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CHAPITRE 5
L'ADEQUATION DE LA PEINE AU DELIT
Quelle juste peine correspond-elle à un délit donné ? Comment les mentalités populaires
évaluent-elles les caractéristiques de l'accusé, celles de la victime et les circonstances de l'acte
criminel ? C'est à ces interrogations que l'analyse descriptive, analytique et différentielle
menée dans ce chapitre va répondre. A cet égard, plusieurs niveaux de réflexion peuvent être
pris en compte.
1) La recherche du lien établi entre le crime et sa sanction. Il s'agit de décrire comment
sont couplés le délit et la peine, tant dans la nature que dans la quotité de cette dernière. Il
s'agit aussi de déterminer quels sont les facteurs qui interviennent dans le raisonnement de
justice.
2) La recherche des caractéristiques prégnantes dont les répondants tiennent compte en ce
qui concerne l'identité du coupable, celle de la victime et le dispositif qui accompagne le délit
ou le crime.
L'interrogation portera ensuite sur le rapport existant entre ces deux niveaux de réflexion.
3) La recherche de la place que les répondants accordent à la proportionnalité dans la
mesure de la peine. Il s'agit de savoir s'il y couplage ou découplage quant à l'amplitude de la
peine face au délit en fonction de la prise en compte de différents critères tels que les
conséquences du délit pour la victime, l'intention à la base de l'acte répréhensible commis et le
degré de gravité du délit.
De l’acte délictueux à sa peine
Quelle juste peine peut sanctionner un délit pénal ? Y a-t-il des types de peines qui sont
plus particulièrement associées à des types de délits précis ? Les représentations populaires en
matière de peine sont-elles précisément liées à certains facteurs tels que la nature du délit,
l'intentionnalité à la base de l'acte délictueux ou encore le niveau de pouvoir de la victime ou
de l’auteur de l’infraction ? Quelles sont les attitudes des répondants dans le domaine du
degré de sévérité qui devrait être associé à la peine ? Ce sont les questions centrales qui vont
être traitées dans le présent chapitre.
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Dans une deuxième partie, nous nous attacherons à mettre en évidence - en fonction des
résultats obtenus - une échelle de sévérité des peines. Cette échelle est rapportée ensuite aux
différentes variables socio-démographiques dans le but de dégager une analyse différentielle
et de relever les corrélations entre les différentes attitudes face à la peine et le positionnement
social des individus, leurs orientations idéologiques, leur niveau d'information ou leurs
références en matière de criminalité. L'échelle doit aussi permettre, dans un deuxième temps,
l'analyse intersectorielle, c'est-à-dire la mise en relation des différentes attitudes face à la
punitivité avec les représentations dans les mentalités contemporaines du phénomène
criminel, des finalités essentielles assignées à la sanction pénale ou de la place des différents
acteurs impliqués dans les procédures de détermination de la sanction.
Deux questions comportaient d'une part une liste de délits de nature et d'importance
diverses et, d'autre part une gamme de peines de nature et d'intensité variées. Il s'agit pour le
répondant de choisir la peine qui, à son avis, est la plus juste pour le cas concret décrit. Le
répondant est face à lui-même et à sa propre représentation du juste en la matière,
indépendamment de toute connaissance de la législation pénale en vigueur. Il a en outre la
possibilité de choisir une peine autre que celles qui lui sont présentées en faisant appel à ce
que l'on pourrait qualifier d'«imaginaire punitif».
Les pages qui suivent vont décrire les grandes tendances qui se dégagent des résultats
globaux collectionnés.
Le principe de la variante
Nos travaux de recherche sur le sens du juste dans le domaine de la justice distributive ont
permis de mettre en évidence l'importance, dans l'évaluation du jugement de ce qui est juste,
du contexte relationnel qui lie les acteurs présents dans une situation donnée (justice des
procédures et éthique du contrat, sens de la responsabilité et droit civil, voir chapitre 1, p. 10).
Ayant fait ensuite l'hypothèse d'un certain parallélisme, à savoir que les types – et/ou la
sévérité - des peines choisies pouvaient varier selon la structure des interactions entre l'auteur
de l'infraction et la victime, nous avons construit des mini-scénarios évoquant des situations
délictueuses précises et fait varier le cadre de ces interactions selon quelques critères clairs
évoqués ci-dessous.
a) Le degré de proximité ou de distance (ou encore d'abstraction ou de personnalisation)
existant entre les protagonistes de l'action (tableau 5.1 : A vol d'argent, G calomnie ; tableau
5.2 : D mauvais traitements). Une grande abstraction devrait favoriser des critères faisant
appel à la proportionnalité et à l'universalité dans le raisonnement de justice alors que la
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proximité entre l'auteur de l'infraction et la victime devrait s'accompagner de critères plus
correctifs et personnalisés.
b) Le niveau de ressources comparé des acteurs tel que défini par leur statut socio-
économique d'une part et par leur éventuel statut de personne morale (grande organisation
versus petite organisation ou personne privée) d'autre part (tableau 5.1 : D vol d'un ordinateur;
tableau 5.2 : C cambriolage). On peut postuler que les conceptions proportionnaliste et
formaliste seront d'autant plus marquées que le niveau de pouvoir est important.
c) L'identité sociale des acteurs (homme ou femme, majeur ou mineur) en tant qu'elle
définit des aptitudes et des contraintes spécifiques (tableau 5.1 : E violences, H saccage d'une
cabine téléphonique).
Ces trois facteurs, classiques dans l'analyse de la littérature en matière de justice
distributive1, devraient avoir une influence sur la manière qu'ont les personnes d'envisager la
juste peine.
Nous y avons ajouté deux autres facteurs, plus directement liés au problème de la justice
pénale et pouvant être sensibles au choix de l'adéquation entre le délit et la peine. Il s'agit de :
d) L'intention à l'origine du délit commis par le délinquant (tableau 5.1 : C vol de
nourriture, F pollution tableau 5.2 : A escroquerie, G meurtre).
e) La qualité de la victime du délit (de nature publique ou privée) (Tableau 5.1 : B
escroquerie; tableau 5.2 : B fraude).
On imagine que la présence ou l'absence d'intention à la base de l'acte répréhensible, la
malignité plus ou moins grande de cette dernière - tout comme la qualité de la victime de
l'infraction - modulent la façon dont l'individu envisage la peine par rapport au délit.
Nous avons ensuite soumis des cas différenciés à deux parties distinctes de notre
échantillon.
Les tableaux 5.1 et 5.2 regroupent les variantes afin que le lecteur puisse facilement
prendre connaissance des écarts que ces variantes entraînent ou non dans les réponses.
Les délits de faible gravité
La question relative aux délits de faible gravité, dresse une liste de huit différentes
infractions dont les coefficients de gravité peuvent être qualifiés de faibles.
1 Lerner (1977) op. cit., Greenberg (1982) op. cit., Berger et al. (1980), op. cit.
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Tableau 5.1 : L'adéquation entre les délits de faible gravité et la peine (% ) - Résultats généraux* Aucune
peine Simple
réparation du dommage
Travail au profit de la
communauté
Amende Prison avec sursis*
Total peines alternatives à
la prison ferme
1 à 6 mois de prison ferme*
Plus de 6 mois de prison ferme*
Autre peine
Sans opinion, je ne sais pas
Total (N)
Vol de nourriture pour pouvoir manger (C) 48 28 17 2 1 96 0 0 2 2 100 (909) Vol de boissons alcoolisées pour pouvoir s'enivrer (C) 3 20 40 26 5 94 1 0 2 2 100 (904)
Saccage d'une cabine téléphonique par un mineur (H) 0 9 74 8 5 96 2 0 1 1 100 (899)
Saccage d'une cabine téléphonique par un jeune adulte (H) 0 9 54 20 11 93 4 1 1 1 100 (907)
Vol d’un ordinateur à un particulier (D) 1 31 17 30 14 92 5 1 0 2 100 (895) Vol d’un ordinateur dans un grand magasin (D) 1 17 21 45 11 94 3 1 1 2 100 (906)
Vol de 1’000 CHF par un pickpocket (A) 0 16 47 14 13 90 8 1 0 1 100 (893) Vol de 1’000 CHF à un(e) collègue de travail (A) 0 41 23 21 9 94 3 1 1 1 100 (903)
Calomnies sur un(e) collègue de travail (G) 6 36 11 26 8 87 1 1 3 6 100 (897) Calomnies sur une personnalité publique (G) 11 24 17 32 5 87 2 1 2 7 100 (902) Pollution consciente d'une rivière par un agriculteur (F) 1 3 10 36 20 69 18 10 1 2 100 (889)
Pollution accidentelle d'une rivière par un agriculteur (F) 5 21 13 43 9 91 4 2 0 3 100 (905)
Escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard de l'AVS (B) 0 6 20 26 22 74 15 9 1 3 100 (895)
Escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard d’une grande entreprise privée (B) 1 12 18 20 30 81 13 4 1 3 100 (902)
Violence d'une femme sur son mari (blessures légères) (E) 9 11 11 11 35 76 8 2 4 9 100 (902)
Violence d'un homme sur sa femme (blessures légères) (E) 1 3 8 5 42 59 24 9 5 3 100 (909)
* Question 12 : Si vous deviez juger les cas suivants, quelle est la peine qui vous paraîtrait la plus juste ?
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Sur l'ensemble des cas présentés, une constatation s'impose d'emblée : les peines
différentes de l'emprisonnement, c'est-à-dire la réparation du dommage, le travail au profit de
la communauté, l'amende et même la prison avec sursis sont largement dominantes2. Elles
sont choisies par l'immense majorité des personnes interrogées aussi bien en cas d'atteinte au
patrimoine (vols : 90 à 94%, escroquerie : 74 à 81%) qu'en cas d'atteinte aux personnes
(calomnies : 87%, violences : 59 à 76%) ou à l'environnement (pollution : 69 à 91%, saccage :
93 à 96%).
On distingue, dans le large éventail des peines alternatives à la prison ferme proposées, un
certain nombre de choix précis.
Pour une personne sur deux (49%) le vol de nourriture effectué dans un but de survie ne
doit pas être puni. Cette même réponse était d'ailleurs spontanément apparue dans bon nombre
des entretiens qualitatifs effectués préalablement à la rédaction du questionnaire postal.
La simple réparation du dommage est estimée adéquate par 41% des répondants en cas de
vol d'espèces à un collègue de travail et par 35% des répondants en cas de calomnies à
l'endroit d'un collègue de travail : il existe donc des situations où le simple retour au statu quo
ante ne nécessite pas de peine. Ces cas se rapportent à des délits de faible gravité perpétrés
dans un cadre où les contacts interindividuels sont personnalisés, comme le lieu de travail.
Cette proximité peut donc permettre une forme de résolution du conflit sans l'intervention
d'un tiers.
Le travail au profit de la communauté se profile comme une peine à dominante
«éducative». Cette peine est-elle considérée comme adéquate pour les atteintes au patrimoine
considérées comme moins personnalisées ? C'est ce que l'on peut supposer en constatant
qu'elle est requise lors de vol d'argent par un pickpocket (47%), de vol de boissons alcoolisées
(40%) ou du saccage d'une cabine téléphonique par un mineur (74%) ou par un jeune adulte
(54%).
Quant à l'amende, elle est choisie par une proportion certes variable de répondants, entre
10 et 40%, mais elle est nettement présente dans chaque situation décrite : son incidence est
donc moins clairement discriminante. On peut cependant remarquer qu'elle est plus souvent
prise en compte que les autres peines alternatives à la prison ferme lorsqu'il s'agit de punir une
pollution accidentelle (43%) ou un vol dans un grand magasin (45%). Ainsi, pour l'auteur d'un
délit non intentionnel ou s'attaquant à une victime abstraite la peine infligée sera moins
personnalisée et moins clairement dirigée vers la réparation matérielle ou morale directe.
2 Certains qualifient ces peines «d'alternatives». Il s'agit en réalité de peines qui élargissent le spectre des peines.
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Les effets des variantes sur la question relative aux délits de faible gravité
Les délits de faible gravité devraient être sanctionnés par des peines autres que la prison
ferme : c'est le premier constat très général qui ressort de l'analyse de la question 12 en ce qui
concerne la nature des peines choisies. On va voir que le type de peine retenu est également
largement dépendant de certains des facteurs qui ont été décrits plus haut et qui ont déterminé
la mise en place du principe de la variante.
Le degré de proximité ou de distance entre l’auteur de l’infraction et la victime joue un
rôle non négligeable. Il s’agit de réparer le vol d’argent à un collègue de travail (41% des
réponses vont dans ce sens) alors que le pickpocket, pour le vol d’une même somme d’argent,
sera plutôt puni par un travail au profit de la communauté (47%, lignes A). Dans un registre
voisin, le pouvoir social de la victime n’est pas sans effet sur la peine : si le vol d’un
ordinateur à un particulier peut, pour une personne sur trois, s’annuler par une simple
réparation (31%), le même vol dans un grand magasin sera plus souvent puni par l’amende
(45%, lignes D).
Le contexte relationnel comme le niveau de pouvoir des acteurs est pris en compte. Ainsi,
lorsqu’il y a détachement, abstraction, entre la victime et l’auteur du délit la peine passe d’un
registre que l’on peut qualifier de privé à un registre public : le travail au profit de la
communauté, l’amende sont des peines qui font abstraction d’un lien de proximité ou
d’empathie avec la victime.
On remarque également une influence claire de l’identité sociale de l’acteur. Les
violences d’un homme sur sa femme sont nettement plus sévèrement punies que dans le cas
inverse (lignes E). C’est le seul des délits de cette liste pour lequel les répondants ont
majoritairement choisi la peine de prison (dans 42% des cas avec sursis et dans un 24% des
cas une peine de prison ferme).
Le travail au profit de la communauté est pour trois personnes sur quatre la peine juste
lorsqu’un mineur est l’auteur du saccage d’une cabine téléphonique. L’amende est plus
fréquemment requise si l’auteur est un jeune adulte (lignes H). Une réparation morale, un
passage par une leçon de civisme en quelque sorte, est fréquemment requise à l’égard du
mineur – on souhaite probablement croire à un possible amendement -, elle est moins souvent
demandée à un délinquant majeur (une fois sur deux versus trois fois sur quatre).
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La nature de l’intention est un facteur dont les répondants tiennent compte dans le choix
du type de peine à infliger. Le vol de nourriture, lorsqu’il s’agit simplement de pouvoir
manger à sa faim, ne doit tout simplement pas être puni pour une personne sur deux, au mieux
réparé pour une personne sur quatre. Lorsque le vol concerne, par contre, des boissons
alcoolisées dans le but de s’enivrer, la punition va bien au-delà de la réparation et se situe à
hauteur du travail au profit de la communauté (40%) ou de l’amende (26%). Est-ce le souhait
de la réinsertion sociale de l’auteur de l’infraction (lignes C) qui motive ces réponses ? La
question reste ouverte.
La présence ou non de l’intention est également importante. On en voit la preuve dans le
fait que la pollution d’une rivière par un agriculteur (lignes F) est punie d’une peine de prison
lorsque ce délit résulte d’un acte conscient et intentionnel (20% avec sursis, 18% sans sursis).
Par contre, l’amende et le travail au profit de la communauté dominent (56%) lorsque ce
dégât est accidentel, c'est-à-dire non intentionnel.
La qualification du mobile comme la présence d’une volonté de nuire jouent un rôle
essentiel : les «justes» ou «honorables» motifs sont soit excusables, soit sanctionnés par des
peines autres que la prison ferme dont le but est plus correctif que punitif alors que les
mobiles moins «nobles» sont plus généralement punis par des peines ayant valeur de
répression.
Responsabilité des conséquences et critère d'intentionnalité sont étroitement liés. Un acte
délictueux mauvais, voulu et délibérément causé, entraîne pour la plupart de nos répondants
une peine plus lourde qu'un acte commis inconsciemment et pour lequel des circonstances
atténuantes peuvent être admises.
Oui il y a la raison, je veux dire, s'il l'a fait inconsciemment, s’il ne se rendait pas compte que le produit qu'il utilisait ou qu'il avait jeté négligemment était quelque chose de dangereux, bon c'est clair que s'il ne s'en rendait pas compte…, mais s'il l'a fait sciemment, s’il va jeter un produit hautement toxique dans une rivière et bien là c'est clair que de nouveau il ne mérite pas du tout la même chose. Homme, 32 ans, ilôtier
Pour moi un jeune qui vole un sac à main et qui fait très mal à une personne âgée, sans le vouloir, si c’est parce que certains ont besoin d’argent pour manger ça n’a pas la même valeur que si c’est quelqu’un qui veut de l’argent pour se payer des joints. Et pourtant l’acte est le même, le délit est le même. Homme, 50 ans, éducateur
Par contre, la qualité de la victime n’a que peu d’effet. Qu’une escroquerie (lignes B)
concerne une ressource publique – en l’occurrence l’assurance vieillesse et survivants (AVS)
124
– ou une entreprise privée, elle sera punie pratiquement de la même manière et par le même
type de peine. Notons simplement que l’amende est un peu plus souvent choisie que la prison
avec sursis pour punir le délit commis dans l’espace public (une personne sur quatre versus
une personne sur cinq). Pour un petit groupe de personnes il y donc nécessaire adéquation
entre la nature du délit et la nature de la peine : lorsque le bien public a été spolié, c’est une
peine à destination de la collectivité qui est retenue contre le coupable.
Les délits graves et les crimes
Nous avons utilisé la même technique des variantes pour les délits graves et les crimes
que pour la question précédente. On constate immédiatement un effet général de basculement
sur les peines de prison ferme.
Mis à part les infractions contre le patrimoine et commises sans violence – l’escroquerie
et la fraude – pour lesquelles un bon nombre des répondants choisissent comme juste sanction
une peine différente de la prison, les autres crimes ou délits sont tous majoritairement punis
de la peine de prison. Les variations se situent alors essentiellement dans la durée de la mise à
l’écart pour laquelle le choix s’étend de un mois à 20 ans de prison. Le seul délit pour lequel
plus de la moitié des répondants opte pour la prison à perpétuité est le meurtre longuement
prémédité (54%).
Tant qu’on touche pas à l’intégrité physique, on peut avoir une ouverture d’esprit un petit peu plus large, prévoir des condamnations moins lourdes. Quand ça touche à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, là, je pense qu’on doit quand même être beaucoup plus ferme. Personnellement, je condamnerais systématiquement à des peines d’emprisonnement ferme. Ca, c’est évident. Homme, 34 ans, inspecteur de police
J’aurais bien aimé qu’on attrape celui qui a agressé ma femme pour lui arracher son sac il y a deux ans devant la Migros. Et aimé qu’on lui flanque des coups de bâton… Homme, 68 ans, banquier, retraité
Il y a donc une nette scission selon la nature des crimes commis. Les atteintes aux biens
sans violence sont plus souvent sanctionnées par des peines autres que la prison ferme que les
atteintes aux personnes, à l’exception du blanchiment d’argent. Le blanchiment d’argent est
donc considéré par la majorité des répondants comme un délit grave devant être sanctionné
par une peine de prison ferme puisque c’est ce que trois personnes sur quatre estiment correct.
125
Tableau 5.2 : L’adéquation entre les délits graves et les crimes et la peine (% ) – Résultats généraux* Prison ferme Peine de
mort Aucune
peine Travail au profit de la
communauté
Amende Prison avec
sursis 1 mois à 3 ans
4 à 10 ans
11 à 20 ans
Perpétuité
Total des peines fermes
Autre peine
Sans opinion, je ne sais pas
Total (N)
Meurtre dans un accès de colère (G) 0 1 0 2 7 28 36 19 90 4 1 3 100 (912) Meurtre longuement prémédité (G) 0 0 0 0 0 5 23 54 81 14 2 3 100 (947) Viol d’une amie (F) 1 1 0 5 20 30 22 15 86 3 2 2 100 (912) Viol d’une inconnue (F) 0 1 0 2 10 29 28 21 87 5 3 3 100 (939) Vol à main armée dans une petite bijouterie (C) 0 1 1 6 42 39 7 1 90 0 0 2 100 (908)
Vol à main armée dans une grande bijouterie (C) 0 2 1 6 34 42 11 1 88 0 1 3 100 (945)
Mauvais traitement, violence, à l’égard d’un enfant dans une crèche (D)
0 3 2 12 29 27 12 8 76 1 4 2 100 (910)
Mauvais traitement, violence, à l’égard d’un enfant par ses parents (D)
0 3 1 15 29 24 11 5 70 1 6 4 100 (940)
Blanchiment d’argent par un gestionnaire de fortune (E) 0 2 5 14 31 25 14 3 73 0 0 4 100 (906)
Blanchiment d’argent par un gestionnaire de fortune (E) 0 2 6 10 28 32 15 2 77 0 0 4 100 (940)
Escroquerie de 100’000 CHF pour payer des dettes de jeu (A) 0 10 5 23 44 11 1 1 57 0 2 3 100 (908)
Escroquerie de 100’000 CHF pour financer une formation professionnelle (A)
1 22 12 29 25 4 1 0 30 0 1 5 100 (935)
Fraude fiscale pour 100’000 CHF (B) 1 9 23 19 33 10 2 1 45 0 0 2 100 (910) Falsification d’une comptabilité commerciale pour s’enrichir de 100’000 CHF (B)
0 4 12 22 43 13 2 0 58 0 0 3 100 (942)
* Question 13 : Et dans les cas suivants, quelle est la peine qui vous paraîtrait la plus juste ?
126
Les effets des variantes sur la question relative aux délits graves et aux crimes
Le degré de proximité ou de distance et les ressources respectives de l'auteur et de la
victime ne jouent pas de rôle important, quel que soit le type de délit commis. Le vol à main
armée est sanctionné quasiment de la même manière, qu'il ait eu lieu dans une grande ou une
petite bijouterie (lignes C). De même la juste peine à prononcer en cas de maltraitance envers
un enfant est identique, que le crime soit le fait des parents de la victime ou du personnel
d'une crèche (lignes D). Le contexte relationnel - pas plus que le niveau de pouvoir - n'est ici
déterminant pour le choix de la peine. Il semble donc qu'il y ait une sorte d'écrasement de
l'effet des variantes sous le poids de la gravité du délit. Ce qui compte ce ne sont plus
tellement les caractéristiques de l'individu qui a agi, les liens qu'il peut y avoir entre les
protagonistes de l'action, ni même le type de victime, mais c'est à l'aune de la nature du délit
en tant que tel qu'un vol à main armée, des actes de violences ou un mauvais traitement sur un
enfant seront punis.
Le choix des peines pour viol répond à la même logique de raisonnement : il n'y a que de
très petites différences quant à la durée de l'emprisonnement du violeur, que ce dernier ait
agressé une amie ou une inconnue (lignes F). Les peines sont légèrement plus longues
lorsqu'il s'agit du viol d'une inconnue3.
L'intention qui motive l'acte répréhensible reste par contre très influente. La prison ferme
est la juste peine pour une courte majorité des répondants en cas d'escroquerie pour payer des
dettes de jeu (56%), alors que les peines qualifiées d’alternatives à la prison ferme – travail au
profit de la communauté, amende, prison avec sursis – sont jugées adéquates lorsque
l'escroquerie a pour but de financer une formation professionnelle (64%, lignes A). Le motif
est probablement jugé plus digne d'estime.
Dans un autre registre, les peines de prison estimées justes en cas de meurtre sont
nettement plus sévères lorsque le crime est prémédité puisque plus de 53% des répondants
estiment adéquat d'infliger dans ce cas de figure une incarcération à perpétuité. Ils ne sont par
contre que 19% à choisir cette peine pour le meurtre commis dans un accès de colère (lignes
G) et modulent dans ce cas la durée de la peine entre quatre et vingt ans de prison.
En cas d'atteintes aux biens comme en cas d'atteinte aux personnes physiques, les
répondants prennent en compte, pour le choix de la juste peine, les motifs qui sous-tendent
l'acte délictueux.
127
La qualité de la victime n'est pas sans influence. La fraude fiscale – délit perpétré à
l'encontre de biens publics – est plus souvent sanctionnée par une peine autre que la prison
ferme (52%) que la falsification d'une comptabilité commerciale (38%, lignes B). Et, à
l'intérieur de la gamme de ces autres peines, l'amende est plus souvent choisie que la prison
avec sursis en cas d'atteinte à la sphère publique. On retrouve ici, pour les délits importants,
cette adéquation déjà remarquée lors de l'analyse de la question relative aux délits de faible
gravité entre la nature du délit et la nature de la peine : à un délit s'attaquant au bien public
doit correspondre une peine qui s'inscrit dans un espace public.
Pour les deux questions, le répondant avait la possibilité de choisir la colonne «autre
peine» et de déterminer lui-même, sans tenir compte des sanctions existantes, la peine la
mieux appropriée, à son avis, au cas qui lui était soumis. Cette possibilité, qui fait appel à
l'imaginaire punitif de la personne est peu utilisée. Lorsque c'est le cas, c'est principalement
en face de certains délits contre les personnes (violences entre mari et femme, mauvais
traitement envers les enfants) et essentiellement pour conseiller un traitement de nature
psychologique.
La question de la peine de mort
La peine de mort n'existe plus dans le Code pénal suisse. Elle a été abolie, pour tout crime
commis en tant de paix, par le Code pénal de 1937 entré en vigueur en 19424. Le lecteur
trouvera en annexe à ce chapitre un historique relatant les raisons et la chronologie de cette
abolition (voir p. 162) . L'introduction de la peine de mort parmi le choix des peines estimées
«justes» résulte de deux phénomènes dont se sont font largement écho les médias depuis un
certain temps. Il s'agit tout d'abord de la longue série d'exécutions capitales de l'Etat du Texas
aux Etats-Unis et de la vague de controverses qu'elle a suscitées sur place et dans le monde
entier : le débat général sur la peine de mort est loin d'être enterré. Il s'agit ensuite de la
visibilité toujours accrue des délits d'ordre sexuel et des meurtres, lesquels, s'ils sont
numériquement extrêmement faibles en comparaison des autres délits réprimés, restent très
frappants pour l'opinion publique de même que mis en évidence de manière spectaculaire par
les médias.
3 Bien que les écarts soient très faibles, on peut y déceler une légère tendance à prendre en compte le degré de proximité entre l'agresseur et sa victime : une plus grande proximité engendrerait une moindre sévérité. 4 La Suisse a par la suite signé le Protocole additionnel no6 de la Convention européenne des droits de l'homme, s'engageant par là à ne pas rétablir la peine de mort.
128
Le recours à la peine de mort est loin d'être plébiscité. Les représentations populaires
restent modérées dans ce domaine. Mais ce recours est tout de même envisagé par une petite
minorité de personnes dans deux cas très précis : le viol (4%) et le meurtre (9%)5. Les raisons
de l'introduction de cette problématique sont donc confortées. Et dans l'un des scénarios (le
meurtre, lignes G), le jeu des variantes se manifeste pleinement : la peine de mort est trois fois
plus souvent estimée «juste» lorsque le meurtre est longuement prémédité que lorsqu'il est
commis dans un accès de colère. C'est donc l'intentionnalité qui se situe en amont de l'acte qui
conditionne le réflexe de sévérité, pour ne pas dire d'absolu, dans le choix de la peine.
La tendance à choisir la peine de mort est surtout le fait de personnes jeunes, voire très
jeunes (moins de 35 ans, la plus forte proportion se trouvant dans la classe des moins de 25
ans), se situant plutôt à droite de l'échiquier politique et dotées d'un niveau de formation et de
revenus modestes. De plus ce petit groupe se situe parmi ceux qui craignent le plus pour leur
sécurité et qui jugent l'évolution de la criminalité comme menaçante. S'agit-il plus d'un
réflexe de défense que d'une véritable adéquation entre le délit et la juste peine qui devrait lui
être associée ? La question reste ouverte.
Une échelle des peines
L'éventail des réponses possibles en fonction des délits décrits a été construit de manière
très large. Les possibilités de choix pour le répondant s'échelonnent entre aucune peine et les
peines de prison les plus longues (jusqu'à la perpétuité en regard des délits pouvant être
estimés comme les plus graves) et même la peine de mort.
Pour analyser les réponses, nous avons construit des échelles de punitivité qui vont être
maintenant décrites.
Construction des échelles de punitivité
Les différentes variables ont d'abord toutes été recodées selon la gradation suivante :
Pour la question relative aux délits de faible gravité. Premier palier : aucune peine;
deuxième palier : les peines «alternatives» y compris le sursis (il s'agit du regroupement de
toutes les peines qui sont différentes de l'enfermement, c'est-à-dire la réparation du dommage,
le travail au profit de la communauté, l'amende ou la prison avec sursis) ; troisième palier : les 5 En chiffres absolus, cela représente 77 personnes choisissant la peine de mort en cas de viol et 165 en cas de
129
peines de prison ferme en distinguant la longueur de la peine choisie (moins de 6 mois ou plus
de 6 mois).
Pour la question relative aux délits graves et aux crimes. Le premier palier et le deuxième
palier sont les mêmes que pour la question précédente. Par contre, le troisième palier qui
distingue les peines de prison ferme selon la longueur de la peine choisie est plus large et
comprend quatre niveaux différents (voir le libellé de la question). Il y a un quatrième palier :
la peine de mort.
Les scores recodés des différentes variables des deux questions ont ensuite été
additionnés pour créer deux indices de punitivité : un pour les délits de faible gravité et un
autre pour les délits graves et les crimes. L'échelle a été construite en quatre positions :
punitivité minimum à deux écarts type en dessous de la moyenne, punitivité faible à un écart
type en dessous de la moyenne, punitivité forte à un écart type en dessus de la moyenne,
punitivité maximum à deux écarts type en dessus de la moyenne.
En tenant compte des variantes pour chacune des questions, il en résulte quatre différentes
échelles de punitivité qui ont permis l'analyse différentielle, c'est-à-dire la recherche des
corrélations entre la gradation de la punitivité de la peine face à un ensemble de délits et
l'identité statutaire, culturelle ou sociale de l'individu comme avec l'étendue de ses ressources
ou ses représentations de la criminalité6.
Pour la question relative aux délits de faible gravité l'échelle de la variante A correspond à l'ensemble des indicateurs
suivants : vol de 1’000 CHF par un pickpocket, escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard de l'AVS, vol de
nourriture pour pouvoir manger, vol d’un ordinateur à un particulier, violence d'une femme sur son mari (blessures légères),
pollution consciente d'une rivière par un agriculteur, calomnies sur un(e) collègue de travail, saccage d'une cabine
téléphonique par un mineur.
L'échelle de la variante B correspond à l'ensemble des indicateurs suivants : vol de 1’000 CHF à un(e) collègue de
travail, escroquerie d’un montant de 10'000 CHF à l’égard d’une grande entreprise privée, vol de boissons alcoolisées pour
meurtre. 6 Indices de punitivité Délits de faible gravité, variante A Délits de faible gravité, variante B N % N % N % N % Punitivité minimum 71 8 47 5 Punitivité faible 524 58 596 65 511 56 558 61
Punitivité forte 209 23 262 29 Punitivité maximum 107 12 316 35 94 10 355 39
Total 912 100 912 100 913 100 913 100 Délits graves et crimes, variante A Délits graves et crimes, variante B N % N % N % N % Punitivité minimum 150 16 118 13 Punitivité faible 316 35
465 51 378 40
496 52
Punitivité forte 320 35 298 32 Punitivité maximum 131 14 451 49 151 16 450 48
Total 916 100 916 100 946 100 946 100
130
pouvoir s'enivrer, vol d’un ordinateur dans un grand magasin, violence d'un homme sur sa femme (blessures légères),
pollution accidentelle d'une rivière par un agriculteur, calomnies sur une personnalité publique, saccage d'une cabine
téléphonique par un jeune adulte.
Pour la question relative aux délits graves et aux crimes l'échelle de la variante A correspond à l'ensemble des
indicateurs suivants : escroquerie de 100'000 CHF pour payer des dettes de jeu, fraude fiscale pour 100'000 CHF, vol à main
armée dans une petite bijouterie, mauvais traitement, violence à l’égard d'un enfant dans une crèche, blanchiment d'argent par
un gestionnaire de fortune, viol d'une amie, meurtre dans un accès de colère.
L'échelle de la variante B correspond à l'ensemble des indicateurs suivants : escroquerie de 100'000 CHF pour financer
une formation professionnelle, falsification d'une comptabilité commerciale pour s'enrichir de 100'000 CHF, vol à main
armée dans une grande bijouterie, mauvais traitement, violence, à l’égard d'un enfant par ses parents, blanchiment d'argent
par un gestionnaire de fortune, viol d’une inconnue, meurtre longuement prémédité.
L'échelle de punitivité associée à la question relative aux délits de faible gravité fait état
d'une forte proportion de répondants adoptant des comportements de punitivité faible, voire
minimum (66% dans la variante A et 61% dans la variante B). Les comportements extrêmes
et notamment la punitivité minimum sont peu marqués.
On constate que l'échelle de punitivité liée à la question relative aux délits graves et aux
crimes est plus étirée : elle fait donc écho à des comportements moins homogènes, laissant
supposer une gamme de représentations de la juste peine plus large et plus variée. Les
comportements extrêmes – la punitivité minimum comme la punitivité maximum – sont
représentés par 13 à 16% des répondants.
Facteurs individuels et contextuels déterminants
Cette partie a pour objectif de mettre en évidence les facteurs contextuels et individuels,
considérés comme déterminants dans un processus de réflexion sur la fixation d’une juste
peine. Il s’agit de comprendre les principes de modulation de l’attribution d’une peine en
fonction des poids respectifs de différents facteurs liés à l’accusé, à la victime et à l’acte
commis.
Les lignes qui suivent visent donc à saisir les points d’ancrage de ce processus de
réflexion, sur lequel les questions suivantes se posent :
1) Quels sont les éléments caractérisant l’accusé, respectivement la victime et l’acte, qui
doivent être pris en compte dans les délibérés sur la fixation d’une peine ? Quels sont les
poids respectifs de ces éléments ?
2) Comment ces éléments s’ordonnent-ils selon différentes dimensions d’interprétation ?
Peut-on mettre en évidence la présence de plusieurs types de mentalités ?
131
Nous avons voulu tester auprès de notre échantillon différents types de caractéristiques
concernant l’accusé.
1. Individualisation ou généralisation. Il s’agit de cerner si sont principalement retenues
les caractéristiques qui personnalisent l'accusé (récidive, histoire vie) ou celles qui tendent à
l'intégrer dans un groupe d'appartenance plus général (revenu, sexe).
2. Objectivité ou subjectivité. Dans la même ligne, ces catégories visent à repérer
l’importance relative de caractéristiques objectives (être mineur ou jeune), par rapport à des
caractéristiques subjectives (motifs, repentir).
3. La dernière catégorie rassemble des critères non opposables. Sont retenus des critères
liés à l'intentionnalité (motifs, intentions de l’acte), au déterminisme (facteurs explicatifs de
l'acte) ou encore aux conséquences de l’acte. Celles-ci peuvent être orientées vers l’acte (par
le repentir exprimé) ou vers la peine.
Les caractéristiques de l’accusé
Cette partie vise à analyser l’importance que donnent nos répondants aux caractéristiques
de l’accusé pour établir une juste peine. En d’autre termes, quels sont les facteurs
déterminants liés à l’accusé qui doivent être inclus dans la recherche d’une peine adéquate ?
Doit-on mettre le poids sur une éventuelle carrière criminelle, sur son âge, sur ses ressources,
ou sur son identité sexuelle ? Le tableau 5.3 présente les fréquences de ces facteurs.
132
Tableau 5.3 : Caractéristiques de l'accusé (%)*
Très important
Plutôt important
Plutôt pas important
Pas du tout
important
Sans opinion, je ne sais
pas
Total (N)
Il est récidiviste (C) 75 17 2 2 3 100 (1852)
Les motifs, les intentions de son acte (D) 54 32 7 3 3 100 (1852)
Il risque de recommencer (I) 51 33 8 3 4 100 (1852)
Il est mineur (moins de 18 ans) (A) 51 31 9 7 2 100 (1862)
Il est atteint de troubles psychiques (K) 48 35 9 5 2 100 (1855)
L'effet probable de la peine sur le délinquant (N) 37 35 12 8 8 100 (1858)
Il exprime un repentir sincère (J) 31 40 18 7 3 100 (1854)
Son histoire de vie (son enfance, etc.) (E) 27 43 20 7 2 100 (1862)
Il est jeune (20-25 ans) (B) 27 40 17 13 2 100 (1858)
Son entourage, ses fréquentations (G) 16 37 26 18 1 100 (1853)
Ses charges de famille (M) 12 38 25 21 4 100 (1859)
Son salaire, sa fortune (H) 7 17 28 44 3 100 (1853)
Sa nationalité (L) 6 7 17 66 3 100 (1858)
Son sexe (homme ou femme) (F) 3 6 24 62 2 100 (1850) * Question 9 : Pour fixer une peine juste, qu'il s'agisse d'un vol, d'un meurtre ou d'une escroquerie, certains pensent qu'il faut tenir
compte des caractéristiques de l'accusé, de la victime, etc.; d'autres, au contraire, estiment que c es caractéristiques n’ont pas d'importance. Pour vous, quelle est l'importance des caractéristiques suivantes de l'accusé pour fixer une peine juste ?
Le récidivisme reste la caractéristique de l’accusé la plus importante pour notre
échantillon (75%, voire 92% si l’on prend en compte la deuxième colonne), suivie de près par
les motifs de l’acte (54%), le fait qu’il soit mineur (52%) et le fait qu’il risque de
recommencer (51%). La présence de troubles psychiques (48%), voire l’effet probable de la
peine sur le délinquant (37%), sont aussi relevés comme très importants.
A l’exception des caractéristiques liées à l’âge de l’accusé, les indicateurs statutaires tels
que le salaire et la fortune (rejetés à raison de 72%), la nationalité (à raison de 83%) ou encore
le sexe (86%) sont considérés comme peu importants. Enfin, le poids relatif des indicateurs
«charges de famille» ou «entourage, fréquentations» divisent notre échantillon.
Les réponses indiquent ainsi une propension à considérer comme plus importants les
indicateurs qui personnalisent l’accusé, cela dans une perspective aussi bien rétrospective
(existence antérieure d’une trajectoire délictueuse, intentions ou motifs du passage à l’acte)
que prospective (existence d’un risque de répétition de l’acte, effet probable de la peine
prononcée). En y ajoutant l’importance de l'indicateur «mineur», nous observons l’attribution
d’un poids très important à un ensemble de critères dont le point commun est d’engager le
débat sur la responsabilité de l’accusé à l’égard de son propre comportement. Le fait que la
133
caractéristique «mineur» soit incluse dans cette liste contribue à renforcer cette idée, puisque
cet indicateur repère un âge dans lequel la notion de responsabilité n’a pas le même sens – ni
les mêmes contraintes – qu’elle peut avoir à l’âge adulte. En contrepartie, par effet miroir, les
caractéristiques de type statutaire (niveau de revenu, sexe, nationalité) sont plus souvent
délaissés.
Si l’existence de troubles psychiques (48%) est un critère très important intervenant dans
la recherche d’une juste peine, l'histoire de vie est moins prise en compte (27%). Le poids est
donc posé en faveur de l’existence avérée, vérifiée, de troubles de la personnalité au niveau
individuel, au détriment d’un regard sur l’ensemble des éléments qui peuvent conduire à
l’émergence d’une relation distordue, déviante, entre l’individu et son environnement social.
L’analyse des correspondances et l’analyse de classification vont nous permettre de
repérer comment se combinent ces caractéristiques afin d’identifier les différents types de
mentalités présents parmi nos répondants.
Le graphique 5.1 illustre les résultats de l’analyse des correspondances7. A noter que les
centroïdes issus de la classification y sont inclus pour en faciliter la lecture.
7 L’axe 1 a été éliminé au profit des axes 2 et 3, pour éviter d’accorder une trop grande importance aux stratégies individuelles de réponse (voir chapitre 2, méthode d’enquête, page 42).
134
Graphique 5.1 : Résultats de l’analyse des correspondances et de l’analyse de classification pour les caractéristiques de l’accusé
Légende + + caractéristique très importante, + caractéristique plutôt importante, - caractéristique plutôt pas importante, - - caractéristique pas du tout importante, ? sans opinion, ne sait pas
135
Avant de nous intéresser aux types, considérons les éléments constitutifs des axes.
L’axe horizontal se constitue, de gauche à droite, sur la dualité entre facteurs subjectifs et
facteurs objectifs. Nous retrouvons ainsi à droite de l'ordonnée un ensemble de
caractéristiques immédiatement compréhensibles, telles que la nationalité ou les ressources
financières. L’axe vertical, du bas vers le haut, se module en fonction de la temporalité de ses
constituants : plus on monte sur cet axe, plus la présence d’éléments prospectifs s’intensifie.
Le quadrant du haut à droite se caractérise par le refus d’éléments pouvant
potentiellement atténuer une peine. La présence de troubles psychiques, d’une enfance
difficile, ou encore l’expression d’un repentir ne peuvent être considérés comme des facteurs
d’atténuation de la peine. Rien ne peut venir troubler la «juste» rétribution d’un acte
délictueux. La perspective retenue est claire, c’est le devoir de punir qui prime, sans
possibilité de réserve ou de compréhension. On constate une proximité entre le rejet de ces
indicateurs et la forte prise en compte d’éléments objectifs comme la nationalité ou le niveau
de revenu. Le raisonnement présent ici évoque une perception de la société dans laquelle les
«mauvais» sont identifiables et certainement non excusables. Le refus de toute atténuation
éventuelle d’une condamnation par le biais d’une perspective socio-psychologique confirme
cette attitude.
Le quadrant du bas à droite diffère du précédent en présentant une plus grande diversité
d’éléments. Si le sexe de l’accusé et ses charges de famille sont considérés comme
importants, le référentiel dominant prend cependant plus largement en compte une catégorie
d'indicateurs évoquant la carrière criminelle antérieure et la possibilité d’une répétition
d’actes délictueux. Ces éléments sont rejetés dans une large mesure, ce qui illustre un doute
sur une éventuelle fatalité criminelle. La diversité des indicateurs et de leurs charges
respectives montre toutefois une certaine perplexité au sujet des éléments susceptibles d’être
pris en compte dans la détermination d’une peine.
Le quadrant du bas à gauche apparaît comme plus centré autour de quatre éléments :
l’histoire de vie, l’âge de l’accusé (qu’il soit mineur ou jeune), l’existence de troubles
psychiques ou encore la capacité de repentir. Ces éléments sont de nature à atténuer la peine :
la préoccupation semble être mise sur la protection de la personne, sur une certaine
compréhension de son mécanisme psycho-dynamique et des étapes de sa construction
identitaire.
Le dernier quadrant, en haut à gauche, s’attarde sur le risque passé et futur que peut
représenter l’accusé pour la société. L’accent est mis sur la récidive et le risque de
recommencer. La présence plébiscitée de l'indicateur se rapportant aux motifs de l’acte
136
Tableau 5.4 : Typologie liée aux caractéristiques de l’accusé Types selon les caractéristiques prises en compte
Caractéristiques de l'accusé Socialisation (25%)
Juvénilité (28%)
Dangerosité (39%)
Appartenances (8%) Moyenne V de Cramer
A) Il est mineur (moins de 18 ans) 53 95 21 48 52 .36**
B) Il est jeune (20-25 ans) 13 65 4 44 27 .36**
C) Il est récidiviste 28 89 93 86 76 .37**
D) Les motifs, les intentions de son acte 51 44 66 51 55 .14**
E) Son histoire de vie (son enfance, etc.) 49 20 17 40 28 .20**
F) Son sexe (homme ou femme) 4 0 0 26 3 .26**
G) Son entourage, ses fréquentations 21 12 11 46 17 .17**
H) Son salaire, sa fortune 6 2 3 50 7 .31**
I) Il risque de recommencer 11 51 75 69 52 .31**
J) Il exprime un repentir sincère 35 35 29 24 31 .10**
K) Il est atteint de troubles psychiques 52 54 42 44 48 .10**
L) Sa nationalité 1 1 0 62 6 .43**
M) Ses charges de famille 14 9 7 43 12 .21**
N) L'effet probable de la peine sur le délinquant 26 40 40 50 37 .12**
137
indique cependant la forte prise en compte d’une conjonction motifs-acte, tout en faisant
abstraction de caractéristiques statutaires telles que le sexe ou le salaire. C’est bien ici la
dynamique de l’acte, le pourquoi, qui est considérée comme primordiale dans la réflexion sur
la détermination de la peine. Ce pourquoi est fortement empreint d’une préoccupation à
l’égard de la dangerosité de la personne délinquante.
L’observation des résultats de la classification permet d’identifier quatre types en fonction
de leur disparité dans leur vision des éléments déterminants à prendre en compte.
Une première remarque générale doit être faite : l’expression d’un repentir et l’existence
de troubles psychiques sont relevés dans des proportions similaires par nos répondants, quelle
que soit l’orientation des types. Il s’agit donc d'indicateurs transversaux et non discriminants.
Le type socialisation représente 25% de notre population. Le seul accent fort est mis sur
l’histoire de vie, la trajectoire familiale et sociale. C'est ce qui a déterminé la dénomination de
ce type qui est marqué quant au reste par une forte indécision sur les caractéristiques à retenir.
Le raisonnement est donc principalement centré sur les étapes de construction de l’identité
individuelle et sociale de l’accusé, avec certainement en toile de fond une volonté
d’interprétation des motifs pouvant pousser une personne à commettre un acte répréhensible
par le biais du vécu. La responsabilité personnelle de l’accusé semble être considérée comme
inexistante, comme une conséquence de l’histoire de vie, comme une contrainte issue d’un
parcours individuel forcément singulier. Le type se caractérise aussi par un refus des facteurs
stigmatisant l’accusé. La dangerosité, qu’elle soit le fait d’actes délictueux antérieurs ou à
venir, est fortement rejetée. L’effet de la peine sur le délinquant est un élément dont
l’importance est loin d’être primordiale.
Je pense toujours qu'il faut essayer aussi de comprendre les faiblesses de la personne, pourquoi elle en est arrivée là. C'est la première chose que je solliciterais de la justice, ce qui ne se fait pas souvent d'ailleurs, savoir si la personne est issue d'un milieu défavorisé, si elle a eu un parcours difficile, etc… En général on s'en fout complètement, je pense, et je crois que c'est ça qu'il faut prendre en considération pour pouvoir définir la sanction. Je crois qu'on devrait vraiment essayer de comprendre cela, parce que, sinon, la sanction n'a pas d'efficacité. Chercher l'historique de la personne. Homme, 51 ans, conseiller en matière de recherche d'emploi
Le type juvénilité regroupe 28% de l’échantillon. Ce type se différencie des autres par le
poids mis sur l’âge de l’accusé, c'est-à-dire sur une certaine période de sa vie. Les motifs de
l’acte et l’histoire de vie sont par contre moins pris en compte que par les autres types.
L’attention est presque exclusivement portée sur les mineurs et les jeunes, soit sur ce temps
qui correspond à la socialisation juvénile comme à celle du jeune adulte.
138
Le type dangerosité rassemble 39% de notre échantillon. Il est caractérisé par la récidive
et la crainte de cette dernière, accompagnées par les motifs et les intentions liés à l’acte. En
contrepoint, le fait que l’accusé soit mineur, jeune ou qu’il ait une histoire de vie particulière
sont des facteurs rejetés. Les personnes appartenant à ce type semblent craindre pour elles-
mêmes ou pour l’ensemble de la société une justice orientée vers une trop grande
interprétation de nature psychologique de l’accusé. Seuls comptent les faits, c’est-à-dire les
motifs de l’acte et la dangerosité de l’auteur de l’infraction.
Le type appartenances se différencie sensiblement des autres en accentuant fortement
l’ensemble des indicateurs statutaires ou situationnels. Constitué par 8% de notre échantillon,
ce type retient prioritairement des éléments objectifs, tels que le salaire, la nationalité ou
encore les charges de famille. L’individu disparaît derrière la catégorie à laquelle il appartient.
Les caractéristiques de la victime
En suivant la même logique que celle de la question précédente, cette partie analyse
l’importance des caractéristiques de la victime dans la définition d’une juste peine. Les
catégorisations employées sont identiques (objectif/subjectif, individualisant/généralisant,
intentionnalité/conséquentialité/causalité).
Tableau 5.5 : Caractéristiques de la victime (%)* Très
important Plutôt
important Plutôt pas important
Pas du tout important
Sans opinion, je ne sais pas
Total (N)
La souffrance résultant du dommage qu'elle a subi (E) 54 29 6 4 4 100 (1825)
Sa faiblesse mentale, psychique (B) 46 34 8 7 2 100 (1829)
Sa faiblesse physique (A) 30 26 17 21 3 100 (1827) * Question 10 : Pour vous, quelle est l'importance des caractéristiques suivantes de la victime pour fixer une peine juste ?
Si le poids accordé à la souffrance de la victime est dominant parmi nos répondants
(54%), une forte attention est aussi portée à la faiblesse psychique de celle-ci (46%), voire
dans une moindre mesure à sa faiblesse physique.
A nouveau, et en contrepoint, la situation économique de la victime ou, à plus faible
échelle, le lien préalable avec l’accusé ne sont pas considérés comme particulièrement
importants.
139
Suite du tableau 5.5 : Caractéristiques de la victime (%) Très
important Plutôt
important Plutôt pas important
Pas du tout important
Sans opinion, je ne sais pas
Total (N)
Elle avait un lien préalable avec l’accusé (familial, professionnel, amical) (D)
19 35 22 15 5 100 (1822)
Elle a commis une faute (provocation, négligence) (F) 18 44 22 8 5 100 (1826)
Sa situation économique (revenus, ressources) (C) 11 27 27 30 3 100 (1830)
Les caractéristiques objectives sont donc délaissées au profit de caractéristiques plus
subjectives, individualisant la victime. Les conséquences de l’acte subi sont cependant
prédominantes et indiquent une volonté de proportionnalité : la réponse pénale à l’égard d’un
acte délictueux doit, pour nos répondants, tenir compte des conséquences de l’acte,
notamment sur des aspects d’ordre émotionnel. L’intensité de la souffrance apparaît ainsi
comme susceptible de constituer un facteur d’un poids non négligeable lors du processus de
détermination de la peine.
La notion de faute est considérée comme (très et plutôt) importante par plus de la moitié
des répondants (62%), ce qui contribue à illustrer cette attention portée au fil motifs-
conséquences du délit ou du crime.
Nous observons cependant qu’un faible nombre de répondants ont relevé que plus d’une
des caractéristiques présentées sont à considérer comme «très importantes». Le graphique
suivant illustre cette répartition des répondants.
140
Graphique 5.2 : Répartition des répondants selon le nombre de caractéristiques de la victime retenues comme «très importantes»
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
1 2 3 4 5 6 0
% de réponses "très importante" par répondant
Ainsi, 26% des répondants considèrent qu’aucune des caractéristiques proposées ne
mérite une forte importance. A l’inverse, 15% estiment très important d’inclure quatre à six
des caractéristiques présentées.
Pour dépasser cette lecture descriptive, nous avons soumis les réponses à cette question à
une analyse par classification (tableau 5.6 et graphique 5.3). Les résultats montrent une claire
segmentation des répondants en trois types distincts.
141
Tableau 5.6 : Typologie liée aux caractéristiques de la victime (%) Types selon les caractéristiques prises en compte
Caractéristiques de la victime Compassion (33%)
Restitution (11%)
Abstraction (56%) Moyenne V de Cramer
A) Sa faiblesse physique 70 56 2 30 .50**
B) Sa faiblesse mentale, psychique 95 75 12 47 .55**
C) Sa situation économique (revenus, ressources) 0 100 0 11 .71**
D) Elle avait un lien préalable avec l’accusé (familial, professionnel, amical)
30 46 8 20 .27**
E) La souffrance résultant du dommage qu’elle a subi 82 72 36 55 .31**
F) Elle a commis une faute (provocation, négligence) 21 33 14 19 .13**
Le type compassion met fortement l’accent sur les faiblesses de la victime, tant physique
que psychique, ainsi que sur la souffrance résultant du dommage subi. C’est certainement le
poids des aspects psycho-relationnels qui sous-tend la structure de ce type, en mettant en
évidence le rapport de force existant entre l'auteur de l'infraction et la victime, que celui-ci
soit antérieur ou postérieur à l’acte.
On retrouve dans le type restitution une prise en compte de l’ensemble des
caractéristiques de la victime, avec toutefois, comme différence majeure par rapport au type
compassion, l’acceptation totale de l’unique caractéristique statutaire (revenus, ressources de
la victime) et un poids plus important accordé à la notion de faute de la victime ou encore à
l’existence d’un lien préalable avec l’accusé. Si une orientation victimophile est toujours
présente, ce type intègre donc des perspectives plus large sur le plan social et non
exclusivement centrées sur la souffrance ou la faiblesse : le poids de celles-ci diminue de 20 à
25% par rapport au type compassion.
Ces deux premiers types regroupent 45% de notre échantillon. Ils se différencient du
dernier type en considérant comme nécessaire l’inclusion de facteurs liés à la victime dans
une réflexion sur la juste peine.
Le type abstraction rejette en effet la plupart des caractéristiques énoncées, tout en
acceptant très partiellement (à hauteur de 36%) la nécessité d’inclure la souffrance ressentie
par la victime dans un processus de détermination de la juste peine. On peut ainsi se permettre
142
d'afficher un détachement à l'égard de la victime, à l'exception toutefois de la souffrance
résultant du dommage qui demeure, pour ce type comme pour les autres, un élément
impondérable et qu'il est civiquement difficile de rejeter. Représentant 55% de l’échantillon,
ce type se montre peu soucieux d’intégrer les caractéristiques de la victime dans une réflexion
sur la peine adéquate.
143
Graphique 5.3 : Typologie liée aux caractéristiques de la victime
Légende + caractéristique importante, - caractéristique non importante
144
La mise en rapport des deux typologies, celle issue de l’analyse des questions liées aux
caractéristiques de l’accusé et celle relative aux caractéristiques de la victime, montre
l’existence d’une relation significative : plus les répondants sont soucieux d’intégrer des
facteurs subjectifs liés à l’accusé, moins l’intérêt est porté sur les caractéristiques de la
victime. Cette mise en relation s’est construite sur une double agrégation : les types empathie
et victimité, regroupés sous l’étiquette «victime incluse», puis le type abstraction, sous
«victime non incluse». L’inclusion fait ici référence à la nécessité d’intégrer (ou de ne pas
intégrer) les caractéristiques de la victime dans la réflexion sur la juste peine.
Tableau 5.7 : Mise en relation des typologies sur les caractéristiques de l’accusé et de la victime (%)
Socialisation Juvénilité Dangerosité Appartenances Moyenne
Caractéristiques de la victime incluses
39 44 44 58 44
Caractéristiques de la victime non incluses 61 56 56 42 56
Pourcentage du nombre de répondants dans le type 25 28 39 8 100
N=1880, V de Cramer .13**
Cela tend à montrer que la question du renforcement du rôle de la victime dans le procès
pénal, question fort débattue dans les discours politiques et médiatiques ces dix dernières
années, est une idée peu présente dans les mentalités populaires. La répartition observée
illustre plutôt une dissociation dans les esprits entre la place de l’accusé et la place de la
victime. Seul le type appartenances, centré sur les indicateurs statutaires, retient comme
nécessaire l’inclusion des caractéristiques de la victime.
Les circonstances de l’infraction
La partie suivante explore les réponses liées aux circonstances dans lesquelles l'infraction
a été commise. Nous avons volontairement retenu un ensemble de caractéristiques d'ordre
général contenues dans le Code pénal. Les réponses obtenues cautionnent les facteurs usités,
notamment ceux qui font état de violence subie et ressentie.
145
Tableau 5.8 : Autres éléments liés à l’infraction (%)*
Très important
Plutôt important
Plutôt pas
important
Pas du tout
important
Sans opinion, je ne sais
pas
Total (N)
Il a été fait usage de violence physique (D) 84 11 1 0 1 100 (1866)
Il a été fait usage d'une arme (C) 84 10 1 1 1 100 (1865)
L'étendue du dommage (A) 53 34 6 2 2 100 (1825)
L'infraction a été commise en bande (B) 42 34 14 4 2 100 (1836) * Question 11 : Pour vous, quelle est l'importance des autres éléments suivants pour fixer une peine juste ?
On constate que l’usage d’armes et l’usage de violence sont largement considérées
comme primordiales par plus de 84% de l’échantillon8. Cela rejoint un constat antérieur :
l’atteinte à l’intégrité, qu’elle soit concrète par le biais de violence physique ou de l’ordre de
la menace via une arme, constitue un élément central d’appréciation des éléments qui
entourent le délit. Il y a probablement une rupture qui se dessine dans les mentalités entre les
comportements criminels susceptibles d’entraîner une atteinte à l’intégrité physique et
psychique, et les actes sans violence, tels que le vol ou l’escroquerie. Par contre, l’étendue du
dommage ou le fait que l’infraction soit commise en bande ne constituent des éléments
d’appréciation très importants de l’acte délictueux que pour la moitié de l’échantillon.
Le graphique 5.4 illustre la répartition en pourcentage des répondants selon le nombre de
facteurs considérés comme «très importants». La répartition observée montre que plus des
deux tiers de l’échantillon considèrent que l’ensemble des facteurs doit être retenu dans cette
appréciation.
8 Ce qui est en conformité avec les dispositions pénales existantes.
146
Graphique 5.4 : % de répondants ayant retenu de un à quatre facteurs liés à l’infraction comme «très importants»
010203040506070
80
1 2 3 4 N R
% de " t rès important"
147
Quelle punitivité pour quel accusé ?
Quelles sont les relations entre les échelles de punitivité et la typologie des
caractéristiques de l’accusé ? En d’autres termes, peut-on associer les types identifiés avec un
degré de punitivité ?
Le graphique 5.5 illustre ces relations. Il est construit à partir des tableaux croisant la
typologie des caractéristiques de l’accusé et le degré de punitivité en deux positions (voir note
p. 129) et les courbes ne prennent en compte que la modalité associée à une forte punitivité9.
Graphique 5.5 : Typologie des caractéristiques de l’accusé et degré de punitivité10
La première observation à faire sur ces différentes courbes est le rapprochement entre les
types socialisation et juvénilité quant au degré de punitivité qui leur est associé.
Systématiquement, les répondants de ces deux types sont moins punitifs que les répondants
des types dangerosité et appartenances. Cette remarque est valable tout aussi bien pour la
question relative aux délits de faible gravité que pour la question relative aux délits graves et
aux crimes.
9 La représentation graphique de la moindre punitivité dessine des courbes similaires et inversées. 10 Ce graphique a été construit sur la base des données issues du croisement des échelles de punitivité (regroupées en deux niveaux) et de la typologie relative à l’accusé (V de Cramer .13**, .16**, .12**, .18**).
2 5
3 0
3 5
4 0
4 5
5 0
5 5
6 0
6 5
7 0
Social isat ion Juvénil i té Dangerosité Appartenances
Déli ts de faible gravité - Variante A Délits de faible gravité - Variante BDél i ts graves et cr imes - Variante A Dél i ts graves et cr im es - Var iante B
148
Socialisation et juvénilité sont constitués prioritairement en fonction de facteurs
individualisants et explicatifs de la personnalité. Il s'agit de l'histoire de vie et de l'âge. Cette
inflexion tend à induire un degré de punitivité moins important.
A contrario, les types dangerosité et appartenances sont beaucoup plus nettement reliés à
une sévérité accrue. La gamme de facteurs constitutifs de ces deux types prend en compte tout
aussi bien des éléments statutaires objectifs que des éléments liés au danger potentiel
représenté par le délinquant. S'il est difficile d’associer ces deux types et de leur trouver des
éléments communs, ceux-ci se retrouvent cependant sur le même versant en matière de
punitivité. Sous dangerosité on peut clairement identifier des craintes en matière de récidive
ou de violence, craintes qui inclinent à la peine. Qu’en est-il alors du type appartenances ? Le
lien entre une punitivité accrue et des facteurs aussi réducteurs que la nationalité et le sexe ne
s'explique pas facilement, sauf à considérer qu’il est plus facile de juger en fonction d’une
catégorie ou d’un étiquetage social, qu’en fonction de la personnalité de l’accusé.
L’effet du positionnement social
On peut, à juste titre, se demander si le degré de punitivité associé aux délits et aux crimes
diffère selon le statut social et démographique des individus, leurs orientations idéologiques,
le niveau d'information qu'ils détiennent et le canal par lequel cette information est alimentée
ou encore par leur perception du phénomène criminel. Nous allons tirer les grandes lignes de
cette analyse pour les échelles de punitivité retenues (voir annexe 1, tableaux 4, 5, 6 et 7, pp.
219-223). Pour cette analyse, l'échelle a été regroupée en deux niveaux de punititivité et le
commentaire concerne, pour les délits de faible gravité et pour les délits graves et les crimes
les deux variantes ensemble11.
L’analyse différentielle qui suit reprend cette catégorisation en y incluant à leur juste
place les types issus de l’analyse par classification concernant les caractéristiques de l'accusé.
Il y a en effet, comme on va le voir, concordance en ce qui concerne le positionnement social
d'un côté entre les types socialisation, juvénilité et le faible degré de punitivité et de l'autre
entre les types dangerosité, appartenances et le fort degré de punitivité.
11 Dans chacun des quatre cas – questions 12 et 13, faible et forte punitivité - le commentaire concerne l'ensemble des deux variantes. Nous avons en effet noté qu'il n'y a jamais, en comparant les variantes d’une même question, d'écart de sens ou de logique parmi les variables caractéristiques du type retenues par l'analyse de classification, mais parfois des écarts dans leur position respective, ce qui explique que les listes qui figurent en annexe ne prennent pas en compte toutes les variables citées par le commentaire, le palier pour les retenir ayant été fixé à la valeur 3.00 du V-test.
149
Faible punitivité 12
Le type socialisation est davantage présent parmi les répondants qui refusent l’idée d’une
aggravation de la criminalité, se sentent en sécurité, sont d'âge élevé voire retraités et proches
du type optimisme issu de la catégorisation finale du chapitre général sur la délinquance. Ces
personnes considèrent le monde actuel comme empreint d’anomie sociale. Elles disposent
d’un faible pouvoir économique et sont peu intéressées par les faits divers. Rejetant l’idée
d’un affaissement des institutions traditionnelles, elles ont des valeurs orientées vers la
solidarité interindividuelle et manifestent une confiance en l’autre. La finalité de la peine est
perçue positivement : ce type rejette des affirmations d’orientation répressives, comme
l’éventualité d’un emprisonnement ferme pour les mineurs dans les cas d’infractions graves,
défend l’idée d’une amende proportionnée au niveau de revenu et reste ouvert aux nouvelles
modalités d’exécution de peine (bracelet électronique).
Le type juvénilité est proportionnellement plus féminin, et disposant d’un niveau de
revenu confortable. Bien insérées socialement, ces personnes (souvent avec enfants) refusent
notamment l’idée de mettre en prison des délinquants mineurs.
Comme présenté dans le graphique 5.5 (voir annexe 1, tableau 3, pp. 215-218), ces deux
types sont associés avec un faible degré de punitivité. Pour les délits de faible gravité, cette
tendance est plutôt caractéristique de personnes se situant en haut de l'échelle sociale
(propriétaires de leur logement, disposant de bons revenus (2.34**). Le sentiment d'insécurité
n'est pas présent (2.67**, 2.94**), le risque non plus, ce qui est attesté par une proportion plus
importante qu'ailleurs des personnes se rattachant au type optimisme issu de la catégorisation
finale du chapitre général sur la délinquance. Il s'agit de personnes bien intégrées socialement.
Le vecteur d'information que représente la télévision, notamment sur le thème de la justice
(séries policières, etc.) n'est pas important. Cette faible punitivité est associée à un certain
optimisme face à la nature humaine, à une conception de la peine exprimée en termes
prospectifs et à l'explication des causes de la criminalité par l'anomie sociale. A titre
d'exemple, notons que l'on adhère ici moins souvent à l'idée que les délits commis par des
mineurs puissent être punis par des peines de prison.
En ce qui concerne les délits graves et les crimes, on retrouve comme caractéristique
d'une faible punitivité la bonne intégration au tissu social – attestée par un bon niveau de
12 Pour cette analyse nous avons regroupé les échelles de punitivité des questions 12 et 13 en deux niveaux. La faible punitivité correspond pour chacune des deux questions à l'addition des niveaux punitivité minimum et punitivité faible – situés respectivement à un ou deux écarts type en dessous de la moyenne - et la forte punitivité à l'addition des niveaux punitivité forte et punitivité maximum – situés respectivement à un ou deux écarts type au dessus de la moyenne. Voir les tableaux de la note 5 page 129.
150
formation, une certaine expérience (universitaire, attachement au type quiétude issu de la
catégorisation finale du chapitre général sur la délinquance) et l'intérêt pour les problèmes de
politique suisse beaucoup plus par la lecture de la presse et les discussions entre amis que par
le biais de la télévision. L'importance de l'anomie sociale (2.72**) ou des inégalités
économiques (2.81**) - présence du chômage, existence de catégories de personnes
défavorisées, isolement - sont prioritairement avancées comme cause de la criminalité. Cela
va de pair avec la nette prise en compte des éventuelles difficultés rencontrées pendant
l'enfance comme facteur explicatif des actes délictueux de l'accusé. On relève aussi une
certaine influence de l'âge – plus on avance en âge, moins on est sévère.13
Forte punitivité
Le type dangerosité est plutôt caractéristique de personnes plus jeunes (moins de 35 ans)
et actives professionnellement. Grandes consommatrices de faits divers, disposant d’une
bonne formation et sans enfants, elles sont préoccupées par l’anomie institutionnelle,
pressentie comme responsable de l’extension d’une criminalité dont elles estiment que la
seule réponse valable à apporter se situe dans une sévérité accrue des instances répressives.
Ce type est également caractérisé par un moindre sentiment de sécurité personnelle. La
finalité de la peine est essentiellement restitutive : il n’y a pas un projet de réintégration
sociale à développer, mais un prix à payer. Dans ce cadre, les délinquants estimés dangereux
doivent pouvoir être enfermés à vie. On perçoit enfin une prédominance d’un système de
valeurs orienté vers l’idée de responsabilité individuelle et l’absence de références sur le plan
de la solidarité collective.
Enfin, le type appartenances regroupe différentes classes d’âge, à l’exception notable des
26-35 ans. Il est caractéristique de personnes dotées seulement d’une formation de base
(scolarité obligatoire, CFC ou école professionnelle), grandes consommatrices d’émissions
télévisuelles sur la justice et des faits divers repris par la presse écrite, personnes qui estiment
que la criminalité est en forte hausse et craignent pour leur propre sécurité. Une peine doit
tendre à être afflictive, faire honte ou faire souffrir, seuls éléments à même de corriger les
vices et tares de délinquants perçus comme des déviants. On assimile la justice à une justice
de classe, ce qui indique une difficulté à comprendre la complexité du monde, et une certaine
perplexité devant ses évolutions. A titre d’exemple, on trouve dans ce type plus que dans
d'autres, une opposition à la dépénalisation de la consommation de canabis. 13 Cette corrélation est attestée par l'examen des tris croisés simples entre la variable âge et les échelles de
151
Ces deux types sont associés à une forte punitivité. Celle-ci est davantage présente - pour
les délits de faible gravité - dans le bas de l'échelle sociale. Relevons qu'il y a là plus
qu'ailleurs une nette influence de l'information par le biais de la télévision (notamment les
émissions concernant la justice). Le sentiment d'être exposé à des risques est présent. Une
forte punitivité est aussi associée à la perception de la personnalité criminelle comme
dangereuse et à l'idée que le crime rapporte. Il est dès lors peu surprenant que la prison soit
préférée aux autres types de peines. On est moins d'accord qu'ailleurs pour que les courtes
peines puissent être transformées en travail au profit de la communauté ou pour que les
amendes puissent être proportionnelles au revenu de l'accusé. Par contre on est plus souvent
en faveur de l'internement à vie pour les délinquants dangereux. On estime d'ailleurs que la
justice comme la police ne sont pas assez efficaces et on rejette nettement l'explication des
causes de la criminalité par les inégalités économiques, la jeunesse ou encore le fait que les
délinquants puissent être des malades (-2.79**).
La forte punitivité en ce qui concerne les délits graves et les crimes est plus souvent
associée aux classes d'âge plutôt jeunes (moins de 35 ans)14 dont l'opinion sur l'évolution
actuelle de la criminalité est très pessimiste. L'information passe par le téléjournal, les
émissions télévisuelles concernant la justice et la lecture de la chronique judiciaire dans la
presse. Il s'ensuit assez naturellement une perception du délinquant conforme à l'image d'une
personnalité déviante et dangereuse attestée par la corrélation entre la forte punitivité et le
type désaffiliation de la typologie générale du chapitre sur la délinquance.
En synthétisant à l'extrême, on peut relever en résumé que dans notre échantillon
l'intensité de la répression est inversement corrélée à l'intensité du sentiment d'insécurité et de
perception du risque d'être victime d'un délit. Elle est également inversement corrélée à la
fermeté de la conviction que des explications psychologiques (en ce qui concerne l'individu)
et sociales (relatives au cadre de vie dans son sens le plus large) peuvent être à l'origine de la
délinquance et de la criminalité. Elle est par contre positivement corrélée à la force de la
croyance en un déterminisme quant à la personnalité déviante.
punitivité des questions 12 et 13 (V de Cramer .06, .13**, .13**, .13**). 14 C'est d'ailleurs dans cette tranche d'âge que l'on trouve les répondants favorables à la peine de mort en cas de viol ou de meurtre.
152
La question de la proportionnalité
Il s'agit maintenant de mesurer l'intensité de la répression à l'endroit de délits identiques
par leur nature (un vol, une agression, un homicide) mais de gravité diverse ou perpétrés dans
des conditions différentes : les sanctionne-t-on plus sévèrement ou au contraire de la même
manière ? Tient-on compte essentiellement de l'acte commis ou aussi de l'ensemble du
dispositif qui l'accompagne ? On a fait varier dans la question relative à ce thème et pour un
même délit les paramètres que sont i) l'intention du délinquant, ii) les conséquences
matérielles ou morales de l'acte criminel pour la/les victime(s) ou encore iii) l'étendue du
dommage subi.
Tableau 5.9 : Mesure de la proportionnalité de la peine (%)* Beaucoup
plus sévèrement
Un peu plus sévèrement
Plus sévèrement
De la même manière
Sans opinion, je ne sais pas
Total (N)
Comment faudrait-il punir … une personne qui blesse volontairement quelqu’un par rapport à celle qui blesse involontairement quelqu’un ? (F)
74 17 91 5 4 100 (1815)
Comment faudrait-il punir… un vol effectué pour s’enrichir par rapport à un vol effectué pour survivre ? (C)
65 21 86 10 4 100 (1804)
Comment faudrait-il punir … une agression ayant gravement blessé la victime par rapport à une agression ayant légèrement blessé la victime ? (A)
52 26 78 21 2 100 (1839)
Comment faudrait-il punir … un acte de vandalisme commis par une personne majeure par rapport à un acte de vandalisme commis par une personne mineure ? (B)
32 44 76 21 3 100 (1830)
Comment faudrait-il punir … un vol de 5000 CHF par rapport à un vol de 500 CHF, dans un grand magasin ? (B)
9 45 54 43 2 100 (1837)
Comment faudrait-il punir … un vol de 3000 CHF à une personne très modeste par rapport à un vol de 3000 CHF à une personne fortunée ? (D)
23 21 44 53 3 100 (1820)
Comment faudrait-il punir … l'assassin de quatre jeunes femmes par rapport à l'assassin de deux jeunes femmes ? (E)
24 8 32 66 2 100 (1839)
Comment faudrait-il punir … le meurtre d’une mère de trois enfants par rapport à celui d’une femme sans enfant ? (G)
15 11 26 71 2 100 (1839)
* Question 14 : Comment, selon vous, faudrait-il punir dans chaque cas ?
153
Graphique 5.6 : Mesure de la proportionnalité selon les scénarios
2632
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%bl
essu
revo
lont
aire
/invo
lont
aire
vol p
our
s'en
richi
r/sur
vivr
e
agre
ssio
n av
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essu
resg
rave
s/lé
gère
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lism
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vol d
e 50
00 fr
./500
fr.
vol d
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0 fr.
à p
ers.
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née
assa
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2 je
unes
fem
mes
meu
rtre
d'un
e fe
mm
esa
ns e
nfan
t/mèr
e de
fam
ille
plus sévèrement même manière NSP
92 86 7776
54 44
510 21
21
43
53
6671
On constate clairement dans les réponses à cette question l'effet déjà relevé de la présence
et/ou de la qualité de l'intention qui motive l'acte délictueux. Les répondants estiment juste de
sanctionner plus sévèrement une blessure provoquée volontairement qu'une blessure commise
involontairement (ligne F, 92%). De même un vol dont la principale raison est
l'enrichissement de son auteur entraîne une peine plus lourde qu'un vol commis dans le seul
but de survivre (ligne C, 86%). Dans ces deux cas l'accent est mis de manière évidente sur la
réponse «beaucoup plus sévèrement».
Ensuite, l'étendue du dommage causé par le délit n'est pas sans effet sur le degré de
sévérité. C'est en tous cas très net pour ce qui concerne l'atteinte aux personnes : une
agression ayant provoqué de graves blessures à la victime sera plus sérieusement punie qu'une
agression n'ayant entraîné que des blessures légères (ligne A, 78%). Mais peut-être est-on
toujours là dans un registre proche de l'intention ?
154
Enfin, l'identité de l'auteur a une influence claire puisqu'un acte de vandalisme est plus
sévèrement puni lorsqu'il est le fait d'une personne majeure plutôt que mineure (ligne H,
76%).
Les réponses se distinguent ensuite selon la nature ou le type de l'infraction commise.
Lorsqu'il s'agit d'atteinte contre le patrimoine (en l'occurrence le vol) l'échantillon est
assez nettement partagé puisqu'une moitié des personnes estiment juste de tenir compte de
l'importance du montant volé ou encore des conséquences du vol pour la victime alors que
l'autre moitié des répondants opte pour une égalité de traitement. De cette constatation se
dégagent plusieurs types d'attitude distincts.
L'attitude proportionnaliste sanctionne avec plus de sévérité un vol important qu'un petit
vol commis dans un grand magasin – c'est alors de la hauteur du délit que l'on tient
principalement compte – (ligne B). Elle est suivie par plus de la moitié des répondants (54%).
L'attitude conséquentialiste est adoptée par 44% des répondants, lesquels considèrent
comme adéquat de punir plus sévèrement un vol s'il affecte une personne aux revenus
modestes plutôt qu'une personne aisée (ligne D). Pour près d'une personne sur deux l'intensité
de la répression est modulée par les effets que produiront sur la victime les conséquences du
délit.
Pour l'autre moitié des répondants à ces deux questions il y a un tarif unique et c'est ce
tarif qu'il est juste de suivre, sans s'attacher ni à l'importance du vol ni aux conséquences que
le délit peut entraîner pour la victime. On est alors en face d'une référence objective dans la
mesure de la juste peine : ce ne sont plus les montants dérobés ou la victime et ses éventuelles
souffrances qui comptent, mais le type de délit commis.
Non mais c'est l'acte qu'on devrait voir pas la valeur! Parce ce que ce qu'on punit c'est le fait d'avoir transgressé la loi ce n'est pas le montant du vol ! La loi est là pour être respectée et pour empêcher tout acte délictueux. Du moment qu'on vole, que ce soit 10, 20, 200 ou 10'000 francs, on transgresse la loi ! Finalement, je pense qu'après c'est plus une histoire d'être plus ou moins compétent dans le vol et puis peut-être d'avoir plus de culot ou plus de savoir-faire. Femme, 22 ans, étudiante
Ce raisonnement, qui porte vers une absence de proportionnalisme la moitié des
personnes interrogées devient alors tout à fait évident et majoritaire en cas d'atteinte mortelle
aux personnes. L'assassinat comme le meurtre doivent être punis en tant que tels, sans tenir
compte de l'étendue des dégâts (66% des interrogés estiment qu'il est juste de punir de la
même manière l'assassinat de deux ou de quatre jeunes femmes) ou des conséquences que
pourraient entraîner la disparition de la victime pour son entourage (71% des personnes
155
répondent qu'il est juste de punir de la même manière un meurtre qu'il ait ôté la vie à une
femme sans enfants ou laissé trois orphelins. On retrouve ici l'écrasement du poids de la
variation des circonstances devant la gravité du délit, phénomène décrit au cours de l'analyse
de la question relative aux délits graves et aux crimes (voir p. 126).
Typologie sur la proportionnalité
L'analyse des correspondances sur l'ensemble de la question 14 permet de compléter et
d'affiner le descriptif qui précède et d'identifier certaines caractéristiques majeures des types
selon leur positionnement social.
156
Graphique 5.7 : Typologie sur la proportionnalité
Légende + plus sévèrement, = de la même manière
157
Le graphique 5.7 s'organise, de la gauche vers la droite de l'abscisse, d'une tendance
objectiviste qui consiste à raisonner exclusivement autour de l'acte lui-même à une tendance
proportionnaliste qui prend en compte le contexte, les conséquences ou l'intention de l'acte
criminel. Dans le premier cas, c'est l'entité juridique en elle-même constituée par le délit – le
vol, la blessure, le meurtre en tant que tels – qui prime et elle sera prise en compte de la même
manière, quelles que soient les circonstances dans lesquelles le délit a été commis. Dans le
second, on punit plus sévèrement un délit ou un crime perpétré dans le contexte estimé
proportionnellement le plus grave. Quatre types se placent dans le cadre constitué par ces
axes.
Tableau 5.10 : Typologie en matière de proportionnalité, en % et selon les réponses «beaucoup» et «un peu plus sévèrement»
Types de proportionnalisme Indicateurs de proportionnalité
Proportion-nalisme
pragmatique (42%)
Absence de Proportion-
nalisme (19%)
Proportion-nalisme
exemplaire (7%)
Proportion- nalisme
généralisé (33%)
Moyenne V de Cramer
Comment faudrait-il punir … une agression ayant gravement blessé la victime par rapport à une agression ayant légèrement blessé la victime ? (A)
86 39 67 96 79 .51**
Comment faudrait-il punir … un vol de 5'000 CHF par rapport à un vol de 500 CHF, dans un grand magasin ? (B)
56 15 38 83 56 .49**
Comment faudrait-il punir… un vol effectué pour s’enrichir par rapport à un vol effectué pour survivre ? (C)
100 75 27 95 90 .57**
Comment faudrait-il punir … un vol de 3000 CHF à une personne très modeste par rapport à un vol de 3000 CHF à une personne fortunée ? (D)
47 10 33 67 45 .41**
Comment faudrait-il punir … l'assassin de quatre jeunes femmes par rapport à l'assassin de deux jeunes femmes ? (E)
6 4 55 80 33 .75**
Comment faudrait-il punir … une personne qui blesse volontairement quelqu’un par rapport à celle qui blesse involontairement quelqu’un ? (F)
100 95 30 98 95 .68**
Comment faudrait-il punir … le meurtre d’une mère de trois enfants par rapport à celui d’une femme sans enfant ? (G)
3 3 42 71 27 .71**
Comment faudrait-il punir … un acte de vandalisme commis par une personne majeure par rapport à un acte de vandalisme commis par une personne mineure ? (H)
87 52 38 90 78 .43**
158
Le type le plus important - il représente 41% l'échantillon – propose une réponse à
coloration pragmatique et fait une nette différence entre les homicides (meurtre, assassinat) et
d'autres délits, considérés comme moins graves. Pour les premiers, il y a chaque fois un seul
tarif, égal. Nul besoin donc de prendre en considération les circonstances ou les conséquences
de l'acte. Pour les seconds par contre, une modulation est nécessaire dans le choix de la
peine : un vol commis pour s'enrichir sera par exemple puni plus sévèrement qu'un vol
effectué pour survivre; de même l'auteur d'une blessure grave par rapport à celui d'une
blessure légère. La spécificité du délit et son importance orientent le raisonnement face à la
peine.
Un deuxième type, – 20% - propose un raisonnement qui fait assez généralement
abstraction de toute notion de proportionnalité15. Pour ces personnes, c'est l'acte en tant que tel
qui doit être premier et seul pris en compte dans l'évaluation de la peine. A délit égal, peine
constante : l'acte délictueux est alors détaché, quant à l'évaluation de sa punition, du dispositif
qui l'accompagne.
Le troisième type, de taille beaucoup plus marginale puisqu'il ne regroupe que 8% des
répondants, se profile de manière opposée au premier type décrit, c'est un proportionnalisme
exemplaire. Pour ces répondants, l'égalité de traitement s'applique aux petits délits, qu'ils
touchent le patrimoine comme le vol ou l'intégrité physique comme les blessures. Par contre,
cette manière de raisonner accepte le proportionnalisme en ce qui concerne le meurtre ou
l'assassinat dont les circonstances doivent alors être étudiées dans le sens d'une inflexion de la
peine.
Le dernier type – 32% de l'échantillon – se situe entièrement du côté du
proportionnalisme. Il y a toujours, pour ces personnes, une modulation à apporter, toujours
des facteurs à considérer soit pour atténuer, soit pour aggraver la peine. L'acte ne peut pas être
détaché des circonstances qui l'entourent, ce sont ces dernières qui permettent une juste
attitude face à la peine.
L'analyse de l'association de ces types avec le positionnement social permet de relever
quelques tendances (voir annexe 1, tableau 8, pp. 224-226).
Le premier type (proportionnalisme pragmatique) est légèrement plus représenté chez les
personnes sans croyance religieuse, qui craignent moins que d'autres pour leur sécurité et ne 15 Seule la malignité de l'intentionnalité vient dans deux cas modérer cette manière quasi objective d'envisager la peine. Le vol commis pour s'enrichir ou la blessure causée volontairement sont tout de même punis plus sévèrement. Ce sont d'ailleurs les deux indicateurs qui recueillent le plus fort taux de proportionnalité (voir tableau 5.9).
159
considèrent pas que l'évolution de la criminalité est à la hausse. Favorables à la dépénalisation
des drogues douces, elles sont dotées de bons revenus.
Le deuxième type (absence de proportionnalisme) est plutôt présent chez les personnes
qui tendent à déplorer la perte des valeurs morales et à rejeter les explications psychologiques
ou sociales de la délinquance.
Le troisième type (proportionnalisme exemplaire), marginal quant au pourcentage de
l'échantillon qu'il représente, est également plus en marge du point de vue de son
positionnement social. Il est plutôt constitué de personnes peu dotées du point de vue de la
formation et enclines en ce qui concerne les finalités de la peine à rejeter la réinsertion pour
adhérer à des formes plus dures. Cette attitude vindicative est liée à un fort intérêt pour le
téléjournal et les émissions concernant la justice au détriment des problèmes internationaux
ou de société. Elle fait également état d'un certain pessimisme quant à l'évolution de la
délinquance et pense que les meurtres et la délinquance sexuelle représentent une activité
importante des tribunaux.
Le dernier type (proportionnalisme généralisé) se distingue des autres en ce sens qu'il est
plus présent parmi les personnes des tranches d'âge élevé et parmi les retraités. Ces personnes
se préoccupent des problèmes concernant la justice et apprécient les discussions sur la
chronique judiciaire.
Conclusion
Nous avons identifié dans ce chapitre les principaux éléments à même de préciser les
contours (et les volatilités) d’une «juste» adéquation entre un acte considéré comme
répréhensible et la sanction qui l’accompagne. La proximité entre auteur et victime, la nature
de la victime atteinte ou encore l’intention à la base de la commission de l’acte ont ainsi fait
l’objet d’analyses détaillées et ont permis de mettre en évidence leur portée dans un processus
de détermination de la peine.
C’est ainsi que l’effet de proximité entre auteur et victime joue un rôle certain en
favorisant des formes de réparation directe, notamment pour les délits peu graves. Ce souhait,
que l’on peut interpréter comme une volonté de maintien du lien social, tend à disparaître
quand la victime est davantage anonyme. La peine passe alors d’un registre interindividuel à
une dimension collective, dont les formes les plus courantes sont l’amende ou le travail
d’intérêt général. Ce constat ne fonctionne toutefois pas pour les délits graves et les crimes : la
réparation y est plus difficile, et la peine demeure essentiellement collective, par le biais de la
160
prison ferme. La nature de la victime (publique ou privée), bien que peu souvent considérée
comme un facteur déterminant, tend cependant à faire évoluer la peine selon des modalités
similaires à celles observées pour l’effet de proximité.
Certaines intentions à la base de l’acte semblent considérées comme justes et honorables,
d’autres sont indignes : les peines prioritairement retenues illustrent cette segmentation des
motifs qui président à la commission d’un acte. Nous retrouvons à nouveau, mais dans une
moindre mesure, cette bipolarité entre réparation et restitution à la collectivité.
Dans un second temps, les facteurs associés à la personnalité de l’accusé et de la victime
ont pu être distingués quant à leurs poids respectifs. La carrière criminelle, passée et probable,
reste l’axe central autour duquel s’articule la détermination de la peine. La prédominance des
facteurs individualisant l’accusé montre cependant une attention soutenue à l’égard de
facteurs subjectifs. Quant à la victime, et contrairement au sursaut en sa faveur observé ces
dernières années16, peu de personnes considèrent que ses caractéristiques doivent
systématiquement faire partie de ce processus de réflexion sur la juste peine.
Il s’agit maintenant, pour conclure ce chapitre, d’associer les typologies et échelles de
punitivité construites autour de la notion d’adéquation aux différentes tendances observées
dans les chapitres précédents. En d’autres termes, les questions suivantes se posent :
1) Quelles sont les relations entre les perceptions générales de la délinquance et les
différents niveaux de sévérité observés ?
2) Quelle est l’adéquation entre les perceptions des causes de la délinquance et les poids
accordés aux caractéristiques de la victime ou de l’accusé ?
3) Quelles sont les relations entre les finalités que l’on assigne à la peine et le degré de
sévérité attribué à cette dernière ?
Sévérité et sécurité
Comme on pouvait légitimement l'imaginer, le degré de punitivité évolue en fonction de
deux types de vécus personnels : le sentiment d’insécurité et les causes identifiées comme
responsables de la production de délinquance. L’intensité perçue de la menace sociale et
personnelle que constitue ce fait social nommé délinquance apparaît comme le principal
producteur de sévérité. Nous la retrouvons auprès de différents types idéaux, identifiant la
dérive des institutions, la déviance individuelle, et parfois l’anomie sociale comme vecteurs
de délinquance. La peine présente dans cette optique différentes fonctions, dont le point
commun est d’envisager l'amendement et la réinsertion du condamné comme non pertinentes.
161
La sévérité est aussi liée à d’autres facteurs, d’ordre socio-démographique, comme le faible
niveau scolaire, une gourmandise exacerbée à l’égard des faits divers de la presse écrite et des
émissions télévisuelles grand public «traitant» de la délinquance. Cette sévérité s’accompagne
d’une plus grande empathie à l’égard de la victime et, à l'inverse, d’une perception de l'accusé
essentiellement orientée vers sa carrière criminelle et sa dangerosité. La sévérité la plus forte
se retrouve aussi auprès de personnes qui retiennent comme facteurs très importants un
ensemble disparate de statuts sociaux, au sein duquel nous retrouvons sans surprise la
nationalité, mais aussi le niveau de pouvoir, ou encore – avec beaucoup plus d’étonnement –
le sexe. Envisagé sous une autre perspective, la sévérité semble corrélée avec certains
éléments qui peuvent certes être sans difficulté accolés à un accusé, mais qui appartiennent
davantage à un univers exogène à l’histoire propre de l’individu en question. Il y a donc ici,
présent et sous-jacent, un certain déterminisme qui s’applique à la peine : le statut – quel qu’il
soit – est important.
La fracture pénale, si l’on peut s’exprimer ainsi, se situe clairement dans le degré de
compréhension que l’on peut avoir à l’égard d’un comportement délictueux. Une
identification des causes de la délinquance comme issue des inégalités sociales, de l’excès de
richesses mal partagées, engendre une plus faible punitivité. Cette vision, issue du regard que
l’on porte sur le fonctionnement de la société, se retrouve auprès de types centrés sur l’anomie
morale et sociale comme sources de délinquance. La moralité et l'état de la société étant de
l’ordre de la responsabilité de chacun, on peut supposer que pour ces types, la faible punitivité
enregistrée constitue une volonté de se déculpabiliser à l’égard d’une délinquance que l’on
peut (ou veut) expliquer et parfois comprendre. Mis en regard avec les finalités souhaitables
de la peine, nous retrouvons – tendanciellement – comme étant moins punitif les répondants
qui estiment qu’une peine, quelle qu’elle soit, doit être sous-tendue par une vision positive,
que celle-ci s’exprime par le biais d’un multifonctionnalisme positif, d’une réinsertion ou
encore d’une restitution.
En conclusion intermédiaire, nous pouvons affirmer que le regard porté sur la juste
peine évolue d’une part en fonction de la menace personnelle et sociale ressentie, mais aussi
en fonction de la position de chacun sur une ligne partant d’une perspective endo-normée à
une perspective exo-normée.
16 C.- N. Robert, 1997.
162
Annexe au chapitre 5
La peine de mort en Suisse
La peine de mort était autrefois celle de presque tous les délits. La grande réforme de la
fin du XVIIIème siècle mit à sa place, au centre du système des peines, les peines privatives
de liberté. Depuis lors et jusqu’à son abolition, la peine de mort perdit encore du terrain. Non
seulement son application fut restreinte à un très petit nombre de délits (assassinat, parfois
aussi haute trahison) mais une série d’Etats l’avait déjà abolie : la Roumanie (dès 1864), le
Portugal (1867), les Pays-Bas (1870), l’Italie (1889), la Norvège (1902) et la Russie (à
plusieurs reprises, en dernier lieu en 1917).
En Suisse, la peine capitale avait déjà été abolie dans plusieurs cantons, à savoir Fribourg
(1848-1868), Neuchâtel (1864), Zurich (1869), Tessin (1871), Genève (1871), Bâle-Ville
(1872), Bâle-Campagne (1873) et Soleure (1874), lorsque la Constitution fédérale du 29 mai
1874 interdit, à son art. 65, la peine de mort. Puis, la révision remit en vigueur le système de
la Constitution de 1848, art. 54 : «la peine de mort est exclue seulement en matière de délits
politiques». Cette révision constitutionnelle fut acceptée par 13 cantons et 4 demi-cantons
contre 6 cantons et deux demi-cantons, et par 200 485 voix contre 181 588. Par la suite, la
peine capitale fut réintroduite, en 1880 dans les cantons d’Uri, Obwald et Appenzell-Rhodes
intérieures, en 1881 à Schwytz, en 1882 à Zoug et St Gall, en 1883 à Lucerne et en Valais, en
1893 à Schaffhouse et en 1894 à Fribourg. En 1910, elle existait dans 8 cantons et deux demi-
cantons qui comptaient au total 924 889 habitants, soit 24,56 % de la population totale en
Suisse.
Le fait que la peine de mort était restée abolie dans la grande majorité des cantons
interdisait, à lui seul, de prévoir la peine de mort dans le Code pénal suisse. D’autre part, les
exigences de la sécurité publique n’obligeaient pas le législateur à inscrire cette peine parmi
celles du projet. En effet, la sécurité publique n’avait nullement été compromise dans les
cantons qui n’avaient pas la peine capitale. Enfin, dans les cantons où la peine capitale existait
encore avant l’entrée en vigueur du Code pénal suisse, en 1942, son application était exposée
à tous les aléas du droit de grâce et ne pouvait être exécutée ni avec constance, ni avec justice.
A cela s’ajoutait la répugnance du jury à prendre la responsabilité d’une condamnation à mort.
163
Comme, dans certaines parties du pays, l’abolition de la peine de mort pouvait se heurter
à une vive résistance, le législateur pouvait être tenté de laisser aux cantons le soin de
résoudre le problème chacun pour son compte. Mais, sans parler des difficultés de technique
législative qui s’opposaient à ce qu’un seul et même projet de loi soit adapté à plusieurs
hypothèses, le législateur a dû s’incliner devant cette considération décisive, qu’une telle
solution nuirait à l’unification du droit promise par la Constitution fédérale17.
Ainsi, proscrite par l’art. 65 de la Constitution fédérale de 1874 pour les seuls crimes
politiques, la peine de mort a été abolie, pour tout crime commis en tant de paix, par le Code
pénal de 1937 entré en vigueur en 1942, tout en étant maintenue en temps de guerre ou de
danger imminent de guerre par le Code pénal militaire de 1927. Dans les années 1970 et 1980,
plusieurs tentatives ont échoué qui visaient soit à abolir la peine de mort dans le droit pénal
militaire soit à la réintroduire dans le droit pénal ordinaire. A l’occasion des travaux de
révision totale de la Constitution fédérale, l’abolition générale de la peine de mort en Suisse a
été introduite dans l’essai de modèle de constitution du 30 octobre 1985.
Suite à la ratification par la Suisse, en 1987, du Protocole n°6/1983 à la Convention
européenne des droits de l’homme, concernant l’abolition de la peine de mort, la Suisse était
dans l’obligation d’abolir la peine capitale de son ordre juridique interne. Ainsi, en date du 1er
septembre 1992, elle proscrit la peine capitale pour tous les crimes.
Depuis le 1er septembre 1992, la peine de mort est donc totalement abolie en Suisse.
Cette sanction a en effet été éliminée également du Code pénal militaire. Depuis son
élimination du Code pénal militaire, cette sanction ne peut plus être réintroduite par le seul
biais du droit de nécessité, que ce soit en temps de service actif, en cas de danger de guerre
imminent ou en temps de guerre. Selon le Conseil fédéral, qui avait fait sien un avis de droit
de la Direction du droit international public du 17 juin 1991 (JAAC 56 n° 64), cette
conclusion s’impose en vertu de l’art. 2 du Protocole additionnel n°6/1983 de la Convention
européenne des droits de l’homme, concernant l’abolition de la peine de mort, que la Suisse a
ratifié.
En adhérant au 2ème protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (1989), le Conseil fédéral a entendu prendre l’engagement
international d’abolir la peine de mort et de ne pas la réintroduire, non seulement sur le plan
européen mais aussi sur le plan universel18.
17 FF 1918, IV, pp. 13-15. 18 FF 1993 I, pp. 945-951.
164
Pour avoir une vision exacte de l’évolution de la peine de mort en Suisse, il ne suffit pas
d’examiner les dispositions légales en vigueur. Il est intéressant d’examiner depuis quelle date
la peine de mort n’a plus été appliquée dans les cantons.
Dernières condamnations à mort dans les cantons :
• 1817 : Unterwald (Nidwald) : Le 26 avril 1817, Franz Joseph Reesli fut condamné à mort pour cambriolage et mauvaise éducation d’enfant.
• 1819 : Bâle-Ville : Xaver Herrmann, Ferdinand Deissler et Jakob Föller furent condamnés
à mort pour plusieurs brigandages de nombreux cambriolages et vols ordinaires, pour avoir mis le feu à divers bâtiments officiels, même à un hôpital, et pour avoir tué le garde d’un village.
• 1832 : Fribourg : Le 6 octobre 1832, Hans Joseph Bäriswyl fut condamné à mort pour
avoir mis le feu à la maison de son frère. • 1834 : Neuchâtel : Le 27 juin 1834, Charles Frédérix Reymonda fut condamné à mort
pour avoir, en date du 16 mai 1833, avec son épouse, leur fils ainsi qu’Emilie Isoz noyé les époux de ces derniers. La Cour de justice les avait tous trois condamnés à la décapitation mais le roi de Prusse19 confirma uniquement la condamnation à mort du père Reymonda.
• 1836 : Glaris : Le 24 novembre 1836, Rudolph Michel fut condamné à mort pour
meurtre. • 1839 : Schwytz : En date du 4 mai 1839, le Tribunal criminel supérieur déclara
Hieronymus Kessler coupable de deux homicides au cours d’un brigandage avec préméditation et le condamna à mort.
• 1842 : Valais : En date du 28 février 1842, deux hommes et une femme furent exécutés
pour avoir tué le mari de cette dernière avec préméditation. En date du 13 mai 1869, une condamnation à mort fut à nouveau prononcée mais la grâce fut accordée.
• 1843 : Saint-Gall : Peter Wasser, sa femme Maria Anna Wasser, née Hardegger et Maria
Anne Lehnherr, née Wasser furent condamnés à mort, en date du 9 novembre 1843, pour meurtre. Les deux femmes obtinrent la grâce et subirent la prison à perpétuité. Peter Wasser fut décapité, en date du 20 novembre.
• 1846 : Unterwald (Obwald) : En date du 17 octobre 1846, Franz Burch-Amrhein et Josef
Anton Amrhein furent condamnés à mort pour avoir assassiné, en date du 7 juillet 1846, leur beau-père et père Eugen Amrhein.
19 Le roi de Prusse était souverain à Neuchâtel. Il avait accepté que Neuchâtel soit un canton suisse, étant donné les nombreux liens de ce canton avec la Suisse mais continua à régner sur ce territoire.
165
• 1847 : Schaffhouse : En date des 22-23 janvier 1847, Johann Schilling empoisonna sa femme avec de l’arsenic et avoua son acte en date du 20 mars. Le jugement de condamnation à mort fut prononcé, en date du 14 juillet et exécuté en date du 23 juillet.
• 1847 : Grisons : En date du 30 octobre 1847, Jakob Condrau Spescha fut condamné à
mort pour avoir, dans la soirée du 1er juillet 1847, assassiné son amante, enceinte de lui et volé sa montre ainsi que deux florins.
• 1847 : Zoug : Jost Schanz fut condamné à mort pour incendie intentionnel. En date du 1er
décembre 1866, Xaver Andermatt von Baar fut également condamné à mort par le Tribunal criminel pour plusieurs incendies intentionnels, mais le Tribunal supérieur prononça la prison à perpétuité.
• 1849 : Appenzell Rhodes Intérieures : La dernière condamnation à mort eut lieu en
1849 pour meurtre avec préméditation. • 1851 : Bâle Campagne : En date du 15 octobre 1851, Hyazint Bayer, âgé de 29 ans, fut
condamné à mort pour homicide au cours de brigandage. • 1854 : Thurgovie : En date du 29 novembre 1854, Jakob Hungerbühler fut condamné à
mort pour meurtre, lésions corporelles et vol. • 1855 : Soleure : En date du 12 février 1855, Urs Josef Schenker, âgé de vingt huit ans, fut
condamné à mort pour parricide. • 1857 : Tessin : En date du 6 mai 1857, Bernardo Bernasconi fut condamné à mort pour
meurtre mais le jour de l’exécution ne ressort pas du jugement. • 1861 : Uri : La dernière exécution eut lieu en date du 12 juin 1861. Elle fut appliquée à
Kaspar Zurflüh pour le meurtre de sa fiancée enceinte. • 1861 : Berne : En date du 30 août 1861, Johann Kläntschi, trente-deux ans, fut condamné
à mort pour meurtre et fut exécuté, en date du 9 décembre 1861 à Berne. En date du 7 juin 1861, une exécution eut lieu à Bürren pour meurtre. En date du 7 septembre 1861, 6 personnes furent exécutées pour homicide au cours de brigandage. En date du 23 mars 1874, Rudolph Meier, né en 1846, fut condamné à mort pour meurtre et tentative de meurtre. Meier interjeta un pourvoi en cassation qui fut rejeté, en date du 29 août. La condamnation à mort ne fut pas mise à exécution, car la Constitution fédérale entra en vigueur en date du 29 mai 1874, qui interdisait la peine de mort.
• 1862 : Genève : En date du 26 mars 1862, Maurice Eley, 20 ans, fut condamné à mort
pour meurtre suivi de vol et fut exécuté, en date du 24 avril 1862. En date du 10 juillet 1867, Marie Calpini, née Coda Canatti, 28 ans, fut condamnée à mort, mais la peine fut convertie en prison à perpétuité.
• 1862 : Appenzell Rhodes Extérieurs : En date du 1er juillet 1862, Joh. Ulrich Schläpfer
fut guillotiné pour homicide au cours d’un brigandage.
166
• 1863 : Aarau : Joseph Jakob Felber, né en 1836, fut condamné à mort le 5 novembre et exécuté le 27 novembre 1863 pour avoir tué son compagnon Johann Huber avec préméditation.
• 1865 : Zurich : En date du 29 avril 1865, Heinrich Götti, 37 ans, fut condamné à mort
pour avoir tué son enfant. L’exécution eut lieu en date du 10 mai 1865. • 1867 : Lucerne : En date du 1er juillet 1867, Niklaus Emmenegger fut condamné à mort
pour homicide au cours d’un brigandage. L’exécution eut lieu le 6 juillet 1867. • 1868 : Vaud : Héli Fraymon, ouvrier agricole, âgé de 25 ans, empoisonna sa jeune femme
avec de l’arsenic et essaya, après sa mort, d’empoisonner le fiancé de sa belle-sœur pour épouser cette dernière. Le jugement de condamnation fut exécuté, en date du 10 janvier 1868, à Moudon.
Depuis le 10 janvier 1868, la peine de mort n’a plus été appliquée en Suisse. Même les
cantons qui ont réintroduit la peine capitale ne l’ont pas utilisée suite à la commissionm de
très graves infractions.
Le canton de Lucerne est un bon exemple de l’inapplication de la peine de mort. En effet,
depuis la réentrée en vigueur de la peine de mort en en 1883, le Tribunal de Lucerne prononça
quatre condamnations à mort. Or, à deux reprises le jugement fut cassé par le Tribunal
supérieur et à deux reprises les condamnés obtinrent la grâce du Grand Conseil.
Ainsi, l’inapplication de la peine de mort dans les cas graves conduisit à sa suppression.
(Stooss, 1892-1893)
167
Addendum - Les représentations sociales de la sanction pénale, p. 166
RECTIFICATIF SUR LA PEINE DE MORT EN SUISSE Les dernières condamnations à mort et exécutions, après la révision de la Constitution de 1879 réintroduisant la peine de mort, sont les suivantes : • 1894 Schwytz : Dominik Abegg fut condamné à mort, en date du 17 mai 1864, pour le
meurtre de sa fille. Il fut exécuté le 25 mai 1894. • 1902 Fribourg : Etienne Chatton fut condamné à mort, en date du 22 janvier 1902, pour
avoir tué sa cousine, âgée de 16 ans, parce qu’elle l’avait aperçu en train de commettre un vol. Il fut condamné à mort, le 1er août 1902.
• 1915 Lucerne : En date du 20 janvier 1915, Anselm Wutschert fut exécuté. • 1924 Uri : En date du 29 octobre 1924, fut exécuté le brigand Clemens Bernet. • 1938 Saint-Gall : En date du 30 avril 1938, le Tribunal cantonal du canton de Saint-Gall
condamna Paul Irniger à mort pour avoir commis un assassinat avec vol. Toutefois, Paul Irniger fut gracié en date du 11 mai 1938.
• 1939 Zoug : En date du 15 juillet 1939, Paul Irniger fut condamné à mort pour un autre
meurtre. Il fut exécuté le 25 août 1939. • 1940 Obwald : La dernière exécution en Suisse, selon le droit pénal commun, eut lieu
dans le canton d’Obwald. Hans Vollenweider fut condamné à mort, en date du 20 septembre 1940, et fut exécuté le 18 octobre 1940.20
Depuis 1940, il n’y eut plus de condamnation à mort selon le droit pénal commun. Mais, depuis cette date, il y eut encore dix-sept condamnations à mort pour trahison à la patrie, sur la base du code pénal militaire. La première eut lieu dans la nuit du 9 au 10 décembre 1942.21 Genève, 18.12.2001
20 Stefan Suter (1997), Guillotine oder Zuchthaus ? Die Abschaffung der Todesstrafe in der Schweiz, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, p. 50-52 et 63-71. 21 Nicolas Meienberg (1977), L’exécution du traître à la patrie Ernst S. in Reportages en Suisse, Editions Zoé, p. 15.