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Shutter Island p. 12 Cycle « Assassins et psychopathes » p. 20 Janet Leigh, avant et après Psychose p. 21 Numéro 5 - Mars -

CineQuaNon - Mars - numéro 5

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Le 5ème numéro du journal du cinéclub de Sciences Po

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Shutter Island p. 12 Cycle « Assassins et psychopathes » p. 20 Janet Leigh, avant et après Psychose p. 21

Numéro 5

- Mars -

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Edito En Mars, le ciné-club vous présente de trop rares personnages : des psychopathes, assas-sins à leurs heures. Avec Psycho, vous appren-drez que le psychopathe se révèle parfois être un classique à revoir et à étudier sur toutes ses coutures. Il est utile de se rappeler que le psychopathe possède cette rare capacité de nous surprendre et de nous effrayer inlassa-blement tel un fascinant Shining. S’il est nor-mal de le trouver divertissant, on ne saurait oublier qu’un psychopathe peut se révéler un prédateur redoutable comme dans La nuit du chasseur. Trop peu de psychopathes, mais une poignée de meurtres à l’écran, ce mois-ci : cer-tes, ni le Single Man ni Phillip Morris ne sont des psychopathes. Mais, hormis le bourreau des cœurs d’ An Education, on pourra compter sur Shutter Island, Ghost Writer, Wolfman et Lovely Bones pour nous rassasier en cadavres. .

Alexandra Besly

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Cahier critique p. 4 Sorties du 10/02 p. 4 Sorties du 24/02 p. 9 Sorties du 03/03 p.18 Cycle du mois p. 20 Psychose p. 21 The Shinning p. 23 La salle du mois Le Brady p. 24 Agenda p. 26

Sommaire

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Sortie en salles du 10/02/2010

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I love you Phillip Morris Lovely Bones

Wolfman An Education

Shutter Island A Single Man

I love you Phillip Morris, Glenn Ficarra & John Requa

Une comédie intelligente

Comme la plupart des comédies de qualité, I Love you Philip Morris utilise l’humour comme un biais de satire so-ciale et de dénonciation. Là où certains verront une caricature mal placée, il apparaît que les deux versions du mâle gay que nous livrent McGregor et Car-rey, par leur opposition appuyée, ré-prouvent la catégorisation du compor-tement homosexuel et raillent ironi-quement la standardisation de la repré-sentation de ce caractère sexuel.

La partie introductive est un ravis-sement de dérision vis-à-vis d’une so-ciété catholique toujours mal à l’aise – voire dans une posture de diabolisation – face à l’homosexualité. Steven Rus-sell, qu’incarne un Jim Carrey au meil-leur de sa forme, est effectivement un bon catholique, père de famille respec-table et mari aimant, la figure patriarca-le type d’une Amérique de banlieue lisse et sans histoire. Bien entendu, nous nous trouvons face à une image qu’il est désormais bien facile de criti-quer, mais il est toujours plaisant de voir attaquée cette société trop parfai-te et sûre de ses valeurs.

Cet homme en apparence comblé, et toutefois malheureux de devoir dissi-muler son homosexualité, se rend compte de l’absurdité de son mode de vie à la suite d’un accident le faisant passer très près du châtiment capital. La révélation comme choc post-traumatique, le ressort est classique, et fait cependant office de prétexte au démarrage d’un biopic basée sur l’his-toire vraie de Steven Russell. Poussé à la fraude par ses frasques et l’exigence d’un confort de vie, il devient un arna-queur de génie.

Deux environnements radicaux

Au-delà de ce préambule, l’œuvre de MM. Ficarra et Requa se découpe clai-rement en deux parties distinctes.

Le séjour en prison consécutif à la dé-couverte de ses escroqueries, est l’oc-casion pour notre ingénieux ami de rencontrer l’amour de sa vie en la per-sonne de Philip Morris, autre détenu, fraichement débarqué. Leur amour se noue autour de la protection que Ste-ven Russell parvient à apporter à Phi-lip, grâce à son expérience des rouages de la prison, qu’il manie avec une dex-térité alliant réseau de « bonnes rela-tions » et pots-de-vin. Bien que dé-peinte d’une façon idyllique et assez étonnante, voire improbable, cette

Ghost Writer

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love story gay dans une prison améri-caine (avec la quasi bienveillance des autres détenus qui tiennent Steven en amitié) nous laisse nous prendre à son jeu car elle amuse sincèrement. Les réalisateurs évitent la niaiserie, en jouant sur le potentiel humoristique d’une certaine crudité de la relation (notamment sexuelle) des deux prison-niers.

Une fois sortis de derrière les barreaux, Steven et Philip rêvent d’une vie com-mune idéale… Mais l’intelligent Jim Car-rey retrouve son travers premier : l’ar-naque financière. Commence alors une course à l’argent, mêlée d’une spirale d’usurpation d’identités, de falsifica-tions en tout genre et surtout de men-songes à la chaîne, qui rappelle, princi-palement dans l’habileté extrême de Steven Russel, le style génial de Frank Abagnale Jr. (Léonardo Dicaprio), artis-te de l’escroquerie dans Catch me if you can de Steven Spielberg.

Un duo d’acteurs inspiré :

S’ajoute à l’intérêt de l’histoire de Steven Russel la performance d’excel-lente facture des deux acteurs princi-paux. Jim Carrey est ici l’auteur d’une caricature toujours assez bien ciblée et fine pour n’être que très rarement pe-sante. Passant du cliché du gay bling-bling et dépensier, à celui de l’amou-reux fou un brin extravagant, il recycle son don légendaire pour les mimiques improbables et les intonations d’une hilarante expressivité. Il utilise ainsi son talent pour nous servir une prestation

délicieuse : celle de l’homosexuel dans ce qu’il a de plus caractéristique (manucure hebdomadaire, gestuelle des plus comiques). Nous devons préciser ici que le tout est ponctuée d’une autodéri-sion évidente, signifiant la conscience qu’il s’agit d’un cliché assumé, auquel son ami Philip est le contrepoids néces-saire. Ewan McGregor est en effet mé-connaissable, lui qui est à l’accoutumé l’image d’une virilité marquée au charme reconnu par les jeunes femmes. Sa com-position d’un homosexuel à la timidité touchante est bluffante, dans une nuan-ce tout autre que celui de son compa-gnon à l’écran : le registre de la sensibili-té exacerbée et de l’amour candide.

En résumé, si le scénario suit tranquille-ment son cours, et que la réalisation de-meure celle d’une comédie, ce long-métrage s’avère une agréable surprise, à la fois drôle, touchant (parfois à la limi-te, mais oublions-le), et débridé. Si ce n’est que pour Jim Carrey, qui le considè-re comme l’un des trois films de sa car-rière qu’il ne pouvait refuser, allez voir I love you Philip Morris !

Auxence Moulin.

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Lovely Bones, Peter Jackson

Amateurs de Peter Jackson, prenez garde, vous risquez d’être déçus ! Finis les courses de chevaux dans de vastes plaines, les combats de hob-bits contre les chevaliers noirs, les sorciers qui s’affrontent ou les singes géants amoureux d’une belle blon-de ; Peter Jackson rompt avec ses précédents longs métrages pour adopter un style, certes toujours fan-tastique, mais terriblement plus poé-tique. Avec une certaine sensibilité, il nous offre tout un flot d’émotions, un songe doux et mélancolique, un voyage entre terre et ciel. Cette œu-vre purement sensorielle est dépour-vue d’intrigue précise ou codifiée. La narration est incertaine et déroutan-te, même si elle suit la trame de fond du roman d’Alice Sebold, La nostal-gie de l’Ange.

Susie Salmon, interprétée par Saoir-se Ronan, est assassinée à l’âge de 14 ans par l’un de ses voisins : Mr Harvey (Stanley Tucci) qui reste im-puni. Le fantôme de la jeune fille es-saie de communiquer avec sa famille afin de faire arrêter son meurtrier qui l’empêche de passer définitive-ment dans l’au-delà et menace enco-re sa sœur. Dès lors, trois mondes se juxtaposent : celui de la famille, cal-me et paisible, celui d’un meurtrier, noir et profondément sinistre, ainsi que celui des âmes, les limbes, en-droit merveilleux où tout se dessine

selon rêves et cauchemars. Susie res-te reliée à ces trois espaces grâce à un mode de communication étrange : celui d’états d’âme interposés. Elle apparaît ainsi à certains membres de la famille, tels que sa petite sœur.

On pourrait croire, à première vue, que Lovely Bones est une espèce de Ghost-story mielleuse, une fabrique d’émotions faciles et de tableaux ten-drement niais, mais les prestations des acteurs principaux sont éblouis-santes, les images numériques sont aussi belles que celles de Terry Gil-liam, et la musique est, quant à el-le, totalement hypnotique. Le mani-chéisme, cher à Peter Jackson est en-core présent, mais la victoire du Bien sur le Mal n’est pas absolue. On pour-ra cependant lui reprocher une fin un peu trop moraliste, empreinte de mysticisme. Malgré tout, le charme s’opère, l’imaginaire est présenté comme une alternative au quotidien parfois douloureux. L’effervescence visuelle dessine les contours d’un rê-ve éveillé facilement palpable.

Julie Astoul.

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Wolfman Joe Johnston Dans le hit parade des trucs sans gra-vité les plus nuls qui puissent m’arri-ver, il y a arriver « au cinéma en avan-ce et voir une séance afficher com-plet ». C’est dans ces moments là de profonds désespoirs que l’on prend des décisions difficilement justifiables par la suite. C’est dans l’un de ces moments que j’ai décidé d’aller voir Wolfman, en me disant au tré-fonds de moi-même qu'un peu de changement, d'imprévu, de risque, ça ne fait pas de mal. Finalement, si. Wolfman, c’est la réappropriation du mythe du loup-garou, genre un peu abandonné au cinéma depuis 1994 et le Wolf de Mike Nichols, et remis au goût du jour par Twilight, mais dans une version largement édulcorée, lesdites créatures étant des types bodybuildés qui se baladent torse poil le jour, et des loups plutôt sym-pas quoi que très mal faits le reste du temps. Joe Johnston, à qui l’on doit entre autres Jumanji et Jurassik Park 3 en donne ici sa version, avec un cas-ting alléchant, Benicio Del Toro et Anthony Hopkins en tête, excusez du peu. Au début du XXe siècle, Talbot fils rentre au manoir familial, appelé par sa belle-sœur à la rescousse car son frère a disparu. Le temps qu’il se ra-mène dans une immense bâtisse en

ruine pleine de toiles d’araignées, le corps du frère est retrouvé dans un fossé. Malgré les relations exécra-bles qu’il entretient avec son père, Talbot décide de rester pour faire la lumière sur le meurtre du frérot, visiblement déchiqueté par une bê-te sauvage. Sauf qu’à vouloir jouer les héros, on finit par se faire mor-dre. Benicio Del Toro devient donc, les soirs de pleine lune, une bête bien moche, pleine de poil, et a une drôle de tendance à éviscérer tout être vivant alentours. Le film tente d’installer une atmos-phère particulière qui m’a beaucoup fait penser, dans les premières mi-nutes, au Sleepy Hollow de Tim Bur-ton, avec le teint grisâtre de la pho-tographie, des forêts brumeuses et un village boueux en pierre. Ce n’est

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pas très original, mais certaines scè-nes sont plutôt belles. En revanche, cinq minutes de film suffisent pour s’apercevoir que le scénario est complètement creux. Les personna-ges ne sont pas fouillés, pas plus que leurs relations, alors que celles entre Talbot père et Talbot fils au-raient pu donner un peu de matiè-re. Sans profondeur, on se retrouve face à des acteurs en petite forme, et c’est d’autant plus frappant lors-qu’on sait de quoi ils sont capables (Hopkins dans La Couleur du men-songe ou Le Silence des Agneaux, Del Toro dans 21 gram-mes ou Le Che). Anthony a un va-gue sourire en coin, Del Toro fait les gros yeux, Hugo-Elrond-Weaving est transparent. Wolfman est un film creux, mais aussi un film mal fait, et pour le genre fantastique, c’est potentielle-

ment problématique. Les effets spéciaux sont grossiers, avec une mention spéciale aux scènes de courses à quatre pattes du loup-garou, dignes de figurer dans une série est-allemande avec 100 Mark de budget par épisode. Quant au combat final, on pourrait presque voir les trampolines utili-sés pour effectuer les sauts. Pour couronner le tout, c’est un film gore qui ne s’assume pas, donc trop gore pour ceux qui n’aiment pas ça (au hasard : moi-même), mais pas assez pour ceux qui ai-ment, comme si Joe John-ston avait absolument voulu éviter une limite d’âge plus élevée à l’en-trée, tout en distillant quand mê-me des petits corps éventrés par ci et des petites têtes coupées par là.

Margaux Baralon.

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Sortie en salles du 24/02/2010

mœurs plus libres. Avec sobriété, elle capture ce désir d’émancipation et d’aventure de cette société, de cette jeune fille à l’âge où toutes les expériences sont possibles, à l’heure où les mœurs vont changer. La morale de ce film est bien d’évidemment d’étudier, de s’ins-truire, à Oxford comme à l’école de la vie. Pourtant peu original, le film séduit. D’abord, parce que l’histoire d’amour entre Jenny et David est d’un charme sincère. L’histoire est fluide, quoique trop lisse et trop parfaite. Le scénario n’a pas de grandes prétentions mais sa préci-sion et son académisme fonction-

An Education, Lone Scherfig Ce qui surprend au bout d’une heure de film, c’est l’absence d’ennui. On se demande donc, face au deuxième film sentimental britannique de l’an-née (après le boring Bright Star) qui aborde le très peu fascinant passage à l’âge adulte d’une lycéenne, pour-quoi on ne s’ennuie point. En 1961, dans la périphérie petite-bourgeoise de Londres, Jenny, 16 ans, élève brillante, se prépare à entrer à Oxford et rêve de Grégo et des existentialistes entre deux cours de violoncelles. Séduite par David, riche trentenaire, l’écolière embar-que avec passion pour l’aventure, de Bristol aux clubs de jazz chics. Tout comme son engoncement dans son uniforme de lycéenne, Jenny est rete-nue par son éducation de bonne jeu-ne fille anglaise. Si son intelligence lui permet de rivaliser face à la domina-tion masculine, elle n’en reste pas moins une femme indépendante qui souhaite désormais apprendre la futi-lité et le plaisir. La danoise filme en miroir de la quête initiatique de Jenny la société anglaise des années 60, prise entre deux feux : l’austérité d’après-guerre et le fantasme d’une modernité aux

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nent. En effet, le film est vivifiant et ne se laisse pas étouffer. Sous une apparence assez conformiste, plus proche d’une certaine modes-tie de réalisation, le film est plus audacieux qu’il n’y parait et em-prunte des chemins surprenants. Le parfum anglais, léger, gra-cieux renoue avec le cinéma bri-tannique fin, rusé et pop. Surtout, le film est servi par le jeu impecca-ble d’un casting exceptionnel (Alfred Molina, Emma Thompson, la géniale Olivia Williams, le tou-jours surprenant Dominic Cooper, la piquante Rosamun Pike). Aux cotés des airs domjuanesque de Peter Sarsgaard, Carey Mulligan y brille de mille feux, aperçue dans Orgeuils et Préjugés ou Brothers, elle sera à l’affiche de Wall Street 2 d’Oliver Stone. Surtout, le film est extraordi-nairement léger. On est loin du

drame social de la perte de « l’innocence » de Jenny et plus proche d’une comédie (certes dra-matique). Avec intelligence, sont montrées les faiblesses parentales (les illusions, leurs erreurs) en rac-cord avec le formidable jeu de sé-duction qu’opère David. Avec ces parents permissifs, avec cette inno-cente déjà bien émancipée et sur-tout avec un séducteur pourtant amoureux, le scenario révèle une rare subtilité psychologique. L’émancipation de Jenny et ses folles aventures ne sont pas aussi glorieuses qu’elles n’y parais-sent et Jenny n’est pas si blanche. La réalisatrice capture la complexi-té d’une relation simple. Loin d’un esprit manichéen, il n’y a pas ici de morale hâtive qui ferait de David un pervers libidineux à jeter à la vindicte populaire. Pas de scandale dans Une Education : Jenny voulait devenir adulte et David réclame

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tout autant de liberté. Leur aven-ture commune a été divertissan-te, sans pour autant être inconsé-quente. La morale de l’éducation revient à la fin du film pour dé-passer le récit d’un apprentissage sexo-sentimental et questionner la condition féminine : ne vaut-il pas mieux se marier à 16 ans si l’on part étudier à Oxford pour se trouver un mari ? La fin est à l’image du film : paradoxale. Jenny rate son entrée à Oxford, et retourne chez ses parents. Cette dure réalité laisse cependant entrevoir une morale ambiguë qui se réjouit et ne re-grette pas l’expérience de la ly-céenne. La bonne élève s’est re-bellée mais la dolce vita a un prix : la lucidité l’emporte sur le roma-

nesque. Pour autant, Jenny ira à Oxford, non pour des études mor-nes, mais nourrie de son expérien-ce. Loin de faire de ces mois de dissidences un accident de par-cours, l’héroïne se construit de ces tâtonnements. Au final, l’héroïne a bien re-çu l’éducation promise et entre la mine superbe de Carey Mulligan et le regard médiocre de triste sire de Peter Sarsgaard, le perdant de l’histoire n’est peut-être pas la frê-le jeune femme.

Alexandra Besly.

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le plus anxieux de Leonardo Di Caprio, qui a fait du chemin depuis Titanic, grâ-ce en grande partie à Martin Scorsese. Cela n’est donc pas étonnant que cela soit le grand réalisateur new-yorkais qui lui offre ce rôle superbe. Scorsese réali-se un film tout simplement génial. Voilà du vrai cinéma, qui tient le spectateur en haleine, grâce à un suspense digne du grand maitre hitchcockien et ne le lâche qu’au générique final, avec une fin qui ne donne qu’une envie : retour-ner voir le film pour mieux déchiffrer chaque détail de l’histoire. Aidé sur le plan du scénario, par le livre de Dennis Lehane dont le film est l’a-daptation, Scorsese met en scène de façon à ce que le spectateur ressente physiquement la migraine et la fièvre des personnages, l’humidité des cellu-les d’internement, le malaise général qui règne sur l’île. La mise en scène évoque par ailleurs les films noirs holly-woodiens des années 1950. Le registre morbide et presque kitsch des films gores est aussi emprunté, ce qui est une première pour Scorsese. Celui-ci place, en filigrane de l’intrigue principa-le, le thème du nazisme, avec la barba-rie des camps d’extermination, qui est mise en parallèle avec celle des méde-cins sur les malades psychiatriques. La fin du film laisse le spectateur en proie à des doutes et interrogations sur le dénouement. Un conseil donc : allez voir ce film à plusieurs, de façon à pou-voir en débattre après.

Séraphine Ellis.

Shutter Island, Martin Scorcese

L’ile de Shutter Island et tout ce qui s’y passe est anxiogène et diabolique. C’est le plan du début du film de l’île, qui apparaît à la fois grandiose et in-quiétante, qui nous présente cela. Les habitants de l’île sont les patients d’un hôpital psychiatrique pour dangereux criminels qui a des airs de pénitencier, ainsi que leurs gardiens et médecins. Le marshal Teddy Daniels (Leonardo Di Caprio) et son partenaire Chuck Aule (Mark Ruffalo) s’y rendent pour enquê-ter sur la mystérieuse disparition de l’une des patientes. Faute de coopéra-tion de la part des protagonistes - mé-decins, infirmiers et les autres patients - l’enquête va s’avérer être un labyrin-the ultra complexe. Le spectateur se retrouve balloté à chaque méandre que prend l’énigme, sans jamais perdre l e f i l m c e p e n d a n t . Ancien GI qui a combattu en Europe pour la libération des camps nazis, le personnage joué par Leonardo DiCa-prio est perpétuellement rongé par ses réminiscences de la découverte de l’horreur des camps et du face à face avec l’ennemi allemand. Le spectre de sa femme morte dans un incendie est le deuxième élément important de ses hallucinations. Au fur et à mesure de chaque tournant de l’enquête, Teddy vacille d’avantage mais gagne parallè-lement en folie et en ardeur à vouloir résoudre le mystère. Il est fiévreux et vacillant, rageur et perdu. C’est là le rôle le plus complexe, le plus intense et

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Shutter Island, Martin Scorcese

En 1954, le marshal Teddy Daniels (Leonardo di Caprio) embarque avec son co-équipier pour l’île de Shutter Island. Les deux inspecteurs viennent enquêter au sein d’un hôpital psy-chiatrique ultra-sécurisé où sont in-ternés de dangereux criminels. Ra-chel Solando, l’une des patientes, s’est en effet littéralement évaporée : sa cellule a été retrouvée vide, bien que fermée de l’intérieur. Comment expliquer cette évasion défiant les lois de la rationalité ? A peine Teddy Daniels s’est-il engagé dans son en-quête qu’il se heurte à la résistance des autorités médicales, peu dispo-sées à coopérer. Que diable se passe-t-il donc au sein du mystérieux hôpi-tal de Shutter Island ?

Au premier abord, l’on s’étonne que Martin Scorsese se soit intéressé à Shutter Island, roman à succès de Dennis Lehane (également auteur de Mystic river). L’intrigue du livre est certes diablement malicieuse mais elle rappelle moins l'univers de Scorsese que les scénarii à twist qui ont fait les beaux jours de Night Shyamalan. Passé notre surprise, for-ce est de constater que Shutter Island, projet atypique et inatten-du, explore pourtant toutes les thé-matiques qui font le cinéma de Scor-sese, à savoir le questionnement sur la folie et la violence, la culpabilité et le rachat.

Mais si Shutter Island nous sur-prend sur le fond, la construction du récit et son rythme nous éton-nent également : le film débute en effet comme un thriller scorsesien « classique » mais très vite bifurque vers des chemins inconnus. Difficile d’en dire plus : on risquerait de dé-florer le sujet. Car ce qui fait préci-sément la force de ce film, c’est sa capacité à nous plonger dans l’état d’inconfort du Marshal Teddy Da-niels, lequel peine à démêler le vrai du faux, la vérité du rêve et les sou-v e n i r s d e l a p r o j e c -tion fantasmatique. C’est que le réalisateur ne donne jamais au spectateur la possibilité d’en savoir plus sur l’intrigue que le personna-ge principal (un Leonardo Di Caprio toujours plus étonnant, à l’occasion de sa quatrième collaboration avec Scorsese). Le spectateur éprouve ainsi un malaise tenace, le film pre-nant rapidement l’allure d’un cau-chemar éveillé, et pour cau-se : Shutter Island conjugue l’uni-vers oppressant d’un asile psychia-trique à celui d’une prison sombre et insalubre. L’action se déroule de surcroît au sein d’un lieu clos et iso-lé alors que, dehors, la tempête et la mer se déchaînent.

L’atmosphère suffocante du film est é g a l e m e n t r e n f o r c é e par l’imaginaire gothique qui a visi-blement servi de source d'inspira-tion pour la création des décors et des costumes tout à la fois somp-

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tueux et terrifiants. De même, les prisonniers de l'île, dévoilant des visages mutilés et édentés, sont des incarnations proprement cauche-mardesques de la démence. Ces représentations gothiques débou-chent sur une figuration de la folie particulièrement saisissante, confi-nant à l’horreur. La visite d’un cime-tière sous des trompes d’eau, l’ex-ploration des couloirs d’une prison labyrinthique (…) : autant de mor-ceaux de bravoure cinématographi-que qui s’enchaînent à l’écran, Mar-tin Scorsese rendant au passage des gages à ses Maîtres (Kubrick et Hit-chcock en tête). Le style flamboyant et emphatique de la mise en scène produit des effets de suspense et d’angoisse particulièrement effica-ces même si ceux-ci aboutissent ponctuellement à une mise à dis-tance du spectateur. A plusieurs reprises, la saturation d’effets (cadrage, montage, jeu des acteurs, musique…) produisent un résultat particulièrement baroque qui prête presque à sourire. La conclusion de Shutter Island valide pourtant a posteriori ce parti pris du "too much" : la grandiloquence ponc-tuelle de la mise en scène ne consti-tue ni plus ni moins que l’une des pièces du gigantesque piège que tend Martin Scorsese au spectateur. Reste néanmoins que la mise en image des cauchemars et de souve-nirs de Teddy Daniels, souvent lon-gue, empesée et visuellement déto-

nante, déçoit par rapport au reste du film. Quant à la bande originale, à la frontière du style pompier, elle manque singulièrement de subtilité.

Passées ces quelques réserves, il faut bien peser la toute première importance que de ce film atypique dans la filmographie de Martin Scor-sese. Œuvre foisonnante et visuelle-ment passionnante, Shutter Island offre au spectateur de vivre une expérience sensorielle étourdis-sante et inédite, celle d’une progres-sive perte des repères et d’un plon-geon vertigineux dans l’univers de la folie.

Emmanuel Hoblingre.

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A Single Man, Tom Ford A Single Man, premier film de Tom Ford, montre que le couturier a su passer avec beaucoup d'aisance et de maîtrise de l'univers de la mode à l'art de la mise en scène. L'histoire, tirée du livre de Christo-pher Isherwood, se déroule à Los Angeles en 1962. Le contexte est alors celui de la psychose collective envers la menace communiste qui a connu un paroxysme lors du fa-meux coup de poker de la Baie des Cochons l’année précédente. Dans cette atmosphère de peur de l’in-connu et de l’invisible, que dénon-cera le héros du film, un homme, George Falconer (joué par Colin Firth), professeur de lettres d’origi-ne britannique, contemple avec désespoir l’absurdité et la vacuité de sa vie depuis la mort, dans un accident de voiture, de son compa-gnon Jim dont il n’arrive pas à faire le deuil. Cette perte de sens, cette absence de raison de vivre, vont petit à petit l’amener à consi-dérer l’éventualité du suicide. Par ce film, Tom Ford esthétise à l’extrême cette histoire tragique de deuil impossible. Ainsi, la première scène est révélatrice : dans un paysage enneigé d’une blancheur immaculée repose Jim, presque serein, au milieu des débris de sa voiture. Le contraste entre la blan-

cheur de la neige et le rouge du sang est d’autant plus frappant. La caméra s’approche peu à peu du corps meur-tri et termine par un gros plan sur le regard éteint du défunt. Ce vide dans le regard correspond à la mort, du moins intérieure, de Geor-ge et à l’inanité de sa vie. L’histoire se déroule huit mois après l’accident ; l’intrigue joue sur l’aspect temporel par la non-linéarité du récit et à l’aide d’indicateurs de temps (les aiguilles d’une pendule, des souve-nirs qui refont surface…) qui distil-lent, au gré du film, une impression de fugacité, de précarité, et qui insis-tent sur la cruauté du temps qui pas-se inexorablement. Le tragique de la situation de George résidant dans le fait que ce temps qui passe ne laisse rien oublier mais conserve vivaces les souvenirs de l’être aimé et à ja-mais perdu. Ainsi, l’action se déroule sur un jour (et une nuit), sorte de « dernier jour du condamné » qui le sait et qui se vit comme tel. Cette journée est ponctuée par des flash-backs oni-riques filmés en noir et blanc ou en couleurs fades (couleurs qui devien-nent plus vives au fur et à mesure qu’on revient à la réalité), flash-backs de plus en plus éloignés dans le temps à mesure que le film avan-ce : de l’annonce de la mort de Jim à leur première rencontre. Ce dernier retour en arrière coïncide d’ailleurs avec le moment où se concrétise la relation entre George et un de ses

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élèves, Kenny, un jeune éphè-be tombé sous son charme ; l’ironie du sort qui consiste à lui faire en-trevoir la possibilité d’un nouveau départ au moment où George voit sa vie lui échapper rejoint la conception cyclique de l’amour que lui avait exposée un gigolo espagnol en comparant le sentiment amou-reux à un bus qui passe et repasse sans cesse. Le temps occupe une place d’autant plus importante que les personnages du film en ont cha-cun une conception différente : George vit dans le passé et une sim-ple impression (un regard, une odeur…) peut, comme une réminis-cence proustienne, lui faire revivre des moments achevés mais non oubliés ; Charley, la fantasque et quelque peu superficielle amie de George (jouée par l’excellente Ju-lianne Moore) refuse ce passé qu’elle tente d’oublier et tente le plus possible de profiter du présent en hédonis-te, camouflant les effets du temps sous un maquillage sophisti-qué ; Kenny, quant à lui, ne se pro-jette que dans l’avenir. Pour George le pessimiste désespé-ré, qui se définit comme un homme d’âge mûr (mais dont les charmes continuent à séduire, malgré lui, hommes et femmes, sans qu’il s’en rende vraiment compte), l’avenir équivaut à la mort ; pour pasticher McCarthy, on pourrait dire que non, ce monde n’est plus pour le vieil homme. Du moins, dans son

aveuglement, le pense-t-il. Car cet-te journée est ponctuée de ren-contres éphémères qui vont l’ame-ner à faire des choix : tel le gigolo jouisseur en mal d’amour, Kenny qui se pâme pour George, Charley qui regrette de ne pas avoir passé sa vie avec lui ou encore la petite fille de ses voisins, sorte d’Alice au pays des merveilles avec ses tresses blondes et sa robe bleue, dont l’ap-parition furtive constitue l’un des moments les plus oniriques du film. Tout, pourtant, pousse George à accepter stoïquement la fuite du temps et à ne pas regretter le passé ni la jeunesse qui est, dans le film, montrée de façon plutôt cruelle : la petite fille tient un scorpion empri-sonnée dans une cage, son frère est obsédé par l’idée de tuer, sa sœur effrite un papillon (symbole de l’é-phémère par excellence) entre ses mains, l’armurerie du quartier est tenue par un adolescent, les étu-

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de tomber dans le côté plutôt cari-catural et hypocrite d’I Love You Phi-lip Morris dans la représentation de l‘amour entre hommes ; là où le se-cond semblait réticent à montrer un baiser, qu’on voyait de loin ou dans la pénombre, mais moins prude sur les scènes de sexe, le premier, s’il reste « platonique » en faisant l’impasse sur les plaisirs de la chair, n’en constitue pas moins une ode à la beauté masculine et joue sur la sensualité où le corps (un torse nu, la cambrure d’un dos…) devient ob-jet de désir, invitation à l’amour, tentation. C’est ici que le film de Tom Ford prend « corps », que son personnage prend vie, pour la reper-dre aussitôt. Survient à la toute fin l’émotion qui, après s’être fait at-tendre par un trop plein d’esthétis-me travaillé, froid, peut-être gla-cé, n’en est que plus poignante. A noter pour terminer que A Single Man n’est pas un récit empesé, sen-timental ou tire-larmes mais qu’il contient des doses d’humour britan-nique bienvenues qui ne pouvaient pas mieux s’incarner que dans le flegmatique Colin Firth dont la pres-tation frôle la perfection. Ses pitoya-bles tentatives de suicide ratées en sont un exemple.

Guillaume Narguet.

diants sont corrompus par la drogue, la luxure, voire la bêtise. George ne le comprendra que trop tard et subira l’ironie du sort tragique. Certes, on peut critiquer l’excès de formalisme, le caractère délibéré-ment esthétisant du film, les quel-ques facilités (comme le symbole de la montre qui s’arrête à la fin du film), l’influence appuyée de Wong Kar Waï, dans l’utilisation notamment des travellings et des ralentis, parfois pas justifiés (Ford a d’ailleurs « emprunté » Shigeru Umebayashi, le compositeur de Wong, dont la musi-que est ici splendide, toute en rete-nue et délicatesse, à l’instar du film) ou encore le caractère trop beau, trop propre, trop élégant des person-nages (inutile de préciser que Colin Firth est habillé en Tom Ford), qui peut rappeler l’esthétique chic du magazine Vogue (le gigolo Carlos res-semblant à une gravure de mode) ou, plus crûment, d’une pub pour par-fum. Cependant, le réalisme compte fina-lement peu, l’histoire devant être vue comme un rêve, voire un souvenir : George n’appartient déjà plus à ce monde, qui n’a plus de consistan-ce et qui n’est plus qu’apparences, et le regarde de loin. Cette impression est rehaussée par le recours à une photographie splendide. A Single Man est enfin une histoire d’amour homosexuelle mais pas for-cément sur l’homosexualité et évite

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en main à la réception). Le dernier tiers du film est toutefois un peu en dessous de ce qu’on pourrait attendre d’un climax. Polanski maintient l’équilibre entre la crédibilité et la surprise dans ce thriller tendance parano aux dialo-gues irrésistibles d’humour. Le scéna-rio est cependant un peu léger quand Ewan McGregor semble résoudre l’af-faire grâce à Google. Une trop grande fluidité peut être reprochée à cette réalisation, proche de La Neuvième porte, un peu trop clichée. Mais c’est précisément cette réalisation magné-tique et cette esthétique électrique qui forment le charme polanskien.

Dans le rôle de Cary Grant avec la mort aux trousses, on retrouve un Ewan Mc Gregor, qui a enfin transfor-mé son jeu fade en une subtilité atta-chante et vulnérable, pour incarner le ghost anonyme, un persécuté para-noïaque kafkaïen. Persécuté tout com-

Ghost Writer, Roman Polanski

Albert Polanski et Roman Hitchcock L’adaptation réussie du roman à sus-pense de Robert Harris situe le film de Roman Polanski entre le thriller politi-que et le polar hitchcockien. L’intrigue intelligente est parfaitement narrée et la mise en scène, certes académique et classique, est sobrement élégante. Sa leçon de mise en scène, ou comment créer l’angoisse en 3 plans, débute par une scène d’ouverture ma-gistralement efficace sur le ferry : McAra, l’écrivain chargé de rédiger les mémoires de l’ancien premier ministre britannique Adam Lang, est retrouvé mort. Ewan Mc Gregor, nègre britan-nique remplaçant, est envoyé sur une île au large de Boston, coupée du mon-de et bientôt assiégée par les paparaz-zis : Adam Lang vient d’être accusé de crimes de guerre. Le ghost enquête : le thriller politique se mue peu à peu en un film d’angoisse. L’implacable machinerie de Po-lanski permet une course folle, où la tension croît à mesure des rebondisse-ments et maintient une attente pesan-te et un suspense permanent avec des scènes simples mais réussies (promenade en voiture au son du GPS, poursuite sur le ferry et le final ner-veux du bout de papier passé de main

Sortie en salles du 03/03/2010

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me l’haï Adam Lang, lynché par la vindicte populaire, incarné par l’ex-cellent Pierre Brosnan à l’autodéri-sion impressionnante tout comme sa condition physique et son sourire ultra-bright. Ces deux marionnettes sont instrumentalisées par le nid de vipè-res formé par les étranges personna-ges secondaires. On y retrouve Kim Cattrall qui prouve qu’elle est aussi sexy et brillante à la mer qu’en ville. Surtout, la sublime britannique Olivia Williams tient enfin un rôle princier à sa mesure avec ce rôle fascinant et ambigu de Ruth, l’épouse de Lang.

Polanski, à la filmographie hantée par cette sensation de piège, de captivité, recrée un décor de huit-clos suffoquant avec la villa aqua-rium sur cette île malheureuse, à la fois ghetto et refuge. A la manière de cette claustra-tion du héros qui rappelle Répulsion, tout le film est autoréférencé par l’univers de Polanski : cette fascina-tion pour l’absurde de Kafka à Bec-kett (Cul de Sac) avec ce jardinier face au vent ou ce vélo qui s’enfonce dans le sable. Polanski manie avec charme la mise en scène des rap-ports humains ambigus, entre attrac-tion et répulsion et où les personna-ges féminins tiennent les rôles les plus fourbes. Son habituelle thémati-que maitre/esclave est également très présente tout comme son mé-pris des politiciens et son affection

pour l’exil et le scandale. L’Améri-que est, bien qu’ironiquement un refuge pour Adam Lang, encore et toujours la vielle ennemie.

Face à cette ironie des exils inversés, on citera Oscar Wilde : La vie imite l’art. En effet, Adam Lang avec son côté guingant, sa suspicion de connivence avec les Etats-Unis, laisse rapidement au spectateur le soin d’imaginer Tony Blair à la place de Pierce Brosnan, à l’heure où le toutou de George W. Bush est actuellement accusé au sein de son propre pays de crimes de guerre. The Ghost Writer reste une spéculation romanesque à la sauce du journalisme politique. Pour au-tant, la satire politique est subtile dans cette critique de l’atlantisme européen.

The Ghost Writer s'inscrit par-faitement dans l’univers étrange et génial de Polanski avec son goût pour les fins immorales et sa sympa-thie pour le héros loser. Dans cette atmosphère à la perversité sourde, on retrouve le cinéma paranoïaque de Polanski avec un héros tourmen-té et menacé. Triomphe à nouveau cette vision d’un monde maudit où le pire, même s’il s’efface par mo-ments, finit par s’imposer comme l’effroyable réalité.

Alexandra Besly.

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Assasins, psychopates Depuis M Le Maudit à Seven, le ciné-ma est fasciné par la psychologie des assassins. On se souvient de la folie meurtrière de Jack Torrance (Shining), de la schizophrénie de Norman Bates (Psychose), de la psychopathie d’Han-nibal Lecter (Le silence des agneaux), ou de Frank Booth le psychotique (Blue Velvet). La folie au cinéma peut donner cours à des chefs d’œuvres : cette au-dace, cette à capacité à pouvoir tout expliquer, permet de libérer l’imagina-tion et de s’intéresser aux tréfonds du psychisme humain. La névrose humai-ne filmée angoisse par son caractère sans limites, ou justement, en dehors des limites humaines, et est donc un thème privilégié du film d’horreur. Si la folie peut prendre pour définition l’irrationnel, la déraison, l’absurdité capricieuse, elle est souvent filmée en tant qu’altération de la santé psychi-que, soit des troubles de comporte-ment (soit des rebondissements po-tentiels).

Ainsi l’image du psychopathe, caractérisé par des passages à l’acte qui n’entrainent aucune culpabilité, a été particulièrement galvaudée par le cinéma pour devenir simplement un monstre dénué de sentiment. Le psychopathe se partage cer-tainement le trône du fou le plus filmé avec le schizophrène, psychotique à la personnalité altérée, déconnecté de la

réalité et dépendant des fortes person-nalités. Au cinéma, le schizophrène en-dosse plutôt des troubles bipolaires avec un dédoublement pathologique de la personnalité. Norman Bates de Psychose reste le schizophrène par excellence. Au dé-but du film, il apparaît totalement do-miné par sa mère et ce trop gentil gar-çon se révèle être un monstre. Psycho-se reste la référence par l’explication très clinique du comportement de Ba-tes et par la dernière scène effrayante où Norman se parle, en se croyant sa mère. Shining n’a pas la rigueur médi-cale qu’a voulu imposer Hitchcock avec Psychose. Shining est un film fantasti-que où Danny a des pouvoirs surnatu-rels qui, bien qu’anormaux, ne sont pas présentés comme un trouble psychoti-que. Le seul fou de l’histoire est Jack Terrance, le père de Danny. Son appa-rente paranoïa laisse rapidement place à une effrayante schizophrénie. En effet, Shinning, tout comme La nuit du chasseur est un film d’hor-reur par excellence. On y retrouve la plupart des codes, la grande maison hantée façon The Amityville Horror (Stuart Rosenberg), la récurrence de la porte ou du miroir, ou encore l’enfant magique comme The Omen (Richard Donner).

Alexandra Besly

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Janet Leigh,

avant et après Psychose.

On a à peu près tout dit à propos de Psychose, son suspens, son mon-tage, ses prouesses techniques, avec comme point d’orgue bien sûr, la fameuse scène de la douche, qui ré-clama sept jours de tournage. C’est Janet Leigh qui a ainsi le plaisir de se faire charcuter sous l’eau chaude, et elle ne devait jamais s’en remettre. Ainsi à sa mort en 2004, les nécrolo-gies firent peu cas de ses autres films, pour l’associer éternellement au rôle de Marion Crane, qui lui valut d’ailleurs sa seule nomination à l’Os-car en 1960.

Pourtant Janet Leigh a eu l’occasion, avant et après Psychose, de tourner avec d’autres réalisateurs de renom : outre Orson Welles dans l’incroyable Soif du Mal (1958), Jo-sef von Sternberg, Fred Zinneman, ou même John Carpenter. Mais force est de constater qu’aucune de ces compositions n’a eu le même impact que celle de Marion Crane, fille sans histoires qui décide de voler son pa-tron avant de se réfugier dans un motel tenu par l’inquiétant Norman Bates.

Il faut reconnaître que l’actri-ce venait de loin. Repérée alors qu’elle était modèle par Norman Shearer, elle démarre sa carrière en 1947 avec The Romance of Ridge, pour le compte de la MGM. Très ra-pidement, elle va se retrouver abon-née au personnage de la « nice girl », charmante et légère, que ce soit dans de pures comédies (Les coulisses de Broadway) ou dans des films d’aventures (Prince Vaillant). En 1951, elle épouse Tony Curtis, à qui elle donnera de nombreuses fois la réplique, formant ainsi un des cou-ples vedettes de l’Hollywood des fifties.

Mercredi 10 mars, amphithéâtre Jean Moulin, 17h et 19H15

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Ce n’est pas Hitchcock qui révélera le premier son potentiel érotique, mais bien Orson Welles, sous la direction de qui elle incarne Susan, épouse mal-heureuse de Charlton Heston dans La Soif du Mal. Dans les scènes les plus fameuses, elle est là aussi coincée dans un motel poisseux, droguée et menacée par de mauvais garçons. C’est d’ailleurs au même moment que Tony Curtis abandonne lui aussi son image de play-boy lisse pour se trans-former en drag-queen, maquillage et jupe à l’appui, dans Certains l’aiment chaud (1959). Hasard ou non, le cou-ple divorcera peu de temps après, en 1962… Toujours est-il qu’après cette première étape, elle est embauchée par Hitchcock, lequel voulait une ve-dette de façon à amplifier le choc que

représenterait sa mort à la moitié du film. Robin Wood a fait justement remarquer qu’à la femme-objet qu’est Susan dans la Soif du Mal, por-teuse d’une sexualité néfaste et sou-mise à tous les châtiments, répond l’identification que représente Ma-rion Crane pour le spectateur, puis-que c’est à travers ses yeux et ses pensée (distillées en voix-off) que l’on découvre le lieu de l’action et le sinis-tre Norman Bates. Mais Hitchcock n’en oublie pas pour autant de char-ger son personnage d’une bonne do-se d’érotisme. Outre la douche meur-trière, elle est soumise auparavant à l’œil voyeur de Bates, qui l’observe à travers un trou dans le mur. Elle offre d’ailleurs à cette occasion l’un des premiers strip-teases complet de l’histoire du cinéma (mais rassurez-vous, on ne verra rien).

Entrant ainsi dans la légende, Janet Leigh n’en sortira plus par la suite, puisqu’aucune de ses perfor-mances ultérieures n’attirera réelle-ment l’attention des critiques. Seule exception notable, Un crime dans la tête (1962) de Frankenheimer. En 1980, elle donner la réplique à sa fille Jamie Lee Curtis dans The Fog. Celle-ci, tirant peut-être les leçons de l’exemple maternel, a commencé di-rectement dans des films d’horreur (Halloween) dont elle aura au bout du compte du mal à sortir.

Vincent Danon.

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Mercredi 17 mars, amphithéâtre Jean Moulin, 17h et 19H15

De The Shining, on pourra discuter l’adaptation ou s’épandre en interpré-tations symboliques, on se contente-ra de souligner l’incroyable travail de l’image par Kubrick, fin connaisseur de la photographie : l’hôtel parfaitement symétrique Overlook et le labyrinthe hors de proportion reste des référen-ces. The Shining est un des films les plus techniquement sophistiqués. Comme il imposera des défis techni-ques sur Barry Lindon (filmer avec pour seule source de lumière une bougie), Stanley Kubrick montre dans Shining sa maitrise de l’éclairage avec ces plans larges immaculés et irra-diants d’une lumière glacée. Elève attentif (dès L’ultime razzia) et admiratif des travellings aériens de Max Ophuls, Shining est parsemé de travellings latéraux, avant et arrière. Ce voyage de la caméra cisaille les voyages psychiques des personnages.

Les travellings avant arrière précèdent les déplacements des personnages. De ce trouble d’anticipation, se devine le don de divination de Danny. Outre la steadycam (caméra articulée de contrepoids), Kubrick utilise une autre invention dans ce film : le travel-ling compensé arrière. Reculant sa ca-méra tout en zoomant, il crée un effet visuel trouble particulièrement effica-ce dans un film d’horreur. Dans Shi-ning, l’image se fait oublier et devient hallucination. La scène mémorable de Shining reste cette course poursuite dans le labyrin-the qui clôt le film. Là où le génie de mise en scène se manifeste. Kubrick met en place un dispositif qui empêche le spectateur d’évaluer l’avancée de la poursuite. En effet, il ne situe jamais les personnages les uns par rapport aux autres, tous deux situés dans un espace vide, qui plus est, un labyrin-the. Le montage alterné (proie/prédateur) désoriente le spectateur. Seul un travelling final latéral réunira les deux personnages. A étudier la précision des films d’Alfred Hitchcock, d’Orson Wells ou de Stanley Kubrick, on réalise la folie de ces psy-chopathes de l’image. Les génies sont souvent des malades mentaux

Alexandra Besly.

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Un des derniers cinémas de boule-vard subsistant, le Brady a fondé sa réputation sur les films fantastiques qu’il projetait. Né dans les années 50 ce cinéma était en effet spéciali-sé dans les films d’horreur et d’é-pouvante mais aussi comiques com-me l’illustre sa sobre façade déco-rée de squelettes souriants. Egalement théâtre, il fut re-pris en 1994 par le réalisateur Jean-Pierre Mocky et le genre typique qu’il promouvait déclina à la faveur des films du nouveau propriétaire, de toute façon les copies qui lui avaient valu sa renommée deve-naient trop rares. Petit antre discret parmi les salons de coiffures bruyants et restaurants populaires de ce boulevard « afro-indien », le Brady est chaste et réduit. Un esca-

lier et deux salles dans lesquelles la programmation alterne, comme il a été dit, reprises et maintien sur les écrans parisiens des œuvres de son mécène ou encore ayant connu un échec commercial patent. Simple et rénové, ce cinéma n’en demeure pas moins charmant, après la séance on peut toujours aller à un des nom-breux théâtres des boulevards si l’on est en mal de vaudeville ou se repaî-tre dans le petit passage Brady aux senteurs indiennes duquel cette salle obscure détient son nom.

Carmen Bouley de Santiago.

LE BRADY 39, boulevard de Strasbourg 75010 6,50€-4,50€ (réduit étudiants)

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Mercredi 10 Mars Psycho, Alfred Hitchcock 17h et 19h15, amphithéâtre Jean Moulin

Mercredi 17 Mars The Shinning, Stanley Kubrick 17h et 19H15, amphithéâtre Jean Moulin Mercredi 24 Mars La nuit du chasseur, Charles Laughton 17h et 19h15, Amphithéâtre Jean Moulin

Cinémathèque française Alberto Moravia— 3 Mars au 21 Mars 2010 Forum des images Les pères—10 février au 4 avril 2010