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Voici une séléction des plus belles pages du catalogue de l'exposition "Paquebot France", retrouvez le au musée national de la marine à Paris.
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« Un navire de l’importance exceptionnelle du France est, comme
une cathédrale, une œuvre où doivent se conjuguer, dans la plus haute
mesure, la technique et l’art de notre pays afin d’en faire une synthèse
française à la mesure du temps que nous vivons et un véritable
ambassadeur de notre génie national. »
Antoine Barthélemy, directeur technique, sur la maîtrise d’œuvre de la décoration
du paquebot France, 1958, archives French Lines
PAQUEBOT FRANCEPréface Philippe Starck
Double page précédente : À la passerelle
Coll. Jean-Marie Chourgnoz
Sommaire
Préface Philippe Starck
France, rêve sur commande d’une nation ? Aymeric Perroy
MAdE iN FRANCESymbole de l’apogée des Trente Glorieuses Jean-François Eck
Une si longue attente Frédéric Ollivier Construire le France Daniel Sicard
ils se souviennent… Maurice Audic, traceur de coquesJean-Claude Lemée et Damien Hanriot
Les jambes d’un géant Frédéric Ollivier
Les vies du France Franck Sénant
STylE FRANCELe France, un style involontaire Cloé Pitiot
ils se souviennent… docteur Jean Feigelson, passager Agnès Mirambet-Paris
Des tapisseries pour un décor moderne Christine Germain-Donnat
ils se souviennent… Pierre Monnet, passager Agnès Mirambet-Paris
Du Rilsan au Granal… des nouveaux matériaux Nadine Halitim-Dubois, Agnès Mirambet-Paris, Éric Perrin
Le France, un ambassadeur de l’industrie française Éric Perrin
SERviCE FRANCELes espaces dans le paquebot France Valérie Guillaume
À la table du France Anthony Rowley
ils se souviennent… M. H., maître d’hôtel principal Gaëtan Crespel
Entre paquebot et avion Agnès Mirambet-Paris
iMAgES dU FRANCERêver le France Angelina Meslem
Le France en quête d’image Aymeric Perroy
ils se souviennent… M. H., projectionniste de cinémaGaëtan Crespel
Souvenirs du France Denis-Michel Boëll
Bibliographie indicativeRemerciements
006010
017029042059
061071
085107
109123
127
142
149163175
177
192207221
223
237238
MAdE iN
45.
Montage des bordésAprès la pose des cloisons transversales, le montage des éléments des bordés de la coque du paquebot se poursuit en décembre 1958. Les tôles des bordés sont fixées à des porques, qui sont des raidisseurs verticaux disposés comme des arêtes de poisson. Les ponts intermédiaires sont en cours de construction.À l’extérieur de la coque, des alignements de poutres en bois, les accores, soutiennent la coque en construction jusqu’au lancement du navire de sa cale. Des échafaudages métalliques soudés provisoirement à la coque per-mettent aux ouvriers de circuler.
Installation d’un bloc prémontéDes hommes procèdent à l’installation d’un bordé en bloc prémonté de la coque. Les blocs sont ensuite soudés les uns aux autres sur la cale inclinée de construction. On distingue à gauche sur la cloison transversale des ins-criptions de repérage des éléments à assembler ainsi qu’un étai de bois antibasculement.Il faudra attendre 1968 pour que se généralise l’assemblage par tronçons préfabriqués en atelier. En effet, le montage de certains espaces du France est encore réalisé « pièce par pièce », tel que cela se pratiquait avant la Seconde Guerre mondiale. Au premier plan, des escaliers en bois permettent de rejoindre les différents niveaux intérieurs.
style
90.
L’utopie du classicisme moderneDes créateurs résolument classiques mais, pour certains, à l’image d’André Arbus, empreints du rêve du classicisme moderne. Choisi pour la décoration du fumoir première classe, Arbus concilie avec élégance, tradition et modernité. L’équation est réussie, le « style France » est né. Comme Arbus, d’autres croient en cette voie nouvelle. Maxime Old, qui se revendiquait de la tradition mais ouvert aux nouveautés, œuvrait dans le salon première classe ; Jacques Adnet, au répertoire formel, d’une élégante modernité classique, se voit confier les magasins de vente ; Jean-Maurice Rothschild, « très classique et incontestablement influencé par le style et les conceptions de Ruhlmann », le carré officiers radio. Si certains ont cru voir en ce paquebot la possibilité de pleinement exprimer un style, ils se sont fourvoyés. Répondre à un tel cahier des charges, si draconien, était utopique et ne laissait que peu de place à la créativité, comme l’attestent les notes de l’ingénieur Thooris : « L’exécution d’une décoration avec des matériaux incombustibles sans usage de bois pose d’importants problèmes d’exécution qui échappent à la technique courante classique. Il paraît indispensable de limiter le nombre des entreprises d’exécution aux suivantes : Michon-Pigé, Rousseau, Dennery, Mottais, Noyon, Goulet et Simon. Si nous entendons ce problème d’ordre technique, il semble dès lors admis que le nombre de locaux pour lesquels les décorateurs pourront avoir une certaine latitude est encore plus réduit. Il n’y a guère en définitive que la salle à manger du commandant et le salon du commissaire principal pour lesquels le décorateur reste d’une utilité réelle3. » Ces deux espaces sont confiés à Jean Royère et Robert Ducrocq.
3 Notes du 13 octobre 1959
André Arbus (1903-1969)Décor du fumoir 1re classe
Coll. French Lines
Fiche technique manuscrite issue du dossier d’exécution
Coll. French Lines
Maxime Old (1910-1991)Trois projets de meubles pour le grand salon Fontainebleau
1re classeDe gauche à droite : un fauteuil,
une table basse juxtaposable, dite « table vague », et un
guéridon circulaireCalque sur papierColl. Maxime Old
Maxime Old (1910-1991)Salon Fontainebleau, 1re classeÉchantillons de tissu du salon
Coll. French Lines
123.
« Pour moi, ce fut un émerveillement, un rêve qui se réalisait. »
Ma pass ion des paquebots a commencé quand j’avais 9 ou 10 ans, c’était en 1950-51. J’allais en vacances en face du Havre et, avec les jumelles de mon père, je regardais dans le port les paquebots, l’Île de France, le Liberté. On me disait qu’ils allaient à New York et ça me faisait rêver. Je me disais, que peut-être, un jour, je voyagerais sur un de ces bateaux.Quand j’ai commencé à travailler, j’ai d’abord fait une croisière avec l’express côtier norvégien, je suis allé jusqu’au cap Nord, en 1964. Puis les années sont passées… un jour, j’ai eu envie d’aller aux États-Unis et je me suis dit « autant prendre le paquebot France ».
C’était en 1971. J’ai été ébloui par la qualité du service de la Transat, la fa-çon dont le personnel nous accueillait. Il faut préciser que le rêve commençait à la gare Saint-Lazare : on prenait un train spécial. Les wagons portaient des plaques émaillées bleu, blanc, rouge et nous étions accueillis par des hôtesses qui nous remettaient des étiquettes pour les bagages et nous installaient dans les compartiments.
Je suis parti du Havre le 28 mai 1971, la traversée durait cinq jours. Quand je suis arrivé à New York, j’ai voyagé jusqu’en Floride. Je suis resté deux semaines là-bas, puis je suis remonté sur New York et pendant ce temps-là, le bateau avait eu le temps de retour-ner au Havre et de revenir à New York.
ils se souviennent… Pierre Monnet
passager du FranceEntretien Agnès Mirambet-Paris
Donc j’ai pu le reprendre pour rentrer. En 1973, ayant rencontré une Hav-raise qui deviendra ma femme et qui rêvait également de partir, nous avons décidé de faire un voyage et l’an-née d’après, comme je savais que le bateau allait s’arrêter (c’était annoncé), nous l’avons pris jusqu’à New York, nous sommes restés une journée et nous sommes repartis tout de suite au Havre : nous avons donc passé treize jours à bord. À ce moment-là, c’était le choc pétrolier et la vitesse avait été réduite pour économiser le carburant car le France en consommait énor-mément : le bateau mettait six jours au lieu de cinq pour faire la traversée. Au lieu de naviguer à 30 nœuds, ils étaient descendus à 20 ou 22. J’étais ravi ! J’ai passé deux journées de plus à bord !
C’était une ambiance particulière, différente de celle des croisières. À la Transat, on travaillait de père en fils. Quand j’ai fait ma deuxième traversée, j’ai eu la surprise de voir des commis-saires de bord qui m’interpellaient par mon nom. Le personnel choyait particu-lièrement les passagers. Par exemple, sur le pont, il y avait le « bouillon de onze heures » : on s’installait sur les transats, avec des couvertures - parce que souvent il ne faisait pas très chaud
sur l’Atlantique Nord - et puis on nous servait un bouillon avec des gâteaux salés… Une chose extraordinaire : quand vous rentriez à n’importe quel moment dans votre cabine, vous ne vous heurtiez jamais à un cabinier, il passait toujours quand vous étiez absent. Vous reveniez pour vous passer les mains à l’eau, vous repartiez, vous reveniez un moment plus tard, la serviette avait déjà été changée !
Parmi les différents espaces du bateau, j’aimais bien la salle de cinéma, qui était très vaste, digne d’une salle des Champs-Élysées. Le fumoir première classe était magnifique, il était sur deux niveaux et on pouvait voir la mer. C’était un bateau où il n’y avait pas de bois, pas de matériaux inflam-mables. On disait qu’à part la baguette du chef d’orchestre et le billot du boucher il n’y avait pas de bois ! Tellement de paquebots ont brûlé ! Pour moi c’était très joli, tous ces décors en aluminium et les commodes de Lancel qui étaient en métal coloré. Je me rappelle une anecdote : il y avait parfois des tombolas à bord et on pouvait gagner des livres. Un jour, le prix était le livre de bord édité pour la croisière autour du monde. Ma femme a dit à un commissaire de bord que je regrettais de ne pas l’avoir gagné et, quand nous sommes rentrés dans la cabine, j’ai eu la surprise de voir un exemplaire du livre. Voyez la gentillesse !
Souvenirs de voyageColl. Pierre Monnet
Double page suivante :Coll. Jean-Marie Chourgnoz
service
164.
Des cuisines de chocLa brigade des cuisiniers avait pour tâche de rassurer les dîneurs, autrement dit de transformer les 175 tonnes de marchandises embarquées2 en repas de qualité, et si possible en festins mémorables, dignes de la Tour d’Argent. Sauf qu’au bord de la Seine, on envoie 150 couverts tandis qu’ici, il faut griller parfois 3 000 côtes d’agneau en une heure, 800 steaks au poivre en quarante-cinq minutes, sans se tromper sur ceux qui les veulent saignants ou à point, ni oublier qu’un Italien ou un Allemand détestent la viande bleue. La disposition des cuisines et le schéma de service des tables montrent qu’on avait tiré enseignement des méthodes tayloriennes, appliquées par exemple dans l’industrie automobile, et assimilé la rationalisation des espaces imaginée par l’école architecturale de Francfort : répartition précise des tâches, raccourcissement des distances, économie des gestes, priorité donnée aux circulations orthogonales, langage codé afin d’éviter les erreurs de transmission dans les commandes.Rien à voir donc avec la cacophonie habituelle, les recoins des offices et l’improvisation du coup de feu. Au centre d’une cuisine dont les laboratoires couvrent 3 000 m2 trône une double rangée de fourneaux : sur 13 mètres de long s’alignent 20 fours, 56 plaques chauffantes flanquées de tables de travail et de tables chaudes, le tout en acier inoxydable assemblé aux Chantiers de l’Atlantique. Les photographies de la brigade en action soulignent la division des tâches, la surveillance « panoptique » des chefs de parties et l’organisation en zigzag des postes, tandis qu’à l’arrière-plan les rayonnages de rangement pour les 136 casseroles, les 200 braisières et les 250 sauteuses donnent l’impression d’une « bibliothèque d’ustensiles » prêts à l’emploi. Effet d’efficacité garanti. L’importance accordée à la capacité technique culinaire explique sans
2 Parmi elles, 83 000 œufs, 42 tonnes de légumes, 18 tonnes de fruits frais et 8 tonnes de gibier et d’abats.
La préparation des paniers de fruits
Coll. French Lines
Les réserves Coll. French Lines
Des cuisines aux équipements ultra modernes
Coll. French Lines
168.
Le fantasme de la cuisine françaisePasser à table, c’est d’abord célébrer « l’esprit Transat » avec ce que l’expression charrie de nostalgie et de flou. Dans leurs rapports, les commissaires de la Compagnie ne manquent jamais de recenser les comparaisons faites avec les repas servis dans l’entre-deux-guerres sur le Normandie notamment. Navires et cuisine symbolisant l’art de vivre, version « Douce France ».Moyennant quoi, personne ne se souvenait que le Liberté s’était appelé Europa, ni qu’on y servait une cuisine internationale. Réputation oblige, comme l’écrivait une passagère : « Here, we don’t have dinner, we dine. » C’est pourquoi l’héritage du Normandie se repère dans les menus jusqu’à la fin des années 1960 : cinq potages, deux poissons nobles, une spécialité régionale quotidienne, des classiques du répertoire Carême-Escoffier comme les courgettes à la Maintenon. Et, surtout, les indémodables desserts du xix
e siècle, les passagers américains n’ayant, semble-t-il, jamais assez de crêpes Suzette, de pêches Melba ou de saint-honoré. Dans « l’esprit Transat» à table, le service compte presque autant que les mets : de la blancheur immaculée et du repassage des vestes à la régularité du remplissage des verres à vin, toujours jaugés trop justes (le remplissage et le verre).
Le critère de satisfaction est livré par un Britannique lettré : « Je me croyais attablé chez Lipp, mais transporté dans une atmosphère de palace et abreuvé par les cavistes de Lucas-Carton. » Sur ce point, rien à craindre, avec 76 000 bouteilles à bord, dont 4 100 champagnes de grandes maisons et même 37 vins de messe. Le livre de cave d’ailleurs est de l’épaisseur d’un missel mais, si tous les grands crus sont au catalogue (à l’exception de Léoville-Las-Cases et des Bâtard-Montrachet), les flacons ont cinq à huit ans tout au plus. Cela ne décourage personne, par exemple ce couple qui, après
Des installations dernier cri pour conserver
vins et produits fraisColl. French Lines
La préparation d’un buffet Coll. French Lines
images du
194. 195.À l’arrivée des photographes, le service de la publicité a déjà sélectionné les mannequins qui représenteront la clientèle du France, ainsi que les tenues et les perruques. Pour la série de 1962, il s’agit de mises en scène de la classe aisée incarnée par des couples élégamment apprêtés, confortablement installés dans différents espaces du paquebot.
228.
du Printemps, des cigarettes Peter Stuyvesant, des bonbons Pschitt, un carton d’invitation à l’exposition des Peintres Témoins de leur Temps […] Au cours du dîner les dames recevront un flacon de voyage offert par les Parfums Carven et frappé aux armes du France.»
Cette première soirée installe le nouveau transatlantique dans sa fonction d’ambassadeur. Non seulement le France incarne le prestige national, porte sur les océans et dans les ports étrangers une image de l’art de vivre et du goût français, mais il est une vitrine pour les marques de luxe qui lui confient la promotion de leurs produits. Joailliers et maisons de couture organisent présentations et défilés à bord, maisons de champagne et de spiritueux parrainent réceptions et festivités. Traversées et croisières sont l’occasion d’opérations de communication pour des bagagistes et des maisons de champagne qui assurent la promotion de leurs marques : pour les croisières autour du monde (1972 et 1974), Mumm fournit en magnums de Cordon rouge les tables des dîners officiels et celles des conférenciers, des artistes ou des personnalités invitées. Grand-Marnier parraine les célébrations festives de la chandeleur, du mardi-gras et de la mi-carême, non seulement en pourvoyant aux besoins de la consommation à bord, mais aussi en offrant 90 bouteilles de liqueur. Mais ce sont les maisons de parfum et de cosmétiques qui dotent le plus abondamment ces croisières : trousses de maquillage, produits de beauté, flacons d’eau de toilette et de parfum sont offerts par centaines. Si certains cadeaux sont trouvés par tout passager qui prend possession de sa cabine (produits de bain ou de beauté, trousses solaires), d’autres sont distribués de manière plus sélective aux invités de marque, diplomates, dirigeants politiques et décideurs économiques, lors des escales, des réceptions ou des dîners de gala, ou servent de prix pour les tournois sportifs, les jeux, les loteries ou encore les concours comme celui du souvenir le plus pittoresque acquis lors d’une escale ! Plus de huit cents prix, individuels ou collectifs, sont remis à l’occasion des seuls bals costumés et fêtes travesties de la croisière de 1972 ! Les clichés pris à cette occasion, publiés dans les organes d’information du bord ou de la Compagnie, seront également communiqués aux fournisseurs pour leurs usages publicitaires. Ce retour d’image, souvent accompagné d’achat d’espaces dans des publications comme les Cahiers de France ou les albums édités pour les croisières permettent d’associer étroitement ces marques au prestigieux paquebot.
« Hélas, il faut débarquer ! »
Porte-clés, Coll. part.
1. Huilier et vinaigrier Coll. Michel Perrin
2. MoutardierColl. Michel Perrin3. Liqueur GarnierColl. Michel Perrin
4. Jouet Dinky/ToysColl. part.5. Puzzle
Coll. French Lines6. René BouvardJaquette de livre
Coll. MnM
Louise de Vilmorin, écrivain,
Livre d’or du France, non daté
1 2 3
4 5
6
pa
qu
eb
ot
Fr
an
ceLe paquebot France réveille un monde disparu où
l’on choisissait de rejoindre New York par la mer, en cinq jours, pour savourer un certain art de vivre à la française. Plus encore, il incarne les Trente Glorieuses, un pays tout entier et l’image pres-tigieuse que celui-ci voulait imposer au reste du monde. Le France fut donc un ambassadeur dont chacun s’est fait une idée, sans forcément l’avoir vu. Ancré dans la mémoire collective, il fait partie de notre patrimoine. Il faut aujourd’hui l’étudier comme une œuvre globale, autant dans sa dimension de machine – et de palais – à traverser les océans que dans celle de témoin d’un temps révolu. L’éclectisme qui caractérise notre époque recevra, sans doute avec bonheur, ces décors colorés – bleu, turquoise, absinthe, orange –, ces tapisseries, ces photographies « glamour »…
PAQUEBOT FRANCEPréface Philippe Starck
39 �ISBN 978 2 901421 42 9EAN 9782901421429Diffusion Glénat / Chasse-Marée