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L'ÉROTISME CHEZ ANDRÉ PIEYRE DE MANDIARGUES OU LA QUÊTE MYTHIQUE suivi de PETITES MORTS Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'université Laval pour l'obtention du grade de maître ès arts (M. A.) Département des littératures FACULTE DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL Février 2000

CHEZ DE OU LA de des grade de (M. Département LETTRESnlc-bnc.ca/obj/s4/f2/dsk2/ftp03/MQ47232.pdf · 2004-11-29 · Résumé L'érotisme et la mort forment les deux compléments de

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L'ÉROTISME CHEZ ANDRÉ PIEYRE DE MANDIARGUES OU LA QUÊTE MYTHIQUE

suivi de PETITES MORTS

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'université Laval

pour l'obtention du grade de maître ès arts (M. A.)

Département des littératures FACULTE DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL

Février 2000

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Résumé

L'érotisme et la mort forment les deux compléments de l'univers

imaginaire dans l'œuvre d'Andr6 Pieyre de Mandiargues. Sa vision dualiste

s'inspire du surréalisme et d'écrivains tels Georges Bataille et Sade. La mise en

s c h e de situations érotiques, où la violence ou la mort sont indissociables,

amène les personnages à vivre l'expérience de l'Absolu. L'atteinte de la volupté

suprême se fait par le rituel initiatique qui transporte les protagonistes dans le

monde surréel où ils pourront vivre la communion avec les puisions d'Éros et

de Thanatos. Les nouvelles de Mandiargues rejoignent une dimension

mythique parce qu'elles présentent des récits ontologiques.

L'auteure du present mémoire, dans sa démarche en création littéraire,

explore les diverses facettes de la mort, réelle ou symbolique : son annonce, son

accomplissement, sa résolution ; vivre avec la mort.

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Avant-propos

Je remercie M. Jean-Noël Pontbriand, qui a dirigé ce mémoire de maîtrise,

pour ses conseils et son aide à la réalisation de ce travail. De plus, je désire

souligner ma gratitude envers M. Mawice Émond pour la justesse de ses

commentaires et la pertinence de ses corrections. À partir de sa critique

enrichissante et constructive, j'ai retrouvé le désir d'écrire de nouveaux textes et

d'amener pluç loin ceux déjà existants. Je remercie de même M. JeamMarcel

Paquette pour sa préaeuse conhibution à la correction de ce mémoire.

Je tiens à remercier également mes amis et ceux que j'aime : Hélène Bard et

ses parents, François Lemay ainsi que Edith Roy. Le soutien moral de ces gens

exceptionnels, tout au long de la rédaction de ce mémoire, m'a permis de

persévérer dans la poursuite et Y achèvement de mon travail.

Je dédie mon mémoire de maîtrise à mes mères, Fernande Bergeron et

Yvonne Côté, qui ne pourront jamais le lire, mais elles m'ont fait le don le plus

précieux : leur amour.

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TABLE DES MATIÈREs

PAGE . RÉSUMÉ ........................................................................................................................ ii

AVANT-PROPOS .......................................................................................................... iiî

TABLE DES MATIÈRES .............................................................................................. iv

PARTIE 1 RÉFLEXION CRïi'IQUE

L'ÉROTISME CHEZ ANDRE PIEYRE DE MANDIARGUES OU LA QUÊTE -QUE

Introduction .......................................................................................................

............................................................... Pour une définition de l'érotisme .................................................................... 1.1 L'érotisme noir de Bataille

1.2 Eros et Thanatos ..................................................................................... 1.3 Sade et l'érotisme ................................................................................... Erotisme et surréalisme ................................................................................ 2.1 Le surréalisme et le roman ................................................................... Situation d'André Pieyre de Mandiargues dans la littérature érotique et surréaliste .................................................................................. L'érotisme et le mythe .................................................................................

.............................................. 4.1 L'univers panique et le rituel initiatique Le rituel initiatique dans la nouvelle « Le pain rouge >D de Mandiargues .................................................................................................

....................... ........................... Notre démarche en création littéraire ...,

Conclusion .........................................................................................................

BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................................

P A R ~ E n CRÉATION LIT~ÉRAIRE

PETITES MORTS

Petites morts >D .............**........................................................................ ........ L'attente >> ....................................................................................................... Prière d'une femme trop âgée >> ................................................................. L'innocence » .................................................................................................. Une question de goût >D ................................................................................

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PAGE

......................................................................................................... L'ennui » 68 .......................................................................................... a Fureur mortelle D 74

........................................................................................................ L'amant » 82 ....................................................................................... << Plaisirs particuliers » 85

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u Plus près de la mort qu'aucun homme, je suis du même coup plus près des sources mêmes de la sexualité. »

V'dredi ou les limbes du PaciFque, Michel Tournier.

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Introduction

L'utilisation de l'érotisme et de la mort dans la littérame est parfois

considérée, par certains lecteurs, comme un exutoire fade a w fantasmes d'un

auteur. Or, dans l'œuvre d'André Pieyre de Mandiargues, l'exploitation des

situations mettant en scène les pulsions d'Éros et de Thanatos sert un but tant

personnel que s d d : amener le lecteur au-delà des limites de ce qui est accepté

moralement et parvenir ainsi a un « état de grâce » où il est possible de retrouver

ou de reconnaître les forces primordiales, à la base du mouvement de la vie, qui

sommeillent en nous. Mandiargues lui-même atteint cet état de transe privilégié en

se laissant porter par cette source profonde D, issue des pulsions primitives d'Éros

et de Thanatos. L'auteur est habité par le mouvement a vital » de l'érotisme; il

parvient à une écriture authentique, véritablement vécue et saisie de Y intérieur.

Au fil des nouvelles de Mandiargues, nous découvrons une vision dualiste

du monde. Dans sa cosmogonie, l'union des contrastes (l'amour et la violence, le

laid et le beau, la vie et la mort) représente les forces complémentaires. L'auteur

extirpe ses personnages du quotidien pour les mettre en contact avec les forces

opposées en eux et dans l'univers. Le passage de la frontière du réel vers le

surréel » s'ouvre avec le fantastique. Mandiargues amène l'insolite par des

descriptions minutieuses et détaillées, un vocabulaire précis et rare, de même

qu'une ritualisation des événements, poussant le naturel vers un extrême

théâtralisé où les gestes et le décor sont réglés jusqu'aux moindres détails. Les

personnages traversent dans le domaine du saaé où ils subiront un rituel

initiatique. Ils devront parvenir à une communion avec les forces d'Éros et de

Thanatos (ce que Mandiargues appelle les forces a paniques )>, du dieu Pan) afin

d'atteindre Y Absolu. Le voyage initiatique des personnages s'inscrit dans une quête

mythique. Leur but ultime est de vivre la volupté suprême dans une fusion

érotique et panique. L'œuvre de Mandiargues rejoint ainsi les mythes de la quête

de réunification dans sa tentative de recréation du monde et de nous-mêmes.

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Afïn de bien saisir la portée de l'Éros dans les textes de Mandiargues, nous

tenterons d'abord de définir l'érotisme. Le désir érotique, à la base des pulsions

humaines, constitue un des puissants moteurs de la littérature, et des œuvres de

l'auteur en particulier. Nous examinerons les influences majeures de Mandiargues

sur sa vision de l'érotisme : Georges Bataille, Sade et le surréalisme. S'inspirant

Librement de la littérature baroque dans laquelle la violence et l'horreur

transportent le personnage (et le lecteur) dans un monde fantastique, Mandiargues

ne partage pourtant pas la vision parfois misogyne de Bataille et Sade dans leur

représentation des rôles sexuels. Et, malgré certaines divergences, l'auteur partage

un trait commun avec les surréalistes : une quête de l'érotisme véritable qui mène

à l'absolu. Dans ses nouvelles, Mandiargues explore le désir de fusion totale avec

l'autre qui est la source des mythes de réunification.

À partir de la vision dualiste de l'univers propre à l'imaginaire

mandiarguien, nous verrons comment s'articule les mécanismes du mythe dans les

éaits de l'auteur. Le désir d'Absolu, poussé par les forces d'Éros et de Thanatos,

fait basculer les êtres du réel vers le sunéel. Les personnages, une fois transportés

dans le monde panique, doivent en respecter les lois, car s'ils en dérogent, ils sont

inévitablement punis. Pour atteindre l'unité parfaite, les personnages doivent

d'abord se soumettre aux épreuves de cet univers panique. Nous analyserons de

faqon plus precise le déroulement du rituel initiatique dans la nouvelle <( Le pain

rouge » publiée dans le recueil Soleil des loups d'André Pieyre de Mandiargues.

Nous verrons quels processus littéraires sont mis en place par l'auteur pour

exprimer sa quête d'absolu personnelle et esthétique. Nous pourrons constater

que Yérotisme et la mort, en plus d'être les thèmes principaux des écrits de l'auteur,

s'inscrivent d'une façon plus vaste dans les grands réats humains : les mythes

ontologiques.

Dans notre démarche personnelle en création littéraire, nous laissons tout

simplement libre cours à nos impulsions profondes. Le retour constant, presque

obsédant, des thèmes du passé et surtout de la mort forment la base de notre

imaginaire aéateur. Nous illustrons par nos textes i'omniprésence de la mort,

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même dans l'enfance, même dans l'amour. Les personnages se retrouvent en

contact avec la souffrance, le deuil ou tout simplement la fin d'un projet, d'un

espoir. Par l'écrit, nous espérons donner une nouvelle dimension à nos expériences

et notre connaissance personnelle de la mort. Nous tenterons une exploration plus

profonde des mécanismes de notre âme, une (re)découverte des pulsions, des

rages ou des désirs qui animent notre besoin d'écrire. L'écriture de ce mémoire

s'inscrit dans notre cheminement personnel d'une meilleure compréhension de

notre être. La création littéraire ne constitue pas I'aboutissement de notre

questionnement ontologique, mais plutôt la quête elle-même.

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1. Pour une définition de l'érotisme

Le désir est la pulsion fondamentale qui pousse les êtres humains à se

dépasser. Il mène notre vie et nous fait entrevoir une forme d'absolu sans toutefois

la livrer. L'insatisfaction, l'impression de manque, sont à la base du désir et nous

entraînent à aller au-delà de nous-mêmes. Pour plusieurs êtres humains, la

solitude représente un vide à combler. Le besoin de contact, mais aussi d'une

rencontre véritable, est la source du mouvement profond de l'érotisme. Lorsque

l'expérience érotique est vécue de façon superficielle, les êtres demeurent

insatisfaits. La réalisation d'un fantasme sexuel, par exemple, amène une part de

plaisir, mais il nous laisse inassouvis, car un nouveau désir apparaît. Nous avons

l'impression de ne pas avoir atteint l'extase que le fantasme nous promettait, car a n'est jamais définitivement comblé. Si, d'une part, nous sommes trompés ou déçus

par le désir, d'autre part il va nous permettre de nous dépasser, car le désir nous

entraîne, nous porte vers l'Autre. Et nous ne pouvons découvrir cette vérité que

par la rencontre des êtres aimés.

Si la relation avec l'autre n'est pas l'absolu, elle est tout de même un moyen

de s'en rapprocher. Le contact avec l'être aimé nous amène à mieux nous

connaître. « L'érotisme est l'expression et la réalisation de soi en i'autre, par le biais

de i'amour incarné.' » Par les moments de joie ou de peine, l'autre nous éveille,

nous révèle à nous-mêmes, tout au long de la relation amoureuse. Dans l'amour,

nous poursuivons la recherche d'une renc0nh.e complète et totale avec l'autre ;

nous désirons être en communion parfaite avec l'autre, faire un avec lui, avec soi et

avec l'univers. << éros, c'est le Désir total, c'est l'Aspiration lumineuse, l'élan

religieux originel porté à sa plus haute puissance, à l'extrême exigence de pureté

qui est l'extrême exigence d'Unité.2 » C'est au moment de la rencontre et de la

fusion avec l'autre qu'il est possible de vivre l'intuition de l'absolu, car alors a le

monde s'ouvre et la conscience s'agrandit au point de ne faire qu'un avec

Jean-Noël Pontbriand, L*écriture comme expérience. Enhetiois avec Michel Phu, Québec, Le Loup de Gouttière, p. 34. ' Denis De Rougemont, Lnamour et l'Occident, Paris, Éditions 10/18, p. 62

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l'univers.' » Finalement, tous les désirs rejoignent le Désir fondamental : celui

d'une extase vraie, continue. C'est l'essence même du désir, ce vers quoi les êtres

tendent ultimement.

Dans des instants érotiques intenses, qui semblent situés hors du temps,

< l'homme parvient à entrevoir la nature de l'érotisme féminin, des moments où, à

travers la femme, il atteint à l'universel, à une essence de la sienne mais qui lui est

transparente.' » La femme aussi peut viwe cette expérience h i s io~e l le avec

l'homme, a Pour l'homme comme pour la femme, l'érotisme de ces instants

d'éternité va au-delà du sexe. La sexualité est toujours un acte qui se déroule dans

le temps, mais l'aspiration profonde, le lieu même de la rencontre érotique, se situe

dans une contemplation extatique et hors du temps.' L'érotisme est une quête

d'absolu. La femme est celle par qui se réalise la continuité, le désir d'union, du

contact et de la durée ; l'homme représente le discontinu dans le besoin de la

diffkrence, de la nouveauté, de la révélation. Le désir de fusion des amants naît de

leurs différences, de la fascination de l'autre (qui nous paraît à la fois si près et si

lointain, semblable et différent de soi), et du besoin de se comprendre. Le véritable

érotisme n'est possible que dans la rencontre intérieure de ses différences, lorsque

l'un et l'autre parviennent à vivre la complexité de chacun. L'impression de

comprendre l'autre complètement, de ne plus faire qu'un, peut être ressentie

parfois dans ces moments privilégiés où les amants se sentent seuls au monde, où

le temps semble se figer dans un instant d'éternité. C'est l'extase (qui n'est pas sans

rappeler Yextase mystique où l'être humain parvient a ressentir un état fusionne1

avec le Tout ou la Divinité). Cela correspond au moment où l'être approche la

vérité et le sens profond de l'érotisme. Mais cet absolu tant recherché n'est jamais

véritablement atteint de façon permanente (à moins que ce ne soit possible par la

mort des amants ?6) ; un sentiment de vide demeure. Pour tenter d'atteindre cette

extase, l'homme utilise différents moyens. L'érotisme est l'un d'eux.

-- - -

JeamNoël Pontbriand, op. cit., p. 34. * Francesco Alberoni, L'érotisme, Paris, Ramsay (Pocket), 1987, p. 253.

fiid., p. 255. 6 Cette quête de la passion éternelle est représentée par le mythe de Tristan et Iseult. La mort des deux amants était nécessaire pour que leur passion ne se tansforme pas en un amour serein, devenu banal au quotidien.

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Qu'est-ce que l'érotisme ? Cette question, selon le pays et même le siècle où

on la pose, peut trouver différentes réponses. Que l'érotisme soit, comme le dit

André Pieyre de Mandiargues, un puissant moteur de la littérature, nous ne

pouvons pas en douter. Mais, sous la plume des auteurs, l'érotisme n'est pas

toujours représenté de la même façon, et surtout sa fonction diffère. Hymne à

l'amour et aux plaisirs de la chair pour plusieurs, sensualité troublante chez

d'autres, l'érotisme peut prendre diverses sigrufications. Aussi, il est difficile d'en

donner une définition exhaustive. Pour certains, l'érotisme se limite à la suggestion

et n'agit que lorsque les sens sont touchés, alors que pour d'autres il est présent

partout ou la sexualité se manifeste, même dans ses perversions. La pulsion de

mort peut s'exprimer par l'érotisme. Le plaisir, un des aspects de l'érotisme qui

pousse les êtres a se dépasser, peut parfois emprunter les voies de la souffrance

pour atteindre l'extase. Le besoin de vivre l'expérience fusionnefle est si intense et

si profond, que certains &es sont prêts à faire tous les sacrifices nécessaires pour y

parvenir, à subir les pires tortures. Le sadisme devient alors un moyen extrême qui

utilise la douleur pour atteindre l'extase (la flagellation, les privations, les tortures

physiques font partie, à l'occasion, de l'expérience mystique ou religieuse pour

rejoindre l'Absolu). Nous ne pouvons aborder l'Éros sans parler de la notion de

Thanatos, son complément; tous deux nous transportent vers le même but :

l'absoh.

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1.1 L'érotisme noir de Bataille

La quête fus io~e l l e peut prendre la voie de l'amour, du plaisir, ce que nous

appellerons l'érotisme blanc, mais elle peut aussi se faire par la souffrance, le

sadisme, soit l'érotisme noir. L'auteur qui a le premier défini l'érotisme noir est

Georges Bataille pour qui 4 . l existe deux forces dans la nature. L'une tend a

l'individualisation, et l'individu lutte pour survivre ; l'autre tend à la fusion et donc

à la destruction de L'individu, à sa mort. Cette seconde force est la violence et

toutes les deux sont à l'œuvre dans l'éroti~rne.~ » L'érotisme se distingue de la

simple activité sexuelle (presque animale) par la recherche d'une fin qui est la

volupté. Selon Bataille, l'individu doit aller au bout de son érotisme pour connaître

les limites de son être ainsi que celles de la vie et de la mort. « Il ne s'agit nullement

de mourir mais d'être porté à hauteur de r n o d * La passion et le désir de fusion

sont des pulsions violentes. Or, la soaété craint la passion qui est synonyme

d'inattendu, d'incompréhensible, de fureur. « C'est la seule chose [que l'Institution]

redoute, car c'est la seule chose qui puisse l'ébranler jusque dans ses fondements,

par sa seule rés en ce.^ » Pour réprimer les excès de la passion, la soaeté a tenté de

la contenir dans des cadres bien preas : par des rites (mariages, fiançailles, amour

courtois) ou par des tabous (inceste, bestialité, polygamie, etc.), qui varient bien

entendu selon l'époque et les pays. La contrainte sociale, qui censure le désir,

érige en institution morale un ensemble d'interdits sexuels. l0 >>

Les interdits sexuels que se sont imposés les hommes ont pour objet

fondamental, toujours selon Bataille, la violence. r Dans le domaine de notre vie,

l'excès se manifeste dans la mesure où la violence l'emporte sur la raison." » Et la

passion est une des manifestations de l'excès. Vivre l'érotisme de façon intense

exige une expérience intérieure où les êtres sont consaents de transgresser un

interdit en cédant à la violence de i'impulsion sexuelle. L'érotisme, parce qu'il

' Francesco Alberoni, op. cit., p. 82-83. Georges Bataille, ( ~ u z k e s c&zplètes (écrits posthumes 1922-1940), vol. 2, Paris, Gallimard, 1970, p.

243. Francesco Alberoni, Le choc amoureux, Paris, Ramsay (Pocket), p. 93.

'O Claude Abastado, Introduction nu sunéalisme, Paris, Bordas, 1986, p. 150. *' Georges Bataille, L'érotisme, Park, Les éditions de minuit, 1995, p. 47.

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pousse les amants à vouloir atteindre un état fusionne1 où leur individualité se

perd, relève de l'interdit. En fait, selon Bataille, l'expérience de la souffrance dans

l'érotisme s'avère un moyen par lequel l'homme aspire a devenir plus qu'il n'est

présentement. Il brise ses propres barrières, ses propres limites (physiques et

intellectuelles) pour se rapprocher du sacré. D'une manière fondamentale, est

sacré ce qui est l'objet d'un interdit.I2 »

Par ailleurs, la passion mène à la souffrance puisqu'elle nous entraîne vers la

quête impossible d'une fusion complète et continue de deux êtres discontinus.

L'insatisfaction ressentie devient du dépit que l'être retourne vers lui-même ou

vers son objet d'amour. Ainsi la passion engendre parfois le désir de meurtre ou

de suiade. Le désir de mort pour soi ou pour I'êke aimé correspond à la possibilité

de continuité, d'éternité, qu'elle contient. Dans l'acte érotiquc, au moment de

l'abandon de soi où nous ressentons la fusion avec l'autre, l'appréhension de notre

perte peut nous faire vivre l'extase de faqon plus intense. Pour Bataille, l'angoisse

suprême se résout en une jouissance suprême. La mort précipite a l'être discontinu

dans la continuité de l'être13 )> et devient la seule façon de réaliser l'état fusionnel.

Cependant, Alberoni rejette cette théone de Bataille, car, selon lui, la fusion

amoureuse n'est pas l'annulation des individus mais plutôt << l'apparition d'un

élément totalement nouveau par lequel les individus sont transfigurés.'' )> Au lieu

d'une dissolution dans la mort, l'état naissant de la relation amoureuse est

« l'émergence d'une nouvelle forme de vie chargée d'espoir et de désir.'' »

1.2 Éros et Thanatos

Or, toute renaissance implique une mort, une transformation : la disparition

d'un état antérieur. La mort, même symbolique, peut faire peur car elle semble, à

première vue, uniquement destructrice. Mais, parce que nous sommes des êtres

sexués, la vie se poursuit par la transmission de notre bagage génétique à nos

enfants. À long terme, notre individualité a peu d'importance en soi; ce qui

l2 &id., p. 76. Souligné par i'auteur. I3 Ibid., p. 28. l4 Francesca Alberoni, L'érotisme, p. 83.

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compte, c'est la survie de l'espèce humaine. Notre mort laisse la place aux

générations futures. Évidemment, la compréhension de ce fait n'empêche pas les

humains d'être révoltés par la mort, de refuser la disparition de leur être. L'idée

d'un monde chaotique, ou même «. insiaufiant », peut en choquer plusieurs et les

pousser justement à rechercher un certain ordre dans leur existence et l'univers.

Au-delà de la survie de l'espèce par la procréation, les humains cherchent à se

réaliser et à s'épanouir dans leur vie personnelle.

La quête de l'absolu a toujours fait partie de la vie des êtres humains comme

un moyen désespéré de sortir de la banalité du quotidien, du commun, et surtout

de donner un sens à l'apparente absurdité de l'existence et ainsi faire face à

l'inexorabilité de la mort. L'érotisme est une des voies que les humains vont

emprunter pour tenter d'atteindre i'absolu, i'extase continue. Le Lien intime entre la

vie et la mort, dans rimaginaire de l'être humain, peut refaire surface dans des

moments privilégiés « d'ülumination D. A notre avis, l'érotisme est une

manifestation de la pulsion de vie primordiale, qui s'exprime à travers la sexualité.

Le sadisme, tout autant que l'amour, est un acte érotique dans la mesure où il

réalise un désir sexuel, qu'il the sa force de l'Éros. La dualité éros bIanc/éros noir

représente l'union des contrastes qui forment l'unité d'Éros et Thanatos. Dans

l'excès de la passion, les êtres arrivent à transcender le monde réel et peuvent

alors, dans une sorte d'extase, vivre l'intuition de l'absolu. L'érotisme noir,

puisqu'ü possède déjà en lui-même une pulsion de mort, nous fait voir encore plus

clairement le lien mythique qui existe entre Éros et Thanatos. éros est le lieu

possible de l'illumination, « le moment où connaissance et amour se révèlent dans

une réalité unique qui abolit les oppositions.16 »

Selon Alberoni, la senialité ne devient érotique que chez les humains, car

« ce n'est que chez eux qu'elle se transforme en une puissance inquiétante qui va

jusqu'à défier tous les risques. Ce n'est que chez eux qu'de atteint à la démesure,

alimentée par une inépuisable imagination.17 » La passion transporte les êtres au-

l5 M , p. 83. l6 Marcel Spada, Érotipes du m-lieux, Paris, Librairie José Corti, 1983, p. 145. '' Francexo Alberoni, L'érotisme , p. 142.

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delà d'eux-mêmes. Ils ont l'impression de vivre un moment d'éternité, hors du

quotidien, au-dessus des lois et des contraintes de la société. Puisque l'Éros, lié au

désir, se situe au-delà des notions de bien et de mal, ü peut se concrétiser dans

l'amour tout autant que les perversions. « Car le désir est violence, il transforme

autrui en moyen, il peut donc, indifféremment, et selon des hasards que nulle

raison ne contrôle, s'émouvoir de sa wuMance ou la provoquer par plaisir,

l'exaspérer, et atteindre une sorte de firmament de la jouissance devant son

supplice et son agonie.I8 » Le désir sadique est cehi qui ne peut posséder qu'en

détruisant ce qu'il désire. Même l'anéantissement de l'autre est érotique, car il

résulte de la pulsion d'Éros menée à son extrême : la mort.

1.3 Sade et l'érotisme

Dans la littérature érotique, la mort peut aussi être la représentation d'une

crainte fondamentale : << L'homme se sent attiré par la continuité caractéristique de

l'érotisme féminin en même temps qu'elle susate en lui de l'inquiétude. 'y>> Le désir

de la femme lui apparaît comme une pulsion intense, une passion frénétique et

incontrôlable. Cette peur est à l'origine des fantasmes de domination de la femme.

Les textes du Marquis de Sade illustrent bien cette appréhension de la féminité. Le

héros sadien exprime sa liberté par des moyens extrêmes; son imagination

débridée l'amène à réaliser tous ses désirs sexuels par la souffrance, l'esclavage et

même la mort des autres, repoussant contraintes et tabous. Chez Sade, nous

retrouvons une relation de dominant/ dominé, les plus faibles étant ceux dont les

plus forts peuvent se servir impunément pour arriver à la jouissance. Les femmes

représentant le sexe faible )), eiles sont le plus souvent les victimes des hommes.

Elles servent à la réalisation des fantasmes masculins, aussi violents soient-ils :

Sade pousse à l'extrême la même tendance au morcellement, à l'irresponsabilité typique de l'érotisme masculin ; il exacerbe même cette tendance jusqu'à la folie, utilisant des images de auauté, de

la Ferdinand Alquié, Philosophie du surréalisme. Paris, Flammarion, 1977. p. 60 l9 Francesca Alberoni, L 'érotisme, p. 28.

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torture, de mort, de profanation et d'écartèlement comme autant de symboles d'un processus émotionnel et mental de séparation."

Dans les livres de Sade, la violence « est purement symbolique; ce n'est pas le

corps qui est déchiré et violé mais l'amour comme relation structurée et, en

particulier, la forme spécifique de l'érotisme féminin2* » En détruisant l'autre, en le

faisant souffrir, le héros sadien transgresse les normes et les lois de la société. Il

brise les cadres rationnels imposés par l'Institution pour laisser libre cours à son

imaginaire et, surtout, au mouvement primitif d'Éros. Les excès * scabreux >>

auxquels se livrent les personnages représentent le versant négatif d'un

authentique mouvement de libération. Ce que les surréalistes ont retenu de Sade,

ce n'est pas l'humiliation et la domination de la femme, mais plutôt la liberté de

l'être humain face aux contraintes de la société.

2. Érotisme et surréalisme

André Breton, qui fut à la tête du surréalisme depuis ses débuts dans les

années vingt, verra en Sade un des premiers surréalistes avant la lettre, car il a

exprimé le désir dans ce qu'il a de plus excessif, sans tenir compte des contraintes

morales de la soaété. Dans les écrits du Marquis, << le mouvement de l'amour,

porté à l'extrême, est un mouvement de » Le désir est poussé jusqu'à

I'excés ; seule la réalisation de son propre désir compte, quitte à anéantir celui ou

celle par qui le désir se concrétise. « Sade consacra d'interminables ouvrages à

l'affirmation de valeurs irrecevables : la vie était, à le croire, la recherche du plaisir,

et le plaisir était proportionnel a la destruction de la vie. Autrement dit, la vie

atteignait le plus haut degré d'intensité dans une monstrueuse négation de son

p~inape. '~ » Plus que la simple perversion » de l'acte sadique, les surréalistes

admirent les effets qu'il a sur la soaété et ses tabous : « Aimer sadiquement, c'est

plus qu'on ne peut faire, plus qu'on ne doit faire. De là i'intérêt de ces

<< perversions » qui est de faire éclater, de fendre un certain corset social." »

Francesca Alberoni, L 'érotisme, p. 85. " ibid., p. 85. Georges Bataille, L'érotisme, p. 48.

a Ibid., p. 200. Xavière Gauthiert Sunéalisme et semalitkt Paris, Gallimard' 1971, p. 258. Souligné par l'auteure.

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Les surréalistes voulaient comprendre les mécanismes de l'esprit humain

dans sa totalité. C'est pourquoi ils ont fait l'éloge de Sade, qui a présenté les

pulsions violentes de l'homme, le côté sombre de l'esprit humain, tout aussi

essentiel que la lumière. Pour les surréalistes, Sade est un révélateur de

l'inconscient :

En effet, ce que Sade voulut faire entrer dans la conscience, ce fut exactement ce qui révoltait la consaence. Le plus révoltant était à ses yeux le plus puissant moyen de provoquer le plaisir. Non seulement il parvenait de cette manière à la révélation la plus singulière, mais dès l'abord il proposait à la consaence ce qu'elle ne pouvait ~upporter. '~

Les écrits de Sade ont donc été intégrés au surréalisme parce qu'ils illustrent leur

quête d'unité : la réconciliation de l'homme avec le réel et lui-même. Mais, bien sûr,

le sadisme n'est pas le seul moyen que les surréalistes vont utiüser pour tenter de

retrouver l'unité perdue. La quête de l'absolu se fera aussi par la rencontre de la

femme, par l'amour fou qu'il susate.

Pour Breton, l'amour fou est l'attachement subit et total à un seul être.

.< L'Autre est révélé par le coup de foudre )p. Le Hasard se fait Désir, et l'attraction

réciproque est si forte qu'elle réalise, par voie de complémentarité absolue, Yunité

intégrale, à la fois organique et p~ychique.'~ >> Sa vision de I'amour rejoint le mythe

de l'androgyne primordial ; le couple se compose de deux êtres qui ne font plus

qu'un dans l'amour. Dans Le Banquet, Platon fait raconter ce mythe par

Aristophane : au début des temps, existaient des êtres doubles, faits de quatre

jambes, quatre mains et deux visages ; ayant voulu s'attaquer aux dieux, Zeus les

coupa en deux. M L'homme actuel n'est donc qu'une moitié d'être, et telle est la

source première de l'amour. Chacun cherche ce dont il a été séparé, la moitié qu'il

a perdue et, dans les enlacements de l'amour, essaie de retrouver l'unité qui fut k

»

25 lbid., p. 217. " Philippe Camby, L'érotisme et le sacréf Parisf Albin Michel, 1989, p. 210.

Ferdinand Alquié, op. cit., p. 99-10.

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D'où le thème de << I'amour reconnaissance » dans les écrits surréalistes. La

rencontre permet de retrouver l'autre qui nous complète. Le désir d'unité de

l'homme et de la femme rejoint la quête d'unité de l'homme en lui-même et avec le

monde. Breton n'a pas seulement laïasé l'idée mystique de point suprême. De

cosmologique qu'elle était, il semble l'avoir rendue psychologique : ne parle-t-il pas

d'un point suprême de l'esprit » ? Et Breton donne comme but à l'activité

surréaliste, non la découverte, mais, ce qui est fort différent, « l'espoir de

détermination de ce point ».'' » L'amour comme la rencontre sont des moments de

révélations; ils laissent place aussi à l'attente, car nous ne pouvons connaître

exactement leur siphcation, la vérité (l'absolu) reste hors de portée. L'attente

demeure toujours. L'extase continue nous échappe encore.

2.1 Le surréalisme et le roman

André Breton va rejeter le roman comme outil de recherche pour le

surréalisme. Pourquoi le roman ? Entre aubes raisons, parce qu'il représente la

soaété bourgeoise, ses valeurs, son histoire littéraire, ses auteurs d'alors29. Les

attaques de Breton « se concentrerent sur le roman, langage littéraire complice

d'un réalisme étroit et mesquin, mais c'est en réalité toute la civilisation ocadentale

qui se trouve dén~ncée.~' » C'est dans le Mnnifeste du surrédisme que Breton va

établir le refus du romanesque, car il « s'oppose au développement libre des

facultés de l'imaginaire et donc à l'épanouissement de ce merveilleux pour lequel

milite le surréalisme?' fi Les surréalistes dénigrent donc le roman (< réaliste f i . La

critique de Breton <( porte très précisément sur les marques du vraisemblable, la

psychologie des personnages et la conduite de l'action, trois conventions majeures

du roman.32 » Le roman avec ses phrases de style d'information pure et simple,

" [bid., p. 114. " Pensons au célèbre pamphlet Un Cadavre k i t à la mort d'hatole France. " Philippe Forest, Le m o u m e n t sunédiste, Paris, Vuibert, (Thémathèque/ Lettres), 1994' p. 50.

Philippe Forest, op. nt.. p. 99. Claude Abastado, op. nt., p. 97.

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sans profondeur, dépourvu d'émotion, est rejeté par Breton : << Je veux qu'on se

taise, quand on cesse de ressentir.33 »

Cependant, Breton ne sonnera pas le glas du genre romanesque pour

autant. Au contraire, le genre narratif sera ravivé par la créativité des écrivains qui

devront <( penser une nouvelle forme de réat en prose qui permette de contourner

cet interdit et d'inventer ainsi un roman qui soit accordé aux ressources de

l'esthétique surréaliste?' f i Puisque la société impose des cadres rationnels pour

limiter les forces de l'inconscient (les pulsions d'Éros et de Thanatos), les

surréalistes vont célébrer les écrits qui font tomber les tabous et laissent place à

l'irrationnel.

Les auteurs surréalistes vont aborder dans leurs retits des thèmes différents

de ceux que l'on retrouvait alors dans le roman : <( Là où le roman réaliste se veut

une description de Y ordinaire, du prévisible et du vraisemblable, le reàt surréaliste

se définit d'abord en ceci qu'il n'accepte d'envisager que l'insolite, l'inattendu, voire

l'i~npossible.~~ fi Le conte ou la nouvelle fantastique deviendront des supports

fréquents pour les auteurs, et même les récits plus longs porteront en eux les

germes de l'étrange ou du merveilleux : (< Il est peu de romans surréalistes qui,

ainsi, n'approchent de cette frontière qui sépare le monde réel et cet univers

impossible qui est celui des mythes, des légendes, des contes et des êtres fabuleux

qui les habitent.36 » Le monde du rêve, de l'insolite, de cet univers obscur des

fantasmes se développeront dans les œuvres littéraires surréalistes : << Le récit ne se

donne plus comme principe que sa propre liberté joueuse, il combine et disperse

des éléments empruntés au réel sans soua de la vraisemblance ou de la cohérence,

laissant le récit proliférer de lui-même au sein de la rê~erie.'~ » Les auteurs

surréalistes, avec le conte ou la nouvelle fantastique, pourront explorer librement

les remous de l'inconscient et tenter d'approcher l'absolu d'une compréhension

André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, (Folio essais), 1985, p. 16. Philippe Forest, op. cit., p. 102. Ibid, p. 103.

16 ibid., p. 102. [bid., p. 104.

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totale de l'être. Un des auteurs Français de la génération d'après guerre qui a su

mener son écriture vers cet idéal est André Pieyre de Mandiargues.

3. Situation d'André Pieyre de Mandiargues dans la littérature érotique et surréalis te

Tandis que les surréalistes privilégiaient la juxtaposition aléatoire des mots

pour faire surgir Y indioble, Mandiargues possède une écriture plus recherchée.

Bien que l'écriture automatique fasse partie d'une technique de travail, il ne se

contente pas du premier jet d'inspiration ; il préfère ciseler ses phrases, en quête du

mot juste, de la structure équilibrée, du jeu sonore harmonieux. Mais l'auteur n'a

pas un style réaliste pour autant. Au conhaire, Mandiargues va rejeter le réalisme

dans ses récits en uülisant une écriture hyperréaliste », soit des descriptions très

précises et minutieuses afin de créer un univers surréel. En dépassant le réel pour

rejoindre le merveilleux, l'auteur peut, en toute Liberté, laisser émerger les images

poétiques irrationnelles. Débordant des situations logiques, il engendre un

nouveau monde qui échappe au rationnel. En multipliant les détails et en utilisant

des termes exacts, presque techniques, et des mots rares, Mandiargues désarqonne

le lecteur, le transporte dans un univers étrange par le regard différent qu'il pose

sur la réalité. Mandiargues crée un effet de doute inquiétant pour le lecteur qui se

retrouve face à l'inconnu ou au bizarre ; il est contraint de chercher un sens à ce qui

lui échappe. Le style baroque et même préaeux qu'utilise l'auteur a donc une

fonction précise ; loin d'être simplement l'étalage de ses larges co~aissances ou de

la richesse de son vocabulaire, l'extrême précision de son émture vise à faire entrer

le lecteur dans le fantastique.

Mais Mandiargues partage tout de même un but commun avec les

surréalistes : l'exploration et la mise au jour d'un intérieur jusque-là caché ou

refoulé. L'auteur accorde une grande importance it la place de l'inconscient dans

son œuvre ; il aspire, comme les surréalistes, à une écriture libérée des contraintes

morales et esthétiques de son époque. Mandiargues se laisse porter, dans un état

de transe ou de rêverie intense, par ces mouvements intérieurs qui le dépassent,

les excès de sa pensée et de ses fantasmes, l'outrance de son imagination. Par la

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mise en scène de situations extrêmes, Mandiargues parvient à une sorte d'absolu.

Ce n'est que lorsqu'il crée dans cet état qu'il est satisfait de son écriture et va plus

loin dans la connaissance de lui-même.

Bien qu'il ne fût pas assoaé offiaellement au mouvement surréaliste, André

Pieyre de Mandiargues a toujours eu une grande admiration pour André Breton et

les œuvres du surréalisme. La vision de l'amour, de la relation amoureuse entre

deux êtres, tels que décrits dans les textes d'André Breton, a influencé

Mandiargues. Sa conception de I'érotisme, comme chez Breton, rejoint le mythe de

l'Androgyne. Le Destin joue un rôle important dans la rencontre des personnages.

Lorsque l'homme et la femme s'unissent, ce n'est jamais fortuit ; des forces qui les

dépassent leur ont permis de se (re)trouver. Mais la rencontre dépasse la banalité

du « ils sont fait l'un pour l'autre ». Si l'homme et la femme sont ensemble, ce n'est

pas pour leur propre satisfaction d'avoir découvert l'âme sœur, mais plutôt pour

réaliser ou tenter de réaliser l'unité panique.

Le dieu Pan, dans la mythologie, représente les forces de la Nature, le cycle

éternel de la vie qui s'accomplit dans la naissance et la mort. Pour Mandiargues,

l'érotisme est un moyen par lequel les personnages peuvent avoir l'intuition de ces

pulsions fondamentales qui font partie de chaque être et de l'univers. L'érotisme

est un moyen pour accéder à ce monde panique, pour entrer en communion avec

lui, car l'homme avilisé n'est plus nécessairement consaent des forces qui

l'entourent et l'habitent. Pour Mandiargues, l'Éros constitue donc cette force

primordiale, incontrôlable, irrésistible et sans limites. Ce n'est pas une simple

desaiption de la sexualité ou l'exploitation gratuite de scènes à caractère sexuel que

nous retrouvons dans ses écrits ; au contraire, l'érotisme représente une pulsion

qui dépasse les êtres qu'elle habite et les guide vers un Absolu.

Puisque l'homme et la femme sont menés par les puisions de Pan, 5 ne

semblent pas responsables des excès de leurs actes. Cette absence de responsabilité

correspond 5 une part du fantasme typiquement masculin. « L'imagination

érotique masculine comporte une caractéristique rigoureusement opposée aux

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engagements et aux responsabilité^.'^ » Mais dans l'œuvre mandiarguieme, même

si les hommes n'ont pas à séduire la femme (car c'est souvent elle qui prend

l'initiative) ou à s'engager envers elle, la rencontre est loin d'être sans

conséquences. Le but de la relation sexuelle ou de la rencontre n'est pas la simple

satisfaction des désirs de l'homme mais bien une quête de la transcendance. La

recherche de la continuité représente une caractéristique cette fois de l'idéal

féminin. Contrairement à Sade et Bataille, Mandiargues a dépasse l'expression des

fantasmes uniquement masculins pour tendre vers l'union de l'imaginaire érotique

féminin et masculin. Ii a su outrepasser la peur instinctive devant l'inconnu, soit

celle de la féminité, pour l'intégrer à ses propres fantasmes. L'acceptation et la

compréhension des partidarités de l'autre sexe sont les signes de l'érotisme

véritable.

Pourtant, dans l'imaginaire de Mandiargues, l'érotisme n'est pas dépourvu

de violence. L'union des contrastes, des pulsions de vie et de mort, est justement le

moyen qu'utilise l'auteur dans sa quête de l'absolu. Il est intéressant de remarquer

que, dans la littérature érotique, les livres qui ont vraiment su atteindre une

dimension érotique dans la violence ont surtout été écrits par des femmes : Histoire

d'O de Dominique Aury (alias Pauline Réage) et Le boucher d'Alina Reyes, en sont

des exemples. Un des rares auteurs masculins, qui exprime dans ses écrits

l'érotisme véritable par la violence, est André Pieyre de Mandiargues. Nous ne

retrouvons pas chez lui de côté moralisateur ; son univers est affranchi des notions

de faute, de bien et de mal. L'œuvre de Mandiargues « développe un seul thème :

le désir, l'érotisme, le sado-masochisme et la mort indissoaablement unis. Chaque

première phrase déclenche une implacable mécanique qui mènera le protagoniste

à la plus intense jouissance ou à la mort?9 »

Dans l'œuvre de Mandiargues, l'amour et la mort sont ses personnages

principaux : « [Ile thème d'Éros et Thanatos, cette notion que le sexe et la mort sont

liés de façon à peu près indissoluble, que la mort plane dans i'union de i'homrne et

' Francesca Alberoni, Lrérotisnie, p. 66. 39 Etieme Bastiaenen, M André Pieyre de Mandiargues ou le regard de Méduse m, Europe, no 712- 7i3, (août-sept. 1988)' p. 159.

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de la femme, cette appréhension vieille comme le monde, hante ses premiers écrits

et les derniers aussi4' ». Ce mythe ancien du couple d'Éros et Thanatos, toujours

enfoui danç notre inconscient selon la psychanalyse, est une source féconde

d'inspiration pour l'auteur. L'amour, lorsqu'il rejoint la mort, se révèle danç ce qu'il

a de plus excessif: l'attrait du laid, de la violence, du mal. C'est ce qui fascine

Mandiargues : L'irréalisme outré l'attire. Il vante les vertus de l'excès. Son goût

va toujours à des situations, à des faits, à des intentions limites." »

L'excès est un des éléments dés de son imaginaire. Mandiargues définit ainsi

la démesure :

[Ce] n'est là, pour moi, qu'un goût passionné qui m'aide à créer et hors duquel je n'ai jamais rien écrit qui me contente entièrement. [...] Personnellement donc, je suis partisan de l'outrance, à laquelle je crois être redevable de mes plus grandes joies et de mes plus grandes exaltations à tibe de lecteur comme à celui de spectateur."

Il n'est donc pas étonnant de retrouver dans ses nouvelles fantastiques et ses

contes cette violence qu'il affectionne. Mandiargues utilise les thèmes de l'érotisme

et de la mort pour aller vers l'excès. D'ailleurs, (< l'érotisme a ceci de merveilleux

que plus aisément qu'aucun autre ressort il est capable de pousser la littérature,

c'est-à-dire une forme d'artifice, vers un certain absolu" ». Pour parvenir à cet état

hors du commun, Mandiargues se laisse envahir par l'imagerie de la mort :

« Pourquoi I'appaïtion de la mort violente dans la rêverie créatrice d'un poète ou

d'un narrateur de qualité suffit-elle à le transporter au-dessus de ses facultés

habituelles ?44 » Alors, amené au-delà de lui-même dans une sorte de transe issue

du mouvement d'Éros, l'auteur peut se laisser porter par l'écriture, comme au fil

d'une rêverie, permettant a w images érotiques ou violentes de jaillir librement.

Ceci donne une certaine unité aux ciifferentes nouvelles de Mandiargues, car leur

<< cohésion, si cohésion il y a, vient de ce [qu'il a] toujours cherché à éaire comme

a Étienne Bastiaenen, op. cit., p. 25. " Ibid., p. 17.

André Pieyre de Mandiargues, Le &ordre de la mémoire., p. 177. André Pieyre de Mandiargues, Troisième belvédère, Paris, Callunard, 1971, p. 323.

* André Pieyre de Mandiargues, IP désadre de la mémoire. p. 251.

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un obsédé, à n'éaire qu'en l'état d'ob~ession.'~ » C'est dans cet esprit que

Mandiargues a créé ses œuvres.

4. L'érotisme et le mythe

La transe que procure la rêverie peut être un moyen pour parvenir à

l'extase mythique. Mandiargues est sensible au caractère libérateur du rêve qui

l'entraîne vers les excès, ou les images les plus étranges peuvent surgir, où les

contrastes peuvent s'unir. En se mettant dans une sorte d'état privilégié qui

engendre l'écriture, Mandiargues permet a w puissances originelles de refaire

surface : les pulsions de vie et de mort qui se retrouvent en chacun de nous et dans

l'univers. Le mythe ne se construit pas de façon délibérée (ou alors, ce n'est qu'un

pseudo-mythe qui sonne faux), mais il se constitue progressivement comme une

révélation. << Contrairement à l'effort de reconstitution d'un mythe, qui se situe

toujours ailleurs et dans un passé plus ou moins lointain, c'est en soi que l'on peut

déceler la source mythique pour se laisser emporter par elle. '% L'expérience de la

rêverie permet I'envahissement mythique. Pour Mandiargues, a le monde

imaginaire et celui de la réalité extérieure forment un double et immense miroir où

le jeu des reflets se prolonge infiniment4' » ; cette a iuumination », l'auteur veut la

partager avec les autres par ses écrits. Il tente de rendre compte de sa vision du

monde, mais aussi de renouer avec ces forces dont il a l'intuition. Nous pouvons

même parler chez Mandiargues d'une quête de l'illumination mystique.

Le mythe peut nous toucher, nous rejoindre, sans être expliqué, car il agit

sans mécanismes consaents. Le mythe doit avant tout se vivre de l'intéxieur. Il est

le lieu de la fusion où se rencontre la consaence et le monde. Le mythe permet une

meilleure compréhension de nous-mêmes et des autres. Les mythes n'apportent

pas de solutions aux problèmes de l'être humain, mais seulement sa symbolisation.

En plus de présenter des récits fondateurs, les mythes servent aussi à (re)présenter

un futur anticipé. Lorsqu'il se déploie dans l'imaginaire, le mythe participe à un

" Ibid., p. 180. Annette Tamuly, Le surrdizlisme et le mythe, New York, Peter Lang, 1995, p. 88.

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mouvement dynamique de transformation du réel ; il inspire un regard nouveau

(voire utopique) sur le monde.

Nous sommes toujours en quête de l'Absolu. Que cet Idéal représente Dieu,

le Nirvâna, une f o m d e saentifique qui contiendrait toutes les lois de l'univers ou

la fusion érotique, tous ces concepts visent à (re)trouver l'Unité perdue, l'atteinte

de l'unique. Ce n'est pas pour rien si l'orgasme est souvent comparé à une petite

mort M. Demère le désir amoureux et sexuel, existe un désir de mort, d'aller au-

delà des limites, de se dissoudre dans la volupté ... qui échoue. L'acte sexuel est une

tentative de réunification qui constitue une étape dans la démarche mythique vers

l'absolu, car l'unification réside à un niveau supérieur, au-delà de l'union des sexes

et des genrzs, à l'intérieur de soi. Plusieurs récits mythologiques témoignent de

notre désir d'unité. Le mythe de l'androgyne représente l'unification des sexes. Il

témoigne de la blessure primordiale de la division des genres. La division est

partout présente, jusque dans l'atome, et nous cherchons dans 1'Absolu le moyen

de parvenir à l'unité parfaite. Notre recherche de fusion par l'érotisme est une

quête de l'origine.

Dans les écrits de Mandiargues, nous retrouvons la quête de l'unité

cosmique. Par l'érotisme ritualisé (où la violence joue un rôle important dans le

déroulement de la nouvelle), les personnages d'André Pieyre de Mandiargues

oublient leur identité personnelle pour entrer en contact avec ces forces naturelies

qui les entourent depuis toujours et dont ils ne prenaient pas conscience

auparavant. Dans l'instant de la rencontre fusiomelle, l'être comprend alors sa

place dans le Cosmos : la naissance et la mort sont inévitables et font parties de

l'Existence, au sens large du terme, dépassant la vie individuelle et rejoignant le

Cycle incessant de la Vie. Les forces paniques de la Nature, positives autant que

destructrices, sont immanentes; elles font partie de l'univers et se trouvent en

chaque homme en même temps. En fait, chaque personnage est le reflet, le miroir,

des forces cosmiques et, grâce au rituel, il parvient à la (re)connaissance de l'unité

André Pieyre de Mandiargues, cf. David J. Bond, The Fiction of André Pieyre deMandiargues, Syracuse, Syracuse university press, 1982, p. ix.

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cosmique. Parvenu à l'extase absolue, le personnage ne fait plus qu'un avec

l'univers.

Dans ses nouvelles, Mandiargues nous transporte dans un monde où tous

les éléments du minéral, du végétal et de l'animal sont indissociables. L'unité

panique qui représente les forces originelles, à la base du mouvement érotique,

mène l'éaiture de l'auteur. 111-é par le mouvement d'Éros, Mandiargues

rejoint l'écriture mythique, car il laisse jaillir librement

œuvrant dans l'univers.

les puissances primordiales

4.1 L'univers mythique et le rituel initiatique

Pour reprendre les mots de Roland Barthes, issus de son ouvrage

Mythologieç, disons que le mythe est une parole qui recrée le monde. Dans l'œuvre

d'André Pieyre de Mandiargues, l'entrée dans le monde du mythe se fait grâce à

l'étonnement causé par les mots et permet ainsi l'ouverture vers le fantastique. Le

lecteur doit chercher une signification à ce monde surprenant qui se déploie sous

ses yeux. L'auteur nous dévoile l'insolite par l'éclairage nouveau qu'il donne à la

réalité. Le regard très pa r t ide r de Mandiargues est celui du << voyant » : celui qui

sait voir plus loin que la surface des choses, d'un ceil différent, sensible, et qui peut,

en observant le réel, aller vers une swréalité D, c'est-à-dire le merveilleux. Le

mythe s'enracine dans un refus préalable du réel tel qu'il se donne, et tel surtout

qu'il prétend se poser comme seul vrai"'. u Les réats de Y auteur s'inscrivent dans le

réel pour mieux en contester la cohérence et en ébranler la solidité. L'écriture de

Mandiargues par l'abondance de ses longues et préases descriptions de même que

son extrême intérêt pour le détail, parvient a une sorte de « réalisme magique u où

le réel devient le lieu du fantastique.

L'aspect onirique des nouvelles est propice à l'émergence des symboles et

des éléments mythiques. Dans les récits de Mandiargues, le mythe s'actualise par

des thèmes ou des personnages tels que le monstre, des peuples étranges, des

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êtres ou des animaux disproportionnés et certains liew privilégiés de l'univers

mythique comme la mer et la grotte. Mandiargues tries to convey a typically

mythical image of the universe as light and dark, life and death, good and evil, a l l

bound together in an inextricable whole.i9 » L'union des contrastes a é e l'insolite et

permet la mise en place de lieux paniques m. Les personnages quittent le

quotidien pour entrer dans cet autre monde. Les contrastes se retrouvent aussi

dans les relations ambiguës qui unissent les personnages ; elles sont fondées << sur

un double mouvement d'attirance et de répulsion, de domination et de

soumission, ou sur un sentiment de désir et d'impuissance, de proximité et de

distance, selon le cas.'' » La dualité fait partie intégrante de la psychologie des

personnages. Toute l'œuvre mandiarguie~e est marquée par h dualité, le

dédoublement et sur « la coexistence de deux univers opposés : le monde

quotidien et le surnaturel ; le réalisme et le fantastique ; les interdits et les désirs ; la

vie végétale, animale ou minérale et la vie humaine ; etc? » Le mouvement

perpétuel de la pensée d'un monde à l'aube est au cœur du processus mythique

qui rejoint le lieu « où toutes les oppositions se rencontrent et s'annulent en se

dépassanf2. »

L'univers fantastique est le lieu de tous les possibles; ce qui permet à

l'auteur de réunir les contrastes les plus surprenants, mais aussi de reprendre les

tabous contemporains et de les utiliser pour leur fonction libératrice. La mise en

scène du tabou dans le récit libère les forces de l'inconsaent et ouvre i'esprit à une

nouvelle réalité. La prédilection de l'écrivain pour les littératures fantastique et

érotique n'est pas fortuite puisque ces genres « participent d'un même désir

d'atteindre à un espace ou à un temps limites, d'atteindre aussi et surtout à la limite

extrême de deux univers.53 » Par l'érotisme noir, soit la mise en scène de situations

érotiques où la violence et même la mort sont présentes, Mandiargues veut

amener ses personnages et le lecteur dans un monde qui sort de l'ordinaire. Menés

David J. Bond, The Fiction of André Pieyre de Mandiargues, Syracuse, Syracuse university press, 1982, p. 69.

Christiane Engel, op. cit., p. 54. 51 Christiane Engel, op. r i t , p. 60.

Annette Tamuly, op. cit., p. 223. a lbid., p. 54.

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par les forces paniques, les personnages prennent la voie de l'excès et de la

violence pour atteindre l'absolu.

La perversité en tant que mobile d'action ne peut donc être jugée suivant les critères habituels, car elle engage profondément l'homme puisqu'elle parvient à le faire se dépasser, perdre toute aainte et braver la mort, terreur qu'utilise la société pour faire respecter les règles qu'elle impose. On ne peut pas plus juger un comportement pervers qu'une attitude amoureuse ou une démarche mystique. Ce qui transpire à l'extérieur de ces expériences ne peut en rien nous permettre d'appréaer leurs résultats sur la personnalité profonde de ceux qui s'y livrent: en ces domaines l'acte n'est rien en soi, tout réside dans l ' intenti~n.~~

Dans l'œuvre mandiarguienne, l'érotisme noir rejoint le mythe parce qu'il

est ritualisé. Le rite fait de la violence un acte porteur de sens. Le lieu, le

déroulement de l'action, les personnages eux-mêmes sont guidés par les forces

d'Éros. Mandiargues utilise le rite car il permet « qu'un acte provoque la résolution

fulgurante des dualismes angoissants : chair et esprit, bien et mal, quotidien et

éternel, animal et divin, relatif et absolu.j5 » Certains personnages de Mandiargues

vivront un rituel initiatique qui leur permettra d'atteindre l'illumination mystique.

Mais ils ne subissent pas tous le même sort. Ceux qui ont échoué l'initiation

retombent dans la vie quotidienne, persuadés d'avoir rêvé.

La désobéissance aux lois paniques, à l'ordre intérieur du mythe, entraîne

inévitablement la perdition des personnages : « s'ils tentent d'entrer par effraction

dans le surnaturel, mus par la curiosité ou par une perversion quelconque, et s'ils

n'y sont pas prédestinés, ils sont détruits, ou souvent, ils s'autodéhuisent n'ayant

pas I'énergie de résister aux forces de l'autre monde? » Mais quelques rares

personnages seront amenés à connaître la fusion de leur être et de i'univers. Pour

ces « élus », le rituel initiatique les mènera jusqu'à l'extase suprême.

Y André Robin, << André Pieyre de Mandiargues ou i'initiation panique D, cf. les îahiprs du Sud, Tome 60, na 383-384, p. 139. " André Robin, op. cit., p. 149. " Christiane Engel, op. cil., p. 86.

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Les réats de Mandiargues suivent le modèle << traditionnel » du rite

initiatique. Dans les cultures dites archaïques, l'initiation constitue un moyen

privilégié pour transmettre la sagesse et la connaissance. Le néophyte est d'abord

amené dans un lieu éloigné du quotidien. Le voyage initiatique débute lorsque le

personnage entre dans le domaine de l'inconnu ou de l'interdit. Il doit alors subir

différentes épreuves, vivre des visions ou même connaître l'extase, afïn d'anéantir

son état antérieur. Car l'initiation marque le passage du profane au sacré ;

l'individu qui réussit le rituel initiatique accède à une nouvelle vie en passant par

une mort, symbolique ou réelle. L'initié devient Autre; après la mort vient la

renaissance. L'expérience vécue lui permet d'atteindre à une nouvelle comaissance

de lui-même et du monde.

5. Le rituel initiatique dans la nouvelle « Le pain rouge » de Mandiargues

Nous retrouvons les prinapales étapes de l'initiation rituelle dans la nouvelle

<< Le pain rouge a tirée de Soleil des loups5'. Un dandy du nom de Pluto Jedediah

vivra l'initiation qui le conduira vers l'absolu. II connaîtra l'éloignement du

quotidien, d'une condition << basse », pour arriver dans un autre monde, non sans

avoir à traverser diverses épreuves, avant de parvenir à l'état d'initié. Dans << Le

pain rouge », le fantastique constitue un des éléments principaux du déroulement

de la trame narrative permettant d'accéder à un monde où tout est possible. La

présence de l'érotisme et de la mort ne s'actualise que vers la fin de la nouvelle,

comme les dernières étapes de l'initiation de Pluto. Le personnage vivra

pleinement la rencontre f u s i o ~ e l l e avec les forces d'Éros et de Thanatos, puisqu'il

parviendra à l'extase suprême.

Le personnage prinapai se révèle au lecteur comme un homme ne

s'intéressant qu'aux basses jouissances avec des femmes éphémères. Il est

irrésistiblement attiré par la déchéance. Et, Iorsqu'il se réveille le lendemain matin,

après avoir assouvi ses instincts, il se retrouve seul : n. À côté de moi, bien entendu,

André Pieyre de Mandiargues Sula7 des loups, Paris, Marabout, 1970,256 p.

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la place était vide où s'était blotti un corps5s D. Sa dernière conquête l'a abandonné,

nu dans des draps sales, après lui avoir dérobé ses vêtements, sa canne et ses

bijoux. Mais la perte matérielle ne dérange pas le personnage ; il possède de

nombreux costumes semblables, autant pour ses accessoires, il avoue même avoir

trois épouses fidèles dans différents lieux de la ville. Ii se dit être un homme en

parfaite santé, et pourtant une impression de manque l'habite. La solitude

demeure.

Pluto doit rentrer chez lui, pourtant il n'arrive pas à sauter en bas du lit. À ce

moment, il découvre un bout de pain que la femme avait déposé dans le tiroir de la

table de chevet. Au matin, le pain s'est transformé : il a désormais un éclat d'un

rouge incandescent. L'homme saisit la pâte lumineuse, mais froide, et la dépose sur

les draps. Il retourne le bout de pain pour voir sortir « d'une cavité de la mie un

essaim de vermines dont le genre [lui était] rigoureusement inconnu.59 »

L'étrangeté de ces phénomènes fascine Pluto. Mais, comme a son habitude, il se

laissera mener par son instinct :

Le démon voulut que par un des gestes d'instinct, et stupides, qui vous prennent quelquefois à la vue de ce qui est chafouin et de ce qui remue, qui vous poussent à tuer sottement ce qui est « une bête », j'écrasai du doigt l'un des petits animaux contre le pain rouge6'.

L'homme se fait piquer au doigt et ressent une douleur assez vive. Alors que,

jusqu'à présent, les changements ne s'appliquaient qu'aux objets extérieurs, à ce

moment, le personnage lui-même sera transformé.

Réduit à la taille d'un insecte, sa façon de voir les aéatures est différente, car

son point de vue n'est plus le même. Tout lui paraît plus étrange encore. Sa nudité

et sa dimension réduite dépouillent le personnage de tout ce qui peut représenter

son état antérieur et profane. L'homme peut commencer son voyage initiatique. Il

fait son entrée dans le domaine de l'inconnu.

Y [bid., p. 105. 59 André Pieyre de Mandiargues, op. cit., p. 108. ' André Pieyre de Mandiargues, op. cit., p. 109.

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Plus curieux qu'effrayé par les pucerons, Pluto va observer les bestioles sur

le pain rouge. À force de les regarder, les pucerons deviennent même familiers à

Pluto. Et bientôt, il est lassé d'être reduit au rôle d'observateur et ressent le besoin

de rejoindre le troupeau. Mais lorsque les bêtes se rendent compte de sa présence,

elles fuient. Car Pluto n'a « nullement perdu ce que vous êtes convenus d'appeler

le prestige de I'homme *, il est << toujours capable de faire peur aux bêtes6I ».

Malgré sa petite taille, la transformation du personnage n'est pas complète, il n'a

pas encore atteint un état « d'égalité N avec les autres créatures de l'univers.

Les pucerons sont des êtres venus d'un autre monde pour inciter le

personnage à entrer dans l'univers fantastique. En poursuivant un puceron blessé,

l'homme découvrira dans la m i e tout un réseau de cavernes où grouille une faune

surnaturelle. Il observe un monde nouveau qui n'a rien de semblable avec son

ancienne vie : « Si bien initié que je sois a la plupart des rendez-vous dandestins et

aux plus saugrenus dessous de la capitale, j'avoue n'avoir jamais pénétré dans un

lieu qui, pour la bizarrerie, put se comparer avec » Le personnage se

retrouve dans un monde hors du temps où le rêve et la réalité sont confondus. Les

multiples grottes ont tôt fait de devenir un labyrinthe pour I'homme. Le labyrinthe

symbolise une descente dans l'inconsaent où l'on peut se perdre63. Malgré la

crainte devant l'inconnu, I'homme reste fasciné par les étranges créatures qu'il

découwe dans les grottes.

Bientôt, le personnage comprend qu'il n'y a plus de retour en arrière

possible, il ne pourra pas retrouver son état antérieur. Le silence qui l'avait

accompagné, depuis son entrée dans le pain, fera alors place << au bruit d'une voix

gutturale, rythmée de tintement. "'» L'incantation fait parüe du rite et elle conduit

le personnage vers les l i e u d'initiation. Pluto découwe dans une petite caverne

trois dockers hindous « figés dans un état de voluptueuse extase, accmupis autour

- - - pp - - -

Ibid., p. 115. " M., p. 118. " Pour rimagerie du labyrinthe et de la grotte, voir Gaston Bachelard, Ln terre et [es réwries du repos. Essai sur les images & l'intimité, Paris, Librairie José Corti, 1992. " André Pieyre de Mandiargues, Soleil des loups, p. 120.

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d'une gesti~ulatrice~~ B. Ii est ébloui par la beauté de la femme qui porte à la fois les

images de l'érotisme et de la violence, car ses faux ongles sont comme « des lames

d'or au bout de ses doigts? » La femme séduisante

amène les hommes à la félicité continue : Il semblait

siècles, et que cela durerait jusqu'à la fin des temps.67 »

pour l'éternité.

et menagante est celle qui

que cela durait depuis des

Éros et Thanatos s'unissent

Le personnage quitte la salle pour prendre un autre comdor, et alors une

vieille femme lui apparaît. La Chinoise ancienne le conduira vers sa propre

initiation. Elle l'entraîne dans une grotte où deux jolies Chinoises l'attendent.

Lorsque l'homme essaie de saisir l'une d'elle, les femmes le repoussent et le

frappent, car eues le destinent à un plaisir bien supérieur à celui de la chair.

L'érotisme de cette rencontre est teinté de violence. Les jeunes femmes vont

l'enduire de cire et de miel pour le livrer à une nuée d'abeilles. Pluto verra d'autres

hommes dans des niches au flanc de la grotte qui sont déjà recouverts par les

insectes. Malgré l'étrangeté de cette vision, il remarque que « le visage de tous les

patients [est] marqué d'une jouissance tellement aiguë que l'expression ne s'en

pourrait comparer qu'à celle d'une sainte surprise au milieu du transport le plus

convulsif.68 » C'est l'extase mystique qui est promise au personnage s'il se laisse

disparaître sous les abeilles6'. Pluto ne sera pas dép en s'abandonnant à la caresse

de l'essaim : a je me découvris au sommet d'une volupté si haute que jamais je

n'aurais supposé pouvoir y atteindre sans mourir. Et je défaillis.'" » La torture des

abeilles est la source de la jouissance extrême. L'homme oublie son corps et son

esprit pour se confondre à la masse des insectes. La communion panique permet

au personnage d'échapper à son individualité; il sent désormais qu'il fait partie

d'un Tout, il s'y perd et s'y retrouve en même temps : c'est l'Unité parfaite.

-- -

" Md., p. 121. 'd Ibid., p. 121.

André Pieyre de Mandiargues, Soleil des loups , p. 121. ' W., p. 125. 6e Notons que ce sont des insectes femelles. " André Pieyre de Mandiargues, Soleil des loups, p. 126.

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Après cette petite mort, le personnage se réveillera à l'aube dans un

ruisseau, habillé de vêtements qui ne lui appartiennent pas. fl est devenu Autre.

Pluto a survécu au rihiel initiatique, car il a suivi la femme (symbole de la

continuité) pour se perdre dans le Tout. Le supplice du personnage a rejoint le

sacré : << nous sommes en plein dans l'univers paradoxal de la vie mystique où ce

qui est douleur devient volupté transcendante, la jouissance suprême pouvant être

destruction." » Encore une fois, Éros s'unit à Thanatos dans la quête mythique de

l'Absolu.

Mais i'aventure mythique n'est pas résemée seulement au personnage. Le

lecteur aussi est amené à vivre un rituel initiatique. Les textes d'André Pieyre de

Mandiargues n'ont pas la reconnaissance d'un vaste public. Cette méconnaissance

peut être due au fait que I'œuvre mandiarguienne est ardue ; elle est à l'opposée de

l'écriture pornographique (fade, directe, évidente). Le lecteur est placé devant de

véritables épreuves dont les difficultés langagières ne sont que les prémisses. Les

textes exigent de nous une ledure attentive et active pour en pénétrer la logique

partidère. Le lecteur doit s'ouvrir au monde fantastique qui se développe sous

ses yeux afin de se laisser envahir par le sens mythique du réat. Il pourra alors, à

son tour, vivre <( i'iilumination W . Cette voie conduit à un chemin qui n'est pas très

fréquenté. C'est sans doute pourquoi il y a peu d'initiés à I'œuvre de Mandiargues

6. Notre démarche en création littéraire

Au fil de notre écriture, nous avons laissé librement apparaître les situations

les plus incongrues que fabriquait notre imaginaire. Et, bien que l'érotisme soit

présent dans certaines nouvelles, il est accompagné invariablement de la mort. Si

bien que Thanatos, plus encore qu'Éros, semble être la pulsion principale qui mène

nos écrits.

Des premiers aux derniers textes, une évolution perceptible s'est produite.

Ce n'est qu'une fois les nouvelles terminées que nous avons pu saisir notre

André Robin, op. cit., p. 146.

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cheminement en création littéraire. Puisant notre inspiration dans des événements

du passé ou notre imaginaire, le thème de la mort s'est rapidement imposé. Nos

réats explorent ses diverses facettes, réelles ou symboliques : son annonce, son

accomplissement, sa résolution; vivre avec la mort. Ce n'est pas uniquement la

fonction destructrice que nous avons présentée dans nos textes mais aussi la mort,

en tant que passage, qui transforme l'être humain et l'amène parfois au-delà de lui-

même, le force à se dépasser, à renaître.

Parti d'une vision presque photographique de la nouvelle, c'est à dire

une série de clichés pris dans l'instantané, révélant les événements crûment, sans

jugements de valeurs, sans point de vue particulier, nous avorts progressivement

introduit des sentiments ou même des justifications pour nos personnages. À notre

sens, cela peut détruire une part du « mystère », essentiel à la nouvelle, mais nous

avons aussi réussi à créer des univers plus tangibles.

En prenant de nouvelles directions, nous avons pu mieux cerner nos

objectifs futurs en création littéraire. Ce qui était d'abord le projet d'une suite de

faits divers (présentés dans un style littéraire distant mais affable, mélangeant ainsi

l'horreur du récit avec la beauté des mots), est devenu un recueil de nouvelles plus

introspectives. Plutôt que d'explorer des situations grotesques issues de notre

imaginaire tordu, nous avons puisé à une source plus profonde, plus personnelle et

sensible. Alors que les premiers textes produits ressemblaient davantage à des

écrits « thérapeutiques u (exorasation des peines, peurs, haines et remords en

rappelant à la vie des moments du passé), nous avons peu à peu îxansposé nos

émotions dans des textes de fictions. Les nouvelles qui semblent tout à fait

étrangères à notre existence sont sans doute les plus révélatrices de notre nature

profonde. Mais n'est-ce pas le cas de toute œuvre littéraire ?

L'écriture est un acte de libération de l'inconscient qui permet une

redécouverte de l'imaginaire, de l'âme. Nous avons tenté, dans la création de nos

nouvelles, d'explorer ces pulsions profondes d'Éros et de Thanatos qui font partie

intégrante de notre imaginaire et de mieux en comprendre le fonctionnement.

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Notre quête personnelle de L'absolu est celle d'une harmonie avec toutes les

composantes de notre âme : espoirs, doutes, peurs, souvenirs, désirs ... Par l'écriture, nous laissons la parole à ces voix multiples qui nous habitent. Elles nous

parlent depuis toujours et ne se tairont qu'à notre mort. C'est pourquoi, comme

toutes les quêtes d'Idéal, notre cheminement correspond au parcours de notre vie.

Il a débuté bien avant nos premiers écrits et, lorsque nous serons rendus à notre

dernier souffle, pourra-t-on vraiment écrire le mot Fin N ?

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Condusion

L'érotisme est une expression fondamentale du désir. Les facettes du désir

érotique sont nombreuses et variées ; de l'a& amoureux et sexuel en passant par

les penrersions, elles ont toutes un but en commun : atteindre l'extase. Bien sûr, la

réalisation du désir n'amène pas nécessairement la volupté suprême. Mais lorsque

deux êtres font de leur rencontre un moment privilégié où ils s'ouvrent à i'autre et

le rejoignent, alors ils peuvent vivre l'intuition de l'acte fusiomel. Par cet état de

fusion, l'homme et la femme se retrouvent dans leur essence même ; c'est chaque

humanité qui se reconnaît dans l'autre.

Pour Georges Bataille, cette rencontre ultime est liée à la violence et la mort,

car la fusion ne peut se faire, selon lui, que par la perte de l'individualité. Dans

certaines de ses œuvres, comme Histoire de l ' cd , les personnages utilisent le

sadisme pour d e r jusqu'au bout de leur érotisme afin de parvenir à une volupté

plus profonde. La torture ou même la mort de l'un des protagonistes devient le

seul moyen d'atteindre une sorte d'absolu, car la passion ne peut réaliser l'état

fusionne1 dans la continuité. L'usage de la violence dans les récits de Bataille, tout

comme chez Sade, semble être le signe d'une crainte de la continuité qui caractérise

l'érotisme féminin, d'où ces fantasmes de domination de la femme que nous

retrouvons dans leurs œuvres.

Sade fut récupéré par le surréalisme, non pas pour l'humiliation qu'il fait

subir à la femme, mais plutôt parce qu'il célèbre dans ses écrits les excès du désir

humain. Pour les surréalistes, la quête de l'absolu était ceile de i'unité de l'homme

avec lui-même et le réel. Même si certaines perversions furent utilisées dans les

écrits de quelques auteurs surréalistes (Xavière Gauthier, dans son ouvrage

Surréalisme et sexualité, l'a parfaitement illustré), pour Breton « Ifamour fou )> sera le

moyen privilégié de tendre vers l'absolu. La rencontre de l'homme et de la femme

rejoint la quête de l'androgyne primordial, car Y autre permet de vivre l'intuition de

l'unité perdue. Pour Breton, l'unité de l'être demeure un idéal vers lequel tend

l'humain sans l'atteindre.

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La quête de l'absolu, lorsqu'elle se fait par l'érotisme, peut rejoindre la mort.

La passion est une pulsion violente qui n'habite les êtres que pour un moment

détefininé. L'amour passionnel ne peut pas durer toujours; il se stabilise, meurt

d'une certaine façon, en devenant un amour plus serein, plus stable. Le désir nous

entraîne vers une quête de la passion éternelle, mais cette continuité n'est pas

possible dans la vie ; elle ne peut se réaliser que dans la mort. Pour se renouveler

dans son éternité, la Vie a besoin de la mort. L'équilibre de l'univers est assuré par

la présence des forces d'Éros et de Thanatos. L'Existence poursuit son cycle

incessant de vie, de mort, de renaissance.

Chaque être sera confronte un jour ou l'autre à sa propre disparition. Cet

aspect fondamental de l'existence humaine se retrouve illustré dans les mythes. Par

les récits mythologiques, nous exprimons nos angoisses métaphysiques. Devant la

mort, l'anéantissement de notre être discontinu, nous imaginons l'atteinte de la

continuité dans une fusion totale avec la Vie. La quête de l'Unité peut prendre

différentes voies. Certains espéreront l'union avec le Tout après leur mort, mais

d'autres voudront la connaître de leur vivant.

Chez André Pieyre de Mandiargues, l'excès marque le parcours de sa quête

de l'absolu. L'outrance du langage se manifeste dans son style d'éaiture

hyperréaüste. Comme nous l'avons démontré, la multiplication des descriptions et

la préasion du vocabulaire utilisé par l'auteur font apparaître le fantastique.

L'insolite et l'étrange des nouvelles de Mandiargues participent au dévoilement du

monde panique, oii les contrastes s'unissent, où Éros et Thanatos se rejoignent.

L'attention au détail et la minutie de l'écriture de Sauteur se manifeste aussi par

l'importance accordée aux lieux où évoluent les personnages. Mandiargues

déforme la réalité pour créer l'espxe mythique. Dans l'wiivers fantastique,

l'espace et le temps diffèrent du réel. Parce qu'ils sont transportés dans le domaine

du mythe, les personnages doivent s'adapter aux lois du monde panique, à la

logique oninque de la nouvelle. Désormais, le temps ne compte plus.

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Par la mise en scène ritualisée des situations érotiques, l'auteur nous

transporte dans la dimension du mythe. Le rituel initiatique permettra à certains

personnages, comme Pluto dans « Le pain rouge B, d'entrer en communion avec

les forces primordiales de l'univers et de vivre Y extase suprême. Le désir d'arriver

à un état d'unité en soi-même, avec l'autre et l'univers est à la base des récits de

Mandiargues. Son œuvre rejoint ainsi les grands mythes de la réunification.

Or, dans les écrits de Mandiargues, le mythe est dynamique, polymorphe ; il

se transforme dans chacun de ses réats' il explore différentes facettes du mythe de

la réunification. Comme nous l'avons souligné, ce ne sont pas tous les personnages

q" parviennent à l'extase suprême, ce n'est là qu'une des manifestations du

mythe. Pour apporter un point de vue nouveau sur le réel, Mandiargues, en plus

d'avoir recours au contraste des pulsions de vie et de mort, fait de la femme son

personnage principal. Elle donne une vision différente par sa sensibilité féminine,

intuitive, irrationnelle même. La femme est celle par qui se concrétise le désir et

celle qui permet à l'homme d'atteindre l'absolu. Symbole de la continuité, la

femme réunit tous les contrastes ; à la fois séduisante et maternelle, la féminité

peut aussi prendre la forme du monstre, de la femme fatale ou de la mort. Il serait

intéressant de faire une étude approfondie sur la place de la féminité dans les récits

de Mandiargues : comment elle s'inscrit dans le monde (panique) et l'imaginaire de

l'auteur.

L'éaihire est un acte révélateur de nos idées, de nos fantasmes, de notre

inconsaent. L'éaiture nous amène aussi à une réflexion sur le sens de notre vie

sans toutefois nous apporter toutes les réponses. Et peut-être est-ce le manque, ce

désir profond de co~aissance jamais comblé, qui nous pousse justement a écrire, à

mettre dans le langage nos angoisses existentielles. L'érotisme en littérature nous

permet d'atteindre cette dimension essentielle de notre imaginaire. Le domaine de

la création littéraire nous permet de domer un sens à nos troubles rêveries en

créant un ordre nouveau. Jean Marcel écrivait justement : L'art et la volupté sont

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les deux seules sphères de l'existence où s'élabore quelque chose qui ressemble

tant soit peu à du sens.72 »

jean Marcel, Fractions 1, Montréal, l'Hexagone (Collection Itinéraires/Çamets), 1996, p. 11.

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BIBLIOGRAPHE

1- Principales œuvres de i'auteu.

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PIEYRE DE MANDIARGUES, André, Bona l'amour et ln peinture, Genève, Skira, 1971,124 p.

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PIEYRE DE MANDIARGUES, André, Mnscarets, Paris, Gallimard, 1971,188 p.

PIEYRE DE MANDIARGUES, André, Les monstres de Bomarzo, Paris, Grasset, 1957, 42 P.

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* PIEYRE DE MANDIARGUES, André, Troisième beluidère, Paris, Gallimard, 1971, 359 p.

II- Ouvrages critiques sur l'auteur, l'érotisme ou le surréalisme

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* BATAILLE, Georges, L'érotisme, Paris, Éditions de Minuit, 1995,306 p.

BATAILLE, Georges, Les lames d'Éros, Paris, Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1978, 123 p.

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BROWN, Norman O., Éros et Thnnntos, Paris, Denoël, 1972,410 p.

* CAMBY, Philippe, L'érotisme et le ~ 1 1 ~ ~ 6 , Paris, Albin Michel, 1989,248 p.

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* FOREST, Philippe, Le mouvement surrkaliste, Paris, Vuibert, (Thémathèque/Lettres), 1994,148 p.

* GAUTHIER, Xavière, Surréalisme et sexualité, Paris, Gallimard, 1971,381 p.

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* ROUGEMONT, Denis de, Lamour et l'Occident, Paris, Éditions 10/18,445 p.

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* SPADA, Marcel, Érotiques du mmeilleux, Paris, Librairie José Corti, 1983,280 p.

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* TAMULY, Annette, Le surréalisme et le mythe, New York, Peter Lang, 1995,285 p.

III- Articles et textes courts

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BARONIAN, J.B., Les pouvoirs de l'imagination », cf. Soleil des loups, d'André Pieyre de Mandiargues, Paris, Marabout, 1970, p. 252-256.

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CLERVAL, Alain, André Pieyre de Mandiargues, un érotique baroque », La Nouvelle Reuue Française, no 224 (août 1971), p. 78-81.

FONYI, Antonia, Nouvelle, subjectivité, structure », Revue de littérature comparée, n04, (O&-déc. 1976), p. 355-375.

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RICARD, François, « Le recueil », Étude~frnn~aises, vol. 12, no 1-2, (avril 1976), p. 113-133.

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SELZ, Jean, << Pieyre de Mandiargues ou l'esthétique de la représentation ~3, les Lettres nouvelles, no 56, (jan. 1958), p. 102-108.

IV- Autres ouvrages

APOLLINAIRE, Guillaume, Les onze mille verges ou Les amours d'un hospodar, Paris, France Loisirs, 1994,127 p.

BACHELARD, Gaston, L'Eau et les Rêves. Essai sur Z ' imet ion de la matière, Paris, Librairie José Corti (Le Livre de Poche), 1994,221 p.

BACHELARD, Gaston, LA terre et les rêwmies du repos. Essai sur les images de 2 'intimité, Paris, Librairie José Corti, 1992,339 p.

BARTHES, Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1970,247 p.

BATAILLE, Georges, Histoire de Paris, Gallimard, 1993,114 p.

* BATAILLE, Georges, Euores complètes (ém'ts posthumes 1922-1 94O), vol. 2, Paris, Gallimard, 1970,461 p.

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* BAUDELAIRE, Charles, Les Fleurs du Mnl, Paris, GF-Flammarion, 1991,371 p.

BRETON, André, Nadja, Paris, Gallimard, 1975,158 p.

* CAMUS, Albert, Noces suivi de L'été, Paris, Gallimard (Le Livre de Poche), 1959, 190 p.

* CÉLINE, Louis-Ferdinand, Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard (Folio), 1994, 505 p.

* CHAMENA, Roland, directeur, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Larousse, 1995,356 p.

* CLAVET, André, Voyage d'hiver, Montréal, Expression, 1991,245 p.

DEFORGES, Régine, Contes pervers, Paris, Le Livre de Poche, 1998,185 p.

DUCASSE, Isidor, comte de Lautréamont, Euvres complèfes, Paris, Garnier- Flammarion, 1969,307 p.

FREUD, Sigmund, Totem et tabou, Paris, Payot, 1965,186 p.

* GARY, Romain, La vie devant soi, Paris, Gallimard (Folio), 1994,274 p.

* MARCEL, Jean, Fractions 1, Montréal, l'Hexagone (Collection Itineraires/Camets), 1996,175 p.

* POMPIDOU, Georges, Anthologie de la poésiefranpise, Paris, Hachette (Le Livre de Poche), 1992,576 p.

PONTBRIAND, Jean-Noël, Écrire en atelier ... ou ailleurs, Montréal, Éditions du Noroît, 1992,106 p.

* PONTBRIAND, Jean-Noël, L'écriture comme expérience. Entretiens avec Michel Pleau, Québec, Le Loup de Gouttière, 1999,139 p.

RÉAGE, Pauhe, Histoire d'O, Paris, Jean-Jacques Pauvert (Le Livre de Poche), 1976,312 p.

REY, Française, Nuits d'encre, Paris / Laval, Spengler / Guy Saint-Jean Éditeur, 1994, 112 p.

REYES, Aha, Le boucher, Paris, Seuil, 1988,89 p.

S ACHER-MASOCH, Léopold, Ritter von, ki Vénus à la foumue, Paris, Éditions de Minuit, 1%7,275 p.

SADE, Donatien A. F., Marquis de, Les cent vingt journées de Sodome, cf. Euvres complètes du marquis de Sade, Tome 1, Paris, Cercle du livre précieux, 1966,572 p.

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SADE, Donatien A. F., Marquis de, Iustine ou Les malheurs de la vertu, Paris, Gallimard (L'Imaginaire), 1994,443 p.

' TOURMER, Michel, Vendredi ou Les limbes du Pnnfque, Paris, Gallimard (Folio), 1992,283 p.

XAVIÈRE, La punition, Paris, Librio, 1998,93 p.

N. B. : Les ouvrages précédés d'un astérisque (*) sont atés dans ce mémoire.

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Petites morts

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c La vérité de ce monde c'est la mort. »

Voyage au bout de la nuit, Céline.

li ne me piait pas de croire que la mort ouvre sur une autre vie. Elle est pour moi une porte fermée. D

Noces, Camus.

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Petites morts

Je ne solihite encore point mourir. Mais quand mes yeux je sentirai tarir,

-Ma voix cassée, et ma main impuissante,

E t mon esprit et1 ce mortel séjour Ne potivant p l l ~ s montrer signe d'amante : Prierai la Mort noircir mon plus clair jour.

« Sonnets », Louise Labé.

Je venais d'avoir quatre ans lorsque mon grand-père est mort. Je n'oublierai

jamais le jour où il m'a dit que j'étais belle. C'était la première fois qu'on me faisait

ce compliment. Auparavant, je n'aurais même pas pu imaginer qu'on puisse me

trouver jolie ... J'aurais voulu sauter au cou de mon grand-père et l'embrasser, mais

j'ai eu peur. Il me paraissait si vieux et fiagile, douloureusement penché sur sa

canne. Pardonne-moi de ne t'avoir jamais dit «Je t'aime D. Ce n'est pas seulement

mon grand-père qui est mort cette année là, mais aussi, d'une certaine façon, mon

premier amour.

L'amour est une histoire qui finit mal.

Je n'ai pas de souvenir de son enterrement. J'ai même oublié l'emplacement

de sa tombe, et je ne veux pas la retrouver. Quand je veux voir mes morts, je

ferme les yeux. Tous ceux que j'ai aimés remontent dans ma mémoire. Ils viennent

errer parfois dans les niines de mes souvenirs. Ils me font grincer des dents ou

bourdonner les oreilles.

Sitôt sortie des eaux maternelles, mes parents auraient mieux fait de me

jeter dans la rivière Chaudière. Je me serais laissé couler tranquillement. J'aurais eu

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assez de ce semblant d'existence, passant d'un ventre chaud à une mer froide ; je

n'aurais pas eu le temps d'avoir peur ou mal.

Enfant, j'ai osé poser à mon père les seules questions qui m'importaient :

« Où est-ce qu'on va quand on meurt ? Est-ce que ça fait mal de mourir ? f i . Il ne le

savait pas. J'avais même l'impression qu'il avait peur de mes interrogations. Trop

sérieuses ou trop tristes. Je lui paraissais inutilement rêveuse.

Peu à peu, la distance entre mon père et moi est devenue infranchissable. Ii

ne m'appelait plus son ourson, n'osait même pas m'embrasser ou me prendre

dans ses bras. Je ne lui parlais plus de mes rêveries ; je m'habituais à vivre sans sa

tendresse. Mes peurs ou mes doutes, je les gardais bien caches, tout au fond de

mon être, pour ne pas l'effrayer davantage. Ils se sont entassés dans un repli de la

mémoire, bien loin des pensées quotidiennes. J'en étais venue à presque oublier

leur existence jusqu'au jour où ils ont refait surface, sans prévenir.

Ces idées sombres sont revenues un soir, alors que je gnffomais sur du

papier. Je ne les ai pas reconnues tout de suite, et j'ai essayé de les retourner d'où

elles venaient. Mais elles étaient plus puissantes que ma volonté. Acculée à une

page blanche, je n'avais pas le choix. C'était elles ou rien. Je n'aurais pas cru que

l'écriture aurait ramené autant de souvenirs douloureux avec les mots.

L'écriture, c'est l'isolement, en compagnie de mes folies oubliées, tout

empoussiérées, gluantes d'oubli, grelottant dans un coin de mes souvenirs. Je me

rappelle mes frayeurs d'enfant. Elles ont le teint jauni, des poils gris couvrent torse

et menton. Comme de vieilles femmes, les seins pendants, elles radotent et

s'embrouillent facilement. Je les regarde alors qu'elles se blottissent les unes contre

les autres. Je ne les distingue pas toutes. Certaines restent cachées sous des draps

de laines mangés par les termites, d'autres ont une peau noire aux reflets bleus,

intriguants. Morbides. Elles ont des têtes lugubres, à moitié chauves ; des cheveux

arrachés traînent par terre ... Et des flaques de sang encroûtent le sol. Je les regarde

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du coin de l'œil pour ne pas les effrayer. Ces vieilles peurs peuvent-elles encore

avoir une emprise sur moi ? Elles semblent si faibles pourtant ...

Je n'ai jamais eu peur de la mort, même lorsque j'ai appris que ma mère

n'allait pas survivre à son deuxième cancer. C'était sa soufhance qui me faisait

trembler le soir, quand je me retrouvais seule dans mes pensées.

Je revois la diambre de mes parents. Ma mère agonisante sur le lit. Les

rideaux dos. L'odeur étouffante de son mal. À chaque fois que j'essayais de me

faufiler hors de la chambre, elle m'accrochait du bout des doigts, me mettant la

peau à vif. Comment lui dire qu'à chaque fois qu'elle me touchait, le cœur me

levait ? J'étais effrayée par son teint pâle, sa peau jaune, ses yeux gris et ternes. Elle

me faisait penser à ces monstres que l'on voit dans les films d'horreur. Mais elle

était bien réelle. J'essayais de m'éloigner. J'avais peur que la maladie, affamée par

ce corps amaigri, vienne me p g e r à mon tour.

Si je ne suis pas morte en même temps que ma mère, j'ai pourtant

l'impression d'avoir gardé en moi un peu de son mal. Mon cancer se développe

plus lentement, sournoisement. Comme une ombre, je sens toujours la mort qui

me suit de près. Je revois sans cesse le visage de ma mère qui powrissait vivante.

Sa maigreur absolue, son épiderme jaunâtre et ruisselant de sueur entre les lignes

creusées de la maladie. Elle est morte avant sa mort. Cadavre à découvert. J'étais

terrifiée par les spasmes qui la faisaient grimacer de douleur. Comment imaginer

ce qui la mangeait, sans frémir ? Je ne pouvais pas la secourir. Mes mains étaient

hop petites, impuissantes.

Ma mère est la seule personne qui m'a véritablement aimé sur cette terre. Et

je rai adoré plus que tout au monde. Mais la Vie ne m'a laissé que la mort en

héritage. Je sais bien que je n'y survivrai pas. On n'échappe pas à son Destin. Et le

seul moyen que je connaisse pour léguer ce sombre fardeau est de le transmettre

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par l'éuiture. Je mettrai au monde des enfants mort-nés qui auront une vie

presque éternelle.

Plusieurs années se sont écoulées depuis le décès de ma mère. Je ne peux pas

m'empêcher de penser ii l'état de son corps sous la terre. Je me vois, courbée dans

la fosse, pour fouiller sa tombe. Je sais bien qu'il ne doit plus rester que des os,

mais j'imagine tout de même plonger mes mains dans ses chairs putréfiées,

chaudes et collantes sur les doigts, comme une pâte qui n'est pas assez cuite.

Dans ie ael rouge du soleil agonisant, j'ai l'impression de me retrouver dans

un champ de bataille. Le sol bosselé du cimetière est recouvert de cadavres

sanglants. Et je me regarde, enfant, marcher tant bien que mal parmi les charognes

raides ou pourrissantes. Le pied s'embourbe au creux d'un ventre ramolli,

trébuche entre des doigts tordus; la main glisse sur des ainières gluantes,

s'enfonce dans les orbites vides. Je me barbouille des saletés de la mort. l'avance

plus péniblement qu'au milieu du blizzard, sur un terrain vacant, perdu en pleine

campagne.

Je n'arrive pas à me débarrasser de ces images cauchemardesques qui me

hantent. La mort me suit partout comme une deuxième peau. J'ai fait mon deuil de

la vie. Il ne me reste qu'à crever, et qu'on en parle plus !

Et puis, non, je ne serai pas lâche ! Je ne veux pas m'abandonner tout de

suite au trépas. Je ne ferai pas des tentatives de suicide, par désespoir, qui ne

mènent à rien. Ridicule. Le jour où je mourrai, je le ferai par choix. Luadite. C'est

dans l'eau glacée que je trouverai la paix. Un vol plané du haut d'un pont suivi Qi

plongeon sec dans le fleuve. Si le dioc ne m'arrache pas la vie, alors les flots le

feront. Je ne sais pas nager. Je ne l'ai jamais appris, et je ne veux pas Y apprendre.

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Accablé ak paresse et de mélancolie, Je rêue dans un lit où je suis fagoté,

Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté, Ou c m m e un Don Quichotte en sa mornefolie.

(c Le paresseux », Marc-Antoine de Saint-Amant.

Tu restes étendue, engourdie sur ton lit. Immobile dans tes draps emmêlés.

Tu es seule, comme toujours, depuis si longtemps ... Un soupir s'échappe de

ta bouche. Les bras relevés au-dessus de ta tête, tu regardes vers l'unique fenêtre

aux vénitiennes fermées. Une lumière diffuse, presque orangé, pénètre dans la

pièce. Tu as l'impression que l'air aussi prend cette couleur; comme si tu étais

soudainement plongée dans un bocal teinté. Toute ta vie se résume ici, dans ta

chambre close.

Tu as toujours préféré ne rien voir de ce qui se passe dehors. Tes murs

couverts d'images ferment ton horizon. Des paysages de Monet et Bierstadt, des

portraits de Bouguereau, des photos de Gérard Philipe: les seules beautés du

monde. Presque plus de blanc. Tu as comblé le vide. Tu es bien. Rien de menaçant

autour de toi.

Tu ramènes tes couvertures sous ton menton. Tu pourrais passer le reste de

tes jours couchée, ie regard tourné amoureusement vers ces images qui te plaisent.

Tu demeurerais doisomée, volontairement.

Il faudrait que tu sortes pour prendre un peu d'air, ou au moins ouvrir ta

fenêtre ... Tu ne sens plus i'odeur de renfermé qui t'entoure et te colle a la peau,

comme un livre oublié à la cave empeste le moisi. Tu devrais sûrement voir plus de

gens, ne pas t'enfermer comme ça dans ton monde. Mais tu détestes les

conventions. Sourire et discuter te demande tellement d'efforts ... C'est une torture

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que tu ne veux pas t'imposer. Tu refuses d'arborer le masque hypocrite de la

bonne humeur alors que tu es morose. Tu boudes, tu te tais. Et tu sens bien que les

gens te détestent de leur montrer tes peines ou ta douleur.

Tu ne sais pas vivre, hi ne le sauras jamais.

Tu voudrais que plus rien ne t'atteigne. Que les murmures des autres ne se

referment plus contre toi. Rester indifférente à ce qu'ils peuvent penser ou dire ... Et

si tu n'étais pas normale ? Es-tu vraiment la seule qui ne sache pas comment se

conduire en société ?

Est-ce tellement étrange de ne pas apprécier la compagnie des humains ? Ils

finiront pas te faire sentir coupable d'aimer la solitude. Tu voudrais oublier tout ce

qu'on t'a appris : les choses à faire et celles qui ne se font pas, les bonnes manières

qui devaient faire de toi une personne civilisée, sociable. Échec pitoyable !

Tu te revois, enfant, les mains posées sur tes oreilles, les yeux fermés, la

moue boudeuse : tu détestais lorsque des gens envahissaient la maison. Ils

voulaient te toucher, te faire rire, mais tu ne supportais pas d'être si près d'eux. Ils

étaient trop bruyants, trop joyeux, et Fa t'enrageait davantage. Tu n'avais pas

besoin de ces personnes. Tu t'amusais très bien toute seule. Alors, tu fuyais dans ta

chambre ou allais te cacher au sous-sol. Tu ne désirais qu'une diose : passer

inaperwe. T'envoler dans un souffle discret, te faire oublier complètement. Les

choses n'ont pas changé avec le temps ; tu préfères encore te retirer loin des autres,

blottie dans tes états d'âme.

Tu voudrais te perdre complètement dans tes pensées, rester chez toi toute

la journée en oubliant les gens autour qui bougent et s'agitent bruyamment : les

vivants n. Tu voudrais tant cp'ils disparaissent pour un moment ... Retrouver le

calme pesant de ton esprit. Tu fermes les yeux : c'est déjà mieux. Tu t'enfonces des

bouchons de cire dans les oreilles : c'est presque parfait. Un grondement sourd,

comme des vagues, résonne dans ton crâne. Tu penses a cette phrase merveilleuse

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de l'écrivain Céline qui représente si bien ta vie : M Être seul c'est s'entraûier à la

mort. »

La mort ne t'a jamais fait peur.

Tu n'es pas de celles qui manifestent son besoin d'affection aux hommes. Tu

les ~aiçses t'approcher. Tu te donnes le temps de voir s'ils te plairont, s'ils savent

t'émouvoir. C'est à e u de prendre ta main, de te dire qu'ils t'aiment, de coller

leurs lèvres aux tiennes. Tu ne cherches pas à conquérir. Tu ne t'intéresses qu'à

ceux qui s'intéressent à toi. Et plus ils seront loin de toi, plus ils t'attireront. Tu

construis tes amours sur des illusions. Et hi demandes ensuite pourquoi tu es

toujours déçue ...

Tu repousses ton ourson en peluche et te lèves douloureusement. Le corps

engourdi de sommeil. Tu te regardes dans le miroir. Sans trop savoir si tu dois te

trouver belle ou laide. De loin, d'un coup d'cd rapide, dévêtue, tu pourrais te

trouver séduisante, coquine. Tu imagines qu'un homme se cache dans ta chambre

et te regarde en train de te livrer à ces jeux d'adolescente devant la glace. Presque

coupable. Tu rougirais. Tu te sens excitée, hi croises et serres les jambes, les bras

soudainement repliés sur tes seins trop gras qui débordent, charmeurs, de tous

côtés. Tu feins Y innocence et tu voudrais être surprise.

Viol presque volontaire de ton intimité : être prise au moment ou tu fais

semblant de ne pas t'y attendre. Dans le regard de l'autre, ne plus représenter

qu'une femme nubile et ingénue, un peu forte mais fragile aussi, belle et gracieuse

par cet indéfinissable manque d'assurance. Tu t'offres à ton miroir comme une

proie facile ... Très vite, ta beauté s'efface, tes charmes éclatent comme des billes de

verre et te voilà de nouveau incertaine. Tu doutes de tout, surtout de toi. Tu te sens

laide à mourir.

Tu imagines qu'un jour pourtant, dans le regard d'un homme, tu seras belle.

Il est là, dans tes rêves. Ii osera venir te chercher, te brusquer dans ton attente et te

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forcer à le suivre. Se doutera-t-il du pouvoir qu'il aura sur toi ? Ii suffira d'un seul

mot de sa part pour que le doute n'existe plus.

Tu restes immobile dans la vie, passive, en espérant que l'amour vienne te

chercher. Tu rêves trop. Tu rejettes la responsabilité de ton éventuel bonheur sur

les épaules de ce pauvre homme qui n'existe pas encore. .. Tu gaspilleras donc toute

ton existence à courir après des illusions !

Tu continueras d'attendre sur ton lit, solitaire, jusqu'au jour de ta mort.

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Prière d'une femme trop âgee

Si Madame Rosa était une chienne, on l'aurait déjà épargnée mais on est toujours beaucoup plus gentil avec les chiens qu'avec les personnes humaines qu'a n'est pas permis de faire mourir sans souffrance. »

LP vie devant soi, Romain Gary.

Le visage de ma grand-mère n'est plus le même. Elle qui a toujours

ressemblé à une belle pomme, avec ses joues rondes et rosées, ses yeux pétillants,

voilà qu'elle me fait penser à ces femmes affamées dans les camps de

concentration. La vieillesse l'a grugée de partout. Je ne vois plus que ses os.

Méconnaissable. Pourquoi faut4 que la mort donne cet air morbide pour

s'annoncer ? Le corps de grand-maman tombe en décrépitude. Sa peau flasque ne

retient presque plus de chair et pend lamentablement sous les bras. Même ses seins

ont disparu. Est-elle encore une femme ?

Je me souviens de sa bonne humeur, de son rire angélique. Elle gardait une

fraîcheur d'esprit étonnante pour une femme de sa génération. Rien à voir avec les

bigotes qui égrènent leurs chapelets dans la noirceur ou sur des bancs d'église. Elle

me parlait de ses rêves d'autrefois, alors qu'elle aurait voulu être hôtesse de l'ait et

faire le tour du monde. Au lieu de cela, elle s'est retrouvée prise entre les liens du

mariage, saaifiant ses espoirs pour faire le bonheur des autres. Mais elle ne

regrettait rien. Elle me regardait grandir et Ca la rendait heureuse.

Grand-maman était amoureuse de la vie. Jamais je ne l'avais vu se

décourager devant les petits ou les grands drames de l'existence. Jusqu'à ce qu'elle

se retrouve malade, diminuée, apeurée dans un monde qui lui est devenu

étranger. Je voudrais tant la protéger de ses peurs, la rassurer par ma présence.

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Je ne peux plus d e r voir grand-maman sans pleurer. Elle ne méritait pas de

connaître des jours aussi difficiles. C'est trop bête ... Elle s'est dévouée comme une

sainte pour les autres, s'épuisant à faire le bonheur, s'oubliant pour ne penser qu'à

eux ; et, au bout du compte, au bout de sa vie, elle n'aura pas eu ce qu'elle désirait

profondément : une mort paisible et douce, entourée de sa famille. Pourquoi la

vieillesse s'acharne sur son corps ? Pourquoi la vie s'accroche encore ? C'est injuste

de vivre uniquement pour souffrir.

Quand j'entre dans sa chambre, je la vois douée au lit, la bouche ouverte, les

yeux mi-dos, et si ce n'était de ce râlement qui siffle dans sa gorge, je croirais

qu'elle est morte. Et j'en serais soulagée. Quand je vois la vieillesse qui la détruit a

petit feu, je me dis que la mort est la plus belle chose qu'elle puisse attendre de la

vie. Parfois, je voudrais avoir le courage de m'approcher lentement du lit, prendre

l'oreiller pour l'étouffer et mettre fin à ses peines.

Je la regarde dormir, les doigts mspés sur le montant du lit en métal,

comme si eile avait peur de tomber. Prisonnière de ses cauchemars. Je touche

légèrement sa main et je reste surprise par le contact glacé. Naguère, ses paumes

étaient brûlantes; eile me réchauffait toujours les doigts, mais maintenant ses

mains restent froides. C'est la Mort qui entre à petits pas. Qu'est-ce qu'Elle attend

pour l'achever ?

Je la sors de son sommeil avec regrets. Sa réalité est si auelle. Elle ne me

reconnaît pas tout de suite, eile oublie même parfois qui je suis au bout de dix

minutes. Je me souviens qu'elle aimait tant parler ; elle avait ce don, que je n'ai pas,

de toujours alimenter la conversation. Jamais de vide ni de moments

embarrassants, d e racontait une anecdote sur sa famille, sa journée, ou tout

simplement me demandait de mes nouvelles. Mais maintenant, elle n'a plus le

cœur de jaser. Le simple fait de parler lui est pénible.

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Elle respire difficilement, comme une asthmatique. Je vois remuer sa langue

entre des lèvres sèches. Elle ne mange plus que par petites bouchées, avale à peine

un peu d'eau. Ses forces ont M son corps mourant. Je n'arrive plus a retenir son

attention bien longtemps. Elle se tait de longues minutes, immobile; elle semble

être retournée dans ses rêves. Ou, alors, elle me parle de son passé, comme si

c'était le présent, en me montrant le mur vide.

Regarde mes enfants d'école. Yén a encore un qui est arrivé m retard pour la classe et ça

dérange tout le monde. Qu 'est-ce que je vais faire de lui ?

Faux problèmes de ses souvenirs. Je tente malgré tout de la ramener vers le

réel. Je lui parle de mon travail, mes études, mes chats ... Mais elle repart sans cesse

à la dérive.

Papa a tué le p matou brun ce matin ... Le petit chétif fera pas long fac si çu continue, y boîte pas mal, as-tn vu ?

Aie !Va4 'en de là ! Marche !

Elle panique, secoue ses bras pour chasser une bête invisible qui se promène

sur son ventre. J'essaie tant bien que mal de la rassurer. Je pose ma main sur sa

tête, flatte lentement ses cheveux ; je lui dis que tout va bien. Mais son visage trahit

ses craintes. Je me sens inutile à ses côtés. Ce n'est pas moi qui peux la soulager de

ses hantises. Je ne peux pas lui faire oublier sa solitude, ni même enlever

complètement ses peurs imaginaires. J'aurais tant voulu qu'elle soit heureuse

jusqu'aw demiers moments. Et surtout qu'elle meure doucement dans son

sommeil comme une fleur qui se fane pendant la nuit.

Mais la vieillesse a ravagé la grand-mère que j'aimais tant. Elle a perdu sa

dignité. On lui a mis la couche aux fesses comme un nourrisson ou une folle. Elle

est aussi vulnérable qu'eux, mais souffre davantage.

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Et maintenant qu'elle se retrouve immobile, paralysée par cette chute qui lui

a brisé les hanches, c'est encore pire. Je n'aime pas ses fuites dans le passé, même si

c'est le seul endroit où elle peut d e r à présent. Elle garde des bouts de lucidité,

trop rares, et me demande tout à coup des nouvelles d'un ami. Mais son vague

sourire s'efface bientôt, dès qu'elle pense à son existence. Elle pleure parfois en me

racontant son ennui à rester dans sa chambre toute la journée. Ses larmes me

chavirent .

]'pensais jamais qw 'ce serait si dur de vieillir.

Depuis toujours, c'est eile qui me consolait. Les rôles à présent sont inversés.

Je voudrais la faire rire, mais je me sens impuissante à lui faire oublier ses misères.

Elle se sent abandonnée, seule au monde puisque ses frères et sœurs sont déjà tous

morts. Elle qui était l'aînée de quatorze enfants, qui les a élevés autant que leur

mère, elle aura fini par tous les enterrer.

Je n'aime pas la voir dépérir. Je l'ai connue si vivante et chaleureuse, pleine

de bonté pour ceux qu'elle aime. J'aurais préféré garder cette image en moi, plutôt

que celle d'une moribonde sénile. Ce qui la fait le plus souffrir, c'est la dépendance :

cette impression de ne plus être utile. Et ça me fait pleurer quand je vois qu'elle

tente de se relever pour m'offrir à manger. Elle se croit encore dans sa maison. Je

la rassure, lui dit que j'ai déjà soupé, que je n'ai besoin de rien.

Son regard s'est tourné vers l'intérieur. Elle n'est plus consciente de ma

présence à ses côtés et marmonne des prières.

Mon Dieu, venez me chercher, j 'suis prête. M'avez- Vous oublié ?

Bonne Sain te Vierge, Venez me secourir.. .

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Elle a fait des saaifices toute sa vie, et voilà sa récompense ... a Il faut bien

porter sa croix », me disait-elie avant. La Foi reste sa seule consolation. Je ne <rois

pas en Dieu, mais, juste pour elle, je voudrais que le Paradis existe.

Quand je la quitte, elle veut m'embrasser. Eüe me dit qu'elle m'aime et elle

voudrait que ça dure toute la vie. Mais l'amour, ce n'est pas éternel. La mort a

toujours le dernier mot.

Je l'entends qui parle toute seule même lorsque j'ai quitté la chambre. Des

frissons me courent dans le dos tandis que j'essuie mes yeux mouillés.

J'espère que je vais mourir jeune.

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L 'innocence

L'homme est rrn apprenti, la dorilerlr est son mnître, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souflmt.

« La nuit d'octobre », Alfred de Musset.

« L'enfance est le temps de l'innocence ».

Il faut être un parfait imbécile pour croire une telle absurdité! Comment

peut-on comparer les enfants à de petits anges, alors qu'il s'agit de créatures

fourbes, amelles et hypomtes ! On parle trop de la fragilité des gamins et on oublie

leur méchanceté. Oh, bien sûr, les adultes ne sont pas mieux, mais au moins on d a

jamais prétendu le contraire !

Les jeunes d'aujourd'hui sont pires que tout : vicieux à l'os. Les futures

putains se ramonent avec le premier bâton qui leur tombe sous la main, tandis que

les garçons, quand ils ne jouent pas à « touche-pipi », enculent le chat du voisin.

Ces petits morveux, qui jouissent avant même de savoir le nom de la personne qui

leur tripote les parties, me font horreur. Et quand ils ne cherchent à se faire jouir,

ils s'occupent à s'entre-tuer. C'est la génération de l'Apocalypse. La fin du

millénaire doit leur monter à la tête. ]'ai l'impression d'être entouré de milliers de

Erzsébet Bathory et de Caligula en puissance.

De mon temps, les gamins étaient différents, mais pas moins cruels. Je n'ai

pas eu d'enfance; je ne connais rien de ses histoires mièvres que certaines

personnes racontent sur leur passé. Ma jeunesse fut marquée par la mort. J'étais

trop lucide pour être innocent. Je n'étais obsédé par aucune activité lubrique. Mon

père est décédé quelques semaines avant ma naissance, et tandis que mes ondes

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partaient à la guerre se faire massacrer, mes tantes se tuaient à petits coups de

vodka ou, plus radicalement, en se jetant en bas d'un pont. Ii ne se passait pas une

année sans que le deuil ne frappe ma famille. Un peu comme si j'avais grandi dans

un camp de concentration, mon esprit s'était habitué à survivre aux morts qui se

succédaient autour de ma petite charogne. C'était la vie qui me semblait anomale.

Je me rappelle de nombreuses promenades lentes et boueuses dans les

cimetières. Les heures d'attente, interminables, debout devant une tombe

semblable à tant d'autres. Je tremblais de froid dans mes bottines mouillées. Le

curé marmonnait ses prières en latin, la tête penchée. Les sombres adultes, penchés

autour du trou noir, empestaient la sueur. Je devais aussi supporter leur mauvaise

haleine quand ils se penchaient sur moi pour m'embrasser ou me murmurer des

mots si bas que je ne comprenais rien. Les pleurs de ma mère mouillaient son voile

noir et sa main glacée serrait la mienne. Je me disais : « froide comme un cadavre >>

et ça me dégoûtait. Des poignées de terre roulaient sur le cercueil dans un bruit de

grattement, comme si le cadavre essayait de sortir de son trou. J'aurais voulu me

sauver pour qu'il ne puisse pas m'attraper, mais ma mère me retenait solidement.

Condamné à rester en compagnie des morts.

Je passais presque tout mon temps seul avec ma mère. Dans la maison, des

chandelles brûlaient constamment sur la cheminée, juste a côté des nombreux

portraits de nos «chers défunts ». J'ai toujours vu ma mère habillée en noir,

passant ses journées au salon, les rideaux pourpres tirés pour ne pas laisser

pénétrer le soleil. Il régnait dans chaque pièce une odeur de poussière et de suif.

Tout semblait figé, comme dans un cauchemar. Le moindre objet devait toujours

rester exactement au même endroit. Enfreindre cette loi, c'était s'exposer à en subir

les conséquences. Deux séjours à la cave, abandonné pour quelques heures,

complètement nu dans la noirceur humide, me domptèrent pour de bon. Ma mère

ne sortait plus que par nécessité : faire des achats pour survivre, der à quelques

enterrements pour vivre. Elle nous faisait porter le deuil à nous en étouffer.

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Lorsque j'allais dans ma chambre pour jouer, je ne devais faire aucun bruits

afin de ne pas troubler les morts autour de nous. Je m'amusais en silence, les yeux

fixés au mur comme sur un écran de cinéma, et j'imaginais les trépassés qui

sortaient de leur tombe, le corps mou et sale. Je n'avais pas peur de ces morts

chimériques, j'en faisais mes compagnons de jeu. Eux aussi gardaient le silence.

Nous nous comprenions parfaitement. Je souriais en les imaginant faire tout ce qui

m'était interdit : voler des pommes au verger, donner un coup de pied à ce chien

qui essaie toujours de me mordre la cheville, gifler ma mère ... J'aurais tant voulu la

brusquer pour qu'elle sorte de ses deuils et revienne enfin à la vie. Mais je n'osais

pas.

Grandir avec la mort tue toute initiative. Je vivais dans le silence, la noirceur

et l'immobilité. Interdit de courir ou de crier, impossible de N e ou même de

chanter. Ma mère écrasait le peu de vie qui restait en moi. Ce n'était pas par

méchanceté ; elle voulait tellement que je devienne comme mon père : doux,

taatume et docile. J'étais son petit homme, le seul de la maison. Je ne pouvais pas

lui échapper. Elle me caressait la tête, m'embrassait le front et me faisait jurer de ne

jamais changer ni de la quitter. Et, moi, sottement, j'acquiesgais. Ça h i faisait

tellement plaisir. C'était les seuls instants où je la voyais sourire.

Ma mère parlait peu. Elle rêvassait surtout, mais lorsqu'elle me demandait

de m'asseoir dans le grand fauteuil de cuir brun (celui de papa, bien entendu),

c'était pour me raconter les moments de sa vie conjugale. Elle regardait le portrait

de mon père accroché au-dessus de la cheminée et tournait son jonc autour de son

doigt tout en me parlant. Les gens tranquilles n'ont pas d'histoires, si bien qu'elle

me racontait à peu près les mêmes événements à chaque fois: sa première

rencontre avec mon père et le jour de leur mariage SOUS la pluie battante; les

incidents de ma naissance; les multiples emplois que mon père ne gardait pas

longtemps et puis, surtout, le jour de sa mort, écrasé sous une machine. À chaque

fois qu'elle me racontait cet accident tragique, la scène devenait plus sordide et

sanglante : elle ajoutait des détails sur les souffrances de mon père ou l'état

lamentable de son corps broyé par le déchiquetem.

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Dès mes premiers jours de classe, mon éternel costume noir, mon teint

livide et mon corps maigre à casser ont tout de suite attiré le ridicule. Si ma vie à la

maison puait la mort, celle à l'école sentait comme ie soufre de l'Enfer. Les autres

gamins s'amusaient constamment à mes dépens. Ik m'attendaient après les cours,

juste à à sortie, pour être certains de ne pas me manquer. Je n'avais pas d'amis

pour me protéger, sauf mes fantômes. Et mes menaces de les envoyer hanter mes

tortionnaires ne m'attirèrent que plus d'ennuis. La moindre des bêtises dont ils

m'accablaient était de dénaturer mon nom en m'appelant << Trouduc' ... )>. Le plus

souvent, ils me traitaient de fou, de crotté ou d'orphelin. Je les laissais faire, je les

laissais dire. Et mon indifférence face à leurs moqueries les enrageait davantage.

Avec le temps, ils en vinrent finalement aux coups. Leur jeu favori devint

(( Botte la merde » : à défaut de pouvoir me salir d'excréments, ils me cognaient de

leurs bottes terreuses jusqu'à ce que le sang me brouiUe les yeux. Et je ne disais

rien. J'encaissais. Comme toujours. J'avais passé les premières années de ma

pauvre vie en compagnie d'adultes éplorés et de morts. Je ne savais pas comment

me comporter avec mes semblables ... De toute façon, ces enfants étaient 4

différents de moi. Ils n'avaient jamais connu le deuil; ils engraissaient dans

l'opulence des bonbons et des caresses. Et voilà qu'ils s'acharnaient à faire de mon

existence une misère constante.

Le soir, dans ma piaule, j'imaginais les douces tortures que je réserverais à

chacun. La haine alimentait mes espoirs. Un jour viendrait où j'aurais ma revanche.

Mais je n'osais pas agir. Je devais maintenir, aux yeux de ma mère, cette image de

bon garçon. Je ne voulais surtout pas la faire mourir par mes bêtises !

Évidemment, je cachais à ma mère ces mauvais traitements. J'inventais mille

excuses pour mes blessures, et elle me reprochait cet a esprit aventureux m, si loin

du caractère de mon défunt père. Alors, j'appris à fuir mes tortionnaires, je devins

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imbattable à la course et la cachette. Je ne leurkdiappais pas toujours, mais je

supportais mieux leurs coups. J'avais développé une carapace, comme une

excroissance qui pousse sous la chair meurtrie.

Qui a dit que le ridicule ne tue pas? Un autre imbécile, sans doute. Les

gamins auraient surement hi par me tuer si je n'avais pas quitté l'école. Vers douze ans, las des études et de la furie des autres jeunes contre moi, je suis parti

pour me trouver du travail. Comme mon père, j'ai fait plusieurs petits métiers. Je

faisais un peu n'importe quoi, ce qu'on me demandait. Maman était si fière de

moi ...

Quand ma mère est morte, ce fut comme une libération. Étrangement,

c'était la première fois que je pleurais devant une tombe, non pas de tristesse, mais

de soulagement. Je m'appartenais enfin. Libre ! Maman n'est plus là pour me

reten ir... Elle va pourrir à son tour dans son joli cercueil de cèdre. J'ai quitté la

maison familiale tout de suite après les funérailles. Le petit garçon en moi était

mort ; le gamin timide et renfermé, celui qui se tait et suit le mouvement, n'existait

plus. Je laissais, comme une coquille vide, ma carapace demère. En même temps,

tous mes souvenirs sordides, ceux que j'avais enterrés dans l'oubli, sont revenus

m'assaillir, entraînant à leur suite un sentiment de revanche implacable.

Les années avaient passé mais ma haine était toujours vivante. Je n'avais

jamais pardonné les souffrances que ces gamins m'avaient fait vivre. Pardonner,

c'est oublier, et j'ai trop de mémoire pour cela. Leurs insultes résonnent dans mon

crâne comme le glas ; leurs coups engourdissent mon corps. Je n'avais pas besoin

de ces mauvais traitements pour être maheure u... Les enfants sont tellement

ignobles. Dans le visage des gamins d'aujourd'hui, je revois ceux d'hier. Ces petits

salauds vont regretter de vivre. Ii est révolu le temps où ils me traitaient de

u Trouduc' ... », désormais tous les enfants trembleront en entendant mon véritable

nom : Dutroux.

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Une question de goût

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, - Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant 1 'expansion des choses infinies, Comme L'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,

Qui chantent Les transports de l'esprit et des sens.

Correspondances », Charles Baudelaire.

Je n'étais pas dédaigneuse, comme ma mère. Rien ne me dégoûtait. Je

n'avais jamais eu peur de porter à rnz! bouche ce qui sortait de mon corps, ni même

d'admirer un animal mort. D'aussi loin que je me rappelle, j'étais curieuse de tout.

Je ne me contentais pas de regarder ce qui se passait alentour. Je me faisais une

idée du monde en me servant de mes mains, mais aussi avec mon nez et ma

langue. La vie se faisait saveur. Il me semblait même que je découvrais, les yeux

fermés, un monde encore plus attirant.

J'ai longtemps sucé mon pouce. Sans doute est-ce de là que vient mon goût

pour la peau. J'avais le pied dans la bouche aussi souvent que le poing. Et, si j'avais

été plus souple, j'aurais bien goûté chaque pouce de mon corps. À défaut

d'atteindre directement certains endroits de l'épiderme, je me dégustais du bout

des doigts, les trempant de salive pour qu'ils soient plus savoureux. Je glissais mes

mains mouillées sous mes bras, au creux de mes genoux, dans mon nombril, avant

de les engot&rer dans ma bouche. J'etais comblée devant tant de nuances dans les

saveurs sur une même peau. Éblouie.

Ma mère n'arrivait pas à me faire garder des vêtements bien longtemps. La

pudeur qu'elle voulait m'imposer gênait mes découvertes gustatives. Seule ma

couche résistait, tant bien que mal : déchirée d'un côté, lâche de l'autre. Je faisais le

désespoir de ma mère tandis que je savourais la vie, librement, sans m'occuper des

convenances. Je ne m'arrêtais que lorsque j'étais épuisée, le corps gluant de saletés.

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Ma mère répugnait parfois à me prendre dans ses bras tellement j'étais mouillée de

salive. EUe me saisissait avec le bout d'un torchon avant de me plonger dans l'eau

chaude puis me laissait seule dans mon berceau, emmaillotée solidement, en guise

de punition.

Mes premières explorations à quatre pattes ajoutèrent de nouveaux objets à

mes expériences sensuelles. J'aimais me coucher sur un coin ensoleillé du prélart

pour me gaver de l'air chaud, plein de poussières. Le chat venait souvent me

rejoindre pour sa sieste. Je plongeais mon visage dans ses poils, les oreilles

bourdonnantes de ses ronrons. Je lui faisais sa toilette, comme je l'avais vu faire

tant de fois. Je cornmenqais par ses oreilles si fines, je ne m'attardais pas sur le dos

qui avait un goût trop uniforme, préférant surtout le dessous de ses pattes. Le

mélange des poils et de la chair douce m'enivrait. Et, selon les promenades de sa

journée, les coussinets de mon chat gardaient des saveurs différentes. J'imaginais

les trajets parcourus, ses jeux dans i'herbe, les petites bêtes qu'il avait attrapées ... Le chat n'appréaait pas toujours le service que je lui rendais en le nettoyant. Ma

langue laissait sans doute hop de bave sur sa fourrure, et il devait se relaver tout

de suite après mon passage.

Le chat parti, je ramenais mon attention sur ce qui était a ma portée. Tout ce

qui hahait au sol était inévitablement inspecté. Toumé, retourné, je frottais sur

mon visage les objets trouvés avant de les sentir ou de les mordre. J'étais pire

qu'un chiot, mâchonnant les souüers près de l'entrée ou rongeant les pattes des

chaises. Mais ma mère ne s'inquiétait pas trop de mon comportement; je

ressemblais à la plupart des bambins qui font leurs dents, et elle croyait que ça me

passerait avec le temps.

Jusqu'à Y âge de deux ans, ma mère m'avait toujours nourri au biberon, puis

de bouillies industrielles. Elle répugnait de donner a un enfant, même le sien, son

sein à manger. Elle n'aurait pas supporté le contact d'une bouche avide et mouillée

suqant le lait chaud de ses mamelles. Je crois bien que ma mère a toujours dédaigné

ce qui lui paraissait hop animal : les odeurs corporelles, les émotions instinctives et

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même les gestes nécessaires à la survie. Elle voulait tout contrôler, et se soumettait

difficilement aux exigences de sa nature humaine. Se nourrir était un devoir qu'elle

effectuait par nécessité. Ma mère cuisinait inlassablement les mêmes plats insipides.

Je la détestais secrètement de ne pas aimer la nourriture. Son corps osseux criait la

mort. J'avais tant besoin de vie ! Manger ne fait pas que remplir l'estomac, cela

garnit l'âme de merveilleuses sensations. Les bouquets se mêlent aux goiits aux

textures surtout : mouillées, mâchées, dures et croquantes, molles et juteuses. C'est

un univers qui éclate dans la bouche, se détruit et renaît à chaque fois.

Mes sens surexatés avaient une faim insatiable. Cela m'empêchait même de

dormir. Trop de pensées me venaient à l'esprit. La nuit, je recomposais l'univers de

mes sensations ; les odeurs et les goûts prenaient des formes préases parfois sans

rapport avec l'objet d'où ils provenaient. L'impression que me laissait la pelure de

l'orange, le tapis de l'entrée ou le torchon de cuisine avait des allures piquantes et

verdâtres tandis que l'eau de Javel ou la litière du chat ressemblaient à des tuyaux

aades qui me rentraient de force dans le nez. Je revoyais dans mes rêves ces

créatures odorantes, pleines de couleurs bizarres qui formaient des tableaux

étranges et magnifiques.

Quand je fus assez grande pour dessiner, j'essayai souvent de reproduire ces

images, sans y parvenir. J'imaginais me casser la tête en deux, comme un œuf QU,

pour en faire couler les représentations qui restaient trop bien collées au fond de

mon crâne. Encore maintenant, je n'arrive pas à mettre les mots justes sur ce qui se

passait dans mon esprit. Les sensations étaient à la fois troubles et lumineuses,

nettes et insaisissables. Constamment en transformation, les odeurs et les goûts

s'entremêlaient pour former de nouveaux tableaux.

Petit à petit, mon univers sensoriel grandissait, devenait plus complexe. Mais

en même temps, les barrières de l'interdit se dressèrent. Ma mère était dégoûtée

par ma manie de toucher à tout, de passer ma langue sur n'importe quoi. Quand

ses réprimandes a Fais pas sa », ït Touches-y pas, c'est sale » ne suffisaient pas, elle

me tirait par le bras ou me frappait. Elle enfilait des gants de cuir, comme si elle

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répugnait de toucher ma peau directement, puis me posait sur le sol, à plat ventre,

les fesses et le dos à découvert. Elle comptait une dizaine de claques avant d'arrêter

et de retourner à ses occupations, sans dire un mot. Le châtiment terminé, je

n'avais plus qu'à partir. Elle croyait que cela suffirait pour me dompter. Mais plus

ma mère essayait de limiter mes explorations, p l u je sentais monter en moi le

désir de découvrir ces sensations défendues.

J'avais un pot de chambre dans lequel j'évacuais mes envies chaque nuit, et

au matin ma mère le vidait pour le nettoyer à fond avant de le replacer sous le lit.

Je ne pouvais pas croire que ce beau liquide jaune qui sortait de mon ventre puisse

être malpropre. J'avoue que je fus plutôt déçue la première fois que j'en bu une

gorgée. Son goût était plutôt fade tandis que l'odeur semblait si prometteuse. Les

excréments sont moins trompeurs : leur saveur s'impose avant de l'avoir en

bouche. Mais ilç nous trahissent plus fadement. Avant même de voir les traces

brunes sous mes ongles, rien qu'au fumet caractéristique, ma mère a su que j'avais

défié l'interdit.

La fessée qu'elle me donna cette fois-là fut exemplaire ! Elle dépassa

largement les diu coups réglementaires et me fit connaître de nouvelles sources

humides qui changent le goût de la peau en lui donnant un relent salé : les larmes

et la morve. J'en tremblais de bonheur. Mais je me gardais bien de dire à ma mère

les merveilles que je ressentais dans mon corps et ma tête ! Car dès qu'elle me

découvrait, barbouillée d'herbe, de sable ou de confiture, elle m'empêchait de me

lécher et me forçait à prendre un bain sur le champ. J'enrageais en voyant tant de

beauté se fondre dans l'eau savonneuse. Et la présence de ma mère ne me donnait

pas la chance de boire une seule gorgée du liquide brunâtre.

Je devais me cacher désormais pour apprécier mes jeux. Et je passai dès lors

la plupart de mon temps dans le boisé, a quelques rues de chez moi. C'est là

d'ailleurs que je £is ma première rencontre avec la mort. Je trouvai sur le sol un

corbeau magnifique ; ses plumes étaient si noires qu'elles gardaient de doux reflets

bleus et mauves quand un rayon de soleil les frôlait. Une odeur chaude, poreuse,

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traversait le plumage. Du bout de l'index, je fis pivoter Y oiseau ; un spectacle d'une

beauté extraordinaire se révéla : son corps grouillait d'asticots. Le contraste de

l'ombre à la blancheur, du parfum délicat à la pulpe épaisse de la décomposition,

me fit chanceler. Les yeux clos, je me gavais des arômes qui me montaient à la tête.

L'occasion était trop belle pour ne pas goûter aux restes du volatile. Seule,

dans les bois, tout m'était permis. Je croquai les vers : juteux, mais d'une saveur un

peu terne. Par contre, la chair molle et grise que je grattai sur les os se révéla

piquante et lourde sur la langue. Encore plus riche que je ne I'espérais. Je voyais

dans mon esprit des images folles qui dansaient en ronde sur un rythme endiablé.

Des corps mous et fuyants comme l'écume, épais par endroits, presque croûteux,

semblables aux gales d'une vieille plaie. Les formes rougeâtres paraissaient me

sourire. Je dégustais en paix le spectacle de mon bonheur savoureux. Laissant mon

trésor, je suis aliée me nettoyer dans le ruisseau pour ne rien laisser deviner de

mes festins sauvages a ma mère. Si elle l'avait su, je aois qu'eue m'aurait hie.

Aucun goût ne me rebutait, sauf celui de ma mère. Nettoyée à fond,

aseptisée, parfumée, son odeur était toujours pareille. Les rares fois où je m'étais

blottie dans ses bras, glissant mon nez au c r e w de ses aisselles, je n'avais distingué

qu'un mélange d'antisudorifique et de poudre pour bébé. Sèche. Trop propre. Ses

goûts me brûlaient la langue comme tous les produits de nettoyage. Elle aurait tant

voulu que je lui ressemble ... Elle espérait qu'un jour elle ferait de moi une vraie

femme. Mais ma mère n'était pas la seule à vouloir me aviliser W .

À l'école, les leçons de bonnes manières et d'hygiène me paraissaient

complètement absurdes. Tout ce qu'on m'enseignait allait contre ma faqon de

vivre. J'avais l'impression d'un complot, de ma mère et de ces adultes, dirigé

contre moi, pour que je devienne enfin comme e u . Mais je n'en faisais qu'a ma

tête. Leurs coups de férule sur le bout de mes ongles crottés n'y changeaient rien.

Je continuais à ramasser les petites choses mortes sur le chemin de l'école. Je

cachais mes trouvailles dans les pochettes de mon costume, et, pour me rassurer, je

les tâtais doucement pendant les cours. Je rêvais à ces goûts enfermés d m la chair

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douce. Mais bientôt, les professeurs découvrirent les origines de mes rêveries et

me forcèrent à vider mes poches avant chaque cours devant toute la classe.

Les rires des élèves se mêlaient aux moqueries de l'enseignant. Parfois, une

rumeur de dégoût circulait entre les bancs quand je posais sur mon pupitre une

souris en décomposition ou des restes de nourriture avariés. J'allais ensuite jeter

mes trésors dans la corbeille, puis je me mettais à genoux, face aux élèves, juste à

côté du bureau du professeur. Je gardais la tête baissée pour ne pas voir leurs

grimaces et toutes les radleries que je leur inspirais.

Dans la cour de récréation, les enfants pouvaient se moquer de moi

ouvertement, me traitant de a puante. ou de « salope )>. Quand ils me

surprenaient à me lécher les mains, leurs regards et leurs insultes étaient

insupportables. Ils me bousculaient, me jetaient des pierres au visage ou essayaient

de me faire avaler de force tout ce qui leur tombait sous la main. Je ne regardais

plus les crottes sur le trottoir avec l'envie d'y frôler mon nez; je n'osais plus

fouiller en public tous les recoins de mon corps pour y déceler les senteurs ; je ne

portais plus à ma bouche mes doigts tachés de vert ou de gris. La peur et la honte

s'insinuaient en moi.

Peu à peu, je perdis l'appétit. Tout désormais me paraissait insipide. Je ne

pouvais plus avaler quoi que ce soit sans le rejeter violemment. J'avais perdu le

goût de vivre. Je passais mes journées enfermée dans ma chambre ou à l'école.

Mère se féiicitait de constater que je restais propre à présent. Eile m'achetait des

robes neuves, s'amusait à m'habiller comme une poupée. Elle souriait en me

racontant le conte de Peau d'âne ; elle trouvait que mon histoire était semblable à

la sienne : Je savais bien qu'il existait une jolie jeune £ille sous cette souillon m.

Mais c'était plutôt à ma mère que je ressemblais chaque jour davantage : maigre à

en crever.

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Lors d'une nuit d'orage, je fis un mauvais rêve. J'étais perdu dans un

immense labyrinthe éblouissant. Je ne distinguais ni les murs, ni le plancher, ni le

plafond, comme si tout l'espace autour de moi était infiniment lumineux. Pas un

son, pas une couleur, ni la moindre odeur ne venait troubler ce tableau stérile.

Soudainement, je m'étais retrouvée étendue, écrasée sous le poids d'une foule

nombreuse. Des voix indistinctes grondaient, murmuraient, sifnaient ; une

cacophonie de cordes vocales distendues. Un mal affreux traversa mon être alors

que des doigts aux ongles acérés comme des poignards arrachèrent mes

vêtements jusqu'au sang. Le blanc se recouvrit de rouge. Je n'étais plus qu'une

loque sanglante entre les mains de mes agresseurs. Puis, dans un geste ridicule, ils

habillèrent mes restes d'une robe de soie bleue, garnie de rubans jaunes. Ils ont

accroché des ficelles à mes poignets et mes chevilles, un câble me retenait par la

taille. J'étais devenue un pantin qu'ils faisaient bouger à leur gré. Je sautillais

mollement sur place, me penchais pour faire la révérence, puis je m'écroulai tandis

que les fi SC cassèrent. Je me réveillai alors, tout en sueur, dans un sursaut

douloureux.

Ce matin, couchée dans mon lit, entre des draps empestant le détersif,

j'étouffais. J'avais du mal à respirer. L'air me brûlait la gorge. Je tâtais du bout des

doigts mon tronc osseux. Je me sentais si faible que j'avais de la difficulté à

repousser les couvertures. La fenêtre entrouverte laissait passer le vent du nord.

Des fissons agitaient mon corps et donnaient à ma peau un relief bosselé. Le froid

m'envahit peu à peu, paralysa mes membres. J'avais la tête lourde. Je voulais

pleurer, mais je n'y arrivais pas. Toutes les sensations qui faisaient mon bonheur

me laissaient désormais indifférente. Je ne me reconnaissais plus. Ils avaient réussi

à me dénaturer, haiement. Je fermai les yeux pour m'endormir et oublier ce

cauchemar qui était devenu ma vie, espérant ne jamais me réveiller.

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L'ennui

Ma jeunesse ne fut ql l 'un ténébreux orage

L'ennemi », Charles Baudelaire.

Je suis né avec une infection de l'âme qui ne m'a jamais quitté depuis.

Malgré mes propres tentatives pour y remédier, je ne me suis pas complètement

dPbarrassé du mal qui me ronge &eusement : l'ennui.

Le plus commun des mortels s'est senti au moins une fois dans sa vie pris

par les flets de l'ennui. La plupart des Hommes ont appris à vivre avec la

monotonie de leur existence. Ils s'y sont lovés douillettement, en attendant que Ca

passe. Mais, moi, je suis d'une nature active ; je ne supporte pas l'ennui. Ce mai

viaeux s'insinue au tréfonds de mon esprit. s'installe, lourd comme une feuille de

plomb, aussi froid, aussi dur, et enveloppe le aâne dans son étau. Peu à peu, le

corps s'engourdit; mais les pensées, comprimées par le cafard, se débattent,

tentent de s'affranchir de cette prise mortelle. Un besoin pressant de faire

quelque chose », n'importe quoi, me prend aux tripes. 11 faut ruser, chercher une

activité quelconque qui détournera l'attention et occupera l'esprit. Les sources de

plaisir que jfai trouvées se sont révélées, hélas, éphémères. Qui peut prétendre

annihiler l'ennui de sa vie ? On ne peut que repousser Yéchéance de la prochaine

crise.

Le malaise qui m'abrutit est bien pire qu'un simple cafard passager. J'en

souffie en permanence. Et, comme ce mal m'a atteint dès mon enfance, je n'ai pas

eu l'opportunité de me réfugier dans les paradis artificiels. L ' e ~ u i rend féroce.

Toute la rage et la hstration qui m'habitaient, je les ai repoussées vers les autres.

Haut comme trois pommes, je brisais les meubles de ma chambre, j'mdiais les

rideaux, je griffais le plancher à m'en mettre les doigts en sang. Ma fureur

destructrice m'aveuglait ; j'étais hors de moi, et, justement, je ne m'ennuyais plus.

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Mais aussitôt que le calme revenait dans mon esprit, l'étau se resserrait. Mon âme

s'emplissait d'une lassitude encore plus grande. J'étais pris dans un cercle vicieux.

Père essayait de calmer mes crises fréquentes en me frappant. D'aussi loin

que je me rappelle, les a i s remplissaient mes oreilles, le sang brouillait ma vue. Ii

passait son temps à me battre, à coups de ceinture ou de barre de fer, enfin tout ce

qui pouvait lui tomber sous la main, et si j'en juge par l'érection qu'il gardait tout

au long de l'exercice punitif, il en prenait un grand plaisir. Père avait ses défauts,

mais il était toujours sobre. Il aimait garder la tête froide et ne rien perdre du

spectacle de la peur sur mon visage. Mais je ne lui ai pas donné la joie de me voir

pleurer. Je crois même n'avoir jamais eu de larmes. Quand on grandit dans un

monde pareil, on s'y habitue. Je me suis nouni de haine. Je ne connaissais rien

d'autre.

Père devait souffrir du même mal qui m'afflige puisqu'il me battait souvent

dans ses temps libres. Le fait d'imposer des souffrances aux autres, s'il n'efface pas

Y ennui, du moins il l'atténue momentanément. La violence a cette faculté préaeuse

d'occulter les facultés résonnantes de l'âme et, par le fait même, empêche de

penser.

Lorsque Père m'empêchait de briser les objets à ma portée, je cherchais mes

sources de désennuie à l'extérieur. Les insectes me fascinaient. Je saisissais des

mouches par le bout des ailes avec de longues pinces. Suspendues au-dessus d'une

flamme, je les entendais grésiiler, puis je les laissais s'envoler : lucioles. Mon

bonheur durait aussi longtemps qu'elles brûlaient. Graduellement, je laissai les

petites bestioles pour aller vers des bêtes qui exprimaient mieux leur douleur.

La petite chienne du voisin fit régulièrement les frais de mes amusements.

J'engluais son poil de miel avant de l'attacher près d'une fourmilière. Je riais aux

éclats en la voyant se tordre pour essayer d'empêcher les insectes de lui entrer

dans les oreilles. Pour terminer mes taquineries, je lui enfonpis un bâton dans la

gueule et un autre au demère, puis je la transportais jusqu'au bout du quai, où je la

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laçais dans le lac. Elle revenait trempée à son foyer, le cul un peu enflé, mais sans

plus de dommages.

Avec les oiseaux, le jeu était plus complexe. Je devais malheureusement me

contenter des oiseaux blessés que je trouvais dans les bois, car, trop souvent, ceux

que je faisais tomber de l'arbre a coups de carabine à plomb se tuaient en arrivant

au sol. Les volatiles, déjà mal en point, ne pouvaient souffrir mes jeux très

longtemps. Je devais donc user d'ingéniosité si je voulais faire durer le plaisir. Les

plumer vivants se révéla la meilleure solution. Je laissais ensuite la carcasse

sanglante sur l'humus et j'attendais que d'autres bêtes se présentent.

C'est ainsi qu'un jour je pu mettre la ïiiain sur un jeune renard. L'animal

était magnihque, le poil gris et lustré, les yeux jaunes, scintillants : un vrai petit

démon ! Il était farouche, et, quand j'essayai de l'attraper, il me mit la main à vif.

Mais, en le saisissant par la queue, je le fis tourner avant de l'assommer sur une

roche. J'en profitai pour le ligoter solidement. Ah, il allait regretter de m'avoir

mordu ! Je brisai ses pattes en les écrasant avec des pierres sur la roche encore

pleine de sang qui i'avait sonné, et j'attendai son réveil. Je le brassai un peu, et

comme il ne bougeait toujours pas, je tirai sa carcasse au bout de mes bras pour

qu'elle s'accroche à une branche. Ces peccadilles m'amusaient quelque temps, je

riais tout seul, dans les bois, comme un fou ! Mais bien vite, comme un orage

gronde au loin, je sentais la tempête de mes marasmes revenir.

Une fois mon œuvre de destruction achevée, je me retrouvais devant rien,

avec l'impression désolante que tout était à recommencer. Pourquoi le plaisir, si vif

au moment de Pacte, s'évanouissait si rapidement ? Même les souvenirs de ces

instants me laissaient plutôt indifférent. Je n'étais heureux que dans l'action : sentir

la peur, l'odeur de sueur et du sang; avoir les mains poisseuses du liquide rouge

ou des poils.

Massacrer des animaux occupa mon enfance et une bonne partie de mon

adolescence. Mais, à quatorze ans, je sentais que j'étais devenu un homme,

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jouissant dans mes culottes pour la première fois en dépeçant un lièvre. Et, par la

grâce de cette extase, j'ai eu l'idée d'aller plus loin dans mes jeux, en tuant mes

semblables. Désormais, j'ernploierais toute ma virilité au crime. J'allais peut-être

enfin trouver un plaisir durable.

Une jeune fille, à la beauté fulgurante, fut la première victime de mes

résolutions. Ses longs cheveux aux reflets dorés, son petit nez parsemé de taches

de rousseur et surtout l'édat vibrant de ses yeux bleus me bouleversaient

profondément. Elle paraissait l'image même de la pureté. Un je-ne-sais-quoi de

naïf dans sa démarche me donnait l'envie de la faire trébucher.

Sa fragilité excitait mes sens et mon imagination. Je sentais en moi le désir

immense d'assouvir mon besoin de puissance et de liberté par la souffrance de

cette femme. Serait-elle figée par la peur ou de celle qui se débatte avec l'énergie

du désespoir ?

Je préparai soigneusement mon scénario. Elle devait périr dans les bois, où

se trouvait la source originelle de mes plaisirs sadiques.

Il a suffit de quelques phrases toutes faites, d'un peu de « fiirt » et de

gentillesses pour qu'elle acceptât de me suivre jusqu'au centre du boisé, là où les

pierres plates formaient une éclaircie.

La jeune fille portait une jolie robe de coton toute blanche qui accentuait son

d u r e angélique. Ses petits seins possédaient la fermeté d e sa jeunesse et se

mouvaient librement sous le tissu. J'efflewais lentement l'épiderme. Une odeur

fraîche comme le ruisseau s'écoulait de sa chevelure et @sait sur sa peau. Belle

enfant d d e qui cédait à mes caresses. Les yeux pudiquement baissés. Soumise à

en crever.

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Elle m'a regardé pourtant lorsque mes doigts se sont resserrés sur son cou.

Muette mais temblement énervée ; elle agitait les bras, essayant de me faire lâcher

prise ou de me griffer le visage. Ses jambes paralysées sous mon poids tentaient

tant bien que mal d'échapper à mon emprise. J'avais l'impression que chaque

partie de son corps ailait s'arracher pour fuir chacune de leur côtés. Mais il n'en fut

rien.

Quand ses lèvres prirent une teinte bleutée et que ses yeux révulsés

laissèrent s'écouler de grosses larmes, je relâchai ma prise pour qu'elle puisse

encore respirer un moment. Un râlement gras se fraya un chemin dans sa gorge

avant de se transformer en une crise de toux interminable. Son corps roula sur le

côté et j'en profitai pour enlever une de ses chaussettes. J'enfonçai le bas dans sa

bouche puis, avec ma ceinture, je liai ses poignets ensemble. Les bras immobilisés

dans son dos, couchée à plat ventre sur la pierre, elle ressemblait à une brebis sur

le point d'être sacrifiée.

À défaut d'un couteau, je pris une des pierres au fil tranchant comme une

lame pour entamer la chair tendre de sa gorge. Je besognai longtemps ; la pierre

s'effritait sous la pression et je devais souvent changer d'outil. Des a is étouffés me

parvenaient parfois comme des vagues, mais j'étais si concentré que je ne réalisais

même plus la présence de la femme entre mes jambes. Toute mon attention se

portait vers son cou : cette masse dose que je devais pénétrer. Je ressentis comme

une libération quand la peau céda enfin le passage et mes doigts poisseux

s'enfoncèrent tout à coup jusque dans l'œsophage.

Un flot rouge inonda le rocher, absorbé partiellement par la robe. Je reculai

pour admirer mon ouvrage. Elle restait prostrée, les yeux fixes, les jambes raides et

légèrement écartées. La £fille possédait désormais une autre beauté, plus troublante

et sauvage. La position rigide de son corps évoquait des images d'éternité. Elle

était ma statue née sous les coups de pierres. Je me sentais infiniment bien. Fier de

ma création. J'aurais voulu figer le temps, car alors il me semblait que j'avais atteint

une certaine forme de bonheur.

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Je me suis sans doute assoupi en admirant mon œuvre puisque je me

réveillai le lendemain, à l'aurore, les mains entortillées dans la chevelure

agglutinée. Immédiatement, je pressentis l'effondrement de mes espoirs. Une

puanteur étouffante se dégageait du corps ramolli. La beauté avait fui dans la nuit ;

il ne restait plus, à mes côtés, qu'un amas de chairs fétides et informes.

Tout était à recommencer.

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Fureur mortelle

(< Ce n'est pas si facile de former un couple, le plus aisé est de Ie déformer. »

Voyage d'hiver, André Clavet.

Je me souviens, les premières fois que j'ai rencontré Patrick, je n'avais pas

fait attention à lui ; il paraissait trop fkagde, comme un enfant. Tout à fait le genre

d'homme qui passe inaperçu. Tandis que son frère Nicolas dégageait une

impression de force par la solidité de sa posture. Son regard possédait un charme

trouble: les yeux noirs, presque mauvais, à faire peur. Ses cheveux bruns

descendaient paresseusement sur ses épaules. Il avait la manie de les rejeter en

arrière de la main ou d'un mouvement brusque de la tête. Dès que je l'ai vu, son

allure m'a séduite.

J'avais connu Nicolas dans un de mes cours de littérature. J'dais lui parler

durant la pause ou avant la classe. Nos discussions se limitaient à des sujets banals :

les professeurs, le peu d'avenir pour les pauvres étudiants en Lettres que nous

étions, les innombrables lectures a faire pour la session ... On se voyait parfois pour

s'entraider dans nos travaux. Nicolas, « procrastineur professionnel », m'appelait à

la dernière minute pour terminer la rédaction de ses dissertations. Je savais qu'il

abusait un peu de moi, mais j'étais heureuse de passer une nuit blanche chez lui,

uniquement pour être à ses côtés.

Nicolas habitait un appartement dans le vieux quartier de la ville. Un

immeuble rénové, dénaturé pour les besoins de la cause, vidé de son histoire. Le

salon était paré de couleurs éclatantes; la cuisine, plus sobre, arborait un beige

discret et ennuyeux. La salle de bain minuscule se cadiait tout au fond d'un long

couloir. La grande salle de séjour d'autrefois était à présent subdivisée en petites

pièces pour en faire des chambres.

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La chambre à coucher de Nicolas lui ressemblait : des affiches de femmes

fauves s'exhibaient sur les murs peints en rouge sang-de-dragon et un désordre

permanent y régnait. Cet aspect sauvage reflétait ses paroles et ses gestes. Parfois,

il me rabrouait pour éclater de rire immédiatement après, ou il faisait semblant de

me happer, en retenant sa main au dernier moment. Je ne comprenais pas

toujours son « humour », mais je le laissais faire. J'aurais voulu qu'il me fasse

vraiment mal, physiquement, pour oublier la douleur que son indifférence, à mon

égard, me causait.

Car j'allnais à sens unique : Nicolas était déjà amoureux d'une autre fille. Je

n'étais à ses yeux qu'une compagne de classe, sans plus. Je ne suscitais en lui ni

passion, ni désir. Riisqu'il ne pouvait pas me donner d'amour, j'ai joué le jeu de

l'amitié. Je me suis faite gentille, attentionnée. Je m'intéressais à tout ce qui le

passionnait. Je dénichais un article sur son artiste préféré, je lui donnais un livre

qu'il avait longtemps cherché ... Naïvement, je croyais qu'il finirait par comprendre

ce que je ressentais pour lui. J'aurais sûrement traversé sa vie sans laisser de traces

si je n'avais pas COMU son frère.

Patrick était tout le contraire de Nicolas. Visage aux traits délicats, presque

féminins, des yeux gris et le crâne rasé. Son teint clair accentuait la rêverie qu'il

provoquait en moi : il était pâle comme un ange qui a trop dormi. Une grande

lassitude se dégageait dans le ballant de ses bras. Et, sans doute parce que j'ai

toujours eu horreur de la faiblesse, je l'ai longtemps ignoré. J'aimais qu'un homme

puisse m'écraser dans ses bras. Et il en paraissait incapable. Trop maigre, timide, sa

fiagilité suscitait en moi les sentiments les plus violents. J'aurais voulu le brasser,

jeter son corps au sol ou le frapper.

Nicolas m'avait présenté son frère lors de ma première visite à leur

appartement, mais je voyais très peu Patrick. C'était un garçon solitaire. Il parlait

peu. Préférant s'enfermer dans sa chambre, les rideaux clos, pour écouter Cocteau

Twins ou Bauhaus à la lueur des chandelles.

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C'est un incident particulièrement troublant qui m'amena à me rapprocher

de lui. Il m'arrivait à l'occasion de me présenter à leur logement sans prévenir ; je

venais voir Nicolas en passant, pour lui parler, tout simplement. Un après-midi, je

poussai la porte d'entrée qui n'était pas verrouiUée, comme c'était souvent le cas, et

j'entrai au salon. Nicolas ? » Pas de réponse. Je me dirigeai vers sa chambre ... Et

les bruits que j'entendis auraient dû me faire deviner ce qui se passait. J'ai poussé

lentement la porte entrouverte et j'ai vu l'homme que j'aimais enlacé dans les bras

d'une autre femme. Des cheveux emmêlés, des soupirs, son dos humide et l'odeur

étouffante du musc... Je les regardais faire l'amour et je me sentais prisonnière de

leur brûlure, incapable de détacher mes yeux de leur cirque étrange. Fascinée.

Et, tout a coup, ça m'a frappée : mon imposture, le grotesque de ma

présence. Je n'avais pas à voir Fa, à violer leur intimité. J'étais prise entre le désir de

fuir en aiant et ma raison qui me conseillait de me glisser furtivement hors dia,

sans me faire remarquer. J'ai réussi à prendre sur moi, j'ai fait quelques pas de

reculons avant de refermer la porte sans bruit. Au moment où je sortais de

l'appartement, j'ai croisé Patrick dans l'entrée. J'avais les yeux pleins de larmes. Il

n'a eu que le temps de me demander : « Est-ce que ça va ? » Déjà, je me mais dans

l'escalier.

Je suis rentrée chez moi, bouleversée. ]'ai réalisé à cet instant qu'il ne

m'aimerait jamais. Je n'étais rien, ou si peu, pour lui. Nicolas a-t-il jamais su que

j'étais là ? L'a-t-il senti et fait comme si de rien n'était ? Fier de sa virilité, l'inadent

l'a peut-être amusé ... ou excité ! Qu'il ait été conscient ou non de ma présence à ce

moment-là, je craignais de aoiser à nouveau son regard. J'avais honte, pas

seulement de ce qui était arrivé, mais aussi de me complaire dans mes rêves

d'amour insensés. Je devais cesser de me bâtir des châteaux en Espagne. Je suis

restée couchée sur mon lit, pleurant tout mon saoul, épuisant ma boite de

mouchoirs.

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Je n'osais plus parler à Nicolas ; je l'évitais à l'université. Puis, un soir, il m'a

appelée. Il avait besoin de mon aide pour la dernière composition écrite de la

session. Je ne pouvais lui refuser ce service, et puis, au fond, j'étais bien contente de

retrouver sa présence. Je m'étais faite à l'idée qu'il ne partageait pas mes

sentiments, mais ça ne m'empêchait pas d'espérer, qu'un jour, peut-être ...

Alors, le lendemain, comme prévu, je suis allée à son appartement. J'étais un

peu en avance, et c'est Patrick qui m'a ouvert la porte. Nicolas était chez sa copine

pour le moment, mais il ne devait pas tarder à arriver. Nous nous sommes assis au

salon, et Patrick m'a demandé en murmurant : « Ça va mieux? » Ii semblait

s'inquiéter pour moi. Est-ce qu'il avait devine que j'aimais trop son frère ? Je

n'osais surtout pas lui demander. Je ne cxaignais pas tant son indiscrétion, que de

m'avouer à moi-même l'amour toujours présent pour son frère.

En parlant avec Pahidc, je découvrais un garçon brillant, pas aussi gêné que

je ne le croyais, et même très drôle par moment (ce n'est que plus tard que j'allais

découvrir la partie sombre de sa personnalité). Jl me racontait ses voyages à New

York et Toronto, le plaisir qu'il avait de se perdre dans la foule, d'être anonyme

dans la masse du monde. Il en connaissait beaucoup plus long que moi en

musique, et il me proposa d'écouter plusieurs disques de sa collection. Je me suis

retrouvée dans sa chambre, assise sur son lit, à l'écouter me parler de groupes

gothiques et de philosophie existentialiste. Quand Nicolas est arrivé, avec une

heure de retard, je n'avais pas vu le temps passer.

À partir de ce jour, mes pensées se sont tournées vers Patrick. J'en avais

assez de me buter contre mur, j'avais besoin de me détacher de Nicolas. Ma

relation avec Patrick servait, d'une certaine façon, a compenser l'affection que

Nicolas me refusait. J'espérais presque le rendre jaloux en détournant mon

attention vers son jeune frère.

Cet été la fut une véritable période de transition. Cela représentait à la fois la

fin de mon baccalauréat, de mon amour impossible avec Nicolas ; mais aussi ma

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nouvelle amitié pour Patrick et, bientôt, débuterait la rédaction de mon mémoire

de maîtrise.

Désormais, lorsque j'allais à leur appartement, je parlais brièvement à

Nicolas puis je m'engouffrais dans la chambre de Patrick. Assis sur des coussins ou

couchés par terre, nous écoutions de la musique lourde et mélancolique, selon son

humeur habituelle. Les discussions que nous avions portaient essentiellement sur

la mort. À la manière de Camus, j'étais scandalisée par la plus grande absurdité de

la vie : sa fin. Le plus grand malheur de l'humain, c'est la consaence de son désir de

vivre alors qu'il est destiné à mourir. Je lui disais que chaque existence humaine

était irremplaçable et qu'à chaque fois que quelqu'un décédait, c'était un monde

particulier qui s'éteignait.

Sa façon de voir la mort était quelque peu différente. Dès son enfance, il avait vu mourir tellement de gens qu'il aimait. Et toujours pour le (t mieux » : trop

vieux, trop malades, leur décès mettait fin à leurs souffrances. Patrick n'avait pas

peur de la mort. Il l'avait souvent désirée pour ceux qui lui étaient chers ou pour

lui-même. Je me rappelle d'une lettre attribuée à Mozart qu'il gardait sur sa table

de nuit pour la relire chaque soir avant de se coucher. Amadeus décrivait la mort

comme « le vrai but h a 1 de notre vie », il connaissait si bien cette vraie et

meilleure amie de l'homme D qu'elle ne l'effrayait plus, au contraire, il ne se mettait

jamais au lit sans penser que le lendemain il serait peut-être mort.

Ce n'est pas sa fascination pour la mort, mais plutôt son envie de se détruire

qui me faisait peur chez Patrick. n Je me déteste tellement, tu peux pas savoir ... n, me disait4 en serrant les dents. Ii gardait tant de haine en lui qu'eue hissait par

l'étouffer. C'était comme s'il n'arrivait pas à rejeter sa violence au loin, qu'elle se

retournait fatalement contre lui. ll disait qu'il ne savait pas d'où venait cette

colère ... ou peut-être ne voulait-il pas se l'admettre. me racontait, en tremblant,

ses p6riodes d'automutilation, des moments de folie enragée où il s'était coupé à

plusieurs endroits du corps avec un canif, ou alors il se frappait à coups de poing,

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grattait sa peau jusqu'au sang, arrachait les galles pour que ses blessures ne

guérissent jamais et ainsi garder les traces de sa fureur.

J'avais de la peine pour lui, mais je me sentais incapable de le soulager de ses

souffrances. Je le voyais devenir toujours un peu plus maussade, boudeur. Et puis,

un soir, je l'ai vu en pleine aise. Bowie chantait inlassablement << Heroes * et

quelques bougies jaunes coulaient sur le tapis. J'attrapais une goutte du bout du

doigt et la laissais se figer avant de la retirer comme une peau morte. À chaque

reprise de la chanson, Patrick sifflait les paroles de plus en plus fort. Les yeux

fermés, il rugissait, les poings mspés entre ses jambes. Je regardais, impuissante, la

haine grandir en lui. J'ai pressenti toute la violence que son être contenait. J'avais

peur qu'il aille trop loin, qu'il se fasse mal. Pour le protéger de lui-même, je l'ai

embrassé.

a Qu'est-ce que tu fais ? ., me demanda Patrick J'avais brisé le charme. La

bouche muette, il a baissé la tête. J'ai déboutonné sa chemise et glissé ma main sur

son torse. Je sentis sous mes doigts une boursouflure. Une cicatrice pas très longue

mais large, une vieille blessure mal guérie, comme si la plaie s'était infectée et

refermée à moitié remplie de pus. Je vis dans son regard une lueur d'inquiétude.

Pour le rassurer, je posai mes lèvres sur cette excroissance de chair pâle.

Étrangement, j'eus l'impression de sentir une bouche charnue, garnie de lèvres

irrégulières et douces. Mon baiser se fit passionné ; incompréhensible pour lui.

J'aurais voulu pénétrer ma langue entre ces lèvres, rouvrir la plaie pour la goûter.

Ses mains vinrent sous mon gilet caresser les seins. Je m'étendis alors, les

bras au-dessus de la tête, attendant qu'il me dévore. Une bougie grésilla en

s'éteignant. Dans la pénombre, son visage avait perdu toute identité. Il pouvait

être n'importe qui. Il dégagea mes jambes de la jupe qui les couvrait. Je sentis le

parcours de son haleine s'essouffler sur mon ventre. Puis, sa bouche descendit

pour connaître ce petit espace de douceur à l'intérieur des cuisses. Ses mains

montèrent sur mes hanches pour retirer la culotte. Je Yaidai en soulevant le bassin.

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Alors qu'il me goûtait, je tenais son crâne rasé entre mes mains, une tête au

fin duvet blond; je ne voyais que ça, et j'eus la sensation d'avoir un nouveau-né

entre les jambes. Nourris-toi de moi. >> Une image m'apparut comme un songe :

un jour, j'aurai une petite fille aux cheveux roux qui me mangera par le sein. Je la

voyais, si vivante entre mes bras, devinant la chaleur humide de sa bouche avide

sur ma peau. Lorsque Patndc m'embrassa, je fus troublée de reconnaître mon

odeur intime sur son visage.

J'ai toujours eu honte de mes lendemains d'amour. Le corps vaguement

humide d'anaennes sueurs, les cheveux emmêlés, les yeux cernés par la fatigue et

le maquillage de la veille. Je n'aime pas être vue si vulnérable ... J'ai peur que les

hommes me trouvent laide. ]'ai donc quitté la chambre sur la pointe des pieds,

ramassant mes vêtements pour m'habiller dans la salle de bain. Le soleil venait à

peine de se lever et le ciel, encore endormi, se lovait dans une couvemire d'un rose

très doux. Puis, je suis rentrée chez moi pour faire une sieste.

La sonnerie du téléphone m'a réveillée. Mon cœur battait vite, et j'avais le

front couvert de sueur, comme si je sortais d'un cauchemar. Nicolas m'appelait, la

gorge serrée, pour m'apprendre qu'il venait de découvrir le corps de son frère

pendu dans la chambre. La nouvelle fit remonter à mon esprit le rêve que je venais

de faire. J'étais debout, incapable de bouger, ligotée à un poteau. Des centaines de

corbeaux croassaient à m'en crever les oreilles ; leurs becs picoraient mon visage et

mon corps, s'acharnaient sur mon ventre. En baissant la tête, je voyais mon

abdomen ouvert et ensanglanté. Puis, du trou béat, tomba un fœtus qui fut

aussitôt dévoré par la meute des corvidés.

renfilai des vêtements et me rendis en trombe à leur appartement. rentrai

dans la chambre de Patrick. Il était étendu par terre. La pièce baignait dans une

odeur d'excrément avec un relent aigre de sueur et de sperme. Je posai ma main

sur sa poitrine. Je me couchai sur lui pour sentir le silence de son corps. Pas de

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souffle, pas de cœur, rien qu'une masse raidie et froide. Les joues encore plus

aeuses lui faisaient une tête de mort. C'était presque drôle, ridide. Il n'avait pas

besoin de ce masque. Ses yeux secs &aient le plafond. Je me penchai vers son

visage, la langue sortie et pointue comme un serpent ; je laissai tomber une goutte

de salive sur chaque globe. Son regard scintilla à nouveau, un moment. Ses lèvres

entrouvertes réclamaient un dernier baiser.

Nicolas n'osait pas me regarder. Il lançait ses questions dans le vide de la

chambre : « Pourquoi il a fait ça ? Qu'est-ce qui s'est passé ? » Je ne pouvais rien

dire, je n'avais pas de réponse. Je me suis relevée lentement et je suis partie.

Nicolas ne m'a pas arrêtée.

Je ne sais pas exactement combien de temps j'ai passé, prostrée sur mon lit,

ta gueule entrouverte, incapable d'avaler quoi que ce soit ou de vomir la moindre

parole. Les mêmes pensees me torturaient. Était-ce de ma faute si Patrick s'était

donné la mort ? Est-ce qu'il avait mal interprété mon départ matinal comme une

preuve de mon regret ou de mon dégoût ? Je me bâtissais des a scénarios

souffrances » : des idées de suiade, de tomire ou d'accident atroce me traversaient

l'esprit. J'aurais voulu aier mon innocence, ma bêtise aussi. Je priais pour qu'il

entende mes explications, je le suppliais de me pardonner. J'étouffais de désespoir.

Je n'avais même plus de larmes. Mais il était trop tard pour faire quoi que ce soit.

Et puis, d'un seul coup, la faim m'a pris, sauvagement. Je me suis levée pour

manger du pain beurré avec un verre de lait. J'ai trempé un doigt mouillé de salive

dans le sucrier, comme je faisais quand j'étais petite ; jfavais la bouche gorgée de

sucre, je me régalais. L'appétit de la vie m'est revenu si facilement ...

Mais rien ne pourrait ramener Patrick, Il avait choisi son parti : la mort. Je

restais avec les autres, du côté des vivants.

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L'amant

Si périssable est toute chose née ... Joachim du BeUay.

Je te revois pour la première fois depuis trois jours : étendu sur une table

d'acier, presque nu, le bas de ton ventre à peine recouvert d'un morceau d'étoffe

blanc.

Comme hi es pâle.

Je n'ai pas peur ; tu sais que je n'ai peur de rien. Je ne suis pas de ces fiiles qui

crient ou perdent conscience à la vue d'un cadavre.

Je ne t'ai jamais vu aussi pâle.

Je m'approche de la table pour mieux t'examiner. Les yeux dos, la bouche

entrouverte, les joues creuses... Dans la lumière trop blanche, ton visage n'a plus

que les contours d'un crâne.

Mes doigts effleurent ta peau. Tu es froid mais doux. Ils t'ont rasé de près : la

barbe, le torse, les aisselles et plus bas aussi ... jusqu'à tes chevilles. Ils ont suivi mes

instructions à la lettre. Tu sais que j'ai toujours eu horreur des poils. Ils n'ont

préservé que tes cheveux. Ta longue chevelure noire qui se répand doucement sur

tes épaules.

J'en saisis une mèche pour la mordiller. Je me souviens comme tu détestais

te réveiller le matin les cheveux collants de ma salive. Mais tu n'as jamais réussi à

m'enlever cette manie.

Mes mains glissent librement sur ta peau lisse.

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Jamais tu n'as été aussi beau.

Je veux voir tes yeux sombres. Les paupières sont cousues par le milieu,

mais je peu, en relevant le coin, apercevoir l'iris coloré de noir. Ton œil est

immobile et tu m'ignores, perdu dans tes rêves morts.

Ta bouche a pris une teinte violette, délicate, striée de fines lignes blanches.

Je jurerais qu'ils t'ont maquillé, qu'ils t'ont préparé quand ils ont su que je venais te

voir, seule, une demière fois. Mais c'est en vain que ma langue lèche tes lèvres

froides, elles n'en sont que plus brillantes. Cette couleur est bien de toi.

C'est un voile d'hiver qui s'est posé sur ton corps. Ton visage de neige est

aussi pur que la première tempête.

Jamais tu n'as été si beau.

Je sais que je ne retrouverai plus cette rougeur du désir qui tachait ta peau,

et me dégoûtait. Je ne regrette qu'une chose: la force de tes bras quand hi

m'enlaçais jusqu'à m'étouffer.

À présent, te voilà dur, raide et plus fragile qu'un insecte. Tu sais que j'ai

toujours eu horreur de la faiblesse.

Une fraîche cicatrice s'étend sur le côté droit de ta gorge. C'est par là qu'ils

t'ont vidé de tes fluides puants.

Ta plaie est bien recousue ; même pour un cadavre, ils ont pris la peine de

faire de jolis points de suture bien égaux.

Je gratte de l'ongle pour en vérifier la solidité. Les fils ne se rompent pas,

mais la chair se déchire un peu. Un liquide ciair commence à s'écouler. Mes doigts

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garderont de toi un nouveau parfum, un peu âcre et fort, comme une blessure

désidectée.

Tu sens bon et propre. Ton corps vide de tout excrément ne m'écœure plus.

Je ne supporte pas les saletés.

Mourir, c'était la meilleure chose que tu pouvais faire. Et chaque jour qui

passe me rapproche un peu plus du moment où j'aurai, moi aussi, cette beauté

pure et froide.

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Plaisirs particuliers

Dédié à la mémoire du génie de Donatien Alphonse François, comte de Sade,

dit le Marquis de Sade.

Tous les goûts sont dans la Nature.

Proverbe populaire.

Il existe une petite boutique obscure dans l'Est de la ville qui, sous une

devanture de libraire quelconque, dissimule le plus sublime magasin d'étrangetés.

C'est à cet endroit que je me rendis ce matin et où il m'arriva une amusante

aventure.

L'homme qui tient la boutique, d'origine italienne, s'était peu à peu épris de

ma personne et en particulier de mes mains auxquelles il vouait, m'a-t-il confié, un

culte fervent et païen. M'entraînant vers l'arrière-boutique, il me montra quelques

objets rares et fascinants. Coutelas d'os au manche recouvert de cuir humain,

serre-tête fait a la main, vierge de fer encore souillé de sang ... Tous instruments

dignes du pius beau tribunal Inquisitoire ! Je vis même un godemiché aux

proportions gigantesques et garni de pointes vives. J'étais à la fois captivée et

comblée par ce spectacle.

C'est alors que le boutiquier, encore plus échauffé que je ne l'étais moi-

même, se jeta à mes pieds et me supplia de le polluer de mes blanches mains !

L'homme se déculotta rapidement et tendit vers moi la chose que je devais sais ir...

La situation exigeait du sang. Je pris le coutelas ; écorchai à vif le membre puis, le

saisissant, je le maniai pour lui rendre toute sa Wilité. L'homme déchargea

rapidement et j'avoue que je fis de même, car la sensation de ma main visqueuse

glissant sur le vit raidi et mon autxe main jouant sous ma jupe, me firent les plus

outrageants plaisirs.

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J'étais sur le chemin du retour lorsque j'aperçus une gamine seule et pensive

qui semblait être perdue. J'ai une grande affection pour ces petites créatures

fiagiles et vulnérables. J'dai vers l'enfant et lui demandai si je pouvais faire

quelque chose pour elle. La petite bête s'était effectivement égarée ; je proposai

alors de la ramener à la maison. L'innocente enfant me suivit docilement.

Je caressais sa tête boudée ; que de fois je dû heiner l'envie qui me prenait

de la renverser en arrière pour entendre le craquement dair des vertèbres ... Nous

errâmes dans les mes toujours plus désertes pendant de longues minutes. Je sentis

l'enfant fatiguée qui marchait en tordant ses jambes ... Enfin, elle me demanda ce

que j'attendais : eue avait un besoin urgent de se soulager. J'entraînai l'enfant vers

un boisé éloigné, sur un terrain désert en cette saison hivernale. L'enfant

s'accroupit dans la neige; une mare jaunâtre et h a n t e se forma rapidement.

Cette vision eut sur mes sens les plus vifs effets.

N'y tenant plus, je me préapitai vers l'enfant. Pinçant son museau, je la

forçai à ouvrir la bouche ; à mon tour, je vidai le contenu de ma vessie. La vilaine

bestiole me gnffa de ses mains; de longues rainures rouges apparurent sur ma

peau blanche. Tout cela ne m'exata que davantage. Relâchant mes autres

sphincters, je nourris l'enfant de mes entrailles. Sa petite bouche ne put tout avaler,

aussi je dus la punir comme il se doit pour avoir osé gaspiller une si riche pitance.

Munie de quelques branchages, je fouettai son visage. Bientôt, elle eut la

peau garnie de sang, une source plus abondante venait de ses yeux aevés. La

bouche pleine d'excréments, ses a i s étouffés n'en étaient pas moins enivrants.

J'abandonnai la vulgaire créature dans la neige parmi les souillures. Elle y est

encore.

Rendue chez moi, j'eus une rencontre fort eruichissante avec le Baron de

Fe**. C'est un parfait imbécile, mais il a l'avantage de servir mes projets. Il possède

la langue la plus habile que je connaisse: il peut convainae quiconque de

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l'honnêteté ou de la fourberie de qui est à la mode ... ou ne l'est pas ! Enfin, je

décidai de mettre à l'épreuve cette langue réputée de la façon qui me plaît le plus.

Après mille précautions et préambules, j'avais convaincu le dode Baron de

venir chez moi. Je ne pouvais me résoudre à me rendre chez lui, la présence de sa

stupide femme dévote me cause des irritations anales insupportables depuis ce

jour bénit où je forcai - mais bien peu - une jeune nonne à me faire feuille de

rose. Je aois que plus elles sont pieuses, plus le goût de la merde les excite ... Cette

théorie reste à vérifier.

Ainsi, je me retrouvai en tête à tête avec ce Baron de F? Je le reçus, après

l'avoir fait patienter une bonne demi-heure dans mon boudoir, habuée d'une robe

de mousseline légère surmontée d'un large surcot de coton beige. Je feignis d'être

à peine sortie du bain : a Je ne vous attendais pas de si bonne heure ! », mentis-je,

mettant l'homme dans le plus grand embarras, pour ma joie suprême.

J'avais la nuque humide d'un peu de sueur et de la salive de ma douce

Hiromi, cette superbe Japonaise aux traits de poupée qui est à mon service depuis

ma dernière escale au Pays du soleil levant. Les Japonaises sont fidèles et

courageuses, mais trop fragiles. Elles résistent mal aux assauts de mes bêtes ... L'année dernière, j'avais dû faire recoudre Satiko à trois reprises avant qu'elle ne

succombe sous l'âne, ouverte du con à la raie culière.

Je me suis installée sur mon divan récamier, en fait presque couchée plutôt

qu'assise; le Baron pour sa part s'assit sur le grave fauteuil d'ébène. Nous

échangeâmes de plates avilités pendant quelques instants, puis, enfin, je pus

diriger la conversation :

- Dites-moi, cher Baron, croyez-vous que le pauvre, poussé à toutes

extrémités, se livrerait au cannibalisme pour se no- ?

- Vraiment, chère Comtesse, je ne sais que vous répondre ... Quelle

singukère question ! Enfin, non, je ne crois pas.

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- Pourquoi donc ?

- Mais ... L'homme simple ne ferait pas une telle ... chose. Son âme... Dieu

l'en empêcherait. Ces pauvres gens sont vertueux, par nature ... ce n'est qu'une

minorité qui se livre à de petites ripailles et sûrement pas à des actes si ... Non !

Je ne l'écoutais que distraitement, et alors qu'il me parlait de vertu (je sens

bien là la mauvaise influence de sa gueuse), je m'étirai subtilement sur mon divan,

entrouvrant les pans de mon surcot, dévoilant peu à peu la diair tendre sous le

voile de la robe. Quand il se tut, je repris la parole :

- Voyez-vous, cher Baron, je n'ai jamais été d'accord pour &lever la

stupidité au rang des vertiis, car cet esprit naturellement vertueux que vous

attribuez aux gens simples n'existe pas. Vous vous contredisez vous-même,

d'ailleurs, en admettant des exceptions. Si ces gens ne tuent pas, ce n'est pas par

vertu mais par manque de courage ou d'imagination ; c'est par peur du chltiment

ou par paresse qu'ils n'agissent pas. Et, du meurtre au cannibalisme, il n'y a que

l'usage de la victime qui change.

Je m'amusais du regard exorbité de ce pauvre Baron. À cet instant précis, je

sonnai et mon plus robuste esdave entra: ce géant d'Afrique au membre

proportionné à sa taille. J'expliquai au Baron que, sous ordonnance du médecin, je

devais faire agiter mes entrailles tous les jours et que le meilleur moyen trouvé

était d'être saisie entre les bras de ce surhomme et secouée en tous sens. Le Baron

offrit de nous laisser seuls, mais un pas de mon nègre vers lui l'en dissuada !

Rapidement, le nègre souleva tous les voiles, claquant mon postérieur de sa

main pour le faire rougir de ce manque de pudeur. Puis, d'un solide coup de rein, ii

enfila sa pinne jusquraux piches. La secousse me fit hennir de joie. Mon nègre

cornmensa à remuer mes entraiiles ... Plus l'étais agitée, et plus mon visiteur

s'agitait aussi, comme par un effet de diapason. Je pus constater, sous l'étoffe bmte

d'un pantalon trop serré, à l'ancienne mode, que j'avais produit ï'effet escompté.

Que les sots s'échauffent rapidement !

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Lorsque le noir se retira, le membre encore actif, je lui ordonnai

silencieusement de se saisir du Baron. retira les armes et ceintures qui auraient pu

gêner ma tâche. Le déshabillant rapidement (car, sous mon regard enflammé, le

Baron se fit plus docile qu'un agneau), le nègre ne lui laissa guère plus que la peau.

Je lui indiquai de retourner s'asseoir dans le fauteuil d'ébène. Sa peau pâle et

légèrement moite contrastait magntfiquement avec le ton sombre du bois. Le

Baron de F*", n'est pas un bel homme. Le corps un peu gras, le nez trop large, la

bouche molle, tout cela n'est pas vraiment de mon goût. Mais ce qui m'intéressait à

ce moment-là était la langue de I'homme.

Ma robe de mousseline ne tenait guère que par quelques fibres, mais je ia

gardai tout de même pour exciter I'homme davantage. Le pauvre Baron était si

surpris par ce qui lui arrivait, je crois bien qu'il n'en prenait pas pleinement

consaence. Voilà un autre avantage de cet imbécile, les idiots sont facilement

étourdis et cèdent sans difficultés aux moindres avances d'un chat bâillant.

Enfin, je grimpai sur le lourd fauteuil et m'installai tête-bêche sur le Baron

qui, j'en suis sûre, n'avait encore jamais eut un tel point de vue. Et maintenant,

cher Baron, montrez-moi les talents de cette langue que l'on dit si agile », lui dis-je.

Il devina rapidement ce que j'attendais de lui lorsque j'eus saisi son braquemard

entre mes lèvres, les dents pinqant légèrement le gland pour le déader à agir.

L'homme ne m'a pas déçu ; sa langue est alerte et fine. Je crois bien avoir apaisé sa

soif pour au moins toute une semaine !

Après ces petites cérémonies, la politesse m'obligeait à l'inviter pour le

cher. Nous dégustâmes un délicieux ragoût. Je demandai au Baron s'il aimait cette

viande :

- Certainement, c'est l'une des meilleures que j'ai jamais mangées ! Qu'est-

ce donc ? Du gibier ?

- Non, cher Baron. Cette viande, c'est du pauvre.

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J'ai cm un instant que le Baron allait régurgiter tout son plat, mais il réussit à

contenir ses instincts. Évidemment, ce n'est pas l'instinct naturel qui l'aurait fait

vomir, sinon il l'aurait déjà fait. Non, c'est bien plutôt ces vulgaires préjugés contre

la chair humaine. Les mets les plus succulents et exquis sont aussi ceux qui sont les

plus rares et défendus. Je sentais que le Baron luttait entre l'idée que lui inspirait cet

acte et le goût délicieux de la chah en bouche. La logique l'emporta et il me sourit,

redemandant une autre portion. Je lui offris bien mieux. Je sonnai et mon nègre

apporta dans une assiette d'argent un étron gigantesque : pondu par le géant lui-

même, bien sûr. Le Baron hésita un peu, mais n'avais-je pas eu raison pour la

chair ? Il se décida pour le dessert. Nous n'eûmes pas trop de deux bouches pour

avaler ce long boudin de merde aux riches parfums.

Après ce repas digne de Caligula, nous nous quittâmes dans les meilleurs

termes. Je mois que je pourrai faire de cet imbécile un jouet très utile. Il se laisse

aller vers la débauche plus facilement qu'un moine, sans saisir la portée de ses

actes. Aussi longtemps qu'il servira mes projets, et que sa langue gardera son

agilité, il survivra.

Au fait, le pauvre qui nous seMt de victuailles est l'un de ceux dont la

femme du Baron prend soin; cette pieuse frigide dépense son argent pour

engraisser ces fainéants ... Il aurait été dommage qu'un tel traitement n'eut pas

d'avantages pour nous ! J'ai gardé le bouillon de gras et de chairs du ragoût que je

mélangerai à de la cire. Avec cela, je fabriquerai des bougies qui embaumeront

mon boudoir.

Le soir, je fis une visite au Marquis de Sw* qui habite un superbe manoir sur

une colline, en banlieu de la d e de Q*". J'avais la tête pleine de phantasmes,

imaginant la soirée a venir et la nuit à combler.

Être livrée au Marquis. Sentir la tendre pression de ses doigts sur ma gorge.

Étouffer jusqu'à ce que le voile tombe, emportant ma conscience. Me réveiller dans

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la plus humiliante des positions pour souffrir ses assauts répétés et sauvages. Ris,

à mon tour, me se* de mes serres pour labourer ses chairs, son dos, son

ventre ... Laisser jaillir le liquide de vie avant de l'engloutir d'une bouche avide et

gourmande. Ah ! le peler à vif ! Que de plaisirs en perspective !

Je n'attendis pas longtemps, il vint lui-même m'ouvrir la porte. Il avait

donné congé à ses s e ~ t e u r s pour que nous soyons plus tranquilles. Une

inclinaison de sa tête m'invita à pénétrer dans le vestibule. La première partie du

manoir est décorée avec goût, d'une f apn sobre et tout à fait dépassée. Nous

traversâmes rapidement cet espace pour nous retrouver là où très peu furent

admis, dans la partie la plus reculée de la demeure.

Sur les murs, se côtoient les tapisseries médiévales et les daires peaux

d'enfants, souvenirs de ces déliaeuses soirées où les plats sont de chair tendre. Ces

jeunes cuirs m'inspirèrent divinement et j'espérais que le Marquis, fidèle a son

habitude, avait préparé quelques amusements de mon goût.

Ii avait justement gardé pour moi, ce soir-là, dans une cage de bois et

d'acier, une fillette rousse au corps tacheté. L'enfant me regardait, muette, une

vague supplication dans ses yeux verts. Je me tournai vers le Marquis et

l'embrassai, non sans lui mordiller les Ièvres jusqu'au sang. Ii me repoussa

brusquement contre la cage, dans son geste de tendresse habituel.

J'ouvris le cadenas et soulevai la porte. Je saisis la gamine qui, tel un animal

apeuré, voulu s'enfuir de mon étreinte. Un claquement sec mit fin à ses

débattements ; elle pleurnicha en serrant sa petite main brisée. D'une poigne

ferme, d'un endroit particulièrement délicat de son corps, je la forpi à se relever.

Le souffle coupé, elle h a i t le plafond alors que mes dents pinçaient ses mignons

pruneaux à peine formés. Le Marquis me fit remarquer la ressemblance frappante

de cette gamine avec mon apparence : son teint de lait, ses longs cheveux auburn,

ses yeux en amande aux ds démesurément longs. Si j'avais été assez bête pour me

laisser engrosser, elle aurait pu passer pour ma fille. Mais je rassurai le Marquis sur

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l'incongruité de ce rapprochement, et @ai l'enfant sur son postérieur à peine

rebondi, beaucoup moins appétissant que le mien. Ainsi échauffée, je remis la belle

enfant dans sa prison, ne voulant pas abuser tout de suite des bonnes choses. Dieu

sait à quelles extrémités le plaisir nous entraîne.

Une vive douleur sur le bras me rappela sa présence ; le Marquis portait à sa

bouche un ongle démesurément long, coloré d'un peu de mon sang. Il m'invita a le

suivre dans le boudoir. Une forte odeur vint exciter mes narines, me rappelant

certaines nuits d'orgies.. . Cette pièce minuscule était recouverte de longs draps

pourpres imitant l'aspect d'une tente romaine. Deux canapés de style récamier et

une superbe fourrure, posée à même le sol, meublaient la chambre. Nous nous

mîmes à l'aise. Je m'installai sur le canapé ocré alors que le Marquis se posta

demère celui de couleur safran. Il me souriait en faisant grincer ses dents, ce qui ne

manquait pas de faire hérisser tous mes poils dans un spasme voluptueux.

Le regard du Marquis se fit alors questionneur. Je répondis d'un assentiment

silencieux. Il recula, saisi un long cordon de velours et tira. Un léger bruit

mécanique se fit entendre tandis que les lourdes draperies se soulevaient,

découvrant les murs. Ceux-ci étaient presque entièrement souillés d'excréments,

de vomissure et d'ordures de toutes sortes ; voilà donc l'origine du parfum suave

que j'avais cm reconnaître en entrant. Mais au milieu de tout cela, juste en face de

moi, se houvait une statue immense et magnifique, d'une blancheur immaculée. Je

la reconnu aussitôt : Vénus, dans toute sa splendeur. Le sculpteur avait su faire

naître du marbre toutes les subtilités du corps, du plus infime duvet aux détails des

mamelons, tout y était. Elle semblait vivre sous une couche de poudre fine.

Je ne pus m'empêcher d'der vers d e . La douceur de sa peau appelait la

caresse, ce que je m'empressai de faire. Longtemps, mes mains glissèrent sur le

marbre frais qui tiédit peu à peu, absorbant ma chaleur, devenant plus humain

encore.

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Le Marquis s'était étendu sur son canapé et se masturbait distraitement en

nous regardant. Fier de sa trouvaille, il m'observait adorer sa Déesse. Un éclat

particulier inondait son regard ; il semblait perdu dans les pensées les pluç

obscènes.

Puis, il vint nous rejoindre. Il glissa sa main, légèrement poisseuse, sur mon

dos et s'amusa à m'épiler manuellement. Quittant mon corps, il s'en prit à celui de

la Déesse. Raclant la pierre de ses ongles, griffant de son mieux la peau de marbre.

Pas même une poussière ne s'arracha de la surface. Qu'il est frustrant de ne

pouvoir faire souffrir celle qu'on aime ! Déçu de ne laisser aucune marque sur sa

Déesse, il fonça sur moi.

Fidèle à sa douce manie, il bâillonna ma bouche d'un de ses bas et entreprit

d'exulter toute la puissance de son désir contre mon corps. Il écrasait ma gorge

d'une main tout en chatouillant mon ditoris de l'autre. La vue de mes yeux

exorbités, de mes lèvres bleues, bref le spectade de ma suffocation excita le

Marquis au plus haut point. Puis, son ai me transperqa les oreilles ; je sus qu'il avait

atteint le summum de son plaisir. À mon tour, je jouis si fort que feus l'impression

qu'il avait arrache ma vulve.

À peine remis de nos ébats, le Marquis me proposa de nous amuser avec la

fillette. Nous allâmes chercher l'enfant dans sa cage. Elle grelottait dans un coin

sans mot dire. Le Marquis la saki par sa longue chevelure et la traîna ainsi

jusqu'aux catacombes.

Une humidité froide s'infiltrait jusque dans nos pores. Du sang séché et

quelques ossements couvraient le sol de pierres grises. Suspendues au-dessus de

nos têtes, des cages de fer garnies de pointes se balançaient dans un grincement

lugubre. Actionnant une lourde chaîne, le Marquis fit descendre l'une de ses cages.

Il poussa la fillette à l'intérieur et fit remonter le tout de deux mètres. Le Marquis

décrocha les longues perches pourvues de crochets et de lames, m'en tendit une,

puis m'invita à porter le premier coup.

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Je me déshabillai rapidement pour être plus à I'aise et surtout ne rien perdre

du liquide vital de l'enfant. Il est bien connu que le sang est un lait de corps très

efficace pour présemer toute la blancheur de la peau.

Je commençai par piquer les bras et les jambes, car la vilaine repliait ses

membres sur son tronc et m'empêchait de lui déchirer les seins. Le fond de la cage

possédait de larges ouvertures permettant un meilleur écoulement du flux sanguin

et un accès plus fade a la chair tendre. D'ailleurs, le Marquis réussit à enculer la

coquine d'un coup de gaule. La petite se tortillait de plus en plus, accroissant notre

plaisir. À chaque mouvement pour tenter d'échapper à nos perches, elle ne

s'écorchait que davantage sur les pointes acérées de sa prison. Ses ais, ses

supplications et ses pleurs faisaient une diamante musique dans l'écho du caveau.

Malliewusement, tout plaisir a une fin; après quelques heures de ces

manœuvres, l'enfant se fatigua bientôt, ne remuant presque plus malgré nos coups

de pics. Des plaques de sang coagulé se détachaient du corps exsangue pour

s'écraser dans mes cheveux. Je massai vigoureusement ma peau pour qu'elle

bénéfiae de ce riche traitement. Le Marquis fit redescendre la cage ; j'y entrai pour

mieux admirer les effets de nos amusements.

Des morceaux de chair demeuraient acaochés aux pointes et le petit corps,

déformé, était méconnaissable. Un coup de lame lui avait presque tranché la tête,

un autre avait ouvert l'abdomen d'où s'écoulaient boyaux et immondices. Malgré

tout, le cadavre pouvait encore servir.

- Vous pourriez en garder les meilleurs morceaux pour votre souper,

Marquis.

-Je réserve un autre sort à cette dépouille.

À peine eut4 prononcé ces paroles, que le Marquis referma bmtalement la

porte de la cage sur moi. Je ne fus pas surprise outre mesure de ce capce. Je

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m'accroupis en écartant les jambes et lui demandai : a Quel délicieux supplice me

préparez-vous, mon cher Marquis ? >)

- Supplice est le bon terme, Comtesse, comme vous pourrez le constater.

Je vais vous laisser en compagnie de cette gamine qui vous ressemblait tant. Vos

destins sont liés plus que vous ne le pensez.

- Que voulez-vous dire ?

- Vous faites trop confiance à vos subalternes, Comtesse. Ne savez-vous

pas qu'il suffit d'un joli vit braqué pour faire ouvrir la bouche des jeunes mes ?

Sous mes coups de butoir, l'une de vos servantes m'a avouée tout bonnement que

vous jalousiez ma place en société. Et que certaines personnes allaient vous

permettre de vous hisser jusqu'au cercle royal.

- Mais c'est absurde !

- Inutile de nier ! Un de mes valets a vu le Baron de F*** entrer chez vous

aujourd'hui. Vous savez pertinemment que cet homme veut me faire pendre, car ii

me soupçonne, à juste titre, d'avoir détourné sa fille. Je ne vous laisserez pas vous

encoquiner avec mes ennemis. Vos relations seront votre perte !

- Permettez-moi de vous expliquer, vous ne comprenez pas ... - Tais-toi, putain ! Regarde bien ce qui reste de cette enfant, vois le sort qui

t'attend. Mais ce ne sera pas pour tout de suite. Je te ferai languir quelques jours.

D'ia là, si tu as faim, tu auras de quoi te nourrir !

Un rire terrible résonna dans le caveau. Le bruit d'une lourde porte qui se

ferme. Puis, ce fut le noir et le silence.

Je frissonne. Je connaîtrai l'ultime bonheur de la souffrance. Je n'ai aucune

raison d'avoir peur. Mais pourtant, je pisse comme une chienne qui doit affronter

un loup.