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Charley Davidson T4 - Quatrième Tombe au Fond - …ekladata.com/gMD_tMQyq8I3kIZBmguW-eQEJ0E/Charley... · spirituel, et les personnes mortes susmentionnées pouvaient me voir de

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DaryndaJones

Quatrièmetombeaufond

CharleyDavidson-4VOUSSAVEZ,CESMAUVAISESCHOSESQUIARRIVENTAUXGENSBIEN?C'ESTMOI.

Etre Faucheuse, c'est glauque. Et détective privée, dangereux.On peut dire que je cumule.C'estpour ça que j'ai décidé de prendre un peu de temps pour moi. Rien de tel que passer quelquescommandesautélé-achatpourreprendredupoildelabête.JenecomprendspaspourquoiCookieenfait toutunplat !Cen'estpascommesionmanquaitd'argent :ReyesFarrow, le trèschaudfilsdeSatan,m'endoitplein.Celadit,pourluidemanderderéglersadette,ilfaudraitquejesortedechezmoi... Mais avec un pyromane qui met le feu, littéralement, à Albuquerque, et cette femme qui abesoindemesservicesparcequ'onchercheàl'assassiner,jepréféreraisresterenpyjama.

Scan,OCRetMEPByAthameRelectureByElyzabethaa

Dumêmeauteur,chezMilady:

CharleyDavidson:1.Premièretombesurladroite2.Deuxièmetombesurlagauche3.Troisièmetombetoutdroit4.Quatrièmetombeaufond

www.milady.frTraduitdel'anglais(États-Unis)parIsabelleVadori

MiladyestunlabeldeséditionsBragelonneTitreoriginal:FourthGraveBeneathmyFeetCopyright©2012byDaryndaJones

©Bragelonne2013,pourlaprésentetraductionISBN:978-2-8112-0913-1

Bragelonne-Milady60-62,rued'Hauteville-75010ParisE-mail:[email protected]:www.milady.fr

PourQuentin,maquereau à temps partiel, ninja à plein-temps, qui, même à son âge, dit toujours des trucs

comme:«Merci,LapindePâques!Bokbok!»

RemerciementsCelivredoittoutuntasdechosesàtoutuntasdegens,parmilesquelsmonextraordinaireagent,

AlexandraMachinist,etmonincroyableéditrice,JenniferEnderlin.Merciinfiniment,lesfilles!Vousêtestouteslesdeuxfascinantes,etjesuispersuadéequechacunedevousmèneuneexistencesecrètedesuper-héros.

MerciàtouteslespersonnesdechezMacmillanAudio,avecuncriducœurspécialpourl'adorableLoreleiKing,quiainsufflédelavieàmespersonnages.Littéralement.Enparlantdeça,merciàtoutlemondechezSt.Martin'sPress,MacmillanetJanklow&NesbitAssociates.UnmercitoutspécialàJacquelynFranketNatalie Justicepouravoir trouvéunnomàce livrependantqu'onattendaitunenavette, épuiséeset rompuesaprès trois joursdeconférencesdurant lesquels lapétillanteNatalieadomptéuntaureaumécaniqueetoùJackim'aconquiselorsd'untournoi interditauxmoinsdedix-huitans.Vousêtesgéniales.

MerciinfinimentàMaryJo,MaryEllenetBettepourlesconsultationsetlesconseilssurlestresspost-traumatique.Vousavezfaitplusquej'auraisjamaisoséespérer,surtoutentenantcomptedufaitquejen'avaisquetroispetitsjourspourrendrelelivre.Jevoussuistellementreconnaissante.MerciàDanielle«DanDan»Swopespourlesséancesderemue-méninges,etcemêmequandtesméningesétaientpresqueaussiramolliesquelesmiennes,etàtamerveilleusefamille,quejeconsidèrecommelamienne.Etmercià toutemavraiefamille-vousvousreconnaîtrez-pourvotresoutienetvotrecompréhensionquandjemanquelesvacanceset lesanniversairesaunomdemesactivitésd'auteur.Dèsque j'aurai rendumonprochain roman,onvadéfinitivement se faireunbarbecue.UnénormemerciàCaitAllisonpouravoirlucelivrelorsdesestoutpremierspas,aussidifficilequeçaaitpuêtre,afindemedonnerunretour.Jel'apprécieplusquetunelesaurasjamais.

Et,malheureusement,jedoisavouerquetroisdesmeilleuresphrasesdecelivreneviennentpasdemon propre esprit tordu... euh, de mon imagination fertile, mais des lumières et rêveries parfoisinquiétantesdeJonathan«Doc»WilsonetQuentin«Q»Eakins.Lesgars,vousêtesunhors-d'œuvredefolie:drôleetbonpourladigestion.

Et,plusquetout,merciàvous,trèscherslecteurs,pouravoirfaitdetousmesrêvesuneréalité.Oudelaplupartd'entreeux,entoutcas.Ilm'enresteundanslequeljesuisnuedansunaéroportet...non,vousavezraison.Mieuxvautquejelaisselesprofessionnelss'encharger.Quoiqu'ilensoit,merciinfiniment!J'espèrequevousprendrezautantdeplaisiràlirecelivrequej'enaieuàl'écrire.

ChapitrepremierIln'yaquedeuxchosesinévitablesdanslavie.Devinezlaquellejesuis.

CharleyDavidson,FaucheuseJ'étais assise sur le canapé à regarder le téléshopping avec ma défunte tante Lillian, et je me

demandais àquoimavie aurait ressemblé si jenevenaispasdem'enfilerunbac entierdeBen&Jerry's Chocolaté Therapy suivi d'un mocha latte pour faire descendre le tout. Elle n'auraitcertainementpasététrèsdifférente,maisc'étaitunepenséequiméritaitréflexion.

Unsoleildemilieudematinéefiltraità travers lesstoresetprojetaitde longues lignessombressurmoncorps,medonnantunstyletrèsfilmnoir.Danslamesureoùmavieavaitdéfinitivementprisuntournantpoursedirigerverslecôtéobscur,lesfilmsnoirs,c'étaitdansleton.Maisl'effetauraitétéencoreplusréussisijen'avaispasétévêtued'unbasdepyjamaStarWarsetd'untopàpaillettesquiproclamaitfièrementque«LesTerriennessontdesfillesfaciles.»Maisjen'avaisvraimentpasl'énergied'allerenfilerquelquechosedemoinsinappropriécematin-là.Jesouffraisdeproblèmesdeléthargie depuis quelques semaines à présent.Et j'étais soudainement devenue un poil agoraphobe.Toutçadepuisqu'unhommedunomd'EarlWalkerm'avaittorturée.Çacraignaitunmax.

Latorture.Passonnom.Monnom,enrevanche,étaitCharlotteDavidson,maislaplupartdesgensm'appelaientCharley.—Est-cequejepeuxteparler,monpetitpotironensucre?Oupotironensucre,undesnombreuxsurnomsfaisantréférenceauxfruitsetlégumesautomnaux

que tante Lillian s'évertuait à me donner. Tante Lil était morte dans les années 1960, et j'étais enmesuredelavoirparcequej'étaisnéeFaucheuse,cequisignifiaitessentiellementtroischoses:deun, je pouvais interagir avec lesmorts - ces défunts qui n'avaient pas traversé aumoment de leurdécès-etjelefaisaisengénéraltouslesjours.Dedeux,j'étaissuperbrillantepourceuxduroyaumespirituel,etlespersonnesmortessusmentionnéespouvaientmevoirden'importeoùdanslemonde.Quandilsétaientprêtsàpasserdel'autrecôté,ilspouvaientlefaireàtraversmoi.Cequim'amenaitau point trois : j'étais un portail qui menait du plan terrestre jusqu'à ce que la plupart des gensappellentleparadis.

Ilyavaitunpetitpeuplusqueça-etçacomprenaitdeschosesqu'ilmefallaitencoredécouvrir-,maisc'était l'essentieldemon travail journalier.Celuipour lequel jen'étaispaspayée. J'étaisaussidétectiveprivée,maiscejob-lànecouvraitpaslesfacturesnonplus.Pasdernièrement,entoutcas.

Jefisroulermatêtesurledossierducanapéjusqu'àcequejevoietanteLil,quiétaitenvéritéunegrand-tante du côté demonpère.Elle était fine et d'un certain âge, avec de douxyeuxgris et unechevelurelégèrementbleutée,etelleétaitvêtuecommeàl'accoutumée,puisquelesdéfuntschangentrarement d'habits : son sempiternel gilet en cuir recouvrait une robe hawaiienne à fleurs,qu'accompagnaituncollierdeperlesmulticolores,letoutformantuntémoignagedesondécèsdanslesannées1960.Elleavaitégalementunsourireaimant,mêmes'ilétaitquandmêmeuntoutpetitpeueffrayant. Mais ça ne me faisait que l'aimer davantage. J'avais vraiment un faible pour les genscinglés.Jenesavaispastropcommentsalargerobetenaitenplace,vucommeelleétaitminuscule.Seshanchesressemblaientàunpoteauautourduquelunetenteseseraiteffondrée.Maisquiétais-jepourporterunjugement?

—Tupeuxtoujoursmeparler,tanteLil.

J'essayai de me redresser, mais je me rendis vite compte que n'importe quel mouvement medemanderaituneffort.J'avaisétéassisesuruncanapéouunautredurantlesdeuxderniersmois,àmeremettre de cette histoire de torture. Puis, jeme souvins que la poêle que j'avais attendue toute lamatinéeseraitleprochainarticleàêtreprésenté.TanteLilcomprendraitcertainement.Avantqu'ellepuissedirequoiquecesoit,jelevaiundoigtpourlamettresurpause.

—Maisest-cequeçapeutattendrequelapoêleavecrevêtementenpierresoitpassée?Çafaitunmomentquejem'yintéresse.Elleaunrevêtement.Enpierre.

—Tunecuisinespas.Ellen'avaitpastort.—Alors,qu'est-cequ'ilya?Jeposaimesplusbellespantouflesenformede lapinsur la tablebasseetcroisai les jambesau

niveaudeschevilles.—Jenesaispastropcommentt'annoncerça.Ellearrêtaderespireretellepenchalatête.Celam'inquiétatantquejemeredressaimalgrél'effortquejedusfournir.—TanteLil?Ellerelevatristementlementon.—Je...Jecroisquejesuismorte.Jeclignaidesyeux.Ladévisageaiquelquesinstants.Puisclignaidesyeuxànouveau.—Jesais.Elle se moucha délicatement dans l'immense manche de sa robe hawaiienne, et les perles

s'entrechoquèrent sans émettre le moindre son. Les objets inanimés étaient entourés d'un silenceterrifiant.Commelesmimes.OucecriquepousseAlPacinodansleParrainIIIquandsafillemeurtsurcesmarches.

—Jesais,jesais,répéta-t-elleenmetapotantaffectueusementl'épaule.Cen'estpasunenouvellefacileàavaler.

TanteLillianétaitmortebienavantque je soisnée,mais jenesavaispasdu tout sielleétaitaucourant.Beaucoupdedéfuntsl'ignoraient.Acausedecedoute,jenel'avaisjamaismentionné.Durantdes années, je lui avais laissé me préparer du café invisible, ou me cuisiner des œufs tout aussiinvisibles.Ensuite,elles'enallaitversd'autresaventures.TanteLilcontinuaitàfairelesquatrecentscoups.C'étaitunevraieglobe-trotteuse.Etellerestaitrarementaumêmeendroittrèslongtemps.Cequiétaitunebonnechose.Autrement, jen'aurais jamaisdroitàduvraicafé lematin.Ni lesdouzeautresfoisdanslajournéeoùj'avaisbesoind'unedose.Sielleétaitdanslesparagesplussouvent,jeseraisensevragedecaféinedemanièrerégulière.Etj'auraisdeméchantesmigraines.

Maispeut-êtreque,maintenantqu'elleétaitaucourant,jepourraisluiexpliquerpourlecafé.J'étaisassezcurieusequantauxraisonsdesamortpourluidemander:—Est-cequetusaiscommenttuesmorte?Qu'est-cequis'estpassé?Selon ma famille, elle avait rendu son dernier souffle dans une communauté hippie à Madrid

durantlesbeauxjoursduflowerpower.Avantça,elleavaitréellementparcourulemonde,passantsesétésenAmériqueduSudetenEuropeetseshiversenAfriqueetenAustralie.Etelleavaitperpétuécettetraditionmêmeaprèssamort,envoyageantàtraverslemonde.Plusbesoindepasseport.Maispersonnen'avaitvraimentpumedirecommentelleétaitmorte.Oucequ'ellefaisaitdanslavie.Nicomment elle pouvait se permettre tous ces déplacements de son vivant. Je savais qu'elle avait étémariéependantquelque temps,maisma famillenesavaitpasgrand-chosedesonmari.Mononclepensait qu'il s'agissait peut-être d'un magnat du pétrole texan, mais ils avaient perdu contact, etpersonnenesavaitaveccertitude.

— Je n'en suis pas sûre, dit-elle en secouant la tête. Jeme souviens que nous étions tous assisautourd'unfeudecamp,àchanteretàprendreduLSD...

Jedusfaireungroseffortpourempêcherl'horreurquejeressentisd'envahirmonvisage.—...etBerniem'ademandécequin'allaitpasmais,commeBernievenaitd'avalerunedoselui-

même,jenel'aipasprisausérieux.Jepouvaiscomprendreça.Ellerelevalatêtedansmadirection,sesyeuxs'humidifiantdetristesse.—Peut-êtrequej'auraisdûl'écouter.Jeplaçaiunbrasautourdesesfrêlesépaules.—Jesuissincèrementdésolée,tanteLil.—Jesais,mapetitecitrouilleenchocolat.Ellemetapotalajoueavectendresse,samainfraîcheenraisondel'absencedechairetdesang.

Puisellemegratifiadesonénormesourire,et jemedemandaisoudainsiellen'avaitpasprisunedosedetrop.

—Jemesouviensdujouroùtuesnée.Jeclignaiànouveaudesyeux,surprise.—Vraiment?Tuétaislà?—J'étaislà.Jesuistellementdésoléepourtamère.Moncœurseserradouloureusementtandisqueleregretm'envahissait.Jenem'yattendaispas,etil

mefallutunmomentpourrécupérer.—Je...Moiaussi,jesuisdésolée.Le décès de ma mère, juste après ma naissance, n'était pas mon souvenir préféré. Et je m'en

souvenais si clairement, si précisément.Aumoment où elle s'était détachée de son corps, un bruitsemblableàceluid'unélastiquequi romptavait résonnédans toutmonêtre,et j'avaiscomprisquenotreconnexionavaitétébrisée.Jel'aimais,mêmeàcetinstant.

—Tuétaissispéciale,fittanteLilensecouantlatêteaurythmedesespensées.Maismaintenantquetusaistout,ilfautquejetedemande.Partouslessaints,pourquoies-tusibrillante?

Merde.Jenepouvaispasluiavouerlavérité,àsavoirquej'étaislaFaucheuseetquelalumièredesprojecteurs faisait partiedu spectacle.Ellepensait que j'étais spéciale, pas sinistre.Mais ça sonnaittellementmalquandjeledisaisàhautevoix.Jedécidaidecontournerleproblème.

—Ehbien,c'estuneassezlonguehistoire,tanteLil.Maissitulesouhaites,tupeuxmetraverser.Tupeuxpasserdel'autrecôtépourêtreavectafamille.

Je baissai la tête, espérant qu'elle n'accepterait pas ma proposition. J'aimais l'avoir dans lesparages,mêmesiçafaisaitdemoiuneégoïste.

—Tuplaisantes?demanda-t-elleenponctuantsaquestiond'uneclaquesurundesesgenoux.Etmanquertouslesennuisdanslesquelstutefourres?Jamais.

Aprèsungloussementinquiétantquimerappelaétrangementledernierfilmd'horreurquej'avaisvu,elleseretournaendirectiondelatélé.

—Bon,alors,qu'est-cequecettepoêleadesigénial?Jeme réinstallai à côté d'elle et nous regardâmes une partie entière de l'émission dédiée à des

poêlesquipouvaientsupporterlespiressévices,ycomprisunetripotéedepierresglissantsurleurfondantiadhésif.Dans lamesureoù lesgensnecuisinaientpasvraimentdecailloux, jen'étaispassûredecomprendrepourquoiilsmontraientça.Mais,quandmême,cespoêlesétaientvraimentjolies.Etonpouvaitréglerparpetitspaiementsmensuels.J'avaisdéfinitivementbesoindecespoêles.

J'étais au téléphone avec un charmant représentant du service clients nommé Herman lorsqueCookiedébarquaàl'improviste.Ellelefaisaitsouvent.Débarqueràl'improviste.Commesielleétaitchezelle.Biensûr,j'étaisdanssonappartement.Lemienétaitencombréetdéprimant,alorsjem'étaisrésolueàtraînerdanslesien.

Cookieavaitunecarrureassezimposanteetdescheveuxnoirscoiffésenpicsquipartaientdanstous les sens, et elle n'avait absolument aucun respect pour lamode, si on en jugeait à l'ensemblejaunequ'elleportait.C'étaitaussimameilleureamie,etmaréceptionniste,quandonavaitdutravail.

Jeluifissignedelamain,puisparlaidanslecombiné.—Refusée?Qu'est-cequevousentendezparrefusée?J'aiaumoins12dollarssurcetamour,et

vousavezditquejepouvaisréglerparpaiementsmensuelspeuélevés.Cookie se pencha par-dessus le canapé, attrapa le téléphone et raccrocha tout en ignorant les

grimacesindignéesquejeluiadressais.—Ellen'estpasvraimentrefusée,annonça-t-elleenmerendantl'appareil.Elleaétérésiliée.Ellesesaisitensuitedelatélécommandeetzappasurunechaînequidiffusaitdesinformations.—Jemesuisassuréequetunepourraispluseffectueraucunedépenseàl'aidedetacarted'accro

aushoppingàdomicile.—Quoi?Jecaressail'idéed'entrerdansunecolèrenoireetdeluimontreràquelpointellem'avaitfroissée,

maisjen'étaispasassezenformepourça.Et,àdirevrai,j'étaisplutôtimpressionnée.—Tupeuxfaireça?Leprésentateurétaitentraindeparlerdelarécentevaguedecambriolagesdebanques.Ildiffusa

les images des caméras de surveillance qui montraient l'équipe de quatre hommes qu'on avaitsurnommés les Gentlemen Cambrioleurs. Ils avaient toujours des masques en caoutchouc sur levisageetdesarmesàleursceintures,maisilsnelessortaientjamais.Ilsnel'avaientpasfaituneseulefoisdansleursériedehuitcambriolages,d'oùleursurnom.

J'étaisentraind'étudier leurscarrures,quimesemblaientétrangementfamilières,quandCookies'emparademonpoignetetmeforçaàmeleverdesoncanapé.

—Oui,jepeux,répondit-elletandisqu'ellemepoussaitendirectiondelaporte.—Comment?—C'estfacile.J'aiappelé,etjeleuraiditquej'étaistoi.—Etilssonttombésdanslepanneau?demandai-je,officiellementscandaliséeàprésent.Àquias-

tuparlé?Est-cequec'étaitHerman?Parcequ'ila l'airsupermignon.Attends.(Jem'arrêtaidevantelleenpoussantdepetitscris.)Est-cequetumemetsàlaporte?

—Jenetemetspasvraimentàlaporte,jedisstop.Ilesttemps.—Ilesttemps?répétai-je,unpeuhésitante.—Ilesttemps.Ehben,merde.Çaallaitêtreunejournéepourrie,j'enétaiscertaine.—J'adoretonensemblejaune,luidis-je,laissantlamesquinerieprendreledessusàmesurequ'elle

mepoussaitendirectiondemonappartement.Ilnetefaitpasdutoutressembleràunebananegéante.Etpuispourquoituasrésiliémacartedetéléshoppingpréférée?Jen'enaiquetrois.

— Je les ai toutes résiliées. Il faut bien que jem'assure d'être payée chaque semaine. J'ai aussirassemblétouslesfondsrestantsdetescomptesbancairessuruncomptesecretauxCaïmans.

—Tusaisfairetransiterdel'argent?—Ondirait.—C'estpasdudétournementdefonds,ça?—Si,exactement.Aprèsm'avoirpratiquementjetéedansmonappartement,ellerefermalaporteetpointadudoigt.—J'aimeraisqueturegardesattentivementtoutesceschoses.Il fallait bien reconnaître que mon appartement était véritablement en pagaille, mais je ne

comprenaistoujourspascequemacartedecréditvenaitfairelà-dedans.C'étaituninstrument.Entredebonnesmains-comme,disons,lesmiennes-,ellepouvaitréaliserdesrêves.Jejetaiuncoupd'œilàtouteslesboîtesrempliesdestrucsextracoolquej'avaiscommandés.Ilyavaitdetout,del'épongeàrécurermagiquepourlaménagèreàlaradiodecommunicationquiseraittrèsutileaumomentdel'apocalypse,lorsquelestéléphonescellulairesdeviendraientobsolètes.Lescartonss'alignaientpourformerunmur,seterminantenuneénormemontagnedeproduitssuperflusdansunezonespécifiquedelapièce.Commemonappartementfaisaitàpeuprèslatailled'unLego,l'espaceinfimequirestait

ressemblait à unLego cassé.Unqui serait défiguré, parcequ'il n'avait pas survécu à l'invasiondepetitsLegosextraterrestres.

Etilyavaitplusdeboîtesderrièrelemurqu'onnepouvaitenvoir.J'avaiscomplètementperduM.Wong.C'étaitletypemortquivivaitdanslecoindemonsalon,flottantperpétuellement,ledostournéau monde. Sans jamais bouger. Sans jamais parler. Et à présent il avait disparu à cause de lasurconsommation.Lepauvre.Savienedevaitpasêtretrèspalpitante.

Biensûr,lefaitquej'avaisdéménagédemesbureauxetrapportétousmesdossiersetéquipementsdansmonappartementn'aidaitpas.Dansmacuisine,enfait,cequilarendaittotalementinutilepourautrechosequedustockagedefichiers.Maisçaavaitétéundéménagementnécessaire,puisquemonpèrem'avaittrahiedelapiremanièrequisoit-ilm'avaitfaitarrêteralorsquej'étaiscouchéedansunlitd'hôpitalaprèsavoirététorturéeparunfou-,etquemesbureauxsetrouvaientau-dessusdesonbar.Jedevaisencoredécouvrircequiavaitbienpuarriveràmonpèrepourqu'ilmefassearrêterd'une façon aussi barbare et douloureuse. Il voulait que je quitte le business,mais il allait devoiraméliorersontimingetsamanièredeprocéder.

Malheureusement,lebarnesesituaitqu'àunequinzainedemètresaunorddubâtimentdanslequelse trouvaitmonappartement, donc il faudrait que je l'évitequand je sortiraisou rentreraisdemesnouvellesmissions.Mais,danslamesureoùjen'avaispasvraimentmisunpieddehorsdepuisplusdedeuxmois,cetteparties'étaitrévéléeplutôtfacile.Ladernièrefoisquej'étaissortie,c'étaitpourlibérermesbureaux,etjem'étaisassuréequ'iln'étaitpasenvillelorsquejel'avaisfait.

Jepassaitouslescartonsenrevueetdécidaid'échangerlesrôlesavecCookie.Dejouerlavictime.Detoutluimettresurledos.JepointaiunElectroluxdudoigtetlaregardai,bouchebée.

—Quiaeulamauvaiseidéedemelaissersanssurveillance?Toutçaesttafaute.—Bienessayé,fit-elle,pasémuelemoinsdumonde.Nousallonstriertoutescesaffairesettout

renvoyer,saufcequetuutiliserasréellement.Cequiveutdirepasgrand-chose.Commejel'aidéjàexpliqué,j'aimeraisbienpouvoircontinueràrecevoirmapaie,sicen'estpastropdemander.

—Est-cequetuprendsl'AmericanExpress?—Oh,j'aiaussifaitannulercelle-là.J'ouvris la bouche en grand, feignant d'être scandalisée. Les épaules bien droites, Cookie me

conduisitjusqu'àmonproprecanapé,enretiralescartons,lesarrangeaausommetd'autrescartons,puiss'assitàcôtédemoi.Ellemeregardaitavectellementdechaleuretdecompréhensionquej'enfusaussitôtmalàl'aise.

—Est-cequ'onestsurlepointd'avoirànouveaulaConversation?—J'enaibienpeur.—Cook...(Jetentaidemeleverpourpartirencourant,maiselleposaunemainsurmonépaule

pourm'enempêcher.)Jenesaispasvraimentcomment tedired'unemanièredifférenteque jevaisbien.

Quand elle posa les yeux surMargaret, qui était confortablement installée dans le holster àmahanche,mavoixpritdesaccentsdéfensifs.

—Quoi?Beaucoupdedétectivesprivésportentunearme.—Quandilssontenpyjama?Jeronchonnai.—Oui. Surtout si ce sont des pyjamas StarWars et que ton flingue ressemble justement à un

blaster.Margaretétaitmanouvellemeilleureamie.Etellen'avaitjamaisfaittransiterd'argenthorsdemon

compteenbanquecommecertainesautresmeilleuresamiesdontilnefallaitpasprononcerlenom.—Charley,toutcequejedemande,c'estquetuparlesàtasœur.—Jeluiparletouslesjours.Jecroisailesbras.Soudain,toutlemondeinsistaitpourquejedemandedel'aidealorsquej'allais

bien.Qu'est-cequeçapouvaitleurfairesijen'avaispasenviedesortirdemonimmeuble?Beaucoupdepersonnesaimaientresterchezelles.Pendantplusieursmoisd'affilée.

—Oui,elleappelleetessaiedeparleravectoidecequis'estpassé,decommenttutesens,maistunelalaissespast'aider.

—Cen'estpasvrai.Jechangejustedesujet.Cookieselevaetnousfitàtouteslesdeuxunetassedecafépendantquejemecomplaisaisdans

toutelabeautédudéni.Aprèsm'êtrerenducomptequej'aimaisledéniautantquelesmochalatte,jeprislatassequ'ellemetendaitetbusunegorgéetandisqu'elles'installaitànouveauàcôtédemoi.Jefermailesyeuxtoutensavourantlebreuvage.SoncaféétaittellementmeilleurqueceluidetanteLil.

— Gemma pense que tu as peut-être besoin d'un passe-temps, dit-elle en observant les boîtespartoutautour.Unpasse-tempssain.CommelaméthodePilate.Ouducatchsuralligator.

—Jesais,répondis-jeenmepenchantenarrièreetenlevantunbraspourmecouvrirlevisage.J'aisongéàécriremesMémoires,maisjen'arrivepasàtrouverunmoyend'incluredelamusiquedefilmpornodesannées1970parécrit.

—Tuvois,fit-elleenmedonnantunpetitcoupd'épaule.Écrire.C'estunbondébut.Tupourraisessayerlapoésie.

Elleselevaetfouillamonbureaurecouvertdecartons.—Voilà, dit-elle enme tendant une feuille. Écris un poème qui explique comment se passe ta

journéependantquejecommenceàm'occuperdecesboîtes.Jeposailatassedecaféetmeredressai.—Pourdevrai ?Est-ceque jenepourraispas justeécrireunpoèmeàproposdemasuprême

dominationdumonde,ousurlesbienfaitsduguacamolesurlasanté?Elle semit sur la pointe des pieds pour pouvoirme regarder de derrière un desmurs les plus

impressionnants.—Tuasachetédeuxautocuiseursélectriques?Deux?—Ilsétaientsoldés.—Charley,me réprimanda-t-elle.Attends. (Elle sebaissapuis se redressad'uncoup.)Ces trucs

sontgéniaux.(Jelesavais)Est-cequejepeuxenavoirun?—Tul'asdit,bouffi!Jeleretiendraijustesurtapaie.Ça pouvait fonctionner. Je pouvais la payer grâce à mes achats téléshopping, même si ça ne

l'aideraitprobablementpasàconserver l'électricitéouàavoirde l'eaudans ses robinets.Maiselleseraitheureuse,etlebonheurn'était-ilpaslachoselaplusimportantedanslavie?Jedevraisécrireunpoèmeàcesujet.

—Tuterendscompteque,pourutilisern'importelequeldecestrucs,ilfautquetusortesdecheztoipourpasseraumagasin?

Sesmotsmefirentplongerplusbasdanslepuitsdedésespoirqu'onappelaitpluscommunémentlesregrets.

—Cen'estpasàçaquesertlalivraisonexpressdeMachoTaco!—Ilfaudraquetuachètesdelanourriture,desépices,etpleind'autreschoses.—Jedétestealleraumagasin.—Ilfaudraquetuapprennesàcuisiner.—Très bien, dis-je en laissant échapper un soupir vaincu d'entremes lèvres. (J'avais un talent

fantastique pour jouer les drama queen quand c'était nécessaire.) Renvoie tout ce qui impliquen'importequellepréparationdenourriture.Jedétestecuisiner.

—TuveuxgarderlebraceletcommémoratifdeJackieKennedy?—Est-cequ'ilfautquejelecuisine?—Non.—Alors il reste, répondis-je en levant mon poignet et en faisant tourner le bracelet. Regarde

commeilscintille.

—EtilvatellementbienavecMargaret.—Toutàfait.—Monpetitboutdepotiron,dittanteLil.JedétournailesyeuxdubraceletcommémoratifdeJackieKennedy.Àprésentqu'ellesavaitqu'elle

étaitmorte,jen'auraiplusjamaisàendurercemomentdepaniquequiaccompagnaitchacunedesespropositionsdemefaireàmangerpendantdeuxsemainesconsécutives.J'avaisfaillimourirdefaimladernièrefois.Jetendislepoignet.

—Tutrouvesquecebraceletestexcessif?—Jackievaavecn'importequoi,machérie.Maisj'avaisenviedeparlerdeCookie.JeregardaidansladirectiondeCookieetfronçailessourcils.—Qu'est-cequ'elleaencorefait?TanteLilsemitàgenouxàcôtédemoietmecaressalebras.—Jepensequ'ondevraitluidirelavérité.—ÀproposdeJackieKennedy?—Àproposdemoi.—Oh,biensûr.—Aquoidoncpeutbienservircettemonstrueusemachine?demandaCookie,quelquepartprès

delacuisine.Une boîte apparut de nulle part et plana de manière instable par-dessus une montagne d'autres

boîtes.Jesourissanscachermonenthousiasme.—Tusaiscommedesfoisoncommandeducafé,etquandilarrive,ilacettemousseincroyable

surledessus?—Ouais.—Ehbien,c'estcettemachinequifaitletourdemagiequiproduitlamousse.Satêteémergeadederrièreuneboîte.—Non.—Si.Elledévisagealecartonavecamour.—D'accord, on peut garder ça. Il faudra juste que je dégage unmoment dansmon emploi du

tempspourlirelesinstructions.—Tunepensespasqu'ondevraitluidire?continuatanteLil.J'acquiesçai.Ellemarquaitunpoint.Oubienc'aurait été le cas siCookien'avait pasdéjà été au

courant.—Cook,tupourraisveniriciuneseconde?—OK,maisjesuisentraindetravaillersurunsystème.Ilestlà,dansmatête.Sijeleperdsen

venantverstoi,jenepourraipasêtretenuepourresponsable.—Jenepeuxrienpromettre.Ellesedirigeajusqu'ànousenprenantsontempsetagitaunautrecartonsousmonnez,unejoie

étrangefaisantbrillersesyeux.—Tusaisdepuisquandjerêved'uneessoreuseàsalade?—Ilyadesgensquiontvraimentenviedecegenredetruc?—C'estpastoncas?—Jecroisquec'étaitundecesachatsde4heuresdumatin,quandjeperdstoutsensdelaréalité.

Jenesaismêmepaspourquoiquelqu'unvoudraitessorerunesalade.—Ehbienmoi,jesais.—OK,donc,j'aiunemauvaisenouvelle.Ellepritplacesurunechaiseaucoinducanapé,uneexpressionétrangesurlevisage.—Tuasreçuunemauvaisenouvelleenrestantassisesurtoncanapé?—Onpeutdireça.

Je penchai discrètement la tête sur le côté, lui faisant comprendre que nous n'étions pas seules.Cookiefronçalessourcils.Jerépétail'opération.Ellesecoualatête,confuse.

—J'aiunemauvaisenouvelleausujetdetanteLillian,dis-jeensoupirant.—Oh.Oh!Elleregardapartoutautouretmequestionnad'unsourcilhaussé.Je donnai un léger coup de tête.Normalement, Cookie aurait joué le jeu, faisant croire qu'elle

pouvait voir tanteLil elle aussi,mais, dans lamesure où tanteLil s'était finalement rendu comptequ'ellepouvaittraverserlesmurs,jenepensaispasquecesoitencoreapproprié.

—TanteLilnousaquittées,annonçai-jeenposantunemainsurlasienne.Cookiefronçalessourcils.—Elles'enestallée.Ellehaussalesépaules,confuse.Anouveau.—Jesavaisqu'elleleprendraitmal,dittanteLil,àcôtédemoi,ensemouchantencoreunefois

danssamanche.J'avaistellementenviedeleverlesyeuxauciel.Cookienecomprenaitpasmesindices.Ilfaudrait

quej'essaiequelquechosedeplusconvaincant.—Maistuterappellesquej'arriveàvoirlesdéfunts?Uneétincelledecompréhensions'allumasur levisagedemonamie lorsqu'elle réalisaque tante

Lilavaitfinalementpercuté.Jetapotaisamain.Trèsfort.—Elleesticiavecnous,encetinstant,simplementpassouslamêmeforme.—Tuveuxdire...—Oui,répondis-je,l'interrompantavantqu'ellepuissetrahirquoiquecesoit.Elleestdécédée.Cookievitenfinletableau.Pasjusteunpetitcoin.Ellesecouvritlabouched'unemain,etunléger

cris'échappad'entresesdoigts.—PastanteLil!Elleenrajoutaunecoucheetsesépaulescommencèrentàs'agiteraurythmedesespleurs.Subtil.—Jenepensaispasqu'elleleprendraitmalàcepoint,celadit,fittanteLil.—Etmoidonc.J'assistai malgrémoi, horrifiée, à la prestation de Cookie, qui rejouait cette fameuse scène du

Parrain.C'étaitencorepluslugubreenétantaussiproche.—Çavaaller,luiassurai-jeenposantunemainsursanuque.Trèsfort.Ellemelançauncoupd'œilàtraverssesdoigts.—TanteLilestavecnousdemanièreincorporelle.Elleenvoietoutsonamour.—Oh,oui,s'exclamatanteLilenacquiesçantvivement.Envoie-luitoutmonamour.—TanteLil,ditCookie,enseredressantetenfixantunpointderrièremoi,malheureusementdu

mauvaiscôté.JeluifisunsignedumentonendirectiondetanteLil,etCookiecorrigealetir.—TanteLil,jesuissidésolée.Vousallezénormémentnousmanquer.—Ohlàlà,n'est-ellepasadorable?Jel'aitoujoursaimée.Avecunsourire,jeprislamaindetanteLildanslamienne.—Moiaussi,jel'aitoujoursaimée.Jusqu'àilyaenvironquinzeminutes.Jedécidaiqu'unedoucheneseraitpasunemauvaiseidéeetm'yplongeaitandisqueCookiefaisait

l'inventaireetquetanteLilpartaitvoiràquoiressemblaitl'Afriqueavecsesnouvellesperspectives.Jemedemandaissielleserendraitcompteunjourdepuiscombiendetempselleétaitmorte.Cen'étaitsûrementpasmoiquiallaisleluidire.

L'eauchaudeétaitunedesmeilleuresthérapiesaumonde.Çadébarrassaitdustressetapaisaitlesnerfs.Mais les rottweillers étaient encoremieux.Depuis qu'unemagnifique rott dunomd'Artémisétaitmorteetm'avaitétéassignéecommegardienne-contrequoi, jen'enavaisaucuneidée-,mes

douchesétaientdevenuesbienpluspérilleusesqu'avant.Engrandepartieparcequ'Artémisadoraitça,elleaussi.Ellenevenaitpasmetrouvertrèssouvent,mais,dèslasecondeoùj'ouvraislerobinet,elleapparaissait.

—Hey,mabelle,lasaluai-jealorsqu'elletentaitd'attraperlejetdanssagueule.Elle aboya de manière joueuse et son jappement tonitruant résonna contre les parois de la

baignoire.Jemebaissaietlagrattaiderrièrelesoreilles.L'eaucoulaittoutdroitàtraverselle,cequifaisaitqu'elleétaitsècheautoucher,maiselleessayaitdetoutsoncœurd'attraperlesgrossesgouttesàl'aidedesalangue.

— Je sais exactement ce que tu ressens, ma fille. Parfois, les choses qu'on désire le plus sontprécisémentcellesquisonthorsd'atteinte.

Quand elleme sauta dessus, sa petite queue boudinée frétillant de plaisir, son poidsme projetacontre lemur de carreaux. Jem'agrippai au pommeau pour garder l'équilibre, et je la laissaimelécher la nuque avant qu'un nouveau jet ne capture son attention. Elle plongea pour l'attraper, merenversantpratiquementenmefaisantuncroche-patte.J'avaisvraimentbesoind'untapisdedouche.Etmeraserlesjambesavecunrottweillerquichassaitlamoindregoutted'eauétaitsuicidaire,maisnécessaire.

Aprèsavoirréussiàmeraserpresqueconvenablementenperdantunequantitéminimedesang,jecoupail'eauetmeblottiscontreArtémis.Ellemeléchal'oreillegauche,memordillantlelobedesesdentsdedevant,cequimedonnalachairdepoule,etjerisàhautevoix.

—Oh,merci.J'avaisvraimentbesoinqu'onmenettoiecetteoreille.Merciinfiniment.Aprèsunnouveaujappement,elleserenditcomptequel'heuredejeutouchaitàsafin.Commele

parcaquatiqueavaitfermépourlajournée,elleplongeaàtraverslemurextérieuretdisparut.Jemedemandaiss'ilétaitmalquejeprennemesdouchesavecunchien.

Jemeséchailescheveuxetlesrassemblaienquelquechosequiressemblaitàunequeue-de-cheval,enfilaiunjeanetunpullblancavecuncolàfermetureÉclair,puisjem'observaidanslemiroir.Sansvraiment savoir pourquoi. J'allais remettre mon pyjama dans quelques heures, de toute manière.Pourquoiest-cequejem'habillais?Pourquoiprendrelapeinedelefaire?Etpourquoiest-cequejemedouchais,d'ailleurs?

Jemis une noisette de crème dansma paume et me frottai lesmains tandis que j'examinais lavilaine balafre sur ma joue. Elle avait pratiquement disparu. Sur n'importe qui d'autre, elle seraitrestée,rappelpermanentd'événementsqu'onauraitpréféréoublier.MaisêtrelaFaucheuseavaitsesavantages.Asavoiruneguérisonrapide,etpasdecicatricedurable.Àpeineunlambeaudepreuvevisiblepourjustifiermanouvellecrised'agoraphobiemodérée.J'étaistellementridicule.

Jesaisislepotdecrèmequej'avaisutiliséepourmesmainsetenbarbouillailemiroir.Destraitsblancsdéformèrentmonvisage.Uneaméliorationcertaine.

Commejem'ennuyaisdeplusenplusenmacompagnie,jemerendisàlafenêtrepourregardersimon traître de père était déjà arrivé au boulot. Il semblait venir de plus en plus tard. Pas que çam'intéresse.Unhommequi faisait arrêter sa fille tandis qu'elle étaitmourantedansun lit d'hôpitalaprèsavoirété torturéepresque jusqu'à lamortneméritaitpasque jem'intéresseà lui. J'étais toutsimplementcurieuse,etlacuriositén'avaitvraimentrienàvoiravecl'intérêt.Maisàlaplacedu4x4demonpère, j'aperçusuncertainReyesFarrow,etma respiration sebloquaquelquepartdansmapoitrine. Il se trouvaità l'arrièredubardepapa, lesbrascroisés,une jambepliéedemanièreàcequ'unedesesbottesprenneappuicontrelebâtiment.

Etilétaitlibre.Jesavaisqu'illeserait,maisilfallaitencorequejelevoiedemespropresyeux.Ilavaitpassédix

ansenprisonpouruncrimequ'iln'avaitpascommis.Lesflicsl'avaientcomprisquandl'hommequ'ilavaitsoi-disanttuém'avaitattachéepuistorturée.J'étaiscontentequ'ilsoitlibre,mais,pouryarriver,Reyesm'avaitutiliséecommeappât,alorsnousétionsànouveaudansune impasse. J'étais furieuse

contre lui parce qu'il m'avait utilisée comme appât. Il était furieux contre moi parce que j'étaisfurieusecontreluiparcequ'ilm'avaitutiliséecommeappât.Notrerelationsemblaitdépendredecesimpasses, mais c'était là que tomber amoureuse du petit cul du fils de Satan m'avait amenée. Siseulement iln'étaitpas sidélicieusementetdangereusement sexy. J'avaisun sigros faiblepour lesmauvaisgarçons.

Etcemauvaisgarçon-làavaitététrempédansunlacdebeautéquandilétaitné.Sesbrasmusclésétaientcroiséssursonlargetorse;sabouchepleine,tropsensuellepourmonbien-être,affichaitunemouemaussade;sescheveuxnoirs,quiavaienttoujoursbesoind'unebonnecoupe,bouclaientdanssanuqueetretombaientsursonfront.Etj'arrivaisjusteàdiscernersescilsépais,quiprojetaientdesombressursesjoues.

Unhommepassadevantluietluifitsigne.Reyesregardaverslesol,pensif,puisdirectementdansmadirection.Sonregard furieux trouva lemien, le retintdurantun longmoment,m'empêchantderespirer,puis,doucement,délibérément, il sedématérialisa, soncorps se transformant en fuméeetpoussièrejusqu'àcequ'ilneresteriendelui.

Ilétaitcapabledefaireça.Ilétaitenmesuredeseséparerdesoncorpsphysique,etsonessenceincorporelle-quelquechosequejepouvaisvoiraussifacilementquelesdéfunts-pouvaitserendreoù bon lui semblait. Ce qui me surprenait était le fait que, tandis qu'il était désincarné, personned'autrenepouvaitlevoir.Maiscethommeluiavaitfaitsigne.IlavaitvuReyesetluiavaitfaitsigne.Çasignifiaitquec'étaitsoncorpsphysiquequisetenaitcontrecemurdebriques.

Cequi impliquaitquec'était soncorpsphysiquequivenaitdesedématérialiserpourdisparaîtredansl'airfraisdumatin.

Impossible.

Chapitre2Nerienfaire,c'estdur.Onnesaitjamaisquandonaterminé.

Tee-shirtJe dus rassembler toutmon courage afin deme détacher de la fenêtre, tant jeme demandais si

Reyes Farrow venait réellement de dématérialiser son corps humain. Puis une autre questions'imposa:quediablevenait-ilfairelàdehors?Puisencoreuneautre:pourquoiétait-ilencolèreàcepoint?C'étaitmontour.Iln'avaitaucuneraisondel'être.C'étaitprécisémentcequejeluiauraisditsij'avais trouvé une bonne excuse pour sortir de mon appartement et lui courir après. Mais monappartementétaitconfortable.L'idéedelequitterdansl'uniquebutd'avoirunedisputeaveclefilsdel'incarnationdumalavaitautantdesensquelesfourmisvolantes.Oùétaitlalogiquelà-dedans?Lesfourmisétaientdéjàbienassezeffrayantessansqu'onleurdonnelapossibilitédevoler.

Jeretournaiausalon,bouleverséeetsouslechoc.—ReyesFarrowétaitdehors.Appuyécontrelemurdubar.Entraind'épierl'appartement.Cookie fit un bond. Elle m'observa, bouche grande ouverte pendant une bonne dizaine de

secondes,avantdesejeterpar-dessuslecanapé,d'entrerenchancelantdansmachambreàcoucher,etdepresques'écrasercontremafenêtreenterminantsacourse.Elleétaitpresqueagilequandilétaitquestiond'hommes. Jen'avaispas lecœurde luidirequ'elleaurait euunemeilleurevuedepuis lesalon,del'endroitoùelleétaitassisejusteavant.Pasplusquejen'avaislecœurdeluidirequ'ilétaitdéjàparti.

—Iln'estpaslà,fit-elle,lavoixagitéeetpaniquée.—Quoi?demandai-je,feignantlasurprise.Jemeprécipitaiverselleetlançaiuncoupd'œilderrièrelesrideaux.Pasdedoute,ils'enétaitallé.—Ilétaitlàilyauneminute.Jebalayailesenvironsduregard.Cookiefronçalessourcilsenm'observant.—Tusavaisqu'ilétaitparti.Jemerecroquevillai,honteuse.—Désolée.Tuétaisàfonddanstonexercicejournalier, jenevoulaispastedéconcentrer.Tute

rends compte à quel point il serait difficile d'expliquer aux flics que tu as traversé la fenêtre pourt’écrasersur le trottoir?demandai-jeavantde reportermonattentionsur l'endroitoùReyess'étaittenu.Maisjetejure,sicetypeestentraindemefiler...

—Chérie,techniquementilfaudraitquetuaillesquelquepartpourqu'ilpuissetefiler.Ça,ceseraitplutôtduharcèlement.

Ellemarquait un point. Un que je pourrais renvoyer à la figure de Reyes si je lui adressais ànouveaulaparoleunjour.

JebaissailatêtetandisqueCookiecontinuaitàfouillerleparkingduregarddansl'espoirqu'ilsemontreraitdenouveau.Jenepouvaispasvraimentleluireprocher.

—Pendantqu'onestsurlesujet,jepensequ'iladématérialisésoncorpshumain.Ellebonditdesurprise.—Jecroyaisquec'étaitimpossible.T'enessûre?—Non, répondis-je en retournant dansmon salon encombré parce qu'une autre idée venait de

trouver lechemindemoncerveau. (Fichus troublesde l'attention.)Bon, soishonnête.Aquelpointest-cequejesuisfauchée?

Cookieprituneprofondeinspirationetmesuivit.Ellemeconsidéraavecuneexpressionattristéeavantderépondre.

—Suruneéchelledeunàdix?Tun'yfigurespas.Tuseraisplutôtducôtédesmoinsdouze.—Merde,m'exclamai-jeenobservantmonbraceletJackieKennedyavecunpoidsterriblesurla

poitrine,avantd'enouvrirlefermoir.Tiens,renvoieçaégalement.Ellel'attrapa.—Tuenessûre?— Ouais. Je faisais seulement semblant qu'il allait bien avec Margaret, de toute manière.

Maintenant,s'ilavaitéténoiravecdespetitscrânes...—Je crains fort que Jackien'ait pas très souvent porté de crânes.Tu sais, certains clients nous

doiventencoredel'argent.—Vraiment?C'étaitprometteur. Jecontournaiplusieursboîtespourme rendre jusqu'àM.Café.C'était le seul

hommedansmavie,actuellement.—Ouais.Sonhésitationmefitcomprendrequ'ilyavaitunproblème.Jeremplismatasseetlaquestionnaienfronçantlessourcils.—Commequi?—CommeMmeAllen.—MmeAllen?demandai-jeenajoutantdelacrèmeetdufauxsucreàmoncafé.Ellemepaieen

cookies.Jenesaispastropcommentçapourraitnousaiderpourréglerlesfactures.—C'estvrai,maisellenenousapaspayéespourladernièrefoisquetuasretrouvéPP.PP, également connu sous le nomdePrincePhillip, était le caniche enragé deMmeAllen.Elle

auraittoutaussibienpul'appelerHoudini.Cechienauraitpus'échapperd'uncoffredebanque.Mais,enfait,Cookieavaittort.Jememordislégèrementlalèvre,gagnéeparlaculpabilité,toutenévitantsonregard.

Cookieeneutlesoufflecoupé.—MmeAllent'apayée?—Onpeutdireça.—Ettun'aspaspartagé?—Ehbien...—Unplateauentierdecookies,ettun'aspaspartagé?Alorsquej'aifaittoutletravaildeterrain?J'enrestaibouchebée.—LetravaildeterrainNTuasmarchéjusqu'àlafenêtreettul'asrepéréprèsdespoubelles.—Oui, et j'ai donc marché. (Elle mima un déplacement à l'aide de deux doigts, chose que je

trouvaihilarante.)Jusqu'àlafenêtre,avecmesjambes.—Oui,maisc'estmoiquiaicouruaprèscepetitemmerdeurvicieuxsurdix-septpâtésdemaisons.—Trois.—Etensuiteilm'amordue.—Iln'aplusdedents.—Lesgencivesfontmal,également,rétorquai-jeenmefrottantlebrassansenavoirconscience,

merappelantl'horreurdesfaits.—C'estuncaniche.Est-cequ'ilpeutvraimentmâchouillersifortqueça?—Trèsbien,laprochainefois,c'esttoiquiluicourrasaprès.Elleexpulsabruyammentl'airdesespoumons.—Etcetype,BillyBobquelquechose?Ilnousdoittoujoursdel'argent.— Tu parles de Bobby Joe ? Celui qui pensait que sa petite amie essayait de le tuer avec des

cacahouètes?Ilm'apayéeennature.—Charley,mesermonna-t-elle,ilfautquetuapprennesànepastoutramenerausexe.

—Pascommeça,medéfendis-je,choquée.Ilarepeintlesbureauxpournous.Aprèsunregardaussiappuyéqu'exaspéré,elledemanda:—Tuveuxparlerdesbureauxquenousn'occuponsplus?Jehaussailesépaules.—Oui,j'aioubliéd'annuler,etillesarepeintsaprèsqu'onadéménagé.Ilétaitvraimentcontentde

constaterqu'onluiavaitdégagélesmurs.—Ehbien,c'estvraimentfantastique.Sonenthousiasmesemblaitfeint.C'étaitétrange.—Ildoitbienyavoirquelqu'unquinousdoitdel'argent,selamenta-t-elle.J'eusalorsuneillumination.Laréponseàtoutesnosprières.Ouaumoinsàquelques-unes.—Tuasraison,fis-je,souriantenmesouvenantqueReyesFarrowétaitmondébiteur,etqu'ilme

devait beaucoup. J'ai résolu un cas. Je suis en droit de recevoir ma paie habituelle, plus ledédommagementpourlesdépensesmédicalesetlessouffrancesmorales.

Ellesemblaitpleined'espoir.—Quelleaffaire?Qui?Lamanièredontjecontractailamâchoireluiréponditàmaplace.Sonregarddevintrêveur.—Est-cequejepeuxt'aideràencaisser?—Non,tudoist'occuperdetoutesceschosesàrenvoyer.Commentest-cequ'onmangeralemois

prochainsinon?—Jen'aijamaisledroitdem'amuser.—Ettunepeuxt'enprendrequ'àtoi.Elleseraclalagorge.— Comment est-ce que quoi que ce soit de tout ça, demanda-t-elle en faisant un geste ample,

pourraitêtremafaute?—C'estcequisepassequandonmelaissesanssurveillance.Est-cequetun'aspasdesbordereaux

deretouràremplir?—Oui,répondit-elleenensoulevantunepoignée.—Danstonappartement?—Trèsbien.Ellesesaisitdesreçusetsedirigeaverslasortie,melaissantsanssurveillance.Ellen'apprendrait

doncjamais.—Oh,dit-elleavantd'ouvrirlaporte.J'aipristatélécommande,alorsn'ypensemêmepas.Ça,c'étaitvraimentuncoupbas.Aprèssondépart,jerestaiassiseetessayaideréfléchiràunpland'attaque.Siseulementjepouvais

mettrelamainsurAnge.Siquelqu'unpouvaittrouvercettepetitecrapule,cesale...—Commentt'asfaitça?Jefisunbondenentendantletimbremasculinprovenantdequelquepartderrièremoi.Ilétaithaut.

Lebond.Pasletimbre.Jeposailesmainssurmapoitrineetmetournaiverslajeunefrappedetreizeansquiportaitledouxnomd'AngeGarza.Ilsetenaitdansmonappartement,flanquédeseshabituelsjeanettee-shirtsales,unbandanaautourdelatête.

—Ange,bonDieu!—Commentça,bonDieu?Qu'est-cequetuasfait?—Quoi?demandai-je,enessayantdecalmerlesbattementsdemoncœur.Jen'étaisgénéralementpasaussieffrayéequandAngedébarquait.Ilplissasesyeuxsombres.—Commentas-tufaitça?—Jenesaispas.Qu'est-cequej'aifait?—J'étaisàlaquinceanerademoncousinet,l'instantd'après,jesuisici.—Vraiment?

—C'esttoiquiasfaitça?—Jenecroispas.J'aijustepenséàtoi,ettuesarrivé.—Ehbien,arrêteça.C'étaitvraimentbizarre.Ils'entouradesesbrasetcommençaàlesfrotterdoucement,commepourseréconforter.—Cetrucestcool.Tuneviensjamaisquandj'aibesoindetoi.—Jesuistonenquêteur,pendeja,pastonanimaldecompagnie.—Jen'arrivepasàcroirequeçaafonctionné.—C'estquoi,toutescesboîtes?—Est-cequetuviensjustedem'appelerpendeja?Ilmeremarquafinalement,etunelueurfamilièrepassadanssesyeux.—T'asl'airenforme,boss.—Ettoi,t'asl'aird'avoirtreizeans.Lui renvoyer sonâgeà la figure fonctionnait à tous les coups. Il sehérissa et se retournapour

observermonnouveaurécipientàfromage.Commej'avaisconsciencequ'iln'allaitpasaimercequej'étaissur lepointde luidemander, jeme levaipourmeplacerdevant lui,de front, le regardfixe,monexpressiondure.

—J'aibesoindesavoiroùilest.Ses épaules se raidirentpendantun instant sous le coupde la surprise,mais il se rattrapa et les

haussarapidement.—Quiça?Ilsavaittrèsbiendequijeparlais.—Ilétaitlàilyauneminute,devantmonimmeuble.Oùest-cequ'ilcrèche?Lafrustrations'échappad'entreseslèvres.—Tuesrestéeloindeluipendantdessemaines.Pourquoimaintenant?—Ilmedoitdufric.—C'estpasmonproblème.—Çaledeviendraquandjenepourraipluspayertonsalaire.Pourrétribuerletravailqu'ileffectuaitpourmoi,j'envoyaisunchèqueanonymeàsamèretousles

mois.Ilnepouvaitpasutilisercetargent,maisellelepouvait.C'étaitunarrangementparfait.—Merde,lâcha-t-ilendisparaissantàtraversunmurdecartons.Chaquefoisquetut'approchesde

lui,tuesblessée.—Cen'estpasvrai.Ilrefitsurface,maisseulementpartiellement.—C'estquoi,unFlowbee?—Ange,dis-jeenplaçantundoigtsoussonmentonetencaressantlefinduvetquiémergeaitsur

samâchoire.J'aibesoindesavoiroùilsetrouve.—Jepeuxtevoiràpoild'abord?—Non.—Tuveuxmevoiràpoil?—Non,etbeurk.Ilseredressa,blessé.—Sij'étaisencorevivant,jeseraisplusâgéquetoi.—Maistunel'espas,luirappelai-jegentiment.Etj'ensuissincèrementdésolée.—Çanevapastefaireplaisir.—Net'enfaispas.J'aijustebesoindesavoiroùilsetrouve.—IlseraàGarberExpédition,danslequartierdesentrepôts,cesoir.—Dansunentrepôtd'import-export?demandai-je,surprise.Iltravaillelà-bas?Reyesavaitdel'argent.Beaucoup,beaucoupd'argent.Sasœurmel'avaitdit.Alorspourquoiest-ce

qu'ilferaitdutravailmanuelpouruneentreprised'import-export?Aprèsunlongmoment,qu'ilpassaàsemordillerunepeaumortesurundoigt,Angerépondit:

—Toutdépenddetadéfinitiondetravailler.Après être restée sans voix lorsqu'ilm'avait appris quel était le nouvel emploi deReyes, jeme

dirigeaiversmaported'entrée,posaiunemainsurlapoignée,puisrepensaiàcequejem'apprêtaisàfaire. J'étais sur le point d'aller me confronter à Reyes Farrow. Sans arme. Reyes n'avait jamaisdirectementessayédes'enprendreàmoi,mais iln'était sortideprisonquedepuisdeuxmois.Quisavait de quoi cet homme était capable ? Il avait probablement pris un tas demauvaises habitudesdepuisqu'ilétaitlibre.Commetricheraupoker.Eturinersurlavoiepublique.

Mêmesijen'étaispasvraimentadeptedufaitdeporterunearme-chaquefoisquej'enavaisunesurmoi,j'imaginaisqu'onmelavolaitetqu'onl'utilisaitpourmettrefinàmesjours-jefisdemi-tourpour aller chercherMargaret dansma chambre. Jeme disais que, pour affronter un salementeurscélératdelatrempedeReyesFarrow,onnepouvaitjamaisêtretropprudent.Outroparmé.Jepassaidoncuneceintureàmonpantalon,misleGlockdansunholster,etrefermailevelcro.

Après une autre profonde inspiration, jeme dirigeai à nouveau vers la porte avant d'accélérerlorsque j'arrivai vers l'escalier. Lemême escalier que j'avais emprunté un nombre incalculable defoispar lepassé. Il semblait étrangementplus raide.Plusdangereux.Mesmains tremblaient sur larampeetjem'arrêtaisàchaquemarche,cherchantlecouragedeposerlespiedssurlasuivante,enmedemandantcequipouvaitbienclocheravecmoi.C'étaitvrai,çafaisaitunmomentquejenem'étaispasaventuréeàl'extérieur,maislemonden'avaitpaspuchangeràcepoint.

Quand j'eus finalement réussi àdescendredeuxétageset àatteindre le rez-de-chaussée, j'étudiail'entréedel'immeuble.Laporteenacierétaitentrouverteetlalumièredujourfiltraitparlescôtés.Jeforçaimespiedsàcontinuer,l'unaprèsl'autre,larespirationagitée,lespaumesmoitesd'uneénergienerveuse.Jeposaiunemaintremblantesurlapoignéeverticaleetpoussai.Lalumières'engouffraàl'intérieur,m'aveuglant.L'air sebloquadansmapoitrineet je refermai laporte. Jeprisdegrandesinspirations,appuyéecontrelebattantpourmeretenir,essayantdemecalmer.

Uneminute.C'étaittoutcedontj'avaisbesoinpourrassemblermesesprits.Ilsétaienttoujoursentraindecourirdanstouslescoinspourfairelesquatrecentscoups.

—MademoiselleDavidson?Sansmêmeréfléchir,jesortisleflinguedemonholsteretlebraquaiendirectiondelavoixqui

émanaitdesombresdel'entrée.Unefemmehoquetadesurpriseetfitunbondenarrière,lesyeuxgrandsouverts,fixantlecanon

pointédanssadirection,bouchebée.—Je...Jesuisdésolée.Jepensais...— Qui êtes-vous ? demandai-je, en maintenant le pistolet bien plus immobile que j'aurais cru

possibleétantdonnémonétatd'espritirrationnel.—Harper,répondit-elleenlevantlesbrascommepourserendre.MonnomestHarperLo...—Quevoulez-vous?Jen'avaispaslamoindreidéedelaraisonpourlaquellej'étaistoujoursentraindebraquermon

armesurelle.Normalement,lesfemmessympathiquessansarrière-penséesnemefaisaientpaspeur.C'étaitétrange.

—JechercheCharleyDavidson.Jebaissaileflingue,sanstoutefoislerangerdanssonholster.Pasencore.Ellepouvaittoutàfaitse

révélerpsychotique.Ouêtreunevendeuseauporte-à-porte.—JesuisCharley.Quevoulez-vous?Jefrissonnaienremarquantàquelpointmavoixétait tranchante.Depuisquandest-cequejeme

comportaisaussimal?J'avaispourtanteuunbonpetitdéjeuner.—Je...Jesouhaitevousengager.Jecroisquequelqu'unessaiedemetuer.J'étrécislesyeuxetladétaillai.Delongscheveuxnoirs.Grandeettouteencourbes,avecunvisage

carré,maisd'unejoliemanière.Destraitsdoux.Deshabitspropres.Elleavaituneécharpebleuclair

enroulée autour du cou, une extrémité rentrée dans son manteau bleu foncé. Ses yeux étaientimmenses,chaudsetcaptivants.Dansl'ensemble,ellen'avaitpasl'airfolle.Cequi,aprèstout,étaitlecasdelaplupartdesfous.

—Vouscherchezundétectiveprivé?Ilétaitpermisderêver.Jen'avaispaseudetravaildepuisdeuxmois.Jejetaiunregardendirection

del'appartementdeCookie.—Oui,undétective.JeprisuneprofondeinspirationetrangeaiMargaretdanssonholster.—Jesuisunpeuentredeuxbureaux,encemoment.Onpeutparlerdansmonappartement,siça

vousva.Elle acquiesça rapidement, la peur palpable dans chacun de ses mouvements. La pauvre. Elle

n'avaitvraimentpasméritémonattituderevêche.Lesépaulesalourdiesparlaculpabilité,jemedirigeaiversl'escalier.Ilétaitnettementplusfacileà

gravirqu'àdescendre.Engénéral,c'étaitl'inverse.Surtoutaprèsdeuxmoisdemarathonvégétarien.Mesmusclesauraientdûêtreatrophiésdepuisletemps.

—Est-ce que je peux vous offrir quelque chose ? proposai-je lorsque nous eûmes atteintmonappartement.

J'étaisàpeineessoufflée.—Oh,non,c'estgentil.Ellemeregardaitavecméfiance.Jenepouvaispastropluienvouloir.Mesaptitudesenrelations

humainesavaientbesoind'unbonaffûtage.—Est-cequevousallezbien?demanda-t-elle.—Çava.Mavoixretrouverasontimbrenormaldansuneminute.Çafaisaitunbailquejen'avais

paspriscetescalier.—Votreimmeubleaunascenseur?—Hum,non.Voussavez,jenesuispascertainequ'ilsoitprudentdeserendrechezquelqu'unqui

vousapointéunearmedessus.Elleavaitétéoccupéejusque-lààparcourirlefoutoirqu'étaitmonbureau/appartement/salledebal

quandledémondeladansemefrappait.Ellebaissalesyeuxenentendantmesmots,embarrassée.—Jecroisquejesuisunpeudésespérée.Je lui fis signe de s'asseoir et pris place sur le canapé. Heureusement, tante Lillian n'était pas

encorerevenued'Afrique.Aprèsavoirsaisiuncarnetetunstylo,jedemandai:—Alors,quesepasse-t-il?Elledéglutitdifficilementavantderépondre.—Ilm'arrivedestrucs.Destrucsétranges.—Commequoi?—Quelqu'unestentréchezmoipareffractionpourlaisserdes...choses.—Quelgenredechoses?—Ehbien,pourcommencer,j'aitrouvéunlapinmortdansmonlitcematin.—Oh,m'exclamai-je,surprise,enretroussantlenezdedégoût.Cen'estpasbonsigne.Enfin, je

n'ensuispassûre.Jeveuxdire,ilétaitpeut-êtresuicidaire.Ellem'arrêtaaussitôt.— Vous ne comprenez pas. Beaucoup de choses du genre m'arrivent. Des lapins à la gorge

tranchée.Desfreinssectionnés.—Attendez,desfreins?Commedansfreinsdevoiture?— Oui. Oui, répéta-t-elle, commençant à paniquer. Les freins de ma voiture. Ils ont tout

simplementcessédefonctionner.Commentdesfreinspeuvent-ilssimplementcesserdefonctionner?Elle était effrayée. Cela me brisa le cœur. Ses mains tremblaient tandis que ses yeux se

remplissaientdelarmes.

—Etensuitemachienne,dit-elleenenfouissantsatêteaucreuxdesespaumesetenlaissantallerlesémotionsqu'elleavaitretenuesjusque-là.Elleadisparu.

Jemesentaisvraimentcoupablepourl'incidentimpliquantMargaretmaintenant.Jelaréprimandaiduregard.Margaret.PasHarper.Dessanglotsagitaientlecorpsdecettedernièretandisquesespeursprenaientledessus.

Je m'approchai d'elle et posai une main sur son épaule. Au bout de quelques minutes, ellecommençaàsecalmer,alorsjereprismesquestions.

—Avez-vousappelélapolice?Ellesortitunmouchoirdelapochedesonmanteauetsetamponnalenez.—Chaquefois.Tellement,àvraidire,qu'ilsontmêmeassignéunofficierpourfiltrermesappels.—Oh,vraiment?Quidonc?— L'officier Taft, répondit-elle d'un ton légèrement dur. Ce n'était définitivement pas le grand

amour.—D'accord.Jeleconnais.Jepeuxluiparlerpouressayerd'obtenirle...—Maisilnemecroitpas.Aucund'euxnemecroit.—Etvosfreinsalors?Ilspeuventcertainementdéterminersic'étaitcriminelounon?—Lemécanicienn'apasréussiàdires'ilsavaientététrafiqués,doncilsontjusteclassél'affaire

commeilsl'ontfaitpourtoutlereste.Jemepenchaietmemisàpianotersurmonbloc-notestoutenréfléchissant.—Depuis combien de temps est-ce que ça dure ? Elle semordit la lèvre et détourna les yeux,

embarrassée.—Quelquessemainesmaintenant.—Etvotrefamille?Ellelissalesbordsdesonécharpeavecsesdoigts.—Mesparentsnesontpasvraimentd'unegrandeaide.Cen'estpasleurgenre.Etmonex-mari,eh

bien,ilseserviraitdetoutçacontremois'ilenavaitl'occasion.Jeneluiairiendit.—Est-cequevouslesuspectez?—Kenneth?reprit-elleavecdédain.Non.C'estunimbécile,maisunimbécileinoffensif.Précautionneusement,jepréparaimaquestionsuivante.—Est-cequ'ilvousverseunepension?—Non.Riendutout.Iln'aaucuneraisondesouhaitermamort.Jen'enétaispaspersuadée,maisjedécidaidenepasluienfairepartpourl'instant.—Qu'enest-ildevoscollègues?Jevenaisdel'embarrasserànouveau.Ellepâlitsousmonregardinquisiteur.—Jen'aipasvraiment...Jenetravaillepas.Jen'aipaseud'emploidepuisunmoment,maintenant.Intéressant.—Commentpayez-vousvosfactures?—Mesparentssonttrèsaisés.Pourêtrehonnête,ilsmedonnentdel'argentpourresteréloignée

d'eux.Etçanousconvientàtous.Jenepusm'empêcherdeconclureque,sielledisparaissait,ilsn'auraientplusàl'entretenir.Peut-

êtrequesesparentsétaientd'uneencoremoinsgrandeaidequ'elleleprésumait.—Quepensent-ilsdelasituation?Ellehaussalesépaules.—Ilsmecroientencoremoinsquel'officierTaft.LamentiondeTaftm'auraitamplementsuffi.Mêmesinousn'étionspasvraimentennemis,nous

n'étionspasexactementamisnonplus.Onavaiteuunpetitdémêléàl'époque,quis'étaitconcluparluiquimelançaitdesinjuresavantdepartirfurieuxdemonappartement.J'avaisdelapeineàoublierdetels incidents.Celui-ciavait impliquésasœur,quiétaitmortealorsqu'ilétait très jeune. Ilavaitétéincroyablement irrité lorsque je lui avais appris qu'elle n'avait pas traversé afin de rester avec lui.

Certaines personnes étaient vraiment très susceptibles quand je leur expliquais que les défuntsmembresdeleurfamilleavaientcommencéàlesespionner.

—D'accord,annonçai-je.Jeprendscetteaffaire,àunecondition.La tensionmontaen flèche.Jenesavaispassic'étaitparceque j'avaisacceptésoncasouparce

qu'elleavaitvraimentpeurpoursavie.—Toutcequevousvoudrez,répondit-elle.—Ilfautquevousmepromettiezd'êtrehonnêteavecmoi.Sij'acceptecetravail,jesuisdevotre

côté,vouscomprenez?Vousdevezpenseràmoicommeàvotredocteurouvotrethérapeute.Jenepeuxparleràpersonnedesconfidencesquevousmefaitessansvotrepermissionformelle.

Elleacquiesça.—Jevousdiraitoutcequejepeux.—Trèsbien.Alors,premièrement,avez-vouslamoindreidée, lamoindresuspicionquantàqui

pourraitsouhaitervotremort?Laplupartdesgens,lorsqu'ilssontmenacés,avaientaumoinsunsoupçon,maisHarpersecouala

tête.—J'aiessayéetessayé.Jen'aijusteaucuneidéedequipourraitsouhaitermefairedumal.—Trèsbien.Jenevoulaispastroplapousser.Ellemesemblaitbienassezfragilecommeça,etlefaitquejelui

aiepointéunflingueenpleinefiguren'avaitpasdûaider.Je notai les noms des membres de sa famille et de ses amis, de toute personne qui pourrait

corroborersonhistoire.Lestentativesdemeurtrenedevaientpasêtreprisesàlalégère.Pasplusquel'espionnage ou le harcèlement. Le fait que ses proches ne la prennent pas au sérieuxm'inquiétaitgrandement.Ilfaudraitquejeleurrendeunepetitevisitedèsquepossible.

— Avez-vous un endroit où rester en dehors de chez vous ? demandai-je une fois que j'eusterminé.

Sescheveuxtombèrentdevantsonvisagelorsqu'ellesecouadoucementlatête.—Jen'yaipassongé.Jepensequejen'enaipas.Nullepartquisoitsûr.Çapouvaitêtreunproblème.Encoreque...—Voussavez,ilsepeutquej'aielelieuparfait.C'estunpeucommeuneplanqueduFBI,saufque

c'estunsalondetatouage.—Oh...D'accord.Ellenesemblaitpascontre.C'étaitbonsigne.—Génial.Nebougezpasletempsquejedonnecetteinformationàmonassistantedel'autrecôté

ducouloir,etjevousyemmène.Toutenacquiesçantmécaniquement,elleobservalesboîtessurlecanapéderrièremoi,cellesqui

contenaientlesfigurinesàcollectionnerdugroupeKiss.—Ouais,commentai-je,larejoignantdanssastupéfaction.Unesurchargedecaféineafortement

influencécetachat.—J'oseimaginer.Jetraversailehall,impatientedepouvoiragitermanouvelleclientesouslenezdeCookie-pasau

senslittéral,çaauraitétédélicat-etrentraipresquedansM.Zamora,leconciergedel'immeuble.—Oh,hey,salutvous,dit-il.Ilétaitpluspetitquemoi,grassouillet,etavaitdescheveuxpoivreetselquiavaienttoujoursl'air

d'avoirbesoind'unbonaprès-shampooing.Et ilportait inlassablementdessurvêtementsdesportetdes tee-shirtsquiavaientvuplusd'horreursque labrigadedesnarcotiquesaugrandcomplet.Maisc'étaitunconciergehonorable.Quandmonchauffageavaitcessédefonctionneràlami-décembre,ilneluiavaitfalluquedeuxsemainespourleréparer.Biensûr,j'avaisdûpourcelaallerfrapperàsaporte à la recherche d'un endroit chaud pour dormir. Mais une nuit sur son sofa avait suffi. Lesterreursnocturneset l'épilepsieque j'avaissoudaindéveloppéesavaient fait filercebonsamaritain

plusvitequ'uneMercedeslejoursuivant.C'étaitmythique.—Bonjour,monsieurZ.Il transportait une petite échelle, une bâche, et un seau de peinture. Et il se dirigeait vers

l'appartement au bout du hall. Que diable tramait-il ? Quand j'avais emménagé, je voulais cetappartement-là. J'avais supplié. J'avais imploré. Mais non. Les propriétaires ne souhaitaient pasdébourserl'argentqu'auraientcoûtélesrénovations.Etmaintenantils lefaisaient?Maintenantilsyétaientdisposés?

—Qu'est-cequisepasse?demandai-jeaussinonchalammentquepossible.Ils'arrêtaenfacedemoi,lacléprêteàl'emploidanssamain.Tandisquemonappartementetcelui

deCookieétaientexactementfaceàfacedanslecouloir,celuidufonds'étendaitsurleurlongueuràtouslesdeux,lesadditionnant.Commeilavaitsouffertd'unimportantdégâtdeseauxquelquesannéesplus tôt et que les propriétaires avaient perdu l'argent de l'assurance au casino avant de pouvoiracheverlesrénovations,ilétaitrestéinoccupépendantdesannées.Cequin'avaitaucunsens.

—On termine finalement cet appartement, fit-il, en le pointant à l'aide de la clé. Des gars dubâtimentvontpassercetaprès-midi.Çapourraitfaireunpeudebruit.

L'espoirmemitdubaumeaucœur.Monappartementétaitbientroppetit,maintenant,avectoutesmesnouvellesaffaires.J'auraisvraimentbesoind'unepiauleplusgrandeetmieuxéquipée.

—Jeleveux,dis-jevivementavantdepouvoirm'enempêcher.Ilhaussaunsourcil.—Jepeuxpasvouslaisserl'avoir.Yadéjàunlocataire.—Pasmoyen,monsieurZ.J'aiconvoitécetappartementàlaminuteoùj'aiposélesyeuxsurcet

immeuble.Vousm'aviezpromisdememettresurlalisted'attente.—Etvousyêtes.Justeaprèscesgens.Jeleregardai,bouchebée.—Vousvoulezdirequevousaveztriché?—Non.J'aiacceptéunpot-de-vin.C'estpaslamêmechose.Ilseremitenroute.Jefisunpasmenaçantdanssadirection.—Jevousaifiléunpot-de-vinaussi,sivousavezbonnemémoire.—C'étaitunpot-de-vin?demanda-t-ilenreniflantdemanièremoqueuse.Jepensaisquec'étaitun

pourboire.J'étaisofficiellementscandalisée.—Etj'aiproposédevouspayerplusquepourcetrouàrats.—Vouscritiquezmonimmeuble?—Non,votreéthique.—Sijemesouviensbien,vousavezoffertcinquantedollarsdeplusparmois.—C'estexact.—Pourunappartementquifaitledoubledelatailleduvôtre.—Oui,et?C'esttoutcequej'avaissurlemoment.—D'aprèscequej'aicompris,lenouveaulocatairepaietroisfoisvotreloyer.Etilfinancetoutes

lesréparations.Merde.Jenepouvaiscertainementpasmepermettrederivaliseravecça.Peut-êtreenrenvoyantla

machineàexpresso.Etlacloueuseélectrique.—Jenepeuxpascroirequevousayezagidansmondos.Ilramassal'échelle.—Jenepensepasque louerunappartementsoit faire leschosesdansvotredos,mademoiselle

Davidson.Maissivousestimezquec'estsiinjuste,vouspouvezenparleràmoncul.—Dansvosrêves.Ils'enallaaprèsavoirpousséunpetitgloussementetpénétradansl'appartement.J'eustoutjustele

tempsdejeteruncoupd'œilàl'intérieuretdevoirlenouveaucrépiauxmurs,toutfraisetpasencore

peint.Jepassaisvraimentàcôtédequelquechose.JemedirigeaiverslaportedeCookieàgrandesenjambées,maudissantlesortquis'acharnaitsur

moi.Etmamauvaiseouïe.—TusavaisqueM.Z.avaitlouéle3B?Cookielevalatêtedesonordinateur.—Impossible.Jevoulaiscetappartement.—Moiaussi.Tupensesqueceseraqui,notrenouveauvoisin?—Certainementuneautrevieillefemmeavecdescaniches.—Peut-être.Oualorsuntueurensérie.—Onpeuttoujoursrêver.Qu'est-cequetuapportes?demanda-t-elleendésignantlepapierqueje

tenaisdumenton.—Ahoui,juste.Onaunecliente.—Vraiment?Sa surprise n'était pas étonnante. Ça faisait un bail qu'on n'en avait pas eu.Mais, quandmême,

c'étaitunpeublessant.—Ouais.Ellevienttoutjustededébarquer.Peut-êtrequecespubsqu'ondiffusesurlesondestard

lesoirfonctionnentaprèstout.—Possible,mais je restepersuadéequ'elles fonctionneraientbienmieux si elles étaientdans la

bonnelangue.Peudepersonnesparlentjaponaisdanslecoin.—Honnêtement,Cook,tutecomportescommesijen'avaismêmepasenvied'avoirdenouveaux

clients.Elleserapprochaetm'arrachalepapierdesmains.—Jemedemandebiend'oùpeutmevenircetteimpression.Jehaussailesépaules,déconcertée,etjetaiuncoupd'œilderrièremoipourêtresûrequeHarper

n'étaitpasàlaporteavantdem'adresseràCookie.—J'aibesoindetoutcequetupourrasdénichersurelle.L'historiquedesmembresdesafamille,

sontravail,lebénévolat,sesamendesdeparking,bref,toutcequetutrouveras.—C'estcommesic'étaitfait.Oùest-cequetuvas?demanda-t-ellelorsquejemedirigeaiversla

sortie.—Harperpensequequelqu'unessaiedelatuer,alorsjel'emmènedansnotreplanque.—Çameparaîtêtreunebonneidée.Aprèsquelaportesefutrefermée,jel'entendiscrier:—Onauneplanque?

Chapitre3C'estunplaisirdevousaccueillirànouveauparminous.Jevoisquelesassassinsontéchoué.

Tee-shirtAprèsuncombatsansmerci,durantlequelmesjambesvoulaientallerdansunsensalorsquema

tête leur ordonnait de prendre la direction opposée, je dépassai le bar de mon père à grandesenjambéesetcontinuaienbasde la rueendirectiondenotreplanque improviséeencompagniedeHarper.Jen'arrivaispasàm'empêcherdescruterlesenvironscommeunsoldatenterritoirehostile.Étrangement,Harperenfaisaitautant.Ondevaitressembleràdeuxjunkiestandisquenouslongionslesbureaux,lesécoliers,etlessans-abri.

Jedécidaidedétendrel'atmosphère.—Alors,qu'avez-voustoujoursrêvédedevenirquandvousétiezpetite?demandai-jeàHarper.Ellemarchaitderrièremoi,lesbrascroisés,latêtebaissée,etseforçaàsourire.—C'estjustelà-bas,luidis-je,luiépargnantdedevoirrépondre.Pariestunesainte.Maisavecdes

brastatouésetunmauvaiscaractère.Apartça,vouspouvezabsolumentcomptersurelle.Laplupartdutempspourdesconseilsdouteux,maisilfautbienqu'onsoittousdouéspourquelquechose,non?

—Vouscroyezquevousl'attraperez?Elle ne parvenait pas à réfléchir à autre chose qu'à son danger immédiat. Elle ne souffrait

vraisemblablementpasdetroublesdel'attention.—Jeferaidemonmieux,mabelle.Croixdebois.—J'enaitellementmarredemesentirsiimpuissante.J'auraisdûsuivredescoursdekaraté,hein?J'aimaissamanièredepenser,maismêmelesartsmartiauxnegarantissaientpasunevielongueet

prospère.—Nesoyezpas tropdureavecvous-même,Harper.Ontrouvedesfousà tous lescoinsderue.

Desgensavecquionnepeutpasraisonneretqu'onnepeutmêmepascommenceràcomprendresansavoirundiplômeenpsychothérapie.Ilestimpossibledesavoircequecherchecetype.

Elleacquiesça,adhérantàmonexposésurlescinglés.J'avaismoi-mêmegrandiavecquelqu'undugenre, en la personne de Denise Davidson, ma belle-mère de l'enfer. Elle aurait pu apprendrequelquestoursaufilsdeSatan.

—Nousyvoilà,dis-jeenpointantuneporteàmoustiquaire.Desrestesdepeinturerougeentouraientleboisautourdelaportearrière.Harpers'arrêtaetétudial'allée.Nousétionsàl'entréearrièred'unsalondetatouagemalfamé.Sa

confianceenmoisembladiminuerlégèrement.—C'estunendroittotalementsûr.Vousavezmaparole.—D'accord.Jevouscrois,dit-elleaprèsunmouvementdetêtehésitant.Peut-êtrequ'elleétaitvraimentfolle,enfindecompte.—EtPariaunapprentivraimentcanon.Unsourire timidevint illuminersonvisage.Elleparaissaitsi innocenteetnaïve,etpourtantelle

était toutsimplementmagnifique.Jemedemandaisàquoisavieavaitbienpuressembler.Avecunpeudechance,jeledécouvriraisàmesurequel'affaireavancerait.

—Professeur.J'allaisouvrirlaporteaumomentoùelleavaitparlé.—Jevousdemandepardon?

—Unprofesseur.Vousm'avezdemandécequej'avaistoujoursvouluêtre.Professeur.Jeluiaccordaitoutemonattention.—Pourquoin'enêtes-vouspasdevenueun?Ellehaussalesépaulesavantdedétournerleregard.—Mamèren'approuvaitpasmonchoix.Ellesouhaitaitquejesoisdocteurouavocate.Mêmesijen'arrivaispasàmelareprésenterenavocate,jepouvaistoutàfaitl'imaginerdocteur.

Elleavaitl'airdugenredepersonnequiprendsoindesautres.Mais,encoreunefois,cen'étaitpaslecasdetouslesdocteurs.Peut-êtreuneinfirmière,alors.Quoiqu'ilensoit, jel'auraisvraimentbienvueenprof.Elleenauraitétéunesuper.

—J'espèrequetousvosrêvesvontseréaliser,Harper.—Merci,répondit-elle,surprise.J'espèrequelesvôtreségalement.Jeluioffrisunsourirepleindegratitude.—Laplupartdesmiensimpliquentuntypequim'apporteplusd'ennuisquedeplaisir,maisc'est

trèsgentilàvous.Elleritdoucementenrecouvrantsabouched'unemain.Saboucheétaitbientropjoliepourêtre

cachée.NouspénétrâmesdanslesalondePari.L'accueilse trouvaità l'avant,maissesbureauxétaientà

l'arrière,aprèslestudio,dansuncoinpasplusgrandqu'untesticuledemiteavecunevueincroyablesur lesbennesàorduresde l'autrecôtéde la route. Jemeprécipitaienentendantquelqu'unhaletersouslebureau,espérantl'attraperenpleinacteillicite.Sonapprentiétaitvraimentcanon.

Des entrailles d'ordinateur étaient éparpillées sur tout son bureau.Des câbles et des gadgets detoutesformesettaillesjonchaientchaquecentimètredesonplandetravail.

On aurait dit que, chaque fois que jeme pointais à sa boutique, elle était occupée avec un tructechnique, ce qui semblait aller à l'encontre de sa fibre artistique.Encoreune fois, elle était plutôtcontradictoire.

Uneplaintelancinanteflottadansmadirection,m'arrachantunsourirediabolique.J'étaisvraimenttordue.

— Hey, Par', la saluai-je en posant une hanche sur son bureau pour lancer un coup d'œilnonchalant.

Aprèsuncombatimpressionnantquiinclutuncraquementaiguetquelquesgargouillements,ellereleva la tête. Ses cheveux noirs, une espèce d'épais balai à frange que certains appelleraient undésastre tandis qued'autres - disons,moi - le qualifieraient d'œuvre d'art, semblaient pris dans lescâblessurlesquelselletravaillait.Ellerecrachauneminusculepiècedeplastiquetandisqu'elleretiraitàl'aveuglettelescâblesdesescheveuxd'unemaintoutenseprotégeantlesyeuxdel'autre.

—Putaindemerde,Charley.Elle ferma les yeux et semit à tâtonner autour de son bureau à la recherche de ses lunettes de

soleil.Pariétaitenmesuredevoirceque lesgensnormauxappelaientdesfantômesdepuisqu'elleavait faillimourir à l'âgededouzeans.Ellenepouvaitpasdiscerner leurs traitsoucommuniqueraveceux.Elledistinguaitsimplementunefuméegrise,doncellesavaittoujoursquandilyenavaitunàproximité.

Maisellepouvaitmerepéreràunbonkilomètrededistance.Monéclatsemblait l'agacer.C'étaitmarrant.

Après avoir éloigné ses lunettes de quelques centimètres pour la troisième fois, elle ouvrit lesyeuxetmelançaunregardfurieux.Çadevaitêtredouloureux.J'espéraissincèrementqu'ellen'avaitpaslagueuledebois.

Ellesoupiraetreplongeasoussonbureau.—Tonmecestlà-dessousavectoi?—Monmec?grogna-t-elle,toutenessayantvisiblementd'attraperquelquechose.Jen'aipasde

mec.—Jecroyaisquet'enavaisun.—J'enaipas.—Tuavaisunapprenti.—Cen'estpasunmec.C'estTre.—Quiestunmec.—Oui,maispascegenredemec.Commenttuesentréeici?Laportedederrièreétaitfermée.—Non,ellenel'étaitpas.Ellerelevalatêteetjetaunregardcirculaire.—Vraiment?Elleauraitdû.—Pourquoi?Qu'est-cequetufais?demandai-jeunefoisqu'elleeutànouveaudisparusousle

bureau.—...Rien.Elle avait hésité beaucoup trop longtemps. Elle tramait définitivement quelque chose. Je me

penchaipourinspectersontravail.—J'ail'impressionquetuesentrainderevoirl'installationdetalignetéléphonique.—Non,dutout,répondit-elle,surladéfensive.Pourquoiest-cequejeferaisuntruccommeça?SielleparticipaitàuneconventionBarbie,elleseraitdéguiséeenBarbiegrossementeuse.—OK,trèsbien,nemedisrien.Ilfautquejetelaisseuneclientependantquelquesjours.Onpeut

utilisertachambred'amis?—Iln'yaqu'uncanapé,maisilestconfortable.—Çaferal'affaire.VoiciHarper.Harper,jevousprésentePari.—SalutHarper,lasalua-t-elle.Mais avant que Harper puisse répondre, une pluie d'étincelles éclaira l'endroit. Un son étrange

s'élevadesouslebureauetfutsuivid'ungrosbruitsourdlorsqueParibonditànouveauendessouspourlamillièmefois.

Jen'étaispaspersuadéequeleslignesdetéléphonespouvaientproduiredetellesétincelles,aussimepenchai-jeencoreunefoispourjeteruncoupd'œil.

—Sérieusement,qu'est-cequetufais?—Tuasvuuneétincelle?—JevaismontrersachambreàHarper.Essaiedenepastetueravantquejerevienne.—OK,verrouillelaportederrièretoi.—D'ac...—Attends!Elle refit surfacepour lanième fois, une idée illuminant sonvisage.Ses épais traits d'eye-liner

rétrécirenttandisqu'elletâtonnaitlebureauàlarecherchedeseslunettesdesoleil.Ellelesglissasursonnez.

—Jeterendsunservice.Jem'appuyaiànouveaucontresonbureau.—Oui.—Etlesfaveursdoiventêtrerendues,juste?Medemandantoùellepouvaitbienvouloirenvenir,jerépondisparl'affirmative.—Viensàunrencardavecmoi.—Tun'espasvraimentmongenre.—Allez,Chuck.Unrencardetjeneteledemanderaiplusjamais.—Non,sérieusement,tun'espasmongenre.—Tusais,cedonincroyablequetuaspourdevinerquandquelqu'unestentraindementir?Jejetaiuncoupd'œilàHarper.Ellesemblaitsoudainementtrèsintéressée.Jehaussailesépaules.—Ouais.—Ehbien,j'aienviedesortiraveccetype,maisjen'arrivepasvraimentàcomprendrecequ'il

veut.Tusais,jenepeuxpasdéterminers'ilestsincèreavecmoioupas.—Tulesoupçonnesdequelquechoseenparticulier?— Pas vraiment. J'ai simplement pensé que tu pourrais passer là par hasard, continua-t-elle en

ajoutantdesguillemetsaérienspourmettrel'accentsurlepetitmensonge,ett'asseoiravecnousjusteuneminute.Tusais,assezpourlirecetype.

—Jenelispasvraimentlesgens.—Lesentir,danscecas.—Marrant,maisbizarre.—Tuvoistrèsbiencequejeveuxdire.Unprêtépourunrendu,madame.Àprendreouàlaisser,

conclut-elleavantderegarderderrièremoi.Sansvouloirvousoffenser,Harper.—Aucunpro...—Alors?demandaPari,interrompantlapauvreHarper,quiarrivaitenfinàenplacerune.Mon

canapécontretontalentincroyable.—Ehbien,situleprésentessouscetangle...—Super.Jet'enverrailelieuetl'heurepartexto.—Génial.JevaismontrerlecanapéàHarper.—OK.Je pensais que notre conversation était terminée,mais à peine eut-elle replongé sous le bureau

qu'elleseredressa.Ellemefaisaitpenseràungrille-pain,sansleson.—Attendsuneminute.Oùétais-tupassée?—Pastrèsloin.J'étaisdansmonappartement.—Pendantdeuxmois?—Parlàautour.—Hmm...OK.Ehbien,verrouillelaporte!cria-t-elle.Elleétaittellementautoritaire.—Elleestintéressante.—Eneffet.(JeconduisisHarperàtraversuncoinétriquérenduencoreplusétriquéparlesboîtes

d'ustensilesquiyétaiententassées,jusqu'àunepetiteporteàl'arrière.)Cen'estpasgrand-chose,maispersonnenepenseraàvenirvouschercherici,j'ensuispersuadée.

Elleobservalapièced'ungestegracieux.Jeremarquaibienqu'elleavaitenviederetrousserlenezdemécontentement,maiselleseretenaitparpolitesse.Elleétaitvraimentbonnejoueuse.

—Bon,ilfautquejepartefairedestrucsd'enquêteurs.Jereviendraiplustardcesoir.Vousvousensortirez,ici?

—Biensûr,toutirabien.Jeposaiunemainsursonbraspourdétournersonattentiondesonnouvelenvironnement.—Je ferai toutcequiestenmonpouvoirpour trouver lapersonnequivous faitça. Jevous le

promets.Unpetitsourireilluminasonvisageet,sijenem'ytrompaispas,elleétaitunpetitpeusoulagée.—Jevousremercie.AprèsavoirlaisséHarperaumilieudelaminusculechambre,jerepérail'apprentidePari,Tre.Il

travaillait sur le tatouage d'une fille qui semblait à mi-chemin entre l'angoisse et le désir. Je nepouvaispaslablâmer.TreétaitcommeunLongIslandIceTea:grand,modeste,assezdélicieuxpourvous mettre l'eau à la bouche aussi bien qu'ailleurs, et vous filait un coup lorsque vous vous yattendiezlemoins.

—HeyChuck,dit-ilenmesaluantdelatêteentredeuxbourdonnementsd'aiguille.J'avaisbienconsciencedu faitque, toutau fondd'eux-mêmes, les tatoueursdevaientprendredu

plaisiràinfligerladouleuràd'autrespersonnes.Jemedemandaissic'étaitégalementlecasdeTredanssavieprivée.Jepouvaissupporterladouleursic'étaitcequ'ilaimait.Pasdesmasses,mais...

—Heytoi,répondis-je,unpeuinquièteàl'idéedeluifaireratersontatouageenledéconcentrant.Cegenred'erreurétaittellementdéfinitif.UnpeucommeledeuxièmeeffetKissCool,neufmois

aprèslebaldepromo.—Est-cequetum'appelles«toi»parcequetun'arrivespasàtesouvenirdemonnom?demanda-

t-ilenmarquantunepause.Mesépauless'affaissèrent.—Mince, tum'as percée à jour.Non, attends, c'est là, quelque part, répondis-je en tapotantma

tempetandisqu'ilseremettaitautravail.Ahoui,c'estpasTrèfleàquatrefeuilles?Ilsecoualatête,lessourcilsfroncésparlaconcentration.—Trésorperdu,alors?—Non,dit-ilenriantlégèrement.—Est-cequec'étaitTrémousser?Ilfitunenouvellepause,etlafillem'adressaunregardassassindesesgrandsyeuxnoirs.Soitelle

étaitjalouse,soitelleavaittellementmalqu'ellesouhaitaitjustequeçasetermineauplusvite,etellem'envoulaitparcequejen'arrêtaispasd'interrompresonsupplice.

—Oubliequejet'aidemandé,répondit-ilavecunsourireenfantin.Quelbriseurdecœurs!Ilnefallaitpass'étonnerquelenombredeclientesdePariaittriplédepuis

qu'ilavaitcommencéàtravailleravecelle.—Àlaprochaine,beaugosse.Ilme fitunclind'œilet se remitau travail,une lueurmalicieusedans lesyeux. J'étaisvraiment

désoléepourcettefille.Sur lecheminduretour, jecoupaipar leparkingetmedirigeai toutdroitversMisery,maJeep

rouge cerise. Jeme sentaismise à nu dans l'espace semi-ouvert du centre-ville d'Albuquerque. Jem'étaisdéjàretrouvéeàpoilenpublic,unefois,mais,mêmesiçarésumaittrèsbienlesentimentdegênequejeressentais,c'étaittotalementdifférent.Plusobscène.Plusgrave.Plussauvage.

—Vousluimanquez,voussavez.Je me retournai pour tomber nez à nez avec une grande afro-américaine qui me dépassa et

continuaendirectiondubardemonpère.Jel'avaisvuequelquesfoiscesdernièressemaines,etj'enavaisdéduitquec'étaitlanouvellebarmaidquepapaavaitengagéelorsquej'avaisrefuséleposte.Ilsouhaitaitquej'abandonnemonbusinessdedétectiveprivéeetquejetravaillepourlui.Levieuxfou.Elles'arrêtaetm'adressaunsouriresympathiquequiannonçait«nousvenonsenpaix».Direqu'elleétaitmagnifiqueauraitétéuneuphémisme.Elleressemblaitàungratte-cielquibrillaitdemillefeuxausoleil,sedressantfièrementdanslecieletdéfiantlemonded'essayerdeleréduireenmiettes.

— Votre père, expliqua-t-elle. (Je fus incapable de détourner le regard de ses yeux exotiquespendantunebonneminuteavantqu'ellenefassedemi-tourpourretourneraubar.)Ilneparlequedevous.

Elle était de toute évidence au courant de notre dispute, mais ce qu'elle venait de me dire nem'intéressaitpaslemoinsdumonde.Mêmesic'étaitvrai,monpèren'auraitpasméritémonpardonencemoment.Nimonattention.

JegrimpaidansMiseryetm'enfonçaiavecdélicedanssonsiègeenfauxcuir.Ellem'allaitcommeungrosgantrougeetétaittoutaussichaude.Enfin,paslittéralement.L'airétaitfrais,etsesfenêtresenplexiglasétaientunpeugivrées.Jetournailaclédanslecontactpourlalaisserchauffer.Ellepritviedansunrugissementsonoreavantdesestabilisersurundouxronronnement.Çafaisaitunbailqu'onn'avait paspasséunpeude temps ensemble toutes les deux. Il faudrait qu'onparle plus tard,mais,pourl'instant,j'avaisdesendroitsetdessuspectsàvisiter.

Harperm'avaitdonnésonadresse,etj'avaisenviedejeteruncoupd'œilàsonpied-à-terreavantdecreuserplus loin.Si lapersonnequi laharcelaitavait laisséunautrecadeau, jevoulais levoirparmoi-même.Onpouvaitenapprendrebeaucoupsurunepersonneàsamanièredelaisserdesmenaces.Est-cequelecoupableétaitviolent,oujustemenaçant?Est-cequ'illuiferaitréellementdumal,ou

est-cequ'ilsouhaitaitjusteluifairepeur,exerceruncontrôlesurelle?Ellehabitaitdans lequartier richedunomdeTanoanEstate,dansunensemble résidentielmuni

d'unportail.J'ignoraiss'ilmefaudraitlapermissionexplicitedeHarperpourentreroupas.Jesortismalicencededétectiveprivéeaucasoù.Çapouvaitaider.Oupas.

Aprèsm'êtrearrêtéedevantleportail,j'adressaiunsourireresplendissantaugardedesécuritéenuniforme.

Ilmedévisagea,guèreconvaincu.—Bonjour,dis-je.Ilmegratifiad'unrapidesignedetête.Toujourspasimpressionné.Ilfaudraitquejemesurpasse.—Mon nom est CharleyDavidson. J'enquête sur une affaire qui implique un de vos résidents.

Avez-vousentenduparlerd'entréespareffractiondernièrement?Desalarmesquiseseraientmisesenroute?

Ilhaussauneépaule.—Les alarmes se déclenchent de temps à autre.Laplupart du temps, ce sont les résidents eux-

mêmesquiensontresponsables.Etonadesentréespareffractionàl'occasion,maisellessontplutôtraresdanslecoin.Jepeuxvousdemanderquivousaengagée?

—HarperLowell.Ellehabiteau...—Jesaisoùellehabite.Lorsque jehaussai les sourcils, il recula légèrement soncouvre-chefpourpouvoir segratter la

tête.—Ecoutez, on a euquelques appels de sa part,mais onn'a jamais trouvé aucunepreuved'acte

criminelsurplace.Pasdesigned'effraction.Pasd'empreintesdepasoudevoituresgaréesprèsdesamaison.Etellen'ajamaisétéenmesurededécrirel'intrus.S'ilyenavaitvraimentun.

—Doncvouspensezqu'ellementait?—Non,répondit-ilavecunhaussementévasifd'épaules,cequimefitréaliserquec'étaitàsontour

dementir.Jen'appelleraispasçaunmensonge,plutôtune...erreur.—Vousvoulezdiredelaparanoïa.Ilméditamapropositionquelquesinstants.—Unexcèsdezèle.—Ah.D'accord.Ehbien,celavousdérangerait-ilque je jetteuncoupd'œil?MmeLowellm'a

donnélesclésetlecodedesécurité.—Faites-vousplaisir.J'aijustebesoinderelevervotrenumérodeplaque.—Vousconsignezcetteinformationpourchaquepersonnequin'habitepasdanslecomplexe?—C'estmonmétier.Jeluiadressaimonplusbeausourire.—Est-cequ'ilyauraitmoyend'avoirunecopiedespageslesplusrécentes?—Passansunmandat,répondit-ilensecouantlatête.Mince.JemefisunenotementalepourpenseràmettreCookiesurlecoup.Elleavaitundonpour

dénicherdesdocumentsprotégéssansavoirrecoursàunmandat.J'étaisquasimentcertainequec'étaitsonsuperpouvoir.

Aprèsqu'ileutnotémonnumérodeplaque,jetraversailecomplexejusqu'àlamaisondeHarper.Aumoins,sesparentsavaientfaitçapourelle.

EtHarpers'ensortaitplutôtbien:unecommunautégrillagée,desgardesenuniforme.Unsystèmedesécuritéactif.Untripleverrousurchaqueporte.Jepassaidepièceenpièce,àlarecherched'unemenace,puisterminaiparlacuisine.J'avaisbumadernièretassedecaféplusd'uneheureauparavant.Harpern'émettraitprobablementaucuneobjection.

Pour mon plus grand plaisir, elle avait une de ces machines à capsules individuelles quipréparaient une tasse à la fois. Il était possible que jem'en sois commandé une. Il faudrait que jevérifiemescartonsenrentrant.

Jefouillaidanssesplacards,medemandantoùjemetrouveraissij'étaisunecapsuledecafé,avantde parvenir à la conclusion que je serais au Paradis, et nulle part ailleurs. Remplie à ras bord decopeauxdepépitesd'ornoir.J'ouvrisledernierplacardetfisunbondenarrièresouslecoupdelasurprise. Un lapin blanc empaillé était assis contre une conserve de betteraves. Normalement, leslapinsblancs,surtoutceuxquisontempaillés,nemedérangeaientpas,maisilyavaitquelquechosed'étrangementdérangeantàentrouverundansunplacarddecuisine.

Unquivousobservait.Quivousjugeait.Jevoulustendrelebraspourl'attrapermaismeravisai.C'étaitunepreuve.Biensûr,ellen'étaitpas

particulièrementincriminanteouvraimentmenaçante,maisçan'enrestaitpasmoinsune.Etcelapinétaitplutôteffrayant.Sesyeuxn'étaientpasdroits,etonauraitditquelerembourrage

au niveau de son cou avait été retiré de manière à ce qu'il penche la tête sur ses petites épaulesblanches.

Jelelaissailàoùjel'avaistrouvéetsortisdelamaisondeHarpersurlesnerfsetenmanquedecaféine.

Aprèsavoirinformél'agentdesécuritédemadécouverte,quinel'impressionnapasplusquejene

l'avais fait, je lui laissai ma carte et lui fis promettre de garder l'œil ouvert si quoi que ce soitd'inhabituelseproduisait.Puisjerepartisendirectiondemonappartement,laqueueentrelesjambes.SelonAnge,Reyesseraitàcetentrepôtlesoirmême,alorsj'avaisunpeudetempsàtuer.Jepouvaislefairesurmoncanapéencoreplusfacilementqu'encourantauxquatrecoinsd'Albuquerquecommeunpouletdontonvientdecouperlatête.

Uneminute.Cetteimagem'étaitétrangementfamilière.Jejouaiavecdansmonesprit.Lafisroulersurmalangue.Puisjeparvinsàuneconclusion:j'étaisunepoulemouillée.J'avaisbrusquementpeurdetout.

Jequittailarouteprincipaleetm'enfonçaidansunezonecommercialeafindedigérermonpropreétonnement.J'étaisunelâchedelapireespèce.Unevraietrouillarde.CommentlaFaucheusepouvait-elle faire son travail si c'étaitunepoulemouillée?Soudainement, chaque son, chaquemouvementprovoquaitunepousséed'adrénalinepluspuissantequ'untremblementdeterredeseptsurl'échelledeRichter.Çanepouvaitpascontinuer.Ilfallaitquejemeressaisisse.

JeregardailetableaudeborddeMisery.Êtreavecelleétaitréconfortant,d'unecertainemanière,maispasautantque le faitdepouvoirm'allongersurmoncanapé.Puis lavéritémefrappa.J'avaisignoréunechoseatrocependantdesannées.Jen'avais jamaisbaptisémoncanapé.Commentest-cequej'avaispuluifaireça?Commentavais-jepumemontrersiinhumaine?Sifroideetégoïste?

Maisquelnompourrais-jeluidonner?C'étaiténorme.Important.Ilnepouvaitpasvivreavecunnomquin'auraitpasreprésentésapersonnalitéunique.

CefutavecunsentimentdesoulagementtoutétrangeàlaperspectivedecenouveaubutdanslaviequejeredémarraiMisery.Jepourraimepréoccuperdufaitquej'étaisunepoulemouilléeplustard.J'avaisuncanapéàbaptiser.

Jevenaisde reprendre la routede lamaison - aprèsunarrêt audrive-inpourunmocha latte -rempliedecetteénergieflambantneuvelorsquemonportablesonna.

—Oui? répondis-jeenacceptant l'appel,bienqu'il soit illégalde téléphonerauvolantdans leslimitesdelaville.

Toutenobservantlesalentoursàlarecherched'éventuelspoliciers,j'attendisqu'oncleBobaitfinides'entreteniravecquelqu'und'autreetremarquequej'étaisenligne.

Mon oncle Bob, ou Obie, comme je préférais le surnommer, était détective pour l'APD, et jel'aidaisde tempsàautre sur certainesaffaires. Il savaitque j'étais enmesuredevoir lesdéfuntsetutilisaitcedétailàsonavantage.Jenepouvaispastropleluireprocher.

—Amène-luiça,etensuiteappellelelégiste,presto.—OK,répondis-je.Maisjenesaispastropcequeçavadonnersi j'appellelelégistepresto.Je

suispratiquementcertainequ'ils'appelleGeorge.—Oh,salutCharley.—Hey,oncleBob.Quoideneuf?—Tuesentraindeconduire?—Non.—Tuasentenduquelquechose?Nos conversations ressemblaient souvent à ça. Oncle Bob et ses questions aléatoires. Moi qui

essayaisdeluidonnerdesréponsestoutaussialéatoires.Pasquej'essayaistrèsdur.—IlparaîtqueTiffanyGorham,unefilleavecquij'étaisàl'école,rembourretoujourssonsoutif.

Maiscen'estqu'unerumeur.—Àproposdel'affaire,dit-il,lesdentsserrées.J'étais persuadée que ses dents étaient serrées, car ses mots semblaient tout à coup forcés. Ça

signifiaitqu'ilétaitfrustré.Dommagequejen'aieaucuneidéedecedontilmeparlait.—Jenesavaispasqu'onavaituneaffaire.—Cookienet'apasappelée?—Ellem'aappelée«tronchedecake»unefois.—Àproposdel'affaire.Sesdentsétaientànouveauserrées.—Onauneaffaire?Mais je l'avais perdu. Il était en train de parler à un autre officier.Ou à un détective.Ou à une

prostituée,selonl'endroitoùilsetrouvaitets'ilavaitunaccèsfacileàundistributeur.Maisjedoutaisfortementqu'ildemandeàuneprostituéedevérifierl'avancementd'uneautopsie.Àmoinsqu'ilsoitplusperversquejelepensais.

Je considérais samanie deme téléphoner uniquement pour s'entretenir avec d'autres personnescommeunvraidéfi.

—Jeterappelletoutdesuite,dit-il.Jenesavaispasdutoutàquiils'adressait.Lacommunicationfutcoupéealorsquejemetrouvaisàunfeu,entraindemedemanderàquoi

ressembleraitleguacamolesilesavocatsétaientorange.Jereportaifinalementmonattentionsurlegaminassissurmonsiègearrière.Ilavaitdescheveux

blondsquiluiarrivaientauxépaules,desyeuxd'unbleuvifetsemblaitavoirentrequinzeetdix-septans.

—Tuvienssouventici?luilançai-je,maismontéléphonesonnaavantqu'ilpuissedirequoiquecesoit.

Çanefaisaitrien.Ilavaitunregardabsent.Çam'auraitétonnéequ'ilrépondedetoutemanière.—Désolépourtoutàl'heure,repritoncleBob.Est-cequetuveuxdiscuterdel'affaire?—Onauneaffaire?demandai-jeànouveauenreprenantdupoildelabête.—Commenttesens-tu?Ilmeposaitlaquestionchaquefoisqu'ilm'appelait,àprésent.— Super bien. Est-ce que c'est moi, l'affaire ? Si c'est le cas, je peux me résoudre en trois

secondes.JesuisentrainderoulersurSanMateoendirectionducentredansuneJeeprougeceriseavecunpotd'échappementdouteux.

—Charley.—Dépêche-toi,avantquejem'enfuie!Ilabandonna.—Donc,lepyromanevientdepasserauxchosessérieuses.Malheureusement, je n'avais aucune idée de ce dont il parlait. Oncle Bob était détective à la

criminelleettravaillaitrarementsurautrechosequedesmeurtres.—OK,jemordsàl'hameçon.Pourquoiest-cequetucherchesunpyromane?Etpourquoiest-ce

qu'ilnepasseauxchosessérieusesquemaintenant?Est-cequ'ilsecontentaitdeplaisanter,avant?—Troisquestions, une réponse, dit-il avantdemarmonnerquelque chose àunnouvel officier,

puisde reveniràmoi.Etcette réponse,c'estparcequenotrehommeestàprésentunassassin. Ilyavaitunesans-abridansl'immeublequ'ilabrûlélanuitdernière.Elleestmorte.

—Merde.Çaexpliqueraitpourquoituessuruneaffaired'incendie.—Ouais.Est-cequetuasentenduquelquechose?—Apartl'histoiredeTiffanyGorham,non.—Est-cequetupeuxdéployertesantennes?Cetypedevientnégligent.—Attends.C'estpasceluiquis'assuraitqueleslieuxétaientvidesavantd'ymettrelefeu?—Celui-làmême.Onl'areliéàquatreautresincendiespourl'instant.Mêmemanièredeprocéder,

jusqu'à laminuterieet l'accélérant.Saufque,cettefois, iln'avaitpasfaitsortir tout lemonde.CetteSDFnet'auraitpasrenduunevisite,parhasard?

—Non,maisjevaisvoircequej'arriveàtrouver.—Merci.Jet'apporterailedossiersurcetypecesoir.—C'estunebonneidée.IlavaitdécidédepasseruniquementpourCookie.Ilavaituntellementgrosfaiblepourelle.—Alors,as-tuparléàtonpère?—Oh,non,jesuisentraindeteperdre!Jepeuxàpeinet'...Jecoupaiavantqu'ilpuissemeposerplusdequestions.Papan'étaitpasunsujetabordable,etille

savaitpertinemment.Àpeineavais-jeraccrochéquemonportablesonnapourlatroisièmefois.—LamaisondeCharley,Cheeriosaulait,j'écoute?—Tononcleatéléphoné,m'annonçaCookie.Ilauneaffairequ'ilaimeraitquetuexamines.—Jesais, répondis-je, feignantd'êtredéçue.Onvientderaccrocher. Ilm'aexpliquéqu'il t'avait

demandé dem'appeler immédiatement et que tu avais refusé.Que tu lui avais dit que tu avais deschosesplusintéressantesàfaire.Commetransférerdel'argentsurdescomptesoffshore.

—Tusaisquetuascommandéunmasseurpourlanuque?Cetrucestgrandiose.—Est-cequetuesentraindetravailler,aumoins?—Oh,oui!J'aitrouvél'adressedonttuavaisbesoin,maisiln'yapasgrand-chosedeplussurle

frère.Iln'ajamaisreçuuneseuleamendedestationnement.—Peut-êtrequesesparentslespaientégalement.—Ceseraitlogique.Jeregarderaileurscomptes,pourvoircequ'ilspaient.Maisj'ail'adressede

sontravail,etcellesdesparentsdeHarper.—Parfait,envoie-moiçapartexto.—Maintenant?Parcequecetrucmedétendd'unemanièrevraimentincroyable.—Seulementsituveuxéviterquejeporteplaintepourdétournementdefonds.—Jet'envoieçatoutdesuite.

Chapitre4Onnepeutpasréparerlastupidité.Maisonpeutl'atténueràcoupsdebattedebase-ball.

Tee-shirtDanslamesureoùj'avaisdéjàtraversélaville,j'étaispasséede«pastrèsloindelamaisondes

parentsdeHarper»à«pauméedanslacambrousse».Jefisdemi-tourentrombeaccompagnéed'uncoupdeklaxon-lemien-etmeretrouvaibloquéeparunnouveauportailenarrivantàdestination.C'étaitunvéritabletravaild'orfèvreentouréd'unmurdebriques.Jepressaileboutondel'interphone.

—Oui?fitunearrogantevoixmasculineengrésillantàl'autreboutdelaligne.Je devais être chez des riches. L'énorme manoir qui se tenait devant moi témoignait de deux

choses:lesLowellétaienttrèsaisés,etlesLowellaimaientlemontrer.—Jevoudraisuntacoavecunsupplémentdesauce,répondis-jelorsquejereportaileregardsur

l'interphone.Commeilnemedemandapascequejedésiraisboireavec,jeréessayai.—JesuisvenueparleràM.etMmeLowell,annonçai-jeensouriantàlacaméradesurveillance

qui surplombait l'interphoneavantde sortirma licencepour laprésenter. J'ai été engagéepar leurfille,Harper.

Commejenerecevaistoujoursaucuneréponse,jedécidaidechangermonangled'approche.—J'aijustebesoindeleurposerquelquesquestions.Aprèsunlongmoment,durantlequeljesourisaugossemortsurmonsiègearrière,enessayantde

nepasmerendrecompteàquelpointcettesituationdevenaitembarrassante,letypearrogantrevintàl'autreboutdelaligne.

—M.etMmeLowellnereçoiventpas.Qu'est-cequeçapouvaitbienvouloirdire?—Ecoutez,jenedemandepaslalune.J'aimeraisjusteleurposerquelquesquestions.Jepenseque

leurfilleestendanger.—Ilsn'acceptentpasdevisiteurs.Quellesgensattentionnés.— Dans ce cas, la police sera là dans quelques minutes. Veuillez m'excuser par avance s'ils

débarquentaveclessirènesetlesgyropharesàpleintube.Iln'yavaitrienquelesgensrichesdétestaientplusquelesscandales.J'adoraislesscandales.Par-

dessustoutleshistoirescroustillantesavecdesliaisonsillicitesetdesphotosdechefsd'entrepriseentalonshautsetboacoloré.Maisjevivaisdansmonpetitmonde.

—Vousavezcinqminutes,répondit-il.Il parlait nettement mieux qu'oncle Bob quand il avait les dents serrées. Il faudrait que je le

mentionneàmonrevêched'onclelaprochainefoisquejeleverrais.Peut-êtrequ'ilpourraitprendredescours.

Aprèsavoirremontéunelonguealléequisetransformaitenentréepavée,jetirailefreinàmaindeMiseryetjetaiuncoupd'oeildanslerétroviseur.

—Nepensemêmepasàpartirenviréeavecelle,monpote.Sonregardvidenecillapas.Ilétaitamusant.Unhommesûrde lui,habillédemanièreunpeuplusdécontractéequeceque j'avaisescompté,

m'attendaitdevantl'imposanteporteblanche.Lamaisonressemblaitplusàunedecellesqu'onaurait

trouvéessurlacôteestqu'auNouveau-Mexique.Sansdireunmot,l'hommemeconduisitjusqu'àceque je devinai être le salon. Comme je ne pouvais rien toucher, je décidai de fureter. Des photoss'alignaientauxmursetsurlesétagères,maisiln'yenavaitpasuneseulequin'aitétéfaiteenstudio.Chaqueclichéétait signéparunprofessionnel, et chacunavaitunecouleur thématique.Noir.Brun.Bleumarine.Quatrepersonnesdanslafamille:lesparents,ungarçon,etunefille,Harper.Ilsavaienttouslescheveuxsombresàpartlegarçon,etcedernierneressemblaitpasvraimentauxautres.Jemedemandaissilecoqétaitsortidupoulailler.Laparadedeportraitscréaitunecartedudéveloppementdes enfants Lowell, de leurs jeunes années, à peu près quatre ou cinq ans, jusqu'au début de leurvingtaine.Lesparentsavaientde touteévidenceélevé leursrejetonsd'unemaindefer.Dansundesclichés,ilsavaientpresqueperdul'espritetportaientdublanc.

Cesgensétaienteffrayants.—Commentpuis-jevousaider?Jemetournaipourdécouvrirunefemme,lamatriarchedeceprétentieuxpetitclub,sijemebasais

surlesphotos.Àlamanièredontellerelevaitlenez,j'endéduisisqu'elleavaitunehauteestimed'elle-même.Ça,oualorselletrouvaitmafascinationpoursonsalonrépugnante.

Jeneluioffrispaslamain.—MonnomestCharleyDavidson,madameLowell.JesuisiciàproposdeHarper.—Onm'aditquevousétiezdétectiveprivée?—Oui.Votrefillem'aengagée.Ellepensequequelqu'unessaiedelatuer.Jecomprisqu'ellen'enavaitprobablementrienàcirerlorsqu'elleexpulsabruyammentl'airdeses

poumons.—Belle-fille,corrigea-t-elle,etlespoilsdemanuquesedressèrentaussitôt.Jemedemandais simaproprebelle-mère faisait lamêmechose avecmoi.Si elle reprenait les

genslorsqu'ilsdisaientquej'étaissafille.Siçalahérissaitqu'ilslefassent.Ousiellesehérissaitàlasimpleidéequ'ilslefassent.

—Est-cequeHarperamentionnélefaitqu'onlaharcelait?—Lefait?répéta-t-elle,sonexpressiondébordantd'undouteirritant.Oui,madameDavidson.On

aeudroitàçaàn'enplusfinir.Jenepensepasquevouspuissiezapporterquelquechosedeneuf.L'indifférencedecettefemmemelaissaitsansvoix.C'étaitunechosedenepascroireHarper,mais

c'enétaituneautred'êtresiouvertementinsensibleàlasouffrancedesabelle-fille.J'eussoudainunerévélationquipourraitexpliquerquelquestrucs.

—Puis-jevousdemandersilefrèredeHarperestégalementvotrebeau-fils?Lafiertégonflasespoumons.—Arthurestmonfils.J'aiépousélepèredeHarperquandArtavaitseptans.Harperenavaitcinq.

Elledésapprouvait,etcespitreriesontcommencépeuaprès.—Pitreries?répétai-je.—Oui, confirma-t-elle avec un geste de dédain. Tous ces drames. Ces tragédies. Quelqu'un la

poursuitsansarrêt,essayantde lui fairepeur,oude lui fairedumal,voirede la tuer.Vouspouvezaisémentcomprendreàquelpointilestdifficiledeprendretoutçaausérieuxquandceladuredepuisplusdevingt-cinqans.

C'étaitintéressant.Harpern'avaitpasdutoutmentionnécedétail.—Doncçaacommencéquandelleétaitjeune?—Elleavaitcinqans.—Jevois.Jesortismoncalepinetfissemblantd'yinscrirequelquechose.Enpartiepouravoirl'airsérieux,

maissurtoutpourmelaisserquelquesinstantspourmefaireuneopiniond'elle.Decequejepouvaisendire,ellenementaitpas.EllenecroyaitpasquelesaccusationsdeHarperétaientréelles.Ellenepensaitpasquesavieétaitendanger.

Encoreunefois,mabelle-mèren'avait jamaiscruuntraîtremotdecequejeluiavaisconfiéen

grandissant.L'indifférencedeMmeLowellnesignifiaitrienau-delàdufaitqu'elleétaitmesquineetvaniteuse.

—Selonsesthérapeutes,continua-t-elled'untonincroyablementacerbe,septprofessionnels,pourêtre exacte, il n'est pas inhabituel pour une fille de se sentir négligée et d'avoir un besoinmaladifd'attirerl'attentionquandsonpèreseremarie.Samèrebiologieestdécédéelorsqu'ellen'étaitqu'unnourrisson.Jasonétaittoutcequiluirestait.

—Est-cequevotremariestàlamaison?Pourrais-jeluiparler?Monimpertinencesemblalégèrementl'énerver.—Non,vousnepouvezpas.M.Lowellest trèsmalade. Ilestàpeineenmesured'entretenir les

illusionsmorbidesdeHarperalorsneparlonspasdecellesd'unedétectiveprivée.L'expressiondeMmeLowellsuggéraitqu'ellepensaitquejen'étaisriend'autrequ'unescrocqui

courraitaprèsl'argentdeHarper,àsavoirsonpropreargent.Danslamesureoùj'étaishabituéeàcequelesgensmeprennentpouruncharlatan,jerestaiimpassible.Ellen'avaitclairementaucuneréelleaffectionpoursafilleadoptive.Ellelaconsidéraitcommeunembêtement.Unpoids.Unpeucommemabelle-mèreàmonsujet.

— Et, reprit Mme Lowell comme si une pensée venait de lui traverser l'esprit, elle a disparupendanttroisans.Troisans!DisparudelasurfacedelaTerre,pourcequ'onensait.Vousl'avait-ellementionné?

Mêmesi j'avaisenviede lui répondre :«Je l'aurais faitégalement,avecunebelle-mèrecommevous»,jemecontentaide:

—Non,m'dame.—Vousvoyez.Elle est totalement instable.Quand elle a finalement daignénous gratifier de sa

présence, elle a dit qu'elle s'était enfuie pour protéger sa vie. Quelles bêtises ! commenta-t-elle,l'irritation ayant pris possession de son ton. Etmaintenant elle engage un détective privé ? Elle adépassélesbornes.

J'écrivislemotpsychopathedansmoncarnet,puisjelerayairapidementavantqu'ellelevoie.Jelaissais mes préjugés me guider sur cette affaire, et cela ne me mènerait nulle part. J'inspiraiprofondémentafindeprendredureculmentalementetessayaid'envisagerleschosesdupointdevuedeMmeLowell,même si c'était difficile. Je nem'identifiais pas souvent à de riches garces,maisc'étaientaussidesêtreshumains.N'est-cepas?

Donc,MmeLowellépouseunhommefortunéavantdedécouvrirquelafilledecedernierlahaitde tout son cœur etméprise la relation que sa nouvellemère entretient avec son père, à tel pointqu'elle inventedeshistoiresàdormirdeboutàproposdequelqu'unqui tenteraitde la tuer.Poursevengerdesanouvellemère?Desonpèrequil'aabandonnée?

Non.Çanemeconvainquaitpas.MmeLowellétaitunegarcesanscœur.Elles'étaitprobablementmariéepour l'argent,etonnepouvaitpas le lui reprocher - il fautcequ'il faut -,mais ignorer lespeursdeHarperdemanièresiabsolueetsicyniqueserapprochaitdelanégligenceselonmoi.JasonLowell était sa poule aux œufs d'or, et sa fille faisait partie de l'arrangement. Je ne pouvaism'empêcher de ressentir des sentiments contradictoires au sujet du père deHarper.Où se situait-ildanstoutecettehistoire?Pourquoinesoutenait-ilpassafille?Pourquoineladéfendait-ilpas?

Jem'éclaircislavoix.—Vousavezparlédedrames.Pouvez-vousmedonnerunexemple?—Pourl'amourduciel,ilyal'embarrasduchoix!Unefoisc'estquelqu'unquilaissedeslapins

morts sur son lit, la suivante, c'est une de ces bombes de table qui la fait vomir sur le gâteaud'anniversaire de son cousin. Une bombe. Ensuite il y a eu les cauchemars. On se réveillait enentendantsescrisaubeaumilieudelanuit,oubienonlatrouvaitdevantnotrelità3heuresdumatin.

—Elleétaitsomnambule?—Non,elleétaitbien réveillée.Ellenousdisaitquequelqu'unse trouvaitdanssachambre.Les

premières fois, Jason sautait du lit et allait regarder,mais le thérapeutenous a expliquéquec'étaitexactementcequ'ellevoulait.Alorsonaarrêté.Onacommencéàl'ignoreretàlarenvoyeraulit.

—Est-cequ'elleobéissait?—Biensûrquenon.Onlaretrouvaitlelendemainmatin,endormiesousl'escalierouderrièrele

canapé. Et partir à sa recherche nous mettait toujours en retard pour ce qu'on devait faire. Sespitreriesétaientabsolumentépuisantes.

—J'imaginebien.—Alorsonacomplètementarrêtédelachercher.Siellevoulaitdormirdansl'armoireàbalais,

ainsisoit-il.Nousl'avonslaisséeetavonsreprisnoshabitudes.Maisladoctoressecontinuaitàrépéterqu'iln'yavaitrienquiclochaitavecelle.Elledisaitque,plusondonneraitd'attentionàHarper,plussescomportementss'amplifieraient.Alorsonaarrêtéd'yprêterattention.

Une douleur profonde ricocha dans ma poitrine. Savoir ce par quoi Harper était passée sanspersonnepourlasoutenir.Personnepourlacroire.

—Doncvousn'avezrienfait?—Nousavonssuivilesinstructionsdesadoctoresse,réponditMmeLowellenfaisantunelégère

grimace.Maissescrisesontprisdel'ampleur.Nousavonseudroitauxcauchemarsetauxterreursnocturnesnuitaprèsnuit,etnousn'avonsrienfaitd'autrequeluiordonnerderetourneraulit.Alorselleaarrêtédemangerpoursevenger.

—Poursevenger?demandai-je,lagorgeserrée.—Oui.Etensuiteelleacessédeselaver,puisdesebrosserlescheveux.Avez-vouslamoindre

idéede l'humiliationquec'est?D'avoirunenfantquiressembleplusàunvagabondqu'àunevraiejeunefille?

—Çaadûêtreterrible,répondis-jed'untonplatetpeusympathique.Cetteatrocebonnefemmenemanquapasmonsarcasme,et je regrettaiaussitôt.Ellesereferma

totalement. Toute information que j'aurais pu lui soutirer était perdue à cause dema bouche tropfrivole.

—Jecroisquevotretempsestécoulé,madameDavidson.Jemeréprimandaimentalementetdemandai:—Est-cequelefrèredeHarperestlà?Jepeuxluiparler?— Beau-frère par alliance, corrigea-t-elle comme si elle remarquait mon dépit. Et il a une

résidencepersonnelle.Cettedéclarationprovoquauneintéressantepousséed'indignationchezelle.Jesentisqu'ellen'était

pasqu'unpeumécontentequesonfilsaitdéménagé.Maisildevaitavoirlatrentaine,pourl'amourduciel.Àquois'attendait-elle?

Elleordonnaà lagouvernantedeme raccompagneràmavoitureavantque jepuisseposeruneautrequestion.Commequitondaitleurpelouse,parceque,punaise,jenesavaispasquelesbuissonspouvaientêtretaillésenformededieuPan.

— Ça fait longtemps que vous travaillez ici ? demandai-je à la jeune femme tandis qu'ellem'escortaitjusqu'àlaporte,bienconscientequeçanepouvaitpasêtrelecas.

Ellesemblaitavoirlavingtaine.Elleregardanerveusementpar-dessussonépauleavantdesecouerlatête.—Depuiscombiendetempsconnaissez-vouslesLowell?Aprèsavoirouvertlaporte,ellescrutaànouveaulesenvirons.—Non.J'aicommencéà travailler ici ilyaquelquessemaines.Leurgouvernantede toujoursa

prissaretraite.—Vraiment?Elle semblait souhaiter que je sorte de la maison. Mauvais. Je n'avais pas envie de lui attirer

d'ennuis.Jesavaiscommentcesgensfonctionnaient,etleursdomestiquesnedevaientparlerderiendecequisepassaitsousleurtoit,fautedequoiilsperdraientaussitôtleuremploi.Maisils'agissaitdu

bien-êtredel'und'entreeux.—Combiendetempsvotreprédécesseura-t-elletravailléici?—Presquetrenteans,fit-elled'unemanièreétrange,commesicetteidéel'étonnaitautantquemoi.Quequelqu'unpuissetenirtrenteanssouslacoupedecettefemmedépassaitl'entendement.Maissi

quelqu'unsavaitcequisedéroulaitdanscegenredemaison,c'étaitbiensonpersonnel.—Merci,dis-jeenadressantunclind'oeilàlagouvernante.Ellemeréponditd'unsouriretimide.JequittailemanoirdesLowellavecbienplusdequestionsquejen'enavaisenarrivant,toutefois

j'avaisaumoinsuneidéeassezprécisedeceparquoiHarperétaitpasséeengrandissant.Mais,quandmême, elle ne m'avait pas avoué depuis quand ses ennuis duraient. Même si je pouvais devinerpourquoi -personnene lacroyait,pourquoi l'aurais-je fait ? -, il faudraitque je lui enparleaussirapidementquepossible.Jemanquaisd'informationscrucialesquipouvaientm'aideràrésoudrecetteaffaire.

Cependant, jen'arrivaispas àm'ôterundétail de l'esprit.Tout cequeHarper avait fait, tous lescauchemars, toutesles illusions, touteslescrisespointaientdansunedirection:syndromedestresspost-traumatique.Etcequil'avaitdéclenché,c'étaitlabombedetableàl'anniversairedesoncousin.J'avais suivi assez de cours de psychologie au collège pour reconnaître les symptômes les plusélémentairesduSSPT.

Leharcèlementpouvaitprovoquerdustresspost-traumatiquejusqu'àuncertainpoint,surtoutsilasituationmettait laviede lapersonneendanger,mais lessymptômesdeHarper laissaientpenseràuneformeplusgrave.Unthérapeutediplômédevaitbienlesavoir.Peut-êtrequ'unevisiteàcesseptspécialistesqu'avaitmentionnésMmeLowellseraitunebonneidée.

J'appelaiCookiepourluifairetrouverchezquiHarperavaitfréquentéetquand.—J'aiaussibesoindeparlerà lagouvernantequiapris sa retraitedernièrement,etensuite j'ai

besoindeplusd'infossurlesLowell.— Gouvernante. Noté. Mais des infos ? De quelle sorte ? demanda-t-elle tout en continuant à

pianotersursonclavier.—Compromettantes,Cook.Ilfautquetumedégottestouslesdétailslesplusmochesquetupeux

dénichersureux.Unefamillequitenteàcepointd'enmettrepleinlavueaforcémentquelquechoseàcacher,etjedoissavoircequec'est.

—Cegenredechosefaitrarementlaune,maisjeverraicequejepeuxtrouver.—Et jeveuxvraimentparleraux thérapeuteschezqui lesLowellontenvoyéHarper.Elle lesa

fréquentésdepuisl'âgedecinqans,environ.—Çapourraitêtredifficile.—Tuessaiesdemedirequecen'estpasdanstescordes?—Non,répondit-elle,unsouriredanslavoix.Jevoulaisdirequ'ilétaittempsquetumedonnes

enfinunvraidéfi.—J'espéraisquetudiraisça.J'appelaiDavidTaftaussitôtaprèsavoirraccroché.L'officierTafttravaillaitdanslemêmeposte

depolicequ'oncleBobetavaitunepetitesœurdéfuntequiaimaitmerendrevisiteauxpiresmomentspossible.C'est-à-diren'importequand.Nousn'étionspasvraimentamis,Taftetmoi.Cequipouvaitenpartieexpliquerlamanièrefroidedontilmerépondit.

—Taft,annonça-t-ilendécrochant.—Hello,c'estCharleyDavidson.(Commeiln'ajoutaitrien,jedécidaid'enchaîner.)J'aiunecliente

quiaffirmequevousêtessonagentdeliaisonauposte.HarperLowell?—Çanemeditrien.Alorscommeçavousêtesderetour?—Jenesuisjamaispartie.Elleprétendquequelqu'unlaharcèle,quequelqu'unessaiedelatuer.—Jevoisdequivousparlez.Onn'ajamaisrientrouvésurunpotentielharceleur.—Vouslacroyez?

—Pas au début. Jusqu'à ce que je discute avec ses parents. Eh bien, eh bien, je commençais àl'apprécier.

—Pourquoiça?—Jenesaispas.Ilsavaientl'airunpeutropenthousiastesàl'idéedemeconvaincrequeleurfille

étaitfolle.—J'aieulamêmeimpression.—Donc,ellevousaengagée?—Ouaip.Est-cequevousavezpudécouvrirlamoindrepreuve?J'avaisdelapeineàcacherl'espoirquifaisaittremblermavoix.—Rienquinepuisseêtreexpliquépar l'hypothèsede la follequiessaied'attirer l'attention.Les

lapinsempaillésnesontpasvraimentdangereuxpourlasanté.—Quandilsnesontpasempaillés,maisqu'ilssontlaisséssurvotrelitpendantquevousdormez

etqu'ilsontlagorgetranchée,si.—Écoutez,jenesuispasendésaccordavecvous.Onn'asimplementjamaistrouvéaucunepreuve

pourcorroborersonhistoire.Justequandjecommençaisàl'apprécier.—Etjesuissûrequevousavezfaitdevotremieux.—J'aiessayé,Davidson,sedéfendit-il,légèrementcassant.—OK,OK,pasbesoind'êtresiborné.—Est-cequevousavezvumasœur?LasœurdeTaftétaitmortequandilsétaientjeunes,etelleavaitrécemmentdécidéquemehanter

étaitplusamusantquedesuivresonfrèrepartoutàlongueurdejournée.IlavaitfalluunmomentàTaft pour croire que je pouvais la voir et lui parler, et avoir envie de la tuer à cause de lamaniequ'elleavaitdeposerquestionaprèsquestion.Maisune foisqu'ileut réaliséquec'était lavérité, ilavaitdécidédesetenirinformédecequ'ellepensaitdemoi.Ôjoie.

—Pasdernièrement,répondis-je.EllepassebeaucoupdetempschezRocket.—Vousvoulezdireàl'asilepsychiatriqueabandonnéoùvousparlezauxfantômes?—Celui-làmême,etjeneparlequ'àunseuld'entreeux.Rocket.Ilaunepetitesœur,etelleetla

vôtre s'entendent à merveille. J'irai leur rendre visite dans pas longtemps. Je vous ferai savoircommentelleseporte.

—Merci,jevoussuisvraimentreconnaissantde...Ouais,ouais.—Sivousentendezquoiquecesoit.—Vousserezlapremièreaucourant.—Aucasoùvotresœurdemanderait,voussorteztoujoursavecdespouffiasses?Unlégerrirefiltrajusqu'àmesoreilles.—Non.Enfin,paspourlaplupart.—OK.Neme forcez pas à descendre au commissariat pour botter votre petit cul d'amateur de

pouffiasses.—Jeferaiensortequecettemenacenem'empêchepasdedormirlanuit.—Bonnechance.Je raccrochaietprisune longue inspiration,décidantqu'ilétait temps.Le frèredeHarper serait

rentréàlamaisonàl'heurequ'ilétait,etjen'avaistoujourspasl'adressedesondomicile,doncilmefaudrait l'attraper à son travail le lendemain. Si Cookie avait raison, il était employé dans unecompagnie de conservation d'énergie, mais j'avais des problèmes autrement plus importants. Jeredressailesépaulesetraffermismaprisesurlevolant,parceque,cesoir,j'avaisundragonàtuer.UndragondunomdeReyesFarrow.

JeconduisisMiseryàtraverslequartierdesentrepôtsd'Albuquerqueprèsdesrailsdecheminde

feraucentre-ville.Unepluiefroides'abattaitparvaguessurmonpare-brise,maispersonnen'auraitosés'enplaindre

dansunclimataussiaride.SeplaindredelapluieàAlbuquerque,çaauraitétécommeseplaindredusoleilàSeattle.Alorsjen'étaispasvraimententraindemeplaindre,maisplutôtentraindedéplorerle faitque jedevais conduire sous l'averse.Lespluies torrentielles rendaient la routepratiquementimpossibleàvoir.Avecunpeudechance, lepropriétairedespoubellesque jevenaisde renversercomprendraitça.

Après être restée immobile sur le bas-côté pendant quelques instants, à observer des voiturespénétrerdansuneaireprotégéeàtraversdeslitresd'eau,jedécidaidemelaisserpousserunepairedecouillesetd'yaller àmon tour.Àquelpoint est-cequeçapouvait tournermal? JemeséparaideMargaretetlarangeaisousmonsiègeavantderejoindrel'entrée.

Un colosse habillé d'un poncho noir en plastique leva une main pour m'arrêter à peine eus-jeatteintl'entrée.Jem'arrêtaidonc.Enpartieparcequ'ilétaitvraimentimpressionnantetenpartieparcequeréussiràafficherl'airqu'ilaffichaitétaitvraimentimpressionnant.

Je fis coulisser ma fenêtre, en me demandant si je devrais investir dans une voiture avec unéquipementderniercri.Jepouvaismepasserdefenêtresélectriques,etMiseryétaitunetellepartdemoique jen'auraispaspuimaginermaviesanselle.Àmoinsquemanouvellevoituresoitmunied'unpetit jaguarsurlecapot.EnquelcasjemedébarrasseraisdeMiseryaubordd'untrottoirplusvitequed'unecanetted'aluminiumvide.

Jetapotaiaffectueusementsontableaudebord.—Jeplaisante,magrande.Jenet'abandonneraijamais.Àmoinsquetusoisenfeuetquejedoive

sauvermesfesses.Commesiellemegratifiaitd'uneremarquecynique,ellesemitàcrachoteràunrythmeétrange

avant de revenir à son ronronnement habituel. Quel fichu caractère. On était définitivement faitesl'unepourl'autre.

—T'esflic?demandaletypeauponcho.—Non,maisjesuissortieavecunmecquil'était,unefois.IlbraquaunelampetorchesurmoietexaminalesentraillesdeMisery.Malheureusement,toutce

qu'ilytrouvafutunméli-mélodedossier,quelqueschemisesenplastiqueetunéquipementdesurviequiconsistaitprincipalementencrackersaufromageetenuneprovisiondesecoursdebonbonsàlamenthe. Fichues girl-scouts. Ces trucs étaient pires que de la drogue. Ils devaient être coupés àl'héroïne.

Jen'arrivaispasàdiscerner les traitsdu typeauponchoàcausede l'obscuritéetdesacapuche.Maisiljouaitsonrôlemenaçantàlaperfection.Ilpenchalatêtesurlecôté.

—T'asétéenvoyéeparlesflics?—Pasaujourd'hui.Jeluisourisenlaissantdecôtélefaitquelapluiememartelaitlevisage.—T'asreçuuneinvitation?—J'aiétéinvitéeàlapyjamapartydeNancyBurkeensixième.Onajouéaujeudelabouteille.

J'aidûembrasserunetortueaudouxnomd'Esther.—Ahouais?Saufquejeteconnaispasetquej'enairienàcirer.—Oh!m'exclamai-jeensortantmamainparlafenêtrepourlaluitendre.JesuisCharley.Ilreculaetmefitsignedefairedemi-tour.—Entréerefusée.Reparsparlàd'oùtuviens.Mince.J'auraisvraimentdûm'habillerdemanièresexyetluidiredem'appelermonlapin.—Attendez!criai-jeentâtonnantsousletableaudebordàlarecherchedemonargentdesecours

pourlesmochalatte.JesuisjusteicipourparleràReyesFarrow.Celanesemblapasl'impressionner.

—Farrowparlepas.Maintenant,fichelecampavantquejetraînetonp'titculhorsdetabagnoleetquejetemetteuneraclée.

C'était totalement immérité. Comme s'ils agissaient de leurs propres volontés, mes doigtscommencèrentàramperàl'aveuglettesurlaportièrejusqu'àcequ'ilstrouventleverrou.Justeaucasoù. Puis je sortis mon billet de cinquante dollars et décidai de jouer à son jeu. Celui de la filledésespéréetellementamoureusedudieuReyesqu'elleferaitn'importequoipourentrer,pourpouvoirl'apercevoir.

—Jevousenprie.J'aijusteenviedelevoir.Jevoudraissimplement...regarder.Ilpoussaunprofondsoupiravantdes'emparerdubilletquejeluitendais.—Si je t'attrapeen traind'enregistrerquoiquece soit, je te sorsd'icipar lapeauducul et j'te

flanqueuneraclée.DouxJésus,ilaimaitcetteimage.—Merci,répondis-jeenclignantdesyeuxplusieursfoisdesuite,enpartieparcequelapluieétait

toujoursentraindemalmenermonvisage.Merciinfiniment.Ilfronçalessourcilsetbalayalecôtégaucheàl'aidedesalampetorche,m'indiquantoùmegarer.

Jesuivissesinstructions,attrapaiunedesvestesquej'avaisjetéesàl'arrièrepourm'enservircommed'un parapluie de fortune, fis un vague signe d'adieu au gosse qui était toujours assis sur le siègearrière,àregarderàl'extérieurduvidedesapetitestationspatiale,puismedépêchaiderejoindreunedesporteslatérales,làoùj'avaisvuuncouples'engouffrerunpeuplustôt.Malheureusement,jefusarrêtéeànouveau.

Parunautrehommedansunponchonoirenplastique.Quivoulaitdel'argent.—C'estcinquantetickets,dit-ild'unevoixsanston.Ildevaitplaisanter.—Cinquantedollars?C'estcequejeviensdepayercetype!J'arrivaistoutjusteàdiscernerlamoitiéinférieureduvisagedecelui-ci.Ilsouriait.—Ça,c'étaitpourleparking.Pourentrer,c'estdenouveaucinquante.Eh bien, merde. Être fauchée, ça craignait un max. Je sortis mon porte-monnaie tandis qu'un

grouped'hommesseplaignaitderrièremoi.—Ilpleut,chérie.Dépêche-toi!—Çavapasêtresispectaculaire,fitunautre,ignorantsoncamarade.—Tuplaisantes.J'aientendudirequepersonnen'avaitjamaisréussiàlebattre.—Unpeuquepersonnen'ajamaisréussi!Vousavezvucegaillard?Ilbougecommeuneputain

depanthère.Je ne savais que trop bien de qui ils parlaient, songeai-je en continuant à fouiller mon porte-

monnaieà larecherchede lacachettedemadeuxièmedépannepour lesmocha latte.C'étaientmesdernièreséconomies,alorsçaavaitplutôtintérêtàenvaloirlecoup.

—Jesaispastrop.Jepensequejepourraismelefaire,ditunautrehomme.Jejetaiunregardpar-dessusmonépauleetremarquaiquetoussesamisledévisageaient,bouche

ouverte.Letypesourit.—S'iln'étaitpasarméetquej'avaisunAK-47entrelesmains.Ils se mirent tous à rire jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que j'avais arrêté de chercher de

l'argent.L'und'euxmedonnauncoupd'épaule,mefaisantavancerdeprèsd'unmètre.—Allez,chérie.Onaunbottagedeculàregarder.—Merde,çaadéjàcommencé!Unrugissementbruyants'élevatandisquelepublicpoussaitdesacclamationsderrièrelaporte.—Tenez,ditundesgarsentendantunbilletdecinquantedollarsauvideuravantdemedépasser.Lesautressuivirentlemouvement,etj'apprisrapidementcequ'onressentaitquandonpassaitdans

unemachineàlaver.Ilsmepropulsèrentdansletypeauponchonoirnumérodeux,et,d'unemanière

tout à fait improbable, un billet se matérialisa dans ma main. Peut-être parce que je venais de lefaucheraudernierhommequim'avaitdoublée, aumomentexactoùceluiqui le tenait et celuiquil'attendaitpensaienttouslesdeuxquel'autrel'avaitensapossession.

—Levoilà.Je brandis le billet avec un peu trop d'enthousiasme.Le videur ne sembla pas remarquer. Ilme

l'arracha des mains avant de m'aider à avancer d'une poussée pas vraiment douce. Bon Dieu. Jetrébuchaienmarchantàmesurequed'autrespersonnesentraientàmasuite,aussimedépêchai-jederejoindre un coin illuminé par un projecteur dans une zone pourtant sombre et vide de l'entrepôt.L'endroitdégageaitunmélanged'odeursdecrasse,debière,defuméeetd'eaudeCologne.J'aimaislesodeursmasculines.Surtoutcelledel'eaudeCologne.

Pourtant,j'avançaitouslessensenalerte.Alorsquejemerapprochaisdel'action,jeprisconsciencequelafouleétaitbienplusgrandeque

je l'aurais cru. Des gens, des hommes pour la plupart, se tenaient debout et lançaient desencouragementsautourd'unringgrillagé,commeceuxqu'onvoitàlatélé,maisenplussommaire.Lesbarreauxde la structure rudimentaire n'étaient pas recouverts deprotection, et la porte pouryentrerétaitferméedepuisl'extérieurparunegrossechaîne.Çanepouvaitpasêtrebonsigne.

Sij'encroyaislesacclamationsdelafoule,ilsavaientsoifdesang,bienplusquedelabièrequicoulaitàflots.Onachetaitdesboissons.Onfaisaitdesparis.Onlançaitdespoings.J'étaisenréalitéplutôtsurprisederemarquerlenombredefemmesquiétaientprésentes,avantdeprendreconsciencequ'ellesn'encourageaientpascommeleshommes.Ellesobservaient,leursyeuxrivéssuruneseuleetuniquechose.Cefutàcemomentquejelevis.Lui.ReyesAlexanderFarrow.Jeportaileregardau-delàdugrillaged'acieretmeconcentraisurcequisepassaitàl'intérieur,surlespectaclequetoutlemondeétaitvenuvoir.

Chapitre5Bonjour.Jesuislesennuis.J'aientendudirequevousmecherchiez.

Tee-shirtAngeneplaisantaitpas.Reyess'étaitmisàlalutteencage.C'étaitunconcepttellementétrangeque

j'étais sûre qu'il plaisantait au départ. Je laissai mon étonnement de côté et je me dépêchai dem'approcherpouravoirunemeilleurevue,jouantdescoudespourfendrelafoule.Lescombattantsneportaientpasdesshortsdeboxeurstraditionnels.L'adversairedeReyesétaitensurvêtement,tandisque lui-même n'était vêtu de rien d'autre qu'un jean. Ses mains avaient été bandées, et il avaitégalementdespansementsautourdutorseetsurunedesesépaules.Onn'auraitjamaispermisàunhommeblessédesebattredansunmatchofficiel.Cetruc-làétaitaussilégalqueduvolàl'étalage.

Aumomentoùilsentitmaprésence,Reyesquittadesyeuxlatâchequ'ilétaitentraind'accomplir-unetâchequiimpliquaitdusang,delasueur,etunadversairedecentcinquantekilos-etcapturamonregard. La surprise qui passa sur son visage était si infime, si faible que je doutais que quelqu'und'autrequemoil'aitremarquée.Ilseressaisitaussitôt.Sonexpressionsefitplussévère,sesmusclespuissantsse raidirent,et le typequ'ilvenaitdeplieretqu'ilmaintenaitenplaceà l'aidede toutsonpoidssemitàhurlerunedemi-secondeavantdetapersurlesolpourannoncerqu'ildéclaraitforfait.

Çadevaitêtredurpourunhommecommelui,quiétaitdetouteévidenceunhabitué,deserendre,d'admettreladéfaite,maisladouleurqueReyesluiinfligeaitdevaitvraimentêtreinsoutenable.

Et pourtant, Reyes n'arrêtait pas. Il ne lâchait pas. Un arbitre improvisé s'élança dans la cagelorsque l'homme frappa le sol une nouvelle fois. La souffrance qui déformait ses traitsme faisaitrétrécir sur place, mais Reyes ne voulait pas me quitter des yeux. Il me dévisageait, son regardbrillant de colère, samâchoire décidée alors qu'il raffermissait encore plus la prise qu'il exerçait.L'arbitre devenait fou en essayant de le dégager de son adversaire.Deux autres types accoururentdans la cage, mais ils n'étaient pas aussi enthousiastes que l'arbitre. Ils s'approchèrent bien plusprécautionneusementtandisquelafouleendélirehurlait.Réclamaitdusang.Ou,disons,plusdesang.La souffrance de cet homme était insupportable. Elle s'élevait en vagues aiguës et liquides ets'infiltraitdansmesveinespourlesparcouriraussisûrementquelefaisaitl'hémoglobine.

Jebaissailementon,maispaslesyeux,etmurmurai:—S'ilteplaît,arrête.Reyesrelâchaaussitôtsonadversaireetretombasurlestalons,unaird'avertissementsalaceposé

sursestraitsincroyablementbeaux.Ilnevoulaitpasdemaprésenceenceslieux-ça,c'étaitclair-,maisilyavaitplusquecela.Ilétait

encolère.Luiquim'avaitpiégéepourmieuxmeregardertomber.Luiquim'auraittrahied'unmillierdefaçonssansbroncherosaitêtreencolèrecontremoi.Ilnemanquaitpasdeculot.

Son adversaire était étalé sur le tapis et grognait tout en se tordant de douleur. Le petitéchauffementdeReyesavaitdûluicasserquelquechose.Cedernierneluiprêtaitaucuneattention.Ilignorait également l'arbitre, qui était en train de lemarteler d'avertissements verbaux, ainsi que letypequiavaitpenséàposerunemainsursonépauleenguisedesoutienavantdeseraviser.Sautantsur ses pieds, il sortit de la cage à grandes enjambées, comme s'il devait aller quelque part. Lesapplaudissements et les félicitations fusaient àmesurequ'il naviguait dans la foule. Il n'yprêtapasplusattentionqu'aureste.Heureusement,lesgensétaientassezsenséspourseretirerdupassagedès

qu'ilapprochait.Il traversasansencombre,puisdisparutderrièreuneportequimenaitàunegrandeconstruction

carréedansuncoinéloignédel'entrepôt.Desbureaux,peut-être.Lesentraîneursaidèrentl'autretypeàsereleveretleconduisirentdansladirectionopposéetandisqu'unconciergenettoyaitlesangsurletapis.

Mespiedsmeguidèrentlàoùtouslesregardsétaientbraqués.Alapiècedanslefond.Jefendislafoulesauvageet lesfemmesenchaleurendonnantdescoupsd'épaules.Plusieurspersonnesétaientamassées devant la porte, mais personne n'osait aller plus loin. Le fait que personne ne gardaitl'entréemesurprit.Untypeensortit,pluspetitetplusrâbléqueReyes,lesmainsbandéeségalement,sespoingsprêtsà l'attaque tandisqu'ilboxaitunadversaire invisiblesur lecheminquimenaità lacage.

Etlafouledevintfurieuse.Je passai la porte etme retrouvai dans une espèce de vestiaire industriel. Pas comme ceux des

fitness, qui sont propres et illuminés, mais comme ceux des vieilles manufactures, minables,sombres,etsales.Troisélémentsmétalliquesséparaientendeuxlapièceoùs'élevaitdelavapeur.Surlagauchesetrouvaientplusieursbureaux.Surladroite...

—Etilsvoudraientquetufassesdurerlespectacleunpeupluslongtemps,ditunevoixmasculinequiprovenaitdequelquepartdevantmoi.Onenadéjàparlé,tutesouviens?

Jelasuivis,dépassantlesvestiairespourarriverdansuneaireouverteavecdesbancsetquelquestables. Les douches se situaient juste derrière, et quelqu'un était de toute évidence en train de lesutiliser.DelavapeurtourbillonnaitautourdeReyes,quiétaitassissurunedestables.L'hommequidevaitêtresonentraîneursetrouvaitenfacedeluietluienroulaitlesmainsdansunebandeblanche,exactementcommedanslesfilms.Sonjeanétaitbassurseshanches,dévoilantjusteassezdesachutedereinspourrendremesgenouxtremblants.Despansementsetduchattertonblancentouraientunedesesépaulesetfaisaientletourdesescôtes,etjedusmebattrepourtempérermoninquiétude.Quantaurestedesapersonne,sapeaucuivrées'étendaitavecunegrâcefluidesursalargecarruretouteenmusclesetencourbesalléchantes.Ilétaittoutsimplementmagnifique.

J'étaisaulycéelapremièrefoisquej'avaisvuReyes.MasœurGemmaetmoil'avionsrepéréàlafenêtredesacuisine,tardunsoir.C'étaitdansuncoinmalfamédelaville,etceàquoij'avaisassistéensuitel'avaitconfirmé.Unhomme-qui,jel'apprendraisparlasuite,étaitEarlWalker,lemonstrequiavaitélevéReyesetqui,desannéesaprès,m'avaittorturéeetpratiquementassassinéedansmonappartement - était en train de le battre. Reyes était âgé de dix-neuf ans à l'époque. Il était féroce.Sauvage.Etmagnifique.Maisl'hommeétaitimposant.Sespoingss'étaientabattussurReyesjusqu'àcequ'ilnepuisseplustenirdebout.Jusqu'àcequ'ilnepuissemêmeplussedéfendre.

Pourempêcherl'hommedeletuer,j'avaisjetéunebriqueàtraverslafenêtre.Çaavaitfonctionné.Ils'étaitarrêté.Maiscettebriquen'avaitpaseuplusd'effetqu'unsparadrapsuruneblessureparballes.J'avaisdécouvertbienplustardqueReyesavaitpasséunedizained'annéesenprisonpourlemeurtred'EarlWalker,pourapprendreparlasuitequecederniern'étaitpasréellementmort.Ilavaitmisenscène sonpropremeurtre, etReyes avait fini derrière lesbarreauxpourun crimequ'il n'avait pascommis.Leproblème,c'étaitqueReyess'étaitéchappépourprouversoninnocenceetm'avaitutiliséecomme appât pour faire sortir Earl Walker de son trou. J'avais failli mourir. Cookie et sa fille,Amber,s'étaientégalementretrouvéesendanger.

Ceséléments,combinésaufaitqueReyesétaitlittéralementlefilsdeSatan,forgédanslesfeuxdupéché et de la décrépitude, étaient un peu durs à oublier.Mais il était également l'entité noire quim'avait suiviedurant toutemavie. Ilm'avait sauvéeàplusd'une reprise.Sesactionscontredisaienttoutcequ'onm'avaitapprisàpenseràproposdesténèbres.Toutétaitsiambigu.

Etmaintenant,jemetenaisauborddugouffre.Est-cequej'oseraisluifaireconfianceànouveau?Est-ceque jepourraiscroire lamoindrechosequ'ilmedirait ? J'avaispassédeuxmoisdansmon

appartementàretournercesquestionsdansmatête.Sa chaleurm'atteignit alors, et jeme rapprochai. Cette chaleur familière qui émanait de lui en

doucesvaguesnucléairesétaitcommeunelotiondésinfectante,calmanteetirritanteàlafois.Jemetenaisimmobilesouslesnéons,maisilnelevapaslesyeux.Ilm'offrituneoccasiondel'étudierd'unpeuplusprès,d'évalueràquelpointlalibertél'avaitchangé.Pasbeaucoup,réalisai-jerapidement.Sescheveuxétaientdelamêmelongueurquedeuxmoisauparavant.

Desmèchesépaissesretombaientsursonfrontetbouclaientderrièresesoreilles.Samâchoire-etcette expression si déterminée qu'il affichait toujours - disparaissait sous l'ombre d'une barbe d'unjour.Elleencadraitseslèvrespleinesavecuneprécisionsiparfaitequej'eneusl'eauàlabouche.

Je me forçai à détourner le regard de son visage et à observer ses larges épaules, qu'il avaitdénudéespourlecombat,exposantainsilestatouagesanciensaveclesquelsilétaitné.Lestatouagesquis'étalaientcommeunplan,uneclépourlesportesdel'Enfer.Jesavaislireunecarteaussibienquen'importequellefille,maiscommentpouvait-onfairepourendéchiffrerunepareilleafind'accéderàune autre dimension et traverser la désolation de l'infini pour se rendre dans un lieu où personnen'avaitenviedemettrelespieds?

—Quefais-tuici?demandaReyessansleverlesyeuxdutravaildesonentraîneur.Ilétaitd'unebeautésisaisissantequ'ilmefallutuninstantpourréaliserqu'ils'adressaitàmoi.Jene

l'avaispasvudepuisdeuxmoiset,mêmeavantça, jene l'avaisvuenchair et enosqu'àquelquesbrèvesetdangereusesoccasions,chacuneporteusedesentimentsmitigés,entrepréoccupationettêtedanslesnuages.J'avaisbeauêtreencolère,l'attractionqu'ilexerçaitsurmoi,aussiappétissantqu'unfruitsauvage,agissaitcommeunaimant.Etj'étaisdetouteévidenceuntrombone.Touteslescellulesdemoncorpsessayaientdemeprécipiterenavant.

L'entraîneurrelevalesyeux,confus,puisremarquaquequelqu'und'autresetrouvaitdanslapièce.Ilsetournaversmoi,ladésapprobationbarrantsonfront.

—Vousn'avezpasledroitd'êtreici.—J'aibesoindeparleràvotrehomme,annonçai-jeenmettantautantd'autoritédansmavoixque

j'enétaiscapable,cequi,actuellement,équivalaitàpasbeaucoup.Finalement,Reyesremontalescilsavecuneprudenceinfiniejusqu'àcequejepuisseapercevoir

l'éclatdesesrichesyeuxbruns.Jesuppliaimoncœurdecontinueràbattre,maisiltombaraidemortaussitôt.Reyesécartalégèrementleslèvres,etmonregardreplongeasursabouche.Commepourmerépondre,elles'allongeaetildit:

—Tudoispartir.Décidantd'ignorerlavaguedechaleurquiavaitenvahimoncorpslorsquesavoixaussiprofonde

quesensuelleavait résonné, je redressai lesépaules, fisunpasenavant,et lui tendis lepapierquej'avaisfroisséàlaminuteoùjel'avaisvudanslacage.

—J'aiapportélafacture.Ilabaissasescilsépaisetattrapalepapierdesamainlibre.—Lafacturepourquoi?demanda-t-ilenparcourantcequej'avaisécrit.—Pourmesservices.J'aitrouvétonpèrepourtoi.J'aifaillimourirenlefaisant.Monbusinessde

détectiveprivéec'estjusteça,monsieurFarrow:unbusiness.Malgrécequetupeuxcroire,jenesuispastongarçondecourses.

Il avait hausséun sourcil aumomentoù j'avaisutilisé sonnomde famille,mais s'était trèsviterepris.Ilretournalepapier.

—C'estécritsurunequittancedechezMachoTaco.—J'aiimprovisé.—Etlemontantestd'unmilliondedollars.—Jenesuispasdonnée.Unsourireinfimesoulevauncoindesabouche.

—Jen'aipasunmilliondedollarssurmoiencemoment.—Onpeutpasseraudistributeurleplusprochesituveux.—Malheureusementpas.(Ilplialepapierpourlefourrerdansunedesespochesarrière,ettoutce

quejepuspenserfutquej'auraisrêvéd'êtreunequittanceMachoTacoencetinstant).Jesuisfauché.Je n'avais même pas besoin de lire ses émotions pour savoir qu'il s'agissait d'un grossier

mensonge.C'étaitunebonnechose,parcequejen'aimaispastroplamalhonnêteté.Laluxure,peut-être.Undésirbrûlantetviscéralqui forçaitmesgenouxà lutterpour resterparallèles.Maispas lamalhonnêteté.Etenparlantdeça...

—Pourquoiest-cequetutebats?Je jetai un coup d'œil aux alentours minables. Même les combats illégaux devraient être

hygiéniques.C'étaitdelafolie.—Jetel'aidit,jesuisfauché.J'aibesoindecetargent.—Tun'espasfauché,ripostai-je.Ilsecoualamainpourquesonentraîneurarrêtedelaluibanderetseleva.Je fis prudemment quelques pas en arrière. Il me suivit, chacun de ses mouvements fluides.

Puissants.J'avaisquandmêmeplusd'untourdansmonsac.Ilétaittempsdem'enservir.—Tuascinquantesupermillionsquiattendentsagementque tumettes teschaudespetitespattes

dessus.Il se figea, ce qui était sa manière de montrer la surprise. Là où d'autres gardaient la bouche

grande ouverte ou avaient des points d'interrogation dans les yeux, Reyes devenait parfaitementimmobile,etjecomprisquejel'avaiscoincé.

— Tu fais erreur, m'assura-t-il, sa voix aussi douce que de la soie recouvrant le plus dur desaciers.

—Tasœurmel'adit,lecontrai-je.Même s'ils n'étaient pas biologiquement liés, il avait grandi avec une femme qu'il considérait

comme sa sœur. Ils avaient tous deux été victimes de terribles abus, bien que très différents. EarlWalker,l'hommequim'avaittorturée,lesavaitélevés.Asamanièreignoble.IlrefusaitdelaisserKimboiredel'eauoumangerjusqu'àcequeReyessesoitpliéàsesmoindreseteffroyablesdésirs.KimetReyesavaienttouslesdeuxgrandidansuncauchemarenétantélevésparunmonstre,et,afindelaprotéger,ReyesavaitniélaconnaîtrequandilavaitétéarrêtépourlemeurtresupposédeWalker.Etpourtant, il avait quandmême réussi à faire d'elle unemillionnaire pendant qu'il était derrière lesbarreaux.

Ilcessadefairesemblant.—Cen'estpasmonargent,c'estlesien.Jecroisailesbras.—Ellerefusedeledépenser.Elleprétendmordicusquec'estletien.—Elleatort,dit-ilenfaisantunpasenavant.Etjecroyaisqu'onétaitd'accordsurlefaitquetute

tiendraiséloignéedemasœur.Onnes'étaitpasvraimentmisd'accord,ilm'avaitmenacée,maisjedécidaidenepasremettreça

surletapis.—Çaremonteàunmoment,c'étaitaprèstonévasion.Tuétaisblesséetjemefaisaisdusouci.—Pourquoitutefaisdusouci?demanda-t-ilenfaisantunnouveaupasenavant.Lederniertruc

quetum'asdit,c'étaitd'allermefairefoutre.Jecampaisurmaposition.Ilnes'approchaitdemoiquepourmeforceràperdreduterrain,une

tactiquequ'ilutilisaitquandilvoulaitasseoirsonautorité.—J'aiseulementditçadansmatête.—L'expressionsurtonvisagevalaitmillemots.—Tuparlesduvisageaveclagrosseentaillequetonpèreavaitfaiteenessayantdeletailleren

deux?rétorquai-je,etjeremarquaiquecelanelelaissapasdemarbre.Cevisage-là?Ilblêmit.—Cen'estpasmonpère.—Jesais.Maistebattreici,c'estdelafolie.Ondiraitquetuasdesenviessuicidaires.—Etc'esttoiquiparles.—Qu'est-cequeçaveutdire?Ilcontractaplusieursfoislamâchoire,frustré,avantderépondre.—J'essaiedegardermesdistances,commetul'asdemandé.Ils'avançaànouveau,et,cecoup-ci, jen'eusd'autrechoixquedebattreenretraite.Maisunpas

finitparmefaireatteindreunmurenbéton.Reyesplaçaunemainau-dessusdematêteafindemedominer.

—Maistunemerendspasleschosesfaciles.Une overdose d'émotions me fit frissonner de l'intérieur. Reyes Farrow enflammait chaque

parcelledemoncorpscommesi j'avaisétéfaited'essence,etqu'unesimpleétincellesuffisaitàmefaireprendrefeu.Ilsavaitl'effetqu'ilmefaisait.C'étaitobligé.Etcettepenséeétaitl'uniquechosequim'aidaitàgarderlaraison.Quim'empêchaitdetendrelebrasetdelaissercourirmesdoigtssurlesbandagesquicouvraientsescôtes.Delesenfoncerdanslaceinturedesonpantalon.

Jemecontentaideprendreuneprofondeinspiration.—Jet'aivu,cematin.Commeilfronçalessourcils,jeluidonnaiplusd'explications.—Devantmonimmeuble.Jet'aivu.Est-cequetum'espionnes?—Non,répondit-ilenenlevantsonbrasetenfaisantdemi-tour.Jechasseuntoutautreanimal.—Etcetanimalhabitecommeparenchantementdanslemêmeimmeublequemoi?Ildesserralégèrementlabandeautourdesesmains.—Non,maisilveutcequelaplupartveulent.Sesmotsfirentaccélérermonpouls,etmarespirationdevintpluscourte.Laseulechosequime

voulait,leseulanimalqueReyeschasserait,c'étaitundémon.Il se retrouva soudain en face demoi, ses doigts autour dema gorge,me retenant quand je ne

rêvaisquedem'enfuir.—Tutranspireslapeur.Jemedébattis,sanssuccès.—Ahouais?Etlafauteàqui?—Lamienne,etjeteprésenteencoretoutesmesexcuses,maisilfautquetut'yfasses.Ilmeserrajusqu'àcequemapeaun'aitplusd'autrechoixqued'absorberlachaleurquiirradiaitde

lui. Je la respirai,boucheouverte tandisqu'elle s'insinuaitprofondémentdansmonabdomenetmesciaitlesjambes.

—Ilsaimentça,murmura-t-ilàmonoreille.C'estcommeunedrogue.Delamêmemanièrequelesang appâte les requins, l'odeur de la peur les attire, les rend fous. C'est à la fois un appât et unaphrodisiaque.

—Etcommenttusauraisça?—Parcequej'étaisl'und'eux,etqu'iln'yariendontj'aiplusenvieencemomentquedetetraîner

danscesdouches,d'arracherteshabits,etdedévorerchaqueparcelledetoncorps.Jefermailesyeuxdevantl'imagequesesmotsimposaientàmoncerveau.—Tuastoujoursenviedefaireça.—C'estvrai,maislà,c'estautrementplusfort.TueslaFaucheuse,etiln'yariensurTerrequisoit

plusappétissantpourquelqu'undemonespècequel'idéedelécherlapeursurtapeau.Ilnem'avaitjamaisditça.Ilnem'avaitjamaisditgrand-chose,maiscelégerdétailenparticulier

auraitétéagréableàconnaître.—Jenetel'aijamaisditparcequeçan'ajamaisétéunproblème,expliqua-t-il,medésarçonnant.

Il l'avait fait à nouveau. Il avait lu dans mes pensées. Je relevai le regard sous le coup de lasurprise.

—C'estécritengrossurtonvisage,Dutch.Et c'était reparti.Dutch, le surnommystérieux qu'ilme donnait.Un nomqu'ilme fallait encore

comprendre.—Jevoistout,dit-il.Taconfusion.Tesdoutes.Jenepeuxpasliredanstonesprit.Mais,comme

toi, jepeuxdéchiffrer lesémotions.Etçan'a jamaisétéunproblèmejusque-làparcequetun'avaisjamaiseupeurauparavant.Pascommeça.

—Tu te trompes, rétorquai-je, lesmots sortant àgrand-peineà causedema respiration renduedifficileparl'émerveillementetl'appréhension.J'aitoujourseupeurdetoi.

Cela sembla le faire réfléchir. Il relâcha légèrement son emprise, assez longtemps pour que jeparvienneàmelibérer.Etc'estexactementcequejefis.Jemeprécipitailoindesesmainsetreculaiavecprudence.Ilgardaunbrascontrelemuretpritdegrandesinspirations,commes'ilessayaitderestermaîtredesesémotions.

—Ilfautquetupartesavantquejechanged'avisetneveuilleplustelaissert'enaller.Jesecouailatête.—Jenem'eniraipasavantquetumepromettesd'arrêterdetebattre.Ilparutreveniràlaréalité.—Tuplaisantes?—Pasactuellement.Sij'avaisjamaiseuunquelconquepouvoirsurlui,ilmesemblaitquec'étaitlemeilleurmoment

pourl'exercer.—Jet'interdisdetebattre.Uneexplosionsoudainedehainemefrappadepleinfouet,commeunmurdefeu.Ilseredressaet

s'avança.—C'esttoiquiasinsistépourquejegardececorps.Etmaintenanttucomptesaussimedicterce

quej'ailedroitdefaireavec?Il avait raison. J'avais insisté pour qu'il garde son corpsmortel quand il avait voulu le laisser

mourir.C'étaitunedécisionquej'auraisencorepriseencemoment.—Apeuprès,répondis-je,redressantlesépaules.— Eh bien, dans ce cas, est-ce que tu peux me dire ce que tu aimerais que je fasse avec,

précisément?Quellemagnifiquequestionbourréedesous-entendus.Ilmedominaitànouveau,serapprochant,

me forçant à reculer jusqu'à ce que je rentre dans la table sur laquelle il était assis auparavant.Lachaleurqu'ildégageaits'infiltraitpartouslesporesdemapeau.

—J'aibesoinderéponses,etjenelesauraipassitumeursdansunecagelorsd'uncombatillégal.Est-cequ'ilsontaumoinsunmédecinurgentiste?

—Sijemeurs?demanda-t-ilenpouffantàcetteidée.Jepointaisesbandagesdudoigt.—Tun'espasaussiindestructiblequetusembleslepenser.Ilsemitàrire,etlesoncruelqu'ilproduisitricochacontrelesportesenmétalduvestiaire.—Est-cequetucroissincèrementqu'unhumainpourraitm'infligerdetellesblessures?Ilmefallutunmomentpourréalisercequ'ilvenaitdedire.Mais,dèsl'instantoùj'euscompris,je

sentismamâchoirebaisserd'uncrantandisquejeledévisageais.—Ils...Tuveuxdire...—Rey?J'eusunmouvementderecultandisquejemebattaispourquelapiècearrêtedetournerautourde

moi parce que la signification de sesmotsme frappait. Des démons. Ils étaient ici. De retour surTerre.Etillescombattait.

Jejetaiuncoupd'œilderrièreluietvisqu'unefemmes'avançait.—Est-cequetuesprêtpourleprochainround?Ilsteréclament.Ilnelaregardapas.Sesyeuxnequittaientpaslesmiens.—Wendellaimeraitquetufassesdurercelui-ci,ajouta-t-elled'unevoixfaible,malassurée.Jesentaisl'anxiétéquisedégageaitd'elledepuisl'endroitoùjemetenais.Lorsqu'unegrandefemmeblondeauxcheveuxcourtsentradanslalumièreetquejelareconnus,

je faillis faireuneattaque.ElaineOake?Lagroupiequipossédait le siteWeb?CellequiavaitunmuséedédiéàtoutcequitouchaitdeprèsoudeloinàReyes,avecdestonnesd'objetsquiluiavaientétévolésetqu'elleseprocuraitpardesgardiensdeprison?Desgardiensdontellegraissaitlapatte?Elleétaitici?AvecReyes?

Quand je pensais qu'elle n'était rien qu'une groupie de prisonnier, une femme riche qui avaitharceléReyespendant toute laduréedesonséjourderrière lesbarreaux,quiavaitpayédesgardespourobtenirdesinformationssurlui,pourdéroberdesaffairesdanssacelluleetprendredesphotosde luipendantqu'il ne regardaitpas.Monétonnementpassade l'idéededémonsqui traînaient auxquatrecoinsdumondeàcelledecettefemmequiparcouraitlesquatrecoinsducorpsdeReyes.Etune sorte de jalousie acre et furieuse explosa dans ma poitrine et s'échappa de moi en vagueshumiliantesderessentiment.

Jefismonpossiblepournepaslemontrer,maiselleavaitdûvoirlastupéfactionsurmonvisage.Elleaffichaitlamêmeexpression,d'ailleurs.Mélangéeàuncertainmanqued'assurance.Reyesétaitterriblementprochedemoi,etcelaneluiplaisaitdetouteévidencepas.Lorsqu'ellemereconnut,unenouvelleondedechocémanad'elle.

—Rey?demanda-t-elleànouveau.Tusaisquiestcettefille?Ilexpirabruyammententresesdentsàprésentserrées.—Oui.—Oh,d'accord,dit-elleavantdeserapprocherdenous.Êtes-vousicipouruneaffaire?L'espoirétaitsiévidentsursonvisagequej'enavaispresquedelapeinepourelle.—Jesuislàpourmefairepayeruneaffaire,oui.— Oh, eh bien, quel que soit le montant, je peux m'en charger. Je suis la manager de Reyes,

expliqua-t-elleense tournantdans ladirectiondecedernieretenplaçantunemain timidesur sonbras.Ilfautquetuteprépares.Lecombatestpresqueterminé.(Elleseforçaàsourire.)Ilssonttousvenuspour toide toutemanière.Cetteconfrontationn'était làquepourfaireremplissage,c'étaitunamuse-bouchepourdétendrelepalaisentredeuxplats.

Ilallaitsebattreànouveaucesoir?Etelletrouvaitquec'étaitunebonneidée?Mapremièreenviefutdeluiarrachersesparfaitspetitscheveuxbiencoiffés,etjemesermonnai

mentalement.Reyesnem'appartenaitpas.Jen'avaispasmonmotàdiresurcequ'ilfaisait,ycomprisconcernantlescombats,etillesavait.Ilavaitpassédixansenprisonpouruncrimequ'iln'avaitpascommis,etvoilàquej'essayaisdelecontrôler.Exactementcommeilsl'avaientfait.Jouraprèsjour,pendantdixans.Chacundesesmouvements.Chacunedesespensées,dictéesparungardienouunadministrateur.Maisquandmême,ElaineOake?

—Etilfautqu'onrentreàlamaisonavantquelesnouveauxsponsorsn'arrivent,ajouta-t-elle.Ilssontvraimentimpatientsdeterencontrer.

Jefaillism'évanouir.Alamaison?Ilhabitaitavecelle?Monétonnementn'avaitplusdelimite.Jefus complètement désemparée pendant unmoment, et j'essayai de garder l'équilibre àmesure quechaquenouvelledécouvertem'infligeaitunnouveaucoup.

Reyesexaminamonvisage,observantchaquemouvement,chaqueréaction.—Est-cequetupeuxnouslaisseruneminute?demanda-t-il.Je n'étais pas sûre de savoir à qui il s'adressait. Je n'étais même plus sûre que ça m'intéresse

vraiment.

—D'à...D'accord,bégayaElaine.Elles'enallalentement,commesil'effortqu'illuifallaitpourpartirréclamaittoutelaforcequ'elle

possédait.—Tuhabitesavecelle?demandai-jeàmi-voix.Est-cequetuaslamoindreidéedequiestcette

femme?—Oui,répondit-ilavantdemarquerunecourtepause.Etoui.Unpetitrireétonném'échappaavantquejepuisseleretenir.Jemeretournaipoursortir,maisil

attrapa la tableetmebloqua lepassage. Je jetaiun regardendirectiond'Elaine.Elle s'était arrêtéejustederrièrelemurdecasiersetn'avaitpasmanquécequivenaitdesedérouler.Pasplusquejenemanquailadouleurdanssesyeux.BienvenuedanslemondedeReyesFarrow.

—Laisse-moipasser,luiordonnai-je.—Tunem'aspasrépondu.Quevoudrais-tuquejefasseaveccecorpsquetutienstantàcequeje

garde?Jeluilançaiunregardhargneux.—Renvoie-leenenfer.Son sourire me fit l'effet d'un tisonnier brûlant au plus profond de mes entrailles. Est-ce qu'il

prenaitduplaisiràtoutça?Amastupéfaction?Madouleur?—JenepeuxpasfaireçaquandilyatellementdechosespourmedistrairesurTerre.—Unedistraction?C'estcequejesuisàtesyeux?Unhommepénétradanslapièce.Sonentraîneur.—C'estàtontour.—Ehbien?demandaReyes,quiattendaittoujoursuneréponsesérieuse.Cettesituationdevenaitridicule.Jeremarquaiqu'Elaineétaitencorederrièrelaporte,ànousépier,

lessourcilsfroncésd'inquiétude.—Tapetiteamies'impatiente,fis-je,essayantdechangerdesujet.—Jalouse?—Paslemoinsdumonde.—Parcequetum'asl'airjalouse.—Jenesuispasjalouse.Jen'arrivesimplementpasàcroirequetupuissesavoirdetels...—Abdos?Monventreseretourna.Jeprisuneprofondeinspirationavantderépondre.—Goûts.—Mes goûts sont très bons, rétorqua-t-il avant de soulever monmenton à l'aide d'une de ses

mains bandées. Tu ne veux pas demoi dans ta vie, alors pourquoi est-ce que ça te ferait quelquechose?

—Çanemefaitrien.—Danscecas,pourquoies-tuici?—Tumedoisdel'argentpourmesservices.—Ouille,ettouteslesfoisoùjet'aisauvélavie?Jehaussailesépaulesd'unbrefmouvement.—Envoie-moitafacture.Ilsepenchapourmurmureràmonoreille.—Jepréféreraist'envoyerauseptièmeciel.—Jepréféreraisquetulaissestomber.—Maistun'aspasréponduàmaquestion.Saboucheseretrouvacontremonoreille,sarespirationlacaressantdoucement,descendantdans

manuqueavantdesepropagersurmonépauleenvaguesdechaleuraussitoxiquesquedélicieuses.—Qu'est-cequetuveuxquejefassedemoncorps,Dutch?Ilmefallutunebonneminutepourparveniràluirépondre.—Emmène-levoirtasœur.

Mentionnersatrèschèresœurrevenaitaumêmequeluilancerunseaud'eauglacéeàlafigure.Ilrefroiditaussitôt,lecorpstendu,rigide.

—C'estàtontour,répétal'entraîneuravecplusdeforce.Amènetesfessesiciet...LorsqueReyespivotapourleregarder,ilressemblaittantàuncobraprêtàfrapperquel'homme

recula. Il écarquilla lesyeuxpendantune fractionde secondeavantde lever lesmains en signedecapitulation.

—Onvaperdrecetteplacesitunevienspas.C'esttoutcequejedis.Reyes sembla se calmer. Il se tournadansmadirection,m'empoignapar le col etm'attira à lui

jusqu'àcequesabouchenesoitqu'àquelquescentimètresdelamienne.—Rentrecheztoi.Ilmerelâchaenmepoussantdoucementetjememisàfrappersesmainsenréponse.Maisilse

dirigeaitdéjàverslasortie.Rentreràlamaison,moncul.

Chapitre6Pourquoituerlesgensavecgentillessequandonpeututiliserunehache?

Tee-shirtJemetenaisdansunezoneunpeumoinspeupléedel'entrepôt,toujoursaussiconfuse.Ilhabitait

avecelle?Cette femme?Cette saleharceleusepsychopathe?Direque j'étaisétonnéeauraitété leplusgroseuphémismedepuis«Houston,nousavonsunproblème».J'étaisabasourdie.

Mais,nomd'unchien,ilhabitaitavecelle?Majalousiesemblaitsansfin,etjedétestaisça.J'auraisencorepréféréêtreattaquéepardesfourmisdefeuenragéesplutôtqued'êtrejalouse.Cetteémotionsuperflueétaitunecombinaisondepeur,derage,d'humiliation,etd'unmanquedeconfianceensoi.Je baissai les yeux pour observer l'étendue des attributs féminins dont j'étais pourvue, égalementconnus sous le nom de Danger etWill Robinson. De toute évidence, je n'avais aucune raison demanquerd'assurance.

Même si je n'avais aucune envie de voirReyes se battre à nouveau, jeme glissai dans un coinsombre pour faire exactement ça. Il ne serait pas en mesure de me remarquer d'aussi loin et nepéteraitpasunedurite.Fortheureusement,laplateformeétaitassezhautepourquejenerateriendel'actionpar-dessus lafouledespectateurs.Mais jegrimpai toutdemêmesurunepoutremétalliquecimentéedansunpylône,m'yaccrochaietmemisàchercherReyes.

Ilparlaàsonentraîneurpuisseretournapourentrerdanslacage,maisils'arrêtaaprèsavoirfaitun pas. Baissa les yeux. Prit une profonde inspiration. Puis il lança un regard menaçant dans ladirectionexacteoù jemesituais. Jemerecroquevillai leplus loinpossibledans lecoin.Commentest-cequ'ilauraitpumevoir?Peut-êtrequ'ildévisageaitquelqu'und'autre.Ilpenchalatêtesurlecôtéavantdeleverunlongbrasqu'ilpointaendirectiondelasortie.

Commes'ils'agissaitd'unevaguechorégraphiée,lamaréedetêtessetournapoursuivresongeste.Jeme tournaiégalement,histoirequ'ilsne remarquentpasquec'étaitmoiqu'ildésignait.Quand jepivotaiànouveau,ilavaitcroisélesbrasetmelançaitunregardfurieux.Jesautaienbasdupylôneetcroisai lesbrasàmontour.Saufquelesmiensl'étaientpardéfi.S'ilvoulaitàcepointquejeparted'ici,iln'avaitqu'àmetraîneràlaportelui-même.

Non,uneminute,cen'étaitsûrementpasunebonneidée.Avantquej'aieletempsdedéciderdecequej'avaisenviedefaire,lafoulerecommençaàpousser

deshurlementsparcequel'adversairedeReyessortaitdelapièceàl'autreboutdelasalle.Ildétournasonattentionquandunhommeémergeadel'escalier.Jecomprenaisaisémentpourquoi.Ilétaitencoreplusimposantqueleprécédent,plusmusclé.Reyesétaitgrand,maisilétaitmince,robuste,taillépourla vitesse autant que pouf la force. Ce type n'était que force. Il ressemblait plus à un bodybuilderprofessionnel qu'à un lutteur.Et aussi impressionnante que soit la stature deReyes, son adversairedevaitbienfairedixcentimètresdeplus.

Moncœurbonditsiviolemmentenlevoyantqu'ilsecoinçadansmagorge.JesavaisqueReyesétait un être surnaturel, mais il était blessé, et ce type était gigantesque. Je fis un pas en arrièrelorsqu'ilpénétradanslacage.MaisReyesrestasurl'escalier,justedevantsonentrée.Àobserver.Àétudier. Il avait décroisé les bras et baissé la tête et considérait l'autre hommepar-dessous ses cilscommes'ilattendaitquelquechose.Maisquoi?

La foule se tut, dans l'expectative, le souffle court.L'adversaire s'était arrêténet pourdévisager

Reyesàsontour.Ilfronçalessourcilsetregardaausol,commes'ilétaittroublé.Cefutàcemomentque je remarquai quelque chose de flou dans sesmouvements. Une perturbation dans son aura. Ilsecouala têtecommes'ilessayaitdes'éclaircir l'esprit.Unefractiondesecondeplustard,sesyeuxmetrouvèrent. Il lesécarquillasous lecoupde lasurprise lorsqu'ilmereconnut.Jenecomprenaispas pourquoi. Je n'avais jamais vu cet homme de ma vie.Mais, quand il laissa échapper un petithululement,lapeurricochalelongdemacolonnevertébraleetsurmapeau.

Jetrébuchaienarrièrelorsqueletype,ignorantlesportesdesortie,bonditcontrelacageaveclavitesseetlagrâced'unfélin.Unénormeanimaldontunehaineviscéraledéformaitlestraits.Jetentaidefaireralentirlemondeautourdemoi,d'empêchersaprogression-jel'avaisfaitparlepassé,avantl'incidentEarlWalker-,mais il refusaitdem'obéir.Jenepouvaisplusriencontrôler,mêmepaslemartèlementfurieuxdemonpoulsàmesoreilles.

JeremarquaiquelquepartdansmavisionpériphériquequeReyesessayaitdel'intercepter.Ilavaitescaladélacaged'unbondets'étaitprojetédanslesairs,manquantl'hommedequelquescentimètres.Ilremontaversl'arrière,attrapalesommetdelacage,exécutaunmagnifiquevirageenpleinairets'élançaànouveau.Lesbarreauxsemirentàgondolersous lapressiondesonpoidsetde la forcequ'illuiavaitfallupourréussiràsecatapulterdanslafoule.

Puisildisparutderrièresonadversaire.Legigantesquelutteuratterritàquelquesmètresdemoietrouladansmadirection,écrabouillant toutcequise trouvaitsursonpassagecommeunbulldozer,sonvisagerecouvertd'unmasquededéterminationfurieuse.

Etjeneconnaissaismêmepascethomme.J'essayai de faire demi-tour pour m'enfuir. J'utilisai toute ma force pour obliger mes pieds à

prendre la direction opposée,mais j'étais incapable de faire autre chose que dévisager ce type.Leregarder s'approcher encore et encore. De la bave dégoulinait de sa bouche tordue et rappelaitétrangementl'écumed'unchienenragé.Ilsouhaitaitmamort.Il ladésiraitcommeuntoxicomaneabesoindesonprochainfix.Jepouvais leressentir.Sesintentionsmeurtrièresmefrappèrentenuneviolenterafaleunemicrosecondeàpeineavantqu'ilnelefasselui-même.

Ilme percuta avec la force d'un train demarchandises,me renversant si brutalement que je nesentis plusmesmembres.Mais il eut tout juste le tempsdem'envoyer contre lemur derrièremoiavantdetomber.Probablementparcequ'unReyestoutaussiénervéqueluisetrouvaitsursondos.Iltacla l'homme, lui arrachant un hurlement, ce qui ne l'empêcha pas de continuer à essayer de sedébarrasserdeReyes. Il s'entêtait àvouloiravancer.Asebattreetà ramperpour se rapprocherdemoi,quimepressaiscontrelaparoi,transpirantdeterreur.Etdedouleur.Matêteavaitméchammentheurtélemur,etunedouleuraiguëmeravageaitlecrânecommeunetornadebiendécidéeàavalerlamoitiédeBarbara,moncerveau.

Face à ce comportement aussi bizarre que violent, la foule commença à paniquer. Plusieurspersonnesavaientétéblesséesaumomentoùcetypeavaitatterri,maislaplupartl'étaientmaintenantà cause de la bousculade qui s'en était suivie. Alors que certains essayaient de s'enfuir, d'autresvoulaientjustetrouverunmeilleurangledevue.Descrisetdeshurlementss'élevaientetgagnaientenintensitétandisquel'hommefaisaittoutcequiétaitensonpouvoirpours'approcherdemoi.

—Va-t'en!JeposailesyeuxsurReyes.Retenircethommeluidemandaittoutessesforces,etjecomprisàcet

instantqu'ilétaitimpossiblequ'ilsoithumain.Outotalementhumain.Reyessedébattitpourtrouverunemeilleurepriseetl'immobilisaparlecouavantdemelancerun

nouveauregardhargneux.—Charley,bonsang,va-t'en!cria-t-ilàtraverssesdentsserrées.Jeme relevai à toute vitesse lorsque le typemit un coup d'épaule dans la mâchoire de Reyes,

réussissant suffisamment à se dégager de son étreinte pour avancer de quinze centimètres. Il seconcentraànouveausurmoi,sonvisagetorduenunsourirepleindehaine,lasaliveécumantàses

lèvres,lesangjaillissantdesonnez.Sonseulbutétaitdem'atteindre.Ilrampaitengriffantlesol,sesonglesgrattantlebétontandisqu'illuttaitpourgagnerduterrain.

Le chaos alentour prit soudain vie et s'apparenta bientôt à une cacophonie frénétique. Des criss'élevaient des quatre coins de l'entrepôt tandis que les spectateurs s'élançaient vers les portes. Jen'étaispassûrequ'unseuld'entreeuxsachecequ'ilsfuyaientàcemomentprécis.Lesgenshurlaient.Ilscouraient.Etc'étaitsuffisantpourlesmettredanscetétat.Ilssuivaientuniquementparcequenepaslefaireauraitétéaudétrimentdeleurpropresanté.Ilsn'avaienttoutsimplementpaslechoix.

J'avais pris la direction de la sortie lorsque je remarquai un ado dans un sweat-shirt à capucheSlipknot. Au moment où il tomba, je compris qu'il serait piétiné en moins de deux secondes sipersonnenel'aidait.J'essayaidemeprécipiterenavant,maislafouledespectateursfrénétiquesmerepoussaversl'arrière.Jeperdistotalementlegamindevue.

Puisj'entendisunnouveaugrognement.Jenepusm'empêcherdemeretournerpourvérifierl'étatdeReyes.L'hommeavaitprogressé.Ilétaitànouveauàmoinsdedeuxmètresdemoi.Alorsquejeposaiunpiedderrièrel'autre,incapablededétacherlesyeuxdeReyesetdeHulk,l'obscuritésemblajaillir de lui, de cet adversaire, ce type dément qui rampait dans ma direction avec une ferveurenragée. Pendant une fraction de seconde, une deuxième tête émergea de la sienne.Aussi noire etsombrequelesconfinsdel'univers.Avecdesdentsplusaiguiséesqu'unrasoird'obsidienneetpluspointuesquedesaiguilles.Puislabêteretournaàl'intérieurdesonhôte,etjeprisconsciencedecequej'étaisentraind'observer.Undémon.

Non.Jecommençaiàreculerànouveau.Non.C'étaitunhommepossédéparundémon.J'avaisvudes démons par le passé, pendant qu'ils torturaient Reyes. Leurs corps semblables à ceux desaraignées.Leursmembresmusculeuxquisepliaientetsetournaientàdesanglesquin'avaientriendenaturel.Leurstêtesdépourvuesd'yeux,quin'étaientconstituéesquededents,dedents,etd'encoreplusdedents.Et l’und'eux se trouvait dans cet homme. Il commença àgrognerdemanière furieuse etanimale,exprimantsondésirdemeréduireenmiettes.Illedésiraitsiardemmentquelafaimquilerongeaitrayonnaitdansmadirection.

IlessayaunedernièrefoisdesedébarrasserdeReyesd'unmouvementviolent,maisReyesétaittropfort.Cedernierluttaitpourleplaquerànouveauausolet,d'ungesterapide,ilfittournerlatêtede l'homme et lui brisa la nuque. Le craquement irréel qui accompagna le geste, l'angle peuorthodoxeque formasoncou, laviequis'enfuyaitde luien l'espacedequelquessecondes, toutçaprovoquaunnouveaupicd'adrénalinequisedéversalelongdemacolonnevertébrale.Etl'odeurquisedégageaitdelui,commedesœufspourris,m'agressaitlessens.

Unevaguedenauséemesecoua.Jejetaiunrapidecoupd'œilautourdemoi,tentaiderestercalmeafin de déterminer qui avait vu Reyes briser la nuque d'un homme. L'entrepôt était pratiquementdésert,àprésent.Quelquestraînardssetenaientdansl'ombre,desvideurspourlaplupart,etquelquesautres personnes qui travaillaient là. Leurs visages semblaient figés dans une expression de chocalorsqu'ilsobservaientletypemort.

PuisReyessereleva.Ilm'attrapaparlavesteetmesecouajusqu'àcequ'ilobtiennemonattention.—Qu'est-cequ'ilfautfairepourquetutedécidesenfinàm'écouter?L'énormedosed'adrénalinequisurchargeaitmesveinesencemomentavaitbesoindesortir.Jele

repoussaidetoutesmesforces,meprécipitaicontrelemuretvidailecontenudemonestomacsurlesolenbéton.

C'étaitétrange.Jen'avaisencore jamaiseucegenrederéactionaprèsm'êtrefaitattaquer.J'étaisbienplusposée,engénéral.Oualors,sijen'étaispasposée,j'étaisaumoinsàlaverticale.Mais,cettefois-ci,jepouvaisàpeinetenirdebout.Lemondetanguaitautourdemoiàmesurequemonestomacse retournaitviolemment.Cequipouvaitexpliquer le faitque je tremblaisetque j'avaisàcepointbesoindemeplierendeux.Maispourquoi?Pourquoimaintenant?Pourquoicetype?

Reyesnemelaissamêmepasletempsdereprendremonsouffle.Ilm'attrapaànouveauparlebas

delavesteetmetraînaendirectiondelasortie.Jepensaiuninstantàluirésister,maisçam'auraitdemandédel'énergiequejenesemblaisplusposséder.Jemesentaiscommeunepoupéedechiffon,mesmembresballottantautourdel'endroitoùReyesmetenait,mousetinutiles.Aussioptai-jepourunedispute.J'avaistoujoursassezd'énergiepourunedispute.

Jem'essuyailaboucheàl'aided'unemanche,ravalantunenouvellepousséeacideenprovenancedemonestomac,etgrognaid'unevoixétouffée:

—Lâche-moi.Il n'en fit rien. Il continua àme traîner sur le sol comme si jen'étais riend'autrequ'unevieille

serpillière. Je trouvais sa manière de me malmener inutile et totalement gratuite, mais réussir àempêcherlabiled'envahirmagorgeexigeaittoutemonénergiementale.

Jeparvinspourtantàprononcerquelquesmotsentredeuxhoquets.—Qu'est-cequec'étaitquecettechose?Jelesavais,biensûr,maisc'étaittellementirréel.Trophorriblepourquej'assimiletotalementle

concept.J'ignoraisqueleshumainspouvaientréellementêtrepossédés.Jepensaisquec'étaitjusteuntrucdefilmspourfilerlachairdepouleetdescauchemars.Ouuneinventiondesprêtrespourgarderleursparoissienssurledroitchemin.

Mais cethommeétait possédé, aussi sûrementque jeme tenaisdebout ici.Ou, enfin,que jemefaisaistraînersurlesol,plutôt.

Nous étions à mi-chemin de la porte quand Reyes me tourna afin que je le voie, me retenantfermement par les épaules dans une étreinte de fer, son expression plus en colère que, disons,compatissante. Alors, naturellement, cela m'irrita. Je venais de vomir. Était-il incapable de fairepreuve d'un peu de compassion ? Malheureusement, je ne pouvais rien faire à ce propos sur lemoment.Jeravalaiunenouvelleremontéedebileetessayaidedégagersesbras.

—Retourneàtavoitureetfichelecampd'ici,oujetejurepartoutcequiestsaint...Alors que j'étais totalement dans la conversation et que j'avais bien l'intention d'écouter sa sept

millième menace, persuadée que je la prendrais à cœur, j'entendis un autre craquement. Il futrapidement suivi d'un gémissement guttural. Puis d'un nouveau craquement. Et d'un nouveaugémissementquiressemblaitauhululementd'unechouetteblessée.

Jeregardaisurmagauche,dansladirectionoùlecorpsdel'adversairedeReyesétaitresté.Saufqu'iln'étaitplusmort.Ils'étaitmisàquatrepattes,tendantlecoud'uncôtéàl'autrecommes'ilessayaitde se détendre la nuque après une longue nuit de sommeil. L'obscurité tourbillonnait de nouveauautour de lui, comme si le démon avait de la peine à semaintenir dans les limites de l'enveloppephysiquequ'ilhabitait.

Reyesmepoussaversl'avantjusqu'àcequesonvisagenesoitqu'àquelquescentimètresdumien.—Pars.Puislachosesauta.CommeuntigredansleshautesherbesenInde,l'hommeseprojetadansnotre

direction.Droitsurmoi.Reyesmedégageasifortementquematêterebonditànouveau,cettefois-cicontre le sol. Mais les étoiles qui accueillirent ma chute furent vite éclipsées. Tandis que Reyesmarchaitdevantmoi,meprotégeant,tendu,prêtàl'attaque,unautregrognement,profondetguttural,résonnadufinfonddel'univers.

Artémis surgit de nulle part en poussant un grondement féroce et faucha l'homme d'un bondgracieuxalorsqu'ilavaitrecommencéàs'avancerenrampant.Soncorpsphysiquefutentraînéversl'arrière,puisatterritavecunbruitsourdavantdedérapersurlesol,tandisqueledémonlançaitdescrisperçantsensetortillantsousl'assautdemagardienne.Sesdentsessayaientdeserefermersurlecoud'Artémis.Sesgriffes tentaientderéduiresondosencharpie.Elleglapit,maisnese laissapasdémonter, sa tête s'agitantdans tous les senspour secouer ledémonagonisant, sescrocsdéchirantjusqu'àcequ'uneobscuritéépaisse,semblableàdusangvaporeux,émanedeluietsemettreàramperavantdedisparaîtrecommeledémonlui-même.

Jejetaiunbrefregardàmonassaillant.Plusdedoutespossiblescettefois.Cethommeétaitmort.Sesyeuxfixaientlevide,immobilesetsansvie.

Artémis revint ensuite vers moi, baissa la tête, retroussa les babines et poussa un nouveaugrognementquifitvibrersacagethoracique.Direquejepensaisqu'onétaitamies.MaisReyess'étaitégalement retourné, et je serai damnée s'il ne venait pas d'avoir exactement la même réactionqu'Artémis. J'éprouvai à nouveau un fort sentiment d'insécurité, comme lorsque j'ai quelque chosecoincé dans les dents. Sauf qu'ils n'étaient pas vraiment en train de me dévisager. Ils observaientquelquechosequidevaitsetrouverjustederrièrematête.

Jesentisalorslafroideafflictiondelahainebaignerl'arrièredemanuque,etjecomprisqu'ilyenavaitunautre. Je regardaidroitdans lesyeuxvidesdugarçonau sweat-shirtSlipknot. Il étaitbienpluspetitqueleHulk,maissadéterminationétrange,ainsiquelasalivequidébordaitsursonmenton,n'en était pasmoins effrayante.Aumoment où il s'élança dansma direction,Artémis bondit et letraversadepleinfouet,commeuneflèche.Ellearrachaledémonducorpsdel'adolescentetentrepritdedéchiqueterlacréaturejusqu'àsesdentsdefumée.

Legarçons'étaladetoutsonlongdèsl'instantoùledémonlequitta.Ilseroulaenboule,etcefutàcemomentquejelereconnus.C'étaitlegaminquiétaitsurmonsiègearrière.Celuiquej'avaiscrumort.Sescheveuxblondsétaientgrasetsales,etsesyeuxbleusétrangementplusfoncés.Est-cequeledémonquil'avaitpossédéavaitenvoyésonâmeailleurs?Peut-êtrequ'iln'yavaitpaslaplacepoureuxdeux.

Je clignai des yeux, effrayée par mes déductions, jusqu'à ce que Reyes me soulève du sol. Ànouveau.Etremalmenéepar le fils deSatan commençait à bien faire,mais j'étais trop faiblepourréagird'unequelconquemanière.Ilsemitàmetirerverslasortieunefoisdeplus.

—Attends,luidis-jeenmedébattantcontresonemprise.Vachercherlegamin.—Non.Avecunregaind'énergiedûàmonentêtement, jemeretournaietpoussaiReyesassezfortpour

qu'ilmelâche.Ils'arrêtapourm'adresserunregardfurieux.—Parfait.Regarde-moiaussiméchammentque tuveux, lance-moi les regards lesplusnoirsde

tonrépertoire,prendstonmeilleurairrenfrogné,maisjenepartiraipasdecetentrepôtsanscegosse.(QuandReyescroisalesbras,j'enchaînai.)Ilétaitpossédé.C'estungamininnocent.

Artémisbonditdansmadirectionetaboyademanière joueuse. Jemebaissaiet frottaimonnezcontresatruffeavantdereleverlesyeuxversReyes,heureusequ'ellenesesoitpasattaquéeàlui.

—Pourquoiprendraient-ilsungamincommelui?—Ilsontleursraisons.Lesmêmesquifontquetudoist'enaller.—Est-cequ'ilpeutêtrepossédéànouveau?Est-cequ'ilsvontencores'enprendreàlui?Ilbaissalesyeux,pensif.—C'estunepossibilité.Jemeprécipitaiverslegosse,m'agenouillantpourrepousserlescheveuxdesonvisagecrasseux.

Artémismerejoignitetessayadelelécher.Quandelleserenditcomptequ'ellen'yparvenaitpas,ellesecouchaàcôtédelui.

—Commentpeut-ons'assurerqu'ilsnerecommencentpas?Reyes s'agenouilla à son tour et vérifia le pouls de l'adolescent. Artémis semblait totalement

indifférenteàsaprésence,jusqu'àcequ'iltouchelegamin.— Ils ne peuvent pas s'en prendre à lui dans un lieu sacré, expliqua-t-il tandis qu'Artémis se

précipitaitenavantpourluilécherlepoignet.—Vraiment?demandai-je,aussisurpriseparcequ'ilvenaitdem'apprendrequepar laréaction

d'Artémisàsonégard.J'avaiscraintqu'ellen'essaiedeluibroyerlajugulaire,puisqu'ilétaitlefilsdeSatan.—Tuveuxdirecommeleséglisesoulescimetières?

—Oui, répondit-ilengrattantArtémisderrière lesoreillesavantde tourner levisagedugaminpourluiouvrirlespaupières.Ilestenétatdechoc.

— Il faut qu'on l'amène en lieu sûr, dis-je en posant unemain sur son avant-bras. S'il te plaît,Reyes.

Artémissemitàgémircommesielleétaitégalemententraindeluidemandersonaide.Luttantcontrelafrustrationqu'ilressentait,ilsepenchaetsoulevalegamin.Iln'étaitpasvraiment

petit,maisReyesn'eutaucunedifficultéàprendreunadolescentdeseizeansdanslesbras.Artémisaboya,toutexcitée,frottaunedernièrefoissatruffecontremoietretournaàl'endroitd'oùellevenait,oùquecefût,enbondissantdanslesolsousnospieds.Jenepouvaism'empêcherd'êtreadmirative.Oùest-cequ'ellepouvaitbienséjourner?

Jeme retournai vers l'autre homme qui avait été possédé, l'adversaire de Reyes. La culpabilités'emparademoi.C'étaituninnocent,luiaussi.

—Pascelui-ci,ditReyesendonnantuncoupdepiedpourouvrirlaporte.Laplupartdesvoituresavaientdisparu.Heureusement,lapluieavaitcessé.Jelessuivis,observant

legarçonavecattention.—Dequituparles?—Del'hommeàl'intérieur.Ilneméritaitpastacompassion.—Maisilétaitinnocent.Jemedépêchaiderejoindrelaportièreducôtépassager,quin'étaitpasverrouillée.—Non,ilnel'étaitpas.Avancelesiègearrière.Jeremarquaiquelecorpséthérédel'adolescentn'étaitplusdansmavoiture.Était-ilderetourdans

sonproprecorps?Est-cequeça fonctionnait commeça? J'avançai le siège, etReyes ledéposaàl'arrière.

—Lesclés.—Attends,tucomptesemmenermavoiturequelquepart?—Jevaist'emmenerloind'ici.Donne-moilesclésetgrimpe.—Jesaisconduire,merciinfiniment.—Ettuferasquois'ilsefaitposséderànouveaupendantqueturemonteslaI-25?Jeluilançailesclés.—Latransmissionestunpeucapricieuse.Il prit place au volant au moment où les sirènes commençaient à résonner à l'est. Nous nous

dirigeâmesversl'ouest,glissantsurleparkingmouilléavantdenousdéportersurSecond.—Oùest-cequ'onl'emmène?demanda-t-il.—J'ail'endroitparfaitpourl'instant.Ellessaurontquoifaire.Dirige-toiversCentraletprendsà

l'est.Je ne remarquai qu'on avait laissé Elaine Oake à l'entrepôt que lorsque le bruit des sirènes

s'éloigna. Je me demandais s'il fallait que j'en parle, puis je me rendis compte que je devais memontrerplusadultequemamesquinerie.

—Onalaissétapetiteamieàl'entrepôt.Reyesrelevalégèrementuncoindesabouchepoursignifiersonindifférence.—Etonaquittéunescènedecrime.Etunhaussementd'épauleindifférent.—Jenepeuxpasquitterunescènedecrime,luifis-jeremarquerenprenantconsciencedeceque

j'avaisfait.—Tuasledroitcettefois-ci.Jeregardaipar-dessusmonépaule.—Peut-êtrequ'ondevraityretourner.Ilsvoudrontsavoircommentcethommeestmort.Çanesemblaitpasplusl'intéresserquelereste.—Est-cequetuesfauchée?

Ledernier trucdont j'avaisenvie,c'étaitdeparlerdemesproblèmesfinanciers.J'avaisenviedediscuter démons, possession, et de comment des gosses innocents pouvaient soudainement devenirdespionsdanslaguerrecontrelaquelleReyesm'avaitmiseengarde.Maisjedécidaideluirépondre.Peut-êtrequemacoopérationl'aideraitàs'ouvrirdavantage.

— J'ai déménagé de mon bureau, lui expliquai-je en essayant d'ignorer la douleur que meprovoquait la trahisondemonpère,même siReyes la sentirait de toutemanière.Et je neme suistoujourspasremisesurpiedsaprèsl'accident.

—TuappellescequeWalkert'afaitunaccident?—Çamefaitmesentirmieux,alorsoui.Je n'aimais pas songer au fait que ce qu'EarlWalkerm'avait infligé n'avait rien d'un hasard. Il

m'avaittraquéeavecdeuxbutsentête:m'interrogerenusantdelatorture,puismetuer.Maisqualifierçad'accidentrendaitlachoseunpeuplussupportable.

Reyesresserralesdoigtssurlevolant.—Jesuisdésolé,Dutch.Jen'aijamaispenséqu'ils'enprendraitàtoi.Jecroisailesbraspourexprimermondoute,espérantqu'onallaitchangerdesujet.—Tuessaiesdem'amadouerpournepasavoiràpayerlafacture?Ilsouritpresque.—Commenttuenesarrivéeàunmilliondedollars?J'arrachaiunfilquidépassaitdemaveste.—J'aiadditionnémonsalairejournalieretmesdépenses,puisj'aiarrondi.Aprèsm'avoirlancéunregardencoin,ildemanda:—Tun'espastrèsbonneenmaths,hein?Puisqu'onenétaitàchangerdesujet,jedécidaideposerunequestionàmontour.—Pourquoiest-cequetuhabiteschezelle?Il me regarda à l'instant exact où les phares d'une voiture qui s'approchait en sens inverse

illuminèrentsonvisage,leurlumièresereflétantdanssesyeuxd'unbrunprofond.—Ellemel'aproposé.—Tupourrais tout aussi bienhabiter chezAmador etBianca, rétorquai-je, faisantmentiondes

seulsamisqu'ilsemblaitavoir.Ilreportasonattentionsurlaroute.—Jepourraishabitercheztoi.Jegrognai.—Danstesrêves.Pourtant, c'était unepensée étrangement agréable, qui envoyaune étincelle d'intérêt danser dans

monbas-ventre.Danslamesureoùnousétionspolisl'unenversl'autre,j'ajoutai:—Jesuiscontentequetusoissortideprison.—Prouve-le,dit-ilalorsqu'unsouriremalicieuxétiraitseslèvres.J'ignorailespapillonsdansmonventre.—J'aimeraisquetumedonnesdesnouvellesbientôt.Nemeforcepasàveniràtarechercheune

nouvellefois.C'estlà.Jedésignaiunimmeublequisetrouvaitjusteàcôtéd'unedesplusvieilleséglisesd'Albuquerque.

Unepancarteàl'extérieurindiquait«LessœursdelaCroiximmaculée».—Tul'emmènesdansuncouvent?—C'estuneterreconsacrée.Etellesl'accepteraient.Jemetournaipourobserverlegamin.Commentpourraient-ellesrefuser?Reyesralentitàcôtédel'édificeetsegara.Uneseulelampeilluminaitlaported'entrée.Aulieudesortir,jemeretournaiversmonchauffeur.—Ilfautquej'ensacheplus,Reyes.S'ilsenontaprèsmoi,j'ailedroitdesavoircequisepasse.Iléteignitlemoteuretregardaparlafenêtre.

—Jesuisencoreentraind'étudierlespourquoietlescomment.—Pasdeproblème.Jemecontenteraidesquoi.Comme il ne répondait rien, je sortis du véhicule et avançai mon siège dans l'intention de

m'occuperde soncasplus tard.Legaminétait toujours inconscient,mais il remuait.Le tempsqueReyes sorte à son tour et contourne la voiture, une autre pensée m'avait frappée. Une que j'avaistotalementoubliée.

—Jevoulaistedemander...Quandjet'aivucematindevantlebardemonpère,unhommet'afaitsigne.

Ils'appuyasurl'ailedeMiseryetcroisalesbras.—Çaarriveparfois.Onvitdansunmondedefous.—Non,jeveuxdirequetuétaislà,danscecas?Avectoncorpsphysique?—Pourquoiçat'intéresse?demanda-t-ilenchangeantdeposition,commes'ilétaitmalàl'aise.—Parcequetut'esdématérialisé.Toi.Toutentier.Sabouchesensuelleadoptaunsourirediabolique.—Dutch,tusaistrèsbienquec'estimpossible.—Mais...Le gamin remua à nouveau. Je l'observai. Ses cheveux blonds qui retombaient sur son visage

angélique.Seslongscilsetsamâchoirecarrée.Ilferaittomberlesfillespardizaines,pasdedouteslà-dessus.

JereportaimonattentionsurReyesavecunsourireappréciateur,maisilétaitparti.Jefisuntourcompletenscrutantlesenvirons,contournaiMisery,àsarecherche.Ilétaitbeletbienparti.Ilavaitdisparuaussisilencieusementquedelafumée.

Impossible.

Chapitre7Lebonheurnesuffitpas.J'exigel'euphorie!

Tee-shirtReyesnevoulaitdetouteévidencepasrépondreàmesquestions.Oualors,c'étaitparcequ'onse

trouvaitdansunlieusacré.Peut-êtrequ'ilnepouvaitpasmettrelespiedssuruneterresanctifiée.Maisétait-ilcapablededématérialisersoncorpsphysique?Cettesimpleidéemesidérait.

Je rampai jusqu'au garçon dans la Jeep et enlevai les cheveux qui lui cachaient le visage. Il seréveillaensursautetmerepoussa,àmi-cheminentrelaconfusionetlapeur.

—Toutvabien,luidis-je,enmontrantpatteblanche.Tuesenunseulmorceau,maisilfautquejetefasseentrer.

Il promenait son regard partout aux alentours, plissant les yeux chaque fois qu'il me voyait,commes'illesavaitbraquésenpleinsoleil,etjecomprisnonsanssurprisequ'ilétaitcommePari.Ilpouvaitvoirlalumièrequiémanaitdemoi,etelleledérangeaitdetouteévidence.Jetendisunbrasversl'avantdelavoitureetattrapaimeslunettesdesoleil.

—Tiens,çaaide.Quand je remarquai qu'il ne les prenait pas, je dépliai les branches etme penchai pour les lui

enfiler, en faisant bien attention de bouger lentement. Il me laissa faire, mais je compris à lacrispationdesesmusclesqu'ilrestaitsursesgardes.

—C'estmieuxcommeça?Ilexaminalesalentoursavantdereportersonregardméfiantsurmoi.—Ah,oui.C'estmaJeep,Misery.Etmoi,c'estCharley.A peine ces mots m'eurent-ils échappé que je les regrettai. Pourquoi prendrais-je la peine de

présentermavoitureàungaminquisesentait,detouteévidence,retenuprisonnieràl'intérieur?ÇaauraitétécommedeprésenterJonasàlabaleineenespérantqu'ilsallaientbiens'entendre.

—Miseryn'arienàvoiravectoutça,tuasmaparole.—Qu'est-ceque je fais ici?demanda-t-il,et jecomprisalorspourquoi iln'avaitpas réponduà

mesquestions.Iln'avaitpasutilisésavoix.Ils'étaitservidesesmains.—Es-tusourd?luidemandai-jeenlanguedessignes.Ilsemblaétonné.—Oui.—Ehbien,danscecas,jem'appelleCharley,signai-jeenprenantquelquessecondespourépeler

monnomàl'aidedemesdoigts.Jefussoudaintrèsreconnaissanted'êtrenéeavecuneconnaissanceparfaitedetoutesleslangues

jamaisparléessurTerre,quiincluaientunecollectionaussivastequevariéedelanguesdessignes.—Quid'autre?relança-t-il,etjefronçailessourcils,confuse.Tuasmentionnéquelqu'und'autre.—Oui,répondis-je,penaude.Jet'aiprésentémavoiture.(Jelaluiindiquaid'ungesteample.)Elle

s'appelleMisery.—Tuasbaptisétavoiture?—Oui.Et,s'ilteplaît,nemedemandepasàquoid'autrej'aidonnéunnom.Tuestropjeune.Unlégersouriredéfilasurseslèvres.—MonnomestQuentin,m'apprit-ilenépelantàsontoursonprénom,avantdeleverunbrasetde

placerunQsurl'extérieurdesonpoignetdroit,m'indiquantsonnomsigné.— Enchantée, lui dis-je et, par politesse, il me répondit par la pareille, même si je doutais

fortement qu'il le pense. Je t'ai amené ici pour ta sécurité.Est-ce que tu te souviens de ce qui t'estarrivé?

Ildétournalesyeux.—Quelquestrucs.Mince.Ilauraitbesoind'unsoutienpsychologique.J'attendisqu'ilmeregardeànouveau.—Celapourraitsereproduire.Ils'immobilisa,etunevaguedepeurflottadansmadirection.—Jesuissincèrementdésolée.Ilfautquejetefasseentrerdanscebâtiment.Tuyserasensécurité.

Ilsepenchapouryjeteruncoupd'œil.—Est-cequetuasdelafamille,iciàAlbuquerque?—A-B-Q?demanda-t-il,nereconnaissantpasl'abréviation.Jeluiépelailetout.Cequiconstituaunvraidéfi.—Oui,tuesàAlbuquerque,auNouveau-Mexique.Iln'avaitpasbesoindeparlerpourquejelecomprenne.Lechocselisaitsursonvisage.Je posai lamain sur son épaule pendant quelques instants, lui laissant le temps d'absorber cette

informationavantdecontinuer.—D'oùviens-tu?—Washington,répondit-illorsqu'ileutrécupéré.—Oh,tuesloindecheztoi.Tutesouvienscommenttuesarrivéici?Ilsetournaencoreunefoispourdissimulerleslarmesquiluibaignaientlesyeux.Jeprisçapour

unnon.Ildevaitdéjàêtrepossédélorsqu'ilavaitquittélaville.—Jepeuxcontactertafamille.Leurdirequetuvasbien.Ilsecachalevisaged'unemain,etmoncœursecouvritd'unvoiledetristesse.Jeposaiunepaume

sur son épaule à nouveau, puis la lui frottai, tentant de le réconforter. Il n'avait pas besoin dem'expliquerquoiquecesoitpourquejecomprennequ'iln'avaitpasdefamille.Jemedemandaiss'ilétaitsansdomicilefixe.

Sonchagrinmefitmanquerd'air.Ilsesentaitsiperdu.Siseul.—Est-cequevouscomptezbientôtrentrer?Ilcommenceàsefairetard.Je sursautai en apercevant Sœur Mary Elizabeth devant Misery. Une crainte mêlée de respect

s'emparademoi.—Est-cequelesangesvousontavertiequ'onallaitvenir?—Non,jevousaivusvousgarer.—Ah.Çafaisaittoutdesuiteretomberl'ambiance.—Etlesangesnemedisentjamaisrien.Jenefaisquesurprendreleursconversations.—C'estjuste.J'avaisoublié.J'attiraiQuentinhorsdelavoitureetluiprésentaiSœurMaryElizabethetlestroisautresnonnes

qui étaient sortiespournousaccueillir.Elles sepressèrent autourde lui commedesmèrespoules,puis vérifièrent une griffure sur son visage et une entaille plus profonde à son poignet. Certainesd'entreellesconnaissaientmême la languedes signes,pourmonplusgrandplaisir.Tout iraitbienpourlui.Pourl'instant,entoutcas.

Ellesnousconduisirentdanslecouvent,nousfirentdelasoupe-quiavaitbienmeilleurgoûtqueles relents de vomi qui s'accrochaient encore à mon palais - et du chocolat chaud, puis elles meposèrentunmillierdequestions,commeenquoiconsistaitmonjobdeFaucheuseetqueleffetcelafaisaitquanddesgenspassaientàtraversmoi,etcejusqu'àcequelamèresupérieurearriveetmetteuntermeànotrepetitesauterie.SœurMaryElizabethleuravaittoutracontéàmonpropos,etilétait

normal qu'elles soient curieuses. Je n'avais pu m'empêcher de remarquer qu'elles avaientsoigneusementévitéd'aborderleproblèmedeReyes.Ellessavaientquiilétaitetdequellemanièrenousétionsconnectés.

Jeme tournai versQuentin. Il était captivé par sa conversation avecSœurAnne à propos de laXbox,quiavaitselonellelesmeilleursgraphismesetlemeilleurstreamingendirect.SœurAnnes'yconnaissait,etelleavaitcomplètementdésarméletimidejeunehomme.

Ilremitleslunettesafindepouvoirmecomprendre.—Tuvasrestericiquelquetemps,d'accord?luidemandai-je.—Est-cequejepeuxveniravectoi?—Non, il fautque tu soisdansun lieu sacrépour être en sécurité.Monappartement estplutôt,

disons,pastrèscatholique.Il acquiesça et regarda autour de lui pour ne pas montrer qu'il n'était pas rassuré à l'idée de

séjournerdansunemaisonrempliedenonnes,mêmes'ilsemblaitunpeusoulagé.—Situasbesoindequoiquecesoit,envoie-moiuntexto,fis-jeenluitendantmacarte.Attends,

tuasunportable?Ilsemitàfouillersavesteetlespochesdesonjean,puisilensortituntéléphone,qu'ilmemontra

avecunénormesourire.Maisildisparutdèsqu'ileuttapotésurlestouches.—Ilestmort,signa-t-ild'unemain.—Jepeuxtetrouverunchargeur,luiditSœurMaryElizabethensignantàsontour,sanscacher

sonenthousiasme.—Merci,répondit-ilpoliment.C'estquoi,tonnomsigné?Jebaissailatête,enproieàunehonteindicible.— Je n'en ai pas.Aucun demes amis sourds nem'en a jamais donné. Chaque fois que je leur

demande,ilsrétorquentqu'ilssonttoujoursentraind'yréfléchir.Ondiraitqu'ilsévitentleproblème.—Pourquoi?—Jepensequec'estparcequej'aitellementdequalitésqu'ilsn'arriventpasàchoisirsurlaquelle

seconcentrerpourmedonnerunnomsigné.Ilrigoladoucement.—Lesgensquientendentbiensontdesfous,s'exclama-t-il,sessignesapproximatifs,commes'il

faisaitsemblantquejen'allaispaslecomprendre.—Ahouais?demandai-jeenbombantletorse.Ehbien,ceuxquisontatteintsdesurditéparlentla

bouchepleine.Jememisàrireàmapropreblague,laplusvieilledanslegenre.Quentin leva les yeux au ciel, et je saisis cette opportunité pour le prendredansmesbras. Il se

figeatoutd'abord,puisilmerenditmonétreintecommesisavieendépendait.Nousrestâmesainsijusqu'à ce qu'il me relâche. Je déposai un baiser sur une de ses joues sales avant de le lâchercomplètement,etilpenchalatêteàsamanièresiadorablementtimide.

—Jereviensbientôt,d'accord?— Attends, dit-il, soudain inquiet. Est-ce que les nonnes mangent du bacon ? J'aime vraiment

beaucouplebacon.SœurMaryElizabethtapotasonbraspourattirersonattention,puisluirépondit.—J'adorelebacon.J'enferaipourlepetitdéjeuner,çatedit?Ilacquiesçaet laissalesbonnessœurs-quiétaientenchantéesàl'idéedeleprotéger- l'escorter

jusqu'à leurs dortoirs, où il trouverait de quoi se doucher et se changer. Il avait l'air relaxé etreconnaissant, ce quime relaxait etme rendait reconnaissante également.Et j'avais bien vu que lamèresupérieures'étaitprised'affectionpourlui.Quelquechosedeprofondenellesemanifestaitdèsqu'ellecroisaitsonregard,quelquechosedechaleureuxetdematernel,etjemedemandaisbienquelssouvenirsresurgissaientquandellel'observait.

Unefoisquetoutlemondefutparti,jeclouaiSœurMaryElizabethàsachaiseavecmoncélèbre

regard courroucé. Elle ne s'en formalisa toutefois pas, si j'en jugeai à son regard à elle, qui étaitbrillantetm'évoquaitlégèrementdestroublesdel'attention.Unregardauqueljen'avaisaucunepeineàm'identifier.

—Jesaiscequevousallezmedemander,annonça-t-elleàsamanièreprécipitée.—Bien,commeça,çam'évited'avoiràlefaire.Qu'avez-vousentendu?Le superpouvoir de Sœur Mary Elizabeth était sa capacité à entendre les anges. Littéralement.

Comme un système d'écoute téléphonique surnaturel, et sans-fil. Elle avait pu écouter des êtressuprêmesparlerdenouspendantdesannées.Jemedemandaisbiencequ'ilspouvaientdire.Jen'étaispassiintéressantequeça.

Ellepencha la tête et seplongeadans la contemplationde son thé.Çane lui ressemblaitpas. Jesentaisqu'elleallaitmedonnerdetrèsmauvaisesnouvelles.

—Ilsontdécouvertunmoyendevouspister.Oh,ehbien,çanemesemblaitpassiatrocequeçasionregardaitletableaudanssatotalité.—Quiça?Lesdémons?—Oui,lesdéchus.Ilsontélaboréunnouveauplan.—Ilsprennentpossessiond'humains,rebondis-je,dégoûtée.C'estça,leurgrandplan?Devolerla

vied'êtreshumains?Delesdétruire?Ilsontpossédécegaminsansraison.—Ilsavaientune raisonde le faire,dit-elleavantde laissercourirundoigtsur lecontourd'un

morceau de sucre. Ils ne sont capables de posséder que les gens qui sont sensibles au royaumespirituel.Ceuxquisontclairvoyants.

Jetournailatêteendirectiondel'endroitoùellesavaientemmenéQuentin.—AlorsQuentinestclairvoyant?—Oui.Totalement.—Cool,maisquelestlerapportavecmoi?Laclairvoyance,c'estpascequipermetdevoirdans

lefutur?—Pasnécessairement.Celacomprendtouteslespersonnesquisontdotéesdelavision.Ceuxqui

peuvent contempler le royaume spirituel.Certainsnaissent avec cette capacité.D'autres l'acquièrentpard'autresmoyens,commelesexpériencesdemortimminente.

JepensaiàPari.Ellepouvaitapercevoirlesfantômesdepuisqu'elleétaitmortependantquelquesinstantsalorsqu'elleétaitenfant.

—Maispourquoilesviser,eux?Qu'ont-ilsàygagner?—Parcequ'ilspeuventsouventvoirlesauras.—D'accord,répondis-je,necomprenanttoujourspasoùellevoulaitenvenir.—Ets'ilspeuventdiscernerlesauras,dit-elleenplaçantunemainsurmonbras,ilspeuventvous

remarquer.Jememisunegiflementale.Jepouvaisêtretellementlenteàladétente,parfois.— Bien sûr. Ça explique pourquoi ils ont choisi Quentin. Il peut percevoir la lumière que je

dégage.Il faudrait que je rende visite à Pari pourm'assurer qu'elle allait bien et qu'elle n'avait pas été

possédéedepuisladernièrefoisquejel'avaisvue.—C'estainsiqu'ilsparviennentàvoustraquer.Etsij'encroislesconversationslesplusrécentes,

les démons se rapprochent. C'est pour cela qu'ils vous ont envoyé un gardien. C'est pour çaqu'Artémisvousaétéassignée.Ilssavaientquec'étaitsurlepointdeseproduire.

Mince.Jemedisaisbienqu'ildevaityavoiruneraisonbienmorbideetprésagedecatastrophelàderrière.Artémisn'auraitpassimplementpuêtreuncadeaudependaisondecrémaillèretardif.

—Est-cequ'ilspeuvent lui fairedumal?demandai-je, soudain inquiète.Est-ceque lesdémonspeuventfairedumalàArtémis?

—Jen'ensais rien.Jen'ai rienentenduàcesujet,ajouta-t-elleavantdes'éclaircir lavoixetdeprendrematasse.Désirez-vousencoreunpeudethé?

—Volontiers,merci,répondis-je,latêteailleurs.Lamère supérieure revint et s'assit alors que SœurMaryElizabeth rassemblait nos tasses et se

levaitpourallerpréparerduthé.Ellemedévisageadesameilleureexpressionpleinededédain.Jesouris.Inspectailesdétailsdesportesboisées.Tapaimesdoigtsenrythmesurlatable.Jetaiun

coupd'œilàmamontre.Ouplutôtàmonpoignet,làoùmamontreseseraitsituéesijen'avaispasoubliédelamettre.

—Vous savez, commença-t-elle après une longue réflexion, il m'a fallu du temps pour... (Ellesemblaavoirdelapeineàtrouverlesmotsjustes.)croireenl'existencedescapacitésdeSœurMaryElizabeth.

Oh,cool.Ellen'allaitpasparlerdemoietdemapiledepéchés.Parcequ'onenauraiteupourunbail,sitelavaitétélecas.

—Jecomprends,dis-je,essayantdememontrersympathique.Ilfautsouventdutempsauxgenspourcroireauxmienneségalement.Iln'yariendemalàça.

—Enfait,si.EllenousaétéenvoyéeparDieu,etj'airemissescapacitésenquestion.J'aidoutédesondon.C'estquelquechosedontjedevrairépondrequandlemomentviendra.

Çamesemblaitunpeuextrême.—Jenecroispasqu'utilisersalogiqueetsoninstinctsoitunpéché.Sonsourireétaitplussympathiquequ'assuré.—Seloncequ'ellenousadit,unegrandeetterribleguerreseprofileàl'horizon.—C'estexact,rebonditSœurMaryElizabeth,acquiesçantdemanièreenthousiastetandisqu'ellese

rasseyaitetmetendaitunenouvelletassedethé.Etelleseracauséeparunimposteur.—Unimposteur?répétai-je.LamèresupérieureposasamainsurlebrasdeSœurMaryElizabethpourlafairetaire.— Pas croyable, m'exclamai-je en promenant mon regard de l'une à l'autre. Vous avez des

informationsquimeseraientutiles,etvousnem'enfaitespaspart?—Cen'estpasànousdelefaire,réponditlamèresupérieure.Cetteinformationestsacrée.Elle

nousaétédonnéeafinquenouspuissionsprier.—Jepeuxprier,rétorquai-je,mesentantinsultée.Vousn'avezqu'àmedireàquelsujet.Jesuistout

àfaitprêteàlemettresurmalistedetâches.Lamèresupérieurerelâchasonmaintiendeferetunpetitsourirevintétirerlecoindeseslèvres.—Laprièredoitêtrevécue,pasrayéed'unelistedechosesàfaire.Zut.Elleavaitraison.—Maisonestentraindeparlerdemavie,là.—AinsiquedesviesetdusalutdetouteslespersonnessurTerre.Votredestinéeestd'yjouerun

rôle.Vousdevezsimplementdéciderlequel.—Desénigmes?demandai-je,peuenthousiaste.Vousmeparlezenénigmes?Sœur Mary Elizabeth avait écarquillé les yeux dans une ardeur tout innocente pendant qu'elle

observaitnotreéchange.Elleressemblaitàunenfantquiregardesoncartoonpréférélesamedimatin.Trèsbien,ellesconservaientlesinformationsjuteusespourelles.—Est-cequevouspouvezaumoinsmediredequoijesuiscapable?—Detoutcequevousêtesenmesured'imaginer,merépondit-elleavecunénormesourire.— J'en doute, rétorquai-je, faisant de mon mieux pour ne pas avoir l'air déçue. J'ai une

imaginationtrèsfertile.Lamèresupérieuretapotalebrasdesaprotégée.—Ilestl'heured'alleraulit,annonça-t-elled'unevoixmaternelle.C'étaitmonsignaldedépart.Ellesmepromirentd'avoir l'œilsurQuentin jusqu'àcequ'ilpuisse

sortirentoutesécurité,maisellesensavaientplusquemoiàcesujet.J'essayaidenepasleurentenirrigueur.Pastrèsfort,maisjefisquandmêmeunminusculeeffortavantd'abandonneretd'envouloir

àl'humanitétoutentière.Sansvraimentcomprendrepourquoi.Heureusement,jen'ypensaisdéjàplusletempsd'arriveràMisery,trempéejusqu'àl'ospuisqu'ils'étaitremisàpleuvoir.

J'appelai Cookie. Elle savait où j'étais allée et devait être rongée par l'angoisse. Ou renduetotalementhystériquepardesidéescochonnes.Reyesavaitceteffetsurelle.Ilavaitprobablementceteffetsuruntasdefilles.

—Alors?demanda-t-elleendécrochant.—Tucroisqu'onestvraimentseulsdansl'univers?—Tut'esdenouveaufaitenleverpardesextraterrestres?—Non,Dieumerci.Unefoism'asuffi.—Ah,ouf.Bon,ques'est-ilpasséavecReyes?Tul'asvu?—Jel'aivu.Ons'estdisputé.J'aigerbé.—Tuasvomi?—Oui.—SurReyes?—Non,maisuniquementparcequejen'yaipaspensésurlemoment.JefaisuncrochetchezPari

pourvoircommentvaHarperavantderentrer.Histoirequejen'aiepasmisunsoutien-gorgepourrien.

—Magnifique,donctuasquelquesminutespourmeracontercequis'estpassé.Jemedisaisbien.Jeluiexpliquaitoutcequis'étaitpasséenutilisantlesphraseslespluscourtes

possible.Pari n'habitait pas si loinque ça. Il fallait que je reste concise.Aumoment où j'arrivai àdestination,chaquemoléculedemoncorpsétaitentraindevibrer.Commesilerésumédesmomentspassés avecReyes était aussi intense que lesmoments eux-mêmes.Comment un hommepouvait-ilêtre si inhumainement parfait ? Probablement parce qu'il n'était pas humain. Sa présence semblaitcauserdesperturbationsdansmoncontinuumespace-temps.Jemesentaisdésorientéequandilétaitlà.Instable.Etj'avaischaud.Sichaud.

—Etlafacture?demanda-t-elle,l'espoirperlantdanssavoix.—Jeluiaiditdem'envoyerunchèque.—Unchèque?répéta-t-elle,horrifiée.Ilnepouvaitpasjustetedonnercequ'ilnousdevait?—Peut-être,maisilmedoitbienplusàmoiqu'àtoi.Jepensequ'ilnetedoitquedeuxdollars.Savoixdevintsoudainprofondeetrauque.—Jepourraisfairebeaucoupdedégâtspourdeuxdollars.Envoiecegarçonici,etjeleprouverai.Ellemefaisaitunpeupeur,parfois.Jemisuntermeàl'appelaprèsluiavoirpromisd'enleverle

goûtdevomidemaboucheauplusvite.Maismonespritétaitrevenuauproblèmeprésent.Ou,plusprécisément,auxproblèmes.Commedansmultiples.Ilsétaientderetour.Lesdémons,danstouteleurgloire.Etilsavaientunplan.Jefaisaisdesplansmoiaussi,desfois,maisilsimpliquaientrarementladominationdumonde.Deshot-dogsgrillés,peut-être.Etdelatequila.

Après avoir trouvé une place, jeme garai derrière le salon de tatouage en face d'un signe quistipulait « Interdiction de stationner ». Dans la mesure où il n'expliquait pas clairement à qui ils'adressait,jemedisaisqu'ilétaitpossiblequecenesoitpasàmoi.Jecourussouslapluieetmefistremperànouveau.J'avaisbien l'intentiondemeplaindreauprèsdeParietdeTre,mais ilsétaienttous lesdeuxoccupésàextirperdesgémissementsdedouleurde leursclients,aussi les laissai-jeàleurs affaires etmedirigeai-jevers la chambred'invités improvisée.Harper, qui semblait fascinéeparlatexturedesmurs,sautasursesjambesàlasecondeoùjepénétraidanslapièce.

—Avez-voustrouvéquelquechose?—Pasgrand-chose.Commentallez-vous?demandai-jeenprenantplace sur lecanapéeten lui

faisantsignedes'asseoiràcôtédemoi.Ellelefitàcontrecœur.—Çava.—J'aiparléàvotrebelle-mèreaujourd'hui.Pourquoinem'avez-vouspasditqueçaduraitdepuis

quevousétiezenfant?Elleselevaànouveauetmetournaledos,embarrassée.—Jenepensaispasquevousmecroiriez.Personnenem'ajamaiscrue,etencoremoinsquandje

racontel'histoireenentier.—Onvafaireuntruc,proposai-je,comprenantexactementcequ'elleressentait.Vouspromettezde

mefaireconfiance,etjeprometsdevouscroire.D'accord?—D'accord.Je parvins finalement à la convaincre de se rasseoir, mais elle se cachait derrière ses longs

cheveuxnoirs.—Pouvez-vousm'expliquercequis'estpassé?Commenttoutçaacommencé?—Jen'ensaisrien.Jenemerappellepas.—Votrebelle-mèreaditquetoutavaitcommencéaprèsqu'elleaépousévotrepère.Harperlevalesyeuxaucielavantdelesreportersurmoi.—Ellea toujoursprétenduça,parceque toutestàproposd'elle.Àproposde leurmariage.Ça

n'aurait jamais pu avoir le moindre rapport avec moi, avec le fait que j'ai été traumatiséepratiquementtoutemavie.

Elleagitalesbrasdefrustration,etcequejevisd'elleencetinstantmeplut.Labattante.Lafemmeintelligenteetcapablequej'étaissûrequ'elleseraitdevenuesiellen'avaitpaseuaffaireàunharceleurpsychopathetoutesavie.

Jeluioffrisunsourireappréciateur.—C'estmieux.—Quoi?Sesadorablessourcilss'étaientrejointssursonfront.—Oubliezça.Pourquoiest-cequevousnemedonneriezpasvotreversiondesfaits?Elleprituneprofondeinspirationetselaissaallercontreledossierducanapé.—C'esttout.Jenemesouvienspas.Ilssesontmariés.Oui,contremavolonté,maisjen'avaisque

cinqans,alorsjen'avaispasmonmotàdire.Ilssontpartisenlunedemiel.Jesuisrestéeavecmesgrands-parents maternels à la ferme de Bosque pendant qu'ils étaient loin, expliqua-t-elle, et sonattentionseportaànouveausurmoi.Mesgrands-parentsbiologiques,ducôtédemamère,étaientdespersonnesmerveilleuses.Ensuiteilssontrentrésetc'estlàquetoutacommencé.Justeaprèsleurlunedemiel.

Jesortisuncalepinetentreprisdeprendredesnotes.Çamesemblaitlabonnechoseàfaire.— OK. Dites-moi exactement comment tout a débuté. Quel est le premier truc que vous vous

souvenezavoirremarqué?Ellehaussalesépaules.—Jesuisrevenuesurcesévénementstellementdefoisavecmespsychothérapeutesquejenesuis

mêmeplussûredesavoircequiestvraietcequej'aiinventé.C'étaitilyasilongtemps.—Ehbien, jesuiscontented'apprendrequevousavezconsciencequecertainsdecessouvenirs

puissentêtrelefruitd'annéesdepsychothérapie.Ilpourraits'agirdufruitdevotrepropreespritquiessaiedefairefaceauxcirconstances.Maissupposons,àtitred'hypothèse,qu'ilsnelesontpas,quechaquechosedontvousvoussouvenezs'estréellementproduite.Quepouvez-vousmedire?

—D'accord.Ehbien,jecroisquetoutacommencéquandj'airetrouvéunlapinmortsurmonlit.—Unvrailapin,donc?Mort?—Oui.Jemesuisréveilléeunmatinetilétaitlà,étenduaupieddemonlit.—Ques'est-ilpassé?—J'aihurlé,répondit-elleentournantlesyeuxversmoi.Monpèreaaccouru.Ill'aemporté.Elles'exprimaittoujourscommesiellesetrouvaitenséance,inquiètedecequejepourraispenser,

delamanièredontj'allaisanalyserchacundesesmouvements.—Jecomprends,Harper.Votrepèreestvenuàvotresecours.Doncc'étaitpeut-êtrepourattirer

sonattention,c'estça?C'estcequevousavezapprisduranttoutescesannéesdethérapie?Quevousétiezjusteentraind'essayerd'attirerl'attentiondevotrepère?

Elleserembrunit.—Quelquechosecommeça.Peut-êtrequ'ilsavaientraison.— Je croyais qu'on avait un accord. (Elle se retourna vers moi.) Je pensais qu'on partait du

principequevousn'avezrieninventé,quevousn'avezniimaginénifabriquétoutça.(Jemepenchaiunpeuplusprèsd'elle.)Quevousn'êtespasfolle.

—Maisçasemblelogique.—Évidemment.Commefairedel'exercicerégulièrementpourresterenforme.Maisvousneme

voyez pas en faire, là, n'est-ce pas ? Et si ça peut vous aider à vous sentir mieux, je peux vousdiagnostiquer. Vous expliquer toutes les raisons pour lesquelles vous auriez pu inventer cesaccusations.J'aisuividescoursdepsychologie.Jesuistoutàfaitqualifiée.

J'entrevisunsouriretimideautraversdurideaudesescheveux.— Je sais ce que vous ressentez. J'ai été analysée à n'en plus finir, moi aussi. Pas, disons,

professionnellement,mêmesijesuissortieavecunétudiantenpsychoquiprétendaitquej'avaisdesproblèmes d'attention. Ou en tout cas, je crois que c'est ce qu'il avait avancé. Je ne l'écoutais pasvraiment.Bref,qu'est-ceque jedisais? (Commeil lui fallutplusdedix-septcentièmesdesecondepourréagir,jecontinuaimatirade.)Oui,donccequej'essaied'expliquer,c'estque...

—Vousêtesplusfollequejenelesuis?Elleretroussalenezdeplaisir.—Quelquechosecommeça,répondis-jeenriant.Alors,ques'est-ilpasséaveccelapin?—Rien,vraiment.Monpèreaditquelechienl'avaitramené,maisiln'avaitpasledroitd'entrer

danslamaison.—Est-cequevouspouvezmedécrirelelapin?Yavait-ildusang?Elleméditaquelquesinstants,fronçantlessourcilstandisqu'elleseconcentrait.Puisunsoupçonde

peurtraversasonvisage.—Personnenem'ajamaisdemandéça.Enplusdevingt-cinqans,pasuneseulepersonnenem'a

questionnéesurlelapin.—Harper?—Non.Désolée.Non,iln'yavaitpasdesang.Pasunegoutte.Sanuqueétaitbrisée.—OK.Elleavaitl'airdetirerdesconclusionssurcertaineschoses.Jemedemandaissielleétaittoujours

entraindeparlerdulapin.Jegardailesilencependantquelquesinstantsafindeluilaisserabsorbercequ'elledevait,puisrepris:

—Ques'est-ilpasséensuite?Qu'est-cequivousapousséàcroirequequelqu'unessayaitdevoustuer?

Elleclignadesyeuxetreportasonattentionsurmoiensecouantlatête.—Oh,ehbien,justequelquespetiteschoses.Deschosesétranges,lesunesaprèslesautres.—Comme?—Commelafoisoùmonbeau-frèreamis le feuà lanicheduchien,alorsque lechienétaità

l'intérieur.—Votrebeau-frèreafaitça?Volontairement?—Ilditquec'étaitunaccident.Jelecroisàprésent,maiscen'étaitpaslecasàl'époque.—Pourquoipas?—Parcequemacouvertureélectriqueaprisfeuaucoursdelamêmenuit.—Pendantquevousétiezdessous?demandai-je,mêmesijeconnaissaisdéjàlaréponse.—Pendantquej'étaisdessous.Eh bien, son enflure de demi-frère venait de prendre la première position surmon podium de

suspects.

—Maisçaarrivaittoujourscommeça:pardeux.—Quevoulez-vousdire?—J'avaisune fêted'anniversaire, environune semaineaprès lepremier incident, celuidu lapin

mort.Etlasœurdemabelle-mèreestvenueàlafêteavecsesdeuxaffreuxrejetons,expliqua-t-elleentremblant de dégoût. Ils étaient si agressifs. Enfin bref, elle m'a offert un lapin. Un lapin blancsemblableentoutpointàceluidemachambre,saufquequelqu'unavaitfaitdepetitstrousdanssondosetavaitretirédurembourrageafinquesatêtependesurlecôté.

—Commesisanuqueétaitbrisée?—Exactement.Quelle famille aimante. Je n'avais pas le cœur de lui parler du lapin que j'avais trouvé dans sa

cuisine.Ilauraitpus'agirdumême,ouilauraitpuêtreplacélàplusrécemment,maisj'avaispeurdelaperdretotalementsijelementionnais.

—Tout lemondea rigolé, continua-t-elle,quand ilsontvuàquelpoint j'étaisbouleversée.Matantemel'atenduenfaisantsautersatêted'uncôtéàl'autre.Elleavaitunrireperçantquimerappelaitlebruitquefaitunjetaudécollage.

—Etvousaviezcinqans?demandai-je,horrifiée.Elleacquiesçaetcommençaàretirerdespeluchesdesonmanteaubleufoncé.—Quefaisaitvotrepèrependanttoutcetemps?—Iltravaillait.Iltravaillaittoujours.—Ques'est-ilpasséd'autre?—Justedeschosesétranges.Desbijouxquidisparaissaient,oumeschaussuresquiseretrouvaient

lacéesentreelles,chaquematinpendantunesemaine.Deschosesquipouvaientdetouteévidenceêtremisessurlecompted'unbeau-frèremorveuxqui

luifaisaitdesfarces.—Ensuite,j'aicommencéàvoirquelqu'undansmachambrelanuit.—Ça,c'estangoissant.—Vousm'endireztant!—Etvousn'avezjamaisreconnulapersonne?Ellesecoualatêteavantdemerépondre.—Cen'estpasdevenuvraimentinquiétantjusqu'àmesseptansenviron.Monbeau-frèrem'afait

cadeaud'unebagueenplastiquedécoréed'unearaignée,expliqua-t-elleensouriantsincèrement.Onaimaitlesaraignées,lesinsectes,lesserpentsetlestrucsdugenre.

—Les araignées sont cool, tant qu'elles respectent les limites personnelles, dis-je.A savoir lesmiennes.Maispourquoiest-cequej'ail'impressionqueçanes'arrêtepaslà?

—Cettenuit-là,lanuitoùilm'aoffertlabague,j'aiétémorduetroisfoissurleventreparunbébéveuvenoirependantquejedormais.Ilsenonttrouvédeuxdansmonpyjama.

—Quelqu'unauraitpulesymettrependantquevousdormiez.—Exactement.—Vouspensezquevotrefrèreaquoiquecesoitàvoiravecça?—Jemesuisposélaquestionpendantlongtemps.Nousn'étionspastrèsprochesaudébut,surtout

aprèsl'épisodedelaniche.Maisonacommencéàs'apprécierénormément.Ilétaitleseulmembredemafamillequimecroyait,etquimedéfendaitmêmecontremabelle-mère.Çalarendaitfurieuse.

—Jepeuximaginer.Etjelepouvaissanspeine.Labelle-mèredeHarperétaitàpeuprèsaussiaimantequelamienne,

mais la mienne ne m'avait jamais posé de veuve noire sur le corps ni n'avait mis le feu à macouverture électrique. À une époque, je pensais qu'elle essayait de passermon cerveau aumicro-ondesàl'aidedelatélécommande,maisjevenaisdemefaireunmarathonLaQuatrièmedimensiondetroisjours,durantlequelj'avaiseutroppeudesommeilettropdecaféine.Etj'avaisquatreansàcemoment-là.

—Bon,est-cequeças'estproduitduranttoutevotrevie?demandai-je.—Oui.Jetrouvaisdessourismortesdansmachambre,oudesinsectesdansmeschaussures.Une

fois, jemesuisverséunverredelait,et letempsquejeremettelecartonaufrigoetquejetartinemontoastdebeurre,quelqu'unyavaitglisséunverdeterre.Uneautrefois,jesuisrentréed'unenuitchezuneamieetj'airetrouvétoutesmespoupéeschauves.Quelqu'unleuravaitrasélatête.Biensûr,on n'avait vu personne entrer dans ma chambre. C'était encore une de mes tentatives pour attirerl'attention.

Jepinçailabouchededésapprobation.—Queva-t-onfairedevous?Ellesemitàrire,etjefuscontentedeconstaterquejepouvaisl'aideràretirerunpeud'humour

d'une situation ô combien horrible. Çam'avait toujours aidée àm'en sortir. La vie était bien tropcourtepourêtrepriseausérieux.

Jedécidaidedécouvriroùelles'étaitenfuiependanttroisans.C'étaitunelongueduréepourfairelesquatrecentscoups.

—Votrebelle-mèrem'aracontéquevousaviezdisparu.—Oui.Quandj'aieuvingt-cinqans,j'enaifinalementeuassez.Jeleuraiditd'allersefairevoir,

etjesuispartie.J'aicomplètementdisparu.J'aichangédenom,trouvéunemploi,j'aimêmeprisdescoursdusoir.Maislorsquemonpèreesttombémalade,jen'aipaseulechoix.J'aidûrentrer.

—Quandétait-ce?—Ilyaenvironsixmois.—Commentavez-voussuquevotrepèreétaitsouffrant?Ellebaissalatête,sestraitss'adoucissanttandisqu'ellesesouvenait.—J'avaisuncontact,répondit-elle,puiselleenroulal'extrémitédesavesteentresesdoigts.Mais

mabelle-mère n'était pas très contente deme revoir. Je suis restée chez eux au départ,malgré lesregardsdésapprobateursqu'ellemelançait.

—Jesuisprêteàparierquenosbelles-mèresétaientsiamoisesdansuneautrevie.— Puis un nouveau lapinmort a fait son apparition surmon lit, et toutm'est revenu. J'ai pris

consciencequej'étaisvolontairementrentréepourvivreuncauchemarconstant.Deslarmess'échappèrentdelabarrièredesescils.Jeluidonnaiuneminute,puisrepris:—Puis-jevousdemanderquihériteradudomaineaudécèsdevotrepère?Ellerenifla.—C'estmoi.Mabelle-mèreetmonfrèrerecevrontunegrossesommed'argent,maisj'héritedela

maisonetd'environsoixante-quinzepourcentdesbiens.Çafaisaitpartiedel'arrangementlorsqu'ilssesontmariés.Jecroisqu'elleasignéuncontratprénuptial.

—Donc,s'ilvousarrivaitquelquechose,quesepasserait-il?—Mabelle-famillehériteraitdetout.C'étaitbiencequej'avaissoupçonné.

Chapitre8Lafolienecourtpaslesrues,danslafamille.Ellesepromèneetprendsontemps,afind'apprendre

àconnaîtrechacundesmembrespersonnellement.Tee-shirt

JebordaiHarper,harcelaiunpeuParietTre,puisrentraichezmoi.Labonnenouvelle,c'étaitqu'il

avaitdenouveauarrêtédepleuvoir.Lamauvaise,c'étaitquemescheveuxétaienttoujourshumides,maisque lescouchessupérieuresavaientséchéetboucléd'unemanièredont jen'étaispas très fan,parcequ'ellerappelaitlessans-abri.J'avaisvraimentbesoind'unmeilleuraprès-shampooing.

Commetouteslesplacesdevantmonimmeubleétaientprises,jedusmegareràl'arrièredubardepapa.Quandj'attrapaiMargaretetsortisdeMisery,jemerendiscomptequemonemplacementétaitoccupéparle4x4d'oncleBob.Ilallaitpayer,etpayercher.Desavie.Oud'unbilletdevingtdollars.Çadépendraitdemonhumeur.

J'empruntail'escalierjusqu'àmonétageetentendisdesbruitsdemarteaus'éleverdel'appartementdufondenarrivant.Jeleregardaiavecenvie.Avecamour.Ilavaitlacuisinelapluscoolquej'avaisjamaisvue.Monappartementavaitunecuisine,maiscomparerlesdeuxauraitétécommecomparerlaMonaLisaavecundessinque j'avais faitun jourd'unefillequis'appelaitMonaSalas.Sa têteseterminaitsursonépaulegauche,etelleavaitunepoitrinevraimenténorme.Onétaitàlamaternelle.Mêmesij'aimaispenseràcedessincommeàunesorted'indicedemonpouvoirdeprédiction,parcequelorsqueMonaavaiteudesseins,elleenavaitàrevendre.Detouteévidence,cedessinétaitunepreuveirréfutablequejepouvaisprédirel'avenir.

—Oùétais-tu?JepénétraidansmonappartementetrendisàoncleBobleregardfurieuxqu'ilm'adressait.—Dehors,entraind'essayerdemefairepasserpourunproducteurdefilmsafindeconvaincre

destypessexydecoucheravecmoi.Oùétais-tu?OncleBobignoramaquestionetmetenditundossier.—Voilàcequej'aisurlepyromane.Ils'entientauxvieuximmeublesetauxmaisons,maisçane

dureraprobablementpas.Sansmanquerunemiettede l'inquiétudequi traversases traits lorsqu'il remarquaMargaretsous

monbras,jeladéposaisurlebaravecmonsacetmesaisisdudossier.—J'aibesoinde fairequelques recherches,dis-je enmedirigeantversma salledebainsetma

brosseàdentspendantquejelisais.Jeconnaisleprofildebasedupyromaneordinaire,maisrienquiimpressionneraitunpro.Etmaintenantqu'ilatuéquelqu'un...

—Ilnel'apasfait,m'interrompit-il.LaSDFétaitdéjàmortequandl'immeubleaprisfeu.D'aprèslelégiste,elleestcertainementdécédéedessuitesd'unepneumoniedeuxjoursplustôt.

—Ah,ettuestoujourssurl'affaire?demandai-jetoutenétudiantleprofildel'hommealorsquej'appliquaisdudentifricesurmabrosseàdents.

—J'aidécidédecontinueràlesépauler,deleurdonneruncoupdemain.Ettuessortie,releva-t-ild'untonsatisfait.

—J'étaisbienobligée,grognai-jeentredeuxbullesdedentifrice.J'aiunecliente.—Tuveuxm'enparler?Aprèsm'êtrerincélabouche,jeretournaiausalonsansarrêterdeparcourirledossier.— Négatif. Mais j'aimerais garder une option sur cette proposition. Tu sais, au cas où je me

mettraisdanslepétrin.—Tucomptesm'enparlerd'icidemainaprès-midi,quoi.Est-cequetuasparléàtonpère?—Négatifbis.Cetypesembletrèsprécisquantàcequ'ilbrûle.Jeprésumequ'iln'yarienducôté

desassurances?— Rien du tout. Différents propriétaires, différentes compagnies. On ne trouve aucun fil

conducteurquilesrelierait.—Hey,m'exclamai-jesoudainenrepensantauxnouvellesquej'avaisvues.Vousavezlamoindre

idéedel'identitédesGentlemenCambrioleurs?Lesbraqueursdebanque?Ilseragaillardit,clairementintéressé.—Non,toioui?—Zut.Pasvraiment.Ilsmesemblentjustefamiliers,répondis-jeenjetantuncoupd'oeilversle

plafond,réfléchissant.Leurcarrure,enfait.Jemettraismamainàcouperquejelesaidéjàcroisésquelquepart.

La porte s'ouvrit, etCookie entra dans l'appartement avec sa fille de douze ans,Amber, sur lestalons.

—Ehbien,appelle-moisitut'ensouviens,d'accord?—Jen'ymanqueraipas.CookieadressaunsignevagueàObie,leremarquantàpeine.Maislui,il l'avaitremarquée.Son

poulss'accélératandisquesonintérêtgrandissait.SoitilavaittoujourslebéguinpourCookie,soitilétaitentraindefaireunecrisecardiaque.Jevotaispourlapremièresolution.

—BonjourRobert,dit-elleendéposantunetripotéedeprovisionssurmoncomptoir.J'aidécidéd'essayerquelques-unsdecesappareilsavantqu'onlesrenvoie.Quisait, j'enaipeut-êtrerêvétoutemaviesansenavoirconscience.

—Qu'est-cequec'estquetoutça,aufait?demanda-t-ilendésignantlescartonsd'uncoupdetête.Amberpritalorslaparole:—SalutoncleBob,dit-elleenl'embrassantrapidement.C'estunetentativedeCharleypourfaire

face à son sentiment d'insécurité et d'impuissance. Dans un effort désespéré pour reprendre lecontrôledesavie,elles'esttournéeverslacollectedebiens.

—Pourl'amourduciel,meplaignis-jeenlançantmonplusbeauregardnoiràCookie.Jenesuispasunhamster.

—Nemeregardepascommeça,dit-elleendésignantlefruitdesesentrailles.—Onavuundocumentaireàl'école,expliquaAmber.J'aiapprisuntasdetrucs.—Manifestement. Mais, pour ton information, je n'essaie pas de reprendre le contrôle de ma

désespérante...impuissance.—Ahouais?Elleétrécitlesyeux,medéfiantcommejenel'avaisjamaisvuelefaire.—Ouais,répondis-je,rentrantdanssonjeuetfaisantdemonmieuxpournepassourire.—Alorspourquoiest-cequetutrimballesceflinguepartoutoùtuvas?—Pourquoiest-cequetoutlemondeenaaprèsMargaret?Ellehaussaunsourcil.—Tun'enavaisjamaisportéavant.—Jen'avaisjamaisététorturéepresqueàmortavantnonplus.—C'estbiencequejedis,rétorqua-t-elle,maissonvisages'étaitadouci,etjeprisconscienceque

jen'auraispasdûmettrecepointsurletapis.Detouteévidence,lefaitquej'avaisététorturéeàmoinsdequinzemètresd'ellel'avaitbouleversée

etavaitdûluiprovoquerquelquescauchemars.—Etjesuisdésoléedel'avoirditaussibrutalement.Cookieposaunemainsursonépaule.—Non,assurai-jeenm'approchantetenmesaisissantdesonadorablepetitmenton.Je regrette

queçasesoitproduit,Amber.Etjesuisterriblementdésoléequetuaiesétésiprèsquandc'estarrivé.Jen'avais avouéàpersonneque l'hommequim'avait attaquée s'était trouvédans lamêmepièce

qu'ellependantDieusaitcombiendetempsavantquejerentre.Jenel'avaismêmepasditàCookie,etje n'avais jamais eu de secret pour elle. Mais je ne savais pas du tout comment elle réagirait enapprenantquelesdébrisdemavies'étaientrépandusdanslasienne.Quej'avaispresquefaittuersafille... etelleaussi,par lamêmeoccasion. Jen'avaisaucune idéede lamanièredont j'auraispu luiannoncerunechosepareille.

—Ehbien, j'aurais aimé être plus près, ditAmber d'une voix vibrante. Je l'aurais tué pour toi,Charley.

Jelaserraidansmesbras.Ellen'avaitquelapeausurlesos.—Jesaisquetul'auraisfait.Jen'endoutepasuneseconde.—Jedérange?Je regardai par-dessus l'épaule d'Amber au moment où ma sœur, Gemma, entrait dans

l'appartement.Elleavaitdelongscheveuxblondsetd'immensesyeuxbleus,cequiavaitfaitdemavieun calvaire quand nous grandissions, car on n'arrêtait pas de me poser des questions du genre«Pourquoin'es-tupasaussijoliequetasœur?»Pasquejesoisrancunière.

Gemmaetmoin'étionspastrèsprochesengrandissant.Lefaitqu'elleprétendaitquenotrebelle-mèren'étaitpasunextraterrestremonstrueuxenvoyéparunepetitecoloniesurleseptièmeanneaudesaturneavaitunpeuentachélesrapportsqu'onauraitpuavoir,sœursoupas.Mais,maintenantqu'elleétait psychiatre, on pouvait parler du fait que notre belle-mère était un extraterrestre monstrueuxenvoyéparunepetitecoloniesur le septièmeanneaudesaturnecommedeuxadultes responsables.Mêmesiellenemecroyaittoujourspas.

Amberseretourna.—SalutGemma,dit-elleavantdesedirigerversmonordinateur.Est-cequejepeuxmettremon

statutàjouravantdefairemesdevoirs,Charley?Elle tendit le couafinde regarderpar-dessus lemurdecartons.Avecunpeudechance, elle le

repérerait. Jene l'avaispasvudepuisdes semaines,mais ildevaitcertainement se trouver làoù jel'avaislaissé.

—Biensûr.Qu'est-cequetucomptesdire?—Jevaisannonceràtoutlemondequemamanaeu«LaConversation»avecmoi.Elleavaitajoutédesguillemetsaérienspourentourerl'informationcruciale.JericanaietquestionnaiCookiedessourcils.—Celleàproposdesrosesetdeschoux?—Ohnon,pascelle-ci,réponditAmber.Onl'aeuedepuisbellelurette.Malgrésagrandetaille,jelaperdisdevuelorsqu'ellepénétradanslaforêtd'arbrescarrés.Maissa

voixs'élevaitsansproblèmedederrièrelescartons.—CelleausujetdufaitquelesgarçonssontenréalitédesextraterrestresenvoyéssurTerrepour

récolterdejeunescerveauxfacilementinfluençablescommelemien.Apparemment, jeneseraipastotalementàl'abrideleursmanigancesavantd'avoirtrente-septansetdemi.

Cookiehaussaunsourcil.—Ellea raison, fitoncleBob tandisqu'il se remplissaitune tassedecafé. Jesuisoriginairede

Pluton.Gemmadéposasonsacavantdemeserrerdanssesbras,unetraditionquenousn'avionsétablie

querécemment.Jenel'avaispasvuedepuisquelquessemaines.Aprèsl'épisodedelatorture,elleétaitvenuemetrouvertouslesjours.Maisentresontravailetlefaitqu'ellefaisaitsemblantd'avoiruneviesociale,sesvisitesavaientcommencéàs'espacersensiblement.

—Jeconstatequetuasprisnotredernièreconversationaupieddelalettre.Elletournaversmoiunvisagesévère,celuiquimefaisaitrirebêtement,àl'époque.Maintenant,il

me faisait apprécier son sens de la réalité un peu biaisé. Comme s'il était possible que je prennen'importequoidecequ'ellepouvaitmedireaupieddelalettre.Onseconnaissaitdepuisbientroplongtempspourça.

—Tupensesquetuasassezd'ustensilesdecuisine?—Onytravaille,réponditCookiependantqu'oncleBobécrasaitGemmadanssesbras.—Oui,onytravaille,confirma-t-il.—Trèsbien,danscecas, commentaGemmaenpénétrantdans la cuisinepour regarder ceque

trafiquaitCookie.Jesuisjustepasséepourvoirsitoutsedéroulaitbienetcommenttuteportais.—OK,jevaisbien,merci.—Commenttudors?—Seule,malheureusement.—Non,jevoulaisdire:est-cequetudors?J'auraispu lui raconterque je faisais le tourdemonappartement toute lanuitcommeun junkie

paranoïaque,àvérifieretrevérifierencorelesverrous,m'assurantquelesfenêtresétaientclosesetlaportefermée.J'auraispuluiavouercomment,ensuite,jeretournaismecoucherpourmieuxmefairedes films au sujet des voleurs et des tueurs en série tapis dans l'ombre chaque fois quemon vieilimmeuble grinçait. Mais ça l'aurait juste poussée à vouloir que je prenne des médicaments. Uneperspectivequejerefusaisd'envisager.

—Biensûrquejedors.Tuvoudraisquejefassequoid'autrependantlanuit?—Nepasdormir.Ellemedévisageacommepourmefairecomprendrequ'onnepouvaitpaslaberner,mesondant,

étudiantmaréaction.Fichuspsychiatres.Jemeforçaiàsouriredemanièreinsouciante.—Jedorsparfaitementbien.—Génial.Parcequetuasl'airdemanquerdesommeil.—Est-cequecesonttesannéesd'expériencequiparlent,là?—Non,cesontlescerclesnoirssoustesyeux.—Jenemanquepasdesommeil.—Magnifique.Jesuisheureusedel'apprendre.Elle n'était pas heureuse. Je pouvais sentir les soupçons dans chacune de ses inspirations

soupçonneuses.Donc, Cookie était venue pour vérifier les nouveaux appareils dont je ne me servirais jamais.

Amberafind'utilisermonordinateur,mêmesi,biensûr,ellesenavaientdeuxdansleurappartementdel'autrecôtéduhall.OncleBobavaitfaittoutcecheminpourmeremettreundossier.Jen'avaispaseuautantdecompagniedepuismapendaisondecrémaillère, lorsquej'avais invité toute l'équipedefootdel'universitéduNouveau-Mexique.Seulsunedizainedecestypespouvaitréellementtenirdansmon appartement, alors la fête avait débordé dans le couloir. Mme Allen, la vieille dame del'appartement2C,m'enremerciaitencore.Etchaquefoisqu'ellelefaisait,savoixprenaitdesaccentsrauquesetellejouaitdessourcils.Jem'étaistoujoursdemandécequis'étaitpasséaujustecettenuit-làpourlarendresireconnaissante.Peut-êtreavait-elleréussiàgrappillerquelquesrestes.Oucarrémentunplatcomplet.Tantmieuxpourelledetouteslesfaçons.

Mais avec toutes ces personnes dans mon appartement, et avec toutes ces boîtes qui nousentouraient,jecommençaisàmesentirunpeuclaustrophobe.Etméfiante.SurtoutdanslamesureoùCookien'arrêtaitpasde jeterdes regardsmystérieuxendirectiond'Obie. J'auraisdûsavoirqu'elleavait tropbien fait semblantdenepas s'intéresser à lui quandelle était entrée.D'ordinaire, elle semettaitàsourirecommeunelycéenneauconcertd'unboysband.Ilsavaientdetouteévidencequelquechosederrièrelatête.

Jefisfaceàmonexécrable,mêmesibienintentionné,grouped'amisetmembresdelafamilletout

enessayantdedécider,sitoutcelaavaitétéunjeuvidéoetqu'ilsavaientététransformésenzombies,lequelj'auraiséliminéenpremier.

—D'accord,qu'est-cequisepasse?—Quoi?demandaGemma,sonvisagel'expressiondelapluspureinnocence.Elle.OncleBobfrottasabarbed'un jour.Amber jetauncoupd'oeilpar-dessusun tasdecartons,ses

grandsyeuxbleuspleinsdeméfiance,auloin.Ou,disons,àquelquesmètres.Cookiemeregardait,àmoitié cachée derrière un manuel d'utilisation pour une cocotte-minute électrique, ne trompantabsolumentpersonne.Àmoinsqu'elleaitétécapabledelirelesinstructionsenallemand.Etàl'envers.EtGemmaétaitappuyéecontreundestabouretsdubar,àsecurerlesongles.

—Ons'inquiètepourtoi,réponditoncleBobenhaussantlesépaules.Gemmaacquiesça.—Exact,alorsons'estditqu'onpourraitpasserets'assurerquetoutallaitbien.—Voustous?demandai-je.Ellehochaànouveaulatête,demanièreunpeutropenthousiaste.Je fronçai les sourcils aupointqu'ils se rejoignent et jedévisageaioncleBob sans cachermon

amèredéception,sachantpertinemmentquecevieuxcœurd'artichautcéderaitavantlesautres.Illevaunemain.—Écoute,Charley,tudoisbienadmettrequetoncomportementaétéunpeuétrangedernièrement.Jecroisailesbras.—Etquandest-cequemoncomportementn'estpasétrange,aujuste?—Ellen'apastort,dit-ilàGemma.—Non,répondit-elleenm'imitant,croisantégalementlesbras.Ellen'apastort.Jesoupirai,totalementexaspérée,etmedirigeaiàgrandesenjambéesverslebarpouratteindreM.

Café.—Est-cequelatacheestpartie?—Quelletache?demandai-jetoutenmeversantunetassedeParadissurTerre.Elledésignaunepartiedemonsalondudoigt,cellequej'appelaislaZone51,oùuneénormepile

deboîtesintelligemmentdéguiséesenmontagnes'élevait.Elleétaitlàdansunbutspécifique:cachercettepartiede lapièce.Cettepartieprécise.Ce trounoirdedésarroietde tourment. J'avaisempiléboîteaprèsboîteàmesurequ'ellesarrivaientdefaçonquejen'aieplusàlaregarder,afinquejenesois pas accidentellement aspirée par la force gravitationnelle d'unmillion demasses solaires. Jesavais à quel point ça avait l'air dément,mais enterrer l'endroit où j'avais été taillée en pièces, lecachersousunepiledejolisnouveauxobjetsmesemblaitunebonneidéesurlemoment.

On aurait tout aussi bien pu appeler ça une sculpture. Personne n'avait jamais remis l'art enquestion.

L'expressiondeGemmasefitcompatissante.—Latache.Est-cequ'elleestpartie?Eh bien, elle n'y allait pas de main morte. Lors de ses visites précédentes, elle n'avait jamais

mentionnécetendroit.Nilatache.Cellequemonurineetmonsangavaientcauséeengouttantdepuislachaisependantqu'EarlWalkerdécoupaitmachairaveclaconfianceetlaprécisiond'unchirurgien.

—C'estl'heuredugroupedesoutien,hein?demandai-je,irritéeparlapressiondesonregard.—Non,dit-elleenseprécipitantpourm'apaiser.Non,Charley.Jen'essaiepasdetecontrôleroude

t'enleverneserait-cequ'uneoncedetonautonomie.J'aimeraisjustequetuprennesconsciencedecequetufaisetdepourquoi.

—Jesaispourquoi,rétorquai-jed'untonégal,lavoixsèche.J'étaislà.—D'accord.Maisest-cequetucomprendscequetuesentraindefaire?Elleregardaautourdenous,indiquantlespilessansfindecartons.Jeprisunegrandeinspiration,pourbienluifairecomprendreàquelpointj'étaisénervée,etjeme

dirigeaiversmachambre,leseulhavredepaixqu'ilmerestaitàcestade.—Tupeuxemporterchaqueobjetquisetrouvedanscettepiècedèsmaintenant,çanemeposera

aucunproblème,dis-jeenagitantlamainenl'air.Jemesentiraiaussibienqu'unpoissondansl'eau.—Çatedérangesijemetscettethéorieenpratique?—Fais-toiplaisir.Tandisquejecontinuaiendirectiondemachambre,elles'avançaverslaZone51.Jem'arrêtaietla

regardai retireruneboîteet la tendreàoncleBob. Il laposaausommetdumursur lequelCookietravaillaitunpeuplustôt.Etmacarapacecraquela.Untoutpetitpeu.Justeassezpourprovoqueruntremblementdeterredanslesfondationsdemonêtre.

Jesavaispertinemmentcequ'ilyavaitsouscesboîtes.Sielleenenlevaitencorequelques-unes,lachaisesurlaquellej'avaisétéattachéereferaitsurface.Latachedesangsurletapisseraitànouveauvisible.Lavéritémegiflerait.Jesentiraislapiqûredumétalquiglissaitàtraverslescouchesdepeauetdechair.Tailladantlestendons.Coupantdesnerfs.Jeserrailesdentspourm'empêcherdehurler.

—Charley?OncleBobvenait deprononcermonnom, et jepris consciencedu fait que j'étais immobile, en

traindefixerlamontagnedeboîtesdepuisunlongmoment.Jelesobservaitouràtour,embarrassée,tandis qu'ils attendaient de voir ce que j'allais faire. La pitié dans leurs regards était presqueinsupportable.

— Tu sais, dit Cookie alors qu'elle contournait le bar pour me rejoindre, tu es si forte et sipuissantequedes foisnousoublions... (Elle jetauncoupd'œil àAmber,nevoulantpas en révélertrop,puiscontinuad'unevoixplusdouce.)Parfoisnousoublionsquetun'esqu'unêtrehumain.

—Jenetedemanderaipasd'enleverdeboîteavantquetusoisprête,Charley,m'expliquaGemmatout en se rapprochant.Mais on en retirera une de ce tas tous les jours jusqu'à ce que cemomentarrive.

C'était tellementétrange.Jen'avais jamaiseupeurd'unechaiseauparavantoud'unetachesuruntapis, d'ailleurs, mais les objets inanimés semblaient avoir une volonté qui leur était propre,dernièrement.C'étaient des bêtes, dont la respiration trouvait écho partout autour demoi, dont lesyeux observaient chacun de mes mouvements, attendant le meilleur instant pour frapper. Pourdécoupermachairànouveau.

LorsqueGemmareprit laparole,sontonétaitsidoux,si léger.J'avaisdelapeineàgardermesbarrièresenunseulmorceau.

—Maisseulementsituesd'accord.Seulementsituesàl'aiseaveccetteidée.—Etsijenelesuispas?Jemedemandaiscequiclochaitavecmoi,pourquoijenevoulaispasavoiràgérerquoiquece

soit en dehors de ma léthargie en ce moment. J'avais été escroquée par un gardien de parking,accostée par un démon, malmenée par le fils de Satan, et un groupe de nonnes retenait desinformationsquim'étaientvitales.Jenesavaispassij'arriveraisàensupporterdavantage.

Gemmaplaçaunemainsurmonbras.—Onseralàjusqu'àcequetulesois.Aprèsluiavoirlancéunsourirereconnaissant,unepenséeatroces'imposaàmonesprit.—Mais,jeveuxdire,paslittéralement.Sesyeuxs'illuminèrentcommesiellevenaitd'avoirunerévélation.—Si,confirma-t-elletandisqueseslèvressefendaientd'unemoueentendue.Littéralement.Onva

emménager.—Oh,onpeutfaireunesoiréepyjama?demandaAmber.Gemmaluiadressaunsourirerayonnant.—C'estmêmeuneexcellenteidée.Merde. Ça allait craindre du boudin. Je ne connaîtrais pas la paix avant d'avoir laissé Gemma

s'amuseravecmescartons.

—Trèsbien,jouezavecmesboîtessiçavousfaitplaisir.—Ohnon,ditAmber.Onnel'aurajamais,cettesoiréepyjama!Jemeforçaiàsourireànouveaujusqu'àcequeGemmacontinuesursalancée.—Etj'aimeraisquetufassesencoreunepetitechose.—Trempertacartedevisitedansdel'essence?—Allons,tudeviensméchantegratuitement.Jevoudraisquetuécrivesunelettrechaquejour.Une

parjour,àlapersonnedetonchoix.Çapeutêtreàquelqu'undedifférentchaquejour,ouàlamêmepersonnetoutdu long.Mais j'aimeraisque tu luiexpliquesdans la lettreceque tupensesde luioud'elle,etaussiquetuparlesdequelquechosedeplusgénéral,commelamanièredonttutesens,oucequetuasfaitdurantlajournée.D'accord?

Jeprisunenouvellegorgéeavantdedemander:—Est-cequetuvasleslire?—Non,répondit-elleencroisantlesbras,satisfaite.Ellessontpourtoi,etpourtoiuniquement.—Est-cequejepeuxécrireàoncleBobpourluidireàquelpointilestringard?—Hey,sedéfenditcedernier,seredressantlorsquel'attentiongénéraleseportasurlui.Qu'est-ce

quej'aiencorefait?Jeme retins de ricaner bêtement. Dans lamesure où personne ne les verrait, ça pourrait aller.

J'avais suivi assez de cours de psychologie pour comprendre ce qu'elle essayait de faire,mais, sipersonneneleslisait,ellenesauraitjamaissijelesavaisécritesoupas.Toutlemondeytrouveraitsoncompte.

—Etjesauraisitulesasécritesoupas,alorsnemefaispasdepromessesquetunevaspastenir.Merde.—Commenttusauras?Jesuisunetrèsbonnementeuse.Ellecommençaàrireàgorgedéployée.Jemeretinsderiposter.Engrandepartieparcequ'oncle

Bob,CookieetAmbers'étaientmisàrireeuxaussi.Qu'est-cequ'ilsepassait,bonsang?Jeleurfispartdemonchagrinàl'aidedemonplusbeauregardassassin.—Tumelaisserastranquillesijefaistoutça?—Tuesentraindemedemandersij'arrêteraidevenirtevoirpourplongerdanstacollectionde

boîtes?(Ellecontinuaaprèsquej'aihaussélesépaules.)Non.Ons'occuperadecettemontagne.(Elleplaçaunbrasautourdemoi.)Ensemble.Tousensemble.(Toutlemondeacquiesça.)Chaquejour,aumoins l'un d'entre nous enlèvera une boîte jusqu'à ce que tu puisses nous regarder faire sansgrimacer.

Jefronçailessourcils.—Jen'aipasgrimacé.—Tuasgrimacé,ditoncleBob.—Jen'aipas...Peuimporte.Je vivais un cauchemar éveillé, entourée d'amis etmembres de la famille bien intentionnés qui

méritaient tous d'être enfermés dans une cellule avec un anaconda. Pas pour très longtemps. Justeassezpourleurdonnerdescauchemarstouteslesnuitspendantenvironunmois.

Cetteidéemerenditheureuse.Quelqu'unfrappa,demanièreforteetplusexigeantequelesinvitésprécédents.—Vraiment,lesgars?demandai-jeenmedirigeantverslaporte.Quiavaient-ilsencoretrouvépourleuréquipedesoutien?Sansyréfléchirplusquecela,j'ouvrisengrandavectoutletalentdramatiqued'uneactricedefilm

muet.Ce que je découvris - la personne que je découvris - de l'autre côté me coupa le souffle. La

surprise ricochadansmonsystèmenerveux tandisque je regardaisReyes,quise tenaitdevantmoidansuntee-shirtetunjeanpropres,demanièredésinvolte,commes'ilnevenaitpastoutjustedetuerunhomme.Commes'ilnevenaitpastoutjustedemetraînerd'unboutàl'autred'unentrepôtpourme

jeter sur un sol en béton. Comme s'il ne venait pas de disparaître quand j'essayais d'avoir uneconversationciviliséeaveclui.Enfin,sijemesouvenaisbien.

Il croisa les bras et s'appuya contre le montant de la porte, les yeux brillants tandis qu'ilm'examinait.

—Jevoulaism'assurerquetuallaisbien.—Pourquoiest-cequej'iraismal?demandai-je.Ilmeparcourutduregard,sanscacherlemoinsdumondel'intérêtqu'ilmeportait.—Commentvalegosse?Ilvenaitdecombattreundémonpourmoi.Ilvenaitdemesauverlavie,etpourtantilsetenaitlà

commesiçan'avaitaucuneimportancepourlui.Jesecouailatête.—Ilvabien,répondis-je.Unpeutraumatisé,maisilestentredebonnesmains.Ilestsourd.—Jesais.—Comment?demandai-je,surprise.—Jet'airegardéeluiparlerpendantunmoment.Jepressaimeslèvresl'unecontrel'autre.—Voyeur.—Folle.—HommedeNeandertal.—Cinglée.—Macaque.—Psychopathe.Pourquoifallait-ilquesonrépertoired'insultestoutentierremetteenquestionmasantémentale?Jeprisunairrenfrognéetmepenchaiverslui.—Démon.Ilenroulasesdoigtsenbasdemonpulletm'attirajusqu'àlui.—Donc ça ferait de toi un assassin, n'est-ce pas ? demanda-t-il de sa voix de velours, riche et

profonde.J'inspirai la chaleur qui s'élevait en volutes autour de lui. Il me donnait toute l'attention qu'il

pouvaitm'offrir,concentrécommeunléopardleseraitsursaproie,justeassezlongtempspourquelabrûlurequimedéchiraitlapoitrineserépandedanstoutmoncorps.Dansmonestomac.Entremesjambes.Jusqu'àcequ'ilremarqueoncleBobetquesonregardpassedemoiàl'endroitoùcedernierétaitassis.

Jeprisconsciencedansuneboufféedepaniquequej'avaisencoredesinvitésindésirables.Etl'und'euxn'étaitautrequ'oncleBob,l'hommequiavaitmisReyesderrièrelesbarreauxpendantdixanspour un meurtre qu'il n'avait pas commis. Mais ce n'était pas la faute d'Obie. Toutes les preuvesaccusaientReyes.EarlWalkers'enétaitassuré.

Peut-êtrequeReyesnes'ensouviendraitpas.Jemeretournaietlesdévisageaidemanièrepeusympathique.—Hey,lesamis.JevousprésenteReyes.Cookie lâcha quelque chose,mais je n'osai pas quitter oncleBobdes yeux, espérant qu'il ne se

trahiraitpas.Pasqu'ilyaitune infimechancequeReyesaiteffectivementoublié l'hommequiétaitresponsabledesacondamnation,maisonpouvaittoujoursrêver.

OncleBob, de toute évidence surpris de le voir, ravala ses émotions pendant quelques instants,tandisqu'ilessayaitdedécidercommentréagir.ToutenadressantunsignedumentonàReyes,ilsepencha pour fermer la bouche de Cookie. Elle reprit ses esprits et se mit à sourire bêtement.Malheureusement,iln'étaitpasassezprèsdeGemmapourenfairedemêmesanssefaireuntourdereins.Ambersemblaitlégèrementtétanisée.ElleavaitcontournélemurdeboîtesetregardaitReyes,lesyeuxgrandsouverts,émerveillée.

J'étaissoulagéederemarquerquecen'étaitpasmoi.Reyessemblaitaffecterchaquefemelleàtrois

kilomètresàlarondedelamêmemanière.MaisoncleBob,c'étaituneautrepairedemanches.Jesentisuneétincelles'allumeretémanerde

Reyes.Uneémotionquinepouvaitêtrequedelahaine.Malheureusement,ilavaittouslesdroitsderessentirde l'animositéà l'égardde l'hommequi l'avaitmisenprisonalorsqu'ilétait innocent.Et,encorepire,oncleBobm'avaitavouédernièrementqu'ilsavaitauplusprofonddeluiqueReyesétaitinnocent.Maisiln'avaitrienpufaire.ChaquepreuvepointaitReyes.Reyesnepouvaitsûrementpasleblâmertotalement.

OncleBobétaitassissuruntabouret.Sonvisageexprimaitclairementleregretetlarésignation.Ilselevaets'approcha,telJohnWaynechargeantdanslabataille,conscientqu'iln'allaitpassurvivre.

—Peut-êtrequ'ondevraitsortir,dit-iltandisqu'ilmarchait.Étant donné ce qu'il savait de Reyes, si ce qu'oncle Bob venait de faire n'était pas héroïque, je

n'avaisaucuneidéedecequipouvaitl'être.La présence d'oncle Bob sembla balayer l'assurance de Reyes. La tension parut sematérialiser

alorsqu'unebataillefaisaitrageenlui.Unebataillepourdéterminers'ildevaitfairecequiétaitjusteou ce que son éducation - celle qu'il avait reçue en enfer - le suppliait de faire. Je sentais ce dueltordreetgriffersesémotions.Ilbavaitpresqued'enviedesautersurObie.Deleréduireenmiettes.Quelquechosequiluiétaitaussinaturelquerespirerl'étaitpourmoi.Maisilrestaitimmobile.Tropimmobile.Peut-êtreavait-ilpeurdebouger.Peurdecequ'ilpourraitfaire.

Aprèsuneluttedelonguehaleine,Reyesdétournaleregarddemononcleetlereportasurmoi.—Jevoulaisjustem'assurerquetuallaisbien,répéta-t-il,etjelesentisdisparaîtrequelquepartau

fonddelui-même,commes'ilpouvaitécarteroncleBobettoutcequis'étaitpasséaussisimplementqueça.

— Vous êtes le bienvenu, dit oncle Bob, et je dus serrer la mâchoire pour l'empêcher de sedisloquer.

—Jesuisdumêmeavis!criaAmber.Lorsque tout lemonde tourna la têteet la regardabouchebée,ellese recroquevilladerrière les

boîtes.—Désolée.C'estsortitoutseul.Jeme retournai vers Reyes et remarquai qu'il lui souriait. Un geste si touchant que j'en eus le

soufflecoupé.Sahainedisparutaussitôt,etj'eusl'impressionderecevoiruneprojectiond'eauglacéeparunechaudejournéed'été.

Jeprisalorsconsciencequejem'étaismontréetrèsimpolie.—Reyes,jenecroispasquetuaiesétéofficiellementprésenté.(Jemetournaiverslespersonnes

quim'avaienttenduuneembuscade,essayantdenepasleurentenirrigueur.)Voicimasoeur,Gemma,mononcleBobetCookie.

—Etmoi,fitunepetitevoixaufonddelapièce.—EtquelquepartderrièrecemursecachelafilledeCookie,Amber,ajoutai-jeavecunlégerrire.Ilnedécroisapaslesbras,maissaluachacund'entreeuxdelatêtetouràtour.OncleBobdonnauncoupd'épauleàGemma.Ellerevintàlaréalitéetseraclalagorge.—Enchantée,dit-elle.Lorsque le regard deReyes s'arrêta à nouveau sur elle, il fronça les sourcils, pensif. Puis il la

reconnut.Elleleremarquaaisément.—Oui, enchaîna-t-elle en tendant lamain pour la lui serrer. On s'est déjà rencontré,mais pas

officiellement.Gemmaétaitavecmoilatoutepremièrefoisquej'avaisvuReyes.Quandnousétionsaulycéeet

queReyesétaitbattuparEarlWalker,l'hommequ'ilcroyaitêtresonpère.Aprèsquelquesinstantscritiquesdurantlesquelsjemedemandaiss'ilallaitlarepousserpurement

etsimplement,ilpritlamainqu'elleluitendait.Jenemanquairiendupetithalètementquis'échappa

deseslèvreslorsqu'illefit.Jenepouvaispasluienvouloir.Cookienes'étaitpasencoreremisedelaprésencedeReyes.Ilpenchalatêtepourlasaluercomme

s'ilavaitenlevéunchapeauinvisible.Lesourirequifenditsestraitsresteraitdanslesannales.IlétaitcommeunboldeRiceKrispies:

doux, sucré et sur le point de se transformer en bouillasse collante. Elle lui adressa un signetremblant, et il lui fallut lutterde toutes ses forcespournepascommencer à ricaner.EmbarrasserCookieétaitl'undemesbutsprincipauxdanslavie.Justederrièreceluideconcevoirunshortquineferaitpassecoincerlessous-vêtementsdanslaraiedesfesses.

Non, je venais d'être frappée par une autre émotion.Même si j'étais effrayée à l'idée de laisseroncleBobetReyessiprèsl'undel'autre,jemedirigeaiverslemurdeboîtesetregardaiAmber,quisecachaitderrière.

—Machérie?hasardai-je,medemandantcequisepassait.L'émotion qui s'échappait d'elle était si puissante, si palpable que j'avais de la peine à me

concentrersurquoiquecesoitd'autre.Reyesdevaitlaressentir,également.Jejetaiuncoupd'œilenarrière.Ilmeregardaitavecinquiétude.

—Amber,est-cequetuvasbien?Elle était assise àmonbureau, la têtebaissée, ses longs cheveux sombres formantun rideaude

bouclesimpénétrable.—Jevaisbien,répondit-elleengardantlevisagecaché.Cookies'approchaetessayadeguignerpar-dessusmonépaule.—Qu'est-cequisepasse?demanda-t-elle.—Jen'ensuispassûre.Avait-on fait de la peine à Amber un peu plus tôt lorsque nous nous étions retournés pour la

regarder ?L'émotionque je captais n'était pasvraiment de la tristesse,mais, quoi qu'elle ressente,c'était en train d'écraser tout le reste. Les hormones d'une jeune demoiselle de douze ans étaientquelquechosedetrèsdélicat.Ellesemblaitenformetrentesecondesauparavant.

Commejenesavaispasquoifaired'autre,jeluidemandai:—TuvoudraisquejeteprésenteàReyes?Elleredressalatêtepourmeregarder,etjepusvoirleslarmess'échapperdesesyeuxbleus.Elle

baissaànouveaulementon,gênée,maismelaissalaconduireverslaporte.—Voicicellequ'onnommeAmber,duclanKowalski,dis-je,essayantdedétendrel'atmosphère.

Maisc'estunebriseusedecœurs,alorsfaisattentionautien.Jefisunclind'œilàReyes.Elles'avança,leregardrésolumentportéverslesol,lesépaulesvoûtées,inquiète.Ill'étudia,penchantlatêtepourmieuxlavoir.Elleétaitgrandepourunefille,etvraimentgrande

pourunefillededouzeans,maissahautetailleluidonnaitlagrâcedontlesautresfillesdesonâgemanquaient.Commeunegazelle.

—Amber,tupeuxdirebonjour?demandaCookie.Ellesecoualatête,évitanttoujoursdecroiserlesregards.Cookiesemblaitembarrassée.Ellerepoussaunelonguebouclederrièrel'oreilled'Amber.— Je suis sincèrement désolée, dit-elle à l'attention de Reyes, secouant la tête à son tour,

impuissante.C'estunmoulinàparolesengénéral.—Tulasauves?demandafinalementAmber,parlantàsespieds.Tuveillessurelle?Avantquel'und'entrenousn'aitletempsdeluidemanderdequoielleparlait,Reyesrépondit:—Seulementlorsd'occasionsparticulières.Dequoiparlaient-ils ?Ambern'était pas aucourantpourReyes.Comment aurait-ellepu savoir

qu'ilm'avaitsauvélavie?Àplusieursreprises,enfait.Elle leva la têtepour le regarder, ses cils empêchantune larmebrillantede rouler enbasde sa

joue.

—Jesaiscequetufais.Jesaiscequetues.Ilspensentquejel'ignore,maisjelesais.Etjesaisquetuétaisprésent,cettenuit-là.

—Amber, ditCookie, un sourire nerveux agitant les coins de sa bouche.Comment pourrais-tusavoirça?

Cookiesemblasoudainavoirpeur,etjecomprisàquoiellevenaitdesonger.QueferaitReyesàAmbers'ilserendaitcomptequ'elleétaitaucourantdesonexistence?

—Ellenesaitpasdequoielleparle.—Tuvois?Ilsnesaventpas,etilsn'ontpasconfianceentoicommej'aiconfianceentoi.(Amber

fitunpasenavant.)TuasveillésurCharleydurant toutesavie.Tul'asgardéeensécurité.Etcettenuit-là,situn'étaispasvenu...

Sarespirationsecoinçadanssagorge,et,avantqu'onaitletempsdecomprendrecequ'ellefaisait,elles'élançaendirectiondeReyes.

Ilfitunpasenarrière,commes'iln'étaitpassûrdelamanièredontildevaitréagirquandellesejetaàsoncou.

—Merci,dit-elleavantdesetournerpourleregarder.Merciinfiniment.Tuassauvénosvies.Après unmoment étrange durant lequelReyes dut se résoudre à être accosté par une fillette de

douzeans,illaissasesbrasretomberautourd'elle.Elleleserraplusfort.J'avançai et lui frottai le dos,mon cœur débordant d'amour pour elle. Je n'avais jamais réalisé

qu'ellesavaitcequis'étaitpassé.Ellemeregardapar-dessusl'épauledeReyesetchuchotaàsonoreille:—Jesaiscequ'elleestaussi,maisjenelediraijamaisàpersonne.Reyessefenditdusourirelepluscharmantquejeluiavaisjamaisvu.Unrireenfantins'échappa

d'Amberavantqu'elleneseretiredesesbras.Elleglissacontremoi,lesyeuxemplisd'unéclatirréelquejeneconnaissaisquetropbien.

—Tuentres?demandai-je.Ilfitunclind'œilàAmberavantdeseretournerversmoi.—Pascesoir.J'aideschosesàfaire.—Biensûr.Mais il fautvraimentque je teparlede... (Jeréfléchisàcommentdire«possession

démoniaque»sansutiliserlesmotspossessionetdémoniaque.)Duproblèmed'occupationquenousavons.

Undescoinsdesaboucheserelevapourformeruneesquissedesourire.—Àcepropos,j'aivraimentbesoinqueturestesdanstonappartementcesprochainsjours.—Jenepeuxpas,maismercid'avoirdemandé.Iljetaunregardautourdenousavantdereprendre,d'untonmenaçant:—Nemeforcepasàinsister.—Sérieusement?Est-cequ'ilpensaitvraimentqueçaavaitdeschancesdefonctionner?Ilinspiraprofondément,puissemblaabandonner.Aprèsavoirréfléchiquelquesinstants,iltoucha

lebasdemonpullànouveau.—Jesuiscontentquetusoisvenuemevoir.Jefiscourirmesdoigtssurledosdesamain.—Jesuiscontentequetusoislibre.Ilpouffademanièrepresquemoqueuse,commesij'avaisditquelquechosededrôle.—Quoi?demandai-je.Ilserapprocha,malgrélaprésenced'Amber,malgrélefaitqu'oncleBobsetrouvaitjustederrière

moi,etfrottaunpoucesurmalèvreinférieure.—Ilestdifficiledetracerlafrontièreentrelalibertéetl'esclavage.

Chapitre9Jesuisàdeuxverresdeconclureavecuneautrefille.

Tee-shirt—Çava?demandaoncleBobunefoisquej'eusrefermélaporte.Commetoujours,l'airétaitchargédel'électricitéqueReyesavaitlaisséedanssonsillage.Maisje

trouvais touchant qu'Obie soit inquiet à mon sujet. C'était pourtant lui qui tremblait dans sesmocassinsbonmarché.IlcommençaitàcomprendrecedontReyesétaitcapable,ettremblercommeunefeuilleétaituneréactionappropriée.Surtoutdanslamesureoùc'étaitluiquil'avaitmisderrièrelesbarreaux.

—Jevaisbien,merci.Ettoi?—Jesuisenretard,dit-il.J'airendez-vous.Jefisdemonmieuxpournepasavoirl'airtropsurprise.—Avecunêtrehumain?Ilfronçalessourcils.—Non,avecundistributeuràsoda.Biensûravecunêtrehumain.Amber commença à rire. Elle récupérait plus rapidement de la visite de Reyes que samère et

Gemma.Jeleurlaissaiquelquesminutespourseremettredetoutça,quej'occupaiàembêterObie,qui,lui,n'avaiteuqu'àseremettredufaitqu'ilétaitpasséàdeuxdoigtsdelamort.J'étaistellementheureusequeReyesne l'aitpas réduitenpièces. Je lepréférais largementenunseulmorceau.Pascomme,disons,leslaituesoulessolosdeheavymétal.

Commej'avaisl'impressionquej'allaisavoirdelacompagnieencoreunmoment,jemedirigeaiversladouche.

—Ehbien,tuferaismieuxderentrer,dis-jeàObie.Onnepeutpasgarderquelqu'unavecquionarendez-vousligotédanssacavetrèslongtempsavantqu'ilcommenceànousenvouloir.

Aumomentoùjepénétraidanslasalledebains,ilmecria:—Parleàtonpère.Cen'étaitpasprèsd'arriver.Ladoucheme fitunbien fou,mêmeavecunebêteenragéequime

faisaitperdremonéquilibre.Jen'avaispaseudroitàautantd'actiondansmonquotidienenuneseulejournéedepuisplusdedeuxmois.Moncorpsnesavaitpasquoifaire,commentréagir.Ilavaitenviede retrouver mon canapé - qui pouvait éventuellement s'appeler Sharon, ou pas - et de chips aufromage, mais je compris que j'allais devoir me sevrer des deux. Petit à petit. Peut-être que jepourrais rétrograder et me contenter d'un fauteuil et de crackers, pour y aller délicatement, puisessayerquelquechosedesain,commefaireleménageetmangerunepomme.

Je frissonnai dedégoût à cette idée.Les chips au fromage étaient tellement rassurantes.Et ellesétaientorange.Non,jenedevaispasmeprécipiter.JetrouvairapidementunplanB.Faireleménageenmangeantdeschipsaufromage.Rassurantetefficace.

Après qu'Artémis eut plongé dans la terre sousmes pieds, je sortis de la douche et enfilai unpyjama vert clair moelleux qui n'avait aucune inscription provocante sur le derrière. Mais je merattrapaienchoisissantuntee-shirtquiproclamaitque«Sarc»étaitmondeuxièmemotpréféréquiseterminaiten«-asme.»Jeretournaidanslesalon,prêteàaffronterlafouleànouveau.

Cookie et Gemma étaient dans la cuisine, en train d'essayer tous mes nouveaux gadgetsgénialissimes. Avec un peu de chance, j'aurais droit à un repas après tous leurs efforts. Amber

rassemblaseslivresquandjesortisets'approchademoi.—Tufaisvraimentbeaucoupdebruitsousladouche,observa-t-elle.Je n'avais pas de peine à imaginer à quoi devaient ressembler les bruits qui s'élevaient quand

Artémiss'entêtaitàmerenversercontrelemur.—Ouais,j'aiglissé.—Septfois?—Oui.—Oh,d'accord.Bon,jevoulaisjustetedirequejesuisdésolée,Charley.Jen'avaispasprévude

faireça.AvecReyes.Jenecomptaispastemettredansl'embarras.—Memettredansl'embarras?répétai-jeenlaprenantdansmesbras.Amber,tunepourrasjamais

m'embarrasser.—Jamais?—Jamais.—Unefois,j'aicriéàtraverstoutlemagasinpourdemanderàmamansiellevoulaitlestampons

normauxousuperabsorbants.J'aiajoutéque,selonl'emballage,lessuperabsorbantsétaientpourlesjoursdegrandflux.Ensuite,jeluiaidemandéd'estimerlesiensuruneéchellede1à10.

—OK,tupourrais.—Etaprès,pendantqu'onfaisaitlaqueueàlacaisse,jeluiaidemandépourquoielleachetaittrois

boîtesd'HydralinGynalorsqu'ellenefaisaitpasdesport.Jelarepoussailégèrementetlagardaiàboutdebras.—Waouh.—Tuvois?Jetel'avaisbiendit.Jenesavaismêmepasqu'ilétaitpossiblededeveniraussirouge.—Bon,maintenantqu'onaparlédetoutça,tupouvaiseneffetmemettredansl'embarras.Maistu

nel'aspasfait.Jesuisdésoléequetusoisaucourantdetellementdechosesqu'aucunefillededouzeansnedevraitsavoir.

—Jenedirairienàpersonne.Jetelejure.Je jetai un coup d'œil vers les cuistots pour voir à quoi elles en étaient. Lorsque je remarquai

qu'elless'affairaienttoujours,jemepenchaiversAmber.—Qu'est-cequetusaisaujuste?Ellesourit.—JesaisquetueslaFaucheuse.Sadéclarationmecoupalesouffle.—EtjesaisqueReyesestlefilsdeSatan.—Co...Commenttusaistoutça?—J'aiune trèsbonneouïe.Et j'arrive à écouterpleinde conversations,mêmequand je suis en

traindefairemesdevoirs.—Vraiment?Ellepouffa.—Jetejure,vousvouscomportezcommesijedevenaissourdechaquefoisquej'ouvreunlivre.

(Elle se dirigea vers la porte avec un petit rire démoniaque.) Je peux entendre d'autres choseségalement.Avantque tu emménages, jene savaispasdu toutqu'unhommepouvait faire crierunefemmeaussifort.Reyesal'airbourrédetalents.

Bienquejefussecertainequemesyeuxressemblaientàdessoucoupes,jelançaiunregardrapideendirectiondeCookiepourm'assurerqu'ellenes'intéressaitpasànous.Mêmesijen'avaisjamaiseude relation avecReyes autrement que dansmes rêves, et à une occasion lorsqu'il était incorporel,celles-ciavaientété...trèssatisfaisantes.Apparemment,Amberlepensaitaussi.

—Net'inquiètepas.Mamann'estpasaucourant.—QueReyesestbourrédetalents?—Ohnon,ça,elleenestbienconsciente.Elleignoresimplementque,moi,jelesais.

Ellerecommençaàricaner,etcebruitmerappelaceluiqueferaitunscientifiquefou.Justeavantderefermerlaportederrièreelle,ellemelança:

—Maisnet'arrêtesurtoutpasàcausedemoi!Oh.Mon.Dieu.Cookieallaitmetuer.—Alors,dequoivousparlieztouteslesdeux?medemandacettedernière.Jefisunbond,puislissaicalmementmonbasdepyjama.—Derien.Pourquoi?Dequoitucroisqu'onétaitentraindeparler?Ellefronçalessourcilstoutenmedévisageant.—Tupensesqu'ellevabien?—Oh,jesuispersuadéequ'ellevaparfaitementbien.Lapetitemaligne.CookieretournafouetteruneespècedepâtetandisqueGemmayversaitunesubstancepoudreuse.

J'espéraissincèrementqu'ellesétaiententraindefairedesbrownies.Lesbrownies,c'étaitcommedespilesdesecours.Onnepouvaitjamaisenavoirtropchezsoi.

—Jevaispasserlanuitavectoi,m'annonçaGemmasansquittersonmélangedesyeux,yrajoutantunpeudepoudre.

—Tun'espasvraimentmongenre,maisd'accord.Dequelniveaudeperversiononparle?—Tupensesqu'ilenfautplus?demanda-t-elleàCookieenobservantlebol.—Onnemettrajamaistropdesucreenpoudre,réponditCookieavantdepointersonfouetdans

ma direction. Je crois que tu devrais mettre Reyes en bouteille et le vendre au marché noir. Ondeviendraitriches.

Jemerapprochai.—Qu'est-cequetubatscommeça?—Danslamesureoùjeviensdemetenirdanslamêmepiècequel'hommelepluschaudbouillant

delaplanète,jemontemavertuenneige.(Ellegloussa.)Àcoupsdefouet.Gemmasemit à rire et rajouta encoredu sucre enpoudre. Jeplongeaiundoigtdans lebolde

Cookieetenressortisunecuilleréedeparadisblanc.—Donc,duglaçage?—Oui,onestentraind'essayertesnouveauxmoulesàcake.—J'aicommandédesmoulesàcake?Çanemeressemblaittellementpas.Ellejouadessourcils.—Ettuasachetéunmixeràmargaritas.Oh,oh...JecomprisrapidementqueGemmaavaitquelquechosederrièrelatêtequandelleavaitproposéde

rester pour picoler comme un poisson échoué sur la terre ferme. Je le remarquai à son langagecorporel,àlamanièredontsesyeuxbrillaient,maissurtoutlorsqu'elledit:

—J'avaisquelquechosederrièrelatêtequandjet'aiproposéderester.Elleétaitdéterminéeàm'aideràtrouverlesommeil,mêmes'ilfallaitqu'ellem'attacheaulitpour

yparvenir.Ducoup,Cookieetelleessayaientlemixeràmargaritasquej'avaisachetéàunmomentoùj'avaislemoraldansleschaussettes.Durantunesemaine,laseulechosequej'avaiseueàl'espritavait été de boire desmargaritas - enfin, ça et le fait de laisser courirma langue sur les dents deReyes-,maisjen'avaispasdesel-nilesdentsdeReyes.Jen'avaispasnonplusl'énergienécessairepourquittermonappartementafind'allerenacheter-outomberassezbaspoursupplierReyesdemelaisserluilécherlesdentsaprèscequ'ilavaitfait-alorsjenepouvaisquerêverdemargaritas.EtdesdentsdeReyes.

J'avais secrètement espéré qu'unemargarita sematérialiserait commeparmagie dansmamain,mais,pourça,j'auraisdûreposerlatélécommande,etDieusaitqueçan'avaitpasétéprèsd'arriver.

C'étaituncerclevicieux.MaisGemmabuvait rarement. Peut-être un verre de vin avec le repas. Et je ne buvais que lors

d'occasionsspéciales.Commelesvendredisetlessamedis.Cookie,parcontre...—Youuuuuhouuuuuuu!(Cookielevaunbras,triomphante.Jenesavaispasdutoutpourquoi.)Je

nemesuispasautantamuséedepfuis...depfuis...(Ellenesemblaitpastrouverdemotcohérent,maiselleserepritrapidementetdésignalaporte.)DepfuisqueReyefFallowestentréparfetteporte!(Elletournadansmadirectionunvisagebéat.)EtmonDieu,fegarfonfaitcommentmarfer.

Cookie était de l'autre côté du bar, et elle essayait de préparer des brownies dansmon nouvelautocuiseurélectrique.Mêmesiuneodeuragréableflottaitdansl'appartement,jenenourrissaisquepeu d'espoir quant au fait d'avoir un shoot de chocolat de sitôt. L'appareil émit un bip, et elle seretournapourvérifierjusteavantdedisparaître.C'étaitétrange.Uninstant,elleétait là,etelleavaitdisparulesuivant.Sadisparitionfutrapidementsuivieparunbruitsourd,quiserépercutasurlesolde la cuisine. Je pensai tout d'abord àmeprécipiter pour lui venir en aide,mais je ne faisais plusconfianceàmespropresjambesàcestadeavancédelasoirée.Gemmaétaitétaléesurundesbrasdemoncanapé-quipouvaitéventuellements'appelerMelvin,oupas -et tanteLillian,quicriaitàquivoulait l'entendre que c'étaient les meilleures margaritas qu'elle avait bues depuis le concours debeauté auquel elle avait participé à Juárez, était étendue face contre terre. Je me demandais bienpourquoi.

—Vousmanquezquelquechose,M.Wong. JenesaispascequeCookieamisdanscesverres,maisc'estassezformidable.

J'adressaiunsalutauxboîtesquil'entouraient,engloutislesdernièresgouttesdemamargarita-ouplutôtCookie-a-rita,commeonlesavaitbaptiséesdurantlasoirée-etdécidaideprendredel'avanceen m'occupant d'une des lettres que Gemma insistait pour que j'écrive en guise de thérapie. Engénéral,lespsyssecontentaientdefairetenirunjournal,alorsleslettresétaientunrebondissementintéressant.

Je choisis d'adresser une lettre au Père Noël. Noël était derrière nous, mais j'avais tout raté,puisque je ne parlais à personne en dehors des vendeurs de téléshopping à ce moment-là, et ilsn'avaientpassemblévouloirpasserlesfêtesenmacompagnie.

J'avaiseuun repasdeNoëlavecCookieetAmber,évidemment,etGemmaetoncleBobétaienttous les deux passés en apportant des cadeaux et une étrange forme de dépression qui refusait departir, mais je ne me rappelais pas grand-chose en dehors de ça. Quoique, il y avait un énormecheese-cakeauchocolatquelquepartdansl'histoire.Leresteétaittotalementflou.

Jemesaisisd'unstyloetcouchaimespenséessurlepapier:«CherPapaNoël,C'estquoi,cebordel?»Cefut toutceque je trouvaiàdire,etcelanemefitpasprogresser.Jenemesentaispasmieux

aprèsl'effort.LestechniquesdethérapiedeGemmacraignaientvraiment.Jenepouvaistoujourspasme sortirReyes de l'esprit.L'imagede lui, autorisantAmber à le prendre dans ses bras, était tropprécieuse.Etcen'étaitpascequejevoulais.Jevoulaisêtreencolèrecontrelui,agitermespoingsetgrogner,maisilavaitcombattudesdémonspourmoi.Pourmeprotéger.C'étaittellementdifficilederesterencolèrecontreuntypequimenaitensecretuneguerreenvotrehonneur.Bonsang.

J'emmenai Gemma jusqu'à ma chambre et m'allongeai à côté d'elle pour mieux observer leplafondpendantdeuxheuresd'affilée.Puislemur.Puislatabledenuit.Ledistributeurdemouchoirenformedecrâne.Aprèsplusieursheuresquinem'apportèrentqueplusdefrustration,jeretirailebrasqueGemmaavaitappuyésurmonvisageetmeglissaihorsdulit.J'avaisvraimentespéréquelamargaritam'aideraitàdormircommeçaavaitétélecaspourGemmaetCookie,maisçan'avaitpasfonctionné.Àl'époqueoùj'essayaisàtoutprixderesteréveilléependantplusieurssemainesd'affilée,j'étaisobligéedeboired'énormesquantitésdecaféafindem'empêcherdefermerlesyeux.Àprésent,

j'aspiraisuniquementàdormir,etj'enétaisincapable.Lemarchanddesableétaitunenfoiré.Jeme rendis compte que le seul quimanquait à leur petite embuscade était Garrett Swopes, le

détectiveprivéspécialisédanslarecherchedepersonnesdisparuesquitravaillaitsouventavecmononcleBob.Jenel'avaispasvudepuisquej'avaisfaillilefairetuer.Pourlasecondefois.Maisilnem'entenaitsansdoutepasrigueur.Iln'étaitpaspassémerendrevisiteet jen'avaiseuni ledésirnil'énergiedequittermonappartement,doncjen'avaispasdenouvellesdeluidepuisdeuxmois.Pasuncoupdefil.Pasuntexto.Pasune-mail.Doubleblessureparballeoupas,cen'étaitpassongenre.

Je décidai de le traquer. Il n'était probablement plus le même depuis qu'il était mort pendantquelquesminutes. Ilm'avait vue.Quand il étaitmort sur la table d'opération, il avait vu à quoi jeressemblaisdepuis l'autrecôté,comprisceque je faisais tous les jours.Çadevaitêtreduràavalerpourn'importequi.

Et pourtant, j'ignorais totalement s'il s'en souvenait. En tant qu'escalier roulant pour le Paradis,j'avaiscertainesresponsabilitésquej'avaistentédeluiexpliquer,unefois.Maisilfallaitlevoirpourle croire. Peut-être que ça lui avait fait perdre la boule. Peut-être que la réalité était bien plusdérangeantequecetteidée.

J'enfilaidespantoufles,uneveste,etsortis.Conduireà3heuresdumatinavaitsesavantages.Commelefaitqu'iln'yavaitpratiquementpasde

trafic,cequimepermitd'arriverchezGarrettenuntempsrecord.Jefrappaiàsaporteetattendis.Cetypemettaituntempsfouàvenirouvrirenpleinmilieudela

nuit.Jefrappaiànouveau.Jem'étaistoujoursposéunequestion:siundétectiveprivéspécialisédanslarecherchedepersonnesdisparuessefaisaitarrêterets'échappait,quipartaitàsarecherche?

—Charles!grognaGarrettdepuisl'autrecôtédelaporte.JejuredevantDieuquesic'esttoi...Commentsavait-il?Jedécidaidenepasrépondre.Histoiredeluifairelasurprise.Laportes'ouvritetilsetintfaceàmoi,torsenuetcheveuxenbataille.Mêmesijenem'intéressais

pas particulièrement à Garrett, il fallait reconnaître que c'était une vision agréable. Sa peau étaitcouleurmokaetsesyeuxd'ungrisfumeux,et ilss'arrêtèrentsurMargaretunefractiondesecondeavantdes'endésintéresser.Ilétaitdanslemilieu.Ilcomprenaitcertainementmonbesoind'emporterunearme,mêmequandj'étaisenpyjama.

—Quoideneuf?demandai-jedemanièrebienplusjoyeusequejenemesentaisenréalité.—Tutefousdemoi?Ilsefrottaunœil.—Nan.Je m'engouffrai de force et fonçai droit à son canapé. Mais sa maison était vraiment sombre.

Étrange.—Çafaituneéternitéquejenet'aipasvu.J'aipenséqu'onpourraitparler.—Ilyaunechosequ'onappelleêtretropaudacieuse.—Tusais,onmeleditsansarrêt.Tuasducafé?Aprèsavoirchassél'airdesespoumonsassezbruyammentpourquejeneperdepasunemiettede

sonagacement,ilrefermalaporteavecplusdeformesqu'ilmesemblaitnécessaireetsedirigeaverslacuisineàgrandesenjambées.

—Qu'est-cequetuviensfaireici?—Jevienst'embêter.—Endehorsdeça.— Je n'avais pas conscience du fait qu'il me fallait une raison pour rendre visite à un demes

meilleursamissurTerre.—Tuessaiesdenouveauderesteréveilléependantplusieursjoursd'affilée?—Nan.J'essaiepas.Jemecontentedelefaire.Ilétaiten trainde fouiller lacuisineet,mêmesi jenevoyaispascequ'il faisait, lesbruitsqu'il

faisaits'arrêtèrent.J'attendis.Peut-êtrequec'étaitmadéclarationsurnotreamitié.Ilnesavaitdetouteévidence pas qu'il était un demesmeilleurs amis. Il devait certainement se sentir très honoré.Ouhorrifié.Toutlemondeytrouvaitsoncompte.

—Tiens.Jesursautai.Ilsetenaitjusteàcôtédemoietmetendaitunverredevin.—Tumesersducafédansunverredevin?—Non.—Est-cequec'estducaféaromatiséauvin?—Non.Bois.Ilpenchaleverreendirectiondemabouche.Jeprisunegorgéeet...—Hey,maisc'estpasmauvais.—Finistonverreetjeteramèneraicheztoi.—Mec,ilmefautplusqu'unverredevinpourmesoûler.Tutesouviensdecequejesuis?—Ennuyante.—Ça,c'estvraimentpetit.Il s'assit à côté demoi sur le canapé et étendit les jambes. Il avait enfilé un jean, mais il était

toujours pieds nus. Il avait pris appui contre une pile de livres. J'ignorais totalement que Swopessavaitlire.

—Tuasdesproblèmespourdormir?demanda-t-il.—Apeuprès. (Jemepenchai demanière nonchalante pour jeter un coupd'œil aux titres.) Pas

vraiment.J'aimeraiscomprendrepourquoitum'évitesdepuisdeuxmois.Il reposa lespiedspar terreetse redressa,serrantunebouteilledebièreentresesmains. Il fixa

ensuiteletapispendantunebonneminuteavantderépondre:—Jenet'évitepas.Leslivresqu'ilpossédaittraitaienttousdumondespirituel,duParadisetdel'Enfer,desdémonset

desanges.Lefaitqu'ilaitéchappédepeuàlamortavaitdûl'affecterplusquejelepensais.—Tun'espasvenumevoirpendantdeuxmois.—Ettun'espasvenuemevoirpendantdeuxmois.Cen'estpasunefuitedemapart,Charles.C'est

unemanièredemeprotéger.Merde.—Jesavaisquec'étaitparcequetun'arrêtespasdetefairetirerdessusàcausedemoi.Ils'appuyaànouveaucontreledossierducanapéetsirotasabière.—C'estcequetupenses?—C'estpas commesi jepouvais t'envouloir. Jeme tiendrais éloignéedemoi également, si je

n'arrêtaispasdemefairetirerdessusparmafaute.(Jeprisunegorgéedevin.)Cen'estpascequejevoulaisdire.

Ilpritunegrandegorgée,terminantsabièreentroissecondesmontreenmain.Quandilselevapourallerenchercheruneautre,jel'arrêtaienposantunemainsursonbras.Maisjen'obtinspaslaréaction à laquelle je m'attendais. Celle à laquelle je m'étais habituée. Il se renfermaémotionnellement.Commes'ilétaitallésecacherquelquepartaufonddeluiaumomentoùjel'avaistouché.

Cetteémotionmechoqua.Jen'avaispasréaliséquejeledégoûtais,àprésent.C'étaituneprisedeconsciencecommejen'enavaisjamaiseu.—Jesuisdésolée,bredouillai-je,reposantleverredevinsurlecoindelatable.Jeferaismieuxde

partir.Onparleraplustard.—Non,dit-il,maisjemedirigeaisdéjàverslaporte.Il contourna le canapé et referma la porte à la seconde où je l'ouvrais.Debout derrièremoi, il

poussaunprofondsoupir.

—Jesuisdésolé,Charles.Jenevoulaispastefairedelapeine.J'oubliequeturessensleschoses,queturécolteslesémotionsdesautres.

Jemetournaipourledévisageravecméfiance.—Alorsquoi?Tuvasessayerdecontrôlertesémotionsenmaprésence?Fairesemblantqueje

netedégoûtepas?Un stupide sanglot trahit le fait que sa réaction m'avait blessée. Il ne m'avait jamais blessée

auparavant,pascommeça,etonavaittraversébeaucoup.Pourquoimaintenant?Pourquoiest-cequeçadevraitmetoucher?

Mais je le savais. Il avait toujours pensé que j'étais folle, pourtant je ne l'avais jamais dégoûtéjusqu'àprésent.Cetteprisedeconsciencemefitmonterleslarmesauxyeux.

—Dégoûter?demanda-t-il,lessourcilsfroncésdeconsternation.C'estcequetucrois?Unriresansjoiem'échappa.—S'ilteplaît,Swopes.Tunepeuxpascachertesémotions.Jelesressensaussiclairementqu'un

coupdepoingenpleinventre.Cen'estpasgrave.Ilfautjustequejem'enaille.—Tu ressens peut-être les émotions,mais tu n'es vraiment pas douée pour les déchiffrer si tu

pensesquetumedégoûtes.—Garrett,s'ilteplaît,laisse-moipartir.Jesuisdésoléedet'avoirréveillé.—Sûrementpas.Assieds-toi.Ilpointalecanapéd'unemaintandisqu'ilmaintenaitlaporteferméedel'autre.Trèsbien.Iln'avaitpasbesoindesemontrersisusceptible.Jeretournaisurlecanapé,etilneme

rejoignitquelorsquecefutfait.J'eusl'étrangeimpressionqu'ilnemefaisaitpasconfiance.—Maintenant,pourquoias-tucruquetupourraismedégoûterunjourdequelquemanièrequece

soit?demanda-t-il.—Tunem'asjamaisévitée,pourcommencer.—Doncçaveutdirequetumedégoûtes?—Turefusesdeparlerdecequis'estpassé,continuai-je.Mêmesijen'avaisaucuneenviedeparlerdecequim'étaitarrivéàmoi,j'avaisenviedeparlerde

cequiluiétaitarrivéàlui.—OK.Ques'est-ilpassé?—Tuesmort.Ilmedévisageasansciller.—Tuesmort,ettuesvenumevoir.Tut'ensouviens?—Ilmefautuneautrebière.Je le laissaise leverpourallerenchercherune,mais lesuivis. Ilouvrit le frigo,décapsulaune

bière, et la descendit d'un trait.Après avoir jeté la bouteille, il en prit une nouvelle et la but pluslentement.Jem'assisàsaminusculetabledecuisine,etilmerejoignit.

—Tupeuxmedirecedonttutesouviens?demandai-jelorsqu'ilfutassis.(Commeilsecontentadefixerlabouteilleentresesmains,jelerelançai.)Tutesouviensdequelquechose?

Jesavaisqu'ilsesouvenait.C'étaitobligé.Sinon,iln'auraitjamaisréagidecettemanière.—Jemesouviensdetout.Jeblêmisàcetteidée.—Commequoi?Ilinspiraprofondément.— Je me souviens avoir été attiré par ta lumière. Je me souviens de cette petite fille qui t'a

traversée.JemesouviensdeM.Wongetduchien.—C'estçaquitedérange?Cequetum'asvuefaire?—Non.(Ilmeregardad'unemanièredécidée.)Iln'yarienàtonsujetquimedérange,endehors

dufaitquetufrappesàmaporteà3heuresdumatin.Ilyadeschosesdonttun'espasaucourant.Jefonçailessourcils.

—Commequoi?—Après t'avoir rendu visite, je suis allé ailleurs. J'ai pensé que je retournais dansmon corps,

puisquejen'étaisplusmort.—Commentas-tusuquetun'étaispasmortenpremierlieu?—Monpèremel'adit.Ilm'arenvoyé.Jenel'avaispasvudepuismesdixans.Ilétait ingénieur

pouruneentrepriseaméricaineenColombie.Ilaétéenlevé.Normalement,ilssecontententd'exigerunerançon,maisquelquechoseadûmalsedérouler.Onn'aplusjamaisentenduparlerdelui.Ilajustedisparu.

—Maistuaspulevoir?demandai-je,ébahie.Toutesceshistoiresd'expériencesaprèslamortétaientuntelmystère,mêmepourmoi.—Oui,ilm'arenvoyé.Ilétaittrèsencolère.(Ilsetournapourregarderparlafenêtre,mêmes'il

faisaitnuitnoire.)Jenevoulaispasrevenir.Jen'avaisjamaisrienressentidetel.—J'aidéjàentendudireça.Çamefaitplaisirdesavoirquelamortn'estqu'unephase,qu'onse

renddansunautremondeetqu'ilestmerveilleux.Maistuasditquetuétaisalléailleurs?—Oui.Aprèst'avoirvue.Etcen'estpastoujoursmerveilleux.—Jenecomprendspas.—JesuisalléenEnfer,Charles.Jemefigeai.—Tuveuxdire,métaphoriquement,c'estça?—Non.Cen'estpasça.—Tuveuxdirelittéralement?L'Enfer?Celuiavecdufeuetdusoufre?—Oui.Jem'enfonçaidansmachaise,stupéfiée.— Et j'ai appris des trucs. Je ne me suis pas retrouvé là par hasard. J'y ai été envoyé. Pour

apprendre.Pourcomprendre.—Comprendrequoi?—Cequetonpetitamifaitdanslavie.Iln'avaitpasbesoind'élaborer.Jesavaisqu'ilparlaitdeReyes.Dequid'autreaurait-ilpus'agir?—Tuasuneidéedecequ'ilest?—LefilsdeSatan.Lasurpriseétaitvisiblesursestraits.—Etçanetedérangepas?—Swopes,ils'estenfuidel'Enfer,OK?Cen'estpasunméchant.Enfin,ilnel'estpastotalement.Ilricanadédaigneusementetseleva.—Alorstudevraisvoircequej'aivu.Uneboufféedepeurmeparcourut.—Quoi?—Ilétaitgénéral là-bas, tusais.Lefilsdumal,oui,maisils'estélevédanslesrangsdel'Enfer

commeungrand.C'étaitunassassintrèsdoué,etilnevivaitquepoursedélecterdugoûtdusangdesesennemis.

—Onnepeutpasvraimentdirequ'ilaitgrandidansunenvironnementsain.—Donctucomptesluitrouverdesexcusestoutelanuit?Pourquoies-tuvenue?—Jevoulaissavoircommenttuallais.Désolée.Jemelevaiànouveaupourpartir,maisilditunechosequim'arrêta.—Ilaétéenvoyéici.Pourtoi.Jemeretournaiverslui.—Jesuisaucourantqu'ilaétéenvoyé,maisc'étaitpourmettrelamainsurunportail.N'importe

quelportail.Pasmoispécifiquement.Ensuiteilm'avueetilesttombéamoureux.C'estpourçaqu'ils'estlibérédujougdesonpèreetqu'ilm'aattendue.

—Ilesttombéamoureux?(L'expressionétonnéequ'ilarboraitnelaissaitaucundoutequantàce

qu'ilpensaitdemoi.)Ilnes'estéchappéderiendutout.Ilaétéenvoyé.Pourtoienparticulier.—Tunepeuxpascroireça.—Oh, non. Tu as raison. Je veux dire, onme l'a seulement montré en Enfer.Mes sources se

trompentcertainement.—Swopes,lesgensnevontpassepayerunepromenadedesantéauroyaumedesmortspouren

revenirindemnes.—Moncul,oui.C'estcequej'aifait.Ensuiteuneentitéquelconquem'afaitsortirdeforce.Etje

n'aijamaisprétenduquej'enétaisrevenuindemne.Ehbien,siquelquechosepouvaitaffecterl'âmehumaine,c'étaitcertainementunvoyageenEnfer.

Jenesavaispasquoiluidire.—Commentc'était?Ilfitungestevagueavecsabière.—Tusais.Chaud.Pleindegensquicrient.Delasouffrancepartout.Jenelerecommanderaispas

commedestinationdevacances.—Commentest-cequetu...Quit'aexpliquépourReyes?Leregardqu'ilmelançabouillonnaitdehaine.—Sonpère.Jetombaiàlarenversesurlachaise.—Engros,vousavezcommencéàparlerautourd'unpuitsenflamméavantdecomparervosnotes

surlamortetl'agonie?—Quelquechosedanscegoût-là.Ilvoulaitquejevoie,Charley.—Voiequoi?—Cequesonfilsétait.(Ilsepenchaenavant,commes'ilessayaitdemeconvaincredelecroire.)

Cequ'ilfaisait.—Onfaittousdeschosesdontonn'estpasfiers.Ilritdurementetsegrattalevisage.—Tuvisdanstonpetitmonde,hein?—Oui,etjem'ysensbien.—Ehbien,laisse-moijustetedirececi:jesaiscequ'ilest,jesaiscequetues,etjesaiscequise

passeras'iltemetlamaindessus.Jenelaisseraipascetteéventualitéseproduire.Oh,magnifique.—Cequiseproduira?Dugenre,l'EnfersurTerre?—Du genre l'Enfer de la pire espèce sur Terre. Charles, il a été envoyé ici. Pour toi.Afin de

réaliserlesrêveslesplusfousdesonpère.Jemerelevaipourprendreunverred'eau.—Cequetuasvu,cequ'ils t'ontdit,cen'estpasvrai. Ils'estéchappé.Ilestvenudesonpropre

chef.—C'estcequ'ilt'adit?—Oui,répondis-jeenfouillantsesplacardsàlarecherched'unverre.—Jen'auraisjamaiscruqu'uneFaucheusepourraitêtreaussicrédule.Audiableleverre.Jepourraisboiredel'eauàlamaison.Ilyavaitpeudechosequejedétestais

plusquelefaitqu'onremettemonintelligenceenquestion.JerefermaileplacardetmepenchaiversSwopes,quiétaittoujoursassisàlatable.—AlorstuesalléenEnfer,hein?Quandilacquiesça,jeluioffrisunsouriredoucereux,luitapotailajoue,puisdis:—Faisdebeauxrêves.

Chapitre10Affrontervospeursvousrendplusfort.Maiss'enfuirencourantmusclelesjambes.

AutocollantdevoitureJe rentrai à lamaison envoyant rouge.Littéralement.Unpolicierm'avait faitme ranger sur le

côté, et ses gyrophares étaientméchamment vifs. J'allais sûrement voir des points rouges pendantplusieursjours.Aprèsavoirflirtéunpeuaveclui,cequinem'avaitaidéeenrien,etavoirmentionnéquiétaitmononcle,cequim'avaitconsidérablementaidée,j'avaispuparcourirleresteducheminunpeupluscalmementetunpeupluslentement.Malgrésonhostilité,passerchezSwopesm'avaitoffertun sympathique intermède de mon appartement en pagaille. J'examinai les environs tout enconduisant,faisanttrèsattentionauxombressinistresetauxcoinssanslumière.Jen'avaispasétésisouvent à l'extérieur depuis des semaines. Et sortir la nuit, à une heure si indue, était étrange. Etdangereux.

Jeverrouillailavoitureetmedirigeaiversmonimmeuble.Àpeineentrée,jefusprisedubesoinirrépressibledevérifierchaquerecoinetchaquepetitefenteavantderemonterl'escalierjusqu'àmonappartementautroisièmeétage.Jemarchaidosaumur,jetantsansarrêtdesregardspar-dessusmonépaule.Ilétaitplusquejamaistempsquejemebaladeavecunelampetorchependantlanuit.

Après être retournéedansma chambre sur la pointe des pieds afin denepas réveillerGemma,j'ouvrisletiroirsupérieurdemacommodeetensortisunephoto.Laphoto.Cellequej'avaisobtenuequelquessemainesplutôtetquejen'avaisplusjamaisregardéedepuis.

J'entendislachassed'eau,puisCookiepassalatêteparl'embrasuredelaporte.Lalumièredelacuisinefiltraittoutautourd'elleetmepermettaitdedistinguersasilhouette.

—Charley,c'esttoi?fit-elle,lavoixrauqueetendormie.Je me demandais si elle était encore soûle. Je baissai la photo pour éviter de voir ce qu'elle

représentait.—JesuisPrune,lajumellemaléfiquedeCharley.—Tun'arrivespasàdormir?Jem'assisaupieddemonlit.—Pasvraiment.Moncerveaus'amuseàm'envoyerdespenséescontradictoires.Ellepritplaceàcôtédemoi.—Àproposdequoi?Jerisdoucement.—Tuserasenmesuredeteleverdemainmatin?demandai-je.Ellesourit.—Jevaisbien.Jemeremetsrapidementdescuites.—Tuétaisévanouiesurlesoldelacuisine.Aprèsavoirreniflédemanièreplutôtgrossière,ellerépondit:—Commesic'étaitlapremièrefois.Ellen'avaitpastort.—Alors,quoideneuf?—JenesaisplusquoipenserdeReyes.—Oh,chérie,quisaitquoipenserdelui?C'estuneénigmeemballéedansunpapiercadeaufaitde

sensualité,entouréd'unedizainedechaînesdedésiretrecouvertderubansaussitranchantsquedes

rasoirs.Ilestconstituédeplusdecouchesquelegâteaudemariaged'unmultimillionnaire.Jehaussailessourcils.—Desensualité?—Jesais.Çadépasse le faitqu'il soit l'hommeleplussexyàavoir jamais foulé laTerre,mais

c'estundétaildifficileàignorer.(Elleremarqualaphotodansmesmains.)Qu'est-cequec'est?Jebaissailatête.—Tu te souviensquand je suis allée dans l'immeubleoù j'ai vuReyespour la première fois ?

Celuidanslequelcettevieillefemmecingléesquattait?—Oui,c'étaitlapropriétairequandReyesyhabitait,quandtuétaisaulycée.—Toutjuste.Ehbien,ellem'adonnéça.(Jeluitendislecliché,maisleretinsparuncoin.)Jedois

t'avertir,c'esttrèsexplicite.Jeremarquaiquelasurpriseavaitgagnésestraitsquandellesesaisitdelaphotoetlarelevaafin

de profiter de chaque particule de lumière que la chambre avait à offrir. Elle fronça les sourcilscommesielleessayaitdedistinguerl'image.Sessourcilsserapprochèrentencorepluslorsqu'elleyparvint,etelleécarquillalesyeux.Elleouvritlabouche,témoignagemuetdesacompréhension.Puissesyeuxs'humidifièrentetellesecouvritlamoitiéduvisagedesamainlibre.

Ellesemblaitincapablededétournerleregard,commesielleassistaitàunaccidentdevoiture.Jen'avais pas besoin de revoir l'image pourme souvenir de l'horreur que la photo représentait.Elleavaitétémarquéeauferrougedansmamémoireàlasecondeoùj'yavaisposélesyeux.

Lescordes.Lesang.Leshématomes.Lahonte.Cookierepritfinalementlaparole,sansenleversamain.— Est-ce que c'est... ? (Sa respiration se bloqua dans sa poitrine, et elle déglutit avant de

recommencer.)Est-cequec'estReyes?—Oui.Ellefermalespaupièresetplaqualaphotocontresoncœur,commesielleessayaitdelebercer.

Deleprotéger.Unelarmes'échappadelabarrièredesescils.—MonDieu,Charley.Tumel'avaisdit,mais...—Jesais.Jelaprisparlebras.Elleseserracontremoiettapotamamain.Je lui laissai quelques instants pour absorber ce qu'elle venait de voir. Pour lui permettre de

contrôlersesémotions.Jecroisquececlichéétaituntrophée.SelonlasœurdeReyes,Kim,EarlWalkeravaitl'habitude

de prendre des photos compromettantes deReyes, puis de les cacher dans lesmurs partout où ilsvivaient.Et ils déménageaient sans arrêt, donc il pouvait y en avoir à des dizaines d'endroits.Ellem'avaitditquelesphotosconstituaientunchantagequiservaitàs'assurerqueReyessecomporteraitbien. C'était possible, même si j'avais tendance à penser qu'il s'agissait plutôt de souvenirs. Dessouvenirs de ses exploits.Mais la raison pour laquelle il les cachait dans lesmurs dépassaitmonentendement.S'ils'agissaitbienlàdetrophées,nelesaurait-ilpasemportées?Pourquoileslaisseràunendroitoùellespouvaientêtre trouvées -et l'avaientété,dans lecasdeMmeFaye-etutiliséescontrelui?

Puis je pris conscience qu'Earl ne figurait probablement sur aucune de ces images. EllesreprésentaienttoutesReyes.

Sur la photo queMme Fayem'avait donnée, Earl semblait volontairement faire honte à Reyes.C'étaitlepiredetout.Ill'avaitattachéetluiavaitbandélesyeux,mêmesijen'avaisaucunepeineàreconnaître la silhouette parfaite de Reyes. Ses cheveux en bataille. Sa bouche pleine. Les lignesfluidesdesontatouagequis'enroulaitautourdesesépaulesetdesesbras.Lescordesquimordaientdanssachair.Ellesrouvraientdesblessuresquiavaientcommencéàguérir. Ilsemblaitavoirseize

ans sur la photo, son visage était tourné loin de l'objectif, ses lèvres serrées par l'humiliation.D'énormeshématomesnoirssouillaientsanuqueetsescôtes.Delonguesentailles,certainesrécentesetd'autresàmoitiéguéries,zébraientsesbrasetsontorse.

Jeneparviendraisjamaisàeffacercetteimagedemonesprit,mêmesij'avaiscaressél'éventualitéd'avoirrecoursàl'électrothérapie,justepouressayer.Çaenauraitvalulapeine.Etpourtant,j'avaisconservélaphoto.Acejour,jen'avaisaucuneidéedelaraisonquim'avaitretenuedelabrûlerdèsl'instantoùjel'avaiseueentrelesmains.

—Jen'osepasimagineràquoisaviearessemblé,ditCookieenobservantlevideenfaced'elle.—Moinonplus.Ilasauvélamienne,cesoir.Ils'estbattuavecundémonquiétaitbiendécidéà

m'égorger.Jelasentissetendre,inquiète.—Charley,tuessérieuse?— Oui. Je lui en ai voulu, mais il m'a toujours sauvé la vie. Encore et encore lorsque je

grandissais.Jenesuispassûred'avoirledroitd'êtreencolèrecontrelui.—Peut-êtrequetunel'espas.—Qu'est-cequetuveuxdire?Ellesemorditlalèvreethésitaavantderépondre.—Jeteconnais,Charley,etjenecroispasquetusoisencolèrecontrequelqu'und'autrequetoi-

même.Jemeraidis.—Pourquoiest-cequejeseraisencolèrecontremoi?Ellem'adressaunsourirepleindecompassion.—Exactement.Pourquoi?Etpourtant, tul'es.Commetoujours.Encolèrecontretoiparceque...

parce que quoi ? Parce qu'EarlWalker s'est introduit dans ton appartement ? Parce que tu as étéattaquée?Parcequetun'aspasputedéfendre?

Jefronçailessourcils.— Tu as tort. Je ne suis pas en colère contre moi. Je vais très bien. Je suis dans une forme

olympique.Tuasvumesfesses?Ellepassaunbrasautourdemesépaulesetmeserra.—Désolée,gamine.Tunetrompespersonneàparttoi.Alors,qu'est-cequetupensesdeceluiqui

sefaitappelerlefilsdeSatan?Ilyadel'espoirpourlui?Ellemerenditlaphoto,facecachée.Jenelaretournaipas.—Ilyenapeut-être.Lejuryesttoujoursentraindedélibérer.—Ehbien,dis-luidesedépêcher.Ilfautquecetypepassenousvoirplussouvent.Ondiraituntop

modelbrésilientrempédanslepéché.—C'estunebonnedescription.—Jepenseaussi.Aufait,pourquoiPrune?C'étaitétrange.DormiravecGemmaetavoirtanteLil,mêmeévanouieparcequ'ellecroyaitêtre

ronde commeunequeuede pelle, dans la pièce d'à côté se révélait réconfortant. Pas énormément,surtoutquandGemmas'étaitmiseàparlerdanssonsommeilouquandellem'avaitfrappéeparcequej'étaisunpirate-cettefilleavaitdesérieuxproblèmes-,maisassezpourmepermettredemereposerunpeu.

Jemeréveillaitoutdemêmerelativementdebonneheure.Enpartieparcequelesouvriersavaientcommencé leur journée plus tôt queDieu.Mais surtout parce queGemma était en train de courirpartoutàlarecherchedesonpantalon.Elleleportaitquandjel'avaisramenéejusqu'aulit,alorsjenevoulaismêmepassongeràlaraisonpourlaquelleilavaitdisparu.Maisellesecognaitcontretoutcequ'ellepouvait.Dieumerci,jenetenaispasvraimentàmastatueenmacaronisd'AbrahamLincoln.Sijeneconnaissaispasmieuxmasœur,j'auraisditqu'elleétaittoujoursbourrée.J'avaisvraimenthâte

devoirdansquelétatétaitCookie.Jesautaisousladoucheànouveau,pluspourbriser laglaceaveclajournéequim'attendaitque

parce que j'en avais besoin.Des images dérangeantes s'évertuaient à surgir partout autour demoi.GarrettenEnfer.Reyessebattantcontreledémondelaveille.Cookieentraindes'essayeràlapôledance.Elleauraitpuêtredouées'ilyavaitvraimenteuunpoteau,mais je luiaccordaisdespointsbonuspoursacapacitéàlemimer.

AprèsavoirenfiléunJean,unpullàcolrondbrunchocolatetdevieillesbottesdélavéesquimemontaient jusqu'aux chevilles, je sortis dema chambre pour affronter un nouveau jour dansmonhumbledemeure.Cestemps-ci,j'aimaisbienplusl'intérieurdemonhumbledemeurequel'extérieur.Maisj'avaisdescasàrésoudreetdespersonnesàemmerderavectoutel'affectiondontj'étaiscapable.Jedécidaidecommencerpar l'atrocebeau-frèredeHarper,histoiredevoir àquelpoint il voulaitqu'elledisparaisse.Ou souhaitait la rendre folle.Cette éventualitéme trottaitdans la têtedepuisunmoment.QueHarper ne soit plus en travers de son chemin arrangerait vraiment ses affaires. Sonhéritagedoublerait,aubasmot.

ToutenmedemandantoùtanteLilavaitbienpupasser,j'attrapaimonsacetmeslunettesdesoleilavantdemedirigerverslaporte.Malheureusement,quelqu'unfutplusrapidequemoi.Onfrappaunefraction de seconde avant quemes doigts n'atteignent la poignée. J'ouvris et découvris la dernièrepersonnesurTerrequiauraitpumefairelagrâcedesetrouversurmonpalier.

Sansmelaisserdémonter,jemismeslunettesdesoleil.—J'étaisentraindepartir,annonçai-jeàDenise,mabelle-mèredel'enfer.Puisunepenséemefrappa:peut-êtrequeGarrettn'étaitjamaisalléenEnfer.Peut-êtrequ'ilavait

atterridanslamaisondemesparentsparerreur.Çapouvaittoutàfaitexpliquerleshurlementsetlesgémissementsdedouleur.

—Est-cequejepeuxteparler?demanda-t-elle.Çaneprendrapaslongtemps.Deniseétaitunedecesfemmesquelesautrespersonnestrouvaientcharmante.Elleavaitungentil

sourireetundonpourlethéâtre.Maiselleétaitàpeuprèsaussidoucequ'unevipèreaffaméedansunpanierrempliderats.Aumoinsenversmoi,lefruitdesesentraillesparalliance.

Onne s'était jamaisvraiment entendues.Elle avait commencéànepasm'apprécierouvertementquandj'avaiscommencéàinsisterpourqu'ellemeracontedeshistoiressursonenfance,àlasupplierpourqu'ellem'expliquecommentc'étaitdecouriraveclesdinosaures.Aprèsça,elles'étaitmiseàmelancer des regards au nitrogène liquide qui pouvaient congeler n'importe quelle bonne intention.J'avaisapprisàlancermesregardslesplusefficacesgrâceàcettefemme.Jesupposequejedevaisluiêtrereconnaissantepourça.

Tout en expirant longuementdemanière exagérée, jeme retirai dupasde laporte et l'invitai àentrerd'ungestedelamain.Elles'arrêtanetlorsqu'ellevitl'étatdemonappartement.Jelasuppliaisilencieusementdedirequelquechose.N'importequoi.N'importequoiquimedonneraituneexcusepourlamettreàlaported'uncoupdepiedauxfesses.J'avaisdûendurersonrôledebelle-mère,etjecontinuaienprésencedepapaetdeGemma,maispas ici.Pasdansmonespacesacré.Ellepouvaitaller se faire voir si elle pensait que j'allais gentiment sourire et supporter ses regardscondescendantssousletoitpourlequeljepayaisunloyer.

Ellesemblas'enrendrecompte.Soninstinctdesurvievenaitdesemanifester.Ellerécupéradesasurpriseenunclind'œiletseremitàavancer,évitantuncartonetunpantalon.

Tout enme demandant commentGemma se débrouillait sans, je conduisisDenise jusqu'àmonsalon-quisesituaitbienàcinqpasdemaported'entrée-,m'assis,etlagratifiaidemonmeilleurairrenfrogné.

—Quepuis-jefairepourtoi,Denise?Elles'assitleplusloinpossibledemoietredressalesépaules.—Jevoulaissimplementteposerquelquesquestions.

—Ettontéléphonenefonctionnepas?Ellesehérissalégèrementenentendantletonquej'avaisutilisé.Subirmamauvaisehumeursans

sebattren'étaitpassongenre.Lamodestieetlasagessen'étaientpasgénétiqueschezelle.Elledevaitvraimentêtredésespérée.

—Tunerépondsjamaisàmesappels,merappela-t-elle.—Ahoui,c'estvrai,j'avaisoublié.Alors,qu'est-cequejepeuxfairepourtoi?Ellesortitunmouchoirdesonsac,retiraseslunettesdesoleil,etsefitundevoirdelesnettoyer.Finalement,etavecuneattentiontouteparticulière,jedécidaidem'ouvrir.Jemelaissairessentir

les sentiments qui la traversaient. La plupart du temps, je restai fermée. Il y avait beaucoup tropd'émotions ambiantes partout. J'avais appris à contrôler ce que j'absorbais et lamanière dont je lefaisais lorsquej'étaisaulycée.Avantça,mavieavaitété...undéficonstant.Spécialementauprèsdel'Antéchristparalliance.

Lesémotionss'échappaientd'ellecommedes lamesacérées, lespiresd'entreellesressemblantàdeséclairsdontlafoudremecoupaitlesouffle.Lapeur.Ledoute.Ladouleur.

Quelqu'unétaitmort.Ouquelqu'unallaitmourir.Cesémotionsétaientbien tropfortespourêtreassociéesàautrechosequelamort.

—Toutd'abord,j'aimeraisquetusachesquejecroisentoi.Encedonttuescapable.Ainsidonc,lafemmequiavaitfaitdemonenfance-demesdons-unvéritableenferycroyaità

présent.Ouais,eneffet.Quelqu'unallaitmourir.Peut-êtrequeceseraitelle,maisjenevoulaispasmedonnerdefauxespoirs.

—Magnifique!répondis-je,feignantl'enthousiasme.Maintenantonpeutêtrelesmeilleuresamiesdumonde.

Ellem'ignora.—Jelesaisdepuislongtemps,Charlotte.Elleavaittoujoursrefuséd'utilisermonsurnom.Çanousauraitfaitparaîtretropproches,etnous

nepouvionspaslaisserunetellechoseseproduire.—Tudoiscomprendreàquelpointilaétédifficiledet'élever.Jenepusmeretenir.Jegrognai.Bruyamment.Puismemisàrire.—M'élever?C'estcommeçaquetuappellesça?Toutcequetum'asfaitendurer?Ellem'avaitignoréeduranttoutemonenfance.Àpartlorsquejelamettaisdansl'embarrasdevant

des amis ou quand je saignais abondamment, je n'avais aucune importance pour elle. Je n'étaispersonne.Invisible.Delapoussièresoussespieds.

Pasquejeluienveuilleouquoiquecesoit.—Tun'aspasd'enfants,alorsjenem'attendspasàcequetucomprennes.Je décidai de partager une anecdote avec elle afin de l'aider à mieux se rendre compte de la

situation.— Toute personne qui a des enfants devrait savoir que, parfois, quand on demande à la petite

Charleyquiacassélalampeetqu'ellerépondqu'ellel'ignore,cequ'elleessaiededireenfaitc'est:« C'était un type avec la peau claire et translucide et des cheveux gras qui était peut-êtremort enraisondelablessurequ'ilavaitàlatête,maisquiavaitcertainementplutôtmordulapoussièreàcausedesnombreusesblessuresparballesqu'ilavaitàlapoitrine.»Maissiçasetrouve,jemefaisjustedesidées.

—Lescirconstancesétaientinhabituelles,confirma-t-elleenobservantseslunettes.—T'crois?Elle retint une riposte juste à temps, et je souris presque. Je n'étais pas sûre de savoir à quel

momentj'étaisdevenueaussicruelle.Elleétaitdetouteévidenceentraindesouffrir.Maislekarmaétaitunesalopecalculatrice.Ilfaudraitquej'ensoisuneplussouvent.

Enbonpetitsoldat,ellecontinuaàavanceretdemanda:—Est-cequetupourraismetransmettrelemessage?Celuiquemonpèrem'alaissé?

Jenepuspasm'enempêcher.J'ouvrislabouchecommesimamâchoirevenaitdesedisloqueretjefaillis me moquer d'elle à haute voix. Maintenant ? Après toutes ces années, elle avait décidé derejoindreleclub,etj'étaiscenséemerappelerdequelquechosequ'undéfuntm'avaitditquandmonâgen'étaitconstituéqued'unseulpetitchiffre?C'étaitquoi,cetteplaisanterie?

—OK,ehbien,jedevaisavoir...(Jelevailesyeuxpourobserverunecalculettegéanteauplafond.)Jenesaispas,quatreoucinqans,doncc'étaitilyacombiend'années?Lesmaths,c'estpasvraimentmontruc.

—Vingt-cinqans,proposa-t-elle.—Doncj'avaisquatreans.—Jesais,dit-elle.(Ellecrispalesdoigtsautourdesonsac.)Maisjesaiségalementàquelpoint

ton esprit est surprenant. (Elle me regarda de manière entendue.) De toute évidence, tu n'oubliesjamaisrien.

—Tun'aspastort.Jemerappelleprécisémentlagiflequetum'asdonnéedevanttoutlemondeauparc.Etlafoisoùtum'asfaitdescendredecevéloàlaplage.Enmetirantparlescheveux.Etdecelleoù j'ai essayéde te transmettre lemessagede tonpère, ainsi que de lamanière dont tu as pété unplomb, hurlant tout du long sur le trajet pour retourner au bar de papa. (Jeme penchai.) Tum'ascrachéenpleinvisage.

Elleserraleslèvres,désolée.Mince,elleétaitdouée.Sijenelaconnaissaispasmieux,j'auraispupenserqu'elles'envoulaitréellement.

— J'étais sous le choc, au parc. Ce que tu as fait était... (Elle inspira, puisme lança un regardaccusateuravantdereprendre.)Ettescheveuxs'étaientaccrochésàmabague.Jet'avaisditdenepasmontersurcevéloettum'avaisdésobéi.

Silachaleurdelahainequejeluivouaisavaitpusemanifesterphysiquementensortantdemoncorps,elleauraitétéatomiséesurplace.Iln'enseraitrestéqu'unepetitebriquedecharbonenformed'Hitler,parcequ'elle lui ressemblaitvraimentd'unemanièreétrangeetdérangeante.Ceque j'avaisfait?Commentosait-elle!

—Etsitut'ensouviensbien,jen'étaismêmepasencoreaucourantquemonpèreétaitmortquandtum'asditque tuavaisunmessagede sapartd'outre-tombe.Commentétais-je censée réagir à ça,Charlotte?

—Enmecrachantauvisage,detouteévidence.Ellebaissalatête.—Sijeteprésentemesexcuses,est-cequeçaaidera?—Passpécialement.—Est-cequetuveuxbienmelerépéterquandmême?La tristesse et le remordsdans ses yeuxgrignotèrentmes résolutions.Pas énormément.Unpeu

commeune souris qui auraitmordillé une petitemiette issue d'un bout de fromage de la taille dumontRushmore.Maisassezpourquejeréponde:

— Je ne me souviens sincèrement pas du message exact, puisque tu demandes. C'était quelquechose à propos de serviettes bleues. Ou peut-être de serviettes qui n'étaient pas vraiment bleues.Merde,jenesaispas.

OK,j'avaisseulementutilisélemotquicommencepar«M»parcequejesavaisàquelpointellele détestait.Mais ça m'avait fait du bien. Elle avait l'air perdue dans ses pensées, à essayer de sesouvenirdecedontjepouvaisbienêtreentraindeparler.Puisquelquechosesemblaémergerdesamémoire.Sonvisages'illuminacommesiellevenaitdecomprendre.

—Attends,s'exclama-t-elle.Elleselevaetmetournaledos.—Qu'a-t-ilditausujetdesserviettes?Aprèsavoirprisuneprofondeinspiration,jerépondis:

—Jetel'aidit,quelquechoseausujetdufaitqu'ellesn'étaientpasvraimentbleues.Jecroisqu'iladitquecen'étaitpastafaute.

Sa tristesse me frappa comme un jet d'acide. Elle me piqua les yeux. Elle remplit ma cagethoraciqueet la comprima. Jeme fermai ànouveau, rétractant les antennesquimepermettaientdecapterlesémotions,etforçaidel'airfraisàpénétrerdansmespoumons.

PuisDenise se retournaet s'agenouillaen facedemoi.Elle s'agenouilla.Sur lesgenoux.C'étaitbizarre.Jetentaidereculer,maisj'étaisdéjàcontreledossierdemoncanapé,quis'appelaitpeut-êtreConsuela.Monexpressiontrahissaittrèscertainementledégoûtquejeressentais.

—Cen'étaitmêmepasàproposdemoi,dit-elle,levisagerayonnantdestupéfaction.C'étaitàtonsujet.Ilessayaitdem'expliquerpourtoi.

—Tuesdansmabulledeconfort.—Ilvoulaitmedireàquelpointtuesspéciale.—Ettunel'aspasécouté,laréprimandai-je.Commec'estétonnant.Maisnon,sérieusement,tues

dansmabulledeconfort.—Oh,s'exclama-t-elleen jetantdes regardsautourd'elle, surprise. Jesuisdésolée. Je... (Ellese

rassitsursachaiseetlissasonpantalon.)Jesuisdésolée,Charlotte.Jenesavaisvraimentpascommentsonpères'yétaitprispourluienvoyerunmessageàmonsujet

depuis l'autre côté, ou comment elle avait réussi à tirer cette conclusion quand il s'agissaitapparemmentdeserviettesbleues.Et,tristement,jen'enavaispasgrand-choseàfaire.

—C'esttoutcedonttuavaisbesoin?—Non.—Ehbien,c'est leseulmessageque j'aipour toiaujourd'hui.Àmoinsque tuveuillesceluiqui

concernetoutletravailquej'aiàfaire.C'enestunimportant.Jeramassaimonsacsurlesol,remismeslunettesdesoleil,etmelevaipoursortir.—Est-cequetupeuxprédirequandquelqu'unestsurlepointdemourir?demanda-t-elleavantque

j'aieletempsdem'éloigner.Jelesavais.Latêtebaisséeetlesdentsserrées,jerépondis:—Jen'ensuispassûre.Malheureusement, j'avais la dérangeante impression que j'étais en mesure de le faire. Que j'en

avaistoujoursétécapable.Maisc'étaitunedecespetitesvoixénervantesquichuchotaitàmesoreillesetquej'ignorais.CommequandCookieportaitduviolet,durougeetduroseenmêmetemps.Jelarepoussais aux confins dema conscience. Je ne savais pas trop comment expliquer ça à quelqu'uncommeelle,alorsjen'essayaimêmepas.

—C'estpossible.(Jepenchailatêteetlaregardaidespiedsàlatête.)Ouaip,jecommenceraisàchercherunendroitsympaoùmefaireenterrer,sij'étaistoi.

Ellenemepritpaslemoinsdumondeausérieux,cequiétaitprobablementunebonnechose,danslamesureoùjelafaisaismarcher.Aprèss'êtrelevéeàsontour,elleremitsonmouchoirdanssonsacetdit:

—Situremarquesquoiquecesoitdecegenre,pourrais-tus'ilteplaîtmepasseruncoupdefil?—Absolument.Jetemettraiennumérofavori.Ellesedirigeajusqu'àlaportepuisseretourna.—Etjustepourtoninformation,jenedemandaispaspourmoi.Je la laissai s'en aller, attendis cinq bonnes minutes, puis sortis à mon tour, la chassant

complètementdemonesprit.Oufaisantdemonmieuxpourqueçaarrive.Selon son insigne, la Société du Voile se chargeait de l'exploration et du développement de

carburant alternatif, et le beau-frère de Harper, Art, y était apparemment un grand ponte. Dans lamesure où je n'avais pas rendez-vous, onme demanda de patienter dans le hall. Ce n'était pas unendroitoùj'aimaisattendre.Alorsjetentaid'expliqueràlaréceptionnistequij'étaisetluidisquesi

Art ne voulait pas me recevoir, je pourrais revenir avec quelques officiers et un mandat. Onmeconduisitdans sonbureauàpeinequelquesminutesplus tard. J'adoraisquandcesmenacesen l'airfonctionnaient.Sérieusement,unmandatpourfairequoi?Artdevaitavoirquelquechoseàcacher.

Il ne sembla pas spécialement content deme voir lorsque son assistanteme fit entrer dans sonbureau.Ilselevaetmetenditlamain,maisçaneluifaisaitpasplaisir.Manquedebol,cetypeétaitmignon. Il portait un costume trois-pièces et avait le visage d'un acteur de cinéma, avec de courtscheveux bruns et une peau naturellement bronzée.Mais la pièce de résistance était ses yeux, grisargentéavecdesnuancesbleutées,entourésdelongscilssombres.Etmerde!Jedétestaisquandlesméchantsétaientsiséduisants.C'étaittellementplusfaciledepenserlepired'euxquandilsdonnaientlechangeetétaientmaigrichons,avaientdessouriressournoisetdesdentspourries.

Bienquelefaitqu'ilressembleàsamèreaidâtlégèrement.Oh,oui,c'étaitunevermine.Etj'allaisleprouveraussivitequepossible.

Aprèsm'avoirbrièvementserrélamain,ilmefitsignedem'asseoir,puisfitdemême.—Ça vous dérangerait de m'expliquer pourquoi vous avez ressenti le besoin de memenacer,

madameDavidson?— Pas du tout. J'avais besoin de vous voir, et j'avais besoin de vous voir rapidement. J'ai été

engagéeparvotrebelle-sœur...—Jesais,jesais.(Illevaunbraspourmefairetaire.)Mèrem'atoutraconté.J'avaisétélesujetdelaconversationàdîner?Cool.J'adoraisquandçaseproduisait.Maisj'avais

un préjugé sur les hommes qui appelaient leurs mères «Mère », et c'était encore un point en sadéfaveur.Peut-êtrequeçapourraitcontrecarrerlefaitqu'ilétaitbeaucommeunDieu.

—Delamêmemanièrequejesuissûrequevousyavezégalementeudroit.—Moi?—Oui.JesuispersuadéquevousavezeuuncompterenduenlongetenlargedufaitqueHarper

tenteàtoutprixd'attirerl'attention,etquetoutacommencéaprèslemariagedemesparents.J'évaluaisesémotions.Iln'étaitpasencolère.Etilnesesentaitpasparticulièrementcoupable.Pas

jusqu'àcequejedise:—Harperm'aracontéquevousaviezmislefeuàlanichedesonchien.Quandilétaitàl'intérieur.—Elleaditça?Laculpabilités'échappaitdeluiparvagues,maisilyavaitquelquechosedepluspuissantencore.

L'anxiété.Ilétaitblessé.Ilselevaetregardaparlafenêtre.—C'étaitunaccident.Ellelesait.—Etellemel'adit.Jeremarquaiunlégersouriresurseslèvreslorsquej'observaisonrefletdanslavitre,etlavérité

mefrappa.Violemment.—Nomd'unchien,vousêtesamoureuxd'elle!—Quoi?Ilseretournapourmefaireface,sursonvisageuneparfaite imitationde l'indignation.Jefis la

moue.—Vraiment?—Merde. (Il fit le tour de son bureau et referma la porte avant de continuer.)Comment avez-

vous... ? Écoutez... (Il se passa la main dans les cheveux tandis que j'essayais de ne pas sourirebêtement.)Évidemmentquejel'aime,c'estmasœur.

—Art,c'estvotresœurparalliance,etelleestsplendide.Jel'airencontrée,vousvoussouvenez?Ilserassit.—Ellen'estpasaucourant.Pasvraiment.—Pourquoi?demandai-je,sidérée.—C'estcompliqué.Maisnousavonsététrèsprochespendantdesannées.— Attendez une minute, dis-je tandis que je prenais conscience d'une chose. C'était vous, son

contact.Vousl'avezaidéequandelleadisparupendantcestroisannées,n'est-cepas?Ilpinçaleslèvres.—Qu'allez-vousaujustetransmettreàmamère?—Àmoinsqueçaconcernedirectementcetteaffaire,riendutout.Etjenevoispasenquoisavoir

quevousavezaidévotrebelle-sœurseraitsesoignons.—Eneffet,concéda-t-ilavecréticence.Çaaétélestroisannéeslesplusdifficilesdemavie.Ill'aimaitsincèrement.—Ehbien,jedoisadmettrequevousvenezdebousillermathéorie.Jepensaisvraimentquec'était

vous.—Désolé.Ilnel'étaitpas.C'étaitévident.—Maisvouslacroyez,n'est-cepas?Ilhaussalessourcils,pleind'espoir.—Jelacrois.Est-cequevouspouvezmedirecequevouspensezdetoutça?Jeveuxdire,vous

avezcertainementquelquesidéesaprèstoutescesannées.—Rienquisesoitavéré,répondit-ilcommes'ilsedécevaitlui-même.J'aiessayédedémêlercette

histoirependantdesannées.Àunepériode,jecroyaisquec'étaitlefilsdesvoisinsquiavaitunfaiblepourelle,ensuite le livreurdemeubles.Deschosesseproduisaientauxmoments lesplusétranges.Parfois Harper était à la maison, parfois pas, donc la théorie de ma mère selon laquelle Harpercherchejustedel'attention,c'estdesconneries.

J'étaiscontentequ'ilpenseainsi.—Est-cequ'ilyavaitquelqu'und'autredanslamaisonquandvousyétiez?Quelqu'unquiauraiteu

facilementaccèsàlachambredeHarper?— Bien sûr, tout le temps. On avait des parents, cousins, femmes de chambre, cuisiniers,

jardiniers,traiteurs,organisateursd'événements,assistants,etainsidesuite.—Est-cequecertainsd'entreeuxhabitaientaumanoir?—Justelagouvernanteetparfoisuncuisinier.Onenaeubeaucoup.Mamèren'estpaslapersonne

laplusfacileàvivre.Jen'avaispasdepeineàl'imaginer.—Ilfautquejevousposeunequestiondifficile,Art,etj'aibesoinquevousgardiezl'espritouvert.—D'accord,répondit-il,légèrementsuspicieux.—Est-cequevoussoupçonnezouavezjamaissoupçonnévotremère?Sonvisagesefigeadansledoute.—Non.(Ilserralamâchoire.)Absolumentpas.—Maislasantédevotrebeau-pèreestsurledéclin,n'est-cepas?Siquelquechosedevaitarriver

àHarper,vousetvotremèrehériteriezdetout.Ilhaussalesépaules,résigné.—C'estvrai,maisonhériterad'unepetitefortunequoiqu'iladvienne.—Peut-êtrequecen'estpassuffisant.Peut-êtrequevotremèreaessayéde,jenesaispas,rendre

Harperfolleafindepouvoirladéclarerinapte,ouquelquechosecommeça.— Je comprends pourquoi vous pensez ça, mais elle n'est pas avare à ce point. J'y ai réfléchi

pendantlongtemps.Mamèren'apasmenti.Toutacommencéaprèsqu'ilssesontmariés.Jen'avaisrencontréHarperquequelquesfoisavantlemariage,maisc'étaitjusteunepetitefillenormale.

—Etensuite?—Ensuite,elleachangé.Etmalgrécequepensemamère,jenecroispasqueçaaitquelquechose

àvoiravec leurmariage. (Il sepenchaenavantet relevaun regardperçant.) Jepensequequelquechoseluiestarrivépendantlalunedemieldemesparents.Quelquechosequiaunlienavectoutça.

—Ellen'amentionnéaucunincident.— J'ai fait des recherches sur le syndromede stress post-traumatique,madameDavidson, et en

songeantàtoutcequis'estpassé,jepensequeHarperenprésentelessymptômes.Ellen'avaitquecinqans,pourl'amourdeDieu.Quisaitcequ'ellearefoulé?

—Ehbien,jepensequevousavezraisonàcepropos.Demauvaissouvenirspeuventêtrerefoulés.Jesuiscontentequ'ellevousaiteuàsescôtés,enrevanche.Qu'elleaiteuquelqu'undanssoncamp.

—Moiaussi.(Ilsouritetsecalaànouveaucontreledossierdesachaise.)Jemedemandesiellemepardonneraunjourpourcetincendie.

—Jenecompteraispaslà-dessussij'étaisvous.

Chapitre11Danslamesureoùtuerdesgensestillégal,est-cequejepeuxavoirunTaserjustepourlefun?

Tee-shirtPeut-être qu'Art avait raison. Peut-être que Harper avait refoulé quelque chose. Un incident

troublantquiauraitservidepointdedépartàtoutecettehistoire.Siquelqu'unétaitaucourant,ceseraitsûrementsonpremierthérapeute.J'appelaiCookieet,aprèsluiavoirexpliquécommentdiminuerlevolumedesasonnerie,j'obtins

lesinformationsdontj'avaisbesoinsurlepremierthérapeutedeHarper,unepsychologuenomméeJuliaPenn.Elleétaitàlaretraite,etCookien'avaitpasréussiàmetrouverd'autrescoordonnéesquesonadresse.Ellevivait àSandiaPark, justeau-dessusdesmontagnes. J'avaismilleetunechosesàfaire aujourd'hui, y compris aller voir comment se portaientHarper etQuentin, et rendre visite àquelques vieux amis, à savoir Rocket, un savant défunt qui habitait dans un asile psychiatriquedésaffecté.Maisjedécidaidepasserchezlapsyquoiqu'ilensoit.Çanedevraitpasprendretropdetemps.

JeconduisissurlafameuseroutesecondaireconnuesouslenomdeTurquoiseTrail,longeantunpaysage magnifique, avant de déboucher sur le prestigieux panorama de San Pedro, une richecommunautéaupieddeSandiaPark.

Frappéeparlabeautédel'endroit,jerappelaiCookie.—Jenet'aipasexpliquéquelasonneriemedérangeaitaujourd'hui?—Cook,commenttupeuxavoirlagueuledebois?Tuallaisparfaitementbienvers4heuresdu

matin.—Çanem'avaitpasencorerattrapée.Çal'afaitplustard.Autourdeseptheuresetdemie.Est-ce

quec'estlepantalondeGemma?—Ouais.—Commenta-t-elle...?—Jen'enaipaslamoindreidée.Écoute,jeterappelleparcejevoulaistedire:audiablelefichu

immeubledanslequelonvit.Danslamesureoùonnepeutpasavoirl'appartementcool,jeproposequ'onemménageici.

—C'estuneexcellenteidée,confirma-t-elle.—Oui,hein?—Àpartquetunepeuxpaspayertonloyer.—Raisondepluspourdéménager.—Lesbaraquesdanslecoincoûtentpluscherquecequetuarriveraisàcompter.—Çaal'airstupidequandtuprésentesleschosessouscetangle.—Tu sais ces femmesdans lesmaisonsde retraitequidoivent être attachées jour et nuit parce

qu'ellesmélangentlesmédicamentsdetoutlemondeetvolenttouslesbassinsàuriner?—Oui,répondis-jeenmedemandantdansquoijemettaislespieds.—C'esttoidanscinquanteans.Elleavaitprobablementraison.Sijevivaisaussilongtemps.Jeroulaijusqu'àunepropriétééblouissanteavecungaragetroisplacesetunepelouseimpeccable

enmedemandantsijepourraismepayerquelquechosecommeçasijerenvoyaistousmesachatsetvendaisMisery. En arrière-plan se trouvaient les montagnes de Sandia et, devant, demagnifiques

canyonsderochesrouges.LathérapeutedeHarperm'accueillitàl'entrée:—J'aireçuunappeldeMmeLowell,dit-elletandisqu'ellemeconduisaitversunpatioàl'arrière

delamaison.Unfeubrûlaitdansunecheminéeenterrecuite.—Jem'attendaisàavoirdevosnouvelles.Maisjenepensaispasvoustrouversurlepasdema

porte.Magnifique. Est-ce queMmeLowell avait également appelé l'association des parents d'élèves ?

Peut-êtrelesamisd'enfancedeHarper?Ousonenseignantdeprimaireetsoncoachdevolley-ball?Elleavaitdûpasserdesheurespendueautéléphone.

LeDrPenn,unefemmedetaillemoyenneavecdelongscheveuxgristirésenarrièreàl'aided'unepince,mefitsignedeprendreplacedanssesélégantsmeublesdejardin.

—JenepeuxpasparlerdudossierdeHarper.Jesuispersuadéequevouscomprenez.— Je sais que vous ne pouvez pas entrer dans les détails, donc j'allais vous poser quelques

questionsplusgénérales.Voussavez,deschosesquipeuvents'appliqueràtoutlemonde.Ellem'adressaunsourireimpatient.—Connaissez-vouslessymptômesdusyndromedestresspost-traumatique?—Êtes-voussurlepointdem'attaquer,madameDavidson?—Pasdutout.Jevoudraisjustem'assurerquevousconnaissezcessymptômes.—Évidemmentquejelesconnais.—VousnelesavezpasremarquéschezHarper?Ilmesemblepourtantqu'ilsétaientévidents.—Est-cequejesuisvenuedansvotrebureaupourvousexpliquercommentmenervosenquêtes?Jeréfléchisquelquesinstants.—Pasquejesache,maisjenesuispaspasséeàmonbureaudepuisunmoment.—Dans ce cas, s'il vous plaît, madame Davidson, ne me dites pas comment diagnostiquer un

patient.Jepensequej'aiquelquesannéesd'expériencedeplusquevous.Onneseraitpasunpeusnob?—Donc, cequevous essayezdemem'expliquer, c'est quevous avezmerdé,maisquevousne

pouvezpasl'admettreparcequeçaferaitmauvaiseffet.—Vousserezcapablederetrouverlechemindelasortietouteseule,n'est-cepas?Elleselevaetsedirigeaverslaporte.Jemelevaiàmontour.—Ouest-cequeMmeLowellvousapayéepourfaireundiagnosticerronépourHarper?Pourla

gardersousmédicamentsetsouscontrôle?Simabelle-mèreavaiteudel'argent,jenedoutaispasunesecondequec'estexactementcequ'elle

auraitfait.Pourmefairetaire.Pourm'empêcherdeluicréerdesproblèmesoudel'embarrasser.Ellefitvolte-face.— Je suis psychologue. Je recommande rarement la prise de médicaments, et je ne suis pas

autoriséeàenprescrire.(Elleseretournaverslacheminée.)Chaqueespritestdifférent.Certainssontplus fragiles que d'autres. Le père de Harper lui manquait, elle regrettait ce qu'elle avait un jourpartagéaveclui.EllevoyaitMmeLowellcommeunemenace.Toutestdansletiming.

—Ah,lemariage.Mais...etsiquelquechosed'autres'étaitproduit?Ensongeantànouveauàtousleséléments,sachantcequevoussavez,est-ilpossiblequ'elleaituneformedesyndromedestresspost-traumatique?

Ellepoussaunsoupirderésignation.—C'estpossible.Maisj'aimêmeessayélathérapieparlarégression.—Vousvoulezdirel'hypnose.—Oui.Jenedevraispasvousrévélerça,etjelefaisuniquementparcequeHarpervousaengagée

etquesabelle-mèrem'ademandédecoopérer,maiselleatotalementoubliéunepériodedesavie.Unesemainepourêtreexacte.Ellenepouvaitriensesouvenirdelasemainequ'elleapasséechezses

grands-parents.Riendutout.—ElleestrestéeaveceuxpendantlalunedemieldesLowell,c'estbiença?—Oui,ilsétaientfousd'elle.Bon,c'esttoutcequejepeuxvousdire.LesLowellsontdetrèsbons

amisàmoi.J'aidéjàdépasséleslimitesdelaconfidentialité.—J'aiunedernièrequestion.Ellepoussaunsoupirvaincu.—Quelleest-elle?—Vouslouez,ouvousavezdirectementacheté?Le Dr Penn était devenue légèrement agitée lorsque je lui avais posé ma dernière question,

m'accusantdel'accuserd'accepterdespots-de-vinafindepouvoirfinancersontraindevieluxueux.J'avais juste réellement envie de savoir si elle était propriétaire ou locataire.Nous étions de touteévidencepartiesdumauvaispied.

Surlecheminduretour,j'appelaiGemmapourobtenirdesinformationssupplémentaires.—Alors,commentvatatête?demandai-je.—Pourl'amourdeDieu,qu'est-cequeCookieamisdanscesmargaritas?Elleparlaitcommesielleavaitunrhume.C'étaitmarrant.—Jen'ensaispasplusquetoi,etc'estlaraisonpourlaquellejen'enaiprisqu'une.—OhmonDieu,j'aidûenboiredouze.Danslamesureoùj'étaisunesœuraimante,jeluirisaunez.—Queçateservedeleçon.—Nejamaisboiredouzemargaritasàlasuite?—Non,lasermonnai-je.Ça,c'esttoutàfaitacceptable.NejamaisfaireconfianceàCookie.—Bienreçu.Tuasvumonpantalon?—Enparlantdeça,commenttuesrentréecheztoisans?—Je t'aiempruntéunsurvêt. Je suispasséedansunesupérette. J'aidiscutéavecdesvoisins sur

leurpelouseaprèsm'êtregarée.Etc'est seulementune foischezmoique jemesuis renducomptequ'ilétaitécrit«Exitonly»surlesfesses.

—T'asvolémonpantalonpréféré?—J'aieuenviedemourir.—Çam'étonnequ'unpantalonpuisse te rendresuicidaire.J'analyseraisçadefondencomblesi

j'étaistoi.—Tuportesvraimentcetrucenpublic?—Seulementquandjesorsavec.Hé,àquelpointest-ildifficiledediagnostiquerdessymptômes

destresspost-traumatique?Ellemarquaunelonguepause.—Charley,jesaispourquoitum'asappelée,etoui,machérie,ilestdouloureusementévidentque

tusouffresdestresspost-traumatique.—Quoi?Non.Jeteparled'unecliente.— Hmmmmh. Est-ce que cette cliente a des cheveux bruns, des yeux dorés, et peut voir les

fantômes?—Trèssubtil.Nemeforcepasàcrierdansletéléphone,l'avertis-jeavecunsourirediabolique.Douzemargaritasdevraientrendrecettemenaceinsupportable.—Oh,pourl'amourdeDieu,s'ilteplaît,non.— OK, alors concentre-toi. Ce n'est pas pour moi. Vraiment. A quel point c'est facile de le

diagnostiquerchezunenfant?—Ehbien,àmoinsquelepatientsouffred'unepertedemémoire,c'estrelativementfacile.Jeveux

direpar làque les symptômes sontplutôtuniversels,mêmesi chaquecasestunpeudifférent.Peuimporte ce qui s'est passé, ça devrait être assez évident. N'importe quoi peut les provoquer, de

l'accidentdevoitureauxcatastrophesnaturellesenpassantparlessoldatséchangeantdescoupsdefeusurunchampdebataille.

Jedécidaid'avanceràl'aveugletteetdefaireunesupposition.—Quesepasserait-ilsiquelquechoseétaitarrivéàunejeuneenfant,maisqu'ellenesesouvenait

plusdequoi?Oupeut-êtrequ'elleavuquelquechose?Entenduquelquechose?Est-cequeçapeutcauserdustresspost-traumatique?

—Tout à fait.Mais çaarrivemêmeauxadultes.Une fois, j'ai eu le casd'une femmequi s'étaitretrouvéedansunaccidentdevoitureetavaitété incapablederejoindresonfilsquipleuraitsur lesiègearrière.Ellenepouvaitpaslevoir,maisellepouvaitl'entendre.Etavantquel'aidearrivesurleslieux,ilestdécédé.Elleaentendusesdernierspleurs.

—OK,lacoupai-je.Jen'aimepascecas.—Ilnem'apasplunonplus,maisjen'aipasterminé.—D'accord,maisfaisvitealors.— Après ça, elle a souffert de ce qu'on appelle une surdité hystérique, ou une perte d'ouïe

psychosomatique.—Commecestypesquipartentàlaguerreetdeviennentaveuglessansraison.— Exactement. Leurs esprits ne peuvent pas absorber toutes les horreurs qu'ils ont vues, et le

cerveau refuse de traiter les informations visuelles. Le cortex visuel arrête de fonctionner. C'esttotalementpsychologique.Maiscesontdescasextrêmes.Lestresspost-traumatiqueestgénéralementbienmoins spectaculaire, aupointque, souvent, lesgensne se rendentmêmepascomptequ'ils ensouffrent.Comme,disons,unedétectiveprivéequiaété retenueprisonnièreetquiasubiungrandtraumatismephysiqueetémotionnel.

—Onremetçasurletapis?—Charley,laisse-moit'arrangerunrendez-vousavecuneconnaissance.Jemeredressai.Elleparlaitenfinunelanguequejecomprenais.—Est-cequ'ilestmignon?—Elle.C'estunepsychothérapeutetrèsdouée.Unedesmeilleuresdelaville.—Attends,lacoupai-jelorsqu'unepenséecommençaàsefrayerunchemindansmonesprit.—Jen'attendsplus.— Et si ça s'était passé il y a plusieurs décennies ? Est-ce qu'il aurait été plus difficile de

diagnostiquerlestresspost-traumatiqueàl'époque?—Peut-être.Ilatoujoursfaitpartiedel'histoirehumaine,maisiln'estconnuentantquediagnostic

quedepuislesannées1980.Etaprèsilafalludutempspourl'étudier.—Merci.Çapouvait expliquerpourquoi leDrPenn l'avaitmanqué.Pourquoi elle avait tellement cherché

uneautrecauseàlamaladiedeHarper.Ilfallaitquej'enapprenneplussurcequiétaitarrivéàHarperdurantlalunedemieldesesparents.

JedécidaidefaireunrapidecrochetparchezParipourvoircommentseportaitHarper.Lestudio

n'étaitpasencoreouvert,ilétaittrèstôtpourunsalondetatouage,maisTreregardaitdéjàdupornosurInternet.Ilavaitbongoût.

—OùestPari?luidemandai-je.Ilhaussalesépaules,etjedécelaiunepointed'hostilité.—Elleestsortie.Oh,oh, ilyavaitdel'oragedansl'air.Ilsemblaitvraimentdéprimé.Maispasassezpourretenir

monattentioncependant.JeregardailesportraitsdeclientsquePariavaitaccrochésaumurderrièrelui.

—Hey,cesontlesBandits.Je me rapprochai de la photo du gang de motards. C'étaient les propriétaires de mon asile

psychiatrique de prédilection, pour une obscure raison, et le cliché représentaitmes troismotardspréférés:Donovan,EricetMichael.Ilsmontraientleurstatouages,chacund'entreeuxposantcommes'ilsétaientbodybuilders.Undéclicétaitsurlepointdesefairequelquepartdansmoncerveau.Jelesavais vus hors de contexte dernièrement, dans une autre situation, un autre environnement. C'étaitétrange.Ilyavaitquelquechoseausujetdeleurssilhouettes.Grand,moyennementgrandetdetaillemoyenne.

—D'accord,ehbien,jeseraiàl'arrière.Trehaussalesépaulesànouveau,commes'ilavaitàpeineremarquéquejeluiparlais.Je réfléchis aux Bandits aussi longtemps que le permit mon trouble de l'attention, puis je me

souvinsque,petitefille,jerêvaisdedevenirastronaute,etquejem'étaispromisdesauverlemondesiunastéroïdesedirigeaitverslaTerre.J'enconclusquelaracehumaineétaitvouéeàl'extinction.

—HeyHarper,lasaluai-jeenpénétrantdanslachambredelatailled'unearmoire.Elleétaitentrainderegarderparunefenêtredeladimensiond'unecartedevisiteetseretourna

versmoi.—Salut.—Vousavezuneminute?—Vraiment?demanda-t-elleendésignantlesalentours,paumesenl'air.—Eneffet,m'excusai-je.J'espèrequeParivoustraiteconvenablement.—Elleestunpeuspéciale.—Çaoui.—VousavezparléàArt?—Oui,etcen'estdéfinitivementpasnotrehomme.—Oh,jesaisça.J'espéraisjustequ'ilseseraitrenducomptedequelquechose.—Ehbien, il a fait quelques remarques très intéressantes, dis-je,mon sous-entendu déguisé de

manièresubtile.Ilsemblepenserquequelquechosevousestarrivépendantquevousétiezchezvosgrands-parents.

Elleseleva,serrantlamâchoiredefrustration.— On en revient toujours à ça, mais je ne me souviens de rien. Pour une raison étrange, au

momentoùmafamillem'afaitsuivreunethérapieetoùj'aicommencéàanalysercequiauraitpusepasser, j'avais totalementoubliécettesemaine.Cen'estpassi inhabituel.Jeveuxdire,dequoivoussouvenez-vousprécisémentausujetdevotreenfance?

Ellen'avaitpastort.Moi-mêmej'avaisdestrousalorsquej'auraispumesouvenirdetoutcequejevoulais si je l'avais souhaité. Je ne pouvais pas imaginer combien de choses un enfant normaloublierait.

—Iladitquevousaviezchangéquandvousêtesrevenue.Ellemedévisagea,confuse.— Il neme connaissait pratiquement pas.Mes parents s'étaient fréquentés etmariés avant qu'on

sachecequis'étaitpassé.Disonsjustequ'onnenousapasdemandénotreavis.—C'estétrange,onnem'apasnonplusdemandélemienpourlemariagedemesparents.—Vraiment?Quelâgeaviez-vous?—Douzemois.Ellesemitàriredoucement.—Jenecomprendsvraimentpaspourquoiilsnevousontpasdemandévotreopinion.—Moinonplus!Ehbien,sivousn'avezrien,jepensequejedevraismedécideràfaireunpeude

recherches.Ellesourit.—Cen'estpasvotremétier?—Oh,si,c'estvrai.(Jelapoussailégèrementd'uneépaule.)Jesuisdétectiveprivée,aprèstout.Luidirequejepouvaisparlerauxdéfuntsetquejelesutilisaissouventpourm'aideràrésoudre

descrimesauraitsembléunpeuétrangeàcestadedelaconversation.Mieuxvalaitqu'ellecontinueàpenser que j'avais toute ma tête, et pas que j'avais perdu assez de boulons pour ouvrir unequincaillerie.

—VousavezunpeureluquéTre?Ilvautledétour.Ellehaussamodestementlesépaules.—Pasencore.—Ehbien,veillezàlefaire,mademoiselle.Delachairmuscléecommecelle-cinedevraitpasêtre

gâchée.—D'accord,promis.JevenaisdesortirdusalondeParilorsquemontéléphonesonna.Quandonparleduloup.—Salut,Par.—Bonsang,t'esoù?Jem'arrêtaietjetaiunregardautourdemoi.—Justelà.Oùes-tu?—Tueslà?—Làoù?—Charley.—Pari.—Tuescenséerencontrermesrencards.—Ahoui,juste.C'estlàquejesuis.Jesuispresquelà.—T'enessûre?Parcequ'onaunemploidutempstrèschargé.—Affirmatif.Sachant qu'il me faudrait une éternité pour trouver une place de parking, je me mis à courir

commeunedératée.Jeneseraispeut-êtrepasspécialementprésentableenarrivantlà-bas,maisilétaithorsdequestionquejesoisenretard.Enfin,plusenretard,quoi.

Heureusement,leFrontiersesituaitàdeuxpâtésdemaisonsàpeine.Jesongeaidéjààcommanderuncarneadovadaetdeschurrosavantdem'asseoirencompagniedeParietde...Est-cequ'elleavaitdit ses rencards ? Comme dans plus d'un ?Mais, quandmême, elle risquait de me faire du mal.Toutefois,leurspainsausucreétaientvraimentsucculents.

LeFrontierétait unendroit assez spécialqui se situait juste en facede l'universitéduNouveau-Mexique. Ilétaitconstituédeplusieurspiècespartiellementdivisées.Jefinispar trouverParietsesrencardsdanslatoutedernière.Ilyavaitpeudemondedanscettepartie-là.Plusieursétudiantsétaientpenchéssur labibleàune table,etunsans-abriprénomméIggyétaitavachisurunbanc, toutseul.Parietsesrencards-littéralement,puisquetroishommesétaientassisavecelle-étaiententassésdanslecoinlepluséloigné.

Çan'allaitpasêtrebizarredutout.Sonvisages'illuminalorsqu'ellemerepéraetqu'ellemefitsigned'approcher.Ellen'avaitl'airque

légèrementridiculeavecleslunettesdesoleilqu'elleavaitsurlenez,puisqu'elles'attendaitàmevoirdébarquer.

—Hey toi ! (Ellese levapourmeprendredanssesbras.) Jene t'aipasvuedepuisuneéternité.Commec'estamusantqu'onsecroisejustementici.

Oh, d'accord, c'était à ce jeu-là qu'on allait jouer. J'aurais vraiment aimé qu'ellem'avertisse aupréalable. Je pensais qu'on jouait au jeudu j'ai-de-la-peine-à-faire-confiance-aux-gens.Pour quelleautre raison aurait-elle voulu que je vienne m'asseoir avec eux afin de déterminer s'ils étaienthonnêtespendantqu'ellelesfaisaitmijoter?

—JeteprésenteMark,Fabian,etThéo.Lesmecs,voiciCharley.Ellevoitlesmorts.Jeroulailesyeux.Jelesfermaiavantquequiconquepuisseleremarquermais,dèsl'instantoùmes

paupièresfurentcloses,ilssemirentàtressauter.Ellecommençaàrireetmefrappaassezfortdansledospourmedélogerl'œsophage.Peut-être

quemonretardlaperturbait.—Jeplaisante!dit-elleenaccompagnantsafausseblagued'ungesteampledubras.Personnene

peutvoirlesmorts.Tudevraist'asseoiravecnous.Avantquej'aieletempsderépondre,ellemepoussasurlachaiselaplusproche.Çaallaitêtreles

pires rencardsque j'aurais jamais eus.Mêmes'il fallait reconnaîtrequ'elle avaitbongoût.MarketFabianétaientdetypehispanique,etThéoétaitcaucasienavecunetouched'exotismepourfairebonnemesure.Peut-êtredesoriginesasiatiques.

—Alors,Mark, dit Pari en s'asseyant à côté demoi. Tu as déjà été arrêté pour pornographieinfantile?

Étrangement,monfrontfitunplongeonetatterritdansleberceaudemesmains.MaisMarkavaitassezboncaractèrepourenrire.—Ehbien,jusqu'àprésent,personnen'atrouvémontiroirsecret.Aprèsavoirridemanièreappréciative,ParisetournaversThéo.—Ettoi?Théosemontraunpeumoinscompréhensif.—Est-cequejesuisenpleininterrogatoire?Parigloussa.—Quoi?Absolumentpas!Maisest-cequec'estlecas?Aprèsuneheuredurant laquelle lesgarçons firent semblantdenepassubirun interrogatoireet

moid'êtrevenuelàpourmangermalgrélefaitquejen'avaisjamaisreçudenourriture,jeparvinsàuneseuleconclusiondetaille:Pariétaitunegrossementeuse.

—Alors?demanda-t-elleaprèsqu'ilsfurentpartis.J'étais à bout de forces. Essayer de lire leurs émotions pendant que je m'embourbais dans les

siennes,c'étaitcommeessayerdepiquerunsprintdansunmètreetdemid'eau.—Alors?répétai-je.—Alooooors?demanda-t-elleencoreunefois,croyantàtortque,sielleallongeaitsuffisamment

son«o»,jecracheraislemorceauplusrapidement.Ellehaussalessourcilsetattenditmaréponse.—Pari,laseulepersonnequiamentiaucoursdelaconversation,c'esttoi.Elleeutunmouvementderecul.—Tulisaismesémotions?—Par,jenepeuxpasjonglerentreellescommetupenses,detouteévidence,quej'ensuiscapable.

Jenepeuxpaschoisirparmielles.C'esttoutourien.—Oh.Alors?Ellehaussaànouveaulessourcils,dansl'expectative.—Ehbien,jemesuisrenducomptedetroischoses.—Magnifique.Ellesautillasursachaise,maiss'arrêtapourattendreleverdictdemespuissantsinstincts.—Tuaspeurdesécureuils.Tun'esjamaisalléeenAustralie.Ettuesunecriminelle.Sonvisagesedécomposa.—Ça,j'auraisputeledire.—Oui,maistunel'aspasfait.Laquestion,c'estpourquoi?Ellehaussalesépaules,surladéfensive.—C'étaitilyalongtemps.J'étaisvraimenttrèsjeune.—Jeunecomment?—Vingtans.T'escontente?Maintenant,qu'est-cequetuaspenséde...?—Dequoias-tuétéinculpée?—Chuck,onn'estpasvenuesicipourmoi.Alors,lequeltupréfères?

— Ils étaient plutôt chouettes tous les trois,même si j'ai un peu de peine à t'imaginer avec uncourtierenbourse.Maistuasbongoût,jedoislereconnaître.Etdonc,dequoias-tuétéinculpée?

—Trèsbien,répondit-elle,lesdentsserrées.Enunmot:piratage.Jen'auraispaspucachermasurprisemêmesiquelqu'unm'avaitpayéepourlefaire.—Quoi?J'étaisjeune.—T'esuneprodel'informatique?— Étais. J'étais une pro de l'informatique. Maintenant je n'ai plus le droit d'approcher un

ordinateur.C'estlaconditiondemamiseenprobation.—Doncçaveutdirequetuesenprobationdepuisbientôtneufans?—Ouais.J'aiécopédedixanspouravoirpiratéuncomptefédéraletavoirredirigédel'argentsur

celuidemamère.Jepensaisqueceseraitamusant.Dumoins,jusqu'àcequejemefassearrêter.—Tuasdétournédesfonds?—Dix-huitdollars.—Waouh.(Detouteévidence,toutlemondesaufmoisavaitcommenttransférerillégalementde

l'argent.J'étais tellementenretardsurmonépoque.)Jen'enavaisaucuneidée.Maissérieusement?Seulementdix-huitdollars?

—C'estlaraisonpourlaquelleonm'amiseenprobation.Commejetel'aidit,jepensaisjustequeceseraitamusant.(Ellehaussainnocemmentlesépaules.)Etquej'auraisledroitdemevanter.Tunesaispasàquelpointsevanterdanslemondedupiratagecréeunedépendance.

—Detouteévidence.Pourtanttuasunordinateuraustudio.—J'ail'autorisationd'enavoirunàdesfinscommerciales.(Ellelevaundoigtpourmemontrerà

quelpointelleétaitsérieuse.)Maispasd'Internetsousquelqueformequecesoit.—MaistuasInternet.Treserinçaitl'œildevantunpornosurtonordinateur,toutàl'heure.—Quoi?Ellesemblaitscandalisée.—Commesitunefaisaispaspareil.—Oui,maisjenetravaillepaspourmoi.Lui,enrevanche,si.— C'est pour ça que tu revoyais les branchements, m'exclamai-je lorsque la vérité me frappa

commeunebrique.—Ilmataitduporno?—TuessayaisdecacherlefaitquetuasInternet.—Oui,oui,admit-elle,légèrementagacée.C'esttellementfrustrant.Jenepeuxmêmepasavoirun

ordinateuravecunmodem.Alorsj'aidûcontournerleproblème.— Je suis ébahie par ce que tu fais, en ce moment. J'ai toujours rêvé d'être une pro de

l'informatique,etjel'auraisétés'iln'yavaitpaseuPaulSanchez.Ellem'interrogeaduregard.—Ilm'aditquelesordinateursétaientunetechnologiedéveloppéeparlesextraterrestres,etqu'ils

lesutilisaientpournouspister.—Tunet'étaispasfaitenleverpardesextraterrestres,unefois.J'acquiesçai.—C'estlaraisonprécisepourlaquellejenemesuisplusapprochéed'unordinateur.Lorsqueje

mesuisrenducomptequePaulavaittort,j'étaisdevenuetropvieille.Maintenant,àcausedelui,c'estàpeinesij'arriveàprogrammerunetélécommandeuniverselle.

Elleclignaplusieursfoisdesyeux.—Alors,mesrencards?—Tupeuxfairemieux.Jerelevai la têteetplongeai lesyeuxdansceuxde labarmaidquemonpèreavaitengagée.Elle

observaitPari,etl'invitationquiémanaitd'elleparvaguesressemblaitàunecascadedepéchésetdesensualité.Etçan'échappaitpasàPari,sij'encroyaisl'expressionrêveusesursonvisage.

—Jem'appelleSienna.(ElleglissaunecartesurlatableendirectiondePari.)Situasenviedemefairepasseruninterrogatoire.

Undescoinsdesaboucheserelevapourformerunsourireàfossettesdiaboliqueavantqu'elleneseretourneetsedirigeverslaportearrière.

—Mais,seplaignitPari,recouvrantsesesprits,tuvasjustepartir,commeça?Siennaluiadressaunautresouriremagnifiqueetrevintànotrehauteur. Ilétaithorsdequestion

quejerempilepourunentretien.—Ilfautquejemangeuntrucavantdemourir.Etj'aibesoind'unmochalatte.Est-cequ'ilsenont,

ici?Parihaussalesépaules,semblantavoirperdutoutintérêtpourn'importequoiquisortiraitdema

bouche.—C'estgentildet'intéresseràmoi,Par.—Qu'est-cequetufaisdanslavie,Sienna?Cettedernières'assitàmaplacelorsquejemelevai,mefaisantbiencomprendrequejen'étaisplus

labienvenue.Jemesentaissiappréciée.Jemedirigeaiversl'avantdurestaurantàgrandesenjambéesetcommandaiunburritocarneadovada,deschurros,etuncafémocha.Ilmefallutensuitedécidercommentj'allaispayermacommande.Jesortismescartes.Touteslestrois.Toutcequimerestait.

—D'accord,dis-jeenessayantdecalculermentalement.Metteztroisdollarsetvingt-septcentssurcelle-ci.(Jelatendisàlaserveuse.)Etdeuxdollarscinquantesurcelleaveclesfleurs.

Jelaluiremiségalement.Lafillesesaisitdescartesenlevantlesyeuxauciel.J'auraispuluifairemordrelapoussière.Elle

auraiteuunebonneraisondeleverlesyeuxauciel,danscecas.Maisfairemordrelapoussièreauxgensmalpolisn'étaitpasmongenre.Lesmalmener,enrevanche,si.Avecunpeudechance,elleferaituneconneriesouspeu.Jen'avaispastoutelajournée.

—Etquatredollarsetquelquessurlableue,cellesurlaquelleondiraitqu'unchameauestmort.Ellerevintlachercheret,aprèsl'avoirretiréevivement,j'ajoutai:—Sicen'estpastropvousdemander.Ellegrinçadesdents.—Pasdutout.Ellemel'arrachadesmains.Puiselleprononçasilencieusement«pov'fille»tandisqu'elleinsérait

ma carte et qu'elle entrait des chiffres. Oh oui, elle allait y passer. Elle n'avait aucune idée de lapersonneàquielleavaitàfaire.Et,tristement,ellesemblaits'enfoutre.

J'espéraidetoutcœurqu'ilmanqueraitdel'argentdanssacaisseàlafindelajournée.LeKarmaétaitunepute.

Elleintroduisitlaclédanssacaisse,etunealarmesedéclencha.Etmerde.Est-cequemacarteétaitrefusée?Peut-êtrequejelesavaismélangées.Maispourquoiest-cequeçadéclencheraitunealarme?Est-ce que lamachine ne se contentait pas de refuser la carte avant de repartir vivre sa petite vietranquille?

Lemanager,untyped'unevingtained'annéesquiauraitl'aird'avoirenlevésonappareildentairelaveilleetd'êtreenretardpourunexamendechimiepourlerestantdesesjours,arrivaencourant,unénormesouriresurlevisage.

—Vousavezgagné!s'exclama-t-il.Sonbonheurétaitplusquejen'étaiscapabledesupporterencetinst...Attendezuneminute.J'avaisgagné?— C'est notre anniversaire, et votre commande a été choisie au hasard pour vous désigner

gagnantedujour,expliqua-t-ilenbraillantcommeungaminsurunemontagnerusse.Ilsemitàapplaudir,etsonenthousiasmesemblacontagieux.Grincheuseouvritlabouche,incrédule,etjenepusmeretenirdeluirenvoyerunregardsuffisant.

Oh,quecedevaitêtredouloureux.Angoissant.Unevraietorture!Danstaface,copine.

Non,non.Ilfallaitquej'agissedemanièreadulte.Cen'étaitpassafautesic'étaitune«pov'fille».J'articulai silencieusementcesmotsen la regardant.C'étaitpuéril,maisçanem'empêchapasde lefaire.Ellelevaànouveaulesyeuxauciel.

Jemetournaivers lemanageravecunsourirepleind'espoir.Peut-êtrequej'avaisremportéunecroisière.Ouunyacht.Ouunepetiteîle.

—J'aigagné?—Vousavezgagné,confirma-t-il.Touteslespersonnesautourdemoisemirentàapplaudir,àpartIggy,lesans-abriquiétaitdansun

coin.Çane semblait pas vraiment l'émouvoir.Mais en dehors de lui, tout lemondeparaissait trèsheureuxpourmoi.

—Vousavezremportéunandenoscélèbreschurros.Jemefigeai.Ce...Çanepouvaitpasêtrevrai.Unandechurros?—C'estpaspossible!m'écriai-je.C'étaittellementmieuxqu'unyacht.Surtoutdanslamesureoùj'habitaisdansledésert.—Si,m'dame,confirma-t-il.Ildisparutàl'arrièredurestaurant,puisrevintavecunebrochureetunappareilphoto.Aprèsque

Grincheuseeutprisdesphotossurlesquellesj'étaispersuadéequ'elleavaitcoupématête,jeretournaidanslasallearrièrepourattendremonburritoetfusfélicitéeparquelquesclientsquipassaientdevantmatable.J'avaisl'impressiond'êtreunecélébrité.

Commesijevenaisdegagneràlaloterie.Ouquej'avaisremportéunOscar.Dans lamesureoùPariétaitoccupéeàse faireséduireparunedéesseégyptienne, jedécidaide

leur laisserunpeudetempsentêteà tête.Etdedonnerl'opportunitéàmesnerfsdesedétendreunpeu.Lepicd'adrénalineétaitplusimportantquejenel'auraiscru.Jeretournaidanslapièced'àcôtéetm'assissurlebanccentral.

Tandis que j'attendais que le numéro dema commande apparaisse sur l'écran digital, salivant àl'idéedupimentrougedansmonburritoetdugrasquidégoulineraitdeschurros,jeprisladécisiondesortirplussouvent.Deuxmoissansl'amoursucréduDieuChurros,c'étaitbeaucouptroplong.Àquoiest-cequejepouvaisbienêtreentraindepenser?

Je n'avais pas pensé du tout. J'étais devenue folle. Gemma avait raison. J'avais un problèmepsychologique.Il faudraitquejevérifiesi jepouvaisdégotterunmédicamentsansordonnance.Unbaume,parexemple.Ouunepoudremédicinale.

J'étais tellement perdue dans mes pensées qu'il me fallut un moment pour remarquer la forceobscurequiétaitassisenon loin.Siprès,envérité,que jepouvaisensentir legoûtsurma langue.L'acidité crue des œufs pourris emplit ma bouche et mes narines jusqu'à ce quemon estomac seretourne.Jecombattiscettesensationet jetaiunregardsurlecôtéendirectiond'unhommebronzévêtud'uncostumeentweed,quim'observait.Ilavaitlesjambesetlesmainscroisées,etilressemblaitassezàunprofesseurd'université.

—C'estunhonneur,dit-ilenmesaluantdelatête.Ilavaitunlégeraccentanglais,etsavoixétaitagréablemêmesipeuprofonde.Sonsourireétait

gentil et tendre,mais il nem'empêcha pas de remarquer la noirceur tapie juste derrière ses yeux.Pourtant, s'il s'agissaitd'undémon,pourquoin'était-ilpasen trainde ramperdansmadirectionenbavant?N'était-cepascequ'ilsfaisaienttous?

—Etreassezprochedevouspourgoûterladouceurdelapeurquiémanedevotrepeau.Ilrelevalenezetpritunegrandeinspiration.Puisilfermalesyeuxcommes'ilvoulaitsavourerce

qu'ilavaitsenti.Et il avait raison. J'avais peur. J'étais incapable de bouger tellement j'étais terrorisée. Que se

passerait-ils'ils'enprenaitàmoi?Quesepasserait-ils'ilmesautaitdessus?Jeseraismorteavantd'avoirletempsdedire«Euh,Reyes?»

Ilreportasonattentionsurmoi.Ilsemblaitconfus.—Veuillezm'excuser.Onm'avaitditquevousneconnaissiezpaslapeur,pardonnezmasurprise.—Surpriseàquelsujet?—Vousavezpeurdemoi.—Jen'aipaspeurdevous,mentis-jetandisquemesdentsclaquaient.—Biensûrquesi.—Ceshistoiresétaientexagérées,detoutemanière.L'expressionquitraversaensuitesonvisageétaitbienplusdangereuse.— J'en doute. Quelque chose s'est produit. Votre aura a été endommagée. Cela semblera donc

terriblementinjustedemapart,maisj'éprouvedegrandesdifficultésàmeretenir:riennemeferaitplusplaisirqued'arrachervotrejugulaireàl'aidedemesdentsetdemedélecterdugoûtdecuivredevotresang.

—J'aiunegardienne.— Mais je suis venu ici avec une mission, continua-t-il en m'ignorant. Je suis porteur d'un

message.—Vousn'avezjamaisessayélestextos?—Silegarçonarrêtedenouschasser,nousvouslaisseronstranquilleafinquevouspuissiezvivre

votre vie et mourir de causes naturelles, même si je dois vous mettre en garde : en général, lesFaucheuses ne vivent pas très longtemps sous leur forme corporelle. Quoi qu'il en soit, vous nemourrez pas de notre main. Nous n'interférerons aucunement dans votre existence. Nous nouscontenteronsde...(Illevanonchalammentunepaumeendirectionduplafond)vousteniràl'œil.

Toutçaétaittrèsperturbant.—Maislorsquevotrecorpsviendraàmourir,reprit-ilenbaissantlatêteenguised'avertissement,

vousdeviendrezdugibier.—Legarçon?demandai-je.Ilmesourit.—Rey'aziel.—Reyesvouschasse?—Vousn'étiezpasaucourant?Jesecouailatête.Onauraitditquec'étaitleseulmouvementdontj'étaiscapable.—Non.—Vouspensiezqu'ilavaitcroisélechemindemessoldatsàcettecompétitionstupideparhasard?— Vous parlez des combats ? demandai-je en fronçant les sourcils. Je n'y avais pas vraiment

songé.—Ilnouschassecommedeschiens.— Pas des chiens. (Je secouai à nouveau la tête.) Vous ne méritez pas l'honneur d'une telle

comparaison.Unsourirelubriquefenditsonvisage.— La voici. La fille sans peur. Ce n'est pas étonnant qu'il soit obsédé par vous. Ce garçon a

toujoursététrèsintelligent.Ildevaitdetouteévidenceparlerdequelqu'und'autre.Reyesn'étaitpasplusobsédéparmoiqu'il

nel'étaitpardesmouchoirssales.Ilavaitjustebesoinquejeresteenvieàcausedecetteguerrequ'ilvoyaitpoindreàl'horizon.Ilmel'avaitrépétéàdiversesoccasions.

—Laissez-moirécapituler,dis-jeenessayantderéfléchirauxtenantsetauxaboutissantsdumondesouterrain.Ilarrêtedevouschasser,etvousarrêtezdel'attaquer.

—Nousnel'avonsjamaisattaqué,machèreenfant.Nousn'avonspasencorebesoindelui.—Permettez-moidenepasêtred'accord.J'aivucequevosdémonsluiontfaitdanscettecave.—Certes,maiscen'étaitquedanslebutdevousatteindre.Nouspouvonsmettrelamainsurlui

quandbonnous semble.Ces tatouages sont là pour une raison, très chère.Vous, en revanche, êtes

protégée.Untrésordifficileàacquérir.Vousavezcependantpartiellementraison.S'ilarrêtedenouschasser, il vivra plus longtemps dans son corps humain, aussi fragile qu'il soit. Plus de coups decouteau.Plusd'entaillesdontilfauts'occuper.

Jeréagisaussitôt.—Desentailles?Jerepensaiauxbandagesqu'ilavaitdurantlescombats.—Vous n'avez aucune idée de ce que ce garçon amanigancé, n'est-ce pas ? Il a grandi. Il est

devenuunbonsoldat,sijemebasesurlefaitqu'ilestenmesured'anéantirmespropressoldatssansdifficultés.Maisvoustenezàlui.(Ilmelançaunregardcurieux.)Jepourraisdoncpeut-êtreconclureunmarchéavecvous,plutôt.

— Quoi ? demandai-je alors que je prenais conscience que j'étais réellement en train demarchanderaveclediable.

Ou,toutdumoins,undesessous-fifres.Ildécroisalesmainsetm'entenditune,paumetournéeversleplafond.—Venezavecmoimaintenant.Votremortserarapide,etvousrégnerezauxcôtésdemonmaître.—Votremaître?Satan,donc.—C'estundesnomsquevousutilisezpourledécrire,oui.—Partouslessaints,pourquoiest-cequejevoudraisfaireuntrucpareil?—Parcequevousn'avezaucuneidéedevotrepleinpotentiel.Cedontvousêtescapabledéfietout

cequevousaveztoujourscrusavoir.Mais,encemoment,vousn'êtesqu'unepetiteimbéciledéguiséeensingequicourtdanstouslessens.Voussereztellementpluspuissantequandvousabandonnerezcecostume. Vous brillerez plus que l'étoile la plus flamboyante et vous aurez plus de pouvoir quequiconque.

OK.Cetypeavaitl'airdesavoirdequoiilparlait.—Dites-moidequoijesuiscapable.Ilsepencha,rapprochantsesyeuxaussinoirsquedespuitssansfonddissimulésparlebrunclair

deceuxdel'humaindontilavaitprispossession.—Detoutcequevousêtescapabled'imaginer.Encore?Sérieusement?—Pourquoivousmevoulezàcepoint?Ilyaeud'autresFaucheuses.—Mais aucune telle que vous,ma chère.Nous vous voulons,mais nous avons besoin de vous

deuxpourprendrel'avantage.Vousêtessurlepointdefaireletravailànotreplacedetoutemanière.Noussouhaiterionssimplementêtredanslesparageslorsqueceportailserafinalementouvert.

Lorsquejelequestionnaienfronçantlessourcils,ildemanda:—Quepensez-vousqu'ilseproduiralorsquelaclédesténèbresserainséréedansleverroudela

lumière?Ilpromenaunregardsalacesurmoi,dusommetdematêteàlapointedemesbottes.Jemesentis

violée.Etrépugnée.— C'est comme une porte au fin fond de l'Enfer qui s'ouvre directement au cœur du Paradis.

Combiendesoldatsréussirontàpasseravantquelaportenesereferme,selonvous?Nousdevonsêtreprêtspourlemomentoùcelaseproduira.

Ilnepouvaitpasvraimentavoirditcequejepensaisqu'ilvenaitdedire.—Donc,voussous-entendez:siReyesetmoinousmettonsensemble?—Oui.Enfin,cen'estpasaussifacilequecela,maisc'estl'idéedebase.Pourquoicroyez-vousque

lemaîtreacréésonfils?Cen'étaitpasparcequ'ildésiraitunefamille,sic'estcequevouspensez.Jecommençaisàmesentirmal.Sonodeurrancemefaisaittournerlatête.Cedétail,combinéaux

picsdepeur répétés,meforçapresqueàmepencherpourvomir.Mais jen'osaispas lequitterdesyeux.

—Jevaisdevoirrefuservotregentilleproposition,dis-je,espérantdetoutcœurqu'ilsedéciderait

àpartirafinquejepuissecourirauxtoilettes.—Quel dommage.Mais je comprends. L'esprit humain est si limité qu'il lui est difficile de se

projeter au-delà du carcan de sa chair en décomposition afin d'envisager des entreprises de plusgrandeenvergure.

Ilsemblaitvraimentsicivilisé,sibienélevé.—Cetaccent,c'estlevôtre?—Non,ilappartientaumacaquequejeporte.Maisilmeplaît.Jetrouvequ'ilmevabien.Ilselevaetajustasacravatepresquejoyeusement.Puisilcontournalatable,etsepenchadansma

directionpourmurmureràmonoreille.Sonodeurmebrûlaitlagorge.—DitesàRey'azielqu'Hedeshiluipasselebonjour.Ilseredressaetpointalecarnetdebonssurlatable.Celuiquejevenaisdegagner.—C'étaituncadeaudemapart,aufait.Untémoignagedel'admirationquejevousporte.Lorsqu'il se retourna pour partir, un groupe d'étudiants se mit à applaudir, leurs visages

rayonnants. Il s'arrêtaet leuradressaunsourire royal. Ilsnousacclamaientcommesionvenaitdeleuroffrirunereprésentation théâtrale.Çanedevait ressemblerà riend'autre,poureux.N'importequellepersonneayantassistéàcettescèneauraitpenséquenousétionsdescomédiens,probablemententrainderépéterpourunepièceàl'université.Commentlaconversationquenousvenionsd'avoiraurait-ellepuêtreréelle?

Hedeshi leva une main, comme un véritable acteur, et leur fit une révérence, tandis que j'étaismédusée.Ilsefenditd'uneautrerévérenceavantdepartir,puistouslesregardssetournèrentdansmadirection.Ilsattendaientdevoircommentjeferaismasortie.Ilsallaientêtretrèsdéçus.

Jebaissailesyeuxsurlecarnetdebonsquim'offraitunandechurros.Lesjambestremblantes,jemelevaietsourisànotrepublic,puismedirigeaijusqu'àIggyetluitendislelivret.Conscientedufaitquejen'arriveraisjamaisàatteindrelestoilettes,jecourusendirectiondelaportearrièreetréussisdejustesseàmeretenirdevomirlecaféquejevenaisdeboireavantdeparveniràl'extérieur,oùunchatme regarda faire, les oreilles dressées par la curiosité. Puis je pris une profonde inspiration,lissaimaveste,etinvoquaiAnge.

Chapitre12Quandjevoudraistonopinion,jeretireraitonbâillon.

Tee-shirtAprèsm'êtrevidé lesboyauxavecDieuetunchatpour seuls témoins, jemedirigeaiversmon

immeuble avant deme souvenir que j'avais laisséMisery chezPari. Je devais sans cessem'arrêterpour m'appuyer contre quelque chose. Mes mains et mes genoux tremblaient. Même mes coudestremblaient.Et il était toutà faitpossiblequemes folliculespileux le fassentégalement.De labileremonta par ma gorge, et je la ravalai aussitôt. Tout en essayant de me calmer. En essayant dereprendremesespritsetdemeconcentrer.

Dèsl'instantoùjepensaiàsonnom,Angeapparut.Ilregardarapidementàdroiteetàgaucheavantdemeconsidérerméchammentsoussonbandana.

—Commenttufaisça?Etpourquoit'estoutebleue?Jeprisuneboufféed'airfraisavantdedemander:—Oùest-il?Jen'avaispasbesoindedévelopper.Angesavaittrèsbiendequijeparlais,etsiquelqu'unpouvait

medireoùReyessecachait,c'étaitbienlui.Iltenaitlefilsdel'ennemipublicnumérounàl'œildepuissasortiedeprison.Jelesavais,etjesavaispourquoi.AngeespéraitqueReyesgarderaitsesdistances,qu'il se tiendrait éloigné de moi. Pas qu'il me l'ait expliqué clairement, mais je connaissaissuffisamment les sentiments d'Ange au sujet de Reyes pour comprendre exactement pour quelleraisonilsurveilleraitquelqu'unquiluifaisaitaussipeur.

Ildonnauncoupdepieddansuncaillouàsespieds.—Pourquoi?demanda-t-ilsanscachersadéception.—Parcequesitunemeledispas,tamèrenerecevraplusunseulcentime.Ilsemblam'envouloir,maisjenepouvaisrienfaireàcesujetencemoment.—IlestauPaladin,plusbasdanslarue.Jemeredressai,surprise.—Unmotel?Jecroyaisqu'ilhabitaitavecElaineOake.— Écoute, tu m'as posé la question, je t'ai répondu. Je ne sais pas où il crèche. Juste que,

actuellement,c'estlàqu'ilest.C'étaitdebonneguerre.—Quellechambre?—Centtrenteetun.—Merci.JelerenvoyaietmedirigeaiversMisery.Je me garai à quelques places de la 131 et parcourus à pied la distance qui me séparait de la

chambre de Reyes. Le motel n'était pas si horrible, surtout pour un établissement qui louait deschambresà l'heure.J'avaisconnupire.Suruneéchelledeunàcinq, je luiauraisdonnéàpeuprèsdeux.Mais,aumoins,personnenevendaitostensiblementdeladroguesurleparking.C'étaittoujoursbonsigne.

Quandjeparvinsàdestination,jeremarquaiquelaporteétait justeassezentrouvertepourqu'unrayon de lumière s'étire sur lamoquette sombre et usée. Je sortisMargaret et l'empoignai à deux

mains,canonbraquéausol.Commedanslesfilms.Jemeseraissentieplusensécuritésij'avaisétécapabled'atteindrequelquechosequandjevisais.Maisaumoins,j'avaisl'aircool.

—Reyes?demandai-jeenlançantuncoupd'œilàl'intérieur.Commepersonnenerépondit,jefisglisserlenezdeMargaretdanslafentedelaportepourm'y

introduire,cequin'avait l'airsalequesionledisaitàhautevoix.La lumièreextérieurerévéladesbottesposéessurune tablebasse,prèsd'unekitchenette. Je reconnus le styledeReyesaussitôt.Sesbottes ressemblaient à un croisement entre des santiags et des bottes demoto, et je les convoitaisardemment.

Après avoir fouillé la pièce du regard à la recherche d'autres occupants, je pénétraiprécautionneusement à l'intérieur. Reyes était assis dans un coin, drapé dans l'ombre, ce quim'empêchaitdediscernersonexpressionetdevinersonhumeur.Leseulsentimentquiémanaitdeluiétaitladouleur.Àcôtédesesbottes,surlatable,setrouvaientunebouteilledewhiskyetunrouleaude chatterton.Ça ne pouvait signifier qu'une chose : il était blessé, et probablement gravement.LerubanadhésifétaitcequeReyesutilisaitàlaplacedespointsdesuture.Etdelachirurgie.Ilguérissaitsirapidement-c'étaitnotrecasàtouslesdeux-quenousavionsrarementbesoind'enfairebeaucouppourrécupérer.L'exceptionpourmoiétantlorsqueEarlWalkerm'avaitattaquéeavecuncouteau.Et,pourReyes,quandungroupededémonsavaitmislamainsursoncorpsphysiquependantqu'ilétaitsousformeéthérée.Etc'étaitungrandgroupe.Plusdedeuxcents,àmonavis.

Ilnebougeapas lorsque je repoussai laporte et la laissai comme je l'avais trouvée.Sachaleurrayonnait autour demoi,me réchauffant,me calmant. J'étais encore en train de trembler quand jem'étaisgarée,maiscettechaleuragissaitcommeunbaumesurmesnerfs.

—Joliechambre,dis-jeenl'étudiant.La bouteille dewhisky était àmoitié vide, et jeme demandai s'il l'avait bue ou utilisée comme

antiseptiquesursesblessures.Probablementunpeudesdeux.—JecroyaisquetuhabitaischezElaine.Ilpritenfinlaparole.—Jepensaisqu'ons'étaitmisd'accordetqueturesteraisdanstonappartement.— Tu t'es mis d'accord, dis-je, soulevant un bloc-notes pour l'inspecter. (Je ne parvins pas à

déchiffrerl'écriture.)Toutseul,apparemment,parcequejemerappelleavoirrefusé.Une veste noire était posée sur une chaise, et des emballages de nourriture à emporter

remplissaientlapoubelle.Aumoins,ilsenourrissait.—Ellet'afoutuàlaporte?—Ellearemplisafonction.—Commentça?demandai-je,surprise.—Elleavaitdesrelations.J'enavaisbesoinpourdénicherunentraîneurpourlescombats.Jene

pouvaispasyparticiperautrement.Le fait qu'il se soit uniquement servi d'elle aurait dû me scandaliser, mais je fus soulagée de

l'apprendre.—Donctul'assimplementjetéeettut'eslouéunechambredansunhôtelmiteux?—Quelquechosecommeça.J'examinailesticketsetautresnoteséparpilléessurlacommode.—J'aivusabaraque.Jenesuispassûrequetuaiesprisunesagedécision.—Pourquoies-tuici,Dutch?Labrusqueriedesontonmeblessa.Ilavaitvraimentdesproblèmesavecmoidernièrement.Une

minute il voulait me prendre dans ses bras, et la suivante que je disparaisse. Très bien, je luitransmettraislemessageetlelaisseraistoutseul.

JerangeaiMargaretdanssonholster.—Hedeshitepasselebonjour.Toute émotion fuit aussitôt son corps, comme s'il était un océan déchaîné qui se calmait en

quelquessecondesàpeine.Aprèsunsilenceprolongé,ildemanda:—Est-cequ'ilt'afaitdumal?—Non.Nousavonseuuneconversationtrèssympathique,àvraidire.Etilm'aaidéeàgagnerun

andechurros,maisjelesaioffertsàIggy.—Qu'a-t-ildit?—Oh, tu sais, il aparlédes enfantsqui rentraient aubercail, du faitqu'il voulaitm'arracher la

jugulaireetboiremonsang,duplandetonpèrepourrégnersurlemonde.Ildétournalatête,pensif.—Jesavaisquequelqu'unsecachaitderrièretoutça.C'esttroporganisé.Tropbienpensé.—Ehbien, ilaimeraitquetusachesque,si tuarrêtesdeleschasser, ilsmelaisseront tranquille

afinquejemeuredecausesnaturelles,raillai-je.Commesiçaavaitdeschancesdeseproduire.Jeremarquaiqu'ilcommençaitàserreretdesserrerlespoings.—Cesontdesmenteurs,Dutch.Tousautantqu'ilssont.Ilsmentiraientmêmesidirelavéritéleur

rendaitservice.Ilsn'ontaucuneintentiondetelaissertranquille,quoiquejefasse.Ilattrapalabouteilleet,justeavantd'enprendreunegorgée,ilajouta:—Ilstedésirentplusqueleurprochaineboufféed'oxygène.—Jemedisaislamêmechose,maispourquoinepassimplementmetuer,danscecas?Pourquoi

enfairetoutuncirque?—Hedeshin'estpasstupide,expliqua-t-ilaprèsavoirreposélabouteille.Ilsaitqu'ilnepeutpas

battretagardienne.Ilestsansdéfensefaceàelle.Dèsl'instantoùilpasseraitàl'attaque,elleseraitsurlui,etilenestconscient.Ilfaudraqu'ilss'enprennentàtoiengroupepourdonnerdufilàretordreàArtémis.(Sonvisages'adoucittandisqu'ilm'examinait.)Ilt'amisedanstoustesétats.

Çan'étaitpasdifficileàremarquer,pourlui.Ils'enétaitprobablementrenducompteàlasecondeoùj'étaisentréedansleparking.

—Àpeine.Commeilneréponditrien,jedemandai:—Tuleschasses?Cesonteuxquiteblessent.Ilbalayasesbandagesduregard.—Ilssonttrèsforts.—J'airemarqué.Tuasbrisélanuqued'unhomme,etçanel'apasempêchédemesauterdessus

ensuite. (Je laissai courir mes doigts le long de la commode contre laquelle j'étais appuyée.)Commentest-cepossible?

—Aussilongtempsqu'ilsl'habitent,ilsrendentlecorpshumainpratiquementindestructible.Unefoisqu'ilslequittent,ilmeurts'ilaétémortellementblessé.

La dernière fois que des démons s'étaient échappés pour venir sur Terre, il y en avait eu descentaines.IlétaitimpensablequeReyespuissetouslescombattre,mêmeavecl'aided'Artémis.

—Tusaiscombiencourentencorelesrues?—Pasbeaucoup,répondit-ilenhaussantlesépaules.Etiln'yapasbeaucoupd'humainsquisont

réellementclairvoyants.—Donctusaisquiilsvisent?—Oui.—Etquoi?Tuvastouslestuer?Ilpassalamaindanssescheveux,exaspéré.—Afind'empêcherqu'uneguerrequiopposeleCielàl'Enferdébordesurcemonde?Oui.Iln'avaitpastort,maismême.—Reyes,tunepeuxpastuerdesinnocents.—J'aijustebesoindetuerledémonquisecacheàl'intérieur.Mais,parfois,deshumainsdoivent

êtresacrifiéspouratteindrecebut.—Ehbien,danscecas,arrête.

Jetiraiunechaiseetm'assisenfacedelui.Mesyeuxcommençaientàs'habituerà l'obscurité,etj'arrivaisjusteàdiscernerlecontoursensueldesabouche,laborduredesescilsépais,etàdevinersabarbenaissante.Ses largesépaulesétaientdénudées,et le rubanadhésifquibrillait sur l'uned'ellesdescendaitsursonabdomen.Pasdebandages.Pasdegaze.Justeduchatterton.Aquelpointest-cequeçapouvaitêtrehygiénique?

—Tun'aspasledroitdetuerdesinnocents.—L'hommedelanuitdernièren'étaitpasinnocent,siçat'aideàtesentirmieux.—Malheureusement,dis-je,curieusedesavoircequecethommeavaitpufaire.Çam'aide,mais

juste un petit peu. (Je me frottai les bras, combattant toujours les effets de ma rencontre avecl'Anglais.)Ques'est-ilpassé?

Jedésignailerubanadhésifdumenton.Il s'emparaànouveaude labouteilledewhiskyetavalaunbon tiersdecequ'il restait avantde

remettrelebouchon.—J'aiétéattaqué,répondit-ilaprèss'êtreessuyélabouchesurlereversdesamain.Comme il l'avait dit auparavant, il était hautement douteux qu'un humain ait pu causer de tels

dégâts,maisjelaissaitomber.Iln'étaitpasdugenreàpartager,detoutemanière.Ilattrapauntee-shirtgrissurledosd'uneautrechaiseetl'enfilaenfaisanttrèsattention.Quandil

serassitconvenablement,jedusmeretenirdesoupireràhautevoix.Legrisluiallaitvraimentbien.—Jecroyaisqu'ilétaitpratiquement impossiblequedesdémonsparviennentàentrerdanscette

dimension.—Çal'est.Cesontlesrestesdenotredernièrerencontre.Lasurprisemefitsursauter.—Tuveuxparlerdeceuxquiteretenaientdanscettecave?(Jelesavaisdétruits.Lalumièrequi

émanaitdemois'étaitrévéléeunearmetrèspuissante.)Ilyenavaitdavantage?— Ils sont comme des cafards. Une fois qu'ils s'insinuent dans cette dimension, ils peuvent se

cacherpendantdessièclestantqu'ilsrestentendehorsdelalumière.Reyesm'avaitexpliquéunjourqu'ilsavaientétébannisdusoleilquandsonpèreavaitétérenvoyé

desCieux.Àprésent,illeurétaitfatal.—Ilsnesetrouvaientpastousdanscettecave,maislaplupartyétaient.Quoiqu'ilensoit,toutcela

estorganisé.Bienplusorganiséquecedonttouslesdémonsinférieursseraientcapables.Jenesuispassurprisqu'Hedeshisoitderrièretoutça.Çaatoujoursétéunlèche-cul.

J'espérais lui soutirer quelques réponses de plus avant qu'il ne reparte écumer les champs debataillepourypourfendretousleslèche-culs.C'étaituneopportunitérare.AvoirReyesFarrowpourmoitouteseulesanspersonnequiessayaitdenoustuer,sansfemmesquil'entouraientenl'observantd'unairniais.Enfin,d'autresfemmesquil'observaientd'unairniais.Jenecomptaispas.

—Dequoijesuiscapable?demandai-je,changeantànouveaudesujet.Ilremplitsespoumonsaumaximumdeleurcapacitéetacceptagracieusementmaquestion.—Tueslaseulequipeutlesavoir.Lapiècedevenait deplus enplus sombre àmesureque le soleil se couchait. Jeme levai etme

penchaiversReyesjusqu'àcequejepuissesentirsonodeur.Commeunoraged'éclairsdansundésertaride.

—Jeveuxsavoir,Reyes.Tupassestontempsàmerépéterquejesuiscapabledebeaucoupplus.Jeveuxsavoirdequoi.

Sesyeuxpétillaientd'intérêt.—Jenemenspas.Jel'ignore.J'attrapai la bouteille en m'éloignant de la table afin de me débarrasser du goût de bile dans

l'arrièredemabouche.Aprèsavoirprisunegorgéed'unliquideassezacidepourdécaperlapeintured'une Chevrolet, je me gargarisai, puis avalai. Les larmes me montèrent aux yeux tandis que lewhiskybrûlaitmagorgedéjààvif.JerendisensuitelabouteilleàReyesetm'approchaidelafenêtre

pourobserverlesalentours.IlmefalluttirerlesrideauxafindeprofiterdelavuesurCentral,oùlespharesdesvoiturescoincéesdanslesembouteillageschassaientlesdernièreslueursdujour.

—Chaque Faucheuse est différente sous sa forme physique,m'expliquaReyes. Et la plupart neparviennentjamaisàmaîtriserleurspouvoirs.

Jemeretournai,siavided'informationsquej'auraisétéprêteàlesupplier.—Qu'est-cequetuveuxdire?Combiensommes-nous?—Pasautantquetupourraislepenser.La pièce était encore plus sombre qu'auparavant. Je tendis le bras et allumai une lampe. C'était

mieux,maisReyesétaittoujoursentouréd'ombres.Je retournai m'asseoir en face de lui et attendis tandis qu'il buvait à nouveau à la bouteille. Je

remarquaiàcetinstantqu'ilétaitencoreentraindesaigner.Destachessombress'étendaientsursontee-shirt.Jetentaidemaîtriserl'élandepaniquequis'emparademoi.

— On ne vous appelle pas réellement Faucheuses dans les autres dimensions, m'apprit-il enreposantprécautionneusementlabouteillesurlatable.C'estuntermehumain.

—Attends,quellesautresdimensions?Combienyena-t-il?demandai-je,surpriseparsonchoixdemots.

—Combienya-t-ildegalaxiesdansl'univers?Combiend'étoiles?C'estdifficileàdire.Disonssimplementbeaucoup.

—Je...Jenesavaispas.—Peudegenslesavent.Etpourrépondreàtaquestion,unenouvelleFaucheusevoitlejourdans

cettedimensiontouslesdeuxoutroiscentsans.Iln'yapasdeduréefixe,àvraidire.Jemefigeai.—Mais tum'asditune foisque tum'attendais.Quechaquefoisqu'unenouvelleFaucheuseétait

envoyée,tuétaisdéçuparcequecen'étaitpasmoi.Depuiscombiendetempstueslà?Ilfronçalessourcils,pensif.—Jenesaispasexactement.Peut-êtreunequinzainedesiècles.—Qu'est-cequetuasfichupendanttoutcetemps?demandai-je,abasourdie.Ilm'étudia.—J'attendais.Moi. C'était moi qu'il attendait. L'Anglais avait dit qu'il avait été envoyé pour moi. M'avait-il

racontélavérité?Est-cequelepèredeReyesl'avaitenvoyéspécialementpourmetrouver?—Donc,unenouvelleFaucheusevientaumondetouslesdeuxoutroiscentsans.Est-cequ'elles

sontimmortelles,ouquelquechosedugenre?—Non.Pasleurcorpsphysique.Laplupartneviventpasplusdequelquesannées,enfait.—Pourquoi?Ilmedévisageapendantquelquesinstants.—Repenseàtonenfance,Dutch.Àcommentc'étaitdegrandiravectescapacités.Lessouvenirs inondèrentaussitôtmonesprit.L'horreurdemabelle-mère.Laperted'amischers

aprèsquej'avaisessayédeleurdirequij'étais.Cequej'étais.Lesdistractionsenclasselorsquedesdéfuntspointaientleboutdeleurnez,cequimefaisaitsouventatterrirdanslebureauduproviseur.

— Maintenant, imagine-toi ce que ça pouvait être d'avoir ces capacités dans un monde quifoisonnaitdesuperstitionsetdepeurs.Beaucoupontététuéesalorsqu'ellesn'étaientencorequedesenfants.De celles qui y ont échappé, beaucoup sont devenues ermites.Elles étaient bannies par lesleurs, jamais totalement acceptées. Tu es en réalité la première de ton espèce à avoir réussi àt'intégrer.

Jenesavaispasquoidire.—Quesepasse-t-ilquandonmeurt?—Ilfautquetucomprennesquetoncorpsestlepointd'ancrageduportail.C'estcettepartiequit'a

faitatterrirdanscettedimension.

—Maissimoncorpss'enva,quesepasse-t-il?Est-cequejeseraitoujoursleportail?—Oui,répondit-ilenhochantlatête.Tuétaisunportailbienavantquetuprennesformehumaine.—Doncsi...quandjemourrai,jeseraiencorelaFaucheuse?— Au moment où ton corps cessera d'exister, tu deviendras cent fois plus puissante, mais tu

changeraségalement.Tun'auraspluscetteconnexionhumaine,etchaqueFaucheusechangeavecletemps.Ellesperdentleurhumanité,mêmesicertainesn'avaientpasgrand-choseàperdredèsledébut.Leshommesnelesavaientpasbientraitées.

—Sitelestlecas,pourquoias-tuessayédelaissermourirtoncorps?Ilpenchalatêtesurlecôté.—Turemetscesujetsurletapis?Lorsquejehaussailesépaules,ilreprit:— Parce que c'était ce dont ils avaient besoin, Dutch. C'était l'appât avec lequel ils auraient pu

t'attraper.Etilsysontparvenus,aucasoùtuauraisoublié.—Maisilsauraientputecapturer.Unefoistoncorpsphysiquemort,ilsauraientpulefaire,n'est-

cepas?Ilsefenditd'unsourireentendu.—Ilauraitdéjàfalluqu'ilsmemettentlamaindessus.—L'Anglaisavaitl'airdedirequetuseraistrèsfacileàtrouveràcausedetestatouages,laclé.—L'Anglais?—Hedeshi.Ilestdanslecorpsd'unAnglais.—Ah.Ehbien,ilyadesmanièresdecontournerçaégalement.Persuadée qu'il ne me dirait pas lesquels, je restai sur ma lancée. C'était la première fois que

j'arrivaisàquelquechosedepuisdeslustres.Jechangeaidepositionsurmachaise,mepenchantenavantavecenthousiasme.—D'accord. Donc, si je deviens à ce point plus puissante enmourant, de quoi suis-je capable

pendantquejesuisencoreenvie?— J'aimerais pouvoir te répondre. C'est difficile à dire avec certitude. Comme je te l'ai dit, la

plupartdestiensneviventpasaussilongtemps.—Maistum'asrépétéunecentainedefoisquej'étaiscapabledeplus.—Ettul'es.Cequinesignifiepasquejesaisprécisémentdequoi.Jedécidaidereformulermaquestion.—Onm'adéjàditdeuxfoisquejeseraiscapabledetoutcequejepouvaisimaginer.—C'estlavérité.Ehbien,cen'étaitpasdutoutfrustrant.—Jepeux imaginerbeaucoupdechoses, rétorquai-jepour leprovoquer.Donc jepourrais tirer

desboulesdefeuavecmesmains?Parcequej'arrivesansproblèmeàm'imaginerlefaire.Leregardqu'ilm'envoyaétaitchargéd'autantd'amusementqued'affection.—Non.—Alorsonm'amenti.Jel'imitaietposaiunpiedsurlatable.Deniseenauraitétéscandalisée.—Quit'aditça?demanda-t-il.—L'Anglais,pourcommencer.EtsœurMaryElizabeth.—Elletementsouvent?—Non,répondis-jeenfronçantlessourcils,surladéfensive.—Elle n'a pas dit que tu pouvais faire tout ce que tu pouvais imaginer. Elle a dit que tu étais

capabledetoutcequetupourraisimaginer.Pasl'acte,Dutch,maislaconséquence.—Jenesaisispasladifférence,bredouillai-je,mesentantstupide.—Réfléchis-y.Situétaiscapabledelancerdesboulesdefeuavectesmains,commença-t-ilavant

demarquerunecourtepausepourrigoler,quesepasserait-il?Jedétournaileregard.

—Jenesaispas.Jepourraispeut-êtrefaireexploserunevoiture.—Danscecas,c'estdeçaquetuescapable.Laconséquence,Dutch.Lerésultat.Jecommençaisàcomprendreoùilvoulaitenvenir,mêmesiçarestaittoujoursassezconfus.—Doncsijevoulaisfaireexploserunevoiture,jepourraislefaire.Jenepourraissimplementpas

lefaireenlançantdesboulesdefeu.Jeplissailesyeux,essayantdemeconcentrerpoursaisirlesensdesespropos,lelaissaiéchapper,

me battis bec et ongles pour le rattraper, le perdis à nouveau, et abandonnai en poussant un longsoupirrésigné.

—Non,jenecomprendspas.Maislaconclusion,c'estque,sijepeuxl'imaginer,jepeuxlefaire,c'estça?Tupeuxtuerdesgensavectonesprit?

UnlégersourirevintétirerlestraitsdeReyes.—Seulementsimonespritditàmamaindefaireleboulot.Lesourirequejesentisnaîtresurmeslèvresdevaitêtreaussidiaboliquequejemesentaisencet

instant.—Doncjesuiscapabledefaireplusdechosesquetoi?—Çaatoujoursétélecas.Jen'avaispasobtenuautantderéponsesdelapartdeReyesdepuis...Ehbien,enfaitjen'enavais

jamaisobtenuautant.Jedécidaideleprovoquerunpeu.—Tumedoisquandmêmeunmilliondedollars.—Enlèveteshabits.—Non.—Jetedonneraiunmilliondedollarssituenlèvesteshabits.—OK.Jelevailesbraspourretirermonpullpuism'arrêtai.Enleréajustant,jerelançai:—Jecroyaisquetun'avaispasd'argent.—Jen'enaipas.Maistupeuxtoutdemêmetedébarrasserdeça.—J'aid'autresquestions,repris-jeenl'ignorant.—J'auraisplusderéponsessituenlèvescepull.J'avaisl'impressionquelaseuleraisonpourlaquelleiln'étaitpasplusprèsdemoi,àlaissercourir

sesdoigtslelongdemonpull,étaitsesblessures.Ellesdevaientêtregraves.—IlfautquejeteparledeGarrett.—Jem'enréjouisd'avance.—IlestalléenEnfer.CommeReyesgardaitlesilence,j'ajoutai:—Ilarencontrétonpère.Iltournalabouteillesurlatablejusqu'àcequ'ilpuisselirel'étiquette.—Pèrenesedonnegénéralementpaslapeinededivertirlestouristes.—Ilafaituneexception.IlamontréàGarrettcequetuétaisengrandissant.Commenttuasservi

danssonarmée.Commenttut'esélevédanslahiérarchie.Iladitquetonpèreluiavaitexpliquécequetufaisais.

—Monpèreluiamontrétoutça?Leplusgrandmenteurquel'universajamaisconnu?—Est-cequetusous-entendsquecequeGarrettavun'étaitpasvrai?Queçanes'estpasvraiment

produit?Aprèsréflexion,ilrépondit:—J'étaisgénéralenEnfer,Dutch.Quepenses-tuqueçaimplique?Jebaissaileregardpourobserverlamoquetteverdâtre.—Pourquoitunemelediraispas?—Pourquetupuissesmehaïrunpeuplus?Jerelevailatête,surprise.—Jenetehaispas.

Ilserralamâchoire.—Lafrontièreentrel'amourestlahaineesttrèsfine,tun'espasaucourant?Ilestparfoisdifficile

desavoirprécisémentlaquelledecesdeuxémotionsestlaplusforte.Jeredressailementon.—Jenet'aimepasnonplus.Ilpenchalatêteetm'observasoussescilssombres.—Tuesensûre?Parcequelessentimentsquis'échappentdetoichaquefoisquejesuisdansles

paragesnesontdetouteévidencepasunemarquededésintérêt.—Çaneveutpasdirequec'estdel'amour.— Ça pourrait l'être, je t'assure. Enlève ton pull et donne-moi dix minutes, et tu croiras sans

l'ombred'undoutequetuesamoureuse.

Chapitre13Buvezducafé!Faitesdeschosesstupidesplusrapidementetavecplusdepunch.

Tee-shirtAprèsunepartiedeping-pongverbalpourdéterminer si jedevraisounon retirermonpull, je

décidaidelaissertomber.Demelaissertomber,pourêtreexacte.Jem'allongeaisurlelitetdécouvrisavechorreurqu'ilsortaittoutdroitd'unépisodedeLaFamillePierrafeu.Lematelasserévélaaussidur que de la pierre. Les draps étaient épais et rugueux. Il y avait des bosses sous lesquelles desdinosauresdevaientapparemmentêtreentraindedormir.Maisj'étaisfatiguée,etReyesnesemblaitpaspresséd'alleroùquecesoitpourunefoisdanssavie.

Jeleregardaicontournerlatablepourmerejoindre,sesgestesforcés,péniblementprudenttandisqu'ilessayaitdesedéplacerenlimitantsesdouleurs.Jenel'avaisjamaisvusouffrirautant.Plusieurscercles ensanglantés et autres taches de sang maculaient son tee-shirt. Je ne lui proposai pas del'emmenerauxurgences. Je savaisqu'iln'y seraitpasallémêmesi j'avaispointéMargaret sur sonfronteninsistant.

—Nevapast'imaginerqueçaveutdirequejevaisretirermonpull,l'avertis-je.Ilritdoucementetpritplaceàcôtédemoi.Lematelass'enfonçalégèrementsoussonpoids,etil

expirabruyammentquand ilparvintenfinà s'installer. Jeme tournaivers lui. Il était couchésur ledos, un bras posé sur le front, une posture qui était à la fois charmante et sexy. Son profil étaitsemblableàceluid'unDieugrec.Desdimensionsparfaites.Deslignesexquises.

—Celitestvraimenttrèsdur,meplaignis-jeendonnantdescoupsdepoingdansmonoreiller.Jemetortillaipourtrouverunepositionplusconfortable,cequin'étaitpasfacileavecMargaret

quiprenaittoutelaplace.—Tudevraismegrimperdessus.Jesuisencoreplusdur.J'ouvris lesyeuxengrandet faillis regarderavantdemereprendre. Ilnem'appâteraitpas.Et il

étaitblessé,pourl'amourduciel.—Bon,questionsuivante:pourquoitum'appellesDutch?Jelevissouriresoussonbras.—Jenelefaispas.Jefronçailessourcils,mêmesiçaneservaitàrien.—Tum'appellestoutletempsDutch.Tum'astoujoursappeléeDutch.—Tusais,pourquelqu'unquiconnaîttoutesleslanguesquiontjamaisétéparléessurlaplanète,

tun'espastrèsdouéepoursaisirlesensd'unmotlorsquetuenasbesoin.—Qu'est-cequetuveuxdire?—Réfléchis-y.—Trèsbien.J'yréfléchis.Jefisroulerlemotdansmonespritetsurmalanguejusqu'àcequesasignification

devienneévidente.JeregardaiReyes,stupéfaite.—Cellequirecherche.Tudis«chercheuse»enancienAraméen.Lemot ressemblait à «Dutch » parce que je l'avais toujours compris comme tel. En fait, il se

prononçaitplutôtcomme«Duts»,etle«u»étaitplusdoux,plusallongé.—Bravo.—Tum'asappelée«chercheuse»pendanttoutcetemps?

—C'estcequetues.Unechercheused'âmes.—Waouh.Curieusement, apprendre çame rendit heureuse. Comme si j'avais bu unmocha latte, si j'avais

encore eu lesmoyens dem'en payer un. J'étais en train d'apprendre tellement de choses que je nevoulaispasqueças'arrête.Etlefaitqu'ilsoittropblessépourleverl'ancreàsamanièrevirileetallerpourfendrel'Anglaisétaitgrandiose.Plusdetempsavecbibi.

—Çameplaît,dis-je.—Tesaînésontchoisisagementparmitarace.Jesouris.Puisclignaidesyeux.Puisfronçailessourcils.—Marace?J'aiunerace?—Biensûr.—Attends,pourdevrai?Est-cequej'aiunefamille,commetoi?Dansuneautredimension?—Oui.Jeredressaivivementlatête.Jenem'attendaisvraimentpasàuneréponsesansdétour,etencore

moinsàuneaffirmation.—Vraiment?J'aiuneautrefamille?—Oui.C'étaitépoustouflant.Jenesavaispasquoienpenser.—Jenesaispasgrand-chosesureux,alorsnem'endemandepastrop.—Est-cequ'ils...Est-cequecesontdesFaucheuses?—Seulceluichoisipourtraverserdanscettedimensionestunchercheurd'âmes.Tuviensd'une

race de porteurs de lumière très puissants. Ils ne t'auraient jamais envoyée en temps normal. Unechercheused'âmedeta...trempen'estpasdépêchéepourfairedestâchessubalternes.Maistuétaislaplusjeuneetlapluspuissanteparmieux,etilssavaientquej'étaislà.

C'étaitunechosed'ignorerduranttoutemaviepourquoijepossédaismesdons.C'enétaitunebiendifférentededevoiravalerautantderéponses-desréponsesquej'avaisattenduestoutemavie-enuneseuleeténormegorgée.EtReyesenparlaitdemanièresidésinvolte,commesiçanecomptaitpasautantpourmoid'enapprendreplussurmonhéritage.J'essayaidegardermoncalme.Jepouvaisgérertoutçaavecgrâceetdignité.Pascommej'enavaisenvie,commecesfemmessurleplateauduJustePrix.

Puislesensdesesparolesmefrappa.—Attends,t'esentraindemedirequej'aiétéchoisieàcausedetoi?Soussonbras,sespaupièresétaientcloses.—Jesupposequ'ilspensaientquej'étaislàpourdéclencherlaguerre.Monpèrem'acréépourlui

offrirlafindel'humanité.Alorsilst'ontenvoyée.Ilsetournapourmefaireface,lespaillettesvertetorbrillantdanslebrundesesyeux.—Noussommesennemis,Dutch.Laprincesseetlepion,tousdeuxdecampsopposés.(Ilreleva

uncoindesabouchesensuelle.)Ilsseraientplutôtdéçusdesavoirqu'ons'entendbien.Jemepenchaietleregardai.—Alorsquoi?Jesuiscenséetetuerouuntrucdugenre?Ilfitcourirsesdoigtslelongdemeslèvres.—Oui.C'estpourçaquetuasétéenvoyée.—Ehben,çacraint.Donc, un type plus sexy qu'une Rolex en bijouterie vit sur Terre, et ils m'envoient moi pour

l'éliminer?Moi?Jevenaisdetouteévidenced'uneracedegenscomplètementcinglés.—Tupourraislefaire,dit-ilenfaisantlamoue.Tupourraismetuer.Détruireleportailadverseet

condamnerlaportedemonpère,cellequimèneàsadimension.LadernièreFaucheuseaessayé.(Ildétournaleregard.)Commeelleaéchoué,ilst'ontenvoyée.

—Reyes, c'est ridicule. Jenepourrais jamais faire ça.Tu esbienplus fort quemoi et... tu sais

commenttebattreettoutça.Lesourirequ'ilm'adressan'étaitpastrèsconvaincant.—Quandlemomentviendra,etilviendra,fais-lerapidement.N'hésitepas,Dutch.Mêmepasune

fractiondeseconde.J'ignoraistotalementcequejedevaiscroireoupas.Ilvenaitd'uneracedementeurs.Àquelpoint

sesinformationsétaient-ellesfiables?Jefronçailessourcils,suspicieuse.—Nevapast'imaginerquetupeuxmecharmerenjouantlesnobleschevaliersetenprétendant

que je suis assez puissante pour te tuer.Tum'as lancée, lui dis-je, faisant allusion à la bagarre del'autrenuit.Et tum'as tiréeetpousséesansménagement,alorsnecroispasque jevaisoubliercesconneriesjusteparcequetuesdouxetprêtàtesacrifiermaintenant.(Jemelaissaitombersurmonoreilleretcroisailesbras.)C'estpaslegenredeconneriesqu'onoublie.

Unelueurespiègledansaitdanssesyeux.—Jen'aijamaisprétenduêtreunboy-scout.Jepouvaissentirlachaleurdesonregard,ettoutcequejeparvenaisàpenserétait«MonDieu,

comme il est beau ». Je profitai de l’occasion pour évaluer le degré de gravité de ses blessures.Relevantunemainjusqu'àsa taille, jeparcourus lerubanadhésifsursacagethoraciqueetappuyaidoucement.Ilaspiraunpeud'airentresesdentsserréesetattrapamonpoignet.Dusangs'échappaitdelabandedechattertonetavaittachémesdoigtsàtraversletee-shirt.

—Reyes,qu'est-ceque...?Ques'est-ilpassé?Ilplongeadesyeuxdéterminésdanslesmiens.—Siquelquechosedevaitm'arriver,ilfautquetusachesqu'ilschassentpardeux.Situenvoisun,

sil'und'euxs'enprendàtoi,Dutch,jetejure,ilyenaundeuxièmepasloin.Situenvoistrois,ilyenauraundeplusquiattendquelquepart.Neleurfaisjamais,jamaisconfiance.

— Je ne peux pas simplement faire comme la dernière fois et les aveugler avec ma lumièrenucléaire?

—Non.(Ilm'attiraplusprèsdelui,jusqu'àcequemonfrontseretrouvecontrelesien.)Tantqu'ilssontdansuncorpshumain,ilssontprotégésdelalumière.Mêmedelatienne.

Jedétestaismesentirsivulnérable,sifaible.—Jenepeuxpaslescombattre,Reyes.Ilssonttropforts.—Tupourraissitusavaiscomment,maistun'enespasencorelà,alorsn'essaiepas.Appelleta

gardienneetparsencourant.Jemecalaicontreluienlaissantmamainsursescôtes.—Jesuisassezdouéepourcourir.Enfin,jeveuxdire,jenesuispasrapideouquoiquecesoit,et

jetrébuchefacilement...oublieça.Jenel'avaisjamaisvuaussisérieuxquelorsqu'ilmedit:—Avoirdesdémonscollésauculestplutôtmotivant.—Jen'endoutepas.—Contente-toidecouriretnet'arrêtepas.Promets-le-moi.— Je te promets que j'essaierai de courir sans m'arrêter. Mais j'étais sérieuse, je trébuche

facilement.Jeparvinsàluiarracherunpetitrire.Ilsepenchapourmordillermonoreille.Desvaguesdedésir

brutme traversèrent commeun éclair et se répandirent dansmon bas-ventre. Je n'arrivais pas à ycroire. J'avais finalementReyes Farrow en chair et en os pourmoi toute seule dans une chambred'hôtel,etilétaitentraindesaignerabondamment.J'étaislaseulefemmequiauraitpuabuserdeluisionm'enavaitlaissél'occasion,maiscen'étaitpaslemoment.Etçamerendaitfolledel'admettre.

Alorsquesabouchedescendaitlentementlelongdemanuque,j'enroulaiunbrasautourdesatêteetmurmurai:

—Raconte-moiunehistoireàproposdemesancêtres.Àproposd'uneautreFaucheuse.

Il garda le silence pendant si longtemps que je crus qu'il n'allait jamais répondre. Puis il serecoucha,pensif.

—Ilyavaitcegarçon,Cynric,quesonpèreaemmenéauxanciensduvillage.Ilprétendaitquesonfilsétaitpossédé.Qu'ilvoyaitlesespritsetsavaitdeschosesquepersonnenepouvaitsavoir.Aprèsuneenquêtequiadurédesjours,ilrefusaittoujoursdeparler.Ilaétélapidé.

J'eusunmouvementderecul.—Donccen'estpasunehistoireheureuse?—Peulesont.Ensuite,levillageasouffertd'uneépidémiedemaladieetdemorts.Ilsontpensé

quelegarçonlesavaitmauditsavantdemourir.—Ill'avaitfait?—Non,quelqu'und'autres'enétaitchargé.Iln'avaitfaitquerépétercequesapetitesœurluiavait

dit.ElleétaitlaFaucheuse,paslui.Maiselleétaittombéemaladelorsqu'elleétaitencorenourrisson,etellenepouvaitpasparler.Ilétaitleseulàpouvoirlacomprendre.(Ildésignasatêtedesonindex.)Ilséchangeaientavecleursespritset leurscœurs.Danssadouleur,elleestdevenuefolleetalibéréses pouvoirs sans se rendre comptede cequ'elle était en train de faire.UneFaucheusene sait pastoujourscedontelleestcapableavantungrandtraumatisme.

—Est-cequelafilletteavéculongtemps?Ilacquiesça.—ComparéàlaplupartdesFaucheuses,oui.Jusqu'àenvironsoixante-dixans,sijemesouviens

bien. Mais elle devait vivre avec le poids de ce qu'elle avait fait. Elle est devenue ermite, et,finalement,lafolies'estemparéed'elle.

—C'estatroce.Sic'étaitunêtrecéleste,commenta-t-elleputuerautantdepersonnes?Commenta-t-ellepufaireça?

—LesFaucheusesreçoiventleurspouvoirsàlanaissance.Ellessontleschercheusesd'âmes,maisellespeuvent...(Ilréfléchitquelquesinstants.)Ellespeuventparfoisleschasser,àdéfautd'unmeilleurterme.C'estleurdroit.

—Ehbien,c'estundroitdontjenevaiscertainementjamaismeservir.Pourmedébarrasserdelatentation,jejetaimonoreillersurleschevillesdeReyes,posailatête

sur ses bottes, et me couchai perpendiculairement à lui sur le lit. Il m'avait donné tellementd'informationsquej'auraisbesoindetempspourtoutabsorber,maisjenevoulaispaslequitter.Pascommeça.Jamais,aussilongtempsquejevivrais.Ouaumoinsjusqu'àcequejedoivemeremettresurl'affairedeHarper.Peuimportaitcequiarrivaitenpremier.

J'avaisuneautrefamille.Unefamillequivenaitd'unautremonde.C'étaitpasgénial?Etjepouvaistuerdesgensavecmonesprit.D'accord,jenecroyaispastropàcettepartie,maisj'avaisunefamillevenue d'un autremonde. Jeme demandais comment ils s'appelaient. Peut-être que j'avais une tanteMyrte.OuunoncleprénomméBoaz.J'avaisessayédeconvaincreoncleBobdechangersonnomenBoaz,unefois,maisilavaitrefusé.Jenecomprenaistoujourspaspourquoi.

Tandis que j'étais allongée, à songer à tous les avantages d'avoir une famille venue d'un autremonde,jesentismespaupièress'alourdir.LachaleurdeReyesmedonnaitenviededormir.L'avoirauprèsdemoiétaitréconfortant,etj'étaispresquedanslesbrasdeMorphéelorsqu'ildit:

—Tupourraistedéplacerunpeuplushaut.Tuseraisplusàl'aise.Jegloussai.—Non,c'esttoiquileserais,pervers.Etavantdecomprendrecequisepassait,j'étaisentrainderêverdeReyes,deplageetdeCookie-

a-ritaavecdespetitsparasolsquicaressaientmamain.CefutàcetinstantquejesentislesdoigtsdeReyesfrôlermapaume.Jemedemandaiss'ill'avaitfaitexprès.Quandilroulasurmoienpoussantunrâle,meclouantaulitsoussonpoids,j'eneuslacertitude.Mais,avantquej'aieletempsd'émettreuneobjection,saboucheavaittrouvémonoreille.

—Chut,murmura-t-il,lesoufflechaud.Jecrusaudébutqu'ilétaitd'humeurbadine,maisilétaittotalementraide,tendu,prêtàfrapper.Ou

àmemettreunedérouillée.Quesepassait-il?Je commençai àmedébattre,mais je sentis ànouveau sesdoigts surmapaume.Saufque, cette

fois-ci,sachaleurfutaussitôtremplacéeparlemétalfroidd'unearmeàfeu.Jemeraidistandisqu'ilretiraitMargaretdesonholsterpourlaplacerdansmamain.

—Qu'est-ceque...Ilmefit taireenpressantses lèvrescontre lesmiennes.Mais, tandisquesaboucheétaitentrain

d'accomplir des prouesses, sa langue s'insinuant entre mes lèvres, me faisant perdre tous mesmoyens,sesmainsétaientoccupéesàautrechose.Jesentissoudainlafraîcheurdelalamed'unlongcouteauqu'ilsortaitdudosdesaceinture.Saboucheretournaàmonoreilleetilchuchota:

—Appellelachienne.Monpoulsgrimpaenflèche.—Pourquoi?demandai-je,mavoixressemblantàunmurmureessoufflé.Ilseredressajusteassezpourpouvoirm'observer,sonregardpleind'excuses.—Parcequecen'estpasmachambre.Ilm'embrassaànouveau,seslèvreschaudessurlesmiennes,pourtantchaquemuscledesoncorps

était tendu à l'extrême, impatient. Son cœur accéléra au-dessus du mien, son pouls rugit à mesoreilles.Jeposailebrassurlecôtédulitetclaquaidesdoigts.

Artémissefrottacontremapaumelorsqu'ellesurgitdusoletmedonnaunpetitcoupdemuseausurlamainavantdedresserlesoreilles.Unrugissementprofonds'échappadesapoitrinequandlaportes'ouvrit.Ellecampasursonarrière-trainetattendit.

Laportepivotalentementavantdes'arrêteràunangledequarante-cinqdegrés.Pasassezpourquejepuissediscernerlevisagedelapersonnequil'avaitouverte.Toutcequejepouvaisapercevoirau-delàdesépaulesdeReyesétaitunemainposéesurlapoignée.L'intrussemitàavancerunefractiondesecondeavantqu'Artémisattaque.Elleaboyasifortquelesmurstremblèrentlorsqu'elleseprojetaen direction de la porte entrouverte et atterrit sur une femme possédée, si j'en croyais les crisféminins.

Reyesdisparutet,l'instantsuivant,undeuxièmeassaillanttombaitsurlesolaprèsyavoirétéjeté.Laporteclaquacontrelemur,etjepusapercevoirlafemmequisebattaitavecArtémissurlecôté,luttant contre quelque chose qu'elle ne pouvait de toute évidence pas totalement voir. Mêmemoi,j'avaisde lapeineà resterconcentréesur lecorpsmassifd'Artémispendantqu'ellearrachait l'âmemalignehorsdesoncorps.

Mais,avantque jepuissecomprendrecequiarrivaitexactementaudémon,celuiquecombattaitReyesmeremarqua.Il laissaéchapperuncriderageetessayadesedéfairede l'emprisedeReyespour m'atteindre. C'était une sensation vraiment étrange, d'être désirée si désespérément par unhomme qui ne tenait pas compte du fait que sa colonne vertébrale était tellement pliée qu'ellecommençaitàcraquersouslapression.Jepouvaisentendrelesbruitsaigusdesosquisebrisaient,destendonsquisedéchiraient,etdesvertèbresquisedéboîtaient.Etpourtant,ilnedétournaitpasleregard.Ilmevoulaitavectantdepassionqu'iltenditsonbraslibredansmadirection,mesuppliantdem'approcher.

Ilsétaientbleus.Lesyeuxdel'homme.Jepouvaisvoirledémonquisecachaitderrière,l'essencefumeusequis'échappaitdeluienvolutes,maisl'hôtequelacréaturepossédaitavaitlesyeuxbleus.Siclairs qu'ils ressemblaient à une piscine étincelant au soleil en plein été. Et des larmes lesremplissaient à mesure que Reyes exerçait plus de pression sur sa gorge pour bloquer l'arrivéed'oxygène.Maisiln'enavaittoujoursrienàfaire.Ilrampaversmoiàl'aided'unbras,l'autreayantétébrisé.Ilreposaitsurlesolàcôtédelui,totalementmou,inutilisable.

Lorsque l'hommebondit dansmadirection dans unultime et valeureux effort, son bras sembla

s'allonger.Des griffes noires et aussi tranchantes que des lames de rasoir apparurent sur samain.Dans l'obscurité que la nuit avait apportée, le démon n'hésita pas à se démasquer en essayant dem'atteindre. Je ne pouvais voir que samain,mais je savais qu'aumoins cette partie de lui était àdécouvert.

Jemepenchaisurlecôtédulit,ignorantReyes,quimecriaitdereculer.Lagriffeétaitsiproche,àquelques centimètres à peine. S'il allongeait encore un peu le bras, ilme déchirerait le visage. Jetendislamain,paumetournéeverslehaut,mepenchaiunpeuplus,etsoufflai.Commesijevenaisdesouffler surde lapoussièrede fée,desparticulesde lumières flottèrent endirectiondudémon, seposèrentsursesgriffeset,dansuneénormeexplosiond'énergie,ilhurlaettombahorsdesonhôtehumain.

Ledémonsetraînasurlesol,setordantàcausedeladouleur,sescrisperçantsressemblantàdescentainesderéacteurssemettantenmarche.

Artémisfonditsurluil'instantd'après,enfonçasescrocsenserrantlamâchoire,etôtalavieàlabête.Ilsouffrait tantquele tuerétaitpresqueunactedecompassionàcestade.J'observaisonsangépaisserépandresurlamoquette,puiss'évaporer.

Avantquej'aieletempsdemerendrecomptequ'ilétaiténervé,Reyesmeremitsurmespiedsetm'examinadespiedsàlatête.Puisilseconcentrasurmonvisage,étonné.

—C'étaitquoiça,merde?demanda-t-il,lacolèreluiépaississantlavoix.Maisl'adrénalinecoulaitlelongdemondosetserépandaitdansmoncorps.Jeregardaiderrière

luiendirectiond'Artémis.Elleétaitoccupéeàreniflerlesolavecl'enthousiasmed'unchiendechassequiaflairéunrenard,persuadéequ'elletrouveraitl'odeurd'unautredémon.Ellebonditàtraverslemurpourserendredanslachambred'àcôtéavantquej'aieletempsdelarappeler.

Craignant d'être à nouveau malade, puisqu'il semblait que c'était ma manière de réagir à toutdernièrement,jedépassaiReyespourmeprécipiterdanslaminusculesalledebainsprèsdelaported'entrée.Ilmerattrapalorsquejetrébuchai,maisjemedébattisetm'élançaiverslestoilettes.Lefaitquej'étaisentraindejouerlesspéléologuesdansunbacdeporcelainequiavaitétéutilisédurantdesannéespardeshommesquinesavaientpasvisernemedétournapasdemamission.J'inspirail'airranceetravalaimabiletandisquemonestomacs'agitaitdanstouslessens.

Reyes s'agenouilla derrière moi, et je sentis le contact froid d'une serviette sur la base de manuque.

—C'estçaquilesrendfous.(Ilsepenchaetenfouitsonvisagedansmoncou.)L'odeurdelapeur-tapeur-estcommel'odeurdel'héroïnepourunvraitoxicomane.

—Ehbien,jenepeuxrienyfaire.—Jesais.C'estmafaute,etj'ensuisdésolé.Jerelevailatêteetremarquaiseulementàcetinstantqueledémonl'avaitfrappé.Sonvisageétait

lacéré à trois endroits, l'entaille la plus importante se trouvant àmoins d'un centimètre de ses cilsinférieurs.Jeluiprislaserviettedesmainsetcommençaiànettoyerlesplaies.

—Tul'astué?demandai-je.—Non.Iln'estpasprèsdecourirlemarathon,maisilfautqu'onparted'ici.Reyesmeraccompagnachezmoiensilence,nesachantprobablementpasquoipenserdemoi.Je

n'enétaispassûremoi-même,donconn'avaitpasvraimentbeaucoupdechosesauxquellespenser.Ilm'accompagna jusqu'en haut des escaliers et jusqu'àma porte,mais je ne le laissai pasm'aider àentrer.J'enavaismarred'êtresoudainementdevenueinvalide,incapabledemarcheretdemâcherunchewing-gumenmêmetemps.

Jedéverrouillaietentrai.—Est-cequejepeuxmettrequelquechoselà-dessus?demandai-jeenindiquantlescoupuressur

sajouegauche.

Illestamponnaaveclebasdesontee-shirt,épongeantlespetitesgouttesdesangquis'enétaientéchappées.Lesblessuresétaientdéjàentraindeguérir,maisunecrèmeantibiotiqueneleurferaitpasdemal.

Ilignoramaquestionetcommençaàobservermonappartement.—Appelletongosse.—Quelgosse?demandai-je,soudainementtrèsfatiguée.Jen'aipasdegosse.Du moins, il ne me semblait pas en avoir. Je ne me rappelais pas avoir accouché, et j'étais

pratiquementcertainequec'étaitquelquechosequ'unefemmen'oubliaitpasfacilement.—Cegaminquitraînetoujoursautourdetoi.Appelle-le.—Ange?Ilapparutàlasecondeoùjepensaiàlui.Ilregardaautourdelui,surpris,merepéra,puismelança

unregardnoirsoussonbandana.—Tuvasvraimentcontinueràfaireça?—Hé,c'étaitpasmoicettefois.JepointaiReyesdudoigt,etAngecessaaussitôtdelaramener.IlfitunpasenarrièrelorsqueReyesenfitundanssadirection.—Resteoùtues,ordonnaReyessuruntonquinesouffraitaucunargument.Mais ilparlaitàAngeGarza.Legossequin'avait jamaisprispartàunedisputequ'iln'avaitpas

appréciée.Ilseressaisitetredressalesépaules.—Toi,turestesoùtues,pendejo.Reyesfutsurluiavantquej'aieletempsdelevoirbouger.IltenaitAngeparlecoldesontee-shirt

sale,sonvisageàquelquescentimètresdusien.—As-tulamoindreidéedecequejepeuxtefaire?Angeécarquillalesyeuxavantdesereprendre.—JesaisquetupeuxretournerenEnfer.Jeparvinsàm'immiscerentrelesdeux,enpoussantsurlaprisedeReyes.Auboutd'unmoment,ReyesrelâchaAngeetluijetaunregardd'excuse.—Resteicipourelle,dit-ilenadoucissantleton.Angehaussalesépaules,puislissasontee-shirt.—Pourelle.CelasemblasatisfaireReyes.Ilclaquadesdoigtscommes'ilappelaitunchien,etArtémisapparut.

Ellesautasur lui, sesénormespattesprojetant toutsonpoidscontre lapoitrinedeReyes,saqueuefrétillantdejoie.Illagrattaderrièrelesoreillesetcaressasanuque.

—Turestesici,luichuchota-t-il,ettul'empêchesdes'attirerdesennuis.Compris?Lorsqu'ilhaussalessourcilscommes'illuiposaitunequestion,elleaboyapourluicommuniquer

sonassentiment,etj'eussoudainl'impressiond'êtrelargementenminorité.Jefronçailessourcilsenlaregardant.—Traîtresse.Elle aboya à nouveau, pas émue lemoins dumonde parmes accusations, et sauta en direction

d'Angepourjoueraveclui,lerenversanttrèsfacilementpourlefairetombersurlesol.Angesemitàrire et essaya de l'immobiliser à l'aide d'une prise. C'était étrange de voir qu'Artémis parvenait àouvrir lamâchoireassezgrandpourprendre lecoude lapetite frappedanssagueule.Sescrisdedouleursemblaientl'amuser,etçamesuffisait.

—Ilfautjustequejem'assurequ'ilsnenousontpassuivisici,ditReyes.—Tudevraisvraimentmelaisserjeteruncoupd'œilàtesblessures.—Ladernièrefoisquetuasvoululefaire,tut'espresqueévanouie.—C'étaitilyalongtemps.—Deuxmois.Àquelquesjoursprès.—Trèsbien,fis-je,lerenvoyantd'ungestevague.Vaaccomplirtamissionvirilependantqueje

resteàlamaisonsouslasurveillanced'unepetitefrappedetreizeansentraindemuer.Ilyavaitquelquechosedevraimentperturbantàproposdecetteimage.Jemeréveillaiavecl'étrangeimpressiond'avoirunrottweillermortdecentkiloscouchésurmoi,

comme si j'étais un matelas humain. Je ne m'inquiétais pas vraiment du fait que sa patte droiterecouvrait presque entièrement mon visage, coupant mon apport d'oxygène, ni du fait que je nesentais plusmes jambes parce que ses épaules étaient enfoncées quelque part près demon bassin,mais plus parce que, tandis que sa tête pendait par-dessusmes côtes, elle était en train de ronfler.Vraiment?Mêmedanslamort?Ronflermeparaissaitsuperflu,pouruneraisonouuneautre.

Je devais réfléchir à tellement de choses - aux démons, à mon héritage, à mon apparentengagementàlongtermeentantqueFaucheuse,uncontratquejenemesouvenaismêmepasavoirsigné-,maislaseulechosedontj'avaisenvieactuellementétaitdeboireducafé.Etilfallaitaussiquejefileauxtoilettesplusvitequ'unchevaldecourse.

Unchiendunomd'Artémisexerçaitunepressionétrangesurmavessie.J'éloignailapattegigantesqueloindemonvisage,metortillaipourmedépatouillerduRottweiler

etfinisparyparveniraprèsuneffortherculéen.Lorsquejeposailespiedsausol,satêtependaitaucoindulit,maisellenes'étaitpasréveillée.Jenepusm'enempêcher.Jecommençaiàluichatouillerlesmoustaches.Ellefronçaitleslèvresetgrognaitchaquefoisquej'embrassaissatruffe.Elleauraitfaitunesacréedoublured'Elvis.

Jeparvinsàmeleveretàatteindrelasalledebains.Aprèsunrapiderendez-vousavecM.Café,jeme faufilai dans le salon en faisant bien attentiondenepasdérangerAnge et tanteLil, qui étaientétaléssurdifférentsmeubles.J'étaistoujoursétonnéedevoirlesdéfuntsdormir.Surtoutavectouslescoupsdemarteauquis'élevaientdel'appartementd'àcôté.

Malgré les bruits des travaux, j'entendis un camion se garer.Comme il était trop tôt pour qu'ils'agisse d'une livraison pour le bar de papa, ma curiosité prit le dessus. C'étaient peut-être mesnouveaux voisins, même si ce serait stupide, puisque leur appartement était encore en pleinerénovation. Il faudrait que j'aille parler à Monsieur Z plus tard. Que je le convainque que descomptoirsdecuisineneufsseraientuneplus-valuepourl'immeuble.

Etonnamment,ilyavaituncamiondedéménagementdehors,maisilétaitgaréàl'arrièredubar.Macuriositépiquéeàvif,jemeprécipitaiàlafenêtredemachambrepouravoirunemeilleurevue.Oui, quelqu'un était en train d'emménager. J'observai les fenêtres du deuxième étage et en eus lesoufflecoupé.Unhommeavaitouvert les storesafind'enlever lapoussièredes rebordsde fenêtrecommes'ilnettoyaitl'endroitpourunnouveloccupant.

Dansmesbureaux.Monpère louaitmesbureauxsousmonnez. J'étaisconsternée.Outragée.Etbienplusqu'unpeu

énervée.Aprèsavoirbrièvementregardécequejeportais-certainementqu'uncaleçonencoton,untee-shirtquiproclamaitquej'étaisencoreplusCoolqueTheGangetdespantouflesrosesenformedelapinconviendraientparfaitementpourunpassagerapidedel'autrecôtédelarue-,jereposaimatassedecaféetmedirigeaiverslebardemonpère.Plusj'ypensais,plusjemarchaisvite.Etplusjemarchaisvite,plusj'étaisénervée.

Leventcrépitaautourdemoilorsquejesortisdemonimmeuble,maisjen'yprêtaipasattention.Monpèrelouaitmesbureaux.Queltoupet.

Jedépassaideuxhommesquisedémenaientpourdéchargerunbureauetpénétraidanslebarparlaportearrière.

— Papa ! criai-je, ignorant l'étonnement de ma belle-mère, qui venait d'entrer par l'entréeprincipale.

Elleavaitvisiblementapportélepetitdéjeunerautraître.Jenepouvaisqu'espérerqu'ils'étoufferaitavec. JedépassaiégalementSienna, lamagnifiquenouvellebarmaidqui faisaitdupiedàPari.Elle

semblaparticulièrementappréciermoncaleçon.Gemmasortitdubureaudepapajustequandjel'atteignais.Lasurprisesereflétaitsursonvisage.—Charley,tun'espashabillée.—Oùest-il?demandai-jesansm'arrêter.—Papa?Ilestàl'étage,jecrois.Si j'avais eu toutema tête, j'aurais remarqué le début de sourire sur ses lèvres, j'aurais pume

rendrecomptequetoutn'étaitpascequ'ilparaissait,maisj'étaisenmission.Jefisdemi-touretprisl'escalier, dont je gravis lesmarches deux à deux. Ce n'était pas la chose la plus facile à faire enportantdespantouflesenformedelapin.Etmesbondsfaisaientchaquefoisrentrerunpeuplusmoncaleçonàunendroitquejenepouvaispasmentionner.Maisunréajustementrapideunefoisàl'étageréglaleproblème.

Jedéboulaidanslepremierbureau,celuiquiavaitétélemienpendantplusdedeuxans,ettrouvaipapadevantlafenêtre,quiobservaitlaruederrièrelesrideaux.Ilportaitunechemiseencotonetunpantalonen linquisemblaitdeuxfois tropgrandpoursasilhouetteélancée,etsapeau,d'ordinairehâlée,avaitlacouleurd'unsoldélavéetfaisaitconcurrenceàsescheveuxblondclair.

Il n'y avait personne d'autre à l'intérieur. Tout ce que j'avais laissé était à l'endroit exact où jel'avaislaissé.Pasuntiroiràdossierniuneétagèren'étaientpasàsaplace.

Jem'immobilisaiderrièreluietplaquailesmainssurmeshanches.—Vraiment?demandai-je.Ilpenchalatêteetbloquasesémotionsàlasecondeoùlechagrinquileconsumaitmefrappa.Je

prisuneprofondeinspirationetmedébarrassaidecettesensation.Ilm'avaitfaitarrêterpendantquej'étaiscouchéedansunlitd'hôpital.Ilneméritaitpasmacompassion.Maisilméritaitd'essuyermacolère.

—Tulouesmesbureaux?Justecommeça?Jeclaquaidesdoigtspoursoulignerlarapiditédesesactes.J'enétaispartiedeuxmoisauparavant,

mais,pouruneraisonobscure,çanesemblaitpasêtreimportant.Ilseretournaenfin.Ilavaitl'airpluségaréqued'ordinaire.Soncorpsparaissaitpliéparlafatigue.

Ilflottaitdansseshabits.Jem'enfichais.Jem'enfichais!—Non,moncœur.Jepointailafenêtre.—Alorsc'estquoi,ça?—Unstratagème,répondit-il,savoixsipragmatiquequ'ilmefallutunmomentpoursaisirlesens

desesparoles.Uneruse.Je regardaipar la fenêtreetme rendiscompteque lecamionétait totalementvideendehorsdu

bureau.Lesdeuxhommesadressèrentunsalutprotocolaireàmonpèreavantderechargerlemeubleetderefermerlaporte.

Meretournantverslui,jedemandai:—Dequoituparles?Unstratagèmepourquoi?—Pourtoi,répondit-ilenserapprochant.Jereculai,soudainementsurmesgardes.Il fit un nouveau pas dans ma direction, mais s'immobilisa lorsque je lui lançai mon fameux

regardassassin.— Tu ne prends pas mes appels, expliqua-t-il, levant les paumes en signe de reddition. Tu ne

répondspasàlaportequandjepassetevoir.—MonDieu,jemedemandebienpourquoi.Jefisdemi-tourpourpartir,maiscequ'ilmeditensuitemestoppanet.—Jenesavaispascombiendetempsilmerestait.—Quoi?grognai-jesanscacheruneoncedesuspiciondemavoix.

—Quandjet'aifaitarrêter,j'ignoraiscombiendetempsilmerestait.Jevoulaisjustequetuquitteslebusiness,etilfallaitquej'agisserapidement.

J'étais en colère, etma patience était à bout. J'ouvris les bras, impuissante, avant de les laisserretombercontremesflancs.

—Jen'aipaslamoindreidéedecedonttuparles.—Jevoulais juste faire cequ'il fallait pour toi. Jevoulaisme racheterpour ceque j'avais fait.

C'estmoiquit'aifaitentrerdanscettevie.Jevoulaist'ensortiravantqu'ilnesoittroptard.—Donctum'asfaitarrêter?C'étaitça,tasolution?—Tunepeuxpasêtredétectiveprivéesituasuncasierjudiciaire.Talicenceauraitétérévoquée.

(Ilhaussalesépaules.)Missionaccomplie.Lesourirequipritpossessiondemonvisagen'avaitriend'amusé.—Mercid'avoirassurémesarrières,papa.J'appréciegrandement.—Tunem'aspaslaissélechoix.— Pardon ? (Ma voix s'éleva pratiquement jusqu'au cri.) Je ne t'ai pas laissé le choix ? T'es

cinglé?— J'ai essayé de te faireme parler,mais tu nem'as pas fait confiance. Tu nem'as jamais fait

confiance.Et je ne savais pas quoi faire d'autre. Je t'aimise là-dedans, et je voulais t'en sortir. Temettreàl'abri.Quanddesalestypess'enprennentàtoiàcausedemoi...J'aifaitsemblantjusque-là.Maisjenepeuxpascontinuer.

—Ehbien, tuaschoisi lemoment idéalpour tedécideràavoiruneconscience,papa.Quandjesuisallongéedansunlitd'hôpitalaprèsavoirététorturéepresquejusqu'àlamort,tumefaisarrêter.(Jeluimontraimesdeuxpouceslevés.)Bonnedécision.

Ilbaissaleregard.—Jen'avaispasd'autrechoix.— Tu sais quoi ? demandai-je en m'approchant de lui pour l'apostropher d'un doigt en pleine

poitrine.J'aiénormémentréfléchiàlamanièredontjet'aitoujoursvu.Tuétaismonroc.Leseulquicroyaitenmoi,enmescapacités.J'ai toujourspenséque tuétaisdemoncôté.Maisensuite,çam'afrappée. Toutes ces années, tu as toléré Denise, la façon dont elle me traitait, et, au lieu de medéfendre,tuasregardéailleurs.Tunem'asjamaisdéfendue.Tuasjusterécoltélesavantagesdemesdons,maistun'asrienfaitettuaslaissécettesorcièremerabaisserdèsqu'elleenavaitl'occasion.

Ilregardapar-dessusmonépaule,etjemeretournaipourdécouvrirquelafameusesorcièreétaitsurlepasdelaporte,laboucheouvertedesurprise.

Jepointaiundoigtdanssadirectionetadressaiunsignedumentonàmonpère.—Oui,celle-là.Commeilgardaitlesilence,jedemandai:—Est-cequetuasjamaisvraimenttenuàmoi?Ilseredressa,surpris.—Biensûr!J'aitoujourstenuàtoi.Jepensaisjuste...Savoixsebrisa,etilsecouvritlabouched'unemain.—Vas-y.Donnetoutcequet'as.—Vousaviezbesoind'unemère.— Et tu nous as donné ça ? (Je me rapprochai tant que je vis mon reflet dans les larmes qui

baignaientsescils).Tun'aspastoujoursétélàpourmoi.Tuétaislàpourtoi.Alorsvas-y.Louemesbureaux.Jem'enfiche.

DanslamesureoùDenisebloquaitlasortie,jedécidaidetraverserjusqu'àlapièced'àcôtéetdesortirparlaporteprincipale.

Maisaumomentoùj'allaistournerlapoignée,monpèredit:—Ilfautquejem'assurequetut'ensortirasquandjeseraiparti.Dans un ultime et vaillant effort, jeme retournai pour lui faire face. J'avais une repartie aussi

intelligente qu'appropriée sur le bout de ma langue acérée, mais elle resta là parce que, l'instantsuivant,papalevaunearmeetmetiradessus.

Chapitre14Pierretombaled'occasion:Parfaitepourquelqu'undunomdeCharleyDavidson.

PubOu,plutôt,tiradansmadirection.Jemepenchai. Jenesavaispas troppourquoi.Bizarrement, sepencherquandonse faisait tirer

dessussemblaitêtre lameilleurechoseà faire.Àuneépoque, jepouvais ralentir le temps. J'auraiscarrémentpuvoirlaballefigéeenpleinair.Mais,depuisquej'avaisététorturée,j'avaisperducettecapacitéet,lorsquepapatira,jemepenchaisansmêmeessayer.

Jetombaiàgenouxetmecouvrislatête,puismetournaipourregarderpapadesousmesbras.Iltenaittoujourslepistolet,uneexpressionstupéfaitesurlevisage.—Leland!hurlaDenisequelquessecondesàpeineavantdeplaquerlesmainscontresabouche,

souslechoc.Ilfaudraitquejelafélicitepourl'effort.Aprèsunrapideinventairedemesorganesvitaux,commejeneressentaispasdedouleur,jeme

relevaid'unbond.Gemmaaccourutetsefaufilapourpouvoirentrerdanslapièce.EllefutvitesuivieparSienna,quitenaitencoreunpotdecafé.

Jemerendiscomptequelemondeétaitentraindetanguer.Ladétonationavaitfaitgrimpermonadrénalineenflèche,etelles'étaitrépanduedanstoutmoncorps.

Aprèsm'être palpée à la recherche de blessures avec desmains tremblantes, je hurlai surmonpère.

— C'est quoi, ce bordel ? (Mais il pointait toujours l'arme dans ma direction. Il semblaitmaintenantêtremoyennementenétatdechoc.)Papa!m'exclamai-jeenessayantd'attirersonattention.C'estvraimentofficiel.Tuesunmauvaispère.Lesbonspèresnetirentpassurleursfilles!(Jecroisailesbrasetdésignailepistoletdumenton.)Jediraitoutàmamanquandjeseraimorte.

—Ques'est-ilpassé?demandaGemmaenpromenantsonregardentrepapaetmoi.Jelepointaidudoigt.—Ilaessayédemetuer.Voilàcequis'estpassé.— Papa ! le sermonna-t-elle comme elle l'aurait fait pour un enfant qui venait de manger un

insecte.—Non,vousnecomprenezpas.IlportalesyeuxsurGemmaàl'instantoùoncleBobdébarquaitdanslapièceencourant,dépassant

Denise.Super.L'équipeétaitlàaugrandcompletpourassisteràmonmeurtre.Papamedévisageaànouveau,laboucheouverte.—Regardezça.Iltiraunesecondefois.Jemepenchaiànouveau.Etjeluttaicontreletournisquemedonnaitcenouveaupicd'adrénaline,

qui faillitme faire tomberdans lespommes.D'après la théoriede l'évolution,cen'étaitpascequel'adrénalineétaitcenséefaire.Elleétaitcenséemefairemouillermonpantalonavantdemefournirl'énergie pour courir très vite, comme si un ours était en train de m'attaquer. S'évanouir, c'étaittellementcontraireàl'espritdarwinien.

OncleBobsortitsonarmeetlapointasurlatêtedepapaavantquej'aieletempsdedire:

—C'estquoi,cebordel?J'étais une nouvelle fois tombée à genoux. Le coup de tonnerre que le pistolet avait crachéme

secouaitviolemmentetàtoutevitesse,sibienquej'avaisl'impressionquemarespirationm'avaitétéarrachéedespoumons.Jemerelevaitantbienquemal,etlemondetanguaittellementquej'enavaislavisionbrouilléeet l'estomac retourné. J'allaisêtremalade.Moncorpshurlaitde l'intérieur. J'avalaipéniblement,essayantdegarderlapetitequantitédecaféquej'avaisbuauparavant.

Jesentisuneboufféedechaleurcourirsurmapeauetregardaiàgauche.Reyess'étaitmatérialiséàcôté demoi, son imposante robe noire ondulant et aidant lemonde à osciller un peu plus. J'avaisl'impressiond'êtreunebarqueenhautemer.

Ilobservapapasoussacapuche,puismoi.—Pourquoitonpèreessaie-t-ildetetuer?Jedéglutisànouveauetmepressaicontrelemurdansmondos.—Jen'ensaisrien.(QuandReyessemitàavancerendirectiondemonpère,jemeprécipitaipour

lui bloquer le passage,me jetant entre lesdeux.)Ohnon, tun'ypensesmêmepas.Monpère, c'estchassegardée.

Ilmesaisitparlebrasetm'attiradanssarobe.Sachaleurbrûlantemecalmaitmalgrélacolèrequejeressentais.

—Règleceproblème,oujeletueicietmaintenant.Jelerepoussaietpointailafenêtredudoigt.—Va-t'en.Maintenant.Ilsedématérialisaenpoussantunfeulementrauque,maisjesentaistoujourssaprésence.Iln'était

paspartitrèsloin,etilpourraitsematérialiseretsectionnerlamoelleépinièredepapaavantquej'aieletempsdeprotester.Ilfallaitquejedésamorcelasituation,etrapidement,oumonpèrerisquaitdeneplusjamaisêtreenmesuredemarcher.Oupeut-êtremêmederespirer.

Aprèsm'êtrereprise,jeremarquaiquetoutlemondemedévisageait.Trèsprobablementparcequejevenaisdeparlerdanslevide.Cen'étaitpasmonproblème.Onavaitdeschosesplusimportantesàfaire.Maisl'airqu'ilsaffichaientm'arrêtanet.Ilsm'avaientdéjàvueparlerdanslevideauparavant.Enfin,toutlemondesaufSienna.Jenevoyaispascommentçaauraitpucauserautantdechocquecequ'ilsmontraient.

Siennalâchasacarafe.Elleatterritsurlesoldansunbruitsourd,etlecaféserépanditdetouslescôtés,maisaucund'entreeuxnemequittadesyeux.

—Quoi?demandai-je,soudaingênée.Jebaissaileregardpourvérifierquemoncaleçonétaitencoreenplace.Jeneremarquairienqui

clochait.J'étudiaiànouveaulesvisagesenfacedemoi.MêmesioncleBobpointaitunearmesurlatêtedemonpère,c'étaitmoiqu'ilobservait.Commetouslesautres.

Papaabaissasonpistolet.Lemouvementattiral'attentiond'Obie,quiseretournaverslui.—Lâche-le,Leland.Monpèreobéit.L'armetombasurlesol,maispersonnenes'ensoucia.Touslesyeuxétaientrivés

surmoi.Lentementetprudemment,oncleBobs'agenouillaetramassalepistolet,maisilnedétournaleregardquedurantlafractiondesecondequ'illuifallutpourl'attraper.

Çadevenaitvraimenttrèsbizarre.—Commentas-tufaitça?s'étonnaGemma.—Faitquoi?demandai-je,totalementperdue.Mefairepratiquementtirerdessusparmonpropre

père?Commetoutlemondecontinuaitàm'observer,boucheouverte,jedécidaiquec'étaitlemomentou

jamaispourunpetitdiscoursbiensenti.—Cen'étaitpassidifficile.Ilasuffiquejemetiennelàpendantqu'untypequiatotalementperdu

laboulememenaçaitavecunearme...—C'étaitdesballesàblanc.

Jeledévisageai.—T'asessayédemetueravecdesballesàblanc?—Oui.(Ilacquiesça,puisserenditcomptedecequ'ilavaitréponduetsecoualatête.)Non,jeveux

dire...—C'estpasunpeucontreproductif?— La manière dont tu as bougé, continua-t-il, la voix pleine d'incrédulité. Ce n'était pas réel.

Personnenepeutbougercommeça.—Qu'est-cequetuveuxdire?demandai-je,perdantpatience.Est-cequetoutlemondesefichaitdufaitquemonproprepèreavaittentédemetuer?Ils'approchademoietlevalamainpourtouchermonvisage,maisjel'arrêtaietreculaiafind'être

horsdeportée.Iln'essayapasderecommencer.Alaplace,ildemanda:—Qu'est-cequetues?—Àpartfurieuse?—Charley,ditGemma,savoixprenantlesaccentsdethérapeutedoucequ'elleaffectionnaittant.

Regardeoùtues.J'observai lesalentoursetcomprisqu'elleavait raison. J'étaisvers laporte lorsque lecoupétait

parti,etjemetrouvaismaintenantprèsdelafenêtrequidonnaitsurlaruelle.Jehaussailesépaules.—J'aibondipourmeretirerdelatrajectoire.Etaprès?Onmetiraitdessus.—Tun'aspasbondi,s'exclamaGemma.Tuétaislà-bas,etensuitetuétaisici.Tu...(Ellemarqua

unepause,commesielleétaitincapabledetrouverlesmotsjustes.)Tuasbougésivite.Onauraitditquetuavaisdisparu,puisétaisréapparue.Jen'aijamaisrienvudetel.

—Ilfallaitquejesache,expliquapapa.Ilfallaitquejesachesi tu t'ensortirais.Jesavaisquetuétaisdifférente,maisj'ignoraisàquelpoint.Puis,quandCarusom'aattachéets'enestprisàtoiaveccecouteau... lamanièredonttubougeais.Jen'avaisjamaisvuquelquechosecommeça.(PapaavaitmisCarusoderrière lesbarreauxpourun très longmoment.À laminuteoù il avait été libéré surparole,celui-cis'étaitlancéàlapoursuitedepapaetdonc,commedommagecollatéral,àlamienneégalement.)C'estàcetinstantquejemesuisrenducompteàquelpointtuesspéciale.

J'étais toujours en train de lutter contre les effets que l'adrénaline produisait sur mon systèmenerveux,essayantdenepasavoiruneattaque.

—Jenecomprendspasvraimentcommenttuesarrivéàlaconclusionquemetirerdessusseraitunebonneidée.

Jefisdemi-tourpourpartir,maisoncleBobm'arrêta.—Charley,chérie,j'aibesoindesavoirsitusouhaitesporterplainte.J'esquissaiunsouriremauvaisavantderépondre:—Non.Pasaujourd'hui.Jeneveuxplusrienavoiràfaireaveclui.JepoussaiDenisepoursortirdelapièceetm'engageaidansl'escalier.—Charley,attends!criaGemmaderrièremoi.Jecontinuaiàmarcher.—Jevaisécrireunelettreàmamanàproposdetoutça.—Bien,mefélicita-t-elle,essayantdemerattraper.C'estparfait.Maisilyaquelquechosequetu

doissavoiravantdetropt'emballer.J'avaisatteintlaportedemonimmeubleavantqu'elleaitréussiàmerejoindre.—Jesais,dis-je,lagorgeserrée.Jel'aisentiàlasecondeoùjesuisentrée.Elleprituneprofondeinspiration.—Ilnesaitpascombiendetempsilluireste.Jeluitournailedos,refusantd'admettrequemesyeuxmepiquaient.—Depuisquandes-tuaucourant?— Quelques mois. Il ne voulait pas qu'on t'en parle. Il voulait le faire lui-même, mais tu ne

répondaispasàsesappels.

Jecroisailesbras,toujoursincapabledeluifaireface.—Çanechangerarienaufaitquejevaistoutraconteràmaman.Elles'approchaetenroulasonbrasautourdemoncou.—Dis-luibonjourdemapart,aussi.Jeposailatêtesursonépauleosseuse.—D'accord.Maisjenecroispasqu'ellet'aimeautantqu'ellem'aime.Gemmasemitàrireetmeserraunpeuplusfort.Jeretournaiàmonappartement,etCookiedéboulaalorsquej'étaistranquillemententraindeme

servirunetassedecafé.Sesyeuxétaientécarquillésd'inquiétude.Quandellemerepéra,ellesemblaterriblementsoulagée.Elles'approcha,essoufflée,unemainsurlapoitrine.

—Jenetetrouvaisnullepart,selamenta-t-elleentredeuxhalètements.Ettoutestesaffairesétaientici.J'aicruqu'ont'avaitassassinée.Ouenlevéeànouveau.

—Désolée.Jesuislà.Elleleval'index,déglutitdifficilement.—Charley,jetejurequetuvasmetuerunjour.—Nesoispasridicule.Pourquoiest-cequejetetuerais?Tubossespourtroisfoisrien.Elleacquiesça.—C'estpasfaux.—J'étaisdanslesbureaux.Papaaessayédemetirerdessus.Adeuxreprises.AlorsoncleBoba

sortisonflingue.Ilestbienplusrapidequ'ilenal'air.Elleécarquillaànouveaulesyeux.Puislesplissa,incrédule.Puislesouvritengrandunenouvelle

fois.Puislesplissa.Puisellefituntrucunpeuringardavecsespaupièrestandisqu'elleencaissaitcequejevenaisdeluidire.Elleouvritensuiteànouveaulesyeuxengrand.Puislesplissa.Maismêmesisagestuelleoculaireétaitplutôtmarrante,j'étaistoujoursencaleçon.

—OK,jevaisprendreunedouche.Çatelaisseraunpeudetempspourruminertoutça.— À quoi ressemblaient les bureaux ? demanda-t-elle finalement, et je compris qu'ils lui

manquaient.—IlssontvraimenttrèsbeauxdepuisqueBobbyJoelesarénovés.J'aimebeaucouplebeigetaupe

qu'ilachoisi.—C'esttellementbizarrequ'ilaitcruquesacopinevoulaitletueravecdescacahouètes.—Ouais,hein?(Jemesaisisdematasseetmedirigeaiverslasalledebains.)Çaauraitétéplus

compréhensibles'ilyavaitétéallergique.Aprèsm'être débarrassée d'Ange en lui disant que son tour de garde était terminé, je pris une

douche rapide et passai en revuemon emploi du temps de la journée.On n'était pas plus près dedécouvrirquiharcelaitHarperet çame rendait triste,mais j'avaisencoreplusieurspistesà suivre.CookavaitobtenuunelistedesvisiteursdeTanoanEstate,etaucunnomnecoïncidaitaveclepassédeHarper,dumoinspasàpremièrevue.

Cook m'avait également trouvé l'adresse de la gouvernante de toujours des Lowell, qui venaitrécemment de prendre sa retraite. J'allais commencer par ça, puis faire un crochet à l'asile pourvérifiercommentseportaitmonamiRocket.Jenel'avaispasvudepuisunbail.

— J'ai aussi une liste de toutes les personnes qui ont été employées par lesLowell depuis leurmariage,m'annonçaCookiependantque j'avalais lepetitdéjeunerdeschampions,àsavoir le restedesbrownies.Maisaucund'euxn'abossé là-basplusdedeuxou troisans.Leurchauffeur travailletoujourspoureux,etlagouvernante,quihabitaitsousleurtoit,n'aarrêtéqu'ilyaquelquessemaines.

—Juste,leurnouvellegouvernantem'aditlamêmechose.—Ilm'afalluunpeudetempspourlaretrouver.ElleaétéauservicedesLowellpendantprèsde

trenteans.J'auraispenséqu'ilssauraientoùellevitmaintenant,maisnon.J'aidûdemanderàDonald.—Donald?répétai-jeenronronnantd'intérêt.TuappellesDonaldparsonprénom?— Pffff. C'est le chauffeur des Lowell, et c'est le seul qui a bien voulu m'accorder une

nanoseconde.Ilal'aird'avoirdanslesquatre-vingt-dixans,sicen'estplus.—Peut-êtrequ'ilfume.S'ilesttoujoursleurchauffeur...—Désolée.Ancienchauffeur.Maintenant il secontentedes'occuperdesvoitures,ouun trucdu

genre.Ilm'aditqu'ilsnelegardaientqueparcequ'ilsavaientpitiédelui.—Intéressant.Tuastrouvéautrechose?Ellebattitdescils.—Ehbien,ilestGémeaux,ilaimeleslonguespromenadessurlaplage,etilesttrèsattiréparles

hommesquiportentdeskilts.J'avalailederniermorceaudebrownieetlefisdescendreàl'aided'unegorgéedecafétiède.— C'est marrant, je suis attirée par les types en kilts moi aussi. (Je lui donnai un petit coup

d'épaule.)JepeuxavoirlenumérodeDonaldaucasoùj'auraisdesquestions?—Tun'essaieraispasdemelepiquer,desfois?J'ouvrislaboucheetposaiunemaininnocentesurmapoitrineencoreplusinnocente.—Jen'oseraisjamais.Ellem'ignora.—Donc,unefoisquetuaurasinterrogélagouvernante,tuvasrendrevisiteàRocket?demanda-t-

elleavecunsourirecomplice.Rocket étaitune ressource inestimablequand il s'agissaitdedécouvrirqui étaitmort etqui était

toujoursenvie.EnsavantdéfuntquiconnaissaitlenomdechaquepersonnequiavaitjamaisvécusurTerre,Rocketétaitenmesuredem'informerdeleursituationenquelquessecondesàpeine.Etilétaitgrand,adorable,etprenaitplaisiràmeserrerdanssesbras.Trèsfort.

LalueurmalicieusequipassadanslesyeuxdeCookiem'indiquaqu'ellenefaisaitpasallusionàRocket.

—Oui,répondis-jeenmémorisantl'adressedelagouvernante,qu'ellevenaitdemedonner.—EtlesvoisinsdeRocket?Tucomptesallervoircommentilsseportentégalement?J'arquaiunsourcil.—J'aiunfaiblepourlestypesenHarley.Ellepointaundoigttaquindansmadirection.—Soisplusfortequeça.—Tunecomprendspas,dis-jeavantdemelever.C'estvraimentungrosfaible.Jeconduisisjusqu'àlademeuredelagouvernante,ausuddelaville,enessayantdenepaspenser

au fait que mon père avait tenté de me tirer dessus. Deux fois. Elle habitait dans une partie plusancienne de la ville. La plupart des maisons y étaient considérées comme presque historiques etétaientbienentretenues,commel'étaitcelledeMmeBeecher.

Aprèsavoir frappéà laporte, j'observai lesmagnifiques fleursquiornaient lesmarchesdesonporche.Ellesétaientviolettes.Jenepouvaisêtrepluscatégorique.

La femme quime reçut était une petite vieille aux cheveux gris clair, au regard doux qui avaitpresquelamêmecouleur,etquimarchaitcourbée.Elleouvritlaporte,maisrestaderrièrel'écrandelamoustiquaire.Lehautdesatêteatteignaitdifficilementmonmenton,etelledevaitleverlatêtepourm'observer.

—Bonjour,madameBeecher?—Oui?demanda-t-elleens'essuyantlesmainsdansuntorchon.Elleétaitvêtued'unerobeàfleursquiavaitétélavéequelquesfoisdetrop.—Jesuisdésoléedevousdéranger.Jem'appelleCharleyDavidson.(Jetendismonbadge.)Jesuis

détective privée, et j'ai été engagée pourmener l'enquête sur une affaire qui implique vos ancienspatrons,lesLowell?

Son pouls s'accéléra, et elle tordit légèrement la bouche pendant unemicroseconde avant de sereprendre.Puisellemeregardacommeuneprodupoker.

—Écoutez, je comprends qu'il est mal vu de parler des Lowell. Vous avez été leur employéedurantdesannées.Maisj'aileurpermissionexpressedem'entreteniravecleurpersonnel,luiassurai-je,mentanttandisquejeluiadressaismonsourirelepluséblouissant.

LesLowellavaientlamainmisesurleurpersonnel.MmeLowellétaituntyrancommej'enavaisrarementvu.

—Oh,trèsbiendanscecas,fit-elle,semblantsecalmer.Enquoipuis-jevousêtreutile?Ellecontinuaitàmeparleràtraverslamoustiquaire,nevoulantdetouteévidencepasquejerentre.

Lapauvre.— Si j'ai bien compris, vous avez travaillé pour les Lowell pendant près de trente ans. Que

pouvez-vousmedireausujetdeleurfille,Harper?Son pouls accéléra à nouveau, et elle jeta des regards aux alentours comme si elle avait

l'impressiond'êtreespionnée.Exactementcommesaremplaçante l'avaitfaitquandj'avaisessayédeluiposerdesquestionssurlarésidencedesLowell.

—Jenepeuxpasvousapprendregrand-chose.Elleétaittrèsdérangéeetilsavaientbeaucoupdeproblèmesavecelle.C'esttoutcequejepeuxvousdire.

—Oui,j'enaientenduparler.Est-cequevousvoussouvenezquandtoutacommencé?Elleobservaletorchondanssesmains.Lapeurs'échappaitd'elleparvagues.—ToutsembleavoirdébutéjusteaprèsqueM.etMmeLowellsesontmariés.Jehochailatête.—Avez-vousremarquéquelquechosedesuspectàl'époque?(Jenepouvaism'empêcherdeme

demandersilapersonnequiharcelaitHarperétaitunemployé,éventuellementmécontent.)Est-cequelesLowellontengagéquelqu'unàcettepériode?Oupeut-êtrequequelqu'unadémissionné?

Ellevenaitdepenseràquelquechose.Jepouvais levoiràsonexpression.Maiselle l'ignoraenfronçantlessourcils.

— Madame Beecher, tout ce que vous pourrez me dire m'aidera, même si ça vous sembleinsignifiant.

Elleprituneprofondeinspiration.—Cen'estvraimentrien.JevienssimplementdemerappelerqueFélixacommencéàtravailler

pourlesLowelljusteavantlemariage.—Félix?répétai-jeensortantmonbloc-notesetunstylo.—FélixNavarro.Ils'estoccupédelapelousependantdesannéeset...Ellesetut,pensive.—Et?larelançai-je.Quandellemeregardaànouveau,sonexpressionétaitpleinederegrets,commesielledétestait

devoirdireàvoixhautecequ'ellesoupçonnait.—Ehbien,ilaimaitbeaucoupMlleHarper.Vraimentbeaucoup.—Aquelpoint?—Il...Ilavaitdesphotosd'elledanssonportefeuille.Plusieursphotos.OK,c'étaitinquiétant.Jenepusretenirl'accusationquirampadansmavoix.—Vousnepensezpasqu'ilfaisaitquelquechosede...—Oh,bontédivine,non!mecoupa-t-elleenagitantletorchon.Pasdutout.Ilétaitsimplement...

ehbien,ilavaitbeaucoupd'affectionpourelle.Jen'endoutaispasuneseconde.—Merci,dis-jeenluiadressantunsourirerassurant.Vousavezététrèsutile.Ellebaissalatêtecommesielleavaithontedem'avoirparlédeça,puisrefermalaporte.Après avoir appelé Cookie pour lui demander d'enquêter sur le jardinier qui aimait les petites

fillesetgardaitdesphotosd'ellesdanssonportefeuille,jemegaraiàcôtéd'unasilepsychiatriquequiavait été abandonnédans les années1950. J'avais trouvéRocket ici quand jem'étaisdécouvert unepassionpourl'explorationd'asilesmentauxaulycée.Enpartieenraisondemafascinationpourles

vieux bâtiments, mais surtout à cause de mon amour pour les défunts fêlés. Ils connaissaient lessecretsde l'univers, tousautantqu'ilsétaient,et jepouvais leurparlerpendantdesheuressansvoirpasserletemps.C'étaitvachementpluscoolquelesdevoirs.

Surprised'apprendrequ'ilyavaitunasilepsychiatriqueenpleincœurd'Albuquerque,j'avaisfaitdurepéragedanslesenvironspendantquelquesjours,puisj'étaisfinalemententréeparunsoiroùlalune luisait dans l'obscurité comme une traînée de craie et oùmon estomac était plein de vin bonmarché. Alors que je trébuchais dans les couloirs en poussant des aaaaah et des oooooh endécouvrantl'équipementoubliéetenmedemandantàquoiservaientexactementcertainsinstrumentsquiressemblaientàdescisaillesdejardinage,j'étaistombéesurRocket.

Jenesavaispas trop lequeldenousavaitété leplussurprispar laprésencede l'autre,maisunefoisquejel'avaisconvaincuquejen'étaispasvenuepourluivolersonjeudedames,onétaitdevenusles meilleurs amis du monde. Cependant, en raison de sa faculté de concentration minimaliste, ilm'avait fallu plusieurs visites pour apprendre réellement quelque chose sur lui. J'appris qu'il étaitmortdanslesannées1950.Ilavaitaussiunesoeur,quiétaitmortedurantlagrandedépression.Elleluitenaitcompagnieàl'asile,maisjenel'avaistoujourspasrencontrée.

Demanière assez surprenante, c'était un gang demotards, les Bandits, qui était propriétaire del'asiledanslequelvivaitRocket,etilshabitaientlaporteàcôté.Jem'étaisfaufiléediscrètementpourleséviterdurantdesannées,mêmes'ilsavaienttendanceàavoiruneflopéedeRottweilersenserviceàtouteheure,maisleurleader,unduràcuiredunomdeDonovan,m'avaitrécemmentdonnéuneclédel'endroit.Jenel'avaispasencorepasutilisée,maisçamesemblaitêtrelejouridéalpourl'essayer.

Pourtant, j'étais toujours incapable de me garer devant l'entrée principale. Je me rangeaissystématiquement au coin du bâtiment et cachais Misery derrière des bennes à ordures afin depouvoirm'introduiresansrévélermaprésence.Apparemment,cettehabitudeavaitladentdure.Aprèsavoir verrouillé la portière, je tapotai affectueusement le pare-chocs de Misery et partis à larecherchedulance-Rocket.Ouplutôtc'étaitcequej'auraisfaitsimacuriositén'avaitpasétépiquéeparcequisepassaitdanslequartiergénéraldesBandits.

Jeregardaipar-dessuslachaîneenmétalrecouvertedelierrequitenaitlieudeportailetparvinstoutjusteàdiscernerl'arrièredujardindesBandits,làoùsetrouvaitleurgarage.Ilsavaienttoujoursunepléthoredemotos etdepiècesdétachées éparpillées autourde la zoneenparpaing,mais cettefois-ci,unefourgonnetteétaitgaréeàl'arrière,etplusieurshommes,tousdenoirvêtus,ychargeaientdegrossacsennylon.ParmieuxsetrouvaientDonovanetsesdeuxbrasdroits:Michael,untypequiavaitdesfauxairsdeMarlonBrandoetquiauraiteul'aircoolmêmeentutu,etEric,ungrandgarçonquiressemblaitplusàunprincegrecqu'àunmotard.Maiscequimeparutleplusétrangeétaitlefaitqu'ilsétaient toushabillésexactementde lamêmemanière.EricetDonovanportaientdesbandanasnoirsautourducou,mais,endehorsdeça,ilyavaitentoutquatrehommesetunefemmeavecdespullsnoirsàmancheslonguesetdespantalonsmilitairesnoirs.Ilsavaientégalementtousdesgantsencuiretdeslunettesdesoleilsurlenezousurlatête.C'étaitvraimentprendrelecodevestimentairedugangaupieddelalettre,àmonavis.Maischacunsesgoûts.

Quelquechosem'intriguaitausujetdeleurssilhouettes.J'observaiattentivementlestroishommesdetête:Donovan,leleader,etsesseconds,MichaeletEric.Grand,moyennementgrand,etdetaillemoyenne.

Sûrementpas.J'avaispresquequittémaplanqueafindemedirigerversl'asilequandquelquechosetombadel'un

dessacs.Jel'étudiaitandisqu'Ericleramassaitpourlefourrerànouveaudanslesac,etmoncœurs'arrêta.C'était unmasquede caoutchoucblanc.Exactement commeceuxdes cambrioleurs dont lejournaltéléviséparlaitsansarrêtdanstoutlepays.Cambriolerdesbanques.Jesavaisqueleshommessur les caméras de surveillance me paraissaient trop familiers. De tous les passe-temps stupides,

c'étaitceluiqu'ilsavaientchoisi!Commentavais-jepumetromperàcepointàleursujet?C'étaientdestypesbien.Jel'avaissenti

dès l'instantoù je lesavais rencontrés.C'estvrai, jeme trouvais au sol etDonovanavaitposéunebottesurmonestomacpourmemainteniràterre,mais,toutaufond,ilsavaientdescœursenor.

JeretournaimecacherderrièreMiseryetréfléchisàcequejedevaisfaire.Jepouvaisessayerdeles dissuader de continuer,mais je n'avais pas vraiment envie demourir au cours des prochainesheures.Etilsavaientdetouteévidencecommencéàfaireçadepuisunmoment.Jepouvaisleslivreràla police, mais que se passerait-il si j'avais tort ? Peut-être qu'ils avaient une raison parfaitementplausiblequiexpliquaitpourquoiilsétaientvêtusexactementdelamêmemanièrequelesvoleursdebanquequ'onappelaitlesGentlemenCambrioleurs.Peut-êtrequ'ilsallaientàunbalcostuméoùtoutlemondesedéguisaitensonméchantpréféré.Lesmotardsparticipaientsouventàdesfêtesunpeuexcentriques.Maisàdixheuresdumatin?

Dixheuresdumatin,c'étaitl'heureidéalepourcambriolerunebanque.Etmerde.Lafourgonnettesemitenmarche,etjereculaiderrièrelabarrière.Donovanlançaquelquechose

àEricjusteavantquecelui-cirefermelaportière.Puisiljetaunregardalentourpours'assurerquepersonnenelesobservaitetsautasurlesiègepassager.

Unplanseformaalorsdansmonesprit.J'allaislessuivre.S'ilsserendaientvraimentàunefête,jerentrerais pour leur raconter ce que j'avais imaginé, et on en rirait tous ensemble. Mais s'ilscambriolaientvraimentunebanque,ilmefaudraitunplanB.C'étaitimpossibleàéviter.

Je sautai dansMisery et fis demonmieuxpour les suivre sansdonner l'impressionde fairedemonmieuxpourlessuivre.Pourlapremièrefoisdepuisquejel'avaisachetée,jemaudisl'extérieurrougecerisedeMisery.Dunoirauraitététellementpluspratique.Ou,encoremieux,dugristrottoir.Là, je me serais vraiment fondue dans le décor. Je n'avais jamais autant eu envie d'une caped'invisibilitéqu'encetinstant.

Lorsqu'ilss'arrêtèrentdevantlaBanquepopulairedeBernalillo,j'espéraistoujoursqu'ilsavaientjuste besoind'aller retirer unpeude liquidepour faire la fête. Il fallait bienquequelqu'unpaie labière et les chips. Jeme garai de l'autre côté de la rue et attendis. Ils restèrent immobiles pendantquelquessecondesavantdeseprécipiterhorsduvéhiculeenportant l'attirailcompletduvoleurdebanque,àsavoirdesmasquesetdessemi-automatiques.

Jelaissaitombermatêtesurlevolant.J'étaisvraimentdanslamisère.EtdansMisery.Jenesavaispasquoifaire.Cen'étaitvraimentpasmajournée.Entremonpèrequiessayaitdemetuer,Reyes,quiessayaitdetuermonpère,etlesmotardslesplussexyquej'avaisjamaisrencontrésquiserévélaientêtre des voleurs de banque très connus, je me demandais bien pourquoi j'étais sortie de monappartement.Jem'ysentaissibien.J'aimaism'ytrouver.Ilétaitaussichaleureuxetconfortablequ'unecelluledeprison,maisaumoinspersonnenem'ytiraitdessusetpersonnenelecambriolait.Oualorsjen'avaispasremarqué.

Attendez.Peut-êtrequ'iln'étaitpastroptardpourlesdissuaderdecambriolerlabanque.Peut-êtreque siDonovan savait que je savais, il serait embarrassé au point demettre un terme à toute cettehistoire.

Etpeut-êtrequeCharlesMansonétaitréellementunpoèteincompris.Maisçavalaitlapeined'essayer.Jeveuxdire,onétaitamis.Etlesamisnesetiraientpasdessus.

Apparemment,lespères,si,maislesamis,c'étaituneautrepairedemanches.Je laissaiMargaretdansMiseryet traversai la rueà lahâte,dépassai la fourgonnetteà l'arrêtet

pénétraidanslabanqueaussidiscrètementquepossible.Cequivoulaitdirepasdesmasses.L'endroitétaitentraind'êtrecambriolé,alorsiln'étaitpasdifficilederepérerunnouveauclientquientrait.JemeconcentraisurDonovanaussitôt.Letruccool,c'étaitqu'aucund'entreeuxn'avaitsortisonarme.Heureusement,çanesemblaitpasnécessaire.Donovanétaitoccupéàsurveillerlegardedelasécurité

ainsiquelesclientsquiétaientallongéssurlesolfacecontreterre.Ilsallaientêtretraumatisés,etçame faisait de la peine,mais j'étais toujours ravie queDonovan ne soit pas en train de pointer unflinguesureuxenmenaçantdeleurfaireexploserlatête.Çaauraitétévraimentplustraumatisantsurlelongterme.

Les autres se chargeaient des caisses et du coffre, et l'un d'eux était debout sur le guichet,supervisantletout.C'étaitEric.Ilsefigealorsqu'ilmerepéra.Jesongeaiàluisourireetàluifaireunsignedelamain,maisjen'avaispasenviedepasserpourunecrétinefinie.

QuandjeregardaiànouveauDonovan,ilm'observaitégalement,lesbrascroisésetlatêtepenchéecommes'ilétaitentraindemedemandercequejefoutaislà.

Jemeposaislamêmequestiontandisquej'enjambaisdesclientspourlerejoindre.—Désolée,dis-je lorsque jemarchai sur la juped'une femme. (Je trébuchai ensuite sur lebras

d'unhomme.)Désolée!Quand jeparvinsenfinversDonovan, je luiadressaiunsourire feintafindepouvoir luiparler

sansbougerleslèvres.J'ignoraistotalementpourquoijefaisaisça.—Tucambriolesdesbanques?demandai-jeàtraversmesdentsserréestoutenregardantautour

demoidemanièrenonchalante.Eric,leplusjeuneetleplusgrandd'entreeux,sautaenbasduguichetetatterritàcôtédenous.Il

serapprochademoi,merentradedansetpenchaencorelatêtejusqu'àcequesaboucheseretrouveàmonoreille.

—Est-cequ'onn'apasbesoind'unotage?demanda-t-il,lesoufflecourt.Jepouvaisentendrelesouriredanssavoix.Donovantenaitlasalleàl'œilenyjetantdesregardsfurtifsquipassaientrégulièrementsurmoi.Il

consultasamontre.—Quinzesecondes!cria-t-ilavantdereportersonattentionsurmoi.(Dumoinsjecroisquec'est

cequ'ilfit.Ilétaitdifficiledevoirsouslemasqueencaoutchouc.)Jepensequetuasraison.Avantquejepuisseprotester, ilmeforçaàmeretourneretplaçaunbrasautourdemagorgeet

l'autreautourdemataille.Jelevailesyeuxauciel.—Tuplaisantes?lançai-je,lesdentstoujoursserrées.—Çavaêtretrèsamusant,seréjouitEric.—Tupourraisfairetonboulot?luidemandaDonovan.—Oh,juste.Ilsautaànouveausurleguichetetattrapalesacennylonqu'unautremembredugroupevenaitde

sortirducoffre-fort.Jen'arrivaispasàcroirequ'unebanquedecettetailleaitautantdeliquidités.Dessirènes s'élevèrent au loin, et jeme demandais si ça devaitme soulager oum'inquiéter. C'était unsentiment étrange. J'étais du côté de la loi. Je travaillais comme consultante pour la policed'Albuquerque. Ma participation à un cambriolage de banque ne ferait sûrement pas tache. Maisl'adrénalinecouraitdansmesveines,etjenepouvaism'empêcherd'espérerqu'ilsallaientsemagnerlecul.

Tandisquelesautrescommençaientàsortir,Michaelnousrejoignitensepavanant.Jesavaisquec'étaitlui,parcequepersonnenesepavanaitcommeMichael.

—Unotage,dit-ilenmesaluantdelatête.Cool.Puisilsedirigeaàsontourverslafourgonnettecommesiderienn'était.Alorslà.Cestypesétaienttotalementtimbrés,cachetdelaPostefaisantfoi.Donovanme tiraderrière lui, suivant lesautresà travers lesportesde labanque, sapriseassez

serréepourquemoncorpsentiersoitcolléausien.C'étaitvraimentunpervers.—Désolée!m'exclamai-jelorsquejetrébuchaisurlebrasdumêmehommequeprécédemment.Illevalatêtepourmelancerunregardnoir,mais,franchement,ilnousavaitvusvenir.Ilauraitpu

bougersonfichubras.Cen'étaitpasfaciled'êtreàmoitiétiréeenarrièresurunsoljonchédeclients.

Et on ne m'avait jamais accusée d'avoir le pied sûr. Il avait bien dû le comprendre après notrepremièrerencontre.

J'agrippailebrasdeDonovan.—Çanetefaitvraimentpasgagnerdepointsbonus,mister.Aumomentoùnousatteignîmeslaporte,Donovanmechuchotaàl'oreille:—Çamefaitplaisirdetevoiraussi,mabelle.Jevoulusrépondre,maisilmepoussaàl'extérieuretmelançadanslafourgonnette.J'atterrissur

untasconstituédebottesetdesacsd'argent.Etj'étaisfauchée.Jeclignaidesyeuxetlesexaminaiavecenvie pendant exactement deux secondes et sept centièmes avant que la réalité neme frappe. Je nepouvaispasprendred'argentvolé.Mêmesi je survivais à la journée, cequine semblaitpas superbienpartisij'enjugeaisauxvisagesblancsquim'observaient.

Lafourgonnettedémarraetpritunvirageserréquim'envoyam'écraserentreunepairedejambes.Je fis de mon mieux pour retrouver l'équilibre et agis comme si cet instant n'était pas du toutembarrassantquandjemeretournaiversDonovan.Ilétaitàgenoux,parfaitementenéquilibretandisqu'il enlevait sonmasque et le fourrait dans un sac. Les autres l'imitèrent.Quand le visage d'Ericapparut,unpetitsourirediaboliqueétiraitseslèvresetsesyeuxpétillaientdemalice,puisquec'étaitentresesjambesquej'avaisétéprojetée.

LorsqueMichaelretirasonmasque,sonsourireétaitàlafoisempreintd'humouretdecuriosité.Mais j'étais bienplus inquiète à causedu fait que tout lemonde était en trainde sedéshabiller. Ilsretiraient leurschemisesnoirespour laisserapparaîtreunevariétéde tee-shirts.Puisce futau tourdespantalons.Donovanportaitunjeansouslesien,maisEricetMichaelavaienttouslesdeuxducuir.

Celuiquiconduisaitenlevaaussisonmasque-enfin,cellequiconduisait-etlejetaenarrière,etjemesouvinsalorsdel'avoirvuelorsquej'étaischezeuxquelquesmoisplustôt.Plantureuse,avecdelongscheveuxdelacouleurdelanuitetdesyeuxbrun-vert,ellesemblaitêtrelaseulefemmeàfairepartiedel'élitedugangdeDonovan.Etellesavaitmanierlevolantcommepersonne.Jecomprenaispourquoi Donovan l'avait choisie. Elle prenait juste assez de risques pour passer les feux designalisationetfonçaitennégociantlesviragessansattirertropd'attentionindésirable.

Ellem'observaàtraverslerétroviseuretm'adressaunclind'œilamusé.Aumoinsilsaimaientlamanièredontilsgagnaientleursvies.C'étaitpeudire.

—Déshabille-toi,ordonnaDonovan,etjecomprisqu'ilparlaitauderniertype.Ilétaitassisverslaportearrièreetn'avaittoujourspasretirésonmasque.—Tuplaisantes?demanda-t-il.Ellesaitquionest.—Elle le savait avantmême d'avoirmis un pied dans la banque, rétorquaEric, aussitôt sur la

défensive.Ressaisis-toi,putain.—Vatefairefoutre,renchéritl'autre.Jen'iraipasenprisonpourcettepouffiasse.Pouffiasse?—Enlèvetonmasque,ordonnaDonovandutonleplusdurquejeluiavaisjamaisentendu.Onest

quasimentarrivésaupointdechute.Est-cequ'ilvenaitdemetraiterdepouffiasse?—Etvatefairefoutreaussi,dit-ilàDonovan.Siellevoitmonvisage,ellepeuttémoignercontre

moiautribunal.Avantquequiconqueaitletempsderépondre,Michaelétaitsurlui.Ill'avaitchargé,attrapéparle

col,etluiarrachaitsonmasque.—Ellepeuttémoignerdetoutemanière,connard.IljetalemasqueàEric,quilefourradanslemêmesacquelesautres.Le typehocha la tête,étonné. Ilavaitdescheveuxblondclaircoupéssicourtqu'ilavaitpresque

l'airchauve.Sapeauétaittannéed'avoirpassétropdetempssouslesoleilduNouveau-Mexique,maissesjouesétaientrouges.Jenemesouvenaispasl'avoirvu,maisjen'étaisalléechezeuxqu'uneseule

fois,etc'étaitlorsd'uneoccasiontrèstendue.—Super,dit-il,sahainemefrappantcommeunmurdechaleur.Maintenantonesttousbonspour

seretrouverenprison.—Oniradetoutemanièresiçanedéroulepascommeprévu,rétorquaDonovan.Alorsarrêtede

pleurnicheroujetejetteauprochainarrêt.Letypefitjouersesmâchoiresetretiraégalementsachemise,maisiln'ôtapaslepantalonnoir.—Commentçava,chérie?—Dixsecondes,annonçalaconductrice.Ericrefermalesacàl'instantoùelleprenaitunautrevirageserré,cettefoispourbifurquerdans

un parking souterrain. Elle pila, ce qui me projeta en avant. Et je fus la seule à le faire. J'avaisvraimentdesproblèmesaveclagravité.

Laconductricemesourit.—Hello,moic'estCharley,luidis-jealorsqu'Ericouvraitlaporteetsautaithorsduvéhiculeàla

secondeoùils'arrêtait.— Je sais, répondit-elle en riant doucement.Moi c'est Sabrina,mais j'apprécierais que tu ne le

répètespasdevantuntribunal.—Comptesurmoi.Je les regardai transférer l'argentdans lecoffred'uneHyundai jaune,et lesacd'habitsdansune

Dodgeverte.Maiscequimefascinaleplus,c'étaitqueMichaeletSabrinaétaiententrainderetirerun film plastique sur les côtés de la fourgonnette. Je n'arrivais pas à voir à quoi elle ressemblaitmaintenantdelàoùjemesituais,maisilsvenaientsansdoutedechangersonapparencedutoutautout.

Ils roulèrent l'emballage en boule et le jetèrent dans un collecteur d'eau de pluie. PuisMichaellançaun trousseaudeclésàEric. Il sautadans laDodgeetdémarra tandisqueSabrinasedirigeaitverslaHyundaietqueMichaelprenaitsaplacederrièrelevolantdelafourgonnette.

—Jeresteavecl'argent,fitleblond,maisDonovanletiraenarrièreetrefermalaporte.—Ons'entientauplan.Amoinsquetunedécidesd'abandonnertapartetdepartirmaintenant.Letypeserassit,etsonvisageaffichaitunehainequim'étaitengrandepartiedestinée.—Accroche-toiàtapetiteculotte!lançaMichaeltandisqu'illançaitlafourgonnetteenavant.LaHyundai et laDodge suivirent jusqu'à ce qu'on sorte du garage. Puis tout lemonde prit une

directiondifférente.—Tuviensdesignernotremandatd'arrêt,ditleblondàDonovan.Ildégainauncouteauquiavaitl'airplutôtméchant,etmonregardsefigeasurlalamecommeun

missileàguidagelaser.Mapoitrines'affaissa,etlesmursserapprochèrenttandisquejemeratatinaisdel'intérieurcommedupapierfroissé.J'avaissentiuncouteautrancheràtraverslescouchesdemapeau et de mes tendons jusqu'à ce qu'il atteigne l'os. Ce n'était pas une expérience que je voulaisrenouveler.

Illepointadansmadirection.—Soitc'estellequimordlapoussière,dit-ilavantdedirigerlalameversDonovan,soitc'esttoi.L'adrénalinesemitàbattreviolemmentdanslesveinesdeDonovan,cequim'empêchadesentirsi

latournuredesévénementsl'étonnait.Sansuneseconded'hésitation,ildégainasonGlockettira.Pourlatroisièmefoisdelajournée,unearmeàfeufututiliséebientropprèsdemoiàmongoût.

J'auraisdûsavoirquecettejournéeallaitêtrepourrie,puisqu'elleavaitcommencéavecmonpèrequiessayaitdemetuer.Ellessedétérioraienttoujoursàpartirdelà.

—Putain!crialetypeensebaissantbienaprèsquelaballel'avaitdépasséetavaitcassélavitred'unedesportes.

Il s'était baissé, lui aussi. Pour une raison étrange, celame fitme sentirmieux au sujet demapropreréactionunpeuplustôt.Maispasàproposduson.Lanauséesemitàmedonnerdescoupsdepoingdansl'estomac,etellefrappaitfort.Maisj'étaisentraindem'habituerauxpousséesmassives

d'adrénaline.Jemeraidisetcombattisunenouvelleremontéedebile,meforçantàlaravaleretàlagarderlàoùelleétait.

—Lâchececouteau,etlaprochaineballen'aurapasàquittersachambre.Letypelançalecouteausurmoi,maisplutôtenguised'avertissementquecommeuneattaque.Il

atteignit mon épaule et atterrit sans dommages par terre, ce qui fit résonner le sol métallique. Jel'attrapaiavantqueleblondpuissechangerd'avis.Lalameétaitaussilonguequemonavant-bras,etl'avoirenmainaidaàsoulagerunpeulapeurquicouraitdansmesveines.Jenepouvaism'empêcherdemedemandersiReyesavaitraison.J'avaispeurd'untypeavecuncouteau.Deuxmoisauparavant,ça n'aurait pas été plus d'un quatre surmon échelle deRichter,mais,maintenant, il suffisait d'uneattaqueinsignifiantepourquej'aieletrouillomètreàzéro.

Nousroulâmessurunnid-de-poulealorsqueMichaelfonçaitàtouteallure,puistoutdevintnoir.Tout lemonde sortit du véhicule par une portière différente :Michael par celle du conducteur, leblondparl'arrièreetDonovanparlaportecoulissantesurlecôté.Ilattrapalederniersacetmefitsignedelesuivre.Nousétionsdansleurgarage.

Michaelétaitentrainderetirerunautrefilmplastique.Surceluiquiapparaissaitmaintenant,deslettresjaunesannonçaientD&DPlomberie.Lafourgonnette,quiétaitnoirelorsquej'yétaismontée,étaitàprésentblanche.Astucieux.

—Tum'askidnappée,reprochai-jeàDonovan.—Onnet'apaskidnappée.Ont'aempruntée.—Vousm'avezpriseenotage.—Cequiestlamêmechosequ'unemprunt.Jemarchaiderrièreluitandisqu'ils'occupaitdedifférentestâches.—Pourquoidesbanques?Pourquoifaites-vousça?Ilbaissaleregardettripatouillasesgants,tirantpuisrelâchantl'élastique.—Malheureusement,onneverrapasuncentimedel'argentquenousavonsvoléaujourd'hui.—Commentça?Jenecomprendspas.—C'étaitlebut.(Ilhaussalessourcils.)Çaatoujoursétélebut.Ilfallaitquelesgenspensentqu'on

était en trainde cambrioler les banques auhasard.Comme si on était juste tombés sur unegrossecargaisonparaccident.Commesionnesavaitpasqu'ilseraitlà.Ànousattendre.

Jemedemandaiscommentilsétaienttombéssurautantd'argent.Ilsortitunesacocheetlaremplitd'effetspersonnels.—L'arrangement,c'étaitdegardertoutcequ'onaprisjusque-là.C'estnotrepartdugâteau.Mais

l'argentduhold-upd'aujourd'hui,iln'estquepourunseultype.—Etdequis'agirait-il?—Dutypequinousfaitchanter.Toutl'airquecontenaientmespoumonss'enfuitàmesurequejeriais.Puisjeprisconsciencequ'il

étaitsérieux.—Onvousfaitchanterpourcambriolerdesbanques?—Deschosesbienplusétrangessontdéjàarrivées,dit-ilenhaussantuneépaule.—Pasàmoi.Commeilmeregardaitdemanièretrèssceptique,j'ajoutai:—Bon,d'accord,maisc'estquandmêmeunpeutiréparlescheveux,mêmepourmoi.Donovan,

ques'est-ilpassé?—Moi.Ericnousrejoignitàcetinstant.Ilvenaitapparemmentdedébarrasserlecoffreets'avançaitvers

nouscommesiderienn'était.—J'aiétéattaquéunsoiràl'extérieurd'unclubparungrouped'hommes,etj'aituél'und'eux.Ce

typeafilmétoutelascène.—Ilavaitdespreuvesquiauraientpunousmettrederrièrelesbarreauxpourtrèslongtemps.On

était là. J'ai regardé pendant que ça se produisait. Eric s'en sortait tout seul, alors je ne suis pasintervenu.Maisonalaisséletypelàoùilétait.

—Onnepensaitpasqu'ilallaitmourir,ajoutaEric.Cesconnardsavaientcommencé.—Maisc'étaitdelalégitimedéfense?—Pasquandtueschampiondeboxe,expliquaDonovan.MichaelpoussaEricdecôté.—Etcescouillonsontfuileslieux.Donovanluiadressaunregardsévère.—Ilseseraitprisunebonnedérouilléedetoutemanière.—Et quand ce type nous a contactés, continua Eric, il savait tout ce qu'il y a à savoir sur les

banques.Michaelhochalatête.—Iladitqu'ilpouvaitnous faireentreret sortir,nousaexpliquécequ'il fallaitemporteretce

qu'ilfallaitlaisser,commentéviterlesflics,tout.—Puisilaorganiséchaquecoupafinqu'ilssemblenttotalementaléatoires,complétaDonovan.—Alors,quiestcetype?demandai-jeenespérantobteniruneréponse.UnsouriresedessinalentementsurlevisagedeDonovan.—Jefaisdegroseffortspourqu'iln'arriverienàtonpetitcul.Lederniertrucquejecomptefaire

estdetelaissersauterdanslagueuleduloup.—Maisiltravailleàlabanquequevousavezcambrioléeaujourd'hui,n'est-cepas?C'estcomme

çaqu'ilétaitaucourantpourlechargement.—Ouais,renchéritMichaelenm'adressantunsourire,maisilmentait.Jepouvaislesentiraussifacilementqu'unebrisefraîcheenpleinété.—Letruc,c'estquejenepensepasqueçaallaits'arrêterlà.Jecroisqu'ilcomptaitnousforcerà

cambriolerunedernièrebanque.Ilenparledepuisunmoment.Quandonluiaditqu'onnepouvaitpas,ilaréponduqu'ilavaitungarsàl'intérieur.Lefaitquetunousaiesreconnusvientgrossomododenoussauverlamise.

—Onenaterminé,confirmaMichael,unsourires'étirantsurseslèvres.Lesmêmeslèvresquiaffichaientplusquesouventdespetitssouriresencoin,alorsunvraisourire

étaitagréable.Sincère.Ericse retrouvasoudaindansmondos, tropproche,commeàsonhabitude, lorsqu'il sepencha

par-dessusmoi.—Tunousasempêchésd'avoiràrecommencer.Iln'yaaucunmoyenqu'ilpuissenousforcerà

continuer,maintenant.—OnfileàMexico,detoutemanière,ajoutaDonovan.Çaconclutlemarché.—Non,paspourmoi.Nousnousretournâmesalorsqueleblondserapprochaitàgrandesenjambées,sesgestesraides

decolère.—Cetypen'avaitaucuneidéedequij'étais.Quej'avaisquelquechoseàvoirlà-dedans.Ilyavaitquelquechosed'étrangeausujetdesacolère. Ilnesemontraitpas totalementhonnête,

maisjen'arrivaispasàcomprendreexactementàquelproposilétaitentraindementir.—Ilnelesaittoujourspas,ditEric.—Maiselleavumonvisage.Vousavezinsistépourquecesoitlecas,vousvoussouvenez?Donovanl'attrapaparlecol,detouteévidenceaussilassédesespleurnicheriesquejel'étaismoi-

même.—C'esttoiquiasvoulufairepartieducoup.Ons'entientauplan.—Depuisquandleplaninclutlaprised'otages?— J'ai improvisé, répondit Donovan en le repoussant. (Puis il se tourna vers moi, souriant à

nouveau.)Combiendetempsonaavantquetuappelleslapolice?

Oh, ils allaient réellement partir alors. Et ils savaient que je devais les dénoncer. J'étais un peuétonnéequepersonnen'essaiedemetuer.

—Letempsqu'ilmefaudrapourmelibérer.Ilfronçalessourcils,confus,aussiluimontrai-jemespoignets.Lesourirequitraversasonvisage

àcetinstantétaitceluid'unprédateur.—Jenepeuxrientepromettreunefoisquetuserasattachée.Je lui rendis son sourire. Donovan était un gentleman. Un peu négligé et vagabond, mais un

gentlemantoutdemême.—Jepensequejevaisprendrelerisque.

Chapitre15Tonexistencemefilelamigraine.Valà-bas.

Tee-shirtVingtminutesplustard,j'étaispiedsetpoingsliésdansunepiècesouterrainedel'asile.Donovan

nevoulaitpasprendrelerisquequedesmembresdugangpassentàlamaisonetmetrouveattachéedespiedsàlatêteetàlamercidupremiervenu,alorsilsm'avaienttouslestroisconduitejusqu'icietm'avaientfaitdescendreunescalierdélabré.Ericavaitdégottéunechaise,etilsavaientcommencéàm'attacher.Ou,plutôt,àmescotcher.Commeilsn'avaientpasdecorde,ilsavaientapportédurubanadhésif.Ilyavaitvraimentuntrucavecleshommesetlechatterton.

Ericpenchamachaiseenappuyantsurledossieretm'embrassadanslecou.—Onserevoitdel'autrecôté,beauté.Netefourrepasdansdesennuisquejenem'attireraispas.Jesourisetleserraientrematêteetmonépaule.C'étaitunbravegamin.Etsexyaupossible.La

positiondanslaquellejemetrouvaisétaitsimauvaisepourquelqu'uncommemoi.Attachéeetsansdéfense,enprésencedetroistypessexyquirivalisaientpourattirermonattention.Ilfallaitvraimentquejesorteplussouvent.

Ilmordillamonoreille,puispartitavantquej'aieletempsdeluidireaurevoir.Michaelm'offritsonfameuxsourireencoinetsepenchapourm'embrassersurlajoue.—J'ailesentimentqu'onsereverra,dit-ilavantdem'adresserunsigneetdes'enaller.CequimelaissaseuleavecDonovan.Il s'agenouilla en face de moi, son beau visage éclairé par la lumière tamisée qui filtrait par

l'uniquefenêtredelapièce.Ilenroulasesdeuxbrasautourdematailleetsefrayauncheminentremesjambes.

—Tuesunefemmecourageuse,dit-ilensouriantsincèrement.J'avaisenviede luiraconterpourArtémis,puisqu'elleétaitsachienneavantqu'ellenemeure.Je

voulaisqu'il sachequ'elleétaitavecmoietqu'elleallaitbien,qu'ellem'avaitsauvé lavieaumoinsdeuxfois,maisj'ignoraistotalementcommentilleprendrait.Ilpensaitprobablementdéjàquej'étaistotalement tarée sans que j'aie besoin demettre sa défunte chienne sur le tapis, aussi décidai-je degardercetteinformationpourmoipourl'instant.

—TuvasvraimentàMexico?demandai-je.—Pourcommencer.Quisaitoùonfinira,maisleschosesdeviennenttropdangereusesparici.Ilcaressamajambed'unemain,sesdoigtsserapprochantdangereusementde lazoneentremes

cuisses,égalementconnuesouslenomdeVirginie.—Tupourraisveniravecnous,ajouta-t-ilsansreleverlatête.Ilétaittoutàfaitsérieux,etjesavaisqu'ilaccepteraitquejelesaccompagneenunclind'œil.Mais

commentaurais-jepupartir?CertainesfemmesétaientdugenreàtoutplaquerpourfileràMexico,maiscen'étaitpasmoncas.J'avaisdesresponsabilités.Etuneaffaireàrésoudre.Etdesdémonsquimecollaientaucul.Enyréfléchissant,m'enfuirnemesemblaitpasunesimauvaiseidéeaprèstout.

Nan,jenepouvaispaslaisserCookie.NiGemma.NiM.Wong.Ni...JesongeaiàReyes,mêmesijefaisaistoutmonpossiblepourleteniréloignédemespensées.Sesyeuxnoirsbrillants,seslongscilsépais.Quiessayai-jedeleurrer?Jenepouvaispaspartirsansluinonplus.

Et pourtant, un des hommes les plus doux que j'avais jamais rencontrés était agenouillé devantmoi.Motardoupas,ilsavaitcommenttraiterunefille.

D'accord,ilm'avaitattachéeàunechaise,maisc'étaitmonidéeàlabase.—Jetetiendraiinforméedel'endroitoùnoussommesquandonseraarrivésàdestination,dit-il

sansattendrederéponsedemapart.Tuserastoujourslabienvenue.— C'est ça, raillai-je, ne le croyant pas une seule seconde. Tu vas trouver une magnifique

Mexicainequitedonneraenviedetemarieretd'avoirdespequeñosbanditospourlapremièrefoisdetavie,ettuoublierasjusqu'àmonnom.

Latristessequil'envahitdébordajusqu'àmoi.—Pasderisque,mabelle.Ilfitcourirsonpoucesurmalèvreinférieurepuislarecouvritdessiennes,lacapturantentreses

dentsetlasuçotantavantdepressersabouchecontrelamienne.C'étaitunbaiser trèsagréable,douxetsansempressement,et ilétaitaussibienvenuqu'unepluie

finesurleshautesplaines.C'étaitcedontj'avaisbesoin.Uneespècedebaumeréparateurm'entouratandisqu'ilappuyaitmeshanchescontre lessiennes.J'écartai lesgenouxetprisplaisiràsentirsonérectioncontrelapartie laplussensibledemonêtre.Et je jurequesi jen'avaispasété ligotéedespiedsàlatête,jeluiauraissautédessusàcetinstant.J'étaisvraimentdévergondée.

—Jenesaispastropsivousdevriezfaireça,MissCharlotte.Jemis finaubaiser, le soufflecourt.Rocket se tenaitdroitderrièreDonovan, lesmains sur les

hanchespoursignifiersadésapprobation.— Rocket ! m'exclamai-je en me redressant sur ma chaise. Donovan m'aidait juste... avec mes

lentillesdecontact.Donovanhaussaunsourcilamusé.Rocketfronçalessiens.—Est-cequevouslesavezavalées?RocketressemblaitàunbonhommeMichelingéantavecunvisagedouxetuncorpsunpeumou,

cequifaisaitdeluilemeilleurdonneurdecâlinsàdeskilomètresàlaronde.—Non,jenelesaipasavalées,ilétaitjusteentrainde...Avantque jen'aie le tempsde trouverun autremensongeplausible, je remarquaiCharlotte aux

Fraises,unedéfuntedeneufansquipouvaitmedonnerenviederentrersousterreàvingtmètres.Jenel'avaispascroiséedepuisunmoment,alorsc'étaitquandmêmeunpeurassurantdesavoirqu'elleétait toujours làetqu'elleseportaitbien.Maiscen'étaitpasde lavoirquim'avaitcoupé laparole.Tandisqu'elleétaitplantéeàm'observer,mainssurleshancheségalement,ladésapprobationcreusantdeslignesdanssonjolivisage,unetoutepetitefilleavecdescheveuxnoirscoupésaucarréetunesalopettesecachaitderrièreelle.

Comme Donovan regardait par-dessus son épaule, essayant d'apercevoir ce que je voyais, jelaissaiunsourire tendresepropagersurmes lèvres.Je tournaiunepaumevers leplafond, tordantmonbrasdansmonpullàlonguesmanchestandisquelescotchleretenaitenplace,invitantlapetiteàserapprocher,etdis:

—TudoisêtreBaby.Son visage était ovale,minuscule et si pâle qu'il était difficile de discerner autre chose que ses

grandsyeuxnoirs,etelleavaitl'airaussichoquéequ'intimidée.Ellen'avaitdetouteévidencejamaisvudeuxpersonness'embrasserauparavant.Sij'avaissuqueçal'attireraitjusqu'àmoi,j'auraistraînéDonovanicipourflirteravecluideslustresplustôt.

Rocketsetournaverselle,etilsemblaaussisurprisquemoideladécouvrirlà.CharlotteauxFraisess'avançaàcetinstant,sabouchepincéedereproches.—C'estqui, lui?demanda-t-elleenpointantd'undoigtmouletypequiavait toujourslesmains

poséessurmesfesses.—C'estDonovan,répondis-jeavecungrandsourire.C'estlepropriétairedubâtimentdanslequel

onsetrouve.—Jecroyaisquetuavaisditquetusortiraisavecmonfrère.

Pour son bien-être, j'avais ravalé l'horreur que l'idée d'un rendez-vous avec Taft, son frèrepolicier,m'avaitinspirée.C'étaitunbravetype,maisjen'avaisjamaiseulamoindreenviedecoucheraveclui,etc'étaitmoncritèrepoursortiravecunhomme.Sicetteattractionprimairen'étaitpaslàdèsledépart,elleneviendraitsûrementjamais.Pasdansmonmonde,entoutcas.

—Non,c'esttoiquiasditquej'allaissortiravectonfrère.(Jemepenchaipourl'embrassersurleboutdunez,ungestequ'ellen'appréciapaslemoinsdumonde,maisquimefitprofondémentplaisir.)Etils'avèrequ'ilestdéjàpris.

— Ouais, par des filles vulgaires qui portent trop de maquillage. T'es peut-être pas supermignonne,maisaumoinstuneressemblespasàuncamionvolé.

Jeravalaiunerepartiebiensentie.—Merci,jecrois.MaisDonovanestunchictype,malgrésatendanceàcambriolerdesbanques.—Sérieux ? (Ses yeux s'animèrent tandis qu'elle le dévisageait sous un nouvel angle.)C'est un

voleurdebanquescommeJesseJames?Jepensaisquec'étaitjusteunmotarddébraillé.Jeris.Quiauraitcruquecettegamineavaitunfaiblepourlesvoleursdebanque?—C'estunmotarddébraillé.—Hey,fitleprincipalintéresséenmedonnantunpetitcoupdegenou.—Maisilestbienplusqueça.Ilpinçalaboucheenunemouequisemblaitexprimerledoute.—Tuesvraimententraind'avoiruneconversationavecquelqu'un,outuessaiesjusted'éviterle

problèmeactuel?—Dequelproblèmetuparles?—Dufaitquejerisquedeneplusjamaisterevoir.Ildemeuraimpassible,maissesémotionssefirentplussombres.—D!criaEricdepuislehautdel'escalier.Ilfautqu'onbouge!Il prit une profonde inspiration et fit courir ses doigts le long de ma mâchoire et sous mon

menton.—Si jen'aipasdenouvellesde toidansdeuxheures, j'endéduiraique tues encorecoincéeet

j'enverraidel'aide.Jehaussailessourcils.— J'ai vu de quel genre d'aide tu bénéficies, lui dis-je, faisant référence à sa joyeuse bande de

criminelsassociés.Jecroisquejetenteraidemedébrouillertouteseule.—J'appellerailapolice,mecorrigea-t-il.Alorsfais-moisavoirquandtusorsd'ici.—OK,promis.—D!Situnevienspas,est-cequejepeuxprendreOdin?C'estvraimentunebellebécane.—Non!criaDonovan.—Trèsbien.Merde.Pètepasunplomb.JeregardaiDonovanenbattantdescils,l'appréciantsousunnouveaujour.—Quoi?demanda-t-il,soudainméfiant.—Odin?Tuasdonnéunnomàtamoto?Ilm'adressaunclind'œiltandisqu'ilramassaitlerouleaudechatterton.—J'aiétéinspiréparunefollequiconduituneJeepdunomdeMisery.—T'asappelétavoitureMisery?demandaCharlotteauxFraises,l'airdégoûté.—Ecoute, fitDonovan, soudain trèsgrave.Edwardsn'a peut-êtrepasdit sonderniermot, si tu

voiscequejeveuxdire.—Edwards?—Letypequivoulaittefairetafête.—Vraiment?demandai-je.Ilestmignon?—Leblond,danslafourgonnette,celuiquivoulaittedécouperenmorceaux.—Ah,cetEdwards-là.

Ilrit.—Ilaétérenvoyédel'écoledesnipersdesMarines,etiln'estpluslemêmedepuis.—LesMarinesavaientpeut-êtremisledoigtsurquelquechose.—Surveilletesarrières,OK?—Parsduprincipequ'ilssontsurveillés.Ilsouritetpréparaunboutderubanadhésifqu'ildéchiradurouleau.Jerisàmontour.—Jecroisquejesuisbienattachée.—Non,maistuvasl'être.Ilcolla le rubanà l'arrièrede lachaiseet l'enroulasurmacage thoracique, justeendessousde

DangeretWillRobinson.Cequilesfitbienressortir,chosequineluiéchappacertainementpas.—C'estmieux,observa-t-il,leregardfixésurlesfilles.Jelevailesyeuxauciel.—Vraiment?C'estcommeçaquetucomptesmelaisser?Avant que j'aie le tempsdedire autre chose, il se pencha et planta sabouche sur lamienne.Ce

baiserétaittoutsaufdoux.Lebesoinetl'envierayonnaientdeDonovantandisquesalanguedépassaitlabarrièredemeslèvres,puisdemesdents.Commesic'étaitladernièrefoisqu'ilm'embrassait.Ilavaitunlégergoûtdebièreetdecannelle.J'entendisunfaiblegrognement,et jemerendiscomptequ'ilprovenaitdemoi.

Donovan remonta ses mains jusqu'à mes joues et plongea les doigts dans mes cheveux, tirantcertaines mèches hors de ma queue-de-cheval. Il prit mon menton en coupe et repositionna monvisage pour avoir un accès plus aisé. Se penchant un peu plus versmoi, il approfondit encore lebaiser.J'avaisenviedememoulercontrelui,desentirsoncorpstenducontrelemien,maisilm'avaitscotchée sur la chaise.Bien sûr, cela n'empêcha en rien une de sesmains de se retrouver surmesfessesànouveau. Ilm'attiraplusprèsde lui -avec lachaise -,puis ilparcourutWilldesmains, lasoupesa,testasonmamelondupouce.

—D,nomdedieu?Avecunegranderéticence,ils'éloignademoi.Sespaupièresétaientencorecloseslorsqu'ilcria.—Jeviens,bordel!(Puisilreportasonattentionsurmoi.)Paslittéralement,malheureusement.(Il

fitànouveauglissersonpoucesurmabouche.)Tuestellementspéciale,Charley.Jereviendrai.Sansrienajouter, ilseredressaetsortitde lapièce,ses largesbottesrésonnantcontre lesmurs.

Puisj'entendisuneportesefermerquelquepartàl'étage.Jerestaiassiseàmijoterdansunbrouillarddedésiretdechaleurjusqu'àcequejeprenneconsciencequej'avaistoujoursunpublic.Etjenepusm'empêcherderemarquerquelamâchoiredeBabyétaitbéante.Pauvregamine.

Après avoir pris une longue inspiration pour tenter de calmer mes hormones, je demandai àRocket:

—Est-cequetucomptesnousprésenter?—MissCharlotte,jenepensepasquevousdevriezembrasserdesgarçonssurlabouchecomme

ça.Surtoutdevantmasœur.—Tuasraison.(Jebaissailatête,honteuse.)Elleesttrèsjolie,entoutcas.—Jevaism'occuperdetatignasse,proposaCharlotteauxFraises.Elleseplaçaderrièremoietenlevalerestedemescheveuxdel'élastique,puisutilisasesdoigts

commeunpeigne.Pour l'amourdusoleil, jeseraischanceusesi jepartaisd'icienayantencoreunpoilsurlecaillou.

Babyétaittoujoursaussiloindemoiqu'illuiétaitpossibledel'êtresanssetrouverdanslapièced'àcôté, et j'avaisencorede lapeineàcroireque je l'avaisenfinvue.Ça faisaitdesannéesque jevenais,etjenel'avaismêmepasaperçueuneseulefois.Elleétaitabsolumentadorable.

Ses cheveux courts bouclaient sous ses oreilles.Les boucles étaient coupées avecuneprécisionméticuleuse.

Après unmoment, elle se rendit compte que je la regardais. Elle ferma la bouche et recula, lementonbaisséetlesépaulesvoûtées.

—C'étaitunplaisirdeterencontrer,criai-jeunefractiondesecondeavantqu'ellenedisparaisseàtraverslemur.

Puisjefussoulevéedusol,aveclachaise,etpresséedansl'étreintelaplusétrangequisoit.Rocketadoraitserrerlesgensdanssesbras.Peuimportaitquematêtesoitécraséecontresonépauledansunangletoutsaufnaturel.

— Où étiez-vous passée ? demanda-t-il, et je me rendis compte à quel point l'air devenaitrapidementprécieuxquandvosréservesétaientépuisées.Vousn'êtespasvenuedepuisuneéternité!

—Rocket, l'apostrophaCharlotte auxFraisesd'unevoixnasillardeparcequ'elle seplaignait. Jen'arriveplusàatteindresescheveux,et tuasvuàquoi ils ressemblent?Peut-êtrequ'ondevrait luiraserlatêtepourrepartirsurdebonnesbases.

J'ouvris les yeux en grand. C'était certainement une de ces fillettes qui rasaient la tête de leurspoupées.Cesgaminesétaientvraimentflippantes.

—Pasdebouleàzéro,grognai-jedansl'épauledeRocket.—Jenecomprendsrienàcequetudis,répliqua-t-elle.Jevaischercherdesciseaux!La paniqueme gagna,mais pendant un instant seulement. Les défunts étaient limités dans leurs

interactionsaveclesobjetsdenotredimension.Ellenepourraitcertainementpasmettrelamainsurdesciseaux.

—Oupeut-êtrequejepeuxdénicheruncouteau.Elledisparutdanslehall.—Rocket,appelai-jed'unevoixétouffée.Jen'arrivepasàrespirer.Et,commetouteslesautresfoisoùilm'avaitsoulevéepourundesescâlinsd'ours,ilmelâcha.Je

m'écrasaisurlesol,lachaisecraquantetbasculantdangereusementenarrière,s'équilibrantaubordnéant,jusqu'àcequelepoidsdematêteremportelapartieetmefassem'effondrerparterre.Pourladeuxièmefoisendeuxjours,moncrânerebonditsurlebétonlorsqu'illefrappa,etladouleurirradiamacolonnevertébrale.

Jefermailesyeuxaussifortquepossiblepourluttercontrecettesensationdésagréable.Etjerestailà,mouléeàlachaiseparlerubanadhésif,lespiedsenl'airetlatêtebaignantdansdesrésidusnonidentifiésetvaguementgris.

Cen'étaitpasdutoutinconfortable.Le bruit de moteurs de motos qui démarraient emplit la pièce. Après quelques minutes, le

grondementàmesoreillesdisparut lorsque lesbanditss'élancèrent- littéralement-endirectionducoucher de soleil. Façon de parler. Au début, je me demandai combien de temps je devrais leurdonneravantdem'évaderetd'appelerlapolice.Maismaintenant,jenesavaismêmeplussij'enseraisseulement capable. Que se passerait-il si je n'y parvenais pas ? Est-ce que Donovan appelleraitvraiment les flics au bout de quelques heures ? Est-ce que j'allaismourir ici d'hypothermie et dedéshydratation?

J'avaistellementmauvaiseminequandj'étaisdéshydratée.Cen'étaitpaslabonnemanièredemourir,selonmoi.C'étaitmieuxdelefaireavecpleindefluides

danslecorps.Commedansunparcaquatique.Oudurantunconcoursdetee-shirtsmouillés.—Vousavezl'airrigolo,fitRocket,etjesongeaiqu'onpourraitrattraperletempsperdupendant

quej'étaisétaléeàmijoterdansmoninquiétude.—Ahoui?articulai-je.Ehbien,tuasl'airenforme.Est-cequetuasfaitdel'exercice?Unsourireéblouissantséparasonvisageendeux.—Vousditestoujoursça.J'aidenouveauxnomspourvous.—D'accord.Je regardai partout autour pour admirer son œuvre d'art et fronçai les sourcils. À ma

connaissance,lesmursdetouteslespiècesdel'asileavaientétécouvertsetrecouvertsdesnomsdetouslesdéfuntsqueRocketavaitgravésdansleplâtre.Maislesmursdecettepièce,cetteénormeetvaste étendue caverneuse, étaient totalement vierges. J'allongeai le coup pour l'observer aumieux,prenantnoteducanevasimmaculétoutautour.

Rocketsedirigeaverslapièced'àcôtéavantdeserendrecomptequejenesuivaispas.—MissCharlotte,venez!—Jenepeuxpaspourl'instant,mongrand.Maréponsevagueneledécourageapas.—Maisjedoisvousmontreruntruc.Quelquechoseestentraindeseproduire.Il attrapamon bras et commença àme tirer en direction de la porte, etmes cheveux traînèrent

encoreplusdanslesrésidusgraisseux.Lachaiserâpaitsurlebétonet,plusonserapprochaitdelaporte,plusmoninquiétudegrandissait.Jenepasseraisjamaisparl'ouverture,pasvul'angleauqueljem'approchais.Passansperdrelatête,cequi,vulaforcedeRocket,étaittoutàfaitplausible.

—Rocket,attends!l'implorai-je,maisilcontinuaàmetireretjecontinuaiàglisser.Jecommençaiàmedébattre surmachaise,à luttercontre les liensàmesureque lecadrede la

porteserapprochait.—Rocket,jeneplaisantepas.Ils'arrêtanetetmeregarda.—Vouspensezquelapluiefaitpeur?—Euh...Mais je l'avais perdu. Il avait déjà reporté son attention sur la tâche dont il s'occupait.Maudite

hésitation.—Rocket!criai-jepouressayerdebrisersaconcentration.J'aiunequestionàteposer!Ils'arrêtaànouveau,aussim'empressai-jededemander:—Pourquoiest-cequ'iln'yaaucunnomdanscettepièce?Ilmelançaunregardcinglant.—Jenepeuxpastoucheràcesmurs.Jelesgarde.—Vraiment?relançai-je,luttantcontrelechattertonàl'aidedemesdentsetdemesongles.Pour

quoi?Pourl'apocalypse?—Neditespasdebêtises.Pourlafindumonde.Jemefigeai.—Attends,quoi?Rocket,dequoiparles-tu?Tout le monde avait fait allusion à une sorte de guerre surnaturelle, mais personne n'avait

mentionnélafindumonde.Jenefaisaisqueplaisanterquandj'avaisditçaàReyes.— Vous savez, quand des tonnes et des tonnes de gens meurent à cause de la décision d'une

poignéed'hommes.Oud'unseul.—Unseul.TuveuxdireundictateurcommeHitler?IlyauraunautreHolocauste?—PasHitler.Unhommequifaitsemblantd'êtrehumain.Est-cequelesbonnessœursn'avaientpasracontéuntrucdugenre?Unhommequiprétendaitêtre

humain.D'accord, ehbien, ça laissait de côté lamoitiéde lapopulation,puisquecen'était pasunefemme.

—Maisqui?Quand?J'avais toujours rêvédevoyagerdans le tempsetde tuerHitleravantqu'ilnedeviennefou.Des

millionsdepersonnesl'auraientfaitàl'époques'ilsavaienteuunebouledecristal.Jen'avaispeut-êtrepasdebouledecristalnonplus,maisj'avaisRocket.Etsatêteavaitunpeulaformed'uneboule.Etpuisellebrillait.Etjepouvaisvoiràtravers.Ilferaitl'affaire.

—Rocket,quelhomme?Queva-t-ilfaire?—Jenesaispasencore.Ilpourraitounepourraitpaslefaire.C'esttoujoursensuspens.Jebougeailégèrementpourtrouverunemeilleureposition,grognantenlefaisant.

—Ensuspens?—Oui,commequandlesgensprennentdesdécisions,etqu'éventuellement,unepersonnequine

devaitpasmouriràcemomentmeurt,etqu'unepersonnequidevaitmourirresteenvie.Ilssontensuspens.

—Donccesdécisionsnesontpasgravéesdanslapierre?—Non,ellessontgravéesdansmesmurs.—Maisqui,Rocket?Quiestcenséfairetoutça?S'ilrépondaitReyes,jejuraisdevantDieuquej'allaishurler.Ilagitaundoigtenfacedemoi.—Non,non,non.Onnetrichepas,MissCharlotte.C'étaitplusd'informationsquej'enavaisobtenuesdeRocketdepuislongtemps.Ilétaitaucourant

dechosesquidevaientseproduire.Sicen'étaitpasdelaclairvoyance,jenesavaispascequec'était.Jerepensaiàmonpère.Jemedemandaicombiendetempsilluirestait.—Est-cequejepeuxtedonnerunnom?—Maisj'aiquelquechoseàvousmontrer.—Jesuisunpeuattachée,encemoment.LelandGeneDavidson.Ilsemitàpapillonnerdescilscommeilavaitl'habitudedefairelorsqu'ilparcouraitdesmillions

denoms.—Troissontmorts.Deuxsontencoreenvie.—D'accord,mais ceux qui sont encore en vie, tu sais quand ils vontmourir ?Est-ce que c'est

prochainement?—Pasquand.Seulementsi.—Mais,est-cequ'ilestensuspens?—Non.Pasensuspens.C'étaitcommeconduireunevoituredecoursesuruneautoroutequinemenaitnullepart.Jelaissai

tomberetchoisisunautrechemin.—Rocket,est-cequejesuisenmesuredeprédirequandquelqu'unvamourir?Ils'arrêtaetmeconsidéraavecunregardstupéfait.—Biensûrquevouspouvezprédirequandquelqu'unvamourir!C'estvotretravail.Jepensaisbien.Jemedemandaisquand,moi,j'allaismourir.—Est-cequejesuisensuspens?—Miss Charlotte, vous êtes la Faucheuse, me sermonna-t-il en reniflant fortement. Vous êtes

perpétuellementensuspens.—Doncjepourraismourirpourdevrai?Àtoutmoment?—Oui.—Oh.(C'étaitdécevant.)Ehbien,mercidemel'avoirditclairement.Jesoufflailapoussièresurmafrange.—Vouspourriezêtretuéeparunemoto.Ouécraséeparunegrossepierre.Oupoignardéeavec

uneaiguilleàtricoter.—D'accord.—Oumêmepousséeenbasd'unescalier.—C'estbon,j'aicompris.Merci.—Ouonpourraitvoustirerenpleinetêteavecunearmeàfeu.—Rocket!C'estbon!Sérieusement,tun'aspasbesoindedéveloppertapenséeplusqueça.Maisilattrapamonbras,ettouteinnocencequittasonvisage.Cen'étaitplusunpetitgarçon.Ilen

savaittrop.Ilenavaittropvu.— Ou, continua-t-il, sa voix prenant une inflexion inquiétante, vous pourriez être tuée par la

personnequevousaimezleplus.Enmêmetempsquetouslesautres.Ehbien,çamefaisaitplusmalauculqu'uneséanced'abdos-fessier.Rocketrelâchamonbrasetseredressapourinspecterlesalentours.Jesavaispourquoi.Jel'avais

ressentiégalementavantmêmequeReyesnesematérialise,etjemedemandaidepuisquandilétaitlà.N'ayantjamaisétéungrandfandeReyes,Rocketdisparutàl'instantoùunemerdetissunoirfitsonapparitiondanslapièce,ondulantautourdemoijusqu'àcequ'ellesestabiliseauxpiedsdeReyes.Ilparladansl'ombredesacapuche,refusantdemontrersonvisage.

—Tuasdonnétonaccordpourêtreligotéequandunearméededémonsestàtestrousses?—Oui.Jen'yavaispasvraimentsongésouscetangle.Ilexpulsal'airdesespoumonsdemanièreexaspéréeets'avança.—Unjour,jecomprendraicommenttonespritfonctionne.Jericanai.—Bonnechance.Çamesemblaitunealternativeintéressanteaufaitdemourir,danslefeudel'action.—Àquelmomentexactementtaviea-t-elleétéendanger?—Tuvasm'aideroupas?Il s'agenouilla à côté demoi et repoussa sa capuche, révélant ainsi ses traitsmagnifiques et si

spéciaux.Cevisagequiavaitdenouvelleslacérationsauniveaud'unsourciletd'unepommette.—Tutebatstoujoursaveceux?demandai-je,surprise.Tuleschasses?Ilpenchalatêtesurlecôté.—Tupensaisvraimentquej'allaisarrêter?—Combiendetempsest-cequeçavacontinuer?Combienyena-t-ilenliberté?Ilétaitentraind'observerlerubanadhésif.—Plusqu'unepoignée,àprésent.Trèspeud'humainssurTerrepeuventvoircequ'ilsvoient.Mes

frèresserontbientôtàcourtd'options.—Tunelestuespas,n'est-cepas?Ilssontinnocents.Cenesontquedespersonnesquipeuvent

voirlesdéfunts.— Je ne les tue que si je dois le faire. Est-ce que tu vas remettre en cause chacun de mes

mouvementsalorsquetuesscotchéeàunechaise?—Désolée.J'espéraissimplementquetuarrêteraisdeleschasser.—Ilsn'arrêterontpasd'essayerdet'atteindre,Dutch.Hedeshiamenti.—Jesais.Jevoulaisjustedireque...Tutefaissalementamocherenlefaisant.Undescoinsdesabouchesensuellesereleva.—Tut'inquiètespourmoi?—Non.J'ajoutaiun«pfff»pourbienluimontreràquelpointc'étaitloind'êtrelecas.—Tunesemblaispastrèsinquièteaveclalanguedecetypeaufonddetagorge.Super.Ilavaitassistéàça.—Jaloux?—Non.—Parcequetuasl'airjaloux.Ilabaissalescilsenplissantlesyeuxpourm'observer,maislavoixhautperchéed'unedéfuntede

neufansquiavaitdestendancesmasochistess'élevadel'escalieravantqu'ilpuisserépondre.—J'aitrouvéuncouteau!criaCharlotteauxFraise.Putaindemerde.— Sors-moi d'ici ! implorai-je Reyes en tortillant mes doigts. Dépêche-toi ! Avant qu'elle ne

revienne!

Chapitre16Nemejugezpasparcequejesuissilencieux.Personneneplanifieunmeurtreàvoixhaute.

Tee-shirtUne fois que Reyes m'eut débarrassée de mes liens puis eut disparu comme à son habitude,

prétextant un urgent besoin d'être ailleurs, je sortis de l'asile et dépassai quelquesmotards qui setrouvaient chezDonovan. Jeme demandais s'ils étaient au courant pour les cambriolages.Ou s'ilssavaient qu'il ne reviendrait pas avant un moment. Je me dirigeai vers la rue, en direction d'undépanneurquin'étaitpasloin,enessayantd'avoirl'airleplusnonchalantpossibleetenespérantquelestrucsquej'avaisdanslescheveuxn'étaientpastropvisibles.Cen'étaitpaslevoisinageleplussûrpourunepromenade,mêmeenpleinaprès-midi.

Je remismes cheveuxdans l'élastique,puis sortismonportable et envoyaiun texto àDonovan,afinde lui faire savoirque j'avais réussiàm'échapper,mêmesi j'avais failliyperdre lavieetmavertu.Puisj'appelaiGarrett.

—Swopes,dit-il,toutprofessionnel.Ilvoyaitmonnoms'afficher,pourl'amourduciel.—J'aibesoind'unchauffeur.—Tuasbesoind'unpsy.—Pasfaux,maisj'aibesoind'unchauffeuravant.—Pourquoi?OùesttaJeep?Ilsemblaitessoufflé,commes'ilétaitentraindecourir.Oudes'envoyerenl'air.Maismontiming

nepouvaitpasêtremauvaisàcepoint.—Miseryestsurlascèned'unvoldebanque.—Jenevaismêmepasdemanderpourquoi.Ilavaitapprissaleçon.—JeseraiàLaVidangesurBroadway.—Leclubdestriptease?—Non,etbeurk.Ledépanneur.—Oh.J'espéraisquetuavaischangédeprofession.—Monvieux,tuneveuxpassavoiràquoijeressemblequandjedanseautourd'unebarre.Jel'ai

fait une foispourun enterrementdeviede jeune fille, et disons justeque çane s'est pas trèsbienterminé.

—Tuasfaitdelapoledanceàunenterrementdeviedejeunefille?—C'estunelonguehistoire.Tuvasvenirmechercheroupas?—Jepense.Maisilmefaudraunmomentpourarriver.—Ehbien,grouille.J'aidestrucsàfaire.Etjerisqued'êtrearrêtéepourcomplicitéalorsilfaut

quejem'ymette.Je devais toujours passer voir commeHarper se portait et faire quelques recherches pour elle.

Monarrestationimminentepourcambriolagedebanqueallaitgrignotersurletempsquej'avaispourrésoudredescrimes.

Je raccrochai et appelai mon contact à peu près amical au bureau local du FBI. On s'étaitrencontréesaucoursd'uneaffaire,quelquesmoisplustôt,etjel'aimaisbien.Ellem'avaitfaitsourire,et elle nemenaçait presque jamais dem'arrêter.On s'entendait bien. Et je savais que ce serait une

bonnealliéeaucasoùjemeretrouvaissurlalistedessuspectspourdescambriolagesdebanque.Dans la mesure où je n'avais pas d'emballage de bonbon sous la main pour m'aider à faire

semblant d'avoir la mauvaise connexion téléphonique que j'étais sur le point d'avoir, je décidaid'avoir recours à des bruitages vocaux. Lorsque l'agent Carson décrocha, je commençai maperformance.

—Agent...AgentCarson,fis-jeenhaletantdanslecombiné.—Oui,Charley.Ellen'avaitpasdutoutl'airimpressionnée,maisjen'allaispasm'arrêtermaintenant.—Je...Jesaisquisontleskshshshshshshshsh.—Jesuisunpeuoccupéeencemoment,Davidson.Qu'est-cequ'unksh,etpourquoiest-cequeça

m'intéresserait?—Jesuisdésolée.Monkshshsh...estentraindekshshsh...er.—Jerépète.Qu'est-cequ'unksh?Etpourquoilefaitqu'ilseraitentraindeksh-trm'intéresserait?C'étaitunedureàcuire.Jesavaisquej'auraisdûattendreavantdel'appeleretallerm'acheterdes

crackers.LeuremballagefaisaitunbruitdignedesRiceKrispieslesamedimatin.—Vousnemê-kshksh-tezpas.—Vousn'êtesvraimentpasdouéeàcepetitjeu.—Descamb-kshshshdebanque.Jesaisquiilskshshsh.—Charley,sivousn'arrêtezpascesconneries...Jeraccrochaietéteignismontéléphoneavantqu'ellenecomprennecequej'essayaisdenepaslui

dire et tente de me rappeler. Tout ça aurait été beaucoup plus convaincant si elle m'avait trouvéeligotéedansunasile.Heureusement,çaseproduisaitrarement.

J'arrivaichezledépanneurenuntempsrecord,maistoutcequejepusmepayerfutunebanane.Ellesétaient soldées,et leprixdesmocha latteétait un affront àDieu. J'avais totalementoubliéderéclamermonmilliondedollarsàReyes.Etrepauvre,c'étaitpaspourmoi.

Cookie appela juste aumoment oùGarrett se garait. J'avais rallumémon téléphone au cas où,parcequ'unhommedansunevieilleCadillacn'arrêtaitpasdemedemandersijevoulaisgoûteràsonantigel.

Toujoursdansunsoucidemefondredanslevoisinage,jerépondispar:—Quoid'neuf,mapoule?—Tuesdenouveaudansunemauvaisepartiedelaville?—Tul'asdit.(JegrimpaidanslecoffredeGarrettetl'ignoraitotalement.C'étaitmarrant.)Mais

j'aiapprisunechose,aujourd'hui.—Ouais?—Situdoismangerunebananeenpublic,évitedecroiserleregarddequelqu'un.—C'est bon à savoir.Bon, j'ai fait des recherches sur ce qui s'est passé à la période où tout a

commencé,quandlesparentsdeHarpersesontmariés.Cesontdespetitstrucs,pourlaplupart,àpartunmeurtredanslesmontagnesManzano,maisilaétérésolu.Ilyavaitaussiunedisparition,qui,elle,n'ajamaisétérésolue,celled'ungarçon.Maisc'étaitàPeralta.Pourcequej'ensais,aucundesdeuxn'étaitliédeprèsoudeloinauxLowell.

—D'accord.Mercipourtout.—Oh,etlepsyveutbientevoir,maisseulementsituycoursventreàterre.Ilaencorequelques

rendez-vouspourlajournée,etensuiteilquittelaville.—Oh,queltimingparfait.Situtombessurautrechose.—Jesaisoùtetrouver.JeraccrochaietoffrisàpeuprèstoutemonattentionàGarrett.Envérité,untypequiétaitentrain

de sebattre avecundistributeur à journauxeneut laplusgrandepartie,mais jedédiai tout cequirestaitàSwopes.

—Hola!

—Alors,oùest-cequ'onva?Ouest-cequ'onvajusteattendreici jusqu'àcequejesoisàcourtd'essence?

J'étaissurlepointderépondrelorsquel'agentCarsonrappela.Bonsang.J'auraisdûéteindremonportableànouveau.

Je pointai l'est, ordonnant à Swopes de prendre cette direction, puis décrochai. Lorsque je meremisàfairedeskshshshdansletéléphone,ellemecoupa:

—N'ypensezmêmepas.Pourquoiest-cequevotreJeepestsurlascèned'unvoldebanque?—Oh,répondis-jeenrecommençantàhaleter.Dieumercivousavezréussiàmettrelamainsur

moi!(Jedéglutisdifficilement.Garrettsecoualatêteetseconcentrasurlaroute.J'étaistotalementdesoncôtéconcernantcettedécision.)C'estcequej'aiessayédevousdire.Onm'apriseenotage.

—Oui,j'aivulesimagesdescamérasdesurveillance.—Bien,doncvous...—Voussavezcombiendecombiend'annéesvousallezécoperpourça?Ehben,merde.—J'aivraimentétépriseenotage.Àpeuprès.Etjepeuxvousdirequisontlescambrioleurs.Ellemarquaunelonguepausedurantlaquellej'étaissûrequ'elleétaitentrainderécupérerduchoc

queluiavaitprovoquésachance.—Jevousécoute.—MaisilfautquevouslaissiezmononcleBobsurlecas.—D'accord.—Est-cequevousyêtesencemoment?Àlabanque?Jepeuxêtrelàdanspaslongtemps.—Davidson,quiacambriolécettebanque?Jelaissaiéchapperunlongsoupir,gagnantautantdetempsquepossibleafinqueDonovanpuisse

s'approcherduMexiquedequelquesmètresdeplus,puisrépondis:—Unepoignéed'hommesd'ungangdemotardslocalappelélesBandits.Maisilfautquejevous

parled'euxavantquevousvousjetiezprématurémentàleurpoursuite.—Jenefaisjamaisriendemanièreprématurée.Jen'endoutaispasuneseuleseconde.—Onlesfaisaitchanter,et lapersonnequiamis toutcelaenplacesavaitque l'argentserait là,

mais il ne travaille pas à la banque.Donc, qui d'autre est au courant ? Peut-être un conducteur defourgonblindé?L'époused'unemployé?

Jepouvaisentendrelebruitquefaisaientseschaussuressurletrottoirtandisqu'ellecherchaitunendroitplusdiscretpourmeparler.Ellechuchotadansletéléphone.

—Vousêtesentraindemedirequel'informationvenaitdel'intérieur?—C'estexactementcequejesuisentraindevousdire.Cestypesl'ontfait,absolument,maisils

n'avaientpaslechoix.—Ehbien,vousêtestoujoursaussidivertissante,ilfautlereconnaître.—Oh,merci.(Elleétaittellementgentille.)JevousretrouveàmaJeep.—Jeserailà.JeraccrochaietdemandaiàGarrett:—Jepeuxt'engagerpourlerestedelajournée?—Biensûr,répondit-ilenhaussantlesépaules.Jeviensdeterminerunegrosseaffaire.Jepeuxme

permettredepasserunaprès-midiloindubureau.Iln'enavaitpasvraiment.C'étaitsonpick-upquienfaisaitoffice.J'observailesnombreuxfichiers,

dossiersetemballagesdenourritureàemporterquis'alignaientsursonsiègearrière.—Jecroyaisquec'étaitça,tonbureau.—Çal'est,plusoumoins.Jevoulaisdiremétaphoriquement.—Mêmesijedoisadmettrequejesuisimpressionnéequetuconnaisseslasignificationdecemot,

ilfautquejet'avoueuntruc.Jen'aipasd'argentpourtepayer.

—Jem'endoutais.Alors,oùesttaJeep?J'étaisunpeusurprisequ'il l'ignore. Iln'avait sûrementpasdûécouter la radio.Lecambriolage

devaitêtresurtouteslesondes,àn'enpasdouter.—Ehbien,maJeepestàlaBanquecommunautairedeBernalillo,maisilfautquejefassedeuxou

troistrucsavant,etjen'aiplusbeaucoupd'essence.—Tunevienspasdedireàcetagentquetuarrivais?—J'aiditquejelaretrouvaisàmaJeep.Jen'aipasditquand.Etc'esttoiquimerépètessansarrêt

quej'aibesoindesuivreunethérapie,luifis-jeremarquer.Allonsvoirunpsy.Il haussa les épaules et suivit les directions que je lui indiquais pour nous rendre au bureau du

psychothérapeuteactueldeHarper. Il se trouvaitdansunpetit immeubledesannées1970,avecunefaçadeenpierredelaveetdespoutresmétalliquessaillantes.

JepénétraidanslebâtimenttandisqueGarrettrestaitdanslavoiture,àsedemanders'ilpourraitêtrearrêtépoursonrôledansmonévasionauprèsd'unagentfédéral.Jeluiavaisassuréquecen'étaitpas lecas.Et ilm'avait crue. J'auraisdétestéêtreà saplacesi j'avais tort, et, siparmalheuronenarrivait là, je venais de lemettre dans un sacré pétrin. Je pourrais toujours prétendre qu'ilm'avaitforcée à monter dans sa voiture devant le dépanneur et m'avait gardée prisonnière pendant deuxheures.

Ilfaisaituntrèsbonboucémissaire.Je retirai mes lunettes de soleil et me présentai à une réceptionniste très stoïque avant d'aller

m'asseoir dans la salle d'attente.Après vingt longuesminutes, onme fit finalement entrer dans lebureau du docteur. Le psychothérapeute de Harper ressemblait étrangement à un nain, avait descheveux gris et la peau aussi bronzée qu'une prune. Il était assis avec les mains croisées sur sesgenoux, et son visage affichait une expression qui voulait clairement dire : « Je ne ferai aucuncommentaire.»

—Mercidemerecevoir,DrRoland.(Jem'assisenfacedelui,àungigantesquebureaud'ébène,enessayantdenepasentirerdeconclusion.)J'aijustequelquesquestionsausujetdeHarperLowell.

—MadameDavidson,commemaréceptionnistevousl'adit,iln'yaabsolumentrienausujetdeHarper ou de son traitement que je puisse partager avec vous. En tant que détective privée, vousdevriezdéjàlesavoir.

Je le savais, mais il n'avait pas vraiment besoin de me révéler quoi que ce soit. Il pouvait secontenterderesterassispendantquejeluiposaisdesquestions.Sesémotionsm'aideraientbienplusqu'ilpouvaitimaginer.

—Jecomprends,maisHarperm'aengagée,DrRoland,etm'ademandéd'étudiersoncas.—L’avez-vousvue?demanda-t-il.Elleamanquésondernierrendez-vous.—Elleestvenuemevoirilyaquelquesjours,aumomentoùellem'aengagée.Quandl'avez-vous

vuepourladernièrefois?—Elle est partie aumilieu de notre dernière séance.De façon très soudaine et avec beaucoup

d'appréhension.Jenel'aipasvuenin'aieudenouvellesd'elledepuis.Jehochailatêtedemanièrecompréhensive,enévitantdeportertoutjugement.—Savez-vouscequiaprovoquésondépart?—Oui.—Pouvez-vousmeledire?—Voussavezquejenepeuxpas.—Maiselleareçuunappelouuntexto,n'est-cepas?Qu'est-cequeçaauraitpuêtred'autre?Ilsourit.—Peut-être.Ilétaitentraindementir,doncilfallaitmaintenantquejedécouvrecequeçaauraitpuêtred'autre.

Était-cequelquechosequ'il lui avaitdit ?Oupeut-êtrequelquechosequi était sorti aucoursde la

séance.Est-cequequelquechoseauraitpufaireresurgirunsouvenir?Conscientedufaitqu'ilnemediraitriendemanièredirecte,jedemandai:—Quandest-cequeças'estproduit?—Elleamanquésondernierrendez-vous,doncilyaunesemaine,mardi.—Avez-vousessayédelacontacter?Ildevenaitdeplusenplusagité.—J'aiappeléetjeluiailaisséunmessage,maisellenem'apasrappelé.—Qu'est-cequiluiestarrivéquandelleavaitcinqans?Il décroisa les jambes en poussant un soupir ennuyé, réajusta sa position, puis les recroisa, et

pourtantilsemblaittoujoursaussiàl'aisequ'unesourisdanslevivariumd'unboa.—MadameDavidson,j'aiunpatientquiva...—Jelacrois,lecoupai-je,mepenchantenavantenattendantquesaréactionm'atteigne.Jecrois

qu'elle a été terrorisée demanièreméthodique et systématique durant de nombreuses années.Et jecroissincèrementquesavieestendanger.

Sijemebasaissurlesémotionsquis'échappaientdelui,illepensaitégalement.Ildétournaleregardpourretirerdespeluchessursavesteetdit:—Jesuisdumêmeavis.—Merci,répondis-je,contented'avoirunallié.Sansviolervotrecodedeconduiteoumerévéler

quoiquecesoit,avez-vouslamoindreidée,baséesurcequevousavezapprisjusque-là,dequipeutêtrederrièrecesattaques?

Latristessel'envahit.—Non,madameDavidson,jesuisauregretdevousinformerquejen'enaipaslamoindreidée.Merde.Uneautrevoiesansissue.—Maisjepeuxvousdire...(Ilseraclalagorgeetexaminaunarbrefruitierparlafenêtre.)que,

quelquesfois,lepassérevientnoushanter.Jelesavais.Cequis'étaitpasséquandelleavaitcinqansavaittoutamorcé,etleDrRolandenavait

conscienceégalement.—Illepeut,eneffet,confirmai-jeavecunsourirepleindegratitude.Merciinfinimentdem'avoir

reçue.Ilselevapourmeserrerlamain.—Pourriez-vousluidemanderdem'appeler?—Jeferaidemonmieux.Lorsquejequittailebureaududocteur,j'avaisuntextodeCookiequim'ordonnaitdelarappeler.—Jecroisquej'aiquelquechose,m'annonça-t-elle.—J'espèrepourtoiquecen'estpaslacrève,parcequ'onauneaffaireàrésoudre,ettun'esplus

aussiefficacelorsquetuprendsdesmédicamentscontrelerhume.—Ehbien,jenesaispassiçaavraimentdel'importance,maislesLowellontfaitinternerHarper

quandelleavaitdouzeans.Une froide amertume se répandit en moi lorsque j'imaginai Harper être enfermée. Mais, à

nouveau,jepouvaisutilisercetteinformationcontreMmeLowell.—Etjepariequecen'estpasquelquechosequ'ilsveulentvoirparaîtredanslespagessociété.SiAlbuquerqueavaitdespagessociété.Lesgensrichessontbizarres.—J'aientendudireça.Pasquejelesacheparexpériencepersonnelle.—Hé,j'essaiedenousobtenirunmilliondedollars.Patienteencorejusteunpetitpeu.—TuasdemandéunmilliondedollarsàReyes?—Oui.—OK,ehbien,dis-luidesedépêcher.J'aibesoind'unepédicure.—Cook,commentpeux-tupenseràtesorteilsàunmomentpareil?—Tutesouvienslafoisoùoncourraitpoursauvernotrepeauàcausedecetypequiavaitcetruc

étrangeàl'œil,etquetuétaisencolèreparcequetuavaislaissétonmochalatteàlamaison?—Jenesuispassûredevoiroùtuveuxenvenir.JeconvainquisGarrettdem'emmenerjusquechezlesparentsdeHarperdansl'espoirdecoincer

M.Lowellentraindefairedujardinage.Danslamesureoùilétaitcenséêtresursonlitdemort,leschances étaient minces, mais je pourrais toujours griller son irritable épouse pour faire bonnemesure.MmeLowellsavaitquelquechose,etelleallaitcracherlemorceau.Etàprésent,grâceauxprouessesdeCookiesurlesmoteursderecherche,jesavaisquelquechoseégalement.

Je n'avais pas beaucoup de temps avant que tout explose au grand jour. Il fallait que je tire lemeilleurpartidel'asquej'avaisdansmamanchependantquejelepouvais.

Bizarrement,Garrettréussitàfranchirleportailplusfacilementquejel'avaisfaitlapremièrefoisquej'étaisvenue.Lefaitqu'ilnecommandepasdetacoavaitprobablementaidé.Onnousintroduisitànouveaudanslesalon.J'adoraispouvoirdireça.

Jedonnaiunpetitcoupdansl'épauledeGarrett.—C'estlesalon.Unricanementdedémentes'échappademapoitrine.—Tumefaispeur,desfois.—Çam'arrivesouventaussi.C'estétrange.J'observailasignaturesurundestableauxaccrochésauxmurs.IlétaitsignéNormanRockwell.—Putaindemerde,lâchai-je,impressionnée.—MadameDavidson, vraiment, s'exclamaMme Lowell enme faisant taire à l'aide d'un léger

sifflementetd'unregardréprobateur,avantdeseprécipiterdanslapiècepourfermerlaporte.—Désolée.Jenecroispasquej'aiedéjàvuunNormanRockwelldanslavraievie.Sapoitrinesebombadefierté.—Jasonl'aachetéàuneventeauxenchèrespourtrèspeudezéros.Est-cequ'ellevenaitdedirepourtrèspeudezéros?AprèsqueGarrettsefutprésenté,nousnousassîmesetjedécidaid'allerdroitàl'essentiel.—Pouvez-vousmeparlerdelapériodeoùHarperaétéinternée?LevisagedeMmeLowellsecouvritd'unmasqued'indignation.Jemedemandaisbienpourquoi.—Commevouslesavez,riendecequenousavionsessayén'aidait,alorsoui,nousavonsdûla

faireinternerquandelleavaitdouzeans.Douzeans?Moncœursebrisapourelle.—Nousavonstentédifférentesformesdethérapieavantd'entrouverunequiconvienne.Ellevoulaitdirejusqu'àcequ'ilsentrouventunequiavaitfaittaireHarper.—Malheureusement, lamémoireàcourt termedeHarperaétéaffectéeparcertainstraitements,

maissoncomportements'estlargementamélioré.Sans avoir besoin de plus de détails, je compris exactement de quelle sorte de traitement elle

parlait. L'électrothérapie. Elle parlait de traitement par électrochocs. Le dégoût que Mme Lowellm'inspiraitatteignitdessommets.

—Nous avons été enmesure de la ramener à la maison, et tout est redevenu normal pendantquelquesannées.Desannées, rendez-vouscompte.Mais, lentement,soncomportementcapricieuxarefaitsurface,jusqu'àcequenoussoyonsobligésdeluidemanderdepartir.

Lorsquejehaussailessourcils,ellejustifiasesactionsenajoutant:—Elleavaitdix-huitans,àl'époque,etnousluiavonsachetéunemaison.Cen'estpascommesi

nousl'avionsjetéeàlarue.Puiselleaépousécevoyoujustepournousénerver.Leurmariagen'apasduréplusdecinqminutes.

—MadameLowell, est-ce que vous vous rappelez quoi que ce soit qui sorte de l'ordinaire quiseraitarrivéàHarperàlapériodeoùM.Lowelletvousvousêtesmariés?A-t-elleétémenacéeoumartyrisée?

—J'aidéjàdiscutédeçaenlongetenlargeavecsesthérapeutesetlapolice.Laseulechosequiachangé, le seul événement qui aurait pu créer ces changements de comportement si extrêmes, étaitnotremariage.Riend'autrenes'estproduit.

—Vousenêtescertaine?Lorsqu'elleseprotégea,observantsesongles,puisletapisavecuneattentiontouteparticulière,je

lesentis.Cefrissondedoute.Lagouttedescepticismequidégoulinaitsursonfront.—MadameLowell,lemoindredétaildontvousvoussouvenezpeutaider.Est-cequeHarperavait

desblessures?Est-cequ'elleestrentréeunjourspécialementsaleoueffrayée?N'importequoiquiaitpuvouspousseràcroirequ'onavaitabuséd'elled'unequelconquefaçon?

—Non.(Ellepenchalatête.)Rienquej'aieremarqué,maisjenelaconnaissaispasvraimentavantqueJasonetmoinousmariions.Elleavaitl'aird'êtreunegentillefillette.Elleétaitcordialeetavaitdebonnesmanières.Maisaprèsquenoussommesrentrés,c'étaituneenfantbiendifférente.

Ainsidoncunepersonneavantlemariage,etuneautreensuite.—Elleestrestéeavecsesgrands-parentsbiologiquesàcetteépoque?—Oui. Ils sontmorts depuis,malheureusement,mais ils étaient également totalement démunis

faceauchangementsidrastiquedeHarper.—D'accord, ehbien,peut-êtrequequelquechose s'estproduit sur levoyagedu retour. Jeveux

dire,ya-t-ileuunaccidentquelconque?—Rienn'ajamaisétémentionné.Sincèrement,madameDavidson,onpourraitcontinuercomme

çatoutelajournée.Merde.Jen'allaisvraimentnullepartaveccetteaffaire.Jen'avaispasuneseulepisteàsuivre.Nousnouslevâmesetlajeunegouvernantenousraccompagnaàlaporteunenouvellefois,mais,

cettefois-ci,MmeLowellnousemboîtalepas.Garrettnelaissaitpaslagouvernanteindifférente.— J'ai essayé de la joindre, ditMme Lowell. Elle ne prend pasmes appels. Pourriez-vous lui

demanderd'appelersonpère,s'ilvousplaît?—Jeferaidemonmieux.J'appelaiCookieàlasecondeoùnousfûmesànouveaudanslepick-updeGarrett.—Est-ce que toutes les belles-mères sont des garces ? lui demandai-je en ayant conscience de

l'atrocitédemaquestion.Lesmotsmefirentavoirmoi-mêmeunmouvementderecul.Unedemestrèsbonnesamiesétait

belle-mère,etelleétaitlameilleurechosequisoitarrivéeàcesgosses.—J'aiétéélevéeparmabelle-mère,réponditCookie.Jelesavais.C'étaitlaraisonpourlaquellejel'avaisappelée.—Jesuisdésolée.Cen'étaitpascequejevoulaisdire.—Biensûrqueçal'était,ettuastouslesdroitsdeteposerdetellesquestions,chérie,aprèsceque

tuasdûtraverseraveclatienne.Maislamienneétaitmerveilleuse.Sanselle,monenfanceauraitétédrastiquementdifférente,etpasd'unebonnefaçon.

—Alorsjeluisuisreconnaissanteégalement.—Merci.Jeluidirai.Tuavaisbesoindequelquechose?—D'uneconfirmation.Ellegloussa.—Dequelgenre?—Dugenrequetuviensdemedonner.Je demandai àGarrett de prendre le chemin de la banque. Je ne pensais pas que l'agentCarson

m'attendraitencorelongtemps.Montéléphonesemitàsonnertandisqu'onsedirigeaitverslascène.Biensûr,toutseraitrevenuàlanormale,maisl'agentCarsonpourraitêtreunpeufâchéecontremoiparcequejen'étaispasvenueimmédiatement.

— Où êtes-vous, bordel ? demanda-t-elle en réponse à mon « La maison de Charley, strings

comestibles.»— Désolée, répondis-je en frissonnant à cause du ton qu'elle avait utilisé. J'étais en pleine

livraison.Lesstringscomestiblessonttrèspopulairesencemoment.—Lesuniformesdeprisonégalement.—Est-cequ'ilssontcomestibles?Ilsemblequecesoitmonmeilleurargumentdevente.—Sivousn'êtespaslàdanslesdeuxminutesqui...—Jesuislà!criai-jedansletéléphonealorsqu'onsegaraitdansleparkingenfacedelabanque.

Jesuislà.JeplaquaiunemaincontrelecombinéetmurmuraiàGarrett:—Elleesttellementsensible.—Oùça,là?—Retournez-vous.Jevissoncarrécourtpivotersurlagauche.—Del'autrecôté.Ellefitunvirageà180degrésetnousrepérasurleparking.—Jesuislà!(Jeluifissigneàtraverslepare-brise.)Etjusteàtemps.Ouf.Avantdesortirduvéhicule,jemetournaiversGarrett.Ilavaitleregardrésolumentbraquédroit

devant lui,attendantque je libère lepérimètre. Ils'étaitmontréplussilencieuxqued'habitude.Bon,d'accord,ilétaittoujourssilencieux,maispastotalementmuet.Pasmuetcommedansje-suis-allé-en-Enfer-et-je-ne-serai-plus-jamais-le-même.

Jepinçailaboucheetdemandai:—T'asenvied'enparler?Decommentc'étaitdeteretrouverenEnfer?Il se retourna si vite dans ma direction que le mouvement me rappela Reyes. Ses yeux gris

capturèrentlesmiens,leregarddur,lamâchoireserrée.Lorsqu'ilpritlaparole,illefitd'unemanièresinistretotalementvolontaire,chaquesyllabetropprécise.

—Tuasenviedeme raconterceque tuas ressentiquanddumétalaussi tranchantqu'un rasoirdécoupaittachairpouratteindrel'os?

Bontédivine.Ilétaitenpétard,toutd'uncoup.—Doncc'estunnon?Ilrelevauncoindesabouche,maislegesteétaitdénuédetouthumour.—OK,ehbien,conversation très intéressante,dis-jeen tâtantà l'aveugletteà la recherchede la

poignée.Ilrecommençaàregarderàtraverslepare-brise.Lorsquejesortis,l'agentCarsonétaitentraindetaperdupiedsurlachaussée.Jenecomprenais

vraimentpaspourquoilesgensfaisaientça.—Alors,qu'est-cequivousfaitpenserqueçavenaitdel'intérieur?demanda-t-elle.Pas de bonjour. Pas de « comment vont la femme et les enfants». Juste du business, comme à

l'accoutumée.Ellemeplaisait.—C'estcequem'ontexpliquélescambrioleurs.—Etleursnoms?—Jevousl'aidit,lesBandits.—LesBandits sontungangdemotardsd'environdeuxcentsmembres. J'ai besoindunomdes

hommesquisontentrésdanslepérimètrel'armeaupoing,quionttenuungroupedeclientsenotage,etquiontvolédesliquiditésquineleurappartenaientpasdanscettebanque.

Ellem'indiquagentimentlabanquedudoigt.— Ils n'ont pas réellement sorti leurs armes, la corrigeai-je. Ils ne le font pas àmoins d'y être

obligés.J'aivuçaauxinformations.—Charley,mecoupa-t-ellesansdéguiserl'avertissementdanssavoix.—D'accord.

Jeremplismespoumonsetexpirailentement,regrettantcequej'étaissurlepointdefaire.—Jeneconnaispastousleursnoms,mentis-je.Pouruneraisonétrange,jenepouvaispasmerésoudreàluidirepourSabrina.C'étaitunefille.

Personnenelasuspecterait.Quipouvaitsavoirsiquelqu'unavaitvulevisageduchauffeur?Elleétaitdanslecouppouraidermonamimotard,etj'avaisl'impressiondeluiêtreredevablepourça.

—Les troisque jeconnais, les troisqu'onfaitchanter,sontMichael,EricetDonovan. Ilyenadeuxdeplus,mais jen'aipas leursnoms.Oh,attendez,m'exclamai-je,mesouvenantqueDonovanavaitmentionnélenomdublond.Ilyavaituntypeblondquis'appelaitEdwards.Ilveutmefairemafête.

Ellepritnotedetoutcequejeluiracontais.—Vraiment?Ilestmignon?demanda-t-ellesansreleverlesyeux.—Non,jeveuxdire,pourm'empêcherdetémoigner.Ilveutmatêtesurunplateau.—Vousvousfaitesdesamispartoutoùvousallez,n'est-cepas?—C'estmarrant, hein ? (Jeme penchai ensuite vers elle.)Ce ne sont pas demauvais bougres,

agentCarson.Onlesafaitchanter,pourdevrai.—Vousm'avezdéjàditça,maispersonnenepointaitunearmesurleurstempes,là-dedans.Je savais qu'elle verrait les choses sous cet angle. C'était son métier, je ne pouvais pas lui en

vouloir.Mais il fallaitaumoinsque j'essaiede faire inculper lapersonnequiétaitderrière toutçaégalement.Ilavaitautantàvoiravecçaquemespoteslesmotards,sicen'étaitplus.Personnen'avaitledroitdefairechantermesamisetdes'ensortir,àpartmoi.

Chapitre17Jecomptaisbienmetenir.Ilyavaitjustetropd'autresoptions.

Tee-shirtAprèsavoirdonnémadépositionàl'agentCarson, jerenvoyaiGarrett,prétextantdesdifférends

insurmontables,maisjeluidisdegarderdesdisponibilitésaucasoù;puisjerentraiàlamaisonenmourantd'envied'unetarteauxpatatesdoucespourDieusaitquelleraison.Labananen'avaitpastenulongtemps.Etjemesentaissaleaprèsl'avoirmangée.

J'empruntail'escalierquimenaitàmonappartement,puisjemerendiscomptequej'avaisdeplusen plus chaud àmesure que je gravissais lesmarches. Et il y en avait beaucoup, de cesmarches.Lorsquej'atteignismonétage,lachaleurquiémanaitdeReyesétaitbouillante,etilm'étaitimpossiblededires'ilétaitexcité,ennuyéoujusteencolère.Peut-êtrebienunsavantmélangedestrois.

Lehallétaitplongédansuneobscuritétotale.Soitl'installationélectriqueavaitdenouveaupétéunplomb, soit Reyes avait dévissé les ampoules. Je fouillai mon sac à la recherche de mes clés etmarchaiendirectiondemaportedanslenoir.Cen'étaitpasvraimentunvoyagepérilleux,maisavecReyesFarrowquim'attendaitàl'arrivée,çapouvaitviteledevenir.Jetâtonnaipourtrouverleverrouetyinsérailaclé.

—Tuasmonargent?demandai-je,mesentantcommeunparraindelamafia.Oucommeunproxénète.—J'aibesoinqueturestescheztoicesoir,m'annonça-t-il,m'ignoranttotalement.J'ouvrislaporte.—Tuentres?—Non.Jesuisjustevenutedirederestercheztoicesoir.—Est-cequec'estunordre?—Oui.Jeregardaipar-dessusmonépaule.J'arrivaistoutjusteàdiscernersonombre.—Tudevraisyallermollo.Lacaféineneferabientôtpluseffet.Ils'approchademoi.Jelesentisleverunbrasplushautquemesépaules,etill'appuyacontrele

montantdelaporte.Bondieu,ilétaitdouéàcejeu-là.—Pourquoi?demandai-jeenremettantlesclésdansmonsac.Pourquoiresterchezmoicesoir?—Tusaispourquoi.—Est-cequ'ilsviennentpourmoi?relançai-je,neplaisantantqu'àmoitié.Ilsepenchajusqu'àcequesaboucheeffleuremonoreille.—Oui.J'ignoraistotalementsilefrissonquiparcourutmondosàcetinstantétaitdûauximagesqueses

motsavaientimposéesàmonespritouàsonsoufflequichatouillaitmapeau.Ilsentaitlafuméeetlacendre,letonnerreetlafoudre.

—Tuesamoureusedelui?demanda-t-il,lavoixrendueprofondeparledoute.Jemeretournaipourluifaireface,surprise.—Qui?Ilbaissalatêteetmeregardasoussescils.Aussisombresquefussentsesyeux,ilsn'enscintillaient

pasmoinsdanslafaiblelumière,lespaillettesvertetorbrillantcommedescatadioptresdanslalueurdelapleinelune.

—Tusaisqui.Letypequetuembrassaisaujourd'hui.—Lequel?leprovoquai-je.Ilnemorditpasàl'hameçon.Unedouleurprofondeémanadelui,maisjenesavaispassielleétait

physiqueouémotionnelle.Lefaitquejeflirteavecdestypesdansunasilenedevaitsûrementpasleblesser.Ilavaithabitéavecsaharceleuse,pourl'amourdeDieu.

Ilenroulaunbrasautourdematailleetm'attiradoucementcontrelui.— Je suis juste venu pour te dire de rester chez toi, répéta-t-il avant de se pencher pour

m'embrasserlanuque.Ilgardacettepositionpendantquelquesinstants,respirantmonodeur,puismerelâchaets'enalla.

L'airserefroiditaussitôtdanssonsillage.—Reyes,attends!Jeme précipitai à sa poursuite et descendis lesmarches deux à deux pour rattraper son besoin

pressantd'êtreloindemoi.—Jesuisjustevenupourtedirederestercheztoi.—Reyes,pourl'amourdePeter!Etdesondragon.Je l'attrapaipar lebraset le forçaiàse retourner.Nousétionsaudeuxièmeétage.Celui-ciavait

toujoursdelalumière,etjepouvaisvoirReyesplusclairement.Ilportaitunsacàdossurl'épaule,dusangavaittraversésontee-shirtetzébraitletissu,etj'étaiscertainequ'ilétaitànouveaurecouvertderubanadhésif.

—Jepensaisqueçaguériraitplusvite.Ilobservasontee-shirtetjura.—C'estlecas.Celles-cisontfraîches.Maisçaneserapaslong.Jetentaidemerassurer.M'inquiéterneserviraitàrien.Maismapeurétaitincontrôlable.—Est-cequ'ilssontlà?Ilpenchalatête,pensif,mesurantl'énergieautourdenous.—Jenelessenspasencemoment,maisje lesaisentisavantquetuarrives.Jepensequ'ilsont

découvertoùtuhabites.—Magnifique.Etaussigalantequel'intentionpuisseêtre,tun'espasenétatd'allerleschasseren

jouantauninjapourleurbotterlesfesses.Il s'observa à nouveau, relevant un coin de sa bouche pour former ce demi-sourire qui était si

charmant,celuiquiforçaitlespapillonsquej'avaisdansleventreàfairedessautspérilleux.—J'auraispuêtreunninja,dit-il.—Oui,tuauraispu,etleJaponauraitététrèsfierdetecompterdanssesrangs.Maintenant,viens.

(Jepassaiunbrasautourdusienet ilm'emboîta lepas.)Tunepeuxpas tepromener recouvertdesangpendanttrèslongtempsavantquequelqu'unappellelapoliceettefassearrêter.

Lorsque je baissai lamain, il la prit dans la sienne, enlaçames doigts etme suivit en haut desescaliers.Cecontactétaitadorableetsexy,etilenvoyaitdepetitessecoussesdeplaisirchaquemarchequejefoulais.MauditReyesFarrow.

Mais cene futqu'une fois à l'intérieurque jevis l'étenduede sesblessures. Il était littéralementcouvertdesang.

Jerefermailaportederrièrelui,horrifiée,—Toutcesangestàtoi?Ilobservaminutieusementmonappartementavantdeseretournerenhaussantlesépaules.—Jenepensepas.—Ettuasétébrûlé.Jemeprécipitaiversluipourinspecterl'arrièredesontee-shirt.—Und'entreeuxaessayédememettrelefeu.—Undémon ? demandai-je avec unmouvement de recul lorsquemavoix sortit demanière si

aiguëqueseulsleschiensauraientpul'entendre.

Ilacquiesça.—Ilssontfous.C'estquoi,toutça?Il désigna la montagne de boîtes, les dernières qu'il restait dans l'appartement. Cookie m'avait

débarrasséedetoutes,saufcellesdelaZone51.JepouvaisdenouveauvoirM.Wong,Dieumerci.Saprésencegriseétaitétrangementréconfortante.

Jejetaimonsacsurlebar.—Ça,c'estuntrounoir.Net'enapprochepas.C'estl'idéedethérapiedeGemma.Ellepenseque

j'aiuneformemodéréedesyndromedestresspost-traumatique.Ils'étaittournéetobservaitmesfaussesplantesfanées.—C'estlecas.—Ouais,bentuasdesproblèmesaussi,mister.J'arrivaisjusteàvoirlecôtédesonvisage.Ilm'adressaitunsourireincendiaire.—Jen'aijamaisprétendulecontraire.Est-cequejepeuxutilisertadouche?Mêmesij'avaisenviederépondre:«Seulementsijesuisdedans»,cequisortitdemabouchefut:—Biensûr,maisjedoistemettreengarde,turisquesd'avoirdelacompagniesouslaformed'un

énormeRottweilerassoiffé.Jemeraclaiensuitelagorgepourcouvrirlapousséedeplaisirquimeparcouraitàl'idéedeReyes

Farrownu,dansmasalledebains.Ounudansn'importequellepièce,enfait.—Oh,etjen'aiplusdechatterton,aucasoùtuvoudraisterapiéceraprèscoup.J'aipeut-êtreun

peudeScotchtransparent,parcontre,situesdésespéré.Ilsoulevasonsacàdos.—Jemedébrouillerai.Lorsqu'il s'enfermadansma salledebains, je laissai échapperun long soupir, puismedirigeai

versM.Café.SoitAlbuquerqueavaitconnuuneexplosiondémographiqued'hommesincroyablementsexy,soitj'étaisvraimentvictimedemeshormones.

Trenteminutesplustard,Reyesouvritlaportedelasalledebains.Ilneportaitqu'unjeanetavait

uneservietteposéesur lesépaules.Etmince,quellesbellesépaulesc'étaient.Durubanadhésifneufavaitremplacél'usagéetentouraitsonabdomen,maissesvieillesblessuresétaienttoujoursvisibles.Ellesguérissaientcertes rapidement,maisellesavaient laissédes rayuresd'unviolet foncésursontorse, sesépaulesetuncôtéde sanuque. Il attrapa lescoinsde la servietteet se frotta la tête,puiss'appuyacontrelecadredelaporte.

—Commentsepassecettethérapie?Jen'arrivaispasàdétourner le regard.Lorsque j'yparvinsenfin, je remarquaiqu'ilexaminaità

nouveaulesboîtes.—Oh,répondis-jeenmeversantunenouvelletassedecaféetenmerapprochantdelui.Gemma

veutquequelqu'unenlèveuneboîtetouslesjoursjusqu'àcequejesoiscapabledelefairemoi-même.C'estridicule.Elleditqueçavam'aideràguérir.

Ilmevolamatasse,pritunegorgée,etmelarendit.—Ellearaison.Tandisquejeleregardais,bouchebée,consternéeparlefaitqu'ilchoisisselecampdemasœur

plutôtquelemien,iljetalaserviettedansl'évieretenfilauntee-shirtgris.Jemedirigeaiversmoncanapé,quis'appelaitpeut-êtreBarbieMalibu,maisfisdemi-touravantdel'atteindre.

—Oùest-cequetuastrouvéça?demandai-jeenindiquantletee-shirtdumenton.Je voulais savoir où il dégottait tout ce qu'il portait. D'où est-ce qu'il sortait son jean, ses

chaussuresetlerubanadhésifqu'ilavaitutilisépoursesaucissonner?Oùest-cequ'iltrouvaitdelanourriture et de l'eau, et que s'était-il passé quand ils l'avaient libéré de prison ? Est-ce que sonmeilleurami,Amador,étaitvenulechercher?Amadorétait l'uniqueamideReyes.Jesavaisqu'ils

étaientproches.PlusprochesqueReyesetmoine leserions jamais,certainement.Amadorn'auraitpas pu le laisser se débrouiller tout seul. Ou peut-être que Reyes avait souhaité rester seul, pourprendresoindeluicommeill'avaitfaittoutesavie.Jen'avaispasétélàpourlui,entoutcas.J'étaistropoccupéeàpansermesblessuresdansmabatcavepourfille.

Il ajusta son tee-shirt avant de se diriger vers moi, sauf qu'il ne s'arrêta pas en arrivant à mahauteur.Ilécartalatassedecafésurlecôtétandisqu'ilmepoussait,meguidantenarrière,soncorpsmincesiconfortablecontrelemien.

—C'estunprêt,répondit-il.—D'Amador?Mavoixn'étaitriendeplusqu'unmurmurerauque.Ilpassaunbrasautourdemeshanchesetcontinuaàmepousser.Lesgouttesd'eauquirecouvraient

ses cils d'encre rendaient ses yeux encore plus brillants. Mon appartement n'était pas vraimentspacieux,donconnepourraitplusreculertrèslongtemps.Maisnouscontinuâmesàmarcherjusqu'àcequejerentredansquelquechose.Jemefigeailorsquejeprisconsciencedecedontils'agissait.LaZone51.NousnoustrouvionsenpleincœurdelaZone51.

J'essayaiderepousserReyes,maisilnebougeapasd'uncentimètre.Sonexpressionjoueusedevintsoudaintrèssérieuse.—Assieds-toi.Je tentai deposer la tasse au sommetd'uneboîtemaismanquaimon coup,mamain tremblante

tâtonnantjusqu'àcequelatassetombetropvitepourquejesoisenmesuredelarattraper.Al'instantoùelleallaitatteindreletapis,Reyesl'empoigna.Ducafébrûlantfutprojetéhorsdelatasseetsursamain,maisilnesemblamêmepasleremarquer.

Ilseredressadetoutesatailleetrépéta:—Assieds-toi.Surlesboîtes?Horsdequestion.Jesecouailatête,mâchoireserrée.Ildéposalatassesurunboutdelatable,mepritparlesépaules,etmeforçaàmeretournerpour

fairefaceautrounoir.— Ce n'est qu'un espace, dit-il en se rapprochant de moi. (Il enroula ses bras autour de mon

ventre.)Çanesignifierien.(Ilsepenchaetembrassamaclavicule.Manuque.Monoreille.)C'esttonespace.Paslesien.

EarlWalker.Ilparlaitd'EarlWalker.Il repoussa une boîte, l'envoyant s'écraser sur le sol. Sentant quemon estomac se retournait, il

resserrasonétreintejusqu'àcequemesnerfssecalment.Jusqu'àcequelafêluredansmacarapacecommenceàseréparer.

—Lepointestadjugé,dis-jeenmimantlesignaldutempsmort.Lejeuestfini.Toutenm'ignorant,iltenditlebrasetpoussaunenouvelleboîte.Jemecabraicontrelui,maisj'étaisincapabledemedéfairedesonétreinte.Ilmemaintintépinglée

àcetendroitprécisetpoussauneautreboîtedelamontagne.Elles'écrasaausol.Puisuneautre.Etuneautre.Ettoutcetemps,ilmegardaitprisonnièrecontrelui.

Lachaleurquiémanaitdelui,ainsiquesonodeurterreuseetriche,s'imprégnaitdansmeshabitsetmescheveux.Sesbrasmusclésetsesmainspuissantesmeretenaientsifermementquelapeurn'avaitquepeudechancedeparveniràs'emparerdemoi.Lorsqu'ilpoussaunenouvelleboîteetquetroisdégringolèrentsurlesol,aucunegoutted'adrénalinenemeparcourut.

Il tenditunpiednupourdégagerunedesboîtes,puis ilnous rapprocha tandisqu'ilcontinuaitàrepousser et à déplacer des boîtes d'unemain tout enme tenant de l'autre, jusqu'à ce qu'il ne restequ'unseulobjetdanslaZone51.Lachaise.

Cette fois-ci, l'adrénalinecommençaàpomperviolemmentdansmesveines.J'étais incapablededétournerlesyeux,mêmesiellen'étaitpasdifférentedesautreschaises.Elleallaitaveclapetitetable

quej'avaismisedansuncoindemacuisine.Bonmarché,ronde,avecdespiedsbranlants.Reyesmeserraplusfort,desesdeuxbras,etnousfitavancerencored'unpas.Jeposailepiedsur

lachaiseetpoussaipourgardermesdistances.—Cen'estqu'unechaise,dit-ild'unevoixattentionnéeetapaisante.C'esttachaise.Paslasienne.—Etjenesuisqu'unefille,rétorquai-je,essayantdeluifairecomprendreque,mêmesij'avaisun

statutsurnatureldansl'univers,ici,surTerre,jen'étaisqu'unehumainecommelesautres.Ilenroulaunemainautourdemagorgeetmurmuraàmonoreille:—Oui,maistuesàmoi.Pasàlui.Ilsepenchapar-dessusmonépauleettorditlecouafindeposersabouchecontrelamienne.Lorsque je tendis lamain entre nous pour caresser le renflement de son jean, sa respiration se

coinçadanssapoitrine.Ildevintaussidurquedelapierre,puismitfinaubaiseretplantasesyeuxdanslesmiens.Sonregardbrillaitd'uneémotionprochedelahaine.

—Est-cequetuesamoureusedelui?—Qui?demandai-je,medélectantdel'extasequiprenaitformeentremesjambes.—Celuidel'asile.—Donovan?proposai-je,àboutdesouffle.—Situl'es,tudoismerenvoyer.(Ilenfonçasesdoigtsdansmescheveuxettiramatêteenarrière

pour laplaquercontresonépaule, sadétermination impénétrable.)Tudevras le faire. Jesuisassezfortpourpartirmaintenant.

Il grogna lorsque je passai à nouveau doucement lamain sur les contours de son érection. Sesaisissantdemonpoignet,ilmelançaunregardd'avertissement.

—Jenepartageraipastacouchesituenaimesunautre.Ils'étaitexprimédemanièrearchaïque,commeillefaisaitparfoismalgrélenombred'annéesqu'il

avaitvécuessurTerre,merappelantqu'ilvenaitd'unautrelieu,d'unautretemps.Jetendislebrasetl'attiraiàmoi,jusqu'àcequesabouchesoitànouveausurlamienne.Sij'aimais

quelqu'undanstoutl'univers,c'étaitcethomme,cedieuquiavaitrisquésaviepourmoiunnombreincalculabledefois.Quinem'avaitriendemandéenretour.Jamais.

Il agrippames cheveux et pencha la tête pour approfondir le baiser, sa langueme taquinant etm'exploranttandisqu'ilfaisaitremonterunedesesmainssousmonpull.Enunmouvementéclair,ildégrafamonsoutien-gorgeet ilpritDangerencoupe.Unfrissondeplaisirparcourutmapeau.Desonautremain,ildéboutonnamonpantalonetlefitglissersurmeshanches.Monabdomenpicotaitde désir lorsqu'il mit à nouveau fin au baiser pour m'enlever complètement mes habits avec uneferveur impatiente. L'air frais balaya ma peau, mais il s'approcha encore, m'enveloppant de sachaleur.Puisilmerapprochadelachaise.

Ilécartamesjambesàl'aided'undesesgenouxetmefitasseoirfaceaudossier.Jem'agrippaiauxlamellesdebois,nemesouciantplusdutoutdecequelachaisereprésentait,électriséeàl'idéedecequiallaitsepassersurelleàprésent.

Ilsepenchapar-dessusmonépaule,etsesyeuxsiexpressifsmeposèrentunequestionmuette.Nous n'avions jamais fait ça auparavant. Pas peau contre peau, corps physique contre corps

physique.—Çafaittrès,trèslongtemps,dit-il,savoixprofondemoinsassuréequed'habitude.Je levai le bras et traçai le contour de sa bouche pleine et sensuelle du bout des doigts. Il les

embrassa,puisécartaleslèvresetlesmordillaauxendroitslesplussensibles.Lachaleurdesalanguebrûlaitma peau tandis que ses doigts remontaient le long dema cuisse. Ses caresses causèrent untremblement enivrédans chacunedemes terminaisonsnerveuses le tempsqu'il atteigne le sommetentremesjambesets'yintroduise.

J'eneuslesoufflecoupé.Unechaleurliquideinondaitmonabdomen.Ilfitglissersonautremainle long de mon dos et me poussa doucement en avant, enfonçant lentement ses doigts plus

profondémentenmoi.Jemetendislorsqu'undésirvoracemeravagea.M'agrippantencoreplusfortàlachaise,j'écartaidavantagelesjambes.

Il couvrit ma bouche de la sienne en poussant un grognement. Le rythme de ses doigts, qu'ilcouplait à celui des poussées de sa langue, causa presquemaperte.Lamorsure de l'excitationmelaissapantelante,palpitantcommeunchaudrondelavedansmonbas-ventre.Desflammèchesd'extaseserépandirentsurmoncorps,lebrûlantd'unbesoinaffamé.

LorsqueRêvess'agenouillaàcôtédemoietpritlapointedeWilldanssaboucheincandescente,l'explosiondeplaisirmefitpresquepleurer.Lesflammèchessetransformèrentengriffes.Jepassailebrasautourdesatêteetenfonçaimesdoigtsdanssescheveuxtandisqu'ilsuçaitWilletmepoussaitdeplusenplusprèsdel'orgasme.

Avant que je puisse jouir, il attrapameshanches etme redressade façon à ceque jeme tiennedevant lui.Sasoudaineabsenceétaitpirequed'être jetéedansde l'eauglaciale.Jeclignaidesyeuxlorsqu'il s'assit sur ses talons pourm'observer. J'aurais dûme sentirmal à l'aise. Il était toujoursintégralement habillé alors que j'étais complètement nue, mais l'admiration qui brillait dans sonregard,cedésirbrut,chassaittoutmanqued'assurancequej'auraispuavoir.

—MonDieu,dit-ilenseredressantsurlesgenoux.Il s'empara de mes poignets, les emprisonna derrière mon dos et commença à parsemer mon

ventredebaiserslégers.Desvaguesdeplaisirmetraversèrentlorsqu'ilplongeadansmonnombril.Puisilécartamesjambesetenposaunesursonépaule,offrantàsabouchel'accèsàmazonelaplussensible.J'agrippailedossierdelachaisepourgarderl'équilibretandisquesalanguebouillantemerepoussaitversleslimitesdemasantémentale.Àlafrontièredelafolie.Jeserrailesdentsetattrapaisescheveux,unbesoinpalpitantricochantdanstoutmoncorps.

Mes jambes tremblaient, affaiblies par un désir que je pouvais à peine supporter. Plus je merapprochaisdel'orgasme,plusj'avaisenviedelesentirenmoi.Jetiraisursescheveux.Griffaisontee-shirt. Il s'arrêtaet sedébarrassade l'habit.Puis je le forçaià se relever.Mesmains tremblaientpendantquej'essayaisdedéboutonnersonpantalon.Avecdesmouvementsprécipités,ilfitglissersonjeansurseshanchesetsesfessesdélicieuses.Sonérectionétaitferme,palpitanted'anticipation.Etcefutmon tourde l'observer,admirative.Une finepelliculedesueur recouvrait soncorpsmusclé, lerendantencoreplusséduisant,encoreplusexotique.

Les collines et les vallées qui composaient son corps voluptueux étaient une œuvre d'art, et lapreuvede son excitationne faisait pas exception. Je fis courirmesdoigts sur toute sa longueur etregardai, fascinée, ses muscles se contracter en réponse. Avant qu'il ne puisse m'en empêcher, jem'agenouillaietleprisdansmabouche.Illaissaéchapperunsifflementaigu.

—Dutch,dit-il,empoignantmescheveuxtoutensebattantpourgarderlecontrôle.Jel'observai.Sesyeuxbrûlaientd'undésirinassouvi.Jeconnaissaiscettesensation.Jevoulaisqu'il

l'éprouve davantage. L'attirant plus profondément, je frôlai du bout des dents la douceur de sonérection,merégalantdanslasensationquemeprocuraitlesangquicouraitsoussapeau.

Ilserramescheveuxunpeuplusfort,commes'ilessayaitdem'arrêter.—Attends.Maismesbrasserefermèrentautourdeluipourlegarderauplusprèsdemoi.Sarespirationsefit

difficile. Tourmentée. A l'intérieur, il tremblait de toute cette force, de la passion qu'il tentait decontenir.Ilsetendaitchaquefoisquejelereprenaisenbouche,grognantjusqu'àcequejel'amèneàdeuxdoigtsdel'orgasme.

N'ayantplusd'autrechoix,ilmerepoussaetmeplaquaausol,soncorpsdurcommedelapierrecontre lemien. Sans attendre une seconde de plus - incapable d'attendre une seconde de plus -, ilécartamesjambesetmepénétra.Leplaisirprovoquaunchocquiserépanditdanstoutmoncorpsdemanièresipuissanteetsirapidequemonsouffleenfutcoupé.Jem'agrippaiàsondos,mordissonépaule,donnaidescoupscontreseshanches,maisilsecontentademeserrerplusfortdanssesbras

etd'accélérerlerythme,encoreetencore,toujoursplusfort,lapressionbouillonnantetaugmentantjusqu'àcequejejouissedansuneexplosiond'étincellesbrûlantes.Ellescascadèrentsurmapeauetseprécipitèrentdanschaquemoléculedemoncorpscommeunedouchedelumière,serépandantdanstoutmonêtre, s'écrasantcontremesoscommeuneviolentemarée. Jevenaisd'imploser,et toutcequ'ilrestaitdemoiétaitdesfloconsd'or.

Dansunedouceagonie,Reyesenfouitsatêtedansmanuqueetenfonçasesonglesdansmapeau,feulant tandisque sonorgasme faisaitvibrer tout soncorpsdeplaisir. Il semit ensuiteà trembler,haletantau-dessusdemoi,laissantl'orgasmesuivresoncours.

—Putain,dit-ilfinalement.Ilsedétenditets'allongeaàcôtédemoi.J'ouvrislesyeuxpourleregarder.—Quoi?demandai-je,inquiète.Ilm'adressaungrandsourire.—Justeputain.—Oh.Ses cils sombres projetaient des ombres sur ses joues tandis qu'il était couché, étourdi par la

satisfaction.Jefiscourirmesdoigtssurleurourlet,etilfronçalessourcilsenriant.—Maintenantjeconnaislasignificationdelaperfection,chantonnai-je.Sesyeuxs'ouvrirentaussitôt,etilmedévisageaavecuneprofondeappréhension.—Ilfautquetusortesplussouventdecheztoi.—Toutlemondemeledit.Maisjeneplaisantaispas.Rienneseraitjamaismieuxqueça.Mieuxquelui.Reyesétaitl'apogée.

Toutne ferait que sedégrader àpartir de cet instant. Il était leParadis et l'Enfer à la fois, ange etdémon.Jemedemandaiscombiendetempsjepourraislegarder.Pendantcombiendetempsencoreilm'appartiendrait.

Ilsetournasurleflanc,posasatêtesurunbras,etplaçaunedesesgrandesmainssurmonventre.Avecunsouriremalicieuxquitransformasonvisagemagnifiqueenceluid'unange,ildemanda:

—Tusaisoùlesdieuxgardentleurnectar?Jeplissailesyeux,méfiante,etrépondis:—Aucuneidée.Ilfitglissersamainlelongdemonventreetseretrouvaentremescuisses.Jelaissaiéchapperun

soufflelorsqu'ilsepenchapourmurmureràmonoreille.—Laisse-moitemontrer.Aprèsavoirtesténotreendurancedeuxfoisdeplus,avoirpartagéunsandwichaurosbif,prisune

douche, et testé encore une fois notre endurance, nous étions couchés sur le lit, emmêlés dans lesdrapsetlesserviettes.Reyesm'avaitprisedanssesbrasetétaitpresqueendormilorsquejedis:

—Quiauraitcruque,pendanttoutcetemps,lenectardesdieuxétaitdansmachoupinette?Il rit doucement et laissa le sommeil le gagner,mais j'étais incapable d'arrêter de regarder son

magnifiquevisage.Sabouchesensuelleetsamâchoirecarrée.Sonnezdroitetsescilsépais.Ilétaitunmiracle.Un cadeau des dieux.Et un emmerdeur,maismoi aussi, donc je ne pouvais pas le luireprocher.

J'entendismaported'entrées'ouvrir,aussidémêlai-jenosmembresetenfilai-jeunpyjamaavantdemedirigerverslesalon.Cookieétaitentraindeposerquelquechosesurmestiroirsdecuisine.

—Tusaisquelleheureilest?Elleseretournaversmoietmemontraunustensileétrange.—C'estunepoireàdinde.Jenesaispastroppourquoituenascommandésept,maisjenetelaisse

engarderqu'une.Jel'ignoraiségalement.—Ilestminuitpassé.Qu'est-cequetufais?—J'airegardéunfilmd'horreuretjen'arrivepasàdormir.

—Combiendefoisdevrai-jetelerépéter?Situregardesunfilmd'horreur,fais-lequandjesuislà,quejepuissememarrerquandtusursautes.

Iln'yavaitriendeplusamusantqued'observerlesyeuxglacésd'effroideCookie.ApartcequejevenaisdefaireavecReyes.

—Jesais.Alors,commentétaittajournée?—Ehbien,jemesuisretrouvéedansunebanquequisefaisaitcambrioler,j'aiétépriseenotage

par les Gentlemen Cambrioleurs, presque arrêtée pour complicité, et je viens de passer une dessoiréeslesplusintéressantesdemavie.Enparlantdeça,tusavaisquelenectardesdieuxestdansmachoupinette?

Ellemelançaunregardhorrifié.—C'estquoi,unechoupinette?Maisjevoyaisbienqu'ellelesavait.Sinonpourquoiaurait-elleeul'airsiscandalisée?—Attends,ils'estpasséquoiici?demanda-t-elleendésignantlazone51.—Reyesm'afaitsuivreunethérapie,mêmesijecroisqu'iln'apasdelicence.Elleouvritlaboucheengrandetplongeaàmespieds.—Oh,Charley!J'aibesoindedétails!Etd'unepeintureàl'huile,situpeuxm'entrouverune.

Chapitre18Cequinemetuepasaplutôtintérêtàcourirvite.

Tee-shirt—Oùest-cequetuvas?demandai-jeàReyeslorsqu'ilsortitdulit.—Danscequetuosesappelertacuisine.J'ouvris la bouche en grand. Personne n'insultait ce que j'osais appelerma cuisine et s'en tirait.

Maisensuiteilm'adressasonsourireatomique,etj'oubliaiaussitôtquelétaitleproblème.—Tuasquelquechoseàmanger?—Est-cequelestrucsvertsetunpeuflouscomptent?—Jenefaispastropattentionàmonrégime,répondit-ilavecunsourireencorepluséblouissant.Lorsqu'ilpassaprèsdemacommode,unepointedepaniquemetraversa lorsque jemerappelai

que j'avais retiré la photo lematinmême, celle où on le voyait attaché, les yeux bandés. Il n'avaitmême pas regardé ma commode. Il ne l'aurait jamais fait, mais ma réaction le fit s'arrêterbrusquement. Il fallaitque jemesouviennequ'ilétaitcommemoi. Ilpouvait ressentir lesémotionsaussi facilementque je lepouvais. Il était enmesurede les sentir etde lesgoûterdans l'air.Etmapaniquel'avaitatteintassezfortpourl'empêcherdepoursuivresonchemin.

Ilseretourna,lessourcilsfroncésparlacuriosité.—Quoi?demanda-t-il,undemi-sourireilluminanttoujourssonvisage.—Rien.J'aijustecru...j'aicruquetupartais.Ilsefigea,méfiant.—Pourquoiest-cequetumemens?—Jenemenspas.Jeveuxdire,jetemens,maisc'estsimplementparcequ'ilyaquelquechoseque

jeneveuxpasquetuvoies.Sansréfléchir,ilregardaautourdelui.Ilnelaremarquapas.Elleétaitposéefacecachée,àmoitié

recouverteparundossieretunebrosse,etpeut-êtremêmeuneboîtecontenantdesproduitsfémininsquejedevaisencorerapatrieràlasalledebains.

Reyesseretournaversmoietcroisalesbras.—Maintenantjesuiscurieux.Jememordislalèvre.—Etsijetedemandaisdenepasl'être?—Tunemefaispasconfiance?—Cen'estpasunequestiondeconfiance.Pasvraiment.Pasdetoncôté.Ilchangeadeposition,pensif.—Doncc'estunequestiondeconfiancedetoncôté?Commedans«est-cequejedevraistefaire

confiance»?—Àpeuprès,ouais.Enfintuleverraiscommeça.—Comment,exactement?Il jetauncoupd'œilpar-dessus sonépaule, confus.Si laphotoavait étéun serpent, elle l'aurait

mordu,puisill'auraittuéeàsamanièredeguerrierviril.Mais,oui,ilétaitproche.—Etsionallaitmangeruntruc?—Est-cequec'estça?demanda-t-il.Sansregarderderrièrelui,iltenditlebrasetfitglisserleclichédelacommode.—Commentas-tu...?

Jeme tus avantdecreuserunpeuplusma tombe.Son regardmagnifiqueétait toujours rivé aumienlorsqu'ilamenalaphotoàsahauteur,mais,àlasecondeoùillebaissa,àlasecondeoùsesyeuxseposèrentsurl'image,unfrissonglacialdesurprisemefrappa.Ilclignadespaupières,souslechoc.

Jemeredressaisurlesgenouxetrampaisurlelitdanssadirection.—Reyes...—Oùas-tutrouvéça?L'émotionquimepercutaalorsnefutnilacolèreniladouleur,maislatrahison.Laméfiance.—J'aijuste...Unefemmemel'adonnée.Ellel'atrouvéedansl'appartementoùvousviviezquand

jet'airencontrépourlapremièrefois.Ellel'agardée.—Maispourquoiest-cequetoitulagarderais?J'étais étourdie par la tempête tourmentée qui l'agitait. Elle durcissaitma poitrine, etmon cœur

souffrait.—Jenesaispas.Jenel'aipasregardéeuneseulefoisdepuisquej'aiposélesyeuxdessus.Il se précipita en avant, et une explosion de haineme frappa. Finalement, quelque chose que je

pouvaisgérer.—Alorspourquoitulagardes,Dutch?Jerelevailementon.—Jenesaispas.Commentpourrais-jeluiexpliquerquejenevoulaisjamaisoubliercequ'ilavaitenduré?Ceque

nousavionsdûendureràcausedecemonstre?Ilsortitdelachambreàcoucher,photoàlamain.Jemeprécipitaiaprèsluialorsqu'ilsedirigeait

verslacuisinière.Ilcomptaitlabrûler.C'étaitprobablementmieux,mais,pouruneraisonobscure-pouruneraisonbizarreetinexplicable-,jebondisetlaluirepris.

Ilsemblastupéfait.—Donne-la-moi.—Tupeuxmedirecequiestarrivé?luidemandai-je,sachantpertinemmentqu'ilnes'ouvrirait

jamaisautant.PasassezpourmeracontersonpasséavecEarlWalker.Jenepouvaispasluienvouloir,maisça

valaitlapeined'essayer.—Etsijebrûlaiscettephotoetqu'onoubliaittout?—Jenepeuxpas, répondis-je, tentantde réprimer ladouleurdansmapoitrine,mais il lasentit

malgrétout.Enpoussantungrognementqui fitautantaccélérermonpoulsquedesprolongations, ilenroula

unemainautourdemagorgeetl'autreautourdemataille.Puisilmeplaquacontrelemurdanscetteposition.

—Net'avisejamaisd'avoirpitiédemoi,Dutch.Ladernièrechosedontj'aibesoin,c'estdetapitié.—C'estunepreuve,Reyes.Sicequetuasdûendurerestjamaisremisencause,nousauronsune

preuve.Etjen'aipaspitiédetoi.Jetecomprends.Lesourirequipritpossessiondesonvisagen'avaitplusriendejoueuràprésent.Ilexprimaitplus

d'animositéquede sympathie.Plusd'intimidationqued'affection.Etmoncœur sebrisa. Jepensaisqu'onavaitdépassécestade.Apparemmentpas.

Ilsepencha,lachaleurdesacolèresemblableàdelalavesurmapeau.Laréactionviscéralequemoncorpsavaitchaquefoisqu'ilétaitprochesemblaêtremultipliéepartrois.J'inspiraiàtraversmesdentsserrées,et ils'arrêta.Aprèsunmoment, ilplaçasonfrontcontrelemienets'inclinadansmadirection,commes'ilétaittoutaussiincapablequemoidecombattrecetteattraction.Mais,àsesyeux,je l'avais trahi. Il ne voulait pas que je fouille son passé, et c'était précisément ce que cette imagereprésentait.

Lorsqu'ilparla,savoixétaitégaleetsontondistant:—Quandtuserascapabledem'expliquerladifférenceentrelapitiéetlacompassion,appelle-moi.

Ilmerepoussa,menaçant,avantd'attrapersonsacàdos,desedirigerverslaporte,etdelaclaquerderrièrelui.Jem'effondraicontrelemuretdusmebattrepourparveniràrespirerànouveau.

Cookievintlematinsuivantavecdenouvellesinformationssurl'affaire,etjefisdemonmieux

pourtenirlessignesdematristesseàl'écart.—D'accord,annonça-t-elletoutenlisantsesnotespendantqu'ellesepréparaitunetassedecafé.

OndiraitquelejardinierdontMmeBeechert'aparlé,FélixNavarro,estdécédéilyaquelquesmois.—Ehbien,çaexpliqueraitpourquoicen'estplusleurjardinier.Quelquechosedesuspectausujet

desondécès?—Non.Safillem'aracontéqu'ilétaitmortdecausesnaturelles,riensurquoionpuisseenquêter.—Danscecas,cen'estdéfinitivementpasnotrehomme.S'ilavaittoutescesphotosdeHarperdans

sonportefeuille,peut-êtrequec'étaitsimplementparcequ'ilavaitbeaucoupd'affectionpourelle.Je pris une gorgée de café et m'assis au bar. Les boîtes avaient pratiquement disparu de mon

appartement. Cookie avait renvoyé beaucoup de choses ces deux derniers jours. Les seules quirestaientétaientcellesdelaZone51.

—C'étaitlecas,confirma-t-elle.Safillem'aditqu'ilgardaitdesphotosdetoussesenfants,etilconsidéraitHarperetsonbeau-frère,Art,commefaisantpartiedelafamille.

—Oh,ehbien,c'estadorable.— Ça l'est. Énormément. Même si je comprends pourquoi Mme Beecher a pu trouver ça

suspicieux,vutoutcequisepassait.—C'estvrai.Elletournaunepage.—Oh,ettononcleaappelé.Lepyromaneamislefeuàunnouvelimmeubletôtcematin.—Lemêmetype?—Ondiraitbien.J'aiinscritl'adressesurlajaquette.(Ellemedésignaundossiersurmatablede

cuisine.)Apparemment,ilafaitsortirquelqu'unquihurlaitetdonnaitdescoupsdel'immeubleavantd'ymettrelefeu.

Jereposaimatasse.—Bon,aumoinsc'estunboncitoyen.Elleacquiesçaetcontinuaàtouillersoncafépendantquej'allaischerchermonsac.—OK,ajouta-t-elle,appelle-moisituasbesoind'autrechose.—Jen'hésiteraipas.Alorsquejemedirigeaiverslaporte,jelançaiunrapidecoupd'œilaudossier.Lavériténeme

frappapas avant que j'aiemismon sac surmonépaule et que j'aie atteint la poignée. Jem'arrêtai,repensant à l'adresse, et fis demi-tour si rapidement que la Terre sembla sortir de son axe. Meprécipitant en arrière, je retirai le Post-it sur lequel l'adresse du dernier incendie était inscrite. Lemondetanguapouruneraisontoutedifférente.

Lorsque jemegarai sur lascènede l'incendie, l'odeurde fumée,acreet irritante, s'introduisitàtraverslaventilationdeMisery.Despompierstravaillaienttoujours,projetantdel'eauenl'airdepuisd'énormes camions rouges. La zone entière était délimitée par un cordon de sécurité, et desspectateurssetenaientdel'autrecôté,observantlespompiersfaireleurtravail,filmantlemurmassifdefuméeàl'aidedeleurstéléphonesportables.

Jesortisdevoitureetlevailesyeux.Ilétaitimpossiblequ'ils'agissed'unaccident.Impossiblequ'ils'agissed'unecoïncidence.C'étaitl'immeubledontj'avaisparléàReyesàpeinetroisheuresplustôt.Celui dans lequel je l'avais rencontré pour la première fois. Celui dans lequel la photo avait étédécouverte.

J'appelaiCookie.—Hé,magrande.J'aibesoinquetuvérifiesquelquechosepourmoi.—Pasdeproblème.

— J'aimerais que tu trouves une liste des adresses de tous les bâtiments que le pyromane aincendiés.C'estdansledossier.Puisqueturegroupesavectouteslesadressesconnuesqu'oncleBobavaitpourReyesFarrowlorsqu'ilaétéarrêtépourlemeurtred'EarlWalker.J'aisonfichierdansunearmoire.

—Juste.Jem'ensouviens.(Elleparlaitdemanièrelenteetméfiante.)Tupensesqu'ilyaunlien?—C'estcequej'ail'intentiondedécouvrir.Ou,tusais,detefairedécouvrir.Jeraccrochaietmedirigeaiàgrandesenjambéesversunofficierdeservice.—Oùestlafemme?luidemandai-je.—Jevousdemandepardon?(Ils'approchademoi,paumeslevéesenguised'avertissement.)Vous

devezresteràunedistancedetrentemètres.—Lafemmequelepyromaneasortieavantdemettrelefeuàl'immeuble.Oùest-elle?Lepolicierregardaautourdelui.—Commentsavez-vousça?— Je travaille avec l'APD sur ce dossier, sous la supervision du détective Robert Davidson.

(Commeilnebougeaitpas,jeluimontraimalicencededétectiveprivéeetlebadgequim'identifiaitcommeconsultantedel'APD.)Est-cequevousvoudriezlenumérodudétectiveDavidson?

Avantqu'iln'aitletempsderépondre,j'entendislavoixd'oncleBob.—Charley!cria-t-il,s'avançantd'unpaslourddansmadirection.(Songenoudevaitànouveaule

déranger.)Jenem'attendaispasàtavisite.D'aprèscequenoussavons,l'immeubleétaitvide,exceptépourcettefemme.Ellen'estpascontented'enêtresortie.

J'acquiesçai. Il devait s'agir de Mme Faye. Et non, elle ne serait pas contente, mais d'autrespréoccupationsmenouaientl'estomac.Çadevaitêtrevisible.

—Qu'est-cequ'ilya,moncœur?demandaoncleBob.Jeluiadressaiunfaiblesourire.—Cen'estpeut-êtrerien.C'estjusteque...J'espèrequecen'estrien.—Machérie,situsaisquelquechoseàproposdecetteaffaire...—Jen'ensuispassûre.Cookieestentraindevérifierencemomentmême.Sijetrouvequoique

cesoit,jet'appelle.Ilhochalatête.—Alors,est-cequeMmeFayeapuidentifierlepyromane?—Non,elleditqu'ilfaisaittropsombre,maisqu'ilétaitgrandetmince.JenedésigneraispasvraimentReyescommeétantmince,maisjepouvaiscomprendrepourquoi

MmeFayel'auraitfait,elle.Elleavaitunevisionétrangedumondequil'entourait.—TonagentCarsonaquelquespistesintéressantesausujetdecescambrioleursdebanques.—Oui,malheureusement.—Desamisàtoi?s'étonna-t-ilenhaussantlessourcils.—De très bons amis àmoi. Enfin, à part pour un. Il veutme fairema fête. Et non, pas au lit,

ajoutai-jeavantqu'ilaitletempsdedemander.—Oh,tuveuxdiretefairetafête,commedans«tefairetafête».—Exactement.—Ehbien,jesuiscontentqu'onaitéclaircicepoint.Commentavancetonautreaffaire?Je lui adressai mon expression vaincue. Celle où mes lèvres donnaient vraiment l'impression

d'apparteniràunefamilledecanards.—Ellen'avancepas.—Désolée,gamine.Fais-moisignesijepeuxt'aider.—Merci,oncleBob.EtsoisprudentavecMmeFaye.Elleaunsacrétourdebras...—Oh,c'estbon,j'enaidéjàfaitl'expérience.Ilsefrottauneépaule.Cettefemmeétaitundangerpublic.Je remontai dansMisery, repassant mentalement ce que je tenais pour acquis. J'avais senti une

odeurdefuméesurReyes.Sontee-shirtavaitétéàmoitiébrûléetilavaitdesgriffuressurlevisage,quelquechosedontMmeFayeétaittoutàfaitcapable,mêmeaveclui.

Pourunefois,jepriaipouravoirtort.Danslamesureoùjenemetrouvaispastrèsloin,jedécidaidepasservoircommentallaitHarper

avantdemedirigerversmonprochainarrêt.Jemarchaidansl'arrière-boutiqueausond'unpistoletàencre qui bourdonnait au loin.L'un d'entre eux devait être en train de travailler sur un ami, parcequ'ilsn'ouvraientpasavantdesheures.

Pariétaitàsonbureau.—Saluttoi,commentvaHarper?—Qu'est-cequetuasfait?demanda-t-elleentâtonnantàlarecherchedeseslunettesdesoleil.—Rien. (Mieuxvalait jouer les innocentesmaintenant,pendantque jepouvaisencoreprétendre

qu'ils'agissaitdelavérité.)Pourquoi?Qu'est-cequej'auraisfait?Ellemitleslunettessursonnezavantdesedirigerversmoiàgrandesenjambées.—Siennaestpartie.ElleestretournéeàLaNouvelle-Orléans.Jereculaienlevantlesmains.—Onn'arienfait.Elles'intéressaitàtoi,pasàmoi.—Elleestpasséehier,tremblanteetterrorisée,enexpliquantquetun'étaispascequetudisquetu

es.(Ellemelançaunregardfurieux.)Commentl'a-t-elledécouvert?Jenepusm'empêcherderemarquerunsouriresurlevisagedeTre,quitatouaitunepieuvresurle

dos d'un jeune client. Son travail était incroyable.Derrière la pieuvre se trouvait un labyrinthe demécanismes à vapeur.Des roues et des engrenages qui s'imbriquaient pour repousser les aiguillesd'une immensehorlogequi recouvrait sonomoplategauche.MaisTre souriaitpourune tout autreraison.J'étaislenteàladétente,parfois.CetypeavaittotalementlebéguinpourPari.IlétaitcontentqueSiennasoitpartie.

JeconduisisParidansunendroitplusprivé.—Monpèreaessayédemetirerdessus.J'aiévitélesballes.C'esttout.—Tonpèreaessayédetetirerdessus?—Seulementdeuxfois.Ellebaissalatête,vaincue.—Siennaetmoi,onavaitvraimentbienaccroché.Jepensaisquec'étaitpeut-êtrelabonne.—Tunelafréquentaisquedepuisunjour.—Etc'étaitunesacréejournée,rétorqua-t-elle,surladéfensive.—Tun'asjamaissongéàchercherquelqu'undeplusproche?demandai-je.—Qu'est-cequetuveuxdire?Commequelqu'undemafamille?Parcequelesgensnevoientpas

çad'untrèsbonœil.—Non,commedanstapropremaison.JefisunsignedumentonendirectiondeTre,quiétaitentraind'ajouteruneombreàuntentacule.Elleplissad'abordlevisagederévulsion,puisellerevitsonexpression, jepouvaisentendre les

rouagess'activertandisqu'ellejetaitdiscrètementunregardpar-dessuslemur.—Ilestcanon.—Tul'asdit.—Maisilesttellement...Jesaispas,c'estunmecfacile.—Etc'esttoiquidisça.Attendsuneminute.(Jeluilançaiunsourireétincelant.)Tuaspeurdela

compétition.—Non.—Si.—Non.—S...

—Boss!criaTre,hilare.Situasfinid'expliqueràCharleyàquelpointjesuisgénial,tonclientauneidéepourlacouleur.

Pariseraidit.—Oh,c'estmoi.DisbonjouràHarperdemapart.—Comptesurmoi.Jemedirigeaiverslachambreàl'arrière,maisHarpern'yétaitpas.Jevérifiaitoutlepérimètre,y

comprisl'avantdelaboutiquedePari.PasdeHarper.Mince.Jecommençaisàmanquerdetemps.DanslamesureoùMmeBeecheravaitétéd'unegrandeaidelorsdemapremièrevisite,jedécidai

deretournerl'interrogerenmeconcentrantcettefois-cisurlamanièredontHarpers'étaitcomportéeàsonretourdechezsesgrands-parentsaprèsquelesLowells'étaientmariés.Jemegaraidevantsamaison,admiraiànouveausesfleursviolettes,puisfrappaiàsaporteenmedemandantoùHarperpouvaitbienêtrepassée.

Mme Beecher ouvrit sa lourde porte en bois, mais resta derrière la moustiquaire, comme ladernière fois. Cependant, aujourd'hui, ma présence semblait l'ennuyer. Je ne pouvais pas lui envouloir.J'ennuyaismêmelesmeilleurs.

—Bonjour,lançai-jeenluiadressantunsignedelamaindefaçonidiote.Cen'estquemoi.Jemedemandaissijepourraisvousposerencorequelquesquestions.

Ellejetauncoupd'œilpar-dessussonépaule,puisdit:—Jesuisentraindefaireàmanger.—Oh,çaneprendraqu'uneminute.Elle acquiesça peu après avoir pincé la bouche. Elle portait aujourd'hui une robe grise qui se

mariaitavecsescheveuxetsesyeux,ainsiqu'untablierjaunepastel.—Merveilleux,merci.J'aicrucomprendrequeHarperétaitrestéechezsesgrands-parentspendant

quelesLowellsontpartisenlunedemiel.Voussouvenez-vousdequelquechosed'étrangeausujetdeceséjour?Est-cequeHarperadonnél'impressionqu'elleavaitsubidessévices?Ouétémartyrisée?N'importequoiquisortedel'ordinaire?

Jesortisànouveaumonbloc-notes,aucasoùellemefourniraitdesdétailscroustillants,parcequelesmeilleursdétailsétaientcroustillants.

—Passpécialement.(Ellehaussalesépaulesetparutréfléchir.)Ellerentraitchaquesoiraprèsêtrealléejoueraveclesenfantsdesvoisinstoutelajournée.Elleaeuunatrocecoupdesoleil.Àpartça,ellesemblaits'amusercommeunefolle.Elleadoraitlarésidencedesesgrands-parents.

Jem'arrêtai,puispassaimalanguesurmalèvreinférieure.—Elle rentrait ? demandai-je, surprise.Vous voulez dire que vous étiez là-bas ?Vous étiez au

domiciledesesgrands-parentsavecelle?Sonsourires'étirademanièreaussifaussequeceluid'unmauvais lifting.Soudainement,chacun

desmouvementsqu'ellefitfutcalculé,chaqueexpressionsoigneusementchoisie.—J'yétais,oui.Jepensaisquevoussaviezcela.—Non.Personnenel'amentionné.Ignorerlepetitpersonnelcommes'iln'existaitpasétaitvraimentsifacilequeça?Une légèrevaguedemalaiseémanadeMmeBeecher,et jeprisconscienceque j'avaispeut-être

mal interprété la source de la peur que j'avais ressentie la première fois que je l'avais rencontrée.J'avaispenséqu'ellecraignaitdemeparleràcausedeMmeLowelletdecequ'ellepourraitfaire.Jen'avaisjamaissongé...

Non,jenepouvaispastirerdeconclusionshâtives.Enplusdufaitquejen'avaisjamaisétébonneautir,ils'agissaitd'unedoucevieilledame.Lesdoucesvieillesdamesneharcelaientpaslesenfants.Ellesne les terrorisaientnine lesmartyrisaientsansraison,etquelle raisonauraitquiconquepouropprimerunefillettedecinqans?

Je décidai d'abattremameilleure carte, pour voir si ellememontrerait samain. J'attendis une

fractiondesecondepuisdis:—Ehbien,quandj'aiparléàHarperilyaquelquesjours,ellen'apasmentionnélefaitquevous

étiezavecelle.Maisvousn'avezrienremarquéquisortedel'ordinaire?Dèsl'instantoùlesmotsfranchirentmabouche,lesémotionsdeMmeBeechersedéchaînèrent,un

peucommesijevenaisdegagnerlejackpotsurunemachineàsous.Maisc'étaitunepro.Sonvisageimpassibleétaituneœuvred'art.L'émotionquipercutaitsafaçade

detranquillitéétaitsemblableàunouraganestivalvudepuislecalmedel'espace.Je restaiplantée làoù j'étais, abasourdie.Lagouvernante?Sérieusement?Elle faisaitunmètre

vingtetétaitaussirondequ'unmuffin.— Je suis désolée de poser toujours lesmêmes questions, continuai-je aprèsm'être rapidement

secouéepourreprendremesesprits.OnsefaitjustebeaucoupdesoucipourHarper.N'importequelleinformationquevousaurezpourraaider.

Elle parut soudain plus fragile que de la porcelaine tandis qu'elle écartait la moustiquaire etboitillaitsurlecôté.

—Biensûr,biensûr.Pardonnez-moidememontrersiimpolie.Entrezseulement.Mêmesavoixtremblaitplusqu'ellenel'avaitfaitquandelleétaitvenueouvrir.Oh,ouais.Çaallaitmalfinir.Jemedemandaisquid'autrese trouvaità l'intérieur.Ungrosgaillardmuscléetgrassouilletqui

s'acquittaitdusaleboulotpourelle?Unefillecingléequisuivaitchacundesesordres?Ellen'avaitpas l'aird'être legenrede femmeà tuerun lapinavantde lemettresur le litd'unenfant,maisdeschosesplusétrangess'étaientdéjàproduites.

Forçantmespiedsàavancer,jepénétraidanslatoiled'araignée.—Puis-jevousoffrirunpeudethé,trèschère?demanda-t-elle.Pourquetupuissesymélangerquelquesgouttesdarsenic?Jenecroispas.—Hum,non,merci,jen'aipassoif.Nousrestâmesdansl'entrée,etjenepusm'empêcherderemarquerlesdix-septmillionsdephotos

qu'elleavaitd'unseulhomme.Ellesreprésentaientsavieentière,del'époqueoùilétaitnourrissonàsaquarantaineenviron.Sonfils,peut-être?Petit-fils?

—Alors,quevoudriez-voussavoird'autre?Ehbien,cequejevoulaissavoir,c'étaitcommentdiablej'allaisprouverquecettecharmantevieille

bonnefemmeavaitmenacéHarperdurantpresquetoutesavie.Maisjenepensaispasqueluiposercette question soit une excellente idée. J'avais absolument besoin de preuves. Ou d'une confessiondétailléeenhautedéfinition.

Elle regarda quelque chose derrière moi, mais je ne parvins pas à déterminer quoi.Malheureusement,jenepouvaispasmeretournerégalementsansavoirl'airsuspecte,etilfallaitquecettefemmecroiequ'ellem'avaittotalementetcomplètementdupée.

— J'ai conscience que c'est bête, répondis-je en levant les yeux au ciel et en lui adressant unsourireencoin,maisMmeLowellinsistesurlefaitquequelqu'unessaiedeluifairedumal.Pouvez-vousmedirecedontvousvoussouvenezdeceséjourchezsesgrands-parents?Pouvez-vousmedirequandlesmenacessupposées(Jemimaidesguillemetsaériens)ontcommencé?

Le soulagement adoucit son sourire. Pour elle, j'étais tout aussi crédule que ses employeursl'avaient été pendant toutes ces années. Mais je devais bien admettre que j'étais on ne peut plussurprise.Pourquoicettefemmeaurait-elletraumatiséunefillettedecinqans?Puiscontinuéàlefairetoute sa vie durant ? À tel point que Harper avait dû être internée ? Cette simple pensée étaiteffroyable.

J'observai lesportraitsquinousentouraient.Peut-êtreavait-elledel'aide.Ilnefallaitpasêtreungéniepourserendrecomptequel'hommesurlesphotosavaitunpetitquelquechosequiclochait.Sesyeuxbleussemblaientunpeutropbrillants.Sescheveuxbrunsunpeutropébouriffés.Sonexpression

un peu trop sauvage. Il me rappelait un gosse de maternelle qui s'appelait Gerald Roma. Il avaitl'habitude de brûler des fourmis à l'aide d'une loupe. Il n'avait jamais été vraiment normal.C'étaitétrangequ'ilaitbrûlélorsd'unecombustionspontanéedurantladernièresemainedenotrepremièreannéedecollège.Lekarmaétaitunepute.

MmeBeecherritdoucementetm'invitaàlasuivre.—Cettefilleetsonimagination,jevousjure!Elleacommencéàraconterdeshistoiresquandelle

avaitenvironcinqansetn'ajamaisarrêtédepuis.Ellesedirigeajusqu'àlacuisine.J'observaitouslescoinsetrecoinsquejerepéraisurlechemin,

essayantd'évaluerceàquoij'avaisaffaireexactement.Parunheureuxhasard,Cookieappela.Sontimingétaitimpeccable.—Jesuisdésolée,dis-jeenappuyantsurl'icônepouraccepterl'appel.Pourriez-vousm'accorder

uneminute?Ilfautquejeréponde.—Faitesseulement,trèschère.Jemeretournaietfisquelquespasendirectiond'uneportejusteàcôtédelacuisine,etjetrouvai

trèsintéressantderemarquerque,plusjem'enapprochai,plusMmeBeecherdevenaitcraintive.—HeyCook,lasaluai-je,pleinedejoieetdebonnevolonté.Mais,avantqu'ellepuisserépondresurlemêmeton,j'enchaînai:—Oui,jesuischezMmeBeecherentraindel'interroger.Cetteaffaireestuneimpasse.Jen'arrive

àtrouveraucunepreuvedecedontHarperLowellparlait.MesmotscalmèrentunpeuMmeBeecher,aussifis-jeencorequelquespasendirectiondelaporte.—D'accord,ditCookie,comprenant.Est-cequetuesendangerimmédiat?—Jenecroispas,maisonn'estjamaissûrderienavecdescascommecelui-ci.—Qu'est-cequejepeuxfaire?—BiensûrquejepeuxallerboireuncaféaveconcleBob.Tupeuxl'appelerpourluidemanderde

meretrouveràl'adressequejet'aidonnée?—Jepeuxtoutàfaitfaireça.Est-cequ'ilfautquej'envoiedessecourségalement?—Oh,non.C'estbon.Dis-luisimplementdeprendresontemps.J'aibientôtfini,ici.—OK,j'appelleObiemaintenant.Soisprudente.—Quoi?TuaimesregarderdeshommesàpoilsurInternet?—Jesuissérieuse.Mince. Elle ne s'était même pas un peu offusquée. À quoi servait le harcèlement si elle ne

s'offusquaitpasàl'occasion?Jeraccrochaietfisencoreunpasendirectiondelaporte.Jenepouvaispasvoirplusloinquel'obscuritéépaissequil'entourait,maisilfaisaitplusfraisiciquedanslerestedelamaison,doncc'étaitpeut-êtreunecaved'unequelconquesorte.Conscientequeriendebonnevenait jamais des caves, j'avais commencé à me retourner lorsque j'entendis un bruit sourd. Unedouleuraiguëexplosadansmoncrâne,puis lemondesemitàs'écroulerautourdemoi tandisquej'expérimentaisunesériedesautspérilleuxetderebondissementsdouloureux.

J'atterrisenunmonceaudecheveuxetdemembreshumainsenbasd'unevoléedemarches trèsmassives.Onpourraitpenserquelepinestunboissouple.Mais,nomd'unpétardosseux,çafaisaitunmaldechien.

Jemerecroquevillaienpositionfœtale,prenantmatêtedansmesmainsetserrantlesdentspourtenterdeluttercontre ladouleurquifusaitdanschaquemoléculedemoncorps.Au-dessusdemoi,j'entendis la porte se fermer, puis les pas légers de Mme Beecher qui descendait l'escalier. Elleavançaitàuneallurequienauraitmispleinlavueàunbébétortue.Elletenaitunepoêleenfonte,etj'étaisrelativementcertainequec'étaitcequiavaitprovoquémonvoyagetumultueuxversl'inconnu.Quiauraitcruquelafonteétaitsidure?

J'avais toujoursbesoindepreuvesquant à son implicationdans le casdeHarper.Àcemomentprécis,toutcequej'avaisétaituneagressionavecunepoêleparunevieillefemmequipouvaitplaiderlafolieetplusquecertainements'ensortirdevantuntribunal.Utilisantchaqueparcelled'énergiequ'il

me restait, je forçai mes muscles à se relâcher afin que mon corps devienne aussi mou que desnouilles.OncleBobétaitenchemin.Peut-êtrequejeparviendraisàrésoudrecetteaffaireavantqu'ilnedébarque.

Mesyeuxs'étaienthumidifiés,etl'airétaitfroidcontreleslarmesquibaignaientmesjoues,maisc'étaitlaseulechosepositivequej'arrivaisàtirerdelasituation.Enfin,çaetlefaitquejepourraissûrementprendreMmeBeecherdevitessedanslepiredescas.Elleavaitdescenduenvironlamoitiédesmarches,aussidécidai-jedepréservermonénergiementaleetdesongeràcommentceseraitdevivredansunmondesurlequellespapillonsrégneraientetoùleshumainsseraientleursesclaves.

Celan'aidapas.Laseulechosequej'avaisàl'esprit,c'étaitladouleurquiirradiaitdeBarbara,moncerveau.Normalement,jeneprêtaisquepeud'attentionàBarbara-ellenesortaitpassouvent-,maisaujourd'hui était son jour de gloire. J'étais persuadée que des morceaux d'elle essayaient des'échapperdeFred,moncrâne.

Profitant du fait que j'étais couchée dans une parfaite imitation de spaghetti, Mme Beecher sedirigea vers des rayonnages et commença à fouiller dans de vieilles boîtes, certainement à larecherched'unescieàmétauxrouilléepourmedémembreravantd'enterrerlesdifférentespartiesdemoncorpsdanscettecavemême.Lesolétaitmeuble.Commec'étaitpratique.

Puisj'entendisautrechose.JerelevailatêteetvisHarperdescendrelesmarchessurlapointedespieds.Jeluifislesgrosyeuxpourl'avertir,maiselleseprécipitaversmoiàlasecondeoùellemeremarqua.

—Charley,chuchota-t-elleenjetantdesregardshorrifiésautourd'elle.Ques'est-ilpassé?—Quefaites-vousici?demandai-je,lesdentsserrées,essayantdenepasbougerleslèvres.Jenesavaispasvraimentpourquoi.Jen'avaisenviederiend'autrequedem'agripperlatêteetme

tordrededouleur.Harper repéraMmeBeecher. Elle posa unemain surmon épaule lorsqu'elle repensa à quelque

chose.—Jemesuissouvenued'undétail,alorsjesuisvenue.—Vousdevezvraimentvousenaller.Ellen'apeut-êtrepasl'airdangereuse,maiscettefemmeaun

sacrécrochetdudroit.(Jel'observaipar-dessusmonépaule.)Fichuetricheuse.Commentdiablea-t-elleréussiàsouleverunepoêleàfrireenfonte?Ellefaitlatailled'uneballedetennis.

Mais j'avais perduHarper. Elle observait fixement le dos deMmeBeecher, le regard à la foisétonnéetanxieux.J'étaisanxieuseégalement,maispouruneraisontotalementdifférente.

—Harper,murmurai-je,essayantd'attirerànouveausonattention.(Heureusement,MmeBeecheravaitl'aird'êtreincapabled'entendreautrechosequ'unrugissementpuissant.)Mabelle,dequoivoussouvenez-vous?

Harperposasesdeuxgrandsyeuxbrunssurmoi,sanstoutefoissemblermevoir.—Sonpetit-fils,répondit-elle,savoixàpeineunmurmure.Deweyétaitunpeuplusâgéquemoi.

Ilhabitaitavecnous.AvecMmeBeecher,danssonappartement.Ladouleurdéclinalégèrement,etlespalpitationsdevinrentpresquesupportables.—Ques'est-ilpassé,machérie?Ilestvenuavecvouschezvosgrands-parentspendantlalunede

mieldevosparents.Est-cequesonpetit-filsvousafaitdumal?Ellesemblaitperduedanssespensées.J'avaispeurqu'ellenerépondepas.Maisellelefitaubout

d'uneminute.—Non.Pasmoi.(Elleposaunemainsursabouche.)Unpetitgarçon.Jecroisqu'ilatuéunpetit

garçon.Je fermai vivement les yeux dans une tentative désespérée de chasser les images que sesmots

venaientdeprovoquer.—MmeBeecheratrouvéDewey.Ilessayaitderéveillerlepetitgarçon,maisiln'yparvenaitpas.

C'estlàqu'ellem'avue.

Jelaregardaiànouveau.—MmeBeecher?Ellevousavueprèsd'eux?—Oui.Onétaitentraindejoueràcache-cachedanslagrange,maisDeweyestdevenufouquand

lepetitgarçonl'atrouvé.Jenesaispasvraimentcequis'estpassé,maisilsontcommencéàsebattre.Deweyl'afaittomberets'estassissurluijusqu'àcequ'ilarrêtedesedébattre.Jusqu'àcequ'ilarrêtede respirer. (Harper ferma les yeux, et des larmes roulèrent sur ses joues. Puis elle sursauta, sesouvenantdequelquechose.)Jesuisvenueici.JesuisvenuedemanderàMmeBeecherpourquoielleavaitfaitça.Pourquoielleavaittoutmisenscène.

Mme Beecher venait apparemment de trouver ce qu'elle cherchait. Elle se dirigeait dans notredirection.Ilfallaitquejemedépêche.

—Harper,qu'a-t-ellefait?Qu'afaitMmeBeecherquandvousétiezdanscettegrange?—Ellem'aattrapée.(Harperobservasesbras.)Elleavaitdesonglesacérés,etelleacommencéà

mesecouer.ElleaditqueDeweyavaittuéunlapinparaccident.Unlapinblanc.Etquesijem'avisaisdeleraconteràquelqu'un,ilmeferaitlamêmechose.Ensuiteelleamislelapindansunevaliseetl'aramenéenvilleavecnous.

Monchocdevaitêtreapparent.Harperhochalatêtetandisquelatristessemiroitaitdanssesyeux.—Maiscen'étaitpasunlapin.Jemesouviensmaintenant.Cepetitgarçonestenterréquelquepart

surnotrepropriété.Dansunevaliserouge.L'air se bloqua dans mes poumons. Cookie m'avait parlé d'un enfant disparu à Peralta à cette

période,etPeraltaet les fermesdeBosqueétaientvoisines. Ilétaitdifficilededireoùcommençaitl'uneetoùfinissaitl'autre.Lecasn'avaitjamaisétérésolu.

Ehbien,ilétaitsurlepointdel'être.Feignanttoujoursd'êtreévanouie,jefermailespaupières,maislesgardaijusteassezentrouvertes

pour observer Mme Beecher qui se dirigeait tranquillement vers moi. J'arrivai à en voirsuffisammentpourdiscernersasilhouettequiavançait.Elletenaitunpicàglace.Unpicàglace.Pourquoifaire,bonsang?Cettefemmeétaitfroide.Harpereneutlesoufflecoupéetsejetasurmoipourmeprotéger.C'étaitunedeschoseslesplustouchantesqu'onaitjamaisfaitespourmoi.

La porte au-dessus de nous s'ouvrit, et un pas lourd se mit à résonner sur les marches.Malheureusement, il nepouvait s'agird'oncleBob. Ilne s'étaitpas écouléassezde temps.EtoncleBobcriaitpresque toujoursquelquechosecomme«APD!Mainsen l'air !»Ce type-làgardait lesilence.

Jeme fis toute petite lorsque l'hommedes photos s'approchademoi.Enpartie parce qu'il étaitgigantesque,presquedeuxfoislatailledeMmeBeecher,maissurtoutparcelesemmerdesvenaientofficiellement de commencer.Maintenant il faudrait que je sois plus rapide que ces deux-là, avecBarbaraquiessayaitdes'échapperdeFred.

—Quiêtes-vous?medemanda-t-il.Il parlait de toute évidence aux spaghettis, puisque j'imitais la nouille mieux que je ne l'avais

jamaisfait.—Cette femme veut t'emmener loin demoi. Nous allons devoir la planter dans la terre, pour

qu'ellepuissepousser.Ilbaissalatête.—Jecroispasquej'aiencoreenviedefaireça.—Jen'aipasenvienonplus,maisj'aibesoindetoiauprèsdemoi,monange.Quid'autrepourrait

sechargerdestravauxd'entretien?Lestravauxd'entretien?—Jesais,grand-maman,mais...Lesputainsdetravauxd'entretien?

—Pasdemais.Maintenant,occupe-toid'ellecommetut'esoccupéedeMissHarper.Ilregardadansuncoindelacave.Endirectiond'untasdeterrefraîche.—Harperétaitgentilleavecmoi.J'étaisd'accorddetondresapelouse,pourl'amourdeDieu.C'étaitvraimentausujetdestravaux

d'entretien?MmeBeecherlevaunbrasettapotasagrosseépaule.—Jesais. Jesais.Maiselleallait tedénoncerà lapolice. Ils t'auraientmisenprison,monpetit

sucre.Qu'est-cequejeferaissanstoi?Ilhaussalesépaules,etelleritdeboncœur,luipinçantlajouecommes'ilavaitquatreans.J'étais

danslesennuisjusqu'aucou.S'agrippantaupicàglacecommesisavieendépendait,ellem'observa.—Attends,parcontre.Jedoism'assurerqu'elleestmorted'abord.Ellemitungenouàterreàcôtédemoi,uneffortlaborieuxquiluipritassezdetempspourqueje

puissesongeràcequisepasseraitsilescalottespolairesfondaient.Aprèsm'êtrefaitmapetiteidée,jemedemandaisijedevraisessayerdem'enfuirouderaisonnerDewey.Ilsemblaitunchouiaplussaind'espritquesonhomologue.

—Dis-moi,oùcrois-tuquesetrouvesoncœur?demandaladitehomologue.BettyWhite?EllevoulaitpoignarderBettyWhite?Je levai instinctivement lesmains pour la recouvrir. Elle était si fragile. Si vulnérable.EtMme

Beechercomptaitl'embrocheravecunpicàglace?Ilfaudraitd'abordmepassersurlecorps.MmeBeecher bondit en arrière sous le coup de la surprise, et j'en profitai pourme ruer vers

l'escalier,jusqu'àcequ'unpoidscomparableàceluid'unebétonnières'abattesurmondos.—Oh,c'estbien,monpetitsucred'orge.Tiens-la.Alors,oùaatterricepicàglace?Harper se précipita en avant, bien décidée à renverserDewey pourm'en débarrasser, et elle ne

compritpastoutdesuitepourquoielleluipassaàtravers.Merde.J'auraisdûluidire.C'étaittoujoursdifficilequandlesgensn'avaientpasconscienced'être

morts.Laréalisationlesmettaitenétatdechoc,et,parfois,jenelesrevoyaispaspendantdesannées.Mais j'aurais vraiment dû lui dire, parce que l'expression stupéfaite qu'elle affichait lorsqu'elle seretournaetessayad'atteindrelatêtedeDeweysanssuccèsmebrisalecœur.

Ellemeregardaànouveau.—Jesuismorte?gémit-elle,savoixlourded'émotions.Elleselaissatombersurlesol,totalementperdue.Je fus pliée par le poids de Dewey, et je me demandai ce que sa grand-mère pouvait bien lui

prépareràmanger.Maisj'étaiscontentequ'elleneretrouvepaslepicàglace.—Jesuisdésolée,Harper.(Lesmotsavaientdelapeineàsortir.)Jevoulaisvousledire.—Quoi?fitMmeBeecher.—J'aiappelélapolice,répondis-jeentordantlecou.Ilssontenchemin.Ellericanaavantdemetournerledos.—Ilmefautplusdelumière.Oùabienpuroulercetruc?—Ilsm'onttuée?demandaHarper,toujoursstupéfaite.Jetendisunemaindanssadirectionetlaposaisursongenou.—Oui.J'ignorelequeldesdeux.Est-cequevousvoussouvenezdecequis'estpassé?—Elleestentraindeparler,grand-maman.—Ehbien,assieds-toiplusfort!Ilsuivitsonconseilenrebondissantsurmondos,et toutcejepuspenserfutOhmonDieu!Où

étaitoncleBobquandj'avaisbesoindelui?Mesentantcommedansunfilmd'horreur,àattendrequedesclownsmaléfiquessurgissentdesous

l'escalier,jetentaidemeconcentrersurlefaitdesurvivreàcedéfilédetarés.—Qu'est-cequetufais?

Jemetournaidel'autrecôtéetvisAnge.Ilmejetaitunregardtotalementdésapprobateur.—J'essaiederespirer,répondis-je,essayantderespirer.Maisl'obscuritérampaitdansmonchampdevision.—Pourquoicetypeestassissurtoi?(IlremarquaalorsHarper.)Oh,salut.Illuiadressaunsignedelatête,maiselleétaitencoresouslechoc.Ellelevasesmainspourles

observer,lestournantetlesretournant.—Jenepensepasquetupuisseslerenverser?demandai-jeàAnge.—Jepeuxtoujoursessayer.—Mais,genre,bientôt?Angefronçalessourcils,puisseconcentrasurDewey.Aprèsquelquessecondes, il lepoussade

toutessesforces.EtDeweyfituneculbute.Nomd'unetarteàlapatatedouce.Jemeprécipitaiànouveauendirectiondel'escaliertoutencombattantlarotationdelaTerre.Elle

s'évertuait à m'envoyer contre le mur, et je compris que j'avais certainement une commotion.Malheureusement, Dewey récupéra et s'élança vers l'escalier, attrapant ma jambe et me faisanttrébucherentirantdessus.

Çaallaitfairemal.Ouaip.Monmentonheurtaunemarche,etmesdentss'entrechoquèrent.Çaressemblaittellementà

desmilliersdefilmsd'horreurquej'avaisvus.Jedégringolaienbasdel'escalier,engrandepartieàcauseduvertigequejeressentais.Jelevailamainetdis:—Ilfautquevousvouscalmiez.CefutàcetinstantqueDeweyenroulasesgrossespattesautourdemagorge.Unjour,ilfaudrait

quejeprenneconsciencequedemanderauxgensdesecalmerprovoquaitexactementl'effetinverse.—Tiens-labien,monange.Jen'arrivepasàtrouvercefichupic.Jevaisdevoirutiliserlapoêle.—Arrêtederéfléchircommeunêtrehumain,mereprochaAnge.—Tunem'aidespas.VachercherReyes.—Jesuislà,ditReyes,dansuncoin.Jeteregardetefairebotterlesfesses.Ànouveau.Son épaisse robe noire ondulait autour de moi, et le mal de mer terrestre que j'expérimentais

empiraenlacontemplant.C'étaitdetouteévidenceleReyeséthéréquiétaitprésent.LesBeechernepouvaientpaslevoir.

Lorsquel'étreintedeDeweyserelâchapendantunefractiondeseconde,j'ordonnaiàReyes:—Faisquelquechose.—Jepeuxbriserlanuquedecettefemme?—Non.—Jepeuxbrisersanuqueàlui?Jedusréfléchirdeuxsecondes,cettefois-ci.MmeBeechersedirigeaitversmoi,poêleàlamain,

prêteàsévir.—Ilfautquetu...sauves...FredetBarbara,articulai-je.AveclesgrosdoigtsdeDeweyautourdemagorge,mavoixressemblaitàcelled'unpersonnage

de cartoon. Un détail qui ne devait pas me rendre très attirante. Sérieusement, combien de tempsReyescomptait-illaisserfaireça?

—J'essaiedetefaireutilisertespouvoirs.—Qu'ilsaillentsefairefoutre,mespouvoirs.Faisquelquechose.Reyessedématérialisaetréapparutàcôtédemoi.J'entendislesifflementdesalame,puislaprise

deDeweydevintmoinsferme,etlasurpriseenvahitsonvisageavantqu'ilnetombesurlesol.Reyesvenaitdeluisectionnerlamoelleépinière,mêmes'ilfaudraitunpeudetempsauxmédecinspours'enrendrecompte.Iln'yauraitaucundommageextérieur.Reyesdécoupaitdepuisl'intérieur.

MmeBeechers'arrêtanet,souslechoc.

—MadameBeecher, l'avertis-jeen toussantetencrachotantcommeuneFiatUno, reposezcettepoêleimmédiatement.

Chapitre19Quandlavietedonnedescitrons,dis:«Descitrons?T'asriendemieux?»

AutocollantpourvoitureOncleBobarrivachezlesBeechersanssepresseretappelauneéquiped'enquêteursdèsqu'ilme

vit lutter contreMme Beecher. Cette femme était vraiment plus forte qu'elle n'y paraissait. Reyess'évertuait àme proposer de lui trancher lamoelle épinière, et Ange n'arrêtait pas deme répéterd'arrêterderéfléchircommeunêtrehumain,quoiquecelapuissesignifier.

AprèsavoirregardéoncleBobtaclerMmeBeecherausol-unsouvenirquejechériraisjusqu'àlafindemavie-,jeluifismadéposition,puisilmeconduisitaumanoirdesLowell.Harperétaitsurlesiègearrière,ruminantencoresonpropreétonnement.Deuxvoituresdepatrouillenoussuivaient,etun autre détective du commissariat d'Obie était en route pour nous rejoindre là-bas. Les Lowellallaientêtrescandalisés.

Je n'étais toujours pas sûre de qui avait réellement terroriséHarper -MmeBeecher, ouDeweysouslesordresdeMmeBeecher-,maiscelan'avaitplusvraimentd'importancedanslegrandordredeschoses.Aucundesdeuxneseraitenmesurederecommencer.

OncleBobposaunemainsurlamienne.—Bon,raconte-leurjustequeDeweyt'aexpliquéoùlecorpsdugarçonsetrouve,d'accord?—Tudisçacommesijenel'avaispasdéjàfaitunmillierdefois,rétorquai-jeavantd'avoirdes

frissonsenentendantmaproprevoix.Avoirlelarynxécraséproduisaitvraimentundrôled'effet.—Jesais.Désolé,chérie.—Cen'estpasgrave.Harperditqu'ellesesouvientoùestenterréelavalise.Duseulendroitoù

ellepeutl'être.Deweyacommencéàtravaillersurunnouveaujardinquandilssontrevenus.Çadoitêtrelà.

Ilseretourna,uneexpressionsoucieusesurlevisage.—Çanevapasêtrejoli,mapuce.Situveuxyaller...—Ohqueouijevaisyaller.DèsqueHarpernousauramontrélatombe,jemetire.—Alorsc'estvraimentlafin,fitHarper,acceptantsontrépas.Jemetournaipourlaregarder.—Jesuisdésoléequevoussoyezmorte,mabelle.—Vousavezsutoutcetemps?Quej'étaismorte?—Oui.C'estmonmétier.—Personned'autrenepeutmevoir?Jesuis...Jesuisunfantôme?—J'enaibienpeur.Maisvouspouvezmetraverserquandvousvoussentirezprête.Votrefamille

vous attend de l'autre côté. Votre mère. Vos grands-parents. Ils seront vraiment heureux de vousrevoir.

Ellehochalatête.—Jesais.Jecroisquej'aisuqu'ilsm'attendaientpendanttoutcetemps.(Savoixsebrisa.)Jeme

demandedepuiscombiendetempsjesuismorte.—Ehbien,vousêtesvenuemevoirilyadeuxjours,maisMmeBeechersavaitquevousaviez

disparu depuis plus longtemps que ça. C'est comme ça que j'ai compris que c'était elle. Votrethérapeutem'aditqu'ilvousavaitvupourladernièrefoisàsonbureauilyaprèsdedeuxsemaines.

Doncçadoitfaire...— C'est ça. (Elle regarda droit devant elle, en pleine réflexion.) J'étais en séance avec le Dr

Roland,et je luiparlaisdufaitque jecomptaispartirenvoyage. Ilm'ademandédequellecouleurétaitmavalise,ettoutm'estrevenud'uncoup.Deweyquituaitcegarçon.MmeBeecherquilemettaitdanscettevalise.(Elleserecouvrit labouched'unemain.)Quelgenredepersonnesfaitça?Elleavécuavecnouspendantplusdevingtans.Commentavons-nouspunerienremarquer?

—J'aiétévraimentétonnéemoi-mêmequandj'aicomprisqu'elleétaitimpliquée.Jepensequ'elleesttrèsdouéepourleurrerlesgens.

Lavoitures'arrêtadevantlehaut-parleur.— Quoi que tu fasses, avertis-je oncle Bob, ne commande pas un taco. Ils sont vraiment très

sensiblesàcesujet.Ilacquiesça,sortitsonbadgepourlemontreretdit:—Ouvrezceportail.J'aiunmandat.Et leportail s'ouvrit.Aussi facilementqueça.Sansmarchandage,sansautre formedeprocès. Il

fallaitvraimentquejedevienneunevraiepolicière.Lapaieétaitprobablementbienmeilleure.MmeLowellnousrejoignitsurlesmarchesdesonperron,toutcommesonfils,Art.Ilétaitvêtu

d'un élégant costume et d'une cravate, etMmeLowell était également tirée à quatre épingles. Elleportaitunelonguerobedesoiréeetdesperles.Onvenaitdetouteévidenced'interrompreleurdîner.

—Quoi,encore?demanda-t-ellelorsquejesortisdu4x4d'Obie.Cederniersedépêchadecontournerlevéhiculepourseprécipiterverselle.Malgréleurstenuessidécontractées,ilsavaientl'airextrêmementtendus.J'euslasensationqu'ils

étaiententraindesedisputerlorsquenousétionsarrivés.—Madame Lowell, nous avons des informations concernant un enfant disparu depuis plus de

vingtans.Nouspensonsqu'ilestenterrésurvotrepropriété.Elleexpulsabruyammentl'airdesespoumons,indignée.—Oh,pourl'amourde...— Votre ancienne gouvernante, la coupai-je avant qu'elle ne s'investisse trop dans une longue

tirade,l'aenterréici,sachantquepersonneneviendraitfouinersurvotreterrain.Pourquoil'aurait-onfait?LegarçonétaitoriginairedePeralta.

Elles'immobilisaetmedévisageacommesij'avaistotalementperdul'esprit.JeregardaialorsArt,conscientequ'ilprendraittrèsmallamortdeHarper.

—Pouvons-nousentrer?luidemandai-je.—Jen'arrivepasà joindreHarper,dit-il tandisqu'ilnousfaisaitsignede lesuivreà l'intérieur.

Ellenem'apasrappelédepuisplusd'unesemaine.Luiavez-vousparlé?J'avalailaboulequej'avaisdanslagorge.—C'estl'autreraisonpourlaquellenoussommesici.Deuxheuresplustard,j'étaiscachéedanslasalledebainsdesLowelltandisqu'uneéquipechargée

decreusersortaitunevaliserougedusolretourné.ElleétaitexactementlàoùHarperavaitditqu'elleserait,dansuneportiondujardindontDeweys'étaitoccupépendantplusdevingtans.ÀladifférencedeMmeBeecher,lesactesdeDeweytémoignaientduremordsetdesregrets.

Une équipe entière avait été dépêchée sur la scène, et des cameramenet denombreux reportersl'avaientsuivie.J'étaispresquedésoléepourMmeLowell.ÇaallaitdéfinitivementfairetachesursonCV,peuimportaitàquelpointelleétaitinnocente.MaislorsqueoncleBobluiappritquelecorpsdeHarperavaitétéretrouvé,lacarapacedanslaquelleelles'étaitenferméecommençaàsefendre.Ellesemblait si choquée, si dévastée, que sa douleurme plia presque en deux. Elle tenait réellement àHarper.C'étaitimpossibleànier.

Jesavaiségalementqu'ellen'avaitrienàvoiraveclamortdecepetitgarçonouaveclamanièredonttoutavaitétécamoufléenconséquence.Sasurpriseétaitabsolumentsincère.

Artprit trèsmal ledécèsdeHarper. Il s'enfermadansunepièce à l'étage,maismême lesmursépaisdumanoirdesLowellnepouvaientbloquerlesvaguesdedouleurquis'échappaientdelui.

Etjerestaislà,cachéedanslasalledebains,àdésespérémentessayerderespirerdanslesdébrisd'une famille brisée.Leur souffrance ne faisait que commencer, etmême si je n'étais toujours pasautoriséeàvoirM.Lowell,jeressentaissatristessedescendrel'escaliercommeunbrouillarddense.

—Jenepeuxplusresterici.Je me retournai vers Harper. Elle était devant la fenêtre et observait l'extérieur, là où les

travailleursexcavaientlesoletoùunedizained'officiersentouraitlazoneprotégéepardesrubans.—Jedoispartiravantdeneplusenavoirlaforce,ajouta-t-elle.Jeneressentaispasaussibienlesémotionsdesdéfuntsquecellesdesvivants,pasavantqu'ilsaient

traversé, mais l'anxiété qui tordait ses traits valait mille mots. Elle leva la tête en direction dudeuxièmeétage,etjecomprisqu'elleétaitinquiètepourArt.

—Ilestamoureuxdevous,luidis-je.Elletournaversmoiunregardsurprisavantqu'unsouriretristenesedessinesurseslèvres.Elle

étaitvraimentmagnifique.—Ilm'aavouéquec'étaitlui,votrecontact.Elleacquiesça.—Oui.Noussommesrestésencontacttoutcetemps.Ilestmêmevenumerendrevisitequelques

foissurl'île.—Pourquoiest-cequevousnevousêtesjamaismisensemblepourdebon?demandai-je.—Nousl'avonsfait.Apeuprès.Quandjesuisrevenue,Artainsistépourqu'onsemarie,maisje

nepouvaispasmefaireàl'idéeque,pourlasociété,nousétionsfrèreetsœur.Jeluiaifaittellementdemalenluidisantquejesouhaitaisattendre.

—Jesuissincèrementdésolée.Lafamilleétaitsiimportante.S'ilyavaitbienunechosequej'avaisappriseaucoursdestroisjours

quivenaientdes'écouler,c'étaitcelle-ci.Harpers'approchademoi,demanièredécidéeet,aprèsavoirjetéundernierregardendirection

d'Art,elletraversa.Jenevispaslatristesseetlapeurdontelleavaitsoufferttoutescesannées.Jenelavispasêtreterrorisée,nilescauchemarsdontelleavaitelleavaitétévictimeaprèssonséjourenhôpitalpsychiatrique.Ceque jevis fut sonpèrequi la soulevait et laportait sur sesépaules tandisqu'elleluiindiquaitlecheminàsuivreentrelesarbresàl'arrièredelamaison.Jevissonchien,ungolden retriever du nom de Sport, qui avait l'habitude de lui lécher les orteils jusqu'à ce que leschatouillesaientraisond'elle.EtjevislapremièrefoisoùArtl'avaitembrassée.Elleétaitaulycéeetassistait à un de ses matchs de basket-ball. Il avait été blessé durant la partie, et il se trouvait auvestiaire.Elles'étaitprécipitéepourvoircomment ilallait.Avaitmanquéd'airquandelle l'avaitvusurunecivière.Faillis'évanouirlorsqu'elleavaitremarquélabossequeformaitsonbras,danssonécharpe,l'ossaillant,prêtàromprelapeau.

Ils'étaitrecouvertlesyeuxdesonbrasvalide,cachantsoninquiétude.Elles'étaitélancéeverslui,etilavaitposésamainàl'arrièredesatêtepourl'attireràluijusqu'àcequeleurslèvresserejoignentavantqu'ellecomprennecequiétaitentraindesepasser.

Puiselledisparut.Enéternelle romantique, lespeinesd'amourétaientmaperte. Jeme laissaiallerauxsanglotset,

lorsquejemesentisassezremisepouraffronterlemondemalgrémesyeuxassezgonfléspourfaireconcurrenceàmamâchoire,jesortisdelasalledebainsetdemandaiàunofficierdemereconduireà lamaison. Les Lowell auraient beaucoup de choses à régler dans les semaines à venir, et je nepouvaisqu'espérerqu'Arts'ensortirait.Sij'encroyaislessouvenirsdeHarper,ildétestaitlechocolat,maisjedécidaidenepasluientenirrigueur.Personnen'étaitparfait.

Mais,vraiment?Lechocolat?

Alorsquejemontaidanslavoituredel'officier,j'entendisunevoixfémininefamilière.—CharleyDavidson.Jeme raidis avant deme tourner en direction de l'agent Carson, qui était en train de traverser

l'allée pourme rejoindre.C'était logique que leFBI soit présent. Il s'agissait d'un cas de personnedisparue,aprèstout.

—Bonjour,agentCarson.Avantqu'ellen'aitleloisirderépondre,oncleBobnousrejoignit.—Tut'envas?—Oui,oncleBob.Tutesouviensdel'agentCarson.Ellepritlamainqu'illuitendait.—Détective.Votrenièceaundonpourrésoudrelesvieillesaffaires.Ilsourit,pleindefierté.—Eneffet,elleestdouée.—Jesuisimpressionnée,commed'habitude.Unjour,ilfaudraquevouspartagiezvossecrets,me

dit-elle.—Jepourraisvouslesrévéler,maisaprèsilfaudraitquejevoustue.—C'estdebonneguerre.Jemedemandaissivousaccepteriezderegarderquelquesdossierspour

moi. L'un d'eux est très ancien et toujours non résolu, et l'autre est une affaire qui me tientpersonnellementàcœur.

Jehaussailesépaules.—Biensûr,tantquevousneplacezpastropd'espoirenmoi.—Jenelaissejamaismonespoirm'échapperdesmains,sic'estcequevoussous-entendez.—Danscecas,vouspouvezlesapporter...(J'avaisfaillidire«àmonbureau»,avantdeprendre

consciencequejen'enavaisplus.)Vouspouvezlesapporteràmonappartement.—Ousonbureau.JemeretournaietvisPapas'approcherdenous.Ils'arrêtaàlahauteurd'oncleBob,uneexpression

penaudemais pleine d'espoir sur le visage.Obie l'avait sûrement appelé quand il avait appris quej'avaisétéblessée,maisjen'étaispassûredepouvoirgérerlaprésencedemonpèreencemoment.J'avaisdéjàbienassezmalaucœur.Etàlatête,également.Etmesyeuxétaientpoisseuxetgonflés.

Ilmitlesmainsdanssespoches.—Tuvasbien?demanda-t-il,etjemedemandaialorscequ'Obieluiavaitraconté.—Jepètelefeu.— J'en suis ravi.Et je te fais réintégrer tes bureaux. Faire semblant de pouvoir te tenir à l'œil,

mêmesi c'estunconcept totalement ridicule,me rassurera.Et tupourrasme jeter tous les regardsnoirsquetuveux,mefairedesgrimacesquandj'aurailedostournéetmedétesteràtoutjamais,mais,lorsquetuserasprêteàparler,jeserailà.Sanstejuger,etsansarrière-pensées.

J'observailagrandepropriétédesLowell.—Sijetefaisdesgrimaces,papa,ceneserapasquandtuasledostourné.Ilhochalatête.—Jeviendraicherchertesaffairesceweek-end.L'agentCarsonhaussalessourcils,intriguée.—Parfait,jepasseraidéposerlesdossierslasemaineprochaine,siçavapourvous?—Çamesembleunebonneidée,répondis-jeenm'asseyantdanslavoituredepatrouille.Papavoulaitmeraccompagneràlamaison.Jepouvaissentirsonenvieépaissirl'air,sonbesoinde

seretrouveravecmoi,maisc'étaitunepilulequ'ilmefaudraitavalerenpetitsmorceaux.Pourtant,jerepensai à Harper. Les souvenirs de son père, malgré l'indifférence apparente de sa belle-mère.J'avaislesentimentquemonpèreetmoiserionsdenouveaulesmeilleursamisdumondeunjour.

Jeregardaiànouveaul'agentCarson.—Commentsepasselecasdelabanque?

OncleBobluisourit.—Vousvousoccupezdecambriolages?Çanevapasunpeuàl'encontreducodedeconduitedu

FBI?Elleluisouritàsontour.—Ahbon?Onauncodedeconduite?Personnenem'avaitavertie.(Ellemetenditsacarte.)Cette

affaireestpluscomplexequej'auraisespéré,maisvousaviezabsolumentraisonàproposdelataupe.Maintenant,ilresteàleprouver.(Elledésignasacartedumenton.)Utilisez-lasivousentendezautrechose.

Je lui adressai un clin d'œil, puis fermai la portière avant que quelqu'un d'autre se pointe demanièreinopinéeetmebriseunpeupluslecœur.

Cookieappelasurlecheminduretour.Jerépondisendisant:—Plusdepoêleàfrireàlamaison.Jamais.—C'estcompris.Jefaisunmémodesuite.Commentças'estpassé?—C'étaitépuisant.EtMmeLowelln'estpaslemonstrequej'avaisimaginé.—Peut-êtrequeDenisenel'estpasnonplus.—Sérieusement?—OK,jelaissetomber.Redis-moisituasbesoindequelquechose.Commed'unsacdeglace.Jesursautai,prisedepanique.—Tuviensdedirepicàglace?—Non.—Parcequejeneveuxplusvoirunseulpicàglaceàlamaisonnonplus.Jamais.—C'estcompris.Jefaisunmémodesuite.L'officier,quiétaitrestésilencieuxjusqu'àprésent,Dieumerci,medéposadevantl'entréedemon

immeuble.Jeluiadressailesourireleplusreconnaissantdontj'étaisencorecapable,puismedirigeaivers une longuedouche chaude et une tassede café corsé.Mais, naturellement, à la secondeoù jesortis du véhicule de patrouille, je fus frappée par une myriade d'émotions négatives que j'avaisapprisàassocieràdesindividusténébreux.Desindividussauvages.Desgenspossédés.

J'avaiscommencéàrentrerdanslavoiturelorsquej'entendisunevoixàl'accentanglaisprononcés'éleverdesombrestropprochesdemoi.

—Jem'abstiendrais,sij'étaisvous.Génial.C'étaitmonnouvelamiduvieuxcontinent.Jesavaisquelajournées'étaittropbienpassée

jusque-là.Mavien'avaitétéendangerqu'àuneoudeuxoccasions.C'étaitlegenredetrucquivenaitpartrois,engénéral.

L'officierseretournapourm'observer.—Toutvabien,madameDavidson?J'avaistellementenviedeluidirelavérité,maisiln'auraitrienpufairedetoutemanière,etsavie

seseraitretrouvéetoutaussiendangerquelamienne.C'estpourquoijerépondisplutôt:—Oui,merci.Jerefermailaportièreetleregardais'éloigner.Unsentimentdehainepurevibraitdansl'airtout

autourdemoi.Jepouvaissentiraumoinsquatrebêtesàproximité,peut-êtremêmecinq,tapiesdansl'ombre,craignantlalumièremalgrélefaitqu'ellesétaientprotégéesparlachairdel'humainqu'elleshabitaient.

L'Anglaissortitdel'obscuritépours'avancerdansmadirection.—Brave petite,me félicita-t-il, et jeme demandai soudain comment était cet Anglais lorsqu'il

n'étaitpaspossédé.Unechoseétaitsûre,ils'habillaitavecclasse.Maiscen'étaitpaslui.C'étaitunimposteur,unsous-

fifre échappé de l'Enfer. Un démon. Je pliai les doigts sur les hanches,mais, à nouveau, Hedeshim'arrêta.

—Etn'appelezpasvotrechiennonplus.Celafiniraitmalpourvousdeux.Disait-illavérité?Pouvait-iltuerArtémis?—J'enconclusqueReyesn'apasarrêtédechasservosanimauxdecompagnie.—Voussaviezqu'iln'enferaitrien.Ilavaitraison.Jelesavais.—Reyesnem'écoutepasvraiment.Il se pencha vers moi pour humer mes cheveux. Il prit une profonde inspiration, frottant

pratiquementsonnezcontremagorge,sedélectantdel'odeur,alorsqueluipuait lesœufspourris.J'essayaidenepastressaillirquandsonparfummebrûlalesnarines.

Lorsqu'ilparlaànouveau,l'odeursefitplusintense.Suffocante.— Si je pouvais, commença-t-il d'une voix douce et sincère, si j'avais seulement le temps, je

lécheraislapeursurchaqueparcelledevotrepeauavantdemordredansvotrechair.Maislegarçonnevaplustarder.

La lunebrillaitcommeune lameargentée.Une lame trèssemblableàcellequ'EarlWalkeravaitutiliséesurmoi.Lapeurquienvahitmesmembresàcetinstantfrappasifortetsivitequelescoinsdemon champ de vision devinrent totalement flous. J'avais envie de partir en courant,maisHedeshisemblaitcomprendrechacunedemespensées.

Ilposaunemainsurmonépaulepourm'immobiliser.—Jeleferaidemanièrerapide,Dutch.Vousnesentirezpratiquementrien.—Ouais,raillai-je,lavoixtremblante.Jemesuisdéjàtrouvéedumauvaiscôtéd'uncouteau,etje

mevoisobligéedenepasêtred'accordavecvousàcesujet.Il fitquelquespasàcôtédemoi, jusqu'àceque jepuissediscernersonvisage. Iln'étaitpas très

grand,maisjesavaisqueledémonquisecachaitàl'intérieurluidonnaituneforceincommensurable.Unsourirepleind'humourétiraitseslèvres.

—Vousavezprobablementraison.Sa main tremblait d'excitation lorsqu'il éloigna le couteau pour prendre de l'élan, et j'espérai

soudainquepapas'enremettrait.Demamort.Ceseraitsûrementtrèsdurpourlui.C'étaitétrangequejepenseàçaàcemomentprécis.Serrantlamâchoire,jedécidaidedonnertoutcequej'avais.Sijedevaismourircesoir,jeleferai

enmebattant.Ouencriantdedouleur.Auchoix.La lame se précipita en avant, prête à s'enfoncer dansmon estomac, ce quimemit aussitôt en

pétard.J'avaisentendudirequelamortparplaieàl'estomacétaitunemanièrevraimentdouloureusedes'enaller.Reyesavaitraison.Cestypesétaientdesmenteurs.Avantd'avoirletempsderéfléchiràcequejefaisais,jebloquaisonattaqueenrepoussantsamainsurlecôtéàl'aided'unedesmiennes,détournantl'issuedelasituation.Jecommençaiàmetordresurplace,faisanttoutmonpossiblepouréviterlapointeaiguiséeducouteau.

Je fus tout de même blessée. La lame glissa sur mon avant-bras, tranchant ma veste avant demordredansmachair.Lapiqûredumétalricochadanstoutmoncorps,maisHedeshiramenal'armeauprèsdeluiafind'essayerànouveau.Ilperditlecontrôlependantuninfimeinstant,etledémonàl'intérieur de l'hommeglissa sur le côté.Cette visionm'étourdit pendant quelques secondes.Assezlongtempspourqu'ilenfoncelecouteaudansmonflanc.Jerevinsaussitôtàlaréalitéetlerepoussaidetoutesmesforces.Puisjememisàcourir,parcequeçameparaissaitêtrelameilleureidéesurlemoment.

Ilnes'agissaitpasd'undémonordinaire,mêmesiçasemblaitridiculeàdire.Sacarapacen'avalaitpaslalumièrecommelevided'unenuitsansétoiles.Aulieudeça,sacarcassenoireetlisseluisaitcommesielleétaitrecouverted'unefinepelliculerougetranslucidequibrillaitd'unéclatiridescent.Ilétaitquelquechosed'autre.Quelquechosedeplusélevédanslahiérarchie.Depluspuissant.

—Deplusvieux,enfait.

—Reyes,chuchotai-je.Je tombai, ce quimemit hors d'atteinte d'Hedeshi, et, quand je pivotai, je remarquai queReyes

s'était interposéentrenous.Pas étonnantque jene saignepasd'unedizainedenouvellesblessures.Reyesretenaitlebrasdel'homme,etlaforcepurequ'ilspossédaienttouslesdeuxfaisaittremblerlaterreendessousdenous.Jebattisenretraite,maism'arrêtaitoutaussivitelorsqu'unsoufflechaudmefouettalanuque.

Fermantvivement lesyeux, j'appelaiArtémisd'unevoixquin'étaitquel'ombred'elle-même.Magardiennes'élevadusolàcôtédemoietsejetaaussitôtsurledémonquisetrouvaitdansmondos.Desgrognements puissants et gutturaux semélangèrent à une série de cris inhumains alors que ledémonétaitarrachéducorpsd'unefemme.

HedeshietReyessemblaientn'avoirmêmepasremarqué.Ilssetenaientlà,maintenantfermementles bras de l'autre, en se dévisageant. L'énergie qui émanait d'eux semblait faire onduler le tempsautourdemoi.Leurimagesetordit,sedéforma,puisrevintàlanormale.Jeclignaidesyeuxpouréclaircirmavision.Pourmeconcentrer.

Lafemmeétaitétendue,sansconnaissance,maisjesentaisqued'autresdémonsn'étaientpasloin.Aucunn'osaits'approcher,malgrélefaitqu'ilsenmouraientd'envie.Jepouvaissentirleurdésir,leurpulsionsisingulièrepalpitertoutautourdemoi.Ilsétaientassoiffésdemonsangcommeundésertl'estd'eau,etmapeurlesmettaitdansunétatdefrénésietotale.Maisilsseretenaient,s'empêchaientdesuccomber.Artémisétait troppuissante.Ellevenaitde sedébarrasserde l'und'entreeux,etelleétaitàprésentsurmoi,dosvoûté,àmeprotéger.

Àattendre.Àespérer.—Tunepeuxpasgagner,ditHedeshi.Reyespenchalatête.—Tuoubliesquijesuis.—Pasdutout.(Ilsourit,lesdentsserréesàcausedel'effortqu'ilfournissaitpoursedéfendredela

prisedeReyes.)Tues legarçonduvillagequis'estperduenserendantaumarché.Tesouviens-tupourquoituesici?Delaraisonpourlaquelletonpèret'acréé?

Unenouvellevaguedehainefitondulerl'air,accompagnéedelachaleurdeReyes.—Ilm'acrééafinquejepuissem'enfuirdel'Enfer.—Cen'étaitquelamoitiéduplan.L'autrepartievisaitàtefairetrouverleportail.(Ilm'indiquadu

menton.)Ceportail-là.Pourquoipenses-tuqu'il t'aenvoyé ici? (IlsepenchaendirectiondeReyesjusqu'àcequ'ilsseretrouventpresquenezànez.)Toiplutôtqu'unautre?

Reyesrecula.—Ilm'aenvoyéchercherunportail,n'importelequel.Paselle.Ilnesemblaitplusaussisûrdelui.Ilfronçalessourcils,pensif.L'Anglaiscommençaàrire.—Tuasvraimentoublié,n'est-cepas?—Jemesouviensdetout,commelefaitquetoutcequevoussavezfaire,c'estmentir.—Elle fait partie de la royauté,mon garçon. Elle est le pion le plus précieux sur lequel nous

pouvionsespérermettrelamain.Ettupensesquetupeuxlagarderpourtoi?Reyesluiadressaunsourirecomplice.—Elleestégalementlapluspuissante.— Exactement, approuva Hedeshi, les yeux soudain brillants d'espoir. Songe à ce que nous

pourronsaccompliravecelle.Avecvousdeux,réunis.Ilnes'agitquedeça.Çaatoujoursétélecas.(Ilrelâchalecouteauetentoural'arrièredelatêtedeReyesdesdeuxmains, l'attirantjusqu'àluienuneembrassadefraternelle,leursfrontssetouchantdemanièreaffectueuse.)Nousseronsinvincibles,monseigneur.Lemondeseraànospieds,ettonpèregouverneraenfin.

Disait-il lavérité?Est-cequeReyesavaitétéenvoyépourmoienparticulier?Ildutsentirmes

doutes,carilseretournalentementpourm'observerducoindel'œil.—Rappelle-toidecequ'ilssont,Dutch.Decequ'ilsfont.—Jem'ensouviens,luiassurai-je.J'essayai de m'extraire de sous Artémis, mais elle posa une lourde patte sur ma poitrine pour

m'immobiliserausol.—Sérieusement?luidemandai-je,etellesepenchaenglapissantpourmelécherlevisage.Jel'attiraiàmoipourluifaireuncâlin,enpartiepourlarassureretluiprouverquejeneluien

voulaispas,etenpartiepouravoirunemeilleurevuesurlesdeuxhommesquisetenaientdevantmoi.Cefutàcetinstantquejeremarquaiquelecouteauétaittombé.PassurlesolcommeHedeshil'avaitescompté,maisdanslamaindeReyes.

Il agrippa la tête de l'Anglais comme s'il souhaitait lui rendre son accolade et lui enfonça lecouteaudans lesentraillesenunmouvementplus rapideque l'éclair.Hedeshi ledévisagea,bouchebée,sincèrementsouslechoctandisqu'iltrébuchaitenarrière.

—Turefuseraisletrôneàtonpère?—Ilneluiajamaisappartenu,réponditReyesenplongeantànouveaulalamedanssonventre.Avantdelaremonterjusqu'àsontorse.Uninstantplustard,lecouteauémergeajusteendessousdu

mentondel'Anglais.Hedeshimeregarda,lesyeuxhumidesdedouleur.—Souvenez-vousdecequejevousaiditàsonsujet.Jetentaidecalmerl'horreurquelavisiond'unhommesefaisantdécoupermeprovoquait.—Jeferaiunnœudàmonmouchoir.Unnouveaucoupdepoignardluiarrachaungémissementdésespéré.—Iln'estpascequevouspensez.Je songeai à mon père. À Harper, Art et Pari. À presque toutes les personnes que j'avais

rencontréesaucoursdemavie,etjeluirépondisaussisincèrementquejelepus:—Personnenel'estjamais.Reyesl'embrassaànouveauetplongealecouteaudanssonflanc.—Tapremièreerreuraétédevouloirt'enprendreàelle,luidit-ilàl'oreille.Hedeshitoussa,parfaitementconscientdufaitqu'ils'agissaitlàdesonderniersouffle.—Etladeuxième?demanda-t-il,dusangluidégoulinantdelabouche.—D'avoircruquetupourraistrompermavigilance.L'Anglaissouritetordonnad'untondoux:—Attaquez-les.Etcefutàpeuprèsàcetinstantquel'EnfersedéchaînasurTerre.

Chapitre20Metscetteputaind'crèmedansl’panier.

Tee-shirt

Cinqautrespersonnespossédées seprécipitèrenthorsdesombres commedesmaladesmentaux

affolés tandis que Reyes se séparait en deux entités distinctes. Son corps éthéré se dématérialisa,plongeadansl'Anglais,etarrachaHedeshid'unmouvementféroce.Soncorpsphysiques'élançadansl'obscuritéafindesechargerduplusgrosdesdémonsquiapprochaient,unhommequiressemblaitàun sumo. Ils atterrirent violemment sur le sol et devinrent vite flous, leurs bras et poignets semélangeantàtoutevitesseetcréantundrôled'imbroglio.

Malheureusement,Artémisutilisamonestomaccommeplateformedelancement,medébarrassantd'un rein nommé Perceval, et peut-être bien d'Harold également,ma rate. Jeme recroquevillai enserrantmonventreavantdeme releverdifficilementetd'attraper lapremièrechosequime tombasouslamain,unrâteauàfeuillesquiétaitappuyécontrelemurdel'immeuble.

Ce fut à ce moment que je remarquai que Mme Allen était sortie pour que PP, son canicheminiature, puisse faire popo. PP devint fou furieux en observant l'action. Mme Allen lui cria derentrer,maisPPn'étaitplusenmesured'écoutercequ'elleluidisait.Jefussisurpriselorsqu'ilattaquaunhommeà la carrure imposantequi sedirigeait versmoique je fis unbond en arrière.Ce typepesaitassezlourdpourêtreprisausérieux.Pasautantquelesumo,maisjenel'auraismêmepasdéfiéaucombatdepoucessimavieendépendait.

Il s'était mis à ramper dans ma direction sur ses mains et ses genoux, me pointant alors qu'ilavançaitdemanièreméthodiqueet lente, lavictoiresiproche, sidouce,qu'ildevaitavoirenviedesavourercetinstant.PPaboyaetbondit,enfonçantsesgencivessansdentsdanssonoreille.

L'homme juraetdégagea lechien,maisArtémisprit la relève.Elle s'étaitdéjàdébarrasséed'unautre démon, et un type d'à peu près mon âge était étendu sur un des petits carrés d'herbe quis'alignaientlelongdel'immeuble,sansconnaissance.Ellesejetaalorssurl'hommepluscostaud,sesgrognementsderagesuffisantàmeprovoquerlachairdepoule.

JeregardaiReyesetledémon.Unêtreéthéréencombattantunautre,sarobenoirel'enveloppantetrendant lamajorité de l'affrontement impossible à observer.Mais ce que je discernais était irréel,commevenud'unautremonde,etmonespritavaitdelapeineàanalyserceàquoiilassistait.Leursmouvementsétaientsirapides,sifluides,quec'étaitcommecontemplerdeuxocéansquientraientencollision.Puisjejetaiuncoupd'œilàsoncorpsphysique.Ilretenaitlesumoparunepriseàlatête,ungenouenfoncédansledosdel'homme.L'instantd'après,lanuquedecederniersebrisaenémettantunbruitaigulorsqu'ellepivotasurlecôté.Ils'effondraaussitôtsurlesol.Maisjesavaisqueçanedureraitpas.Ilseraitsurpiedd'iciquelquessecondes.

Je détournai les yeux. Le corps de l'Anglais était étendu sur le trottoir. J'agrippai le râteau etm'approchaiducadavretandisquePPs'enprenaitàunefemmepossédée.

Recroquevillée à quelques mètres de moi, elle avait l'air troublée. Elle me voulait, mais ellesemblait ignorer pourquoi. Et lorsque PP lui mordit les doigts, elle le jaugea d'un regard vide,commesielleessayaitdesesouveniroùellesetrouvait.

Jeprofitaidelapausepourallervérifierquel'Anglaisétaitmort,maisjecomprisquec'étaitbeletbienlecasaprèsavoirfaitquelquespasdanssadirection.Cefutàcetinstantquejeréalisaiqu'undes

autrespossédéss'étaitemparéducouteau.Ilseprécipitaitsurmoi,lafaimbrillantdanssesyeux.Jemeprojetaienavantenbrandissantlerâteauetlerencontraiàmi-chemin.Jevoulaisjustel'arrêter.Leralentir.

Lespointesdurâteauéraflèrentsonvisage,maisneluiinfligèrentpratiquementpasdedégâts.Jeparvinstoutdemêmeàluifairelâcherlecouteau.Ilregardasurlecôté,etcetinstantdedistractionme donna assez de temps pour le percuter de plein fouet. C'était lui aussi un homme dans laquarantaine,et ilnesemblaitpascroiresachance lorsqu'onsemità roulersur le trottoiravantdedéraper.Delapoussièreetdesgravierss'enfoncèrentdansmonépaule.Ils'assitàcalifourchonsurmondos,attrapamatêteentresesmains,etcommençaàlatordre.

Il allaitme briser la nuque, et je détestais qu'onme brise la nuque.Alors je relevai les jambesjusqu'àcequemespiedsparviennentàentourersatête,puislerepoussai,luifaisantperdrel'équilibreassezlongtempspourquejeréussissepresqueàmedégager.Maisilrejetasonpoidssurmoi.

Je combattis sonétreinte, lui donnaides coupsde coudedans levisage, etmemis à ramper enavant, me battant pour gagner quelques centimètres de terrain. Avant que je comprenne ce qui sepassait,ilavaitdenouveauattrapématête.Ilvoulaitvraimentmetuer.Lorsqu'illatorditànouveau,jetournaiavecelle,forçantl'hommeàchercherunemeilleureprise.MaisArtémissedécidaenfinàletranspercer,sepropulsantàtraverssoncorpsetentraînantledémondanssacourseavantd'atterrirunpeuplusloin.Lesmusclesdel'hommeau-dessusdemoiserelâchèrent,etjemeretrouvaiclouéeausol.

Jeregardaisurlecôtéetmerendiscomptequ'Artémiss'étaitdéjàoccupéedudémonàl'intérieurde l'hommequeReyes avait combattu, le sumotori. Il n'en restait plus qu'un.La femme.Elle entradansmonchampdevisionalorsque j'étais couchéepile en faced'elle.Quandelle sepenchapourm'observer,delabavedégoulinadesaboucheetserépanditsurmescheveux.

J'étaisrecouverteparunemontagne,etunefemmepossédéeétaitentraind'étudierlemoindredemestraitscommesij'étaisunspécimenétrangedansuneboîtedePétri.JetournailesyeuxàtempspourvoirReyesdécouperendeuxl'alteregodémond'Hedeshiàlahauteurdeshanches.IlsemitàcrieretenredemandaitaumomentoùReyes lui infligeaunnouveaucoup. Il lui trancha la tête,et,avecsamort,elles'évaporacommedelafuméesurdelaglacesèche.

Jem'ébrouai lorsqu'unegouttedesaliveatterrit surma tempe.C'était répugnant.Bon,aumoins,ellen'essayaitpasdemebriserlanuque,elle.

Je regardaide l'autrecôté.PPetMmeAllenavaientdisparu.Elleallaitprobablementappeler lapolice.

Artémis réapparut alors, sa queue trapue frétillant d'excitation, prête pour plus d'action. Elle sepenchaprèsdemoienpoussantungémissement.Reyesvint seplaceràcôtédenous,et soncorpséthéré réintégra lephysique.Sarobes'immobilisaautourdesesépaulesavantdesedissiper tandisqu'il me débarrassait de l'homme. J'essuyai mon visage et débroussaillai mes cheveux,reconnaissante,puism'approchaidelafemme,quiétaitassiseetobservaitl'herbeoùj'étaisallongéepeudetempsauparavant.

Jem'agenouillaietm'adressaiaudémonquil'habitait.—Çanevapasbienseterminerpourtoi.Elleredressalatêtedansmadirection,papillonnantdespaupières,etdit:—Laisse-moipartirmaintenant,etj'épargneraicettehumaine.Puiselle fronça les sourcilset son regardseperditdans levagueànouveau.Elle lecombattait.

Cettefemme.Ellecombattaitl'emprisequeledémonavaitsurelle.Sentantlenouveaudanger,Artémissemitàramperjusqu'àcequesamâchoireatteignelanuque

de la femme, montrant des crocs brillants de bave. Le démon tressaillit et tourna la tête dans sadirection. Artémis frappa l'instant suivant en aboyant de manière si féroce que les fenêtres del'immeuble tremblèrent.Ledémonn'avaitaucunechance.Elle l'arrachaducorpsde l'humaineet le

déchira enmillemorceaux, jusqu'à ce qu'il n'en reste rien qu'une vapeur épaisse.À cemoment, ils'évapora,etsanoirceurincommensurabledisparutdanslanuit.

La femme s'étala sur l'herbe fraîche, et je lui tournai la tête afin de m'assurer qu'elle pourraitrespirer.Reyessepenchapouraider,etjeneprisconsciencequ'àcetinstantqu'ilavaitcombattuundémon pendant que son corps éthéré était séparé de son corps physique. Il n'avait jamais été enmesuredefaireça.Normalement,unefoisquesonessenceétaitsortie, ilseretrouvaitdansunétatprocheducoma.

Jereculaietl'observaiprudemment.—Tu...Tues...Tum'asditquetun'étaispascapabledefaireça,luireprochai-jefinalement.Tut'es

battuavecundémonsans...(Jeneparvenaispasàtrouverlesbonsmots.)Sanstonâme.Reyesétaitentraindevérifierlepoulsdelafemme.— Je ne pouvais pas, répondit-il de manière absente avant de se tourner dans ma direction.

Maintenant,si.Ilserelevaetmetenditlamain.Ilétaitdistantetsemblaitencoreblessé.—C'est tout?demandai-je.Maintenant tupeux? (Il secontentadehausser lesépaules.) Ils sont

tousmorts,àprésent?J'espéraisque,avecladisparitiond'Hedeshi,leurleader,iln'yauraitplusdedémonsàcombattre.— Pour l'instant. (Il fronça les sourcils et regarda en bas de l'allée qui longeait l'immeuble.)

Jusqu'àcequ'ilstrouventunmeilleurmoyenpours'enprendreàtoi.Ehbien,nousétionstoujoursdansuneimpasseàcausedelaphoto.Etilmefallaitencorevérifier

s'il avait été innocenté dumeurtre dont il était accusé pourmieux se faire inculper de pyromanie.Pourquoibrûlerait-ilcetimmeuble?Oun'importequelautre?Ilavaithabitélà-bas,maispourquoilesbrûler?

Jenedevaispasoublier cequ'il avait traversé. J'avais été torturéeparEarlWalkerune seule etunique fois, et cela m'avait affectée mentalement, physiquement et émotionnellement. J'avaisénormément changé. Qui sait ce que des années de pareils traitements pouvaient faire à unepersonne?Desdizainesd'annéesàvivreetrespirerdanslapeur, jouraprèsjour?Àêtreutiliséetabusé, battu et affamé, sans refuge, sans endroit sûr où se cacher ?Cette idée comprima les côtesautourdemespoumons.

Ilm'observasoussescils.Ilsavaitàquoijepensais.—Tun'aspaspitiédemoi,n'est-cepas?Jedétesteraisdevoiryremédier.Ouaip,ilétaittoujoursenpétard.—Etcommenttut'yprendrais,aujuste?Ladéterminationquejevissursonvisagemecoupalesouffle.—Crois-moi,tun'aspasenviedeledécouvrir.Avantquejetrouvequelquechoseàrépondre,unedétonationassourdissanterésonnadanssondos.

Il se tourna en direction du bruit et je regardai derrière lui, sentant aussitôt le danger. Lemondesemblas'épaissiretralentir,maispasassezrapidement.Reyess'élançadevantmoietlaballequiétaitdestinéeàmonfrontplongeadanssapoitrine.Ellesortitparsondosetcontinuasonvoyageaprèss'êtrefragmentée.Maiselleétaitencoreassezentièrepourterminercequ'elleavaitcommencé.

Reyes accomplit alors un exploit qui me laissa pantelante, se retournant trop vite pour que jepuisselevoir,etl'attrapaenpleinair.

JetrébuchaietregardailaballequandReyesouvritlapaumepourl'examiner.Lorsqu'ellel'avaitfrappé, il n'avait pas eu le temps de se séparer afin de l'arrêter avec son corps éthéré.Du sang serépandait si rapidement sur son tee-shirt que la tête se mit à me tourner. Du sang déborda de saboucheaumomentoùiltoussa.

Sonregardtrouvalemienavantqu'ilnetombeàgenoux.—Cours,murmura-t-il.

Jemeprécipitaipourl'attraperetaperçuslecoupableprostrésurletoitd'unimmeubleenbasdelarue.Jem'attendaisàun toutautredémon.Peut-êtreàunquiaurait réfléchietdécidéd'apporterdesarmes de destructionmassive pour s'amuser un peu.Mais c'était lemotard blond du cambriolage,celuiquin'avaitpasfinisonentraînementdesniper.Jerestaiimmobile,totalementsidérée.Detouteévidence,ilnevoulaitvraimentpasdetémoin.

La colère déferla au fond de moi plus rapidement qu'une fission nucléaire. Tel un volcan quifaisait exploser le sommet d'une montagne, mon corps entra en éruption en un flash de rageaveuglante. Les fenêtres volèrent en éclat et des bris de verre se répandirent dans les airs commeautantd'oiseauxauxcouleurschatoyantes.Jem'approchaidublond,ladéterminationmeclouantlesmâchoires. Il était en train de recharger son fusil, sesmouvements comme au ralenti alors que letempsreprenaitlentementsesdroits.Ilrepositionnasonarmesursonépauleetpenchalatêteenavantjusqu'àcequesacibleapparaisse.Àl'instantprécisoùilallaitpresserladétente,j'atteignissacagethoracique en tendant le bras et lui broyai le cœur. Il battit une fois. Deux fois. Puis il s'arrêtacomplètement.Lesentimentdesatisfactionquis'emparademoiavaitladouceurdel'eaufraîchequiapaiseunincendie.

Le blond porta les mains à sa poitrine et ouvrit la bouche en grand, essayant désespérémentd'inspirerdel'airpendantquelquessecondesavantdetomberfacecontreterre.

Reyesapparutàcôtédemoi.Ilm'examina,jetauncoupd'œilaublond,puisretournaàl'endroitoùnousnoustrouvionsauparavant.Al'endroitoùnousétionstoujours.Lorsquejetournailatête,jemevisagenouillée,entraindemedévisagermoi-même,entrainderegarderdansmespropresyeux.LecorpsdeReyesétaitétenduàcôtédemoi.Avantque jepuissecomprendrecequisepassait, jemeréveillailà-basenpoussantuncridésemparé,commesijen'avaisjamaisquittémoncorps,commesijenevenaispasdel'observerauloin.JebaissailesyeuxendirectiondeReyes.

Ils'étaitrecroquevillé,etsarespirationétaitdifficileetétouffée.— Reyes ! hurlai-je en me ruant vers lui à la recherche de la blessure afin d'y appliquer une

pression.Une balle lui avait déchiqueté la poitrine. Même le fils de Satan ne survivrait pas à une telle

blessure.Nousentendîmesdessirènesauloin,etilluttapourseredressersurlesgenoux.—Emmène-moi...dansl'ombre.(Ilmedésignalespoubelles.)Derrièrecettebenne.—Iltefautuneambulance.—Non.(Sacolèremefrappacommeunmurdefeu.Ilagrippamonpulld'unemainensanglantée

etm'attiraàlui.)Jen'yretourneraipas,ettunem'yenverraspas.Ilmerepoussaetretomba,puisluttapourreprendresonsouffle.Cettescènemerappelaittellement

lapremière foisque je l'avaisvu, lorsque j'étais au lycéeetqu'il essayaitde retrouver son soufflederrièreunebenneàorduresaprèsavoirétébattu.Jel'avaisabandonnécejour-là.Jen'avaisrienfaitpourlesauver,etsavieavaitprisunviragedéfinitifversquelquechosedepire.Jenelaisseraispaslepasséserépéter.

J'effleuraisonépaule,oubliantpendantuninstantqu'ilétaitplusloupquechien,pluspanthèrequechat.Iln'yavaitriendedomestiquechezReyes.Ilpouvaitseretournercontrevousenunefractiondesecondeet l'avaitdéjàprouvéàmaintesreprises.Maislorsqu'ilseretournacontremoi, lorsqu'ilsetransformadeproieenprédateur,monchocfuttotal.

Ilfrappasivitequesesmouvementsn'étaientriendeplusqu'unflousombre.J'étaisdebout,etjemeretrouvaiallongéel'instantd'après.Ilétaitsurmoi,soncorpstenduàl'extrême,dur,inflexible.Ilse pencha jusqu'à ce que sa bouche - cette bouche sensuelle qui m'avait arraché des frissonspassionnés si peude temps auparavant - atteignemonoreille.Son sang chaud se répandait surmapoitrine et mes épaules et créait une flaque dans le petit creux à la base de mon cou, et je medemandais combien de temps il lui restait. Personne ne pouvait survivre à une perte de sang si

importante.Pasmêmeunêtresurnaturel.Ilécartamesjambesàl'aided'unedesescuissespouravoirunemeilleureemprisesurmoi.

— Je t'avais avertie, grogna-t-il, la menace dans sa voix ondulant à travers moi en vaguesincandescentes.Ne. (Ilentouramanuqued'unemain tandisqu'ilagaçaitmonoreilleà l'aidedeseslèvres.)T'avise jamais. (Il relevamonpull de sonautremain, laissantunedoucechaleurdans sonsillage.)D'avoir.(Ilécartaunpeuplusmesjambesenjouantdeshanches;jelesattrapaiparréflexe.)Pitiédemoi.

Ilécrasasabouchecontrelamienneenunbaiseraussisauvagequ'avide.J'enroulailesbrasautourde sa taille avant de glisser unemain sur ses fesses, l'attirant plus près, désirant le sentir enmoi.Malgrénotresituation.Malgrélescirconstances.

SeulReyesFarrowpouvaitavoirunteleffetsurmoi.Ilétaitleseulàpouvoirmefairelesupplier,peuimportecequisepassaitautour.Peuimportelagravitédesévénements.Et il lesavait.Ilsavaitprécisémentl'effetqu'ilavaitsurmoi.

Je lesentissourirecontremes lèvresunemicrosecondeavantqu'ilnese redresseetdisparaissedanslanuit.Uncourantfraisremplaçalachaleurquimerecouvraitjusqu'alors.Jelaissaimesbrasretomber sur le sol. Fermai les yeux. Inspirai. J'entendis un sanglot à côté de moi. Artémis étaitcouchéeunpeuplusloinetm'observait.Touteslesdeuxoutroissecondes,elleavançaitdequelquescentimètresenrampant.Elles'arrêtaitensuitepourseconcentrersurunpointauloin,faisantsemblantdenepasmevoir.

Undeshommesseréveillaalors.Sesmouvementsétaientlentsetmaladroitslorsqu'ilsefrottalevisageetlanuque.

Il essayait de reconnaître l'endroit où il se trouvait, sans succès. Je n'avais aucune idée d'où ilvenait.Deuxautreshommesétaientétendus,morts,etlestroisderniersétaientencoreévanouisquandlapremièrevoituredepatrouillefreinaentrombedansleparking.Justedevantlecorpsdel'Anglais.Etsurletoitd'unimmeubleenbasdelarue,ilsdécouvriraientunnouveaucadavre,celuid'unmotardblondquiavaitfaillidevenirsniperdanslesMarines,quiavaitvouluservirsonpays,maisavaitfiniparcambriolerdesbanquesettirersurdesgens.

Jemerecouvrislesyeuxd'unbras.Peuimportaientlesrelationsquej'avais,ilétaitimpossiblequejem'ensorteindemne.OncleBobseretrouveraitsouslefeudesprojecteurss'ilessayaitdecouvrirquoiquecesoit.Çapourraitmettresacarrièreenpéril.Sansparlerdesaretraite.

Unagentseprécipitaversmoi.Ilmeditquelquechosequejenecomprispasvraiment,parcequeje venais de prendre conscience de quelque chose, et j'étais tout d'un coup incapable de réfléchir.Incapablederespirer.

J'avais tuéunhomme.J'avaisplongé lamaindanssapoitrineetbroyésoncœur.Commesi j'enavaislepouvoir.Commesij'enavaisledroit.

Monmonde replongeadansune routine familière.Celle de l'obscurité, dudésespoir et dudéni.Puisonmesouleva.Deslumièresbrillantesclignotèrent.Jevisdesuniformesbleus.Desinstrumentsargentés.Quelquepartdanslebrouillardqu'étaitdevenuelaréalité,oncleBobapparut.PuisCookie.Je sentis la fraîcheur des draps sous mon corps et la chaleur des mains qui se saisissaient desmiennes,etjecomprisquej'étaisàl'hôpitalpourladeuxièmefoisenautantdemois.J'entendisdestermes familiers : commotion, poignardée, cheville fracturée. Le dernier me surprit. Je ne mesouvenais pas de cette partie.Mais c'était à cause de l'adrénaline. Elle chassait la douleur et vouspoussaitenavant.

Jemeforçaiàouvrirlespaupières.Papa était également présent. Très proche. Tout comme l'était oncle Bob, et je compris que je

pourraitoutleurdire.Ilssauraientquoifaire.Jepressaileslèvres,fermailesyeuxetannonçai:—J'aituéunhomme.

Lorsquej'osaiànouveaulesregarder,ilssedévisageaient,l'airinquiet.—Undeshommesàl'extérieurdetonimmeuble?Parcequ'onauraitditqu'ilssebattaiententree...—Non.Unhommesuruntoit.Uncambrioleurdebanquequiaessayédemetuer.OncleBobfronçalessourcils.—Quand,mapuce?Onn'apas...—Cesoir.Justeaprèsquej'aiétéattaquée.Ilsetrouvaitsuruntoit,etjel'aitué.Aprèsqu'ilatiré

surReyesavecunfusildecalibre50,j'aiplongélamaindanssapoitrineetarrêtésoncœur.Jelaissailessanglotss'emparerdemoilorsquepapapritmamain.—Machérie,c'est impossible.SiReyess'était fait tirerdessusparunsniperavecuncalibre50

depuisuntoit,ilneseraitplusenvieàl'heurequ'ilest.—Ilneseraitmêmeplusenunseulmorceau,confirmaoncleBob.—Vousnecomprenezpas,rétorquai-je,leslarmesnoyantmesparoles.J'aituéunêtrehumain.J'ai

perdulecontrôle.Jel'aitué.—Chut,murmurapapaenattirantmatêtecontresonépaule.Tun'espascommenous,machérie.

J'en ai conscience. Et je me fiche de qui ou de ce que tu es. Il n'y a qu'une chose dont je suisabsolumentcertain:tesactionssontau-dessusdesloisdeshommes.Jesuisdésolédedevoirtedireça,maisc'estlavérité.Tuesicipourunebonneraison.

—Robert.Leland.Jeredressailatêteàtempspourvoirlecapitaineducommissariatd'oncleBobentrerdanslapièce.

OncleBoblesaluad'unsignedumentonavantdesepencherpourmurmureràmonoreille.—Tunetesouviensderien.Enchampiondignedecenom,ilcontinuaitàsebattrepourquejenesoispasarrêtée.Oumiseen

prison. Ou à l'asile. Mais cette histoire nous dépassait tous. Il n'y avait tout simplement aucuneexplicationpourcequis'étaitproduit.Alorsqu'étais-jecenséeleurdire?Lavérité?

L'agentspécialCarsonentrajusteaprèslecapitaine.—Vousêtesunsacréatout,s'exclamacedernierenmeregardantdemanièresuspicieuse.(Iljeta

uncoupd'œilàoncleBob,puis reportasonattentionsurmoi.)Vousavez réussià résoudrequatreaffairesenunejournée.Jepensequec'estunnouveaurecordmondial.

—Quatre?Ilsemitàénumérerencomptantsursesdoigts.—LadisparitionetlemeurtredeHarperLowell.Unedisparitionquidated'ilyaplusdevingtans.

Lesdisparitionsdeplusieurspersonnesquisemblentavoirétédroguéesetdéposéessurvotrepalier.Ilyaeuuneexplosiondecassimilairesdernièrement.Etl'arrestationd'untueurensériequis'étaitévadé.Mais, maintenant que j'y pense, dit-il en regardant sesmains, ça ferait techniquement cinq.Peut-êtremêmesix.

—Untueurensérie?Ilacquiesça.—Vousallez fairedenous ladivision laplus respectéedupays.L'unedenosconsultantess'est

chargéetouteseuled'appréhenderuntueurquis'étaitévadédeSingSingilyatroismois.Ilétaitlogiquequ'Hedeshiaitchoisiuntueurensériecommehôte.Jemedemandaisbiencomment

ils'yétaitprispourlefairesortirdeSingSing.—Etilnevientmêmepasd'Angleterre.Jeclignailesyeux,surprise.—Iln'étaitpasanglais?—Non,ilestoriginairedeJersey.Maisils'exprimaitavecunaccentanglais.Personnen'ajamais

supourquoi.Jedoisadmettrequ'ilesttoutdemêmeétrangequetoutçavoussoitarrivéenuneseulejournée,surtoutentenantcomptedel'autrehomme,ajoutalecapitaine.

—L'autrehomme?—Oui,réponditl'agentCarson.Ilsembleraitqu'undesGentlemenCambrioleurssoitmortd'une

crisecardiaquesurletoitd'unimmeubledeCentral.Ilavaitunfusildecalibre50àlamain,ettoutporteàcroirequ'ilétaitprêtàcauserdesdégâts.C'estétrangequ'ils'écroulecommeça.

OncleBobbougeadanssachaise.—Oui,c'estétrange,confirmai-jeenmemordillantlalèvreinférieure.Jeveuxdire,iln'étaitpas

jeune?—Trente-deuxans,m'apprit-elle.Etilsetrouvequ'ilaunoncledontlafemmetravailleàlafiliale

quiaétécambrioléehier.Toutporteàcroirequeces trois-làétaientdemèche,etqu'Edwardsaeul'idéedefairechantersesamis,d'autresmembresdugangdemotards,lesBandits.Jen'aipasencoretouslesdétails,maisonal'oncleengardeàvue.Ilestentraindecomblernoslacunesencemomentmême.

Simonvisagen'affichaitpaslechocquejeressentaisencetinstant,j'étaisbonnepourunecarrièreàHollywood.Quelleordure.PapaetoncleBobétaientoccupésàregarderailleurs-tropailleurs -,mais il était impossible que tout se résolve si facilement. La vie n'était pas un jeu de cartes quiretombaitmiraculeusemententasquandonlelâchait.Amoinsquelavies'appelleDavidCopperfield.

C'étaitça. Il fallaitque jechercheunnompourmavie.Dèsque j'enaurais trouvéunpourmoncanapé,quipouvaitéventuellementseprénommerSigourneyWeaver,jedonneraiunnomàmavie.Maintenantj'avaisunbutdansl'existence.Etunedécisionàprendre.Unegrandedécision.Quelnompourrait rendre justiceà tous lesaspectsde l'incertitude,de labeautéetde l'étrange,ainsiqu'àmesrencontres avec des gens cinglés ? Il faudrait qu'il exprime les hauts et les bas dont la vie nousgratifiait,commeêtretropfauchépours'acheterdesmochalattetouslesjours.Sijesurvivaisàça,jepourraissurvivreàtout.

Aprèsquelquesminutesdeconversationquimecausèrentdespalpitations, lecapitaineet l'agentspécial Carson s'en allèrent, non sans me jeter un dernier regard. L'agent Carson me sourit. Lecapitaine me dévisagea comme s'il voulait vraiment, vraiment comprendre à quel point j'étaisimpliquée.Cen'étaitpasbonsigne.

JemetournaiversoncleBobalorsquenousattendionslespapiersdedécharge.—C'étaitbientropfacile.Troppropre.Ilsvontserendrecomptequetoutçan'apaspuseproduire

commeçaenal'air,etjen'aipasenviequetuaiesdesennuis.—Facile?demandapapa.Propre?C'estexactementlamanièredontilsaimentqueleschosesse

passent,mapuce.Toutbienemballédansunjolipapiercadeau.Fais-moiconfiance,çasignifiemoinsdepaperasse,etc'esttoujoursunebonnechose.(Papam'aidaàmerelever.)J'aifaitrétablirlalignetéléphoniquedanstesbureaux.Etj'aidemandéàlafemmedeSammydenettoyer.

Ilétaitdéterminéàcequej'emménageànouveaudansleslocauxau-dessusdesonbar.—Comment tesens-tu? luidemandai-jeenfaisantsemblantque la réponsenem'intéressaitpas

vraiment.Lesourirequ'ilm'adressailluminasesyeux.—Jevaisbien. Il sembleraitque jen'aiepasdecancer, en findecompte. (Il regardaautourde

nous.)Est-cequetuasquelquechoseàvoirlà-dedans?reprit-ild'unevoixoùsemêlaientlacrainteetlerespect.

Jetentaideluisourireenretour.—Non,papa.Jen'aipascegenredepouvoir.—C'estjusteque...(Ilpenchalatête.)J'avaisuncancerdupancréas.Sesparolesmebrisèrentlecœur.—Ilsont fait tous les testspossibleset imaginables,et je l'avais.Etaprèsque tu l'asdécouvert,

aprèsquetum'astouchédanstesbureaux...ehbien,ilsembleavoirdisparu.—Quandest-cequejet'aitouché?—Tum'asenfoncé ton indexdans lapoitrinequand tume reprochaisd'avoiressayéde te tirer

dessus.

Ahoui,juste.J'auraisvraimentaimépouvoirfairedestrucsaussicool.—Cen'étaitpasmoi,papa.Maisj'ensuistrèsheureuse.—Moiaussi,merassura-t-il.Ilnemecroyaitpaslemoinsdumonde.Gemmanousrejoignittelleunetornadesousamphétamines.— Alors ? demanda-t-elle en promenant le regard entre oncle Bob, papa et Cookie avant de

l'arrêtersurmoi.Qu'est-cequis'estpassé,cettefois-ci?Aprèsavoirméditéquelquesinstants,jerépondis:—D'accord,j'acceptedeconsulterunpsy.Maisseulementsic'esttoi.—Charley,mêmesiçamefaitvraimentplaisir,àunpointquetunepeuxpasimaginer,précisa-t-

elle,jenepeuxpastetraiter.Ceseraitenviolationdirectedemoncodedeconduite.— Au diable le code. Crées-en un nouveau. Si je consulte quelqu'un d'autre, ils voudront

m'enfermer.(Jeserrailesdents.)JesuislaFaucheuse,Gem.Ellefaillitglousser.—Non,jeconnaisquelqu'un.Çasepasserabien,jetelepromets.—Jetejurequ'àlasecondeoùilssortentlacamisoledeforce,jeretiretonnomdemalistede

Noël.—Marchéconclu,dit-elle,unsouriresatisfaitsurlevisage.Maiss'ilstemettentunecamisolede

force,est-cequejepeuxprendreunephoto?Tusais,pourlarecherche.—Passitutiensàtescuticules.Ellecachasesmainsderrièresondos.—C'estvraimentbas.Jehaussailessourcils.—QuisefrotteàlaFaucheusesepiqueàlafaux.—Tun'aspasvraimentdefaux.—Làn'estpaslaquestion.Avantderentreràlamaison,jedemandaiàCookiedemeconduireaucouvent.L'aubevenaitjuste

de percer l'horizon, mais c'était important. Quentin devait savoir qu'il s'en sortirait. Qu'il pouvaitretournerchezlui.Ilfallaitretirercepoidsdesesépaules.

Lamèresupérieurenousaccueillitavecunregardtrèsaustère,etjemedemandaiquelleformationil fallait suivre pour devenir la figurematernelle par excellence. Le regard assassin était de touteévidenceunprérequis,maisquoid'autre?L'arrogance?L'algèbreavancée?

EllenousfitentrerdanslacuisinetandisqueSœurMaryElizabethamenaitQuentin.Ilavaitl'airàmoitiéendormidanssonpyjama,etsescheveuxavaientétécoupés,maisilsatteignaienttoujourssesépaules.Ilseprécipitadansmesbrasavantdeserendrecomptequej'étaisblessée.

— Je suis désolé, signa-t-il de manière sincère. (Il enfila ses lunettes de soleil et désigna unbandagesurmonbras.Heureusement,lecouteaul'avaitàpeineeffleuré,etilenallaitdemêmepourmonflanc.)Quet'est-ilarrivé?

— La même chose qu'à toi, sauf que j'étais du mauvais côté du couteau. D'autres personnespossédéesm'ontattaquée,maisjevoulaisquetusachesquec'estbon,maintenant.Toutvabien.Ilsnes'enprendrontplusàtoi.L'êtrequiamanigancétoutçaaététué.

Lesoulagementlesubmergea,etjeleconduisisàunetableafinquenousnousasseyions.—Est-ce que tout va bien, ici ?Elles t'ont fouetté lesmains avec des règles, ou quelque chose

commeça?J'aientendudirequelesnonnesfaisaientcegenredechose.Lamèresupérieureseraclalagorge.Detouteévidence,ellesavaitégalementsigner.— Nous l'avons inscrit à l'école, m'annonça Sœur Mary Elizabeth sans pouvoir cacher son

excitation.ÀuneécolepourmalentendantsdeSantaFe.Ilyhabiteradurantlasemaineetrentreraàlamaisonleweek-end.

Quentinnesemblaitpasaussiemballéqu'elleàcetteidée.Ilpinçaleslèvres.Jemepenchaiverslui.—Çateva?Commeilhaussalesépaules,jedemandaiàlasœur:—Ilrentreraàlamaisonleweek-end?Ellesourit.—Ici.(Elleposaunemainsursonbras.)Ilresteraicijusqu'àcequ'onpuisseluitrouverunfoyer

permanent.Oh!s'exclama-t-elleenmeregardant.Ilpeutbienentenduvousrendrevisitedetempsentemps,siçavousfaitplaisir.

— J'adorerais ça, confirmai-je. (Je jetai un regard à Cookie par-dessus mon épaule.) J'ail'impressionqu'Ambervavouloirapprendrelalanguedessignes.

Cookieacquiesça,perduedanssespensées.—C'estunamour.QuandjerépétaiàQuentincequ'ellevenaitdedire,ildevintrougecommeunepivoineavantde

luiadresserunvaguemerci.Maisilnelesignapas,illeprononça.Sesvoyellesétaientdécoupées,etsavoixaussiprofondequedouce.

—D'accord,annonçaCookie.Jesuisamoureuse.Quentintapotamamain.—Jet'aitrouvéunnomsigné.Jemeredressaisouslecoupdelasurprise,—Vraiment?Waouh.Illevalamaindroite,écartalesdoigts,etformaunhuitmodifiépourlequelsonmajeurétaitun

peu plus replié que ses autres doigts. Il l'appuya sur son épaule droite avant de le lever puis del'éloignerdeluienlesecouantlégèrement.

Jeportailesmainsàmoncœur.C'étaitlesignepourétincelle,maisdepuisl'épaule.Ilétaitentraindemedirequejebrillais.Mesyeuxsemirentàpicoter,etQuentinbaissalatête,gêné.Jenepusm'enempêcher. Je me jetai à son cou. Il me laissa le serrer pendant une bonne minute avant de medemander:

—Est-cequejepeuxvenircheztoi,desfois?—Riennemeferaitplusplaisir.Jemepenchaietdéposaiunbaisersursajouependantquelamèresupérieureseraclaitànouveau

lagorge.—Ehbien, ce garçon est à croquer, s'exclamaCookie pendant quenousmontions l'escalier de

notreimmeubleendirectiondutroisièmeétage.—N'est-cepas?Des policiers patrouillaient toujours à l'extérieur, passant la zone entourée de rubans jaunes au

peignefin.Ilsavaientréquisitionnémeshabits,maisleseulsangquilestachait,endehorsdumien,étaitceluideReyes.Est-cequ'ilss'enrendraientcompte?Était-ildanslabasededonnéesADN?

—Commentvatatête?demandaCookie.Tuvasbien?C'était une si bonne amie. Elle endurait tellement de choses pourmoi. Et il était extraordinaire

qu'ellesoittoujoursenvie,toutbienconsidéré.—Ouais,çava.—Bien.Alorsquejemetournaispourdéverrouillermaporte,ellemefrappaàl'arrièreducrâne.Fredfut

précipitéenavantetsecognacontrelemontantdelaporte.Jemeretournai,scandalisée.—Cettetêteaunecommotion,jetesignale.—Jesais.Etj'ensuisravie,àtitreinformatif.

—Tufaisunevoisineexécrable.—Tuasfaillimourirjustedevantl'immeuble,ettun'asmêmepaspensé,jesaispas,moi,àcrier

monnom?Àappeleràl'aide?—Etqu'est-cequetuauraispufaire,Cook,àparttefaireattaquerenvenantàmonsecours?—Tusais,cetteexcusecommenceàsentirleréchauffé.(Deslarmesluimontèrentauxyeux,etelle

baissalatête.)As-tulamoindreidéedecequej'airessentiquandj'aidécouvertqu'EarlWalkert'avaittorturéeàmoinsdequinzemètresdemoi?

Moncœurseserra.Même si je n'avais pas envie de le lui dire, Cookie devait savoir la vérité à propos de ce que

partagermavieimpliquaitréellement.Jem'appuyaicontremaporteetcroisailesbras.—Amberétaitlà,avouai-je,mavoixplusbassequ'unmurmure.Lapaniquelaparcourut.—Quoi?Amberétaitlàlanuitpassée?—Non.Cettenuit-là.QuandEarlestvenu.Ellesemblas'apaiserlégèrement,maisfitunpasenarrière.—Jenecomprendspas.— Quand je suis entrée dans l'appartement, expliquai-je, incapable de retenir les larmes qui

tentaientdes'enfuirdemesyeux.Earlétaitlà.EtAmberégalement.Cookieportalesmainsàsabouche.Ellenes'endoutaitpasdutout,etj'avaisétébientroplâche

pourleluiavouer.J'essuyai mes joues, terriblement en colère contre moi-même, car tout ce que je semblais être

capable de faire dernièrement était de pleurer. Parce qu'il était bien connu que pleurer, ça aidaittellement.

—Elle était endormie surmoncanapé. (L'image s'imprima si précisémentdansmonesprit quemonestomacseretournacommeill'avaitfaitcettenuit-là.)Ilpointaitunearmesursonfront.

Elleserecouvritlevisageetravalaunsanglot.Jeresserrailesbrasautourdemoncorpspourmeréconforter.J'étaissurlepointdeperdrelesmeilleureschosesquimesoientjamaisarrivéesdanslavie,maisilfallaitqu'ellesachelavérité.

— Il m'a dit qu'il l'épargnerait si je me taisais et que je me montrais coopérative. Qu'il vousépargnerait toutes lesdeux. Ilm'a laissée la raccompagneràvotreappartement.Elleétait tellementendormiequ'ellene l'a jamaisvu.Mais il était lààcausedemoi,Cookie.Ambera faillimourir àcausedemoi.

Aprèsavoirméditéunlongmoment,elleprituneprofondeinspirationetlevalevisageauciel.—Non,dit-ellefinalementenseressaisissant.Non.EarlWalkerautiliséAmberpourteforcerà

fairecequ'ilvoulait.Etçaafonctionné,Charley.Ilsavaitqueceseraitlecas.Cen'estpastafaute.Mamâchoiretombad'uncran.—C'estentièrementmafaute.Toutestmafaute.—Charley,me coupa-t-elle en posant unemain surmon épaule. Je te l'ai déjà dit. Tu fais des

chosesincroyables,etj'ailachanced'enfairepartie.Cetincidentavaitunechancesurunmilliondeseproduire.Etilestderrièrenous.Lesprobabilitéspourquequelquechosedesimilairenousarrivesontmicroscopiques.

—Tufaisattentionquandjeparle?— Le capitaine l'a dit lui-même. Tu as résolu quatre affaires en une journée. Quatre, Charley.

C'est...dujamaisvu.Ettuasmislamainsuruntueurensériequis'étaitévadé.TuassauvéDieusaitcombien de vies. Et j'ai la chance de pouvoir t'aider. On devra juste se montrer plus prudentes àl'avenir. Il nous faut de meilleurs verrous, tu te souviens ? On en a déjà parlé. Et un système desécurité.

Çaviendraitplustard.Lacolère.Leregret.Ledésespoir.Ilsepourraitmêmequ'ellemehaïsseun

peu.Mieuxvalaitqu'ellemedétestepouravoirpresquefaittuersafillequepourl'avoireffectivementfait.

D'icilà,j'auraisfaitdeCookieuneversiondemoiàpeineplusâgée.Ellepasseraitprobablementtoutessesnuitséveillée,àvérifieretrevérifierlesportesetlesfenêtres,faisantdumoindrebruituneinvasion domestique. Je comprenais très bien pourquoi elle aimait être amie avecmoi. Travaillerpourmoi.

—Toutvabien,monpetitpotironronchon?JemeretournaiàtempspourvoirtanteLilliantraverserlemur.J'étaissurlepointdeluirépondre

quandleconciergearrivaànotrehauteur.—Mesdames,noussalua-t-il,unsourirelubriquevissésurleslèvres.—Traître.Ilricanatoutencontinuantd'avancerendirectiondel'appartementdufondetfrappaàlaporte.Cookieetmoitendîmeslecou,notrecuriositépiquéeàvif.J'essuyaiencoreunefoismesjoues,et

nousnouspenchâmesensembledansl'espoird'apercevoirlesnouveauxlocataires.—J'aiuneautreclépourvous,claironna-t-il.Ilregardapar-dessussonépauleenjouantdessourcils.Jeroulaidesyeuxsifortqu'ilsfinirentparobserverBarbara.Laportes'ouvrit,d'abordlentement,etilmefallutluttercontreuneétrangeformed'enthousiasme.

C'était comme de déballer un cadeau en essayant de deviner le contenu tout en surveillant sonexpressionafindenepasavoirl'airdéçusicen'étaitpascequ'onattendait.C'étaitpeut-êtreenraisonde la commotion de Fred et Barbara, ou de l'état de santé précaire de BettyWhite, qui battait aurythmedeladouleuretdudésespoir,maislorsqueReyesFarrowouvritlaporte,jesuispratiquementsûrequejefisuneattaque.

Cookie inspirademanière si abruptequeReyesnous remarquaderrière le concierge.Sesyeuxbrillaientdanslafaiblelumièreducouloirtandisqu'ilmedévisageait.J'enfisdemême.Ilavaitreçuuneblessureparballequiauraitdéchirélapoitrineden'importequelautrehomme,etilnemontraitpourtantaucunsignedesouffranceoudefaiblessephysiquesuiteàlapertedesang.Jenedoutaispasuneseulesecondequ'ilétaitrecouvertderubanadhésifsoussontee-shirtrougesombre.Celuidontlesmanchesn'étaientpasassezamplespourpendre librementautourdesesbras.Celuiquimoulaitsesbicepsenlescaressant,enlesembrassant.

Lorsqu'ileutfinidem'examiner,ilpritlaparole,savoixaussichaudequ'unbonbrandylorsd'unenuitglaciale.

—Vouspouvezlaluidonner,dit-ilàM.Zamora.—Oh,bafouillacedernieravantdemeremettrelaclésupplémentairedel'appartementdeReyes

enmelançantunregardsournois.ReyesadressaunsignedumentonàCookie.—Cookie,lasalua-t-ilcordialement.(IlsetournaverstanteLil.)Lillian.SitanteLilétaitmorteavecsondentier,jesuiscertainequ'ilseraittombéàcemomentprécis.Reyesrelevaenfinsonregarddebraisesurmoi,puispenchalatêtedemanièreintéressée.—Dutch.Ilmelançaundernierregard-unregardpleindepromessesetdedésir-avantdereculeretde

refermerlaporte.Nousrestâmeslà,touteslestrois,nosmâchoirestraînantparterre.TanteLilfutlapremièreàs'en

remettre.Ellemedonnaunpetitcoupd'épauleet,enricanantcommeuneadolescente,medit:—Jepensequevousdevriez retournerpréparerdesbrownies, les filles,parcequecegarçona

vraimentl'airaffamé.