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ATATÜRK KÜLTÜR , VE YÜKSEK KURUMU TÜRK KURUMU YAYlNLARI XXVI. Dizi - Sa. 6 CIMETlERES ET TRADITIONS FUNERAIRES DANS LE MONDE ISLAMIQUE A •• ISLAM DUNYASINDA MEZARLIKLAR VE I Actes du Colloque International du Centre National de la Recherche Scientifique organise par l'Universite Mimar Sinan sous les auspices du Comite International d'Etudes Pre-ottomanes et Ottomanes, en collaboration avec la Societe d'Histoire Turque, I'Institut de Recherche sur I 'Histoire, la Civilisation et l 'Art lslamiques (IRCICA) et I 'Institut Français d'Etudes Anatoliennes. ve Öncesi Komitesi Himayesi Türk Tarih Kurumu, Tarih, Sanat ve Kültürü Merkezi (IRCICA) ve Anadolu Enstitüsü Mimar Sinan Üniversitesi düzenlenen Ulusal Bilimsel Merkezi (CNRS) Kollokyumunun Bildiriler 28-30 Eylül 1 septembre 1991 Edites par Jean-Louis BACQuE-GRAMMONT et Aksel Composes et mis en pages par l 'In stitut Français d'lhudes Anatoliennes Dizgisi ve sayfa düzeni Anadolu E nstitüsü Publies par la Societe d'Histoire Turque Türk Tarih Kurumu TÜRK KURUMU ANKARA 9 9 6

CIMETlERES ET TRADITIONS FUNERAIRES DANS LE MONDE …isamveri.org/pdfdrg/D049711/1996/1996_CLAYERN.pdf · 2020. 7. 15. · Jovan Trifunoski, «Oveepoljska kotlina», Zbornik za narodni

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  • ATATÜRK KÜLTÜR, DİL VE TARİH YÜKSEK KURUMU TÜRK TARİH KURUMU YAYlNLARI

    XXVI. Dizi - Sa. 6

    CIMETlERES ET TRADITIONS FUNERAIRES DANS LE MONDE ISLAMIQUE

    • A ••

    ISLAM DUNYASINDA MEZARLIKLAR VE DEFİN GELENEKLERİ

    I

    Actes du Colloque International du Centre National de la Recherche Scientifique organise par l'Universite Mimar Sinan

    sous les auspices du Comite International d'Etudes Pre-ottomanes et Ottomanes, en collaboration avec la Societe d'Histoire Turque,

    I'Institut de Recherche sur I'Histoire, la Civilisation et l'Art lslamiques (IRCICA) et I'Institut Français d'Etudes Anatoliennes.

    Osmanlı ve Osmanlı Öncesi Araştırmalan Uluslararası Komitesi Himayesi Altında Türk Tarih Kurumu,

    İslam Tarih, Sanat ve Kültürü Araştırma Merkezi (IRCICA) ve Fransız Anadolu Araştırmaları Enstitüsü İşbirliğiyle

    Mimar Sinan Üniversitesi tarafından düzenlenen Fransız Ulusal Bilimsel Araştırma Merkezi (CNRS)

    Uluslararas ı Kollokyumunun Bildiriler Kitabı.

    İstanbul, 28-30 Eylül 1 septembre 1991

    Edites par Jean-Louis BACQuE-GRAMMONT et Aksel TİBET

    tarafından yayına hazırlanmıştır

    Composes et mis en pages par l'Institut Français d'lhudes Anatoliennes

    Dizgisi ve sayfa düzeni Fransız Anadolu Araştırmaları Enstitüsü tarafından yapılmıştır

    Publies par la Societe d'Histoire Turque

    Türk Tarih Kurumu tarafından yayınlamıştır

    TÜRK TARİli KURUMU BASIMEVİ- ANKARA

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  • Nathalie CLAYER

    LES CIMETI:ERES DES TÜRBE DES TEKKE DE MACEDOINE YOUGOSLAVE

    Je vais essayer de vous presenter ici la situation actuelle des cimetieres et tarb'e des tekke -c'est-a-dire des etablissements des ordres de derviches, ou tarikat- en Macedoine yougoslave, essentielle-ment a partir d'observations que j'ai pu faire, avec Alexandre Popovic, au cours de plusieurs sejours sur le terrain, effectues ces deux dernieres annees afin de recueillir sur place des infarınations can-cemant l'histoire des confreries musulmanes de ces regions1.

    ı.

    QUELQUES ELEMENTS SUR LA PRESENCE DES TARiKAT EN MACEDOINE

    La Macedoine yougoslave est, en effet, l'une des rares zones des Balkans ou tes ordres de der-viches sont encore actifs de nos jours, de meme qu'en Bosnie-Herzegovine et surtout au Kosova, sans oublier la Bulgarie (ou certains groupes, plu-tôt que tekke a proprement parler, sont actifs) et, bien sür, l'Albanie ou les confreries semblent re-naİtre depuis quelques mois a une vitesse que nous ıi'aurions ose imaginer il ya encore a peine un an.

    Ottomane jusqu'en 1912, la Macedoine fut le lieu d'une tres forte implantation des tarikat qui y fonderent de nombreux etablissements, c'est-a-dire de nombreux tekke. S'il est cependant pratique-ment impossible de donner une approximation exacte du nombre de centres qui etaient actifs

    avant 1912 (peut-etre une centaine de tekke y fonc-tionnaient alors), les chiffres que nous possedons pour I'epoque post-ottomane montrent a quel point les ordres de derviches etaient encore pre-sents dans cette region apres l'effondrement de l'Empire ottoman. Malgre la destruction de la qua-si-totalite des tekke situes le long de la frontiere orientale par les Butgares lors des guerres balkani-ques (notamment dans les regions deKriva Palan-ka, Kumanovo, Kratovo et Strumica) et bien qu'il y ait eu une premiere vague de departs des musul-mans vers ı~ Turquie ala suite du rattachement de la region au Royaume de Serbie, il restait encore en 1939, d'apres Galaba PalikruSeva et Krum To-movski, 72 tekke sur le territaice de la Macedoine yougoslave2. C'est, en fait, apres la Seconde guerre mondiale, avec l'etablissement du regime commu-niste en Yougoslavie, entrainant la confiscation des terres et la privation d'un certain nambre de li-bertes, que l'activite des tarikat diminua tres sensi-blement, si l'on en juge par les chiffres officiels pour tes annees 50, epoque de la seconde vague de depart des musulmans (essentiellement des Turcs) vers la Turquie : vers 1954-56, on ne comptait plus que 48 tekke ; vers 1956-58, il y avait toujours 48 tekke mais, en 1959, ce chiffre tomba a 13 et l'annee suivante a ll tekke3• Pour la periade actuelle, il n'existe plus de statistiques officielles, mais, d'a-pres nos propres observations, on peut dire qu'au-jourd'hui fonctionnent, de façon plus ou moins

    1) En collaboration avec Alexandre Popovic, nous publions ii ce sujet un article intitule , Anaıoiia Moderna-Yeni Anadolu, IV, 1992, p. 13-63.

    2) Galaba Palikru~eva et Krum Tomovski,

  • 338 NATHALIE CLAYER

    intensc, une quinzaine de ıekke. Les autrcs centres n'en sont ~as pour autant tous eteints, commc on pourrait le supposer apr~s une si longuc p~riode; bien au contraire, nambre d'entre eux subsistent cncore partiellement, comme nous allons le voir, pr~cisement par la pr~ence des türbe renfermanı !es tombes des cbcikhs et par la persistance du «Cultc des saints». '

    ll TYPOLOGIE, RÔLE ET PLACE

    DES SEPULTURES AU SEIN DES TEKKE

    Avant de voir en detail quelle est la situation actuellc des cimetieres ct türbe des ıekke de la Ma-cedoinc yougoslave, jc voudrais essayer de dresser ici unc ra pide typologie de ces sepultures, puis rap-peler leur rôle et leur place au sein des etablisse-ments de derviches.

    Je vois, pour ma part, trois grandes categories de sepultures liees aux tekke :

    ı. Les türbe a tombe unique, c'est-a-dire Les M-timents ouverts ou fcrm es ne renfermanı qu'une seule tombe, ou les tombes uniques, avcc ou sans stele. En Macedoine, ce type n'est pas le plus cou-rant, mais on le rencantre par exemplc dans le cas des fondatcurs des ıekke bektachis de Kanatıard et de Milino4, ou encore, de façon plus repandue, dans la region d'Ovcc Polje (au sud de Skoplje, en-tre Stip et Veles), region extr~mement interessante a etudier du point je vue de la dervicherie, tanı les tarikat y etaient solidement implantees parmi la population turque rurales. Dans ces villages, exis-

    taicnt en fait des zaviye, sortes de filiales depen-ctant de certains tekke situes a Stip, Veles ou Sko-plje. A ces zaviye so nt souvent associes des ıarbe o ıl reposent !es cheikhs, ou plutôt les «demi-cheikhs» qui !es dirigeaient -a titre d'exemple, on peut ci-ter le türbe de Yusuf Dede a Dzumajlija (fig. 1 et 2) et la tombe (sans stcle) de DurakDedea Karatma-novo6. Le cas d'unc tombe unique avec stele (mais sans türbe) est beaucoup plus rare. Nous !'avans ce-pendant rencantre a Ra~cc, petit viiiage a l'ouest de Skoplje oıl aurait cxiste un ıekke halveti7.

    2. Les türbe a plusieurs tom bes, c'est-c\-dire les Mtiments renfermanı une serie de sanduka. Il s'a-git du type desepulturc le plus frequent au sein des tekke. Dans la plupart des cas, le batimentest une simple b§tisse, blanchie a la chaux, ou !es sanduka, recouvertes d'un tissu vert (lui-meme souvent re-couvert de serviettes8), sont alignees !es unes c\ cô-t~ des autres. Il en cs t ainsi du türbe du village d'lvankovci/Yuvanlı, dont j'ignore la tarikat d'ap-partenance ; de celui des «lbrahim Babalar» de Gorno Orizari, pres de Vcles (fig. 3 et 4); ou de ce-Iui du ıekke halveti de Dragaevo, pres de Stip, par cxemple. Dans les quelques grands ıekke cepen-dant, le b§timent pcut eıre d'une architecture plus sophistiquec et Jes tombes peuvent eıre separees, soit selon plusieurs aligncments, sait, parfois me-mc, dans plusieurs Mtiments - tel le cas du celebre ıekke d'Ohrid, asitane de la branchc hayatie de la Halvetiyye-, au le tarbe est un superbe edifice compose de deux parties (fig. 5), l'une pour le fon-dateur ct les premiers cheikhs (fig. 6), I'autre pour leurs successeurs (fig. 7). Ces türbe, qui renferment

    4) Le ıekke de Kanatlarci, au sud de Prilep, est aujourd'hui le seul ıekke bcktachi qui fonctionne v~ritablement sur le territoire de la Mac~doine. Son cheikh est Dzafcr Baba. Du ıekke de Milin o, il ne subsiste que Ic ıürbe de Hilmi Baba, ai n si que dcux o u trois st~les. D'a-pr~ u ne inscription qui figure il l'intt:rieur de ce türbe, cclui-ci aurait

  • CIMETlERES DE MACEDOINE YOUGOSLA VE 339

    ı : Le türbe de Yusuf Dede ii Dzumajlija. Vue exterjeure.

    2: Le türbe de Yusuf Dede il Dzumajlija. Vue l.nterieure.

  • 340 NATHALIE CLAYER

    les restes des cheikhs du tekke et, parfois, de quel-ques memtlres 6minenıs de leurs famille, notam-ment certaines de leurs femmes, ne comportent, en g~n~ral, aucune inscription.

    3. Enfin, les cimeli~res proprement dits. Assez peu nombreux, on les rencantre aujourd'hui en Macedoine uniquement dans le cas des tekke bekta-chis -Kanatlarci (fig. 8), Tetovo et Vrutok- ct dans celui des rekke halvetis-hayatis li~ A des mos-quees (Kicevo et Ohrid). La cour du tekke rifa'i de Skoplje contient egalement quelques steles, ce qui devait etre le cas de certains tekke situ~ dans les villes et qui ont malheureusement disparus. L'~tude de ces cimeti~res, qui, a ma connaissance, n'a pas encore et~ entreprise, sera rendue difficile par l'etat assez mauvais de la conservation des steles. Pour ma part, je n'ai effectue que quelques releves dans celui du tekke Hayati Baba de Kicevo. Ces ci-metieres renferment en general, d'une part, des tombes de derviches ct d'autres part, des tombes d'affilies ou de sympathisants issus de milieux so-ciaux assez eleve.

    Sauf dans le cas de certains türbe a tombes uni-ques qui sont isol6s, ces differentes cat~gories de sepultures font physiqucment partic integrante des complexes formes par les tekke. Les türbe abritant les tombes de cheikhs jouent meme un rôle parti-culier et extremement important dans la vie reli-gieuse, economique et sociale des tekke ct de leur communaut~. Car, au-dela de leur mort, les cheikhs gardent, ou meme voient accroltre leur as-cendant et, surtout, leur pouvoir d'intercession, c'cst-A-dire leur aptitude a jouer un rôle d'interm~diaire entre le simple Cidele et Dieu. C'est pour-quoi leurs tombes sont l'objet de visites tres fr~quentes: on y prie, on s'y recueille, on y allume des bougies, on y fait des offrandes, on y vient chercher la guerison physiquc ou morale. Les femmes, en ge-n~ral tres peu pr~cntes dans le rituel des tarikat, sont beaucoup plus impliquees dans cet aspect de la vie confr~rique, A savoir dans le culte des saints.

    ın

    SITUATION ACTUELLE DES CIMETlERES ET TÜRBE DES TEKKE

    DE~MACEDOINE YOUGOSLA VE

    Qu'en est-il aujourd'hui sur le territoire de la Macedoine yougoslave ? Si, comme nous l'avons vu, relativemen ı peu de tekke fonctionnent a l'hcu-re actuelle dans cette region sous une form e proche de celle qu'ils connurent a l'epoque ottomane,

    nombre d 'anciens centres de la dervicherie so nt en-core, d'une certaine maniere, vivants par la seule pr~ence des türbe. En effet, bien qu'il ex:iste ccr-tains cas de ıarbe non entretenus et en train de dis-parattre -comme a Otlja pres de Kumanovo, ou la population est pourtant albanaise musulmane ; a Karatmanova ou il ne reste plus qu'une famille tur-que parmi la population chretienne orthodoxe ins-tallee la dans Ies annees 50 ; ou a Kieevo, pour l'un des trois tekke halvetis hayatis qui, pourtant, fonc-tionnerait encore- , la majorite de ces tombes de cheikhs, li~ a des ıekke ou a des zaviye aujourd'hui disparus ou inactifs, sont non seulement entrete-nus, mais egalement l'objet devisites regulieres et d'un culte qui n'a jamais cesse d'exister.

    Rentrons davanıage dans !es details et conside-rons le cas de la partie orientale de la Macedoine, plus marquant, a certains egards, du fait de l'im-portance des changements ethniques qui y ont eut lieu depuis 1912, alors que, du côte occidental le phenomene fut beaucoup moins prononce. En ef-fet, tandis que la population musulmane etait com-posee en majorite d'Albanais a l'Ouest, la popu-lation turque etait davanıage inıplantee a l'Est. Les dilierentes vagues de d~parts ayant touche surtout les Turcs, c'est a I'Est que des quartiers et des vil-lages entiers se depeuplerent, repeuples immedia-tement, suivant les cas, par des chretiens ortho-doxes, par des Valaques egalernem orthodoxcs, par des Albanais musulmans ou par des Gitans de con-fession musulmane. Dans ce contexte peu favora-ble, on peut constater aujourd'hui que, mis a part certains türbe detruits sciemment par les autorit~ communistes locales, d'autres, comme no us l'avons vu, laisses a l'abandon OU d'autres encore «Cmpor-t~» par les cheikhs dans les annees 50 vers la Tur-quie -ce fut le cas du türbe du ıekke halveli de Veles notamment-, la majeure partic des tü.rbe continueren ı A ~tre entretenus, soit par la minorite turque restee sur place (c'est le cas de Penu~. sur lequel nous reviendrons), soit par des Albanais musulmans (comme a Matejee, pres de Kumano-vo), soit par des chr~tiens (comme nous avons pu le constater a Stip eta Ivankovci, dans la region d'Ov-ce Polje, ou l'on avait m~me accroche aux murs du türbe, dans lequel reposent trois cheikhs, des ima-ges de St. Nicolas et de la Vierge), soit par des Gi-tans (comme a Vinica et peut-etre a Koeani). Quel-lc que soit l'appartenance ethnique et religieuse des gardiens des lieux, les türbe, sortes de pôles d'attraction de la piete populaire, attirent a eux aussi bien musulmans que non musulmans. Aux

  • CIMETlERES DE MACEDOINE YOUGOSLAVE 341

    3 : Le türbe des «lbrahim Babalar» a Gorno Orizari. Vue extcrleure.

    4 : Le türbe des «

  • 342 NATHALIE CLAYER

    yeux de to us, ils gardent les m~mes pouvoirs, thera-peutiques ou autres. A titre d'illustration , je cite-rai les cas de la tombe de Durak Dede a Karat-manova qui, d'apres les descendants du cheikh que j'ai rencentres a Istanbul, guerissait les moutons des morsures de serpent. Or, en nous rendant sur place, nous avans pu noter que les nouveaux habi-tants du village, des chretiens, font faire eux-aussi a Jeurs betes mordues, plusieurs fois le tour de cette tombe ! Les ziyaret -visites ou pelerinages- au türbe sont mixtes, a l'exemple du grand pelerinage sur la tombe de Yusuf Dede a Dzumajlija (entre Stip et Veles) qui a Jieu chaque annee, pour Djurd-jevdan, c'est-a-dire a la St. Georges, au debut du mois de mai, otl musulmanset chretiens se côtoient pour prier sur la tombe du saint, pique-niquer dans !es champs environnants et assister aux luttes des pehlivan.

    IV DEUX EXEMPLES

    POUR ILLUSTRER CETTE SITUATION

    Pour illustrer plus concretement tout ceci, je prendrai deux exemples suffisamment contrastes, montrant differentes facettes de la situation des ci-metieres et türbe lies aux tekke, encore actifs ou non. Le premier exemple est celui del'un des trois tekke halvetis-hayatis de Kicevo, en Maeedoine oc-cidentale : le grand tekke Hayati Baba, toujours en activite et eomprenant un cimetiere et deux türbe. Tandis que le second est celui du petit tekke halve-ti de Penu~, en Macedoine orientale, centre qui ne fonetianne plus, mais dont le türbe subsiste, et qui eonnatt, d'autre part, un prolongement par la erea-tian d'un nouveau tekke a Stip, gr~ce a un meea-nisme qui nous interesse particulierement ici.

    Le tekke Hayati Baba tk Kiievo

    Le premier exemple est done eelui d'un tekke relativement important pour la region, fonde pro-bablement dans la seeonde moitie du xvnı· siecle, par l'imam de la mosquee Isak bey qui transforma eelle-ci en tekke apres s'etre s'affilie a la branche Hayatiyye de la Halvetiyye, fondee dans la proche ville d'Ohrid par Muhammed Hayati9•

    Ce qui explique que le eomplexe s'articule au-tour de la mosquee-tekke et eomprenne un hazire, petit cimetiere eommun a la plupart des mosquees. On y trouve une quarantaine de steles, qui sont malheureusement dans un etat de conserva.tion as-sez precaire (fig. 9). Certaines d'entre elles ont ete deplacees et sont aujourd'hui simplement adossees au m ur de la mosquee, du côte oppose a l'enclos du cimetiere. Celles-ci devaient a l'origine, se trouver regroupees dans un lieu particulier, je le suppose, car elles sont toutes relatives a des membres des fa-milles des cheikhs (femmes, fils, ete.). Une distinc-tion devait done etre faite entre defunts apparte-nant aux familles des cheikhs et autres defunts affi-lies ou non a la confrerie.

    Depuis sa fondation, le tekke n'est pas dirige par !es membres d'une seule et meme famille, con-trairement au cas le plus frequent dans la region. Ceci se traduit coneretement par l'existence de deux türbe distincts. Le premier, batiment surmon-te d'une petite coupole (fig. 10), renterme les tom-bes de sept cheikhs, ainsi que celle de lafemme de l'un d'eux (fig. ll). Quant au second, de taiUe plus modeste, il abrite trois autres tombes de cheikhs, ancetres de l'actuel post-nişin, Şeyh Mustafa Seli-moski.

    Ces deux türbe sont les parties les mieux con-servees du tekke. lls ont visibiement benetide d'un soin et d'un interet constants. Si le niveau de con-naissance assez faible du cheikh actuel et le nam-bre assez restreint de derviches initie~ laissent pen-ser que l'activite de ce tekke n'est plus ce qu'elle etait autrefois, l'etat des türbe et, surtout, l'abon-dance des dons qui y sont deposes (serviettes, cou-vertures, argent, ete.) montre a quel point le eulte des saints est reste tres vivaee. Sans ces dons, la res-tauration du tekke, que permet aujourd'hui la libe-ralisation du regime, serait d'ailleurs impossible dans le cadre de la crise economique que connaıt actuellement la Yougoslavie. On peut done consta-ter que, dans cet exemple, les türbe representent pour la population locale un pôle social et reli-gieux toujours vivant, alors que pour le tekke lui-meme ils constituent une source de revenus, un moteur eeonomique lui permettant de faire peau neuve apres 45 ans d'une semi-lethargie.

    9) Sur la Hayatiyye, branche locale de la Halvetiyyc (qui essaima en Macedoine grecque et yougoslave ainsi qu'cn Albanie du sud) et sur les autres branches de la Halvctiyyc presentes en Macedoine, c(. l'article de Galaba Palikruseva, «Derviskiot red vo Makedonija», Zbomik na stipskiot naraden muzej, 1958-59!1, 1959, p. 105-119, texıe qui demande maintenant A ~!tre revu sur plusieurs points.

  • ClMETI'ERES DE MACEDOJNE YOUGOSLAVE 343

    S: Le türbe du tdclce h ayati d 'Ohrid. V ue exterieure.

    6: Le türbe du tt:kke h ayati d 'Ohrid. Vue int crleu r e.

  • 344 NA THALIE CLA YER

    Le tekke de Penus et sa continuaıion a Stip

    Le second exemple est celui du petit tekke de Pentrl, village situe au bord de la rivi~re Bregalni-ca, auquel on accMe difficilement, meme de nos jours, bien qu'il ne soit distant de la ville de ~tip que d'une dizaine de kilom~tres a vol d'oiseau. En 1912, Penu~ comptait 70 maisons turques. Dans la re,~on, le village etait meme appele «Küçük Istan-bul».

    La seule source sur l'existenee d'un tekke halve-li a cet endroit etait le resultat d'une enquete effec-tuee par le Ulema-medilis de Skoplje vers 1939, au sujet des differentes institutions musulmanes :me-drese, mosquees, mais aussi tekke. La reponse du cheikh de l'epoque, Şeyh Hasan, nous pcrmettait ai n si de sava ir q u e ce tekke ava it ete fo nde SO o u 60 an s a uparavant (done ver s 1880-1890) ; qu 'il se compasait de deux pioces dont une semahane; que les cheikhs s'y succedaient depere en fils, Şeyh Ha-san Şaban exerçant depuis une quinıaine d'annees (done depuis 1924 environ) ; qu'il y avait a l'epo-que entre 15 et 35 dcrviches, venant de Penu~ ct des villages environnants et que ceux-ci aidaient a la subsistance du tekke ; e t, enfin, qu'on faisait lcs prieres dans le tekke et q u e le zikr y ava it lieu deux fois par semaine, le vendredi et le lundi10• Le pas-sage a l'epoque post-ottomane ne serobiait done pas avoir entame l'activite de ce petit centrc, au-tour duquel vivait la communaute turque de Penu~.

    V int alors la Seconde guerre mondiale, le chan-gement de regime et ... l'exode en Turquie de 90% des habitants du village entre 1955 et 1960. En 1962, d'apr~s Jovan Trifunoski, il n'y avait plus A Penu~ que huit foyers turcs11 • 31 maisons avaient ete reoccupees par des familles valaques, qui ne rest~rent lA qu'une quinzaine d'annees avant d'c-migrer vers la ville. Aujourd'hui, Penu~ ne comptc plus que trois ou quatre maisons habitees par des Turcs. Tout le reste a ete abandonne.

    No us no us sommes done re nd usa Penu~ afin de voir ce qu'il subsistait du tekke. Le batiment princi-pal, qui s'elevait au milieu du village, est en ruine. Mais, a côte de lui, une petite maisonnette, blan-

    ehie a la chaux est cncore debout : e'est le türbe qu'entretient l'un des derniers habitants du village. A l'interieur, trois tombes (fig. 12). Grace a celles-ci eta la tradition orale que nous rapporte le türbe-dar, nous pouvons reconstituer l'histoire de ce pe-til tekke halveti, aujourd'hui inactif. En indiquant la premi~re tom be, ecllc qui se trouve au fond de la pi~ce, notre informateur nous dit que la repose le fondateur et premier cheikh, Hüseyin, «venu d'a il-leurs» ; la tombe du milieu est celle de son fils ct successeur, Şeyh Şaban ; la troisieme, enfin, celle du fils de Şaban, Şeyh Hasan (celui-la meme qui avait repondu en 1939 a l'enquete du Ulema-medZ-lis) qui fut le dernier cheikh de ce tekke, jusqu'a sa mart, survenue a une date que notrc informateur ne peut preciser exactement, mais qui a dü se sit u cr vers 1970.

    Şeyh Hasan n'avait done pas emigrc en Turquie avec la majorite des habitants du village, eomme ce fut le cas du chcikh halveti hayati de ~tip, qui s'ins-talla a !zmir en 1953, et de bien d'autres ehcikhs de la region. Son ıekke ne put cependant que fonetion-ner au ralenti, faute de derviches. D'apr~ Jovan Trifunoski, Ies Valaques, qui s'install~rent au vil-lage, contribu~rent neanmoins a une certainc acti-vite du centre en venant, generalement la veille du vendredi, allumer des bougies sur Ies tombes des deux premiers cheikhs 12. Şeyh Hasan disparut a peu pr~ a l 'epoque ou les Valaques emigrerent vcrs la ville, tandis que sa femme, dont la tombe se trouvc aupr~s du türbe, aurait vecu encore quelque temps, jusqu'en 1979, d'apr~ l'epitaphe ecrite en un turc tres approximatif. Le tekke de Penu~ n'est done plus actif depuis une vingtaine d'annees. Cepen-dant, grace au fils de Şeyh Hasan, Abdullah, il con-nait une continuation dans la ville voisine de ~tip.

    Abdullah s'installa en effet lui aussi a Stip ou il crea, aux debuts des annees 1980, au tour de la tom-be d'un saint loeal, Sadik Baba, un nouveau ıekke. Il se fit alors nommer cheikh par le eel~bre cheikh rifa'i de Prizren, president de la Communaute des Derviches de Yougoslavie, personnage extreme-men t actif e t proselyte. Au commencement, ce nouveau tekke ne comprenait que le türbe qui ser-

    lt) Archives de la R~publique Populaire Federee de Macedoine, Skoplje (Arhiva na Makedonija, «2.. Fond: Ulema-mcdzlis Skopje» (boites numeros 84-85) ; «Podatoci za dZamiite, tekinjata ct mektebitc po poverenstva»).

    ı 1) Jovan F. Trifunoski, «O tekijama u donjem slivu bregalnice», Prilozi za Orijentalnu Filologiju, XII-XIII, 1962-63 (1965), p. 2.25-2.58 (cf. p. 225-26).

    12.) lbid., p. 226. J.F.Trifunoski mentionne egalement un second teklee dans la particsud du viltage, qui, lors de son passage (doncvcrs ı 962-63) n'existait dejil plus. Seul subsistait la tombed'un cc rta in Odia-Dede (Hodja Dede ?), q uc frequentaient aussi bi en !es Tu res que !es Cineares (Valaques). Ce so nt !es Valaques h abitan t la maison voisinequi s'occupaient de l'entrcticn de la tom be et du terrain qui l'en-tourc.

  • CIMETlERES DE MACEDOINE YOUGOSLAVE 345

    7: Le türbe du teldce hayati d 'Obrid. Tombes de leurs s uccesse urs.

    8 : Le cimetiere du tdcke bektachi de Kanatlarci.

  • 346 NA THALIE CLA YER

    9 : Le cimeliere du tt:klct: Hayati Baba de Kicevo

    vait en meme temps de semahane, ou se deroulait le rituel. Aujourd'hui, il existe une veritable sema-hane jouxtant le türbe. On voit bien, dans cet exem-ple precis, comment un ancien türbe, ainsi que des morceaux de steles eparses fichees en terre dans la cour du nouveau tekke, sont autant de moyens de Mgitimation, indispensables aux yeux du nouveau cheikh et, probablement, de ses fideles. U. encore, le türbe est au centre de la vie confrerique. On peut egalement supposer que le türbe de Penu~ continue ıl e tre venere et frequente par Şeyh Abdullah et sa communaute.

    En Yougoslavie, ces dernieres annees, ce cas de recuperation d'un ancien türbe, ou m~me d'un an-cien tekke, n'est pas unique. Plusieurs centres ont ainsi ete crees ou reanimes, surtout par les milieux gitans islamises et so us l'impulsion de Sejh D zerna-li de Prizren, pour qui l'augmentation de ses «trou-pes», passe bien avant le souci de ne pas voir les confreries degenerer.

    CONCLUSION

    Pour conclure, je dirai que les cimetieres et türbe lies aux tekke sont autant de traces et de preu-ves de l'activite passee des confreries musulmanes.

    On ne saurait done negliger leur recherche et leur etude, bien au contraire. Le cas de la Macectoine yougoslave le prouve, je crois, car, combines a la tradition orale qui sc perpetue, ils constituent des sources nous permenant de retraccr une partie de l'histoire des ordres de derviches ne figurant, la plupart du temps, dans aucun ecrit.

    Sources du passe, ces cimetieres et, surtout, ces türbe, pôles d'attraction de la piete musulmane, voire meme non musulmane, sont aujourd'hui, ıl plus d'un endroit, le se u! prolongement vivant de la presence des tarikat.

    Sources du passe, prolongement actuel, ces tür-be peuvent aussi etre des points de cristallisation d'un renouveau des confreries musulmanes que l'on voit se dessiner i ci ct lıl, en Macedoine, au Ko-sova et meme tout pres de nous, ıl Istanbul. Quelle sera l'ampleur du phenomene ? Nous ne somrnes pas prophete ; seul l'avenir nous le dira.

    N.C.

  • CIMETlERES DE MACEDOINE YOUGOSLAVE 347

    ı O : Le türbe principal de uk/ce Hayati Baba de Klcevo.

    ll :Le türbe principal du tdclce Hayati Baba de Klcevo. Vue interleure.

  • 348 NA THALIE CLA YER

    12: Le türbt! principal du re/ck.e halvetide Penus. Vue interieure.