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Ciel et Espace HS Nr 20

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Revue scientifique

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Planètes océans, géantes gazeuses, mini-Neptune, super-Terre… Fenêtres sur d’autres mondes

20 ANS APRÈS LA PREMIÈRE

PLANÈTE EXTRASOLAIRE

numéro 20 / novembre 2012HORS-SÉRIE

L’ E N C Y C L O P É D I E

EN VUE !NOUVELLE TERRE

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ACCROCHEZ SUR VOS MURS LES PLUS BELLES IMAGES DE L’UNIVERS

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ES astronomes comptent-ils les exoplanètes avant de s’endor-mir ? Il y en a tant de connues — plus de 800 — que la chasse aux sys-tèmes planétaires s’est banalisée et semble aujourd’hui répondre à la même logique que la pêche au filet : faire du tonnage. C’est une vision juste, qui a son explication : plus on découvre de planètes, plus on a de chances de tomber sur des exo-Terre et, sait-on jamais, de la vie — le rêve des exoplanétologues… Mais si elle est juste, cette vision de la discipline est incomplète car extérieure. De l’intérieur, c’est-à-dire pour les astronomes eux-mêmes, le vécu est très différent : chaque nouvelle planète est un individu unique qu’ils apprennent à connaître à force d’analyses, de modèles théoriques, de simulations, d’échanges entre collègues et de débats parfois enflammés via des publications. La dernière annonce en date (17 octobre 2012), si elle est confirmée, marquera un tournant : la découverte d’une planète de la taille de la Terre autour d’Alpha du Centaure B, toute proche de nous ! (p. 6). Dans ce nouvel opus des hors-série L’Encyclopédie de Ciel & Espace, nous avons voulu montrer la vie scientifique se cachant derrière le chiffre de 800 (et des poussières) exoplanètes. Pour cela, nous avons remonté de nos archives les articles — réactua-lisés et avec des marges explicatives — qui ont jalonné les vingt premières années de l’exoplanétologie (1992-2012), voire sa pré-histoire (p. 14). Le découpage s’est imposé naturellement : quatre parties pour les quatre grandes époques de la discipline. D’abord, l’époque des pionniers et de la découverte, qui parcourt, de sur-

prise en surprise, la décennie 1990. Ensuite, celle de l’exploration des années 2000, où l’on traque tous azimuts et l’on multiplie les méthodes de détection. Puis vient l’époque de la conquête, à la toute fin des années 2000 : la maîtrise technique et théorique s’est affermie et la quête de planètes habitables se systématise. Enfin, l’époque actuelle, qui nous dévoilera enfin le visage d’un nouveau monde, une nouvelle Terre, quelque part dans la Voie lactée. Précédant cette plongée dans l’événement et l’his-toire, une interview originale de l’un de ses acteurs :

l’astronome Alain Lecavelier. Il y est question notamment des enjeux autour de la découverte certaine d’une véritable Terre, et de la découverte plausible d’une vie ailleurs… Mais l’on peut d’ores et déjà affirmer que, dans les exoplanètes, il y a de la vie : celle des astronomes qui y ont mis tous leurs efforts et leur pas-sion scientifique, jour après jour, pendant vingt ans.

Román Ikonicoff

Hors-série édité par l’Association française d’astronomie 17, rue Émile-Deutsch-de-la-Meurthe 75014 Paris

Tél. : 01 45 89 81 44 Fax : 01 45 65 08 95

Sites : www.cieletespace.fr www.cieletespacephotos.fr www.cieletespaceradio.fr www.afanet.fr

Directeur de la publication le président de l’AFA, Olivier Las Vergnas

Directeur de la rédaction Alain Cirou, [email protected]

Rédacteur en chef Román Ikonicoff

Auteurs Serge Brunier, Jean-Pierre Defait, David Fossé, Philippe Henarejos, Azar Khalatbari, Émilie Martin, Yaël Nazé et Alfred Vidal-Madjar

Directeur artistique Olivier Hodasava

Secrétaire de rédaction Emmanuelle Lancel

Service photo Franck Seguin, [email protected]

Responsable de la publicité, de la communication et du développement Hélène Comlan, [email protected]

ISSN n° 1255-2828 CPPAP n° 1013 G 83672 Impression : Imaye Graphic (53), France

Service des ventes en kiosque Europresse Promotion Tél. : 01 42 96 00 55 Mail : europromo @ orange.fr

Abonnements et vente à distance Ciel & Espace 18-24, quai de la Marne 75164 Paris Cedex 19 Tél. : 01.44.84.80.27 Mail : [email protected]

Abonnements Canada et USACanada : Express Mag 8155 rue Larrey, Montréal (Québec) H1J 2L5 Tél. : 1(800) 363 -1310 ou (514) 355-3333 Mail : [email protected]

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Ciel & Espace Hors-série est distribué par Presstalis.

Il y a de la vie dans les exoplanètes : celle des astronomes qui y ont mis toute leur passion pendant 20 ans.

TERRE…

ÉDITORIAL

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HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUEHS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

TERRE !TERRE ?

Dépôt légal : novembre 2012 Imprimé en France.

© 2012 AFA

Crédit couverture : O.Hodasava pour Ciel & Espace

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SOMMAIREÉDITORIAL

ENTRETIENALAIN LECAVELIER : “LES EXOPLANÈTES NOUS RÉVÈLENT UNE RICHESSE INATTENDUE”Spécialiste des mondes extrasolaires, Alain Lecavelier analyse 20 ans de découvertes.

1992-2012 : LE TABLEAU DE CHASSE

LA DÉCOUVERTELa nouvelle tombe en 1992 : on a découvert une autre planète dans la Galaxie ! Mais l’astre tourne autour d’un pulsar. Du coup, la Jupiter détectée en 1995 autour de 51 Pegasi — une étoile “normale” — lui vole la vedette. L’exoplanétologie est née.

1989 ELLES RESTENT POUR LE MOMENT INOBSERVABLES

1992 À CE JOUR LES CALCULS TIENNENT BON

1995 UN VÉRITABLE CHOC CONCEPTUEL

1999 UN SYSTÈME PLANÉTAIRE AU COMPLET

UN MONSTRE NOMMÉ HARPS

L’EXPLORATIONDécennie 2000 : la question de la fréquence des systèmes planétaires focalise les astronomes. La méthode de détection par transit prend de l’importance, tandis que de nouveaux instruments entrent en fonction, comme le spectromètre Harps.

2002 L’EXPLORATION COMMENCE

2003 LES EXOPLANÈTES SE METTENT EN TRANSIT

2005 ILS ONT PHOTOGRAPHIÉ UNE EXOPLANÈTE

2006 UNE COUSINE DE LA TERRE A ÉTÉ IDENTIFIÉE

INTERLUDE INSTRUMENTAL

LA CONQUÊTEFin des années 2000 : les exoplanètes sont maintenant des centaines. Dans le lot, des planètes rocheuses semblent offrir des conditions “viables”. Et l’apparente banalité des systèmes planétaires rehausse l’espoir de dénicher une jumelle de la Terre.

2007 CELLE QUI RESSEMBLE LE PLUS À LA TERRE

2007 COROT SURPASSE LES ESPÉRANCES

2010 IL FAUT CHERCHER AUTOUR DES NAINES ROUGES !

LES 7 CANDIDATES AU TITRE DE “MISS TERRE”

LE NOUVEAU MONDEC’est aujourd’hui. On s’attend d’un jour à l’autre à découvrir une vraie planète habitable : rocheuse, avec une atmosphère, de l’eau et des températures clémentes. Nul chasseur de mondes extrasolaires n’en doute. Est-ce une question de mois ?

2010 LA PREMIÈRE SŒUR DE LA TERRE EST À DÉCOUVRIR

2012 LA QUÊTE D’UNE PLANÈTE BLEUE, UNE CHIMÈRE ?

2012 GEOFFREY MARCY : “75 % DE CHANCE DE METTRE LA MAIN SUR UNE EXOTERRE D’ICI 2013”

2012 VINCENT COUDÉ DU FORESTO : “NOUS NE CHERCHONS PLUS UN CLONE DE NOTRE PLANÈTE”

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98Paysage extrasolaire, vue d’artiste.

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“Nous sommes maintenant capables de trouver des petites planètes”, note Alain Lecavelier, suite à la découverte de la planète d’Alpha Centauri B (ci-dessus). Sur cette vue d’artiste, le Soleil apparaît en bas à gauche, et Alpha Centauri A, en haut à droite.

ENTRETIEN

Vingt ans se sont écoulés depuis la découverte de la première exoplanète en dehors du Système solaire. Dans l’intervalle, ce domaine est passé d’une activité confidentielle menée par quelques-uns au statut de véritable discipline de l’astronomie. Alain Lecavelier, le président de la commission Exoplanètes de l’UAI, commente le chemin parcouru et explore les nouvelles perspectives.

Propos recueillis par Philippe Henarejos

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LES EXOPLANÈTES NOUS RÉVÈLENT UNE RICHESSE INATTENDUE

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E 17 octobre 2012, une équipe d’astro-nomes européens annonce la décou-verte d’une planète de masse terrestre autour de l’étoile Alpha du Centaure

B, une jumelle du Soleil distante seulement de 4,3 années-lumière. Certes, ladite planète, qui accomplit une révolution en 3,2 jours, est 10 fois plus proche de son étoile que Mercure du Soleil. C’est un monde surchauffé où aucune vie n’est imaginable. Mais il montre, une nou-velle fois, l’extrême diversité des mondes extrasolaires. Alain Lecavelier, de l’Institut d’astrophysique de Paris, met en perspective cette découverte dans les deux décennies du jeune domaine qu’est l’exoplanétologie.

Au mois d’octobre, vos collègues ont annoncé la découverte d’une planète de type terrestre autour de la plus proche étoile, Alpha du Centaure. Selon vous que nous apporte cette découverte ?Alain Lecavelier : Elle nous confirme ce que nous voyons depuis des années en matière d’exoplanètes, à savoir que plus on cherche, plus on trouve ! Alpha du Centaure faisait par-tie de ces systèmes dans lesquels on n’avait rien trouvé. Et finalement, on finit par y découvrir une planète. Cela confirme que l’on reste rare-ment bredouille et que les fois où on l’est, cela tient probablement à un manque de sensibilité ou de précision de nos détecteurs.

Pour vous, cette découverte est-elle importante ?A. L. : C’est plus une preuve de progrès tech-nique qu’une découverte révolutionnaire. Cela signifie surtout que nous sommes main-tenant capables de détecter de très petites planètes. Mais au fond, ce type de planètes était attendu. Même si celle-ci affiche une masse de seulement 1,13 fois celle de la Terre, on connaissait déjà une planète, Kepler 20 e, d’une taille inférieure à celle de la Terre. Dans le cas d’Alpha du Centaure, on ne sait rien ni de sa densité, ni de sa taille. Or, si elle est peu dense, elle peut être plus grande que la Terre. De tels spécimens existent, comme par exemple GJ 1214 b. Cette découverte est plus une promesse qu’un résultat révolutionnaire.

Justement, quel a été le résultat le plus révolu-tionnaire selon vous ?A. L. : C’est la découverte de 51 Pegasi b en 1995, par Michel Mayor et Didier Queloz. Elle a montré, d’une part, que la détection des exoplanètes nous était accessible et, d’autre part, que ces planètes ne ressemblaient pas à celles du Système solaire. C’est surtout ce second point qui me semble le plus inté-ressant. À l’époque, il a fallu du temps pour accepter le nouveau paradigme imposé par

cette planète : celui d’une planète géante gazeuse plus massive que Saturne bouclant sa révolution en seulement quatre jours [donc très proche de son étoile, NDLR]. Cela a suscité pas mal de scepticisme. Si on avait détecté une “Jupiter” bouclant son orbite en 12 ans, cela aurait été admis plus facilement. D’ailleurs, rétrospectivement, on s’est aperçu que la première exoplanète géante à courte période avait été repérée dès 1989 ! Il s’agit de HD 114762 b, de 11 fois la masse de Jupiter et qui boucle une orbite en 83 jours, c’est-à-dire sensiblement la même période que Mercure autour du Soleil. David Latham, qui l’avait découverte, l’avait annoncée comme une naine brune, et non comme une planète. On avait alors l’image du Système solaire trop présente à l’esprit, ce qui faisait qu’on ne pou-vait pas encore reconnaître ce corps comme une exoplanète. Au passage, il est amusant de remarquer que, parmi les cinq auteurs de cette publication, figurait un certain Michel Mayor.

Depuis, y a-t-il eu d’autres résultats révolu-tionnaires ?A. L. : J’en vois cinq autres. D’abord en 1992 la découverte inattendue de planètes autour d’un pulsar par Aleksander Wolszczan et Dale Frail. Il y a aussi la première observa-tion de l’atmosphère d’une exoplanète, sur HD 209458 b, annoncée en 2001 par David Charbonneau et ses collaborateurs. Cela a démontré la très grande utilité des transits pour caractériser ces planètes. Trois ans auparavant, personne n’aurait pu imaginer que cela était possible. Ensuite, je vois la découverte de l’évaporation de l’atmosphère des géantes gazeuses très chaudes, qui n’avait pas été anticipée et qui conduit à la formation de résidus de planètes très près de leur étoile. Je retiens également l’observation des tran-sits secondaires, c’est-à-dire lorsqu’une pla-nète est occultée par son étoile. Cela n’a pas forcément été révolutionnaire au niveau des résultats mais ceux qui ont eu cette idée astucieuse ont ouvert de belles perspectives de découvertes ultérieures. Enfin, en 2008,

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LES EXOPLANÈTES NOUS RÉVÈLENT UNE RICHESSE INATTENDUE

Dès 1995, 51 Pegasi b nous a montré que ces planètes ne ressemblaient pas à celles du Système solaire

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ENTRETIEN

la découverte d’une équipe dirigée par mon collègue Guillaume Hébrard, de planètes gravitant sur des orbites inclinées par rap-port au plan équatorial de leur étoile a été une belle avancée. Encore un changement de paradigme ! Avant cela, on considérait un peu que l’on comprenait bien le mécanisme de migration qui conduisait une planète géante à venir se blottir contre son étoile. Ce modèle était en vitesse de croisière ! Mais avec plus d’une dizaine de planètes “rebelles”, il ne marche plus systématiquement. Et on ne sait pas encore pourquoi ces planètes ont une trajectoire inclinée.

Aujourd’hui, on connaît plus de 800 exopla-nètes. Quels enseignements tire-t-on de cette population ?A. L. : Quand le nombre d’objets connus est grand, on peut faire des études statistiques. Par exemple, nous avons remarqué que les pla-nètes de type terrestre ont nettement tendance à se trouver dans des systèmes à plusieurs planètes sans géante gazeuse proche de leur étoile. C’est cet argument statistique qui fait dire aux découvreurs d’Alpha Centauri B b (1) qu’il y a une grande chance pour que d’autres petites planètes gravitent autour de la même étoile, et pourquoi pas dans sa zone habitable [la région autour de l’étoile, où l’eau liquide

peut exister à la surface d’une planète, NDLR]. La statistique permet aussi d’augmenter le nombre d’objets exotiques connus, comme les planètes à orbite inclinée, et de mieux les comprendre.

Avec l’échantillon de systèmes planétaires actuels, arrive-t-on à dire si le Système solaire est banal ou particulier ?A. L. : Pour l’heure, on ne peut pas encore découvrir des systèmes ressemblant au Sys-tème solaire. Tout simplement parce que ses planètes tournent lentement ou sont petites. Et que nous n’avons encore pas eu assez de temps pour détecter de tels mondes.

L’explosion du nombre des découvertes signe la vigueur de ce domaine de l’astronomie. Pensez-vous que ce soit dû au fait que c’est une recherche très populaire ?A. L. : Ce sujet d’étude répond à des ques-tions fondamentales qui intéressent le public. Et c’est un sujet compréhensible de tous. On cherche à savoir combien il y a d’autres Terre dans le ciel. C’est la recherche des autres mondes, avec toute la dimension philoso-phique que cela peut avoir. Cela aide très cer-tainement les décideurs, qui sont sensibles à l’intérêt du public — dont ils font partie, au fond —, à accorder des priorités à ce domaine.

Alain Lecavelier, dans son bureau de l’Institut d’astrophysique de Paris. Le chercheur français a vécu l’aventure des exoplanètes depuis ses tout débuts.

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Pensez-vous qu’avec les moyens actuels, les astronomes ont une chance de découvrir une autre Terre ?A. L. : Ma réponse est plutôt non. Sauf si un de mes collègues a une idée qui permet soudain de faire une observation originale. Ce genre de surprise est déjà arrivé. Par exemple en 2010, Ignas Snellen a eu l’idée d’utiliser la variation de vitesse radiale de la planète HD 209458 b pendant son passage devant son étoile pour mesurer la vitesse des vents dans son atmos-phère. Personne n’y avait pensé. La variation de vitesse pendant le phénomène était faible (autour de 15 km/s) mais détectable. Les exo-planètes sont un domaine de recherche où l’on peut faire preuve de beaucoup d’astuce. Même avec les moyens existants.

Quels instruments seront nécessaires pour découvrir une autre Terre ?A. L. : Il faudra cumuler à la fois des instru-ments plus puissants et plus précis et des observations de transits d’exoplanètes. Les télescopes de 30 à 40 m qui verront le jour d’ici dix ans permettront de faire des mesures de vitesses radiales de très haute précision. Les planètes comme celle d’Alpha du Centaure deviendront monnaie courante. Et en obser-vant des transits avec ces nouveaux moyens, on caractérisera mieux les planètes, y compris les petites. Le nouveau télescope spatial James Webb (JWST) nous y aidera. Il se peut que ces instruments découvrent une autre Terre dans la zone habitable de son étoile. Mais une mission comme Plato, actuellement en proposition à l’Agence spatiale européenne pour les années 2020-2025, affiche claire-ment cet objectif. Trouver une Terre dans une zone habitable et qui transite devant son étoile serait très important car nous pourrions explorer son atmosphère.

Au-delà, que faudrait-il pour commencer à voir la surface de ces planètes ?A. L. : Un projet d’interféromètre spatial, comme ceux imaginés par Antoine Labeyrie. Construire au sol des télescopes bien plus grands que 40 m de diamètre engendrerait des coûts exorbitants. Une constellation de satellites formant un immense interféro-mètre semble plus réaliste, même s’il faut développer quelques techniques comme le vol en formation.

Si on découvre une vie sur un autre monde, la recherche sur les exoplanètes aura-t-elle atteint son but ? Aura-t-elle encore un objet ?A. L. : Je regrette qu’on réduise parfois les

objectifs de cette discipline à la recherche d’une planète identique à la Terre. C’est un objectif important mais pas unique. Nous cherchons avant tout à comprendre l’Uni-vers dans lequel nous vivons. Après tout, il n’y a peut-être pas de planète comme la Terre qui abrite de la vie. Mais la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, nous apportera énormément. La recherche en exoplanètes doit aussi nous permettre de comprendre la diversité des systèmes planétaires. Quelle est la source d’une telle diversité que nous ne fai-sons que dévoiler aujourd’hui ? Quelle est son étendue ? Nous devons la cataloguer comme les biologistes le font sur la Terre quand ils étudient la diversité des espèces, car cela est porteur de sens. Au final, en interrogeant le lien entre les différents objets, leurs origines, le rôle de leur environnement, nous cherchons à comprendre l’Univers dans son ensemble.

Les vingt années écoulées depuis la découverte des planètes du pulsar PSR 1257+12 ont-elles comblé vos attentes ?A. L. : Elles les ont largement dépassées ! On a tendance à sous-estimer la richesse de la nature. Parce qu’on extrapole seulement du connu. Et puis, il y a la découverte qui, par nature, vient de ce qui était inconnu et qui nous permet de dépasser nos prévisions. Encore une fois, la diversité est toujours plus grande que celle qu’on peut imaginer.

Quel est votre espoir de chercheur ?A. L. : J’attends que l’on découvre une signature de la vie ou quelque chose hors normes qui, sur une planète, peut s’expliquer par la présence d’une forme de vie. La détection de l’ozone, par exemple. Même si la découverte faite n’apporte pas une réponse ferme, elle va susciter un débat. Celui-ci va arriver d’ici vingt ou trente ans. J’espère le vivre. Et en faisant preuve d’opti-misme, disons qu’un satellite comme Plato, plus de la chance, plus le JWST pourrait le faire sur-venir d’ici quinze ans ! ●(1) Les exoplanètes sont baptisées du nom de leur étoile (ici, Alpha Centauri B), suivi d’une lettre en minuscule attribuée selon l’ordre de découverte (b, c, d, etc.).

D’ici dix ans, les planètes comme celle repérée autour d’Alpha du Centaure deviendront monnaie courante

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1992-2012 : LE TABLEAU DE CHASSE

OÙ CHERCHE-T-ONLe rond bleu représente l’espace dans lequel nous cherchons des planètes, par rapport à l’ensemble de la Galaxie.

QUE TROUVE-T-ONLes planètes géantes, du gabarit de notre Jupiter et davantage, prédominent car elles sont les plus faciles à détecter avec les moyens actuels. Mais l’amélioration des techniques nous donne accès de plus en plus à des corps plus modestes en taille.

842C’est le nombre de planètes extrasolaires connues au 18 octobre 2012, découvertes autour d’étoiles ou de pulsars.

UN RYTHME QUI S’ACCÉLÈRELe rythme de découvertes croît nettement depuis dix ans grâce à la mise en service du spectrographe Harps à La Silla, en 2003, et des satellites Corot et Kepler, lancés respectivement en 2006 et 2009.

Astres dont la catégorie n’a pas pu être définie.

MT : masse terrestre (6.1024kg) UA : unité astronomique (150 millions de km) > : supérieur à… < : inférieur à…

Masse > 10 MTDistance à son étoile > 0,5 UA

Masse > 50 MTDistance < 0,5 UA

10 MT > Masse > 50 MTDistance < 0,5 UA

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DÉCOUVERTES EN FONCTION DES MÉTHODES

NB : Ces méthodes concernent les étoiles classiques. Une cinquième technique, le chronométrage, est plus adaptée aux pulsars ou aux étoiles binaires. Elle détecte les variations de la fréquence du pulsar ou des éclipses mutuelles entre les deux étoiles, indice d’un astre perturbateur du système.

GÉANTE “FROIDE”D’une masse bien supérieure à celle de notre Jupiter, quelques-unes de ces planètes flirtent avec une autre catégorie d’astres : les naines brunes, petites étoiles avortées. La distinction est parfois difficile.

JUPITER CHAUDEDépassant les 50 masses terrestres, elle rappelle notre Jupiter. Mais à la différence de celle-ci, elle évolue très près de son étoile : moins de la moitié de la distance Terre-Soleil. D’où le qualificatif de “chaude”.

NEPTUNE CHAUDECette “petite géante”, entre 10 à 50 fois la masse de la Terre, circule à moins de 0,5 UA de son étoile. Du coup, sa nature pourrait être bien différente de celle de nos lointaines Uranus ou Neptune.

TERRE ET SUPER-TERRECette catégorie prête à confusion car le classement ne tient compte que des masses, sans tenir compte du type (rocheux, gazeux, etc.). De fait, les planètes de type terrestre sont encore très peu nombreuses.

La planète est détectée grâce au très léger mouvement qu’elle imprime à son étoile, perceptible dans la lumière de celle-ci. La méthode fournit la masse de la planète.

La planète est repérée lors du passage devant son étoile. Cette méthode fournit la taille de la planète, proportionnelle à la baisse d’éclat enregistrée. Elle fonctionne d’autant mieux que les étoiles sont petites et les planètes, grosses.

C’est la technique la plus difficile. Isoler la lumière d’une planète de celle de son étoile revient à distinguer depuis Paris une luciole posée sur un phare à Marseille !

En passant devant un astre lointain, une étoile en amplifie l’éclat. Si elle est accompagnée d’une planète, cet “effet loupe” est accru (voir schéma p. 53).

VITESSE RADIALE et ASTROMÉTRIE

TRANSIT

IMAGERIE DIRECTE

LENTILLE GRAVITATIONNELLE

QUATRE MÉTHODES POUR LES TROUVER

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LA DÉ COUVERTE

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LA DÉ COUVERTEConvaincus, les astronomes de la fin des années 1980

n’attendent plus que la preuve par l’observation. Et la

nouvelle tombe en 1992, noyée dans un bruit de fausses

annonces : on a trouvé trois planètes extrasolaires au-

tour d’un pulsar ! Mais trois ans plus tard, en 1995, la

Jupiter détectée autour de 51 Pegasi — une étoile “nor-

male” comme le Soleil — lui volera la vedette. Naissance

de l’exoplanétologie.

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de la formation de notre Système solaire.L’autre raison est statistique, c’est-à-dire qu’il faut savoir si ce phénomène est rare ou, au contraire, très fréquent. Là encore, suivant les théories les plus généralement acceptées décrivant la formation stellaire, on s’attend à ce que des systèmes de planètes soient très souvent formés, si ce n’est pas systémati-quement formés, autour des jeunes étoiles à partir de la même nébuleuse primitive. Si ces idées se révèlent correctes, des systèmes de planètes doivent exister autour de nom-breuses étoiles. Le savoir représente une information de première importance quand on essaie d’évaluer les chances d’apparition de la vie ailleurs dans l’Univers.

OURQUOI chercher d’autres sys-tèmes planétaires ? Il y a en fait

essentiellement deux raisons, l’une compa-rative, l’autre statistique. Tout d’abord, pour essayer de comprendre comment s’est formé notre propre Système solaire il y a 4,5 mil-liards d’années, on peut soit chercher des indices dans l’organisation, la composition, la structure des éléments le constituant, en allant des grains de poussière au Soleil lui-même (en passant par les météorites, les comètes, les astéroïdes, les planètes et leurs satellites), soit chercher des systèmes sem-blables dans des stades d’évolution diffé-rents. Ainsi, sans avoir à remonter le temps, on peut essayer de reconstruire l’histoire

ELLES RESTENT POUR LE MOMENT INOBSERVABLES

La recherche d’exoplanètes en est à ses frémissements. L’évolution des moyens techniques la rend désormais possible. Objectif : trouver d’autres systèmes solaires et les comparer au nôtre.

Alfred Vidal-MadjarInstitut d’astrophysique de ParisDirecteur de recherche au CNRS

Maître de conférence à l’Ecole polytechnique

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«DISQUE CIRCUMSTELLAIRE

SYSTÈME BINAIRE

Disque de gaz et de poussières qui entoure une étoile en formation. En s’agrégeant peu à peu, cette matière va créer des petits corps nommés planétésimaux, puis des planètes en orbite autour du jeune soleil.

Système formé par deux étoiles gravitant l’une autour de l’autre. Le terme d’étoiles binaires a été créé par William Herschel en 1803, pour les distinguer des “doubles

optiques”, formées par deux étoiles proches en apparence mais qui, en réalité, ne sont pas liées par la gravitation.

LES MOTS LES MOTS

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Bêta Pictoris est située à 63 années-lumière, dans la constellation du Peintre. Cette étoile de 1,7 fois la masse du Soleil était soupçonnée en 1989 d’abriter des planètes. Cela fut confirmé en 2008 par la découverte de Bêta Pic b, une géante gazeuse massive comme deux Jupiter.w

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Comment chercher d’autres systèmes plané-taires ? Là encore, il y a deux façons d’aborder le problème : soit on recherche des systèmes plus ou moins semblables au nôtre, soit on essaie de découvrir des systèmes dans un stade d’évolution différent.

UN INFIME MOUVEMENTLes systèmes planétaires semblables au nôtre vont se manifester par la présence des pla-nètes, objets petits, peu lumineux, au voi-sinage d’étoiles. Étant des milliards de fois moins brillantes que l’étoile centrale et très proches d’elle, elles restent pour le moment inobservables directement. Cependant, grâce à l’attraction due à leur propre masse, elles perturbent légèrement le mouvement de l’étoile centrale. Cette perturbation, quoique extrêmement faible, a probablement permis quelques détections à ce jour, mais les dif-ficultés de ces mesures sont considérables car elles signifient la recherche d’écarts très petits se manifestant sur des périodes de temps longues, liées aux périodes des hypo-thétiques planètes (c’est-à-dire typiquement sur plusieurs années). Ainsi le déplacement apparent de l’étoile ne peut représenter que quelques centièmes de secondes d’arc à observer au cours de plu-sieurs années — cela reviendrait à détecter le déplacement de 1 mm qu’effectuerait en plusieurs années un escargot observé à 1 km de distance. Cependant, avec patience, Van de Kamp a réussi cet exploit en surveillant le mouvement de plusieurs étoiles proches du Soleil. Il semble avoir révélé la présence de planètes géantes (de la taille de plusieurs Jupiter) autour de quelques étoiles proches. Ces résultats restent toutefois à la limite de la crédibilité et attendent confirmation.

Dans son mouvement autour de l’étoile, la planète hypothétique fait aussi se balancer l’étoile d’avant en arrière, mouvement qui peut être détecté par spectroscopie. Cette méthode permet de mesurer précisément la vitesse relative de l’étoile. Ainsi, des varia-tions de vitesse relative de quelques dizaines de mètres par seconde sont attendues. Ces mesures sont très difficiles car, là encore, elles sont étalées sur plusieurs années. Depuis plus de huit ans, B. Campbell s’est attelé à cette tâche au télescope de 3,6 m CFH (Canada-France-Hawaï) et semble avoir découvert plusieurs systèmes planétaires. La recherche de systèmes planétaires dans un stade d’évo-lution différent nécessite la connaissance d’un scénario de formation, élaboré à partir d’observations plus anciennes confrontées à des modèles théoriques. Cette approche doit évidemment être réajustée sans cesse à partir des informations nouvelles collectées tant sur le plan théorique qu’observationnel. Ainsi, sachant que les étoiles naissent de la contraction de grands nuages de matière interstellaire, on peut chercher à observer la phase ultime de cette contraction alors qu’un disque de gaz et de poussières est en train de se former. C’est le domaine des observations infrarouges et radio, car il faut que la lumière puisse sortir de ces régions très denses et opaques. Ensuite, quand l’étoile centrale se forme, de nombreux phénomènes semblent se produire tels que la formation d’un disque d’accrétion, de violents jets de gaz, d’une grande activité stellaire. Cette phase est le domaine d’observation d’étoiles jeunes. Puis l’étoile se stabilise, arrive sur la séquence principale (c’est-à-dire commence à brûler son hydrogène régulièrement) alors que le disque circumstellaire évolue toujours, le

VITESSE RADIALEMalgré sa faible masse, une planète exerce une influence gravitationnelle sur son étoile. Le phénomène se traduit, vu de la Terre, par un très léger mouvement de va-et-vient de l’étoile, perceptible dans son spectre lumineux. Ce spectre est décalé vers le rouge quand l’étoile s’éloigne, et vers le bleu quand elle se rapproche.

LES MOTS

NAINE BRUNEAstre dont la masse est trop faible pour que la fusion nucléaire de l’hydrogène se déclenche dans son cœur et la fasse briller. Dès 1962, l’Américain Shiv Kumar suppose l’existence de ces “étoiles avortées”. La première d’entre elles, Teide 1, sera

découverte en 1995. La masse d’une naine brune est comprise entre 13 et 80 fois celle de Jupiter.

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gaz se dissipe, les poussières s’y condensent, forment des comètes, des planètes. La recherche consiste alors à trouver des traces de ce gaz et de ces poussières circumstellaires. Enfin, le système va évoluer vers un système planétaire comme le nôtre, ou bien dévier vers d’autres directions qu’il faut découvrir. Par exemple, 70 % des étoiles sont dans des systèmes binaires. On peut donc chercher des compagnons stellaires de masse de plus en plus faible qui pourraient, à la limite, représenter la transition avec les plus grosses planètes. Ces petites étoiles, froides, ont été baptisées naines brunes. Leur découverte est d’une grande importance car elle révélera la masse minimale que peut avoir une étoile et montrera alors si une petite étoile peut effec-tivement être, à la limite, une grosse planète et s’il y a bien une continuité dans le spectre des masses des objets cosmiques allant des grains de poussières jusqu’aux trous noirs les plus massifs.

LES HISTOIRES

De 1938 à 1982, l’astronome américain Peter Van de Kamp a pris plus de 2 000 photos de l’étoile de Barnard, une naine rouge distante de seulement 6 années-lumière. Van de Kamp arriva à la conclusion que deux planètes de 0,7 et 0,5 masse jovienne tournaient

autour de cet astre en 12 et 24 ans. Mais cette “découverte” n’a jamais pu être confirmée. Pis, depuis que la méthode de détection par mesure des vitesses radiales a montré son efficacité, aucune planète massive n’a été repérée autour de l’étoile de Barnard.

VAN DE KAMP

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RARE FRÉQUENT

BÊTA PICTORISSORTIR DE L’ENFANCE

T-TAURINÉBULEUSE PRIMITIVE

GRAINS DE POUSSIÈRE

VAN DE KAMPSÉQUENCE PRINCIPALEPERTURBATION DE L’ÉTOILE

VITESSE RADIALE

NAINES BRUNES

B. CAMPBELLDISQUE CIRCUMSTELLAIRE

1,6 JUPITER

Dans la chasse aux systèmes solaires sem-blables au nôtre, c’est indiscutablement les observations de B. Campbell qui sont les plus convaincantes. Il a surveillé spectroscopi-quement la vitesse radiale de 18 étoiles et a pu montrer que pour 9 d’entre elles, des variations sont détectées, compatibles avec la présence de planètes dans la gamme de 1 à 10 fois la masse de Jupiter.

DES CAS SPECTACULAIRESAinsi dans le cas de l’étoile Gamma Cep (•), il a pu montrer qu’elle devrait avoir un autre compagnon stellaire de grande masse et que ce système est en fait triple avec une planète d’au moins 1,6 fois la masse de Jupiter. Ce qui est important aussi, c’est qu’il n’a détecté aucun compagnon dans la gamme des naines brunes, révélant que ces objets sont beau-coup plus rares qu’on ne le pensait.La recherche de systèmes planétaires dans d’autres stades d’évolution a fait des pro-

Gamma Cep En 2002, on y dénichera

une planète géante gazeuse 2,3 fois plus massive que Jupiter.

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grès considérables. En particulier, pour ne citer ici que quelques cas spectaculaires, de nombreux disques ont été observés autour d’étoiles très jeunes dites T Tauri, en parti-culier par C. Bertout, J. Bouvier, S. Cabrit, de l’Institut d’astrophysique de Paris. Ils ont pu montrer que ces disques continuent à alimenter l’étoile centrale au point qu’une région de friction très intense apparaît à la limite interne du disque en contact direct avec l’atmosphère de l’étoile. Ces disques, dont la rotation a été parfois observée direc-tement par interférométrie millimétrique en radio (par A. Sargent et S. Beckwith), peuvent contenir une masse de matière équi-valant à celle de l’étoile centrale et atteindre des dimensions allant jusqu’à plusieurs mil-liers de fois la distance de la Terre au Soleil.On a découvert aussi que, parfois, au cours de ces processus, peuvent se produire de vio-lentes éruptions capables de rendre brutale-ment le système en formation plus de 100 fois plus brillant. C’est le cas de quelques-unes de

ces étoiles jeunes dont l’exemple type est celui de l’étoile FU Orionis, étudiée pourtant depuis longtemps par G. Herbig. Il semblerait que de tels événements sont produits par la chute soudaine d’environ un centième de masse solaire sur l’étoile centrale. Ceci montre que l’évolution d’un disque est certainement com-plexe, qu’une proportion non négligeable de matière, continue de tomber sur l’étoile via le disque. Après ces phases assez violentes d’évo-lution du disque, les poussières vont rapide-ment se condenser dans le plan équatorial et le gaz résiduel va commencer à se dissiper. C’est cette phase d’évolution d’un système plané-taire qui vient d’être récemment découverte grâce aux observations infrarouges du satellite Iras par H. Aumann et ses collaborateurs. Les poussières présentes dans les disques sont en effet froides et émettent de la lumière surtout dans l’infrarouge lointain alors que l’étoile cen-trale, beaucoup plus chaude, rayonne plutôt dans le visible. Autour de plusieurs dizaines d’étoiles proches, l’existence de poussières cir-cumstellaires a été ainsi révélée par la présence d’un excès d’émission infrarouge. Parmi celles-ci, un exemple spectaculaire est celui de l’étoile Bêta Pictoris dont le disque a pu être visua-lisé directement par B. Smith et R. Terrile. C’est l’exemple de disque circumstellaire dans le stade d’évolution le plus avancé que nous connaissions à ce jour. En son sein, les planètes sont peut-être en train de se former à partir des grains de poussières, peut-être sont-elles déjà formées. Ce système est donc probable-ment à la phase ultime d’évolution du disque avant de devenir véritablement un système planétaire comme le nôtre.En ce qui concerne l’évolution vers des sys-tèmes différents, la recherche de petites étoiles, les naines brunes, a aussi représenté un consi-

Gageons que d’ici quelques années des systèmes planétaires seront découverts et qu’avant la fin du siècle, nous aurons débroussaillé l’essentiel de ce passionnant problème

LES OUTILS

RÉACTIONS THERMONUCLÉAIRESProcessus qui se déroulent au cœur des étoiles, alimentant celles-ci en énergie lumineuse. Les atomes d’hydrogène au cœur de l’étoile y sont soumis à de telles pressions et températures qu’ils fusionnent pour former des atomes plus lourds. C’est la nucléosynthèse stellaire.

LES MOTS

Le télescope spatial Iras (InfraRed Astronomical Satellite) a réalisé en 1983 une cartographie presque complète du ciel dans l’infrarouge.

Ce domaine de longueurs d’onde correspond aux astres froids de l’Univers et est difficilement inaccessible depuis le sol. En dix mois, Iras a recensé quelque 250 000 sources infrarouges.

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dérable effort, aussi bien théorique qu’obser-vationnel. En particulier, la “découverte” d’une naine brune autour de l’étoile Van Biesbroeck 8 a fait couler beaucoup d’encre. En fait, non confirmée quelques années plus tard par des observations plus précises, cette “non-décou-verte” a engendré beaucoup d’études dont le bilan final est certainement très positif. On s’est ainsi rendu compte que ces objets, de masse 0,08 fois inférieure à la masse du Soleil, qui ne sont véritablement plus des étoiles puisque les réactions thermonucléaires ne peuvent pas s’amorcer en leur sein, pouvaient être considé-rées comme des planètes géantes. Mais l’évo-lution de leur luminosité au fur et à mesure de leur refroidissement est extrêmement incer-taine à prédire et, par conséquent, il est diffi-cile de dire si on ne les voit pas parce qu’elles sont trop peu lumineuses ou parce qu’elles n’existent pas. En fait là encore, les observations de B. Campbell sont d’une extrême importance car elles montrent que de tels objets sont très rares puisque non détectés dans 18 cas d’étoiles proches étudiées.

DIFFÉRENTES PAR LA NAISSANCECeci semble souligner que les étoiles et les planètes sont des objets fondamentalement différentes et qu’il n’y a pas simplement entre elles une différence de masse ; les étoiles sont formées par condensation de fragments de nuages interstellaires dans une gamme de masse allant de 0,08 à 100 fois la masse du Soleil, alors que les planètes sont des objets beaucoup plus petits, formés dans les disques circumstellaires par accumulation de grains de poussières, leur masse ne dépassant pas quelques dizaines de fois la masse de Jupiter pour les plus grosses d’entre elles, c’est-à-dire pas plus de 1 % de la masse du Soleil.

Ainsi dans la gamme des objets célestes, il semble qu’il n’existe rien entre les plus grosses planètes et les plus petites étoiles, et que ces deux classes d’objets sont véritablement et fondamentalement différentes.L’avenir de ce domaine de l’astrophysique est prometteur car tout reste à faire et à découvrir au moment où de nombreuses approches différentes, aussi bien théo-riques qu’observationnelles, semblent abou-tir simultanément. Ainsi, en particulier au cours d’un colloque récent qui s’est tenu à Baltimore sur le sujet, A. Cameron concluait que pour que ce domaine de recherche évolue, il fallait de plus gros ordinateurs ! En effet, la modélisation de situations aussi complexes est pour le moment toujours limitée par la capacité des ordinateurs. Il semble toutefois qu’une nouvelle génération d’ordinateurs, bientôt disponibles, rendra les études théoriques beaucoup plus réalistes.On peut aisément se rendre compte de l’immensité de notre ignorance dans ce domaine de l’astrophysique. Il est clair que l’étude de la formation et de l’évolution de systèmes planétaires va cependant sortir de l’enfance et va littéralement exploser dans les prochaines années grâce à la formidable révolution observationnelle qui se prépare. Gageons que d’ici quelques années, plu-sieurs systèmes planétaires seront décou-verts et qu’avant la fin du siècle, nous aurons probablement débroussaillé l’essentiel de ce passionnant problème. Ayant une bonne connaissance de l’origine de l’Univers et du Système solaire, nous serons prêts alors pour la grande aventure du xxie siècle : la recherche de la vie dans l’Univers. ●

[ Article paru en décembre 1989 ]

LES MOTS

Le parcours de vie des étoiles, de la naissance à la mort, est schématisé par le diagramme de Hertzsprung-Russell (HR), classant les étoiles suivant leur luminosité (échelle verticale) et leur température (échelle horizontale). L’évolution des étoiles se fait majoritairement suivant la “séquence principale” (cas du Soleil), mais une part non négligeable d’étoiles, notamment des géantes ou des naines à la naissance, suit un autre parcours, au-dessus ou en dessous de la séquence principale.

SÉQUENCE PRINCIPALE

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Une planète en orbite autour d’un pulsar se trouve dans des conditions extrêmes de rayonnements, qui rendent la probabilité de vie ou d’habitabilité proche de zéro.w

À CE JOUR LES CALCULS TIENNE NT BON

C’est dans une ambiance de confusion voire de découragement — par les annonces ensuite démenties — qu’est intervenue la détection autour d’un pulsar des véritables premières planètes

extrasolaires : PSR 1257+12 b, c et d. Une découverte passée relativement inaperçue.

Jean-Pierre Defait

1992

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À CE JOUR LES CALCULS TIENNE NT BON

ES énigmes que propose l’Univers se prêtent parfois à d’interminables dramaturgies. Au moindre indice, on

déclare la découverte imminente, on s’en-thousiasme, on déchante, l’histoire tout à coup rebondit là où personne ne l’attendait et puis les choses reprennent le cours d’une patiente et ingrate investiga tion. Ainsi en est-il de la quête, vaine à ce jour, d’autres planètes gravitant autour d’autres soleils. Voilà un avis de recherche qui court pratiquement depuis que l’homme s’est avisé de scruter le ciel. Hérodote déjà s’en ouvrait à Épicure, quelque 300 ans avant notre ère. Dans son principe, l’affaire est désormais entendue. Simple bon sens, pourrait-on dire, que jus tifie une solide statistique : des milliards d’étoiles dans la Galaxie, des milliards de galaxies dans l’Univers plaident pour que notre Soleil et son cortège de planètes ne soient pas un cas unique. Un véritable défi aux instruments les plus puissants et aux techniques les plus sophistiquées. On guette la moindre trace, on ouvre des pistes mais de planètes, point.Cette dérobade permanente explique peut-être que le moindre soupçon puisse faire monter la fièvre. Ainsi, le Pr Andrew Lyne et ses collègues de l’université de Manchester ont-ils créé une monumentale surprise en annonçant en juillet 1991 que le pulsar

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«PSR 1257+12

C’est un véritable système planétaire qu’Aleksander Wolszczan

a mis en lumière en 1992 : les trois planètes b, c et d ont été

confirmées en 2007… et, à ce jour (2012), on attend

confirmation de la présence d’une quatrième planète.

PULSARUn pulsar est un astre émetteur de pulsations radio, dont la fréquence est de quelques secondes pour les plus lents d’entre eux. Il s’agit d’étoiles à neutrons, des astres ultracompacts en rotation

très rapide dont le faisceau, tel celui d’un phare, balaie l’espace avec une grande régularité.

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PSR 1829-10 possédait un com pagnon qui pourrait bien être un corps pla nétaire. Lyne étant réputé auprès de ses pairs, ses calculs sont aussitôt pris au sérieux. Ils révèlent que l’énigmatique pla nète a une masse équiva-lant à dix fois celle de la Terre et se trouve à 120 millions de kilomètres du pulsar sur une orbite qu’elle par court en six mois. Début 1992, cruel rebondissement : le Pr Lyne doit recon naître son erreur, une grosse erreur que les chercheurs de Manchester avouent publi quement, avec beaucoup de courage. On aurait pu en rester là.Mais à peine les radioastronomes britan-niques ont-ils fait amende honorable que deux de leurs collègues américains, A. Wolszczan et D. A. Frail, annoncent avoir mis en évidence sur le radiotéles-cope d’Arecibo la présence d’un système de deux, voire trois planètes autour du pulsar PSR 1257+12 (•), découvert en 1990 dans la constellation de la Vierge. Masses estimées : 3,4 fois celle de la Terre pour l’une, 2,8 pour l’autre. Distance à l’étoile : 54 et 70 millions de kilomètres sur des orbites parcourues, respectivement, en 67 et 98 jours. Un petit système plané taire donc, de plus en réso-nance, la planète extérieure accomplissant, selon Wolszczan et Frail, trois révolutions quand sa compagne en fait deux.

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À ce jour, ces calculs tiennent bon. Au point de séduire certains astronomes tout près de penser que ces pulsars ultrarapides pour-raient relancer la recherche sur une nouvelle piste. Encore faudrait-il parvenir à expli-quer la présence de corps planétaires auprès d’un pulsar. A priori, une telle situa tion est totalement incongrue. Aucune pla nète n’est censée avoir survécu à la formidable implo-sion de la supernova qui a donné naissance à PSR 1257+12. Une difficulté majeure que plusieurs équipes ont pourtant tenté de lever, modèles à l’appui. Ainsi Marco Tavani et ses col lègues de l’université de Berkeley ont-ils avancé que ces planètes se seraient for mées après l’explosion de la supernova. Si un tel pulsar ultrarapide est né d’un sys-tème binaire, expliquent-ils, l’étoile mas-sive de ce couple infernal, une fois devenue étoile à neutrons, a pu propre ment vaporiser son compagnon plus petit dont il ne serait resté qu’un gigantesque disque de matière. PSR 1257+12, selon les astronomes califor-niens, est assez vieux (un million d’années) pour que des corps planétaires aient pu se former à partir de ce disque. Ainsi seraient nées des planètes “de deuxième génération”.

Le débat risque de durer. “Les problèmes que soulève la formation de telles planètes sont quasi insurmontables”, estime Thierry Montmerle, astrophysicien au CEA, qui revendique sur la question un solide scep-ticisme. À quoi s’ajoute une autre objec-tion : même si l’existence de “ces planètes de deuxième généra tion” parvenait à prendre consistance, la piste des pul sars resterait terriblement frus trante et à coup sûr sté-rile pour ce qui fait, au bout du compte, le véritable intérêt de cette longue traque. De telles planètes seraient beaucoup trop loin pour que l’on puisse espérer les étu dier. Elles n’auraient surtout aucune chance d’abriter la moindre vie. Or, au-delà même des précieux enseignements que l’on peut en attendre sur l’histoire de notre petit coin de galaxie, la recherche d’autres systèmes planétaires garde pour motivation cette éternelle et envoûtante interrogation : la vie a-t-elle pu s’ancrer ailleurs que sur la Terre ?

L’OBSTACLE DE L’ATMOSPHÈRECe sont bel et bien des systèmes solaires cousins qu’il s’agit de dénicher. Des Jupiter, par exemple, qui nous mettraient en pays de connaissances. Pas facile : la panoplie de méthodes d’investigation qui s’offre aux astronomes n’est pas exten sible. La plu-part des méthodes se heurtent surtout aux limites actuelles des télescopes les plus puis-sants, à commencer par la recherche la plus directe, en imagerie clas sique, sur la quin-zaine d’étoiles les plus proches. La turbulence de l’atmosphère est en soi un obstacle que même les nouvelles techniques extrême-ment sophistiquées d’optique adaptative ne peuvent surmon ter. Quoi que l’on fasse, et même en se contentant d’observer une très

La plupart des méthodes se heurtent surtout aux limites actuelles des télescopes les plus puissants

LES ACTEURS

Né en Pologne en 1946, Aleksander Wolszczan obtient en 1975 son doctorat en astronomie à l’université Nicolas Copernic de Torun (ville de naissance de Copernic). Il émigre en 1982 aux États-Unis pour travailler à l’université Cornell (New York) et Princeton (New Jersey), où il se spécialise dans l’étude des

pulsars. En janvier 1992, son collègue canadien Dale Frail, du National Radio Astronomy Observatory, et lui publient l’article qui fera date : “Un système planétaire autour du pulsar milliseconde PSR 1257+12”

A. WOLSZCZANRADIOTÉLESCOPEBasé sur les mêmes principes qu’un télescope à lumière visible, un radiotélescope, formé d’un réflecteur (parabole) et d’un récepteur (antenne), capte et concentre les ondes radio émises par des astres. Les radiotélescopes les plus connus : celui d’Arecibo et le Very Large Array (VLA).

LES MOTS

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proche voi sine, à 5,5 années-lumière, dans l’état actuel des techniques, l’infime surbril-lance qui révélerait la présence d’un astre de la taille de Jupiter reste complètement noyée dans le halo de l’étoile. Quand bien même serait-il guéri de sa myopie, l’œil de Hubble, par exemple, buterait encore sur un écart de luminosité qui peut atteindre 10 milliards de fois entre une planète et son soleil.Les “chasseurs de planète” ont donc été contraints de longue date à se rabattre sur des procédés plus indirects ; par exemple, détecter les perturbations que la présence d’une planète serait susceptible de provoquer dans le mouvement d’une étoile. L’exercice consiste pour l’astro nome à enregistrer sous forme d’élégantes sinusoïdes les fragiles oscillations dues à l’effet gravitationnel de la planète sur l’étoile. Méthode aride et diffi-cile qui a valu à la recherche des planètes ses plus grandes espérances et ses plus cuisantes désillusions. Ainsi Peter van de Kamp qui tra-

vaillait dans les années 1930 à l’obser vatoire de Sproul, aux États-Unis, a-t-il cru identifier la présence de deux compagnons planétaires autour de l’étoile de Barnard. Des voisins en quelque sorte qui auraient affiché une masse proche de celle de Jupiter mais que des études ultérieures ont radicalement rayés de la liste des candidats en concluant qu’ils n’existaient pas. Même mésaventure, en 1984, pour une équipe de l’université d’Arizona qui annonce avoir découvert un compagnon à l’étoile Van Biesbroeck 8. D’abord assimilé à une naine brune, l’astre en question se voit finalement éliminé de la carte du ciel. Ces naines brunes, étoiles avortées trop petites pour que s’amorcent les réactions nucléaires qui les feraient briller dans le ciel mais trop massives pour être assimi-lables à des planètes géantes comme Jupiter, apparaissent comme de véritables pièges pour la recherche de systèmes planétaires. Ainsi, selon David Black, planétologue à la

SUPERNOVAÉtape ultime de la mort d’une étoile massive : quand l’étoile a épuisé son carburant (hydrogène), ses couches internes s’effondrent sur elles-mêmes pour former un objet hyperdense, une

étoile à neutrons. L’enveloppe externe de l’ancienne étoile s’effondre également sur le cœur dense, mais elle rebondit, ce qui entraîne l’éjection violente de ces couches périphériques.

Parfois, quand la densité de matière concentrée dans l’étoile à neutrons dépasse un seuil critique (3,2 masses solaires), cette dernière s’effondre à son tour pour former un trou noir.

LES MOTS

Protoétoile Étoile massive Étoile à neutronsSupernova Trou noir

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ARECIBOD.A. FRAIL

ÉNIGMES

SOLIDE STATISTIQUE

MONUMENTALE SURPRISE

HD 114762

ÉTOILE À NEUTRONS

A. WOLSZCZANÉPICURE DEUXIÈME

GÉNÉRATION

DES JUPITERVAPORISER

NASA

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Nasa, l’objet identifié au voisinage de l’étoile HD 114762 (•) après plus de dix ans de patient labeur par David Latham, du centre d’astrophysique de Harvard, serait une naine brune. “Avec une masse estimée à onze fois celle de Jupiter, le compagnon de HD 114762, explique David Black, est à la frontière au-delà de laquelle un corps se formerait plutôt comme une étoile que comme une pla nète.” La méthode utilisée par David Latham consiste à mesurer non plus une perturba-tion du mouvement de l’étoile mais d’infimes variations de vitesse sus ceptibles d’être pro-voquées par l’orbite d’une planète. Exercice diabolique, une fois de plus. On a mesuré que Jupiter induit une variation de la vitesse du Soleil de 13 m/s. Un tel signal, même sur une étoile proche, est pratiquement indis-cernable, sauf par des techniques interféro-métriques extrêmement sophistiquées. C’est toutefois une précision que revendiquent le Cana dien Bruce Campbell et ses collègues de l’observatoire Canada-France-Hawaï. Ils ont ainsi observé avec obstination depuis 1981 quinze étoiles de type solaire. Sur ces quinze étoiles, sept présentent des anoma lies susceptibles de s’expliquer par la pré sence d’un corps planétaire. L’une d’elles surtout.

Gamma Cephéi, pourrait posséder pour compagnon un authentique candidat-pla-nète. Sa masse est estimée à 1,7 fois celle de Jupiter et il tournerait à environ 300 millions de km de l’étoile. “Cet objet est à ce jour le seul candidat sérieux”, estime Jean Schneider.

UNE PÊCHE À LA LIGNE ALÉATOIREEn fin de compte, le bilan est singu lièrement maigre. Les candidats à l’observation directe ne sont pas franchement légion. “C’est une recherche ingrate, une espèce de pêche à la ligne, dont le résultat est très aléatoire, reconnaît J. Schneider. Ce qui peut expliquer que l’on ne trouve guère plus d’une dizaine d’équipes dans le monde pour s’y consacrer.” Reste à aller chercher des encoura gements sur des chemins plus détournés. Ainsi, les très nombreuses données collec tées en 1983 par le satellite Iras ont-elles permis de détec-ter autour d’une quarantaine d’étoiles des excès d’émission infra rouge. Les astronomes y ont vu aussitôt la signature de disques de poussières froides. Quelque chose qui pour-rait ressembler de très près à des berceaux à planètes et qui collerait assez bien avec la théorie admise pour expliquer la formation de notre Système solaire.

Au moindre indice, on déclare la découverte imminente, on s’enthousiasme, on déchante, l’histoire tout à coup rebondit et puis les choses reprennent leur cours

HD 114762 En 1998, la nature de

l’objet a été confirmée : il s’agit d’une planète onze fois plus massive

que Jupiter.

ANNÉE-LUMIÈREUne année-lumière (a.-l.) est la distance parcourue en une année par la lumière dans le vide. Elle équivaut à 63 240 UA (lire ci-contre), ou encore 9 460 milliards de kilomètres… La plus proche étoile du Soleil, Proxima du Centaure, se trouve à 4,22 a.-l.

LES MOTS

UAL’unité astronomique (abrégé UA) est la distance moyenne entre la Terre et le Soleil, soit quelque 150 millions de kilomètres. C’est l’unité utilisée pour mesurer les distances au sein des systèmes planétaires.

LES MOTS

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Malheureusement, à ce jour, un seul de ces disques a pu être visualisé. Il entoure Bêta Pictoris, jeune étoile de 500 millions d’années de la constellation de l’Atelier du Peintre. C’est aujourd’hui encore un des suspects les plus en vue. D’autant que dès 1984, une équipe de l’Institut d’astrophysique de Paris dirigée par Alfred Vidal-Madjar y observait des phé-nomènes que les chercheurs ont identi fiés à une pluie de comètes. Jolie surprise. Car comment expliquer ces chutes suici daires vers l’étoile sans imaginer non seu lement la présence de petits corps dans ce disque mais également celle d’objets plus massifs susceptibles de les perturber ? La présence d’une planète pourrait expliquer que la partie centrale du disque, jusqu’à 20 UA, apparaisse pauvre en poussières. Une hypothèse que Françoise Roques, Hervé Scholl et Bruno Sicardy, astronomes à Meudon et à Nice, viennent de tester sur une connexion machine, un puissant ordinateur qui leur a permis de simuler le comportement de 8 000 grains de poussières. Le verdict du monstre informatique fait apparaître qu’une planète du type d’Uranus produi rait des phé-nomènes cohérents avec les observations d’Iras et des télescopes au sol. Nouvel indice.La recherche et l’étude de disques circums-tellaires autour d’étoiles très jeunes s’avèrent également une piste promet teuse. Il ne s’agit pas ici de rechercher des planètes mais de comprendre, en remon tant dans leur petite enfance, comment évoluent des étoiles dont le destin est proche de celui de notre Soleil. Ces étoiles T Tauri, les astronomes en ont identifié des centaines bien groupées autour des nuages moléculaires où elles se sont formées. Or Thierry Montmerle et ses col-lègues, qui travaillent sur les radiotélescopes

du Pico Veleta en Espagne et du plateau de Bures dans les Alpes, ont établi qu’une étoile de ce type sur deux serait entourée d’un disque très froid — entre 20 et 30 K — de matière circumstellaire dont la masse “est en gros comparable à celle que l’on attribue à la nébuleuse solaire primitive, explique Thierry Montmerle. Ce résultat ne dit rien sur les planètes. Savoir comment elles se forment relève d’une approche théorique. Mais nous montrons qu’une condition nécessaire à leur exis tence est présente dans un cas sur deux. C’est un élément extrêmement important.” De quoi au moins faire patienter les obs tinés qui ne désespèrent pas d’obtenir un jour la preuve directe de l’existence de ces satanées Arlésiennes. “Avec les équipe ments dont nous disposons aujourd’hui nous pouvons détecter des compagnons stellaires, pas des planètes”, tranche Jean Schneider. Reste donc à attendre la prochaine géné-ration. Le VLT, le Very Large Telescope européen, sera en place en l’an 2000 (•). Il peut laisser espérer une détection directe. Auparavant, en 1994, l’Agence spatiale euro-péenne aura lancé le satellite infrarouge ISO (•). Cette grosse bouteille thermos pro-met des performances cent fois supérieures à ce qu’avait fait Iras, et les astronomes qui étudient les disques cir cumstellaires en attendent des merveilles. Mais personne ne peut exclure que ces futurs champions ne fassent chou blanc. Un échec qui laisserait sans doute plus d’un philosophe perplexe et remettrait à beaucoup plus tard, peut-être à l’installa tion de grands télescopes dans l’es-pace ou sur la Lune, l’éventuel aboutissement de cette interminable traque. ●

[ Article paru en novembre 1992 ]

ISO Ce satellite

d’observation infrarouge sera opérationnel de

1996 à 1998.

VLT En réalité, les

télescopes principaux du VLT seront

opérationnels en 2001.

LES OUTILS

Lancé en grande pompe le 24 avril 1990, ce télescope spatial placé à 600 km d’altitude fut frappé de

myopie car la courbure de son miroir de 2,4 m de diamètre présentait une imperfection. Une spectaculaire mission de réparation dans l’espace, en décembre 1993, permit de corriger le problème. Hubble est toujours en fonction.

HUBBLE

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Vue d’artiste de la planète 51 de Pégase b, un “Jupiter chaud”, et de son soleil, une naine jaune comme le Soleil. Sa nature gazeuse et sa proximité à l’étoile rendent cette planète très inhospitalière.w

LA DÉCOUVERTE

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Nature. Puis c’est l’équipe californienne du Pr Geoffrey Marcy, à San Francisco, qui a annoncé — sur la base des infor mations données par Michel Mayor à Florence et toujours via Internet — avoir refait les mesures au Lick Observatory pour aboutir aux mêmes conclusions que les deux astro-nomes suisses.Cette rumeur de planète, confortée par l’annonce de l’équipe américaine, sera-t-elle démentie comme ce fut sou vent le cas dans la quête de la “première” planète extraso-laire ? L’observation a été réalisée par Mayor et Queloz à l’aide du spectrographe Élodie installé au foyer du télescope de 1,9 m de l’observatoire de Haute-Provence. Les deux

A nouvelle n’aurait jamais dû filtrer de la salle de conférence de l’obser-

vatoire d’Arcetri, non loin de Florence, où se tenait fin octobre un colloque d’astro-physique stellaire. Dans une salle comble, Michel Mayor et Didier Queloz, astronomes à l’observatoire de Genève, ont annoncé à leurs collègues la découverte d’une planète grosse comme Jupiter tournant autour d’une étoile proche du Soleil, 51 de Pégase… C’était sans compter avec la présence de quelques journalistes et le relais d’Inter-net. L’information a fait le tour du monde avant même que les travaux des Suisses ne soient acceptés par les cher cheurs refe-rees et publiés officiellement dans la revue

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UN VÉRITABLE CHOC CONCEPTUEL

Ça y est, elle est là ! La première planète autour d‘un autre Soleil. L’annonce de la découverte fuse dans le monde entier. Michel Mayor et Didier Queloz inscrivent le premier nom sur une liste

qui ne cessera de s’allonger ensuite : 51 Pegasi b. Une lointaine Jupiter… À quand une autre Terre ?

Serge Brunier

1995

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LES ACTEURS

Avec la découverte de 51 Peg b, les Suisses Didier Queloz et Michel Mayor, de l’université de Genève, resteront comme les précurseurs de l’ère de l’exoplanétologie, même si depuis cette date les deux astronomes ont collectionné les découvertes d’exoplanètes. Michel Mayor, codécouvreur en 2007 de la première “exo-

Terre” (Gliese 581 c), impulsera le développement des spectrographes Coralie et surtout Harps (voir p. 34)

M. MAYOR ET D. QUELOZ51 DE PÉGASE bC’est la première planète extrasolaire découverte autour d’une étoile “normale”. Contrairement à PSR 1257+12 b observée en 1992 autour d’un pulsar, 51 Peg b tourne autour d’un soleil semblable au nôtre en plus âgé (7,5 milliards d’années, contre 4,6 pour le Soleil). Cette planète géante gazeuse se trouve à 0,06 UA de son étoile, soit 1/16 de la distance Terre-Soleil, ce qui la range dans la catégorie des Jupiter chauds.

LES MOTS

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chercheurs ont entrepris voici quelques années la sur veillance systématique d’étoiles proches de type spectral G ou K, c’est-à-dire de type solaire. Leur instrument est capable de détecter — via le déplacement cyclique des raies décelées dans le spectre de l’astre visé — d’infimes balancements de l’étoile, susceptibles d’être causés par la perturbation gravitationnelle d’un astre proche.

UNE ÉTOILE QUI A PORTÉ CHANCEC’est donc 51 de Pégase, une étoile faible-ment visible à l’œil nu, située à 42 années-lumière de la Terre, qui a porté chance à l’équipe suisse. Présentant un spectre G2 (pratiquement identique à celui du Soleil) et probablement âgée de 8 à 9 milliards d’années, cette étoile serait accompagnée d’une planète dont la masse équivaudrait à celle de Jupiter, selon les Suisses, et au moins à la moitié, selon les Américains… Si elle se confirmait, la découverte d’une planète

autour d’une étoile si proche — géogra-phiquement et physique ment — du Soleil serait un véritable choc conceptuel à plus d’un titre, puisqu’elle reviendrait d’une part à banaliser l’existence des systèmes solaires dans la Galaxie et d’autre part à revoir le mode de formation de tels systèmes. Car dans le cas de 51 de Pégase, les astro-nomes ne cachent pas leur perplexité  : l’orbite de la nouvelle planète est tout à fait inat tendue. En effet, l’astre invisible tourne en seulement 4 jours autour de son étoile, à une distance de 7,5 millions de kilo mètres seulement ! Pour comparaison, la période de révolution de la planète Mercure est de 88 jours, et sa distance au Soleil avoisine 50 millions de kilomètres.Alors, trop proche de son étoile, la planète de 51 de Pégase ? C’est ce qui inquiète les astronomes. D’autant que, si les spé cialistes des étoiles doubles font remarquer que l’écart entre les deux composantes d’un sys-

MAGNITUDE APPARENTEMesure l’éclat d’un astre vu de la Terre. Plus intuitivement, la magnitude classe les astres suivant une échelle qui va des plus brillants (valeurs négatives) aux moins brillants : la magnitude du Soleil vaut – 26,7, et celle de l’étoile la moins visible à l’œil nu est de + 6,5.

LES MOTS

TYPE SPECTRAL G (ET K)Dans le diagramme traçant le parcours de vie des étoiles, le diagramme de Hertzsprung-Russell (p. 19), les étoiles de type G sont celles dont la température de surface est comprise entre 5 000 et 6 000 K. Ces étoiles se situent vers le centre de la séquence principale, ce qui signifie qu’elles ont atteint la moitié de leur vie active, tel le Soleil. Le type spectral K est décrit p. 68.

LES MOTS

LA DÉCOUVERTE

MICHEL MAYORDIDIER QUELOZ 51 PÉGASE

RUMEUR OBSERVATOIRE DE GENÈVE

OBSERVATOIRE DE HAUTE-PROVENCE

ORBITE INATTENDUE

JUPITER TYPE G ET KINTERNET

REVUE NATURE GEOFFREY MARCY

BALANCEMENTSTOUR DU MONDE

VISIBLE À L’ŒIL NU MÊMES CONCLUSIONS

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tème binaire peut être encore plus serré, les planétologues, en revanche, sont bien en peine d’imaginer aujourd’hui les processus physiques qui amène raient une planète de la taille de Jupiter à se former aussi près de son étoile. Si les données de l’équipe suisse sont exactes, vue depuis la surface de cette étrange planète, l’étoile 51 de Pégase doit présenter un diamètre apparent de 10°, vingt fois supérieur à celui du Soleil vu de la Terre ! Quant à sa magnitude appa-rente, elle doit avoisiner – 34 : un éclat litté-ralement mortel. Les astronomes ont déjà calculé que la sur face de cette planète doit être portée à 1 200 °C — presque la tempéra-ture de surface d’une mini-étoile…Les chercheurs vont donc se pencher sur les données de Mayor et Queloz, ainsi que sur celles de Marcy, pour vérifier d’abord que la planète espérée n’est pas en réalité une étoile naine. Ce devrait être le cas d’un autre objet dont la découverte a également

été annoncée à Florence par des cher cheurs de l’Institut de technologie de Californie. Il s’agit cette fois d’un objet qui aurait vingt fois la taille de Jupiter et qui tournerait à une distance de 6,6 milliards de kilomètres autour de l’étoile GL 229, un astre situé à 30 années-lumière du Soleil. Selon Shrinivas Kulkarni, un des auteurs de la découverte, cet objet pourrait être une naine brune.On ne peut pas non plus exclure que l’ob-servation de Mayor soit un artefact dû, par exemple, à des pulsations radiales de la photosphère de l’astre. Si la découverte est confirmée, il sera en tout cas hors de ques-tion dans les années qui viennent de tenter de l’observer directement : l’astre est beau-coup trop proche de l’étoile. En revanche, la recherche systématique d’autres systèmes solaires, et de planètes moins exotiques, pourra commencer… ●

[ Article paru en décembre 1995 ]

Si elle se confirmait, la découverte d’une planète autour d’une étoile si proche du Soleil — géographiquement et physique ment — serait un véritable choc conceptuel

LES OUTILS

Élodie est un spectrographe, c’est-à-dire un instrument capable de décomposer finement la lumière reçue par un astre, monté sur le télescope de 1,93 m de l’observatoire de Haute-Provence. Installé dans le cadre du Programme de recherche de planètes extrasolaires, il a permis d’identifier par vitesse radiale la planète 51 Peg b. En septembre 2006, il a été remplacé par Sophie (Spectrographe pour l’observation des phénomènes des intérieurs stellaires et des exoplanètes).

SPECTROGRAPHE ÉLODIE PULSATION RADIALELes gigantesques mouvements convectifs de l’hydrogène dans les étoiles et d’autres phénomènes liés au transport d’énergie du centre vers la périphérie de l’astre provoquent des pulsations de sa surface, telle la membrane d’un haut-parleur.

LES MOTS

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LA DÉCOUVERTE

C’est pourtant la première fois que les astronomes ont sous les yeux trois planètes ensemble, un système au grand complet en somme, autour de l’étoile Upsilon And. Jusqu’ici, en effet, face aux bizarreries déni-chées (la planète de 51 Peg, par exemple, est si proche de son étoile qu’elle tourne littéra-lement dans sa couronne, d’autres ont une masse qui les rapproche dangereusement des étoiles naines brunes, d’autres, encore, présentent des orbites très excentriques), les spécialistes pouvaient se demander si ces objets solitaires étaient la règle, et notre riche système (neuf planètes, une soixantaine de satellites) une exception… Question corol-laire : la formation des exoplanètes décou-

A nouvelle est pratiquement passée inaperçue, et pourtant… La découverte

annoncée simultanément par deux équipes américaines est bouleversante et s’inscrira probablement durablement dans l’histoire des sciences. Car ce que viennent de trouver les astronomes Geoffrey Marcy et Paul Butler d’un côté, Robert Noves et ses collaborateurs de l’autre, c’est rien moins qu’un nouveau sys-tème solaire situé tout près de nous, dans la constellation d’Andromède. Un nouveau sys-tème solaire ? On serait tenté d’objecter — avec la découverte en 1995 de la toute première exoplanète autour de 51 Peg, suivie depuis par celle d’une vingtaine d’autres mondes — que cela n’a rien de bien surprenant.

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Un système planétaire au complet, tournant autour d’une étoile ressemblant au Soleil, voici l’extraordinaire trouvaille effectuée par deux équipes américaines. Nous savons désormais que

notre Système solaire n’est pas une bizarrerie galactique : il en existe probablement des milliards.

Serge Brunier

1999

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«LES ACTEURS

Il est le chasseur d’exoplanètes américain le plus titré. On lui doit plus des deux tiers des 100 premières planètes découvertes. Geoffrey Marcy est professeur d’astronomie à l’université de Californie (Berkeley). Nous le retrouverons tout au long de l’aventure des mondes

extrasolaires : les premiers corps découverts par la méthode des transits (p. 42), les premières Neptune chaudes, etc.

GEOFFREY MARCY EXCENTRICITÉTerme emprunté à la géométrie, qui rend compte du taux d’aplatissement de l’orbite elliptique des planètes. Une excentricité nulle correspond à une orbite circulaire.

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UN SYSTÈME PLANÉTAIRE AU COMPLET

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Représentation d’artiste du système de l’étoile Upsilon And A : trois planètes géantes gazeuses, dont l’une très près de l’astre (Upsilon And b), et l’autre éloignée (Upsilon And d), à une distance de 2,5 unités astronomiques.w

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vertes jusqu’ici, souvent beaucoup plus massives que Jupiter, n’empêchait-elle pas celle d’un système complet, bref, quelque chose qui ressemblât vraiment à notre Système solaire ?Eh bien non ! On sait désormais que les sys-tèmes planétaires sont légion dans la Galaxie. La découverte, avec nos faibles moyens d’ob-servation, de l’un d’entre eux à seulement 44 années-lumière du Soleil, le démontre. Statistiquement, on peut s’attendre à ce qu’il existe, en tout, entre un et dix milliards de systèmes planétaires, voire plus, dans la seule Voie lactée ! Et pour obtenir une estimation à l’échelle de l’Univers visible, jusqu’à l’horizon cosmologique, il faut encore multiplier ce chiffre par cent milliards…Mais au fait, qu’a-t-on trouvé autour d’Upsi-lon And (•)? Cette étoile bien visible à l’œil nu (elle sert de guide aux amateurs en partance pour la galaxie d’Andromède, c’est dire !) est 30 % plus massive que le Soleil. Elle est aussi plus jeune, affichant seulement 3 milliards d’années contre 4,5 milliards pour le Soleil. Enfin, elle doit briller à peu près deux fois plus que notre étoile. Dès 1997, Geoffrey Marcy et Paul Butler avaient trouvé une première exo-planète autour d’Upsilon And. Un astre d’une masse comprise entre celle de Saturne et celle de Jupiter, tournant en 4,6 jours autour de son étoile à seulement 9 millions de kilomètres de distance (soit 0,06 UA) ! Ce “Jupiter chaud” comme disent les astronomes n’a pas été pho-tographié par un télescope géant ou Hubble, mais observé indirectement, grâce au lent mouvement de va-et-vient de son étoile.Les deux nouvelles planètes, annoncées fin avril, ont été découvertes par la même méthode, simultanément aux observatoires Lick et du mont Hopkins. Elles sont plus diffi-

ciles à extraire des données — en l’occurrence, le spectre de l’étoile, où oscillent lentement les raies d’émission, au rythme des révolutions des planètes —car elles gravitent plus loin, et donc plus lentement, autour de leur étoile. La seconde, baptisée Upsilon And b, met 241 jours pour couvrir son orbite, à 125 mil-lions de kilomètres de l’étoile (0,83 UA). Cette planète serait deux fois plus massive que Jupiter. Enfin, la dernière, Upsilon And c, d’en-viron 4 masses joviennes, se trouve à 375 mil-lions de kilomètres (2,5 UA) sur une orbite elliptique couverte en trois ans et demi.Voici donc enfin la preuve tangible que les planètes extrasolaires, comme celles de notre propre système, naissent et évoluent en groupe. Mieux : que des planètes supermas-sives peuvent cohabiter, et même évoluer sur des orbites qui naguère auraient paru “un peu limite”, voire interdites, aux théoriciens. Les astronomes sont pris de vertige : toutes les combinaisons, ou presque, semblent désor-mais possibles ! Les années qui viennent vont inéluctablement voir la découverte d’autres systèmes ; car c’est seulement dans la durée que la plupart des exoplanètes peuvent être trouvées. En ce sens, la vingtaine d’objets dénichés à ce jour ne sont probablement pas typiques de la population planétaire réelle de la Galaxie. L’échantillon est en effet biaisé. D’une part, parce que la méthode de détec-tion actuelle sélectionne uniquement les très grosses planètes, au détriment des petites. Si les astronomes se transportaient sur Upsilon And et observaient le Soleil, ils ne détec-teraient que Jupiter… D’autre part, parce que cette même méthode (dite des vitesses radiales) n’est efficace que pour les astres de période de révolution rapide. Pour mettre en évidence des planètes de plusieurs années de

RAIE D’ÉMISSIONUne étoile émet de la lumière, c’est-à-dire des photons, dont l’énergie (la couleur) caractérise les atomes qui la composent. Chaque type d’étoile possède ainsi son spectre d’émission : les raies lumineuses renseignent des éléments chimiques présents, les sombres, des éléments absents. Des perturbations occasionnées par la présence de planètes font osciller ces raies.

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LA DÉCOUVERTE

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période, il faut observer l’étoile sur la même durée. Quant aux astres comme Uranus ou Neptune, qui prennent des décennies ou des siècles pour faire un seul tour de leur étoile, leur détection est quasi impossible.Que va-t-il se passer désormais ? Déjà, plus aucun astronome ne connaît par cœur le nom de toutes les étoiles possédant des planètes. Et pour cause, on découvre pratiquement une nouvelle exoplanète par mois ! Après Upsilon And, d’autres systèmes à plusieurs planètes vont être dénichés — ce n’est qu’une affaire de mois si l’on en croit les bruits qui circulent dans les observatoires. Ensuite, avec l’affinement des techniques, des astres de moins en moins mas-sifs vont se révéler — s’ils existent, mais peu de chercheurs en doutent ! Des objets de la taille de Saturne, de Neptune ou d’Uranus… Enfin, les techniques de détection vont pro-gressivement s’élargir. En vrac, les plus prometteuses : l’astrométrie, qui est le pen-dant géométrique de la mesure des vitesses

radiales ; la photométrie, qui consiste à obser-ver les éclipses d’étoiles par leurs planètes ; enfin, bien sûr, la détection directe. Toutes ces techniques, déjà en rodage au sol, vont prendre une ampleur nouvelle lorsqu’elles seront expé-rimentées dans l’espace. De part et d’autre de l’Atlantique, les projets de télescopes spa-tiaux dédiés à la recherche des exoplanètes ne manquent pas : Corot est déjà sur la rampe de lancement et la relève, Gaïa (•), est assu-rée. C’est une nouvelle branche de l’astrono-mie que nous voyons naître aujourd’hui. Elle pourrait connaître un véritable âge d’or dans les décennies qui viennent. Bientôt, les exo-planétologues pourront commencer à classer les systèmes découverts, à mesurer les carac-téristiques de leurs planètes et à les comparer à celles du Système solaire. En attendant, qui sait, de dénicher quelque part dans la Voie lac-tée une petite planète bleue ? ●

[ Article paru en juin 1999 ]

UPSILON ANDROMEDAE

Le système d’Upsilon And comptera finalement quatre planètes. La

dernière, Upsilon And e, a été découverte en

novembre 2010.

GAÏA Le lancement de ce satellite de l’Agence

spatiale européenne est prévu en août 2013. Sa

mission devrait s’achever en 2018.

HORIZON COSMOLOGIQUELimite de ce qui est observable, en particulier par nous, dans l’Univers. En effet, comme l’Univers est en expansion depuis 13,7 milliards d’années, il est des astres trop éloignés pour que leur lumière puisse nous parvenir — du fait de la vitesse de la lumière limitée à 300 000 km/s dans le vide. Des calculs complexes attribuent à cet horizon un diamètre de 45 milliards d’années-lumière.

LES MOTS

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

JUPITER CHAUD

VERTIGE 3 PLANÈTESSIMULTANÉMENT

CONSTELLATION D’ANDROMÈDE

PREMIÈRE FOIS

44 ANNÉES-LUMIÈRE

UPSILON ANDVITESSE RADIALE

GEOFFREY MARCY

PAUL BUTLERROBERT NOVES3 MILLIARDS

D’ANNÉESMASSES

JOVIENNES

HORIZON COSMOLOGIQUEVOIE LACTÉE

RAIES D’ÉMISSION EXOPLANÉTOLOGUES

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LA DÉCOUVERTE

ES chasseurs d’exoplanètes disposent d’un outil hors pair pour débusquer ces

astres lointains : le spectrographe Harps (1), ins-tallé à l’observatoire de La Silla. L’instrument est capable d’obtenir une précision de l’ordre de 1 m/s dans la mesure des vitesses radiales d’étoiles. Pour cela, il a été rendu ultrastable par

confinement sous vide et à une température contrôlée au millième de degré près. Résultat : pas de variation de pression, pas de salissures de l’optique, pas d’effets parasites. En service depuis 2003, il a été construit par un consor-tium dirigé par l’observatoire de Genève et comprenant l’observatoire de Haute-Provence,

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UN MONSTRE NOMMÉ HARPSDe l’avis des astronomes, le spectrographe Harps est le “chasseur de planètes” le plus précis au monde.

Román Ikonicoff

Le spectrographe Harps est installé sur le télescope de 3,6 m de l’observatoire de La Silla, au Chili. Il est capable d’analyser finement la lumière d’une étoile lointaine afin d’y repérer l’influence d’une planète. L’ensemble, ici ouvert lors de tests, mesure 2 m sur 8 m.

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HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

l’Institut de physique de l’université de Berne, le service d’aéronomie du CNRS et l’ESO.Que décèle-t-il  ? L’infime vibration qu’une planète imprime à l’étoile autour de laquelle elle tourne. En effet, bien que des centaines à des milliers de fois moins massive que son soleil, la planète exerce sur celui-ci une influence gravitationnelle. En décrivant son orbite, elle fait tourner l’étoile autour d’un point. Ce déplacement cyclique n’est pas directement observable avec un télescope. En revanche, il peut être détecté grâce à un spectrographe tel que Harps. En décom-posant la lumière de l’étoile, Harps repère d’infimes décalages dans son spectre (lire p. 39), qui trahissent ce mouvement. Lorsque le spectre se décale vers le rouge, l’étoile s’éloigne, et quand il se décale vers le bleu, elle se rapproche. De la vitesse de déplace-ment, appelée vitesse radiale, les astronomes déduisent la masse de la planète (invisible).Dans le Système solaire, Jupiter fait “bouger” le Soleil de 13 m/s, et Saturne, de 2,5 m/s. Si

un astrophysicien sur une exoplanète étudiait le Soleil avec Harps, il découvrirait la pré-sence des deux planètes géantes. Cet instru-ment, le plus précis à ce jour, peut mesurer des déplacements de moins de 1 m/s. “Nous pouvons même atteindre 30 cm/s”, précise Michel Mayor, de l’observatoire de Genève. C’est-à-dire la vitesse d’un chat en train de marcher. Et ce, à des centaines d’années-lumière. Reste que pour détecter la Terre, il faut pouvoir mesurer des variations de vitesse de 8 cm/s. ●

(1) Harps : High Accuracy Radial velocity Planet Searcher, chercheur de planète par vitesse radiale à haute précision.

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Une planète fait tourner son étoile autour d’un point. Un déplacement détectable en décomposant la lumière de l’étoile

Harps a révélé la présence de six planètes autour de l’étoile HD 10180, dans la constellation australe de l’Hydre. Grâce aux 190 mesures réparties sur six ans, les astronomes ont détecté la faible oscillation de ce soleil provoquée par ses planètes.

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L’EXP LORATIONDécennie 2000 : la question de la fréquence des systèmes planétaires dans la Galaxie focalise

les astronomes. La méthode de détection par “transit” prend de l’importance, tandis que de

nouveaux instruments entrent en fonction, comme le spectrographe Harps. Et deux tabous

supplémentaires tombent : on détecte directement la lumière d’une exoplanète, et on repère la

première planète rocheuse comme la Terre.

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L’EXPLORATION

L’EXPLORATION COMMENCE

Pour la première fois, des astronomes annoncent avoir analysé l’atmosphère d’une exoplanète, HD 209458 b, par la méthode des transits. Cette performance ouvre la voie à une étude détaillée

des mondes lointains et montre qu’à terme, la détection de vie ailleurs dans l’Univers n’a rien d’une chimère.

Philippe Henarejos

2002

« «Spectre d’absorption de la lumière d’une étoile par sa planète (ici, HD 159733 b). Les crêtes représentent les longueurs d’onde les plus absorbées, indiquant la présence d’eau dans son atmosphère.w

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HAQUE mois, deux de plus. Depuis octobre 1995, c’est à cette cadence

moyenne qu’augmente le nombre des planètes découvertes en dehors du système solaire. Si bien qu’avant la fin 2002, le cap des cent exo-planètes risque fort d’être dépassé. Mais pour Michel Mayor, de l’observatoire de Genève, découvreur de la première exoplanète autour d’une étoile semblable au Soleil, “il est tout aussi essentiel d’étudier en détail celles que nous connaissons déjà”. Ce vœu n’a pas tardé à être exaucé. Quelques jours après qu’il nous a confié cette réflexion, le 27 novembre 2001, les Américains Timothy Brown et David Charbonneau (1), appuyés par l’artillerie média-tique de la Nasa, annonçaient qu’ils avaient pour la première fois détecté et en partie ana-lysé l’atmosphère d’une exoplanète : celle d’une géante gazeuse de 0,69 masse jovienne, tour-nant à 0,045 UA autour de l’étoile HD 209458, située à 153 années-lumière (a.-l.) dans la constellation de Pégase. Tous les trois jours et demi, ce globe d’un diamètre équivalant à 1,4 fois celui de Jupiter passe devant son étoile et en diminue l’éclat de 1,7 %. C’est infime mais suffisant pour que des télescopes équi-pés de photomètres y soient sensibles. C’est d’ailleurs en observant l’un de ces transits que les mêmes chercheurs, en novembre 1999, avaient confirmé l’existence de la planète.

Parmi la quasi-centaine d’exoplanètes connues à l’heure actuelle, HD 209458 b (•) est la seule à passer régulièrement devant son étoile. Une particularité qui a poussé les astro-nomes à en savoir davantage à son sujet. Par exemple, comme le note Jean Schneider, de l’observatoire de Paris-Meudon, “un retard ou une avance de quelques dizaines de secondes dans l’instant de l’éclipse pourrait signifier la présence d’un satellite massif en orbite autour de la planète. De même, une courbe de diminution de lumière légèrement défor-mée trahit la présence d’anneaux, similaires à ceux de Saturne”. Dès février 2000, Brown et Charbonneau employaient le télescope spatial Hubble pour suivre à la loupe quatre transits. Résultat : pas d’anneaux d’une taille égale ou supérieure à celle des anneaux de Saturne. Pas davantage de satellite d’un diamètre supérieur de moitié à celui de la Terre. Ce qui n’exclut pas la présence de satellites ou d’anneaux plus petits. Les deux chercheurs précisent d’ail-leurs : “Ces observations n’auraient pas mis en évidence les satellites galiléens de Jupiter, ni clairement détecté les anneaux de Saturne.” Cette campagne d’observation leur a aussi appris qu’ils avaient les moyens techniques de chercher d’autres planètes autour de HD 209458 (en mesurant une éventuelle dérive de l’heure des transits, bien plus lente que celle

C

SPECTREDécomposition de la lumière d’un astre en ces différentes longueurs d’onde (à l’image de l’arc-en-ciel pour la lumière du Soleil).

Les spectres nous renseignent notamment sur la composition chimique de l’astre et sa température.

LES MOTS

HD 209458 bEntre 2003 et 2010, l’analyse

de l’atmosphère de la planète s’est affinée : celle-ci contient

de l’hydrogène, de l’oxygène, du carbone, de la vapeur d’eau,

du monoxyde de carbone (CO) et des molécules complexes.

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L’EXPLORATION

CorotLe satellite Corot (acronyme

pour Convection, rotation et transits planétaires) est

le premier télescope spatial dédié à l’exoplanétologie.

Il fut finalement lancé le 27 décembre 2006 (p. 67).

LES ACTEURS

Professeur d’astronomie à l’université de Harvard (Massachusetts), l’Américain David Charbonneau y était encore étudiant quand, en 1999, il fait la première détection par transit d’une exoplanète : HD 209458 b ! Il réussit les années suivantes à identifier certains éléments de son atmosphère

à l’aide du télescope Hubble. Enfin, en 2005, le chercheur parvient à détecter directement la lumière infrarouge émise par l’exoplanète, ce qui permet d’évaluer sa température (750 °C).

DAVID CHARBONNEAU

DR

occasionnée par un satellite), de détecter la lumière réfléchie par la planète connue (en réalisant des spectres avant et après l’éclipse de la planète par son étoile), mais aussi d’analy-ser la composition de l’atmosphère de la géante gazeuse lorsque celle-ci passe devant l’étoile. C’est précisément cela qu’ils ont annoncé le 27 novembre 2001. Au cours d’une nouvelle série d’observations menées avec le téles-cope spatial Hubble, les deux Américains sont parvenus à identifier l’absorption causée par le sodium contenu dans l’atmosphère de HD 209458 b. Pourquoi le sodium ? “Il est très facile à identifier en lumière visible grâce à son doublet de raies spectrales”, explique Alfred Vidal-Madjar, de l’Institut d’astrophysique de Paris. En mesurant la taille de la raie de cet élé-ment, Brown et Charbonneau en déduisent même qu’il semble un peu moins abondant (de l’ordre de 20 %) que sur Jupiter. Mais cela peut être dû à des nuages d’altitude bloquant une partie du rayonnement issu des couches inférieures contenant le sodium.Cette analyse reste très limitée mais elle ouvre la voie. “D’autres éléments sont acces-sibles. Toujours avec Hubble, nous sommes par exemple en train de rechercher l’hydrogène dans l’ultraviolet lointain”, précise Alfred Vidal-Madjar. Sur leur lancée, les deux chercheurs américains lorgnent aussi du côté du méthane, décelable dans l’infrarouge proche. Si bien que de nouveaux résultats sur HD 209458 b sont à attendre dans les prochains mois. À plus long terme, quand ils auront mis au jour d’autres exoplanètes qui occultent partiellement leur étoile, les astronomes compareront leur atmosphère. D’ailleurs, ce genre d’étude pour-rait débuter rapidement. En octobre dernier, une équipe américano-chilienne de l’observa-toire du Cerro Tololo (Chili) aurait découvert

au moins une exoplanète grâce à son transit devant une étoile lointaine de magnitude 18. Que ce résultat se confirme ou non, à par-tir de 2004, le satellite Corot (•) devrait sans aucun doute dévoiler par la même méthode des centaines d’exoplanètes. Parmi elles, trente à quarante seraient de la taille de la Terre. Les astronomes n’auront alors plus qu’à les aus-culter, comme ils l’ont fait pour HD 209458 b, afin d’essayer d’y découvrir la trace d’éléments produits par la vie (par exemple, l’ozone). La performance de Brown et de Charbonneau, avec ces perspectives, ne se limite donc pas à une simple confirmation de l’existence d’une planète gazeuse autour d’une étoile proche. Elle amorce une ère d’étude approfondie de ces Jupiter lointains.

DES ÉTOILES PARTICULIÈRESAvant d’en arriver là, la moisson de nouveaux mondes par mesure des vitesses radiales d’étoiles se poursuit. Le mois dernier, l’équipe de Michel Mayor mettait en évidence quelques planètes extrasolaires de plus par un réexamen plus précis des données accumulées depuis près de dix ans. Le nombre de ces planètes est aussi un moyen de mieux les connaître. Par exemple, les astronomes ont constaté que les étoiles possédant une ou plusieurs planètes géantes gazeuses avaient une métallicité (pro-portion d’éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium) plus élevée que les autres. “Deux hypothèses tentent d’expliquer cela, commente Willy Benz, de l’observatoire de Genève. La première suppose que les planètes se forment plus volontiers autour d’étoiles riches en élé-ments lourds. Des observations réalisées dans l’amas globulaire 47 du Toucan semblent étayer ce scénario puisqu’aucune géante gazeuse n’a été trouvée autour d’étoiles de faible

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métallicité. L’autre hypothèse suggère un enri-chissement artificiel d’une étoile par la chute de ses planètes sur elle. Si une planète tellurique s’écrasait sur le Soleil, sa matière ne se diluerait qu’en surface, ce qui serait suffisant pour don-ner à notre étoile une métallicité supérieure.”En dehors de cette particularité, il reste difficile de classer les exoplanètes. Geoffrey Marcy, de l’université de Berkeley (Californie), distingue quatre familles : “Celles très proches de leur étoile, qui ont une période de révolution de moins de 10 jours ; celles qui sont au-delà de 0,1 UA de leur étoile sur des orbites elliptiques ; celles aussi éloignées mais sur des orbites circu-laires ; enfin, celles situées au-delà de 3,5 UA (bien qu’aucune n’ait encore été trouvée) et qui ressemblent à Jupiter ou à Saturne.” Pour Xavier Delfosse, de l’observatoire de Grenoble, tout classement est prématuré : “Pour l’instant, nous n’avons pas observé assez longtemps pour découvrir tous les types d’exoplanètes. De plus, nous voyons une conti-

nuité dans les périodes de révolution et dans les masses mesurées. Il n’y aurait donc pas de catégories bien marquées.” Un avis partagé par Michel Mayor, qui prépare déjà la traque de planètes de masse bien inférieure à celle de Jupiter ou de Saturne. Dans quelques mois, son spectrographe Harps (•) sera installé sur le télescope de 3,6 m de l’ESO à La Silla (Chili). Sa précision sans précédent promet la détection de planètes de 4 masses terrestres situées sur une orbite très serrée ou de corps équivalant à Uranus à plusieurs unités astronomiques de l’étoile centrale. D’ici cinq ans, plus de 200 exo-planètes seront dans la besace des chercheurs. De quoi motiver les projets spatiaux comme Corot ou même Gaïa, susceptibles de dévoiler des milliers de nouveaux mondes lointains… Et ce d’autant plus que l’exploration de l’un d’entre eux a déjà commencé. ●

(1) Du Caltech, à Pasadena, et du National Center for Atmospheric Research, à Boulder.

[ Article paru en janvier 2002 ]

HarpsInstallé en 2003 sur le télescope de 3,6 m de l’observatoire de La Silla

(Chili), Harps est le descendant direct du spectrographe

Élodie (p. 29). Sous la direction de Michel Mayor, l’instrument

a permis de débusquer plus de 130 exoplanètes (pp. 34-35).

MÉTALLICITÉ AMAS GLOBULAIREOn parle de métallicité en référence au

classement des éléments chimiques (types d’atomes) dans le tableau périodique de Mendeleïev, dont une des grandes catégories est celle des métaux (métaux alcalins, de transition, etc.) Néanmoins en astronomie, le sens est plus large : la métallicité mesure la proportion d’atomes autres que l’hydrogène (et l’hélium), issus de la fusion de ceux-ci dans le cœur de l’étoile.

Ensemble compact regroupant plusieurs dizaines de milliers d’étoiles. Les amas sont dispersés dans le halo de notre galaxie et seraient contemporains de sa formation.

LES MOTS LES MOTS

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HUBBLE

ANALYSE D’ATMOSPHÈRE

HD 209458

T. BROWN

D.CHARBONNEAU PLANÈTE TELLURIQUETRANSIT

ALFRED VIDAL-MADJAR

MÉTALLICITÉNUAGES D’ALTITUDE

CAMPAGNE D’OBSERVATIONHARPSPÉGASE

PHOTOMÈTRES

COMPOSITION DE L’ATMOSPHÈRE

SODIUMÉLÉMENTS LOURDS

OZONE MÉTHANE SATELLITE COROT

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L’EXPLORATION

la densité, autrement dit de savoir si la planète est gazeuse ou solide. Comme elle n’est pas discernable directe ment (elle ne forme qu’une petite tache sur le disque stel-laire, lui-même impossible à résoudre), les astronomes procèdent diffé remment. Ils mesurent l’infime baisse de luminosité au passage de la planète devant l’étoile, propor-tionnelle à la surface stellaire occultée. Le rayon planétaire s’obtient alors, moyennant une hypothèse sur la masse et le rayon de l’étoile. Mais il est possible de faire mieux. Pour la planète HD 2094586 b, par exemple, le télescope spatial a été capable d’indiquer à quelle vitesse varie la luminosité stellaire en

ES astronomes ont beau avoir déni-ché plus d’une centaine de planètes

extrasolaires et être sur le point d’en décou-vrir bien davantage, ils ne connaissent à peu près rien de ces astres lointains, si ce n’est leur masse mini male et la distance à leur Soleil. Sauf dans deux cas (1) où, par chance, il leur est pos sible d’observer régulièrement le passage de ces planètes devant leur étoile. Une aubaine dont les astronomes tirent dif-férentes informations.

LE RAYONC’est une donnée essentielle. Déter miner le rayon et la masse permet de connaître

L

LES EXOPLANÈTES SE METTENTEN TRANSIT

Dès 1999, la méthode des transits a permis de surprendre une exoplanète, HD 209458 b, lors de son passage devant son étoile. Mais c’est à partir de 2003 que la recherche par cette méthode

se systématise. On vise désormais les systèmes planétaires se présentant à nous par la tranche.

David Fossé

2003

«

«EFFET DOPPLERÀ l’instar du son émis par une locomotive en mouvement, la lumière d’un astre qui s’éloigne de nous se décale vers les grandes longueurs d’onde, c’est-à-dire vers le rouge. Celle d’un astre qui se rapproche se décale vers les petites longueurs d’onde, le bleu.

LES MOTS

TRANSITLe passage, ou transit, d’une planète devant son étoile diminue légèrement l’éclat de cette dernière : cette variation renseigne sur la taille de la planète, proportionnelle à la baisse d’éclat enregistrée, et

sur sa composition, par analyse du spectre lumineux. La technique sera utilisée notamment par les satellites Corot (p. 67) et Kepler (p. 86).

LES MOTS

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Vénus, ici photographiée le 8 juin 2004, a été la première planète observée en transit par les astronomes. Une telle observation n’est possible que si la Terre se trouve dans le plan de l’orbite de la planète (système vu “par la tranche”).w

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L’EXPLORATION

début et en fin de transit ! Dans ce cas, pour estimer le rayon de la planète, la connais-sance de la masse de l’étoile suffit. Ça tombe bien : cette masse se calcule très facilement à partir de sa luminosité.

LE SENS DE LA RÉVOLUTION PLANÉTAIRE PAR RAPPORT À LA ROTATION DE L’ÉTOILECela semble anecdotique, et pourtant ! Une planète qui tournerait en sens inverse de la rotation stellaire poserait de sérieux problèmes aux astrophysiciens… Dans son principe, la vérification que “tout tourne rond” est assez simple. Il suffit de remar quer qu’une raie d’ab-sorption stellaire (qui signe la présence d’un élément chimique dans l’étoile) est toujours élargie par effet Doppler. Parce que l’étoile tourne sur elle-même, la moitié qui s’éloigne de nous étire la raie vers le rouge, et celle qui se rap proche l’étire vers le bleu ! Si la planète tourne dans le même sens que l’étoile, c’est la fraction la plus bleuie de la lumière stel laire qui est occultée en début de transit. Et la raie n’est plus symétrique. À la fin du passage, c’est au contraire la lumière rougie qui nous est cachée… La raie est alors déformée dans l’autre sens. HD 209458 b est la seule planète dont le sens de révolu tion a pu être vérifié.

L’EXCENTRICITÉ DE L’ORBITE ET LA LONGITUDE DE SON PÉRIASTREToutes les planètes qui tournent en moins de 5 jours autour de leur étoile ont une orbite circulaire (excentricité nulle). Ceci s’explique par les forts effets de marées auxquelles elles sont soumises. Pour les autres planètes, il est possible théoriquement de calculer l’excen-tricité de l’orbite et la longitude du périastre à partir des dates et des durées des transits

De la théorie à la pratique, les astro nomes doivent compter avec les perfor mances de leurs instruments !

L’observation des transits peut en théorie nous renseigner sur le sens de révolution de la planète, ou encore sur la forme de son orbite autour de son étoile.

PÉRIASTREINFRAROUGEPoint de l’orbite de la planète le plus proche de son étoile. Dans le cas du Soleil, on emploie le terme périhélie.

Domaine de rayonnements compris entre le visible et les ondes radio (entre 0,8 µm et 1 mm de longueur d’onde). L’observation en infrarouge nous donne accès à une gamme étendue d’astres, mais nécessite de s’affranchir de l’atmosphère. Elle est donc l’apanage des télescopes sur orbite, comme Iras (p. 18).

LES MOTSLES MOTS

Planète

Étoile

Périastre

Orbite de la planète

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primaire (devant l’étoile) et secondaire (der-rière). Mais de la théorie à la pratique, les astro nomes doivent compter avec les perfor-mances de leurs instruments !

LA COMPOSITION CHIMIQUE DE L’ATMOSPHÈREEn 2001, du sodium a été détecté dans HD 209458 b, confirmant qu’il s’agissait d’une planète gazeuse. L’eau, le méthane et le monoxyde de carbone sont aussi recherchés dans cette atmosphère… qui s’évapore.

LA TEMPÉRATURE DE L’ATMOSPHÈREIl ne s’agit encore que d’estimations très indi-rectes. Grosso modo, plus une planète est proche de son étoile, plus elle est chaude. L’observation d’un transit dans l’infrarouge donnerait au contraire une mesure directe de la température plané taire. Hélas, la précision requise — 1 millimagnitude — est pour le moment hors de portée à ces longueurs d’onde.

L’ALBÉDOL’albédo, qui permet d’estimer la quantité d’énergie absorbée par une atmo sphère, est un paramètre crucial pour qui espère com-prendre le climat des planètes lointaines. C’est juste avant le passage de la planète derrière son étoile que la fraction de lumière qu’elle réfléchit est maximale. En effet, l’astre agit comme un miroir. La quantité de lumière qu’elle ajoute à celle de l’étoile est cependant très faible : il fau-dra atteindre une sensibilité cent fois meilleure que celle actuelle pour espérer la mesurer.

LA PRÉSENCE DE SATELLITESUn satellite présent en orbite autour d’une planète entraînerait des perturbations gra-vitationnelles, se manifestant par des varia-tions dans l’instant précis du centre du transit. Un compagnon de plus de 3 masses terrestres est ainsi exclu autour de HD 209458 b. ●

(1) HD 2094586 et OGLE- TR-56b.

[ Article paru en mai 2003 ]

ALBÉDODérivé du terme latin signifiant “blancheur”, l’albédo d’une planète équivaut à la proportion de lumière stellaire réfléchie par la planète par rapport à la lumière reçue. Sa valeur est comprise entre 0 et 1. Ainsi, l’albédo de la Terre vaut 0,3. Celle de Vénus : 0,75.

LES MOTS

EFFETS DE MARÉESProduits par les forces d’attraction gravitationnelle qui s’exercent entre l’étoile et sa planète, les effets de marées (ainsi nommés par analogie avec les marées terrestres imprimées par la Lune) tendent à déformer

les planètes situées près de l’étoile et à circulariser leur orbite. En deçà d’une distance minimale, dite limite de Roche, la planète se disloque.

LES MOTS

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TRANSITHD 209458 b

DONNÉE ESSENTIELLEAUBAINE

MAXIMUM D’INFORMATIONS

INFIME BAISSE DE LUMINOSITÉ

EFFETS DE MARÉES

LUMIÈRE ROUGEALBÉDO

PÉRIASTREEFFET DOPPLER PERTURBATIONS GRAVITATIONNELLESEXCENTRICITÉ

NULLE

ESTIMATIONS TRÈS INDIRECTES

ROTATION STELLAIRE

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L’EXPLORATION

ETTE fois, c’est la bonne  ! Les astronomes ont enfin l’image qu’ils

espéraient obtenir depuis des décennies : celle d’une planète située hors du Système solaire. Et c’est une équipe européenne  (1), menée par le Français Gaël Chauvin, qui a décroché la timbale. Le 10 septembre 2004, ces chercheurs rendaient public un cliché pris le 27 avril par l’un des quatre télescopes de 8,2 m du VLT, au Chili, montrant un astre brillant accompagné d’un minuscule point rouge. Probablement une planète géante. Encore fallait-il s’en assurer.Depuis le 30 avril 2005, à peine plus d’un an après cette première observation, c’est

chose faite : les astronomes européens ont bien photographié, à 230 années-lumière de la Terre, une planète d’environ cinq fois la masse de Jupiter. Coup de chance ? Pas exac-tement. “Ils ont choisi la bonne stratégie. Leur détection est historique”, s’enthousiasme le Suisse Michel Mayor, découvreur de la pre-mière exoplanète en 1995 (autour de l’étoile 51 de Pégase). En effet, Gaël Chauvin et ses collègues ont focalisé leurs recherches dans l’association stellaire TW Hydrae, riche en astres à la fois jeunes et peu massifs. L’idée était notamment d’explorer les environs immédiats de naines brunes, ces étoiles trop petites pour déclencher en leur cœur

C’est confirmé, l’astre photographié en avril 2004 par le Very Large Telescope européen est bien une planète. Située à 230 années-lumière de la Terre, elle ressemble assez peu à celles

du Système solaire. Portrait d’un monde exotique découvert par les astronomes européens.

Philippe Henarejos

2005

ILS ONT PHOTOGRAPHIÉ UNE EXOPLANÈTE

«

«

C

LES ACTEURS

En 2004, ce jeune astronome dirigeait l’équipe du Very Large Telescope (VLT, Cerro Paranal, Chili) qui a découvert 2M1207b. Gaël Chauvin s’est spécialisé dans l’étude des étoiles naines brunes (p.16) “planétarisées” autour d’une étoile, et des planètes géantes gazeuses : deux types

d’astres à l’origine différente, mais difficiles à distinguer en théorie et en observation astronomique. C’est le cas de 2M1207 b, dont le statut est toujours en discussion.

GAËL CHAUVIN ASSOCIATION STELLAIREGroupe diffus formé de dizaines d’étoiles généralement jeunes, dont l’origine est commune, mais qui ne sont pas liées par la gravitation comme dans les amas.

LES MOTS

DR

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Cliché de 2M1207 b (en rouge) et son étoile, une naine brune, pris avec le VLT par l’équipe qui l’a découverte. Située à 230 années-lumière de la Terre, elle ressemble à Jupiter, mais en cinq fois plus massif.w

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L’EXPLORATION

des réactions de fusion thermonucléaire. Premier avantage : celles-ci rayonnent peu et ne sont pas entourées d’un éblouissant halo lumineux, de nature à masquer le modeste éclat d’une éventuelle planète satellisée autour d’elles. Deuxième qualité : leur jeune âge (moins de 10 millions d’années) laisse supposer que toute planète géante formée en même temps serait encore assez chaude pour avoir un éclat relativement puissant en infrarouge donc facile à repérer.

LÉGER DÉPLACEMENTDe fait, la nouvelle planète a été vue à 0,778” d’une naine brune de 8 millions d’années et d’à peine 25 masses joviennes (soit 0,25 % de la masse du Soleil). Restait à confirmer que la proximité des deux objets n’était pas qu’apparente. Pour cela, les astronomes ont dû patienter presque une année, le temps que les deux corps se déplacent légèrement sur la voûte céleste. “Nous avons de la chance car la naine brune bouge assez vite”, confie Christophe Dumas, de l’Observatoire euro-péen aus tral (ESO). Tout de même, entre avril 2004 et mars 2005, elle n’aura parcouru que 60 millièmes de seconde d’arc ! Un décalage de position infime mais néanmoins suffisant pour que le télescope de 8,2 m équipé d’une optique adaptative le mesure. “Nous avons vu que la naine brune et la possible planète bougeaient de la même manière, ajoute le chercheur. Il y a donc aujourd’hui moins d’une chance sur un milliard pour qu’elles ne soient pas associées.”En fait, le doute n’est plus permis. Depuis leurs premières observations, les astro-nomes de l’ESO ont acquis des spectres de la géante gazeuse, indiquant une température de surface de 1 200 ° Kelvin et la présence

de vapeur d’eau. Des données qui, selon les modèles, vont comme un gant à une planète de 3 à 7 masses joviennes. “Pour évaluer sa masse, nous nous basons sur l’âge du système, qui est de 5 à 10 millions d’années, précise Christophe Dumas. Malgré cette incertitude due aux différents modèles utilisés, à laquelle s’ajoute celle sur l’éloignement exact de l’objet, tous les résultats convergent. Et comme les théories ont vraisemblablement une tendance à la surestimation- il est probable que la pla-nète fasse moins de 5 masses joviennes.” Pour préciser cette estimation, l’idéal serait de pouvoir observer le mouvement orbital de la planète autour de la naine brune. C’est là que les choses se corsent ; la géante gazeuse tourne au moins à 55 unités astronomiques de son “étoile” (près du double de la distance Neptune-Soleil), ce qui signifie qu’il lui faut au mieux 1 500 ans pour accomplir une révolution. Cependant, Christophe Dumas affiche un bel optimisme : “Dans ce cas de figure, il serait possible de détecter un mouve-ment sur l’orbite d’ici 5 à 10 ans.” Toutefois, les incertitudes dans ce domaine demeurent grandes et la période de révolu-tion pourrait aussi bien dépasser les 3 000 ans. Bref, la nouvelle planète affiche un visage résolument exotique. Son orbite lointaine, qui en fait un monde perpétuellement plongé dans la pénombre, laisse les astrophysiciens perplexes. “La planète géante ne s’est proba-blement pas formée comme celles du Système solaire mais plutôt comme le Soleil, par effon-drement gravitationnel d’un nuage de gaz”, note Gaël Chauvin. Pourquoi ? Parce qu’en théorie, Jupiter et Saturne se sont constituées dans un disque gazeux riche en poussières. “Or, plus on s’éloigne de l’astre central, plus les choses se passent au ralenti, explique Willy

OPTIQUE ADAPTATIVE KELVINCette technique corrige en temps réel les turbulences créées par l’atmosphère sur les images célestes. Elle équipe aujourd’hui les grands télescopes professionnels. Sans elle, les miroirs de 8,2 m du VLT ne fourniraient pas de détails plus fins que la résolution théorique d’un gros télescope amateur.

Unité de mesure de la température, notée °K ou K. Une variation de 1 K équivaut à une variation de 1° sur l’échelle Celsius. La température de O °K équivaut – 273,16 °C. On l’appelle aussi le “zéro absolu”.

LES MOTS LES MOTS

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Benz, spécialiste de la formation des planètes à l’université de Berne. De plus, la densité du disque décroît avec la distance. De sorte qu’il est très difficile d’imaginer la constitution d’un objet de 5 masses joviennes à 55 unités astronomiques en quelques millions d’années.”

UNE PLANÈTE, PAR DÉFINITIONEn fin de compte, la planète se serait formée, en même temps que la naine brune, selon le processus habituellement attribué aux étoiles. Cela remet-il en cause son statut ? “Pas le moins du monde ! affirme Michel Mayor. Selon la définition adoptée par l’Union astronomique internationale, en raison de sa masse inférieure à 13 masses joviennes, c’est une planète.”“Il faut maintenant en trouver beaucoup d’autres afin de comprendre leur histoire, déclare Jean-Luc Beuzit, de l’observatoire de Grenoble, membre de l’équipe qui a réa-lisé l’image historique. Dans les années qui

viennent, nous allons explorer les sept groupes d’étoiles jeunes qui sont à portée de télescope, et même observer certaines étoiles autour des-quelles des exoplanètes ont déjà été détectées par des mesures spectrales.” Cette quête a déjà commencé. Mais les astronomes de l’ESO ne vont pas se contenter de la poursuivre avec leurs moyens actuels. Ils travaillent déjà à la mise au point de nouveaux instruments.D’ici là, peut-être auront-ils trouvé un nom à leur première planète photogra phiée une nuit d’avril 2004. Car, pour l’heure, celle-ci reste désignée par le matricule 2M1207b, abré-viation de… 2Mass WJ1207334-393254 b. Interrogée à ce sujet, Anne-Marie Lagrange avoue, comme ses collègues, “ne pas avoir du tout réfléchi à un nom”. ●

(1) Gaël Chauvin (ESO), Anne-Marie Lagrange (Grenoble), Christophe Dumas (ESO), Ben Zuckerman (UCLA), David Mouillet (OMP), Inseok Song (UCLA), Jean-Luc Beuzit (Grenoble) et Patrick Lowrance (MAC).

[ Article paru en juin 2005 ]

SECONDE D’ARC UNION ASTRONOMIQUE INTERNATIONALELe degré d’arc est une unité de

mesure d’angle qui, en astronomie, détermine le diamètre apparent d’un astre vu par un observateur distant (en général, sur Terre). 360° d’arc représentent un tour complet, 1° équivaut à 60 minutes d’arc (ou 60’) et 1’ égale 60 secondes d’arc (ou 60”).

Créée en 1919, l’Union astronomique internationale (IAU en anglais) coordonne les travaux des astronomes dans le monde. Son assemblée

générale a lieu tous les trois ans. La plus récente s’est réunie cette année à Pékin. La prochaine se tiendra à Honolulu en 2015. Site : www.iau.org.

LES MOTS

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LES HISTOIRES

IMAGEHISTORIQUE

RÉSOLUMENT EXOTIQUE

2M1207B

G.CHAUVIN

UAI

VLT MINUSCULE POINT ROUGE

PHOTOGRAPHIE

MODESTE ÉCLAT

OBSERVATOIRE EUROPÉEN AUSTRAL

TW HYDRAEASSEZ CHAUD

OPTIQUE ADAPTATIVE

LE DOUTE N’EST PLUS

PERMIS

MOINS DE 5 MASSES JOVIENNES

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L’EXPLORATION

est situé à 22 000 années-lumière, sur le bord du bulbe galactique, dans une région qui abrite des étoiles âgées de quelque 10 mil-liards d’années… Soit le double de l’âge du Soleil. La planète gravite à 2,6 UA de son étoile. Un hypothétique habitant de ce nou-veau monde verrait dans le ciel un soleil très pâle et minuscule.Y a-t-il à sa surface des paysages sem-blables aux nôtres, des océans, des conti-nents ? La question pourrait relever de la science-fiction, mais les chercheurs de l’IAP n’ont pas résisté à la tentation d’y apporter des bribes de réponses. David Ehrenreich, Alain Lecavelier des Étangs et Jean-Philippe

ES astronomes rêvaient de décou-vrir une planète similaire à la nôtre.

Le 26 janvier, leur vœu a été exaucé : une cou-sine tellurique de la Terre, c’est-à-dire faite de roche, a été identifiée (1). Découverte par une équipe internationale menée par Jean-Philippe Beaulieu, de l’Institut d’astrophy-sique de Paris (IAP), elle n’a rien à voir avec les 170 géantes extrasolaires déjà connues : sa masse serait d’environ cinq fois celle de la Terre (2) et une température de – 220 °C règne à sa surface. Son année vaut dix des nôtres et son étoile est une naine rouge bien plus vieille que notre Soleil. C’est sa distance qui permet de lui donner un âge : ce monde glacé

L

UNE COUSINE DE LA TERRE A ÉTÉ IDENTIFIÉE

La planète de 5 masses terrestres, découverte à 22 000 années-lumière de nous, est un monde étrange. Aussi froide que Pluton, elle est pourtant l’exoplanète la plus similaire à la Terre. Sa

détection ouvre de nouvelles perspectives aux astrophysiciens : il y aurait bien plus d’autres Terre que prévu.

Azar Khalatbari

2006

«

«BULBE GALACTIQUEPartie centrale renflée du disque de notre galaxie, la Voie lactée. Cette région dense et lumineuse renferme de vieilles étoiles et cache un trou noir supermassif en son centre. Son diamètre est de 15 000 années-lumière, pour une épaisseur de 6 000 années-lumière.

LES MOTS

NAINE ROUGEPetite étoile dont la masse est comprise entre 0,08 et 0,5 fois celle du Soleil, la limite inférieure correspondant à la masse minimale pour déclencher les réactions de fusion nucléaire dans le coeur stellaire. Mais son éclat n’atteint pas le dixième de celui du Soleil.

C’est l’astre typique de notre galaxie puisque 80 % des étoiles de la Voie lactée sont des naines rouges.

LES MOTS

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JPL-

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L’image d’une exoplanète rendue par une lentille gravitationnelle (pp. 54-57) est parfois très déformée et difficile à analyser, comme le montrent ces simulations de rayons lumineux distordus par un tel phénomène (A. Cassan, IAP, 2010).w

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L’EXPLORATION

Beaulieu ont échafaudé un modèle inspiré de la Terre. À l’issue de leur simulation numé-rique, ils ont pu ébaucher le portrait de leur planète. Compte tenu de sa masse et de sa taille (environ 5 masses terrestres pour une fois et demie le diamètre de la Terre), cette grosse cousine est bien plus dense que notre planète. C’est l’argument décisif pour déter-miner sa nature : elle ne peut être composée que de roche et de glace. Autre conséquence : la pesanteur à sa surface doit être importante, ce qui lui permet de retenir une atmosphère d’azote — atmosphère très ténue car il y fait trop froid pour que les glaces se subliment et se transforment en gaz. “À cause de cette atmosphère trop mince, l’effet de serre n’a pas pu œuvrer réellement, comme sur Terre, où il nous fait gagner une moyenne de 15 °C”, explique David Ehrenreich.

UN OCÉAN SOUS LA GLACECependant, les planètes telluriques comme la Terre sont faites de roches comportant des éléments radioactifs. La radioactivité natu-relle est source de chaleur et cette exoterre massive ne doit pas en manquer. “Pour cette raison, elle a dû conserver un océan liquide sous une couche de glace pendant les premiers milliards d’années de son existence”, ajoute David Ehrenreich. Une époque cependant révolue. Selon les calculs et les modèles, la persistance de l’océan liquide sous la glace se limite aux 5 à 6 premiers milliards d’an-nées après la formation de la planète. Or, à l’instar de la Terre, née à peu près en même temps que le Soleil, la nouvelle planète et son étoile doivent avoir le même âge… Cela fait donc au moins 4 milliards d’années que toute trace d’eau liquide aurait disparu. Une pla-nète tellurique qui a pu héberger un océan

d’eau sous la banquise : voilà qui rappelle for-tement Europe, le satellite de Jupiter dont la sonde Galileo a montré en détail la croûte glacée brisée par les forces de marées.Pour dénicher cette grosse “Europe” aussi loin du Système solaire, pas moins de 73 scientifiques dans douze pays différents ont combiné leurs efforts. Le succès est venu “au prix d’un travail de bénédictin, mené des nuits durant, depuis une armada de télescopes répartis dans le monde entier”, résume Jean-Philippe Beaulieu. La méthode utilisée, très sensible, est toutefois indirecte car elle ne permet par de “voir” la planète, ni son étoile. Elle utilise des événements célestes appelés lentilles gravitationnelles. Le principe est le suivant : supposons que l’on observe depuis la Terre une source lumineuse lointaine, par exemple une étoile. Si une autre masse vient à passer dans la ligne de visée, l’image de l’étoile source nous parvient amplifiée. En effet, d’après la théorie de la relativité, tout se passe comme si, à proximité de cet astre massif, l’espace était courbé et les rayons lumineux déviés : parfois focalisés en un point (l’image paraît alors plus lumineuse), parfois détournés (l’image est démultipliée). Ainsi, si une étoile voit sa luminosité augmenter puis diminuer selon une courbe en cloche, c’est la “preuve” qu’une masse a croisé la ligne de visée, créant une microlentille gravita-tionnelle. Mais si cette courbe de luminosité est altérée par une petite bosse, cela signifie que l’astre qui s’est interposé entre l’étoile lointaine et nous possède un compagnon…L’alerte est lancée le 11 juillet 2005 par le réseau Ogle. Un effet de lentille vient d’être repéré et catalogué sous l’appellation Ogle 2005 BLG 390. “L’amplification de la lumière

LES OUTILS

En 1992, l’université de Varsovie lance Ogle (pour Optical Gravitational Lensing Experiment). Le programme compte déjà à son actif

16 planètes découvertes à Las Campanas, au Chili. Il utilise les lentilles gravitationnelles pour la recherche de matière noire et d’exoplanètes.

OGLEEFFET DE SERREPar analogie avec la circulation d’air confiné à l’intérieur d’une serre aux parois de verre, les climatologues et planétologues parlent d’effet de serre à l’échelle de l’atmosphère entière : différents gaz contenus, comme le CO2, lui permettent d’emmagasiner un surplus de chaleur du Soleil, donc de se réchauffer.

LES MOTS

DR

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de l’étoile source était presque terminée, tout allait redevenir normal. Nous étions sur le point de conclure au passage d’une étoile seule lorsque, pendant la nuit du 10 août, Pascal Fouqué, du Laboratoire d’astrophy-sique de Toulouse et de Tarbes, et Kristian Woller, de l’Institut Niels Bohr du Danemark, découvrent le début de la petite bosse due à la planète”, raconte Jean-Philippe Beaulieu. Cette perturbation de luminosité provoquée par le passage de la planète est suivie pendant 7 heures. D’abord avec le télescope danois de 1,54 m, à l’observatoire de La Silla au Chili, puis à Perth, en Australie. L’emplacement de la bosse dans la courbe en cloche permet aussitôt de déterminer la distance entre la planète et son étoile, et aussi leurs masses relatives. La première exoterre se montre ainsi pendant une bonne semaine avant de disparaître à jamais. “En effet, il est peu pro-bable que Ogle 2005 BLG 390 et son étoile se trouvent à nouveau pile dans la ligne de

visée d’une autre source lumineuse. Et les autres méthodes de détection des exopla-nètes ne peuvent pas pour l’instant repérer un astre aussi petit et aussi éloigné de son étoile”, explique Jean-Philippe Beaulieu.Mais les responsables du projet Corot (un satellite du Cnes, lancé en décembre 2006) se frottent les mains : il semblerait que la fraction d’étoiles comportant des planètes de quelques masses terrestres soit plus élevée que prévu. Selon des modèles de formation de planètes, les petites étoiles (0,2 masse solaire) devraient s’entourer d’un cortège de petites planètes, tandis que les étoiles de masse solaire et plus devraient héberger des planètes de toute taille. La recherche des exo-terres ne fait que commencer… ●

(1) Découverte annoncée dans Nature du 26 janvier 2006 .(2) En fait, de 3 à 11 masses terrestres, 5 masses terrestres étant une valeur moyenne probable.

[ Article paru en novembre 2006 ]

LES HISTOIRES

En 2004, pour la première fois, les équipes Ogle et MOA (Microlensing Observations in Astrophysics) détectent une exoplanète grâce à un effet de lentille gravitationnelle. “Une étoile naine peu lumineuse s’est interposée entre nous et une étoile brillante du bulbe galactique”, raconte Jean-Philippe Beaulieu, amplifiant l’éclat de l’astre d’arrière-plan. Un double pic lumineux a révélé que la naine (Ogle 2003 BLG 235, située à 19 000 a.-l. de nous) était accompagnée par une planète géante de 2 masses joviennes, orbitant à 4 UA de son étoile.

UNE AIDE GRAVITATIONNELLE

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Étoile lointaine

Étoile “lentille”

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DE ROCHE ET DE GLACE

OCÉAN LIQUIDEEFFET DE SERRE

J.-P. BEAULIEU

VŒU EXAUCÉ

RADIOACTIVITÉ - 220 °C

A. LECAVELIER DES ÉTANGSATMOSPHÈRE D’AZOTE GROSSE COUSINE

SOLEIL TRÈS PÂLE

D. EHRENREICH

GLACES SUBLIMÉES

73 SCIENTIFIQUES

LENTILLES GRAVITATIONNELLES

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L’EXPLORATION

OUS sommes habitués à voir les choses en grand : chaises, arbres, per-

sonnes… Tout, dans notre environnement immédiat, occupe une bonne partie de notre champ de vision. Il en va tout autrement en astronomie, science du détail par excel-lence ! Pour vous en convaincre, tendez le bras : votre main, doigts écartés, couvre alors sur le ciel un angle de 20° entre le pouce et l’auriculaire ; la largeur de l’index vaut, elle, 1° environ (ci-contre). En comparaison, le Soleil et la Lune sous-tendent un angle de 0,5° (ou 30 minutes d’arc), Mars n’atteint que 24 secondes d’arc quand elle est au plus près de la Terre, les satellites galiléens de Jupiter se contentent au mieux de 3 secondes d’arc… Et si des extraterrestres situés à une trentaine d’années-lumière regardaient par ici, la dis-tance Soleil-Jupiter ne serait pour eux que de 0,5 seconde d’arc !

TÉLESCOPES GÉANTSDistinguer des angles aussi petits est impos-sible à l’œil. Mais les télescopes y parviennent. En effet, si l’image d’un objet lointain créée par un instrument optique est une petite tache (et non un point), la dimension de cette tache dépend de la taille de l’instrument et du type de lumière utilisés. De manière générale, on parle de résolution angulaire, et celle-ci vaut, en secondes d’arc et pour la lumière visible, 125 divisé par le diamètre de l’instru-ment, exprimé en millimètres. Donc, plus le télescope est grand, plus les détails observables seront fins. Un télescope de 100 mm distingue des détails de 1 seconde d’arc, alors qu’un instrument de 10 m est capable de voir des objets séparés de seule-ment 0,01 seconde d’arc !Ce tableau idyllique doit être nuancé, car la Terre est entourée d’une bonne couche

protectrice, l’atmosphère. Or, la lumière en provenance des astres y rencontre des zones turbulentes de pressions et de tem-pératures variées. Les ondes lumineuses arrivent donc très déformées sur nos détec-teurs. Conséquence : un temps de pose de quelques secondes fera apparaître une bonne grosse tache d’environ 1 seconde d’arc, quel que soit le diamètre de l’instrument. Et une pose extracourte révélera une constellation de petites taches, les tavelures (speckles en anglais), qui chacune correspondent à l’image créée par une cellule atmosphérique. Une première solution pour obtenir mal-gré tout une bonne image est le lucky ima-ging. Il s’agit de “mitrailler” l’objet désiré et de regarder toutes les poses extracourtes. À certains moments, l’atmosphère se calme un peu, et la constellation de tavelures ne com-porte plus que quelques taches, dont une domine clairement. Il suffit alors de sommer les “bonnes” images pour obtenir une image assez correcte de l’objet. Dans le même ordre d’idées, on peut aussi observer en même temps, ou juste l’une après l’autre, l’étoile désirée et une étoile-référence : connaissant alors à chaque instant la forme de la constellation de taches grâce à la référence, on peut retrouver la forme réelle de l’objet étudié (étoile avec astre com-pagnon, entourée d’un disque, etc.).

EFFACER L’ATMOSPHÈREUne deuxième solution est de se battre contre l’atmosphère. On peut bien sûr décider de “passer outre” cette encombrante couche, en utilisant un télescope spatial, mais c’est plu-tôt cher. Aujourd’hui, il existe heureusement une arme pour la combattre depuis le sol : l’optique adaptative. Son principe est simple : puisque les ondes lumineuses sont défor-

INTERLUDE INSTRUMENTALÉtudier en détail une exoplanète suppose un nouveau bon technologique : la capacité d’en tirer le portrait. Si quelques photos de ce genre ont déjà été réussies, la technique est encore balbutiante. Malgré des obstacles énormes, les astronomes sont aujourd’hui optimistes.

Yaël Nazé, FNRS

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Les doigts permettent d’estimer de grands angles, mais en astronomie, les angles sont encore bien plus petits ! Pour rappel, 1° = 60’ d’arc = 3 600” d’arc

L’atmosphère distord les ondes lumineuses !

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HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

mées, alors déformons un miroir de manière similaire, faisons s’y réfléchir la lumière de sorte qu’à la sortie, ces ondes aient retrouvé leur aspect original… ou presque.Comme l’atmosphère bouge vite, la forme du miroir doit être ajustée jusqu’à 1 000 fois par seconde. Évidemment, ce n’est pas le grand miroir primaire des télescopes qui bouge ainsi, mais un petit miroir additionnel inséré dans le trajet de la lumière. Et cela marche assez bien, comme on peut le voir sur les deux photos de Neptune, en bas.Il est même possible d’améliorer encore le résultat de l’optique adaptative. En effet, il n’y a pas que l’atmosphère qui perturbe la lumière. La structure du télescope (support du miroir secondaire, imperfections optiques, etc.) impose aussi sa propre signature dans la “tache” lumineuse produite, sous la forme d’un halo très gênant pour détecter des com-pagnons proches. Il est toutefois possible de corriger cela grâce à la technique ADI, pour Angular Differential Imaging, utilisée sur les grands télescopes comme le VLT (voir schéma ci-contre).

LAISSER LE CIEL TOURNERIl s’agit ici d’observer l’étoile en gardant la même orientation des détecteurs : la signa-ture des défauts instrumentaux sera toujours identique, mais les astres autour de l’étoile (par exemple, une exoplanète) vont, eux, tourner autour de l’étoile tout comme le reste du ciel. En soustrayant la signature observée dans chaque image, puis en additionnant les images résultantes (chacune tournée de manière à avoir cette fois une orientation céleste constante), les compagnons faible-ment lumineux se dévoilent clairement.Dans la même veine, on peut aussi utiliser la technique SDI (Spectral Differential Ima-ging). L’idée est ici d’obtenir simultanément des images dans différents filtres : la constella-tion des tavelures va s’étirer aux plus grandes longueurs d’onde, mais un compagnon réel restera, lui, à la même position. En corrigeant l’étoile de sa constellation de taches dans chaque image, on permet à ses compagnons d’apparaître plus facilement. Si l’un des filtres correspond à une zone absorbée par le com-pagnon (bandes de méthane, par exemple, pour les naines brunes et les planètes géantes), l’effet d’amplification sera renforcé.Il reste toutefois un problème : les télescopes ne sont pas extensibles à l’infini… Même si des télescopes de 30 m de diamètre, voire 100 m, sont envisageables, personne ne se

Atmosphère

Onde

Onde déformée

Miroir déformable

Principe de l’optique adaptative : compenser, grâce à un miroir déformable, les effets de l’atmosphère sur la lumière qui nous parvient d’une étoile.

L’optique adaptative permet d’aller aux limites de résolution des télescopes. Comme ici sur la planète Neptune vue sans optique adaptative, à gauche, et avec, à droite.

Technique ADI : observer l’objet désiré sans suivre la rotation naturelle du ciel (ci-contre), extraire la signature des défauts instrumentaux, puis rendre aux images résultantes leur orientation céleste et les additionner.

Extraction des défauts

Addition des images après correction de l’orientation

Observation sans suivre la rotation du ciel

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L’EXPLORATION

risque à imaginer des télescopes de 1 km de diamètre ! Pour améliorer encore la résolu-tion, la seule solution est l’interférométrie : les faisceaux lumineux de petits télescopes éloi-gnés sont combinés et la résolution atteinte dépend alors de la séparation entre téles-copes, et non de leur taille individuelle. Cette technique n’est pas simple à mettre en œuvre dans le domaine visible (le VLTI est un des pionniers), mais elle est courante en radio.Si on atteint la résolution voulue, le problème est-il réglé pour discerner une exoplanète ? Hélas non… Les exoplanètes sont non seu-lement proches de leur étoile, mais elles sont aussi beaucoup moins lumineuses. Dans le domaine visible, la Terre est un milliard de fois moins lumineuse que le Soleil et Jupiter 100 millions de fois moins lumineuse. Dans l’infrarouge, le contraste n’est plus “que” d’un million… Cette différence énorme revient à essayer de distinguer, depuis Paris ou Bruxelles, un papillon de nuit voletant autour d’un phare situé à… Athènes !

ÉTEINDRE L’ÉTOILEOutre les techniques améliorant la résolution, il va falloir utiliser des moyens pour “éteindre” l’étoile au maximum… Si les méthodes ADI et autres ont déjà été évoquées, il existe une solution plus efficace encore : la coronogra-phie. Sous ce nom un rien barbare se cache tout d’abord un phénomène naturel. Lors des éclipses de Soleil, la Lune vient occulter le disque solaire, révélant la couronne solaire, atmosphère extérieure un million de fois moins lumineuse et donc inobservable en d’autres temps. Partant de cette observation, le Français Bernard Lyot proposa dans les années 1930 de recréer des éclipses artificielles grâce à un masque opaque judicieusement placé. Le coronographe artificiel était né. L’idée fit florès, et pas seulement pour l’observation du Soleil, d’ailleurs : c’est grâce à cette tech-nique que l’on détecta le disque de poussières entourant d’autres étoiles (comme Bêta Pic ou Fomalhaut, en haut). Le télescope spatial Hubble dispose d’un tel coronographe, et l’utilise pour chasser les exoplanètes.Les masques opaques ont cependant un inconvénient : ils sont généralement assez gros, cachant les abords immédiats des étoiles — donc leurs planètes proches ! À la fin du siècle dernier, grâce aux Français Roddier et Rouan, de nouveaux types de coronographes virent le jour : les coronographes de phase, tel le “quatre quadrants”. Ces coronographes

Masquer une étoile permet de révéler les structures alentour. Dans le disque de poussières entourant l’étoile Fomalhaut, une planète a ainsi été repérée (petit carré, en haut). Le déplacement de l’astre, baptisé Fomalhaut b, a été observé en l’espace de deux ans.

ONDES EN PHASE

AMPLIFICATION

ANNULATION

DÉCALAGE D’UNE DEMI-PHASE

Exemple d’un masque de phase “quatre quadrants” fonctionnant à une longueur d’onde donnée : des “marches” d’épaisseur bien choisie permettent ici de créer le déphasage adéquat.

20062004

Fomalhaut b

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se composent d’un masque… transparent. Comment bloquer la lumière stellaire, dans ces conditions ? Très simplement : le masque est peut-être transparent, mais pas inactif ! Il change par zone (chaque quadrant dans le “quatre quadrants”) la phase des ondes lumi-neuses. Une étoile placée au centre du champ de vue voit alors la moitié de sa lumière inchangée et l’autre moitié déphasée d’une demi-période. Lorsque ces deux parties sont recombinées sur le détecteur, elles s’annulent l’une l’autre ! La lumière du compagnon éven-tuel, elle, ne subit pas ce déphasage et atteint le détecteur sans problème, éblouissant le chasseur de planètes.Évidemment, avoir un masque en deux ou quatre parties implique de construire des frontières brutales, ce qu’il n’est jamais possible de réaliser parfaitement. Du coup, l’extinction n’est pas parfaite et l’étoile appa-raît encore un peu. Il est toutefois possible d’améliorer encore l’idée en utilisant un “vor-tex optique”. Au lieu d’utiliser des déphasages brutaux, le vortex optique déphase progres-sivement les rayons lumineux en fonction de leur azimut. Il en existe deux versions. La pre-mière est un masque dont un côté ressemble un peu à une coquille d’escargot, c’est-à-dire que les “marches” du “quatre quadrants” sont remplacées par une spirale montante.

POLARISATION NATURELLEProblème : quand la spirale a fait un tour, elle est revenue à son point de départ, mais bien plus haut — le problème de construction d’une grosse marche vient de nouveau gâcher la perfection du système. L’autre version, plus efficace, a été imaginée par un astronome liégeois, Dimitri Mawet, qui l’a construit au JPL avec des polymères à cristaux liquides (la même technique que celle utilisée pour les écrans TV 3D). Cette configuration utilisant les propriétés de polarisation naturelle de la lumière présente l’avantage d’être un masque plat (sans les “escaliers” toujours imparfaits des autres coronographes modernes). En janvier 2010, surprise dans le petit monde exoplanétaire : le concept théorique du vor-

tex, démontré jusque-là seulement en labora-toire dans des conditions idéales, fonctionne parfaitement sur le ciel. Mieux : utilisé sur une petite partie (1,5 m de diamètre) du véné-rable télescope de 5 m Palomar, il donne des résultats tout à fait capables de rivaliser avec les images obtenues avec les modernes Keck et Gemini — soit des télescopes sept fois plus grands ! On ne peut qu’imaginer ce que donnerait un tel instrument placé sur les plus grands télescopes, tel le 42 m envisagé par l’ESO. Le futur risque d’être “tourbillonnant” du côté des coronographes !

LA PISTE DE L’INTERFÉROMÉTRIEEnfin, il ne faudrait pas oublier ces télescopes ultragrands, les interféromètres. Bien sûr, les techniques mentionnées ci-dessus sont toujours valables, mais il est bien plus simple et plus élégant d’utiliser les propriétés de la lumière, à la base du principe d’interféromé-trie ! Prenons un interféromètre à deux téles-copes. Chacun récolte la lumière de l’étoile (et de ses compagnons), puis ces deux faisceaux lumineux sont recombinés. Pour éteindre l’étoile, il suffit de les combiner suivant le mode “destructeur” évoqué ci-dessus — on parle d’interférométrie d’annulation (nulling). Le compagnon, lui, ne se trouve pas exacte-ment dans la même direction que l’étoile et sa lumière ne subit donc pas les effets de dépha-sage destructeur : il peut donc apparaître dans toute sa gloire.Voir les exoplanètes n’est donc pas une uto-pie. Il est vrai que les planètes photographiées jusqu’ici sont loin d’être ordinaires. Massives (une dizaine de fois la masse de Jupiter), éloi-gnées de leur étoile (souvent des centaines d’unités astronomiques), et jeunes (quelques millions d’années — le contraste étoile- planète étant bien plus favorable dans ce cas), elles maximisent les chances de succès. Toutefois, ne soyons pas pessimistes : il faut commencer par des cas simples pour amélio-rer la technique et, bientôt peut-être, contem-pler une autre “Terre”…   ●

[ Article paru en décembre 2010 ]

Image des exoplanètes de HR8799 obtenue avec un coronographe-tourbillon : bien que prise avec un télescope bien plus petit que l’image ci-dessus, les planètes sont clairement visibles, grâce à l’efficacité de ce coronographe prometteur.

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La lumière de l’étoile s’annule, tandis que celle de son compagnon atteint le détecteur sans problème, éblouissant le chasseur d’exoplanètes

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LA CONQUÊTE©

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HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

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LA CONQUÊTEFin des années 2000 : les exoplanètes sont maintenant des

centaines, notamment parce que les données accumulées

pendant dix ans permettent d’identifier des astres à longue

période de révolution. Dans le lot, des planètes rocheuses

semblent offrir des conditions “viables”. Et l’apparente

banalité des systèmes planétaires rehausse l’espoir de

dénicher une autre Terre. Le satellite Corot est lancé et

l’imagerie directe s’affine.

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LA CONQUÊTE

de la vie. Certes, parmi les quelque 250 exo-planètes connues, Gliese 581c (•) est à ce jour celle qui ressemble le plus à la Terre. Mais la qualifier d’habitable est peut-être aller un peu vite en besogne. Cette évaluation optimiste ne recueille pas les suffrages d’une majorité d’astronomes, pour qui la notion d’habitabilité répond à des critères assez complexes. Ces réserves méri-taient une enquête afin de préciser ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas sur Gl 581c, et ce que l’on peut raisonnablement supposer ou espérer à son sujet. Sept questions pour faire toute la lumière sur ce monde annon-ciateur d’une multitude d’autres Terre.

N monde où il fait bon vivre”. “Une planète habitable”. Ce 23 avril

2007, en annonçant la découverte d’une planète de 5 fois la masse de la Terre autour de l’étoile Gliese 581, les astronomes euro-péens regroupés autour de Stéphane Udry et Michel Mayor ont suscité les gros titres de la presse. Et pour cause, cette planète, située à seulement 20,5 années-lumière du Système solaire, a clairement été présentée comme similaire à la nôtre. De nature rocheuse, elle graviterait à une distance idéale de son étoile pour qu’à sa surface, une température com-prise entre 0 °C et 40 °C autorise l’existence d’eau liquide. Un vrai paradis pour l’éclosion

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CELLE QUI RESSEMBLE LE PLUS À LA TERRE

Il existe des planètes semblables à la Terre à foison dans la Voie lactée. Tel est le message de Gliese 581c, la toute dernière exoplanète découverte par les astronomes européens. Même si

elle n’est pas aussi accueillante que ses découvreurs l’ont annoncé…

Émilie Martin et Philippe Henarejos

2007

«

«LES ACTEURS

Le Suisse Stéphane Udry est devenu le spécialiste des planètes habitables : outre la découverte en 2007 de Gliese 581 c, ce chercheur de l’observatoire de Genève dirigera également

les observations menant à la découverte des super-Terre Gliese 581 d en 2007 et HD 85512 b en 2011, aux taux d’habitabilité élevés (p. 76).

STÉPHANE UDRY

DR

Gliese 581 cEn 2007, cette exoplanète focalisa

tous les regards, car supposée solide et en zone habitable. Mais au cours des années suivantes, elle se révéla en fait bien trop

proche de son étoile : il s’agirait plutôt d’une “super-Vénus”.

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Vue d’artiste du système de l’étoile Gliese 581, avec ses trois planètes, b, c et d, tel qu’on l’imaginait en 2007. La quatrième planète, “e”, découverte en 2009, n’y figure pas encore…w

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LA CONQUÊTE

GL 581 c EST-ELLE VRAIMENT HABITABLE ?

Rien n’est moins sûr. “À la surface de Gl 581c, les conditions sont sans doute plus difficiles encore que sur Vénus, où il fait 450 °C ! estime Franck Selsis, du Centre de recherche astro-nomique de Lyon. En fait, les températures comprises entre – 3 °C et 40 °C, calculées par l’équipe de Stéphane Udry, ne tiennent pas compte du rôle primordial de l’atmosphère.” Une atmosphère a en effet le pouvoir de faire grimper la température en flèche. Si la Terre en était dépourvue, il y ferait en moyenne – 35 °C, au lieu des 15 °C auxquels nous sommes habitués.Or, cet effet “couverture chauffante” est pro-bablement bien plus aigu sur Gl 581c. Et ce, pour deux raisons. La première : comme elle est 5 fois plus massive que la Terre, elle a sans doute retenu autour d’elle une atmosphère plus épaisse que celle de notre planète (qui, elle, ne représente qu’un millionième de la masse terrestre). Seconde raison : son étoile, une naine de type M, brille surtout dans l’in-frarouge, et non dans l’ultraviolet comme le Soleil. Or, via sa vapeur d’eau (puissant gaz à effet de serre), une atmosphère a justement la particularité d’absorber beaucoup plus effica-cement l’infrarouge que l’ultraviolet, et donc de mieux retenir la chaleur.“Pour déterminer la zone habitable autour d’une naine M, il faut prendre en compte au moins ce dernier paramètre, insiste Franck Selsis. Avec James Kasting, nous avons d’ail-leurs calculé que, compte tenu de la lumino-sité de l’étoile (1,3 % de celle du Soleil) et de sa température (3 200 °C), sa zone habitable se situe entre 0,11 et 0,22 UA. Or Gl 581c est à seulement 0,07 UA de la naine. J’ai du

mal à imaginer qu’il y ait de l’eau liquide à sa surface. Il doit y faire une température infer-nale de plusieurs centaines de degrés, voire davantage si l’effet de serre s’est emballé.” Ce qui est fort possible : la Terre serait dans cette situation si elle était située non pas à 1 UA du Soleil, mais juste un peu plus près dans la zone habitable, à 0,85 UA. Seule condition pour que Gl 581c affiche bel et bien une tem-pérature entre – 3 °C et 40 °C : qu’elle ne pos-sède pas d’atmosphère. Dans ce cas bien sûr, il serait difficile de la qualifier d’habitable… “Pour qu’elle ait une chance de l’être malgré une épaisse atmosphère, il faudrait qu’elle soit totalement recouverte d’une couche de nuages blancs très réfléchissants et situés à haute alti-tude, au-dessus de la vapeur d’eau”, propose Franck Selsis. Voilà qui fait beaucoup de “si”… “Il était sans doute un peu hâtif de la qualifier d’habitable”, renchérit Willy Benz, de l’uni-versité de Berne. “Nous sommes conscients de ces problèmes, se défend Stéphane Udry. Nous avons pris en compte les remarques de Franck Selsis et d’autres théoriciens, et nous allons modifier un peu notre article afin d’en faire écho. Mais gardons à l’esprit que les théo-riciens peuvent aussi se tromper sur la dis-tance de la zone habitable…”“Ce qui est drôle ici, c’est que l’autre planète découverte par l’équipe, Gl 581d, est peut-être plus intéressante encore que sa voisine”, note Franck Selsis. Située beaucoup plus loin de son étoile, à 0,25 UA, elle est à la limite externe de la zone habitable (fixée à 0,26 UA par certains modèles). Pour autant, ne la qualifions pas trop vite d’habitable. De 8 masses terrestres, elle a probablement accrété autour d’elle une énorme quantité d’hydrogène, au point de ressembler plutôt à une planète gazeuse.

TYPE SPECTRAL M ULTRAVIOLETLes étoiles de type M sont plutôt “froides”. Leur température de surface est comprise entre 2 000 et 3 700 K, contre 5 750 K pour le Soleil. Il s’agit principalement de naines rouges (p. 50), mais aussi de géantes rouges, dernier stade d’évolution d’étoiles comme le Soleil.

Le domaine ultraviolet correspond aux rayonnements électromagnétiques compris entre la lumière visible et les rayons X (longueurs d’onde comprises entre 100 à 400 nm).

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QU’EST-CE QUE LA ZONE HABITABLE ?

Autour de chaque étoile, il existe une mince région où les températures moyennes com-prises entre 0 °C et 100 °C permettent à l’eau d’exister sous sa forme liquide à la surface des planètes, et ce, pendant au moins 1 mil-liard d’années. Cette région s’appelle la zone habitable. Sa distance de l’étoile dépend de la luminosité de celle-ci : elle est à environ 5 UA de la brillante Sirius, et à seulement 0,38 UA de la faible Epsilon de l’Indien. Voilà pour la théorie. En pratique, c’est moins simple… D’abord, cette distance dépend aussi de la “couleur” de l’étoile. Certes, les naines rouges (telle Gliese 581) sont peu brillantes, mais leur rayonnement infrarouge a un effet par-ticulièrement chauffant sur les atmosphères, ce qui “éloigne” leur zone habitable.Ensuite, les frontières de cette zone sont assez floues. La limite intérieure correspond au seuil de luminosité au-delà duquel l’effet

de serre s’emballe jusqu’à ce que toute l’eau s’évapore dans l’espace. Mais ce seuil dépend aussi de l’épaisseur et de la composition de l’atmosphère planétaire. Quid de la limite extérieure ? Là encore, l’atmosphère joue un rôle primordial. Si celle-ci est épaisse et riche en gaz carbonique, elle permettra à la pla-nète de demeurer “habitable” même si elle se trouve en dehors de la zone théorique. Et inversement, une planète située dans la zone habitable ne l’est pas forcément si son atmos-phère est trop fine — c’est le cas de Mars dans notre Système solaire.

À QUOI RESSEMBLE CETTE NOUVELLE EXOPLANÈTE ?“Probablement à une super-Vénus dont l’épaisse atmosphère est riche en eau et en gaz carbonique et où, du coup, la tempéra-ture est terriblement élevée : entre 450 °C et 1 300 °C suivant la composition précise de l’atmosphère”, estime Franck Selsis. Avec son

PLANÈTE OCÉAN ACCRÉTIONPlanète — hypothétique — qui aurait accrété une grande quantité de glace lors de sa formation. Si cet astre se rapproche ensuite de son étoile, cette glace peut se transformer en eau liquide jusqu’à recouvrir entièrement sa surface. L’eau liquide peut également subsister sous une couche globale de glace comme sur Titan (p.64).

En astronomie, l’accrétion désigne l’agglomération progressive de matière par un corps, du fait de son attraction gravitationnelle. Planètes et étoiles se forment ainsi.

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GLIESE 581cM. MAYOR

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SUPER-VÉNUSSIMILAIRE À LA NÔTRE

NAINE MVOLCANS EN ACTIVITÉ

450°CGL 581d

EXOBIOLOGIEALLER VITE EN BESOGNE

EFFET DE SERRE

BRILLANTE SIRIUS

FAIBLE EPSILON

PRESSION INFERNALE

ROTATION SYNCHRONE

DISCRETS DÉCALAGES

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LA CONQUÊTE

épais manteau, Gl 581c devrait, vue de l’es-pace, ressembler à Vénus ou encore à Titan : une sphère de couleur uniforme. Et à sa sur-face ? Ce même manteau opaque masque son “soleil” dans le ciel. Quant au paysage, il est sans doute plus plat que sur Terre, et parsemé de volcans en activité. “Plus une planète est massive, plus sa gravité est importante. Du coup, les montagnes ont ten-dance à s’affaisser. Du fait de sa masse égale-ment, une planète met davantage de temps à se refroidir, et son activité tectonique dure longtemps”, explique Tristan Guillot, de l’observatoire de Nice.Par ailleurs, la pression au sol doit être infer-nale. “Il faut compter au minimum une cen-taine de bars de gaz carbonique, poursuit le chercheur. Voire des milliers de bars d’eau : si la planète est de type planète océan, une bonne partie de cette eau s’est vaporisée dans l’atmosphère. Si tous les océans de la Terre en faisaient autant, la pression au sol serait non plus de 1 bar, mais de 270 bars !”

Qu’elle soit de rocheuse ou de glace (planète océan), Gl 581c ne devrait donc pas avoir échappé à l’emballement de son effet de serre. Il est du coup peu probable que l’eau y existe sous forme liquide et qu’océans, mers, lacs et rivières bigarrent sa surface. “À moins que le climat induit par la rotation synchrone ne permette pas d’éviter ce scénario catastrophe”, propose Franck Selsis.Gl 581c serait en effet en rotation synchrone avec son étoile : elle mettrait le même temps à faire un tour sur elle-même et un tour autour de Gliese 581 (celle-ci, toute proche, aurait peu à peu ralenti la rotation de la planète par son influence gravitationnelle). Du coup, un hémisphère de Gl 581c est constamment “ensoleillé”, et l’autre plongé dans la nuit. Beaucoup plus froid en dépit d’une redistri-bution de la chaleur par des vents ultrara-pides, le climat côté nuit permettrait donc éventuellement la présence d’eau liquide.

COMMENT A-T-ON DÉCOUVERT CETTE PLANÈTE ?Les astronomes n’ont ni vu ni photographié la planète. Ils l’ont détectée par des mesures du mouvement de l’étoile Gliese 581. Car une planète, si petite soit-elle, exerce une attraction gravitationnelle sur son étoile. Et, en décrivant son orbite, elle lui imprime un infime mouvement périodique. Pour le déceler, les astronomes décomposent la lumière de l’étoile à l’aide d’un spectro-graphe. Ils ont ainsi suivi Gl 581 pendant trois ans et demi. Les discrets décalages vers le rouge ou vers le bleu observés sur les spectres (lire p. 39) leur ont permis de savoir quand l’étoile s’éloignait ou se rappro-chait. Ainsi, ils ont accédé à la masse et à la période de révolution de la planète.

Gliese 581c est à ce jour celle qui ressemble le plus à la Terre. Mais la qualifier d’habitable est peut-être aller un peu vite en besogne

TITAN ACTIVITÉ TECTONIQUED’un diamètre de 5 151 km de

diamètre, le plus gros satellite de Saturne donne un aperçu de l’aspect d’une planète océan. Grâce à la mission Cassini-Huygens, on suppose que sa surface glacée recouvre un océan global. Le tout repose sur un noyau rocheux du diamètre de la Lune (3 400 km).

Mouvements et déformations qui affectent la surface d’une planète du fait de l’activité magmatique en profondeur.

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Celle-ci, Gliese 581c, provoque des variations de vitesse de son étoile de l’ordre de 3 m/s. Le spectrographe Harps, installé sur le télescope de 3,6 m de l’ESO, au Chili, n’a eu aucun mal à mettre en évidence ces variations puisque sa précision maximale avoisine les 0,3 m/s. Mais attention : les oscillations d’une étoile (aussi appelées variations de vitesse radiale) dépendent à la fois de sa masse, de celle de sa planète et de la distance qui sépare les deux astres. Ainsi, il aurait été bien plus difficile de détecter cette planète si elle avait tourné autour d’une étoile bien plus massive.

COMMENT EN APPRENDRE DAVANTAGE SUR GLIESE 581 c ?Tout ce que nous connaissons de Gliese 581c, c’est sa masse (avec une petite incertitude) et sa période de révolution (avec précision). Tout le reste n’est, pour l’heure, que le fruit d’hypothèses à partir de ces deux informa-tions. Ainsi, est-ce une planète tellurique, une planète océan ou une géante gazeuse ? Rien n’est sûr pour le moment.Un bon moyen d’en savoir plus serait d’as-sister à un passage (ou transit) de la pla-nète devant son étoile. La probabilité d’un tel événement ne dépasse pas un 1 %, mais les astronomes ont quand même tenté leur chance avec le satellite canadien Most, apte à réaliser ces mesures difficiles. “Most observe déjà Gliese 581. S’il y a des transits, ceux-ci nous donneront la taille de la planète”, indique Jaymie Matthews, chef du projet. Sans cette observation, le rayon annoncé pour ce monde (1,5 fois celui de la Terre) demeure spéculatif.Pourtant, le moyen le plus efficace d’en apprendre davantage sur Gl 581c serait d’en réaliser une image afin de récolter, grâce à

l’analyse de sa lumière, sa composition et sa température de surface. Mais ce n’est pas pour tout de suite : “La planète ne s’écarte au maximum de son étoile que de 11 millise-condes d’arc, explique Olivier Guyon, spécia-liste d’optique au télescope de 8,4 m Subaru. C’est hors de portée du télescope spatial Hubble ou d’un télescope de 8 m. Il faudrait un instrument de 10 m dans l’espace.” Quant au plus puissant interféromètre, celui du VLT, s’il atteint cette résolution, il se heurte à un autre obstacle : “Le rapport de lumino-sité entre l’étoile et la planète, de l’ordre de 20 millions, rend a priori toute recherche trop difficile.” En résumé, hormis la bonne sur-prise d’un transit, il faudra patienter encore — peut-être plus d’une décennie — avant d’avoir davantage d’informations.

COMMENT DÉTECTER LA VIE ?Si la vie s’est frayé un chemin sur cette pla-nète, elle a laissé sa signature dans l’atmos-phère. Sur Terre, il y a 3 milliards d’années,

Codécouvreur de la planète 51 Pégase b en 1995, le Suisse Michel Mayor est membre de l’équipe Harps. Il pose ici à l’observatoire de La Silla, au Chili.

BAR ROTATION SYNCHRONE

Unité de pression (du grec baros, “pesanteur”). Sur Terre, la pression atmosphérique moyenne à la surface de la mer égale 1 bar environ. Un bar vaut 100 000 pascals (Pa), unité du Système international.

Rotation de durée égale à la période de révolution autour de l’étoile. Du coup, la planète présente à son soleil toujours le même hémisphère, bien plus chaud que l’hémisphère opposé.

LES MOTS LES MOTS LES OUTILS

Lancé en 2003, le satellite canadien d’étude de la Microvariabilité et des oscillations des étoiles (Most) est surnommé le télescope spatial “Humble” en

raison de ses faibles dimensions (diamètre de 15 cm). Équipé d’une caméra CCD, il est à même de capter certaines caractéristiques lumineuses des exoplanètes en transit, tel l’albédo (p.45).

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soit quelque 800 millions d’années après l’ap-parition de la vie, des organismes primitifs ont utilisé le rayonnement ultraviolet pour transformer le gaz carbonique (CO2) en oxy-gène. L’oxygène de notre atmosphère est donc le produit de la vie ! Si des extraterrestres décelaient cet élément, ils en déduiraient que notre planète est vivante. “L’oxygène est un bon traceur de vie, précise Frances Westall, directrice du groupe Exobiologie du Centre de biologie moléculaire d’Orléans. Et il se pourrait très bien que, si des organismes existent sur cette planète, ils utilisent le rayon-nement infrarouge de Gl 581c pour produire de l’oxygène. Des expériences britanniques ont montré que certaines bactéries utilisent effec-tivement ce rayonnement, même s’il est moins énergétique que l’ultraviolet.”

À QUAND UNE VRAIE TERRE ?Avec le spectrographe Harps, réputé pour être le meilleur chasseur de planètes au monde, les découvreurs de Gl 581c ont la possibilité de déceler des mondes plus excitants encore. Ainsi des planètes de

4 à 5 masses terrestres dans la zone habi-table d’une étoile comme le Soleil. C’est sans doute pour bientôt. Mais à l’heure actuelle, aucun instrument n’a la sensibi-lité ni la résolution suffisante pour détec-ter le Graal : une planète de la masse de la Terre, évoluant dans la zone habitable d’un Soleil. Il faudra pour cela attendre la mise en service du télescope spatial américain Kepler et de Codex, le Harps de deuxième génération. Les astronomes sont pourtant déjà en train de rêver : “Que cette planète soit ou non habitable, ce qui est intéressant derrière cette découverte, c’est qu’elle ne fait que renforcer l’idée selon laquelle les petites planètes sont beaucoup plus nombreuses que les géantes, les seules que l’on découvrait au début de la quête, s’enthousiasme Tristan Guillot. Nous avons désormais la confirma-tion que les petits calibres fourmillent dans la Galaxie !” Ce qui multiplie les chances de déceler un jour une jumelle de la Terre, si possible grouillante de vie. ●

[ Article paru en juin 2007 ]

Tout ce que nous connaissons de Gliese 581c, c’est sa masse et sa période de révolution. Tout le reste n’est que le fruit d’hypothèses sur la base de ces deux informations

LES OUTILS

Le télescope japonais Subaru est construit au sommet du volcan Mauna Kea, dans l’archipel d’Hawaï. Cet instrument de type

Cassegrain, de 8,2 m de diamètre, observe en visible et en infrarouge. Il fait partie des plus grands télescopes du monde. Subaru est le nom japonais de l’amas des Pléiades. Site : www.naoj.org/

SUBARU EXOBIOLOGIEL’exobiologie étudie les processus pouvant mener à l’apparition de la vie sur Terre et dans l’Univers général. C’est un domaine de recherche transdisciplinaire, où interviennent biologistes, biochimistes, planétologues, spécialistes des atmosphères, etc.

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sion. La précision de l’engin est telle que nous sommes capables de déceler d’infimes varia-tions de luminosité des étoiles, de l’ordre de 0,005 %.” Jusque-là, en effet, les meilleurs instruments ne descendaient pas en des-sous de 1 %. Or, ce sont ces variations qui permettent aux astronomes de déduire la présence d’exoplanètes. Elles se produisent

OROT fonctionne à merveille !” Voilà plusieurs mois que les astro-

nomes le répètent à l’envi : le petit satellite européen, chasseur d’exoplanètes, lancé le 27 décembre 2006, surpasse toutes les espé-rances. “Les performances sont en effet un peu meilleures que celles attendues, se féli-cite Annie Baglin, responsable de la mis-

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COROT SURPASSE LES ESPÉRANCES

Le satellite européen Corot pourrait, d’ici à la fin de l’automne, découvrir les premières planètes telluriques autour d’autres étoiles que le Soleil. Mais surtout, il permettra aux astronomes

d’étudier en détail toutes les exoplanètes.

Émilie Martin

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Corot (ici, lors de tests) a un objectif double : étudier la structure interne des étoiles à travers leurs modes de vibration, et détecter les planètes extrasolaires quand elles passent devant leur soleil.

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quand l’une de ces planètes passe devant le minuscule disque d’une étoile et en diminue très légèrement l’éclat. Une baisse d’autant plus faible que la planète est petite. Bonne nouvelle donc  : c’est sans difficulté que Corot devrait, comme promis, détecter les plus petites exoplanètes, celles que l’on qua-lifie de telluriques, c’est-à-dire celles qui, par leur taille et leur nature essentiellement rocheuse, ressemblent le plus à la Terre. Pourtant, c’est avec un “gros calibre” que l’instrument prodige a inauguré sa chasse : le 2 mai 2007, l’équipe de Corot annonçait la détection d’Exo 1-b (rebaptisée Corot-1), une planète dont le rayon est estimé entre 1,5 et 1,8 fois celui de Jupiter et qui tourne autour de son étoile en seulement 1,5 jour. Bref, une géante gazeuse de la catégorie des “Jupiter chauds”, comme il en existe tant d’autres dans les filets des chasseurs de nouveaux mondes.Alors, à quand les petites planètes tellu-riques ? “La chasse ne fait que commencer, insiste Magali Deleuil, de l’observatoire d’astrophysique de Marseille et membre de l’équipe Corot. Exo-1b a été détectée lors d’une phase de test menée en février. Mais le premier cycle d’observation, qui a débuté le 16 mai dernier, ne s’achèvera que le 15 octobre. Il nous faudra ensuite plusieurs semaines pour analyser les données.” Pourtant, qu’on se

le dise tout de suite, Corot ne découvrira pas ce que les astronomes considèrent comme le Graal de leur quête : une Terre située dans la zone habitable d’une étoile semblable au Soleil. “Une telle planète aurait une période de révolution autour de son étoile de plusieurs centaines de jours, explique Annie Baglin. Or, Corot change de champ stellaire tous les 150 jours. Et, comme nous avons besoin de voir une planète passer au moins deux fois devant son étoile pour certifier qu’elle existe, nous ne pourrons détecter que des planètes ayant au maximum 75 jours de période.”

PLUS FROIDES QUE LE SOLEIL Bien entendu, l’équipe ne s’interdit pas de revenir sur un champ déjà couvert si elle pense être sur la piste du fameux Graal, mais c’est peu probable. Il est fort possible en revanche que Corot débusque des planètes naviguant dans la zone habitable d’étoiles un peu plus froides que le Soleil, telles les étoiles de type spectral K. En effet, leur zone habitable se situe beaucoup plus près d’elles que celle du Système solaire (qui débute juste après Vénus et se termine au-delà de Mars). Toutefois, ces mondes potentielle-ment accueillants pour la vie afficheront un léger embonpoint par rapport à la Terre, car les performances du satellite ne permettent pas de déceler des corps dont le diamètre est inférieur à 1,5 fois celui de notre planète. “Et encore, nous détecterons ces astres si toutefois ils existent ! précise Annie Baglin. Car nous sommes loin d’être certains de la présence d’autres systèmes comme le nôtre, avec des petites planètes rocheuses à l’inté-rieur. Il faut aussi savoir que la détection des petits calibres n’est pas notre priorité abso-lue. L’argument des Terre a servi à défendre le

Les transits permettent d’étudier la météorologie des planètes extrasolaires

LES OUTILS

Lancé le 27 décembre 2006, le satellite européen Corot (pour Convection, rotation et transits planétaires) doit observer jusqu’en mars 2013. Il possède un télescope de

27 cm de diamètre et une caméra CCD sensible à 0,005 % près. Depuis sa mise en service, Corot a déjà inscrit 22 exoplanètes à la liste officielle (et plus d’une dizaine à confirmer), dont la terrienne Corot 7 b (1,7 fois le rayon terrestre) découverte en février 2009, et détrônée en janvier 2011 par Kepler 10 b (p. 76).

COROT TYPE SPECTRAL KLes étoiles de type spectral K ont des températures comprises entre 3 700 et 5 000 K. On y trouve des naines orange, des étoiles géantes et des supergéantes, comme Arcturus du Bouvier. Les planètes des naines orange intéressent les astronomes car ces étoiles vivent jusqu’à 3 fois plus longtemps que le Soleil. La vie a donc plus de chances de s’y être développée.

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projet, mais Corot n’a pas été conçu unique-ment dans le but de les découvrir.”Le satellite a surtout pour mission de passer au crible toutes les planètes plus grosses qu’il trouvera. Avec plusieurs dizaines de Jupiter “chauds” et plusieurs “super-Terre”, chaudes également, les astronomes pourront faire de l’exoplanétologie, c’est-à-dire de caractéri-ser ces nouveaux mondes tout comme ils auscultent les planètes du Système solaire ! Ces Terrae Incognitae seront observées sous toutes les coutures. Corot les verra d’abord passer — ou transiter — devant leur étoile, ce qui permettra aux scientifiques de calcu-ler leur rayon. Puis, plusieurs instruments au sol prendront le relais afin d’observer les perturbations qu’elles engendrent sur leur étoile parente (par la méthode de vitesse radiale) dans le but de connaître leur masse. “Or, quand on connaît précisément et le rayon et la masse d’une planète, on peut calculer sa densité, explique Tristan Guillot, de l’obser-

vatoire de Nice. Et, avec sa densité, avoir une idée de sa composition interne.” Par exemple, si une super-Terre chaude est très dense, elle sera qualifiée de tellurique. Si, au contraire, elle est peu dense, elle sera probablement rangée dans la catégorie, encore hypothé-tique, des planètes “océan”.

OCÉAN À HAUTE PRESSIONLa méthode a déjà fait ses preuves, mais sur un échantillon très réduit. Ainsi, grâce au transit de Gl 436 b, observé en 2004 avec le télescope suisse de 1,20 m situé à l’observa-toire de La Silla, Jonathan Fortney, du Nasa Ames Research Center (Californie), a conclu que cette planète de 22 masses terrestres avait une densité comparable à celle d’Uranus et qu’elle devait donc contenir un énorme pourcentage de glace. “Mais à l’intérieur de Gl 436 b, tout comme à l’intérieur des deux géantes du Système solaire, la pression et la température sont telles que cette glace doit

LES ACTEURS

“Je travaille à 150 années-lumière de la Terre”, déclare-t-elle dans l’un de ses interviews. Et pour cause : Annie Baglin est la responsable scientifique de la mission Corot. Mais cette spécialiste en physique

stellaire a aussi un bureau sur Terre, au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique, à l’observatoire de Paris.

ANNIE BAGLIN SUPER-TERRELe terme désigne une planète dont la masse est comprise entre 1 et 10 fois celle de la Terre (bien qu’il n’y ait pas d’unanimité sur ces deux limites). Mais le terme est trompeur : une super-Terre n’est pas nécessairement rocheuse. Une planète océan ou une petite gazeuse peut, par exemple, entrer dans cette catégorie.

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SPITZERÉTOILES PLUS FROIDES QUE LE SOLEIL

A. VIDAL MADJAR

PREMIER CYCLE D’OBSERVATION

A. LECAVELIER

DES VENTS À 10 000 KM/H

PLANÈTES “OCÉAN”KEPLER

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LA CONQUÊTE

exister sous la forme d’un océan d’eau à très haute pression (similaire à celle qui règne au centre de la Terre), explique le chercheur. Cet océan est sans doute recouvert d’une épaisse atmosphère d’hydrogène, de méthane, mais aussi de sodium et de potassium.”Et les transits offrent bien d’autres possibili-tés aux astronomes. En observant en détail comment l’éclat de l’étoile varie au passage de la planète, ils peuvent étudier la com-position et les propriétés de l’atmosphère de cette dernière. Grâce à cette méthode, l’équipe d’Alfred Vidal-Madjar et Alain Lecavelier (Institut d’astrophysique de Paris) a découvert que les atmosphères des deux Jupiter chauds HD 209458 b et HD 189733 b s’évaporaient. Plus impressionnant encore, les transits permettent d’étudier la météo-rologie des planètes extrasolaires !

UNE ATMOSPHÈRE QUI S’ÉVAPOREC’est ce que vient de réaliser l’équipe de Heather Knutson sur la planète HD 189733 b  : “Avec le télescope spatial Spitzer, nous avons observé cette planète durant la moitié de sa révolution autour de son étoile, depuis le transit primaire (quand elle passe devant l’étoile) jusqu’au transit secondaire (juste avant qu’elle ne passe der-rière), soit pendant 33 heures, explique cet astronome de l’université d’Harvard. Dans l’œil infrarouge de Spitzer, nous ne pouvions discerner le flux de l’étoile de celui de la planète, mais comme nous connaissions la masse et, surtout, le rayon de cette dernière, nous avons pu faire des estimations précises de son flux infrarouge propre, donc de sa température.” Résultat : sur HD 189733 b, qui tourne en seulement 53 heures autour de son étoile, il fait 650 °C côté nuit, et 930 °C

côté jour. Une amplitude thermique rela-tivement faible qui indique que des vents ultrapuissants soufflant à 10 000 km/h redis-tribuent la chaleur d’un hémisphère à l’autre. “La précision sans précédent de cette obser-vation (qui compte quelque 250 000 points de mesure) nous a également permis de reconstituer une véritable carte des tempéra-tures divisée en douze bandes longitudinales, précise Heather Knutson. Nous avons du coup mis en évidence le point le plus chaud, du côté jour, et le point le plus froid, du côté nuit. Or, chacun d’entre eux était décalé par rapport aux endroits où l’ensoleillement était respectivement maximum et minimum, ce qui confirme la présence de vents ultrapuis-sants. Nous avons aussi noté que ces points n’étaient pas décalés du même côté de la planète. Ceci nous indique que, comme sur Jupiter, il doit exister sur HD 189733 b des bandes nuageuses circulant en sens contraire les unes par rapport aux autres.” À ce jour, seules 18 des 240 planètes extra-solaires connues ont été détectées par tran-sit. “Or, avec Corot, nous aurons découvert d’ici à deux ans une centaine de nouvelles planètes ‘à transit’! se félicite Tristan Guillot. Alléchant programme, même s’il ne com-porte pas la découverte d’une véritable soeur jumelle pour la Terre. Mais, ce n’est que partie remise, car la quête de ce Graal a été confiée au successeur américain de Corot, Kepler, dont le lancement est prévu en 2009 (lire p. 86). Doté d’un miroir de 80 cm (contre 27 cm pour Corot), il poin-tera toujours le même champ quatre ans durant. En matière d’exoterre, c’est sur lui que reposent tous les espoirs. ●

[ Article paru en septembre 2007 ]

LES OUTILS

Le télescope spatial Spitzer, du nom de l’astronome américain Lyman Spitzer, a été lancé par la Nasa en août 2003 afin d’analyser le rayonnement infrarouge émis par les corps du Système solaire et les astres de l’Univers. Il est doté d’un spectromètre et d’un photomètre infrarouges, et d’une caméra. Cette

dernière est toujours en service en octobre 2012, alors que la mission ne devait durer que 2 ans et demi. Son fait d’armes en exoplanétologie demeure la première captation de lumière provenant directement de deux exoplanètes, HD 209458 b et TrES-1 b, une “Jupiter chaude” à 512 années-lumière.

SPITZER© N

asa

Page 71: Ciel et Espace HS Nr 20

71

IL FAUT CHERCHER AUTOUR DES NAINES ROUGES !

Longtemps écartées de la recherche de planètes habitables, les naines rouges sont devenues des cibles prioritaires pour de nombreux astronomes. Ces petites étoiles cumulent bien des atouts, tant scientifiques

que pratiques. Est-ce autour d’elles que nous trouverons les premiers indices d’une vie extraterrestre ?

David Fossé

2010

«

«

y a quelques semaines, à l’université de Californie à Santa Cruz, Eliza Miller-Ricci et Jonathan Fortney ont calculé que la détec-tion de l’enveloppe gazeuse de la planète était possible “avec les télescopes spatiaux actuels”. Le Canadien Dave Charbonneau, découvreur de la super-Terre avec son

E premier coup de sonde dans l’atmosphère d’une super-Terre est

imminent. Les astronomes s’y préparent depuis la découverte, à l’automne 2009, d’une planète de seulement 6,6 masses terrestres devant l’étoile naine rouge Gliese 1214, éloignée d’à peine 40 années-lumière. Il

L Le télescope Hubble a révélé le disque de poussières qui entoure la jeune étoile AU Microscopii. Ces grains de matière sont les précurseurs de futures planètes.

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asa/

ESA

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

Orbite de Neptune

50 UA

Disque de poussière

ÉtoileMasque

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72

LA CONQUÊTE

équipe, a déjà demandé du temps d’obser-vation sur Hubble et Spitzer. Qui aurait cru, il y a seulement dix ans, que l’étude des pla-nètes extrasolaires progresserait si vite ? Qui aurait cru, surtout, que les naines rouges y tiendraient une telle place ?

UN CONTINENT À EXPLORERCes étoiles ont déjà créé l’événement dans le passé. En 2007, la première planète poten-tiellement habitable est mise au jour autour d’une naine rouge, Gliese 581 (lire p. 60). En 2009, la plus petite exoplanète — 2 masses terrestres — a été découverte autour de la même étoile. Gliese 1214 b étant pour sa part la première exoplanète de moins de 10 masses terrestres dotée d’une atmosphère, les astronomes se retrouvent dans la situa-tion des navigateurs du xve siècle, lancés à la recherche d’une nouvelle route des Indes. Partis avec une idée assez précise de ce qu’ils cherchaient — une jumelle de la Terre —, ils réalisent qu’ils ont peut-être trouvé bien mieux : tout un continent à explorer !“Les planètes habitables, il faut les chercher autour des naines rouges”, assure Xavier Delfosse. Avec ses collègues du laboratoire

d’astrophysique de Grenoble, voici douze ans qu’il fouille l’environnement de ces étoiles discrètes, 10 à 1 000 fois moins brillantes que le Soleil, mais qui représentent 70 % des astres proches. Pourtant, il y a encore quelques années, la plupart des astrophysi-ciens n’auraient pas parié un centime sur la possibilité d’une vie autour des naines rouges. Bombardant leur voisinage de rayons X pen-dant leur premier milliard d’années d’exis-tence, trop froides pour garantir la présence d’eau liquide sur une planète située à plus de 0,1 UA, ces étoiles dites “de type M” étaient mêmes exclues du programme Seti (1).Puis, au milieu des années 1990, les astro-nomes ont réalisé que ces handicaps n’en étaient pas vraiment. Passés les caprices du premier milliard d’années, “les naines rouges conservent une zone habitable pendant beaucoup plus longtemps que les autres étoiles”, souligne Xavier Delfosse. Par ail-leurs, tourner très près de son étoile, et du coup lui présenter toujours la même face, n’est pas forcément incompatible avec la vie. “Aujourd’hui, nous savons qu’une atmos-phère, même peu dense, suffit à homogénéi-ser la température entre le côté jour et le côté nuit d’une planète”, explique Franck Selsis, spécialiste des atmosphères exoplanétaires à l’observatoire de Bordeaux.Les naines rouges présentent même plu-sieurs avantages spécifiques. Fait important, leur zone habitable est très proche de ces astres froids. Les éventuelles planètes qui s’y trouveraient ne courent donc pas le risque de se faire éjecter par les perturbations d’une étoile voisine. L’influence gravitation-nelle de la naine rouge, toute proche, peut aussi stabiliser l’inclinaison des planètes (sur Terre, cette stabilité a sans doute joué un

Qui aurait cru que les naines rouges tiendraient une telle place dans l’étude des planètes extrasolaires ?

GLIESE 1214 bGliese 1214 b (représentée ici à contre-jour devant son étoile) est peut-être la première planète océan connue, avec une mer

globale posée sur un fond rocheux. Sa taille — 2,7 fois le diamètre terrestre — en fait une super-Terre.

Mais sa densité est plus faible que celle de notre planète : 1,9 contre 5,5. Selon les modèles théoriques, il s’agirait d’une planète océan renfermant 75 % d’eau sur une épaisseur de 13 000 km et 25 % de roches formant un noyau de 4 000 km de rayon. Mais il se peut aussi que Gliese 1214 b soit une mini-Neptune c’est-à-dire une “petite” géante gazeuse. La question demeure posée.

LES MOTS

RAYONS XOndes électromagnétiques, comme la lumière visible, mais plus énergétiques. Les rayons X sont émis naturellement par les étoiles, surtout durant leur jeunesse. Ils sont engendrés par des particules chargées en très forte accélération.

LES MOTS

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SO/C

&E

Pho

tos

Page 73: Ciel et Espace HS Nr 20

73

rôle important dans l’apparition de la vie, mais elle est due à la Lune) et favoriser la tectonique des plaques, si importante pour le recyclage et l’enrichissement chimique d’une atmosphère.Un atout pour l’observateur Ces petites étoiles ont aussi beaucoup d’atouts pour séduire les observateurs. “L’idée de chercher des mondes habitables autour d’elles a com-mencé à me trotter dans la tête en 2004”, raconte Dave Charbonneau. Ce spécialiste de la détection des planètes par la méthode des transits réalise alors que les naines rouges ont tout pour lui plaire. À taille équi-valente, une exoplanète provoque une varia-tion d’éclat supérieure en passant devant une petite étoile plutôt que devant une grande. La probabilité de surprendre le transit d’une planète située dans la zone habitable, plus serrée sur l’étoile, est également plus grande. Et ces passages sont 10 fois plus fréquents que pour une Terre devant un Soleil.

Tous ces éléments mis ensemble facilitent la découverte ! En théorie ? Pas du tout : Dave Charbonneau a découvert Gliese 1214 b en s’appuyant sur ces propriétés. Avec les huit télescopes de 40 cm de son programme M-Earth, l’astronome surveille 2 000 naines rouges depuis un an. “Si chacune d’elles pos-sède une planète de 2 rayons terrestres dans sa zone habitable, alors nous en découvri-rons 27. Si seulement 10 % en possèdent, nous en trouverons 2 ou 3”, précise-t-il. Pas mal pour un observatoire qui n’aura coûté que 600 000 dollars !

LA MASSE, PARAMÈTRE CLÉReste que pour caractériser une planète, la taille ne suffit pas. Il faut aussi mesurer sa masse. Et justement, “comme les naines rouges sont peu massives et leur zone habi-table proche, les planètes qui s’y trouvent sont plus faciles à ‘peser’ par la méthode des vitesses radiales que celles autour d’un

© C

&E

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

LES HISTOIRES

NAINE ROUGE

GLIESE 1214 b70%

BELLE MOISSON

D. CHARBONNEAU

SPIROU

ROUTE DES INDESCOUP DE SONDE

RAYONS XSUPER-TERRE

HOMOGÉNÉISER LA TEMPÉRATURE

GAMME DE LONGUEURS D’ONDE

BEAUCOUP D’ATOUTSJWST

DES ASTRES PROCHES

LES NAINES ROUGES DOMINENT LE VOISINAGE DU SOLEIL

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706050403020100

A

F

Masse totale (en masses solaires)

Type

spe

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l

G

K

M

Naines blanches

4

8

24

48

20

220

Les deux tiers des étoiles qui nous entourent sont des naines rouges. On en dénombre 220 dans un rayon de 33 années-lumière autour du Soleil (une étoile de type spectral G). Ces petites étoiles de type M comptent probablement pour l’essentiel de la masse stellaire de la Voie lactée.

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74

LA CONQUÊTE

Soleil”, note Xavier Delfosse. Les étoiles M rayonnant essentiellement dans l’infra-rouge, le Grenoblois espère même une belle moisson dès 2015, avec la mise en service sur le télescope CFH, à Hawaï, du spec-tromètre Spirou, destiné à cette gamme de longueurs d’onde. En attendant, les astronomes préparent la prochaine étape vers la découverte d’une vie extraterrestre : l’analyse de l’atmosphère d’une planète tel-lurique. Avec son collègue Drake Deming, de la Nasa, Dave Charbonneau estimait en 2007 que pour y parvenir rapidement, il valait mieux s’appuyer sur la méthode des transits (évidemment devant les naines rouges) que de chercher à faire des images, ce qui est très difficile. Les observations à venir de Gliese 1214 b semblent lui don-ner raison, même si en l’occurrence elles semblent concerner plutôt une planète-océan ou une “sous-Neptune” (2).Pas étonnant alors que de nombreux pro-jets pour identifier des molécules dans l’at-mosphère d’une super-Terre aient le vent en poupe ! Par ailleurs, avec son miroir de 6,5 m, le futur successeur de Hubble, le James Webb Space Telescope (JWST) (•), pourra aussi détecter de la vapeur d’eau et du gaz carbonique sur une poignée de can-didates, même s’il n’a pas été uniquement conçu pour cela.Une chose est sûre : la recherche d’indices de vie ne doit pas se focaliser sur des jumelles de la Terre. Les super-Terre, plus faciles à détec-ter, “sont d’aussi bonnes candidates que les corps de 1 masse terrestre”, expliquait le pla-nétologue Dimitar Sasselov, lors du congrès de Barcelone. Aussi bonnes… ou meilleures ? “Leur masse leur permet de retenir plus long-temps la chaleur qu’une planète comme la

Terre”, argumente le chercheur de Harvard. Actives plus longtemps, “elles pourraient même conserver un environnement habi-table après avoir été éjectées de leur orbite” ! Sans aller jusque-là, leur chaleur interne leur permet sans doute d’entretenir une intense activité tectonique, ainsi qu’un volcanisme capable de compenser l’érosion de leur atmosphère, due aux rayons X du premier milliard d’années.

FORCÉMENT DIFFÉRENTEQuoi qu’il en soit, “une planète habitable autour d’une naine rouge sera forcément très différente de la Terre”, avertit Franck Selsis. Un tel monde sera essentiellement éclairé par du rayonnement infrarouge, d’ailleurs absorbé par son atmosphère si celle-ci est constituée en partie de vapeur d’eau et de gaz carbonique. À quoi ressemblera-t-il ? Présentera-t-il les signatures de la vie ter-restre : oxygène, ozone et gaz carbonique en présence d’eau ? “Rien n’est moins sûr, répond le chercheur. La quantité de gaz à effet de serre nécessaire pour assurer le transfert de chaleur d’une face vers l’autre, même faible, pourrait être suffisante pour les masquer.” Ces signatures sont-elles d’ailleurs fiables à ce point ? Pour Franck Selsis, le fait que les pre-mières petites planètes dont nous allons pou-voir analyser l’atmosphère soient si étranges est une bonne nouvelle : “Cela va nous forcer à prendre du recul et nous ouvrir l’esprit sur les mondes possibles.” ●

(1) Programme de recherche d’une intelligence extrater-restre.(2) Sa densité est trois fois trop faible pour qu’elle soit une vraie “grosse Terre”.

[ Article paru en mars 2010 ]

LES OUTILS

Prévu pour 2015, le spectromètre infrarouge Spirou est pour l’heure en cours

d’élaboration par l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (Ipag). Il rendra possible l’analyse des hautes atmosphères dans le Système solaire et sur les exoplanètes.

SPIROU LONGUEURS D’ONDEChaque domaine de rayonnements est défini par sa gamme de longueurs d’onde. Par exemple, l’infrarouge cité ici correspond aux longueurs d’onde comprises entre 780 nm et 1 mm.

LES MOTS

JWSTLe futur télescope spatial

de la Nasa doit décoller en 2018 à bord d’une fusée Ariane 5.

Son miroir primaire fait 6,5 m de diamètre, contre 2,4 m

pour Hubble. Il observera le ciel dans l’infrarouge.

© E

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tin/C

&E

Pho

tos

Page 75: Ciel et Espace HS Nr 20

Passez vos étoiles !Des formations� à�l’observation�astronomique

Première Étoile

✴✴✴

Observer de façon autonome

la voûte céleste

Deuxième Étoile

✴✴✴Exploiter pleinement

son instrument

Troisième Étoile

✴✴✴S’initier aux techniques

d’acquisition d’images

Association française d’astronomie Reconnue d’utilité publique

C. B

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Stage 1re étoile En décembre : le 1er à Laval (53), Moydans (05), à Saint-Jean-de-Bournay (38) ; le 08 à Tauxigny (37) ; le 14 à Mauroux (32) ; le 15 à Kawéni (Mayotte) (97), Paris (75). En janvier 2013 : le 12 à Dijon (21), à Latrape (31) ; le 19 à Paris (75), Buthiers (77), à Perpignan (66). En février 2013 : le 02 à Saint-Jean-de-Bournay (38) ; le 16 à Paris (75), Saint-Ciers-de-Canesse (33), à Latrape (31). En mars 2013 : le 15 à Moydans (05) ; le 16 à Saint-Ciers-de-Canesse (33).En avril 2013 : le 05 à Moydans (05) ; le 06 à Saint-Jean-de-Bournay (38) ; le 13 à Dijon (21) ; le 16 à Latrape (31) ; le 19 à Moydans (05).

Stage 2e étoileEn décembre : le 15 à Poitiers (86).En janvier 2013 : le 13 à Latrape (31). En février 2013 : le 02 à Buthiers (77). En mars 2013 : le 23 à Moydans (05).En avril 2013 : le 12 à Moydans (05). Stage 3e étoilele 15 décembre à Valbonne (06).

Stage 4e étoile (imagerie planétaire)le 1er décembre à Valbonne (06).

Un réseau de 30 centres de formation

Apprendre à utiliser sa lunette ou son télescope, choisir son oculaire, lire des éphémérides, s’initier à la mécanique céleste, l’optique, entretenir son équipement… sont au programme d’une journée de formation intensive. À partir de 80 €

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Page 76: Ciel et Espace HS Nr 20

76

LA CONQUÊTE

* Classement établi avant la découverte d’Alpha du Centaure Bb en octobre 2012 (p.6).

L’ESI, UN INDICE DE SIMILARITÉ

U’EST-CE qu’une exoplanète ana-logue à la Terre ?” Le 5 décembre

2011, lors d’une conférence consacrée aux résultats du satellite Kepler, l’astrophysi-cienne Jill Tarter posait cette question fausse-ment naïve à son auditoire. Pour les chasseurs d’exoplanètes, dont l’Italo-Suisse Francesco Pepe, cela ne fait aucun doute : “C’est une pla-nète d’environ la masse et la taille de la Terre, située dans la zone habitable d’une étoile sem-blable au Soleil.” Pour ceux qui pensent que la caractéristique principale de notre planète est d’abriter la vie et que l’apparition de celle-ci est extrêmement improbable, un analogue à la Terre doit aussi posséder un gros satellite et un champ magnétique global, être d’une densité de 5 g/cm3, appartenir à un système planétaire doté d’une Jupiter à 5 UA de l’étoile et d’un réservoir de comètes, être âgé de plu-sieurs milliards d’années, etc. Pour ceux enfin qui recherchent une intelligence extrater-restre, comme Jill Tarter, “c’est uniquement l’existence d’une technologie que nous pour-rions détecter à distance qui nous permettra de qualifier une planète d’analogue à la Terre”.Comment choisir ? Il faut bien reconnaître que les critères du concours “Miss Terre” sont assez subjectifs… Si l’on admet que le trait caractéristique de notre planète est la vie,

pourquoi une super-Terre dans la zone habi-table d’une étoile naine rouge devrait paraître moins intéressante qu’une planète aux men-surations exactes de la Terre, mais un peu trop proche d’un jumeau du Soleil pour que de l’eau y coule ? Et d’ailleurs, la Terre offre-t-elle les conditions optimales pour l’apparition de la vie ? Autrement dit, la similarité avec notre planète est-elle le meilleur gage de suc-cès dans la recherche d’une autre biosphère ?Pour tenter d’y voir plus clair, l’équipe d’Abel Méndez (université de Porto Rico) a imaginé différents indices pour classer les exoplanètes. L’indice de similarité avec la Terre passe les exoplanètes sous la toise de notre propre monde — le seul, après tout, pour lequel nous avons la certitude que la vie est apparue. C’est le concours “Miss Terre”. L’indice princi-pal d’habitabilité (SPH) tente de s’extraire du biais “terrocentrique” en ne considérant que la température de surface et le taux d’humidité d’une planète, censés optimiser la production de végétation. Pour le moment, faute d’infor-mations suffisantes sur les exoplanètes que l’on découvre, le seul indice utilisable est l’ESI (lire encadré). Nous nous en sommes inspirés pour réaliser notre classement.  ●

[ Article paru en février 2012 ]

Q”

LES 7 CANDIDATES AU TITRE DE “MISS TERRE”Pour tout chasseur d’exoplanètes, elles ont des mensurations de rêve. Leurs noms imprononçables circulent de colloque en colloque. Et certaines ont même fait la une des médias ! Voici le classement des sept planètes extrasolaires les plus ressemblantes à la Terre.*

David Fossé

Élaboré par l’équipe d’Abel Méndez, l’indice de similarité avec la Terre (ESI) prend en compte les différentes caractéristiques d’une exoplanète (taille, composition, température de surface…). Sur cette échelle de 0 à 1 (cas de la Terre), la note de Mars vaut 0,7. Selon l’astrophysicien portoricain, toute planète dont l’ESI dépasse 0,8 peut être considérée comme un analogue de la Terre. À noter : un même ESI, combinaison de plusieurs facteurs, peut s’appliquer à des planètes de nature très différente, comme ici Kepler 20f et Kepler 11f. Par ailleurs, ce chiffre doit être manipulé avec précaution, en particulier lorsque la masse ou le rayon de la planète n’a pas été mesuré.

Page 77: Ciel et Espace HS Nr 20

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HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

C’est la nouvelle coqueluche des exobiologistes. À seulement 22 années-lumière de la Terre, Gliese 667Cc reçoit pratiquement autant d’énergie de sa naine rouge que la nôtre du Soleil. Autrement dit, elle circule en plein dans la zone habitable de son étoile ! Est-ce une super-Terre, c’est-à-dire une planète rocheuse où pourrait couler de l’eau ? Pour le savoir, il faudrait pouvoir mesurer son rayon — et donc sa densité — en la voyant passer devant son étoile. Ce qui nécessite un alignement entre la Terre, la planète et son étoile qui n’a que 2 % de chance de se produire… Croisons les doigts !

Gliese 667C cLA MASSIVE TEMPÉRÉE

Masse : 3,9 masses terrestres

Rayon : inconnu

Son étoile : naine rouge

Distance à l’étoile : 0,12 UA

Période de révolution : 28 jours

En zone habitable : Oui

ESI : 0,87

1

Annoncée à grand renfort de communication par la Nasa, Kepler 22b est la première planète découverte par Kepler dans la zone habitable d’un sosie du Soleil à 600 années-lumière de nous. Cela dit, c’est à peu près son seul point commun avec la Terre… Compte tenu de sa taille, c’est probablement une planète dotée d’une atmosphère épaisse : une mini-Neptune d’une trentaine de masses terrestres, parfaitement inhospitalière. Dans le meilleur des cas, c’est une planète-océan (recouverte d’eau sur plusieurs kilomètres d’épaisseur). Une belle illustration du fait qu’il ne faut pas confondre “zone habitable” avec “planète habitable”…

Kepler 22 bWATERWORLD

Masse : inconnue

Rayon : 2,4 rayons terrestres

Son étoile : similaire au Soleil

Distance à l’étoile : 0,85 UA

Période de révolution : 290 jours

En zone habitable : oui

ESI : 0,75

3

Découverte en août 2011 dans la constellation des Voiles, HD 85512b est la plus “légère” des planètes connues dans la zone habitable d’une étoile. Il pourrait s’agir d’une super-Terre, à peine 40 % plus grande que notre planète dans l’hypothèse d’une composition comparable. Dans ce cas, une couverture nuageuse de plus de 50 % permettrait à HD 85512b d’avoir la même température de surface que la Terre. Son étoile est une naine orange du même âge que le Soleil, 30 % moins massive et un peu plus froide. Jusqu’à nouvel ordre, HD 85512b mérite probablement de partager avec Gliese 667Cc le titre de Miss Terre…

HD 85512 bLA ROCHEUSE BIEN PLACÉE

Masse : 3,6 masses terrestres

Rayon : inconnu

Son étoile : naine rouge

Distance à l’étoile : 0,26 UA

Période de révolution : 54 jours

En zone habitable : Oui

ESI : 0,79

2

Terre Gliese 581 g Gliese 581 dGliese 667C c Kepler-22 b HD 85512 b

Page 78: Ciel et Espace HS Nr 20

78

LA CONQUÊTE

Gliese 581d est nichée au sein d’un système d’au moins quatre planètes autour d’une étoile de la Balance, à 20 années-lumière de la Terre. Découverte en 2007, elle a été reconnue comme potentiellement habitable en 2011. Même si elle reçoit 35 % moins d’énergie que Mars, il est en effet possible qu’elle bénéficie d’un fort effet de serre, pour peu que son atmosphère soit suffisamment riche en gaz carbonique. D’ailleurs, si on plaçait la Terre sur l’orbite de Gliese 581d, à 33 millions de kilomètres de sa naine rouge, elle resterait habitable ! Avant que Gliese 667Cc ne la détrône, cette planète était la préférée des exobiologistes.

Gliese 581 dLA FROIDE COUSINE

Masse : 5,6 masses terrestres

Rayon : inconnu

Son étoile : naine rouge

Distance à l’étoile : 0,22 UA

Période de révolution : 67 jours

En zone habitable : Oui

ESI : 0,7

4

La vraie jumelle de la Terre, c’est elle ! Sur le papier en tout cas, ses mensurations font rêver. Sa taille est celle de notre planète, à 3 % près. Sa masse en revanche n’est pas connue, mais des estimations tenant compte de toute une gamme de compositions possibles indiquent qu’elle se situe entre 66 % et 3 fois la masse de la Terre. Le gros défaut de Kepler 10f est d’être environ 10 fois plus près de son soleil que la Terre. Du coup, sa température d’au moins 400 °C la rend à coup sûr inhabitable. Elle a été trouvée à 950 années-lumière.

Kepler 20 fUNE TERRE EN ENFER

Masse : inconnue

Rayon : 1 rayon terrestre

Son étoile : similaire au Soleil

Distance à l’étoile : 0,14 UA

Période de révolution : 20 jours

En zone habitable : non

ESI : 0,44

5

Avec une masse assez prometteuse — un peu plus du double de celle de la Terre —, Kepler 11f était a priori bien placée pour être considérée comme une sœur de la planète bleue. Mais son rayon a été mesuré précisément et… surprise : Kepler 11f est une planète enflée ! Son rayon la place dans la gamme des planètes gazeuses, composées en partie d’hydrogène et d’hélium, avec une densité inférieure à celle de l’eau. Kepler 11f a été découverte en février 2011 à 2 000 années-lumière, avec cinq autres planètes plus serrées autour de leur étoile que Mercure.

Kepler 11 fLA GÉANTE ENFLÉE

Masse : 2,3 masses terrestres

Rayon : 2,6 rayons terrestres

Son étoile : similaire au Soleil

Distance à l’étoile : 0,25 UA

Période de révolution : 47 jours

En zone habitable : non

ESI : 0,36

6

En janvier 2011, Kepler 10b est devenue la plus petite planète autour d’un Soleil dont la masse et le rayon ont pu être précisément mesurés. À peine 40 % plus grande que la Terre, elle aurait pu faire une honorable “Miss Terre” si elle n’était pas presque cinq fois plus massive. Elle est aussi dense que le bronze ! Et surtout, Kepler 10b est vingt fois plus proche de son étoile que Mercure du Soleil. Autrement dit, avec une température de 2 500 °C, sa surface est un océan de lave en fusion. Un enfer…

Kepler 10 bLA PLANÈTE DES LAVES

Masse : 4,6 masses terrestres

Rayon : 1,4 rayon terrestre

Son étoile : similaire au Soleil

Distance à l’étoile : 0,02 UA

Période de révolution : 19 h

En zone habitable : non

ESI : 0,15

7

Page 79: Ciel et Espace HS Nr 20

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Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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LE NOUV EAU©

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HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

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LE NOUV EAUMONDE

C’est aujourd’hui. On s’attend d’un jour à l’autre à découvrir une vraie planète habitable :

rocheuse, avec une atmosphère, de l’eau et des températures clémentes. Nul chasseur

de mondes extrasolaires n’en doute, mais jusqu’ici — début octobre 2012 — cette autre

Terre joue les Arlésiennes. Peut-être est-ce une question de mois… Ou devons-nous alors

élargir la recherche à des planètes moins “terrestres” ? La réponse bientôt.

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LE NOUVEAU MONDE

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LA PREMIÈRE SŒUR DE LA TERRE EST À DÉCOUVRIR

“Rocheuse”, “habitable”, “habitée” : la quête d’une planète propice à la vie bat son plein, mais la surenchère des annonces guette les astrophysiciens. Les débats qui ont agité récemment la

communauté des chasseurs d’exoplanètes nous rappellent que la traque reste extrêmement difficile.

David Fossé

2010

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«Gliese 581 g

Fin 2012, deux ans après la découverte de cette

sixième planète autour de la naine rouge Gliese 581, la plus habitable de toutes,

son existence demeure hypothétique. En 2011, Harps

ne l’a pas confirmée.

LES OUTILS

Le Lick Carnegie Exoplanet Survey est un programme américain de la Nasa et de la National Science Foundation, mené par Steven Vogt et Paul Butler. Débuté à l’observatoire Lick (photo), en Californie, il utilise ensuite le télescope

Keck, à Hawaï (p. 84). En septembre 2010, l’équipe annonce la découverte de Gliese 581 g, planète dont la distance à son étoile autorise l’existence d’eau liquide à sa surface.

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E 12 septembre 2010, l’astrophysi-cien Greg Laughlin et le spécialiste

en sciences sociales Samuel Arbesman  (1) publient en ligne un article qui fait sensa-tion : “Nous prédisons la découverte de la première planète semblable à la Terre pour la première moitié de 2011, la date la plus probable étant mai 2011.” Un optimisme fondé sur leur analyse statistique du rythme des découvertes de mondes extrasolaires depuis 1995. Coup de pub ou reflet fidèle de l’état d’esprit qui règne chez les chasseurs d’exoplanètes ? Moins de trois semaines après, le 29 sep-tembre 2010, tous les projecteurs se

braquent sur l’équipe de Steven Vogt (Lick Carnegie Exoplanet Survey). Vogt annonce rien moins que la première découverte “vraiment solide” d’une planète potentiel-lement habitable ! Une détection réalisée grâce au télescope de 10 m Keck. À une vingtaine d’années-lumière de la Terre, un monde de 3 masses terrestres tourne autour de la naine rouge Gliese 581 (•) — une étoile un tiers plus petite que le Soleil, cent fois moins lumineuse, et qui compte déjà quatre planètes à son actif. Dans son article scien-tifique, l’équipe évoque l’avènement d’une “seconde ère de décou vertes”, après celle des Jupiter chaudes et des Neptune extraso-

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Simulation de l’évolution de la température dans l’atmosphère de la planète Gliese 581 g (encore hypothétique), réalisée par le Suisse Kevin Heug.w

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

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LE NOUVEAU MONDE

laires. “Une nouvelle pla nète pourrait héber­ger des organismes” titre le New York Times. Le web s’enflamme. Et Steven Vogt en rajoute, déclarant que, selon lui, “les chances de vie sur cette planète sont de 100 %”.

DOUCHE FROIDEMais dès le 11 octobre, c’est la douche froide. À Turin, au congrès de l’Union astronomique internationale, le chasseur d’exoplanètes Francesco Pepe présente la synthèse de six ans de traque autour de Gliese 581. Malgré la précision du spectro-mètre de l’ESO Harps, concurrent direct de l’instrument Hirise ins tallé sur le Keck, son équipe ne voit “aucun indice de la présence d’une cinquième planète sur une orbite de 37 jours, comme annoncé par Vogt”. À l’instar du grand chasseur d’exo planètes américain Geoffrey Marcy, qui estime que “les don­nées de l’équipe de Harps sont excellentes”, la majorité des chercheurs tombe d’accord : “La planète n’existe pas.” Depuis, Steven Vogt campe pourtant sur ses positions : “Je confirme notre analyse et nos données. Et quiconque les analysera de façon indépendante arrivera aux mêmes conclu­sions. D’ailleurs, en quinze ans, avec plu­

sieurs centaines d’exoplanètes détectées, notre équipe n’a encore jamais publié de fausse détection ni d’erratum.” Péché d’orgueil ? Peut-être. Mais c’est surtout que Steven Vogt sait bien qu’accoucher d’une petite planète est un exercice délicat. Poussés aux limites de leur capacité, les meilleurs spectromètres donnent souvent des résultats ambigus, dis-cutables. Bref : qui laissent de confortables marges d’interprétation. Le cas de la planète Corot 7b, à ce titre, est intéressant. Début 2009, grâce au satellite français Corot, Alain Léger (2) et ses collè-gues annoncent la détection par transit d’une planète de 1,6 rayon terrestre autour d’une étoile à peine moins massive que le Soleil. Quelques mois plus tard, au terme d’une mobilisation sans précédent de Harps (106 mesures de 30 à 60 minutes concen-trées sur quatre mois !), le Suisse Didier Queloz et son équipe publient la masse de l’objet. Compte tenu de son volume, ses 4 à 5,6 masses ter restres placent clairement Corot 7b dans la catégorie des planètes rocheuses, d’une den sité comparable à celle de la Terre. Comme la nouvelle venue tourne très près de son étoile, elle n’est bien sûr pas habitable. Mais c’est la toute pre-mière planète tellurique confirmée !Depuis le 23 août, un article signé par trois spécialistes issus des équipes de Corot et de Harps sème pourtant le doute. “Corot 7b pourrait être une mini­Neptune [une planète gazeuse] plutôt qu’une super­Terre”, écrivent Frédéric Pont, Suzanne Aigrain et Shay Zucker (3). Pis, “il est difficile d’être confiant dans le fait que Corot  7b rassemble les conditions pour être confirmée comme pla­nète”, estiment les trois astronomes. Ils pré-viennent donc les théoriciens : jusqu’à plus

La chasse aux exoplanètes “terrestres” promet encore quelques foires d’empoigne

LES OUTILS

Les télescopes jumeaux de 10 m de diamètre Keck 1 et 2 sont installés au sommet du volcan Mauna Kea, à Hawaï, à 4 145 m d’altitude. Ils peuvent fonctionner en tandem, ce qui leur donne une résolution angulaire équivalant à celle d’un miroir de 85 m. Un de leurs instruments, Hires, est un spectrographe capable de détecter les exoplanètes par vitesse radiale. Construits grâce au mécénat, les Keck sont gérés par la Nasa, le Caltech et l’université de Californie.Site : www.keckobservatory.org

TÉLESCOPES KECK

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ample informé, “les modèles qui se fondent sur la nature rocheuse de Corot 7b pourraient bien être bâtis sur du sable”.À l’origine de la controverse ? D’abord le fait que Corot 7 soit une étoile active. En effet, la présence de taches et de facules sur un disque stellaire peut mystifier un spec-tromètre et mimer une vitesse radiale. C’est un parasite qui se superpose au signal que l’on veut mesurer. Or, Frédéric Pont précise : “Dans le cas de Corot 7, la variabilité stellaire est au moins dix fois plus importante que la vitesse radiale imprimée à l’étoile par sa pla­nète”, de l’ordre de 3 à 4 m/s selon Queloz et ses collègues. Par conséquent, la façon dont on corrige les données de cette variabilité est cruciale ! Frédéric Pont et ses collègues ont mis au point une nouvelle stratégie qui, selon eux, donne de meilleurs résultats. Par ailleurs, “Harps est optimisé pour des étoiles dont l’éclat dépasse la magnitude 8”, reprend Frédéric Pont. Dans cette gamme,

sa précision est inégalée. Mais, à la magni-tude de l’étoile Corot 7 (11,7), il semble que la qualité de ses données décroisse. Du coup, explique le cher cheur, la confiance à leur accorder est moindre. Corot 7b serait donc moins bien ancrée dans le monde des exopla-nètes qu’on ne le pense (lire p. 67).

LES ASTRONOMES DIVISÉSUne analyse “pénétrante” ou “sans grand intérêt” ? Les chasseurs de planètes extraso-laires sont divisés. Si Geoffrey Marcy pense que “la première planète définitivement rocheuse reste à découvrir”, Jean-Philippe Beaulieu, de l’IAP, se dit “pas convaincu par cette réanalyse”. Didier Queloz, lui, relati-vise en plaçant cet article “dans la série de ceux qui rediscutent la masse de Corot 7b”. “Tous ces travaux montrent l’intérêt que soulève cette planète, ainsi que la difficulté de corriger ’correctement’ l’acti vité stellaire”, estime-t-il. Pour y parvenir, il espère qu’une

TACHES ET FACULESCe sont deux phénomènes opposés que l’on observe à la surface des étoiles, dont le Soleil : les fameuses taches sombres et les moins bien connues facules (“points lumineux”), qui se forment souvent à proximité des premières. Les deux ont pour origine les variations du champ magnétique stellaire.

LES MOTSLES ACTEURS

Cet astronome de l’observatoire de Genève a été l’un des piliers du projet Harps au début des années 2000. Aujourd’hui, il travaille à l’installation du spectrographe Harps North, jumeau de Harps, sur le Telescopio Nazionale

Galileo de 3,58 m de diamètre, sur l’île de La Palma (Canaries). Par ailleurs, Francesco Pepe participe à la mise au point du successeur de Harps en 2014, Espresso.

FRANCESCO PEPE

DR

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

GLIESE 581 g

COROT 7 bS. VOGT OPTIMISME

PLANÈTE POTENTIELLEMENT HABITABLE

KECK DOUCHE FROIDE

HARPS - HIRISEAUCUN INDICE

PRÉDICTION SCIENTOMÉTRIQUE

UNION ASTRONOMIQUE INTERNATIONALE

EXERCICE DÉLICATRÉSULTATS AMBIGUS

A. LÉGERD. QUELOZ

F. PEPE

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LE NOUVEAU MONDE

nouvelle campagne de mesure conjointe depuis le sol et l’espace sera mise en place “dans un avenir proche”. Pourquoi pas ? Les données du satellite infrarouge Spitzer, qui s’est déjà tourné vers Corot 7b, semblent confirmer l’existenceQuoi qu’il en soit, la chasse aux exoplanètes “terrestres” promet encore quelques foires d’empoigne… Le satellite américain Kepler a plusieurs centaines de candidates planètes en réserve et Geoffrey Marcy annonce “des résul tats solides d’ici quelques mois” sur le front des planètes rocheuses. Mais Suzanne Aigrain s’at tend déjà à ce que “la confirma­tion de la nature des plus petits objets reste problématique”. Harps, installé au Chili, n’a pas accès au champ pointé par Kepler (dans la constellation boréale du Cygne). Le télescope Keck, lui, est à Hawaï. Mais il est réputé être un poil moins précis… La solution serait la mise en service rapide de Harps North, la réplique améliorée de l’instrument star de la chasse aux exopla-nètes. Mais elle n’est prévue aux Canaries qu’en 2012 (•), un an avant la fin officielle de la mission Kepler. Et puis surtout, la

question de la correction de l’activité des étoiles reste ouverte. “Si Harps a eu tant de mal à confir mer l’existence de Corot 7b en vitesse radiale, c’est parce qu’elle était une cible imposée, ayant d’abord été détectée par transit”, sou ligne Xavier Bonfils, du labo-ratoire d’astro physique de Grenoble. Dans les recherches d’exoplanètes par vitesse radiale, les étoiles actives sont en effet éli-minées d’office… Il faudra donc soit raffiner les procédures de correction de l’activité des étoiles, soit pro céder à l’envers : chercher des transits pour les petites planètes décou-vertes par vitesse radiale  !

PRÉDICTIONS POUR UNE EXOTERREUltime facteur à ne pas négliger : “La grosse pression qui pèse sur les équipes de recherche d’exoplanètes, confie Debra Fischer, respon-sable de la recherche d’exoplanètes à l’obser-vatoire Lick. Au moment où nous rendons publiques nos données, nous voulons être sûrs d’en avoir tiré le maximum, sous peine de rater une découverte !” Et au risque éven-tuellement de la survendre ? “Il faut intéres­ser le public, mais ne pas créer de déceptions”, prévient Suzanne Aigrain. Dans leur “pré­diction scientométrique”, Greg Laughlin et Samuel Arbesman précisent leurs chiffres sur la détection d’une nouvelle Terre : elle a 66 % de chance de se produire avant fin 2013, le chiffre monte à 75 % fin 2020, et n’atteint 95 % qu’en 2264 ! Voilà peut-être de quoi tempérer les enthousiasmes. ●

(1) L’un de l’université de Californie à Santa Cruz et l’autre de l’université Harvard.(2) Institut d’astrophysique spatiale d’Orsay.(3) Respectivement des universités d’Exeter, d’Oxford et de Tel-Aviv.

[ Article paru en décembre 2010 et réactualisé ]

Un facteur à ne pas négliger, la grosse pression qui pèse sur les chercheurs d’exoplanètes

LES OUTILS

Lancé en 2009 par la Nasa, Kepler est un télescope spatial de 1,4 m de diamètre, qui surveille 170 000 étoiles entre Deneb et Véga. Sa sensibilité est telle qu’il est capable de déceler l’infime baisse d’éclat (0,01 %) que provoque une planète de la taille de la Terre passant devant son étoile. À ce jour, Kepler a repéré 2 326 planètes potentielles,

dont 207 de la taille de la Terre ; 95 candidates ont été confirmées.

KEPLERHarps NorthLe frère jumeau du

spectrographe Harps pour l’hémisphère Nord est entré en fonction en

août 2012.

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E 5 décembre 2011, avec un talent certain pour la publicité, la Nasa

annonce la découverte de l’exoplanète Kepler 22b, “première planète avec un rayon connu à tourner dans la zone habitable d’une étoile autre que le Soleil”. Repérée par le télescope spatial américain Kepler, la nou-velle venue tourne en 290 jours autour d’un astre identique au nôtre. Comme la Terre, elle est dans la zone habitable de son étoile. Les médias s’emballent… Oui, mais voilà : avec ses 2,4 rayons ter-restres, Kepler 22b est un peu trop grosse pour être vraiment comparée à notre pla-nète. Il n’est même pas certain qu’elle soit

rocheuse. Deux semaines plus tard, nou-velle annonce fracassante ! Kepler, cette fois, a découvert deux planètes d’une taille comparable à la Terre. Le diamètre de Kepler 20f (•) est quasi identique à celui de la planète bleue. Kepler 20e, elle, est un peu plus petite que Vénus. Dans un élan de lyrisme, le grand chasseur d’exoplanètes Geoffrey Marcy parle de “moment décisif dans l’histoire de l’humanité”, comparable au débarquement de l’homme sur la Lune. Peut-être, mais ces deux astres ne sont pas vraiment des Terre. Situés respectivement à 0,14 et 0,06 UA de leur soleil, leur tempéra-ture dépasse les 400 °C…

LA QUÊTE D’UNE PLANÈTE BLEUE, UNE CHIMÈRE ?

Les découvertes de “nouvelles Terre” ont beau se succéder, aucun de ces mondes extrasolaires ne peut être encore comparé à la planète bleue.

David Fossé

2012

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L

Kepler 20 fDepuis 2011, le fait a été confirmé : Kepler 20 f est

devenue la première exoplanète aux dimensions identiques à

la Terre. Toutefois, elle est trop proche de son soleil pour être

considérée comme une jumelle de la planète bleue (p.78).

VÉNUSLa deuxième planète du Système solaire est un astre rocheux, similaire à la Terre. Un peu plus petite que celle-ci, Vénus

possède également une atmosphère. Mais sa position, 25 % plus près du Soleil, l’a transformée en enfer : la température à sa surface voisine les 450 °C à cause d’un effet de serre qui s’est emballé.

LES MOTS

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LE NOUVEAU MONDE

Ainsi va la quête d’une autre Terre ces temps-ci. Lorsqu’une exoplanète est à la dis-tance requise, elle est beaucoup trop grosse. Lorsque sa taille convient, elle est beaucoup trop près de son étoile. Et le plus souvent, la masse de la prétendante est inconnue ! Une vraie Terre extrasolaire reste insaisissable, et il y a de bonnes raisons à cela. “La taille et la masse des exoplanètes sont mesurées par des méthodes qui visent des cibles dif­férentes”, note l’astrophysicien italo-suisse Francesco Pepe, qui a lui-même découvert l’été 2011 un spécimen de 3,6 masses ter-restres — mais de taille inconnue — dans la zone habitable d’un autre soleil.Pour détecter ses proies, le satellite Kepler utilise la méthode des transits, qui nécessite d’observer d’autant plus de passages d’une planète qu’elle est petite. À ce jeu-là, les plus petits corps détectables sont évidem-ment ceux qui tournent vite au plus près de leur étoile. Hélas ! pour des raisons de

pure statistique, les étoiles de Kepler sont également lointaines et faibles.L’autre grande méthode, celle des vitesses radiales, “détecte les planètes en mesurant leur masse minimale autour d’objets rela­tivement brillants et proches”, explique Francesco Pepe. La plupart du temps, elle ne permet pas d’étudier les cibles de Kepler. Et comme il n’y a qu’une très faible chance pour qu’une planète découverte par cette méthode transite de surcroît devant son étoile (1), celles dont à la fois la masse et le rayon sont connus restent rares. Aucune en tout cas n’est aussi “légère” que la Terre. La quête d’une autre planète bleue serait-elle une chimère ?

UNE DIVERSITÉ EXTRAORDINAIREAu laboratoire d’astrophysique de Bordeaux, Franck Selsis n’est pas loin de le penser. Pas parce que mesurer la masse, la taille et la distance à son étoile d’un si petit corps est difficile, mais parce que “ces trois paramètres

Quand une exoplanète est à la distance requise, elle est beaucoup trop grosse. Et quand sa taille convient, elle est beaucoup trop près de son étoile !

PLANÈTES FLOTTANTESLes astronomes découvrent sans cesse davantage de planètes errant loin de toute étoile. En octobre 2011, une équipe de l’université de Toronto (Canada) a identifié plus d’une vingtaine de ces astres dans les jeunes amas stellaires Rhô Ophiuchi et NGC 1333, à l’aide des télescopes VLT et Subaru. C’est dans NGC 1333 (photo) que l’on a

découvert le plus de corps de ce genre. L’amas compte ainsi six planètes flottantes de masse similaire à celle de Jupiter. Et d’autres dont la taille approche celle des naines brunes. C’est une piste pour comprendre comment se forment ces objets solitaires, car le mystère reste entier : étoiles ratées ou grosses planètes éjectées de systèmes formés ?

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LES HISTOIRES

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seuls ne suffisent pas à dire à quoi ressemble une planète”. Ce que nous avons appris de l’extraordinaire diversité des 720 exopla-nètes connues à ce jour, et particulièrement des plus petites, c’est que leur physionomie dépend in fine du détail de leur composi-tion. D’où les questions nouvelles qui se posent. “Par exemple, que se passerait­il si la Terre était composée de 1 % d’eau, au lieu de 0,1 % ? Posséderait­elle encore un volca­nisme ? Des terres émergées ? Abriterait­elle la vie ?” s’interroge Franck Selsis. D’où, aussi, la conviction du découvreur de Kepler 20e et 20f, le Français François Fressin (du Center for Astrophysics de Harvard), que repérer une jumelle parfaite de la Terre est illusoire : “Il y a trop de critères à prendre en compte !”D’ailleurs, ce n’est plus la recherche de notre double qui motive aujourd’hui les astrophy-siciens. “Le vrai défi, c’est la caractérisation détaillée des exoplanètes : structure interne et atmosphère”, explique Francesco Pepe. De

toutes les exoplanètes. À commencer par celles qui sont les plus faciles à étudier. “Avec le successeur de Hubble, le JWST, on pourra peut­être identifier des signatures chimiques de la vie dans l’atmosphère de super­Terre autour d’étoiles naines rouges”, espère Xavier Bonfils, qui a notamment découvert les pla-nètes Gliese 667c et Gliese 581d. D’ici là, les chasseurs d’exoplanètes devraient se rappro-cher un peu plus du profil terrestre. “Kepler trouvera des candidates du calibre approxi­matif de la Terre et dans la zone habitable de leur étoile avant fin 2012”, pronostique Geoffrey Marcy. Si l’on en croit les statis-tiques selon lesquelles au moins une étoile sur trois est entourée d’une planète inférieure à 10 masses terrestres, les “planètes à la mode” dont s’amuse Franck Selsis ne devraient pas manquer dans les mois à venir. ●(1) Moins d’une chance sur 200 dans le cas d’une planète à 1 UA de son étoile.

[ Article paru en février 2012 et réactualisé ]

Comment distinguer une planète d’une étoile naine tournant autour d’une autre étoile ? Car une étoile peu lumineuse qui rase le bord de sa compagne fait le même effet que le passage d’une planète. Il faut alors déterminer sa masse par la méthode des vitesses radiales. Sauf que les étoiles visées par le satellite Kepler sont

si peu brillantes que c’est pratiquement impossible pour les planètes les plus légères ! François Fressin et Guillermo Torres, de l’université de Harvard, ont conçu un puissant logiciel, Blender, qui quantifie les probabilités. Le logiciel a permis de confirmer une douzaine de petites exoplanètes en 2011.

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE UNE PLANÈTE

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HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

LES HISTOIRES

KEPLER 22b

KEPLER 20f

KEPLER 20e

GLIESE 667cGLIESE 581d

2,4 RAYONS TERRESTRES

UN PEU TROP GROSSE

ÉLAN DE LYRISME F. PEPE

NAINES ROUGESPLANÈTES À LA MODE

290 JOURS

LES MÉDIAS S’EMBALLENT

PURE STATISTIQUE

À QUOI RESSEMBLE UNE PLANÈTE ?CANDIDATES DU CALIBRE APPROXIMATIF

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LE NOUVEAU MONDE

L’Américain Geoffrey Marcy est professeur d’astronomie à l’université de Californie, à Berkeley. Nous lui devons la découverte de plus des deux tiers des 100 premières planètes extrasolaires.w

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fiables, dont 95 % vont probablement être confirmés. Deux cents autres sont en cours d’analyse. Parmi ces milliers de planètes, les trois quarts sont seulement 2 à 3 fois plus grandes que la Terre.

C&E : Des milliers de petites planètes, mais toujours pas de véritable sœur jumelle de la Terre. C’est pour quand ?G. M. : Pour cela, il faudrait que Kepler, dont la mission nominale s’achève fin 2012 (•),

Ciel & Espace : Début 2012, on dénombre plus de 700 exoplanètes. Aviez-vous imaginé cela il y a vingt ans ? Geoffrey Marcy : Bien sûr que non ! Il y a vingt ans, notre rêve le plus fou, c’était de mettre la main sur une Jupiter, une seule ! Et aujourd’hui, nous avons découvert une foule de planètes. Elles ne se comptent pas par centaines, mais par milliers ! Avec l’observatoire spatial Kepler, nous avons à ce jour décelé plus de 3 000 candidates

LES ACTEURS

Geoffrey Marcy est l’un des deux plus grands découvreurs d’exoplanètes au monde — avec Michel Mayor, de l’observatoire de Genève. À son tableau de chasse : le premier système multiple autour d’une étoile de type solaire (Upsilon Andromedae), les premières “super-Terre” (Gliese 436 b et 55 Cancri e). Il est aujourd’hui l’un des responsables de la mission spatiale Kepler.

GEOFFREY MARCYProlongation

de KeplerLa mission de Kepler ne devait pas durer plus de

trois ans et demi. Mais en 2012, elle a été prolongée

jusqu’en 2016.

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

Quel peut être le rêve d’un chasseur d’exoplanètes ? Repérer une autre Terre autour d’une étoile voisine, bien sûr ! Une découverte que l’Américain Geoffrey Marcy juge imminente grâce au

concours de l’observatoire spatial Kepler.

Interview par Émilie Martin

2012

75 % DE CHANCE DE METTRE LA MAIN SUR UNE EXOTERRE D’ICI 2013

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GEOFFREY MARCY

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LE NOUVEAU MONDE

soit prolongé. Après deux ans de mission, nous avons constaté que les étoiles varient davantage en intensité qu’on ne le pensait. L’incertitude sur nos mesures est moitié plus importante que prévu. Il est donc plus difficile d’y extraire la signature des planètes dont le rayon est inférieur au double de celui de la Terre. La seule solution consiste à scruter encore pendant deux ans les étoiles suspectées d’abriter ces tout petits calibres. Ainsi, nous aurons le temps d’observer plu-sieurs transits et de confirmer ainsi la pré-sence de ces Terre.

C&E : Face à l’efficacité du satellite Kepler, la détection d’exoplanètes par mesure des vitesses radiales des étoiles avec des spectrographes a-t-elle encore un avenir ?G. M. : Je ne crois pas. Avec Kepler, nous avons franchi une étape. En deux ans, nous avons mis la main sur plus de 3 000 planètes.

Vous imaginez revenir en arrière ? Pointer des étoiles au hasard avec le Keck (Hawaï) ou le 3,6 m de La Silla (Chili) et attendre patiemment un éventuel signal d’une pla-nète ? Impossible… Une nouvelle ère com-mence, où l’on utilisera les vitesses radiales uniquement pour déterminer la masse des planètes détectées par Kepler. C’est dans ce but que le spectrographe Harps Nord, le successeur de Harps, sera installé le 1er avril 2012 aux Canaries [lire p. 86]. Mais, même pour cela, la méthode des vitesses radiales est déjà obsolète. On se tourne désormais vers une technique inno-vante qui consiste à surveiller les interac-tions entre planètes d’un même système. La majorité des planètes que l’on observe gra-vitent au sein d’un système multiple. Plus une planète est massive, plus elle perturbe ses congénères, et inversement.

C&E : Cependant, l’Automated Planet

Une nouvelle ère commence où l’on utilisera les vitesses radiales uniquement pour déterminer la masse des planètes détectées par Kepler

LES OUTILS

Prévu initialement pour 2010, le télescope APF (Automated Planet Finder, soit Trouveur de planète automatisé) est encore en phase de finalisation en octobre 2012. Cet instrument de l’observatoire Lick est un télescope robot relativement autonome de 2,4 m de diamètre. Chaque nuit claire, il scrutera le ciel à la recherche de planètes extrasolaires, sur des étoiles cibles programmées à l’avance. Couplé à un spectrographe de très haute précision dédié à la détection par vitesse radiale, il devrait récolter une belle somme d’exoplanètes.

AUTOMATED PLANET FINDER (APF)

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Finder (APF), un télescope dédié à la recherche d’exoplanètes par vitesse radiale, va entrer en service à l’obser-vatoire Lick…G. M. : En effet. Mais le télescope APF, bien que modeste (son miroir mesure 2,4 m), a un énorme atout : il observe 365 jours par an. Nous pouvons donc faire de la recherche systématique. Et puis, l’objectif est de se concentrer sur des étoiles proches — Tau Ceti, Kappa Ceti, Epsilon Eridani. Découvrir une Terre dans le voisinage du Soleil, ce serait quand même extraordinaire !

C&E : Cette sœur jumelle de la Terre dans la zone habitable de son étoile après laquelle vous courrez, et si elle n’existait pas ?G. M. : Soyons pessimistes  : il est pos-sible que la grande majorité des planètes soient des planètes de glace, sur le modèle de Neptune. Après tout, l’hydrogène, l’hé-

lium et l’oxygène sont les éléments les plus abondants de l’Univers. Les silicates, qui constituent les planètes rocheuses, sont extrêmement minoritaires. Il ne serait donc pas surprenant que la plupart des planètes aient accrété d’énormes quantités d’eau. Pour peu qu’elles gravitent dans la zone habitable, elles seraient entièrement recou-vertes d’océans, qui pourraient d’ailleurs abriter une vie marine intelligente. Mais les modèles actuels prédisent tout de même que des planètes rocheuses se for-ment dans la partie interne des systèmes. Ce qui, vu la quantité de systèmes que l’on a découverts, porte le nombre probable de planètes terrestres dans la Galaxie à des centaines de milliards. Je reste convaincu, comme l’a prédit Greg Laughlin en 2010, que nous avons 75 % de chance de mettre la main sur une vraie Terre avant fin 2013. ●

[ Article paru en janvier 2012 et réactualisé ]

LES HISTOIRES

La lumière émise par notre planète trahit-elle la présence de la vie ? Pour répondre à cette question, trois astronomes ont pointé vers la Lune l’un des télescopes de 8,2 m du VLT, équipé d’un spectropolarimètre. Ils ont disséqué sa lumière, c’est-à-dire l’éclat de la Terre reflété par son satellite. Et qu’y ont-ils vu ? Que la Terre possédait des nuages, qu’elle était en partie couverte d’océans, et surtout qu’elle possédait une végétation. On peut donc découvrir la vie dans la lumière d’une planète, même de manière très indirecte !

LE VLT REDÉCOUVRE LA VIE

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

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HARPS NORD

G. MARCY CIEL & ESPACE

OBSERVATOIRE SPATIAL KEPLER

3000 CANDIDATES FIABLESTOUT PETITS CALIBRES

OBSOLÈTEINTERACTIONS

ENTRE PLANÈTES

VIE MARINE INTELLIGENTE

TAU CETI

KAPPA CETI

EPSILON ERIDANI

AUTOMATED PLANET FINDER

VITESSE RADIALE

CENTAINES DE MILLIARDS DE PLANÈTES TERRESTRES

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LE NOUVEAU MONDE

d’une candidate identifiée par Kepler, il faut vérifier que l’infime diminution d’éclat que le satellite a vu sur une étoile est bien due au passage d’une planète. Ce qui est difficile et donne du travail à pas mal de monde ! C’est pourquoi pour l’instant le nombre de candidates confirmées (une grosse ving-taine) reste comparable au nombre de pla-nètes découvertes par le satellite français Corot, le pionnier de la recherche par tran-sit depuis l’espace. Cela dit, même si 10 % de ces candidates ne sont pas des planètes, la conclusion reste la même : il y a beaucoup de petites planètes. En ce sens, la découverte d’un objet de la taille de la Terre autour de l’étoile Kepler 20 est exemplaire : elle confirme l’excellente sensibilité du satellite Kepler.

Ciel & Espace : Quel est le résultat mar-quant de ces derniers mois sur le front des planètes extrasolaires ?Vincent Coudé du Foresto : C’est la quan-tité impressionnante de planètes poten-tielles repérées par le satellite américain Kepler. Et surtout la conclusion qui s’en dégage, à savoir que les petites planètes sont les plus nombreuses. On commence aussi à avoir des statistiques fines sur les différents types de planètes. Ce qui permet de faire le tri parmi les scénarios de formation des systèmes extrasolaires.

C&E : Cependant, il n’y a pas beau-coup de planètes confirmées parmi les 2 326 candidates de Kepler…V. C. : C’est vrai. Pour confirmer le statut

LES ACTEURS

Vincent Coudé du Foresto, astronome à l’observatoire de Paris, est un spécialiste de l’interférométrie infrarouge, notamment appliquée à la physique stellaire. Il a participé à la conception de plusieurs instruments d’interférométrie, en particulier pour le Very Large Telescope de l’ESO, installé au Chili. Il s’est fortement impliqué dans la définition d’une nouvelle stratégie pour la recherche sur les exoplanètes. Selon lui, leur diversité invite à se détacher de l’obsession de la “nouvelle Terre”.

V. COUDÉ DU FORESTO

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La recherche d’une planète identique à la Terre ? Ce n’est plus le Graal des astronomes, nous explique Vincent Coudé du Foresto. Désormais, devant l’extraordinaire diversité des mondes

possibles, la découverte d’une planète de la taille d’une Terre peut presque paraître “anecdotique”.

Interview par David Fossé

2012

NOUS NE CHERCHONS PLUS UN CLONE DE NOTRE PLANÈTE«VINCENT COUDÉ DU FO RESTO

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dimensions que la nôtre et située à la bonne distance de son étoile peut être inhospita-lière. Voyez Vénus.

C&E : Mais alors, qu’est-ce qu’une pla-nète habitable ?V. C. : Pendant longtemps, ça a été une pla-nète située dans la zone tempérée autour de son étoile, la “zone habitable”. Mais plus on y regarde de près, plus cette notion d’habi-tabilité se révèle complexe. Il ne s’agit pas seulement d’être au bon endroit autour de son étoile… Des phénomènes subtils, par exemple la tectonique des plaques, pour-raient être importants. Or, comment véri-fier que la tectonique fonctionne sur une exoplanète ? En fait, avec les informations

C&E : Mais pas seulement ! C’est aussi un grand pas vers la découverte d’une planète vraiment identique à la Terre dans la zone habitable d’un autre Soleil. Une “Terre bis” n’est-elle pas le Graal des astronomes ?V. C. : Plus maintenant. Face à la diversité des planètes que nous observons — et nous en sommes à plus de 700 ! —, se limiter uni-quement à la recherche d’une Terre serait faire preuve de frilosité. D’un côté, notre pla-nète n’est pas forcément la planète habitable type. Par exemple, on ne doit pas s’interdire de penser que la vie est possible autour d’une planète deux fois plus massive que la Terre en orbite autour d’une étoile naine rouge. D’un autre côté, une planète aux mêmes

Les astronomes travaillent déjà sur des modèles atmosphériques des exoplanètes connues. Ici, une simulation du passage de la planète HD 80606 b au périastre de son étoile (distance minimale).

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NOUS NE CHERCHONS PLUS UN CLONE DE NOTRE PLANÈTE

«VINCENT COUDÉ DU FO RESTO

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LE NOUVEAU MONDE

dont nous disposons,f tout ce que nous pouvons dire est : “Les propriétés de cette planète n’interdisent pas qu’elle puisse être habitable.” En définitive, la seule façon d’af-firmer qu’une planète est vraiment habi-table est de découvrir qu’elle est habitée !

C&E : Il y a deux ans, les spécialistes des exoplanètes se sont réunis à Barcelone pour établir leur stratégie à long terme. Où en sommes-nous ?V. C. : Le discours vis-à-vis des agences spatiales a d’abord été le suivant : il faut rechercher des signatures de vie dans l’atmosphère d’une exoplanète la plus res-semblante possible à la Terre, tournant en 1 UA autour d’une jumelle du Soleil. Cette stratégie, antérieure à la découverte de la première exoplanète, a maintenant évo-lué vers une approche plus pragmatique, en trois étapes. Dans un premier temps, il faut dénombrer les planètes selon leur type, identifier ensuite celles suffisamment proches pour que leur atmosphère puisse être étudiée, et enfin les analyser et y cher-cher d’éventuelles traces de vie. Pour cer-

tains types de planètes, par exemple celles qui tournent autour d’une naine rouge proche, ces trois étapes peuvent s’enchaîner assez vite. Pour des sosies de la Terre autour d’un autre Soleil, ça sera plus long.

C&E : C’est pourtant bien ce type de pla-nètes que Kepler s’apprête à découvrir ! Ce ne seront pas des cibles évidentes pour la recherche de vie ?V. C. : Kepler contribue à l’étape numéro 1, le recensement. Malheureusement, les planètes qu’il découvre ne répondent pas aux objectifs de l’étape numéro 2, car elles sont lointaines. On ne pourra donc pas sonder leur atmos-phère. C’est lié à la façon dont est conçu le satellite : pour mesurer très précisément la variation d’éclat d’une étoile — elle n’est que de 0,01 % lorsqu’une planète de la dimen-sion de la Terre passe devant un Soleil —, il a besoin de comparer beaucoup d’étoiles dans un même champ. Et comme il ne couvre qu’une petite portion du ciel, entre le Cygne et la Lyre, il doit regarder loin.

C&E : Pourquoi ne pas imaginer un satel-lite qui couvre une plus grosse portion du ciel ?V. C. : C’était la stratégie de la mission Plato, un “super-Kepler” qui n’a pas été retenu par l’ESA pour en 2018. Contrairement à Kepler, Plato pouvait explorer jusqu’à la moitié du ciel, et donc étudier des étoiles plus proches. Mais dans cette veine, mieux vaut pousser la logique à l’extrême, et obser-ver simultanément tout le ciel ! C’est ce que fera la mission américaine Tess, si la Nasa la sélectionne début 2013.

C&E : De son côté, l’ESA a-t-elle encore

La seule façon d’affirmer qu’une planète est habitable est de découvrir qu’elle est habitée !

SIGNATURE DE VIELa composition atmosphérique d’une planète peut signaler la présence de vie. Par exemple, un excès d’oxygène (ou d’un autre gaz) ne s’expliquant pas par les données géophysiques et astérologiques indiquerait l’existence d’un processus biochimique. Comme l’analyse atmosphérique se fait par décomposition de la lumière (spectrographie), la signature de vie est un spectre lumineux.

LES MOTS LES OUTILS

Si le projet se concrétise, entre 2020 et 2022, le télescope spatial européen Echo (Exoplanet Characterisation Observatory) aura pour mission d’analyser la composition et les propriétés physiques de l’atmosphère d’exoplanètes — en utilisant la méthode des transits. Doté d’un miroir de 1,5 m

de diamètre, il sera placé en un lieu précis de l’espace où les forces d’attraction entre la Terre et le Soleil se compensent exactement (“point de Lagrange L2”).

MISSION ECHO© E

SA

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un projet de mission dédiée aux planètes extrasolaires ?V. C. : Oui, la mission Echo, en course pour un lancement vers 2022. Elle est en phase d’étude et nous saurons fin 2013 si elle par-ticipera à la sélection finale, en 2015. Ce télescope spatial de 1,2 m de diamètre analy-sera la lumière d’une centaine d’exoplanètes, aussi différentes que possible. L’objectif est de constituer un portfolio de spectres pla-nétaires, du domaine visible jusqu’à l’infra-rouge, qui nous fournira une culture générale de base en “planétologie extrasolaire”.

C&E : À quoi vous servira-t-elle ?V. C. : Un spectre est ce qui permet de déterminer la composition chimique d’une atmosphère ou d’un sol, mais il faut savoir le lire ! Si nous ne nous frottons pas d’abord à la diversité des spectres possibles — et, pour cela, le cadre des planètes du Système solaire est trop étroit —, nous ne saurons

pas reconnaître d’éventuelles signatures de vie ailleurs.

C&E : Pensez-vous que les premiers indices puissent provenir d’une super-Terre, plutôt que d’une Terre ?V. C. : Au départ, le terme “super-Terre” a été inventé pour qualifier des planètes rocheuses comme la Terre, mais de masse supérieure à celle-ci (une catégorie inconnue dans le Système solaire). Même s’il est accrocheur, il ne présage en rien de leur habitabilité ! En fait, il existe des super-Terre rocheuses, mais aussi gazeuses, certaines trop chaudes et d’autres trop froides, mais aussi peut-être des planètes océans… Ceci dit, l’appellation “super-Terre” a sans doute joué un rôle pour nous affranchir d’un carcan mental : l’idée que seules les planètes de 1 masse terrestre étaient dignes d’intérêt. ●

[ Article paru en février 2012 et réactualisé ]

LES OUTILS

Le projet de télescope spatial Transiting Exoplanet Survey Satellite (Tess) est en

présélection du programme Small Explorer de la Nasa, mettant sur pied des missions à moins de 120 millions de dollars. Si la mission Tess est sélectionnée en février 2013, elle s’envolera en 2016 pour deux ans d’intenses observations de

transits : deux millions d’étoiles de type spectral G (p. 28) et K (p. 68), mille naines rouges à moins de 100 années-lumière… Équipé de six ou neuf télescopes à grand angle et d’un collecteur CCD de 192 mégapixels, il pourra détecter des exoplanètes de taille terrestre de plus de 2 mois de période orbitale.

PROJET TESS

HS n°20 NOUVELLE TERRE EN VUE

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V. COUDÉ DU FORESTO

KEPLER 20STATISTIQUES FINES

DIVERSITÉ

APPROCHE PRAGMATIQUE

PLANÉTOLOGIE EXTRASOLAIRE

PETITES PLANÈTES NOMBREUSES

COROT

TERRE BISPHÉNOMÈNES SUBTILS

CARCAN MENTAL

SIGNATURES DE VIE

KEPLERTESS

PLATO

ZONE HABITABLE

RECHERCHE PAR TRANSIT DEPUIS L’ESPACE

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GLOSSAIREOUTILSAPF | 92

Corot | 68

Echo | 96

Élodie | 29

Hubble | 25

Iras | 18

Keck | 84

Kepler | 86

Lick | 82

Most | 65

Ogle | 52

Spitzer | 70

Spirou | 74

Subaru | 66

Tess | 97

HISTOIRESPeter

Van de Kamp | 17

Une aide

gravitationnelle | 53

Les naines rouges

dominent le voisinage

du Soleil | 73

Planètes

flottantes | 88

Être ou ne pas être

une planète | 89

Le VLT redécouvre

la vie sur Terre | 93

ACTEURSBaglin (Annie) | 69

Charbonneau (David) | 40

Chauvin (Gaël) | 46

Coudé du Foresto

(Vincent) | 94

Marcy (Geoffrey) | 30 | 91

Mayor (Michel) | 27

Pepe (Francesco) | 85

Queloz (Didier) | 27

Udry (Stéphane) | 60

Wolszczan (Aleksander) | 22

MOTS51 de Pégase | 27

Accrétion | 63

Albédo | 45

Amas globulaire | 41

Année-lumière | 24

Arc (seconde d’) | 49

Association stellaire | 46

Bar | 65

Bulbe galactique | 50

Disque circumstellaire | 14

Effet de serre | 52

Effet Doppler | 42

Effets de marées | 45

Excentricité | 30

Exobiologie | 66

Gliese 1214b | 72

Horizon cosmologique | 33

Infrarouge | 44

Kelvin (degré) | 48

Longueurs d’onde | 74

Magnitude apparente | 28

Métallicité | 41

Naine brune | 16

Naine rouge | 50

Optique adaptative | 48

Périastre | 44

Planète océan | 63

Planètes flottantes | 88

Pulsar | 21

Pulsation radiale | 29

Radiotélescope | 22

Raie d’émission | 32

Rayons X | 72

Réactions

thermonucléaires | 18

Rotation synchrone | 65

Séquence principale | 19

Signatures de vie | 96

Spectre | 39

Supernova | 23

Super-Terre | 69

Système binaire | 14

Taches et facules | 85

Tectonique (activité) | 64

Titan | 64

Transit | 42

Type spectral | 28 | 62 | 68

Vitesse radiale | 16

U.A. (unité astronomique) | 24

Ultraviolet | 62

Vénus | 87 Des podcasts à écouter sur www.cieletespaceradio.fr/hs20.885

LES DÉCOUVERTES COMMENTÉESComment nous avons découvert la première exoplanète Fin 1995, deux astronomes suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, annoncent la découverte de la première planète autour d’une étoile semblable à notre Soleil. Michel Mayor raconte.

Des exoplanètes par centaines de milliardsLa présence de planètes autour des étoiles est “la règle plutôt que l’exception”. Mais comment les astrophysiciens sont-ils parvenus à ce résultat ? Arnaud Cassan nous révèle les secrets de la chasse aux exoplanètes.

Exoplanètes, le bon grain et l’ivraieQu’est-ce qu’une planète où il fait bon vivre ? La présence d’une atmosphère et d’eau liquide est-elle suffisante ? Ces questions et bien d’autres sont au cœur de notre entretien avec l’astrophysicien Franck Selsis.

L’AVENIR DES TECHNIQUESPhotographes d’exoplanètesSaisir l’image d’une planète lointaine est une manœuvre délicate, tant ces astres sont noyés dans l’éclat de leur étoile. Anne-Marie Lagrange, de l’observatoire de Grenoble, révèle les astuces pour y parvenir.

Le pari de l’hypertélescope : voir la surface des exoplanètesAntoine Labeyrie, père de l’interférométrie, imagine les télescopes du futur, installés dans des cratères ou dans l’espace. Des “hypertélescopes” capables de révéler les continents sur des exoplanètes proches.

L’Extremely Large Telescope : l’œil de cyclope du futurProchaine étape de la course aux grands télescopes : les instruments de 30 à 40 m de diamètre. Ingénieurs mécaniciens et opticiens préparent ces nouveaux “monstres” pour capter la lumière des confins de l’Univers. Et, l’espèrent-ils, observer l’atmosphère des exoplanètes ! Explications avec Yann Clénet, de l’observatoire de Paris-Meudon.

À ÉCOUTER

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