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1 Colloque International ENTREPRISES EN DIFFICULTE ET CHANGEMENT ORGANISATIONNEL : Etat de l'art et perspectives concernant les PME Fatima Zahra Achour Professeur à la FSJES Kenitra [email protected] Au Maroc, les Petites et Moyennes Entreprises (PME) représentent plus de 90 % du tissu économique et contribuent par plus de 42 % de la création d'emploi. Vu leur importance, économique et sociale : contribution active à la création d‟emplois, à la création et au renouvellement des entreprises et à l‟innovation sous toutes ses formes (Fayolle, 2005), le phénomène de leur création a connu, ces dernières années, un essor considérable. Toutefois, malgré un réel dynamisme de la création d‟entreprises, un nombre non négligeable meurt avant l'âge de 5 ans. Ce phénomène est connu dans la littérature anglo-saxonne sous le vocable de business failure, et a suscité l‟intérêt des chercheurs et des praticiens depuis la crise de 1929. Les Eses "mort-né" méritent d‟être exploré dans le contexte marocain. L‟objectif de cet article est d‟élucider les principaux facteurs qui freinent la longévité des entreprises nouvellement créées ainsi que les facteurs clés de succès à prendre en compte pour limiter leur "taux de mortalité infantile". A ce jour, il est à noter l‟absence de statistiques officielles (les données fournies par l‟office marocain de propriété industrielle et (OMPIC) et les centres régionaux d‟investissement (CRI) se focalisent sur les créations et passent sous silence le phénomène de disparitions qui est pourtant un indicateur de la vitalité d‟une économie) couvrant l‟ensemble du territoire marocain, à l‟exception d‟une étude menée en 2008 par la Direction des études et de prévisions financières (DEPF) au sein du ministère des finances, traitant de la mortalité des entreprises et qui a d‟ailleurs conclu à des résultats mitigés et surprenants. Contrairement à ce qui est observés dans les pays développées (APCE, 2008; OCDE, 2013) où la défaillance d‟entreprises jeunes était une fatalité, l‟étude menée par la DEPF avance que les entreprises marocaines ont une meilleure chance de survie pendant les premières années suivant leur création. Pour toutes ces raisons, il nous a paru opportun de mener une enquête sur le phénomène au niveau de la région du Gharb Chradra beni Hssen. L‟étude a porté sur 20 observations, en l‟occurrence des créateurs d‟entreprises en situation d‟échec, dans une logique de création « ex nihilo » qui est considérée comme étant la forme la plus naturelle de l‟entrepreneuriat (Hernandez, 2001, p.18). Notons que Bruyat (1993, p.98) a proposé une typologie faisant ressortir quatre catégories de nouvelles entreprises. Celles issues soit (1) d'une franchise; (2) d‟une logique d‟acquisition ou de reprise reprenant partiellement ou totalement les activités existantes ; (3) Intitulé de la communication "Business failure" : facteurs d’échec et de réussite Résultats d’une étude exploratoire

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Colloque International

ENTREPRISES EN DIFFICULTE ET CHANGEMENT

ORGANISATIONNEL :

Etat de l'art et perspectives concernant les PME

Fatima Zahra Achour

Professeur à la FSJES Kenitra

[email protected]

Au Maroc, les Petites et Moyennes Entreprises (PME) représentent plus de 90 % du tissu

économique et contribuent par plus de 42 % de la création d'emploi. Vu leur importance,

économique et sociale : contribution active à la création d‟emplois, à la création et au

renouvellement des entreprises et à l‟innovation sous toutes ses formes (Fayolle, 2005), le

phénomène de leur création a connu, ces dernières années, un essor considérable.

Toutefois, malgré un réel dynamisme de la création d‟entreprises, un nombre non négligeable

meurt avant l'âge de 5 ans. Ce phénomène est connu dans la littérature anglo-saxonne sous le

vocable de business failure, et a suscité l‟intérêt des chercheurs et des praticiens depuis la

crise de 1929. Les Eses "mort-né" méritent d‟être exploré dans le contexte marocain.

L‟objectif de cet article est d‟élucider les principaux facteurs qui freinent la longévité des

entreprises nouvellement créées ainsi que les facteurs clés de succès à prendre en compte pour

limiter leur "taux de mortalité infantile".

A ce jour, il est à noter l‟absence de statistiques officielles (les données fournies par l‟office

marocain de propriété industrielle et (OMPIC) et les centres régionaux d‟investissement

(CRI) se focalisent sur les créations et passent sous silence le phénomène de disparitions qui

est pourtant un indicateur de la vitalité d‟une économie) couvrant l‟ensemble du territoire

marocain, à l‟exception d‟une étude menée en 2008 par la Direction des études et de

prévisions financières (DEPF) au sein du ministère des finances, traitant de la mortalité des

entreprises et qui a d‟ailleurs conclu à des résultats mitigés et surprenants. Contrairement à ce

qui est observés dans les pays développées (APCE, 2008; OCDE, 2013) où la défaillance

d‟entreprises jeunes était une fatalité, l‟étude menée par la DEPF avance que les entreprises

marocaines ont une meilleure chance de survie pendant les premières années suivant leur

création.

Pour toutes ces raisons, il nous a paru opportun de mener une enquête sur le phénomène au

niveau de la région du Gharb Chradra beni Hssen. L‟étude a porté sur 20 observations, en

l‟occurrence des créateurs d‟entreprises en situation d‟échec, dans une logique de création « ex

nihilo » qui est considérée comme étant la forme la plus naturelle de l‟entrepreneuriat (Hernandez,

2001, p.18). Notons que Bruyat (1993, p.98) a proposé une typologie faisant ressortir quatre

catégories de nouvelles entreprises. Celles issues soit (1) d'une franchise; (2) d‟une logique

d‟acquisition ou de reprise reprenant partiellement ou totalement les activités existantes ; (3)

Intitulé de la communication

"Business failure" : facteurs d’échec et de réussite

Résultats d’une étude exploratoire

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d‟une logique d‟essaimage ou encore (4) d'une création exnihilo. Les thématiques suivantes

ont été traitées :

- Parcours et expériences professionnels,

- Principales motivations à la création,

- Difficultés rencontrées lors de la création,

- Modalités de gestion de ces difficultés,

- Rôle des mesures d'appuis, mises en place par les pouvoirs publics, dans la gestion de ces

difficultés.

L‟étude nous a permis de mettre la main sur les principaux facteurs d‟échec des entreprises

nouvellement crées tels qu‟ils sont ressentis par les créateurs, reconnu en situation d‟échec,

eux même et partant elle nous a aidé à ériger, autant que faire se peut, les remèdes à la

"mortalité infantile" de ces entités.

MOTS-CLES: Entrepreneur, création d'entreprises nouvelles, facteurs d‟échec, facteurs de réussite.

Introduction

La création d‟entreprise représente un levier majeur du dynamisme économique international,

national et territorial. Aujourd‟hui le contexte économique est caractérisé par une compétition

rude et une mondialisation qui affecte considérablement certaines activités, en particulier les

activités traditionnelles dont la compétitivité n‟est plus suffisante pour rivaliser avec des

entreprises mondiales à coûts de production faibles. Dans ce cadre, la création d‟entreprise

ainsi que le développement des Petites et Moyennes Entreprises deviennent une nécessité du

développement économique et un levier du changement. La création d‟entreprise est

considérée aussi comme un moyen de lutte contre le chômage (Fabre et Kerjosse, 2007) et un

moyen pour soutenir le développement d‟une communauté donnée. Et quoique la croissance

du PIB soit influencée par bon nombre d‟autres facteurs, une croissance durable fondée sur

l‟innovation et l‟excellence exige un accroissement du nombre d‟entreprises nouvelles, qui

ont des chances de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité. Les pays où

l‟esprit d‟entreprise se développe le plus sont souvent ceux qui affichent par la suite une

baisse de leurs taux de chômage (Audretsch D. 2002).

Sur le plan de la recherche l'intérêt croissant porté à la création d'entreprise, au sens général

du terme, n'a conduit que récemment au développement de travaux de recherche spécifique

dans le domaine de l'entrepreneuriat puisque le champ de recherche commence à se structurer

seulement au début des années 1970. Cela étant, le phénomène de la création d'entreprise

devient avec le temps une demande sociale et économique dans la mesure où l'Etat, les

collectivités locales, les entreprises crées par essaimage, les créateurs et les démarreurs d'Ese

pour ne citer que les principaux acteurs, sont demandeurs et font connaitre leurs attentes. Les

formations universitaires se multiplient, l'éclosion d'incubateurs au sein même des universités,

etc. sont autant de facteurs témoignant de l'importance du phénomène entrepreneurial.

Nonobstant ces élans constatés sur le plan académique, politique et de la formation, les taux

d'échec à la création et au démarrage des Eses ne faiblissent pas. Dès lors, malgré les

multiples actions menées en faveur de la création d'Ese, il importe de se demander dans

quelles mesures il est possible de contribuer à l'explicitation du phénomène entrepreneurial ?.

Jusqu‟à quel point la connaissance des facteurs explicatifs de l‟échec entrepreneurial peut-elle

contribuer à l‟amélioration de la longévité des Eses nouvellement crées ? Les business-failure

seraient-elles une fatalité ou un phénomène que l‟on peut contourner ?

Voici en somme les questionnements auxquels on tentera d‟apporter quelques éléments de

réponse dans notre présente étude.

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1. Mise au point conceptuelle

1.1 Ese nouvellement créée : Essai de définition

Nous tenterons de proposer, dans un premier temps, une définition de ce que l'on entend par

Ese nouvellement crée. Les auteurs n'utilisant pas forcément les mêmes concepts pour décrire

le phénomène, la terminologie employée pour décrire cette phase est très hétérogène, ce qui

rend la compréhension de cette étape, pourtant cruciale, difficile à maîtriser. La polysémie des

différentes notions utilisées et l'absence de consensus qui en découle nous incitent à penser

qu'il existe un énorme besoin de clarification épistémologique.

La notion de "nouvelle entreprise" est généralement associée, dans la littérature

francophone, à celle d‟ "entreprise émergente", d‟ "entreprise naissante", d‟ "entreprise

nouvellement créée", d‟ « entreprise en démarrage » ou encore d‟ « entreprise récemment

établie » à l'image, d'ailleurs de la littérature anglo-saxonne, où la notion de "nouvelle

entreprise" est souvent désignée par "new venture", "new firm", "newly founded firm", "new

business", ou encore "emerging business". Ce qui dénote d‟un véritable foisonnement

terminologique.

Plusieurs auteurs s'accordent qu'une entreprise nouvellement crée doit répondre à trois critères

importants : la petite taille, activité en démarrage et de surcroit une entreprise qui soit

indépendante (Bruyat, 1993, Shelton, 2005)

Fonrouge affirme, dans une recherche récente (Cécile Fonrouge, 2012) qu'une Ese n'est plus

réputée nouvelle si:

- elle obtient des performances comparables à celles du secteur

- elle ne rencontre plus de manière dominante les problèmes et les crises liés à son jeune âge

(problème de définition d'opportunités d'affaire, obtention de ressources et d'équilibre entre

ressources et dépenses, crise de crédibilité, de lancement et de liquidité)

- la logique d'entreprise domine celle de son fondateur en particulier.

Ces critères méritent d'être explicités pour mieux cerner l'objet de notre étude dans le présent

article.

S'agissant de l'un des critères distinctifs, évoqués par la littérature, de l'entreprise

nouvellement crée, à savoir la taille qualifiée généralement d' "étroite" ou "petite" voire même

"très petite". A cet effet, une petite entreprise au regard de la nouvelle définition marocaine

(validée en 2012) tient compte du seul critère du chiffre d‟affaires et fait abstraction du

nombre de ses employés. Est considérée comme de très petite taille, toute entreprise dont

l'effectif ne peut excéder 9 personnes et dont le chiffre d'affaire est évalué à moins de 3

millions de DH, en revanche celle de petite taille sont les Eses dont le chiffre d'affaire est

situé entre 3 et 10 millions de DH. C'est cette catégorie qui va constituer l'objet de notre

recherche.

Le second critère d'identification d'une Ese nouvellement crée, à savoir la "nouveauté", tient lieu

à la notion de cycle de vie empruntée à la théorie des organisations. Comme tout organisme

vivant, l'entreprise a un cycle de vie, comportant des stades de développement, dont la

conception, la gestation, la naissance, la croissance, le déclin et la mort. A cet égard, l'entreprise

nouvellement crée serait une Ese qui a dépassé la phase de conception et de gestation et qui, de

surcroit, se situe à la fin de la phase de démarrage. Ce critère repose sur la conception d'E.

Morin, reprise d'ailleurs par Bruyat (1993), selon laquelle il existerait des logiques

complémentaires, antagonistes et concurrentes entre les projets des acteurs et celui d'entreprise.

La nouvelle entreprise serait traversée par ces dialogiques faites de projets personnels érigés

en projet d‟entreprendre, tandis que l‟entreprise à "maturité" est portée par la seule logique

du projet d‟entreprise, “anticipation à caractère opératoire” d‟un futur collectif (Bréchet 1996,

p.89).

Généralement, les deux logiques (celles de l‟entreprise et de l‟individu) sont complémentaires,

les créateurs tentent de construire un projet d‟entreprise cohérent avec leur projet de vie.

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Cependant, il peut y avoir antagonisme et dans ce cas, on observe une lutte entre les intérêts de

l‟individu et ceux de l‟organisation. Si cette dernière gagne, exigeant par exemple le départ du

créateur, preuve est faite que la firme est autonome de son créateur, ou pour reprendre la

métaphore d‟une firme adolescente, elle s‟est détachée de son créateur-parent pour rentrer dans

l‟âge adulte (Archer A. « Un diagnostic de pré-démarrage pour les PME et les PE »). Le rapport

de forces entre logiques pencherait, tantôt du côté de l‟individu, tantôt vers celui de l‟Ese. A

l‟opposé, les entreprises installées se sont “autonomisées”: les projets de vie de leur(s)

fondateur(s) n‟influençant presque plus le cours de leur existence. Notons avec C. Fonrouge

(2012) que dans cette perspective, certaines firmes pourraient être considérées comme en

création pendant une durée considérable (plusieurs dizaines d‟années), alors que d‟autres

atteignent la maturité très vite (au bout de quelque mois). La présente étude se pencherait,

beaucoup plus, vers les Eses se trouvant au stade de lancement au sens donné par Gartner (1992)

puisque ce stade est le plus déterminant dans la réussite ou l'échec d'une Ese (Lorrain et

Dussault, 1988).

S'agissant du 3ème critère d'identification d'une Ese nouvellement créé, il tient lieu aux

typologies d'entrepreneuriat mises en place par Bruyat (1993) ou Bantel (1998) ou encore

Heirman et Clarysse (2004), lesquelles parviennent à identifier des configurations très

intéressantes associables à différentes stratégies et modes de croissance.

Quatre situations génériques de création d'entreprises ou archétypes ressortent de la typologie

proposée par Bruyat (1993): une création d'entreprise peut être le fruit d'un essaimage; d'une

franchise; d'une reprise ou encore d'une création ex nihilo.

La notion d‟essaimage désigne le soutien apporté par une entreprise à ses salariés pour la

création ou la reprise d‟une entreprise (Gartner 1985). Ce soutien peut notamment prendre la

forme : d‟informations, d‟un accompagnement méthodologique et technique, de formations,

d‟appuis logistiques, d‟un soutien financier au porteur de projet ou à l‟entreprise

nouvellement crées. Notons que l'essaimage est une formule encore récente au Maroc alors

qu‟elle a fait ses preuves ailleurs.

Deuxième type de création d'Ese est la création par franchise. Cette dernière met en relation

un franchiseur, entreprise qui souhaite se développer en utilisant cette modalité, et un

franchisé, individu qui veut créer une entreprise en appliquant cette formule (Paturel 2010).

La création en/ou par franchise n'étant pas une création pure et dure mais plutôt d'une

imitation d'un fonctionnement qui existe dans un contexte géographique donné, on a exclu ce

type de création de notre champ d'étude d'autant plus que la création en franchise bénéficie

d‟un accompagnement important de la part du franchiseur ce qui limite les risques inhérents à

la création d'Eses nouvelles.

L'entrepreneuriat peut être le fruit d'une reprise d'Ese déjà existante. Il s'agit de création d‟une

entreprise reprenant partiellement ou totalement les activités et les actifs d‟une entreprise

ancienne. La reprise d‟entreprise ou d‟activité présente une différence de taille avec la

création d‟entreprise. L‟organisation existe, elle n‟a pas à être crée. Si elle existe, il est alors

possible de s‟appuyer sur des données qui la décrivent dans son présent, son histoire, sa

structure et son fonctionnement. Dans ces conditions, l‟incertitude est généralement moindre

et les niveaux de risque beaucoup plus faibles que dans la création pure et dure.

Dernier type de création d'entreprise selon Bruyat est celui issu d'une création "ex nihilo". Il

s'agit d'une expression latine signifiant « à partir de rien ». Cette forme renvoie non seulement

à une indépendance juridique de la nouvelle entreprise créée car ne reposant sur aucune

structure préexistante, mais également à la nature innovante de la nouvelle activité entreprise

puisque reposant sur l‟exploitation de moyens et technologies.

Ce type de création présente une différence de taille avec les autres formes (Fayolle, 2003)

l‟organisation n‟existe pas auparavant, il s'agit de création innovation-aventure qui laisse

entendre des niveaux élevés de changement et de nouveauté respectivement pour le créateur et

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l'environnement; raison pour laquelle ce dernier type de création constituera le champ de

notre présente recherche.

1.2 Business failure : définition

Deuxième concept qui mérite d‟être clarifié est bel et bien la notion d‟Ese en état d‟échec. La

définition de cette notion s‟avère difficile en raison de la diversité des modes d‟analyse des

défaillances, des stades différents de gravité de la situation, de la rareté des critères permettant

de les déceler et de l‟hétérogénéité de leurs causes.

L‟approche de la défaillance d‟une entreprise peut être opérée en examinant ses aspects

économiques (la rentabilité et l‟efficacité d‟une unité de production) ou l‟aspect financier

(inhérent aux problèmes de trésorerie, à l‟importance des fonds propres de l‟entreprise et les

besoins de crédits). PAILLUSSEAU J. (1976). Si les professionnels mettent davantage

l‟accent sur telle ou telle de ces approches pour canaliser l‟entreprise en difficulté, le juriste

quant à lui a plutôt tendance à l‟observer au travers de la notion de cessation de paiements. Il

convient toutefois d‟observer, et à juste titre, avec NGUIHE KANTE P (2012) qu‟aucune de

ces manières d‟examiner l‟entreprise n‟est à même de fournir à elle seule un apport décisif à

l‟élaboration de la notion de l‟entreprise en difficulté, en raison de leur caractère fragmentaire

et des objectifs parfois différents qu‟elles poursuivent. Il s‟agit en outre d‟une notion

éminemment évolutive : on ne peut figer une situation par nature changeante et fluctuante

comme l‟est celle d‟une entreprise. A la limite, une entreprise d‟apparence prospère se trouve

toujours sous la menace de sérieuses difficultés.

Dans notre présente étude, nous avons traité un type particulier de difficultés auxquelles une

Ese peut être confronté à savoir l‟échec entrepreneurial communément connu en anglais sous

l‟expression « business failure ».

Dans une étude récente, Khelil et al. (2012) ont suggéré sept scénarios possibles d‟échec :

Échec total càd échec sur tous ses plans; Sortie avec déception de l‟entrepreneur càd cession

involontaire de l‟entreprise; Sortie avec destruction de ressources càd utilisation des fonds par

l‟entrepreneur à des fins personnelles et non pour assurer la survie et la croissance de son

entreprise; Survie marginale càd maintien de l‟entreprise accompagnée de la déception

l‟entrepreneur par rapport à sa situation ; Survie avec déception de l‟entrepreneur càd malgré

la réussite économique de l‟entreprise, l‟entrepreneur n‟arrive pas à concrétiser ses aspirations

et ses attentes initiales ; Survie avec destruction des ressources càd que l‟entrepreneur retire sa

satisfaction personnelle et maintient la survie de son entreprise; Sortie pour éviter une

destruction de ressources càd l‟entrepreneur, avant d‟atteindre le seuil critique des pertes,

conçoit au préalable une stratégie positive de sortie.

Pour notre présente étude, l‟échec entrepreneurial sera appréhendé par la cessation de

paiement de l‟Ese et de son activité. En d‟autres termes, la disparition de l‟Ese.

2. Les structures et programmes d'appui à la création d'Ese au Maroc

Depuis les travaux de Sammut (2001) on sait que l‟échec entrepreneurial est désormais lié aux

caractéristiques intrinsèques à l‟entrepreneur, aux ressources mais aussi et surtout aux

caractéristiques relatives à l‟environnement de l‟entrepreneuriat. Ce dernier élément revoie, entre

autres, aux dispositions mises en place pour favoriser l‟émergence d‟Ese nouvellement créée.

Les démarches d'accompagnement à la création d'entreprise sont désormais courantes et font

partie des préoccupations socio-économiques des collectivités locales (Fourcade, 1991). En

fait, le processus de création et de développement de l‟entreprise s‟inscrit dans un écosystème

constitué par les agents socio-économiques du territoire ou de la région concernée, en

l‟occurrence, les institutions locales, les réseaux de sous-traitances et de fournisseurs, les

structures de recherche, les organismes de formation et les financeurs actuels et potentiels.

Sous l‟influence croisée de ces agents, la région peut connaître de notables transformations

pour s‟assurer une dynamique économique favorisée par les pratiques d'accompagnement

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(Fayolle, 1994; Saporta, 1994). Ces actions contribuent à bâtir un environnement économique

favorable au phénomène entrepreneurial.

Au Maroc, les structures d'aide à la création d'entreprise sont nombreuses et proposent des

prestations allant de l'idée à sa concrétisation, et même de l'accompagnement post-création.

Dans cette section, il sera question d'appréhender les mesures et structures d'appui à la

création d'Ese au Maroc ainsi que le champ de leur intervention

Crédits" jeunes promoteurs"

En 1987 déjà, les pouvoirs publics ont mis en place une nouvelle modalité de financement

appelée «crédits jeunes promoteurs» concrétisée par la loi n° 36 /87, puis par la loi 13 /94, ce

qui a permis la mise en œuvre d‟un Fonds spécial d‟un milliard de DH pour la promotion de

la création de moyenne et petites Eses par de jeunes diplômés chômeurs. D‟autres

mécanismes ont été ensuite émis en œuvre par l‟État afin de promouvoir l‟entrepreneuriat des

jeunes

Au terme de plusieurs années de mise à l‟épreuve, les résultats obtenus par ces mécanismes

financiers apparaissent extrêmement faibles. Ceci peut s‟expliquer par plusieurs facteurs liés

essentiellement à la lenteur et complexité des formalités des crédits, les réticences manifestées

par les banques, le manque d'expérience des jeunes diplômés, etc.

Moukawalati L'un des dispositifs qui a été mis en place par les pouvoirs publics est celui du programme

Moukawalati, considéré comme le premier dispositif intégré d‟appui à la création des petites

entreprises au Maroc, permettant de lutter contre le chômage par le biais de l‟auto-emploi ou

emploi indépendant. Le principe est d‟aider toute personne désirant se lancer dans la création

d'Ese avec des prêts allant de 50000 à 250 000 DH.

Au moment du lancement de Moukawalati, les ambitions étaient énormes. Le programme

visait la création de 30 000 petites entreprises à l‟horizon 2008 et 90000 emplois. Toutefois, le

démarrage avait été difficile à cause de quelques problèmes (phase de création d‟entreprise

étant longue et contraignante : présélection, sélection, formalisation d‟un canevas projet,

étude technique, étude du marché, rectification du plan d‟affaire...). Le programme a été

ensuite revu en 2009 et les procédures ont été revues.

Les pouvoirs publics ont voulu, par ce programme, tirer leçon de l'expérience du "crédits

jeunes promoteurs". L'appui ne s'est pas limité uniquement aux aspects financiers mais il s'est

étendu également aux procédures administratives que les pouvoirs publics ont cherché à

simplifier puisque l‟inscription au programme se fait auprès d‟un seul guichet d‟accueil,

choisi par le porteur de projet. Quand la sélection est définitive, elle est soumise à une

procédure d‟accompagnement du porteur de projet sous forme de formation managériale,

administrative et financière, de simulation du Business Plan pour améliorer les capacités de

communication du candidat avant la présentation du dossier au financement bancaire.

Toutefois, les résultats du programme ont été au-dessous des ambitions affichées. Les

principales raisons de cet échec furent imputées, d'une part, à la réticence des banques, les

règles standards de prudence financière l'oblige, à suivre l‟approche du programme

Moukawalati d‟essence sociale et d'autres part aux lourdeurs des démarches administratives

inhérentes à la multiplication des intervenants : Centres régionaux d‟investissement (CRI),

Agence nationale pour la promotion de l‟emploi et des compétences (ANAPEC), banques,

avec des approches et logiques différentes.

Fondation banque populaire (FBP)

La Fondation Banque populaire pour la création d‟entreprise est l‟un des plus anciens

organismes à apporter une assistance en la matière au Maroc. Il s'agit d'une association à but

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non lucratif crée en 1991 et reconnue d‟utilité publique le 27 juin 2001. Elle fut crée pour

promouvoir l'acte d'investir, faciliter l‟accès au financement et former les porteurs de projets.

Ces mesures pré-création (élaboration d'un business plan, formation entrepreneuriale, stages,

création juridique et domiciliation) sont accompagnées par un suivi post-création des

entreprises récemment créées sous forme de formation managériale, réseautage, visites

pendant les 2 premières années de démarrage, etc.

Centre des jeunes dirigeants (CJD)

Le Centre des jeunes dirigeants (CJD) joue aussi un rôle assez important dans la promotion de

l‟esprit d‟entreprise. Cette association ouverte à des personnes âgées de moins de 40 ans tente

depuis sa création de démystifier la peur de l‟entrepreneuriat en prouvant par l‟exemple, à

travers ses jeunes membres, eux-mêmes chefs d‟entreprises, qu‟il est possible d‟entreprendre.

L’Association des femmes chefs d’entreprises (AFEM)

L'AFEM est une association indépendante créée le 28 septembre 2000 et constituée de

femmes qui dirigent des sociétés morales afin, entre autres, d'encourager la création

d‟Entreprises par les femmes. Ainsi, l'AFEM a été derrière le lancement d'un programme de

mentoring afin de renforcer l'autonomisation des femmes porteuses de projets. Et outre le fait

d'apporter un soutien et une assistance sur différents aspects (juridique, commerciale et de

gestion), l'association propose de l‟hébergement pendant 18 mois dans les locaux de

l‟incubateur avec accès gratuit aux outils de communication et à tous les services offerts :

bureau, téléphone, internet, plateforme logistique commune et ce pour une durée de 2 ans.

Maroc Entreprendre

Il s'agit d'une association qui parraine et accompagne les jeunes porteurs de projets sous forme

essentiellement de prêt d‟honneur sans intérêt, qui peut atteindre jusqu‟à 500.000 DH

remboursable sur 5 ans avec une année de différé. Mais, au-delà du soutien financier, le

réseau permet également aux porteurs de projets sélectionnés de bénéficier de l‟assistance et

du guidage d‟un accompagnateur, pendant 3 ans après le lancement du projet.

La particularité de cet accompagnement, qui dure au moins trois ans, est qu‟il est assuré par

des chefs d‟entreprises expérimentés qui sont, eux même, des membres du réseau.

L’Agence nationale pour la promotion de la PME (ANPME)

L‟ANPME a été crée en 2002 afin d'accompagner les PME dans leur processus de

Modernisation et d'amélioration de leur compétitivité. L'agence a lancé depuis 2010 un

programme d‟appui post-création au profit d'entreprises récemment créée visant

l‟amélioration de leurs revenus, la pérennisation de l‟emploi et l‟amélioration du taux de leur

survie.

Ce programme s‟articule autour de deux volets complémentaires: il s'agit, d‟abord, d'octroyer

un appui aux entreprises, adapté en fonction des résultats/besoins du diagnostic auquel sont

soumises les entreprises. Ensuite, un plan d‟action, s'étalant sur 2 ans, est mis en place et

concerne aussi bien l‟entreprise que l'entrepreneur lui-même. Les entreprises bénéficiaires

sont soumises à une évaluation à mi-parcours afin de confirmer le plan d‟action initial ou de

le réajuster.

Le programme d‟appui post-création comprend également l‟animation de forums d‟échange.

Au nombre d‟une vingtaine, ces forums sont destinés à favoriser l‟échange des meilleures

pratiques entre entreprises participantes en présence d‟institutions d‟appui, de clients,

banques.

Les Centres régionaux d’investissement (CRI)

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Créés en 2002, les CRI constituent une sorte de guichet unique pour la création d„entreprise.

Ils représentent l'interface entre le porteur de projet et les autres administrations (OMPIC,

CNSS, subdivision des Impôts, Tribunal de Commerce, Inspection du Travail et service de

légalisation).

Cette concentration des services administratifs se traduit par un formulaire unique à

renseigner par le créateur. Les délais de création se retrouvent ainsi réduits à une semaine

environ voire deux. Tout créateur est donc censé s‟adresser au CRI de la région

d‟implantation de son entreprise, en tant que point d‟entrée administratif et conseil en matière

de création d‟entreprise.

Le Réseau Maroc Incubation et Essaimage (RMIE)

Il s'agit d'un programme national de Soutien à l‟innovation, à l‟incubation d‟entreprises et à

l‟essaimage. C'est le Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique (CNRST)

qui en assure le pilotage. Le RMIE a pour mission de :

- Mener des actions de sensibilisation à l‟entreprenariat et à l‟essaimage à partir des

entreprises existantes.

- Coordonner le développement des incubateurs au Maroc.

- Assurer l‟accueil et l‟accompagnement de porteurs de projets au sein des incubateurs du

réseau.

- Assurer la formation des responsables d‟incubateurs et des pépinières d‟entreprises.

- Assister financièrement des porteurs de projets innovants pré- sélectionnés.

D‟autres organismes fournissent de l‟aide et du conseil en matière de création, il s‟agit des

chambres de commerce et d‟industrie (CCI) ou encore les fédérations sectorielles qui

fournissent aux jeunes créateurs des études de marché sectorielles, utiles pour la réalisation de

leur Business Plan. Reste à noter que certaines prestations sont payantes avec un prix

symbolique pour soutenir les nouvelles créations.

Le schéma ci-dessous élaboré par nos propres soins résume les principales structures d'appui à

la création d'Ese, et ce, selon les différentes étapes par lesquelles passe la création.

Tableau N° 1: Les programmes et organismes d’appui à la création d’Ese

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Source : adapté par nous même

3. Méthodologie adoptée

La méthodologie adoptée au niveau de cette étude fut d'ordre qualitatif, au moyen des

entretiens semi-directifs avec une vingtaine entrepreneurs. Ces entretiens ont été complétés

par des entrevues avec d'autres intervenants dans l'acte d'entreprendre (responsables des

structures ou programmes d'appui, banquiers, fiduciaires).

La catégorie d'entrepreneurs étudiée comprend des créateurs de petites Eses appartenant à

différents secteurs d'activités et se situant dans la zone urbaine de la région Gharb chrarda

Beni Hssen vu la difficulté d'accéder à ceux se situant en région rural et qui, de surcroit, n'ont

pas réussi à percer au-delà de 5 années d'existence (12 cas) ou au contraire ils ont réussi à

franchir ce cap (8 cas).

Le tableau ci-dessous nous renseigne sur la composition de l'échantillon étudié:

Tableau 2: Caractéristiques de l'échantillon étudié

Nature de la Formation de l'entrepreneur Effectif

Economie & Gestion 4

Sciences & techniques 8

Ingénierie 7

Lettres 1

Sexe

Homme 15

Femme 5

Situation de famille

Marié 8

Célibataire 12

10

Age se l'entrepreneur

25-35 7

35-45 8

Au-delà de 50 ans 5

Expérience précédente de l'entrepreneur (privé ou public)

Oui 7

Non 13

Appartenance à une famille d'entrepreneurs

Oui 5

Non

Secteur d'activité

Services 11

Industrie 1

Commerce 7

Artisanat 1

Taille de l'Ese

Micro 15

Petite 5

Résultats de l'étude empirique

Comme il a été avancé, précédemment, la méthode adoptée dans ce papier est qualitative. En

effet, on a procédé dans un premier temps à l'analyse des informations recueillis via les

entretiens réalisés avec les entrepreneurs dont les caractéristiques ont été présentées

auparavant. Il s‟agit d‟un corpus homogène car tous les entrepreneurs ont été interrogés avec

un guide d‟entretien centré sur la même thématique: les facteurs de réussite et ceux d'échec

des Eses nouvellement créées.

L'exploitation de ce corpus est faite par les techniques d'analyse de contenu et des

concomitances thématiques. En fait, l‟analyse de contenu d‟une réponse dans le cadre d‟un

entretien semi-directif fait partie des méthodes qui cherchent à dépasser le contenu manifeste

et explicite à atteindre par une analyse au second degré mettant en exergue un sens implicite

non immédiatement donné à la lecture (Mucchielli,1974; Ghiglione, Matalon et Bacri, 1985).

L'examen des facteurs pouvant favoriser la réussite, ou au contraire, la non réussite de l'Ese

nouvellement crée implique la prise en considération, simultanée, de cinq variables:

l'entrepreneur, les ressources financières, l'environnement, l'organisation et l'activité (Sylvie

Sammut 2001). C'est ces mêmes variables qui ont fait l'objet d'une analyse au niveau de notre

présente étude.

Il ressort ainsi, de l'analyse de la littérature, que l‟âge de l‟entrepreneur, son niveau

d‟instruction, ses expériences professionnelles, ses motivations, son appartenance familiale,

sociale, etc. mais aussi l'accès au financement, le réseautage, les structures d'appui à la

création, l'offre présentée, etc. conditionnent son succès ou son échec.

De l'entrepreneur

L'entrepreneur a une place centrale dans le système de gestion de l'entreprise nouvellement

crée c'est pour cette raison que nous nous sommes penché sur l'analyse des caractéristiques

des entrepreneurs avant l'examen des autres facteurs pouvant expliquer le phénomène étudié.

En effet, l‟âge du créateur influence la survie de son Ese. 60% des entreprises créées, par une

personne de plus de 40 ans, continuent à exister après la cinquième année (Pedezert, 1996).

Mais pour les créateurs de moins de 30 ans, 50% échouent avant 5 ans. Car souvent ils ont

peu de connaissance de l'entreprise et un niveau d'expérience assez faible. Le manque

d'expérience des jeunes entrepreneurs est souvent pénalisant. Il semblerait que la maturité

11

dont fait preuve, dans la plupart des cas, les créateurs de plus de 40 ans, en matière de choix

du secteur d'activité ou de créneau à adopter est souvent gratifiante.

Toutefois, l'âge du créateur n'est pas le seul facteur susceptible d'expliquer le succès d'une Ese

nouvellement crée. Un autre facteur semble prendre le dessus : est celui des traits de caractère

de l'entrepreneur lui même. Cet élément on a pu le vérifier via des discussions avec les

différents opérateurs traitant directement avec l‟entrepreneur. Ainsi, avoir une envie

d'entreprendre, avoir un esprit de compétition, savoir prendre des risques, des initiatives,

développer ses connaissances du secteur, être meneur d‟équipe, être responsable, etc.

favorisent le succès. La plupart, pour ne pas dire la totalité, des entrepreneurs interrogés sont

passé par des moments de doute, de stress, d'impuissance, d'insécurité et d‟hésitation entre la

continuité et la discontinuité entrepreneuriale. Mais seuls ceux, d'entre eux, ayant mis en

avant leur motivation et leur détermination à maintenir en vie leur entreprise malgré les

difficultés rencontrées ont réussi à maintenir en vie leur nouveau-né. Il semblerait, ainsi, que

l‟échec entrepreneurial est aussi associé à des facteurs psychologiques inhérents à la

personnalité de l'entrepreneur.

Toujours est-il, en matière de formation, les compétences pratiques, techniques et en gestion

(stratégie, comptabilité, techniques financières et commerciales) sont, de surcroît, un autre

facteur favorisant le succès de l'entrepreneur. Certains, créateurs d'Ese (plus de 50% des cas)

avouent avoir recours à des formations supplémentaires pour soutenir la réussite de leur

nouveau-né (formation en techniques de gestion en général: sur le business plan, comptabilité,

gestion financière, etc.). Toutefois, et contrairement à nos spéculations, l'appartenance au

champ disciplinaire sciences de gestion ne garantit pas forcément la réussite de l'affaire plus

de 65% des entrepreneurs dont le projet a abouti étaient issus du champ disciplinaire sciences

& techniques ou des sciences de l'ingénieur.

De plus, l‟activité antérieure du créateur influence inéluctablement la survie de l'Ese

(Pedezert, 1996). L'enquête nous a montré que, dans 70% des cas, les Eses ayant réussi à

franchir le cap de 5 années étaient généralement initiées par des anciens cadres ou employés.

Ces derniers tirent partie du réseau relationnel qu'ils ont pu tisser dans leurs anciennes

fonctions ou métiers. Seulement 17% des créations, dont le créateur est un ancien chômeur,

ont réussi à se développer et à percer. Le manque d'attachement à l'entrepreneuriat, de cette

dernière catégorie d'entrepreneur et non seulement l'insuffisance du réseau relationnel, peut

expliquer cet état de fait. Les entrepreneurs-anciens chômeurs se trouvent investis dans l'acte

d'entrepreneuriat, souvent, par pression et non pas par pure motivation à l'acte. C'est ce qu'on

appelle, d'ailleurs, "l'entrepreneuriat forcé". En revanche, les entrepreneurs-anciens employés

sont plus déterminés et plus motivés ce qui explique que face à des problèmes d'égale

importance la manière de les vaincre et l'ampleur donnée au problème est nettement

différente, l'épuisement psychologique de la deuxième catégorie en est certainement pour

quelques choses.

Enfin l'appartenance à une famille d'entrepreneurs, semble aider les nouveaux créateurs

d'entreprises. Les valeurs transmises par les parents à travers l'éducation ont une grande

importance dans la création. Mais ce dernier élément n'est pas très significatif dans notre

échantillon puisque seulement 15% des interviewés soutiennent que le réseau familial est

important pour la survie d'une affaire. Rappelant que les Eses crées dans le cadre d'une reprise

familiale ou autre n'ont pas été prises en compte dans notre présente étude (l'Ese existe déjà et

le changement de propriétaire ne signifie pas une création toute azimut).

De l'environnement de la création

Malgré l‟importance des travaux ayant montré le rôle joué par l‟entrepreneur, de sa

personnalité, de sa motivation et de son passé dans le succès ou l‟échec de son Ese, il convient

de préciser que ces facteurs ne peuvent être les seuls responsables au sort dévolu à la jeune

Ese. Ce qui rejoint, d‟ailleurs, les propos de Sandberg (1987) qui souligne que

12

«Entrepreneurial performance is not clearly related to the entrepreneur‟s need for

achievement, locus of control, risk preference, education or nonconformity. Entrepreneurial

success is associated with experience in startups and/or in similar line of business » (P.9). Au-delà, donc, des facteurs inhérents à l'entrepreneur lui même, une autre dimension, non

moins importante, semble avoir un impact important sur l'échec entrepreneurial c'est bel et

bien l'environnement global de la création. Ce dernier englobe à la fois les contraintes

"financières", "foncière", "administratives" et celles liées au "contexte de la création" de

manière général.

L'un des éléments le plus récurrents, ressortis par l'étude, et qui est d'ailleurs toujours présents

même pour les Eses ayant plus de 5 années d'existence est celui de l'insuffisance des

ressources financières. Plus de 70% des entrepreneurs interviewés pointent au doigt la

difficulté à trouver le financement nécessaire à leur projet. Les banques ne sont pas toujours

prêtes à financer des projets n'ayant pas fait leur preuve sur le marché. Les "business angels"

sont qualifiées par nos enquêtés par des "business demon" pour reprendre l'expression

formulée par l'un des interviewés et qui nous a profondément marqué. L'insuffisance des

fonds propres, pousse les entrepreneurs à solliciter le financement bancaire qui, dans la

plupart des cas, soit il fait défaut soit il est insuffisant. Le soutien familial (l'entourage de

manière général) reste, donc, la principale source de financement pour ces entrepreneurs en

mal de crédibilité voire même de légitimité vis à vis de leurs banquiers, dans l'attente de

premières recettes espérés du projet. Dans le cas où le produit et/ou service est en mal de

crédibilité vis à vis du marché (clients) et que les recettes tardent, les créateurs se trouveront

assez vite dans un état de cessation de paiement.

Au manque de ressources financières, s'ajoute les contraintes administratives. Les lourdeurs

administratives continuent de peser lourdement sur les jeunes entrepreneurs et ce, lors de la

création d'abord (en raison de la multiplicité des intervenants) et au cours des premières

années d'existence surtout lorsque la création a fait l'objet d'un soutien par l'un ou l'autre des

programmes d'appui. Cela nous renvoie directement à un troisième facteur inhérent à

l'environnement de la création à savoir les mesures d'accompagnement non financier.

Il n'est pas sans utilité de rappeler que la démarche choisie pour préparer le projet

entrepreneurial va déterminer la survie de la jeune entreprise: plus on prend de conseils plus

les chances de survie de l'Ese créée augmentent selon les études réalisées par l'Agence Pour la

Création d'Entreprise (APCE 1998).

Comme nous l'avons souligné auparavant, les pouvoirs publics au Maroc ont mis en place une

panoplie de mesures et de programmes d'appui dans la perspective de l‟aide au conseil à la

création et au management. Toutefois, il convient de remarquer que le nombre des organismes

qui soutiennent l'Ese est tel que l'entrepreneur est confronté à une multitude d'acteurs qui ont

parfois des intérêts et des motivations divergents. Cela est d'autant plus dommageable que le

créateur a besoin de s'appuyer sur un réseau de partenaires économiques qui ne lui apportent

pas seulement des ressources financières mais également des compétences globales et

durables et qui sont favorable à un apprentissage entrepreneurial.

Par ailleurs, l'approche de l'accompagnement se veut globale et ne répond pas aux besoins

spécifiques des entrepreneurs. Or, lors des premières années d‟existence, l‟entrepreneur a

besoin d‟un suivi personnalisé et de qualité et spécifique selon le parcours et la personnalité

de chaque créateur dans l'optique d'une meilleure appréhension de leur environnement

typique. Il s‟en suit alors que le dispositif d‟aide actuel n‟est pas suffisant pour assurer les

conditions de pérennisation des entreprises nouvellement créées.

A titre d‟exemple, les offres de formation en marketing, commerce et comptabilité sont plus

fréquentes. Certes intéressantes, mais trop globales et bien loin des besoins formulés par les

entrepreneurs. Leurs besoins seraient le plus porté sur des formations en étroite relation avec

l‟orientation stratégique de leurs projets et ont surtout besoin de conseils personnalisés par des

13

experts. Pire encore, une grande partie des interviewés affirment ne pas être au courant

des politiques de soutien mises en place par l'Etat. Ce qui dénote d‟un véritable

dysfonctionnement en matière de communication dans le domaine.

4. Quelques recommandations

Les principales recommandations à formuler afin d‟augmenter le nombre de créations et

favoriser la longévité des entreprises créées serait liées, justement, aux facteurs d‟échec

annoncés précédemment. Il s'agit de la diversification de l'offre de formation,

l'accompagnement de l'auto-emploi, la mise en place de véritables guichets unique pour

faciliter l‟acte de création en lui-même, stimuler l‟esprit d‟entrepreneuriat, sensibiliser les

différentes instances intervenant dans l‟acte d‟entrepreneuriat.

Il est essentiel de bien en saisir les aspects liés à la situation de l‟emploi, l‟âge, le profil et

l‟expérience de l‟entrepreneur, l‟étape où ce dernier se situe dans son parcours entrepreneurial

et le potentiel du projet et d‟agir sur chacune de ces dimensions. C‟est ainsi qu‟on pourra

accroître le taux de création et la durabilité des entreprises marocaines.

Développement de l'esprit d'entreprise

Les comportements et les références culturelles se forment dès le plus jeune âge,

l'enseignement peut contribuer de manière déterminante à la réussite du défi entrepreneurial.

Les cursus de formation doivent, ainsi, sensibiliser dès le plus jeune âge à l'esprit d'entreprise.

L'initiation des jeunes à cet esprit contribue à développer leur créativité, leur esprit

d'initiative, leur confiance en eux dans ce qu'ils entreprennent et les incite à se comporter

d'une manière socialement responsable.

Il convient donc que les pouvoirs publics créent un cadre cohérent permettant d‟établir une

coopération entre différents services, afin d'élaborer une stratégie dotée d'objectifs clairs pour

tous les niveaux d'enseignement. Les programmes scolaires doivent par ailleurs être révisés à

tous les niveaux (primaire, secondaire et supérieur) pour y introduire explicitement l'esprit

d'entreprise comme objectif d'éducation. Pour ce, il faudra que les écoles et les universités

bénéficient d'un soutien pratique et de mesures d'incitation pour intégrer l'esprit d'entreprise

dans leurs programmes, et ce, à l'aide d'un ensemble d'instruments (diffusion de matériel

didactique, financement de projets pilotes, dissémination de bonnes pratiques, promotion de

partenariats avec les entreprises, soutien à des organismes spécialisés dans la réalisation des

projets d'esprit d'entreprise avec les écoles, etc.).

Toujours dans la même lignée d‟idées, la formation d‟un esprit d'entreprise doit faire l'objet

d'une coopération étroite entre les établissements d'enseignements et les entreprises. Cette

participation doit être considérée par les entreprises comme un investissement à long terme et

comme un élément de leur responsabilité sociale.

Financement

Promouvoir l‟entrepreneuriat sans favoriser son financement serait une utopie. La crise

économique a entraîné un durcissement des contraintes réglementaires et prudentielles d‟où

une contraction du financement intermédié face à un certain type de demandes de

financement. Les acteurs traditionnels du financement répondent partiellement à certains

besoins : projets innovants mais disposant de sûretés suffisantes.

14

Cependant, des modes alternatifs de financement dans lesquels les banques permettant à des

particuliers de subvenir aux besoins de leurs projets. Nous attendons donc des banques

islamiques un effort en la matière.

Accompagnement des entrepreneurs

Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics au Maroc consacrent d‟importants efforts

financiers et humains au développement de l‟entrepreneuriat. Les interventions de soutien,

réalisées par des partenaires engagés dans leur milieu local, régional ou national, visent

l‟ensemble du processus entrepreneurial, depuis l‟amorce jusqu‟au démarrage du projet. Si

tout le monde s‟entend pour dire que ces efforts d‟accompagnement sont importants, tous

conviennent aussi qu‟il faut faire encore mieux et, parfois, autrement. Ainsi par exemple,

l‟entrepreneur doit être davantage placé au cœur de l‟approche d‟accompagnement. En

d‟autres termes, au lieu que celui-ci tourne autour des organismes pour obtenir du soutien, il

serait préférable que les organismes entourent de façon proactive l‟entrepreneur pour

l‟accompagner dans son projet, selon ses besoins particuliers.

Ceci est d‟autant plus vrai que, parfois, même les ressources et les services disponibles pour

soutenir les entreprises nouvellement crées sont méconnaissables par les entrepreneurs en

herbe. L„accompagnement doit être, par ailleurs, adapté aux besoins et aux défis des

différentes phases de la mise en place et surtout pendant la période charnière des premières

années (besoin de conseils et d‟accompagnement soutenus). On suggère dans ce sens des

mesures comme : la création d‟un portail Internet, qui pourrait être régionalisé, pour présenter

l‟aide offerte à toutes les étapes du processus entrepreneurial ; valoriser l‟appui apporté par

les organismes voués à l‟entrepreneuriat, de façon à faire connaître l‟expertise et les services

offerts dans la région ; instaurer une porte d‟entrée pour diriger plus efficacement

l‟entrepreneur vers les ressources les plus appropriées et favoriser l‟accès aux services de

proximité ; etc.

Conclusion

L‟objectif de ce papier est de mettre en exergue les facteurs responsables de la défaillance des

Eses nouvellement créées. Le fait d‟avoir une vision globale du phénomène et prendre

conscience des facteurs d‟échec permet de concevoir des stratégies qui l‟évitent ou du moins

l‟atténuent. De manière générale, l‟environnement de création entrepreneuriale, au Maroc,

apparait comme source de menaces et de contraintes ce qui crée chez les individus un

sentiment de faiblesse, accompagné le plus souvent d‟un sentiment d‟insécurité.

L‟échec entrepreneurial n‟est pas la conséquence exclusive de la présence ou de l‟absence des

éléments clés précédemment cités, mais c‟est le résultat de l‟interaction réciproque entre

l‟ensemble de ces dimensions.

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