychiatres au sein d’un modèle classiquementet exclusivement médical. En affirmant ceci,les préfaciers laissent entendre qu’avant la miseen chantier du DSM (d’après 1968) il n’existaitaucune nosographie psychiatrique digne de cenom. Il s’agit d’un procédé ancien, d’uneefficacité redoutable, où celui qui veut noyerson chien commence parl’accuser de la rage, sanspréciser néanmoins par quoi ilva remplacer le chien. Tentonsd’examiner sommairement cequi reste dans la niche. Les

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concepteurs du DSM III entament, à leurs dires,une croisade pour la fiabilité du diagnosticpsychiatrique. Si l’on veut entreprendre lamoindre recherche, la moindre statistique dansla discipline, il importe de pouvoir comparerdes éléments qui soient réellement comparables.Il s’agit, autrement dit, que cent psychiatresconfrontés à un même schizophrène puissentémettre sans hésiter le même diagnostic deschizophrénie. Il faut, pour ce faire, suspendretoute spéculation étiologique et décider den’appeler schizophrénie qu’un « trouble »(disorder, en anglais) présentant un nombredonné de signes objectifs faisant consensusparmi les praticiens. Assez souvent, le DSMpropose huit signes cliniques (persistant depuisau moins six mois) : si le patient arrive au scorede quatre pour un trouble donné, il a droit aucode d’identification numérique de ce trouble.Il recourt aussi à une classification« multiaxiale » (troubles mentaux, physiques,de la personnalité, du développement ; facteursde stress ; niveau d’adaptation) censée affinerle pronostic.

En réalité, et bien que ce fut son principalargument de vente, le DSM s’est avéré de peud’utilité pour la recherche. Outre le flou denombre de ses critères supposément objectifs,il est difficile d’employer à des fins statistiquesun système de classification générale destroubles mentaux qui change sa donne quatrefois en vingt ans (1980-2000).

Comment être fou dans les règles ?

Désastre en santé mentale

Mais le plus dérangeant n’est pas là. La fiabilitédiagnostique du DSM serait-elle excellente (cequi est loin d’être le cas) qu’elle ne dirait rienencore de la validité conceptuelle desdiagnostics ainsi posés. Que cent psychiatress’accordent pour affecter du code 295.10 (c’est-à-dire : « schizophrénie de type désorganisé »)un patient donné, cela ne dit rien de laconsistance du concept de schizophrénie lui-même, si ce n’est de façon tautologique : laschizophrénie est ce qui répond à au moins ndes critères diagnostiques énumérés à larubrique « schizophrénie ». A cet égard, larecherche arrive tout juste à s’élever au niveaudes enquêtes de marketing.

Mais il y a pire, car s’il est de peu d’utilité pourles chercheurs, le DSM peut s’avérer en outredésastreux pour le clinicien peu expérimentéet partant, pour ses patients. Donnant l’illusionde la rigueur et préconisant l’emploi(idéalement « obligatoire ») de l’interviewstandardisée, il procède d’une véritableopération de décervelage. Car l’ennui, quandon veut édifier un système de classificationexhaustif sans posséder aucun véritable principede rangement, c’est qu’on s’expose au pluspittoresque des fouillis. C’est ainsi que, souscouvert de rhétorique scientifique et sans autrelien que la reliure du livre, avoisinent dans un

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

les pays) que Ben Laden est peut-être un bravetype, ou Kim Il Sung pas vraiment un génie.

A quoi peuvent servir lessymptômes ?

Il n’est pas impossible que certains pensent quej’exagère. Peut-être même seraient-ils tentés demanifester leur désaccord. Je ne le leur conseillepas. Ils risqueraient de tomber aussitôt sous lecoup de la variante adulte du code 313.81,« trouble oppositionnel avec provocation », oupire du « trouble » 312.9 : « comportementperturbateur non spécifié ». A leur intention jecite texto une partie des éléments diagnostiquesde 313.81 :

… on est tenté d’ajouter « bavarde au cours deflamand », tant le DSM IV peut ressemblerparfois à une version psychiatrisée du « journal-de-classe-à-faire-signer-par-les-parents ». Maisdans ce cadre, qui sont les parents ? That’s thequestion. Et qui va juger du Bien et du Mal ?

Rendu à ce point, et même si l’on n’épousequ’une part de mon scepticisme, on est en droitde se demander (sans tomber obligatoirementdans 313.81) pourquoi je m’obstine à tirer sur

vide conceptuel épuré le « trouble oppositionnelavec provocation chez l’enfant » (numéro decode 313.81), le « trouble factice » (qui estnéanmoins, notons-le, un vrai trouble : n°300.16), le « trouble du sommeil » (n° 292.89),le « frotteurisme » (302.89) et la « schizo-phrénie paranoïde » (n° 295.30). Il arriveévidemment que des raisons objectives prési-dent à l’exclusion ou à l’inclusion dans lecatalogue, mais la rigueur scientifique n’en sortpas grandie. Par exemple, l’homosexualité adisparu du DSM suite au combat musclé menépar les groupes « gays » des Etats-Unis, demême, le populaire PTSD (Posttraumatic StressDisorder, 309.81) ne doit sa fulgurantepromotion nosographique qu’à la lutte desanciens combattants américains qui avaientbesoin de ce sésame pour être dédommagés.

Autre difficulté : le DSM, on l’a rappelé, al’ambition d’abolir la distinction entre lesdésordres mentaux et les autres troublesrelevant de la médecine. L’ennui, c’est qu’il arecours à des signes cliniques tellementhétérogènes qu’on ne sait plus vraiment dansquelle pièce on joue. Comment, en effet, faireentrer dans une même famille logique certainséléments diagnostiques de l’« intoxicationalcoolique » (303.00) comme le nystagmus etl’incoordination motrice, et d’autres relevantde la « personnalité histrionique » (301.50),telle une « manière de parler trop subjectivemais pauvre en détails » ? Notons en passantque la dite « personnalité histrionique »constitue, dans le DSM IV, un résidu del’ancienne névrose hystérique et qu’il est assezdifficile de faire la part, dans son abord, entredes critères diagnostiques et un discoursmoralisateur. Ce n’est pas étonnant car, vul’absence totale d’élaboration conceptuelle, lesdisorders tant soit peu subtils ont pour critèreultime d’inclusion (dans le catalogue) le plusou moins grand degré de tolérance à leur égard.À moins, on l’a vu, que le jeu politique ne secharge de la décision. Dans cette foulée, le« Manuel statistique et diagnostique destroubles mentaux » pourrait devenir sansdifficulté le bréviaire d’une psychiatrie post-brejnevienne. Entre consensus professionnel etcompromis « politiques », dans sa conception,rien théoriquement ne s’oppose à ce qu’onpuisse inclure parmi les signes de laschizophrénie paranoïde le fait de penser (selon

A. Ensemble de comportementsnégativistes, hostiles ou provocateurs,persistant pendant au moins six moisdurant lesquels sont présentes quatredes manifestations suivantes (ou plus) :(1) se met souvent en colère ;(2) conteste souvent ce que disent lesadultes ;(3) s’oppose souvent activement ourefuse de se plier aux demandes ouaux règles des adultes ;(4) embête souvent les autresdélibérément ;(5) fait souvent porter à autrui laresponsabilité de ses erreurs ou de samauvaise conduite ;(6) est souvent susceptible oufacilement agacé par les autres ;(7) est souvent fâché et plein deressentiment ;(8) se montre souvent méchant ouvindicatif.

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une ambulance ? La réponse est sans mystère :c’est parce qu’on m’oblige à y voyager et quele trajet n’est pas bon pour ma santé. Toutd’abord, parce que le DSM - axé sur la normalitéstatistique - est hétérogène à la notion mêmede santé mentale. Pour donner un exemple, ilsera difficile de faire avaler au « manueldiagnostique » que l’incendie volontaire d’unevoiture par un adolescent puisse être un signede santé. Pourtant, si l’on peut inclure cet actedans un tableau psychotique, psychopathique,pervers, déficitaire ou toxicomaniaque, il peutégalement s’avérer le dernier rempart contre ladépression ou l’automutilation. Pour penserainsi, il faut évidemment le secours d’uneconception psychopathologique qui se demandeà quoi peuvent servir les symptômes ? Or, ceciest totalement étranger à la conception d’unDSM fondé au mieux sur la systématisation des« idées reçues » en matière de psychiatriedescriptive. Certes, en tant que pense-bête, lemanuel n’est pas inutile à un clinicienexpérimenté bien formé par ailleurs. Mais,l’université devenant école technique et lamédecine ingénierie, le DSM de facto tient lieude plus en plus de manuel mondial depsychopathologie. Soucieux de normalité plusque de santé, décrivant des « troubles » plutôtque des maladies, il peut devenir un outilplanétaire de contrôle social.

Les dividendes de la souffrancementale

Le DSM, plus radicalement, est mauvais pourla santé intellectuelle car, confondant rhétoriquescientifique et démarche de la science, ilparticipe de la « poudre aux yeux ». Prenantprétexte des exigences de la recherche, il nes’y prête en réalité que fort peu, tout enobligeant le chercheur à passer par ses rets. Toutqui ambitionne de publier dans une revue destanding doit faire au moins semblant de sesoumettre à ses codes, tout psychiatrehospitalier qui tient à sa place doit forcer le traitpour épouser sa standardisation trompeuse (viapar exemple, en Belgique, le « résumépsychiatrique minimum »). Un coup d’état enblouse blanche, favorisé par la position de forcede l’Association psychiatrique américaine et parcelle des éditeurs anglo-saxons, a

silencieusement imposé son outil à l’ensembledes praticiens et des chercheurs, nonobstant lefait que l’instrument ne convienne ni aux uns,ni aux autres.

Arrivé ici, on est fondé à se demander commenttout cela a pu arriver et à qui le crime profite ?Historiquement, il y va en partie d’une réactioncontre la suffisance hégémonique et verbeused’une certaine psychanalyse, accompagnée,chez ses opposants, d’une authentique volontéde rigueur. Mais ceci n’est sans doute que lapointe émergée de l’iceberg. Plusprofondément, la position d’entre-deux de lapsychiatrie (entre technologie médicale etsciences-humaines), la polyphonie diagnostiqueet thérapeutique liée au statut même de la« maladie humaine » (ainsi qu’à l’efflorescencedes états-limite) ne conviennent pas à tout lemonde. Pour certains, une reprise en mains’imposait. Il fallait faire rentrer la santémentale dans le giron plus étroit mais pluscontrôlable de la médecine spécialisée. D’unautre côté, à l’heure de la cotation en bourse decertains hôpitaux, le DSM et ses codesconviennent on ne peut mieux à la logiquebudgétaire d’institutions confrontées auxexigences des organismes de financement. Il ya là comme une interface rassurante entre lelangage impalpable et multiple de la santémentale et celui, moins imagé, del’administration. Le solde de cette opération estloin d’être innocent. Pour rentrer dans lesnormes administratives, le médecin est tenté demajorer la symptomatologie. La schizophrénieest mieux remboursée que le frotteurisme, d’oùl’augmentation statistique quelquefois dunombre de schizophrènes, sans rapport avecl’état clinique de la population, mais non sansconséquences sur la stigmatisation des patients.Notons enfin que le DSM est fort apprécié del’industrie pharmaceutique car il permet depasser, sans coup férir, du code du trouble àcelui de la molécule correspondante.

Pour ceux qui veulent en savoir plus et parcourircomme un roman la fabuleuse histoire dumanuel, je renvoie à l’ouvrage de Stuart Kirket Herb Kutchins (respectivement professeursen sciences sociales à Columbia et àSacramento) : The Selling of DSM. TheRhetoric of Science in Psychiatry (New-York,1992), traduit en français sous le titre : « Aimez-

Comment être fou dans les règles ?

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SANTE MENTALE

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vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrieaméricaine » (Paris, 1998).

En bref : épais comme la Bible, normatifcomme le catéchisme, créatif comme unrèglement militaire, le DSM ne peut avoir toutesles qualités. Étranger à la notion de santémentale, le lien social n’est pas vraiment satasse de thé. Il ne serait pas incongru dès lorsd’y opposer quelque résistance. Je nous y invite.Car, sans notre vigilance, le Manueldiagnostique et statistique des troubles mentauxrisque d’ajouter à sa prochaine nomenclaturele « trouble de penser » (code 00). ●

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C A H I E R

La santé mentale, j’en parle.Et maintenant ?

Martine Baudin,directrice de laFondation JulieRenson.

Découvertes

Première découverte : une campagne axée surla déstigmatisation de la maladie mentale et desmalades mentaux semblait de nature à faire apriori un large consensus. Elle a pourtant misen évidence deux axes d’approches différents.Soit on privilégie la situation et la parole depersonnes souffrant de maladies mentalesreconnues comme telles, et de ce fait on setrouve confronté à la question de la« normalité » et de l’« anormalité », et à tout lequestionnement sur le statut de malade ou non.Soit on privilégie les attitudes de type préventif,on centre l’attention sur les causes dedéséquilibre psychoaffectif, et on rencontre laquestion de la norme sociale, de la norme de

fragilisée et de leur entourage, mais ignore lesprojets susceptibles de réduire les risquesd’occurrence de ces fragilisations. Ne prendreque l’axe de la prévention permet une actionen faveur d’une meilleure santé mentale globalepour la population, mais risque d’ignorer lasituation présente de toute une populationactuellement en difficulté et en souffrance. Etprendre les deux axes en compte a peut-êtreentraîné une certaine dilution du message...

Deuxième découverte : cette campagne asoulevé un extraordinaire enthousiasme au seindu milieu professionnel entendu au sens le pluslarge, incluant les associations, les patients etleur entourage. Une formidable mobilisation detous s’est progressivement mise en route, et lesidées ont fusé de toutes parts, les projets se sontdéveloppés dans toutes les directions en faveurdes patients, de leurs familles et d’une meilleureinformation de tous.

Troisième découverte : le projet imposait desrencontres multiples, soit exclusivement entreprofessionnels, soit avec d’autres milieux.Toutes ces rencontres se sont avérées d’uneextraordinaire richesse. Rencontrer dans leuractivité professionnelle une série de collèguesd’autres types d’institutions que celle danslaquelle on évolue habituellement donnait enfinun visage aux noms parfois connus, mais surtoutrendait plus clair le travail effectué par d’autreset les complémentarités naturelles. Rencontrerdes professionnels d’autres secteurs, plus oumoins connexes tels que des juristes, desenseignants, des médecins, ou tout à faitextérieurs tels que des politiciens, des artistes,des journalistes, des employeurs, et d’autresencore, a montré la nécessité de cette ouvertureplus grande vers d’autres mondes, a montrécombien vouloir déstigmatiser la maladiementale et ceux qui en souffrent impose de nepas rester isolés dans sa pratique quotidienne.Ceci pourrait ne pas être une découverte tant ilest évident que la déstigmatisation passe par lecontact et la connaissance réciproques, maisvivre dans les faits ce principe théoriquefacilement énoncé relève de la découverte, etépingle soudain l’impérieuse nécessité demaintenir des moments d’échanges etd’explicitations réciproques.

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« 2001, année de la santé mentale » acommencé sur un coin de table, petitprojet très ambitieux emballé dans degrandes idées. D’avril 1998 à janvier2002, beaucoup de travail, beaucoupde réunions, beaucoup d’énergie,beaucoup de solidarité, ont aidé à leporter, ont permis de le réaliser. Commetoujours, pourtant, il y a loin entre lesespoirs et les réalisations, en pluscomme en moins. Des objectifs ont étéconcrétisés, d’autres se sont évanouis,mais surtout des découvertes ont étéfaites en chemin. Ce sont elles les plusintéressantes, puisque nouvelles etinattendues.

JournéeSouffrances du lien social

Clôtures

vie et de son mode d’impositionà chacun. Ne prendre que lepremier axe, permet certes uneaction en faveur de l’intégrationde personnes en situation

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Quatrième découverte : tous les contacts vécusà l’occasion de cette campagne ont mis parmoments lourdement en lumière le poids despréjugés contre lesquels il faut encore lutter, lepoids de l’image négative et de la peur quiamènent au mieux à préférer ignorer, au pis àrejeter comme aberrante la seule idée d’êtreassocié de quelque façon que ce soit aux mots« maladie mentale ». Amère expérience que cesrejets, parfois violents, qu’il a fallu rencontrer ;amère aussi l’expérience, inévitable sans doute,des opportunistes de tous bords en recherchede financement personnel, de valorisationindividuelle. Les réactions positives ontcontrebalancé ces aspects-là, mais ils nepeuvent être ignorés.

Cinquième découverte : envisager unecampagne nationale, visant un public large,pour tout dire le « grand public », sur un thèmequi fait peur, avec des moyens... nuls au départ,relève de la gageure. Le faire sans soutieninstitutionnel préalable relèverait plutôt de la...folie. Pourtant, il semble bien que cinqpersonnes motivées peuvent à petits pasentraîner dans un large mouvement descentaines de personnes par cerclesconcentriques. Cette campagne, partie d’un coinde table, est devenue le projet d’une multitudede personnes et d’institutions, qui l’ont fait leur,

qui l’ont développées, quilui ont donné les couleurset la densité de la vie. Lesmoyens nuls ne sont pasdevenus des fortunes,mais 12.500.000 BEF(309.867 euros, nonencore tous libérés) ontpu être réunis etentièrement affectés à desactions concrètesassurées par quantité debénévoles enthousiastes.Le soutien institutionnelest venu, progressivementde tous les ministres ayantla santé mentale dansleurs attributions (ils sontsept pour l’ensemble dupays !), très tôt de laCommission de l’Union

européenne, et aussi de l’Organisation mondialede la santé. L’idée s’est fait son chemin peu àpeu, toute seule, de plus en plus indépendantede sa source, mais c’est cela qui fait les grandsfleuves, c’est comme cela que naissent lesmouvements d’idée.

Tentation de bilan

Avec le recul, certes des ratés auraient pu êtreévités, de meilleures idées auraient pu être misesen œuvre, jamais les réalisations necorrespondent pleinement aux espoirs. Aunombre des regrets, on citera une informationinsuffisante ou tardive pour les stages desparlementaires, et pour les journées portesouvertes, l’impossibilité de réunir des moyenssuffisants destinés au financement de projetslocaux décentralisés, le manque de possibilitésde contacts avec certains milieux professionnelset avec les entreprises, l’échec de l’expositiond’art brut qui n’a pu se monter faute de moyensmais qui aurait permis une médiatisation pluslarge, l’absence de dossiers thématiquespermettant une information rapide, précise etimmédiate sur des sujets récurrents, la difficultéà limiter le nombre de colloques, formule tropclassique et académique, et quelques autres

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encore dont le souvenir se perd dans l’ensemble.Au crédit, on notera l’extraordinaire réussite dela formule Forum qui s’est avéré un bon moyende rencontres et d’information, les découvertesénumérées ci-dessus, le succès de la Journéed’ouverture à l’Ancienne Belgique et sonimpact extraordinaire sur les usagers desservices de santé mentale, le beau succès del’exposition itinérante sur l’Histoire de la santémentale, la participation de tout le pays par delàles clivages politiques, idéologiques etlinguistiques, et tous ces moments fugitifs aucours desquels l’évidence d’une réussite, fut-elle momentanée, illuminait l’instant.

Parmi ceux-ci, ces moments, à chaque foisuniques, où un accord a pu se faire pourl’obtention d’un soutien financier, si difficile àréunir, de la part d’une entreprise, de la partd’un service public. Chaque accord manifestaitune adhésion à l’idée que cette campagne avaitun sens, une utilité, et que pour cela il fallait larendre possible et l’aider à la mesure desmoyens disponibles. On a coutume de ne pasparler des sponsors et des pouvoirs subsidiants,leur mention et leur logo servant habituellementde mode de reconnaissance. Il apparaît pourtantqu’au-delà des intérêts spécifiques que chacundes donateurs se doit de protéger bienlogiquement, à chaque fois il s’est agi d’unedécision qui, dans le cas présent et au vu de ceque disaient les refus, représentait une réellesensibilité à une idée, une convictionpersonnelle ou collective de l’importance dupropos. Cela aussi est à mettre au crédit d’unetelle opération.

Il reste en tous cas l’espoir tenace que cettepremière année du siècle, placée sous le signede la santé mentale, soit un premier pas versune société plus généreuse à l’égard despersonnes en souffrances psychiques, et plusattentive à les éviter ou à en réduire les effets.Ces quelques propos n’engagent que moi. Ilsne font pas le tour complet de la question, auxpremiers jours de janvier aucun recul n’estencore possible, aucun processus d’évaluationn’a encore été entamé. Cette évaluation auralieu pendant les premiers mois de 2002, lesidées qui en émergeront seront diffusées commel’ont été les projets et les étapes. Cette

La santé mentale, j’en parle. Et maintenant ?

évaluation se doit d’être collective, commel’ensemble de la campagne fut un processuscollectif. Il était pourtant difficile de résister àla tentation d’un premier petit bilan subjectif,spontané et partiel.

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101Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

MadeleineMoulin,

sociologue,professeur à

l’Université librede Bruxelles.

Au-delà de l’expertise, un certain humanismerémunéré

Concilier

… l’élaboration volontariste de politiquessociales « justes » avec les usagers (« les gens »,tout simplement) et leurs réalités. Certes, unchemin appréciable a été parcouru sur le terrainces dernières années pour situer la personne, lesujet au centre des manières de penser lespratiques quotidiennes. Mais la route est encorelongue pour faire admettre et surtout pourmettre en pratique l’idée, somme toute simple,qu’il importe d’entendre leur expertise et leurscompétences à propos de leur existence danssa complexité avec ses aspérités, ses duretés etses embellies. En sachant - enfin ! - qu’il y a là

tout un monde de réalités et d’expériences quine correspondent pas nécessairement auxreconstructions en extériorité élaborées par lesprofessionnels, quels qu’ils soient. Sansdémagogie. Il s’agit en quelque sorte d’undevoir démocratique, celui de la mise àdisposition du plus grand nombre d’un certainsavoir - parmi d’autres tout aussi utiles - quioctroie un pouvoir d’action suffisant pourrépercuter auprès des décideurs et de la sociétécivile les méfaits des iniquités et des oublis durespect. Encore faut-il que ce positionnementsocial demeure un moyen et non une fin en soi.Ceux qui sont venus n’avaient pas besoind’êtres convaincus, rétorquera-t-on. Faudrait-il pour autant arrêter de taper sur ce clou ?

Exorciser

… le ras-le-bol, le sentiment d’impuissance, lacontagiosité pernicieuse du désenchantement,tous ces poisons qui conduisent à des violenceslarvées ou démesurées sous des formes variées.Il n’y a pas que les violences sociales réactives« sur le terrain ». Songeons ici à toutes lesformes de violence institutionnelle, où qu’ellesappuient leur force et leurs autojustifications :idéologiques (l’insertion sociale à tout prix pourle bien des personnes et dans l’intérêt général),scientifiques (les nosographies apodictiques, lesimpératifs de la compliance « soft »), moralesou éthiques (l’internalisation de laresponsabilité comme fleuron de la conscienceindividuelle avec son cortège de culpabili-sations, la conscience citoyenne comme vecteurunique de la vertu cardinale de l’autonomie),politico-économiques (le bien être non coûtantà la collectivité comme exigence de psychè),...

Il serait cependant fallacieux de croire que lesprofessionnels normalement constituésapprécient de travailler dans de tellesconditions. Bien au contraire. Mais trop c’esttrop.

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On court pour qui, pour quoi, àdiscuter, écouter, confronter les idées,un peu abstraitement puisque par lelangage seul, et hors de la présence deceux-là mêmes dont les professionnelsont le souci, outre celui on ne peut pluslégitime de « gagner sa croûte » ? Lamosaïque ci-dessus ne se conclut pas :les propos ont été sollicités pour ouvrirdes portes, pour tenter de ne plus jouerà bureau fermé ou de sortir du huis-clos, selon. Trois mots viennentcependant à l’esprit pour résumer lesperspectives plus ou moins concrètes,plus ou moins optimistes qui sedégagent de cette journée : concilier,exorciser, décloisonner.

JournéeSouffrances du lien social

Clôtures

A-t-on déjà évalué en monnaiessonnantes et trébuchantes lescoûts engendrés par ladéperdition gigantesqued’énergie consacrée à aller

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102 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

D’abord, il ne faudra plus dix ans pour quel’hôpital devienne ce qu’on est en train d’enfaire, c’est-à-dire un lieu d’actes techniques(diagnostics et thérapeutiques), de moins enmoins hospitalier, au sens premier du terme. Sidans le même temps, on ne prend soin dedévelopper l’accessibilité aux soins et auxservices extra muros, nous pouvons imaginerle tableau de ce que sera sous peu un systèmede soins à deux vitesses automatiques : lamédecine technique performante, et un magmade services éclatés, aux missions floues, écraséspar des demandes protéiformes pour lesquellesils ne seront pas outillés. Plaignons legénéraliste isolé qui devra œuvrer dans cesconditions, ... ou son patient si ledit généralisteest un adepte des neuroleptiques à toute heure.Le rôle des départements de médecine générale,ou plus exactement les politiques de toutes lesfacultés de médecine seront déterminants à cetégard.

Ensuite, il est sans doute temps de se souvenirque si l’histoire de la psychiatrie et de la santémentale ont coltiné leurs paquets d’orthodoxiesles plus sophistiquées, la « folie » certes, maisaussi la santé mentale ont toujours suscité aussiune pensée vive et radicale, bref ont toujoursfourni les ingrédients d’une réflexion critiqueet de débats intellectuels. Il faut pour cela qu’onne pense pas les « questions de santé mentale »comme le monopole du secteur de la santémentale. L’effervescence au sein de diversmilieux de médecine générale (formation,groupements professionnels, ...) est propice etencourageante à cet égard. Entre autres, on peutse réjouir du souci de contextualiser le patientet des avancées de la formation du futurgénéraliste aux dimensions de la pratique tropsommairement étiquetées de subjectives. Lespesanteurs institutionnelles sont cependantencore considérables. Les raideurs dans lamanière de penser ces décloisonnements le sonttout autant, quoiqu’on ne les évoque pas aussifacilement dans les catalogues de critiques. Or,en l’espèce, un levier au moins existe :comprendre l’autre, sa réalité professionnellequotidienne. Bref, le dialogue, comme celuiamorcé aujourd’hui. Un pas vers plus de santémentale, vers moins de souffrances sociales (oude charge mentale professionnelle ?).

contre les vents de l’inertie (pour valoriser parexemple la formation à la médecine générale),à convaincre selon le bon sens le plusélémentaire (qu’il y a par exemple deséconomies d’échelle qui n’en sont pas et qu’ilne faut pas toujours prendre les gens pour deperpétuels ahuris), à justifier des bonnesintentions de telle ou telle innovation (parexemple, la création d’une expérience-pilotemotivante sinon administrativement motivée,dans un service ou un secteur). Pour expliquerqu’on a tout bonnement, ni plus ni moins enviede « bien faire son boulot » ? Tout cela pendantque d’hallucinantes gabegies monétarisées noussont sans relâche assénées comme desévidences et des nécessités ?

Les personnes qui œuvrent dans le secteurlabellisé « non marchand » ont aussi, figurez-vous, un ego, des souffrances sociales. Parfoismême leur ras-le-bol se fait scientifique et prendnom de burn out. Ils ont aussi envie d’êtrevalorisés professionnellement, d’être reconnusdans leurs investissements et leursengagements. Ils rêvent aussi que leurs attenteset projets soient pris en considération au mêmeniveau de rationalité que les exigences deproductivité et de performance marchande. Desvoix se font entendre dans ce sens. De plus enplus fort, dont certaines tentent d’ailleursd’échapper à tout corporatisme délétère.

Qu’il me soit permis de souligner ici que lespropos les plus forts et les plus prometteurs pourrésister à ces « désaffections » au cours de cettejournée sont ceux qui prônent sans réserve lesactions collectives (c’est-à-dire penséescollectivement et posées par rapport aux intérêtscollectifs) et en appellent à toutes formes desolidarité interprofessionnelles, intersecto-rielles, interdisciplinaires, etc.

Décloisonner

Décloisonner la réflexion concernant lapremière ligne et le sens à donner à la santémentale. Et ceci concerne tant les formateursque les décideurs et le terrain. Il y a vraimenturgence, à deux niveaux au moins.

Au-delà de l’expertise, un certain humanisme rémunéré

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

Enfin, plus largement, il y va de la conceptionde l’homme que nous entendons défendre etgarantir dans l’exercice des métiers d’aide àautrui, du sens que nous entendons donner àces incommensurables attentions tapies dans lequotidien des praticiens de tout poil, dans lesdiscussions des équipes de tout genre.Passées au rouleau compresseur de laquotidienneté racrapotée, escamotées dans lesdéferlements d’indifférence collective et descrispations auto-référentielles ou corporatistes,elles constituent néanmoins un formidableréservoir de ressources cognitives etdiscursives.

Car pour répondre in fine à la question dupourquoi de cette journée, peut-on, sans risquerl’injure de naïveté ou de romantisme attardé,avancer qu’il y a chez chacun d’entre nous -au-delà des contingences auxquelles nous nepouvons nous soustraire n’est-ce pas machère... -, un raisonnable souhait de voirdiminuer la souffrance autour de nous et lasecrète conviction que nous détenons chacunune petite part de la force nécessaire pour« travailler le social ».

Il y a là une résistance à affirmer, à consolidercollectivement, en se hâtant lentement. Peut-être a-t-on fait un pas dans ce sens. ●

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104 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Ouvrages

DEJOURS C., Souffrance en France. Labanalisation de l’injustice sociale, Seuil, Paris,1998.

DE LEPELEIRE J., De diagnose van dementiehet aandeel van de huisarts, KUL, Leuven,2000.

EHRENBERG A., La Fatigue d’être soi.Dépression et société, Odile Jacob, Paris, 1998.

EHRENBERG A. et LOVELL A. (éds), Lamaladie mentale en mutation. Psychiatrie etsociété, Odile Jacob, Paris, 2001.

LEBRUN J-P., Les désarrois nouveaux du sujet.Prolongements théorico-cliniques au « Mondesans limite », Erès, Ramonville, 2001.

LOUCKX F. (ed.), Que reste-t-il derrière lafaçade de l’Etat-Providence ? Inégalitésd’accès aux soins de santé, VUB Press,Bruxelles, 1996.

SCHURMANS M-N., Maladie mentale et senscommun. Une étude de sociologie de laconnaissance, Delachaux et Niestlé, Paris,1990.

Articles

BAKKER R.H.C., DE BAKKER D.H.,KERKSTRA A., « De rol van de huisarts bijpsychische en sociale problemen in hetverzorgingstehuis », Tijdschrift voorGerontologie en Geriatrie, 1995, n°2, pp. 71-79.

BENRUBI M., « Tout est relatif ? Quelquesréflexions à propos de la maladie commereprésentation », Santé conjuguée, avril 2001,n°16, pp. 31-32.

BOULAD M., « Savoir médical et cultured’usage », Santé conjuguée, janv. 2001, n°15,pp. 59-61.

BOULAD M., « Le généraliste et la médecine :un couple illégitime ? », Santé conjuguée, avril2001, n°16, pp. 91-94.

CAILLE A., « Ailleurs, autres regards : Leparadoxe fécond du don », Pratiques, déc. 1999,n°8, pp. 80-86.

DE MAESENEER J., « Attitudes vanhuisartsen. Een onderzoek aan de rug (Deel 1) »,Huisarts Nu, 1990, n°5, pp. 228-234.

DE MAESENEER J., « Attitudes vanhuisartsen. Een onderzoek aan de rug (Deel 2) »,Huisarts Nu, 1990, n°7, pp. 324-331.

DEMAILLY L., DESMONS P., ROELANDTJ-L., « Usagers et mésusagers en santémentale » in CRESSON G., SCHWEYERF.X., Les usagers du système de soins, Rennes,Editions de l’Ecole nationale de la santépublique, 2000, pp. 126-143.

DEMAY-LAULAN M., « L’urgence psychia-trique et le médecin généraliste », Thérapiefamiliale, 1987, n°3, pp. 247-256.

DE PROOST P., « Une entreprise en pleineexpansion : le CPAS », Santé conjuguée, avril1999, n°8, pp. 56-60.

DE RIDDER H., « Huisartsgeneeskunde : eenverkenning », Huisarts Nu, 1990, n°3, pp. 109-113.

DOUBLE D.B., « What do GPs want frommental health services ? », Journal of MentalHealth, 1999, n°4, pp. 385-389.

ELGHOZI B., « Le médecin généraliste et lespublics en difficulté », in LEBAS J.,CHAUVIN P., Précarité et Santé, Flammarion,pp. 250-270.

FERRANT L., « Représentations du corps etde la maladie », Santé conjuguée, avril 2001,n°16, pp.39-44.

GIUDICELLI S., « Actualité des névroses :entre généralistes et psychiatres », PsychologieMédicale, 1992, n°14, pp. 1513-1518.

HERSCOVICI A., « L’accès aux soins, ombreset lumières », Santé conjuguée, avril 1999, n°8,pp. 81-82.

Eléments de bibliographie

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105Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t e

MOREL J., « Actualité du concept de santécommunautaire », Santé conjuguée, avril 1998,n°4, pp. 25-28.

PEETERS F.P.L.M., « Huisarts en depressievepatient : een problematisch duo ? », Tijdschriftvoor psychiatrie, 1997, n°4, pp. 309-320.

PIGNARRE P., « Une psychiatrie ennuyeuse »,Pratiques, juillet 2000, n°10, pp. 20-22.

VAN DEN BRINK W., ORMEL J., « Depressiein de huisartspraktijk. Consequenties vooronderwijs, onderzoek en beleid », Tijdschriftvoor Psychiatry, 1993, n°2, pp. 94-109.

VAN DER KROET G., « De samenwerkingtussen huisarts en eerstelijnpsycholoog, »,Psycholoog, 1986, n°6, pp. 312-316.

WINCKLER M., ZAFFRAN M., « Raconte-voir : Médecine à problèmes, soignant àproblèmes », Pratiques, juillet 2000, n°10, pp.73-75.

Revues, brochures, rapports derecherche, mémoires, actes decolloques et documents divers

DELBROUCK M. (textes colligés par), Letemps dans ma pratique, Monographie, SociétéBalint, Année académique 1999-2000, Malines,2000.

Enquete over de geestelijke gezondheid,Enquete groot publiek, Research Consult,March 2001.

FERON D., Influence des facteurs psycho-sociaux sur l’incapacité de travail, DES enévaluation du dommage corporel, ULB, annéeacadémique 2000-2001.

GIELEN M., La construction sociale du regardsur la folie dans la culture contemporaine,mémoire de licence en travail social, dirigé parM. Moulin, Université libre de Bruxelles, annéeacadémique 2000-2001.

Jaarverslag, Overlegplatform GeestelijkeGezondheidszorg Provincie Antwerpen, 2000.

La psychè : le cadet de mes soucis ?, Note depolitique relative aux soins de santé mentale,Ministère fédéral de la Santé publique, de laProtection de la consommation et del’Environnement, Bruxelles, 2001.

La santé mentale. Attitudes et réactions dugrand public, Premiers résultats d’une enquêted’opinion, Research Consult, Mars 2001.

« La santé mentale. Un autre regard sur laprévention » in Bruxelles Santé, n° 21, Mars2001.

Les nouvelles formes de la coopérationpublique en Belgique. Le cas de la santémentale. Programme de recherche pluriannuelconcernant les problèmes actuels en matière decohésion sociale, Bruxelles, services du PremierMinistre, sans date.

« Les psy dans la cité », in L’Homme et lasociété, n° 139, L’Harmattan, Paris, 2001.

« Santé et Société. Les risques cachés » in Lescahiers de la santé de la Commissioncommunautaire française. Actes du Colloquedu 16 décembre 1999, Solidarités Nouvelles,Bruxelles.

« Santé Mentale, des accords / désaccords surun concept », in Les cahiers de la santé de laCommission communautaire française. Actesdu 1er colloque des Services de santé mentalebruxellois, 12 et 13 mars 1997. Co-organisé parla Ligue bruxelloise francophone pour la santémentale et la Commission communautairefrançaise.

SCHMITZ P., Cellule psychiatrique mobiled’intersection entre la santé mentale etl’exclusion sociale, Recherche commanditéepar la Commission communautaire française,SMES asbl, Mai 2001.

WELLEN J., Van probleem tot hulpverlening.Huisartsen en ambulante geestelijkegezondheidszorg in Vlaanderen, Leuven/Amersfoort, Acco, 1985.

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106 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Souffrances du lien socialGénéralistes et santé mentale

Journée de réflexion qui a réuni cent cinquante personnes et qui a été organisée par leCentre de sociologie de la santé (Institut de sociologie, ULB),

avec le Centre de diffusion de la culture sanitaire (CDCS, asbl),en collaboration avec la Faculté des sciences politiques et sociales de l’Universitaire instelling Antwerpen (UA)

Vendredi 21 septembre 2001Université libre de Bruxelles

Le programme

INTRODUCTIONAu nom de « 2001, année de la santé mentale »Martine Baudin, directrice de la Fondation Julie Renson

Souffrances du lien social, souci constant, souci croissant ?Madeleine Moulin, Université libre de Bruxelles

Santé mentale, nouveau souci pour le généraliste ?(dans le prolongement du sondage d’opinion réalisé pour « 2001 »)Herman Meulemans, Universitaire instelling Antwerpen

PANEL« La souffrance mentale, l’entendre, l’écouter, y répondre »Présidence : Micheline Roelandt, psychiatre, vice-présidente du Comité consultatif de bioéthique de Belgique

La pratiqueCharles Burquel, psychiatre, directeur du Centre de santé mentale le Méridien, Bruxelles ; Anne Gillet, généraliste,vice-présidente du Groupement belge des omnipraticiens (GBO), Bruxelles ; Patrick Janssens, psychologue, Centre desanté mentale (CSM/WZ) Antonin Artaud, Brussel ; Olivier Mariage, généraliste, exécutif de la Région wallonne,Namur ; Peter Van Breusegem, médecin généraliste, (UZW), Brussel ; Bernard Vercruysse, généraliste, président duForum des associations de généralistes (FAG), Bruxelles ; Bernadette Taymans, infirmière, Revue Education santé etservice Infor Santé

La formationLouis Ferrant, médecin généraliste, UA, Antwerpen ; Pierre Firket, généraliste, Association des généralistesenseignants(AGE), Ulg, CHP Petit Bourgogne, Liège ; Richard Hallez, généraliste, Centre universitaire de médecinegénérale (CUMG), ULB, maison médicale Marconi, Bruxelles ; Jan Heyrman, médecin généraliste, Akademischecentrum voor huisarts geneeskunde (ACHG), KUL, Leuven ; Jean-Georges Romain, généraliste, responsable duprogramme Alto (SSMG), ex président de la Société Balint, Liège.

ATELIERSLe fil rouge des ateliers : enjeux, embûches et possiblesJacques Morel, généraliste, Fédération des maisons médicales

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SANTE MENTALE

Pour une approcheg é n é r a l i s t eATELIERS FRANCOPHONES

Présentateurs Animateurs « Oreille-Plume » Personnes ressource

TEMPS

Miguele Benrubi Thierry Poucet Sylvie Carbonnelle Anne Courtois (psychologue)(généraliste-Liège) (journaliste/UNMS) (anthropologue/ULB) Michel Roland (généraliste)

PRESCRIPTION

Patrick Jensen Anne-Michelle Cremer Guy Lebeer Jean Gillis (généraliste)(généraliste-Bruxelles) (journaliste/RTBF) (sociologue/ULB) M-J.Wuidar (généraliste)

Dominique Vossen (psychiatre)Anne Gillet (généraliste)

Aldo Perissino (médecin interniste)

FORMATION

Paul Cnockaert Jean-Louis Genard Marianne Gielen Cassian Minguet (généraliste)(généraliste-Bruxelles) (sociologue philosophe/ (assistante sociale/CSM) André Dufour (généraliste)

(ULB/FSL) ULB/FSL) Myriam De Spiegelaere (généraliste)Martine Vermeylen (psychologue)

Richard Hallez (généraliste)

TERRITOIRES

Monique Boulad Monique Van Dormael Martin Moucheron Bernard Vercruysse (généraliste)(généraliste-Charleroi) (sociologue/IMT/ (sociologue/UCL) Anne Herscovici (sociologue)

Antwerpen) Jean-Yves Donnay Patricia Schmitz (sociologue)(sociologue/ULB) Michèle Vandeneynde (psychologue)

Michelle Pohart (assistante sociale)Enio Ranalli (psychiatre)

Anne Feron (médecin conseil)

ATELIERS NEERLANDOPHONES

TEMPS, PRESCRIPTION, TERRITOIRES

Leo Pas Herman Meulemans Mark Leys Patrick Janssens (psycholoog)(huisarts-Brussel) (socioloog/UA) (socioloog/VUB) Louis Ferrant (huisarts)

Bernard Meyfroodt Gie Goyvaerts Harry Parys Jan Snacken (psychiater)(huisarts-Leuven) (socioloog/ (socioloog/UA)

OCMW-Antwerpen)

CONFERENCES DE CLÔTURESoins, plis du réseau et logique du donRenaat Devish, anthropologue, KUL

Comment être fou dans les règles ?Francis Martens, psychologue, président de l’Association de psychologues praticiens d’orientationpsychanalytique

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108 Santé conjuguée - janvier 2002 - n° 19

C A H I E R

Comité scientifiquePrésidence : Madeleine Moulin (sociologue, ULB), Herman Meulemans (sociologue médical, UA).Jan De Maesseneer (médecin généraliste, RUG), Jean De Munck (philosophe, UCL), Joke Denekens (médecingénéraliste, UA), Jean-Louis Genard (sociologue, philosophe, ULB, FUSL, La Cambre), Olgierd Kuty (sociologue,Ulg), Guy Lebeer (sociologue, ULB), Fred Louckx (VUB), Françoise Noël (sociologue, ULB), Micheline Roelandt(psychiatre, vice-présidente du Comité consultatif de bioéthique de Belgique), Margarita Sanchez-Mazas (psychologuesociale, ULB).

Comité organisateurPaul Arteel (directeur de la Vlaamse vereniging voor geestelijke gezondheidszorg), Martine Baudin (directrice de laFondation Julie Renson), Lutgart Brouwers (Fondation Julie Renson), Manuela Bruyndonckx (Centre de sociologie dela santé, ULB), Sylvie Carbonnelle (anthropologue, ULB, Centre de diffusion de la culture sanitaire), Guy Lebeer, PinaMeloni (Centre de diffusion de la culture sanitaire), Herman Meulemans, Julie Morel (anthropologue), MadeleineMoulin, Aldo Perissino, Linda Van Hertum (Fondation Julie Renson), Nele Verhulst (Fondation Julie Renson).

RemerciementsCette livraison à Santé conjuguée n’aurait pu avoir lieu sans l’aide et le soutien de plusieurspersonnes, entre autres Sylvie Carbonnelle qui m’a substantiellement aidée à mettre les textesen forme, Martine Baudin qui a assuré la traduction des textes en flamands.Je tiens également à remercier tous les néerlandophones qui ont apporté leur aide et leurcontribution à cette journée de réflexion, même si ceci n’apparaît pas dans la publication, bienasymétrique à cet égard.

Madeleine Moulin, sociologue, professeur à l’Université libre de Bruxelles.