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Paul Cézanne La Montagne Sainte-Victoire, l'obsession sentimentale de Cézanne Texte tiré de: http://www.mediterranee-france.com/tourisme-loisirs/sainte-victoire.htm Ce n'est qu'à partir du XVIIIème siècle que la montagne d'Aix est appelée communément Sainte-Victoire et qu'elle apparaît dans la littérature et la peinture. Dans la littérature française, Papon, dans son Voyage littéraire en Provence (1780), évoque, en s'inspirant en particulier des lettres de Saint-Jérôme, les batailles que Marius, en 102 avant J.- C., livra dans la vallée de l'Arc pour soumettre les barbares. Fait curieux, le romancier écossais Walter Scott publie, en 1824, une œuvre, Geirstein, ou la fille des brumes, où apparaît pendant une soixantaine de pages Sainte-Victoire : montagne magique et superbe dont le romancier révèle, l'un des premiers, l'aspect chrétien et païen à la fois sur cette terre provençale gorgée de souvenirs antiques où l'olivier et le laurier parlent encore à l'imagination de Minerve et d'Apollon. Stendhal aperçut la Sainte-Victoire l'espace d'un instant, au cours de ses promenades à travers la France. Son regard est très personnel. Déjà il la voit avec les yeux de l'esprit et la caractérise, dès 1837, dans les Mémoires d'un touriste, par ces simples mots - évocateurs - "plus curieuse que toutes les processions du monde". "Ce mont de la Victoire qui monte au ciel comme un autel" [...], écrit avec respect et ferveur, en 1897, le poète Joachim Gasquet, dans Narcisse, un roman à la fois philosophique et poétique. Et pourtant, pour la plupart, "ils" ne l'ont pas vue - voyageurs, indigènes - pas contemplée, pas écoutée, avant Barrès qui, en 1913, publie La colline inspirée ! "Ils" ont passé par Aix, "ils" ont vécu à Aix, "ils" ont écrit sur Aix. Et pourtant, dans leurs propos, Sainte-Victoire est la grande absente !

CEZANNE, La Sainte Victoire.pdf

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Paul Czanne La Montagne Sainte-Victoire, l'obsession sentimentale de Czanne Texte tir de: http://www.mediterranee-france.com/tourisme-loisirs/sainte-victoire.htm Cen'estqu'partirduXVIIImesiclequelamontagned'Aixestappele communment Sainte-Victoire et qu'elle apparat dans la littrature et la peinture. Danslalittraturefranaise,Papon,danssonVoyagelittraireenProvence(1780), voque, en s'inspirant en particulier des lettres de Saint-Jrme, les batailles que Marius, en 102 avant J.- C., livra dans la valle de l'Arc pour soumettre les barbares. Fait curieux, le romanciercossais Walter Scott publie, en 1824, uneuvre,Geirstein, oulafilledesbrumes,oapparatpendantunesoixantainedepagesSainte-Victoire: montagne magique et superbe dont le romancier rvle, l'un des premiers, l'aspect chrtien etpaenlafoissurcetteterreprovenalegorgedesouvenirsantiquesol'olivieretle laurier parlent encore l'imagination de Minerve et d'Apollon. StendhalaperutlaSainte-Victoirel'espaced'uninstant,aucoursdesespromenades travers la France. Son regard est trs personnel. Dj il la voit avec les yeux de l'esprit et la caractrise, ds 1837, dans les Mmoires d'un touriste, par ces simples mots- vocateurs - "plus curieuse que toutes les processions du monde". "CemontdelaVictoirequimonteaucielcommeunautel"[...],critavecrespectet ferveur,en1897,lepoteJoachimGasquet,dansNarcisse,unromanlafois philosophique et potique. Etpourtant,pourlaplupart,"ils"nel'ontpasvue-voyageurs,indignes-pas contemple,pascoute,avantBarrsqui,en1913,publieLacollineinspire!"Ils"ont pass par Aix, "ils" ont vcu Aix, "ils" ont crit sur Aix. Et pourtant, dans leurs propos, Sainte-Victoire est la grande absente ! Onrestestupfait.NonseulementparcequeSainte-Victoireestundcorportedes yeuxdetousceuxquis'envontflnerdanslacampagneaixoise,maisparceque,visible elle-mmel'extrmitdechaquerues'tirantverslenordouversl'est,elleaccompagne en quelque sorte le promeneur travers lacit. Elle est, dirait-on volontiers, la-montagne-dans-la-ville! Et pourtant, faut-il rpter encore : "ils" ont err solitaires, "ils" ont senti les durs pavs de silex sous les pieds, scrut chaque mdaillon de porte et caress du regard les cariatides, "ils" n'ont pas port les yeux assez haut ni assez loin. Leur visage tait prisonnier du muse-dans-la-rue qui partout les sollicitait. "Ils" ont pass dans la cit comtale et crit sur elle au XVIme sicle Antonius Arna, le burlesque,etJean-JacquesBouchard,leparisien,auteurdeConfessions,etDassoucy,le marginal, et Tournefort, le botaniste, et la marquise de Svign, et le comte de Moszynski, etlefrivoleCasanovaetlesvreprsidentdeBrosses,etMrime,l'inspecteurdes vieilles pierres, et Victor Hugo, le pote : tous donc ils ont parl d'Aix, de sa socit, de ses monuments,desonpass,deseshabitants,desesressources,desonconomie;"ils"ont ferm les yeux sur le paysage environnant, dispensateur d'espace et de lumire, c'est--dire de vie prsente. Est-ce manque de moyens de locomotion pour s'en aller vers la campagne? Peut-tre. Maissurtoutintrtsanspartagel'gardd'unevillequidemeuraitclbrepartoutce qu'elle avait t. Quelquesartistes,ilestvrai,Constantin,Granet,Loubon,Grsy,avaientsularegarder, cette montagne partout prsente, et la peindre avec intelligence, art et sentiment. EnfinCzannevint...Sesamisdecollge,ZolaetBaille,avaient,commelui,soifde beauts naturelles. Laville-muse,lacitcomtalenelesintressaitpas.C'estversleschampsqu'ils s'vadaient,laclassefinie,etdanslamontagnequ'ilss'aventuraient,parcourantsentiers, pierraille parfois, torrents, quand le temps ne leur tait pas mesur. Ces courses, Czanne ne les oubliera jamais. Il les voquera dans sa correspondance, tout au long de sa vie, comme autant d'heures bnies. Sainte-Victoire donc, tendresse, hantise, obsession, fascination. Pas seulement le massif rocheux principal, mais aussi ses approches, ses dpendances en quelque sorte, les plateaux oulesabmesquifontpartiedesondomaineetachventdeluidonnersapersonnalit,si contraste, si riche! Lieuxsvres:leplateauduCengle,levallon"auxterressanglantes",legouffre Garaga,lesInfernets;paysagesplussereins:lestonnantescarriresdeBibemus, anguleuses et gomtriques, le Tholonet, Chteau-Noir, Beaurecueil ; vallons plus austres, Saint-Marc et Vauvenargues ; terres sauvages ou solennelles, Puyloubier, Saint-Antonin. Mais partout, lorsque le soleil "grand magicien" est de la partie, comme l'crit Czanne Solari le 2 septembre 1897, Sainte-Victoire palpite. Sainte-Victoire fut l'univers privilgi de Czanne. Certes,enProvence,ilaplantsonchevaletend'autreslieuxdebeaut:aubordde l'Arc, Gardanne, l'Estaque, mais sa passion, ce fut Sainte-Victoire, propos de laquelle il disait : "L je suis bien, je vois clair, il y a de l'air". Czannen'apasvoyag.Iln'apasfaitune"carrire"parisienne.Sansdoutes'est-il rendudetempsautredanslacapitalepourdessjoursplusoumoinslongs,Pontoise galement,Auvers,Melun,Mdan;lebut?Rencontrerquelquesamis,treen contact,Paris,aveclespeintresenrenomdontiln'apprciaitgure,ilestvrai,outre Delacroix et Courbet, que Monet et Renoir. Il allait parfois visiter les salons - qui rgulirement le rejetaient. Enracindanssaterreprovenale,c'estversellequ'ilrevienttoujours,etleplusvite possible, car, crivait-il de Talloires, le 23 juillet 1896, l'ami Solari, le sculpteur : "Lelacesttrsbienavecdegrandescollinestoutautour;[...]anevautpasnotre pays. Quand on est n l-bas, c'est foutu, rien ne vous dit plus". Oui,"c'estfoutu",parcequeSainte-Victoireest,auxyeuxdeCzanne,unesorted'tre suprme : grande desse de la Provence ? magicienne? Ne l'entendrait-on pas lui murmurer, commelaBeautBaudelaire:"Jesuisbelle,mortels,commeunrvedepierre"ou, mieux encore, "Je trne dans l'azur comme un sphinx incompris" ? C'estalorsledueldel'artistemartyr,etdelamontagne,superbeetsereine,carilluia vou, comme dit encore le pote, "un amour ternel et muet". Elle est sa joie et sa souffrance.Il veut la saisir dans sa vrit, travers sa carapace de roc.Sacorrespondanceleprouve.SeslettresEmileBernardsurtout,osefontjourses thories sur la peinture, dont l'essentielle est bien de rendre la nature. Cette Sainte-Victoire, il veut la saisir sous tous ses angles, dans toute ses lumires, dans toutessescouleurs,danstoutessestransparences,sesvibrations,sesbrillanceset,en consquence, dans toutes ses attitudes, car elle est, ses yeux, un tre dou de vie. Eneffet,ilasentienelleunecomplexit,unerichesseexceptionnelles,encequi concerne sa structure et son aspect physique, aspect qui varie d'un jour l'autre, d'une heure l'autre. Maischacundecesaspectscorresponduntatd'mediffrent,unesensibilit nouvelle.Cesontcesaspectsetcestatsd'mequelepeintre,lepote,pourrait-ondire, veut traduire comme tant les manations profondes de la montagne. Sonambition,c'estbiendelacorpsetme,cettemontagnedevenuechairdesachair. Ne devrait-il pas se faire psychologue autant que peintre pour en rendre l'image fidle ? Il explique son jeune ami Gasquet : "Les grands pays classiques, notre Provence, le Grce et l'Italie telles que je les imagine, sontceuxolaclartsespiritualise,ounpaysageestunsourireflottantd'intelligence aigu... Regardez cetteSainte-Victoire. Quel lan, quellesoif imprieusedesoleil, et quelle mlancolie, le soir, quand toute cette pesanteur retombe !... Ces blocs taient de feu. Il y a du feu encore en eux. L'ombre, le jour, a l'air de reculer en frissonnant, d'avoir peur d'eux [...] ; quand de grands nuages passent, l'ombre qui en tombe frmit sur les rochers, comme brle, buetoutdesuiteparunebouchedefeu".EtCzanne,selonGasquetencore,ajoutait: "Longtemps je suis rest sans pouvoir, sans savoir peindre la Sainte-Victoire". Revenanttoujourssurlemotif,ettoujoursdsireuxdefairemieuxquelaveilleet d'approcher davantage la ralit, il contemple, dans le silence ; dans un face face :"l'il coute", comme disait admirablement Claudel ; dialogue muet dans cette solitude. Sonespritetsoncurlentementpntrentlamatire,enapparenceinerte,quiretient son regard. Ilveut,douloureusement,luiarrachersonsecret,lemystredesonme.Voicila communionpeut-trelasuitedetantd'efforts.Toucheaprstouche,ilcre,ilrecre,il anime. "Le temps et la rflexion modifient peu peu la vision, et enfin la comprhension nous vient", note-t-il, en 1905, dans une lettre Emile Bernard. Sera-t-il satisfait ? lui qui crivait, le 9 janvier 1903 Ambroise Vollard :"J'ai ralis quelques progrs. Pourquoi si tard et si pniblement ? L'art serait-il en effet un sacerdoce, qui demande des purs qui lui appartiennent tout entiers ?" C'estqu'ilnes'agitpasseulement,pourCzanne,dereprsenterconcrtementun paysage,serait-celaperfection;ilconvientdel'animerausenspropreduterme,enlui prtantdessentiments.Ainsi,ilcritsonfils,le8septembre1906,deuxmoisavantsa mort : "Enfin,jetediraiquejedeviens,commepeintre,pluslucidedevant lanature,maisque chezmoi,laralisationdemessentimentsesttoujourstrspnible.Jenepuisarriver l'intensit qui se dveloppe mes sens, je n'ai pas cette magnifique richesse de coloration qui anime la nature". Car, explique-t-il quelques jours plus tard Emile Bernard, les procds ne sont pour lui que "de simples moyens pour arriver faire sentir au public ce que nous ressentons nous-mmes et nous faire agrer". Lerle,lamissionsuprmedel'artiste,c'estdonc,selonCzanne,decommuniquerau spectateur,parl'intermdiairedescouleurs,latransequianimelepeintrelui-mme,le sentiment qui l'habite et qui n'est autre que celui-l mme qui habite le motif peint et rvl, ici la Sainte-Victoire leve la dignit de personne humaine. AinsidoncCzanneetsaMontagnesesontmutuellementenrichisdanscet affrontement, dans cette intimit, par l'effet d'une bienfaisante osmose. Czanne, sans en avoir peut-tre conscience, a "ralis", selon le mot qui lui tait cher, et qui reprsentait le but et l'angoisse de sa vie. Sainte-VictoireagrandidetoutcequeCzanneluiadonn.Elleaconquislagloire. Elles'estrvlecraturemythique,voiremystique.Etvoici,pourl'ternit,Czanneet Sainte-Victoire unis. ___________ Marcelle CHIRAC Professeur mrite de Littrature Franaise l'Universit d'Aix-Marseille III Membre de l'Acadmie de Marseille Membre correspondant de l'Acadmie d'Aix.