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Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point problèmes économiques :HIKLTH=ZU[]UW:?k@a@k@e@f" M 01975 - 4H - F: 6,80 E - R D DOM : 7,10 € - MAROC : 76 MAD - TUN 11 DT - CF DOM : 7,10 € - MAROC : 76 MAD - TUN 11 DT - CF A 4500 comprendre HORS-SÉRIE SEPTEMBRE 20 13 NUMÉRO 4

Comprendre les politiques économiqueslivre.fun/LIVREF/F39/F039027.pdfla relance keynésienne ; la forte augmentation de l’endettement public dans la foulée a quant à elle jeté

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Page 1: Comprendre les politiques économiqueslivre.fun/LIVREF/F39/F039027.pdfla relance keynésienne ; la forte augmentation de l’endettement public dans la foulée a quant à elle jeté

Problegravemes eacuteconomiques invite les speacutecialistes agrave faire le point

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Directeur de la publication Xavier Patier

Direction de lrsquoinformation leacutegale et administrative Teacutel 01 40 15 70 00wwwladocumentationfrancaisefr

Imprimeacute en France par la DILADeacutepocirct leacutegal 75059 septembre 2013DF 2PE32760 ISSN 0032-9304CPPAP ndeg 0513B05932

680 euro

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HORS-SEacuteRIESEPTEMBRE 2013 NUMEacuteRO 4

comprendreLES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLa crise a jeteacute un nouveau regard sur les politiques eacuteconomiquesElle a notamment remis en question le consensus drsquoinspiration libeacuterale qui guidait lrsquoaction publique depuis une trentaine drsquoanneacuteesUne reacuteorientation est-elle agrave lrsquoœuvre depuis 2008

Ce numeacutero hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques rappelle les fondements des politiques eacuteconomiques et passe en revue les diffeacuterents instruments et objectifs en insistant sur les eacutevolutions les plus reacutecentes

Prochain numeacutero agrave paraicirctre Comprendre le capitalisme

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Lrsquoaccord national interprofessionneldu 11 janvier 2013

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Faut-il encadrer les hauts revenus

Quels deacutepassements des honorairespour les meacutedecins

Les trois crises de la politique culturellede lrsquoEacutetat en France

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Direction de lrsquoinformation leacutegale et administrative26 rue Desaix75015 Paris

Reacutedaction de Problegravemes eacuteconomiquesPatrice Merlot (reacutedacteur en chef)Olivia Montel-Dumont (reacutedactrice en chef des hors-seacuterie)Makus Gabel (reacutedacteur)Steacutephanie Gaudron (reacutedactrice)

PromotionAnne-Sophie Chacircteau

SecreacutetariatPaule Oury

29 quai Voltaire75344 Paris cedex 07Teacutel 01 40 15 70 00peladocumentationfrancaisefrhttpwwwladocumentationfran-caisefrrevues-collections problemes-economiques indexshtmlAbonnez-vous agrave la newsletter

AvertissementLes opinions exprimeacutees dans les articles reproduits nrsquoengagent que les auteurs

Creacutedit photoCouverture Getty imagesPage 3 Corbiscopy Direction de lrsquoinformation leacutegale et administrative Paris 2013

Conception graphiqueCeacutelia Petry Nicolas Bessemoulin

En vente en kiosque et en librairie(Adresses accessibles en ligne)

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LE TOURBILLON DE LA CRISELa crise a mis les politiques eacuteconomiques agrave rude eacutepreuve et jeteacute sur elles un nouveau regardDepuis une trentaine drsquoanneacutees lrsquoaction publique dans les eacuteconomies avanceacutees reposait sur unconsensus drsquoinspiration plutocirct libeacuterale tandis que le controcircle de lrsquoinflation et la maicirctrise desdeacutepenses publiques eacutetaient les maicirctres mots des politiques moneacutetaires et budgeacutetaires (lesecond objectif eacutetant toutefois tregraves ineacutegalement atteint) les politiques laquo structurelles raquofaisaient la part belle agrave la concurrence et aux meacutecanismes de marcheacute

Drsquoune ampleur et drsquoune dureacutee ineacutedites depuis la Grande Deacutepression la crise deacuteclencheacutee en2007 par les subprimes a deacutestabiliseacute cet eacutedifice Il est en effet apparu que non seulementlrsquoaction publique nrsquoa pas empecirccheacute la crise financiegravere et sa propagation agrave lrsquoensemble delrsquoeacuteconomie mais que certaines politiques ont mecircme favoriseacute son deacuteveloppement

Crsquoest le cas notamment de la politique moneacutetaire qui constituait pourtant le domainede lrsquoaction publique ougrave le consensus eacutetait le plus solide alliant eacuteconomistes dirigeantspolitiques et banquiers centraux Si lrsquoindeacutependance des banques centrales et lerecentrage de leur action sur le laquo ciblage drsquoinflation raquo ont permis des anneacutees drsquoinflationfaible les risques financiers globaux auxquels eacutetaient exposeacutees les eacuteconomies ont eacuteteacuteneacutegligeacutes Ainsi la politique meneacutee par la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine dans les anneacutees2000 aurait non seulement laisseacute ce risque de cocircteacute mais aurait contribueacute agrave la formationet agrave lrsquoeacuteclatement de la bulle des subprimes La seacuteveacuteriteacute de la crise a en outre contraintles banques centrales agrave mettre en œuvre des politiques laquo non conventionnelles raquo dontlrsquoabandon nrsquoest pas sans poser problegraveme Du cocircteacute des politiques budgeacutetaires quoiquelrsquoausteacuteriteacute reste de mise surtout dans la zone euro confronteacutee agrave une grave crise des dettessouveraines la reacutecession de 2008-2009 a remis sur le devant de la scegravene les principes dela relance keyneacutesienne la forte augmentation de lrsquoendettement public dans la fouleacutee aquant agrave elle jeteacute un eacuteclairage nouveau sur la question des regravegles budgeacutetaires celles duPacte de stabiliteacute et de croissance srsquoeacutetant reacuteveacuteleacutees insuffisantes

Au-delagrave du choc conjoncturel qursquoelle a infligeacute aux eacuteconomies avanceacutees la crise a acceacuteleacutereacuteles transformations de lrsquoeacuteconomie mondiale touchant de faccedilon beaucoup plus seacutevegravereles pays deacuteveloppeacutes elle a approfondi en leur sein le mouvement de deacutesindustrialisationet renforceacute la monteacutee en puissance des eacuteconomies eacutemergentes Dans ce contexte lapolitique industrielle longtemps reacuteduite agrave sa portion congrue au motif qursquoelle fausseles conditions de la concurrence connaicirct un renouveau De la mecircme faccedilon la volonteacute desauvegarder les activiteacutes et les emplois sur le territoire national rend le processus delibeacuteralisation des eacutechanges commerciaux plus conflictuel

Les politiques laquo structurelles raquo conservent neacuteanmoins les grandes dynamiquesdrsquoavant-crise Celles-ci sont mecircme accentueacutees dans certains cas par les neacutecessiteacutes delrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire Ainsi bien que lrsquoenvoleacutee du chocircmage alourdisse les deacutepensesdrsquoindemnisation la logique de lrsquolaquo activation raquo des politiques de lrsquoemploi se poursuitEt si les deacutepenses sociales progressent face agrave des besoins croissants la tendance agrave lalaquo privatisation raquo drsquoune partie de la protection sociale et son recentrage sur les cateacutegoriesles plus deacutefavoriseacutees nrsquoest pas remise en cause

Olivia Montel-Dumont

COMPRENDRELES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLes politiques eacuteconomiques pourquoi et comment P 5 Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions (Hubert Kempf)

P 12 Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publique (Christophe Demaziegravere)

P 18 Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeux (Sophie Brana)

P 27 Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels (Franck Lirzin)

P 33 Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire (Jeacuterocircme Creel)

P 39 Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France (Adrien Matray)

P 47 Comment eacutevaluer les politiques publiques (Antoine Bozio)

Instruments et objectifs des politiques eacuteconomiquesP 53 Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques (Gilbert Koenig)

P 61 La politique moneacutetaire quel renouvellement avec la crise (Christian Bordes)

P 77 Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisonseacutevolutions (Jacques Le Cacheux)

P 87 Les politiques sociales quel avenir (Philippe Batifoulier)

P 95 Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples (Christine Erhel)

P 104 La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens (Pierre-Noeumll Giraud)

P 111 La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation (Michel Rainelli)

P 120 Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de Washington (Philippe Hugon)

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 5

Dans les anneacutees 1970 le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui avait eacuteteacute eacutelaboreacute dans lrsquoapregraves-guerre et srsquoinspirait largement des preacuteceptes keyneacutesiens a voleacute en eacuteclat au profit drsquoun nouveau consensus inteacutegrant les avanceacutees de la macroeacuteconomie en particulier les tra-vaux sur les anticipations rationnelles Sur le plan microeacuteconomique ce sont les notions drsquoasy-meacutetrie drsquoinformation et de deacutefauts drsquoappariement qui ont le plus inspireacute lrsquointervention publique en particulier les politiques de lrsquoemploiLa crise eacuteconomique reacutecente a bousculeacute ce cadre surtout sur le plan macroeacuteconomique Le laquo ciblage drsquoinflation raquo et la maicirctrise des deacuteficits publics qui eacutetaient devenus les mots drsquoordre des politiques moneacutetaires et budgeacutetaires nrsquoont pas empecirccheacute la Grande Reacutecession ni la crise des finances publiques qui a suivi dans de nombreux pays avanceacutesHubert Kempf fait le point sur ce nouveau basculement du cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui a conduit agrave reconsideacuterer la reacuteglementation des marcheacutes et la question de la surveillance des risques financiers

Problegravemes eacuteconomiques

Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions

La crise eacuteconomique initieacutee avec lrsquoeffondre-ment du marcheacute des subprimes en 2007 estsinguliegravere agrave bien des titres Interminable ellea succeacutedeacute agrave une longue peacuteriode de prospeacute-riteacute marqueacutee par une croissance soutenue etreacuteguliegravere ainsi qursquoune inflation faible De lalaquo grande modeacuteration raquo nous sommes passeacutesagrave la laquo Grande Reacutecession raquo Cette reacutecession estdrsquoune ampleur ineacutedite la baisse de lrsquoactiviteacutea eacuteteacute brutale et forte surtout apregraves la faillitede Lehman Brothers en septembre 2008 elle

srsquoest propageacutee tregraves rapidement agrave lrsquoeacuteconomiemondiale enfin dans un second temps lesdifficulteacutes des finances publiques de certainspays membres de lrsquoUnion europeacuteenne (UE) ontplongeacute celle-ci dans une crise majeure qui a ali-menteacute le ralentissement eacuteconomique mondial

Le cadre theacuteorique drsquoavant-criseLa politique eacuteconomique dans son aspectmicroeacuteconomique comme macroeacuteconomiqueest tributaire des avanceacutees de la recherchetant theacuteorique qursquoappliqueacutee mais aussi delrsquoanalyse des expeacuteriences acquises au tra-vers des programmes effectivement mis enplace par les gouvernements qui constituentautant drsquoexpeacuterimentations nourrissant la

HUBERT KEMPF

Eacutecole normale supeacuterieure de Cachan et Eacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 6

reacuteflexion Sur le plan microeacuteconomique ilnrsquoest pas possible de dire qursquoun consensusexistait avant 2007 mecircme si les principes delrsquointervention publique eacutetaient indiscuteacutesSur un plan macroeacuteconomique en revancheon peut eacutevoquer un consensus partageacute au seindu monde acadeacutemique ainsi que par les pra-ticiens en particulier les banquiers centraux

Les politiques microeacuteconomiques

Si les deacutefaillances de marcheacute sont reconnuescomme lrsquoune des principales justifications delrsquointervention publique il nrsquoy a pas drsquouna-nimiteacute sur la faccedilon de les analyser et drsquoenappreacutecier la porteacutee En microeacuteconomie deuxvoies drsquoanalyse ont eacuteteacute privileacutegieacutees La pre-miegravere porte sur les deacutefauts drsquoajustement etdrsquoappariement entre offreurs et demandeurs la seconde concerne les asymeacutetries drsquoinforma-tion entre agents et le deacuteveloppement de stra-teacutegies opportunistes De plus une partie desproblegravemes microeacuteconomiques peut ecirctre analy-seacutee comme reacutesultant des deacutefaillances de lrsquoEacutetatqui mesure mal ou refuse de tenir compte deseffets pervers de ses interventions

Le fonctionnement du marcheacute du travailfournit un bon exemple de cette diversiteacute depoints de vue Pour les uns les problegravemes dece marcheacute seraient dus agrave des rigiditeacutes quiamplifient les difficulteacutes drsquoappariement entreemployeurs et salarieacutes et deacutecourageraientune partie de la population en acircge de travail-ler de rechercher activement et efficacementun emploi Selon cette approche il faut doncdeacutereacuteglementer pour ameacuteliorer la flexibiliteacutede lrsquoemploi Pour les opposants agrave cette ana-lyse les conditions de lrsquoemploi font partie ducontrat social et en particulier du contratimplicite entre employeur et salarieacute Il estdonc raisonnable que lrsquoemployeur assurele salarieacute contre les risques portant sur sareacutemuneacuteration le cas eacutecheacuteant par le biaisdrsquoune reacuteglementation contraignante

De mecircme sur les marcheacutes des biens cer-taines deacutefaillances deacutecouleraient de la dif-ficulteacute drsquoassurer les conditions drsquoune bonneconcurrence ou du poids de reacuteglementationsexcessives ou mal penseacutees Mais a contrario le marcheacute peut deacutegager des incitations insuf-fisantes pour que soient mis en œuvre les

CLCLAASSER LES POLITIQUESSSER LES POLITIQUESEacuteEacuteCCONOMIQUESONOMIQUESIl esIl est usuel drsquoopposer lt usuel drsquoopposer les politiqueses politiques

cconjoncturonjoncturellelles aux politiques ses aux politiques structurtructurellelleses

Les politiques cLes politiques conjoncturonjoncturellelles visentes visent

agrave sagrave sttabiliser labiliser lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique etonomique et

en particulier agrave ren particulier agrave reacuteduireacuteduire le les ves variationsariations

cconjoncturonjoncturellelles autes autour de la tour de la tendancendance dee de

llong tong terme de lerme de lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie Les politiquesonomie Les politiques

sstructurtructurellelles visent quant agrave elles visent quant agrave elles agrave modifieres agrave modifier

la sla structurtructure pre productivoductive et le et les cires circuits decuits de

disdistribution de ltribution de lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

Les politiques cLes politiques conjoncturonjoncturellelles res rececensentensent

trtraditionnelladitionnellement la politique budgeacutetement la politique budgeacutetairairee

(incluant l(incluant le ve vololet fiscet fiscal) et la politiqueal) et la politique

moneacutetmoneacutetairaire La politique de le La politique de lrsquoemplrsquoemploi la politiqueoi la politique

indusindustrielltrielle et le et les politiques sociales politiques sociales sont deses sont des

eexxemplemples de politiques ses de politiques structurtructurellelleses

Cependant lCependant les politiques ces politiques conjoncturonjoncturellelleses

cconnaisonnaissent des inflesent des inflexions sxions structurtructurellelleses

ccomme lomme les changements de ses changements de strtratateacutegieeacutegie

moneacutetmoneacutetairaire ou le ou les ces controntraintaintes juridiques mises agravees juridiques mises agrave

llrsquoemplrsquoemploi des insoi des instruments budgeacutettruments budgeacutetairaires et fisces et fiscauxaux

Il esIl est donc prt donc preacutefeacutefeacutereacuterablable et ce et coheacuteroheacuterent avent avecec

llrsquoanalrsquoanalyse eacutecyse eacuteconomique de disonomique de distinguertinguer

politiques macrpolitiques macroeacutecoeacuteconomiques et politiquesonomiques et politiques

micrmicroeacutecoeacuteconomiques Les pronomiques Les premiegraveremiegraveres visentes visent

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llrsquoeacutecrsquoeacuteconomie dans son ensemblonomie dans son ensemble te tandis queandis que

lobjectif des seclobjectif des secondes esondes est de modifier lt de modifier leses

cconditions de londitions de lrsquooffrrsquooffre et de la demande sur dese et de la demande sur des

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Hubert KempfHubert Kempf

ZOOM

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 7

efforts drsquoinnovation qui maximisent le bien-ecirctre collectif ce qui appelle donc agrave la mise enplace drsquoune politique scientifique publique

Enfin concernant le financement de lrsquoeacutecono-mie il eacutetait admis que les marcheacutes financiersmodernes eacutetaient devenus efficaces gracircce auprogregraves des techniques de connexion et desinnovations financiegraveres rendues en particu-lier possibles par un mouvement de deacutereacutegle-mentationAu final ce mouvement initieacute dansles anneacutees 1980 aurait permis aux marcheacutesdrsquoatteindre la maturiteacute et de srsquoauto-reacuteguler

Les politiques macroeacuteconomiques

Un nouveau modegravele canonique issude la synthegravese neacuteo-keyneacutesienneLe consensus en matiegravere de politiques macro-eacuteconomiques srsquoest fondeacute sur des progregravesmeacutethodologiques dans la continuation dela reacutevolution des anticipations rationnellesinitieacutee en 1972 par Robert Lucas Les macro-eacuteconomistes ont mis au point des modegravelesdrsquoeacutequilibre geacuteneacuteral dynamiques et stochas-tiques agrave des fins de reproduction des dyna-miques eacuteconomiques reacuteellement constateacuteesCes modegraveles sont mieux fondeacutes et plus signi-ficatifs que les modegraveles eacuteconomeacutetriquesqui se deacuteveloppegraverent dans les anneacutees 1960-1970 puisqursquoils explicitent les conditionsdrsquoeacutequilibre les contraintes budgeacutetaires desdiffeacuterents agents et leurs comportementsintertemporels De plus ils permettent dessimulations de politique eacuteconomique permet-tant de prendre en compte la reacuteponse immeacute-diate et retardeacutee des agents eacuteconomiques agravedes mesures de politique eacuteconomique

Un modegravele canonique qualifieacute de laquo synthegraveseneacuteo-keyneacutesienne raquo srsquoest deacutegageacute agrave la fin desanneacutees 1990 Il est drsquoune remarquable sim-pliciteacute alors mecircme qursquoil repose sur des fonde-ments microeacuteconomiques clairs et incorporedes rigiditeacutes nominales1 Ce modegravele metlrsquoaccent sur le caractegravere indeacutetermineacute de ladynamique eacuteconomique en particulier nomi-nale Cela explique que lrsquoune des responsa-biliteacutes eacuteminentes de la politique moneacutetairesoit lrsquoancrage des anticipations les autoriteacutes

moneacutetaires doivent srsquoassurer qursquoelles se coor-donnent sur un sentier drsquoeacutevolution futurestable et connu de tous2

Cette simpliciteacute mecircme a occasionneacute la neacutegli-gence des pheacutenomegravenes financiers en par-ticulier ceux lieacutes agrave la distribution du creacuteditbancaire dans lrsquoeacuteconomie jugeacutes empirique-ment neacutegligeables

Une politique moneacutetaire au premier plancentreacutee sur le laquo ciblage drsquoinflation raquoLa mise en avant de lrsquoancrage des anticipa-tions a donneacute une importance particuliegravere agravela politique moneacutetaire Il eacutetait admis que labanque centrale disposait drsquoune capaciteacute decontrocircle direct du taux drsquoinflation Les mar-cheacutes financiers devenus deacutereacuteglementeacutes etsuffisamment sophistiqueacutes le taux drsquointeacuterecirctdu marcheacute moneacutetaire controcircleacute par la banquecentrale se transmettait sans frictions agrave lrsquoen-semble des taux et donc agrave la sphegravere reacuteelleLegs des recherches des anneacutees 1980 lrsquoeffi-caciteacute de lrsquoancrage des anticipations deacutepen-dait de la creacutedibiliteacute de la banque centraleagrave tenir ses engagements dans le futur Cettecreacutedibiliteacute requeacuterait lrsquoindeacutependance de lrsquoins-titut drsquoeacutemission Cela a donneacute lieu agrave unestrateacutegie qui est devenue de plus en pluspopulaire dans les anneacutees 1990 le laquo ciblagedrsquoinflation raquo3

Des politiques budgeacutetaires limiteacuteesagrave la reacuteduction des deacuteficits publicsLa perception de la politique budgeacutetaire (etfiscale) avant la crise ouverte en 2007 estinverse agrave celle de la politique moneacutetaireDrsquoune part son utiliteacute apparaicirct moindrepuisque la laquo grande modeacuteration raquo associeacutee agravela maicirctrise de lrsquoinflation semble montrer lesuccegraves drsquoune intervention minimale de lrsquoEacutetatet le bon fonctionnement des marcheacutes deacutereacute-glementeacutes Dans le mecircme temps son efficaciteacuteest contesteacutee par de nombreuses eacutetudes uni-versitaires La valeur du multiplicateur estmise en question et semble bien infeacuterieure agravece que deacutefendent ses partisans Au contrairedes strateacutegies drsquolaquo ajustement budgeacutetaire raquosemblent concluantes car la diminution du

[1] On dit qursquoil y a desrigiditeacutes nominales

lorsque les variablesnominales (hors effet

prix) srsquoajustent mal auxmodifications drsquoautresvariables Par exemple

les salaires laquo nominaux raquondash les salaires

afficheacutes ndash sontrelativement rigides

surtout agrave la baisse ils sont neacutegocieacutessur des peacuteriodes

relativement longueset font lrsquoobjet de

normes et conventionsLes prix sont en

revanche plus flexibleset par ce biais il peuty avoir une variationdes salaires laquo reacuteels raquo

(rapport du salairenominal aux prix) mecircmesi les salaires nominaux

sont constants

[2] Sur la questionde lrsquoancrage

des anticipations voirle zoom de Christian

Bordes p 62

[3] Idem

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 8

deacuteficit public est alleacutee de pair dans certainspays avec lrsquoexpansion eacuteconomique la crois-sance de lrsquoemploi public semble correacuteleacutee aveclrsquoaugmentation du chocircmage Crsquoest ce qui res-sort de quelques expeacuteriences marquantescomme au Danemark et en Suegravede dans lesanneacutees 1980-1990Enfin des recherches sur laprise de deacutecision budgeacutetaire avancent que lesresponsables gouvernementaux ont des preacute-occupations laquo court-termistes raquo et souventpurement eacutelectoralistes qui les conduisent agraveune gestion laxiste des finances publiques4

Dernier eacuteleacutement du consensus implicite dansles deacuteveloppements preacuteceacutedents les poli-tiques budgeacutetaires et moneacutetaires sont indeacute-pendantes et il nrsquoy a pas lieu de se soucier deles coordonner

Un consensus bousculeacute par la crise

Ces options de politique eacuteconomique ont joueacuteun rocircle important dans la dynamique du pro-cessus reacutecessif et sont parfois incrimineacuteescomme responsables de son deacuteclenchementCe retournement exceptionnel est donc alleacutede pair avec une remise en cause des justifica-tions theacuteoriques de la politique eacuteconomique

La reacutecession a pris par surprise les respon-sables des politiques eacuteconomiques gouver-nements et banques centrales Lrsquoapparitionde paniques bancaires la faillite drsquoune ins-titution financiegravere drsquoimportance mondialecomme Lehman Brothers le quasi assegraveche-ment du marcheacute interbancaire en quelquesheures le ralentissement massif du com-merce international ducirc agrave un resserrementbrutal des creacutedits lieacutes aux exportations etpar voie de conseacutequence une spirale deacutepres-sive soudaine et geacuteneacuterale agrave partir de la fin de2008 ont forceacute gouvernements et banquescentrales agrave des actions rapides fortes et ini-maginables quelques mois auparavant

Les banques centrales furent les premiegraveres agraveagir et mirent en place degraves 2007 des politiquesnon-conventionnelles consistant agrave ouvrir denouvelles faciliteacutes de creacutedit aux banquesou agrave racheter directement des titres publicsou priveacutes pour faciliter le financement des

agents non-financiers Les Treacutesors publicsont reacuteagi plus lentement parce que le proces-sus de deacutecision budgeacutetaire est plus lent maisavec tout autant de deacutetermination La deacutegra-dation des finances publiques est manifestemais teacutemoigne de lrsquoactivisme budgeacutetaire dontont fait preuve les Eacutetats

Les politiques de crise amegravenentagrave repenser la politique eacuteconomiqueLes principes de lrsquointervention microeacutecono-mique de lrsquoEacutetat restent au moins aussi preacute-gnants rocircle des incitations neacutecessiteacute drsquounereacuteglementation souple refus drsquoun inter-ventionnisme conqueacuterant systeacutematique etgeacuteneacuteral Mais la doctrine et la theacuteorie de lapolitique macroeacuteconomique dominantes sonten crise

Des principes de politiquemicroeacuteconomique preacuteserveacutes maisrevus pour les marcheacutes financiers

Pour ce qui est du marcheacute du travail la crisequi a toucheacute de faccedilon diffeacuterencieacutee les paysselon leur capaciteacute agrave effectuer des ajuste-ments microeacuteconomiques pour assurer leurcompeacutetitiviteacute et leur reacutesilience aux chocsa eu une conseacutequence claire la puissancepublique doit privileacutegier la flexibiliteacute dumarcheacute du travail et deacutemanteler un appareilreacuteglementaire souvent asphyxiant

Une autre leccedilon de la crise est largement par-tageacutee agrave savoir la remise en cause de lrsquoideacuteeque les marcheacutes financiers sont efficaces Siles outils microeacuteconomiques agrave la disposi-tion des financiers permettent une gestionsophistiqueacutee du risque cela les amegravene agrave enassumer davantage sans prendre consciencedes effets agreacutegeacutes De fait les responsablespublics ont eux aussi neacutegligeacute les dangers demarcheacutes censeacutes srsquoautoreacuteguler Les marcheacutesfinanciers doivent donc ecirctre re-reacuteglementeacutesUne prioriteacute est drsquoappliquer les concepts dela theacuteorie de lrsquoasymeacutetrie drsquoinformation agrave lafinance et agrave lrsquoeacuteconomie bancaire de faccedilon agrave

[4] Sur les politiquesbudgeacutetaires voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de GilbertKoenig pp 53-60

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 9

comprendre les imperfections financiegraveresmais aussi pour mieux comprendre la reacutegle-mentation agrave mettre en place puisque la puis-sance publique sera toujours moins bieninformeacutee des conditions de marcheacute que lesopeacuterateurs eux-mecircmes

Le bien-fondeacute drsquoune intervention publiquesur les marcheacutes des biens en particulier parle biais drsquoune politique industrielle reste tou-jours deacutebattu Mais le consensus est toujoursque la puissance publique a un rocircle agrave jouerdans le soutien agrave lrsquoinnovation scientifique ettechnologique5

Le cadre des politiquesmacroeacuteconomiques en crise

Les risques financierset les pheacutenomegravenes de crise neacutegligeacutes

En ce qui concerne les politiques macroeacuteco-nomiques la remise en cause des principesdrsquoavant-crise est massive et touche chacundes preacutesupposeacutes du consensus qui srsquoest eacutela-boreacute depuis le deacutebut des anneacutees 1970 lorsqueles eacuteconomistes ont entrepris drsquoeacutetablir lesfondements microeacuteconomiques des pheacuteno-megravenes macroeacuteconomiques Il ne faut passous-estimer la feacuteconditeacute et la creacuteativiteacute dumonde acadeacutemique confronteacute agrave ces incerti-tudes Les reacuteflexions actuelles deacuteboucherontagrave nrsquoen pas douter sur un nouveau consensusqui fera sa place aux imperfections finan-ciegraveres et bancaires ainsi qursquoaux pheacutenomegravenespeu freacutequents Il est en revanche impossiblede dire srsquoil sera precirct agrave temps et pour com-prendre et preacutevenir la prochaine crise

Il ne peut ecirctre question de nier ou de tenirpour nul les importants progregraves de lamacroeacuteconomie depuis les anneacutees 1970 Lesmeacutethodes de modeacutelisation et drsquoestimationeacuteconomeacutetrique sont deacutesormais sophistiqueacuteeset pertinentes pour appreacutecier une reacutealiteacute tou-jours plus complexe

Mais la premiegravere geacuteneacuteration de modegraveles issusde cette meacutethodologie a deacuteboucheacute sur unmodegravele canonique trop rudimentaire inca-pable drsquoanalyser et drsquointerpreacuteter la rupture

de 2007 et ses conseacutequences Le deacutefi est drsquoob-tenir un modegravele raisonnablement simple etdonc utilisable pour les pouvoirs publics etles autoriteacutes moneacutetaires qui integravegre en mecircmetemps les imperfections financiegraveres lieacutees auxproblegravemes drsquoasymeacutetrie drsquoinformation et per-mette ainsi de formaliser les options de poli-tique macroeacuteconomique face aux risquesfinanciers

Surtout il apparaicirct clairement que les pheacute-nomegravenes de crise peu freacutequents irreacutegulierset par lagrave-mecircme difficiles agrave preacutevoir ont eacuteteacuteneacutegligeacutes Ils sont lieacutes agrave des prises de risquesfinanciers eacuteleveacutees Ces risques sont mal eacuteva-lueacutes par les agents eacuteconomiques car ils nepeuvent ecirctre correctement appreacutecieacutes qursquoauniveau macroeacuteconomique par une analysedes deacuteseacutequilibres structurels des bilans desagents et des institutions

Le renouveaudu rocircle des banques centralesLa crise a brutalement rappeleacute que lesbanques centrales ont une double mission outre la deacutetermination du taux drsquointeacuterecirctelles doivent garantir la viabiliteacute du sys-tegraveme de paiement dont deacutependent les fluxeacuteconomiques Le rehaussement de la fonc-tion prudentielle des banques centrales dansses dimensions micro et macroeacuteconomiquesnrsquoest quasiment pas discuteacute Cette fonctionimplique tant la surveillance ex ante drsquoindica-teurs de risque financier comme la structuredu bilan des banques et le ratio drsquoendette-ment (par rapport aux eacuteleacutements du passif nongarantis) que lrsquointervention ex post en cas defaillite bancaire ou de crise systeacutemique

En matiegravere de politique moneacutetaire lrsquoancragedes anticipations ne peut suffire agrave assurer lastabiliteacute macroeacuteconomique Les contraintesde financement et drsquoaccegraves aux marcheacutes finan-ciers srsquoavegraverent deacuteterminantes et sujettes agravedes variations brutales En drsquoautres termesla fonction de demande de monnaie ou encorela distribution du creacutedit ne peuvent ecirctreconsideacutereacutees comme stables

Ainsi un nouveau cadre institutionnel se meten place dont la coheacuterence avec la politique

[5] Sur la politiqueindustrielle

cf dans ce mecircmenumeacutero lrsquoarticle

de Pierre-Noeumll Giraudpp 104-110

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 10

moneacutetaire nrsquoest pas assureacutee La reacuteglemen-tation prudentielle des banques et des ins-titutions financiegraveres srsquoaccroicirct sans que lesconseacutequences macroeacuteconomiques de ce ren-forcement soient explicitement prises encompte Les banques centrales sortent ren-forceacutees de la crise eacuteconomique actuelle alorsmecircme qursquoon peut srsquointerroger sur leur soli-diteacute et leur clairvoyance un mandat pluslarge une capaciteacute drsquoaction plus grande desinstruments drsquoaction plus nombreux et moinsdiscuteacutes Pas neacutecessairement plus transpa-rentes probablement moins indeacutependantesdes pouvoirs politiques qursquoon ne le disait oulrsquoespeacuterait les banques centrales sont plus envue mais peut-ecirctre plus fragiles

Lrsquoutiliteacute de la politiquebudgeacutetaire reconsideacutereacutee

Parallegravelement se produit une reacuteeacutevaluation delrsquoutiliteacute de la politique budgeacutetaire LrsquoEacutetat aagrave la fois la possibiliteacute et la leacutegitimiteacute neacuteces-saire pour reacutepondre agrave des chocs majeurs neserait-ce qursquoen laissant fonctionner les laquo sta-bilisateurs automatiques raquo6 Ne pas le faireexpose agrave une aggravation catastrophiquede la reacutecession Les recherches reacutecentes surla valeur du multiplicateur ont abouti agrave laconclusion qursquoil valait mieux parler desmultiplicateurs car lrsquoefficaciteacute drsquoune poli-tique de deacuteficit varie en fonction des circons-tances Lrsquoefficaciteacute drsquoune politique de relancenrsquoest pas la mecircme en phase de reacutecession oudrsquoexpansion selon le niveau de lrsquoendette-ment public et la neacutecessiteacute drsquoeacutequilibrer rapi-dement les comptes publics Surtout elle estaccrue lorsque le taux drsquointeacuterecirct a atteint salimite infeacuterieure Dans cette configurationune action de relance budgeacutetaire aboutit agraveune baisse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel via lrsquoinfla-tion ce qui est un facteur expansif car leseffets drsquoeacuteviction ne sont pas agrave redouter7

Mais la crise a montreacute la difficulteacute de deacutefi-nir avec rigueur la contrainte budgeacutetaire delrsquoEacutetat LrsquoEacutetat peut devoir se porter rapide-ment au secours de tel ou tel secteur en par-ticulier devoir renflouer le secteur bancaireLa soutenabiliteacute de la dette publique reste un

impeacuteratif mais les conditions pour satisfairecette obligation sont toujours plus opaques

Agrave la lumiegravere de la conjoncture reacutecente la poli-tique budgeacutetaire semble ainsi beaucoup plusdeacutelicate et difficile agrave manipuler qursquoon ne lepensait il y a dix ans elle srsquoavegravere en outrelargement deacutependante des conditions finan-ciegraveres dans lesquelles elle est meneacutee Sonefficaciteacute mecircme reacuteeacutevalueacutee apparaicirct toujoursincertaine la position patrimoniale de lrsquoEacutetatpeut se deacutegrader tregraves brutalement et durable-ment la restauration des comptes publicsest difficile et prend du temps surtout quandelle est incomprise par lrsquoopinion publique

Nouveaux paradoxessur le rocircle de lrsquoEacutetatLa remise en cause du cadre theacuteorique de lapolitique eacuteconomique est donc moins forteqursquoon aurait pu le penser Plus largementla crise a fait apparaicirctre un fait majeur etincontournable il est impossible de penserles marcheacutes en opposition avec lrsquoEacutetat La libeacute-ralisation des marcheacutes qui fut le mantra desanneacutees de la laquo grande modeacuteration raquo ne peutse concevoir comme une absence drsquoEacutetat Pourbien fonctionner les marcheacutes doivent ecirctreencadreacutes par la puissance publique Sinoncelle-ci doit intervenir massivement pourempecirccher lrsquoeffondrement geacuteneacuteraliseacute de lrsquoeacuteco-nomie et la crise sociale qui srsquoensuivrait Lespouvoirs publics doivent assumer les risquesque lrsquoeacuteconomie de marcheacute ne peut eacutelimineret en premier lieu le risque de crise Il endeacutecoule trois conseacutequences

ndash les outils reacuteglementaires deacutefinissant lecadre des marcheacutes et les contrats que peuventnouer les agents priveacutes sont agrave nouveau consi-deacutereacutes comme indispensables Leur finaliteacute estde minimiser le risque potentiel que lrsquoEacutetatdevrait assumer Toutefois ils doivent impeacute-rativement eacutevoluer en mecircme temps que lesmarcheacutes se transforment

ndash il est primordial de disposer drsquoun systegravemefiscal solide capable de fournir les ressources

[6] Voir encadreacute p 55

[7] Une des critiquesadresseacutees agrave la politiquebudgeacutetaire est qursquoellecreacutee un effet drsquoeacutevictionpar le taux drsquointeacuterecirct la hausse du deacuteficitpublic provoqueune offre accruede titres publics quifait augmenter le tauxdrsquointeacuterecirct Cet effet estdrsquoautant plus limiteacute queles autoriteacutes moneacutetairesmaintiennent les tauxdrsquointeacuterecirct agrave un niveaufaible

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 11

neacutecessaires agrave lrsquointervention publique maisaussi de limiter les risques qui lui sont lieacutesau premier rang desquels il faut ranger lesurendettement public

ndash enfin parce que lrsquoeacuteconomie est deacutesormaismondialiseacutee la regraveglementation publique desmarcheacutes ne peut se concevoir que dans laconcertation des Eacutetats Crsquoest ce qui expliqueles tentatives drsquoharmonisation bancaire etfinanciegravere meneacutees sous lrsquoeacutegide de la Banquedes regraveglements internationaux (BRI) ndash quiabrite le Comiteacute de Bacircle ndash ou la lutte contreles paradis fiscaux discuteacutee lors des ren-contres de chefs drsquoEacutetat et de gouvernement

Deux paradoxes eacutemergent Le premier estqursquoalors mecircme que lrsquoefficaciteacute globale desmarcheacutes agrave assurer une croissance stable etsoutenue est mise en doute leur efficaciteacutemicroeacuteconomique elle nrsquoest pas contesteacuteeLe succegraves pour ce qui est du chocircmage desreacuteformes du marcheacute du travail allemand meneacutepar le gouvernement Schroumlder au deacutebut desanneacutees 2000 en est une illustration claire Aucontraire mecircme puisque personne ne deacutefendque lrsquoEacutetat puisse intervenir efficacement etfinement dans lrsquoallocation des ressources Agravecela une raison probablement dominante lamondialisation et la libeacuteralisation des mar-cheacutes sont irreacuteversibles et il est illusoire depenser qursquoun Eacutetat puisse seacuterieusement fairemieux en matiegravere drsquoallocation des ressources

Le second paradoxe est plus subtil La crisea conduit agrave une reacuteeacutevaluation du rocircle institu-tionnel de lrsquoEacutetat preacutepareacutee par des travauxscientifiques sur la conception des institu-tions et sur la gouvernance eacuteconomique Lacapaciteacute drsquoun Eacutetat omniscient et volontiersdirectif ne pouvant plus ecirctre raisonnable-ment deacutefendue personne ne doute que laresponsabiliteacute de la puissance publique est

drsquoassurer un cadre coheacuterent propice au bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie de marcheacuteMais dans le mecircme temps lrsquoEacutetat est sommeacuteou conduit agrave intervenir massivement en der-nier recours et agrave proteacuteger ses citoyens devantles turbulences majeures ou jugeacutees telles delrsquoeacuteconomie quitte agrave bouleverser les regraveglesinstitutionnelles qursquoil a lui-mecircme eacutedicteacutees

Face agrave ces paradoxes la tacircche des eacutecono-mistes peut se reacutesumer ainsi il leur fautcomprendre agrave nouveaux frais lrsquoarticulationentre Eacutetats et marcheacutes en prenant en comptela sophistication croissante des marcheacutesla mondialisation et la monteacutee des risquesdevant lesquels les agents eacuteconomiquesdemandent une protection sans cesse renfor-ceacutee agrave la puissance publique

Il ne faut donc pas srsquoeacutetonner des tacirctonne-ments des eacuteconomistes qui reacutefleacutechissent agravela porteacutee effective et souhaiteacutee de lrsquoactionpublique dans lrsquoeacuteconomie mondialiseacutee etconcurrentielle drsquoaujourdrsquohui

Agrave lrsquoheure actuelle aucun consensus nrsquoa eacuteteacutetrouveacute qui pourrait remplacer lrsquoancien Seslacunes sont trop patentes et les nouveauxtraits de lrsquoeacuteconomie de marcheacute trop surpre-nants pour qursquoon puisse srsquoen eacutetonner Il estdonc impossible de fonder les politiqueseacuteconomiques sur des certitudes theacuteoriqueslargement partageacutees Plus que jamais lapolitique eacuteconomique reste un art que pra-tiquent des responsables politiques surveil-leacutes de pregraves par des citoyens aussi exigeantsqursquoinquiets

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 12

CHRISTOPHE DEMAZIEgraveRE

Universiteacute Franccedilois-Rabelais de Tours

Essentiellement conccedilue et mise en œuvre par lrsquoEacutetat durant les Trente Glorieuses la politiqueeacuteconomique eacutemane aujourdrsquohui de plusieurs eacutechelons institutionnels en particulier lrsquoUnion euro-peacuteenne et les collectiviteacutes territoriales dont le rocircle srsquoest imposeacute au cours des trente derniegraveresanneacutees Ce passage drsquoun laquo Eacutetat tout puissant raquo agrave un laquo polycentrisme institutionnel raquo a eacuteteacute favoriseacutepar la crise de leacutegitimiteacute et drsquoefficaciteacute de lrsquoEacutetat ainsi que par lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau contexteeacuteconomique Christophe Demaziegravere lrsquoanalyse en srsquoappuyant sur les exemples des politiques indus-trielles et drsquoameacutenagement des territoires des anneacutees 1970-1980 La politique de compeacutetitiviteacute desterritoires illustre parfaitement lrsquoarticulation des diffeacuterents eacutechelons de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publiqueSelon le FMI la France se situait en 2012 audeuxiegraveme rang des pays deacuteveloppeacutes pour lepoids de ses deacutepenses publiques dans le PIB(56 ) derriegravere le Danemark (57 ) devant despays comme la Belgique (53 ) les Pays-Baset lrsquoItalie (50 ) Pour les pays anglo-saxonscomme le Royaume-Uni et les Eacutetats-Unis cetteproportion atteint respectivement 45 et 40 du PIB Ces chiffres eacuteleveacutes traduisent lrsquoimpactde la crise actuelle sur les finances publiquesmais aussi et surtout lrsquoexpansion consideacute-rable de lrsquointervention de lrsquoEacutetat dans lrsquoeacutecono-mie au cours du XXe siegravecle Le poids croissantdes deacutepenses a susciteacute des deacutebats sur lrsquoeffica-citeacute de lrsquoaction publique1 Nous mettrons icilrsquoaccent sur la multiplication des eacutechelons delrsquointervention publique notamment agrave traversles processus drsquointeacutegration europeacuteenne et dedeacutecentralisation La politique eacuteconomique estdeacutesormais conccedilue et conduite entre des entiteacutespolitico-administratives varieacutees Les travauxdrsquoanalyse de politiques publiques montrentqursquoentre gouvernements organes de lrsquoUnion

europeacuteenne et collectiviteacutes territoriales lesmodes de deacutecision et drsquoaction ne sont pas lesmecircmes (Meacuteny et Thoenig 1989 Knoepfel Lar-rue et Varone 2001)2 Pour lrsquoillustrer dans lamesure ougrave lrsquoeacuteventail des interventions rassem-bleacutees sous le terme de politique eacuteconomique esttregraves large nous nous contenterons drsquoapporterun eacuteclairage dans les domaines de la politiqueindustrielle et du deacuteveloppement reacutegional

La politique eacuteconomique leacutegitime un temps reacutevolu De laquo lrsquoEacutetat circonscrit raquoagrave laquo lrsquoEacutetat inseacutereacute raquoAu XXe siegravecle la grande crise eacuteconomique desanneacutees 1930 puis celle qui deacutebuta en 1973

[1] Ces deacutebats ne sontpas abordeacutes dans cetarticle Le lecteurinteacuteresseacute trouveraune tregraves claire synthegravesedes deacutebats entreeacuteconomistes danslrsquoouvrage Rosier B(2003)

[2] Dans cet articlele terme de pouvoirspublics englobera tousces acteurs

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 13

publics tandis quelrsquoEacutetat sera reacuteserveacuteau gouvernementau parlement aux

administrationscentrales et

deacuteconcentreacutees Parailleurs dans la mesure

ougrave nous ne traiteronspas de la politique

conjoncturelle nousnrsquoaborderons pas

drsquoautres acteurs delrsquoaction publique en

eacuteconomie tels queles banques centralesles marcheacutes financiers

ou les institutionsinternationales

encadrantles fluctuations

des taux de change ou lecommerce international

[3] Agrave cette eacutepoque lesdeacutepenses du budget

de lrsquoEacutetat repreacutesententmoins de 10 du PIBet sont consacreacutees de

faccedilon preacutedominanteau remboursement de

la dette nationale

[4] Cf Perroux F (1961)Lrsquoeacuteconomie du XXe siegravecle

Paris PUF

[5] Citons notammentle Commissariat agrave

lrsquoEacutenergie AtomiquelrsquoInstitut Franccedilais

du Peacutetrole le CentreNational drsquoEacutetudes

Spatiales le CentreNational drsquoEacutetude desTeacuteleacutecommunications

eurent des effets contradictoires en matiegraverede conception de la politique eacuteconomique(Rosier 2003) La premiegravere leacutegitima lrsquoactionde lrsquoEacutetat en faisant la deacutemonstration quecontrairement agrave certains attendus theacuteoriquesle marcheacute est incapable de reacutealiser spontaneacute-ment lrsquoeacutequilibre eacuteconomique et le bien-ecirctreoptimal Auparavant au deacutebut du XXe siegraveclelaquo lrsquoEacutetat circonscrit raquo (Delorme et Andreacute 1983)avait trois buts majeurs dont un seulementeacutetait eacuteconomique lrsquoordre public la paix etla reacutefeacuterence fixe de la monnaie nationale agravelrsquoor3 Issu de la crise des anneacutees 1930 laquo lrsquoEacutetatinseacutereacute raquo agrave la sphegravere eacuteconomique rayonna agravepartir des anneacutees 1950 Lrsquoaction eacuteconomiquede lrsquoEacutetat exprime alors un projet de socieacuteteacuteconstruit avec les repreacutesentants des entre-prises et les syndicats Pour la premiegravere foislrsquoEacutetat se pense et est reconnu comme leacutegitimeagrave favoriser lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi au logementagrave jeter les bases de la protection sociale agravelaquo deacutemocratiser raquo lrsquoenseignementhellip De mecircmeil se preacuteoccupe de lrsquoeacuteconomie des reacutegionsles moins deacuteveloppeacutees afin drsquoatteindre parricochet les populations qui y vivent

Lrsquoexemple de la politiquedrsquoameacutenagement du territoire

Durant les anneacutees 1950-1960 afin de pro-grammer la reacutealisation drsquoeacutequipements dans letemps et lrsquoespace lrsquoEacutetat creacutee les circonscrip-tions drsquoaction reacutegionale qui preacutefigurent dansleurs contours geacuteographiques les 22 reacutegionsde France meacutetropolitaine Lrsquoattention est foca-liseacutee sur les aspects eacuteconomiques du deacuteve-loppement des reacutegions La vision privileacutegieacuteeest que les reacutegions rurales laquo en retard raquo dedeacuteveloppement drsquoun cocircteacute les reacutegions drsquoan-cienne industrie laquo en crise raquo de lrsquoautre pour-ront laquo rattraper raquo les reacutegions prospegraveres enempruntant le mecircme chemin que celles-ciUn vigoureux effort drsquoeacutequipement en infras-tructures permettra drsquoimplanter des pocirclesindustriels qui en croissant diffuserontprogressivement le deacuteveloppement eacutecono-mique aux arriegravere-pays4 (Perroux 1961) Parexemple en offrant des subventions ou deacutegregrave-vements fiscaux lrsquoEacutetat cherche agrave susciter

lrsquoimplantation drsquoeacutetablissements drsquoindustriesmodernes (de lrsquoautomobile agrave lrsquoeacutelectronique)dans la province connaissant lrsquoexode ruralContournant les eacutelus locaux lrsquoameacutenagementdu territoire se caracteacuterise par une gestioncentraliseacutee et une mise en œuvre assureacutee parles services deacuteconcentreacutes de lrsquoEacutetat Au bout ducompte le bilan sera mitigeacute Gracircce aux entre-prises pratiquant le taylorisme et en recherchede main-drsquoœuvre non qualifieacutee lrsquoemploi indus-triel va croicirctre spectaculairement dans lrsquoOuestfranccedilais Mais dans le mecircme temps la reacutegionparisienne accapare la croissance des emploisles plus qualifieacutes dans les services supeacuterieursCertes les exceptions notables de Grenoble ouToulouse montrent que lrsquoessor technologiquepeut avoir une origine locale mais aussi qursquoilest toujours renforceacute par des deacutecisions derelocalisation drsquoentreprises ou de centres derecherche prises au plus haut niveau de lrsquoEacutetat

Les Trente Glorieuses sont marqueacutees pardrsquoautres actions publiques volontaristes ayantcomme cible les entreprises Loin de se limiteragrave la reacutegulation de la concurrence ou agrave la ges-tion des externaliteacutes une politique industriellesrsquoeacuterige alors autour de grands programmes derecherche fondamentale porteacutes par des orga-nismes ad hoc5 incite au deacuteveloppement desrelations science-industrie et deacutebouche surdes produits innovants faisant lrsquoobjet de com-mandes publiques importantes Agrave lrsquoactif decette politique qursquoun de ses analystes quali-fie de laquo colbertisme high-tech raquo (Cohen 1992)on peut citer le deacuteveloppement de lrsquoindustrieaeacuteronautique civile et militaire des teacuteleacutecom-munications du nucleacuteaire de lrsquoinformatiqueou encore du transport ferroviaire

Ces exemples drsquointervention signalent unlaquo acircge drsquoor raquo de la politique eacuteconomique faisanteacutecho agrave lrsquolaquo acircge drsquoor du capitalisme raquo des anneacutees1945-1973 (Marglin et Schor 1990) La trans-formation rapide des systegravemes productifs desterritoires et des conditions de vie srsquoappuiesur la forte leacutegitimiteacute dont lrsquoEacutetat jouit alorsMais derriegravere le consensus tregraves large autourdes notions de laquo bien-ecirctre raquo et de laquo progregraves raquolrsquoaction publique concreacutetise lrsquoindustrialisation

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 14

agrave marche forceacutee le productivisme agricole lamarchandisation des modes de vie En eacutenumeacute-rant ces choix fondateurs du mode de deacutevelop-pement des Trente Glorieuses on perccediloit queles deacutemarches publiques de cet laquo acircge drsquoor raquonrsquoont eacuteteacute leacutegitimes qursquoun temps Depuis lesanneacutees 1970 elles ont eacuteteacute contesteacutees de touscocircteacutes conduisant agrave reacuteinventer progressive-ment les reacutefeacuterences les modes de deacutecision etles faccedilons de faire de lrsquoEacutetat dans sa relation agravela croissance eacuteconomique

Une politique eacuteconomiqueen redeacutefinition lrsquoEacutetat confronteacute auxmarcheacutes et agrave drsquoautres acteurs publics

Crise de leacutegitimiteacute de lrsquoEacutetat

Apregraves des deacutecennies de preacutesence incontesteacuteelrsquoEacutetat rencontre un certain nombre de diffi-culteacutes dans la conception et la mise en œuvrede ses actions dans lrsquoeacuteconomie Certainsimputent cette situation agrave lrsquoeacutevolution des fon-dements mecircmes de lrsquoeacuteconomie contemporaine(Rosier 2003) Lrsquoexpansion continue du com-merce mondial la globalisation financiegravere lamonteacutee de lrsquoincertitude sont des contraintesfortes pour la politique moneacutetaire ou bud-geacutetaire nationale Dans le cas de la Francelrsquoapprofondissement de la construction euro-peacuteenne a constitueacute une reacuteponse volontaristeagrave ce nouvel environnement mais ce choixredeacutefinit tregraves sensiblement les contours et lesmodaliteacutes de la politique eacuteconomique natio-nale Par exemple la creacuteation de lrsquoeuro et lamise en place de la Banque centrale euro-peacuteenne (BCE) se traduisent par un transfertde souveraineteacute Du reste depuis vingt ansde nombreux gouvernements des pays euro-peacuteens fussent-ils de tendance politiqueopposeacutee ont adopteacute une politique de deacutefla-tion compeacutetitive De mecircme la deacuteclarationdu Conseil europeacuteen de Lisbonne en 2000affirmant vouloir faire de lrsquoUnion europeacuteennelaquo lrsquoeacuteconomie de la connaissance la plus com-peacutetitive et la plus dynamique du monde raquo drsquoici

2010 a eacuteteacute suivie de diverses reacuteformes natio-nales Dans cette mouvance lrsquoEacutetat a entreprisdes actions visant agrave encourager la flexibi-liteacute du marcheacute du travail et lrsquoinnovationCeci concerne les entreprises priveacutees maisaussi le secteur public notamment dans desdomaines comme lrsquoenseignement supeacuterieur etla recherche Dans lrsquoapregraves-guerre lrsquoexpansiondes services publics se justifiait fondamenta-lement par lrsquoobjectif de reacuteduction des ineacutega-liteacutes de condition eacuteconomique et sociale Orcelui-ci a largement disparu de lrsquoagenda Larevendication au laquo moins drsquoEacutetat raquo est difficileagrave mettre en œuvre mais elle est en phase avecune demande sociale croissante de meilleuregestion des fonds publics

Des politiques eacuteconomiques localespour assumer la deacutecentralisation

Lrsquoarticle 5 de la loi de deacutecentralisation du5 mars 1982 affirme que laquo lrsquoEacutetat a la respon-sabiliteacute de la conduite de la politique eacutecono-mique et sociale ainsi que de la deacutefense delrsquoemploi raquo mais les collectiviteacutes locales fran-ccedilaises assurent aujourdrsquohui plus de 70 desinvestissements publics Les interventionsdes communes deacutepartements et reacutegions enfaveur de lrsquoemploi et du deacuteveloppement eacuteco-nomique ont pris une ampleur respectableParmi les outils employeacutes en direction desentreprises les plus courants sont lrsquoameacutena-gement de zones drsquoactiviteacutes la constructionde locaux les primes verseacutees agrave lrsquooccasionde la creacuteation ou de lrsquoimplantation drsquoun eacuteta-blissement ou lrsquoexoneacuteration temporaire duversement de taxes locales Lrsquointerventionde tous les niveaux de collectiviteacutes dans ledeacuteveloppement eacuteconomique est un corol-laire de la deacutecentralisation non pas tantdu fait des compeacutetences accordeacutees dans ceseul domaine mais parce que les collectivi-teacutes locales assument beaucoup plus directe-ment qursquoavant les conseacutequences financiegraveresde lrsquoensemble de leurs nouveaux pouvoirsDeacutecider en matiegravere drsquourbanisme de logementdrsquoaction sociale ou de transports collectifscrsquoest aussi souvent financer Mecircme si lrsquoEacutetat

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 15

[6] Consideacutereacute agrave drsquoautreseacutechelles spatiales ndash etnotamment au niveau

drsquoune nation ndash uneprogression reacuteguliegraverede lrsquoimpocirct local peut

ecirctre consideacutereacuteecomme peacutenalisant

la compeacutetitiviteacutedes entreprises

Le produit de la taxeprofessionnelle (TP)repreacutesentait 2 du

produit inteacuterieur brutagrave la fin des anneacutees 1990

contre 11 en 1976

ou lrsquoUnion europeacuteenne peuvent apporter dessubsides le deacuteveloppement des entreprisesdans la mesure ougrave il permet de collecter plusde taxe est devenu une preacuteoccupation de pre-mier plan des collectiviteacutes locales6

Mais la multitude drsquoacteurs publics engageacuteset de mesures utiliseacutees rend difficile lrsquoeacutevalua-tion des effets reacuteels de lrsquoaction eacuteconomiquelocale (Levet 2003) La loi du 13 aoucirct 2004relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes localesnrsquoa pas consacreacute la reacutegion laquo chef de file raquo delrsquoaction eacuteconomique locale Toutes les collec-tiviteacutes peuvent intervenir eacuteconomiquement lareacutegion ayant simplement la possibiliteacute drsquoeacutela-borer un scheacutema reacutegional de deacuteveloppementeacuteconomique (SRDE) apregraves concertation avecles deacutepartements les communes et leurs grou-pements Une fois reacutealiseacute un SRDE permet letransfert drsquoaides octroyeacutees jusqursquoici par lrsquoEacutetataux reacutegions Ce transfert srsquoest reacutealiseacute danstoutes les reacutegions teacutemoignant de la volonteacutedes Conseils reacutegionaux drsquoassumer de plus enplus un pouvoir dans le domaine eacuteconomique

Redeacuteploiement de lrsquoEacutetat

Faut-il en deacuteduire que dans le domaine eacuteco-nomique les autoriteacutes locales ou reacutegionalescommenceraient agrave occuper un vide laisseacute parlrsquoEacutetat-nation En reacutealiteacute il nrsquoy a pas tantretrait que redeacuteploiement de lrsquoEacutetat (Jobert1999) La mise agrave lrsquoagenda gouvernemental dequestions jugeacutees cruciales pour la croissanceeacuteconomique future comme lrsquoinnovation oula connaissance aboutit agrave la creacuteation drsquoins-tances nouvelles de pilotage drsquoagences dereacutegulation indeacutependantes etc Hier la poli-tique eacuteconomique se lisait agrave travers une capa-citeacute pluriseacuteculaire agrave lever lrsquoimpocirct et agrave battremonnaie Dans les repreacutesentations le pouvoirsrsquoexerccedilait par un mouvement du haut vers lebas du cœur de lrsquoEacutetat vers les laquo administreacutes raquode Paris jusqursquoaux plus lointaines provincesAujourdrsquohui il est en butte agrave des visionsexteacuterieures sur la politique nationale ndash deslaquo examens raquo de lrsquoOCDE aux avertissementsou sanctions de la Commission europeacuteenneDe plus les instruments traditionnels sont

en deacutecalage avec lrsquoirreacutesistible eacutelargissementdes eacutechelles geacuteographiques de reacutefeacuterence desentreprises y compris des anciens laquo cham-pions nationaux raquo que la politique indus-trielle avait porteacute si haut Enfin Paris estconfronteacute agrave la leacutegitimiteacute octroyeacutee aux reacutegionsdeacutepartements groupements de communesdu fait de la deacutecentralisation

Au total face agrave des inteacuterecircts fragmenteacutesdont deacutecoulent des conceptions antago-nistes sur lrsquoopportuniteacute de lrsquoaction publiquela politique eacuteconomique peut laisser uneimpression incertaine Or comme le montreF Lordon (1997) agrave propos de la reacuteception dedeacutecisions gouvernementales par les marcheacutesfinanciers il importe que le travail drsquointer-preacutetation de lrsquoaction publique soit guideacute Onpeut en deacuteduire qursquoen amont de toute deacuteci-sion se place deacutesormais la question du sensde la confiance reacuteciproque de lrsquoacceptabiliteacute

Bien plus qursquohier la politique eacuteconomique avocation agrave prendre des formes plurielles Elleest peu lisible et ce de faccedilon durable dansla mesure ougrave la souveraineteacute de lrsquoEacutetat-nationest mineacutee Lrsquoaction publique est polycen-trique au niveau de la deacutecision de la miseen œuvre ou de lrsquoeacutevaluation La politique eacuteco-nomique nrsquoeacutechappe pas aux recouvrementsde champs de compeacutetences elle peut fairelrsquoobjet de controverses internes ou externes elle neacutecessite des investissements de formepour construire un reacutefeacuterentiel commun

Une illustration du polycentrismeinstitutionnel la compeacutetitiviteacute

La notion de compeacutetitiviteacuteOn peut trouver une illustration du caractegravereneacutegocieacute et controverseacute de la politique eacutecono-mique dans la notion de compeacutetitiviteacuteApparuen France au deacutebut des anneacutees 1990 par anti-cipation des effets de la mise en place du Mar-cheacute unique ce pseudo-concept se mesurait auniveau microeacuteconomique par la productiviteacutele coucirct des facteurs ou lrsquoeacutevolution des parts demarcheacute On pouvait par agreacutegation deacuteduirele niveau de compeacutetitiviteacute drsquoun secteur oude lrsquoeacuteconomie nationale dans son ensemble

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 16

Mais il semble qursquoil y ait eu diffeacuterents glisse-ments de sens Deacutesormais la compeacutetitiviteacute estposeacutee drsquoembleacutee comme un objectif de niveaumacroeacuteconomique avec des deacuteclinaisons (etdonc des actions publiques) sectorielles7 Ensuite la mise en place de lrsquoeuro a changeacute lanotion de compeacutetitiviteacute La compeacutetitiviteacute-prix(variable au greacute des fluctuations du change oudes variations de prix) nrsquoest plus un repegravere etles entreprises focalisent leurs efforts sur lacompeacutetitiviteacute hors-prix autrement dit sur leurcapaciteacute agrave imposer des produits par la monteacuteeen qualiteacute lrsquoinnovation technologique ou decommercialisation la creacuteation de serviceshellip(Camagni 2005)

Une nouvelle relation de lrsquoEacutetatagrave lrsquoespace et aux acteurs locaux

La compeacutetitiviteacute constitue une injonction duniveau national en direction de certains sec-teurs ou territoires Sur le plan sectoriel cetimpeacuteratif modegravele les systegravemes publics etpriveacutes de formation et de recherche posantla question de leur articulation aux dyna-miques eacuteconomiques En teacutemoignent cer-taines initiatives eacutetatiques comme la creacuteationdrsquoagences censeacutees accroicirctre le financementde la recherche et faciliter les transferts detechnologie8 le regroupement des universiteacuteseacutecoles et organismes de recherche en pocirclesde recherche et drsquoenseignement supeacuterieurcenseacutes ecirctre visibles agrave lrsquoeacutechelle internatio-nale ou la volonteacute de mesurer lrsquoefficaciteacute delrsquoenseignement supeacuterieur agrave travers un suivi delrsquoinsertion professionnelle des diplocircmeacutes Parailleurs lrsquoEacutetat est conduit agrave adopter une rela-tion nouvelle agrave lrsquoespace valorisant en particu-lier les espaces infranationaux susceptiblesde contribuer agrave la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacutecono-mie nationale gracircce agrave leur dotation en capitalhumain en infrastructures et en activiteacutes eacuteco-nomiques prometteuses Au cours des anneacutees1960 la croissance eacuteconomique eacutetant une don-neacutee il srsquoagissait de la reacutepartir sur lrsquoensemblede lrsquoespace national notamment en reacuteeacutequili-brant lrsquoeacutecart Paris-province Aujourdrsquohui lacroissance eacuteconomique eacutetant lrsquoobjectif onassiste plutocirct agrave la valorisation par lrsquoEacutetat de

diffeacuterenciations eacuteconomiques la viseacutee natio-nale eacutetant avant tout de maintenir la positionde la France dans lrsquoeacuteconomie mondiale

La politique des pocircles de compeacutetitiviteacute illustrelrsquoeacutevolution vers une nouvelle politique indus-trielle srsquoappuyant sur certains territoires plu-tocirct que sur des entreprises En 2004 un appelagrave projet a eacuteteacute lanceacute par le gouvernement pourinitier ou renforcer les coopeacuterations entreentreprises uniteacutes de recherche et centresde formation autour de projets drsquoinnovationdrsquoambition internationale 105 projets ont eacuteteacutepreacutesenteacutes et 67 seacutelectionneacutes en juillet 20059 LrsquoEacutetat appuie ces pocircles par des allegravegementsfiscaux (exoneacuteration de lrsquoimpocirct sur les socieacute-teacutes) et sociaux (exoneacuteration de cotisationssociales pour les chercheurs) ou des creacuteditsdrsquointervention ministeacuteriels compleacuteteacutes parles agences pour lrsquoinnovation industrielle etla recherche Depuis 2005 900 projets colla-boratifs de recherche et deacuteveloppement (R ampD) ont beacuteneacuteficieacute drsquoun financement public de17 milliard drsquoeuros (dont plus de 11 milliardpar lrsquoEacutetat dans le cadre du fonds uniqueinterministeacuteriel) compleacuteteacutes par environ27 milliards drsquoeuros de deacutepenses priveacutees deRampD Certaines PME et ETI srsquoy impliquent pour ces cateacutegories drsquoentreprises lrsquoemploiconsacreacute agrave la RampD a augmenteacute en moyenne de23 entre 2006 et 2009

Une politique qui articule les diffeacuterentseacutechelons de lrsquoaction publique

La nouveauteacute de cette politique est qursquoelleest nationale en ce qui concerne la prisede deacutecision locale dans la mise en œuvreet internationale par les effets rechercheacutesBien que lrsquoEacutetat initie cet appel agrave projet lecaractegravere partenarial des pocircles a donneacute auxacteurs locaux des eacuteleacutements de pilotage de ladeacutemarche (Demaziegravere 2006) Drsquoune part crsquoestau niveau reacutegional que peuvent interagir lesacteurs publics et priveacutes de la recherche et delrsquoinnovation industrielle Drsquoautre part en lan-ccedilant une dynamique de projets soumis agrave uneeacutevaluation continue les pocircles de compeacutetiti-viteacute rendent possible une participation accruedes collectiviteacutes locales au financement de la

[7] On peut ici comparerdeux rapports officielsqui agrave dix ans dedistance ont marqueacuteles deacutebats Taddeacutei Det Coriat B (1993)Made in FranceLrsquoindustrie franccedilaisedans la compeacutetitionmondiale ParisLibrairie geacuteneacuteralefranccedilaise DebonneuilM et Fontagneacute L (2003)Compeacutetitiviteacute rapportdu Conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 40Paris La Documentationfranccedilaise

[8] Agence delrsquoinnovation industrielleAgence nationale dela recherche OSEOBanque publiquedrsquoinvestissementhellip

[9] Dont six pocircles delaquo niveau mondial raquoet neuf pocircles laquo agravevocation mondiale raquo quirecevront lrsquoessentieldes financementspublics

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 17

recherche Celles-ci peuvent notamment four-nir des services ou des biens collectifs auxentreprises des diffeacuterents pocircles

Lrsquoobjectif de compeacutetitiviteacute peut se traduirepar des mesures nationales par exemple enportant sur la fiscaliteacute des entreprises Maisil deacutebouche eacutegalement sur une mise en valeurdes territoires Ici lrsquoEacutetat est confronteacute agrave lrsquoarti-culation de ses actions avec drsquoautres pouvoirsAgrave partir des anneacutees 1980 la deacutecentralisationa permis en theacuteorie agrave chaque territoire dejouer ses propres cartes en matiegravere de deacuteve-loppement eacuteconomique pour un jeu que lrsquoEacutetatcentral parvenait mal agrave reacuteguler Aujourdrsquohuila promotion drsquoune eacuteconomie fondeacutee sur laconnaissance a une dimension territorialecar une des modaliteacutes des collaborationsentre entreprises et centres de recherche estla proximiteacute geacuteographique Sa concreacutetisationpasse toutefois par la mobilisation drsquoacteursassez autonomes tels que les reacutegions les uni-versiteacutes ou les grandes entreprises Apregraves unXXe siegravecle qui a vu laquo lrsquoEacutetat souverain raquo puis

laquo lrsquoEacutetat deacutefaillant raquo assiste-t-on aujourdrsquohuipar ce biais agrave lrsquoavegravenement de laquo lrsquoEacutetat anima-teur raquo Transfeacuterant ainsi dans le champ de lapolitique eacuteconomique la formule de JacquesDonzelot et Philippe Estegravebe (1984) agrave propos dela politique de la ville nous voulons dire par lagraveque lrsquoEacutetat est confronteacute agrave des acteurs publicsdeacutecentraliseacutes qursquoil a creacuteeacutes et qui se sont saisides questions du deacuteveloppement eacuteconomiqueDeacutesormais comment la politique eacuteconomiquestructurelle peut-elle concilier lrsquoinsertiondans lrsquoeacuteconomie internationale et la dimen-sion infranationale des dynamiques de deacuteve-loppement Assistera-t-on ces prochainesdeacutecennies agrave une territorialisation partielle dela politique eacuteconomique analogue agrave la terri-torialisation de la politique sociale depuis lesanneacutees 1980 Pour en rendre compte il fau-drait probablement eacutetudier la coordinationdes acteurs plutocirct que drsquoen rester agrave une visioncentreacutee sur lrsquoEacutetat et ses instruments tradition-nels de politique eacuteconomique

CAMAGNI R (2005) laquo Attractiviteacute et compeacutetitiviteacute un binocircme agrave repenser raquoTerritoires 2030 ndeg 1

COHEN E (1992) Lecolbertisme high-tech Paris Hachette

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ROSIER B (2003) Les theacuteoriesdes crises eacuteconomiques ParisLa Deacutecouverte

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 18

SOPHIE BRANA

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute Montesquieu Bordeaux IV

Parce qursquoelle se traduit par une interdeacutependance croissante des eacuteconomies la mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute des politiques eacuteconomiques Contrairement agrave lrsquoideacutee reccedilue lrsquoimpact ne se limite pas toutefois agrave une reacuteduction des marges de manœuvre des gouvernements Il varie consideacuterablement selon la taille du pays le reacutegime de change le degreacute de mobiliteacute des capi-taux et lrsquoouverture commerciale de lrsquoeacuteconomie Ainsi si les pariteacutes des monnaies sont flexibles lrsquoouverture commerciale et financiegravere rend la politique budgeacutetaire inopeacuterante mais accroicirct lrsquoef-ficaciteacute de la politique moneacutetaire Lrsquoimpact de la mondialisation sur les politiques eacuteconomiques se manifeste surtout comme nous le montre Sophie Brana par des interdeacutependances et des effets de report ce qui pose la question de la coordination internationale de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeuxLa mondialisation traduit lrsquoouverture crois-sante des eacuteconomies aux eacutechanges com-merciaux (biens et services) financiers(mouvements de capitaux) ainsi que la mobi-liteacute de plus en plus forte des facteurs deproduction (flux de main-drsquoœuvre investisse-ments directs eacutetrangers)

Cette mondialisation se manifeste par uneinterdeacutependance de plus en plus pousseacuteedes eacuteconomies un eacuteveacutenement se produisantdans une zone ou un grand pays va en affecterdrsquoautres via les flux financiers ou commer-ciaux Il en reacutesulte une synchronisation crois-sante des cycles drsquoabord entre les grands paysindustrialiseacutes puis depuis les anneacutees 1990avec les pays eacutemergents (graphique 1)

Une premiegravere source drsquointerdeacutependanceprovient du commerce international qui

progresse depuis la Seconde Guerre mon-diale plus vite que le PIB traduisant un tauxdrsquoouverture croissant des eacuteconomies (gra-phique 2) La production et la croissancenationales deacutependent de plus en plus de lademande mondiale

Lrsquointeacutegration financiegravere internationale constitue une deuxiegraveme source drsquointerdeacute-pendance Le passage aux changes flottants agrave la fin des anneacutees 1970 le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication (TIC) le mouvement de deacuteregraveglementation financiegravere dans les anneacutees 1980 (pays industrialiseacutes) et 1990

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 19

(pays eacutemergents) ont favoriseacute lrsquoexplosion des flux de capitaux (graphique 3) La mobiliteacute des capitaux permet la diversification inter-nationale des portefeuilles et lrsquoarbitrage des investisseurs entre actifs situeacutes dans diffeacute-rents pays en fonction du couple rendementrisque Les eacuteconomies nationales deviennent ainsi davantage deacutependantes du comporte-ment des investisseurs internationaux de leur aversion au risque et du retournement des anticipations

Enfin une part croissante des flux est consti-tueacutee drsquoeacutechanges intra-firmes Le reacuteseau desfirmes multinationales et de leurs filialesfavorise la propagation des chocs entre paysvia les profits ou les pertes La crise des sub-primes est un bon exemple de diffusion drsquounchoc financier entre pays par les relationsinterbancaires (flux internationaux de capi-taux) mais eacutegalement par les reacuteseaux mai-sons-megraveres filiales

La mondialisation a un impact sur la poli-tique eacuteconomique car elle modifie son cadre

drsquoaction ses marges de manœuvre et son effi-caciteacute Cet impact deacutepend du degreacute drsquointeacutegra-tion commerciale et financiegravere du pays de sataille mais eacutegalement du reacutegime de changechoisi

La mondialisation creacutee des interdeacutepen-dances auxquelles la reacuteponse optimale seraitune meilleure coopeacuteration internationale Orcelle-ci a peu de chances drsquoeacutemerger sponta-neacutement En geacuteneacuteral elle passe soit par desformes drsquointeacutegration reacutegionale (comme lazone euro) soit par le biais drsquoorganisationsinternationales (FMI Banque des regraveglementsinternationauxhellip)

Mondialisation et efficaciteacutede la politique eacuteconomiqueLa mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute de lapolitique eacuteconomique nationale agrave traversdeux canaux lrsquoouverture commerciale etlrsquoouverture financiegravere

1 Taux de croissance reacuteel par habitant (en )

Proj3

2

1

0

ndash 1

ndash 2

ndash 3

ndash 4

ndash 51981 1990 200284 87 93 96 99 05 08 11 14

Eacuteconomies eacutemergentes et en deacuteveloppement

Eacuteconomies avanceacutees

Source Dervis K (2012) laquo Eacuteconomie mondiale Convergence interdeacutependance et divergence raquo Finances et deacuteveloppement FMI septembre

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 20

Ouverture commercialeet fuites en importationsTout drsquoabord lrsquoouverture de lrsquoeacuteconomie auxeacutechanges internationaux de biens et servicesdiminue lrsquoefficaciteacute de la politique conjonc-turelle en reacuteduisant la valeur des multiplica-teurs Keynes a montreacute que toute hausse dela demande (qui peut ecirctre provoqueacutee par unepolitique budgeacutetaire ou moneacutetaire de relance)augmentait de faccedilon amplifieacutee lrsquoactiviteacute eacuteco-nomique En eacuteconomie ouverte cependantune partie de cet effet de relance beacuteneacuteficie aureste du monde via les importations de bienset services Ainsi alors que le multiplicateurkeyneacutesien simple en eacuteconomie fermeacutee est de 5(une hausse de la demande globale de 1 pro-voquera une hausse du revenu de 5) si lrsquoeacuteco-nomie importe 20 des biens consommeacutes lamecircme politique de relance aura un impactdeux fois plus faible (multiplicateur de 25)

Plus lrsquoeacuteconomie est ouverte plus lrsquoeffet mul-tiplicateur sera faible et moins la politiqueeacuteconomique nationale aura drsquoimpact sur lrsquoac-tiviteacute domestique (graphique 4)

Les effets ambigusde lrsquoouverture financiegraveresur la politique budgeacutetaireLes effets de lrsquoouverture financiegravere sontplus ambigus car ils deacutependent du type depolitique eacuteconomique conjoncturelle et dureacutegime de change La politique eacuteconomiquea un impact sur le niveau des taux drsquointeacuterecirctsoit directement dans le cas de la politiquemoneacutetaire soit indirectement pour la poli-tique budgeacutetaire (via la demande de monnaieou la demande de fonds precirctables) Touteschoses eacutegales par ailleurs une variation destaux drsquointeacuterecirct provoquera des mouvementsde capitaux ceux-ci eacutetant deacutetermineacutes par lesrendements relatifs des actifs dans les diffeacute-rents pays

Une politique budgeacutetaire expansionnistea un impact positif sur le revenu maiseacutegalement sur le taux drsquointeacuterecirct nationalLa hausse des taux attire les capitaux siceux-ci sont mobiles car ils sont davantagereacutemuneacutereacutes ce qui fait appreacutecier la monnaiedomestique (son prix augmente car elle estplus demandeacutee) Cette appreacuteciation peacutena-lise les exportations la demande eacutetrangegraverepour les biens nationaux se reacuteduit Dans le

2 Exportations mondiales de biens (en milliards de dollars)

20 000

18 00016 00014 00012 000

10 0008 0006 000

4 0002 000

0

1980

1982

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2000

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2012

Source FMI Donneacutees annuelles

21

cas extrecircme ougrave les capitaux sont parfaite-ment mobiles la politique budgeacutetaire estinefficace car lrsquoeffet drsquoeacuteviction est total Lahausse des deacutepenses publiques est com-penseacutee par la baisse des exportations et delrsquoinvestissement priveacute lrsquoeffet net sur lrsquoacti-viteacute eacuteconomique est nul

En changes flottants plus lrsquoeacuteconomie seraouverte aux flux de capitaux moins la poli-tique budgeacutetaire sera efficace

La situation est inverse en change fixe Dansce cas les autoriteacutes car elles srsquoy sont enga-geacutees ne peuvent laisser leur monnaie srsquoap-preacutecier suite aux entreacutees de capitaux Ellesvont intervenir sur le marcheacute des changes eneacutechangeant de la monnaie nationale contredevises Cette creacuteation moneacutetaire empecircche lahausse du taux drsquointeacuterecirct domestique ce quiannule les entreacutees de capitaux et permet lemaintien de la pariteacute de change Lrsquointerven-tion des autoriteacutes moneacutetaires eacutevite ainsinon seulement que les exportations soientpeacutenaliseacutees mais eacutegalement puisque le tauxdrsquointeacuterecirct domestique ne bouge plus que lrsquoin-vestissement priveacute se reacuteduise La politiquebudgeacutetaire est ici plus efficace qursquoen eacuteco-nomie fermeacutee En change fixe agrave lrsquoinverse dureacutegime de flottement la politique budgeacutetairesera drsquoautant plus efficace que les capitauxseront mobiles

Une politique moneacutetaire plusefficace en eacuteconomie ouverte

Lrsquoouverture financiegravere a eacutegalement un impactsur lrsquoefficaciteacute de la politique moneacutetaireLaissons de cocircteacute la situation ougrave lrsquoeacuteconomieest en changes fixes nous y reviendrons plusloin car dans ce cas la politique moneacutetaireest lrsquoinstrument de deacutefense de la pariteacute dechange et elle ne peut pas ecirctre utiliseacutee pouratteindre des objectifs internes (croissanceinflation) Elle est donc totalement inefficace

En reacutegime de changes flottants la poli-tique moneacutetaire retrouve en theacuteorie toute son autonomie Une politique moneacutetaire de relance consiste agrave creacuteer de la monnaie ce qui fait baisser le taux drsquointeacuterecirct favorise lrsquoinvestissement et par les effets multiplica-teurs traditionnels augmente le revenu Plus les capitaux sont mobiles plus la baisse des taux drsquointeacuterecirct provoque des sorties de capi-taux et plus la monnaie se deacutepreacutecie La com-peacutetitiviteacute prix du pays srsquoameacuteliore ce qui doit favoriser les exportations lrsquoeffet de relance initial est amplifieacute Il en est de mecircme dans une eacuteconomie peu ouverte aux flux de capi-taux mais ouverte au commerce La deacutepreacute-ciation du change est ici provoqueacutee par la deacutegradation de la balance commercialesuite agrave la relance initiale qui augmente les

3 Flux nets de capitaux priveacutes agrave destination des pays eacutemergents (en milliards de dollars)

Investissements directs agrave leacutetranger (IDE)Flux total de capitaux priveacutes

1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

800

600

400

200

0

ndash 200

Source FMI

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 22

importations domestiques La monnaie nationale se deacutepreacutecie jusqursquoau retour agrave lrsquoeacutequilibre exteacuterieur Ainsi en changes flot-tants lrsquoouverture ndash qursquoelle soit commerciale ou financiegravere ndash accroicirct lrsquoefficaciteacute de la poli-tique moneacutetaire

Ces meacutecanismes keyneacutesiens reposent cepen-dant sur des modegraveles de court terme ougrave les prixet les anticipations sont rigides et ougrave seuls lesflux (commerciaux et financiers) sont pris enconsideacuteration En reacutealiteacute la politique eacutecono-mique pourra eacutegalement ecirctre affecteacutee par lesmouvements des facteurs de production tan-dis que les capitaux ne deacutependront pas du seuldiffeacuterentiel de reacutemuneacuteration mais eacutegalementde lrsquoappreacuteciation des risques Celle-ci peutecirctre fonction du stock de dette accumuleacute parle pays comme dans le cas reacutecent de la crisegrecque ou de facteurs plus subjectifs commela laquo confiance raquo des investisseurs et leur degreacutede mimeacutetisme La mobiliteacute des capitaux peutsoumettre les Eacutetats et leurs politiques eacutecono-miques agrave la sanction des investisseurs priveacutessi celles-ci sont perccedilues comme insoutenables(forte inflation dette publique excessive deacutefi-cit exteacuterieur croissanthellip)

Mondialisation et autonomiede la politique eacuteconomique

Controcircle du change et autonomiede la politique moneacutetaire

La mondialisation peut aussi reacuteduire lrsquoau-tonomie de la politique moneacutetaire Crsquoest lecas si les autoriteacutes souhaitent controcircler lesvariations du change Les petites eacuteconomiestraditionnellement tregraves ouvertes sont par-ticuliegraverement sensibles aux fluctuations dutaux de change Notamment une deacutepreacuteciationde la monnaie domestique a un impact infla-tionniste car elle augmente le prix des biensimporteacutes De mecircme lrsquoinstabiliteacute du taux dechange entraicircne drsquoimportantes fluctuationseacuteconomiques preacutejudiciables au bien-ecirctresocial Crsquoest la raison pour laquelle ces eacuteco-nomies cherchent traditionnellement agrave stabi-liser leur taux de change Mais elles doiventalors renoncer agrave lrsquoautonomie de la politiquemoneacutetaire et ce drsquoautant plus que les capi-taux sont mobiles crsquoest le triangle drsquoincom-patibiliteacute de Mundell

4 Taille des multiplicateurs budgeacutetaires et degreacute drsquoouverture de lrsquoeacuteconomie

16

14

12

10

08

06

04

025 10 15 20 25 30 35 40 45

02

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08

10

12

14

16y = ndash 002x + 131

R2 = 038

Eff

et m

ult

iplic

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r2

Degreacute drsquoouverture1

1 Mesureacute par le ratio importations (PIB - importations) 2 Effet multiplicateur des deacutepenses publiques du modegravele Interlink de lrsquoOCDE

IPN

USA DEU

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FRA

TURESP

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DNKKORCHE

PRTNOR

SWE AUTCAN HUN

NLD

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Source OCDE (2009) Perspectives eacuteconomiques chapitre 3 laquo Efficaciteacute et ampleur de la relance budgeacutetaire raquo mars

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 23

Les pays europeacuteens ont eacuteteacute confronteacutes agrave ce pro-blegraveme au deacutebut des anneacutees 1990 Le choc de lareacuteunification allemande les a conduits agrave menerdes politiques moneacutetaires diffeacuterentes ce quidans le reacutegime de change quasi fixe du SME delrsquoeacutepoque eacutetait intenable alors que les mouve-ments de capitaux venaient drsquoecirctre libeacuteraliseacutesLes diffeacuterentiels de taux drsquointeacuterecirct entre paysprovoquent des mouvements de capitaux quirendent impossibles le maintien des pariteacutes dechange Les pays subissent des attaques speacute-culatives Ils peuvent reacuteagir en alignant leurstaux drsquointeacuterecirct (la France a ainsi augmenteacute sestaux pour mettre fin aux attaques speacuteculativessur le change ce qui srsquoest aveacutereacute tregraves couteuxen termes de croissance) ou en renonccedilant agrave lafixiteacute du change (lrsquoItalie a par exemple deacutevalueacutesa monnaie tandis que le Royaume-Uni quit-tait le SME) Pierre-Alain Muet1 eacutevalue le coucirctde la gestion non coopeacuterative des politiquesmoneacutetaires en Europe et montre qursquoune baissecoordonneacutee de 3 points des taux drsquointeacuterecirct de1993 agrave 1995 comme lrsquoont fait les Eacutetats-Unisaurait suffi agrave empecirccher la reacutecession de 1993

Si les capitaux sont mobiles les pays doiventdonc opter entre deux strateacutegies soit fixerleur taux de change ce qui contraint la poli-tique moneacutetaire domestique soit retrouverlrsquoautonomie de la politique moneacutetaire ce quisuppose de laisser le marcheacute deacuteterminer letaux de change

Une autre solution peut ecirctre de jouer surle troisiegraveme cocircteacute du triangle le degreacute deliberteacute des mouvements de capitaux LrsquoAsieeacutemergente est actuellement confronteacutee agrave cetriangle drsquoincompatibiliteacute La surchauffeeacuteconomique subie par certains pays justifie-rait un durcissement de la politique moneacute-taire afin de combattre lrsquoinflation La haussedes taux drsquointeacuterecirct accentuerait cependantles entreacutees de capitaux pouvant alimenterla surchauffe de lrsquoeacuteconomie via le creacutedit etfavoriserait lrsquoappreacuteciation du change Afindrsquoeacuteviter cette appreacuteciation preacutejudiciableaux exportations sur lesquelles ces pays ontfondeacute leur deacuteveloppement les autoriteacutes ontchoisi de reacutetablir des controcircles des changes

sur les capitaux entrants Ceux-ci leurs per-mettent dans une certaine mesure de retrou-ver lrsquoautonomie de la politique moneacutetaire

De maniegravere geacuteneacuterale la libeacuteralisation finan-ciegravere agrave lrsquoeacutechelle internationale a rendu plusfaciles les attaques speacuteculatives et plus dif-ficile le maintien de reacutegimes de change fixeLa crise du SME en 1992-1993 puis la criseasiatique de 1997 ont reacuteveacuteleacute la fragiliteacute deces politiques de change dans un contextede parfaite mobiliteacute des capitaux agrave lrsquoeacutechelleinternationale Les pays ont depuis tendanceagrave opter pour des laquo solutions en coin raquo flexi-biliteacute du change ou agrave lrsquoopposeacute fixiteacute extrecircmecenseacutee empecirccher les attaques speacuteculativesmais au prix du renoncement agrave toute poli-tique moneacutetaire domestique (pays de la zoneeuro pays laquo dollariseacutes raquo currency boards) Lepourcentage de pays ayant abandonneacute leursouveraineteacute moneacutetaire est passeacute drsquoun peuplus de 2 agrave la fin des anneacutees 1980 agrave plusde 13 en 2012 tandis que 573 des paysse deacuteclaraient en flottement libre contre127 agrave la fin des anneacutees 19802 Dans le mecircmetemps la plupart des pays a renonceacute agrave deacutecla-rer un ancrage de change

Interdeacutependanceset effets de report

En eacuteconomie ouverte un pays subit eacutegale-ment les conseacutequences des politiques eacutecono-miques des autres pays Celles-ci affectent agravela fois les conditions eacuteconomiques nationaleset lrsquoefficaciteacute de ses politiques

Imaginons un monde constitueacute de deux paysou de deux grandes zones (par exemple lrsquoEu-rope et les Eacutetats-Unis) Une politique moneacute-taire expansive dans le pays 1 (les Eacutetats-Unis)deacutepreacutecie la monnaie nationale le dollar ce quirenforce lrsquoeffet de relance par les exportationsParallegravelement la monnaie du pays 2 (lrsquoeuro)srsquoappreacutecie ce qui a un effet reacutecessif La poli-tique moneacutetaire ameacutericaine exerce donc uneexternaliteacute neacutegative sur les autres pays

Lrsquoeffet de report de la politique budgeacutetaireest en revanche positif La relance budgeacutetairedans un grand pays se diffuse aux autres

[1] Cf Aglietta et al(1998)

[2] Ces pays se deacuteclarenten flottement libre

ou quasi libre (reacutegimede jure) mais cela nesignifie pas qursquoils se

deacutesinteacuteressent duniveau de leur tauxde change et qursquoils

nrsquointerviennent pas surle marcheacute des changes

La plupart de cesreacutegimes sont en reacutealiteacute

des flottements geacutereacutes(reacutegime de facto)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 24

pays et inversement pour la reacutecession dansle cas de politiques restrictives par le canaldu commerce international

En change fixe les effets de report sontpositifs qursquoil srsquoagisse de la politique moneacute-taire ou de la politique budgeacutetaire Quandun grand pays met en place une politiquemoneacutetaire expansive il peut influencer letaux drsquointeacuterecirct mondial ce qui redonne unecertaine autonomie et donc une efficaciteacute agravesa politique moneacutetaire mecircme en change fixeLrsquoautre reacutesultat est que lrsquoeffet est eacutegalementpositif sur le reste du monde La baisse destaux drsquointeacuterecirct se diffuse favorisant lrsquoinves-tissement tandis que la relance dans le paysappuie les exportations de ses partenairescommerciaux Lrsquoactiviteacute eacuteconomique est eacutega-lement stimuleacutee dans le reste du monde

On retrouve les mecircmes meacutecanismes pour lapolitique budgeacutetaire les effets reacutecessifs ouexpansifs se transmettent aux autres pays

En regravegle geacuteneacuterale plus un pays est grandplus il retrouve des marges de manœuvrepour sa politique eacuteconomique Drsquoune part ungrand pays est par deacutefinition plus fermeacute laBelgique a ainsi un taux drsquoouverture3 de pregravesde 70 contre agrave peine plus de 10 pour leJapon et moins de 13 pour les Eacutetats-UnisSa politique budgeacutetaire est donc plus efficaceUn grand pays va drsquoautre part retrouver desmarges de manœuvre pour sa politique moneacute-taire (ou de change) car il peut influencer lesconditions financiegraveres mondiales Agrave lrsquoinversela politique eacuteconomique sera moins efficacedans un petit pays les variables domestiqueseacutetant davantage deacutetermineacutees par des facteursexteacuterieurs que par la politique nationale

Le FMI publie depuis 2011 des laquo spilloverreports raquo quantifiant les effets externes despolitiques domestiques de cinq laquo eacutecono-mies systeacutemiques raquo (zone euro Eacutetats-UnisJapon Chine Royaume-Uni) Il estime ainsiqursquoune hausse drsquoun point de pourcentage dela croissance ameacutericaine augmentera drsquoundemi-point la croissance de la plupart despays du G20 les trois quarts de cet effet dereport srsquoexerccedilant via les flux financiers et

les prix drsquoactifs Lrsquoeffet de report est plusfort (08 point) pour les pays limitrophes(Canada Mexique) et pour les deux tiers lieacuteaux flux commerciaux Lrsquoaugmentation destaux drsquointeacuterecirct ameacutericains se diffuse eacutegale-ment aux autres pays avanceacutes (une hausse de04 point pour un relegravevement drsquoun point auxEacutetats-Unis) La hausse atteint 08 point surles marcheacutes eacutemergents en dollars sauf dansdes pays comme la Chine ou lrsquoInde qui main-tiennent des controcircles de capitaux

Plus geacuteneacuteralement la politique moneacutetaireexpansionniste mise en place dans les grandspays avanceacutes depuis la fin des anneacutees 1990provoque des mouvements de capitaux versles pays eacutemergents dans lesquels ils sontdavantage reacutemuneacutereacutes alimentant des bullessur les prix drsquoactifs (actions immobilieretc) Les prix des matiegraveres premiegraveres sonteacutegalement affecteacutes par ces politiques expan-sives ce qui lagrave encore modifie les variablesobjectifs de la politique eacuteconomique dans lesautres pays avanceacutes et eacutemergents

La crise des subprimes fournit un autreexemple des interdeacutependances entre paysTouchant agrave lrsquoorigine une fraction purementdomestique du marcheacute immobilier ameacutericain(le marcheacute subprime) elle srsquoest propageacutee auxpays avanceacutes par le canal financier (inter-deacutependances bancaires dans le cadre drsquounecrise de confiance) puis aux pays eacutemergentsessentiellement par le commerce exteacuterieur (lareacutecession dans les pays avanceacutes srsquoaccompa-gnant drsquoune baisse de leurs importations)

Ces interdeacutependances entre pays et ces effetsde report mettent en eacutevidence lrsquointeacuterecirct drsquounecoordination internationale des politiqueseacuteconomiques

Interdeacutependances et coordinationPolitique de demandeet coordination

Compte tenu des fuites en importations lespolitiques de demande seront drsquoautant plusefficaces qursquoelles seront coordonneacutees Pour

[3] (Importations +exportations) 2PIB

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 25

un pays pratiquant une relance budgeacutetaireces fuites seront compenseacutees par lrsquoaugmen-tation de ses exportations si les pays voisinsrecourent agrave des mesures eacutequivalentes Unepartie de lrsquoeacutechec de la relance Mitterrandde 1981 tient au fait que les autres paysmenaient parallegravelement des politiques res-trictives et eacutetaient en reacutecession La politiquede relance a un impact neacutegatif sur le soldecommercial amplifieacute ici par la baisse desexportations Cette derniegravere efface en partielrsquoeffet expansif des deacutepenses publiques4

P Artus (2012) estime ainsi que le multiplica-teur budgeacutetaire est de lrsquoordre de 16 pour unpays europeacuteen isoleacute tandis qursquoil est de lrsquoordrede 3 pour lrsquoensemble des pays europeacuteens etde 4 pour le monde Des relances coordonneacuteesont ainsi eacuteteacute meneacutees lors du deacuteclenchementde la reacutecession agrave lrsquoautomne 2008 les princi-pales banques centrales ont baisseacute leur tauxdrsquointeacuterecirct le 8 octobre et en novembre les payseuropeacuteens ont augmenteacute simultaneacutement leursdeacutepenses budgeacutetaires Justifieacutes par lrsquoampleurde la crise ces efforts de coordination restentcependant exceptionnels La voie coopeacutera-tive est rarement atteinte et srsquoavegravere difficile agravemaintenir sur la dureacutee

Prenons le cas ougrave un ensemble de paysdeacutecideraient de pratiquer une politique derelance budgeacutetaire coordonneacutee Un pays isoleacutea alors tout inteacuterecirct agrave ecirctre non coopeacuteratif Nepas pratiquer de relance budgeacutetaire lui per-met de ne pas deacutegrader ses comptes publicstout en beacuteneacuteficiant de lrsquoeffet de relance despays partenaires via les flux commerciauxCrsquoest le problegraveme du laquo passager clandestin raquo

On voit bien par ailleurs que la neacutegociationentre pays est asymeacutetriqueTandis qursquoun petitpays ne beacuteneacuteficie qursquoen partie des effets posi-tifs de sa politique mais subit fortement lesconditions mondiales affecteacutees par les poli-tiques des grands pays ce sont ces derniersqui disposent du pouvoir de neacutegociation

Politiques drsquooffre et concurrence

Les politiques de relance par la demandesont par ailleurs aujourdrsquohui fortement

contraintes Les marges de la politique bud-geacutetaire sont limiteacutees par le niveau eacuteleveacute desdettes et des deacuteficits publics tandis que cellesde la politique moneacutetaire sont circonscritespar le niveau deacutejagrave tregraves faible des taux drsquointeacute-recirct Les pays sont donc inciteacutes agrave mener despolitiques drsquooffre et des reacuteformes structu-relles Or celles-ci sont par nature non coopeacute-ratives Gagner des parts de marcheacute supposedes gains de compeacutetitiviteacute qui ne sont pos-sibles que si les eacuteconomies partenairesnrsquoadoptent pas la mecircme politique

La mondialisation augmente la pression enfaveur de davantage de compeacutetitiviteacute ajuste-ments structurels concurrence par la baissedes coucircts salariaux manipulation des tauxde change Elle exacerbe la concurrence pourattirer les capitaux et les activiteacutes produc-tives et favorise donc les comportementsnon coopeacuteratifs Attirer les activiteacutes produc-tives suppose lagrave encore que les conditionsoffertes soient plus favorables que cellesdes autres pays Cela peut passer par unefiscaliteacute reacuteduite des normes sociales envi-ronnementales ou un droit du travail moinscontraignants Depuis le milieu des anneacutees1990 on observe ainsi une baisse continue dutaux drsquoimposition sur les socieacuteteacutes (baisse de10 points en moyenne en Europe) tandis queles taxes sur la consommation augmententparallegravelement

On voit dans ce cadre concurrentiel que lamondialisation est doublement contraignantepour la politique eacuteconomique conjoncturelleTout drsquoabord la concurrence fiscale reacuteduit lesmarges de manœuvre budgeacutetaires des Eacutetats toute hausse des preacutelegravevements obligatoirespeut entraicircner des fuites de capitaux ou detravailleurs moins taxeacutes ailleurs Ensuite lespolitiques drsquooffre ont un impact deacuteflationniste(pression agrave la baisse sur les salaires et les prix)qui comprime la demande et peut affecter lesobjectifs de la politique eacuteconomique (faiblecroissance deacuteflation) Lrsquoeacutequilibre non coopeacutera-tif affaiblit in fine lrsquoeacuteconomie mondiale

Les anneacutees 1930 ont eacuteteacute lrsquoexemple type deseffets neacutegatifs de la non-coopeacuteration chaque

[4] La France eacutetait agravelrsquoeacutepoque membre du

SME (change fixe)avec des capitaux

peu mobilesLa forte deacutegradation

commerciale a exerceacutedes pressions agrave la baisse

sur le change que laBanque centrale a ducirc

combattre en durcissantsa politique moneacutetaire

ce qui a deacuteprimeacutelrsquoinvestissement et

reacuteduit encore lrsquoefficaciteacutede la politique

budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 26

pays ayant chercheacute agrave exporter la reacutecessionprovoqueacutee par la crise de 1929 par le biais dedeacutevaluations compeacutetitives de leur monnaieDeacutevaluations en cascade mesures de reacutetor-sion monteacutee du protectionnisme ont provo-queacute au final un effondrement du commercemondial et une aggravation de la crise Lesouvenir de cette peacuteriode a conduit les paysau lendemain de la Seconde Guerre mondialeagrave opter pour des regravegles internationales degestion des taux de change (systegraveme de Bret-ton Woods)

Les enjeux de la coordinationDans une eacuteconomie mondialiseacutee la coor-dination a deux objectifs (Jacquet 1988)5 reacutepondre drsquoune part aux interdeacutependancesentre pays crsquoest-agrave-dire aux externaliteacutes despolitiques eacuteconomiques nationales et drsquoautrepart fournir et preacuteserver des biens publicsinternationaux relations commerciales sta-biliteacute des changes stabiliteacute financiegravere

Comme nous lrsquoavons vu la coordination dis-creacutetionnaire est difficile agrave mettre en place etplus encore agrave maintenir Crsquoest pourtant lrsquooutille plus puissant face agrave lrsquointeacutegration eacutecono-mique et financiegravere au poids des marcheacuteset de leurs anticipations En cas drsquoeacutechec la

coordination peut ecirctre contrainte par desregraveglesAinsi un reacutegime de change fixe imposela coordination des politiques moneacutetaires Demecircme le Pacte de stabiliteacute et de croissance(PSC) en Europe est un moyen agrave deacutefaut decoordination drsquoencadrer les politiques bud-geacutetaires de pays interdeacutependants Cette solu-tion nrsquoest cependant pas optimale car elleexerce une contrainte sur la politique eacutecono-mique susceptible de lrsquoempecirccher de reacuteagir agravedes chocs asymeacutetriques

Une autre solution est drsquoorganiser la coor-dination agrave un niveau supranational Crsquoeacutetaitle rocircle du FMI dans un systegraveme moneacutetaireinternational baseacute sur un reacutegime de changefixe Crsquoest le rocircle du comiteacute de Bacircle dans lecadre de la Banque des regraveglements interna-tionaux (BRI) chargeacute notamment de promou-voir la coopeacuteration internationale en matiegraverede controcircle prudentiel Lrsquoobjectif est agrave la foisdrsquoeacuteviter la concurrence deacuteloyale que pourraitexercer un systegraveme bancaire moins contraintdans un pays donneacute et prendre en compteles risques systeacutemiques des firmes bancairesdans un contexte de globalisation financiegravereLa stabiliteacute financiegravere devient un bien publicmondial

[5] Cf Aglietta et al(1998)

AGLIETTA M DE BOISSIEU CBUREAU D GAURON AHERZOG P JACQUET Pet MUET P-A (1998) Coordination europeacuteennedes politiques eacuteconomiques Rapport du conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 5 Paris LaDocumentation franccedilaise

ARTUS P (2012) Dans les circonstances

preacutesentes une relancecoordonneacutee mondiale auraitdu sens une guerre mondialede la compeacutetitiviteacute-coucirct etdes taux de change seraitcatastrophique raquoFlash Eacuteconomie ndeg 643Natixis 28 septembre

JACQUET P (1988) laquo Geacutererlrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueinternationale coordination

discreacutetionnaire ou regraveglesinstitutionnelles raquoRevue eacuteconomique vol 39ndeg 3

LAHREgraveCHE-REacuteVIL A (2002) laquo Inteacutegration internationaleet interdeacutependancesmondiales raquo in CEPIILrsquoeacuteconomie mondiale 2003 Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS27

La construction europeacuteenne repose avant tout sur la mise en place drsquoun marcheacute unique per-mettant la libre circulation des marchandises des hommes et des capitaux Les compeacutetences politiques restent a priori du ressort des Eacutetats membres conformeacutement au principe de subsi-diariteacute Le marcheacute unique a toutefois creacuteeacute des interdeacutependances eacuteconomiques fortes contrai-gnant les pays agrave coordonner leurs politiques eacuteconomiques Cela srsquoest traduit notamment par le choix de la monnaie et de la politique moneacutetaire uniques mais eacutegalement par des regravegles communes de politique budgeacutetaire et de gestion des finances publiques La crise en particu-lier celle des dettes souveraines dans la zone euro a mis en exergue les faiblesses de cette architecture institutionnelle Franck Lirzin plaide en faveur drsquoune eacutevolution vers un laquo gouverne-ment mixte raquo respectant la pluraliteacute et la diversiteacute des systegravemes politiques de lrsquoUnion

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels

De lrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueagrave la laquo solidariteacute de fait raquoDegraves ses deacutebuts le projet europeacuteen repose surlrsquoideacutee que lrsquoeacuteconomie est plus agrave mecircme quela politique drsquounir les peuples La Socieacuteteacutedes Nations avait montreacute la fragiliteacute drsquoun

eacutechafaudage diplomatique A contrariolrsquointerdeacutependance eacuteconomique est apparuecomme un ciment autrement plus solide Cerenversement de logique srsquoest traduit par lacreacuteation de la Communauteacute eacuteconomique ducharbon et de lrsquoacier (CECA) en 1952 et en1957 drsquoEuratom pour la mutualisation destechnologies nucleacuteaires et du Marcheacute com-mun (traiteacute de Rome creacuteant la Communauteacuteeacuteconomique europeacuteenne ndash CEE)

Lrsquoadheacutesion du Royaume-Uni en 1973 a eacuteteacutelrsquooccasion de reacuteaffirmer lrsquoambition eacutecono-mique du projet la Communauteacute europeacuteenneest avant tout un vaste marcheacute garantissant

FRANCK LIRZIN

Ingeacutenieur des MinesEacuteconomiste agrave la Fondation Robert Schuman

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 28

la libre circulation des biens des servicesdes capitaux et des personnes Les Eacutetats yconservent leur souveraineteacute en matiegravere depolitique eacuteconomique notamment dans lesdomaines fiscaux budgeacutetaires moneacutetaires etsociaux tandis que lrsquoeacutequilibre politique entreles Eacutetats membres est assureacute par la coopeacutera-tion au niveau communautaire

Les entreprises ont profiteacute des opportuniteacutesqui leur ont eacuteteacute offertes au-delagrave des fron-tiegraveres nationales et la concurrence les a inci-teacutees agrave se deacutevelopper et agrave innover En 2012le commerce intra-Union europeacuteenne repreacute-sentait 4667 milliards de dollars soit 26 du commerce mondial1 Le succegraves a eacuteteacute aurendez-vous mais lrsquoouverture des frontiegraveresest-elle compatible avec le maintien des sou-veraineteacutes eacuteconomiques

Les entreprises allemandes importent depuisles ports belges et neacuteerlandais les produitspeacutetrochimiques fabriqueacutes en France sontexporteacutes vers lrsquoItalie et lrsquoAllemagne lesmeubles sueacutedois sont utiliseacutes par les meacutenageseuropeacuteens les banques slovaques deacutependentbeaucoup des banques autrichiennes etcPeu agrave peu les eacuteconomies europeacuteennes sontdevenues interdeacutependantes Lrsquointeacutegrationeuropeacuteenne a creacuteeacute ce que Robert Schumanappelait une laquo solidariteacute de fait raquo dans sadeacuteclaration du 9 mai 1950

Les deacutecisions prises en France ont forceacutementdes incidences importantes pour ses voisins etprincipaux partenaires commerciaux La baissede la fiscaliteacute pour les entreprises en Irlandeattire les investissements directs eacutetrangersmais en prive drsquoautres Eacutetats membres La sor-tie du nucleacuteaire en Allemagne reacuteduit les deacutebou-cheacutes pour les entreprises franccedilaises du secteurLa perte de controcircle des finances publiquesgrecques met en danger les banques franccedilaisesou italiennes ayant acheteacute des obligationsdrsquoEacutetat Si en pratique chaque Eacutetat conservesa souveraineteacute eacuteconomique elle est en reacutealiteacutelimiteacutee par la souveraineteacute des autres

En lrsquoabsence de reacuteelle coordination les deacuteci-sions nationales sont inefficaces ou contre-productives En eacuteconomie ouverte une

relance budgeacutetaire ne profite pas tant au paysqui la fait qursquoagrave ses voisins inversement unepolitique drsquoausteacuteriteacute a des effets reacutecessifsdans les pays voisins du pays qui la megravene2

Lrsquointeacutegration europeacuteenne produit agrave son tourde nouveaux problegravemes eacuteconomiques Ainsiles fiscaliteacutes relatives agrave la TVA eacutetant diffeacute-rentes drsquoun pays agrave lrsquoautre il est possible enfaisant de fausses deacuteclarations de frauderlrsquoadministration ce qui est appeleacute le laquo car-rousel TVA raquo Une reacuteponse ne peut ecirctre envi-sageacutee qursquoagrave un niveau communautaire

Dans les deux cas coordination des politiqueseacuteconomiques ou creacuteation drsquoune politiquecommunautaire lrsquointerdeacutependance eacutecono-mique conduit les Eacutetats membres agrave renonceragrave certaines de leurs preacuterogatives au motif delrsquoefficaciteacute Lrsquoexemple le plus flagrant de cettereconfiguration institutionnelle est la creacutea-tion de la Banque centrale europeacuteenne (BCE)

Lrsquoexemple de la Banque centraleeuropeacuteenneDans la plupart des pays la politique moneacute-taire reste lrsquoapanage du seul gouvernement LesEacutetats europeacuteens ne srsquoen sont pas priveacutes dansles anneacutees 1980 Alors confronteacutes agrave une gravecrise eacuteconomique beaucoup drsquoentre eux procegrave-dent agrave des deacutevaluations compeacutetitives Mais cesdeacutevaluations deacutestabilisent les monnaies euro-peacuteennes Elles ne sont que de bregraveves bouffeacuteesdrsquooxygegravene pour les entreprises bientocirct suiviespar une reprise de lrsquoinflation Elles ne reacuteus-sissent que parce que drsquoautres eacuteconomies sontpeacutenaliseacutees Les autres pays sont inciteacutes agrave deacuteva-luer agrave leur tour entraicircnant ainsi les monnaieseuropeacuteennes dans une spirale deacuteflationniste

Le laquo Systegraveme moneacutetaire europeacuteen raquo (SME)nrsquoa pas reacutesisteacute agrave cette tentation Ayant pourobjectif de stabiliser les monnaies euro-peacuteennes il reposait uniquement sur la coor-dination volontaire des politiques moneacutetairesnationales

Au deacutebut des anneacutees 1990 les marcheacutes accen-tuent la pression sur le Royaume-Uni et lrsquoItalie

[1] Source OMC (2012)International tradestatistics 2012

[2] Sur linterdeacutependancedes politiqueseacuteconomiques voirdans ce mecircme numeacuterolarticle de Sophie Branapp 18-26

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS 29

et les forcent agrave quitter le SME Pour rendre creacute-dible une politique moneacutetaire commune lesEacutetats membres deacutecident de mutualiser leurspolitiques moneacutetaires en creacuteant une mon-naie unique lrsquoeuro Le chemin est traceacute par lerapport Delors avec pour objectif la creacuteationdrsquoune banque centrale europeacuteenne et drsquounemonnaie unique agrave lrsquohorizon de la fin du siegravecle

Aujourdrsquohui la soliditeacute de la zone euro est agravenouveau testeacutee par les marcheacutes et certainseacuteconomistes se demandent si lrsquoabandon de lamonnaie unique ne serait pas une solution Samise en œuvre a toutefois entraicircneacute une telleinterdeacutependance moneacutetaire que toute sortiecoucircterait horriblement cher agrave lrsquoensemble desEacutetats membres condamneacutes agrave se coordonner etagrave srsquointeacutegrer toujours plus

Ainsi selon lrsquointuition des Pegraveres fondateurslrsquointeacutegration eacuteconomique preacutecegravede lrsquounificationpolitique Mais alors que la construction eacuteco-nomique est avant tout technique voire tech-nocratique et se poursuit depuis cinquanteans selon la meacutethode des laquo petits pas raquo le voletpolitique du projet europeacuteen appelle des chan-gements institutionnels importants et uneremise en cause fondamentale du modegravele desEacutetats-nations

Le principe de subsidiariteacuteConscient qursquoaucun Eacutetat ne peut plus preacute-tendre agrave exercer librement sa souveraineteacutesans empieacuteter sur celles de ses partenaires etvoisins chacun sera convaincu que la seuleissue est une feacutedeacuteration politique europeacuteenneune association kantienne drsquoEacutetats-nationsPourtant par deux fois des citoyens euro-peacuteens en France et aux Pays-Bas ont refuseacutedrsquoadopter une Constitution europeacuteenne Etchaque fois que lrsquooccasion de franchir uneeacutetape suppleacutementaire se preacutesente les gouver-nements reculent et seule lrsquoimminence drsquounecrise leur fait changer drsquoavis Il ne faudraitpas en conclure trop vite que les citoyenseacutetaient mal informeacutes ou que les gouverne-ments gardent jalousement leurs preacuterogativesndash chaque changement institutionnel suscite

au contraire drsquointenses deacutebats dans tous lesEacutetats membres La tension entre le local et lesupranational entre le politique et le techno-cratique entre le diplomatique et le juridiqueest inheacuterente agrave la construction europeacuteenne etil serait vain drsquoattendre un laquo grand soir ins-titutionnel raquo qui creacuteerait ex nihilo des Eacutetats-Unis drsquoEurope3

La reacutepartition des compeacutetences est la ques-tion-cleacute de la construction europeacuteenne quelniveau local national ou supranational serale plus apte agrave geacuterer telle ou telle compeacutetence La theacuteorie eacuteconomique donne des eacuteclairagessur le choix de la centralisation contre celuide la deacutecentralisation Chacun a ses avantageset ses inconveacutenients la centralisation permetdes eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacutevite les effets denon-coopeacuteration tandis que la deacutecentrali-sation permet de mieux srsquoadapter aux preacutefeacute-rences des citoyens et agrave la situation locale4

Dans lrsquoUnion europeacuteenne la deacutecentralisa-tion est la regravegle et la centralisation lrsquoexcep-tion crsquoest le principe de subsidiariteacute tel quepreacuteciseacute dans lrsquoarticle 5 du traiteacute sur le fonc-tionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) Ilest notamment eacutecrit que laquo les Eacutetats membrescoordonnent leurs politiques eacuteconomiques ausein de lrsquoUnion [et que] le Conseil adopte desmesures notamment les grandes orientationsde ces politiques raquo tandis que laquo lrsquoUnion prenddes mesures pour assurer la coordination despolitiques de lrsquoemploi des Eacutetats membresnotamment en deacutefinissant les lignes direc-trices de ces politiques raquo

La communautarisation de certaines poli-tiques doit donc ecirctre pleinement justifieacuteeau regard des traiteacutes Cela est drsquoautant plusimportant qursquoune fois confieacutee au niveau com-munautaire une politique peut difficilementecirctre laquo renationaliseacutee raquo

Jeux diplomatiques autourdes compeacutetences communautairesSi lrsquointerdeacutependance croissante justifie plei-nement la communautarisation de certaines

[3] Magnette P (2006)Le reacutegime politique de

lrsquoUnion europeacuteenne Paris Presses de

Sciences Po

[4] Jamet J-F (2012)LrsquoEurope peut-

elle se passer drsquoungouvernement

eacuteconomique ParisLa Documentation

franccedilaise coll laquo ReacuteflexeEurope raquo 2e eacuted

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 30

politiques eacuteconomiques leur mise en œuvresoulegraveve des difficulteacutes qui doivent nousfaire reacutefleacutechir eacutegalement en termes drsquoavan-tages et drsquoinconveacutenients de tels changementsinstitutionnels

Les difficulteacutes du transfertde compeacutetences vers lrsquoEuropeLa compeacutetence transfeacutereacutee au niveau europeacuteenpasse du domaine de la politique au champde la diplomatie vingt-huit Eacutetats membressoit vingt-huit faccedilons de concevoir le mondeet la politique eacuteconomique doivent srsquoaccor-der sur une politique commune Souventlrsquoaccord est obtenu a minima autour du pluspetit deacutenominateur commun Les politiquescommunautaires sont par conseacutequent peuambitieuses et conservatrices Certains Eacutetatsmembres preacutefegraverent alors former des laquo coopeacute-rations renforceacutees raquo pour surmonter les dif-feacuterents et ecirctre plus effectifs agrave lrsquoexemple delrsquoinstauration drsquoune taxe sur les transactionsfinanciegraveres qui implique onze Eacutetats

Le processus deacutemocratique qui preacutevalait auniveau national devient la portion congrue dunouveau jeu institutionnel et diplomatiqueEn un sens le deacuteveloppement des lobbies agrave Bruxelles la laquo comitologie raquo ou la volonteacutedu Parlement europeacuteen de parler au nomdes citoyens europeacuteens sont des reacuteactions agravelrsquoincapaciteacute de lrsquoeacutechelon europeacuteen de sortirdrsquoune logique purement institutionnelle etdiplomatique

La Commission europeacuteenneenfermeacutee dans une logiquejuridiqueLa Commission est impreacutegneacutee de cettelogique Elle nrsquoa ni la compeacutetence ni la leacutegi-timiteacute pour agir de faccedilon discreacutetionnairecomme le font les gouvernements elle doitalors se faire le gardien des traiteacutes et abor-der les politiques communautaires selonune logique tregraves juridique pour ecirctre leacutegitimeCette laquo eurocratie raquo qui nrsquoa que tregraves peu deliens directs avec le laquo monde reacuteel raquo a du malagrave faire preuve de leadership avec ce que cela

implique de gestion du quotidien et de lrsquohu-main Lrsquoimage des fonctionnaires europeacuteensenfermeacutes dans leur tour drsquoivoire est en par-tie vraie mais il ne faudrait pas en deacuteduireqursquoils en sont responsables crsquoest la struc-ture institutionnelle de lrsquoUnion europeacuteennequi les cantonne agrave cette situation

Pourtant la Commission europeacuteenne nrsquoheacute-site pas agrave user de son droit drsquoinitiative pourpousser toujours plus loin lrsquointeacutegration euro-peacuteenne Apregraves tout chaque institution en faitde mecircme lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutelargir ses preacuteroga-tives Mais cette ambition si justifieacutee qursquoellepuisse ecirctre au regard du projet europeacuteen seheurte aux reacuteticences des Eacutetats membres LeParlement europeacuteen au contraire est plu-tocirct favorable agrave lrsquoaccroissement des pouvoirsde la Commission ndash et des siens au passageCrsquoest au sein de ce trio institutionnel que sedessine le visage de lrsquoUnion europeacuteenne

Reacuteformer les institutions

Contrairement agrave lrsquointeacutegration eacuteconomique qui somme toute est assez technique mecircme si elle prend du temps lrsquointeacutegration politique implique de changer les institu-tions europeacuteennes Les diffeacuterents traiteacutes ont ainsi donneacute de plus en plus de place au Parlement Lrsquointroduction de la majo-riteacute qualifieacutee et aujourdrsquohui de la majoriteacute qualifieacutee inverseacutee deacutebloque les situations ougrave un seul Eacutetat membre pouvait bloquer lrsquoensemble du processus Les institutions europeacuteennes srsquoadaptent agrave lrsquoeacutelargissement de lrsquoUE et au deacuteveloppement des politiques communautaires

Renforcer lrsquoEurope sans la rendre plusdeacutemocratique est toutefois un piegravege Le Par-lement europeacuteen repreacutesente les citoyensmais la faible participation aux eacutelectionseuropeacuteennes ne lui donne pas une grandeleacutegitimiteacute Par ailleurs contrairement auxparlements nationaux il nrsquoa pas le pouvoirde lever lrsquoimpocirct et nrsquoest donc pas responsabledirectement devant les citoyens des poli-tiques communautaires qursquoil promeut ce quipose problegraveme De mecircme agrave trop verser dans

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS 31

les logiques diplomatiques et juridiques lesinstitutions communautaires srsquoeacuteloignentdes citoyens et aggravent le deacutesamour dontelles font lrsquoobjet Lrsquoarchitecture institution-nelle actuelle nrsquoest donc pas satisfaisanteau regard des eacutevolutions actuelles La com-plexiteacute du systegraveme deacutecisionnel europeacuteennrsquoest pas un deacutefaut de conception mais lereflet des tensions qui le traversent

Lrsquoexemple de la politique budgeacutetaireLa politique budgeacutetaire est une bonne illus-tration de ces tensions Elle est objet de sou-veraineteacute par exemple Pourtant dans uneeacuteconomie ouverte les politiques budgeacutetairesbien que deacutefinies dans un cadre nationalont des conseacutequences extra-nationales Lafiscaliteacute ou les plans de relance ne sont pasneutres La crise de la zone euro a reacuteveacuteleacute uneautre forme drsquointerdeacutependance

La crise eacuteconomique reacutecente a profondeacutementdeacuteseacutequilibreacute les finances publiques des Eacutetatseuropeacuteens Les deacuteficits publics se sont creu-seacutes au-delagrave des limites fixeacutees par le pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) et les dettespubliques de certains Eacutetats membres notam-ment la Gregravece sont devenues hors controcircle Orles obligations drsquoEacutetats europeacuteens sont princi-palement deacutetenues par les banques et insti-tutions financiegraveres europeacuteennes Le laquo risquesouverain raquo agrave savoir la probabiliteacute qursquoun Eacutetatnrsquohonore pas ses obligations eacutetait correacuteleacute aulaquo risque bancaire raquo agrave savoir la probabiliteacute defaillite drsquoune banque Les finances publiquesportugaises espagnoles ou grecques sontdevenues un enjeu europeacuteen

En 2011 et 2012 les Eacutetats de la zone euroont deacutecideacute de mieux coordonner leurs poli-tiques budgeacutetaires afin de couper le lienentre risques souverains et risques bancaireset drsquoeacuteviter qursquoune telle situation ne se repro-duise Cet engagement devait convaincreles creacutediteurs drsquoaccorder agrave nouveau leurconfiance aux obligations publiques de lazone euro et faire baisser les taux drsquointeacuterecirct

De nombreux changements ont eacuteteacute intro-duits Le traiteacute intergouvernemental sur lastabiliteacute la coordination et la gouvernance(TSCG) le laquo six-packs raquo et le laquo two-packs raquo ontintroduit des regravegles de gestion budgeacutetaire auniveau europeacuteen Les Eacutetats sont ainsi tenusdrsquoadopter des plans de redressement de leursfinances publiques (la laquo regravegle drsquoor raquo) tandisque la Cour de justice europeacuteenne peut infli-ger des sanctions financiegraveres allant jusqursquoagrave05 du PIB Lrsquoeffort est sans preacuteceacutedent

Pourtant il nrsquoest pas sucircr qursquoil soit suffisantLes taux drsquointeacuterecirct ont baisseacute comme espeacutereacutemais davantage parce que la Banque cen-trale europeacuteenne (BCE) srsquoest deacuteclareacutee precircte agravetout pour les maintenir agrave des niveaux faiblesEn outre la reacuteduction des deacuteficits publics acontribueacute agrave ralentir lrsquoeacuteconomie europeacuteenneEnfin les marcheacutes financiers restent frag-menteacutes et lrsquoaccegraves au creacutedit difficile pour lesPME de la peacuteripheacuterie de la zone euro Beau-coup reste agrave faire

Le problegraveme des deacuteseacutequilibresmacroeacuteconomiquesLrsquoouverture des marcheacutes puis la creacuteationdrsquoune monnaie unique ont acceacuteleacutereacute la recom-position de lrsquoindustrie europeacuteenne au profitdes reacutegions deacutejagrave les plus innovantes ou capita-listiques comme lrsquoItalie du Nord lrsquoAllemagnede lrsquoOuest ou le Sud des Pays-Bas Les eacutecono-mies peacuteripheacuteriques ont maintenu un taux decroissance important en misant sur les ser-vices financiers et la construction mais cessecteurs ne contribuent que tregraves marginale-ment agrave lrsquoeacutequilibre de la balance commercialeIls se sont endetteacutes pour maintenir leur trainde vie et la crise financiegravere a mis lrsquoeacutedifice agravebas La crise des finances publiques nrsquoest pastant la cause de la crise de la zone euro que laconseacutequence drsquoune construction eacuteconomiqueimparfaite5

La question drsquoune politique industrielleou sociale refait surface Les affaires defraudes fiscales ont relanceacute le deacutebat sur la

[5] Aglietta M (2012)Zone euro eacuteclatement

ou feacutedeacuteration ParisMichalon

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 32

coordination des politiques fiscales La laquo soli-dariteacute de fait raquo peut-elle maintenant devenirune laquo solidariteacute drsquoactes raquo par laquelle lespays riches aident les pays en crise agrave se reacutein-dustrialiser et agrave recreacuteer des emplois Faut-ilcreacuteer un laquo gouvernement eacuteconomique raquo

Certains imaginent doter lrsquoUnion europeacuteennedrsquoun systegraveme bicameacuteral (Conseil et Parlementeuropeacuteen) choisissant lrsquoexeacutecutif (le preacutesidentde la Commission) Drsquoautres songent agrave insti-tutionnaliser la zone euro en creacuteant une com-mission speacutecifique au sein du Parlement et unTreacutesor de la zone euro chargeacute de la politiqueeacuteconomique europeacuteenne

Ces changements supposent un accord delrsquoensemble des Eacutetats membres Or les pro-blegravemes de la zone euro pour importantsqursquoils soient ne concernent que dix-septEacutetats membres et ne justifient pas un chan-gement institutionnel de lrsquoUnion europeacuteenne

Par ailleurs les Eacutetats membres ne sont pas dutout drsquoaccord sur les changements agrave apporterLrsquoAllemagne est attacheacutee agrave lrsquoordo-libeacuteralismecrsquoest-agrave-dire un encadrement du marcheacute parlrsquoEacutetat et une institutionnalisation des rela-tions sociales tandis que la France privileacutegieune forme de libeacuteralisme dirigeacute ou de colber-tisme Comment concilier les deux

La communautarisation de pans entiers despolitiques eacuteconomiques qursquoil srsquoagisse du fis-cal du social ou de lrsquoindustriel exacerbera lestensions deacutejagrave deacutecrites la Commission aurait-elle la compeacutetence et la leacutegitimiteacute pour pilo-ter certaines politiques industrielles alorsmecircme qursquoelle se montre fermement attacheacuteeactuellement agrave la logique de concurrence Lescitoyens ne se sentiront-ils pas encore pluseacuteloigneacutes drsquoun pouvoir centraliseacute agrave Bruxelles

Plus important encore peut-on reacuteellementcroire que les systegravemes socio-eacuteconomiquessont simplement miscibles Une mise encommun de certaines politiques par exempledrsquoinnovation suppose en effet des similitudesOr les systegravemes drsquoinnovation ont chacun leursparticulariteacutes ancreacutees dans plusieurs siegraveclesdrsquohistoire Ils peuvent travailler en compleacute-mentariteacute comme le deacutemontre lrsquoexemple

drsquoEADS neacute de la fusion de trois entiteacutes Aeros-patiale-Matra (France) DASA (Allemagne) etCASA (Espagnol) mais pas fusionner totale-ment Il faut du temps et de la patience pourque le projet reacuteussisse6 Comment croire quenous serons capables de faire en trois ans etavec vingt-huit Eacutetats ce qursquoEADS a mis desdeacutecennies agrave creacuteer avec seulement trois pays

Un nouveaulaquo gouvernement mixte raquo Lrsquointerdeacutependance croissante des Eacutetatsmembres pousse agrave davantage drsquointeacutegrationpolitique et agrave des changements institution-nels Mais est-il possible drsquoaller plus loinsans remettre en cause fondamentalementles Eacutetats-nations et le reacutegime parlementairedeacutemocratique actuel La preacutevalence drsquounelogique intergouvernementale lrsquoinexistencedrsquoun demos europeacuteen et lrsquoimpossibiliteacute degeacuterer un si vaste et si divers ensemble poli-tique plaide en faveur drsquoune reacuteponse neacutegative

Un changement institutionnel srsquoil nrsquoestpas probable est-il mecircme souhaitable Laconstruction europeacuteenne est le reflet des mul-tiples tensions qui la traversent et la traver-seront demain encore Plutocirct que de vouloirla clarifier et rationaliser agrave tous prix mieuxvaudrait favoriser la participation de tousles inteacuterecircts aux processus deacutecisionnels selonune proceacutedure transparente pragmatique eteacutequitable

Le modegravele de Montesquieu de seacuteparation despouvoirs tregraves utile pour deacutecrypter le fonc-tionnement des Eacutetats-nations est moinspertinent pour la construction europeacuteenneLes modegraveles de laquo gouvernement mixte raquo7 telsqursquoils existaient agrave drsquoautres eacutepoques illustrentmieux ce vers quoi pourrait tendre lrsquoEurope un meacutelange de plusieurs systegravemes politiquesdont lrsquoentrelacement garantit la peacuterenniteacute etla capaciteacute agrave prendre en compte lrsquoensembledes inteacuterecircts Aristote disait de ce reacutegime qursquoilest laquo la plus sucircre des formes imparfaites raquo

[6] Barmeyer Chet Mayrhofer U (2008)The contributionof interculturalmanagement tothe success ofinternational mergersand acquisitions An analysis of the EADSgroup In InternationalBusiness Review Jg 172008 S 28-38

[7] Chopin Th (2013)Vers un veacuteritablepouvoir exeacutecutifeuropeacuteen de lagouvernance augouvernement Question drsquoEuropendeg 274 Fondation RobertSchuman 15 avril

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 33

Le deacutebat sur les regravegles de politique budgeacutetaire a connu un regain drsquointeacuterecirct avec la crise des dettes souveraines particuliegraverement avec le vote en Europe du TSCG ndash traiteacute sur la stabiliteacute la coordination et la gouvernance au sein de lrsquoUnion eacuteconomique et moneacutetaire ndash qui preacutevoit une laquo regravegle drsquoor des finances publiques raquo limitant les deacuteficits structurels agrave 05 du PIBPreacutesenteacutees tantocirct comme une neacutecessiteacute pour limiter les deacuteficits et lrsquoendettement publics tan-tocirct comme des dispositifs anti-deacutemocratiques allant agrave lrsquoencontre du rocircle contracyclique des politiques conjoncturelles le bien-fondeacute des regravegles budgeacutetaires est tregraves deacutebattu Apregraves avoir preacutesenteacute leurs avantages et leurs limites Jeacuterocircme Creel fait le point sur la diversiteacute de ces regravegles et sur leur efficaciteacute drsquoautant plus difficile agrave eacutevaluer qursquoelles sont de plus en plus com-plexes Au-delagrave de la question des regravegles le deacutebat sur les bonnes pratiques de politique bud-geacutetaire porte eacutegalement sur lrsquoexistence drsquoinstitutions qui pourraient heacuteriter des preacuterogatives des gouvernements ou du moins avoir pour rocircle de les conseiller

Problegravemes eacuteconomiques

Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire

Intense avant lrsquoadoption des critegraveres deMaastricht le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute drsquoins-taurer des regravegles de politique budgeacutetaire a eacuteteacuterelanceacute au cours de la crise financiegravere inter-nationale En effet les regravegles en vigueur dansla zone euro ndash notamment la limitation desdeacuteficits publics agrave 3 du PIB ndash nrsquoont pas per-mis drsquoeacutechapper agrave la fameuse crise des dettessouveraines Et au-delagrave de lrsquoEurope la fortedeacutegradation de lrsquoeacutetat des finances publiquesa fait craindre le retour des deacutefauts souve-rains dans les pays deacuteveloppeacutes

Selon un document du FMI (Schaechter et al2012) seuls cinq pays dans le monde dispo-saient drsquoune regravegle budgeacutetaire srsquoappliquant augouvernement en 1990 lrsquoAllemagne lrsquoIndoneacute-sie le Japon le Luxembourg et les Eacutetats-UnisDepuis lors pas moins de 76 pays sont concer-neacutes Plutocirct formuleacutees simplement agrave lrsquoorigine(comme une limite agrave 3 du deacuteficit public) cesregravegles deviennent de plus en plus complexesintroduisant les notions peu eacutevidentes drsquoinsou-tenabiliteacute des finances publiques et de contin-gence aux chocs eacuteconomiques Or ces termesdonnent lieu agrave une diversiteacute drsquointerpreacutetationsIn fine ces nouvelles regravegles posent de deacutelicatsproblegravemes de controcircle et de mise en œuvreLeur efficaciteacute est bien difficile agrave appreacutehender

JEacuteROcircME CREEL

OFCE et ESCP Europe

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 34

Pourquoi des regravegles budgeacutetaires Deux principaux arguments ont eacuteteacute avanceacutespour justifier lrsquoapplication de regravegles de poli-tique budgeacutetaire En premier lieu celui dela creacutedibiliteacute et de la coheacuterence temporelledans la ligneacutee de Kydland et Prescott (1977)

Regravegle et creacutedibiliteacute

Le premier argument part de lrsquoideacutee que lesgouvernements et les banques centralessont victimes drsquoun laquo biais inflationniste raquoIls seraient enclins agrave mener des politiquesbudgeacutetaires et moneacutetaires expansives afinde pousser lrsquoeacuteconomie au-delagrave de lrsquoeacutequilibrepermis par ses facteurs de production Letaux drsquoinflation serait alors supeacuterieur agrave celuiqursquoils avaient preacutealablement communiqueacuteaux acteurs priveacutes Lrsquoeffet rechercheacute est unebaisse du salaire reacuteel engendrant plus decroissance et plus drsquoemplois

Toutefois si les acteurs priveacutes ont des anti-cipations laquo rationnelles raquo ils peuvent preacutevoirle comportement des gouvernements et desbanques centrales les salarieacutes vont doncaugmenter leurs revendications salarialesau-delagrave des engagements drsquoinflation desautoriteacutes Les salaires nominaux vont alorsprogresser non pas au rythme de lrsquoinflationinitialement afficheacutee mais agrave celui de lrsquoinfla-tion effectivement engendreacutee par des poli-tiques expansionnistes En conclusion souslrsquohypothegravese drsquoanticipations rationnelles lespolitiques eacuteconomiques ne modifient pas lesniveaux de production et drsquoemploi mais ontdes effets sur lrsquoinflation

Dans ce contexte parce que le biais inflation-niste produit effectivement de lrsquoinflation il estnocif pour lrsquoeacuteconomie Lrsquoinflation induit desmodifications de prix relatifs (tous les prix nepeuvent pas augmenter de concert en raisondes deacutecalages temporels dans les contratseacutetablis par exemple) qui perturbent le bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie elle provoquedes pertes de compeacutetitiviteacute si les partenairescommerciaux sont moins soumis au biaisinflationniste ainsi que des modifications de

recettes fiscales si les baregravemes drsquoimpositionne sont pas indexeacutes sur les prix

Deux solutions ont eacuteteacute apporteacutees agrave ce biaisinflationniste La premiegravere a consisteacute agrave pro-mouvoir des regravegles contraignantes de poli-tique eacuteconomique les engagements prisdoivent ecirctre creacutedibles ce qui neacutecessite que lesobjectifs des autoriteacutes soient clairement iden-tifieacutes et qursquoils correspondent agrave la situationdrsquoeacutequilibre de lrsquoeacuteconomie Cette exigence srsquoesttraduite concregravetement par une geacuteneacuteralisationdes laquo cibles drsquoinflation raquo La seconde solutionqui peut ecirctre compleacutementaire de la premiegraverea consisteacute agrave deacuteleacuteguer la politique moneacutetaire agraveune banque centrale deacutesormais indeacutependantedu pouvoir politique Les banquiers centrauxdoivent en conseacutequence ecirctre choisis pour leuraversion reconnue vis-agrave-vis de lrsquoinflation

Quelles sont les conseacutequences de ces choixsur les politiques budgeacutetaires Assez natu-rellement les regravegles contraignantes drsquoenga-gement preacutealable auxquelles se soumettentles politiques moneacutetaires se sont imposeacuteesaux politiques budgeacutetaires Soucieux de leurreacuteeacutelection les gouvernements sont particu-liegraverement inciteacutes dans le raisonnement tenuplus haut agrave pratiquer des politiques plusexpansives que preacutevu Or non seulement cespratiques nuisent agrave lrsquoeacutequilibre des financespubliques mais elles compromettent lrsquoobjec-tif assigneacute aux banques centrales leur cibledrsquoinflation Lrsquoimposition de regravegles de politiquebudgeacutetaire protegravege le mandat des banquierscentraux indeacutependants et averses agrave lrsquoinfla-tion Par conseacutequent elles doivent apporteraux gouvernements de la creacutedibiliteacute pourvubien sucircr qursquoelles soient appliqueacutees ou que desproceacutedures de sanctions soient organiseacutees encas de manquement Si la creacutedibiliteacute est aurendez-vous lrsquoavantage attendu sera un tauxdrsquointeacuterecirct faible sur la dette publique car lerisque de deacutefaut sera consideacutereacute comme limiteacute

Regravegle et biais politique

Le deuxiegraveme argument concerne la compo-sition des deacuteficits publics entre deacutepenseset recettes mais aussi les asymeacutetries

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 35

drsquoinformation entre les eacutelecteurs et leurs gou-vernements (von Hagen 2002)

Le premier aspect consiste agrave rappeler queles deacutepenses publiques comme les transfertsbeacuteneacuteficient agrave un sous-groupe de la popula-tion alors que tous les contribuables doiventen financer le coucirct une telle politique estredistributive Si le gouvernement repreacutesenteles inteacuterecircts du sous-groupe de la populationqui beacuteneacuteficie effectivement de la politiquebudgeacutetaire ou fiscale il peut ecirctre ameneacute agravesurestimer les beacuteneacutefices de sa politique et agravesous-estimer son coucirct Dans un tel contexteil peut ecirctre leacutegitime de restreindre les capa-citeacutes drsquoaction du gouvernement pour limiterle fardeau qui pegravesera sur les contribuables

Le second aspect tient agrave la difficulteacute pourles eacutelecteurs drsquoappreacutehender avec justesse lecomportement du gouvernement (on srsquoeacuteloignedonc quelque peu de la notion drsquoanticipa-tions rationnelles vue plus haut) celui-cipourrait tregraves bien poursuivre exclusivementson propre inteacuterecirct et extraire une rente de sasituation avec pour conseacutequence corruptionmauvaise gestion et gacircchis en tout genreCompte tenu de cette difficulteacute agrave preacutevoir lesmotivations de lrsquoaction politique des garde-fous peuvent srsquoaveacuterer neacutecessaires les regraveglesbudgeacutetaires prennent alors aussi la formedrsquoinstitutions efficaces pour produire lesbons comportements (comme viser lrsquointeacuterecirctgeacuteneacuteral) et les controcircler

Regravegle et union moneacutetaire

Il existe finalement un troisiegraveme argumentagrave lrsquoadoption de regravegles budgeacutetaires mais il acertainement perdu de sa substance au profitdu deuxiegraveme plus politique que nous avonspreacutesenteacute Il concerne les speacutecificiteacutes drsquouneunion moneacutetaire

Dans une union moneacutetaire une contraintesur la dette publique est neacutecessaire ndash techni-quement ndash pour atteindre lrsquoeacutequilibre macro-eacuteconomique stable de longue peacuteriode1 Dansun ensemble eacuteconomique ougrave les monnaiessont diffeacuterentes lrsquoincertitude sur la valeurdes actifs en devises et lrsquoaversion pour le

risque permettent de deacuteterminer la partde titres eacutetrangers que souhaitent deacutetenirles acteurs priveacutes incertitude et aversionpour le risque suffisent donc agrave deacuteterminerle partage de la richesse totale des meacutenagesentre titres domestiques et titres eacutetrangersLorsque la monnaie devient unique ce par-tage est indeacutetermineacute puisque le risque estsupposeacute avoir disparu les taux drsquointeacuterecirctnominaux doivent ecirctre eacutegaux agrave long termedans tous les pays Sans contrainte sur ledeacuteficit public qui engendre lrsquoeacutemission detitres domestiques la richesse des agentspriveacutes pourrait ecirctre stabiliseacutee (agrave lrsquoeacutequilibrede longue peacuteriode) sans que ni les montantsde titres eacutetrangers ni ceux de titres domes-tiques ne le soient les uns et les autres eacutetantbeaucoup plus substituables puisqursquoil nrsquoy aplus de risque de change La contrainte surle deacuteficit public remplace celle sur le deacuteficitexteacuterieur Il est inteacuteressant de constater quecet argument technique a eacuteclateacute parce que lerisque de change dans la zone euro a resurgisous lrsquoeffet des hausses de dettes publiques la question de lrsquoappartenance agrave la zoneeuro srsquoest poseacutee de nouveau La leveacutee de lacontrainte exteacuterieure non compenseacutee par unecontrainte stricte sur les deacuteficits et les dettespublics a produit des deacuteseacutequilibres courantsfinalement insoutenables

Les contre-argumentsLes trois arguments que nous venons depreacutesenter srsquoils permettent drsquoexpliquerlrsquoeacutemergence des regravegles budgeacutetaires ne lesjustifient pas pour autant dans la mesure ougraveils reposent tous sur des hypothegraveses fortes

Les regravegles budgeacutetaires issues de la theacuteorie dela creacutedibiliteacute preacutesupposent

ndash lrsquoexistence drsquoacteurs priveacutes parfai-tement informeacutes du comportement desgouvernements

ndash des gouvernements voulant mener lrsquoeacuteco-nomie systeacutematiquement au-delagrave de sonpotentiel

ndash des gouvernements capables drsquoinfluereffectivement sur les prix

[1] Agrave cet eacutequilibrede longue peacuteriode

le montant total drsquoactifspriveacutes et publics

deacutetenus par les acteurspriveacutes est constant

en proportion du PIBIl correspond agrave une

eacutepargne de long terme

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 36

On pourra admettre qursquoil srsquoagit lagrave drsquohypo-thegraveses de travail dans le cadre drsquoune eacutelabora-tion scientifique et qursquoen pratique les regraveglesbudgeacutetaires au lieu de chercher agrave empecirccherles gouvernements de tricher sur leurs enga-gements vont chercher agrave limiter ou agrave atteacute-nuer les pratiques deacuteviantes Dans ce caslrsquoimposition de regravegles budgeacutetaires souplespermettra de laisser quelques marges demanœuvre en cas de doute sur lrsquointerpreacuteta-tion agrave donner aux deacutecisions politiques unehausse du deacuteficit public peut se justifier parune insuffisance de la demande mal identifieacuteepar des acteurs priveacutes ne disposant pas drsquounevue globale de lrsquoeacuteconomie Il nrsquoy a pas lagravematiegravere agrave imaginer un Eacutetat cherchant agrave inter-venir au-delagrave du neacutecessaire dans lrsquoeacuteconomieAgrave lrsquoinverse lrsquoimposition drsquoune regravegle stricte debudget eacutequilibreacute pourrait ecirctre preacutejudiciableagrave la reacutegulation conjoncturelle si la politiquemoneacutetaire seule nrsquoeacutetait pas en mesure dereacutesorber les chocs La forme des regravegles doitdonc ecirctre eacutevoqueacutee (cf infra)

Les regravegles budgeacutetaires issues de la reacuteflexionsur le problegraveme drsquoasymeacutetrie drsquoinformationentre les autoriteacutes et les citoyens supposentque les motivations du gouvernement sontconnues au lieu drsquoecirctre laquo opportuniste raquo(Nordhaus 1975) mimant en peacuteriode preacute-eacutelectorale les preacutefeacuterences de lrsquoeacutelectorat pourle satisfaire et ecirctre reacuteeacutelu le gouvernementserait laquo partisan raquo (Hibbs 1977) deacutefendantles seuls inteacuterecircts de son eacutelectorat La vali-diteacute empirique de cette hypothegravese continuecependant de faire deacutebat en outre srsquoil existedes eacuteleacutements empiriques attestant lrsquoinfluencedes choix politiques sur les choix budgeacutetaireset fiscaux dans certains pays leurs implica-tions sur les variables comme lrsquoinflation nesont pas aveacutereacutees2 Ces reacutesultats mettent par-tiellement en doute la neacutecessiteacute de recourir agravedes regravegles budgeacutetaires pour limiter les effetsde deacutebordement des politiques publiquesQuant agrave la question de la corruption et de lacaptation de rente par les gouvernements ilsuffit de tester la correacutelation entre regravegle bud-geacutetaire et indice de corruption3 pour veacuterifierqursquoil nrsquoy a pas de relation univoque entre les

deux situations de nombreux pays disposantdrsquoune regravegle ont aussi un degreacute de corruptionrelativement faible (Finlande Danemark)mais drsquoautres tels que la Gregravece ou lrsquoItalieaffichent des niveaux de corruption relati-vement eacuteleveacutes Certes les premiers les res-pectent semble-t-il mieux que les secondsmais la causaliteacute entre les deux situations(corruptionregravegle) nrsquoest pas eacutetablie

Enfin si la regravegle budgeacutetaire drsquoajustement agraveun niveau de dette publique deacutesireacutee est bienune condition neacutecessaire agrave lrsquoobtention drsquouneacutequilibre de long terme satisfaisant pour lesactifs financiers des meacutenages elle nrsquoimpliquepas que la politique budgeacutetaire soit paralyseacuteedegraves le court terme

Ces remarques mettent en doute lrsquoutiliteacutedrsquoimposer meacutecaniquement des regravegles bud-geacutetaires qui peuvent reacuteduire arbitrairementles marges de manœuvre des gouvernementsconfronteacutes agrave des chocs macroeacuteconomiques etagrave des fluctuations eacuteconomiques

Regravegles budgeacutetaires et institutionsDiffeacuterents types de regraveglesLes regravegles budgeacutetaires en vigueur portent surdiffeacuterentes variables de finances publiquesElles peuvent ecirctre annuelles ou porter sur lemoyen terme Elles peuvent ecirctre locales natio-nales ou supranationales comme le Pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) qui srsquoappliqueagrave tous les Eacutetats membres de lrsquoUnion euro-peacuteenne Sur un mecircme territoire elles peuventse cumuler les reacutegions franccedilaises sont sou-mises agrave une regravegle portant sur lrsquoinvestisse-ment public tandis que lrsquoEacutetat franccedilais estsoumis via le PSC agrave une regravegle sur le deacuteficittotal et agrave une regravegle sur la dette et via le traiteacutebudgeacutetaire agrave une regravegle sur le deacuteficit structu-rel Les regravegles peuvent ecirctre inscrites dans laconstitution comme en Allemagne ou ne paslrsquoecirctre comme en France

Les regravegles de budget eacutequilibreacuteTentons de cerner toutes les variables definances publiques qui donnent lieu agrave une

[2] Cf Drazen (2001)et sa discussion avecO Blanchard

[3] LrsquoorganisationTransparencyInternational fournitun indice de corruptionpar pays

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 37

regravegle budgeacutetaire Les regravegles de budget eacutequili-breacute sont sans doute les plus connues le PSCstipule en effet que le deacuteficit public ne doitpas deacutepasser annuellement 3 du PIB endehors de circonstances exceptionnelles etqursquoagrave moyen terme le budget doit ecirctre eacutequi-libreacute Simples agrave controcircler et ayant un impactdirect sur lrsquoeacutevolution de la dette publique cesregravegles peuvent ne pas laisser suffisammentde marges de manœuvre pour faire face agrave desfluctuations drsquoactiviteacute ou agrave des chocs eacutecono-miques inattendus

Les regravegles de deacuteficit structurel4 comme celleinscrite dans le traiteacute budgeacutetaire ndash agrave moyenterme le deacuteficit structurel ne doit pas deacutepas-ser 05 du PIB ndash corrigent les deacutefauts de laregravegle preacuteceacutedente mais sont moins simples agravecontrocircler En effet les variations drsquoactiviteacutesont eacutevalueacutees par rapport agrave une eacutevolutionlaquo normale raquo de lrsquoactiviteacute celle du PIB poten-tiel qui nrsquoest pas observable et doit donc ecirctreeacutevalueacute lui aussi avec toutes les erreurs drsquoes-timation et les divergences drsquointerpreacutetationque cela peut impliquer

Les regravegles de dette

Les regravegles de dette consistent agrave limiter ladette en proportion du PIB en deccedilagrave drsquouncertain seuil etou agrave ramener le ratio vers ceseuil agrave un rythme preacutedeacutefini Parce que la dettepublique eacutevolue au greacute des deacuteficits publicsune regravegle portant sur la dette comporte lesmecircmes deacutefauts qursquoune regravegle de budget eacutequili-breacute Elle preacutesuppose en outre lrsquooptimaliteacute dumoins le niveau adeacutequat de la dette publiqueOr aucun principe eacuteconomique ne permetdrsquoaffirmer qursquoil existe agrave tout instant et danstous les pays un niveau optimal et intangiblede dette publique La regravegle de dette se heurtedonc agrave lrsquoimpossibiliteacute de deacutefinir un seuil adeacute-quat agrave moins de le faire varier en fonction denombreux paramegravetres lrsquoinflation qui modifiesa valeur reacuteelle le taux drsquointeacuterecirct qui fixe lescharges de la dette la deacutemographie qui deacuteter-mine le ratio de deacutependance entre inactifsacircgeacutes et actifs et pegravese donc sur les deacutepenseset les cotisations de retraites sur le tauxdrsquoeacutepargne et in fine sur la demande drsquoactifs

financiers etc Une regravegle variable perdraittregraves certainement toute simpliciteacute elle seraitincompreacutehensible pour le grand public qui nesaurait donc pas lrsquointeacutegrer dans son compor-tement et ses attentes

Les regravegles de deacutepenses

Les regravegles de deacutepenses peuvent amener agraveexclure certaines drsquoentre elles du deacuteficit agravecontenir Tel est le cas de la regravegle drsquoor desfinances publiques qui autorise le finance-ment obligataire des deacutepenses drsquoinvestis-sement et oblige agrave eacutequilibrer deacutepenses defonctionnement et recettes fiscales Une telleregravegle peut donner lieu agrave une augmentation dela dette publique et de la prime de risque dedeacutefaut si les investissements publics ne pro-duisent pas les beacuteneacutefices attendus en termes decroissance Elle peut conduire agrave privileacutegier desdeacutepenses drsquoinfrastructures au deacutetriment desdeacutepenses drsquoeacuteducation et nuire agrave la croissanceeacuteconomique future Elle pose donc la questiondes deacutepenses productives agrave favoriser Drsquoautresregravegles de deacutepenses adoptent une approchebeaucoup plus comptable qursquoeacuteconomique enlimitant sans discernement la hausse du ratiode deacutepenses publiques Le peacuterimegravetre de lrsquoEacutetatpeut facilement ecirctre restreint par ce biais cequi est source selon certains drsquoefficaciteacute ndash unEacutetat moins deacutepensier doit lever moins drsquoim-pocircts potentiellement nuisibles aux incitationsagrave produire agrave travailler voire agrave consommer mais cela risque fort drsquoengendrer une baissedes deacutepenses sociales gages de seacutecuriteacute pourceux qui en beacuteneacuteficiaient etou une diminu-tion des investissements publics nuisible agravelong terme pour la croissance

Des institutions chargeacuteesde la politique budgeacutetaire

La multipliciteacute des regravegles rend les comparai-sons internationales quant agrave leur eacuteventuelleefficaciteacute particuliegraverement deacutelicates En touteacutetat de cause il nrsquoexiste pas de regravegle bud-geacutetaire optimale permettant de faire face agravetoutes les contingences Et si elle existaitil serait impossible de la controcircler tant elleserait compliqueacutee agrave appreacutehender

[4] Le deacuteficit structurelest corrigeacute de

lrsquoimpact automatiquedes variations drsquoactiviteacutesur les recettes fiscales

et les deacutepenses socialesnotamment

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 38

Face agrave cette impasse plusieurs eacuteconomistestels Juumlrgen von Hagen ou Charles Wyploszont depuis longtemps proposeacute que la poli-tique budgeacutetaire soit peu ou prou deacuteleacutegueacuteeagrave un comiteacute de politique budgeacutetaire commela politique moneacutetaire est deacuteleacutegueacutee dans lazone euro agrave une banque centrale indeacutepen-dante Cette deacuteleacutegation reacutesoudrait en grandepartie les trois problegravemes eacutevoqueacutes plus haut celui de la creacutedibiliteacute celui de lrsquoasymeacutetriedrsquoinformation et celui de lrsquoeacutequilibre de longterme dans une union moneacutetaire Il faudraitcependant et cela nrsquoest pas une mince condi-tion que ledit comiteacute dispose effectivementdu pouvoir de deacutecider des politiques budgeacute-taires agrave mettre en œuvre Face au problegravemedeacutemocratique qursquoune telle deacuteleacutegation pose(cf Mathieu et Sterdyniak 2012) et face agrave la

reacuteticence des gouvernements agrave ecirctre deacuteposseacute-deacutes du pouvoir budgeacutetaire des conseils depolitique budgeacutetaire ont vu le jour dans denombreux pays depuis longtemps aux Eacutetats-Unis avec le Congressional Budget Office creacuteeacuteen 1975 ou plus reacutecemment en Sloveacutenie avecle Fiscal Council creacuteeacute en 2010 Si de telles ins-titutions peuvent aider agrave controcircler les poli-tiques budgeacutetaires ils ne sont geacuteneacuteralementpas organiseacutes pour juger de lrsquoadeacutequation de lapolitique budgeacutetaire agrave des conditions drsquoacti-viteacute mouvantes (Wyplosz 2011) Le deacutebat surles bonnes pratiques de politique budgeacutetairereste donc largement ouvert regravegle ou dis-creacutetion quelle regravegle avec ou sans conseil depolitique budgeacutetaire agrave quel horizon Tellessont les questions

DRAZEN A (2001) laquo The political business cycleafter 25 years raquo in BernankeB et Rogoff K (eds) NBERMacroeconomics Annual2000 vol 15

HAGEN J (von) (2002)laquo Fiscal rules fiscalinstitutions and fiscalperformance raquo The Economicand Social Review vol 33ndeg 3

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MATHIEU C et STERDYNIAK H(2012) laquo Faut-il des regraveglesde politique budgeacutetaire raquoRevue de lrsquoOFCE vol 126

NORDHAUS WD (1975) laquo The Political BusinessCycle raquo Review of EconomicStudies vol 42 ndeg 2

SCHAECHTER A KINDA TBUDINA N et WEBER A (2012)

laquo Fiscal rules in responseto the crisis ndash towards theldquonext-generationrdquo rules Anew dataset raquo Document detravail ndeg 187 FMI

WYPLOSZ C (2011) laquo Fiscaldiscipline rules ratherthan institutions raquo NationalInstitute Economic Review vol 217

WYPLOSZ C (2012) laquo Fiscalrules theoretical issuesand historical experiences raquoDocument de travail ndeg 17784NBER

POUR EN SAVOIR PLUS

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 39

La France est reacuteguliegraverement pointeacutee du doigt pour son taux de deacutepenses publiques ndash 566 du PIB ndash parmi les plus eacuteleveacutes du monde qui deacutecouragerait lrsquoinitiative priveacutee et favoriserait lrsquoeacutevasion fiscale Agrave lrsquoheure ougrave la crise des dettes souveraines oblige les Eacutetats agrave reacutealiser des efforts budgeacutetaires lrsquoaccent est particuliegraverement mis sur la neacutecessiteacute de reacuteduire les deacutepenses afin drsquoeacuteviter drsquoaccroicirctre les preacutelegravevements obligatoiresToutefois comme le montre Adrien Matray le haut niveau des deacutepenses publiques en France est essentiellement ducirc agrave la geacuteneacuterositeacute des deacutepenses sociales ainsi lrsquoappareil drsquoEacutetat ne coucircte pas plus cher en France qursquoailleurs et srsquoavegravere mecircme moins dispendieux que son homologue britannique ou ameacutericain Crsquoest le choix de confier au secteur public une plus grande part de la protection sociale qui explique le haut niveau des deacutepenses publiques Or ce choix est loin drsquoecirctre inefficace drsquoun point de vue collectif Lrsquoargent public pourrait neacuteanmoins ecirctre mieux utiliseacute en affectant diffeacuteremment certaines ressources

Problegravemes eacuteconomiques

Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France

La France au seindes pays deacuteveloppeacutes

Des deacutepenses publiques eacuteleveacuteesreflet drsquoun partage diffeacuterententre Eacutetat et marcheacute

En 2012 les deacutepenses publiques fran-ccedilaises repreacutesentaient 566 du PIB undes taux les plus eacuteleveacutes au monde Mais

cela ne signifie pas pour autant que lrsquoEacutetatserait plus dispendieux qursquoailleurs Poursrsquoen rendre compte il suffit de consideacutererle poids des deacutepenses de fonctionnementdes administrations publiques (salaires etconsommations intermeacutediaires du secteurpublic) dans le PIB (graphique 1) Avec unniveau de 187 le fonctionnement de lrsquoap-pareil drsquoEacutetat est moins coucircteux que dansles pays scandinaves mais aussi qursquoauRoyaume-Uni (235 ) ou aux Eacutetats-Unis(199 ) La France nrsquoest de ce point de vuepas tregraves eacuteloigneacutee de la moyenne de lrsquoUnioneuropeacuteenne (175 )

La deacutepense publique recouvre des eacuteleacute-ments tregraves diffeacuterents On la deacutecompose

ADRIEN MATRAY

Doctorant agrave HEC Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 40

geacuteneacuteralement en quatre grands postes les deacutepenses publiques collectives (ou deacutepenses publiques au sens strict) comme lrsquoadmi-nistration des services geacuteneacuteraux le main-tien de lrsquoordre lrsquoarmeacutee etc les deacutepenses drsquoeacuteducation les deacutepenses de santeacute et enfin les deacutepenses de transferts assurantiels (assurance retraite ou assurance chocircmage)appeleacutees aussi laquo deacutepenses sociales raquo Ces derniegraveres se diffeacuterencient des autres par la nature du beacuteneacuteficiaire et par leur mode de financement Elles ont un beacuteneacuteficiaire direct (alors que les deacutepenses drsquoadministration apportent un beacuteneacutefice diffus) et sont finan-ceacutees sur la base drsquoune cotisation ouvrant droit agrave des prestations

En France les deacutepenses se deacutecomposenten 2011 de la faccedilon suivante 182 pourles deacutepenses collectives 84 pour la

santeacute 62 pour lrsquoeacuteducation et enfin 237 pour les deacutepenses sociales La somme desdeacutepenses publiques hors deacutepenses socialesrepreacutesente ainsi plus de la moitieacute de sesdeacutepenses totales ce qui la place au 8e rangdes pays de lrsquoOCDE en 2011 agrave un niveaueacutequivalent agrave celui de lrsquoIrlande et derriegravereles Eacutetats-Unis le Royaume-Uni ou les Pays-Bas Avec un niveau de 328 du PIB laFrance se situe leacutegegraverement au-dessus dela moyenne des pays de lrsquoOCDE (29 ) Cefaible eacutecart tient au fait que lrsquoessentiel deces deacutepenses sont difficilement compres-sibles car elles touchent en grande partieaux fonctions reacutegaliennes de lrsquoEacutetat et quetout pays deacuteveloppeacute a besoin drsquoune policedrsquoune justice ou drsquoune administration eneacutetat de marche Degraves lors agrave moins drsquoavoirun Eacutetat particuliegraverement dispendieux les

1 Poids des deacutepenses de fonctionnement ( du PIB)

0

5

10

15

20

25

30

Union

agrave 2

7

Zone

eur

o

Eacutetat

s-Uni

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Reacutepub

lique

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Polo

gne

Danem

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Suegravede

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Uni

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gne

Italie

Allem

agne

Fran

ce

187

128

164 166

235 231

283

153

131

199

16175

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 41

diffeacuterences entre pays sont neacutecessairementfaibles Lrsquoeacutecart entre les deacutepenses publiquesfranccedilaises et la moyenne de lrsquoOCDE sereacuteduit drsquoailleurs encore si lrsquoon exclut lesdeacutepenses de santeacute et drsquoeacuteducation 182 en France pour une moyenne agrave 169 danslrsquoOCDE (graphique 2)

Le niveau eacuteleveacute des deacutepenses publiques en France srsquoexplique donc essentiellement par la mutualisation publique drsquoun certain nombre de deacutepenses assurantielles Or ces deacutepenses ont deux caracteacuteristiques Elles repreacutesentent un revenu qui est souvent taxeacute et elles apportent un service qui lorsqursquoil nrsquoest pas fourni par lrsquoEacutetat lrsquoest par le marcheacuteUn exemple simple est celui de lrsquoassurance

santeacute Alors que des pays comme les Eacutetats-Unis laissent des entreprises priveacutees assurer lrsquoessentiel de ce service la France a choisi de le produire directement par le biais de lrsquoEacutetat qui en assure le financement par des coti-sations sociales Lorsqursquoon tient compte de ces deux eacuteleacutements les eacutecarts entre les pays se reacuteduisent consideacuterablement Un travail de Willem Adema (2001)1 montre ainsi que si lrsquoeacutecart des deacutepenses sociales publiques brutes entre les Eacutetats-Unis et le Danemark eacutetait de 20 points en 1997 (158 contre 359 ) celui-ci tombe agrave 4 points si lrsquoon srsquointeacuteresse aux deacutepenses sociales totales (publiques et priveacutees) nettes 234 contre 275

2 Deacutepenses publiques par fonction (en du PIB)

0

10

20

30

40

50

60

OCDE

Japon

Etats-

Unis

Reacutep T

chegraveq

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Pologne

Danem

ark

Suegravede

Royaum

e-Uni

Espag

neIta

lie

Allem

agne

Fran

ce

Deacutepenses collectives Santeacute Eacuteducation

Deacutepenses sociales (transferts assurantiels hors santeacute)

62

237

84

182

44

217

69

146

48

204

75

193

5

161

68

179

7

18

85

181

8

254

88

162

73

23

74

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55

165

51

173

5

14

8

189

66

89

86

179

58

157

66

169

39

13

75

128

Source OCDE

[1] Adema W (2001)laquo Labour Market

and Social Policy raquoOccasional Papers ndeg 52

OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 42

Ainsi une faccedilon simple de faire baisser les deacutepenses publiques serait de reacuteduire for-tement les risques couverts par la seacutecuriteacute sociale mais drsquoobliger les citoyens agrave srsquoassu-rer aupregraves drsquoorganismes priveacutes Cet exemple montre bien que la seule question qui se pose reacuteellement est la suivante pour un ser-vice donneacute est-il plus efficace de passer par le marcheacute ou par lrsquoEacutetat pour le produire Le cas de lrsquoassurance est particuliegraverement inteacuteressant puisque plusieurs travaux ont montreacute qursquoil eacutetait en reacutealiteacute moins coucircteux drsquoavoir recours agrave un systegraveme public2 ce qui explique en grande partie pourquoi les deacutepenses de santeacute aux Eacutetats-Unis sont plus eacuteleveacutees qursquoen France3

Plus qursquoun systegraveme trop geacuteneacutereux ou dis-pendieux le niveau des deacutepenses publiques en France reacutevegravele avant tout un choix celui de confier au secteur public la production de certains services

Une progression en ligneavec les autres paysSur la peacuteriode 2000-2012 les deacutepenses publiques par habitant en volume ndash une fois lrsquoinflation deacuteduite ndash ont progresseacute de 15 en France soit agrave un rythme eacutequiva-lent agrave celui de lrsquoAllemagne (148 ) et de la zone euro (153 ) et infeacuterieur agrave celui de lrsquoUnion europeacuteenne (167 ) Surtout ce rythme a eacuteteacute deux fois infeacuterieur agrave celui des Eacutetats-Unis et trois fois infeacuterieur agrave celui du Royaume-Uni (graphique 3) Par ailleursles deacutepenses publiques laquo strictes raquo (hors deacutepenses sociales) se sont mecircme reacuteduites sur la peacuteriode

Pour autant la crise des dettes souveraines qui a eacuteclateacute en 2010 pose agrave nouveau la ques-tion de la neacutecessiteacute drsquoune reacuteduction des deacutepenses publiques

[2] Cf par exempleRotschild M and StiglitzJ (1976) laquo Equilibriumin CompetitiveInsurance Markets An Essay on theEconomics of ImperfectInformation raquo QuarterlyJournal of Economicsvol 90 ndeg 4

[3] Cf Krugman P(2008) LrsquoAmeacuterique quenous voulons ParisFlammarion

3 Eacutevolution des deacutepenses publiques par habitant en volume de 2000 agrave 2012 (en )

0

10

20

30

40

50

60

Union agrave

27

Zone euro

Japon

Eacutetats-

Unis

Reacutep t

chegraveq

ue

Pologne

Danem

ark

Suegravede

Royaum

e-Uni

Espag

neIta

lie

Allem

agne

Fran

ce

Eacutevolution

15 148

56

252

475

139 137

614

504

30

199153 167

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 43

Les deacutepenses publiques sont-ellestrop eacuteleveacutees agrave lrsquoheure actuelle Baisser les deacutepenses publiquesen peacuteriode de crise une strateacutegie dangereuseFace agrave la crise des dettes souveraines les Eacutetats ont chercheacute agrave reacuteduire leur deacuteficit public par deux moyens en coupant dans leurs deacutepenses et en augmentant les impocircts En peacuteriode de crise cette strateacutegie peut srsquoaveacute-rer non seulement dangereuse mais aussi contre-productive en raison du laquo multiplica-teur des deacutepenses publiques raquo (cf zoom)

Lorsque la conjoncture est deacuteprimeacutee le secteur priveacute (meacutenages et entreprises) est souvent reacuteticent agrave consommer et agrave investirnotamment si la crise a eacuteteacute provoqueacutee par un excegraves drsquoendettement Degraves lors le seul agent encore capable de deacutepenser est lrsquoEacutetatLe multiplicateur des deacutepenses publiques est par conseacutequent beaucoup plus eacuteleveacute en peacuteriode de crise qursquoen phase de croissanceDrsquoapregraves le FMI ce multiplicateur serait de lrsquoordre de 15-2 agrave lrsquoheure actuelle contre 05-07 drsquoapregraves les estimations initiales (cf Pers-pectives de lrsquoeacuteconomie mondiale 2012)

Degraves lors une baisse trop rapide des deacutepenses publiques dans un contexte de crise peut paradoxalement alourdir les ratios de deacuteficit et de dette en provoquant une contraction

encore plus forte du PIB Non seulement la crise se prolonge mais lrsquoobjectif premier de la baisse des deacutepenses publiques (reacuteduire le deacuteficit en proportion du PIB) nrsquoest pas atteint

Diminuer les deacutepenses publiques lorsque les meacutenages et les entreprises cherchent avant tout agrave se deacutesendetter ou agrave accumuler de lrsquoeacutepargne de preacutecaution est donc dangereuxLrsquoEacutetat doit toutefois se montrer capable de mener de veacuteritables politiques contra-cycliques en peacuteriode de croissance les deacutepenses doivent augmenter moins vite que le PIB afin de deacutegager des exceacutedents budgeacute-taires permettant de rembourser les dettes contracteacutees en peacuteriode de ralentissementSans cette capaciteacute agrave moduler les deacutepenseslrsquoEacutetat risque de pacirctir drsquoun manque de creacutedi-biliteacute pour pouvoir emprunter sur les mar-cheacutes aupregraves des eacutepargnants Or une eacutetude reacutecente de Aghion et al (2011)4 montre que la France megravene des politiques contracycliques limiteacutees notamment parce qursquoen peacuteriode de croissance les deacutepenses progressent Crsquoest un des arguments principaux en faveur des politiques de rigueur en peacuteriode de crise

Des deacutepenses publiquesqui peuvent peser sur lrsquoactiviteacutepriveacutee en cas de concurrencepour les ressourcesMecircme en lrsquoabsence de problegraveme de soutena-biliteacute des finances publiques des deacutepenses

[4] Aghion P Hemous Det Kharroubi E (2011)laquo Cyclical Fiscal Policy

Credit Constraints andIndustry Growth raquo BIS

Working Paper

LLE MULE MULTIPLITIPLICCAATEURTEURDES DEacutePENSES PUBLIQUESDES DEacutePENSES PUBLIQUESLe multiplicLe multiplicatateur des deacutepenses publiqueseur des deacutepenses publiques

se deacutefinit cse deacutefinit comme lomme le monte montant de crant de creacuteationeacuteation

de richesde richesse que vse que va pra produiroduire une unite une uniteacute deeacute de

deacutepense publique Si ldeacutepense publique Si le multiplice multiplicatateur veur vautaut

deux par edeux par exxemplemple ce cela signifie que lela signifie que lororsquesque

llrsquoEacutetrsquoEacutetat deacutepense un eurat deacutepense un euro co cettette deacutepense cre deacutepense creacuteeeacutee

deux eurdeux euros de richesos de richesse dans lse dans lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

(et(et donc invdonc inverersement ssement srsquoil rrsquoil reacuteduit sa deacutepenseeacuteduit sa deacutepense

drsquoun eurdrsquoun euro ilo il deacutetruit deux eurdeacutetruit deux euros de richesos de richesse)se)

Cela sCela srsquoersquoexplique par lxplique par le fe fait que la deacutepenseait que la deacutepense

publique augmentpublique augmente la demande gle la demande globalobale quie qui

sstimultimule la pre la production et amegravene loduction et amegravene les entres entrepriseseprises

agrave disagrave distribuer des salairtribuer des salaires ces ce qui en re qui en retetourour

ccontribue agrave acontribue agrave accrcroicirctroicirctre la demande ete la demande etcc

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 44

publiques eacuteleveacutees peuvent nuire agrave lrsquoeacuteco-nomie par le biais de la concurrence entre lrsquoEacutetat et le secteur priveacute pour les moyens de production (capital et travail) Lrsquoactiviteacute des entreprises est ainsi freineacutee par un moindre accegraves de celles-ci agrave lrsquoeacutepargne et agrave lrsquooffre de travail des agents eacuteconomiques

Lagrave encore il est important de distinguer selon la position de lrsquoeacuteconomie dans le cycle Srsquoil est peu discutable qursquoen peacuteriode de quasi-plein-emploi il existe une reacuteelle concurrence entre secteur priveacute et secteur public cette crainte est assez limiteacutee dans le contexte actuel La France a actuellement un taux de chocircmage de 102 et un coucirct de lrsquoemprunt agrave 10 ans de 18 LrsquoEacutetat franccedilais srsquoendette donc agrave des taux drsquointeacuterecirct reacuteels (taux drsquointeacuterecirct moins inflation) neacutegatifsAutrement dit les investisseurs sont precircts agrave payer pour pouvoir precircter de lrsquoargent agrave lrsquoEacutetat

Toutefois mecircme si en peacuteriode de crisereacuteduire les deacutepenses publiques peut srsquoaveacuterer neacutefaste cela ne veut pas dire que certaines deacutepenses ne sont pas trop eacuteleveacutees Pour reacutepondre de faccedilon preacutecise il faudrait analy-ser en deacutetail lrsquoefficaciteacute de chaque cateacutegorie de deacutepenses publiques Une telle analyse est eacutevidemment hors de porteacutee de cet article On peut neacuteanmoins identifier quelques grands postes ougrave le niveau de deacutepenses est trop eacuteleveacute ou trop faible

Un argent public mal employeacute Des domainesougrave des gains sont possibles

Le millefeuille des collectiviteacutes locales

Lrsquoadministration territoriale est sans doute lrsquoun des postes les plus eacutevidents de deacutepenses trop eacuteleveacutees Le deacuteveloppement des reacutegions nrsquoa pas fait disparaicirctre lrsquoexis-tence des deacutepartements et plus reacutecemmentles intercommunaliteacutes se sont superposeacutees aux communes Par ailleurs si les effectifs des intercommunaliteacutes ont tripleacute depuis

1998 ceux des communes ont continueacute agrave croicirctre sur la mecircme peacuteriode Les collectiviteacutes locales ont connu en dix ans un transfert de compeacutetences estimeacute agrave 12 point de PIB mais sur la mecircme peacuteriode les deacutepenses totales ont progresseacute de plus de deux points

Agrave la superposition des eacutechelons administra-tifs srsquoajoute eacutegalement une absence de par-tage clair sur certaines tacircches en raison de la clause de laquo compeacutetence geacuteneacuterale raquo qui per-met aux communes deacutepartements et reacutegions drsquointervenir sur les mecircmes sujets

Une politique du logement inefficace

Les deacutepenses de logement ont atteint 45 mil-liards drsquoeuros en 2011 Cette progression srsquoexplique par le souhait drsquoaider des meacutenages en difficulteacute face agrave la hausse tregraves forte du prix de lrsquoimmobilier depuis vingt ans (les prix de lrsquoimmobilier ont eacuteteacute multiplieacutes en moyenne par 25 depuis la fin des anneacutees 1990) Mais ces deacutepenses prennent essentiel-lement la forme de subventions agrave lrsquoachat ou agrave la location ce qui comme le notent Tran-noy et Wasmer (2013)5 est contreproductif en effet elles conduisent essentiellement agrave une augmentation des prix en raison drsquoune offre contrainte Elles beacuteneacuteficient donc en grande partie aux proprieacutetaires qui vendent ou louent leur logement Dans le cas speacuteci-fique des aides pour le logement (APL) les travaux de Gabrielle Fack (2005)6 concluent que chaque euro drsquoaide directe suppleacutemen-taire se traduit par une hausse de pregraves de 08 centime du loyer

Santeacute le diable est dans les deacutetailshellip

Les deacutepenses de santeacute en France repreacutesen-tent 12 du PIB dont 9 sont des deacutepenses publiques ce qui fait de la France une des nations les plus deacutepensiegraveres dans ce domaine Dans lrsquoabsolu des deacutepenses eacutele-veacutees prises en charge essentiellement par le secteur public sont beacuteneacutefiques en termes de croissance eacuteconomique et de reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoespeacuterance de vie mais en France le rendement de ces deacutepenses est de plus en plus faible7

[5] Trannoy Aet Wasmer E (2013)laquo Comment modeacuterer lesprix de lrsquoimmobilier raquoNote du CAE ndeg 2

[6] Fack G (2005)laquo Pourquoi les meacutenagesagrave bas revenus paient-ilsdes loyers de plus enplus eacuteleveacutes Lrsquoincidencedes aides au logementen France (1973-2002) raquoEacuteconomie et Statistiquendeg 381-382 Paris INSEE

[7] Aghion P et MartinR (2011) laquo Croissanceet politiques de santeacute raquoMimeo

[8] Chandra A GruberJ et McKnight R (2010)laquo Patient Cost-Sharingand HospitalizationOffsets in the Elderly raquoAmerican EconomicReview vol 100 ndeg 1

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 45

Plusieurs pistes existent pour accroicirctre lrsquoef-ficaciteacute des deacutepenses publiques de santeacuteCertaines cateacutegories de deacutepenses ont un impact positif important sur lrsquoespeacuterance de vie (infirmiegraveres scanners IRM) tandis que drsquoautres en ont peu voire pas du tout (salaires des meacutedecins speacutecialistes) Par ail-leurs la meacutedecine de ville apparaicirct comme un systegraveme coucircteux apportant peu de beacuteneacute-fices en termes drsquoespeacuterance de vie tandis que les deacutepenses directes laquo sur patient raquo per-mettent de meilleurs reacutesultats

Il faut par ailleurs prendre garde aux baisses de deacutepenses en matiegravere drsquoassurance santeacute qui peuvent se traduire agrave long terme par une hausse des coucircts En effet un accroissement des coucircts non rembourseacutes peut conduire les patients agrave retarder les visites chez le meacutede-cin et agrave renoncer agrave certains meacutedicamentsCe choix srsquoil permet des eacuteconomies sur le moment peut deacutegrader la santeacute du maladeconduisant agrave une augmentation agrave moyen terme des hospitalisations dont le coucirct est beaucoup plus eacuteleveacute En analysant une reacuteforme mise en place en 2002 en CalifornieChandra Gruber and McKnight (2010)8 arri-vent agrave la conclusion que chaque dollar drsquoeacuteco-nomie sur les remboursements se traduit en reacutealiteacute par une eacuteconomie reacuteelle de 05 dollar en moyenne (en raison de la hausse des hos-pitalisations) et que le coucirct augmente mecircme dans le cas des patients atteints de maladie chronique

Des postes budgeacutetairesavec des dotations insuffisantes

Un sous-investissementdans lrsquoeacuteducation de la petite enfanceLa deacutepense totale dans lrsquoeacuteducation en France en proportion du PIB est parfaitement eacutegale agrave la moyenne des pays lrsquoOCDE (63 en 2009) notamment en raison drsquoune diminu-tion de 10 depuis 1997 Mais cette deacutepense totale masque des dispariteacutes importantesEn effet la France consacre 5 de moins que la moyenne de lrsquoOCDE agrave la maternelle et 15 de moins agrave lrsquoeacutecole primaire (Cour

des Comptes 2010)9 Or de tregraves nombreux travaux montrent que cette peacuteriode est cru-ciale notamment pour reacuteduire les ineacutegaliteacutes sociales et faciliter par la suite lrsquoaccumu-lation de capital humain Les travaux de Heckman et al (2010)10 concluent ainsi agrave un rendement de 7 agrave 10 par an pour chaque dollar investi dans la petite enfance Ces gains supeacuterieurs au rendement moyen du marcheacute financier depuis 1945 srsquoexpliquent par une hausse des chances drsquoobtenir un emploi reacutemuneacuterateur par la baisse des risques de chocircmage et de la criminaliteacute pour les personnes ayant beacuteneacuteficieacute de cet investissement

Par ailleurs les deacutepenses de professeurs sont eacutegalement faibles au regard des com-paraisons internationales Comme lrsquoindique une note du Conseil drsquoanalyse strateacutegique (CAS 2011)11 la France a le taux drsquoencadre-ment (nombre drsquoeacutelegraveve moyen par enseignant) le plus faible de lrsquoOCDE Or plusieurs tra-vaux sur donneacutees franccedilaises montrent que la taille des classes a un effet important sur lrsquoameacutelioration des performances sco-laires pour les enfants de milieu deacutefavo-riseacute Piketty et Valdemaire (2004)12 concluent que lrsquoon pourrait reacuteduire les eacutecarts en CE2 drsquoenviron 46 si lrsquoon reacuteduisait la taille des classes de cinq eacutelegraveves dans les ZEP

Deacutepenses pour lrsquoemploiet indemnisation du chocircmageLes deacutepenses publiques pour lrsquoemploi repreacute-sentaient en 2010 47 du PIB soit 91 mil-liards drsquoeuros en hausse de 10 milliards depuis 2008 Si cette hausse srsquoexplique pour lrsquoessentiel par lrsquoaugmentation des deacutepenses drsquoindemnisation du chocircmage cela nrsquoim-plique pas que la deacutepense soit eacuteleveacutee au regard des comparaisons internationalesEn effet les deacutepenses moyennes en faveur des chocircmeurs (crsquoest-agrave-dire rameneacutees au taux de chocircmage) sont en France plus faibles que la majoriteacute des pays europeacuteens (jusqursquoagrave deux fois moins qursquoau Pays-Bas pays le plus geacuteneacutereux) et drsquoapregraves la Cour des Comptes (2013)13 la France a fait moins drsquoefforts que

[9] Cour des Comptes(2010) laquo LrsquoEacuteducation

nationale face agrave lrsquoobjectifde la reacuteussite des

eacutelegraveves raquo

[10] Heckman J MoonS H Pinto R Savelyev

P et Yavitz A (2010)laquo The Rate of Return

of the Highscope PerryPreschool Program raquo

Journal of PublicEconomics vol 94 ndeg 1-2

[11] CAS (2011)laquo Tendances de lrsquoemploi

public raquo feacutevrier

[12] Piketty T etValdemaire M (2004)laquo Lrsquoimpact de la taille

des classes et de laseacutegreacutegation sociale sur

la reacuteussite scolaire dansles eacutecoles franccedilaises

une estimation agrave partirdu panel primaire

1997 raquo Document detravail EHESS

[13] Cour des comptes(2013) laquo Le marcheacute

du travail face agrave unchocircmage eacuteleveacute mieuxcibler les politiques raquo

janvier

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 46

les autres pays de lrsquoOCDE pour indemniser ses chocircmeurs durant la crise Lrsquoessentiel des deacutepenses vient en fait des aides agrave lrsquoemploi pour les entreprises (41 milliards drsquoeuro en 2010) dont la moitieacute provient des exoneacutera-tions de cotisations sociales sur les bas salaires crsquoest-agrave-dire allant jusqursquoagrave 16 fois le SMIC

Lrsquoefficaciteacute de cette mesure fait deacutebat siles eacutetudes de Creacutepon et Desplatz (2001)14 et

de Bunel et al (2012)15 concluent agrave un effetpositif de 460 000 agrave 500 000 emplois les tra-vaux de Sterdyniak (2002)16 insistent sur lefait que cette mesure geacutenegravere un simple trans-fert drsquoemplois (des entreprises ne beacuteneacuteficiantde cette deacuteduction vers celles en beacuteneacuteficiant)mais nrsquoa pas creacuteeacute de gain net drsquoemploi

[14] Creacutepon B et DesplatzR (2001) laquo Eacutevaluationdes effets des dispositifsdrsquoallegravegements decharges sociales sur lesbas salaires raquo Documentde travail DGSE ndeg G200110 INSEE

[15] Bunel M EmondC et LrsquoHorty Y (2012)laquo Eacutevaluer les reacuteformesdes exoneacuterationsgeacuteneacuterales de cotisationssociales raquo Revue delrsquoOFCE ndeg 126

[16] Sterdyniak H (2002)laquo Une arme miracleconte le chocircmage raquoRevue de lrsquoOFCE ndeg 81

KRUGMAN P (2008) LrsquoAmeacuterique que nous voulons Paris Flammarion

LES EacuteCONOCLASTES (2004) Petit breacuteviaire des ideacuteesreccedilues en eacuteconomie ParisLa Deacutecouverte

STIGLITZ J (2012) Le prix delrsquoineacutegaliteacute Paris Les liens quilibegraverent

POUR EN SAVOIR PLUS

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 47

ANTOINE BOZIO

Directeur de lrsquoInstitut des politiques publiques (IPP)

Chercheur associeacute agrave lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Les contraintes budgeacutetaires actuelles donnent une importance cruciale agrave la question de lrsquoefficaciteacute de la deacutepense publique et donc agrave celle de lrsquoeacutevaluation de lrsquoimpact des politiques Jusqursquoagrave une peacuteriode reacutecente lrsquoeacutevaluation de lrsquoaction publique meneacutee par les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat consistait surtout agrave controcircler que chaque dispositif avait bien eacuteteacute mis en œuvre selon un processus conforme au cahier des charges Lrsquoapproche des eacuteconomistes qui gagne du terrain aujourdrsquohui a plutocirct pour objectif de veacuterifier si une politique publique remplit bien la mission pour laquelle elle a eacuteteacute eacutelaboreacutee au regard des coucircts qursquoelle induit pour la collectiviteacute Lrsquoimpact est eacutevalueacute agrave la fois ex ante ndash par des simulations de la politique ndash et ex post ndash par des meacutethodes statistiques drsquoeacutevaluation ndash Toutefois nous explique Antoine Bozio la reacuteussite laquo technique raquo drsquoune eacutevaluation est insuffisante Pour guider de faccedilon efficace lrsquoaction publique encore faut-il qursquoune communication de qualiteacute et un rapport de confiance srsquoeacuteta-blissent entre les eacutevaluateurs les deacutecideurs et les citoyens

Problegravemes eacuteconomiques

Comment eacutevaluer les politiques publiques

Au vu des fortes contraintes budgeacutetairesdans lesquelles srsquoinscrit aujourdrsquohui lrsquoac-tion publique connaicirctre lrsquoimpact des poli-tiques mises en œuvre semble une eacutevidenceComment sinon ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute de ladeacutepense publique

Si la deacutemarche drsquoeacutevaluation a eacuteteacute pendantlongtemps neacutegligeacutee crsquoest avant tout parceque lrsquoeffet des diffeacuterentes politiques semblaiteacutevident les politiques drsquoemploi ameacuteliorentlrsquoemploi les politiques du logement ameacute-liorent lrsquoaccegraves au logement etc Or les moda-liteacutes de lrsquointervention publique sont rarement

eacutevidentes les objectifs poursuivis entrentparfois en conflit les uns avec les autres ilexiste la plupart du temps plusieurs poli-tiques envisageables pour atteindre un mecircmeobjectif enfin les meacutecanismes eacuteconomiquessur lesquels les politiques publiques essaientdrsquointervenir sont complexes souvent encoremal compris

La neacutecessiteacute de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques apparaicirct alors beaucoup plus net-tement lrsquoobjectif est de permettre la compreacute-hension des meacutecanismes sur lesquels lrsquoactionpublique cherche agrave peser et drsquoidentifier lesinterventions les plus efficaces au vu desobjectifs souhaiteacutes La deacutemarche doit pouvoirau final eacuteclairer le deacutebat public sur les prin-cipaux arbitrages en jeu et ainsi faciliter leschoix deacutemocratiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 48

Apregraves avoir deacutefini ce qursquoon entend par laquo eacuteva-luation raquo nous preacutesenterons les diffeacuterentesmeacutethodes drsquoeacutevaluation avant de dresser unrapide panorama de la pratique actuelle delrsquoeacutevaluation en France Nous discuteronsenfin les modaliteacutes institutionnelles pour quelrsquoeacutevaluation soit une reacuteussite deacutemocratiqueet pas simplement une reacuteussite technique

Qursquoest-ce que lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques Le mot laquo eacutevaluation raquo est un mot-valise quiest utiliseacute pour deacutecrire des approches fon-ciegraverement diffeacuterentes On peut lrsquoentendrecomme lrsquoeacutevaluation individuelle (eacutevaluationdrsquoun devoir scolaire eacutevaluation du travailde salarieacutes etc) ou lrsquoeacutevaluation drsquoune entre-prise par les consommateurs (questionnairesde satisfactions) Dans le domaine des poli-tiques publiques le terme est le plus souventemployeacute pour deacutecrire du controcircle de gestionou une analyse du management public lesrapports des corps drsquoinspection cherchentainsi agrave veacuterifier que la deacutepense publique a eacuteteacuteengageacutee efficacement et en respectant desregravegles de bon fonctionnement Il srsquoagit essen-tiellement drsquoune eacutevaluation du processusde mise en place des politiques publiques veacuterifier que la mise en œuvre pratique drsquoundispositif correspond bien au cahier descharges deacutefini par ses concepteurs que lesbeacuteneacuteficiaires potentiels ont eacuteteacute informeacutes queles agents chargeacutes de la mettre en œuvre ontreccedilu la formation adeacutequate etc Pour prendreun exemple on peut ainsi mesurer le nombrede fonctionnaires neacutecessaires pour traiter uncertain nombre de dossiers du revenu de soli-dariteacute active (RSA) et eacutetudier quelle organi-sation du travail ou quels moyens mateacuterielspermettrait drsquoameacuteliorer la mise en place decette politique Dans le mecircme ordre drsquoideacuteeson pourrait eacutetudier si les beacuteneacuteficiaires dela politique viseacutee sont bien toucheacutes (parexemple si la population qui doit beacuteneacuteficierdu RSA reccediloit bien lrsquoallocation) mesurer leurnombre voire reacutecolter leur sentiment sur leur

interaction avec lrsquoadministration autour dece dispositif

Toutes ces deacutemarches sont certainementneacutecessaires mais elles sont bien diffeacuterentesde ce que les universitaires appellent lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques crsquoest-agrave-direlrsquoeacutevaluation drsquoimpact Lrsquoobjet est alors demesurer lrsquoimpact drsquoune politique ou drsquoun dis-positif sur de multiples critegraveres au vu desobjectifs qui lui ont eacuteteacute assigneacutes

Au sein de lrsquoeacutevaluation drsquoimpact on distinguelrsquoeacutevaluation ex ante de lrsquoeacutevaluation ex post La premiegravere est reacutealiseacutee avant lrsquointroduc-tion de la politique et consiste agrave analyser seseffets potentiels la seconde vise agrave mesurerson impact reacuteel apregraves son entreacutee en vigueurDans les deux cas lrsquoefficaciteacute de la politiqueeacutetudieacutee est mesureacutee en comparant ses coucirctset ses beacuteneacutefices (pas forceacutement uniquementfinanciers) Par exemple dans le cas de lrsquoeacuteva-luation du RSA lrsquoobjectif afficheacute eacutetait de favo-riser le retour agrave lrsquoemploi des beacuteneacuteficiaires Laquestion drsquoeacutevaluation est alors de savoir si leRSA a conduit de faccedilon causale agrave une haussedu retour agrave lrsquoemploi Ou dit autrement laquestion est de savoir ce qui se serait passeacutesi le RSA nrsquoavait pas eacuteteacute mis en place pourles beacuteneacuteficiaires mais aussi pour le restede la population Reacutepondre agrave cette questionest loin drsquoecirctre facile et crsquoest pour cela queles eacuteconomistes mobilisent une batterie detechniques

Les techniques de lrsquoeacutevaluationLrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex ante

Le point de deacutepart de toute eacutevaluation exante consiste agrave identifier la population cibleacuteepar la politique en question Pour y parveniron utilise geacuteneacuteralement des modegraveles dits delaquo micro-simulation raquo Cette forme drsquoeacutevalua-tion repose sur une repreacutesentation plus oumoins simplifieacutee de lrsquounivers eacuteconomiqueau sein duquel eacutevoluent les agents qui estutiliseacutee pour simuler agrave partir drsquoun eacutechan-tillon repreacutesentatif des agents eacuteconomiques

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 49

concerneacutes (individus meacutenages entreprisesetc) lrsquoeffet de la politique publique envisageacuteePar exemple si lrsquoon souhaite eacutevaluer lrsquoimpactdrsquoune reacuteforme des retraites consistant en uneaugmentation de la dureacutee requise de cotisa-tion (ou drsquoun autre paramegravetre du systegraveme) ilest indispensable drsquoavoir recours agrave ce typede simulation En raison de la complexiteacute dusystegraveme et des donneacutees sous-jacentes (dis-tribution des carriegraveres des individus) il estsouvent impossible mecircme agrave des experts depreacutedire quel sera lrsquoeffet drsquoune modificationdes baregravemes de retraite (qui va ecirctre toucheacutequel effet sur lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire) sansavoir recours agrave une simulation deacutetailleacutee de lareacuteforme

Le modegravele de micro-simulation speacutecifieplusieurs sceacutenarios sans reacuteforme (en fonc-tion des conditions macro-eacuteconomiques oudeacutemographiques) puis simule la leacutegislationactuelle du systegraveme de retraite Cela permeten premiegravere instance de donner des indica-tions sur les deacuteseacutequilibres budgeacutetaires oule niveau des pensions agrave plus ou moins longterme Il est ensuite possible de simuler unereacuteforme et de mesurer qui va ecirctre toucheacute(au niveau individuel) et quels en seront lesconseacutequences budgeacutetaires

Pour rendre lrsquoexercice de micro-simulationplus reacutealiste il est neacutecessaire de prendreen compte lrsquoeffet de la mesure eacutevalueacutee surles comportements des individus Cela sup-pose de pouvoir laquo calibrer raquo les reacuteactions desagents agrave partir drsquoestimations empiriques desprincipaux paramegravetres du modegravele ndash dansnotre exemple il srsquoagit des comportements dedeacutepart en retraite La modeacutelisation des com-portements dans ces modegraveles peut deacutecoulerde regravegles simples ou drsquoestimations qui sontle plus souvent fournies par des eacutetudes empi-riques ex post reacutealiseacutees anteacuterieurement

Lrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex post

Le problegraveme fondamental de lrsquoeacutevaluationdrsquoimpact ex post est qursquoon nrsquoobserve jamaisun monde avec la politique en place et lemecircme monde (au mecircme moment) sans la

politique Toutes les techniques de lrsquoeacutevalua-tion consistent alors agrave construire statisti-quement un contrefactuel crsquoest-agrave-dire unsceacutenario aussi proche que possible de ce quise serait passeacute si la politique eacutetudieacutee nrsquoavaitpas eacuteteacute mise en place Toutes les meacutethodespreacutesenteacutees ci-dessous visent agrave eacutelaborer cecontrefactuel afin de le comparer agrave ce qursquoilest possible drsquoobserver quand le dispositifeacutevalueacute a eacuteteacute effectivement appliqueacute

La premiegravere technique agrave preacutesenter est lrsquoexpeacute-rience aleacuteatoire Elle est directement ins-pireacutee des meacutethodes meacutedicales pour eacutevaluerlrsquoeffet drsquoun traitement parmi les potentielsbeacuteneacuteficiaires drsquoune politique on tire au sortqui recevra la politique (le groupe traiteacute)et qui nrsquoen beacuteneacuteficiera pas (le groupe decontrocircle) En mesurant dans les deux groupesles critegraveres drsquointeacuterecirct ndash qui doivent corres-pondre agrave un objectif de la politique ndash et en fai-sant la diffeacuterence entre les deux groupes onobtient une mesure causale de lrsquoeffet du dis-positif ainsi expeacuterimenteacute Cette meacutethode laplus robuste en termes de protocole a neacutean-moins certaines limites on mesure preacuteciseacute-ment un effet de la politique dans le contexteet dans le pays ougrave lrsquoexpeacuterience a eacuteteacute meneacuteePour geacuteneacuteraliser la validiteacute des reacutesultats ilfaut expeacuterimenter agrave nouveau dans un autrecontexte Par ailleurs comme pour les expeacuteri-mentations meacutedicales cette meacutethode neacuteces-site lrsquoacceptation des participants et uneproceacutedure eacutethique stricte de la part des eacuteva-luateurs De faccedilon naturelle cette approcheest plus approprieacutee agrave lrsquoeacutevaluation de disposi-tifs restreints limiteacutes localement souvent enphase exploratoire

Un deuxiegraveme groupe de techniques consisteagrave reproduire statistiquement une expeacuteriencealeacuteatoire mecircme si elle nrsquoa pas eacuteteacute mise enplace avec lrsquointroduction de la politique Onappelle ces techniques expeacuteriences natu-relles car ce sont des expeacuteriences que leschercheurs trouvent laquo dans la nature raquo Sou-vent quand une politique est mise en œuvreelle se restreint agrave un groupe de beacuteneacuteficiairespour des raisons administratives Ces regravegles

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 50

creacuteent naturellement des groupes de controcirclecrsquoest-agrave-dire des populations dont les carac-teacuteristiques sont tregraves proches de la popula-tion cible mais qui ne beacuteneacuteficient pas de lapolitique Par exemple un dispositif qui viseagrave favoriser lrsquoemploi des jeunes nrsquoest ouvertqursquoaux 18-25 ans on pourra comparer lesjeunes de 26 ans moins un mois et ceux de26 ans et un mois Ils sont certainement tregravesproches en termes drsquoaccegraves au marcheacute du tra-vail drsquoexpeacuterience mais les uns auront beacuteneacutefi-cieacute de la politique drsquoemploi et les autres non

Analyse coucirct-beacuteneacutefice

Il ne suffit pas de mesurer lrsquoimpact drsquounepolitique publique pour eacutevaluer son effi-caciteacute En effet une politique ne peut ecirctreconsideacutereacutee comme efficace que si ses beacuteneacute-fices lrsquoemportent sur ses coucircts Lrsquoanalysecoucirct-beacuteneacutefice consiste agrave attribuer une valeurmoneacutetaire agrave ces deux composantes afin decalculer la valeur nette totale de la poli-tique consideacutereacutee Ce type drsquoanalyse est sou-vent utiliseacute comme outil de deacutecision ex antemais peut eacutegalement servir comme cadredrsquoanalyse pour lrsquoeacutevaluation ex post La valeuractualiseacutee1 des beacuteneacutefices nets drsquoune politiquepublique est plus complexe agrave calculer que lavaleur actualiseacutee drsquoun investissement priveacuteEn effet alors que les deacutecisions drsquoinvestisse-ments peuvent ecirctre prises en consideacuterant lecoucirct de marcheacute des facteurs de production etla rentabiliteacute preacutevisible drsquoun investissementlrsquoeacutevaluation des coucircts et des beacuteneacutefices drsquounepolitique publique peut rarement srsquoappuyersur des prix de marcheacute Dans certains cas cesprix existent mais ne reflegravetent pas les coucircts etles beacuteneacutefices sociaux parce qursquoils ne prennentpas en compte drsquoeacuteventuelles externaliteacutessont contamineacutes par des asymeacutetries drsquoin-formations ou sont reacuteguleacutes par lrsquoEacutetat Dansdrsquoautres cas ces prix nrsquoexistent tout simple-ment pas le coucirct social des dommages envi-ronnementaux causeacutes par la pollution est parexemple difficile agrave eacutevaluer en lrsquoabsence drsquounmarcheacute mesurant la valeur drsquoun environne-ment preacuteserveacute Malgreacute ces limites la quanti-fication moneacutetaire des beacuteneacutefices et des gains

des politiques publiques est un exerciceindispensable lorsqursquoon souhaite comparerles meacuterites respectifs de plusieurs interven-tions possibles

Les acteurs de lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques en FranceEn France la multipliciteacute des acteurs de lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques contrastesinguliegraverement avec le faible nombre drsquoeacuteva-luations effectivement reacutealiseacutees

Le Parlement

Le Parlement est la premiegravere institution char-geacutee de lrsquoeacutevaluation des politiques publiquesdrsquoapregraves lrsquoarticle 24 de la ConstitutionJusqursquoagrave preacutesent son rocircle a eacuteteacute de ce pointde vue tregraves limiteacute Un Comiteacute drsquoeacutevaluation etde controcircle des politiques publiques (CEC) acertes eacuteteacute creacuteeacute depuis juin 2009 afin de meneragrave bien des missions drsquoeacutevaluation mais ilfaut bien reconnaicirctre que la fonction drsquoeacuteva-luateur du Parlement reste aujourdrsquohui tregravesembryonnaire

La Cour des comptes

La Cour des comptes est aussi chargeacutee offi-ciellement de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques drsquoapregraves lrsquoarticle 47-2 de la Consti-tution Agrave lrsquoorigine cette juridiction de lrsquoordreadministratif avait pour mission principalede controcircler les comptes des administrationspubliques et de certifier les comptes de lrsquoEacutetatLrsquoeacutevaluation a eacuteteacute reacutecemment ajouteacutee agrave sesmissions premiegraveres et la Cour des comptesest aujourdrsquohui en pointe dans la publicationde rapports drsquoeacutevaluation des diffeacuterentes poli-tiques publiques La force de la Cour est sonindeacutependance et sa capaciteacute agrave bousculer lepouvoir politique et les administrations avecdes publications qui animent le deacutebat publicSa faiblesse est qursquoelle privileacutegie souvent uneapproche juridique ou comptable de lrsquoeacutevalua-tion finalement assez eacuteloigneacutee des meacutethodesdrsquoeacutevaluation drsquoimpact preacutesenteacutees plus haut

[1] La valeur actualiseacuteedes beacuteneacuteficescomptabilise lrsquoensembledes beacuteneacutefices au coursdu temps en tenantcompte du momentauxquels ils sontperccedilus En raisondrsquoune laquo preacutefeacuterencepour le preacutesent raquo(ou conformeacutementagrave la logique selonlaquelle laquo le tempscrsquoest de lrsquoargent raquo) leseacuteconomistes accordentune valeur plus grandeagrave une somme perccedilueaujourdrsquohui (qui peutecirctre placeacutee) qursquoagrave unemecircme somme perccediluedans un an

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 51

Les grands corpsdrsquoinspection de lrsquoEacutetat

Les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat (Ins-pection geacuteneacuterale des Finances Inspectiongeacuteneacuterale des Affaires sociales lrsquoInspectiongeacuteneacuterale de lrsquoAdministration) ont aussi offi-ciellement une mission drsquoeacutevaluation despolitiques publiques Ils ont eacuteteacute solliciteacutesprincipalement dans le cadre de la Reacutevisiongeacuteneacuterale des politiques publiques (RGPP) etaujourdrsquohui avec la Modernisation de lrsquoac-tion publique (MAP) Ces rapports drsquoeacutevalua-tion srsquoapparentent avant tout agrave lrsquoeacutevaluationde processus ou au controcircle de gestion desadministrations Lrsquoobjectif est drsquoameacuteliorer lamise en place de lrsquoaction publique dans desdeacutelais rapides et par conseacutequent les eacutevalua-tions drsquoimpact y sont quasi absentes

La statistique publique

La statistique publique qui rassemble lrsquoIN-SEE et les services statistiques ministeacuteriels(SSM) joue un rocircle-cleacute dans lrsquoeacutevaluation agravedeux eacutegards Drsquoabord ces diffeacuterents ser-vices sont chargeacutes de collecter et de mettreen forme les donneacutees statistiques documen-tant les diffeacuterentes politiques publiquesCes donneacutees drsquoenquecircte ou de sources admi-nistratives sont cruciales pour deacutecrire lespolitiques effectivement mises en place maisaussi pour permettre des eacutevaluations dont laqualiteacute deacutependra en grande partie de la dis-ponibiliteacute des donneacutees Ensuite les servicesde recherche de ces administrations notam-ment agrave lrsquoINSEE contribuent directement agravela reacutealisation drsquoeacutevaluations drsquoimpact et agrave laconstitution drsquoun corpus de connaissance surles politiques publiques

Les universitaires

Enfin il ne faudrait pas oublier dans cerapide panorama les universitaires quicontribuent directement par leurs travauxagrave la reacutealisation drsquoeacutetudes drsquoimpact agrave lrsquoameacute-lioration des techniques drsquoeacutevaluation et agrave lareacuteflexion plus geacuteneacuterale sur lrsquoarchitecture etla conception des politiques publiques Ces

derniegraveres anneacutees plusieurs laboratoires oudeacutepartements deacutedieacutes explicitement agrave lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques ont eacutemergeacuteau sein du monde universitaire On peutciter ainsi J-PAL speacutecialiseacute dans lrsquoexpeacuteri-mentation aleacuteatoire lrsquoInstitut des politiquespubliques (IPP) qui rassemble des chercheursde lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris et du CRESTlrsquoInstitut drsquoeacuteconomie publique (IDEP) agrave Aix-Marseille et le Laboratoire interdisciplinairedrsquoeacutevaluation des politiques publiques (LIEPP)agrave Sciences-Po Paris

Comment favoriserune deacutemocratie de lrsquoeacutevaluation Aussi reacuteussie soit-elle sur le plan techniquelrsquoeacutevaluation des politiques publiques ne peutorienter utilement lrsquoaction publique que sielle srsquoinscrit dans un cadre institutionnelqui facilite la communication des reacutesultatsde lrsquoeacutevaluation aux deacutecideurs publics et auxcitoyens

On peut distinguer deux grandes approchesinstitutionnelles de lrsquoeacutevaluation des poli-tiques publiques La premiegravere conccediloit lrsquoeacuteva-luation comme une expertise laquo au service duPrince raquo destineacutee agrave aider agrave la prise de deacuteci-sion publique face agrave la complexiteacute du mondeeacuteconomique Lrsquoeacutevaluation est alors reacutealiseacuteeprioritairement par lrsquoadministration ou pardes conseils drsquoexperts directement ratta-cheacutes au gouvernement La seconde approcheconccediloit lrsquoeacutevaluation comme une composanteessentielle du processus deacutemocratique lrsquoex-pertise se destine alors drsquoabord aux citoyensou agrave leurs repreacutesentants les parlementaireset vise agrave faciliter le deacutebat public en clarifiantles principaux arbitrages en jeu

Le premier modegravele est assez bien repreacutesenteacutepar la France ougrave lrsquoEacutetat et les administrationspubliques jouent un rocircle preacutepondeacuterant dansles instances drsquoeacutevaluation et peuvent srsquoap-puyer sur une statistique publique de grandequaliteacute Les Eacutetats-Unis se rattachent davan-tage au second modegravele dans la mesure ougrave unegrande partie de lrsquoeacutevaluation des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 52

publiques est reacutealiseacutee par une institution par-lementaire le Congressional Budget Office(CBO) qui a un accegraves direct aux informa-tions de lrsquoadministration et publie des ana-lyses deacuteterminantes pour le vote du budgetLe cas britannique offre aussi un exemple dusecond modegravele avec une place forte de lrsquoex-pertise issue du monde universitaire Des ins-tituts de recherche indeacutependants comme parexemple lrsquoInstitute for Fiscal Studies (IFS)jouent ainsi un rocircle primordial au Royaume-Uni non seulement dans lrsquoeacutevaluation despolitiques publiques dans les deacutebats budgeacute-taires mais aussi dans la communication augrand public de lrsquoeacutetat des connaissances surles diffeacuterentes options de politique publiqueDans le mecircme esprit le Centraal Planbureauaux Pays-Bas une institution publique joueun rocircle tregraves important dans le deacutebat public enanalysant les propositions des plateformespolitiques avant les eacutelections et en proposantune analyse des choix budgeacutetaires reacutealiseacute parle gouvernement

Au-delagrave de la diversiteacute des approches le cadreinstitutionnel de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques doit srsquoefforcer de conjuguer troisexigences lrsquoindeacutependance des instancesdrsquoeacutevaluation la multiplication des contacts

avec le monde universitaire et le souci de lapeacutedagogie Lrsquoindeacutependance est la cleacute qui per-met de garantir la creacutedibiliteacute de lrsquoeacutevaluation il est indispensable que les reacutesultats de lrsquoeacuteva-luation ne puissent ecirctre controcircleacutes par ceuxqui mettent en place la politique Les contactsavec le monde universitaire en particulieravec la deacutemarche drsquoeacutevaluation des publica-tions par la communauteacute scientifique reacuteduitle risque drsquoeacutevaluation de complaisance Ilsassurent eacutegalement que les techniques lesplus reacutecentes et les meacutethodologies les plusrobustes seront employeacutees Enfin le souci dela peacutedagogie et la communication au grandpublic des reacutesultats de lrsquoeacutevaluation sontessentiels pour la reacuteussite de cette deacutemarche

Contrairement agrave certaines ideacutees reccedilueslrsquoeacutevaluation nrsquoest pas un processus visant agraveremplacer la deacutecision deacutemocratique par ungouvernement drsquoexperts Crsquoest au contraireune deacutemarche visant agrave faire vivre la deacutemo-cratie dans un monde complexe ougrave lescitoyens doivent pouvoir beacuteneacuteficier drsquoinfor-mations les plus justes possibles sur les poli-tiques publiques sur lesquelles ils doivent seprononcer

BOZIO A et GRENET J (2010) Eacuteconomie des politiquespubliques Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

CONSEIL DrsquoANALYSEEacuteCONOMIQUE (2013) laquo Eacutevaluation des politiquespubliques raquo Note ndeg 1 feacutevrier

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES53

La crise a placeacute les Eacutetats notamment ceux de la zone euro devant un dilemme de politique budgeacutetaire Tandis que la conjoncture eacuteconomique deacutegradeacutee incite agrave la mise en œuvre de politiques de soutien agrave lrsquoactiviteacute la forte hausse de lrsquoendettement public dans un contexte de deacutependance eacutetroite des Eacutetats vis-agrave-vis des marcheacutes financiers les pousse au contraire agrave pra-tiquer des politiques de rigueurGilbert Koenig rappelle les fondements theacuteoriques des politiques budgeacutetaires et leurs eacutevolu-tions avant drsquoanalyser plus preacuteciseacutement les enjeux actuels

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques

La reacutecession de 2009 a permis un renouveau dela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire commemoyen drsquoassurer la stabilisation eacuteconomiquelrsquoune des trois fonctions attribueacutees par RMusgrave (1959) agrave lrsquoEacutetat Cette renaissancefait suite agrave une peacuteriode de grande meacutefianceenvers ce type de politique du fait de la pertedrsquoefficaciteacute des politiques drsquoinspiration key-neacutesienne dans les anneacutees 1970 Le revirementlibeacuteral srsquoest appuyeacute sur un renouvellementtheacuteorique fortement ancreacute dans les concep-tions preacute-keyneacutesiennes Dans cette optiquela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire estinefficace Seuls les stabilisateurs budgeacutetairesautomatiques (cf zoom) peuvent amortir les

chocs conjoncturels Lrsquoessentiel de la politiqueconjoncturelle est du ressort de lrsquoaction moneacute-taire qui doit controcircler lrsquoinflation Le renouvel-lement de lrsquoanalyse keyneacutesienne dans un cadreplus satisfaisant que les modegraveles agreacutegeacutesanciens et les mises en cause empiriques desreacutesultats de lrsquoanalyse preacuteceacutedente ont conduitagrave reacutehabiliter la politique budgeacutetaire discreacute-tionnaire La crise eacuteconomique qui a frappeacute laplupart des pays industrialiseacutes en 2008-2009en a imposeacute la neacutecessiteacute Mais la deacuteteacuteriora-tion des finances publiques conseacutecutive auxexpansions budgeacutetaires a susciteacute la deacutefiancedes opeacuterateurs des marcheacutes financiers enversles eacuteconomies dont le financement publicdeacutepend drsquoune faccedilon importante des marcheacutesinternationaux De ce fait un arbitrage srsquoim-pose agrave ces pays entre des mesures budgeacutetairesrestrictives destineacutees agrave assainir les financespubliques et une politique de stimulation dela croissance et de lrsquoemploi

GILBERT KOENIG

Professeur de sciences eacuteconomiques Universiteacute de Strasbourg BETA

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 54

La politique budgeacutetaire commeinstrument principal de stabilisationLrsquoefficaciteacute attribueacutee agrave la politique budgeacute-taire apregraves 1945 se fonde sur un modegravele eacuteleacute-mentaire inspireacute des travaux de J M KeynesDrsquoabord limiteacute au cas de prix et salairesrigides ce modegravele est geacuteneacuteraliseacute aux prixflexibles sous lrsquoimpulsion de travaux empi-riques sur la relation entre lrsquoinflation et lechocircmage Il devient ainsi le fondement despolitiques de stop and go meneacutees jusqursquoauxanneacutees 1970 dans la plupart des pays

Le cadre keyneacutesien eacuteleacutementaireUn modegravele simple eacutelaboreacute par J Hicks (1937)et compleacuteteacute par B Hansen (1949) proposede preacutesenter drsquoune faccedilon tregraves simplifieacutee laconception keyneacutesienne drsquoune politiquebudgeacutetaire meneacutee dans une petite eacuteconomiefermeacutee Dans ce cadre caracteacuteriseacute par un chocirc-mage conjoncturel et une rigiditeacute des prixet des salaires nominaux une hausse desdeacutepenses publiques accroicirct la demande glo-bale ce qui stimule la production Lrsquoaugmen-tation du revenu disponible qui en reacutesulteaccroicirct la consommation priveacutee ce qui ren-force lrsquoeffet initial de lrsquoexpansion budgeacutetaireDe plus la demande drsquoinvestissement peutecirctre stimuleacutee selon le principe de lrsquoacceacuteleacutera-teur par la hausse du niveau drsquoactiviteacute afinde maintenir le rapport technique entre lesvolumes du capital et de la production SelonT Haavelmo (1945) une hausse des deacutepensespubliques stimule lrsquoactiviteacute eacuteconomiquemecircme si elle est entiegraverement financeacutee par desimpocircts Lrsquoeffet expansionniste de la politiquebudgeacutetaire peut ecirctre freineacute par la hausse dutaux drsquointeacuterecirct qursquoelle entraicircne mais qui peutecirctre eacutelimineacutee par une politique moneacutetairedrsquoaccompagnement

Cette efficaciteacute peut cependant ecirctre mise encause dans une eacuteconomie ouverte sur lrsquoex-teacuterieur Dans une extension du modegravele deHicks et Hansen Mundell (1963) et Fleming(1962) montrent que cette efficaciteacute deacutependdu reacutegime de changes et du degreacute de mobiliteacute

internationale des capitaux En effet unehausse des deacutepenses publiques induit commedans le cas drsquoune eacuteconomie fermeacutee une aug-mentation de la demande nationale et dutaux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoaccroissement du tauxdrsquointeacuterecirct provoque une entreacutee de capitauxdrsquoautant plus importante que les capitauxsont mobiles Il en reacutesulte une appreacuteciationde la monnaie nationale Dans un reacutegime dechanges fixes la banque centrale doit inter-venir pour maintenir la pariteacute Cela se traduitpar une hausse des reacuteserves de change quigonfle la masse moneacutetaire La baisse du tauxdrsquointeacuterecirct qui en deacutecoule stimule lrsquoinvestisse-ment ce qui renforce lrsquoeffet initial de lrsquoexpan-sion budgeacutetaire En revanche dans un reacutegimede changes flexibles lrsquoappreacuteciation de lamonnaie nrsquoa pas agrave ecirctre corrigeacutee Elle entraicircneune baisse de la demande exteacuterieure qui com-pense partiellement ou totalement lrsquoeffet dela hausse de la demande inteacuterieure sur leniveau drsquoactiviteacute selon le degreacute de mobiliteacutedes capitaux

Lrsquoarbitrage budgeacutetaireentre lrsquoinflation et le chocircmageLrsquoanalyse preacuteceacutedente limiteacutee au cas des prixet des salaires nominaux fixes est eacutetendueaux prix flexibles par lrsquointroduction drsquounerelation inverse entre lrsquoinflation et le chocirc-mage Celle-ci est deacuteduite de lrsquoeacutevolutioninverse entre le taux de chocircmage et la haussedu salaire nominal observeacutee empiriquementpar AW Phillips (1958) en Angleterre de 1861agrave 1957 Cette extension neacutecessite une speacutecifi-cation de la formation des prix et des salairesce qui permet de tenir compte des conditionsde lrsquooffre globale Mais dans lrsquooptique key-neacutesienne le modegravele drsquooffre et de demandeglobales conserve des eacuteleacutements de rigiditeacutecomme lrsquoindexation des salaires sur les prixDans un tel cadre une expansion budgeacutetaireest susceptible drsquoameacuteliorer la situation delrsquoemploi drsquoun pays mais au prix drsquoune infla-tion plus importante De ce fait les autoriteacutesbudgeacutetaires tentent de concilier leur objectifprincipal de haut niveau drsquoemploi avec celuidrsquoune faible inflation

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 55

Les politiques de stop and goSous lrsquoinfluence des ideacutees keyneacutesiennes lapolitique budgeacutetaire est devenue lrsquoinstrumentprincipal de stabilisation dans la plupart despays industrialiseacutes apregraves la seconde guerremondiale jusqursquoaux anneacutees 1970 Ce choixse justifie drsquoautant plus que les accords deBretton Woods avaient instaureacute un systegravememoneacutetaire international fondeacute sur un reacutegimede changes fixes qui assurait une efficaciteacuteforte agrave lrsquoaction budgeacutetaire Mais la neacutecessiteacutedrsquoarbitrer en permanence entre un niveaudrsquoemploi eacuteleveacute et une inflation faible a conduitagrave des politiques de stop and go Celles-ci secaracteacuterisent par des alternances de mesuresexpansives favorables agrave la croissance et agravelrsquoemploi mais sources drsquoinflation et de deacutefi-cit exteacuterieur et de dispositions de freinage delrsquoactiviteacute destineacutees agrave stabiliser lrsquoinflation etagrave corriger le deacuteseacutequilibre exteacuterieur Ces poli-tiques contra-cycliques ont permis de limiterles fluctuations autour de la tendance de longterme de la croissance eacuteconomique

Une des derniegraveres politiques budgeacutetairesdrsquoinspiration keyneacutesienne de cette peacuteriodeest celle meneacutee en France en 1981 Soneacutechec illustre lrsquoimportance de lrsquoincidencede la contrainte exteacuterieure sur la politiqueconjoncturelle En effet ses effets positifsont eacuteteacute contrebalanceacutes par les conseacutequencesneacutegatives des mesures restrictives adopteacutees

agrave cette peacuteriode par la plupart des pays indus-trialiseacutes en relations commerciales et finan-ciegraveres avec la France

La mise en cause de lrsquoefficaciteacutedes politiques budgeacutetairesdiscreacutetionnairesDans les anneacutees 1970 on observe des haussesparallegraveles de lrsquoinflation et du chocircmage ce quimet en cause la pertinence de lrsquoarbitrageentre le chocircmage et lrsquoinflation effectueacute danslrsquooptique keyneacutesienne Cette mise en cause esteacutetayeacutee par les critiques des fondements theacuteo-riques des politiques budgeacutetaires de naturekeyneacutesienne Elle conduit agrave leur rejet dansle cadre de la reacutevolution conservatrice desanneacutees 1980 qui constitue plutocirct une contre-reacutevolution dans le domaine eacuteconomique dansla mesure ougrave ses conceptions sont fortementancreacutees dans lrsquoanalyse mise en cause par lareacutevolution keyneacutesienne

Les fondements eacuteconomiques dela contre-reacutevolution conservatriceLrsquoanalyse keyneacutesienne de la politique bud-geacutetaire discreacutetionnaire est critiqueacutee par lesmoneacutetaristes qui lui reprochent de neacutegligerles anticipations et de se limiter au courtterme Cette critique est renforceacutee par les

LES SLES STTABIABILLISAISATEURSTEURSAAUTUTOMAOMATIQUESTIQUESLa sLa sttabilisation autabilisation automatique deacutesigneomatique deacutesigne

laquolaquo la cla capacitapaciteacute des financeacute des finances publiques agravees publiques agrave

attatteacutenuer leacutenuer les ces conseacutequenconseacutequences des eacutees des eacutevveacutenementseacutenements

cconjoncturonjoncturels sur lels sur lrsquoactivitrsquoactiviteacute Loreacute Lorsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

esest en et en expansion lxpansion les impocircts augmentes impocircts augmententent

avavec la hausec la hausse de la cse de la consommation et deonsommation et de

llrsquoemplrsquoemploi et loi et les pres presesttations socialations sociales baises baissentsent

avavec lec le re recul du chocircmage La hausecul du chocircmage La hausse desse des

impocircts et la baisimpocircts et la baisse des prse des presesttations cations conduitonduit

alalorors agrave une rs agrave une reacuteduction de la creacuteduction de la croisoissancsancee

LLrsquoaugmentrsquoaugmentation initialation initiale de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eseacute estt

donc rdonc reacuteduiteacuteduite par le par le fe fonctionnement desonctionnement des

ssttabilisatabilisateureurs auts automatiques La situation esomatiques La situation estt

symeacutetrique lsymeacutetrique lororsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie conomie connaicirct unonnaicirct un

rralalentisentissementsement raquo ()raquo ()

() Espinoza R() Espinoza R (2007)(2007) laquolaquo Les staLes stabilisabilisateurteurssautomaautomatiques en Ftiques en Frranceance Eacuteconomie et PrEacuteconomie et Preacutevisioneacutevisionndegndeg 17711771 PParisaris INSEEINSEE

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 56

nouveaux classiques qui introduisent lesanticipations rationnelles et lrsquoeacutequivalencericardienne

Lrsquoinfluence des anticipationssur lrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire

Dans la conception moneacutetariste lrsquoeacutequilibregeacuteneacuteral de long terme drsquoune eacuteconomie estassureacute gracircce agrave la flexibiliteacute parfaite des prixet des salaires nominaux dans un contextede concurrence parfaite ougrave les anticipationssont reacutealiseacutees Il en reacutesulte un taux naturelde chocircmage qui ne peut ecirctre reacuteduit que pardes mesures structurelles De cette faccedilon uneexpansion budgeacutetaire ne peut qursquoaccroicirctrelrsquoinflation au rythme de la hausse de lrsquooffrede monnaie utiliseacutee pour son financement

Lrsquoarbitrage entre le chocircmage et lrsquoinflationqui disparaicirct ainsi dans le long terme peutcependant subsister agrave court terme si lessalarieacutes ne fondent leurs revendications quesur leurs preacutevisions drsquoinflation et si ces anti-cipations ne tiennent compte que de lrsquoinfla-tion passeacutee et courante En effet dans ce casles salarieacutes anticipent un taux drsquoinflationinfeacuterieur au taux qui reacutesultera drsquoune expan-sion budgeacutetaire courante et ils tentent drsquoob-tenir une hausse de leur salaire nominal surla base de ces preacutevisions erroneacutees De ce faitils pensent beacuteneacuteficier drsquoune hausse de leursalaire reacuteel ce qui stimule leur offre de tra-vail Les employeurs sont disposeacutes agrave accorderla hausse des salaires nominaux revendiqueacuteetant que celle-ci est infeacuterieure agrave lrsquoaccroisse-ment effectif des prix Il en reacutesulte une baissedes salaires reacuteels effectivement supporteacutes parles entreprises ce qui stimule la demande detravail De ce fait le chocircmage diminue alorsque lrsquoinflation augmente Une telle situationnrsquoest cependant pas durable car lrsquoillusionmoneacutetaire des salarieacutes srsquoestompe dans lelong terme et le taux naturel de sous-emploiest reacutetabli

En introduisant le concept drsquoanticipa-tions rationnelles les nouveaux classiquesrejettent toute possibiliteacute drsquoarbitrage entreinflation et chocircmage Dans cette conceptionles anticipations des agents ne se fondent pas

sur le niveau passeacute et preacutesent de lrsquoinflationcomme dans le cas des anticipations adapta-tives mais sur toutes les informations dispo-nibles au moment des preacutevisions Posseacutedanttoutes les informations sur les deacutecisions desautoriteacutes budgeacutetaires les salarieacutes ne font pasdrsquoerreurs systeacutematiques en moyenne de sorteque lrsquoinflation anticipeacutee ne diffegravere pas de lrsquoin-flation reacutealiseacutee Seul un effet de surprise dontles incidences sont rapidement corrigeacuteespeut faire deacutevier le taux de chocircmage de sonniveau naturel

Lrsquointroductiondes comportements ricardiens

La mise en cause de lrsquoefficaciteacute des politiquesbudgeacutetaires fondeacutee sur le concept drsquoanticipa-tions rationnelles est renforceacutee par la priseen compte du principe drsquoeacutequivalence ricar-dienne que R Barro (1974) a emprunteacute agrave DRicardo eacuteconomiste classique du XIXe siegravecleSelon ce principe une expansion budgeacutetaire ales mecircmes effets qursquoelle soit financeacutee par desimpocircts ou par un emprunt lrsquoemprunt nrsquoeacutetantqursquoun impocirct diffeacutereacute dans le temps En effetdans le cas du financement par empruntles agents anticipent la hausse future despreacutelegravevements obligatoires que neacutecessite leremboursement de la dette publique et lepaiement de ses inteacuterecircts Pour faire face agravecette charge ils eacutepargnent dans lrsquoimmeacutediatun montant correspondant agrave sa valeur actua-liseacutee et ils achegravetent avec cette eacutepargne destitres dont le remboursement et les inteacuterecirctsserviront agrave payer les impocircts susciteacutes par leservice de la dette publique La politiquebudgeacutetaire est donc moins efficace que dansle cas keyneacutesien du financement drsquoune haussedes deacutepenses publiques par endettement

Lrsquoeacutequivalence ricardienne repose sur plu-sieurs hypothegraveses tregraves restrictives Elle sup-pose notamment une forte rationaliteacute desagents des marcheacutes financiers parfaits et desimpocircts forfaitaires

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 57

Le rejet des politiques budgeacutetairesde relance par la demande

Ces critiques ont abouti au rejet des poli-tiques budgeacutetaires discreacutetionnaires consi-deacutereacutees comme inefficaces Les eacuteconomistesde lrsquooffre preacuteconisent cependant lrsquoutilisationdiscreacutetionnaire de lrsquoinstrument fiscal pouraccroicirctre la quantiteacute de travail et de capitaldestineacutee agrave augmenter lrsquooffre globale et nonpour stimuler la demande qui est consideacutereacuteecomme suffisante Comme le taux naturel desous-emploi est fixeacute par les meacutecanismes demarcheacute les moneacutetaristes privileacutegient la poli-tique moneacutetaire afin de controcircler lrsquoinflationIls preacuteconisent par ailleurs des reacuteformesstructurelles qui permettent de reacuteduire lesdeacutepenses publiques et les impocircts ce quiassure des finances publiques saines et uneintervention publique minimale

Deux politiques nationales sont repreacutesenta-tives de cette contre-reacutevolution La premiegraveremeneacutee au Royaume-Uni agrave partir de 1979 parM Thatcher se caracteacuterise sur le plan budgeacute-taire par une baisse des deacutepenses publiqueset des impocircts directs en vue de stimuler lesecteur priveacute et de diminuer lrsquoinfluence delrsquoEacutetat Elle a permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais au prix drsquoun chocircmage eacuteleveacutejusqursquoau milieu des anneacutees 1980 La secondepolitique inspireacutee par les eacuteconomistes delrsquooffre a eacuteteacute mise en œuvre par R Reagan

degraves 1981 au cours de son premier mandatElle srsquoest traduite par un recul des deacutepensespubliques autres que celles du secteur mili-taire et par une reacuteduction massive drsquoimpocirctsdestineacutee agrave stimuler lrsquooffre globale avec lrsquoes-poir qursquoune baisse du taux drsquoimpositiongeacuteneacuterera une hausse des rentreacutees fiscales etreacutesorbera ainsi le deacuteficit issu de cette strateacute-gie1 Elle srsquoest accompagneacutee drsquoune politiquemoneacutetaire restrictive qui srsquoest manifesteacutee parune hausse importante des taux drsquointeacuterecirctCes mesures ont permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais elles ont entraicircneacute un deacuteficitbudgeacutetaire eacuteleveacute et une reacutecession marqueacuteepar un chocircmage important en 1982 et 1983Pour certains eacuteconomistes la reprise qui asuivi cette phase deacutecoule surtout de lrsquoactionfiscale du deacutebut du mandat pour drsquoautreselle provient essentiellement de lrsquoaccroisse-ment tregraves fort des deacutepenses dans le secteurmilitaro-industriel

Le renouveaude la politique budgeacutetaireLe renouveau de la politique budgeacutetairereacutesulte de lrsquoeacutevolution des reacuteflexions theacuteo-riques et des recherches empiriques Il srsquoestmanifesteacute ces derniegraveres anneacutees par les plansde relance que la plupart des pays industria-liseacutes ont ducirc adopter pour faire face agrave la crise

[1] Cette conceptionest fondeacutee sur la courbe

de Laffer qui montreqursquoau-delagrave drsquoun certaintaux drsquoimposition toute

hausse drsquoimpocirct reacuteduitles recettes fiscales

car elle deacutecourageles offres de travail

et de capital Donc silrsquoon considegravere que la

pression fiscale est tropforte il suffit de reacuteduire

les taux drsquoimpositionpour accroicirctre

les recettes fiscales

1 Croissance chocircmage et finances publiques aux Eacutetats-Unis au Japon et dans la zone euro

Taux de croissancedu PIB (en )

Taux de chocircmage(en )

Dette publique brute(en du PIB)

Deacuteficit public (en du PIB)

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

2008 ndash 03 ndash 11 04 58 40 76 615 1629 702 66 19 21

2009 ndash 31 ndash 55 ndash 44 93 51 96 736 1801 800 119 88 63

2010 24 47 20 96 51 101 828 1883 854 114 83 62

2011 18 ndash 05 14 89 46 102 860 2004 873 102 89 41

2012 22 20 ndash 0 6 81 44 114 887 ND 906 86 ND 37

Troisiegraveme trimestre 2012 ND non disponible

Sources Bulletin mensuel de la BCE septembre 2012 et mai 2013

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 58

eacuteconomique qui srsquoest geacuteneacuteraliseacutee agrave partirde 2008 Mais cette crise et les mesures derelance destineacutees agrave la combattre ont deacuteteacute-rioreacute les finances publiques de la plupart despays ce qui les a obligeacutes agrave mettre en œuvredes mesures de consolidation budgeacutetaire

Les fondements du renouveau

Le renouveau theacuteorique a eacuteteacute reacutealiseacute en grandepartie dans le cadre des modegraveles drsquoeacutequilibregeacuteneacuteral qui agrave la diffeacuterence de ceux utiliseacutespar les nouveaux classiques introduisentlrsquoimperfection des marcheacutes des comporte-ments non ricardiens et une certaine viscositeacutedes prix compatible avec des comportementsrationnels Du fait de ces caracteacuteristiquesces modegraveles sont qualifieacutes de neacuteo-keyneacutesiensTout en conservant lrsquohypothegravese drsquoanticipa-tions rationnelles ils permettent de restaurerlrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire dans uncadre theacuteorique plus satisfaisant que celuiretenu par les modegraveles keyneacutesiens agreacutegeacutes

Les politiques de relance

La crise immobiliegravere ameacutericaine qui srsquoestdeacuteveloppeacutee degraves la fin 2006 srsquoest diffuseacutee surles marcheacutes moneacutetaires et financiers de laplupart des grandes eacuteconomies puis sur lesmarcheacutes des biens et du travail Elle a deacutebou-cheacute en 2009 sur une reacutecession qui srsquoest tra-duite par une baisse importante du PIB et unehausse tregraves forte du chocircmage aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro Cette eacutevolu-tion a conduit les responsables politiques deces zones eacuteconomiques agrave reacutehabiliter les poli-tiques budgeacutetaires en adoptant en 2008 et2009 des plans de relance Crsquoest ainsi que lesEacutetats-Unis ont pris des mesures budgeacutetairesrepreacutesentant plus de 5 du PIB pour faireface agrave une hausse particuliegraverement impor-tante du chocircmage dans un contexte de faibleprotection sociale Au Japon quatre plans derelance ont eacuteteacute mis successivement en œuvreen 2008-2009 Quant agrave lrsquoEurope elle a adopteacuteune strateacutegie qui a mobiliseacute 200 milliardsdrsquoeuros soit 15 du PIB europeacuteen Le bud-get communautaire et la Banque europeacuteenne

drsquoinvestissement ont pris en charge 15 dece montant Les Eacutetats europeacuteens ont financeacutele reste et mis en œuvre des plans de relancenon coordonneacutes

Ces mesures ont favoriseacute une nette reprise en2010 suivie drsquoun ralentissement conjoncturelaux Eacutetats-Unis et dans la zone euro et unerechute au Japon Mais alors que les Eacutetats-Unis et le Japon ont continueacute agrave soutenir leurconjoncture lrsquoEurope a exigeacute de ses membresdes efforts drsquoassainissement des financespubliques De ce fait la croissance et lrsquoemploise sont ameacutelioreacutes aux Eacutetats-Unis et au Japonet se sont deacuteteacuterioreacutes gravement dans la zoneeuro en 2012

Les strateacutegiesde consolidation budgeacutetaire

Du fait de la deacutependance importante des payseuropeacuteens par rapport aux marcheacutes finan-ciers internationaux pour le financementde leurs deacuteficits budgeacutetaires les instanceseuropeacuteennes ont donneacute degraves 2010 une prio-riteacute absolue agrave lrsquoassainissement des financespubliques afin drsquoeacuteviter une deacuteteacuterioration desconditions drsquoemprunt Cette deacutependance estbeaucoup plus faible au Japon qui peut sup-porter un endettement public tregraves eacuteleveacute gracircceagrave un financement public assureacute en grandepartie par une eacutepargne inteacuterieure importanteQuant agrave lrsquoeacuteconomie ameacutericaine elle susciteune confiance internationale tregraves importantedans sa vigueur de sorte que les conditionsde ses emprunts internationaux sont peusensibles jusqursquoici agrave lrsquoeacutetat de ses financespubliques

En preacuteconisant ou en imposant des pro-grammes seacutevegraveres drsquoassainissement budgeacute-taire et de reacuteformes structurelles les instanceseuropeacuteennes espegraverent rassurer les opeacuterateursdes marcheacutes financiers internationaux sanstrop deacuteteacuteriorer la croissance et lrsquoemploi Cettestrateacutegie suppose que les multiplicateurs bud-geacutetaires qui traduisent lrsquoincidence des varia-tions des deacutepenses publiques sur le PIB soientnuls ou tregraves faibles Or un groupe drsquoeacutecono-mistes a eacutevalueacute en 2012 lrsquoimportance des effets

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 59

drsquoune variation des deacutepenses publiques sur lePIB dans les pays de lrsquoOCDE en se fondant sursept modegraveles structurels dont ceux utiliseacutes parla BCE et lrsquoOCDE Selon cette eacutetude une baissetemporaire des deacutepenses publiques de 1 duPIB entraicircne une reacuteduction de 09 agrave 13 duPIB Dans ses Perspectives mondiales le FMIconsidegravere que la valeur des multiplicateursbudgeacutetaires a eacuteteacute largement sous-estimeacuteenotamment en Europe Selon ses estimationscette valeur repreacutesente entre 09 et 17 duPIB alors que les politiques de consolidationbudgeacutetaire eacutetaient fondeacutees sur une valeur de05 du PIB

Lrsquoassainissement des finances publiques doiteacutegalement favoriser le retour de la croissanceCette ideacutee semble se fonder sur une observa-tion effectueacutee par C Reinhart et K Rogoff quimontrait que les pays ayant un taux drsquoendet-tement infeacuterieur agrave 90 du PIB avaient unecroissance plus forte que les autres Mais cetteeacutetude est contesteacutee pour des raisons meacutethodo-logiques et notamment pour avoir eacutecarteacute cer-tains pays du panel Selon drsquoautres travaux ilnrsquoy aurait en reacutealiteacute aucun seuil de ce type

En fait il conviendrait drsquoeffectuer un assai-nissement financier progressif pour lisserdans le temps ses effets neacutegatifs sur la crois-sance et prendre parallegravelement des mesuresstructurelles dont les effets positifs sur lacroissance se reacutepercuteront sur les financespubliques Cette strateacutegie qui se place dansle moyen terme neacutecessiterait une deacutecon-nexion des pays en difficulteacute par rapport auxmarcheacutes financiers dont les eacutevaluations seplacent le plus souvent dans une optique decourt terme

La nature des mesures budgeacutetaires qursquoungouvernement doit prendre diffegravere selonque son eacuteconomie se trouve ou non dans unecrise En effet dans une peacuteriode de fluctua-tions relativement faibles de lrsquoactiviteacute autourdrsquoune tendance de long terme il est probableqursquoune politique budgeacutetaire discreacutetionnairesoit peu efficace pour lisser ces mouvementsnotamment agrave cause de son manque de sou-plesse Dans ce cas le meacutecanisme des stabi-lisateurs budgeacutetaires automatiques se reacutevegraveleplus apte agrave corriger au moins partiellementdes deacuteseacutequilibres transitoires En revanche ilest insuffisant en cas de crise grave La neacuteces-siteacute drsquoune intervention budgeacutetaire discreacutetion-naire de lrsquoEacutetat srsquoest imposeacutee apregraves la crisedes anneacutees 1930 qui a conduit agrave la reacutevolutionkeyneacutesienne Il nrsquoest donc pas eacutetonnant quece type de politique srsquoimpose agrave nouveau agravelrsquooccasion drsquoune crise aussi seacutevegravere et qursquoellese fonde sur des conceptions keyneacutesiennesenrichies par les apports theacuteoriques Elle nepeut neacuteanmoins pas ecirctre meneacutee de la mecircmefaccedilon que dans les anneacutees 1950 et 1960 Eneffet lrsquointerdeacutependance croissante des paysrend neacutecessaire la coordination des poli-tiques eacuteconomiques afin de reacuteduire les effetsexternes reacuteciproques neacutegatifs de celles-ciDe plus la deacutependance de nombreux Eacutetatscomme ceux de la zone euro aux marcheacutesinternationaux pour leur financement soumetleurs actions budgeacutetaires agrave des contraintesfortes pour eacuteviter une deacuterive importante deleurs finances publiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 60

Textes classiques

BARRO R J (1974) laquo AreGovernment Bonds NetWealth raquo Journal of PoliticalEconomy vol 82 ndeg 6

FLEMING (1962) laquo DomesticFinancial Policies under Fixedand under Floating ExchangeRates raquo FMI Staff Paper vol 9 ndeg 3

HAAVELMO T (1945) laquo Multiplier effects ofa balanced budget raquoEconometrica vol 13

HANSEN AH (1949) Monetary Theory and FiscalPolicy McGraw HillNew York

HICKS J R (1937) laquo Mr Keynesand the ldquoClassicsrdquo A Suggested Interpretation raquoEconometrica vol5 ndeg 2

MUNDELL R (1963) laquo CapitalMobility and StabilisationPolicy under Fixed andFlexible Exchange Rates raquoCanadian Journal ofEconomics and PoliticalScience vol 29

MUSGRAVE R (1949) TheTheory of Public FinanceA Study in Public Economy New York McGraw Hill

PHILLIPS (1958) laquo The Relation betweenUnemployment and theRate of Change of MoneyWages Rates in The UnitedKingdom raquo 1861-1957Economica vol 25 ndeg 100

Sur la peacuteriode contemporaine

COENEN G et al (2012) laquo Effects of fiscal stimulusin structural models raquo

American Economic Journal Macroeconomics vol 4 ndeg 1

FMI (2012) World EconomicOutlook

HERNDON T ASH M POLLIN R(2013) laquo Does high public debtconsistently shift growth A critique of C Reinhart etK Rogoff raquo PERI WorkingPapers Series ndeg 322

KOENIG G (2012) laquo Consolidation budgeacutetaireet croissance raquo Bulletin delrsquoObservatoire des politiqueseacuteconomiques ndeg 26

REINHART C ROGOFF K(2010) laquo Growth in a time ofdebt raquo American EconomicReview Papers andProceedings vol 100

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 61

Outre la stabiliteacute des prix les banques centrales ont comme objectif de contribuer par leurs politiques moneacutetaires agrave stabiliser la conjoncture et lutter contre les chocs eacuteconomiques La crise qui a commenceacute en 2007 les a donc particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve Face au blocage du marcheacute moneacutetaire et agrave la reacutecession elles ont massivement baisseacute leurs taux drsquointeacuterecirct direc-teur en 2008-2009 jusqursquoagrave zeacutero pour certaines drsquoentre elles Ces mesures de deacutetente moneacutetaire se sont toutefois reacuteveacuteleacutees insuffisantes ce qui les a conduites agrave mettre en place des dispositifs laquo non conventionnels raquo Christian Bordes dresse un bilan de ces actions face agrave la crise Si les politiques non conventionnelles ont permis de mettre un terme agrave la paralysie du marcheacute moneacute-taire les effets en termes de croissance sont plus contrasteacutes Elles font en outre courir aux eacuteconomies un certain nombre de risques dont celui que se forment dans les anneacutees agrave venir de nouvelles laquo bulles raquo

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques moneacutetairesquel renouvellement avec la crise

Avec la crise systeacutemique globale lrsquoanalysede la politique eacuteconomique en geacuteneacuteral etcelle de la politique moneacutetaire en particu-lier peuvent ecirctre meneacutees agrave deux niveauxdiffeacuterents en fonction de la peacuteriode drsquoana-lyse retenue Agrave moyenlong termes on peutse demander si un changement de reacutegimenrsquoest pas neacutecessaire pour sinon eacuteviter dumoins limiter la probabiliteacute drsquoune nouvellecrise financiegravere geacuteneacuteraliseacutee srsquoagissant dela politique moneacutetaire on doit alors srsquointer-roger sur le maintien ou pas du ciblage delrsquoinflation son articulation avec la politique

macro-prudentielle1 etc Plus immeacutediate-ment agrave courtmoyen termes dans le cadredu reacutegime de politique eacuteconomique existantle problegraveme poseacute est celui de la stabilisationde lrsquoeacuteconomie agrave la suite drsquoune crise financiegraveremajeure Parce qursquoil reste au cœur des preacuteoc-cupations actuelles des banques centralescrsquoest sous ce second angle que le renouvelle-ment de la politique moneacutetaire avec la criseest eacutetudieacute ici2 Cette analyse est meneacutee en srsquoat-tachant aux eacuteconomies ougrave ce renouvellementa eacuteteacute le plus marqueacute les eacuteconomies du laquo G4 raquondash Eacutetats-Unis Japon zone euro Royaume-Uni ndash La premiegravere reacuteponse de leurs banquescentrales a consisteacute agrave pratiquer une poli-tique de taux drsquointeacuterecirct ultra accommodanteFace aux limites de la deacutetente moneacutetaire lesbanques centrales ont ensuite mis en œuvredes politiques laquo non conventionnelles raquo

CHRISTIAN BORDES

Universiteacute Paris 1

Centre drsquoEacuteconomie de la Sorbonne

[1] Dispositif dereacutegulation des

institutions financiegraveresdestineacute agrave assurer la

gestion de la stabiliteacutefinanciegravere globale

[2] La question drsquounchangement du reacutegimede politique moneacutetairefait lrsquoobjet de Bordes C

(2011) laquo Pour un

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 62

La politique de deacutetente moneacutetaireconfronteacutee agrave ses limitesLa politique moneacutetaireavant la criseAgrave partir du deacutebut des anneacutees 1990 jusqursquoen2007 la politique moneacutetaire srsquoest limiteacuteedans les eacuteconomies avanceacutees agrave une politiquede reacuteglage du taux drsquointeacuterecirct

Lrsquoobjectif principal eacutetait drsquoassurer la stabi-liteacute des prix agrave moyenlong terme ndash corres-pondant en geacuteneacuteral agrave un taux drsquoinflation annuel de 2 ndash tout en stabilisant lrsquoacti-viteacute eacuteconomique Plus preacuteciseacutement cette fonction de stabilisation conjoncturelle a consisteacute agrave neutraliser les effets des chocs de diffeacuterentes natures ndash financiers reacuteels et sur les prix ndash qui frappent lrsquoeacuteconomie pour eacuteviter qursquoils nrsquoempecircchent le maintien de la stabiliteacute moneacutetaire

Par lrsquoannonce du taux drsquointeacuterecirct directeur lesautoriteacutes moneacutetaires indiquaient lrsquoorienta-tion souhaiteacutee de leur politique en confor-miteacute avec la reacutealisation de lrsquoobjectif fixeacute Cetteannonce a agi sur lrsquoeacuteconomie selon un meacuteca-nisme de transmission assez bien eacutetabli unereacutepercussion de la baisse des taux directeurssur les conditions de creacutedit suivie drsquoeffets surlrsquoactiviteacute eacuteconomique puis sur le niveau geacuteneacute-ral des prix

La mise en œuvre de la politique moneacutetairesrsquoest traduite par la conduite drsquoopeacuterationsde gestion de la liquiditeacute qui ont soutenulrsquoorientation souhaiteacutee en maintenant le tauxde marcheacute le plus pertinent ndash geacuteneacuteralementle taux auquel les banques srsquoeacutechangent dela liquiditeacute pour 24 heures ndash agrave un niveauconforme agrave celui du taux directeur Ces opeacutera-tions de gestion de la liquiditeacute ont eacuteteacute conccedilueset mises en œuvre pour influencer unique-ment le taux de marcheacute cibleacute Les banquescentrales ont conduit la politique moneacutetaire

ameacutenagement du centralbanking agrave la recherchede lrsquoaffectation optimaledes instruments despolitiques moneacutetaire etmacro-prudentielle raquoin Betbegraveze J-PBordes C Couppey-Soubeyran J et Plihon DBanques centrales etstabiliteacute financiegravere Rapport pour le Conseildrsquoanalyse eacuteconomiquendeg 96 La Documentationfranccedilaise

LE RLE ROcircOcircLLE DEE DE LLA GESA GESTIONTIONDES ANTICIPDES ANTICIPAATIONS DANSTIONS DANSLLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDans lDans les anneacutees 1970-1980 ces anneacutees 1970-1980 certertainsains

eacuteceacuteconomisonomisttes tes tels que Robert Lucels que Robert Lucas etas et

Thomas SarThomas Sargent ont deacutegent ont deacutevveleloppeacute laoppeacute la theacuteorietheacuteorie

des anticipations rdes anticipations rationnellationnelles afin de mieuxes afin de mieux

ccompromprendrendre le les res raisons de la faisons de la faiblaible effice efficacitaciteacuteeacute

des politiques eacutecdes politiques eacuteconomiques discronomiques discreacutetionnaireacutetionnaireses

meneacutees pendant lmeneacutees pendant les deacuteces deacutecennies prennies preacuteceacuteceacutedenteacutedenteses

Une des cUne des conclusions de conclusions de cettette anale analyse esyse est quet que

lle re reacutesulteacutesultat drsquoune politique eacutecat drsquoune politique eacuteconomique deacutependonomique deacutepend

des anticipations des agents rdes anticipations des agents relativelatives agrave ces agrave cettettee

politique Les implicpolitique Les implications de cations de ce re reacutesulteacutesultatat

pour la cpour la conduitonduite de la politique eacutece de la politique eacuteconomiqueonomique

notnotamment camment cellelle de la politique moneacutete de la politique moneacutetairairee

sont trsont tregraves importegraves importantantes En particulieres En particulier la la

deacutefdeacutefense drsquoun ancrense drsquoun ancrage nominal ndash crsquoesage nominal ndash crsquoest-agrave-dirt-agrave-diree

un objectif cun objectif conconcernant une vernant une variablariable nominale nominalee

ttellelle que le que le te taux drsquoinflation ou laux drsquoinflation ou le te taux deaux de

change ndash eschange ndash est une solution intt une solution inteacutereacuteresessantsante poure pour

ssttabiliser labiliser le nive niveau geacuteneacutereau geacuteneacuteral des prix ou lal des prix ou le te tauxaux

drsquoinflation Aujourdrsquoinflation Aujourdrsquohui dans ldrsquohui dans les eacuteces eacuteconomiesonomies

avavancanceacutees leacutees les banques ces banques centrentralales affichentes affichent

un objectif quantifieacute pour lun objectif quantifieacute pour le te taux drsquoinflation ndashaux drsquoinflation ndash

fixfixeacute geacuteneacutereacute geacuteneacuteralalement aux alement aux alententourours de 2s de 2 ndash et ndash et

ssrsquoengagent agrave prrsquoengagent agrave prendrendre le les mesures mesures neacuteces neacutecesessairsaireses

agrave sa ragrave sa reacutealisationeacutealisation l le te taux drsquoinflation y esaux drsquoinflation y est donct donc

la vla variablariable drsquoancre drsquoancrage nominal de la politiqueage nominal de la politique

moneacutetmoneacutetairaire La cre La creacutedibiliteacutedibiliteacute acquise par leacute acquise par leses

banques cbanques centrentralales dans la res dans la reacutealisation de ceacutealisation de cetet

objectif fobjectif facilitacilite la ce la conduitonduite de le de leur politiqueeur politique

moneacutetmoneacutetairaire note notamment la samment la sttabilisationabilisation

cconjoncturonjoncturellelle de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique Ainsionomique Ainsi

au cau courours de la crise ont-ells de la crise ont-elles pu adoptes pu adopterer

une politique de tune politique de taux agraux agresessivsive ainsi que dese ainsi que des

mesurmesures non ces non convonventionnellentionnelles de gres de grandeande

amplampleur sans que leur sans que lrsquoancrrsquoancrage des anticipationsage des anticipations

inflationnisinflationnisttes autes autour de 2our de 2 nrsquoen souffr nrsquoen souffree

Christian BordesChristian Bordes

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 63

LLESES CCANAANAUXUXDE TRANSMISSIONDE TRANSMISSIONDEDE LLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDiffDiffeacutereacuterents cents canaux de tranaux de transmisansmission de lasion de la

politique moneacutetpolitique moneacutetairaire sont re sont reacuteperteacutepertorieacutes parorieacutes par

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique En pronomique En premier lieuemier lieu

il y a lil y a les ces canaux tranaux traditionnels caditionnels centrentreacutes sureacutes sur

lles tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct qui sont lecirct qui sont les principauxes principaux

meacutecmeacutecanismes de tranismes de transmisansmission des deacutecisionssion des deacutecisions

dede politique moneacutetpolitique moneacutetairaire dans le dans le modegravele modegravelee

macrmacro-eacuteco-eacuteconomique sonomique sttandarandard (offrd (offre gle globalobalee

demande gldemande globalobale) En deuxiegraveme lieu il ye) En deuxiegraveme lieu il y

a la les ces canaux agisanaux agissant par lsant par le biais des prixe biais des prix

drsquoautrdrsquoautres actifs (tes actifs (taux de change theacuteorie duaux de change theacuteorie du

laquolaquo q de Tq de Tobinobin raquo) Enfin il y a lraquo) Enfin il y a le meacutece meacutecanisme deanisme de

trtransmisansmission appelsion appeleacute laquoeacute laquo ccanal du cranal du creacutediteacutedit raquo quiraquo qui

a fa fait lait lrsquoobjet de nombrrsquoobjet de nombreuses eacutetudes au ceuses eacutetudes au courourss

des derniegraverdes derniegraveres anneacuteeses anneacutees

POLITIQUE MONEacuteTAIRE

CA

NA

UX

DE

TR

AN

SM

ISS

ION EFFETS SUR LES PRIX DAUTRES ACTIFS APPROCHE PAR LE CREacuteDIT

Canaltraditionnel dutaux dinteacuterecirct

Effets du tauxde change

sur lesexportations

nettesTheacuteorie du q de

TobinEffets

richesseCanal ducreacutedit

bancaire

Canaldu

bilanCanal ducash flow

Canal desvariations nonanticipeacutees du

niveau geacuteneacuteraldes prix

Effet sur laliquiditeacute des

meacutenages

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Taux de change

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

q de Tobin

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Politiquemoneacutetaire

Deacutepocirctsbancaires

Precirctsbancaires

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctnominaux

Cash flow

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Niveau des prixnon anticipeacutes

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Probabiliteacutede deacutetressefinanciegravere

CO

MP

OS

AN

TE

DE

LA

DE

MA

ND

E

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

Exportationsnettes

Investissement

Consommation

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Investissement Investissement Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

PIB

SSourceource Mishkin Mishkin FF BBordesordes CC HHautcoeurautcoeur PP-CC Lacoue-LabartheLacoue-Labarthe DD etet RRagot Xagot X MonnaieMonnaie banque et marbanque et marccheacutes finanheacutes finan--ciersciers PParisaris PPearsonearson 99ee eacuteditioneacutedition

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 64

en proceacutedant reacuteguliegraverement agrave des opeacuterationsde marcheacute agrave court terme qui visent agrave main-tenir leur offre de liquiditeacutes (les deacutepocircts desbanques aupregraves de la banque centrale) autourdes besoins des banques conservant ainsi lestaux de reacutefeacuterence du marcheacute agrave des niveauxproches des taux directeurs

Un principe de seacuteparation a eacuteteacute respecteacuteentre drsquoun cocircteacute la conduite de la politiquemoneacutetaire et de lrsquoautre la gestion de la liqui-diteacute la seconde eacutetant limiteacutee agrave une fonctionde mise en œuvre de la premiegravere et nrsquoappor-tant aucune information sur son orientation

LLAA TTRAPPE AgraveRAPPE Agrave LLIQUIDITEacuteSIQUIDITEacuteSDans une situation de trDans une situation de trappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes leacutes leses

ttaux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominaux sont au vecirct nominaux sont au voisinage deoisinage de

zeacuterzeacutero vo voiroire nuls ale nuls alorors que ls que les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels drsquoeacutequilibreacuteels drsquoeacutequilibre ndash ase ndash assursurant lant lrsquoeacutegalitrsquoeacutegaliteacute entreacute entree

eacutepareacutepargne et invgne et invesestistissement ndash sont neacutegatifssement ndash sont neacutegatifs

Le nivLe niveau de ceau de ces dernieres derniers ss srsquoersquoexplique par dexplique par de

ffaiblaibles peres perspectivspectives de cres de croisoissancsance agrave le agrave longong

ttermeerme l lrsquoinvrsquoinvesestistissement deacutesirsement deacutesireacute eseacute est alt alorors sis si

ffaiblaible que agrave ce que agrave court tourt terme des terme des taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels neacutegatifs sereacuteels neacutegatifs seraient neacutecaient neacutecesessairsaires pour que les pour que lee

montmontant de lant de lrsquoeacuteparrsquoeacutepargne cgne corrorresponde agrave cesponde agrave celui deelui de

llrsquoinvrsquoinvesestistissementsement

La cLa conclusion de lonclusion de lrsquoanalrsquoanalyse kyse keeyneacutesienneyneacutesienne

trtraditionnelladitionnelle de ce de cettette situation eacutete situation eacutetait queait que

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire ese est ineffict inefficacace poure pour

sortir lsortir lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie drsquoune situation de tronomie drsquoune situation de trappe agraveappe agrave

liquiditliquiditeacuteseacutes l lrsquoinjection masrsquoinjection massivsive de liquidite de liquiditeacute pareacute par

lles autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaires eses est intt inteacutegreacutegralalementement

theacutesauriseacutee par ltheacutesauriseacutee par les agents eacuteces agents eacuteconomiques qui neonomiques qui ne

sont incitsont inciteacutes ni agrave augmenteacutes ni agrave augmenter ler leur deacuteteur deacutetention deention de

titrtitres ndash dont la res ndash dont la reacutemuneacutereacutemuneacuteration esation est nullt nulle ndash ni agravee ndash ni agrave

deacutepenser plus (1)deacutepenser plus (1)

CettCette ce conclusion ronclusion relativelative agrave le agrave lrsquoinefficrsquoinefficacitaciteacute deeacute de

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire dans une situation dee dans une situation de

trtrappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes eseacutes est rt remise en cemise en cause parause par

llrsquoanalrsquoanalyse macryse macro-eacuteco-eacuteconomique moderne dansonomique moderne dans

la ligneacutee des trla ligneacutee des travavaux de Paux de Paul Krugman et deaul Krugman et de

Michael WMichael Woodfoodforord Les td Les taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominauxecirct nominaux

eacuteteacutetant prant proches de zeacuteroches de zeacutero lo les autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaireses

doivdoivent perent persuader lsuader le public de re public de reevvoir agrave laoir agrave la

haushausse ses anticipations inflationnisse ses anticipations inflationnisttes en les en leses

fixant agrave un nivfixant agrave un niveau supeacuterieur agrave ceau supeacuterieur agrave celui qui prelui qui preacuteeacutevvautaut

habituellhabituellement (par eement (par exxemplemple agrave 4e agrave 4 au lieu de au lieu de

22 ) Degraves l) Degraves lorors ls les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct recirct reacuteels sereacuteels serontont

neacutegatifs et agrave lneacutegatifs et agrave leur veur valaleur drsquoeacutequilibreur drsquoeacutequilibree cr craignantaignant

une eacuterune eacuterosion du pouvosion du pouvoir drsquoachat de loir drsquoachat de leureurss

encencaisaisses lses les agents eacuteces agents eacuteconomiques seronomiques serontont

incitinciteacutes agrave laquoeacutes agrave laquo deacutetheacutesauriserdeacutetheacutesauriser raquo craquo ce qui dee qui devrvraitait

sstimultimuler la demande gler la demande globalobale et ameacuteliore et ameacuteliorer laer la

situation de lsituation de lrsquoemplrsquoemploi (2)oi (2)

PlusieurPlusieurs poss possibilitsibiliteacutes seacutes srsquooffrrsquooffrent aux autent aux autoritoriteacuteseacutes

moneacutetmoneacutetairaires pour ces pour conduironduire le le public agrave ce public agrave cettettee

rreacuteeacutevision agrave la hausvision agrave la hausse des anticipationsse des anticipations

inflationnisinflationnisttes ndash par ees ndash par exxemplemple elle elles peuves peuventent

ssrsquoengager agrave mener dans lrsquoengager agrave mener dans le futur une politiquee futur une politique

de tde taux plus acaux plus acccommodantommodante qursquoen te qursquoen tempsemps

normal ou bien agrave intnormal ou bien agrave intervervenir sur lenir sur le mare marcheacutecheacute

des changes pour que la monnaie nationaldes changes pour que la monnaie nationalee

se deacuteprse deacutepreacutecie ndash la principaleacutecie ndash la principale difficulte difficulteacute eacuteteacute eacutetantant

drsquoasdrsquoassursurer la crer la creacutedibiliteacutedibiliteacute de ceacute de cet engagementet engagement

Christian BordesChristian Bordes

(1) laquo(1) laquo TTherhere is the possibilityhellip thae is the possibilityhellip that after the rt after the raateteof interof interest has fallen to a certain leest has fallen to a certain levvelel liquidityliquidityprprefereference is virtuallence is virtually ay absolute in the sense thabsolute in the sense thattalmost ealmost evvereryyone prone preferefers cash to holding a des cash to holding a debt abt at sot sololow a rw a raate of interte of interestest In this eIn this evventent the monetarthe monetaryyauthority wauthority would haould havve lost effectie lost effectivve contre controlol raquo (Jraquo (JohnohnMaMaynarynard Kd Keeynesynes TTheacuteorie geacuteneacuterheacuteorie geacuteneacuterale de lrsquoemploiale de lrsquoemploi dedelrsquointeacuterlrsquointeacuterecirct et de la monnaieecirct et de la monnaie 1936)1936)

(2) laquo(2) laquo TThe generhe general aral argument thagument that the monetart the monetaryyauthorities can incrauthorities can increase aggrease aggregegaate demand andte demand andpricesprices eevven if the nominal interen if the nominal interest rest raate is zerte is zeroo is asis asffolloollowsws Mone Moneyy unlikunlike other fe other forms of gorms of goovvernmenternmentdedebtbt papays zerys zero intero interest and has infinite maest and has infinite maturityturityTThe monetarhe monetary authorities can issue as my authorities can issue as much moneuch moneyyas theas they liky likee HenceHence if the price leif the price levvel wel werere tre trululyyindeindependent of monependent of money issuancey issuance then the monetarthen the monetaryyauthorities could use the moneauthorities could use the money they they cry creaeate tote toacquiracquire indefinite quantities of ge indefinite quantities of goods and assetsoods and assets TThishisis manifestlis manifestly impossible in equilibriumy impossible in equilibriumTTherherefefororeemonemoney issuance my issuance must ultimaust ultimateltely ry raise the price leaise the price levveleleevven if nominal interen if nominal interest rest raates artes are bounded ae bounded at zert zeroo raquoraquo(Ben Bernank(Ben Bernankee 2000)2000)

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 65

Le tournant de 2008La faillite de Lehman Brothers le 15 sep-tembre 2008 marque un tournant pour lapolitique moneacutetaire Le 8 octobre les grandesbanques centrales ont meneacute une actionconcerteacutee sans preacuteceacutedent en annonccedilantsimultaneacutement une reacuteduction de leurs tauxdirecteurs (graphique 1) Le recul mondial dela production et de lrsquoinflation enregistreacute auquatriegraveme trimestre 2008 et deacutebut 2009 ayantlargement deacutepasseacute ce qui eacutetait attendu aupa-ravant la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine laBanque du Japon la Banque drsquoAngleterre laBanque du Canada la Banque de Suegravede et laBanque nationale suisse avaient rameneacute finmai 2009 leurs taux directeurs agrave des niveauxproches de zeacutero La contrainte du plancherde 0 srsquoest alors imposeacutee lrsquoaccentuation delrsquoeacutecart de production et le ralentissement delrsquoinflation auraient justifieacute des taux neacutegatifsimpossibles agrave mettre en œuvre Les banquescentrales ont alors trouveacute neacutecessaire drsquoampli-fier par drsquoautres moyens le caractegravere accom-modant de la politique moneacutetaire La Banque

centrale europeacuteenne (BCE) quant agrave elle aabaisseacute son principal taux de 325 pointsde pourcentage entre septembre 2008 etmai 2009 Jusqursquoagrave cette date la baisse du tauxdirecteur coiumlncide agrave peu pregraves avec le ralen-tissement de lrsquoinflation Par la suite jusqursquoagravela fin de 2009 il ne tombe pas au-dessousde 1 alors mecircme que le ralentissement dela hausse des prix se poursuit En effet agrave cemoment-lagrave le Conseil des gouverneurs consi-degravere le taux de 1 comme un plancher pourdeux raisons un risque de deacuteflation peu eacuteleveacutedans la zone euro en raison drsquoune grandeinertie de lrsquoinflation reacutesultant des caracteacute-ristiques structurelles du marcheacute du travailet des marcheacutes de produits un risque deparalysie du marcheacute moneacutetaire les banquesse refusant agrave eacutechanger entre elles de la liqui-diteacute de peur drsquoun deacutefaut des contreparties Lafixation de ce plancher de 1 alors mecircme quelrsquoinflation continue de baisser se traduit parune hausse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel et un res-serrement des conditions de financement aucours du second semestre 2009

1 Les taux drsquointeacuterecirct directeurs des banques centrales (en )

8

7

6

5

4

3

2

1

000 02 04 06 08 10 12

Australie

Zone euro

Canada

Royaume-Uni

Eacutetats-Unis

Japon

Suisse

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 66

Les politiques non conventionnellesagrave la rescousseLa deacuteteacuterioration exceptionnelle des perspec-tives eacuteconomiques fines 2008 et deacutebut 2009ont ameneacute les banques centrales agrave pratiquerdes politiques non conventionnelles qui sesont traduites par un fort gonflement de leursbilans

Leur objectif peut ecirctre drsquoopeacuterer un assouplis-sement moneacutetaire suppleacutementaire en faisantbaisser les taux drsquointeacuterecirct agrave long terme et plusgeacuteneacuteralement les primes de risque ellespeuvent aussi chercher agrave reacutetablir un fonction-nement normal du meacutecanisme de transmis-sion lorsque les baisses de taux directeurs nesont plus reacutepercuteacutees ni sur lrsquoensemble de lagamme des taux ni sur lrsquooffre de creacutedit

Les mesures deacutecideacutees par la Banque drsquoAn-gleterre la Banque du Japon et la Fed srsquoins-crivent dans la premiegravere logique tandis quecelles mises en œuvre par la BCE suivent laseconde

Une batterie de mesuresnon conventionnellesLa typologie eacutetablie il y a quelques anneacuteespar Bernanke et al (2004) conserve toute savaliditeacute3 Selon ces auteurs les mesures nonconventionnelles de politique moneacutetairepeuvent ecirctre classeacutees en trois cateacutegories ndash les mesures visant agrave orienter les anticipa-tions des agents priveacutes relatives agrave la trajec-toire future des taux directeurs ndash celles visant agrave augmenter la taille dupassif de la banque centrale donc la basemoneacutetaire ndash enfin les mesures visant agrave modifier la com-position des actifs de la banque centrale

Ces mesures non conventionnelles consistentdans ndash lrsquoapprovisionnement en liquiditeacute et lrsquoas-souplissement des regravegles de collateacuteral ndash les programmes drsquoachats de titres ndash les engagements relatifs aux deacutecisions agravevenir

Approvisionnement en liquiditeacuteLorsque la qualiteacute du bilan des banquesdevient incertaine leurs sources de finance-ment habituelles sont geleacutees Pour reacutesoudrece problegraveme de refinancement des banqueset eacuteviter la vente deacutesordonneacutee de leurs actifsla banque centrale joue son rocircle de precircteuren dernier ressort Elle peut le faire en injec-tant massivement des liquiditeacutes dans le sys-tegraveme bancaire Elle peut pour cela assouplirle niveau de la qualiteacute des actifs que lesbanques peuvent donner en garantie

Programmes drsquoachats de titresLes mesures drsquoapprovisionnement en liquidi-teacutes devraient en principe permettre drsquoeacuteviterun effondrement du cours de la plupart desclasses drsquoactifs Toutefois ces mesures glo-bales peuvent se reacuteveacuteler insuffisantes pourcertains segments du marcheacute La banque cen-trale peut alors directement acheter les titresen question Ces programmes drsquoachat massifdrsquoactifs sont destineacutes agrave faire baisser les tauxdrsquointeacuterecirct agrave long terme et les primes de risqueen geacuteneacuteral afin drsquoopeacuterer un assouplissementmoneacutetaire suppleacutementaire

Engagements relatifs aux deacutecisions agrave venirMecircme srsquoil est lui impossible drsquoamener les tauxcourts au-dessous de zeacutero la banque centraledispose drsquoun autre moyen pour faire baisserles taux longs avec lrsquoespoir de relancer lrsquoeacuteco-nomie Cette solution consiste dans lrsquoengage-ment de maintenir durablement le principaltaux directeur agrave zeacutero Cette annonce devraitconduire les investisseurs agrave revoir agrave la baisseleurs anticipations relatives aux taux courtsfaisant ainsi diminuer le taux long

Assouplissement quantitatifet assouplissement du creacutedit

Les programmes drsquoachats de titres ne se tra-duisent pas neacutecessairement par une augmen-tation de la base moneacutetaire ndash constitueacutee parles billets en circulation eacutemis par la banquecentrale ainsi que les reacuteserves deacutetenuesaupregraves drsquoelle par les banques commerciales ndashappeleacutee aussi monnaie agrave haute puissance

[3] Bernanke B SReinhart V RSack B P (2004)laquo Monetary PolicyAlternatives at theZero Bound AnEmpirical Assessment raquoFinance and EconomicsDiscussion SeriesDivisions of Research ampStatistics and MonetaryAffairs Federal ReserveBoard Washington DC2004-48 (httpwwwfederalreservegovpubsfeds2004200448200448pappdf)

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 67

parce qursquoelle sert de fondement agrave la creacuteationmoneacutetaire par les banques commerciales lorsdrsquoopeacuterations de creacutedit Crsquoest le cas si

ndash la banque centrale procegravede agrave des achats detitres longs en les financcedilant par des ventes detitres courts drsquoun mecircme montant (opeacuterationtwist)

ndash la banque centrale steacuterilise ces achats endiminuant drsquoautant le montant de la liquiditeacuteqursquoelle injecte par ailleurs

Dans le cas contraire ndash crsquoest-agrave-dire si cesachats sont financeacutes par lrsquoeacutemission de mon-naie de base sans que celle-ci soit steacuteriliseacutee ndashon parle drsquoassouplissement quantitatif Srsquoilssont massifs ils peuvent se traduire par uneexplosion de la base moneacutetaire

On srsquoattend alors agrave une acceacuteleacuteration de lacreacuteation moneacutetaire ndash mesureacutee par les agreacute-gats plus larges M1 M2 et M3 ndash agrave courtterme agrave une stimulation de lrsquoactiviteacute eacutecono-mique agrave moyen long terme agrave une acceacuteleacutera-tion de lrsquoinflation Mais par temps de criseces enchaicircnements pourraient ecirctre rompus

degraves le deacutepart Lrsquoexplosion de la base ne setraduira pas par une expansion moneacutetaire sielle sert agrave alimenter la deacutetention de reacuteservesexceacutedentaires4 Crsquoest ce que lrsquoon a pu consta-ter quand la Banque du Japon a instaureacute unassouplissement quantitatif apregraves lrsquoeacuteclate-ment de la bulle sur les marcheacutes boursieret immobilier la base moneacutetaire a eacuteteacute mul-tiplieacutee par deux mais cela nrsquoa eu aucuneconseacutequence notable sur la demande globalendash qui est resteacutee atone ndash et sur le niveau geacuteneacute-ral des prix ndash qui a baisseacute

Deacutetente moneacutetaire ndashmesures non conventionnelles un palliatif mais pas la panaceacuteeQuelle a eacuteteacute lrsquoefficaciteacute de politiques de tauxdrsquointeacuterecirct historiquement bas combineacutees agrave desmesures non conventionnelles (cf tableau 1) Elles ont permis de gagner du temps pourqursquoun nouvel eacutequilibre eacutemerge mais leur

[4] Les reacuteserves qursquounebanque commercialedeacutetient aupregraves drsquoune

banque centralesont tregraves liquides et

deacutepourvues de risque en contrepartie leur

reacutemuneacuteration est tregravesfaible La stabiliteacute dumontant des creacutedits

distribueacutes agrave lrsquoeacuteconomieet de la creacuteation

moneacutetaire en deacutepitdrsquoune injection drsquounvolume consideacuterable

de liquiditeacute par labanque centrale peut

srsquoexpliquer ainsi lecoucirct drsquoopportuniteacute de la

deacutetention drsquoexceacutedentsde liquiditeacutes par les

banques est tregraves faible aussi preacutefegraverent-elles

conserver un actifextrecircmement liquidedeacutepourvu de risque etreacutemuneacutereacute agrave un faibletaux drsquointeacuterecirct plutocirct

qursquooctroyer des creacuteditsaux entreprises ou auxmeacutenages ou qursquoacheter

des actifs mieuxreacutemuneacutereacutes

1 Principales mesures prises par les banques centrales du G4 au cours de la crise

Eacutetats-UnisFed

Zone euroBCE

Royaume-UniBoE

JaponBoJ

ndash En deacutecembre 2008le principal tauxdirecteur a eacuteteacute ameneacuteau voisinage de zeacuterondash Achats de titres duTreacutesor et de titresadosseacutes agrave des garan-ties hypotheacutecairesdont le montant totalavoisine 3 000 Mds dedollars (programmesdrsquoassouplissementquantitatif QE1 QE2et QE3)ndash Annonce de lrsquointen-tion de maintenir lestaux au voisinage dezeacutero

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Marge limiteacutee enmatiegravere drsquoachatsde titres en raisonde lrsquointerdiction dufinancement les Eacutetatsndash Approvisionnementdu systegraveme bancaireen liquiditeacutes agrave destaux extrecircmement baspour une dureacutee tregraveslongue (allant jusqursquoagrave3 ans pour les deuxLTRO)

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Achats drsquoobligationsdrsquoEacutetat dont le mon-tant total srsquoeacutelegraveve agrave 509Mds de dollarsndash Possibiliteacute offerteaux banques quidistribuent des precirctsdrsquoemprunter aupregravesde la BoE agrave des tauxdrsquointeacuterecirct tregraves bas

ndash Programme consis-tant agrave multiplier par2 la base moneacutetaireainsi que la deacutetentionde titres drsquoEacutetatndash Contrairement aux3 autres banques cen-trales possibiliteacute decombiner la politiquemoneacutetaire agrave un impor-tant programme derelance budgeacutetaire cequi donne lrsquoassuranceque la liquiditeacute creacuteeacuteesera bien utiliseacutee

Source drsquoapregraves New York Times

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 68

capaciteacute agrave y parvenir suscite de nombreusesinterrogations

Le gonflement des bilansdes banques centrales

Le total des bilans des banques centralesdu G4 atteint aujourdrsquohui environ 9000 mil-liards de dollars Il a augmenteacute de plus de8000 milliards depuis 2008 tandis que lavaleur moyenne des taux directeurs est infeacute-rieure agrave 05 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 2009(graphique 2)

La similitude de ces augmentations masqueune diffeacuterence de taille Le gonflement dubilan de la BCE observeacute jusqursquoagrave lrsquoeacuteteacute 2012 esten grande partie le reacutesultat de la forte aug-mentation de la demande de liquiditeacute de lapart des banques lors des deux VLTRO (opeacute-rations de refinancement agrave tregraves long termeVery Long Term Refinancing Operations) qui ont permis drsquoallouer un total drsquoenviron1000 milliards drsquoeuros Agrave ce moment-lagrave lesmontants des titres acquis fermes dans le

cadre du Securities Market Program (SMT)totalisaient 212 milliards drsquoeuros et ceuxacheteacutes dans le cadre des deux programmesdrsquoachat drsquoobligations seacutecuriseacutees avoisi-naient 69 milliards drsquoeuros Autrement ditla hausse du bilan de la BCE a eacuteteacute endogegravenedeacutetermineacutee par le comportement du systegravemebancaire celles des bilans des banques cen-trales britannique japonaise et ameacutericaineont eacuteteacute exogegravenes deacutetermineacutees par les autori-teacutes moneacutetaires

Effets sur les marcheacutes financiers

Appreacutehendeacutee globalement cette politiquede taux historiquement bas combineacutee agrave desmesures non conventionnelles a permis drsquoeacutevi-ter les crises de liquiditeacute bancaires et a faitbaisser les taux drsquointeacuterecirct rendant le deacutesen-dettement moins douloureux et facilitant lefinancement des deacuteficits publics Elle a aussisoutenu les prix des actifs ameacuteliorant la sol-vabiliteacute des emprunteurs

2 Bilans des banques centrales du G4 (en milliards de dollars) et moyenne de leurs taux directeurs (en )

40

35

30

25

20

15

10

05

002007 2008 2009 2010 2011 2012

10

9

8

7

6

5

4

3

Moyenne des taux directeurs (eacutech de gauche)Total des bilans (eacutech de droite)

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 69

Les marcheacutes ont le sentiment que les banques centrales agissent comme un filet de seacutecuriteacute pour la croissance les inves-tisseurs sont convaincus qursquoelles fixent un plancher aux prix des actifs mecircme si elles srsquoen deacutefendent Cette ideacutee a eacuteteacute renforceacuteecourant 2012 par le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute de remplacer le ciblage de lrsquoinflation par une strateacutegie ndash comme le ciblage du PIB nominal ndash accordant plus de poids agrave lrsquoactiviteacute eacutecono-mique Il srsquoen est suivi une nette reacuteduction des risques extrecircmes pour lrsquoeacuteconomie mon-diale une tregraves forte baisse de la volatiliteacute et un encouragement pour les investisseurs agrave acqueacuterir des actifs plus risqueacutes

Lrsquoimpact de lrsquoaction des banques centrales sur les prix des principaux actifs est agrave pre-miegravere vue facile agrave constater Depuis lrsquoan-nonce et la mise en œuvre des diffeacuterents programmes drsquoassouplissement quantita-tif de la Fed et des opeacuterations de VLTRO de

la BCE les cours boursiers mondiaux ont eacuteteacute multiplieacutes par deux (graphique 3) Les annonces de la mise en place ou de lrsquoexten-sion des programmes drsquoassouplissement quantitatif ont eacuteteacute accompagneacutees de fortes progressions du MSCI World Equity IndexAgrave lrsquoopposeacute quand les marcheacutes ont pu croire que la Fed allait limiter ses interventionsles cours boursiers ont baisseacute Il en a notam-ment eacuteteacute ainsi agrave lrsquoexpiration de son deuxiegraveme dispositif drsquoassouplissement mais avec lrsquoannonce des deux opeacuterations de VLTROla BCE a en quelque sorte pris le relais ce qui a relanceacute les marcheacutes (graphique 3) La politique de maintien des taux directeurs agrave un niveau historiquement bas combineacutee aux mesures non conventionnelles a ameneacute les investisseurs agrave sortir des marcheacutes des obli-gations drsquoEacutetat et agrave se reporter sur des actifs plus risqueacutes ce qui a eacuteteacute favorable aux mar-cheacutes boursiers

3 Reacuteaction du marcheacute boursier mondial aux programmes non conventionnels

400

350

300

250

200

1502009 2010 2011 2012 2013

AnnonceQE1

ExtensionQE1

FinQE1

AnnonceQE2

FinQE2

AnnonceLTRO(BCE)

AnnonceQE3

Indice MSCI

Source Thomson Reuters Datastream

QE = Assouplissement quantitatif LTRO = Opeacuteration de refinancement agrave long terme Indice boursier mesurant la performance des marcheacutes boursiers de pays avanceacutes

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 70

Effets sur lrsquoactiviteacute eacuteconomiqueet sur lrsquoinflation

La hausse des cours boursiers en particulieret plus geacuteneacuteralement de lrsquoensemble des prixdes actifs risqueacutes devrait normalement facili-ter le financement des entreprises et conduireagrave un effet de richesse favorable Un environ-nement tel que celui qui preacutevaut actuellementdans de nombreux pays ougrave les rendementsobligataires sont infeacuterieurs agrave la croissancenominale du PIB semble particuliegraverementpropice agrave un redeacutemarrage de lrsquoinvestisse-ment Avec la baisse du coucirct du capital lesentreprises devraient voir la rentabiliteacute desinvestissements augmenter et deacutevelopperleurs activiteacutes Pourtant il nrsquoen est rien pourlrsquoinstant En deacutepit de lrsquoameacutelioration globalede la profitabiliteacute et de la structure de bilandes entreprises les commandes de biensdrsquoinvestissement demeurent deacutesespeacutereacutementfaibles dans la plupart des pays deacuteveloppeacuteset cette aneacutemie se diffuse dans les pays eacutemer-gents Une explication freacutequemment avanceacuteemet lrsquoaccent sur la monteacutee transitoire de lrsquoin-certitude en peacuteriode de crise Une autre met

en avant la persistance drsquoune contraction delrsquooffre de creacutedit par des banques soucieusesde deacutegonfler la taille de leurs bilans Unederniegravere ndash plus inquieacutetante ndash impute lrsquoatoniedes deacutepenses drsquoinvestissement agrave un change-ment durable de comportement de la partdes entreprises pour le financement de cesdeacutepenses eacutechaudeacutees par la contraction ducreacutedit elles ne voudraient plus deacutependre desbanques et souhaiteraient pouvoir comptersur leurs ressources propres leur aversionau risque aurait augmenteacute et deacutesormais ellesse contenteraient drsquoactiviteacutes moins rentablesQuoi qursquoil en soit si la croissance semble ecirctrerepartie aux Eacutetats-Unis (graphique 4a) cenrsquoest pas le cas dans la plupart des autreseacuteconomies deacuteveloppeacutees avec depuis le deacutebut2013 un ralentissement inquieacutetant observeacutepour lrsquoAllemagne qui avait jusqursquoalors faitexception

Nombreux sont ceux qui nrsquoont cesseacute drsquoex-primer leur preacuteoccupation au sujet drsquounepossible hausse de lrsquoinflation reacutesultant delrsquoexplosion des bilans des banques cen-trales Pour lrsquoheure cette crainte ne paraicirct

4a Croissance du PIB reacuteel depuis 1999 (base 100 en 1999)

135

130

125

120

115

110

105

100

00 0199 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Eacutetats-UnisRoyaume-UniFranceJaponItalieAllemagne

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 71

pas justifieacutee (graphique 4b) Aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro la hausse desprix observeacutee est mecircme tombeacutee assez nette-ment au-dessous des 2 qui constituent peuou prou lrsquoobjectif des banques centrales en lamatiegravere seul le Royaume-Uni fait exceptionEn outre sur les marcheacutes mondiaux les prixdes matiegraveres premiegraveres restent stables

Risques

Le maintien sur une peacuteriode prolongeacuteede politiques de taux historiquement bas

combineacutee agrave des mesures non convention-nelles pourrait avoir des effets pervers et leur retrait srsquoannonce comme un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

BullesUn assouplissement quantitatif persistant peutconduire agrave des bulles drsquoactifs aussi bien lagrave ougrave ilest mis en œuvre que dans les autres pays ougrave ila une influenceCrsquoest ce qui srsquoest passeacute en 2000-2006 quand la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine afait chuter de maniegravere agressive le taux desfonds feacutedeacuteraux agrave 1 au cours de la reacutecession

4b Taux drsquoinflation depuis 2000 (en )

8

10

6

4

2

0

ndash 2

ndash 400 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Royaume-UniZone euroChineEacutetats-UnisJapon

4c Variation annuelle de lrsquoindice des prix des matiegraveres premiegraveres (en )

40

20

0

ndash 20

ndash 4000 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 72

de 2001 et de la peacuteriode de faible reprise par lasuite En maintenant le taux agrave ces niveaux elleavait alimenteacute la laquo bulle raquo des creacutedits au loge-ment qui a provoqueacute la crise des subprimes

Mouvements de hot moneyet guerre des monnaiesLrsquoassouplissement quantitatif dans les eacuteco-nomies avanceacutees a potentiellement un autreeffet pervers les taux drsquointeacuterecirct faiblesgeacutenegraverent des mouvements de capitaux exces-sifs vers les eacuteconomies eacutemergentes agrave plusforte croissance et agrave forts taux drsquointeacuterecirct Enprincipe cette arriveacutee massive de capitauxdevrait se traduire par une appreacuteciationdes taux de change de ces pays jusqursquoagrave leurnouvelle valeur drsquoeacutequilibre une fois celle-ci atteinte les entreacutees de capitaux devraientcesser Dans la pratique il nrsquoen est pas ainsi si les investisseurs retirent des gains de cetteappreacuteciation il est agrave craindre que les entreacuteesde capitaux bien loin de se tarir redoublentce qui entraicircne une nouvelle revalorisation dela monnaie et bien loin de ramener lrsquoeacutecono-mie agrave lrsquoeacutequilibre ce processus amplificateurlrsquoen eacutecarte et risque de se terminer par unkrach Dans ces conditions il nrsquoest pas eacuteton-nant que les pays beacuteneacuteficiaires aient reacutesisteacuteagrave lrsquoafflux de mouvements de hot money pardes mesures de controcircle des mouvements decapitaux destineacutes agrave bloquer lrsquoappreacuteciation deleurs monnaies

laquo Zombification raquo de lrsquoeacuteconomieLes politiques drsquoassouplissement quantitatifsont aussi mises en cause en raison de leurcaractegravere potentiellement contre-productifEn favorisant de tregraves bas niveaux de taux drsquoin-teacuterecirct elles contribueraient agrave reporter dansle temps des restructurations ineacutevitables etagrave maintenir agrave flot des pans entiers de lrsquoeacuteco-nomie qui auraient ducirc disparaicirctre En retar-dant le deacutesendettement des secteurs priveacute etpublic ces politiques pourraient creacuteer unearmeacutee de laquo zombies raquo des institutions finan-ciegraveres avec des situations financiegraveres nettesneacutegatives des meacutenages irresponsables desentreprises peu compeacutetitives et peu inno-vantes et des pouvoirs publics inefficaces

Risques lieacutes agrave la sortiedes mesures non conventionnelles

Si la sortie des programmes non convention-nels eacutetait trop lente etou trop tardive ellepourrait ouvrir la voie agrave une acceacuteleacuteration delrsquoinflation etou agrave des bulles speacuteculativesAgrave lrsquoopposeacute une sortie preacutecipiteacutee risqueraitde deacutestabiliser les marcheacutes et de stopper lareprise de lrsquoactiviteacute eacuteconomique

Si lrsquoon prend lrsquoexemple des Eacutetats-Unis sansle soutien de la Fed une remonteacutee des tauxsemble ineacutevitable avec pour conseacutequenceune deacutepreacuteciation des obligations Les profitsde la Fed pourraient donc souffrir au coursdes anneacutees agrave venir de son deacutesengagementprogressif de sa politique drsquoassouplissementquantitatif surtout si elle eacutetait contrainte devendre agrave perte une partie de son portefeuillede titres5 Le Congressional Budget Office(CBO) estime que les paiements de la Fed auTreacutesor apregraves avoir atteint en moyenne 95 mil-liards de dollars par an jusqursquoen 2016 pour-raient tomber agrave zeacutero entre 2018 et 2020 pourreprendre par la suite

Au-delagrave de cet exemple comment eacuteviter quela sortie des dispositifs non conventionnelset de la politique de taux historiquement basne vienne menacer la stabiliteacute financiegravere Les recommandations agrave ce sujet sont appa-remment simples le gradualisme srsquoimposeet les changements apporteacutes doivent ecirctrepreacutevisibles la banque centrale doit laquo preacutepa-rer minutieusement sa strateacutegie de sortie etla communiquer agrave lrsquoavance aux marcheacutes auxinstitutions financiegraveres ainsi qursquoaux autresbanques centrales afin de minimiser le risquede dysfonctionnement raquo6 Selon une visionoptimiste cela ne devrait pas ecirctre difficile par exemple les banques centrales japonaiseet sueacutedoise ont pu deacutegonfler massivement lataille de leur bilan agrave lrsquoautomne 2010 sans creacuteerde perturbation dans le secteur financier oupour les taux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoopinion la plusreacutepandue est que pour les banques centralesdu G4 la sortie des mesures non convention-nelles sera un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

[5] Lors drsquoune auditionau Congregraves BenBernanke a estimeacute quela Fed aurait inteacuterecirctagrave conserver jusqursquoagraveleur eacutecheacuteance les precirctsimmobiliers titriseacutesqursquoelle deacutetient plutocirctque de les vendre surle marcheacute

[6] FMI (2013) Rapport2013 sur la stabiliteacutefinanciegravere globale

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 73

Avec la crise lrsquoobjectif de la politique moneacute-taire des banques centrales des principaleseacuteconomies avanceacutees ndash assurer la stabiliteacute desprix agrave moyenlong terme tout en stabilisantlrsquoactiviteacute eacuteconomique ndash nrsquoa pas varieacute Maislrsquoampleur du choc financier a eacuteteacute telle quepour lrsquoassurer elles ont ducirc avoir recours agravedes mesures totalement ineacutedites soit parceque les taux directeurs sont venus butercontre leur plancher de 0 (Banque drsquoAngle-terre Banque du Japon Fed) soit parce quele meacutecanisme de transmission habituel estdevenu inopeacuterant (BCE) En outre pour assu-rer la stabilisation conjoncturelle la politiquemoneacutetaire a eacuteteacute largement laisseacutee agrave elle-mecircme elle nrsquoa pas pu compter sur lrsquoappuidrsquoune politique budgeacutetaire expansionniste agravelaquelle les pouvoirs publics se sont refuseacutesCrsquoest ainsi que dans le G4 une politique detaux ultra accommodante a eacuteteacute associeacutee agrave desmesures non conventionnelles radicalementnouvelles Alors qursquoen temps normal les ban-quiers centraux se montrent extrecircmementprudents ils ont fait preuve drsquoaudace

Cette combinaison srsquoest traduite par un retouragrave la normale sur les marcheacutes financiers Enrevanche les signes drsquoune reprise solide delrsquoactiviteacute et drsquoune ameacutelioration de la situationde lrsquoemploi se font toujours attendre surtouten Europe et au Japon Dans ces conditionsil nrsquoest pas eacutetonnant que chez les eacutecono-mistes des points de vue diffeacuterents sur ce

renouvellement des politiques moneacutetairessoient exprimeacutes Les moneacutetaristes et les keyneacute-siens de stricte obeacutedience le jugent soit dange-reux ndash pour les premiers les banques centralesse sont trop aventureacutees en terre inconnue etdoivent revenir en arriegravere compte tenu desrisques encourus ndash soit largement inefficace ndashpour les seconds dans la situation de trappe agraveliquiditeacute ougrave lrsquoon se trouve aujourdrsquohui la poli-tique moneacutetaire ne peut agrave elle seule stabiliserlrsquoeacuteconomie et la politique budgeacutetaire doit ecirctreplus expansionniste En revanche pour lesnouveaux keyneacutesiens ndash dont lrsquoanalyse a lar-gement inspireacute le renouvellement de la poli-tique moneacutetaire ndash celui-ci a eacuteviteacute le pire ndash enempecircchant que la situation observeacutee dans lesanneacutees 1930 ne se reproduise et des margesde manœuvre restent encore disponibles quipermettraient drsquoaller encore plus loin si lebesoin srsquoen faisait sentir Mais du cocircteacute desbanquiers centraux on cherche agrave tempeacutererces attentes en indiquant clairement qursquoil nefaut pas srsquoattendre agrave ce que leur action regravegletous les problegravemes auxquels sont confronteacuteesaujourdrsquohui les eacuteconomies comme le deacuteclarelrsquoun drsquoentre eux7 si la politique moneacutetairepeut promouvoir des conditions favorisant lacroissance elle ne creacutee pas de richesse pour etpar elle-mecircme ce sont les forces innovatriceset entrepreneuriales du secteur priveacute qui sontles moteurs drsquoune croissance reacuteelle et durable

[7] Jean-Pierre Danthinevice-preacutesident de la

Direction geacuteneacuterale de laBanque nationale suisse

AGLIETTA M CARTON B etSZCZERBOWICZ U (2012) laquo La BCE au chevet de laliquiditeacute bancaire raquo La lettre duCEPII ndeg 321 mai

BANQUE DES REgraveGLEMENTSINTERNATIONAUX (2013) 83e rapport annuel de la BRI20122013 23 juin

BROYER S (2013) laquo La reacuteaction des banques

centrales agrave la crise une comparaison raquo SpecialReport recherche eacuteconomiquendeg 30 Natixis 27 feacutevrier

CLERC L (2009) laquo Les mesures nonconventionnelles de politiquemoneacutetaire raquo Focus ndeg 4Banque de France 23 avril

LOISEL O et MEacuteSONNIER J-S (2009) laquo Les mesures non

conventionnelles de politiquemoneacutetaire face agrave la criseQuestions actuelles ndash Eacuteconomie-Monnaie-Finance ndeg 1 Banquede France avril

MISHKIN F BORDES CLACOUE-LABARTHE DLEBOISNE N POUTINEAU J-C(2013) Monnaie banque etmarcheacutes inanciers ParisPearson 10e eacuted

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 74

LA STABILITEacute FINANCIEgraveRENOUVEL OBJECTIFDES BANQUES CENTRALES Une implication forte des banques centrales

dans le macro-prudentiel semble aujourdrsquohui

faire consensus 86 des banquiers centraux

et 89 des eacuteconomistes qui ont participeacute agrave

notre questionnaire ont ainsi reacutepondu laquo oui raquo

agrave la question de savoir si la Banque centrale

devait jouer un rocircle important dans

la supervision macro-prudentielle

La supervision macro-prudentielle constitue

en effet le chaicircnon manquant entre politique

moneacutetaire et politique prudentielle et permet de

les articuler Mais quels seront preacuteciseacutement les

instruments macro-prudentiels

des banques centrales Ougrave commence et ougrave

finit lrsquoimplication de la Banque centrale dans

la politique prudentielle Son implication

macro-prudentielle suppose-t-elle aussi

une implication dans le micro-prudentiel

pousseacutee ou non

Le rocircle de la politique macro-prudentielleLes superviseurs ont longtemps privileacutegieacute

la reacutegulation micro-prudentielle et precircteacute

peu drsquoattention au risque systeacutemique Ils

consideacuteraient en effet qursquoune maicirctrise des

risques individuels eacutetait suffisante pour

preacuteserver la stabiliteacute du systegraveme financier

Cette attitude eacutetait et demeure lieacutee en

grande partie au paradigme de lrsquoefficience

des marcheacutes paradigme qui privileacutegie le

comportement des agents individuels agrave partir

drsquoune vision essentiellement microeacuteconomique

de la finance Selon cette conception le

risque systeacutemique serait ainsi le reacutesultat

drsquoune agreacutegation de risques individuels Crsquoest

ainsi que la reacutegulation macro-prudentielle

qui concerne la stabiliteacute globale du systegraveme

bancaire et financier eacutetait le maillon faible si ce

nrsquoest manquant du dispositif prudentiel agrave

la veille de la crise des subprimes

Plus preacuteciseacutement la politique macro-

prudentielle peut ecirctre vue comme se situant

sur un spectre avec la politique moneacutetaire

drsquoun cocircteacute et la politique micro-prudentielle

de lrsquoautre Ses objectifs de nature globale se

rapprochent de ceux de la politique moneacutetaire

En revanche elle est plus proche de la politique

micro-prudentielle au niveau des instruments ndash

tels les ratios de capital ndash qursquoelle doit chercher

agrave adapter et manier pour reacuteduire le risque

systeacutemique Ineacutevitablement la frontiegravere entre

le macro-prudentiel et le micro-prudentiel sera

poreuse et fine Ce qui obligera les banques

centrales et les autoriteacutes de supervision agrave se

coordonner eacutetroitement

Le rocircle principal des politiques micro et macro-

prudentielles peut srsquoexprimer simplement

promouvoir la reacutesilience du systegraveme financier

de maniegravere agrave assurer une offre de services

financiers adapteacutee aux besoins de lrsquoeacuteconomie

dans son ensemble La fonction speacutecifique

de la politique macroprudentielle consiste agrave

preacutevenir et geacuterer le risque systeacutemique Selon la

deacutefinition donneacutee par Jean-Franccedilois Lepetit

laquo La crise systeacutemique est une rupture dans le

fonctionnement des services financiers causeacutee

par la deacutegradation de tout ou partie du systegraveme

financier et ayant un impact neacutegatif geacuteneacuteraliseacute

sur lrsquoeacuteconomie reacuteelle raquo

La crise des subprimes fournit une illustration

du risque systeacutemique conduisant agrave une

crise systeacutemique dans la mesure ougrave elle a

brutalement deacutestabiliseacute le systegraveme financier

international et srsquoest propageacutee agrave lrsquoensemble

de lrsquoeacuteconomie mondiale Bien sucircr le risque de

systegraveme nrsquoest pas un pheacutenomegravene nouveau

Les crises systeacutemiques jalonnent en effet

lrsquohistoire des systegravemes financiers et la crise

de 1929 fut lrsquoune des plus meacutemorables Ce

risque de systegraveme srsquoest cependant intensifieacute

agrave partir des anneacutees soixante-dix avec la

globalisation financiegravere Cette derniegravere a

interconnecteacute les marcheacutes et vu se deacutevelopper

de grands groupes financiers transnationaux

et multispeacutecialiseacutes (hellip)

La crise financiegravere systeacutemique de 2007-2009

a susciteacute un grand nombre drsquoanalyses et de

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 75

propositions destineacutees agrave ameacuteliorer le dispositif

prudentiel Le contenu de ces derniegraveres a

eacuteteacute diffeacuterent en Europe et aux Eacutetats-Unis

ce qui srsquoexplique en partie par le fait que les

systegravemes financiers ne sont pas identiques

lrsquointermeacutediation de marcheacute eacutetant plus eacutetendue

aux Etats-Unis qursquoen Europe Les propositions

europeacuteennes ont plutocirct mis lrsquoaccent sur les

dispositifs contra-cycliques mis en œuvre

par les autoriteacutes de tutelle des banques

alors que les reacuteflexions ameacutericaines se sont

surtout tourneacutees vers des mesures de marcheacute

destineacutees agrave traiter les problegravemes deacutecoulant de

lrsquoaleacutea moral et de la taille des banques (laquo too big

to fail raquo)

En Europe les discussions se sont largement

centreacutees sur la mise en place drsquoun nouveau

dispositif drsquoexigences en fonds propres sous

forme drsquoune surcharge laquo systeacutemique raquo en

capital dans le prolongement de la logique de

travaux du Comiteacute de Bacircle Cette premiegravere seacuterie

de mesures cherche en particulier agrave maicirctriser

les effets de levier Toutefois la crise en cours a

reacuteveacuteleacute lrsquoinsuffisante prise en compte des risques

de liquiditeacute ce qui montre la neacutecessiteacute drsquoinciter

les banques agrave recourir agrave des financements plus

longs de maniegravere agrave reacuteduire la transformation

drsquoeacutecheacuteances (maturity mismatch) Des

mesures compleacutementaires etou alternatives

agrave la surcharge en capital ont eacutegalement eacuteteacute

proposeacutees dans le cadre des accords de Bacircle III

La surcharge en capitalEn apparence lrsquoinstrument macro-prudentiel le

plus simple pour reacuteduire le risque systeacutemique

global est de soumettre lrsquoensemble des acteurs

financiers laquo systeacutemiques raquo agrave une surcharge

en capital en plus des exigences en capital

micro-prudentielles existantes Chaque pays

doit alors deacutefinir une liste drsquolaquo institutions

systeacutemiques raquo en fonction de trois critegraveres

taille connectiviteacute et complexiteacute Cette

surcharge entend accroicirctre le coucirct marginal

des activiteacutes de precirct et reacuteduire les effets de

levier Par ailleurs elle doit varier de maniegravere

contra-cyclique pour atteacutenuer les cycles du

creacutedit La fixation de la surcharge en capital

devrait ecirctre effectueacutee sous la responsabiliteacute

des banques centrales nationales Celles-ci

auraient dans cette fonction la possibiliteacute

de superviser les laquo institutions systeacutemiques

raquo de leur ressort La fixation de la surcharge

en capital se ferait ainsi en deux eacutetapes dans

un processus top down La Banque centrale

deacutetermine drsquoabord les objectifs opeacuterationnels

de sa politique contra-cyclique agrave partir drsquoune

mesure de lrsquoexcegraves drsquooffre de creacutedit par rapport agrave

une norme de long terme Elle deacutetermine alors

le capital reacuteglementaire pour lrsquoensemble des

banques systeacutemiques neacutecessaire pour endiguer

lrsquoexcegraves de creacutedit pouvant conduire au risque

systeacutemique La surcharge globale en capital est

ensuite reacutepartie entre les entiteacutes systeacutemiques

La surcharge est ainsi calculeacutee en fonction de

la contribution speacutecifique de chaque banque au

risque systeacutemique global en fonction de trois

critegraveres effet de levier taux de transformation

(maturity mismatch) et taux de croissance des

creacutedits (hellip)

La maicirctrise du risque de liquiditeacuteLa crise de 2007-2009 a montreacute que le risque

drsquoilliquiditeacute avait eacuteteacute sous-estimeacute par les

dispositifs prudentiels La crise des subprimes

srsquoest en effet traduite par une crise de liquiditeacute

crsquoest-agrave-dire une eacutevaporation brutale des

liquiditeacutes sur les marcheacutes moneacutetaires qui a

menaceacute la stabiliteacute des systegravemes bancaires et

ameneacute les banques centrales agrave effectuer des

injections massives de liquiditeacutes en urgence

dans le cadre de leur fonction de precircteur en

dernier ressort Plusieurs propositions ont eacuteteacute

faites pour mieux assurer la protection des

acteurs et des marcheacutes contre ce risque

de liquiditeacute pour reacuteduire le risque systeacutemique

selon une proceacutedure semblable agrave celle

eacutetablissant la surcharge en capital (hellip)

la mise en œuvre par la Banque centrale drsquoune

politique de refinancement individualiseacutee pour

chaque groupe bancaire preacutesent dans sa zone

moneacutetaire Les banques centrales seraient alors

ameneacutees agrave superviser les entiteacutes systeacutemiques

avec des objectifs macro-prudentiels Dans la

mesure ougrave comme on vient de le voir les crises

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 76

de liquiditeacute sont un des meacutecanismes des crises

systeacutemiques les banques centrales pourraient

eacutegalement avoir une approche systeacutemique de

leur offre de liquiditeacute bancaire crsquoest-agrave-dire

de leur refinancement des groupes bancaires

et financiers en particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo Une telle politique impliquerait

un changement strateacutegique par rapport aux

politiques actuelles drsquointervention des banques

centrales sur le marcheacute moneacutetaire qui sont

globales et non individualiseacutees par banque

Une politique individualiseacutee de refinancement

permettrait drsquoagir directement sur les

comportements des banques et en particulier

de freiner un emballement du creacutedit et

symeacutetriquement de stimuler le financement

drsquoactiviteacutes strateacutegiques et creacuteatrices drsquoemploi

Cette approche individualiseacutee du refinancement

par les banques centrales apparaicirct conforme

agrave la deacutecision du G20 de Londres (avril 2009)

drsquoeffectuer un suivi particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo

La reacutegulation du creacutedit bancaireOn a vu que lrsquoemballement du creacutedit dans

certains secteurs et dans certains pays a joueacute

un rocircle deacutecisif dans la crise reacutecente Ainsi

la croissance excessive du creacutedit a-t-elle

largement alimenteacute la bulle immobiliegravere aux

Eacutetats-Unis en Espagne et en Irlande Lrsquoadoption

de mesures destineacutees agrave reacuteguler le creacutedit en

geacuteneacuteral ou dans certains secteurs peut ainsi

se reacuteveacuteler souhaitable en compleacutement de la

politique moneacutetaire et de lrsquoaction geacuteneacuterale sur

la liquiditeacute bancaire Plusieurs instruments

peuvent ecirctre utiliseacutes pour reacuteguler le creacutedit

bancaire tels que le renforcement des ratios

laquo loan to value raquo (rapport entre le precirct et la

valeur de marcheacute de lrsquoactif qursquoil finance) ou la

mise en place de reacuteserves obligatoires sur les

creacutedits parallegravelement aux reacuteserves sur les

deacutepocircts Ces reacuteserves permettraient drsquoagir sur

la liquiditeacute des banques mais eacutegalement sur

leur capaciteacute agrave deacutevelopper leurs creacutedits Il y

aurait donc un double impact de ces reacuteserves

obligatoires sur la liquiditeacute et sur lrsquoeffet de

levier Alors que les reacuteserves obligatoires

sur les deacutepocircts existent actuellement dans la

zone euro et sont reacutemuneacutereacutees les reacuteserves

obligatoires sur les creacutedits agrave mettre en place ne

le seraient pas Ces reacuteserves devraient ecirctre en

toute hypothegravese progressives selon le rythme

de croissance des creacutedits et diffeacuterentes selon

les activiteacutes (creacutedits agrave la consommation agrave

lrsquoeacutequipement agrave lrsquoimmobilier aux hedge funds et

fonds de private equity) Leur objectif serait de

contrer les emballements des activiteacutes de creacutedit

et de marcheacute

Dans le cadre de la zone euro ces instruments

de reacutegulation du creacutedit devraient en outre

ecirctre moduleacutes selon les secteurs drsquoactiviteacute

mais eacutegalement en fonction de la conjoncture

preacutevalant dans chaque pays Il srsquoagirait donc de

revenir sur la politique uniforme adopteacutee par la

BCE dans la zone euro meneacutee dans un esprit

de neutraliteacute ndash avec le souci de la convergence

des eacuteconomies Les deacuteveloppements reacutecents

de la crise dans la zone euro ont en effet

montreacute que les eacuteconomies de la zone ont

divergeacute et que la politique moneacutetaire uniforme

a contribueacute agrave favoriser cette divergence entre

pays agrave lrsquoorigine de la crise de la zone euro en

2009 et 2010 Cette proposition pourrait ecirctre un

eacuteleacutement important de la reacuteforme de la politique

eacuteconomique et moneacutetaire au sein de la zone

euro Il pourra ecirctre objecteacute que ces politiques

diffeacuterencieacutees remettent en cause lrsquouniformiteacute

de la politique moneacutetaire au sein de la zone et

peuvent favoriser les arbitrages La proposition

serait drsquoappliquer ces politiques en prioriteacute aux

secteurs tel lrsquoimmobilier qui restent largement

nationaux (hellip) ()

Jean-Paul Betbegraveze Christian BordesJeacutezabel Couppey-Soubeyran

et Dominique Plihon

() Extraits choisis par la reacutedaction des

hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques

dans Betbegraveze J-P Bordes C Couppey-

Soubeyran J et Plihon D (2010) Banques

centrales et stabiliteacute financiegravere rapport du

Conseil drsquoanalyse eacuteconomique ndeg 96 Paris la

Documentation franccedilaise

Le titre et les intertitres sont de la reacutedaction

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS77

JACQUES LE CACHEUX

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de Pau et des Pays de lrsquoAdourDirecteur du Deacutepartement des eacutetudes agrave lrsquoOFCESciences Po

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale le taux de preacutelegravevements obligatoires est net-tement orienteacute agrave la hausse dans la plupart des pays de lrsquoOCDE Il avait toutefois connu une certaine stabilisation depuis les anneacutees 1990 voire mecircme une leacutegegravere baisse sur la fin de la peacuteriode Les politiques drsquoausteacuteriteacute voteacutees dans la fouleacutee de la crise semblent avoir mis un terme agrave cette dynamique Au-delagrave de ces tendances globales partageacutees par lrsquoensemble des pays deacuteveloppeacutes on observe drsquoimportantes dispariteacutes dans la structure des preacutelegravevements obligatoires qui reflegravetent des traditions concernant notamment le financement de la protec-tion sociale Lrsquoeacutevolution du poids des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement obeacuteit toutefois lagrave encore comme le montre Jacques Le Cacheux agrave des tendances communes la mondialisation et la concurrence fiscale qui en reacutesulte ont pousseacute les gouvernements agrave alleacuteger la pression fiscale portant sur les assiettes les plus mobiles ndash entreprises et hauts revenus ndash et agrave taxer davantage la consommation et certains types de biens

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisons eacutevolutions

La Grande Reacutecession de 2008-2009 a profondeacute-ment creuseacute les deacuteficits budgeacutetaires et consi-deacuterablement alourdi les dettes publiquesdans tous les pays deacuteveloppeacutes incitant lesgouvernements agrave adopter des politiques deconsolidation budgeacutetaire Celles-ci associentdans des proportions variables selon les cashausses drsquoimpocircts et baisses des deacutepensespubliques La crise prolongeacutee en Europe par

cette cure drsquoausteacuteriteacute massive et simulta-neacutee qui pegravese sur la demande globale a ainsiengendreacute une inflexion marqueacutee dans lrsquoeacutevolu-tion des preacutelegravevements obligatoires en pour-centage du PIB les recettes fiscales avaienteu tendance agrave se stabiliser voire agrave se reacuteduiredans la quasi-totaliteacute des pays membresde lrsquoOCDE notamment durant la reacutecessionde 2008-2009 les plans de relance compor-tant souvent des allegravegements drsquoimpocircts etou de cotisations sociales depuis 2011 aucontraire ce taux de preacutelegravevements obliga-toires est presque partout croissant commeil lrsquoavait eacuteteacute au cours des quatre deacutecenniessuivant la fin de la Seconde Guerre mondiale

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 78

Derriegravere ces tendances globales relativement homogegravenes les choix fiscaux varient tregraves sensiblement au sein des pays deacuteveloppeacutesle poids relatif des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement se modifiant beaucoup La diversiteacute des traditions fiscales explique en grande partie les dispariteacutes constateacutees mais lrsquoouverture croissante des eacuteconomies au commerce international et aux mouve-ments de capitaux au cours des trois der-niegraveres deacutecennies semble avoir engendreacute des adaptations dont les caracteacuteristiques sont en partie communes Elles reacutesultent avant tout du jeu de la concurrence fiscalequi pousse les gouvernements nationaux agrave recourir dans ce domaine agrave des strateacutegies de compeacutetitiviteacute et drsquoattractiviteacute se tradui-sant notamment par la reacuteduction du coucirct de la main-drsquoœuvre et de la pression fiscale qui pegravese sur les facteurs les plus mobiles et lrsquoalourdissement de celle qui frappe la consommation (TVA) et certains biens (taxes speacutecifiques dont les accises)

Une nouvelle tendance agrave la hausse Apregraves des deacutecennies de hausse les taux depreacutelegravevements obligatoires ndash qui mesurent lapart des recettes totales des impocircts taxeset cotisations sociales dans le PIB ndash avaientconnu depuis le milieu des anneacutees 1990 unepeacuteriode de quasi stabiliteacute voire de baissedans certains pays (graphique 1) Les diver-gences demeuraient cependant sensibles stabiliteacute remarquablement longue en Alle-magne baisse tregraves marqueacutee aux Eacutetats-Uniset en Suegravede perceptible mais plus leacutegegravere enFrance et au Danemark1

Toutefois les politiques de consolidation bud-geacutetaire meneacutees notamment en Europe depuis2010 ont le plus souvent comporteacute des aug-mentations de pression fiscale encore peuvisibles sur les donneacutees de lrsquoanneacutee 2011 (der-niegraveres disponibles sur une base comparable)mais tregraves marqueacutees dans certains pays en France par exemple selon les donneacutees

[1] LrsquoOCDE comptait20 pays membres lorsde sa fondation en1960 elle en compteaujourdrsquohui 34 et bonnombre des nouveauxmembres sont des payslaquo eacutemergents raquo dontles eacutevolutions fiscalessont speacutecifiques Il nesaurait ecirctre questionde preacutesenter en deacutetailtoutes les donneacuteesfiscales des 34 membreset le choix a eacuteteacute faitde mettre lrsquoaccentsur quelques payssignificatifs les Eacutetats-Unis parce qursquoils sontla principale eacuteconomiede la zone lrsquoAllemagneet la France qui sontles deux principaleseacuteconomies de lrsquoUnioneuropeacuteenne (UE) et de lazone euro le Danemarket la Suegravede parceqursquoils sont deux petiteseacuteconomies ouvertes tregravesavanceacutees et agrave pressionfiscale eacuteleveacutee

1 Taux de preacutelegravevements obligatoires quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 ( du PIB)

55

50

45

40

35

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1992

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2001

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2007

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OCDE

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

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Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 79

officielles du projet de loi de finances 2013le taux de preacutelegravevements obligatoires eacutetait de449 en 2012 et devrait atteindre 463 en2013

Stabiliteacute de lrsquoimpocirctsur les revenus des personneset baisse des taux marginauxParmi les principaux instruments de preacutelegrave-vement lrsquoimpocirct sur le revenu des personnesest lrsquoun des seuls qui preacutesente une certaineprogressiviteacute il constitue donc lrsquooutil privi-leacutegieacute de la redistribution fiscale comme lrsquoontsouligneacute notamment les travaux de LandaisPiketty et Saez (2011) Or dans plusieurs paysde lrsquoOCDE (graphique 2) le poids relatif de cetimpocirct a eu tendance agrave se reacuteduire depuis desanneacutees crsquoest le cas en Suegravede depuis les deacutebutdes anneacutees 1990 en Allemagne depuis lemilieu de cette mecircme deacutecennie et aux Eacutetats-Unis depuis le deacutebut des anneacutees 2000 alorsque sa part dans le PIB est stable au Dane-mark et srsquoest accrue en France agrave la fin desanneacutees 1990 avec la monteacutee en puissance de

la contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) Cepreacutelegravevement srsquoapparente en effet agrave un impocirctproportionnel sur les revenus des personnes(Le Cacheux 2008)

La tendance agrave une moindre progressiviteacute dela fiscaliteacute srsquoest manifesteacutee drsquoabord dans lespays anglo-saxons (Eacutetats-Unis et Royaume-Uni) degraves le deacutebut des anneacutees 1980 avec unesimplification souvent drastique du baregravemede lrsquoimpocirct sur les revenus (reacuteduction dunombre de tranches) et un abaissement mar-queacute des taux marginaux supeacuterieurs LrsquoAlle-magne les Eacutetats-Unis et dans une moindremesure la France entre 2002 et 2007 ont eacutega-lement meneacute plus reacutecemment de telles poli-tiques (graphique 3)

Cotisations sociales des eacutevolutions divergentesLa monteacutee en puissance des Eacutetats-provi-dence au cours des anneacutees 1960 et 1970 srsquoestaccompagneacutee dans la plupart des pays delrsquoOCDE drsquoune tregraves forte augmentation de lapart des cotisations sociales ndash assises sur

2 Impocirct sur les revenus des personnes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

30

25

20

15

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1965

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1977

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1995

1998

2001

2004

2007

2010

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 80

les seuls revenus drsquoactiviteacute et geacuteneacuteralementproportionnelles voire plafonneacutees ndash parti-culiegraverement prononceacutee en France en Alle-magne et en Suegravede (graphique 4) Toutefoisles divergences entre pays quant agrave lrsquoampleurde la protection sociale ou au choix de sonmode de financement sont tregraves sensibles les Eacutetats-Unis dont la protection sociale estmodeste et le Danemark ougrave elle tregraves eacutetenduemais financeacutee principalement par la fisca-liteacute geacuteneacuterale se distinguent ainsi de la plu-part de leurs partenaires Plus reacutecemmentles pays dont les cotisations sociales sontles plus lourdes ont entrepris des reacuteformesvisant agrave faire baisser la charge pesant surles revenus du travail et agrave basculer une par-tie du financement de la protection socialesur drsquoautres assiettes ensemble des reve-nus des personnes avec la CSG dans le casde la France consommation avec la TVAdans le cas de lrsquoAllemagne En Suegravede crsquoest la

moindre geacuteneacuterositeacute de la protection socialequi explique la baisse de la part des cotisa-tions sociales dans le PIB

Comme lrsquoont illustreacute en 2012 les deacutebats enFrance sur la laquo TVA sociale raquo (Le Cacheux2012b) et le laquo pacte de compeacutetitiviteacute raquo qui creacuteeun creacutedit drsquoimpocirct compeacutetitiviteacute-emploi (CICE)destineacute agrave alleacuteger le coucirct de la main-drsquoœuvrela recherche drsquoune meilleure compeacutetitiviteacute-coucirct continue de motiver les modifications dela fiscaliteacute dans de nombreux pays

Impocirct sur les socieacuteteacutes baisse des tauxet eacutelargissement de lrsquoassiette

Tregraves fluctuantes par nature en raison de laforte sensibiliteacute de son assiette agrave la conjonc-ture la part des recettes de lrsquoimpocirct sur lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes (IS) dans le PIB nepreacutesente pas de tendance nette au cours des

3 Taux marginal supeacuterieur de preacutelegravevements sur les revenus salariaux quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2012 (en )

65

60

55

50

45

40

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Calculeacute par lrsquoOCDE ce taux marginal indique le taux de preacutelegravevement total (impocircts sur le revenu et cotisations sociales sala-rieacutes) que subit un gain suppleacutementaire de 1 euro de revenu salarial Il tient compte des abattements et de la deacuteductibiliteacute descotisations sociales de lrsquoassiette de lrsquoimpocirct sur le revenu

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 81

derniegraveres deacutecennies elle semblait mecircmeorienteacutee agrave la hausse depuis le deacutebut desanneacutees 1990 dans de nombreux pays dumoins jusqursquoagrave la Grande Reacutecession de 2008-2009 (graphique 5)

La bonne tenue des recettes de lrsquoIS en deacutepit drsquoune tendance assez geacuteneacuterale et parfois tregraves marqueacutee agrave la baisse des taux statutaires drsquoimposition (graphique 6) symptocircme parmi drsquoautres de la concurrence fiscale visant agrave attirer les entreprises ou la localisation de leurs beacuteneacutefices imposables srsquoexplique en partie par des politiques drsquoeacutelargissement de lrsquoassiette destineacutees agrave reacuteduire les distor-sions introduites par lrsquoIS dans les choix des entreprises notamment en matiegravere de finan-cement Elle reacutesulte aussi pour partie de la tendance observeacutee avant la Grande Reacuteces-sion dans de nombreux pays agrave lrsquoaugmen-tation de la part des profits dans la valeur ajouteacutee (Piotrowska et Vanborren 2008)

En deacutepit de ce maintien des recettes de lrsquoim-pocirct sur les socieacuteteacutes les gouvernements despays deacuteveloppeacutes ont manifesteacute en 2013 leur

volonteacute de lutter contre lrsquoeacutevasion fiscale et lalaquo planification fiscale agressive raquo des entre-prises notamment des grandes multinatio-nales actives dans les services en reacuteseau etlrsquointernet Cette prioriteacute a eacuteteacute afficheacutee lors dela reacuteunion du G8 des 17-18 juin 2013 et dansles travaux reacutecents de lrsquoOCDE

Impocircts geacuteneacuterauxsur la consommation

Dans un contexte drsquoouverture croissante deseacuteconomies nationales et de deacutemantegravelementprogressif des barriegravere douaniegraveres tarifairesndash au sein du GATT puis de lrsquoOrganisationmondiale du commerce (OMC) ndash il nrsquoest guegraveresurprenant de constater la monteacutee en puis-sance dans la plupart des pays des taxeset impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation(graphique 7) dont le principal est la taxesur la valeur ajouteacutee (TVA) preacutesente dans latregraves grande majoriteacute des pays ndash agrave lrsquoexceptionnotable des Eacutetats-Unis de tels impocircts agraveassiette large et agrave fort rendement permettenten outre de taxer les importations et dans le

4 Cotisations sociales quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

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1965

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2001

2004

2007

2010

14

16

18

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 82

5 Impocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

5

3

25

2

15

1

05

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

35

4

45

Source OCDE

6 Taux statutaire drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2013 (en )

55

40

35

30

25

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2001

2000

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

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2010

2011

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45

50

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 83

cas de la TVA drsquoexoneacuterer les exportations cequi en fait lrsquoun des instruments privileacutegieacutesde la concurrence fiscale (Le Cacheux 2012b)Sur ce plan la France preacutesente une eacutevolutionsinguliegravere la part des recettes de TVA dans lePIB ne cessant de baisser depuis le deacutebut desanneacutees 1980 en raison de la multiplicationdes secteurs soumis agrave des taux reacuteduits

AccisesTregraves utiliseacutees par les diffeacuterents gouverne-ments jusque dans les anneacutees 1960 les taxesspeacutecifiques sur la consommation ou lrsquousagede certains biens ndash les accises ndash ont vu leursrecettes se reacuteduire tendanciellement danstous les pays au cours des derniegraveres deacutecen-nies (graphique 8) en deacutepit de leur inteacuterecirctdans les politiques de santeacute publique (taxa-tion de lrsquoalcool et du tabac notamment) etde protection de lrsquoenvironnement (taxationdes carburants des activiteacutes polluantes parexemple)2

Les composantes des systegravemesde preacutelegravevements obligatoiresDes structures fiscalesnationales tregraves disparatesBien que lrsquoon puisse deacuteceler des tendancescommunes dans les eacutevolutions longues de lafiscaliteacute des principaux pays deacuteveloppeacutes lesstructures fiscales nationales demeurent tregravesdiffeacuterentes les unes des autres Au sein mecircmede lrsquoUnion europeacuteenne ces diffeacuterences sonttregraves marqueacutees mecircme si la France et lrsquoAlle-magne apparaissent comme assez proches(graphique 9) importance des cotisationssociales et faiblesse de lrsquoimposition des reve-nus des personnes dans les deux pays Pour-tant la France se distingue de la plupart deses partenaires par la faible part des recettesdrsquoimposition de la consommation (TVA etaccises)

7 Impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

12

6

4

2

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

8

10

Source OCDE

[2] Le laquo paradoxe raquo dela fiscaliteacute eacutecologique

ndash plus on en parle moinson la met en œuvre etmoins elle rapporte ndash

est souligneacute et deacutetailleacutedans Le Cacheux (2012a)

Voir eacutegalement infra

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 84

La difficile imposition du capitaldans un monde ouvertLes anneacutees reacutecentes ont eacutegalement vu laFrance se distinguer dans le domaine de lrsquoim-position du capital et de ses revenus alorsque le taux implicite drsquoimposition du capitala eu tendance agrave baisser dans la plupart despays notamment au sein de lrsquoUE (graphique10) du fait de la concurrence fiscale srsquoexer-ccedilant sur une assiette tregraves mobile la France adepuis 2010 beaucoup accru la charge fiscalesur le capital notamment sur le patrimoinedes personnes ndash reacutetablissement de lrsquoimpocirct desolidariteacute sur la fortune (ISF) en 2012 ndash et surles revenus et plus-values du capital3

Les balbutiements de la fiscaliteacuteenvironnementalePrioriteacute afficheacutee de la plupart des gou-vernements des pays deacuteveloppeacutes et desautoriteacutes europeacuteennes la lutte contre lesdeacutegradations de lrsquoenvironnement et notam-ment contre le changement climatique ne setraduit pas loin srsquoen faut par une monteacutee enpuissance de la fiscaliteacute environnementale

(Laurent et Le Cacheux 2012 Le Cacheux2013) Ainsi agrave lrsquoexception des gouverne-ments de quelques pays drsquoEurope du Nordles principaux pays nrsquoont pas sensiblementaccru lrsquoimposition de lrsquoeacutenergie la Francelrsquoa mecircme reacuteduite depuis un peu plus drsquounedeacutecennie (graphique 11)

Agrave la veille de changementsimportants Les changements observeacutes au cours des der-niegraveres deacutecennies dans les structures fiscales des principaux pays de lrsquoOCDE reacutesultent en grande partie des reacuteactions des diffeacute-rents gouvernements aux eacutevolutions eacutecono-miques et notamment agrave la mondialisationqui a consideacuterablement accru la mobiliteacute de certaines assiettes fiscales En deacutepit de tendances communes les structures fiscales nationales demeurent sensiblement heacuteteacutero-gegravenes refleacutetant les diffeacuterences de tradition fiscale et des choix politiques diffeacuterentsnotamment au sein de lrsquoUE ougrave lrsquoharmonisa-tion fiscale demeure un horizon lointain

8 Accises quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

9

3

2

1

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

4

5

6

7

8

Source OCDE

[3] Le graphique nereflegravete qursquoune partie decette hausse reacutecenteles lois de finances pourles anneacutees 2012 et 2013ayant encore alourdicette fiscaliteacute

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 85

Les eacutevolutions technologiques ndash notammentavec le commerce en ligne et les possibiliteacutesnouvelles pour les entreprises multinationalesde deacutelocaliser leurs profits ndash et les deacutegrada-tions environnementales preacutesentent aux auto-riteacutes des pays de lrsquoOCDE de nouveaux deacutefis enmatiegravere de taxationCeux lieacutes agrave lrsquoeacutevasion fiscaledes multinationales ont eacuteteacute tregraves meacutediatiseacutes et

semblent susciter des reacuteactions fermes des prin-cipaux gouvernements et des instances inter-nationales ceux lieacutes agrave lrsquoeacutecologie paraissent enrevanche singuliegraverement neacutegligeacutes presque par-tout comme si la laquo crise raquo incitait agrave diffeacuterer unreacuteeacutequilibrage pourtant neacutecessaire des fiscaliteacutesnationales en faveur du travail et au deacutetrimentdes ressources naturelles (Le Cacheux 2012a)

9 Structure des recettes fiscales dans quatre pays europeacuteens en 2011 (en du total des recettes de preacutelegravevements obligatoires)

a Allemagne b France c Danemark d Suegravede

3

23 19

7 8

40 2

30 16

5

8

39 3 2

37 23

8 27

39

3 16

15

6

21

TVA Accises Revenus perso Cotisations sociales IS Autres

Source Eurostat

10 Taux drsquoimposition implicite du capital et de ses revenus 1995-2011 (en )

UE 25 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

500

250

200

150

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

300

350

400

450

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des diffeacuterents impocircts frappant le capital et ses revenus au total desrevenus du capital tel qursquoil apparaicirct dans les comptes nationaux

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 86

11 Taux drsquoimposition implicite de lrsquoeacutenergie 1995-2011 (en )

UE 27 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

35000

2000

1500

1000

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2500

3000

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des taxes frappant les diffeacuterentes sources drsquoeacutenergie aux deacutepensestotales drsquoeacutenergie telles qursquoelles apparaissent dans les comptes nationaux

LANDAIS C PIKETTY Tet SAEZ E (2011) Pour unereacutevolution fiscale Paris SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

LAURENT Eacute et LE CACHEUXJ (2012) Eacuteconomie delrsquoenvironnement et eacuteconomieeacutecologique Paris ArmandColin coll laquo Cursus raquo

LE CACHEUX J (2008) Les Franccedilais et lrsquoimpocirct ParisLa Documentation franccedilaiseOdile Jacob coll laquo Deacutebatpublic raquo

LE CACHEUX J (2012a) laquo Soutenabliteacute et justiceeacuteconomique fins et moyensdrsquoune reacuteforme fiscale raquo

in Allegravegre G et Plane M(2012) Deacutebats et politiquesRevue de lrsquoOFCE ndeg 122 avrilhttpwwwofcesciences-pofrpublicationsrevue122htm

LE CACHEUX J (2012b) laquo Pas de laquo TVA sociale raquo maisune laquo CSG sociale raquo Blogde lrsquoOFCE 12 juillet httpwwwofcesciences-pofrblogp=2363

LE CACHEUX J (2013) laquo La fiscaliteacute eacutecologique dansles pays de lrsquoOCDE bien en-deccedilagrave des ambitions afficheacutees raquoCahiers franccedilais ndeg 374 ParisLa Documentation franccedilaise

OCDE Statistiques des recettespubliques diffeacuterentes anneacuteeshttpwwwoecd-ilibraryorgfrtaxationrevenue-statistics_19963726

PIOTROWSKA JetVANBORREN W (2008) laquo The corporate income-tax rate-revenue paradox Evidence in the EU raquoTaxation Papers ndeg 12-2007feacutevrier httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxationgen_infoeconomic_analysistax_paperstaxation_paper_12_enpdf

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 87

PHILIPPE BATIFOULIER

Universiteacute Paris Ouest

EconomiX UMR CNRS 7235

Les politiques sociales sont particuliegraverement menaceacutees en peacuteriode de restriction des deacutepenses publiques Partout en Europe la crise des dettes souveraines a ameneacute agrave durcir les regravegles de lrsquoindemnisation du chocircmage du systegraveme de retraites et de lrsquoassurance maladie Ce contexte drsquoausteacuteriteacute renforce les dynamiques engageacutees degraves les anneacutees 1980-1990 sous lrsquoeffet des influences libeacuterales les politiques de lrsquoemploi se concentrent sur les incitations agrave la reprise drsquoun travail tandis qursquoune partie croissante de lrsquoassurance maladie et des retraites est trans-feacutereacutee au secteur priveacute lrsquointervention publique se recentrant sur les publics les plus deacutefavori-seacutes Selon Philippe Batifoulier ces eacutevolutions fondeacutees sur lrsquoideacutee que les politiques sociales constituent avant tout un laquo coucirct raquo srsquoavegraverent particuliegraverement neacutefastes en termes de bien-ecirctre et drsquoeacutequiteacute et sont de surcroicirct discutables drsquoun point de vue eacuteconomique Il deacutefend au contraire une approche permettant de reacuteconcilier efficaciteacute eacuteconomique et eacutequiteacute sociale

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques sociales quel avenir

Des politiques qui persistent malgreacutela pression du contexte drsquoausteacuteriteacuteLes politiques sociales sont au cœur desenjeux contemporains Pour les promoteursdes politiques drsquoausteacuteriteacute et de reacuteduction dela voilure de lrsquointervention publique les poli-tiques sociales ne se reacutesument plus qursquoagrave desproblegravemes de deacuteficit public Le coucirct qursquoelles

font peser agrave la collectiviteacute menace leur survieet il est doreacutenavant neacutecessaire de maicirctriserle laquo preacutelegravevement social raquo Pour les autres lesacrifice des politiques sociales pour conser-ver ou sauver le laquo triple A raquo creuse les ineacute-galiteacutes et amplifie les problegravemes que lrsquooncherche agrave reacutesoudre (le deacuteficit public notam-ment) particuliegraverement en peacuteriode de criseLes opinions des premiers dominent actuel-lement celles des seconds et lrsquoavenir semblepromis agrave la poursuite de coupes seacutevegraveres dansles budgets sociaux Ainsi si lrsquoEurope socialeeacutetait resteacutee timide jusque-lagrave les questionssociales ont deacutesormais totalement disparu delrsquoagenda de lrsquoUnion europeacuteenne autrementque sous la rubrique de la laquo dette publique raquo1

[1] Excepteacute pourla lutte contre

la grande pauvreteacuteVoir Barbier C (2012)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 88

Crsquoest le cas aussi des minima sociaux (RSAsocle allocation de parent isoleacute allocationdrsquoadulte handicapeacute etc) qui constituentsouvent lrsquounique revenu du foyer Dans lecas de la santeacute ou de lrsquoeacuteducation les reve-nus verseacutes sont compleacuteteacutes par des presta-tions en nature (comme le remboursementde la seacuteance de meacutedecin) Comme la deacutepensepublique est un revenu diminuer les poli-tiques sociales revient agrave priver certains indi-vidus de ressources financiegraveres En France37 du revenu disponible brut des meacutenagesest socialiseacute Si on ajoute les transfertssociaux en nature crsquoest 45 du revenu quelrsquoon doit aux politiques sociales Amputer lespolitiques sociales crsquoest donc appauvrir lesindividus2

ndash enfin si elles sont particuliegraverement mena-ceacutees en peacuteriode drsquoausteacuteriteacute les politiquessociales restent absolument neacutecessaires entemps de crise Elles ont en effet un rocircle destabilisateur automatique quand les reve-nus drsquoactiviteacute diminuent du fait de la criseet du chocircmage le maintien des deacutepensessociales soutient la demande et limite lacrise Reacuteduire les prestations sociales peutalors meacutecaniquement aneacutemier une activiteacutedeacutejagrave ralentie et creuser un deacuteficit publicfaute de recettes fiscales et sociales tireacutees delrsquoactiviteacute eacuteconomique

On ne doit pas en deacuteduire que rien nrsquoa changeacuteen matiegravere de politique sociale et que lesdiscours et les ideacutees agrave la mode ne font qursquoef-fleurer des systegravemes sociaux qui restentenracineacutes dans lrsquohistoire politique des diffeacute-rents pays Les politiques sociales ont subi deprofondes mutations sous lrsquoeffet notammentdu changement de reacutefeacuterentiel de politiquemacroeacuteconomique (le reacutefeacuterentiel neacuteoclas-sique a supplanteacute le reacutefeacuterentiel keyneacutesien)et sous lrsquoeffet drsquoalternances politiques libeacute-rales ou sociales libeacuterales qui ont chercheacute agraveintroduire des meacutecanismes de marcheacute dansles systegravemes de solidariteacute La subordinationdes politiques sociales au marcheacute du travailen fournit une illustration

Les politiques sociales semblent ainsi pro-mises agrave un avenir plutocirct sombrePour autantla messe nrsquoest pas encore dite Elles font en effet de la reacutesistance en deacutepit des discours qui les deacutenigrent et des mots drsquoordre des experts ou des gouvernements qui intiment laquo drsquoaller plus loin dans les reacuteformes raquo elles nrsquoont pas disparu Partout les deacutepenses sociales publiques par habitant sont plus eacuteleveacutees en 2009 qursquoen 2003 (cf tableau) Si le niveau de lrsquoaugmentation diffegravere selon les pays il est geacuteneacuteral y compris pour ceux qui ne sont pas consideacutereacutes comme des modegraveles drsquointervention sociale comme les Eacutetats-Unis ou le Royaume-Uni

Cette reacutesistance reacutesulte de plusieursfacteurs-clefs

ndash si les politiques sociales sont devenues uninstrument de soutenabiliteacute financiegravere deseacuteconomies elles restent un outil primordialde soutenabiliteacute sociale Elles sont sources debienfaits pour la population et portent lrsquoaspi-ration des peuples agrave vivre mieux

ndash les politiques sociales prennent souvent laforme drsquoun revenu pour leurs beacuteneacuteficiairessous forme de prestations de retraite drsquoas-surance chocircmage ou au titre de la famille

[2] Voir la deacutemonstrationde Ramaux C (2012)LrsquoEacutetat social Pour sortirdu chaos neacuteolibeacuteral Paris Mille et Une Nuits

1 Total des deacutepenses sociales publiques par habitant (en dollars courants et PPA)

2003 2006 2009

France 81784 9377 107995

Allemagne 78723 87706 100134

Italie 66012 75868 8966

Royaume-Uni 60008 71363 83659

Suegravede 91532 101561 111347

Eacutetats-Unis 61271 71011 87133

Japon 50242 59256 72767

OCDE 54334 63471 76049

Source OCDE(2012) Questions sociales tableaux-cleacutes delrsquoOCDE

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 89

Les politiques sociales souslrsquoemprise du marcheacute du travailDes politiques socialespour ou contre lrsquoemploi

Parce qursquoelles permettent aux individusdrsquoacqueacuterir des ressources indeacutependammentdrsquoune reacutemuneacuteration de leur travail les poli-tiques sociales ont eacuteteacute souvent suspecteacuteesdrsquoencourager lrsquooisiveteacute Ainsi faut-il preacutefeacutererrester au RSA socle (ex RMI) ou accepter unemploi payeacute au SMIC agrave mi temps Le revenugagneacute est sensiblement le mecircme mais lrsquoemploireacutemuneacutereacute comporte des coucircts (le transport lagarde des enfants la laquo deacutesutiliteacute du travail raquo)Aussi selon la theacuteorie eacuteconomique standardun individu supposeacute rationnel (crsquoest-agrave-direopportuniste et calculateur) aura tendance agraverester volontairement en non-emploi Une telleconception met en avant le rocircle des caracteacute-ristiques individuelles dans le chocircmage etnon lrsquoabsence de croissance eacuteconomiqueElle impute la responsabiliteacute du chocircmageaux chocircmeurs eux-mecircmes Si lrsquoexemple estcaricatural les conseacutequences de politiqueeacuteconomique ne le sont pas La theacuteorie recom-mande en effet de modifier les incitations pourlaquo rendre le travail payant raquo Il ne srsquoagit pas derenoncer aux deacutepenses sociales mais de lesrendre laquo actives raquo crsquoest-agrave-dire favorables agrave larecherche drsquoemploi Une telle strateacutegie transitepar lrsquolaquo activation raquo des individus eux-mecircmesau travers du durcissement des meacutecanismesdrsquoassurance chocircmage ou par une prime agrave lrsquoac-ceptation drsquoun emploi Le RSA chapeau srsquoins-crit dans cette logique3 Il vise agrave donner uneaide sociale en contrepartie de lrsquoacceptationdrsquoun travail Lrsquoaide est ainsi subordonneacutee agrave labonne volonteacute des beacuteneacuteficiaires

Cette logique de contrepartie met les chocirc-meurs sous pression Elle relegraveve drsquoune logiquede workfare du nom du programme apparuaux Eacutetats-Unis dans les anneacutees 1970 et qui asubordonneacute le versement drsquoune aide socialeau fait de travailler Sans se substituer au wel-fare le workfare a eacuteteacute investi drsquoune logique

de reacuteinsertion Il srsquoest mueacute en dynamique deflexibilisation du marcheacute du travail4 En effetces politiques sociales preacutesentent lrsquoinconveacute-nient de subventionner les laquo petits boulots raquoet drsquoalimenter le laquo preacutecariat raquo Lrsquoincitation agravela baisse de la qualiteacute de lrsquoemploi favorise lapauvreteacute laborieuse et lrsquoinseacutecuriteacute sociale Letravail qui est offert est trop deacuteconnecteacute dessolidariteacutes collectives pour constituer un veacuteri-table emploi En mettant en avant la logiquedu donnant-donnant ces politiques socialesreposent sur une interpreacutetation contractuellede la solidariteacute qui remplace la solidariteacutecomme construction collective incondition-nelle (Castel 1995 2003)

Le deacuteveloppement de la pauvreteacute laborieuseet lrsquoimportance du nombre des laquo sans salairesfixes raquo auxquels concourent ces politiquessociales ont conduit a contrario agrave donnerune plus grande reacutesonance agrave la propositionde revenu universel Cet autre avenir recircveacutepour les politiques sociales rencontre en effetun eacutecho grandissant au fur et agrave mesure quela subordination des politiques sociales agrave laloi du marcheacute du travail conduit agrave deacuteliter lelien social Si lrsquoameacutelioration de la qualiteacute dutravail est de nature agrave restaurer la digniteacutedes personnes on peut aussi recommander lacreacuteation drsquoun revenu garanti pour tous Danscette perspective la proposition de revenude base inconditionnel consiste agrave verser agravechaque individu de la naissance agrave la mortun revenu mensuel sans contrepartie et deniveau eacuteleveacute Un tel revenu5 est cumulableavec les revenus du travail et vise agrave sortir delrsquoinseacutecuriteacute sociale

Les cotisations sociales sur la sellette

Le mecircme deacutebat se retrouve autour des cotisa-tions sociales qui font lrsquoobjet drsquoune offensivede grande ampleur au nom de la compeacuteti-tiviteacute des entreprises Dans une peacuteriode dechocircmage massif et persistant le preacutelegravevementsous forme de cotisations sociales sur dessalaires perccedilus (cotisations salariales) et surdes salaires verseacutes (cotisations patronales)

[3] Il srsquoinscrit aussidans le cadre de

la lutte contre lapauvreteacute Le meacutecanisme

drsquointeacuteressement secalcule de la faccedilon

suivante RSA = revenuminimum garanti ndash 38

des revenus drsquoactiviteacute

[4] Cf Krinsky J (2004)laquo Le workfare

Neacuteolibeacuteralisme etcontrats de travail

dans le secteur publicaux Eacutetats-Unis raquo Lesnotes de lrsquoIRES ndeg 8novembre-deacutecembre

[5] Il srsquoagit ici de laversion non libeacuteraledu revenu universel

Dans la version libeacuteraleinitieacutee par M Friedman

sous le terme drsquoimpocirctneacutegatif il srsquoagit de

permettre aux individusles plus pauvres de lrsquoecirctre

un peu moins sanseacutemancipation du revenu

du travail Il existe denombreuses versions durevenu universel de ses

options philosophiques agraveson financement Parmilrsquoabondante litteacuterature

sur le sujet voir parexemple la Revue du

MAUSS (ndeg 7 1996)ainsi que lrsquoouvrage

suivant VanderborghtY et Van Parijs P (2005)Lrsquoallocation universelle

Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo (2005)

Cf eacutegalement lenumeacutero 73 de 2013 de la

revue Mouvements

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 90

est consideacutereacute comme alourdissant artificiel-lement le coucirct du travail Ce dernier est com-poseacute du salaire et des cotisations sociales quisont donc deux solutions pour le reacuteduire Crsquoestlrsquooption laquo cotisations sociales raquo qui srsquoest impo-seacutee et le problegraveme du coucirct du travail est ainsitransformeacute en problegraveme de financement despolitiques sociales Crsquoest pourquoi les cotisa-tions sociales sont tregraves largement consideacutereacuteescomme des fardeaux comme en teacutemoigne lapopularisation du terme laquo charges raquo

Si elles constituent toujours lrsquoessentiel dufinancement de la protection sociale fran-ccedilaise elles ont eacuteteacute drastiquement reacuteduitesavec le temps Le deacuteficit des comptes sociaux(le laquo trou de la seacutecu raquo) se nourrit meacutecanique-ment de cette privation volontaire de recettes

Cette eacutevolution conduit aussi agrave changer desystegraveme La baisse des cotisations impose dechercher drsquoautres sources de financement etde modifier lrsquoassiette des contributeursAinsila contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) taxeproportionnelle sur les revenus creacuteeacutee en 1991est largement monteacutee en gamme ensuite Ellemet doreacutenavant agrave contribution les deacutetenteursde revenus de transfert (retraiteacutes et chocirc-meurs) La bataille des charges se poursuitaujourdrsquohui avec le projet de laquo TVA sociale raquoqui vise agrave transfeacuterer une partie du finance-ment des deacutepenses sociales des employeursvers les consommateurs Ce nouveau modegravelevise agrave adapter la politique sociale agrave lrsquooffre etnon plus agrave la demande LrsquoEacutetat-providence doitdeacutesormais ecirctre au service des entreprises aunom de la compeacutetitiviteacute Or les cotisationssociales ne sont rien drsquoautre que du salairesocialiseacute (cotiser crsquoest par exemple srsquoouvrirdes droits pour la retraite) Leur diminutioneacuterode ce salaire et participe ainsi agrave la baissede la part des salaires dans la valeur ajouteacuteeau beacuteneacutefice des profits6

La privatisationdes politiques socialesLrsquoun des traits dominants des politiquessociales aujourdrsquohui est la reacuteduction de leur

peacuterimegravetre et de leur geacuteneacuterositeacute surtout enmatiegravere de santeacute et de retraite7 Les prestationsfamiliales ont deacutecrocheacute par rapport agrave lrsquoeacutevolu-tion du niveau de vie LrsquoEacutetat a reacuteduit sa contri-bution au financement du logement social Laproportion de chocircmeurs indemniseacutes a baisseacuteCrsquoest surtout en matiegravere de santeacute et de retraiteque les changements sont les plus marqueacutes Ilen va ainsi parce que ces deux postes repreacute-sentent pregraves de 80 des deacutepenses sociales enFrance et sont responsables de lrsquoessentiel dudeacuteficit de la Seacutecuriteacute sociale

En matiegravere de santeacute le patient est davantagemis agrave contribution Les politiques dites delaquo partage des coucircts raquo se composent de ticketsmodeacuterateurs forfaits ou franchises Geacuteneacutera-liseacutees en Europe elles pegravesent sur le budgetdes meacutenages qui doivent acquitter aussi enFrance tout particuliegraverement des deacutepasse-ments drsquohonoraires parfois tregraves lourds ycompris agrave lrsquohocircpital public Le transfert decharge vers le patient srsquoest acceacuteleacutereacute depuisles anneacutees 2000 et la Seacutecuriteacute sociale ne rem-bourse plus aujourdrsquohui que la moitieacute dessoins courants8

Les reacuteformes successives des retraites ontprogrammeacute partout une baisse marqueacutee destaux de remplacement (la diffeacuterence entrele dernier salaire et la premiegravere retraite) EnFrance avec les reacuteformes de 1993 et 2003 letaux de remplacement va perdre 15 points enmoyenne agrave horizon 2050 et ainsi amputer lerevenu des futurs retraiteacutes La reacuteforme desretraites y est particuliegraverement dure La dureacuteede cotisation neacutecessaire pour une retraite agravetaux plein est de 41 ans en 2012 et 415 en 2020 Seuls cinq pays exigent encore davan-tage (lrsquoAllemagne lrsquoAutriche la Belgiqueainsi que lrsquoItalie et le Royaume-Uni pour leshommes) Pourtant par rapport agrave de nom-breux pays deacuteveloppeacutes la France beacuteneacuteficiedrsquoune deacutemographie plus dynamique et doncde besoins de financement moindres Dansun contexte ougrave la France a un taux drsquoemploides seniors tregraves faible et ougrave lrsquoamplitude descarriegraveres salariales se reacuteduit rares sont ceux

[6] Cf Friot B (2012)Lrsquoenjeu du salaire ParisLa Dispute

[7] Cf Batifoulier PConcialdi PDomin J-P et Sauze Dlaquo Revaloriser et eacutetendrela protection sociale raquoin Les Eacuteconomistesatterreacutes (2011) Changerdrsquoeacuteconomie Paris Lesliens qui libegraverent

[8] Il srsquoagit des soinsnon hospitaliers despersonnes qui ne sontpas en ALDVoir DREESComptes de la santeacute2009

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 91

qui parviendront agrave acqueacuterir des droits agrave uneretraite agrave taux plein avant 67 ans

Ces eacutevolutions ont pour objet de diminuer ladeacutepense publique mais pas la deacutepense totaleLes individus sont en effet inviteacutes agrave pallier larestriction de la protection sociale collectivepar un recours plus grand aux assurancespriveacutees les mutuelles compleacutementaires pourles deacutepenses de santeacute et les produits de capi-talisation (assurance vie plan drsquoeacutepargneretraite) pour les retraites Ces eacutevolutionssont orchestreacutees par les pouvoirs publicsLe droit agrave lrsquoaccegraves aux soins srsquoest progressi-vement transformeacute en droit agrave lrsquoassurancecompleacutementaire notamment avec la reacutecentecompleacutementaire drsquoentreprise obligatoireLrsquoeacutepargne retraite est quant agrave elle encourageacuteeagrave grand coup drsquoincitations fiscales (baissesdrsquoimpocirct) et drsquoexoneacuteration de cotisationssociales (pour les plans retraite drsquoentreprise)

Cette mutation est profonde Elle modifie lrsquoar-chitecture de la protection sociale en substi-tuant de la protection priveacutee agrave la protectionpublique Elle conduit donc agrave augmenter ladeacutepense sociale priveacutee Elle consolide le rocircledes entreprises dans les politiques sociales etdeacuteveloppe le marcheacute des assurances santeacute etretraite qui sont des secteurs lucratifs pourles groupes financiers Si les opeacuterateurs priveacutessont plus coucircteux que lrsquoopeacuterateur public (dufait de multiples coucircts pour payer les commer-ciaux les actuaires les gestionnaires de risqueou les avocats) leur chiffre drsquoaffaires aug-mente avec le retrait de lrsquoassurance publiqueEn deacuteveloppant lrsquoespace de libre preacutevoyanceles protections sociales srsquoindividualisent et sedeacuteconnectent des solidariteacutes collectives

La deacuteleacutegation de politique sociale agrave des opeacute-rateurs priveacutes se manifeste eacutegalement parun soutien agrave la consommation des meacutenagessous forme de chegraveque service ou drsquoincitationsfiscales Cette subvention de consommationsociale est particuliegraverement deacuteveloppeacutee dansla petite enfance et la perte drsquoautonomie despersonnes acircgeacutees Mais ces mesures beacuteneacutefi-cient avant tout aux cateacutegories aiseacutees de lapopulation qui peuvent srsquooffrir un service agrave

la personne et beacuteneacuteficier de la niche fiscaleCette strateacutegie alimente aussi la preacutecariteacutede lrsquoemploi Ainsi les travailleurs (en fait lestravailleuses) de la deacutependance qui viennentaider les personnes acircgeacutees pour les actes dela vie quotidienne sont bien souvent dansdes situations preacutecaires mal payeacutes parfoisau quart drsquoheure avec une tregraves grande ampli-tude horaire ils doivent aussi faire face auxattentes eacutemotionnelles de la famille

Des politiques sociales seacutelectives

Une solidariteacutede plus en plus cibleacutee

Le transfert de charge du public vers le priveacuteest fonciegraverement ineacutegalitaire Lrsquoeacutepargneretraite suppose un revenu suffisant Le relegrave-vement des barriegraveres drsquoacircge (agrave 62 ans) peacutenaliseles cateacutegories les plus modestes car lrsquoespeacute-rance de vie agrave la retraite reste tregraves ineacutequitableAffirmer que le temps gagneacute sur la mort doitecirctre du temps de travail meacuterite deacutebat quandlrsquoespeacuterance de vie en bonne santeacute est de 63 ansen moyenne Les compleacutementaires santeacute sontquant agrave elles ineacutegalement reacuteparties Certainspatients en sont deacutepourvus et tous nrsquoont pasaccegraves agrave une compleacutementaire de qualiteacute Cesont les plus malades qui ont par deacutefinition leplus besoin de soins qui ont les compleacutemen-taires les moins couvrantes Le renoncementaux soins essentiels les retards de soins etles reports vers lrsquohocircpital qui srsquoensuivent sontalors plus coucircteux pour la collectiviteacute9

Avec le transfert vers la libre preacutevoyance lespolitiques sociales ne combattent plus lesineacutegaliteacutes mais les creusent Les pouvoirspublics sont alors ameneacutes agrave mettre en placedes mesures correctives visant agrave eacutepargnercertains beacuteneacuteficiaires des dispositifs infli-geacutes aux autres Ainsi les nouvelles regravegles enmatiegravere de retraite sont valables pour toussauf pour ceux qui ont commenceacute agrave travail-ler tocirct qui ont eacuteleveacute trois enfants qui ontun meacutetier peacutenible (agrave deacutefinir) ou qui ont eacuteteacutereconnus comme laquo invalides raquo En proteacutegeant

[9] Cf Revuedu MAUSS ndeg 41

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 92

les plus fragiles on espegravere leacutegitimer lrsquoeffortdemandeacute agrave tous les autres

Dans la mecircme perspective lrsquoaggravationdes ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux soins a conduitagrave installer ou deacutevelopper des meacutecanismesprotecteurs pour certains soins etou cer-tains patients qui se voient exoneacutereacutes de lacontribution financiegravere qui est demandeacutee auxautres Il en va ainsi des dispositifs destineacutesaux plus pauvres (la CMUC en France les pla-fonds annuels de deacutepenses ailleurs un meil-leur remboursement pour les beacuteneacuteficiairesde lrsquointervention majoreacutee selon le revenuen Belgique Medicaid aux Eacutetats-Unis etc)aux plus malades (un plafond speacutecifique enAllemagne le dispositif laquo affection de longuedureacutee raquo en France la prise en charge deslaquo frais exceptionnels de maladie raquo aux Pays-Bas etc) ou aux plus acircgeacutes (Medicare auxEacutetats-Unis remboursement majoreacute pour lespersonnes acircgeacutees deacutependantes en Belgiqueexoneacuteration de reste agrave charge pour les moinsde 18 ans et plus de 60 ans au Royaume-Uni)Ces dispositifs de solidariteacute cibleacutee sont coucirc-teux et activent des deacutepenses nouvelles Ilssont aussi agrave lrsquoorigine drsquoineacutegaliteacutes suppleacutemen-taires lieacutees aux effets de seuils (financiers oude maladie) agrave la stigmatisation dont peuventecirctre victimes les beacuteneacuteficiaires et agrave lrsquoexistencedrsquoun non-recours important

Cette solidariteacute cibleacutee induite eacutegalement unefragmentation des droits sociaux La segmen-tation des beacuteneacuteficiaires paraicirct souvent insuf-fisante pour ceux qui beacuteneacuteficient du ciblagecar par exemple il existe toujours des restesagrave charge eacuteleveacutes pour les patients en ALD Ellepeut paraicirctre en outre insupportable aussipour les autres assureacutes qui nrsquoen beacuteneacuteficientpas et qui restent soumis agrave la dureteacute desreacuteformes En deacutelaissant le droit commun leciblage conduit agrave une deacutefiance envers les ins-titutions qui prennent en charge les politiquessociales Cette deacutefiance est alimenteacutee parlrsquohostiliteacute vis-agrave-vis des personnes proteacutegeacuteeset des plus pauvres en particulier que nourritla meacutediatisation de la theacutematique des frau-deurs aux prestations sociales Les cateacutegories

non proteacutegeacutees par le ciblage ne voient pas oumoins lrsquointeacuterecirct de payer pour la solidariteacute cequi peut conduire agrave un risque de seacutecessionsociale et fragiliser grandement les politiquessociales

Quel investissement social

En justifiant les choix la notion drsquoinvestis-sement social constitue alors un horizonpossible des politiques sociales en quecircte deleacutegitimiteacute Ce nouveau paradigme met enavant la preacuteparation de lrsquoavenir axeacutee sur lrsquoeacuteco-nomie de la connaissance et permettant agrave unemain-drsquoœuvre qualifieacutee et flexible de srsquoadapteragrave un environnement mouvant Des individusdavantage proteacutegeacutes sont moins reacutetifs au chan-gement Un tel investissement social peut ecirctrelu dans les termes du neacuteolibeacuteralisme et avoirpour objectif de rendre la flexibiliteacute moins preacute-caire et plus acceptable On peut en avoir unelecture diffeacuterente qui met en avant une poli-tique sociale productive reacuteconciliant les butseacuteconomiques et sociaux La politique socialeest alors moins un coucirct qursquoune faccedilon de preacute-parer efficacement lrsquoavenir (Morel et al 2013)Dans cette optique lrsquoinvestissement dans lrsquoen-fant (dans sa santeacute dans les deacutepenses drsquoeacutedu-cation dans les places en cregraveche etc) apparaicirctdeacuteterminant Il permet de minimiser le risquede transmission de la pauvreteacute tout en cher-chant agrave augmenter la possibiliteacute de transmis-sion intergeacuteneacuterationnelle du savoir ce qui estsource de croissance eacuteconomique

En cherchant agrave reacuteconcilier lrsquoefficaciteacute eacutecono-mique et lrsquoeacutequiteacute sociale la notion drsquoinves-tissement social peut contribuer agrave sortir lespolitiques sociales du deacutenigrement dont ellesfont lrsquoobjet Cependant le risque est grandque cette notion soit instrumentaliseacutee pouropposer les beacuteneacuteficiaires entre eux en nour-rissant le discours ambiant drsquoune guerredes geacuteneacuterations qursquoauraient deacuteveloppeacutees lespolitiques sociales La vision drsquoune horde deretraiteacutes qui va plomber les comptes sociauxsrsquoest solidement installeacutee En accordant tou-jours plus de deacutepenses aux plus acircgeacutes sousforme de pension de retraite de prestations

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 93

pour la perte drsquoautonomie ou de deacutepenses desanteacute pour la fin de vie les jeunes geacuteneacuterationsauraient eacuteteacute sacrifieacutees et devraient de pluspayer la dette sociale leacutegueacutee par les anciensCette vision est caricaturale en effet le paie-ment de la dette sociale se traduit davantagepar un transfert au sein drsquoune mecircme geacuteneacutera-tion de la collectiviteacute vers les rentiers que parun transfert intergeacuteneacuterationnel Opposer lescregraveches aux EHPAD (eacutetablissement drsquoheacuteber-gement des personnes acircgeacutees deacutependantes)est tout aussi steacuterile En allant agrave lrsquoencontre delrsquouniversalisation des droits la seacutelection delrsquoinvestissement nourrit la crise de leacutegitimiteacute

des politiques sociales Enfin investir pourdemain dans lrsquoenfant peut aussi conduire agrave unrisque de pauvreteacute aujourdrsquohui srsquoil srsquoagit drsquounpreacutetexte pour supprimer les deacutepenses socialespubliques Pour investir dans lrsquoenfant demainil est neacutecessaire de soutenir les megraveres dans lepreacutesent y compris en leur permettant de geacutererla deacutependance de leurs parents aussi bien surle plan financier qursquoorganisationnel Crsquoest lrsquoin-vestissement social tout au long de la vie qursquoilconvient de valoriser

BARBIER C (2012) laquo Quelle destineacutee pourla politique sociale delrsquoUnion europeacuteenne Dela strateacutegie de Lisbonne agravelrsquoEurope 2020 eacutevolution dudiscours politique raquo Revueinternationale du travail vol 5 ndeg 4

CASTEL R (1995) Les meacutetamorphosesde la question sociale

Une chronique du salariatParis Folio essais

CASTEL R (2003) Lrsquoinseacutecuriteacutesociale Qursquoest ce qursquoecirctreproteacutegeacute Paris Le SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

REVUE DU MAUSS Ndeg 41Marchandiser le soin nuitgravement agrave la santeacute ParisLa DeacutecouverteMAUSS 2013

MOREL N PALIER Bet PALME J (2013) laquo The Long Road towards aSocial Investment WelfareState raquo in Hasmath R etSmyth P (eds) InclusiveGrowth Welfare andDevelopment Policy A Critical Assessment

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 94

RETRAITES LES PROPOSITIONSDU RAPPORT MOREAULa Commission pour lrsquoavenir des retraites

preacutesideacutee par Yannick Moreau a preacutesenteacute

ses pistes de reacuteforme le 14 juin 2013 Ce

rapport reacutepond agrave la neacutecessiteacute de reacuteeacutequilibrer

la branche vieillesse des comptes de la

protection sociale qui preacutesenterait selon le

Conseil drsquoorientation des retraites (COR) un

besoin de financement de 20 milliards drsquoeuros

drsquoici 2020 Ses propositions doivent nourrir

la concertation entre le gouvernement et

les partenaires sociaux durant lrsquoeacuteteacute 2013 et

deacuteboucher en septembre sur un projet de loi

Les propositions de la Commission reposent

sur deux grands sceacutenarios

ndash le premier reacutepartit les efforts agrave hauteur de

deux tiers pour les actifs et drsquoun tiers pour les

retraiteacutes

ndash le second les reacutepartit agrave parts eacutegales

Ces diffeacuterents sceacutenarios combinent dans

des proportions variables des mesures

correspondant agrave trois leviers drsquoaction la

creacuteation de nouvelles recettes la reacuteduction

des deacutepenses et lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier

drsquoallongement de la dureacutee de cotisation

Outre la voie classique de la hausse des

cotisations le rapport met en avant pour

augmenter les recettes une reacuteforme de la

fiscaliteacute qui srsquoapplique aux retraiteacutes Ceux-

ci beacuteneacuteficient en effet drsquoavantages fiscaux

abattement de 10 pour frais professionnels

alors qursquoils ne supportent plus ce type de

deacutepense majoration de pension pour les

personnes ayant eacuteleveacute au moins trois enfants

taux de CSG reacuteduithellip En 2012 la Cour des

Comptes avait eacutevalueacute le coucirct pour les finances

publiques de ces dispositifs deacuterogatoires agrave

12 milliards drsquoeuros par an Cette piste de

reacuteforme srsquoappuie en outre sur le fait que les

retraiteacutes ont deacutesormais un niveau de vie moyen

tregraves proche voire leacutegegraverement supeacuterieur agrave celui

de lrsquoensemble des Franccedilais En 2009 les plus

de 65 ans avaient ainsi un niveau de vie moyen

de 22 530 euros contre 22 470 pour lrsquoensemble

de la population Pour les 65-74 ans celui-ci

srsquoeacutelevait mecircme agrave 23 860 euros Le niveau de vie

meacutedian des 65 ans et plus reste en revanche

infeacuterieur de 64 agrave celui des personnes drsquoacircge

actif (1)

La reacuteduction des deacutepenses pourrait prendre la

forme drsquoune baisse du niveau des pensions via

les regravegles de revalorisation des pensions ou de

calcul des salaires de reacutefeacuterence (meacutecanismes

de deacutesindexation)

Lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier drsquoallongement de

la dureacutee de cotisation (nombre de trimestres

requis pour une retraite agrave taux plein) mis en

place en 2003 ne serait pour sa part possible

qursquoagrave partir de 2018 Il est en effet fixeacute par

deacutecret pour les geacuteneacuterations qui partiront avant

cette date

La Commission eacutenonce en outre un certain

nombre de recommandations destineacutees agrave

ameacuteliorer lrsquoeacutequiteacute et la lisibiliteacute du systegraveme

ainsi qursquoagrave assurer sa viabiliteacute agrave long terme

ndash mieux prendre en compte la peacutenibiliteacute de

certains meacutetiers

ndash ameacuteliorer la situation des polypensionneacutes et

des personnes (notamment les femmes) aux

carriegraveres morceleacutees

ndash aligner les regravegles de calcul des pensions des

reacutegimes de la fonction publique sur celles du

reacutegime geacuteneacuteral

ndash conserver au-delagrave de 2020 la regravegle de

lrsquoallongement de la dureacutee de cotisation en

fonction de lrsquoaccroissement de lrsquoespeacuterance de

vie Instaureacutee par la reacuteforme des retraites de

2003 cette regravegle preacuteconise de partager le gain

de longeacuteviteacute entre le maintien en activiteacute (pour

deux tiers) et la retraite (pour un tiers)

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

(1) INSEE (2013) Les revenus et les patrimoines

des meacutenages ndash Eacutedition 2013 avril

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES95

CHRISTINE ERHEL

Maicirctre de confeacuterences en eacuteconomie agrave lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon-Sorbonne

Directrice de lrsquouniteacute de recherche POPEM (Politiques publiques et emploi) au Centre drsquoeacutetudes de lrsquoemploi

Destineacutees agrave maintenir le niveau de revenu des chocircmeurs reacuteduire le chocircmage et augmen-ter le taux drsquoemploi de la population les politiques de lrsquoemploi sont particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve en peacuteriode de crise Au cours des cinq derniegraveres anneacutees les pays avanceacutes ont eacutelaboreacute de nouveaux dispositifs ndash dont certains sont temporaires ndash afin de faire face agrave la forte progression du chocircmage Christine Erhel rappelle la pluraliteacute des objectifs des politiques de lrsquoemploi ainsi que la varieacuteteacute des traditions nationales en la matiegravere avant de faire le point sur leurs grandes orientations depuis 2008 Si le contexte de crise creacutee de nouveaux besoins la mise en place de mesures drsquoenvergure est limiteacutee par lrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples

Face agrave un chocircmage record les politiques delrsquoemploi sont au cœur de lrsquoactualiteacute franccedilaiseavec la creacuteation de nouveaux dispositifs en2012-2013 (emplois drsquoavenir contrats de geacuteneacute-ration) Elles semblent eacutegalement retrouverune place dans le deacutebat europeacuteen avec le lan-cement de projets drsquointerventions en faveurde lrsquoemploi des jeunes (laquo paquet en faveur delrsquoemploi des jeunes raquo lanceacute par la Commissionen deacutecembre 2012 initiative franco-alle-mande annonceacutee le 28 mai 2013) De maniegravereplus geacuteneacuterale elles ont eacuteteacute fortement mobi-liseacutees depuis la crise de 2008 mecircme si lesmesures de rigueur particuliegraverement seacutevegraveres

depuis 2010 conduisent dans certains paysagrave des restrictions dans lrsquoassurance chocircmagevoire dans les services de soutien et drsquoaide agravela recherche drsquoemploi

Lrsquoanalyse de ces politiques est complexe quece soit dans une perspective historique (du faitde la multipliciteacute des reacuteformes observablesdepuis les anneacutees 1990) comparative (lesmodegraveles nationaux de politique de lrsquoemploisont tregraves divers) ou dans une optique drsquoeacutevalua-tionEn effet il est essentiel de tenir compte dela multipliciteacute des objectifs tant eacuteconomiquesque sociaux des politiques de lrsquoemploi Deplus elles srsquoarticulent avec drsquoautres sphegraveresde la politique eacuteconomique qui ont eacutegalementdes effets sur lrsquoemploi les politiques macroeacute-conomiques et industrielles en particulier

Une diversiteacute drsquoobjectifsDans une perspective eacuteconomique les poli-tiques de lrsquoemploi visent tout drsquoabord agrave

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 96

ameacuteliorer le fonctionnement du marcheacute dutravail ndash et notamment les deacutelais drsquoappa-riement entre chocircmeurs et employeurs ndash agravereacuteduire le chocircmage et agrave augmenter le niveaudrsquoemploi Toutefois elles peuvent eacutegalementpoursuivre drsquoautres objectifs corriger lesineacutegaliteacutes entre groupes sociaux en encoura-geant lrsquoemploi des plus fragiles (jeunes sansqualifications chocircmeurs de longue dureacutee)anticiper les besoins en matiegravere drsquoemploi etde compeacutetences (par la formation des sala-rieacutes) ou encore atteacutenuer un choc conjonctu-rel via le soutien aux revenus des chocircmeursElles jouent eacutegalement un rocircle social impor-tant en termes de lutte contre la pauvreteacutemais eacutegalement drsquoinsertion dont lrsquoaccegraves agravelrsquoemploi constitue une dimension fondamen-tale Cette diversiteacute drsquoobjectifs rend difficilelrsquoeacutevaluation des mesures dont le succegraves oulrsquoeacutechec ne peut ecirctre reacuteduit au seul critegravere dunombre drsquoemplois creacuteeacutes

Dans les analyses des politiques de lrsquoem-ploi il est courant de distinguer entre lesmesures laquo actives raquo et laquo passives raquo agrave partir dela nomenclature eacutetablie par lrsquoOCDE (Erhel2009) Les mesures actives ont pour objectif

de remettre les chocircmeurs en emploi et drsquoaug-menter le niveau drsquoemploi dans lrsquoeacuteconomiesoit de maniegravere directe (creacuteation drsquoemploispublics temporaires subventions agrave lrsquoem-bauche) soit de maniegravere indirecte (forma-tion) Les mesures passives comprennentpour leur part lrsquoindemnisation du chocircmageet les dispositifs de cessation anticipeacuteedrsquoactiviteacute dont lrsquoobjectif est drsquoatteacutenuer lesconseacutequences du chocircmage Cette cateacutegori-sation conventionnelle si elle est utile agrave laproduction de statistiques harmoniseacutees nedoit pas ecirctre entendue comme une frontiegraverestricte entre deux types de dispositifs Parmiles mesures laquo passives raquo certaines ont unobjectif de maintien de lrsquoemploi en peacuteriodede ralentissement eacuteconomique (chocircmagepartiel) tandis que lrsquoassurance-chocircmagesoutient non seulement les revenus des chocirc-meurs mais aussi leur recherche drsquoemploi (ycompris par des mesures de sanctions le caseacutecheacuteant) Agrave lrsquoinverse du cocircteacute des politiqueslaquo actives raquo les mesures drsquoemploi aideacute voirecertains dispositifs de formation reacutemuneacutereacuteecomportent eacutegalement une dimension de sou-tien du revenu des chocircmeurs

1 Les deacutepenses pour lrsquoemploi en 2010 (en du PIB)

-

050

100

150

200

250

300

350

400

450

Royaum

e-Uni

Australi

e

Eacutetats-

Unis

Canad

a

Suegravede

Italie

Allem

agne

Fran

ce PB

Danem

ark

Belgiq

ue

Espag

ne

Deacutepenses actives

Deacutepenses passives

Source OCDE 2012

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 97

La diversiteacute des modegravelesde politiques de lrsquoemploiLa multipliciteacute des objectifs et des leviers despolitiques de lrsquoemploi apparaicirct eacutegalementdans les comparaisons internationales quimontrent des choix varieacutes drsquoun pays agrave lrsquoautreAu-delagrave des variations lieacutees agrave la conjonctureou au cycle politique les prioriteacutes nationalesapparaissent relativement stables dans letemps en lien avec lrsquohistoire des politiquesde lrsquoemploi (et les conditions de leur articula-tion avec les politiques sociales les politiquesindustrielles ou les politiques macroeacuteco-nomiques) mais aussi avec les dispositifsinstitutionnels mis en place (financementgouvernancehellip) Les diffeacuterences internatio-nales en matiegravere de politiques de lrsquoemploi setraduisent dans lrsquoeffort budgeacutetaire qui leurest consacreacute et le type de mesures privileacutegieacutees(graphique 1 et tableau 1) Si lrsquoon eacutecarte lespays eacutemergents ou reacutecemment industrialiseacutes(Mexique Coreacutee) et les nouveaux membresde lrsquoUnion europeacuteenne (UE) dont les poli-tiques de lrsquoemploi sont encore balbutianteson peut distinguer trois groupes principauxde pays au sein de lrsquoOCDE coiumlncidant avecles modegraveles de protection sociale tels qursquoilssont analyseacutes par les travaux comparatifs(Esping-Andersen 1990)

Le modegravele nordique les politiques actives privileacutegieacuteesLes pays sociaux-deacutemocrates ou laquo nor-diques raquo (Danemark Suegravede Finlande) consti-tuent un modegravele bien identifieacute de politiquesde lrsquoemploi qui se caracteacuterise par un niveaude deacutepense supeacuterieur agrave la moyenne sur longuepeacuteriode et par des niveaux drsquoindemnisationdu chocircmage geacuteneacutereux Toutefois la Suegravedesrsquoeacutecarte du modegravele traditionnel depuis lesanneacutees 2000 des reacuteformes restrictives ontcontribueacute agrave reacuteduire le niveau de la deacutepensepour lrsquoemploi et la geacuteneacuterositeacute de lrsquoassurance-chocircmage Ces pays consacrent en outre unepart importante des deacutepenses pour lrsquoemploiaux mesures actives avec un effort particu-lier envers les dispositifs de formation pourles chocircmeurs et de soutien agrave lrsquoemploi deshandicapeacutes (tableau 1) Ceci nrsquoexclut pastout recours aux dispositifs de retrait drsquoacti-viteacute et en particulier aux preacuteretraites bienqursquoelles aient eacuteteacute totalement supprimeacutees enSuegravede celles-ci subsistent au Danemark pre-nant principalement la forme de cessationsprogressives drsquoactiviteacute

Cet ensemble correspond agrave une traditionbien ancreacutee drsquointervention par des mesuresfavorisant lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi (mecircme tempo-raire et subventionneacute) plutocirct que lrsquoindem-nisation du chocircmage (Erhel 2009) Cette

1 La reacutepartition des deacutepenses de politique de lrsquoemploi en 2010 (en )

Danemark France Allemagne Royaume-Uni Eacutetats-Unis

Service public de lrsquoemploiet administration

146 116 17 48 5

Formation 12 147 135 4 45

Incitations agrave lrsquoemploi 92 42 43 1 1

Soutien agrave lrsquoemploi des handicapeacutes 19 27 13 1 35

Creacuteations directes drsquoemploi ndash 85 21 ndash 1

Subventions agrave la creacuteationdrsquoentreprises

ndash 2 36 ndash ndash

Maintien du revenu 346 56 56 46 85

Preacute-retraites 106 03 22 ndash ndash

Source OCDE 2012

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 98

tradition srsquoest constitueacutee en Suegravede ougrave degraves1914 une commission composeacutee de syndi-cats et drsquoemployeurs (Commission Myrdal)propose la creacuteation drsquoun systegraveme drsquoemploispublics subventionneacutes en compleacutement delrsquoassurance chocircmage Cette proposition srsquoap-puyait sur lrsquoideacutee qursquoil eacutetait preacutefeacuterable pour lasocieacuteteacute de financer des emplois publics tem-poraires plutocirct que des allocations chocircmageCes orientations ont eacuteteacute mises en œuvre dansles anneacutees 1930 puis dans les anneacutees 1950par des gouvernements sociaux-deacutemocratessoit pour limiter les effets drsquoune monteacutee duchocircmage conjoncturel soit de maniegravere plusstructurelle pour accompagner les restruc-turations industrielles des anneacutees 1950 et1960 En parallegravele la Suegravede et plus encore leDanemark ont deacuteveloppeacute des dispositifs deformation importants et un accompagnementintensif des chocircmeurs dans les agences pourlrsquoemploi La politique de lrsquoemploi peut ecirctreconsideacutereacutee dans ces pays comme un instru-ment de seacutecurisation des parcours de tellesorte qursquoelle constitue lrsquoun des piliers de lalaquo flexicuriteacute raquo danoise (associant flexibiliteacutedu contrat de travail et seacutecuriteacute des parcoursprofessionnels) mise en avant depuis lesanneacutees 2000)

Le modegravele libeacuteral une intervention centreacuteesur la recherche drsquoemploi

Dans les pays laquo libeacuteraux raquo (Eacutetats-UnisRoyaume-Uni Australie) lrsquoeffort de politiquede lrsquoemploi repreacutesente au contraire moins de1 du PIB (graphique 1) et se concentre surlrsquoindemnisation du chocircmage (avec des tauxde remplacement faibles) et sur lrsquoaide agrave larecherche drsquoemploi Ces deux postes repreacute-sentent lrsquoessentiel des deacutepenses dans cespays (tableau 1) Il srsquoagit drsquoun modegravele drsquointer-vention minimale ougrave le rocircle de la politique delrsquoemploi se limite agrave lrsquoameacutelioration du fonc-tionnement du marcheacute du travail (informa-tion mobiliteacute eacuteventuellement adeacutequation desformations) La lutte contre le chocircmage relegraveve

plutocirct des politiques macroeacuteconomiques(moneacutetaire et budgeacutetaire)

Ces pays ont toutefois deacuteveloppeacute en margedes politiques de lrsquoemploi cibleacutees drsquoimpor-tants dispositifs drsquoincitations agrave lrsquoemploi parle biais de lrsquoimpocirct neacutegatif (Earned Income TaxCredit aux Eacutetats-Unis et Working FamiliesTax Credit au Royaume-Uni) qui vient com-pleacuteter les revenus du travail les plus faiblespar une reacuteduction ou un creacutedit drsquoimpocirct Cesdeacutepenses ne sont pas comptabiliseacutees dans ladeacutepense pour lrsquoemploi calculeacutee par lrsquoOCDEmais elles repreacutesentent un outil important delutte contre la pauvreteacute et drsquointervention surlrsquooffre de travail

Le modegravele continental des interventions heacuteteacuterogegravenesavec une focalisation sur le coucirctdu travail

Les pays drsquoEurope continentale (FranceAllemagne Belgique Pays-Bas Italiehellip)connaissent une situation tregraves diffeacuterente desdeux groupes preacuteceacutedents Les politiques delrsquoemploi y sont en grande partie financeacuteespar des cotisations sociales (en particulierlrsquoindemnisation du chocircmage) et leur deacutevelop-pement apparaicirct relativement reacutecent en com-paraison du modegravele nordique Les principalesinstitutions chargeacutees drsquoameacuteliorer le fonction-nement du marcheacute du travail et accompagnerles restructurations remontent aux laquo TrenteGlorieuses raquo Ainsi en France lrsquoAgence natio-nale pour lrsquoemploi ndash ANPE ndash est creacuteeacutee en 1967Toutefois crsquoest surtout avec la deacutegradationprogressive de la situation de lrsquoemploi dansles anneacutees 1970-1980 que se deacuteveloppentdes politiques actives de lrsquoemploi La logiquelaquo sectorielle raquo initiale est peu agrave peu rempla-ceacutee par une logique laquo seacutelective raquo ciblant lesmesures sur les jeunes puis les chocircmeurs delongue dureacutee

Ces pays ont eu massivement recours auxpolitiques de retrait drsquoactiviteacute (preacuteretraitesen particulier) dans les anneacutees 1980 afinde lutter contre le chocircmage Outre leur coucircteacuteleveacute pour les finances publiques elles ont

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 99

conduit agrave une baisse des taux drsquoemploi desseniors Depuis les anneacutees 1990 les entreacuteesdans ces dispositifs ont eacuteteacute fortement limi-teacutees et des mesures en faveur de lrsquoemploi decette population ont eacuteteacute prises (incitationsagrave la prolongation drsquoactiviteacute via les reacuteformesdes retraites contrats speacutecifiques pour lesseniors plans seniorshellip) Par ailleurs face aupoids des cotisations sociales dans le coucirct dutravail ces pays de tradition bismarckiennese sont fortement appuyeacutes sur des mesuresde baisse du coucirct du travail soit cibleacutees (enparticulier sur les jeunes mais aussi sur leschocircmeurs de longue dureacutee comme dans lecas de lrsquoAllemagne depuis les lois Hartz de2004) soit geacuteneacuterales (comme les exoneacuterationsde charges en France au niveau du SMIC agravepartir de 1993 ou en Allemagne avec les dis-positifs de mini jobs qui eacutechappent aux coti-sations sociales)

Quelles prioriteacutesen peacuteriode de crise Face agrave la crise les deacutepenses pour lrsquoemploiont augmenteacute dans les pays de lrsquoOCDE (gra-phique 2) Toutefois cette hausse fait suite agraveplusieurs anneacutees de reacuteduction des deacutepenseset la dynamique contra-cyclique apparaicirctrelativement limiteacutee compte tenu de lrsquoam-pleur de la hausse du chocircmage Des analysessur donneacutees OCDE depuis les anneacutees 1980montrent une baisse de la reacuteactiviteacute des poli-tiques de lrsquoemploi (Erhel et Levionnois 2013)en particulier pour les deacutepenses actives

Mecircme si les politiques nationales sont heacuteteacute-rogegravenes on relegraveve trois grands axes drsquointer-vention pour limiter les conseacutequences de lacrise sur le marcheacute du travail le soutien auxrevenus des chocircmeurs le maintien en emploiet le soutien agrave lrsquoemploi ou agrave la formation desdemandeurs drsquoemploi

2 Les deacutepenses pour lrsquoemploi entre 2004 et 2010 (en du PIB)

0

05

1

15

2

25

3

35

4

45

5

2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

DK FR ALL IR PB PT ES SE RU US

DK = Danemark FR = France ALL = Allemagne PB = Pays-Bas PT = Portugal ES = Espagne SE = Suegravede RU = Royaume-Uni US = Eacutetats-Unis

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 100

Le soutien aux revenusdes chocircmeurs

Lorsque le chocircmage augmente une par-tie de la reacuteaction des politiques de lrsquoemploiest automatique notamment sous lrsquoeffetde lrsquoaugmentation du montant des alloca-tions-chocircmage verseacutees Toutefois lors de lacrise de 2007-2008 un certain nombre depays sont alleacutes au-delagrave de ces ajustementsautomatiques et ont pris des mesures tem-poraires visant agrave ameacuteliorer lrsquoindemnisationdu chocircmage dans une optique de soutien aurevenu et de lutte contre la pauvreteacute (assou-plissement des critegraveres drsquoaccegraves agrave lrsquoassurance-chocircmage notamment pour les personnes enemploi temporaire ou encore augmentationde la dureacutee drsquoindemnisation) Ce type drsquoin-tervention est surtout marqueacute dans les paysougrave les allocations chocircmages sont peu geacuteneacute-reuses ainsi aux Eacutetats-Unis la dureacutee drsquoin-demnisation a eacuteteacute augmenteacutee en 2009 de 26 agrave99 semaines La France a maintenu sa dureacuteedrsquoindemnisation mais a adopteacute en 2010 desmesures temporaires ameacuteliorant la prise encharge des chocircmeurs en fin de droits

Le maintien en emploi

Un second type drsquointerventions a eu pourobjectif de faciliter le maintien en emploi desalarieacutes menaceacutes Le principal instrumentdont disposent les politiques de lrsquoemploidans cette perspective est le chocircmage partielqui permet de reacuteduire la dureacutee du travail encas de baisse drsquoactiviteacute pour lrsquoentreprise Cedispositif a fait lrsquoobjet drsquoune mobilisationspectaculaire en Allemagne ougrave il concer-nait 15 million de salarieacutes en juin 20091 EnFrance le dispositif de chocircmage partiel a eacuteteacutereacuteformeacute en janvier 2009 de maniegravere agrave eacutetendrela peacuteriode et le niveau drsquoindemnisation (Cala-vrezo et al 2009) mais son usage demeurelimiteacute Plus largement on notera que ce typedrsquooutil est essentiellement deacuteveloppeacute dansles pays drsquoEurope continentale mecircme si lenombre de salarieacutes concerneacutes est en pratiquefortement variable drsquoun pays agrave lrsquoautre selonlrsquoOCDE (OCDE 2010) le stock annuel moyen

de beacuteneacuteficiaires en 2009 varie entre 004 des personnes en emploi en Pologne et 56 en Belgique la France se situant agrave 08 etlrsquoAllemagne agrave 317

Ces mesures relevant de la politique publiquede lrsquoemploi srsquoaccompagnent parfois drsquoajus-tements neacutegocieacutes des salaires ou du tempsde travail internes aux entreprises quisrsquoappuient tout drsquoabord sur les partenairessociaux mais peuvent ecirctre encourageacutes par lespouvoirs publics comme en Allemagne ou auxPays-Bas avec les laquo pactes pour lrsquoemploi raquo EnFrance le projet de loi sur la seacutecurisation delrsquoemploi du 14 mai 2013 comporte ce type dedisposition favorisant la flexibiliteacute interneAu cas ougrave lrsquoentreprise rencontre de graves dif-ficulteacutes conjoncturelles un employeur pourraconclure pendant deux ans maximum unaccord avec des syndicats repreacutesentant plusde 50 des salarieacutes pour ameacutenager le tempsde travail et la reacutemuneacuteration (sans diminuerles salaires infeacuterieurs agrave 12 SMIC)

Les politiques actives

Mecircme si le recours aux politiques activescibleacutees apparaicirct globalement en retrait parrapport aux crises anteacuterieures (deacutebut desanneacutees 1990 par exemple) elles jouent un rocirclecontracyclique important Les emplois aideacutespermettent en effet drsquoeacuteviter lrsquoenfermementdans des trajectoires de chocircmage de longuedureacutee ou drsquoinactiviteacute prolongeacutees en Franceleur relance srsquoest principalement appuyeacutee surle secteur non marchand (CUI-CAE emploisdrsquoavenir depuis octobre 2012) Dans la plu-part des pays les mesures centreacutees sur lesjeunes (en particulier les non-diplocircmeacutes)occupent une place importante (Young Per-sonrsquos Guarantee au Royaume-Uni emploislaquo nouveau deacutepart raquo en Suegravede) ainsi que lesdispositifs drsquoaccompagnement des transi-tions professionnelles dans les restructura-tions industrielles qui concernent cependantdes effectifs beaucoup plus limiteacutes (contrat detransition professionnelle en France centresde mobiliteacute aux Pays-Bas) En parallegravele de cesdispositifs les reacuteformes engageacutees avant 2008

[1] Chiffres duministegravere du Travail

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 101

en matiegravere drsquoaccompagnement des chocircmeursse sont poursuivies (creacuteation de Pocircle emploien France ndash cf encadreacute ndash regroupements desservices au Danemark au niveau communalen 2009) ainsi que le deacuteveloppement des dis-positifs drsquoapprentissage pour les jeunes

Les politiques de rigueur meneacutees depuis 2010entrent en contradiction avec un recours plusimportant aux politiques de lrsquoemploi ellesse traduisent en particulier par des restric-tions de la dureacutee de lrsquoassurance-chocircmagey compris dans des pays de tradition geacuteneacute-reuse (passage de la dureacutee drsquoindemnisationde quatre agrave deux ans au Danemark) ainsi quepar des contraintes budgeacutetaires fortes pourles politiques actives

Les politiques de lrsquoemploi poursuivent desobjectifs multiples et parfois contradictoires par exemple lrsquoacquisition drsquoune formationqualifiante pour un chocircmeur peut retarderson retour agrave lrsquoemploi Toutefois elle favoriseen principe lrsquoaccegraves agrave des emplois plus stableset de meilleure qualiteacute et contribue donc pluslargement la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie

De fait lrsquoeacutevaluation des mesures est com-plexe surtout en peacuteriode de crise Selon uneeacutetude reacutecente il semblerait toutefois que les

dispositifs apportant un contenu en quali-fication aient des effets plus favorables enpeacuteriode de reacutecession dans la mesure ougrave ilspermettent lrsquoaccegraves agrave de meilleurs emploislors de la reprise alors que la probabiliteacute deretrouver un emploi immeacutediatement est faible(Forslund et al 2011) De mecircme bien que lebilan en termes de creacuteations nettes drsquoemploisoit mitigeacute les dispositifs drsquoemplois aideacutespeuvent eacuteviter les conseacutequences neacutegatives duchocircmage Ainsi les emplois jeunes de 1997semblent avoir bien joueacute leur rocircle drsquoinsertiondes jeunes agrave court terme sans peacutenaliteacute surleurs trajectoires drsquoemploi ulteacuterieures (mal-greacute un deacutesavantage salarial) Leurs effets surles trajectoires ulteacuterieures des beacuteneacuteficiairesdeacutependent toutefois du type drsquoemployeurs etde leurs strateacutegies vis-agrave-vis des beacuteneacuteficiairesce qui conduit agrave recommander un accompa-gnement par le service de lrsquoemploi afin depreacuteparer la sortie des dispositifs (Gomel etLopez 2012)

Cependant lrsquoaccompagnement et la reacuteflexionsur la qualiteacute des trajectoires se heurtentdans la plupart des pays agrave la restriction desdeacutepenses publiques qui limite les moyensdisponibles

CALAVREZO O DUHAUTOISR etWALKOWIAK E (2009) laquo Chocircmage partiel etlicenciements eacuteconomiques raquoConnaissance de lrsquoemploi mars ndeg 63

ERHEL C (2009) Les politiques de lrsquoemploi Paris PUF coll laquo Que sais-je raquo

ERHEL C et LEVIONNOISC (2013) laquo Les politiques

de lrsquoemploi et la laquo GrandeDeacutepression raquo du XXIe siegravecle raquoin Spieser C (ed) Lrsquoemploien temps de crise Liaisonssociales

ESPING-ANDERSEN G (1990) Les trois mondes de lrsquoEacutetat-providence Paris PUF

FORSLUND A FREDRIKSSONP etVIKSTROumlM J (2011) laquo WhatActive Labour Market Policy

Works in a Recession raquo IFAU Working Paper

GOMEL B et LOPEZ A(2012) laquo Effets des emplois-jeunes sur les trajectoiresprofessionnelles raquoConnaissance de lrsquoemploindeg 94 juillet

OCDE (2010) Perspectivesde lrsquoemploi Paris OCDE

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 102

POcircLE EMPLOIPocircle emploi est neacute le 19 deacutecembre 2009

de la fusion entre lrsquoAgence nationale

pour lrsquoemploi (ANPE) et les ASSEDIC Il

srsquoagit drsquoun eacutetablissement public dont les

missions principales sont lrsquoindemnisation

et le placement des demandeurs drsquoemploi

ainsi que lrsquoaide aux entreprises pour leurs

recrutements Pocircle emploi employait 45 418

personnes en eacutequivalent temps plein en 2008

Cette fusion ne concerne pas lrsquoUNEDIC qui

demeure un organisme indeacutependant geacutereacute par

les partenaires sociaux et responsable de la

gestion des fonds de lrsquoassurance-chocircmage et

des regravegles drsquoindemnisation

Lrsquoideacutee drsquoune telle fusion des fonctions

drsquoindemnisation et de placement nrsquoest pas

nouvelle mais diffeacuterents rapports consacreacutes

agrave cette question de lrsquoorganisation des services

aux chocircmeurs (rapport IGAS de 1994 rapport

Marimbert de 2004) avaient plutocirct souligneacute les

difficulteacutes de sa mise en œuvre notamment

du fait des statuts diffeacuterencieacutes des personnels

(droit priveacute cocircteacute ASSEDIC et fonctionnaires

ou droit public agrave lrsquoANPE) Elle srsquoinscrit dans

la continuiteacute de reacuteformes meneacutees ailleurs

en Europe en premier lieu au Royaume-Uni

degraves les anneacutees 1990 (avec la creacuteation des

Jobcentres puis des Jobcentres + en 2002) et

aboutissant agrave la mise en place de laquo guichets

uniques raquo pour les chocircmeurs Les objectifs

de ce type de reacuteforme institutionnelle sont

multiples simplifier les deacutemarches des

demandeurs drsquoemploi ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute

de leur suivi en liant indemnisation et aide agrave

la recherche drsquoemploi deacutegager des moyens

humains suppleacutementaires pour lrsquoaide agrave la

recherche drsquoemploi gracircce agrave la reacuteorganisation

etou reacuteduire les deacutepenses publiques pour

lrsquoemploi

Dans le cas franccedilais un certain nombre

de choix ont eacuteteacute faits pour cette nouvelle

institution Bien que Pocircle emploi soit un

eacutetablissement public son personnel est reacutegi

par le droit du travail et par une convention

collective speacutecifique Toutefois il a eacuteteacute laisseacute le

choix aux personnels de lrsquoANPE de conserver

leur statut de fonctionnaire ou drsquoadopter le

nouveau statut (en pratique en 2011 80

du personnel eacutetait sous statut priveacute) La

gouvernance de Pocircle emploi est tripartite

impliquant lrsquoEacutetat et les partenaires sociaux

et se traduisant par une convention tripartite

pluri-annuelle (la premiegravere concernait la

peacuteriode 2009-2011 la seconde 2012-2014)

Lrsquoorganisation est reacutegionaliseacutee avec des

directions reacutegionales responsables du suivi

de lrsquoactiviteacute dans la reacutegion participant agrave la

coordination des politiques de lrsquoemploi avec le

Preacutefet de reacutegion (et les DIRECCTES services

deacuteconcentreacutes du ministegravere du Travail) Une

reacuteorganisation territoriale est mise en œuvre

agrave partir des anciennes agences locales

de lrsquoANPE et des ASSEDIC aboutissant agrave

un millier drsquoagences preacutesentes sur tout le

territoire Le financement provient aux deux

tiers de lrsquoUNEDIC et le solde de lrsquoEacutetat En 2011

le budget srsquoeacutelevait agrave 4618 milliards drsquoeuros

Les missions de Pocircle emploi sont les

suivantes

ndash prospecter le marcheacute du travail afin

drsquoidentifier et de preacutevoir les eacutevolutions de

lrsquoemploi

ndash accueillir informer et accompagner les

demandeurs drsquoemploi

ndash inscrire les chocircmeurs sur la liste des

demandeurs drsquoemploi et controcircler leur

recherche drsquoemploi en appliquant des

sanctions le cas eacutecheacuteant

ndash assurer le versement des prestations

(allocation drsquoaide au retour agrave lrsquoemploi ndash ARE ndash

allocation de solidariteacute speacutecifique ndash ASS ndash)

Trois ans apregraves la reacuteforme le bilan semble

positif deux chocircmeurs sur trois se deacuteclaraient

satisfaits des services de Pocircle emploi en

2010 La mise en œuvre en peacuteriode de crise

a toutefois eacuteteacute difficile Degraves janvier 2009 Pocircle

emploi a ducirc faire face agrave une augmentation

journaliegravere de 3000 demandeurs drsquoemploi

alors qursquoil venait drsquoecirctre creacuteeacute Ceci a conduit agrave

une grande deacutesorganisation notamment pour

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 103

les contacts par les chocircmeurs mais eacutegalement

pour les deacutelais de traitement des demandes

drsquoinscription Du point de vue des salarieacutes de

Pocircle emploi il en a eacutegalement reacutesulteacute une

forte augmentation de leur charge de travail

conduisant agrave une monteacutee des risques psycho-

sociaux drsquoautant que la reacuteforme avait sous-

estimeacute la diffeacuterence entre les deux meacutetiers de

lrsquoindemnisation et du placement De maniegravere

plus structurelle la reacuteforme ne reacutesout pas

lrsquoinsuffisance des moyens en personnel du

service public de lrsquoemploi franccedilais souligneacutee

par les comparaisons internationales Un

rapport de lrsquoIGF de 2010 pointe ainsi un ratio

drsquoencadrement des demandeurs drsquoemploi

de 215 pour 10000 eacutequivalents temps plein

en France contre 221 au Royaume-Uni et

420 en Allemagne (il srsquoagit drsquoune deacutefinition

large incluant lrsquoensemble des personnels

intervenant dans lrsquoaide aux chocircmeurs y

compris les CAF en France qui prennent en

charge les beacuteneacuteficiaires du RSA) En ce qui

concerne la mission de services aupregraves des

employeurs les ratios sont plus favorables

pour la France avec 22 eacutequivalents temps

plein pour 10 000 chocircmeurs contre 10 au

Royaume-Uni et 18 en Allemagne

La modernisation des services se poursuit

dans le cadre de la convention tripartite 2012-

2014 et du plan strateacutegique 2015 Elle preacutevoit

notamment une personnalisation de lrsquoaide agrave

la recherche drsquoemploi en fonction des profils

des chocircmeurs et une territorialisation accrue

donnant plus drsquoautonomie agrave lrsquoeacutechelon reacutegional

Christine Erhel

SourcesRapport drsquoactiviteacute de Pocircle emploi 2011

IGF (2010) Eacutetude comparative des effectifs des

services publics de lrsquoemploi en France

en Allemagne et au Royaume-Uni

Seacutenat (2011) Rapport de la mission

drsquoinformation relative agrave Pocircle emploi ndeg 713

juillet

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 104

Embleacutematique des Trente Glorieuses sous la forme drsquoun soutien public aux laquo champions natio-naux raquo la politique industrielle a eacuteteacute abandonneacutee dans les anneacutees 1980 dans les pays deacuteve-loppeacutes au profit drsquointerventions plus transversales favorisant lrsquoenvironnement institutionnel et notamment la concurrence La laquo deacutesindustrialisation raquo dont souffrent les eacuteconomies avanceacutees avec la monteacutee en puissance des pays eacutemergents qui srsquoest renforceacutee depuis la crise lrsquoa tou-tefois replaceacutee parmi les prioriteacutes des gouvernements Apregraves un rappel des fondements de la politique industrielle Pierre-Noeumll Giraud fait le point sur son eacutevolution en insistant plus parti-culiegraverement sur les enjeux contemporains

Problegravemes eacuteconomiques

La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens

Des politiques industriellespour quoi faire Pourquoi faudrait-il des politiques indus-trielles De maniegravere geacuteneacuterale on reconnaicirctdeux motifs agrave lrsquoaction eacuteconomique de lrsquoEacutetat

ndash corriger les imperfections des marcheacutes ndashagrave condition que les interventions publiquesne soient pas encore plus inefficaces que desmarcheacutes mecircme imparfaits ndash

ndash modifier une reacutepartition des revenus jugeacuteeineacutequitable

Ce dernier cas ne concerne pas les politiquessectorielles La question de la leacutegitimiteacute eacuteco-nomique des politiques industrielles est donccelle de lrsquoexistence drsquoimperfections de marcheacutesqui seraient speacutecifiques agrave lrsquoindustrie Les acti-viteacutes polluantes nombreuses dans ce secteuren constituent une premiegravere source Lrsquoagricul-ture et certains services sont toutefois aussiconcerneacutes Corriger ces imperfections relegraveve

des politiques de protection de lrsquoenvironne-ment qui nrsquoont pas de speacutecificiteacute industrielleAinsi les politiques de lutte contre le change-ment climatique concernent tous les secteursde lrsquoeacuteconomie Il en est de mecircme des rende-ments croissants qui conduisent agrave des mono-poles naturels Lrsquoindustrie preacutesente nombre desituations de ce type mais elles sont traiteacuteespar les politiques geacuteneacuterales de concurrence etpar la reacuteglementation des monopoles naturelsque sont par exemple les grandes infrastruc-tures de transports drsquoeacutelectriciteacute de gaz drsquoeauet ferroviaires Ici encore pas de speacutecificiteacuteproprement industrielle Les politiques deprotection de la proprieacuteteacute intellectuelle sontcruciales pour stimuler lrsquoinnovation danslrsquoindustrie mais pas seulement et elles ne luisont pas speacutecifiques

PIERRE-NOEumlL GIRAUD

Mines ParisTech et Universiteacute Paris-Dauphine

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS105

Existe-t-il alors des interventions publiquesleacutegitimes qursquoon puisse regrouper sous leterme de laquo politique industrielle raquo Dans lespays les plus riches la reacuteponse de la plu-part des eacuteconomistes et des gouvernementsdepuis une trentaine drsquoanneacutees a eacuteteacute neacutegativeLrsquoEacutetat doit se contenter de creacuteer un environ-nement geacuteneacuteral favorable agrave lrsquoensemble desactiviteacutes eacuteconomiques quel que soit le sec-teur primaire secondaire ou tertiaire Celapasse par un Eacutetat de droit et une bonnelaquo gouvernance raquo publique une fiscaliteacute stableet preacutevisible une politique de concurrenceune politique de protection de la proprieacuteteacuteintellectuelle et enfin la fourniture drsquoun cer-tain nombre de biens publics protectionde lrsquoenvironnement eacuteducation et recherchefondamentale Et surtout lrsquoEacutetat doit se gar-der de creacuteer des entreprises publiques dansle domaine de la production de biens et ser-vices pour des marcheacutes concurrentiels cardans ce domaine une bureaucratie publiqueest censeacutee ecirctre toujours moins efficace quela mise en concurrence des entreprises pri-veacutees motiveacutees par la recherche du profit Agrave larigueur des monopoles naturels tels que lesgrands reacuteseaux peuvent ecirctre geacutereacutes par desentreprises publiques Mais ces derniegraveresdeacutecennies la deacuteleacutegation de la gestion de cesmonopoles agrave des firmes priveacutees eacutetroitementreacuteglementeacutees ce qursquoon a appeleacute un laquo parte-nariat public-priveacute raquo fut dans ces domainesaussi consideacutereacutee comme plus efficace

Et pourtant les politiques industrielles onteacuteteacute omnipreacutesentes et massives dans les pro-cessus de rattrapage de la puissance eacutecono-mique et politique dominante par des Eacutetatsinitialement en retard industriel depuisqursquoau milieu du XIXe siegravecle Friedrich List ajustifieacute la laquo protection des industries nais-santes raquo Crsquoest encore le cas aujourdrsquohui dansles pays dits eacutemergents comme la ChinelrsquoInde ou le Breacutesil

Dans une premiegravere section nous eacutevoquonsces politiques de rattrapage leurs justifica-tions leurs succegraves et leurs eacutechecs Le fait nou-veau est qursquoaujourdrsquohui dans certains pays

drsquoEurope dont la France ougrave la deacutesindustria-lisation finit par creuser drsquoinquieacutetants deacutefi-cits exteacuterieurs les politiques industriellesreviennent agrave lrsquoordre du jour Nous explique-rons leur retour et les deacutecrirons dans uneseconde section

Les politiques industriellesdans les pays en rattrapage creacuteer des laquo champions nationaux raquo

laquo Proteacuteger les industriesnaissantes raquo les exemplesallemand franccedilais et ameacutericainagrave la fin du XIXe siegravecle

La justification de la protection des indus-tries naissantes est fondeacutee sur lrsquoexistencedans nombre drsquoindustries de rendementsdrsquoeacutechelle croissants et drsquoeffets drsquoapprentis-sage Supposons que dans un pays une entre-prise ait pris vingt ans drsquoavance dans uneactiviteacute ougrave existent des eacuteconomies drsquoeacutechellendash plus la production annuelle est importanteplus le coucirct unitaire est bas ndash et des eacutecono-mies drsquoapprentissage ndash les coucircts diminuentavec la production cumuleacutee donc avec lrsquoan-cienneteacute de la production ndash Une entreprisequi voudrait deacutevelopper cette industrie dansun autre pays (et drsquoailleurs aussi bien dansle pays pionnier) produirait neacutecessairementagrave des coucircts plus eacuteleveacutes Drsquoabord parce qursquoaudeacutepart au moins elle produirait des quan-titeacutes plus faibles et parce qursquoelle nrsquoauraitpas encore accumuleacute assez drsquoexpeacuterience Ensituation de libre eacutechange elle nrsquoaurait doncaucune chance face agrave lrsquoentreprise pionniegraverealors que proteacutegeacutee pendant les anneacutees de samonteacutee en puissance et en expeacuterience ellepourrait ensuite faire jeu eacutegal avec elle

Au milieu du XIXe siegravecle alors que la Grande-Bretagne puissance dominanteavait pris une avance consideacuterable dans lrsquoindustrie et procircnait le libre eacutechange sui-vant en cela les recommandations de David

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 106

Ricardo formuleacutees degraves 1820 lrsquoeacuteconomiste allemand Friedrich List consideacuterant qursquoune industrie moderne est indispensable agrave la puissance drsquoune nation preacuteconisait au contraire la protection des industries nais-santes par des barriegraveres douaniegraveres mais aussi par des aides publiques directesdes marcheacutes publics reacuteserveacutes et drsquoautres mesures de soutien Crsquoest ce que feront avec succegraves lrsquoAllemagne la France les Eacutetats-Unis agrave la fin du XIXe siegravecle et au deacutebut du XXe En revanche certains pays drsquoAmeacuterique latine connaicirctront dans les anneacutees 1930 des eacutechecs cuisants avec ces mecircmes politiquesLes industries initialement proteacutegeacutees ne parviendront jamais agrave rattraper celles des pays pionniers mais deviendront des bou-lets pour le budget de lrsquoEacutetat et finiront par sombrer sans doute parce que le marcheacute inteacuterieur eacutetait trop eacutetroit pour que les indus-tries naissantes connaissent une vive com-peacutetition interne indispensable substitut agrave la compeacutetition internationale dont elles eacutetaient proteacutegeacutees Ces politiques nrsquoont fait que creacuteer des rentes au profit de monopoles locaux et au deacutetriment des consommateurs et des contribuables

Le soutien aux laquo championsnationaux raquo dans les paysindustrialiseacutes au coursdes Trente Glorieuses

Apregraves la Seconde Guerre mondiale la puis-sance eacuteconomique des Eacutetats-Unis est sansrivale Le Japon reconstruit alors son indus-trie en la proteacutegeant Le ceacutelegravebre MITI leministegravere de lrsquoindustrie et du commerce exteacute-rieur seacutelectionne deux ou trois laquo championsnationaux raquo par branche organise entre euxune feacuteroce compeacutetition sur le marcheacute inteacute-rieur les aide en matiegravere de recherche etdrsquoinnovation puis quand ils sont suffisam-ment compeacutetitifs les autorise agrave se lancer agravela conquecircte des marcheacutes mondiaux ce qursquoilsferont avec le succegraves que lrsquoon sait eacutebranlantdans les anneacutees 1980 la supeacuterioriteacute indus-trielle ameacutericaineAvec vingt ans de deacutecalage

les laquo tigres raquo du Sud-Est asiatique la Coreacuteedu Sud et Taiwan adopteront le mecircme type depolitique industrielle

En France les gouvernements du Geacuteneacuteralde Gaulle et de Georges Pompidou megravenentune politique active de soutien agrave des entre-prises priveacutees pour en faire des championsnationaux creacuteent ex nihilo des entreprisespubliques dans des secteurs jugeacutes indis-pensables agrave la puissance et lrsquoindeacutependancede la nation tels que la deacutefense et lrsquoeacutenergie(peacutetrole nucleacuteaire) et participent activementagrave la creacuteation drsquoune industrie europeacuteenne delrsquoaeacuteronautique (Airbus) et de lrsquoespace (ArianeEspace) qui feront bientocirct jeu eacutegal avec lrsquoin-dustrie ameacutericaine

Les Eacutetats-Unis ne sont pas de reste Bien quele terme de laquo politique industrielle raquo ait fortmauvaise reacuteputation dans un pays ougrave lrsquoideacuteo-logie eacuteconomique officielle est que le gouver-nement ne doit pas se mecircler du laquo business raquo ille fait cependant en particulier en proteacutegeantdes acquisitions eacutetrangegraveres les secteurs jugeacuteslaquo strateacutegiques raquo par lrsquointermeacutediaire drsquoimpor-tants contrats de recherche et deacuteveloppement(RampD) lieacutes aux activiteacutes militaires et par lefinancement public de la recherche (le deacuteve-loppement du protocole internet a eacuteteacute financeacutepar des subventions militaires)

Des politiques propres aux payseacutemergents depuis les anneacutees 1980

Cependant agrave partir des anneacutees 1980 lesanciens champions nationaux de la laquo triade raquo(Eacutetats Unis Europe Japon) deviennent desfirmes laquo globales raquo qui investissent partoutdans le monde et relacircchent leurs relationsprivileacutegieacutees avec leur territoire drsquoorigine etson gouvernement Dans ces pays commeon lrsquoa dit les politiques industrielles secto-rielles et le soutien aux champions tendent agravedisparaicirctre et agrave se dissoudre dans des poli-tiques laquo horizontales raquo drsquoenvironnement favo-rable aux activiteacutes eacuteconomiques dans leurensemble

Il nrsquoen est rien cependant dans les grands payseacutemergents qui entament leur rattrapage la

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS107

Chine lrsquoInde le Breacutesil et mecircme la Russie Ilsmettent en œuvre des politiques industriellestregraves actives visant agrave faire eacutemerger des firmesinternationalement compeacutetitives dans pra-tiquement tous les secteurs industriels enutilisant toutes les armes agrave leur disposition protection de leur marcheacute inteacuterieur incita-tions aux investissements directs des firmesglobales et aux laquo joint ventures raquo avec lesfirmes locales pour transfeacuterer les savoirs et lessavoir-faire irrespect des normes eacutetrangegraveresconcernant la proprieacuteteacute intellectuelle subven-tions financement bancaire privileacutegieacutehellip

Le retour de la politiqueindustrielle en Europe

La politique de compeacutetitiviteacuteallemande et ses conseacutequences

Sans employer le terme de politique indus-trielle lrsquoAllemagne a ouvert en Europe unenouvelle peacuteriode avec les lois Hartz adopteacuteesen 2003-2005 sous le gouvernement social-deacutemocrate-vert de Gerhard Schroumlder Ces loislonguement neacutegocieacutees avec les syndicatsreacuteforment en profondeur certains aspects dulaquo modegravele social raquo allemand Elles visent enabaissant le coucirct du travail et en deacuteveloppantsa laquo flexibiliteacute raquo agrave augmenter la compeacutetitiviteacuteinternationale des entreprises exportatricesqui en Allemagne sont pour lrsquoessentiel desentreprises industrielles

Conseacutequence la compeacutetitiviteacute relative desautres pays drsquoEurope srsquoeacuterode Certainscomme la France traditionnellement exporta-teurs nets de biens manufactureacutes deviennentdeacuteficitaires En dix ans le solde de la balancecommerciale des biens manufactureacutes estpasseacute drsquoun exceacutedent drsquoenviron 25 milliardsdrsquoeuros agrave un deacuteficit du mecircme montant Quantau deacuteficit en eacutenergie et matiegraveres premiegraveresil oscille autour de 50 milliards drsquoeuros Lafinance globale permet certes agrave un pays devivre quelques anneacutees en deacuteficit commercialen srsquoendettant agrave lrsquoeacutetranger Mais on ne peut

srsquoendetter indeacutefiniment et il faut donc trouverles moyens de reacuteduire le deacuteficit commercial

Les services et lrsquoindustriede haute technologie insuffisantspour combler le deacuteficit exteacuterieur

Or en la matiegravere nous devons nous deacutefaireau plus vite de deux illusions encore tenacesLa premiegravere est que les exportations de ser-vices pourraient combler les deacuteficits indus-triels Les services ne repreacutesentent que 20 du commerce mondial une part stable depuisdix ans En 2010 le solde positif des eacutechangesde services de tourisme un secteur ougrave pour-tant la France excelle srsquoeacutelevait agrave 53 milliardsdrsquoeuros Dans le mecircme temps les autres ser-vices affichaient un deacuteficit de 12 milliarddrsquoeuros Espegravere-t-on que leur deacuteveloppementcomblera le deacuteficit industriel

La seconde illusion est qursquoil suffirait de conforter nos points forts dans les indus-tries de haute technologie (aeacuteronautiquepharmacie eacutelectronique deacutefense) ou de marques (luxe une partie de lrsquoagroalimen-taire etc) Ces deux secteurs ne repreacutesen-tent que 18 de la valeur ajouteacutee et 12 de lrsquoemploi industriel en France Depuis cinq ans ils ont agrave peine reacuteussi agrave mainte-nir le nombre de leurs emplois tandis que des secteurs repreacutesentant 40 des emplois industriels sont menaceacutes de disparition si les tendances actuelles agrave la deacutesindustriali-sation se poursuivent1

En reacutealiteacute les distinctions entre industrieset services ou entre haute et basse technolo-gie sont deacutepasseacutees Lrsquoindustrie et les servicesforment deacutesormais un systegraveme inteacutegreacute Pasde services sans infrastructures de reacuteseauxsans biens drsquoeacutequipement et de consomma-tion Pas drsquoindustrie sans de nombreux ser-vices drsquoailleurs souvent externaliseacutes Il estpar ailleurs absurde drsquoimaginer une divisioninternationale du travail entre pays laquo intel-lectuels raquo concepteurs et creacuteateurs et payslaquo manuels raquo fabricants et exeacutecutants On nepeut en effet innover durablement loin desusines et des consommateurs

[1] Chiffres extraitsdrsquoune eacutetude du

McKinsey GlobalInstitute posteacutee sur sonsite en 2011 Reproduits

dans Giraud P-Net Weil T (2013)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 108

Emplois nomadesemplois seacutedentaires

Pour mieux analyser la dynamique de la glo-balisation il faut deacutesormais distinguer lesemplois laquo nomades raquo et laquo seacutedentaires raquo2 Lespremiers sont les emplois directement expo-seacutes agrave la compeacutetition internationale car ilsproduisent des biens et des services eacutechan-geables internationalement Ce sont lesemplois de lrsquoindustrie manufacturiegravere maisaussi de lrsquoagriculture et de certains servicescomme le tourisme ainsi que de maniegraverecroissante les services qui peuvent ecirctre ren-dus agrave distance gracircce agrave internet certains ser-vices aux entreprises services financiers deconseil de comptabiliteacute les laquo call centers raquo etchellip Ces emplois sont par nature laquo deacuteloca-lisables raquo degraves qursquoils perdent leur compeacutetiti-viteacute dans un pays donneacute ils reacuteapparaissentmais dans un autre Les emplois seacutedentairesquand agrave eux produisent exclusivement desbiens et services consommeacutes localement Lagrande majoriteacute sont des emplois de service santeacute eacuteducation administration publiqueservices agrave la personne commerce de deacutetailtransports nationaux mais pas seulement Lebacirctiment et les travaux publics les industriesde mateacuteriaux de construction qui voyagentpeu comme le ciment la production et ladistribution drsquoeau drsquoeacutelectriciteacute offrent desemplois seacutedentaires

Dans chaque pays les travailleurs laquo seacuteden-taires raquo ont tout inteacuterecirct agrave ce que les emploislaquo nomades raquo localiseacutes sur leur territoire soientnombreux et tregraves bien payeacutes car dans ce casils achegravetent en plus grande quantiteacute les bienslocaux que les seacutedentaires produisent et ilsles laquo tirent raquo ainsi vers le haut En revancheles travailleurs laquo nomades raquo ont inteacuterecirct agrave ceque leurs laquo seacutedentaires raquo soient pauvres afinqursquoils leur fournissent des biens et serviceslocaux agrave bas prix dont certains sont des fac-teurs de production Ainsi un informaticienindien formeacute agrave Stanford et rentreacute agrave Banga-lore aura un salaire bien infeacuterieur agrave celui deson collegravegue resteacute en Californie Il sera doncagrave compeacutetence eacutegale plus compeacutetitif que lui

dans lrsquoaregravene mondiale des services infor-matiques Cependant il vivra mieux avec cesalaire agrave Bangalore qursquoagrave Palo Alto En effeten Inde on peut srsquooffrir une tregraves belle maisonet trois domestiques pour beaucoup moinsdrsquoargent qursquoen Californie les ouvriers dubacirctiment et les fournisseurs de services agrave lapersonne y eacutetant encore tregraves pauvres

Cette divergence drsquointeacuterecircts entre emploisnomades et seacutedentaires au sein drsquoun mecircmeterritoire signe la fin de la solidariteacute eacutecono-mique objective du modegravele des Trente Glo-rieuses On assiste au contraire agrave lrsquoextensiondu laquo modegravele indien raquo ougrave des icirclots de prospeacute-riteacute peupleacutes de travailleurs nomades globa-liseacutes peu nombreux mais tregraves riches flottentsur un oceacutean de seacutedentaires pauvres Or lesEacutetats-Unis dans une moindre mesure lrsquoAlle-magne et mecircme la France se rapprochentde ce modegravele tregraves ineacutegalitaire En 2008 lenombre drsquoemplois nomades nrsquoest plus que de11 aux Eacutetats Unis 15 en France et 21 en Allemagne Dans ces deux derniers paysil a diminueacute de pregraves drsquoun tiers en vingt ansLa valeur ajouteacutee par emploi nomade est auxEacutetats Unis de 43 supeacuterieure agrave la valeurajouteacutee par emploi seacutedentaire de 15 enAllemagne Les eacutecarts de revenus salariauxentre les nomades et les seacutedentaires se sontaccrus de 30 en Allemagne Ce pays estdeacutesormais confronteacute agrave un nombre significatifde laquo travailleurs pauvres raquo essentiellementdans les secteurs seacutedentaires avec en 201071 des actifs gagnant moins de 940 eurospar mois et 75 millions drsquoemployeacutes avec unsalaire horaire infeacuterieur agrave 926 euros bruts

Quelle politique industrielleen France et en Europe Pour inverser cette tendance et maintenircreacuteer et attirer en France beaucoup plusdrsquoemplois nomades il faut absolument deacuteve-lopper lrsquoindustrie manufacturiegravere et lesservices nomades Cela exige drsquoagir agrave troisniveaux ougrave se deacutecline donc un programme

[2] Sur ces conceptset leur usagecf Giraud P-N (2012)La mondialisationEacutemergences etfragmentations AuxerreSciences HumainesEacuteditions

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS109

de politique industrielle pour la France etlrsquoEurope aujourdrsquohui

Premier niveau laquo balayer devant notre porte raquo

Il est impeacuteratif drsquoagir au niveau national pourcombler lrsquoeacutecart de compeacutetitiviteacute qui srsquoestcreuseacute avec les meilleurs Europeacuteens lrsquoAlle-magne et la Suegravede Les raisons du deacutecrochagede lrsquoindustrie franccedilaise sont bien identifieacuteesLa plupart de nos faiblesses relegravevent drsquoundeacuteficit de laquo capital social raquo de confiance entreles nombreuses parties prenantes Les effortsagrave fournir concernent notamment la formationinitiale et permanente les relations socialesla gouvernance et le financement des entre-prises une fiscaliteacute non peacutenalisante lisible etstable un financement des transferts sociauxqui pegravese moins sur le travail plus de solida-riteacute et de relations entre les acteurs pour deacuteve-lopper des synergies territoriales et au seindes filiegraveres une simplification des rapportsaux administrations Tout cela au servicedrsquoune indispensable laquo monteacutee en gamme raquopermettant de reconstituer les marges desentreprises et de retrouver une compeacutetitiviteacutecomparable agrave celle des meilleurs EuropeacuteensLrsquoessentiel de cet effort repose sur les entre-prises elles-mecircmes et leur parties prenantesMais lrsquoEacutetat peut et doit les soutenir Le rap-port Gallois (2013) deacutecrit en deacutetail ces actionsde politique eacuteconomique dont lrsquoessentielsont horizontales srsquoadressant au tissu pro-ductif dans son ensemble et non agrave tel secteuren particulier

Deuxiegraveme niveau lrsquoEurope

Agrave lrsquoeacutechelon europeacuteen la prioriteacute est drsquoeacutevi-ter que la concurrence entre pays membrespousse chacun au moins-disant social et fiscaldans une course suicidaire Il srsquoagit ensuitede reconnaicirctre qursquoil est impossible que lrsquoEu-rope du Nord ndash avec son hinterland lrsquoEuropede lrsquoEst ndash se speacutecialise seule dans lrsquoindustrieQue lui vendront alors les pays drsquoEurope duSud Du tourisme De lrsquohuile drsquoolive et duvin Il faut donc eacutelaborer et mettre en œuvre

une politique industrielle strateacutegique euro-peacuteenne qui favorise une meilleure reacutepartitionde lrsquoindustrie au sein des territoires et contri-bue ainsi agrave la convergence des eacuteconomies despays de lrsquoUnion

Troisiegraveme niveau le monde

LrsquoEurope si elle srsquoengage dans la voie duregraveglement de ses problegravemes internes quisont consideacuterables doit aussi neacutegocier avecles pays eacutemergents la question de la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie En raison degigantesques imperfections de marcheacute et dedeacutefauts manifestes de coopeacuteration la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie est aujourdrsquohuifortement sous-optimale Il y en a dramati-quement trop peu en Afrique le geacuteant deacutemo-graphique de demain Il y en a deacutesormaistrop peu en Europe et en Ameacuterique du NordEn Asie agrave lrsquoinverse elle est trop extravertieIl serait eacutevidemment dans lrsquointeacuterecirct collectifque les firmes des pays asiatiques eacutemergentsmais aussi du Breacutesil investissent encore plusmassivement dans lrsquoindustrie manufactu-riegravere en Afrique que les pays eacutemergents serecentrent sur leur marcheacute inteacuterieur et sefixent comme objectif de reacuteduire les immensesineacutegaliteacutes qui se sont creuseacutees ou persistenten leur sein et qursquoenfin lrsquoEurope cesse de sedeacutesindustrialiser en deacutetruisant de maniegraveremassive un capital humain et social qursquoil seratregraves difficile voire impossible de reconstituerlorsque les pays eacutemergents auront perdu leurcompeacutetitiviteacute dans des segments entiers deschaicircnes de valeur ougrave ils excellent aujourdrsquohui

Pour parvenir agrave une meilleure reacutepartition agravelong terme fort beacuteneacutefique agrave tous de lrsquoindus-trie mondiale il est indispensable de privileacute-gier la neacutegociation et la coopeacuteration avec lespays eacutemergents Une combinaison neacutegocieacuteede politiques macro-eacuteconomiques de changeet industrielles est certainement le meilleurmoyen drsquoatteindre les objectifs de reacuteeacutequili-brage de lrsquoindustrie-services dans le mondeMais dans toute neacutegociation il faut disposerdrsquoun plan B Nous avons proposeacute qursquoen casdrsquoimpossibiliteacute de neacutegocier lrsquoEurope impose

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 110

dans certaines industries des normes devaleur ajouteacutee locale minimale pour avoiraccegraves au marcheacute europeacuteen agrave lrsquoimage de ceque font les pays eacutemergents comme la Chineainsi que des standards environnementauxplus strict et eacutequivalents agrave ceux qursquoelle srsquoim-pose agrave elle-mecircme Le maicirctre mot est ici laquo reacuteci-prociteacute raquo avec des pays qui sont deacutesormaissur le plan technologique des eacutegaux

En France ce qui est essentiel aujourdrsquohuiest de prendre conscience de lrsquoimportance deces enjeux de lrsquourgence drsquoavancer simultaneacute-ment sur les trois fronts qui viennent drsquoecirctreeacutevoqueacutes et de se remettre agrave laquo aimer notreindustrie raquo3

GALLOIS L (2013) laquo Pactepour la compeacutetitiviteacute delrsquoindustrie franccedilaise raquo rapportau Premier Ministre ParisLa Documentation franccedilaise

GIRAUD P-N etWEIL T(2013) Lrsquoindustrie franccedilaisedeacutecroche-t-elle ParisLa Documentation franccedilaisecoll laquo Docrsquoen poche raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

[3] Ces analyses etces propositions sontdeacuteveloppeacutees dans Giraud P-N et WeilThierry (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION111

MICHEL RAINELLI

Universiteacute Nice Sophia Antipolis

Lrsquoobjectif de la politique commerciale est de modifier les flux des eacutechanges commerciaux dans un sens favorable agrave la nation geacuteneacuteralement en augmentant les exportations et en diminuant les importations dans le but de favoriser les entreprises domestiques et de sauvegarder des emplois Depuis lrsquoapregraves-guerre la politique commerciale des pays industrialiseacutes est largement orienteacutee par la libeacuteralisation multilateacuterale des eacutechanges orchestreacutee par le GATT puis lrsquoOMC Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances dans le cadre de la mondialisation a toutefois consideacute-rablement accru la concurrence internationale pour les pays avanceacutes ce qui a fait ressurgir la tentation protectionniste et exacerbeacute les tensions Nord-Sud La crise nrsquoa fait qursquoaggraver la situation Le blocage du cycle de Doha pour le deacuteveloppement patent depuis 2005 lrsquoatteste Selon Michel Rainelli il ne faudrait toutefois pas en conclure agrave une fin des accords de libre-eacutechange et de lrsquoinfluence de lrsquoOMC celle-ci reste essentielle sur le plan de la gestion des diffeacuterends commerciaux et de nombreux accords bilateacuteraux pallient en partie les faiblesses actuelles du multilateacuteralisme

Problegravemes eacuteconomiques

La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation

Lrsquoobjectif de la politique commerciale estdrsquoinfluencer les flux des eacutechanges interna-tionaux les nations cherchant agrave deacutevelop-per leurs exportations agrave restreindre leursimportations ou encore agrave jouer simultaneacute-ment sur les deux Sans cette intervention leseacutechanges entre les pays srsquoexpliqueraient parles diffeacuterents deacuteterminants eacutetudieacutes par lestheacuteories du commerce international commepar exemple les avantages comparatifs lesrendements drsquoeacutechelle croissants la diffeacute-renciation des produits mais aussi par les

obstacles geacuteographiques les coucircts du trans-port des marchandises etc1

La politique commerciale a donc pour butde modifier la speacutecialisation internationalelaquo spontaneacutee raquo Lrsquoobjectif principal est drsquoaug-menter par une baisse des importations ouune promotion des exportations le niveaudrsquoactiviteacute de lrsquoeacuteconomie du pays principa-lement pour agir sur le niveau de lrsquoemploiLes gouvernements disposent drsquoune gammedrsquoinstruments importante lorsqursquoil srsquoagitdrsquoinfluencer leurs importations alors quelrsquoaction sur les exportations repose sur desvariables moins nombreuses et surtout plusindirectes La politique commerciale effecti-vement mise œuvre par les gouvernementsest tregraves deacutependante de lrsquoenvironnement[1] Voir Rainelli M (2009)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 112

eacuteconomique geacuteneacuteral et de la conjoncture lespeacuteriodes de crise eacutetant caracteacuteriseacutees par destensions protectionnistes tandis que la crois-sance favorise le libre-eacutechange Mais la poli-tique commerciale deacutepend aussi fortementdes caracteacuteristiques du commerce internatio-nal et de lrsquoexistence drsquoorganisations interna-tionales deacutedieacutees agrave la reacutegulation des eacutechanges

Les instrumentsde la politique commercialeAgir sur les importationsIl existe de nombreuses possibiliteacutes permet-tant de rencheacuterir les prix des biens et ser-vices importeacutes ou agrave lrsquoextrecircme drsquointerdireleur accegraves au marcheacute

Lrsquoinstrument classique est lrsquoinstauration drsquoundroit de douane qui augmente le prix du biensur le marcheacute national et assure de surcroicirctdes recettes fiscales Crsquoest la forme la plusancienne du protectionnisme connue sousle nom de barriegraveres tarifaires Il existe parailleurs un ensemble de mesures regroupeacuteessous le nom de barriegraveres non tarifaires quirecouvrent des instruments divers comme lerecours agrave des limitations quantitatives drsquoac-cegraves au marcheacute avec des quotas (les importa-tions ne peuvent concerner qursquoun contingentdu marcheacute national) lrsquoinstauration de normestechniques ou sanitaires qui empecirccherontdes produits eacutetrangers ne les satisfaisantpas drsquoecirctre vendus dans le pays ou encore desreacuteglementations diverses Dans tous les cassoit via une augmentation des prix soit viaune restriction de lrsquoaccegraves au marcheacute lrsquoins-tauration de barriegraveres tarifaires ou non tari-faires permet de proteacuteger les producteursnationaux de la concurrence eacutetrangegravere

Agir sur les exportationsLorsqursquoune nation veut promouvoir ses expor-tations elle cherche agrave diminuer les coucircts pourles entreprises preacutesentes agrave lrsquointernationaldonc agrave abaisser leurs prix sur le marcheacute mon-dial lrsquooutil le plus eacutevident est alors celui de

subventions agrave la production ou la diminu-tion des charges pesant sur les entreprisesexportatrices Les pouvoirs publics peuventaussi jouer sur drsquoautres paramegravetres influantla speacutecialisation internationale en favori-sant les innovations par des subventions agrave larecherche et deacuteveloppement (RampD) en faci-litant les transferts entre recherche publiqueet recherche priveacutee Ils peuvent eacutegalementdeacutevelopper une politique drsquoattraction drsquoen-treprises eacutetrangegraveres qui exporteront agrave par-tir de leur nouveau territoire drsquoimplantationPour lrsquoessentiel ces diffeacuterentes interventionsrelegravevent de la politique industrielle2 Uneautre option est en preacutesence de barriegraveres aucommerce international drsquoentrer dans desneacutegociations avec drsquoautres nations afin delibeacuteraliser les eacutechanges

Les actions sur le taux de changeUne autre politique publique a un impact surles flux commerciaux mecircme si ce nrsquoest pasneacutecessairement sa fonction premiegravere il srsquoagitde la politique moneacutetaire qui peut influencerle taux de change Ainsi une politique moneacute-taire expansive conduit agrave une deacutepreacuteciation dela monnaie nationale qui diminue le prix desexportations et augmente celui des impor-tations Lrsquoexemple japonais entre la fin 2012et le deacutebut 2013 en est une parfaite illustra-tion lrsquoinjection massive de liquiditeacutes par laBanque centrale du Japon avec un objectifde doublement de la quantiteacute de monnaie encirculation dans un deacutelai de deux ans a pourobjectif premier de sortir le pays de la deacutefla-tion en favorisant lrsquoinflation Mais cette poli-tique a un effet secondaire conduisant entrenovembre 2012 et mars 2013 agrave une baisse deplus de 20 du taux de change du yen parrapport au dollar Cependant les premiersreacutesultats indiquent que les importations ontcrucirc plus rapidement que les exportations etdonc que le deacuteficit commercial srsquoest dans unpremier temps creuseacute Le pari des autoriteacutesjaponaises est que le mouvement srsquoinverseradans un deuxiegraveme temps et que la deacutepreacutecia-tion du yen va contribuer agrave lrsquoaccroissementdes exportations (cf zoom)

[2] Sur la politiqueindustrielle voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de P-N Giraudpp 104-110

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 113

Le recours par un gouvernement aux instru-ments de la politique commerciale deacutependde la croyance dans ses effets sur lrsquoeacuteconomienationale et du contexte geacuteneacuteral

Les orientations de la politiquecommercialeLes controverses de lrsquoanalyseeacuteconomiqueLes preacuteconisations de lrsquoanalyse eacuteconomiqueen matiegravere de politique commerciale sontcontroverseacutees Il existe une opposition degravesle XIXe siegravecle entre les deacutefenseurs du libre-eacutechange David Ricardo eacutetant le plus ceacutelegravebreagrave cette eacutepoque et drsquoautres qui considegraverentagrave lrsquoinstar de Frederich List qursquoune protec-tion temporaire de la nation est un preacute-alable indispensable au deacuteveloppementeacuteconomique Le deacutebat entre ces deux thegravesesest constant les deacuteveloppements de lrsquoanalyseeacuteconomique conduisant agrave des reformulations

et agrave de nouveaux arguments comme cela aeacuteteacute le cas dans les anneacutees 1980 avec la theacuteoriede la politique commerciale strateacutegique deacuteve-loppeacutee par Paul Krugman3 La politique com-merciale adopteacutee deacutepend donc de lrsquoadheacutesiondu gouvernement en place agrave la supeacuterioriteacute dulibre-eacutechange sur le protectionnisme maisaussi de la capaciteacute des groupes de pressionagrave traduire la deacutefense de leurs inteacuterecircts dansles options de lrsquoaction publique En effet lecommerce international toutes choses eacutegalespar ailleurs a un impact positif sur les sec-teurs exportateurs et neacutegatif sur les secteursconcurrenceacutes par les importations principa-lement par lrsquoaction de la concurrence interna-tionale sur les prix Les agents eacuteconomiquessalarieacutes et capitalistes affecteacutes par la concur-rence internationale sont donc tregraves inciteacutes agravedeacutefendre une politique protectionniste quiles proteacutegera et eacutevitera une remise en causede leurs emplois ou de leurs profits Dans lemecircme temps les agents qui beacuteneacuteficient dudeacuteveloppement des exportations seront pous-seacutes agrave deacutefendre le libre-eacutechange par crainte de

TTAAUX DE CHANGEUX DE CHANGEET SOET SOLLDE CDE COMMEROMMERCIACIALLSelSelon la theacuteorie eacutecon la theacuteorie eacuteconomique lonomique lrsquoameacuteliorrsquoameacuteliorationation

du solde cdu solde commerommercial qui peut ecirctrcial qui peut ecirctre atte attendueendue

drsquoune deacuteprdrsquoune deacutepreacuteciation du teacuteciation du taux de change nrsquoesaux de change nrsquoestt

ni immeacutediatni immeacutediate ni aute ni automatique Ellomatique Elle deacutepende deacutepend

de cde certertaines caines conditions et surtonditions et surtout ellout elle nee ne

se prse produit en geacuteneacuteroduit en geacuteneacuteral qursquoapral qursquoapregraves un tegraves un tempsemps

drsquoajusdrsquoajusttementement

Dans lDans le ce cas las le plus clase plus classique lsique le soldee solde

ccommerommercial suit une laquocial suit une laquo ccourbe en Jourbe en J raquoraquo

la deacuteprla deacutepreacuteciation de la monnaie nationaleacuteciation de la monnaie nationalee

ccommencommence par deacutete par deacuteteacuterioreacuteriorer ler le solde ce solde commerommercialcial

En effEn effet crsquoeset crsquoest dans un prt dans un premier temier temps lemps lrsquo laquorsquo laquo effeffet-et-

prixprix raquo qui domineraquo qui domine la bais la baisse du changese du change

rrencheacuterit lencheacuterit les biens importes biens importeacutes reacutes relativelativementement

aux biens eaux biens exportxporteacutes Si leacutes Si les ves volumes eacutechangeacutesolumes eacutechangeacutes

rresesttent lent les mecircmes les mecircmes le solde ce solde commerommercial secial se

crcreuse auteuse automatiquement Dans un secomatiquement Dans un secondond

ttemps lemps les quantites quantiteacutes seacutes srsquoadaptrsquoadaptent au nouvent au nouveaueau

prix ndash theacuteoriquement lprix ndash theacuteoriquement les quantites quantiteacutes eeacutes exportxporteacuteeseacutees

dedevrvraient augmentaient augmenter et ler et les quantites quantiteacuteseacutes

importimporteacutees deeacutees devrvraient diminuer ndash Cet laquoaient diminuer ndash Cet laquo effeffet-et-

vvolumeolume raquo lraquo lrsquoemportrsquoemporte geacuteneacutere geacuteneacuteralalement dans unement dans un

secsecond tond temps sur lemps sur lrsquoeffrsquoeffet-prix Mais cet-prix Mais celaela

deacutepend des eacutelasdeacutepend des eacutelasticitticiteacutes-prix des eeacutes-prix des exportxportationsations

et des importet des importations crsquoesations crsquoest-agrave-dirt-agrave-dire de lae de la

laquolaquo rreacuteactiviteacuteactiviteacuteeacute raquo des quantitraquo des quantiteacutes importeacutes importeacutees eteacutees et

eexportxporteacutees aux veacutees aux variations de prix En lariations de prix En lrsquoabsencrsquoabsencee

de subsde substituts la demande de biens importtituts la demande de biens importeacuteseacutes

diminuerdiminuera peu mecircme si la peu mecircme si les prix augmentes prix augmententent

Quand aux quantitQuand aux quantiteacutes eeacutes exportxporteacutees elleacutees elles nees ne

pourrpourront augmentont augmenter que si ler que si les entres entrepriseseprises

sont en mesursont en mesure drsquoace drsquoaccrcroicirctroicirctre le leur preur production etoduction et

qursquoil ne sqursquoil ne srsquoagit pas drsquoun sectrsquoagit pas drsquoun secteur dans leur dans lequel laequel la

demande esdemande est saturt satureacuteeeacutee

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

[3] Voir Rainelli M (2003)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 114

repreacutesailles eacutemanant des nations toucheacuteespar lrsquoinstauration du protectionnisme

Les politiques commercialesdans une perspective historique

Dans une perspective drsquohistoire eacuteconomiqueon note que le libre-eacutechange a de grandesdifficulteacutes agrave srsquoimposer et que les phases decrise sont marqueacutees par un retour du pro-tectionnisme le cas de la crise de 1929 eacutetantlrsquoexemple le plus net de lrsquoenchaicircnement quipeut srsquoinstaurer sous la forme drsquoune guerrecommerciale Lorsqursquoune nation confronteacuteeagrave une reacutecession prend lrsquoinitiative de mesuresprotectionnistes pour tenter de relancer soneacuteconomie elle deacuteclenche des contre-mesuresdes pays dont les exportations sont affecteacuteesdans une escalade protectionniste qui a glo-balement pour effet drsquoaggraver la crise LesEacutetats-Unis qui ont pris lrsquoinitiative en 1930drsquoune hausse tregraves significative de leur tarifdouanier ont ainsi deacuteclencheacute une guerre com-merciale en raison des reacutetorsions des grandespuissances europeacuteennes Cette escalade a eacuteteacutele facteur essentiel expliquant lrsquoeffondrementdu commerce mondial entre 1930 et 1935

Agrave la sortie de la Seconde Guerre mondialecette expeacuterience historique conduite agrave lacreacuteation en 1947 du GATT (General Agree-ment on Tariffs and Trade) auquel succeacute-dera en 1995 lrsquoOrganisation mondiale ducommerce (OMC)4 LrsquoOMC qui compte en 2013159 nations a deux fonctions compleacutemen-taires reprises de celles du GATT eacutelaborerdes regravegles qui limitent fortement le recoursau protectionnisme et organiser des cyclesde neacutegociations commerciales multilateacuteralesayant pour but de libeacuteraliser les eacutechangesinternationaux La politique commercialesrsquoinscrit donc pour les nations membres delrsquoOMC qui reacutealisent environ 95 du com-merce mondial dans un cadre contraint parles regravegles de lrsquoorganisation Certains outils dela politique commerciale sont prohibeacutes pourles membres de lrsquoOMC comme les subven-tions agrave lrsquoexportation pour les marchandises

drsquoautres sont tregraves eacutetroitement limiteacutes commeles restrictions quantitatives

La politique commercialedans le nouveau contexteeacuteconomique international

La mondialisation commerciale contempo-raine srsquoinscrit donc dans un contexte institu-tionnel qui contraint la politique commercialeMais la progression de la mondialisationchange le contexte dans lequel les nationssont confronteacutees agrave la concurrence internatio-nale et a un impact sur les politiques misesen œuvre Si lrsquoon considegravere la mondialisationreacutecente uniquement dans sa dimension com-merciale une tendance de fond eacutemerge

On assiste agrave une redistribution geacuteographiquede la place des nations dans les eacutechangesinternationaux avec la monteacutee de lrsquoAsie et aupremier chef de la Chine Drsquoapregraves les donneacuteesde lrsquoOMC entre 1993 et 2011 la part de lrsquoAsiedans les exportations mondiales de marchan-dises est passeacutee de 261 agrave 311 (celle dela Chine devenue premier exportateur mon-dial passe de 25 agrave 107 celle de lrsquoInde de06 agrave 17 pendant que le Japon passe de 99agrave 46 ) alors que les Eacutetats-Unis reacutegressentde 126 agrave 83 la France de 6 agrave 33 leRoyaume-Uni de 49 agrave 27 lrsquoAllemagne de103 agrave 83 5 La conseacutequence immeacutediate estque la question de la politique commercialedes grands pays du Nord se pose de plus enplus agrave lrsquoeacutegard des nations du Sud mecircme sidans certains secteurs lrsquoopposition entre lesEacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne (UE) esttoujours drsquoactualiteacute comme le deacutemontrentles diffeacuterends commerciaux entre Airbus etBoeing pour lrsquoaeacuteronautique ou sur le recoursaux organismes geacuteneacutetiquement modifieacutes(OGM) dans lrsquoagriculture

La nouvelle donne geacuteographique a une conseacute-quence significative sur la politique com-merciale en raison de la concurrence exerceacuteesur les marcheacutes des pays du Nord par desmarchandises en provenance de nationscaracteacuteriseacutees par un environnement socialet reacuteglementaire reposant sur des normes

[4] Voir Rainelli M (2011)

[5] OMC (2012)Statistiques ducommerce mondialhttpwtoorgfrenchres_fstatis_fits2012_fits12_world_trade_dev_fpdfTab I5 p 24 et TabI7 p 26

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 115

beaucoup moins contraignantes Ces diffeacute-rences de normes sont agrave lrsquoorigine drsquoaccusa-tions de concurrence deacuteloyale qui nourrissentdes demandes reacutepeacuteteacutees de mesures protec-tionnistes en Europe comme aux Eacutetats-Unissoit de maniegravere geacuteneacuteraliseacutee les produitsprovenant de pays drsquoAsie devant faire lrsquoobjetde mesures correctrices aux frontiegraveres parlrsquoimposition de droits de douane significatifssoit plus ponctuellement avec des justifica-tions diverses selon les secteurs concerneacutes

Une bonne indication des politiques commer-ciales speacutecifiques est donneacutee par les diffeacute-rends commerciaux soumis agrave lrsquoORD (Organedes regraveglements des diffeacuterends) de lrsquoOMCLorsqursquoun membre de lrsquoOMC considegravere qursquounautre membre viole une de ses obligations ilpeut soumettre ce diffeacuterend agrave lrsquoORD lrsquoexa-men des plaintes deacuteposeacutees permet de mettreen perspective la nature des conflits com-merciaux6 Les diffeacuterends les plus reacutecentsrelegravevent dans leur tregraves grande majoriteacute deplaintes de pays du Nord contre des pays du

Sud qui sont accuseacutes de ne pas respecter desnormes sanitaires ou de pratiquer du dum-ping par exemple en subventionnant desentreprises exportatrices ce qui leur permetde vendre agrave un prix infeacuterieur au coucirct de pro-duction (cf Zoom) Si le dumping est eacutetabli lanation leacuteseacutee est autoriseacutee agrave instaurer un droitde douane compensant lrsquoavantage indu

Les demandes de protection geacuteneacuteraliseacuteecontre les importations en provenance de cer-tains pays du Sud sont justifieacutees par les dif-feacuterences tregraves importantes dans les domainesdes droits sociaux des travailleurs parlrsquoinexistence de reacuteglementation environne-mentale par la sous-eacutevaluation de la monnaienationale (dans le cas de la Chine le taux dechange du yuan nrsquoest pas fixeacute sur le marcheacutecar la monnaie nrsquoest pas convertible) Il srsquoagitdrsquoune nouvelle formulation des arguments enfaveur du protectionnisme qui nrsquoest plus fon-deacutee comme chez List par la neacutecessiteacute de per-mettre agrave un pays de se deacutevelopper mais surlrsquoideacutee que le commerce international met en

[6] La liste des diffeacuterendscommerciaux est

disponible sur le siteinternet de lrsquoOMC

httpwtoorgfrenchtratop_fdispu_fdispu_

status_fhtm

LES PLES PANNEAANNEAUXUXPHOPHOTTOOVVOOLLTTAIumlQUES CHINOISAIumlQUES CHINOISUN EXEMPUN EXEMPLLE DE DIFFEacuteRENDE DE DIFFEacuteRENDCCOMMEROMMERCIACIALLLe cLe cas des panneaux photas des panneaux photoovvoltoltaiumlques chinoisaiumlques chinois

esest une illust une illustrtration drsquoune politique cation drsquoune politique commerommercialcialee

agragresessivsive Le gouve Le gouvernement chinois dans lernement chinois dans lee

ccadradre de sa politique induse de sa politique industrielltrielle a fe a favavoriseacuteoriseacute

lle deacutee deacutevveleloppement drsquoentroppement drsquoentreprises preprises produisantoduisant

des panneaux photdes panneaux photoovvoltoltaiumlques graiumlques gracirccacircce agrave dese agrave des

aides publiques principalaides publiques principalement sous fement sous formeorme

de prde precircts bancecircts bancairaires La ces La capacitapaciteacute de preacute de productionoduction

des entrdes entreprises chinoises a reprises chinoises a rapidement capidement connuonnu

une crune croisoissancsance ce consideacuteronsideacuterablable qui fe qui fait drsquoellait drsquoelles les leses

prpremieremiers prs productoducteureurs mondiaux avs mondiaux avec 65ec 65 de de

la prla production mondialoduction mondiale Le mare Le marcheacute eurcheacute europeacuteenopeacuteen

esest lt le pre premier maremier marcheacute agrave lcheacute agrave lrsquoersquoexportxportation de cation de ceses

firmesfirmes 80 80 des e des exportxportations chinoisesations chinoises

sont agrave dessont agrave destination de ltination de lrsquoUE pour une vrsquoUE pour une valaleureur

de 21de 21 milliarmilliards drsquoeurds drsquoeuros EU Pros EU Pro Sun uno Sun un

rregregroupement drsquoentroupement drsquoentreprises eureprises europeacuteennes duopeacuteennes du

sectsecteureur a deacuteposeacute une plaint a deacuteposeacute une plainte en juille en juilletet 20122012

ffondeacutee sur londeacutee sur lrsquoersquoexisxisttencence drsquoune drsquoun dumpingdumping et sur let sur lee

prpreacutejudiceacutejudice qui en re qui en reacutesulteacutesulte pour le pour les entres entrepriseseprises

eureuropeacuteennes (1)opeacuteennes (1) EU Pr EU Pro Sun a eacuteto Sun a eacutetabli une lisabli une listtee

de 45 entrde 45 entreprises eureprises europeacuteennes qui ont arropeacuteennes qui ont arrecirctecircteacuteeacute

la prla production ou ont supprimeacute des emploduction ou ont supprimeacute des emploisois

depuis 2010 en rdepuis 2010 en raison de caison de cettette ce concurroncurrencencee

deacuteldeacutelooyyalale (2) Le (2) Lrsquoinsrsquoinstruction de la plainttruction de la plainte ae a

ccommencommenceacute en septeacute en septembrembree 2012 et en mai2012 et en mai 20132013

lle ce commisommissairsaire eure europeacuteen au Commeropeacuteen au Commercce ae a

prproposeacute drsquoeacutetoposeacute drsquoeacutetablir une tablir une taxaxe de 47e de 47 sur l sur leses

importimportations de panneaux solairations de panneaux solaires chinoises chinois

Michel RainelliMichel Rainelli

(1)(1) VVoir httpeuroir httpeuropaeuropaeurapidprapidpress-ress-release MEMO-elease_MEMO-12-647 fr12-647_frhtmhtm

(2)(2) VVoir httpwwwoir httpwwwprprosunorosunorgfrla-concurrgfrla-concurrence-ence-loloyyaleune-situaaleune-situation-prtion-preoccupantehtmleoccupantehtml

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 116

concurrence des espaces eacuteconomiques forte-ment diffeacuterencieacutes et que srsquoinstaurerait ainsiune concurrence deacuteloyale entre les nationsneacutecessitant un correctif Si cette thegravese ren-contre un certain succegraves dans les syndicats agravela fois patronaux et de salarieacutes elle nrsquoa qursquounfaible eacutecho chez les eacuteconomistes et les partispolitiques au pouvoir dans les pays du Nord

La politique commerciale et lrsquoOMCLes nations membres de lrsquoOMC se sont enga-geacutees drsquoune part agrave respecter des accordscontraignant leurs politiques commercialesdans des domaines varieacutes et drsquoautre part agraveentrer dans des neacutegociations pour libeacuterali-ser le commerce mondial Alors que le GATTsrsquoest acheveacute par le cycle de lrsquoUruguay concluen 1993 qui a marqueacute une nouvelle eacutetape dansle mouvement de libeacuteralisation commenceacute en1947 lrsquoOMC devait organiser un nouveau cyclede neacutegociations selon les conclusions acquisesen 1993 en raison de problegravemes non reacutesolusnotamment dans lrsquoagriculture Lrsquoouverture deces neacutegociations inscrite agrave lrsquoagenda de lrsquoOMCa donneacute lieu agrave des oppositions marqueacutees lespays les moins deacuteveloppeacutes consideacuterant queles engagements du cycle de lrsquoUruguay devantleur profiter nrsquoeacutetaient pas tenus par les nationsdu Nord Ce nrsquoest qursquoen 2002 que les membresde lrsquoOMC ont engageacute le cycle de neacutegociationsbaptiseacute Programme de Doha pour le deacutevelop-pement La fin des neacutegociations eacutetait planifieacuteepour feacutevrier 2005 mais degraves le deacutebut les affron-tements Nord-Sud ont conduit agrave un blocageEneffet une des originaliteacutes de lrsquoOMC reprise desprincipes gouvernant le GATT est que chaquenation a un poids identique et que lrsquounanimiteacuteest neacutecessaire pour obtenir un accord Les paysdu Sud ont pour la premiegravere fois depuis 1947saisi la possibiliteacute qui leur eacutetait offerte drsquoem-pecirccher un accord qui ne leur convenait pas

Alors que le Programme de Doha pour le deacuteve-loppement a mis au premier plan le rocircle ducommerce international pour le deacuteveloppe-ment des nations les pays du Sud ont refuseacutedrsquoabaisser les protections de leurs marcheacutesnationaux dans lrsquoagriculture drsquoadopter une

politique nationale de la concurrence etc Lesconfeacuterences ministeacuterielles de lrsquoOMC qui per-mettent theacuteoriquement tous les deux ans defaire le point sur les avancements des neacutegocia-tions nrsquoont jamais permis de faire eacutemerger uneconvergence des points de vue Au contraireles nations du Sud se sont coaliseacutees derriegraverele Breacutesil la Chine et lrsquoInde pour srsquoopposer auxdemandes de libeacuteralisation des pays du Norden consideacuterant que les concessions offertesen eacutechange eacutetaient insuffisantes En deacutepit denombreuses tentatives pour relancer les neacutego-ciations leur aboutissement semble impos-sible mecircme si en mai 2013 elles ne sont pasofficiellement abandonneacutees

Cela implique-t-il que lrsquoOMC soit devenue uneinstitution qui nrsquoa plus drsquoobjet La reacuteponse agravecette question doit ecirctre nuanceacuteeTout drsquoabordles accords de lrsquoOMC jouent un rocircle de reacutegula-tion des politiques commerciales en permet-tant gracircce agrave lrsquoORD de sanctionner les mesuresqui sont contraires aux accords Il existe unegamme drsquointerventions publiques possiblesen particulier dans le cas de lrsquoanti-dumping mecircme si celles-ci srsquoexercent sous le controcircle delrsquoOMC lorsqursquoun diffeacuterend est soumis agrave lrsquoORDEnsuite la crise reacutecente a constitueacute un contre-exemple aux reacuteactions des Eacutetats lors de lacrise de 1929 Les nations du G20 se sont enga-geacutees en novembre 2008 lors de leur reacuteunion agraveWashington agrave ne pas recourir au protection-nisme engagement confirmeacute lors des reacuteunionssuivantes et agrave mettre en place un observa-toire gracircce agrave la collaboration de lrsquoOMC de laCNUCED et de lrsquoOCDE des mesures affectantles eacutechanges internationaux (Rainelli 2011)Le reacutesultat des recensements montre que lerecours au protectionnisme a eacuteteacute tregraves diversLa nation la plus active est lrsquoInde suivie parles Eacutetats-Unis LrsquoUE est beaucoup moinsconcerneacutee Le volume du commerce affecteacuterepreacutesente 18 des importations des pays duG20 soit 14 des importations mondiales Ladiffeacuterence de reacuteponse agrave la crise entre 1929 et lapeacuteriode actuelle reacuteside donc dans lrsquoexistenceaujourdrsquohui de lrsquoOMC comme le note PaulKrugman (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 117

Mais le blocage des neacutegociations commercialesqui signifie lrsquoeacutechec du Programme de Dohapour le deacuteveloppement ne signe pas neacutecessai-rement la fin de la libeacuteralisation des eacutechangesinternationaux en raison du deacuteveloppementdrsquoaccords bilateacuteraux de libre-eacutechange

Le renouveau des accordsbilateacuteraux de libre-eacutechangeLe GATT puis lrsquoOMC reposent sur le prin-cipe du multilateacuteralisme crsquoest-agrave-dire que lesavantages commerciaux consentis dans lesneacutegociations beacuteneacuteficient agrave tous les membresde lrsquoorganisation Le blocage du Programmede Doha a conduit les principaux acteurs ducommerce mondial souhaitant libeacuteraliser leseacutechanges agrave changer drsquoapproche en passant desaccords bilateacuteraux en dehors de lrsquoOMC bienqursquoils doivent theacuteoriquement obtenir son aval

Cette deacutemarche est suivie de maniegravere parallegravelepar les Eacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne quiont conclu des accords de libre-eacutechange avecde nombreux pays toutes les neacutegociationsnrsquoayant pas encore abouti La justification decette deacutemarche est exposeacutee par lrsquoUE si lrsquoen-semble des accords en cours de neacutegociationdevait aboutir le PIB de lrsquoUE augmenterait de22 et 22 millions drsquoemplois seraient creacuteeacutes7 Crsquoest ainsi qursquoapregraves lrsquoaccord avec la Coreacutee duSud entreacute en vigueur le 1er juillet 2011 lrsquoUEdoit encore finaliser les neacutegociations entre-prises avec lrsquoInde (commenceacutees en 2007) et leCanada (commenceacutees en 2009) La justificationde cette deacutemarche bilateacuterale outre le blocage

des neacutegociations de lrsquoOMC reacuteside dans la priseen compte de lrsquoensemble des barriegraveres auxeacutechanges entre les deux partenaires tarifaireset non tarifaires ainsi que dans lrsquoeacutetablisse-ment drsquoinstances permettant de veiller agrave labonne application de lrsquoaccord8

La rencontre des deacutemarches entreprises desdeux cocircteacutes de lrsquoAtlantique srsquoest produite enmars 2013 avec la deacutecision de la Commissioneuropeacuteenne drsquoapprouver le mandat de neacutego-ciation drsquoun accord de libre-eacutechange avec lesEacutetats-Unis qui selon des estimations devraitconduire agrave des gains de 119 milliards drsquoeurospar an une fois lrsquoaccord pleinement mis enœuvre

Au delagrave de la pertinence des estimations degains de ces accords qui peut ecirctre mise endoute le point important est lrsquoengagement versle libre-eacutechange que prennent lrsquoUnion euro-peacuteenne et les Eacutetats-Unis seacutepareacutement (les deuxpuissances ont ainsi conclu un accord avec laCoreacutee du Sud) et entre elles Lrsquoeacutechec du Pro-gramme de Doha pour le deacuteveloppement estainsi en train de conduire les nations les plusdeacuteveloppeacutees agrave eacutetablir des espaces de libre-eacutechange avec lrsquoambition de supprimer presquetoutes les barriegraveres au commerce entre ellesLa politique commerciale agrave lrsquoheure de la mon-dialisation qui se reacutevegravele au fil du temps estainsi celle drsquoune recherche drsquoune libeacuteralisa-tion seacutelective entre nations de mecircme niveaude deacuteveloppement qui serait porteuse de gainsde croissance En revanche les relations com-merciales avec les autres nations ne font pasjusqursquoagrave preacutesent lrsquoobjet drsquoune telle politique

[7] Voir httptradeeceuropaeudoclib

docs2012novembertradoc_150129pdf[11]

[8] Voir le bilan delrsquoapplication de lrsquoaccord

apregraves un an httpeuropaeurapidpress-

release_IP-12-708_frhtm

KRUGMAN P (2013) laquo The Protectionist Non-Surge raquo httpkrugmanblogsnytimescom20130429the-protectionist-non-surge

RAINELLI M (2003) La nouvelle theacuteorie du

commerce international ParisLa Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2009) Le commerce international Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2011) LrsquoOrganisation mondialedu commerce Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 118

UNION EUROPEacuteENNE-EacuteTATS-UNIS LES ENJEUXDrsquoUN ACCORDDepuis dix ans la carte du commerce mondial

a eacuteteacute chambouleacutee sous lrsquoimpulsion de deux

pheacutenomegravenes la reacutegionalisation des eacutechanges

entraicircneacutee par la signature de multiples accords

bilateacuteraux et lrsquoirreacutesistible deacuteplacement du

centre strateacutegique de la production et des

eacutechanges vers lrsquoAsie et le Pacifique aux deacutepens

de lrsquoEurope et des Eacutetats-Unis Le laquo partenariat

transatlantique pour le commerce et

lrsquoinvestissement raquo entre lrsquoUnion europeacuteenne

(UE) et les Eacutetats-Unis (EU) pourrait-il changer

cette dynamique mondiale Bien qursquoeacutetant

bilateacuteral un accord UE-EU serait un pas vers

un retour agrave une reconnaissance de la primauteacute

des regravegles commerciales multilateacuterales

Cette primauteacute a eacuteteacute affaiblie par la multitude

drsquoaccords preacutefeacuterentiels conclus agrave ce jour (pregraves

de 400) qui discriminent les pays exclus de ces

accords et contredisent le principe de non-

discrimination un des piliers des regravegles de

lrsquoOMC

Raviver la flamme multilateacuterale

Lrsquoaccord de libre-eacutechange Nord-ameacutericain

(ALENA) qui lie depuis vingt ans les Eacutetats-Unis

au Canada et au Mexique peacutenalise les pays

de lrsquoUE Quant agrave lrsquoUnion europeacuteenne plus

inteacutegreacutee (puisqursquoelle est une union douaniegravere

doteacutee drsquoun tarif exteacuterieur commun) elle

impose en moyenne des tarifs relativement

faibles sur les importations ameacutericaines mais

pourtant toujours plus eacuteleveacutes que ceux fixeacutes

par les Eacutetats-Unis Cette heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute est

flagrante par exemple pour les veacutehicules agrave

moteur (tarif huit fois plus eacuteleveacute pour lrsquoUE)

et lrsquoagroalimentaire (146 contre 33 )

Lrsquoaccord UE-EU creacuteant en 2015 la plus vaste

zone de libre-eacutechange au monde repreacutesentant

un tiers du commerce international et la

moitieacute du PIB mondial ouvrirait agrave nouveau la

voie agrave un systegraveme commercial multilateacuteral

solide Une telle zone ne pourrait en effet

qursquoinciter les pays tiers agrave se rapprocher de ses

preacuteceptes

Pourquoi se reacutejouir drsquoun retour agrave des regravegles

multilateacuterales Parce que de nombreux

problegravemes drsquoordre systeacutemique ne peuvent

ecirctre reacutesolus par des accords bilateacuteraux Crsquoest

le cas par exemple des regravegles drsquoorigine des

mesures anti-dumping ou des subventions

Comme le disait volontiers le directeur

geacuteneacuteral de lrsquoOMC Pascal Lamy laquo Un eacuteleveur

ou un pecirccheur lsquobilateacuteralrsquo des poulets ou des

poissons lsquobilateacuterauxrsquo cela nrsquoexiste pas raquo

Un gigantesque marcheacute transatlantique

ne sonnerait pas le glas de lrsquoOMC

contrairement agrave ce que pensent certains

mais raviverait la flamme multilateacuterale

Pour Jose Manuel Barroso preacutesident de la

commission europeacuteenne laquo il fixera la norme

non seulement pour le commerce et les

investissements transatlantiques mais aussi

pour le deacuteveloppement du commerce agrave travers

le monde raquo

Lrsquoaccord UE-EU est-il de nature agrave freiner

la perte de leadership des eacuteconomies de

lrsquoOuest Il comporte deux volets un volet

commerce des biens et services et un volet

investissements directs agrave lrsquoeacutetranger Dans

ces deux domaines les eacutechanges sont deacutejagrave

importants le commerce de biens entre

les deux continents repreacutesente plus de

670 milliards de dollars et les investissements

reacuteciproques UE - Eacutetats-Unis se chiffrent agrave

plus de 1 000 milliards de dollars Les Eacutetats-

Unis sont le premier client de lrsquoUE (17 des

exportations europeacuteennes) et son troisiegraveme

fournisseur (11 des importations totales de

lrsquoUE) apregraves la Chine et la Russie la balance

commerciale eacutetant en faveur de lrsquoEurope avec

un exceacutedent de 73 milliards drsquoeuros Lrsquoampleur

du commerce EU-EU et lrsquoimportance des

deux eacuteconomies dans le monde font que

toute reacuteduction des obstacles aux eacutechanges

entre ces deux poids lourds aurait des effets

significatifs sur leurs eacuteconomies

COMPLEacuteMENT

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 119

Barriegraveres tarifaires

Les obstacles sont de deux types les tarifs

agrave lrsquoimportation et les barriegraveres non-tarifaires

(BNT) qui sont encore tregraves eacuteleveacutees

Une nouvelle baisse des tarifs dont on a dit

qursquoen moyenne ils eacutetaient modeacutereacutes aura un

faible impact sur les eacutechanges agrave lrsquoexception

des quelques secteurs ougrave la protection

actuelle est encore eacuteleveacutee Crsquoest donc la

diminution des BNT qui pourra entraicircner un

veacuteritable boom des eacutechanges UE-EU Ces

BNT (quotas drsquoimportations mais surtout

diffeacuterentes regraveglementations normes

nationales regravegles des marcheacutes publics

certifications contradictoires) accroissent

le coucirct des exportations eacutetrangegraveres aussi

sucircrement qursquoun tarif et limitent lrsquoaccegraves au

marcheacute domestique garantissant des rentes

aux firmes nationales Ces BNT sont par

nature difficiles agrave mesurer Une eacutetude reacutecente

estime qursquoen moyenne les BNT sont moins

eacuteleveacutees pour les services que pour les biens

Elles eacutequivalent agrave un tarif sur les exportations

europeacuteennes vers les Eacutetats-Unis variant selon

les secteurs entre 20 (pour les technologies

de lrsquoinformation et de la communication ndash TIC)

et 56 (pour lrsquoaeacuteronautique et le spatial) Cet

eacutequivalent-tarif des BNT pour les importations

europeacuteennes en provenance des Eacutetats-Unis

srsquoeacutechelonne entre 176 (pour les services de

tourisme) et 551 (encore pour lrsquoindustrie

aeacuteronautique et spatiale) Crsquoest donc lagrave que

sont les enjeuxhellip mais aussi les difficulteacutes Les

barriegraveres non tarifaires ne peuvent pas ecirctre

supprimeacutees comme par magie elles reflegravetent

des preacutefeacuterences socioculturelles historiques

des reacutealiteacutes geacuteographiques linguistiques

parfois mecircme constitutionnelles Leur totale

suppression est irreacutealiste

On voit bien quels seront les dossiers

laquo chauds raquo agriculture OGM proprieacuteteacute

intellectuelle Deacutejagrave le Parlement europeacuteen a

exclu du mandat de neacutegociation la culture et

lrsquoaudiovisuel Ce ne sera pas facile mais il faut

essayer

Une eacutetude du CEPR2 preacutevoit selon le sceacutenario

envisageacute (sceacutenario modeacutereacute ou ambitieux

avec 10 ou 25 de baisse des BNT) un

accroissement annuel du PIB europeacuteen

jusqursquoen 2027 de 68 ou 119 milliards drsquoeuros

Lrsquoaccroissement aux Eacutetats-Unis serait de 50

ou 95 milliards Le projet drsquoune libeacuteralisation

des eacutechanges EU-EU tombe agrave pic en pleine

crise voire reacutecession la perspective drsquoun

gain suppleacutementaire annuel de 04 agrave 07 point

du PIB europeacuteen est alleacutechante Mais lrsquoenjeu

principal on lrsquoa compris est lrsquoopportuniteacute pour

lrsquoOccident de reacutepondre aux reacutealignements

historiques qui se dessinent dans le monde ()

Marie-Franccediloise Calmette

Professeur drsquoeacuteconomie agrave la Toulouse

School of Economics

() Article choisi par la reacutedaction des hors-

seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques publieacute par

Le Mondefr 5 juin 2013

copy Le Monde

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 120

Agrave lrsquoimage de ce qui srsquoest produit dans les principales eacuteconomies avanceacutees les institutions de Bretton Woods ndash Fonds moneacutetaire international et Banque mondiale ndash ont connu dans les anneacutees 1980 un tournant libeacuteral Face aux deacuteseacutequilibres des pays en deacuteveloppement ndash inflation dettes publique et exteacuterieure ndash elles recommandaient la mise en œuvre de reacuteformes structu-relles alliant libeacuteralisation des structures productives et des systegravemes financiers ouverture commerciale et reacuteduction des deacutepenses publiques Si ces mesures qui refleacutetaient le laquo consen-sus de Washington raquo ont dans un premier temps porteacute leurs fruits sur le plan du reacutetablissement des eacutequilibres macroeacuteconomiques elles ont eu par la suite des effets neacutefastes en termes de croissance de pauvreteacute et drsquoineacutegaliteacutesPhilippe Hugon montre qursquoune penseacutee laquo post-ajustement raquo a eacutemergeacute degraves la fin des anneacutees 1990 re-leacutegitimant le rocircle des pouvoirs publics et accordant plus de place aux contextes institution-nels propres agrave chaque pays Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances et la monteacutee de la question environnementale ont eacutegalement contribueacute agrave redeacutefinir les politiques de deacuteveloppement

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de WashingtonAu deacutebut des anneacutees 1980 les deacuteseacutequilibresfinanciers et lrsquoendettement des pays en deacuteve-loppement (PED) avaient conduit agrave la mise enplace de politiques libeacuterales et drsquoajustementaux nouvelles donnes mondiales inspireacuteesde ce qursquoon appelait alors le laquo consensus deWashington raquo (cf Zoom) Impulseacutees par leFonds moneacutetaire international (FMI) et laBanque mondiale ces politiques inversaientles mesures interventionnistes des deacutecenniesdrsquoapregraves-guerre

Ces prescriptions ayant montreacute leurs limitesnotamment en Ameacuterique latine ougrave ellesavaient eacuteteacute les plus fidegravelement appliqueacuteesla question du post-consensus de Washing-ton srsquoest poseacutee degraves la fin des anneacutees 1990 Lacrise a acceacuteleacutereacute ce questionnement

Avec la financiarisation des relations et ladiversification des partenaires et des rela-tions SudSud lrsquoeacuteconomie des pays en deacuteve-loppement (PED) eacutevolue dans un contextemondial (Hugon et Michalet 2006) Le respectde regravegles financiegraveres reacutepond aux pouvoir desinstitutions financiegraveres et des agences denotation ainsi qursquoagrave la politique drsquoattractiviteacutedes investissements Mais un des enjeux desPED est aujourdrsquohui de re-leacutegitimer lrsquoEacutetatdans ses fonctions collectives et reacutegaliennes

PHILIPPE HUGONProfesseur eacutemeacuterite agrave lrsquoUniversiteacute Paris-Ouest

Nanterre-La Deacutefense

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON121

et comme creacuteateur drsquoun cadre strateacutegiquefavorable agrave lrsquoentreprenariat priveacute Il srsquoagit decreacuteer un environnement institutionnel favo-rable agrave la prise de risque et aux horizonslongs des deacutecideurs eacuteconomiques Lrsquoexten-sion du marcheacute suppose une reacuteduction desineacutegaliteacutes et une relance de la demande pardes deacutepenses publiques permettant le jeudu multiplicateur keyneacutesien En outre lesquestions environnementales remettent enquestion le modegravele dominant de deacuteveloppe-ment eacuteconomique et les objectifs du deacuteve-loppement durable (ODD) post-2015 doiventcompleacuteter les objectifs du milleacutenaire du deacuteve-loppement (OMD)

Nous rappellerons les limites du consensusde Washington avant de voir sur quelles basesse redeacutefinissent certains axes communs auxnouvelles politiques des PED

Les limites du consensusde WashingtonLes limites des politiquesde stabilisation et drsquoajustementVingt ans apregraves le deacutebut de la mise en œuvredes politiques inspireacutees du consensus deWashington on notait dans lrsquoensemble uneameacutelioration des eacutequilibres financiers (reacuteduc-tion de lrsquoinflation des deacuteficits budgeacutetairesdes deacuteficits de la balance courante etc) unmeilleur cadre institutionnel et une meilleureinteacutegration agrave lrsquoeacuteconomie mondiale Certainssecteurs innovants ont eacutemergeacute dans les ser-vices et les nouvelles technologies Mais leplus souvent ces politiques de stabilisationont eacuteteacute reacutecessionnistes les anneacutees 1980 ont

LE CLE CONSENSUSONSENSUSDE WDE WAASHINGSHINGTTONONDans lDans les anneacutees 1980-1990 les anneacutees 1980-1990 les pays enes pays en

deacutedeacutevveleloppement ont eacutetoppement ont eacuteteacute ceacute confronfrontonteacutes agrave deseacutes agrave des

crises rcrises reacutecurreacutecurrententes de la dettes de la dette ee extxteacuterieureacuterieure ete et

des financdes finances publiques Sous la pres publiques Sous la presessionsion

des bailldes bailleureurs de fs de fonds intonds internationaux ilsernationaux ils

changegraverchangegraverent de modegravelent de modegraveles de deacutees de deacutevveleloppementoppement

abandonnant labandonnant les ses strtratateacutegies de laquo subseacutegies de laquo substitutiontitution

aux importaux importations raquo au prations raquo au profit de rofit de reacutefeacuteformesormes

ffavavorisant lorisant les meacuteces meacutecanismes de maranismes de marcheacutecheacute

LLrsquoensemblrsquoensemble de ce de ces res reacutefeacuteformes sormes structurtructurellelleses

soutsoutenu par lenu par le te tournant libeacuterournant libeacuteral qursquoa cal qursquoa connuonnu

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique dans lonomique dans les anneacuteeses anneacutees

1970-1980 f1970-1980 formait cormait ce que John Williamsone que John Williamson

a theacuteoriseacute ca theacuteoriseacute comme eacutetomme eacutetant lant le laquo ce laquo consensus deonsensus de

WWashingtashington raquo Ce con raquo Ce corpus de rorpus de rececommandationsommandations

sur lsur lequel sequel srsquoappuyrsquoappuyaient laient le FMI et la Banquee FMI et la Banque

mondialmondiale dans le dans les anneacutees 1990 se deacuteclinait enes anneacutees 1990 se deacuteclinait en

dix prdix propositions opositions

- une s- une stricttricte discipline budgeacutete discipline budgeacutetairaire e

- un r- un redeacutepledeacuteploiement des deacutepenses publiquesoiement des deacutepenses publiques

vverers des affs des affectectations offrations offrant agrave la fant agrave la fois un fois un fortort

rrendement eacutecendement eacuteconomique et la posonomique et la possibilitsibiliteacute deeacute de

diminuer ldiminuer les ineacutegalites ineacutegaliteacutes de reacutes de reevvenu (soinsenu (soins

meacutedicmeacutedicaux de base eacuteducaux de base eacuteducation primairation primairee

deacutepenses drsquoinfrdeacutepenses drsquoinfrasastructurtructure) e)

- une r- une reacutefeacuteforme fiscorme fiscalale (eacutelare (eacutelargisgissement desement de

llrsquoasrsquoassiettsiette fisce fiscalale diminution des te diminution des tauxaux

marmarginaux) ginaux)

- la libeacuter- la libeacuteralisation financiegraveralisation financiegravere e

- un t- un taux de change unique et caux de change unique et concurroncurrentiel entiel

- la libeacuter- la libeacuteralisation du calisation du commerommercce ee extxteacuterieur eacuterieur

- l- lrsquoeacutelimination des rrsquoeacutelimination des resestrictions auxtrictions aux

invinvesestistissements dirsements directs eacutetrects eacutetrangerangers s

- la priv- la privatisation des entratisation des entreprises publiques eprises publiques

- la deacuter- la deacutereacutegleacuteglementementation des maration des marcheacutescheacutes

- la gar- la garantie des drantie des droits de proits de proprieacutetoprieacuteteacuteeacute

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 122

[1] La multipliciteacute destests eacuteconomeacutetriquesrendus possibles parlrsquoameacutelioration tregravesrapide des techniquesconduit in fine agrave relativiser la plupart desrelations robustes enintroduisant un nombreimportant de variables

ainsi constitueacute une laquo deacutecennie perdue raquo pourlrsquoAmeacuterique latine avec des crises de la detteLes eacuteconomies africaines ont globalementstagneacute entre 1980 et 2000 et ont eacuteteacute prisesdans une spirale drsquoendettement permanentAgrave deacutefaut drsquoune reprise de lrsquooffre (augmenta-tion des recettes publiques des exportationset de lrsquoeacutepargne) on a observeacute le plus souventune baisse de la demande (importationsdeacutepenses budgeacutetaires investissement)

Lrsquoattractiviteacute des investisseurs est res-teacutee limiteacutee hors peacutetrole dans un contextedrsquoinstabiliteacute de risque et de faiblesse desinfrastructures physiques et sociales Laproductiviteacute globale des facteurs a peu pro-gresseacute Le poids de la dette exteacuterieure quireacutetroagit sur la dette publique inteacuterieurecontinuait agrave peser lourdement

Une penseacutee post-ajustement

De nombreuses failles sont ainsi apparuesdans ce modegravele et une penseacutee du post-ajus-tement (Ben Hammouda 1999) ou du postconsensus de Washington (Stiglitz 1998) aeacutemergeacute Les nouvelles analyses laquo structura-listes raquo prennent en compte dans la traditionde lrsquoeacuteconomie du deacuteveloppement les asymeacute-tries internationales les blocages et les han-dicaps structurels les liens entre reacutepartitionet accumulation ou la nature des biens etservices eacutechangeacutes (biens salariaux et biensde luxe) Mais elles raisonnent en eacuteconomieouverte (contrainte de compeacutetitiviteacute rocircle delrsquoattractiviteacute des capitaux et des techniques)et elles lient la stabilisation financiegravere decourt terme avec le long terme Les liens entreineacutegaliteacutes de revenus et croissance sont fonc-tion des contextes internes et internationauxet du rocircle deacutecisif des politiques eacuteconomiqueset sociales

Le comparatisme analytique et empiriquepermet de contextualiser les theacuteories etles theacuterapies1 Le cadre analytique retenuest celui de la concurrence imparfaite desasymeacutetries drsquoinformation des rendementsdrsquoeacutechelle des externaliteacutes et des effets drsquoag-glomeacuteration (Krugman 2008) Le contexte est

celui drsquoun univers incertain et drsquoun mondeinstable ougrave les acteurs ont des pouvoirsasymeacutetriques Des effets de seuil lieacutes agrave destrappes agrave pauvreteacute apparaissent de maniegraveresignificative pour les pays les moins avanceacutes(Guillaumont 2009 Sachs 2005) Degraves lors lesrecettes preacuteconiseacutees se font davantage au caspar cas ou par grand type de cateacutegories depays Les laquo bonnes politiques raquo se jugent expost sur leurs reacutesultats

La fin du modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels

Par ailleurs les modegraveles de deacuteveloppementont eacuteteacute affecteacutes par la monteacutee des questionsenvironnementales Le modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels eacutenergivore carboneacutefinanciariseacute et caracteacuteriseacute par lrsquoobsolescencedes produits manufactureacutes nrsquoest pas suppor-table pour la planegravete Il conduit en outre agravelrsquoexclusion du plus grand nombre Les enjeuxenvironnementaux ont un impact deacutecisif surles politiques de deacuteveloppement que ce soientles changements climatiques la pollutionurbaine la gestion durable des ressourcesnaturelles ou la preacutevention des catastrophesDegraves lors il importe de prendre en compte lesinterdeacutependances asymeacutetriques et les enjeuxtransnationaux qui impliquent de mettre enœuvre des politiques de gouvernance et dereacutegulation mondiales au-delagrave de la juxtapo-sition de politiques nationales

Les politiques de deacuteveloppementpost-ajustementLe basculement du mondeet les relations SudSud

La mondialisation et lrsquoeacutemergencede nouvelles puissancesLa mondialisation remet en question certainsparadigmes qui fondaient lrsquoeacuteconomie dudeacuteveloppement notamment celle du clivageNordSud et drsquoune divergence des eacuteconomiescelle des ineacutegaliteacutes entre le Nord et le Sud

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON123

lrsquoemportant sur les ineacutegaliteacutes internes auxeacuteconomies Le basculement du monde et lamonteacutee en puissance des eacutemergents ainsi queles relations croissantes SudSud ont modifieacutela donne au niveau des politiques preacuteconiseacuteesmais eacutegalement des moyens de les mettre enœuvre Le laquo consensus de Peacutekin raquo srsquoest poseacute enconcurrent de celui de Washington

Selon certains flexibiliteacute adaptabiliteacute attrac-tiviteacute des capitaux et des savoirs auraientrendues obsolegravetes les politiques publiquesOn peut au contraire consideacuterer que la mon-dialisation a re-leacutegitimeacute les politiques etreacutegulations publiques Les ineacutegaliteacutes intra-nationales tendent agrave lrsquoemporter sur les ineacutega-liteacutes internationales (Bourguignon 2012) Lesinstitutions de Bretton Woods reconnaissentque les politiques budgeacutetaires moneacutetaires etde change demeurent centrales pour srsquoinseacutererpositivement dans la mondialisation geacutererles instabiliteacutes compenser les deacuteseacutequilibrescommerciaux et financiers et attirer les capi-taux mais elles doivent srsquoaccompagner depolitiques industrielles et sociales

La croissance des pays en deacuteveloppementet la diversification des trajectoires

Les trajectoires des eacuteconomies asiatiqueslatino-ameacutericaines et africaines divergent Agravelrsquointeacuterieur de chaque continent on observeagrave la fois des eacuteconomies stagnantes et deseacuteconomies eacutemergentes Les politiques dedeacuteveloppement diffegraverent eacutevidemment selonles types de pays les eacuteconomies rentiegraverespeacutetroliegraveres peuvent mettre en œuvre des poli-tiques redistributives (Moyen-Orient Algeacuterieou Venezuela) les petits pays se speacutecialisentsur des segments de compeacutetitiviteacute quantaux grands pays en pleine industrialisationcomme la Chine ou lrsquoInde ou les pays pri-maires ils diversifient leurs exportations

Les PED partagent neacuteanmoins un certainnombre de traits communs les effets des prixdes matiegraveres premiegraveres la financiarisationde lrsquoeacuteconomie le rocircle des firmes multinatio-nales dans les segments localiseacutes des chaicircnesde valeur lrsquoenrichissement de la classemoyenne ou la croissance des ineacutegaliteacutes la

diversification de leurs partenaires commer-ciaux et souvent de leurs speacutecialisations dufait de la mondialisation et enfin plusieursdeacutefis auxquels ils sont tous plus ou moinsconfronteacutees la reconquecircte du marcheacute inteacute-rieur la mise en place drsquoun systegraveme de pro-tection sociale et de politiques industriellescombinant des politiques de substitution auximportations et de croissance tireacutee par lesexportations

Le rocircle des relations SudSud

Les pays pauvres fournisseurs de ressourcesnaturelles beacuteneacuteficient de lrsquoameacutelioration destermes de lrsquoeacutechange et sont plutocirct beacuteneacutefi-ciaires de la mondialisation qui se substi-tue aux relations post coloniales Ils sontconvoiteacutes courtiseacutes pour leurs ressourcesleur marcheacute est interconnecteacute au mondepar leur diaspora et leur eacuteconomie a diver-sifieacute ses partenaires commerciaux2 Les dif-feacuterents tests montrent la deacutependance de lacroissance africaine asiatique et latino-ameacute-ricaine vis-agrave-vis de la croissance mondiale(FMI 2010) ou de la Chine Les pays pauvresont dans lrsquoensemble eacuteteacute peu toucheacutes par lacrise financiegravere venant des pays de lrsquoOCDEet lrsquoon note un relatif deacutecouplage NordSud(Hugon et Salama 2010) La laquo reprimarisa-tion raquo des eacuteconomies beacuteneacuteficiant du prix desmatiegraveres premiegraveres et subissant la concur-rence des grands eacutemergents pose toutefois laquestion du blocage industriel pour les paysles plus en retard

Quelques axes des nouvellespolitiques de deacuteveloppement

Lrsquoinsertion positive dans la mondialisation

Les enseignements de la nouvelle eacuteconomiegeacuteographique (Krugman 2008) et les reacuteus-sites de certains pays eacutemergents ont conduitagrave la prescription de politiques actives deconstruction des avantages compeacutetitifs Laprotection par les normes sociales environ-nementales ou phyto-sanitaires est devenueplus importante que celle effectueacutee via lesdroits de douane La question du taux de

[2] Le commerce SudSudpegravese pour pregraves de 40

du commerce exteacuterieurafricain contre 27

en 1990 (FMI 2010) Lesrelations commerciales

avec la Chine srsquoeacutelegravevent agraveplus de 200 milliards de

dollars celles avec lrsquoIndeagrave plus de 50 milliards et

avec le Breacutesil agrave plus de20 milliards

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 124

change et de lrsquoancrage agrave des monnaies oupanier de monnaies combinant compeacutetitiviteacuteet creacutedibiliteacute est devenue strateacutegique Lesnouvelles recommandations pour les PEDreposent sur un meacutelange entre des politiquesdrsquoeacutequilibrages macroeacuteconomiques et finan-ciers des politiques industrielles des pro-tections flexibles et des mesures destineacutees agraveattirer les investissements ndash et donc les tech-nologies ndash eacutetrangers La prioriteacute est de sortirdes laquo speacutecialisations appauvrissantes raquo lieacuteesagrave la laquo reprimarisation raquo des eacuteconomies et agrave lamaleacutediction des ressources naturelles

Les effets des liaisons intersectorielles

Avec la mondialisation le deacutebat sur les effetsdrsquoentraicircnement des secteurs amont et avalet des insertions dans les filiegraveres ou chaicircnesde valeur a eacuteteacute reacuteactualiseacute La monteacutee engamme de produits et la diversification desproductions supposent agrave la fois des pocircles decompeacutetitiviteacute autour des territoires et desinsertions dans les segments inteacutegreacutes auxprocessus productifs mondiaux notammentpar le biais des firmes multinationales Pourexercer des effets drsquoentraicircnement et nondrsquoenclave ces insertions doivent srsquoarticulerau tissu productif local Le deacutebat initieacute parAlbert Hirschmann entre la prioriteacute agrave accor-der aux investissements productifs et auxinfrastructures a resurgi Sous le double effetdes goulets drsquoeacutetranglement lieacutes aux manquesdrsquoinfrastructures et de la prioriteacute que leuraccordent les pays eacutemergents agrave commen-cer par la Chine les politiques appuyeacutees parles Eacutetats et les bailleurs de fonds mettentaujourdrsquohui lrsquoaccent sur les barrages lesreacuteseaux routiers et ferroviaires ou portuairesle cacircblage drsquointernet ou du teacuteleacutephone

La mise en œuvre de politiques bud-geacutetaires contracycliques un retour aukeyneacutesianisme

La combinaison des aides et annulations dedettes drsquoune part et de politiques financiegraveresplus rigoureuses drsquoautre part a permis dereacuteduire lrsquoinflation et de retrouver un eacutequilibreau niveau de la balance des paiements et desfinances publiques aussi bien en Afrique(tableau 1) qursquoen Ameacuterique latine

Les effets des mesures drsquoassainissementfinancier ont permis aux Eacutetats de mener despolitiques contracycliques durant le choc de2008-2009 Les concours internationaux auxpays les moins avanceacutes (PMA) ont doubleacute etles outils drsquointervention se sont diversifieacutes Sipeu de pays pauvres ont reacutealiseacute une transitionfiscale sur la base drsquoune fiscaliteacute progressiveet assise sur la valeur ajouteacutee en revancheles politiques de deacutepenses publiques onteacuteteacute rationaliseacutees Elles font deacutesormais jouerle multiplicateur keyneacutesien les ressourcesanciennement affecteacutees sont globaliseacutees ausein du budget les ressources anciennementaffecteacutees par projets ou secteurs sont globali-seacutees des cadres de deacutepenses de moyen termeet des programmes de deacutepenses pluriannuelsagrave horizon mobile sont mis en place Lrsquoefficaciteacutede la deacutepense publique est eacutevalueacutee agrave lrsquoaunedrsquoindicateurs de reacutesultats Les donateurs ontdeacuteveloppeacute en Afrique agrave la diffeacuterence des aidesprojets des formes de soutien globaliseacutes etfongibles notamment lrsquoaide budgeacutetaire glo-bale qui abonde les budgets nationaux

La lutte contre la pauvreteacute et le chocircmage

Les tests montrent que paradoxalement lacroissance eacuteconomique coiumlncide souvent avec

1 Les eacutequilibres financiers de lrsquoAfrique

Fin deacutecennie 1990 Fin deacutecennie 2000 Variation (en )

Inflation (en ) 220 80 ndash 64

Dette publique (en du PIB) 819 590 ndash 28

Solde budgeacutetaire (en du PIB) ndash 46 ndash 18 + 60

Source Jacquemot (2013)

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON125

une monteacutee de la pauvreteacute du chocircmage etde lrsquoeacuteconomie informelle Les politiques propauvres ont mis lrsquoaccent sur la reacuteduction dela pauvreteacute Les cadres strateacutegiques de reacuteduc-tion de la pauvreteacute (CSRP) ont eacuteteacute inteacutegreacutesaux OMD de Monterray donnant une prioriteacuteagrave la scolarisation et agrave lrsquoeacutegaliteacute par genre agrave lasanteacute de base agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoeau potable Au-delagrave se pose la question de lrsquoeacutelaboration desystegravemes de protection sociale permettantdrsquoeacutelargir la demande inteacuterieure (Cling et al 2003)

Une des questions prioritaires est celle deslimites de lrsquoemploi salarieacute face agrave lrsquooffre detravail des jeunes elle reacutesulte principale-ment de la combinaison de la croissancedeacutemographique et urbaine des ineacutegaliteacutesintra-nationales en hausse et des gains deproductiviteacute des technologies mondialiseacuteesFaut-il privileacutegier le secteur formel formali-ser lrsquoinformel et srsquoappuyer sur le segment leplus dynamique en capitalisant les pratiquesinnovantes (thegravese dualiste) Privileacutegier lespolitiques de redistribution de protectionsociale minimale et de soutien aux segmentsles plus vulneacuterables (thegravese sociale) Reacuteduireet simplifier les regraveglementations du secteurlaquo formel raquo (thegravese libeacuterale) ou au contraire lesfaire appliquer pour reacuteduire lrsquoemploi infor-mel dans les grandes uniteacutes Faut-il agir surlrsquooffre des petites uniteacutes par le creacutedit la for-mation professionnelle et lrsquoappui technique Ou sur leur environnement par exemple enreacuteduisant les instabiliteacutes des marcheacutes et lesdivers risques (thegravese structuraliste) Si lrsquoeacuteco-nomie informelle est durable et structurellela prioriteacute est de creacuteer des systegravemes de pro-tection sociale et de formation de reacuteduire lesineacutegaliteacutes et de combiner des technologies agraveforte intensiteacute capitalistique et des techno-logies intensives en travail en favorisant lesliens entre uniteacutes les plus productives et lespetites uniteacutes (sous-traitance)

Une nouvelle prioriteacute accordeacuteeagrave lrsquoeacuteconomie verteLes pays pauvres disposent drsquoun capitalnaturel eacuteleveacute estimeacute en Afrique agrave 23 de la

richesse contre 2 pour les pays de lrsquoOCDELa lutte contre la pauvreteacute ne peut ecirctre diffeacute-rencieacutee de la question environnementale (eauforecirct ressources halieutiques biodiversiteacutehellip)Les eacutenergies renouvelables la reacutesilience faceaux chocs naturels lrsquoutilisation des meacuteca-nismes de deacuteveloppement propres (MDP)la lutte contre la deacutesertification et le stresshydrique la pollution urbaine ou la deacutefores-tation sont autant de projets prioritaires

Les politiques liant seacutecuriteacuteet deacuteveloppementLa cateacutegorie drsquolaquo Eacutetats fragiles raquo a eacuteteacute forgeacuteepour speacutecifier les prioriteacutes des politiques agravemettre en œuvre pour des Eacutetats en conflit oupost conflit etou en faillite La question de laseacutecuriteacute des biens et des personnes ne peutecirctre dissocieacutee de celle du deacuteveloppement Lesvulneacuterabiliteacutes et handicaps structurels lespreacuteventions des conflits conduisent agrave privi-leacutegier la seacutecuriteacute et les fonctions reacutegaliennesde lrsquoEacutetat aux eacutequilibres financiers et agrave la luttecontre la corruption Dans un monde en voiede globalisation et drsquoexclusion drsquointerdeacutepen-dances et de replis identitaires les mafiaspolitiques les trafics de drogue et les diffeacute-rentes formes de criminaliteacute accompagnentla pauvreteacute Dans laquo un monde sans loi raquo lesreacutegulations socio-politiques et les encadre-ments normatifs deviennent des questionscentrales tant de la part des Eacutetats que de lacommunauteacute internationale

Des politiques de reacuteformesstructurelles souvent en attenteLes programmes drsquoajustement niaient le poli-tique (les conflits les compromis) dans lediscours mais le placcedilaient dans la pratiqueau cœur des objectifs et des moyens Lesquestions de corruption de clienteacutelisme depatrimonialisme de criminaliteacute de lrsquoEacutetat oudes mafias sont devenues des sujets centrauxqui relativisent les frontiegraveres entre lrsquoEacutetat etle marcheacute entre la chose publique et la chosepriveacutee Les facteurs sociaux institutionnelset politiques sont deacuteterminants pour expli-quer lrsquoeacutechec ou les reacuteussites des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 126

eacuteconomiques Il y a un relatif consensus pourmobiliser diffeacuterents acteurs et mener despolitiques agrave plusieurs eacutechelles territoriales

Lrsquoeacuteconomie de rente la preacutefeacuterence pour lecourt terme les comportements patrimoniauxlrsquoabsence de contre-pouvoirs et de socieacute-teacutes civiles fortes ainsi que la deacuteliquescencede lrsquoEacutetat demeurent souvent des facteursstructurels essentiels bloquant lrsquointeacutegra-tion positive des pays pauvres agrave lrsquoeacuteconomiemondiale par un changement de speacutecialisa-tion et une remonteacutee en gamme de produitsdans la chaicircne de valeur internationale Lespays pauvres restent globalement dans unelogique de reacuteservoirs comme exportateurs deproduits primaires et de deacuteversoirs commeimportateurs de produits transformeacutes Leurcommerce exteacuterieur dynamique leur permetdrsquoimporter du monde entier les produits les

moins chers et drsquoameacuteliorer ainsi le niveaude consommation des populations mais ilsne parviennent pas pour autant agrave construireune veacuteritable base industrielle et drsquoaccumu-lation (Hugon 2013) Comment des agricul-tures paysannes peuvent-elles concurrencerdes agricultures soutenues par des politiquespubliques de la part des pays industriels oueacutemergents Comment des artisans et desentreprises industrielles peuvent-ils entreren compeacutetition avec des entreprises dis-posant drsquoavances technologique de vastesmarcheacutes et drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle Commentdes socieacuteteacutes et des populations peuvent-ellesconstruire la moderniteacute et deacutevelopper leurspotentialiteacutes et laquo capabiliteacutes raquo par des trajec-toires plurielles

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problegravemeseacuteconomiquesProblegravemes eacuteconomiques invite les speacutecialistes agrave faire le point

Directeur de la publication Xavier Patier

Direction de lrsquoinformation leacutegale et administrative Teacutel 01 40 15 70 00wwwladocumentationfrancaisefr

Imprimeacute en France par la DILADeacutepocirct leacutegal 75059 septembre 2013DF 2PE32760 ISSN 0032-9304CPPAP ndeg 0513B05932

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HORS-SEacuteRIESEPTEMBRE 2013 NUMEacuteRO 4

comprendreLES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLa crise a jeteacute un nouveau regard sur les politiques eacuteconomiquesElle a notamment remis en question le consensus drsquoinspiration libeacuterale qui guidait lrsquoaction publique depuis une trentaine drsquoanneacuteesUne reacuteorientation est-elle agrave lrsquoœuvre depuis 2008

Ce numeacutero hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques rappelle les fondements des politiques eacuteconomiques et passe en revue les diffeacuterents instruments et objectifs en insistant sur les eacutevolutions les plus reacutecentes

Prochain numeacutero agrave paraicirctre Comprendre le capitalisme

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Page 2: Comprendre les politiques économiqueslivre.fun/LIVREF/F39/F039027.pdfla relance keynésienne ; la forte augmentation de l’endettement public dans la foulée a quant à elle jeté

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Reacutedaction de Problegravemes eacuteconomiquesPatrice Merlot (reacutedacteur en chef)Olivia Montel-Dumont (reacutedactrice en chef des hors-seacuterie)Makus Gabel (reacutedacteur)Steacutephanie Gaudron (reacutedactrice)

PromotionAnne-Sophie Chacircteau

SecreacutetariatPaule Oury

29 quai Voltaire75344 Paris cedex 07Teacutel 01 40 15 70 00peladocumentationfrancaisefrhttpwwwladocumentationfran-caisefrrevues-collections problemes-economiques indexshtmlAbonnez-vous agrave la newsletter

AvertissementLes opinions exprimeacutees dans les articles reproduits nrsquoengagent que les auteurs

Creacutedit photoCouverture Getty imagesPage 3 Corbiscopy Direction de lrsquoinformation leacutegale et administrative Paris 2013

Conception graphiqueCeacutelia Petry Nicolas Bessemoulin

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LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LE TOURBILLON DE LA CRISELa crise a mis les politiques eacuteconomiques agrave rude eacutepreuve et jeteacute sur elles un nouveau regardDepuis une trentaine drsquoanneacutees lrsquoaction publique dans les eacuteconomies avanceacutees reposait sur unconsensus drsquoinspiration plutocirct libeacuterale tandis que le controcircle de lrsquoinflation et la maicirctrise desdeacutepenses publiques eacutetaient les maicirctres mots des politiques moneacutetaires et budgeacutetaires (lesecond objectif eacutetant toutefois tregraves ineacutegalement atteint) les politiques laquo structurelles raquofaisaient la part belle agrave la concurrence et aux meacutecanismes de marcheacute

Drsquoune ampleur et drsquoune dureacutee ineacutedites depuis la Grande Deacutepression la crise deacuteclencheacutee en2007 par les subprimes a deacutestabiliseacute cet eacutedifice Il est en effet apparu que non seulementlrsquoaction publique nrsquoa pas empecirccheacute la crise financiegravere et sa propagation agrave lrsquoensemble delrsquoeacuteconomie mais que certaines politiques ont mecircme favoriseacute son deacuteveloppement

Crsquoest le cas notamment de la politique moneacutetaire qui constituait pourtant le domainede lrsquoaction publique ougrave le consensus eacutetait le plus solide alliant eacuteconomistes dirigeantspolitiques et banquiers centraux Si lrsquoindeacutependance des banques centrales et lerecentrage de leur action sur le laquo ciblage drsquoinflation raquo ont permis des anneacutees drsquoinflationfaible les risques financiers globaux auxquels eacutetaient exposeacutees les eacuteconomies ont eacuteteacuteneacutegligeacutes Ainsi la politique meneacutee par la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine dans les anneacutees2000 aurait non seulement laisseacute ce risque de cocircteacute mais aurait contribueacute agrave la formationet agrave lrsquoeacuteclatement de la bulle des subprimes La seacuteveacuteriteacute de la crise a en outre contraintles banques centrales agrave mettre en œuvre des politiques laquo non conventionnelles raquo dontlrsquoabandon nrsquoest pas sans poser problegraveme Du cocircteacute des politiques budgeacutetaires quoiquelrsquoausteacuteriteacute reste de mise surtout dans la zone euro confronteacutee agrave une grave crise des dettessouveraines la reacutecession de 2008-2009 a remis sur le devant de la scegravene les principes dela relance keyneacutesienne la forte augmentation de lrsquoendettement public dans la fouleacutee aquant agrave elle jeteacute un eacuteclairage nouveau sur la question des regravegles budgeacutetaires celles duPacte de stabiliteacute et de croissance srsquoeacutetant reacuteveacuteleacutees insuffisantes

Au-delagrave du choc conjoncturel qursquoelle a infligeacute aux eacuteconomies avanceacutees la crise a acceacuteleacutereacuteles transformations de lrsquoeacuteconomie mondiale touchant de faccedilon beaucoup plus seacutevegravereles pays deacuteveloppeacutes elle a approfondi en leur sein le mouvement de deacutesindustrialisationet renforceacute la monteacutee en puissance des eacuteconomies eacutemergentes Dans ce contexte lapolitique industrielle longtemps reacuteduite agrave sa portion congrue au motif qursquoelle fausseles conditions de la concurrence connaicirct un renouveau De la mecircme faccedilon la volonteacute desauvegarder les activiteacutes et les emplois sur le territoire national rend le processus delibeacuteralisation des eacutechanges commerciaux plus conflictuel

Les politiques laquo structurelles raquo conservent neacuteanmoins les grandes dynamiquesdrsquoavant-crise Celles-ci sont mecircme accentueacutees dans certains cas par les neacutecessiteacutes delrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire Ainsi bien que lrsquoenvoleacutee du chocircmage alourdisse les deacutepensesdrsquoindemnisation la logique de lrsquolaquo activation raquo des politiques de lrsquoemploi se poursuitEt si les deacutepenses sociales progressent face agrave des besoins croissants la tendance agrave lalaquo privatisation raquo drsquoune partie de la protection sociale et son recentrage sur les cateacutegoriesles plus deacutefavoriseacutees nrsquoest pas remise en cause

Olivia Montel-Dumont

COMPRENDRELES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLes politiques eacuteconomiques pourquoi et comment P 5 Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions (Hubert Kempf)

P 12 Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publique (Christophe Demaziegravere)

P 18 Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeux (Sophie Brana)

P 27 Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels (Franck Lirzin)

P 33 Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire (Jeacuterocircme Creel)

P 39 Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France (Adrien Matray)

P 47 Comment eacutevaluer les politiques publiques (Antoine Bozio)

Instruments et objectifs des politiques eacuteconomiquesP 53 Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques (Gilbert Koenig)

P 61 La politique moneacutetaire quel renouvellement avec la crise (Christian Bordes)

P 77 Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisonseacutevolutions (Jacques Le Cacheux)

P 87 Les politiques sociales quel avenir (Philippe Batifoulier)

P 95 Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples (Christine Erhel)

P 104 La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens (Pierre-Noeumll Giraud)

P 111 La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation (Michel Rainelli)

P 120 Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de Washington (Philippe Hugon)

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 5

Dans les anneacutees 1970 le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui avait eacuteteacute eacutelaboreacute dans lrsquoapregraves-guerre et srsquoinspirait largement des preacuteceptes keyneacutesiens a voleacute en eacuteclat au profit drsquoun nouveau consensus inteacutegrant les avanceacutees de la macroeacuteconomie en particulier les tra-vaux sur les anticipations rationnelles Sur le plan microeacuteconomique ce sont les notions drsquoasy-meacutetrie drsquoinformation et de deacutefauts drsquoappariement qui ont le plus inspireacute lrsquointervention publique en particulier les politiques de lrsquoemploiLa crise eacuteconomique reacutecente a bousculeacute ce cadre surtout sur le plan macroeacuteconomique Le laquo ciblage drsquoinflation raquo et la maicirctrise des deacuteficits publics qui eacutetaient devenus les mots drsquoordre des politiques moneacutetaires et budgeacutetaires nrsquoont pas empecirccheacute la Grande Reacutecession ni la crise des finances publiques qui a suivi dans de nombreux pays avanceacutesHubert Kempf fait le point sur ce nouveau basculement du cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui a conduit agrave reconsideacuterer la reacuteglementation des marcheacutes et la question de la surveillance des risques financiers

Problegravemes eacuteconomiques

Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions

La crise eacuteconomique initieacutee avec lrsquoeffondre-ment du marcheacute des subprimes en 2007 estsinguliegravere agrave bien des titres Interminable ellea succeacutedeacute agrave une longue peacuteriode de prospeacute-riteacute marqueacutee par une croissance soutenue etreacuteguliegravere ainsi qursquoune inflation faible De lalaquo grande modeacuteration raquo nous sommes passeacutesagrave la laquo Grande Reacutecession raquo Cette reacutecession estdrsquoune ampleur ineacutedite la baisse de lrsquoactiviteacutea eacuteteacute brutale et forte surtout apregraves la faillitede Lehman Brothers en septembre 2008 elle

srsquoest propageacutee tregraves rapidement agrave lrsquoeacuteconomiemondiale enfin dans un second temps lesdifficulteacutes des finances publiques de certainspays membres de lrsquoUnion europeacuteenne (UE) ontplongeacute celle-ci dans une crise majeure qui a ali-menteacute le ralentissement eacuteconomique mondial

Le cadre theacuteorique drsquoavant-criseLa politique eacuteconomique dans son aspectmicroeacuteconomique comme macroeacuteconomiqueest tributaire des avanceacutees de la recherchetant theacuteorique qursquoappliqueacutee mais aussi delrsquoanalyse des expeacuteriences acquises au tra-vers des programmes effectivement mis enplace par les gouvernements qui constituentautant drsquoexpeacuterimentations nourrissant la

HUBERT KEMPF

Eacutecole normale supeacuterieure de Cachan et Eacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 6

reacuteflexion Sur le plan microeacuteconomique ilnrsquoest pas possible de dire qursquoun consensusexistait avant 2007 mecircme si les principes delrsquointervention publique eacutetaient indiscuteacutesSur un plan macroeacuteconomique en revancheon peut eacutevoquer un consensus partageacute au seindu monde acadeacutemique ainsi que par les pra-ticiens en particulier les banquiers centraux

Les politiques microeacuteconomiques

Si les deacutefaillances de marcheacute sont reconnuescomme lrsquoune des principales justifications delrsquointervention publique il nrsquoy a pas drsquouna-nimiteacute sur la faccedilon de les analyser et drsquoenappreacutecier la porteacutee En microeacuteconomie deuxvoies drsquoanalyse ont eacuteteacute privileacutegieacutees La pre-miegravere porte sur les deacutefauts drsquoajustement etdrsquoappariement entre offreurs et demandeurs la seconde concerne les asymeacutetries drsquoinforma-tion entre agents et le deacuteveloppement de stra-teacutegies opportunistes De plus une partie desproblegravemes microeacuteconomiques peut ecirctre analy-seacutee comme reacutesultant des deacutefaillances de lrsquoEacutetatqui mesure mal ou refuse de tenir compte deseffets pervers de ses interventions

Le fonctionnement du marcheacute du travailfournit un bon exemple de cette diversiteacute depoints de vue Pour les uns les problegravemes dece marcheacute seraient dus agrave des rigiditeacutes quiamplifient les difficulteacutes drsquoappariement entreemployeurs et salarieacutes et deacutecourageraientune partie de la population en acircge de travail-ler de rechercher activement et efficacementun emploi Selon cette approche il faut doncdeacutereacuteglementer pour ameacuteliorer la flexibiliteacutede lrsquoemploi Pour les opposants agrave cette ana-lyse les conditions de lrsquoemploi font partie ducontrat social et en particulier du contratimplicite entre employeur et salarieacute Il estdonc raisonnable que lrsquoemployeur assurele salarieacute contre les risques portant sur sareacutemuneacuteration le cas eacutecheacuteant par le biaisdrsquoune reacuteglementation contraignante

De mecircme sur les marcheacutes des biens cer-taines deacutefaillances deacutecouleraient de la dif-ficulteacute drsquoassurer les conditions drsquoune bonneconcurrence ou du poids de reacuteglementationsexcessives ou mal penseacutees Mais a contrario le marcheacute peut deacutegager des incitations insuf-fisantes pour que soient mis en œuvre les

CLCLAASSER LES POLITIQUESSSER LES POLITIQUESEacuteEacuteCCONOMIQUESONOMIQUESIl esIl est usuel drsquoopposer lt usuel drsquoopposer les politiqueses politiques

cconjoncturonjoncturellelles aux politiques ses aux politiques structurtructurellelleses

Les politiques cLes politiques conjoncturonjoncturellelles visentes visent

agrave sagrave sttabiliser labiliser lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique etonomique et

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sstructurtructurellelles visent quant agrave elles visent quant agrave elles agrave modifieres agrave modifier

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moneacutetmoneacutetairaire ou le ou les ces controntraintaintes juridiques mises agravees juridiques mises agrave

llrsquoemplrsquoemploi des insoi des instruments budgeacutettruments budgeacutetairaires et fisces et fiscauxaux

Il esIl est donc prt donc preacutefeacutefeacutereacuterablable et ce et coheacuteroheacuterent avent avecec

llrsquoanalrsquoanalyse eacutecyse eacuteconomique de disonomique de distinguertinguer

politiques macrpolitiques macroeacutecoeacuteconomiques et politiquesonomiques et politiques

micrmicroeacutecoeacuteconomiques Les pronomiques Les premiegraveremiegraveres visentes visent

agrave agir sur lagrave agir sur le rythme et la dynamique dee rythme et la dynamique de

llrsquoeacutecrsquoeacuteconomie dans son ensemblonomie dans son ensemble te tandis queandis que

lobjectif des seclobjectif des secondes esondes est de modifier lt de modifier leses

cconditions de londitions de lrsquooffrrsquooffre et de la demande sur dese et de la demande sur des

marmarcheacutes speacutecifiquescheacutes speacutecifiques

Hubert KempfHubert Kempf

ZOOM

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 7

efforts drsquoinnovation qui maximisent le bien-ecirctre collectif ce qui appelle donc agrave la mise enplace drsquoune politique scientifique publique

Enfin concernant le financement de lrsquoeacutecono-mie il eacutetait admis que les marcheacutes financiersmodernes eacutetaient devenus efficaces gracircce auprogregraves des techniques de connexion et desinnovations financiegraveres rendues en particu-lier possibles par un mouvement de deacutereacutegle-mentationAu final ce mouvement initieacute dansles anneacutees 1980 aurait permis aux marcheacutesdrsquoatteindre la maturiteacute et de srsquoauto-reacuteguler

Les politiques macroeacuteconomiques

Un nouveau modegravele canonique issude la synthegravese neacuteo-keyneacutesienneLe consensus en matiegravere de politiques macro-eacuteconomiques srsquoest fondeacute sur des progregravesmeacutethodologiques dans la continuation dela reacutevolution des anticipations rationnellesinitieacutee en 1972 par Robert Lucas Les macro-eacuteconomistes ont mis au point des modegravelesdrsquoeacutequilibre geacuteneacuteral dynamiques et stochas-tiques agrave des fins de reproduction des dyna-miques eacuteconomiques reacuteellement constateacuteesCes modegraveles sont mieux fondeacutes et plus signi-ficatifs que les modegraveles eacuteconomeacutetriquesqui se deacuteveloppegraverent dans les anneacutees 1960-1970 puisqursquoils explicitent les conditionsdrsquoeacutequilibre les contraintes budgeacutetaires desdiffeacuterents agents et leurs comportementsintertemporels De plus ils permettent dessimulations de politique eacuteconomique permet-tant de prendre en compte la reacuteponse immeacute-diate et retardeacutee des agents eacuteconomiques agravedes mesures de politique eacuteconomique

Un modegravele canonique qualifieacute de laquo synthegraveseneacuteo-keyneacutesienne raquo srsquoest deacutegageacute agrave la fin desanneacutees 1990 Il est drsquoune remarquable sim-pliciteacute alors mecircme qursquoil repose sur des fonde-ments microeacuteconomiques clairs et incorporedes rigiditeacutes nominales1 Ce modegravele metlrsquoaccent sur le caractegravere indeacutetermineacute de ladynamique eacuteconomique en particulier nomi-nale Cela explique que lrsquoune des responsa-biliteacutes eacuteminentes de la politique moneacutetairesoit lrsquoancrage des anticipations les autoriteacutes

moneacutetaires doivent srsquoassurer qursquoelles se coor-donnent sur un sentier drsquoeacutevolution futurestable et connu de tous2

Cette simpliciteacute mecircme a occasionneacute la neacutegli-gence des pheacutenomegravenes financiers en par-ticulier ceux lieacutes agrave la distribution du creacuteditbancaire dans lrsquoeacuteconomie jugeacutes empirique-ment neacutegligeables

Une politique moneacutetaire au premier plancentreacutee sur le laquo ciblage drsquoinflation raquoLa mise en avant de lrsquoancrage des anticipa-tions a donneacute une importance particuliegravere agravela politique moneacutetaire Il eacutetait admis que labanque centrale disposait drsquoune capaciteacute decontrocircle direct du taux drsquoinflation Les mar-cheacutes financiers devenus deacutereacuteglementeacutes etsuffisamment sophistiqueacutes le taux drsquointeacuterecirctdu marcheacute moneacutetaire controcircleacute par la banquecentrale se transmettait sans frictions agrave lrsquoen-semble des taux et donc agrave la sphegravere reacuteelleLegs des recherches des anneacutees 1980 lrsquoeffi-caciteacute de lrsquoancrage des anticipations deacutepen-dait de la creacutedibiliteacute de la banque centraleagrave tenir ses engagements dans le futur Cettecreacutedibiliteacute requeacuterait lrsquoindeacutependance de lrsquoins-titut drsquoeacutemission Cela a donneacute lieu agrave unestrateacutegie qui est devenue de plus en pluspopulaire dans les anneacutees 1990 le laquo ciblagedrsquoinflation raquo3

Des politiques budgeacutetaires limiteacuteesagrave la reacuteduction des deacuteficits publicsLa perception de la politique budgeacutetaire (etfiscale) avant la crise ouverte en 2007 estinverse agrave celle de la politique moneacutetaireDrsquoune part son utiliteacute apparaicirct moindrepuisque la laquo grande modeacuteration raquo associeacutee agravela maicirctrise de lrsquoinflation semble montrer lesuccegraves drsquoune intervention minimale de lrsquoEacutetatet le bon fonctionnement des marcheacutes deacutereacute-glementeacutes Dans le mecircme temps son efficaciteacuteest contesteacutee par de nombreuses eacutetudes uni-versitaires La valeur du multiplicateur estmise en question et semble bien infeacuterieure agravece que deacutefendent ses partisans Au contrairedes strateacutegies drsquolaquo ajustement budgeacutetaire raquosemblent concluantes car la diminution du

[1] On dit qursquoil y a desrigiditeacutes nominales

lorsque les variablesnominales (hors effet

prix) srsquoajustent mal auxmodifications drsquoautresvariables Par exemple

les salaires laquo nominaux raquondash les salaires

afficheacutes ndash sontrelativement rigides

surtout agrave la baisse ils sont neacutegocieacutessur des peacuteriodes

relativement longueset font lrsquoobjet de

normes et conventionsLes prix sont en

revanche plus flexibleset par ce biais il peuty avoir une variationdes salaires laquo reacuteels raquo

(rapport du salairenominal aux prix) mecircmesi les salaires nominaux

sont constants

[2] Sur la questionde lrsquoancrage

des anticipations voirle zoom de Christian

Bordes p 62

[3] Idem

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 8

deacuteficit public est alleacutee de pair dans certainspays avec lrsquoexpansion eacuteconomique la crois-sance de lrsquoemploi public semble correacuteleacutee aveclrsquoaugmentation du chocircmage Crsquoest ce qui res-sort de quelques expeacuteriences marquantescomme au Danemark et en Suegravede dans lesanneacutees 1980-1990Enfin des recherches sur laprise de deacutecision budgeacutetaire avancent que lesresponsables gouvernementaux ont des preacute-occupations laquo court-termistes raquo et souventpurement eacutelectoralistes qui les conduisent agraveune gestion laxiste des finances publiques4

Dernier eacuteleacutement du consensus implicite dansles deacuteveloppements preacuteceacutedents les poli-tiques budgeacutetaires et moneacutetaires sont indeacute-pendantes et il nrsquoy a pas lieu de se soucier deles coordonner

Un consensus bousculeacute par la crise

Ces options de politique eacuteconomique ont joueacuteun rocircle important dans la dynamique du pro-cessus reacutecessif et sont parfois incrimineacuteescomme responsables de son deacuteclenchementCe retournement exceptionnel est donc alleacutede pair avec une remise en cause des justifica-tions theacuteoriques de la politique eacuteconomique

La reacutecession a pris par surprise les respon-sables des politiques eacuteconomiques gouver-nements et banques centrales Lrsquoapparitionde paniques bancaires la faillite drsquoune ins-titution financiegravere drsquoimportance mondialecomme Lehman Brothers le quasi assegraveche-ment du marcheacute interbancaire en quelquesheures le ralentissement massif du com-merce international ducirc agrave un resserrementbrutal des creacutedits lieacutes aux exportations etpar voie de conseacutequence une spirale deacutepres-sive soudaine et geacuteneacuterale agrave partir de la fin de2008 ont forceacute gouvernements et banquescentrales agrave des actions rapides fortes et ini-maginables quelques mois auparavant

Les banques centrales furent les premiegraveres agraveagir et mirent en place degraves 2007 des politiquesnon-conventionnelles consistant agrave ouvrir denouvelles faciliteacutes de creacutedit aux banquesou agrave racheter directement des titres publicsou priveacutes pour faciliter le financement des

agents non-financiers Les Treacutesors publicsont reacuteagi plus lentement parce que le proces-sus de deacutecision budgeacutetaire est plus lent maisavec tout autant de deacutetermination La deacutegra-dation des finances publiques est manifestemais teacutemoigne de lrsquoactivisme budgeacutetaire dontont fait preuve les Eacutetats

Les politiques de crise amegravenentagrave repenser la politique eacuteconomiqueLes principes de lrsquointervention microeacutecono-mique de lrsquoEacutetat restent au moins aussi preacute-gnants rocircle des incitations neacutecessiteacute drsquounereacuteglementation souple refus drsquoun inter-ventionnisme conqueacuterant systeacutematique etgeacuteneacuteral Mais la doctrine et la theacuteorie de lapolitique macroeacuteconomique dominantes sonten crise

Des principes de politiquemicroeacuteconomique preacuteserveacutes maisrevus pour les marcheacutes financiers

Pour ce qui est du marcheacute du travail la crisequi a toucheacute de faccedilon diffeacuterencieacutee les paysselon leur capaciteacute agrave effectuer des ajuste-ments microeacuteconomiques pour assurer leurcompeacutetitiviteacute et leur reacutesilience aux chocsa eu une conseacutequence claire la puissancepublique doit privileacutegier la flexibiliteacute dumarcheacute du travail et deacutemanteler un appareilreacuteglementaire souvent asphyxiant

Une autre leccedilon de la crise est largement par-tageacutee agrave savoir la remise en cause de lrsquoideacuteeque les marcheacutes financiers sont efficaces Siles outils microeacuteconomiques agrave la disposi-tion des financiers permettent une gestionsophistiqueacutee du risque cela les amegravene agrave enassumer davantage sans prendre consciencedes effets agreacutegeacutes De fait les responsablespublics ont eux aussi neacutegligeacute les dangers demarcheacutes censeacutes srsquoautoreacuteguler Les marcheacutesfinanciers doivent donc ecirctre re-reacuteglementeacutesUne prioriteacute est drsquoappliquer les concepts dela theacuteorie de lrsquoasymeacutetrie drsquoinformation agrave lafinance et agrave lrsquoeacuteconomie bancaire de faccedilon agrave

[4] Sur les politiquesbudgeacutetaires voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de GilbertKoenig pp 53-60

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 9

comprendre les imperfections financiegraveresmais aussi pour mieux comprendre la reacutegle-mentation agrave mettre en place puisque la puis-sance publique sera toujours moins bieninformeacutee des conditions de marcheacute que lesopeacuterateurs eux-mecircmes

Le bien-fondeacute drsquoune intervention publiquesur les marcheacutes des biens en particulier parle biais drsquoune politique industrielle reste tou-jours deacutebattu Mais le consensus est toujoursque la puissance publique a un rocircle agrave jouerdans le soutien agrave lrsquoinnovation scientifique ettechnologique5

Le cadre des politiquesmacroeacuteconomiques en crise

Les risques financierset les pheacutenomegravenes de crise neacutegligeacutes

En ce qui concerne les politiques macroeacuteco-nomiques la remise en cause des principesdrsquoavant-crise est massive et touche chacundes preacutesupposeacutes du consensus qui srsquoest eacutela-boreacute depuis le deacutebut des anneacutees 1970 lorsqueles eacuteconomistes ont entrepris drsquoeacutetablir lesfondements microeacuteconomiques des pheacuteno-megravenes macroeacuteconomiques Il ne faut passous-estimer la feacuteconditeacute et la creacuteativiteacute dumonde acadeacutemique confronteacute agrave ces incerti-tudes Les reacuteflexions actuelles deacuteboucherontagrave nrsquoen pas douter sur un nouveau consensusqui fera sa place aux imperfections finan-ciegraveres et bancaires ainsi qursquoaux pheacutenomegravenespeu freacutequents Il est en revanche impossiblede dire srsquoil sera precirct agrave temps et pour com-prendre et preacutevenir la prochaine crise

Il ne peut ecirctre question de nier ou de tenirpour nul les importants progregraves de lamacroeacuteconomie depuis les anneacutees 1970 Lesmeacutethodes de modeacutelisation et drsquoestimationeacuteconomeacutetrique sont deacutesormais sophistiqueacuteeset pertinentes pour appreacutecier une reacutealiteacute tou-jours plus complexe

Mais la premiegravere geacuteneacuteration de modegraveles issusde cette meacutethodologie a deacuteboucheacute sur unmodegravele canonique trop rudimentaire inca-pable drsquoanalyser et drsquointerpreacuteter la rupture

de 2007 et ses conseacutequences Le deacutefi est drsquoob-tenir un modegravele raisonnablement simple etdonc utilisable pour les pouvoirs publics etles autoriteacutes moneacutetaires qui integravegre en mecircmetemps les imperfections financiegraveres lieacutees auxproblegravemes drsquoasymeacutetrie drsquoinformation et per-mette ainsi de formaliser les options de poli-tique macroeacuteconomique face aux risquesfinanciers

Surtout il apparaicirct clairement que les pheacute-nomegravenes de crise peu freacutequents irreacutegulierset par lagrave-mecircme difficiles agrave preacutevoir ont eacuteteacuteneacutegligeacutes Ils sont lieacutes agrave des prises de risquesfinanciers eacuteleveacutees Ces risques sont mal eacuteva-lueacutes par les agents eacuteconomiques car ils nepeuvent ecirctre correctement appreacutecieacutes qursquoauniveau macroeacuteconomique par une analysedes deacuteseacutequilibres structurels des bilans desagents et des institutions

Le renouveaudu rocircle des banques centralesLa crise a brutalement rappeleacute que lesbanques centrales ont une double mission outre la deacutetermination du taux drsquointeacuterecirctelles doivent garantir la viabiliteacute du sys-tegraveme de paiement dont deacutependent les fluxeacuteconomiques Le rehaussement de la fonc-tion prudentielle des banques centrales dansses dimensions micro et macroeacuteconomiquesnrsquoest quasiment pas discuteacute Cette fonctionimplique tant la surveillance ex ante drsquoindica-teurs de risque financier comme la structuredu bilan des banques et le ratio drsquoendette-ment (par rapport aux eacuteleacutements du passif nongarantis) que lrsquointervention ex post en cas defaillite bancaire ou de crise systeacutemique

En matiegravere de politique moneacutetaire lrsquoancragedes anticipations ne peut suffire agrave assurer lastabiliteacute macroeacuteconomique Les contraintesde financement et drsquoaccegraves aux marcheacutes finan-ciers srsquoavegraverent deacuteterminantes et sujettes agravedes variations brutales En drsquoautres termesla fonction de demande de monnaie ou encorela distribution du creacutedit ne peuvent ecirctreconsideacutereacutees comme stables

Ainsi un nouveau cadre institutionnel se meten place dont la coheacuterence avec la politique

[5] Sur la politiqueindustrielle

cf dans ce mecircmenumeacutero lrsquoarticle

de Pierre-Noeumll Giraudpp 104-110

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 10

moneacutetaire nrsquoest pas assureacutee La reacuteglemen-tation prudentielle des banques et des ins-titutions financiegraveres srsquoaccroicirct sans que lesconseacutequences macroeacuteconomiques de ce ren-forcement soient explicitement prises encompte Les banques centrales sortent ren-forceacutees de la crise eacuteconomique actuelle alorsmecircme qursquoon peut srsquointerroger sur leur soli-diteacute et leur clairvoyance un mandat pluslarge une capaciteacute drsquoaction plus grande desinstruments drsquoaction plus nombreux et moinsdiscuteacutes Pas neacutecessairement plus transpa-rentes probablement moins indeacutependantesdes pouvoirs politiques qursquoon ne le disait oulrsquoespeacuterait les banques centrales sont plus envue mais peut-ecirctre plus fragiles

Lrsquoutiliteacute de la politiquebudgeacutetaire reconsideacutereacutee

Parallegravelement se produit une reacuteeacutevaluation delrsquoutiliteacute de la politique budgeacutetaire LrsquoEacutetat aagrave la fois la possibiliteacute et la leacutegitimiteacute neacuteces-saire pour reacutepondre agrave des chocs majeurs neserait-ce qursquoen laissant fonctionner les laquo sta-bilisateurs automatiques raquo6 Ne pas le faireexpose agrave une aggravation catastrophiquede la reacutecession Les recherches reacutecentes surla valeur du multiplicateur ont abouti agrave laconclusion qursquoil valait mieux parler desmultiplicateurs car lrsquoefficaciteacute drsquoune poli-tique de deacuteficit varie en fonction des circons-tances Lrsquoefficaciteacute drsquoune politique de relancenrsquoest pas la mecircme en phase de reacutecession oudrsquoexpansion selon le niveau de lrsquoendette-ment public et la neacutecessiteacute drsquoeacutequilibrer rapi-dement les comptes publics Surtout elle estaccrue lorsque le taux drsquointeacuterecirct a atteint salimite infeacuterieure Dans cette configurationune action de relance budgeacutetaire aboutit agraveune baisse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel via lrsquoinfla-tion ce qui est un facteur expansif car leseffets drsquoeacuteviction ne sont pas agrave redouter7

Mais la crise a montreacute la difficulteacute de deacutefi-nir avec rigueur la contrainte budgeacutetaire delrsquoEacutetat LrsquoEacutetat peut devoir se porter rapide-ment au secours de tel ou tel secteur en par-ticulier devoir renflouer le secteur bancaireLa soutenabiliteacute de la dette publique reste un

impeacuteratif mais les conditions pour satisfairecette obligation sont toujours plus opaques

Agrave la lumiegravere de la conjoncture reacutecente la poli-tique budgeacutetaire semble ainsi beaucoup plusdeacutelicate et difficile agrave manipuler qursquoon ne lepensait il y a dix ans elle srsquoavegravere en outrelargement deacutependante des conditions finan-ciegraveres dans lesquelles elle est meneacutee Sonefficaciteacute mecircme reacuteeacutevalueacutee apparaicirct toujoursincertaine la position patrimoniale de lrsquoEacutetatpeut se deacutegrader tregraves brutalement et durable-ment la restauration des comptes publicsest difficile et prend du temps surtout quandelle est incomprise par lrsquoopinion publique

Nouveaux paradoxessur le rocircle de lrsquoEacutetatLa remise en cause du cadre theacuteorique de lapolitique eacuteconomique est donc moins forteqursquoon aurait pu le penser Plus largementla crise a fait apparaicirctre un fait majeur etincontournable il est impossible de penserles marcheacutes en opposition avec lrsquoEacutetat La libeacute-ralisation des marcheacutes qui fut le mantra desanneacutees de la laquo grande modeacuteration raquo ne peutse concevoir comme une absence drsquoEacutetat Pourbien fonctionner les marcheacutes doivent ecirctreencadreacutes par la puissance publique Sinoncelle-ci doit intervenir massivement pourempecirccher lrsquoeffondrement geacuteneacuteraliseacute de lrsquoeacuteco-nomie et la crise sociale qui srsquoensuivrait Lespouvoirs publics doivent assumer les risquesque lrsquoeacuteconomie de marcheacute ne peut eacutelimineret en premier lieu le risque de crise Il endeacutecoule trois conseacutequences

ndash les outils reacuteglementaires deacutefinissant lecadre des marcheacutes et les contrats que peuventnouer les agents priveacutes sont agrave nouveau consi-deacutereacutes comme indispensables Leur finaliteacute estde minimiser le risque potentiel que lrsquoEacutetatdevrait assumer Toutefois ils doivent impeacute-rativement eacutevoluer en mecircme temps que lesmarcheacutes se transforment

ndash il est primordial de disposer drsquoun systegravemefiscal solide capable de fournir les ressources

[6] Voir encadreacute p 55

[7] Une des critiquesadresseacutees agrave la politiquebudgeacutetaire est qursquoellecreacutee un effet drsquoeacutevictionpar le taux drsquointeacuterecirct la hausse du deacuteficitpublic provoqueune offre accruede titres publics quifait augmenter le tauxdrsquointeacuterecirct Cet effet estdrsquoautant plus limiteacute queles autoriteacutes moneacutetairesmaintiennent les tauxdrsquointeacuterecirct agrave un niveaufaible

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 11

neacutecessaires agrave lrsquointervention publique maisaussi de limiter les risques qui lui sont lieacutesau premier rang desquels il faut ranger lesurendettement public

ndash enfin parce que lrsquoeacuteconomie est deacutesormaismondialiseacutee la regraveglementation publique desmarcheacutes ne peut se concevoir que dans laconcertation des Eacutetats Crsquoest ce qui expliqueles tentatives drsquoharmonisation bancaire etfinanciegravere meneacutees sous lrsquoeacutegide de la Banquedes regraveglements internationaux (BRI) ndash quiabrite le Comiteacute de Bacircle ndash ou la lutte contreles paradis fiscaux discuteacutee lors des ren-contres de chefs drsquoEacutetat et de gouvernement

Deux paradoxes eacutemergent Le premier estqursquoalors mecircme que lrsquoefficaciteacute globale desmarcheacutes agrave assurer une croissance stable etsoutenue est mise en doute leur efficaciteacutemicroeacuteconomique elle nrsquoest pas contesteacuteeLe succegraves pour ce qui est du chocircmage desreacuteformes du marcheacute du travail allemand meneacutepar le gouvernement Schroumlder au deacutebut desanneacutees 2000 en est une illustration claire Aucontraire mecircme puisque personne ne deacutefendque lrsquoEacutetat puisse intervenir efficacement etfinement dans lrsquoallocation des ressources Agravecela une raison probablement dominante lamondialisation et la libeacuteralisation des mar-cheacutes sont irreacuteversibles et il est illusoire depenser qursquoun Eacutetat puisse seacuterieusement fairemieux en matiegravere drsquoallocation des ressources

Le second paradoxe est plus subtil La crisea conduit agrave une reacuteeacutevaluation du rocircle institu-tionnel de lrsquoEacutetat preacutepareacutee par des travauxscientifiques sur la conception des institu-tions et sur la gouvernance eacuteconomique Lacapaciteacute drsquoun Eacutetat omniscient et volontiersdirectif ne pouvant plus ecirctre raisonnable-ment deacutefendue personne ne doute que laresponsabiliteacute de la puissance publique est

drsquoassurer un cadre coheacuterent propice au bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie de marcheacuteMais dans le mecircme temps lrsquoEacutetat est sommeacuteou conduit agrave intervenir massivement en der-nier recours et agrave proteacuteger ses citoyens devantles turbulences majeures ou jugeacutees telles delrsquoeacuteconomie quitte agrave bouleverser les regraveglesinstitutionnelles qursquoil a lui-mecircme eacutedicteacutees

Face agrave ces paradoxes la tacircche des eacutecono-mistes peut se reacutesumer ainsi il leur fautcomprendre agrave nouveaux frais lrsquoarticulationentre Eacutetats et marcheacutes en prenant en comptela sophistication croissante des marcheacutesla mondialisation et la monteacutee des risquesdevant lesquels les agents eacuteconomiquesdemandent une protection sans cesse renfor-ceacutee agrave la puissance publique

Il ne faut donc pas srsquoeacutetonner des tacirctonne-ments des eacuteconomistes qui reacutefleacutechissent agravela porteacutee effective et souhaiteacutee de lrsquoactionpublique dans lrsquoeacuteconomie mondialiseacutee etconcurrentielle drsquoaujourdrsquohui

Agrave lrsquoheure actuelle aucun consensus nrsquoa eacuteteacutetrouveacute qui pourrait remplacer lrsquoancien Seslacunes sont trop patentes et les nouveauxtraits de lrsquoeacuteconomie de marcheacute trop surpre-nants pour qursquoon puisse srsquoen eacutetonner Il estdonc impossible de fonder les politiqueseacuteconomiques sur des certitudes theacuteoriqueslargement partageacutees Plus que jamais lapolitique eacuteconomique reste un art que pra-tiquent des responsables politiques surveil-leacutes de pregraves par des citoyens aussi exigeantsqursquoinquiets

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 12

CHRISTOPHE DEMAZIEgraveRE

Universiteacute Franccedilois-Rabelais de Tours

Essentiellement conccedilue et mise en œuvre par lrsquoEacutetat durant les Trente Glorieuses la politiqueeacuteconomique eacutemane aujourdrsquohui de plusieurs eacutechelons institutionnels en particulier lrsquoUnion euro-peacuteenne et les collectiviteacutes territoriales dont le rocircle srsquoest imposeacute au cours des trente derniegraveresanneacutees Ce passage drsquoun laquo Eacutetat tout puissant raquo agrave un laquo polycentrisme institutionnel raquo a eacuteteacute favoriseacutepar la crise de leacutegitimiteacute et drsquoefficaciteacute de lrsquoEacutetat ainsi que par lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau contexteeacuteconomique Christophe Demaziegravere lrsquoanalyse en srsquoappuyant sur les exemples des politiques indus-trielles et drsquoameacutenagement des territoires des anneacutees 1970-1980 La politique de compeacutetitiviteacute desterritoires illustre parfaitement lrsquoarticulation des diffeacuterents eacutechelons de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publiqueSelon le FMI la France se situait en 2012 audeuxiegraveme rang des pays deacuteveloppeacutes pour lepoids de ses deacutepenses publiques dans le PIB(56 ) derriegravere le Danemark (57 ) devant despays comme la Belgique (53 ) les Pays-Baset lrsquoItalie (50 ) Pour les pays anglo-saxonscomme le Royaume-Uni et les Eacutetats-Unis cetteproportion atteint respectivement 45 et 40 du PIB Ces chiffres eacuteleveacutes traduisent lrsquoimpactde la crise actuelle sur les finances publiquesmais aussi et surtout lrsquoexpansion consideacute-rable de lrsquointervention de lrsquoEacutetat dans lrsquoeacutecono-mie au cours du XXe siegravecle Le poids croissantdes deacutepenses a susciteacute des deacutebats sur lrsquoeffica-citeacute de lrsquoaction publique1 Nous mettrons icilrsquoaccent sur la multiplication des eacutechelons delrsquointervention publique notamment agrave traversles processus drsquointeacutegration europeacuteenne et dedeacutecentralisation La politique eacuteconomique estdeacutesormais conccedilue et conduite entre des entiteacutespolitico-administratives varieacutees Les travauxdrsquoanalyse de politiques publiques montrentqursquoentre gouvernements organes de lrsquoUnion

europeacuteenne et collectiviteacutes territoriales lesmodes de deacutecision et drsquoaction ne sont pas lesmecircmes (Meacuteny et Thoenig 1989 Knoepfel Lar-rue et Varone 2001)2 Pour lrsquoillustrer dans lamesure ougrave lrsquoeacuteventail des interventions rassem-bleacutees sous le terme de politique eacuteconomique esttregraves large nous nous contenterons drsquoapporterun eacuteclairage dans les domaines de la politiqueindustrielle et du deacuteveloppement reacutegional

La politique eacuteconomique leacutegitime un temps reacutevolu De laquo lrsquoEacutetat circonscrit raquoagrave laquo lrsquoEacutetat inseacutereacute raquoAu XXe siegravecle la grande crise eacuteconomique desanneacutees 1930 puis celle qui deacutebuta en 1973

[1] Ces deacutebats ne sontpas abordeacutes dans cetarticle Le lecteurinteacuteresseacute trouveraune tregraves claire synthegravesedes deacutebats entreeacuteconomistes danslrsquoouvrage Rosier B(2003)

[2] Dans cet articlele terme de pouvoirspublics englobera tousces acteurs

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 13

publics tandis quelrsquoEacutetat sera reacuteserveacuteau gouvernementau parlement aux

administrationscentrales et

deacuteconcentreacutees Parailleurs dans la mesure

ougrave nous ne traiteronspas de la politique

conjoncturelle nousnrsquoaborderons pas

drsquoautres acteurs delrsquoaction publique en

eacuteconomie tels queles banques centralesles marcheacutes financiers

ou les institutionsinternationales

encadrantles fluctuations

des taux de change ou lecommerce international

[3] Agrave cette eacutepoque lesdeacutepenses du budget

de lrsquoEacutetat repreacutesententmoins de 10 du PIBet sont consacreacutees de

faccedilon preacutedominanteau remboursement de

la dette nationale

[4] Cf Perroux F (1961)Lrsquoeacuteconomie du XXe siegravecle

Paris PUF

[5] Citons notammentle Commissariat agrave

lrsquoEacutenergie AtomiquelrsquoInstitut Franccedilais

du Peacutetrole le CentreNational drsquoEacutetudes

Spatiales le CentreNational drsquoEacutetude desTeacuteleacutecommunications

eurent des effets contradictoires en matiegraverede conception de la politique eacuteconomique(Rosier 2003) La premiegravere leacutegitima lrsquoactionde lrsquoEacutetat en faisant la deacutemonstration quecontrairement agrave certains attendus theacuteoriquesle marcheacute est incapable de reacutealiser spontaneacute-ment lrsquoeacutequilibre eacuteconomique et le bien-ecirctreoptimal Auparavant au deacutebut du XXe siegraveclelaquo lrsquoEacutetat circonscrit raquo (Delorme et Andreacute 1983)avait trois buts majeurs dont un seulementeacutetait eacuteconomique lrsquoordre public la paix etla reacutefeacuterence fixe de la monnaie nationale agravelrsquoor3 Issu de la crise des anneacutees 1930 laquo lrsquoEacutetatinseacutereacute raquo agrave la sphegravere eacuteconomique rayonna agravepartir des anneacutees 1950 Lrsquoaction eacuteconomiquede lrsquoEacutetat exprime alors un projet de socieacuteteacuteconstruit avec les repreacutesentants des entre-prises et les syndicats Pour la premiegravere foislrsquoEacutetat se pense et est reconnu comme leacutegitimeagrave favoriser lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi au logementagrave jeter les bases de la protection sociale agravelaquo deacutemocratiser raquo lrsquoenseignementhellip De mecircmeil se preacuteoccupe de lrsquoeacuteconomie des reacutegionsles moins deacuteveloppeacutees afin drsquoatteindre parricochet les populations qui y vivent

Lrsquoexemple de la politiquedrsquoameacutenagement du territoire

Durant les anneacutees 1950-1960 afin de pro-grammer la reacutealisation drsquoeacutequipements dans letemps et lrsquoespace lrsquoEacutetat creacutee les circonscrip-tions drsquoaction reacutegionale qui preacutefigurent dansleurs contours geacuteographiques les 22 reacutegionsde France meacutetropolitaine Lrsquoattention est foca-liseacutee sur les aspects eacuteconomiques du deacuteve-loppement des reacutegions La vision privileacutegieacuteeest que les reacutegions rurales laquo en retard raquo dedeacuteveloppement drsquoun cocircteacute les reacutegions drsquoan-cienne industrie laquo en crise raquo de lrsquoautre pour-ront laquo rattraper raquo les reacutegions prospegraveres enempruntant le mecircme chemin que celles-ciUn vigoureux effort drsquoeacutequipement en infras-tructures permettra drsquoimplanter des pocirclesindustriels qui en croissant diffuserontprogressivement le deacuteveloppement eacutecono-mique aux arriegravere-pays4 (Perroux 1961) Parexemple en offrant des subventions ou deacutegregrave-vements fiscaux lrsquoEacutetat cherche agrave susciter

lrsquoimplantation drsquoeacutetablissements drsquoindustriesmodernes (de lrsquoautomobile agrave lrsquoeacutelectronique)dans la province connaissant lrsquoexode ruralContournant les eacutelus locaux lrsquoameacutenagementdu territoire se caracteacuterise par une gestioncentraliseacutee et une mise en œuvre assureacutee parles services deacuteconcentreacutes de lrsquoEacutetat Au bout ducompte le bilan sera mitigeacute Gracircce aux entre-prises pratiquant le taylorisme et en recherchede main-drsquoœuvre non qualifieacutee lrsquoemploi indus-triel va croicirctre spectaculairement dans lrsquoOuestfranccedilais Mais dans le mecircme temps la reacutegionparisienne accapare la croissance des emploisles plus qualifieacutes dans les services supeacuterieursCertes les exceptions notables de Grenoble ouToulouse montrent que lrsquoessor technologiquepeut avoir une origine locale mais aussi qursquoilest toujours renforceacute par des deacutecisions derelocalisation drsquoentreprises ou de centres derecherche prises au plus haut niveau de lrsquoEacutetat

Les Trente Glorieuses sont marqueacutees pardrsquoautres actions publiques volontaristes ayantcomme cible les entreprises Loin de se limiteragrave la reacutegulation de la concurrence ou agrave la ges-tion des externaliteacutes une politique industriellesrsquoeacuterige alors autour de grands programmes derecherche fondamentale porteacutes par des orga-nismes ad hoc5 incite au deacuteveloppement desrelations science-industrie et deacutebouche surdes produits innovants faisant lrsquoobjet de com-mandes publiques importantes Agrave lrsquoactif decette politique qursquoun de ses analystes quali-fie de laquo colbertisme high-tech raquo (Cohen 1992)on peut citer le deacuteveloppement de lrsquoindustrieaeacuteronautique civile et militaire des teacuteleacutecom-munications du nucleacuteaire de lrsquoinformatiqueou encore du transport ferroviaire

Ces exemples drsquointervention signalent unlaquo acircge drsquoor raquo de la politique eacuteconomique faisanteacutecho agrave lrsquolaquo acircge drsquoor du capitalisme raquo des anneacutees1945-1973 (Marglin et Schor 1990) La trans-formation rapide des systegravemes productifs desterritoires et des conditions de vie srsquoappuiesur la forte leacutegitimiteacute dont lrsquoEacutetat jouit alorsMais derriegravere le consensus tregraves large autourdes notions de laquo bien-ecirctre raquo et de laquo progregraves raquolrsquoaction publique concreacutetise lrsquoindustrialisation

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 14

agrave marche forceacutee le productivisme agricole lamarchandisation des modes de vie En eacutenumeacute-rant ces choix fondateurs du mode de deacutevelop-pement des Trente Glorieuses on perccediloit queles deacutemarches publiques de cet laquo acircge drsquoor raquonrsquoont eacuteteacute leacutegitimes qursquoun temps Depuis lesanneacutees 1970 elles ont eacuteteacute contesteacutees de touscocircteacutes conduisant agrave reacuteinventer progressive-ment les reacutefeacuterences les modes de deacutecision etles faccedilons de faire de lrsquoEacutetat dans sa relation agravela croissance eacuteconomique

Une politique eacuteconomiqueen redeacutefinition lrsquoEacutetat confronteacute auxmarcheacutes et agrave drsquoautres acteurs publics

Crise de leacutegitimiteacute de lrsquoEacutetat

Apregraves des deacutecennies de preacutesence incontesteacuteelrsquoEacutetat rencontre un certain nombre de diffi-culteacutes dans la conception et la mise en œuvrede ses actions dans lrsquoeacuteconomie Certainsimputent cette situation agrave lrsquoeacutevolution des fon-dements mecircmes de lrsquoeacuteconomie contemporaine(Rosier 2003) Lrsquoexpansion continue du com-merce mondial la globalisation financiegravere lamonteacutee de lrsquoincertitude sont des contraintesfortes pour la politique moneacutetaire ou bud-geacutetaire nationale Dans le cas de la Francelrsquoapprofondissement de la construction euro-peacuteenne a constitueacute une reacuteponse volontaristeagrave ce nouvel environnement mais ce choixredeacutefinit tregraves sensiblement les contours et lesmodaliteacutes de la politique eacuteconomique natio-nale Par exemple la creacuteation de lrsquoeuro et lamise en place de la Banque centrale euro-peacuteenne (BCE) se traduisent par un transfertde souveraineteacute Du reste depuis vingt ansde nombreux gouvernements des pays euro-peacuteens fussent-ils de tendance politiqueopposeacutee ont adopteacute une politique de deacutefla-tion compeacutetitive De mecircme la deacuteclarationdu Conseil europeacuteen de Lisbonne en 2000affirmant vouloir faire de lrsquoUnion europeacuteennelaquo lrsquoeacuteconomie de la connaissance la plus com-peacutetitive et la plus dynamique du monde raquo drsquoici

2010 a eacuteteacute suivie de diverses reacuteformes natio-nales Dans cette mouvance lrsquoEacutetat a entreprisdes actions visant agrave encourager la flexibi-liteacute du marcheacute du travail et lrsquoinnovationCeci concerne les entreprises priveacutees maisaussi le secteur public notamment dans desdomaines comme lrsquoenseignement supeacuterieur etla recherche Dans lrsquoapregraves-guerre lrsquoexpansiondes services publics se justifiait fondamenta-lement par lrsquoobjectif de reacuteduction des ineacutega-liteacutes de condition eacuteconomique et sociale Orcelui-ci a largement disparu de lrsquoagenda Larevendication au laquo moins drsquoEacutetat raquo est difficileagrave mettre en œuvre mais elle est en phase avecune demande sociale croissante de meilleuregestion des fonds publics

Des politiques eacuteconomiques localespour assumer la deacutecentralisation

Lrsquoarticle 5 de la loi de deacutecentralisation du5 mars 1982 affirme que laquo lrsquoEacutetat a la respon-sabiliteacute de la conduite de la politique eacutecono-mique et sociale ainsi que de la deacutefense delrsquoemploi raquo mais les collectiviteacutes locales fran-ccedilaises assurent aujourdrsquohui plus de 70 desinvestissements publics Les interventionsdes communes deacutepartements et reacutegions enfaveur de lrsquoemploi et du deacuteveloppement eacuteco-nomique ont pris une ampleur respectableParmi les outils employeacutes en direction desentreprises les plus courants sont lrsquoameacutena-gement de zones drsquoactiviteacutes la constructionde locaux les primes verseacutees agrave lrsquooccasionde la creacuteation ou de lrsquoimplantation drsquoun eacuteta-blissement ou lrsquoexoneacuteration temporaire duversement de taxes locales Lrsquointerventionde tous les niveaux de collectiviteacutes dans ledeacuteveloppement eacuteconomique est un corol-laire de la deacutecentralisation non pas tantdu fait des compeacutetences accordeacutees dans ceseul domaine mais parce que les collectivi-teacutes locales assument beaucoup plus directe-ment qursquoavant les conseacutequences financiegraveresde lrsquoensemble de leurs nouveaux pouvoirsDeacutecider en matiegravere drsquourbanisme de logementdrsquoaction sociale ou de transports collectifscrsquoest aussi souvent financer Mecircme si lrsquoEacutetat

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 15

[6] Consideacutereacute agrave drsquoautreseacutechelles spatiales ndash etnotamment au niveau

drsquoune nation ndash uneprogression reacuteguliegraverede lrsquoimpocirct local peut

ecirctre consideacutereacuteecomme peacutenalisant

la compeacutetitiviteacutedes entreprises

Le produit de la taxeprofessionnelle (TP)repreacutesentait 2 du

produit inteacuterieur brutagrave la fin des anneacutees 1990

contre 11 en 1976

ou lrsquoUnion europeacuteenne peuvent apporter dessubsides le deacuteveloppement des entreprisesdans la mesure ougrave il permet de collecter plusde taxe est devenu une preacuteoccupation de pre-mier plan des collectiviteacutes locales6

Mais la multitude drsquoacteurs publics engageacuteset de mesures utiliseacutees rend difficile lrsquoeacutevalua-tion des effets reacuteels de lrsquoaction eacuteconomiquelocale (Levet 2003) La loi du 13 aoucirct 2004relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes localesnrsquoa pas consacreacute la reacutegion laquo chef de file raquo delrsquoaction eacuteconomique locale Toutes les collec-tiviteacutes peuvent intervenir eacuteconomiquement lareacutegion ayant simplement la possibiliteacute drsquoeacutela-borer un scheacutema reacutegional de deacuteveloppementeacuteconomique (SRDE) apregraves concertation avecles deacutepartements les communes et leurs grou-pements Une fois reacutealiseacute un SRDE permet letransfert drsquoaides octroyeacutees jusqursquoici par lrsquoEacutetataux reacutegions Ce transfert srsquoest reacutealiseacute danstoutes les reacutegions teacutemoignant de la volonteacutedes Conseils reacutegionaux drsquoassumer de plus enplus un pouvoir dans le domaine eacuteconomique

Redeacuteploiement de lrsquoEacutetat

Faut-il en deacuteduire que dans le domaine eacuteco-nomique les autoriteacutes locales ou reacutegionalescommenceraient agrave occuper un vide laisseacute parlrsquoEacutetat-nation En reacutealiteacute il nrsquoy a pas tantretrait que redeacuteploiement de lrsquoEacutetat (Jobert1999) La mise agrave lrsquoagenda gouvernemental dequestions jugeacutees cruciales pour la croissanceeacuteconomique future comme lrsquoinnovation oula connaissance aboutit agrave la creacuteation drsquoins-tances nouvelles de pilotage drsquoagences dereacutegulation indeacutependantes etc Hier la poli-tique eacuteconomique se lisait agrave travers une capa-citeacute pluriseacuteculaire agrave lever lrsquoimpocirct et agrave battremonnaie Dans les repreacutesentations le pouvoirsrsquoexerccedilait par un mouvement du haut vers lebas du cœur de lrsquoEacutetat vers les laquo administreacutes raquode Paris jusqursquoaux plus lointaines provincesAujourdrsquohui il est en butte agrave des visionsexteacuterieures sur la politique nationale ndash deslaquo examens raquo de lrsquoOCDE aux avertissementsou sanctions de la Commission europeacuteenneDe plus les instruments traditionnels sont

en deacutecalage avec lrsquoirreacutesistible eacutelargissementdes eacutechelles geacuteographiques de reacutefeacuterence desentreprises y compris des anciens laquo cham-pions nationaux raquo que la politique indus-trielle avait porteacute si haut Enfin Paris estconfronteacute agrave la leacutegitimiteacute octroyeacutee aux reacutegionsdeacutepartements groupements de communesdu fait de la deacutecentralisation

Au total face agrave des inteacuterecircts fragmenteacutesdont deacutecoulent des conceptions antago-nistes sur lrsquoopportuniteacute de lrsquoaction publiquela politique eacuteconomique peut laisser uneimpression incertaine Or comme le montreF Lordon (1997) agrave propos de la reacuteception dedeacutecisions gouvernementales par les marcheacutesfinanciers il importe que le travail drsquointer-preacutetation de lrsquoaction publique soit guideacute Onpeut en deacuteduire qursquoen amont de toute deacuteci-sion se place deacutesormais la question du sensde la confiance reacuteciproque de lrsquoacceptabiliteacute

Bien plus qursquohier la politique eacuteconomique avocation agrave prendre des formes plurielles Elleest peu lisible et ce de faccedilon durable dansla mesure ougrave la souveraineteacute de lrsquoEacutetat-nationest mineacutee Lrsquoaction publique est polycen-trique au niveau de la deacutecision de la miseen œuvre ou de lrsquoeacutevaluation La politique eacuteco-nomique nrsquoeacutechappe pas aux recouvrementsde champs de compeacutetences elle peut fairelrsquoobjet de controverses internes ou externes elle neacutecessite des investissements de formepour construire un reacutefeacuterentiel commun

Une illustration du polycentrismeinstitutionnel la compeacutetitiviteacute

La notion de compeacutetitiviteacuteOn peut trouver une illustration du caractegravereneacutegocieacute et controverseacute de la politique eacutecono-mique dans la notion de compeacutetitiviteacuteApparuen France au deacutebut des anneacutees 1990 par anti-cipation des effets de la mise en place du Mar-cheacute unique ce pseudo-concept se mesurait auniveau microeacuteconomique par la productiviteacutele coucirct des facteurs ou lrsquoeacutevolution des parts demarcheacute On pouvait par agreacutegation deacuteduirele niveau de compeacutetitiviteacute drsquoun secteur oude lrsquoeacuteconomie nationale dans son ensemble

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 16

Mais il semble qursquoil y ait eu diffeacuterents glisse-ments de sens Deacutesormais la compeacutetitiviteacute estposeacutee drsquoembleacutee comme un objectif de niveaumacroeacuteconomique avec des deacuteclinaisons (etdonc des actions publiques) sectorielles7 Ensuite la mise en place de lrsquoeuro a changeacute lanotion de compeacutetitiviteacute La compeacutetitiviteacute-prix(variable au greacute des fluctuations du change oudes variations de prix) nrsquoest plus un repegravere etles entreprises focalisent leurs efforts sur lacompeacutetitiviteacute hors-prix autrement dit sur leurcapaciteacute agrave imposer des produits par la monteacuteeen qualiteacute lrsquoinnovation technologique ou decommercialisation la creacuteation de serviceshellip(Camagni 2005)

Une nouvelle relation de lrsquoEacutetatagrave lrsquoespace et aux acteurs locaux

La compeacutetitiviteacute constitue une injonction duniveau national en direction de certains sec-teurs ou territoires Sur le plan sectoriel cetimpeacuteratif modegravele les systegravemes publics etpriveacutes de formation et de recherche posantla question de leur articulation aux dyna-miques eacuteconomiques En teacutemoignent cer-taines initiatives eacutetatiques comme la creacuteationdrsquoagences censeacutees accroicirctre le financementde la recherche et faciliter les transferts detechnologie8 le regroupement des universiteacuteseacutecoles et organismes de recherche en pocirclesde recherche et drsquoenseignement supeacuterieurcenseacutes ecirctre visibles agrave lrsquoeacutechelle internatio-nale ou la volonteacute de mesurer lrsquoefficaciteacute delrsquoenseignement supeacuterieur agrave travers un suivi delrsquoinsertion professionnelle des diplocircmeacutes Parailleurs lrsquoEacutetat est conduit agrave adopter une rela-tion nouvelle agrave lrsquoespace valorisant en particu-lier les espaces infranationaux susceptiblesde contribuer agrave la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacutecono-mie nationale gracircce agrave leur dotation en capitalhumain en infrastructures et en activiteacutes eacuteco-nomiques prometteuses Au cours des anneacutees1960 la croissance eacuteconomique eacutetant une don-neacutee il srsquoagissait de la reacutepartir sur lrsquoensemblede lrsquoespace national notamment en reacuteeacutequili-brant lrsquoeacutecart Paris-province Aujourdrsquohui lacroissance eacuteconomique eacutetant lrsquoobjectif onassiste plutocirct agrave la valorisation par lrsquoEacutetat de

diffeacuterenciations eacuteconomiques la viseacutee natio-nale eacutetant avant tout de maintenir la positionde la France dans lrsquoeacuteconomie mondiale

La politique des pocircles de compeacutetitiviteacute illustrelrsquoeacutevolution vers une nouvelle politique indus-trielle srsquoappuyant sur certains territoires plu-tocirct que sur des entreprises En 2004 un appelagrave projet a eacuteteacute lanceacute par le gouvernement pourinitier ou renforcer les coopeacuterations entreentreprises uniteacutes de recherche et centresde formation autour de projets drsquoinnovationdrsquoambition internationale 105 projets ont eacuteteacutepreacutesenteacutes et 67 seacutelectionneacutes en juillet 20059 LrsquoEacutetat appuie ces pocircles par des allegravegementsfiscaux (exoneacuteration de lrsquoimpocirct sur les socieacute-teacutes) et sociaux (exoneacuteration de cotisationssociales pour les chercheurs) ou des creacuteditsdrsquointervention ministeacuteriels compleacuteteacutes parles agences pour lrsquoinnovation industrielle etla recherche Depuis 2005 900 projets colla-boratifs de recherche et deacuteveloppement (R ampD) ont beacuteneacuteficieacute drsquoun financement public de17 milliard drsquoeuros (dont plus de 11 milliardpar lrsquoEacutetat dans le cadre du fonds uniqueinterministeacuteriel) compleacuteteacutes par environ27 milliards drsquoeuros de deacutepenses priveacutees deRampD Certaines PME et ETI srsquoy impliquent pour ces cateacutegories drsquoentreprises lrsquoemploiconsacreacute agrave la RampD a augmenteacute en moyenne de23 entre 2006 et 2009

Une politique qui articule les diffeacuterentseacutechelons de lrsquoaction publique

La nouveauteacute de cette politique est qursquoelleest nationale en ce qui concerne la prisede deacutecision locale dans la mise en œuvreet internationale par les effets rechercheacutesBien que lrsquoEacutetat initie cet appel agrave projet lecaractegravere partenarial des pocircles a donneacute auxacteurs locaux des eacuteleacutements de pilotage de ladeacutemarche (Demaziegravere 2006) Drsquoune part crsquoestau niveau reacutegional que peuvent interagir lesacteurs publics et priveacutes de la recherche et delrsquoinnovation industrielle Drsquoautre part en lan-ccedilant une dynamique de projets soumis agrave uneeacutevaluation continue les pocircles de compeacutetiti-viteacute rendent possible une participation accruedes collectiviteacutes locales au financement de la

[7] On peut ici comparerdeux rapports officielsqui agrave dix ans dedistance ont marqueacuteles deacutebats Taddeacutei Det Coriat B (1993)Made in FranceLrsquoindustrie franccedilaisedans la compeacutetitionmondiale ParisLibrairie geacuteneacuteralefranccedilaise DebonneuilM et Fontagneacute L (2003)Compeacutetitiviteacute rapportdu Conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 40Paris La Documentationfranccedilaise

[8] Agence delrsquoinnovation industrielleAgence nationale dela recherche OSEOBanque publiquedrsquoinvestissementhellip

[9] Dont six pocircles delaquo niveau mondial raquoet neuf pocircles laquo agravevocation mondiale raquo quirecevront lrsquoessentieldes financementspublics

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 17

recherche Celles-ci peuvent notamment four-nir des services ou des biens collectifs auxentreprises des diffeacuterents pocircles

Lrsquoobjectif de compeacutetitiviteacute peut se traduirepar des mesures nationales par exemple enportant sur la fiscaliteacute des entreprises Maisil deacutebouche eacutegalement sur une mise en valeurdes territoires Ici lrsquoEacutetat est confronteacute agrave lrsquoarti-culation de ses actions avec drsquoautres pouvoirsAgrave partir des anneacutees 1980 la deacutecentralisationa permis en theacuteorie agrave chaque territoire dejouer ses propres cartes en matiegravere de deacuteve-loppement eacuteconomique pour un jeu que lrsquoEacutetatcentral parvenait mal agrave reacuteguler Aujourdrsquohuila promotion drsquoune eacuteconomie fondeacutee sur laconnaissance a une dimension territorialecar une des modaliteacutes des collaborationsentre entreprises et centres de recherche estla proximiteacute geacuteographique Sa concreacutetisationpasse toutefois par la mobilisation drsquoacteursassez autonomes tels que les reacutegions les uni-versiteacutes ou les grandes entreprises Apregraves unXXe siegravecle qui a vu laquo lrsquoEacutetat souverain raquo puis

laquo lrsquoEacutetat deacutefaillant raquo assiste-t-on aujourdrsquohuipar ce biais agrave lrsquoavegravenement de laquo lrsquoEacutetat anima-teur raquo Transfeacuterant ainsi dans le champ de lapolitique eacuteconomique la formule de JacquesDonzelot et Philippe Estegravebe (1984) agrave propos dela politique de la ville nous voulons dire par lagraveque lrsquoEacutetat est confronteacute agrave des acteurs publicsdeacutecentraliseacutes qursquoil a creacuteeacutes et qui se sont saisides questions du deacuteveloppement eacuteconomiqueDeacutesormais comment la politique eacuteconomiquestructurelle peut-elle concilier lrsquoinsertiondans lrsquoeacuteconomie internationale et la dimen-sion infranationale des dynamiques de deacuteve-loppement Assistera-t-on ces prochainesdeacutecennies agrave une territorialisation partielle dela politique eacuteconomique analogue agrave la terri-torialisation de la politique sociale depuis lesanneacutees 1980 Pour en rendre compte il fau-drait probablement eacutetudier la coordinationdes acteurs plutocirct que drsquoen rester agrave une visioncentreacutee sur lrsquoEacutetat et ses instruments tradition-nels de politique eacuteconomique

CAMAGNI R (2005) laquo Attractiviteacute et compeacutetitiviteacute un binocircme agrave repenser raquoTerritoires 2030 ndeg 1

COHEN E (1992) Lecolbertisme high-tech Paris Hachette

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DEMAZIEgraveRE C (2006) laquo LrsquoEacutetat et les acteurslocaux dans la mise en placedes pocircles de compeacutetitiviteacuteen France raquoAnnales de la Rechercheurbaine ndeg 101

DONZELOT J ESTEgraveBE P (1984) LrsquoEacutetat animateur Essai surla politique de la ville ParisEsprit

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une gouvernance agravereconstruire Paris La Documentation franccedilaise

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ROSIER B (2003) Les theacuteoriesdes crises eacuteconomiques ParisLa Deacutecouverte

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 18

SOPHIE BRANA

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute Montesquieu Bordeaux IV

Parce qursquoelle se traduit par une interdeacutependance croissante des eacuteconomies la mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute des politiques eacuteconomiques Contrairement agrave lrsquoideacutee reccedilue lrsquoimpact ne se limite pas toutefois agrave une reacuteduction des marges de manœuvre des gouvernements Il varie consideacuterablement selon la taille du pays le reacutegime de change le degreacute de mobiliteacute des capi-taux et lrsquoouverture commerciale de lrsquoeacuteconomie Ainsi si les pariteacutes des monnaies sont flexibles lrsquoouverture commerciale et financiegravere rend la politique budgeacutetaire inopeacuterante mais accroicirct lrsquoef-ficaciteacute de la politique moneacutetaire Lrsquoimpact de la mondialisation sur les politiques eacuteconomiques se manifeste surtout comme nous le montre Sophie Brana par des interdeacutependances et des effets de report ce qui pose la question de la coordination internationale de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeuxLa mondialisation traduit lrsquoouverture crois-sante des eacuteconomies aux eacutechanges com-merciaux (biens et services) financiers(mouvements de capitaux) ainsi que la mobi-liteacute de plus en plus forte des facteurs deproduction (flux de main-drsquoœuvre investisse-ments directs eacutetrangers)

Cette mondialisation se manifeste par uneinterdeacutependance de plus en plus pousseacuteedes eacuteconomies un eacuteveacutenement se produisantdans une zone ou un grand pays va en affecterdrsquoautres via les flux financiers ou commer-ciaux Il en reacutesulte une synchronisation crois-sante des cycles drsquoabord entre les grands paysindustrialiseacutes puis depuis les anneacutees 1990avec les pays eacutemergents (graphique 1)

Une premiegravere source drsquointerdeacutependanceprovient du commerce international qui

progresse depuis la Seconde Guerre mon-diale plus vite que le PIB traduisant un tauxdrsquoouverture croissant des eacuteconomies (gra-phique 2) La production et la croissancenationales deacutependent de plus en plus de lademande mondiale

Lrsquointeacutegration financiegravere internationale constitue une deuxiegraveme source drsquointerdeacute-pendance Le passage aux changes flottants agrave la fin des anneacutees 1970 le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication (TIC) le mouvement de deacuteregraveglementation financiegravere dans les anneacutees 1980 (pays industrialiseacutes) et 1990

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 19

(pays eacutemergents) ont favoriseacute lrsquoexplosion des flux de capitaux (graphique 3) La mobiliteacute des capitaux permet la diversification inter-nationale des portefeuilles et lrsquoarbitrage des investisseurs entre actifs situeacutes dans diffeacute-rents pays en fonction du couple rendementrisque Les eacuteconomies nationales deviennent ainsi davantage deacutependantes du comporte-ment des investisseurs internationaux de leur aversion au risque et du retournement des anticipations

Enfin une part croissante des flux est consti-tueacutee drsquoeacutechanges intra-firmes Le reacuteseau desfirmes multinationales et de leurs filialesfavorise la propagation des chocs entre paysvia les profits ou les pertes La crise des sub-primes est un bon exemple de diffusion drsquounchoc financier entre pays par les relationsinterbancaires (flux internationaux de capi-taux) mais eacutegalement par les reacuteseaux mai-sons-megraveres filiales

La mondialisation a un impact sur la poli-tique eacuteconomique car elle modifie son cadre

drsquoaction ses marges de manœuvre et son effi-caciteacute Cet impact deacutepend du degreacute drsquointeacutegra-tion commerciale et financiegravere du pays de sataille mais eacutegalement du reacutegime de changechoisi

La mondialisation creacutee des interdeacutepen-dances auxquelles la reacuteponse optimale seraitune meilleure coopeacuteration internationale Orcelle-ci a peu de chances drsquoeacutemerger sponta-neacutement En geacuteneacuteral elle passe soit par desformes drsquointeacutegration reacutegionale (comme lazone euro) soit par le biais drsquoorganisationsinternationales (FMI Banque des regraveglementsinternationauxhellip)

Mondialisation et efficaciteacutede la politique eacuteconomiqueLa mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute de lapolitique eacuteconomique nationale agrave traversdeux canaux lrsquoouverture commerciale etlrsquoouverture financiegravere

1 Taux de croissance reacuteel par habitant (en )

Proj3

2

1

0

ndash 1

ndash 2

ndash 3

ndash 4

ndash 51981 1990 200284 87 93 96 99 05 08 11 14

Eacuteconomies eacutemergentes et en deacuteveloppement

Eacuteconomies avanceacutees

Source Dervis K (2012) laquo Eacuteconomie mondiale Convergence interdeacutependance et divergence raquo Finances et deacuteveloppement FMI septembre

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 20

Ouverture commercialeet fuites en importationsTout drsquoabord lrsquoouverture de lrsquoeacuteconomie auxeacutechanges internationaux de biens et servicesdiminue lrsquoefficaciteacute de la politique conjonc-turelle en reacuteduisant la valeur des multiplica-teurs Keynes a montreacute que toute hausse dela demande (qui peut ecirctre provoqueacutee par unepolitique budgeacutetaire ou moneacutetaire de relance)augmentait de faccedilon amplifieacutee lrsquoactiviteacute eacuteco-nomique En eacuteconomie ouverte cependantune partie de cet effet de relance beacuteneacuteficie aureste du monde via les importations de bienset services Ainsi alors que le multiplicateurkeyneacutesien simple en eacuteconomie fermeacutee est de 5(une hausse de la demande globale de 1 pro-voquera une hausse du revenu de 5) si lrsquoeacuteco-nomie importe 20 des biens consommeacutes lamecircme politique de relance aura un impactdeux fois plus faible (multiplicateur de 25)

Plus lrsquoeacuteconomie est ouverte plus lrsquoeffet mul-tiplicateur sera faible et moins la politiqueeacuteconomique nationale aura drsquoimpact sur lrsquoac-tiviteacute domestique (graphique 4)

Les effets ambigusde lrsquoouverture financiegraveresur la politique budgeacutetaireLes effets de lrsquoouverture financiegravere sontplus ambigus car ils deacutependent du type depolitique eacuteconomique conjoncturelle et dureacutegime de change La politique eacuteconomiquea un impact sur le niveau des taux drsquointeacuterecirctsoit directement dans le cas de la politiquemoneacutetaire soit indirectement pour la poli-tique budgeacutetaire (via la demande de monnaieou la demande de fonds precirctables) Touteschoses eacutegales par ailleurs une variation destaux drsquointeacuterecirct provoquera des mouvementsde capitaux ceux-ci eacutetant deacutetermineacutes par lesrendements relatifs des actifs dans les diffeacute-rents pays

Une politique budgeacutetaire expansionnistea un impact positif sur le revenu maiseacutegalement sur le taux drsquointeacuterecirct nationalLa hausse des taux attire les capitaux siceux-ci sont mobiles car ils sont davantagereacutemuneacutereacutes ce qui fait appreacutecier la monnaiedomestique (son prix augmente car elle estplus demandeacutee) Cette appreacuteciation peacutena-lise les exportations la demande eacutetrangegraverepour les biens nationaux se reacuteduit Dans le

2 Exportations mondiales de biens (en milliards de dollars)

20 000

18 00016 00014 00012 000

10 0008 0006 000

4 0002 000

0

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2012

Source FMI Donneacutees annuelles

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cas extrecircme ougrave les capitaux sont parfaite-ment mobiles la politique budgeacutetaire estinefficace car lrsquoeffet drsquoeacuteviction est total Lahausse des deacutepenses publiques est com-penseacutee par la baisse des exportations et delrsquoinvestissement priveacute lrsquoeffet net sur lrsquoacti-viteacute eacuteconomique est nul

En changes flottants plus lrsquoeacuteconomie seraouverte aux flux de capitaux moins la poli-tique budgeacutetaire sera efficace

La situation est inverse en change fixe Dansce cas les autoriteacutes car elles srsquoy sont enga-geacutees ne peuvent laisser leur monnaie srsquoap-preacutecier suite aux entreacutees de capitaux Ellesvont intervenir sur le marcheacute des changes eneacutechangeant de la monnaie nationale contredevises Cette creacuteation moneacutetaire empecircche lahausse du taux drsquointeacuterecirct domestique ce quiannule les entreacutees de capitaux et permet lemaintien de la pariteacute de change Lrsquointerven-tion des autoriteacutes moneacutetaires eacutevite ainsinon seulement que les exportations soientpeacutenaliseacutees mais eacutegalement puisque le tauxdrsquointeacuterecirct domestique ne bouge plus que lrsquoin-vestissement priveacute se reacuteduise La politiquebudgeacutetaire est ici plus efficace qursquoen eacuteco-nomie fermeacutee En change fixe agrave lrsquoinverse dureacutegime de flottement la politique budgeacutetairesera drsquoautant plus efficace que les capitauxseront mobiles

Une politique moneacutetaire plusefficace en eacuteconomie ouverte

Lrsquoouverture financiegravere a eacutegalement un impactsur lrsquoefficaciteacute de la politique moneacutetaireLaissons de cocircteacute la situation ougrave lrsquoeacuteconomieest en changes fixes nous y reviendrons plusloin car dans ce cas la politique moneacutetaireest lrsquoinstrument de deacutefense de la pariteacute dechange et elle ne peut pas ecirctre utiliseacutee pouratteindre des objectifs internes (croissanceinflation) Elle est donc totalement inefficace

En reacutegime de changes flottants la poli-tique moneacutetaire retrouve en theacuteorie toute son autonomie Une politique moneacutetaire de relance consiste agrave creacuteer de la monnaie ce qui fait baisser le taux drsquointeacuterecirct favorise lrsquoinvestissement et par les effets multiplica-teurs traditionnels augmente le revenu Plus les capitaux sont mobiles plus la baisse des taux drsquointeacuterecirct provoque des sorties de capi-taux et plus la monnaie se deacutepreacutecie La com-peacutetitiviteacute prix du pays srsquoameacuteliore ce qui doit favoriser les exportations lrsquoeffet de relance initial est amplifieacute Il en est de mecircme dans une eacuteconomie peu ouverte aux flux de capi-taux mais ouverte au commerce La deacutepreacute-ciation du change est ici provoqueacutee par la deacutegradation de la balance commercialesuite agrave la relance initiale qui augmente les

3 Flux nets de capitaux priveacutes agrave destination des pays eacutemergents (en milliards de dollars)

Investissements directs agrave leacutetranger (IDE)Flux total de capitaux priveacutes

1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

800

600

400

200

0

ndash 200

Source FMI

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 22

importations domestiques La monnaie nationale se deacutepreacutecie jusqursquoau retour agrave lrsquoeacutequilibre exteacuterieur Ainsi en changes flot-tants lrsquoouverture ndash qursquoelle soit commerciale ou financiegravere ndash accroicirct lrsquoefficaciteacute de la poli-tique moneacutetaire

Ces meacutecanismes keyneacutesiens reposent cepen-dant sur des modegraveles de court terme ougrave les prixet les anticipations sont rigides et ougrave seuls lesflux (commerciaux et financiers) sont pris enconsideacuteration En reacutealiteacute la politique eacutecono-mique pourra eacutegalement ecirctre affecteacutee par lesmouvements des facteurs de production tan-dis que les capitaux ne deacutependront pas du seuldiffeacuterentiel de reacutemuneacuteration mais eacutegalementde lrsquoappreacuteciation des risques Celle-ci peutecirctre fonction du stock de dette accumuleacute parle pays comme dans le cas reacutecent de la crisegrecque ou de facteurs plus subjectifs commela laquo confiance raquo des investisseurs et leur degreacutede mimeacutetisme La mobiliteacute des capitaux peutsoumettre les Eacutetats et leurs politiques eacutecono-miques agrave la sanction des investisseurs priveacutessi celles-ci sont perccedilues comme insoutenables(forte inflation dette publique excessive deacutefi-cit exteacuterieur croissanthellip)

Mondialisation et autonomiede la politique eacuteconomique

Controcircle du change et autonomiede la politique moneacutetaire

La mondialisation peut aussi reacuteduire lrsquoau-tonomie de la politique moneacutetaire Crsquoest lecas si les autoriteacutes souhaitent controcircler lesvariations du change Les petites eacuteconomiestraditionnellement tregraves ouvertes sont par-ticuliegraverement sensibles aux fluctuations dutaux de change Notamment une deacutepreacuteciationde la monnaie domestique a un impact infla-tionniste car elle augmente le prix des biensimporteacutes De mecircme lrsquoinstabiliteacute du taux dechange entraicircne drsquoimportantes fluctuationseacuteconomiques preacutejudiciables au bien-ecirctresocial Crsquoest la raison pour laquelle ces eacuteco-nomies cherchent traditionnellement agrave stabi-liser leur taux de change Mais elles doiventalors renoncer agrave lrsquoautonomie de la politiquemoneacutetaire et ce drsquoautant plus que les capi-taux sont mobiles crsquoest le triangle drsquoincom-patibiliteacute de Mundell

4 Taille des multiplicateurs budgeacutetaires et degreacute drsquoouverture de lrsquoeacuteconomie

16

14

12

10

08

06

04

025 10 15 20 25 30 35 40 45

02

04

06

08

10

12

14

16y = ndash 002x + 131

R2 = 038

Eff

et m

ult

iplic

ateu

r2

Degreacute drsquoouverture1

1 Mesureacute par le ratio importations (PIB - importations) 2 Effet multiplicateur des deacutepenses publiques du modegravele Interlink de lrsquoOCDE

IPN

USA DEU

ITAAUS

FRA

TURESP

MEXGBR

POLNZL

GRC

FINISL

DNKKORCHE

PRTNOR

SWE AUTCAN HUN

NLD

CZE

IRLBEL

Source OCDE (2009) Perspectives eacuteconomiques chapitre 3 laquo Efficaciteacute et ampleur de la relance budgeacutetaire raquo mars

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 23

Les pays europeacuteens ont eacuteteacute confronteacutes agrave ce pro-blegraveme au deacutebut des anneacutees 1990 Le choc de lareacuteunification allemande les a conduits agrave menerdes politiques moneacutetaires diffeacuterentes ce quidans le reacutegime de change quasi fixe du SME delrsquoeacutepoque eacutetait intenable alors que les mouve-ments de capitaux venaient drsquoecirctre libeacuteraliseacutesLes diffeacuterentiels de taux drsquointeacuterecirct entre paysprovoquent des mouvements de capitaux quirendent impossibles le maintien des pariteacutes dechange Les pays subissent des attaques speacute-culatives Ils peuvent reacuteagir en alignant leurstaux drsquointeacuterecirct (la France a ainsi augmenteacute sestaux pour mettre fin aux attaques speacuteculativessur le change ce qui srsquoest aveacutereacute tregraves couteuxen termes de croissance) ou en renonccedilant agrave lafixiteacute du change (lrsquoItalie a par exemple deacutevalueacutesa monnaie tandis que le Royaume-Uni quit-tait le SME) Pierre-Alain Muet1 eacutevalue le coucirctde la gestion non coopeacuterative des politiquesmoneacutetaires en Europe et montre qursquoune baissecoordonneacutee de 3 points des taux drsquointeacuterecirct de1993 agrave 1995 comme lrsquoont fait les Eacutetats-Unisaurait suffi agrave empecirccher la reacutecession de 1993

Si les capitaux sont mobiles les pays doiventdonc opter entre deux strateacutegies soit fixerleur taux de change ce qui contraint la poli-tique moneacutetaire domestique soit retrouverlrsquoautonomie de la politique moneacutetaire ce quisuppose de laisser le marcheacute deacuteterminer letaux de change

Une autre solution peut ecirctre de jouer surle troisiegraveme cocircteacute du triangle le degreacute deliberteacute des mouvements de capitaux LrsquoAsieeacutemergente est actuellement confronteacutee agrave cetriangle drsquoincompatibiliteacute La surchauffeeacuteconomique subie par certains pays justifie-rait un durcissement de la politique moneacute-taire afin de combattre lrsquoinflation La haussedes taux drsquointeacuterecirct accentuerait cependantles entreacutees de capitaux pouvant alimenterla surchauffe de lrsquoeacuteconomie via le creacutedit etfavoriserait lrsquoappreacuteciation du change Afindrsquoeacuteviter cette appreacuteciation preacutejudiciableaux exportations sur lesquelles ces pays ontfondeacute leur deacuteveloppement les autoriteacutes ontchoisi de reacutetablir des controcircles des changes

sur les capitaux entrants Ceux-ci leurs per-mettent dans une certaine mesure de retrou-ver lrsquoautonomie de la politique moneacutetaire

De maniegravere geacuteneacuterale la libeacuteralisation finan-ciegravere agrave lrsquoeacutechelle internationale a rendu plusfaciles les attaques speacuteculatives et plus dif-ficile le maintien de reacutegimes de change fixeLa crise du SME en 1992-1993 puis la criseasiatique de 1997 ont reacuteveacuteleacute la fragiliteacute deces politiques de change dans un contextede parfaite mobiliteacute des capitaux agrave lrsquoeacutechelleinternationale Les pays ont depuis tendanceagrave opter pour des laquo solutions en coin raquo flexi-biliteacute du change ou agrave lrsquoopposeacute fixiteacute extrecircmecenseacutee empecirccher les attaques speacuteculativesmais au prix du renoncement agrave toute poli-tique moneacutetaire domestique (pays de la zoneeuro pays laquo dollariseacutes raquo currency boards) Lepourcentage de pays ayant abandonneacute leursouveraineteacute moneacutetaire est passeacute drsquoun peuplus de 2 agrave la fin des anneacutees 1980 agrave plusde 13 en 2012 tandis que 573 des paysse deacuteclaraient en flottement libre contre127 agrave la fin des anneacutees 19802 Dans le mecircmetemps la plupart des pays a renonceacute agrave deacutecla-rer un ancrage de change

Interdeacutependanceset effets de report

En eacuteconomie ouverte un pays subit eacutegale-ment les conseacutequences des politiques eacutecono-miques des autres pays Celles-ci affectent agravela fois les conditions eacuteconomiques nationaleset lrsquoefficaciteacute de ses politiques

Imaginons un monde constitueacute de deux paysou de deux grandes zones (par exemple lrsquoEu-rope et les Eacutetats-Unis) Une politique moneacute-taire expansive dans le pays 1 (les Eacutetats-Unis)deacutepreacutecie la monnaie nationale le dollar ce quirenforce lrsquoeffet de relance par les exportationsParallegravelement la monnaie du pays 2 (lrsquoeuro)srsquoappreacutecie ce qui a un effet reacutecessif La poli-tique moneacutetaire ameacutericaine exerce donc uneexternaliteacute neacutegative sur les autres pays

Lrsquoeffet de report de la politique budgeacutetaireest en revanche positif La relance budgeacutetairedans un grand pays se diffuse aux autres

[1] Cf Aglietta et al(1998)

[2] Ces pays se deacuteclarenten flottement libre

ou quasi libre (reacutegimede jure) mais cela nesignifie pas qursquoils se

deacutesinteacuteressent duniveau de leur tauxde change et qursquoils

nrsquointerviennent pas surle marcheacute des changes

La plupart de cesreacutegimes sont en reacutealiteacute

des flottements geacutereacutes(reacutegime de facto)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 24

pays et inversement pour la reacutecession dansle cas de politiques restrictives par le canaldu commerce international

En change fixe les effets de report sontpositifs qursquoil srsquoagisse de la politique moneacute-taire ou de la politique budgeacutetaire Quandun grand pays met en place une politiquemoneacutetaire expansive il peut influencer letaux drsquointeacuterecirct mondial ce qui redonne unecertaine autonomie et donc une efficaciteacute agravesa politique moneacutetaire mecircme en change fixeLrsquoautre reacutesultat est que lrsquoeffet est eacutegalementpositif sur le reste du monde La baisse destaux drsquointeacuterecirct se diffuse favorisant lrsquoinves-tissement tandis que la relance dans le paysappuie les exportations de ses partenairescommerciaux Lrsquoactiviteacute eacuteconomique est eacutega-lement stimuleacutee dans le reste du monde

On retrouve les mecircmes meacutecanismes pour lapolitique budgeacutetaire les effets reacutecessifs ouexpansifs se transmettent aux autres pays

En regravegle geacuteneacuterale plus un pays est grandplus il retrouve des marges de manœuvrepour sa politique eacuteconomique Drsquoune part ungrand pays est par deacutefinition plus fermeacute laBelgique a ainsi un taux drsquoouverture3 de pregravesde 70 contre agrave peine plus de 10 pour leJapon et moins de 13 pour les Eacutetats-UnisSa politique budgeacutetaire est donc plus efficaceUn grand pays va drsquoautre part retrouver desmarges de manœuvre pour sa politique moneacute-taire (ou de change) car il peut influencer lesconditions financiegraveres mondiales Agrave lrsquoinversela politique eacuteconomique sera moins efficacedans un petit pays les variables domestiqueseacutetant davantage deacutetermineacutees par des facteursexteacuterieurs que par la politique nationale

Le FMI publie depuis 2011 des laquo spilloverreports raquo quantifiant les effets externes despolitiques domestiques de cinq laquo eacutecono-mies systeacutemiques raquo (zone euro Eacutetats-UnisJapon Chine Royaume-Uni) Il estime ainsiqursquoune hausse drsquoun point de pourcentage dela croissance ameacutericaine augmentera drsquoundemi-point la croissance de la plupart despays du G20 les trois quarts de cet effet dereport srsquoexerccedilant via les flux financiers et

les prix drsquoactifs Lrsquoeffet de report est plusfort (08 point) pour les pays limitrophes(Canada Mexique) et pour les deux tiers lieacuteaux flux commerciaux Lrsquoaugmentation destaux drsquointeacuterecirct ameacutericains se diffuse eacutegale-ment aux autres pays avanceacutes (une hausse de04 point pour un relegravevement drsquoun point auxEacutetats-Unis) La hausse atteint 08 point surles marcheacutes eacutemergents en dollars sauf dansdes pays comme la Chine ou lrsquoInde qui main-tiennent des controcircles de capitaux

Plus geacuteneacuteralement la politique moneacutetaireexpansionniste mise en place dans les grandspays avanceacutes depuis la fin des anneacutees 1990provoque des mouvements de capitaux versles pays eacutemergents dans lesquels ils sontdavantage reacutemuneacutereacutes alimentant des bullessur les prix drsquoactifs (actions immobilieretc) Les prix des matiegraveres premiegraveres sonteacutegalement affecteacutes par ces politiques expan-sives ce qui lagrave encore modifie les variablesobjectifs de la politique eacuteconomique dans lesautres pays avanceacutes et eacutemergents

La crise des subprimes fournit un autreexemple des interdeacutependances entre paysTouchant agrave lrsquoorigine une fraction purementdomestique du marcheacute immobilier ameacutericain(le marcheacute subprime) elle srsquoest propageacutee auxpays avanceacutes par le canal financier (inter-deacutependances bancaires dans le cadre drsquounecrise de confiance) puis aux pays eacutemergentsessentiellement par le commerce exteacuterieur (lareacutecession dans les pays avanceacutes srsquoaccompa-gnant drsquoune baisse de leurs importations)

Ces interdeacutependances entre pays et ces effetsde report mettent en eacutevidence lrsquointeacuterecirct drsquounecoordination internationale des politiqueseacuteconomiques

Interdeacutependances et coordinationPolitique de demandeet coordination

Compte tenu des fuites en importations lespolitiques de demande seront drsquoautant plusefficaces qursquoelles seront coordonneacutees Pour

[3] (Importations +exportations) 2PIB

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 25

un pays pratiquant une relance budgeacutetaireces fuites seront compenseacutees par lrsquoaugmen-tation de ses exportations si les pays voisinsrecourent agrave des mesures eacutequivalentes Unepartie de lrsquoeacutechec de la relance Mitterrandde 1981 tient au fait que les autres paysmenaient parallegravelement des politiques res-trictives et eacutetaient en reacutecession La politiquede relance a un impact neacutegatif sur le soldecommercial amplifieacute ici par la baisse desexportations Cette derniegravere efface en partielrsquoeffet expansif des deacutepenses publiques4

P Artus (2012) estime ainsi que le multiplica-teur budgeacutetaire est de lrsquoordre de 16 pour unpays europeacuteen isoleacute tandis qursquoil est de lrsquoordrede 3 pour lrsquoensemble des pays europeacuteens etde 4 pour le monde Des relances coordonneacuteesont ainsi eacuteteacute meneacutees lors du deacuteclenchementde la reacutecession agrave lrsquoautomne 2008 les princi-pales banques centrales ont baisseacute leur tauxdrsquointeacuterecirct le 8 octobre et en novembre les payseuropeacuteens ont augmenteacute simultaneacutement leursdeacutepenses budgeacutetaires Justifieacutes par lrsquoampleurde la crise ces efforts de coordination restentcependant exceptionnels La voie coopeacutera-tive est rarement atteinte et srsquoavegravere difficile agravemaintenir sur la dureacutee

Prenons le cas ougrave un ensemble de paysdeacutecideraient de pratiquer une politique derelance budgeacutetaire coordonneacutee Un pays isoleacutea alors tout inteacuterecirct agrave ecirctre non coopeacuteratif Nepas pratiquer de relance budgeacutetaire lui per-met de ne pas deacutegrader ses comptes publicstout en beacuteneacuteficiant de lrsquoeffet de relance despays partenaires via les flux commerciauxCrsquoest le problegraveme du laquo passager clandestin raquo

On voit bien par ailleurs que la neacutegociationentre pays est asymeacutetriqueTandis qursquoun petitpays ne beacuteneacuteficie qursquoen partie des effets posi-tifs de sa politique mais subit fortement lesconditions mondiales affecteacutees par les poli-tiques des grands pays ce sont ces derniersqui disposent du pouvoir de neacutegociation

Politiques drsquooffre et concurrence

Les politiques de relance par la demandesont par ailleurs aujourdrsquohui fortement

contraintes Les marges de la politique bud-geacutetaire sont limiteacutees par le niveau eacuteleveacute desdettes et des deacuteficits publics tandis que cellesde la politique moneacutetaire sont circonscritespar le niveau deacutejagrave tregraves faible des taux drsquointeacute-recirct Les pays sont donc inciteacutes agrave mener despolitiques drsquooffre et des reacuteformes structu-relles Or celles-ci sont par nature non coopeacute-ratives Gagner des parts de marcheacute supposedes gains de compeacutetitiviteacute qui ne sont pos-sibles que si les eacuteconomies partenairesnrsquoadoptent pas la mecircme politique

La mondialisation augmente la pression enfaveur de davantage de compeacutetitiviteacute ajuste-ments structurels concurrence par la baissedes coucircts salariaux manipulation des tauxde change Elle exacerbe la concurrence pourattirer les capitaux et les activiteacutes produc-tives et favorise donc les comportementsnon coopeacuteratifs Attirer les activiteacutes produc-tives suppose lagrave encore que les conditionsoffertes soient plus favorables que cellesdes autres pays Cela peut passer par unefiscaliteacute reacuteduite des normes sociales envi-ronnementales ou un droit du travail moinscontraignants Depuis le milieu des anneacutees1990 on observe ainsi une baisse continue dutaux drsquoimposition sur les socieacuteteacutes (baisse de10 points en moyenne en Europe) tandis queles taxes sur la consommation augmententparallegravelement

On voit dans ce cadre concurrentiel que lamondialisation est doublement contraignantepour la politique eacuteconomique conjoncturelleTout drsquoabord la concurrence fiscale reacuteduit lesmarges de manœuvre budgeacutetaires des Eacutetats toute hausse des preacutelegravevements obligatoirespeut entraicircner des fuites de capitaux ou detravailleurs moins taxeacutes ailleurs Ensuite lespolitiques drsquooffre ont un impact deacuteflationniste(pression agrave la baisse sur les salaires et les prix)qui comprime la demande et peut affecter lesobjectifs de la politique eacuteconomique (faiblecroissance deacuteflation) Lrsquoeacutequilibre non coopeacutera-tif affaiblit in fine lrsquoeacuteconomie mondiale

Les anneacutees 1930 ont eacuteteacute lrsquoexemple type deseffets neacutegatifs de la non-coopeacuteration chaque

[4] La France eacutetait agravelrsquoeacutepoque membre du

SME (change fixe)avec des capitaux

peu mobilesLa forte deacutegradation

commerciale a exerceacutedes pressions agrave la baisse

sur le change que laBanque centrale a ducirc

combattre en durcissantsa politique moneacutetaire

ce qui a deacuteprimeacutelrsquoinvestissement et

reacuteduit encore lrsquoefficaciteacutede la politique

budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 26

pays ayant chercheacute agrave exporter la reacutecessionprovoqueacutee par la crise de 1929 par le biais dedeacutevaluations compeacutetitives de leur monnaieDeacutevaluations en cascade mesures de reacutetor-sion monteacutee du protectionnisme ont provo-queacute au final un effondrement du commercemondial et une aggravation de la crise Lesouvenir de cette peacuteriode a conduit les paysau lendemain de la Seconde Guerre mondialeagrave opter pour des regravegles internationales degestion des taux de change (systegraveme de Bret-ton Woods)

Les enjeux de la coordinationDans une eacuteconomie mondialiseacutee la coor-dination a deux objectifs (Jacquet 1988)5 reacutepondre drsquoune part aux interdeacutependancesentre pays crsquoest-agrave-dire aux externaliteacutes despolitiques eacuteconomiques nationales et drsquoautrepart fournir et preacuteserver des biens publicsinternationaux relations commerciales sta-biliteacute des changes stabiliteacute financiegravere

Comme nous lrsquoavons vu la coordination dis-creacutetionnaire est difficile agrave mettre en place etplus encore agrave maintenir Crsquoest pourtant lrsquooutille plus puissant face agrave lrsquointeacutegration eacutecono-mique et financiegravere au poids des marcheacuteset de leurs anticipations En cas drsquoeacutechec la

coordination peut ecirctre contrainte par desregraveglesAinsi un reacutegime de change fixe imposela coordination des politiques moneacutetaires Demecircme le Pacte de stabiliteacute et de croissance(PSC) en Europe est un moyen agrave deacutefaut decoordination drsquoencadrer les politiques bud-geacutetaires de pays interdeacutependants Cette solu-tion nrsquoest cependant pas optimale car elleexerce une contrainte sur la politique eacutecono-mique susceptible de lrsquoempecirccher de reacuteagir agravedes chocs asymeacutetriques

Une autre solution est drsquoorganiser la coor-dination agrave un niveau supranational Crsquoeacutetaitle rocircle du FMI dans un systegraveme moneacutetaireinternational baseacute sur un reacutegime de changefixe Crsquoest le rocircle du comiteacute de Bacircle dans lecadre de la Banque des regraveglements interna-tionaux (BRI) chargeacute notamment de promou-voir la coopeacuteration internationale en matiegraverede controcircle prudentiel Lrsquoobjectif est agrave la foisdrsquoeacuteviter la concurrence deacuteloyale que pourraitexercer un systegraveme bancaire moins contraintdans un pays donneacute et prendre en compteles risques systeacutemiques des firmes bancairesdans un contexte de globalisation financiegravereLa stabiliteacute financiegravere devient un bien publicmondial

[5] Cf Aglietta et al(1998)

AGLIETTA M DE BOISSIEU CBUREAU D GAURON AHERZOG P JACQUET Pet MUET P-A (1998) Coordination europeacuteennedes politiques eacuteconomiques Rapport du conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 5 Paris LaDocumentation franccedilaise

ARTUS P (2012) Dans les circonstances

preacutesentes une relancecoordonneacutee mondiale auraitdu sens une guerre mondialede la compeacutetitiviteacute-coucirct etdes taux de change seraitcatastrophique raquoFlash Eacuteconomie ndeg 643Natixis 28 septembre

JACQUET P (1988) laquo Geacutererlrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueinternationale coordination

discreacutetionnaire ou regraveglesinstitutionnelles raquoRevue eacuteconomique vol 39ndeg 3

LAHREgraveCHE-REacuteVIL A (2002) laquo Inteacutegration internationaleet interdeacutependancesmondiales raquo in CEPIILrsquoeacuteconomie mondiale 2003 Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS27

La construction europeacuteenne repose avant tout sur la mise en place drsquoun marcheacute unique per-mettant la libre circulation des marchandises des hommes et des capitaux Les compeacutetences politiques restent a priori du ressort des Eacutetats membres conformeacutement au principe de subsi-diariteacute Le marcheacute unique a toutefois creacuteeacute des interdeacutependances eacuteconomiques fortes contrai-gnant les pays agrave coordonner leurs politiques eacuteconomiques Cela srsquoest traduit notamment par le choix de la monnaie et de la politique moneacutetaire uniques mais eacutegalement par des regravegles communes de politique budgeacutetaire et de gestion des finances publiques La crise en particu-lier celle des dettes souveraines dans la zone euro a mis en exergue les faiblesses de cette architecture institutionnelle Franck Lirzin plaide en faveur drsquoune eacutevolution vers un laquo gouverne-ment mixte raquo respectant la pluraliteacute et la diversiteacute des systegravemes politiques de lrsquoUnion

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels

De lrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueagrave la laquo solidariteacute de fait raquoDegraves ses deacutebuts le projet europeacuteen repose surlrsquoideacutee que lrsquoeacuteconomie est plus agrave mecircme quela politique drsquounir les peuples La Socieacuteteacutedes Nations avait montreacute la fragiliteacute drsquoun

eacutechafaudage diplomatique A contrariolrsquointerdeacutependance eacuteconomique est apparuecomme un ciment autrement plus solide Cerenversement de logique srsquoest traduit par lacreacuteation de la Communauteacute eacuteconomique ducharbon et de lrsquoacier (CECA) en 1952 et en1957 drsquoEuratom pour la mutualisation destechnologies nucleacuteaires et du Marcheacute com-mun (traiteacute de Rome creacuteant la Communauteacuteeacuteconomique europeacuteenne ndash CEE)

Lrsquoadheacutesion du Royaume-Uni en 1973 a eacuteteacutelrsquooccasion de reacuteaffirmer lrsquoambition eacutecono-mique du projet la Communauteacute europeacuteenneest avant tout un vaste marcheacute garantissant

FRANCK LIRZIN

Ingeacutenieur des MinesEacuteconomiste agrave la Fondation Robert Schuman

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 28

la libre circulation des biens des servicesdes capitaux et des personnes Les Eacutetats yconservent leur souveraineteacute en matiegravere depolitique eacuteconomique notamment dans lesdomaines fiscaux budgeacutetaires moneacutetaires etsociaux tandis que lrsquoeacutequilibre politique entreles Eacutetats membres est assureacute par la coopeacutera-tion au niveau communautaire

Les entreprises ont profiteacute des opportuniteacutesqui leur ont eacuteteacute offertes au-delagrave des fron-tiegraveres nationales et la concurrence les a inci-teacutees agrave se deacutevelopper et agrave innover En 2012le commerce intra-Union europeacuteenne repreacute-sentait 4667 milliards de dollars soit 26 du commerce mondial1 Le succegraves a eacuteteacute aurendez-vous mais lrsquoouverture des frontiegraveresest-elle compatible avec le maintien des sou-veraineteacutes eacuteconomiques

Les entreprises allemandes importent depuisles ports belges et neacuteerlandais les produitspeacutetrochimiques fabriqueacutes en France sontexporteacutes vers lrsquoItalie et lrsquoAllemagne lesmeubles sueacutedois sont utiliseacutes par les meacutenageseuropeacuteens les banques slovaques deacutependentbeaucoup des banques autrichiennes etcPeu agrave peu les eacuteconomies europeacuteennes sontdevenues interdeacutependantes Lrsquointeacutegrationeuropeacuteenne a creacuteeacute ce que Robert Schumanappelait une laquo solidariteacute de fait raquo dans sadeacuteclaration du 9 mai 1950

Les deacutecisions prises en France ont forceacutementdes incidences importantes pour ses voisins etprincipaux partenaires commerciaux La baissede la fiscaliteacute pour les entreprises en Irlandeattire les investissements directs eacutetrangersmais en prive drsquoautres Eacutetats membres La sor-tie du nucleacuteaire en Allemagne reacuteduit les deacutebou-cheacutes pour les entreprises franccedilaises du secteurLa perte de controcircle des finances publiquesgrecques met en danger les banques franccedilaisesou italiennes ayant acheteacute des obligationsdrsquoEacutetat Si en pratique chaque Eacutetat conservesa souveraineteacute eacuteconomique elle est en reacutealiteacutelimiteacutee par la souveraineteacute des autres

En lrsquoabsence de reacuteelle coordination les deacuteci-sions nationales sont inefficaces ou contre-productives En eacuteconomie ouverte une

relance budgeacutetaire ne profite pas tant au paysqui la fait qursquoagrave ses voisins inversement unepolitique drsquoausteacuteriteacute a des effets reacutecessifsdans les pays voisins du pays qui la megravene2

Lrsquointeacutegration europeacuteenne produit agrave son tourde nouveaux problegravemes eacuteconomiques Ainsiles fiscaliteacutes relatives agrave la TVA eacutetant diffeacute-rentes drsquoun pays agrave lrsquoautre il est possible enfaisant de fausses deacuteclarations de frauderlrsquoadministration ce qui est appeleacute le laquo car-rousel TVA raquo Une reacuteponse ne peut ecirctre envi-sageacutee qursquoagrave un niveau communautaire

Dans les deux cas coordination des politiqueseacuteconomiques ou creacuteation drsquoune politiquecommunautaire lrsquointerdeacutependance eacutecono-mique conduit les Eacutetats membres agrave renonceragrave certaines de leurs preacuterogatives au motif delrsquoefficaciteacute Lrsquoexemple le plus flagrant de cettereconfiguration institutionnelle est la creacutea-tion de la Banque centrale europeacuteenne (BCE)

Lrsquoexemple de la Banque centraleeuropeacuteenneDans la plupart des pays la politique moneacute-taire reste lrsquoapanage du seul gouvernement LesEacutetats europeacuteens ne srsquoen sont pas priveacutes dansles anneacutees 1980 Alors confronteacutes agrave une gravecrise eacuteconomique beaucoup drsquoentre eux procegrave-dent agrave des deacutevaluations compeacutetitives Mais cesdeacutevaluations deacutestabilisent les monnaies euro-peacuteennes Elles ne sont que de bregraveves bouffeacuteesdrsquooxygegravene pour les entreprises bientocirct suiviespar une reprise de lrsquoinflation Elles ne reacuteus-sissent que parce que drsquoautres eacuteconomies sontpeacutenaliseacutees Les autres pays sont inciteacutes agrave deacuteva-luer agrave leur tour entraicircnant ainsi les monnaieseuropeacuteennes dans une spirale deacuteflationniste

Le laquo Systegraveme moneacutetaire europeacuteen raquo (SME)nrsquoa pas reacutesisteacute agrave cette tentation Ayant pourobjectif de stabiliser les monnaies euro-peacuteennes il reposait uniquement sur la coor-dination volontaire des politiques moneacutetairesnationales

Au deacutebut des anneacutees 1990 les marcheacutes accen-tuent la pression sur le Royaume-Uni et lrsquoItalie

[1] Source OMC (2012)International tradestatistics 2012

[2] Sur linterdeacutependancedes politiqueseacuteconomiques voirdans ce mecircme numeacuterolarticle de Sophie Branapp 18-26

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS 29

et les forcent agrave quitter le SME Pour rendre creacute-dible une politique moneacutetaire commune lesEacutetats membres deacutecident de mutualiser leurspolitiques moneacutetaires en creacuteant une mon-naie unique lrsquoeuro Le chemin est traceacute par lerapport Delors avec pour objectif la creacuteationdrsquoune banque centrale europeacuteenne et drsquounemonnaie unique agrave lrsquohorizon de la fin du siegravecle

Aujourdrsquohui la soliditeacute de la zone euro est agravenouveau testeacutee par les marcheacutes et certainseacuteconomistes se demandent si lrsquoabandon de lamonnaie unique ne serait pas une solution Samise en œuvre a toutefois entraicircneacute une telleinterdeacutependance moneacutetaire que toute sortiecoucircterait horriblement cher agrave lrsquoensemble desEacutetats membres condamneacutes agrave se coordonner etagrave srsquointeacutegrer toujours plus

Ainsi selon lrsquointuition des Pegraveres fondateurslrsquointeacutegration eacuteconomique preacutecegravede lrsquounificationpolitique Mais alors que la construction eacuteco-nomique est avant tout technique voire tech-nocratique et se poursuit depuis cinquanteans selon la meacutethode des laquo petits pas raquo le voletpolitique du projet europeacuteen appelle des chan-gements institutionnels importants et uneremise en cause fondamentale du modegravele desEacutetats-nations

Le principe de subsidiariteacuteConscient qursquoaucun Eacutetat ne peut plus preacute-tendre agrave exercer librement sa souveraineteacutesans empieacuteter sur celles de ses partenaires etvoisins chacun sera convaincu que la seuleissue est une feacutedeacuteration politique europeacuteenneune association kantienne drsquoEacutetats-nationsPourtant par deux fois des citoyens euro-peacuteens en France et aux Pays-Bas ont refuseacutedrsquoadopter une Constitution europeacuteenne Etchaque fois que lrsquooccasion de franchir uneeacutetape suppleacutementaire se preacutesente les gouver-nements reculent et seule lrsquoimminence drsquounecrise leur fait changer drsquoavis Il ne faudraitpas en conclure trop vite que les citoyenseacutetaient mal informeacutes ou que les gouverne-ments gardent jalousement leurs preacuterogativesndash chaque changement institutionnel suscite

au contraire drsquointenses deacutebats dans tous lesEacutetats membres La tension entre le local et lesupranational entre le politique et le techno-cratique entre le diplomatique et le juridiqueest inheacuterente agrave la construction europeacuteenne etil serait vain drsquoattendre un laquo grand soir ins-titutionnel raquo qui creacuteerait ex nihilo des Eacutetats-Unis drsquoEurope3

La reacutepartition des compeacutetences est la ques-tion-cleacute de la construction europeacuteenne quelniveau local national ou supranational serale plus apte agrave geacuterer telle ou telle compeacutetence La theacuteorie eacuteconomique donne des eacuteclairagessur le choix de la centralisation contre celuide la deacutecentralisation Chacun a ses avantageset ses inconveacutenients la centralisation permetdes eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacutevite les effets denon-coopeacuteration tandis que la deacutecentrali-sation permet de mieux srsquoadapter aux preacutefeacute-rences des citoyens et agrave la situation locale4

Dans lrsquoUnion europeacuteenne la deacutecentralisa-tion est la regravegle et la centralisation lrsquoexcep-tion crsquoest le principe de subsidiariteacute tel quepreacuteciseacute dans lrsquoarticle 5 du traiteacute sur le fonc-tionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) Ilest notamment eacutecrit que laquo les Eacutetats membrescoordonnent leurs politiques eacuteconomiques ausein de lrsquoUnion [et que] le Conseil adopte desmesures notamment les grandes orientationsde ces politiques raquo tandis que laquo lrsquoUnion prenddes mesures pour assurer la coordination despolitiques de lrsquoemploi des Eacutetats membresnotamment en deacutefinissant les lignes direc-trices de ces politiques raquo

La communautarisation de certaines poli-tiques doit donc ecirctre pleinement justifieacuteeau regard des traiteacutes Cela est drsquoautant plusimportant qursquoune fois confieacutee au niveau com-munautaire une politique peut difficilementecirctre laquo renationaliseacutee raquo

Jeux diplomatiques autourdes compeacutetences communautairesSi lrsquointerdeacutependance croissante justifie plei-nement la communautarisation de certaines

[3] Magnette P (2006)Le reacutegime politique de

lrsquoUnion europeacuteenne Paris Presses de

Sciences Po

[4] Jamet J-F (2012)LrsquoEurope peut-

elle se passer drsquoungouvernement

eacuteconomique ParisLa Documentation

franccedilaise coll laquo ReacuteflexeEurope raquo 2e eacuted

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 30

politiques eacuteconomiques leur mise en œuvresoulegraveve des difficulteacutes qui doivent nousfaire reacutefleacutechir eacutegalement en termes drsquoavan-tages et drsquoinconveacutenients de tels changementsinstitutionnels

Les difficulteacutes du transfertde compeacutetences vers lrsquoEuropeLa compeacutetence transfeacutereacutee au niveau europeacuteenpasse du domaine de la politique au champde la diplomatie vingt-huit Eacutetats membressoit vingt-huit faccedilons de concevoir le mondeet la politique eacuteconomique doivent srsquoaccor-der sur une politique commune Souventlrsquoaccord est obtenu a minima autour du pluspetit deacutenominateur commun Les politiquescommunautaires sont par conseacutequent peuambitieuses et conservatrices Certains Eacutetatsmembres preacutefegraverent alors former des laquo coopeacute-rations renforceacutees raquo pour surmonter les dif-feacuterents et ecirctre plus effectifs agrave lrsquoexemple delrsquoinstauration drsquoune taxe sur les transactionsfinanciegraveres qui implique onze Eacutetats

Le processus deacutemocratique qui preacutevalait auniveau national devient la portion congrue dunouveau jeu institutionnel et diplomatiqueEn un sens le deacuteveloppement des lobbies agrave Bruxelles la laquo comitologie raquo ou la volonteacutedu Parlement europeacuteen de parler au nomdes citoyens europeacuteens sont des reacuteactions agravelrsquoincapaciteacute de lrsquoeacutechelon europeacuteen de sortirdrsquoune logique purement institutionnelle etdiplomatique

La Commission europeacuteenneenfermeacutee dans une logiquejuridiqueLa Commission est impreacutegneacutee de cettelogique Elle nrsquoa ni la compeacutetence ni la leacutegi-timiteacute pour agir de faccedilon discreacutetionnairecomme le font les gouvernements elle doitalors se faire le gardien des traiteacutes et abor-der les politiques communautaires selonune logique tregraves juridique pour ecirctre leacutegitimeCette laquo eurocratie raquo qui nrsquoa que tregraves peu deliens directs avec le laquo monde reacuteel raquo a du malagrave faire preuve de leadership avec ce que cela

implique de gestion du quotidien et de lrsquohu-main Lrsquoimage des fonctionnaires europeacuteensenfermeacutes dans leur tour drsquoivoire est en par-tie vraie mais il ne faudrait pas en deacuteduireqursquoils en sont responsables crsquoest la struc-ture institutionnelle de lrsquoUnion europeacuteennequi les cantonne agrave cette situation

Pourtant la Commission europeacuteenne nrsquoheacute-site pas agrave user de son droit drsquoinitiative pourpousser toujours plus loin lrsquointeacutegration euro-peacuteenne Apregraves tout chaque institution en faitde mecircme lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutelargir ses preacuteroga-tives Mais cette ambition si justifieacutee qursquoellepuisse ecirctre au regard du projet europeacuteen seheurte aux reacuteticences des Eacutetats membres LeParlement europeacuteen au contraire est plu-tocirct favorable agrave lrsquoaccroissement des pouvoirsde la Commission ndash et des siens au passageCrsquoest au sein de ce trio institutionnel que sedessine le visage de lrsquoUnion europeacuteenne

Reacuteformer les institutions

Contrairement agrave lrsquointeacutegration eacuteconomique qui somme toute est assez technique mecircme si elle prend du temps lrsquointeacutegration politique implique de changer les institu-tions europeacuteennes Les diffeacuterents traiteacutes ont ainsi donneacute de plus en plus de place au Parlement Lrsquointroduction de la majo-riteacute qualifieacutee et aujourdrsquohui de la majoriteacute qualifieacutee inverseacutee deacutebloque les situations ougrave un seul Eacutetat membre pouvait bloquer lrsquoensemble du processus Les institutions europeacuteennes srsquoadaptent agrave lrsquoeacutelargissement de lrsquoUE et au deacuteveloppement des politiques communautaires

Renforcer lrsquoEurope sans la rendre plusdeacutemocratique est toutefois un piegravege Le Par-lement europeacuteen repreacutesente les citoyensmais la faible participation aux eacutelectionseuropeacuteennes ne lui donne pas une grandeleacutegitimiteacute Par ailleurs contrairement auxparlements nationaux il nrsquoa pas le pouvoirde lever lrsquoimpocirct et nrsquoest donc pas responsabledirectement devant les citoyens des poli-tiques communautaires qursquoil promeut ce quipose problegraveme De mecircme agrave trop verser dans

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS 31

les logiques diplomatiques et juridiques lesinstitutions communautaires srsquoeacuteloignentdes citoyens et aggravent le deacutesamour dontelles font lrsquoobjet Lrsquoarchitecture institution-nelle actuelle nrsquoest donc pas satisfaisanteau regard des eacutevolutions actuelles La com-plexiteacute du systegraveme deacutecisionnel europeacuteennrsquoest pas un deacutefaut de conception mais lereflet des tensions qui le traversent

Lrsquoexemple de la politique budgeacutetaireLa politique budgeacutetaire est une bonne illus-tration de ces tensions Elle est objet de sou-veraineteacute par exemple Pourtant dans uneeacuteconomie ouverte les politiques budgeacutetairesbien que deacutefinies dans un cadre nationalont des conseacutequences extra-nationales Lafiscaliteacute ou les plans de relance ne sont pasneutres La crise de la zone euro a reacuteveacuteleacute uneautre forme drsquointerdeacutependance

La crise eacuteconomique reacutecente a profondeacutementdeacuteseacutequilibreacute les finances publiques des Eacutetatseuropeacuteens Les deacuteficits publics se sont creu-seacutes au-delagrave des limites fixeacutees par le pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) et les dettespubliques de certains Eacutetats membres notam-ment la Gregravece sont devenues hors controcircle Orles obligations drsquoEacutetats europeacuteens sont princi-palement deacutetenues par les banques et insti-tutions financiegraveres europeacuteennes Le laquo risquesouverain raquo agrave savoir la probabiliteacute qursquoun Eacutetatnrsquohonore pas ses obligations eacutetait correacuteleacute aulaquo risque bancaire raquo agrave savoir la probabiliteacute defaillite drsquoune banque Les finances publiquesportugaises espagnoles ou grecques sontdevenues un enjeu europeacuteen

En 2011 et 2012 les Eacutetats de la zone euroont deacutecideacute de mieux coordonner leurs poli-tiques budgeacutetaires afin de couper le lienentre risques souverains et risques bancaireset drsquoeacuteviter qursquoune telle situation ne se repro-duise Cet engagement devait convaincreles creacutediteurs drsquoaccorder agrave nouveau leurconfiance aux obligations publiques de lazone euro et faire baisser les taux drsquointeacuterecirct

De nombreux changements ont eacuteteacute intro-duits Le traiteacute intergouvernemental sur lastabiliteacute la coordination et la gouvernance(TSCG) le laquo six-packs raquo et le laquo two-packs raquo ontintroduit des regravegles de gestion budgeacutetaire auniveau europeacuteen Les Eacutetats sont ainsi tenusdrsquoadopter des plans de redressement de leursfinances publiques (la laquo regravegle drsquoor raquo) tandisque la Cour de justice europeacuteenne peut infli-ger des sanctions financiegraveres allant jusqursquoagrave05 du PIB Lrsquoeffort est sans preacuteceacutedent

Pourtant il nrsquoest pas sucircr qursquoil soit suffisantLes taux drsquointeacuterecirct ont baisseacute comme espeacutereacutemais davantage parce que la Banque cen-trale europeacuteenne (BCE) srsquoest deacuteclareacutee precircte agravetout pour les maintenir agrave des niveaux faiblesEn outre la reacuteduction des deacuteficits publics acontribueacute agrave ralentir lrsquoeacuteconomie europeacuteenneEnfin les marcheacutes financiers restent frag-menteacutes et lrsquoaccegraves au creacutedit difficile pour lesPME de la peacuteripheacuterie de la zone euro Beau-coup reste agrave faire

Le problegraveme des deacuteseacutequilibresmacroeacuteconomiquesLrsquoouverture des marcheacutes puis la creacuteationdrsquoune monnaie unique ont acceacuteleacutereacute la recom-position de lrsquoindustrie europeacuteenne au profitdes reacutegions deacutejagrave les plus innovantes ou capita-listiques comme lrsquoItalie du Nord lrsquoAllemagnede lrsquoOuest ou le Sud des Pays-Bas Les eacutecono-mies peacuteripheacuteriques ont maintenu un taux decroissance important en misant sur les ser-vices financiers et la construction mais cessecteurs ne contribuent que tregraves marginale-ment agrave lrsquoeacutequilibre de la balance commercialeIls se sont endetteacutes pour maintenir leur trainde vie et la crise financiegravere a mis lrsquoeacutedifice agravebas La crise des finances publiques nrsquoest pastant la cause de la crise de la zone euro que laconseacutequence drsquoune construction eacuteconomiqueimparfaite5

La question drsquoune politique industrielleou sociale refait surface Les affaires defraudes fiscales ont relanceacute le deacutebat sur la

[5] Aglietta M (2012)Zone euro eacuteclatement

ou feacutedeacuteration ParisMichalon

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 32

coordination des politiques fiscales La laquo soli-dariteacute de fait raquo peut-elle maintenant devenirune laquo solidariteacute drsquoactes raquo par laquelle lespays riches aident les pays en crise agrave se reacutein-dustrialiser et agrave recreacuteer des emplois Faut-ilcreacuteer un laquo gouvernement eacuteconomique raquo

Certains imaginent doter lrsquoUnion europeacuteennedrsquoun systegraveme bicameacuteral (Conseil et Parlementeuropeacuteen) choisissant lrsquoexeacutecutif (le preacutesidentde la Commission) Drsquoautres songent agrave insti-tutionnaliser la zone euro en creacuteant une com-mission speacutecifique au sein du Parlement et unTreacutesor de la zone euro chargeacute de la politiqueeacuteconomique europeacuteenne

Ces changements supposent un accord delrsquoensemble des Eacutetats membres Or les pro-blegravemes de la zone euro pour importantsqursquoils soient ne concernent que dix-septEacutetats membres et ne justifient pas un chan-gement institutionnel de lrsquoUnion europeacuteenne

Par ailleurs les Eacutetats membres ne sont pas dutout drsquoaccord sur les changements agrave apporterLrsquoAllemagne est attacheacutee agrave lrsquoordo-libeacuteralismecrsquoest-agrave-dire un encadrement du marcheacute parlrsquoEacutetat et une institutionnalisation des rela-tions sociales tandis que la France privileacutegieune forme de libeacuteralisme dirigeacute ou de colber-tisme Comment concilier les deux

La communautarisation de pans entiers despolitiques eacuteconomiques qursquoil srsquoagisse du fis-cal du social ou de lrsquoindustriel exacerbera lestensions deacutejagrave deacutecrites la Commission aurait-elle la compeacutetence et la leacutegitimiteacute pour pilo-ter certaines politiques industrielles alorsmecircme qursquoelle se montre fermement attacheacuteeactuellement agrave la logique de concurrence Lescitoyens ne se sentiront-ils pas encore pluseacuteloigneacutes drsquoun pouvoir centraliseacute agrave Bruxelles

Plus important encore peut-on reacuteellementcroire que les systegravemes socio-eacuteconomiquessont simplement miscibles Une mise encommun de certaines politiques par exempledrsquoinnovation suppose en effet des similitudesOr les systegravemes drsquoinnovation ont chacun leursparticulariteacutes ancreacutees dans plusieurs siegraveclesdrsquohistoire Ils peuvent travailler en compleacute-mentariteacute comme le deacutemontre lrsquoexemple

drsquoEADS neacute de la fusion de trois entiteacutes Aeros-patiale-Matra (France) DASA (Allemagne) etCASA (Espagnol) mais pas fusionner totale-ment Il faut du temps et de la patience pourque le projet reacuteussisse6 Comment croire quenous serons capables de faire en trois ans etavec vingt-huit Eacutetats ce qursquoEADS a mis desdeacutecennies agrave creacuteer avec seulement trois pays

Un nouveaulaquo gouvernement mixte raquo Lrsquointerdeacutependance croissante des Eacutetatsmembres pousse agrave davantage drsquointeacutegrationpolitique et agrave des changements institution-nels Mais est-il possible drsquoaller plus loinsans remettre en cause fondamentalementles Eacutetats-nations et le reacutegime parlementairedeacutemocratique actuel La preacutevalence drsquounelogique intergouvernementale lrsquoinexistencedrsquoun demos europeacuteen et lrsquoimpossibiliteacute degeacuterer un si vaste et si divers ensemble poli-tique plaide en faveur drsquoune reacuteponse neacutegative

Un changement institutionnel srsquoil nrsquoestpas probable est-il mecircme souhaitable Laconstruction europeacuteenne est le reflet des mul-tiples tensions qui la traversent et la traver-seront demain encore Plutocirct que de vouloirla clarifier et rationaliser agrave tous prix mieuxvaudrait favoriser la participation de tousles inteacuterecircts aux processus deacutecisionnels selonune proceacutedure transparente pragmatique eteacutequitable

Le modegravele de Montesquieu de seacuteparation despouvoirs tregraves utile pour deacutecrypter le fonc-tionnement des Eacutetats-nations est moinspertinent pour la construction europeacuteenneLes modegraveles de laquo gouvernement mixte raquo7 telsqursquoils existaient agrave drsquoautres eacutepoques illustrentmieux ce vers quoi pourrait tendre lrsquoEurope un meacutelange de plusieurs systegravemes politiquesdont lrsquoentrelacement garantit la peacuterenniteacute etla capaciteacute agrave prendre en compte lrsquoensembledes inteacuterecircts Aristote disait de ce reacutegime qursquoilest laquo la plus sucircre des formes imparfaites raquo

[6] Barmeyer Chet Mayrhofer U (2008)The contributionof interculturalmanagement tothe success ofinternational mergersand acquisitions An analysis of the EADSgroup In InternationalBusiness Review Jg 172008 S 28-38

[7] Chopin Th (2013)Vers un veacuteritablepouvoir exeacutecutifeuropeacuteen de lagouvernance augouvernement Question drsquoEuropendeg 274 Fondation RobertSchuman 15 avril

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 33

Le deacutebat sur les regravegles de politique budgeacutetaire a connu un regain drsquointeacuterecirct avec la crise des dettes souveraines particuliegraverement avec le vote en Europe du TSCG ndash traiteacute sur la stabiliteacute la coordination et la gouvernance au sein de lrsquoUnion eacuteconomique et moneacutetaire ndash qui preacutevoit une laquo regravegle drsquoor des finances publiques raquo limitant les deacuteficits structurels agrave 05 du PIBPreacutesenteacutees tantocirct comme une neacutecessiteacute pour limiter les deacuteficits et lrsquoendettement publics tan-tocirct comme des dispositifs anti-deacutemocratiques allant agrave lrsquoencontre du rocircle contracyclique des politiques conjoncturelles le bien-fondeacute des regravegles budgeacutetaires est tregraves deacutebattu Apregraves avoir preacutesenteacute leurs avantages et leurs limites Jeacuterocircme Creel fait le point sur la diversiteacute de ces regravegles et sur leur efficaciteacute drsquoautant plus difficile agrave eacutevaluer qursquoelles sont de plus en plus com-plexes Au-delagrave de la question des regravegles le deacutebat sur les bonnes pratiques de politique bud-geacutetaire porte eacutegalement sur lrsquoexistence drsquoinstitutions qui pourraient heacuteriter des preacuterogatives des gouvernements ou du moins avoir pour rocircle de les conseiller

Problegravemes eacuteconomiques

Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire

Intense avant lrsquoadoption des critegraveres deMaastricht le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute drsquoins-taurer des regravegles de politique budgeacutetaire a eacuteteacuterelanceacute au cours de la crise financiegravere inter-nationale En effet les regravegles en vigueur dansla zone euro ndash notamment la limitation desdeacuteficits publics agrave 3 du PIB ndash nrsquoont pas per-mis drsquoeacutechapper agrave la fameuse crise des dettessouveraines Et au-delagrave de lrsquoEurope la fortedeacutegradation de lrsquoeacutetat des finances publiquesa fait craindre le retour des deacutefauts souve-rains dans les pays deacuteveloppeacutes

Selon un document du FMI (Schaechter et al2012) seuls cinq pays dans le monde dispo-saient drsquoune regravegle budgeacutetaire srsquoappliquant augouvernement en 1990 lrsquoAllemagne lrsquoIndoneacute-sie le Japon le Luxembourg et les Eacutetats-UnisDepuis lors pas moins de 76 pays sont concer-neacutes Plutocirct formuleacutees simplement agrave lrsquoorigine(comme une limite agrave 3 du deacuteficit public) cesregravegles deviennent de plus en plus complexesintroduisant les notions peu eacutevidentes drsquoinsou-tenabiliteacute des finances publiques et de contin-gence aux chocs eacuteconomiques Or ces termesdonnent lieu agrave une diversiteacute drsquointerpreacutetationsIn fine ces nouvelles regravegles posent de deacutelicatsproblegravemes de controcircle et de mise en œuvreLeur efficaciteacute est bien difficile agrave appreacutehender

JEacuteROcircME CREEL

OFCE et ESCP Europe

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 34

Pourquoi des regravegles budgeacutetaires Deux principaux arguments ont eacuteteacute avanceacutespour justifier lrsquoapplication de regravegles de poli-tique budgeacutetaire En premier lieu celui dela creacutedibiliteacute et de la coheacuterence temporelledans la ligneacutee de Kydland et Prescott (1977)

Regravegle et creacutedibiliteacute

Le premier argument part de lrsquoideacutee que lesgouvernements et les banques centralessont victimes drsquoun laquo biais inflationniste raquoIls seraient enclins agrave mener des politiquesbudgeacutetaires et moneacutetaires expansives afinde pousser lrsquoeacuteconomie au-delagrave de lrsquoeacutequilibrepermis par ses facteurs de production Letaux drsquoinflation serait alors supeacuterieur agrave celuiqursquoils avaient preacutealablement communiqueacuteaux acteurs priveacutes Lrsquoeffet rechercheacute est unebaisse du salaire reacuteel engendrant plus decroissance et plus drsquoemplois

Toutefois si les acteurs priveacutes ont des anti-cipations laquo rationnelles raquo ils peuvent preacutevoirle comportement des gouvernements et desbanques centrales les salarieacutes vont doncaugmenter leurs revendications salarialesau-delagrave des engagements drsquoinflation desautoriteacutes Les salaires nominaux vont alorsprogresser non pas au rythme de lrsquoinflationinitialement afficheacutee mais agrave celui de lrsquoinfla-tion effectivement engendreacutee par des poli-tiques expansionnistes En conclusion souslrsquohypothegravese drsquoanticipations rationnelles lespolitiques eacuteconomiques ne modifient pas lesniveaux de production et drsquoemploi mais ontdes effets sur lrsquoinflation

Dans ce contexte parce que le biais inflation-niste produit effectivement de lrsquoinflation il estnocif pour lrsquoeacuteconomie Lrsquoinflation induit desmodifications de prix relatifs (tous les prix nepeuvent pas augmenter de concert en raisondes deacutecalages temporels dans les contratseacutetablis par exemple) qui perturbent le bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie elle provoquedes pertes de compeacutetitiviteacute si les partenairescommerciaux sont moins soumis au biaisinflationniste ainsi que des modifications de

recettes fiscales si les baregravemes drsquoimpositionne sont pas indexeacutes sur les prix

Deux solutions ont eacuteteacute apporteacutees agrave ce biaisinflationniste La premiegravere a consisteacute agrave pro-mouvoir des regravegles contraignantes de poli-tique eacuteconomique les engagements prisdoivent ecirctre creacutedibles ce qui neacutecessite que lesobjectifs des autoriteacutes soient clairement iden-tifieacutes et qursquoils correspondent agrave la situationdrsquoeacutequilibre de lrsquoeacuteconomie Cette exigence srsquoesttraduite concregravetement par une geacuteneacuteralisationdes laquo cibles drsquoinflation raquo La seconde solutionqui peut ecirctre compleacutementaire de la premiegraverea consisteacute agrave deacuteleacuteguer la politique moneacutetaire agraveune banque centrale deacutesormais indeacutependantedu pouvoir politique Les banquiers centrauxdoivent en conseacutequence ecirctre choisis pour leuraversion reconnue vis-agrave-vis de lrsquoinflation

Quelles sont les conseacutequences de ces choixsur les politiques budgeacutetaires Assez natu-rellement les regravegles contraignantes drsquoenga-gement preacutealable auxquelles se soumettentles politiques moneacutetaires se sont imposeacuteesaux politiques budgeacutetaires Soucieux de leurreacuteeacutelection les gouvernements sont particu-liegraverement inciteacutes dans le raisonnement tenuplus haut agrave pratiquer des politiques plusexpansives que preacutevu Or non seulement cespratiques nuisent agrave lrsquoeacutequilibre des financespubliques mais elles compromettent lrsquoobjec-tif assigneacute aux banques centrales leur cibledrsquoinflation Lrsquoimposition de regravegles de politiquebudgeacutetaire protegravege le mandat des banquierscentraux indeacutependants et averses agrave lrsquoinfla-tion Par conseacutequent elles doivent apporteraux gouvernements de la creacutedibiliteacute pourvubien sucircr qursquoelles soient appliqueacutees ou que desproceacutedures de sanctions soient organiseacutees encas de manquement Si la creacutedibiliteacute est aurendez-vous lrsquoavantage attendu sera un tauxdrsquointeacuterecirct faible sur la dette publique car lerisque de deacutefaut sera consideacutereacute comme limiteacute

Regravegle et biais politique

Le deuxiegraveme argument concerne la compo-sition des deacuteficits publics entre deacutepenseset recettes mais aussi les asymeacutetries

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 35

drsquoinformation entre les eacutelecteurs et leurs gou-vernements (von Hagen 2002)

Le premier aspect consiste agrave rappeler queles deacutepenses publiques comme les transfertsbeacuteneacuteficient agrave un sous-groupe de la popula-tion alors que tous les contribuables doiventen financer le coucirct une telle politique estredistributive Si le gouvernement repreacutesenteles inteacuterecircts du sous-groupe de la populationqui beacuteneacuteficie effectivement de la politiquebudgeacutetaire ou fiscale il peut ecirctre ameneacute agravesurestimer les beacuteneacutefices de sa politique et agravesous-estimer son coucirct Dans un tel contexteil peut ecirctre leacutegitime de restreindre les capa-citeacutes drsquoaction du gouvernement pour limiterle fardeau qui pegravesera sur les contribuables

Le second aspect tient agrave la difficulteacute pourles eacutelecteurs drsquoappreacutehender avec justesse lecomportement du gouvernement (on srsquoeacuteloignedonc quelque peu de la notion drsquoanticipa-tions rationnelles vue plus haut) celui-cipourrait tregraves bien poursuivre exclusivementson propre inteacuterecirct et extraire une rente de sasituation avec pour conseacutequence corruptionmauvaise gestion et gacircchis en tout genreCompte tenu de cette difficulteacute agrave preacutevoir lesmotivations de lrsquoaction politique des garde-fous peuvent srsquoaveacuterer neacutecessaires les regraveglesbudgeacutetaires prennent alors aussi la formedrsquoinstitutions efficaces pour produire lesbons comportements (comme viser lrsquointeacuterecirctgeacuteneacuteral) et les controcircler

Regravegle et union moneacutetaire

Il existe finalement un troisiegraveme argumentagrave lrsquoadoption de regravegles budgeacutetaires mais il acertainement perdu de sa substance au profitdu deuxiegraveme plus politique que nous avonspreacutesenteacute Il concerne les speacutecificiteacutes drsquouneunion moneacutetaire

Dans une union moneacutetaire une contraintesur la dette publique est neacutecessaire ndash techni-quement ndash pour atteindre lrsquoeacutequilibre macro-eacuteconomique stable de longue peacuteriode1 Dansun ensemble eacuteconomique ougrave les monnaiessont diffeacuterentes lrsquoincertitude sur la valeurdes actifs en devises et lrsquoaversion pour le

risque permettent de deacuteterminer la partde titres eacutetrangers que souhaitent deacutetenirles acteurs priveacutes incertitude et aversionpour le risque suffisent donc agrave deacuteterminerle partage de la richesse totale des meacutenagesentre titres domestiques et titres eacutetrangersLorsque la monnaie devient unique ce par-tage est indeacutetermineacute puisque le risque estsupposeacute avoir disparu les taux drsquointeacuterecirctnominaux doivent ecirctre eacutegaux agrave long termedans tous les pays Sans contrainte sur ledeacuteficit public qui engendre lrsquoeacutemission detitres domestiques la richesse des agentspriveacutes pourrait ecirctre stabiliseacutee (agrave lrsquoeacutequilibrede longue peacuteriode) sans que ni les montantsde titres eacutetrangers ni ceux de titres domes-tiques ne le soient les uns et les autres eacutetantbeaucoup plus substituables puisqursquoil nrsquoy aplus de risque de change La contrainte surle deacuteficit public remplace celle sur le deacuteficitexteacuterieur Il est inteacuteressant de constater quecet argument technique a eacuteclateacute parce que lerisque de change dans la zone euro a resurgisous lrsquoeffet des hausses de dettes publiques la question de lrsquoappartenance agrave la zoneeuro srsquoest poseacutee de nouveau La leveacutee de lacontrainte exteacuterieure non compenseacutee par unecontrainte stricte sur les deacuteficits et les dettespublics a produit des deacuteseacutequilibres courantsfinalement insoutenables

Les contre-argumentsLes trois arguments que nous venons depreacutesenter srsquoils permettent drsquoexpliquerlrsquoeacutemergence des regravegles budgeacutetaires ne lesjustifient pas pour autant dans la mesure ougraveils reposent tous sur des hypothegraveses fortes

Les regravegles budgeacutetaires issues de la theacuteorie dela creacutedibiliteacute preacutesupposent

ndash lrsquoexistence drsquoacteurs priveacutes parfai-tement informeacutes du comportement desgouvernements

ndash des gouvernements voulant mener lrsquoeacuteco-nomie systeacutematiquement au-delagrave de sonpotentiel

ndash des gouvernements capables drsquoinfluereffectivement sur les prix

[1] Agrave cet eacutequilibrede longue peacuteriode

le montant total drsquoactifspriveacutes et publics

deacutetenus par les acteurspriveacutes est constant

en proportion du PIBIl correspond agrave une

eacutepargne de long terme

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 36

On pourra admettre qursquoil srsquoagit lagrave drsquohypo-thegraveses de travail dans le cadre drsquoune eacutelabora-tion scientifique et qursquoen pratique les regraveglesbudgeacutetaires au lieu de chercher agrave empecirccherles gouvernements de tricher sur leurs enga-gements vont chercher agrave limiter ou agrave atteacute-nuer les pratiques deacuteviantes Dans ce caslrsquoimposition de regravegles budgeacutetaires souplespermettra de laisser quelques marges demanœuvre en cas de doute sur lrsquointerpreacuteta-tion agrave donner aux deacutecisions politiques unehausse du deacuteficit public peut se justifier parune insuffisance de la demande mal identifieacuteepar des acteurs priveacutes ne disposant pas drsquounevue globale de lrsquoeacuteconomie Il nrsquoy a pas lagravematiegravere agrave imaginer un Eacutetat cherchant agrave inter-venir au-delagrave du neacutecessaire dans lrsquoeacuteconomieAgrave lrsquoinverse lrsquoimposition drsquoune regravegle stricte debudget eacutequilibreacute pourrait ecirctre preacutejudiciableagrave la reacutegulation conjoncturelle si la politiquemoneacutetaire seule nrsquoeacutetait pas en mesure dereacutesorber les chocs La forme des regravegles doitdonc ecirctre eacutevoqueacutee (cf infra)

Les regravegles budgeacutetaires issues de la reacuteflexionsur le problegraveme drsquoasymeacutetrie drsquoinformationentre les autoriteacutes et les citoyens supposentque les motivations du gouvernement sontconnues au lieu drsquoecirctre laquo opportuniste raquo(Nordhaus 1975) mimant en peacuteriode preacute-eacutelectorale les preacutefeacuterences de lrsquoeacutelectorat pourle satisfaire et ecirctre reacuteeacutelu le gouvernementserait laquo partisan raquo (Hibbs 1977) deacutefendantles seuls inteacuterecircts de son eacutelectorat La vali-diteacute empirique de cette hypothegravese continuecependant de faire deacutebat en outre srsquoil existedes eacuteleacutements empiriques attestant lrsquoinfluencedes choix politiques sur les choix budgeacutetaireset fiscaux dans certains pays leurs implica-tions sur les variables comme lrsquoinflation nesont pas aveacutereacutees2 Ces reacutesultats mettent par-tiellement en doute la neacutecessiteacute de recourir agravedes regravegles budgeacutetaires pour limiter les effetsde deacutebordement des politiques publiquesQuant agrave la question de la corruption et de lacaptation de rente par les gouvernements ilsuffit de tester la correacutelation entre regravegle bud-geacutetaire et indice de corruption3 pour veacuterifierqursquoil nrsquoy a pas de relation univoque entre les

deux situations de nombreux pays disposantdrsquoune regravegle ont aussi un degreacute de corruptionrelativement faible (Finlande Danemark)mais drsquoautres tels que la Gregravece ou lrsquoItalieaffichent des niveaux de corruption relati-vement eacuteleveacutes Certes les premiers les res-pectent semble-t-il mieux que les secondsmais la causaliteacute entre les deux situations(corruptionregravegle) nrsquoest pas eacutetablie

Enfin si la regravegle budgeacutetaire drsquoajustement agraveun niveau de dette publique deacutesireacutee est bienune condition neacutecessaire agrave lrsquoobtention drsquouneacutequilibre de long terme satisfaisant pour lesactifs financiers des meacutenages elle nrsquoimpliquepas que la politique budgeacutetaire soit paralyseacuteedegraves le court terme

Ces remarques mettent en doute lrsquoutiliteacutedrsquoimposer meacutecaniquement des regravegles bud-geacutetaires qui peuvent reacuteduire arbitrairementles marges de manœuvre des gouvernementsconfronteacutes agrave des chocs macroeacuteconomiques etagrave des fluctuations eacuteconomiques

Regravegles budgeacutetaires et institutionsDiffeacuterents types de regraveglesLes regravegles budgeacutetaires en vigueur portent surdiffeacuterentes variables de finances publiquesElles peuvent ecirctre annuelles ou porter sur lemoyen terme Elles peuvent ecirctre locales natio-nales ou supranationales comme le Pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) qui srsquoappliqueagrave tous les Eacutetats membres de lrsquoUnion euro-peacuteenne Sur un mecircme territoire elles peuventse cumuler les reacutegions franccedilaises sont sou-mises agrave une regravegle portant sur lrsquoinvestisse-ment public tandis que lrsquoEacutetat franccedilais estsoumis via le PSC agrave une regravegle sur le deacuteficittotal et agrave une regravegle sur la dette et via le traiteacutebudgeacutetaire agrave une regravegle sur le deacuteficit structu-rel Les regravegles peuvent ecirctre inscrites dans laconstitution comme en Allemagne ou ne paslrsquoecirctre comme en France

Les regravegles de budget eacutequilibreacuteTentons de cerner toutes les variables definances publiques qui donnent lieu agrave une

[2] Cf Drazen (2001)et sa discussion avecO Blanchard

[3] LrsquoorganisationTransparencyInternational fournitun indice de corruptionpar pays

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 37

regravegle budgeacutetaire Les regravegles de budget eacutequili-breacute sont sans doute les plus connues le PSCstipule en effet que le deacuteficit public ne doitpas deacutepasser annuellement 3 du PIB endehors de circonstances exceptionnelles etqursquoagrave moyen terme le budget doit ecirctre eacutequi-libreacute Simples agrave controcircler et ayant un impactdirect sur lrsquoeacutevolution de la dette publique cesregravegles peuvent ne pas laisser suffisammentde marges de manœuvre pour faire face agrave desfluctuations drsquoactiviteacute ou agrave des chocs eacutecono-miques inattendus

Les regravegles de deacuteficit structurel4 comme celleinscrite dans le traiteacute budgeacutetaire ndash agrave moyenterme le deacuteficit structurel ne doit pas deacutepas-ser 05 du PIB ndash corrigent les deacutefauts de laregravegle preacuteceacutedente mais sont moins simples agravecontrocircler En effet les variations drsquoactiviteacutesont eacutevalueacutees par rapport agrave une eacutevolutionlaquo normale raquo de lrsquoactiviteacute celle du PIB poten-tiel qui nrsquoest pas observable et doit donc ecirctreeacutevalueacute lui aussi avec toutes les erreurs drsquoes-timation et les divergences drsquointerpreacutetationque cela peut impliquer

Les regravegles de dette

Les regravegles de dette consistent agrave limiter ladette en proportion du PIB en deccedilagrave drsquouncertain seuil etou agrave ramener le ratio vers ceseuil agrave un rythme preacutedeacutefini Parce que la dettepublique eacutevolue au greacute des deacuteficits publicsune regravegle portant sur la dette comporte lesmecircmes deacutefauts qursquoune regravegle de budget eacutequili-breacute Elle preacutesuppose en outre lrsquooptimaliteacute dumoins le niveau adeacutequat de la dette publiqueOr aucun principe eacuteconomique ne permetdrsquoaffirmer qursquoil existe agrave tout instant et danstous les pays un niveau optimal et intangiblede dette publique La regravegle de dette se heurtedonc agrave lrsquoimpossibiliteacute de deacutefinir un seuil adeacute-quat agrave moins de le faire varier en fonction denombreux paramegravetres lrsquoinflation qui modifiesa valeur reacuteelle le taux drsquointeacuterecirct qui fixe lescharges de la dette la deacutemographie qui deacuteter-mine le ratio de deacutependance entre inactifsacircgeacutes et actifs et pegravese donc sur les deacutepenseset les cotisations de retraites sur le tauxdrsquoeacutepargne et in fine sur la demande drsquoactifs

financiers etc Une regravegle variable perdraittregraves certainement toute simpliciteacute elle seraitincompreacutehensible pour le grand public qui nesaurait donc pas lrsquointeacutegrer dans son compor-tement et ses attentes

Les regravegles de deacutepenses

Les regravegles de deacutepenses peuvent amener agraveexclure certaines drsquoentre elles du deacuteficit agravecontenir Tel est le cas de la regravegle drsquoor desfinances publiques qui autorise le finance-ment obligataire des deacutepenses drsquoinvestis-sement et oblige agrave eacutequilibrer deacutepenses defonctionnement et recettes fiscales Une telleregravegle peut donner lieu agrave une augmentation dela dette publique et de la prime de risque dedeacutefaut si les investissements publics ne pro-duisent pas les beacuteneacutefices attendus en termes decroissance Elle peut conduire agrave privileacutegier desdeacutepenses drsquoinfrastructures au deacutetriment desdeacutepenses drsquoeacuteducation et nuire agrave la croissanceeacuteconomique future Elle pose donc la questiondes deacutepenses productives agrave favoriser Drsquoautresregravegles de deacutepenses adoptent une approchebeaucoup plus comptable qursquoeacuteconomique enlimitant sans discernement la hausse du ratiode deacutepenses publiques Le peacuterimegravetre de lrsquoEacutetatpeut facilement ecirctre restreint par ce biais cequi est source selon certains drsquoefficaciteacute ndash unEacutetat moins deacutepensier doit lever moins drsquoim-pocircts potentiellement nuisibles aux incitationsagrave produire agrave travailler voire agrave consommer mais cela risque fort drsquoengendrer une baissedes deacutepenses sociales gages de seacutecuriteacute pourceux qui en beacuteneacuteficiaient etou une diminu-tion des investissements publics nuisible agravelong terme pour la croissance

Des institutions chargeacuteesde la politique budgeacutetaire

La multipliciteacute des regravegles rend les comparai-sons internationales quant agrave leur eacuteventuelleefficaciteacute particuliegraverement deacutelicates En touteacutetat de cause il nrsquoexiste pas de regravegle bud-geacutetaire optimale permettant de faire face agravetoutes les contingences Et si elle existaitil serait impossible de la controcircler tant elleserait compliqueacutee agrave appreacutehender

[4] Le deacuteficit structurelest corrigeacute de

lrsquoimpact automatiquedes variations drsquoactiviteacutesur les recettes fiscales

et les deacutepenses socialesnotamment

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 38

Face agrave cette impasse plusieurs eacuteconomistestels Juumlrgen von Hagen ou Charles Wyploszont depuis longtemps proposeacute que la poli-tique budgeacutetaire soit peu ou prou deacuteleacutegueacuteeagrave un comiteacute de politique budgeacutetaire commela politique moneacutetaire est deacuteleacutegueacutee dans lazone euro agrave une banque centrale indeacutepen-dante Cette deacuteleacutegation reacutesoudrait en grandepartie les trois problegravemes eacutevoqueacutes plus haut celui de la creacutedibiliteacute celui de lrsquoasymeacutetriedrsquoinformation et celui de lrsquoeacutequilibre de longterme dans une union moneacutetaire Il faudraitcependant et cela nrsquoest pas une mince condi-tion que ledit comiteacute dispose effectivementdu pouvoir de deacutecider des politiques budgeacute-taires agrave mettre en œuvre Face au problegravemedeacutemocratique qursquoune telle deacuteleacutegation pose(cf Mathieu et Sterdyniak 2012) et face agrave la

reacuteticence des gouvernements agrave ecirctre deacuteposseacute-deacutes du pouvoir budgeacutetaire des conseils depolitique budgeacutetaire ont vu le jour dans denombreux pays depuis longtemps aux Eacutetats-Unis avec le Congressional Budget Office creacuteeacuteen 1975 ou plus reacutecemment en Sloveacutenie avecle Fiscal Council creacuteeacute en 2010 Si de telles ins-titutions peuvent aider agrave controcircler les poli-tiques budgeacutetaires ils ne sont geacuteneacuteralementpas organiseacutes pour juger de lrsquoadeacutequation de lapolitique budgeacutetaire agrave des conditions drsquoacti-viteacute mouvantes (Wyplosz 2011) Le deacutebat surles bonnes pratiques de politique budgeacutetairereste donc largement ouvert regravegle ou dis-creacutetion quelle regravegle avec ou sans conseil depolitique budgeacutetaire agrave quel horizon Tellessont les questions

DRAZEN A (2001) laquo The political business cycleafter 25 years raquo in BernankeB et Rogoff K (eds) NBERMacroeconomics Annual2000 vol 15

HAGEN J (von) (2002)laquo Fiscal rules fiscalinstitutions and fiscalperformance raquo The Economicand Social Review vol 33ndeg 3

HIBBS DA (1977) laquo PoliticalParties and MacroeconomicPolicy raquo American PoliticalScience Review vol 71

KYDLAND F et PRESCOTT E(1977) laquo Rules rather thandiscretion the inconsistencyof optimal plans raquo Journalof Political Economy vol 85ndeg 3

MATHIEU C et STERDYNIAK H(2012) laquo Faut-il des regraveglesde politique budgeacutetaire raquoRevue de lrsquoOFCE vol 126

NORDHAUS WD (1975) laquo The Political BusinessCycle raquo Review of EconomicStudies vol 42 ndeg 2

SCHAECHTER A KINDA TBUDINA N et WEBER A (2012)

laquo Fiscal rules in responseto the crisis ndash towards theldquonext-generationrdquo rules Anew dataset raquo Document detravail ndeg 187 FMI

WYPLOSZ C (2011) laquo Fiscaldiscipline rules ratherthan institutions raquo NationalInstitute Economic Review vol 217

WYPLOSZ C (2012) laquo Fiscalrules theoretical issuesand historical experiences raquoDocument de travail ndeg 17784NBER

POUR EN SAVOIR PLUS

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 39

La France est reacuteguliegraverement pointeacutee du doigt pour son taux de deacutepenses publiques ndash 566 du PIB ndash parmi les plus eacuteleveacutes du monde qui deacutecouragerait lrsquoinitiative priveacutee et favoriserait lrsquoeacutevasion fiscale Agrave lrsquoheure ougrave la crise des dettes souveraines oblige les Eacutetats agrave reacutealiser des efforts budgeacutetaires lrsquoaccent est particuliegraverement mis sur la neacutecessiteacute de reacuteduire les deacutepenses afin drsquoeacuteviter drsquoaccroicirctre les preacutelegravevements obligatoiresToutefois comme le montre Adrien Matray le haut niveau des deacutepenses publiques en France est essentiellement ducirc agrave la geacuteneacuterositeacute des deacutepenses sociales ainsi lrsquoappareil drsquoEacutetat ne coucircte pas plus cher en France qursquoailleurs et srsquoavegravere mecircme moins dispendieux que son homologue britannique ou ameacutericain Crsquoest le choix de confier au secteur public une plus grande part de la protection sociale qui explique le haut niveau des deacutepenses publiques Or ce choix est loin drsquoecirctre inefficace drsquoun point de vue collectif Lrsquoargent public pourrait neacuteanmoins ecirctre mieux utiliseacute en affectant diffeacuteremment certaines ressources

Problegravemes eacuteconomiques

Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France

La France au seindes pays deacuteveloppeacutes

Des deacutepenses publiques eacuteleveacuteesreflet drsquoun partage diffeacuterententre Eacutetat et marcheacute

En 2012 les deacutepenses publiques fran-ccedilaises repreacutesentaient 566 du PIB undes taux les plus eacuteleveacutes au monde Mais

cela ne signifie pas pour autant que lrsquoEacutetatserait plus dispendieux qursquoailleurs Poursrsquoen rendre compte il suffit de consideacutererle poids des deacutepenses de fonctionnementdes administrations publiques (salaires etconsommations intermeacutediaires du secteurpublic) dans le PIB (graphique 1) Avec unniveau de 187 le fonctionnement de lrsquoap-pareil drsquoEacutetat est moins coucircteux que dansles pays scandinaves mais aussi qursquoauRoyaume-Uni (235 ) ou aux Eacutetats-Unis(199 ) La France nrsquoest de ce point de vuepas tregraves eacuteloigneacutee de la moyenne de lrsquoUnioneuropeacuteenne (175 )

La deacutepense publique recouvre des eacuteleacute-ments tregraves diffeacuterents On la deacutecompose

ADRIEN MATRAY

Doctorant agrave HEC Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 40

geacuteneacuteralement en quatre grands postes les deacutepenses publiques collectives (ou deacutepenses publiques au sens strict) comme lrsquoadmi-nistration des services geacuteneacuteraux le main-tien de lrsquoordre lrsquoarmeacutee etc les deacutepenses drsquoeacuteducation les deacutepenses de santeacute et enfin les deacutepenses de transferts assurantiels (assurance retraite ou assurance chocircmage)appeleacutees aussi laquo deacutepenses sociales raquo Ces derniegraveres se diffeacuterencient des autres par la nature du beacuteneacuteficiaire et par leur mode de financement Elles ont un beacuteneacuteficiaire direct (alors que les deacutepenses drsquoadministration apportent un beacuteneacutefice diffus) et sont finan-ceacutees sur la base drsquoune cotisation ouvrant droit agrave des prestations

En France les deacutepenses se deacutecomposenten 2011 de la faccedilon suivante 182 pourles deacutepenses collectives 84 pour la

santeacute 62 pour lrsquoeacuteducation et enfin 237 pour les deacutepenses sociales La somme desdeacutepenses publiques hors deacutepenses socialesrepreacutesente ainsi plus de la moitieacute de sesdeacutepenses totales ce qui la place au 8e rangdes pays de lrsquoOCDE en 2011 agrave un niveaueacutequivalent agrave celui de lrsquoIrlande et derriegravereles Eacutetats-Unis le Royaume-Uni ou les Pays-Bas Avec un niveau de 328 du PIB laFrance se situe leacutegegraverement au-dessus dela moyenne des pays de lrsquoOCDE (29 ) Cefaible eacutecart tient au fait que lrsquoessentiel deces deacutepenses sont difficilement compres-sibles car elles touchent en grande partieaux fonctions reacutegaliennes de lrsquoEacutetat et quetout pays deacuteveloppeacute a besoin drsquoune policedrsquoune justice ou drsquoune administration eneacutetat de marche Degraves lors agrave moins drsquoavoirun Eacutetat particuliegraverement dispendieux les

1 Poids des deacutepenses de fonctionnement ( du PIB)

0

5

10

15

20

25

30

Union

agrave 2

7

Zone

eur

o

Eacutetat

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Polo

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Danem

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Uni

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Italie

Allem

agne

Fran

ce

187

128

164 166

235 231

283

153

131

199

16175

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 41

diffeacuterences entre pays sont neacutecessairementfaibles Lrsquoeacutecart entre les deacutepenses publiquesfranccedilaises et la moyenne de lrsquoOCDE sereacuteduit drsquoailleurs encore si lrsquoon exclut lesdeacutepenses de santeacute et drsquoeacuteducation 182 en France pour une moyenne agrave 169 danslrsquoOCDE (graphique 2)

Le niveau eacuteleveacute des deacutepenses publiques en France srsquoexplique donc essentiellement par la mutualisation publique drsquoun certain nombre de deacutepenses assurantielles Or ces deacutepenses ont deux caracteacuteristiques Elles repreacutesentent un revenu qui est souvent taxeacute et elles apportent un service qui lorsqursquoil nrsquoest pas fourni par lrsquoEacutetat lrsquoest par le marcheacuteUn exemple simple est celui de lrsquoassurance

santeacute Alors que des pays comme les Eacutetats-Unis laissent des entreprises priveacutees assurer lrsquoessentiel de ce service la France a choisi de le produire directement par le biais de lrsquoEacutetat qui en assure le financement par des coti-sations sociales Lorsqursquoon tient compte de ces deux eacuteleacutements les eacutecarts entre les pays se reacuteduisent consideacuterablement Un travail de Willem Adema (2001)1 montre ainsi que si lrsquoeacutecart des deacutepenses sociales publiques brutes entre les Eacutetats-Unis et le Danemark eacutetait de 20 points en 1997 (158 contre 359 ) celui-ci tombe agrave 4 points si lrsquoon srsquointeacuteresse aux deacutepenses sociales totales (publiques et priveacutees) nettes 234 contre 275

2 Deacutepenses publiques par fonction (en du PIB)

0

10

20

30

40

50

60

OCDE

Japon

Etats-

Unis

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chegraveq

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Pologne

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Suegravede

Royaum

e-Uni

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lie

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agne

Fran

ce

Deacutepenses collectives Santeacute Eacuteducation

Deacutepenses sociales (transferts assurantiels hors santeacute)

62

237

84

182

44

217

69

146

48

204

75

193

5

161

68

179

7

18

85

181

8

254

88

162

73

23

74

175

55

165

51

173

5

14

8

189

66

89

86

179

58

157

66

169

39

13

75

128

Source OCDE

[1] Adema W (2001)laquo Labour Market

and Social Policy raquoOccasional Papers ndeg 52

OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 42

Ainsi une faccedilon simple de faire baisser les deacutepenses publiques serait de reacuteduire for-tement les risques couverts par la seacutecuriteacute sociale mais drsquoobliger les citoyens agrave srsquoassu-rer aupregraves drsquoorganismes priveacutes Cet exemple montre bien que la seule question qui se pose reacuteellement est la suivante pour un ser-vice donneacute est-il plus efficace de passer par le marcheacute ou par lrsquoEacutetat pour le produire Le cas de lrsquoassurance est particuliegraverement inteacuteressant puisque plusieurs travaux ont montreacute qursquoil eacutetait en reacutealiteacute moins coucircteux drsquoavoir recours agrave un systegraveme public2 ce qui explique en grande partie pourquoi les deacutepenses de santeacute aux Eacutetats-Unis sont plus eacuteleveacutees qursquoen France3

Plus qursquoun systegraveme trop geacuteneacutereux ou dis-pendieux le niveau des deacutepenses publiques en France reacutevegravele avant tout un choix celui de confier au secteur public la production de certains services

Une progression en ligneavec les autres paysSur la peacuteriode 2000-2012 les deacutepenses publiques par habitant en volume ndash une fois lrsquoinflation deacuteduite ndash ont progresseacute de 15 en France soit agrave un rythme eacutequiva-lent agrave celui de lrsquoAllemagne (148 ) et de la zone euro (153 ) et infeacuterieur agrave celui de lrsquoUnion europeacuteenne (167 ) Surtout ce rythme a eacuteteacute deux fois infeacuterieur agrave celui des Eacutetats-Unis et trois fois infeacuterieur agrave celui du Royaume-Uni (graphique 3) Par ailleursles deacutepenses publiques laquo strictes raquo (hors deacutepenses sociales) se sont mecircme reacuteduites sur la peacuteriode

Pour autant la crise des dettes souveraines qui a eacuteclateacute en 2010 pose agrave nouveau la ques-tion de la neacutecessiteacute drsquoune reacuteduction des deacutepenses publiques

[2] Cf par exempleRotschild M and StiglitzJ (1976) laquo Equilibriumin CompetitiveInsurance Markets An Essay on theEconomics of ImperfectInformation raquo QuarterlyJournal of Economicsvol 90 ndeg 4

[3] Cf Krugman P(2008) LrsquoAmeacuterique quenous voulons ParisFlammarion

3 Eacutevolution des deacutepenses publiques par habitant en volume de 2000 agrave 2012 (en )

0

10

20

30

40

50

60

Union agrave

27

Zone euro

Japon

Eacutetats-

Unis

Reacutep t

chegraveq

ue

Pologne

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Suegravede

Royaum

e-Uni

Espag

neIta

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Allem

agne

Fran

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Eacutevolution

15 148

56

252

475

139 137

614

504

30

199153 167

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 43

Les deacutepenses publiques sont-ellestrop eacuteleveacutees agrave lrsquoheure actuelle Baisser les deacutepenses publiquesen peacuteriode de crise une strateacutegie dangereuseFace agrave la crise des dettes souveraines les Eacutetats ont chercheacute agrave reacuteduire leur deacuteficit public par deux moyens en coupant dans leurs deacutepenses et en augmentant les impocircts En peacuteriode de crise cette strateacutegie peut srsquoaveacute-rer non seulement dangereuse mais aussi contre-productive en raison du laquo multiplica-teur des deacutepenses publiques raquo (cf zoom)

Lorsque la conjoncture est deacuteprimeacutee le secteur priveacute (meacutenages et entreprises) est souvent reacuteticent agrave consommer et agrave investirnotamment si la crise a eacuteteacute provoqueacutee par un excegraves drsquoendettement Degraves lors le seul agent encore capable de deacutepenser est lrsquoEacutetatLe multiplicateur des deacutepenses publiques est par conseacutequent beaucoup plus eacuteleveacute en peacuteriode de crise qursquoen phase de croissanceDrsquoapregraves le FMI ce multiplicateur serait de lrsquoordre de 15-2 agrave lrsquoheure actuelle contre 05-07 drsquoapregraves les estimations initiales (cf Pers-pectives de lrsquoeacuteconomie mondiale 2012)

Degraves lors une baisse trop rapide des deacutepenses publiques dans un contexte de crise peut paradoxalement alourdir les ratios de deacuteficit et de dette en provoquant une contraction

encore plus forte du PIB Non seulement la crise se prolonge mais lrsquoobjectif premier de la baisse des deacutepenses publiques (reacuteduire le deacuteficit en proportion du PIB) nrsquoest pas atteint

Diminuer les deacutepenses publiques lorsque les meacutenages et les entreprises cherchent avant tout agrave se deacutesendetter ou agrave accumuler de lrsquoeacutepargne de preacutecaution est donc dangereuxLrsquoEacutetat doit toutefois se montrer capable de mener de veacuteritables politiques contra-cycliques en peacuteriode de croissance les deacutepenses doivent augmenter moins vite que le PIB afin de deacutegager des exceacutedents budgeacute-taires permettant de rembourser les dettes contracteacutees en peacuteriode de ralentissementSans cette capaciteacute agrave moduler les deacutepenseslrsquoEacutetat risque de pacirctir drsquoun manque de creacutedi-biliteacute pour pouvoir emprunter sur les mar-cheacutes aupregraves des eacutepargnants Or une eacutetude reacutecente de Aghion et al (2011)4 montre que la France megravene des politiques contracycliques limiteacutees notamment parce qursquoen peacuteriode de croissance les deacutepenses progressent Crsquoest un des arguments principaux en faveur des politiques de rigueur en peacuteriode de crise

Des deacutepenses publiquesqui peuvent peser sur lrsquoactiviteacutepriveacutee en cas de concurrencepour les ressourcesMecircme en lrsquoabsence de problegraveme de soutena-biliteacute des finances publiques des deacutepenses

[4] Aghion P Hemous Det Kharroubi E (2011)laquo Cyclical Fiscal Policy

Credit Constraints andIndustry Growth raquo BIS

Working Paper

LLE MULE MULTIPLITIPLICCAATEURTEURDES DEacutePENSES PUBLIQUESDES DEacutePENSES PUBLIQUESLe multiplicLe multiplicatateur des deacutepenses publiqueseur des deacutepenses publiques

se deacutefinit cse deacutefinit comme lomme le monte montant de crant de creacuteationeacuteation

de richesde richesse que vse que va pra produiroduire une unite une uniteacute deeacute de

deacutepense publique Si ldeacutepense publique Si le multiplice multiplicatateur veur vautaut

deux par edeux par exxemplemple ce cela signifie que lela signifie que lororsquesque

llrsquoEacutetrsquoEacutetat deacutepense un eurat deacutepense un euro co cettette deacutepense cre deacutepense creacuteeeacutee

deux eurdeux euros de richesos de richesse dans lse dans lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

(et(et donc invdonc inverersement ssement srsquoil rrsquoil reacuteduit sa deacutepenseeacuteduit sa deacutepense

drsquoun eurdrsquoun euro ilo il deacutetruit deux eurdeacutetruit deux euros de richesos de richesse)se)

Cela sCela srsquoersquoexplique par lxplique par le fe fait que la deacutepenseait que la deacutepense

publique augmentpublique augmente la demande gle la demande globalobale quie qui

sstimultimule la pre la production et amegravene loduction et amegravene les entres entrepriseseprises

agrave disagrave distribuer des salairtribuer des salaires ces ce qui en re qui en retetourour

ccontribue agrave acontribue agrave accrcroicirctroicirctre la demande ete la demande etcc

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 44

publiques eacuteleveacutees peuvent nuire agrave lrsquoeacuteco-nomie par le biais de la concurrence entre lrsquoEacutetat et le secteur priveacute pour les moyens de production (capital et travail) Lrsquoactiviteacute des entreprises est ainsi freineacutee par un moindre accegraves de celles-ci agrave lrsquoeacutepargne et agrave lrsquooffre de travail des agents eacuteconomiques

Lagrave encore il est important de distinguer selon la position de lrsquoeacuteconomie dans le cycle Srsquoil est peu discutable qursquoen peacuteriode de quasi-plein-emploi il existe une reacuteelle concurrence entre secteur priveacute et secteur public cette crainte est assez limiteacutee dans le contexte actuel La France a actuellement un taux de chocircmage de 102 et un coucirct de lrsquoemprunt agrave 10 ans de 18 LrsquoEacutetat franccedilais srsquoendette donc agrave des taux drsquointeacuterecirct reacuteels (taux drsquointeacuterecirct moins inflation) neacutegatifsAutrement dit les investisseurs sont precircts agrave payer pour pouvoir precircter de lrsquoargent agrave lrsquoEacutetat

Toutefois mecircme si en peacuteriode de crisereacuteduire les deacutepenses publiques peut srsquoaveacuterer neacutefaste cela ne veut pas dire que certaines deacutepenses ne sont pas trop eacuteleveacutees Pour reacutepondre de faccedilon preacutecise il faudrait analy-ser en deacutetail lrsquoefficaciteacute de chaque cateacutegorie de deacutepenses publiques Une telle analyse est eacutevidemment hors de porteacutee de cet article On peut neacuteanmoins identifier quelques grands postes ougrave le niveau de deacutepenses est trop eacuteleveacute ou trop faible

Un argent public mal employeacute Des domainesougrave des gains sont possibles

Le millefeuille des collectiviteacutes locales

Lrsquoadministration territoriale est sans doute lrsquoun des postes les plus eacutevidents de deacutepenses trop eacuteleveacutees Le deacuteveloppement des reacutegions nrsquoa pas fait disparaicirctre lrsquoexis-tence des deacutepartements et plus reacutecemmentles intercommunaliteacutes se sont superposeacutees aux communes Par ailleurs si les effectifs des intercommunaliteacutes ont tripleacute depuis

1998 ceux des communes ont continueacute agrave croicirctre sur la mecircme peacuteriode Les collectiviteacutes locales ont connu en dix ans un transfert de compeacutetences estimeacute agrave 12 point de PIB mais sur la mecircme peacuteriode les deacutepenses totales ont progresseacute de plus de deux points

Agrave la superposition des eacutechelons administra-tifs srsquoajoute eacutegalement une absence de par-tage clair sur certaines tacircches en raison de la clause de laquo compeacutetence geacuteneacuterale raquo qui per-met aux communes deacutepartements et reacutegions drsquointervenir sur les mecircmes sujets

Une politique du logement inefficace

Les deacutepenses de logement ont atteint 45 mil-liards drsquoeuros en 2011 Cette progression srsquoexplique par le souhait drsquoaider des meacutenages en difficulteacute face agrave la hausse tregraves forte du prix de lrsquoimmobilier depuis vingt ans (les prix de lrsquoimmobilier ont eacuteteacute multiplieacutes en moyenne par 25 depuis la fin des anneacutees 1990) Mais ces deacutepenses prennent essentiel-lement la forme de subventions agrave lrsquoachat ou agrave la location ce qui comme le notent Tran-noy et Wasmer (2013)5 est contreproductif en effet elles conduisent essentiellement agrave une augmentation des prix en raison drsquoune offre contrainte Elles beacuteneacuteficient donc en grande partie aux proprieacutetaires qui vendent ou louent leur logement Dans le cas speacuteci-fique des aides pour le logement (APL) les travaux de Gabrielle Fack (2005)6 concluent que chaque euro drsquoaide directe suppleacutemen-taire se traduit par une hausse de pregraves de 08 centime du loyer

Santeacute le diable est dans les deacutetailshellip

Les deacutepenses de santeacute en France repreacutesen-tent 12 du PIB dont 9 sont des deacutepenses publiques ce qui fait de la France une des nations les plus deacutepensiegraveres dans ce domaine Dans lrsquoabsolu des deacutepenses eacutele-veacutees prises en charge essentiellement par le secteur public sont beacuteneacutefiques en termes de croissance eacuteconomique et de reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoespeacuterance de vie mais en France le rendement de ces deacutepenses est de plus en plus faible7

[5] Trannoy Aet Wasmer E (2013)laquo Comment modeacuterer lesprix de lrsquoimmobilier raquoNote du CAE ndeg 2

[6] Fack G (2005)laquo Pourquoi les meacutenagesagrave bas revenus paient-ilsdes loyers de plus enplus eacuteleveacutes Lrsquoincidencedes aides au logementen France (1973-2002) raquoEacuteconomie et Statistiquendeg 381-382 Paris INSEE

[7] Aghion P et MartinR (2011) laquo Croissanceet politiques de santeacute raquoMimeo

[8] Chandra A GruberJ et McKnight R (2010)laquo Patient Cost-Sharingand HospitalizationOffsets in the Elderly raquoAmerican EconomicReview vol 100 ndeg 1

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 45

Plusieurs pistes existent pour accroicirctre lrsquoef-ficaciteacute des deacutepenses publiques de santeacuteCertaines cateacutegories de deacutepenses ont un impact positif important sur lrsquoespeacuterance de vie (infirmiegraveres scanners IRM) tandis que drsquoautres en ont peu voire pas du tout (salaires des meacutedecins speacutecialistes) Par ail-leurs la meacutedecine de ville apparaicirct comme un systegraveme coucircteux apportant peu de beacuteneacute-fices en termes drsquoespeacuterance de vie tandis que les deacutepenses directes laquo sur patient raquo per-mettent de meilleurs reacutesultats

Il faut par ailleurs prendre garde aux baisses de deacutepenses en matiegravere drsquoassurance santeacute qui peuvent se traduire agrave long terme par une hausse des coucircts En effet un accroissement des coucircts non rembourseacutes peut conduire les patients agrave retarder les visites chez le meacutede-cin et agrave renoncer agrave certains meacutedicamentsCe choix srsquoil permet des eacuteconomies sur le moment peut deacutegrader la santeacute du maladeconduisant agrave une augmentation agrave moyen terme des hospitalisations dont le coucirct est beaucoup plus eacuteleveacute En analysant une reacuteforme mise en place en 2002 en CalifornieChandra Gruber and McKnight (2010)8 arri-vent agrave la conclusion que chaque dollar drsquoeacuteco-nomie sur les remboursements se traduit en reacutealiteacute par une eacuteconomie reacuteelle de 05 dollar en moyenne (en raison de la hausse des hos-pitalisations) et que le coucirct augmente mecircme dans le cas des patients atteints de maladie chronique

Des postes budgeacutetairesavec des dotations insuffisantes

Un sous-investissementdans lrsquoeacuteducation de la petite enfanceLa deacutepense totale dans lrsquoeacuteducation en France en proportion du PIB est parfaitement eacutegale agrave la moyenne des pays lrsquoOCDE (63 en 2009) notamment en raison drsquoune diminu-tion de 10 depuis 1997 Mais cette deacutepense totale masque des dispariteacutes importantesEn effet la France consacre 5 de moins que la moyenne de lrsquoOCDE agrave la maternelle et 15 de moins agrave lrsquoeacutecole primaire (Cour

des Comptes 2010)9 Or de tregraves nombreux travaux montrent que cette peacuteriode est cru-ciale notamment pour reacuteduire les ineacutegaliteacutes sociales et faciliter par la suite lrsquoaccumu-lation de capital humain Les travaux de Heckman et al (2010)10 concluent ainsi agrave un rendement de 7 agrave 10 par an pour chaque dollar investi dans la petite enfance Ces gains supeacuterieurs au rendement moyen du marcheacute financier depuis 1945 srsquoexpliquent par une hausse des chances drsquoobtenir un emploi reacutemuneacuterateur par la baisse des risques de chocircmage et de la criminaliteacute pour les personnes ayant beacuteneacuteficieacute de cet investissement

Par ailleurs les deacutepenses de professeurs sont eacutegalement faibles au regard des com-paraisons internationales Comme lrsquoindique une note du Conseil drsquoanalyse strateacutegique (CAS 2011)11 la France a le taux drsquoencadre-ment (nombre drsquoeacutelegraveve moyen par enseignant) le plus faible de lrsquoOCDE Or plusieurs tra-vaux sur donneacutees franccedilaises montrent que la taille des classes a un effet important sur lrsquoameacutelioration des performances sco-laires pour les enfants de milieu deacutefavo-riseacute Piketty et Valdemaire (2004)12 concluent que lrsquoon pourrait reacuteduire les eacutecarts en CE2 drsquoenviron 46 si lrsquoon reacuteduisait la taille des classes de cinq eacutelegraveves dans les ZEP

Deacutepenses pour lrsquoemploiet indemnisation du chocircmageLes deacutepenses publiques pour lrsquoemploi repreacute-sentaient en 2010 47 du PIB soit 91 mil-liards drsquoeuros en hausse de 10 milliards depuis 2008 Si cette hausse srsquoexplique pour lrsquoessentiel par lrsquoaugmentation des deacutepenses drsquoindemnisation du chocircmage cela nrsquoim-plique pas que la deacutepense soit eacuteleveacutee au regard des comparaisons internationalesEn effet les deacutepenses moyennes en faveur des chocircmeurs (crsquoest-agrave-dire rameneacutees au taux de chocircmage) sont en France plus faibles que la majoriteacute des pays europeacuteens (jusqursquoagrave deux fois moins qursquoau Pays-Bas pays le plus geacuteneacutereux) et drsquoapregraves la Cour des Comptes (2013)13 la France a fait moins drsquoefforts que

[9] Cour des Comptes(2010) laquo LrsquoEacuteducation

nationale face agrave lrsquoobjectifde la reacuteussite des

eacutelegraveves raquo

[10] Heckman J MoonS H Pinto R Savelyev

P et Yavitz A (2010)laquo The Rate of Return

of the Highscope PerryPreschool Program raquo

Journal of PublicEconomics vol 94 ndeg 1-2

[11] CAS (2011)laquo Tendances de lrsquoemploi

public raquo feacutevrier

[12] Piketty T etValdemaire M (2004)laquo Lrsquoimpact de la taille

des classes et de laseacutegreacutegation sociale sur

la reacuteussite scolaire dansles eacutecoles franccedilaises

une estimation agrave partirdu panel primaire

1997 raquo Document detravail EHESS

[13] Cour des comptes(2013) laquo Le marcheacute

du travail face agrave unchocircmage eacuteleveacute mieuxcibler les politiques raquo

janvier

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 46

les autres pays de lrsquoOCDE pour indemniser ses chocircmeurs durant la crise Lrsquoessentiel des deacutepenses vient en fait des aides agrave lrsquoemploi pour les entreprises (41 milliards drsquoeuro en 2010) dont la moitieacute provient des exoneacutera-tions de cotisations sociales sur les bas salaires crsquoest-agrave-dire allant jusqursquoagrave 16 fois le SMIC

Lrsquoefficaciteacute de cette mesure fait deacutebat siles eacutetudes de Creacutepon et Desplatz (2001)14 et

de Bunel et al (2012)15 concluent agrave un effetpositif de 460 000 agrave 500 000 emplois les tra-vaux de Sterdyniak (2002)16 insistent sur lefait que cette mesure geacutenegravere un simple trans-fert drsquoemplois (des entreprises ne beacuteneacuteficiantde cette deacuteduction vers celles en beacuteneacuteficiant)mais nrsquoa pas creacuteeacute de gain net drsquoemploi

[14] Creacutepon B et DesplatzR (2001) laquo Eacutevaluationdes effets des dispositifsdrsquoallegravegements decharges sociales sur lesbas salaires raquo Documentde travail DGSE ndeg G200110 INSEE

[15] Bunel M EmondC et LrsquoHorty Y (2012)laquo Eacutevaluer les reacuteformesdes exoneacuterationsgeacuteneacuterales de cotisationssociales raquo Revue delrsquoOFCE ndeg 126

[16] Sterdyniak H (2002)laquo Une arme miracleconte le chocircmage raquoRevue de lrsquoOFCE ndeg 81

KRUGMAN P (2008) LrsquoAmeacuterique que nous voulons Paris Flammarion

LES EacuteCONOCLASTES (2004) Petit breacuteviaire des ideacuteesreccedilues en eacuteconomie ParisLa Deacutecouverte

STIGLITZ J (2012) Le prix delrsquoineacutegaliteacute Paris Les liens quilibegraverent

POUR EN SAVOIR PLUS

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 47

ANTOINE BOZIO

Directeur de lrsquoInstitut des politiques publiques (IPP)

Chercheur associeacute agrave lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Les contraintes budgeacutetaires actuelles donnent une importance cruciale agrave la question de lrsquoefficaciteacute de la deacutepense publique et donc agrave celle de lrsquoeacutevaluation de lrsquoimpact des politiques Jusqursquoagrave une peacuteriode reacutecente lrsquoeacutevaluation de lrsquoaction publique meneacutee par les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat consistait surtout agrave controcircler que chaque dispositif avait bien eacuteteacute mis en œuvre selon un processus conforme au cahier des charges Lrsquoapproche des eacuteconomistes qui gagne du terrain aujourdrsquohui a plutocirct pour objectif de veacuterifier si une politique publique remplit bien la mission pour laquelle elle a eacuteteacute eacutelaboreacutee au regard des coucircts qursquoelle induit pour la collectiviteacute Lrsquoimpact est eacutevalueacute agrave la fois ex ante ndash par des simulations de la politique ndash et ex post ndash par des meacutethodes statistiques drsquoeacutevaluation ndash Toutefois nous explique Antoine Bozio la reacuteussite laquo technique raquo drsquoune eacutevaluation est insuffisante Pour guider de faccedilon efficace lrsquoaction publique encore faut-il qursquoune communication de qualiteacute et un rapport de confiance srsquoeacuteta-blissent entre les eacutevaluateurs les deacutecideurs et les citoyens

Problegravemes eacuteconomiques

Comment eacutevaluer les politiques publiques

Au vu des fortes contraintes budgeacutetairesdans lesquelles srsquoinscrit aujourdrsquohui lrsquoac-tion publique connaicirctre lrsquoimpact des poli-tiques mises en œuvre semble une eacutevidenceComment sinon ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute de ladeacutepense publique

Si la deacutemarche drsquoeacutevaluation a eacuteteacute pendantlongtemps neacutegligeacutee crsquoest avant tout parceque lrsquoeffet des diffeacuterentes politiques semblaiteacutevident les politiques drsquoemploi ameacuteliorentlrsquoemploi les politiques du logement ameacute-liorent lrsquoaccegraves au logement etc Or les moda-liteacutes de lrsquointervention publique sont rarement

eacutevidentes les objectifs poursuivis entrentparfois en conflit les uns avec les autres ilexiste la plupart du temps plusieurs poli-tiques envisageables pour atteindre un mecircmeobjectif enfin les meacutecanismes eacuteconomiquessur lesquels les politiques publiques essaientdrsquointervenir sont complexes souvent encoremal compris

La neacutecessiteacute de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques apparaicirct alors beaucoup plus net-tement lrsquoobjectif est de permettre la compreacute-hension des meacutecanismes sur lesquels lrsquoactionpublique cherche agrave peser et drsquoidentifier lesinterventions les plus efficaces au vu desobjectifs souhaiteacutes La deacutemarche doit pouvoirau final eacuteclairer le deacutebat public sur les prin-cipaux arbitrages en jeu et ainsi faciliter leschoix deacutemocratiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 48

Apregraves avoir deacutefini ce qursquoon entend par laquo eacuteva-luation raquo nous preacutesenterons les diffeacuterentesmeacutethodes drsquoeacutevaluation avant de dresser unrapide panorama de la pratique actuelle delrsquoeacutevaluation en France Nous discuteronsenfin les modaliteacutes institutionnelles pour quelrsquoeacutevaluation soit une reacuteussite deacutemocratiqueet pas simplement une reacuteussite technique

Qursquoest-ce que lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques Le mot laquo eacutevaluation raquo est un mot-valise quiest utiliseacute pour deacutecrire des approches fon-ciegraverement diffeacuterentes On peut lrsquoentendrecomme lrsquoeacutevaluation individuelle (eacutevaluationdrsquoun devoir scolaire eacutevaluation du travailde salarieacutes etc) ou lrsquoeacutevaluation drsquoune entre-prise par les consommateurs (questionnairesde satisfactions) Dans le domaine des poli-tiques publiques le terme est le plus souventemployeacute pour deacutecrire du controcircle de gestionou une analyse du management public lesrapports des corps drsquoinspection cherchentainsi agrave veacuterifier que la deacutepense publique a eacuteteacuteengageacutee efficacement et en respectant desregravegles de bon fonctionnement Il srsquoagit essen-tiellement drsquoune eacutevaluation du processusde mise en place des politiques publiques veacuterifier que la mise en œuvre pratique drsquoundispositif correspond bien au cahier descharges deacutefini par ses concepteurs que lesbeacuteneacuteficiaires potentiels ont eacuteteacute informeacutes queles agents chargeacutes de la mettre en œuvre ontreccedilu la formation adeacutequate etc Pour prendreun exemple on peut ainsi mesurer le nombrede fonctionnaires neacutecessaires pour traiter uncertain nombre de dossiers du revenu de soli-dariteacute active (RSA) et eacutetudier quelle organi-sation du travail ou quels moyens mateacuterielspermettrait drsquoameacuteliorer la mise en place decette politique Dans le mecircme ordre drsquoideacuteeson pourrait eacutetudier si les beacuteneacuteficiaires dela politique viseacutee sont bien toucheacutes (parexemple si la population qui doit beacuteneacuteficierdu RSA reccediloit bien lrsquoallocation) mesurer leurnombre voire reacutecolter leur sentiment sur leur

interaction avec lrsquoadministration autour dece dispositif

Toutes ces deacutemarches sont certainementneacutecessaires mais elles sont bien diffeacuterentesde ce que les universitaires appellent lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques crsquoest-agrave-direlrsquoeacutevaluation drsquoimpact Lrsquoobjet est alors demesurer lrsquoimpact drsquoune politique ou drsquoun dis-positif sur de multiples critegraveres au vu desobjectifs qui lui ont eacuteteacute assigneacutes

Au sein de lrsquoeacutevaluation drsquoimpact on distinguelrsquoeacutevaluation ex ante de lrsquoeacutevaluation ex post La premiegravere est reacutealiseacutee avant lrsquointroduc-tion de la politique et consiste agrave analyser seseffets potentiels la seconde vise agrave mesurerson impact reacuteel apregraves son entreacutee en vigueurDans les deux cas lrsquoefficaciteacute de la politiqueeacutetudieacutee est mesureacutee en comparant ses coucirctset ses beacuteneacutefices (pas forceacutement uniquementfinanciers) Par exemple dans le cas de lrsquoeacuteva-luation du RSA lrsquoobjectif afficheacute eacutetait de favo-riser le retour agrave lrsquoemploi des beacuteneacuteficiaires Laquestion drsquoeacutevaluation est alors de savoir si leRSA a conduit de faccedilon causale agrave une haussedu retour agrave lrsquoemploi Ou dit autrement laquestion est de savoir ce qui se serait passeacutesi le RSA nrsquoavait pas eacuteteacute mis en place pourles beacuteneacuteficiaires mais aussi pour le restede la population Reacutepondre agrave cette questionest loin drsquoecirctre facile et crsquoest pour cela queles eacuteconomistes mobilisent une batterie detechniques

Les techniques de lrsquoeacutevaluationLrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex ante

Le point de deacutepart de toute eacutevaluation exante consiste agrave identifier la population cibleacuteepar la politique en question Pour y parveniron utilise geacuteneacuteralement des modegraveles dits delaquo micro-simulation raquo Cette forme drsquoeacutevalua-tion repose sur une repreacutesentation plus oumoins simplifieacutee de lrsquounivers eacuteconomiqueau sein duquel eacutevoluent les agents qui estutiliseacutee pour simuler agrave partir drsquoun eacutechan-tillon repreacutesentatif des agents eacuteconomiques

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 49

concerneacutes (individus meacutenages entreprisesetc) lrsquoeffet de la politique publique envisageacuteePar exemple si lrsquoon souhaite eacutevaluer lrsquoimpactdrsquoune reacuteforme des retraites consistant en uneaugmentation de la dureacutee requise de cotisa-tion (ou drsquoun autre paramegravetre du systegraveme) ilest indispensable drsquoavoir recours agrave ce typede simulation En raison de la complexiteacute dusystegraveme et des donneacutees sous-jacentes (dis-tribution des carriegraveres des individus) il estsouvent impossible mecircme agrave des experts depreacutedire quel sera lrsquoeffet drsquoune modificationdes baregravemes de retraite (qui va ecirctre toucheacutequel effet sur lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire) sansavoir recours agrave une simulation deacutetailleacutee de lareacuteforme

Le modegravele de micro-simulation speacutecifieplusieurs sceacutenarios sans reacuteforme (en fonc-tion des conditions macro-eacuteconomiques oudeacutemographiques) puis simule la leacutegislationactuelle du systegraveme de retraite Cela permeten premiegravere instance de donner des indica-tions sur les deacuteseacutequilibres budgeacutetaires oule niveau des pensions agrave plus ou moins longterme Il est ensuite possible de simuler unereacuteforme et de mesurer qui va ecirctre toucheacute(au niveau individuel) et quels en seront lesconseacutequences budgeacutetaires

Pour rendre lrsquoexercice de micro-simulationplus reacutealiste il est neacutecessaire de prendreen compte lrsquoeffet de la mesure eacutevalueacutee surles comportements des individus Cela sup-pose de pouvoir laquo calibrer raquo les reacuteactions desagents agrave partir drsquoestimations empiriques desprincipaux paramegravetres du modegravele ndash dansnotre exemple il srsquoagit des comportements dedeacutepart en retraite La modeacutelisation des com-portements dans ces modegraveles peut deacutecoulerde regravegles simples ou drsquoestimations qui sontle plus souvent fournies par des eacutetudes empi-riques ex post reacutealiseacutees anteacuterieurement

Lrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex post

Le problegraveme fondamental de lrsquoeacutevaluationdrsquoimpact ex post est qursquoon nrsquoobserve jamaisun monde avec la politique en place et lemecircme monde (au mecircme moment) sans la

politique Toutes les techniques de lrsquoeacutevalua-tion consistent alors agrave construire statisti-quement un contrefactuel crsquoest-agrave-dire unsceacutenario aussi proche que possible de ce quise serait passeacute si la politique eacutetudieacutee nrsquoavaitpas eacuteteacute mise en place Toutes les meacutethodespreacutesenteacutees ci-dessous visent agrave eacutelaborer cecontrefactuel afin de le comparer agrave ce qursquoilest possible drsquoobserver quand le dispositifeacutevalueacute a eacuteteacute effectivement appliqueacute

La premiegravere technique agrave preacutesenter est lrsquoexpeacute-rience aleacuteatoire Elle est directement ins-pireacutee des meacutethodes meacutedicales pour eacutevaluerlrsquoeffet drsquoun traitement parmi les potentielsbeacuteneacuteficiaires drsquoune politique on tire au sortqui recevra la politique (le groupe traiteacute)et qui nrsquoen beacuteneacuteficiera pas (le groupe decontrocircle) En mesurant dans les deux groupesles critegraveres drsquointeacuterecirct ndash qui doivent corres-pondre agrave un objectif de la politique ndash et en fai-sant la diffeacuterence entre les deux groupes onobtient une mesure causale de lrsquoeffet du dis-positif ainsi expeacuterimenteacute Cette meacutethode laplus robuste en termes de protocole a neacutean-moins certaines limites on mesure preacuteciseacute-ment un effet de la politique dans le contexteet dans le pays ougrave lrsquoexpeacuterience a eacuteteacute meneacuteePour geacuteneacuteraliser la validiteacute des reacutesultats ilfaut expeacuterimenter agrave nouveau dans un autrecontexte Par ailleurs comme pour les expeacuteri-mentations meacutedicales cette meacutethode neacuteces-site lrsquoacceptation des participants et uneproceacutedure eacutethique stricte de la part des eacuteva-luateurs De faccedilon naturelle cette approcheest plus approprieacutee agrave lrsquoeacutevaluation de disposi-tifs restreints limiteacutes localement souvent enphase exploratoire

Un deuxiegraveme groupe de techniques consisteagrave reproduire statistiquement une expeacuteriencealeacuteatoire mecircme si elle nrsquoa pas eacuteteacute mise enplace avec lrsquointroduction de la politique Onappelle ces techniques expeacuteriences natu-relles car ce sont des expeacuteriences que leschercheurs trouvent laquo dans la nature raquo Sou-vent quand une politique est mise en œuvreelle se restreint agrave un groupe de beacuteneacuteficiairespour des raisons administratives Ces regravegles

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 50

creacuteent naturellement des groupes de controcirclecrsquoest-agrave-dire des populations dont les carac-teacuteristiques sont tregraves proches de la popula-tion cible mais qui ne beacuteneacuteficient pas de lapolitique Par exemple un dispositif qui viseagrave favoriser lrsquoemploi des jeunes nrsquoest ouvertqursquoaux 18-25 ans on pourra comparer lesjeunes de 26 ans moins un mois et ceux de26 ans et un mois Ils sont certainement tregravesproches en termes drsquoaccegraves au marcheacute du tra-vail drsquoexpeacuterience mais les uns auront beacuteneacutefi-cieacute de la politique drsquoemploi et les autres non

Analyse coucirct-beacuteneacutefice

Il ne suffit pas de mesurer lrsquoimpact drsquounepolitique publique pour eacutevaluer son effi-caciteacute En effet une politique ne peut ecirctreconsideacutereacutee comme efficace que si ses beacuteneacute-fices lrsquoemportent sur ses coucircts Lrsquoanalysecoucirct-beacuteneacutefice consiste agrave attribuer une valeurmoneacutetaire agrave ces deux composantes afin decalculer la valeur nette totale de la poli-tique consideacutereacutee Ce type drsquoanalyse est sou-vent utiliseacute comme outil de deacutecision ex antemais peut eacutegalement servir comme cadredrsquoanalyse pour lrsquoeacutevaluation ex post La valeuractualiseacutee1 des beacuteneacutefices nets drsquoune politiquepublique est plus complexe agrave calculer que lavaleur actualiseacutee drsquoun investissement priveacuteEn effet alors que les deacutecisions drsquoinvestisse-ments peuvent ecirctre prises en consideacuterant lecoucirct de marcheacute des facteurs de production etla rentabiliteacute preacutevisible drsquoun investissementlrsquoeacutevaluation des coucircts et des beacuteneacutefices drsquounepolitique publique peut rarement srsquoappuyersur des prix de marcheacute Dans certains cas cesprix existent mais ne reflegravetent pas les coucircts etles beacuteneacutefices sociaux parce qursquoils ne prennentpas en compte drsquoeacuteventuelles externaliteacutessont contamineacutes par des asymeacutetries drsquoin-formations ou sont reacuteguleacutes par lrsquoEacutetat Dansdrsquoautres cas ces prix nrsquoexistent tout simple-ment pas le coucirct social des dommages envi-ronnementaux causeacutes par la pollution est parexemple difficile agrave eacutevaluer en lrsquoabsence drsquounmarcheacute mesurant la valeur drsquoun environne-ment preacuteserveacute Malgreacute ces limites la quanti-fication moneacutetaire des beacuteneacutefices et des gains

des politiques publiques est un exerciceindispensable lorsqursquoon souhaite comparerles meacuterites respectifs de plusieurs interven-tions possibles

Les acteurs de lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques en FranceEn France la multipliciteacute des acteurs de lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques contrastesinguliegraverement avec le faible nombre drsquoeacuteva-luations effectivement reacutealiseacutees

Le Parlement

Le Parlement est la premiegravere institution char-geacutee de lrsquoeacutevaluation des politiques publiquesdrsquoapregraves lrsquoarticle 24 de la ConstitutionJusqursquoagrave preacutesent son rocircle a eacuteteacute de ce pointde vue tregraves limiteacute Un Comiteacute drsquoeacutevaluation etde controcircle des politiques publiques (CEC) acertes eacuteteacute creacuteeacute depuis juin 2009 afin de meneragrave bien des missions drsquoeacutevaluation mais ilfaut bien reconnaicirctre que la fonction drsquoeacuteva-luateur du Parlement reste aujourdrsquohui tregravesembryonnaire

La Cour des comptes

La Cour des comptes est aussi chargeacutee offi-ciellement de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques drsquoapregraves lrsquoarticle 47-2 de la Consti-tution Agrave lrsquoorigine cette juridiction de lrsquoordreadministratif avait pour mission principalede controcircler les comptes des administrationspubliques et de certifier les comptes de lrsquoEacutetatLrsquoeacutevaluation a eacuteteacute reacutecemment ajouteacutee agrave sesmissions premiegraveres et la Cour des comptesest aujourdrsquohui en pointe dans la publicationde rapports drsquoeacutevaluation des diffeacuterentes poli-tiques publiques La force de la Cour est sonindeacutependance et sa capaciteacute agrave bousculer lepouvoir politique et les administrations avecdes publications qui animent le deacutebat publicSa faiblesse est qursquoelle privileacutegie souvent uneapproche juridique ou comptable de lrsquoeacutevalua-tion finalement assez eacuteloigneacutee des meacutethodesdrsquoeacutevaluation drsquoimpact preacutesenteacutees plus haut

[1] La valeur actualiseacuteedes beacuteneacuteficescomptabilise lrsquoensembledes beacuteneacutefices au coursdu temps en tenantcompte du momentauxquels ils sontperccedilus En raisondrsquoune laquo preacutefeacuterencepour le preacutesent raquo(ou conformeacutementagrave la logique selonlaquelle laquo le tempscrsquoest de lrsquoargent raquo) leseacuteconomistes accordentune valeur plus grandeagrave une somme perccedilueaujourdrsquohui (qui peutecirctre placeacutee) qursquoagrave unemecircme somme perccediluedans un an

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 51

Les grands corpsdrsquoinspection de lrsquoEacutetat

Les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat (Ins-pection geacuteneacuterale des Finances Inspectiongeacuteneacuterale des Affaires sociales lrsquoInspectiongeacuteneacuterale de lrsquoAdministration) ont aussi offi-ciellement une mission drsquoeacutevaluation despolitiques publiques Ils ont eacuteteacute solliciteacutesprincipalement dans le cadre de la Reacutevisiongeacuteneacuterale des politiques publiques (RGPP) etaujourdrsquohui avec la Modernisation de lrsquoac-tion publique (MAP) Ces rapports drsquoeacutevalua-tion srsquoapparentent avant tout agrave lrsquoeacutevaluationde processus ou au controcircle de gestion desadministrations Lrsquoobjectif est drsquoameacuteliorer lamise en place de lrsquoaction publique dans desdeacutelais rapides et par conseacutequent les eacutevalua-tions drsquoimpact y sont quasi absentes

La statistique publique

La statistique publique qui rassemble lrsquoIN-SEE et les services statistiques ministeacuteriels(SSM) joue un rocircle-cleacute dans lrsquoeacutevaluation agravedeux eacutegards Drsquoabord ces diffeacuterents ser-vices sont chargeacutes de collecter et de mettreen forme les donneacutees statistiques documen-tant les diffeacuterentes politiques publiquesCes donneacutees drsquoenquecircte ou de sources admi-nistratives sont cruciales pour deacutecrire lespolitiques effectivement mises en place maisaussi pour permettre des eacutevaluations dont laqualiteacute deacutependra en grande partie de la dis-ponibiliteacute des donneacutees Ensuite les servicesde recherche de ces administrations notam-ment agrave lrsquoINSEE contribuent directement agravela reacutealisation drsquoeacutevaluations drsquoimpact et agrave laconstitution drsquoun corpus de connaissance surles politiques publiques

Les universitaires

Enfin il ne faudrait pas oublier dans cerapide panorama les universitaires quicontribuent directement par leurs travauxagrave la reacutealisation drsquoeacutetudes drsquoimpact agrave lrsquoameacute-lioration des techniques drsquoeacutevaluation et agrave lareacuteflexion plus geacuteneacuterale sur lrsquoarchitecture etla conception des politiques publiques Ces

derniegraveres anneacutees plusieurs laboratoires oudeacutepartements deacutedieacutes explicitement agrave lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques ont eacutemergeacuteau sein du monde universitaire On peutciter ainsi J-PAL speacutecialiseacute dans lrsquoexpeacuteri-mentation aleacuteatoire lrsquoInstitut des politiquespubliques (IPP) qui rassemble des chercheursde lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris et du CRESTlrsquoInstitut drsquoeacuteconomie publique (IDEP) agrave Aix-Marseille et le Laboratoire interdisciplinairedrsquoeacutevaluation des politiques publiques (LIEPP)agrave Sciences-Po Paris

Comment favoriserune deacutemocratie de lrsquoeacutevaluation Aussi reacuteussie soit-elle sur le plan techniquelrsquoeacutevaluation des politiques publiques ne peutorienter utilement lrsquoaction publique que sielle srsquoinscrit dans un cadre institutionnelqui facilite la communication des reacutesultatsde lrsquoeacutevaluation aux deacutecideurs publics et auxcitoyens

On peut distinguer deux grandes approchesinstitutionnelles de lrsquoeacutevaluation des poli-tiques publiques La premiegravere conccediloit lrsquoeacuteva-luation comme une expertise laquo au service duPrince raquo destineacutee agrave aider agrave la prise de deacuteci-sion publique face agrave la complexiteacute du mondeeacuteconomique Lrsquoeacutevaluation est alors reacutealiseacuteeprioritairement par lrsquoadministration ou pardes conseils drsquoexperts directement ratta-cheacutes au gouvernement La seconde approcheconccediloit lrsquoeacutevaluation comme une composanteessentielle du processus deacutemocratique lrsquoex-pertise se destine alors drsquoabord aux citoyensou agrave leurs repreacutesentants les parlementaireset vise agrave faciliter le deacutebat public en clarifiantles principaux arbitrages en jeu

Le premier modegravele est assez bien repreacutesenteacutepar la France ougrave lrsquoEacutetat et les administrationspubliques jouent un rocircle preacutepondeacuterant dansles instances drsquoeacutevaluation et peuvent srsquoap-puyer sur une statistique publique de grandequaliteacute Les Eacutetats-Unis se rattachent davan-tage au second modegravele dans la mesure ougrave unegrande partie de lrsquoeacutevaluation des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 52

publiques est reacutealiseacutee par une institution par-lementaire le Congressional Budget Office(CBO) qui a un accegraves direct aux informa-tions de lrsquoadministration et publie des ana-lyses deacuteterminantes pour le vote du budgetLe cas britannique offre aussi un exemple dusecond modegravele avec une place forte de lrsquoex-pertise issue du monde universitaire Des ins-tituts de recherche indeacutependants comme parexemple lrsquoInstitute for Fiscal Studies (IFS)jouent ainsi un rocircle primordial au Royaume-Uni non seulement dans lrsquoeacutevaluation despolitiques publiques dans les deacutebats budgeacute-taires mais aussi dans la communication augrand public de lrsquoeacutetat des connaissances surles diffeacuterentes options de politique publiqueDans le mecircme esprit le Centraal Planbureauaux Pays-Bas une institution publique joueun rocircle tregraves important dans le deacutebat public enanalysant les propositions des plateformespolitiques avant les eacutelections et en proposantune analyse des choix budgeacutetaires reacutealiseacute parle gouvernement

Au-delagrave de la diversiteacute des approches le cadreinstitutionnel de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques doit srsquoefforcer de conjuguer troisexigences lrsquoindeacutependance des instancesdrsquoeacutevaluation la multiplication des contacts

avec le monde universitaire et le souci de lapeacutedagogie Lrsquoindeacutependance est la cleacute qui per-met de garantir la creacutedibiliteacute de lrsquoeacutevaluation il est indispensable que les reacutesultats de lrsquoeacuteva-luation ne puissent ecirctre controcircleacutes par ceuxqui mettent en place la politique Les contactsavec le monde universitaire en particulieravec la deacutemarche drsquoeacutevaluation des publica-tions par la communauteacute scientifique reacuteduitle risque drsquoeacutevaluation de complaisance Ilsassurent eacutegalement que les techniques lesplus reacutecentes et les meacutethodologies les plusrobustes seront employeacutees Enfin le souci dela peacutedagogie et la communication au grandpublic des reacutesultats de lrsquoeacutevaluation sontessentiels pour la reacuteussite de cette deacutemarche

Contrairement agrave certaines ideacutees reccedilueslrsquoeacutevaluation nrsquoest pas un processus visant agraveremplacer la deacutecision deacutemocratique par ungouvernement drsquoexperts Crsquoest au contraireune deacutemarche visant agrave faire vivre la deacutemo-cratie dans un monde complexe ougrave lescitoyens doivent pouvoir beacuteneacuteficier drsquoinfor-mations les plus justes possibles sur les poli-tiques publiques sur lesquelles ils doivent seprononcer

BOZIO A et GRENET J (2010) Eacuteconomie des politiquespubliques Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

CONSEIL DrsquoANALYSEEacuteCONOMIQUE (2013) laquo Eacutevaluation des politiquespubliques raquo Note ndeg 1 feacutevrier

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES53

La crise a placeacute les Eacutetats notamment ceux de la zone euro devant un dilemme de politique budgeacutetaire Tandis que la conjoncture eacuteconomique deacutegradeacutee incite agrave la mise en œuvre de politiques de soutien agrave lrsquoactiviteacute la forte hausse de lrsquoendettement public dans un contexte de deacutependance eacutetroite des Eacutetats vis-agrave-vis des marcheacutes financiers les pousse au contraire agrave pra-tiquer des politiques de rigueurGilbert Koenig rappelle les fondements theacuteoriques des politiques budgeacutetaires et leurs eacutevolu-tions avant drsquoanalyser plus preacuteciseacutement les enjeux actuels

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques

La reacutecession de 2009 a permis un renouveau dela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire commemoyen drsquoassurer la stabilisation eacuteconomiquelrsquoune des trois fonctions attribueacutees par RMusgrave (1959) agrave lrsquoEacutetat Cette renaissancefait suite agrave une peacuteriode de grande meacutefianceenvers ce type de politique du fait de la pertedrsquoefficaciteacute des politiques drsquoinspiration key-neacutesienne dans les anneacutees 1970 Le revirementlibeacuteral srsquoest appuyeacute sur un renouvellementtheacuteorique fortement ancreacute dans les concep-tions preacute-keyneacutesiennes Dans cette optiquela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire estinefficace Seuls les stabilisateurs budgeacutetairesautomatiques (cf zoom) peuvent amortir les

chocs conjoncturels Lrsquoessentiel de la politiqueconjoncturelle est du ressort de lrsquoaction moneacute-taire qui doit controcircler lrsquoinflation Le renouvel-lement de lrsquoanalyse keyneacutesienne dans un cadreplus satisfaisant que les modegraveles agreacutegeacutesanciens et les mises en cause empiriques desreacutesultats de lrsquoanalyse preacuteceacutedente ont conduitagrave reacutehabiliter la politique budgeacutetaire discreacute-tionnaire La crise eacuteconomique qui a frappeacute laplupart des pays industrialiseacutes en 2008-2009en a imposeacute la neacutecessiteacute Mais la deacuteteacuteriora-tion des finances publiques conseacutecutive auxexpansions budgeacutetaires a susciteacute la deacutefiancedes opeacuterateurs des marcheacutes financiers enversles eacuteconomies dont le financement publicdeacutepend drsquoune faccedilon importante des marcheacutesinternationaux De ce fait un arbitrage srsquoim-pose agrave ces pays entre des mesures budgeacutetairesrestrictives destineacutees agrave assainir les financespubliques et une politique de stimulation dela croissance et de lrsquoemploi

GILBERT KOENIG

Professeur de sciences eacuteconomiques Universiteacute de Strasbourg BETA

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 54

La politique budgeacutetaire commeinstrument principal de stabilisationLrsquoefficaciteacute attribueacutee agrave la politique budgeacute-taire apregraves 1945 se fonde sur un modegravele eacuteleacute-mentaire inspireacute des travaux de J M KeynesDrsquoabord limiteacute au cas de prix et salairesrigides ce modegravele est geacuteneacuteraliseacute aux prixflexibles sous lrsquoimpulsion de travaux empi-riques sur la relation entre lrsquoinflation et lechocircmage Il devient ainsi le fondement despolitiques de stop and go meneacutees jusqursquoauxanneacutees 1970 dans la plupart des pays

Le cadre keyneacutesien eacuteleacutementaireUn modegravele simple eacutelaboreacute par J Hicks (1937)et compleacuteteacute par B Hansen (1949) proposede preacutesenter drsquoune faccedilon tregraves simplifieacutee laconception keyneacutesienne drsquoune politiquebudgeacutetaire meneacutee dans une petite eacuteconomiefermeacutee Dans ce cadre caracteacuteriseacute par un chocirc-mage conjoncturel et une rigiditeacute des prixet des salaires nominaux une hausse desdeacutepenses publiques accroicirct la demande glo-bale ce qui stimule la production Lrsquoaugmen-tation du revenu disponible qui en reacutesulteaccroicirct la consommation priveacutee ce qui ren-force lrsquoeffet initial de lrsquoexpansion budgeacutetaireDe plus la demande drsquoinvestissement peutecirctre stimuleacutee selon le principe de lrsquoacceacuteleacutera-teur par la hausse du niveau drsquoactiviteacute afinde maintenir le rapport technique entre lesvolumes du capital et de la production SelonT Haavelmo (1945) une hausse des deacutepensespubliques stimule lrsquoactiviteacute eacuteconomiquemecircme si elle est entiegraverement financeacutee par desimpocircts Lrsquoeffet expansionniste de la politiquebudgeacutetaire peut ecirctre freineacute par la hausse dutaux drsquointeacuterecirct qursquoelle entraicircne mais qui peutecirctre eacutelimineacutee par une politique moneacutetairedrsquoaccompagnement

Cette efficaciteacute peut cependant ecirctre mise encause dans une eacuteconomie ouverte sur lrsquoex-teacuterieur Dans une extension du modegravele deHicks et Hansen Mundell (1963) et Fleming(1962) montrent que cette efficaciteacute deacutependdu reacutegime de changes et du degreacute de mobiliteacute

internationale des capitaux En effet unehausse des deacutepenses publiques induit commedans le cas drsquoune eacuteconomie fermeacutee une aug-mentation de la demande nationale et dutaux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoaccroissement du tauxdrsquointeacuterecirct provoque une entreacutee de capitauxdrsquoautant plus importante que les capitauxsont mobiles Il en reacutesulte une appreacuteciationde la monnaie nationale Dans un reacutegime dechanges fixes la banque centrale doit inter-venir pour maintenir la pariteacute Cela se traduitpar une hausse des reacuteserves de change quigonfle la masse moneacutetaire La baisse du tauxdrsquointeacuterecirct qui en deacutecoule stimule lrsquoinvestisse-ment ce qui renforce lrsquoeffet initial de lrsquoexpan-sion budgeacutetaire En revanche dans un reacutegimede changes flexibles lrsquoappreacuteciation de lamonnaie nrsquoa pas agrave ecirctre corrigeacutee Elle entraicircneune baisse de la demande exteacuterieure qui com-pense partiellement ou totalement lrsquoeffet dela hausse de la demande inteacuterieure sur leniveau drsquoactiviteacute selon le degreacute de mobiliteacutedes capitaux

Lrsquoarbitrage budgeacutetaireentre lrsquoinflation et le chocircmageLrsquoanalyse preacuteceacutedente limiteacutee au cas des prixet des salaires nominaux fixes est eacutetendueaux prix flexibles par lrsquointroduction drsquounerelation inverse entre lrsquoinflation et le chocirc-mage Celle-ci est deacuteduite de lrsquoeacutevolutioninverse entre le taux de chocircmage et la haussedu salaire nominal observeacutee empiriquementpar AW Phillips (1958) en Angleterre de 1861agrave 1957 Cette extension neacutecessite une speacutecifi-cation de la formation des prix et des salairesce qui permet de tenir compte des conditionsde lrsquooffre globale Mais dans lrsquooptique key-neacutesienne le modegravele drsquooffre et de demandeglobales conserve des eacuteleacutements de rigiditeacutecomme lrsquoindexation des salaires sur les prixDans un tel cadre une expansion budgeacutetaireest susceptible drsquoameacuteliorer la situation delrsquoemploi drsquoun pays mais au prix drsquoune infla-tion plus importante De ce fait les autoriteacutesbudgeacutetaires tentent de concilier leur objectifprincipal de haut niveau drsquoemploi avec celuidrsquoune faible inflation

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 55

Les politiques de stop and goSous lrsquoinfluence des ideacutees keyneacutesiennes lapolitique budgeacutetaire est devenue lrsquoinstrumentprincipal de stabilisation dans la plupart despays industrialiseacutes apregraves la seconde guerremondiale jusqursquoaux anneacutees 1970 Ce choixse justifie drsquoautant plus que les accords deBretton Woods avaient instaureacute un systegravememoneacutetaire international fondeacute sur un reacutegimede changes fixes qui assurait une efficaciteacuteforte agrave lrsquoaction budgeacutetaire Mais la neacutecessiteacutedrsquoarbitrer en permanence entre un niveaudrsquoemploi eacuteleveacute et une inflation faible a conduitagrave des politiques de stop and go Celles-ci secaracteacuterisent par des alternances de mesuresexpansives favorables agrave la croissance et agravelrsquoemploi mais sources drsquoinflation et de deacutefi-cit exteacuterieur et de dispositions de freinage delrsquoactiviteacute destineacutees agrave stabiliser lrsquoinflation etagrave corriger le deacuteseacutequilibre exteacuterieur Ces poli-tiques contra-cycliques ont permis de limiterles fluctuations autour de la tendance de longterme de la croissance eacuteconomique

Une des derniegraveres politiques budgeacutetairesdrsquoinspiration keyneacutesienne de cette peacuteriodeest celle meneacutee en France en 1981 Soneacutechec illustre lrsquoimportance de lrsquoincidencede la contrainte exteacuterieure sur la politiqueconjoncturelle En effet ses effets positifsont eacuteteacute contrebalanceacutes par les conseacutequencesneacutegatives des mesures restrictives adopteacutees

agrave cette peacuteriode par la plupart des pays indus-trialiseacutes en relations commerciales et finan-ciegraveres avec la France

La mise en cause de lrsquoefficaciteacutedes politiques budgeacutetairesdiscreacutetionnairesDans les anneacutees 1970 on observe des haussesparallegraveles de lrsquoinflation et du chocircmage ce quimet en cause la pertinence de lrsquoarbitrageentre le chocircmage et lrsquoinflation effectueacute danslrsquooptique keyneacutesienne Cette mise en cause esteacutetayeacutee par les critiques des fondements theacuteo-riques des politiques budgeacutetaires de naturekeyneacutesienne Elle conduit agrave leur rejet dansle cadre de la reacutevolution conservatrice desanneacutees 1980 qui constitue plutocirct une contre-reacutevolution dans le domaine eacuteconomique dansla mesure ougrave ses conceptions sont fortementancreacutees dans lrsquoanalyse mise en cause par lareacutevolution keyneacutesienne

Les fondements eacuteconomiques dela contre-reacutevolution conservatriceLrsquoanalyse keyneacutesienne de la politique bud-geacutetaire discreacutetionnaire est critiqueacutee par lesmoneacutetaristes qui lui reprochent de neacutegligerles anticipations et de se limiter au courtterme Cette critique est renforceacutee par les

LES SLES STTABIABILLISAISATEURSTEURSAAUTUTOMAOMATIQUESTIQUESLa sLa sttabilisation autabilisation automatique deacutesigneomatique deacutesigne

laquolaquo la cla capacitapaciteacute des financeacute des finances publiques agravees publiques agrave

attatteacutenuer leacutenuer les ces conseacutequenconseacutequences des eacutees des eacutevveacutenementseacutenements

cconjoncturonjoncturels sur lels sur lrsquoactivitrsquoactiviteacute Loreacute Lorsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

esest en et en expansion lxpansion les impocircts augmentes impocircts augmententent

avavec la hausec la hausse de la cse de la consommation et deonsommation et de

llrsquoemplrsquoemploi et loi et les pres presesttations socialations sociales baises baissentsent

avavec lec le re recul du chocircmage La hausecul du chocircmage La hausse desse des

impocircts et la baisimpocircts et la baisse des prse des presesttations cations conduitonduit

alalorors agrave une rs agrave une reacuteduction de la creacuteduction de la croisoissancsancee

LLrsquoaugmentrsquoaugmentation initialation initiale de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eseacute estt

donc rdonc reacuteduiteacuteduite par le par le fe fonctionnement desonctionnement des

ssttabilisatabilisateureurs auts automatiques La situation esomatiques La situation estt

symeacutetrique lsymeacutetrique lororsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie conomie connaicirct unonnaicirct un

rralalentisentissementsement raquo ()raquo ()

() Espinoza R() Espinoza R (2007)(2007) laquolaquo Les staLes stabilisabilisateurteurssautomaautomatiques en Ftiques en Frranceance Eacuteconomie et PrEacuteconomie et Preacutevisioneacutevisionndegndeg 17711771 PParisaris INSEEINSEE

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 56

nouveaux classiques qui introduisent lesanticipations rationnelles et lrsquoeacutequivalencericardienne

Lrsquoinfluence des anticipationssur lrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire

Dans la conception moneacutetariste lrsquoeacutequilibregeacuteneacuteral de long terme drsquoune eacuteconomie estassureacute gracircce agrave la flexibiliteacute parfaite des prixet des salaires nominaux dans un contextede concurrence parfaite ougrave les anticipationssont reacutealiseacutees Il en reacutesulte un taux naturelde chocircmage qui ne peut ecirctre reacuteduit que pardes mesures structurelles De cette faccedilon uneexpansion budgeacutetaire ne peut qursquoaccroicirctrelrsquoinflation au rythme de la hausse de lrsquooffrede monnaie utiliseacutee pour son financement

Lrsquoarbitrage entre le chocircmage et lrsquoinflationqui disparaicirct ainsi dans le long terme peutcependant subsister agrave court terme si lessalarieacutes ne fondent leurs revendications quesur leurs preacutevisions drsquoinflation et si ces anti-cipations ne tiennent compte que de lrsquoinfla-tion passeacutee et courante En effet dans ce casles salarieacutes anticipent un taux drsquoinflationinfeacuterieur au taux qui reacutesultera drsquoune expan-sion budgeacutetaire courante et ils tentent drsquoob-tenir une hausse de leur salaire nominal surla base de ces preacutevisions erroneacutees De ce faitils pensent beacuteneacuteficier drsquoune hausse de leursalaire reacuteel ce qui stimule leur offre de tra-vail Les employeurs sont disposeacutes agrave accorderla hausse des salaires nominaux revendiqueacuteetant que celle-ci est infeacuterieure agrave lrsquoaccroisse-ment effectif des prix Il en reacutesulte une baissedes salaires reacuteels effectivement supporteacutes parles entreprises ce qui stimule la demande detravail De ce fait le chocircmage diminue alorsque lrsquoinflation augmente Une telle situationnrsquoest cependant pas durable car lrsquoillusionmoneacutetaire des salarieacutes srsquoestompe dans lelong terme et le taux naturel de sous-emploiest reacutetabli

En introduisant le concept drsquoanticipa-tions rationnelles les nouveaux classiquesrejettent toute possibiliteacute drsquoarbitrage entreinflation et chocircmage Dans cette conceptionles anticipations des agents ne se fondent pas

sur le niveau passeacute et preacutesent de lrsquoinflationcomme dans le cas des anticipations adapta-tives mais sur toutes les informations dispo-nibles au moment des preacutevisions Posseacutedanttoutes les informations sur les deacutecisions desautoriteacutes budgeacutetaires les salarieacutes ne font pasdrsquoerreurs systeacutematiques en moyenne de sorteque lrsquoinflation anticipeacutee ne diffegravere pas de lrsquoin-flation reacutealiseacutee Seul un effet de surprise dontles incidences sont rapidement corrigeacuteespeut faire deacutevier le taux de chocircmage de sonniveau naturel

Lrsquointroductiondes comportements ricardiens

La mise en cause de lrsquoefficaciteacute des politiquesbudgeacutetaires fondeacutee sur le concept drsquoanticipa-tions rationnelles est renforceacutee par la priseen compte du principe drsquoeacutequivalence ricar-dienne que R Barro (1974) a emprunteacute agrave DRicardo eacuteconomiste classique du XIXe siegravecleSelon ce principe une expansion budgeacutetaire ales mecircmes effets qursquoelle soit financeacutee par desimpocircts ou par un emprunt lrsquoemprunt nrsquoeacutetantqursquoun impocirct diffeacutereacute dans le temps En effetdans le cas du financement par empruntles agents anticipent la hausse future despreacutelegravevements obligatoires que neacutecessite leremboursement de la dette publique et lepaiement de ses inteacuterecircts Pour faire face agravecette charge ils eacutepargnent dans lrsquoimmeacutediatun montant correspondant agrave sa valeur actua-liseacutee et ils achegravetent avec cette eacutepargne destitres dont le remboursement et les inteacuterecirctsserviront agrave payer les impocircts susciteacutes par leservice de la dette publique La politiquebudgeacutetaire est donc moins efficace que dansle cas keyneacutesien du financement drsquoune haussedes deacutepenses publiques par endettement

Lrsquoeacutequivalence ricardienne repose sur plu-sieurs hypothegraveses tregraves restrictives Elle sup-pose notamment une forte rationaliteacute desagents des marcheacutes financiers parfaits et desimpocircts forfaitaires

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 57

Le rejet des politiques budgeacutetairesde relance par la demande

Ces critiques ont abouti au rejet des poli-tiques budgeacutetaires discreacutetionnaires consi-deacutereacutees comme inefficaces Les eacuteconomistesde lrsquooffre preacuteconisent cependant lrsquoutilisationdiscreacutetionnaire de lrsquoinstrument fiscal pouraccroicirctre la quantiteacute de travail et de capitaldestineacutee agrave augmenter lrsquooffre globale et nonpour stimuler la demande qui est consideacutereacuteecomme suffisante Comme le taux naturel desous-emploi est fixeacute par les meacutecanismes demarcheacute les moneacutetaristes privileacutegient la poli-tique moneacutetaire afin de controcircler lrsquoinflationIls preacuteconisent par ailleurs des reacuteformesstructurelles qui permettent de reacuteduire lesdeacutepenses publiques et les impocircts ce quiassure des finances publiques saines et uneintervention publique minimale

Deux politiques nationales sont repreacutesenta-tives de cette contre-reacutevolution La premiegraveremeneacutee au Royaume-Uni agrave partir de 1979 parM Thatcher se caracteacuterise sur le plan budgeacute-taire par une baisse des deacutepenses publiqueset des impocircts directs en vue de stimuler lesecteur priveacute et de diminuer lrsquoinfluence delrsquoEacutetat Elle a permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais au prix drsquoun chocircmage eacuteleveacutejusqursquoau milieu des anneacutees 1980 La secondepolitique inspireacutee par les eacuteconomistes delrsquooffre a eacuteteacute mise en œuvre par R Reagan

degraves 1981 au cours de son premier mandatElle srsquoest traduite par un recul des deacutepensespubliques autres que celles du secteur mili-taire et par une reacuteduction massive drsquoimpocirctsdestineacutee agrave stimuler lrsquooffre globale avec lrsquoes-poir qursquoune baisse du taux drsquoimpositiongeacuteneacuterera une hausse des rentreacutees fiscales etreacutesorbera ainsi le deacuteficit issu de cette strateacute-gie1 Elle srsquoest accompagneacutee drsquoune politiquemoneacutetaire restrictive qui srsquoest manifesteacutee parune hausse importante des taux drsquointeacuterecirctCes mesures ont permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais elles ont entraicircneacute un deacuteficitbudgeacutetaire eacuteleveacute et une reacutecession marqueacuteepar un chocircmage important en 1982 et 1983Pour certains eacuteconomistes la reprise qui asuivi cette phase deacutecoule surtout de lrsquoactionfiscale du deacutebut du mandat pour drsquoautreselle provient essentiellement de lrsquoaccroisse-ment tregraves fort des deacutepenses dans le secteurmilitaro-industriel

Le renouveaude la politique budgeacutetaireLe renouveau de la politique budgeacutetairereacutesulte de lrsquoeacutevolution des reacuteflexions theacuteo-riques et des recherches empiriques Il srsquoestmanifesteacute ces derniegraveres anneacutees par les plansde relance que la plupart des pays industria-liseacutes ont ducirc adopter pour faire face agrave la crise

[1] Cette conceptionest fondeacutee sur la courbe

de Laffer qui montreqursquoau-delagrave drsquoun certaintaux drsquoimposition toute

hausse drsquoimpocirct reacuteduitles recettes fiscales

car elle deacutecourageles offres de travail

et de capital Donc silrsquoon considegravere que la

pression fiscale est tropforte il suffit de reacuteduire

les taux drsquoimpositionpour accroicirctre

les recettes fiscales

1 Croissance chocircmage et finances publiques aux Eacutetats-Unis au Japon et dans la zone euro

Taux de croissancedu PIB (en )

Taux de chocircmage(en )

Dette publique brute(en du PIB)

Deacuteficit public (en du PIB)

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

2008 ndash 03 ndash 11 04 58 40 76 615 1629 702 66 19 21

2009 ndash 31 ndash 55 ndash 44 93 51 96 736 1801 800 119 88 63

2010 24 47 20 96 51 101 828 1883 854 114 83 62

2011 18 ndash 05 14 89 46 102 860 2004 873 102 89 41

2012 22 20 ndash 0 6 81 44 114 887 ND 906 86 ND 37

Troisiegraveme trimestre 2012 ND non disponible

Sources Bulletin mensuel de la BCE septembre 2012 et mai 2013

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 58

eacuteconomique qui srsquoest geacuteneacuteraliseacutee agrave partirde 2008 Mais cette crise et les mesures derelance destineacutees agrave la combattre ont deacuteteacute-rioreacute les finances publiques de la plupart despays ce qui les a obligeacutes agrave mettre en œuvredes mesures de consolidation budgeacutetaire

Les fondements du renouveau

Le renouveau theacuteorique a eacuteteacute reacutealiseacute en grandepartie dans le cadre des modegraveles drsquoeacutequilibregeacuteneacuteral qui agrave la diffeacuterence de ceux utiliseacutespar les nouveaux classiques introduisentlrsquoimperfection des marcheacutes des comporte-ments non ricardiens et une certaine viscositeacutedes prix compatible avec des comportementsrationnels Du fait de ces caracteacuteristiquesces modegraveles sont qualifieacutes de neacuteo-keyneacutesiensTout en conservant lrsquohypothegravese drsquoanticipa-tions rationnelles ils permettent de restaurerlrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire dans uncadre theacuteorique plus satisfaisant que celuiretenu par les modegraveles keyneacutesiens agreacutegeacutes

Les politiques de relance

La crise immobiliegravere ameacutericaine qui srsquoestdeacuteveloppeacutee degraves la fin 2006 srsquoest diffuseacutee surles marcheacutes moneacutetaires et financiers de laplupart des grandes eacuteconomies puis sur lesmarcheacutes des biens et du travail Elle a deacutebou-cheacute en 2009 sur une reacutecession qui srsquoest tra-duite par une baisse importante du PIB et unehausse tregraves forte du chocircmage aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro Cette eacutevolu-tion a conduit les responsables politiques deces zones eacuteconomiques agrave reacutehabiliter les poli-tiques budgeacutetaires en adoptant en 2008 et2009 des plans de relance Crsquoest ainsi que lesEacutetats-Unis ont pris des mesures budgeacutetairesrepreacutesentant plus de 5 du PIB pour faireface agrave une hausse particuliegraverement impor-tante du chocircmage dans un contexte de faibleprotection sociale Au Japon quatre plans derelance ont eacuteteacute mis successivement en œuvreen 2008-2009 Quant agrave lrsquoEurope elle a adopteacuteune strateacutegie qui a mobiliseacute 200 milliardsdrsquoeuros soit 15 du PIB europeacuteen Le bud-get communautaire et la Banque europeacuteenne

drsquoinvestissement ont pris en charge 15 dece montant Les Eacutetats europeacuteens ont financeacutele reste et mis en œuvre des plans de relancenon coordonneacutes

Ces mesures ont favoriseacute une nette reprise en2010 suivie drsquoun ralentissement conjoncturelaux Eacutetats-Unis et dans la zone euro et unerechute au Japon Mais alors que les Eacutetats-Unis et le Japon ont continueacute agrave soutenir leurconjoncture lrsquoEurope a exigeacute de ses membresdes efforts drsquoassainissement des financespubliques De ce fait la croissance et lrsquoemploise sont ameacutelioreacutes aux Eacutetats-Unis et au Japonet se sont deacuteteacuterioreacutes gravement dans la zoneeuro en 2012

Les strateacutegiesde consolidation budgeacutetaire

Du fait de la deacutependance importante des payseuropeacuteens par rapport aux marcheacutes finan-ciers internationaux pour le financementde leurs deacuteficits budgeacutetaires les instanceseuropeacuteennes ont donneacute degraves 2010 une prio-riteacute absolue agrave lrsquoassainissement des financespubliques afin drsquoeacuteviter une deacuteteacuterioration desconditions drsquoemprunt Cette deacutependance estbeaucoup plus faible au Japon qui peut sup-porter un endettement public tregraves eacuteleveacute gracircceagrave un financement public assureacute en grandepartie par une eacutepargne inteacuterieure importanteQuant agrave lrsquoeacuteconomie ameacutericaine elle susciteune confiance internationale tregraves importantedans sa vigueur de sorte que les conditionsde ses emprunts internationaux sont peusensibles jusqursquoici agrave lrsquoeacutetat de ses financespubliques

En preacuteconisant ou en imposant des pro-grammes seacutevegraveres drsquoassainissement budgeacute-taire et de reacuteformes structurelles les instanceseuropeacuteennes espegraverent rassurer les opeacuterateursdes marcheacutes financiers internationaux sanstrop deacuteteacuteriorer la croissance et lrsquoemploi Cettestrateacutegie suppose que les multiplicateurs bud-geacutetaires qui traduisent lrsquoincidence des varia-tions des deacutepenses publiques sur le PIB soientnuls ou tregraves faibles Or un groupe drsquoeacutecono-mistes a eacutevalueacute en 2012 lrsquoimportance des effets

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 59

drsquoune variation des deacutepenses publiques sur lePIB dans les pays de lrsquoOCDE en se fondant sursept modegraveles structurels dont ceux utiliseacutes parla BCE et lrsquoOCDE Selon cette eacutetude une baissetemporaire des deacutepenses publiques de 1 duPIB entraicircne une reacuteduction de 09 agrave 13 duPIB Dans ses Perspectives mondiales le FMIconsidegravere que la valeur des multiplicateursbudgeacutetaires a eacuteteacute largement sous-estimeacuteenotamment en Europe Selon ses estimationscette valeur repreacutesente entre 09 et 17 duPIB alors que les politiques de consolidationbudgeacutetaire eacutetaient fondeacutees sur une valeur de05 du PIB

Lrsquoassainissement des finances publiques doiteacutegalement favoriser le retour de la croissanceCette ideacutee semble se fonder sur une observa-tion effectueacutee par C Reinhart et K Rogoff quimontrait que les pays ayant un taux drsquoendet-tement infeacuterieur agrave 90 du PIB avaient unecroissance plus forte que les autres Mais cetteeacutetude est contesteacutee pour des raisons meacutethodo-logiques et notamment pour avoir eacutecarteacute cer-tains pays du panel Selon drsquoautres travaux ilnrsquoy aurait en reacutealiteacute aucun seuil de ce type

En fait il conviendrait drsquoeffectuer un assai-nissement financier progressif pour lisserdans le temps ses effets neacutegatifs sur la crois-sance et prendre parallegravelement des mesuresstructurelles dont les effets positifs sur lacroissance se reacutepercuteront sur les financespubliques Cette strateacutegie qui se place dansle moyen terme neacutecessiterait une deacutecon-nexion des pays en difficulteacute par rapport auxmarcheacutes financiers dont les eacutevaluations seplacent le plus souvent dans une optique decourt terme

La nature des mesures budgeacutetaires qursquoungouvernement doit prendre diffegravere selonque son eacuteconomie se trouve ou non dans unecrise En effet dans une peacuteriode de fluctua-tions relativement faibles de lrsquoactiviteacute autourdrsquoune tendance de long terme il est probableqursquoune politique budgeacutetaire discreacutetionnairesoit peu efficace pour lisser ces mouvementsnotamment agrave cause de son manque de sou-plesse Dans ce cas le meacutecanisme des stabi-lisateurs budgeacutetaires automatiques se reacutevegraveleplus apte agrave corriger au moins partiellementdes deacuteseacutequilibres transitoires En revanche ilest insuffisant en cas de crise grave La neacuteces-siteacute drsquoune intervention budgeacutetaire discreacutetion-naire de lrsquoEacutetat srsquoest imposeacutee apregraves la crisedes anneacutees 1930 qui a conduit agrave la reacutevolutionkeyneacutesienne Il nrsquoest donc pas eacutetonnant quece type de politique srsquoimpose agrave nouveau agravelrsquooccasion drsquoune crise aussi seacutevegravere et qursquoellese fonde sur des conceptions keyneacutesiennesenrichies par les apports theacuteoriques Elle nepeut neacuteanmoins pas ecirctre meneacutee de la mecircmefaccedilon que dans les anneacutees 1950 et 1960 Eneffet lrsquointerdeacutependance croissante des paysrend neacutecessaire la coordination des poli-tiques eacuteconomiques afin de reacuteduire les effetsexternes reacuteciproques neacutegatifs de celles-ciDe plus la deacutependance de nombreux Eacutetatscomme ceux de la zone euro aux marcheacutesinternationaux pour leur financement soumetleurs actions budgeacutetaires agrave des contraintesfortes pour eacuteviter une deacuterive importante deleurs finances publiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 60

Textes classiques

BARRO R J (1974) laquo AreGovernment Bonds NetWealth raquo Journal of PoliticalEconomy vol 82 ndeg 6

FLEMING (1962) laquo DomesticFinancial Policies under Fixedand under Floating ExchangeRates raquo FMI Staff Paper vol 9 ndeg 3

HAAVELMO T (1945) laquo Multiplier effects ofa balanced budget raquoEconometrica vol 13

HANSEN AH (1949) Monetary Theory and FiscalPolicy McGraw HillNew York

HICKS J R (1937) laquo Mr Keynesand the ldquoClassicsrdquo A Suggested Interpretation raquoEconometrica vol5 ndeg 2

MUNDELL R (1963) laquo CapitalMobility and StabilisationPolicy under Fixed andFlexible Exchange Rates raquoCanadian Journal ofEconomics and PoliticalScience vol 29

MUSGRAVE R (1949) TheTheory of Public FinanceA Study in Public Economy New York McGraw Hill

PHILLIPS (1958) laquo The Relation betweenUnemployment and theRate of Change of MoneyWages Rates in The UnitedKingdom raquo 1861-1957Economica vol 25 ndeg 100

Sur la peacuteriode contemporaine

COENEN G et al (2012) laquo Effects of fiscal stimulusin structural models raquo

American Economic Journal Macroeconomics vol 4 ndeg 1

FMI (2012) World EconomicOutlook

HERNDON T ASH M POLLIN R(2013) laquo Does high public debtconsistently shift growth A critique of C Reinhart etK Rogoff raquo PERI WorkingPapers Series ndeg 322

KOENIG G (2012) laquo Consolidation budgeacutetaireet croissance raquo Bulletin delrsquoObservatoire des politiqueseacuteconomiques ndeg 26

REINHART C ROGOFF K(2010) laquo Growth in a time ofdebt raquo American EconomicReview Papers andProceedings vol 100

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 61

Outre la stabiliteacute des prix les banques centrales ont comme objectif de contribuer par leurs politiques moneacutetaires agrave stabiliser la conjoncture et lutter contre les chocs eacuteconomiques La crise qui a commenceacute en 2007 les a donc particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve Face au blocage du marcheacute moneacutetaire et agrave la reacutecession elles ont massivement baisseacute leurs taux drsquointeacuterecirct direc-teur en 2008-2009 jusqursquoagrave zeacutero pour certaines drsquoentre elles Ces mesures de deacutetente moneacutetaire se sont toutefois reacuteveacuteleacutees insuffisantes ce qui les a conduites agrave mettre en place des dispositifs laquo non conventionnels raquo Christian Bordes dresse un bilan de ces actions face agrave la crise Si les politiques non conventionnelles ont permis de mettre un terme agrave la paralysie du marcheacute moneacute-taire les effets en termes de croissance sont plus contrasteacutes Elles font en outre courir aux eacuteconomies un certain nombre de risques dont celui que se forment dans les anneacutees agrave venir de nouvelles laquo bulles raquo

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques moneacutetairesquel renouvellement avec la crise

Avec la crise systeacutemique globale lrsquoanalysede la politique eacuteconomique en geacuteneacuteral etcelle de la politique moneacutetaire en particu-lier peuvent ecirctre meneacutees agrave deux niveauxdiffeacuterents en fonction de la peacuteriode drsquoana-lyse retenue Agrave moyenlong termes on peutse demander si un changement de reacutegimenrsquoest pas neacutecessaire pour sinon eacuteviter dumoins limiter la probabiliteacute drsquoune nouvellecrise financiegravere geacuteneacuteraliseacutee srsquoagissant dela politique moneacutetaire on doit alors srsquointer-roger sur le maintien ou pas du ciblage delrsquoinflation son articulation avec la politique

macro-prudentielle1 etc Plus immeacutediate-ment agrave courtmoyen termes dans le cadredu reacutegime de politique eacuteconomique existantle problegraveme poseacute est celui de la stabilisationde lrsquoeacuteconomie agrave la suite drsquoune crise financiegraveremajeure Parce qursquoil reste au cœur des preacuteoc-cupations actuelles des banques centralescrsquoest sous ce second angle que le renouvelle-ment de la politique moneacutetaire avec la criseest eacutetudieacute ici2 Cette analyse est meneacutee en srsquoat-tachant aux eacuteconomies ougrave ce renouvellementa eacuteteacute le plus marqueacute les eacuteconomies du laquo G4 raquondash Eacutetats-Unis Japon zone euro Royaume-Uni ndash La premiegravere reacuteponse de leurs banquescentrales a consisteacute agrave pratiquer une poli-tique de taux drsquointeacuterecirct ultra accommodanteFace aux limites de la deacutetente moneacutetaire lesbanques centrales ont ensuite mis en œuvredes politiques laquo non conventionnelles raquo

CHRISTIAN BORDES

Universiteacute Paris 1

Centre drsquoEacuteconomie de la Sorbonne

[1] Dispositif dereacutegulation des

institutions financiegraveresdestineacute agrave assurer la

gestion de la stabiliteacutefinanciegravere globale

[2] La question drsquounchangement du reacutegimede politique moneacutetairefait lrsquoobjet de Bordes C

(2011) laquo Pour un

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 62

La politique de deacutetente moneacutetaireconfronteacutee agrave ses limitesLa politique moneacutetaireavant la criseAgrave partir du deacutebut des anneacutees 1990 jusqursquoen2007 la politique moneacutetaire srsquoest limiteacuteedans les eacuteconomies avanceacutees agrave une politiquede reacuteglage du taux drsquointeacuterecirct

Lrsquoobjectif principal eacutetait drsquoassurer la stabi-liteacute des prix agrave moyenlong terme ndash corres-pondant en geacuteneacuteral agrave un taux drsquoinflation annuel de 2 ndash tout en stabilisant lrsquoacti-viteacute eacuteconomique Plus preacuteciseacutement cette fonction de stabilisation conjoncturelle a consisteacute agrave neutraliser les effets des chocs de diffeacuterentes natures ndash financiers reacuteels et sur les prix ndash qui frappent lrsquoeacuteconomie pour eacuteviter qursquoils nrsquoempecircchent le maintien de la stabiliteacute moneacutetaire

Par lrsquoannonce du taux drsquointeacuterecirct directeur lesautoriteacutes moneacutetaires indiquaient lrsquoorienta-tion souhaiteacutee de leur politique en confor-miteacute avec la reacutealisation de lrsquoobjectif fixeacute Cetteannonce a agi sur lrsquoeacuteconomie selon un meacuteca-nisme de transmission assez bien eacutetabli unereacutepercussion de la baisse des taux directeurssur les conditions de creacutedit suivie drsquoeffets surlrsquoactiviteacute eacuteconomique puis sur le niveau geacuteneacute-ral des prix

La mise en œuvre de la politique moneacutetairesrsquoest traduite par la conduite drsquoopeacuterationsde gestion de la liquiditeacute qui ont soutenulrsquoorientation souhaiteacutee en maintenant le tauxde marcheacute le plus pertinent ndash geacuteneacuteralementle taux auquel les banques srsquoeacutechangent dela liquiditeacute pour 24 heures ndash agrave un niveauconforme agrave celui du taux directeur Ces opeacutera-tions de gestion de la liquiditeacute ont eacuteteacute conccedilueset mises en œuvre pour influencer unique-ment le taux de marcheacute cibleacute Les banquescentrales ont conduit la politique moneacutetaire

ameacutenagement du centralbanking agrave la recherchede lrsquoaffectation optimaledes instruments despolitiques moneacutetaire etmacro-prudentielle raquoin Betbegraveze J-PBordes C Couppey-Soubeyran J et Plihon DBanques centrales etstabiliteacute financiegravere Rapport pour le Conseildrsquoanalyse eacuteconomiquendeg 96 La Documentationfranccedilaise

LE RLE ROcircOcircLLE DEE DE LLA GESA GESTIONTIONDES ANTICIPDES ANTICIPAATIONS DANSTIONS DANSLLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDans lDans les anneacutees 1970-1980 ces anneacutees 1970-1980 certertainsains

eacuteceacuteconomisonomisttes tes tels que Robert Lucels que Robert Lucas etas et

Thomas SarThomas Sargent ont deacutegent ont deacutevveleloppeacute laoppeacute la theacuteorietheacuteorie

des anticipations rdes anticipations rationnellationnelles afin de mieuxes afin de mieux

ccompromprendrendre le les res raisons de la faisons de la faiblaible effice efficacitaciteacuteeacute

des politiques eacutecdes politiques eacuteconomiques discronomiques discreacutetionnaireacutetionnaireses

meneacutees pendant lmeneacutees pendant les deacuteces deacutecennies prennies preacuteceacuteceacutedenteacutedenteses

Une des cUne des conclusions de conclusions de cettette anale analyse esyse est quet que

lle re reacutesulteacutesultat drsquoune politique eacutecat drsquoune politique eacuteconomique deacutependonomique deacutepend

des anticipations des agents rdes anticipations des agents relativelatives agrave ces agrave cettettee

politique Les implicpolitique Les implications de cations de ce re reacutesulteacutesultatat

pour la cpour la conduitonduite de la politique eacutece de la politique eacuteconomiqueonomique

notnotamment camment cellelle de la politique moneacutete de la politique moneacutetairairee

sont trsont tregraves importegraves importantantes En particulieres En particulier la la

deacutefdeacutefense drsquoun ancrense drsquoun ancrage nominal ndash crsquoesage nominal ndash crsquoest-agrave-dirt-agrave-diree

un objectif cun objectif conconcernant une vernant une variablariable nominale nominalee

ttellelle que le que le te taux drsquoinflation ou laux drsquoinflation ou le te taux deaux de

change ndash eschange ndash est une solution intt une solution inteacutereacuteresessantsante poure pour

ssttabiliser labiliser le nive niveau geacuteneacutereau geacuteneacuteral des prix ou lal des prix ou le te tauxaux

drsquoinflation Aujourdrsquoinflation Aujourdrsquohui dans ldrsquohui dans les eacuteces eacuteconomiesonomies

avavancanceacutees leacutees les banques ces banques centrentralales affichentes affichent

un objectif quantifieacute pour lun objectif quantifieacute pour le te taux drsquoinflation ndashaux drsquoinflation ndash

fixfixeacute geacuteneacutereacute geacuteneacuteralalement aux alement aux alententourours de 2s de 2 ndash et ndash et

ssrsquoengagent agrave prrsquoengagent agrave prendrendre le les mesures mesures neacuteces neacutecesessairsaireses

agrave sa ragrave sa reacutealisationeacutealisation l le te taux drsquoinflation y esaux drsquoinflation y est donct donc

la vla variablariable drsquoancre drsquoancrage nominal de la politiqueage nominal de la politique

moneacutetmoneacutetairaire La cre La creacutedibiliteacutedibiliteacute acquise par leacute acquise par leses

banques cbanques centrentralales dans la res dans la reacutealisation de ceacutealisation de cetet

objectif fobjectif facilitacilite la ce la conduitonduite de le de leur politiqueeur politique

moneacutetmoneacutetairaire note notamment la samment la sttabilisationabilisation

cconjoncturonjoncturellelle de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique Ainsionomique Ainsi

au cau courours de la crise ont-ells de la crise ont-elles pu adoptes pu adopterer

une politique de tune politique de taux agraux agresessivsive ainsi que dese ainsi que des

mesurmesures non ces non convonventionnellentionnelles de gres de grandeande

amplampleur sans que leur sans que lrsquoancrrsquoancrage des anticipationsage des anticipations

inflationnisinflationnisttes autes autour de 2our de 2 nrsquoen souffr nrsquoen souffree

Christian BordesChristian Bordes

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 63

LLESES CCANAANAUXUXDE TRANSMISSIONDE TRANSMISSIONDEDE LLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDiffDiffeacutereacuterents cents canaux de tranaux de transmisansmission de lasion de la

politique moneacutetpolitique moneacutetairaire sont re sont reacuteperteacutepertorieacutes parorieacutes par

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique En pronomique En premier lieuemier lieu

il y a lil y a les ces canaux tranaux traditionnels caditionnels centrentreacutes sureacutes sur

lles tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct qui sont lecirct qui sont les principauxes principaux

meacutecmeacutecanismes de tranismes de transmisansmission des deacutecisionssion des deacutecisions

dede politique moneacutetpolitique moneacutetairaire dans le dans le modegravele modegravelee

macrmacro-eacuteco-eacuteconomique sonomique sttandarandard (offrd (offre gle globalobalee

demande gldemande globalobale) En deuxiegraveme lieu il ye) En deuxiegraveme lieu il y

a la les ces canaux agisanaux agissant par lsant par le biais des prixe biais des prix

drsquoautrdrsquoautres actifs (tes actifs (taux de change theacuteorie duaux de change theacuteorie du

laquolaquo q de Tq de Tobinobin raquo) Enfin il y a lraquo) Enfin il y a le meacutece meacutecanisme deanisme de

trtransmisansmission appelsion appeleacute laquoeacute laquo ccanal du cranal du creacutediteacutedit raquo quiraquo qui

a fa fait lait lrsquoobjet de nombrrsquoobjet de nombreuses eacutetudes au ceuses eacutetudes au courourss

des derniegraverdes derniegraveres anneacuteeses anneacutees

POLITIQUE MONEacuteTAIRE

CA

NA

UX

DE

TR

AN

SM

ISS

ION EFFETS SUR LES PRIX DAUTRES ACTIFS APPROCHE PAR LE CREacuteDIT

Canaltraditionnel dutaux dinteacuterecirct

Effets du tauxde change

sur lesexportations

nettesTheacuteorie du q de

TobinEffets

richesseCanal ducreacutedit

bancaire

Canaldu

bilanCanal ducash flow

Canal desvariations nonanticipeacutees du

niveau geacuteneacuteraldes prix

Effet sur laliquiditeacute des

meacutenages

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Taux de change

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

q de Tobin

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Politiquemoneacutetaire

Deacutepocirctsbancaires

Precirctsbancaires

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctnominaux

Cash flow

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Niveau des prixnon anticipeacutes

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Probabiliteacutede deacutetressefinanciegravere

CO

MP

OS

AN

TE

DE

LA

DE

MA

ND

E

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

Exportationsnettes

Investissement

Consommation

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Investissement Investissement Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

PIB

SSourceource Mishkin Mishkin FF BBordesordes CC HHautcoeurautcoeur PP-CC Lacoue-LabartheLacoue-Labarthe DD etet RRagot Xagot X MonnaieMonnaie banque et marbanque et marccheacutes finanheacutes finan--ciersciers PParisaris PPearsonearson 99ee eacuteditioneacutedition

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 64

en proceacutedant reacuteguliegraverement agrave des opeacuterationsde marcheacute agrave court terme qui visent agrave main-tenir leur offre de liquiditeacutes (les deacutepocircts desbanques aupregraves de la banque centrale) autourdes besoins des banques conservant ainsi lestaux de reacutefeacuterence du marcheacute agrave des niveauxproches des taux directeurs

Un principe de seacuteparation a eacuteteacute respecteacuteentre drsquoun cocircteacute la conduite de la politiquemoneacutetaire et de lrsquoautre la gestion de la liqui-diteacute la seconde eacutetant limiteacutee agrave une fonctionde mise en œuvre de la premiegravere et nrsquoappor-tant aucune information sur son orientation

LLAA TTRAPPE AgraveRAPPE Agrave LLIQUIDITEacuteSIQUIDITEacuteSDans une situation de trDans une situation de trappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes leacutes leses

ttaux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominaux sont au vecirct nominaux sont au voisinage deoisinage de

zeacuterzeacutero vo voiroire nuls ale nuls alorors que ls que les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels drsquoeacutequilibreacuteels drsquoeacutequilibre ndash ase ndash assursurant lant lrsquoeacutegalitrsquoeacutegaliteacute entreacute entree

eacutepareacutepargne et invgne et invesestistissement ndash sont neacutegatifssement ndash sont neacutegatifs

Le nivLe niveau de ceau de ces dernieres derniers ss srsquoersquoexplique par dexplique par de

ffaiblaibles peres perspectivspectives de cres de croisoissancsance agrave le agrave longong

ttermeerme l lrsquoinvrsquoinvesestistissement deacutesirsement deacutesireacute eseacute est alt alorors sis si

ffaiblaible que agrave ce que agrave court tourt terme des terme des taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels neacutegatifs sereacuteels neacutegatifs seraient neacutecaient neacutecesessairsaires pour que les pour que lee

montmontant de lant de lrsquoeacuteparrsquoeacutepargne cgne corrorresponde agrave cesponde agrave celui deelui de

llrsquoinvrsquoinvesestistissementsement

La cLa conclusion de lonclusion de lrsquoanalrsquoanalyse kyse keeyneacutesienneyneacutesienne

trtraditionnelladitionnelle de ce de cettette situation eacutete situation eacutetait queait que

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire ese est ineffict inefficacace poure pour

sortir lsortir lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie drsquoune situation de tronomie drsquoune situation de trappe agraveappe agrave

liquiditliquiditeacuteseacutes l lrsquoinjection masrsquoinjection massivsive de liquidite de liquiditeacute pareacute par

lles autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaires eses est intt inteacutegreacutegralalementement

theacutesauriseacutee par ltheacutesauriseacutee par les agents eacuteces agents eacuteconomiques qui neonomiques qui ne

sont incitsont inciteacutes ni agrave augmenteacutes ni agrave augmenter ler leur deacuteteur deacutetention deention de

titrtitres ndash dont la res ndash dont la reacutemuneacutereacutemuneacuteration esation est nullt nulle ndash ni agravee ndash ni agrave

deacutepenser plus (1)deacutepenser plus (1)

CettCette ce conclusion ronclusion relativelative agrave le agrave lrsquoinefficrsquoinefficacitaciteacute deeacute de

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire dans une situation dee dans une situation de

trtrappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes eseacutes est rt remise en cemise en cause parause par

llrsquoanalrsquoanalyse macryse macro-eacuteco-eacuteconomique moderne dansonomique moderne dans

la ligneacutee des trla ligneacutee des travavaux de Paux de Paul Krugman et deaul Krugman et de

Michael WMichael Woodfoodforord Les td Les taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominauxecirct nominaux

eacuteteacutetant prant proches de zeacuteroches de zeacutero lo les autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaireses

doivdoivent perent persuader lsuader le public de re public de reevvoir agrave laoir agrave la

haushausse ses anticipations inflationnisse ses anticipations inflationnisttes en les en leses

fixant agrave un nivfixant agrave un niveau supeacuterieur agrave ceau supeacuterieur agrave celui qui prelui qui preacuteeacutevvautaut

habituellhabituellement (par eement (par exxemplemple agrave 4e agrave 4 au lieu de au lieu de

22 ) Degraves l) Degraves lorors ls les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct recirct reacuteels sereacuteels serontont

neacutegatifs et agrave lneacutegatifs et agrave leur veur valaleur drsquoeacutequilibreur drsquoeacutequilibree cr craignantaignant

une eacuterune eacuterosion du pouvosion du pouvoir drsquoachat de loir drsquoachat de leureurss

encencaisaisses lses les agents eacuteces agents eacuteconomiques seronomiques serontont

incitinciteacutes agrave laquoeacutes agrave laquo deacutetheacutesauriserdeacutetheacutesauriser raquo craquo ce qui dee qui devrvraitait

sstimultimuler la demande gler la demande globalobale et ameacuteliore et ameacuteliorer laer la

situation de lsituation de lrsquoemplrsquoemploi (2)oi (2)

PlusieurPlusieurs poss possibilitsibiliteacutes seacutes srsquooffrrsquooffrent aux autent aux autoritoriteacuteseacutes

moneacutetmoneacutetairaires pour ces pour conduironduire le le public agrave ce public agrave cettettee

rreacuteeacutevision agrave la hausvision agrave la hausse des anticipationsse des anticipations

inflationnisinflationnisttes ndash par ees ndash par exxemplemple elle elles peuves peuventent

ssrsquoengager agrave mener dans lrsquoengager agrave mener dans le futur une politiquee futur une politique

de tde taux plus acaux plus acccommodantommodante qursquoen te qursquoen tempsemps

normal ou bien agrave intnormal ou bien agrave intervervenir sur lenir sur le mare marcheacutecheacute

des changes pour que la monnaie nationaldes changes pour que la monnaie nationalee

se deacuteprse deacutepreacutecie ndash la principaleacutecie ndash la principale difficulte difficulteacute eacuteteacute eacutetantant

drsquoasdrsquoassursurer la crer la creacutedibiliteacutedibiliteacute de ceacute de cet engagementet engagement

Christian BordesChristian Bordes

(1) laquo(1) laquo TTherhere is the possibilityhellip thae is the possibilityhellip that after the rt after the raateteof interof interest has fallen to a certain leest has fallen to a certain levvelel liquidityliquidityprprefereference is virtuallence is virtually ay absolute in the sense thabsolute in the sense thattalmost ealmost evvereryyone prone preferefers cash to holding a des cash to holding a debt abt at sot sololow a rw a raate of interte of interestest In this eIn this evventent the monetarthe monetaryyauthority wauthority would haould havve lost effectie lost effectivve contre controlol raquo (Jraquo (JohnohnMaMaynarynard Kd Keeynesynes TTheacuteorie geacuteneacuterheacuteorie geacuteneacuterale de lrsquoemploiale de lrsquoemploi dedelrsquointeacuterlrsquointeacuterecirct et de la monnaieecirct et de la monnaie 1936)1936)

(2) laquo(2) laquo TThe generhe general aral argument thagument that the monetart the monetaryyauthorities can incrauthorities can increase aggrease aggregegaate demand andte demand andpricesprices eevven if the nominal interen if the nominal interest rest raate is zerte is zeroo is asis asffolloollowsws Mone Moneyy unlikunlike other fe other forms of gorms of goovvernmenternmentdedebtbt papays zerys zero intero interest and has infinite maest and has infinite maturityturityTThe monetarhe monetary authorities can issue as my authorities can issue as much moneuch moneyyas theas they liky likee HenceHence if the price leif the price levvel wel werere tre trululyyindeindependent of monependent of money issuancey issuance then the monetarthen the monetaryyauthorities could use the moneauthorities could use the money they they cry creaeate tote toacquiracquire indefinite quantities of ge indefinite quantities of goods and assetsoods and assets TThishisis manifestlis manifestly impossible in equilibriumy impossible in equilibriumTTherherefefororeemonemoney issuance my issuance must ultimaust ultimateltely ry raise the price leaise the price levveleleevven if nominal interen if nominal interest rest raates artes are bounded ae bounded at zert zeroo raquoraquo(Ben Bernank(Ben Bernankee 2000)2000)

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 65

Le tournant de 2008La faillite de Lehman Brothers le 15 sep-tembre 2008 marque un tournant pour lapolitique moneacutetaire Le 8 octobre les grandesbanques centrales ont meneacute une actionconcerteacutee sans preacuteceacutedent en annonccedilantsimultaneacutement une reacuteduction de leurs tauxdirecteurs (graphique 1) Le recul mondial dela production et de lrsquoinflation enregistreacute auquatriegraveme trimestre 2008 et deacutebut 2009 ayantlargement deacutepasseacute ce qui eacutetait attendu aupa-ravant la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine laBanque du Japon la Banque drsquoAngleterre laBanque du Canada la Banque de Suegravede et laBanque nationale suisse avaient rameneacute finmai 2009 leurs taux directeurs agrave des niveauxproches de zeacutero La contrainte du plancherde 0 srsquoest alors imposeacutee lrsquoaccentuation delrsquoeacutecart de production et le ralentissement delrsquoinflation auraient justifieacute des taux neacutegatifsimpossibles agrave mettre en œuvre Les banquescentrales ont alors trouveacute neacutecessaire drsquoampli-fier par drsquoautres moyens le caractegravere accom-modant de la politique moneacutetaire La Banque

centrale europeacuteenne (BCE) quant agrave elle aabaisseacute son principal taux de 325 pointsde pourcentage entre septembre 2008 etmai 2009 Jusqursquoagrave cette date la baisse du tauxdirecteur coiumlncide agrave peu pregraves avec le ralen-tissement de lrsquoinflation Par la suite jusqursquoagravela fin de 2009 il ne tombe pas au-dessousde 1 alors mecircme que le ralentissement dela hausse des prix se poursuit En effet agrave cemoment-lagrave le Conseil des gouverneurs consi-degravere le taux de 1 comme un plancher pourdeux raisons un risque de deacuteflation peu eacuteleveacutedans la zone euro en raison drsquoune grandeinertie de lrsquoinflation reacutesultant des caracteacute-ristiques structurelles du marcheacute du travailet des marcheacutes de produits un risque deparalysie du marcheacute moneacutetaire les banquesse refusant agrave eacutechanger entre elles de la liqui-diteacute de peur drsquoun deacutefaut des contreparties Lafixation de ce plancher de 1 alors mecircme quelrsquoinflation continue de baisser se traduit parune hausse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel et un res-serrement des conditions de financement aucours du second semestre 2009

1 Les taux drsquointeacuterecirct directeurs des banques centrales (en )

8

7

6

5

4

3

2

1

000 02 04 06 08 10 12

Australie

Zone euro

Canada

Royaume-Uni

Eacutetats-Unis

Japon

Suisse

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 66

Les politiques non conventionnellesagrave la rescousseLa deacuteteacuterioration exceptionnelle des perspec-tives eacuteconomiques fines 2008 et deacutebut 2009ont ameneacute les banques centrales agrave pratiquerdes politiques non conventionnelles qui sesont traduites par un fort gonflement de leursbilans

Leur objectif peut ecirctre drsquoopeacuterer un assouplis-sement moneacutetaire suppleacutementaire en faisantbaisser les taux drsquointeacuterecirct agrave long terme et plusgeacuteneacuteralement les primes de risque ellespeuvent aussi chercher agrave reacutetablir un fonction-nement normal du meacutecanisme de transmis-sion lorsque les baisses de taux directeurs nesont plus reacutepercuteacutees ni sur lrsquoensemble de lagamme des taux ni sur lrsquooffre de creacutedit

Les mesures deacutecideacutees par la Banque drsquoAn-gleterre la Banque du Japon et la Fed srsquoins-crivent dans la premiegravere logique tandis quecelles mises en œuvre par la BCE suivent laseconde

Une batterie de mesuresnon conventionnellesLa typologie eacutetablie il y a quelques anneacuteespar Bernanke et al (2004) conserve toute savaliditeacute3 Selon ces auteurs les mesures nonconventionnelles de politique moneacutetairepeuvent ecirctre classeacutees en trois cateacutegories ndash les mesures visant agrave orienter les anticipa-tions des agents priveacutes relatives agrave la trajec-toire future des taux directeurs ndash celles visant agrave augmenter la taille dupassif de la banque centrale donc la basemoneacutetaire ndash enfin les mesures visant agrave modifier la com-position des actifs de la banque centrale

Ces mesures non conventionnelles consistentdans ndash lrsquoapprovisionnement en liquiditeacute et lrsquoas-souplissement des regravegles de collateacuteral ndash les programmes drsquoachats de titres ndash les engagements relatifs aux deacutecisions agravevenir

Approvisionnement en liquiditeacuteLorsque la qualiteacute du bilan des banquesdevient incertaine leurs sources de finance-ment habituelles sont geleacutees Pour reacutesoudrece problegraveme de refinancement des banqueset eacuteviter la vente deacutesordonneacutee de leurs actifsla banque centrale joue son rocircle de precircteuren dernier ressort Elle peut le faire en injec-tant massivement des liquiditeacutes dans le sys-tegraveme bancaire Elle peut pour cela assouplirle niveau de la qualiteacute des actifs que lesbanques peuvent donner en garantie

Programmes drsquoachats de titresLes mesures drsquoapprovisionnement en liquidi-teacutes devraient en principe permettre drsquoeacuteviterun effondrement du cours de la plupart desclasses drsquoactifs Toutefois ces mesures glo-bales peuvent se reacuteveacuteler insuffisantes pourcertains segments du marcheacute La banque cen-trale peut alors directement acheter les titresen question Ces programmes drsquoachat massifdrsquoactifs sont destineacutes agrave faire baisser les tauxdrsquointeacuterecirct agrave long terme et les primes de risqueen geacuteneacuteral afin drsquoopeacuterer un assouplissementmoneacutetaire suppleacutementaire

Engagements relatifs aux deacutecisions agrave venirMecircme srsquoil est lui impossible drsquoamener les tauxcourts au-dessous de zeacutero la banque centraledispose drsquoun autre moyen pour faire baisserles taux longs avec lrsquoespoir de relancer lrsquoeacuteco-nomie Cette solution consiste dans lrsquoengage-ment de maintenir durablement le principaltaux directeur agrave zeacutero Cette annonce devraitconduire les investisseurs agrave revoir agrave la baisseleurs anticipations relatives aux taux courtsfaisant ainsi diminuer le taux long

Assouplissement quantitatifet assouplissement du creacutedit

Les programmes drsquoachats de titres ne se tra-duisent pas neacutecessairement par une augmen-tation de la base moneacutetaire ndash constitueacutee parles billets en circulation eacutemis par la banquecentrale ainsi que les reacuteserves deacutetenuesaupregraves drsquoelle par les banques commerciales ndashappeleacutee aussi monnaie agrave haute puissance

[3] Bernanke B SReinhart V RSack B P (2004)laquo Monetary PolicyAlternatives at theZero Bound AnEmpirical Assessment raquoFinance and EconomicsDiscussion SeriesDivisions of Research ampStatistics and MonetaryAffairs Federal ReserveBoard Washington DC2004-48 (httpwwwfederalreservegovpubsfeds2004200448200448pappdf)

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 67

parce qursquoelle sert de fondement agrave la creacuteationmoneacutetaire par les banques commerciales lorsdrsquoopeacuterations de creacutedit Crsquoest le cas si

ndash la banque centrale procegravede agrave des achats detitres longs en les financcedilant par des ventes detitres courts drsquoun mecircme montant (opeacuterationtwist)

ndash la banque centrale steacuterilise ces achats endiminuant drsquoautant le montant de la liquiditeacuteqursquoelle injecte par ailleurs

Dans le cas contraire ndash crsquoest-agrave-dire si cesachats sont financeacutes par lrsquoeacutemission de mon-naie de base sans que celle-ci soit steacuteriliseacutee ndashon parle drsquoassouplissement quantitatif Srsquoilssont massifs ils peuvent se traduire par uneexplosion de la base moneacutetaire

On srsquoattend alors agrave une acceacuteleacuteration de lacreacuteation moneacutetaire ndash mesureacutee par les agreacute-gats plus larges M1 M2 et M3 ndash agrave courtterme agrave une stimulation de lrsquoactiviteacute eacutecono-mique agrave moyen long terme agrave une acceacuteleacutera-tion de lrsquoinflation Mais par temps de criseces enchaicircnements pourraient ecirctre rompus

degraves le deacutepart Lrsquoexplosion de la base ne setraduira pas par une expansion moneacutetaire sielle sert agrave alimenter la deacutetention de reacuteservesexceacutedentaires4 Crsquoest ce que lrsquoon a pu consta-ter quand la Banque du Japon a instaureacute unassouplissement quantitatif apregraves lrsquoeacuteclate-ment de la bulle sur les marcheacutes boursieret immobilier la base moneacutetaire a eacuteteacute mul-tiplieacutee par deux mais cela nrsquoa eu aucuneconseacutequence notable sur la demande globalendash qui est resteacutee atone ndash et sur le niveau geacuteneacute-ral des prix ndash qui a baisseacute

Deacutetente moneacutetaire ndashmesures non conventionnelles un palliatif mais pas la panaceacuteeQuelle a eacuteteacute lrsquoefficaciteacute de politiques de tauxdrsquointeacuterecirct historiquement bas combineacutees agrave desmesures non conventionnelles (cf tableau 1) Elles ont permis de gagner du temps pourqursquoun nouvel eacutequilibre eacutemerge mais leur

[4] Les reacuteserves qursquounebanque commercialedeacutetient aupregraves drsquoune

banque centralesont tregraves liquides et

deacutepourvues de risque en contrepartie leur

reacutemuneacuteration est tregravesfaible La stabiliteacute dumontant des creacutedits

distribueacutes agrave lrsquoeacuteconomieet de la creacuteation

moneacutetaire en deacutepitdrsquoune injection drsquounvolume consideacuterable

de liquiditeacute par labanque centrale peut

srsquoexpliquer ainsi lecoucirct drsquoopportuniteacute de la

deacutetention drsquoexceacutedentsde liquiditeacutes par les

banques est tregraves faible aussi preacutefegraverent-elles

conserver un actifextrecircmement liquidedeacutepourvu de risque etreacutemuneacutereacute agrave un faibletaux drsquointeacuterecirct plutocirct

qursquooctroyer des creacuteditsaux entreprises ou auxmeacutenages ou qursquoacheter

des actifs mieuxreacutemuneacutereacutes

1 Principales mesures prises par les banques centrales du G4 au cours de la crise

Eacutetats-UnisFed

Zone euroBCE

Royaume-UniBoE

JaponBoJ

ndash En deacutecembre 2008le principal tauxdirecteur a eacuteteacute ameneacuteau voisinage de zeacuterondash Achats de titres duTreacutesor et de titresadosseacutes agrave des garan-ties hypotheacutecairesdont le montant totalavoisine 3 000 Mds dedollars (programmesdrsquoassouplissementquantitatif QE1 QE2et QE3)ndash Annonce de lrsquointen-tion de maintenir lestaux au voisinage dezeacutero

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Marge limiteacutee enmatiegravere drsquoachatsde titres en raisonde lrsquointerdiction dufinancement les Eacutetatsndash Approvisionnementdu systegraveme bancaireen liquiditeacutes agrave destaux extrecircmement baspour une dureacutee tregraveslongue (allant jusqursquoagrave3 ans pour les deuxLTRO)

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Achats drsquoobligationsdrsquoEacutetat dont le mon-tant total srsquoeacutelegraveve agrave 509Mds de dollarsndash Possibiliteacute offerteaux banques quidistribuent des precirctsdrsquoemprunter aupregravesde la BoE agrave des tauxdrsquointeacuterecirct tregraves bas

ndash Programme consis-tant agrave multiplier par2 la base moneacutetaireainsi que la deacutetentionde titres drsquoEacutetatndash Contrairement aux3 autres banques cen-trales possibiliteacute decombiner la politiquemoneacutetaire agrave un impor-tant programme derelance budgeacutetaire cequi donne lrsquoassuranceque la liquiditeacute creacuteeacuteesera bien utiliseacutee

Source drsquoapregraves New York Times

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 68

capaciteacute agrave y parvenir suscite de nombreusesinterrogations

Le gonflement des bilansdes banques centrales

Le total des bilans des banques centralesdu G4 atteint aujourdrsquohui environ 9000 mil-liards de dollars Il a augmenteacute de plus de8000 milliards depuis 2008 tandis que lavaleur moyenne des taux directeurs est infeacute-rieure agrave 05 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 2009(graphique 2)

La similitude de ces augmentations masqueune diffeacuterence de taille Le gonflement dubilan de la BCE observeacute jusqursquoagrave lrsquoeacuteteacute 2012 esten grande partie le reacutesultat de la forte aug-mentation de la demande de liquiditeacute de lapart des banques lors des deux VLTRO (opeacute-rations de refinancement agrave tregraves long termeVery Long Term Refinancing Operations) qui ont permis drsquoallouer un total drsquoenviron1000 milliards drsquoeuros Agrave ce moment-lagrave lesmontants des titres acquis fermes dans le

cadre du Securities Market Program (SMT)totalisaient 212 milliards drsquoeuros et ceuxacheteacutes dans le cadre des deux programmesdrsquoachat drsquoobligations seacutecuriseacutees avoisi-naient 69 milliards drsquoeuros Autrement ditla hausse du bilan de la BCE a eacuteteacute endogegravenedeacutetermineacutee par le comportement du systegravemebancaire celles des bilans des banques cen-trales britannique japonaise et ameacutericaineont eacuteteacute exogegravenes deacutetermineacutees par les autori-teacutes moneacutetaires

Effets sur les marcheacutes financiers

Appreacutehendeacutee globalement cette politiquede taux historiquement bas combineacutee agrave desmesures non conventionnelles a permis drsquoeacutevi-ter les crises de liquiditeacute bancaires et a faitbaisser les taux drsquointeacuterecirct rendant le deacutesen-dettement moins douloureux et facilitant lefinancement des deacuteficits publics Elle a aussisoutenu les prix des actifs ameacuteliorant la sol-vabiliteacute des emprunteurs

2 Bilans des banques centrales du G4 (en milliards de dollars) et moyenne de leurs taux directeurs (en )

40

35

30

25

20

15

10

05

002007 2008 2009 2010 2011 2012

10

9

8

7

6

5

4

3

Moyenne des taux directeurs (eacutech de gauche)Total des bilans (eacutech de droite)

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 69

Les marcheacutes ont le sentiment que les banques centrales agissent comme un filet de seacutecuriteacute pour la croissance les inves-tisseurs sont convaincus qursquoelles fixent un plancher aux prix des actifs mecircme si elles srsquoen deacutefendent Cette ideacutee a eacuteteacute renforceacuteecourant 2012 par le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute de remplacer le ciblage de lrsquoinflation par une strateacutegie ndash comme le ciblage du PIB nominal ndash accordant plus de poids agrave lrsquoactiviteacute eacutecono-mique Il srsquoen est suivi une nette reacuteduction des risques extrecircmes pour lrsquoeacuteconomie mon-diale une tregraves forte baisse de la volatiliteacute et un encouragement pour les investisseurs agrave acqueacuterir des actifs plus risqueacutes

Lrsquoimpact de lrsquoaction des banques centrales sur les prix des principaux actifs est agrave pre-miegravere vue facile agrave constater Depuis lrsquoan-nonce et la mise en œuvre des diffeacuterents programmes drsquoassouplissement quantita-tif de la Fed et des opeacuterations de VLTRO de

la BCE les cours boursiers mondiaux ont eacuteteacute multiplieacutes par deux (graphique 3) Les annonces de la mise en place ou de lrsquoexten-sion des programmes drsquoassouplissement quantitatif ont eacuteteacute accompagneacutees de fortes progressions du MSCI World Equity IndexAgrave lrsquoopposeacute quand les marcheacutes ont pu croire que la Fed allait limiter ses interventionsles cours boursiers ont baisseacute Il en a notam-ment eacuteteacute ainsi agrave lrsquoexpiration de son deuxiegraveme dispositif drsquoassouplissement mais avec lrsquoannonce des deux opeacuterations de VLTROla BCE a en quelque sorte pris le relais ce qui a relanceacute les marcheacutes (graphique 3) La politique de maintien des taux directeurs agrave un niveau historiquement bas combineacutee aux mesures non conventionnelles a ameneacute les investisseurs agrave sortir des marcheacutes des obli-gations drsquoEacutetat et agrave se reporter sur des actifs plus risqueacutes ce qui a eacuteteacute favorable aux mar-cheacutes boursiers

3 Reacuteaction du marcheacute boursier mondial aux programmes non conventionnels

400

350

300

250

200

1502009 2010 2011 2012 2013

AnnonceQE1

ExtensionQE1

FinQE1

AnnonceQE2

FinQE2

AnnonceLTRO(BCE)

AnnonceQE3

Indice MSCI

Source Thomson Reuters Datastream

QE = Assouplissement quantitatif LTRO = Opeacuteration de refinancement agrave long terme Indice boursier mesurant la performance des marcheacutes boursiers de pays avanceacutes

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 70

Effets sur lrsquoactiviteacute eacuteconomiqueet sur lrsquoinflation

La hausse des cours boursiers en particulieret plus geacuteneacuteralement de lrsquoensemble des prixdes actifs risqueacutes devrait normalement facili-ter le financement des entreprises et conduireagrave un effet de richesse favorable Un environ-nement tel que celui qui preacutevaut actuellementdans de nombreux pays ougrave les rendementsobligataires sont infeacuterieurs agrave la croissancenominale du PIB semble particuliegraverementpropice agrave un redeacutemarrage de lrsquoinvestisse-ment Avec la baisse du coucirct du capital lesentreprises devraient voir la rentabiliteacute desinvestissements augmenter et deacutevelopperleurs activiteacutes Pourtant il nrsquoen est rien pourlrsquoinstant En deacutepit de lrsquoameacutelioration globalede la profitabiliteacute et de la structure de bilandes entreprises les commandes de biensdrsquoinvestissement demeurent deacutesespeacutereacutementfaibles dans la plupart des pays deacuteveloppeacuteset cette aneacutemie se diffuse dans les pays eacutemer-gents Une explication freacutequemment avanceacuteemet lrsquoaccent sur la monteacutee transitoire de lrsquoin-certitude en peacuteriode de crise Une autre met

en avant la persistance drsquoune contraction delrsquooffre de creacutedit par des banques soucieusesde deacutegonfler la taille de leurs bilans Unederniegravere ndash plus inquieacutetante ndash impute lrsquoatoniedes deacutepenses drsquoinvestissement agrave un change-ment durable de comportement de la partdes entreprises pour le financement de cesdeacutepenses eacutechaudeacutees par la contraction ducreacutedit elles ne voudraient plus deacutependre desbanques et souhaiteraient pouvoir comptersur leurs ressources propres leur aversionau risque aurait augmenteacute et deacutesormais ellesse contenteraient drsquoactiviteacutes moins rentablesQuoi qursquoil en soit si la croissance semble ecirctrerepartie aux Eacutetats-Unis (graphique 4a) cenrsquoest pas le cas dans la plupart des autreseacuteconomies deacuteveloppeacutees avec depuis le deacutebut2013 un ralentissement inquieacutetant observeacutepour lrsquoAllemagne qui avait jusqursquoalors faitexception

Nombreux sont ceux qui nrsquoont cesseacute drsquoex-primer leur preacuteoccupation au sujet drsquounepossible hausse de lrsquoinflation reacutesultant delrsquoexplosion des bilans des banques cen-trales Pour lrsquoheure cette crainte ne paraicirct

4a Croissance du PIB reacuteel depuis 1999 (base 100 en 1999)

135

130

125

120

115

110

105

100

00 0199 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Eacutetats-UnisRoyaume-UniFranceJaponItalieAllemagne

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 71

pas justifieacutee (graphique 4b) Aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro la hausse desprix observeacutee est mecircme tombeacutee assez nette-ment au-dessous des 2 qui constituent peuou prou lrsquoobjectif des banques centrales en lamatiegravere seul le Royaume-Uni fait exceptionEn outre sur les marcheacutes mondiaux les prixdes matiegraveres premiegraveres restent stables

Risques

Le maintien sur une peacuteriode prolongeacuteede politiques de taux historiquement bas

combineacutee agrave des mesures non convention-nelles pourrait avoir des effets pervers et leur retrait srsquoannonce comme un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

BullesUn assouplissement quantitatif persistant peutconduire agrave des bulles drsquoactifs aussi bien lagrave ougrave ilest mis en œuvre que dans les autres pays ougrave ila une influenceCrsquoest ce qui srsquoest passeacute en 2000-2006 quand la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine afait chuter de maniegravere agressive le taux desfonds feacutedeacuteraux agrave 1 au cours de la reacutecession

4b Taux drsquoinflation depuis 2000 (en )

8

10

6

4

2

0

ndash 2

ndash 400 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Royaume-UniZone euroChineEacutetats-UnisJapon

4c Variation annuelle de lrsquoindice des prix des matiegraveres premiegraveres (en )

40

20

0

ndash 20

ndash 4000 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 72

de 2001 et de la peacuteriode de faible reprise par lasuite En maintenant le taux agrave ces niveaux elleavait alimenteacute la laquo bulle raquo des creacutedits au loge-ment qui a provoqueacute la crise des subprimes

Mouvements de hot moneyet guerre des monnaiesLrsquoassouplissement quantitatif dans les eacuteco-nomies avanceacutees a potentiellement un autreeffet pervers les taux drsquointeacuterecirct faiblesgeacutenegraverent des mouvements de capitaux exces-sifs vers les eacuteconomies eacutemergentes agrave plusforte croissance et agrave forts taux drsquointeacuterecirct Enprincipe cette arriveacutee massive de capitauxdevrait se traduire par une appreacuteciationdes taux de change de ces pays jusqursquoagrave leurnouvelle valeur drsquoeacutequilibre une fois celle-ci atteinte les entreacutees de capitaux devraientcesser Dans la pratique il nrsquoen est pas ainsi si les investisseurs retirent des gains de cetteappreacuteciation il est agrave craindre que les entreacuteesde capitaux bien loin de se tarir redoublentce qui entraicircne une nouvelle revalorisation dela monnaie et bien loin de ramener lrsquoeacutecono-mie agrave lrsquoeacutequilibre ce processus amplificateurlrsquoen eacutecarte et risque de se terminer par unkrach Dans ces conditions il nrsquoest pas eacuteton-nant que les pays beacuteneacuteficiaires aient reacutesisteacuteagrave lrsquoafflux de mouvements de hot money pardes mesures de controcircle des mouvements decapitaux destineacutes agrave bloquer lrsquoappreacuteciation deleurs monnaies

laquo Zombification raquo de lrsquoeacuteconomieLes politiques drsquoassouplissement quantitatifsont aussi mises en cause en raison de leurcaractegravere potentiellement contre-productifEn favorisant de tregraves bas niveaux de taux drsquoin-teacuterecirct elles contribueraient agrave reporter dansle temps des restructurations ineacutevitables etagrave maintenir agrave flot des pans entiers de lrsquoeacuteco-nomie qui auraient ducirc disparaicirctre En retar-dant le deacutesendettement des secteurs priveacute etpublic ces politiques pourraient creacuteer unearmeacutee de laquo zombies raquo des institutions finan-ciegraveres avec des situations financiegraveres nettesneacutegatives des meacutenages irresponsables desentreprises peu compeacutetitives et peu inno-vantes et des pouvoirs publics inefficaces

Risques lieacutes agrave la sortiedes mesures non conventionnelles

Si la sortie des programmes non convention-nels eacutetait trop lente etou trop tardive ellepourrait ouvrir la voie agrave une acceacuteleacuteration delrsquoinflation etou agrave des bulles speacuteculativesAgrave lrsquoopposeacute une sortie preacutecipiteacutee risqueraitde deacutestabiliser les marcheacutes et de stopper lareprise de lrsquoactiviteacute eacuteconomique

Si lrsquoon prend lrsquoexemple des Eacutetats-Unis sansle soutien de la Fed une remonteacutee des tauxsemble ineacutevitable avec pour conseacutequenceune deacutepreacuteciation des obligations Les profitsde la Fed pourraient donc souffrir au coursdes anneacutees agrave venir de son deacutesengagementprogressif de sa politique drsquoassouplissementquantitatif surtout si elle eacutetait contrainte devendre agrave perte une partie de son portefeuillede titres5 Le Congressional Budget Office(CBO) estime que les paiements de la Fed auTreacutesor apregraves avoir atteint en moyenne 95 mil-liards de dollars par an jusqursquoen 2016 pour-raient tomber agrave zeacutero entre 2018 et 2020 pourreprendre par la suite

Au-delagrave de cet exemple comment eacuteviter quela sortie des dispositifs non conventionnelset de la politique de taux historiquement basne vienne menacer la stabiliteacute financiegravere Les recommandations agrave ce sujet sont appa-remment simples le gradualisme srsquoimposeet les changements apporteacutes doivent ecirctrepreacutevisibles la banque centrale doit laquo preacutepa-rer minutieusement sa strateacutegie de sortie etla communiquer agrave lrsquoavance aux marcheacutes auxinstitutions financiegraveres ainsi qursquoaux autresbanques centrales afin de minimiser le risquede dysfonctionnement raquo6 Selon une visionoptimiste cela ne devrait pas ecirctre difficile par exemple les banques centrales japonaiseet sueacutedoise ont pu deacutegonfler massivement lataille de leur bilan agrave lrsquoautomne 2010 sans creacuteerde perturbation dans le secteur financier oupour les taux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoopinion la plusreacutepandue est que pour les banques centralesdu G4 la sortie des mesures non convention-nelles sera un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

[5] Lors drsquoune auditionau Congregraves BenBernanke a estimeacute quela Fed aurait inteacuterecirctagrave conserver jusqursquoagraveleur eacutecheacuteance les precirctsimmobiliers titriseacutesqursquoelle deacutetient plutocirctque de les vendre surle marcheacute

[6] FMI (2013) Rapport2013 sur la stabiliteacutefinanciegravere globale

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 73

Avec la crise lrsquoobjectif de la politique moneacute-taire des banques centrales des principaleseacuteconomies avanceacutees ndash assurer la stabiliteacute desprix agrave moyenlong terme tout en stabilisantlrsquoactiviteacute eacuteconomique ndash nrsquoa pas varieacute Maislrsquoampleur du choc financier a eacuteteacute telle quepour lrsquoassurer elles ont ducirc avoir recours agravedes mesures totalement ineacutedites soit parceque les taux directeurs sont venus butercontre leur plancher de 0 (Banque drsquoAngle-terre Banque du Japon Fed) soit parce quele meacutecanisme de transmission habituel estdevenu inopeacuterant (BCE) En outre pour assu-rer la stabilisation conjoncturelle la politiquemoneacutetaire a eacuteteacute largement laisseacutee agrave elle-mecircme elle nrsquoa pas pu compter sur lrsquoappuidrsquoune politique budgeacutetaire expansionniste agravelaquelle les pouvoirs publics se sont refuseacutesCrsquoest ainsi que dans le G4 une politique detaux ultra accommodante a eacuteteacute associeacutee agrave desmesures non conventionnelles radicalementnouvelles Alors qursquoen temps normal les ban-quiers centraux se montrent extrecircmementprudents ils ont fait preuve drsquoaudace

Cette combinaison srsquoest traduite par un retouragrave la normale sur les marcheacutes financiers Enrevanche les signes drsquoune reprise solide delrsquoactiviteacute et drsquoune ameacutelioration de la situationde lrsquoemploi se font toujours attendre surtouten Europe et au Japon Dans ces conditionsil nrsquoest pas eacutetonnant que chez les eacutecono-mistes des points de vue diffeacuterents sur ce

renouvellement des politiques moneacutetairessoient exprimeacutes Les moneacutetaristes et les keyneacute-siens de stricte obeacutedience le jugent soit dange-reux ndash pour les premiers les banques centralesse sont trop aventureacutees en terre inconnue etdoivent revenir en arriegravere compte tenu desrisques encourus ndash soit largement inefficace ndashpour les seconds dans la situation de trappe agraveliquiditeacute ougrave lrsquoon se trouve aujourdrsquohui la poli-tique moneacutetaire ne peut agrave elle seule stabiliserlrsquoeacuteconomie et la politique budgeacutetaire doit ecirctreplus expansionniste En revanche pour lesnouveaux keyneacutesiens ndash dont lrsquoanalyse a lar-gement inspireacute le renouvellement de la poli-tique moneacutetaire ndash celui-ci a eacuteviteacute le pire ndash enempecircchant que la situation observeacutee dans lesanneacutees 1930 ne se reproduise et des margesde manœuvre restent encore disponibles quipermettraient drsquoaller encore plus loin si lebesoin srsquoen faisait sentir Mais du cocircteacute desbanquiers centraux on cherche agrave tempeacutererces attentes en indiquant clairement qursquoil nefaut pas srsquoattendre agrave ce que leur action regravegletous les problegravemes auxquels sont confronteacuteesaujourdrsquohui les eacuteconomies comme le deacuteclarelrsquoun drsquoentre eux7 si la politique moneacutetairepeut promouvoir des conditions favorisant lacroissance elle ne creacutee pas de richesse pour etpar elle-mecircme ce sont les forces innovatriceset entrepreneuriales du secteur priveacute qui sontles moteurs drsquoune croissance reacuteelle et durable

[7] Jean-Pierre Danthinevice-preacutesident de la

Direction geacuteneacuterale de laBanque nationale suisse

AGLIETTA M CARTON B etSZCZERBOWICZ U (2012) laquo La BCE au chevet de laliquiditeacute bancaire raquo La lettre duCEPII ndeg 321 mai

BANQUE DES REgraveGLEMENTSINTERNATIONAUX (2013) 83e rapport annuel de la BRI20122013 23 juin

BROYER S (2013) laquo La reacuteaction des banques

centrales agrave la crise une comparaison raquo SpecialReport recherche eacuteconomiquendeg 30 Natixis 27 feacutevrier

CLERC L (2009) laquo Les mesures nonconventionnelles de politiquemoneacutetaire raquo Focus ndeg 4Banque de France 23 avril

LOISEL O et MEacuteSONNIER J-S (2009) laquo Les mesures non

conventionnelles de politiquemoneacutetaire face agrave la criseQuestions actuelles ndash Eacuteconomie-Monnaie-Finance ndeg 1 Banquede France avril

MISHKIN F BORDES CLACOUE-LABARTHE DLEBOISNE N POUTINEAU J-C(2013) Monnaie banque etmarcheacutes inanciers ParisPearson 10e eacuted

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 74

LA STABILITEacute FINANCIEgraveRENOUVEL OBJECTIFDES BANQUES CENTRALES Une implication forte des banques centrales

dans le macro-prudentiel semble aujourdrsquohui

faire consensus 86 des banquiers centraux

et 89 des eacuteconomistes qui ont participeacute agrave

notre questionnaire ont ainsi reacutepondu laquo oui raquo

agrave la question de savoir si la Banque centrale

devait jouer un rocircle important dans

la supervision macro-prudentielle

La supervision macro-prudentielle constitue

en effet le chaicircnon manquant entre politique

moneacutetaire et politique prudentielle et permet de

les articuler Mais quels seront preacuteciseacutement les

instruments macro-prudentiels

des banques centrales Ougrave commence et ougrave

finit lrsquoimplication de la Banque centrale dans

la politique prudentielle Son implication

macro-prudentielle suppose-t-elle aussi

une implication dans le micro-prudentiel

pousseacutee ou non

Le rocircle de la politique macro-prudentielleLes superviseurs ont longtemps privileacutegieacute

la reacutegulation micro-prudentielle et precircteacute

peu drsquoattention au risque systeacutemique Ils

consideacuteraient en effet qursquoune maicirctrise des

risques individuels eacutetait suffisante pour

preacuteserver la stabiliteacute du systegraveme financier

Cette attitude eacutetait et demeure lieacutee en

grande partie au paradigme de lrsquoefficience

des marcheacutes paradigme qui privileacutegie le

comportement des agents individuels agrave partir

drsquoune vision essentiellement microeacuteconomique

de la finance Selon cette conception le

risque systeacutemique serait ainsi le reacutesultat

drsquoune agreacutegation de risques individuels Crsquoest

ainsi que la reacutegulation macro-prudentielle

qui concerne la stabiliteacute globale du systegraveme

bancaire et financier eacutetait le maillon faible si ce

nrsquoest manquant du dispositif prudentiel agrave

la veille de la crise des subprimes

Plus preacuteciseacutement la politique macro-

prudentielle peut ecirctre vue comme se situant

sur un spectre avec la politique moneacutetaire

drsquoun cocircteacute et la politique micro-prudentielle

de lrsquoautre Ses objectifs de nature globale se

rapprochent de ceux de la politique moneacutetaire

En revanche elle est plus proche de la politique

micro-prudentielle au niveau des instruments ndash

tels les ratios de capital ndash qursquoelle doit chercher

agrave adapter et manier pour reacuteduire le risque

systeacutemique Ineacutevitablement la frontiegravere entre

le macro-prudentiel et le micro-prudentiel sera

poreuse et fine Ce qui obligera les banques

centrales et les autoriteacutes de supervision agrave se

coordonner eacutetroitement

Le rocircle principal des politiques micro et macro-

prudentielles peut srsquoexprimer simplement

promouvoir la reacutesilience du systegraveme financier

de maniegravere agrave assurer une offre de services

financiers adapteacutee aux besoins de lrsquoeacuteconomie

dans son ensemble La fonction speacutecifique

de la politique macroprudentielle consiste agrave

preacutevenir et geacuterer le risque systeacutemique Selon la

deacutefinition donneacutee par Jean-Franccedilois Lepetit

laquo La crise systeacutemique est une rupture dans le

fonctionnement des services financiers causeacutee

par la deacutegradation de tout ou partie du systegraveme

financier et ayant un impact neacutegatif geacuteneacuteraliseacute

sur lrsquoeacuteconomie reacuteelle raquo

La crise des subprimes fournit une illustration

du risque systeacutemique conduisant agrave une

crise systeacutemique dans la mesure ougrave elle a

brutalement deacutestabiliseacute le systegraveme financier

international et srsquoest propageacutee agrave lrsquoensemble

de lrsquoeacuteconomie mondiale Bien sucircr le risque de

systegraveme nrsquoest pas un pheacutenomegravene nouveau

Les crises systeacutemiques jalonnent en effet

lrsquohistoire des systegravemes financiers et la crise

de 1929 fut lrsquoune des plus meacutemorables Ce

risque de systegraveme srsquoest cependant intensifieacute

agrave partir des anneacutees soixante-dix avec la

globalisation financiegravere Cette derniegravere a

interconnecteacute les marcheacutes et vu se deacutevelopper

de grands groupes financiers transnationaux

et multispeacutecialiseacutes (hellip)

La crise financiegravere systeacutemique de 2007-2009

a susciteacute un grand nombre drsquoanalyses et de

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 75

propositions destineacutees agrave ameacuteliorer le dispositif

prudentiel Le contenu de ces derniegraveres a

eacuteteacute diffeacuterent en Europe et aux Eacutetats-Unis

ce qui srsquoexplique en partie par le fait que les

systegravemes financiers ne sont pas identiques

lrsquointermeacutediation de marcheacute eacutetant plus eacutetendue

aux Etats-Unis qursquoen Europe Les propositions

europeacuteennes ont plutocirct mis lrsquoaccent sur les

dispositifs contra-cycliques mis en œuvre

par les autoriteacutes de tutelle des banques

alors que les reacuteflexions ameacutericaines se sont

surtout tourneacutees vers des mesures de marcheacute

destineacutees agrave traiter les problegravemes deacutecoulant de

lrsquoaleacutea moral et de la taille des banques (laquo too big

to fail raquo)

En Europe les discussions se sont largement

centreacutees sur la mise en place drsquoun nouveau

dispositif drsquoexigences en fonds propres sous

forme drsquoune surcharge laquo systeacutemique raquo en

capital dans le prolongement de la logique de

travaux du Comiteacute de Bacircle Cette premiegravere seacuterie

de mesures cherche en particulier agrave maicirctriser

les effets de levier Toutefois la crise en cours a

reacuteveacuteleacute lrsquoinsuffisante prise en compte des risques

de liquiditeacute ce qui montre la neacutecessiteacute drsquoinciter

les banques agrave recourir agrave des financements plus

longs de maniegravere agrave reacuteduire la transformation

drsquoeacutecheacuteances (maturity mismatch) Des

mesures compleacutementaires etou alternatives

agrave la surcharge en capital ont eacutegalement eacuteteacute

proposeacutees dans le cadre des accords de Bacircle III

La surcharge en capitalEn apparence lrsquoinstrument macro-prudentiel le

plus simple pour reacuteduire le risque systeacutemique

global est de soumettre lrsquoensemble des acteurs

financiers laquo systeacutemiques raquo agrave une surcharge

en capital en plus des exigences en capital

micro-prudentielles existantes Chaque pays

doit alors deacutefinir une liste drsquolaquo institutions

systeacutemiques raquo en fonction de trois critegraveres

taille connectiviteacute et complexiteacute Cette

surcharge entend accroicirctre le coucirct marginal

des activiteacutes de precirct et reacuteduire les effets de

levier Par ailleurs elle doit varier de maniegravere

contra-cyclique pour atteacutenuer les cycles du

creacutedit La fixation de la surcharge en capital

devrait ecirctre effectueacutee sous la responsabiliteacute

des banques centrales nationales Celles-ci

auraient dans cette fonction la possibiliteacute

de superviser les laquo institutions systeacutemiques

raquo de leur ressort La fixation de la surcharge

en capital se ferait ainsi en deux eacutetapes dans

un processus top down La Banque centrale

deacutetermine drsquoabord les objectifs opeacuterationnels

de sa politique contra-cyclique agrave partir drsquoune

mesure de lrsquoexcegraves drsquooffre de creacutedit par rapport agrave

une norme de long terme Elle deacutetermine alors

le capital reacuteglementaire pour lrsquoensemble des

banques systeacutemiques neacutecessaire pour endiguer

lrsquoexcegraves de creacutedit pouvant conduire au risque

systeacutemique La surcharge globale en capital est

ensuite reacutepartie entre les entiteacutes systeacutemiques

La surcharge est ainsi calculeacutee en fonction de

la contribution speacutecifique de chaque banque au

risque systeacutemique global en fonction de trois

critegraveres effet de levier taux de transformation

(maturity mismatch) et taux de croissance des

creacutedits (hellip)

La maicirctrise du risque de liquiditeacuteLa crise de 2007-2009 a montreacute que le risque

drsquoilliquiditeacute avait eacuteteacute sous-estimeacute par les

dispositifs prudentiels La crise des subprimes

srsquoest en effet traduite par une crise de liquiditeacute

crsquoest-agrave-dire une eacutevaporation brutale des

liquiditeacutes sur les marcheacutes moneacutetaires qui a

menaceacute la stabiliteacute des systegravemes bancaires et

ameneacute les banques centrales agrave effectuer des

injections massives de liquiditeacutes en urgence

dans le cadre de leur fonction de precircteur en

dernier ressort Plusieurs propositions ont eacuteteacute

faites pour mieux assurer la protection des

acteurs et des marcheacutes contre ce risque

de liquiditeacute pour reacuteduire le risque systeacutemique

selon une proceacutedure semblable agrave celle

eacutetablissant la surcharge en capital (hellip)

la mise en œuvre par la Banque centrale drsquoune

politique de refinancement individualiseacutee pour

chaque groupe bancaire preacutesent dans sa zone

moneacutetaire Les banques centrales seraient alors

ameneacutees agrave superviser les entiteacutes systeacutemiques

avec des objectifs macro-prudentiels Dans la

mesure ougrave comme on vient de le voir les crises

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 76

de liquiditeacute sont un des meacutecanismes des crises

systeacutemiques les banques centrales pourraient

eacutegalement avoir une approche systeacutemique de

leur offre de liquiditeacute bancaire crsquoest-agrave-dire

de leur refinancement des groupes bancaires

et financiers en particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo Une telle politique impliquerait

un changement strateacutegique par rapport aux

politiques actuelles drsquointervention des banques

centrales sur le marcheacute moneacutetaire qui sont

globales et non individualiseacutees par banque

Une politique individualiseacutee de refinancement

permettrait drsquoagir directement sur les

comportements des banques et en particulier

de freiner un emballement du creacutedit et

symeacutetriquement de stimuler le financement

drsquoactiviteacutes strateacutegiques et creacuteatrices drsquoemploi

Cette approche individualiseacutee du refinancement

par les banques centrales apparaicirct conforme

agrave la deacutecision du G20 de Londres (avril 2009)

drsquoeffectuer un suivi particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo

La reacutegulation du creacutedit bancaireOn a vu que lrsquoemballement du creacutedit dans

certains secteurs et dans certains pays a joueacute

un rocircle deacutecisif dans la crise reacutecente Ainsi

la croissance excessive du creacutedit a-t-elle

largement alimenteacute la bulle immobiliegravere aux

Eacutetats-Unis en Espagne et en Irlande Lrsquoadoption

de mesures destineacutees agrave reacuteguler le creacutedit en

geacuteneacuteral ou dans certains secteurs peut ainsi

se reacuteveacuteler souhaitable en compleacutement de la

politique moneacutetaire et de lrsquoaction geacuteneacuterale sur

la liquiditeacute bancaire Plusieurs instruments

peuvent ecirctre utiliseacutes pour reacuteguler le creacutedit

bancaire tels que le renforcement des ratios

laquo loan to value raquo (rapport entre le precirct et la

valeur de marcheacute de lrsquoactif qursquoil finance) ou la

mise en place de reacuteserves obligatoires sur les

creacutedits parallegravelement aux reacuteserves sur les

deacutepocircts Ces reacuteserves permettraient drsquoagir sur

la liquiditeacute des banques mais eacutegalement sur

leur capaciteacute agrave deacutevelopper leurs creacutedits Il y

aurait donc un double impact de ces reacuteserves

obligatoires sur la liquiditeacute et sur lrsquoeffet de

levier Alors que les reacuteserves obligatoires

sur les deacutepocircts existent actuellement dans la

zone euro et sont reacutemuneacutereacutees les reacuteserves

obligatoires sur les creacutedits agrave mettre en place ne

le seraient pas Ces reacuteserves devraient ecirctre en

toute hypothegravese progressives selon le rythme

de croissance des creacutedits et diffeacuterentes selon

les activiteacutes (creacutedits agrave la consommation agrave

lrsquoeacutequipement agrave lrsquoimmobilier aux hedge funds et

fonds de private equity) Leur objectif serait de

contrer les emballements des activiteacutes de creacutedit

et de marcheacute

Dans le cadre de la zone euro ces instruments

de reacutegulation du creacutedit devraient en outre

ecirctre moduleacutes selon les secteurs drsquoactiviteacute

mais eacutegalement en fonction de la conjoncture

preacutevalant dans chaque pays Il srsquoagirait donc de

revenir sur la politique uniforme adopteacutee par la

BCE dans la zone euro meneacutee dans un esprit

de neutraliteacute ndash avec le souci de la convergence

des eacuteconomies Les deacuteveloppements reacutecents

de la crise dans la zone euro ont en effet

montreacute que les eacuteconomies de la zone ont

divergeacute et que la politique moneacutetaire uniforme

a contribueacute agrave favoriser cette divergence entre

pays agrave lrsquoorigine de la crise de la zone euro en

2009 et 2010 Cette proposition pourrait ecirctre un

eacuteleacutement important de la reacuteforme de la politique

eacuteconomique et moneacutetaire au sein de la zone

euro Il pourra ecirctre objecteacute que ces politiques

diffeacuterencieacutees remettent en cause lrsquouniformiteacute

de la politique moneacutetaire au sein de la zone et

peuvent favoriser les arbitrages La proposition

serait drsquoappliquer ces politiques en prioriteacute aux

secteurs tel lrsquoimmobilier qui restent largement

nationaux (hellip) ()

Jean-Paul Betbegraveze Christian BordesJeacutezabel Couppey-Soubeyran

et Dominique Plihon

() Extraits choisis par la reacutedaction des

hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques

dans Betbegraveze J-P Bordes C Couppey-

Soubeyran J et Plihon D (2010) Banques

centrales et stabiliteacute financiegravere rapport du

Conseil drsquoanalyse eacuteconomique ndeg 96 Paris la

Documentation franccedilaise

Le titre et les intertitres sont de la reacutedaction

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS77

JACQUES LE CACHEUX

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de Pau et des Pays de lrsquoAdourDirecteur du Deacutepartement des eacutetudes agrave lrsquoOFCESciences Po

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale le taux de preacutelegravevements obligatoires est net-tement orienteacute agrave la hausse dans la plupart des pays de lrsquoOCDE Il avait toutefois connu une certaine stabilisation depuis les anneacutees 1990 voire mecircme une leacutegegravere baisse sur la fin de la peacuteriode Les politiques drsquoausteacuteriteacute voteacutees dans la fouleacutee de la crise semblent avoir mis un terme agrave cette dynamique Au-delagrave de ces tendances globales partageacutees par lrsquoensemble des pays deacuteveloppeacutes on observe drsquoimportantes dispariteacutes dans la structure des preacutelegravevements obligatoires qui reflegravetent des traditions concernant notamment le financement de la protec-tion sociale Lrsquoeacutevolution du poids des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement obeacuteit toutefois lagrave encore comme le montre Jacques Le Cacheux agrave des tendances communes la mondialisation et la concurrence fiscale qui en reacutesulte ont pousseacute les gouvernements agrave alleacuteger la pression fiscale portant sur les assiettes les plus mobiles ndash entreprises et hauts revenus ndash et agrave taxer davantage la consommation et certains types de biens

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisons eacutevolutions

La Grande Reacutecession de 2008-2009 a profondeacute-ment creuseacute les deacuteficits budgeacutetaires et consi-deacuterablement alourdi les dettes publiquesdans tous les pays deacuteveloppeacutes incitant lesgouvernements agrave adopter des politiques deconsolidation budgeacutetaire Celles-ci associentdans des proportions variables selon les cashausses drsquoimpocircts et baisses des deacutepensespubliques La crise prolongeacutee en Europe par

cette cure drsquoausteacuteriteacute massive et simulta-neacutee qui pegravese sur la demande globale a ainsiengendreacute une inflexion marqueacutee dans lrsquoeacutevolu-tion des preacutelegravevements obligatoires en pour-centage du PIB les recettes fiscales avaienteu tendance agrave se stabiliser voire agrave se reacuteduiredans la quasi-totaliteacute des pays membresde lrsquoOCDE notamment durant la reacutecessionde 2008-2009 les plans de relance compor-tant souvent des allegravegements drsquoimpocircts etou de cotisations sociales depuis 2011 aucontraire ce taux de preacutelegravevements obliga-toires est presque partout croissant commeil lrsquoavait eacuteteacute au cours des quatre deacutecenniessuivant la fin de la Seconde Guerre mondiale

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 78

Derriegravere ces tendances globales relativement homogegravenes les choix fiscaux varient tregraves sensiblement au sein des pays deacuteveloppeacutesle poids relatif des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement se modifiant beaucoup La diversiteacute des traditions fiscales explique en grande partie les dispariteacutes constateacutees mais lrsquoouverture croissante des eacuteconomies au commerce international et aux mouve-ments de capitaux au cours des trois der-niegraveres deacutecennies semble avoir engendreacute des adaptations dont les caracteacuteristiques sont en partie communes Elles reacutesultent avant tout du jeu de la concurrence fiscalequi pousse les gouvernements nationaux agrave recourir dans ce domaine agrave des strateacutegies de compeacutetitiviteacute et drsquoattractiviteacute se tradui-sant notamment par la reacuteduction du coucirct de la main-drsquoœuvre et de la pression fiscale qui pegravese sur les facteurs les plus mobiles et lrsquoalourdissement de celle qui frappe la consommation (TVA) et certains biens (taxes speacutecifiques dont les accises)

Une nouvelle tendance agrave la hausse Apregraves des deacutecennies de hausse les taux depreacutelegravevements obligatoires ndash qui mesurent lapart des recettes totales des impocircts taxeset cotisations sociales dans le PIB ndash avaientconnu depuis le milieu des anneacutees 1990 unepeacuteriode de quasi stabiliteacute voire de baissedans certains pays (graphique 1) Les diver-gences demeuraient cependant sensibles stabiliteacute remarquablement longue en Alle-magne baisse tregraves marqueacutee aux Eacutetats-Uniset en Suegravede perceptible mais plus leacutegegravere enFrance et au Danemark1

Toutefois les politiques de consolidation bud-geacutetaire meneacutees notamment en Europe depuis2010 ont le plus souvent comporteacute des aug-mentations de pression fiscale encore peuvisibles sur les donneacutees de lrsquoanneacutee 2011 (der-niegraveres disponibles sur une base comparable)mais tregraves marqueacutees dans certains pays en France par exemple selon les donneacutees

[1] LrsquoOCDE comptait20 pays membres lorsde sa fondation en1960 elle en compteaujourdrsquohui 34 et bonnombre des nouveauxmembres sont des payslaquo eacutemergents raquo dontles eacutevolutions fiscalessont speacutecifiques Il nesaurait ecirctre questionde preacutesenter en deacutetailtoutes les donneacuteesfiscales des 34 membreset le choix a eacuteteacute faitde mettre lrsquoaccentsur quelques payssignificatifs les Eacutetats-Unis parce qursquoils sontla principale eacuteconomiede la zone lrsquoAllemagneet la France qui sontles deux principaleseacuteconomies de lrsquoUnioneuropeacuteenne (UE) et de lazone euro le Danemarket la Suegravede parceqursquoils sont deux petiteseacuteconomies ouvertes tregravesavanceacutees et agrave pressionfiscale eacuteleveacutee

1 Taux de preacutelegravevements obligatoires quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 ( du PIB)

55

50

45

40

35

30

25

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1965

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1974

1977

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1992

1995

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2001

2004

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2010

OCDE

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 79

officielles du projet de loi de finances 2013le taux de preacutelegravevements obligatoires eacutetait de449 en 2012 et devrait atteindre 463 en2013

Stabiliteacute de lrsquoimpocirctsur les revenus des personneset baisse des taux marginauxParmi les principaux instruments de preacutelegrave-vement lrsquoimpocirct sur le revenu des personnesest lrsquoun des seuls qui preacutesente une certaineprogressiviteacute il constitue donc lrsquooutil privi-leacutegieacute de la redistribution fiscale comme lrsquoontsouligneacute notamment les travaux de LandaisPiketty et Saez (2011) Or dans plusieurs paysde lrsquoOCDE (graphique 2) le poids relatif de cetimpocirct a eu tendance agrave se reacuteduire depuis desanneacutees crsquoest le cas en Suegravede depuis les deacutebutdes anneacutees 1990 en Allemagne depuis lemilieu de cette mecircme deacutecennie et aux Eacutetats-Unis depuis le deacutebut des anneacutees 2000 alorsque sa part dans le PIB est stable au Dane-mark et srsquoest accrue en France agrave la fin desanneacutees 1990 avec la monteacutee en puissance de

la contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) Cepreacutelegravevement srsquoapparente en effet agrave un impocirctproportionnel sur les revenus des personnes(Le Cacheux 2008)

La tendance agrave une moindre progressiviteacute dela fiscaliteacute srsquoest manifesteacutee drsquoabord dans lespays anglo-saxons (Eacutetats-Unis et Royaume-Uni) degraves le deacutebut des anneacutees 1980 avec unesimplification souvent drastique du baregravemede lrsquoimpocirct sur les revenus (reacuteduction dunombre de tranches) et un abaissement mar-queacute des taux marginaux supeacuterieurs LrsquoAlle-magne les Eacutetats-Unis et dans une moindremesure la France entre 2002 et 2007 ont eacutega-lement meneacute plus reacutecemment de telles poli-tiques (graphique 3)

Cotisations sociales des eacutevolutions divergentesLa monteacutee en puissance des Eacutetats-provi-dence au cours des anneacutees 1960 et 1970 srsquoestaccompagneacutee dans la plupart des pays delrsquoOCDE drsquoune tregraves forte augmentation de lapart des cotisations sociales ndash assises sur

2 Impocirct sur les revenus des personnes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

30

25

20

15

10

5

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 80

les seuls revenus drsquoactiviteacute et geacuteneacuteralementproportionnelles voire plafonneacutees ndash parti-culiegraverement prononceacutee en France en Alle-magne et en Suegravede (graphique 4) Toutefoisles divergences entre pays quant agrave lrsquoampleurde la protection sociale ou au choix de sonmode de financement sont tregraves sensibles les Eacutetats-Unis dont la protection sociale estmodeste et le Danemark ougrave elle tregraves eacutetenduemais financeacutee principalement par la fisca-liteacute geacuteneacuterale se distinguent ainsi de la plu-part de leurs partenaires Plus reacutecemmentles pays dont les cotisations sociales sontles plus lourdes ont entrepris des reacuteformesvisant agrave faire baisser la charge pesant surles revenus du travail et agrave basculer une par-tie du financement de la protection socialesur drsquoautres assiettes ensemble des reve-nus des personnes avec la CSG dans le casde la France consommation avec la TVAdans le cas de lrsquoAllemagne En Suegravede crsquoest la

moindre geacuteneacuterositeacute de la protection socialequi explique la baisse de la part des cotisa-tions sociales dans le PIB

Comme lrsquoont illustreacute en 2012 les deacutebats enFrance sur la laquo TVA sociale raquo (Le Cacheux2012b) et le laquo pacte de compeacutetitiviteacute raquo qui creacuteeun creacutedit drsquoimpocirct compeacutetitiviteacute-emploi (CICE)destineacute agrave alleacuteger le coucirct de la main-drsquoœuvrela recherche drsquoune meilleure compeacutetitiviteacute-coucirct continue de motiver les modifications dela fiscaliteacute dans de nombreux pays

Impocirct sur les socieacuteteacutes baisse des tauxet eacutelargissement de lrsquoassiette

Tregraves fluctuantes par nature en raison de laforte sensibiliteacute de son assiette agrave la conjonc-ture la part des recettes de lrsquoimpocirct sur lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes (IS) dans le PIB nepreacutesente pas de tendance nette au cours des

3 Taux marginal supeacuterieur de preacutelegravevements sur les revenus salariaux quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2012 (en )

65

60

55

50

45

40

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Calculeacute par lrsquoOCDE ce taux marginal indique le taux de preacutelegravevement total (impocircts sur le revenu et cotisations sociales sala-rieacutes) que subit un gain suppleacutementaire de 1 euro de revenu salarial Il tient compte des abattements et de la deacuteductibiliteacute descotisations sociales de lrsquoassiette de lrsquoimpocirct sur le revenu

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 81

derniegraveres deacutecennies elle semblait mecircmeorienteacutee agrave la hausse depuis le deacutebut desanneacutees 1990 dans de nombreux pays dumoins jusqursquoagrave la Grande Reacutecession de 2008-2009 (graphique 5)

La bonne tenue des recettes de lrsquoIS en deacutepit drsquoune tendance assez geacuteneacuterale et parfois tregraves marqueacutee agrave la baisse des taux statutaires drsquoimposition (graphique 6) symptocircme parmi drsquoautres de la concurrence fiscale visant agrave attirer les entreprises ou la localisation de leurs beacuteneacutefices imposables srsquoexplique en partie par des politiques drsquoeacutelargissement de lrsquoassiette destineacutees agrave reacuteduire les distor-sions introduites par lrsquoIS dans les choix des entreprises notamment en matiegravere de finan-cement Elle reacutesulte aussi pour partie de la tendance observeacutee avant la Grande Reacuteces-sion dans de nombreux pays agrave lrsquoaugmen-tation de la part des profits dans la valeur ajouteacutee (Piotrowska et Vanborren 2008)

En deacutepit de ce maintien des recettes de lrsquoim-pocirct sur les socieacuteteacutes les gouvernements despays deacuteveloppeacutes ont manifesteacute en 2013 leur

volonteacute de lutter contre lrsquoeacutevasion fiscale et lalaquo planification fiscale agressive raquo des entre-prises notamment des grandes multinatio-nales actives dans les services en reacuteseau etlrsquointernet Cette prioriteacute a eacuteteacute afficheacutee lors dela reacuteunion du G8 des 17-18 juin 2013 et dansles travaux reacutecents de lrsquoOCDE

Impocircts geacuteneacuterauxsur la consommation

Dans un contexte drsquoouverture croissante deseacuteconomies nationales et de deacutemantegravelementprogressif des barriegravere douaniegraveres tarifairesndash au sein du GATT puis de lrsquoOrganisationmondiale du commerce (OMC) ndash il nrsquoest guegraveresurprenant de constater la monteacutee en puis-sance dans la plupart des pays des taxeset impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation(graphique 7) dont le principal est la taxesur la valeur ajouteacutee (TVA) preacutesente dans latregraves grande majoriteacute des pays ndash agrave lrsquoexceptionnotable des Eacutetats-Unis de tels impocircts agraveassiette large et agrave fort rendement permettenten outre de taxer les importations et dans le

4 Cotisations sociales quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

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1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

14

16

18

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 82

5 Impocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

5

3

25

2

15

1

05

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

35

4

45

Source OCDE

6 Taux statutaire drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2013 (en )

55

40

35

30

25

20

2001

2000

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

45

50

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 83

cas de la TVA drsquoexoneacuterer les exportations cequi en fait lrsquoun des instruments privileacutegieacutesde la concurrence fiscale (Le Cacheux 2012b)Sur ce plan la France preacutesente une eacutevolutionsinguliegravere la part des recettes de TVA dans lePIB ne cessant de baisser depuis le deacutebut desanneacutees 1980 en raison de la multiplicationdes secteurs soumis agrave des taux reacuteduits

AccisesTregraves utiliseacutees par les diffeacuterents gouverne-ments jusque dans les anneacutees 1960 les taxesspeacutecifiques sur la consommation ou lrsquousagede certains biens ndash les accises ndash ont vu leursrecettes se reacuteduire tendanciellement danstous les pays au cours des derniegraveres deacutecen-nies (graphique 8) en deacutepit de leur inteacuterecirctdans les politiques de santeacute publique (taxa-tion de lrsquoalcool et du tabac notamment) etde protection de lrsquoenvironnement (taxationdes carburants des activiteacutes polluantes parexemple)2

Les composantes des systegravemesde preacutelegravevements obligatoiresDes structures fiscalesnationales tregraves disparatesBien que lrsquoon puisse deacuteceler des tendancescommunes dans les eacutevolutions longues de lafiscaliteacute des principaux pays deacuteveloppeacutes lesstructures fiscales nationales demeurent tregravesdiffeacuterentes les unes des autres Au sein mecircmede lrsquoUnion europeacuteenne ces diffeacuterences sonttregraves marqueacutees mecircme si la France et lrsquoAlle-magne apparaissent comme assez proches(graphique 9) importance des cotisationssociales et faiblesse de lrsquoimposition des reve-nus des personnes dans les deux pays Pour-tant la France se distingue de la plupart deses partenaires par la faible part des recettesdrsquoimposition de la consommation (TVA etaccises)

7 Impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

12

6

4

2

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

8

10

Source OCDE

[2] Le laquo paradoxe raquo dela fiscaliteacute eacutecologique

ndash plus on en parle moinson la met en œuvre etmoins elle rapporte ndash

est souligneacute et deacutetailleacutedans Le Cacheux (2012a)

Voir eacutegalement infra

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 84

La difficile imposition du capitaldans un monde ouvertLes anneacutees reacutecentes ont eacutegalement vu laFrance se distinguer dans le domaine de lrsquoim-position du capital et de ses revenus alorsque le taux implicite drsquoimposition du capitala eu tendance agrave baisser dans la plupart despays notamment au sein de lrsquoUE (graphique10) du fait de la concurrence fiscale srsquoexer-ccedilant sur une assiette tregraves mobile la France adepuis 2010 beaucoup accru la charge fiscalesur le capital notamment sur le patrimoinedes personnes ndash reacutetablissement de lrsquoimpocirct desolidariteacute sur la fortune (ISF) en 2012 ndash et surles revenus et plus-values du capital3

Les balbutiements de la fiscaliteacuteenvironnementalePrioriteacute afficheacutee de la plupart des gou-vernements des pays deacuteveloppeacutes et desautoriteacutes europeacuteennes la lutte contre lesdeacutegradations de lrsquoenvironnement et notam-ment contre le changement climatique ne setraduit pas loin srsquoen faut par une monteacutee enpuissance de la fiscaliteacute environnementale

(Laurent et Le Cacheux 2012 Le Cacheux2013) Ainsi agrave lrsquoexception des gouverne-ments de quelques pays drsquoEurope du Nordles principaux pays nrsquoont pas sensiblementaccru lrsquoimposition de lrsquoeacutenergie la Francelrsquoa mecircme reacuteduite depuis un peu plus drsquounedeacutecennie (graphique 11)

Agrave la veille de changementsimportants Les changements observeacutes au cours des der-niegraveres deacutecennies dans les structures fiscales des principaux pays de lrsquoOCDE reacutesultent en grande partie des reacuteactions des diffeacute-rents gouvernements aux eacutevolutions eacutecono-miques et notamment agrave la mondialisationqui a consideacuterablement accru la mobiliteacute de certaines assiettes fiscales En deacutepit de tendances communes les structures fiscales nationales demeurent sensiblement heacuteteacutero-gegravenes refleacutetant les diffeacuterences de tradition fiscale et des choix politiques diffeacuterentsnotamment au sein de lrsquoUE ougrave lrsquoharmonisa-tion fiscale demeure un horizon lointain

8 Accises quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

9

3

2

1

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

4

5

6

7

8

Source OCDE

[3] Le graphique nereflegravete qursquoune partie decette hausse reacutecenteles lois de finances pourles anneacutees 2012 et 2013ayant encore alourdicette fiscaliteacute

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 85

Les eacutevolutions technologiques ndash notammentavec le commerce en ligne et les possibiliteacutesnouvelles pour les entreprises multinationalesde deacutelocaliser leurs profits ndash et les deacutegrada-tions environnementales preacutesentent aux auto-riteacutes des pays de lrsquoOCDE de nouveaux deacutefis enmatiegravere de taxationCeux lieacutes agrave lrsquoeacutevasion fiscaledes multinationales ont eacuteteacute tregraves meacutediatiseacutes et

semblent susciter des reacuteactions fermes des prin-cipaux gouvernements et des instances inter-nationales ceux lieacutes agrave lrsquoeacutecologie paraissent enrevanche singuliegraverement neacutegligeacutes presque par-tout comme si la laquo crise raquo incitait agrave diffeacuterer unreacuteeacutequilibrage pourtant neacutecessaire des fiscaliteacutesnationales en faveur du travail et au deacutetrimentdes ressources naturelles (Le Cacheux 2012a)

9 Structure des recettes fiscales dans quatre pays europeacuteens en 2011 (en du total des recettes de preacutelegravevements obligatoires)

a Allemagne b France c Danemark d Suegravede

3

23 19

7 8

40 2

30 16

5

8

39 3 2

37 23

8 27

39

3 16

15

6

21

TVA Accises Revenus perso Cotisations sociales IS Autres

Source Eurostat

10 Taux drsquoimposition implicite du capital et de ses revenus 1995-2011 (en )

UE 25 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

500

250

200

150

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

300

350

400

450

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des diffeacuterents impocircts frappant le capital et ses revenus au total desrevenus du capital tel qursquoil apparaicirct dans les comptes nationaux

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 86

11 Taux drsquoimposition implicite de lrsquoeacutenergie 1995-2011 (en )

UE 27 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

35000

2000

1500

1000

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2500

3000

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des taxes frappant les diffeacuterentes sources drsquoeacutenergie aux deacutepensestotales drsquoeacutenergie telles qursquoelles apparaissent dans les comptes nationaux

LANDAIS C PIKETTY Tet SAEZ E (2011) Pour unereacutevolution fiscale Paris SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

LAURENT Eacute et LE CACHEUXJ (2012) Eacuteconomie delrsquoenvironnement et eacuteconomieeacutecologique Paris ArmandColin coll laquo Cursus raquo

LE CACHEUX J (2008) Les Franccedilais et lrsquoimpocirct ParisLa Documentation franccedilaiseOdile Jacob coll laquo Deacutebatpublic raquo

LE CACHEUX J (2012a) laquo Soutenabliteacute et justiceeacuteconomique fins et moyensdrsquoune reacuteforme fiscale raquo

in Allegravegre G et Plane M(2012) Deacutebats et politiquesRevue de lrsquoOFCE ndeg 122 avrilhttpwwwofcesciences-pofrpublicationsrevue122htm

LE CACHEUX J (2012b) laquo Pas de laquo TVA sociale raquo maisune laquo CSG sociale raquo Blogde lrsquoOFCE 12 juillet httpwwwofcesciences-pofrblogp=2363

LE CACHEUX J (2013) laquo La fiscaliteacute eacutecologique dansles pays de lrsquoOCDE bien en-deccedilagrave des ambitions afficheacutees raquoCahiers franccedilais ndeg 374 ParisLa Documentation franccedilaise

OCDE Statistiques des recettespubliques diffeacuterentes anneacuteeshttpwwwoecd-ilibraryorgfrtaxationrevenue-statistics_19963726

PIOTROWSKA JetVANBORREN W (2008) laquo The corporate income-tax rate-revenue paradox Evidence in the EU raquoTaxation Papers ndeg 12-2007feacutevrier httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxationgen_infoeconomic_analysistax_paperstaxation_paper_12_enpdf

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 87

PHILIPPE BATIFOULIER

Universiteacute Paris Ouest

EconomiX UMR CNRS 7235

Les politiques sociales sont particuliegraverement menaceacutees en peacuteriode de restriction des deacutepenses publiques Partout en Europe la crise des dettes souveraines a ameneacute agrave durcir les regravegles de lrsquoindemnisation du chocircmage du systegraveme de retraites et de lrsquoassurance maladie Ce contexte drsquoausteacuteriteacute renforce les dynamiques engageacutees degraves les anneacutees 1980-1990 sous lrsquoeffet des influences libeacuterales les politiques de lrsquoemploi se concentrent sur les incitations agrave la reprise drsquoun travail tandis qursquoune partie croissante de lrsquoassurance maladie et des retraites est trans-feacutereacutee au secteur priveacute lrsquointervention publique se recentrant sur les publics les plus deacutefavori-seacutes Selon Philippe Batifoulier ces eacutevolutions fondeacutees sur lrsquoideacutee que les politiques sociales constituent avant tout un laquo coucirct raquo srsquoavegraverent particuliegraverement neacutefastes en termes de bien-ecirctre et drsquoeacutequiteacute et sont de surcroicirct discutables drsquoun point de vue eacuteconomique Il deacutefend au contraire une approche permettant de reacuteconcilier efficaciteacute eacuteconomique et eacutequiteacute sociale

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques sociales quel avenir

Des politiques qui persistent malgreacutela pression du contexte drsquoausteacuteriteacuteLes politiques sociales sont au cœur desenjeux contemporains Pour les promoteursdes politiques drsquoausteacuteriteacute et de reacuteduction dela voilure de lrsquointervention publique les poli-tiques sociales ne se reacutesument plus qursquoagrave desproblegravemes de deacuteficit public Le coucirct qursquoelles

font peser agrave la collectiviteacute menace leur survieet il est doreacutenavant neacutecessaire de maicirctriserle laquo preacutelegravevement social raquo Pour les autres lesacrifice des politiques sociales pour conser-ver ou sauver le laquo triple A raquo creuse les ineacute-galiteacutes et amplifie les problegravemes que lrsquooncherche agrave reacutesoudre (le deacuteficit public notam-ment) particuliegraverement en peacuteriode de criseLes opinions des premiers dominent actuel-lement celles des seconds et lrsquoavenir semblepromis agrave la poursuite de coupes seacutevegraveres dansles budgets sociaux Ainsi si lrsquoEurope socialeeacutetait resteacutee timide jusque-lagrave les questionssociales ont deacutesormais totalement disparu delrsquoagenda de lrsquoUnion europeacuteenne autrementque sous la rubrique de la laquo dette publique raquo1

[1] Excepteacute pourla lutte contre

la grande pauvreteacuteVoir Barbier C (2012)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 88

Crsquoest le cas aussi des minima sociaux (RSAsocle allocation de parent isoleacute allocationdrsquoadulte handicapeacute etc) qui constituentsouvent lrsquounique revenu du foyer Dans lecas de la santeacute ou de lrsquoeacuteducation les reve-nus verseacutes sont compleacuteteacutes par des presta-tions en nature (comme le remboursementde la seacuteance de meacutedecin) Comme la deacutepensepublique est un revenu diminuer les poli-tiques sociales revient agrave priver certains indi-vidus de ressources financiegraveres En France37 du revenu disponible brut des meacutenagesest socialiseacute Si on ajoute les transfertssociaux en nature crsquoest 45 du revenu quelrsquoon doit aux politiques sociales Amputer lespolitiques sociales crsquoest donc appauvrir lesindividus2

ndash enfin si elles sont particuliegraverement mena-ceacutees en peacuteriode drsquoausteacuteriteacute les politiquessociales restent absolument neacutecessaires entemps de crise Elles ont en effet un rocircle destabilisateur automatique quand les reve-nus drsquoactiviteacute diminuent du fait de la criseet du chocircmage le maintien des deacutepensessociales soutient la demande et limite lacrise Reacuteduire les prestations sociales peutalors meacutecaniquement aneacutemier une activiteacutedeacutejagrave ralentie et creuser un deacuteficit publicfaute de recettes fiscales et sociales tireacutees delrsquoactiviteacute eacuteconomique

On ne doit pas en deacuteduire que rien nrsquoa changeacuteen matiegravere de politique sociale et que lesdiscours et les ideacutees agrave la mode ne font qursquoef-fleurer des systegravemes sociaux qui restentenracineacutes dans lrsquohistoire politique des diffeacute-rents pays Les politiques sociales ont subi deprofondes mutations sous lrsquoeffet notammentdu changement de reacutefeacuterentiel de politiquemacroeacuteconomique (le reacutefeacuterentiel neacuteoclas-sique a supplanteacute le reacutefeacuterentiel keyneacutesien)et sous lrsquoeffet drsquoalternances politiques libeacute-rales ou sociales libeacuterales qui ont chercheacute agraveintroduire des meacutecanismes de marcheacute dansles systegravemes de solidariteacute La subordinationdes politiques sociales au marcheacute du travailen fournit une illustration

Les politiques sociales semblent ainsi pro-mises agrave un avenir plutocirct sombrePour autantla messe nrsquoest pas encore dite Elles font en effet de la reacutesistance en deacutepit des discours qui les deacutenigrent et des mots drsquoordre des experts ou des gouvernements qui intiment laquo drsquoaller plus loin dans les reacuteformes raquo elles nrsquoont pas disparu Partout les deacutepenses sociales publiques par habitant sont plus eacuteleveacutees en 2009 qursquoen 2003 (cf tableau) Si le niveau de lrsquoaugmentation diffegravere selon les pays il est geacuteneacuteral y compris pour ceux qui ne sont pas consideacutereacutes comme des modegraveles drsquointervention sociale comme les Eacutetats-Unis ou le Royaume-Uni

Cette reacutesistance reacutesulte de plusieursfacteurs-clefs

ndash si les politiques sociales sont devenues uninstrument de soutenabiliteacute financiegravere deseacuteconomies elles restent un outil primordialde soutenabiliteacute sociale Elles sont sources debienfaits pour la population et portent lrsquoaspi-ration des peuples agrave vivre mieux

ndash les politiques sociales prennent souvent laforme drsquoun revenu pour leurs beacuteneacuteficiairessous forme de prestations de retraite drsquoas-surance chocircmage ou au titre de la famille

[2] Voir la deacutemonstrationde Ramaux C (2012)LrsquoEacutetat social Pour sortirdu chaos neacuteolibeacuteral Paris Mille et Une Nuits

1 Total des deacutepenses sociales publiques par habitant (en dollars courants et PPA)

2003 2006 2009

France 81784 9377 107995

Allemagne 78723 87706 100134

Italie 66012 75868 8966

Royaume-Uni 60008 71363 83659

Suegravede 91532 101561 111347

Eacutetats-Unis 61271 71011 87133

Japon 50242 59256 72767

OCDE 54334 63471 76049

Source OCDE(2012) Questions sociales tableaux-cleacutes delrsquoOCDE

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 89

Les politiques sociales souslrsquoemprise du marcheacute du travailDes politiques socialespour ou contre lrsquoemploi

Parce qursquoelles permettent aux individusdrsquoacqueacuterir des ressources indeacutependammentdrsquoune reacutemuneacuteration de leur travail les poli-tiques sociales ont eacuteteacute souvent suspecteacuteesdrsquoencourager lrsquooisiveteacute Ainsi faut-il preacutefeacutererrester au RSA socle (ex RMI) ou accepter unemploi payeacute au SMIC agrave mi temps Le revenugagneacute est sensiblement le mecircme mais lrsquoemploireacutemuneacutereacute comporte des coucircts (le transport lagarde des enfants la laquo deacutesutiliteacute du travail raquo)Aussi selon la theacuteorie eacuteconomique standardun individu supposeacute rationnel (crsquoest-agrave-direopportuniste et calculateur) aura tendance agraverester volontairement en non-emploi Une telleconception met en avant le rocircle des caracteacute-ristiques individuelles dans le chocircmage etnon lrsquoabsence de croissance eacuteconomiqueElle impute la responsabiliteacute du chocircmageaux chocircmeurs eux-mecircmes Si lrsquoexemple estcaricatural les conseacutequences de politiqueeacuteconomique ne le sont pas La theacuteorie recom-mande en effet de modifier les incitations pourlaquo rendre le travail payant raquo Il ne srsquoagit pas derenoncer aux deacutepenses sociales mais de lesrendre laquo actives raquo crsquoest-agrave-dire favorables agrave larecherche drsquoemploi Une telle strateacutegie transitepar lrsquolaquo activation raquo des individus eux-mecircmesau travers du durcissement des meacutecanismesdrsquoassurance chocircmage ou par une prime agrave lrsquoac-ceptation drsquoun emploi Le RSA chapeau srsquoins-crit dans cette logique3 Il vise agrave donner uneaide sociale en contrepartie de lrsquoacceptationdrsquoun travail Lrsquoaide est ainsi subordonneacutee agrave labonne volonteacute des beacuteneacuteficiaires

Cette logique de contrepartie met les chocirc-meurs sous pression Elle relegraveve drsquoune logiquede workfare du nom du programme apparuaux Eacutetats-Unis dans les anneacutees 1970 et qui asubordonneacute le versement drsquoune aide socialeau fait de travailler Sans se substituer au wel-fare le workfare a eacuteteacute investi drsquoune logique

de reacuteinsertion Il srsquoest mueacute en dynamique deflexibilisation du marcheacute du travail4 En effetces politiques sociales preacutesentent lrsquoinconveacute-nient de subventionner les laquo petits boulots raquoet drsquoalimenter le laquo preacutecariat raquo Lrsquoincitation agravela baisse de la qualiteacute de lrsquoemploi favorise lapauvreteacute laborieuse et lrsquoinseacutecuriteacute sociale Letravail qui est offert est trop deacuteconnecteacute dessolidariteacutes collectives pour constituer un veacuteri-table emploi En mettant en avant la logiquedu donnant-donnant ces politiques socialesreposent sur une interpreacutetation contractuellede la solidariteacute qui remplace la solidariteacutecomme construction collective incondition-nelle (Castel 1995 2003)

Le deacuteveloppement de la pauvreteacute laborieuseet lrsquoimportance du nombre des laquo sans salairesfixes raquo auxquels concourent ces politiquessociales ont conduit a contrario agrave donnerune plus grande reacutesonance agrave la propositionde revenu universel Cet autre avenir recircveacutepour les politiques sociales rencontre en effetun eacutecho grandissant au fur et agrave mesure quela subordination des politiques sociales agrave laloi du marcheacute du travail conduit agrave deacuteliter lelien social Si lrsquoameacutelioration de la qualiteacute dutravail est de nature agrave restaurer la digniteacutedes personnes on peut aussi recommander lacreacuteation drsquoun revenu garanti pour tous Danscette perspective la proposition de revenude base inconditionnel consiste agrave verser agravechaque individu de la naissance agrave la mortun revenu mensuel sans contrepartie et deniveau eacuteleveacute Un tel revenu5 est cumulableavec les revenus du travail et vise agrave sortir delrsquoinseacutecuriteacute sociale

Les cotisations sociales sur la sellette

Le mecircme deacutebat se retrouve autour des cotisa-tions sociales qui font lrsquoobjet drsquoune offensivede grande ampleur au nom de la compeacuteti-tiviteacute des entreprises Dans une peacuteriode dechocircmage massif et persistant le preacutelegravevementsous forme de cotisations sociales sur dessalaires perccedilus (cotisations salariales) et surdes salaires verseacutes (cotisations patronales)

[3] Il srsquoinscrit aussidans le cadre de

la lutte contre lapauvreteacute Le meacutecanisme

drsquointeacuteressement secalcule de la faccedilon

suivante RSA = revenuminimum garanti ndash 38

des revenus drsquoactiviteacute

[4] Cf Krinsky J (2004)laquo Le workfare

Neacuteolibeacuteralisme etcontrats de travail

dans le secteur publicaux Eacutetats-Unis raquo Lesnotes de lrsquoIRES ndeg 8novembre-deacutecembre

[5] Il srsquoagit ici de laversion non libeacuteraledu revenu universel

Dans la version libeacuteraleinitieacutee par M Friedman

sous le terme drsquoimpocirctneacutegatif il srsquoagit de

permettre aux individusles plus pauvres de lrsquoecirctre

un peu moins sanseacutemancipation du revenu

du travail Il existe denombreuses versions durevenu universel de ses

options philosophiques agraveson financement Parmilrsquoabondante litteacuterature

sur le sujet voir parexemple la Revue du

MAUSS (ndeg 7 1996)ainsi que lrsquoouvrage

suivant VanderborghtY et Van Parijs P (2005)Lrsquoallocation universelle

Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo (2005)

Cf eacutegalement lenumeacutero 73 de 2013 de la

revue Mouvements

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 90

est consideacutereacute comme alourdissant artificiel-lement le coucirct du travail Ce dernier est com-poseacute du salaire et des cotisations sociales quisont donc deux solutions pour le reacuteduire Crsquoestlrsquooption laquo cotisations sociales raquo qui srsquoest impo-seacutee et le problegraveme du coucirct du travail est ainsitransformeacute en problegraveme de financement despolitiques sociales Crsquoest pourquoi les cotisa-tions sociales sont tregraves largement consideacutereacuteescomme des fardeaux comme en teacutemoigne lapopularisation du terme laquo charges raquo

Si elles constituent toujours lrsquoessentiel dufinancement de la protection sociale fran-ccedilaise elles ont eacuteteacute drastiquement reacuteduitesavec le temps Le deacuteficit des comptes sociaux(le laquo trou de la seacutecu raquo) se nourrit meacutecanique-ment de cette privation volontaire de recettes

Cette eacutevolution conduit aussi agrave changer desystegraveme La baisse des cotisations impose dechercher drsquoautres sources de financement etde modifier lrsquoassiette des contributeursAinsila contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) taxeproportionnelle sur les revenus creacuteeacutee en 1991est largement monteacutee en gamme ensuite Ellemet doreacutenavant agrave contribution les deacutetenteursde revenus de transfert (retraiteacutes et chocirc-meurs) La bataille des charges se poursuitaujourdrsquohui avec le projet de laquo TVA sociale raquoqui vise agrave transfeacuterer une partie du finance-ment des deacutepenses sociales des employeursvers les consommateurs Ce nouveau modegravelevise agrave adapter la politique sociale agrave lrsquooffre etnon plus agrave la demande LrsquoEacutetat-providence doitdeacutesormais ecirctre au service des entreprises aunom de la compeacutetitiviteacute Or les cotisationssociales ne sont rien drsquoautre que du salairesocialiseacute (cotiser crsquoest par exemple srsquoouvrirdes droits pour la retraite) Leur diminutioneacuterode ce salaire et participe ainsi agrave la baissede la part des salaires dans la valeur ajouteacuteeau beacuteneacutefice des profits6

La privatisationdes politiques socialesLrsquoun des traits dominants des politiquessociales aujourdrsquohui est la reacuteduction de leur

peacuterimegravetre et de leur geacuteneacuterositeacute surtout enmatiegravere de santeacute et de retraite7 Les prestationsfamiliales ont deacutecrocheacute par rapport agrave lrsquoeacutevolu-tion du niveau de vie LrsquoEacutetat a reacuteduit sa contri-bution au financement du logement social Laproportion de chocircmeurs indemniseacutes a baisseacuteCrsquoest surtout en matiegravere de santeacute et de retraiteque les changements sont les plus marqueacutes Ilen va ainsi parce que ces deux postes repreacute-sentent pregraves de 80 des deacutepenses sociales enFrance et sont responsables de lrsquoessentiel dudeacuteficit de la Seacutecuriteacute sociale

En matiegravere de santeacute le patient est davantagemis agrave contribution Les politiques dites delaquo partage des coucircts raquo se composent de ticketsmodeacuterateurs forfaits ou franchises Geacuteneacutera-liseacutees en Europe elles pegravesent sur le budgetdes meacutenages qui doivent acquitter aussi enFrance tout particuliegraverement des deacutepasse-ments drsquohonoraires parfois tregraves lourds ycompris agrave lrsquohocircpital public Le transfert decharge vers le patient srsquoest acceacuteleacutereacute depuisles anneacutees 2000 et la Seacutecuriteacute sociale ne rem-bourse plus aujourdrsquohui que la moitieacute dessoins courants8

Les reacuteformes successives des retraites ontprogrammeacute partout une baisse marqueacutee destaux de remplacement (la diffeacuterence entrele dernier salaire et la premiegravere retraite) EnFrance avec les reacuteformes de 1993 et 2003 letaux de remplacement va perdre 15 points enmoyenne agrave horizon 2050 et ainsi amputer lerevenu des futurs retraiteacutes La reacuteforme desretraites y est particuliegraverement dure La dureacuteede cotisation neacutecessaire pour une retraite agravetaux plein est de 41 ans en 2012 et 415 en 2020 Seuls cinq pays exigent encore davan-tage (lrsquoAllemagne lrsquoAutriche la Belgiqueainsi que lrsquoItalie et le Royaume-Uni pour leshommes) Pourtant par rapport agrave de nom-breux pays deacuteveloppeacutes la France beacuteneacuteficiedrsquoune deacutemographie plus dynamique et doncde besoins de financement moindres Dansun contexte ougrave la France a un taux drsquoemploides seniors tregraves faible et ougrave lrsquoamplitude descarriegraveres salariales se reacuteduit rares sont ceux

[6] Cf Friot B (2012)Lrsquoenjeu du salaire ParisLa Dispute

[7] Cf Batifoulier PConcialdi PDomin J-P et Sauze Dlaquo Revaloriser et eacutetendrela protection sociale raquoin Les Eacuteconomistesatterreacutes (2011) Changerdrsquoeacuteconomie Paris Lesliens qui libegraverent

[8] Il srsquoagit des soinsnon hospitaliers despersonnes qui ne sontpas en ALDVoir DREESComptes de la santeacute2009

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 91

qui parviendront agrave acqueacuterir des droits agrave uneretraite agrave taux plein avant 67 ans

Ces eacutevolutions ont pour objet de diminuer ladeacutepense publique mais pas la deacutepense totaleLes individus sont en effet inviteacutes agrave pallier larestriction de la protection sociale collectivepar un recours plus grand aux assurancespriveacutees les mutuelles compleacutementaires pourles deacutepenses de santeacute et les produits de capi-talisation (assurance vie plan drsquoeacutepargneretraite) pour les retraites Ces eacutevolutionssont orchestreacutees par les pouvoirs publicsLe droit agrave lrsquoaccegraves aux soins srsquoest progressi-vement transformeacute en droit agrave lrsquoassurancecompleacutementaire notamment avec la reacutecentecompleacutementaire drsquoentreprise obligatoireLrsquoeacutepargne retraite est quant agrave elle encourageacuteeagrave grand coup drsquoincitations fiscales (baissesdrsquoimpocirct) et drsquoexoneacuteration de cotisationssociales (pour les plans retraite drsquoentreprise)

Cette mutation est profonde Elle modifie lrsquoar-chitecture de la protection sociale en substi-tuant de la protection priveacutee agrave la protectionpublique Elle conduit donc agrave augmenter ladeacutepense sociale priveacutee Elle consolide le rocircledes entreprises dans les politiques sociales etdeacuteveloppe le marcheacute des assurances santeacute etretraite qui sont des secteurs lucratifs pourles groupes financiers Si les opeacuterateurs priveacutessont plus coucircteux que lrsquoopeacuterateur public (dufait de multiples coucircts pour payer les commer-ciaux les actuaires les gestionnaires de risqueou les avocats) leur chiffre drsquoaffaires aug-mente avec le retrait de lrsquoassurance publiqueEn deacuteveloppant lrsquoespace de libre preacutevoyanceles protections sociales srsquoindividualisent et sedeacuteconnectent des solidariteacutes collectives

La deacuteleacutegation de politique sociale agrave des opeacute-rateurs priveacutes se manifeste eacutegalement parun soutien agrave la consommation des meacutenagessous forme de chegraveque service ou drsquoincitationsfiscales Cette subvention de consommationsociale est particuliegraverement deacuteveloppeacutee dansla petite enfance et la perte drsquoautonomie despersonnes acircgeacutees Mais ces mesures beacuteneacutefi-cient avant tout aux cateacutegories aiseacutees de lapopulation qui peuvent srsquooffrir un service agrave

la personne et beacuteneacuteficier de la niche fiscaleCette strateacutegie alimente aussi la preacutecariteacutede lrsquoemploi Ainsi les travailleurs (en fait lestravailleuses) de la deacutependance qui viennentaider les personnes acircgeacutees pour les actes dela vie quotidienne sont bien souvent dansdes situations preacutecaires mal payeacutes parfoisau quart drsquoheure avec une tregraves grande ampli-tude horaire ils doivent aussi faire face auxattentes eacutemotionnelles de la famille

Des politiques sociales seacutelectives

Une solidariteacutede plus en plus cibleacutee

Le transfert de charge du public vers le priveacuteest fonciegraverement ineacutegalitaire Lrsquoeacutepargneretraite suppose un revenu suffisant Le relegrave-vement des barriegraveres drsquoacircge (agrave 62 ans) peacutenaliseles cateacutegories les plus modestes car lrsquoespeacute-rance de vie agrave la retraite reste tregraves ineacutequitableAffirmer que le temps gagneacute sur la mort doitecirctre du temps de travail meacuterite deacutebat quandlrsquoespeacuterance de vie en bonne santeacute est de 63 ansen moyenne Les compleacutementaires santeacute sontquant agrave elles ineacutegalement reacuteparties Certainspatients en sont deacutepourvus et tous nrsquoont pasaccegraves agrave une compleacutementaire de qualiteacute Cesont les plus malades qui ont par deacutefinition leplus besoin de soins qui ont les compleacutemen-taires les moins couvrantes Le renoncementaux soins essentiels les retards de soins etles reports vers lrsquohocircpital qui srsquoensuivent sontalors plus coucircteux pour la collectiviteacute9

Avec le transfert vers la libre preacutevoyance lespolitiques sociales ne combattent plus lesineacutegaliteacutes mais les creusent Les pouvoirspublics sont alors ameneacutes agrave mettre en placedes mesures correctives visant agrave eacutepargnercertains beacuteneacuteficiaires des dispositifs infli-geacutes aux autres Ainsi les nouvelles regravegles enmatiegravere de retraite sont valables pour toussauf pour ceux qui ont commenceacute agrave travail-ler tocirct qui ont eacuteleveacute trois enfants qui ontun meacutetier peacutenible (agrave deacutefinir) ou qui ont eacuteteacutereconnus comme laquo invalides raquo En proteacutegeant

[9] Cf Revuedu MAUSS ndeg 41

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 92

les plus fragiles on espegravere leacutegitimer lrsquoeffortdemandeacute agrave tous les autres

Dans la mecircme perspective lrsquoaggravationdes ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux soins a conduitagrave installer ou deacutevelopper des meacutecanismesprotecteurs pour certains soins etou cer-tains patients qui se voient exoneacutereacutes de lacontribution financiegravere qui est demandeacutee auxautres Il en va ainsi des dispositifs destineacutesaux plus pauvres (la CMUC en France les pla-fonds annuels de deacutepenses ailleurs un meil-leur remboursement pour les beacuteneacuteficiairesde lrsquointervention majoreacutee selon le revenuen Belgique Medicaid aux Eacutetats-Unis etc)aux plus malades (un plafond speacutecifique enAllemagne le dispositif laquo affection de longuedureacutee raquo en France la prise en charge deslaquo frais exceptionnels de maladie raquo aux Pays-Bas etc) ou aux plus acircgeacutes (Medicare auxEacutetats-Unis remboursement majoreacute pour lespersonnes acircgeacutees deacutependantes en Belgiqueexoneacuteration de reste agrave charge pour les moinsde 18 ans et plus de 60 ans au Royaume-Uni)Ces dispositifs de solidariteacute cibleacutee sont coucirc-teux et activent des deacutepenses nouvelles Ilssont aussi agrave lrsquoorigine drsquoineacutegaliteacutes suppleacutemen-taires lieacutees aux effets de seuils (financiers oude maladie) agrave la stigmatisation dont peuventecirctre victimes les beacuteneacuteficiaires et agrave lrsquoexistencedrsquoun non-recours important

Cette solidariteacute cibleacutee induite eacutegalement unefragmentation des droits sociaux La segmen-tation des beacuteneacuteficiaires paraicirct souvent insuf-fisante pour ceux qui beacuteneacuteficient du ciblagecar par exemple il existe toujours des restesagrave charge eacuteleveacutes pour les patients en ALD Ellepeut paraicirctre en outre insupportable aussipour les autres assureacutes qui nrsquoen beacuteneacuteficientpas et qui restent soumis agrave la dureteacute desreacuteformes En deacutelaissant le droit commun leciblage conduit agrave une deacutefiance envers les ins-titutions qui prennent en charge les politiquessociales Cette deacutefiance est alimenteacutee parlrsquohostiliteacute vis-agrave-vis des personnes proteacutegeacuteeset des plus pauvres en particulier que nourritla meacutediatisation de la theacutematique des frau-deurs aux prestations sociales Les cateacutegories

non proteacutegeacutees par le ciblage ne voient pas oumoins lrsquointeacuterecirct de payer pour la solidariteacute cequi peut conduire agrave un risque de seacutecessionsociale et fragiliser grandement les politiquessociales

Quel investissement social

En justifiant les choix la notion drsquoinvestis-sement social constitue alors un horizonpossible des politiques sociales en quecircte deleacutegitimiteacute Ce nouveau paradigme met enavant la preacuteparation de lrsquoavenir axeacutee sur lrsquoeacuteco-nomie de la connaissance et permettant agrave unemain-drsquoœuvre qualifieacutee et flexible de srsquoadapteragrave un environnement mouvant Des individusdavantage proteacutegeacutes sont moins reacutetifs au chan-gement Un tel investissement social peut ecirctrelu dans les termes du neacuteolibeacuteralisme et avoirpour objectif de rendre la flexibiliteacute moins preacute-caire et plus acceptable On peut en avoir unelecture diffeacuterente qui met en avant une poli-tique sociale productive reacuteconciliant les butseacuteconomiques et sociaux La politique socialeest alors moins un coucirct qursquoune faccedilon de preacute-parer efficacement lrsquoavenir (Morel et al 2013)Dans cette optique lrsquoinvestissement dans lrsquoen-fant (dans sa santeacute dans les deacutepenses drsquoeacutedu-cation dans les places en cregraveche etc) apparaicirctdeacuteterminant Il permet de minimiser le risquede transmission de la pauvreteacute tout en cher-chant agrave augmenter la possibiliteacute de transmis-sion intergeacuteneacuterationnelle du savoir ce qui estsource de croissance eacuteconomique

En cherchant agrave reacuteconcilier lrsquoefficaciteacute eacutecono-mique et lrsquoeacutequiteacute sociale la notion drsquoinves-tissement social peut contribuer agrave sortir lespolitiques sociales du deacutenigrement dont ellesfont lrsquoobjet Cependant le risque est grandque cette notion soit instrumentaliseacutee pouropposer les beacuteneacuteficiaires entre eux en nour-rissant le discours ambiant drsquoune guerredes geacuteneacuterations qursquoauraient deacuteveloppeacutees lespolitiques sociales La vision drsquoune horde deretraiteacutes qui va plomber les comptes sociauxsrsquoest solidement installeacutee En accordant tou-jours plus de deacutepenses aux plus acircgeacutes sousforme de pension de retraite de prestations

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 93

pour la perte drsquoautonomie ou de deacutepenses desanteacute pour la fin de vie les jeunes geacuteneacuterationsauraient eacuteteacute sacrifieacutees et devraient de pluspayer la dette sociale leacutegueacutee par les anciensCette vision est caricaturale en effet le paie-ment de la dette sociale se traduit davantagepar un transfert au sein drsquoune mecircme geacuteneacutera-tion de la collectiviteacute vers les rentiers que parun transfert intergeacuteneacuterationnel Opposer lescregraveches aux EHPAD (eacutetablissement drsquoheacuteber-gement des personnes acircgeacutees deacutependantes)est tout aussi steacuterile En allant agrave lrsquoencontre delrsquouniversalisation des droits la seacutelection delrsquoinvestissement nourrit la crise de leacutegitimiteacute

des politiques sociales Enfin investir pourdemain dans lrsquoenfant peut aussi conduire agrave unrisque de pauvreteacute aujourdrsquohui srsquoil srsquoagit drsquounpreacutetexte pour supprimer les deacutepenses socialespubliques Pour investir dans lrsquoenfant demainil est neacutecessaire de soutenir les megraveres dans lepreacutesent y compris en leur permettant de geacutererla deacutependance de leurs parents aussi bien surle plan financier qursquoorganisationnel Crsquoest lrsquoin-vestissement social tout au long de la vie qursquoilconvient de valoriser

BARBIER C (2012) laquo Quelle destineacutee pourla politique sociale delrsquoUnion europeacuteenne Dela strateacutegie de Lisbonne agravelrsquoEurope 2020 eacutevolution dudiscours politique raquo Revueinternationale du travail vol 5 ndeg 4

CASTEL R (1995) Les meacutetamorphosesde la question sociale

Une chronique du salariatParis Folio essais

CASTEL R (2003) Lrsquoinseacutecuriteacutesociale Qursquoest ce qursquoecirctreproteacutegeacute Paris Le SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

REVUE DU MAUSS Ndeg 41Marchandiser le soin nuitgravement agrave la santeacute ParisLa DeacutecouverteMAUSS 2013

MOREL N PALIER Bet PALME J (2013) laquo The Long Road towards aSocial Investment WelfareState raquo in Hasmath R etSmyth P (eds) InclusiveGrowth Welfare andDevelopment Policy A Critical Assessment

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 94

RETRAITES LES PROPOSITIONSDU RAPPORT MOREAULa Commission pour lrsquoavenir des retraites

preacutesideacutee par Yannick Moreau a preacutesenteacute

ses pistes de reacuteforme le 14 juin 2013 Ce

rapport reacutepond agrave la neacutecessiteacute de reacuteeacutequilibrer

la branche vieillesse des comptes de la

protection sociale qui preacutesenterait selon le

Conseil drsquoorientation des retraites (COR) un

besoin de financement de 20 milliards drsquoeuros

drsquoici 2020 Ses propositions doivent nourrir

la concertation entre le gouvernement et

les partenaires sociaux durant lrsquoeacuteteacute 2013 et

deacuteboucher en septembre sur un projet de loi

Les propositions de la Commission reposent

sur deux grands sceacutenarios

ndash le premier reacutepartit les efforts agrave hauteur de

deux tiers pour les actifs et drsquoun tiers pour les

retraiteacutes

ndash le second les reacutepartit agrave parts eacutegales

Ces diffeacuterents sceacutenarios combinent dans

des proportions variables des mesures

correspondant agrave trois leviers drsquoaction la

creacuteation de nouvelles recettes la reacuteduction

des deacutepenses et lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier

drsquoallongement de la dureacutee de cotisation

Outre la voie classique de la hausse des

cotisations le rapport met en avant pour

augmenter les recettes une reacuteforme de la

fiscaliteacute qui srsquoapplique aux retraiteacutes Ceux-

ci beacuteneacuteficient en effet drsquoavantages fiscaux

abattement de 10 pour frais professionnels

alors qursquoils ne supportent plus ce type de

deacutepense majoration de pension pour les

personnes ayant eacuteleveacute au moins trois enfants

taux de CSG reacuteduithellip En 2012 la Cour des

Comptes avait eacutevalueacute le coucirct pour les finances

publiques de ces dispositifs deacuterogatoires agrave

12 milliards drsquoeuros par an Cette piste de

reacuteforme srsquoappuie en outre sur le fait que les

retraiteacutes ont deacutesormais un niveau de vie moyen

tregraves proche voire leacutegegraverement supeacuterieur agrave celui

de lrsquoensemble des Franccedilais En 2009 les plus

de 65 ans avaient ainsi un niveau de vie moyen

de 22 530 euros contre 22 470 pour lrsquoensemble

de la population Pour les 65-74 ans celui-ci

srsquoeacutelevait mecircme agrave 23 860 euros Le niveau de vie

meacutedian des 65 ans et plus reste en revanche

infeacuterieur de 64 agrave celui des personnes drsquoacircge

actif (1)

La reacuteduction des deacutepenses pourrait prendre la

forme drsquoune baisse du niveau des pensions via

les regravegles de revalorisation des pensions ou de

calcul des salaires de reacutefeacuterence (meacutecanismes

de deacutesindexation)

Lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier drsquoallongement de

la dureacutee de cotisation (nombre de trimestres

requis pour une retraite agrave taux plein) mis en

place en 2003 ne serait pour sa part possible

qursquoagrave partir de 2018 Il est en effet fixeacute par

deacutecret pour les geacuteneacuterations qui partiront avant

cette date

La Commission eacutenonce en outre un certain

nombre de recommandations destineacutees agrave

ameacuteliorer lrsquoeacutequiteacute et la lisibiliteacute du systegraveme

ainsi qursquoagrave assurer sa viabiliteacute agrave long terme

ndash mieux prendre en compte la peacutenibiliteacute de

certains meacutetiers

ndash ameacuteliorer la situation des polypensionneacutes et

des personnes (notamment les femmes) aux

carriegraveres morceleacutees

ndash aligner les regravegles de calcul des pensions des

reacutegimes de la fonction publique sur celles du

reacutegime geacuteneacuteral

ndash conserver au-delagrave de 2020 la regravegle de

lrsquoallongement de la dureacutee de cotisation en

fonction de lrsquoaccroissement de lrsquoespeacuterance de

vie Instaureacutee par la reacuteforme des retraites de

2003 cette regravegle preacuteconise de partager le gain

de longeacuteviteacute entre le maintien en activiteacute (pour

deux tiers) et la retraite (pour un tiers)

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

(1) INSEE (2013) Les revenus et les patrimoines

des meacutenages ndash Eacutedition 2013 avril

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES95

CHRISTINE ERHEL

Maicirctre de confeacuterences en eacuteconomie agrave lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon-Sorbonne

Directrice de lrsquouniteacute de recherche POPEM (Politiques publiques et emploi) au Centre drsquoeacutetudes de lrsquoemploi

Destineacutees agrave maintenir le niveau de revenu des chocircmeurs reacuteduire le chocircmage et augmen-ter le taux drsquoemploi de la population les politiques de lrsquoemploi sont particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve en peacuteriode de crise Au cours des cinq derniegraveres anneacutees les pays avanceacutes ont eacutelaboreacute de nouveaux dispositifs ndash dont certains sont temporaires ndash afin de faire face agrave la forte progression du chocircmage Christine Erhel rappelle la pluraliteacute des objectifs des politiques de lrsquoemploi ainsi que la varieacuteteacute des traditions nationales en la matiegravere avant de faire le point sur leurs grandes orientations depuis 2008 Si le contexte de crise creacutee de nouveaux besoins la mise en place de mesures drsquoenvergure est limiteacutee par lrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples

Face agrave un chocircmage record les politiques delrsquoemploi sont au cœur de lrsquoactualiteacute franccedilaiseavec la creacuteation de nouveaux dispositifs en2012-2013 (emplois drsquoavenir contrats de geacuteneacute-ration) Elles semblent eacutegalement retrouverune place dans le deacutebat europeacuteen avec le lan-cement de projets drsquointerventions en faveurde lrsquoemploi des jeunes (laquo paquet en faveur delrsquoemploi des jeunes raquo lanceacute par la Commissionen deacutecembre 2012 initiative franco-alle-mande annonceacutee le 28 mai 2013) De maniegravereplus geacuteneacuterale elles ont eacuteteacute fortement mobi-liseacutees depuis la crise de 2008 mecircme si lesmesures de rigueur particuliegraverement seacutevegraveres

depuis 2010 conduisent dans certains paysagrave des restrictions dans lrsquoassurance chocircmagevoire dans les services de soutien et drsquoaide agravela recherche drsquoemploi

Lrsquoanalyse de ces politiques est complexe quece soit dans une perspective historique (du faitde la multipliciteacute des reacuteformes observablesdepuis les anneacutees 1990) comparative (lesmodegraveles nationaux de politique de lrsquoemploisont tregraves divers) ou dans une optique drsquoeacutevalua-tionEn effet il est essentiel de tenir compte dela multipliciteacute des objectifs tant eacuteconomiquesque sociaux des politiques de lrsquoemploi Deplus elles srsquoarticulent avec drsquoautres sphegraveresde la politique eacuteconomique qui ont eacutegalementdes effets sur lrsquoemploi les politiques macroeacute-conomiques et industrielles en particulier

Une diversiteacute drsquoobjectifsDans une perspective eacuteconomique les poli-tiques de lrsquoemploi visent tout drsquoabord agrave

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 96

ameacuteliorer le fonctionnement du marcheacute dutravail ndash et notamment les deacutelais drsquoappa-riement entre chocircmeurs et employeurs ndash agravereacuteduire le chocircmage et agrave augmenter le niveaudrsquoemploi Toutefois elles peuvent eacutegalementpoursuivre drsquoautres objectifs corriger lesineacutegaliteacutes entre groupes sociaux en encoura-geant lrsquoemploi des plus fragiles (jeunes sansqualifications chocircmeurs de longue dureacutee)anticiper les besoins en matiegravere drsquoemploi etde compeacutetences (par la formation des sala-rieacutes) ou encore atteacutenuer un choc conjonctu-rel via le soutien aux revenus des chocircmeursElles jouent eacutegalement un rocircle social impor-tant en termes de lutte contre la pauvreteacutemais eacutegalement drsquoinsertion dont lrsquoaccegraves agravelrsquoemploi constitue une dimension fondamen-tale Cette diversiteacute drsquoobjectifs rend difficilelrsquoeacutevaluation des mesures dont le succegraves oulrsquoeacutechec ne peut ecirctre reacuteduit au seul critegravere dunombre drsquoemplois creacuteeacutes

Dans les analyses des politiques de lrsquoem-ploi il est courant de distinguer entre lesmesures laquo actives raquo et laquo passives raquo agrave partir dela nomenclature eacutetablie par lrsquoOCDE (Erhel2009) Les mesures actives ont pour objectif

de remettre les chocircmeurs en emploi et drsquoaug-menter le niveau drsquoemploi dans lrsquoeacuteconomiesoit de maniegravere directe (creacuteation drsquoemploispublics temporaires subventions agrave lrsquoem-bauche) soit de maniegravere indirecte (forma-tion) Les mesures passives comprennentpour leur part lrsquoindemnisation du chocircmageet les dispositifs de cessation anticipeacuteedrsquoactiviteacute dont lrsquoobjectif est drsquoatteacutenuer lesconseacutequences du chocircmage Cette cateacutegori-sation conventionnelle si elle est utile agrave laproduction de statistiques harmoniseacutees nedoit pas ecirctre entendue comme une frontiegraverestricte entre deux types de dispositifs Parmiles mesures laquo passives raquo certaines ont unobjectif de maintien de lrsquoemploi en peacuteriodede ralentissement eacuteconomique (chocircmagepartiel) tandis que lrsquoassurance-chocircmagesoutient non seulement les revenus des chocirc-meurs mais aussi leur recherche drsquoemploi (ycompris par des mesures de sanctions le caseacutecheacuteant) Agrave lrsquoinverse du cocircteacute des politiqueslaquo actives raquo les mesures drsquoemploi aideacute voirecertains dispositifs de formation reacutemuneacutereacuteecomportent eacutegalement une dimension de sou-tien du revenu des chocircmeurs

1 Les deacutepenses pour lrsquoemploi en 2010 (en du PIB)

-

050

100

150

200

250

300

350

400

450

Royaum

e-Uni

Australi

e

Eacutetats-

Unis

Canad

a

Suegravede

Italie

Allem

agne

Fran

ce PB

Danem

ark

Belgiq

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Espag

ne

Deacutepenses actives

Deacutepenses passives

Source OCDE 2012

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 97

La diversiteacute des modegravelesde politiques de lrsquoemploiLa multipliciteacute des objectifs et des leviers despolitiques de lrsquoemploi apparaicirct eacutegalementdans les comparaisons internationales quimontrent des choix varieacutes drsquoun pays agrave lrsquoautreAu-delagrave des variations lieacutees agrave la conjonctureou au cycle politique les prioriteacutes nationalesapparaissent relativement stables dans letemps en lien avec lrsquohistoire des politiquesde lrsquoemploi (et les conditions de leur articula-tion avec les politiques sociales les politiquesindustrielles ou les politiques macroeacuteco-nomiques) mais aussi avec les dispositifsinstitutionnels mis en place (financementgouvernancehellip) Les diffeacuterences internatio-nales en matiegravere de politiques de lrsquoemploi setraduisent dans lrsquoeffort budgeacutetaire qui leurest consacreacute et le type de mesures privileacutegieacutees(graphique 1 et tableau 1) Si lrsquoon eacutecarte lespays eacutemergents ou reacutecemment industrialiseacutes(Mexique Coreacutee) et les nouveaux membresde lrsquoUnion europeacuteenne (UE) dont les poli-tiques de lrsquoemploi sont encore balbutianteson peut distinguer trois groupes principauxde pays au sein de lrsquoOCDE coiumlncidant avecles modegraveles de protection sociale tels qursquoilssont analyseacutes par les travaux comparatifs(Esping-Andersen 1990)

Le modegravele nordique les politiques actives privileacutegieacuteesLes pays sociaux-deacutemocrates ou laquo nor-diques raquo (Danemark Suegravede Finlande) consti-tuent un modegravele bien identifieacute de politiquesde lrsquoemploi qui se caracteacuterise par un niveaude deacutepense supeacuterieur agrave la moyenne sur longuepeacuteriode et par des niveaux drsquoindemnisationdu chocircmage geacuteneacutereux Toutefois la Suegravedesrsquoeacutecarte du modegravele traditionnel depuis lesanneacutees 2000 des reacuteformes restrictives ontcontribueacute agrave reacuteduire le niveau de la deacutepensepour lrsquoemploi et la geacuteneacuterositeacute de lrsquoassurance-chocircmage Ces pays consacrent en outre unepart importante des deacutepenses pour lrsquoemploiaux mesures actives avec un effort particu-lier envers les dispositifs de formation pourles chocircmeurs et de soutien agrave lrsquoemploi deshandicapeacutes (tableau 1) Ceci nrsquoexclut pastout recours aux dispositifs de retrait drsquoacti-viteacute et en particulier aux preacuteretraites bienqursquoelles aient eacuteteacute totalement supprimeacutees enSuegravede celles-ci subsistent au Danemark pre-nant principalement la forme de cessationsprogressives drsquoactiviteacute

Cet ensemble correspond agrave une traditionbien ancreacutee drsquointervention par des mesuresfavorisant lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi (mecircme tempo-raire et subventionneacute) plutocirct que lrsquoindem-nisation du chocircmage (Erhel 2009) Cette

1 La reacutepartition des deacutepenses de politique de lrsquoemploi en 2010 (en )

Danemark France Allemagne Royaume-Uni Eacutetats-Unis

Service public de lrsquoemploiet administration

146 116 17 48 5

Formation 12 147 135 4 45

Incitations agrave lrsquoemploi 92 42 43 1 1

Soutien agrave lrsquoemploi des handicapeacutes 19 27 13 1 35

Creacuteations directes drsquoemploi ndash 85 21 ndash 1

Subventions agrave la creacuteationdrsquoentreprises

ndash 2 36 ndash ndash

Maintien du revenu 346 56 56 46 85

Preacute-retraites 106 03 22 ndash ndash

Source OCDE 2012

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 98

tradition srsquoest constitueacutee en Suegravede ougrave degraves1914 une commission composeacutee de syndi-cats et drsquoemployeurs (Commission Myrdal)propose la creacuteation drsquoun systegraveme drsquoemploispublics subventionneacutes en compleacutement delrsquoassurance chocircmage Cette proposition srsquoap-puyait sur lrsquoideacutee qursquoil eacutetait preacutefeacuterable pour lasocieacuteteacute de financer des emplois publics tem-poraires plutocirct que des allocations chocircmageCes orientations ont eacuteteacute mises en œuvre dansles anneacutees 1930 puis dans les anneacutees 1950par des gouvernements sociaux-deacutemocratessoit pour limiter les effets drsquoune monteacutee duchocircmage conjoncturel soit de maniegravere plusstructurelle pour accompagner les restruc-turations industrielles des anneacutees 1950 et1960 En parallegravele la Suegravede et plus encore leDanemark ont deacuteveloppeacute des dispositifs deformation importants et un accompagnementintensif des chocircmeurs dans les agences pourlrsquoemploi La politique de lrsquoemploi peut ecirctreconsideacutereacutee dans ces pays comme un instru-ment de seacutecurisation des parcours de tellesorte qursquoelle constitue lrsquoun des piliers de lalaquo flexicuriteacute raquo danoise (associant flexibiliteacutedu contrat de travail et seacutecuriteacute des parcoursprofessionnels) mise en avant depuis lesanneacutees 2000)

Le modegravele libeacuteral une intervention centreacuteesur la recherche drsquoemploi

Dans les pays laquo libeacuteraux raquo (Eacutetats-UnisRoyaume-Uni Australie) lrsquoeffort de politiquede lrsquoemploi repreacutesente au contraire moins de1 du PIB (graphique 1) et se concentre surlrsquoindemnisation du chocircmage (avec des tauxde remplacement faibles) et sur lrsquoaide agrave larecherche drsquoemploi Ces deux postes repreacute-sentent lrsquoessentiel des deacutepenses dans cespays (tableau 1) Il srsquoagit drsquoun modegravele drsquointer-vention minimale ougrave le rocircle de la politique delrsquoemploi se limite agrave lrsquoameacutelioration du fonc-tionnement du marcheacute du travail (informa-tion mobiliteacute eacuteventuellement adeacutequation desformations) La lutte contre le chocircmage relegraveve

plutocirct des politiques macroeacuteconomiques(moneacutetaire et budgeacutetaire)

Ces pays ont toutefois deacuteveloppeacute en margedes politiques de lrsquoemploi cibleacutees drsquoimpor-tants dispositifs drsquoincitations agrave lrsquoemploi parle biais de lrsquoimpocirct neacutegatif (Earned Income TaxCredit aux Eacutetats-Unis et Working FamiliesTax Credit au Royaume-Uni) qui vient com-pleacuteter les revenus du travail les plus faiblespar une reacuteduction ou un creacutedit drsquoimpocirct Cesdeacutepenses ne sont pas comptabiliseacutees dans ladeacutepense pour lrsquoemploi calculeacutee par lrsquoOCDEmais elles repreacutesentent un outil important delutte contre la pauvreteacute et drsquointervention surlrsquooffre de travail

Le modegravele continental des interventions heacuteteacuterogegravenesavec une focalisation sur le coucirctdu travail

Les pays drsquoEurope continentale (FranceAllemagne Belgique Pays-Bas Italiehellip)connaissent une situation tregraves diffeacuterente desdeux groupes preacuteceacutedents Les politiques delrsquoemploi y sont en grande partie financeacuteespar des cotisations sociales (en particulierlrsquoindemnisation du chocircmage) et leur deacutevelop-pement apparaicirct relativement reacutecent en com-paraison du modegravele nordique Les principalesinstitutions chargeacutees drsquoameacuteliorer le fonction-nement du marcheacute du travail et accompagnerles restructurations remontent aux laquo TrenteGlorieuses raquo Ainsi en France lrsquoAgence natio-nale pour lrsquoemploi ndash ANPE ndash est creacuteeacutee en 1967Toutefois crsquoest surtout avec la deacutegradationprogressive de la situation de lrsquoemploi dansles anneacutees 1970-1980 que se deacuteveloppentdes politiques actives de lrsquoemploi La logiquelaquo sectorielle raquo initiale est peu agrave peu rempla-ceacutee par une logique laquo seacutelective raquo ciblant lesmesures sur les jeunes puis les chocircmeurs delongue dureacutee

Ces pays ont eu massivement recours auxpolitiques de retrait drsquoactiviteacute (preacuteretraitesen particulier) dans les anneacutees 1980 afinde lutter contre le chocircmage Outre leur coucircteacuteleveacute pour les finances publiques elles ont

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 99

conduit agrave une baisse des taux drsquoemploi desseniors Depuis les anneacutees 1990 les entreacuteesdans ces dispositifs ont eacuteteacute fortement limi-teacutees et des mesures en faveur de lrsquoemploi decette population ont eacuteteacute prises (incitationsagrave la prolongation drsquoactiviteacute via les reacuteformesdes retraites contrats speacutecifiques pour lesseniors plans seniorshellip) Par ailleurs face aupoids des cotisations sociales dans le coucirct dutravail ces pays de tradition bismarckiennese sont fortement appuyeacutes sur des mesuresde baisse du coucirct du travail soit cibleacutees (enparticulier sur les jeunes mais aussi sur leschocircmeurs de longue dureacutee comme dans lecas de lrsquoAllemagne depuis les lois Hartz de2004) soit geacuteneacuterales (comme les exoneacuterationsde charges en France au niveau du SMIC agravepartir de 1993 ou en Allemagne avec les dis-positifs de mini jobs qui eacutechappent aux coti-sations sociales)

Quelles prioriteacutesen peacuteriode de crise Face agrave la crise les deacutepenses pour lrsquoemploiont augmenteacute dans les pays de lrsquoOCDE (gra-phique 2) Toutefois cette hausse fait suite agraveplusieurs anneacutees de reacuteduction des deacutepenseset la dynamique contra-cyclique apparaicirctrelativement limiteacutee compte tenu de lrsquoam-pleur de la hausse du chocircmage Des analysessur donneacutees OCDE depuis les anneacutees 1980montrent une baisse de la reacuteactiviteacute des poli-tiques de lrsquoemploi (Erhel et Levionnois 2013)en particulier pour les deacutepenses actives

Mecircme si les politiques nationales sont heacuteteacute-rogegravenes on relegraveve trois grands axes drsquointer-vention pour limiter les conseacutequences de lacrise sur le marcheacute du travail le soutien auxrevenus des chocircmeurs le maintien en emploiet le soutien agrave lrsquoemploi ou agrave la formation desdemandeurs drsquoemploi

2 Les deacutepenses pour lrsquoemploi entre 2004 et 2010 (en du PIB)

0

05

1

15

2

25

3

35

4

45

5

2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

DK FR ALL IR PB PT ES SE RU US

DK = Danemark FR = France ALL = Allemagne PB = Pays-Bas PT = Portugal ES = Espagne SE = Suegravede RU = Royaume-Uni US = Eacutetats-Unis

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 100

Le soutien aux revenusdes chocircmeurs

Lorsque le chocircmage augmente une par-tie de la reacuteaction des politiques de lrsquoemploiest automatique notamment sous lrsquoeffetde lrsquoaugmentation du montant des alloca-tions-chocircmage verseacutees Toutefois lors de lacrise de 2007-2008 un certain nombre depays sont alleacutes au-delagrave de ces ajustementsautomatiques et ont pris des mesures tem-poraires visant agrave ameacuteliorer lrsquoindemnisationdu chocircmage dans une optique de soutien aurevenu et de lutte contre la pauvreteacute (assou-plissement des critegraveres drsquoaccegraves agrave lrsquoassurance-chocircmage notamment pour les personnes enemploi temporaire ou encore augmentationde la dureacutee drsquoindemnisation) Ce type drsquoin-tervention est surtout marqueacute dans les paysougrave les allocations chocircmages sont peu geacuteneacute-reuses ainsi aux Eacutetats-Unis la dureacutee drsquoin-demnisation a eacuteteacute augmenteacutee en 2009 de 26 agrave99 semaines La France a maintenu sa dureacuteedrsquoindemnisation mais a adopteacute en 2010 desmesures temporaires ameacuteliorant la prise encharge des chocircmeurs en fin de droits

Le maintien en emploi

Un second type drsquointerventions a eu pourobjectif de faciliter le maintien en emploi desalarieacutes menaceacutes Le principal instrumentdont disposent les politiques de lrsquoemploidans cette perspective est le chocircmage partielqui permet de reacuteduire la dureacutee du travail encas de baisse drsquoactiviteacute pour lrsquoentreprise Cedispositif a fait lrsquoobjet drsquoune mobilisationspectaculaire en Allemagne ougrave il concer-nait 15 million de salarieacutes en juin 20091 EnFrance le dispositif de chocircmage partiel a eacuteteacutereacuteformeacute en janvier 2009 de maniegravere agrave eacutetendrela peacuteriode et le niveau drsquoindemnisation (Cala-vrezo et al 2009) mais son usage demeurelimiteacute Plus largement on notera que ce typedrsquooutil est essentiellement deacuteveloppeacute dansles pays drsquoEurope continentale mecircme si lenombre de salarieacutes concerneacutes est en pratiquefortement variable drsquoun pays agrave lrsquoautre selonlrsquoOCDE (OCDE 2010) le stock annuel moyen

de beacuteneacuteficiaires en 2009 varie entre 004 des personnes en emploi en Pologne et 56 en Belgique la France se situant agrave 08 etlrsquoAllemagne agrave 317

Ces mesures relevant de la politique publiquede lrsquoemploi srsquoaccompagnent parfois drsquoajus-tements neacutegocieacutes des salaires ou du tempsde travail internes aux entreprises quisrsquoappuient tout drsquoabord sur les partenairessociaux mais peuvent ecirctre encourageacutes par lespouvoirs publics comme en Allemagne ou auxPays-Bas avec les laquo pactes pour lrsquoemploi raquo EnFrance le projet de loi sur la seacutecurisation delrsquoemploi du 14 mai 2013 comporte ce type dedisposition favorisant la flexibiliteacute interneAu cas ougrave lrsquoentreprise rencontre de graves dif-ficulteacutes conjoncturelles un employeur pourraconclure pendant deux ans maximum unaccord avec des syndicats repreacutesentant plusde 50 des salarieacutes pour ameacutenager le tempsde travail et la reacutemuneacuteration (sans diminuerles salaires infeacuterieurs agrave 12 SMIC)

Les politiques actives

Mecircme si le recours aux politiques activescibleacutees apparaicirct globalement en retrait parrapport aux crises anteacuterieures (deacutebut desanneacutees 1990 par exemple) elles jouent un rocirclecontracyclique important Les emplois aideacutespermettent en effet drsquoeacuteviter lrsquoenfermementdans des trajectoires de chocircmage de longuedureacutee ou drsquoinactiviteacute prolongeacutees en Franceleur relance srsquoest principalement appuyeacutee surle secteur non marchand (CUI-CAE emploisdrsquoavenir depuis octobre 2012) Dans la plu-part des pays les mesures centreacutees sur lesjeunes (en particulier les non-diplocircmeacutes)occupent une place importante (Young Per-sonrsquos Guarantee au Royaume-Uni emploislaquo nouveau deacutepart raquo en Suegravede) ainsi que lesdispositifs drsquoaccompagnement des transi-tions professionnelles dans les restructura-tions industrielles qui concernent cependantdes effectifs beaucoup plus limiteacutes (contrat detransition professionnelle en France centresde mobiliteacute aux Pays-Bas) En parallegravele de cesdispositifs les reacuteformes engageacutees avant 2008

[1] Chiffres duministegravere du Travail

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 101

en matiegravere drsquoaccompagnement des chocircmeursse sont poursuivies (creacuteation de Pocircle emploien France ndash cf encadreacute ndash regroupements desservices au Danemark au niveau communalen 2009) ainsi que le deacuteveloppement des dis-positifs drsquoapprentissage pour les jeunes

Les politiques de rigueur meneacutees depuis 2010entrent en contradiction avec un recours plusimportant aux politiques de lrsquoemploi ellesse traduisent en particulier par des restric-tions de la dureacutee de lrsquoassurance-chocircmagey compris dans des pays de tradition geacuteneacute-reuse (passage de la dureacutee drsquoindemnisationde quatre agrave deux ans au Danemark) ainsi quepar des contraintes budgeacutetaires fortes pourles politiques actives

Les politiques de lrsquoemploi poursuivent desobjectifs multiples et parfois contradictoires par exemple lrsquoacquisition drsquoune formationqualifiante pour un chocircmeur peut retarderson retour agrave lrsquoemploi Toutefois elle favoriseen principe lrsquoaccegraves agrave des emplois plus stableset de meilleure qualiteacute et contribue donc pluslargement la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie

De fait lrsquoeacutevaluation des mesures est com-plexe surtout en peacuteriode de crise Selon uneeacutetude reacutecente il semblerait toutefois que les

dispositifs apportant un contenu en quali-fication aient des effets plus favorables enpeacuteriode de reacutecession dans la mesure ougrave ilspermettent lrsquoaccegraves agrave de meilleurs emploislors de la reprise alors que la probabiliteacute deretrouver un emploi immeacutediatement est faible(Forslund et al 2011) De mecircme bien que lebilan en termes de creacuteations nettes drsquoemploisoit mitigeacute les dispositifs drsquoemplois aideacutespeuvent eacuteviter les conseacutequences neacutegatives duchocircmage Ainsi les emplois jeunes de 1997semblent avoir bien joueacute leur rocircle drsquoinsertiondes jeunes agrave court terme sans peacutenaliteacute surleurs trajectoires drsquoemploi ulteacuterieures (mal-greacute un deacutesavantage salarial) Leurs effets surles trajectoires ulteacuterieures des beacuteneacuteficiairesdeacutependent toutefois du type drsquoemployeurs etde leurs strateacutegies vis-agrave-vis des beacuteneacuteficiairesce qui conduit agrave recommander un accompa-gnement par le service de lrsquoemploi afin depreacuteparer la sortie des dispositifs (Gomel etLopez 2012)

Cependant lrsquoaccompagnement et la reacuteflexionsur la qualiteacute des trajectoires se heurtentdans la plupart des pays agrave la restriction desdeacutepenses publiques qui limite les moyensdisponibles

CALAVREZO O DUHAUTOISR etWALKOWIAK E (2009) laquo Chocircmage partiel etlicenciements eacuteconomiques raquoConnaissance de lrsquoemploi mars ndeg 63

ERHEL C (2009) Les politiques de lrsquoemploi Paris PUF coll laquo Que sais-je raquo

ERHEL C et LEVIONNOISC (2013) laquo Les politiques

de lrsquoemploi et la laquo GrandeDeacutepression raquo du XXIe siegravecle raquoin Spieser C (ed) Lrsquoemploien temps de crise Liaisonssociales

ESPING-ANDERSEN G (1990) Les trois mondes de lrsquoEacutetat-providence Paris PUF

FORSLUND A FREDRIKSSONP etVIKSTROumlM J (2011) laquo WhatActive Labour Market Policy

Works in a Recession raquo IFAU Working Paper

GOMEL B et LOPEZ A(2012) laquo Effets des emplois-jeunes sur les trajectoiresprofessionnelles raquoConnaissance de lrsquoemploindeg 94 juillet

OCDE (2010) Perspectivesde lrsquoemploi Paris OCDE

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 102

POcircLE EMPLOIPocircle emploi est neacute le 19 deacutecembre 2009

de la fusion entre lrsquoAgence nationale

pour lrsquoemploi (ANPE) et les ASSEDIC Il

srsquoagit drsquoun eacutetablissement public dont les

missions principales sont lrsquoindemnisation

et le placement des demandeurs drsquoemploi

ainsi que lrsquoaide aux entreprises pour leurs

recrutements Pocircle emploi employait 45 418

personnes en eacutequivalent temps plein en 2008

Cette fusion ne concerne pas lrsquoUNEDIC qui

demeure un organisme indeacutependant geacutereacute par

les partenaires sociaux et responsable de la

gestion des fonds de lrsquoassurance-chocircmage et

des regravegles drsquoindemnisation

Lrsquoideacutee drsquoune telle fusion des fonctions

drsquoindemnisation et de placement nrsquoest pas

nouvelle mais diffeacuterents rapports consacreacutes

agrave cette question de lrsquoorganisation des services

aux chocircmeurs (rapport IGAS de 1994 rapport

Marimbert de 2004) avaient plutocirct souligneacute les

difficulteacutes de sa mise en œuvre notamment

du fait des statuts diffeacuterencieacutes des personnels

(droit priveacute cocircteacute ASSEDIC et fonctionnaires

ou droit public agrave lrsquoANPE) Elle srsquoinscrit dans

la continuiteacute de reacuteformes meneacutees ailleurs

en Europe en premier lieu au Royaume-Uni

degraves les anneacutees 1990 (avec la creacuteation des

Jobcentres puis des Jobcentres + en 2002) et

aboutissant agrave la mise en place de laquo guichets

uniques raquo pour les chocircmeurs Les objectifs

de ce type de reacuteforme institutionnelle sont

multiples simplifier les deacutemarches des

demandeurs drsquoemploi ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute

de leur suivi en liant indemnisation et aide agrave

la recherche drsquoemploi deacutegager des moyens

humains suppleacutementaires pour lrsquoaide agrave la

recherche drsquoemploi gracircce agrave la reacuteorganisation

etou reacuteduire les deacutepenses publiques pour

lrsquoemploi

Dans le cas franccedilais un certain nombre

de choix ont eacuteteacute faits pour cette nouvelle

institution Bien que Pocircle emploi soit un

eacutetablissement public son personnel est reacutegi

par le droit du travail et par une convention

collective speacutecifique Toutefois il a eacuteteacute laisseacute le

choix aux personnels de lrsquoANPE de conserver

leur statut de fonctionnaire ou drsquoadopter le

nouveau statut (en pratique en 2011 80

du personnel eacutetait sous statut priveacute) La

gouvernance de Pocircle emploi est tripartite

impliquant lrsquoEacutetat et les partenaires sociaux

et se traduisant par une convention tripartite

pluri-annuelle (la premiegravere concernait la

peacuteriode 2009-2011 la seconde 2012-2014)

Lrsquoorganisation est reacutegionaliseacutee avec des

directions reacutegionales responsables du suivi

de lrsquoactiviteacute dans la reacutegion participant agrave la

coordination des politiques de lrsquoemploi avec le

Preacutefet de reacutegion (et les DIRECCTES services

deacuteconcentreacutes du ministegravere du Travail) Une

reacuteorganisation territoriale est mise en œuvre

agrave partir des anciennes agences locales

de lrsquoANPE et des ASSEDIC aboutissant agrave

un millier drsquoagences preacutesentes sur tout le

territoire Le financement provient aux deux

tiers de lrsquoUNEDIC et le solde de lrsquoEacutetat En 2011

le budget srsquoeacutelevait agrave 4618 milliards drsquoeuros

Les missions de Pocircle emploi sont les

suivantes

ndash prospecter le marcheacute du travail afin

drsquoidentifier et de preacutevoir les eacutevolutions de

lrsquoemploi

ndash accueillir informer et accompagner les

demandeurs drsquoemploi

ndash inscrire les chocircmeurs sur la liste des

demandeurs drsquoemploi et controcircler leur

recherche drsquoemploi en appliquant des

sanctions le cas eacutecheacuteant

ndash assurer le versement des prestations

(allocation drsquoaide au retour agrave lrsquoemploi ndash ARE ndash

allocation de solidariteacute speacutecifique ndash ASS ndash)

Trois ans apregraves la reacuteforme le bilan semble

positif deux chocircmeurs sur trois se deacuteclaraient

satisfaits des services de Pocircle emploi en

2010 La mise en œuvre en peacuteriode de crise

a toutefois eacuteteacute difficile Degraves janvier 2009 Pocircle

emploi a ducirc faire face agrave une augmentation

journaliegravere de 3000 demandeurs drsquoemploi

alors qursquoil venait drsquoecirctre creacuteeacute Ceci a conduit agrave

une grande deacutesorganisation notamment pour

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 103

les contacts par les chocircmeurs mais eacutegalement

pour les deacutelais de traitement des demandes

drsquoinscription Du point de vue des salarieacutes de

Pocircle emploi il en a eacutegalement reacutesulteacute une

forte augmentation de leur charge de travail

conduisant agrave une monteacutee des risques psycho-

sociaux drsquoautant que la reacuteforme avait sous-

estimeacute la diffeacuterence entre les deux meacutetiers de

lrsquoindemnisation et du placement De maniegravere

plus structurelle la reacuteforme ne reacutesout pas

lrsquoinsuffisance des moyens en personnel du

service public de lrsquoemploi franccedilais souligneacutee

par les comparaisons internationales Un

rapport de lrsquoIGF de 2010 pointe ainsi un ratio

drsquoencadrement des demandeurs drsquoemploi

de 215 pour 10000 eacutequivalents temps plein

en France contre 221 au Royaume-Uni et

420 en Allemagne (il srsquoagit drsquoune deacutefinition

large incluant lrsquoensemble des personnels

intervenant dans lrsquoaide aux chocircmeurs y

compris les CAF en France qui prennent en

charge les beacuteneacuteficiaires du RSA) En ce qui

concerne la mission de services aupregraves des

employeurs les ratios sont plus favorables

pour la France avec 22 eacutequivalents temps

plein pour 10 000 chocircmeurs contre 10 au

Royaume-Uni et 18 en Allemagne

La modernisation des services se poursuit

dans le cadre de la convention tripartite 2012-

2014 et du plan strateacutegique 2015 Elle preacutevoit

notamment une personnalisation de lrsquoaide agrave

la recherche drsquoemploi en fonction des profils

des chocircmeurs et une territorialisation accrue

donnant plus drsquoautonomie agrave lrsquoeacutechelon reacutegional

Christine Erhel

SourcesRapport drsquoactiviteacute de Pocircle emploi 2011

IGF (2010) Eacutetude comparative des effectifs des

services publics de lrsquoemploi en France

en Allemagne et au Royaume-Uni

Seacutenat (2011) Rapport de la mission

drsquoinformation relative agrave Pocircle emploi ndeg 713

juillet

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 104

Embleacutematique des Trente Glorieuses sous la forme drsquoun soutien public aux laquo champions natio-naux raquo la politique industrielle a eacuteteacute abandonneacutee dans les anneacutees 1980 dans les pays deacuteve-loppeacutes au profit drsquointerventions plus transversales favorisant lrsquoenvironnement institutionnel et notamment la concurrence La laquo deacutesindustrialisation raquo dont souffrent les eacuteconomies avanceacutees avec la monteacutee en puissance des pays eacutemergents qui srsquoest renforceacutee depuis la crise lrsquoa tou-tefois replaceacutee parmi les prioriteacutes des gouvernements Apregraves un rappel des fondements de la politique industrielle Pierre-Noeumll Giraud fait le point sur son eacutevolution en insistant plus parti-culiegraverement sur les enjeux contemporains

Problegravemes eacuteconomiques

La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens

Des politiques industriellespour quoi faire Pourquoi faudrait-il des politiques indus-trielles De maniegravere geacuteneacuterale on reconnaicirctdeux motifs agrave lrsquoaction eacuteconomique de lrsquoEacutetat

ndash corriger les imperfections des marcheacutes ndashagrave condition que les interventions publiquesne soient pas encore plus inefficaces que desmarcheacutes mecircme imparfaits ndash

ndash modifier une reacutepartition des revenus jugeacuteeineacutequitable

Ce dernier cas ne concerne pas les politiquessectorielles La question de la leacutegitimiteacute eacuteco-nomique des politiques industrielles est donccelle de lrsquoexistence drsquoimperfections de marcheacutesqui seraient speacutecifiques agrave lrsquoindustrie Les acti-viteacutes polluantes nombreuses dans ce secteuren constituent une premiegravere source Lrsquoagricul-ture et certains services sont toutefois aussiconcerneacutes Corriger ces imperfections relegraveve

des politiques de protection de lrsquoenvironne-ment qui nrsquoont pas de speacutecificiteacute industrielleAinsi les politiques de lutte contre le change-ment climatique concernent tous les secteursde lrsquoeacuteconomie Il en est de mecircme des rende-ments croissants qui conduisent agrave des mono-poles naturels Lrsquoindustrie preacutesente nombre desituations de ce type mais elles sont traiteacuteespar les politiques geacuteneacuterales de concurrence etpar la reacuteglementation des monopoles naturelsque sont par exemple les grandes infrastruc-tures de transports drsquoeacutelectriciteacute de gaz drsquoeauet ferroviaires Ici encore pas de speacutecificiteacuteproprement industrielle Les politiques deprotection de la proprieacuteteacute intellectuelle sontcruciales pour stimuler lrsquoinnovation danslrsquoindustrie mais pas seulement et elles ne luisont pas speacutecifiques

PIERRE-NOEumlL GIRAUD

Mines ParisTech et Universiteacute Paris-Dauphine

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS105

Existe-t-il alors des interventions publiquesleacutegitimes qursquoon puisse regrouper sous leterme de laquo politique industrielle raquo Dans lespays les plus riches la reacuteponse de la plu-part des eacuteconomistes et des gouvernementsdepuis une trentaine drsquoanneacutees a eacuteteacute neacutegativeLrsquoEacutetat doit se contenter de creacuteer un environ-nement geacuteneacuteral favorable agrave lrsquoensemble desactiviteacutes eacuteconomiques quel que soit le sec-teur primaire secondaire ou tertiaire Celapasse par un Eacutetat de droit et une bonnelaquo gouvernance raquo publique une fiscaliteacute stableet preacutevisible une politique de concurrenceune politique de protection de la proprieacuteteacuteintellectuelle et enfin la fourniture drsquoun cer-tain nombre de biens publics protectionde lrsquoenvironnement eacuteducation et recherchefondamentale Et surtout lrsquoEacutetat doit se gar-der de creacuteer des entreprises publiques dansle domaine de la production de biens et ser-vices pour des marcheacutes concurrentiels cardans ce domaine une bureaucratie publiqueest censeacutee ecirctre toujours moins efficace quela mise en concurrence des entreprises pri-veacutees motiveacutees par la recherche du profit Agrave larigueur des monopoles naturels tels que lesgrands reacuteseaux peuvent ecirctre geacutereacutes par desentreprises publiques Mais ces derniegraveresdeacutecennies la deacuteleacutegation de la gestion de cesmonopoles agrave des firmes priveacutees eacutetroitementreacuteglementeacutees ce qursquoon a appeleacute un laquo parte-nariat public-priveacute raquo fut dans ces domainesaussi consideacutereacutee comme plus efficace

Et pourtant les politiques industrielles onteacuteteacute omnipreacutesentes et massives dans les pro-cessus de rattrapage de la puissance eacutecono-mique et politique dominante par des Eacutetatsinitialement en retard industriel depuisqursquoau milieu du XIXe siegravecle Friedrich List ajustifieacute la laquo protection des industries nais-santes raquo Crsquoest encore le cas aujourdrsquohui dansles pays dits eacutemergents comme la ChinelrsquoInde ou le Breacutesil

Dans une premiegravere section nous eacutevoquonsces politiques de rattrapage leurs justifica-tions leurs succegraves et leurs eacutechecs Le fait nou-veau est qursquoaujourdrsquohui dans certains pays

drsquoEurope dont la France ougrave la deacutesindustria-lisation finit par creuser drsquoinquieacutetants deacutefi-cits exteacuterieurs les politiques industriellesreviennent agrave lrsquoordre du jour Nous explique-rons leur retour et les deacutecrirons dans uneseconde section

Les politiques industriellesdans les pays en rattrapage creacuteer des laquo champions nationaux raquo

laquo Proteacuteger les industriesnaissantes raquo les exemplesallemand franccedilais et ameacutericainagrave la fin du XIXe siegravecle

La justification de la protection des indus-tries naissantes est fondeacutee sur lrsquoexistencedans nombre drsquoindustries de rendementsdrsquoeacutechelle croissants et drsquoeffets drsquoapprentis-sage Supposons que dans un pays une entre-prise ait pris vingt ans drsquoavance dans uneactiviteacute ougrave existent des eacuteconomies drsquoeacutechellendash plus la production annuelle est importanteplus le coucirct unitaire est bas ndash et des eacutecono-mies drsquoapprentissage ndash les coucircts diminuentavec la production cumuleacutee donc avec lrsquoan-cienneteacute de la production ndash Une entreprisequi voudrait deacutevelopper cette industrie dansun autre pays (et drsquoailleurs aussi bien dansle pays pionnier) produirait neacutecessairementagrave des coucircts plus eacuteleveacutes Drsquoabord parce qursquoaudeacutepart au moins elle produirait des quan-titeacutes plus faibles et parce qursquoelle nrsquoauraitpas encore accumuleacute assez drsquoexpeacuterience Ensituation de libre eacutechange elle nrsquoaurait doncaucune chance face agrave lrsquoentreprise pionniegraverealors que proteacutegeacutee pendant les anneacutees de samonteacutee en puissance et en expeacuterience ellepourrait ensuite faire jeu eacutegal avec elle

Au milieu du XIXe siegravecle alors que la Grande-Bretagne puissance dominanteavait pris une avance consideacuterable dans lrsquoindustrie et procircnait le libre eacutechange sui-vant en cela les recommandations de David

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 106

Ricardo formuleacutees degraves 1820 lrsquoeacuteconomiste allemand Friedrich List consideacuterant qursquoune industrie moderne est indispensable agrave la puissance drsquoune nation preacuteconisait au contraire la protection des industries nais-santes par des barriegraveres douaniegraveres mais aussi par des aides publiques directesdes marcheacutes publics reacuteserveacutes et drsquoautres mesures de soutien Crsquoest ce que feront avec succegraves lrsquoAllemagne la France les Eacutetats-Unis agrave la fin du XIXe siegravecle et au deacutebut du XXe En revanche certains pays drsquoAmeacuterique latine connaicirctront dans les anneacutees 1930 des eacutechecs cuisants avec ces mecircmes politiquesLes industries initialement proteacutegeacutees ne parviendront jamais agrave rattraper celles des pays pionniers mais deviendront des bou-lets pour le budget de lrsquoEacutetat et finiront par sombrer sans doute parce que le marcheacute inteacuterieur eacutetait trop eacutetroit pour que les indus-tries naissantes connaissent une vive com-peacutetition interne indispensable substitut agrave la compeacutetition internationale dont elles eacutetaient proteacutegeacutees Ces politiques nrsquoont fait que creacuteer des rentes au profit de monopoles locaux et au deacutetriment des consommateurs et des contribuables

Le soutien aux laquo championsnationaux raquo dans les paysindustrialiseacutes au coursdes Trente Glorieuses

Apregraves la Seconde Guerre mondiale la puis-sance eacuteconomique des Eacutetats-Unis est sansrivale Le Japon reconstruit alors son indus-trie en la proteacutegeant Le ceacutelegravebre MITI leministegravere de lrsquoindustrie et du commerce exteacute-rieur seacutelectionne deux ou trois laquo championsnationaux raquo par branche organise entre euxune feacuteroce compeacutetition sur le marcheacute inteacute-rieur les aide en matiegravere de recherche etdrsquoinnovation puis quand ils sont suffisam-ment compeacutetitifs les autorise agrave se lancer agravela conquecircte des marcheacutes mondiaux ce qursquoilsferont avec le succegraves que lrsquoon sait eacutebranlantdans les anneacutees 1980 la supeacuterioriteacute indus-trielle ameacutericaineAvec vingt ans de deacutecalage

les laquo tigres raquo du Sud-Est asiatique la Coreacuteedu Sud et Taiwan adopteront le mecircme type depolitique industrielle

En France les gouvernements du Geacuteneacuteralde Gaulle et de Georges Pompidou megravenentune politique active de soutien agrave des entre-prises priveacutees pour en faire des championsnationaux creacuteent ex nihilo des entreprisespubliques dans des secteurs jugeacutes indis-pensables agrave la puissance et lrsquoindeacutependancede la nation tels que la deacutefense et lrsquoeacutenergie(peacutetrole nucleacuteaire) et participent activementagrave la creacuteation drsquoune industrie europeacuteenne delrsquoaeacuteronautique (Airbus) et de lrsquoespace (ArianeEspace) qui feront bientocirct jeu eacutegal avec lrsquoin-dustrie ameacutericaine

Les Eacutetats-Unis ne sont pas de reste Bien quele terme de laquo politique industrielle raquo ait fortmauvaise reacuteputation dans un pays ougrave lrsquoideacuteo-logie eacuteconomique officielle est que le gouver-nement ne doit pas se mecircler du laquo business raquo ille fait cependant en particulier en proteacutegeantdes acquisitions eacutetrangegraveres les secteurs jugeacuteslaquo strateacutegiques raquo par lrsquointermeacutediaire drsquoimpor-tants contrats de recherche et deacuteveloppement(RampD) lieacutes aux activiteacutes militaires et par lefinancement public de la recherche (le deacuteve-loppement du protocole internet a eacuteteacute financeacutepar des subventions militaires)

Des politiques propres aux payseacutemergents depuis les anneacutees 1980

Cependant agrave partir des anneacutees 1980 lesanciens champions nationaux de la laquo triade raquo(Eacutetats Unis Europe Japon) deviennent desfirmes laquo globales raquo qui investissent partoutdans le monde et relacircchent leurs relationsprivileacutegieacutees avec leur territoire drsquoorigine etson gouvernement Dans ces pays commeon lrsquoa dit les politiques industrielles secto-rielles et le soutien aux champions tendent agravedisparaicirctre et agrave se dissoudre dans des poli-tiques laquo horizontales raquo drsquoenvironnement favo-rable aux activiteacutes eacuteconomiques dans leurensemble

Il nrsquoen est rien cependant dans les grands payseacutemergents qui entament leur rattrapage la

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS107

Chine lrsquoInde le Breacutesil et mecircme la Russie Ilsmettent en œuvre des politiques industriellestregraves actives visant agrave faire eacutemerger des firmesinternationalement compeacutetitives dans pra-tiquement tous les secteurs industriels enutilisant toutes les armes agrave leur disposition protection de leur marcheacute inteacuterieur incita-tions aux investissements directs des firmesglobales et aux laquo joint ventures raquo avec lesfirmes locales pour transfeacuterer les savoirs et lessavoir-faire irrespect des normes eacutetrangegraveresconcernant la proprieacuteteacute intellectuelle subven-tions financement bancaire privileacutegieacutehellip

Le retour de la politiqueindustrielle en Europe

La politique de compeacutetitiviteacuteallemande et ses conseacutequences

Sans employer le terme de politique indus-trielle lrsquoAllemagne a ouvert en Europe unenouvelle peacuteriode avec les lois Hartz adopteacuteesen 2003-2005 sous le gouvernement social-deacutemocrate-vert de Gerhard Schroumlder Ces loislonguement neacutegocieacutees avec les syndicatsreacuteforment en profondeur certains aspects dulaquo modegravele social raquo allemand Elles visent enabaissant le coucirct du travail et en deacuteveloppantsa laquo flexibiliteacute raquo agrave augmenter la compeacutetitiviteacuteinternationale des entreprises exportatricesqui en Allemagne sont pour lrsquoessentiel desentreprises industrielles

Conseacutequence la compeacutetitiviteacute relative desautres pays drsquoEurope srsquoeacuterode Certainscomme la France traditionnellement exporta-teurs nets de biens manufactureacutes deviennentdeacuteficitaires En dix ans le solde de la balancecommerciale des biens manufactureacutes estpasseacute drsquoun exceacutedent drsquoenviron 25 milliardsdrsquoeuros agrave un deacuteficit du mecircme montant Quantau deacuteficit en eacutenergie et matiegraveres premiegraveresil oscille autour de 50 milliards drsquoeuros Lafinance globale permet certes agrave un pays devivre quelques anneacutees en deacuteficit commercialen srsquoendettant agrave lrsquoeacutetranger Mais on ne peut

srsquoendetter indeacutefiniment et il faut donc trouverles moyens de reacuteduire le deacuteficit commercial

Les services et lrsquoindustriede haute technologie insuffisantspour combler le deacuteficit exteacuterieur

Or en la matiegravere nous devons nous deacutefaireau plus vite de deux illusions encore tenacesLa premiegravere est que les exportations de ser-vices pourraient combler les deacuteficits indus-triels Les services ne repreacutesentent que 20 du commerce mondial une part stable depuisdix ans En 2010 le solde positif des eacutechangesde services de tourisme un secteur ougrave pour-tant la France excelle srsquoeacutelevait agrave 53 milliardsdrsquoeuros Dans le mecircme temps les autres ser-vices affichaient un deacuteficit de 12 milliarddrsquoeuros Espegravere-t-on que leur deacuteveloppementcomblera le deacuteficit industriel

La seconde illusion est qursquoil suffirait de conforter nos points forts dans les indus-tries de haute technologie (aeacuteronautiquepharmacie eacutelectronique deacutefense) ou de marques (luxe une partie de lrsquoagroalimen-taire etc) Ces deux secteurs ne repreacutesen-tent que 18 de la valeur ajouteacutee et 12 de lrsquoemploi industriel en France Depuis cinq ans ils ont agrave peine reacuteussi agrave mainte-nir le nombre de leurs emplois tandis que des secteurs repreacutesentant 40 des emplois industriels sont menaceacutes de disparition si les tendances actuelles agrave la deacutesindustriali-sation se poursuivent1

En reacutealiteacute les distinctions entre industrieset services ou entre haute et basse technolo-gie sont deacutepasseacutees Lrsquoindustrie et les servicesforment deacutesormais un systegraveme inteacutegreacute Pasde services sans infrastructures de reacuteseauxsans biens drsquoeacutequipement et de consomma-tion Pas drsquoindustrie sans de nombreux ser-vices drsquoailleurs souvent externaliseacutes Il estpar ailleurs absurde drsquoimaginer une divisioninternationale du travail entre pays laquo intel-lectuels raquo concepteurs et creacuteateurs et payslaquo manuels raquo fabricants et exeacutecutants On nepeut en effet innover durablement loin desusines et des consommateurs

[1] Chiffres extraitsdrsquoune eacutetude du

McKinsey GlobalInstitute posteacutee sur sonsite en 2011 Reproduits

dans Giraud P-Net Weil T (2013)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 108

Emplois nomadesemplois seacutedentaires

Pour mieux analyser la dynamique de la glo-balisation il faut deacutesormais distinguer lesemplois laquo nomades raquo et laquo seacutedentaires raquo2 Lespremiers sont les emplois directement expo-seacutes agrave la compeacutetition internationale car ilsproduisent des biens et des services eacutechan-geables internationalement Ce sont lesemplois de lrsquoindustrie manufacturiegravere maisaussi de lrsquoagriculture et de certains servicescomme le tourisme ainsi que de maniegraverecroissante les services qui peuvent ecirctre ren-dus agrave distance gracircce agrave internet certains ser-vices aux entreprises services financiers deconseil de comptabiliteacute les laquo call centers raquo etchellip Ces emplois sont par nature laquo deacuteloca-lisables raquo degraves qursquoils perdent leur compeacutetiti-viteacute dans un pays donneacute ils reacuteapparaissentmais dans un autre Les emplois seacutedentairesquand agrave eux produisent exclusivement desbiens et services consommeacutes localement Lagrande majoriteacute sont des emplois de service santeacute eacuteducation administration publiqueservices agrave la personne commerce de deacutetailtransports nationaux mais pas seulement Lebacirctiment et les travaux publics les industriesde mateacuteriaux de construction qui voyagentpeu comme le ciment la production et ladistribution drsquoeau drsquoeacutelectriciteacute offrent desemplois seacutedentaires

Dans chaque pays les travailleurs laquo seacuteden-taires raquo ont tout inteacuterecirct agrave ce que les emploislaquo nomades raquo localiseacutes sur leur territoire soientnombreux et tregraves bien payeacutes car dans ce casils achegravetent en plus grande quantiteacute les bienslocaux que les seacutedentaires produisent et ilsles laquo tirent raquo ainsi vers le haut En revancheles travailleurs laquo nomades raquo ont inteacuterecirct agrave ceque leurs laquo seacutedentaires raquo soient pauvres afinqursquoils leur fournissent des biens et serviceslocaux agrave bas prix dont certains sont des fac-teurs de production Ainsi un informaticienindien formeacute agrave Stanford et rentreacute agrave Banga-lore aura un salaire bien infeacuterieur agrave celui deson collegravegue resteacute en Californie Il sera doncagrave compeacutetence eacutegale plus compeacutetitif que lui

dans lrsquoaregravene mondiale des services infor-matiques Cependant il vivra mieux avec cesalaire agrave Bangalore qursquoagrave Palo Alto En effeten Inde on peut srsquooffrir une tregraves belle maisonet trois domestiques pour beaucoup moinsdrsquoargent qursquoen Californie les ouvriers dubacirctiment et les fournisseurs de services agrave lapersonne y eacutetant encore tregraves pauvres

Cette divergence drsquointeacuterecircts entre emploisnomades et seacutedentaires au sein drsquoun mecircmeterritoire signe la fin de la solidariteacute eacutecono-mique objective du modegravele des Trente Glo-rieuses On assiste au contraire agrave lrsquoextensiondu laquo modegravele indien raquo ougrave des icirclots de prospeacute-riteacute peupleacutes de travailleurs nomades globa-liseacutes peu nombreux mais tregraves riches flottentsur un oceacutean de seacutedentaires pauvres Or lesEacutetats-Unis dans une moindre mesure lrsquoAlle-magne et mecircme la France se rapprochentde ce modegravele tregraves ineacutegalitaire En 2008 lenombre drsquoemplois nomades nrsquoest plus que de11 aux Eacutetats Unis 15 en France et 21 en Allemagne Dans ces deux derniers paysil a diminueacute de pregraves drsquoun tiers en vingt ansLa valeur ajouteacutee par emploi nomade est auxEacutetats Unis de 43 supeacuterieure agrave la valeurajouteacutee par emploi seacutedentaire de 15 enAllemagne Les eacutecarts de revenus salariauxentre les nomades et les seacutedentaires se sontaccrus de 30 en Allemagne Ce pays estdeacutesormais confronteacute agrave un nombre significatifde laquo travailleurs pauvres raquo essentiellementdans les secteurs seacutedentaires avec en 201071 des actifs gagnant moins de 940 eurospar mois et 75 millions drsquoemployeacutes avec unsalaire horaire infeacuterieur agrave 926 euros bruts

Quelle politique industrielleen France et en Europe Pour inverser cette tendance et maintenircreacuteer et attirer en France beaucoup plusdrsquoemplois nomades il faut absolument deacuteve-lopper lrsquoindustrie manufacturiegravere et lesservices nomades Cela exige drsquoagir agrave troisniveaux ougrave se deacutecline donc un programme

[2] Sur ces conceptset leur usagecf Giraud P-N (2012)La mondialisationEacutemergences etfragmentations AuxerreSciences HumainesEacuteditions

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS109

de politique industrielle pour la France etlrsquoEurope aujourdrsquohui

Premier niveau laquo balayer devant notre porte raquo

Il est impeacuteratif drsquoagir au niveau national pourcombler lrsquoeacutecart de compeacutetitiviteacute qui srsquoestcreuseacute avec les meilleurs Europeacuteens lrsquoAlle-magne et la Suegravede Les raisons du deacutecrochagede lrsquoindustrie franccedilaise sont bien identifieacuteesLa plupart de nos faiblesses relegravevent drsquoundeacuteficit de laquo capital social raquo de confiance entreles nombreuses parties prenantes Les effortsagrave fournir concernent notamment la formationinitiale et permanente les relations socialesla gouvernance et le financement des entre-prises une fiscaliteacute non peacutenalisante lisible etstable un financement des transferts sociauxqui pegravese moins sur le travail plus de solida-riteacute et de relations entre les acteurs pour deacuteve-lopper des synergies territoriales et au seindes filiegraveres une simplification des rapportsaux administrations Tout cela au servicedrsquoune indispensable laquo monteacutee en gamme raquopermettant de reconstituer les marges desentreprises et de retrouver une compeacutetitiviteacutecomparable agrave celle des meilleurs EuropeacuteensLrsquoessentiel de cet effort repose sur les entre-prises elles-mecircmes et leur parties prenantesMais lrsquoEacutetat peut et doit les soutenir Le rap-port Gallois (2013) deacutecrit en deacutetail ces actionsde politique eacuteconomique dont lrsquoessentielsont horizontales srsquoadressant au tissu pro-ductif dans son ensemble et non agrave tel secteuren particulier

Deuxiegraveme niveau lrsquoEurope

Agrave lrsquoeacutechelon europeacuteen la prioriteacute est drsquoeacutevi-ter que la concurrence entre pays membrespousse chacun au moins-disant social et fiscaldans une course suicidaire Il srsquoagit ensuitede reconnaicirctre qursquoil est impossible que lrsquoEu-rope du Nord ndash avec son hinterland lrsquoEuropede lrsquoEst ndash se speacutecialise seule dans lrsquoindustrieQue lui vendront alors les pays drsquoEurope duSud Du tourisme De lrsquohuile drsquoolive et duvin Il faut donc eacutelaborer et mettre en œuvre

une politique industrielle strateacutegique euro-peacuteenne qui favorise une meilleure reacutepartitionde lrsquoindustrie au sein des territoires et contri-bue ainsi agrave la convergence des eacuteconomies despays de lrsquoUnion

Troisiegraveme niveau le monde

LrsquoEurope si elle srsquoengage dans la voie duregraveglement de ses problegravemes internes quisont consideacuterables doit aussi neacutegocier avecles pays eacutemergents la question de la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie En raison degigantesques imperfections de marcheacute et dedeacutefauts manifestes de coopeacuteration la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie est aujourdrsquohuifortement sous-optimale Il y en a dramati-quement trop peu en Afrique le geacuteant deacutemo-graphique de demain Il y en a deacutesormaistrop peu en Europe et en Ameacuterique du NordEn Asie agrave lrsquoinverse elle est trop extravertieIl serait eacutevidemment dans lrsquointeacuterecirct collectifque les firmes des pays asiatiques eacutemergentsmais aussi du Breacutesil investissent encore plusmassivement dans lrsquoindustrie manufactu-riegravere en Afrique que les pays eacutemergents serecentrent sur leur marcheacute inteacuterieur et sefixent comme objectif de reacuteduire les immensesineacutegaliteacutes qui se sont creuseacutees ou persistenten leur sein et qursquoenfin lrsquoEurope cesse de sedeacutesindustrialiser en deacutetruisant de maniegraveremassive un capital humain et social qursquoil seratregraves difficile voire impossible de reconstituerlorsque les pays eacutemergents auront perdu leurcompeacutetitiviteacute dans des segments entiers deschaicircnes de valeur ougrave ils excellent aujourdrsquohui

Pour parvenir agrave une meilleure reacutepartition agravelong terme fort beacuteneacutefique agrave tous de lrsquoindus-trie mondiale il est indispensable de privileacute-gier la neacutegociation et la coopeacuteration avec lespays eacutemergents Une combinaison neacutegocieacuteede politiques macro-eacuteconomiques de changeet industrielles est certainement le meilleurmoyen drsquoatteindre les objectifs de reacuteeacutequili-brage de lrsquoindustrie-services dans le mondeMais dans toute neacutegociation il faut disposerdrsquoun plan B Nous avons proposeacute qursquoen casdrsquoimpossibiliteacute de neacutegocier lrsquoEurope impose

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 110

dans certaines industries des normes devaleur ajouteacutee locale minimale pour avoiraccegraves au marcheacute europeacuteen agrave lrsquoimage de ceque font les pays eacutemergents comme la Chineainsi que des standards environnementauxplus strict et eacutequivalents agrave ceux qursquoelle srsquoim-pose agrave elle-mecircme Le maicirctre mot est ici laquo reacuteci-prociteacute raquo avec des pays qui sont deacutesormaissur le plan technologique des eacutegaux

En France ce qui est essentiel aujourdrsquohuiest de prendre conscience de lrsquoimportance deces enjeux de lrsquourgence drsquoavancer simultaneacute-ment sur les trois fronts qui viennent drsquoecirctreeacutevoqueacutes et de se remettre agrave laquo aimer notreindustrie raquo3

GALLOIS L (2013) laquo Pactepour la compeacutetitiviteacute delrsquoindustrie franccedilaise raquo rapportau Premier Ministre ParisLa Documentation franccedilaise

GIRAUD P-N etWEIL T(2013) Lrsquoindustrie franccedilaisedeacutecroche-t-elle ParisLa Documentation franccedilaisecoll laquo Docrsquoen poche raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

[3] Ces analyses etces propositions sontdeacuteveloppeacutees dans Giraud P-N et WeilThierry (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION111

MICHEL RAINELLI

Universiteacute Nice Sophia Antipolis

Lrsquoobjectif de la politique commerciale est de modifier les flux des eacutechanges commerciaux dans un sens favorable agrave la nation geacuteneacuteralement en augmentant les exportations et en diminuant les importations dans le but de favoriser les entreprises domestiques et de sauvegarder des emplois Depuis lrsquoapregraves-guerre la politique commerciale des pays industrialiseacutes est largement orienteacutee par la libeacuteralisation multilateacuterale des eacutechanges orchestreacutee par le GATT puis lrsquoOMC Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances dans le cadre de la mondialisation a toutefois consideacute-rablement accru la concurrence internationale pour les pays avanceacutes ce qui a fait ressurgir la tentation protectionniste et exacerbeacute les tensions Nord-Sud La crise nrsquoa fait qursquoaggraver la situation Le blocage du cycle de Doha pour le deacuteveloppement patent depuis 2005 lrsquoatteste Selon Michel Rainelli il ne faudrait toutefois pas en conclure agrave une fin des accords de libre-eacutechange et de lrsquoinfluence de lrsquoOMC celle-ci reste essentielle sur le plan de la gestion des diffeacuterends commerciaux et de nombreux accords bilateacuteraux pallient en partie les faiblesses actuelles du multilateacuteralisme

Problegravemes eacuteconomiques

La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation

Lrsquoobjectif de la politique commerciale estdrsquoinfluencer les flux des eacutechanges interna-tionaux les nations cherchant agrave deacutevelop-per leurs exportations agrave restreindre leursimportations ou encore agrave jouer simultaneacute-ment sur les deux Sans cette intervention leseacutechanges entre les pays srsquoexpliqueraient parles diffeacuterents deacuteterminants eacutetudieacutes par lestheacuteories du commerce international commepar exemple les avantages comparatifs lesrendements drsquoeacutechelle croissants la diffeacute-renciation des produits mais aussi par les

obstacles geacuteographiques les coucircts du trans-port des marchandises etc1

La politique commerciale a donc pour butde modifier la speacutecialisation internationalelaquo spontaneacutee raquo Lrsquoobjectif principal est drsquoaug-menter par une baisse des importations ouune promotion des exportations le niveaudrsquoactiviteacute de lrsquoeacuteconomie du pays principa-lement pour agir sur le niveau de lrsquoemploiLes gouvernements disposent drsquoune gammedrsquoinstruments importante lorsqursquoil srsquoagitdrsquoinfluencer leurs importations alors quelrsquoaction sur les exportations repose sur desvariables moins nombreuses et surtout plusindirectes La politique commerciale effecti-vement mise œuvre par les gouvernementsest tregraves deacutependante de lrsquoenvironnement[1] Voir Rainelli M (2009)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 112

eacuteconomique geacuteneacuteral et de la conjoncture lespeacuteriodes de crise eacutetant caracteacuteriseacutees par destensions protectionnistes tandis que la crois-sance favorise le libre-eacutechange Mais la poli-tique commerciale deacutepend aussi fortementdes caracteacuteristiques du commerce internatio-nal et de lrsquoexistence drsquoorganisations interna-tionales deacutedieacutees agrave la reacutegulation des eacutechanges

Les instrumentsde la politique commercialeAgir sur les importationsIl existe de nombreuses possibiliteacutes permet-tant de rencheacuterir les prix des biens et ser-vices importeacutes ou agrave lrsquoextrecircme drsquointerdireleur accegraves au marcheacute

Lrsquoinstrument classique est lrsquoinstauration drsquoundroit de douane qui augmente le prix du biensur le marcheacute national et assure de surcroicirctdes recettes fiscales Crsquoest la forme la plusancienne du protectionnisme connue sousle nom de barriegraveres tarifaires Il existe parailleurs un ensemble de mesures regroupeacuteessous le nom de barriegraveres non tarifaires quirecouvrent des instruments divers comme lerecours agrave des limitations quantitatives drsquoac-cegraves au marcheacute avec des quotas (les importa-tions ne peuvent concerner qursquoun contingentdu marcheacute national) lrsquoinstauration de normestechniques ou sanitaires qui empecirccherontdes produits eacutetrangers ne les satisfaisantpas drsquoecirctre vendus dans le pays ou encore desreacuteglementations diverses Dans tous les cassoit via une augmentation des prix soit viaune restriction de lrsquoaccegraves au marcheacute lrsquoins-tauration de barriegraveres tarifaires ou non tari-faires permet de proteacuteger les producteursnationaux de la concurrence eacutetrangegravere

Agir sur les exportationsLorsqursquoune nation veut promouvoir ses expor-tations elle cherche agrave diminuer les coucircts pourles entreprises preacutesentes agrave lrsquointernationaldonc agrave abaisser leurs prix sur le marcheacute mon-dial lrsquooutil le plus eacutevident est alors celui de

subventions agrave la production ou la diminu-tion des charges pesant sur les entreprisesexportatrices Les pouvoirs publics peuventaussi jouer sur drsquoautres paramegravetres influantla speacutecialisation internationale en favori-sant les innovations par des subventions agrave larecherche et deacuteveloppement (RampD) en faci-litant les transferts entre recherche publiqueet recherche priveacutee Ils peuvent eacutegalementdeacutevelopper une politique drsquoattraction drsquoen-treprises eacutetrangegraveres qui exporteront agrave par-tir de leur nouveau territoire drsquoimplantationPour lrsquoessentiel ces diffeacuterentes interventionsrelegravevent de la politique industrielle2 Uneautre option est en preacutesence de barriegraveres aucommerce international drsquoentrer dans desneacutegociations avec drsquoautres nations afin delibeacuteraliser les eacutechanges

Les actions sur le taux de changeUne autre politique publique a un impact surles flux commerciaux mecircme si ce nrsquoest pasneacutecessairement sa fonction premiegravere il srsquoagitde la politique moneacutetaire qui peut influencerle taux de change Ainsi une politique moneacute-taire expansive conduit agrave une deacutepreacuteciation dela monnaie nationale qui diminue le prix desexportations et augmente celui des impor-tations Lrsquoexemple japonais entre la fin 2012et le deacutebut 2013 en est une parfaite illustra-tion lrsquoinjection massive de liquiditeacutes par laBanque centrale du Japon avec un objectifde doublement de la quantiteacute de monnaie encirculation dans un deacutelai de deux ans a pourobjectif premier de sortir le pays de la deacutefla-tion en favorisant lrsquoinflation Mais cette poli-tique a un effet secondaire conduisant entrenovembre 2012 et mars 2013 agrave une baisse deplus de 20 du taux de change du yen parrapport au dollar Cependant les premiersreacutesultats indiquent que les importations ontcrucirc plus rapidement que les exportations etdonc que le deacuteficit commercial srsquoest dans unpremier temps creuseacute Le pari des autoriteacutesjaponaises est que le mouvement srsquoinverseradans un deuxiegraveme temps et que la deacutepreacutecia-tion du yen va contribuer agrave lrsquoaccroissementdes exportations (cf zoom)

[2] Sur la politiqueindustrielle voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de P-N Giraudpp 104-110

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 113

Le recours par un gouvernement aux instru-ments de la politique commerciale deacutependde la croyance dans ses effets sur lrsquoeacuteconomienationale et du contexte geacuteneacuteral

Les orientations de la politiquecommercialeLes controverses de lrsquoanalyseeacuteconomiqueLes preacuteconisations de lrsquoanalyse eacuteconomiqueen matiegravere de politique commerciale sontcontroverseacutees Il existe une opposition degravesle XIXe siegravecle entre les deacutefenseurs du libre-eacutechange David Ricardo eacutetant le plus ceacutelegravebreagrave cette eacutepoque et drsquoautres qui considegraverentagrave lrsquoinstar de Frederich List qursquoune protec-tion temporaire de la nation est un preacute-alable indispensable au deacuteveloppementeacuteconomique Le deacutebat entre ces deux thegravesesest constant les deacuteveloppements de lrsquoanalyseeacuteconomique conduisant agrave des reformulations

et agrave de nouveaux arguments comme cela aeacuteteacute le cas dans les anneacutees 1980 avec la theacuteoriede la politique commerciale strateacutegique deacuteve-loppeacutee par Paul Krugman3 La politique com-merciale adopteacutee deacutepend donc de lrsquoadheacutesiondu gouvernement en place agrave la supeacuterioriteacute dulibre-eacutechange sur le protectionnisme maisaussi de la capaciteacute des groupes de pressionagrave traduire la deacutefense de leurs inteacuterecircts dansles options de lrsquoaction publique En effet lecommerce international toutes choses eacutegalespar ailleurs a un impact positif sur les sec-teurs exportateurs et neacutegatif sur les secteursconcurrenceacutes par les importations principa-lement par lrsquoaction de la concurrence interna-tionale sur les prix Les agents eacuteconomiquessalarieacutes et capitalistes affecteacutes par la concur-rence internationale sont donc tregraves inciteacutes agravedeacutefendre une politique protectionniste quiles proteacutegera et eacutevitera une remise en causede leurs emplois ou de leurs profits Dans lemecircme temps les agents qui beacuteneacuteficient dudeacuteveloppement des exportations seront pous-seacutes agrave deacutefendre le libre-eacutechange par crainte de

TTAAUX DE CHANGEUX DE CHANGEET SOET SOLLDE CDE COMMEROMMERCIACIALLSelSelon la theacuteorie eacutecon la theacuteorie eacuteconomique lonomique lrsquoameacuteliorrsquoameacuteliorationation

du solde cdu solde commerommercial qui peut ecirctrcial qui peut ecirctre atte attendueendue

drsquoune deacuteprdrsquoune deacutepreacuteciation du teacuteciation du taux de change nrsquoesaux de change nrsquoestt

ni immeacutediatni immeacutediate ni aute ni automatique Ellomatique Elle deacutepende deacutepend

de cde certertaines caines conditions et surtonditions et surtout ellout elle nee ne

se prse produit en geacuteneacuteroduit en geacuteneacuteral qursquoapral qursquoapregraves un tegraves un tempsemps

drsquoajusdrsquoajusttementement

Dans lDans le ce cas las le plus clase plus classique lsique le soldee solde

ccommerommercial suit une laquocial suit une laquo ccourbe en Jourbe en J raquoraquo

la deacuteprla deacutepreacuteciation de la monnaie nationaleacuteciation de la monnaie nationalee

ccommencommence par deacutete par deacuteteacuterioreacuteriorer ler le solde ce solde commerommercialcial

En effEn effet crsquoeset crsquoest dans un prt dans un premier temier temps lemps lrsquo laquorsquo laquo effeffet-et-

prixprix raquo qui domineraquo qui domine la bais la baisse du changese du change

rrencheacuterit lencheacuterit les biens importes biens importeacutes reacutes relativelativementement

aux biens eaux biens exportxporteacutes Si leacutes Si les ves volumes eacutechangeacutesolumes eacutechangeacutes

rresesttent lent les mecircmes les mecircmes le solde ce solde commerommercial secial se

crcreuse auteuse automatiquement Dans un secomatiquement Dans un secondond

ttemps lemps les quantites quantiteacutes seacutes srsquoadaptrsquoadaptent au nouvent au nouveaueau

prix ndash theacuteoriquement lprix ndash theacuteoriquement les quantites quantiteacutes eeacutes exportxporteacuteeseacutees

dedevrvraient augmentaient augmenter et ler et les quantites quantiteacuteseacutes

importimporteacutees deeacutees devrvraient diminuer ndash Cet laquoaient diminuer ndash Cet laquo effeffet-et-

vvolumeolume raquo lraquo lrsquoemportrsquoemporte geacuteneacutere geacuteneacuteralalement dans unement dans un

secsecond tond temps sur lemps sur lrsquoeffrsquoeffet-prix Mais cet-prix Mais celaela

deacutepend des eacutelasdeacutepend des eacutelasticitticiteacutes-prix des eeacutes-prix des exportxportationsations

et des importet des importations crsquoesations crsquoest-agrave-dirt-agrave-dire de lae de la

laquolaquo rreacuteactiviteacuteactiviteacuteeacute raquo des quantitraquo des quantiteacutes importeacutes importeacutees eteacutees et

eexportxporteacutees aux veacutees aux variations de prix En lariations de prix En lrsquoabsencrsquoabsencee

de subsde substituts la demande de biens importtituts la demande de biens importeacuteseacutes

diminuerdiminuera peu mecircme si la peu mecircme si les prix augmentes prix augmententent

Quand aux quantitQuand aux quantiteacutes eeacutes exportxporteacutees elleacutees elles nees ne

pourrpourront augmentont augmenter que si ler que si les entres entrepriseseprises

sont en mesursont en mesure drsquoace drsquoaccrcroicirctroicirctre le leur preur production etoduction et

qursquoil ne sqursquoil ne srsquoagit pas drsquoun sectrsquoagit pas drsquoun secteur dans leur dans lequel laequel la

demande esdemande est saturt satureacuteeeacutee

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

[3] Voir Rainelli M (2003)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 114

repreacutesailles eacutemanant des nations toucheacuteespar lrsquoinstauration du protectionnisme

Les politiques commercialesdans une perspective historique

Dans une perspective drsquohistoire eacuteconomiqueon note que le libre-eacutechange a de grandesdifficulteacutes agrave srsquoimposer et que les phases decrise sont marqueacutees par un retour du pro-tectionnisme le cas de la crise de 1929 eacutetantlrsquoexemple le plus net de lrsquoenchaicircnement quipeut srsquoinstaurer sous la forme drsquoune guerrecommerciale Lorsqursquoune nation confronteacuteeagrave une reacutecession prend lrsquoinitiative de mesuresprotectionnistes pour tenter de relancer soneacuteconomie elle deacuteclenche des contre-mesuresdes pays dont les exportations sont affecteacuteesdans une escalade protectionniste qui a glo-balement pour effet drsquoaggraver la crise LesEacutetats-Unis qui ont pris lrsquoinitiative en 1930drsquoune hausse tregraves significative de leur tarifdouanier ont ainsi deacuteclencheacute une guerre com-merciale en raison des reacutetorsions des grandespuissances europeacuteennes Cette escalade a eacuteteacutele facteur essentiel expliquant lrsquoeffondrementdu commerce mondial entre 1930 et 1935

Agrave la sortie de la Seconde Guerre mondialecette expeacuterience historique conduite agrave lacreacuteation en 1947 du GATT (General Agree-ment on Tariffs and Trade) auquel succeacute-dera en 1995 lrsquoOrganisation mondiale ducommerce (OMC)4 LrsquoOMC qui compte en 2013159 nations a deux fonctions compleacutemen-taires reprises de celles du GATT eacutelaborerdes regravegles qui limitent fortement le recoursau protectionnisme et organiser des cyclesde neacutegociations commerciales multilateacuteralesayant pour but de libeacuteraliser les eacutechangesinternationaux La politique commercialesrsquoinscrit donc pour les nations membres delrsquoOMC qui reacutealisent environ 95 du com-merce mondial dans un cadre contraint parles regravegles de lrsquoorganisation Certains outils dela politique commerciale sont prohibeacutes pourles membres de lrsquoOMC comme les subven-tions agrave lrsquoexportation pour les marchandises

drsquoautres sont tregraves eacutetroitement limiteacutes commeles restrictions quantitatives

La politique commercialedans le nouveau contexteeacuteconomique international

La mondialisation commerciale contempo-raine srsquoinscrit donc dans un contexte institu-tionnel qui contraint la politique commercialeMais la progression de la mondialisationchange le contexte dans lequel les nationssont confronteacutees agrave la concurrence internatio-nale et a un impact sur les politiques misesen œuvre Si lrsquoon considegravere la mondialisationreacutecente uniquement dans sa dimension com-merciale une tendance de fond eacutemerge

On assiste agrave une redistribution geacuteographiquede la place des nations dans les eacutechangesinternationaux avec la monteacutee de lrsquoAsie et aupremier chef de la Chine Drsquoapregraves les donneacuteesde lrsquoOMC entre 1993 et 2011 la part de lrsquoAsiedans les exportations mondiales de marchan-dises est passeacutee de 261 agrave 311 (celle dela Chine devenue premier exportateur mon-dial passe de 25 agrave 107 celle de lrsquoInde de06 agrave 17 pendant que le Japon passe de 99agrave 46 ) alors que les Eacutetats-Unis reacutegressentde 126 agrave 83 la France de 6 agrave 33 leRoyaume-Uni de 49 agrave 27 lrsquoAllemagne de103 agrave 83 5 La conseacutequence immeacutediate estque la question de la politique commercialedes grands pays du Nord se pose de plus enplus agrave lrsquoeacutegard des nations du Sud mecircme sidans certains secteurs lrsquoopposition entre lesEacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne (UE) esttoujours drsquoactualiteacute comme le deacutemontrentles diffeacuterends commerciaux entre Airbus etBoeing pour lrsquoaeacuteronautique ou sur le recoursaux organismes geacuteneacutetiquement modifieacutes(OGM) dans lrsquoagriculture

La nouvelle donne geacuteographique a une conseacute-quence significative sur la politique com-merciale en raison de la concurrence exerceacuteesur les marcheacutes des pays du Nord par desmarchandises en provenance de nationscaracteacuteriseacutees par un environnement socialet reacuteglementaire reposant sur des normes

[4] Voir Rainelli M (2011)

[5] OMC (2012)Statistiques ducommerce mondialhttpwtoorgfrenchres_fstatis_fits2012_fits12_world_trade_dev_fpdfTab I5 p 24 et TabI7 p 26

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 115

beaucoup moins contraignantes Ces diffeacute-rences de normes sont agrave lrsquoorigine drsquoaccusa-tions de concurrence deacuteloyale qui nourrissentdes demandes reacutepeacuteteacutees de mesures protec-tionnistes en Europe comme aux Eacutetats-Unissoit de maniegravere geacuteneacuteraliseacutee les produitsprovenant de pays drsquoAsie devant faire lrsquoobjetde mesures correctrices aux frontiegraveres parlrsquoimposition de droits de douane significatifssoit plus ponctuellement avec des justifica-tions diverses selon les secteurs concerneacutes

Une bonne indication des politiques commer-ciales speacutecifiques est donneacutee par les diffeacute-rends commerciaux soumis agrave lrsquoORD (Organedes regraveglements des diffeacuterends) de lrsquoOMCLorsqursquoun membre de lrsquoOMC considegravere qursquounautre membre viole une de ses obligations ilpeut soumettre ce diffeacuterend agrave lrsquoORD lrsquoexa-men des plaintes deacuteposeacutees permet de mettreen perspective la nature des conflits com-merciaux6 Les diffeacuterends les plus reacutecentsrelegravevent dans leur tregraves grande majoriteacute deplaintes de pays du Nord contre des pays du

Sud qui sont accuseacutes de ne pas respecter desnormes sanitaires ou de pratiquer du dum-ping par exemple en subventionnant desentreprises exportatrices ce qui leur permetde vendre agrave un prix infeacuterieur au coucirct de pro-duction (cf Zoom) Si le dumping est eacutetabli lanation leacuteseacutee est autoriseacutee agrave instaurer un droitde douane compensant lrsquoavantage indu

Les demandes de protection geacuteneacuteraliseacuteecontre les importations en provenance de cer-tains pays du Sud sont justifieacutees par les dif-feacuterences tregraves importantes dans les domainesdes droits sociaux des travailleurs parlrsquoinexistence de reacuteglementation environne-mentale par la sous-eacutevaluation de la monnaienationale (dans le cas de la Chine le taux dechange du yuan nrsquoest pas fixeacute sur le marcheacutecar la monnaie nrsquoest pas convertible) Il srsquoagitdrsquoune nouvelle formulation des arguments enfaveur du protectionnisme qui nrsquoest plus fon-deacutee comme chez List par la neacutecessiteacute de per-mettre agrave un pays de se deacutevelopper mais surlrsquoideacutee que le commerce international met en

[6] La liste des diffeacuterendscommerciaux est

disponible sur le siteinternet de lrsquoOMC

httpwtoorgfrenchtratop_fdispu_fdispu_

status_fhtm

LES PLES PANNEAANNEAUXUXPHOPHOTTOOVVOOLLTTAIumlQUES CHINOISAIumlQUES CHINOISUN EXEMPUN EXEMPLLE DE DIFFEacuteRENDE DE DIFFEacuteRENDCCOMMEROMMERCIACIALLLe cLe cas des panneaux photas des panneaux photoovvoltoltaiumlques chinoisaiumlques chinois

esest une illust une illustrtration drsquoune politique cation drsquoune politique commerommercialcialee

agragresessivsive Le gouve Le gouvernement chinois dans lernement chinois dans lee

ccadradre de sa politique induse de sa politique industrielltrielle a fe a favavoriseacuteoriseacute

lle deacutee deacutevveleloppement drsquoentroppement drsquoentreprises preprises produisantoduisant

des panneaux photdes panneaux photoovvoltoltaiumlques graiumlques gracirccacircce agrave dese agrave des

aides publiques principalaides publiques principalement sous fement sous formeorme

de prde precircts bancecircts bancairaires La ces La capacitapaciteacute de preacute de productionoduction

des entrdes entreprises chinoises a reprises chinoises a rapidement capidement connuonnu

une crune croisoissancsance ce consideacuteronsideacuterablable qui fe qui fait drsquoellait drsquoelles les leses

prpremieremiers prs productoducteureurs mondiaux avs mondiaux avec 65ec 65 de de

la prla production mondialoduction mondiale Le mare Le marcheacute eurcheacute europeacuteenopeacuteen

esest lt le pre premier maremier marcheacute agrave lcheacute agrave lrsquoersquoexportxportation de cation de ceses

firmesfirmes 80 80 des e des exportxportations chinoisesations chinoises

sont agrave dessont agrave destination de ltination de lrsquoUE pour une vrsquoUE pour une valaleureur

de 21de 21 milliarmilliards drsquoeurds drsquoeuros EU Pros EU Pro Sun uno Sun un

rregregroupement drsquoentroupement drsquoentreprises eureprises europeacuteennes duopeacuteennes du

sectsecteureur a deacuteposeacute une plaint a deacuteposeacute une plainte en juille en juilletet 20122012

ffondeacutee sur londeacutee sur lrsquoersquoexisxisttencence drsquoune drsquoun dumpingdumping et sur let sur lee

prpreacutejudiceacutejudice qui en re qui en reacutesulteacutesulte pour le pour les entres entrepriseseprises

eureuropeacuteennes (1)opeacuteennes (1) EU Pr EU Pro Sun a eacuteto Sun a eacutetabli une lisabli une listtee

de 45 entrde 45 entreprises eureprises europeacuteennes qui ont arropeacuteennes qui ont arrecirctecircteacuteeacute

la prla production ou ont supprimeacute des emploduction ou ont supprimeacute des emploisois

depuis 2010 en rdepuis 2010 en raison de caison de cettette ce concurroncurrencencee

deacuteldeacutelooyyalale (2) Le (2) Lrsquoinsrsquoinstruction de la plainttruction de la plainte ae a

ccommencommenceacute en septeacute en septembrembree 2012 et en mai2012 et en mai 20132013

lle ce commisommissairsaire eure europeacuteen au Commeropeacuteen au Commercce ae a

prproposeacute drsquoeacutetoposeacute drsquoeacutetablir une tablir une taxaxe de 47e de 47 sur l sur leses

importimportations de panneaux solairations de panneaux solaires chinoises chinois

Michel RainelliMichel Rainelli

(1)(1) VVoir httpeuroir httpeuropaeuropaeurapidprapidpress-ress-release MEMO-elease_MEMO-12-647 fr12-647_frhtmhtm

(2)(2) VVoir httpwwwoir httpwwwprprosunorosunorgfrla-concurrgfrla-concurrence-ence-loloyyaleune-situaaleune-situation-prtion-preoccupantehtmleoccupantehtml

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 116

concurrence des espaces eacuteconomiques forte-ment diffeacuterencieacutes et que srsquoinstaurerait ainsiune concurrence deacuteloyale entre les nationsneacutecessitant un correctif Si cette thegravese ren-contre un certain succegraves dans les syndicats agravela fois patronaux et de salarieacutes elle nrsquoa qursquounfaible eacutecho chez les eacuteconomistes et les partispolitiques au pouvoir dans les pays du Nord

La politique commerciale et lrsquoOMCLes nations membres de lrsquoOMC se sont enga-geacutees drsquoune part agrave respecter des accordscontraignant leurs politiques commercialesdans des domaines varieacutes et drsquoautre part agraveentrer dans des neacutegociations pour libeacuterali-ser le commerce mondial Alors que le GATTsrsquoest acheveacute par le cycle de lrsquoUruguay concluen 1993 qui a marqueacute une nouvelle eacutetape dansle mouvement de libeacuteralisation commenceacute en1947 lrsquoOMC devait organiser un nouveau cyclede neacutegociations selon les conclusions acquisesen 1993 en raison de problegravemes non reacutesolusnotamment dans lrsquoagriculture Lrsquoouverture deces neacutegociations inscrite agrave lrsquoagenda de lrsquoOMCa donneacute lieu agrave des oppositions marqueacutees lespays les moins deacuteveloppeacutes consideacuterant queles engagements du cycle de lrsquoUruguay devantleur profiter nrsquoeacutetaient pas tenus par les nationsdu Nord Ce nrsquoest qursquoen 2002 que les membresde lrsquoOMC ont engageacute le cycle de neacutegociationsbaptiseacute Programme de Doha pour le deacutevelop-pement La fin des neacutegociations eacutetait planifieacuteepour feacutevrier 2005 mais degraves le deacutebut les affron-tements Nord-Sud ont conduit agrave un blocageEneffet une des originaliteacutes de lrsquoOMC reprise desprincipes gouvernant le GATT est que chaquenation a un poids identique et que lrsquounanimiteacuteest neacutecessaire pour obtenir un accord Les paysdu Sud ont pour la premiegravere fois depuis 1947saisi la possibiliteacute qui leur eacutetait offerte drsquoem-pecirccher un accord qui ne leur convenait pas

Alors que le Programme de Doha pour le deacuteve-loppement a mis au premier plan le rocircle ducommerce international pour le deacuteveloppe-ment des nations les pays du Sud ont refuseacutedrsquoabaisser les protections de leurs marcheacutesnationaux dans lrsquoagriculture drsquoadopter une

politique nationale de la concurrence etc Lesconfeacuterences ministeacuterielles de lrsquoOMC qui per-mettent theacuteoriquement tous les deux ans defaire le point sur les avancements des neacutegocia-tions nrsquoont jamais permis de faire eacutemerger uneconvergence des points de vue Au contraireles nations du Sud se sont coaliseacutees derriegraverele Breacutesil la Chine et lrsquoInde pour srsquoopposer auxdemandes de libeacuteralisation des pays du Norden consideacuterant que les concessions offertesen eacutechange eacutetaient insuffisantes En deacutepit denombreuses tentatives pour relancer les neacutego-ciations leur aboutissement semble impos-sible mecircme si en mai 2013 elles ne sont pasofficiellement abandonneacutees

Cela implique-t-il que lrsquoOMC soit devenue uneinstitution qui nrsquoa plus drsquoobjet La reacuteponse agravecette question doit ecirctre nuanceacuteeTout drsquoabordles accords de lrsquoOMC jouent un rocircle de reacutegula-tion des politiques commerciales en permet-tant gracircce agrave lrsquoORD de sanctionner les mesuresqui sont contraires aux accords Il existe unegamme drsquointerventions publiques possiblesen particulier dans le cas de lrsquoanti-dumping mecircme si celles-ci srsquoexercent sous le controcircle delrsquoOMC lorsqursquoun diffeacuterend est soumis agrave lrsquoORDEnsuite la crise reacutecente a constitueacute un contre-exemple aux reacuteactions des Eacutetats lors de lacrise de 1929 Les nations du G20 se sont enga-geacutees en novembre 2008 lors de leur reacuteunion agraveWashington agrave ne pas recourir au protection-nisme engagement confirmeacute lors des reacuteunionssuivantes et agrave mettre en place un observa-toire gracircce agrave la collaboration de lrsquoOMC de laCNUCED et de lrsquoOCDE des mesures affectantles eacutechanges internationaux (Rainelli 2011)Le reacutesultat des recensements montre que lerecours au protectionnisme a eacuteteacute tregraves diversLa nation la plus active est lrsquoInde suivie parles Eacutetats-Unis LrsquoUE est beaucoup moinsconcerneacutee Le volume du commerce affecteacuterepreacutesente 18 des importations des pays duG20 soit 14 des importations mondiales Ladiffeacuterence de reacuteponse agrave la crise entre 1929 et lapeacuteriode actuelle reacuteside donc dans lrsquoexistenceaujourdrsquohui de lrsquoOMC comme le note PaulKrugman (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 117

Mais le blocage des neacutegociations commercialesqui signifie lrsquoeacutechec du Programme de Dohapour le deacuteveloppement ne signe pas neacutecessai-rement la fin de la libeacuteralisation des eacutechangesinternationaux en raison du deacuteveloppementdrsquoaccords bilateacuteraux de libre-eacutechange

Le renouveau des accordsbilateacuteraux de libre-eacutechangeLe GATT puis lrsquoOMC reposent sur le prin-cipe du multilateacuteralisme crsquoest-agrave-dire que lesavantages commerciaux consentis dans lesneacutegociations beacuteneacuteficient agrave tous les membresde lrsquoorganisation Le blocage du Programmede Doha a conduit les principaux acteurs ducommerce mondial souhaitant libeacuteraliser leseacutechanges agrave changer drsquoapproche en passant desaccords bilateacuteraux en dehors de lrsquoOMC bienqursquoils doivent theacuteoriquement obtenir son aval

Cette deacutemarche est suivie de maniegravere parallegravelepar les Eacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne quiont conclu des accords de libre-eacutechange avecde nombreux pays toutes les neacutegociationsnrsquoayant pas encore abouti La justification decette deacutemarche est exposeacutee par lrsquoUE si lrsquoen-semble des accords en cours de neacutegociationdevait aboutir le PIB de lrsquoUE augmenterait de22 et 22 millions drsquoemplois seraient creacuteeacutes7 Crsquoest ainsi qursquoapregraves lrsquoaccord avec la Coreacutee duSud entreacute en vigueur le 1er juillet 2011 lrsquoUEdoit encore finaliser les neacutegociations entre-prises avec lrsquoInde (commenceacutees en 2007) et leCanada (commenceacutees en 2009) La justificationde cette deacutemarche bilateacuterale outre le blocage

des neacutegociations de lrsquoOMC reacuteside dans la priseen compte de lrsquoensemble des barriegraveres auxeacutechanges entre les deux partenaires tarifaireset non tarifaires ainsi que dans lrsquoeacutetablisse-ment drsquoinstances permettant de veiller agrave labonne application de lrsquoaccord8

La rencontre des deacutemarches entreprises desdeux cocircteacutes de lrsquoAtlantique srsquoest produite enmars 2013 avec la deacutecision de la Commissioneuropeacuteenne drsquoapprouver le mandat de neacutego-ciation drsquoun accord de libre-eacutechange avec lesEacutetats-Unis qui selon des estimations devraitconduire agrave des gains de 119 milliards drsquoeurospar an une fois lrsquoaccord pleinement mis enœuvre

Au delagrave de la pertinence des estimations degains de ces accords qui peut ecirctre mise endoute le point important est lrsquoengagement versle libre-eacutechange que prennent lrsquoUnion euro-peacuteenne et les Eacutetats-Unis seacutepareacutement (les deuxpuissances ont ainsi conclu un accord avec laCoreacutee du Sud) et entre elles Lrsquoeacutechec du Pro-gramme de Doha pour le deacuteveloppement estainsi en train de conduire les nations les plusdeacuteveloppeacutees agrave eacutetablir des espaces de libre-eacutechange avec lrsquoambition de supprimer presquetoutes les barriegraveres au commerce entre ellesLa politique commerciale agrave lrsquoheure de la mon-dialisation qui se reacutevegravele au fil du temps estainsi celle drsquoune recherche drsquoune libeacuteralisa-tion seacutelective entre nations de mecircme niveaude deacuteveloppement qui serait porteuse de gainsde croissance En revanche les relations com-merciales avec les autres nations ne font pasjusqursquoagrave preacutesent lrsquoobjet drsquoune telle politique

[7] Voir httptradeeceuropaeudoclib

docs2012novembertradoc_150129pdf[11]

[8] Voir le bilan delrsquoapplication de lrsquoaccord

apregraves un an httpeuropaeurapidpress-

release_IP-12-708_frhtm

KRUGMAN P (2013) laquo The Protectionist Non-Surge raquo httpkrugmanblogsnytimescom20130429the-protectionist-non-surge

RAINELLI M (2003) La nouvelle theacuteorie du

commerce international ParisLa Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2009) Le commerce international Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2011) LrsquoOrganisation mondialedu commerce Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 118

UNION EUROPEacuteENNE-EacuteTATS-UNIS LES ENJEUXDrsquoUN ACCORDDepuis dix ans la carte du commerce mondial

a eacuteteacute chambouleacutee sous lrsquoimpulsion de deux

pheacutenomegravenes la reacutegionalisation des eacutechanges

entraicircneacutee par la signature de multiples accords

bilateacuteraux et lrsquoirreacutesistible deacuteplacement du

centre strateacutegique de la production et des

eacutechanges vers lrsquoAsie et le Pacifique aux deacutepens

de lrsquoEurope et des Eacutetats-Unis Le laquo partenariat

transatlantique pour le commerce et

lrsquoinvestissement raquo entre lrsquoUnion europeacuteenne

(UE) et les Eacutetats-Unis (EU) pourrait-il changer

cette dynamique mondiale Bien qursquoeacutetant

bilateacuteral un accord UE-EU serait un pas vers

un retour agrave une reconnaissance de la primauteacute

des regravegles commerciales multilateacuterales

Cette primauteacute a eacuteteacute affaiblie par la multitude

drsquoaccords preacutefeacuterentiels conclus agrave ce jour (pregraves

de 400) qui discriminent les pays exclus de ces

accords et contredisent le principe de non-

discrimination un des piliers des regravegles de

lrsquoOMC

Raviver la flamme multilateacuterale

Lrsquoaccord de libre-eacutechange Nord-ameacutericain

(ALENA) qui lie depuis vingt ans les Eacutetats-Unis

au Canada et au Mexique peacutenalise les pays

de lrsquoUE Quant agrave lrsquoUnion europeacuteenne plus

inteacutegreacutee (puisqursquoelle est une union douaniegravere

doteacutee drsquoun tarif exteacuterieur commun) elle

impose en moyenne des tarifs relativement

faibles sur les importations ameacutericaines mais

pourtant toujours plus eacuteleveacutes que ceux fixeacutes

par les Eacutetats-Unis Cette heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute est

flagrante par exemple pour les veacutehicules agrave

moteur (tarif huit fois plus eacuteleveacute pour lrsquoUE)

et lrsquoagroalimentaire (146 contre 33 )

Lrsquoaccord UE-EU creacuteant en 2015 la plus vaste

zone de libre-eacutechange au monde repreacutesentant

un tiers du commerce international et la

moitieacute du PIB mondial ouvrirait agrave nouveau la

voie agrave un systegraveme commercial multilateacuteral

solide Une telle zone ne pourrait en effet

qursquoinciter les pays tiers agrave se rapprocher de ses

preacuteceptes

Pourquoi se reacutejouir drsquoun retour agrave des regravegles

multilateacuterales Parce que de nombreux

problegravemes drsquoordre systeacutemique ne peuvent

ecirctre reacutesolus par des accords bilateacuteraux Crsquoest

le cas par exemple des regravegles drsquoorigine des

mesures anti-dumping ou des subventions

Comme le disait volontiers le directeur

geacuteneacuteral de lrsquoOMC Pascal Lamy laquo Un eacuteleveur

ou un pecirccheur lsquobilateacuteralrsquo des poulets ou des

poissons lsquobilateacuterauxrsquo cela nrsquoexiste pas raquo

Un gigantesque marcheacute transatlantique

ne sonnerait pas le glas de lrsquoOMC

contrairement agrave ce que pensent certains

mais raviverait la flamme multilateacuterale

Pour Jose Manuel Barroso preacutesident de la

commission europeacuteenne laquo il fixera la norme

non seulement pour le commerce et les

investissements transatlantiques mais aussi

pour le deacuteveloppement du commerce agrave travers

le monde raquo

Lrsquoaccord UE-EU est-il de nature agrave freiner

la perte de leadership des eacuteconomies de

lrsquoOuest Il comporte deux volets un volet

commerce des biens et services et un volet

investissements directs agrave lrsquoeacutetranger Dans

ces deux domaines les eacutechanges sont deacutejagrave

importants le commerce de biens entre

les deux continents repreacutesente plus de

670 milliards de dollars et les investissements

reacuteciproques UE - Eacutetats-Unis se chiffrent agrave

plus de 1 000 milliards de dollars Les Eacutetats-

Unis sont le premier client de lrsquoUE (17 des

exportations europeacuteennes) et son troisiegraveme

fournisseur (11 des importations totales de

lrsquoUE) apregraves la Chine et la Russie la balance

commerciale eacutetant en faveur de lrsquoEurope avec

un exceacutedent de 73 milliards drsquoeuros Lrsquoampleur

du commerce EU-EU et lrsquoimportance des

deux eacuteconomies dans le monde font que

toute reacuteduction des obstacles aux eacutechanges

entre ces deux poids lourds aurait des effets

significatifs sur leurs eacuteconomies

COMPLEacuteMENT

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 119

Barriegraveres tarifaires

Les obstacles sont de deux types les tarifs

agrave lrsquoimportation et les barriegraveres non-tarifaires

(BNT) qui sont encore tregraves eacuteleveacutees

Une nouvelle baisse des tarifs dont on a dit

qursquoen moyenne ils eacutetaient modeacutereacutes aura un

faible impact sur les eacutechanges agrave lrsquoexception

des quelques secteurs ougrave la protection

actuelle est encore eacuteleveacutee Crsquoest donc la

diminution des BNT qui pourra entraicircner un

veacuteritable boom des eacutechanges UE-EU Ces

BNT (quotas drsquoimportations mais surtout

diffeacuterentes regraveglementations normes

nationales regravegles des marcheacutes publics

certifications contradictoires) accroissent

le coucirct des exportations eacutetrangegraveres aussi

sucircrement qursquoun tarif et limitent lrsquoaccegraves au

marcheacute domestique garantissant des rentes

aux firmes nationales Ces BNT sont par

nature difficiles agrave mesurer Une eacutetude reacutecente

estime qursquoen moyenne les BNT sont moins

eacuteleveacutees pour les services que pour les biens

Elles eacutequivalent agrave un tarif sur les exportations

europeacuteennes vers les Eacutetats-Unis variant selon

les secteurs entre 20 (pour les technologies

de lrsquoinformation et de la communication ndash TIC)

et 56 (pour lrsquoaeacuteronautique et le spatial) Cet

eacutequivalent-tarif des BNT pour les importations

europeacuteennes en provenance des Eacutetats-Unis

srsquoeacutechelonne entre 176 (pour les services de

tourisme) et 551 (encore pour lrsquoindustrie

aeacuteronautique et spatiale) Crsquoest donc lagrave que

sont les enjeuxhellip mais aussi les difficulteacutes Les

barriegraveres non tarifaires ne peuvent pas ecirctre

supprimeacutees comme par magie elles reflegravetent

des preacutefeacuterences socioculturelles historiques

des reacutealiteacutes geacuteographiques linguistiques

parfois mecircme constitutionnelles Leur totale

suppression est irreacutealiste

On voit bien quels seront les dossiers

laquo chauds raquo agriculture OGM proprieacuteteacute

intellectuelle Deacutejagrave le Parlement europeacuteen a

exclu du mandat de neacutegociation la culture et

lrsquoaudiovisuel Ce ne sera pas facile mais il faut

essayer

Une eacutetude du CEPR2 preacutevoit selon le sceacutenario

envisageacute (sceacutenario modeacutereacute ou ambitieux

avec 10 ou 25 de baisse des BNT) un

accroissement annuel du PIB europeacuteen

jusqursquoen 2027 de 68 ou 119 milliards drsquoeuros

Lrsquoaccroissement aux Eacutetats-Unis serait de 50

ou 95 milliards Le projet drsquoune libeacuteralisation

des eacutechanges EU-EU tombe agrave pic en pleine

crise voire reacutecession la perspective drsquoun

gain suppleacutementaire annuel de 04 agrave 07 point

du PIB europeacuteen est alleacutechante Mais lrsquoenjeu

principal on lrsquoa compris est lrsquoopportuniteacute pour

lrsquoOccident de reacutepondre aux reacutealignements

historiques qui se dessinent dans le monde ()

Marie-Franccediloise Calmette

Professeur drsquoeacuteconomie agrave la Toulouse

School of Economics

() Article choisi par la reacutedaction des hors-

seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques publieacute par

Le Mondefr 5 juin 2013

copy Le Monde

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 120

Agrave lrsquoimage de ce qui srsquoest produit dans les principales eacuteconomies avanceacutees les institutions de Bretton Woods ndash Fonds moneacutetaire international et Banque mondiale ndash ont connu dans les anneacutees 1980 un tournant libeacuteral Face aux deacuteseacutequilibres des pays en deacuteveloppement ndash inflation dettes publique et exteacuterieure ndash elles recommandaient la mise en œuvre de reacuteformes structu-relles alliant libeacuteralisation des structures productives et des systegravemes financiers ouverture commerciale et reacuteduction des deacutepenses publiques Si ces mesures qui refleacutetaient le laquo consen-sus de Washington raquo ont dans un premier temps porteacute leurs fruits sur le plan du reacutetablissement des eacutequilibres macroeacuteconomiques elles ont eu par la suite des effets neacutefastes en termes de croissance de pauvreteacute et drsquoineacutegaliteacutesPhilippe Hugon montre qursquoune penseacutee laquo post-ajustement raquo a eacutemergeacute degraves la fin des anneacutees 1990 re-leacutegitimant le rocircle des pouvoirs publics et accordant plus de place aux contextes institution-nels propres agrave chaque pays Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances et la monteacutee de la question environnementale ont eacutegalement contribueacute agrave redeacutefinir les politiques de deacuteveloppement

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de WashingtonAu deacutebut des anneacutees 1980 les deacuteseacutequilibresfinanciers et lrsquoendettement des pays en deacuteve-loppement (PED) avaient conduit agrave la mise enplace de politiques libeacuterales et drsquoajustementaux nouvelles donnes mondiales inspireacuteesde ce qursquoon appelait alors le laquo consensus deWashington raquo (cf Zoom) Impulseacutees par leFonds moneacutetaire international (FMI) et laBanque mondiale ces politiques inversaientles mesures interventionnistes des deacutecenniesdrsquoapregraves-guerre

Ces prescriptions ayant montreacute leurs limitesnotamment en Ameacuterique latine ougrave ellesavaient eacuteteacute les plus fidegravelement appliqueacuteesla question du post-consensus de Washing-ton srsquoest poseacutee degraves la fin des anneacutees 1990 Lacrise a acceacuteleacutereacute ce questionnement

Avec la financiarisation des relations et ladiversification des partenaires et des rela-tions SudSud lrsquoeacuteconomie des pays en deacuteve-loppement (PED) eacutevolue dans un contextemondial (Hugon et Michalet 2006) Le respectde regravegles financiegraveres reacutepond aux pouvoir desinstitutions financiegraveres et des agences denotation ainsi qursquoagrave la politique drsquoattractiviteacutedes investissements Mais un des enjeux desPED est aujourdrsquohui de re-leacutegitimer lrsquoEacutetatdans ses fonctions collectives et reacutegaliennes

PHILIPPE HUGONProfesseur eacutemeacuterite agrave lrsquoUniversiteacute Paris-Ouest

Nanterre-La Deacutefense

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON121

et comme creacuteateur drsquoun cadre strateacutegiquefavorable agrave lrsquoentreprenariat priveacute Il srsquoagit decreacuteer un environnement institutionnel favo-rable agrave la prise de risque et aux horizonslongs des deacutecideurs eacuteconomiques Lrsquoexten-sion du marcheacute suppose une reacuteduction desineacutegaliteacutes et une relance de la demande pardes deacutepenses publiques permettant le jeudu multiplicateur keyneacutesien En outre lesquestions environnementales remettent enquestion le modegravele dominant de deacuteveloppe-ment eacuteconomique et les objectifs du deacuteve-loppement durable (ODD) post-2015 doiventcompleacuteter les objectifs du milleacutenaire du deacuteve-loppement (OMD)

Nous rappellerons les limites du consensusde Washington avant de voir sur quelles basesse redeacutefinissent certains axes communs auxnouvelles politiques des PED

Les limites du consensusde WashingtonLes limites des politiquesde stabilisation et drsquoajustementVingt ans apregraves le deacutebut de la mise en œuvredes politiques inspireacutees du consensus deWashington on notait dans lrsquoensemble uneameacutelioration des eacutequilibres financiers (reacuteduc-tion de lrsquoinflation des deacuteficits budgeacutetairesdes deacuteficits de la balance courante etc) unmeilleur cadre institutionnel et une meilleureinteacutegration agrave lrsquoeacuteconomie mondiale Certainssecteurs innovants ont eacutemergeacute dans les ser-vices et les nouvelles technologies Mais leplus souvent ces politiques de stabilisationont eacuteteacute reacutecessionnistes les anneacutees 1980 ont

LE CLE CONSENSUSONSENSUSDE WDE WAASHINGSHINGTTONONDans lDans les anneacutees 1980-1990 les anneacutees 1980-1990 les pays enes pays en

deacutedeacutevveleloppement ont eacutetoppement ont eacuteteacute ceacute confronfrontonteacutes agrave deseacutes agrave des

crises rcrises reacutecurreacutecurrententes de la dettes de la dette ee extxteacuterieureacuterieure ete et

des financdes finances publiques Sous la pres publiques Sous la presessionsion

des bailldes bailleureurs de fs de fonds intonds internationaux ilsernationaux ils

changegraverchangegraverent de modegravelent de modegraveles de deacutees de deacutevveleloppementoppement

abandonnant labandonnant les ses strtratateacutegies de laquo subseacutegies de laquo substitutiontitution

aux importaux importations raquo au prations raquo au profit de rofit de reacutefeacuteformesormes

ffavavorisant lorisant les meacuteces meacutecanismes de maranismes de marcheacutecheacute

LLrsquoensemblrsquoensemble de ce de ces res reacutefeacuteformes sormes structurtructurellelleses

soutsoutenu par lenu par le te tournant libeacuterournant libeacuteral qursquoa cal qursquoa connuonnu

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique dans lonomique dans les anneacuteeses anneacutees

1970-1980 f1970-1980 formait cormait ce que John Williamsone que John Williamson

a theacuteoriseacute ca theacuteoriseacute comme eacutetomme eacutetant lant le laquo ce laquo consensus deonsensus de

WWashingtashington raquo Ce con raquo Ce corpus de rorpus de rececommandationsommandations

sur lsur lequel sequel srsquoappuyrsquoappuyaient laient le FMI et la Banquee FMI et la Banque

mondialmondiale dans le dans les anneacutees 1990 se deacuteclinait enes anneacutees 1990 se deacuteclinait en

dix prdix propositions opositions

- une s- une stricttricte discipline budgeacutete discipline budgeacutetairaire e

- un r- un redeacutepledeacuteploiement des deacutepenses publiquesoiement des deacutepenses publiques

vverers des affs des affectectations offrations offrant agrave la fant agrave la fois un fois un fortort

rrendement eacutecendement eacuteconomique et la posonomique et la possibilitsibiliteacute deeacute de

diminuer ldiminuer les ineacutegalites ineacutegaliteacutes de reacutes de reevvenu (soinsenu (soins

meacutedicmeacutedicaux de base eacuteducaux de base eacuteducation primairation primairee

deacutepenses drsquoinfrdeacutepenses drsquoinfrasastructurtructure) e)

- une r- une reacutefeacuteforme fiscorme fiscalale (eacutelare (eacutelargisgissement desement de

llrsquoasrsquoassiettsiette fisce fiscalale diminution des te diminution des tauxaux

marmarginaux) ginaux)

- la libeacuter- la libeacuteralisation financiegraveralisation financiegravere e

- un t- un taux de change unique et caux de change unique et concurroncurrentiel entiel

- la libeacuter- la libeacuteralisation du calisation du commerommercce ee extxteacuterieur eacuterieur

- l- lrsquoeacutelimination des rrsquoeacutelimination des resestrictions auxtrictions aux

invinvesestistissements dirsements directs eacutetrects eacutetrangerangers s

- la priv- la privatisation des entratisation des entreprises publiques eprises publiques

- la deacuter- la deacutereacutegleacuteglementementation des maration des marcheacutescheacutes

- la gar- la garantie des drantie des droits de proits de proprieacutetoprieacuteteacuteeacute

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 122

[1] La multipliciteacute destests eacuteconomeacutetriquesrendus possibles parlrsquoameacutelioration tregravesrapide des techniquesconduit in fine agrave relativiser la plupart desrelations robustes enintroduisant un nombreimportant de variables

ainsi constitueacute une laquo deacutecennie perdue raquo pourlrsquoAmeacuterique latine avec des crises de la detteLes eacuteconomies africaines ont globalementstagneacute entre 1980 et 2000 et ont eacuteteacute prisesdans une spirale drsquoendettement permanentAgrave deacutefaut drsquoune reprise de lrsquooffre (augmenta-tion des recettes publiques des exportationset de lrsquoeacutepargne) on a observeacute le plus souventune baisse de la demande (importationsdeacutepenses budgeacutetaires investissement)

Lrsquoattractiviteacute des investisseurs est res-teacutee limiteacutee hors peacutetrole dans un contextedrsquoinstabiliteacute de risque et de faiblesse desinfrastructures physiques et sociales Laproductiviteacute globale des facteurs a peu pro-gresseacute Le poids de la dette exteacuterieure quireacutetroagit sur la dette publique inteacuterieurecontinuait agrave peser lourdement

Une penseacutee post-ajustement

De nombreuses failles sont ainsi apparuesdans ce modegravele et une penseacutee du post-ajus-tement (Ben Hammouda 1999) ou du postconsensus de Washington (Stiglitz 1998) aeacutemergeacute Les nouvelles analyses laquo structura-listes raquo prennent en compte dans la traditionde lrsquoeacuteconomie du deacuteveloppement les asymeacute-tries internationales les blocages et les han-dicaps structurels les liens entre reacutepartitionet accumulation ou la nature des biens etservices eacutechangeacutes (biens salariaux et biensde luxe) Mais elles raisonnent en eacuteconomieouverte (contrainte de compeacutetitiviteacute rocircle delrsquoattractiviteacute des capitaux et des techniques)et elles lient la stabilisation financiegravere decourt terme avec le long terme Les liens entreineacutegaliteacutes de revenus et croissance sont fonc-tion des contextes internes et internationauxet du rocircle deacutecisif des politiques eacuteconomiqueset sociales

Le comparatisme analytique et empiriquepermet de contextualiser les theacuteories etles theacuterapies1 Le cadre analytique retenuest celui de la concurrence imparfaite desasymeacutetries drsquoinformation des rendementsdrsquoeacutechelle des externaliteacutes et des effets drsquoag-glomeacuteration (Krugman 2008) Le contexte est

celui drsquoun univers incertain et drsquoun mondeinstable ougrave les acteurs ont des pouvoirsasymeacutetriques Des effets de seuil lieacutes agrave destrappes agrave pauvreteacute apparaissent de maniegraveresignificative pour les pays les moins avanceacutes(Guillaumont 2009 Sachs 2005) Degraves lors lesrecettes preacuteconiseacutees se font davantage au caspar cas ou par grand type de cateacutegories depays Les laquo bonnes politiques raquo se jugent expost sur leurs reacutesultats

La fin du modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels

Par ailleurs les modegraveles de deacuteveloppementont eacuteteacute affecteacutes par la monteacutee des questionsenvironnementales Le modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels eacutenergivore carboneacutefinanciariseacute et caracteacuteriseacute par lrsquoobsolescencedes produits manufactureacutes nrsquoest pas suppor-table pour la planegravete Il conduit en outre agravelrsquoexclusion du plus grand nombre Les enjeuxenvironnementaux ont un impact deacutecisif surles politiques de deacuteveloppement que ce soientles changements climatiques la pollutionurbaine la gestion durable des ressourcesnaturelles ou la preacutevention des catastrophesDegraves lors il importe de prendre en compte lesinterdeacutependances asymeacutetriques et les enjeuxtransnationaux qui impliquent de mettre enœuvre des politiques de gouvernance et dereacutegulation mondiales au-delagrave de la juxtapo-sition de politiques nationales

Les politiques de deacuteveloppementpost-ajustementLe basculement du mondeet les relations SudSud

La mondialisation et lrsquoeacutemergencede nouvelles puissancesLa mondialisation remet en question certainsparadigmes qui fondaient lrsquoeacuteconomie dudeacuteveloppement notamment celle du clivageNordSud et drsquoune divergence des eacuteconomiescelle des ineacutegaliteacutes entre le Nord et le Sud

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON123

lrsquoemportant sur les ineacutegaliteacutes internes auxeacuteconomies Le basculement du monde et lamonteacutee en puissance des eacutemergents ainsi queles relations croissantes SudSud ont modifieacutela donne au niveau des politiques preacuteconiseacuteesmais eacutegalement des moyens de les mettre enœuvre Le laquo consensus de Peacutekin raquo srsquoest poseacute enconcurrent de celui de Washington

Selon certains flexibiliteacute adaptabiliteacute attrac-tiviteacute des capitaux et des savoirs auraientrendues obsolegravetes les politiques publiquesOn peut au contraire consideacuterer que la mon-dialisation a re-leacutegitimeacute les politiques etreacutegulations publiques Les ineacutegaliteacutes intra-nationales tendent agrave lrsquoemporter sur les ineacutega-liteacutes internationales (Bourguignon 2012) Lesinstitutions de Bretton Woods reconnaissentque les politiques budgeacutetaires moneacutetaires etde change demeurent centrales pour srsquoinseacutererpositivement dans la mondialisation geacutererles instabiliteacutes compenser les deacuteseacutequilibrescommerciaux et financiers et attirer les capi-taux mais elles doivent srsquoaccompagner depolitiques industrielles et sociales

La croissance des pays en deacuteveloppementet la diversification des trajectoires

Les trajectoires des eacuteconomies asiatiqueslatino-ameacutericaines et africaines divergent Agravelrsquointeacuterieur de chaque continent on observeagrave la fois des eacuteconomies stagnantes et deseacuteconomies eacutemergentes Les politiques dedeacuteveloppement diffegraverent eacutevidemment selonles types de pays les eacuteconomies rentiegraverespeacutetroliegraveres peuvent mettre en œuvre des poli-tiques redistributives (Moyen-Orient Algeacuterieou Venezuela) les petits pays se speacutecialisentsur des segments de compeacutetitiviteacute quantaux grands pays en pleine industrialisationcomme la Chine ou lrsquoInde ou les pays pri-maires ils diversifient leurs exportations

Les PED partagent neacuteanmoins un certainnombre de traits communs les effets des prixdes matiegraveres premiegraveres la financiarisationde lrsquoeacuteconomie le rocircle des firmes multinatio-nales dans les segments localiseacutes des chaicircnesde valeur lrsquoenrichissement de la classemoyenne ou la croissance des ineacutegaliteacutes la

diversification de leurs partenaires commer-ciaux et souvent de leurs speacutecialisations dufait de la mondialisation et enfin plusieursdeacutefis auxquels ils sont tous plus ou moinsconfronteacutees la reconquecircte du marcheacute inteacute-rieur la mise en place drsquoun systegraveme de pro-tection sociale et de politiques industriellescombinant des politiques de substitution auximportations et de croissance tireacutee par lesexportations

Le rocircle des relations SudSud

Les pays pauvres fournisseurs de ressourcesnaturelles beacuteneacuteficient de lrsquoameacutelioration destermes de lrsquoeacutechange et sont plutocirct beacuteneacutefi-ciaires de la mondialisation qui se substi-tue aux relations post coloniales Ils sontconvoiteacutes courtiseacutes pour leurs ressourcesleur marcheacute est interconnecteacute au mondepar leur diaspora et leur eacuteconomie a diver-sifieacute ses partenaires commerciaux2 Les dif-feacuterents tests montrent la deacutependance de lacroissance africaine asiatique et latino-ameacute-ricaine vis-agrave-vis de la croissance mondiale(FMI 2010) ou de la Chine Les pays pauvresont dans lrsquoensemble eacuteteacute peu toucheacutes par lacrise financiegravere venant des pays de lrsquoOCDEet lrsquoon note un relatif deacutecouplage NordSud(Hugon et Salama 2010) La laquo reprimarisa-tion raquo des eacuteconomies beacuteneacuteficiant du prix desmatiegraveres premiegraveres et subissant la concur-rence des grands eacutemergents pose toutefois laquestion du blocage industriel pour les paysles plus en retard

Quelques axes des nouvellespolitiques de deacuteveloppement

Lrsquoinsertion positive dans la mondialisation

Les enseignements de la nouvelle eacuteconomiegeacuteographique (Krugman 2008) et les reacuteus-sites de certains pays eacutemergents ont conduitagrave la prescription de politiques actives deconstruction des avantages compeacutetitifs Laprotection par les normes sociales environ-nementales ou phyto-sanitaires est devenueplus importante que celle effectueacutee via lesdroits de douane La question du taux de

[2] Le commerce SudSudpegravese pour pregraves de 40

du commerce exteacuterieurafricain contre 27

en 1990 (FMI 2010) Lesrelations commerciales

avec la Chine srsquoeacutelegravevent agraveplus de 200 milliards de

dollars celles avec lrsquoIndeagrave plus de 50 milliards et

avec le Breacutesil agrave plus de20 milliards

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 124

change et de lrsquoancrage agrave des monnaies oupanier de monnaies combinant compeacutetitiviteacuteet creacutedibiliteacute est devenue strateacutegique Lesnouvelles recommandations pour les PEDreposent sur un meacutelange entre des politiquesdrsquoeacutequilibrages macroeacuteconomiques et finan-ciers des politiques industrielles des pro-tections flexibles et des mesures destineacutees agraveattirer les investissements ndash et donc les tech-nologies ndash eacutetrangers La prioriteacute est de sortirdes laquo speacutecialisations appauvrissantes raquo lieacuteesagrave la laquo reprimarisation raquo des eacuteconomies et agrave lamaleacutediction des ressources naturelles

Les effets des liaisons intersectorielles

Avec la mondialisation le deacutebat sur les effetsdrsquoentraicircnement des secteurs amont et avalet des insertions dans les filiegraveres ou chaicircnesde valeur a eacuteteacute reacuteactualiseacute La monteacutee engamme de produits et la diversification desproductions supposent agrave la fois des pocircles decompeacutetitiviteacute autour des territoires et desinsertions dans les segments inteacutegreacutes auxprocessus productifs mondiaux notammentpar le biais des firmes multinationales Pourexercer des effets drsquoentraicircnement et nondrsquoenclave ces insertions doivent srsquoarticulerau tissu productif local Le deacutebat initieacute parAlbert Hirschmann entre la prioriteacute agrave accor-der aux investissements productifs et auxinfrastructures a resurgi Sous le double effetdes goulets drsquoeacutetranglement lieacutes aux manquesdrsquoinfrastructures et de la prioriteacute que leuraccordent les pays eacutemergents agrave commen-cer par la Chine les politiques appuyeacutees parles Eacutetats et les bailleurs de fonds mettentaujourdrsquohui lrsquoaccent sur les barrages lesreacuteseaux routiers et ferroviaires ou portuairesle cacircblage drsquointernet ou du teacuteleacutephone

La mise en œuvre de politiques bud-geacutetaires contracycliques un retour aukeyneacutesianisme

La combinaison des aides et annulations dedettes drsquoune part et de politiques financiegraveresplus rigoureuses drsquoautre part a permis dereacuteduire lrsquoinflation et de retrouver un eacutequilibreau niveau de la balance des paiements et desfinances publiques aussi bien en Afrique(tableau 1) qursquoen Ameacuterique latine

Les effets des mesures drsquoassainissementfinancier ont permis aux Eacutetats de mener despolitiques contracycliques durant le choc de2008-2009 Les concours internationaux auxpays les moins avanceacutes (PMA) ont doubleacute etles outils drsquointervention se sont diversifieacutes Sipeu de pays pauvres ont reacutealiseacute une transitionfiscale sur la base drsquoune fiscaliteacute progressiveet assise sur la valeur ajouteacutee en revancheles politiques de deacutepenses publiques onteacuteteacute rationaliseacutees Elles font deacutesormais jouerle multiplicateur keyneacutesien les ressourcesanciennement affecteacutees sont globaliseacutees ausein du budget les ressources anciennementaffecteacutees par projets ou secteurs sont globali-seacutees des cadres de deacutepenses de moyen termeet des programmes de deacutepenses pluriannuelsagrave horizon mobile sont mis en place Lrsquoefficaciteacutede la deacutepense publique est eacutevalueacutee agrave lrsquoaunedrsquoindicateurs de reacutesultats Les donateurs ontdeacuteveloppeacute en Afrique agrave la diffeacuterence des aidesprojets des formes de soutien globaliseacutes etfongibles notamment lrsquoaide budgeacutetaire glo-bale qui abonde les budgets nationaux

La lutte contre la pauvreteacute et le chocircmage

Les tests montrent que paradoxalement lacroissance eacuteconomique coiumlncide souvent avec

1 Les eacutequilibres financiers de lrsquoAfrique

Fin deacutecennie 1990 Fin deacutecennie 2000 Variation (en )

Inflation (en ) 220 80 ndash 64

Dette publique (en du PIB) 819 590 ndash 28

Solde budgeacutetaire (en du PIB) ndash 46 ndash 18 + 60

Source Jacquemot (2013)

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON125

une monteacutee de la pauvreteacute du chocircmage etde lrsquoeacuteconomie informelle Les politiques propauvres ont mis lrsquoaccent sur la reacuteduction dela pauvreteacute Les cadres strateacutegiques de reacuteduc-tion de la pauvreteacute (CSRP) ont eacuteteacute inteacutegreacutesaux OMD de Monterray donnant une prioriteacuteagrave la scolarisation et agrave lrsquoeacutegaliteacute par genre agrave lasanteacute de base agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoeau potable Au-delagrave se pose la question de lrsquoeacutelaboration desystegravemes de protection sociale permettantdrsquoeacutelargir la demande inteacuterieure (Cling et al 2003)

Une des questions prioritaires est celle deslimites de lrsquoemploi salarieacute face agrave lrsquooffre detravail des jeunes elle reacutesulte principale-ment de la combinaison de la croissancedeacutemographique et urbaine des ineacutegaliteacutesintra-nationales en hausse et des gains deproductiviteacute des technologies mondialiseacuteesFaut-il privileacutegier le secteur formel formali-ser lrsquoinformel et srsquoappuyer sur le segment leplus dynamique en capitalisant les pratiquesinnovantes (thegravese dualiste) Privileacutegier lespolitiques de redistribution de protectionsociale minimale et de soutien aux segmentsles plus vulneacuterables (thegravese sociale) Reacuteduireet simplifier les regraveglementations du secteurlaquo formel raquo (thegravese libeacuterale) ou au contraire lesfaire appliquer pour reacuteduire lrsquoemploi infor-mel dans les grandes uniteacutes Faut-il agir surlrsquooffre des petites uniteacutes par le creacutedit la for-mation professionnelle et lrsquoappui technique Ou sur leur environnement par exemple enreacuteduisant les instabiliteacutes des marcheacutes et lesdivers risques (thegravese structuraliste) Si lrsquoeacuteco-nomie informelle est durable et structurellela prioriteacute est de creacuteer des systegravemes de pro-tection sociale et de formation de reacuteduire lesineacutegaliteacutes et de combiner des technologies agraveforte intensiteacute capitalistique et des techno-logies intensives en travail en favorisant lesliens entre uniteacutes les plus productives et lespetites uniteacutes (sous-traitance)

Une nouvelle prioriteacute accordeacuteeagrave lrsquoeacuteconomie verteLes pays pauvres disposent drsquoun capitalnaturel eacuteleveacute estimeacute en Afrique agrave 23 de la

richesse contre 2 pour les pays de lrsquoOCDELa lutte contre la pauvreteacute ne peut ecirctre diffeacute-rencieacutee de la question environnementale (eauforecirct ressources halieutiques biodiversiteacutehellip)Les eacutenergies renouvelables la reacutesilience faceaux chocs naturels lrsquoutilisation des meacuteca-nismes de deacuteveloppement propres (MDP)la lutte contre la deacutesertification et le stresshydrique la pollution urbaine ou la deacutefores-tation sont autant de projets prioritaires

Les politiques liant seacutecuriteacuteet deacuteveloppementLa cateacutegorie drsquolaquo Eacutetats fragiles raquo a eacuteteacute forgeacuteepour speacutecifier les prioriteacutes des politiques agravemettre en œuvre pour des Eacutetats en conflit oupost conflit etou en faillite La question de laseacutecuriteacute des biens et des personnes ne peutecirctre dissocieacutee de celle du deacuteveloppement Lesvulneacuterabiliteacutes et handicaps structurels lespreacuteventions des conflits conduisent agrave privi-leacutegier la seacutecuriteacute et les fonctions reacutegaliennesde lrsquoEacutetat aux eacutequilibres financiers et agrave la luttecontre la corruption Dans un monde en voiede globalisation et drsquoexclusion drsquointerdeacutepen-dances et de replis identitaires les mafiaspolitiques les trafics de drogue et les diffeacute-rentes formes de criminaliteacute accompagnentla pauvreteacute Dans laquo un monde sans loi raquo lesreacutegulations socio-politiques et les encadre-ments normatifs deviennent des questionscentrales tant de la part des Eacutetats que de lacommunauteacute internationale

Des politiques de reacuteformesstructurelles souvent en attenteLes programmes drsquoajustement niaient le poli-tique (les conflits les compromis) dans lediscours mais le placcedilaient dans la pratiqueau cœur des objectifs et des moyens Lesquestions de corruption de clienteacutelisme depatrimonialisme de criminaliteacute de lrsquoEacutetat oudes mafias sont devenues des sujets centrauxqui relativisent les frontiegraveres entre lrsquoEacutetat etle marcheacute entre la chose publique et la chosepriveacutee Les facteurs sociaux institutionnelset politiques sont deacuteterminants pour expli-quer lrsquoeacutechec ou les reacuteussites des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 126

eacuteconomiques Il y a un relatif consensus pourmobiliser diffeacuterents acteurs et mener despolitiques agrave plusieurs eacutechelles territoriales

Lrsquoeacuteconomie de rente la preacutefeacuterence pour lecourt terme les comportements patrimoniauxlrsquoabsence de contre-pouvoirs et de socieacute-teacutes civiles fortes ainsi que la deacuteliquescencede lrsquoEacutetat demeurent souvent des facteursstructurels essentiels bloquant lrsquointeacutegra-tion positive des pays pauvres agrave lrsquoeacuteconomiemondiale par un changement de speacutecialisa-tion et une remonteacutee en gamme de produitsdans la chaicircne de valeur internationale Lespays pauvres restent globalement dans unelogique de reacuteservoirs comme exportateurs deproduits primaires et de deacuteversoirs commeimportateurs de produits transformeacutes Leurcommerce exteacuterieur dynamique leur permetdrsquoimporter du monde entier les produits les

moins chers et drsquoameacuteliorer ainsi le niveaude consommation des populations mais ilsne parviennent pas pour autant agrave construireune veacuteritable base industrielle et drsquoaccumu-lation (Hugon 2013) Comment des agricul-tures paysannes peuvent-elles concurrencerdes agricultures soutenues par des politiquespubliques de la part des pays industriels oueacutemergents Comment des artisans et desentreprises industrielles peuvent-ils entreren compeacutetition avec des entreprises dis-posant drsquoavances technologique de vastesmarcheacutes et drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle Commentdes socieacuteteacutes et des populations peuvent-ellesconstruire la moderniteacute et deacutevelopper leurspotentialiteacutes et laquo capabiliteacutes raquo par des trajec-toires plurielles

BEN HAMMOUDA H (1999) Lrsquoeacuteconomie politique du post-ajustement Paris Karthala

BOURGUIGNON F (2012)La mondialisation delrsquoineacutegaliteacute Paris Seuil

CLING J-P RAZAFINDRAKOTOM et ROUBAUD F (2003) Les nouvelles strateacutegiesinternationales de luttecontre la pauvreteacute ParisEconomica 2e eacuted

FMI (2010) A compleacuteter

GUILLAUMONT P (2009) Caught in a trap Identifyingthe least developed countriesParis Economica

HUGON PH etMICHALET CH-A (eds) (2006)Les nouvelles reacutegulations delrsquoeacuteconomie mondiale ParisKarthala

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KRUGMAN P (2008) Pourquoiles crises reviennent toujours Paris Le Seuil

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SACHS J D (2005) TheEnd of Poverty EconomicPossibilities for Our TimeNew York Penguin Press HC

STIGLITZ J (1998) laquo Towardsa New Paradigm forDevelopment StrategiesPolicies and ProcessesGenegraveve Prebisch Lectures atUNCTAD

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Directeur de la publication Xavier Patier

Direction de lrsquoinformation leacutegale et administrative Teacutel 01 40 15 70 00wwwladocumentationfrancaisefr

Imprimeacute en France par la DILADeacutepocirct leacutegal 75059 septembre 2013DF 2PE32760 ISSN 0032-9304CPPAP ndeg 0513B05932

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HORS-SEacuteRIESEPTEMBRE 2013 NUMEacuteRO 4

comprendreLES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLa crise a jeteacute un nouveau regard sur les politiques eacuteconomiquesElle a notamment remis en question le consensus drsquoinspiration libeacuterale qui guidait lrsquoaction publique depuis une trentaine drsquoanneacuteesUne reacuteorientation est-elle agrave lrsquoœuvre depuis 2008

Ce numeacutero hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques rappelle les fondements des politiques eacuteconomiques et passe en revue les diffeacuterents instruments et objectifs en insistant sur les eacutevolutions les plus reacutecentes

Prochain numeacutero agrave paraicirctre Comprendre le capitalisme

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Page 3: Comprendre les politiques économiqueslivre.fun/LIVREF/F39/F039027.pdfla relance keynésienne ; la forte augmentation de l’endettement public dans la foulée a quant à elle jeté

Direction de lrsquoinformation leacutegale et administrative26 rue Desaix75015 Paris

Reacutedaction de Problegravemes eacuteconomiquesPatrice Merlot (reacutedacteur en chef)Olivia Montel-Dumont (reacutedactrice en chef des hors-seacuterie)Makus Gabel (reacutedacteur)Steacutephanie Gaudron (reacutedactrice)

PromotionAnne-Sophie Chacircteau

SecreacutetariatPaule Oury

29 quai Voltaire75344 Paris cedex 07Teacutel 01 40 15 70 00peladocumentationfrancaisefrhttpwwwladocumentationfran-caisefrrevues-collections problemes-economiques indexshtmlAbonnez-vous agrave la newsletter

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LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LE TOURBILLON DE LA CRISELa crise a mis les politiques eacuteconomiques agrave rude eacutepreuve et jeteacute sur elles un nouveau regardDepuis une trentaine drsquoanneacutees lrsquoaction publique dans les eacuteconomies avanceacutees reposait sur unconsensus drsquoinspiration plutocirct libeacuterale tandis que le controcircle de lrsquoinflation et la maicirctrise desdeacutepenses publiques eacutetaient les maicirctres mots des politiques moneacutetaires et budgeacutetaires (lesecond objectif eacutetant toutefois tregraves ineacutegalement atteint) les politiques laquo structurelles raquofaisaient la part belle agrave la concurrence et aux meacutecanismes de marcheacute

Drsquoune ampleur et drsquoune dureacutee ineacutedites depuis la Grande Deacutepression la crise deacuteclencheacutee en2007 par les subprimes a deacutestabiliseacute cet eacutedifice Il est en effet apparu que non seulementlrsquoaction publique nrsquoa pas empecirccheacute la crise financiegravere et sa propagation agrave lrsquoensemble delrsquoeacuteconomie mais que certaines politiques ont mecircme favoriseacute son deacuteveloppement

Crsquoest le cas notamment de la politique moneacutetaire qui constituait pourtant le domainede lrsquoaction publique ougrave le consensus eacutetait le plus solide alliant eacuteconomistes dirigeantspolitiques et banquiers centraux Si lrsquoindeacutependance des banques centrales et lerecentrage de leur action sur le laquo ciblage drsquoinflation raquo ont permis des anneacutees drsquoinflationfaible les risques financiers globaux auxquels eacutetaient exposeacutees les eacuteconomies ont eacuteteacuteneacutegligeacutes Ainsi la politique meneacutee par la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine dans les anneacutees2000 aurait non seulement laisseacute ce risque de cocircteacute mais aurait contribueacute agrave la formationet agrave lrsquoeacuteclatement de la bulle des subprimes La seacuteveacuteriteacute de la crise a en outre contraintles banques centrales agrave mettre en œuvre des politiques laquo non conventionnelles raquo dontlrsquoabandon nrsquoest pas sans poser problegraveme Du cocircteacute des politiques budgeacutetaires quoiquelrsquoausteacuteriteacute reste de mise surtout dans la zone euro confronteacutee agrave une grave crise des dettessouveraines la reacutecession de 2008-2009 a remis sur le devant de la scegravene les principes dela relance keyneacutesienne la forte augmentation de lrsquoendettement public dans la fouleacutee aquant agrave elle jeteacute un eacuteclairage nouveau sur la question des regravegles budgeacutetaires celles duPacte de stabiliteacute et de croissance srsquoeacutetant reacuteveacuteleacutees insuffisantes

Au-delagrave du choc conjoncturel qursquoelle a infligeacute aux eacuteconomies avanceacutees la crise a acceacuteleacutereacuteles transformations de lrsquoeacuteconomie mondiale touchant de faccedilon beaucoup plus seacutevegravereles pays deacuteveloppeacutes elle a approfondi en leur sein le mouvement de deacutesindustrialisationet renforceacute la monteacutee en puissance des eacuteconomies eacutemergentes Dans ce contexte lapolitique industrielle longtemps reacuteduite agrave sa portion congrue au motif qursquoelle fausseles conditions de la concurrence connaicirct un renouveau De la mecircme faccedilon la volonteacute desauvegarder les activiteacutes et les emplois sur le territoire national rend le processus delibeacuteralisation des eacutechanges commerciaux plus conflictuel

Les politiques laquo structurelles raquo conservent neacuteanmoins les grandes dynamiquesdrsquoavant-crise Celles-ci sont mecircme accentueacutees dans certains cas par les neacutecessiteacutes delrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire Ainsi bien que lrsquoenvoleacutee du chocircmage alourdisse les deacutepensesdrsquoindemnisation la logique de lrsquolaquo activation raquo des politiques de lrsquoemploi se poursuitEt si les deacutepenses sociales progressent face agrave des besoins croissants la tendance agrave lalaquo privatisation raquo drsquoune partie de la protection sociale et son recentrage sur les cateacutegoriesles plus deacutefavoriseacutees nrsquoest pas remise en cause

Olivia Montel-Dumont

COMPRENDRELES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLes politiques eacuteconomiques pourquoi et comment P 5 Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions (Hubert Kempf)

P 12 Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publique (Christophe Demaziegravere)

P 18 Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeux (Sophie Brana)

P 27 Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels (Franck Lirzin)

P 33 Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire (Jeacuterocircme Creel)

P 39 Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France (Adrien Matray)

P 47 Comment eacutevaluer les politiques publiques (Antoine Bozio)

Instruments et objectifs des politiques eacuteconomiquesP 53 Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques (Gilbert Koenig)

P 61 La politique moneacutetaire quel renouvellement avec la crise (Christian Bordes)

P 77 Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisonseacutevolutions (Jacques Le Cacheux)

P 87 Les politiques sociales quel avenir (Philippe Batifoulier)

P 95 Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples (Christine Erhel)

P 104 La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens (Pierre-Noeumll Giraud)

P 111 La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation (Michel Rainelli)

P 120 Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de Washington (Philippe Hugon)

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 5

Dans les anneacutees 1970 le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui avait eacuteteacute eacutelaboreacute dans lrsquoapregraves-guerre et srsquoinspirait largement des preacuteceptes keyneacutesiens a voleacute en eacuteclat au profit drsquoun nouveau consensus inteacutegrant les avanceacutees de la macroeacuteconomie en particulier les tra-vaux sur les anticipations rationnelles Sur le plan microeacuteconomique ce sont les notions drsquoasy-meacutetrie drsquoinformation et de deacutefauts drsquoappariement qui ont le plus inspireacute lrsquointervention publique en particulier les politiques de lrsquoemploiLa crise eacuteconomique reacutecente a bousculeacute ce cadre surtout sur le plan macroeacuteconomique Le laquo ciblage drsquoinflation raquo et la maicirctrise des deacuteficits publics qui eacutetaient devenus les mots drsquoordre des politiques moneacutetaires et budgeacutetaires nrsquoont pas empecirccheacute la Grande Reacutecession ni la crise des finances publiques qui a suivi dans de nombreux pays avanceacutesHubert Kempf fait le point sur ce nouveau basculement du cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui a conduit agrave reconsideacuterer la reacuteglementation des marcheacutes et la question de la surveillance des risques financiers

Problegravemes eacuteconomiques

Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions

La crise eacuteconomique initieacutee avec lrsquoeffondre-ment du marcheacute des subprimes en 2007 estsinguliegravere agrave bien des titres Interminable ellea succeacutedeacute agrave une longue peacuteriode de prospeacute-riteacute marqueacutee par une croissance soutenue etreacuteguliegravere ainsi qursquoune inflation faible De lalaquo grande modeacuteration raquo nous sommes passeacutesagrave la laquo Grande Reacutecession raquo Cette reacutecession estdrsquoune ampleur ineacutedite la baisse de lrsquoactiviteacutea eacuteteacute brutale et forte surtout apregraves la faillitede Lehman Brothers en septembre 2008 elle

srsquoest propageacutee tregraves rapidement agrave lrsquoeacuteconomiemondiale enfin dans un second temps lesdifficulteacutes des finances publiques de certainspays membres de lrsquoUnion europeacuteenne (UE) ontplongeacute celle-ci dans une crise majeure qui a ali-menteacute le ralentissement eacuteconomique mondial

Le cadre theacuteorique drsquoavant-criseLa politique eacuteconomique dans son aspectmicroeacuteconomique comme macroeacuteconomiqueest tributaire des avanceacutees de la recherchetant theacuteorique qursquoappliqueacutee mais aussi delrsquoanalyse des expeacuteriences acquises au tra-vers des programmes effectivement mis enplace par les gouvernements qui constituentautant drsquoexpeacuterimentations nourrissant la

HUBERT KEMPF

Eacutecole normale supeacuterieure de Cachan et Eacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 6

reacuteflexion Sur le plan microeacuteconomique ilnrsquoest pas possible de dire qursquoun consensusexistait avant 2007 mecircme si les principes delrsquointervention publique eacutetaient indiscuteacutesSur un plan macroeacuteconomique en revancheon peut eacutevoquer un consensus partageacute au seindu monde acadeacutemique ainsi que par les pra-ticiens en particulier les banquiers centraux

Les politiques microeacuteconomiques

Si les deacutefaillances de marcheacute sont reconnuescomme lrsquoune des principales justifications delrsquointervention publique il nrsquoy a pas drsquouna-nimiteacute sur la faccedilon de les analyser et drsquoenappreacutecier la porteacutee En microeacuteconomie deuxvoies drsquoanalyse ont eacuteteacute privileacutegieacutees La pre-miegravere porte sur les deacutefauts drsquoajustement etdrsquoappariement entre offreurs et demandeurs la seconde concerne les asymeacutetries drsquoinforma-tion entre agents et le deacuteveloppement de stra-teacutegies opportunistes De plus une partie desproblegravemes microeacuteconomiques peut ecirctre analy-seacutee comme reacutesultant des deacutefaillances de lrsquoEacutetatqui mesure mal ou refuse de tenir compte deseffets pervers de ses interventions

Le fonctionnement du marcheacute du travailfournit un bon exemple de cette diversiteacute depoints de vue Pour les uns les problegravemes dece marcheacute seraient dus agrave des rigiditeacutes quiamplifient les difficulteacutes drsquoappariement entreemployeurs et salarieacutes et deacutecourageraientune partie de la population en acircge de travail-ler de rechercher activement et efficacementun emploi Selon cette approche il faut doncdeacutereacuteglementer pour ameacuteliorer la flexibiliteacutede lrsquoemploi Pour les opposants agrave cette ana-lyse les conditions de lrsquoemploi font partie ducontrat social et en particulier du contratimplicite entre employeur et salarieacute Il estdonc raisonnable que lrsquoemployeur assurele salarieacute contre les risques portant sur sareacutemuneacuteration le cas eacutecheacuteant par le biaisdrsquoune reacuteglementation contraignante

De mecircme sur les marcheacutes des biens cer-taines deacutefaillances deacutecouleraient de la dif-ficulteacute drsquoassurer les conditions drsquoune bonneconcurrence ou du poids de reacuteglementationsexcessives ou mal penseacutees Mais a contrario le marcheacute peut deacutegager des incitations insuf-fisantes pour que soient mis en œuvre les

CLCLAASSER LES POLITIQUESSSER LES POLITIQUESEacuteEacuteCCONOMIQUESONOMIQUESIl esIl est usuel drsquoopposer lt usuel drsquoopposer les politiqueses politiques

cconjoncturonjoncturellelles aux politiques ses aux politiques structurtructurellelleses

Les politiques cLes politiques conjoncturonjoncturellelles visentes visent

agrave sagrave sttabiliser labiliser lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique etonomique et

en particulier agrave ren particulier agrave reacuteduireacuteduire le les ves variationsariations

cconjoncturonjoncturellelles autes autour de la tour de la tendancendance dee de

llong tong terme de lerme de lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie Les politiquesonomie Les politiques

sstructurtructurellelles visent quant agrave elles visent quant agrave elles agrave modifieres agrave modifier

la sla structurtructure pre productivoductive et le et les cires circuits decuits de

disdistribution de ltribution de lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

Les politiques cLes politiques conjoncturonjoncturellelles res rececensentensent

trtraditionnelladitionnellement la politique budgeacutetement la politique budgeacutetairairee

(incluant l(incluant le ve vololet fiscet fiscal) et la politiqueal) et la politique

moneacutetmoneacutetairaire La politique de le La politique de lrsquoemplrsquoemploi la politiqueoi la politique

indusindustrielltrielle et le et les politiques sociales politiques sociales sont deses sont des

eexxemplemples de politiques ses de politiques structurtructurellelleses

Cependant lCependant les politiques ces politiques conjoncturonjoncturellelleses

cconnaisonnaissent des inflesent des inflexions sxions structurtructurellelleses

ccomme lomme les changements de ses changements de strtratateacutegieeacutegie

moneacutetmoneacutetairaire ou le ou les ces controntraintaintes juridiques mises agravees juridiques mises agrave

llrsquoemplrsquoemploi des insoi des instruments budgeacutettruments budgeacutetairaires et fisces et fiscauxaux

Il esIl est donc prt donc preacutefeacutefeacutereacuterablable et ce et coheacuteroheacuterent avent avecec

llrsquoanalrsquoanalyse eacutecyse eacuteconomique de disonomique de distinguertinguer

politiques macrpolitiques macroeacutecoeacuteconomiques et politiquesonomiques et politiques

micrmicroeacutecoeacuteconomiques Les pronomiques Les premiegraveremiegraveres visentes visent

agrave agir sur lagrave agir sur le rythme et la dynamique dee rythme et la dynamique de

llrsquoeacutecrsquoeacuteconomie dans son ensemblonomie dans son ensemble te tandis queandis que

lobjectif des seclobjectif des secondes esondes est de modifier lt de modifier leses

cconditions de londitions de lrsquooffrrsquooffre et de la demande sur dese et de la demande sur des

marmarcheacutes speacutecifiquescheacutes speacutecifiques

Hubert KempfHubert Kempf

ZOOM

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 7

efforts drsquoinnovation qui maximisent le bien-ecirctre collectif ce qui appelle donc agrave la mise enplace drsquoune politique scientifique publique

Enfin concernant le financement de lrsquoeacutecono-mie il eacutetait admis que les marcheacutes financiersmodernes eacutetaient devenus efficaces gracircce auprogregraves des techniques de connexion et desinnovations financiegraveres rendues en particu-lier possibles par un mouvement de deacutereacutegle-mentationAu final ce mouvement initieacute dansles anneacutees 1980 aurait permis aux marcheacutesdrsquoatteindre la maturiteacute et de srsquoauto-reacuteguler

Les politiques macroeacuteconomiques

Un nouveau modegravele canonique issude la synthegravese neacuteo-keyneacutesienneLe consensus en matiegravere de politiques macro-eacuteconomiques srsquoest fondeacute sur des progregravesmeacutethodologiques dans la continuation dela reacutevolution des anticipations rationnellesinitieacutee en 1972 par Robert Lucas Les macro-eacuteconomistes ont mis au point des modegravelesdrsquoeacutequilibre geacuteneacuteral dynamiques et stochas-tiques agrave des fins de reproduction des dyna-miques eacuteconomiques reacuteellement constateacuteesCes modegraveles sont mieux fondeacutes et plus signi-ficatifs que les modegraveles eacuteconomeacutetriquesqui se deacuteveloppegraverent dans les anneacutees 1960-1970 puisqursquoils explicitent les conditionsdrsquoeacutequilibre les contraintes budgeacutetaires desdiffeacuterents agents et leurs comportementsintertemporels De plus ils permettent dessimulations de politique eacuteconomique permet-tant de prendre en compte la reacuteponse immeacute-diate et retardeacutee des agents eacuteconomiques agravedes mesures de politique eacuteconomique

Un modegravele canonique qualifieacute de laquo synthegraveseneacuteo-keyneacutesienne raquo srsquoest deacutegageacute agrave la fin desanneacutees 1990 Il est drsquoune remarquable sim-pliciteacute alors mecircme qursquoil repose sur des fonde-ments microeacuteconomiques clairs et incorporedes rigiditeacutes nominales1 Ce modegravele metlrsquoaccent sur le caractegravere indeacutetermineacute de ladynamique eacuteconomique en particulier nomi-nale Cela explique que lrsquoune des responsa-biliteacutes eacuteminentes de la politique moneacutetairesoit lrsquoancrage des anticipations les autoriteacutes

moneacutetaires doivent srsquoassurer qursquoelles se coor-donnent sur un sentier drsquoeacutevolution futurestable et connu de tous2

Cette simpliciteacute mecircme a occasionneacute la neacutegli-gence des pheacutenomegravenes financiers en par-ticulier ceux lieacutes agrave la distribution du creacuteditbancaire dans lrsquoeacuteconomie jugeacutes empirique-ment neacutegligeables

Une politique moneacutetaire au premier plancentreacutee sur le laquo ciblage drsquoinflation raquoLa mise en avant de lrsquoancrage des anticipa-tions a donneacute une importance particuliegravere agravela politique moneacutetaire Il eacutetait admis que labanque centrale disposait drsquoune capaciteacute decontrocircle direct du taux drsquoinflation Les mar-cheacutes financiers devenus deacutereacuteglementeacutes etsuffisamment sophistiqueacutes le taux drsquointeacuterecirctdu marcheacute moneacutetaire controcircleacute par la banquecentrale se transmettait sans frictions agrave lrsquoen-semble des taux et donc agrave la sphegravere reacuteelleLegs des recherches des anneacutees 1980 lrsquoeffi-caciteacute de lrsquoancrage des anticipations deacutepen-dait de la creacutedibiliteacute de la banque centraleagrave tenir ses engagements dans le futur Cettecreacutedibiliteacute requeacuterait lrsquoindeacutependance de lrsquoins-titut drsquoeacutemission Cela a donneacute lieu agrave unestrateacutegie qui est devenue de plus en pluspopulaire dans les anneacutees 1990 le laquo ciblagedrsquoinflation raquo3

Des politiques budgeacutetaires limiteacuteesagrave la reacuteduction des deacuteficits publicsLa perception de la politique budgeacutetaire (etfiscale) avant la crise ouverte en 2007 estinverse agrave celle de la politique moneacutetaireDrsquoune part son utiliteacute apparaicirct moindrepuisque la laquo grande modeacuteration raquo associeacutee agravela maicirctrise de lrsquoinflation semble montrer lesuccegraves drsquoune intervention minimale de lrsquoEacutetatet le bon fonctionnement des marcheacutes deacutereacute-glementeacutes Dans le mecircme temps son efficaciteacuteest contesteacutee par de nombreuses eacutetudes uni-versitaires La valeur du multiplicateur estmise en question et semble bien infeacuterieure agravece que deacutefendent ses partisans Au contrairedes strateacutegies drsquolaquo ajustement budgeacutetaire raquosemblent concluantes car la diminution du

[1] On dit qursquoil y a desrigiditeacutes nominales

lorsque les variablesnominales (hors effet

prix) srsquoajustent mal auxmodifications drsquoautresvariables Par exemple

les salaires laquo nominaux raquondash les salaires

afficheacutes ndash sontrelativement rigides

surtout agrave la baisse ils sont neacutegocieacutessur des peacuteriodes

relativement longueset font lrsquoobjet de

normes et conventionsLes prix sont en

revanche plus flexibleset par ce biais il peuty avoir une variationdes salaires laquo reacuteels raquo

(rapport du salairenominal aux prix) mecircmesi les salaires nominaux

sont constants

[2] Sur la questionde lrsquoancrage

des anticipations voirle zoom de Christian

Bordes p 62

[3] Idem

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 8

deacuteficit public est alleacutee de pair dans certainspays avec lrsquoexpansion eacuteconomique la crois-sance de lrsquoemploi public semble correacuteleacutee aveclrsquoaugmentation du chocircmage Crsquoest ce qui res-sort de quelques expeacuteriences marquantescomme au Danemark et en Suegravede dans lesanneacutees 1980-1990Enfin des recherches sur laprise de deacutecision budgeacutetaire avancent que lesresponsables gouvernementaux ont des preacute-occupations laquo court-termistes raquo et souventpurement eacutelectoralistes qui les conduisent agraveune gestion laxiste des finances publiques4

Dernier eacuteleacutement du consensus implicite dansles deacuteveloppements preacuteceacutedents les poli-tiques budgeacutetaires et moneacutetaires sont indeacute-pendantes et il nrsquoy a pas lieu de se soucier deles coordonner

Un consensus bousculeacute par la crise

Ces options de politique eacuteconomique ont joueacuteun rocircle important dans la dynamique du pro-cessus reacutecessif et sont parfois incrimineacuteescomme responsables de son deacuteclenchementCe retournement exceptionnel est donc alleacutede pair avec une remise en cause des justifica-tions theacuteoriques de la politique eacuteconomique

La reacutecession a pris par surprise les respon-sables des politiques eacuteconomiques gouver-nements et banques centrales Lrsquoapparitionde paniques bancaires la faillite drsquoune ins-titution financiegravere drsquoimportance mondialecomme Lehman Brothers le quasi assegraveche-ment du marcheacute interbancaire en quelquesheures le ralentissement massif du com-merce international ducirc agrave un resserrementbrutal des creacutedits lieacutes aux exportations etpar voie de conseacutequence une spirale deacutepres-sive soudaine et geacuteneacuterale agrave partir de la fin de2008 ont forceacute gouvernements et banquescentrales agrave des actions rapides fortes et ini-maginables quelques mois auparavant

Les banques centrales furent les premiegraveres agraveagir et mirent en place degraves 2007 des politiquesnon-conventionnelles consistant agrave ouvrir denouvelles faciliteacutes de creacutedit aux banquesou agrave racheter directement des titres publicsou priveacutes pour faciliter le financement des

agents non-financiers Les Treacutesors publicsont reacuteagi plus lentement parce que le proces-sus de deacutecision budgeacutetaire est plus lent maisavec tout autant de deacutetermination La deacutegra-dation des finances publiques est manifestemais teacutemoigne de lrsquoactivisme budgeacutetaire dontont fait preuve les Eacutetats

Les politiques de crise amegravenentagrave repenser la politique eacuteconomiqueLes principes de lrsquointervention microeacutecono-mique de lrsquoEacutetat restent au moins aussi preacute-gnants rocircle des incitations neacutecessiteacute drsquounereacuteglementation souple refus drsquoun inter-ventionnisme conqueacuterant systeacutematique etgeacuteneacuteral Mais la doctrine et la theacuteorie de lapolitique macroeacuteconomique dominantes sonten crise

Des principes de politiquemicroeacuteconomique preacuteserveacutes maisrevus pour les marcheacutes financiers

Pour ce qui est du marcheacute du travail la crisequi a toucheacute de faccedilon diffeacuterencieacutee les paysselon leur capaciteacute agrave effectuer des ajuste-ments microeacuteconomiques pour assurer leurcompeacutetitiviteacute et leur reacutesilience aux chocsa eu une conseacutequence claire la puissancepublique doit privileacutegier la flexibiliteacute dumarcheacute du travail et deacutemanteler un appareilreacuteglementaire souvent asphyxiant

Une autre leccedilon de la crise est largement par-tageacutee agrave savoir la remise en cause de lrsquoideacuteeque les marcheacutes financiers sont efficaces Siles outils microeacuteconomiques agrave la disposi-tion des financiers permettent une gestionsophistiqueacutee du risque cela les amegravene agrave enassumer davantage sans prendre consciencedes effets agreacutegeacutes De fait les responsablespublics ont eux aussi neacutegligeacute les dangers demarcheacutes censeacutes srsquoautoreacuteguler Les marcheacutesfinanciers doivent donc ecirctre re-reacuteglementeacutesUne prioriteacute est drsquoappliquer les concepts dela theacuteorie de lrsquoasymeacutetrie drsquoinformation agrave lafinance et agrave lrsquoeacuteconomie bancaire de faccedilon agrave

[4] Sur les politiquesbudgeacutetaires voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de GilbertKoenig pp 53-60

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 9

comprendre les imperfections financiegraveresmais aussi pour mieux comprendre la reacutegle-mentation agrave mettre en place puisque la puis-sance publique sera toujours moins bieninformeacutee des conditions de marcheacute que lesopeacuterateurs eux-mecircmes

Le bien-fondeacute drsquoune intervention publiquesur les marcheacutes des biens en particulier parle biais drsquoune politique industrielle reste tou-jours deacutebattu Mais le consensus est toujoursque la puissance publique a un rocircle agrave jouerdans le soutien agrave lrsquoinnovation scientifique ettechnologique5

Le cadre des politiquesmacroeacuteconomiques en crise

Les risques financierset les pheacutenomegravenes de crise neacutegligeacutes

En ce qui concerne les politiques macroeacuteco-nomiques la remise en cause des principesdrsquoavant-crise est massive et touche chacundes preacutesupposeacutes du consensus qui srsquoest eacutela-boreacute depuis le deacutebut des anneacutees 1970 lorsqueles eacuteconomistes ont entrepris drsquoeacutetablir lesfondements microeacuteconomiques des pheacuteno-megravenes macroeacuteconomiques Il ne faut passous-estimer la feacuteconditeacute et la creacuteativiteacute dumonde acadeacutemique confronteacute agrave ces incerti-tudes Les reacuteflexions actuelles deacuteboucherontagrave nrsquoen pas douter sur un nouveau consensusqui fera sa place aux imperfections finan-ciegraveres et bancaires ainsi qursquoaux pheacutenomegravenespeu freacutequents Il est en revanche impossiblede dire srsquoil sera precirct agrave temps et pour com-prendre et preacutevenir la prochaine crise

Il ne peut ecirctre question de nier ou de tenirpour nul les importants progregraves de lamacroeacuteconomie depuis les anneacutees 1970 Lesmeacutethodes de modeacutelisation et drsquoestimationeacuteconomeacutetrique sont deacutesormais sophistiqueacuteeset pertinentes pour appreacutecier une reacutealiteacute tou-jours plus complexe

Mais la premiegravere geacuteneacuteration de modegraveles issusde cette meacutethodologie a deacuteboucheacute sur unmodegravele canonique trop rudimentaire inca-pable drsquoanalyser et drsquointerpreacuteter la rupture

de 2007 et ses conseacutequences Le deacutefi est drsquoob-tenir un modegravele raisonnablement simple etdonc utilisable pour les pouvoirs publics etles autoriteacutes moneacutetaires qui integravegre en mecircmetemps les imperfections financiegraveres lieacutees auxproblegravemes drsquoasymeacutetrie drsquoinformation et per-mette ainsi de formaliser les options de poli-tique macroeacuteconomique face aux risquesfinanciers

Surtout il apparaicirct clairement que les pheacute-nomegravenes de crise peu freacutequents irreacutegulierset par lagrave-mecircme difficiles agrave preacutevoir ont eacuteteacuteneacutegligeacutes Ils sont lieacutes agrave des prises de risquesfinanciers eacuteleveacutees Ces risques sont mal eacuteva-lueacutes par les agents eacuteconomiques car ils nepeuvent ecirctre correctement appreacutecieacutes qursquoauniveau macroeacuteconomique par une analysedes deacuteseacutequilibres structurels des bilans desagents et des institutions

Le renouveaudu rocircle des banques centralesLa crise a brutalement rappeleacute que lesbanques centrales ont une double mission outre la deacutetermination du taux drsquointeacuterecirctelles doivent garantir la viabiliteacute du sys-tegraveme de paiement dont deacutependent les fluxeacuteconomiques Le rehaussement de la fonc-tion prudentielle des banques centrales dansses dimensions micro et macroeacuteconomiquesnrsquoest quasiment pas discuteacute Cette fonctionimplique tant la surveillance ex ante drsquoindica-teurs de risque financier comme la structuredu bilan des banques et le ratio drsquoendette-ment (par rapport aux eacuteleacutements du passif nongarantis) que lrsquointervention ex post en cas defaillite bancaire ou de crise systeacutemique

En matiegravere de politique moneacutetaire lrsquoancragedes anticipations ne peut suffire agrave assurer lastabiliteacute macroeacuteconomique Les contraintesde financement et drsquoaccegraves aux marcheacutes finan-ciers srsquoavegraverent deacuteterminantes et sujettes agravedes variations brutales En drsquoautres termesla fonction de demande de monnaie ou encorela distribution du creacutedit ne peuvent ecirctreconsideacutereacutees comme stables

Ainsi un nouveau cadre institutionnel se meten place dont la coheacuterence avec la politique

[5] Sur la politiqueindustrielle

cf dans ce mecircmenumeacutero lrsquoarticle

de Pierre-Noeumll Giraudpp 104-110

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 10

moneacutetaire nrsquoest pas assureacutee La reacuteglemen-tation prudentielle des banques et des ins-titutions financiegraveres srsquoaccroicirct sans que lesconseacutequences macroeacuteconomiques de ce ren-forcement soient explicitement prises encompte Les banques centrales sortent ren-forceacutees de la crise eacuteconomique actuelle alorsmecircme qursquoon peut srsquointerroger sur leur soli-diteacute et leur clairvoyance un mandat pluslarge une capaciteacute drsquoaction plus grande desinstruments drsquoaction plus nombreux et moinsdiscuteacutes Pas neacutecessairement plus transpa-rentes probablement moins indeacutependantesdes pouvoirs politiques qursquoon ne le disait oulrsquoespeacuterait les banques centrales sont plus envue mais peut-ecirctre plus fragiles

Lrsquoutiliteacute de la politiquebudgeacutetaire reconsideacutereacutee

Parallegravelement se produit une reacuteeacutevaluation delrsquoutiliteacute de la politique budgeacutetaire LrsquoEacutetat aagrave la fois la possibiliteacute et la leacutegitimiteacute neacuteces-saire pour reacutepondre agrave des chocs majeurs neserait-ce qursquoen laissant fonctionner les laquo sta-bilisateurs automatiques raquo6 Ne pas le faireexpose agrave une aggravation catastrophiquede la reacutecession Les recherches reacutecentes surla valeur du multiplicateur ont abouti agrave laconclusion qursquoil valait mieux parler desmultiplicateurs car lrsquoefficaciteacute drsquoune poli-tique de deacuteficit varie en fonction des circons-tances Lrsquoefficaciteacute drsquoune politique de relancenrsquoest pas la mecircme en phase de reacutecession oudrsquoexpansion selon le niveau de lrsquoendette-ment public et la neacutecessiteacute drsquoeacutequilibrer rapi-dement les comptes publics Surtout elle estaccrue lorsque le taux drsquointeacuterecirct a atteint salimite infeacuterieure Dans cette configurationune action de relance budgeacutetaire aboutit agraveune baisse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel via lrsquoinfla-tion ce qui est un facteur expansif car leseffets drsquoeacuteviction ne sont pas agrave redouter7

Mais la crise a montreacute la difficulteacute de deacutefi-nir avec rigueur la contrainte budgeacutetaire delrsquoEacutetat LrsquoEacutetat peut devoir se porter rapide-ment au secours de tel ou tel secteur en par-ticulier devoir renflouer le secteur bancaireLa soutenabiliteacute de la dette publique reste un

impeacuteratif mais les conditions pour satisfairecette obligation sont toujours plus opaques

Agrave la lumiegravere de la conjoncture reacutecente la poli-tique budgeacutetaire semble ainsi beaucoup plusdeacutelicate et difficile agrave manipuler qursquoon ne lepensait il y a dix ans elle srsquoavegravere en outrelargement deacutependante des conditions finan-ciegraveres dans lesquelles elle est meneacutee Sonefficaciteacute mecircme reacuteeacutevalueacutee apparaicirct toujoursincertaine la position patrimoniale de lrsquoEacutetatpeut se deacutegrader tregraves brutalement et durable-ment la restauration des comptes publicsest difficile et prend du temps surtout quandelle est incomprise par lrsquoopinion publique

Nouveaux paradoxessur le rocircle de lrsquoEacutetatLa remise en cause du cadre theacuteorique de lapolitique eacuteconomique est donc moins forteqursquoon aurait pu le penser Plus largementla crise a fait apparaicirctre un fait majeur etincontournable il est impossible de penserles marcheacutes en opposition avec lrsquoEacutetat La libeacute-ralisation des marcheacutes qui fut le mantra desanneacutees de la laquo grande modeacuteration raquo ne peutse concevoir comme une absence drsquoEacutetat Pourbien fonctionner les marcheacutes doivent ecirctreencadreacutes par la puissance publique Sinoncelle-ci doit intervenir massivement pourempecirccher lrsquoeffondrement geacuteneacuteraliseacute de lrsquoeacuteco-nomie et la crise sociale qui srsquoensuivrait Lespouvoirs publics doivent assumer les risquesque lrsquoeacuteconomie de marcheacute ne peut eacutelimineret en premier lieu le risque de crise Il endeacutecoule trois conseacutequences

ndash les outils reacuteglementaires deacutefinissant lecadre des marcheacutes et les contrats que peuventnouer les agents priveacutes sont agrave nouveau consi-deacutereacutes comme indispensables Leur finaliteacute estde minimiser le risque potentiel que lrsquoEacutetatdevrait assumer Toutefois ils doivent impeacute-rativement eacutevoluer en mecircme temps que lesmarcheacutes se transforment

ndash il est primordial de disposer drsquoun systegravemefiscal solide capable de fournir les ressources

[6] Voir encadreacute p 55

[7] Une des critiquesadresseacutees agrave la politiquebudgeacutetaire est qursquoellecreacutee un effet drsquoeacutevictionpar le taux drsquointeacuterecirct la hausse du deacuteficitpublic provoqueune offre accruede titres publics quifait augmenter le tauxdrsquointeacuterecirct Cet effet estdrsquoautant plus limiteacute queles autoriteacutes moneacutetairesmaintiennent les tauxdrsquointeacuterecirct agrave un niveaufaible

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 11

neacutecessaires agrave lrsquointervention publique maisaussi de limiter les risques qui lui sont lieacutesau premier rang desquels il faut ranger lesurendettement public

ndash enfin parce que lrsquoeacuteconomie est deacutesormaismondialiseacutee la regraveglementation publique desmarcheacutes ne peut se concevoir que dans laconcertation des Eacutetats Crsquoest ce qui expliqueles tentatives drsquoharmonisation bancaire etfinanciegravere meneacutees sous lrsquoeacutegide de la Banquedes regraveglements internationaux (BRI) ndash quiabrite le Comiteacute de Bacircle ndash ou la lutte contreles paradis fiscaux discuteacutee lors des ren-contres de chefs drsquoEacutetat et de gouvernement

Deux paradoxes eacutemergent Le premier estqursquoalors mecircme que lrsquoefficaciteacute globale desmarcheacutes agrave assurer une croissance stable etsoutenue est mise en doute leur efficaciteacutemicroeacuteconomique elle nrsquoest pas contesteacuteeLe succegraves pour ce qui est du chocircmage desreacuteformes du marcheacute du travail allemand meneacutepar le gouvernement Schroumlder au deacutebut desanneacutees 2000 en est une illustration claire Aucontraire mecircme puisque personne ne deacutefendque lrsquoEacutetat puisse intervenir efficacement etfinement dans lrsquoallocation des ressources Agravecela une raison probablement dominante lamondialisation et la libeacuteralisation des mar-cheacutes sont irreacuteversibles et il est illusoire depenser qursquoun Eacutetat puisse seacuterieusement fairemieux en matiegravere drsquoallocation des ressources

Le second paradoxe est plus subtil La crisea conduit agrave une reacuteeacutevaluation du rocircle institu-tionnel de lrsquoEacutetat preacutepareacutee par des travauxscientifiques sur la conception des institu-tions et sur la gouvernance eacuteconomique Lacapaciteacute drsquoun Eacutetat omniscient et volontiersdirectif ne pouvant plus ecirctre raisonnable-ment deacutefendue personne ne doute que laresponsabiliteacute de la puissance publique est

drsquoassurer un cadre coheacuterent propice au bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie de marcheacuteMais dans le mecircme temps lrsquoEacutetat est sommeacuteou conduit agrave intervenir massivement en der-nier recours et agrave proteacuteger ses citoyens devantles turbulences majeures ou jugeacutees telles delrsquoeacuteconomie quitte agrave bouleverser les regraveglesinstitutionnelles qursquoil a lui-mecircme eacutedicteacutees

Face agrave ces paradoxes la tacircche des eacutecono-mistes peut se reacutesumer ainsi il leur fautcomprendre agrave nouveaux frais lrsquoarticulationentre Eacutetats et marcheacutes en prenant en comptela sophistication croissante des marcheacutesla mondialisation et la monteacutee des risquesdevant lesquels les agents eacuteconomiquesdemandent une protection sans cesse renfor-ceacutee agrave la puissance publique

Il ne faut donc pas srsquoeacutetonner des tacirctonne-ments des eacuteconomistes qui reacutefleacutechissent agravela porteacutee effective et souhaiteacutee de lrsquoactionpublique dans lrsquoeacuteconomie mondialiseacutee etconcurrentielle drsquoaujourdrsquohui

Agrave lrsquoheure actuelle aucun consensus nrsquoa eacuteteacutetrouveacute qui pourrait remplacer lrsquoancien Seslacunes sont trop patentes et les nouveauxtraits de lrsquoeacuteconomie de marcheacute trop surpre-nants pour qursquoon puisse srsquoen eacutetonner Il estdonc impossible de fonder les politiqueseacuteconomiques sur des certitudes theacuteoriqueslargement partageacutees Plus que jamais lapolitique eacuteconomique reste un art que pra-tiquent des responsables politiques surveil-leacutes de pregraves par des citoyens aussi exigeantsqursquoinquiets

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 12

CHRISTOPHE DEMAZIEgraveRE

Universiteacute Franccedilois-Rabelais de Tours

Essentiellement conccedilue et mise en œuvre par lrsquoEacutetat durant les Trente Glorieuses la politiqueeacuteconomique eacutemane aujourdrsquohui de plusieurs eacutechelons institutionnels en particulier lrsquoUnion euro-peacuteenne et les collectiviteacutes territoriales dont le rocircle srsquoest imposeacute au cours des trente derniegraveresanneacutees Ce passage drsquoun laquo Eacutetat tout puissant raquo agrave un laquo polycentrisme institutionnel raquo a eacuteteacute favoriseacutepar la crise de leacutegitimiteacute et drsquoefficaciteacute de lrsquoEacutetat ainsi que par lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau contexteeacuteconomique Christophe Demaziegravere lrsquoanalyse en srsquoappuyant sur les exemples des politiques indus-trielles et drsquoameacutenagement des territoires des anneacutees 1970-1980 La politique de compeacutetitiviteacute desterritoires illustre parfaitement lrsquoarticulation des diffeacuterents eacutechelons de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publiqueSelon le FMI la France se situait en 2012 audeuxiegraveme rang des pays deacuteveloppeacutes pour lepoids de ses deacutepenses publiques dans le PIB(56 ) derriegravere le Danemark (57 ) devant despays comme la Belgique (53 ) les Pays-Baset lrsquoItalie (50 ) Pour les pays anglo-saxonscomme le Royaume-Uni et les Eacutetats-Unis cetteproportion atteint respectivement 45 et 40 du PIB Ces chiffres eacuteleveacutes traduisent lrsquoimpactde la crise actuelle sur les finances publiquesmais aussi et surtout lrsquoexpansion consideacute-rable de lrsquointervention de lrsquoEacutetat dans lrsquoeacutecono-mie au cours du XXe siegravecle Le poids croissantdes deacutepenses a susciteacute des deacutebats sur lrsquoeffica-citeacute de lrsquoaction publique1 Nous mettrons icilrsquoaccent sur la multiplication des eacutechelons delrsquointervention publique notamment agrave traversles processus drsquointeacutegration europeacuteenne et dedeacutecentralisation La politique eacuteconomique estdeacutesormais conccedilue et conduite entre des entiteacutespolitico-administratives varieacutees Les travauxdrsquoanalyse de politiques publiques montrentqursquoentre gouvernements organes de lrsquoUnion

europeacuteenne et collectiviteacutes territoriales lesmodes de deacutecision et drsquoaction ne sont pas lesmecircmes (Meacuteny et Thoenig 1989 Knoepfel Lar-rue et Varone 2001)2 Pour lrsquoillustrer dans lamesure ougrave lrsquoeacuteventail des interventions rassem-bleacutees sous le terme de politique eacuteconomique esttregraves large nous nous contenterons drsquoapporterun eacuteclairage dans les domaines de la politiqueindustrielle et du deacuteveloppement reacutegional

La politique eacuteconomique leacutegitime un temps reacutevolu De laquo lrsquoEacutetat circonscrit raquoagrave laquo lrsquoEacutetat inseacutereacute raquoAu XXe siegravecle la grande crise eacuteconomique desanneacutees 1930 puis celle qui deacutebuta en 1973

[1] Ces deacutebats ne sontpas abordeacutes dans cetarticle Le lecteurinteacuteresseacute trouveraune tregraves claire synthegravesedes deacutebats entreeacuteconomistes danslrsquoouvrage Rosier B(2003)

[2] Dans cet articlele terme de pouvoirspublics englobera tousces acteurs

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 13

publics tandis quelrsquoEacutetat sera reacuteserveacuteau gouvernementau parlement aux

administrationscentrales et

deacuteconcentreacutees Parailleurs dans la mesure

ougrave nous ne traiteronspas de la politique

conjoncturelle nousnrsquoaborderons pas

drsquoautres acteurs delrsquoaction publique en

eacuteconomie tels queles banques centralesles marcheacutes financiers

ou les institutionsinternationales

encadrantles fluctuations

des taux de change ou lecommerce international

[3] Agrave cette eacutepoque lesdeacutepenses du budget

de lrsquoEacutetat repreacutesententmoins de 10 du PIBet sont consacreacutees de

faccedilon preacutedominanteau remboursement de

la dette nationale

[4] Cf Perroux F (1961)Lrsquoeacuteconomie du XXe siegravecle

Paris PUF

[5] Citons notammentle Commissariat agrave

lrsquoEacutenergie AtomiquelrsquoInstitut Franccedilais

du Peacutetrole le CentreNational drsquoEacutetudes

Spatiales le CentreNational drsquoEacutetude desTeacuteleacutecommunications

eurent des effets contradictoires en matiegraverede conception de la politique eacuteconomique(Rosier 2003) La premiegravere leacutegitima lrsquoactionde lrsquoEacutetat en faisant la deacutemonstration quecontrairement agrave certains attendus theacuteoriquesle marcheacute est incapable de reacutealiser spontaneacute-ment lrsquoeacutequilibre eacuteconomique et le bien-ecirctreoptimal Auparavant au deacutebut du XXe siegraveclelaquo lrsquoEacutetat circonscrit raquo (Delorme et Andreacute 1983)avait trois buts majeurs dont un seulementeacutetait eacuteconomique lrsquoordre public la paix etla reacutefeacuterence fixe de la monnaie nationale agravelrsquoor3 Issu de la crise des anneacutees 1930 laquo lrsquoEacutetatinseacutereacute raquo agrave la sphegravere eacuteconomique rayonna agravepartir des anneacutees 1950 Lrsquoaction eacuteconomiquede lrsquoEacutetat exprime alors un projet de socieacuteteacuteconstruit avec les repreacutesentants des entre-prises et les syndicats Pour la premiegravere foislrsquoEacutetat se pense et est reconnu comme leacutegitimeagrave favoriser lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi au logementagrave jeter les bases de la protection sociale agravelaquo deacutemocratiser raquo lrsquoenseignementhellip De mecircmeil se preacuteoccupe de lrsquoeacuteconomie des reacutegionsles moins deacuteveloppeacutees afin drsquoatteindre parricochet les populations qui y vivent

Lrsquoexemple de la politiquedrsquoameacutenagement du territoire

Durant les anneacutees 1950-1960 afin de pro-grammer la reacutealisation drsquoeacutequipements dans letemps et lrsquoespace lrsquoEacutetat creacutee les circonscrip-tions drsquoaction reacutegionale qui preacutefigurent dansleurs contours geacuteographiques les 22 reacutegionsde France meacutetropolitaine Lrsquoattention est foca-liseacutee sur les aspects eacuteconomiques du deacuteve-loppement des reacutegions La vision privileacutegieacuteeest que les reacutegions rurales laquo en retard raquo dedeacuteveloppement drsquoun cocircteacute les reacutegions drsquoan-cienne industrie laquo en crise raquo de lrsquoautre pour-ront laquo rattraper raquo les reacutegions prospegraveres enempruntant le mecircme chemin que celles-ciUn vigoureux effort drsquoeacutequipement en infras-tructures permettra drsquoimplanter des pocirclesindustriels qui en croissant diffuserontprogressivement le deacuteveloppement eacutecono-mique aux arriegravere-pays4 (Perroux 1961) Parexemple en offrant des subventions ou deacutegregrave-vements fiscaux lrsquoEacutetat cherche agrave susciter

lrsquoimplantation drsquoeacutetablissements drsquoindustriesmodernes (de lrsquoautomobile agrave lrsquoeacutelectronique)dans la province connaissant lrsquoexode ruralContournant les eacutelus locaux lrsquoameacutenagementdu territoire se caracteacuterise par une gestioncentraliseacutee et une mise en œuvre assureacutee parles services deacuteconcentreacutes de lrsquoEacutetat Au bout ducompte le bilan sera mitigeacute Gracircce aux entre-prises pratiquant le taylorisme et en recherchede main-drsquoœuvre non qualifieacutee lrsquoemploi indus-triel va croicirctre spectaculairement dans lrsquoOuestfranccedilais Mais dans le mecircme temps la reacutegionparisienne accapare la croissance des emploisles plus qualifieacutes dans les services supeacuterieursCertes les exceptions notables de Grenoble ouToulouse montrent que lrsquoessor technologiquepeut avoir une origine locale mais aussi qursquoilest toujours renforceacute par des deacutecisions derelocalisation drsquoentreprises ou de centres derecherche prises au plus haut niveau de lrsquoEacutetat

Les Trente Glorieuses sont marqueacutees pardrsquoautres actions publiques volontaristes ayantcomme cible les entreprises Loin de se limiteragrave la reacutegulation de la concurrence ou agrave la ges-tion des externaliteacutes une politique industriellesrsquoeacuterige alors autour de grands programmes derecherche fondamentale porteacutes par des orga-nismes ad hoc5 incite au deacuteveloppement desrelations science-industrie et deacutebouche surdes produits innovants faisant lrsquoobjet de com-mandes publiques importantes Agrave lrsquoactif decette politique qursquoun de ses analystes quali-fie de laquo colbertisme high-tech raquo (Cohen 1992)on peut citer le deacuteveloppement de lrsquoindustrieaeacuteronautique civile et militaire des teacuteleacutecom-munications du nucleacuteaire de lrsquoinformatiqueou encore du transport ferroviaire

Ces exemples drsquointervention signalent unlaquo acircge drsquoor raquo de la politique eacuteconomique faisanteacutecho agrave lrsquolaquo acircge drsquoor du capitalisme raquo des anneacutees1945-1973 (Marglin et Schor 1990) La trans-formation rapide des systegravemes productifs desterritoires et des conditions de vie srsquoappuiesur la forte leacutegitimiteacute dont lrsquoEacutetat jouit alorsMais derriegravere le consensus tregraves large autourdes notions de laquo bien-ecirctre raquo et de laquo progregraves raquolrsquoaction publique concreacutetise lrsquoindustrialisation

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 14

agrave marche forceacutee le productivisme agricole lamarchandisation des modes de vie En eacutenumeacute-rant ces choix fondateurs du mode de deacutevelop-pement des Trente Glorieuses on perccediloit queles deacutemarches publiques de cet laquo acircge drsquoor raquonrsquoont eacuteteacute leacutegitimes qursquoun temps Depuis lesanneacutees 1970 elles ont eacuteteacute contesteacutees de touscocircteacutes conduisant agrave reacuteinventer progressive-ment les reacutefeacuterences les modes de deacutecision etles faccedilons de faire de lrsquoEacutetat dans sa relation agravela croissance eacuteconomique

Une politique eacuteconomiqueen redeacutefinition lrsquoEacutetat confronteacute auxmarcheacutes et agrave drsquoautres acteurs publics

Crise de leacutegitimiteacute de lrsquoEacutetat

Apregraves des deacutecennies de preacutesence incontesteacuteelrsquoEacutetat rencontre un certain nombre de diffi-culteacutes dans la conception et la mise en œuvrede ses actions dans lrsquoeacuteconomie Certainsimputent cette situation agrave lrsquoeacutevolution des fon-dements mecircmes de lrsquoeacuteconomie contemporaine(Rosier 2003) Lrsquoexpansion continue du com-merce mondial la globalisation financiegravere lamonteacutee de lrsquoincertitude sont des contraintesfortes pour la politique moneacutetaire ou bud-geacutetaire nationale Dans le cas de la Francelrsquoapprofondissement de la construction euro-peacuteenne a constitueacute une reacuteponse volontaristeagrave ce nouvel environnement mais ce choixredeacutefinit tregraves sensiblement les contours et lesmodaliteacutes de la politique eacuteconomique natio-nale Par exemple la creacuteation de lrsquoeuro et lamise en place de la Banque centrale euro-peacuteenne (BCE) se traduisent par un transfertde souveraineteacute Du reste depuis vingt ansde nombreux gouvernements des pays euro-peacuteens fussent-ils de tendance politiqueopposeacutee ont adopteacute une politique de deacutefla-tion compeacutetitive De mecircme la deacuteclarationdu Conseil europeacuteen de Lisbonne en 2000affirmant vouloir faire de lrsquoUnion europeacuteennelaquo lrsquoeacuteconomie de la connaissance la plus com-peacutetitive et la plus dynamique du monde raquo drsquoici

2010 a eacuteteacute suivie de diverses reacuteformes natio-nales Dans cette mouvance lrsquoEacutetat a entreprisdes actions visant agrave encourager la flexibi-liteacute du marcheacute du travail et lrsquoinnovationCeci concerne les entreprises priveacutees maisaussi le secteur public notamment dans desdomaines comme lrsquoenseignement supeacuterieur etla recherche Dans lrsquoapregraves-guerre lrsquoexpansiondes services publics se justifiait fondamenta-lement par lrsquoobjectif de reacuteduction des ineacutega-liteacutes de condition eacuteconomique et sociale Orcelui-ci a largement disparu de lrsquoagenda Larevendication au laquo moins drsquoEacutetat raquo est difficileagrave mettre en œuvre mais elle est en phase avecune demande sociale croissante de meilleuregestion des fonds publics

Des politiques eacuteconomiques localespour assumer la deacutecentralisation

Lrsquoarticle 5 de la loi de deacutecentralisation du5 mars 1982 affirme que laquo lrsquoEacutetat a la respon-sabiliteacute de la conduite de la politique eacutecono-mique et sociale ainsi que de la deacutefense delrsquoemploi raquo mais les collectiviteacutes locales fran-ccedilaises assurent aujourdrsquohui plus de 70 desinvestissements publics Les interventionsdes communes deacutepartements et reacutegions enfaveur de lrsquoemploi et du deacuteveloppement eacuteco-nomique ont pris une ampleur respectableParmi les outils employeacutes en direction desentreprises les plus courants sont lrsquoameacutena-gement de zones drsquoactiviteacutes la constructionde locaux les primes verseacutees agrave lrsquooccasionde la creacuteation ou de lrsquoimplantation drsquoun eacuteta-blissement ou lrsquoexoneacuteration temporaire duversement de taxes locales Lrsquointerventionde tous les niveaux de collectiviteacutes dans ledeacuteveloppement eacuteconomique est un corol-laire de la deacutecentralisation non pas tantdu fait des compeacutetences accordeacutees dans ceseul domaine mais parce que les collectivi-teacutes locales assument beaucoup plus directe-ment qursquoavant les conseacutequences financiegraveresde lrsquoensemble de leurs nouveaux pouvoirsDeacutecider en matiegravere drsquourbanisme de logementdrsquoaction sociale ou de transports collectifscrsquoest aussi souvent financer Mecircme si lrsquoEacutetat

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 15

[6] Consideacutereacute agrave drsquoautreseacutechelles spatiales ndash etnotamment au niveau

drsquoune nation ndash uneprogression reacuteguliegraverede lrsquoimpocirct local peut

ecirctre consideacutereacuteecomme peacutenalisant

la compeacutetitiviteacutedes entreprises

Le produit de la taxeprofessionnelle (TP)repreacutesentait 2 du

produit inteacuterieur brutagrave la fin des anneacutees 1990

contre 11 en 1976

ou lrsquoUnion europeacuteenne peuvent apporter dessubsides le deacuteveloppement des entreprisesdans la mesure ougrave il permet de collecter plusde taxe est devenu une preacuteoccupation de pre-mier plan des collectiviteacutes locales6

Mais la multitude drsquoacteurs publics engageacuteset de mesures utiliseacutees rend difficile lrsquoeacutevalua-tion des effets reacuteels de lrsquoaction eacuteconomiquelocale (Levet 2003) La loi du 13 aoucirct 2004relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes localesnrsquoa pas consacreacute la reacutegion laquo chef de file raquo delrsquoaction eacuteconomique locale Toutes les collec-tiviteacutes peuvent intervenir eacuteconomiquement lareacutegion ayant simplement la possibiliteacute drsquoeacutela-borer un scheacutema reacutegional de deacuteveloppementeacuteconomique (SRDE) apregraves concertation avecles deacutepartements les communes et leurs grou-pements Une fois reacutealiseacute un SRDE permet letransfert drsquoaides octroyeacutees jusqursquoici par lrsquoEacutetataux reacutegions Ce transfert srsquoest reacutealiseacute danstoutes les reacutegions teacutemoignant de la volonteacutedes Conseils reacutegionaux drsquoassumer de plus enplus un pouvoir dans le domaine eacuteconomique

Redeacuteploiement de lrsquoEacutetat

Faut-il en deacuteduire que dans le domaine eacuteco-nomique les autoriteacutes locales ou reacutegionalescommenceraient agrave occuper un vide laisseacute parlrsquoEacutetat-nation En reacutealiteacute il nrsquoy a pas tantretrait que redeacuteploiement de lrsquoEacutetat (Jobert1999) La mise agrave lrsquoagenda gouvernemental dequestions jugeacutees cruciales pour la croissanceeacuteconomique future comme lrsquoinnovation oula connaissance aboutit agrave la creacuteation drsquoins-tances nouvelles de pilotage drsquoagences dereacutegulation indeacutependantes etc Hier la poli-tique eacuteconomique se lisait agrave travers une capa-citeacute pluriseacuteculaire agrave lever lrsquoimpocirct et agrave battremonnaie Dans les repreacutesentations le pouvoirsrsquoexerccedilait par un mouvement du haut vers lebas du cœur de lrsquoEacutetat vers les laquo administreacutes raquode Paris jusqursquoaux plus lointaines provincesAujourdrsquohui il est en butte agrave des visionsexteacuterieures sur la politique nationale ndash deslaquo examens raquo de lrsquoOCDE aux avertissementsou sanctions de la Commission europeacuteenneDe plus les instruments traditionnels sont

en deacutecalage avec lrsquoirreacutesistible eacutelargissementdes eacutechelles geacuteographiques de reacutefeacuterence desentreprises y compris des anciens laquo cham-pions nationaux raquo que la politique indus-trielle avait porteacute si haut Enfin Paris estconfronteacute agrave la leacutegitimiteacute octroyeacutee aux reacutegionsdeacutepartements groupements de communesdu fait de la deacutecentralisation

Au total face agrave des inteacuterecircts fragmenteacutesdont deacutecoulent des conceptions antago-nistes sur lrsquoopportuniteacute de lrsquoaction publiquela politique eacuteconomique peut laisser uneimpression incertaine Or comme le montreF Lordon (1997) agrave propos de la reacuteception dedeacutecisions gouvernementales par les marcheacutesfinanciers il importe que le travail drsquointer-preacutetation de lrsquoaction publique soit guideacute Onpeut en deacuteduire qursquoen amont de toute deacuteci-sion se place deacutesormais la question du sensde la confiance reacuteciproque de lrsquoacceptabiliteacute

Bien plus qursquohier la politique eacuteconomique avocation agrave prendre des formes plurielles Elleest peu lisible et ce de faccedilon durable dansla mesure ougrave la souveraineteacute de lrsquoEacutetat-nationest mineacutee Lrsquoaction publique est polycen-trique au niveau de la deacutecision de la miseen œuvre ou de lrsquoeacutevaluation La politique eacuteco-nomique nrsquoeacutechappe pas aux recouvrementsde champs de compeacutetences elle peut fairelrsquoobjet de controverses internes ou externes elle neacutecessite des investissements de formepour construire un reacutefeacuterentiel commun

Une illustration du polycentrismeinstitutionnel la compeacutetitiviteacute

La notion de compeacutetitiviteacuteOn peut trouver une illustration du caractegravereneacutegocieacute et controverseacute de la politique eacutecono-mique dans la notion de compeacutetitiviteacuteApparuen France au deacutebut des anneacutees 1990 par anti-cipation des effets de la mise en place du Mar-cheacute unique ce pseudo-concept se mesurait auniveau microeacuteconomique par la productiviteacutele coucirct des facteurs ou lrsquoeacutevolution des parts demarcheacute On pouvait par agreacutegation deacuteduirele niveau de compeacutetitiviteacute drsquoun secteur oude lrsquoeacuteconomie nationale dans son ensemble

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 16

Mais il semble qursquoil y ait eu diffeacuterents glisse-ments de sens Deacutesormais la compeacutetitiviteacute estposeacutee drsquoembleacutee comme un objectif de niveaumacroeacuteconomique avec des deacuteclinaisons (etdonc des actions publiques) sectorielles7 Ensuite la mise en place de lrsquoeuro a changeacute lanotion de compeacutetitiviteacute La compeacutetitiviteacute-prix(variable au greacute des fluctuations du change oudes variations de prix) nrsquoest plus un repegravere etles entreprises focalisent leurs efforts sur lacompeacutetitiviteacute hors-prix autrement dit sur leurcapaciteacute agrave imposer des produits par la monteacuteeen qualiteacute lrsquoinnovation technologique ou decommercialisation la creacuteation de serviceshellip(Camagni 2005)

Une nouvelle relation de lrsquoEacutetatagrave lrsquoespace et aux acteurs locaux

La compeacutetitiviteacute constitue une injonction duniveau national en direction de certains sec-teurs ou territoires Sur le plan sectoriel cetimpeacuteratif modegravele les systegravemes publics etpriveacutes de formation et de recherche posantla question de leur articulation aux dyna-miques eacuteconomiques En teacutemoignent cer-taines initiatives eacutetatiques comme la creacuteationdrsquoagences censeacutees accroicirctre le financementde la recherche et faciliter les transferts detechnologie8 le regroupement des universiteacuteseacutecoles et organismes de recherche en pocirclesde recherche et drsquoenseignement supeacuterieurcenseacutes ecirctre visibles agrave lrsquoeacutechelle internatio-nale ou la volonteacute de mesurer lrsquoefficaciteacute delrsquoenseignement supeacuterieur agrave travers un suivi delrsquoinsertion professionnelle des diplocircmeacutes Parailleurs lrsquoEacutetat est conduit agrave adopter une rela-tion nouvelle agrave lrsquoespace valorisant en particu-lier les espaces infranationaux susceptiblesde contribuer agrave la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacutecono-mie nationale gracircce agrave leur dotation en capitalhumain en infrastructures et en activiteacutes eacuteco-nomiques prometteuses Au cours des anneacutees1960 la croissance eacuteconomique eacutetant une don-neacutee il srsquoagissait de la reacutepartir sur lrsquoensemblede lrsquoespace national notamment en reacuteeacutequili-brant lrsquoeacutecart Paris-province Aujourdrsquohui lacroissance eacuteconomique eacutetant lrsquoobjectif onassiste plutocirct agrave la valorisation par lrsquoEacutetat de

diffeacuterenciations eacuteconomiques la viseacutee natio-nale eacutetant avant tout de maintenir la positionde la France dans lrsquoeacuteconomie mondiale

La politique des pocircles de compeacutetitiviteacute illustrelrsquoeacutevolution vers une nouvelle politique indus-trielle srsquoappuyant sur certains territoires plu-tocirct que sur des entreprises En 2004 un appelagrave projet a eacuteteacute lanceacute par le gouvernement pourinitier ou renforcer les coopeacuterations entreentreprises uniteacutes de recherche et centresde formation autour de projets drsquoinnovationdrsquoambition internationale 105 projets ont eacuteteacutepreacutesenteacutes et 67 seacutelectionneacutes en juillet 20059 LrsquoEacutetat appuie ces pocircles par des allegravegementsfiscaux (exoneacuteration de lrsquoimpocirct sur les socieacute-teacutes) et sociaux (exoneacuteration de cotisationssociales pour les chercheurs) ou des creacuteditsdrsquointervention ministeacuteriels compleacuteteacutes parles agences pour lrsquoinnovation industrielle etla recherche Depuis 2005 900 projets colla-boratifs de recherche et deacuteveloppement (R ampD) ont beacuteneacuteficieacute drsquoun financement public de17 milliard drsquoeuros (dont plus de 11 milliardpar lrsquoEacutetat dans le cadre du fonds uniqueinterministeacuteriel) compleacuteteacutes par environ27 milliards drsquoeuros de deacutepenses priveacutees deRampD Certaines PME et ETI srsquoy impliquent pour ces cateacutegories drsquoentreprises lrsquoemploiconsacreacute agrave la RampD a augmenteacute en moyenne de23 entre 2006 et 2009

Une politique qui articule les diffeacuterentseacutechelons de lrsquoaction publique

La nouveauteacute de cette politique est qursquoelleest nationale en ce qui concerne la prisede deacutecision locale dans la mise en œuvreet internationale par les effets rechercheacutesBien que lrsquoEacutetat initie cet appel agrave projet lecaractegravere partenarial des pocircles a donneacute auxacteurs locaux des eacuteleacutements de pilotage de ladeacutemarche (Demaziegravere 2006) Drsquoune part crsquoestau niveau reacutegional que peuvent interagir lesacteurs publics et priveacutes de la recherche et delrsquoinnovation industrielle Drsquoautre part en lan-ccedilant une dynamique de projets soumis agrave uneeacutevaluation continue les pocircles de compeacutetiti-viteacute rendent possible une participation accruedes collectiviteacutes locales au financement de la

[7] On peut ici comparerdeux rapports officielsqui agrave dix ans dedistance ont marqueacuteles deacutebats Taddeacutei Det Coriat B (1993)Made in FranceLrsquoindustrie franccedilaisedans la compeacutetitionmondiale ParisLibrairie geacuteneacuteralefranccedilaise DebonneuilM et Fontagneacute L (2003)Compeacutetitiviteacute rapportdu Conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 40Paris La Documentationfranccedilaise

[8] Agence delrsquoinnovation industrielleAgence nationale dela recherche OSEOBanque publiquedrsquoinvestissementhellip

[9] Dont six pocircles delaquo niveau mondial raquoet neuf pocircles laquo agravevocation mondiale raquo quirecevront lrsquoessentieldes financementspublics

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 17

recherche Celles-ci peuvent notamment four-nir des services ou des biens collectifs auxentreprises des diffeacuterents pocircles

Lrsquoobjectif de compeacutetitiviteacute peut se traduirepar des mesures nationales par exemple enportant sur la fiscaliteacute des entreprises Maisil deacutebouche eacutegalement sur une mise en valeurdes territoires Ici lrsquoEacutetat est confronteacute agrave lrsquoarti-culation de ses actions avec drsquoautres pouvoirsAgrave partir des anneacutees 1980 la deacutecentralisationa permis en theacuteorie agrave chaque territoire dejouer ses propres cartes en matiegravere de deacuteve-loppement eacuteconomique pour un jeu que lrsquoEacutetatcentral parvenait mal agrave reacuteguler Aujourdrsquohuila promotion drsquoune eacuteconomie fondeacutee sur laconnaissance a une dimension territorialecar une des modaliteacutes des collaborationsentre entreprises et centres de recherche estla proximiteacute geacuteographique Sa concreacutetisationpasse toutefois par la mobilisation drsquoacteursassez autonomes tels que les reacutegions les uni-versiteacutes ou les grandes entreprises Apregraves unXXe siegravecle qui a vu laquo lrsquoEacutetat souverain raquo puis

laquo lrsquoEacutetat deacutefaillant raquo assiste-t-on aujourdrsquohuipar ce biais agrave lrsquoavegravenement de laquo lrsquoEacutetat anima-teur raquo Transfeacuterant ainsi dans le champ de lapolitique eacuteconomique la formule de JacquesDonzelot et Philippe Estegravebe (1984) agrave propos dela politique de la ville nous voulons dire par lagraveque lrsquoEacutetat est confronteacute agrave des acteurs publicsdeacutecentraliseacutes qursquoil a creacuteeacutes et qui se sont saisides questions du deacuteveloppement eacuteconomiqueDeacutesormais comment la politique eacuteconomiquestructurelle peut-elle concilier lrsquoinsertiondans lrsquoeacuteconomie internationale et la dimen-sion infranationale des dynamiques de deacuteve-loppement Assistera-t-on ces prochainesdeacutecennies agrave une territorialisation partielle dela politique eacuteconomique analogue agrave la terri-torialisation de la politique sociale depuis lesanneacutees 1980 Pour en rendre compte il fau-drait probablement eacutetudier la coordinationdes acteurs plutocirct que drsquoen rester agrave une visioncentreacutee sur lrsquoEacutetat et ses instruments tradition-nels de politique eacuteconomique

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POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 18

SOPHIE BRANA

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute Montesquieu Bordeaux IV

Parce qursquoelle se traduit par une interdeacutependance croissante des eacuteconomies la mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute des politiques eacuteconomiques Contrairement agrave lrsquoideacutee reccedilue lrsquoimpact ne se limite pas toutefois agrave une reacuteduction des marges de manœuvre des gouvernements Il varie consideacuterablement selon la taille du pays le reacutegime de change le degreacute de mobiliteacute des capi-taux et lrsquoouverture commerciale de lrsquoeacuteconomie Ainsi si les pariteacutes des monnaies sont flexibles lrsquoouverture commerciale et financiegravere rend la politique budgeacutetaire inopeacuterante mais accroicirct lrsquoef-ficaciteacute de la politique moneacutetaire Lrsquoimpact de la mondialisation sur les politiques eacuteconomiques se manifeste surtout comme nous le montre Sophie Brana par des interdeacutependances et des effets de report ce qui pose la question de la coordination internationale de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeuxLa mondialisation traduit lrsquoouverture crois-sante des eacuteconomies aux eacutechanges com-merciaux (biens et services) financiers(mouvements de capitaux) ainsi que la mobi-liteacute de plus en plus forte des facteurs deproduction (flux de main-drsquoœuvre investisse-ments directs eacutetrangers)

Cette mondialisation se manifeste par uneinterdeacutependance de plus en plus pousseacuteedes eacuteconomies un eacuteveacutenement se produisantdans une zone ou un grand pays va en affecterdrsquoautres via les flux financiers ou commer-ciaux Il en reacutesulte une synchronisation crois-sante des cycles drsquoabord entre les grands paysindustrialiseacutes puis depuis les anneacutees 1990avec les pays eacutemergents (graphique 1)

Une premiegravere source drsquointerdeacutependanceprovient du commerce international qui

progresse depuis la Seconde Guerre mon-diale plus vite que le PIB traduisant un tauxdrsquoouverture croissant des eacuteconomies (gra-phique 2) La production et la croissancenationales deacutependent de plus en plus de lademande mondiale

Lrsquointeacutegration financiegravere internationale constitue une deuxiegraveme source drsquointerdeacute-pendance Le passage aux changes flottants agrave la fin des anneacutees 1970 le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication (TIC) le mouvement de deacuteregraveglementation financiegravere dans les anneacutees 1980 (pays industrialiseacutes) et 1990

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 19

(pays eacutemergents) ont favoriseacute lrsquoexplosion des flux de capitaux (graphique 3) La mobiliteacute des capitaux permet la diversification inter-nationale des portefeuilles et lrsquoarbitrage des investisseurs entre actifs situeacutes dans diffeacute-rents pays en fonction du couple rendementrisque Les eacuteconomies nationales deviennent ainsi davantage deacutependantes du comporte-ment des investisseurs internationaux de leur aversion au risque et du retournement des anticipations

Enfin une part croissante des flux est consti-tueacutee drsquoeacutechanges intra-firmes Le reacuteseau desfirmes multinationales et de leurs filialesfavorise la propagation des chocs entre paysvia les profits ou les pertes La crise des sub-primes est un bon exemple de diffusion drsquounchoc financier entre pays par les relationsinterbancaires (flux internationaux de capi-taux) mais eacutegalement par les reacuteseaux mai-sons-megraveres filiales

La mondialisation a un impact sur la poli-tique eacuteconomique car elle modifie son cadre

drsquoaction ses marges de manœuvre et son effi-caciteacute Cet impact deacutepend du degreacute drsquointeacutegra-tion commerciale et financiegravere du pays de sataille mais eacutegalement du reacutegime de changechoisi

La mondialisation creacutee des interdeacutepen-dances auxquelles la reacuteponse optimale seraitune meilleure coopeacuteration internationale Orcelle-ci a peu de chances drsquoeacutemerger sponta-neacutement En geacuteneacuteral elle passe soit par desformes drsquointeacutegration reacutegionale (comme lazone euro) soit par le biais drsquoorganisationsinternationales (FMI Banque des regraveglementsinternationauxhellip)

Mondialisation et efficaciteacutede la politique eacuteconomiqueLa mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute de lapolitique eacuteconomique nationale agrave traversdeux canaux lrsquoouverture commerciale etlrsquoouverture financiegravere

1 Taux de croissance reacuteel par habitant (en )

Proj3

2

1

0

ndash 1

ndash 2

ndash 3

ndash 4

ndash 51981 1990 200284 87 93 96 99 05 08 11 14

Eacuteconomies eacutemergentes et en deacuteveloppement

Eacuteconomies avanceacutees

Source Dervis K (2012) laquo Eacuteconomie mondiale Convergence interdeacutependance et divergence raquo Finances et deacuteveloppement FMI septembre

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 20

Ouverture commercialeet fuites en importationsTout drsquoabord lrsquoouverture de lrsquoeacuteconomie auxeacutechanges internationaux de biens et servicesdiminue lrsquoefficaciteacute de la politique conjonc-turelle en reacuteduisant la valeur des multiplica-teurs Keynes a montreacute que toute hausse dela demande (qui peut ecirctre provoqueacutee par unepolitique budgeacutetaire ou moneacutetaire de relance)augmentait de faccedilon amplifieacutee lrsquoactiviteacute eacuteco-nomique En eacuteconomie ouverte cependantune partie de cet effet de relance beacuteneacuteficie aureste du monde via les importations de bienset services Ainsi alors que le multiplicateurkeyneacutesien simple en eacuteconomie fermeacutee est de 5(une hausse de la demande globale de 1 pro-voquera une hausse du revenu de 5) si lrsquoeacuteco-nomie importe 20 des biens consommeacutes lamecircme politique de relance aura un impactdeux fois plus faible (multiplicateur de 25)

Plus lrsquoeacuteconomie est ouverte plus lrsquoeffet mul-tiplicateur sera faible et moins la politiqueeacuteconomique nationale aura drsquoimpact sur lrsquoac-tiviteacute domestique (graphique 4)

Les effets ambigusde lrsquoouverture financiegraveresur la politique budgeacutetaireLes effets de lrsquoouverture financiegravere sontplus ambigus car ils deacutependent du type depolitique eacuteconomique conjoncturelle et dureacutegime de change La politique eacuteconomiquea un impact sur le niveau des taux drsquointeacuterecirctsoit directement dans le cas de la politiquemoneacutetaire soit indirectement pour la poli-tique budgeacutetaire (via la demande de monnaieou la demande de fonds precirctables) Touteschoses eacutegales par ailleurs une variation destaux drsquointeacuterecirct provoquera des mouvementsde capitaux ceux-ci eacutetant deacutetermineacutes par lesrendements relatifs des actifs dans les diffeacute-rents pays

Une politique budgeacutetaire expansionnistea un impact positif sur le revenu maiseacutegalement sur le taux drsquointeacuterecirct nationalLa hausse des taux attire les capitaux siceux-ci sont mobiles car ils sont davantagereacutemuneacutereacutes ce qui fait appreacutecier la monnaiedomestique (son prix augmente car elle estplus demandeacutee) Cette appreacuteciation peacutena-lise les exportations la demande eacutetrangegraverepour les biens nationaux se reacuteduit Dans le

2 Exportations mondiales de biens (en milliards de dollars)

20 000

18 00016 00014 00012 000

10 0008 0006 000

4 0002 000

0

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

2008

2010

2012

Source FMI Donneacutees annuelles

21

cas extrecircme ougrave les capitaux sont parfaite-ment mobiles la politique budgeacutetaire estinefficace car lrsquoeffet drsquoeacuteviction est total Lahausse des deacutepenses publiques est com-penseacutee par la baisse des exportations et delrsquoinvestissement priveacute lrsquoeffet net sur lrsquoacti-viteacute eacuteconomique est nul

En changes flottants plus lrsquoeacuteconomie seraouverte aux flux de capitaux moins la poli-tique budgeacutetaire sera efficace

La situation est inverse en change fixe Dansce cas les autoriteacutes car elles srsquoy sont enga-geacutees ne peuvent laisser leur monnaie srsquoap-preacutecier suite aux entreacutees de capitaux Ellesvont intervenir sur le marcheacute des changes eneacutechangeant de la monnaie nationale contredevises Cette creacuteation moneacutetaire empecircche lahausse du taux drsquointeacuterecirct domestique ce quiannule les entreacutees de capitaux et permet lemaintien de la pariteacute de change Lrsquointerven-tion des autoriteacutes moneacutetaires eacutevite ainsinon seulement que les exportations soientpeacutenaliseacutees mais eacutegalement puisque le tauxdrsquointeacuterecirct domestique ne bouge plus que lrsquoin-vestissement priveacute se reacuteduise La politiquebudgeacutetaire est ici plus efficace qursquoen eacuteco-nomie fermeacutee En change fixe agrave lrsquoinverse dureacutegime de flottement la politique budgeacutetairesera drsquoautant plus efficace que les capitauxseront mobiles

Une politique moneacutetaire plusefficace en eacuteconomie ouverte

Lrsquoouverture financiegravere a eacutegalement un impactsur lrsquoefficaciteacute de la politique moneacutetaireLaissons de cocircteacute la situation ougrave lrsquoeacuteconomieest en changes fixes nous y reviendrons plusloin car dans ce cas la politique moneacutetaireest lrsquoinstrument de deacutefense de la pariteacute dechange et elle ne peut pas ecirctre utiliseacutee pouratteindre des objectifs internes (croissanceinflation) Elle est donc totalement inefficace

En reacutegime de changes flottants la poli-tique moneacutetaire retrouve en theacuteorie toute son autonomie Une politique moneacutetaire de relance consiste agrave creacuteer de la monnaie ce qui fait baisser le taux drsquointeacuterecirct favorise lrsquoinvestissement et par les effets multiplica-teurs traditionnels augmente le revenu Plus les capitaux sont mobiles plus la baisse des taux drsquointeacuterecirct provoque des sorties de capi-taux et plus la monnaie se deacutepreacutecie La com-peacutetitiviteacute prix du pays srsquoameacuteliore ce qui doit favoriser les exportations lrsquoeffet de relance initial est amplifieacute Il en est de mecircme dans une eacuteconomie peu ouverte aux flux de capi-taux mais ouverte au commerce La deacutepreacute-ciation du change est ici provoqueacutee par la deacutegradation de la balance commercialesuite agrave la relance initiale qui augmente les

3 Flux nets de capitaux priveacutes agrave destination des pays eacutemergents (en milliards de dollars)

Investissements directs agrave leacutetranger (IDE)Flux total de capitaux priveacutes

1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

800

600

400

200

0

ndash 200

Source FMI

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 22

importations domestiques La monnaie nationale se deacutepreacutecie jusqursquoau retour agrave lrsquoeacutequilibre exteacuterieur Ainsi en changes flot-tants lrsquoouverture ndash qursquoelle soit commerciale ou financiegravere ndash accroicirct lrsquoefficaciteacute de la poli-tique moneacutetaire

Ces meacutecanismes keyneacutesiens reposent cepen-dant sur des modegraveles de court terme ougrave les prixet les anticipations sont rigides et ougrave seuls lesflux (commerciaux et financiers) sont pris enconsideacuteration En reacutealiteacute la politique eacutecono-mique pourra eacutegalement ecirctre affecteacutee par lesmouvements des facteurs de production tan-dis que les capitaux ne deacutependront pas du seuldiffeacuterentiel de reacutemuneacuteration mais eacutegalementde lrsquoappreacuteciation des risques Celle-ci peutecirctre fonction du stock de dette accumuleacute parle pays comme dans le cas reacutecent de la crisegrecque ou de facteurs plus subjectifs commela laquo confiance raquo des investisseurs et leur degreacutede mimeacutetisme La mobiliteacute des capitaux peutsoumettre les Eacutetats et leurs politiques eacutecono-miques agrave la sanction des investisseurs priveacutessi celles-ci sont perccedilues comme insoutenables(forte inflation dette publique excessive deacutefi-cit exteacuterieur croissanthellip)

Mondialisation et autonomiede la politique eacuteconomique

Controcircle du change et autonomiede la politique moneacutetaire

La mondialisation peut aussi reacuteduire lrsquoau-tonomie de la politique moneacutetaire Crsquoest lecas si les autoriteacutes souhaitent controcircler lesvariations du change Les petites eacuteconomiestraditionnellement tregraves ouvertes sont par-ticuliegraverement sensibles aux fluctuations dutaux de change Notamment une deacutepreacuteciationde la monnaie domestique a un impact infla-tionniste car elle augmente le prix des biensimporteacutes De mecircme lrsquoinstabiliteacute du taux dechange entraicircne drsquoimportantes fluctuationseacuteconomiques preacutejudiciables au bien-ecirctresocial Crsquoest la raison pour laquelle ces eacuteco-nomies cherchent traditionnellement agrave stabi-liser leur taux de change Mais elles doiventalors renoncer agrave lrsquoautonomie de la politiquemoneacutetaire et ce drsquoautant plus que les capi-taux sont mobiles crsquoest le triangle drsquoincom-patibiliteacute de Mundell

4 Taille des multiplicateurs budgeacutetaires et degreacute drsquoouverture de lrsquoeacuteconomie

16

14

12

10

08

06

04

025 10 15 20 25 30 35 40 45

02

04

06

08

10

12

14

16y = ndash 002x + 131

R2 = 038

Eff

et m

ult

iplic

ateu

r2

Degreacute drsquoouverture1

1 Mesureacute par le ratio importations (PIB - importations) 2 Effet multiplicateur des deacutepenses publiques du modegravele Interlink de lrsquoOCDE

IPN

USA DEU

ITAAUS

FRA

TURESP

MEXGBR

POLNZL

GRC

FINISL

DNKKORCHE

PRTNOR

SWE AUTCAN HUN

NLD

CZE

IRLBEL

Source OCDE (2009) Perspectives eacuteconomiques chapitre 3 laquo Efficaciteacute et ampleur de la relance budgeacutetaire raquo mars

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 23

Les pays europeacuteens ont eacuteteacute confronteacutes agrave ce pro-blegraveme au deacutebut des anneacutees 1990 Le choc de lareacuteunification allemande les a conduits agrave menerdes politiques moneacutetaires diffeacuterentes ce quidans le reacutegime de change quasi fixe du SME delrsquoeacutepoque eacutetait intenable alors que les mouve-ments de capitaux venaient drsquoecirctre libeacuteraliseacutesLes diffeacuterentiels de taux drsquointeacuterecirct entre paysprovoquent des mouvements de capitaux quirendent impossibles le maintien des pariteacutes dechange Les pays subissent des attaques speacute-culatives Ils peuvent reacuteagir en alignant leurstaux drsquointeacuterecirct (la France a ainsi augmenteacute sestaux pour mettre fin aux attaques speacuteculativessur le change ce qui srsquoest aveacutereacute tregraves couteuxen termes de croissance) ou en renonccedilant agrave lafixiteacute du change (lrsquoItalie a par exemple deacutevalueacutesa monnaie tandis que le Royaume-Uni quit-tait le SME) Pierre-Alain Muet1 eacutevalue le coucirctde la gestion non coopeacuterative des politiquesmoneacutetaires en Europe et montre qursquoune baissecoordonneacutee de 3 points des taux drsquointeacuterecirct de1993 agrave 1995 comme lrsquoont fait les Eacutetats-Unisaurait suffi agrave empecirccher la reacutecession de 1993

Si les capitaux sont mobiles les pays doiventdonc opter entre deux strateacutegies soit fixerleur taux de change ce qui contraint la poli-tique moneacutetaire domestique soit retrouverlrsquoautonomie de la politique moneacutetaire ce quisuppose de laisser le marcheacute deacuteterminer letaux de change

Une autre solution peut ecirctre de jouer surle troisiegraveme cocircteacute du triangle le degreacute deliberteacute des mouvements de capitaux LrsquoAsieeacutemergente est actuellement confronteacutee agrave cetriangle drsquoincompatibiliteacute La surchauffeeacuteconomique subie par certains pays justifie-rait un durcissement de la politique moneacute-taire afin de combattre lrsquoinflation La haussedes taux drsquointeacuterecirct accentuerait cependantles entreacutees de capitaux pouvant alimenterla surchauffe de lrsquoeacuteconomie via le creacutedit etfavoriserait lrsquoappreacuteciation du change Afindrsquoeacuteviter cette appreacuteciation preacutejudiciableaux exportations sur lesquelles ces pays ontfondeacute leur deacuteveloppement les autoriteacutes ontchoisi de reacutetablir des controcircles des changes

sur les capitaux entrants Ceux-ci leurs per-mettent dans une certaine mesure de retrou-ver lrsquoautonomie de la politique moneacutetaire

De maniegravere geacuteneacuterale la libeacuteralisation finan-ciegravere agrave lrsquoeacutechelle internationale a rendu plusfaciles les attaques speacuteculatives et plus dif-ficile le maintien de reacutegimes de change fixeLa crise du SME en 1992-1993 puis la criseasiatique de 1997 ont reacuteveacuteleacute la fragiliteacute deces politiques de change dans un contextede parfaite mobiliteacute des capitaux agrave lrsquoeacutechelleinternationale Les pays ont depuis tendanceagrave opter pour des laquo solutions en coin raquo flexi-biliteacute du change ou agrave lrsquoopposeacute fixiteacute extrecircmecenseacutee empecirccher les attaques speacuteculativesmais au prix du renoncement agrave toute poli-tique moneacutetaire domestique (pays de la zoneeuro pays laquo dollariseacutes raquo currency boards) Lepourcentage de pays ayant abandonneacute leursouveraineteacute moneacutetaire est passeacute drsquoun peuplus de 2 agrave la fin des anneacutees 1980 agrave plusde 13 en 2012 tandis que 573 des paysse deacuteclaraient en flottement libre contre127 agrave la fin des anneacutees 19802 Dans le mecircmetemps la plupart des pays a renonceacute agrave deacutecla-rer un ancrage de change

Interdeacutependanceset effets de report

En eacuteconomie ouverte un pays subit eacutegale-ment les conseacutequences des politiques eacutecono-miques des autres pays Celles-ci affectent agravela fois les conditions eacuteconomiques nationaleset lrsquoefficaciteacute de ses politiques

Imaginons un monde constitueacute de deux paysou de deux grandes zones (par exemple lrsquoEu-rope et les Eacutetats-Unis) Une politique moneacute-taire expansive dans le pays 1 (les Eacutetats-Unis)deacutepreacutecie la monnaie nationale le dollar ce quirenforce lrsquoeffet de relance par les exportationsParallegravelement la monnaie du pays 2 (lrsquoeuro)srsquoappreacutecie ce qui a un effet reacutecessif La poli-tique moneacutetaire ameacutericaine exerce donc uneexternaliteacute neacutegative sur les autres pays

Lrsquoeffet de report de la politique budgeacutetaireest en revanche positif La relance budgeacutetairedans un grand pays se diffuse aux autres

[1] Cf Aglietta et al(1998)

[2] Ces pays se deacuteclarenten flottement libre

ou quasi libre (reacutegimede jure) mais cela nesignifie pas qursquoils se

deacutesinteacuteressent duniveau de leur tauxde change et qursquoils

nrsquointerviennent pas surle marcheacute des changes

La plupart de cesreacutegimes sont en reacutealiteacute

des flottements geacutereacutes(reacutegime de facto)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 24

pays et inversement pour la reacutecession dansle cas de politiques restrictives par le canaldu commerce international

En change fixe les effets de report sontpositifs qursquoil srsquoagisse de la politique moneacute-taire ou de la politique budgeacutetaire Quandun grand pays met en place une politiquemoneacutetaire expansive il peut influencer letaux drsquointeacuterecirct mondial ce qui redonne unecertaine autonomie et donc une efficaciteacute agravesa politique moneacutetaire mecircme en change fixeLrsquoautre reacutesultat est que lrsquoeffet est eacutegalementpositif sur le reste du monde La baisse destaux drsquointeacuterecirct se diffuse favorisant lrsquoinves-tissement tandis que la relance dans le paysappuie les exportations de ses partenairescommerciaux Lrsquoactiviteacute eacuteconomique est eacutega-lement stimuleacutee dans le reste du monde

On retrouve les mecircmes meacutecanismes pour lapolitique budgeacutetaire les effets reacutecessifs ouexpansifs se transmettent aux autres pays

En regravegle geacuteneacuterale plus un pays est grandplus il retrouve des marges de manœuvrepour sa politique eacuteconomique Drsquoune part ungrand pays est par deacutefinition plus fermeacute laBelgique a ainsi un taux drsquoouverture3 de pregravesde 70 contre agrave peine plus de 10 pour leJapon et moins de 13 pour les Eacutetats-UnisSa politique budgeacutetaire est donc plus efficaceUn grand pays va drsquoautre part retrouver desmarges de manœuvre pour sa politique moneacute-taire (ou de change) car il peut influencer lesconditions financiegraveres mondiales Agrave lrsquoinversela politique eacuteconomique sera moins efficacedans un petit pays les variables domestiqueseacutetant davantage deacutetermineacutees par des facteursexteacuterieurs que par la politique nationale

Le FMI publie depuis 2011 des laquo spilloverreports raquo quantifiant les effets externes despolitiques domestiques de cinq laquo eacutecono-mies systeacutemiques raquo (zone euro Eacutetats-UnisJapon Chine Royaume-Uni) Il estime ainsiqursquoune hausse drsquoun point de pourcentage dela croissance ameacutericaine augmentera drsquoundemi-point la croissance de la plupart despays du G20 les trois quarts de cet effet dereport srsquoexerccedilant via les flux financiers et

les prix drsquoactifs Lrsquoeffet de report est plusfort (08 point) pour les pays limitrophes(Canada Mexique) et pour les deux tiers lieacuteaux flux commerciaux Lrsquoaugmentation destaux drsquointeacuterecirct ameacutericains se diffuse eacutegale-ment aux autres pays avanceacutes (une hausse de04 point pour un relegravevement drsquoun point auxEacutetats-Unis) La hausse atteint 08 point surles marcheacutes eacutemergents en dollars sauf dansdes pays comme la Chine ou lrsquoInde qui main-tiennent des controcircles de capitaux

Plus geacuteneacuteralement la politique moneacutetaireexpansionniste mise en place dans les grandspays avanceacutes depuis la fin des anneacutees 1990provoque des mouvements de capitaux versles pays eacutemergents dans lesquels ils sontdavantage reacutemuneacutereacutes alimentant des bullessur les prix drsquoactifs (actions immobilieretc) Les prix des matiegraveres premiegraveres sonteacutegalement affecteacutes par ces politiques expan-sives ce qui lagrave encore modifie les variablesobjectifs de la politique eacuteconomique dans lesautres pays avanceacutes et eacutemergents

La crise des subprimes fournit un autreexemple des interdeacutependances entre paysTouchant agrave lrsquoorigine une fraction purementdomestique du marcheacute immobilier ameacutericain(le marcheacute subprime) elle srsquoest propageacutee auxpays avanceacutes par le canal financier (inter-deacutependances bancaires dans le cadre drsquounecrise de confiance) puis aux pays eacutemergentsessentiellement par le commerce exteacuterieur (lareacutecession dans les pays avanceacutes srsquoaccompa-gnant drsquoune baisse de leurs importations)

Ces interdeacutependances entre pays et ces effetsde report mettent en eacutevidence lrsquointeacuterecirct drsquounecoordination internationale des politiqueseacuteconomiques

Interdeacutependances et coordinationPolitique de demandeet coordination

Compte tenu des fuites en importations lespolitiques de demande seront drsquoautant plusefficaces qursquoelles seront coordonneacutees Pour

[3] (Importations +exportations) 2PIB

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 25

un pays pratiquant une relance budgeacutetaireces fuites seront compenseacutees par lrsquoaugmen-tation de ses exportations si les pays voisinsrecourent agrave des mesures eacutequivalentes Unepartie de lrsquoeacutechec de la relance Mitterrandde 1981 tient au fait que les autres paysmenaient parallegravelement des politiques res-trictives et eacutetaient en reacutecession La politiquede relance a un impact neacutegatif sur le soldecommercial amplifieacute ici par la baisse desexportations Cette derniegravere efface en partielrsquoeffet expansif des deacutepenses publiques4

P Artus (2012) estime ainsi que le multiplica-teur budgeacutetaire est de lrsquoordre de 16 pour unpays europeacuteen isoleacute tandis qursquoil est de lrsquoordrede 3 pour lrsquoensemble des pays europeacuteens etde 4 pour le monde Des relances coordonneacuteesont ainsi eacuteteacute meneacutees lors du deacuteclenchementde la reacutecession agrave lrsquoautomne 2008 les princi-pales banques centrales ont baisseacute leur tauxdrsquointeacuterecirct le 8 octobre et en novembre les payseuropeacuteens ont augmenteacute simultaneacutement leursdeacutepenses budgeacutetaires Justifieacutes par lrsquoampleurde la crise ces efforts de coordination restentcependant exceptionnels La voie coopeacutera-tive est rarement atteinte et srsquoavegravere difficile agravemaintenir sur la dureacutee

Prenons le cas ougrave un ensemble de paysdeacutecideraient de pratiquer une politique derelance budgeacutetaire coordonneacutee Un pays isoleacutea alors tout inteacuterecirct agrave ecirctre non coopeacuteratif Nepas pratiquer de relance budgeacutetaire lui per-met de ne pas deacutegrader ses comptes publicstout en beacuteneacuteficiant de lrsquoeffet de relance despays partenaires via les flux commerciauxCrsquoest le problegraveme du laquo passager clandestin raquo

On voit bien par ailleurs que la neacutegociationentre pays est asymeacutetriqueTandis qursquoun petitpays ne beacuteneacuteficie qursquoen partie des effets posi-tifs de sa politique mais subit fortement lesconditions mondiales affecteacutees par les poli-tiques des grands pays ce sont ces derniersqui disposent du pouvoir de neacutegociation

Politiques drsquooffre et concurrence

Les politiques de relance par la demandesont par ailleurs aujourdrsquohui fortement

contraintes Les marges de la politique bud-geacutetaire sont limiteacutees par le niveau eacuteleveacute desdettes et des deacuteficits publics tandis que cellesde la politique moneacutetaire sont circonscritespar le niveau deacutejagrave tregraves faible des taux drsquointeacute-recirct Les pays sont donc inciteacutes agrave mener despolitiques drsquooffre et des reacuteformes structu-relles Or celles-ci sont par nature non coopeacute-ratives Gagner des parts de marcheacute supposedes gains de compeacutetitiviteacute qui ne sont pos-sibles que si les eacuteconomies partenairesnrsquoadoptent pas la mecircme politique

La mondialisation augmente la pression enfaveur de davantage de compeacutetitiviteacute ajuste-ments structurels concurrence par la baissedes coucircts salariaux manipulation des tauxde change Elle exacerbe la concurrence pourattirer les capitaux et les activiteacutes produc-tives et favorise donc les comportementsnon coopeacuteratifs Attirer les activiteacutes produc-tives suppose lagrave encore que les conditionsoffertes soient plus favorables que cellesdes autres pays Cela peut passer par unefiscaliteacute reacuteduite des normes sociales envi-ronnementales ou un droit du travail moinscontraignants Depuis le milieu des anneacutees1990 on observe ainsi une baisse continue dutaux drsquoimposition sur les socieacuteteacutes (baisse de10 points en moyenne en Europe) tandis queles taxes sur la consommation augmententparallegravelement

On voit dans ce cadre concurrentiel que lamondialisation est doublement contraignantepour la politique eacuteconomique conjoncturelleTout drsquoabord la concurrence fiscale reacuteduit lesmarges de manœuvre budgeacutetaires des Eacutetats toute hausse des preacutelegravevements obligatoirespeut entraicircner des fuites de capitaux ou detravailleurs moins taxeacutes ailleurs Ensuite lespolitiques drsquooffre ont un impact deacuteflationniste(pression agrave la baisse sur les salaires et les prix)qui comprime la demande et peut affecter lesobjectifs de la politique eacuteconomique (faiblecroissance deacuteflation) Lrsquoeacutequilibre non coopeacutera-tif affaiblit in fine lrsquoeacuteconomie mondiale

Les anneacutees 1930 ont eacuteteacute lrsquoexemple type deseffets neacutegatifs de la non-coopeacuteration chaque

[4] La France eacutetait agravelrsquoeacutepoque membre du

SME (change fixe)avec des capitaux

peu mobilesLa forte deacutegradation

commerciale a exerceacutedes pressions agrave la baisse

sur le change que laBanque centrale a ducirc

combattre en durcissantsa politique moneacutetaire

ce qui a deacuteprimeacutelrsquoinvestissement et

reacuteduit encore lrsquoefficaciteacutede la politique

budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 26

pays ayant chercheacute agrave exporter la reacutecessionprovoqueacutee par la crise de 1929 par le biais dedeacutevaluations compeacutetitives de leur monnaieDeacutevaluations en cascade mesures de reacutetor-sion monteacutee du protectionnisme ont provo-queacute au final un effondrement du commercemondial et une aggravation de la crise Lesouvenir de cette peacuteriode a conduit les paysau lendemain de la Seconde Guerre mondialeagrave opter pour des regravegles internationales degestion des taux de change (systegraveme de Bret-ton Woods)

Les enjeux de la coordinationDans une eacuteconomie mondialiseacutee la coor-dination a deux objectifs (Jacquet 1988)5 reacutepondre drsquoune part aux interdeacutependancesentre pays crsquoest-agrave-dire aux externaliteacutes despolitiques eacuteconomiques nationales et drsquoautrepart fournir et preacuteserver des biens publicsinternationaux relations commerciales sta-biliteacute des changes stabiliteacute financiegravere

Comme nous lrsquoavons vu la coordination dis-creacutetionnaire est difficile agrave mettre en place etplus encore agrave maintenir Crsquoest pourtant lrsquooutille plus puissant face agrave lrsquointeacutegration eacutecono-mique et financiegravere au poids des marcheacuteset de leurs anticipations En cas drsquoeacutechec la

coordination peut ecirctre contrainte par desregraveglesAinsi un reacutegime de change fixe imposela coordination des politiques moneacutetaires Demecircme le Pacte de stabiliteacute et de croissance(PSC) en Europe est un moyen agrave deacutefaut decoordination drsquoencadrer les politiques bud-geacutetaires de pays interdeacutependants Cette solu-tion nrsquoest cependant pas optimale car elleexerce une contrainte sur la politique eacutecono-mique susceptible de lrsquoempecirccher de reacuteagir agravedes chocs asymeacutetriques

Une autre solution est drsquoorganiser la coor-dination agrave un niveau supranational Crsquoeacutetaitle rocircle du FMI dans un systegraveme moneacutetaireinternational baseacute sur un reacutegime de changefixe Crsquoest le rocircle du comiteacute de Bacircle dans lecadre de la Banque des regraveglements interna-tionaux (BRI) chargeacute notamment de promou-voir la coopeacuteration internationale en matiegraverede controcircle prudentiel Lrsquoobjectif est agrave la foisdrsquoeacuteviter la concurrence deacuteloyale que pourraitexercer un systegraveme bancaire moins contraintdans un pays donneacute et prendre en compteles risques systeacutemiques des firmes bancairesdans un contexte de globalisation financiegravereLa stabiliteacute financiegravere devient un bien publicmondial

[5] Cf Aglietta et al(1998)

AGLIETTA M DE BOISSIEU CBUREAU D GAURON AHERZOG P JACQUET Pet MUET P-A (1998) Coordination europeacuteennedes politiques eacuteconomiques Rapport du conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 5 Paris LaDocumentation franccedilaise

ARTUS P (2012) Dans les circonstances

preacutesentes une relancecoordonneacutee mondiale auraitdu sens une guerre mondialede la compeacutetitiviteacute-coucirct etdes taux de change seraitcatastrophique raquoFlash Eacuteconomie ndeg 643Natixis 28 septembre

JACQUET P (1988) laquo Geacutererlrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueinternationale coordination

discreacutetionnaire ou regraveglesinstitutionnelles raquoRevue eacuteconomique vol 39ndeg 3

LAHREgraveCHE-REacuteVIL A (2002) laquo Inteacutegration internationaleet interdeacutependancesmondiales raquo in CEPIILrsquoeacuteconomie mondiale 2003 Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS27

La construction europeacuteenne repose avant tout sur la mise en place drsquoun marcheacute unique per-mettant la libre circulation des marchandises des hommes et des capitaux Les compeacutetences politiques restent a priori du ressort des Eacutetats membres conformeacutement au principe de subsi-diariteacute Le marcheacute unique a toutefois creacuteeacute des interdeacutependances eacuteconomiques fortes contrai-gnant les pays agrave coordonner leurs politiques eacuteconomiques Cela srsquoest traduit notamment par le choix de la monnaie et de la politique moneacutetaire uniques mais eacutegalement par des regravegles communes de politique budgeacutetaire et de gestion des finances publiques La crise en particu-lier celle des dettes souveraines dans la zone euro a mis en exergue les faiblesses de cette architecture institutionnelle Franck Lirzin plaide en faveur drsquoune eacutevolution vers un laquo gouverne-ment mixte raquo respectant la pluraliteacute et la diversiteacute des systegravemes politiques de lrsquoUnion

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels

De lrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueagrave la laquo solidariteacute de fait raquoDegraves ses deacutebuts le projet europeacuteen repose surlrsquoideacutee que lrsquoeacuteconomie est plus agrave mecircme quela politique drsquounir les peuples La Socieacuteteacutedes Nations avait montreacute la fragiliteacute drsquoun

eacutechafaudage diplomatique A contrariolrsquointerdeacutependance eacuteconomique est apparuecomme un ciment autrement plus solide Cerenversement de logique srsquoest traduit par lacreacuteation de la Communauteacute eacuteconomique ducharbon et de lrsquoacier (CECA) en 1952 et en1957 drsquoEuratom pour la mutualisation destechnologies nucleacuteaires et du Marcheacute com-mun (traiteacute de Rome creacuteant la Communauteacuteeacuteconomique europeacuteenne ndash CEE)

Lrsquoadheacutesion du Royaume-Uni en 1973 a eacuteteacutelrsquooccasion de reacuteaffirmer lrsquoambition eacutecono-mique du projet la Communauteacute europeacuteenneest avant tout un vaste marcheacute garantissant

FRANCK LIRZIN

Ingeacutenieur des MinesEacuteconomiste agrave la Fondation Robert Schuman

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 28

la libre circulation des biens des servicesdes capitaux et des personnes Les Eacutetats yconservent leur souveraineteacute en matiegravere depolitique eacuteconomique notamment dans lesdomaines fiscaux budgeacutetaires moneacutetaires etsociaux tandis que lrsquoeacutequilibre politique entreles Eacutetats membres est assureacute par la coopeacutera-tion au niveau communautaire

Les entreprises ont profiteacute des opportuniteacutesqui leur ont eacuteteacute offertes au-delagrave des fron-tiegraveres nationales et la concurrence les a inci-teacutees agrave se deacutevelopper et agrave innover En 2012le commerce intra-Union europeacuteenne repreacute-sentait 4667 milliards de dollars soit 26 du commerce mondial1 Le succegraves a eacuteteacute aurendez-vous mais lrsquoouverture des frontiegraveresest-elle compatible avec le maintien des sou-veraineteacutes eacuteconomiques

Les entreprises allemandes importent depuisles ports belges et neacuteerlandais les produitspeacutetrochimiques fabriqueacutes en France sontexporteacutes vers lrsquoItalie et lrsquoAllemagne lesmeubles sueacutedois sont utiliseacutes par les meacutenageseuropeacuteens les banques slovaques deacutependentbeaucoup des banques autrichiennes etcPeu agrave peu les eacuteconomies europeacuteennes sontdevenues interdeacutependantes Lrsquointeacutegrationeuropeacuteenne a creacuteeacute ce que Robert Schumanappelait une laquo solidariteacute de fait raquo dans sadeacuteclaration du 9 mai 1950

Les deacutecisions prises en France ont forceacutementdes incidences importantes pour ses voisins etprincipaux partenaires commerciaux La baissede la fiscaliteacute pour les entreprises en Irlandeattire les investissements directs eacutetrangersmais en prive drsquoautres Eacutetats membres La sor-tie du nucleacuteaire en Allemagne reacuteduit les deacutebou-cheacutes pour les entreprises franccedilaises du secteurLa perte de controcircle des finances publiquesgrecques met en danger les banques franccedilaisesou italiennes ayant acheteacute des obligationsdrsquoEacutetat Si en pratique chaque Eacutetat conservesa souveraineteacute eacuteconomique elle est en reacutealiteacutelimiteacutee par la souveraineteacute des autres

En lrsquoabsence de reacuteelle coordination les deacuteci-sions nationales sont inefficaces ou contre-productives En eacuteconomie ouverte une

relance budgeacutetaire ne profite pas tant au paysqui la fait qursquoagrave ses voisins inversement unepolitique drsquoausteacuteriteacute a des effets reacutecessifsdans les pays voisins du pays qui la megravene2

Lrsquointeacutegration europeacuteenne produit agrave son tourde nouveaux problegravemes eacuteconomiques Ainsiles fiscaliteacutes relatives agrave la TVA eacutetant diffeacute-rentes drsquoun pays agrave lrsquoautre il est possible enfaisant de fausses deacuteclarations de frauderlrsquoadministration ce qui est appeleacute le laquo car-rousel TVA raquo Une reacuteponse ne peut ecirctre envi-sageacutee qursquoagrave un niveau communautaire

Dans les deux cas coordination des politiqueseacuteconomiques ou creacuteation drsquoune politiquecommunautaire lrsquointerdeacutependance eacutecono-mique conduit les Eacutetats membres agrave renonceragrave certaines de leurs preacuterogatives au motif delrsquoefficaciteacute Lrsquoexemple le plus flagrant de cettereconfiguration institutionnelle est la creacutea-tion de la Banque centrale europeacuteenne (BCE)

Lrsquoexemple de la Banque centraleeuropeacuteenneDans la plupart des pays la politique moneacute-taire reste lrsquoapanage du seul gouvernement LesEacutetats europeacuteens ne srsquoen sont pas priveacutes dansles anneacutees 1980 Alors confronteacutes agrave une gravecrise eacuteconomique beaucoup drsquoentre eux procegrave-dent agrave des deacutevaluations compeacutetitives Mais cesdeacutevaluations deacutestabilisent les monnaies euro-peacuteennes Elles ne sont que de bregraveves bouffeacuteesdrsquooxygegravene pour les entreprises bientocirct suiviespar une reprise de lrsquoinflation Elles ne reacuteus-sissent que parce que drsquoautres eacuteconomies sontpeacutenaliseacutees Les autres pays sont inciteacutes agrave deacuteva-luer agrave leur tour entraicircnant ainsi les monnaieseuropeacuteennes dans une spirale deacuteflationniste

Le laquo Systegraveme moneacutetaire europeacuteen raquo (SME)nrsquoa pas reacutesisteacute agrave cette tentation Ayant pourobjectif de stabiliser les monnaies euro-peacuteennes il reposait uniquement sur la coor-dination volontaire des politiques moneacutetairesnationales

Au deacutebut des anneacutees 1990 les marcheacutes accen-tuent la pression sur le Royaume-Uni et lrsquoItalie

[1] Source OMC (2012)International tradestatistics 2012

[2] Sur linterdeacutependancedes politiqueseacuteconomiques voirdans ce mecircme numeacuterolarticle de Sophie Branapp 18-26

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS 29

et les forcent agrave quitter le SME Pour rendre creacute-dible une politique moneacutetaire commune lesEacutetats membres deacutecident de mutualiser leurspolitiques moneacutetaires en creacuteant une mon-naie unique lrsquoeuro Le chemin est traceacute par lerapport Delors avec pour objectif la creacuteationdrsquoune banque centrale europeacuteenne et drsquounemonnaie unique agrave lrsquohorizon de la fin du siegravecle

Aujourdrsquohui la soliditeacute de la zone euro est agravenouveau testeacutee par les marcheacutes et certainseacuteconomistes se demandent si lrsquoabandon de lamonnaie unique ne serait pas une solution Samise en œuvre a toutefois entraicircneacute une telleinterdeacutependance moneacutetaire que toute sortiecoucircterait horriblement cher agrave lrsquoensemble desEacutetats membres condamneacutes agrave se coordonner etagrave srsquointeacutegrer toujours plus

Ainsi selon lrsquointuition des Pegraveres fondateurslrsquointeacutegration eacuteconomique preacutecegravede lrsquounificationpolitique Mais alors que la construction eacuteco-nomique est avant tout technique voire tech-nocratique et se poursuit depuis cinquanteans selon la meacutethode des laquo petits pas raquo le voletpolitique du projet europeacuteen appelle des chan-gements institutionnels importants et uneremise en cause fondamentale du modegravele desEacutetats-nations

Le principe de subsidiariteacuteConscient qursquoaucun Eacutetat ne peut plus preacute-tendre agrave exercer librement sa souveraineteacutesans empieacuteter sur celles de ses partenaires etvoisins chacun sera convaincu que la seuleissue est une feacutedeacuteration politique europeacuteenneune association kantienne drsquoEacutetats-nationsPourtant par deux fois des citoyens euro-peacuteens en France et aux Pays-Bas ont refuseacutedrsquoadopter une Constitution europeacuteenne Etchaque fois que lrsquooccasion de franchir uneeacutetape suppleacutementaire se preacutesente les gouver-nements reculent et seule lrsquoimminence drsquounecrise leur fait changer drsquoavis Il ne faudraitpas en conclure trop vite que les citoyenseacutetaient mal informeacutes ou que les gouverne-ments gardent jalousement leurs preacuterogativesndash chaque changement institutionnel suscite

au contraire drsquointenses deacutebats dans tous lesEacutetats membres La tension entre le local et lesupranational entre le politique et le techno-cratique entre le diplomatique et le juridiqueest inheacuterente agrave la construction europeacuteenne etil serait vain drsquoattendre un laquo grand soir ins-titutionnel raquo qui creacuteerait ex nihilo des Eacutetats-Unis drsquoEurope3

La reacutepartition des compeacutetences est la ques-tion-cleacute de la construction europeacuteenne quelniveau local national ou supranational serale plus apte agrave geacuterer telle ou telle compeacutetence La theacuteorie eacuteconomique donne des eacuteclairagessur le choix de la centralisation contre celuide la deacutecentralisation Chacun a ses avantageset ses inconveacutenients la centralisation permetdes eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacutevite les effets denon-coopeacuteration tandis que la deacutecentrali-sation permet de mieux srsquoadapter aux preacutefeacute-rences des citoyens et agrave la situation locale4

Dans lrsquoUnion europeacuteenne la deacutecentralisa-tion est la regravegle et la centralisation lrsquoexcep-tion crsquoest le principe de subsidiariteacute tel quepreacuteciseacute dans lrsquoarticle 5 du traiteacute sur le fonc-tionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) Ilest notamment eacutecrit que laquo les Eacutetats membrescoordonnent leurs politiques eacuteconomiques ausein de lrsquoUnion [et que] le Conseil adopte desmesures notamment les grandes orientationsde ces politiques raquo tandis que laquo lrsquoUnion prenddes mesures pour assurer la coordination despolitiques de lrsquoemploi des Eacutetats membresnotamment en deacutefinissant les lignes direc-trices de ces politiques raquo

La communautarisation de certaines poli-tiques doit donc ecirctre pleinement justifieacuteeau regard des traiteacutes Cela est drsquoautant plusimportant qursquoune fois confieacutee au niveau com-munautaire une politique peut difficilementecirctre laquo renationaliseacutee raquo

Jeux diplomatiques autourdes compeacutetences communautairesSi lrsquointerdeacutependance croissante justifie plei-nement la communautarisation de certaines

[3] Magnette P (2006)Le reacutegime politique de

lrsquoUnion europeacuteenne Paris Presses de

Sciences Po

[4] Jamet J-F (2012)LrsquoEurope peut-

elle se passer drsquoungouvernement

eacuteconomique ParisLa Documentation

franccedilaise coll laquo ReacuteflexeEurope raquo 2e eacuted

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 30

politiques eacuteconomiques leur mise en œuvresoulegraveve des difficulteacutes qui doivent nousfaire reacutefleacutechir eacutegalement en termes drsquoavan-tages et drsquoinconveacutenients de tels changementsinstitutionnels

Les difficulteacutes du transfertde compeacutetences vers lrsquoEuropeLa compeacutetence transfeacutereacutee au niveau europeacuteenpasse du domaine de la politique au champde la diplomatie vingt-huit Eacutetats membressoit vingt-huit faccedilons de concevoir le mondeet la politique eacuteconomique doivent srsquoaccor-der sur une politique commune Souventlrsquoaccord est obtenu a minima autour du pluspetit deacutenominateur commun Les politiquescommunautaires sont par conseacutequent peuambitieuses et conservatrices Certains Eacutetatsmembres preacutefegraverent alors former des laquo coopeacute-rations renforceacutees raquo pour surmonter les dif-feacuterents et ecirctre plus effectifs agrave lrsquoexemple delrsquoinstauration drsquoune taxe sur les transactionsfinanciegraveres qui implique onze Eacutetats

Le processus deacutemocratique qui preacutevalait auniveau national devient la portion congrue dunouveau jeu institutionnel et diplomatiqueEn un sens le deacuteveloppement des lobbies agrave Bruxelles la laquo comitologie raquo ou la volonteacutedu Parlement europeacuteen de parler au nomdes citoyens europeacuteens sont des reacuteactions agravelrsquoincapaciteacute de lrsquoeacutechelon europeacuteen de sortirdrsquoune logique purement institutionnelle etdiplomatique

La Commission europeacuteenneenfermeacutee dans une logiquejuridiqueLa Commission est impreacutegneacutee de cettelogique Elle nrsquoa ni la compeacutetence ni la leacutegi-timiteacute pour agir de faccedilon discreacutetionnairecomme le font les gouvernements elle doitalors se faire le gardien des traiteacutes et abor-der les politiques communautaires selonune logique tregraves juridique pour ecirctre leacutegitimeCette laquo eurocratie raquo qui nrsquoa que tregraves peu deliens directs avec le laquo monde reacuteel raquo a du malagrave faire preuve de leadership avec ce que cela

implique de gestion du quotidien et de lrsquohu-main Lrsquoimage des fonctionnaires europeacuteensenfermeacutes dans leur tour drsquoivoire est en par-tie vraie mais il ne faudrait pas en deacuteduireqursquoils en sont responsables crsquoest la struc-ture institutionnelle de lrsquoUnion europeacuteennequi les cantonne agrave cette situation

Pourtant la Commission europeacuteenne nrsquoheacute-site pas agrave user de son droit drsquoinitiative pourpousser toujours plus loin lrsquointeacutegration euro-peacuteenne Apregraves tout chaque institution en faitde mecircme lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutelargir ses preacuteroga-tives Mais cette ambition si justifieacutee qursquoellepuisse ecirctre au regard du projet europeacuteen seheurte aux reacuteticences des Eacutetats membres LeParlement europeacuteen au contraire est plu-tocirct favorable agrave lrsquoaccroissement des pouvoirsde la Commission ndash et des siens au passageCrsquoest au sein de ce trio institutionnel que sedessine le visage de lrsquoUnion europeacuteenne

Reacuteformer les institutions

Contrairement agrave lrsquointeacutegration eacuteconomique qui somme toute est assez technique mecircme si elle prend du temps lrsquointeacutegration politique implique de changer les institu-tions europeacuteennes Les diffeacuterents traiteacutes ont ainsi donneacute de plus en plus de place au Parlement Lrsquointroduction de la majo-riteacute qualifieacutee et aujourdrsquohui de la majoriteacute qualifieacutee inverseacutee deacutebloque les situations ougrave un seul Eacutetat membre pouvait bloquer lrsquoensemble du processus Les institutions europeacuteennes srsquoadaptent agrave lrsquoeacutelargissement de lrsquoUE et au deacuteveloppement des politiques communautaires

Renforcer lrsquoEurope sans la rendre plusdeacutemocratique est toutefois un piegravege Le Par-lement europeacuteen repreacutesente les citoyensmais la faible participation aux eacutelectionseuropeacuteennes ne lui donne pas une grandeleacutegitimiteacute Par ailleurs contrairement auxparlements nationaux il nrsquoa pas le pouvoirde lever lrsquoimpocirct et nrsquoest donc pas responsabledirectement devant les citoyens des poli-tiques communautaires qursquoil promeut ce quipose problegraveme De mecircme agrave trop verser dans

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les logiques diplomatiques et juridiques lesinstitutions communautaires srsquoeacuteloignentdes citoyens et aggravent le deacutesamour dontelles font lrsquoobjet Lrsquoarchitecture institution-nelle actuelle nrsquoest donc pas satisfaisanteau regard des eacutevolutions actuelles La com-plexiteacute du systegraveme deacutecisionnel europeacuteennrsquoest pas un deacutefaut de conception mais lereflet des tensions qui le traversent

Lrsquoexemple de la politique budgeacutetaireLa politique budgeacutetaire est une bonne illus-tration de ces tensions Elle est objet de sou-veraineteacute par exemple Pourtant dans uneeacuteconomie ouverte les politiques budgeacutetairesbien que deacutefinies dans un cadre nationalont des conseacutequences extra-nationales Lafiscaliteacute ou les plans de relance ne sont pasneutres La crise de la zone euro a reacuteveacuteleacute uneautre forme drsquointerdeacutependance

La crise eacuteconomique reacutecente a profondeacutementdeacuteseacutequilibreacute les finances publiques des Eacutetatseuropeacuteens Les deacuteficits publics se sont creu-seacutes au-delagrave des limites fixeacutees par le pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) et les dettespubliques de certains Eacutetats membres notam-ment la Gregravece sont devenues hors controcircle Orles obligations drsquoEacutetats europeacuteens sont princi-palement deacutetenues par les banques et insti-tutions financiegraveres europeacuteennes Le laquo risquesouverain raquo agrave savoir la probabiliteacute qursquoun Eacutetatnrsquohonore pas ses obligations eacutetait correacuteleacute aulaquo risque bancaire raquo agrave savoir la probabiliteacute defaillite drsquoune banque Les finances publiquesportugaises espagnoles ou grecques sontdevenues un enjeu europeacuteen

En 2011 et 2012 les Eacutetats de la zone euroont deacutecideacute de mieux coordonner leurs poli-tiques budgeacutetaires afin de couper le lienentre risques souverains et risques bancaireset drsquoeacuteviter qursquoune telle situation ne se repro-duise Cet engagement devait convaincreles creacutediteurs drsquoaccorder agrave nouveau leurconfiance aux obligations publiques de lazone euro et faire baisser les taux drsquointeacuterecirct

De nombreux changements ont eacuteteacute intro-duits Le traiteacute intergouvernemental sur lastabiliteacute la coordination et la gouvernance(TSCG) le laquo six-packs raquo et le laquo two-packs raquo ontintroduit des regravegles de gestion budgeacutetaire auniveau europeacuteen Les Eacutetats sont ainsi tenusdrsquoadopter des plans de redressement de leursfinances publiques (la laquo regravegle drsquoor raquo) tandisque la Cour de justice europeacuteenne peut infli-ger des sanctions financiegraveres allant jusqursquoagrave05 du PIB Lrsquoeffort est sans preacuteceacutedent

Pourtant il nrsquoest pas sucircr qursquoil soit suffisantLes taux drsquointeacuterecirct ont baisseacute comme espeacutereacutemais davantage parce que la Banque cen-trale europeacuteenne (BCE) srsquoest deacuteclareacutee precircte agravetout pour les maintenir agrave des niveaux faiblesEn outre la reacuteduction des deacuteficits publics acontribueacute agrave ralentir lrsquoeacuteconomie europeacuteenneEnfin les marcheacutes financiers restent frag-menteacutes et lrsquoaccegraves au creacutedit difficile pour lesPME de la peacuteripheacuterie de la zone euro Beau-coup reste agrave faire

Le problegraveme des deacuteseacutequilibresmacroeacuteconomiquesLrsquoouverture des marcheacutes puis la creacuteationdrsquoune monnaie unique ont acceacuteleacutereacute la recom-position de lrsquoindustrie europeacuteenne au profitdes reacutegions deacutejagrave les plus innovantes ou capita-listiques comme lrsquoItalie du Nord lrsquoAllemagnede lrsquoOuest ou le Sud des Pays-Bas Les eacutecono-mies peacuteripheacuteriques ont maintenu un taux decroissance important en misant sur les ser-vices financiers et la construction mais cessecteurs ne contribuent que tregraves marginale-ment agrave lrsquoeacutequilibre de la balance commercialeIls se sont endetteacutes pour maintenir leur trainde vie et la crise financiegravere a mis lrsquoeacutedifice agravebas La crise des finances publiques nrsquoest pastant la cause de la crise de la zone euro que laconseacutequence drsquoune construction eacuteconomiqueimparfaite5

La question drsquoune politique industrielleou sociale refait surface Les affaires defraudes fiscales ont relanceacute le deacutebat sur la

[5] Aglietta M (2012)Zone euro eacuteclatement

ou feacutedeacuteration ParisMichalon

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 32

coordination des politiques fiscales La laquo soli-dariteacute de fait raquo peut-elle maintenant devenirune laquo solidariteacute drsquoactes raquo par laquelle lespays riches aident les pays en crise agrave se reacutein-dustrialiser et agrave recreacuteer des emplois Faut-ilcreacuteer un laquo gouvernement eacuteconomique raquo

Certains imaginent doter lrsquoUnion europeacuteennedrsquoun systegraveme bicameacuteral (Conseil et Parlementeuropeacuteen) choisissant lrsquoexeacutecutif (le preacutesidentde la Commission) Drsquoautres songent agrave insti-tutionnaliser la zone euro en creacuteant une com-mission speacutecifique au sein du Parlement et unTreacutesor de la zone euro chargeacute de la politiqueeacuteconomique europeacuteenne

Ces changements supposent un accord delrsquoensemble des Eacutetats membres Or les pro-blegravemes de la zone euro pour importantsqursquoils soient ne concernent que dix-septEacutetats membres et ne justifient pas un chan-gement institutionnel de lrsquoUnion europeacuteenne

Par ailleurs les Eacutetats membres ne sont pas dutout drsquoaccord sur les changements agrave apporterLrsquoAllemagne est attacheacutee agrave lrsquoordo-libeacuteralismecrsquoest-agrave-dire un encadrement du marcheacute parlrsquoEacutetat et une institutionnalisation des rela-tions sociales tandis que la France privileacutegieune forme de libeacuteralisme dirigeacute ou de colber-tisme Comment concilier les deux

La communautarisation de pans entiers despolitiques eacuteconomiques qursquoil srsquoagisse du fis-cal du social ou de lrsquoindustriel exacerbera lestensions deacutejagrave deacutecrites la Commission aurait-elle la compeacutetence et la leacutegitimiteacute pour pilo-ter certaines politiques industrielles alorsmecircme qursquoelle se montre fermement attacheacuteeactuellement agrave la logique de concurrence Lescitoyens ne se sentiront-ils pas encore pluseacuteloigneacutes drsquoun pouvoir centraliseacute agrave Bruxelles

Plus important encore peut-on reacuteellementcroire que les systegravemes socio-eacuteconomiquessont simplement miscibles Une mise encommun de certaines politiques par exempledrsquoinnovation suppose en effet des similitudesOr les systegravemes drsquoinnovation ont chacun leursparticulariteacutes ancreacutees dans plusieurs siegraveclesdrsquohistoire Ils peuvent travailler en compleacute-mentariteacute comme le deacutemontre lrsquoexemple

drsquoEADS neacute de la fusion de trois entiteacutes Aeros-patiale-Matra (France) DASA (Allemagne) etCASA (Espagnol) mais pas fusionner totale-ment Il faut du temps et de la patience pourque le projet reacuteussisse6 Comment croire quenous serons capables de faire en trois ans etavec vingt-huit Eacutetats ce qursquoEADS a mis desdeacutecennies agrave creacuteer avec seulement trois pays

Un nouveaulaquo gouvernement mixte raquo Lrsquointerdeacutependance croissante des Eacutetatsmembres pousse agrave davantage drsquointeacutegrationpolitique et agrave des changements institution-nels Mais est-il possible drsquoaller plus loinsans remettre en cause fondamentalementles Eacutetats-nations et le reacutegime parlementairedeacutemocratique actuel La preacutevalence drsquounelogique intergouvernementale lrsquoinexistencedrsquoun demos europeacuteen et lrsquoimpossibiliteacute degeacuterer un si vaste et si divers ensemble poli-tique plaide en faveur drsquoune reacuteponse neacutegative

Un changement institutionnel srsquoil nrsquoestpas probable est-il mecircme souhaitable Laconstruction europeacuteenne est le reflet des mul-tiples tensions qui la traversent et la traver-seront demain encore Plutocirct que de vouloirla clarifier et rationaliser agrave tous prix mieuxvaudrait favoriser la participation de tousles inteacuterecircts aux processus deacutecisionnels selonune proceacutedure transparente pragmatique eteacutequitable

Le modegravele de Montesquieu de seacuteparation despouvoirs tregraves utile pour deacutecrypter le fonc-tionnement des Eacutetats-nations est moinspertinent pour la construction europeacuteenneLes modegraveles de laquo gouvernement mixte raquo7 telsqursquoils existaient agrave drsquoautres eacutepoques illustrentmieux ce vers quoi pourrait tendre lrsquoEurope un meacutelange de plusieurs systegravemes politiquesdont lrsquoentrelacement garantit la peacuterenniteacute etla capaciteacute agrave prendre en compte lrsquoensembledes inteacuterecircts Aristote disait de ce reacutegime qursquoilest laquo la plus sucircre des formes imparfaites raquo

[6] Barmeyer Chet Mayrhofer U (2008)The contributionof interculturalmanagement tothe success ofinternational mergersand acquisitions An analysis of the EADSgroup In InternationalBusiness Review Jg 172008 S 28-38

[7] Chopin Th (2013)Vers un veacuteritablepouvoir exeacutecutifeuropeacuteen de lagouvernance augouvernement Question drsquoEuropendeg 274 Fondation RobertSchuman 15 avril

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 33

Le deacutebat sur les regravegles de politique budgeacutetaire a connu un regain drsquointeacuterecirct avec la crise des dettes souveraines particuliegraverement avec le vote en Europe du TSCG ndash traiteacute sur la stabiliteacute la coordination et la gouvernance au sein de lrsquoUnion eacuteconomique et moneacutetaire ndash qui preacutevoit une laquo regravegle drsquoor des finances publiques raquo limitant les deacuteficits structurels agrave 05 du PIBPreacutesenteacutees tantocirct comme une neacutecessiteacute pour limiter les deacuteficits et lrsquoendettement publics tan-tocirct comme des dispositifs anti-deacutemocratiques allant agrave lrsquoencontre du rocircle contracyclique des politiques conjoncturelles le bien-fondeacute des regravegles budgeacutetaires est tregraves deacutebattu Apregraves avoir preacutesenteacute leurs avantages et leurs limites Jeacuterocircme Creel fait le point sur la diversiteacute de ces regravegles et sur leur efficaciteacute drsquoautant plus difficile agrave eacutevaluer qursquoelles sont de plus en plus com-plexes Au-delagrave de la question des regravegles le deacutebat sur les bonnes pratiques de politique bud-geacutetaire porte eacutegalement sur lrsquoexistence drsquoinstitutions qui pourraient heacuteriter des preacuterogatives des gouvernements ou du moins avoir pour rocircle de les conseiller

Problegravemes eacuteconomiques

Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire

Intense avant lrsquoadoption des critegraveres deMaastricht le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute drsquoins-taurer des regravegles de politique budgeacutetaire a eacuteteacuterelanceacute au cours de la crise financiegravere inter-nationale En effet les regravegles en vigueur dansla zone euro ndash notamment la limitation desdeacuteficits publics agrave 3 du PIB ndash nrsquoont pas per-mis drsquoeacutechapper agrave la fameuse crise des dettessouveraines Et au-delagrave de lrsquoEurope la fortedeacutegradation de lrsquoeacutetat des finances publiquesa fait craindre le retour des deacutefauts souve-rains dans les pays deacuteveloppeacutes

Selon un document du FMI (Schaechter et al2012) seuls cinq pays dans le monde dispo-saient drsquoune regravegle budgeacutetaire srsquoappliquant augouvernement en 1990 lrsquoAllemagne lrsquoIndoneacute-sie le Japon le Luxembourg et les Eacutetats-UnisDepuis lors pas moins de 76 pays sont concer-neacutes Plutocirct formuleacutees simplement agrave lrsquoorigine(comme une limite agrave 3 du deacuteficit public) cesregravegles deviennent de plus en plus complexesintroduisant les notions peu eacutevidentes drsquoinsou-tenabiliteacute des finances publiques et de contin-gence aux chocs eacuteconomiques Or ces termesdonnent lieu agrave une diversiteacute drsquointerpreacutetationsIn fine ces nouvelles regravegles posent de deacutelicatsproblegravemes de controcircle et de mise en œuvreLeur efficaciteacute est bien difficile agrave appreacutehender

JEacuteROcircME CREEL

OFCE et ESCP Europe

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 34

Pourquoi des regravegles budgeacutetaires Deux principaux arguments ont eacuteteacute avanceacutespour justifier lrsquoapplication de regravegles de poli-tique budgeacutetaire En premier lieu celui dela creacutedibiliteacute et de la coheacuterence temporelledans la ligneacutee de Kydland et Prescott (1977)

Regravegle et creacutedibiliteacute

Le premier argument part de lrsquoideacutee que lesgouvernements et les banques centralessont victimes drsquoun laquo biais inflationniste raquoIls seraient enclins agrave mener des politiquesbudgeacutetaires et moneacutetaires expansives afinde pousser lrsquoeacuteconomie au-delagrave de lrsquoeacutequilibrepermis par ses facteurs de production Letaux drsquoinflation serait alors supeacuterieur agrave celuiqursquoils avaient preacutealablement communiqueacuteaux acteurs priveacutes Lrsquoeffet rechercheacute est unebaisse du salaire reacuteel engendrant plus decroissance et plus drsquoemplois

Toutefois si les acteurs priveacutes ont des anti-cipations laquo rationnelles raquo ils peuvent preacutevoirle comportement des gouvernements et desbanques centrales les salarieacutes vont doncaugmenter leurs revendications salarialesau-delagrave des engagements drsquoinflation desautoriteacutes Les salaires nominaux vont alorsprogresser non pas au rythme de lrsquoinflationinitialement afficheacutee mais agrave celui de lrsquoinfla-tion effectivement engendreacutee par des poli-tiques expansionnistes En conclusion souslrsquohypothegravese drsquoanticipations rationnelles lespolitiques eacuteconomiques ne modifient pas lesniveaux de production et drsquoemploi mais ontdes effets sur lrsquoinflation

Dans ce contexte parce que le biais inflation-niste produit effectivement de lrsquoinflation il estnocif pour lrsquoeacuteconomie Lrsquoinflation induit desmodifications de prix relatifs (tous les prix nepeuvent pas augmenter de concert en raisondes deacutecalages temporels dans les contratseacutetablis par exemple) qui perturbent le bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie elle provoquedes pertes de compeacutetitiviteacute si les partenairescommerciaux sont moins soumis au biaisinflationniste ainsi que des modifications de

recettes fiscales si les baregravemes drsquoimpositionne sont pas indexeacutes sur les prix

Deux solutions ont eacuteteacute apporteacutees agrave ce biaisinflationniste La premiegravere a consisteacute agrave pro-mouvoir des regravegles contraignantes de poli-tique eacuteconomique les engagements prisdoivent ecirctre creacutedibles ce qui neacutecessite que lesobjectifs des autoriteacutes soient clairement iden-tifieacutes et qursquoils correspondent agrave la situationdrsquoeacutequilibre de lrsquoeacuteconomie Cette exigence srsquoesttraduite concregravetement par une geacuteneacuteralisationdes laquo cibles drsquoinflation raquo La seconde solutionqui peut ecirctre compleacutementaire de la premiegraverea consisteacute agrave deacuteleacuteguer la politique moneacutetaire agraveune banque centrale deacutesormais indeacutependantedu pouvoir politique Les banquiers centrauxdoivent en conseacutequence ecirctre choisis pour leuraversion reconnue vis-agrave-vis de lrsquoinflation

Quelles sont les conseacutequences de ces choixsur les politiques budgeacutetaires Assez natu-rellement les regravegles contraignantes drsquoenga-gement preacutealable auxquelles se soumettentles politiques moneacutetaires se sont imposeacuteesaux politiques budgeacutetaires Soucieux de leurreacuteeacutelection les gouvernements sont particu-liegraverement inciteacutes dans le raisonnement tenuplus haut agrave pratiquer des politiques plusexpansives que preacutevu Or non seulement cespratiques nuisent agrave lrsquoeacutequilibre des financespubliques mais elles compromettent lrsquoobjec-tif assigneacute aux banques centrales leur cibledrsquoinflation Lrsquoimposition de regravegles de politiquebudgeacutetaire protegravege le mandat des banquierscentraux indeacutependants et averses agrave lrsquoinfla-tion Par conseacutequent elles doivent apporteraux gouvernements de la creacutedibiliteacute pourvubien sucircr qursquoelles soient appliqueacutees ou que desproceacutedures de sanctions soient organiseacutees encas de manquement Si la creacutedibiliteacute est aurendez-vous lrsquoavantage attendu sera un tauxdrsquointeacuterecirct faible sur la dette publique car lerisque de deacutefaut sera consideacutereacute comme limiteacute

Regravegle et biais politique

Le deuxiegraveme argument concerne la compo-sition des deacuteficits publics entre deacutepenseset recettes mais aussi les asymeacutetries

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 35

drsquoinformation entre les eacutelecteurs et leurs gou-vernements (von Hagen 2002)

Le premier aspect consiste agrave rappeler queles deacutepenses publiques comme les transfertsbeacuteneacuteficient agrave un sous-groupe de la popula-tion alors que tous les contribuables doiventen financer le coucirct une telle politique estredistributive Si le gouvernement repreacutesenteles inteacuterecircts du sous-groupe de la populationqui beacuteneacuteficie effectivement de la politiquebudgeacutetaire ou fiscale il peut ecirctre ameneacute agravesurestimer les beacuteneacutefices de sa politique et agravesous-estimer son coucirct Dans un tel contexteil peut ecirctre leacutegitime de restreindre les capa-citeacutes drsquoaction du gouvernement pour limiterle fardeau qui pegravesera sur les contribuables

Le second aspect tient agrave la difficulteacute pourles eacutelecteurs drsquoappreacutehender avec justesse lecomportement du gouvernement (on srsquoeacuteloignedonc quelque peu de la notion drsquoanticipa-tions rationnelles vue plus haut) celui-cipourrait tregraves bien poursuivre exclusivementson propre inteacuterecirct et extraire une rente de sasituation avec pour conseacutequence corruptionmauvaise gestion et gacircchis en tout genreCompte tenu de cette difficulteacute agrave preacutevoir lesmotivations de lrsquoaction politique des garde-fous peuvent srsquoaveacuterer neacutecessaires les regraveglesbudgeacutetaires prennent alors aussi la formedrsquoinstitutions efficaces pour produire lesbons comportements (comme viser lrsquointeacuterecirctgeacuteneacuteral) et les controcircler

Regravegle et union moneacutetaire

Il existe finalement un troisiegraveme argumentagrave lrsquoadoption de regravegles budgeacutetaires mais il acertainement perdu de sa substance au profitdu deuxiegraveme plus politique que nous avonspreacutesenteacute Il concerne les speacutecificiteacutes drsquouneunion moneacutetaire

Dans une union moneacutetaire une contraintesur la dette publique est neacutecessaire ndash techni-quement ndash pour atteindre lrsquoeacutequilibre macro-eacuteconomique stable de longue peacuteriode1 Dansun ensemble eacuteconomique ougrave les monnaiessont diffeacuterentes lrsquoincertitude sur la valeurdes actifs en devises et lrsquoaversion pour le

risque permettent de deacuteterminer la partde titres eacutetrangers que souhaitent deacutetenirles acteurs priveacutes incertitude et aversionpour le risque suffisent donc agrave deacuteterminerle partage de la richesse totale des meacutenagesentre titres domestiques et titres eacutetrangersLorsque la monnaie devient unique ce par-tage est indeacutetermineacute puisque le risque estsupposeacute avoir disparu les taux drsquointeacuterecirctnominaux doivent ecirctre eacutegaux agrave long termedans tous les pays Sans contrainte sur ledeacuteficit public qui engendre lrsquoeacutemission detitres domestiques la richesse des agentspriveacutes pourrait ecirctre stabiliseacutee (agrave lrsquoeacutequilibrede longue peacuteriode) sans que ni les montantsde titres eacutetrangers ni ceux de titres domes-tiques ne le soient les uns et les autres eacutetantbeaucoup plus substituables puisqursquoil nrsquoy aplus de risque de change La contrainte surle deacuteficit public remplace celle sur le deacuteficitexteacuterieur Il est inteacuteressant de constater quecet argument technique a eacuteclateacute parce que lerisque de change dans la zone euro a resurgisous lrsquoeffet des hausses de dettes publiques la question de lrsquoappartenance agrave la zoneeuro srsquoest poseacutee de nouveau La leveacutee de lacontrainte exteacuterieure non compenseacutee par unecontrainte stricte sur les deacuteficits et les dettespublics a produit des deacuteseacutequilibres courantsfinalement insoutenables

Les contre-argumentsLes trois arguments que nous venons depreacutesenter srsquoils permettent drsquoexpliquerlrsquoeacutemergence des regravegles budgeacutetaires ne lesjustifient pas pour autant dans la mesure ougraveils reposent tous sur des hypothegraveses fortes

Les regravegles budgeacutetaires issues de la theacuteorie dela creacutedibiliteacute preacutesupposent

ndash lrsquoexistence drsquoacteurs priveacutes parfai-tement informeacutes du comportement desgouvernements

ndash des gouvernements voulant mener lrsquoeacuteco-nomie systeacutematiquement au-delagrave de sonpotentiel

ndash des gouvernements capables drsquoinfluereffectivement sur les prix

[1] Agrave cet eacutequilibrede longue peacuteriode

le montant total drsquoactifspriveacutes et publics

deacutetenus par les acteurspriveacutes est constant

en proportion du PIBIl correspond agrave une

eacutepargne de long terme

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 36

On pourra admettre qursquoil srsquoagit lagrave drsquohypo-thegraveses de travail dans le cadre drsquoune eacutelabora-tion scientifique et qursquoen pratique les regraveglesbudgeacutetaires au lieu de chercher agrave empecirccherles gouvernements de tricher sur leurs enga-gements vont chercher agrave limiter ou agrave atteacute-nuer les pratiques deacuteviantes Dans ce caslrsquoimposition de regravegles budgeacutetaires souplespermettra de laisser quelques marges demanœuvre en cas de doute sur lrsquointerpreacuteta-tion agrave donner aux deacutecisions politiques unehausse du deacuteficit public peut se justifier parune insuffisance de la demande mal identifieacuteepar des acteurs priveacutes ne disposant pas drsquounevue globale de lrsquoeacuteconomie Il nrsquoy a pas lagravematiegravere agrave imaginer un Eacutetat cherchant agrave inter-venir au-delagrave du neacutecessaire dans lrsquoeacuteconomieAgrave lrsquoinverse lrsquoimposition drsquoune regravegle stricte debudget eacutequilibreacute pourrait ecirctre preacutejudiciableagrave la reacutegulation conjoncturelle si la politiquemoneacutetaire seule nrsquoeacutetait pas en mesure dereacutesorber les chocs La forme des regravegles doitdonc ecirctre eacutevoqueacutee (cf infra)

Les regravegles budgeacutetaires issues de la reacuteflexionsur le problegraveme drsquoasymeacutetrie drsquoinformationentre les autoriteacutes et les citoyens supposentque les motivations du gouvernement sontconnues au lieu drsquoecirctre laquo opportuniste raquo(Nordhaus 1975) mimant en peacuteriode preacute-eacutelectorale les preacutefeacuterences de lrsquoeacutelectorat pourle satisfaire et ecirctre reacuteeacutelu le gouvernementserait laquo partisan raquo (Hibbs 1977) deacutefendantles seuls inteacuterecircts de son eacutelectorat La vali-diteacute empirique de cette hypothegravese continuecependant de faire deacutebat en outre srsquoil existedes eacuteleacutements empiriques attestant lrsquoinfluencedes choix politiques sur les choix budgeacutetaireset fiscaux dans certains pays leurs implica-tions sur les variables comme lrsquoinflation nesont pas aveacutereacutees2 Ces reacutesultats mettent par-tiellement en doute la neacutecessiteacute de recourir agravedes regravegles budgeacutetaires pour limiter les effetsde deacutebordement des politiques publiquesQuant agrave la question de la corruption et de lacaptation de rente par les gouvernements ilsuffit de tester la correacutelation entre regravegle bud-geacutetaire et indice de corruption3 pour veacuterifierqursquoil nrsquoy a pas de relation univoque entre les

deux situations de nombreux pays disposantdrsquoune regravegle ont aussi un degreacute de corruptionrelativement faible (Finlande Danemark)mais drsquoautres tels que la Gregravece ou lrsquoItalieaffichent des niveaux de corruption relati-vement eacuteleveacutes Certes les premiers les res-pectent semble-t-il mieux que les secondsmais la causaliteacute entre les deux situations(corruptionregravegle) nrsquoest pas eacutetablie

Enfin si la regravegle budgeacutetaire drsquoajustement agraveun niveau de dette publique deacutesireacutee est bienune condition neacutecessaire agrave lrsquoobtention drsquouneacutequilibre de long terme satisfaisant pour lesactifs financiers des meacutenages elle nrsquoimpliquepas que la politique budgeacutetaire soit paralyseacuteedegraves le court terme

Ces remarques mettent en doute lrsquoutiliteacutedrsquoimposer meacutecaniquement des regravegles bud-geacutetaires qui peuvent reacuteduire arbitrairementles marges de manœuvre des gouvernementsconfronteacutes agrave des chocs macroeacuteconomiques etagrave des fluctuations eacuteconomiques

Regravegles budgeacutetaires et institutionsDiffeacuterents types de regraveglesLes regravegles budgeacutetaires en vigueur portent surdiffeacuterentes variables de finances publiquesElles peuvent ecirctre annuelles ou porter sur lemoyen terme Elles peuvent ecirctre locales natio-nales ou supranationales comme le Pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) qui srsquoappliqueagrave tous les Eacutetats membres de lrsquoUnion euro-peacuteenne Sur un mecircme territoire elles peuventse cumuler les reacutegions franccedilaises sont sou-mises agrave une regravegle portant sur lrsquoinvestisse-ment public tandis que lrsquoEacutetat franccedilais estsoumis via le PSC agrave une regravegle sur le deacuteficittotal et agrave une regravegle sur la dette et via le traiteacutebudgeacutetaire agrave une regravegle sur le deacuteficit structu-rel Les regravegles peuvent ecirctre inscrites dans laconstitution comme en Allemagne ou ne paslrsquoecirctre comme en France

Les regravegles de budget eacutequilibreacuteTentons de cerner toutes les variables definances publiques qui donnent lieu agrave une

[2] Cf Drazen (2001)et sa discussion avecO Blanchard

[3] LrsquoorganisationTransparencyInternational fournitun indice de corruptionpar pays

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 37

regravegle budgeacutetaire Les regravegles de budget eacutequili-breacute sont sans doute les plus connues le PSCstipule en effet que le deacuteficit public ne doitpas deacutepasser annuellement 3 du PIB endehors de circonstances exceptionnelles etqursquoagrave moyen terme le budget doit ecirctre eacutequi-libreacute Simples agrave controcircler et ayant un impactdirect sur lrsquoeacutevolution de la dette publique cesregravegles peuvent ne pas laisser suffisammentde marges de manœuvre pour faire face agrave desfluctuations drsquoactiviteacute ou agrave des chocs eacutecono-miques inattendus

Les regravegles de deacuteficit structurel4 comme celleinscrite dans le traiteacute budgeacutetaire ndash agrave moyenterme le deacuteficit structurel ne doit pas deacutepas-ser 05 du PIB ndash corrigent les deacutefauts de laregravegle preacuteceacutedente mais sont moins simples agravecontrocircler En effet les variations drsquoactiviteacutesont eacutevalueacutees par rapport agrave une eacutevolutionlaquo normale raquo de lrsquoactiviteacute celle du PIB poten-tiel qui nrsquoest pas observable et doit donc ecirctreeacutevalueacute lui aussi avec toutes les erreurs drsquoes-timation et les divergences drsquointerpreacutetationque cela peut impliquer

Les regravegles de dette

Les regravegles de dette consistent agrave limiter ladette en proportion du PIB en deccedilagrave drsquouncertain seuil etou agrave ramener le ratio vers ceseuil agrave un rythme preacutedeacutefini Parce que la dettepublique eacutevolue au greacute des deacuteficits publicsune regravegle portant sur la dette comporte lesmecircmes deacutefauts qursquoune regravegle de budget eacutequili-breacute Elle preacutesuppose en outre lrsquooptimaliteacute dumoins le niveau adeacutequat de la dette publiqueOr aucun principe eacuteconomique ne permetdrsquoaffirmer qursquoil existe agrave tout instant et danstous les pays un niveau optimal et intangiblede dette publique La regravegle de dette se heurtedonc agrave lrsquoimpossibiliteacute de deacutefinir un seuil adeacute-quat agrave moins de le faire varier en fonction denombreux paramegravetres lrsquoinflation qui modifiesa valeur reacuteelle le taux drsquointeacuterecirct qui fixe lescharges de la dette la deacutemographie qui deacuteter-mine le ratio de deacutependance entre inactifsacircgeacutes et actifs et pegravese donc sur les deacutepenseset les cotisations de retraites sur le tauxdrsquoeacutepargne et in fine sur la demande drsquoactifs

financiers etc Une regravegle variable perdraittregraves certainement toute simpliciteacute elle seraitincompreacutehensible pour le grand public qui nesaurait donc pas lrsquointeacutegrer dans son compor-tement et ses attentes

Les regravegles de deacutepenses

Les regravegles de deacutepenses peuvent amener agraveexclure certaines drsquoentre elles du deacuteficit agravecontenir Tel est le cas de la regravegle drsquoor desfinances publiques qui autorise le finance-ment obligataire des deacutepenses drsquoinvestis-sement et oblige agrave eacutequilibrer deacutepenses defonctionnement et recettes fiscales Une telleregravegle peut donner lieu agrave une augmentation dela dette publique et de la prime de risque dedeacutefaut si les investissements publics ne pro-duisent pas les beacuteneacutefices attendus en termes decroissance Elle peut conduire agrave privileacutegier desdeacutepenses drsquoinfrastructures au deacutetriment desdeacutepenses drsquoeacuteducation et nuire agrave la croissanceeacuteconomique future Elle pose donc la questiondes deacutepenses productives agrave favoriser Drsquoautresregravegles de deacutepenses adoptent une approchebeaucoup plus comptable qursquoeacuteconomique enlimitant sans discernement la hausse du ratiode deacutepenses publiques Le peacuterimegravetre de lrsquoEacutetatpeut facilement ecirctre restreint par ce biais cequi est source selon certains drsquoefficaciteacute ndash unEacutetat moins deacutepensier doit lever moins drsquoim-pocircts potentiellement nuisibles aux incitationsagrave produire agrave travailler voire agrave consommer mais cela risque fort drsquoengendrer une baissedes deacutepenses sociales gages de seacutecuriteacute pourceux qui en beacuteneacuteficiaient etou une diminu-tion des investissements publics nuisible agravelong terme pour la croissance

Des institutions chargeacuteesde la politique budgeacutetaire

La multipliciteacute des regravegles rend les comparai-sons internationales quant agrave leur eacuteventuelleefficaciteacute particuliegraverement deacutelicates En touteacutetat de cause il nrsquoexiste pas de regravegle bud-geacutetaire optimale permettant de faire face agravetoutes les contingences Et si elle existaitil serait impossible de la controcircler tant elleserait compliqueacutee agrave appreacutehender

[4] Le deacuteficit structurelest corrigeacute de

lrsquoimpact automatiquedes variations drsquoactiviteacutesur les recettes fiscales

et les deacutepenses socialesnotamment

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 38

Face agrave cette impasse plusieurs eacuteconomistestels Juumlrgen von Hagen ou Charles Wyploszont depuis longtemps proposeacute que la poli-tique budgeacutetaire soit peu ou prou deacuteleacutegueacuteeagrave un comiteacute de politique budgeacutetaire commela politique moneacutetaire est deacuteleacutegueacutee dans lazone euro agrave une banque centrale indeacutepen-dante Cette deacuteleacutegation reacutesoudrait en grandepartie les trois problegravemes eacutevoqueacutes plus haut celui de la creacutedibiliteacute celui de lrsquoasymeacutetriedrsquoinformation et celui de lrsquoeacutequilibre de longterme dans une union moneacutetaire Il faudraitcependant et cela nrsquoest pas une mince condi-tion que ledit comiteacute dispose effectivementdu pouvoir de deacutecider des politiques budgeacute-taires agrave mettre en œuvre Face au problegravemedeacutemocratique qursquoune telle deacuteleacutegation pose(cf Mathieu et Sterdyniak 2012) et face agrave la

reacuteticence des gouvernements agrave ecirctre deacuteposseacute-deacutes du pouvoir budgeacutetaire des conseils depolitique budgeacutetaire ont vu le jour dans denombreux pays depuis longtemps aux Eacutetats-Unis avec le Congressional Budget Office creacuteeacuteen 1975 ou plus reacutecemment en Sloveacutenie avecle Fiscal Council creacuteeacute en 2010 Si de telles ins-titutions peuvent aider agrave controcircler les poli-tiques budgeacutetaires ils ne sont geacuteneacuteralementpas organiseacutes pour juger de lrsquoadeacutequation de lapolitique budgeacutetaire agrave des conditions drsquoacti-viteacute mouvantes (Wyplosz 2011) Le deacutebat surles bonnes pratiques de politique budgeacutetairereste donc largement ouvert regravegle ou dis-creacutetion quelle regravegle avec ou sans conseil depolitique budgeacutetaire agrave quel horizon Tellessont les questions

DRAZEN A (2001) laquo The political business cycleafter 25 years raquo in BernankeB et Rogoff K (eds) NBERMacroeconomics Annual2000 vol 15

HAGEN J (von) (2002)laquo Fiscal rules fiscalinstitutions and fiscalperformance raquo The Economicand Social Review vol 33ndeg 3

HIBBS DA (1977) laquo PoliticalParties and MacroeconomicPolicy raquo American PoliticalScience Review vol 71

KYDLAND F et PRESCOTT E(1977) laquo Rules rather thandiscretion the inconsistencyof optimal plans raquo Journalof Political Economy vol 85ndeg 3

MATHIEU C et STERDYNIAK H(2012) laquo Faut-il des regraveglesde politique budgeacutetaire raquoRevue de lrsquoOFCE vol 126

NORDHAUS WD (1975) laquo The Political BusinessCycle raquo Review of EconomicStudies vol 42 ndeg 2

SCHAECHTER A KINDA TBUDINA N et WEBER A (2012)

laquo Fiscal rules in responseto the crisis ndash towards theldquonext-generationrdquo rules Anew dataset raquo Document detravail ndeg 187 FMI

WYPLOSZ C (2011) laquo Fiscaldiscipline rules ratherthan institutions raquo NationalInstitute Economic Review vol 217

WYPLOSZ C (2012) laquo Fiscalrules theoretical issuesand historical experiences raquoDocument de travail ndeg 17784NBER

POUR EN SAVOIR PLUS

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 39

La France est reacuteguliegraverement pointeacutee du doigt pour son taux de deacutepenses publiques ndash 566 du PIB ndash parmi les plus eacuteleveacutes du monde qui deacutecouragerait lrsquoinitiative priveacutee et favoriserait lrsquoeacutevasion fiscale Agrave lrsquoheure ougrave la crise des dettes souveraines oblige les Eacutetats agrave reacutealiser des efforts budgeacutetaires lrsquoaccent est particuliegraverement mis sur la neacutecessiteacute de reacuteduire les deacutepenses afin drsquoeacuteviter drsquoaccroicirctre les preacutelegravevements obligatoiresToutefois comme le montre Adrien Matray le haut niveau des deacutepenses publiques en France est essentiellement ducirc agrave la geacuteneacuterositeacute des deacutepenses sociales ainsi lrsquoappareil drsquoEacutetat ne coucircte pas plus cher en France qursquoailleurs et srsquoavegravere mecircme moins dispendieux que son homologue britannique ou ameacutericain Crsquoest le choix de confier au secteur public une plus grande part de la protection sociale qui explique le haut niveau des deacutepenses publiques Or ce choix est loin drsquoecirctre inefficace drsquoun point de vue collectif Lrsquoargent public pourrait neacuteanmoins ecirctre mieux utiliseacute en affectant diffeacuteremment certaines ressources

Problegravemes eacuteconomiques

Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France

La France au seindes pays deacuteveloppeacutes

Des deacutepenses publiques eacuteleveacuteesreflet drsquoun partage diffeacuterententre Eacutetat et marcheacute

En 2012 les deacutepenses publiques fran-ccedilaises repreacutesentaient 566 du PIB undes taux les plus eacuteleveacutes au monde Mais

cela ne signifie pas pour autant que lrsquoEacutetatserait plus dispendieux qursquoailleurs Poursrsquoen rendre compte il suffit de consideacutererle poids des deacutepenses de fonctionnementdes administrations publiques (salaires etconsommations intermeacutediaires du secteurpublic) dans le PIB (graphique 1) Avec unniveau de 187 le fonctionnement de lrsquoap-pareil drsquoEacutetat est moins coucircteux que dansles pays scandinaves mais aussi qursquoauRoyaume-Uni (235 ) ou aux Eacutetats-Unis(199 ) La France nrsquoest de ce point de vuepas tregraves eacuteloigneacutee de la moyenne de lrsquoUnioneuropeacuteenne (175 )

La deacutepense publique recouvre des eacuteleacute-ments tregraves diffeacuterents On la deacutecompose

ADRIEN MATRAY

Doctorant agrave HEC Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 40

geacuteneacuteralement en quatre grands postes les deacutepenses publiques collectives (ou deacutepenses publiques au sens strict) comme lrsquoadmi-nistration des services geacuteneacuteraux le main-tien de lrsquoordre lrsquoarmeacutee etc les deacutepenses drsquoeacuteducation les deacutepenses de santeacute et enfin les deacutepenses de transferts assurantiels (assurance retraite ou assurance chocircmage)appeleacutees aussi laquo deacutepenses sociales raquo Ces derniegraveres se diffeacuterencient des autres par la nature du beacuteneacuteficiaire et par leur mode de financement Elles ont un beacuteneacuteficiaire direct (alors que les deacutepenses drsquoadministration apportent un beacuteneacutefice diffus) et sont finan-ceacutees sur la base drsquoune cotisation ouvrant droit agrave des prestations

En France les deacutepenses se deacutecomposenten 2011 de la faccedilon suivante 182 pourles deacutepenses collectives 84 pour la

santeacute 62 pour lrsquoeacuteducation et enfin 237 pour les deacutepenses sociales La somme desdeacutepenses publiques hors deacutepenses socialesrepreacutesente ainsi plus de la moitieacute de sesdeacutepenses totales ce qui la place au 8e rangdes pays de lrsquoOCDE en 2011 agrave un niveaueacutequivalent agrave celui de lrsquoIrlande et derriegravereles Eacutetats-Unis le Royaume-Uni ou les Pays-Bas Avec un niveau de 328 du PIB laFrance se situe leacutegegraverement au-dessus dela moyenne des pays de lrsquoOCDE (29 ) Cefaible eacutecart tient au fait que lrsquoessentiel deces deacutepenses sont difficilement compres-sibles car elles touchent en grande partieaux fonctions reacutegaliennes de lrsquoEacutetat et quetout pays deacuteveloppeacute a besoin drsquoune policedrsquoune justice ou drsquoune administration eneacutetat de marche Degraves lors agrave moins drsquoavoirun Eacutetat particuliegraverement dispendieux les

1 Poids des deacutepenses de fonctionnement ( du PIB)

0

5

10

15

20

25

30

Union

agrave 2

7

Zone

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Eacutetat

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Polo

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Danem

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Uni

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Italie

Allem

agne

Fran

ce

187

128

164 166

235 231

283

153

131

199

16175

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 41

diffeacuterences entre pays sont neacutecessairementfaibles Lrsquoeacutecart entre les deacutepenses publiquesfranccedilaises et la moyenne de lrsquoOCDE sereacuteduit drsquoailleurs encore si lrsquoon exclut lesdeacutepenses de santeacute et drsquoeacuteducation 182 en France pour une moyenne agrave 169 danslrsquoOCDE (graphique 2)

Le niveau eacuteleveacute des deacutepenses publiques en France srsquoexplique donc essentiellement par la mutualisation publique drsquoun certain nombre de deacutepenses assurantielles Or ces deacutepenses ont deux caracteacuteristiques Elles repreacutesentent un revenu qui est souvent taxeacute et elles apportent un service qui lorsqursquoil nrsquoest pas fourni par lrsquoEacutetat lrsquoest par le marcheacuteUn exemple simple est celui de lrsquoassurance

santeacute Alors que des pays comme les Eacutetats-Unis laissent des entreprises priveacutees assurer lrsquoessentiel de ce service la France a choisi de le produire directement par le biais de lrsquoEacutetat qui en assure le financement par des coti-sations sociales Lorsqursquoon tient compte de ces deux eacuteleacutements les eacutecarts entre les pays se reacuteduisent consideacuterablement Un travail de Willem Adema (2001)1 montre ainsi que si lrsquoeacutecart des deacutepenses sociales publiques brutes entre les Eacutetats-Unis et le Danemark eacutetait de 20 points en 1997 (158 contre 359 ) celui-ci tombe agrave 4 points si lrsquoon srsquointeacuteresse aux deacutepenses sociales totales (publiques et priveacutees) nettes 234 contre 275

2 Deacutepenses publiques par fonction (en du PIB)

0

10

20

30

40

50

60

OCDE

Japon

Etats-

Unis

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Pologne

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Suegravede

Royaum

e-Uni

Espag

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lie

Allem

agne

Fran

ce

Deacutepenses collectives Santeacute Eacuteducation

Deacutepenses sociales (transferts assurantiels hors santeacute)

62

237

84

182

44

217

69

146

48

204

75

193

5

161

68

179

7

18

85

181

8

254

88

162

73

23

74

175

55

165

51

173

5

14

8

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66

89

86

179

58

157

66

169

39

13

75

128

Source OCDE

[1] Adema W (2001)laquo Labour Market

and Social Policy raquoOccasional Papers ndeg 52

OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 42

Ainsi une faccedilon simple de faire baisser les deacutepenses publiques serait de reacuteduire for-tement les risques couverts par la seacutecuriteacute sociale mais drsquoobliger les citoyens agrave srsquoassu-rer aupregraves drsquoorganismes priveacutes Cet exemple montre bien que la seule question qui se pose reacuteellement est la suivante pour un ser-vice donneacute est-il plus efficace de passer par le marcheacute ou par lrsquoEacutetat pour le produire Le cas de lrsquoassurance est particuliegraverement inteacuteressant puisque plusieurs travaux ont montreacute qursquoil eacutetait en reacutealiteacute moins coucircteux drsquoavoir recours agrave un systegraveme public2 ce qui explique en grande partie pourquoi les deacutepenses de santeacute aux Eacutetats-Unis sont plus eacuteleveacutees qursquoen France3

Plus qursquoun systegraveme trop geacuteneacutereux ou dis-pendieux le niveau des deacutepenses publiques en France reacutevegravele avant tout un choix celui de confier au secteur public la production de certains services

Une progression en ligneavec les autres paysSur la peacuteriode 2000-2012 les deacutepenses publiques par habitant en volume ndash une fois lrsquoinflation deacuteduite ndash ont progresseacute de 15 en France soit agrave un rythme eacutequiva-lent agrave celui de lrsquoAllemagne (148 ) et de la zone euro (153 ) et infeacuterieur agrave celui de lrsquoUnion europeacuteenne (167 ) Surtout ce rythme a eacuteteacute deux fois infeacuterieur agrave celui des Eacutetats-Unis et trois fois infeacuterieur agrave celui du Royaume-Uni (graphique 3) Par ailleursles deacutepenses publiques laquo strictes raquo (hors deacutepenses sociales) se sont mecircme reacuteduites sur la peacuteriode

Pour autant la crise des dettes souveraines qui a eacuteclateacute en 2010 pose agrave nouveau la ques-tion de la neacutecessiteacute drsquoune reacuteduction des deacutepenses publiques

[2] Cf par exempleRotschild M and StiglitzJ (1976) laquo Equilibriumin CompetitiveInsurance Markets An Essay on theEconomics of ImperfectInformation raquo QuarterlyJournal of Economicsvol 90 ndeg 4

[3] Cf Krugman P(2008) LrsquoAmeacuterique quenous voulons ParisFlammarion

3 Eacutevolution des deacutepenses publiques par habitant en volume de 2000 agrave 2012 (en )

0

10

20

30

40

50

60

Union agrave

27

Zone euro

Japon

Eacutetats-

Unis

Reacutep t

chegraveq

ue

Pologne

Danem

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Suegravede

Royaum

e-Uni

Espag

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Allem

agne

Fran

ce

Eacutevolution

15 148

56

252

475

139 137

614

504

30

199153 167

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 43

Les deacutepenses publiques sont-ellestrop eacuteleveacutees agrave lrsquoheure actuelle Baisser les deacutepenses publiquesen peacuteriode de crise une strateacutegie dangereuseFace agrave la crise des dettes souveraines les Eacutetats ont chercheacute agrave reacuteduire leur deacuteficit public par deux moyens en coupant dans leurs deacutepenses et en augmentant les impocircts En peacuteriode de crise cette strateacutegie peut srsquoaveacute-rer non seulement dangereuse mais aussi contre-productive en raison du laquo multiplica-teur des deacutepenses publiques raquo (cf zoom)

Lorsque la conjoncture est deacuteprimeacutee le secteur priveacute (meacutenages et entreprises) est souvent reacuteticent agrave consommer et agrave investirnotamment si la crise a eacuteteacute provoqueacutee par un excegraves drsquoendettement Degraves lors le seul agent encore capable de deacutepenser est lrsquoEacutetatLe multiplicateur des deacutepenses publiques est par conseacutequent beaucoup plus eacuteleveacute en peacuteriode de crise qursquoen phase de croissanceDrsquoapregraves le FMI ce multiplicateur serait de lrsquoordre de 15-2 agrave lrsquoheure actuelle contre 05-07 drsquoapregraves les estimations initiales (cf Pers-pectives de lrsquoeacuteconomie mondiale 2012)

Degraves lors une baisse trop rapide des deacutepenses publiques dans un contexte de crise peut paradoxalement alourdir les ratios de deacuteficit et de dette en provoquant une contraction

encore plus forte du PIB Non seulement la crise se prolonge mais lrsquoobjectif premier de la baisse des deacutepenses publiques (reacuteduire le deacuteficit en proportion du PIB) nrsquoest pas atteint

Diminuer les deacutepenses publiques lorsque les meacutenages et les entreprises cherchent avant tout agrave se deacutesendetter ou agrave accumuler de lrsquoeacutepargne de preacutecaution est donc dangereuxLrsquoEacutetat doit toutefois se montrer capable de mener de veacuteritables politiques contra-cycliques en peacuteriode de croissance les deacutepenses doivent augmenter moins vite que le PIB afin de deacutegager des exceacutedents budgeacute-taires permettant de rembourser les dettes contracteacutees en peacuteriode de ralentissementSans cette capaciteacute agrave moduler les deacutepenseslrsquoEacutetat risque de pacirctir drsquoun manque de creacutedi-biliteacute pour pouvoir emprunter sur les mar-cheacutes aupregraves des eacutepargnants Or une eacutetude reacutecente de Aghion et al (2011)4 montre que la France megravene des politiques contracycliques limiteacutees notamment parce qursquoen peacuteriode de croissance les deacutepenses progressent Crsquoest un des arguments principaux en faveur des politiques de rigueur en peacuteriode de crise

Des deacutepenses publiquesqui peuvent peser sur lrsquoactiviteacutepriveacutee en cas de concurrencepour les ressourcesMecircme en lrsquoabsence de problegraveme de soutena-biliteacute des finances publiques des deacutepenses

[4] Aghion P Hemous Det Kharroubi E (2011)laquo Cyclical Fiscal Policy

Credit Constraints andIndustry Growth raquo BIS

Working Paper

LLE MULE MULTIPLITIPLICCAATEURTEURDES DEacutePENSES PUBLIQUESDES DEacutePENSES PUBLIQUESLe multiplicLe multiplicatateur des deacutepenses publiqueseur des deacutepenses publiques

se deacutefinit cse deacutefinit comme lomme le monte montant de crant de creacuteationeacuteation

de richesde richesse que vse que va pra produiroduire une unite une uniteacute deeacute de

deacutepense publique Si ldeacutepense publique Si le multiplice multiplicatateur veur vautaut

deux par edeux par exxemplemple ce cela signifie que lela signifie que lororsquesque

llrsquoEacutetrsquoEacutetat deacutepense un eurat deacutepense un euro co cettette deacutepense cre deacutepense creacuteeeacutee

deux eurdeux euros de richesos de richesse dans lse dans lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

(et(et donc invdonc inverersement ssement srsquoil rrsquoil reacuteduit sa deacutepenseeacuteduit sa deacutepense

drsquoun eurdrsquoun euro ilo il deacutetruit deux eurdeacutetruit deux euros de richesos de richesse)se)

Cela sCela srsquoersquoexplique par lxplique par le fe fait que la deacutepenseait que la deacutepense

publique augmentpublique augmente la demande gle la demande globalobale quie qui

sstimultimule la pre la production et amegravene loduction et amegravene les entres entrepriseseprises

agrave disagrave distribuer des salairtribuer des salaires ces ce qui en re qui en retetourour

ccontribue agrave acontribue agrave accrcroicirctroicirctre la demande ete la demande etcc

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 44

publiques eacuteleveacutees peuvent nuire agrave lrsquoeacuteco-nomie par le biais de la concurrence entre lrsquoEacutetat et le secteur priveacute pour les moyens de production (capital et travail) Lrsquoactiviteacute des entreprises est ainsi freineacutee par un moindre accegraves de celles-ci agrave lrsquoeacutepargne et agrave lrsquooffre de travail des agents eacuteconomiques

Lagrave encore il est important de distinguer selon la position de lrsquoeacuteconomie dans le cycle Srsquoil est peu discutable qursquoen peacuteriode de quasi-plein-emploi il existe une reacuteelle concurrence entre secteur priveacute et secteur public cette crainte est assez limiteacutee dans le contexte actuel La France a actuellement un taux de chocircmage de 102 et un coucirct de lrsquoemprunt agrave 10 ans de 18 LrsquoEacutetat franccedilais srsquoendette donc agrave des taux drsquointeacuterecirct reacuteels (taux drsquointeacuterecirct moins inflation) neacutegatifsAutrement dit les investisseurs sont precircts agrave payer pour pouvoir precircter de lrsquoargent agrave lrsquoEacutetat

Toutefois mecircme si en peacuteriode de crisereacuteduire les deacutepenses publiques peut srsquoaveacuterer neacutefaste cela ne veut pas dire que certaines deacutepenses ne sont pas trop eacuteleveacutees Pour reacutepondre de faccedilon preacutecise il faudrait analy-ser en deacutetail lrsquoefficaciteacute de chaque cateacutegorie de deacutepenses publiques Une telle analyse est eacutevidemment hors de porteacutee de cet article On peut neacuteanmoins identifier quelques grands postes ougrave le niveau de deacutepenses est trop eacuteleveacute ou trop faible

Un argent public mal employeacute Des domainesougrave des gains sont possibles

Le millefeuille des collectiviteacutes locales

Lrsquoadministration territoriale est sans doute lrsquoun des postes les plus eacutevidents de deacutepenses trop eacuteleveacutees Le deacuteveloppement des reacutegions nrsquoa pas fait disparaicirctre lrsquoexis-tence des deacutepartements et plus reacutecemmentles intercommunaliteacutes se sont superposeacutees aux communes Par ailleurs si les effectifs des intercommunaliteacutes ont tripleacute depuis

1998 ceux des communes ont continueacute agrave croicirctre sur la mecircme peacuteriode Les collectiviteacutes locales ont connu en dix ans un transfert de compeacutetences estimeacute agrave 12 point de PIB mais sur la mecircme peacuteriode les deacutepenses totales ont progresseacute de plus de deux points

Agrave la superposition des eacutechelons administra-tifs srsquoajoute eacutegalement une absence de par-tage clair sur certaines tacircches en raison de la clause de laquo compeacutetence geacuteneacuterale raquo qui per-met aux communes deacutepartements et reacutegions drsquointervenir sur les mecircmes sujets

Une politique du logement inefficace

Les deacutepenses de logement ont atteint 45 mil-liards drsquoeuros en 2011 Cette progression srsquoexplique par le souhait drsquoaider des meacutenages en difficulteacute face agrave la hausse tregraves forte du prix de lrsquoimmobilier depuis vingt ans (les prix de lrsquoimmobilier ont eacuteteacute multiplieacutes en moyenne par 25 depuis la fin des anneacutees 1990) Mais ces deacutepenses prennent essentiel-lement la forme de subventions agrave lrsquoachat ou agrave la location ce qui comme le notent Tran-noy et Wasmer (2013)5 est contreproductif en effet elles conduisent essentiellement agrave une augmentation des prix en raison drsquoune offre contrainte Elles beacuteneacuteficient donc en grande partie aux proprieacutetaires qui vendent ou louent leur logement Dans le cas speacuteci-fique des aides pour le logement (APL) les travaux de Gabrielle Fack (2005)6 concluent que chaque euro drsquoaide directe suppleacutemen-taire se traduit par une hausse de pregraves de 08 centime du loyer

Santeacute le diable est dans les deacutetailshellip

Les deacutepenses de santeacute en France repreacutesen-tent 12 du PIB dont 9 sont des deacutepenses publiques ce qui fait de la France une des nations les plus deacutepensiegraveres dans ce domaine Dans lrsquoabsolu des deacutepenses eacutele-veacutees prises en charge essentiellement par le secteur public sont beacuteneacutefiques en termes de croissance eacuteconomique et de reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoespeacuterance de vie mais en France le rendement de ces deacutepenses est de plus en plus faible7

[5] Trannoy Aet Wasmer E (2013)laquo Comment modeacuterer lesprix de lrsquoimmobilier raquoNote du CAE ndeg 2

[6] Fack G (2005)laquo Pourquoi les meacutenagesagrave bas revenus paient-ilsdes loyers de plus enplus eacuteleveacutes Lrsquoincidencedes aides au logementen France (1973-2002) raquoEacuteconomie et Statistiquendeg 381-382 Paris INSEE

[7] Aghion P et MartinR (2011) laquo Croissanceet politiques de santeacute raquoMimeo

[8] Chandra A GruberJ et McKnight R (2010)laquo Patient Cost-Sharingand HospitalizationOffsets in the Elderly raquoAmerican EconomicReview vol 100 ndeg 1

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 45

Plusieurs pistes existent pour accroicirctre lrsquoef-ficaciteacute des deacutepenses publiques de santeacuteCertaines cateacutegories de deacutepenses ont un impact positif important sur lrsquoespeacuterance de vie (infirmiegraveres scanners IRM) tandis que drsquoautres en ont peu voire pas du tout (salaires des meacutedecins speacutecialistes) Par ail-leurs la meacutedecine de ville apparaicirct comme un systegraveme coucircteux apportant peu de beacuteneacute-fices en termes drsquoespeacuterance de vie tandis que les deacutepenses directes laquo sur patient raquo per-mettent de meilleurs reacutesultats

Il faut par ailleurs prendre garde aux baisses de deacutepenses en matiegravere drsquoassurance santeacute qui peuvent se traduire agrave long terme par une hausse des coucircts En effet un accroissement des coucircts non rembourseacutes peut conduire les patients agrave retarder les visites chez le meacutede-cin et agrave renoncer agrave certains meacutedicamentsCe choix srsquoil permet des eacuteconomies sur le moment peut deacutegrader la santeacute du maladeconduisant agrave une augmentation agrave moyen terme des hospitalisations dont le coucirct est beaucoup plus eacuteleveacute En analysant une reacuteforme mise en place en 2002 en CalifornieChandra Gruber and McKnight (2010)8 arri-vent agrave la conclusion que chaque dollar drsquoeacuteco-nomie sur les remboursements se traduit en reacutealiteacute par une eacuteconomie reacuteelle de 05 dollar en moyenne (en raison de la hausse des hos-pitalisations) et que le coucirct augmente mecircme dans le cas des patients atteints de maladie chronique

Des postes budgeacutetairesavec des dotations insuffisantes

Un sous-investissementdans lrsquoeacuteducation de la petite enfanceLa deacutepense totale dans lrsquoeacuteducation en France en proportion du PIB est parfaitement eacutegale agrave la moyenne des pays lrsquoOCDE (63 en 2009) notamment en raison drsquoune diminu-tion de 10 depuis 1997 Mais cette deacutepense totale masque des dispariteacutes importantesEn effet la France consacre 5 de moins que la moyenne de lrsquoOCDE agrave la maternelle et 15 de moins agrave lrsquoeacutecole primaire (Cour

des Comptes 2010)9 Or de tregraves nombreux travaux montrent que cette peacuteriode est cru-ciale notamment pour reacuteduire les ineacutegaliteacutes sociales et faciliter par la suite lrsquoaccumu-lation de capital humain Les travaux de Heckman et al (2010)10 concluent ainsi agrave un rendement de 7 agrave 10 par an pour chaque dollar investi dans la petite enfance Ces gains supeacuterieurs au rendement moyen du marcheacute financier depuis 1945 srsquoexpliquent par une hausse des chances drsquoobtenir un emploi reacutemuneacuterateur par la baisse des risques de chocircmage et de la criminaliteacute pour les personnes ayant beacuteneacuteficieacute de cet investissement

Par ailleurs les deacutepenses de professeurs sont eacutegalement faibles au regard des com-paraisons internationales Comme lrsquoindique une note du Conseil drsquoanalyse strateacutegique (CAS 2011)11 la France a le taux drsquoencadre-ment (nombre drsquoeacutelegraveve moyen par enseignant) le plus faible de lrsquoOCDE Or plusieurs tra-vaux sur donneacutees franccedilaises montrent que la taille des classes a un effet important sur lrsquoameacutelioration des performances sco-laires pour les enfants de milieu deacutefavo-riseacute Piketty et Valdemaire (2004)12 concluent que lrsquoon pourrait reacuteduire les eacutecarts en CE2 drsquoenviron 46 si lrsquoon reacuteduisait la taille des classes de cinq eacutelegraveves dans les ZEP

Deacutepenses pour lrsquoemploiet indemnisation du chocircmageLes deacutepenses publiques pour lrsquoemploi repreacute-sentaient en 2010 47 du PIB soit 91 mil-liards drsquoeuros en hausse de 10 milliards depuis 2008 Si cette hausse srsquoexplique pour lrsquoessentiel par lrsquoaugmentation des deacutepenses drsquoindemnisation du chocircmage cela nrsquoim-plique pas que la deacutepense soit eacuteleveacutee au regard des comparaisons internationalesEn effet les deacutepenses moyennes en faveur des chocircmeurs (crsquoest-agrave-dire rameneacutees au taux de chocircmage) sont en France plus faibles que la majoriteacute des pays europeacuteens (jusqursquoagrave deux fois moins qursquoau Pays-Bas pays le plus geacuteneacutereux) et drsquoapregraves la Cour des Comptes (2013)13 la France a fait moins drsquoefforts que

[9] Cour des Comptes(2010) laquo LrsquoEacuteducation

nationale face agrave lrsquoobjectifde la reacuteussite des

eacutelegraveves raquo

[10] Heckman J MoonS H Pinto R Savelyev

P et Yavitz A (2010)laquo The Rate of Return

of the Highscope PerryPreschool Program raquo

Journal of PublicEconomics vol 94 ndeg 1-2

[11] CAS (2011)laquo Tendances de lrsquoemploi

public raquo feacutevrier

[12] Piketty T etValdemaire M (2004)laquo Lrsquoimpact de la taille

des classes et de laseacutegreacutegation sociale sur

la reacuteussite scolaire dansles eacutecoles franccedilaises

une estimation agrave partirdu panel primaire

1997 raquo Document detravail EHESS

[13] Cour des comptes(2013) laquo Le marcheacute

du travail face agrave unchocircmage eacuteleveacute mieuxcibler les politiques raquo

janvier

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 46

les autres pays de lrsquoOCDE pour indemniser ses chocircmeurs durant la crise Lrsquoessentiel des deacutepenses vient en fait des aides agrave lrsquoemploi pour les entreprises (41 milliards drsquoeuro en 2010) dont la moitieacute provient des exoneacutera-tions de cotisations sociales sur les bas salaires crsquoest-agrave-dire allant jusqursquoagrave 16 fois le SMIC

Lrsquoefficaciteacute de cette mesure fait deacutebat siles eacutetudes de Creacutepon et Desplatz (2001)14 et

de Bunel et al (2012)15 concluent agrave un effetpositif de 460 000 agrave 500 000 emplois les tra-vaux de Sterdyniak (2002)16 insistent sur lefait que cette mesure geacutenegravere un simple trans-fert drsquoemplois (des entreprises ne beacuteneacuteficiantde cette deacuteduction vers celles en beacuteneacuteficiant)mais nrsquoa pas creacuteeacute de gain net drsquoemploi

[14] Creacutepon B et DesplatzR (2001) laquo Eacutevaluationdes effets des dispositifsdrsquoallegravegements decharges sociales sur lesbas salaires raquo Documentde travail DGSE ndeg G200110 INSEE

[15] Bunel M EmondC et LrsquoHorty Y (2012)laquo Eacutevaluer les reacuteformesdes exoneacuterationsgeacuteneacuterales de cotisationssociales raquo Revue delrsquoOFCE ndeg 126

[16] Sterdyniak H (2002)laquo Une arme miracleconte le chocircmage raquoRevue de lrsquoOFCE ndeg 81

KRUGMAN P (2008) LrsquoAmeacuterique que nous voulons Paris Flammarion

LES EacuteCONOCLASTES (2004) Petit breacuteviaire des ideacuteesreccedilues en eacuteconomie ParisLa Deacutecouverte

STIGLITZ J (2012) Le prix delrsquoineacutegaliteacute Paris Les liens quilibegraverent

POUR EN SAVOIR PLUS

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 47

ANTOINE BOZIO

Directeur de lrsquoInstitut des politiques publiques (IPP)

Chercheur associeacute agrave lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Les contraintes budgeacutetaires actuelles donnent une importance cruciale agrave la question de lrsquoefficaciteacute de la deacutepense publique et donc agrave celle de lrsquoeacutevaluation de lrsquoimpact des politiques Jusqursquoagrave une peacuteriode reacutecente lrsquoeacutevaluation de lrsquoaction publique meneacutee par les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat consistait surtout agrave controcircler que chaque dispositif avait bien eacuteteacute mis en œuvre selon un processus conforme au cahier des charges Lrsquoapproche des eacuteconomistes qui gagne du terrain aujourdrsquohui a plutocirct pour objectif de veacuterifier si une politique publique remplit bien la mission pour laquelle elle a eacuteteacute eacutelaboreacutee au regard des coucircts qursquoelle induit pour la collectiviteacute Lrsquoimpact est eacutevalueacute agrave la fois ex ante ndash par des simulations de la politique ndash et ex post ndash par des meacutethodes statistiques drsquoeacutevaluation ndash Toutefois nous explique Antoine Bozio la reacuteussite laquo technique raquo drsquoune eacutevaluation est insuffisante Pour guider de faccedilon efficace lrsquoaction publique encore faut-il qursquoune communication de qualiteacute et un rapport de confiance srsquoeacuteta-blissent entre les eacutevaluateurs les deacutecideurs et les citoyens

Problegravemes eacuteconomiques

Comment eacutevaluer les politiques publiques

Au vu des fortes contraintes budgeacutetairesdans lesquelles srsquoinscrit aujourdrsquohui lrsquoac-tion publique connaicirctre lrsquoimpact des poli-tiques mises en œuvre semble une eacutevidenceComment sinon ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute de ladeacutepense publique

Si la deacutemarche drsquoeacutevaluation a eacuteteacute pendantlongtemps neacutegligeacutee crsquoest avant tout parceque lrsquoeffet des diffeacuterentes politiques semblaiteacutevident les politiques drsquoemploi ameacuteliorentlrsquoemploi les politiques du logement ameacute-liorent lrsquoaccegraves au logement etc Or les moda-liteacutes de lrsquointervention publique sont rarement

eacutevidentes les objectifs poursuivis entrentparfois en conflit les uns avec les autres ilexiste la plupart du temps plusieurs poli-tiques envisageables pour atteindre un mecircmeobjectif enfin les meacutecanismes eacuteconomiquessur lesquels les politiques publiques essaientdrsquointervenir sont complexes souvent encoremal compris

La neacutecessiteacute de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques apparaicirct alors beaucoup plus net-tement lrsquoobjectif est de permettre la compreacute-hension des meacutecanismes sur lesquels lrsquoactionpublique cherche agrave peser et drsquoidentifier lesinterventions les plus efficaces au vu desobjectifs souhaiteacutes La deacutemarche doit pouvoirau final eacuteclairer le deacutebat public sur les prin-cipaux arbitrages en jeu et ainsi faciliter leschoix deacutemocratiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 48

Apregraves avoir deacutefini ce qursquoon entend par laquo eacuteva-luation raquo nous preacutesenterons les diffeacuterentesmeacutethodes drsquoeacutevaluation avant de dresser unrapide panorama de la pratique actuelle delrsquoeacutevaluation en France Nous discuteronsenfin les modaliteacutes institutionnelles pour quelrsquoeacutevaluation soit une reacuteussite deacutemocratiqueet pas simplement une reacuteussite technique

Qursquoest-ce que lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques Le mot laquo eacutevaluation raquo est un mot-valise quiest utiliseacute pour deacutecrire des approches fon-ciegraverement diffeacuterentes On peut lrsquoentendrecomme lrsquoeacutevaluation individuelle (eacutevaluationdrsquoun devoir scolaire eacutevaluation du travailde salarieacutes etc) ou lrsquoeacutevaluation drsquoune entre-prise par les consommateurs (questionnairesde satisfactions) Dans le domaine des poli-tiques publiques le terme est le plus souventemployeacute pour deacutecrire du controcircle de gestionou une analyse du management public lesrapports des corps drsquoinspection cherchentainsi agrave veacuterifier que la deacutepense publique a eacuteteacuteengageacutee efficacement et en respectant desregravegles de bon fonctionnement Il srsquoagit essen-tiellement drsquoune eacutevaluation du processusde mise en place des politiques publiques veacuterifier que la mise en œuvre pratique drsquoundispositif correspond bien au cahier descharges deacutefini par ses concepteurs que lesbeacuteneacuteficiaires potentiels ont eacuteteacute informeacutes queles agents chargeacutes de la mettre en œuvre ontreccedilu la formation adeacutequate etc Pour prendreun exemple on peut ainsi mesurer le nombrede fonctionnaires neacutecessaires pour traiter uncertain nombre de dossiers du revenu de soli-dariteacute active (RSA) et eacutetudier quelle organi-sation du travail ou quels moyens mateacuterielspermettrait drsquoameacuteliorer la mise en place decette politique Dans le mecircme ordre drsquoideacuteeson pourrait eacutetudier si les beacuteneacuteficiaires dela politique viseacutee sont bien toucheacutes (parexemple si la population qui doit beacuteneacuteficierdu RSA reccediloit bien lrsquoallocation) mesurer leurnombre voire reacutecolter leur sentiment sur leur

interaction avec lrsquoadministration autour dece dispositif

Toutes ces deacutemarches sont certainementneacutecessaires mais elles sont bien diffeacuterentesde ce que les universitaires appellent lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques crsquoest-agrave-direlrsquoeacutevaluation drsquoimpact Lrsquoobjet est alors demesurer lrsquoimpact drsquoune politique ou drsquoun dis-positif sur de multiples critegraveres au vu desobjectifs qui lui ont eacuteteacute assigneacutes

Au sein de lrsquoeacutevaluation drsquoimpact on distinguelrsquoeacutevaluation ex ante de lrsquoeacutevaluation ex post La premiegravere est reacutealiseacutee avant lrsquointroduc-tion de la politique et consiste agrave analyser seseffets potentiels la seconde vise agrave mesurerson impact reacuteel apregraves son entreacutee en vigueurDans les deux cas lrsquoefficaciteacute de la politiqueeacutetudieacutee est mesureacutee en comparant ses coucirctset ses beacuteneacutefices (pas forceacutement uniquementfinanciers) Par exemple dans le cas de lrsquoeacuteva-luation du RSA lrsquoobjectif afficheacute eacutetait de favo-riser le retour agrave lrsquoemploi des beacuteneacuteficiaires Laquestion drsquoeacutevaluation est alors de savoir si leRSA a conduit de faccedilon causale agrave une haussedu retour agrave lrsquoemploi Ou dit autrement laquestion est de savoir ce qui se serait passeacutesi le RSA nrsquoavait pas eacuteteacute mis en place pourles beacuteneacuteficiaires mais aussi pour le restede la population Reacutepondre agrave cette questionest loin drsquoecirctre facile et crsquoest pour cela queles eacuteconomistes mobilisent une batterie detechniques

Les techniques de lrsquoeacutevaluationLrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex ante

Le point de deacutepart de toute eacutevaluation exante consiste agrave identifier la population cibleacuteepar la politique en question Pour y parveniron utilise geacuteneacuteralement des modegraveles dits delaquo micro-simulation raquo Cette forme drsquoeacutevalua-tion repose sur une repreacutesentation plus oumoins simplifieacutee de lrsquounivers eacuteconomiqueau sein duquel eacutevoluent les agents qui estutiliseacutee pour simuler agrave partir drsquoun eacutechan-tillon repreacutesentatif des agents eacuteconomiques

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 49

concerneacutes (individus meacutenages entreprisesetc) lrsquoeffet de la politique publique envisageacuteePar exemple si lrsquoon souhaite eacutevaluer lrsquoimpactdrsquoune reacuteforme des retraites consistant en uneaugmentation de la dureacutee requise de cotisa-tion (ou drsquoun autre paramegravetre du systegraveme) ilest indispensable drsquoavoir recours agrave ce typede simulation En raison de la complexiteacute dusystegraveme et des donneacutees sous-jacentes (dis-tribution des carriegraveres des individus) il estsouvent impossible mecircme agrave des experts depreacutedire quel sera lrsquoeffet drsquoune modificationdes baregravemes de retraite (qui va ecirctre toucheacutequel effet sur lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire) sansavoir recours agrave une simulation deacutetailleacutee de lareacuteforme

Le modegravele de micro-simulation speacutecifieplusieurs sceacutenarios sans reacuteforme (en fonc-tion des conditions macro-eacuteconomiques oudeacutemographiques) puis simule la leacutegislationactuelle du systegraveme de retraite Cela permeten premiegravere instance de donner des indica-tions sur les deacuteseacutequilibres budgeacutetaires oule niveau des pensions agrave plus ou moins longterme Il est ensuite possible de simuler unereacuteforme et de mesurer qui va ecirctre toucheacute(au niveau individuel) et quels en seront lesconseacutequences budgeacutetaires

Pour rendre lrsquoexercice de micro-simulationplus reacutealiste il est neacutecessaire de prendreen compte lrsquoeffet de la mesure eacutevalueacutee surles comportements des individus Cela sup-pose de pouvoir laquo calibrer raquo les reacuteactions desagents agrave partir drsquoestimations empiriques desprincipaux paramegravetres du modegravele ndash dansnotre exemple il srsquoagit des comportements dedeacutepart en retraite La modeacutelisation des com-portements dans ces modegraveles peut deacutecoulerde regravegles simples ou drsquoestimations qui sontle plus souvent fournies par des eacutetudes empi-riques ex post reacutealiseacutees anteacuterieurement

Lrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex post

Le problegraveme fondamental de lrsquoeacutevaluationdrsquoimpact ex post est qursquoon nrsquoobserve jamaisun monde avec la politique en place et lemecircme monde (au mecircme moment) sans la

politique Toutes les techniques de lrsquoeacutevalua-tion consistent alors agrave construire statisti-quement un contrefactuel crsquoest-agrave-dire unsceacutenario aussi proche que possible de ce quise serait passeacute si la politique eacutetudieacutee nrsquoavaitpas eacuteteacute mise en place Toutes les meacutethodespreacutesenteacutees ci-dessous visent agrave eacutelaborer cecontrefactuel afin de le comparer agrave ce qursquoilest possible drsquoobserver quand le dispositifeacutevalueacute a eacuteteacute effectivement appliqueacute

La premiegravere technique agrave preacutesenter est lrsquoexpeacute-rience aleacuteatoire Elle est directement ins-pireacutee des meacutethodes meacutedicales pour eacutevaluerlrsquoeffet drsquoun traitement parmi les potentielsbeacuteneacuteficiaires drsquoune politique on tire au sortqui recevra la politique (le groupe traiteacute)et qui nrsquoen beacuteneacuteficiera pas (le groupe decontrocircle) En mesurant dans les deux groupesles critegraveres drsquointeacuterecirct ndash qui doivent corres-pondre agrave un objectif de la politique ndash et en fai-sant la diffeacuterence entre les deux groupes onobtient une mesure causale de lrsquoeffet du dis-positif ainsi expeacuterimenteacute Cette meacutethode laplus robuste en termes de protocole a neacutean-moins certaines limites on mesure preacuteciseacute-ment un effet de la politique dans le contexteet dans le pays ougrave lrsquoexpeacuterience a eacuteteacute meneacuteePour geacuteneacuteraliser la validiteacute des reacutesultats ilfaut expeacuterimenter agrave nouveau dans un autrecontexte Par ailleurs comme pour les expeacuteri-mentations meacutedicales cette meacutethode neacuteces-site lrsquoacceptation des participants et uneproceacutedure eacutethique stricte de la part des eacuteva-luateurs De faccedilon naturelle cette approcheest plus approprieacutee agrave lrsquoeacutevaluation de disposi-tifs restreints limiteacutes localement souvent enphase exploratoire

Un deuxiegraveme groupe de techniques consisteagrave reproduire statistiquement une expeacuteriencealeacuteatoire mecircme si elle nrsquoa pas eacuteteacute mise enplace avec lrsquointroduction de la politique Onappelle ces techniques expeacuteriences natu-relles car ce sont des expeacuteriences que leschercheurs trouvent laquo dans la nature raquo Sou-vent quand une politique est mise en œuvreelle se restreint agrave un groupe de beacuteneacuteficiairespour des raisons administratives Ces regravegles

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 50

creacuteent naturellement des groupes de controcirclecrsquoest-agrave-dire des populations dont les carac-teacuteristiques sont tregraves proches de la popula-tion cible mais qui ne beacuteneacuteficient pas de lapolitique Par exemple un dispositif qui viseagrave favoriser lrsquoemploi des jeunes nrsquoest ouvertqursquoaux 18-25 ans on pourra comparer lesjeunes de 26 ans moins un mois et ceux de26 ans et un mois Ils sont certainement tregravesproches en termes drsquoaccegraves au marcheacute du tra-vail drsquoexpeacuterience mais les uns auront beacuteneacutefi-cieacute de la politique drsquoemploi et les autres non

Analyse coucirct-beacuteneacutefice

Il ne suffit pas de mesurer lrsquoimpact drsquounepolitique publique pour eacutevaluer son effi-caciteacute En effet une politique ne peut ecirctreconsideacutereacutee comme efficace que si ses beacuteneacute-fices lrsquoemportent sur ses coucircts Lrsquoanalysecoucirct-beacuteneacutefice consiste agrave attribuer une valeurmoneacutetaire agrave ces deux composantes afin decalculer la valeur nette totale de la poli-tique consideacutereacutee Ce type drsquoanalyse est sou-vent utiliseacute comme outil de deacutecision ex antemais peut eacutegalement servir comme cadredrsquoanalyse pour lrsquoeacutevaluation ex post La valeuractualiseacutee1 des beacuteneacutefices nets drsquoune politiquepublique est plus complexe agrave calculer que lavaleur actualiseacutee drsquoun investissement priveacuteEn effet alors que les deacutecisions drsquoinvestisse-ments peuvent ecirctre prises en consideacuterant lecoucirct de marcheacute des facteurs de production etla rentabiliteacute preacutevisible drsquoun investissementlrsquoeacutevaluation des coucircts et des beacuteneacutefices drsquounepolitique publique peut rarement srsquoappuyersur des prix de marcheacute Dans certains cas cesprix existent mais ne reflegravetent pas les coucircts etles beacuteneacutefices sociaux parce qursquoils ne prennentpas en compte drsquoeacuteventuelles externaliteacutessont contamineacutes par des asymeacutetries drsquoin-formations ou sont reacuteguleacutes par lrsquoEacutetat Dansdrsquoautres cas ces prix nrsquoexistent tout simple-ment pas le coucirct social des dommages envi-ronnementaux causeacutes par la pollution est parexemple difficile agrave eacutevaluer en lrsquoabsence drsquounmarcheacute mesurant la valeur drsquoun environne-ment preacuteserveacute Malgreacute ces limites la quanti-fication moneacutetaire des beacuteneacutefices et des gains

des politiques publiques est un exerciceindispensable lorsqursquoon souhaite comparerles meacuterites respectifs de plusieurs interven-tions possibles

Les acteurs de lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques en FranceEn France la multipliciteacute des acteurs de lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques contrastesinguliegraverement avec le faible nombre drsquoeacuteva-luations effectivement reacutealiseacutees

Le Parlement

Le Parlement est la premiegravere institution char-geacutee de lrsquoeacutevaluation des politiques publiquesdrsquoapregraves lrsquoarticle 24 de la ConstitutionJusqursquoagrave preacutesent son rocircle a eacuteteacute de ce pointde vue tregraves limiteacute Un Comiteacute drsquoeacutevaluation etde controcircle des politiques publiques (CEC) acertes eacuteteacute creacuteeacute depuis juin 2009 afin de meneragrave bien des missions drsquoeacutevaluation mais ilfaut bien reconnaicirctre que la fonction drsquoeacuteva-luateur du Parlement reste aujourdrsquohui tregravesembryonnaire

La Cour des comptes

La Cour des comptes est aussi chargeacutee offi-ciellement de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques drsquoapregraves lrsquoarticle 47-2 de la Consti-tution Agrave lrsquoorigine cette juridiction de lrsquoordreadministratif avait pour mission principalede controcircler les comptes des administrationspubliques et de certifier les comptes de lrsquoEacutetatLrsquoeacutevaluation a eacuteteacute reacutecemment ajouteacutee agrave sesmissions premiegraveres et la Cour des comptesest aujourdrsquohui en pointe dans la publicationde rapports drsquoeacutevaluation des diffeacuterentes poli-tiques publiques La force de la Cour est sonindeacutependance et sa capaciteacute agrave bousculer lepouvoir politique et les administrations avecdes publications qui animent le deacutebat publicSa faiblesse est qursquoelle privileacutegie souvent uneapproche juridique ou comptable de lrsquoeacutevalua-tion finalement assez eacuteloigneacutee des meacutethodesdrsquoeacutevaluation drsquoimpact preacutesenteacutees plus haut

[1] La valeur actualiseacuteedes beacuteneacuteficescomptabilise lrsquoensembledes beacuteneacutefices au coursdu temps en tenantcompte du momentauxquels ils sontperccedilus En raisondrsquoune laquo preacutefeacuterencepour le preacutesent raquo(ou conformeacutementagrave la logique selonlaquelle laquo le tempscrsquoest de lrsquoargent raquo) leseacuteconomistes accordentune valeur plus grandeagrave une somme perccedilueaujourdrsquohui (qui peutecirctre placeacutee) qursquoagrave unemecircme somme perccediluedans un an

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 51

Les grands corpsdrsquoinspection de lrsquoEacutetat

Les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat (Ins-pection geacuteneacuterale des Finances Inspectiongeacuteneacuterale des Affaires sociales lrsquoInspectiongeacuteneacuterale de lrsquoAdministration) ont aussi offi-ciellement une mission drsquoeacutevaluation despolitiques publiques Ils ont eacuteteacute solliciteacutesprincipalement dans le cadre de la Reacutevisiongeacuteneacuterale des politiques publiques (RGPP) etaujourdrsquohui avec la Modernisation de lrsquoac-tion publique (MAP) Ces rapports drsquoeacutevalua-tion srsquoapparentent avant tout agrave lrsquoeacutevaluationde processus ou au controcircle de gestion desadministrations Lrsquoobjectif est drsquoameacuteliorer lamise en place de lrsquoaction publique dans desdeacutelais rapides et par conseacutequent les eacutevalua-tions drsquoimpact y sont quasi absentes

La statistique publique

La statistique publique qui rassemble lrsquoIN-SEE et les services statistiques ministeacuteriels(SSM) joue un rocircle-cleacute dans lrsquoeacutevaluation agravedeux eacutegards Drsquoabord ces diffeacuterents ser-vices sont chargeacutes de collecter et de mettreen forme les donneacutees statistiques documen-tant les diffeacuterentes politiques publiquesCes donneacutees drsquoenquecircte ou de sources admi-nistratives sont cruciales pour deacutecrire lespolitiques effectivement mises en place maisaussi pour permettre des eacutevaluations dont laqualiteacute deacutependra en grande partie de la dis-ponibiliteacute des donneacutees Ensuite les servicesde recherche de ces administrations notam-ment agrave lrsquoINSEE contribuent directement agravela reacutealisation drsquoeacutevaluations drsquoimpact et agrave laconstitution drsquoun corpus de connaissance surles politiques publiques

Les universitaires

Enfin il ne faudrait pas oublier dans cerapide panorama les universitaires quicontribuent directement par leurs travauxagrave la reacutealisation drsquoeacutetudes drsquoimpact agrave lrsquoameacute-lioration des techniques drsquoeacutevaluation et agrave lareacuteflexion plus geacuteneacuterale sur lrsquoarchitecture etla conception des politiques publiques Ces

derniegraveres anneacutees plusieurs laboratoires oudeacutepartements deacutedieacutes explicitement agrave lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques ont eacutemergeacuteau sein du monde universitaire On peutciter ainsi J-PAL speacutecialiseacute dans lrsquoexpeacuteri-mentation aleacuteatoire lrsquoInstitut des politiquespubliques (IPP) qui rassemble des chercheursde lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris et du CRESTlrsquoInstitut drsquoeacuteconomie publique (IDEP) agrave Aix-Marseille et le Laboratoire interdisciplinairedrsquoeacutevaluation des politiques publiques (LIEPP)agrave Sciences-Po Paris

Comment favoriserune deacutemocratie de lrsquoeacutevaluation Aussi reacuteussie soit-elle sur le plan techniquelrsquoeacutevaluation des politiques publiques ne peutorienter utilement lrsquoaction publique que sielle srsquoinscrit dans un cadre institutionnelqui facilite la communication des reacutesultatsde lrsquoeacutevaluation aux deacutecideurs publics et auxcitoyens

On peut distinguer deux grandes approchesinstitutionnelles de lrsquoeacutevaluation des poli-tiques publiques La premiegravere conccediloit lrsquoeacuteva-luation comme une expertise laquo au service duPrince raquo destineacutee agrave aider agrave la prise de deacuteci-sion publique face agrave la complexiteacute du mondeeacuteconomique Lrsquoeacutevaluation est alors reacutealiseacuteeprioritairement par lrsquoadministration ou pardes conseils drsquoexperts directement ratta-cheacutes au gouvernement La seconde approcheconccediloit lrsquoeacutevaluation comme une composanteessentielle du processus deacutemocratique lrsquoex-pertise se destine alors drsquoabord aux citoyensou agrave leurs repreacutesentants les parlementaireset vise agrave faciliter le deacutebat public en clarifiantles principaux arbitrages en jeu

Le premier modegravele est assez bien repreacutesenteacutepar la France ougrave lrsquoEacutetat et les administrationspubliques jouent un rocircle preacutepondeacuterant dansles instances drsquoeacutevaluation et peuvent srsquoap-puyer sur une statistique publique de grandequaliteacute Les Eacutetats-Unis se rattachent davan-tage au second modegravele dans la mesure ougrave unegrande partie de lrsquoeacutevaluation des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 52

publiques est reacutealiseacutee par une institution par-lementaire le Congressional Budget Office(CBO) qui a un accegraves direct aux informa-tions de lrsquoadministration et publie des ana-lyses deacuteterminantes pour le vote du budgetLe cas britannique offre aussi un exemple dusecond modegravele avec une place forte de lrsquoex-pertise issue du monde universitaire Des ins-tituts de recherche indeacutependants comme parexemple lrsquoInstitute for Fiscal Studies (IFS)jouent ainsi un rocircle primordial au Royaume-Uni non seulement dans lrsquoeacutevaluation despolitiques publiques dans les deacutebats budgeacute-taires mais aussi dans la communication augrand public de lrsquoeacutetat des connaissances surles diffeacuterentes options de politique publiqueDans le mecircme esprit le Centraal Planbureauaux Pays-Bas une institution publique joueun rocircle tregraves important dans le deacutebat public enanalysant les propositions des plateformespolitiques avant les eacutelections et en proposantune analyse des choix budgeacutetaires reacutealiseacute parle gouvernement

Au-delagrave de la diversiteacute des approches le cadreinstitutionnel de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques doit srsquoefforcer de conjuguer troisexigences lrsquoindeacutependance des instancesdrsquoeacutevaluation la multiplication des contacts

avec le monde universitaire et le souci de lapeacutedagogie Lrsquoindeacutependance est la cleacute qui per-met de garantir la creacutedibiliteacute de lrsquoeacutevaluation il est indispensable que les reacutesultats de lrsquoeacuteva-luation ne puissent ecirctre controcircleacutes par ceuxqui mettent en place la politique Les contactsavec le monde universitaire en particulieravec la deacutemarche drsquoeacutevaluation des publica-tions par la communauteacute scientifique reacuteduitle risque drsquoeacutevaluation de complaisance Ilsassurent eacutegalement que les techniques lesplus reacutecentes et les meacutethodologies les plusrobustes seront employeacutees Enfin le souci dela peacutedagogie et la communication au grandpublic des reacutesultats de lrsquoeacutevaluation sontessentiels pour la reacuteussite de cette deacutemarche

Contrairement agrave certaines ideacutees reccedilueslrsquoeacutevaluation nrsquoest pas un processus visant agraveremplacer la deacutecision deacutemocratique par ungouvernement drsquoexperts Crsquoest au contraireune deacutemarche visant agrave faire vivre la deacutemo-cratie dans un monde complexe ougrave lescitoyens doivent pouvoir beacuteneacuteficier drsquoinfor-mations les plus justes possibles sur les poli-tiques publiques sur lesquelles ils doivent seprononcer

BOZIO A et GRENET J (2010) Eacuteconomie des politiquespubliques Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

CONSEIL DrsquoANALYSEEacuteCONOMIQUE (2013) laquo Eacutevaluation des politiquespubliques raquo Note ndeg 1 feacutevrier

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES53

La crise a placeacute les Eacutetats notamment ceux de la zone euro devant un dilemme de politique budgeacutetaire Tandis que la conjoncture eacuteconomique deacutegradeacutee incite agrave la mise en œuvre de politiques de soutien agrave lrsquoactiviteacute la forte hausse de lrsquoendettement public dans un contexte de deacutependance eacutetroite des Eacutetats vis-agrave-vis des marcheacutes financiers les pousse au contraire agrave pra-tiquer des politiques de rigueurGilbert Koenig rappelle les fondements theacuteoriques des politiques budgeacutetaires et leurs eacutevolu-tions avant drsquoanalyser plus preacuteciseacutement les enjeux actuels

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques

La reacutecession de 2009 a permis un renouveau dela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire commemoyen drsquoassurer la stabilisation eacuteconomiquelrsquoune des trois fonctions attribueacutees par RMusgrave (1959) agrave lrsquoEacutetat Cette renaissancefait suite agrave une peacuteriode de grande meacutefianceenvers ce type de politique du fait de la pertedrsquoefficaciteacute des politiques drsquoinspiration key-neacutesienne dans les anneacutees 1970 Le revirementlibeacuteral srsquoest appuyeacute sur un renouvellementtheacuteorique fortement ancreacute dans les concep-tions preacute-keyneacutesiennes Dans cette optiquela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire estinefficace Seuls les stabilisateurs budgeacutetairesautomatiques (cf zoom) peuvent amortir les

chocs conjoncturels Lrsquoessentiel de la politiqueconjoncturelle est du ressort de lrsquoaction moneacute-taire qui doit controcircler lrsquoinflation Le renouvel-lement de lrsquoanalyse keyneacutesienne dans un cadreplus satisfaisant que les modegraveles agreacutegeacutesanciens et les mises en cause empiriques desreacutesultats de lrsquoanalyse preacuteceacutedente ont conduitagrave reacutehabiliter la politique budgeacutetaire discreacute-tionnaire La crise eacuteconomique qui a frappeacute laplupart des pays industrialiseacutes en 2008-2009en a imposeacute la neacutecessiteacute Mais la deacuteteacuteriora-tion des finances publiques conseacutecutive auxexpansions budgeacutetaires a susciteacute la deacutefiancedes opeacuterateurs des marcheacutes financiers enversles eacuteconomies dont le financement publicdeacutepend drsquoune faccedilon importante des marcheacutesinternationaux De ce fait un arbitrage srsquoim-pose agrave ces pays entre des mesures budgeacutetairesrestrictives destineacutees agrave assainir les financespubliques et une politique de stimulation dela croissance et de lrsquoemploi

GILBERT KOENIG

Professeur de sciences eacuteconomiques Universiteacute de Strasbourg BETA

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 54

La politique budgeacutetaire commeinstrument principal de stabilisationLrsquoefficaciteacute attribueacutee agrave la politique budgeacute-taire apregraves 1945 se fonde sur un modegravele eacuteleacute-mentaire inspireacute des travaux de J M KeynesDrsquoabord limiteacute au cas de prix et salairesrigides ce modegravele est geacuteneacuteraliseacute aux prixflexibles sous lrsquoimpulsion de travaux empi-riques sur la relation entre lrsquoinflation et lechocircmage Il devient ainsi le fondement despolitiques de stop and go meneacutees jusqursquoauxanneacutees 1970 dans la plupart des pays

Le cadre keyneacutesien eacuteleacutementaireUn modegravele simple eacutelaboreacute par J Hicks (1937)et compleacuteteacute par B Hansen (1949) proposede preacutesenter drsquoune faccedilon tregraves simplifieacutee laconception keyneacutesienne drsquoune politiquebudgeacutetaire meneacutee dans une petite eacuteconomiefermeacutee Dans ce cadre caracteacuteriseacute par un chocirc-mage conjoncturel et une rigiditeacute des prixet des salaires nominaux une hausse desdeacutepenses publiques accroicirct la demande glo-bale ce qui stimule la production Lrsquoaugmen-tation du revenu disponible qui en reacutesulteaccroicirct la consommation priveacutee ce qui ren-force lrsquoeffet initial de lrsquoexpansion budgeacutetaireDe plus la demande drsquoinvestissement peutecirctre stimuleacutee selon le principe de lrsquoacceacuteleacutera-teur par la hausse du niveau drsquoactiviteacute afinde maintenir le rapport technique entre lesvolumes du capital et de la production SelonT Haavelmo (1945) une hausse des deacutepensespubliques stimule lrsquoactiviteacute eacuteconomiquemecircme si elle est entiegraverement financeacutee par desimpocircts Lrsquoeffet expansionniste de la politiquebudgeacutetaire peut ecirctre freineacute par la hausse dutaux drsquointeacuterecirct qursquoelle entraicircne mais qui peutecirctre eacutelimineacutee par une politique moneacutetairedrsquoaccompagnement

Cette efficaciteacute peut cependant ecirctre mise encause dans une eacuteconomie ouverte sur lrsquoex-teacuterieur Dans une extension du modegravele deHicks et Hansen Mundell (1963) et Fleming(1962) montrent que cette efficaciteacute deacutependdu reacutegime de changes et du degreacute de mobiliteacute

internationale des capitaux En effet unehausse des deacutepenses publiques induit commedans le cas drsquoune eacuteconomie fermeacutee une aug-mentation de la demande nationale et dutaux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoaccroissement du tauxdrsquointeacuterecirct provoque une entreacutee de capitauxdrsquoautant plus importante que les capitauxsont mobiles Il en reacutesulte une appreacuteciationde la monnaie nationale Dans un reacutegime dechanges fixes la banque centrale doit inter-venir pour maintenir la pariteacute Cela se traduitpar une hausse des reacuteserves de change quigonfle la masse moneacutetaire La baisse du tauxdrsquointeacuterecirct qui en deacutecoule stimule lrsquoinvestisse-ment ce qui renforce lrsquoeffet initial de lrsquoexpan-sion budgeacutetaire En revanche dans un reacutegimede changes flexibles lrsquoappreacuteciation de lamonnaie nrsquoa pas agrave ecirctre corrigeacutee Elle entraicircneune baisse de la demande exteacuterieure qui com-pense partiellement ou totalement lrsquoeffet dela hausse de la demande inteacuterieure sur leniveau drsquoactiviteacute selon le degreacute de mobiliteacutedes capitaux

Lrsquoarbitrage budgeacutetaireentre lrsquoinflation et le chocircmageLrsquoanalyse preacuteceacutedente limiteacutee au cas des prixet des salaires nominaux fixes est eacutetendueaux prix flexibles par lrsquointroduction drsquounerelation inverse entre lrsquoinflation et le chocirc-mage Celle-ci est deacuteduite de lrsquoeacutevolutioninverse entre le taux de chocircmage et la haussedu salaire nominal observeacutee empiriquementpar AW Phillips (1958) en Angleterre de 1861agrave 1957 Cette extension neacutecessite une speacutecifi-cation de la formation des prix et des salairesce qui permet de tenir compte des conditionsde lrsquooffre globale Mais dans lrsquooptique key-neacutesienne le modegravele drsquooffre et de demandeglobales conserve des eacuteleacutements de rigiditeacutecomme lrsquoindexation des salaires sur les prixDans un tel cadre une expansion budgeacutetaireest susceptible drsquoameacuteliorer la situation delrsquoemploi drsquoun pays mais au prix drsquoune infla-tion plus importante De ce fait les autoriteacutesbudgeacutetaires tentent de concilier leur objectifprincipal de haut niveau drsquoemploi avec celuidrsquoune faible inflation

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 55

Les politiques de stop and goSous lrsquoinfluence des ideacutees keyneacutesiennes lapolitique budgeacutetaire est devenue lrsquoinstrumentprincipal de stabilisation dans la plupart despays industrialiseacutes apregraves la seconde guerremondiale jusqursquoaux anneacutees 1970 Ce choixse justifie drsquoautant plus que les accords deBretton Woods avaient instaureacute un systegravememoneacutetaire international fondeacute sur un reacutegimede changes fixes qui assurait une efficaciteacuteforte agrave lrsquoaction budgeacutetaire Mais la neacutecessiteacutedrsquoarbitrer en permanence entre un niveaudrsquoemploi eacuteleveacute et une inflation faible a conduitagrave des politiques de stop and go Celles-ci secaracteacuterisent par des alternances de mesuresexpansives favorables agrave la croissance et agravelrsquoemploi mais sources drsquoinflation et de deacutefi-cit exteacuterieur et de dispositions de freinage delrsquoactiviteacute destineacutees agrave stabiliser lrsquoinflation etagrave corriger le deacuteseacutequilibre exteacuterieur Ces poli-tiques contra-cycliques ont permis de limiterles fluctuations autour de la tendance de longterme de la croissance eacuteconomique

Une des derniegraveres politiques budgeacutetairesdrsquoinspiration keyneacutesienne de cette peacuteriodeest celle meneacutee en France en 1981 Soneacutechec illustre lrsquoimportance de lrsquoincidencede la contrainte exteacuterieure sur la politiqueconjoncturelle En effet ses effets positifsont eacuteteacute contrebalanceacutes par les conseacutequencesneacutegatives des mesures restrictives adopteacutees

agrave cette peacuteriode par la plupart des pays indus-trialiseacutes en relations commerciales et finan-ciegraveres avec la France

La mise en cause de lrsquoefficaciteacutedes politiques budgeacutetairesdiscreacutetionnairesDans les anneacutees 1970 on observe des haussesparallegraveles de lrsquoinflation et du chocircmage ce quimet en cause la pertinence de lrsquoarbitrageentre le chocircmage et lrsquoinflation effectueacute danslrsquooptique keyneacutesienne Cette mise en cause esteacutetayeacutee par les critiques des fondements theacuteo-riques des politiques budgeacutetaires de naturekeyneacutesienne Elle conduit agrave leur rejet dansle cadre de la reacutevolution conservatrice desanneacutees 1980 qui constitue plutocirct une contre-reacutevolution dans le domaine eacuteconomique dansla mesure ougrave ses conceptions sont fortementancreacutees dans lrsquoanalyse mise en cause par lareacutevolution keyneacutesienne

Les fondements eacuteconomiques dela contre-reacutevolution conservatriceLrsquoanalyse keyneacutesienne de la politique bud-geacutetaire discreacutetionnaire est critiqueacutee par lesmoneacutetaristes qui lui reprochent de neacutegligerles anticipations et de se limiter au courtterme Cette critique est renforceacutee par les

LES SLES STTABIABILLISAISATEURSTEURSAAUTUTOMAOMATIQUESTIQUESLa sLa sttabilisation autabilisation automatique deacutesigneomatique deacutesigne

laquolaquo la cla capacitapaciteacute des financeacute des finances publiques agravees publiques agrave

attatteacutenuer leacutenuer les ces conseacutequenconseacutequences des eacutees des eacutevveacutenementseacutenements

cconjoncturonjoncturels sur lels sur lrsquoactivitrsquoactiviteacute Loreacute Lorsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

esest en et en expansion lxpansion les impocircts augmentes impocircts augmententent

avavec la hausec la hausse de la cse de la consommation et deonsommation et de

llrsquoemplrsquoemploi et loi et les pres presesttations socialations sociales baises baissentsent

avavec lec le re recul du chocircmage La hausecul du chocircmage La hausse desse des

impocircts et la baisimpocircts et la baisse des prse des presesttations cations conduitonduit

alalorors agrave une rs agrave une reacuteduction de la creacuteduction de la croisoissancsancee

LLrsquoaugmentrsquoaugmentation initialation initiale de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eseacute estt

donc rdonc reacuteduiteacuteduite par le par le fe fonctionnement desonctionnement des

ssttabilisatabilisateureurs auts automatiques La situation esomatiques La situation estt

symeacutetrique lsymeacutetrique lororsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie conomie connaicirct unonnaicirct un

rralalentisentissementsement raquo ()raquo ()

() Espinoza R() Espinoza R (2007)(2007) laquolaquo Les staLes stabilisabilisateurteurssautomaautomatiques en Ftiques en Frranceance Eacuteconomie et PrEacuteconomie et Preacutevisioneacutevisionndegndeg 17711771 PParisaris INSEEINSEE

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 56

nouveaux classiques qui introduisent lesanticipations rationnelles et lrsquoeacutequivalencericardienne

Lrsquoinfluence des anticipationssur lrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire

Dans la conception moneacutetariste lrsquoeacutequilibregeacuteneacuteral de long terme drsquoune eacuteconomie estassureacute gracircce agrave la flexibiliteacute parfaite des prixet des salaires nominaux dans un contextede concurrence parfaite ougrave les anticipationssont reacutealiseacutees Il en reacutesulte un taux naturelde chocircmage qui ne peut ecirctre reacuteduit que pardes mesures structurelles De cette faccedilon uneexpansion budgeacutetaire ne peut qursquoaccroicirctrelrsquoinflation au rythme de la hausse de lrsquooffrede monnaie utiliseacutee pour son financement

Lrsquoarbitrage entre le chocircmage et lrsquoinflationqui disparaicirct ainsi dans le long terme peutcependant subsister agrave court terme si lessalarieacutes ne fondent leurs revendications quesur leurs preacutevisions drsquoinflation et si ces anti-cipations ne tiennent compte que de lrsquoinfla-tion passeacutee et courante En effet dans ce casles salarieacutes anticipent un taux drsquoinflationinfeacuterieur au taux qui reacutesultera drsquoune expan-sion budgeacutetaire courante et ils tentent drsquoob-tenir une hausse de leur salaire nominal surla base de ces preacutevisions erroneacutees De ce faitils pensent beacuteneacuteficier drsquoune hausse de leursalaire reacuteel ce qui stimule leur offre de tra-vail Les employeurs sont disposeacutes agrave accorderla hausse des salaires nominaux revendiqueacuteetant que celle-ci est infeacuterieure agrave lrsquoaccroisse-ment effectif des prix Il en reacutesulte une baissedes salaires reacuteels effectivement supporteacutes parles entreprises ce qui stimule la demande detravail De ce fait le chocircmage diminue alorsque lrsquoinflation augmente Une telle situationnrsquoest cependant pas durable car lrsquoillusionmoneacutetaire des salarieacutes srsquoestompe dans lelong terme et le taux naturel de sous-emploiest reacutetabli

En introduisant le concept drsquoanticipa-tions rationnelles les nouveaux classiquesrejettent toute possibiliteacute drsquoarbitrage entreinflation et chocircmage Dans cette conceptionles anticipations des agents ne se fondent pas

sur le niveau passeacute et preacutesent de lrsquoinflationcomme dans le cas des anticipations adapta-tives mais sur toutes les informations dispo-nibles au moment des preacutevisions Posseacutedanttoutes les informations sur les deacutecisions desautoriteacutes budgeacutetaires les salarieacutes ne font pasdrsquoerreurs systeacutematiques en moyenne de sorteque lrsquoinflation anticipeacutee ne diffegravere pas de lrsquoin-flation reacutealiseacutee Seul un effet de surprise dontles incidences sont rapidement corrigeacuteespeut faire deacutevier le taux de chocircmage de sonniveau naturel

Lrsquointroductiondes comportements ricardiens

La mise en cause de lrsquoefficaciteacute des politiquesbudgeacutetaires fondeacutee sur le concept drsquoanticipa-tions rationnelles est renforceacutee par la priseen compte du principe drsquoeacutequivalence ricar-dienne que R Barro (1974) a emprunteacute agrave DRicardo eacuteconomiste classique du XIXe siegravecleSelon ce principe une expansion budgeacutetaire ales mecircmes effets qursquoelle soit financeacutee par desimpocircts ou par un emprunt lrsquoemprunt nrsquoeacutetantqursquoun impocirct diffeacutereacute dans le temps En effetdans le cas du financement par empruntles agents anticipent la hausse future despreacutelegravevements obligatoires que neacutecessite leremboursement de la dette publique et lepaiement de ses inteacuterecircts Pour faire face agravecette charge ils eacutepargnent dans lrsquoimmeacutediatun montant correspondant agrave sa valeur actua-liseacutee et ils achegravetent avec cette eacutepargne destitres dont le remboursement et les inteacuterecirctsserviront agrave payer les impocircts susciteacutes par leservice de la dette publique La politiquebudgeacutetaire est donc moins efficace que dansle cas keyneacutesien du financement drsquoune haussedes deacutepenses publiques par endettement

Lrsquoeacutequivalence ricardienne repose sur plu-sieurs hypothegraveses tregraves restrictives Elle sup-pose notamment une forte rationaliteacute desagents des marcheacutes financiers parfaits et desimpocircts forfaitaires

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 57

Le rejet des politiques budgeacutetairesde relance par la demande

Ces critiques ont abouti au rejet des poli-tiques budgeacutetaires discreacutetionnaires consi-deacutereacutees comme inefficaces Les eacuteconomistesde lrsquooffre preacuteconisent cependant lrsquoutilisationdiscreacutetionnaire de lrsquoinstrument fiscal pouraccroicirctre la quantiteacute de travail et de capitaldestineacutee agrave augmenter lrsquooffre globale et nonpour stimuler la demande qui est consideacutereacuteecomme suffisante Comme le taux naturel desous-emploi est fixeacute par les meacutecanismes demarcheacute les moneacutetaristes privileacutegient la poli-tique moneacutetaire afin de controcircler lrsquoinflationIls preacuteconisent par ailleurs des reacuteformesstructurelles qui permettent de reacuteduire lesdeacutepenses publiques et les impocircts ce quiassure des finances publiques saines et uneintervention publique minimale

Deux politiques nationales sont repreacutesenta-tives de cette contre-reacutevolution La premiegraveremeneacutee au Royaume-Uni agrave partir de 1979 parM Thatcher se caracteacuterise sur le plan budgeacute-taire par une baisse des deacutepenses publiqueset des impocircts directs en vue de stimuler lesecteur priveacute et de diminuer lrsquoinfluence delrsquoEacutetat Elle a permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais au prix drsquoun chocircmage eacuteleveacutejusqursquoau milieu des anneacutees 1980 La secondepolitique inspireacutee par les eacuteconomistes delrsquooffre a eacuteteacute mise en œuvre par R Reagan

degraves 1981 au cours de son premier mandatElle srsquoest traduite par un recul des deacutepensespubliques autres que celles du secteur mili-taire et par une reacuteduction massive drsquoimpocirctsdestineacutee agrave stimuler lrsquooffre globale avec lrsquoes-poir qursquoune baisse du taux drsquoimpositiongeacuteneacuterera une hausse des rentreacutees fiscales etreacutesorbera ainsi le deacuteficit issu de cette strateacute-gie1 Elle srsquoest accompagneacutee drsquoune politiquemoneacutetaire restrictive qui srsquoest manifesteacutee parune hausse importante des taux drsquointeacuterecirctCes mesures ont permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais elles ont entraicircneacute un deacuteficitbudgeacutetaire eacuteleveacute et une reacutecession marqueacuteepar un chocircmage important en 1982 et 1983Pour certains eacuteconomistes la reprise qui asuivi cette phase deacutecoule surtout de lrsquoactionfiscale du deacutebut du mandat pour drsquoautreselle provient essentiellement de lrsquoaccroisse-ment tregraves fort des deacutepenses dans le secteurmilitaro-industriel

Le renouveaude la politique budgeacutetaireLe renouveau de la politique budgeacutetairereacutesulte de lrsquoeacutevolution des reacuteflexions theacuteo-riques et des recherches empiriques Il srsquoestmanifesteacute ces derniegraveres anneacutees par les plansde relance que la plupart des pays industria-liseacutes ont ducirc adopter pour faire face agrave la crise

[1] Cette conceptionest fondeacutee sur la courbe

de Laffer qui montreqursquoau-delagrave drsquoun certaintaux drsquoimposition toute

hausse drsquoimpocirct reacuteduitles recettes fiscales

car elle deacutecourageles offres de travail

et de capital Donc silrsquoon considegravere que la

pression fiscale est tropforte il suffit de reacuteduire

les taux drsquoimpositionpour accroicirctre

les recettes fiscales

1 Croissance chocircmage et finances publiques aux Eacutetats-Unis au Japon et dans la zone euro

Taux de croissancedu PIB (en )

Taux de chocircmage(en )

Dette publique brute(en du PIB)

Deacuteficit public (en du PIB)

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

2008 ndash 03 ndash 11 04 58 40 76 615 1629 702 66 19 21

2009 ndash 31 ndash 55 ndash 44 93 51 96 736 1801 800 119 88 63

2010 24 47 20 96 51 101 828 1883 854 114 83 62

2011 18 ndash 05 14 89 46 102 860 2004 873 102 89 41

2012 22 20 ndash 0 6 81 44 114 887 ND 906 86 ND 37

Troisiegraveme trimestre 2012 ND non disponible

Sources Bulletin mensuel de la BCE septembre 2012 et mai 2013

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 58

eacuteconomique qui srsquoest geacuteneacuteraliseacutee agrave partirde 2008 Mais cette crise et les mesures derelance destineacutees agrave la combattre ont deacuteteacute-rioreacute les finances publiques de la plupart despays ce qui les a obligeacutes agrave mettre en œuvredes mesures de consolidation budgeacutetaire

Les fondements du renouveau

Le renouveau theacuteorique a eacuteteacute reacutealiseacute en grandepartie dans le cadre des modegraveles drsquoeacutequilibregeacuteneacuteral qui agrave la diffeacuterence de ceux utiliseacutespar les nouveaux classiques introduisentlrsquoimperfection des marcheacutes des comporte-ments non ricardiens et une certaine viscositeacutedes prix compatible avec des comportementsrationnels Du fait de ces caracteacuteristiquesces modegraveles sont qualifieacutes de neacuteo-keyneacutesiensTout en conservant lrsquohypothegravese drsquoanticipa-tions rationnelles ils permettent de restaurerlrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire dans uncadre theacuteorique plus satisfaisant que celuiretenu par les modegraveles keyneacutesiens agreacutegeacutes

Les politiques de relance

La crise immobiliegravere ameacutericaine qui srsquoestdeacuteveloppeacutee degraves la fin 2006 srsquoest diffuseacutee surles marcheacutes moneacutetaires et financiers de laplupart des grandes eacuteconomies puis sur lesmarcheacutes des biens et du travail Elle a deacutebou-cheacute en 2009 sur une reacutecession qui srsquoest tra-duite par une baisse importante du PIB et unehausse tregraves forte du chocircmage aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro Cette eacutevolu-tion a conduit les responsables politiques deces zones eacuteconomiques agrave reacutehabiliter les poli-tiques budgeacutetaires en adoptant en 2008 et2009 des plans de relance Crsquoest ainsi que lesEacutetats-Unis ont pris des mesures budgeacutetairesrepreacutesentant plus de 5 du PIB pour faireface agrave une hausse particuliegraverement impor-tante du chocircmage dans un contexte de faibleprotection sociale Au Japon quatre plans derelance ont eacuteteacute mis successivement en œuvreen 2008-2009 Quant agrave lrsquoEurope elle a adopteacuteune strateacutegie qui a mobiliseacute 200 milliardsdrsquoeuros soit 15 du PIB europeacuteen Le bud-get communautaire et la Banque europeacuteenne

drsquoinvestissement ont pris en charge 15 dece montant Les Eacutetats europeacuteens ont financeacutele reste et mis en œuvre des plans de relancenon coordonneacutes

Ces mesures ont favoriseacute une nette reprise en2010 suivie drsquoun ralentissement conjoncturelaux Eacutetats-Unis et dans la zone euro et unerechute au Japon Mais alors que les Eacutetats-Unis et le Japon ont continueacute agrave soutenir leurconjoncture lrsquoEurope a exigeacute de ses membresdes efforts drsquoassainissement des financespubliques De ce fait la croissance et lrsquoemploise sont ameacutelioreacutes aux Eacutetats-Unis et au Japonet se sont deacuteteacuterioreacutes gravement dans la zoneeuro en 2012

Les strateacutegiesde consolidation budgeacutetaire

Du fait de la deacutependance importante des payseuropeacuteens par rapport aux marcheacutes finan-ciers internationaux pour le financementde leurs deacuteficits budgeacutetaires les instanceseuropeacuteennes ont donneacute degraves 2010 une prio-riteacute absolue agrave lrsquoassainissement des financespubliques afin drsquoeacuteviter une deacuteteacuterioration desconditions drsquoemprunt Cette deacutependance estbeaucoup plus faible au Japon qui peut sup-porter un endettement public tregraves eacuteleveacute gracircceagrave un financement public assureacute en grandepartie par une eacutepargne inteacuterieure importanteQuant agrave lrsquoeacuteconomie ameacutericaine elle susciteune confiance internationale tregraves importantedans sa vigueur de sorte que les conditionsde ses emprunts internationaux sont peusensibles jusqursquoici agrave lrsquoeacutetat de ses financespubliques

En preacuteconisant ou en imposant des pro-grammes seacutevegraveres drsquoassainissement budgeacute-taire et de reacuteformes structurelles les instanceseuropeacuteennes espegraverent rassurer les opeacuterateursdes marcheacutes financiers internationaux sanstrop deacuteteacuteriorer la croissance et lrsquoemploi Cettestrateacutegie suppose que les multiplicateurs bud-geacutetaires qui traduisent lrsquoincidence des varia-tions des deacutepenses publiques sur le PIB soientnuls ou tregraves faibles Or un groupe drsquoeacutecono-mistes a eacutevalueacute en 2012 lrsquoimportance des effets

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 59

drsquoune variation des deacutepenses publiques sur lePIB dans les pays de lrsquoOCDE en se fondant sursept modegraveles structurels dont ceux utiliseacutes parla BCE et lrsquoOCDE Selon cette eacutetude une baissetemporaire des deacutepenses publiques de 1 duPIB entraicircne une reacuteduction de 09 agrave 13 duPIB Dans ses Perspectives mondiales le FMIconsidegravere que la valeur des multiplicateursbudgeacutetaires a eacuteteacute largement sous-estimeacuteenotamment en Europe Selon ses estimationscette valeur repreacutesente entre 09 et 17 duPIB alors que les politiques de consolidationbudgeacutetaire eacutetaient fondeacutees sur une valeur de05 du PIB

Lrsquoassainissement des finances publiques doiteacutegalement favoriser le retour de la croissanceCette ideacutee semble se fonder sur une observa-tion effectueacutee par C Reinhart et K Rogoff quimontrait que les pays ayant un taux drsquoendet-tement infeacuterieur agrave 90 du PIB avaient unecroissance plus forte que les autres Mais cetteeacutetude est contesteacutee pour des raisons meacutethodo-logiques et notamment pour avoir eacutecarteacute cer-tains pays du panel Selon drsquoautres travaux ilnrsquoy aurait en reacutealiteacute aucun seuil de ce type

En fait il conviendrait drsquoeffectuer un assai-nissement financier progressif pour lisserdans le temps ses effets neacutegatifs sur la crois-sance et prendre parallegravelement des mesuresstructurelles dont les effets positifs sur lacroissance se reacutepercuteront sur les financespubliques Cette strateacutegie qui se place dansle moyen terme neacutecessiterait une deacutecon-nexion des pays en difficulteacute par rapport auxmarcheacutes financiers dont les eacutevaluations seplacent le plus souvent dans une optique decourt terme

La nature des mesures budgeacutetaires qursquoungouvernement doit prendre diffegravere selonque son eacuteconomie se trouve ou non dans unecrise En effet dans une peacuteriode de fluctua-tions relativement faibles de lrsquoactiviteacute autourdrsquoune tendance de long terme il est probableqursquoune politique budgeacutetaire discreacutetionnairesoit peu efficace pour lisser ces mouvementsnotamment agrave cause de son manque de sou-plesse Dans ce cas le meacutecanisme des stabi-lisateurs budgeacutetaires automatiques se reacutevegraveleplus apte agrave corriger au moins partiellementdes deacuteseacutequilibres transitoires En revanche ilest insuffisant en cas de crise grave La neacuteces-siteacute drsquoune intervention budgeacutetaire discreacutetion-naire de lrsquoEacutetat srsquoest imposeacutee apregraves la crisedes anneacutees 1930 qui a conduit agrave la reacutevolutionkeyneacutesienne Il nrsquoest donc pas eacutetonnant quece type de politique srsquoimpose agrave nouveau agravelrsquooccasion drsquoune crise aussi seacutevegravere et qursquoellese fonde sur des conceptions keyneacutesiennesenrichies par les apports theacuteoriques Elle nepeut neacuteanmoins pas ecirctre meneacutee de la mecircmefaccedilon que dans les anneacutees 1950 et 1960 Eneffet lrsquointerdeacutependance croissante des paysrend neacutecessaire la coordination des poli-tiques eacuteconomiques afin de reacuteduire les effetsexternes reacuteciproques neacutegatifs de celles-ciDe plus la deacutependance de nombreux Eacutetatscomme ceux de la zone euro aux marcheacutesinternationaux pour leur financement soumetleurs actions budgeacutetaires agrave des contraintesfortes pour eacuteviter une deacuterive importante deleurs finances publiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 60

Textes classiques

BARRO R J (1974) laquo AreGovernment Bonds NetWealth raquo Journal of PoliticalEconomy vol 82 ndeg 6

FLEMING (1962) laquo DomesticFinancial Policies under Fixedand under Floating ExchangeRates raquo FMI Staff Paper vol 9 ndeg 3

HAAVELMO T (1945) laquo Multiplier effects ofa balanced budget raquoEconometrica vol 13

HANSEN AH (1949) Monetary Theory and FiscalPolicy McGraw HillNew York

HICKS J R (1937) laquo Mr Keynesand the ldquoClassicsrdquo A Suggested Interpretation raquoEconometrica vol5 ndeg 2

MUNDELL R (1963) laquo CapitalMobility and StabilisationPolicy under Fixed andFlexible Exchange Rates raquoCanadian Journal ofEconomics and PoliticalScience vol 29

MUSGRAVE R (1949) TheTheory of Public FinanceA Study in Public Economy New York McGraw Hill

PHILLIPS (1958) laquo The Relation betweenUnemployment and theRate of Change of MoneyWages Rates in The UnitedKingdom raquo 1861-1957Economica vol 25 ndeg 100

Sur la peacuteriode contemporaine

COENEN G et al (2012) laquo Effects of fiscal stimulusin structural models raquo

American Economic Journal Macroeconomics vol 4 ndeg 1

FMI (2012) World EconomicOutlook

HERNDON T ASH M POLLIN R(2013) laquo Does high public debtconsistently shift growth A critique of C Reinhart etK Rogoff raquo PERI WorkingPapers Series ndeg 322

KOENIG G (2012) laquo Consolidation budgeacutetaireet croissance raquo Bulletin delrsquoObservatoire des politiqueseacuteconomiques ndeg 26

REINHART C ROGOFF K(2010) laquo Growth in a time ofdebt raquo American EconomicReview Papers andProceedings vol 100

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 61

Outre la stabiliteacute des prix les banques centrales ont comme objectif de contribuer par leurs politiques moneacutetaires agrave stabiliser la conjoncture et lutter contre les chocs eacuteconomiques La crise qui a commenceacute en 2007 les a donc particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve Face au blocage du marcheacute moneacutetaire et agrave la reacutecession elles ont massivement baisseacute leurs taux drsquointeacuterecirct direc-teur en 2008-2009 jusqursquoagrave zeacutero pour certaines drsquoentre elles Ces mesures de deacutetente moneacutetaire se sont toutefois reacuteveacuteleacutees insuffisantes ce qui les a conduites agrave mettre en place des dispositifs laquo non conventionnels raquo Christian Bordes dresse un bilan de ces actions face agrave la crise Si les politiques non conventionnelles ont permis de mettre un terme agrave la paralysie du marcheacute moneacute-taire les effets en termes de croissance sont plus contrasteacutes Elles font en outre courir aux eacuteconomies un certain nombre de risques dont celui que se forment dans les anneacutees agrave venir de nouvelles laquo bulles raquo

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques moneacutetairesquel renouvellement avec la crise

Avec la crise systeacutemique globale lrsquoanalysede la politique eacuteconomique en geacuteneacuteral etcelle de la politique moneacutetaire en particu-lier peuvent ecirctre meneacutees agrave deux niveauxdiffeacuterents en fonction de la peacuteriode drsquoana-lyse retenue Agrave moyenlong termes on peutse demander si un changement de reacutegimenrsquoest pas neacutecessaire pour sinon eacuteviter dumoins limiter la probabiliteacute drsquoune nouvellecrise financiegravere geacuteneacuteraliseacutee srsquoagissant dela politique moneacutetaire on doit alors srsquointer-roger sur le maintien ou pas du ciblage delrsquoinflation son articulation avec la politique

macro-prudentielle1 etc Plus immeacutediate-ment agrave courtmoyen termes dans le cadredu reacutegime de politique eacuteconomique existantle problegraveme poseacute est celui de la stabilisationde lrsquoeacuteconomie agrave la suite drsquoune crise financiegraveremajeure Parce qursquoil reste au cœur des preacuteoc-cupations actuelles des banques centralescrsquoest sous ce second angle que le renouvelle-ment de la politique moneacutetaire avec la criseest eacutetudieacute ici2 Cette analyse est meneacutee en srsquoat-tachant aux eacuteconomies ougrave ce renouvellementa eacuteteacute le plus marqueacute les eacuteconomies du laquo G4 raquondash Eacutetats-Unis Japon zone euro Royaume-Uni ndash La premiegravere reacuteponse de leurs banquescentrales a consisteacute agrave pratiquer une poli-tique de taux drsquointeacuterecirct ultra accommodanteFace aux limites de la deacutetente moneacutetaire lesbanques centrales ont ensuite mis en œuvredes politiques laquo non conventionnelles raquo

CHRISTIAN BORDES

Universiteacute Paris 1

Centre drsquoEacuteconomie de la Sorbonne

[1] Dispositif dereacutegulation des

institutions financiegraveresdestineacute agrave assurer la

gestion de la stabiliteacutefinanciegravere globale

[2] La question drsquounchangement du reacutegimede politique moneacutetairefait lrsquoobjet de Bordes C

(2011) laquo Pour un

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 62

La politique de deacutetente moneacutetaireconfronteacutee agrave ses limitesLa politique moneacutetaireavant la criseAgrave partir du deacutebut des anneacutees 1990 jusqursquoen2007 la politique moneacutetaire srsquoest limiteacuteedans les eacuteconomies avanceacutees agrave une politiquede reacuteglage du taux drsquointeacuterecirct

Lrsquoobjectif principal eacutetait drsquoassurer la stabi-liteacute des prix agrave moyenlong terme ndash corres-pondant en geacuteneacuteral agrave un taux drsquoinflation annuel de 2 ndash tout en stabilisant lrsquoacti-viteacute eacuteconomique Plus preacuteciseacutement cette fonction de stabilisation conjoncturelle a consisteacute agrave neutraliser les effets des chocs de diffeacuterentes natures ndash financiers reacuteels et sur les prix ndash qui frappent lrsquoeacuteconomie pour eacuteviter qursquoils nrsquoempecircchent le maintien de la stabiliteacute moneacutetaire

Par lrsquoannonce du taux drsquointeacuterecirct directeur lesautoriteacutes moneacutetaires indiquaient lrsquoorienta-tion souhaiteacutee de leur politique en confor-miteacute avec la reacutealisation de lrsquoobjectif fixeacute Cetteannonce a agi sur lrsquoeacuteconomie selon un meacuteca-nisme de transmission assez bien eacutetabli unereacutepercussion de la baisse des taux directeurssur les conditions de creacutedit suivie drsquoeffets surlrsquoactiviteacute eacuteconomique puis sur le niveau geacuteneacute-ral des prix

La mise en œuvre de la politique moneacutetairesrsquoest traduite par la conduite drsquoopeacuterationsde gestion de la liquiditeacute qui ont soutenulrsquoorientation souhaiteacutee en maintenant le tauxde marcheacute le plus pertinent ndash geacuteneacuteralementle taux auquel les banques srsquoeacutechangent dela liquiditeacute pour 24 heures ndash agrave un niveauconforme agrave celui du taux directeur Ces opeacutera-tions de gestion de la liquiditeacute ont eacuteteacute conccedilueset mises en œuvre pour influencer unique-ment le taux de marcheacute cibleacute Les banquescentrales ont conduit la politique moneacutetaire

ameacutenagement du centralbanking agrave la recherchede lrsquoaffectation optimaledes instruments despolitiques moneacutetaire etmacro-prudentielle raquoin Betbegraveze J-PBordes C Couppey-Soubeyran J et Plihon DBanques centrales etstabiliteacute financiegravere Rapport pour le Conseildrsquoanalyse eacuteconomiquendeg 96 La Documentationfranccedilaise

LE RLE ROcircOcircLLE DEE DE LLA GESA GESTIONTIONDES ANTICIPDES ANTICIPAATIONS DANSTIONS DANSLLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDans lDans les anneacutees 1970-1980 ces anneacutees 1970-1980 certertainsains

eacuteceacuteconomisonomisttes tes tels que Robert Lucels que Robert Lucas etas et

Thomas SarThomas Sargent ont deacutegent ont deacutevveleloppeacute laoppeacute la theacuteorietheacuteorie

des anticipations rdes anticipations rationnellationnelles afin de mieuxes afin de mieux

ccompromprendrendre le les res raisons de la faisons de la faiblaible effice efficacitaciteacuteeacute

des politiques eacutecdes politiques eacuteconomiques discronomiques discreacutetionnaireacutetionnaireses

meneacutees pendant lmeneacutees pendant les deacuteces deacutecennies prennies preacuteceacuteceacutedenteacutedenteses

Une des cUne des conclusions de conclusions de cettette anale analyse esyse est quet que

lle re reacutesulteacutesultat drsquoune politique eacutecat drsquoune politique eacuteconomique deacutependonomique deacutepend

des anticipations des agents rdes anticipations des agents relativelatives agrave ces agrave cettettee

politique Les implicpolitique Les implications de cations de ce re reacutesulteacutesultatat

pour la cpour la conduitonduite de la politique eacutece de la politique eacuteconomiqueonomique

notnotamment camment cellelle de la politique moneacutete de la politique moneacutetairairee

sont trsont tregraves importegraves importantantes En particulieres En particulier la la

deacutefdeacutefense drsquoun ancrense drsquoun ancrage nominal ndash crsquoesage nominal ndash crsquoest-agrave-dirt-agrave-diree

un objectif cun objectif conconcernant une vernant une variablariable nominale nominalee

ttellelle que le que le te taux drsquoinflation ou laux drsquoinflation ou le te taux deaux de

change ndash eschange ndash est une solution intt une solution inteacutereacuteresessantsante poure pour

ssttabiliser labiliser le nive niveau geacuteneacutereau geacuteneacuteral des prix ou lal des prix ou le te tauxaux

drsquoinflation Aujourdrsquoinflation Aujourdrsquohui dans ldrsquohui dans les eacuteces eacuteconomiesonomies

avavancanceacutees leacutees les banques ces banques centrentralales affichentes affichent

un objectif quantifieacute pour lun objectif quantifieacute pour le te taux drsquoinflation ndashaux drsquoinflation ndash

fixfixeacute geacuteneacutereacute geacuteneacuteralalement aux alement aux alententourours de 2s de 2 ndash et ndash et

ssrsquoengagent agrave prrsquoengagent agrave prendrendre le les mesures mesures neacuteces neacutecesessairsaireses

agrave sa ragrave sa reacutealisationeacutealisation l le te taux drsquoinflation y esaux drsquoinflation y est donct donc

la vla variablariable drsquoancre drsquoancrage nominal de la politiqueage nominal de la politique

moneacutetmoneacutetairaire La cre La creacutedibiliteacutedibiliteacute acquise par leacute acquise par leses

banques cbanques centrentralales dans la res dans la reacutealisation de ceacutealisation de cetet

objectif fobjectif facilitacilite la ce la conduitonduite de le de leur politiqueeur politique

moneacutetmoneacutetairaire note notamment la samment la sttabilisationabilisation

cconjoncturonjoncturellelle de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique Ainsionomique Ainsi

au cau courours de la crise ont-ells de la crise ont-elles pu adoptes pu adopterer

une politique de tune politique de taux agraux agresessivsive ainsi que dese ainsi que des

mesurmesures non ces non convonventionnellentionnelles de gres de grandeande

amplampleur sans que leur sans que lrsquoancrrsquoancrage des anticipationsage des anticipations

inflationnisinflationnisttes autes autour de 2our de 2 nrsquoen souffr nrsquoen souffree

Christian BordesChristian Bordes

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 63

LLESES CCANAANAUXUXDE TRANSMISSIONDE TRANSMISSIONDEDE LLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDiffDiffeacutereacuterents cents canaux de tranaux de transmisansmission de lasion de la

politique moneacutetpolitique moneacutetairaire sont re sont reacuteperteacutepertorieacutes parorieacutes par

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique En pronomique En premier lieuemier lieu

il y a lil y a les ces canaux tranaux traditionnels caditionnels centrentreacutes sureacutes sur

lles tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct qui sont lecirct qui sont les principauxes principaux

meacutecmeacutecanismes de tranismes de transmisansmission des deacutecisionssion des deacutecisions

dede politique moneacutetpolitique moneacutetairaire dans le dans le modegravele modegravelee

macrmacro-eacuteco-eacuteconomique sonomique sttandarandard (offrd (offre gle globalobalee

demande gldemande globalobale) En deuxiegraveme lieu il ye) En deuxiegraveme lieu il y

a la les ces canaux agisanaux agissant par lsant par le biais des prixe biais des prix

drsquoautrdrsquoautres actifs (tes actifs (taux de change theacuteorie duaux de change theacuteorie du

laquolaquo q de Tq de Tobinobin raquo) Enfin il y a lraquo) Enfin il y a le meacutece meacutecanisme deanisme de

trtransmisansmission appelsion appeleacute laquoeacute laquo ccanal du cranal du creacutediteacutedit raquo quiraquo qui

a fa fait lait lrsquoobjet de nombrrsquoobjet de nombreuses eacutetudes au ceuses eacutetudes au courourss

des derniegraverdes derniegraveres anneacuteeses anneacutees

POLITIQUE MONEacuteTAIRE

CA

NA

UX

DE

TR

AN

SM

ISS

ION EFFETS SUR LES PRIX DAUTRES ACTIFS APPROCHE PAR LE CREacuteDIT

Canaltraditionnel dutaux dinteacuterecirct

Effets du tauxde change

sur lesexportations

nettesTheacuteorie du q de

TobinEffets

richesseCanal ducreacutedit

bancaire

Canaldu

bilanCanal ducash flow

Canal desvariations nonanticipeacutees du

niveau geacuteneacuteraldes prix

Effet sur laliquiditeacute des

meacutenages

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Taux de change

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

q de Tobin

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Politiquemoneacutetaire

Deacutepocirctsbancaires

Precirctsbancaires

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctnominaux

Cash flow

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Niveau des prixnon anticipeacutes

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Probabiliteacutede deacutetressefinanciegravere

CO

MP

OS

AN

TE

DE

LA

DE

MA

ND

E

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

Exportationsnettes

Investissement

Consommation

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Investissement Investissement Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

PIB

SSourceource Mishkin Mishkin FF BBordesordes CC HHautcoeurautcoeur PP-CC Lacoue-LabartheLacoue-Labarthe DD etet RRagot Xagot X MonnaieMonnaie banque et marbanque et marccheacutes finanheacutes finan--ciersciers PParisaris PPearsonearson 99ee eacuteditioneacutedition

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 64

en proceacutedant reacuteguliegraverement agrave des opeacuterationsde marcheacute agrave court terme qui visent agrave main-tenir leur offre de liquiditeacutes (les deacutepocircts desbanques aupregraves de la banque centrale) autourdes besoins des banques conservant ainsi lestaux de reacutefeacuterence du marcheacute agrave des niveauxproches des taux directeurs

Un principe de seacuteparation a eacuteteacute respecteacuteentre drsquoun cocircteacute la conduite de la politiquemoneacutetaire et de lrsquoautre la gestion de la liqui-diteacute la seconde eacutetant limiteacutee agrave une fonctionde mise en œuvre de la premiegravere et nrsquoappor-tant aucune information sur son orientation

LLAA TTRAPPE AgraveRAPPE Agrave LLIQUIDITEacuteSIQUIDITEacuteSDans une situation de trDans une situation de trappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes leacutes leses

ttaux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominaux sont au vecirct nominaux sont au voisinage deoisinage de

zeacuterzeacutero vo voiroire nuls ale nuls alorors que ls que les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels drsquoeacutequilibreacuteels drsquoeacutequilibre ndash ase ndash assursurant lant lrsquoeacutegalitrsquoeacutegaliteacute entreacute entree

eacutepareacutepargne et invgne et invesestistissement ndash sont neacutegatifssement ndash sont neacutegatifs

Le nivLe niveau de ceau de ces dernieres derniers ss srsquoersquoexplique par dexplique par de

ffaiblaibles peres perspectivspectives de cres de croisoissancsance agrave le agrave longong

ttermeerme l lrsquoinvrsquoinvesestistissement deacutesirsement deacutesireacute eseacute est alt alorors sis si

ffaiblaible que agrave ce que agrave court tourt terme des terme des taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels neacutegatifs sereacuteels neacutegatifs seraient neacutecaient neacutecesessairsaires pour que les pour que lee

montmontant de lant de lrsquoeacuteparrsquoeacutepargne cgne corrorresponde agrave cesponde agrave celui deelui de

llrsquoinvrsquoinvesestistissementsement

La cLa conclusion de lonclusion de lrsquoanalrsquoanalyse kyse keeyneacutesienneyneacutesienne

trtraditionnelladitionnelle de ce de cettette situation eacutete situation eacutetait queait que

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire ese est ineffict inefficacace poure pour

sortir lsortir lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie drsquoune situation de tronomie drsquoune situation de trappe agraveappe agrave

liquiditliquiditeacuteseacutes l lrsquoinjection masrsquoinjection massivsive de liquidite de liquiditeacute pareacute par

lles autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaires eses est intt inteacutegreacutegralalementement

theacutesauriseacutee par ltheacutesauriseacutee par les agents eacuteces agents eacuteconomiques qui neonomiques qui ne

sont incitsont inciteacutes ni agrave augmenteacutes ni agrave augmenter ler leur deacuteteur deacutetention deention de

titrtitres ndash dont la res ndash dont la reacutemuneacutereacutemuneacuteration esation est nullt nulle ndash ni agravee ndash ni agrave

deacutepenser plus (1)deacutepenser plus (1)

CettCette ce conclusion ronclusion relativelative agrave le agrave lrsquoinefficrsquoinefficacitaciteacute deeacute de

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire dans une situation dee dans une situation de

trtrappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes eseacutes est rt remise en cemise en cause parause par

llrsquoanalrsquoanalyse macryse macro-eacuteco-eacuteconomique moderne dansonomique moderne dans

la ligneacutee des trla ligneacutee des travavaux de Paux de Paul Krugman et deaul Krugman et de

Michael WMichael Woodfoodforord Les td Les taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominauxecirct nominaux

eacuteteacutetant prant proches de zeacuteroches de zeacutero lo les autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaireses

doivdoivent perent persuader lsuader le public de re public de reevvoir agrave laoir agrave la

haushausse ses anticipations inflationnisse ses anticipations inflationnisttes en les en leses

fixant agrave un nivfixant agrave un niveau supeacuterieur agrave ceau supeacuterieur agrave celui qui prelui qui preacuteeacutevvautaut

habituellhabituellement (par eement (par exxemplemple agrave 4e agrave 4 au lieu de au lieu de

22 ) Degraves l) Degraves lorors ls les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct recirct reacuteels sereacuteels serontont

neacutegatifs et agrave lneacutegatifs et agrave leur veur valaleur drsquoeacutequilibreur drsquoeacutequilibree cr craignantaignant

une eacuterune eacuterosion du pouvosion du pouvoir drsquoachat de loir drsquoachat de leureurss

encencaisaisses lses les agents eacuteces agents eacuteconomiques seronomiques serontont

incitinciteacutes agrave laquoeacutes agrave laquo deacutetheacutesauriserdeacutetheacutesauriser raquo craquo ce qui dee qui devrvraitait

sstimultimuler la demande gler la demande globalobale et ameacuteliore et ameacuteliorer laer la

situation de lsituation de lrsquoemplrsquoemploi (2)oi (2)

PlusieurPlusieurs poss possibilitsibiliteacutes seacutes srsquooffrrsquooffrent aux autent aux autoritoriteacuteseacutes

moneacutetmoneacutetairaires pour ces pour conduironduire le le public agrave ce public agrave cettettee

rreacuteeacutevision agrave la hausvision agrave la hausse des anticipationsse des anticipations

inflationnisinflationnisttes ndash par ees ndash par exxemplemple elle elles peuves peuventent

ssrsquoengager agrave mener dans lrsquoengager agrave mener dans le futur une politiquee futur une politique

de tde taux plus acaux plus acccommodantommodante qursquoen te qursquoen tempsemps

normal ou bien agrave intnormal ou bien agrave intervervenir sur lenir sur le mare marcheacutecheacute

des changes pour que la monnaie nationaldes changes pour que la monnaie nationalee

se deacuteprse deacutepreacutecie ndash la principaleacutecie ndash la principale difficulte difficulteacute eacuteteacute eacutetantant

drsquoasdrsquoassursurer la crer la creacutedibiliteacutedibiliteacute de ceacute de cet engagementet engagement

Christian BordesChristian Bordes

(1) laquo(1) laquo TTherhere is the possibilityhellip thae is the possibilityhellip that after the rt after the raateteof interof interest has fallen to a certain leest has fallen to a certain levvelel liquidityliquidityprprefereference is virtuallence is virtually ay absolute in the sense thabsolute in the sense thattalmost ealmost evvereryyone prone preferefers cash to holding a des cash to holding a debt abt at sot sololow a rw a raate of interte of interestest In this eIn this evventent the monetarthe monetaryyauthority wauthority would haould havve lost effectie lost effectivve contre controlol raquo (Jraquo (JohnohnMaMaynarynard Kd Keeynesynes TTheacuteorie geacuteneacuterheacuteorie geacuteneacuterale de lrsquoemploiale de lrsquoemploi dedelrsquointeacuterlrsquointeacuterecirct et de la monnaieecirct et de la monnaie 1936)1936)

(2) laquo(2) laquo TThe generhe general aral argument thagument that the monetart the monetaryyauthorities can incrauthorities can increase aggrease aggregegaate demand andte demand andpricesprices eevven if the nominal interen if the nominal interest rest raate is zerte is zeroo is asis asffolloollowsws Mone Moneyy unlikunlike other fe other forms of gorms of goovvernmenternmentdedebtbt papays zerys zero intero interest and has infinite maest and has infinite maturityturityTThe monetarhe monetary authorities can issue as my authorities can issue as much moneuch moneyyas theas they liky likee HenceHence if the price leif the price levvel wel werere tre trululyyindeindependent of monependent of money issuancey issuance then the monetarthen the monetaryyauthorities could use the moneauthorities could use the money they they cry creaeate tote toacquiracquire indefinite quantities of ge indefinite quantities of goods and assetsoods and assets TThishisis manifestlis manifestly impossible in equilibriumy impossible in equilibriumTTherherefefororeemonemoney issuance my issuance must ultimaust ultimateltely ry raise the price leaise the price levveleleevven if nominal interen if nominal interest rest raates artes are bounded ae bounded at zert zeroo raquoraquo(Ben Bernank(Ben Bernankee 2000)2000)

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 65

Le tournant de 2008La faillite de Lehman Brothers le 15 sep-tembre 2008 marque un tournant pour lapolitique moneacutetaire Le 8 octobre les grandesbanques centrales ont meneacute une actionconcerteacutee sans preacuteceacutedent en annonccedilantsimultaneacutement une reacuteduction de leurs tauxdirecteurs (graphique 1) Le recul mondial dela production et de lrsquoinflation enregistreacute auquatriegraveme trimestre 2008 et deacutebut 2009 ayantlargement deacutepasseacute ce qui eacutetait attendu aupa-ravant la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine laBanque du Japon la Banque drsquoAngleterre laBanque du Canada la Banque de Suegravede et laBanque nationale suisse avaient rameneacute finmai 2009 leurs taux directeurs agrave des niveauxproches de zeacutero La contrainte du plancherde 0 srsquoest alors imposeacutee lrsquoaccentuation delrsquoeacutecart de production et le ralentissement delrsquoinflation auraient justifieacute des taux neacutegatifsimpossibles agrave mettre en œuvre Les banquescentrales ont alors trouveacute neacutecessaire drsquoampli-fier par drsquoautres moyens le caractegravere accom-modant de la politique moneacutetaire La Banque

centrale europeacuteenne (BCE) quant agrave elle aabaisseacute son principal taux de 325 pointsde pourcentage entre septembre 2008 etmai 2009 Jusqursquoagrave cette date la baisse du tauxdirecteur coiumlncide agrave peu pregraves avec le ralen-tissement de lrsquoinflation Par la suite jusqursquoagravela fin de 2009 il ne tombe pas au-dessousde 1 alors mecircme que le ralentissement dela hausse des prix se poursuit En effet agrave cemoment-lagrave le Conseil des gouverneurs consi-degravere le taux de 1 comme un plancher pourdeux raisons un risque de deacuteflation peu eacuteleveacutedans la zone euro en raison drsquoune grandeinertie de lrsquoinflation reacutesultant des caracteacute-ristiques structurelles du marcheacute du travailet des marcheacutes de produits un risque deparalysie du marcheacute moneacutetaire les banquesse refusant agrave eacutechanger entre elles de la liqui-diteacute de peur drsquoun deacutefaut des contreparties Lafixation de ce plancher de 1 alors mecircme quelrsquoinflation continue de baisser se traduit parune hausse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel et un res-serrement des conditions de financement aucours du second semestre 2009

1 Les taux drsquointeacuterecirct directeurs des banques centrales (en )

8

7

6

5

4

3

2

1

000 02 04 06 08 10 12

Australie

Zone euro

Canada

Royaume-Uni

Eacutetats-Unis

Japon

Suisse

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 66

Les politiques non conventionnellesagrave la rescousseLa deacuteteacuterioration exceptionnelle des perspec-tives eacuteconomiques fines 2008 et deacutebut 2009ont ameneacute les banques centrales agrave pratiquerdes politiques non conventionnelles qui sesont traduites par un fort gonflement de leursbilans

Leur objectif peut ecirctre drsquoopeacuterer un assouplis-sement moneacutetaire suppleacutementaire en faisantbaisser les taux drsquointeacuterecirct agrave long terme et plusgeacuteneacuteralement les primes de risque ellespeuvent aussi chercher agrave reacutetablir un fonction-nement normal du meacutecanisme de transmis-sion lorsque les baisses de taux directeurs nesont plus reacutepercuteacutees ni sur lrsquoensemble de lagamme des taux ni sur lrsquooffre de creacutedit

Les mesures deacutecideacutees par la Banque drsquoAn-gleterre la Banque du Japon et la Fed srsquoins-crivent dans la premiegravere logique tandis quecelles mises en œuvre par la BCE suivent laseconde

Une batterie de mesuresnon conventionnellesLa typologie eacutetablie il y a quelques anneacuteespar Bernanke et al (2004) conserve toute savaliditeacute3 Selon ces auteurs les mesures nonconventionnelles de politique moneacutetairepeuvent ecirctre classeacutees en trois cateacutegories ndash les mesures visant agrave orienter les anticipa-tions des agents priveacutes relatives agrave la trajec-toire future des taux directeurs ndash celles visant agrave augmenter la taille dupassif de la banque centrale donc la basemoneacutetaire ndash enfin les mesures visant agrave modifier la com-position des actifs de la banque centrale

Ces mesures non conventionnelles consistentdans ndash lrsquoapprovisionnement en liquiditeacute et lrsquoas-souplissement des regravegles de collateacuteral ndash les programmes drsquoachats de titres ndash les engagements relatifs aux deacutecisions agravevenir

Approvisionnement en liquiditeacuteLorsque la qualiteacute du bilan des banquesdevient incertaine leurs sources de finance-ment habituelles sont geleacutees Pour reacutesoudrece problegraveme de refinancement des banqueset eacuteviter la vente deacutesordonneacutee de leurs actifsla banque centrale joue son rocircle de precircteuren dernier ressort Elle peut le faire en injec-tant massivement des liquiditeacutes dans le sys-tegraveme bancaire Elle peut pour cela assouplirle niveau de la qualiteacute des actifs que lesbanques peuvent donner en garantie

Programmes drsquoachats de titresLes mesures drsquoapprovisionnement en liquidi-teacutes devraient en principe permettre drsquoeacuteviterun effondrement du cours de la plupart desclasses drsquoactifs Toutefois ces mesures glo-bales peuvent se reacuteveacuteler insuffisantes pourcertains segments du marcheacute La banque cen-trale peut alors directement acheter les titresen question Ces programmes drsquoachat massifdrsquoactifs sont destineacutes agrave faire baisser les tauxdrsquointeacuterecirct agrave long terme et les primes de risqueen geacuteneacuteral afin drsquoopeacuterer un assouplissementmoneacutetaire suppleacutementaire

Engagements relatifs aux deacutecisions agrave venirMecircme srsquoil est lui impossible drsquoamener les tauxcourts au-dessous de zeacutero la banque centraledispose drsquoun autre moyen pour faire baisserles taux longs avec lrsquoespoir de relancer lrsquoeacuteco-nomie Cette solution consiste dans lrsquoengage-ment de maintenir durablement le principaltaux directeur agrave zeacutero Cette annonce devraitconduire les investisseurs agrave revoir agrave la baisseleurs anticipations relatives aux taux courtsfaisant ainsi diminuer le taux long

Assouplissement quantitatifet assouplissement du creacutedit

Les programmes drsquoachats de titres ne se tra-duisent pas neacutecessairement par une augmen-tation de la base moneacutetaire ndash constitueacutee parles billets en circulation eacutemis par la banquecentrale ainsi que les reacuteserves deacutetenuesaupregraves drsquoelle par les banques commerciales ndashappeleacutee aussi monnaie agrave haute puissance

[3] Bernanke B SReinhart V RSack B P (2004)laquo Monetary PolicyAlternatives at theZero Bound AnEmpirical Assessment raquoFinance and EconomicsDiscussion SeriesDivisions of Research ampStatistics and MonetaryAffairs Federal ReserveBoard Washington DC2004-48 (httpwwwfederalreservegovpubsfeds2004200448200448pappdf)

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 67

parce qursquoelle sert de fondement agrave la creacuteationmoneacutetaire par les banques commerciales lorsdrsquoopeacuterations de creacutedit Crsquoest le cas si

ndash la banque centrale procegravede agrave des achats detitres longs en les financcedilant par des ventes detitres courts drsquoun mecircme montant (opeacuterationtwist)

ndash la banque centrale steacuterilise ces achats endiminuant drsquoautant le montant de la liquiditeacuteqursquoelle injecte par ailleurs

Dans le cas contraire ndash crsquoest-agrave-dire si cesachats sont financeacutes par lrsquoeacutemission de mon-naie de base sans que celle-ci soit steacuteriliseacutee ndashon parle drsquoassouplissement quantitatif Srsquoilssont massifs ils peuvent se traduire par uneexplosion de la base moneacutetaire

On srsquoattend alors agrave une acceacuteleacuteration de lacreacuteation moneacutetaire ndash mesureacutee par les agreacute-gats plus larges M1 M2 et M3 ndash agrave courtterme agrave une stimulation de lrsquoactiviteacute eacutecono-mique agrave moyen long terme agrave une acceacuteleacutera-tion de lrsquoinflation Mais par temps de criseces enchaicircnements pourraient ecirctre rompus

degraves le deacutepart Lrsquoexplosion de la base ne setraduira pas par une expansion moneacutetaire sielle sert agrave alimenter la deacutetention de reacuteservesexceacutedentaires4 Crsquoest ce que lrsquoon a pu consta-ter quand la Banque du Japon a instaureacute unassouplissement quantitatif apregraves lrsquoeacuteclate-ment de la bulle sur les marcheacutes boursieret immobilier la base moneacutetaire a eacuteteacute mul-tiplieacutee par deux mais cela nrsquoa eu aucuneconseacutequence notable sur la demande globalendash qui est resteacutee atone ndash et sur le niveau geacuteneacute-ral des prix ndash qui a baisseacute

Deacutetente moneacutetaire ndashmesures non conventionnelles un palliatif mais pas la panaceacuteeQuelle a eacuteteacute lrsquoefficaciteacute de politiques de tauxdrsquointeacuterecirct historiquement bas combineacutees agrave desmesures non conventionnelles (cf tableau 1) Elles ont permis de gagner du temps pourqursquoun nouvel eacutequilibre eacutemerge mais leur

[4] Les reacuteserves qursquounebanque commercialedeacutetient aupregraves drsquoune

banque centralesont tregraves liquides et

deacutepourvues de risque en contrepartie leur

reacutemuneacuteration est tregravesfaible La stabiliteacute dumontant des creacutedits

distribueacutes agrave lrsquoeacuteconomieet de la creacuteation

moneacutetaire en deacutepitdrsquoune injection drsquounvolume consideacuterable

de liquiditeacute par labanque centrale peut

srsquoexpliquer ainsi lecoucirct drsquoopportuniteacute de la

deacutetention drsquoexceacutedentsde liquiditeacutes par les

banques est tregraves faible aussi preacutefegraverent-elles

conserver un actifextrecircmement liquidedeacutepourvu de risque etreacutemuneacutereacute agrave un faibletaux drsquointeacuterecirct plutocirct

qursquooctroyer des creacuteditsaux entreprises ou auxmeacutenages ou qursquoacheter

des actifs mieuxreacutemuneacutereacutes

1 Principales mesures prises par les banques centrales du G4 au cours de la crise

Eacutetats-UnisFed

Zone euroBCE

Royaume-UniBoE

JaponBoJ

ndash En deacutecembre 2008le principal tauxdirecteur a eacuteteacute ameneacuteau voisinage de zeacuterondash Achats de titres duTreacutesor et de titresadosseacutes agrave des garan-ties hypotheacutecairesdont le montant totalavoisine 3 000 Mds dedollars (programmesdrsquoassouplissementquantitatif QE1 QE2et QE3)ndash Annonce de lrsquointen-tion de maintenir lestaux au voisinage dezeacutero

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Marge limiteacutee enmatiegravere drsquoachatsde titres en raisonde lrsquointerdiction dufinancement les Eacutetatsndash Approvisionnementdu systegraveme bancaireen liquiditeacutes agrave destaux extrecircmement baspour une dureacutee tregraveslongue (allant jusqursquoagrave3 ans pour les deuxLTRO)

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Achats drsquoobligationsdrsquoEacutetat dont le mon-tant total srsquoeacutelegraveve agrave 509Mds de dollarsndash Possibiliteacute offerteaux banques quidistribuent des precirctsdrsquoemprunter aupregravesde la BoE agrave des tauxdrsquointeacuterecirct tregraves bas

ndash Programme consis-tant agrave multiplier par2 la base moneacutetaireainsi que la deacutetentionde titres drsquoEacutetatndash Contrairement aux3 autres banques cen-trales possibiliteacute decombiner la politiquemoneacutetaire agrave un impor-tant programme derelance budgeacutetaire cequi donne lrsquoassuranceque la liquiditeacute creacuteeacuteesera bien utiliseacutee

Source drsquoapregraves New York Times

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 68

capaciteacute agrave y parvenir suscite de nombreusesinterrogations

Le gonflement des bilansdes banques centrales

Le total des bilans des banques centralesdu G4 atteint aujourdrsquohui environ 9000 mil-liards de dollars Il a augmenteacute de plus de8000 milliards depuis 2008 tandis que lavaleur moyenne des taux directeurs est infeacute-rieure agrave 05 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 2009(graphique 2)

La similitude de ces augmentations masqueune diffeacuterence de taille Le gonflement dubilan de la BCE observeacute jusqursquoagrave lrsquoeacuteteacute 2012 esten grande partie le reacutesultat de la forte aug-mentation de la demande de liquiditeacute de lapart des banques lors des deux VLTRO (opeacute-rations de refinancement agrave tregraves long termeVery Long Term Refinancing Operations) qui ont permis drsquoallouer un total drsquoenviron1000 milliards drsquoeuros Agrave ce moment-lagrave lesmontants des titres acquis fermes dans le

cadre du Securities Market Program (SMT)totalisaient 212 milliards drsquoeuros et ceuxacheteacutes dans le cadre des deux programmesdrsquoachat drsquoobligations seacutecuriseacutees avoisi-naient 69 milliards drsquoeuros Autrement ditla hausse du bilan de la BCE a eacuteteacute endogegravenedeacutetermineacutee par le comportement du systegravemebancaire celles des bilans des banques cen-trales britannique japonaise et ameacutericaineont eacuteteacute exogegravenes deacutetermineacutees par les autori-teacutes moneacutetaires

Effets sur les marcheacutes financiers

Appreacutehendeacutee globalement cette politiquede taux historiquement bas combineacutee agrave desmesures non conventionnelles a permis drsquoeacutevi-ter les crises de liquiditeacute bancaires et a faitbaisser les taux drsquointeacuterecirct rendant le deacutesen-dettement moins douloureux et facilitant lefinancement des deacuteficits publics Elle a aussisoutenu les prix des actifs ameacuteliorant la sol-vabiliteacute des emprunteurs

2 Bilans des banques centrales du G4 (en milliards de dollars) et moyenne de leurs taux directeurs (en )

40

35

30

25

20

15

10

05

002007 2008 2009 2010 2011 2012

10

9

8

7

6

5

4

3

Moyenne des taux directeurs (eacutech de gauche)Total des bilans (eacutech de droite)

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 69

Les marcheacutes ont le sentiment que les banques centrales agissent comme un filet de seacutecuriteacute pour la croissance les inves-tisseurs sont convaincus qursquoelles fixent un plancher aux prix des actifs mecircme si elles srsquoen deacutefendent Cette ideacutee a eacuteteacute renforceacuteecourant 2012 par le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute de remplacer le ciblage de lrsquoinflation par une strateacutegie ndash comme le ciblage du PIB nominal ndash accordant plus de poids agrave lrsquoactiviteacute eacutecono-mique Il srsquoen est suivi une nette reacuteduction des risques extrecircmes pour lrsquoeacuteconomie mon-diale une tregraves forte baisse de la volatiliteacute et un encouragement pour les investisseurs agrave acqueacuterir des actifs plus risqueacutes

Lrsquoimpact de lrsquoaction des banques centrales sur les prix des principaux actifs est agrave pre-miegravere vue facile agrave constater Depuis lrsquoan-nonce et la mise en œuvre des diffeacuterents programmes drsquoassouplissement quantita-tif de la Fed et des opeacuterations de VLTRO de

la BCE les cours boursiers mondiaux ont eacuteteacute multiplieacutes par deux (graphique 3) Les annonces de la mise en place ou de lrsquoexten-sion des programmes drsquoassouplissement quantitatif ont eacuteteacute accompagneacutees de fortes progressions du MSCI World Equity IndexAgrave lrsquoopposeacute quand les marcheacutes ont pu croire que la Fed allait limiter ses interventionsles cours boursiers ont baisseacute Il en a notam-ment eacuteteacute ainsi agrave lrsquoexpiration de son deuxiegraveme dispositif drsquoassouplissement mais avec lrsquoannonce des deux opeacuterations de VLTROla BCE a en quelque sorte pris le relais ce qui a relanceacute les marcheacutes (graphique 3) La politique de maintien des taux directeurs agrave un niveau historiquement bas combineacutee aux mesures non conventionnelles a ameneacute les investisseurs agrave sortir des marcheacutes des obli-gations drsquoEacutetat et agrave se reporter sur des actifs plus risqueacutes ce qui a eacuteteacute favorable aux mar-cheacutes boursiers

3 Reacuteaction du marcheacute boursier mondial aux programmes non conventionnels

400

350

300

250

200

1502009 2010 2011 2012 2013

AnnonceQE1

ExtensionQE1

FinQE1

AnnonceQE2

FinQE2

AnnonceLTRO(BCE)

AnnonceQE3

Indice MSCI

Source Thomson Reuters Datastream

QE = Assouplissement quantitatif LTRO = Opeacuteration de refinancement agrave long terme Indice boursier mesurant la performance des marcheacutes boursiers de pays avanceacutes

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 70

Effets sur lrsquoactiviteacute eacuteconomiqueet sur lrsquoinflation

La hausse des cours boursiers en particulieret plus geacuteneacuteralement de lrsquoensemble des prixdes actifs risqueacutes devrait normalement facili-ter le financement des entreprises et conduireagrave un effet de richesse favorable Un environ-nement tel que celui qui preacutevaut actuellementdans de nombreux pays ougrave les rendementsobligataires sont infeacuterieurs agrave la croissancenominale du PIB semble particuliegraverementpropice agrave un redeacutemarrage de lrsquoinvestisse-ment Avec la baisse du coucirct du capital lesentreprises devraient voir la rentabiliteacute desinvestissements augmenter et deacutevelopperleurs activiteacutes Pourtant il nrsquoen est rien pourlrsquoinstant En deacutepit de lrsquoameacutelioration globalede la profitabiliteacute et de la structure de bilandes entreprises les commandes de biensdrsquoinvestissement demeurent deacutesespeacutereacutementfaibles dans la plupart des pays deacuteveloppeacuteset cette aneacutemie se diffuse dans les pays eacutemer-gents Une explication freacutequemment avanceacuteemet lrsquoaccent sur la monteacutee transitoire de lrsquoin-certitude en peacuteriode de crise Une autre met

en avant la persistance drsquoune contraction delrsquooffre de creacutedit par des banques soucieusesde deacutegonfler la taille de leurs bilans Unederniegravere ndash plus inquieacutetante ndash impute lrsquoatoniedes deacutepenses drsquoinvestissement agrave un change-ment durable de comportement de la partdes entreprises pour le financement de cesdeacutepenses eacutechaudeacutees par la contraction ducreacutedit elles ne voudraient plus deacutependre desbanques et souhaiteraient pouvoir comptersur leurs ressources propres leur aversionau risque aurait augmenteacute et deacutesormais ellesse contenteraient drsquoactiviteacutes moins rentablesQuoi qursquoil en soit si la croissance semble ecirctrerepartie aux Eacutetats-Unis (graphique 4a) cenrsquoest pas le cas dans la plupart des autreseacuteconomies deacuteveloppeacutees avec depuis le deacutebut2013 un ralentissement inquieacutetant observeacutepour lrsquoAllemagne qui avait jusqursquoalors faitexception

Nombreux sont ceux qui nrsquoont cesseacute drsquoex-primer leur preacuteoccupation au sujet drsquounepossible hausse de lrsquoinflation reacutesultant delrsquoexplosion des bilans des banques cen-trales Pour lrsquoheure cette crainte ne paraicirct

4a Croissance du PIB reacuteel depuis 1999 (base 100 en 1999)

135

130

125

120

115

110

105

100

00 0199 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Eacutetats-UnisRoyaume-UniFranceJaponItalieAllemagne

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 71

pas justifieacutee (graphique 4b) Aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro la hausse desprix observeacutee est mecircme tombeacutee assez nette-ment au-dessous des 2 qui constituent peuou prou lrsquoobjectif des banques centrales en lamatiegravere seul le Royaume-Uni fait exceptionEn outre sur les marcheacutes mondiaux les prixdes matiegraveres premiegraveres restent stables

Risques

Le maintien sur une peacuteriode prolongeacuteede politiques de taux historiquement bas

combineacutee agrave des mesures non convention-nelles pourrait avoir des effets pervers et leur retrait srsquoannonce comme un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

BullesUn assouplissement quantitatif persistant peutconduire agrave des bulles drsquoactifs aussi bien lagrave ougrave ilest mis en œuvre que dans les autres pays ougrave ila une influenceCrsquoest ce qui srsquoest passeacute en 2000-2006 quand la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine afait chuter de maniegravere agressive le taux desfonds feacutedeacuteraux agrave 1 au cours de la reacutecession

4b Taux drsquoinflation depuis 2000 (en )

8

10

6

4

2

0

ndash 2

ndash 400 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Royaume-UniZone euroChineEacutetats-UnisJapon

4c Variation annuelle de lrsquoindice des prix des matiegraveres premiegraveres (en )

40

20

0

ndash 20

ndash 4000 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 72

de 2001 et de la peacuteriode de faible reprise par lasuite En maintenant le taux agrave ces niveaux elleavait alimenteacute la laquo bulle raquo des creacutedits au loge-ment qui a provoqueacute la crise des subprimes

Mouvements de hot moneyet guerre des monnaiesLrsquoassouplissement quantitatif dans les eacuteco-nomies avanceacutees a potentiellement un autreeffet pervers les taux drsquointeacuterecirct faiblesgeacutenegraverent des mouvements de capitaux exces-sifs vers les eacuteconomies eacutemergentes agrave plusforte croissance et agrave forts taux drsquointeacuterecirct Enprincipe cette arriveacutee massive de capitauxdevrait se traduire par une appreacuteciationdes taux de change de ces pays jusqursquoagrave leurnouvelle valeur drsquoeacutequilibre une fois celle-ci atteinte les entreacutees de capitaux devraientcesser Dans la pratique il nrsquoen est pas ainsi si les investisseurs retirent des gains de cetteappreacuteciation il est agrave craindre que les entreacuteesde capitaux bien loin de se tarir redoublentce qui entraicircne une nouvelle revalorisation dela monnaie et bien loin de ramener lrsquoeacutecono-mie agrave lrsquoeacutequilibre ce processus amplificateurlrsquoen eacutecarte et risque de se terminer par unkrach Dans ces conditions il nrsquoest pas eacuteton-nant que les pays beacuteneacuteficiaires aient reacutesisteacuteagrave lrsquoafflux de mouvements de hot money pardes mesures de controcircle des mouvements decapitaux destineacutes agrave bloquer lrsquoappreacuteciation deleurs monnaies

laquo Zombification raquo de lrsquoeacuteconomieLes politiques drsquoassouplissement quantitatifsont aussi mises en cause en raison de leurcaractegravere potentiellement contre-productifEn favorisant de tregraves bas niveaux de taux drsquoin-teacuterecirct elles contribueraient agrave reporter dansle temps des restructurations ineacutevitables etagrave maintenir agrave flot des pans entiers de lrsquoeacuteco-nomie qui auraient ducirc disparaicirctre En retar-dant le deacutesendettement des secteurs priveacute etpublic ces politiques pourraient creacuteer unearmeacutee de laquo zombies raquo des institutions finan-ciegraveres avec des situations financiegraveres nettesneacutegatives des meacutenages irresponsables desentreprises peu compeacutetitives et peu inno-vantes et des pouvoirs publics inefficaces

Risques lieacutes agrave la sortiedes mesures non conventionnelles

Si la sortie des programmes non convention-nels eacutetait trop lente etou trop tardive ellepourrait ouvrir la voie agrave une acceacuteleacuteration delrsquoinflation etou agrave des bulles speacuteculativesAgrave lrsquoopposeacute une sortie preacutecipiteacutee risqueraitde deacutestabiliser les marcheacutes et de stopper lareprise de lrsquoactiviteacute eacuteconomique

Si lrsquoon prend lrsquoexemple des Eacutetats-Unis sansle soutien de la Fed une remonteacutee des tauxsemble ineacutevitable avec pour conseacutequenceune deacutepreacuteciation des obligations Les profitsde la Fed pourraient donc souffrir au coursdes anneacutees agrave venir de son deacutesengagementprogressif de sa politique drsquoassouplissementquantitatif surtout si elle eacutetait contrainte devendre agrave perte une partie de son portefeuillede titres5 Le Congressional Budget Office(CBO) estime que les paiements de la Fed auTreacutesor apregraves avoir atteint en moyenne 95 mil-liards de dollars par an jusqursquoen 2016 pour-raient tomber agrave zeacutero entre 2018 et 2020 pourreprendre par la suite

Au-delagrave de cet exemple comment eacuteviter quela sortie des dispositifs non conventionnelset de la politique de taux historiquement basne vienne menacer la stabiliteacute financiegravere Les recommandations agrave ce sujet sont appa-remment simples le gradualisme srsquoimposeet les changements apporteacutes doivent ecirctrepreacutevisibles la banque centrale doit laquo preacutepa-rer minutieusement sa strateacutegie de sortie etla communiquer agrave lrsquoavance aux marcheacutes auxinstitutions financiegraveres ainsi qursquoaux autresbanques centrales afin de minimiser le risquede dysfonctionnement raquo6 Selon une visionoptimiste cela ne devrait pas ecirctre difficile par exemple les banques centrales japonaiseet sueacutedoise ont pu deacutegonfler massivement lataille de leur bilan agrave lrsquoautomne 2010 sans creacuteerde perturbation dans le secteur financier oupour les taux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoopinion la plusreacutepandue est que pour les banques centralesdu G4 la sortie des mesures non convention-nelles sera un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

[5] Lors drsquoune auditionau Congregraves BenBernanke a estimeacute quela Fed aurait inteacuterecirctagrave conserver jusqursquoagraveleur eacutecheacuteance les precirctsimmobiliers titriseacutesqursquoelle deacutetient plutocirctque de les vendre surle marcheacute

[6] FMI (2013) Rapport2013 sur la stabiliteacutefinanciegravere globale

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 73

Avec la crise lrsquoobjectif de la politique moneacute-taire des banques centrales des principaleseacuteconomies avanceacutees ndash assurer la stabiliteacute desprix agrave moyenlong terme tout en stabilisantlrsquoactiviteacute eacuteconomique ndash nrsquoa pas varieacute Maislrsquoampleur du choc financier a eacuteteacute telle quepour lrsquoassurer elles ont ducirc avoir recours agravedes mesures totalement ineacutedites soit parceque les taux directeurs sont venus butercontre leur plancher de 0 (Banque drsquoAngle-terre Banque du Japon Fed) soit parce quele meacutecanisme de transmission habituel estdevenu inopeacuterant (BCE) En outre pour assu-rer la stabilisation conjoncturelle la politiquemoneacutetaire a eacuteteacute largement laisseacutee agrave elle-mecircme elle nrsquoa pas pu compter sur lrsquoappuidrsquoune politique budgeacutetaire expansionniste agravelaquelle les pouvoirs publics se sont refuseacutesCrsquoest ainsi que dans le G4 une politique detaux ultra accommodante a eacuteteacute associeacutee agrave desmesures non conventionnelles radicalementnouvelles Alors qursquoen temps normal les ban-quiers centraux se montrent extrecircmementprudents ils ont fait preuve drsquoaudace

Cette combinaison srsquoest traduite par un retouragrave la normale sur les marcheacutes financiers Enrevanche les signes drsquoune reprise solide delrsquoactiviteacute et drsquoune ameacutelioration de la situationde lrsquoemploi se font toujours attendre surtouten Europe et au Japon Dans ces conditionsil nrsquoest pas eacutetonnant que chez les eacutecono-mistes des points de vue diffeacuterents sur ce

renouvellement des politiques moneacutetairessoient exprimeacutes Les moneacutetaristes et les keyneacute-siens de stricte obeacutedience le jugent soit dange-reux ndash pour les premiers les banques centralesse sont trop aventureacutees en terre inconnue etdoivent revenir en arriegravere compte tenu desrisques encourus ndash soit largement inefficace ndashpour les seconds dans la situation de trappe agraveliquiditeacute ougrave lrsquoon se trouve aujourdrsquohui la poli-tique moneacutetaire ne peut agrave elle seule stabiliserlrsquoeacuteconomie et la politique budgeacutetaire doit ecirctreplus expansionniste En revanche pour lesnouveaux keyneacutesiens ndash dont lrsquoanalyse a lar-gement inspireacute le renouvellement de la poli-tique moneacutetaire ndash celui-ci a eacuteviteacute le pire ndash enempecircchant que la situation observeacutee dans lesanneacutees 1930 ne se reproduise et des margesde manœuvre restent encore disponibles quipermettraient drsquoaller encore plus loin si lebesoin srsquoen faisait sentir Mais du cocircteacute desbanquiers centraux on cherche agrave tempeacutererces attentes en indiquant clairement qursquoil nefaut pas srsquoattendre agrave ce que leur action regravegletous les problegravemes auxquels sont confronteacuteesaujourdrsquohui les eacuteconomies comme le deacuteclarelrsquoun drsquoentre eux7 si la politique moneacutetairepeut promouvoir des conditions favorisant lacroissance elle ne creacutee pas de richesse pour etpar elle-mecircme ce sont les forces innovatriceset entrepreneuriales du secteur priveacute qui sontles moteurs drsquoune croissance reacuteelle et durable

[7] Jean-Pierre Danthinevice-preacutesident de la

Direction geacuteneacuterale de laBanque nationale suisse

AGLIETTA M CARTON B etSZCZERBOWICZ U (2012) laquo La BCE au chevet de laliquiditeacute bancaire raquo La lettre duCEPII ndeg 321 mai

BANQUE DES REgraveGLEMENTSINTERNATIONAUX (2013) 83e rapport annuel de la BRI20122013 23 juin

BROYER S (2013) laquo La reacuteaction des banques

centrales agrave la crise une comparaison raquo SpecialReport recherche eacuteconomiquendeg 30 Natixis 27 feacutevrier

CLERC L (2009) laquo Les mesures nonconventionnelles de politiquemoneacutetaire raquo Focus ndeg 4Banque de France 23 avril

LOISEL O et MEacuteSONNIER J-S (2009) laquo Les mesures non

conventionnelles de politiquemoneacutetaire face agrave la criseQuestions actuelles ndash Eacuteconomie-Monnaie-Finance ndeg 1 Banquede France avril

MISHKIN F BORDES CLACOUE-LABARTHE DLEBOISNE N POUTINEAU J-C(2013) Monnaie banque etmarcheacutes inanciers ParisPearson 10e eacuted

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 74

LA STABILITEacute FINANCIEgraveRENOUVEL OBJECTIFDES BANQUES CENTRALES Une implication forte des banques centrales

dans le macro-prudentiel semble aujourdrsquohui

faire consensus 86 des banquiers centraux

et 89 des eacuteconomistes qui ont participeacute agrave

notre questionnaire ont ainsi reacutepondu laquo oui raquo

agrave la question de savoir si la Banque centrale

devait jouer un rocircle important dans

la supervision macro-prudentielle

La supervision macro-prudentielle constitue

en effet le chaicircnon manquant entre politique

moneacutetaire et politique prudentielle et permet de

les articuler Mais quels seront preacuteciseacutement les

instruments macro-prudentiels

des banques centrales Ougrave commence et ougrave

finit lrsquoimplication de la Banque centrale dans

la politique prudentielle Son implication

macro-prudentielle suppose-t-elle aussi

une implication dans le micro-prudentiel

pousseacutee ou non

Le rocircle de la politique macro-prudentielleLes superviseurs ont longtemps privileacutegieacute

la reacutegulation micro-prudentielle et precircteacute

peu drsquoattention au risque systeacutemique Ils

consideacuteraient en effet qursquoune maicirctrise des

risques individuels eacutetait suffisante pour

preacuteserver la stabiliteacute du systegraveme financier

Cette attitude eacutetait et demeure lieacutee en

grande partie au paradigme de lrsquoefficience

des marcheacutes paradigme qui privileacutegie le

comportement des agents individuels agrave partir

drsquoune vision essentiellement microeacuteconomique

de la finance Selon cette conception le

risque systeacutemique serait ainsi le reacutesultat

drsquoune agreacutegation de risques individuels Crsquoest

ainsi que la reacutegulation macro-prudentielle

qui concerne la stabiliteacute globale du systegraveme

bancaire et financier eacutetait le maillon faible si ce

nrsquoest manquant du dispositif prudentiel agrave

la veille de la crise des subprimes

Plus preacuteciseacutement la politique macro-

prudentielle peut ecirctre vue comme se situant

sur un spectre avec la politique moneacutetaire

drsquoun cocircteacute et la politique micro-prudentielle

de lrsquoautre Ses objectifs de nature globale se

rapprochent de ceux de la politique moneacutetaire

En revanche elle est plus proche de la politique

micro-prudentielle au niveau des instruments ndash

tels les ratios de capital ndash qursquoelle doit chercher

agrave adapter et manier pour reacuteduire le risque

systeacutemique Ineacutevitablement la frontiegravere entre

le macro-prudentiel et le micro-prudentiel sera

poreuse et fine Ce qui obligera les banques

centrales et les autoriteacutes de supervision agrave se

coordonner eacutetroitement

Le rocircle principal des politiques micro et macro-

prudentielles peut srsquoexprimer simplement

promouvoir la reacutesilience du systegraveme financier

de maniegravere agrave assurer une offre de services

financiers adapteacutee aux besoins de lrsquoeacuteconomie

dans son ensemble La fonction speacutecifique

de la politique macroprudentielle consiste agrave

preacutevenir et geacuterer le risque systeacutemique Selon la

deacutefinition donneacutee par Jean-Franccedilois Lepetit

laquo La crise systeacutemique est une rupture dans le

fonctionnement des services financiers causeacutee

par la deacutegradation de tout ou partie du systegraveme

financier et ayant un impact neacutegatif geacuteneacuteraliseacute

sur lrsquoeacuteconomie reacuteelle raquo

La crise des subprimes fournit une illustration

du risque systeacutemique conduisant agrave une

crise systeacutemique dans la mesure ougrave elle a

brutalement deacutestabiliseacute le systegraveme financier

international et srsquoest propageacutee agrave lrsquoensemble

de lrsquoeacuteconomie mondiale Bien sucircr le risque de

systegraveme nrsquoest pas un pheacutenomegravene nouveau

Les crises systeacutemiques jalonnent en effet

lrsquohistoire des systegravemes financiers et la crise

de 1929 fut lrsquoune des plus meacutemorables Ce

risque de systegraveme srsquoest cependant intensifieacute

agrave partir des anneacutees soixante-dix avec la

globalisation financiegravere Cette derniegravere a

interconnecteacute les marcheacutes et vu se deacutevelopper

de grands groupes financiers transnationaux

et multispeacutecialiseacutes (hellip)

La crise financiegravere systeacutemique de 2007-2009

a susciteacute un grand nombre drsquoanalyses et de

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 75

propositions destineacutees agrave ameacuteliorer le dispositif

prudentiel Le contenu de ces derniegraveres a

eacuteteacute diffeacuterent en Europe et aux Eacutetats-Unis

ce qui srsquoexplique en partie par le fait que les

systegravemes financiers ne sont pas identiques

lrsquointermeacutediation de marcheacute eacutetant plus eacutetendue

aux Etats-Unis qursquoen Europe Les propositions

europeacuteennes ont plutocirct mis lrsquoaccent sur les

dispositifs contra-cycliques mis en œuvre

par les autoriteacutes de tutelle des banques

alors que les reacuteflexions ameacutericaines se sont

surtout tourneacutees vers des mesures de marcheacute

destineacutees agrave traiter les problegravemes deacutecoulant de

lrsquoaleacutea moral et de la taille des banques (laquo too big

to fail raquo)

En Europe les discussions se sont largement

centreacutees sur la mise en place drsquoun nouveau

dispositif drsquoexigences en fonds propres sous

forme drsquoune surcharge laquo systeacutemique raquo en

capital dans le prolongement de la logique de

travaux du Comiteacute de Bacircle Cette premiegravere seacuterie

de mesures cherche en particulier agrave maicirctriser

les effets de levier Toutefois la crise en cours a

reacuteveacuteleacute lrsquoinsuffisante prise en compte des risques

de liquiditeacute ce qui montre la neacutecessiteacute drsquoinciter

les banques agrave recourir agrave des financements plus

longs de maniegravere agrave reacuteduire la transformation

drsquoeacutecheacuteances (maturity mismatch) Des

mesures compleacutementaires etou alternatives

agrave la surcharge en capital ont eacutegalement eacuteteacute

proposeacutees dans le cadre des accords de Bacircle III

La surcharge en capitalEn apparence lrsquoinstrument macro-prudentiel le

plus simple pour reacuteduire le risque systeacutemique

global est de soumettre lrsquoensemble des acteurs

financiers laquo systeacutemiques raquo agrave une surcharge

en capital en plus des exigences en capital

micro-prudentielles existantes Chaque pays

doit alors deacutefinir une liste drsquolaquo institutions

systeacutemiques raquo en fonction de trois critegraveres

taille connectiviteacute et complexiteacute Cette

surcharge entend accroicirctre le coucirct marginal

des activiteacutes de precirct et reacuteduire les effets de

levier Par ailleurs elle doit varier de maniegravere

contra-cyclique pour atteacutenuer les cycles du

creacutedit La fixation de la surcharge en capital

devrait ecirctre effectueacutee sous la responsabiliteacute

des banques centrales nationales Celles-ci

auraient dans cette fonction la possibiliteacute

de superviser les laquo institutions systeacutemiques

raquo de leur ressort La fixation de la surcharge

en capital se ferait ainsi en deux eacutetapes dans

un processus top down La Banque centrale

deacutetermine drsquoabord les objectifs opeacuterationnels

de sa politique contra-cyclique agrave partir drsquoune

mesure de lrsquoexcegraves drsquooffre de creacutedit par rapport agrave

une norme de long terme Elle deacutetermine alors

le capital reacuteglementaire pour lrsquoensemble des

banques systeacutemiques neacutecessaire pour endiguer

lrsquoexcegraves de creacutedit pouvant conduire au risque

systeacutemique La surcharge globale en capital est

ensuite reacutepartie entre les entiteacutes systeacutemiques

La surcharge est ainsi calculeacutee en fonction de

la contribution speacutecifique de chaque banque au

risque systeacutemique global en fonction de trois

critegraveres effet de levier taux de transformation

(maturity mismatch) et taux de croissance des

creacutedits (hellip)

La maicirctrise du risque de liquiditeacuteLa crise de 2007-2009 a montreacute que le risque

drsquoilliquiditeacute avait eacuteteacute sous-estimeacute par les

dispositifs prudentiels La crise des subprimes

srsquoest en effet traduite par une crise de liquiditeacute

crsquoest-agrave-dire une eacutevaporation brutale des

liquiditeacutes sur les marcheacutes moneacutetaires qui a

menaceacute la stabiliteacute des systegravemes bancaires et

ameneacute les banques centrales agrave effectuer des

injections massives de liquiditeacutes en urgence

dans le cadre de leur fonction de precircteur en

dernier ressort Plusieurs propositions ont eacuteteacute

faites pour mieux assurer la protection des

acteurs et des marcheacutes contre ce risque

de liquiditeacute pour reacuteduire le risque systeacutemique

selon une proceacutedure semblable agrave celle

eacutetablissant la surcharge en capital (hellip)

la mise en œuvre par la Banque centrale drsquoune

politique de refinancement individualiseacutee pour

chaque groupe bancaire preacutesent dans sa zone

moneacutetaire Les banques centrales seraient alors

ameneacutees agrave superviser les entiteacutes systeacutemiques

avec des objectifs macro-prudentiels Dans la

mesure ougrave comme on vient de le voir les crises

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 76

de liquiditeacute sont un des meacutecanismes des crises

systeacutemiques les banques centrales pourraient

eacutegalement avoir une approche systeacutemique de

leur offre de liquiditeacute bancaire crsquoest-agrave-dire

de leur refinancement des groupes bancaires

et financiers en particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo Une telle politique impliquerait

un changement strateacutegique par rapport aux

politiques actuelles drsquointervention des banques

centrales sur le marcheacute moneacutetaire qui sont

globales et non individualiseacutees par banque

Une politique individualiseacutee de refinancement

permettrait drsquoagir directement sur les

comportements des banques et en particulier

de freiner un emballement du creacutedit et

symeacutetriquement de stimuler le financement

drsquoactiviteacutes strateacutegiques et creacuteatrices drsquoemploi

Cette approche individualiseacutee du refinancement

par les banques centrales apparaicirct conforme

agrave la deacutecision du G20 de Londres (avril 2009)

drsquoeffectuer un suivi particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo

La reacutegulation du creacutedit bancaireOn a vu que lrsquoemballement du creacutedit dans

certains secteurs et dans certains pays a joueacute

un rocircle deacutecisif dans la crise reacutecente Ainsi

la croissance excessive du creacutedit a-t-elle

largement alimenteacute la bulle immobiliegravere aux

Eacutetats-Unis en Espagne et en Irlande Lrsquoadoption

de mesures destineacutees agrave reacuteguler le creacutedit en

geacuteneacuteral ou dans certains secteurs peut ainsi

se reacuteveacuteler souhaitable en compleacutement de la

politique moneacutetaire et de lrsquoaction geacuteneacuterale sur

la liquiditeacute bancaire Plusieurs instruments

peuvent ecirctre utiliseacutes pour reacuteguler le creacutedit

bancaire tels que le renforcement des ratios

laquo loan to value raquo (rapport entre le precirct et la

valeur de marcheacute de lrsquoactif qursquoil finance) ou la

mise en place de reacuteserves obligatoires sur les

creacutedits parallegravelement aux reacuteserves sur les

deacutepocircts Ces reacuteserves permettraient drsquoagir sur

la liquiditeacute des banques mais eacutegalement sur

leur capaciteacute agrave deacutevelopper leurs creacutedits Il y

aurait donc un double impact de ces reacuteserves

obligatoires sur la liquiditeacute et sur lrsquoeffet de

levier Alors que les reacuteserves obligatoires

sur les deacutepocircts existent actuellement dans la

zone euro et sont reacutemuneacutereacutees les reacuteserves

obligatoires sur les creacutedits agrave mettre en place ne

le seraient pas Ces reacuteserves devraient ecirctre en

toute hypothegravese progressives selon le rythme

de croissance des creacutedits et diffeacuterentes selon

les activiteacutes (creacutedits agrave la consommation agrave

lrsquoeacutequipement agrave lrsquoimmobilier aux hedge funds et

fonds de private equity) Leur objectif serait de

contrer les emballements des activiteacutes de creacutedit

et de marcheacute

Dans le cadre de la zone euro ces instruments

de reacutegulation du creacutedit devraient en outre

ecirctre moduleacutes selon les secteurs drsquoactiviteacute

mais eacutegalement en fonction de la conjoncture

preacutevalant dans chaque pays Il srsquoagirait donc de

revenir sur la politique uniforme adopteacutee par la

BCE dans la zone euro meneacutee dans un esprit

de neutraliteacute ndash avec le souci de la convergence

des eacuteconomies Les deacuteveloppements reacutecents

de la crise dans la zone euro ont en effet

montreacute que les eacuteconomies de la zone ont

divergeacute et que la politique moneacutetaire uniforme

a contribueacute agrave favoriser cette divergence entre

pays agrave lrsquoorigine de la crise de la zone euro en

2009 et 2010 Cette proposition pourrait ecirctre un

eacuteleacutement important de la reacuteforme de la politique

eacuteconomique et moneacutetaire au sein de la zone

euro Il pourra ecirctre objecteacute que ces politiques

diffeacuterencieacutees remettent en cause lrsquouniformiteacute

de la politique moneacutetaire au sein de la zone et

peuvent favoriser les arbitrages La proposition

serait drsquoappliquer ces politiques en prioriteacute aux

secteurs tel lrsquoimmobilier qui restent largement

nationaux (hellip) ()

Jean-Paul Betbegraveze Christian BordesJeacutezabel Couppey-Soubeyran

et Dominique Plihon

() Extraits choisis par la reacutedaction des

hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques

dans Betbegraveze J-P Bordes C Couppey-

Soubeyran J et Plihon D (2010) Banques

centrales et stabiliteacute financiegravere rapport du

Conseil drsquoanalyse eacuteconomique ndeg 96 Paris la

Documentation franccedilaise

Le titre et les intertitres sont de la reacutedaction

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS77

JACQUES LE CACHEUX

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de Pau et des Pays de lrsquoAdourDirecteur du Deacutepartement des eacutetudes agrave lrsquoOFCESciences Po

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale le taux de preacutelegravevements obligatoires est net-tement orienteacute agrave la hausse dans la plupart des pays de lrsquoOCDE Il avait toutefois connu une certaine stabilisation depuis les anneacutees 1990 voire mecircme une leacutegegravere baisse sur la fin de la peacuteriode Les politiques drsquoausteacuteriteacute voteacutees dans la fouleacutee de la crise semblent avoir mis un terme agrave cette dynamique Au-delagrave de ces tendances globales partageacutees par lrsquoensemble des pays deacuteveloppeacutes on observe drsquoimportantes dispariteacutes dans la structure des preacutelegravevements obligatoires qui reflegravetent des traditions concernant notamment le financement de la protec-tion sociale Lrsquoeacutevolution du poids des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement obeacuteit toutefois lagrave encore comme le montre Jacques Le Cacheux agrave des tendances communes la mondialisation et la concurrence fiscale qui en reacutesulte ont pousseacute les gouvernements agrave alleacuteger la pression fiscale portant sur les assiettes les plus mobiles ndash entreprises et hauts revenus ndash et agrave taxer davantage la consommation et certains types de biens

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisons eacutevolutions

La Grande Reacutecession de 2008-2009 a profondeacute-ment creuseacute les deacuteficits budgeacutetaires et consi-deacuterablement alourdi les dettes publiquesdans tous les pays deacuteveloppeacutes incitant lesgouvernements agrave adopter des politiques deconsolidation budgeacutetaire Celles-ci associentdans des proportions variables selon les cashausses drsquoimpocircts et baisses des deacutepensespubliques La crise prolongeacutee en Europe par

cette cure drsquoausteacuteriteacute massive et simulta-neacutee qui pegravese sur la demande globale a ainsiengendreacute une inflexion marqueacutee dans lrsquoeacutevolu-tion des preacutelegravevements obligatoires en pour-centage du PIB les recettes fiscales avaienteu tendance agrave se stabiliser voire agrave se reacuteduiredans la quasi-totaliteacute des pays membresde lrsquoOCDE notamment durant la reacutecessionde 2008-2009 les plans de relance compor-tant souvent des allegravegements drsquoimpocircts etou de cotisations sociales depuis 2011 aucontraire ce taux de preacutelegravevements obliga-toires est presque partout croissant commeil lrsquoavait eacuteteacute au cours des quatre deacutecenniessuivant la fin de la Seconde Guerre mondiale

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 78

Derriegravere ces tendances globales relativement homogegravenes les choix fiscaux varient tregraves sensiblement au sein des pays deacuteveloppeacutesle poids relatif des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement se modifiant beaucoup La diversiteacute des traditions fiscales explique en grande partie les dispariteacutes constateacutees mais lrsquoouverture croissante des eacuteconomies au commerce international et aux mouve-ments de capitaux au cours des trois der-niegraveres deacutecennies semble avoir engendreacute des adaptations dont les caracteacuteristiques sont en partie communes Elles reacutesultent avant tout du jeu de la concurrence fiscalequi pousse les gouvernements nationaux agrave recourir dans ce domaine agrave des strateacutegies de compeacutetitiviteacute et drsquoattractiviteacute se tradui-sant notamment par la reacuteduction du coucirct de la main-drsquoœuvre et de la pression fiscale qui pegravese sur les facteurs les plus mobiles et lrsquoalourdissement de celle qui frappe la consommation (TVA) et certains biens (taxes speacutecifiques dont les accises)

Une nouvelle tendance agrave la hausse Apregraves des deacutecennies de hausse les taux depreacutelegravevements obligatoires ndash qui mesurent lapart des recettes totales des impocircts taxeset cotisations sociales dans le PIB ndash avaientconnu depuis le milieu des anneacutees 1990 unepeacuteriode de quasi stabiliteacute voire de baissedans certains pays (graphique 1) Les diver-gences demeuraient cependant sensibles stabiliteacute remarquablement longue en Alle-magne baisse tregraves marqueacutee aux Eacutetats-Uniset en Suegravede perceptible mais plus leacutegegravere enFrance et au Danemark1

Toutefois les politiques de consolidation bud-geacutetaire meneacutees notamment en Europe depuis2010 ont le plus souvent comporteacute des aug-mentations de pression fiscale encore peuvisibles sur les donneacutees de lrsquoanneacutee 2011 (der-niegraveres disponibles sur une base comparable)mais tregraves marqueacutees dans certains pays en France par exemple selon les donneacutees

[1] LrsquoOCDE comptait20 pays membres lorsde sa fondation en1960 elle en compteaujourdrsquohui 34 et bonnombre des nouveauxmembres sont des payslaquo eacutemergents raquo dontles eacutevolutions fiscalessont speacutecifiques Il nesaurait ecirctre questionde preacutesenter en deacutetailtoutes les donneacuteesfiscales des 34 membreset le choix a eacuteteacute faitde mettre lrsquoaccentsur quelques payssignificatifs les Eacutetats-Unis parce qursquoils sontla principale eacuteconomiede la zone lrsquoAllemagneet la France qui sontles deux principaleseacuteconomies de lrsquoUnioneuropeacuteenne (UE) et de lazone euro le Danemarket la Suegravede parceqursquoils sont deux petiteseacuteconomies ouvertes tregravesavanceacutees et agrave pressionfiscale eacuteleveacutee

1 Taux de preacutelegravevements obligatoires quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 ( du PIB)

55

50

45

40

35

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1965

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2001

2004

2007

2010

OCDE

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 79

officielles du projet de loi de finances 2013le taux de preacutelegravevements obligatoires eacutetait de449 en 2012 et devrait atteindre 463 en2013

Stabiliteacute de lrsquoimpocirctsur les revenus des personneset baisse des taux marginauxParmi les principaux instruments de preacutelegrave-vement lrsquoimpocirct sur le revenu des personnesest lrsquoun des seuls qui preacutesente une certaineprogressiviteacute il constitue donc lrsquooutil privi-leacutegieacute de la redistribution fiscale comme lrsquoontsouligneacute notamment les travaux de LandaisPiketty et Saez (2011) Or dans plusieurs paysde lrsquoOCDE (graphique 2) le poids relatif de cetimpocirct a eu tendance agrave se reacuteduire depuis desanneacutees crsquoest le cas en Suegravede depuis les deacutebutdes anneacutees 1990 en Allemagne depuis lemilieu de cette mecircme deacutecennie et aux Eacutetats-Unis depuis le deacutebut des anneacutees 2000 alorsque sa part dans le PIB est stable au Dane-mark et srsquoest accrue en France agrave la fin desanneacutees 1990 avec la monteacutee en puissance de

la contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) Cepreacutelegravevement srsquoapparente en effet agrave un impocirctproportionnel sur les revenus des personnes(Le Cacheux 2008)

La tendance agrave une moindre progressiviteacute dela fiscaliteacute srsquoest manifesteacutee drsquoabord dans lespays anglo-saxons (Eacutetats-Unis et Royaume-Uni) degraves le deacutebut des anneacutees 1980 avec unesimplification souvent drastique du baregravemede lrsquoimpocirct sur les revenus (reacuteduction dunombre de tranches) et un abaissement mar-queacute des taux marginaux supeacuterieurs LrsquoAlle-magne les Eacutetats-Unis et dans une moindremesure la France entre 2002 et 2007 ont eacutega-lement meneacute plus reacutecemment de telles poli-tiques (graphique 3)

Cotisations sociales des eacutevolutions divergentesLa monteacutee en puissance des Eacutetats-provi-dence au cours des anneacutees 1960 et 1970 srsquoestaccompagneacutee dans la plupart des pays delrsquoOCDE drsquoune tregraves forte augmentation de lapart des cotisations sociales ndash assises sur

2 Impocirct sur les revenus des personnes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

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1983

1986

1989

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1995

1998

2001

2004

2007

2010

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 80

les seuls revenus drsquoactiviteacute et geacuteneacuteralementproportionnelles voire plafonneacutees ndash parti-culiegraverement prononceacutee en France en Alle-magne et en Suegravede (graphique 4) Toutefoisles divergences entre pays quant agrave lrsquoampleurde la protection sociale ou au choix de sonmode de financement sont tregraves sensibles les Eacutetats-Unis dont la protection sociale estmodeste et le Danemark ougrave elle tregraves eacutetenduemais financeacutee principalement par la fisca-liteacute geacuteneacuterale se distinguent ainsi de la plu-part de leurs partenaires Plus reacutecemmentles pays dont les cotisations sociales sontles plus lourdes ont entrepris des reacuteformesvisant agrave faire baisser la charge pesant surles revenus du travail et agrave basculer une par-tie du financement de la protection socialesur drsquoautres assiettes ensemble des reve-nus des personnes avec la CSG dans le casde la France consommation avec la TVAdans le cas de lrsquoAllemagne En Suegravede crsquoest la

moindre geacuteneacuterositeacute de la protection socialequi explique la baisse de la part des cotisa-tions sociales dans le PIB

Comme lrsquoont illustreacute en 2012 les deacutebats enFrance sur la laquo TVA sociale raquo (Le Cacheux2012b) et le laquo pacte de compeacutetitiviteacute raquo qui creacuteeun creacutedit drsquoimpocirct compeacutetitiviteacute-emploi (CICE)destineacute agrave alleacuteger le coucirct de la main-drsquoœuvrela recherche drsquoune meilleure compeacutetitiviteacute-coucirct continue de motiver les modifications dela fiscaliteacute dans de nombreux pays

Impocirct sur les socieacuteteacutes baisse des tauxet eacutelargissement de lrsquoassiette

Tregraves fluctuantes par nature en raison de laforte sensibiliteacute de son assiette agrave la conjonc-ture la part des recettes de lrsquoimpocirct sur lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes (IS) dans le PIB nepreacutesente pas de tendance nette au cours des

3 Taux marginal supeacuterieur de preacutelegravevements sur les revenus salariaux quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2012 (en )

65

60

55

50

45

40

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Calculeacute par lrsquoOCDE ce taux marginal indique le taux de preacutelegravevement total (impocircts sur le revenu et cotisations sociales sala-rieacutes) que subit un gain suppleacutementaire de 1 euro de revenu salarial Il tient compte des abattements et de la deacuteductibiliteacute descotisations sociales de lrsquoassiette de lrsquoimpocirct sur le revenu

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 81

derniegraveres deacutecennies elle semblait mecircmeorienteacutee agrave la hausse depuis le deacutebut desanneacutees 1990 dans de nombreux pays dumoins jusqursquoagrave la Grande Reacutecession de 2008-2009 (graphique 5)

La bonne tenue des recettes de lrsquoIS en deacutepit drsquoune tendance assez geacuteneacuterale et parfois tregraves marqueacutee agrave la baisse des taux statutaires drsquoimposition (graphique 6) symptocircme parmi drsquoautres de la concurrence fiscale visant agrave attirer les entreprises ou la localisation de leurs beacuteneacutefices imposables srsquoexplique en partie par des politiques drsquoeacutelargissement de lrsquoassiette destineacutees agrave reacuteduire les distor-sions introduites par lrsquoIS dans les choix des entreprises notamment en matiegravere de finan-cement Elle reacutesulte aussi pour partie de la tendance observeacutee avant la Grande Reacuteces-sion dans de nombreux pays agrave lrsquoaugmen-tation de la part des profits dans la valeur ajouteacutee (Piotrowska et Vanborren 2008)

En deacutepit de ce maintien des recettes de lrsquoim-pocirct sur les socieacuteteacutes les gouvernements despays deacuteveloppeacutes ont manifesteacute en 2013 leur

volonteacute de lutter contre lrsquoeacutevasion fiscale et lalaquo planification fiscale agressive raquo des entre-prises notamment des grandes multinatio-nales actives dans les services en reacuteseau etlrsquointernet Cette prioriteacute a eacuteteacute afficheacutee lors dela reacuteunion du G8 des 17-18 juin 2013 et dansles travaux reacutecents de lrsquoOCDE

Impocircts geacuteneacuterauxsur la consommation

Dans un contexte drsquoouverture croissante deseacuteconomies nationales et de deacutemantegravelementprogressif des barriegravere douaniegraveres tarifairesndash au sein du GATT puis de lrsquoOrganisationmondiale du commerce (OMC) ndash il nrsquoest guegraveresurprenant de constater la monteacutee en puis-sance dans la plupart des pays des taxeset impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation(graphique 7) dont le principal est la taxesur la valeur ajouteacutee (TVA) preacutesente dans latregraves grande majoriteacute des pays ndash agrave lrsquoexceptionnotable des Eacutetats-Unis de tels impocircts agraveassiette large et agrave fort rendement permettenten outre de taxer les importations et dans le

4 Cotisations sociales quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

20

12

10

8

6

7

2

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

14

16

18

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 82

5 Impocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

5

3

25

2

15

1

05

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

35

4

45

Source OCDE

6 Taux statutaire drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2013 (en )

55

40

35

30

25

20

2001

2000

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

45

50

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 83

cas de la TVA drsquoexoneacuterer les exportations cequi en fait lrsquoun des instruments privileacutegieacutesde la concurrence fiscale (Le Cacheux 2012b)Sur ce plan la France preacutesente une eacutevolutionsinguliegravere la part des recettes de TVA dans lePIB ne cessant de baisser depuis le deacutebut desanneacutees 1980 en raison de la multiplicationdes secteurs soumis agrave des taux reacuteduits

AccisesTregraves utiliseacutees par les diffeacuterents gouverne-ments jusque dans les anneacutees 1960 les taxesspeacutecifiques sur la consommation ou lrsquousagede certains biens ndash les accises ndash ont vu leursrecettes se reacuteduire tendanciellement danstous les pays au cours des derniegraveres deacutecen-nies (graphique 8) en deacutepit de leur inteacuterecirctdans les politiques de santeacute publique (taxa-tion de lrsquoalcool et du tabac notamment) etde protection de lrsquoenvironnement (taxationdes carburants des activiteacutes polluantes parexemple)2

Les composantes des systegravemesde preacutelegravevements obligatoiresDes structures fiscalesnationales tregraves disparatesBien que lrsquoon puisse deacuteceler des tendancescommunes dans les eacutevolutions longues de lafiscaliteacute des principaux pays deacuteveloppeacutes lesstructures fiscales nationales demeurent tregravesdiffeacuterentes les unes des autres Au sein mecircmede lrsquoUnion europeacuteenne ces diffeacuterences sonttregraves marqueacutees mecircme si la France et lrsquoAlle-magne apparaissent comme assez proches(graphique 9) importance des cotisationssociales et faiblesse de lrsquoimposition des reve-nus des personnes dans les deux pays Pour-tant la France se distingue de la plupart deses partenaires par la faible part des recettesdrsquoimposition de la consommation (TVA etaccises)

7 Impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

12

6

4

2

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

8

10

Source OCDE

[2] Le laquo paradoxe raquo dela fiscaliteacute eacutecologique

ndash plus on en parle moinson la met en œuvre etmoins elle rapporte ndash

est souligneacute et deacutetailleacutedans Le Cacheux (2012a)

Voir eacutegalement infra

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 84

La difficile imposition du capitaldans un monde ouvertLes anneacutees reacutecentes ont eacutegalement vu laFrance se distinguer dans le domaine de lrsquoim-position du capital et de ses revenus alorsque le taux implicite drsquoimposition du capitala eu tendance agrave baisser dans la plupart despays notamment au sein de lrsquoUE (graphique10) du fait de la concurrence fiscale srsquoexer-ccedilant sur une assiette tregraves mobile la France adepuis 2010 beaucoup accru la charge fiscalesur le capital notamment sur le patrimoinedes personnes ndash reacutetablissement de lrsquoimpocirct desolidariteacute sur la fortune (ISF) en 2012 ndash et surles revenus et plus-values du capital3

Les balbutiements de la fiscaliteacuteenvironnementalePrioriteacute afficheacutee de la plupart des gou-vernements des pays deacuteveloppeacutes et desautoriteacutes europeacuteennes la lutte contre lesdeacutegradations de lrsquoenvironnement et notam-ment contre le changement climatique ne setraduit pas loin srsquoen faut par une monteacutee enpuissance de la fiscaliteacute environnementale

(Laurent et Le Cacheux 2012 Le Cacheux2013) Ainsi agrave lrsquoexception des gouverne-ments de quelques pays drsquoEurope du Nordles principaux pays nrsquoont pas sensiblementaccru lrsquoimposition de lrsquoeacutenergie la Francelrsquoa mecircme reacuteduite depuis un peu plus drsquounedeacutecennie (graphique 11)

Agrave la veille de changementsimportants Les changements observeacutes au cours des der-niegraveres deacutecennies dans les structures fiscales des principaux pays de lrsquoOCDE reacutesultent en grande partie des reacuteactions des diffeacute-rents gouvernements aux eacutevolutions eacutecono-miques et notamment agrave la mondialisationqui a consideacuterablement accru la mobiliteacute de certaines assiettes fiscales En deacutepit de tendances communes les structures fiscales nationales demeurent sensiblement heacuteteacutero-gegravenes refleacutetant les diffeacuterences de tradition fiscale et des choix politiques diffeacuterentsnotamment au sein de lrsquoUE ougrave lrsquoharmonisa-tion fiscale demeure un horizon lointain

8 Accises quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

9

3

2

1

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

4

5

6

7

8

Source OCDE

[3] Le graphique nereflegravete qursquoune partie decette hausse reacutecenteles lois de finances pourles anneacutees 2012 et 2013ayant encore alourdicette fiscaliteacute

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 85

Les eacutevolutions technologiques ndash notammentavec le commerce en ligne et les possibiliteacutesnouvelles pour les entreprises multinationalesde deacutelocaliser leurs profits ndash et les deacutegrada-tions environnementales preacutesentent aux auto-riteacutes des pays de lrsquoOCDE de nouveaux deacutefis enmatiegravere de taxationCeux lieacutes agrave lrsquoeacutevasion fiscaledes multinationales ont eacuteteacute tregraves meacutediatiseacutes et

semblent susciter des reacuteactions fermes des prin-cipaux gouvernements et des instances inter-nationales ceux lieacutes agrave lrsquoeacutecologie paraissent enrevanche singuliegraverement neacutegligeacutes presque par-tout comme si la laquo crise raquo incitait agrave diffeacuterer unreacuteeacutequilibrage pourtant neacutecessaire des fiscaliteacutesnationales en faveur du travail et au deacutetrimentdes ressources naturelles (Le Cacheux 2012a)

9 Structure des recettes fiscales dans quatre pays europeacuteens en 2011 (en du total des recettes de preacutelegravevements obligatoires)

a Allemagne b France c Danemark d Suegravede

3

23 19

7 8

40 2

30 16

5

8

39 3 2

37 23

8 27

39

3 16

15

6

21

TVA Accises Revenus perso Cotisations sociales IS Autres

Source Eurostat

10 Taux drsquoimposition implicite du capital et de ses revenus 1995-2011 (en )

UE 25 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

500

250

200

150

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

300

350

400

450

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des diffeacuterents impocircts frappant le capital et ses revenus au total desrevenus du capital tel qursquoil apparaicirct dans les comptes nationaux

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 86

11 Taux drsquoimposition implicite de lrsquoeacutenergie 1995-2011 (en )

UE 27 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

35000

2000

1500

1000

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2500

3000

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des taxes frappant les diffeacuterentes sources drsquoeacutenergie aux deacutepensestotales drsquoeacutenergie telles qursquoelles apparaissent dans les comptes nationaux

LANDAIS C PIKETTY Tet SAEZ E (2011) Pour unereacutevolution fiscale Paris SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

LAURENT Eacute et LE CACHEUXJ (2012) Eacuteconomie delrsquoenvironnement et eacuteconomieeacutecologique Paris ArmandColin coll laquo Cursus raquo

LE CACHEUX J (2008) Les Franccedilais et lrsquoimpocirct ParisLa Documentation franccedilaiseOdile Jacob coll laquo Deacutebatpublic raquo

LE CACHEUX J (2012a) laquo Soutenabliteacute et justiceeacuteconomique fins et moyensdrsquoune reacuteforme fiscale raquo

in Allegravegre G et Plane M(2012) Deacutebats et politiquesRevue de lrsquoOFCE ndeg 122 avrilhttpwwwofcesciences-pofrpublicationsrevue122htm

LE CACHEUX J (2012b) laquo Pas de laquo TVA sociale raquo maisune laquo CSG sociale raquo Blogde lrsquoOFCE 12 juillet httpwwwofcesciences-pofrblogp=2363

LE CACHEUX J (2013) laquo La fiscaliteacute eacutecologique dansles pays de lrsquoOCDE bien en-deccedilagrave des ambitions afficheacutees raquoCahiers franccedilais ndeg 374 ParisLa Documentation franccedilaise

OCDE Statistiques des recettespubliques diffeacuterentes anneacuteeshttpwwwoecd-ilibraryorgfrtaxationrevenue-statistics_19963726

PIOTROWSKA JetVANBORREN W (2008) laquo The corporate income-tax rate-revenue paradox Evidence in the EU raquoTaxation Papers ndeg 12-2007feacutevrier httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxationgen_infoeconomic_analysistax_paperstaxation_paper_12_enpdf

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 87

PHILIPPE BATIFOULIER

Universiteacute Paris Ouest

EconomiX UMR CNRS 7235

Les politiques sociales sont particuliegraverement menaceacutees en peacuteriode de restriction des deacutepenses publiques Partout en Europe la crise des dettes souveraines a ameneacute agrave durcir les regravegles de lrsquoindemnisation du chocircmage du systegraveme de retraites et de lrsquoassurance maladie Ce contexte drsquoausteacuteriteacute renforce les dynamiques engageacutees degraves les anneacutees 1980-1990 sous lrsquoeffet des influences libeacuterales les politiques de lrsquoemploi se concentrent sur les incitations agrave la reprise drsquoun travail tandis qursquoune partie croissante de lrsquoassurance maladie et des retraites est trans-feacutereacutee au secteur priveacute lrsquointervention publique se recentrant sur les publics les plus deacutefavori-seacutes Selon Philippe Batifoulier ces eacutevolutions fondeacutees sur lrsquoideacutee que les politiques sociales constituent avant tout un laquo coucirct raquo srsquoavegraverent particuliegraverement neacutefastes en termes de bien-ecirctre et drsquoeacutequiteacute et sont de surcroicirct discutables drsquoun point de vue eacuteconomique Il deacutefend au contraire une approche permettant de reacuteconcilier efficaciteacute eacuteconomique et eacutequiteacute sociale

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques sociales quel avenir

Des politiques qui persistent malgreacutela pression du contexte drsquoausteacuteriteacuteLes politiques sociales sont au cœur desenjeux contemporains Pour les promoteursdes politiques drsquoausteacuteriteacute et de reacuteduction dela voilure de lrsquointervention publique les poli-tiques sociales ne se reacutesument plus qursquoagrave desproblegravemes de deacuteficit public Le coucirct qursquoelles

font peser agrave la collectiviteacute menace leur survieet il est doreacutenavant neacutecessaire de maicirctriserle laquo preacutelegravevement social raquo Pour les autres lesacrifice des politiques sociales pour conser-ver ou sauver le laquo triple A raquo creuse les ineacute-galiteacutes et amplifie les problegravemes que lrsquooncherche agrave reacutesoudre (le deacuteficit public notam-ment) particuliegraverement en peacuteriode de criseLes opinions des premiers dominent actuel-lement celles des seconds et lrsquoavenir semblepromis agrave la poursuite de coupes seacutevegraveres dansles budgets sociaux Ainsi si lrsquoEurope socialeeacutetait resteacutee timide jusque-lagrave les questionssociales ont deacutesormais totalement disparu delrsquoagenda de lrsquoUnion europeacuteenne autrementque sous la rubrique de la laquo dette publique raquo1

[1] Excepteacute pourla lutte contre

la grande pauvreteacuteVoir Barbier C (2012)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 88

Crsquoest le cas aussi des minima sociaux (RSAsocle allocation de parent isoleacute allocationdrsquoadulte handicapeacute etc) qui constituentsouvent lrsquounique revenu du foyer Dans lecas de la santeacute ou de lrsquoeacuteducation les reve-nus verseacutes sont compleacuteteacutes par des presta-tions en nature (comme le remboursementde la seacuteance de meacutedecin) Comme la deacutepensepublique est un revenu diminuer les poli-tiques sociales revient agrave priver certains indi-vidus de ressources financiegraveres En France37 du revenu disponible brut des meacutenagesest socialiseacute Si on ajoute les transfertssociaux en nature crsquoest 45 du revenu quelrsquoon doit aux politiques sociales Amputer lespolitiques sociales crsquoest donc appauvrir lesindividus2

ndash enfin si elles sont particuliegraverement mena-ceacutees en peacuteriode drsquoausteacuteriteacute les politiquessociales restent absolument neacutecessaires entemps de crise Elles ont en effet un rocircle destabilisateur automatique quand les reve-nus drsquoactiviteacute diminuent du fait de la criseet du chocircmage le maintien des deacutepensessociales soutient la demande et limite lacrise Reacuteduire les prestations sociales peutalors meacutecaniquement aneacutemier une activiteacutedeacutejagrave ralentie et creuser un deacuteficit publicfaute de recettes fiscales et sociales tireacutees delrsquoactiviteacute eacuteconomique

On ne doit pas en deacuteduire que rien nrsquoa changeacuteen matiegravere de politique sociale et que lesdiscours et les ideacutees agrave la mode ne font qursquoef-fleurer des systegravemes sociaux qui restentenracineacutes dans lrsquohistoire politique des diffeacute-rents pays Les politiques sociales ont subi deprofondes mutations sous lrsquoeffet notammentdu changement de reacutefeacuterentiel de politiquemacroeacuteconomique (le reacutefeacuterentiel neacuteoclas-sique a supplanteacute le reacutefeacuterentiel keyneacutesien)et sous lrsquoeffet drsquoalternances politiques libeacute-rales ou sociales libeacuterales qui ont chercheacute agraveintroduire des meacutecanismes de marcheacute dansles systegravemes de solidariteacute La subordinationdes politiques sociales au marcheacute du travailen fournit une illustration

Les politiques sociales semblent ainsi pro-mises agrave un avenir plutocirct sombrePour autantla messe nrsquoest pas encore dite Elles font en effet de la reacutesistance en deacutepit des discours qui les deacutenigrent et des mots drsquoordre des experts ou des gouvernements qui intiment laquo drsquoaller plus loin dans les reacuteformes raquo elles nrsquoont pas disparu Partout les deacutepenses sociales publiques par habitant sont plus eacuteleveacutees en 2009 qursquoen 2003 (cf tableau) Si le niveau de lrsquoaugmentation diffegravere selon les pays il est geacuteneacuteral y compris pour ceux qui ne sont pas consideacutereacutes comme des modegraveles drsquointervention sociale comme les Eacutetats-Unis ou le Royaume-Uni

Cette reacutesistance reacutesulte de plusieursfacteurs-clefs

ndash si les politiques sociales sont devenues uninstrument de soutenabiliteacute financiegravere deseacuteconomies elles restent un outil primordialde soutenabiliteacute sociale Elles sont sources debienfaits pour la population et portent lrsquoaspi-ration des peuples agrave vivre mieux

ndash les politiques sociales prennent souvent laforme drsquoun revenu pour leurs beacuteneacuteficiairessous forme de prestations de retraite drsquoas-surance chocircmage ou au titre de la famille

[2] Voir la deacutemonstrationde Ramaux C (2012)LrsquoEacutetat social Pour sortirdu chaos neacuteolibeacuteral Paris Mille et Une Nuits

1 Total des deacutepenses sociales publiques par habitant (en dollars courants et PPA)

2003 2006 2009

France 81784 9377 107995

Allemagne 78723 87706 100134

Italie 66012 75868 8966

Royaume-Uni 60008 71363 83659

Suegravede 91532 101561 111347

Eacutetats-Unis 61271 71011 87133

Japon 50242 59256 72767

OCDE 54334 63471 76049

Source OCDE(2012) Questions sociales tableaux-cleacutes delrsquoOCDE

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 89

Les politiques sociales souslrsquoemprise du marcheacute du travailDes politiques socialespour ou contre lrsquoemploi

Parce qursquoelles permettent aux individusdrsquoacqueacuterir des ressources indeacutependammentdrsquoune reacutemuneacuteration de leur travail les poli-tiques sociales ont eacuteteacute souvent suspecteacuteesdrsquoencourager lrsquooisiveteacute Ainsi faut-il preacutefeacutererrester au RSA socle (ex RMI) ou accepter unemploi payeacute au SMIC agrave mi temps Le revenugagneacute est sensiblement le mecircme mais lrsquoemploireacutemuneacutereacute comporte des coucircts (le transport lagarde des enfants la laquo deacutesutiliteacute du travail raquo)Aussi selon la theacuteorie eacuteconomique standardun individu supposeacute rationnel (crsquoest-agrave-direopportuniste et calculateur) aura tendance agraverester volontairement en non-emploi Une telleconception met en avant le rocircle des caracteacute-ristiques individuelles dans le chocircmage etnon lrsquoabsence de croissance eacuteconomiqueElle impute la responsabiliteacute du chocircmageaux chocircmeurs eux-mecircmes Si lrsquoexemple estcaricatural les conseacutequences de politiqueeacuteconomique ne le sont pas La theacuteorie recom-mande en effet de modifier les incitations pourlaquo rendre le travail payant raquo Il ne srsquoagit pas derenoncer aux deacutepenses sociales mais de lesrendre laquo actives raquo crsquoest-agrave-dire favorables agrave larecherche drsquoemploi Une telle strateacutegie transitepar lrsquolaquo activation raquo des individus eux-mecircmesau travers du durcissement des meacutecanismesdrsquoassurance chocircmage ou par une prime agrave lrsquoac-ceptation drsquoun emploi Le RSA chapeau srsquoins-crit dans cette logique3 Il vise agrave donner uneaide sociale en contrepartie de lrsquoacceptationdrsquoun travail Lrsquoaide est ainsi subordonneacutee agrave labonne volonteacute des beacuteneacuteficiaires

Cette logique de contrepartie met les chocirc-meurs sous pression Elle relegraveve drsquoune logiquede workfare du nom du programme apparuaux Eacutetats-Unis dans les anneacutees 1970 et qui asubordonneacute le versement drsquoune aide socialeau fait de travailler Sans se substituer au wel-fare le workfare a eacuteteacute investi drsquoune logique

de reacuteinsertion Il srsquoest mueacute en dynamique deflexibilisation du marcheacute du travail4 En effetces politiques sociales preacutesentent lrsquoinconveacute-nient de subventionner les laquo petits boulots raquoet drsquoalimenter le laquo preacutecariat raquo Lrsquoincitation agravela baisse de la qualiteacute de lrsquoemploi favorise lapauvreteacute laborieuse et lrsquoinseacutecuriteacute sociale Letravail qui est offert est trop deacuteconnecteacute dessolidariteacutes collectives pour constituer un veacuteri-table emploi En mettant en avant la logiquedu donnant-donnant ces politiques socialesreposent sur une interpreacutetation contractuellede la solidariteacute qui remplace la solidariteacutecomme construction collective incondition-nelle (Castel 1995 2003)

Le deacuteveloppement de la pauvreteacute laborieuseet lrsquoimportance du nombre des laquo sans salairesfixes raquo auxquels concourent ces politiquessociales ont conduit a contrario agrave donnerune plus grande reacutesonance agrave la propositionde revenu universel Cet autre avenir recircveacutepour les politiques sociales rencontre en effetun eacutecho grandissant au fur et agrave mesure quela subordination des politiques sociales agrave laloi du marcheacute du travail conduit agrave deacuteliter lelien social Si lrsquoameacutelioration de la qualiteacute dutravail est de nature agrave restaurer la digniteacutedes personnes on peut aussi recommander lacreacuteation drsquoun revenu garanti pour tous Danscette perspective la proposition de revenude base inconditionnel consiste agrave verser agravechaque individu de la naissance agrave la mortun revenu mensuel sans contrepartie et deniveau eacuteleveacute Un tel revenu5 est cumulableavec les revenus du travail et vise agrave sortir delrsquoinseacutecuriteacute sociale

Les cotisations sociales sur la sellette

Le mecircme deacutebat se retrouve autour des cotisa-tions sociales qui font lrsquoobjet drsquoune offensivede grande ampleur au nom de la compeacuteti-tiviteacute des entreprises Dans une peacuteriode dechocircmage massif et persistant le preacutelegravevementsous forme de cotisations sociales sur dessalaires perccedilus (cotisations salariales) et surdes salaires verseacutes (cotisations patronales)

[3] Il srsquoinscrit aussidans le cadre de

la lutte contre lapauvreteacute Le meacutecanisme

drsquointeacuteressement secalcule de la faccedilon

suivante RSA = revenuminimum garanti ndash 38

des revenus drsquoactiviteacute

[4] Cf Krinsky J (2004)laquo Le workfare

Neacuteolibeacuteralisme etcontrats de travail

dans le secteur publicaux Eacutetats-Unis raquo Lesnotes de lrsquoIRES ndeg 8novembre-deacutecembre

[5] Il srsquoagit ici de laversion non libeacuteraledu revenu universel

Dans la version libeacuteraleinitieacutee par M Friedman

sous le terme drsquoimpocirctneacutegatif il srsquoagit de

permettre aux individusles plus pauvres de lrsquoecirctre

un peu moins sanseacutemancipation du revenu

du travail Il existe denombreuses versions durevenu universel de ses

options philosophiques agraveson financement Parmilrsquoabondante litteacuterature

sur le sujet voir parexemple la Revue du

MAUSS (ndeg 7 1996)ainsi que lrsquoouvrage

suivant VanderborghtY et Van Parijs P (2005)Lrsquoallocation universelle

Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo (2005)

Cf eacutegalement lenumeacutero 73 de 2013 de la

revue Mouvements

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 90

est consideacutereacute comme alourdissant artificiel-lement le coucirct du travail Ce dernier est com-poseacute du salaire et des cotisations sociales quisont donc deux solutions pour le reacuteduire Crsquoestlrsquooption laquo cotisations sociales raquo qui srsquoest impo-seacutee et le problegraveme du coucirct du travail est ainsitransformeacute en problegraveme de financement despolitiques sociales Crsquoest pourquoi les cotisa-tions sociales sont tregraves largement consideacutereacuteescomme des fardeaux comme en teacutemoigne lapopularisation du terme laquo charges raquo

Si elles constituent toujours lrsquoessentiel dufinancement de la protection sociale fran-ccedilaise elles ont eacuteteacute drastiquement reacuteduitesavec le temps Le deacuteficit des comptes sociaux(le laquo trou de la seacutecu raquo) se nourrit meacutecanique-ment de cette privation volontaire de recettes

Cette eacutevolution conduit aussi agrave changer desystegraveme La baisse des cotisations impose dechercher drsquoautres sources de financement etde modifier lrsquoassiette des contributeursAinsila contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) taxeproportionnelle sur les revenus creacuteeacutee en 1991est largement monteacutee en gamme ensuite Ellemet doreacutenavant agrave contribution les deacutetenteursde revenus de transfert (retraiteacutes et chocirc-meurs) La bataille des charges se poursuitaujourdrsquohui avec le projet de laquo TVA sociale raquoqui vise agrave transfeacuterer une partie du finance-ment des deacutepenses sociales des employeursvers les consommateurs Ce nouveau modegravelevise agrave adapter la politique sociale agrave lrsquooffre etnon plus agrave la demande LrsquoEacutetat-providence doitdeacutesormais ecirctre au service des entreprises aunom de la compeacutetitiviteacute Or les cotisationssociales ne sont rien drsquoautre que du salairesocialiseacute (cotiser crsquoest par exemple srsquoouvrirdes droits pour la retraite) Leur diminutioneacuterode ce salaire et participe ainsi agrave la baissede la part des salaires dans la valeur ajouteacuteeau beacuteneacutefice des profits6

La privatisationdes politiques socialesLrsquoun des traits dominants des politiquessociales aujourdrsquohui est la reacuteduction de leur

peacuterimegravetre et de leur geacuteneacuterositeacute surtout enmatiegravere de santeacute et de retraite7 Les prestationsfamiliales ont deacutecrocheacute par rapport agrave lrsquoeacutevolu-tion du niveau de vie LrsquoEacutetat a reacuteduit sa contri-bution au financement du logement social Laproportion de chocircmeurs indemniseacutes a baisseacuteCrsquoest surtout en matiegravere de santeacute et de retraiteque les changements sont les plus marqueacutes Ilen va ainsi parce que ces deux postes repreacute-sentent pregraves de 80 des deacutepenses sociales enFrance et sont responsables de lrsquoessentiel dudeacuteficit de la Seacutecuriteacute sociale

En matiegravere de santeacute le patient est davantagemis agrave contribution Les politiques dites delaquo partage des coucircts raquo se composent de ticketsmodeacuterateurs forfaits ou franchises Geacuteneacutera-liseacutees en Europe elles pegravesent sur le budgetdes meacutenages qui doivent acquitter aussi enFrance tout particuliegraverement des deacutepasse-ments drsquohonoraires parfois tregraves lourds ycompris agrave lrsquohocircpital public Le transfert decharge vers le patient srsquoest acceacuteleacutereacute depuisles anneacutees 2000 et la Seacutecuriteacute sociale ne rem-bourse plus aujourdrsquohui que la moitieacute dessoins courants8

Les reacuteformes successives des retraites ontprogrammeacute partout une baisse marqueacutee destaux de remplacement (la diffeacuterence entrele dernier salaire et la premiegravere retraite) EnFrance avec les reacuteformes de 1993 et 2003 letaux de remplacement va perdre 15 points enmoyenne agrave horizon 2050 et ainsi amputer lerevenu des futurs retraiteacutes La reacuteforme desretraites y est particuliegraverement dure La dureacuteede cotisation neacutecessaire pour une retraite agravetaux plein est de 41 ans en 2012 et 415 en 2020 Seuls cinq pays exigent encore davan-tage (lrsquoAllemagne lrsquoAutriche la Belgiqueainsi que lrsquoItalie et le Royaume-Uni pour leshommes) Pourtant par rapport agrave de nom-breux pays deacuteveloppeacutes la France beacuteneacuteficiedrsquoune deacutemographie plus dynamique et doncde besoins de financement moindres Dansun contexte ougrave la France a un taux drsquoemploides seniors tregraves faible et ougrave lrsquoamplitude descarriegraveres salariales se reacuteduit rares sont ceux

[6] Cf Friot B (2012)Lrsquoenjeu du salaire ParisLa Dispute

[7] Cf Batifoulier PConcialdi PDomin J-P et Sauze Dlaquo Revaloriser et eacutetendrela protection sociale raquoin Les Eacuteconomistesatterreacutes (2011) Changerdrsquoeacuteconomie Paris Lesliens qui libegraverent

[8] Il srsquoagit des soinsnon hospitaliers despersonnes qui ne sontpas en ALDVoir DREESComptes de la santeacute2009

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 91

qui parviendront agrave acqueacuterir des droits agrave uneretraite agrave taux plein avant 67 ans

Ces eacutevolutions ont pour objet de diminuer ladeacutepense publique mais pas la deacutepense totaleLes individus sont en effet inviteacutes agrave pallier larestriction de la protection sociale collectivepar un recours plus grand aux assurancespriveacutees les mutuelles compleacutementaires pourles deacutepenses de santeacute et les produits de capi-talisation (assurance vie plan drsquoeacutepargneretraite) pour les retraites Ces eacutevolutionssont orchestreacutees par les pouvoirs publicsLe droit agrave lrsquoaccegraves aux soins srsquoest progressi-vement transformeacute en droit agrave lrsquoassurancecompleacutementaire notamment avec la reacutecentecompleacutementaire drsquoentreprise obligatoireLrsquoeacutepargne retraite est quant agrave elle encourageacuteeagrave grand coup drsquoincitations fiscales (baissesdrsquoimpocirct) et drsquoexoneacuteration de cotisationssociales (pour les plans retraite drsquoentreprise)

Cette mutation est profonde Elle modifie lrsquoar-chitecture de la protection sociale en substi-tuant de la protection priveacutee agrave la protectionpublique Elle conduit donc agrave augmenter ladeacutepense sociale priveacutee Elle consolide le rocircledes entreprises dans les politiques sociales etdeacuteveloppe le marcheacute des assurances santeacute etretraite qui sont des secteurs lucratifs pourles groupes financiers Si les opeacuterateurs priveacutessont plus coucircteux que lrsquoopeacuterateur public (dufait de multiples coucircts pour payer les commer-ciaux les actuaires les gestionnaires de risqueou les avocats) leur chiffre drsquoaffaires aug-mente avec le retrait de lrsquoassurance publiqueEn deacuteveloppant lrsquoespace de libre preacutevoyanceles protections sociales srsquoindividualisent et sedeacuteconnectent des solidariteacutes collectives

La deacuteleacutegation de politique sociale agrave des opeacute-rateurs priveacutes se manifeste eacutegalement parun soutien agrave la consommation des meacutenagessous forme de chegraveque service ou drsquoincitationsfiscales Cette subvention de consommationsociale est particuliegraverement deacuteveloppeacutee dansla petite enfance et la perte drsquoautonomie despersonnes acircgeacutees Mais ces mesures beacuteneacutefi-cient avant tout aux cateacutegories aiseacutees de lapopulation qui peuvent srsquooffrir un service agrave

la personne et beacuteneacuteficier de la niche fiscaleCette strateacutegie alimente aussi la preacutecariteacutede lrsquoemploi Ainsi les travailleurs (en fait lestravailleuses) de la deacutependance qui viennentaider les personnes acircgeacutees pour les actes dela vie quotidienne sont bien souvent dansdes situations preacutecaires mal payeacutes parfoisau quart drsquoheure avec une tregraves grande ampli-tude horaire ils doivent aussi faire face auxattentes eacutemotionnelles de la famille

Des politiques sociales seacutelectives

Une solidariteacutede plus en plus cibleacutee

Le transfert de charge du public vers le priveacuteest fonciegraverement ineacutegalitaire Lrsquoeacutepargneretraite suppose un revenu suffisant Le relegrave-vement des barriegraveres drsquoacircge (agrave 62 ans) peacutenaliseles cateacutegories les plus modestes car lrsquoespeacute-rance de vie agrave la retraite reste tregraves ineacutequitableAffirmer que le temps gagneacute sur la mort doitecirctre du temps de travail meacuterite deacutebat quandlrsquoespeacuterance de vie en bonne santeacute est de 63 ansen moyenne Les compleacutementaires santeacute sontquant agrave elles ineacutegalement reacuteparties Certainspatients en sont deacutepourvus et tous nrsquoont pasaccegraves agrave une compleacutementaire de qualiteacute Cesont les plus malades qui ont par deacutefinition leplus besoin de soins qui ont les compleacutemen-taires les moins couvrantes Le renoncementaux soins essentiels les retards de soins etles reports vers lrsquohocircpital qui srsquoensuivent sontalors plus coucircteux pour la collectiviteacute9

Avec le transfert vers la libre preacutevoyance lespolitiques sociales ne combattent plus lesineacutegaliteacutes mais les creusent Les pouvoirspublics sont alors ameneacutes agrave mettre en placedes mesures correctives visant agrave eacutepargnercertains beacuteneacuteficiaires des dispositifs infli-geacutes aux autres Ainsi les nouvelles regravegles enmatiegravere de retraite sont valables pour toussauf pour ceux qui ont commenceacute agrave travail-ler tocirct qui ont eacuteleveacute trois enfants qui ontun meacutetier peacutenible (agrave deacutefinir) ou qui ont eacuteteacutereconnus comme laquo invalides raquo En proteacutegeant

[9] Cf Revuedu MAUSS ndeg 41

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 92

les plus fragiles on espegravere leacutegitimer lrsquoeffortdemandeacute agrave tous les autres

Dans la mecircme perspective lrsquoaggravationdes ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux soins a conduitagrave installer ou deacutevelopper des meacutecanismesprotecteurs pour certains soins etou cer-tains patients qui se voient exoneacutereacutes de lacontribution financiegravere qui est demandeacutee auxautres Il en va ainsi des dispositifs destineacutesaux plus pauvres (la CMUC en France les pla-fonds annuels de deacutepenses ailleurs un meil-leur remboursement pour les beacuteneacuteficiairesde lrsquointervention majoreacutee selon le revenuen Belgique Medicaid aux Eacutetats-Unis etc)aux plus malades (un plafond speacutecifique enAllemagne le dispositif laquo affection de longuedureacutee raquo en France la prise en charge deslaquo frais exceptionnels de maladie raquo aux Pays-Bas etc) ou aux plus acircgeacutes (Medicare auxEacutetats-Unis remboursement majoreacute pour lespersonnes acircgeacutees deacutependantes en Belgiqueexoneacuteration de reste agrave charge pour les moinsde 18 ans et plus de 60 ans au Royaume-Uni)Ces dispositifs de solidariteacute cibleacutee sont coucirc-teux et activent des deacutepenses nouvelles Ilssont aussi agrave lrsquoorigine drsquoineacutegaliteacutes suppleacutemen-taires lieacutees aux effets de seuils (financiers oude maladie) agrave la stigmatisation dont peuventecirctre victimes les beacuteneacuteficiaires et agrave lrsquoexistencedrsquoun non-recours important

Cette solidariteacute cibleacutee induite eacutegalement unefragmentation des droits sociaux La segmen-tation des beacuteneacuteficiaires paraicirct souvent insuf-fisante pour ceux qui beacuteneacuteficient du ciblagecar par exemple il existe toujours des restesagrave charge eacuteleveacutes pour les patients en ALD Ellepeut paraicirctre en outre insupportable aussipour les autres assureacutes qui nrsquoen beacuteneacuteficientpas et qui restent soumis agrave la dureteacute desreacuteformes En deacutelaissant le droit commun leciblage conduit agrave une deacutefiance envers les ins-titutions qui prennent en charge les politiquessociales Cette deacutefiance est alimenteacutee parlrsquohostiliteacute vis-agrave-vis des personnes proteacutegeacuteeset des plus pauvres en particulier que nourritla meacutediatisation de la theacutematique des frau-deurs aux prestations sociales Les cateacutegories

non proteacutegeacutees par le ciblage ne voient pas oumoins lrsquointeacuterecirct de payer pour la solidariteacute cequi peut conduire agrave un risque de seacutecessionsociale et fragiliser grandement les politiquessociales

Quel investissement social

En justifiant les choix la notion drsquoinvestis-sement social constitue alors un horizonpossible des politiques sociales en quecircte deleacutegitimiteacute Ce nouveau paradigme met enavant la preacuteparation de lrsquoavenir axeacutee sur lrsquoeacuteco-nomie de la connaissance et permettant agrave unemain-drsquoœuvre qualifieacutee et flexible de srsquoadapteragrave un environnement mouvant Des individusdavantage proteacutegeacutes sont moins reacutetifs au chan-gement Un tel investissement social peut ecirctrelu dans les termes du neacuteolibeacuteralisme et avoirpour objectif de rendre la flexibiliteacute moins preacute-caire et plus acceptable On peut en avoir unelecture diffeacuterente qui met en avant une poli-tique sociale productive reacuteconciliant les butseacuteconomiques et sociaux La politique socialeest alors moins un coucirct qursquoune faccedilon de preacute-parer efficacement lrsquoavenir (Morel et al 2013)Dans cette optique lrsquoinvestissement dans lrsquoen-fant (dans sa santeacute dans les deacutepenses drsquoeacutedu-cation dans les places en cregraveche etc) apparaicirctdeacuteterminant Il permet de minimiser le risquede transmission de la pauvreteacute tout en cher-chant agrave augmenter la possibiliteacute de transmis-sion intergeacuteneacuterationnelle du savoir ce qui estsource de croissance eacuteconomique

En cherchant agrave reacuteconcilier lrsquoefficaciteacute eacutecono-mique et lrsquoeacutequiteacute sociale la notion drsquoinves-tissement social peut contribuer agrave sortir lespolitiques sociales du deacutenigrement dont ellesfont lrsquoobjet Cependant le risque est grandque cette notion soit instrumentaliseacutee pouropposer les beacuteneacuteficiaires entre eux en nour-rissant le discours ambiant drsquoune guerredes geacuteneacuterations qursquoauraient deacuteveloppeacutees lespolitiques sociales La vision drsquoune horde deretraiteacutes qui va plomber les comptes sociauxsrsquoest solidement installeacutee En accordant tou-jours plus de deacutepenses aux plus acircgeacutes sousforme de pension de retraite de prestations

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 93

pour la perte drsquoautonomie ou de deacutepenses desanteacute pour la fin de vie les jeunes geacuteneacuterationsauraient eacuteteacute sacrifieacutees et devraient de pluspayer la dette sociale leacutegueacutee par les anciensCette vision est caricaturale en effet le paie-ment de la dette sociale se traduit davantagepar un transfert au sein drsquoune mecircme geacuteneacutera-tion de la collectiviteacute vers les rentiers que parun transfert intergeacuteneacuterationnel Opposer lescregraveches aux EHPAD (eacutetablissement drsquoheacuteber-gement des personnes acircgeacutees deacutependantes)est tout aussi steacuterile En allant agrave lrsquoencontre delrsquouniversalisation des droits la seacutelection delrsquoinvestissement nourrit la crise de leacutegitimiteacute

des politiques sociales Enfin investir pourdemain dans lrsquoenfant peut aussi conduire agrave unrisque de pauvreteacute aujourdrsquohui srsquoil srsquoagit drsquounpreacutetexte pour supprimer les deacutepenses socialespubliques Pour investir dans lrsquoenfant demainil est neacutecessaire de soutenir les megraveres dans lepreacutesent y compris en leur permettant de geacutererla deacutependance de leurs parents aussi bien surle plan financier qursquoorganisationnel Crsquoest lrsquoin-vestissement social tout au long de la vie qursquoilconvient de valoriser

BARBIER C (2012) laquo Quelle destineacutee pourla politique sociale delrsquoUnion europeacuteenne Dela strateacutegie de Lisbonne agravelrsquoEurope 2020 eacutevolution dudiscours politique raquo Revueinternationale du travail vol 5 ndeg 4

CASTEL R (1995) Les meacutetamorphosesde la question sociale

Une chronique du salariatParis Folio essais

CASTEL R (2003) Lrsquoinseacutecuriteacutesociale Qursquoest ce qursquoecirctreproteacutegeacute Paris Le SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

REVUE DU MAUSS Ndeg 41Marchandiser le soin nuitgravement agrave la santeacute ParisLa DeacutecouverteMAUSS 2013

MOREL N PALIER Bet PALME J (2013) laquo The Long Road towards aSocial Investment WelfareState raquo in Hasmath R etSmyth P (eds) InclusiveGrowth Welfare andDevelopment Policy A Critical Assessment

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 94

RETRAITES LES PROPOSITIONSDU RAPPORT MOREAULa Commission pour lrsquoavenir des retraites

preacutesideacutee par Yannick Moreau a preacutesenteacute

ses pistes de reacuteforme le 14 juin 2013 Ce

rapport reacutepond agrave la neacutecessiteacute de reacuteeacutequilibrer

la branche vieillesse des comptes de la

protection sociale qui preacutesenterait selon le

Conseil drsquoorientation des retraites (COR) un

besoin de financement de 20 milliards drsquoeuros

drsquoici 2020 Ses propositions doivent nourrir

la concertation entre le gouvernement et

les partenaires sociaux durant lrsquoeacuteteacute 2013 et

deacuteboucher en septembre sur un projet de loi

Les propositions de la Commission reposent

sur deux grands sceacutenarios

ndash le premier reacutepartit les efforts agrave hauteur de

deux tiers pour les actifs et drsquoun tiers pour les

retraiteacutes

ndash le second les reacutepartit agrave parts eacutegales

Ces diffeacuterents sceacutenarios combinent dans

des proportions variables des mesures

correspondant agrave trois leviers drsquoaction la

creacuteation de nouvelles recettes la reacuteduction

des deacutepenses et lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier

drsquoallongement de la dureacutee de cotisation

Outre la voie classique de la hausse des

cotisations le rapport met en avant pour

augmenter les recettes une reacuteforme de la

fiscaliteacute qui srsquoapplique aux retraiteacutes Ceux-

ci beacuteneacuteficient en effet drsquoavantages fiscaux

abattement de 10 pour frais professionnels

alors qursquoils ne supportent plus ce type de

deacutepense majoration de pension pour les

personnes ayant eacuteleveacute au moins trois enfants

taux de CSG reacuteduithellip En 2012 la Cour des

Comptes avait eacutevalueacute le coucirct pour les finances

publiques de ces dispositifs deacuterogatoires agrave

12 milliards drsquoeuros par an Cette piste de

reacuteforme srsquoappuie en outre sur le fait que les

retraiteacutes ont deacutesormais un niveau de vie moyen

tregraves proche voire leacutegegraverement supeacuterieur agrave celui

de lrsquoensemble des Franccedilais En 2009 les plus

de 65 ans avaient ainsi un niveau de vie moyen

de 22 530 euros contre 22 470 pour lrsquoensemble

de la population Pour les 65-74 ans celui-ci

srsquoeacutelevait mecircme agrave 23 860 euros Le niveau de vie

meacutedian des 65 ans et plus reste en revanche

infeacuterieur de 64 agrave celui des personnes drsquoacircge

actif (1)

La reacuteduction des deacutepenses pourrait prendre la

forme drsquoune baisse du niveau des pensions via

les regravegles de revalorisation des pensions ou de

calcul des salaires de reacutefeacuterence (meacutecanismes

de deacutesindexation)

Lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier drsquoallongement de

la dureacutee de cotisation (nombre de trimestres

requis pour une retraite agrave taux plein) mis en

place en 2003 ne serait pour sa part possible

qursquoagrave partir de 2018 Il est en effet fixeacute par

deacutecret pour les geacuteneacuterations qui partiront avant

cette date

La Commission eacutenonce en outre un certain

nombre de recommandations destineacutees agrave

ameacuteliorer lrsquoeacutequiteacute et la lisibiliteacute du systegraveme

ainsi qursquoagrave assurer sa viabiliteacute agrave long terme

ndash mieux prendre en compte la peacutenibiliteacute de

certains meacutetiers

ndash ameacuteliorer la situation des polypensionneacutes et

des personnes (notamment les femmes) aux

carriegraveres morceleacutees

ndash aligner les regravegles de calcul des pensions des

reacutegimes de la fonction publique sur celles du

reacutegime geacuteneacuteral

ndash conserver au-delagrave de 2020 la regravegle de

lrsquoallongement de la dureacutee de cotisation en

fonction de lrsquoaccroissement de lrsquoespeacuterance de

vie Instaureacutee par la reacuteforme des retraites de

2003 cette regravegle preacuteconise de partager le gain

de longeacuteviteacute entre le maintien en activiteacute (pour

deux tiers) et la retraite (pour un tiers)

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

(1) INSEE (2013) Les revenus et les patrimoines

des meacutenages ndash Eacutedition 2013 avril

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES95

CHRISTINE ERHEL

Maicirctre de confeacuterences en eacuteconomie agrave lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon-Sorbonne

Directrice de lrsquouniteacute de recherche POPEM (Politiques publiques et emploi) au Centre drsquoeacutetudes de lrsquoemploi

Destineacutees agrave maintenir le niveau de revenu des chocircmeurs reacuteduire le chocircmage et augmen-ter le taux drsquoemploi de la population les politiques de lrsquoemploi sont particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve en peacuteriode de crise Au cours des cinq derniegraveres anneacutees les pays avanceacutes ont eacutelaboreacute de nouveaux dispositifs ndash dont certains sont temporaires ndash afin de faire face agrave la forte progression du chocircmage Christine Erhel rappelle la pluraliteacute des objectifs des politiques de lrsquoemploi ainsi que la varieacuteteacute des traditions nationales en la matiegravere avant de faire le point sur leurs grandes orientations depuis 2008 Si le contexte de crise creacutee de nouveaux besoins la mise en place de mesures drsquoenvergure est limiteacutee par lrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples

Face agrave un chocircmage record les politiques delrsquoemploi sont au cœur de lrsquoactualiteacute franccedilaiseavec la creacuteation de nouveaux dispositifs en2012-2013 (emplois drsquoavenir contrats de geacuteneacute-ration) Elles semblent eacutegalement retrouverune place dans le deacutebat europeacuteen avec le lan-cement de projets drsquointerventions en faveurde lrsquoemploi des jeunes (laquo paquet en faveur delrsquoemploi des jeunes raquo lanceacute par la Commissionen deacutecembre 2012 initiative franco-alle-mande annonceacutee le 28 mai 2013) De maniegravereplus geacuteneacuterale elles ont eacuteteacute fortement mobi-liseacutees depuis la crise de 2008 mecircme si lesmesures de rigueur particuliegraverement seacutevegraveres

depuis 2010 conduisent dans certains paysagrave des restrictions dans lrsquoassurance chocircmagevoire dans les services de soutien et drsquoaide agravela recherche drsquoemploi

Lrsquoanalyse de ces politiques est complexe quece soit dans une perspective historique (du faitde la multipliciteacute des reacuteformes observablesdepuis les anneacutees 1990) comparative (lesmodegraveles nationaux de politique de lrsquoemploisont tregraves divers) ou dans une optique drsquoeacutevalua-tionEn effet il est essentiel de tenir compte dela multipliciteacute des objectifs tant eacuteconomiquesque sociaux des politiques de lrsquoemploi Deplus elles srsquoarticulent avec drsquoautres sphegraveresde la politique eacuteconomique qui ont eacutegalementdes effets sur lrsquoemploi les politiques macroeacute-conomiques et industrielles en particulier

Une diversiteacute drsquoobjectifsDans une perspective eacuteconomique les poli-tiques de lrsquoemploi visent tout drsquoabord agrave

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 96

ameacuteliorer le fonctionnement du marcheacute dutravail ndash et notamment les deacutelais drsquoappa-riement entre chocircmeurs et employeurs ndash agravereacuteduire le chocircmage et agrave augmenter le niveaudrsquoemploi Toutefois elles peuvent eacutegalementpoursuivre drsquoautres objectifs corriger lesineacutegaliteacutes entre groupes sociaux en encoura-geant lrsquoemploi des plus fragiles (jeunes sansqualifications chocircmeurs de longue dureacutee)anticiper les besoins en matiegravere drsquoemploi etde compeacutetences (par la formation des sala-rieacutes) ou encore atteacutenuer un choc conjonctu-rel via le soutien aux revenus des chocircmeursElles jouent eacutegalement un rocircle social impor-tant en termes de lutte contre la pauvreteacutemais eacutegalement drsquoinsertion dont lrsquoaccegraves agravelrsquoemploi constitue une dimension fondamen-tale Cette diversiteacute drsquoobjectifs rend difficilelrsquoeacutevaluation des mesures dont le succegraves oulrsquoeacutechec ne peut ecirctre reacuteduit au seul critegravere dunombre drsquoemplois creacuteeacutes

Dans les analyses des politiques de lrsquoem-ploi il est courant de distinguer entre lesmesures laquo actives raquo et laquo passives raquo agrave partir dela nomenclature eacutetablie par lrsquoOCDE (Erhel2009) Les mesures actives ont pour objectif

de remettre les chocircmeurs en emploi et drsquoaug-menter le niveau drsquoemploi dans lrsquoeacuteconomiesoit de maniegravere directe (creacuteation drsquoemploispublics temporaires subventions agrave lrsquoem-bauche) soit de maniegravere indirecte (forma-tion) Les mesures passives comprennentpour leur part lrsquoindemnisation du chocircmageet les dispositifs de cessation anticipeacuteedrsquoactiviteacute dont lrsquoobjectif est drsquoatteacutenuer lesconseacutequences du chocircmage Cette cateacutegori-sation conventionnelle si elle est utile agrave laproduction de statistiques harmoniseacutees nedoit pas ecirctre entendue comme une frontiegraverestricte entre deux types de dispositifs Parmiles mesures laquo passives raquo certaines ont unobjectif de maintien de lrsquoemploi en peacuteriodede ralentissement eacuteconomique (chocircmagepartiel) tandis que lrsquoassurance-chocircmagesoutient non seulement les revenus des chocirc-meurs mais aussi leur recherche drsquoemploi (ycompris par des mesures de sanctions le caseacutecheacuteant) Agrave lrsquoinverse du cocircteacute des politiqueslaquo actives raquo les mesures drsquoemploi aideacute voirecertains dispositifs de formation reacutemuneacutereacuteecomportent eacutegalement une dimension de sou-tien du revenu des chocircmeurs

1 Les deacutepenses pour lrsquoemploi en 2010 (en du PIB)

-

050

100

150

200

250

300

350

400

450

Royaum

e-Uni

Australi

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Eacutetats-

Unis

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Suegravede

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Deacutepenses actives

Deacutepenses passives

Source OCDE 2012

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 97

La diversiteacute des modegravelesde politiques de lrsquoemploiLa multipliciteacute des objectifs et des leviers despolitiques de lrsquoemploi apparaicirct eacutegalementdans les comparaisons internationales quimontrent des choix varieacutes drsquoun pays agrave lrsquoautreAu-delagrave des variations lieacutees agrave la conjonctureou au cycle politique les prioriteacutes nationalesapparaissent relativement stables dans letemps en lien avec lrsquohistoire des politiquesde lrsquoemploi (et les conditions de leur articula-tion avec les politiques sociales les politiquesindustrielles ou les politiques macroeacuteco-nomiques) mais aussi avec les dispositifsinstitutionnels mis en place (financementgouvernancehellip) Les diffeacuterences internatio-nales en matiegravere de politiques de lrsquoemploi setraduisent dans lrsquoeffort budgeacutetaire qui leurest consacreacute et le type de mesures privileacutegieacutees(graphique 1 et tableau 1) Si lrsquoon eacutecarte lespays eacutemergents ou reacutecemment industrialiseacutes(Mexique Coreacutee) et les nouveaux membresde lrsquoUnion europeacuteenne (UE) dont les poli-tiques de lrsquoemploi sont encore balbutianteson peut distinguer trois groupes principauxde pays au sein de lrsquoOCDE coiumlncidant avecles modegraveles de protection sociale tels qursquoilssont analyseacutes par les travaux comparatifs(Esping-Andersen 1990)

Le modegravele nordique les politiques actives privileacutegieacuteesLes pays sociaux-deacutemocrates ou laquo nor-diques raquo (Danemark Suegravede Finlande) consti-tuent un modegravele bien identifieacute de politiquesde lrsquoemploi qui se caracteacuterise par un niveaude deacutepense supeacuterieur agrave la moyenne sur longuepeacuteriode et par des niveaux drsquoindemnisationdu chocircmage geacuteneacutereux Toutefois la Suegravedesrsquoeacutecarte du modegravele traditionnel depuis lesanneacutees 2000 des reacuteformes restrictives ontcontribueacute agrave reacuteduire le niveau de la deacutepensepour lrsquoemploi et la geacuteneacuterositeacute de lrsquoassurance-chocircmage Ces pays consacrent en outre unepart importante des deacutepenses pour lrsquoemploiaux mesures actives avec un effort particu-lier envers les dispositifs de formation pourles chocircmeurs et de soutien agrave lrsquoemploi deshandicapeacutes (tableau 1) Ceci nrsquoexclut pastout recours aux dispositifs de retrait drsquoacti-viteacute et en particulier aux preacuteretraites bienqursquoelles aient eacuteteacute totalement supprimeacutees enSuegravede celles-ci subsistent au Danemark pre-nant principalement la forme de cessationsprogressives drsquoactiviteacute

Cet ensemble correspond agrave une traditionbien ancreacutee drsquointervention par des mesuresfavorisant lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi (mecircme tempo-raire et subventionneacute) plutocirct que lrsquoindem-nisation du chocircmage (Erhel 2009) Cette

1 La reacutepartition des deacutepenses de politique de lrsquoemploi en 2010 (en )

Danemark France Allemagne Royaume-Uni Eacutetats-Unis

Service public de lrsquoemploiet administration

146 116 17 48 5

Formation 12 147 135 4 45

Incitations agrave lrsquoemploi 92 42 43 1 1

Soutien agrave lrsquoemploi des handicapeacutes 19 27 13 1 35

Creacuteations directes drsquoemploi ndash 85 21 ndash 1

Subventions agrave la creacuteationdrsquoentreprises

ndash 2 36 ndash ndash

Maintien du revenu 346 56 56 46 85

Preacute-retraites 106 03 22 ndash ndash

Source OCDE 2012

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 98

tradition srsquoest constitueacutee en Suegravede ougrave degraves1914 une commission composeacutee de syndi-cats et drsquoemployeurs (Commission Myrdal)propose la creacuteation drsquoun systegraveme drsquoemploispublics subventionneacutes en compleacutement delrsquoassurance chocircmage Cette proposition srsquoap-puyait sur lrsquoideacutee qursquoil eacutetait preacutefeacuterable pour lasocieacuteteacute de financer des emplois publics tem-poraires plutocirct que des allocations chocircmageCes orientations ont eacuteteacute mises en œuvre dansles anneacutees 1930 puis dans les anneacutees 1950par des gouvernements sociaux-deacutemocratessoit pour limiter les effets drsquoune monteacutee duchocircmage conjoncturel soit de maniegravere plusstructurelle pour accompagner les restruc-turations industrielles des anneacutees 1950 et1960 En parallegravele la Suegravede et plus encore leDanemark ont deacuteveloppeacute des dispositifs deformation importants et un accompagnementintensif des chocircmeurs dans les agences pourlrsquoemploi La politique de lrsquoemploi peut ecirctreconsideacutereacutee dans ces pays comme un instru-ment de seacutecurisation des parcours de tellesorte qursquoelle constitue lrsquoun des piliers de lalaquo flexicuriteacute raquo danoise (associant flexibiliteacutedu contrat de travail et seacutecuriteacute des parcoursprofessionnels) mise en avant depuis lesanneacutees 2000)

Le modegravele libeacuteral une intervention centreacuteesur la recherche drsquoemploi

Dans les pays laquo libeacuteraux raquo (Eacutetats-UnisRoyaume-Uni Australie) lrsquoeffort de politiquede lrsquoemploi repreacutesente au contraire moins de1 du PIB (graphique 1) et se concentre surlrsquoindemnisation du chocircmage (avec des tauxde remplacement faibles) et sur lrsquoaide agrave larecherche drsquoemploi Ces deux postes repreacute-sentent lrsquoessentiel des deacutepenses dans cespays (tableau 1) Il srsquoagit drsquoun modegravele drsquointer-vention minimale ougrave le rocircle de la politique delrsquoemploi se limite agrave lrsquoameacutelioration du fonc-tionnement du marcheacute du travail (informa-tion mobiliteacute eacuteventuellement adeacutequation desformations) La lutte contre le chocircmage relegraveve

plutocirct des politiques macroeacuteconomiques(moneacutetaire et budgeacutetaire)

Ces pays ont toutefois deacuteveloppeacute en margedes politiques de lrsquoemploi cibleacutees drsquoimpor-tants dispositifs drsquoincitations agrave lrsquoemploi parle biais de lrsquoimpocirct neacutegatif (Earned Income TaxCredit aux Eacutetats-Unis et Working FamiliesTax Credit au Royaume-Uni) qui vient com-pleacuteter les revenus du travail les plus faiblespar une reacuteduction ou un creacutedit drsquoimpocirct Cesdeacutepenses ne sont pas comptabiliseacutees dans ladeacutepense pour lrsquoemploi calculeacutee par lrsquoOCDEmais elles repreacutesentent un outil important delutte contre la pauvreteacute et drsquointervention surlrsquooffre de travail

Le modegravele continental des interventions heacuteteacuterogegravenesavec une focalisation sur le coucirctdu travail

Les pays drsquoEurope continentale (FranceAllemagne Belgique Pays-Bas Italiehellip)connaissent une situation tregraves diffeacuterente desdeux groupes preacuteceacutedents Les politiques delrsquoemploi y sont en grande partie financeacuteespar des cotisations sociales (en particulierlrsquoindemnisation du chocircmage) et leur deacutevelop-pement apparaicirct relativement reacutecent en com-paraison du modegravele nordique Les principalesinstitutions chargeacutees drsquoameacuteliorer le fonction-nement du marcheacute du travail et accompagnerles restructurations remontent aux laquo TrenteGlorieuses raquo Ainsi en France lrsquoAgence natio-nale pour lrsquoemploi ndash ANPE ndash est creacuteeacutee en 1967Toutefois crsquoest surtout avec la deacutegradationprogressive de la situation de lrsquoemploi dansles anneacutees 1970-1980 que se deacuteveloppentdes politiques actives de lrsquoemploi La logiquelaquo sectorielle raquo initiale est peu agrave peu rempla-ceacutee par une logique laquo seacutelective raquo ciblant lesmesures sur les jeunes puis les chocircmeurs delongue dureacutee

Ces pays ont eu massivement recours auxpolitiques de retrait drsquoactiviteacute (preacuteretraitesen particulier) dans les anneacutees 1980 afinde lutter contre le chocircmage Outre leur coucircteacuteleveacute pour les finances publiques elles ont

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 99

conduit agrave une baisse des taux drsquoemploi desseniors Depuis les anneacutees 1990 les entreacuteesdans ces dispositifs ont eacuteteacute fortement limi-teacutees et des mesures en faveur de lrsquoemploi decette population ont eacuteteacute prises (incitationsagrave la prolongation drsquoactiviteacute via les reacuteformesdes retraites contrats speacutecifiques pour lesseniors plans seniorshellip) Par ailleurs face aupoids des cotisations sociales dans le coucirct dutravail ces pays de tradition bismarckiennese sont fortement appuyeacutes sur des mesuresde baisse du coucirct du travail soit cibleacutees (enparticulier sur les jeunes mais aussi sur leschocircmeurs de longue dureacutee comme dans lecas de lrsquoAllemagne depuis les lois Hartz de2004) soit geacuteneacuterales (comme les exoneacuterationsde charges en France au niveau du SMIC agravepartir de 1993 ou en Allemagne avec les dis-positifs de mini jobs qui eacutechappent aux coti-sations sociales)

Quelles prioriteacutesen peacuteriode de crise Face agrave la crise les deacutepenses pour lrsquoemploiont augmenteacute dans les pays de lrsquoOCDE (gra-phique 2) Toutefois cette hausse fait suite agraveplusieurs anneacutees de reacuteduction des deacutepenseset la dynamique contra-cyclique apparaicirctrelativement limiteacutee compte tenu de lrsquoam-pleur de la hausse du chocircmage Des analysessur donneacutees OCDE depuis les anneacutees 1980montrent une baisse de la reacuteactiviteacute des poli-tiques de lrsquoemploi (Erhel et Levionnois 2013)en particulier pour les deacutepenses actives

Mecircme si les politiques nationales sont heacuteteacute-rogegravenes on relegraveve trois grands axes drsquointer-vention pour limiter les conseacutequences de lacrise sur le marcheacute du travail le soutien auxrevenus des chocircmeurs le maintien en emploiet le soutien agrave lrsquoemploi ou agrave la formation desdemandeurs drsquoemploi

2 Les deacutepenses pour lrsquoemploi entre 2004 et 2010 (en du PIB)

0

05

1

15

2

25

3

35

4

45

5

2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

DK FR ALL IR PB PT ES SE RU US

DK = Danemark FR = France ALL = Allemagne PB = Pays-Bas PT = Portugal ES = Espagne SE = Suegravede RU = Royaume-Uni US = Eacutetats-Unis

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 100

Le soutien aux revenusdes chocircmeurs

Lorsque le chocircmage augmente une par-tie de la reacuteaction des politiques de lrsquoemploiest automatique notamment sous lrsquoeffetde lrsquoaugmentation du montant des alloca-tions-chocircmage verseacutees Toutefois lors de lacrise de 2007-2008 un certain nombre depays sont alleacutes au-delagrave de ces ajustementsautomatiques et ont pris des mesures tem-poraires visant agrave ameacuteliorer lrsquoindemnisationdu chocircmage dans une optique de soutien aurevenu et de lutte contre la pauvreteacute (assou-plissement des critegraveres drsquoaccegraves agrave lrsquoassurance-chocircmage notamment pour les personnes enemploi temporaire ou encore augmentationde la dureacutee drsquoindemnisation) Ce type drsquoin-tervention est surtout marqueacute dans les paysougrave les allocations chocircmages sont peu geacuteneacute-reuses ainsi aux Eacutetats-Unis la dureacutee drsquoin-demnisation a eacuteteacute augmenteacutee en 2009 de 26 agrave99 semaines La France a maintenu sa dureacuteedrsquoindemnisation mais a adopteacute en 2010 desmesures temporaires ameacuteliorant la prise encharge des chocircmeurs en fin de droits

Le maintien en emploi

Un second type drsquointerventions a eu pourobjectif de faciliter le maintien en emploi desalarieacutes menaceacutes Le principal instrumentdont disposent les politiques de lrsquoemploidans cette perspective est le chocircmage partielqui permet de reacuteduire la dureacutee du travail encas de baisse drsquoactiviteacute pour lrsquoentreprise Cedispositif a fait lrsquoobjet drsquoune mobilisationspectaculaire en Allemagne ougrave il concer-nait 15 million de salarieacutes en juin 20091 EnFrance le dispositif de chocircmage partiel a eacuteteacutereacuteformeacute en janvier 2009 de maniegravere agrave eacutetendrela peacuteriode et le niveau drsquoindemnisation (Cala-vrezo et al 2009) mais son usage demeurelimiteacute Plus largement on notera que ce typedrsquooutil est essentiellement deacuteveloppeacute dansles pays drsquoEurope continentale mecircme si lenombre de salarieacutes concerneacutes est en pratiquefortement variable drsquoun pays agrave lrsquoautre selonlrsquoOCDE (OCDE 2010) le stock annuel moyen

de beacuteneacuteficiaires en 2009 varie entre 004 des personnes en emploi en Pologne et 56 en Belgique la France se situant agrave 08 etlrsquoAllemagne agrave 317

Ces mesures relevant de la politique publiquede lrsquoemploi srsquoaccompagnent parfois drsquoajus-tements neacutegocieacutes des salaires ou du tempsde travail internes aux entreprises quisrsquoappuient tout drsquoabord sur les partenairessociaux mais peuvent ecirctre encourageacutes par lespouvoirs publics comme en Allemagne ou auxPays-Bas avec les laquo pactes pour lrsquoemploi raquo EnFrance le projet de loi sur la seacutecurisation delrsquoemploi du 14 mai 2013 comporte ce type dedisposition favorisant la flexibiliteacute interneAu cas ougrave lrsquoentreprise rencontre de graves dif-ficulteacutes conjoncturelles un employeur pourraconclure pendant deux ans maximum unaccord avec des syndicats repreacutesentant plusde 50 des salarieacutes pour ameacutenager le tempsde travail et la reacutemuneacuteration (sans diminuerles salaires infeacuterieurs agrave 12 SMIC)

Les politiques actives

Mecircme si le recours aux politiques activescibleacutees apparaicirct globalement en retrait parrapport aux crises anteacuterieures (deacutebut desanneacutees 1990 par exemple) elles jouent un rocirclecontracyclique important Les emplois aideacutespermettent en effet drsquoeacuteviter lrsquoenfermementdans des trajectoires de chocircmage de longuedureacutee ou drsquoinactiviteacute prolongeacutees en Franceleur relance srsquoest principalement appuyeacutee surle secteur non marchand (CUI-CAE emploisdrsquoavenir depuis octobre 2012) Dans la plu-part des pays les mesures centreacutees sur lesjeunes (en particulier les non-diplocircmeacutes)occupent une place importante (Young Per-sonrsquos Guarantee au Royaume-Uni emploislaquo nouveau deacutepart raquo en Suegravede) ainsi que lesdispositifs drsquoaccompagnement des transi-tions professionnelles dans les restructura-tions industrielles qui concernent cependantdes effectifs beaucoup plus limiteacutes (contrat detransition professionnelle en France centresde mobiliteacute aux Pays-Bas) En parallegravele de cesdispositifs les reacuteformes engageacutees avant 2008

[1] Chiffres duministegravere du Travail

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 101

en matiegravere drsquoaccompagnement des chocircmeursse sont poursuivies (creacuteation de Pocircle emploien France ndash cf encadreacute ndash regroupements desservices au Danemark au niveau communalen 2009) ainsi que le deacuteveloppement des dis-positifs drsquoapprentissage pour les jeunes

Les politiques de rigueur meneacutees depuis 2010entrent en contradiction avec un recours plusimportant aux politiques de lrsquoemploi ellesse traduisent en particulier par des restric-tions de la dureacutee de lrsquoassurance-chocircmagey compris dans des pays de tradition geacuteneacute-reuse (passage de la dureacutee drsquoindemnisationde quatre agrave deux ans au Danemark) ainsi quepar des contraintes budgeacutetaires fortes pourles politiques actives

Les politiques de lrsquoemploi poursuivent desobjectifs multiples et parfois contradictoires par exemple lrsquoacquisition drsquoune formationqualifiante pour un chocircmeur peut retarderson retour agrave lrsquoemploi Toutefois elle favoriseen principe lrsquoaccegraves agrave des emplois plus stableset de meilleure qualiteacute et contribue donc pluslargement la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie

De fait lrsquoeacutevaluation des mesures est com-plexe surtout en peacuteriode de crise Selon uneeacutetude reacutecente il semblerait toutefois que les

dispositifs apportant un contenu en quali-fication aient des effets plus favorables enpeacuteriode de reacutecession dans la mesure ougrave ilspermettent lrsquoaccegraves agrave de meilleurs emploislors de la reprise alors que la probabiliteacute deretrouver un emploi immeacutediatement est faible(Forslund et al 2011) De mecircme bien que lebilan en termes de creacuteations nettes drsquoemploisoit mitigeacute les dispositifs drsquoemplois aideacutespeuvent eacuteviter les conseacutequences neacutegatives duchocircmage Ainsi les emplois jeunes de 1997semblent avoir bien joueacute leur rocircle drsquoinsertiondes jeunes agrave court terme sans peacutenaliteacute surleurs trajectoires drsquoemploi ulteacuterieures (mal-greacute un deacutesavantage salarial) Leurs effets surles trajectoires ulteacuterieures des beacuteneacuteficiairesdeacutependent toutefois du type drsquoemployeurs etde leurs strateacutegies vis-agrave-vis des beacuteneacuteficiairesce qui conduit agrave recommander un accompa-gnement par le service de lrsquoemploi afin depreacuteparer la sortie des dispositifs (Gomel etLopez 2012)

Cependant lrsquoaccompagnement et la reacuteflexionsur la qualiteacute des trajectoires se heurtentdans la plupart des pays agrave la restriction desdeacutepenses publiques qui limite les moyensdisponibles

CALAVREZO O DUHAUTOISR etWALKOWIAK E (2009) laquo Chocircmage partiel etlicenciements eacuteconomiques raquoConnaissance de lrsquoemploi mars ndeg 63

ERHEL C (2009) Les politiques de lrsquoemploi Paris PUF coll laquo Que sais-je raquo

ERHEL C et LEVIONNOISC (2013) laquo Les politiques

de lrsquoemploi et la laquo GrandeDeacutepression raquo du XXIe siegravecle raquoin Spieser C (ed) Lrsquoemploien temps de crise Liaisonssociales

ESPING-ANDERSEN G (1990) Les trois mondes de lrsquoEacutetat-providence Paris PUF

FORSLUND A FREDRIKSSONP etVIKSTROumlM J (2011) laquo WhatActive Labour Market Policy

Works in a Recession raquo IFAU Working Paper

GOMEL B et LOPEZ A(2012) laquo Effets des emplois-jeunes sur les trajectoiresprofessionnelles raquoConnaissance de lrsquoemploindeg 94 juillet

OCDE (2010) Perspectivesde lrsquoemploi Paris OCDE

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 102

POcircLE EMPLOIPocircle emploi est neacute le 19 deacutecembre 2009

de la fusion entre lrsquoAgence nationale

pour lrsquoemploi (ANPE) et les ASSEDIC Il

srsquoagit drsquoun eacutetablissement public dont les

missions principales sont lrsquoindemnisation

et le placement des demandeurs drsquoemploi

ainsi que lrsquoaide aux entreprises pour leurs

recrutements Pocircle emploi employait 45 418

personnes en eacutequivalent temps plein en 2008

Cette fusion ne concerne pas lrsquoUNEDIC qui

demeure un organisme indeacutependant geacutereacute par

les partenaires sociaux et responsable de la

gestion des fonds de lrsquoassurance-chocircmage et

des regravegles drsquoindemnisation

Lrsquoideacutee drsquoune telle fusion des fonctions

drsquoindemnisation et de placement nrsquoest pas

nouvelle mais diffeacuterents rapports consacreacutes

agrave cette question de lrsquoorganisation des services

aux chocircmeurs (rapport IGAS de 1994 rapport

Marimbert de 2004) avaient plutocirct souligneacute les

difficulteacutes de sa mise en œuvre notamment

du fait des statuts diffeacuterencieacutes des personnels

(droit priveacute cocircteacute ASSEDIC et fonctionnaires

ou droit public agrave lrsquoANPE) Elle srsquoinscrit dans

la continuiteacute de reacuteformes meneacutees ailleurs

en Europe en premier lieu au Royaume-Uni

degraves les anneacutees 1990 (avec la creacuteation des

Jobcentres puis des Jobcentres + en 2002) et

aboutissant agrave la mise en place de laquo guichets

uniques raquo pour les chocircmeurs Les objectifs

de ce type de reacuteforme institutionnelle sont

multiples simplifier les deacutemarches des

demandeurs drsquoemploi ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute

de leur suivi en liant indemnisation et aide agrave

la recherche drsquoemploi deacutegager des moyens

humains suppleacutementaires pour lrsquoaide agrave la

recherche drsquoemploi gracircce agrave la reacuteorganisation

etou reacuteduire les deacutepenses publiques pour

lrsquoemploi

Dans le cas franccedilais un certain nombre

de choix ont eacuteteacute faits pour cette nouvelle

institution Bien que Pocircle emploi soit un

eacutetablissement public son personnel est reacutegi

par le droit du travail et par une convention

collective speacutecifique Toutefois il a eacuteteacute laisseacute le

choix aux personnels de lrsquoANPE de conserver

leur statut de fonctionnaire ou drsquoadopter le

nouveau statut (en pratique en 2011 80

du personnel eacutetait sous statut priveacute) La

gouvernance de Pocircle emploi est tripartite

impliquant lrsquoEacutetat et les partenaires sociaux

et se traduisant par une convention tripartite

pluri-annuelle (la premiegravere concernait la

peacuteriode 2009-2011 la seconde 2012-2014)

Lrsquoorganisation est reacutegionaliseacutee avec des

directions reacutegionales responsables du suivi

de lrsquoactiviteacute dans la reacutegion participant agrave la

coordination des politiques de lrsquoemploi avec le

Preacutefet de reacutegion (et les DIRECCTES services

deacuteconcentreacutes du ministegravere du Travail) Une

reacuteorganisation territoriale est mise en œuvre

agrave partir des anciennes agences locales

de lrsquoANPE et des ASSEDIC aboutissant agrave

un millier drsquoagences preacutesentes sur tout le

territoire Le financement provient aux deux

tiers de lrsquoUNEDIC et le solde de lrsquoEacutetat En 2011

le budget srsquoeacutelevait agrave 4618 milliards drsquoeuros

Les missions de Pocircle emploi sont les

suivantes

ndash prospecter le marcheacute du travail afin

drsquoidentifier et de preacutevoir les eacutevolutions de

lrsquoemploi

ndash accueillir informer et accompagner les

demandeurs drsquoemploi

ndash inscrire les chocircmeurs sur la liste des

demandeurs drsquoemploi et controcircler leur

recherche drsquoemploi en appliquant des

sanctions le cas eacutecheacuteant

ndash assurer le versement des prestations

(allocation drsquoaide au retour agrave lrsquoemploi ndash ARE ndash

allocation de solidariteacute speacutecifique ndash ASS ndash)

Trois ans apregraves la reacuteforme le bilan semble

positif deux chocircmeurs sur trois se deacuteclaraient

satisfaits des services de Pocircle emploi en

2010 La mise en œuvre en peacuteriode de crise

a toutefois eacuteteacute difficile Degraves janvier 2009 Pocircle

emploi a ducirc faire face agrave une augmentation

journaliegravere de 3000 demandeurs drsquoemploi

alors qursquoil venait drsquoecirctre creacuteeacute Ceci a conduit agrave

une grande deacutesorganisation notamment pour

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 103

les contacts par les chocircmeurs mais eacutegalement

pour les deacutelais de traitement des demandes

drsquoinscription Du point de vue des salarieacutes de

Pocircle emploi il en a eacutegalement reacutesulteacute une

forte augmentation de leur charge de travail

conduisant agrave une monteacutee des risques psycho-

sociaux drsquoautant que la reacuteforme avait sous-

estimeacute la diffeacuterence entre les deux meacutetiers de

lrsquoindemnisation et du placement De maniegravere

plus structurelle la reacuteforme ne reacutesout pas

lrsquoinsuffisance des moyens en personnel du

service public de lrsquoemploi franccedilais souligneacutee

par les comparaisons internationales Un

rapport de lrsquoIGF de 2010 pointe ainsi un ratio

drsquoencadrement des demandeurs drsquoemploi

de 215 pour 10000 eacutequivalents temps plein

en France contre 221 au Royaume-Uni et

420 en Allemagne (il srsquoagit drsquoune deacutefinition

large incluant lrsquoensemble des personnels

intervenant dans lrsquoaide aux chocircmeurs y

compris les CAF en France qui prennent en

charge les beacuteneacuteficiaires du RSA) En ce qui

concerne la mission de services aupregraves des

employeurs les ratios sont plus favorables

pour la France avec 22 eacutequivalents temps

plein pour 10 000 chocircmeurs contre 10 au

Royaume-Uni et 18 en Allemagne

La modernisation des services se poursuit

dans le cadre de la convention tripartite 2012-

2014 et du plan strateacutegique 2015 Elle preacutevoit

notamment une personnalisation de lrsquoaide agrave

la recherche drsquoemploi en fonction des profils

des chocircmeurs et une territorialisation accrue

donnant plus drsquoautonomie agrave lrsquoeacutechelon reacutegional

Christine Erhel

SourcesRapport drsquoactiviteacute de Pocircle emploi 2011

IGF (2010) Eacutetude comparative des effectifs des

services publics de lrsquoemploi en France

en Allemagne et au Royaume-Uni

Seacutenat (2011) Rapport de la mission

drsquoinformation relative agrave Pocircle emploi ndeg 713

juillet

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 104

Embleacutematique des Trente Glorieuses sous la forme drsquoun soutien public aux laquo champions natio-naux raquo la politique industrielle a eacuteteacute abandonneacutee dans les anneacutees 1980 dans les pays deacuteve-loppeacutes au profit drsquointerventions plus transversales favorisant lrsquoenvironnement institutionnel et notamment la concurrence La laquo deacutesindustrialisation raquo dont souffrent les eacuteconomies avanceacutees avec la monteacutee en puissance des pays eacutemergents qui srsquoest renforceacutee depuis la crise lrsquoa tou-tefois replaceacutee parmi les prioriteacutes des gouvernements Apregraves un rappel des fondements de la politique industrielle Pierre-Noeumll Giraud fait le point sur son eacutevolution en insistant plus parti-culiegraverement sur les enjeux contemporains

Problegravemes eacuteconomiques

La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens

Des politiques industriellespour quoi faire Pourquoi faudrait-il des politiques indus-trielles De maniegravere geacuteneacuterale on reconnaicirctdeux motifs agrave lrsquoaction eacuteconomique de lrsquoEacutetat

ndash corriger les imperfections des marcheacutes ndashagrave condition que les interventions publiquesne soient pas encore plus inefficaces que desmarcheacutes mecircme imparfaits ndash

ndash modifier une reacutepartition des revenus jugeacuteeineacutequitable

Ce dernier cas ne concerne pas les politiquessectorielles La question de la leacutegitimiteacute eacuteco-nomique des politiques industrielles est donccelle de lrsquoexistence drsquoimperfections de marcheacutesqui seraient speacutecifiques agrave lrsquoindustrie Les acti-viteacutes polluantes nombreuses dans ce secteuren constituent une premiegravere source Lrsquoagricul-ture et certains services sont toutefois aussiconcerneacutes Corriger ces imperfections relegraveve

des politiques de protection de lrsquoenvironne-ment qui nrsquoont pas de speacutecificiteacute industrielleAinsi les politiques de lutte contre le change-ment climatique concernent tous les secteursde lrsquoeacuteconomie Il en est de mecircme des rende-ments croissants qui conduisent agrave des mono-poles naturels Lrsquoindustrie preacutesente nombre desituations de ce type mais elles sont traiteacuteespar les politiques geacuteneacuterales de concurrence etpar la reacuteglementation des monopoles naturelsque sont par exemple les grandes infrastruc-tures de transports drsquoeacutelectriciteacute de gaz drsquoeauet ferroviaires Ici encore pas de speacutecificiteacuteproprement industrielle Les politiques deprotection de la proprieacuteteacute intellectuelle sontcruciales pour stimuler lrsquoinnovation danslrsquoindustrie mais pas seulement et elles ne luisont pas speacutecifiques

PIERRE-NOEumlL GIRAUD

Mines ParisTech et Universiteacute Paris-Dauphine

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS105

Existe-t-il alors des interventions publiquesleacutegitimes qursquoon puisse regrouper sous leterme de laquo politique industrielle raquo Dans lespays les plus riches la reacuteponse de la plu-part des eacuteconomistes et des gouvernementsdepuis une trentaine drsquoanneacutees a eacuteteacute neacutegativeLrsquoEacutetat doit se contenter de creacuteer un environ-nement geacuteneacuteral favorable agrave lrsquoensemble desactiviteacutes eacuteconomiques quel que soit le sec-teur primaire secondaire ou tertiaire Celapasse par un Eacutetat de droit et une bonnelaquo gouvernance raquo publique une fiscaliteacute stableet preacutevisible une politique de concurrenceune politique de protection de la proprieacuteteacuteintellectuelle et enfin la fourniture drsquoun cer-tain nombre de biens publics protectionde lrsquoenvironnement eacuteducation et recherchefondamentale Et surtout lrsquoEacutetat doit se gar-der de creacuteer des entreprises publiques dansle domaine de la production de biens et ser-vices pour des marcheacutes concurrentiels cardans ce domaine une bureaucratie publiqueest censeacutee ecirctre toujours moins efficace quela mise en concurrence des entreprises pri-veacutees motiveacutees par la recherche du profit Agrave larigueur des monopoles naturels tels que lesgrands reacuteseaux peuvent ecirctre geacutereacutes par desentreprises publiques Mais ces derniegraveresdeacutecennies la deacuteleacutegation de la gestion de cesmonopoles agrave des firmes priveacutees eacutetroitementreacuteglementeacutees ce qursquoon a appeleacute un laquo parte-nariat public-priveacute raquo fut dans ces domainesaussi consideacutereacutee comme plus efficace

Et pourtant les politiques industrielles onteacuteteacute omnipreacutesentes et massives dans les pro-cessus de rattrapage de la puissance eacutecono-mique et politique dominante par des Eacutetatsinitialement en retard industriel depuisqursquoau milieu du XIXe siegravecle Friedrich List ajustifieacute la laquo protection des industries nais-santes raquo Crsquoest encore le cas aujourdrsquohui dansles pays dits eacutemergents comme la ChinelrsquoInde ou le Breacutesil

Dans une premiegravere section nous eacutevoquonsces politiques de rattrapage leurs justifica-tions leurs succegraves et leurs eacutechecs Le fait nou-veau est qursquoaujourdrsquohui dans certains pays

drsquoEurope dont la France ougrave la deacutesindustria-lisation finit par creuser drsquoinquieacutetants deacutefi-cits exteacuterieurs les politiques industriellesreviennent agrave lrsquoordre du jour Nous explique-rons leur retour et les deacutecrirons dans uneseconde section

Les politiques industriellesdans les pays en rattrapage creacuteer des laquo champions nationaux raquo

laquo Proteacuteger les industriesnaissantes raquo les exemplesallemand franccedilais et ameacutericainagrave la fin du XIXe siegravecle

La justification de la protection des indus-tries naissantes est fondeacutee sur lrsquoexistencedans nombre drsquoindustries de rendementsdrsquoeacutechelle croissants et drsquoeffets drsquoapprentis-sage Supposons que dans un pays une entre-prise ait pris vingt ans drsquoavance dans uneactiviteacute ougrave existent des eacuteconomies drsquoeacutechellendash plus la production annuelle est importanteplus le coucirct unitaire est bas ndash et des eacutecono-mies drsquoapprentissage ndash les coucircts diminuentavec la production cumuleacutee donc avec lrsquoan-cienneteacute de la production ndash Une entreprisequi voudrait deacutevelopper cette industrie dansun autre pays (et drsquoailleurs aussi bien dansle pays pionnier) produirait neacutecessairementagrave des coucircts plus eacuteleveacutes Drsquoabord parce qursquoaudeacutepart au moins elle produirait des quan-titeacutes plus faibles et parce qursquoelle nrsquoauraitpas encore accumuleacute assez drsquoexpeacuterience Ensituation de libre eacutechange elle nrsquoaurait doncaucune chance face agrave lrsquoentreprise pionniegraverealors que proteacutegeacutee pendant les anneacutees de samonteacutee en puissance et en expeacuterience ellepourrait ensuite faire jeu eacutegal avec elle

Au milieu du XIXe siegravecle alors que la Grande-Bretagne puissance dominanteavait pris une avance consideacuterable dans lrsquoindustrie et procircnait le libre eacutechange sui-vant en cela les recommandations de David

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 106

Ricardo formuleacutees degraves 1820 lrsquoeacuteconomiste allemand Friedrich List consideacuterant qursquoune industrie moderne est indispensable agrave la puissance drsquoune nation preacuteconisait au contraire la protection des industries nais-santes par des barriegraveres douaniegraveres mais aussi par des aides publiques directesdes marcheacutes publics reacuteserveacutes et drsquoautres mesures de soutien Crsquoest ce que feront avec succegraves lrsquoAllemagne la France les Eacutetats-Unis agrave la fin du XIXe siegravecle et au deacutebut du XXe En revanche certains pays drsquoAmeacuterique latine connaicirctront dans les anneacutees 1930 des eacutechecs cuisants avec ces mecircmes politiquesLes industries initialement proteacutegeacutees ne parviendront jamais agrave rattraper celles des pays pionniers mais deviendront des bou-lets pour le budget de lrsquoEacutetat et finiront par sombrer sans doute parce que le marcheacute inteacuterieur eacutetait trop eacutetroit pour que les indus-tries naissantes connaissent une vive com-peacutetition interne indispensable substitut agrave la compeacutetition internationale dont elles eacutetaient proteacutegeacutees Ces politiques nrsquoont fait que creacuteer des rentes au profit de monopoles locaux et au deacutetriment des consommateurs et des contribuables

Le soutien aux laquo championsnationaux raquo dans les paysindustrialiseacutes au coursdes Trente Glorieuses

Apregraves la Seconde Guerre mondiale la puis-sance eacuteconomique des Eacutetats-Unis est sansrivale Le Japon reconstruit alors son indus-trie en la proteacutegeant Le ceacutelegravebre MITI leministegravere de lrsquoindustrie et du commerce exteacute-rieur seacutelectionne deux ou trois laquo championsnationaux raquo par branche organise entre euxune feacuteroce compeacutetition sur le marcheacute inteacute-rieur les aide en matiegravere de recherche etdrsquoinnovation puis quand ils sont suffisam-ment compeacutetitifs les autorise agrave se lancer agravela conquecircte des marcheacutes mondiaux ce qursquoilsferont avec le succegraves que lrsquoon sait eacutebranlantdans les anneacutees 1980 la supeacuterioriteacute indus-trielle ameacutericaineAvec vingt ans de deacutecalage

les laquo tigres raquo du Sud-Est asiatique la Coreacuteedu Sud et Taiwan adopteront le mecircme type depolitique industrielle

En France les gouvernements du Geacuteneacuteralde Gaulle et de Georges Pompidou megravenentune politique active de soutien agrave des entre-prises priveacutees pour en faire des championsnationaux creacuteent ex nihilo des entreprisespubliques dans des secteurs jugeacutes indis-pensables agrave la puissance et lrsquoindeacutependancede la nation tels que la deacutefense et lrsquoeacutenergie(peacutetrole nucleacuteaire) et participent activementagrave la creacuteation drsquoune industrie europeacuteenne delrsquoaeacuteronautique (Airbus) et de lrsquoespace (ArianeEspace) qui feront bientocirct jeu eacutegal avec lrsquoin-dustrie ameacutericaine

Les Eacutetats-Unis ne sont pas de reste Bien quele terme de laquo politique industrielle raquo ait fortmauvaise reacuteputation dans un pays ougrave lrsquoideacuteo-logie eacuteconomique officielle est que le gouver-nement ne doit pas se mecircler du laquo business raquo ille fait cependant en particulier en proteacutegeantdes acquisitions eacutetrangegraveres les secteurs jugeacuteslaquo strateacutegiques raquo par lrsquointermeacutediaire drsquoimpor-tants contrats de recherche et deacuteveloppement(RampD) lieacutes aux activiteacutes militaires et par lefinancement public de la recherche (le deacuteve-loppement du protocole internet a eacuteteacute financeacutepar des subventions militaires)

Des politiques propres aux payseacutemergents depuis les anneacutees 1980

Cependant agrave partir des anneacutees 1980 lesanciens champions nationaux de la laquo triade raquo(Eacutetats Unis Europe Japon) deviennent desfirmes laquo globales raquo qui investissent partoutdans le monde et relacircchent leurs relationsprivileacutegieacutees avec leur territoire drsquoorigine etson gouvernement Dans ces pays commeon lrsquoa dit les politiques industrielles secto-rielles et le soutien aux champions tendent agravedisparaicirctre et agrave se dissoudre dans des poli-tiques laquo horizontales raquo drsquoenvironnement favo-rable aux activiteacutes eacuteconomiques dans leurensemble

Il nrsquoen est rien cependant dans les grands payseacutemergents qui entament leur rattrapage la

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS107

Chine lrsquoInde le Breacutesil et mecircme la Russie Ilsmettent en œuvre des politiques industriellestregraves actives visant agrave faire eacutemerger des firmesinternationalement compeacutetitives dans pra-tiquement tous les secteurs industriels enutilisant toutes les armes agrave leur disposition protection de leur marcheacute inteacuterieur incita-tions aux investissements directs des firmesglobales et aux laquo joint ventures raquo avec lesfirmes locales pour transfeacuterer les savoirs et lessavoir-faire irrespect des normes eacutetrangegraveresconcernant la proprieacuteteacute intellectuelle subven-tions financement bancaire privileacutegieacutehellip

Le retour de la politiqueindustrielle en Europe

La politique de compeacutetitiviteacuteallemande et ses conseacutequences

Sans employer le terme de politique indus-trielle lrsquoAllemagne a ouvert en Europe unenouvelle peacuteriode avec les lois Hartz adopteacuteesen 2003-2005 sous le gouvernement social-deacutemocrate-vert de Gerhard Schroumlder Ces loislonguement neacutegocieacutees avec les syndicatsreacuteforment en profondeur certains aspects dulaquo modegravele social raquo allemand Elles visent enabaissant le coucirct du travail et en deacuteveloppantsa laquo flexibiliteacute raquo agrave augmenter la compeacutetitiviteacuteinternationale des entreprises exportatricesqui en Allemagne sont pour lrsquoessentiel desentreprises industrielles

Conseacutequence la compeacutetitiviteacute relative desautres pays drsquoEurope srsquoeacuterode Certainscomme la France traditionnellement exporta-teurs nets de biens manufactureacutes deviennentdeacuteficitaires En dix ans le solde de la balancecommerciale des biens manufactureacutes estpasseacute drsquoun exceacutedent drsquoenviron 25 milliardsdrsquoeuros agrave un deacuteficit du mecircme montant Quantau deacuteficit en eacutenergie et matiegraveres premiegraveresil oscille autour de 50 milliards drsquoeuros Lafinance globale permet certes agrave un pays devivre quelques anneacutees en deacuteficit commercialen srsquoendettant agrave lrsquoeacutetranger Mais on ne peut

srsquoendetter indeacutefiniment et il faut donc trouverles moyens de reacuteduire le deacuteficit commercial

Les services et lrsquoindustriede haute technologie insuffisantspour combler le deacuteficit exteacuterieur

Or en la matiegravere nous devons nous deacutefaireau plus vite de deux illusions encore tenacesLa premiegravere est que les exportations de ser-vices pourraient combler les deacuteficits indus-triels Les services ne repreacutesentent que 20 du commerce mondial une part stable depuisdix ans En 2010 le solde positif des eacutechangesde services de tourisme un secteur ougrave pour-tant la France excelle srsquoeacutelevait agrave 53 milliardsdrsquoeuros Dans le mecircme temps les autres ser-vices affichaient un deacuteficit de 12 milliarddrsquoeuros Espegravere-t-on que leur deacuteveloppementcomblera le deacuteficit industriel

La seconde illusion est qursquoil suffirait de conforter nos points forts dans les indus-tries de haute technologie (aeacuteronautiquepharmacie eacutelectronique deacutefense) ou de marques (luxe une partie de lrsquoagroalimen-taire etc) Ces deux secteurs ne repreacutesen-tent que 18 de la valeur ajouteacutee et 12 de lrsquoemploi industriel en France Depuis cinq ans ils ont agrave peine reacuteussi agrave mainte-nir le nombre de leurs emplois tandis que des secteurs repreacutesentant 40 des emplois industriels sont menaceacutes de disparition si les tendances actuelles agrave la deacutesindustriali-sation se poursuivent1

En reacutealiteacute les distinctions entre industrieset services ou entre haute et basse technolo-gie sont deacutepasseacutees Lrsquoindustrie et les servicesforment deacutesormais un systegraveme inteacutegreacute Pasde services sans infrastructures de reacuteseauxsans biens drsquoeacutequipement et de consomma-tion Pas drsquoindustrie sans de nombreux ser-vices drsquoailleurs souvent externaliseacutes Il estpar ailleurs absurde drsquoimaginer une divisioninternationale du travail entre pays laquo intel-lectuels raquo concepteurs et creacuteateurs et payslaquo manuels raquo fabricants et exeacutecutants On nepeut en effet innover durablement loin desusines et des consommateurs

[1] Chiffres extraitsdrsquoune eacutetude du

McKinsey GlobalInstitute posteacutee sur sonsite en 2011 Reproduits

dans Giraud P-Net Weil T (2013)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 108

Emplois nomadesemplois seacutedentaires

Pour mieux analyser la dynamique de la glo-balisation il faut deacutesormais distinguer lesemplois laquo nomades raquo et laquo seacutedentaires raquo2 Lespremiers sont les emplois directement expo-seacutes agrave la compeacutetition internationale car ilsproduisent des biens et des services eacutechan-geables internationalement Ce sont lesemplois de lrsquoindustrie manufacturiegravere maisaussi de lrsquoagriculture et de certains servicescomme le tourisme ainsi que de maniegraverecroissante les services qui peuvent ecirctre ren-dus agrave distance gracircce agrave internet certains ser-vices aux entreprises services financiers deconseil de comptabiliteacute les laquo call centers raquo etchellip Ces emplois sont par nature laquo deacuteloca-lisables raquo degraves qursquoils perdent leur compeacutetiti-viteacute dans un pays donneacute ils reacuteapparaissentmais dans un autre Les emplois seacutedentairesquand agrave eux produisent exclusivement desbiens et services consommeacutes localement Lagrande majoriteacute sont des emplois de service santeacute eacuteducation administration publiqueservices agrave la personne commerce de deacutetailtransports nationaux mais pas seulement Lebacirctiment et les travaux publics les industriesde mateacuteriaux de construction qui voyagentpeu comme le ciment la production et ladistribution drsquoeau drsquoeacutelectriciteacute offrent desemplois seacutedentaires

Dans chaque pays les travailleurs laquo seacuteden-taires raquo ont tout inteacuterecirct agrave ce que les emploislaquo nomades raquo localiseacutes sur leur territoire soientnombreux et tregraves bien payeacutes car dans ce casils achegravetent en plus grande quantiteacute les bienslocaux que les seacutedentaires produisent et ilsles laquo tirent raquo ainsi vers le haut En revancheles travailleurs laquo nomades raquo ont inteacuterecirct agrave ceque leurs laquo seacutedentaires raquo soient pauvres afinqursquoils leur fournissent des biens et serviceslocaux agrave bas prix dont certains sont des fac-teurs de production Ainsi un informaticienindien formeacute agrave Stanford et rentreacute agrave Banga-lore aura un salaire bien infeacuterieur agrave celui deson collegravegue resteacute en Californie Il sera doncagrave compeacutetence eacutegale plus compeacutetitif que lui

dans lrsquoaregravene mondiale des services infor-matiques Cependant il vivra mieux avec cesalaire agrave Bangalore qursquoagrave Palo Alto En effeten Inde on peut srsquooffrir une tregraves belle maisonet trois domestiques pour beaucoup moinsdrsquoargent qursquoen Californie les ouvriers dubacirctiment et les fournisseurs de services agrave lapersonne y eacutetant encore tregraves pauvres

Cette divergence drsquointeacuterecircts entre emploisnomades et seacutedentaires au sein drsquoun mecircmeterritoire signe la fin de la solidariteacute eacutecono-mique objective du modegravele des Trente Glo-rieuses On assiste au contraire agrave lrsquoextensiondu laquo modegravele indien raquo ougrave des icirclots de prospeacute-riteacute peupleacutes de travailleurs nomades globa-liseacutes peu nombreux mais tregraves riches flottentsur un oceacutean de seacutedentaires pauvres Or lesEacutetats-Unis dans une moindre mesure lrsquoAlle-magne et mecircme la France se rapprochentde ce modegravele tregraves ineacutegalitaire En 2008 lenombre drsquoemplois nomades nrsquoest plus que de11 aux Eacutetats Unis 15 en France et 21 en Allemagne Dans ces deux derniers paysil a diminueacute de pregraves drsquoun tiers en vingt ansLa valeur ajouteacutee par emploi nomade est auxEacutetats Unis de 43 supeacuterieure agrave la valeurajouteacutee par emploi seacutedentaire de 15 enAllemagne Les eacutecarts de revenus salariauxentre les nomades et les seacutedentaires se sontaccrus de 30 en Allemagne Ce pays estdeacutesormais confronteacute agrave un nombre significatifde laquo travailleurs pauvres raquo essentiellementdans les secteurs seacutedentaires avec en 201071 des actifs gagnant moins de 940 eurospar mois et 75 millions drsquoemployeacutes avec unsalaire horaire infeacuterieur agrave 926 euros bruts

Quelle politique industrielleen France et en Europe Pour inverser cette tendance et maintenircreacuteer et attirer en France beaucoup plusdrsquoemplois nomades il faut absolument deacuteve-lopper lrsquoindustrie manufacturiegravere et lesservices nomades Cela exige drsquoagir agrave troisniveaux ougrave se deacutecline donc un programme

[2] Sur ces conceptset leur usagecf Giraud P-N (2012)La mondialisationEacutemergences etfragmentations AuxerreSciences HumainesEacuteditions

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS109

de politique industrielle pour la France etlrsquoEurope aujourdrsquohui

Premier niveau laquo balayer devant notre porte raquo

Il est impeacuteratif drsquoagir au niveau national pourcombler lrsquoeacutecart de compeacutetitiviteacute qui srsquoestcreuseacute avec les meilleurs Europeacuteens lrsquoAlle-magne et la Suegravede Les raisons du deacutecrochagede lrsquoindustrie franccedilaise sont bien identifieacuteesLa plupart de nos faiblesses relegravevent drsquoundeacuteficit de laquo capital social raquo de confiance entreles nombreuses parties prenantes Les effortsagrave fournir concernent notamment la formationinitiale et permanente les relations socialesla gouvernance et le financement des entre-prises une fiscaliteacute non peacutenalisante lisible etstable un financement des transferts sociauxqui pegravese moins sur le travail plus de solida-riteacute et de relations entre les acteurs pour deacuteve-lopper des synergies territoriales et au seindes filiegraveres une simplification des rapportsaux administrations Tout cela au servicedrsquoune indispensable laquo monteacutee en gamme raquopermettant de reconstituer les marges desentreprises et de retrouver une compeacutetitiviteacutecomparable agrave celle des meilleurs EuropeacuteensLrsquoessentiel de cet effort repose sur les entre-prises elles-mecircmes et leur parties prenantesMais lrsquoEacutetat peut et doit les soutenir Le rap-port Gallois (2013) deacutecrit en deacutetail ces actionsde politique eacuteconomique dont lrsquoessentielsont horizontales srsquoadressant au tissu pro-ductif dans son ensemble et non agrave tel secteuren particulier

Deuxiegraveme niveau lrsquoEurope

Agrave lrsquoeacutechelon europeacuteen la prioriteacute est drsquoeacutevi-ter que la concurrence entre pays membrespousse chacun au moins-disant social et fiscaldans une course suicidaire Il srsquoagit ensuitede reconnaicirctre qursquoil est impossible que lrsquoEu-rope du Nord ndash avec son hinterland lrsquoEuropede lrsquoEst ndash se speacutecialise seule dans lrsquoindustrieQue lui vendront alors les pays drsquoEurope duSud Du tourisme De lrsquohuile drsquoolive et duvin Il faut donc eacutelaborer et mettre en œuvre

une politique industrielle strateacutegique euro-peacuteenne qui favorise une meilleure reacutepartitionde lrsquoindustrie au sein des territoires et contri-bue ainsi agrave la convergence des eacuteconomies despays de lrsquoUnion

Troisiegraveme niveau le monde

LrsquoEurope si elle srsquoengage dans la voie duregraveglement de ses problegravemes internes quisont consideacuterables doit aussi neacutegocier avecles pays eacutemergents la question de la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie En raison degigantesques imperfections de marcheacute et dedeacutefauts manifestes de coopeacuteration la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie est aujourdrsquohuifortement sous-optimale Il y en a dramati-quement trop peu en Afrique le geacuteant deacutemo-graphique de demain Il y en a deacutesormaistrop peu en Europe et en Ameacuterique du NordEn Asie agrave lrsquoinverse elle est trop extravertieIl serait eacutevidemment dans lrsquointeacuterecirct collectifque les firmes des pays asiatiques eacutemergentsmais aussi du Breacutesil investissent encore plusmassivement dans lrsquoindustrie manufactu-riegravere en Afrique que les pays eacutemergents serecentrent sur leur marcheacute inteacuterieur et sefixent comme objectif de reacuteduire les immensesineacutegaliteacutes qui se sont creuseacutees ou persistenten leur sein et qursquoenfin lrsquoEurope cesse de sedeacutesindustrialiser en deacutetruisant de maniegraveremassive un capital humain et social qursquoil seratregraves difficile voire impossible de reconstituerlorsque les pays eacutemergents auront perdu leurcompeacutetitiviteacute dans des segments entiers deschaicircnes de valeur ougrave ils excellent aujourdrsquohui

Pour parvenir agrave une meilleure reacutepartition agravelong terme fort beacuteneacutefique agrave tous de lrsquoindus-trie mondiale il est indispensable de privileacute-gier la neacutegociation et la coopeacuteration avec lespays eacutemergents Une combinaison neacutegocieacuteede politiques macro-eacuteconomiques de changeet industrielles est certainement le meilleurmoyen drsquoatteindre les objectifs de reacuteeacutequili-brage de lrsquoindustrie-services dans le mondeMais dans toute neacutegociation il faut disposerdrsquoun plan B Nous avons proposeacute qursquoen casdrsquoimpossibiliteacute de neacutegocier lrsquoEurope impose

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 110

dans certaines industries des normes devaleur ajouteacutee locale minimale pour avoiraccegraves au marcheacute europeacuteen agrave lrsquoimage de ceque font les pays eacutemergents comme la Chineainsi que des standards environnementauxplus strict et eacutequivalents agrave ceux qursquoelle srsquoim-pose agrave elle-mecircme Le maicirctre mot est ici laquo reacuteci-prociteacute raquo avec des pays qui sont deacutesormaissur le plan technologique des eacutegaux

En France ce qui est essentiel aujourdrsquohuiest de prendre conscience de lrsquoimportance deces enjeux de lrsquourgence drsquoavancer simultaneacute-ment sur les trois fronts qui viennent drsquoecirctreeacutevoqueacutes et de se remettre agrave laquo aimer notreindustrie raquo3

GALLOIS L (2013) laquo Pactepour la compeacutetitiviteacute delrsquoindustrie franccedilaise raquo rapportau Premier Ministre ParisLa Documentation franccedilaise

GIRAUD P-N etWEIL T(2013) Lrsquoindustrie franccedilaisedeacutecroche-t-elle ParisLa Documentation franccedilaisecoll laquo Docrsquoen poche raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

[3] Ces analyses etces propositions sontdeacuteveloppeacutees dans Giraud P-N et WeilThierry (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION111

MICHEL RAINELLI

Universiteacute Nice Sophia Antipolis

Lrsquoobjectif de la politique commerciale est de modifier les flux des eacutechanges commerciaux dans un sens favorable agrave la nation geacuteneacuteralement en augmentant les exportations et en diminuant les importations dans le but de favoriser les entreprises domestiques et de sauvegarder des emplois Depuis lrsquoapregraves-guerre la politique commerciale des pays industrialiseacutes est largement orienteacutee par la libeacuteralisation multilateacuterale des eacutechanges orchestreacutee par le GATT puis lrsquoOMC Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances dans le cadre de la mondialisation a toutefois consideacute-rablement accru la concurrence internationale pour les pays avanceacutes ce qui a fait ressurgir la tentation protectionniste et exacerbeacute les tensions Nord-Sud La crise nrsquoa fait qursquoaggraver la situation Le blocage du cycle de Doha pour le deacuteveloppement patent depuis 2005 lrsquoatteste Selon Michel Rainelli il ne faudrait toutefois pas en conclure agrave une fin des accords de libre-eacutechange et de lrsquoinfluence de lrsquoOMC celle-ci reste essentielle sur le plan de la gestion des diffeacuterends commerciaux et de nombreux accords bilateacuteraux pallient en partie les faiblesses actuelles du multilateacuteralisme

Problegravemes eacuteconomiques

La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation

Lrsquoobjectif de la politique commerciale estdrsquoinfluencer les flux des eacutechanges interna-tionaux les nations cherchant agrave deacutevelop-per leurs exportations agrave restreindre leursimportations ou encore agrave jouer simultaneacute-ment sur les deux Sans cette intervention leseacutechanges entre les pays srsquoexpliqueraient parles diffeacuterents deacuteterminants eacutetudieacutes par lestheacuteories du commerce international commepar exemple les avantages comparatifs lesrendements drsquoeacutechelle croissants la diffeacute-renciation des produits mais aussi par les

obstacles geacuteographiques les coucircts du trans-port des marchandises etc1

La politique commerciale a donc pour butde modifier la speacutecialisation internationalelaquo spontaneacutee raquo Lrsquoobjectif principal est drsquoaug-menter par une baisse des importations ouune promotion des exportations le niveaudrsquoactiviteacute de lrsquoeacuteconomie du pays principa-lement pour agir sur le niveau de lrsquoemploiLes gouvernements disposent drsquoune gammedrsquoinstruments importante lorsqursquoil srsquoagitdrsquoinfluencer leurs importations alors quelrsquoaction sur les exportations repose sur desvariables moins nombreuses et surtout plusindirectes La politique commerciale effecti-vement mise œuvre par les gouvernementsest tregraves deacutependante de lrsquoenvironnement[1] Voir Rainelli M (2009)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 112

eacuteconomique geacuteneacuteral et de la conjoncture lespeacuteriodes de crise eacutetant caracteacuteriseacutees par destensions protectionnistes tandis que la crois-sance favorise le libre-eacutechange Mais la poli-tique commerciale deacutepend aussi fortementdes caracteacuteristiques du commerce internatio-nal et de lrsquoexistence drsquoorganisations interna-tionales deacutedieacutees agrave la reacutegulation des eacutechanges

Les instrumentsde la politique commercialeAgir sur les importationsIl existe de nombreuses possibiliteacutes permet-tant de rencheacuterir les prix des biens et ser-vices importeacutes ou agrave lrsquoextrecircme drsquointerdireleur accegraves au marcheacute

Lrsquoinstrument classique est lrsquoinstauration drsquoundroit de douane qui augmente le prix du biensur le marcheacute national et assure de surcroicirctdes recettes fiscales Crsquoest la forme la plusancienne du protectionnisme connue sousle nom de barriegraveres tarifaires Il existe parailleurs un ensemble de mesures regroupeacuteessous le nom de barriegraveres non tarifaires quirecouvrent des instruments divers comme lerecours agrave des limitations quantitatives drsquoac-cegraves au marcheacute avec des quotas (les importa-tions ne peuvent concerner qursquoun contingentdu marcheacute national) lrsquoinstauration de normestechniques ou sanitaires qui empecirccherontdes produits eacutetrangers ne les satisfaisantpas drsquoecirctre vendus dans le pays ou encore desreacuteglementations diverses Dans tous les cassoit via une augmentation des prix soit viaune restriction de lrsquoaccegraves au marcheacute lrsquoins-tauration de barriegraveres tarifaires ou non tari-faires permet de proteacuteger les producteursnationaux de la concurrence eacutetrangegravere

Agir sur les exportationsLorsqursquoune nation veut promouvoir ses expor-tations elle cherche agrave diminuer les coucircts pourles entreprises preacutesentes agrave lrsquointernationaldonc agrave abaisser leurs prix sur le marcheacute mon-dial lrsquooutil le plus eacutevident est alors celui de

subventions agrave la production ou la diminu-tion des charges pesant sur les entreprisesexportatrices Les pouvoirs publics peuventaussi jouer sur drsquoautres paramegravetres influantla speacutecialisation internationale en favori-sant les innovations par des subventions agrave larecherche et deacuteveloppement (RampD) en faci-litant les transferts entre recherche publiqueet recherche priveacutee Ils peuvent eacutegalementdeacutevelopper une politique drsquoattraction drsquoen-treprises eacutetrangegraveres qui exporteront agrave par-tir de leur nouveau territoire drsquoimplantationPour lrsquoessentiel ces diffeacuterentes interventionsrelegravevent de la politique industrielle2 Uneautre option est en preacutesence de barriegraveres aucommerce international drsquoentrer dans desneacutegociations avec drsquoautres nations afin delibeacuteraliser les eacutechanges

Les actions sur le taux de changeUne autre politique publique a un impact surles flux commerciaux mecircme si ce nrsquoest pasneacutecessairement sa fonction premiegravere il srsquoagitde la politique moneacutetaire qui peut influencerle taux de change Ainsi une politique moneacute-taire expansive conduit agrave une deacutepreacuteciation dela monnaie nationale qui diminue le prix desexportations et augmente celui des impor-tations Lrsquoexemple japonais entre la fin 2012et le deacutebut 2013 en est une parfaite illustra-tion lrsquoinjection massive de liquiditeacutes par laBanque centrale du Japon avec un objectifde doublement de la quantiteacute de monnaie encirculation dans un deacutelai de deux ans a pourobjectif premier de sortir le pays de la deacutefla-tion en favorisant lrsquoinflation Mais cette poli-tique a un effet secondaire conduisant entrenovembre 2012 et mars 2013 agrave une baisse deplus de 20 du taux de change du yen parrapport au dollar Cependant les premiersreacutesultats indiquent que les importations ontcrucirc plus rapidement que les exportations etdonc que le deacuteficit commercial srsquoest dans unpremier temps creuseacute Le pari des autoriteacutesjaponaises est que le mouvement srsquoinverseradans un deuxiegraveme temps et que la deacutepreacutecia-tion du yen va contribuer agrave lrsquoaccroissementdes exportations (cf zoom)

[2] Sur la politiqueindustrielle voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de P-N Giraudpp 104-110

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 113

Le recours par un gouvernement aux instru-ments de la politique commerciale deacutependde la croyance dans ses effets sur lrsquoeacuteconomienationale et du contexte geacuteneacuteral

Les orientations de la politiquecommercialeLes controverses de lrsquoanalyseeacuteconomiqueLes preacuteconisations de lrsquoanalyse eacuteconomiqueen matiegravere de politique commerciale sontcontroverseacutees Il existe une opposition degravesle XIXe siegravecle entre les deacutefenseurs du libre-eacutechange David Ricardo eacutetant le plus ceacutelegravebreagrave cette eacutepoque et drsquoautres qui considegraverentagrave lrsquoinstar de Frederich List qursquoune protec-tion temporaire de la nation est un preacute-alable indispensable au deacuteveloppementeacuteconomique Le deacutebat entre ces deux thegravesesest constant les deacuteveloppements de lrsquoanalyseeacuteconomique conduisant agrave des reformulations

et agrave de nouveaux arguments comme cela aeacuteteacute le cas dans les anneacutees 1980 avec la theacuteoriede la politique commerciale strateacutegique deacuteve-loppeacutee par Paul Krugman3 La politique com-merciale adopteacutee deacutepend donc de lrsquoadheacutesiondu gouvernement en place agrave la supeacuterioriteacute dulibre-eacutechange sur le protectionnisme maisaussi de la capaciteacute des groupes de pressionagrave traduire la deacutefense de leurs inteacuterecircts dansles options de lrsquoaction publique En effet lecommerce international toutes choses eacutegalespar ailleurs a un impact positif sur les sec-teurs exportateurs et neacutegatif sur les secteursconcurrenceacutes par les importations principa-lement par lrsquoaction de la concurrence interna-tionale sur les prix Les agents eacuteconomiquessalarieacutes et capitalistes affecteacutes par la concur-rence internationale sont donc tregraves inciteacutes agravedeacutefendre une politique protectionniste quiles proteacutegera et eacutevitera une remise en causede leurs emplois ou de leurs profits Dans lemecircme temps les agents qui beacuteneacuteficient dudeacuteveloppement des exportations seront pous-seacutes agrave deacutefendre le libre-eacutechange par crainte de

TTAAUX DE CHANGEUX DE CHANGEET SOET SOLLDE CDE COMMEROMMERCIACIALLSelSelon la theacuteorie eacutecon la theacuteorie eacuteconomique lonomique lrsquoameacuteliorrsquoameacuteliorationation

du solde cdu solde commerommercial qui peut ecirctrcial qui peut ecirctre atte attendueendue

drsquoune deacuteprdrsquoune deacutepreacuteciation du teacuteciation du taux de change nrsquoesaux de change nrsquoestt

ni immeacutediatni immeacutediate ni aute ni automatique Ellomatique Elle deacutepende deacutepend

de cde certertaines caines conditions et surtonditions et surtout ellout elle nee ne

se prse produit en geacuteneacuteroduit en geacuteneacuteral qursquoapral qursquoapregraves un tegraves un tempsemps

drsquoajusdrsquoajusttementement

Dans lDans le ce cas las le plus clase plus classique lsique le soldee solde

ccommerommercial suit une laquocial suit une laquo ccourbe en Jourbe en J raquoraquo

la deacuteprla deacutepreacuteciation de la monnaie nationaleacuteciation de la monnaie nationalee

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En effEn effet crsquoeset crsquoest dans un prt dans un premier temier temps lemps lrsquo laquorsquo laquo effeffet-et-

prixprix raquo qui domineraquo qui domine la bais la baisse du changese du change

rrencheacuterit lencheacuterit les biens importes biens importeacutes reacutes relativelativementement

aux biens eaux biens exportxporteacutes Si leacutes Si les ves volumes eacutechangeacutesolumes eacutechangeacutes

rresesttent lent les mecircmes les mecircmes le solde ce solde commerommercial secial se

crcreuse auteuse automatiquement Dans un secomatiquement Dans un secondond

ttemps lemps les quantites quantiteacutes seacutes srsquoadaptrsquoadaptent au nouvent au nouveaueau

prix ndash theacuteoriquement lprix ndash theacuteoriquement les quantites quantiteacutes eeacutes exportxporteacuteeseacutees

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vvolumeolume raquo lraquo lrsquoemportrsquoemporte geacuteneacutere geacuteneacuteralalement dans unement dans un

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deacutepend des eacutelasdeacutepend des eacutelasticitticiteacutes-prix des eeacutes-prix des exportxportationsations

et des importet des importations crsquoesations crsquoest-agrave-dirt-agrave-dire de lae de la

laquolaquo rreacuteactiviteacuteactiviteacuteeacute raquo des quantitraquo des quantiteacutes importeacutes importeacutees eteacutees et

eexportxporteacutees aux veacutees aux variations de prix En lariations de prix En lrsquoabsencrsquoabsencee

de subsde substituts la demande de biens importtituts la demande de biens importeacuteseacutes

diminuerdiminuera peu mecircme si la peu mecircme si les prix augmentes prix augmententent

Quand aux quantitQuand aux quantiteacutes eeacutes exportxporteacutees elleacutees elles nees ne

pourrpourront augmentont augmenter que si ler que si les entres entrepriseseprises

sont en mesursont en mesure drsquoace drsquoaccrcroicirctroicirctre le leur preur production etoduction et

qursquoil ne sqursquoil ne srsquoagit pas drsquoun sectrsquoagit pas drsquoun secteur dans leur dans lequel laequel la

demande esdemande est saturt satureacuteeeacutee

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

[3] Voir Rainelli M (2003)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 114

repreacutesailles eacutemanant des nations toucheacuteespar lrsquoinstauration du protectionnisme

Les politiques commercialesdans une perspective historique

Dans une perspective drsquohistoire eacuteconomiqueon note que le libre-eacutechange a de grandesdifficulteacutes agrave srsquoimposer et que les phases decrise sont marqueacutees par un retour du pro-tectionnisme le cas de la crise de 1929 eacutetantlrsquoexemple le plus net de lrsquoenchaicircnement quipeut srsquoinstaurer sous la forme drsquoune guerrecommerciale Lorsqursquoune nation confronteacuteeagrave une reacutecession prend lrsquoinitiative de mesuresprotectionnistes pour tenter de relancer soneacuteconomie elle deacuteclenche des contre-mesuresdes pays dont les exportations sont affecteacuteesdans une escalade protectionniste qui a glo-balement pour effet drsquoaggraver la crise LesEacutetats-Unis qui ont pris lrsquoinitiative en 1930drsquoune hausse tregraves significative de leur tarifdouanier ont ainsi deacuteclencheacute une guerre com-merciale en raison des reacutetorsions des grandespuissances europeacuteennes Cette escalade a eacuteteacutele facteur essentiel expliquant lrsquoeffondrementdu commerce mondial entre 1930 et 1935

Agrave la sortie de la Seconde Guerre mondialecette expeacuterience historique conduite agrave lacreacuteation en 1947 du GATT (General Agree-ment on Tariffs and Trade) auquel succeacute-dera en 1995 lrsquoOrganisation mondiale ducommerce (OMC)4 LrsquoOMC qui compte en 2013159 nations a deux fonctions compleacutemen-taires reprises de celles du GATT eacutelaborerdes regravegles qui limitent fortement le recoursau protectionnisme et organiser des cyclesde neacutegociations commerciales multilateacuteralesayant pour but de libeacuteraliser les eacutechangesinternationaux La politique commercialesrsquoinscrit donc pour les nations membres delrsquoOMC qui reacutealisent environ 95 du com-merce mondial dans un cadre contraint parles regravegles de lrsquoorganisation Certains outils dela politique commerciale sont prohibeacutes pourles membres de lrsquoOMC comme les subven-tions agrave lrsquoexportation pour les marchandises

drsquoautres sont tregraves eacutetroitement limiteacutes commeles restrictions quantitatives

La politique commercialedans le nouveau contexteeacuteconomique international

La mondialisation commerciale contempo-raine srsquoinscrit donc dans un contexte institu-tionnel qui contraint la politique commercialeMais la progression de la mondialisationchange le contexte dans lequel les nationssont confronteacutees agrave la concurrence internatio-nale et a un impact sur les politiques misesen œuvre Si lrsquoon considegravere la mondialisationreacutecente uniquement dans sa dimension com-merciale une tendance de fond eacutemerge

On assiste agrave une redistribution geacuteographiquede la place des nations dans les eacutechangesinternationaux avec la monteacutee de lrsquoAsie et aupremier chef de la Chine Drsquoapregraves les donneacuteesde lrsquoOMC entre 1993 et 2011 la part de lrsquoAsiedans les exportations mondiales de marchan-dises est passeacutee de 261 agrave 311 (celle dela Chine devenue premier exportateur mon-dial passe de 25 agrave 107 celle de lrsquoInde de06 agrave 17 pendant que le Japon passe de 99agrave 46 ) alors que les Eacutetats-Unis reacutegressentde 126 agrave 83 la France de 6 agrave 33 leRoyaume-Uni de 49 agrave 27 lrsquoAllemagne de103 agrave 83 5 La conseacutequence immeacutediate estque la question de la politique commercialedes grands pays du Nord se pose de plus enplus agrave lrsquoeacutegard des nations du Sud mecircme sidans certains secteurs lrsquoopposition entre lesEacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne (UE) esttoujours drsquoactualiteacute comme le deacutemontrentles diffeacuterends commerciaux entre Airbus etBoeing pour lrsquoaeacuteronautique ou sur le recoursaux organismes geacuteneacutetiquement modifieacutes(OGM) dans lrsquoagriculture

La nouvelle donne geacuteographique a une conseacute-quence significative sur la politique com-merciale en raison de la concurrence exerceacuteesur les marcheacutes des pays du Nord par desmarchandises en provenance de nationscaracteacuteriseacutees par un environnement socialet reacuteglementaire reposant sur des normes

[4] Voir Rainelli M (2011)

[5] OMC (2012)Statistiques ducommerce mondialhttpwtoorgfrenchres_fstatis_fits2012_fits12_world_trade_dev_fpdfTab I5 p 24 et TabI7 p 26

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 115

beaucoup moins contraignantes Ces diffeacute-rences de normes sont agrave lrsquoorigine drsquoaccusa-tions de concurrence deacuteloyale qui nourrissentdes demandes reacutepeacuteteacutees de mesures protec-tionnistes en Europe comme aux Eacutetats-Unissoit de maniegravere geacuteneacuteraliseacutee les produitsprovenant de pays drsquoAsie devant faire lrsquoobjetde mesures correctrices aux frontiegraveres parlrsquoimposition de droits de douane significatifssoit plus ponctuellement avec des justifica-tions diverses selon les secteurs concerneacutes

Une bonne indication des politiques commer-ciales speacutecifiques est donneacutee par les diffeacute-rends commerciaux soumis agrave lrsquoORD (Organedes regraveglements des diffeacuterends) de lrsquoOMCLorsqursquoun membre de lrsquoOMC considegravere qursquounautre membre viole une de ses obligations ilpeut soumettre ce diffeacuterend agrave lrsquoORD lrsquoexa-men des plaintes deacuteposeacutees permet de mettreen perspective la nature des conflits com-merciaux6 Les diffeacuterends les plus reacutecentsrelegravevent dans leur tregraves grande majoriteacute deplaintes de pays du Nord contre des pays du

Sud qui sont accuseacutes de ne pas respecter desnormes sanitaires ou de pratiquer du dum-ping par exemple en subventionnant desentreprises exportatrices ce qui leur permetde vendre agrave un prix infeacuterieur au coucirct de pro-duction (cf Zoom) Si le dumping est eacutetabli lanation leacuteseacutee est autoriseacutee agrave instaurer un droitde douane compensant lrsquoavantage indu

Les demandes de protection geacuteneacuteraliseacuteecontre les importations en provenance de cer-tains pays du Sud sont justifieacutees par les dif-feacuterences tregraves importantes dans les domainesdes droits sociaux des travailleurs parlrsquoinexistence de reacuteglementation environne-mentale par la sous-eacutevaluation de la monnaienationale (dans le cas de la Chine le taux dechange du yuan nrsquoest pas fixeacute sur le marcheacutecar la monnaie nrsquoest pas convertible) Il srsquoagitdrsquoune nouvelle formulation des arguments enfaveur du protectionnisme qui nrsquoest plus fon-deacutee comme chez List par la neacutecessiteacute de per-mettre agrave un pays de se deacutevelopper mais surlrsquoideacutee que le commerce international met en

[6] La liste des diffeacuterendscommerciaux est

disponible sur le siteinternet de lrsquoOMC

httpwtoorgfrenchtratop_fdispu_fdispu_

status_fhtm

LES PLES PANNEAANNEAUXUXPHOPHOTTOOVVOOLLTTAIumlQUES CHINOISAIumlQUES CHINOISUN EXEMPUN EXEMPLLE DE DIFFEacuteRENDE DE DIFFEacuteRENDCCOMMEROMMERCIACIALLLe cLe cas des panneaux photas des panneaux photoovvoltoltaiumlques chinoisaiumlques chinois

esest une illust une illustrtration drsquoune politique cation drsquoune politique commerommercialcialee

agragresessivsive Le gouve Le gouvernement chinois dans lernement chinois dans lee

ccadradre de sa politique induse de sa politique industrielltrielle a fe a favavoriseacuteoriseacute

lle deacutee deacutevveleloppement drsquoentroppement drsquoentreprises preprises produisantoduisant

des panneaux photdes panneaux photoovvoltoltaiumlques graiumlques gracirccacircce agrave dese agrave des

aides publiques principalaides publiques principalement sous fement sous formeorme

de prde precircts bancecircts bancairaires La ces La capacitapaciteacute de preacute de productionoduction

des entrdes entreprises chinoises a reprises chinoises a rapidement capidement connuonnu

une crune croisoissancsance ce consideacuteronsideacuterablable qui fe qui fait drsquoellait drsquoelles les leses

prpremieremiers prs productoducteureurs mondiaux avs mondiaux avec 65ec 65 de de

la prla production mondialoduction mondiale Le mare Le marcheacute eurcheacute europeacuteenopeacuteen

esest lt le pre premier maremier marcheacute agrave lcheacute agrave lrsquoersquoexportxportation de cation de ceses

firmesfirmes 80 80 des e des exportxportations chinoisesations chinoises

sont agrave dessont agrave destination de ltination de lrsquoUE pour une vrsquoUE pour une valaleureur

de 21de 21 milliarmilliards drsquoeurds drsquoeuros EU Pros EU Pro Sun uno Sun un

rregregroupement drsquoentroupement drsquoentreprises eureprises europeacuteennes duopeacuteennes du

sectsecteureur a deacuteposeacute une plaint a deacuteposeacute une plainte en juille en juilletet 20122012

ffondeacutee sur londeacutee sur lrsquoersquoexisxisttencence drsquoune drsquoun dumpingdumping et sur let sur lee

prpreacutejudiceacutejudice qui en re qui en reacutesulteacutesulte pour le pour les entres entrepriseseprises

eureuropeacuteennes (1)opeacuteennes (1) EU Pr EU Pro Sun a eacuteto Sun a eacutetabli une lisabli une listtee

de 45 entrde 45 entreprises eureprises europeacuteennes qui ont arropeacuteennes qui ont arrecirctecircteacuteeacute

la prla production ou ont supprimeacute des emploduction ou ont supprimeacute des emploisois

depuis 2010 en rdepuis 2010 en raison de caison de cettette ce concurroncurrencencee

deacuteldeacutelooyyalale (2) Le (2) Lrsquoinsrsquoinstruction de la plainttruction de la plainte ae a

ccommencommenceacute en septeacute en septembrembree 2012 et en mai2012 et en mai 20132013

lle ce commisommissairsaire eure europeacuteen au Commeropeacuteen au Commercce ae a

prproposeacute drsquoeacutetoposeacute drsquoeacutetablir une tablir une taxaxe de 47e de 47 sur l sur leses

importimportations de panneaux solairations de panneaux solaires chinoises chinois

Michel RainelliMichel Rainelli

(1)(1) VVoir httpeuroir httpeuropaeuropaeurapidprapidpress-ress-release MEMO-elease_MEMO-12-647 fr12-647_frhtmhtm

(2)(2) VVoir httpwwwoir httpwwwprprosunorosunorgfrla-concurrgfrla-concurrence-ence-loloyyaleune-situaaleune-situation-prtion-preoccupantehtmleoccupantehtml

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 116

concurrence des espaces eacuteconomiques forte-ment diffeacuterencieacutes et que srsquoinstaurerait ainsiune concurrence deacuteloyale entre les nationsneacutecessitant un correctif Si cette thegravese ren-contre un certain succegraves dans les syndicats agravela fois patronaux et de salarieacutes elle nrsquoa qursquounfaible eacutecho chez les eacuteconomistes et les partispolitiques au pouvoir dans les pays du Nord

La politique commerciale et lrsquoOMCLes nations membres de lrsquoOMC se sont enga-geacutees drsquoune part agrave respecter des accordscontraignant leurs politiques commercialesdans des domaines varieacutes et drsquoautre part agraveentrer dans des neacutegociations pour libeacuterali-ser le commerce mondial Alors que le GATTsrsquoest acheveacute par le cycle de lrsquoUruguay concluen 1993 qui a marqueacute une nouvelle eacutetape dansle mouvement de libeacuteralisation commenceacute en1947 lrsquoOMC devait organiser un nouveau cyclede neacutegociations selon les conclusions acquisesen 1993 en raison de problegravemes non reacutesolusnotamment dans lrsquoagriculture Lrsquoouverture deces neacutegociations inscrite agrave lrsquoagenda de lrsquoOMCa donneacute lieu agrave des oppositions marqueacutees lespays les moins deacuteveloppeacutes consideacuterant queles engagements du cycle de lrsquoUruguay devantleur profiter nrsquoeacutetaient pas tenus par les nationsdu Nord Ce nrsquoest qursquoen 2002 que les membresde lrsquoOMC ont engageacute le cycle de neacutegociationsbaptiseacute Programme de Doha pour le deacutevelop-pement La fin des neacutegociations eacutetait planifieacuteepour feacutevrier 2005 mais degraves le deacutebut les affron-tements Nord-Sud ont conduit agrave un blocageEneffet une des originaliteacutes de lrsquoOMC reprise desprincipes gouvernant le GATT est que chaquenation a un poids identique et que lrsquounanimiteacuteest neacutecessaire pour obtenir un accord Les paysdu Sud ont pour la premiegravere fois depuis 1947saisi la possibiliteacute qui leur eacutetait offerte drsquoem-pecirccher un accord qui ne leur convenait pas

Alors que le Programme de Doha pour le deacuteve-loppement a mis au premier plan le rocircle ducommerce international pour le deacuteveloppe-ment des nations les pays du Sud ont refuseacutedrsquoabaisser les protections de leurs marcheacutesnationaux dans lrsquoagriculture drsquoadopter une

politique nationale de la concurrence etc Lesconfeacuterences ministeacuterielles de lrsquoOMC qui per-mettent theacuteoriquement tous les deux ans defaire le point sur les avancements des neacutegocia-tions nrsquoont jamais permis de faire eacutemerger uneconvergence des points de vue Au contraireles nations du Sud se sont coaliseacutees derriegraverele Breacutesil la Chine et lrsquoInde pour srsquoopposer auxdemandes de libeacuteralisation des pays du Norden consideacuterant que les concessions offertesen eacutechange eacutetaient insuffisantes En deacutepit denombreuses tentatives pour relancer les neacutego-ciations leur aboutissement semble impos-sible mecircme si en mai 2013 elles ne sont pasofficiellement abandonneacutees

Cela implique-t-il que lrsquoOMC soit devenue uneinstitution qui nrsquoa plus drsquoobjet La reacuteponse agravecette question doit ecirctre nuanceacuteeTout drsquoabordles accords de lrsquoOMC jouent un rocircle de reacutegula-tion des politiques commerciales en permet-tant gracircce agrave lrsquoORD de sanctionner les mesuresqui sont contraires aux accords Il existe unegamme drsquointerventions publiques possiblesen particulier dans le cas de lrsquoanti-dumping mecircme si celles-ci srsquoexercent sous le controcircle delrsquoOMC lorsqursquoun diffeacuterend est soumis agrave lrsquoORDEnsuite la crise reacutecente a constitueacute un contre-exemple aux reacuteactions des Eacutetats lors de lacrise de 1929 Les nations du G20 se sont enga-geacutees en novembre 2008 lors de leur reacuteunion agraveWashington agrave ne pas recourir au protection-nisme engagement confirmeacute lors des reacuteunionssuivantes et agrave mettre en place un observa-toire gracircce agrave la collaboration de lrsquoOMC de laCNUCED et de lrsquoOCDE des mesures affectantles eacutechanges internationaux (Rainelli 2011)Le reacutesultat des recensements montre que lerecours au protectionnisme a eacuteteacute tregraves diversLa nation la plus active est lrsquoInde suivie parles Eacutetats-Unis LrsquoUE est beaucoup moinsconcerneacutee Le volume du commerce affecteacuterepreacutesente 18 des importations des pays duG20 soit 14 des importations mondiales Ladiffeacuterence de reacuteponse agrave la crise entre 1929 et lapeacuteriode actuelle reacuteside donc dans lrsquoexistenceaujourdrsquohui de lrsquoOMC comme le note PaulKrugman (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 117

Mais le blocage des neacutegociations commercialesqui signifie lrsquoeacutechec du Programme de Dohapour le deacuteveloppement ne signe pas neacutecessai-rement la fin de la libeacuteralisation des eacutechangesinternationaux en raison du deacuteveloppementdrsquoaccords bilateacuteraux de libre-eacutechange

Le renouveau des accordsbilateacuteraux de libre-eacutechangeLe GATT puis lrsquoOMC reposent sur le prin-cipe du multilateacuteralisme crsquoest-agrave-dire que lesavantages commerciaux consentis dans lesneacutegociations beacuteneacuteficient agrave tous les membresde lrsquoorganisation Le blocage du Programmede Doha a conduit les principaux acteurs ducommerce mondial souhaitant libeacuteraliser leseacutechanges agrave changer drsquoapproche en passant desaccords bilateacuteraux en dehors de lrsquoOMC bienqursquoils doivent theacuteoriquement obtenir son aval

Cette deacutemarche est suivie de maniegravere parallegravelepar les Eacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne quiont conclu des accords de libre-eacutechange avecde nombreux pays toutes les neacutegociationsnrsquoayant pas encore abouti La justification decette deacutemarche est exposeacutee par lrsquoUE si lrsquoen-semble des accords en cours de neacutegociationdevait aboutir le PIB de lrsquoUE augmenterait de22 et 22 millions drsquoemplois seraient creacuteeacutes7 Crsquoest ainsi qursquoapregraves lrsquoaccord avec la Coreacutee duSud entreacute en vigueur le 1er juillet 2011 lrsquoUEdoit encore finaliser les neacutegociations entre-prises avec lrsquoInde (commenceacutees en 2007) et leCanada (commenceacutees en 2009) La justificationde cette deacutemarche bilateacuterale outre le blocage

des neacutegociations de lrsquoOMC reacuteside dans la priseen compte de lrsquoensemble des barriegraveres auxeacutechanges entre les deux partenaires tarifaireset non tarifaires ainsi que dans lrsquoeacutetablisse-ment drsquoinstances permettant de veiller agrave labonne application de lrsquoaccord8

La rencontre des deacutemarches entreprises desdeux cocircteacutes de lrsquoAtlantique srsquoest produite enmars 2013 avec la deacutecision de la Commissioneuropeacuteenne drsquoapprouver le mandat de neacutego-ciation drsquoun accord de libre-eacutechange avec lesEacutetats-Unis qui selon des estimations devraitconduire agrave des gains de 119 milliards drsquoeurospar an une fois lrsquoaccord pleinement mis enœuvre

Au delagrave de la pertinence des estimations degains de ces accords qui peut ecirctre mise endoute le point important est lrsquoengagement versle libre-eacutechange que prennent lrsquoUnion euro-peacuteenne et les Eacutetats-Unis seacutepareacutement (les deuxpuissances ont ainsi conclu un accord avec laCoreacutee du Sud) et entre elles Lrsquoeacutechec du Pro-gramme de Doha pour le deacuteveloppement estainsi en train de conduire les nations les plusdeacuteveloppeacutees agrave eacutetablir des espaces de libre-eacutechange avec lrsquoambition de supprimer presquetoutes les barriegraveres au commerce entre ellesLa politique commerciale agrave lrsquoheure de la mon-dialisation qui se reacutevegravele au fil du temps estainsi celle drsquoune recherche drsquoune libeacuteralisa-tion seacutelective entre nations de mecircme niveaude deacuteveloppement qui serait porteuse de gainsde croissance En revanche les relations com-merciales avec les autres nations ne font pasjusqursquoagrave preacutesent lrsquoobjet drsquoune telle politique

[7] Voir httptradeeceuropaeudoclib

docs2012novembertradoc_150129pdf[11]

[8] Voir le bilan delrsquoapplication de lrsquoaccord

apregraves un an httpeuropaeurapidpress-

release_IP-12-708_frhtm

KRUGMAN P (2013) laquo The Protectionist Non-Surge raquo httpkrugmanblogsnytimescom20130429the-protectionist-non-surge

RAINELLI M (2003) La nouvelle theacuteorie du

commerce international ParisLa Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2009) Le commerce international Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2011) LrsquoOrganisation mondialedu commerce Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 118

UNION EUROPEacuteENNE-EacuteTATS-UNIS LES ENJEUXDrsquoUN ACCORDDepuis dix ans la carte du commerce mondial

a eacuteteacute chambouleacutee sous lrsquoimpulsion de deux

pheacutenomegravenes la reacutegionalisation des eacutechanges

entraicircneacutee par la signature de multiples accords

bilateacuteraux et lrsquoirreacutesistible deacuteplacement du

centre strateacutegique de la production et des

eacutechanges vers lrsquoAsie et le Pacifique aux deacutepens

de lrsquoEurope et des Eacutetats-Unis Le laquo partenariat

transatlantique pour le commerce et

lrsquoinvestissement raquo entre lrsquoUnion europeacuteenne

(UE) et les Eacutetats-Unis (EU) pourrait-il changer

cette dynamique mondiale Bien qursquoeacutetant

bilateacuteral un accord UE-EU serait un pas vers

un retour agrave une reconnaissance de la primauteacute

des regravegles commerciales multilateacuterales

Cette primauteacute a eacuteteacute affaiblie par la multitude

drsquoaccords preacutefeacuterentiels conclus agrave ce jour (pregraves

de 400) qui discriminent les pays exclus de ces

accords et contredisent le principe de non-

discrimination un des piliers des regravegles de

lrsquoOMC

Raviver la flamme multilateacuterale

Lrsquoaccord de libre-eacutechange Nord-ameacutericain

(ALENA) qui lie depuis vingt ans les Eacutetats-Unis

au Canada et au Mexique peacutenalise les pays

de lrsquoUE Quant agrave lrsquoUnion europeacuteenne plus

inteacutegreacutee (puisqursquoelle est une union douaniegravere

doteacutee drsquoun tarif exteacuterieur commun) elle

impose en moyenne des tarifs relativement

faibles sur les importations ameacutericaines mais

pourtant toujours plus eacuteleveacutes que ceux fixeacutes

par les Eacutetats-Unis Cette heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute est

flagrante par exemple pour les veacutehicules agrave

moteur (tarif huit fois plus eacuteleveacute pour lrsquoUE)

et lrsquoagroalimentaire (146 contre 33 )

Lrsquoaccord UE-EU creacuteant en 2015 la plus vaste

zone de libre-eacutechange au monde repreacutesentant

un tiers du commerce international et la

moitieacute du PIB mondial ouvrirait agrave nouveau la

voie agrave un systegraveme commercial multilateacuteral

solide Une telle zone ne pourrait en effet

qursquoinciter les pays tiers agrave se rapprocher de ses

preacuteceptes

Pourquoi se reacutejouir drsquoun retour agrave des regravegles

multilateacuterales Parce que de nombreux

problegravemes drsquoordre systeacutemique ne peuvent

ecirctre reacutesolus par des accords bilateacuteraux Crsquoest

le cas par exemple des regravegles drsquoorigine des

mesures anti-dumping ou des subventions

Comme le disait volontiers le directeur

geacuteneacuteral de lrsquoOMC Pascal Lamy laquo Un eacuteleveur

ou un pecirccheur lsquobilateacuteralrsquo des poulets ou des

poissons lsquobilateacuterauxrsquo cela nrsquoexiste pas raquo

Un gigantesque marcheacute transatlantique

ne sonnerait pas le glas de lrsquoOMC

contrairement agrave ce que pensent certains

mais raviverait la flamme multilateacuterale

Pour Jose Manuel Barroso preacutesident de la

commission europeacuteenne laquo il fixera la norme

non seulement pour le commerce et les

investissements transatlantiques mais aussi

pour le deacuteveloppement du commerce agrave travers

le monde raquo

Lrsquoaccord UE-EU est-il de nature agrave freiner

la perte de leadership des eacuteconomies de

lrsquoOuest Il comporte deux volets un volet

commerce des biens et services et un volet

investissements directs agrave lrsquoeacutetranger Dans

ces deux domaines les eacutechanges sont deacutejagrave

importants le commerce de biens entre

les deux continents repreacutesente plus de

670 milliards de dollars et les investissements

reacuteciproques UE - Eacutetats-Unis se chiffrent agrave

plus de 1 000 milliards de dollars Les Eacutetats-

Unis sont le premier client de lrsquoUE (17 des

exportations europeacuteennes) et son troisiegraveme

fournisseur (11 des importations totales de

lrsquoUE) apregraves la Chine et la Russie la balance

commerciale eacutetant en faveur de lrsquoEurope avec

un exceacutedent de 73 milliards drsquoeuros Lrsquoampleur

du commerce EU-EU et lrsquoimportance des

deux eacuteconomies dans le monde font que

toute reacuteduction des obstacles aux eacutechanges

entre ces deux poids lourds aurait des effets

significatifs sur leurs eacuteconomies

COMPLEacuteMENT

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 119

Barriegraveres tarifaires

Les obstacles sont de deux types les tarifs

agrave lrsquoimportation et les barriegraveres non-tarifaires

(BNT) qui sont encore tregraves eacuteleveacutees

Une nouvelle baisse des tarifs dont on a dit

qursquoen moyenne ils eacutetaient modeacutereacutes aura un

faible impact sur les eacutechanges agrave lrsquoexception

des quelques secteurs ougrave la protection

actuelle est encore eacuteleveacutee Crsquoest donc la

diminution des BNT qui pourra entraicircner un

veacuteritable boom des eacutechanges UE-EU Ces

BNT (quotas drsquoimportations mais surtout

diffeacuterentes regraveglementations normes

nationales regravegles des marcheacutes publics

certifications contradictoires) accroissent

le coucirct des exportations eacutetrangegraveres aussi

sucircrement qursquoun tarif et limitent lrsquoaccegraves au

marcheacute domestique garantissant des rentes

aux firmes nationales Ces BNT sont par

nature difficiles agrave mesurer Une eacutetude reacutecente

estime qursquoen moyenne les BNT sont moins

eacuteleveacutees pour les services que pour les biens

Elles eacutequivalent agrave un tarif sur les exportations

europeacuteennes vers les Eacutetats-Unis variant selon

les secteurs entre 20 (pour les technologies

de lrsquoinformation et de la communication ndash TIC)

et 56 (pour lrsquoaeacuteronautique et le spatial) Cet

eacutequivalent-tarif des BNT pour les importations

europeacuteennes en provenance des Eacutetats-Unis

srsquoeacutechelonne entre 176 (pour les services de

tourisme) et 551 (encore pour lrsquoindustrie

aeacuteronautique et spatiale) Crsquoest donc lagrave que

sont les enjeuxhellip mais aussi les difficulteacutes Les

barriegraveres non tarifaires ne peuvent pas ecirctre

supprimeacutees comme par magie elles reflegravetent

des preacutefeacuterences socioculturelles historiques

des reacutealiteacutes geacuteographiques linguistiques

parfois mecircme constitutionnelles Leur totale

suppression est irreacutealiste

On voit bien quels seront les dossiers

laquo chauds raquo agriculture OGM proprieacuteteacute

intellectuelle Deacutejagrave le Parlement europeacuteen a

exclu du mandat de neacutegociation la culture et

lrsquoaudiovisuel Ce ne sera pas facile mais il faut

essayer

Une eacutetude du CEPR2 preacutevoit selon le sceacutenario

envisageacute (sceacutenario modeacutereacute ou ambitieux

avec 10 ou 25 de baisse des BNT) un

accroissement annuel du PIB europeacuteen

jusqursquoen 2027 de 68 ou 119 milliards drsquoeuros

Lrsquoaccroissement aux Eacutetats-Unis serait de 50

ou 95 milliards Le projet drsquoune libeacuteralisation

des eacutechanges EU-EU tombe agrave pic en pleine

crise voire reacutecession la perspective drsquoun

gain suppleacutementaire annuel de 04 agrave 07 point

du PIB europeacuteen est alleacutechante Mais lrsquoenjeu

principal on lrsquoa compris est lrsquoopportuniteacute pour

lrsquoOccident de reacutepondre aux reacutealignements

historiques qui se dessinent dans le monde ()

Marie-Franccediloise Calmette

Professeur drsquoeacuteconomie agrave la Toulouse

School of Economics

() Article choisi par la reacutedaction des hors-

seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques publieacute par

Le Mondefr 5 juin 2013

copy Le Monde

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 120

Agrave lrsquoimage de ce qui srsquoest produit dans les principales eacuteconomies avanceacutees les institutions de Bretton Woods ndash Fonds moneacutetaire international et Banque mondiale ndash ont connu dans les anneacutees 1980 un tournant libeacuteral Face aux deacuteseacutequilibres des pays en deacuteveloppement ndash inflation dettes publique et exteacuterieure ndash elles recommandaient la mise en œuvre de reacuteformes structu-relles alliant libeacuteralisation des structures productives et des systegravemes financiers ouverture commerciale et reacuteduction des deacutepenses publiques Si ces mesures qui refleacutetaient le laquo consen-sus de Washington raquo ont dans un premier temps porteacute leurs fruits sur le plan du reacutetablissement des eacutequilibres macroeacuteconomiques elles ont eu par la suite des effets neacutefastes en termes de croissance de pauvreteacute et drsquoineacutegaliteacutesPhilippe Hugon montre qursquoune penseacutee laquo post-ajustement raquo a eacutemergeacute degraves la fin des anneacutees 1990 re-leacutegitimant le rocircle des pouvoirs publics et accordant plus de place aux contextes institution-nels propres agrave chaque pays Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances et la monteacutee de la question environnementale ont eacutegalement contribueacute agrave redeacutefinir les politiques de deacuteveloppement

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de WashingtonAu deacutebut des anneacutees 1980 les deacuteseacutequilibresfinanciers et lrsquoendettement des pays en deacuteve-loppement (PED) avaient conduit agrave la mise enplace de politiques libeacuterales et drsquoajustementaux nouvelles donnes mondiales inspireacuteesde ce qursquoon appelait alors le laquo consensus deWashington raquo (cf Zoom) Impulseacutees par leFonds moneacutetaire international (FMI) et laBanque mondiale ces politiques inversaientles mesures interventionnistes des deacutecenniesdrsquoapregraves-guerre

Ces prescriptions ayant montreacute leurs limitesnotamment en Ameacuterique latine ougrave ellesavaient eacuteteacute les plus fidegravelement appliqueacuteesla question du post-consensus de Washing-ton srsquoest poseacutee degraves la fin des anneacutees 1990 Lacrise a acceacuteleacutereacute ce questionnement

Avec la financiarisation des relations et ladiversification des partenaires et des rela-tions SudSud lrsquoeacuteconomie des pays en deacuteve-loppement (PED) eacutevolue dans un contextemondial (Hugon et Michalet 2006) Le respectde regravegles financiegraveres reacutepond aux pouvoir desinstitutions financiegraveres et des agences denotation ainsi qursquoagrave la politique drsquoattractiviteacutedes investissements Mais un des enjeux desPED est aujourdrsquohui de re-leacutegitimer lrsquoEacutetatdans ses fonctions collectives et reacutegaliennes

PHILIPPE HUGONProfesseur eacutemeacuterite agrave lrsquoUniversiteacute Paris-Ouest

Nanterre-La Deacutefense

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON121

et comme creacuteateur drsquoun cadre strateacutegiquefavorable agrave lrsquoentreprenariat priveacute Il srsquoagit decreacuteer un environnement institutionnel favo-rable agrave la prise de risque et aux horizonslongs des deacutecideurs eacuteconomiques Lrsquoexten-sion du marcheacute suppose une reacuteduction desineacutegaliteacutes et une relance de la demande pardes deacutepenses publiques permettant le jeudu multiplicateur keyneacutesien En outre lesquestions environnementales remettent enquestion le modegravele dominant de deacuteveloppe-ment eacuteconomique et les objectifs du deacuteve-loppement durable (ODD) post-2015 doiventcompleacuteter les objectifs du milleacutenaire du deacuteve-loppement (OMD)

Nous rappellerons les limites du consensusde Washington avant de voir sur quelles basesse redeacutefinissent certains axes communs auxnouvelles politiques des PED

Les limites du consensusde WashingtonLes limites des politiquesde stabilisation et drsquoajustementVingt ans apregraves le deacutebut de la mise en œuvredes politiques inspireacutees du consensus deWashington on notait dans lrsquoensemble uneameacutelioration des eacutequilibres financiers (reacuteduc-tion de lrsquoinflation des deacuteficits budgeacutetairesdes deacuteficits de la balance courante etc) unmeilleur cadre institutionnel et une meilleureinteacutegration agrave lrsquoeacuteconomie mondiale Certainssecteurs innovants ont eacutemergeacute dans les ser-vices et les nouvelles technologies Mais leplus souvent ces politiques de stabilisationont eacuteteacute reacutecessionnistes les anneacutees 1980 ont

LE CLE CONSENSUSONSENSUSDE WDE WAASHINGSHINGTTONONDans lDans les anneacutees 1980-1990 les anneacutees 1980-1990 les pays enes pays en

deacutedeacutevveleloppement ont eacutetoppement ont eacuteteacute ceacute confronfrontonteacutes agrave deseacutes agrave des

crises rcrises reacutecurreacutecurrententes de la dettes de la dette ee extxteacuterieureacuterieure ete et

des financdes finances publiques Sous la pres publiques Sous la presessionsion

des bailldes bailleureurs de fs de fonds intonds internationaux ilsernationaux ils

changegraverchangegraverent de modegravelent de modegraveles de deacutees de deacutevveleloppementoppement

abandonnant labandonnant les ses strtratateacutegies de laquo subseacutegies de laquo substitutiontitution

aux importaux importations raquo au prations raquo au profit de rofit de reacutefeacuteformesormes

ffavavorisant lorisant les meacuteces meacutecanismes de maranismes de marcheacutecheacute

LLrsquoensemblrsquoensemble de ce de ces res reacutefeacuteformes sormes structurtructurellelleses

soutsoutenu par lenu par le te tournant libeacuterournant libeacuteral qursquoa cal qursquoa connuonnu

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique dans lonomique dans les anneacuteeses anneacutees

1970-1980 f1970-1980 formait cormait ce que John Williamsone que John Williamson

a theacuteoriseacute ca theacuteoriseacute comme eacutetomme eacutetant lant le laquo ce laquo consensus deonsensus de

WWashingtashington raquo Ce con raquo Ce corpus de rorpus de rececommandationsommandations

sur lsur lequel sequel srsquoappuyrsquoappuyaient laient le FMI et la Banquee FMI et la Banque

mondialmondiale dans le dans les anneacutees 1990 se deacuteclinait enes anneacutees 1990 se deacuteclinait en

dix prdix propositions opositions

- une s- une stricttricte discipline budgeacutete discipline budgeacutetairaire e

- un r- un redeacutepledeacuteploiement des deacutepenses publiquesoiement des deacutepenses publiques

vverers des affs des affectectations offrations offrant agrave la fant agrave la fois un fois un fortort

rrendement eacutecendement eacuteconomique et la posonomique et la possibilitsibiliteacute deeacute de

diminuer ldiminuer les ineacutegalites ineacutegaliteacutes de reacutes de reevvenu (soinsenu (soins

meacutedicmeacutedicaux de base eacuteducaux de base eacuteducation primairation primairee

deacutepenses drsquoinfrdeacutepenses drsquoinfrasastructurtructure) e)

- une r- une reacutefeacuteforme fiscorme fiscalale (eacutelare (eacutelargisgissement desement de

llrsquoasrsquoassiettsiette fisce fiscalale diminution des te diminution des tauxaux

marmarginaux) ginaux)

- la libeacuter- la libeacuteralisation financiegraveralisation financiegravere e

- un t- un taux de change unique et caux de change unique et concurroncurrentiel entiel

- la libeacuter- la libeacuteralisation du calisation du commerommercce ee extxteacuterieur eacuterieur

- l- lrsquoeacutelimination des rrsquoeacutelimination des resestrictions auxtrictions aux

invinvesestistissements dirsements directs eacutetrects eacutetrangerangers s

- la priv- la privatisation des entratisation des entreprises publiques eprises publiques

- la deacuter- la deacutereacutegleacuteglementementation des maration des marcheacutescheacutes

- la gar- la garantie des drantie des droits de proits de proprieacutetoprieacuteteacuteeacute

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 122

[1] La multipliciteacute destests eacuteconomeacutetriquesrendus possibles parlrsquoameacutelioration tregravesrapide des techniquesconduit in fine agrave relativiser la plupart desrelations robustes enintroduisant un nombreimportant de variables

ainsi constitueacute une laquo deacutecennie perdue raquo pourlrsquoAmeacuterique latine avec des crises de la detteLes eacuteconomies africaines ont globalementstagneacute entre 1980 et 2000 et ont eacuteteacute prisesdans une spirale drsquoendettement permanentAgrave deacutefaut drsquoune reprise de lrsquooffre (augmenta-tion des recettes publiques des exportationset de lrsquoeacutepargne) on a observeacute le plus souventune baisse de la demande (importationsdeacutepenses budgeacutetaires investissement)

Lrsquoattractiviteacute des investisseurs est res-teacutee limiteacutee hors peacutetrole dans un contextedrsquoinstabiliteacute de risque et de faiblesse desinfrastructures physiques et sociales Laproductiviteacute globale des facteurs a peu pro-gresseacute Le poids de la dette exteacuterieure quireacutetroagit sur la dette publique inteacuterieurecontinuait agrave peser lourdement

Une penseacutee post-ajustement

De nombreuses failles sont ainsi apparuesdans ce modegravele et une penseacutee du post-ajus-tement (Ben Hammouda 1999) ou du postconsensus de Washington (Stiglitz 1998) aeacutemergeacute Les nouvelles analyses laquo structura-listes raquo prennent en compte dans la traditionde lrsquoeacuteconomie du deacuteveloppement les asymeacute-tries internationales les blocages et les han-dicaps structurels les liens entre reacutepartitionet accumulation ou la nature des biens etservices eacutechangeacutes (biens salariaux et biensde luxe) Mais elles raisonnent en eacuteconomieouverte (contrainte de compeacutetitiviteacute rocircle delrsquoattractiviteacute des capitaux et des techniques)et elles lient la stabilisation financiegravere decourt terme avec le long terme Les liens entreineacutegaliteacutes de revenus et croissance sont fonc-tion des contextes internes et internationauxet du rocircle deacutecisif des politiques eacuteconomiqueset sociales

Le comparatisme analytique et empiriquepermet de contextualiser les theacuteories etles theacuterapies1 Le cadre analytique retenuest celui de la concurrence imparfaite desasymeacutetries drsquoinformation des rendementsdrsquoeacutechelle des externaliteacutes et des effets drsquoag-glomeacuteration (Krugman 2008) Le contexte est

celui drsquoun univers incertain et drsquoun mondeinstable ougrave les acteurs ont des pouvoirsasymeacutetriques Des effets de seuil lieacutes agrave destrappes agrave pauvreteacute apparaissent de maniegraveresignificative pour les pays les moins avanceacutes(Guillaumont 2009 Sachs 2005) Degraves lors lesrecettes preacuteconiseacutees se font davantage au caspar cas ou par grand type de cateacutegories depays Les laquo bonnes politiques raquo se jugent expost sur leurs reacutesultats

La fin du modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels

Par ailleurs les modegraveles de deacuteveloppementont eacuteteacute affecteacutes par la monteacutee des questionsenvironnementales Le modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels eacutenergivore carboneacutefinanciariseacute et caracteacuteriseacute par lrsquoobsolescencedes produits manufactureacutes nrsquoest pas suppor-table pour la planegravete Il conduit en outre agravelrsquoexclusion du plus grand nombre Les enjeuxenvironnementaux ont un impact deacutecisif surles politiques de deacuteveloppement que ce soientles changements climatiques la pollutionurbaine la gestion durable des ressourcesnaturelles ou la preacutevention des catastrophesDegraves lors il importe de prendre en compte lesinterdeacutependances asymeacutetriques et les enjeuxtransnationaux qui impliquent de mettre enœuvre des politiques de gouvernance et dereacutegulation mondiales au-delagrave de la juxtapo-sition de politiques nationales

Les politiques de deacuteveloppementpost-ajustementLe basculement du mondeet les relations SudSud

La mondialisation et lrsquoeacutemergencede nouvelles puissancesLa mondialisation remet en question certainsparadigmes qui fondaient lrsquoeacuteconomie dudeacuteveloppement notamment celle du clivageNordSud et drsquoune divergence des eacuteconomiescelle des ineacutegaliteacutes entre le Nord et le Sud

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON123

lrsquoemportant sur les ineacutegaliteacutes internes auxeacuteconomies Le basculement du monde et lamonteacutee en puissance des eacutemergents ainsi queles relations croissantes SudSud ont modifieacutela donne au niveau des politiques preacuteconiseacuteesmais eacutegalement des moyens de les mettre enœuvre Le laquo consensus de Peacutekin raquo srsquoest poseacute enconcurrent de celui de Washington

Selon certains flexibiliteacute adaptabiliteacute attrac-tiviteacute des capitaux et des savoirs auraientrendues obsolegravetes les politiques publiquesOn peut au contraire consideacuterer que la mon-dialisation a re-leacutegitimeacute les politiques etreacutegulations publiques Les ineacutegaliteacutes intra-nationales tendent agrave lrsquoemporter sur les ineacutega-liteacutes internationales (Bourguignon 2012) Lesinstitutions de Bretton Woods reconnaissentque les politiques budgeacutetaires moneacutetaires etde change demeurent centrales pour srsquoinseacutererpositivement dans la mondialisation geacutererles instabiliteacutes compenser les deacuteseacutequilibrescommerciaux et financiers et attirer les capi-taux mais elles doivent srsquoaccompagner depolitiques industrielles et sociales

La croissance des pays en deacuteveloppementet la diversification des trajectoires

Les trajectoires des eacuteconomies asiatiqueslatino-ameacutericaines et africaines divergent Agravelrsquointeacuterieur de chaque continent on observeagrave la fois des eacuteconomies stagnantes et deseacuteconomies eacutemergentes Les politiques dedeacuteveloppement diffegraverent eacutevidemment selonles types de pays les eacuteconomies rentiegraverespeacutetroliegraveres peuvent mettre en œuvre des poli-tiques redistributives (Moyen-Orient Algeacuterieou Venezuela) les petits pays se speacutecialisentsur des segments de compeacutetitiviteacute quantaux grands pays en pleine industrialisationcomme la Chine ou lrsquoInde ou les pays pri-maires ils diversifient leurs exportations

Les PED partagent neacuteanmoins un certainnombre de traits communs les effets des prixdes matiegraveres premiegraveres la financiarisationde lrsquoeacuteconomie le rocircle des firmes multinatio-nales dans les segments localiseacutes des chaicircnesde valeur lrsquoenrichissement de la classemoyenne ou la croissance des ineacutegaliteacutes la

diversification de leurs partenaires commer-ciaux et souvent de leurs speacutecialisations dufait de la mondialisation et enfin plusieursdeacutefis auxquels ils sont tous plus ou moinsconfronteacutees la reconquecircte du marcheacute inteacute-rieur la mise en place drsquoun systegraveme de pro-tection sociale et de politiques industriellescombinant des politiques de substitution auximportations et de croissance tireacutee par lesexportations

Le rocircle des relations SudSud

Les pays pauvres fournisseurs de ressourcesnaturelles beacuteneacuteficient de lrsquoameacutelioration destermes de lrsquoeacutechange et sont plutocirct beacuteneacutefi-ciaires de la mondialisation qui se substi-tue aux relations post coloniales Ils sontconvoiteacutes courtiseacutes pour leurs ressourcesleur marcheacute est interconnecteacute au mondepar leur diaspora et leur eacuteconomie a diver-sifieacute ses partenaires commerciaux2 Les dif-feacuterents tests montrent la deacutependance de lacroissance africaine asiatique et latino-ameacute-ricaine vis-agrave-vis de la croissance mondiale(FMI 2010) ou de la Chine Les pays pauvresont dans lrsquoensemble eacuteteacute peu toucheacutes par lacrise financiegravere venant des pays de lrsquoOCDEet lrsquoon note un relatif deacutecouplage NordSud(Hugon et Salama 2010) La laquo reprimarisa-tion raquo des eacuteconomies beacuteneacuteficiant du prix desmatiegraveres premiegraveres et subissant la concur-rence des grands eacutemergents pose toutefois laquestion du blocage industriel pour les paysles plus en retard

Quelques axes des nouvellespolitiques de deacuteveloppement

Lrsquoinsertion positive dans la mondialisation

Les enseignements de la nouvelle eacuteconomiegeacuteographique (Krugman 2008) et les reacuteus-sites de certains pays eacutemergents ont conduitagrave la prescription de politiques actives deconstruction des avantages compeacutetitifs Laprotection par les normes sociales environ-nementales ou phyto-sanitaires est devenueplus importante que celle effectueacutee via lesdroits de douane La question du taux de

[2] Le commerce SudSudpegravese pour pregraves de 40

du commerce exteacuterieurafricain contre 27

en 1990 (FMI 2010) Lesrelations commerciales

avec la Chine srsquoeacutelegravevent agraveplus de 200 milliards de

dollars celles avec lrsquoIndeagrave plus de 50 milliards et

avec le Breacutesil agrave plus de20 milliards

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 124

change et de lrsquoancrage agrave des monnaies oupanier de monnaies combinant compeacutetitiviteacuteet creacutedibiliteacute est devenue strateacutegique Lesnouvelles recommandations pour les PEDreposent sur un meacutelange entre des politiquesdrsquoeacutequilibrages macroeacuteconomiques et finan-ciers des politiques industrielles des pro-tections flexibles et des mesures destineacutees agraveattirer les investissements ndash et donc les tech-nologies ndash eacutetrangers La prioriteacute est de sortirdes laquo speacutecialisations appauvrissantes raquo lieacuteesagrave la laquo reprimarisation raquo des eacuteconomies et agrave lamaleacutediction des ressources naturelles

Les effets des liaisons intersectorielles

Avec la mondialisation le deacutebat sur les effetsdrsquoentraicircnement des secteurs amont et avalet des insertions dans les filiegraveres ou chaicircnesde valeur a eacuteteacute reacuteactualiseacute La monteacutee engamme de produits et la diversification desproductions supposent agrave la fois des pocircles decompeacutetitiviteacute autour des territoires et desinsertions dans les segments inteacutegreacutes auxprocessus productifs mondiaux notammentpar le biais des firmes multinationales Pourexercer des effets drsquoentraicircnement et nondrsquoenclave ces insertions doivent srsquoarticulerau tissu productif local Le deacutebat initieacute parAlbert Hirschmann entre la prioriteacute agrave accor-der aux investissements productifs et auxinfrastructures a resurgi Sous le double effetdes goulets drsquoeacutetranglement lieacutes aux manquesdrsquoinfrastructures et de la prioriteacute que leuraccordent les pays eacutemergents agrave commen-cer par la Chine les politiques appuyeacutees parles Eacutetats et les bailleurs de fonds mettentaujourdrsquohui lrsquoaccent sur les barrages lesreacuteseaux routiers et ferroviaires ou portuairesle cacircblage drsquointernet ou du teacuteleacutephone

La mise en œuvre de politiques bud-geacutetaires contracycliques un retour aukeyneacutesianisme

La combinaison des aides et annulations dedettes drsquoune part et de politiques financiegraveresplus rigoureuses drsquoautre part a permis dereacuteduire lrsquoinflation et de retrouver un eacutequilibreau niveau de la balance des paiements et desfinances publiques aussi bien en Afrique(tableau 1) qursquoen Ameacuterique latine

Les effets des mesures drsquoassainissementfinancier ont permis aux Eacutetats de mener despolitiques contracycliques durant le choc de2008-2009 Les concours internationaux auxpays les moins avanceacutes (PMA) ont doubleacute etles outils drsquointervention se sont diversifieacutes Sipeu de pays pauvres ont reacutealiseacute une transitionfiscale sur la base drsquoune fiscaliteacute progressiveet assise sur la valeur ajouteacutee en revancheles politiques de deacutepenses publiques onteacuteteacute rationaliseacutees Elles font deacutesormais jouerle multiplicateur keyneacutesien les ressourcesanciennement affecteacutees sont globaliseacutees ausein du budget les ressources anciennementaffecteacutees par projets ou secteurs sont globali-seacutees des cadres de deacutepenses de moyen termeet des programmes de deacutepenses pluriannuelsagrave horizon mobile sont mis en place Lrsquoefficaciteacutede la deacutepense publique est eacutevalueacutee agrave lrsquoaunedrsquoindicateurs de reacutesultats Les donateurs ontdeacuteveloppeacute en Afrique agrave la diffeacuterence des aidesprojets des formes de soutien globaliseacutes etfongibles notamment lrsquoaide budgeacutetaire glo-bale qui abonde les budgets nationaux

La lutte contre la pauvreteacute et le chocircmage

Les tests montrent que paradoxalement lacroissance eacuteconomique coiumlncide souvent avec

1 Les eacutequilibres financiers de lrsquoAfrique

Fin deacutecennie 1990 Fin deacutecennie 2000 Variation (en )

Inflation (en ) 220 80 ndash 64

Dette publique (en du PIB) 819 590 ndash 28

Solde budgeacutetaire (en du PIB) ndash 46 ndash 18 + 60

Source Jacquemot (2013)

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON125

une monteacutee de la pauvreteacute du chocircmage etde lrsquoeacuteconomie informelle Les politiques propauvres ont mis lrsquoaccent sur la reacuteduction dela pauvreteacute Les cadres strateacutegiques de reacuteduc-tion de la pauvreteacute (CSRP) ont eacuteteacute inteacutegreacutesaux OMD de Monterray donnant une prioriteacuteagrave la scolarisation et agrave lrsquoeacutegaliteacute par genre agrave lasanteacute de base agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoeau potable Au-delagrave se pose la question de lrsquoeacutelaboration desystegravemes de protection sociale permettantdrsquoeacutelargir la demande inteacuterieure (Cling et al 2003)

Une des questions prioritaires est celle deslimites de lrsquoemploi salarieacute face agrave lrsquooffre detravail des jeunes elle reacutesulte principale-ment de la combinaison de la croissancedeacutemographique et urbaine des ineacutegaliteacutesintra-nationales en hausse et des gains deproductiviteacute des technologies mondialiseacuteesFaut-il privileacutegier le secteur formel formali-ser lrsquoinformel et srsquoappuyer sur le segment leplus dynamique en capitalisant les pratiquesinnovantes (thegravese dualiste) Privileacutegier lespolitiques de redistribution de protectionsociale minimale et de soutien aux segmentsles plus vulneacuterables (thegravese sociale) Reacuteduireet simplifier les regraveglementations du secteurlaquo formel raquo (thegravese libeacuterale) ou au contraire lesfaire appliquer pour reacuteduire lrsquoemploi infor-mel dans les grandes uniteacutes Faut-il agir surlrsquooffre des petites uniteacutes par le creacutedit la for-mation professionnelle et lrsquoappui technique Ou sur leur environnement par exemple enreacuteduisant les instabiliteacutes des marcheacutes et lesdivers risques (thegravese structuraliste) Si lrsquoeacuteco-nomie informelle est durable et structurellela prioriteacute est de creacuteer des systegravemes de pro-tection sociale et de formation de reacuteduire lesineacutegaliteacutes et de combiner des technologies agraveforte intensiteacute capitalistique et des techno-logies intensives en travail en favorisant lesliens entre uniteacutes les plus productives et lespetites uniteacutes (sous-traitance)

Une nouvelle prioriteacute accordeacuteeagrave lrsquoeacuteconomie verteLes pays pauvres disposent drsquoun capitalnaturel eacuteleveacute estimeacute en Afrique agrave 23 de la

richesse contre 2 pour les pays de lrsquoOCDELa lutte contre la pauvreteacute ne peut ecirctre diffeacute-rencieacutee de la question environnementale (eauforecirct ressources halieutiques biodiversiteacutehellip)Les eacutenergies renouvelables la reacutesilience faceaux chocs naturels lrsquoutilisation des meacuteca-nismes de deacuteveloppement propres (MDP)la lutte contre la deacutesertification et le stresshydrique la pollution urbaine ou la deacutefores-tation sont autant de projets prioritaires

Les politiques liant seacutecuriteacuteet deacuteveloppementLa cateacutegorie drsquolaquo Eacutetats fragiles raquo a eacuteteacute forgeacuteepour speacutecifier les prioriteacutes des politiques agravemettre en œuvre pour des Eacutetats en conflit oupost conflit etou en faillite La question de laseacutecuriteacute des biens et des personnes ne peutecirctre dissocieacutee de celle du deacuteveloppement Lesvulneacuterabiliteacutes et handicaps structurels lespreacuteventions des conflits conduisent agrave privi-leacutegier la seacutecuriteacute et les fonctions reacutegaliennesde lrsquoEacutetat aux eacutequilibres financiers et agrave la luttecontre la corruption Dans un monde en voiede globalisation et drsquoexclusion drsquointerdeacutepen-dances et de replis identitaires les mafiaspolitiques les trafics de drogue et les diffeacute-rentes formes de criminaliteacute accompagnentla pauvreteacute Dans laquo un monde sans loi raquo lesreacutegulations socio-politiques et les encadre-ments normatifs deviennent des questionscentrales tant de la part des Eacutetats que de lacommunauteacute internationale

Des politiques de reacuteformesstructurelles souvent en attenteLes programmes drsquoajustement niaient le poli-tique (les conflits les compromis) dans lediscours mais le placcedilaient dans la pratiqueau cœur des objectifs et des moyens Lesquestions de corruption de clienteacutelisme depatrimonialisme de criminaliteacute de lrsquoEacutetat oudes mafias sont devenues des sujets centrauxqui relativisent les frontiegraveres entre lrsquoEacutetat etle marcheacute entre la chose publique et la chosepriveacutee Les facteurs sociaux institutionnelset politiques sont deacuteterminants pour expli-quer lrsquoeacutechec ou les reacuteussites des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 126

eacuteconomiques Il y a un relatif consensus pourmobiliser diffeacuterents acteurs et mener despolitiques agrave plusieurs eacutechelles territoriales

Lrsquoeacuteconomie de rente la preacutefeacuterence pour lecourt terme les comportements patrimoniauxlrsquoabsence de contre-pouvoirs et de socieacute-teacutes civiles fortes ainsi que la deacuteliquescencede lrsquoEacutetat demeurent souvent des facteursstructurels essentiels bloquant lrsquointeacutegra-tion positive des pays pauvres agrave lrsquoeacuteconomiemondiale par un changement de speacutecialisa-tion et une remonteacutee en gamme de produitsdans la chaicircne de valeur internationale Lespays pauvres restent globalement dans unelogique de reacuteservoirs comme exportateurs deproduits primaires et de deacuteversoirs commeimportateurs de produits transformeacutes Leurcommerce exteacuterieur dynamique leur permetdrsquoimporter du monde entier les produits les

moins chers et drsquoameacuteliorer ainsi le niveaude consommation des populations mais ilsne parviennent pas pour autant agrave construireune veacuteritable base industrielle et drsquoaccumu-lation (Hugon 2013) Comment des agricul-tures paysannes peuvent-elles concurrencerdes agricultures soutenues par des politiquespubliques de la part des pays industriels oueacutemergents Comment des artisans et desentreprises industrielles peuvent-ils entreren compeacutetition avec des entreprises dis-posant drsquoavances technologique de vastesmarcheacutes et drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle Commentdes socieacuteteacutes et des populations peuvent-ellesconstruire la moderniteacute et deacutevelopper leurspotentialiteacutes et laquo capabiliteacutes raquo par des trajec-toires plurielles

BEN HAMMOUDA H (1999) Lrsquoeacuteconomie politique du post-ajustement Paris Karthala

BOURGUIGNON F (2012)La mondialisation delrsquoineacutegaliteacute Paris Seuil

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GUILLAUMONT P (2009) Caught in a trap Identifyingthe least developed countriesParis Economica

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HUGON PH et SALAMA P (eds)(2010) Les Suds dansla crise Paris Armand Colincoll laquo Revue Tiers Monde raquo

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KRUGMAN P (2008) Pourquoiles crises reviennent toujours Paris Le Seuil

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SACHS J D (2005) TheEnd of Poverty EconomicPossibilities for Our TimeNew York Penguin Press HC

STIGLITZ J (1998) laquo Towardsa New Paradigm forDevelopment StrategiesPolicies and ProcessesGenegraveve Prebisch Lectures atUNCTAD

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Directeur de la publication Xavier Patier

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Imprimeacute en France par la DILADeacutepocirct leacutegal 75059 septembre 2013DF 2PE32760 ISSN 0032-9304CPPAP ndeg 0513B05932

680 euro

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HORS-SEacuteRIESEPTEMBRE 2013 NUMEacuteRO 4

comprendreLES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLa crise a jeteacute un nouveau regard sur les politiques eacuteconomiquesElle a notamment remis en question le consensus drsquoinspiration libeacuterale qui guidait lrsquoaction publique depuis une trentaine drsquoanneacuteesUne reacuteorientation est-elle agrave lrsquoœuvre depuis 2008

Ce numeacutero hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques rappelle les fondements des politiques eacuteconomiques et passe en revue les diffeacuterents instruments et objectifs en insistant sur les eacutevolutions les plus reacutecentes

Prochain numeacutero agrave paraicirctre Comprendre le capitalisme

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HORS-SEacuteRIE

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Page 4: Comprendre les politiques économiqueslivre.fun/LIVREF/F39/F039027.pdfla relance keynésienne ; la forte augmentation de l’endettement public dans la foulée a quant à elle jeté

COMPRENDRELES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLes politiques eacuteconomiques pourquoi et comment P 5 Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions (Hubert Kempf)

P 12 Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publique (Christophe Demaziegravere)

P 18 Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeux (Sophie Brana)

P 27 Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels (Franck Lirzin)

P 33 Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire (Jeacuterocircme Creel)

P 39 Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France (Adrien Matray)

P 47 Comment eacutevaluer les politiques publiques (Antoine Bozio)

Instruments et objectifs des politiques eacuteconomiquesP 53 Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques (Gilbert Koenig)

P 61 La politique moneacutetaire quel renouvellement avec la crise (Christian Bordes)

P 77 Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisonseacutevolutions (Jacques Le Cacheux)

P 87 Les politiques sociales quel avenir (Philippe Batifoulier)

P 95 Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples (Christine Erhel)

P 104 La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens (Pierre-Noeumll Giraud)

P 111 La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation (Michel Rainelli)

P 120 Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de Washington (Philippe Hugon)

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 5

Dans les anneacutees 1970 le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui avait eacuteteacute eacutelaboreacute dans lrsquoapregraves-guerre et srsquoinspirait largement des preacuteceptes keyneacutesiens a voleacute en eacuteclat au profit drsquoun nouveau consensus inteacutegrant les avanceacutees de la macroeacuteconomie en particulier les tra-vaux sur les anticipations rationnelles Sur le plan microeacuteconomique ce sont les notions drsquoasy-meacutetrie drsquoinformation et de deacutefauts drsquoappariement qui ont le plus inspireacute lrsquointervention publique en particulier les politiques de lrsquoemploiLa crise eacuteconomique reacutecente a bousculeacute ce cadre surtout sur le plan macroeacuteconomique Le laquo ciblage drsquoinflation raquo et la maicirctrise des deacuteficits publics qui eacutetaient devenus les mots drsquoordre des politiques moneacutetaires et budgeacutetaires nrsquoont pas empecirccheacute la Grande Reacutecession ni la crise des finances publiques qui a suivi dans de nombreux pays avanceacutesHubert Kempf fait le point sur ce nouveau basculement du cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique qui a conduit agrave reconsideacuterer la reacuteglementation des marcheacutes et la question de la surveillance des risques financiers

Problegravemes eacuteconomiques

Le cadre theacuteorique de la politique eacuteconomique quelles eacutevolutions

La crise eacuteconomique initieacutee avec lrsquoeffondre-ment du marcheacute des subprimes en 2007 estsinguliegravere agrave bien des titres Interminable ellea succeacutedeacute agrave une longue peacuteriode de prospeacute-riteacute marqueacutee par une croissance soutenue etreacuteguliegravere ainsi qursquoune inflation faible De lalaquo grande modeacuteration raquo nous sommes passeacutesagrave la laquo Grande Reacutecession raquo Cette reacutecession estdrsquoune ampleur ineacutedite la baisse de lrsquoactiviteacutea eacuteteacute brutale et forte surtout apregraves la faillitede Lehman Brothers en septembre 2008 elle

srsquoest propageacutee tregraves rapidement agrave lrsquoeacuteconomiemondiale enfin dans un second temps lesdifficulteacutes des finances publiques de certainspays membres de lrsquoUnion europeacuteenne (UE) ontplongeacute celle-ci dans une crise majeure qui a ali-menteacute le ralentissement eacuteconomique mondial

Le cadre theacuteorique drsquoavant-criseLa politique eacuteconomique dans son aspectmicroeacuteconomique comme macroeacuteconomiqueest tributaire des avanceacutees de la recherchetant theacuteorique qursquoappliqueacutee mais aussi delrsquoanalyse des expeacuteriences acquises au tra-vers des programmes effectivement mis enplace par les gouvernements qui constituentautant drsquoexpeacuterimentations nourrissant la

HUBERT KEMPF

Eacutecole normale supeacuterieure de Cachan et Eacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 6

reacuteflexion Sur le plan microeacuteconomique ilnrsquoest pas possible de dire qursquoun consensusexistait avant 2007 mecircme si les principes delrsquointervention publique eacutetaient indiscuteacutesSur un plan macroeacuteconomique en revancheon peut eacutevoquer un consensus partageacute au seindu monde acadeacutemique ainsi que par les pra-ticiens en particulier les banquiers centraux

Les politiques microeacuteconomiques

Si les deacutefaillances de marcheacute sont reconnuescomme lrsquoune des principales justifications delrsquointervention publique il nrsquoy a pas drsquouna-nimiteacute sur la faccedilon de les analyser et drsquoenappreacutecier la porteacutee En microeacuteconomie deuxvoies drsquoanalyse ont eacuteteacute privileacutegieacutees La pre-miegravere porte sur les deacutefauts drsquoajustement etdrsquoappariement entre offreurs et demandeurs la seconde concerne les asymeacutetries drsquoinforma-tion entre agents et le deacuteveloppement de stra-teacutegies opportunistes De plus une partie desproblegravemes microeacuteconomiques peut ecirctre analy-seacutee comme reacutesultant des deacutefaillances de lrsquoEacutetatqui mesure mal ou refuse de tenir compte deseffets pervers de ses interventions

Le fonctionnement du marcheacute du travailfournit un bon exemple de cette diversiteacute depoints de vue Pour les uns les problegravemes dece marcheacute seraient dus agrave des rigiditeacutes quiamplifient les difficulteacutes drsquoappariement entreemployeurs et salarieacutes et deacutecourageraientune partie de la population en acircge de travail-ler de rechercher activement et efficacementun emploi Selon cette approche il faut doncdeacutereacuteglementer pour ameacuteliorer la flexibiliteacutede lrsquoemploi Pour les opposants agrave cette ana-lyse les conditions de lrsquoemploi font partie ducontrat social et en particulier du contratimplicite entre employeur et salarieacute Il estdonc raisonnable que lrsquoemployeur assurele salarieacute contre les risques portant sur sareacutemuneacuteration le cas eacutecheacuteant par le biaisdrsquoune reacuteglementation contraignante

De mecircme sur les marcheacutes des biens cer-taines deacutefaillances deacutecouleraient de la dif-ficulteacute drsquoassurer les conditions drsquoune bonneconcurrence ou du poids de reacuteglementationsexcessives ou mal penseacutees Mais a contrario le marcheacute peut deacutegager des incitations insuf-fisantes pour que soient mis en œuvre les

CLCLAASSER LES POLITIQUESSSER LES POLITIQUESEacuteEacuteCCONOMIQUESONOMIQUESIl esIl est usuel drsquoopposer lt usuel drsquoopposer les politiqueses politiques

cconjoncturonjoncturellelles aux politiques ses aux politiques structurtructurellelleses

Les politiques cLes politiques conjoncturonjoncturellelles visentes visent

agrave sagrave sttabiliser labiliser lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique etonomique et

en particulier agrave ren particulier agrave reacuteduireacuteduire le les ves variationsariations

cconjoncturonjoncturellelles autes autour de la tour de la tendancendance dee de

llong tong terme de lerme de lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie Les politiquesonomie Les politiques

sstructurtructurellelles visent quant agrave elles visent quant agrave elles agrave modifieres agrave modifier

la sla structurtructure pre productivoductive et le et les cires circuits decuits de

disdistribution de ltribution de lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

Les politiques cLes politiques conjoncturonjoncturellelles res rececensentensent

trtraditionnelladitionnellement la politique budgeacutetement la politique budgeacutetairairee

(incluant l(incluant le ve vololet fiscet fiscal) et la politiqueal) et la politique

moneacutetmoneacutetairaire La politique de le La politique de lrsquoemplrsquoemploi la politiqueoi la politique

indusindustrielltrielle et le et les politiques sociales politiques sociales sont deses sont des

eexxemplemples de politiques ses de politiques structurtructurellelleses

Cependant lCependant les politiques ces politiques conjoncturonjoncturellelleses

cconnaisonnaissent des inflesent des inflexions sxions structurtructurellelleses

ccomme lomme les changements de ses changements de strtratateacutegieeacutegie

moneacutetmoneacutetairaire ou le ou les ces controntraintaintes juridiques mises agravees juridiques mises agrave

llrsquoemplrsquoemploi des insoi des instruments budgeacutettruments budgeacutetairaires et fisces et fiscauxaux

Il esIl est donc prt donc preacutefeacutefeacutereacuterablable et ce et coheacuteroheacuterent avent avecec

llrsquoanalrsquoanalyse eacutecyse eacuteconomique de disonomique de distinguertinguer

politiques macrpolitiques macroeacutecoeacuteconomiques et politiquesonomiques et politiques

micrmicroeacutecoeacuteconomiques Les pronomiques Les premiegraveremiegraveres visentes visent

agrave agir sur lagrave agir sur le rythme et la dynamique dee rythme et la dynamique de

llrsquoeacutecrsquoeacuteconomie dans son ensemblonomie dans son ensemble te tandis queandis que

lobjectif des seclobjectif des secondes esondes est de modifier lt de modifier leses

cconditions de londitions de lrsquooffrrsquooffre et de la demande sur dese et de la demande sur des

marmarcheacutes speacutecifiquescheacutes speacutecifiques

Hubert KempfHubert Kempf

ZOOM

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 7

efforts drsquoinnovation qui maximisent le bien-ecirctre collectif ce qui appelle donc agrave la mise enplace drsquoune politique scientifique publique

Enfin concernant le financement de lrsquoeacutecono-mie il eacutetait admis que les marcheacutes financiersmodernes eacutetaient devenus efficaces gracircce auprogregraves des techniques de connexion et desinnovations financiegraveres rendues en particu-lier possibles par un mouvement de deacutereacutegle-mentationAu final ce mouvement initieacute dansles anneacutees 1980 aurait permis aux marcheacutesdrsquoatteindre la maturiteacute et de srsquoauto-reacuteguler

Les politiques macroeacuteconomiques

Un nouveau modegravele canonique issude la synthegravese neacuteo-keyneacutesienneLe consensus en matiegravere de politiques macro-eacuteconomiques srsquoest fondeacute sur des progregravesmeacutethodologiques dans la continuation dela reacutevolution des anticipations rationnellesinitieacutee en 1972 par Robert Lucas Les macro-eacuteconomistes ont mis au point des modegravelesdrsquoeacutequilibre geacuteneacuteral dynamiques et stochas-tiques agrave des fins de reproduction des dyna-miques eacuteconomiques reacuteellement constateacuteesCes modegraveles sont mieux fondeacutes et plus signi-ficatifs que les modegraveles eacuteconomeacutetriquesqui se deacuteveloppegraverent dans les anneacutees 1960-1970 puisqursquoils explicitent les conditionsdrsquoeacutequilibre les contraintes budgeacutetaires desdiffeacuterents agents et leurs comportementsintertemporels De plus ils permettent dessimulations de politique eacuteconomique permet-tant de prendre en compte la reacuteponse immeacute-diate et retardeacutee des agents eacuteconomiques agravedes mesures de politique eacuteconomique

Un modegravele canonique qualifieacute de laquo synthegraveseneacuteo-keyneacutesienne raquo srsquoest deacutegageacute agrave la fin desanneacutees 1990 Il est drsquoune remarquable sim-pliciteacute alors mecircme qursquoil repose sur des fonde-ments microeacuteconomiques clairs et incorporedes rigiditeacutes nominales1 Ce modegravele metlrsquoaccent sur le caractegravere indeacutetermineacute de ladynamique eacuteconomique en particulier nomi-nale Cela explique que lrsquoune des responsa-biliteacutes eacuteminentes de la politique moneacutetairesoit lrsquoancrage des anticipations les autoriteacutes

moneacutetaires doivent srsquoassurer qursquoelles se coor-donnent sur un sentier drsquoeacutevolution futurestable et connu de tous2

Cette simpliciteacute mecircme a occasionneacute la neacutegli-gence des pheacutenomegravenes financiers en par-ticulier ceux lieacutes agrave la distribution du creacuteditbancaire dans lrsquoeacuteconomie jugeacutes empirique-ment neacutegligeables

Une politique moneacutetaire au premier plancentreacutee sur le laquo ciblage drsquoinflation raquoLa mise en avant de lrsquoancrage des anticipa-tions a donneacute une importance particuliegravere agravela politique moneacutetaire Il eacutetait admis que labanque centrale disposait drsquoune capaciteacute decontrocircle direct du taux drsquoinflation Les mar-cheacutes financiers devenus deacutereacuteglementeacutes etsuffisamment sophistiqueacutes le taux drsquointeacuterecirctdu marcheacute moneacutetaire controcircleacute par la banquecentrale se transmettait sans frictions agrave lrsquoen-semble des taux et donc agrave la sphegravere reacuteelleLegs des recherches des anneacutees 1980 lrsquoeffi-caciteacute de lrsquoancrage des anticipations deacutepen-dait de la creacutedibiliteacute de la banque centraleagrave tenir ses engagements dans le futur Cettecreacutedibiliteacute requeacuterait lrsquoindeacutependance de lrsquoins-titut drsquoeacutemission Cela a donneacute lieu agrave unestrateacutegie qui est devenue de plus en pluspopulaire dans les anneacutees 1990 le laquo ciblagedrsquoinflation raquo3

Des politiques budgeacutetaires limiteacuteesagrave la reacuteduction des deacuteficits publicsLa perception de la politique budgeacutetaire (etfiscale) avant la crise ouverte en 2007 estinverse agrave celle de la politique moneacutetaireDrsquoune part son utiliteacute apparaicirct moindrepuisque la laquo grande modeacuteration raquo associeacutee agravela maicirctrise de lrsquoinflation semble montrer lesuccegraves drsquoune intervention minimale de lrsquoEacutetatet le bon fonctionnement des marcheacutes deacutereacute-glementeacutes Dans le mecircme temps son efficaciteacuteest contesteacutee par de nombreuses eacutetudes uni-versitaires La valeur du multiplicateur estmise en question et semble bien infeacuterieure agravece que deacutefendent ses partisans Au contrairedes strateacutegies drsquolaquo ajustement budgeacutetaire raquosemblent concluantes car la diminution du

[1] On dit qursquoil y a desrigiditeacutes nominales

lorsque les variablesnominales (hors effet

prix) srsquoajustent mal auxmodifications drsquoautresvariables Par exemple

les salaires laquo nominaux raquondash les salaires

afficheacutes ndash sontrelativement rigides

surtout agrave la baisse ils sont neacutegocieacutessur des peacuteriodes

relativement longueset font lrsquoobjet de

normes et conventionsLes prix sont en

revanche plus flexibleset par ce biais il peuty avoir une variationdes salaires laquo reacuteels raquo

(rapport du salairenominal aux prix) mecircmesi les salaires nominaux

sont constants

[2] Sur la questionde lrsquoancrage

des anticipations voirle zoom de Christian

Bordes p 62

[3] Idem

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 8

deacuteficit public est alleacutee de pair dans certainspays avec lrsquoexpansion eacuteconomique la crois-sance de lrsquoemploi public semble correacuteleacutee aveclrsquoaugmentation du chocircmage Crsquoest ce qui res-sort de quelques expeacuteriences marquantescomme au Danemark et en Suegravede dans lesanneacutees 1980-1990Enfin des recherches sur laprise de deacutecision budgeacutetaire avancent que lesresponsables gouvernementaux ont des preacute-occupations laquo court-termistes raquo et souventpurement eacutelectoralistes qui les conduisent agraveune gestion laxiste des finances publiques4

Dernier eacuteleacutement du consensus implicite dansles deacuteveloppements preacuteceacutedents les poli-tiques budgeacutetaires et moneacutetaires sont indeacute-pendantes et il nrsquoy a pas lieu de se soucier deles coordonner

Un consensus bousculeacute par la crise

Ces options de politique eacuteconomique ont joueacuteun rocircle important dans la dynamique du pro-cessus reacutecessif et sont parfois incrimineacuteescomme responsables de son deacuteclenchementCe retournement exceptionnel est donc alleacutede pair avec une remise en cause des justifica-tions theacuteoriques de la politique eacuteconomique

La reacutecession a pris par surprise les respon-sables des politiques eacuteconomiques gouver-nements et banques centrales Lrsquoapparitionde paniques bancaires la faillite drsquoune ins-titution financiegravere drsquoimportance mondialecomme Lehman Brothers le quasi assegraveche-ment du marcheacute interbancaire en quelquesheures le ralentissement massif du com-merce international ducirc agrave un resserrementbrutal des creacutedits lieacutes aux exportations etpar voie de conseacutequence une spirale deacutepres-sive soudaine et geacuteneacuterale agrave partir de la fin de2008 ont forceacute gouvernements et banquescentrales agrave des actions rapides fortes et ini-maginables quelques mois auparavant

Les banques centrales furent les premiegraveres agraveagir et mirent en place degraves 2007 des politiquesnon-conventionnelles consistant agrave ouvrir denouvelles faciliteacutes de creacutedit aux banquesou agrave racheter directement des titres publicsou priveacutes pour faciliter le financement des

agents non-financiers Les Treacutesors publicsont reacuteagi plus lentement parce que le proces-sus de deacutecision budgeacutetaire est plus lent maisavec tout autant de deacutetermination La deacutegra-dation des finances publiques est manifestemais teacutemoigne de lrsquoactivisme budgeacutetaire dontont fait preuve les Eacutetats

Les politiques de crise amegravenentagrave repenser la politique eacuteconomiqueLes principes de lrsquointervention microeacutecono-mique de lrsquoEacutetat restent au moins aussi preacute-gnants rocircle des incitations neacutecessiteacute drsquounereacuteglementation souple refus drsquoun inter-ventionnisme conqueacuterant systeacutematique etgeacuteneacuteral Mais la doctrine et la theacuteorie de lapolitique macroeacuteconomique dominantes sonten crise

Des principes de politiquemicroeacuteconomique preacuteserveacutes maisrevus pour les marcheacutes financiers

Pour ce qui est du marcheacute du travail la crisequi a toucheacute de faccedilon diffeacuterencieacutee les paysselon leur capaciteacute agrave effectuer des ajuste-ments microeacuteconomiques pour assurer leurcompeacutetitiviteacute et leur reacutesilience aux chocsa eu une conseacutequence claire la puissancepublique doit privileacutegier la flexibiliteacute dumarcheacute du travail et deacutemanteler un appareilreacuteglementaire souvent asphyxiant

Une autre leccedilon de la crise est largement par-tageacutee agrave savoir la remise en cause de lrsquoideacuteeque les marcheacutes financiers sont efficaces Siles outils microeacuteconomiques agrave la disposi-tion des financiers permettent une gestionsophistiqueacutee du risque cela les amegravene agrave enassumer davantage sans prendre consciencedes effets agreacutegeacutes De fait les responsablespublics ont eux aussi neacutegligeacute les dangers demarcheacutes censeacutes srsquoautoreacuteguler Les marcheacutesfinanciers doivent donc ecirctre re-reacuteglementeacutesUne prioriteacute est drsquoappliquer les concepts dela theacuteorie de lrsquoasymeacutetrie drsquoinformation agrave lafinance et agrave lrsquoeacuteconomie bancaire de faccedilon agrave

[4] Sur les politiquesbudgeacutetaires voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de GilbertKoenig pp 53-60

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 9

comprendre les imperfections financiegraveresmais aussi pour mieux comprendre la reacutegle-mentation agrave mettre en place puisque la puis-sance publique sera toujours moins bieninformeacutee des conditions de marcheacute que lesopeacuterateurs eux-mecircmes

Le bien-fondeacute drsquoune intervention publiquesur les marcheacutes des biens en particulier parle biais drsquoune politique industrielle reste tou-jours deacutebattu Mais le consensus est toujoursque la puissance publique a un rocircle agrave jouerdans le soutien agrave lrsquoinnovation scientifique ettechnologique5

Le cadre des politiquesmacroeacuteconomiques en crise

Les risques financierset les pheacutenomegravenes de crise neacutegligeacutes

En ce qui concerne les politiques macroeacuteco-nomiques la remise en cause des principesdrsquoavant-crise est massive et touche chacundes preacutesupposeacutes du consensus qui srsquoest eacutela-boreacute depuis le deacutebut des anneacutees 1970 lorsqueles eacuteconomistes ont entrepris drsquoeacutetablir lesfondements microeacuteconomiques des pheacuteno-megravenes macroeacuteconomiques Il ne faut passous-estimer la feacuteconditeacute et la creacuteativiteacute dumonde acadeacutemique confronteacute agrave ces incerti-tudes Les reacuteflexions actuelles deacuteboucherontagrave nrsquoen pas douter sur un nouveau consensusqui fera sa place aux imperfections finan-ciegraveres et bancaires ainsi qursquoaux pheacutenomegravenespeu freacutequents Il est en revanche impossiblede dire srsquoil sera precirct agrave temps et pour com-prendre et preacutevenir la prochaine crise

Il ne peut ecirctre question de nier ou de tenirpour nul les importants progregraves de lamacroeacuteconomie depuis les anneacutees 1970 Lesmeacutethodes de modeacutelisation et drsquoestimationeacuteconomeacutetrique sont deacutesormais sophistiqueacuteeset pertinentes pour appreacutecier une reacutealiteacute tou-jours plus complexe

Mais la premiegravere geacuteneacuteration de modegraveles issusde cette meacutethodologie a deacuteboucheacute sur unmodegravele canonique trop rudimentaire inca-pable drsquoanalyser et drsquointerpreacuteter la rupture

de 2007 et ses conseacutequences Le deacutefi est drsquoob-tenir un modegravele raisonnablement simple etdonc utilisable pour les pouvoirs publics etles autoriteacutes moneacutetaires qui integravegre en mecircmetemps les imperfections financiegraveres lieacutees auxproblegravemes drsquoasymeacutetrie drsquoinformation et per-mette ainsi de formaliser les options de poli-tique macroeacuteconomique face aux risquesfinanciers

Surtout il apparaicirct clairement que les pheacute-nomegravenes de crise peu freacutequents irreacutegulierset par lagrave-mecircme difficiles agrave preacutevoir ont eacuteteacuteneacutegligeacutes Ils sont lieacutes agrave des prises de risquesfinanciers eacuteleveacutees Ces risques sont mal eacuteva-lueacutes par les agents eacuteconomiques car ils nepeuvent ecirctre correctement appreacutecieacutes qursquoauniveau macroeacuteconomique par une analysedes deacuteseacutequilibres structurels des bilans desagents et des institutions

Le renouveaudu rocircle des banques centralesLa crise a brutalement rappeleacute que lesbanques centrales ont une double mission outre la deacutetermination du taux drsquointeacuterecirctelles doivent garantir la viabiliteacute du sys-tegraveme de paiement dont deacutependent les fluxeacuteconomiques Le rehaussement de la fonc-tion prudentielle des banques centrales dansses dimensions micro et macroeacuteconomiquesnrsquoest quasiment pas discuteacute Cette fonctionimplique tant la surveillance ex ante drsquoindica-teurs de risque financier comme la structuredu bilan des banques et le ratio drsquoendette-ment (par rapport aux eacuteleacutements du passif nongarantis) que lrsquointervention ex post en cas defaillite bancaire ou de crise systeacutemique

En matiegravere de politique moneacutetaire lrsquoancragedes anticipations ne peut suffire agrave assurer lastabiliteacute macroeacuteconomique Les contraintesde financement et drsquoaccegraves aux marcheacutes finan-ciers srsquoavegraverent deacuteterminantes et sujettes agravedes variations brutales En drsquoautres termesla fonction de demande de monnaie ou encorela distribution du creacutedit ne peuvent ecirctreconsideacutereacutees comme stables

Ainsi un nouveau cadre institutionnel se meten place dont la coheacuterence avec la politique

[5] Sur la politiqueindustrielle

cf dans ce mecircmenumeacutero lrsquoarticle

de Pierre-Noeumll Giraudpp 104-110

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 10

moneacutetaire nrsquoest pas assureacutee La reacuteglemen-tation prudentielle des banques et des ins-titutions financiegraveres srsquoaccroicirct sans que lesconseacutequences macroeacuteconomiques de ce ren-forcement soient explicitement prises encompte Les banques centrales sortent ren-forceacutees de la crise eacuteconomique actuelle alorsmecircme qursquoon peut srsquointerroger sur leur soli-diteacute et leur clairvoyance un mandat pluslarge une capaciteacute drsquoaction plus grande desinstruments drsquoaction plus nombreux et moinsdiscuteacutes Pas neacutecessairement plus transpa-rentes probablement moins indeacutependantesdes pouvoirs politiques qursquoon ne le disait oulrsquoespeacuterait les banques centrales sont plus envue mais peut-ecirctre plus fragiles

Lrsquoutiliteacute de la politiquebudgeacutetaire reconsideacutereacutee

Parallegravelement se produit une reacuteeacutevaluation delrsquoutiliteacute de la politique budgeacutetaire LrsquoEacutetat aagrave la fois la possibiliteacute et la leacutegitimiteacute neacuteces-saire pour reacutepondre agrave des chocs majeurs neserait-ce qursquoen laissant fonctionner les laquo sta-bilisateurs automatiques raquo6 Ne pas le faireexpose agrave une aggravation catastrophiquede la reacutecession Les recherches reacutecentes surla valeur du multiplicateur ont abouti agrave laconclusion qursquoil valait mieux parler desmultiplicateurs car lrsquoefficaciteacute drsquoune poli-tique de deacuteficit varie en fonction des circons-tances Lrsquoefficaciteacute drsquoune politique de relancenrsquoest pas la mecircme en phase de reacutecession oudrsquoexpansion selon le niveau de lrsquoendette-ment public et la neacutecessiteacute drsquoeacutequilibrer rapi-dement les comptes publics Surtout elle estaccrue lorsque le taux drsquointeacuterecirct a atteint salimite infeacuterieure Dans cette configurationune action de relance budgeacutetaire aboutit agraveune baisse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel via lrsquoinfla-tion ce qui est un facteur expansif car leseffets drsquoeacuteviction ne sont pas agrave redouter7

Mais la crise a montreacute la difficulteacute de deacutefi-nir avec rigueur la contrainte budgeacutetaire delrsquoEacutetat LrsquoEacutetat peut devoir se porter rapide-ment au secours de tel ou tel secteur en par-ticulier devoir renflouer le secteur bancaireLa soutenabiliteacute de la dette publique reste un

impeacuteratif mais les conditions pour satisfairecette obligation sont toujours plus opaques

Agrave la lumiegravere de la conjoncture reacutecente la poli-tique budgeacutetaire semble ainsi beaucoup plusdeacutelicate et difficile agrave manipuler qursquoon ne lepensait il y a dix ans elle srsquoavegravere en outrelargement deacutependante des conditions finan-ciegraveres dans lesquelles elle est meneacutee Sonefficaciteacute mecircme reacuteeacutevalueacutee apparaicirct toujoursincertaine la position patrimoniale de lrsquoEacutetatpeut se deacutegrader tregraves brutalement et durable-ment la restauration des comptes publicsest difficile et prend du temps surtout quandelle est incomprise par lrsquoopinion publique

Nouveaux paradoxessur le rocircle de lrsquoEacutetatLa remise en cause du cadre theacuteorique de lapolitique eacuteconomique est donc moins forteqursquoon aurait pu le penser Plus largementla crise a fait apparaicirctre un fait majeur etincontournable il est impossible de penserles marcheacutes en opposition avec lrsquoEacutetat La libeacute-ralisation des marcheacutes qui fut le mantra desanneacutees de la laquo grande modeacuteration raquo ne peutse concevoir comme une absence drsquoEacutetat Pourbien fonctionner les marcheacutes doivent ecirctreencadreacutes par la puissance publique Sinoncelle-ci doit intervenir massivement pourempecirccher lrsquoeffondrement geacuteneacuteraliseacute de lrsquoeacuteco-nomie et la crise sociale qui srsquoensuivrait Lespouvoirs publics doivent assumer les risquesque lrsquoeacuteconomie de marcheacute ne peut eacutelimineret en premier lieu le risque de crise Il endeacutecoule trois conseacutequences

ndash les outils reacuteglementaires deacutefinissant lecadre des marcheacutes et les contrats que peuventnouer les agents priveacutes sont agrave nouveau consi-deacutereacutes comme indispensables Leur finaliteacute estde minimiser le risque potentiel que lrsquoEacutetatdevrait assumer Toutefois ils doivent impeacute-rativement eacutevoluer en mecircme temps que lesmarcheacutes se transforment

ndash il est primordial de disposer drsquoun systegravemefiscal solide capable de fournir les ressources

[6] Voir encadreacute p 55

[7] Une des critiquesadresseacutees agrave la politiquebudgeacutetaire est qursquoellecreacutee un effet drsquoeacutevictionpar le taux drsquointeacuterecirct la hausse du deacuteficitpublic provoqueune offre accruede titres publics quifait augmenter le tauxdrsquointeacuterecirct Cet effet estdrsquoautant plus limiteacute queles autoriteacutes moneacutetairesmaintiennent les tauxdrsquointeacuterecirct agrave un niveaufaible

LE CADRE THEacuteORIQUE DE LA POLITIQUE EacuteCONOMIQUE QUELLES EacuteVOLUTIONS 11

neacutecessaires agrave lrsquointervention publique maisaussi de limiter les risques qui lui sont lieacutesau premier rang desquels il faut ranger lesurendettement public

ndash enfin parce que lrsquoeacuteconomie est deacutesormaismondialiseacutee la regraveglementation publique desmarcheacutes ne peut se concevoir que dans laconcertation des Eacutetats Crsquoest ce qui expliqueles tentatives drsquoharmonisation bancaire etfinanciegravere meneacutees sous lrsquoeacutegide de la Banquedes regraveglements internationaux (BRI) ndash quiabrite le Comiteacute de Bacircle ndash ou la lutte contreles paradis fiscaux discuteacutee lors des ren-contres de chefs drsquoEacutetat et de gouvernement

Deux paradoxes eacutemergent Le premier estqursquoalors mecircme que lrsquoefficaciteacute globale desmarcheacutes agrave assurer une croissance stable etsoutenue est mise en doute leur efficaciteacutemicroeacuteconomique elle nrsquoest pas contesteacuteeLe succegraves pour ce qui est du chocircmage desreacuteformes du marcheacute du travail allemand meneacutepar le gouvernement Schroumlder au deacutebut desanneacutees 2000 en est une illustration claire Aucontraire mecircme puisque personne ne deacutefendque lrsquoEacutetat puisse intervenir efficacement etfinement dans lrsquoallocation des ressources Agravecela une raison probablement dominante lamondialisation et la libeacuteralisation des mar-cheacutes sont irreacuteversibles et il est illusoire depenser qursquoun Eacutetat puisse seacuterieusement fairemieux en matiegravere drsquoallocation des ressources

Le second paradoxe est plus subtil La crisea conduit agrave une reacuteeacutevaluation du rocircle institu-tionnel de lrsquoEacutetat preacutepareacutee par des travauxscientifiques sur la conception des institu-tions et sur la gouvernance eacuteconomique Lacapaciteacute drsquoun Eacutetat omniscient et volontiersdirectif ne pouvant plus ecirctre raisonnable-ment deacutefendue personne ne doute que laresponsabiliteacute de la puissance publique est

drsquoassurer un cadre coheacuterent propice au bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie de marcheacuteMais dans le mecircme temps lrsquoEacutetat est sommeacuteou conduit agrave intervenir massivement en der-nier recours et agrave proteacuteger ses citoyens devantles turbulences majeures ou jugeacutees telles delrsquoeacuteconomie quitte agrave bouleverser les regraveglesinstitutionnelles qursquoil a lui-mecircme eacutedicteacutees

Face agrave ces paradoxes la tacircche des eacutecono-mistes peut se reacutesumer ainsi il leur fautcomprendre agrave nouveaux frais lrsquoarticulationentre Eacutetats et marcheacutes en prenant en comptela sophistication croissante des marcheacutesla mondialisation et la monteacutee des risquesdevant lesquels les agents eacuteconomiquesdemandent une protection sans cesse renfor-ceacutee agrave la puissance publique

Il ne faut donc pas srsquoeacutetonner des tacirctonne-ments des eacuteconomistes qui reacutefleacutechissent agravela porteacutee effective et souhaiteacutee de lrsquoactionpublique dans lrsquoeacuteconomie mondialiseacutee etconcurrentielle drsquoaujourdrsquohui

Agrave lrsquoheure actuelle aucun consensus nrsquoa eacuteteacutetrouveacute qui pourrait remplacer lrsquoancien Seslacunes sont trop patentes et les nouveauxtraits de lrsquoeacuteconomie de marcheacute trop surpre-nants pour qursquoon puisse srsquoen eacutetonner Il estdonc impossible de fonder les politiqueseacuteconomiques sur des certitudes theacuteoriqueslargement partageacutees Plus que jamais lapolitique eacuteconomique reste un art que pra-tiquent des responsables politiques surveil-leacutes de pregraves par des citoyens aussi exigeantsqursquoinquiets

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 12

CHRISTOPHE DEMAZIEgraveRE

Universiteacute Franccedilois-Rabelais de Tours

Essentiellement conccedilue et mise en œuvre par lrsquoEacutetat durant les Trente Glorieuses la politiqueeacuteconomique eacutemane aujourdrsquohui de plusieurs eacutechelons institutionnels en particulier lrsquoUnion euro-peacuteenne et les collectiviteacutes territoriales dont le rocircle srsquoest imposeacute au cours des trente derniegraveresanneacutees Ce passage drsquoun laquo Eacutetat tout puissant raquo agrave un laquo polycentrisme institutionnel raquo a eacuteteacute favoriseacutepar la crise de leacutegitimiteacute et drsquoefficaciteacute de lrsquoEacutetat ainsi que par lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau contexteeacuteconomique Christophe Demaziegravere lrsquoanalyse en srsquoappuyant sur les exemples des politiques indus-trielles et drsquoameacutenagement des territoires des anneacutees 1970-1980 La politique de compeacutetitiviteacute desterritoires illustre parfaitement lrsquoarticulation des diffeacuterents eacutechelons de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les eacutechelons multiples de lrsquointervention publiqueSelon le FMI la France se situait en 2012 audeuxiegraveme rang des pays deacuteveloppeacutes pour lepoids de ses deacutepenses publiques dans le PIB(56 ) derriegravere le Danemark (57 ) devant despays comme la Belgique (53 ) les Pays-Baset lrsquoItalie (50 ) Pour les pays anglo-saxonscomme le Royaume-Uni et les Eacutetats-Unis cetteproportion atteint respectivement 45 et 40 du PIB Ces chiffres eacuteleveacutes traduisent lrsquoimpactde la crise actuelle sur les finances publiquesmais aussi et surtout lrsquoexpansion consideacute-rable de lrsquointervention de lrsquoEacutetat dans lrsquoeacutecono-mie au cours du XXe siegravecle Le poids croissantdes deacutepenses a susciteacute des deacutebats sur lrsquoeffica-citeacute de lrsquoaction publique1 Nous mettrons icilrsquoaccent sur la multiplication des eacutechelons delrsquointervention publique notamment agrave traversles processus drsquointeacutegration europeacuteenne et dedeacutecentralisation La politique eacuteconomique estdeacutesormais conccedilue et conduite entre des entiteacutespolitico-administratives varieacutees Les travauxdrsquoanalyse de politiques publiques montrentqursquoentre gouvernements organes de lrsquoUnion

europeacuteenne et collectiviteacutes territoriales lesmodes de deacutecision et drsquoaction ne sont pas lesmecircmes (Meacuteny et Thoenig 1989 Knoepfel Lar-rue et Varone 2001)2 Pour lrsquoillustrer dans lamesure ougrave lrsquoeacuteventail des interventions rassem-bleacutees sous le terme de politique eacuteconomique esttregraves large nous nous contenterons drsquoapporterun eacuteclairage dans les domaines de la politiqueindustrielle et du deacuteveloppement reacutegional

La politique eacuteconomique leacutegitime un temps reacutevolu De laquo lrsquoEacutetat circonscrit raquoagrave laquo lrsquoEacutetat inseacutereacute raquoAu XXe siegravecle la grande crise eacuteconomique desanneacutees 1930 puis celle qui deacutebuta en 1973

[1] Ces deacutebats ne sontpas abordeacutes dans cetarticle Le lecteurinteacuteresseacute trouveraune tregraves claire synthegravesedes deacutebats entreeacuteconomistes danslrsquoouvrage Rosier B(2003)

[2] Dans cet articlele terme de pouvoirspublics englobera tousces acteurs

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 13

publics tandis quelrsquoEacutetat sera reacuteserveacuteau gouvernementau parlement aux

administrationscentrales et

deacuteconcentreacutees Parailleurs dans la mesure

ougrave nous ne traiteronspas de la politique

conjoncturelle nousnrsquoaborderons pas

drsquoautres acteurs delrsquoaction publique en

eacuteconomie tels queles banques centralesles marcheacutes financiers

ou les institutionsinternationales

encadrantles fluctuations

des taux de change ou lecommerce international

[3] Agrave cette eacutepoque lesdeacutepenses du budget

de lrsquoEacutetat repreacutesententmoins de 10 du PIBet sont consacreacutees de

faccedilon preacutedominanteau remboursement de

la dette nationale

[4] Cf Perroux F (1961)Lrsquoeacuteconomie du XXe siegravecle

Paris PUF

[5] Citons notammentle Commissariat agrave

lrsquoEacutenergie AtomiquelrsquoInstitut Franccedilais

du Peacutetrole le CentreNational drsquoEacutetudes

Spatiales le CentreNational drsquoEacutetude desTeacuteleacutecommunications

eurent des effets contradictoires en matiegraverede conception de la politique eacuteconomique(Rosier 2003) La premiegravere leacutegitima lrsquoactionde lrsquoEacutetat en faisant la deacutemonstration quecontrairement agrave certains attendus theacuteoriquesle marcheacute est incapable de reacutealiser spontaneacute-ment lrsquoeacutequilibre eacuteconomique et le bien-ecirctreoptimal Auparavant au deacutebut du XXe siegraveclelaquo lrsquoEacutetat circonscrit raquo (Delorme et Andreacute 1983)avait trois buts majeurs dont un seulementeacutetait eacuteconomique lrsquoordre public la paix etla reacutefeacuterence fixe de la monnaie nationale agravelrsquoor3 Issu de la crise des anneacutees 1930 laquo lrsquoEacutetatinseacutereacute raquo agrave la sphegravere eacuteconomique rayonna agravepartir des anneacutees 1950 Lrsquoaction eacuteconomiquede lrsquoEacutetat exprime alors un projet de socieacuteteacuteconstruit avec les repreacutesentants des entre-prises et les syndicats Pour la premiegravere foislrsquoEacutetat se pense et est reconnu comme leacutegitimeagrave favoriser lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi au logementagrave jeter les bases de la protection sociale agravelaquo deacutemocratiser raquo lrsquoenseignementhellip De mecircmeil se preacuteoccupe de lrsquoeacuteconomie des reacutegionsles moins deacuteveloppeacutees afin drsquoatteindre parricochet les populations qui y vivent

Lrsquoexemple de la politiquedrsquoameacutenagement du territoire

Durant les anneacutees 1950-1960 afin de pro-grammer la reacutealisation drsquoeacutequipements dans letemps et lrsquoespace lrsquoEacutetat creacutee les circonscrip-tions drsquoaction reacutegionale qui preacutefigurent dansleurs contours geacuteographiques les 22 reacutegionsde France meacutetropolitaine Lrsquoattention est foca-liseacutee sur les aspects eacuteconomiques du deacuteve-loppement des reacutegions La vision privileacutegieacuteeest que les reacutegions rurales laquo en retard raquo dedeacuteveloppement drsquoun cocircteacute les reacutegions drsquoan-cienne industrie laquo en crise raquo de lrsquoautre pour-ront laquo rattraper raquo les reacutegions prospegraveres enempruntant le mecircme chemin que celles-ciUn vigoureux effort drsquoeacutequipement en infras-tructures permettra drsquoimplanter des pocirclesindustriels qui en croissant diffuserontprogressivement le deacuteveloppement eacutecono-mique aux arriegravere-pays4 (Perroux 1961) Parexemple en offrant des subventions ou deacutegregrave-vements fiscaux lrsquoEacutetat cherche agrave susciter

lrsquoimplantation drsquoeacutetablissements drsquoindustriesmodernes (de lrsquoautomobile agrave lrsquoeacutelectronique)dans la province connaissant lrsquoexode ruralContournant les eacutelus locaux lrsquoameacutenagementdu territoire se caracteacuterise par une gestioncentraliseacutee et une mise en œuvre assureacutee parles services deacuteconcentreacutes de lrsquoEacutetat Au bout ducompte le bilan sera mitigeacute Gracircce aux entre-prises pratiquant le taylorisme et en recherchede main-drsquoœuvre non qualifieacutee lrsquoemploi indus-triel va croicirctre spectaculairement dans lrsquoOuestfranccedilais Mais dans le mecircme temps la reacutegionparisienne accapare la croissance des emploisles plus qualifieacutes dans les services supeacuterieursCertes les exceptions notables de Grenoble ouToulouse montrent que lrsquoessor technologiquepeut avoir une origine locale mais aussi qursquoilest toujours renforceacute par des deacutecisions derelocalisation drsquoentreprises ou de centres derecherche prises au plus haut niveau de lrsquoEacutetat

Les Trente Glorieuses sont marqueacutees pardrsquoautres actions publiques volontaristes ayantcomme cible les entreprises Loin de se limiteragrave la reacutegulation de la concurrence ou agrave la ges-tion des externaliteacutes une politique industriellesrsquoeacuterige alors autour de grands programmes derecherche fondamentale porteacutes par des orga-nismes ad hoc5 incite au deacuteveloppement desrelations science-industrie et deacutebouche surdes produits innovants faisant lrsquoobjet de com-mandes publiques importantes Agrave lrsquoactif decette politique qursquoun de ses analystes quali-fie de laquo colbertisme high-tech raquo (Cohen 1992)on peut citer le deacuteveloppement de lrsquoindustrieaeacuteronautique civile et militaire des teacuteleacutecom-munications du nucleacuteaire de lrsquoinformatiqueou encore du transport ferroviaire

Ces exemples drsquointervention signalent unlaquo acircge drsquoor raquo de la politique eacuteconomique faisanteacutecho agrave lrsquolaquo acircge drsquoor du capitalisme raquo des anneacutees1945-1973 (Marglin et Schor 1990) La trans-formation rapide des systegravemes productifs desterritoires et des conditions de vie srsquoappuiesur la forte leacutegitimiteacute dont lrsquoEacutetat jouit alorsMais derriegravere le consensus tregraves large autourdes notions de laquo bien-ecirctre raquo et de laquo progregraves raquolrsquoaction publique concreacutetise lrsquoindustrialisation

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 14

agrave marche forceacutee le productivisme agricole lamarchandisation des modes de vie En eacutenumeacute-rant ces choix fondateurs du mode de deacutevelop-pement des Trente Glorieuses on perccediloit queles deacutemarches publiques de cet laquo acircge drsquoor raquonrsquoont eacuteteacute leacutegitimes qursquoun temps Depuis lesanneacutees 1970 elles ont eacuteteacute contesteacutees de touscocircteacutes conduisant agrave reacuteinventer progressive-ment les reacutefeacuterences les modes de deacutecision etles faccedilons de faire de lrsquoEacutetat dans sa relation agravela croissance eacuteconomique

Une politique eacuteconomiqueen redeacutefinition lrsquoEacutetat confronteacute auxmarcheacutes et agrave drsquoautres acteurs publics

Crise de leacutegitimiteacute de lrsquoEacutetat

Apregraves des deacutecennies de preacutesence incontesteacuteelrsquoEacutetat rencontre un certain nombre de diffi-culteacutes dans la conception et la mise en œuvrede ses actions dans lrsquoeacuteconomie Certainsimputent cette situation agrave lrsquoeacutevolution des fon-dements mecircmes de lrsquoeacuteconomie contemporaine(Rosier 2003) Lrsquoexpansion continue du com-merce mondial la globalisation financiegravere lamonteacutee de lrsquoincertitude sont des contraintesfortes pour la politique moneacutetaire ou bud-geacutetaire nationale Dans le cas de la Francelrsquoapprofondissement de la construction euro-peacuteenne a constitueacute une reacuteponse volontaristeagrave ce nouvel environnement mais ce choixredeacutefinit tregraves sensiblement les contours et lesmodaliteacutes de la politique eacuteconomique natio-nale Par exemple la creacuteation de lrsquoeuro et lamise en place de la Banque centrale euro-peacuteenne (BCE) se traduisent par un transfertde souveraineteacute Du reste depuis vingt ansde nombreux gouvernements des pays euro-peacuteens fussent-ils de tendance politiqueopposeacutee ont adopteacute une politique de deacutefla-tion compeacutetitive De mecircme la deacuteclarationdu Conseil europeacuteen de Lisbonne en 2000affirmant vouloir faire de lrsquoUnion europeacuteennelaquo lrsquoeacuteconomie de la connaissance la plus com-peacutetitive et la plus dynamique du monde raquo drsquoici

2010 a eacuteteacute suivie de diverses reacuteformes natio-nales Dans cette mouvance lrsquoEacutetat a entreprisdes actions visant agrave encourager la flexibi-liteacute du marcheacute du travail et lrsquoinnovationCeci concerne les entreprises priveacutees maisaussi le secteur public notamment dans desdomaines comme lrsquoenseignement supeacuterieur etla recherche Dans lrsquoapregraves-guerre lrsquoexpansiondes services publics se justifiait fondamenta-lement par lrsquoobjectif de reacuteduction des ineacutega-liteacutes de condition eacuteconomique et sociale Orcelui-ci a largement disparu de lrsquoagenda Larevendication au laquo moins drsquoEacutetat raquo est difficileagrave mettre en œuvre mais elle est en phase avecune demande sociale croissante de meilleuregestion des fonds publics

Des politiques eacuteconomiques localespour assumer la deacutecentralisation

Lrsquoarticle 5 de la loi de deacutecentralisation du5 mars 1982 affirme que laquo lrsquoEacutetat a la respon-sabiliteacute de la conduite de la politique eacutecono-mique et sociale ainsi que de la deacutefense delrsquoemploi raquo mais les collectiviteacutes locales fran-ccedilaises assurent aujourdrsquohui plus de 70 desinvestissements publics Les interventionsdes communes deacutepartements et reacutegions enfaveur de lrsquoemploi et du deacuteveloppement eacuteco-nomique ont pris une ampleur respectableParmi les outils employeacutes en direction desentreprises les plus courants sont lrsquoameacutena-gement de zones drsquoactiviteacutes la constructionde locaux les primes verseacutees agrave lrsquooccasionde la creacuteation ou de lrsquoimplantation drsquoun eacuteta-blissement ou lrsquoexoneacuteration temporaire duversement de taxes locales Lrsquointerventionde tous les niveaux de collectiviteacutes dans ledeacuteveloppement eacuteconomique est un corol-laire de la deacutecentralisation non pas tantdu fait des compeacutetences accordeacutees dans ceseul domaine mais parce que les collectivi-teacutes locales assument beaucoup plus directe-ment qursquoavant les conseacutequences financiegraveresde lrsquoensemble de leurs nouveaux pouvoirsDeacutecider en matiegravere drsquourbanisme de logementdrsquoaction sociale ou de transports collectifscrsquoest aussi souvent financer Mecircme si lrsquoEacutetat

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 15

[6] Consideacutereacute agrave drsquoautreseacutechelles spatiales ndash etnotamment au niveau

drsquoune nation ndash uneprogression reacuteguliegraverede lrsquoimpocirct local peut

ecirctre consideacutereacuteecomme peacutenalisant

la compeacutetitiviteacutedes entreprises

Le produit de la taxeprofessionnelle (TP)repreacutesentait 2 du

produit inteacuterieur brutagrave la fin des anneacutees 1990

contre 11 en 1976

ou lrsquoUnion europeacuteenne peuvent apporter dessubsides le deacuteveloppement des entreprisesdans la mesure ougrave il permet de collecter plusde taxe est devenu une preacuteoccupation de pre-mier plan des collectiviteacutes locales6

Mais la multitude drsquoacteurs publics engageacuteset de mesures utiliseacutees rend difficile lrsquoeacutevalua-tion des effets reacuteels de lrsquoaction eacuteconomiquelocale (Levet 2003) La loi du 13 aoucirct 2004relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes localesnrsquoa pas consacreacute la reacutegion laquo chef de file raquo delrsquoaction eacuteconomique locale Toutes les collec-tiviteacutes peuvent intervenir eacuteconomiquement lareacutegion ayant simplement la possibiliteacute drsquoeacutela-borer un scheacutema reacutegional de deacuteveloppementeacuteconomique (SRDE) apregraves concertation avecles deacutepartements les communes et leurs grou-pements Une fois reacutealiseacute un SRDE permet letransfert drsquoaides octroyeacutees jusqursquoici par lrsquoEacutetataux reacutegions Ce transfert srsquoest reacutealiseacute danstoutes les reacutegions teacutemoignant de la volonteacutedes Conseils reacutegionaux drsquoassumer de plus enplus un pouvoir dans le domaine eacuteconomique

Redeacuteploiement de lrsquoEacutetat

Faut-il en deacuteduire que dans le domaine eacuteco-nomique les autoriteacutes locales ou reacutegionalescommenceraient agrave occuper un vide laisseacute parlrsquoEacutetat-nation En reacutealiteacute il nrsquoy a pas tantretrait que redeacuteploiement de lrsquoEacutetat (Jobert1999) La mise agrave lrsquoagenda gouvernemental dequestions jugeacutees cruciales pour la croissanceeacuteconomique future comme lrsquoinnovation oula connaissance aboutit agrave la creacuteation drsquoins-tances nouvelles de pilotage drsquoagences dereacutegulation indeacutependantes etc Hier la poli-tique eacuteconomique se lisait agrave travers une capa-citeacute pluriseacuteculaire agrave lever lrsquoimpocirct et agrave battremonnaie Dans les repreacutesentations le pouvoirsrsquoexerccedilait par un mouvement du haut vers lebas du cœur de lrsquoEacutetat vers les laquo administreacutes raquode Paris jusqursquoaux plus lointaines provincesAujourdrsquohui il est en butte agrave des visionsexteacuterieures sur la politique nationale ndash deslaquo examens raquo de lrsquoOCDE aux avertissementsou sanctions de la Commission europeacuteenneDe plus les instruments traditionnels sont

en deacutecalage avec lrsquoirreacutesistible eacutelargissementdes eacutechelles geacuteographiques de reacutefeacuterence desentreprises y compris des anciens laquo cham-pions nationaux raquo que la politique indus-trielle avait porteacute si haut Enfin Paris estconfronteacute agrave la leacutegitimiteacute octroyeacutee aux reacutegionsdeacutepartements groupements de communesdu fait de la deacutecentralisation

Au total face agrave des inteacuterecircts fragmenteacutesdont deacutecoulent des conceptions antago-nistes sur lrsquoopportuniteacute de lrsquoaction publiquela politique eacuteconomique peut laisser uneimpression incertaine Or comme le montreF Lordon (1997) agrave propos de la reacuteception dedeacutecisions gouvernementales par les marcheacutesfinanciers il importe que le travail drsquointer-preacutetation de lrsquoaction publique soit guideacute Onpeut en deacuteduire qursquoen amont de toute deacuteci-sion se place deacutesormais la question du sensde la confiance reacuteciproque de lrsquoacceptabiliteacute

Bien plus qursquohier la politique eacuteconomique avocation agrave prendre des formes plurielles Elleest peu lisible et ce de faccedilon durable dansla mesure ougrave la souveraineteacute de lrsquoEacutetat-nationest mineacutee Lrsquoaction publique est polycen-trique au niveau de la deacutecision de la miseen œuvre ou de lrsquoeacutevaluation La politique eacuteco-nomique nrsquoeacutechappe pas aux recouvrementsde champs de compeacutetences elle peut fairelrsquoobjet de controverses internes ou externes elle neacutecessite des investissements de formepour construire un reacutefeacuterentiel commun

Une illustration du polycentrismeinstitutionnel la compeacutetitiviteacute

La notion de compeacutetitiviteacuteOn peut trouver une illustration du caractegravereneacutegocieacute et controverseacute de la politique eacutecono-mique dans la notion de compeacutetitiviteacuteApparuen France au deacutebut des anneacutees 1990 par anti-cipation des effets de la mise en place du Mar-cheacute unique ce pseudo-concept se mesurait auniveau microeacuteconomique par la productiviteacutele coucirct des facteurs ou lrsquoeacutevolution des parts demarcheacute On pouvait par agreacutegation deacuteduirele niveau de compeacutetitiviteacute drsquoun secteur oude lrsquoeacuteconomie nationale dans son ensemble

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 16

Mais il semble qursquoil y ait eu diffeacuterents glisse-ments de sens Deacutesormais la compeacutetitiviteacute estposeacutee drsquoembleacutee comme un objectif de niveaumacroeacuteconomique avec des deacuteclinaisons (etdonc des actions publiques) sectorielles7 Ensuite la mise en place de lrsquoeuro a changeacute lanotion de compeacutetitiviteacute La compeacutetitiviteacute-prix(variable au greacute des fluctuations du change oudes variations de prix) nrsquoest plus un repegravere etles entreprises focalisent leurs efforts sur lacompeacutetitiviteacute hors-prix autrement dit sur leurcapaciteacute agrave imposer des produits par la monteacuteeen qualiteacute lrsquoinnovation technologique ou decommercialisation la creacuteation de serviceshellip(Camagni 2005)

Une nouvelle relation de lrsquoEacutetatagrave lrsquoespace et aux acteurs locaux

La compeacutetitiviteacute constitue une injonction duniveau national en direction de certains sec-teurs ou territoires Sur le plan sectoriel cetimpeacuteratif modegravele les systegravemes publics etpriveacutes de formation et de recherche posantla question de leur articulation aux dyna-miques eacuteconomiques En teacutemoignent cer-taines initiatives eacutetatiques comme la creacuteationdrsquoagences censeacutees accroicirctre le financementde la recherche et faciliter les transferts detechnologie8 le regroupement des universiteacuteseacutecoles et organismes de recherche en pocirclesde recherche et drsquoenseignement supeacuterieurcenseacutes ecirctre visibles agrave lrsquoeacutechelle internatio-nale ou la volonteacute de mesurer lrsquoefficaciteacute delrsquoenseignement supeacuterieur agrave travers un suivi delrsquoinsertion professionnelle des diplocircmeacutes Parailleurs lrsquoEacutetat est conduit agrave adopter une rela-tion nouvelle agrave lrsquoespace valorisant en particu-lier les espaces infranationaux susceptiblesde contribuer agrave la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacutecono-mie nationale gracircce agrave leur dotation en capitalhumain en infrastructures et en activiteacutes eacuteco-nomiques prometteuses Au cours des anneacutees1960 la croissance eacuteconomique eacutetant une don-neacutee il srsquoagissait de la reacutepartir sur lrsquoensemblede lrsquoespace national notamment en reacuteeacutequili-brant lrsquoeacutecart Paris-province Aujourdrsquohui lacroissance eacuteconomique eacutetant lrsquoobjectif onassiste plutocirct agrave la valorisation par lrsquoEacutetat de

diffeacuterenciations eacuteconomiques la viseacutee natio-nale eacutetant avant tout de maintenir la positionde la France dans lrsquoeacuteconomie mondiale

La politique des pocircles de compeacutetitiviteacute illustrelrsquoeacutevolution vers une nouvelle politique indus-trielle srsquoappuyant sur certains territoires plu-tocirct que sur des entreprises En 2004 un appelagrave projet a eacuteteacute lanceacute par le gouvernement pourinitier ou renforcer les coopeacuterations entreentreprises uniteacutes de recherche et centresde formation autour de projets drsquoinnovationdrsquoambition internationale 105 projets ont eacuteteacutepreacutesenteacutes et 67 seacutelectionneacutes en juillet 20059 LrsquoEacutetat appuie ces pocircles par des allegravegementsfiscaux (exoneacuteration de lrsquoimpocirct sur les socieacute-teacutes) et sociaux (exoneacuteration de cotisationssociales pour les chercheurs) ou des creacuteditsdrsquointervention ministeacuteriels compleacuteteacutes parles agences pour lrsquoinnovation industrielle etla recherche Depuis 2005 900 projets colla-boratifs de recherche et deacuteveloppement (R ampD) ont beacuteneacuteficieacute drsquoun financement public de17 milliard drsquoeuros (dont plus de 11 milliardpar lrsquoEacutetat dans le cadre du fonds uniqueinterministeacuteriel) compleacuteteacutes par environ27 milliards drsquoeuros de deacutepenses priveacutees deRampD Certaines PME et ETI srsquoy impliquent pour ces cateacutegories drsquoentreprises lrsquoemploiconsacreacute agrave la RampD a augmenteacute en moyenne de23 entre 2006 et 2009

Une politique qui articule les diffeacuterentseacutechelons de lrsquoaction publique

La nouveauteacute de cette politique est qursquoelleest nationale en ce qui concerne la prisede deacutecision locale dans la mise en œuvreet internationale par les effets rechercheacutesBien que lrsquoEacutetat initie cet appel agrave projet lecaractegravere partenarial des pocircles a donneacute auxacteurs locaux des eacuteleacutements de pilotage de ladeacutemarche (Demaziegravere 2006) Drsquoune part crsquoestau niveau reacutegional que peuvent interagir lesacteurs publics et priveacutes de la recherche et delrsquoinnovation industrielle Drsquoautre part en lan-ccedilant une dynamique de projets soumis agrave uneeacutevaluation continue les pocircles de compeacutetiti-viteacute rendent possible une participation accruedes collectiviteacutes locales au financement de la

[7] On peut ici comparerdeux rapports officielsqui agrave dix ans dedistance ont marqueacuteles deacutebats Taddeacutei Det Coriat B (1993)Made in FranceLrsquoindustrie franccedilaisedans la compeacutetitionmondiale ParisLibrairie geacuteneacuteralefranccedilaise DebonneuilM et Fontagneacute L (2003)Compeacutetitiviteacute rapportdu Conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 40Paris La Documentationfranccedilaise

[8] Agence delrsquoinnovation industrielleAgence nationale dela recherche OSEOBanque publiquedrsquoinvestissementhellip

[9] Dont six pocircles delaquo niveau mondial raquoet neuf pocircles laquo agravevocation mondiale raquo quirecevront lrsquoessentieldes financementspublics

LES EacuteCHELONS MULTIPLES DE LrsquoINTERVENTION PUBLIQUE 17

recherche Celles-ci peuvent notamment four-nir des services ou des biens collectifs auxentreprises des diffeacuterents pocircles

Lrsquoobjectif de compeacutetitiviteacute peut se traduirepar des mesures nationales par exemple enportant sur la fiscaliteacute des entreprises Maisil deacutebouche eacutegalement sur une mise en valeurdes territoires Ici lrsquoEacutetat est confronteacute agrave lrsquoarti-culation de ses actions avec drsquoautres pouvoirsAgrave partir des anneacutees 1980 la deacutecentralisationa permis en theacuteorie agrave chaque territoire dejouer ses propres cartes en matiegravere de deacuteve-loppement eacuteconomique pour un jeu que lrsquoEacutetatcentral parvenait mal agrave reacuteguler Aujourdrsquohuila promotion drsquoune eacuteconomie fondeacutee sur laconnaissance a une dimension territorialecar une des modaliteacutes des collaborationsentre entreprises et centres de recherche estla proximiteacute geacuteographique Sa concreacutetisationpasse toutefois par la mobilisation drsquoacteursassez autonomes tels que les reacutegions les uni-versiteacutes ou les grandes entreprises Apregraves unXXe siegravecle qui a vu laquo lrsquoEacutetat souverain raquo puis

laquo lrsquoEacutetat deacutefaillant raquo assiste-t-on aujourdrsquohuipar ce biais agrave lrsquoavegravenement de laquo lrsquoEacutetat anima-teur raquo Transfeacuterant ainsi dans le champ de lapolitique eacuteconomique la formule de JacquesDonzelot et Philippe Estegravebe (1984) agrave propos dela politique de la ville nous voulons dire par lagraveque lrsquoEacutetat est confronteacute agrave des acteurs publicsdeacutecentraliseacutes qursquoil a creacuteeacutes et qui se sont saisides questions du deacuteveloppement eacuteconomiqueDeacutesormais comment la politique eacuteconomiquestructurelle peut-elle concilier lrsquoinsertiondans lrsquoeacuteconomie internationale et la dimen-sion infranationale des dynamiques de deacuteve-loppement Assistera-t-on ces prochainesdeacutecennies agrave une territorialisation partielle dela politique eacuteconomique analogue agrave la terri-torialisation de la politique sociale depuis lesanneacutees 1980 Pour en rendre compte il fau-drait probablement eacutetudier la coordinationdes acteurs plutocirct que drsquoen rester agrave une visioncentreacutee sur lrsquoEacutetat et ses instruments tradition-nels de politique eacuteconomique

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POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 18

SOPHIE BRANA

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute Montesquieu Bordeaux IV

Parce qursquoelle se traduit par une interdeacutependance croissante des eacuteconomies la mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute des politiques eacuteconomiques Contrairement agrave lrsquoideacutee reccedilue lrsquoimpact ne se limite pas toutefois agrave une reacuteduction des marges de manœuvre des gouvernements Il varie consideacuterablement selon la taille du pays le reacutegime de change le degreacute de mobiliteacute des capi-taux et lrsquoouverture commerciale de lrsquoeacuteconomie Ainsi si les pariteacutes des monnaies sont flexibles lrsquoouverture commerciale et financiegravere rend la politique budgeacutetaire inopeacuterante mais accroicirct lrsquoef-ficaciteacute de la politique moneacutetaire Lrsquoimpact de la mondialisation sur les politiques eacuteconomiques se manifeste surtout comme nous le montre Sophie Brana par des interdeacutependances et des effets de report ce qui pose la question de la coordination internationale de lrsquoaction publique

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans une eacuteconomie mondialiseacutee contraintes et enjeuxLa mondialisation traduit lrsquoouverture crois-sante des eacuteconomies aux eacutechanges com-merciaux (biens et services) financiers(mouvements de capitaux) ainsi que la mobi-liteacute de plus en plus forte des facteurs deproduction (flux de main-drsquoœuvre investisse-ments directs eacutetrangers)

Cette mondialisation se manifeste par uneinterdeacutependance de plus en plus pousseacuteedes eacuteconomies un eacuteveacutenement se produisantdans une zone ou un grand pays va en affecterdrsquoautres via les flux financiers ou commer-ciaux Il en reacutesulte une synchronisation crois-sante des cycles drsquoabord entre les grands paysindustrialiseacutes puis depuis les anneacutees 1990avec les pays eacutemergents (graphique 1)

Une premiegravere source drsquointerdeacutependanceprovient du commerce international qui

progresse depuis la Seconde Guerre mon-diale plus vite que le PIB traduisant un tauxdrsquoouverture croissant des eacuteconomies (gra-phique 2) La production et la croissancenationales deacutependent de plus en plus de lademande mondiale

Lrsquointeacutegration financiegravere internationale constitue une deuxiegraveme source drsquointerdeacute-pendance Le passage aux changes flottants agrave la fin des anneacutees 1970 le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication (TIC) le mouvement de deacuteregraveglementation financiegravere dans les anneacutees 1980 (pays industrialiseacutes) et 1990

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 19

(pays eacutemergents) ont favoriseacute lrsquoexplosion des flux de capitaux (graphique 3) La mobiliteacute des capitaux permet la diversification inter-nationale des portefeuilles et lrsquoarbitrage des investisseurs entre actifs situeacutes dans diffeacute-rents pays en fonction du couple rendementrisque Les eacuteconomies nationales deviennent ainsi davantage deacutependantes du comporte-ment des investisseurs internationaux de leur aversion au risque et du retournement des anticipations

Enfin une part croissante des flux est consti-tueacutee drsquoeacutechanges intra-firmes Le reacuteseau desfirmes multinationales et de leurs filialesfavorise la propagation des chocs entre paysvia les profits ou les pertes La crise des sub-primes est un bon exemple de diffusion drsquounchoc financier entre pays par les relationsinterbancaires (flux internationaux de capi-taux) mais eacutegalement par les reacuteseaux mai-sons-megraveres filiales

La mondialisation a un impact sur la poli-tique eacuteconomique car elle modifie son cadre

drsquoaction ses marges de manœuvre et son effi-caciteacute Cet impact deacutepend du degreacute drsquointeacutegra-tion commerciale et financiegravere du pays de sataille mais eacutegalement du reacutegime de changechoisi

La mondialisation creacutee des interdeacutepen-dances auxquelles la reacuteponse optimale seraitune meilleure coopeacuteration internationale Orcelle-ci a peu de chances drsquoeacutemerger sponta-neacutement En geacuteneacuteral elle passe soit par desformes drsquointeacutegration reacutegionale (comme lazone euro) soit par le biais drsquoorganisationsinternationales (FMI Banque des regraveglementsinternationauxhellip)

Mondialisation et efficaciteacutede la politique eacuteconomiqueLa mondialisation affecte lrsquoefficaciteacute de lapolitique eacuteconomique nationale agrave traversdeux canaux lrsquoouverture commerciale etlrsquoouverture financiegravere

1 Taux de croissance reacuteel par habitant (en )

Proj3

2

1

0

ndash 1

ndash 2

ndash 3

ndash 4

ndash 51981 1990 200284 87 93 96 99 05 08 11 14

Eacuteconomies eacutemergentes et en deacuteveloppement

Eacuteconomies avanceacutees

Source Dervis K (2012) laquo Eacuteconomie mondiale Convergence interdeacutependance et divergence raquo Finances et deacuteveloppement FMI septembre

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 20

Ouverture commercialeet fuites en importationsTout drsquoabord lrsquoouverture de lrsquoeacuteconomie auxeacutechanges internationaux de biens et servicesdiminue lrsquoefficaciteacute de la politique conjonc-turelle en reacuteduisant la valeur des multiplica-teurs Keynes a montreacute que toute hausse dela demande (qui peut ecirctre provoqueacutee par unepolitique budgeacutetaire ou moneacutetaire de relance)augmentait de faccedilon amplifieacutee lrsquoactiviteacute eacuteco-nomique En eacuteconomie ouverte cependantune partie de cet effet de relance beacuteneacuteficie aureste du monde via les importations de bienset services Ainsi alors que le multiplicateurkeyneacutesien simple en eacuteconomie fermeacutee est de 5(une hausse de la demande globale de 1 pro-voquera une hausse du revenu de 5) si lrsquoeacuteco-nomie importe 20 des biens consommeacutes lamecircme politique de relance aura un impactdeux fois plus faible (multiplicateur de 25)

Plus lrsquoeacuteconomie est ouverte plus lrsquoeffet mul-tiplicateur sera faible et moins la politiqueeacuteconomique nationale aura drsquoimpact sur lrsquoac-tiviteacute domestique (graphique 4)

Les effets ambigusde lrsquoouverture financiegraveresur la politique budgeacutetaireLes effets de lrsquoouverture financiegravere sontplus ambigus car ils deacutependent du type depolitique eacuteconomique conjoncturelle et dureacutegime de change La politique eacuteconomiquea un impact sur le niveau des taux drsquointeacuterecirctsoit directement dans le cas de la politiquemoneacutetaire soit indirectement pour la poli-tique budgeacutetaire (via la demande de monnaieou la demande de fonds precirctables) Touteschoses eacutegales par ailleurs une variation destaux drsquointeacuterecirct provoquera des mouvementsde capitaux ceux-ci eacutetant deacutetermineacutes par lesrendements relatifs des actifs dans les diffeacute-rents pays

Une politique budgeacutetaire expansionnistea un impact positif sur le revenu maiseacutegalement sur le taux drsquointeacuterecirct nationalLa hausse des taux attire les capitaux siceux-ci sont mobiles car ils sont davantagereacutemuneacutereacutes ce qui fait appreacutecier la monnaiedomestique (son prix augmente car elle estplus demandeacutee) Cette appreacuteciation peacutena-lise les exportations la demande eacutetrangegraverepour les biens nationaux se reacuteduit Dans le

2 Exportations mondiales de biens (en milliards de dollars)

20 000

18 00016 00014 00012 000

10 0008 0006 000

4 0002 000

0

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

2008

2010

2012

Source FMI Donneacutees annuelles

21

cas extrecircme ougrave les capitaux sont parfaite-ment mobiles la politique budgeacutetaire estinefficace car lrsquoeffet drsquoeacuteviction est total Lahausse des deacutepenses publiques est com-penseacutee par la baisse des exportations et delrsquoinvestissement priveacute lrsquoeffet net sur lrsquoacti-viteacute eacuteconomique est nul

En changes flottants plus lrsquoeacuteconomie seraouverte aux flux de capitaux moins la poli-tique budgeacutetaire sera efficace

La situation est inverse en change fixe Dansce cas les autoriteacutes car elles srsquoy sont enga-geacutees ne peuvent laisser leur monnaie srsquoap-preacutecier suite aux entreacutees de capitaux Ellesvont intervenir sur le marcheacute des changes eneacutechangeant de la monnaie nationale contredevises Cette creacuteation moneacutetaire empecircche lahausse du taux drsquointeacuterecirct domestique ce quiannule les entreacutees de capitaux et permet lemaintien de la pariteacute de change Lrsquointerven-tion des autoriteacutes moneacutetaires eacutevite ainsinon seulement que les exportations soientpeacutenaliseacutees mais eacutegalement puisque le tauxdrsquointeacuterecirct domestique ne bouge plus que lrsquoin-vestissement priveacute se reacuteduise La politiquebudgeacutetaire est ici plus efficace qursquoen eacuteco-nomie fermeacutee En change fixe agrave lrsquoinverse dureacutegime de flottement la politique budgeacutetairesera drsquoautant plus efficace que les capitauxseront mobiles

Une politique moneacutetaire plusefficace en eacuteconomie ouverte

Lrsquoouverture financiegravere a eacutegalement un impactsur lrsquoefficaciteacute de la politique moneacutetaireLaissons de cocircteacute la situation ougrave lrsquoeacuteconomieest en changes fixes nous y reviendrons plusloin car dans ce cas la politique moneacutetaireest lrsquoinstrument de deacutefense de la pariteacute dechange et elle ne peut pas ecirctre utiliseacutee pouratteindre des objectifs internes (croissanceinflation) Elle est donc totalement inefficace

En reacutegime de changes flottants la poli-tique moneacutetaire retrouve en theacuteorie toute son autonomie Une politique moneacutetaire de relance consiste agrave creacuteer de la monnaie ce qui fait baisser le taux drsquointeacuterecirct favorise lrsquoinvestissement et par les effets multiplica-teurs traditionnels augmente le revenu Plus les capitaux sont mobiles plus la baisse des taux drsquointeacuterecirct provoque des sorties de capi-taux et plus la monnaie se deacutepreacutecie La com-peacutetitiviteacute prix du pays srsquoameacuteliore ce qui doit favoriser les exportations lrsquoeffet de relance initial est amplifieacute Il en est de mecircme dans une eacuteconomie peu ouverte aux flux de capi-taux mais ouverte au commerce La deacutepreacute-ciation du change est ici provoqueacutee par la deacutegradation de la balance commercialesuite agrave la relance initiale qui augmente les

3 Flux nets de capitaux priveacutes agrave destination des pays eacutemergents (en milliards de dollars)

Investissements directs agrave leacutetranger (IDE)Flux total de capitaux priveacutes

1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

800

600

400

200

0

ndash 200

Source FMI

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 22

importations domestiques La monnaie nationale se deacutepreacutecie jusqursquoau retour agrave lrsquoeacutequilibre exteacuterieur Ainsi en changes flot-tants lrsquoouverture ndash qursquoelle soit commerciale ou financiegravere ndash accroicirct lrsquoefficaciteacute de la poli-tique moneacutetaire

Ces meacutecanismes keyneacutesiens reposent cepen-dant sur des modegraveles de court terme ougrave les prixet les anticipations sont rigides et ougrave seuls lesflux (commerciaux et financiers) sont pris enconsideacuteration En reacutealiteacute la politique eacutecono-mique pourra eacutegalement ecirctre affecteacutee par lesmouvements des facteurs de production tan-dis que les capitaux ne deacutependront pas du seuldiffeacuterentiel de reacutemuneacuteration mais eacutegalementde lrsquoappreacuteciation des risques Celle-ci peutecirctre fonction du stock de dette accumuleacute parle pays comme dans le cas reacutecent de la crisegrecque ou de facteurs plus subjectifs commela laquo confiance raquo des investisseurs et leur degreacutede mimeacutetisme La mobiliteacute des capitaux peutsoumettre les Eacutetats et leurs politiques eacutecono-miques agrave la sanction des investisseurs priveacutessi celles-ci sont perccedilues comme insoutenables(forte inflation dette publique excessive deacutefi-cit exteacuterieur croissanthellip)

Mondialisation et autonomiede la politique eacuteconomique

Controcircle du change et autonomiede la politique moneacutetaire

La mondialisation peut aussi reacuteduire lrsquoau-tonomie de la politique moneacutetaire Crsquoest lecas si les autoriteacutes souhaitent controcircler lesvariations du change Les petites eacuteconomiestraditionnellement tregraves ouvertes sont par-ticuliegraverement sensibles aux fluctuations dutaux de change Notamment une deacutepreacuteciationde la monnaie domestique a un impact infla-tionniste car elle augmente le prix des biensimporteacutes De mecircme lrsquoinstabiliteacute du taux dechange entraicircne drsquoimportantes fluctuationseacuteconomiques preacutejudiciables au bien-ecirctresocial Crsquoest la raison pour laquelle ces eacuteco-nomies cherchent traditionnellement agrave stabi-liser leur taux de change Mais elles doiventalors renoncer agrave lrsquoautonomie de la politiquemoneacutetaire et ce drsquoautant plus que les capi-taux sont mobiles crsquoest le triangle drsquoincom-patibiliteacute de Mundell

4 Taille des multiplicateurs budgeacutetaires et degreacute drsquoouverture de lrsquoeacuteconomie

16

14

12

10

08

06

04

025 10 15 20 25 30 35 40 45

02

04

06

08

10

12

14

16y = ndash 002x + 131

R2 = 038

Eff

et m

ult

iplic

ateu

r2

Degreacute drsquoouverture1

1 Mesureacute par le ratio importations (PIB - importations) 2 Effet multiplicateur des deacutepenses publiques du modegravele Interlink de lrsquoOCDE

IPN

USA DEU

ITAAUS

FRA

TURESP

MEXGBR

POLNZL

GRC

FINISL

DNKKORCHE

PRTNOR

SWE AUTCAN HUN

NLD

CZE

IRLBEL

Source OCDE (2009) Perspectives eacuteconomiques chapitre 3 laquo Efficaciteacute et ampleur de la relance budgeacutetaire raquo mars

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 23

Les pays europeacuteens ont eacuteteacute confronteacutes agrave ce pro-blegraveme au deacutebut des anneacutees 1990 Le choc de lareacuteunification allemande les a conduits agrave menerdes politiques moneacutetaires diffeacuterentes ce quidans le reacutegime de change quasi fixe du SME delrsquoeacutepoque eacutetait intenable alors que les mouve-ments de capitaux venaient drsquoecirctre libeacuteraliseacutesLes diffeacuterentiels de taux drsquointeacuterecirct entre paysprovoquent des mouvements de capitaux quirendent impossibles le maintien des pariteacutes dechange Les pays subissent des attaques speacute-culatives Ils peuvent reacuteagir en alignant leurstaux drsquointeacuterecirct (la France a ainsi augmenteacute sestaux pour mettre fin aux attaques speacuteculativessur le change ce qui srsquoest aveacutereacute tregraves couteuxen termes de croissance) ou en renonccedilant agrave lafixiteacute du change (lrsquoItalie a par exemple deacutevalueacutesa monnaie tandis que le Royaume-Uni quit-tait le SME) Pierre-Alain Muet1 eacutevalue le coucirctde la gestion non coopeacuterative des politiquesmoneacutetaires en Europe et montre qursquoune baissecoordonneacutee de 3 points des taux drsquointeacuterecirct de1993 agrave 1995 comme lrsquoont fait les Eacutetats-Unisaurait suffi agrave empecirccher la reacutecession de 1993

Si les capitaux sont mobiles les pays doiventdonc opter entre deux strateacutegies soit fixerleur taux de change ce qui contraint la poli-tique moneacutetaire domestique soit retrouverlrsquoautonomie de la politique moneacutetaire ce quisuppose de laisser le marcheacute deacuteterminer letaux de change

Une autre solution peut ecirctre de jouer surle troisiegraveme cocircteacute du triangle le degreacute deliberteacute des mouvements de capitaux LrsquoAsieeacutemergente est actuellement confronteacutee agrave cetriangle drsquoincompatibiliteacute La surchauffeeacuteconomique subie par certains pays justifie-rait un durcissement de la politique moneacute-taire afin de combattre lrsquoinflation La haussedes taux drsquointeacuterecirct accentuerait cependantles entreacutees de capitaux pouvant alimenterla surchauffe de lrsquoeacuteconomie via le creacutedit etfavoriserait lrsquoappreacuteciation du change Afindrsquoeacuteviter cette appreacuteciation preacutejudiciableaux exportations sur lesquelles ces pays ontfondeacute leur deacuteveloppement les autoriteacutes ontchoisi de reacutetablir des controcircles des changes

sur les capitaux entrants Ceux-ci leurs per-mettent dans une certaine mesure de retrou-ver lrsquoautonomie de la politique moneacutetaire

De maniegravere geacuteneacuterale la libeacuteralisation finan-ciegravere agrave lrsquoeacutechelle internationale a rendu plusfaciles les attaques speacuteculatives et plus dif-ficile le maintien de reacutegimes de change fixeLa crise du SME en 1992-1993 puis la criseasiatique de 1997 ont reacuteveacuteleacute la fragiliteacute deces politiques de change dans un contextede parfaite mobiliteacute des capitaux agrave lrsquoeacutechelleinternationale Les pays ont depuis tendanceagrave opter pour des laquo solutions en coin raquo flexi-biliteacute du change ou agrave lrsquoopposeacute fixiteacute extrecircmecenseacutee empecirccher les attaques speacuteculativesmais au prix du renoncement agrave toute poli-tique moneacutetaire domestique (pays de la zoneeuro pays laquo dollariseacutes raquo currency boards) Lepourcentage de pays ayant abandonneacute leursouveraineteacute moneacutetaire est passeacute drsquoun peuplus de 2 agrave la fin des anneacutees 1980 agrave plusde 13 en 2012 tandis que 573 des paysse deacuteclaraient en flottement libre contre127 agrave la fin des anneacutees 19802 Dans le mecircmetemps la plupart des pays a renonceacute agrave deacutecla-rer un ancrage de change

Interdeacutependanceset effets de report

En eacuteconomie ouverte un pays subit eacutegale-ment les conseacutequences des politiques eacutecono-miques des autres pays Celles-ci affectent agravela fois les conditions eacuteconomiques nationaleset lrsquoefficaciteacute de ses politiques

Imaginons un monde constitueacute de deux paysou de deux grandes zones (par exemple lrsquoEu-rope et les Eacutetats-Unis) Une politique moneacute-taire expansive dans le pays 1 (les Eacutetats-Unis)deacutepreacutecie la monnaie nationale le dollar ce quirenforce lrsquoeffet de relance par les exportationsParallegravelement la monnaie du pays 2 (lrsquoeuro)srsquoappreacutecie ce qui a un effet reacutecessif La poli-tique moneacutetaire ameacutericaine exerce donc uneexternaliteacute neacutegative sur les autres pays

Lrsquoeffet de report de la politique budgeacutetaireest en revanche positif La relance budgeacutetairedans un grand pays se diffuse aux autres

[1] Cf Aglietta et al(1998)

[2] Ces pays se deacuteclarenten flottement libre

ou quasi libre (reacutegimede jure) mais cela nesignifie pas qursquoils se

deacutesinteacuteressent duniveau de leur tauxde change et qursquoils

nrsquointerviennent pas surle marcheacute des changes

La plupart de cesreacutegimes sont en reacutealiteacute

des flottements geacutereacutes(reacutegime de facto)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 24

pays et inversement pour la reacutecession dansle cas de politiques restrictives par le canaldu commerce international

En change fixe les effets de report sontpositifs qursquoil srsquoagisse de la politique moneacute-taire ou de la politique budgeacutetaire Quandun grand pays met en place une politiquemoneacutetaire expansive il peut influencer letaux drsquointeacuterecirct mondial ce qui redonne unecertaine autonomie et donc une efficaciteacute agravesa politique moneacutetaire mecircme en change fixeLrsquoautre reacutesultat est que lrsquoeffet est eacutegalementpositif sur le reste du monde La baisse destaux drsquointeacuterecirct se diffuse favorisant lrsquoinves-tissement tandis que la relance dans le paysappuie les exportations de ses partenairescommerciaux Lrsquoactiviteacute eacuteconomique est eacutega-lement stimuleacutee dans le reste du monde

On retrouve les mecircmes meacutecanismes pour lapolitique budgeacutetaire les effets reacutecessifs ouexpansifs se transmettent aux autres pays

En regravegle geacuteneacuterale plus un pays est grandplus il retrouve des marges de manœuvrepour sa politique eacuteconomique Drsquoune part ungrand pays est par deacutefinition plus fermeacute laBelgique a ainsi un taux drsquoouverture3 de pregravesde 70 contre agrave peine plus de 10 pour leJapon et moins de 13 pour les Eacutetats-UnisSa politique budgeacutetaire est donc plus efficaceUn grand pays va drsquoautre part retrouver desmarges de manœuvre pour sa politique moneacute-taire (ou de change) car il peut influencer lesconditions financiegraveres mondiales Agrave lrsquoinversela politique eacuteconomique sera moins efficacedans un petit pays les variables domestiqueseacutetant davantage deacutetermineacutees par des facteursexteacuterieurs que par la politique nationale

Le FMI publie depuis 2011 des laquo spilloverreports raquo quantifiant les effets externes despolitiques domestiques de cinq laquo eacutecono-mies systeacutemiques raquo (zone euro Eacutetats-UnisJapon Chine Royaume-Uni) Il estime ainsiqursquoune hausse drsquoun point de pourcentage dela croissance ameacutericaine augmentera drsquoundemi-point la croissance de la plupart despays du G20 les trois quarts de cet effet dereport srsquoexerccedilant via les flux financiers et

les prix drsquoactifs Lrsquoeffet de report est plusfort (08 point) pour les pays limitrophes(Canada Mexique) et pour les deux tiers lieacuteaux flux commerciaux Lrsquoaugmentation destaux drsquointeacuterecirct ameacutericains se diffuse eacutegale-ment aux autres pays avanceacutes (une hausse de04 point pour un relegravevement drsquoun point auxEacutetats-Unis) La hausse atteint 08 point surles marcheacutes eacutemergents en dollars sauf dansdes pays comme la Chine ou lrsquoInde qui main-tiennent des controcircles de capitaux

Plus geacuteneacuteralement la politique moneacutetaireexpansionniste mise en place dans les grandspays avanceacutes depuis la fin des anneacutees 1990provoque des mouvements de capitaux versles pays eacutemergents dans lesquels ils sontdavantage reacutemuneacutereacutes alimentant des bullessur les prix drsquoactifs (actions immobilieretc) Les prix des matiegraveres premiegraveres sonteacutegalement affecteacutes par ces politiques expan-sives ce qui lagrave encore modifie les variablesobjectifs de la politique eacuteconomique dans lesautres pays avanceacutes et eacutemergents

La crise des subprimes fournit un autreexemple des interdeacutependances entre paysTouchant agrave lrsquoorigine une fraction purementdomestique du marcheacute immobilier ameacutericain(le marcheacute subprime) elle srsquoest propageacutee auxpays avanceacutes par le canal financier (inter-deacutependances bancaires dans le cadre drsquounecrise de confiance) puis aux pays eacutemergentsessentiellement par le commerce exteacuterieur (lareacutecession dans les pays avanceacutes srsquoaccompa-gnant drsquoune baisse de leurs importations)

Ces interdeacutependances entre pays et ces effetsde report mettent en eacutevidence lrsquointeacuterecirct drsquounecoordination internationale des politiqueseacuteconomiques

Interdeacutependances et coordinationPolitique de demandeet coordination

Compte tenu des fuites en importations lespolitiques de demande seront drsquoautant plusefficaces qursquoelles seront coordonneacutees Pour

[3] (Importations +exportations) 2PIB

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS UNE EacuteCONOMIE MONDIALISEacuteE CONTRAINTES ET ENJEUX 25

un pays pratiquant une relance budgeacutetaireces fuites seront compenseacutees par lrsquoaugmen-tation de ses exportations si les pays voisinsrecourent agrave des mesures eacutequivalentes Unepartie de lrsquoeacutechec de la relance Mitterrandde 1981 tient au fait que les autres paysmenaient parallegravelement des politiques res-trictives et eacutetaient en reacutecession La politiquede relance a un impact neacutegatif sur le soldecommercial amplifieacute ici par la baisse desexportations Cette derniegravere efface en partielrsquoeffet expansif des deacutepenses publiques4

P Artus (2012) estime ainsi que le multiplica-teur budgeacutetaire est de lrsquoordre de 16 pour unpays europeacuteen isoleacute tandis qursquoil est de lrsquoordrede 3 pour lrsquoensemble des pays europeacuteens etde 4 pour le monde Des relances coordonneacuteesont ainsi eacuteteacute meneacutees lors du deacuteclenchementde la reacutecession agrave lrsquoautomne 2008 les princi-pales banques centrales ont baisseacute leur tauxdrsquointeacuterecirct le 8 octobre et en novembre les payseuropeacuteens ont augmenteacute simultaneacutement leursdeacutepenses budgeacutetaires Justifieacutes par lrsquoampleurde la crise ces efforts de coordination restentcependant exceptionnels La voie coopeacutera-tive est rarement atteinte et srsquoavegravere difficile agravemaintenir sur la dureacutee

Prenons le cas ougrave un ensemble de paysdeacutecideraient de pratiquer une politique derelance budgeacutetaire coordonneacutee Un pays isoleacutea alors tout inteacuterecirct agrave ecirctre non coopeacuteratif Nepas pratiquer de relance budgeacutetaire lui per-met de ne pas deacutegrader ses comptes publicstout en beacuteneacuteficiant de lrsquoeffet de relance despays partenaires via les flux commerciauxCrsquoest le problegraveme du laquo passager clandestin raquo

On voit bien par ailleurs que la neacutegociationentre pays est asymeacutetriqueTandis qursquoun petitpays ne beacuteneacuteficie qursquoen partie des effets posi-tifs de sa politique mais subit fortement lesconditions mondiales affecteacutees par les poli-tiques des grands pays ce sont ces derniersqui disposent du pouvoir de neacutegociation

Politiques drsquooffre et concurrence

Les politiques de relance par la demandesont par ailleurs aujourdrsquohui fortement

contraintes Les marges de la politique bud-geacutetaire sont limiteacutees par le niveau eacuteleveacute desdettes et des deacuteficits publics tandis que cellesde la politique moneacutetaire sont circonscritespar le niveau deacutejagrave tregraves faible des taux drsquointeacute-recirct Les pays sont donc inciteacutes agrave mener despolitiques drsquooffre et des reacuteformes structu-relles Or celles-ci sont par nature non coopeacute-ratives Gagner des parts de marcheacute supposedes gains de compeacutetitiviteacute qui ne sont pos-sibles que si les eacuteconomies partenairesnrsquoadoptent pas la mecircme politique

La mondialisation augmente la pression enfaveur de davantage de compeacutetitiviteacute ajuste-ments structurels concurrence par la baissedes coucircts salariaux manipulation des tauxde change Elle exacerbe la concurrence pourattirer les capitaux et les activiteacutes produc-tives et favorise donc les comportementsnon coopeacuteratifs Attirer les activiteacutes produc-tives suppose lagrave encore que les conditionsoffertes soient plus favorables que cellesdes autres pays Cela peut passer par unefiscaliteacute reacuteduite des normes sociales envi-ronnementales ou un droit du travail moinscontraignants Depuis le milieu des anneacutees1990 on observe ainsi une baisse continue dutaux drsquoimposition sur les socieacuteteacutes (baisse de10 points en moyenne en Europe) tandis queles taxes sur la consommation augmententparallegravelement

On voit dans ce cadre concurrentiel que lamondialisation est doublement contraignantepour la politique eacuteconomique conjoncturelleTout drsquoabord la concurrence fiscale reacuteduit lesmarges de manœuvre budgeacutetaires des Eacutetats toute hausse des preacutelegravevements obligatoirespeut entraicircner des fuites de capitaux ou detravailleurs moins taxeacutes ailleurs Ensuite lespolitiques drsquooffre ont un impact deacuteflationniste(pression agrave la baisse sur les salaires et les prix)qui comprime la demande et peut affecter lesobjectifs de la politique eacuteconomique (faiblecroissance deacuteflation) Lrsquoeacutequilibre non coopeacutera-tif affaiblit in fine lrsquoeacuteconomie mondiale

Les anneacutees 1930 ont eacuteteacute lrsquoexemple type deseffets neacutegatifs de la non-coopeacuteration chaque

[4] La France eacutetait agravelrsquoeacutepoque membre du

SME (change fixe)avec des capitaux

peu mobilesLa forte deacutegradation

commerciale a exerceacutedes pressions agrave la baisse

sur le change que laBanque centrale a ducirc

combattre en durcissantsa politique moneacutetaire

ce qui a deacuteprimeacutelrsquoinvestissement et

reacuteduit encore lrsquoefficaciteacutede la politique

budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 26

pays ayant chercheacute agrave exporter la reacutecessionprovoqueacutee par la crise de 1929 par le biais dedeacutevaluations compeacutetitives de leur monnaieDeacutevaluations en cascade mesures de reacutetor-sion monteacutee du protectionnisme ont provo-queacute au final un effondrement du commercemondial et une aggravation de la crise Lesouvenir de cette peacuteriode a conduit les paysau lendemain de la Seconde Guerre mondialeagrave opter pour des regravegles internationales degestion des taux de change (systegraveme de Bret-ton Woods)

Les enjeux de la coordinationDans une eacuteconomie mondialiseacutee la coor-dination a deux objectifs (Jacquet 1988)5 reacutepondre drsquoune part aux interdeacutependancesentre pays crsquoest-agrave-dire aux externaliteacutes despolitiques eacuteconomiques nationales et drsquoautrepart fournir et preacuteserver des biens publicsinternationaux relations commerciales sta-biliteacute des changes stabiliteacute financiegravere

Comme nous lrsquoavons vu la coordination dis-creacutetionnaire est difficile agrave mettre en place etplus encore agrave maintenir Crsquoest pourtant lrsquooutille plus puissant face agrave lrsquointeacutegration eacutecono-mique et financiegravere au poids des marcheacuteset de leurs anticipations En cas drsquoeacutechec la

coordination peut ecirctre contrainte par desregraveglesAinsi un reacutegime de change fixe imposela coordination des politiques moneacutetaires Demecircme le Pacte de stabiliteacute et de croissance(PSC) en Europe est un moyen agrave deacutefaut decoordination drsquoencadrer les politiques bud-geacutetaires de pays interdeacutependants Cette solu-tion nrsquoest cependant pas optimale car elleexerce une contrainte sur la politique eacutecono-mique susceptible de lrsquoempecirccher de reacuteagir agravedes chocs asymeacutetriques

Une autre solution est drsquoorganiser la coor-dination agrave un niveau supranational Crsquoeacutetaitle rocircle du FMI dans un systegraveme moneacutetaireinternational baseacute sur un reacutegime de changefixe Crsquoest le rocircle du comiteacute de Bacircle dans lecadre de la Banque des regraveglements interna-tionaux (BRI) chargeacute notamment de promou-voir la coopeacuteration internationale en matiegraverede controcircle prudentiel Lrsquoobjectif est agrave la foisdrsquoeacuteviter la concurrence deacuteloyale que pourraitexercer un systegraveme bancaire moins contraintdans un pays donneacute et prendre en compteles risques systeacutemiques des firmes bancairesdans un contexte de globalisation financiegravereLa stabiliteacute financiegravere devient un bien publicmondial

[5] Cf Aglietta et al(1998)

AGLIETTA M DE BOISSIEU CBUREAU D GAURON AHERZOG P JACQUET Pet MUET P-A (1998) Coordination europeacuteennedes politiques eacuteconomiques Rapport du conseil drsquoanalyseeacuteconomique ndeg 5 Paris LaDocumentation franccedilaise

ARTUS P (2012) Dans les circonstances

preacutesentes une relancecoordonneacutee mondiale auraitdu sens une guerre mondialede la compeacutetitiviteacute-coucirct etdes taux de change seraitcatastrophique raquoFlash Eacuteconomie ndeg 643Natixis 28 septembre

JACQUET P (1988) laquo Geacutererlrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueinternationale coordination

discreacutetionnaire ou regraveglesinstitutionnelles raquoRevue eacuteconomique vol 39ndeg 3

LAHREgraveCHE-REacuteVIL A (2002) laquo Inteacutegration internationaleet interdeacutependancesmondiales raquo in CEPIILrsquoeacuteconomie mondiale 2003 Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS27

La construction europeacuteenne repose avant tout sur la mise en place drsquoun marcheacute unique per-mettant la libre circulation des marchandises des hommes et des capitaux Les compeacutetences politiques restent a priori du ressort des Eacutetats membres conformeacutement au principe de subsi-diariteacute Le marcheacute unique a toutefois creacuteeacute des interdeacutependances eacuteconomiques fortes contrai-gnant les pays agrave coordonner leurs politiques eacuteconomiques Cela srsquoest traduit notamment par le choix de la monnaie et de la politique moneacutetaire uniques mais eacutegalement par des regravegles communes de politique budgeacutetaire et de gestion des finances publiques La crise en particu-lier celle des dettes souveraines dans la zone euro a mis en exergue les faiblesses de cette architecture institutionnelle Franck Lirzin plaide en faveur drsquoune eacutevolution vers un laquo gouverne-ment mixte raquo respectant la pluraliteacute et la diversiteacute des systegravemes politiques de lrsquoUnion

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques eacuteconomiques dans lrsquoUnion europeacuteenne interdeacutependances et choix institutionnels

De lrsquointerdeacutependance eacuteconomiqueagrave la laquo solidariteacute de fait raquoDegraves ses deacutebuts le projet europeacuteen repose surlrsquoideacutee que lrsquoeacuteconomie est plus agrave mecircme quela politique drsquounir les peuples La Socieacuteteacutedes Nations avait montreacute la fragiliteacute drsquoun

eacutechafaudage diplomatique A contrariolrsquointerdeacutependance eacuteconomique est apparuecomme un ciment autrement plus solide Cerenversement de logique srsquoest traduit par lacreacuteation de la Communauteacute eacuteconomique ducharbon et de lrsquoacier (CECA) en 1952 et en1957 drsquoEuratom pour la mutualisation destechnologies nucleacuteaires et du Marcheacute com-mun (traiteacute de Rome creacuteant la Communauteacuteeacuteconomique europeacuteenne ndash CEE)

Lrsquoadheacutesion du Royaume-Uni en 1973 a eacuteteacutelrsquooccasion de reacuteaffirmer lrsquoambition eacutecono-mique du projet la Communauteacute europeacuteenneest avant tout un vaste marcheacute garantissant

FRANCK LIRZIN

Ingeacutenieur des MinesEacuteconomiste agrave la Fondation Robert Schuman

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 28

la libre circulation des biens des servicesdes capitaux et des personnes Les Eacutetats yconservent leur souveraineteacute en matiegravere depolitique eacuteconomique notamment dans lesdomaines fiscaux budgeacutetaires moneacutetaires etsociaux tandis que lrsquoeacutequilibre politique entreles Eacutetats membres est assureacute par la coopeacutera-tion au niveau communautaire

Les entreprises ont profiteacute des opportuniteacutesqui leur ont eacuteteacute offertes au-delagrave des fron-tiegraveres nationales et la concurrence les a inci-teacutees agrave se deacutevelopper et agrave innover En 2012le commerce intra-Union europeacuteenne repreacute-sentait 4667 milliards de dollars soit 26 du commerce mondial1 Le succegraves a eacuteteacute aurendez-vous mais lrsquoouverture des frontiegraveresest-elle compatible avec le maintien des sou-veraineteacutes eacuteconomiques

Les entreprises allemandes importent depuisles ports belges et neacuteerlandais les produitspeacutetrochimiques fabriqueacutes en France sontexporteacutes vers lrsquoItalie et lrsquoAllemagne lesmeubles sueacutedois sont utiliseacutes par les meacutenageseuropeacuteens les banques slovaques deacutependentbeaucoup des banques autrichiennes etcPeu agrave peu les eacuteconomies europeacuteennes sontdevenues interdeacutependantes Lrsquointeacutegrationeuropeacuteenne a creacuteeacute ce que Robert Schumanappelait une laquo solidariteacute de fait raquo dans sadeacuteclaration du 9 mai 1950

Les deacutecisions prises en France ont forceacutementdes incidences importantes pour ses voisins etprincipaux partenaires commerciaux La baissede la fiscaliteacute pour les entreprises en Irlandeattire les investissements directs eacutetrangersmais en prive drsquoautres Eacutetats membres La sor-tie du nucleacuteaire en Allemagne reacuteduit les deacutebou-cheacutes pour les entreprises franccedilaises du secteurLa perte de controcircle des finances publiquesgrecques met en danger les banques franccedilaisesou italiennes ayant acheteacute des obligationsdrsquoEacutetat Si en pratique chaque Eacutetat conservesa souveraineteacute eacuteconomique elle est en reacutealiteacutelimiteacutee par la souveraineteacute des autres

En lrsquoabsence de reacuteelle coordination les deacuteci-sions nationales sont inefficaces ou contre-productives En eacuteconomie ouverte une

relance budgeacutetaire ne profite pas tant au paysqui la fait qursquoagrave ses voisins inversement unepolitique drsquoausteacuteriteacute a des effets reacutecessifsdans les pays voisins du pays qui la megravene2

Lrsquointeacutegration europeacuteenne produit agrave son tourde nouveaux problegravemes eacuteconomiques Ainsiles fiscaliteacutes relatives agrave la TVA eacutetant diffeacute-rentes drsquoun pays agrave lrsquoautre il est possible enfaisant de fausses deacuteclarations de frauderlrsquoadministration ce qui est appeleacute le laquo car-rousel TVA raquo Une reacuteponse ne peut ecirctre envi-sageacutee qursquoagrave un niveau communautaire

Dans les deux cas coordination des politiqueseacuteconomiques ou creacuteation drsquoune politiquecommunautaire lrsquointerdeacutependance eacutecono-mique conduit les Eacutetats membres agrave renonceragrave certaines de leurs preacuterogatives au motif delrsquoefficaciteacute Lrsquoexemple le plus flagrant de cettereconfiguration institutionnelle est la creacutea-tion de la Banque centrale europeacuteenne (BCE)

Lrsquoexemple de la Banque centraleeuropeacuteenneDans la plupart des pays la politique moneacute-taire reste lrsquoapanage du seul gouvernement LesEacutetats europeacuteens ne srsquoen sont pas priveacutes dansles anneacutees 1980 Alors confronteacutes agrave une gravecrise eacuteconomique beaucoup drsquoentre eux procegrave-dent agrave des deacutevaluations compeacutetitives Mais cesdeacutevaluations deacutestabilisent les monnaies euro-peacuteennes Elles ne sont que de bregraveves bouffeacuteesdrsquooxygegravene pour les entreprises bientocirct suiviespar une reprise de lrsquoinflation Elles ne reacuteus-sissent que parce que drsquoautres eacuteconomies sontpeacutenaliseacutees Les autres pays sont inciteacutes agrave deacuteva-luer agrave leur tour entraicircnant ainsi les monnaieseuropeacuteennes dans une spirale deacuteflationniste

Le laquo Systegraveme moneacutetaire europeacuteen raquo (SME)nrsquoa pas reacutesisteacute agrave cette tentation Ayant pourobjectif de stabiliser les monnaies euro-peacuteennes il reposait uniquement sur la coor-dination volontaire des politiques moneacutetairesnationales

Au deacutebut des anneacutees 1990 les marcheacutes accen-tuent la pression sur le Royaume-Uni et lrsquoItalie

[1] Source OMC (2012)International tradestatistics 2012

[2] Sur linterdeacutependancedes politiqueseacuteconomiques voirdans ce mecircme numeacuterolarticle de Sophie Branapp 18-26

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS 29

et les forcent agrave quitter le SME Pour rendre creacute-dible une politique moneacutetaire commune lesEacutetats membres deacutecident de mutualiser leurspolitiques moneacutetaires en creacuteant une mon-naie unique lrsquoeuro Le chemin est traceacute par lerapport Delors avec pour objectif la creacuteationdrsquoune banque centrale europeacuteenne et drsquounemonnaie unique agrave lrsquohorizon de la fin du siegravecle

Aujourdrsquohui la soliditeacute de la zone euro est agravenouveau testeacutee par les marcheacutes et certainseacuteconomistes se demandent si lrsquoabandon de lamonnaie unique ne serait pas une solution Samise en œuvre a toutefois entraicircneacute une telleinterdeacutependance moneacutetaire que toute sortiecoucircterait horriblement cher agrave lrsquoensemble desEacutetats membres condamneacutes agrave se coordonner etagrave srsquointeacutegrer toujours plus

Ainsi selon lrsquointuition des Pegraveres fondateurslrsquointeacutegration eacuteconomique preacutecegravede lrsquounificationpolitique Mais alors que la construction eacuteco-nomique est avant tout technique voire tech-nocratique et se poursuit depuis cinquanteans selon la meacutethode des laquo petits pas raquo le voletpolitique du projet europeacuteen appelle des chan-gements institutionnels importants et uneremise en cause fondamentale du modegravele desEacutetats-nations

Le principe de subsidiariteacuteConscient qursquoaucun Eacutetat ne peut plus preacute-tendre agrave exercer librement sa souveraineteacutesans empieacuteter sur celles de ses partenaires etvoisins chacun sera convaincu que la seuleissue est une feacutedeacuteration politique europeacuteenneune association kantienne drsquoEacutetats-nationsPourtant par deux fois des citoyens euro-peacuteens en France et aux Pays-Bas ont refuseacutedrsquoadopter une Constitution europeacuteenne Etchaque fois que lrsquooccasion de franchir uneeacutetape suppleacutementaire se preacutesente les gouver-nements reculent et seule lrsquoimminence drsquounecrise leur fait changer drsquoavis Il ne faudraitpas en conclure trop vite que les citoyenseacutetaient mal informeacutes ou que les gouverne-ments gardent jalousement leurs preacuterogativesndash chaque changement institutionnel suscite

au contraire drsquointenses deacutebats dans tous lesEacutetats membres La tension entre le local et lesupranational entre le politique et le techno-cratique entre le diplomatique et le juridiqueest inheacuterente agrave la construction europeacuteenne etil serait vain drsquoattendre un laquo grand soir ins-titutionnel raquo qui creacuteerait ex nihilo des Eacutetats-Unis drsquoEurope3

La reacutepartition des compeacutetences est la ques-tion-cleacute de la construction europeacuteenne quelniveau local national ou supranational serale plus apte agrave geacuterer telle ou telle compeacutetence La theacuteorie eacuteconomique donne des eacuteclairagessur le choix de la centralisation contre celuide la deacutecentralisation Chacun a ses avantageset ses inconveacutenients la centralisation permetdes eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacutevite les effets denon-coopeacuteration tandis que la deacutecentrali-sation permet de mieux srsquoadapter aux preacutefeacute-rences des citoyens et agrave la situation locale4

Dans lrsquoUnion europeacuteenne la deacutecentralisa-tion est la regravegle et la centralisation lrsquoexcep-tion crsquoest le principe de subsidiariteacute tel quepreacuteciseacute dans lrsquoarticle 5 du traiteacute sur le fonc-tionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) Ilest notamment eacutecrit que laquo les Eacutetats membrescoordonnent leurs politiques eacuteconomiques ausein de lrsquoUnion [et que] le Conseil adopte desmesures notamment les grandes orientationsde ces politiques raquo tandis que laquo lrsquoUnion prenddes mesures pour assurer la coordination despolitiques de lrsquoemploi des Eacutetats membresnotamment en deacutefinissant les lignes direc-trices de ces politiques raquo

La communautarisation de certaines poli-tiques doit donc ecirctre pleinement justifieacuteeau regard des traiteacutes Cela est drsquoautant plusimportant qursquoune fois confieacutee au niveau com-munautaire une politique peut difficilementecirctre laquo renationaliseacutee raquo

Jeux diplomatiques autourdes compeacutetences communautairesSi lrsquointerdeacutependance croissante justifie plei-nement la communautarisation de certaines

[3] Magnette P (2006)Le reacutegime politique de

lrsquoUnion europeacuteenne Paris Presses de

Sciences Po

[4] Jamet J-F (2012)LrsquoEurope peut-

elle se passer drsquoungouvernement

eacuteconomique ParisLa Documentation

franccedilaise coll laquo ReacuteflexeEurope raquo 2e eacuted

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 30

politiques eacuteconomiques leur mise en œuvresoulegraveve des difficulteacutes qui doivent nousfaire reacutefleacutechir eacutegalement en termes drsquoavan-tages et drsquoinconveacutenients de tels changementsinstitutionnels

Les difficulteacutes du transfertde compeacutetences vers lrsquoEuropeLa compeacutetence transfeacutereacutee au niveau europeacuteenpasse du domaine de la politique au champde la diplomatie vingt-huit Eacutetats membressoit vingt-huit faccedilons de concevoir le mondeet la politique eacuteconomique doivent srsquoaccor-der sur une politique commune Souventlrsquoaccord est obtenu a minima autour du pluspetit deacutenominateur commun Les politiquescommunautaires sont par conseacutequent peuambitieuses et conservatrices Certains Eacutetatsmembres preacutefegraverent alors former des laquo coopeacute-rations renforceacutees raquo pour surmonter les dif-feacuterents et ecirctre plus effectifs agrave lrsquoexemple delrsquoinstauration drsquoune taxe sur les transactionsfinanciegraveres qui implique onze Eacutetats

Le processus deacutemocratique qui preacutevalait auniveau national devient la portion congrue dunouveau jeu institutionnel et diplomatiqueEn un sens le deacuteveloppement des lobbies agrave Bruxelles la laquo comitologie raquo ou la volonteacutedu Parlement europeacuteen de parler au nomdes citoyens europeacuteens sont des reacuteactions agravelrsquoincapaciteacute de lrsquoeacutechelon europeacuteen de sortirdrsquoune logique purement institutionnelle etdiplomatique

La Commission europeacuteenneenfermeacutee dans une logiquejuridiqueLa Commission est impreacutegneacutee de cettelogique Elle nrsquoa ni la compeacutetence ni la leacutegi-timiteacute pour agir de faccedilon discreacutetionnairecomme le font les gouvernements elle doitalors se faire le gardien des traiteacutes et abor-der les politiques communautaires selonune logique tregraves juridique pour ecirctre leacutegitimeCette laquo eurocratie raquo qui nrsquoa que tregraves peu deliens directs avec le laquo monde reacuteel raquo a du malagrave faire preuve de leadership avec ce que cela

implique de gestion du quotidien et de lrsquohu-main Lrsquoimage des fonctionnaires europeacuteensenfermeacutes dans leur tour drsquoivoire est en par-tie vraie mais il ne faudrait pas en deacuteduireqursquoils en sont responsables crsquoest la struc-ture institutionnelle de lrsquoUnion europeacuteennequi les cantonne agrave cette situation

Pourtant la Commission europeacuteenne nrsquoheacute-site pas agrave user de son droit drsquoinitiative pourpousser toujours plus loin lrsquointeacutegration euro-peacuteenne Apregraves tout chaque institution en faitde mecircme lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutelargir ses preacuteroga-tives Mais cette ambition si justifieacutee qursquoellepuisse ecirctre au regard du projet europeacuteen seheurte aux reacuteticences des Eacutetats membres LeParlement europeacuteen au contraire est plu-tocirct favorable agrave lrsquoaccroissement des pouvoirsde la Commission ndash et des siens au passageCrsquoest au sein de ce trio institutionnel que sedessine le visage de lrsquoUnion europeacuteenne

Reacuteformer les institutions

Contrairement agrave lrsquointeacutegration eacuteconomique qui somme toute est assez technique mecircme si elle prend du temps lrsquointeacutegration politique implique de changer les institu-tions europeacuteennes Les diffeacuterents traiteacutes ont ainsi donneacute de plus en plus de place au Parlement Lrsquointroduction de la majo-riteacute qualifieacutee et aujourdrsquohui de la majoriteacute qualifieacutee inverseacutee deacutebloque les situations ougrave un seul Eacutetat membre pouvait bloquer lrsquoensemble du processus Les institutions europeacuteennes srsquoadaptent agrave lrsquoeacutelargissement de lrsquoUE et au deacuteveloppement des politiques communautaires

Renforcer lrsquoEurope sans la rendre plusdeacutemocratique est toutefois un piegravege Le Par-lement europeacuteen repreacutesente les citoyensmais la faible participation aux eacutelectionseuropeacuteennes ne lui donne pas une grandeleacutegitimiteacute Par ailleurs contrairement auxparlements nationaux il nrsquoa pas le pouvoirde lever lrsquoimpocirct et nrsquoest donc pas responsabledirectement devant les citoyens des poli-tiques communautaires qursquoil promeut ce quipose problegraveme De mecircme agrave trop verser dans

LES POLITIQUES EacuteCONOMIQUES DANS LrsquoUNION EUROPEacuteENNE INTERDEacutePENDANCES ET CHOIX INSTITUTIONNELS 31

les logiques diplomatiques et juridiques lesinstitutions communautaires srsquoeacuteloignentdes citoyens et aggravent le deacutesamour dontelles font lrsquoobjet Lrsquoarchitecture institution-nelle actuelle nrsquoest donc pas satisfaisanteau regard des eacutevolutions actuelles La com-plexiteacute du systegraveme deacutecisionnel europeacuteennrsquoest pas un deacutefaut de conception mais lereflet des tensions qui le traversent

Lrsquoexemple de la politique budgeacutetaireLa politique budgeacutetaire est une bonne illus-tration de ces tensions Elle est objet de sou-veraineteacute par exemple Pourtant dans uneeacuteconomie ouverte les politiques budgeacutetairesbien que deacutefinies dans un cadre nationalont des conseacutequences extra-nationales Lafiscaliteacute ou les plans de relance ne sont pasneutres La crise de la zone euro a reacuteveacuteleacute uneautre forme drsquointerdeacutependance

La crise eacuteconomique reacutecente a profondeacutementdeacuteseacutequilibreacute les finances publiques des Eacutetatseuropeacuteens Les deacuteficits publics se sont creu-seacutes au-delagrave des limites fixeacutees par le pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) et les dettespubliques de certains Eacutetats membres notam-ment la Gregravece sont devenues hors controcircle Orles obligations drsquoEacutetats europeacuteens sont princi-palement deacutetenues par les banques et insti-tutions financiegraveres europeacuteennes Le laquo risquesouverain raquo agrave savoir la probabiliteacute qursquoun Eacutetatnrsquohonore pas ses obligations eacutetait correacuteleacute aulaquo risque bancaire raquo agrave savoir la probabiliteacute defaillite drsquoune banque Les finances publiquesportugaises espagnoles ou grecques sontdevenues un enjeu europeacuteen

En 2011 et 2012 les Eacutetats de la zone euroont deacutecideacute de mieux coordonner leurs poli-tiques budgeacutetaires afin de couper le lienentre risques souverains et risques bancaireset drsquoeacuteviter qursquoune telle situation ne se repro-duise Cet engagement devait convaincreles creacutediteurs drsquoaccorder agrave nouveau leurconfiance aux obligations publiques de lazone euro et faire baisser les taux drsquointeacuterecirct

De nombreux changements ont eacuteteacute intro-duits Le traiteacute intergouvernemental sur lastabiliteacute la coordination et la gouvernance(TSCG) le laquo six-packs raquo et le laquo two-packs raquo ontintroduit des regravegles de gestion budgeacutetaire auniveau europeacuteen Les Eacutetats sont ainsi tenusdrsquoadopter des plans de redressement de leursfinances publiques (la laquo regravegle drsquoor raquo) tandisque la Cour de justice europeacuteenne peut infli-ger des sanctions financiegraveres allant jusqursquoagrave05 du PIB Lrsquoeffort est sans preacuteceacutedent

Pourtant il nrsquoest pas sucircr qursquoil soit suffisantLes taux drsquointeacuterecirct ont baisseacute comme espeacutereacutemais davantage parce que la Banque cen-trale europeacuteenne (BCE) srsquoest deacuteclareacutee precircte agravetout pour les maintenir agrave des niveaux faiblesEn outre la reacuteduction des deacuteficits publics acontribueacute agrave ralentir lrsquoeacuteconomie europeacuteenneEnfin les marcheacutes financiers restent frag-menteacutes et lrsquoaccegraves au creacutedit difficile pour lesPME de la peacuteripheacuterie de la zone euro Beau-coup reste agrave faire

Le problegraveme des deacuteseacutequilibresmacroeacuteconomiquesLrsquoouverture des marcheacutes puis la creacuteationdrsquoune monnaie unique ont acceacuteleacutereacute la recom-position de lrsquoindustrie europeacuteenne au profitdes reacutegions deacutejagrave les plus innovantes ou capita-listiques comme lrsquoItalie du Nord lrsquoAllemagnede lrsquoOuest ou le Sud des Pays-Bas Les eacutecono-mies peacuteripheacuteriques ont maintenu un taux decroissance important en misant sur les ser-vices financiers et la construction mais cessecteurs ne contribuent que tregraves marginale-ment agrave lrsquoeacutequilibre de la balance commercialeIls se sont endetteacutes pour maintenir leur trainde vie et la crise financiegravere a mis lrsquoeacutedifice agravebas La crise des finances publiques nrsquoest pastant la cause de la crise de la zone euro que laconseacutequence drsquoune construction eacuteconomiqueimparfaite5

La question drsquoune politique industrielleou sociale refait surface Les affaires defraudes fiscales ont relanceacute le deacutebat sur la

[5] Aglietta M (2012)Zone euro eacuteclatement

ou feacutedeacuteration ParisMichalon

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 32

coordination des politiques fiscales La laquo soli-dariteacute de fait raquo peut-elle maintenant devenirune laquo solidariteacute drsquoactes raquo par laquelle lespays riches aident les pays en crise agrave se reacutein-dustrialiser et agrave recreacuteer des emplois Faut-ilcreacuteer un laquo gouvernement eacuteconomique raquo

Certains imaginent doter lrsquoUnion europeacuteennedrsquoun systegraveme bicameacuteral (Conseil et Parlementeuropeacuteen) choisissant lrsquoexeacutecutif (le preacutesidentde la Commission) Drsquoautres songent agrave insti-tutionnaliser la zone euro en creacuteant une com-mission speacutecifique au sein du Parlement et unTreacutesor de la zone euro chargeacute de la politiqueeacuteconomique europeacuteenne

Ces changements supposent un accord delrsquoensemble des Eacutetats membres Or les pro-blegravemes de la zone euro pour importantsqursquoils soient ne concernent que dix-septEacutetats membres et ne justifient pas un chan-gement institutionnel de lrsquoUnion europeacuteenne

Par ailleurs les Eacutetats membres ne sont pas dutout drsquoaccord sur les changements agrave apporterLrsquoAllemagne est attacheacutee agrave lrsquoordo-libeacuteralismecrsquoest-agrave-dire un encadrement du marcheacute parlrsquoEacutetat et une institutionnalisation des rela-tions sociales tandis que la France privileacutegieune forme de libeacuteralisme dirigeacute ou de colber-tisme Comment concilier les deux

La communautarisation de pans entiers despolitiques eacuteconomiques qursquoil srsquoagisse du fis-cal du social ou de lrsquoindustriel exacerbera lestensions deacutejagrave deacutecrites la Commission aurait-elle la compeacutetence et la leacutegitimiteacute pour pilo-ter certaines politiques industrielles alorsmecircme qursquoelle se montre fermement attacheacuteeactuellement agrave la logique de concurrence Lescitoyens ne se sentiront-ils pas encore pluseacuteloigneacutes drsquoun pouvoir centraliseacute agrave Bruxelles

Plus important encore peut-on reacuteellementcroire que les systegravemes socio-eacuteconomiquessont simplement miscibles Une mise encommun de certaines politiques par exempledrsquoinnovation suppose en effet des similitudesOr les systegravemes drsquoinnovation ont chacun leursparticulariteacutes ancreacutees dans plusieurs siegraveclesdrsquohistoire Ils peuvent travailler en compleacute-mentariteacute comme le deacutemontre lrsquoexemple

drsquoEADS neacute de la fusion de trois entiteacutes Aeros-patiale-Matra (France) DASA (Allemagne) etCASA (Espagnol) mais pas fusionner totale-ment Il faut du temps et de la patience pourque le projet reacuteussisse6 Comment croire quenous serons capables de faire en trois ans etavec vingt-huit Eacutetats ce qursquoEADS a mis desdeacutecennies agrave creacuteer avec seulement trois pays

Un nouveaulaquo gouvernement mixte raquo Lrsquointerdeacutependance croissante des Eacutetatsmembres pousse agrave davantage drsquointeacutegrationpolitique et agrave des changements institution-nels Mais est-il possible drsquoaller plus loinsans remettre en cause fondamentalementles Eacutetats-nations et le reacutegime parlementairedeacutemocratique actuel La preacutevalence drsquounelogique intergouvernementale lrsquoinexistencedrsquoun demos europeacuteen et lrsquoimpossibiliteacute degeacuterer un si vaste et si divers ensemble poli-tique plaide en faveur drsquoune reacuteponse neacutegative

Un changement institutionnel srsquoil nrsquoestpas probable est-il mecircme souhaitable Laconstruction europeacuteenne est le reflet des mul-tiples tensions qui la traversent et la traver-seront demain encore Plutocirct que de vouloirla clarifier et rationaliser agrave tous prix mieuxvaudrait favoriser la participation de tousles inteacuterecircts aux processus deacutecisionnels selonune proceacutedure transparente pragmatique eteacutequitable

Le modegravele de Montesquieu de seacuteparation despouvoirs tregraves utile pour deacutecrypter le fonc-tionnement des Eacutetats-nations est moinspertinent pour la construction europeacuteenneLes modegraveles de laquo gouvernement mixte raquo7 telsqursquoils existaient agrave drsquoautres eacutepoques illustrentmieux ce vers quoi pourrait tendre lrsquoEurope un meacutelange de plusieurs systegravemes politiquesdont lrsquoentrelacement garantit la peacuterenniteacute etla capaciteacute agrave prendre en compte lrsquoensembledes inteacuterecircts Aristote disait de ce reacutegime qursquoilest laquo la plus sucircre des formes imparfaites raquo

[6] Barmeyer Chet Mayrhofer U (2008)The contributionof interculturalmanagement tothe success ofinternational mergersand acquisitions An analysis of the EADSgroup In InternationalBusiness Review Jg 172008 S 28-38

[7] Chopin Th (2013)Vers un veacuteritablepouvoir exeacutecutifeuropeacuteen de lagouvernance augouvernement Question drsquoEuropendeg 274 Fondation RobertSchuman 15 avril

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 33

Le deacutebat sur les regravegles de politique budgeacutetaire a connu un regain drsquointeacuterecirct avec la crise des dettes souveraines particuliegraverement avec le vote en Europe du TSCG ndash traiteacute sur la stabiliteacute la coordination et la gouvernance au sein de lrsquoUnion eacuteconomique et moneacutetaire ndash qui preacutevoit une laquo regravegle drsquoor des finances publiques raquo limitant les deacuteficits structurels agrave 05 du PIBPreacutesenteacutees tantocirct comme une neacutecessiteacute pour limiter les deacuteficits et lrsquoendettement publics tan-tocirct comme des dispositifs anti-deacutemocratiques allant agrave lrsquoencontre du rocircle contracyclique des politiques conjoncturelles le bien-fondeacute des regravegles budgeacutetaires est tregraves deacutebattu Apregraves avoir preacutesenteacute leurs avantages et leurs limites Jeacuterocircme Creel fait le point sur la diversiteacute de ces regravegles et sur leur efficaciteacute drsquoautant plus difficile agrave eacutevaluer qursquoelles sont de plus en plus com-plexes Au-delagrave de la question des regravegles le deacutebat sur les bonnes pratiques de politique bud-geacutetaire porte eacutegalement sur lrsquoexistence drsquoinstitutions qui pourraient heacuteriter des preacuterogatives des gouvernements ou du moins avoir pour rocircle de les conseiller

Problegravemes eacuteconomiques

Pour ou contre les regravegles de politique budgeacutetaire

Intense avant lrsquoadoption des critegraveres deMaastricht le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute drsquoins-taurer des regravegles de politique budgeacutetaire a eacuteteacuterelanceacute au cours de la crise financiegravere inter-nationale En effet les regravegles en vigueur dansla zone euro ndash notamment la limitation desdeacuteficits publics agrave 3 du PIB ndash nrsquoont pas per-mis drsquoeacutechapper agrave la fameuse crise des dettessouveraines Et au-delagrave de lrsquoEurope la fortedeacutegradation de lrsquoeacutetat des finances publiquesa fait craindre le retour des deacutefauts souve-rains dans les pays deacuteveloppeacutes

Selon un document du FMI (Schaechter et al2012) seuls cinq pays dans le monde dispo-saient drsquoune regravegle budgeacutetaire srsquoappliquant augouvernement en 1990 lrsquoAllemagne lrsquoIndoneacute-sie le Japon le Luxembourg et les Eacutetats-UnisDepuis lors pas moins de 76 pays sont concer-neacutes Plutocirct formuleacutees simplement agrave lrsquoorigine(comme une limite agrave 3 du deacuteficit public) cesregravegles deviennent de plus en plus complexesintroduisant les notions peu eacutevidentes drsquoinsou-tenabiliteacute des finances publiques et de contin-gence aux chocs eacuteconomiques Or ces termesdonnent lieu agrave une diversiteacute drsquointerpreacutetationsIn fine ces nouvelles regravegles posent de deacutelicatsproblegravemes de controcircle et de mise en œuvreLeur efficaciteacute est bien difficile agrave appreacutehender

JEacuteROcircME CREEL

OFCE et ESCP Europe

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 34

Pourquoi des regravegles budgeacutetaires Deux principaux arguments ont eacuteteacute avanceacutespour justifier lrsquoapplication de regravegles de poli-tique budgeacutetaire En premier lieu celui dela creacutedibiliteacute et de la coheacuterence temporelledans la ligneacutee de Kydland et Prescott (1977)

Regravegle et creacutedibiliteacute

Le premier argument part de lrsquoideacutee que lesgouvernements et les banques centralessont victimes drsquoun laquo biais inflationniste raquoIls seraient enclins agrave mener des politiquesbudgeacutetaires et moneacutetaires expansives afinde pousser lrsquoeacuteconomie au-delagrave de lrsquoeacutequilibrepermis par ses facteurs de production Letaux drsquoinflation serait alors supeacuterieur agrave celuiqursquoils avaient preacutealablement communiqueacuteaux acteurs priveacutes Lrsquoeffet rechercheacute est unebaisse du salaire reacuteel engendrant plus decroissance et plus drsquoemplois

Toutefois si les acteurs priveacutes ont des anti-cipations laquo rationnelles raquo ils peuvent preacutevoirle comportement des gouvernements et desbanques centrales les salarieacutes vont doncaugmenter leurs revendications salarialesau-delagrave des engagements drsquoinflation desautoriteacutes Les salaires nominaux vont alorsprogresser non pas au rythme de lrsquoinflationinitialement afficheacutee mais agrave celui de lrsquoinfla-tion effectivement engendreacutee par des poli-tiques expansionnistes En conclusion souslrsquohypothegravese drsquoanticipations rationnelles lespolitiques eacuteconomiques ne modifient pas lesniveaux de production et drsquoemploi mais ontdes effets sur lrsquoinflation

Dans ce contexte parce que le biais inflation-niste produit effectivement de lrsquoinflation il estnocif pour lrsquoeacuteconomie Lrsquoinflation induit desmodifications de prix relatifs (tous les prix nepeuvent pas augmenter de concert en raisondes deacutecalages temporels dans les contratseacutetablis par exemple) qui perturbent le bonfonctionnement de lrsquoeacuteconomie elle provoquedes pertes de compeacutetitiviteacute si les partenairescommerciaux sont moins soumis au biaisinflationniste ainsi que des modifications de

recettes fiscales si les baregravemes drsquoimpositionne sont pas indexeacutes sur les prix

Deux solutions ont eacuteteacute apporteacutees agrave ce biaisinflationniste La premiegravere a consisteacute agrave pro-mouvoir des regravegles contraignantes de poli-tique eacuteconomique les engagements prisdoivent ecirctre creacutedibles ce qui neacutecessite que lesobjectifs des autoriteacutes soient clairement iden-tifieacutes et qursquoils correspondent agrave la situationdrsquoeacutequilibre de lrsquoeacuteconomie Cette exigence srsquoesttraduite concregravetement par une geacuteneacuteralisationdes laquo cibles drsquoinflation raquo La seconde solutionqui peut ecirctre compleacutementaire de la premiegraverea consisteacute agrave deacuteleacuteguer la politique moneacutetaire agraveune banque centrale deacutesormais indeacutependantedu pouvoir politique Les banquiers centrauxdoivent en conseacutequence ecirctre choisis pour leuraversion reconnue vis-agrave-vis de lrsquoinflation

Quelles sont les conseacutequences de ces choixsur les politiques budgeacutetaires Assez natu-rellement les regravegles contraignantes drsquoenga-gement preacutealable auxquelles se soumettentles politiques moneacutetaires se sont imposeacuteesaux politiques budgeacutetaires Soucieux de leurreacuteeacutelection les gouvernements sont particu-liegraverement inciteacutes dans le raisonnement tenuplus haut agrave pratiquer des politiques plusexpansives que preacutevu Or non seulement cespratiques nuisent agrave lrsquoeacutequilibre des financespubliques mais elles compromettent lrsquoobjec-tif assigneacute aux banques centrales leur cibledrsquoinflation Lrsquoimposition de regravegles de politiquebudgeacutetaire protegravege le mandat des banquierscentraux indeacutependants et averses agrave lrsquoinfla-tion Par conseacutequent elles doivent apporteraux gouvernements de la creacutedibiliteacute pourvubien sucircr qursquoelles soient appliqueacutees ou que desproceacutedures de sanctions soient organiseacutees encas de manquement Si la creacutedibiliteacute est aurendez-vous lrsquoavantage attendu sera un tauxdrsquointeacuterecirct faible sur la dette publique car lerisque de deacutefaut sera consideacutereacute comme limiteacute

Regravegle et biais politique

Le deuxiegraveme argument concerne la compo-sition des deacuteficits publics entre deacutepenseset recettes mais aussi les asymeacutetries

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 35

drsquoinformation entre les eacutelecteurs et leurs gou-vernements (von Hagen 2002)

Le premier aspect consiste agrave rappeler queles deacutepenses publiques comme les transfertsbeacuteneacuteficient agrave un sous-groupe de la popula-tion alors que tous les contribuables doiventen financer le coucirct une telle politique estredistributive Si le gouvernement repreacutesenteles inteacuterecircts du sous-groupe de la populationqui beacuteneacuteficie effectivement de la politiquebudgeacutetaire ou fiscale il peut ecirctre ameneacute agravesurestimer les beacuteneacutefices de sa politique et agravesous-estimer son coucirct Dans un tel contexteil peut ecirctre leacutegitime de restreindre les capa-citeacutes drsquoaction du gouvernement pour limiterle fardeau qui pegravesera sur les contribuables

Le second aspect tient agrave la difficulteacute pourles eacutelecteurs drsquoappreacutehender avec justesse lecomportement du gouvernement (on srsquoeacuteloignedonc quelque peu de la notion drsquoanticipa-tions rationnelles vue plus haut) celui-cipourrait tregraves bien poursuivre exclusivementson propre inteacuterecirct et extraire une rente de sasituation avec pour conseacutequence corruptionmauvaise gestion et gacircchis en tout genreCompte tenu de cette difficulteacute agrave preacutevoir lesmotivations de lrsquoaction politique des garde-fous peuvent srsquoaveacuterer neacutecessaires les regraveglesbudgeacutetaires prennent alors aussi la formedrsquoinstitutions efficaces pour produire lesbons comportements (comme viser lrsquointeacuterecirctgeacuteneacuteral) et les controcircler

Regravegle et union moneacutetaire

Il existe finalement un troisiegraveme argumentagrave lrsquoadoption de regravegles budgeacutetaires mais il acertainement perdu de sa substance au profitdu deuxiegraveme plus politique que nous avonspreacutesenteacute Il concerne les speacutecificiteacutes drsquouneunion moneacutetaire

Dans une union moneacutetaire une contraintesur la dette publique est neacutecessaire ndash techni-quement ndash pour atteindre lrsquoeacutequilibre macro-eacuteconomique stable de longue peacuteriode1 Dansun ensemble eacuteconomique ougrave les monnaiessont diffeacuterentes lrsquoincertitude sur la valeurdes actifs en devises et lrsquoaversion pour le

risque permettent de deacuteterminer la partde titres eacutetrangers que souhaitent deacutetenirles acteurs priveacutes incertitude et aversionpour le risque suffisent donc agrave deacuteterminerle partage de la richesse totale des meacutenagesentre titres domestiques et titres eacutetrangersLorsque la monnaie devient unique ce par-tage est indeacutetermineacute puisque le risque estsupposeacute avoir disparu les taux drsquointeacuterecirctnominaux doivent ecirctre eacutegaux agrave long termedans tous les pays Sans contrainte sur ledeacuteficit public qui engendre lrsquoeacutemission detitres domestiques la richesse des agentspriveacutes pourrait ecirctre stabiliseacutee (agrave lrsquoeacutequilibrede longue peacuteriode) sans que ni les montantsde titres eacutetrangers ni ceux de titres domes-tiques ne le soient les uns et les autres eacutetantbeaucoup plus substituables puisqursquoil nrsquoy aplus de risque de change La contrainte surle deacuteficit public remplace celle sur le deacuteficitexteacuterieur Il est inteacuteressant de constater quecet argument technique a eacuteclateacute parce que lerisque de change dans la zone euro a resurgisous lrsquoeffet des hausses de dettes publiques la question de lrsquoappartenance agrave la zoneeuro srsquoest poseacutee de nouveau La leveacutee de lacontrainte exteacuterieure non compenseacutee par unecontrainte stricte sur les deacuteficits et les dettespublics a produit des deacuteseacutequilibres courantsfinalement insoutenables

Les contre-argumentsLes trois arguments que nous venons depreacutesenter srsquoils permettent drsquoexpliquerlrsquoeacutemergence des regravegles budgeacutetaires ne lesjustifient pas pour autant dans la mesure ougraveils reposent tous sur des hypothegraveses fortes

Les regravegles budgeacutetaires issues de la theacuteorie dela creacutedibiliteacute preacutesupposent

ndash lrsquoexistence drsquoacteurs priveacutes parfai-tement informeacutes du comportement desgouvernements

ndash des gouvernements voulant mener lrsquoeacuteco-nomie systeacutematiquement au-delagrave de sonpotentiel

ndash des gouvernements capables drsquoinfluereffectivement sur les prix

[1] Agrave cet eacutequilibrede longue peacuteriode

le montant total drsquoactifspriveacutes et publics

deacutetenus par les acteurspriveacutes est constant

en proportion du PIBIl correspond agrave une

eacutepargne de long terme

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 36

On pourra admettre qursquoil srsquoagit lagrave drsquohypo-thegraveses de travail dans le cadre drsquoune eacutelabora-tion scientifique et qursquoen pratique les regraveglesbudgeacutetaires au lieu de chercher agrave empecirccherles gouvernements de tricher sur leurs enga-gements vont chercher agrave limiter ou agrave atteacute-nuer les pratiques deacuteviantes Dans ce caslrsquoimposition de regravegles budgeacutetaires souplespermettra de laisser quelques marges demanœuvre en cas de doute sur lrsquointerpreacuteta-tion agrave donner aux deacutecisions politiques unehausse du deacuteficit public peut se justifier parune insuffisance de la demande mal identifieacuteepar des acteurs priveacutes ne disposant pas drsquounevue globale de lrsquoeacuteconomie Il nrsquoy a pas lagravematiegravere agrave imaginer un Eacutetat cherchant agrave inter-venir au-delagrave du neacutecessaire dans lrsquoeacuteconomieAgrave lrsquoinverse lrsquoimposition drsquoune regravegle stricte debudget eacutequilibreacute pourrait ecirctre preacutejudiciableagrave la reacutegulation conjoncturelle si la politiquemoneacutetaire seule nrsquoeacutetait pas en mesure dereacutesorber les chocs La forme des regravegles doitdonc ecirctre eacutevoqueacutee (cf infra)

Les regravegles budgeacutetaires issues de la reacuteflexionsur le problegraveme drsquoasymeacutetrie drsquoinformationentre les autoriteacutes et les citoyens supposentque les motivations du gouvernement sontconnues au lieu drsquoecirctre laquo opportuniste raquo(Nordhaus 1975) mimant en peacuteriode preacute-eacutelectorale les preacutefeacuterences de lrsquoeacutelectorat pourle satisfaire et ecirctre reacuteeacutelu le gouvernementserait laquo partisan raquo (Hibbs 1977) deacutefendantles seuls inteacuterecircts de son eacutelectorat La vali-diteacute empirique de cette hypothegravese continuecependant de faire deacutebat en outre srsquoil existedes eacuteleacutements empiriques attestant lrsquoinfluencedes choix politiques sur les choix budgeacutetaireset fiscaux dans certains pays leurs implica-tions sur les variables comme lrsquoinflation nesont pas aveacutereacutees2 Ces reacutesultats mettent par-tiellement en doute la neacutecessiteacute de recourir agravedes regravegles budgeacutetaires pour limiter les effetsde deacutebordement des politiques publiquesQuant agrave la question de la corruption et de lacaptation de rente par les gouvernements ilsuffit de tester la correacutelation entre regravegle bud-geacutetaire et indice de corruption3 pour veacuterifierqursquoil nrsquoy a pas de relation univoque entre les

deux situations de nombreux pays disposantdrsquoune regravegle ont aussi un degreacute de corruptionrelativement faible (Finlande Danemark)mais drsquoautres tels que la Gregravece ou lrsquoItalieaffichent des niveaux de corruption relati-vement eacuteleveacutes Certes les premiers les res-pectent semble-t-il mieux que les secondsmais la causaliteacute entre les deux situations(corruptionregravegle) nrsquoest pas eacutetablie

Enfin si la regravegle budgeacutetaire drsquoajustement agraveun niveau de dette publique deacutesireacutee est bienune condition neacutecessaire agrave lrsquoobtention drsquouneacutequilibre de long terme satisfaisant pour lesactifs financiers des meacutenages elle nrsquoimpliquepas que la politique budgeacutetaire soit paralyseacuteedegraves le court terme

Ces remarques mettent en doute lrsquoutiliteacutedrsquoimposer meacutecaniquement des regravegles bud-geacutetaires qui peuvent reacuteduire arbitrairementles marges de manœuvre des gouvernementsconfronteacutes agrave des chocs macroeacuteconomiques etagrave des fluctuations eacuteconomiques

Regravegles budgeacutetaires et institutionsDiffeacuterents types de regraveglesLes regravegles budgeacutetaires en vigueur portent surdiffeacuterentes variables de finances publiquesElles peuvent ecirctre annuelles ou porter sur lemoyen terme Elles peuvent ecirctre locales natio-nales ou supranationales comme le Pacte destabiliteacute et de croissance (PSC) qui srsquoappliqueagrave tous les Eacutetats membres de lrsquoUnion euro-peacuteenne Sur un mecircme territoire elles peuventse cumuler les reacutegions franccedilaises sont sou-mises agrave une regravegle portant sur lrsquoinvestisse-ment public tandis que lrsquoEacutetat franccedilais estsoumis via le PSC agrave une regravegle sur le deacuteficittotal et agrave une regravegle sur la dette et via le traiteacutebudgeacutetaire agrave une regravegle sur le deacuteficit structu-rel Les regravegles peuvent ecirctre inscrites dans laconstitution comme en Allemagne ou ne paslrsquoecirctre comme en France

Les regravegles de budget eacutequilibreacuteTentons de cerner toutes les variables definances publiques qui donnent lieu agrave une

[2] Cf Drazen (2001)et sa discussion avecO Blanchard

[3] LrsquoorganisationTransparencyInternational fournitun indice de corruptionpar pays

POUR OU CONTRE LES REgraveGLES DE POLITIQUE BUDGEacuteTAIRE 37

regravegle budgeacutetaire Les regravegles de budget eacutequili-breacute sont sans doute les plus connues le PSCstipule en effet que le deacuteficit public ne doitpas deacutepasser annuellement 3 du PIB endehors de circonstances exceptionnelles etqursquoagrave moyen terme le budget doit ecirctre eacutequi-libreacute Simples agrave controcircler et ayant un impactdirect sur lrsquoeacutevolution de la dette publique cesregravegles peuvent ne pas laisser suffisammentde marges de manœuvre pour faire face agrave desfluctuations drsquoactiviteacute ou agrave des chocs eacutecono-miques inattendus

Les regravegles de deacuteficit structurel4 comme celleinscrite dans le traiteacute budgeacutetaire ndash agrave moyenterme le deacuteficit structurel ne doit pas deacutepas-ser 05 du PIB ndash corrigent les deacutefauts de laregravegle preacuteceacutedente mais sont moins simples agravecontrocircler En effet les variations drsquoactiviteacutesont eacutevalueacutees par rapport agrave une eacutevolutionlaquo normale raquo de lrsquoactiviteacute celle du PIB poten-tiel qui nrsquoest pas observable et doit donc ecirctreeacutevalueacute lui aussi avec toutes les erreurs drsquoes-timation et les divergences drsquointerpreacutetationque cela peut impliquer

Les regravegles de dette

Les regravegles de dette consistent agrave limiter ladette en proportion du PIB en deccedilagrave drsquouncertain seuil etou agrave ramener le ratio vers ceseuil agrave un rythme preacutedeacutefini Parce que la dettepublique eacutevolue au greacute des deacuteficits publicsune regravegle portant sur la dette comporte lesmecircmes deacutefauts qursquoune regravegle de budget eacutequili-breacute Elle preacutesuppose en outre lrsquooptimaliteacute dumoins le niveau adeacutequat de la dette publiqueOr aucun principe eacuteconomique ne permetdrsquoaffirmer qursquoil existe agrave tout instant et danstous les pays un niveau optimal et intangiblede dette publique La regravegle de dette se heurtedonc agrave lrsquoimpossibiliteacute de deacutefinir un seuil adeacute-quat agrave moins de le faire varier en fonction denombreux paramegravetres lrsquoinflation qui modifiesa valeur reacuteelle le taux drsquointeacuterecirct qui fixe lescharges de la dette la deacutemographie qui deacuteter-mine le ratio de deacutependance entre inactifsacircgeacutes et actifs et pegravese donc sur les deacutepenseset les cotisations de retraites sur le tauxdrsquoeacutepargne et in fine sur la demande drsquoactifs

financiers etc Une regravegle variable perdraittregraves certainement toute simpliciteacute elle seraitincompreacutehensible pour le grand public qui nesaurait donc pas lrsquointeacutegrer dans son compor-tement et ses attentes

Les regravegles de deacutepenses

Les regravegles de deacutepenses peuvent amener agraveexclure certaines drsquoentre elles du deacuteficit agravecontenir Tel est le cas de la regravegle drsquoor desfinances publiques qui autorise le finance-ment obligataire des deacutepenses drsquoinvestis-sement et oblige agrave eacutequilibrer deacutepenses defonctionnement et recettes fiscales Une telleregravegle peut donner lieu agrave une augmentation dela dette publique et de la prime de risque dedeacutefaut si les investissements publics ne pro-duisent pas les beacuteneacutefices attendus en termes decroissance Elle peut conduire agrave privileacutegier desdeacutepenses drsquoinfrastructures au deacutetriment desdeacutepenses drsquoeacuteducation et nuire agrave la croissanceeacuteconomique future Elle pose donc la questiondes deacutepenses productives agrave favoriser Drsquoautresregravegles de deacutepenses adoptent une approchebeaucoup plus comptable qursquoeacuteconomique enlimitant sans discernement la hausse du ratiode deacutepenses publiques Le peacuterimegravetre de lrsquoEacutetatpeut facilement ecirctre restreint par ce biais cequi est source selon certains drsquoefficaciteacute ndash unEacutetat moins deacutepensier doit lever moins drsquoim-pocircts potentiellement nuisibles aux incitationsagrave produire agrave travailler voire agrave consommer mais cela risque fort drsquoengendrer une baissedes deacutepenses sociales gages de seacutecuriteacute pourceux qui en beacuteneacuteficiaient etou une diminu-tion des investissements publics nuisible agravelong terme pour la croissance

Des institutions chargeacuteesde la politique budgeacutetaire

La multipliciteacute des regravegles rend les comparai-sons internationales quant agrave leur eacuteventuelleefficaciteacute particuliegraverement deacutelicates En touteacutetat de cause il nrsquoexiste pas de regravegle bud-geacutetaire optimale permettant de faire face agravetoutes les contingences Et si elle existaitil serait impossible de la controcircler tant elleserait compliqueacutee agrave appreacutehender

[4] Le deacuteficit structurelest corrigeacute de

lrsquoimpact automatiquedes variations drsquoactiviteacutesur les recettes fiscales

et les deacutepenses socialesnotamment

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 38

Face agrave cette impasse plusieurs eacuteconomistestels Juumlrgen von Hagen ou Charles Wyploszont depuis longtemps proposeacute que la poli-tique budgeacutetaire soit peu ou prou deacuteleacutegueacuteeagrave un comiteacute de politique budgeacutetaire commela politique moneacutetaire est deacuteleacutegueacutee dans lazone euro agrave une banque centrale indeacutepen-dante Cette deacuteleacutegation reacutesoudrait en grandepartie les trois problegravemes eacutevoqueacutes plus haut celui de la creacutedibiliteacute celui de lrsquoasymeacutetriedrsquoinformation et celui de lrsquoeacutequilibre de longterme dans une union moneacutetaire Il faudraitcependant et cela nrsquoest pas une mince condi-tion que ledit comiteacute dispose effectivementdu pouvoir de deacutecider des politiques budgeacute-taires agrave mettre en œuvre Face au problegravemedeacutemocratique qursquoune telle deacuteleacutegation pose(cf Mathieu et Sterdyniak 2012) et face agrave la

reacuteticence des gouvernements agrave ecirctre deacuteposseacute-deacutes du pouvoir budgeacutetaire des conseils depolitique budgeacutetaire ont vu le jour dans denombreux pays depuis longtemps aux Eacutetats-Unis avec le Congressional Budget Office creacuteeacuteen 1975 ou plus reacutecemment en Sloveacutenie avecle Fiscal Council creacuteeacute en 2010 Si de telles ins-titutions peuvent aider agrave controcircler les poli-tiques budgeacutetaires ils ne sont geacuteneacuteralementpas organiseacutes pour juger de lrsquoadeacutequation de lapolitique budgeacutetaire agrave des conditions drsquoacti-viteacute mouvantes (Wyplosz 2011) Le deacutebat surles bonnes pratiques de politique budgeacutetairereste donc largement ouvert regravegle ou dis-creacutetion quelle regravegle avec ou sans conseil depolitique budgeacutetaire agrave quel horizon Tellessont les questions

DRAZEN A (2001) laquo The political business cycleafter 25 years raquo in BernankeB et Rogoff K (eds) NBERMacroeconomics Annual2000 vol 15

HAGEN J (von) (2002)laquo Fiscal rules fiscalinstitutions and fiscalperformance raquo The Economicand Social Review vol 33ndeg 3

HIBBS DA (1977) laquo PoliticalParties and MacroeconomicPolicy raquo American PoliticalScience Review vol 71

KYDLAND F et PRESCOTT E(1977) laquo Rules rather thandiscretion the inconsistencyof optimal plans raquo Journalof Political Economy vol 85ndeg 3

MATHIEU C et STERDYNIAK H(2012) laquo Faut-il des regraveglesde politique budgeacutetaire raquoRevue de lrsquoOFCE vol 126

NORDHAUS WD (1975) laquo The Political BusinessCycle raquo Review of EconomicStudies vol 42 ndeg 2

SCHAECHTER A KINDA TBUDINA N et WEBER A (2012)

laquo Fiscal rules in responseto the crisis ndash towards theldquonext-generationrdquo rules Anew dataset raquo Document detravail ndeg 187 FMI

WYPLOSZ C (2011) laquo Fiscaldiscipline rules ratherthan institutions raquo NationalInstitute Economic Review vol 217

WYPLOSZ C (2012) laquo Fiscalrules theoretical issuesand historical experiences raquoDocument de travail ndeg 17784NBER

POUR EN SAVOIR PLUS

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 39

La France est reacuteguliegraverement pointeacutee du doigt pour son taux de deacutepenses publiques ndash 566 du PIB ndash parmi les plus eacuteleveacutes du monde qui deacutecouragerait lrsquoinitiative priveacutee et favoriserait lrsquoeacutevasion fiscale Agrave lrsquoheure ougrave la crise des dettes souveraines oblige les Eacutetats agrave reacutealiser des efforts budgeacutetaires lrsquoaccent est particuliegraverement mis sur la neacutecessiteacute de reacuteduire les deacutepenses afin drsquoeacuteviter drsquoaccroicirctre les preacutelegravevements obligatoiresToutefois comme le montre Adrien Matray le haut niveau des deacutepenses publiques en France est essentiellement ducirc agrave la geacuteneacuterositeacute des deacutepenses sociales ainsi lrsquoappareil drsquoEacutetat ne coucircte pas plus cher en France qursquoailleurs et srsquoavegravere mecircme moins dispendieux que son homologue britannique ou ameacutericain Crsquoest le choix de confier au secteur public une plus grande part de la protection sociale qui explique le haut niveau des deacutepenses publiques Or ce choix est loin drsquoecirctre inefficace drsquoun point de vue collectif Lrsquoargent public pourrait neacuteanmoins ecirctre mieux utiliseacute en affectant diffeacuteremment certaines ressources

Problegravemes eacuteconomiques

Les deacutepenses publiques sont-elles trop eacuteleveacutees en France

La France au seindes pays deacuteveloppeacutes

Des deacutepenses publiques eacuteleveacuteesreflet drsquoun partage diffeacuterententre Eacutetat et marcheacute

En 2012 les deacutepenses publiques fran-ccedilaises repreacutesentaient 566 du PIB undes taux les plus eacuteleveacutes au monde Mais

cela ne signifie pas pour autant que lrsquoEacutetatserait plus dispendieux qursquoailleurs Poursrsquoen rendre compte il suffit de consideacutererle poids des deacutepenses de fonctionnementdes administrations publiques (salaires etconsommations intermeacutediaires du secteurpublic) dans le PIB (graphique 1) Avec unniveau de 187 le fonctionnement de lrsquoap-pareil drsquoEacutetat est moins coucircteux que dansles pays scandinaves mais aussi qursquoauRoyaume-Uni (235 ) ou aux Eacutetats-Unis(199 ) La France nrsquoest de ce point de vuepas tregraves eacuteloigneacutee de la moyenne de lrsquoUnioneuropeacuteenne (175 )

La deacutepense publique recouvre des eacuteleacute-ments tregraves diffeacuterents On la deacutecompose

ADRIEN MATRAY

Doctorant agrave HEC Paris

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 40

geacuteneacuteralement en quatre grands postes les deacutepenses publiques collectives (ou deacutepenses publiques au sens strict) comme lrsquoadmi-nistration des services geacuteneacuteraux le main-tien de lrsquoordre lrsquoarmeacutee etc les deacutepenses drsquoeacuteducation les deacutepenses de santeacute et enfin les deacutepenses de transferts assurantiels (assurance retraite ou assurance chocircmage)appeleacutees aussi laquo deacutepenses sociales raquo Ces derniegraveres se diffeacuterencient des autres par la nature du beacuteneacuteficiaire et par leur mode de financement Elles ont un beacuteneacuteficiaire direct (alors que les deacutepenses drsquoadministration apportent un beacuteneacutefice diffus) et sont finan-ceacutees sur la base drsquoune cotisation ouvrant droit agrave des prestations

En France les deacutepenses se deacutecomposenten 2011 de la faccedilon suivante 182 pourles deacutepenses collectives 84 pour la

santeacute 62 pour lrsquoeacuteducation et enfin 237 pour les deacutepenses sociales La somme desdeacutepenses publiques hors deacutepenses socialesrepreacutesente ainsi plus de la moitieacute de sesdeacutepenses totales ce qui la place au 8e rangdes pays de lrsquoOCDE en 2011 agrave un niveaueacutequivalent agrave celui de lrsquoIrlande et derriegravereles Eacutetats-Unis le Royaume-Uni ou les Pays-Bas Avec un niveau de 328 du PIB laFrance se situe leacutegegraverement au-dessus dela moyenne des pays de lrsquoOCDE (29 ) Cefaible eacutecart tient au fait que lrsquoessentiel deces deacutepenses sont difficilement compres-sibles car elles touchent en grande partieaux fonctions reacutegaliennes de lrsquoEacutetat et quetout pays deacuteveloppeacute a besoin drsquoune policedrsquoune justice ou drsquoune administration eneacutetat de marche Degraves lors agrave moins drsquoavoirun Eacutetat particuliegraverement dispendieux les

1 Poids des deacutepenses de fonctionnement ( du PIB)

0

5

10

15

20

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30

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187

128

164 166

235 231

283

153

131

199

16175

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 41

diffeacuterences entre pays sont neacutecessairementfaibles Lrsquoeacutecart entre les deacutepenses publiquesfranccedilaises et la moyenne de lrsquoOCDE sereacuteduit drsquoailleurs encore si lrsquoon exclut lesdeacutepenses de santeacute et drsquoeacuteducation 182 en France pour une moyenne agrave 169 danslrsquoOCDE (graphique 2)

Le niveau eacuteleveacute des deacutepenses publiques en France srsquoexplique donc essentiellement par la mutualisation publique drsquoun certain nombre de deacutepenses assurantielles Or ces deacutepenses ont deux caracteacuteristiques Elles repreacutesentent un revenu qui est souvent taxeacute et elles apportent un service qui lorsqursquoil nrsquoest pas fourni par lrsquoEacutetat lrsquoest par le marcheacuteUn exemple simple est celui de lrsquoassurance

santeacute Alors que des pays comme les Eacutetats-Unis laissent des entreprises priveacutees assurer lrsquoessentiel de ce service la France a choisi de le produire directement par le biais de lrsquoEacutetat qui en assure le financement par des coti-sations sociales Lorsqursquoon tient compte de ces deux eacuteleacutements les eacutecarts entre les pays se reacuteduisent consideacuterablement Un travail de Willem Adema (2001)1 montre ainsi que si lrsquoeacutecart des deacutepenses sociales publiques brutes entre les Eacutetats-Unis et le Danemark eacutetait de 20 points en 1997 (158 contre 359 ) celui-ci tombe agrave 4 points si lrsquoon srsquointeacuteresse aux deacutepenses sociales totales (publiques et priveacutees) nettes 234 contre 275

2 Deacutepenses publiques par fonction (en du PIB)

0

10

20

30

40

50

60

OCDE

Japon

Etats-

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Deacutepenses collectives Santeacute Eacuteducation

Deacutepenses sociales (transferts assurantiels hors santeacute)

62

237

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48

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7

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55

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86

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58

157

66

169

39

13

75

128

Source OCDE

[1] Adema W (2001)laquo Labour Market

and Social Policy raquoOccasional Papers ndeg 52

OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 42

Ainsi une faccedilon simple de faire baisser les deacutepenses publiques serait de reacuteduire for-tement les risques couverts par la seacutecuriteacute sociale mais drsquoobliger les citoyens agrave srsquoassu-rer aupregraves drsquoorganismes priveacutes Cet exemple montre bien que la seule question qui se pose reacuteellement est la suivante pour un ser-vice donneacute est-il plus efficace de passer par le marcheacute ou par lrsquoEacutetat pour le produire Le cas de lrsquoassurance est particuliegraverement inteacuteressant puisque plusieurs travaux ont montreacute qursquoil eacutetait en reacutealiteacute moins coucircteux drsquoavoir recours agrave un systegraveme public2 ce qui explique en grande partie pourquoi les deacutepenses de santeacute aux Eacutetats-Unis sont plus eacuteleveacutees qursquoen France3

Plus qursquoun systegraveme trop geacuteneacutereux ou dis-pendieux le niveau des deacutepenses publiques en France reacutevegravele avant tout un choix celui de confier au secteur public la production de certains services

Une progression en ligneavec les autres paysSur la peacuteriode 2000-2012 les deacutepenses publiques par habitant en volume ndash une fois lrsquoinflation deacuteduite ndash ont progresseacute de 15 en France soit agrave un rythme eacutequiva-lent agrave celui de lrsquoAllemagne (148 ) et de la zone euro (153 ) et infeacuterieur agrave celui de lrsquoUnion europeacuteenne (167 ) Surtout ce rythme a eacuteteacute deux fois infeacuterieur agrave celui des Eacutetats-Unis et trois fois infeacuterieur agrave celui du Royaume-Uni (graphique 3) Par ailleursles deacutepenses publiques laquo strictes raquo (hors deacutepenses sociales) se sont mecircme reacuteduites sur la peacuteriode

Pour autant la crise des dettes souveraines qui a eacuteclateacute en 2010 pose agrave nouveau la ques-tion de la neacutecessiteacute drsquoune reacuteduction des deacutepenses publiques

[2] Cf par exempleRotschild M and StiglitzJ (1976) laquo Equilibriumin CompetitiveInsurance Markets An Essay on theEconomics of ImperfectInformation raquo QuarterlyJournal of Economicsvol 90 ndeg 4

[3] Cf Krugman P(2008) LrsquoAmeacuterique quenous voulons ParisFlammarion

3 Eacutevolution des deacutepenses publiques par habitant en volume de 2000 agrave 2012 (en )

0

10

20

30

40

50

60

Union agrave

27

Zone euro

Japon

Eacutetats-

Unis

Reacutep t

chegraveq

ue

Pologne

Danem

ark

Suegravede

Royaum

e-Uni

Espag

neIta

lie

Allem

agne

Fran

ce

Eacutevolution

15 148

56

252

475

139 137

614

504

30

199153 167

Source Commission europeacuteenne

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 43

Les deacutepenses publiques sont-ellestrop eacuteleveacutees agrave lrsquoheure actuelle Baisser les deacutepenses publiquesen peacuteriode de crise une strateacutegie dangereuseFace agrave la crise des dettes souveraines les Eacutetats ont chercheacute agrave reacuteduire leur deacuteficit public par deux moyens en coupant dans leurs deacutepenses et en augmentant les impocircts En peacuteriode de crise cette strateacutegie peut srsquoaveacute-rer non seulement dangereuse mais aussi contre-productive en raison du laquo multiplica-teur des deacutepenses publiques raquo (cf zoom)

Lorsque la conjoncture est deacuteprimeacutee le secteur priveacute (meacutenages et entreprises) est souvent reacuteticent agrave consommer et agrave investirnotamment si la crise a eacuteteacute provoqueacutee par un excegraves drsquoendettement Degraves lors le seul agent encore capable de deacutepenser est lrsquoEacutetatLe multiplicateur des deacutepenses publiques est par conseacutequent beaucoup plus eacuteleveacute en peacuteriode de crise qursquoen phase de croissanceDrsquoapregraves le FMI ce multiplicateur serait de lrsquoordre de 15-2 agrave lrsquoheure actuelle contre 05-07 drsquoapregraves les estimations initiales (cf Pers-pectives de lrsquoeacuteconomie mondiale 2012)

Degraves lors une baisse trop rapide des deacutepenses publiques dans un contexte de crise peut paradoxalement alourdir les ratios de deacuteficit et de dette en provoquant une contraction

encore plus forte du PIB Non seulement la crise se prolonge mais lrsquoobjectif premier de la baisse des deacutepenses publiques (reacuteduire le deacuteficit en proportion du PIB) nrsquoest pas atteint

Diminuer les deacutepenses publiques lorsque les meacutenages et les entreprises cherchent avant tout agrave se deacutesendetter ou agrave accumuler de lrsquoeacutepargne de preacutecaution est donc dangereuxLrsquoEacutetat doit toutefois se montrer capable de mener de veacuteritables politiques contra-cycliques en peacuteriode de croissance les deacutepenses doivent augmenter moins vite que le PIB afin de deacutegager des exceacutedents budgeacute-taires permettant de rembourser les dettes contracteacutees en peacuteriode de ralentissementSans cette capaciteacute agrave moduler les deacutepenseslrsquoEacutetat risque de pacirctir drsquoun manque de creacutedi-biliteacute pour pouvoir emprunter sur les mar-cheacutes aupregraves des eacutepargnants Or une eacutetude reacutecente de Aghion et al (2011)4 montre que la France megravene des politiques contracycliques limiteacutees notamment parce qursquoen peacuteriode de croissance les deacutepenses progressent Crsquoest un des arguments principaux en faveur des politiques de rigueur en peacuteriode de crise

Des deacutepenses publiquesqui peuvent peser sur lrsquoactiviteacutepriveacutee en cas de concurrencepour les ressourcesMecircme en lrsquoabsence de problegraveme de soutena-biliteacute des finances publiques des deacutepenses

[4] Aghion P Hemous Det Kharroubi E (2011)laquo Cyclical Fiscal Policy

Credit Constraints andIndustry Growth raquo BIS

Working Paper

LLE MULE MULTIPLITIPLICCAATEURTEURDES DEacutePENSES PUBLIQUESDES DEacutePENSES PUBLIQUESLe multiplicLe multiplicatateur des deacutepenses publiqueseur des deacutepenses publiques

se deacutefinit cse deacutefinit comme lomme le monte montant de crant de creacuteationeacuteation

de richesde richesse que vse que va pra produiroduire une unite une uniteacute deeacute de

deacutepense publique Si ldeacutepense publique Si le multiplice multiplicatateur veur vautaut

deux par edeux par exxemplemple ce cela signifie que lela signifie que lororsquesque

llrsquoEacutetrsquoEacutetat deacutepense un eurat deacutepense un euro co cettette deacutepense cre deacutepense creacuteeeacutee

deux eurdeux euros de richesos de richesse dans lse dans lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

(et(et donc invdonc inverersement ssement srsquoil rrsquoil reacuteduit sa deacutepenseeacuteduit sa deacutepense

drsquoun eurdrsquoun euro ilo il deacutetruit deux eurdeacutetruit deux euros de richesos de richesse)se)

Cela sCela srsquoersquoexplique par lxplique par le fe fait que la deacutepenseait que la deacutepense

publique augmentpublique augmente la demande gle la demande globalobale quie qui

sstimultimule la pre la production et amegravene loduction et amegravene les entres entrepriseseprises

agrave disagrave distribuer des salairtribuer des salaires ces ce qui en re qui en retetourour

ccontribue agrave acontribue agrave accrcroicirctroicirctre la demande ete la demande etcc

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 44

publiques eacuteleveacutees peuvent nuire agrave lrsquoeacuteco-nomie par le biais de la concurrence entre lrsquoEacutetat et le secteur priveacute pour les moyens de production (capital et travail) Lrsquoactiviteacute des entreprises est ainsi freineacutee par un moindre accegraves de celles-ci agrave lrsquoeacutepargne et agrave lrsquooffre de travail des agents eacuteconomiques

Lagrave encore il est important de distinguer selon la position de lrsquoeacuteconomie dans le cycle Srsquoil est peu discutable qursquoen peacuteriode de quasi-plein-emploi il existe une reacuteelle concurrence entre secteur priveacute et secteur public cette crainte est assez limiteacutee dans le contexte actuel La France a actuellement un taux de chocircmage de 102 et un coucirct de lrsquoemprunt agrave 10 ans de 18 LrsquoEacutetat franccedilais srsquoendette donc agrave des taux drsquointeacuterecirct reacuteels (taux drsquointeacuterecirct moins inflation) neacutegatifsAutrement dit les investisseurs sont precircts agrave payer pour pouvoir precircter de lrsquoargent agrave lrsquoEacutetat

Toutefois mecircme si en peacuteriode de crisereacuteduire les deacutepenses publiques peut srsquoaveacuterer neacutefaste cela ne veut pas dire que certaines deacutepenses ne sont pas trop eacuteleveacutees Pour reacutepondre de faccedilon preacutecise il faudrait analy-ser en deacutetail lrsquoefficaciteacute de chaque cateacutegorie de deacutepenses publiques Une telle analyse est eacutevidemment hors de porteacutee de cet article On peut neacuteanmoins identifier quelques grands postes ougrave le niveau de deacutepenses est trop eacuteleveacute ou trop faible

Un argent public mal employeacute Des domainesougrave des gains sont possibles

Le millefeuille des collectiviteacutes locales

Lrsquoadministration territoriale est sans doute lrsquoun des postes les plus eacutevidents de deacutepenses trop eacuteleveacutees Le deacuteveloppement des reacutegions nrsquoa pas fait disparaicirctre lrsquoexis-tence des deacutepartements et plus reacutecemmentles intercommunaliteacutes se sont superposeacutees aux communes Par ailleurs si les effectifs des intercommunaliteacutes ont tripleacute depuis

1998 ceux des communes ont continueacute agrave croicirctre sur la mecircme peacuteriode Les collectiviteacutes locales ont connu en dix ans un transfert de compeacutetences estimeacute agrave 12 point de PIB mais sur la mecircme peacuteriode les deacutepenses totales ont progresseacute de plus de deux points

Agrave la superposition des eacutechelons administra-tifs srsquoajoute eacutegalement une absence de par-tage clair sur certaines tacircches en raison de la clause de laquo compeacutetence geacuteneacuterale raquo qui per-met aux communes deacutepartements et reacutegions drsquointervenir sur les mecircmes sujets

Une politique du logement inefficace

Les deacutepenses de logement ont atteint 45 mil-liards drsquoeuros en 2011 Cette progression srsquoexplique par le souhait drsquoaider des meacutenages en difficulteacute face agrave la hausse tregraves forte du prix de lrsquoimmobilier depuis vingt ans (les prix de lrsquoimmobilier ont eacuteteacute multiplieacutes en moyenne par 25 depuis la fin des anneacutees 1990) Mais ces deacutepenses prennent essentiel-lement la forme de subventions agrave lrsquoachat ou agrave la location ce qui comme le notent Tran-noy et Wasmer (2013)5 est contreproductif en effet elles conduisent essentiellement agrave une augmentation des prix en raison drsquoune offre contrainte Elles beacuteneacuteficient donc en grande partie aux proprieacutetaires qui vendent ou louent leur logement Dans le cas speacuteci-fique des aides pour le logement (APL) les travaux de Gabrielle Fack (2005)6 concluent que chaque euro drsquoaide directe suppleacutemen-taire se traduit par une hausse de pregraves de 08 centime du loyer

Santeacute le diable est dans les deacutetailshellip

Les deacutepenses de santeacute en France repreacutesen-tent 12 du PIB dont 9 sont des deacutepenses publiques ce qui fait de la France une des nations les plus deacutepensiegraveres dans ce domaine Dans lrsquoabsolu des deacutepenses eacutele-veacutees prises en charge essentiellement par le secteur public sont beacuteneacutefiques en termes de croissance eacuteconomique et de reacuteduction des ineacutegaliteacutes drsquoespeacuterance de vie mais en France le rendement de ces deacutepenses est de plus en plus faible7

[5] Trannoy Aet Wasmer E (2013)laquo Comment modeacuterer lesprix de lrsquoimmobilier raquoNote du CAE ndeg 2

[6] Fack G (2005)laquo Pourquoi les meacutenagesagrave bas revenus paient-ilsdes loyers de plus enplus eacuteleveacutes Lrsquoincidencedes aides au logementen France (1973-2002) raquoEacuteconomie et Statistiquendeg 381-382 Paris INSEE

[7] Aghion P et MartinR (2011) laquo Croissanceet politiques de santeacute raquoMimeo

[8] Chandra A GruberJ et McKnight R (2010)laquo Patient Cost-Sharingand HospitalizationOffsets in the Elderly raquoAmerican EconomicReview vol 100 ndeg 1

LES DEacutePENSES PUBLIQUES SONT-ELLES TROP EacuteLEVEacuteES EN FRANCE 45

Plusieurs pistes existent pour accroicirctre lrsquoef-ficaciteacute des deacutepenses publiques de santeacuteCertaines cateacutegories de deacutepenses ont un impact positif important sur lrsquoespeacuterance de vie (infirmiegraveres scanners IRM) tandis que drsquoautres en ont peu voire pas du tout (salaires des meacutedecins speacutecialistes) Par ail-leurs la meacutedecine de ville apparaicirct comme un systegraveme coucircteux apportant peu de beacuteneacute-fices en termes drsquoespeacuterance de vie tandis que les deacutepenses directes laquo sur patient raquo per-mettent de meilleurs reacutesultats

Il faut par ailleurs prendre garde aux baisses de deacutepenses en matiegravere drsquoassurance santeacute qui peuvent se traduire agrave long terme par une hausse des coucircts En effet un accroissement des coucircts non rembourseacutes peut conduire les patients agrave retarder les visites chez le meacutede-cin et agrave renoncer agrave certains meacutedicamentsCe choix srsquoil permet des eacuteconomies sur le moment peut deacutegrader la santeacute du maladeconduisant agrave une augmentation agrave moyen terme des hospitalisations dont le coucirct est beaucoup plus eacuteleveacute En analysant une reacuteforme mise en place en 2002 en CalifornieChandra Gruber and McKnight (2010)8 arri-vent agrave la conclusion que chaque dollar drsquoeacuteco-nomie sur les remboursements se traduit en reacutealiteacute par une eacuteconomie reacuteelle de 05 dollar en moyenne (en raison de la hausse des hos-pitalisations) et que le coucirct augmente mecircme dans le cas des patients atteints de maladie chronique

Des postes budgeacutetairesavec des dotations insuffisantes

Un sous-investissementdans lrsquoeacuteducation de la petite enfanceLa deacutepense totale dans lrsquoeacuteducation en France en proportion du PIB est parfaitement eacutegale agrave la moyenne des pays lrsquoOCDE (63 en 2009) notamment en raison drsquoune diminu-tion de 10 depuis 1997 Mais cette deacutepense totale masque des dispariteacutes importantesEn effet la France consacre 5 de moins que la moyenne de lrsquoOCDE agrave la maternelle et 15 de moins agrave lrsquoeacutecole primaire (Cour

des Comptes 2010)9 Or de tregraves nombreux travaux montrent que cette peacuteriode est cru-ciale notamment pour reacuteduire les ineacutegaliteacutes sociales et faciliter par la suite lrsquoaccumu-lation de capital humain Les travaux de Heckman et al (2010)10 concluent ainsi agrave un rendement de 7 agrave 10 par an pour chaque dollar investi dans la petite enfance Ces gains supeacuterieurs au rendement moyen du marcheacute financier depuis 1945 srsquoexpliquent par une hausse des chances drsquoobtenir un emploi reacutemuneacuterateur par la baisse des risques de chocircmage et de la criminaliteacute pour les personnes ayant beacuteneacuteficieacute de cet investissement

Par ailleurs les deacutepenses de professeurs sont eacutegalement faibles au regard des com-paraisons internationales Comme lrsquoindique une note du Conseil drsquoanalyse strateacutegique (CAS 2011)11 la France a le taux drsquoencadre-ment (nombre drsquoeacutelegraveve moyen par enseignant) le plus faible de lrsquoOCDE Or plusieurs tra-vaux sur donneacutees franccedilaises montrent que la taille des classes a un effet important sur lrsquoameacutelioration des performances sco-laires pour les enfants de milieu deacutefavo-riseacute Piketty et Valdemaire (2004)12 concluent que lrsquoon pourrait reacuteduire les eacutecarts en CE2 drsquoenviron 46 si lrsquoon reacuteduisait la taille des classes de cinq eacutelegraveves dans les ZEP

Deacutepenses pour lrsquoemploiet indemnisation du chocircmageLes deacutepenses publiques pour lrsquoemploi repreacute-sentaient en 2010 47 du PIB soit 91 mil-liards drsquoeuros en hausse de 10 milliards depuis 2008 Si cette hausse srsquoexplique pour lrsquoessentiel par lrsquoaugmentation des deacutepenses drsquoindemnisation du chocircmage cela nrsquoim-plique pas que la deacutepense soit eacuteleveacutee au regard des comparaisons internationalesEn effet les deacutepenses moyennes en faveur des chocircmeurs (crsquoest-agrave-dire rameneacutees au taux de chocircmage) sont en France plus faibles que la majoriteacute des pays europeacuteens (jusqursquoagrave deux fois moins qursquoau Pays-Bas pays le plus geacuteneacutereux) et drsquoapregraves la Cour des Comptes (2013)13 la France a fait moins drsquoefforts que

[9] Cour des Comptes(2010) laquo LrsquoEacuteducation

nationale face agrave lrsquoobjectifde la reacuteussite des

eacutelegraveves raquo

[10] Heckman J MoonS H Pinto R Savelyev

P et Yavitz A (2010)laquo The Rate of Return

of the Highscope PerryPreschool Program raquo

Journal of PublicEconomics vol 94 ndeg 1-2

[11] CAS (2011)laquo Tendances de lrsquoemploi

public raquo feacutevrier

[12] Piketty T etValdemaire M (2004)laquo Lrsquoimpact de la taille

des classes et de laseacutegreacutegation sociale sur

la reacuteussite scolaire dansles eacutecoles franccedilaises

une estimation agrave partirdu panel primaire

1997 raquo Document detravail EHESS

[13] Cour des comptes(2013) laquo Le marcheacute

du travail face agrave unchocircmage eacuteleveacute mieuxcibler les politiques raquo

janvier

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 46

les autres pays de lrsquoOCDE pour indemniser ses chocircmeurs durant la crise Lrsquoessentiel des deacutepenses vient en fait des aides agrave lrsquoemploi pour les entreprises (41 milliards drsquoeuro en 2010) dont la moitieacute provient des exoneacutera-tions de cotisations sociales sur les bas salaires crsquoest-agrave-dire allant jusqursquoagrave 16 fois le SMIC

Lrsquoefficaciteacute de cette mesure fait deacutebat siles eacutetudes de Creacutepon et Desplatz (2001)14 et

de Bunel et al (2012)15 concluent agrave un effetpositif de 460 000 agrave 500 000 emplois les tra-vaux de Sterdyniak (2002)16 insistent sur lefait que cette mesure geacutenegravere un simple trans-fert drsquoemplois (des entreprises ne beacuteneacuteficiantde cette deacuteduction vers celles en beacuteneacuteficiant)mais nrsquoa pas creacuteeacute de gain net drsquoemploi

[14] Creacutepon B et DesplatzR (2001) laquo Eacutevaluationdes effets des dispositifsdrsquoallegravegements decharges sociales sur lesbas salaires raquo Documentde travail DGSE ndeg G200110 INSEE

[15] Bunel M EmondC et LrsquoHorty Y (2012)laquo Eacutevaluer les reacuteformesdes exoneacuterationsgeacuteneacuterales de cotisationssociales raquo Revue delrsquoOFCE ndeg 126

[16] Sterdyniak H (2002)laquo Une arme miracleconte le chocircmage raquoRevue de lrsquoOFCE ndeg 81

KRUGMAN P (2008) LrsquoAmeacuterique que nous voulons Paris Flammarion

LES EacuteCONOCLASTES (2004) Petit breacuteviaire des ideacuteesreccedilues en eacuteconomie ParisLa Deacutecouverte

STIGLITZ J (2012) Le prix delrsquoineacutegaliteacute Paris Les liens quilibegraverent

POUR EN SAVOIR PLUS

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 47

ANTOINE BOZIO

Directeur de lrsquoInstitut des politiques publiques (IPP)

Chercheur associeacute agrave lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris

Les contraintes budgeacutetaires actuelles donnent une importance cruciale agrave la question de lrsquoefficaciteacute de la deacutepense publique et donc agrave celle de lrsquoeacutevaluation de lrsquoimpact des politiques Jusqursquoagrave une peacuteriode reacutecente lrsquoeacutevaluation de lrsquoaction publique meneacutee par les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat consistait surtout agrave controcircler que chaque dispositif avait bien eacuteteacute mis en œuvre selon un processus conforme au cahier des charges Lrsquoapproche des eacuteconomistes qui gagne du terrain aujourdrsquohui a plutocirct pour objectif de veacuterifier si une politique publique remplit bien la mission pour laquelle elle a eacuteteacute eacutelaboreacutee au regard des coucircts qursquoelle induit pour la collectiviteacute Lrsquoimpact est eacutevalueacute agrave la fois ex ante ndash par des simulations de la politique ndash et ex post ndash par des meacutethodes statistiques drsquoeacutevaluation ndash Toutefois nous explique Antoine Bozio la reacuteussite laquo technique raquo drsquoune eacutevaluation est insuffisante Pour guider de faccedilon efficace lrsquoaction publique encore faut-il qursquoune communication de qualiteacute et un rapport de confiance srsquoeacuteta-blissent entre les eacutevaluateurs les deacutecideurs et les citoyens

Problegravemes eacuteconomiques

Comment eacutevaluer les politiques publiques

Au vu des fortes contraintes budgeacutetairesdans lesquelles srsquoinscrit aujourdrsquohui lrsquoac-tion publique connaicirctre lrsquoimpact des poli-tiques mises en œuvre semble une eacutevidenceComment sinon ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute de ladeacutepense publique

Si la deacutemarche drsquoeacutevaluation a eacuteteacute pendantlongtemps neacutegligeacutee crsquoest avant tout parceque lrsquoeffet des diffeacuterentes politiques semblaiteacutevident les politiques drsquoemploi ameacuteliorentlrsquoemploi les politiques du logement ameacute-liorent lrsquoaccegraves au logement etc Or les moda-liteacutes de lrsquointervention publique sont rarement

eacutevidentes les objectifs poursuivis entrentparfois en conflit les uns avec les autres ilexiste la plupart du temps plusieurs poli-tiques envisageables pour atteindre un mecircmeobjectif enfin les meacutecanismes eacuteconomiquessur lesquels les politiques publiques essaientdrsquointervenir sont complexes souvent encoremal compris

La neacutecessiteacute de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques apparaicirct alors beaucoup plus net-tement lrsquoobjectif est de permettre la compreacute-hension des meacutecanismes sur lesquels lrsquoactionpublique cherche agrave peser et drsquoidentifier lesinterventions les plus efficaces au vu desobjectifs souhaiteacutes La deacutemarche doit pouvoirau final eacuteclairer le deacutebat public sur les prin-cipaux arbitrages en jeu et ainsi faciliter leschoix deacutemocratiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 48

Apregraves avoir deacutefini ce qursquoon entend par laquo eacuteva-luation raquo nous preacutesenterons les diffeacuterentesmeacutethodes drsquoeacutevaluation avant de dresser unrapide panorama de la pratique actuelle delrsquoeacutevaluation en France Nous discuteronsenfin les modaliteacutes institutionnelles pour quelrsquoeacutevaluation soit une reacuteussite deacutemocratiqueet pas simplement une reacuteussite technique

Qursquoest-ce que lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques Le mot laquo eacutevaluation raquo est un mot-valise quiest utiliseacute pour deacutecrire des approches fon-ciegraverement diffeacuterentes On peut lrsquoentendrecomme lrsquoeacutevaluation individuelle (eacutevaluationdrsquoun devoir scolaire eacutevaluation du travailde salarieacutes etc) ou lrsquoeacutevaluation drsquoune entre-prise par les consommateurs (questionnairesde satisfactions) Dans le domaine des poli-tiques publiques le terme est le plus souventemployeacute pour deacutecrire du controcircle de gestionou une analyse du management public lesrapports des corps drsquoinspection cherchentainsi agrave veacuterifier que la deacutepense publique a eacuteteacuteengageacutee efficacement et en respectant desregravegles de bon fonctionnement Il srsquoagit essen-tiellement drsquoune eacutevaluation du processusde mise en place des politiques publiques veacuterifier que la mise en œuvre pratique drsquoundispositif correspond bien au cahier descharges deacutefini par ses concepteurs que lesbeacuteneacuteficiaires potentiels ont eacuteteacute informeacutes queles agents chargeacutes de la mettre en œuvre ontreccedilu la formation adeacutequate etc Pour prendreun exemple on peut ainsi mesurer le nombrede fonctionnaires neacutecessaires pour traiter uncertain nombre de dossiers du revenu de soli-dariteacute active (RSA) et eacutetudier quelle organi-sation du travail ou quels moyens mateacuterielspermettrait drsquoameacuteliorer la mise en place decette politique Dans le mecircme ordre drsquoideacuteeson pourrait eacutetudier si les beacuteneacuteficiaires dela politique viseacutee sont bien toucheacutes (parexemple si la population qui doit beacuteneacuteficierdu RSA reccediloit bien lrsquoallocation) mesurer leurnombre voire reacutecolter leur sentiment sur leur

interaction avec lrsquoadministration autour dece dispositif

Toutes ces deacutemarches sont certainementneacutecessaires mais elles sont bien diffeacuterentesde ce que les universitaires appellent lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques crsquoest-agrave-direlrsquoeacutevaluation drsquoimpact Lrsquoobjet est alors demesurer lrsquoimpact drsquoune politique ou drsquoun dis-positif sur de multiples critegraveres au vu desobjectifs qui lui ont eacuteteacute assigneacutes

Au sein de lrsquoeacutevaluation drsquoimpact on distinguelrsquoeacutevaluation ex ante de lrsquoeacutevaluation ex post La premiegravere est reacutealiseacutee avant lrsquointroduc-tion de la politique et consiste agrave analyser seseffets potentiels la seconde vise agrave mesurerson impact reacuteel apregraves son entreacutee en vigueurDans les deux cas lrsquoefficaciteacute de la politiqueeacutetudieacutee est mesureacutee en comparant ses coucirctset ses beacuteneacutefices (pas forceacutement uniquementfinanciers) Par exemple dans le cas de lrsquoeacuteva-luation du RSA lrsquoobjectif afficheacute eacutetait de favo-riser le retour agrave lrsquoemploi des beacuteneacuteficiaires Laquestion drsquoeacutevaluation est alors de savoir si leRSA a conduit de faccedilon causale agrave une haussedu retour agrave lrsquoemploi Ou dit autrement laquestion est de savoir ce qui se serait passeacutesi le RSA nrsquoavait pas eacuteteacute mis en place pourles beacuteneacuteficiaires mais aussi pour le restede la population Reacutepondre agrave cette questionest loin drsquoecirctre facile et crsquoest pour cela queles eacuteconomistes mobilisent une batterie detechniques

Les techniques de lrsquoeacutevaluationLrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex ante

Le point de deacutepart de toute eacutevaluation exante consiste agrave identifier la population cibleacuteepar la politique en question Pour y parveniron utilise geacuteneacuteralement des modegraveles dits delaquo micro-simulation raquo Cette forme drsquoeacutevalua-tion repose sur une repreacutesentation plus oumoins simplifieacutee de lrsquounivers eacuteconomiqueau sein duquel eacutevoluent les agents qui estutiliseacutee pour simuler agrave partir drsquoun eacutechan-tillon repreacutesentatif des agents eacuteconomiques

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 49

concerneacutes (individus meacutenages entreprisesetc) lrsquoeffet de la politique publique envisageacuteePar exemple si lrsquoon souhaite eacutevaluer lrsquoimpactdrsquoune reacuteforme des retraites consistant en uneaugmentation de la dureacutee requise de cotisa-tion (ou drsquoun autre paramegravetre du systegraveme) ilest indispensable drsquoavoir recours agrave ce typede simulation En raison de la complexiteacute dusystegraveme et des donneacutees sous-jacentes (dis-tribution des carriegraveres des individus) il estsouvent impossible mecircme agrave des experts depreacutedire quel sera lrsquoeffet drsquoune modificationdes baregravemes de retraite (qui va ecirctre toucheacutequel effet sur lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire) sansavoir recours agrave une simulation deacutetailleacutee de lareacuteforme

Le modegravele de micro-simulation speacutecifieplusieurs sceacutenarios sans reacuteforme (en fonc-tion des conditions macro-eacuteconomiques oudeacutemographiques) puis simule la leacutegislationactuelle du systegraveme de retraite Cela permeten premiegravere instance de donner des indica-tions sur les deacuteseacutequilibres budgeacutetaires oule niveau des pensions agrave plus ou moins longterme Il est ensuite possible de simuler unereacuteforme et de mesurer qui va ecirctre toucheacute(au niveau individuel) et quels en seront lesconseacutequences budgeacutetaires

Pour rendre lrsquoexercice de micro-simulationplus reacutealiste il est neacutecessaire de prendreen compte lrsquoeffet de la mesure eacutevalueacutee surles comportements des individus Cela sup-pose de pouvoir laquo calibrer raquo les reacuteactions desagents agrave partir drsquoestimations empiriques desprincipaux paramegravetres du modegravele ndash dansnotre exemple il srsquoagit des comportements dedeacutepart en retraite La modeacutelisation des com-portements dans ces modegraveles peut deacutecoulerde regravegles simples ou drsquoestimations qui sontle plus souvent fournies par des eacutetudes empi-riques ex post reacutealiseacutees anteacuterieurement

Lrsquoeacutevaluation drsquoimpact ex post

Le problegraveme fondamental de lrsquoeacutevaluationdrsquoimpact ex post est qursquoon nrsquoobserve jamaisun monde avec la politique en place et lemecircme monde (au mecircme moment) sans la

politique Toutes les techniques de lrsquoeacutevalua-tion consistent alors agrave construire statisti-quement un contrefactuel crsquoest-agrave-dire unsceacutenario aussi proche que possible de ce quise serait passeacute si la politique eacutetudieacutee nrsquoavaitpas eacuteteacute mise en place Toutes les meacutethodespreacutesenteacutees ci-dessous visent agrave eacutelaborer cecontrefactuel afin de le comparer agrave ce qursquoilest possible drsquoobserver quand le dispositifeacutevalueacute a eacuteteacute effectivement appliqueacute

La premiegravere technique agrave preacutesenter est lrsquoexpeacute-rience aleacuteatoire Elle est directement ins-pireacutee des meacutethodes meacutedicales pour eacutevaluerlrsquoeffet drsquoun traitement parmi les potentielsbeacuteneacuteficiaires drsquoune politique on tire au sortqui recevra la politique (le groupe traiteacute)et qui nrsquoen beacuteneacuteficiera pas (le groupe decontrocircle) En mesurant dans les deux groupesles critegraveres drsquointeacuterecirct ndash qui doivent corres-pondre agrave un objectif de la politique ndash et en fai-sant la diffeacuterence entre les deux groupes onobtient une mesure causale de lrsquoeffet du dis-positif ainsi expeacuterimenteacute Cette meacutethode laplus robuste en termes de protocole a neacutean-moins certaines limites on mesure preacuteciseacute-ment un effet de la politique dans le contexteet dans le pays ougrave lrsquoexpeacuterience a eacuteteacute meneacuteePour geacuteneacuteraliser la validiteacute des reacutesultats ilfaut expeacuterimenter agrave nouveau dans un autrecontexte Par ailleurs comme pour les expeacuteri-mentations meacutedicales cette meacutethode neacuteces-site lrsquoacceptation des participants et uneproceacutedure eacutethique stricte de la part des eacuteva-luateurs De faccedilon naturelle cette approcheest plus approprieacutee agrave lrsquoeacutevaluation de disposi-tifs restreints limiteacutes localement souvent enphase exploratoire

Un deuxiegraveme groupe de techniques consisteagrave reproduire statistiquement une expeacuteriencealeacuteatoire mecircme si elle nrsquoa pas eacuteteacute mise enplace avec lrsquointroduction de la politique Onappelle ces techniques expeacuteriences natu-relles car ce sont des expeacuteriences que leschercheurs trouvent laquo dans la nature raquo Sou-vent quand une politique est mise en œuvreelle se restreint agrave un groupe de beacuteneacuteficiairespour des raisons administratives Ces regravegles

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 50

creacuteent naturellement des groupes de controcirclecrsquoest-agrave-dire des populations dont les carac-teacuteristiques sont tregraves proches de la popula-tion cible mais qui ne beacuteneacuteficient pas de lapolitique Par exemple un dispositif qui viseagrave favoriser lrsquoemploi des jeunes nrsquoest ouvertqursquoaux 18-25 ans on pourra comparer lesjeunes de 26 ans moins un mois et ceux de26 ans et un mois Ils sont certainement tregravesproches en termes drsquoaccegraves au marcheacute du tra-vail drsquoexpeacuterience mais les uns auront beacuteneacutefi-cieacute de la politique drsquoemploi et les autres non

Analyse coucirct-beacuteneacutefice

Il ne suffit pas de mesurer lrsquoimpact drsquounepolitique publique pour eacutevaluer son effi-caciteacute En effet une politique ne peut ecirctreconsideacutereacutee comme efficace que si ses beacuteneacute-fices lrsquoemportent sur ses coucircts Lrsquoanalysecoucirct-beacuteneacutefice consiste agrave attribuer une valeurmoneacutetaire agrave ces deux composantes afin decalculer la valeur nette totale de la poli-tique consideacutereacutee Ce type drsquoanalyse est sou-vent utiliseacute comme outil de deacutecision ex antemais peut eacutegalement servir comme cadredrsquoanalyse pour lrsquoeacutevaluation ex post La valeuractualiseacutee1 des beacuteneacutefices nets drsquoune politiquepublique est plus complexe agrave calculer que lavaleur actualiseacutee drsquoun investissement priveacuteEn effet alors que les deacutecisions drsquoinvestisse-ments peuvent ecirctre prises en consideacuterant lecoucirct de marcheacute des facteurs de production etla rentabiliteacute preacutevisible drsquoun investissementlrsquoeacutevaluation des coucircts et des beacuteneacutefices drsquounepolitique publique peut rarement srsquoappuyersur des prix de marcheacute Dans certains cas cesprix existent mais ne reflegravetent pas les coucircts etles beacuteneacutefices sociaux parce qursquoils ne prennentpas en compte drsquoeacuteventuelles externaliteacutessont contamineacutes par des asymeacutetries drsquoin-formations ou sont reacuteguleacutes par lrsquoEacutetat Dansdrsquoautres cas ces prix nrsquoexistent tout simple-ment pas le coucirct social des dommages envi-ronnementaux causeacutes par la pollution est parexemple difficile agrave eacutevaluer en lrsquoabsence drsquounmarcheacute mesurant la valeur drsquoun environne-ment preacuteserveacute Malgreacute ces limites la quanti-fication moneacutetaire des beacuteneacutefices et des gains

des politiques publiques est un exerciceindispensable lorsqursquoon souhaite comparerles meacuterites respectifs de plusieurs interven-tions possibles

Les acteurs de lrsquoeacutevaluationdes politiques publiques en FranceEn France la multipliciteacute des acteurs de lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques contrastesinguliegraverement avec le faible nombre drsquoeacuteva-luations effectivement reacutealiseacutees

Le Parlement

Le Parlement est la premiegravere institution char-geacutee de lrsquoeacutevaluation des politiques publiquesdrsquoapregraves lrsquoarticle 24 de la ConstitutionJusqursquoagrave preacutesent son rocircle a eacuteteacute de ce pointde vue tregraves limiteacute Un Comiteacute drsquoeacutevaluation etde controcircle des politiques publiques (CEC) acertes eacuteteacute creacuteeacute depuis juin 2009 afin de meneragrave bien des missions drsquoeacutevaluation mais ilfaut bien reconnaicirctre que la fonction drsquoeacuteva-luateur du Parlement reste aujourdrsquohui tregravesembryonnaire

La Cour des comptes

La Cour des comptes est aussi chargeacutee offi-ciellement de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques drsquoapregraves lrsquoarticle 47-2 de la Consti-tution Agrave lrsquoorigine cette juridiction de lrsquoordreadministratif avait pour mission principalede controcircler les comptes des administrationspubliques et de certifier les comptes de lrsquoEacutetatLrsquoeacutevaluation a eacuteteacute reacutecemment ajouteacutee agrave sesmissions premiegraveres et la Cour des comptesest aujourdrsquohui en pointe dans la publicationde rapports drsquoeacutevaluation des diffeacuterentes poli-tiques publiques La force de la Cour est sonindeacutependance et sa capaciteacute agrave bousculer lepouvoir politique et les administrations avecdes publications qui animent le deacutebat publicSa faiblesse est qursquoelle privileacutegie souvent uneapproche juridique ou comptable de lrsquoeacutevalua-tion finalement assez eacuteloigneacutee des meacutethodesdrsquoeacutevaluation drsquoimpact preacutesenteacutees plus haut

[1] La valeur actualiseacuteedes beacuteneacuteficescomptabilise lrsquoensembledes beacuteneacutefices au coursdu temps en tenantcompte du momentauxquels ils sontperccedilus En raisondrsquoune laquo preacutefeacuterencepour le preacutesent raquo(ou conformeacutementagrave la logique selonlaquelle laquo le tempscrsquoest de lrsquoargent raquo) leseacuteconomistes accordentune valeur plus grandeagrave une somme perccedilueaujourdrsquohui (qui peutecirctre placeacutee) qursquoagrave unemecircme somme perccediluedans un an

COMMENT EacuteVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES 51

Les grands corpsdrsquoinspection de lrsquoEacutetat

Les grands corps drsquoinspection de lrsquoEacutetat (Ins-pection geacuteneacuterale des Finances Inspectiongeacuteneacuterale des Affaires sociales lrsquoInspectiongeacuteneacuterale de lrsquoAdministration) ont aussi offi-ciellement une mission drsquoeacutevaluation despolitiques publiques Ils ont eacuteteacute solliciteacutesprincipalement dans le cadre de la Reacutevisiongeacuteneacuterale des politiques publiques (RGPP) etaujourdrsquohui avec la Modernisation de lrsquoac-tion publique (MAP) Ces rapports drsquoeacutevalua-tion srsquoapparentent avant tout agrave lrsquoeacutevaluationde processus ou au controcircle de gestion desadministrations Lrsquoobjectif est drsquoameacuteliorer lamise en place de lrsquoaction publique dans desdeacutelais rapides et par conseacutequent les eacutevalua-tions drsquoimpact y sont quasi absentes

La statistique publique

La statistique publique qui rassemble lrsquoIN-SEE et les services statistiques ministeacuteriels(SSM) joue un rocircle-cleacute dans lrsquoeacutevaluation agravedeux eacutegards Drsquoabord ces diffeacuterents ser-vices sont chargeacutes de collecter et de mettreen forme les donneacutees statistiques documen-tant les diffeacuterentes politiques publiquesCes donneacutees drsquoenquecircte ou de sources admi-nistratives sont cruciales pour deacutecrire lespolitiques effectivement mises en place maisaussi pour permettre des eacutevaluations dont laqualiteacute deacutependra en grande partie de la dis-ponibiliteacute des donneacutees Ensuite les servicesde recherche de ces administrations notam-ment agrave lrsquoINSEE contribuent directement agravela reacutealisation drsquoeacutevaluations drsquoimpact et agrave laconstitution drsquoun corpus de connaissance surles politiques publiques

Les universitaires

Enfin il ne faudrait pas oublier dans cerapide panorama les universitaires quicontribuent directement par leurs travauxagrave la reacutealisation drsquoeacutetudes drsquoimpact agrave lrsquoameacute-lioration des techniques drsquoeacutevaluation et agrave lareacuteflexion plus geacuteneacuterale sur lrsquoarchitecture etla conception des politiques publiques Ces

derniegraveres anneacutees plusieurs laboratoires oudeacutepartements deacutedieacutes explicitement agrave lrsquoeacuteva-luation des politiques publiques ont eacutemergeacuteau sein du monde universitaire On peutciter ainsi J-PAL speacutecialiseacute dans lrsquoexpeacuteri-mentation aleacuteatoire lrsquoInstitut des politiquespubliques (IPP) qui rassemble des chercheursde lrsquoEacutecole drsquoeacuteconomie de Paris et du CRESTlrsquoInstitut drsquoeacuteconomie publique (IDEP) agrave Aix-Marseille et le Laboratoire interdisciplinairedrsquoeacutevaluation des politiques publiques (LIEPP)agrave Sciences-Po Paris

Comment favoriserune deacutemocratie de lrsquoeacutevaluation Aussi reacuteussie soit-elle sur le plan techniquelrsquoeacutevaluation des politiques publiques ne peutorienter utilement lrsquoaction publique que sielle srsquoinscrit dans un cadre institutionnelqui facilite la communication des reacutesultatsde lrsquoeacutevaluation aux deacutecideurs publics et auxcitoyens

On peut distinguer deux grandes approchesinstitutionnelles de lrsquoeacutevaluation des poli-tiques publiques La premiegravere conccediloit lrsquoeacuteva-luation comme une expertise laquo au service duPrince raquo destineacutee agrave aider agrave la prise de deacuteci-sion publique face agrave la complexiteacute du mondeeacuteconomique Lrsquoeacutevaluation est alors reacutealiseacuteeprioritairement par lrsquoadministration ou pardes conseils drsquoexperts directement ratta-cheacutes au gouvernement La seconde approcheconccediloit lrsquoeacutevaluation comme une composanteessentielle du processus deacutemocratique lrsquoex-pertise se destine alors drsquoabord aux citoyensou agrave leurs repreacutesentants les parlementaireset vise agrave faciliter le deacutebat public en clarifiantles principaux arbitrages en jeu

Le premier modegravele est assez bien repreacutesenteacutepar la France ougrave lrsquoEacutetat et les administrationspubliques jouent un rocircle preacutepondeacuterant dansles instances drsquoeacutevaluation et peuvent srsquoap-puyer sur une statistique publique de grandequaliteacute Les Eacutetats-Unis se rattachent davan-tage au second modegravele dans la mesure ougrave unegrande partie de lrsquoeacutevaluation des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 52

publiques est reacutealiseacutee par une institution par-lementaire le Congressional Budget Office(CBO) qui a un accegraves direct aux informa-tions de lrsquoadministration et publie des ana-lyses deacuteterminantes pour le vote du budgetLe cas britannique offre aussi un exemple dusecond modegravele avec une place forte de lrsquoex-pertise issue du monde universitaire Des ins-tituts de recherche indeacutependants comme parexemple lrsquoInstitute for Fiscal Studies (IFS)jouent ainsi un rocircle primordial au Royaume-Uni non seulement dans lrsquoeacutevaluation despolitiques publiques dans les deacutebats budgeacute-taires mais aussi dans la communication augrand public de lrsquoeacutetat des connaissances surles diffeacuterentes options de politique publiqueDans le mecircme esprit le Centraal Planbureauaux Pays-Bas une institution publique joueun rocircle tregraves important dans le deacutebat public enanalysant les propositions des plateformespolitiques avant les eacutelections et en proposantune analyse des choix budgeacutetaires reacutealiseacute parle gouvernement

Au-delagrave de la diversiteacute des approches le cadreinstitutionnel de lrsquoeacutevaluation des politiquespubliques doit srsquoefforcer de conjuguer troisexigences lrsquoindeacutependance des instancesdrsquoeacutevaluation la multiplication des contacts

avec le monde universitaire et le souci de lapeacutedagogie Lrsquoindeacutependance est la cleacute qui per-met de garantir la creacutedibiliteacute de lrsquoeacutevaluation il est indispensable que les reacutesultats de lrsquoeacuteva-luation ne puissent ecirctre controcircleacutes par ceuxqui mettent en place la politique Les contactsavec le monde universitaire en particulieravec la deacutemarche drsquoeacutevaluation des publica-tions par la communauteacute scientifique reacuteduitle risque drsquoeacutevaluation de complaisance Ilsassurent eacutegalement que les techniques lesplus reacutecentes et les meacutethodologies les plusrobustes seront employeacutees Enfin le souci dela peacutedagogie et la communication au grandpublic des reacutesultats de lrsquoeacutevaluation sontessentiels pour la reacuteussite de cette deacutemarche

Contrairement agrave certaines ideacutees reccedilueslrsquoeacutevaluation nrsquoest pas un processus visant agraveremplacer la deacutecision deacutemocratique par ungouvernement drsquoexperts Crsquoest au contraireune deacutemarche visant agrave faire vivre la deacutemo-cratie dans un monde complexe ougrave lescitoyens doivent pouvoir beacuteneacuteficier drsquoinfor-mations les plus justes possibles sur les poli-tiques publiques sur lesquelles ils doivent seprononcer

BOZIO A et GRENET J (2010) Eacuteconomie des politiquespubliques Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

CONSEIL DrsquoANALYSEEacuteCONOMIQUE (2013) laquo Eacutevaluation des politiquespubliques raquo Note ndeg 1 feacutevrier

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES53

La crise a placeacute les Eacutetats notamment ceux de la zone euro devant un dilemme de politique budgeacutetaire Tandis que la conjoncture eacuteconomique deacutegradeacutee incite agrave la mise en œuvre de politiques de soutien agrave lrsquoactiviteacute la forte hausse de lrsquoendettement public dans un contexte de deacutependance eacutetroite des Eacutetats vis-agrave-vis des marcheacutes financiers les pousse au contraire agrave pra-tiquer des politiques de rigueurGilbert Koenig rappelle les fondements theacuteoriques des politiques budgeacutetaires et leurs eacutevolu-tions avant drsquoanalyser plus preacuteciseacutement les enjeux actuels

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques budgeacutetaires agrave lrsquoheure de la consolidation des finances publiques

La reacutecession de 2009 a permis un renouveau dela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire commemoyen drsquoassurer la stabilisation eacuteconomiquelrsquoune des trois fonctions attribueacutees par RMusgrave (1959) agrave lrsquoEacutetat Cette renaissancefait suite agrave une peacuteriode de grande meacutefianceenvers ce type de politique du fait de la pertedrsquoefficaciteacute des politiques drsquoinspiration key-neacutesienne dans les anneacutees 1970 Le revirementlibeacuteral srsquoest appuyeacute sur un renouvellementtheacuteorique fortement ancreacute dans les concep-tions preacute-keyneacutesiennes Dans cette optiquela politique budgeacutetaire discreacutetionnaire estinefficace Seuls les stabilisateurs budgeacutetairesautomatiques (cf zoom) peuvent amortir les

chocs conjoncturels Lrsquoessentiel de la politiqueconjoncturelle est du ressort de lrsquoaction moneacute-taire qui doit controcircler lrsquoinflation Le renouvel-lement de lrsquoanalyse keyneacutesienne dans un cadreplus satisfaisant que les modegraveles agreacutegeacutesanciens et les mises en cause empiriques desreacutesultats de lrsquoanalyse preacuteceacutedente ont conduitagrave reacutehabiliter la politique budgeacutetaire discreacute-tionnaire La crise eacuteconomique qui a frappeacute laplupart des pays industrialiseacutes en 2008-2009en a imposeacute la neacutecessiteacute Mais la deacuteteacuteriora-tion des finances publiques conseacutecutive auxexpansions budgeacutetaires a susciteacute la deacutefiancedes opeacuterateurs des marcheacutes financiers enversles eacuteconomies dont le financement publicdeacutepend drsquoune faccedilon importante des marcheacutesinternationaux De ce fait un arbitrage srsquoim-pose agrave ces pays entre des mesures budgeacutetairesrestrictives destineacutees agrave assainir les financespubliques et une politique de stimulation dela croissance et de lrsquoemploi

GILBERT KOENIG

Professeur de sciences eacuteconomiques Universiteacute de Strasbourg BETA

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 54

La politique budgeacutetaire commeinstrument principal de stabilisationLrsquoefficaciteacute attribueacutee agrave la politique budgeacute-taire apregraves 1945 se fonde sur un modegravele eacuteleacute-mentaire inspireacute des travaux de J M KeynesDrsquoabord limiteacute au cas de prix et salairesrigides ce modegravele est geacuteneacuteraliseacute aux prixflexibles sous lrsquoimpulsion de travaux empi-riques sur la relation entre lrsquoinflation et lechocircmage Il devient ainsi le fondement despolitiques de stop and go meneacutees jusqursquoauxanneacutees 1970 dans la plupart des pays

Le cadre keyneacutesien eacuteleacutementaireUn modegravele simple eacutelaboreacute par J Hicks (1937)et compleacuteteacute par B Hansen (1949) proposede preacutesenter drsquoune faccedilon tregraves simplifieacutee laconception keyneacutesienne drsquoune politiquebudgeacutetaire meneacutee dans une petite eacuteconomiefermeacutee Dans ce cadre caracteacuteriseacute par un chocirc-mage conjoncturel et une rigiditeacute des prixet des salaires nominaux une hausse desdeacutepenses publiques accroicirct la demande glo-bale ce qui stimule la production Lrsquoaugmen-tation du revenu disponible qui en reacutesulteaccroicirct la consommation priveacutee ce qui ren-force lrsquoeffet initial de lrsquoexpansion budgeacutetaireDe plus la demande drsquoinvestissement peutecirctre stimuleacutee selon le principe de lrsquoacceacuteleacutera-teur par la hausse du niveau drsquoactiviteacute afinde maintenir le rapport technique entre lesvolumes du capital et de la production SelonT Haavelmo (1945) une hausse des deacutepensespubliques stimule lrsquoactiviteacute eacuteconomiquemecircme si elle est entiegraverement financeacutee par desimpocircts Lrsquoeffet expansionniste de la politiquebudgeacutetaire peut ecirctre freineacute par la hausse dutaux drsquointeacuterecirct qursquoelle entraicircne mais qui peutecirctre eacutelimineacutee par une politique moneacutetairedrsquoaccompagnement

Cette efficaciteacute peut cependant ecirctre mise encause dans une eacuteconomie ouverte sur lrsquoex-teacuterieur Dans une extension du modegravele deHicks et Hansen Mundell (1963) et Fleming(1962) montrent que cette efficaciteacute deacutependdu reacutegime de changes et du degreacute de mobiliteacute

internationale des capitaux En effet unehausse des deacutepenses publiques induit commedans le cas drsquoune eacuteconomie fermeacutee une aug-mentation de la demande nationale et dutaux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoaccroissement du tauxdrsquointeacuterecirct provoque une entreacutee de capitauxdrsquoautant plus importante que les capitauxsont mobiles Il en reacutesulte une appreacuteciationde la monnaie nationale Dans un reacutegime dechanges fixes la banque centrale doit inter-venir pour maintenir la pariteacute Cela se traduitpar une hausse des reacuteserves de change quigonfle la masse moneacutetaire La baisse du tauxdrsquointeacuterecirct qui en deacutecoule stimule lrsquoinvestisse-ment ce qui renforce lrsquoeffet initial de lrsquoexpan-sion budgeacutetaire En revanche dans un reacutegimede changes flexibles lrsquoappreacuteciation de lamonnaie nrsquoa pas agrave ecirctre corrigeacutee Elle entraicircneune baisse de la demande exteacuterieure qui com-pense partiellement ou totalement lrsquoeffet dela hausse de la demande inteacuterieure sur leniveau drsquoactiviteacute selon le degreacute de mobiliteacutedes capitaux

Lrsquoarbitrage budgeacutetaireentre lrsquoinflation et le chocircmageLrsquoanalyse preacuteceacutedente limiteacutee au cas des prixet des salaires nominaux fixes est eacutetendueaux prix flexibles par lrsquointroduction drsquounerelation inverse entre lrsquoinflation et le chocirc-mage Celle-ci est deacuteduite de lrsquoeacutevolutioninverse entre le taux de chocircmage et la haussedu salaire nominal observeacutee empiriquementpar AW Phillips (1958) en Angleterre de 1861agrave 1957 Cette extension neacutecessite une speacutecifi-cation de la formation des prix et des salairesce qui permet de tenir compte des conditionsde lrsquooffre globale Mais dans lrsquooptique key-neacutesienne le modegravele drsquooffre et de demandeglobales conserve des eacuteleacutements de rigiditeacutecomme lrsquoindexation des salaires sur les prixDans un tel cadre une expansion budgeacutetaireest susceptible drsquoameacuteliorer la situation delrsquoemploi drsquoun pays mais au prix drsquoune infla-tion plus importante De ce fait les autoriteacutesbudgeacutetaires tentent de concilier leur objectifprincipal de haut niveau drsquoemploi avec celuidrsquoune faible inflation

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 55

Les politiques de stop and goSous lrsquoinfluence des ideacutees keyneacutesiennes lapolitique budgeacutetaire est devenue lrsquoinstrumentprincipal de stabilisation dans la plupart despays industrialiseacutes apregraves la seconde guerremondiale jusqursquoaux anneacutees 1970 Ce choixse justifie drsquoautant plus que les accords deBretton Woods avaient instaureacute un systegravememoneacutetaire international fondeacute sur un reacutegimede changes fixes qui assurait une efficaciteacuteforte agrave lrsquoaction budgeacutetaire Mais la neacutecessiteacutedrsquoarbitrer en permanence entre un niveaudrsquoemploi eacuteleveacute et une inflation faible a conduitagrave des politiques de stop and go Celles-ci secaracteacuterisent par des alternances de mesuresexpansives favorables agrave la croissance et agravelrsquoemploi mais sources drsquoinflation et de deacutefi-cit exteacuterieur et de dispositions de freinage delrsquoactiviteacute destineacutees agrave stabiliser lrsquoinflation etagrave corriger le deacuteseacutequilibre exteacuterieur Ces poli-tiques contra-cycliques ont permis de limiterles fluctuations autour de la tendance de longterme de la croissance eacuteconomique

Une des derniegraveres politiques budgeacutetairesdrsquoinspiration keyneacutesienne de cette peacuteriodeest celle meneacutee en France en 1981 Soneacutechec illustre lrsquoimportance de lrsquoincidencede la contrainte exteacuterieure sur la politiqueconjoncturelle En effet ses effets positifsont eacuteteacute contrebalanceacutes par les conseacutequencesneacutegatives des mesures restrictives adopteacutees

agrave cette peacuteriode par la plupart des pays indus-trialiseacutes en relations commerciales et finan-ciegraveres avec la France

La mise en cause de lrsquoefficaciteacutedes politiques budgeacutetairesdiscreacutetionnairesDans les anneacutees 1970 on observe des haussesparallegraveles de lrsquoinflation et du chocircmage ce quimet en cause la pertinence de lrsquoarbitrageentre le chocircmage et lrsquoinflation effectueacute danslrsquooptique keyneacutesienne Cette mise en cause esteacutetayeacutee par les critiques des fondements theacuteo-riques des politiques budgeacutetaires de naturekeyneacutesienne Elle conduit agrave leur rejet dansle cadre de la reacutevolution conservatrice desanneacutees 1980 qui constitue plutocirct une contre-reacutevolution dans le domaine eacuteconomique dansla mesure ougrave ses conceptions sont fortementancreacutees dans lrsquoanalyse mise en cause par lareacutevolution keyneacutesienne

Les fondements eacuteconomiques dela contre-reacutevolution conservatriceLrsquoanalyse keyneacutesienne de la politique bud-geacutetaire discreacutetionnaire est critiqueacutee par lesmoneacutetaristes qui lui reprochent de neacutegligerles anticipations et de se limiter au courtterme Cette critique est renforceacutee par les

LES SLES STTABIABILLISAISATEURSTEURSAAUTUTOMAOMATIQUESTIQUESLa sLa sttabilisation autabilisation automatique deacutesigneomatique deacutesigne

laquolaquo la cla capacitapaciteacute des financeacute des finances publiques agravees publiques agrave

attatteacutenuer leacutenuer les ces conseacutequenconseacutequences des eacutees des eacutevveacutenementseacutenements

cconjoncturonjoncturels sur lels sur lrsquoactivitrsquoactiviteacute Loreacute Lorsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomieonomie

esest en et en expansion lxpansion les impocircts augmentes impocircts augmententent

avavec la hausec la hausse de la cse de la consommation et deonsommation et de

llrsquoemplrsquoemploi et loi et les pres presesttations socialations sociales baises baissentsent

avavec lec le re recul du chocircmage La hausecul du chocircmage La hausse desse des

impocircts et la baisimpocircts et la baisse des prse des presesttations cations conduitonduit

alalorors agrave une rs agrave une reacuteduction de la creacuteduction de la croisoissancsancee

LLrsquoaugmentrsquoaugmentation initialation initiale de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eseacute estt

donc rdonc reacuteduiteacuteduite par le par le fe fonctionnement desonctionnement des

ssttabilisatabilisateureurs auts automatiques La situation esomatiques La situation estt

symeacutetrique lsymeacutetrique lororsque lsque lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie conomie connaicirct unonnaicirct un

rralalentisentissementsement raquo ()raquo ()

() Espinoza R() Espinoza R (2007)(2007) laquolaquo Les staLes stabilisabilisateurteurssautomaautomatiques en Ftiques en Frranceance Eacuteconomie et PrEacuteconomie et Preacutevisioneacutevisionndegndeg 17711771 PParisaris INSEEINSEE

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 56

nouveaux classiques qui introduisent lesanticipations rationnelles et lrsquoeacutequivalencericardienne

Lrsquoinfluence des anticipationssur lrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire

Dans la conception moneacutetariste lrsquoeacutequilibregeacuteneacuteral de long terme drsquoune eacuteconomie estassureacute gracircce agrave la flexibiliteacute parfaite des prixet des salaires nominaux dans un contextede concurrence parfaite ougrave les anticipationssont reacutealiseacutees Il en reacutesulte un taux naturelde chocircmage qui ne peut ecirctre reacuteduit que pardes mesures structurelles De cette faccedilon uneexpansion budgeacutetaire ne peut qursquoaccroicirctrelrsquoinflation au rythme de la hausse de lrsquooffrede monnaie utiliseacutee pour son financement

Lrsquoarbitrage entre le chocircmage et lrsquoinflationqui disparaicirct ainsi dans le long terme peutcependant subsister agrave court terme si lessalarieacutes ne fondent leurs revendications quesur leurs preacutevisions drsquoinflation et si ces anti-cipations ne tiennent compte que de lrsquoinfla-tion passeacutee et courante En effet dans ce casles salarieacutes anticipent un taux drsquoinflationinfeacuterieur au taux qui reacutesultera drsquoune expan-sion budgeacutetaire courante et ils tentent drsquoob-tenir une hausse de leur salaire nominal surla base de ces preacutevisions erroneacutees De ce faitils pensent beacuteneacuteficier drsquoune hausse de leursalaire reacuteel ce qui stimule leur offre de tra-vail Les employeurs sont disposeacutes agrave accorderla hausse des salaires nominaux revendiqueacuteetant que celle-ci est infeacuterieure agrave lrsquoaccroisse-ment effectif des prix Il en reacutesulte une baissedes salaires reacuteels effectivement supporteacutes parles entreprises ce qui stimule la demande detravail De ce fait le chocircmage diminue alorsque lrsquoinflation augmente Une telle situationnrsquoest cependant pas durable car lrsquoillusionmoneacutetaire des salarieacutes srsquoestompe dans lelong terme et le taux naturel de sous-emploiest reacutetabli

En introduisant le concept drsquoanticipa-tions rationnelles les nouveaux classiquesrejettent toute possibiliteacute drsquoarbitrage entreinflation et chocircmage Dans cette conceptionles anticipations des agents ne se fondent pas

sur le niveau passeacute et preacutesent de lrsquoinflationcomme dans le cas des anticipations adapta-tives mais sur toutes les informations dispo-nibles au moment des preacutevisions Posseacutedanttoutes les informations sur les deacutecisions desautoriteacutes budgeacutetaires les salarieacutes ne font pasdrsquoerreurs systeacutematiques en moyenne de sorteque lrsquoinflation anticipeacutee ne diffegravere pas de lrsquoin-flation reacutealiseacutee Seul un effet de surprise dontles incidences sont rapidement corrigeacuteespeut faire deacutevier le taux de chocircmage de sonniveau naturel

Lrsquointroductiondes comportements ricardiens

La mise en cause de lrsquoefficaciteacute des politiquesbudgeacutetaires fondeacutee sur le concept drsquoanticipa-tions rationnelles est renforceacutee par la priseen compte du principe drsquoeacutequivalence ricar-dienne que R Barro (1974) a emprunteacute agrave DRicardo eacuteconomiste classique du XIXe siegravecleSelon ce principe une expansion budgeacutetaire ales mecircmes effets qursquoelle soit financeacutee par desimpocircts ou par un emprunt lrsquoemprunt nrsquoeacutetantqursquoun impocirct diffeacutereacute dans le temps En effetdans le cas du financement par empruntles agents anticipent la hausse future despreacutelegravevements obligatoires que neacutecessite leremboursement de la dette publique et lepaiement de ses inteacuterecircts Pour faire face agravecette charge ils eacutepargnent dans lrsquoimmeacutediatun montant correspondant agrave sa valeur actua-liseacutee et ils achegravetent avec cette eacutepargne destitres dont le remboursement et les inteacuterecirctsserviront agrave payer les impocircts susciteacutes par leservice de la dette publique La politiquebudgeacutetaire est donc moins efficace que dansle cas keyneacutesien du financement drsquoune haussedes deacutepenses publiques par endettement

Lrsquoeacutequivalence ricardienne repose sur plu-sieurs hypothegraveses tregraves restrictives Elle sup-pose notamment une forte rationaliteacute desagents des marcheacutes financiers parfaits et desimpocircts forfaitaires

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 57

Le rejet des politiques budgeacutetairesde relance par la demande

Ces critiques ont abouti au rejet des poli-tiques budgeacutetaires discreacutetionnaires consi-deacutereacutees comme inefficaces Les eacuteconomistesde lrsquooffre preacuteconisent cependant lrsquoutilisationdiscreacutetionnaire de lrsquoinstrument fiscal pouraccroicirctre la quantiteacute de travail et de capitaldestineacutee agrave augmenter lrsquooffre globale et nonpour stimuler la demande qui est consideacutereacuteecomme suffisante Comme le taux naturel desous-emploi est fixeacute par les meacutecanismes demarcheacute les moneacutetaristes privileacutegient la poli-tique moneacutetaire afin de controcircler lrsquoinflationIls preacuteconisent par ailleurs des reacuteformesstructurelles qui permettent de reacuteduire lesdeacutepenses publiques et les impocircts ce quiassure des finances publiques saines et uneintervention publique minimale

Deux politiques nationales sont repreacutesenta-tives de cette contre-reacutevolution La premiegraveremeneacutee au Royaume-Uni agrave partir de 1979 parM Thatcher se caracteacuterise sur le plan budgeacute-taire par une baisse des deacutepenses publiqueset des impocircts directs en vue de stimuler lesecteur priveacute et de diminuer lrsquoinfluence delrsquoEacutetat Elle a permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais au prix drsquoun chocircmage eacuteleveacutejusqursquoau milieu des anneacutees 1980 La secondepolitique inspireacutee par les eacuteconomistes delrsquooffre a eacuteteacute mise en œuvre par R Reagan

degraves 1981 au cours de son premier mandatElle srsquoest traduite par un recul des deacutepensespubliques autres que celles du secteur mili-taire et par une reacuteduction massive drsquoimpocirctsdestineacutee agrave stimuler lrsquooffre globale avec lrsquoes-poir qursquoune baisse du taux drsquoimpositiongeacuteneacuterera une hausse des rentreacutees fiscales etreacutesorbera ainsi le deacuteficit issu de cette strateacute-gie1 Elle srsquoest accompagneacutee drsquoune politiquemoneacutetaire restrictive qui srsquoest manifesteacutee parune hausse importante des taux drsquointeacuterecirctCes mesures ont permis de reacuteduire fortementlrsquoinflation mais elles ont entraicircneacute un deacuteficitbudgeacutetaire eacuteleveacute et une reacutecession marqueacuteepar un chocircmage important en 1982 et 1983Pour certains eacuteconomistes la reprise qui asuivi cette phase deacutecoule surtout de lrsquoactionfiscale du deacutebut du mandat pour drsquoautreselle provient essentiellement de lrsquoaccroisse-ment tregraves fort des deacutepenses dans le secteurmilitaro-industriel

Le renouveaude la politique budgeacutetaireLe renouveau de la politique budgeacutetairereacutesulte de lrsquoeacutevolution des reacuteflexions theacuteo-riques et des recherches empiriques Il srsquoestmanifesteacute ces derniegraveres anneacutees par les plansde relance que la plupart des pays industria-liseacutes ont ducirc adopter pour faire face agrave la crise

[1] Cette conceptionest fondeacutee sur la courbe

de Laffer qui montreqursquoau-delagrave drsquoun certaintaux drsquoimposition toute

hausse drsquoimpocirct reacuteduitles recettes fiscales

car elle deacutecourageles offres de travail

et de capital Donc silrsquoon considegravere que la

pression fiscale est tropforte il suffit de reacuteduire

les taux drsquoimpositionpour accroicirctre

les recettes fiscales

1 Croissance chocircmage et finances publiques aux Eacutetats-Unis au Japon et dans la zone euro

Taux de croissancedu PIB (en )

Taux de chocircmage(en )

Dette publique brute(en du PIB)

Deacuteficit public (en du PIB)

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

EU JaponZoneeuro

2008 ndash 03 ndash 11 04 58 40 76 615 1629 702 66 19 21

2009 ndash 31 ndash 55 ndash 44 93 51 96 736 1801 800 119 88 63

2010 24 47 20 96 51 101 828 1883 854 114 83 62

2011 18 ndash 05 14 89 46 102 860 2004 873 102 89 41

2012 22 20 ndash 0 6 81 44 114 887 ND 906 86 ND 37

Troisiegraveme trimestre 2012 ND non disponible

Sources Bulletin mensuel de la BCE septembre 2012 et mai 2013

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 58

eacuteconomique qui srsquoest geacuteneacuteraliseacutee agrave partirde 2008 Mais cette crise et les mesures derelance destineacutees agrave la combattre ont deacuteteacute-rioreacute les finances publiques de la plupart despays ce qui les a obligeacutes agrave mettre en œuvredes mesures de consolidation budgeacutetaire

Les fondements du renouveau

Le renouveau theacuteorique a eacuteteacute reacutealiseacute en grandepartie dans le cadre des modegraveles drsquoeacutequilibregeacuteneacuteral qui agrave la diffeacuterence de ceux utiliseacutespar les nouveaux classiques introduisentlrsquoimperfection des marcheacutes des comporte-ments non ricardiens et une certaine viscositeacutedes prix compatible avec des comportementsrationnels Du fait de ces caracteacuteristiquesces modegraveles sont qualifieacutes de neacuteo-keyneacutesiensTout en conservant lrsquohypothegravese drsquoanticipa-tions rationnelles ils permettent de restaurerlrsquoefficaciteacute de la politique budgeacutetaire dans uncadre theacuteorique plus satisfaisant que celuiretenu par les modegraveles keyneacutesiens agreacutegeacutes

Les politiques de relance

La crise immobiliegravere ameacutericaine qui srsquoestdeacuteveloppeacutee degraves la fin 2006 srsquoest diffuseacutee surles marcheacutes moneacutetaires et financiers de laplupart des grandes eacuteconomies puis sur lesmarcheacutes des biens et du travail Elle a deacutebou-cheacute en 2009 sur une reacutecession qui srsquoest tra-duite par une baisse importante du PIB et unehausse tregraves forte du chocircmage aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro Cette eacutevolu-tion a conduit les responsables politiques deces zones eacuteconomiques agrave reacutehabiliter les poli-tiques budgeacutetaires en adoptant en 2008 et2009 des plans de relance Crsquoest ainsi que lesEacutetats-Unis ont pris des mesures budgeacutetairesrepreacutesentant plus de 5 du PIB pour faireface agrave une hausse particuliegraverement impor-tante du chocircmage dans un contexte de faibleprotection sociale Au Japon quatre plans derelance ont eacuteteacute mis successivement en œuvreen 2008-2009 Quant agrave lrsquoEurope elle a adopteacuteune strateacutegie qui a mobiliseacute 200 milliardsdrsquoeuros soit 15 du PIB europeacuteen Le bud-get communautaire et la Banque europeacuteenne

drsquoinvestissement ont pris en charge 15 dece montant Les Eacutetats europeacuteens ont financeacutele reste et mis en œuvre des plans de relancenon coordonneacutes

Ces mesures ont favoriseacute une nette reprise en2010 suivie drsquoun ralentissement conjoncturelaux Eacutetats-Unis et dans la zone euro et unerechute au Japon Mais alors que les Eacutetats-Unis et le Japon ont continueacute agrave soutenir leurconjoncture lrsquoEurope a exigeacute de ses membresdes efforts drsquoassainissement des financespubliques De ce fait la croissance et lrsquoemploise sont ameacutelioreacutes aux Eacutetats-Unis et au Japonet se sont deacuteteacuterioreacutes gravement dans la zoneeuro en 2012

Les strateacutegiesde consolidation budgeacutetaire

Du fait de la deacutependance importante des payseuropeacuteens par rapport aux marcheacutes finan-ciers internationaux pour le financementde leurs deacuteficits budgeacutetaires les instanceseuropeacuteennes ont donneacute degraves 2010 une prio-riteacute absolue agrave lrsquoassainissement des financespubliques afin drsquoeacuteviter une deacuteteacuterioration desconditions drsquoemprunt Cette deacutependance estbeaucoup plus faible au Japon qui peut sup-porter un endettement public tregraves eacuteleveacute gracircceagrave un financement public assureacute en grandepartie par une eacutepargne inteacuterieure importanteQuant agrave lrsquoeacuteconomie ameacutericaine elle susciteune confiance internationale tregraves importantedans sa vigueur de sorte que les conditionsde ses emprunts internationaux sont peusensibles jusqursquoici agrave lrsquoeacutetat de ses financespubliques

En preacuteconisant ou en imposant des pro-grammes seacutevegraveres drsquoassainissement budgeacute-taire et de reacuteformes structurelles les instanceseuropeacuteennes espegraverent rassurer les opeacuterateursdes marcheacutes financiers internationaux sanstrop deacuteteacuteriorer la croissance et lrsquoemploi Cettestrateacutegie suppose que les multiplicateurs bud-geacutetaires qui traduisent lrsquoincidence des varia-tions des deacutepenses publiques sur le PIB soientnuls ou tregraves faibles Or un groupe drsquoeacutecono-mistes a eacutevalueacute en 2012 lrsquoimportance des effets

LES POLITIQUES BUDGEacuteTAIRES Agrave LrsquoHEURE DE LA CONSOLIDATION DES FINANCES PUBLIQUES 59

drsquoune variation des deacutepenses publiques sur lePIB dans les pays de lrsquoOCDE en se fondant sursept modegraveles structurels dont ceux utiliseacutes parla BCE et lrsquoOCDE Selon cette eacutetude une baissetemporaire des deacutepenses publiques de 1 duPIB entraicircne une reacuteduction de 09 agrave 13 duPIB Dans ses Perspectives mondiales le FMIconsidegravere que la valeur des multiplicateursbudgeacutetaires a eacuteteacute largement sous-estimeacuteenotamment en Europe Selon ses estimationscette valeur repreacutesente entre 09 et 17 duPIB alors que les politiques de consolidationbudgeacutetaire eacutetaient fondeacutees sur une valeur de05 du PIB

Lrsquoassainissement des finances publiques doiteacutegalement favoriser le retour de la croissanceCette ideacutee semble se fonder sur une observa-tion effectueacutee par C Reinhart et K Rogoff quimontrait que les pays ayant un taux drsquoendet-tement infeacuterieur agrave 90 du PIB avaient unecroissance plus forte que les autres Mais cetteeacutetude est contesteacutee pour des raisons meacutethodo-logiques et notamment pour avoir eacutecarteacute cer-tains pays du panel Selon drsquoautres travaux ilnrsquoy aurait en reacutealiteacute aucun seuil de ce type

En fait il conviendrait drsquoeffectuer un assai-nissement financier progressif pour lisserdans le temps ses effets neacutegatifs sur la crois-sance et prendre parallegravelement des mesuresstructurelles dont les effets positifs sur lacroissance se reacutepercuteront sur les financespubliques Cette strateacutegie qui se place dansle moyen terme neacutecessiterait une deacutecon-nexion des pays en difficulteacute par rapport auxmarcheacutes financiers dont les eacutevaluations seplacent le plus souvent dans une optique decourt terme

La nature des mesures budgeacutetaires qursquoungouvernement doit prendre diffegravere selonque son eacuteconomie se trouve ou non dans unecrise En effet dans une peacuteriode de fluctua-tions relativement faibles de lrsquoactiviteacute autourdrsquoune tendance de long terme il est probableqursquoune politique budgeacutetaire discreacutetionnairesoit peu efficace pour lisser ces mouvementsnotamment agrave cause de son manque de sou-plesse Dans ce cas le meacutecanisme des stabi-lisateurs budgeacutetaires automatiques se reacutevegraveleplus apte agrave corriger au moins partiellementdes deacuteseacutequilibres transitoires En revanche ilest insuffisant en cas de crise grave La neacuteces-siteacute drsquoune intervention budgeacutetaire discreacutetion-naire de lrsquoEacutetat srsquoest imposeacutee apregraves la crisedes anneacutees 1930 qui a conduit agrave la reacutevolutionkeyneacutesienne Il nrsquoest donc pas eacutetonnant quece type de politique srsquoimpose agrave nouveau agravelrsquooccasion drsquoune crise aussi seacutevegravere et qursquoellese fonde sur des conceptions keyneacutesiennesenrichies par les apports theacuteoriques Elle nepeut neacuteanmoins pas ecirctre meneacutee de la mecircmefaccedilon que dans les anneacutees 1950 et 1960 Eneffet lrsquointerdeacutependance croissante des paysrend neacutecessaire la coordination des poli-tiques eacuteconomiques afin de reacuteduire les effetsexternes reacuteciproques neacutegatifs de celles-ciDe plus la deacutependance de nombreux Eacutetatscomme ceux de la zone euro aux marcheacutesinternationaux pour leur financement soumetleurs actions budgeacutetaires agrave des contraintesfortes pour eacuteviter une deacuterive importante deleurs finances publiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 60

Textes classiques

BARRO R J (1974) laquo AreGovernment Bonds NetWealth raquo Journal of PoliticalEconomy vol 82 ndeg 6

FLEMING (1962) laquo DomesticFinancial Policies under Fixedand under Floating ExchangeRates raquo FMI Staff Paper vol 9 ndeg 3

HAAVELMO T (1945) laquo Multiplier effects ofa balanced budget raquoEconometrica vol 13

HANSEN AH (1949) Monetary Theory and FiscalPolicy McGraw HillNew York

HICKS J R (1937) laquo Mr Keynesand the ldquoClassicsrdquo A Suggested Interpretation raquoEconometrica vol5 ndeg 2

MUNDELL R (1963) laquo CapitalMobility and StabilisationPolicy under Fixed andFlexible Exchange Rates raquoCanadian Journal ofEconomics and PoliticalScience vol 29

MUSGRAVE R (1949) TheTheory of Public FinanceA Study in Public Economy New York McGraw Hill

PHILLIPS (1958) laquo The Relation betweenUnemployment and theRate of Change of MoneyWages Rates in The UnitedKingdom raquo 1861-1957Economica vol 25 ndeg 100

Sur la peacuteriode contemporaine

COENEN G et al (2012) laquo Effects of fiscal stimulusin structural models raquo

American Economic Journal Macroeconomics vol 4 ndeg 1

FMI (2012) World EconomicOutlook

HERNDON T ASH M POLLIN R(2013) laquo Does high public debtconsistently shift growth A critique of C Reinhart etK Rogoff raquo PERI WorkingPapers Series ndeg 322

KOENIG G (2012) laquo Consolidation budgeacutetaireet croissance raquo Bulletin delrsquoObservatoire des politiqueseacuteconomiques ndeg 26

REINHART C ROGOFF K(2010) laquo Growth in a time ofdebt raquo American EconomicReview Papers andProceedings vol 100

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 61

Outre la stabiliteacute des prix les banques centrales ont comme objectif de contribuer par leurs politiques moneacutetaires agrave stabiliser la conjoncture et lutter contre les chocs eacuteconomiques La crise qui a commenceacute en 2007 les a donc particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve Face au blocage du marcheacute moneacutetaire et agrave la reacutecession elles ont massivement baisseacute leurs taux drsquointeacuterecirct direc-teur en 2008-2009 jusqursquoagrave zeacutero pour certaines drsquoentre elles Ces mesures de deacutetente moneacutetaire se sont toutefois reacuteveacuteleacutees insuffisantes ce qui les a conduites agrave mettre en place des dispositifs laquo non conventionnels raquo Christian Bordes dresse un bilan de ces actions face agrave la crise Si les politiques non conventionnelles ont permis de mettre un terme agrave la paralysie du marcheacute moneacute-taire les effets en termes de croissance sont plus contrasteacutes Elles font en outre courir aux eacuteconomies un certain nombre de risques dont celui que se forment dans les anneacutees agrave venir de nouvelles laquo bulles raquo

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques moneacutetairesquel renouvellement avec la crise

Avec la crise systeacutemique globale lrsquoanalysede la politique eacuteconomique en geacuteneacuteral etcelle de la politique moneacutetaire en particu-lier peuvent ecirctre meneacutees agrave deux niveauxdiffeacuterents en fonction de la peacuteriode drsquoana-lyse retenue Agrave moyenlong termes on peutse demander si un changement de reacutegimenrsquoest pas neacutecessaire pour sinon eacuteviter dumoins limiter la probabiliteacute drsquoune nouvellecrise financiegravere geacuteneacuteraliseacutee srsquoagissant dela politique moneacutetaire on doit alors srsquointer-roger sur le maintien ou pas du ciblage delrsquoinflation son articulation avec la politique

macro-prudentielle1 etc Plus immeacutediate-ment agrave courtmoyen termes dans le cadredu reacutegime de politique eacuteconomique existantle problegraveme poseacute est celui de la stabilisationde lrsquoeacuteconomie agrave la suite drsquoune crise financiegraveremajeure Parce qursquoil reste au cœur des preacuteoc-cupations actuelles des banques centralescrsquoest sous ce second angle que le renouvelle-ment de la politique moneacutetaire avec la criseest eacutetudieacute ici2 Cette analyse est meneacutee en srsquoat-tachant aux eacuteconomies ougrave ce renouvellementa eacuteteacute le plus marqueacute les eacuteconomies du laquo G4 raquondash Eacutetats-Unis Japon zone euro Royaume-Uni ndash La premiegravere reacuteponse de leurs banquescentrales a consisteacute agrave pratiquer une poli-tique de taux drsquointeacuterecirct ultra accommodanteFace aux limites de la deacutetente moneacutetaire lesbanques centrales ont ensuite mis en œuvredes politiques laquo non conventionnelles raquo

CHRISTIAN BORDES

Universiteacute Paris 1

Centre drsquoEacuteconomie de la Sorbonne

[1] Dispositif dereacutegulation des

institutions financiegraveresdestineacute agrave assurer la

gestion de la stabiliteacutefinanciegravere globale

[2] La question drsquounchangement du reacutegimede politique moneacutetairefait lrsquoobjet de Bordes C

(2011) laquo Pour un

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 62

La politique de deacutetente moneacutetaireconfronteacutee agrave ses limitesLa politique moneacutetaireavant la criseAgrave partir du deacutebut des anneacutees 1990 jusqursquoen2007 la politique moneacutetaire srsquoest limiteacuteedans les eacuteconomies avanceacutees agrave une politiquede reacuteglage du taux drsquointeacuterecirct

Lrsquoobjectif principal eacutetait drsquoassurer la stabi-liteacute des prix agrave moyenlong terme ndash corres-pondant en geacuteneacuteral agrave un taux drsquoinflation annuel de 2 ndash tout en stabilisant lrsquoacti-viteacute eacuteconomique Plus preacuteciseacutement cette fonction de stabilisation conjoncturelle a consisteacute agrave neutraliser les effets des chocs de diffeacuterentes natures ndash financiers reacuteels et sur les prix ndash qui frappent lrsquoeacuteconomie pour eacuteviter qursquoils nrsquoempecircchent le maintien de la stabiliteacute moneacutetaire

Par lrsquoannonce du taux drsquointeacuterecirct directeur lesautoriteacutes moneacutetaires indiquaient lrsquoorienta-tion souhaiteacutee de leur politique en confor-miteacute avec la reacutealisation de lrsquoobjectif fixeacute Cetteannonce a agi sur lrsquoeacuteconomie selon un meacuteca-nisme de transmission assez bien eacutetabli unereacutepercussion de la baisse des taux directeurssur les conditions de creacutedit suivie drsquoeffets surlrsquoactiviteacute eacuteconomique puis sur le niveau geacuteneacute-ral des prix

La mise en œuvre de la politique moneacutetairesrsquoest traduite par la conduite drsquoopeacuterationsde gestion de la liquiditeacute qui ont soutenulrsquoorientation souhaiteacutee en maintenant le tauxde marcheacute le plus pertinent ndash geacuteneacuteralementle taux auquel les banques srsquoeacutechangent dela liquiditeacute pour 24 heures ndash agrave un niveauconforme agrave celui du taux directeur Ces opeacutera-tions de gestion de la liquiditeacute ont eacuteteacute conccedilueset mises en œuvre pour influencer unique-ment le taux de marcheacute cibleacute Les banquescentrales ont conduit la politique moneacutetaire

ameacutenagement du centralbanking agrave la recherchede lrsquoaffectation optimaledes instruments despolitiques moneacutetaire etmacro-prudentielle raquoin Betbegraveze J-PBordes C Couppey-Soubeyran J et Plihon DBanques centrales etstabiliteacute financiegravere Rapport pour le Conseildrsquoanalyse eacuteconomiquendeg 96 La Documentationfranccedilaise

LE RLE ROcircOcircLLE DEE DE LLA GESA GESTIONTIONDES ANTICIPDES ANTICIPAATIONS DANSTIONS DANSLLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDans lDans les anneacutees 1970-1980 ces anneacutees 1970-1980 certertainsains

eacuteceacuteconomisonomisttes tes tels que Robert Lucels que Robert Lucas etas et

Thomas SarThomas Sargent ont deacutegent ont deacutevveleloppeacute laoppeacute la theacuteorietheacuteorie

des anticipations rdes anticipations rationnellationnelles afin de mieuxes afin de mieux

ccompromprendrendre le les res raisons de la faisons de la faiblaible effice efficacitaciteacuteeacute

des politiques eacutecdes politiques eacuteconomiques discronomiques discreacutetionnaireacutetionnaireses

meneacutees pendant lmeneacutees pendant les deacuteces deacutecennies prennies preacuteceacuteceacutedenteacutedenteses

Une des cUne des conclusions de conclusions de cettette anale analyse esyse est quet que

lle re reacutesulteacutesultat drsquoune politique eacutecat drsquoune politique eacuteconomique deacutependonomique deacutepend

des anticipations des agents rdes anticipations des agents relativelatives agrave ces agrave cettettee

politique Les implicpolitique Les implications de cations de ce re reacutesulteacutesultatat

pour la cpour la conduitonduite de la politique eacutece de la politique eacuteconomiqueonomique

notnotamment camment cellelle de la politique moneacutete de la politique moneacutetairairee

sont trsont tregraves importegraves importantantes En particulieres En particulier la la

deacutefdeacutefense drsquoun ancrense drsquoun ancrage nominal ndash crsquoesage nominal ndash crsquoest-agrave-dirt-agrave-diree

un objectif cun objectif conconcernant une vernant une variablariable nominale nominalee

ttellelle que le que le te taux drsquoinflation ou laux drsquoinflation ou le te taux deaux de

change ndash eschange ndash est une solution intt une solution inteacutereacuteresessantsante poure pour

ssttabiliser labiliser le nive niveau geacuteneacutereau geacuteneacuteral des prix ou lal des prix ou le te tauxaux

drsquoinflation Aujourdrsquoinflation Aujourdrsquohui dans ldrsquohui dans les eacuteces eacuteconomiesonomies

avavancanceacutees leacutees les banques ces banques centrentralales affichentes affichent

un objectif quantifieacute pour lun objectif quantifieacute pour le te taux drsquoinflation ndashaux drsquoinflation ndash

fixfixeacute geacuteneacutereacute geacuteneacuteralalement aux alement aux alententourours de 2s de 2 ndash et ndash et

ssrsquoengagent agrave prrsquoengagent agrave prendrendre le les mesures mesures neacuteces neacutecesessairsaireses

agrave sa ragrave sa reacutealisationeacutealisation l le te taux drsquoinflation y esaux drsquoinflation y est donct donc

la vla variablariable drsquoancre drsquoancrage nominal de la politiqueage nominal de la politique

moneacutetmoneacutetairaire La cre La creacutedibiliteacutedibiliteacute acquise par leacute acquise par leses

banques cbanques centrentralales dans la res dans la reacutealisation de ceacutealisation de cetet

objectif fobjectif facilitacilite la ce la conduitonduite de le de leur politiqueeur politique

moneacutetmoneacutetairaire note notamment la samment la sttabilisationabilisation

cconjoncturonjoncturellelle de le de lrsquoactivitrsquoactiviteacute eacuteceacute eacuteconomique Ainsionomique Ainsi

au cau courours de la crise ont-ells de la crise ont-elles pu adoptes pu adopterer

une politique de tune politique de taux agraux agresessivsive ainsi que dese ainsi que des

mesurmesures non ces non convonventionnellentionnelles de gres de grandeande

amplampleur sans que leur sans que lrsquoancrrsquoancrage des anticipationsage des anticipations

inflationnisinflationnisttes autes autour de 2our de 2 nrsquoen souffr nrsquoen souffree

Christian BordesChristian Bordes

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 63

LLESES CCANAANAUXUXDE TRANSMISSIONDE TRANSMISSIONDEDE LLA POA POLLITIQUE MONEacuteTITIQUE MONEacuteTAIREAIREDiffDiffeacutereacuterents cents canaux de tranaux de transmisansmission de lasion de la

politique moneacutetpolitique moneacutetairaire sont re sont reacuteperteacutepertorieacutes parorieacutes par

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique En pronomique En premier lieuemier lieu

il y a lil y a les ces canaux tranaux traditionnels caditionnels centrentreacutes sureacutes sur

lles tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct qui sont lecirct qui sont les principauxes principaux

meacutecmeacutecanismes de tranismes de transmisansmission des deacutecisionssion des deacutecisions

dede politique moneacutetpolitique moneacutetairaire dans le dans le modegravele modegravelee

macrmacro-eacuteco-eacuteconomique sonomique sttandarandard (offrd (offre gle globalobalee

demande gldemande globalobale) En deuxiegraveme lieu il ye) En deuxiegraveme lieu il y

a la les ces canaux agisanaux agissant par lsant par le biais des prixe biais des prix

drsquoautrdrsquoautres actifs (tes actifs (taux de change theacuteorie duaux de change theacuteorie du

laquolaquo q de Tq de Tobinobin raquo) Enfin il y a lraquo) Enfin il y a le meacutece meacutecanisme deanisme de

trtransmisansmission appelsion appeleacute laquoeacute laquo ccanal du cranal du creacutediteacutedit raquo quiraquo qui

a fa fait lait lrsquoobjet de nombrrsquoobjet de nombreuses eacutetudes au ceuses eacutetudes au courourss

des derniegraverdes derniegraveres anneacuteeses anneacutees

POLITIQUE MONEacuteTAIRE

CA

NA

UX

DE

TR

AN

SM

ISS

ION EFFETS SUR LES PRIX DAUTRES ACTIFS APPROCHE PAR LE CREacuteDIT

Canaltraditionnel dutaux dinteacuterecirct

Effets du tauxde change

sur lesexportations

nettesTheacuteorie du q de

TobinEffets

richesseCanal ducreacutedit

bancaire

Canaldu

bilanCanal ducash flow

Canal desvariations nonanticipeacutees du

niveau geacuteneacuteraldes prix

Effet sur laliquiditeacute des

meacutenages

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctreacuteel

Taux de change

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

q de Tobin

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Politiquemoneacutetaire

Deacutepocirctsbancaires

Precirctsbancaires

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Taux dinteacuterecirctnominaux

Cash flow

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Niveau des prixnon anticipeacutes

Aleacutea moralseacutelectionadverse

Activiteacutesde precirct

Politiquemoneacutetaire

Prix dactifs

Richessefinanciegravere

Probabiliteacutede deacutetressefinanciegravere

CO

MP

OS

AN

TE

DE

LA

DE

MA

ND

E

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

Exportationsnettes

Investissement

Consommation

Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Investissement Investissement Investissement

Activiteacute dusecteur

immobilier

Consommationde biensdurables

PIB

SSourceource Mishkin Mishkin FF BBordesordes CC HHautcoeurautcoeur PP-CC Lacoue-LabartheLacoue-Labarthe DD etet RRagot Xagot X MonnaieMonnaie banque et marbanque et marccheacutes finanheacutes finan--ciersciers PParisaris PPearsonearson 99ee eacuteditioneacutedition

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 64

en proceacutedant reacuteguliegraverement agrave des opeacuterationsde marcheacute agrave court terme qui visent agrave main-tenir leur offre de liquiditeacutes (les deacutepocircts desbanques aupregraves de la banque centrale) autourdes besoins des banques conservant ainsi lestaux de reacutefeacuterence du marcheacute agrave des niveauxproches des taux directeurs

Un principe de seacuteparation a eacuteteacute respecteacuteentre drsquoun cocircteacute la conduite de la politiquemoneacutetaire et de lrsquoautre la gestion de la liqui-diteacute la seconde eacutetant limiteacutee agrave une fonctionde mise en œuvre de la premiegravere et nrsquoappor-tant aucune information sur son orientation

LLAA TTRAPPE AgraveRAPPE Agrave LLIQUIDITEacuteSIQUIDITEacuteSDans une situation de trDans une situation de trappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes leacutes leses

ttaux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominaux sont au vecirct nominaux sont au voisinage deoisinage de

zeacuterzeacutero vo voiroire nuls ale nuls alorors que ls que les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels drsquoeacutequilibreacuteels drsquoeacutequilibre ndash ase ndash assursurant lant lrsquoeacutegalitrsquoeacutegaliteacute entreacute entree

eacutepareacutepargne et invgne et invesestistissement ndash sont neacutegatifssement ndash sont neacutegatifs

Le nivLe niveau de ceau de ces dernieres derniers ss srsquoersquoexplique par dexplique par de

ffaiblaibles peres perspectivspectives de cres de croisoissancsance agrave le agrave longong

ttermeerme l lrsquoinvrsquoinvesestistissement deacutesirsement deacutesireacute eseacute est alt alorors sis si

ffaiblaible que agrave ce que agrave court tourt terme des terme des taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirctecirct

rreacuteels neacutegatifs sereacuteels neacutegatifs seraient neacutecaient neacutecesessairsaires pour que les pour que lee

montmontant de lant de lrsquoeacuteparrsquoeacutepargne cgne corrorresponde agrave cesponde agrave celui deelui de

llrsquoinvrsquoinvesestistissementsement

La cLa conclusion de lonclusion de lrsquoanalrsquoanalyse kyse keeyneacutesienneyneacutesienne

trtraditionnelladitionnelle de ce de cettette situation eacutete situation eacutetait queait que

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire ese est ineffict inefficacace poure pour

sortir lsortir lrsquoeacutecrsquoeacuteconomie drsquoune situation de tronomie drsquoune situation de trappe agraveappe agrave

liquiditliquiditeacuteseacutes l lrsquoinjection masrsquoinjection massivsive de liquidite de liquiditeacute pareacute par

lles autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaires eses est intt inteacutegreacutegralalementement

theacutesauriseacutee par ltheacutesauriseacutee par les agents eacuteces agents eacuteconomiques qui neonomiques qui ne

sont incitsont inciteacutes ni agrave augmenteacutes ni agrave augmenter ler leur deacuteteur deacutetention deention de

titrtitres ndash dont la res ndash dont la reacutemuneacutereacutemuneacuteration esation est nullt nulle ndash ni agravee ndash ni agrave

deacutepenser plus (1)deacutepenser plus (1)

CettCette ce conclusion ronclusion relativelative agrave le agrave lrsquoinefficrsquoinefficacitaciteacute deeacute de

la politique moneacutetla politique moneacutetairaire dans une situation dee dans une situation de

trtrappe agrave liquiditappe agrave liquiditeacutes eseacutes est rt remise en cemise en cause parause par

llrsquoanalrsquoanalyse macryse macro-eacuteco-eacuteconomique moderne dansonomique moderne dans

la ligneacutee des trla ligneacutee des travavaux de Paux de Paul Krugman et deaul Krugman et de

Michael WMichael Woodfoodforord Les td Les taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct nominauxecirct nominaux

eacuteteacutetant prant proches de zeacuteroches de zeacutero lo les autes autoritoriteacutes moneacuteteacutes moneacutetairaireses

doivdoivent perent persuader lsuader le public de re public de reevvoir agrave laoir agrave la

haushausse ses anticipations inflationnisse ses anticipations inflationnisttes en les en leses

fixant agrave un nivfixant agrave un niveau supeacuterieur agrave ceau supeacuterieur agrave celui qui prelui qui preacuteeacutevvautaut

habituellhabituellement (par eement (par exxemplemple agrave 4e agrave 4 au lieu de au lieu de

22 ) Degraves l) Degraves lorors ls les tes taux drsquointaux drsquointeacutereacuterecirct recirct reacuteels sereacuteels serontont

neacutegatifs et agrave lneacutegatifs et agrave leur veur valaleur drsquoeacutequilibreur drsquoeacutequilibree cr craignantaignant

une eacuterune eacuterosion du pouvosion du pouvoir drsquoachat de loir drsquoachat de leureurss

encencaisaisses lses les agents eacuteces agents eacuteconomiques seronomiques serontont

incitinciteacutes agrave laquoeacutes agrave laquo deacutetheacutesauriserdeacutetheacutesauriser raquo craquo ce qui dee qui devrvraitait

sstimultimuler la demande gler la demande globalobale et ameacuteliore et ameacuteliorer laer la

situation de lsituation de lrsquoemplrsquoemploi (2)oi (2)

PlusieurPlusieurs poss possibilitsibiliteacutes seacutes srsquooffrrsquooffrent aux autent aux autoritoriteacuteseacutes

moneacutetmoneacutetairaires pour ces pour conduironduire le le public agrave ce public agrave cettettee

rreacuteeacutevision agrave la hausvision agrave la hausse des anticipationsse des anticipations

inflationnisinflationnisttes ndash par ees ndash par exxemplemple elle elles peuves peuventent

ssrsquoengager agrave mener dans lrsquoengager agrave mener dans le futur une politiquee futur une politique

de tde taux plus acaux plus acccommodantommodante qursquoen te qursquoen tempsemps

normal ou bien agrave intnormal ou bien agrave intervervenir sur lenir sur le mare marcheacutecheacute

des changes pour que la monnaie nationaldes changes pour que la monnaie nationalee

se deacuteprse deacutepreacutecie ndash la principaleacutecie ndash la principale difficulte difficulteacute eacuteteacute eacutetantant

drsquoasdrsquoassursurer la crer la creacutedibiliteacutedibiliteacute de ceacute de cet engagementet engagement

Christian BordesChristian Bordes

(1) laquo(1) laquo TTherhere is the possibilityhellip thae is the possibilityhellip that after the rt after the raateteof interof interest has fallen to a certain leest has fallen to a certain levvelel liquidityliquidityprprefereference is virtuallence is virtually ay absolute in the sense thabsolute in the sense thattalmost ealmost evvereryyone prone preferefers cash to holding a des cash to holding a debt abt at sot sololow a rw a raate of interte of interestest In this eIn this evventent the monetarthe monetaryyauthority wauthority would haould havve lost effectie lost effectivve contre controlol raquo (Jraquo (JohnohnMaMaynarynard Kd Keeynesynes TTheacuteorie geacuteneacuterheacuteorie geacuteneacuterale de lrsquoemploiale de lrsquoemploi dedelrsquointeacuterlrsquointeacuterecirct et de la monnaieecirct et de la monnaie 1936)1936)

(2) laquo(2) laquo TThe generhe general aral argument thagument that the monetart the monetaryyauthorities can incrauthorities can increase aggrease aggregegaate demand andte demand andpricesprices eevven if the nominal interen if the nominal interest rest raate is zerte is zeroo is asis asffolloollowsws Mone Moneyy unlikunlike other fe other forms of gorms of goovvernmenternmentdedebtbt papays zerys zero intero interest and has infinite maest and has infinite maturityturityTThe monetarhe monetary authorities can issue as my authorities can issue as much moneuch moneyyas theas they liky likee HenceHence if the price leif the price levvel wel werere tre trululyyindeindependent of monependent of money issuancey issuance then the monetarthen the monetaryyauthorities could use the moneauthorities could use the money they they cry creaeate tote toacquiracquire indefinite quantities of ge indefinite quantities of goods and assetsoods and assets TThishisis manifestlis manifestly impossible in equilibriumy impossible in equilibriumTTherherefefororeemonemoney issuance my issuance must ultimaust ultimateltely ry raise the price leaise the price levveleleevven if nominal interen if nominal interest rest raates artes are bounded ae bounded at zert zeroo raquoraquo(Ben Bernank(Ben Bernankee 2000)2000)

ZOOM

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 65

Le tournant de 2008La faillite de Lehman Brothers le 15 sep-tembre 2008 marque un tournant pour lapolitique moneacutetaire Le 8 octobre les grandesbanques centrales ont meneacute une actionconcerteacutee sans preacuteceacutedent en annonccedilantsimultaneacutement une reacuteduction de leurs tauxdirecteurs (graphique 1) Le recul mondial dela production et de lrsquoinflation enregistreacute auquatriegraveme trimestre 2008 et deacutebut 2009 ayantlargement deacutepasseacute ce qui eacutetait attendu aupa-ravant la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine laBanque du Japon la Banque drsquoAngleterre laBanque du Canada la Banque de Suegravede et laBanque nationale suisse avaient rameneacute finmai 2009 leurs taux directeurs agrave des niveauxproches de zeacutero La contrainte du plancherde 0 srsquoest alors imposeacutee lrsquoaccentuation delrsquoeacutecart de production et le ralentissement delrsquoinflation auraient justifieacute des taux neacutegatifsimpossibles agrave mettre en œuvre Les banquescentrales ont alors trouveacute neacutecessaire drsquoampli-fier par drsquoautres moyens le caractegravere accom-modant de la politique moneacutetaire La Banque

centrale europeacuteenne (BCE) quant agrave elle aabaisseacute son principal taux de 325 pointsde pourcentage entre septembre 2008 etmai 2009 Jusqursquoagrave cette date la baisse du tauxdirecteur coiumlncide agrave peu pregraves avec le ralen-tissement de lrsquoinflation Par la suite jusqursquoagravela fin de 2009 il ne tombe pas au-dessousde 1 alors mecircme que le ralentissement dela hausse des prix se poursuit En effet agrave cemoment-lagrave le Conseil des gouverneurs consi-degravere le taux de 1 comme un plancher pourdeux raisons un risque de deacuteflation peu eacuteleveacutedans la zone euro en raison drsquoune grandeinertie de lrsquoinflation reacutesultant des caracteacute-ristiques structurelles du marcheacute du travailet des marcheacutes de produits un risque deparalysie du marcheacute moneacutetaire les banquesse refusant agrave eacutechanger entre elles de la liqui-diteacute de peur drsquoun deacutefaut des contreparties Lafixation de ce plancher de 1 alors mecircme quelrsquoinflation continue de baisser se traduit parune hausse du taux drsquointeacuterecirct reacuteel et un res-serrement des conditions de financement aucours du second semestre 2009

1 Les taux drsquointeacuterecirct directeurs des banques centrales (en )

8

7

6

5

4

3

2

1

000 02 04 06 08 10 12

Australie

Zone euro

Canada

Royaume-Uni

Eacutetats-Unis

Japon

Suisse

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 66

Les politiques non conventionnellesagrave la rescousseLa deacuteteacuterioration exceptionnelle des perspec-tives eacuteconomiques fines 2008 et deacutebut 2009ont ameneacute les banques centrales agrave pratiquerdes politiques non conventionnelles qui sesont traduites par un fort gonflement de leursbilans

Leur objectif peut ecirctre drsquoopeacuterer un assouplis-sement moneacutetaire suppleacutementaire en faisantbaisser les taux drsquointeacuterecirct agrave long terme et plusgeacuteneacuteralement les primes de risque ellespeuvent aussi chercher agrave reacutetablir un fonction-nement normal du meacutecanisme de transmis-sion lorsque les baisses de taux directeurs nesont plus reacutepercuteacutees ni sur lrsquoensemble de lagamme des taux ni sur lrsquooffre de creacutedit

Les mesures deacutecideacutees par la Banque drsquoAn-gleterre la Banque du Japon et la Fed srsquoins-crivent dans la premiegravere logique tandis quecelles mises en œuvre par la BCE suivent laseconde

Une batterie de mesuresnon conventionnellesLa typologie eacutetablie il y a quelques anneacuteespar Bernanke et al (2004) conserve toute savaliditeacute3 Selon ces auteurs les mesures nonconventionnelles de politique moneacutetairepeuvent ecirctre classeacutees en trois cateacutegories ndash les mesures visant agrave orienter les anticipa-tions des agents priveacutes relatives agrave la trajec-toire future des taux directeurs ndash celles visant agrave augmenter la taille dupassif de la banque centrale donc la basemoneacutetaire ndash enfin les mesures visant agrave modifier la com-position des actifs de la banque centrale

Ces mesures non conventionnelles consistentdans ndash lrsquoapprovisionnement en liquiditeacute et lrsquoas-souplissement des regravegles de collateacuteral ndash les programmes drsquoachats de titres ndash les engagements relatifs aux deacutecisions agravevenir

Approvisionnement en liquiditeacuteLorsque la qualiteacute du bilan des banquesdevient incertaine leurs sources de finance-ment habituelles sont geleacutees Pour reacutesoudrece problegraveme de refinancement des banqueset eacuteviter la vente deacutesordonneacutee de leurs actifsla banque centrale joue son rocircle de precircteuren dernier ressort Elle peut le faire en injec-tant massivement des liquiditeacutes dans le sys-tegraveme bancaire Elle peut pour cela assouplirle niveau de la qualiteacute des actifs que lesbanques peuvent donner en garantie

Programmes drsquoachats de titresLes mesures drsquoapprovisionnement en liquidi-teacutes devraient en principe permettre drsquoeacuteviterun effondrement du cours de la plupart desclasses drsquoactifs Toutefois ces mesures glo-bales peuvent se reacuteveacuteler insuffisantes pourcertains segments du marcheacute La banque cen-trale peut alors directement acheter les titresen question Ces programmes drsquoachat massifdrsquoactifs sont destineacutes agrave faire baisser les tauxdrsquointeacuterecirct agrave long terme et les primes de risqueen geacuteneacuteral afin drsquoopeacuterer un assouplissementmoneacutetaire suppleacutementaire

Engagements relatifs aux deacutecisions agrave venirMecircme srsquoil est lui impossible drsquoamener les tauxcourts au-dessous de zeacutero la banque centraledispose drsquoun autre moyen pour faire baisserles taux longs avec lrsquoespoir de relancer lrsquoeacuteco-nomie Cette solution consiste dans lrsquoengage-ment de maintenir durablement le principaltaux directeur agrave zeacutero Cette annonce devraitconduire les investisseurs agrave revoir agrave la baisseleurs anticipations relatives aux taux courtsfaisant ainsi diminuer le taux long

Assouplissement quantitatifet assouplissement du creacutedit

Les programmes drsquoachats de titres ne se tra-duisent pas neacutecessairement par une augmen-tation de la base moneacutetaire ndash constitueacutee parles billets en circulation eacutemis par la banquecentrale ainsi que les reacuteserves deacutetenuesaupregraves drsquoelle par les banques commerciales ndashappeleacutee aussi monnaie agrave haute puissance

[3] Bernanke B SReinhart V RSack B P (2004)laquo Monetary PolicyAlternatives at theZero Bound AnEmpirical Assessment raquoFinance and EconomicsDiscussion SeriesDivisions of Research ampStatistics and MonetaryAffairs Federal ReserveBoard Washington DC2004-48 (httpwwwfederalreservegovpubsfeds2004200448200448pappdf)

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 67

parce qursquoelle sert de fondement agrave la creacuteationmoneacutetaire par les banques commerciales lorsdrsquoopeacuterations de creacutedit Crsquoest le cas si

ndash la banque centrale procegravede agrave des achats detitres longs en les financcedilant par des ventes detitres courts drsquoun mecircme montant (opeacuterationtwist)

ndash la banque centrale steacuterilise ces achats endiminuant drsquoautant le montant de la liquiditeacuteqursquoelle injecte par ailleurs

Dans le cas contraire ndash crsquoest-agrave-dire si cesachats sont financeacutes par lrsquoeacutemission de mon-naie de base sans que celle-ci soit steacuteriliseacutee ndashon parle drsquoassouplissement quantitatif Srsquoilssont massifs ils peuvent se traduire par uneexplosion de la base moneacutetaire

On srsquoattend alors agrave une acceacuteleacuteration de lacreacuteation moneacutetaire ndash mesureacutee par les agreacute-gats plus larges M1 M2 et M3 ndash agrave courtterme agrave une stimulation de lrsquoactiviteacute eacutecono-mique agrave moyen long terme agrave une acceacuteleacutera-tion de lrsquoinflation Mais par temps de criseces enchaicircnements pourraient ecirctre rompus

degraves le deacutepart Lrsquoexplosion de la base ne setraduira pas par une expansion moneacutetaire sielle sert agrave alimenter la deacutetention de reacuteservesexceacutedentaires4 Crsquoest ce que lrsquoon a pu consta-ter quand la Banque du Japon a instaureacute unassouplissement quantitatif apregraves lrsquoeacuteclate-ment de la bulle sur les marcheacutes boursieret immobilier la base moneacutetaire a eacuteteacute mul-tiplieacutee par deux mais cela nrsquoa eu aucuneconseacutequence notable sur la demande globalendash qui est resteacutee atone ndash et sur le niveau geacuteneacute-ral des prix ndash qui a baisseacute

Deacutetente moneacutetaire ndashmesures non conventionnelles un palliatif mais pas la panaceacuteeQuelle a eacuteteacute lrsquoefficaciteacute de politiques de tauxdrsquointeacuterecirct historiquement bas combineacutees agrave desmesures non conventionnelles (cf tableau 1) Elles ont permis de gagner du temps pourqursquoun nouvel eacutequilibre eacutemerge mais leur

[4] Les reacuteserves qursquounebanque commercialedeacutetient aupregraves drsquoune

banque centralesont tregraves liquides et

deacutepourvues de risque en contrepartie leur

reacutemuneacuteration est tregravesfaible La stabiliteacute dumontant des creacutedits

distribueacutes agrave lrsquoeacuteconomieet de la creacuteation

moneacutetaire en deacutepitdrsquoune injection drsquounvolume consideacuterable

de liquiditeacute par labanque centrale peut

srsquoexpliquer ainsi lecoucirct drsquoopportuniteacute de la

deacutetention drsquoexceacutedentsde liquiditeacutes par les

banques est tregraves faible aussi preacutefegraverent-elles

conserver un actifextrecircmement liquidedeacutepourvu de risque etreacutemuneacutereacute agrave un faibletaux drsquointeacuterecirct plutocirct

qursquooctroyer des creacuteditsaux entreprises ou auxmeacutenages ou qursquoacheter

des actifs mieuxreacutemuneacutereacutes

1 Principales mesures prises par les banques centrales du G4 au cours de la crise

Eacutetats-UnisFed

Zone euroBCE

Royaume-UniBoE

JaponBoJ

ndash En deacutecembre 2008le principal tauxdirecteur a eacuteteacute ameneacuteau voisinage de zeacuterondash Achats de titres duTreacutesor et de titresadosseacutes agrave des garan-ties hypotheacutecairesdont le montant totalavoisine 3 000 Mds dedollars (programmesdrsquoassouplissementquantitatif QE1 QE2et QE3)ndash Annonce de lrsquointen-tion de maintenir lestaux au voisinage dezeacutero

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Marge limiteacutee enmatiegravere drsquoachatsde titres en raisonde lrsquointerdiction dufinancement les Eacutetatsndash Approvisionnementdu systegraveme bancaireen liquiditeacutes agrave destaux extrecircmement baspour une dureacutee tregraveslongue (allant jusqursquoagrave3 ans pour les deuxLTRO)

ndash Principal taux direc-teur abaisseacute agrave 05 ndash Achats drsquoobligationsdrsquoEacutetat dont le mon-tant total srsquoeacutelegraveve agrave 509Mds de dollarsndash Possibiliteacute offerteaux banques quidistribuent des precirctsdrsquoemprunter aupregravesde la BoE agrave des tauxdrsquointeacuterecirct tregraves bas

ndash Programme consis-tant agrave multiplier par2 la base moneacutetaireainsi que la deacutetentionde titres drsquoEacutetatndash Contrairement aux3 autres banques cen-trales possibiliteacute decombiner la politiquemoneacutetaire agrave un impor-tant programme derelance budgeacutetaire cequi donne lrsquoassuranceque la liquiditeacute creacuteeacuteesera bien utiliseacutee

Source drsquoapregraves New York Times

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 68

capaciteacute agrave y parvenir suscite de nombreusesinterrogations

Le gonflement des bilansdes banques centrales

Le total des bilans des banques centralesdu G4 atteint aujourdrsquohui environ 9000 mil-liards de dollars Il a augmenteacute de plus de8000 milliards depuis 2008 tandis que lavaleur moyenne des taux directeurs est infeacute-rieure agrave 05 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 2009(graphique 2)

La similitude de ces augmentations masqueune diffeacuterence de taille Le gonflement dubilan de la BCE observeacute jusqursquoagrave lrsquoeacuteteacute 2012 esten grande partie le reacutesultat de la forte aug-mentation de la demande de liquiditeacute de lapart des banques lors des deux VLTRO (opeacute-rations de refinancement agrave tregraves long termeVery Long Term Refinancing Operations) qui ont permis drsquoallouer un total drsquoenviron1000 milliards drsquoeuros Agrave ce moment-lagrave lesmontants des titres acquis fermes dans le

cadre du Securities Market Program (SMT)totalisaient 212 milliards drsquoeuros et ceuxacheteacutes dans le cadre des deux programmesdrsquoachat drsquoobligations seacutecuriseacutees avoisi-naient 69 milliards drsquoeuros Autrement ditla hausse du bilan de la BCE a eacuteteacute endogegravenedeacutetermineacutee par le comportement du systegravemebancaire celles des bilans des banques cen-trales britannique japonaise et ameacutericaineont eacuteteacute exogegravenes deacutetermineacutees par les autori-teacutes moneacutetaires

Effets sur les marcheacutes financiers

Appreacutehendeacutee globalement cette politiquede taux historiquement bas combineacutee agrave desmesures non conventionnelles a permis drsquoeacutevi-ter les crises de liquiditeacute bancaires et a faitbaisser les taux drsquointeacuterecirct rendant le deacutesen-dettement moins douloureux et facilitant lefinancement des deacuteficits publics Elle a aussisoutenu les prix des actifs ameacuteliorant la sol-vabiliteacute des emprunteurs

2 Bilans des banques centrales du G4 (en milliards de dollars) et moyenne de leurs taux directeurs (en )

40

35

30

25

20

15

10

05

002007 2008 2009 2010 2011 2012

10

9

8

7

6

5

4

3

Moyenne des taux directeurs (eacutech de gauche)Total des bilans (eacutech de droite)

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 69

Les marcheacutes ont le sentiment que les banques centrales agissent comme un filet de seacutecuriteacute pour la croissance les inves-tisseurs sont convaincus qursquoelles fixent un plancher aux prix des actifs mecircme si elles srsquoen deacutefendent Cette ideacutee a eacuteteacute renforceacuteecourant 2012 par le deacutebat sur lrsquoopportuniteacute de remplacer le ciblage de lrsquoinflation par une strateacutegie ndash comme le ciblage du PIB nominal ndash accordant plus de poids agrave lrsquoactiviteacute eacutecono-mique Il srsquoen est suivi une nette reacuteduction des risques extrecircmes pour lrsquoeacuteconomie mon-diale une tregraves forte baisse de la volatiliteacute et un encouragement pour les investisseurs agrave acqueacuterir des actifs plus risqueacutes

Lrsquoimpact de lrsquoaction des banques centrales sur les prix des principaux actifs est agrave pre-miegravere vue facile agrave constater Depuis lrsquoan-nonce et la mise en œuvre des diffeacuterents programmes drsquoassouplissement quantita-tif de la Fed et des opeacuterations de VLTRO de

la BCE les cours boursiers mondiaux ont eacuteteacute multiplieacutes par deux (graphique 3) Les annonces de la mise en place ou de lrsquoexten-sion des programmes drsquoassouplissement quantitatif ont eacuteteacute accompagneacutees de fortes progressions du MSCI World Equity IndexAgrave lrsquoopposeacute quand les marcheacutes ont pu croire que la Fed allait limiter ses interventionsles cours boursiers ont baisseacute Il en a notam-ment eacuteteacute ainsi agrave lrsquoexpiration de son deuxiegraveme dispositif drsquoassouplissement mais avec lrsquoannonce des deux opeacuterations de VLTROla BCE a en quelque sorte pris le relais ce qui a relanceacute les marcheacutes (graphique 3) La politique de maintien des taux directeurs agrave un niveau historiquement bas combineacutee aux mesures non conventionnelles a ameneacute les investisseurs agrave sortir des marcheacutes des obli-gations drsquoEacutetat et agrave se reporter sur des actifs plus risqueacutes ce qui a eacuteteacute favorable aux mar-cheacutes boursiers

3 Reacuteaction du marcheacute boursier mondial aux programmes non conventionnels

400

350

300

250

200

1502009 2010 2011 2012 2013

AnnonceQE1

ExtensionQE1

FinQE1

AnnonceQE2

FinQE2

AnnonceLTRO(BCE)

AnnonceQE3

Indice MSCI

Source Thomson Reuters Datastream

QE = Assouplissement quantitatif LTRO = Opeacuteration de refinancement agrave long terme Indice boursier mesurant la performance des marcheacutes boursiers de pays avanceacutes

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 70

Effets sur lrsquoactiviteacute eacuteconomiqueet sur lrsquoinflation

La hausse des cours boursiers en particulieret plus geacuteneacuteralement de lrsquoensemble des prixdes actifs risqueacutes devrait normalement facili-ter le financement des entreprises et conduireagrave un effet de richesse favorable Un environ-nement tel que celui qui preacutevaut actuellementdans de nombreux pays ougrave les rendementsobligataires sont infeacuterieurs agrave la croissancenominale du PIB semble particuliegraverementpropice agrave un redeacutemarrage de lrsquoinvestisse-ment Avec la baisse du coucirct du capital lesentreprises devraient voir la rentabiliteacute desinvestissements augmenter et deacutevelopperleurs activiteacutes Pourtant il nrsquoen est rien pourlrsquoinstant En deacutepit de lrsquoameacutelioration globalede la profitabiliteacute et de la structure de bilandes entreprises les commandes de biensdrsquoinvestissement demeurent deacutesespeacutereacutementfaibles dans la plupart des pays deacuteveloppeacuteset cette aneacutemie se diffuse dans les pays eacutemer-gents Une explication freacutequemment avanceacuteemet lrsquoaccent sur la monteacutee transitoire de lrsquoin-certitude en peacuteriode de crise Une autre met

en avant la persistance drsquoune contraction delrsquooffre de creacutedit par des banques soucieusesde deacutegonfler la taille de leurs bilans Unederniegravere ndash plus inquieacutetante ndash impute lrsquoatoniedes deacutepenses drsquoinvestissement agrave un change-ment durable de comportement de la partdes entreprises pour le financement de cesdeacutepenses eacutechaudeacutees par la contraction ducreacutedit elles ne voudraient plus deacutependre desbanques et souhaiteraient pouvoir comptersur leurs ressources propres leur aversionau risque aurait augmenteacute et deacutesormais ellesse contenteraient drsquoactiviteacutes moins rentablesQuoi qursquoil en soit si la croissance semble ecirctrerepartie aux Eacutetats-Unis (graphique 4a) cenrsquoest pas le cas dans la plupart des autreseacuteconomies deacuteveloppeacutees avec depuis le deacutebut2013 un ralentissement inquieacutetant observeacutepour lrsquoAllemagne qui avait jusqursquoalors faitexception

Nombreux sont ceux qui nrsquoont cesseacute drsquoex-primer leur preacuteoccupation au sujet drsquounepossible hausse de lrsquoinflation reacutesultant delrsquoexplosion des bilans des banques cen-trales Pour lrsquoheure cette crainte ne paraicirct

4a Croissance du PIB reacuteel depuis 1999 (base 100 en 1999)

135

130

125

120

115

110

105

100

00 0199 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Eacutetats-UnisRoyaume-UniFranceJaponItalieAllemagne

Source Thomson Reuters Datastream

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 71

pas justifieacutee (graphique 4b) Aux Eacutetats-Unisau Japon et dans la zone euro la hausse desprix observeacutee est mecircme tombeacutee assez nette-ment au-dessous des 2 qui constituent peuou prou lrsquoobjectif des banques centrales en lamatiegravere seul le Royaume-Uni fait exceptionEn outre sur les marcheacutes mondiaux les prixdes matiegraveres premiegraveres restent stables

Risques

Le maintien sur une peacuteriode prolongeacuteede politiques de taux historiquement bas

combineacutee agrave des mesures non convention-nelles pourrait avoir des effets pervers et leur retrait srsquoannonce comme un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

BullesUn assouplissement quantitatif persistant peutconduire agrave des bulles drsquoactifs aussi bien lagrave ougrave ilest mis en œuvre que dans les autres pays ougrave ila une influenceCrsquoest ce qui srsquoest passeacute en 2000-2006 quand la Reacuteserve feacutedeacuterale ameacutericaine afait chuter de maniegravere agressive le taux desfonds feacutedeacuteraux agrave 1 au cours de la reacutecession

4b Taux drsquoinflation depuis 2000 (en )

8

10

6

4

2

0

ndash 2

ndash 400 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Royaume-UniZone euroChineEacutetats-UnisJapon

4c Variation annuelle de lrsquoindice des prix des matiegraveres premiegraveres (en )

40

20

0

ndash 20

ndash 4000 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

Source Thomson Reuters Datastream

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 72

de 2001 et de la peacuteriode de faible reprise par lasuite En maintenant le taux agrave ces niveaux elleavait alimenteacute la laquo bulle raquo des creacutedits au loge-ment qui a provoqueacute la crise des subprimes

Mouvements de hot moneyet guerre des monnaiesLrsquoassouplissement quantitatif dans les eacuteco-nomies avanceacutees a potentiellement un autreeffet pervers les taux drsquointeacuterecirct faiblesgeacutenegraverent des mouvements de capitaux exces-sifs vers les eacuteconomies eacutemergentes agrave plusforte croissance et agrave forts taux drsquointeacuterecirct Enprincipe cette arriveacutee massive de capitauxdevrait se traduire par une appreacuteciationdes taux de change de ces pays jusqursquoagrave leurnouvelle valeur drsquoeacutequilibre une fois celle-ci atteinte les entreacutees de capitaux devraientcesser Dans la pratique il nrsquoen est pas ainsi si les investisseurs retirent des gains de cetteappreacuteciation il est agrave craindre que les entreacuteesde capitaux bien loin de se tarir redoublentce qui entraicircne une nouvelle revalorisation dela monnaie et bien loin de ramener lrsquoeacutecono-mie agrave lrsquoeacutequilibre ce processus amplificateurlrsquoen eacutecarte et risque de se terminer par unkrach Dans ces conditions il nrsquoest pas eacuteton-nant que les pays beacuteneacuteficiaires aient reacutesisteacuteagrave lrsquoafflux de mouvements de hot money pardes mesures de controcircle des mouvements decapitaux destineacutes agrave bloquer lrsquoappreacuteciation deleurs monnaies

laquo Zombification raquo de lrsquoeacuteconomieLes politiques drsquoassouplissement quantitatifsont aussi mises en cause en raison de leurcaractegravere potentiellement contre-productifEn favorisant de tregraves bas niveaux de taux drsquoin-teacuterecirct elles contribueraient agrave reporter dansle temps des restructurations ineacutevitables etagrave maintenir agrave flot des pans entiers de lrsquoeacuteco-nomie qui auraient ducirc disparaicirctre En retar-dant le deacutesendettement des secteurs priveacute etpublic ces politiques pourraient creacuteer unearmeacutee de laquo zombies raquo des institutions finan-ciegraveres avec des situations financiegraveres nettesneacutegatives des meacutenages irresponsables desentreprises peu compeacutetitives et peu inno-vantes et des pouvoirs publics inefficaces

Risques lieacutes agrave la sortiedes mesures non conventionnelles

Si la sortie des programmes non convention-nels eacutetait trop lente etou trop tardive ellepourrait ouvrir la voie agrave une acceacuteleacuteration delrsquoinflation etou agrave des bulles speacuteculativesAgrave lrsquoopposeacute une sortie preacutecipiteacutee risqueraitde deacutestabiliser les marcheacutes et de stopper lareprise de lrsquoactiviteacute eacuteconomique

Si lrsquoon prend lrsquoexemple des Eacutetats-Unis sansle soutien de la Fed une remonteacutee des tauxsemble ineacutevitable avec pour conseacutequenceune deacutepreacuteciation des obligations Les profitsde la Fed pourraient donc souffrir au coursdes anneacutees agrave venir de son deacutesengagementprogressif de sa politique drsquoassouplissementquantitatif surtout si elle eacutetait contrainte devendre agrave perte une partie de son portefeuillede titres5 Le Congressional Budget Office(CBO) estime que les paiements de la Fed auTreacutesor apregraves avoir atteint en moyenne 95 mil-liards de dollars par an jusqursquoen 2016 pour-raient tomber agrave zeacutero entre 2018 et 2020 pourreprendre par la suite

Au-delagrave de cet exemple comment eacuteviter quela sortie des dispositifs non conventionnelset de la politique de taux historiquement basne vienne menacer la stabiliteacute financiegravere Les recommandations agrave ce sujet sont appa-remment simples le gradualisme srsquoimposeet les changements apporteacutes doivent ecirctrepreacutevisibles la banque centrale doit laquo preacutepa-rer minutieusement sa strateacutegie de sortie etla communiquer agrave lrsquoavance aux marcheacutes auxinstitutions financiegraveres ainsi qursquoaux autresbanques centrales afin de minimiser le risquede dysfonctionnement raquo6 Selon une visionoptimiste cela ne devrait pas ecirctre difficile par exemple les banques centrales japonaiseet sueacutedoise ont pu deacutegonfler massivement lataille de leur bilan agrave lrsquoautomne 2010 sans creacuteerde perturbation dans le secteur financier oupour les taux drsquointeacuterecirct Mais lrsquoopinion la plusreacutepandue est que pour les banques centralesdu G4 la sortie des mesures non convention-nelles sera un exercice tregraves deacutelicat agrave mener

[5] Lors drsquoune auditionau Congregraves BenBernanke a estimeacute quela Fed aurait inteacuterecirctagrave conserver jusqursquoagraveleur eacutecheacuteance les precirctsimmobiliers titriseacutesqursquoelle deacutetient plutocirctque de les vendre surle marcheacute

[6] FMI (2013) Rapport2013 sur la stabiliteacutefinanciegravere globale

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 73

Avec la crise lrsquoobjectif de la politique moneacute-taire des banques centrales des principaleseacuteconomies avanceacutees ndash assurer la stabiliteacute desprix agrave moyenlong terme tout en stabilisantlrsquoactiviteacute eacuteconomique ndash nrsquoa pas varieacute Maislrsquoampleur du choc financier a eacuteteacute telle quepour lrsquoassurer elles ont ducirc avoir recours agravedes mesures totalement ineacutedites soit parceque les taux directeurs sont venus butercontre leur plancher de 0 (Banque drsquoAngle-terre Banque du Japon Fed) soit parce quele meacutecanisme de transmission habituel estdevenu inopeacuterant (BCE) En outre pour assu-rer la stabilisation conjoncturelle la politiquemoneacutetaire a eacuteteacute largement laisseacutee agrave elle-mecircme elle nrsquoa pas pu compter sur lrsquoappuidrsquoune politique budgeacutetaire expansionniste agravelaquelle les pouvoirs publics se sont refuseacutesCrsquoest ainsi que dans le G4 une politique detaux ultra accommodante a eacuteteacute associeacutee agrave desmesures non conventionnelles radicalementnouvelles Alors qursquoen temps normal les ban-quiers centraux se montrent extrecircmementprudents ils ont fait preuve drsquoaudace

Cette combinaison srsquoest traduite par un retouragrave la normale sur les marcheacutes financiers Enrevanche les signes drsquoune reprise solide delrsquoactiviteacute et drsquoune ameacutelioration de la situationde lrsquoemploi se font toujours attendre surtouten Europe et au Japon Dans ces conditionsil nrsquoest pas eacutetonnant que chez les eacutecono-mistes des points de vue diffeacuterents sur ce

renouvellement des politiques moneacutetairessoient exprimeacutes Les moneacutetaristes et les keyneacute-siens de stricte obeacutedience le jugent soit dange-reux ndash pour les premiers les banques centralesse sont trop aventureacutees en terre inconnue etdoivent revenir en arriegravere compte tenu desrisques encourus ndash soit largement inefficace ndashpour les seconds dans la situation de trappe agraveliquiditeacute ougrave lrsquoon se trouve aujourdrsquohui la poli-tique moneacutetaire ne peut agrave elle seule stabiliserlrsquoeacuteconomie et la politique budgeacutetaire doit ecirctreplus expansionniste En revanche pour lesnouveaux keyneacutesiens ndash dont lrsquoanalyse a lar-gement inspireacute le renouvellement de la poli-tique moneacutetaire ndash celui-ci a eacuteviteacute le pire ndash enempecircchant que la situation observeacutee dans lesanneacutees 1930 ne se reproduise et des margesde manœuvre restent encore disponibles quipermettraient drsquoaller encore plus loin si lebesoin srsquoen faisait sentir Mais du cocircteacute desbanquiers centraux on cherche agrave tempeacutererces attentes en indiquant clairement qursquoil nefaut pas srsquoattendre agrave ce que leur action regravegletous les problegravemes auxquels sont confronteacuteesaujourdrsquohui les eacuteconomies comme le deacuteclarelrsquoun drsquoentre eux7 si la politique moneacutetairepeut promouvoir des conditions favorisant lacroissance elle ne creacutee pas de richesse pour etpar elle-mecircme ce sont les forces innovatriceset entrepreneuriales du secteur priveacute qui sontles moteurs drsquoune croissance reacuteelle et durable

[7] Jean-Pierre Danthinevice-preacutesident de la

Direction geacuteneacuterale de laBanque nationale suisse

AGLIETTA M CARTON B etSZCZERBOWICZ U (2012) laquo La BCE au chevet de laliquiditeacute bancaire raquo La lettre duCEPII ndeg 321 mai

BANQUE DES REgraveGLEMENTSINTERNATIONAUX (2013) 83e rapport annuel de la BRI20122013 23 juin

BROYER S (2013) laquo La reacuteaction des banques

centrales agrave la crise une comparaison raquo SpecialReport recherche eacuteconomiquendeg 30 Natixis 27 feacutevrier

CLERC L (2009) laquo Les mesures nonconventionnelles de politiquemoneacutetaire raquo Focus ndeg 4Banque de France 23 avril

LOISEL O et MEacuteSONNIER J-S (2009) laquo Les mesures non

conventionnelles de politiquemoneacutetaire face agrave la criseQuestions actuelles ndash Eacuteconomie-Monnaie-Finance ndeg 1 Banquede France avril

MISHKIN F BORDES CLACOUE-LABARTHE DLEBOISNE N POUTINEAU J-C(2013) Monnaie banque etmarcheacutes inanciers ParisPearson 10e eacuted

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 74

LA STABILITEacute FINANCIEgraveRENOUVEL OBJECTIFDES BANQUES CENTRALES Une implication forte des banques centrales

dans le macro-prudentiel semble aujourdrsquohui

faire consensus 86 des banquiers centraux

et 89 des eacuteconomistes qui ont participeacute agrave

notre questionnaire ont ainsi reacutepondu laquo oui raquo

agrave la question de savoir si la Banque centrale

devait jouer un rocircle important dans

la supervision macro-prudentielle

La supervision macro-prudentielle constitue

en effet le chaicircnon manquant entre politique

moneacutetaire et politique prudentielle et permet de

les articuler Mais quels seront preacuteciseacutement les

instruments macro-prudentiels

des banques centrales Ougrave commence et ougrave

finit lrsquoimplication de la Banque centrale dans

la politique prudentielle Son implication

macro-prudentielle suppose-t-elle aussi

une implication dans le micro-prudentiel

pousseacutee ou non

Le rocircle de la politique macro-prudentielleLes superviseurs ont longtemps privileacutegieacute

la reacutegulation micro-prudentielle et precircteacute

peu drsquoattention au risque systeacutemique Ils

consideacuteraient en effet qursquoune maicirctrise des

risques individuels eacutetait suffisante pour

preacuteserver la stabiliteacute du systegraveme financier

Cette attitude eacutetait et demeure lieacutee en

grande partie au paradigme de lrsquoefficience

des marcheacutes paradigme qui privileacutegie le

comportement des agents individuels agrave partir

drsquoune vision essentiellement microeacuteconomique

de la finance Selon cette conception le

risque systeacutemique serait ainsi le reacutesultat

drsquoune agreacutegation de risques individuels Crsquoest

ainsi que la reacutegulation macro-prudentielle

qui concerne la stabiliteacute globale du systegraveme

bancaire et financier eacutetait le maillon faible si ce

nrsquoest manquant du dispositif prudentiel agrave

la veille de la crise des subprimes

Plus preacuteciseacutement la politique macro-

prudentielle peut ecirctre vue comme se situant

sur un spectre avec la politique moneacutetaire

drsquoun cocircteacute et la politique micro-prudentielle

de lrsquoautre Ses objectifs de nature globale se

rapprochent de ceux de la politique moneacutetaire

En revanche elle est plus proche de la politique

micro-prudentielle au niveau des instruments ndash

tels les ratios de capital ndash qursquoelle doit chercher

agrave adapter et manier pour reacuteduire le risque

systeacutemique Ineacutevitablement la frontiegravere entre

le macro-prudentiel et le micro-prudentiel sera

poreuse et fine Ce qui obligera les banques

centrales et les autoriteacutes de supervision agrave se

coordonner eacutetroitement

Le rocircle principal des politiques micro et macro-

prudentielles peut srsquoexprimer simplement

promouvoir la reacutesilience du systegraveme financier

de maniegravere agrave assurer une offre de services

financiers adapteacutee aux besoins de lrsquoeacuteconomie

dans son ensemble La fonction speacutecifique

de la politique macroprudentielle consiste agrave

preacutevenir et geacuterer le risque systeacutemique Selon la

deacutefinition donneacutee par Jean-Franccedilois Lepetit

laquo La crise systeacutemique est une rupture dans le

fonctionnement des services financiers causeacutee

par la deacutegradation de tout ou partie du systegraveme

financier et ayant un impact neacutegatif geacuteneacuteraliseacute

sur lrsquoeacuteconomie reacuteelle raquo

La crise des subprimes fournit une illustration

du risque systeacutemique conduisant agrave une

crise systeacutemique dans la mesure ougrave elle a

brutalement deacutestabiliseacute le systegraveme financier

international et srsquoest propageacutee agrave lrsquoensemble

de lrsquoeacuteconomie mondiale Bien sucircr le risque de

systegraveme nrsquoest pas un pheacutenomegravene nouveau

Les crises systeacutemiques jalonnent en effet

lrsquohistoire des systegravemes financiers et la crise

de 1929 fut lrsquoune des plus meacutemorables Ce

risque de systegraveme srsquoest cependant intensifieacute

agrave partir des anneacutees soixante-dix avec la

globalisation financiegravere Cette derniegravere a

interconnecteacute les marcheacutes et vu se deacutevelopper

de grands groupes financiers transnationaux

et multispeacutecialiseacutes (hellip)

La crise financiegravere systeacutemique de 2007-2009

a susciteacute un grand nombre drsquoanalyses et de

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES MONEacuteTAIRES QUEL RENOUVELLEMENT AVEC LA CRISE 75

propositions destineacutees agrave ameacuteliorer le dispositif

prudentiel Le contenu de ces derniegraveres a

eacuteteacute diffeacuterent en Europe et aux Eacutetats-Unis

ce qui srsquoexplique en partie par le fait que les

systegravemes financiers ne sont pas identiques

lrsquointermeacutediation de marcheacute eacutetant plus eacutetendue

aux Etats-Unis qursquoen Europe Les propositions

europeacuteennes ont plutocirct mis lrsquoaccent sur les

dispositifs contra-cycliques mis en œuvre

par les autoriteacutes de tutelle des banques

alors que les reacuteflexions ameacutericaines se sont

surtout tourneacutees vers des mesures de marcheacute

destineacutees agrave traiter les problegravemes deacutecoulant de

lrsquoaleacutea moral et de la taille des banques (laquo too big

to fail raquo)

En Europe les discussions se sont largement

centreacutees sur la mise en place drsquoun nouveau

dispositif drsquoexigences en fonds propres sous

forme drsquoune surcharge laquo systeacutemique raquo en

capital dans le prolongement de la logique de

travaux du Comiteacute de Bacircle Cette premiegravere seacuterie

de mesures cherche en particulier agrave maicirctriser

les effets de levier Toutefois la crise en cours a

reacuteveacuteleacute lrsquoinsuffisante prise en compte des risques

de liquiditeacute ce qui montre la neacutecessiteacute drsquoinciter

les banques agrave recourir agrave des financements plus

longs de maniegravere agrave reacuteduire la transformation

drsquoeacutecheacuteances (maturity mismatch) Des

mesures compleacutementaires etou alternatives

agrave la surcharge en capital ont eacutegalement eacuteteacute

proposeacutees dans le cadre des accords de Bacircle III

La surcharge en capitalEn apparence lrsquoinstrument macro-prudentiel le

plus simple pour reacuteduire le risque systeacutemique

global est de soumettre lrsquoensemble des acteurs

financiers laquo systeacutemiques raquo agrave une surcharge

en capital en plus des exigences en capital

micro-prudentielles existantes Chaque pays

doit alors deacutefinir une liste drsquolaquo institutions

systeacutemiques raquo en fonction de trois critegraveres

taille connectiviteacute et complexiteacute Cette

surcharge entend accroicirctre le coucirct marginal

des activiteacutes de precirct et reacuteduire les effets de

levier Par ailleurs elle doit varier de maniegravere

contra-cyclique pour atteacutenuer les cycles du

creacutedit La fixation de la surcharge en capital

devrait ecirctre effectueacutee sous la responsabiliteacute

des banques centrales nationales Celles-ci

auraient dans cette fonction la possibiliteacute

de superviser les laquo institutions systeacutemiques

raquo de leur ressort La fixation de la surcharge

en capital se ferait ainsi en deux eacutetapes dans

un processus top down La Banque centrale

deacutetermine drsquoabord les objectifs opeacuterationnels

de sa politique contra-cyclique agrave partir drsquoune

mesure de lrsquoexcegraves drsquooffre de creacutedit par rapport agrave

une norme de long terme Elle deacutetermine alors

le capital reacuteglementaire pour lrsquoensemble des

banques systeacutemiques neacutecessaire pour endiguer

lrsquoexcegraves de creacutedit pouvant conduire au risque

systeacutemique La surcharge globale en capital est

ensuite reacutepartie entre les entiteacutes systeacutemiques

La surcharge est ainsi calculeacutee en fonction de

la contribution speacutecifique de chaque banque au

risque systeacutemique global en fonction de trois

critegraveres effet de levier taux de transformation

(maturity mismatch) et taux de croissance des

creacutedits (hellip)

La maicirctrise du risque de liquiditeacuteLa crise de 2007-2009 a montreacute que le risque

drsquoilliquiditeacute avait eacuteteacute sous-estimeacute par les

dispositifs prudentiels La crise des subprimes

srsquoest en effet traduite par une crise de liquiditeacute

crsquoest-agrave-dire une eacutevaporation brutale des

liquiditeacutes sur les marcheacutes moneacutetaires qui a

menaceacute la stabiliteacute des systegravemes bancaires et

ameneacute les banques centrales agrave effectuer des

injections massives de liquiditeacutes en urgence

dans le cadre de leur fonction de precircteur en

dernier ressort Plusieurs propositions ont eacuteteacute

faites pour mieux assurer la protection des

acteurs et des marcheacutes contre ce risque

de liquiditeacute pour reacuteduire le risque systeacutemique

selon une proceacutedure semblable agrave celle

eacutetablissant la surcharge en capital (hellip)

la mise en œuvre par la Banque centrale drsquoune

politique de refinancement individualiseacutee pour

chaque groupe bancaire preacutesent dans sa zone

moneacutetaire Les banques centrales seraient alors

ameneacutees agrave superviser les entiteacutes systeacutemiques

avec des objectifs macro-prudentiels Dans la

mesure ougrave comme on vient de le voir les crises

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 76

de liquiditeacute sont un des meacutecanismes des crises

systeacutemiques les banques centrales pourraient

eacutegalement avoir une approche systeacutemique de

leur offre de liquiditeacute bancaire crsquoest-agrave-dire

de leur refinancement des groupes bancaires

et financiers en particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo Une telle politique impliquerait

un changement strateacutegique par rapport aux

politiques actuelles drsquointervention des banques

centrales sur le marcheacute moneacutetaire qui sont

globales et non individualiseacutees par banque

Une politique individualiseacutee de refinancement

permettrait drsquoagir directement sur les

comportements des banques et en particulier

de freiner un emballement du creacutedit et

symeacutetriquement de stimuler le financement

drsquoactiviteacutes strateacutegiques et creacuteatrices drsquoemploi

Cette approche individualiseacutee du refinancement

par les banques centrales apparaicirct conforme

agrave la deacutecision du G20 de Londres (avril 2009)

drsquoeffectuer un suivi particulier des laquo entiteacutes

systeacutemiques raquo

La reacutegulation du creacutedit bancaireOn a vu que lrsquoemballement du creacutedit dans

certains secteurs et dans certains pays a joueacute

un rocircle deacutecisif dans la crise reacutecente Ainsi

la croissance excessive du creacutedit a-t-elle

largement alimenteacute la bulle immobiliegravere aux

Eacutetats-Unis en Espagne et en Irlande Lrsquoadoption

de mesures destineacutees agrave reacuteguler le creacutedit en

geacuteneacuteral ou dans certains secteurs peut ainsi

se reacuteveacuteler souhaitable en compleacutement de la

politique moneacutetaire et de lrsquoaction geacuteneacuterale sur

la liquiditeacute bancaire Plusieurs instruments

peuvent ecirctre utiliseacutes pour reacuteguler le creacutedit

bancaire tels que le renforcement des ratios

laquo loan to value raquo (rapport entre le precirct et la

valeur de marcheacute de lrsquoactif qursquoil finance) ou la

mise en place de reacuteserves obligatoires sur les

creacutedits parallegravelement aux reacuteserves sur les

deacutepocircts Ces reacuteserves permettraient drsquoagir sur

la liquiditeacute des banques mais eacutegalement sur

leur capaciteacute agrave deacutevelopper leurs creacutedits Il y

aurait donc un double impact de ces reacuteserves

obligatoires sur la liquiditeacute et sur lrsquoeffet de

levier Alors que les reacuteserves obligatoires

sur les deacutepocircts existent actuellement dans la

zone euro et sont reacutemuneacutereacutees les reacuteserves

obligatoires sur les creacutedits agrave mettre en place ne

le seraient pas Ces reacuteserves devraient ecirctre en

toute hypothegravese progressives selon le rythme

de croissance des creacutedits et diffeacuterentes selon

les activiteacutes (creacutedits agrave la consommation agrave

lrsquoeacutequipement agrave lrsquoimmobilier aux hedge funds et

fonds de private equity) Leur objectif serait de

contrer les emballements des activiteacutes de creacutedit

et de marcheacute

Dans le cadre de la zone euro ces instruments

de reacutegulation du creacutedit devraient en outre

ecirctre moduleacutes selon les secteurs drsquoactiviteacute

mais eacutegalement en fonction de la conjoncture

preacutevalant dans chaque pays Il srsquoagirait donc de

revenir sur la politique uniforme adopteacutee par la

BCE dans la zone euro meneacutee dans un esprit

de neutraliteacute ndash avec le souci de la convergence

des eacuteconomies Les deacuteveloppements reacutecents

de la crise dans la zone euro ont en effet

montreacute que les eacuteconomies de la zone ont

divergeacute et que la politique moneacutetaire uniforme

a contribueacute agrave favoriser cette divergence entre

pays agrave lrsquoorigine de la crise de la zone euro en

2009 et 2010 Cette proposition pourrait ecirctre un

eacuteleacutement important de la reacuteforme de la politique

eacuteconomique et moneacutetaire au sein de la zone

euro Il pourra ecirctre objecteacute que ces politiques

diffeacuterencieacutees remettent en cause lrsquouniformiteacute

de la politique moneacutetaire au sein de la zone et

peuvent favoriser les arbitrages La proposition

serait drsquoappliquer ces politiques en prioriteacute aux

secteurs tel lrsquoimmobilier qui restent largement

nationaux (hellip) ()

Jean-Paul Betbegraveze Christian BordesJeacutezabel Couppey-Soubeyran

et Dominique Plihon

() Extraits choisis par la reacutedaction des

hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques

dans Betbegraveze J-P Bordes C Couppey-

Soubeyran J et Plihon D (2010) Banques

centrales et stabiliteacute financiegravere rapport du

Conseil drsquoanalyse eacuteconomique ndeg 96 Paris la

Documentation franccedilaise

Le titre et les intertitres sont de la reacutedaction

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS77

JACQUES LE CACHEUX

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de Pau et des Pays de lrsquoAdourDirecteur du Deacutepartement des eacutetudes agrave lrsquoOFCESciences Po

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale le taux de preacutelegravevements obligatoires est net-tement orienteacute agrave la hausse dans la plupart des pays de lrsquoOCDE Il avait toutefois connu une certaine stabilisation depuis les anneacutees 1990 voire mecircme une leacutegegravere baisse sur la fin de la peacuteriode Les politiques drsquoausteacuteriteacute voteacutees dans la fouleacutee de la crise semblent avoir mis un terme agrave cette dynamique Au-delagrave de ces tendances globales partageacutees par lrsquoensemble des pays deacuteveloppeacutes on observe drsquoimportantes dispariteacutes dans la structure des preacutelegravevements obligatoires qui reflegravetent des traditions concernant notamment le financement de la protec-tion sociale Lrsquoeacutevolution du poids des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement obeacuteit toutefois lagrave encore comme le montre Jacques Le Cacheux agrave des tendances communes la mondialisation et la concurrence fiscale qui en reacutesulte ont pousseacute les gouvernements agrave alleacuteger la pression fiscale portant sur les assiettes les plus mobiles ndash entreprises et hauts revenus ndash et agrave taxer davantage la consommation et certains types de biens

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques fiscales dans les pays de lrsquoOCDE comparaisons eacutevolutions

La Grande Reacutecession de 2008-2009 a profondeacute-ment creuseacute les deacuteficits budgeacutetaires et consi-deacuterablement alourdi les dettes publiquesdans tous les pays deacuteveloppeacutes incitant lesgouvernements agrave adopter des politiques deconsolidation budgeacutetaire Celles-ci associentdans des proportions variables selon les cashausses drsquoimpocircts et baisses des deacutepensespubliques La crise prolongeacutee en Europe par

cette cure drsquoausteacuteriteacute massive et simulta-neacutee qui pegravese sur la demande globale a ainsiengendreacute une inflexion marqueacutee dans lrsquoeacutevolu-tion des preacutelegravevements obligatoires en pour-centage du PIB les recettes fiscales avaienteu tendance agrave se stabiliser voire agrave se reacuteduiredans la quasi-totaliteacute des pays membresde lrsquoOCDE notamment durant la reacutecessionde 2008-2009 les plans de relance compor-tant souvent des allegravegements drsquoimpocircts etou de cotisations sociales depuis 2011 aucontraire ce taux de preacutelegravevements obliga-toires est presque partout croissant commeil lrsquoavait eacuteteacute au cours des quatre deacutecenniessuivant la fin de la Seconde Guerre mondiale

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 78

Derriegravere ces tendances globales relativement homogegravenes les choix fiscaux varient tregraves sensiblement au sein des pays deacuteveloppeacutesle poids relatif des diffeacuterents instruments de preacutelegravevement se modifiant beaucoup La diversiteacute des traditions fiscales explique en grande partie les dispariteacutes constateacutees mais lrsquoouverture croissante des eacuteconomies au commerce international et aux mouve-ments de capitaux au cours des trois der-niegraveres deacutecennies semble avoir engendreacute des adaptations dont les caracteacuteristiques sont en partie communes Elles reacutesultent avant tout du jeu de la concurrence fiscalequi pousse les gouvernements nationaux agrave recourir dans ce domaine agrave des strateacutegies de compeacutetitiviteacute et drsquoattractiviteacute se tradui-sant notamment par la reacuteduction du coucirct de la main-drsquoœuvre et de la pression fiscale qui pegravese sur les facteurs les plus mobiles et lrsquoalourdissement de celle qui frappe la consommation (TVA) et certains biens (taxes speacutecifiques dont les accises)

Une nouvelle tendance agrave la hausse Apregraves des deacutecennies de hausse les taux depreacutelegravevements obligatoires ndash qui mesurent lapart des recettes totales des impocircts taxeset cotisations sociales dans le PIB ndash avaientconnu depuis le milieu des anneacutees 1990 unepeacuteriode de quasi stabiliteacute voire de baissedans certains pays (graphique 1) Les diver-gences demeuraient cependant sensibles stabiliteacute remarquablement longue en Alle-magne baisse tregraves marqueacutee aux Eacutetats-Uniset en Suegravede perceptible mais plus leacutegegravere enFrance et au Danemark1

Toutefois les politiques de consolidation bud-geacutetaire meneacutees notamment en Europe depuis2010 ont le plus souvent comporteacute des aug-mentations de pression fiscale encore peuvisibles sur les donneacutees de lrsquoanneacutee 2011 (der-niegraveres disponibles sur une base comparable)mais tregraves marqueacutees dans certains pays en France par exemple selon les donneacutees

[1] LrsquoOCDE comptait20 pays membres lorsde sa fondation en1960 elle en compteaujourdrsquohui 34 et bonnombre des nouveauxmembres sont des payslaquo eacutemergents raquo dontles eacutevolutions fiscalessont speacutecifiques Il nesaurait ecirctre questionde preacutesenter en deacutetailtoutes les donneacuteesfiscales des 34 membreset le choix a eacuteteacute faitde mettre lrsquoaccentsur quelques payssignificatifs les Eacutetats-Unis parce qursquoils sontla principale eacuteconomiede la zone lrsquoAllemagneet la France qui sontles deux principaleseacuteconomies de lrsquoUnioneuropeacuteenne (UE) et de lazone euro le Danemarket la Suegravede parceqursquoils sont deux petiteseacuteconomies ouvertes tregravesavanceacutees et agrave pressionfiscale eacuteleveacutee

1 Taux de preacutelegravevements obligatoires quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 ( du PIB)

55

50

45

40

35

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1965

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2001

2004

2007

2010

OCDE

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 79

officielles du projet de loi de finances 2013le taux de preacutelegravevements obligatoires eacutetait de449 en 2012 et devrait atteindre 463 en2013

Stabiliteacute de lrsquoimpocirctsur les revenus des personneset baisse des taux marginauxParmi les principaux instruments de preacutelegrave-vement lrsquoimpocirct sur le revenu des personnesest lrsquoun des seuls qui preacutesente une certaineprogressiviteacute il constitue donc lrsquooutil privi-leacutegieacute de la redistribution fiscale comme lrsquoontsouligneacute notamment les travaux de LandaisPiketty et Saez (2011) Or dans plusieurs paysde lrsquoOCDE (graphique 2) le poids relatif de cetimpocirct a eu tendance agrave se reacuteduire depuis desanneacutees crsquoest le cas en Suegravede depuis les deacutebutdes anneacutees 1990 en Allemagne depuis lemilieu de cette mecircme deacutecennie et aux Eacutetats-Unis depuis le deacutebut des anneacutees 2000 alorsque sa part dans le PIB est stable au Dane-mark et srsquoest accrue en France agrave la fin desanneacutees 1990 avec la monteacutee en puissance de

la contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) Cepreacutelegravevement srsquoapparente en effet agrave un impocirctproportionnel sur les revenus des personnes(Le Cacheux 2008)

La tendance agrave une moindre progressiviteacute dela fiscaliteacute srsquoest manifesteacutee drsquoabord dans lespays anglo-saxons (Eacutetats-Unis et Royaume-Uni) degraves le deacutebut des anneacutees 1980 avec unesimplification souvent drastique du baregravemede lrsquoimpocirct sur les revenus (reacuteduction dunombre de tranches) et un abaissement mar-queacute des taux marginaux supeacuterieurs LrsquoAlle-magne les Eacutetats-Unis et dans une moindremesure la France entre 2002 et 2007 ont eacutega-lement meneacute plus reacutecemment de telles poli-tiques (graphique 3)

Cotisations sociales des eacutevolutions divergentesLa monteacutee en puissance des Eacutetats-provi-dence au cours des anneacutees 1960 et 1970 srsquoestaccompagneacutee dans la plupart des pays delrsquoOCDE drsquoune tregraves forte augmentation de lapart des cotisations sociales ndash assises sur

2 Impocirct sur les revenus des personnes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

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1983

1986

1989

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1995

1998

2001

2004

2007

2010

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 80

les seuls revenus drsquoactiviteacute et geacuteneacuteralementproportionnelles voire plafonneacutees ndash parti-culiegraverement prononceacutee en France en Alle-magne et en Suegravede (graphique 4) Toutefoisles divergences entre pays quant agrave lrsquoampleurde la protection sociale ou au choix de sonmode de financement sont tregraves sensibles les Eacutetats-Unis dont la protection sociale estmodeste et le Danemark ougrave elle tregraves eacutetenduemais financeacutee principalement par la fisca-liteacute geacuteneacuterale se distinguent ainsi de la plu-part de leurs partenaires Plus reacutecemmentles pays dont les cotisations sociales sontles plus lourdes ont entrepris des reacuteformesvisant agrave faire baisser la charge pesant surles revenus du travail et agrave basculer une par-tie du financement de la protection socialesur drsquoautres assiettes ensemble des reve-nus des personnes avec la CSG dans le casde la France consommation avec la TVAdans le cas de lrsquoAllemagne En Suegravede crsquoest la

moindre geacuteneacuterositeacute de la protection socialequi explique la baisse de la part des cotisa-tions sociales dans le PIB

Comme lrsquoont illustreacute en 2012 les deacutebats enFrance sur la laquo TVA sociale raquo (Le Cacheux2012b) et le laquo pacte de compeacutetitiviteacute raquo qui creacuteeun creacutedit drsquoimpocirct compeacutetitiviteacute-emploi (CICE)destineacute agrave alleacuteger le coucirct de la main-drsquoœuvrela recherche drsquoune meilleure compeacutetitiviteacute-coucirct continue de motiver les modifications dela fiscaliteacute dans de nombreux pays

Impocirct sur les socieacuteteacutes baisse des tauxet eacutelargissement de lrsquoassiette

Tregraves fluctuantes par nature en raison de laforte sensibiliteacute de son assiette agrave la conjonc-ture la part des recettes de lrsquoimpocirct sur lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes (IS) dans le PIB nepreacutesente pas de tendance nette au cours des

3 Taux marginal supeacuterieur de preacutelegravevements sur les revenus salariaux quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2012 (en )

65

60

55

50

45

40

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

Calculeacute par lrsquoOCDE ce taux marginal indique le taux de preacutelegravevement total (impocircts sur le revenu et cotisations sociales sala-rieacutes) que subit un gain suppleacutementaire de 1 euro de revenu salarial Il tient compte des abattements et de la deacuteductibiliteacute descotisations sociales de lrsquoassiette de lrsquoimpocirct sur le revenu

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 81

derniegraveres deacutecennies elle semblait mecircmeorienteacutee agrave la hausse depuis le deacutebut desanneacutees 1990 dans de nombreux pays dumoins jusqursquoagrave la Grande Reacutecession de 2008-2009 (graphique 5)

La bonne tenue des recettes de lrsquoIS en deacutepit drsquoune tendance assez geacuteneacuterale et parfois tregraves marqueacutee agrave la baisse des taux statutaires drsquoimposition (graphique 6) symptocircme parmi drsquoautres de la concurrence fiscale visant agrave attirer les entreprises ou la localisation de leurs beacuteneacutefices imposables srsquoexplique en partie par des politiques drsquoeacutelargissement de lrsquoassiette destineacutees agrave reacuteduire les distor-sions introduites par lrsquoIS dans les choix des entreprises notamment en matiegravere de finan-cement Elle reacutesulte aussi pour partie de la tendance observeacutee avant la Grande Reacuteces-sion dans de nombreux pays agrave lrsquoaugmen-tation de la part des profits dans la valeur ajouteacutee (Piotrowska et Vanborren 2008)

En deacutepit de ce maintien des recettes de lrsquoim-pocirct sur les socieacuteteacutes les gouvernements despays deacuteveloppeacutes ont manifesteacute en 2013 leur

volonteacute de lutter contre lrsquoeacutevasion fiscale et lalaquo planification fiscale agressive raquo des entre-prises notamment des grandes multinatio-nales actives dans les services en reacuteseau etlrsquointernet Cette prioriteacute a eacuteteacute afficheacutee lors dela reacuteunion du G8 des 17-18 juin 2013 et dansles travaux reacutecents de lrsquoOCDE

Impocircts geacuteneacuterauxsur la consommation

Dans un contexte drsquoouverture croissante deseacuteconomies nationales et de deacutemantegravelementprogressif des barriegravere douaniegraveres tarifairesndash au sein du GATT puis de lrsquoOrganisationmondiale du commerce (OMC) ndash il nrsquoest guegraveresurprenant de constater la monteacutee en puis-sance dans la plupart des pays des taxeset impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation(graphique 7) dont le principal est la taxesur la valeur ajouteacutee (TVA) preacutesente dans latregraves grande majoriteacute des pays ndash agrave lrsquoexceptionnotable des Eacutetats-Unis de tels impocircts agraveassiette large et agrave fort rendement permettenten outre de taxer les importations et dans le

4 Cotisations sociales quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

20

12

10

8

6

7

2

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

14

16

18

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 82

5 Impocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

5

3

25

2

15

1

05

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

35

4

45

Source OCDE

6 Taux statutaire drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes quelques pays de lrsquoOCDE 2000-2013 (en )

55

40

35

30

25

20

2001

2000

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

45

50

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

Source OCDE

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 83

cas de la TVA drsquoexoneacuterer les exportations cequi en fait lrsquoun des instruments privileacutegieacutesde la concurrence fiscale (Le Cacheux 2012b)Sur ce plan la France preacutesente une eacutevolutionsinguliegravere la part des recettes de TVA dans lePIB ne cessant de baisser depuis le deacutebut desanneacutees 1980 en raison de la multiplicationdes secteurs soumis agrave des taux reacuteduits

AccisesTregraves utiliseacutees par les diffeacuterents gouverne-ments jusque dans les anneacutees 1960 les taxesspeacutecifiques sur la consommation ou lrsquousagede certains biens ndash les accises ndash ont vu leursrecettes se reacuteduire tendanciellement danstous les pays au cours des derniegraveres deacutecen-nies (graphique 8) en deacutepit de leur inteacuterecirctdans les politiques de santeacute publique (taxa-tion de lrsquoalcool et du tabac notamment) etde protection de lrsquoenvironnement (taxationdes carburants des activiteacutes polluantes parexemple)2

Les composantes des systegravemesde preacutelegravevements obligatoiresDes structures fiscalesnationales tregraves disparatesBien que lrsquoon puisse deacuteceler des tendancescommunes dans les eacutevolutions longues de lafiscaliteacute des principaux pays deacuteveloppeacutes lesstructures fiscales nationales demeurent tregravesdiffeacuterentes les unes des autres Au sein mecircmede lrsquoUnion europeacuteenne ces diffeacuterences sonttregraves marqueacutees mecircme si la France et lrsquoAlle-magne apparaissent comme assez proches(graphique 9) importance des cotisationssociales et faiblesse de lrsquoimposition des reve-nus des personnes dans les deux pays Pour-tant la France se distingue de la plupart deses partenaires par la faible part des recettesdrsquoimposition de la consommation (TVA etaccises)

7 Impocircts geacuteneacuteraux sur la consommation quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

12

6

4

2

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

8

10

Source OCDE

[2] Le laquo paradoxe raquo dela fiscaliteacute eacutecologique

ndash plus on en parle moinson la met en œuvre etmoins elle rapporte ndash

est souligneacute et deacutetailleacutedans Le Cacheux (2012a)

Voir eacutegalement infra

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 84

La difficile imposition du capitaldans un monde ouvertLes anneacutees reacutecentes ont eacutegalement vu laFrance se distinguer dans le domaine de lrsquoim-position du capital et de ses revenus alorsque le taux implicite drsquoimposition du capitala eu tendance agrave baisser dans la plupart despays notamment au sein de lrsquoUE (graphique10) du fait de la concurrence fiscale srsquoexer-ccedilant sur une assiette tregraves mobile la France adepuis 2010 beaucoup accru la charge fiscalesur le capital notamment sur le patrimoinedes personnes ndash reacutetablissement de lrsquoimpocirct desolidariteacute sur la fortune (ISF) en 2012 ndash et surles revenus et plus-values du capital3

Les balbutiements de la fiscaliteacuteenvironnementalePrioriteacute afficheacutee de la plupart des gou-vernements des pays deacuteveloppeacutes et desautoriteacutes europeacuteennes la lutte contre lesdeacutegradations de lrsquoenvironnement et notam-ment contre le changement climatique ne setraduit pas loin srsquoen faut par une monteacutee enpuissance de la fiscaliteacute environnementale

(Laurent et Le Cacheux 2012 Le Cacheux2013) Ainsi agrave lrsquoexception des gouverne-ments de quelques pays drsquoEurope du Nordles principaux pays nrsquoont pas sensiblementaccru lrsquoimposition de lrsquoeacutenergie la Francelrsquoa mecircme reacuteduite depuis un peu plus drsquounedeacutecennie (graphique 11)

Agrave la veille de changementsimportants Les changements observeacutes au cours des der-niegraveres deacutecennies dans les structures fiscales des principaux pays de lrsquoOCDE reacutesultent en grande partie des reacuteactions des diffeacute-rents gouvernements aux eacutevolutions eacutecono-miques et notamment agrave la mondialisationqui a consideacuterablement accru la mobiliteacute de certaines assiettes fiscales En deacutepit de tendances communes les structures fiscales nationales demeurent sensiblement heacuteteacutero-gegravenes refleacutetant les diffeacuterences de tradition fiscale et des choix politiques diffeacuterentsnotamment au sein de lrsquoUE ougrave lrsquoharmonisa-tion fiscale demeure un horizon lointain

8 Accises quelques pays de lrsquoOCDE 1965-2011 (en du PIB)

Eacutetats-Unis

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

9

3

2

1

0

1965

1968

1971

1974

1977

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

2004

2007

2010

4

5

6

7

8

Source OCDE

[3] Le graphique nereflegravete qursquoune partie decette hausse reacutecenteles lois de finances pourles anneacutees 2012 et 2013ayant encore alourdicette fiscaliteacute

LES POLITIQUES FISCALES DANS LES PAYS DE LrsquoOCDE COMPARAISONS EacuteVOLUTIONS 85

Les eacutevolutions technologiques ndash notammentavec le commerce en ligne et les possibiliteacutesnouvelles pour les entreprises multinationalesde deacutelocaliser leurs profits ndash et les deacutegrada-tions environnementales preacutesentent aux auto-riteacutes des pays de lrsquoOCDE de nouveaux deacutefis enmatiegravere de taxationCeux lieacutes agrave lrsquoeacutevasion fiscaledes multinationales ont eacuteteacute tregraves meacutediatiseacutes et

semblent susciter des reacuteactions fermes des prin-cipaux gouvernements et des instances inter-nationales ceux lieacutes agrave lrsquoeacutecologie paraissent enrevanche singuliegraverement neacutegligeacutes presque par-tout comme si la laquo crise raquo incitait agrave diffeacuterer unreacuteeacutequilibrage pourtant neacutecessaire des fiscaliteacutesnationales en faveur du travail et au deacutetrimentdes ressources naturelles (Le Cacheux 2012a)

9 Structure des recettes fiscales dans quatre pays europeacuteens en 2011 (en du total des recettes de preacutelegravevements obligatoires)

a Allemagne b France c Danemark d Suegravede

3

23 19

7 8

40 2

30 16

5

8

39 3 2

37 23

8 27

39

3 16

15

6

21

TVA Accises Revenus perso Cotisations sociales IS Autres

Source Eurostat

10 Taux drsquoimposition implicite du capital et de ses revenus 1995-2011 (en )

UE 25 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

500

250

200

150

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

300

350

400

450

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des diffeacuterents impocircts frappant le capital et ses revenus au total desrevenus du capital tel qursquoil apparaicirct dans les comptes nationaux

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 86

11 Taux drsquoimposition implicite de lrsquoeacutenergie 1995-2011 (en )

UE 27 moyennepondeacutereacutee

France

Allemagne

Suegravede

Danemark

35000

2000

1500

1000

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2500

3000

Source Eurostat

Ce taux implicite est calculeacute en rapportant les recettes des taxes frappant les diffeacuterentes sources drsquoeacutenergie aux deacutepensestotales drsquoeacutenergie telles qursquoelles apparaissent dans les comptes nationaux

LANDAIS C PIKETTY Tet SAEZ E (2011) Pour unereacutevolution fiscale Paris SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

LAURENT Eacute et LE CACHEUXJ (2012) Eacuteconomie delrsquoenvironnement et eacuteconomieeacutecologique Paris ArmandColin coll laquo Cursus raquo

LE CACHEUX J (2008) Les Franccedilais et lrsquoimpocirct ParisLa Documentation franccedilaiseOdile Jacob coll laquo Deacutebatpublic raquo

LE CACHEUX J (2012a) laquo Soutenabliteacute et justiceeacuteconomique fins et moyensdrsquoune reacuteforme fiscale raquo

in Allegravegre G et Plane M(2012) Deacutebats et politiquesRevue de lrsquoOFCE ndeg 122 avrilhttpwwwofcesciences-pofrpublicationsrevue122htm

LE CACHEUX J (2012b) laquo Pas de laquo TVA sociale raquo maisune laquo CSG sociale raquo Blogde lrsquoOFCE 12 juillet httpwwwofcesciences-pofrblogp=2363

LE CACHEUX J (2013) laquo La fiscaliteacute eacutecologique dansles pays de lrsquoOCDE bien en-deccedilagrave des ambitions afficheacutees raquoCahiers franccedilais ndeg 374 ParisLa Documentation franccedilaise

OCDE Statistiques des recettespubliques diffeacuterentes anneacuteeshttpwwwoecd-ilibraryorgfrtaxationrevenue-statistics_19963726

PIOTROWSKA JetVANBORREN W (2008) laquo The corporate income-tax rate-revenue paradox Evidence in the EU raquoTaxation Papers ndeg 12-2007feacutevrier httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxationgen_infoeconomic_analysistax_paperstaxation_paper_12_enpdf

POUR EN SAVOIR PLUS

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 87

PHILIPPE BATIFOULIER

Universiteacute Paris Ouest

EconomiX UMR CNRS 7235

Les politiques sociales sont particuliegraverement menaceacutees en peacuteriode de restriction des deacutepenses publiques Partout en Europe la crise des dettes souveraines a ameneacute agrave durcir les regravegles de lrsquoindemnisation du chocircmage du systegraveme de retraites et de lrsquoassurance maladie Ce contexte drsquoausteacuteriteacute renforce les dynamiques engageacutees degraves les anneacutees 1980-1990 sous lrsquoeffet des influences libeacuterales les politiques de lrsquoemploi se concentrent sur les incitations agrave la reprise drsquoun travail tandis qursquoune partie croissante de lrsquoassurance maladie et des retraites est trans-feacutereacutee au secteur priveacute lrsquointervention publique se recentrant sur les publics les plus deacutefavori-seacutes Selon Philippe Batifoulier ces eacutevolutions fondeacutees sur lrsquoideacutee que les politiques sociales constituent avant tout un laquo coucirct raquo srsquoavegraverent particuliegraverement neacutefastes en termes de bien-ecirctre et drsquoeacutequiteacute et sont de surcroicirct discutables drsquoun point de vue eacuteconomique Il deacutefend au contraire une approche permettant de reacuteconcilier efficaciteacute eacuteconomique et eacutequiteacute sociale

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques sociales quel avenir

Des politiques qui persistent malgreacutela pression du contexte drsquoausteacuteriteacuteLes politiques sociales sont au cœur desenjeux contemporains Pour les promoteursdes politiques drsquoausteacuteriteacute et de reacuteduction dela voilure de lrsquointervention publique les poli-tiques sociales ne se reacutesument plus qursquoagrave desproblegravemes de deacuteficit public Le coucirct qursquoelles

font peser agrave la collectiviteacute menace leur survieet il est doreacutenavant neacutecessaire de maicirctriserle laquo preacutelegravevement social raquo Pour les autres lesacrifice des politiques sociales pour conser-ver ou sauver le laquo triple A raquo creuse les ineacute-galiteacutes et amplifie les problegravemes que lrsquooncherche agrave reacutesoudre (le deacuteficit public notam-ment) particuliegraverement en peacuteriode de criseLes opinions des premiers dominent actuel-lement celles des seconds et lrsquoavenir semblepromis agrave la poursuite de coupes seacutevegraveres dansles budgets sociaux Ainsi si lrsquoEurope socialeeacutetait resteacutee timide jusque-lagrave les questionssociales ont deacutesormais totalement disparu delrsquoagenda de lrsquoUnion europeacuteenne autrementque sous la rubrique de la laquo dette publique raquo1

[1] Excepteacute pourla lutte contre

la grande pauvreteacuteVoir Barbier C (2012)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 88

Crsquoest le cas aussi des minima sociaux (RSAsocle allocation de parent isoleacute allocationdrsquoadulte handicapeacute etc) qui constituentsouvent lrsquounique revenu du foyer Dans lecas de la santeacute ou de lrsquoeacuteducation les reve-nus verseacutes sont compleacuteteacutes par des presta-tions en nature (comme le remboursementde la seacuteance de meacutedecin) Comme la deacutepensepublique est un revenu diminuer les poli-tiques sociales revient agrave priver certains indi-vidus de ressources financiegraveres En France37 du revenu disponible brut des meacutenagesest socialiseacute Si on ajoute les transfertssociaux en nature crsquoest 45 du revenu quelrsquoon doit aux politiques sociales Amputer lespolitiques sociales crsquoest donc appauvrir lesindividus2

ndash enfin si elles sont particuliegraverement mena-ceacutees en peacuteriode drsquoausteacuteriteacute les politiquessociales restent absolument neacutecessaires entemps de crise Elles ont en effet un rocircle destabilisateur automatique quand les reve-nus drsquoactiviteacute diminuent du fait de la criseet du chocircmage le maintien des deacutepensessociales soutient la demande et limite lacrise Reacuteduire les prestations sociales peutalors meacutecaniquement aneacutemier une activiteacutedeacutejagrave ralentie et creuser un deacuteficit publicfaute de recettes fiscales et sociales tireacutees delrsquoactiviteacute eacuteconomique

On ne doit pas en deacuteduire que rien nrsquoa changeacuteen matiegravere de politique sociale et que lesdiscours et les ideacutees agrave la mode ne font qursquoef-fleurer des systegravemes sociaux qui restentenracineacutes dans lrsquohistoire politique des diffeacute-rents pays Les politiques sociales ont subi deprofondes mutations sous lrsquoeffet notammentdu changement de reacutefeacuterentiel de politiquemacroeacuteconomique (le reacutefeacuterentiel neacuteoclas-sique a supplanteacute le reacutefeacuterentiel keyneacutesien)et sous lrsquoeffet drsquoalternances politiques libeacute-rales ou sociales libeacuterales qui ont chercheacute agraveintroduire des meacutecanismes de marcheacute dansles systegravemes de solidariteacute La subordinationdes politiques sociales au marcheacute du travailen fournit une illustration

Les politiques sociales semblent ainsi pro-mises agrave un avenir plutocirct sombrePour autantla messe nrsquoest pas encore dite Elles font en effet de la reacutesistance en deacutepit des discours qui les deacutenigrent et des mots drsquoordre des experts ou des gouvernements qui intiment laquo drsquoaller plus loin dans les reacuteformes raquo elles nrsquoont pas disparu Partout les deacutepenses sociales publiques par habitant sont plus eacuteleveacutees en 2009 qursquoen 2003 (cf tableau) Si le niveau de lrsquoaugmentation diffegravere selon les pays il est geacuteneacuteral y compris pour ceux qui ne sont pas consideacutereacutes comme des modegraveles drsquointervention sociale comme les Eacutetats-Unis ou le Royaume-Uni

Cette reacutesistance reacutesulte de plusieursfacteurs-clefs

ndash si les politiques sociales sont devenues uninstrument de soutenabiliteacute financiegravere deseacuteconomies elles restent un outil primordialde soutenabiliteacute sociale Elles sont sources debienfaits pour la population et portent lrsquoaspi-ration des peuples agrave vivre mieux

ndash les politiques sociales prennent souvent laforme drsquoun revenu pour leurs beacuteneacuteficiairessous forme de prestations de retraite drsquoas-surance chocircmage ou au titre de la famille

[2] Voir la deacutemonstrationde Ramaux C (2012)LrsquoEacutetat social Pour sortirdu chaos neacuteolibeacuteral Paris Mille et Une Nuits

1 Total des deacutepenses sociales publiques par habitant (en dollars courants et PPA)

2003 2006 2009

France 81784 9377 107995

Allemagne 78723 87706 100134

Italie 66012 75868 8966

Royaume-Uni 60008 71363 83659

Suegravede 91532 101561 111347

Eacutetats-Unis 61271 71011 87133

Japon 50242 59256 72767

OCDE 54334 63471 76049

Source OCDE(2012) Questions sociales tableaux-cleacutes delrsquoOCDE

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 89

Les politiques sociales souslrsquoemprise du marcheacute du travailDes politiques socialespour ou contre lrsquoemploi

Parce qursquoelles permettent aux individusdrsquoacqueacuterir des ressources indeacutependammentdrsquoune reacutemuneacuteration de leur travail les poli-tiques sociales ont eacuteteacute souvent suspecteacuteesdrsquoencourager lrsquooisiveteacute Ainsi faut-il preacutefeacutererrester au RSA socle (ex RMI) ou accepter unemploi payeacute au SMIC agrave mi temps Le revenugagneacute est sensiblement le mecircme mais lrsquoemploireacutemuneacutereacute comporte des coucircts (le transport lagarde des enfants la laquo deacutesutiliteacute du travail raquo)Aussi selon la theacuteorie eacuteconomique standardun individu supposeacute rationnel (crsquoest-agrave-direopportuniste et calculateur) aura tendance agraverester volontairement en non-emploi Une telleconception met en avant le rocircle des caracteacute-ristiques individuelles dans le chocircmage etnon lrsquoabsence de croissance eacuteconomiqueElle impute la responsabiliteacute du chocircmageaux chocircmeurs eux-mecircmes Si lrsquoexemple estcaricatural les conseacutequences de politiqueeacuteconomique ne le sont pas La theacuteorie recom-mande en effet de modifier les incitations pourlaquo rendre le travail payant raquo Il ne srsquoagit pas derenoncer aux deacutepenses sociales mais de lesrendre laquo actives raquo crsquoest-agrave-dire favorables agrave larecherche drsquoemploi Une telle strateacutegie transitepar lrsquolaquo activation raquo des individus eux-mecircmesau travers du durcissement des meacutecanismesdrsquoassurance chocircmage ou par une prime agrave lrsquoac-ceptation drsquoun emploi Le RSA chapeau srsquoins-crit dans cette logique3 Il vise agrave donner uneaide sociale en contrepartie de lrsquoacceptationdrsquoun travail Lrsquoaide est ainsi subordonneacutee agrave labonne volonteacute des beacuteneacuteficiaires

Cette logique de contrepartie met les chocirc-meurs sous pression Elle relegraveve drsquoune logiquede workfare du nom du programme apparuaux Eacutetats-Unis dans les anneacutees 1970 et qui asubordonneacute le versement drsquoune aide socialeau fait de travailler Sans se substituer au wel-fare le workfare a eacuteteacute investi drsquoune logique

de reacuteinsertion Il srsquoest mueacute en dynamique deflexibilisation du marcheacute du travail4 En effetces politiques sociales preacutesentent lrsquoinconveacute-nient de subventionner les laquo petits boulots raquoet drsquoalimenter le laquo preacutecariat raquo Lrsquoincitation agravela baisse de la qualiteacute de lrsquoemploi favorise lapauvreteacute laborieuse et lrsquoinseacutecuriteacute sociale Letravail qui est offert est trop deacuteconnecteacute dessolidariteacutes collectives pour constituer un veacuteri-table emploi En mettant en avant la logiquedu donnant-donnant ces politiques socialesreposent sur une interpreacutetation contractuellede la solidariteacute qui remplace la solidariteacutecomme construction collective incondition-nelle (Castel 1995 2003)

Le deacuteveloppement de la pauvreteacute laborieuseet lrsquoimportance du nombre des laquo sans salairesfixes raquo auxquels concourent ces politiquessociales ont conduit a contrario agrave donnerune plus grande reacutesonance agrave la propositionde revenu universel Cet autre avenir recircveacutepour les politiques sociales rencontre en effetun eacutecho grandissant au fur et agrave mesure quela subordination des politiques sociales agrave laloi du marcheacute du travail conduit agrave deacuteliter lelien social Si lrsquoameacutelioration de la qualiteacute dutravail est de nature agrave restaurer la digniteacutedes personnes on peut aussi recommander lacreacuteation drsquoun revenu garanti pour tous Danscette perspective la proposition de revenude base inconditionnel consiste agrave verser agravechaque individu de la naissance agrave la mortun revenu mensuel sans contrepartie et deniveau eacuteleveacute Un tel revenu5 est cumulableavec les revenus du travail et vise agrave sortir delrsquoinseacutecuriteacute sociale

Les cotisations sociales sur la sellette

Le mecircme deacutebat se retrouve autour des cotisa-tions sociales qui font lrsquoobjet drsquoune offensivede grande ampleur au nom de la compeacuteti-tiviteacute des entreprises Dans une peacuteriode dechocircmage massif et persistant le preacutelegravevementsous forme de cotisations sociales sur dessalaires perccedilus (cotisations salariales) et surdes salaires verseacutes (cotisations patronales)

[3] Il srsquoinscrit aussidans le cadre de

la lutte contre lapauvreteacute Le meacutecanisme

drsquointeacuteressement secalcule de la faccedilon

suivante RSA = revenuminimum garanti ndash 38

des revenus drsquoactiviteacute

[4] Cf Krinsky J (2004)laquo Le workfare

Neacuteolibeacuteralisme etcontrats de travail

dans le secteur publicaux Eacutetats-Unis raquo Lesnotes de lrsquoIRES ndeg 8novembre-deacutecembre

[5] Il srsquoagit ici de laversion non libeacuteraledu revenu universel

Dans la version libeacuteraleinitieacutee par M Friedman

sous le terme drsquoimpocirctneacutegatif il srsquoagit de

permettre aux individusles plus pauvres de lrsquoecirctre

un peu moins sanseacutemancipation du revenu

du travail Il existe denombreuses versions durevenu universel de ses

options philosophiques agraveson financement Parmilrsquoabondante litteacuterature

sur le sujet voir parexemple la Revue du

MAUSS (ndeg 7 1996)ainsi que lrsquoouvrage

suivant VanderborghtY et Van Parijs P (2005)Lrsquoallocation universelle

Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo (2005)

Cf eacutegalement lenumeacutero 73 de 2013 de la

revue Mouvements

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 90

est consideacutereacute comme alourdissant artificiel-lement le coucirct du travail Ce dernier est com-poseacute du salaire et des cotisations sociales quisont donc deux solutions pour le reacuteduire Crsquoestlrsquooption laquo cotisations sociales raquo qui srsquoest impo-seacutee et le problegraveme du coucirct du travail est ainsitransformeacute en problegraveme de financement despolitiques sociales Crsquoest pourquoi les cotisa-tions sociales sont tregraves largement consideacutereacuteescomme des fardeaux comme en teacutemoigne lapopularisation du terme laquo charges raquo

Si elles constituent toujours lrsquoessentiel dufinancement de la protection sociale fran-ccedilaise elles ont eacuteteacute drastiquement reacuteduitesavec le temps Le deacuteficit des comptes sociaux(le laquo trou de la seacutecu raquo) se nourrit meacutecanique-ment de cette privation volontaire de recettes

Cette eacutevolution conduit aussi agrave changer desystegraveme La baisse des cotisations impose dechercher drsquoautres sources de financement etde modifier lrsquoassiette des contributeursAinsila contribution sociale geacuteneacuteraliseacutee (CSG) taxeproportionnelle sur les revenus creacuteeacutee en 1991est largement monteacutee en gamme ensuite Ellemet doreacutenavant agrave contribution les deacutetenteursde revenus de transfert (retraiteacutes et chocirc-meurs) La bataille des charges se poursuitaujourdrsquohui avec le projet de laquo TVA sociale raquoqui vise agrave transfeacuterer une partie du finance-ment des deacutepenses sociales des employeursvers les consommateurs Ce nouveau modegravelevise agrave adapter la politique sociale agrave lrsquooffre etnon plus agrave la demande LrsquoEacutetat-providence doitdeacutesormais ecirctre au service des entreprises aunom de la compeacutetitiviteacute Or les cotisationssociales ne sont rien drsquoautre que du salairesocialiseacute (cotiser crsquoest par exemple srsquoouvrirdes droits pour la retraite) Leur diminutioneacuterode ce salaire et participe ainsi agrave la baissede la part des salaires dans la valeur ajouteacuteeau beacuteneacutefice des profits6

La privatisationdes politiques socialesLrsquoun des traits dominants des politiquessociales aujourdrsquohui est la reacuteduction de leur

peacuterimegravetre et de leur geacuteneacuterositeacute surtout enmatiegravere de santeacute et de retraite7 Les prestationsfamiliales ont deacutecrocheacute par rapport agrave lrsquoeacutevolu-tion du niveau de vie LrsquoEacutetat a reacuteduit sa contri-bution au financement du logement social Laproportion de chocircmeurs indemniseacutes a baisseacuteCrsquoest surtout en matiegravere de santeacute et de retraiteque les changements sont les plus marqueacutes Ilen va ainsi parce que ces deux postes repreacute-sentent pregraves de 80 des deacutepenses sociales enFrance et sont responsables de lrsquoessentiel dudeacuteficit de la Seacutecuriteacute sociale

En matiegravere de santeacute le patient est davantagemis agrave contribution Les politiques dites delaquo partage des coucircts raquo se composent de ticketsmodeacuterateurs forfaits ou franchises Geacuteneacutera-liseacutees en Europe elles pegravesent sur le budgetdes meacutenages qui doivent acquitter aussi enFrance tout particuliegraverement des deacutepasse-ments drsquohonoraires parfois tregraves lourds ycompris agrave lrsquohocircpital public Le transfert decharge vers le patient srsquoest acceacuteleacutereacute depuisles anneacutees 2000 et la Seacutecuriteacute sociale ne rem-bourse plus aujourdrsquohui que la moitieacute dessoins courants8

Les reacuteformes successives des retraites ontprogrammeacute partout une baisse marqueacutee destaux de remplacement (la diffeacuterence entrele dernier salaire et la premiegravere retraite) EnFrance avec les reacuteformes de 1993 et 2003 letaux de remplacement va perdre 15 points enmoyenne agrave horizon 2050 et ainsi amputer lerevenu des futurs retraiteacutes La reacuteforme desretraites y est particuliegraverement dure La dureacuteede cotisation neacutecessaire pour une retraite agravetaux plein est de 41 ans en 2012 et 415 en 2020 Seuls cinq pays exigent encore davan-tage (lrsquoAllemagne lrsquoAutriche la Belgiqueainsi que lrsquoItalie et le Royaume-Uni pour leshommes) Pourtant par rapport agrave de nom-breux pays deacuteveloppeacutes la France beacuteneacuteficiedrsquoune deacutemographie plus dynamique et doncde besoins de financement moindres Dansun contexte ougrave la France a un taux drsquoemploides seniors tregraves faible et ougrave lrsquoamplitude descarriegraveres salariales se reacuteduit rares sont ceux

[6] Cf Friot B (2012)Lrsquoenjeu du salaire ParisLa Dispute

[7] Cf Batifoulier PConcialdi PDomin J-P et Sauze Dlaquo Revaloriser et eacutetendrela protection sociale raquoin Les Eacuteconomistesatterreacutes (2011) Changerdrsquoeacuteconomie Paris Lesliens qui libegraverent

[8] Il srsquoagit des soinsnon hospitaliers despersonnes qui ne sontpas en ALDVoir DREESComptes de la santeacute2009

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 91

qui parviendront agrave acqueacuterir des droits agrave uneretraite agrave taux plein avant 67 ans

Ces eacutevolutions ont pour objet de diminuer ladeacutepense publique mais pas la deacutepense totaleLes individus sont en effet inviteacutes agrave pallier larestriction de la protection sociale collectivepar un recours plus grand aux assurancespriveacutees les mutuelles compleacutementaires pourles deacutepenses de santeacute et les produits de capi-talisation (assurance vie plan drsquoeacutepargneretraite) pour les retraites Ces eacutevolutionssont orchestreacutees par les pouvoirs publicsLe droit agrave lrsquoaccegraves aux soins srsquoest progressi-vement transformeacute en droit agrave lrsquoassurancecompleacutementaire notamment avec la reacutecentecompleacutementaire drsquoentreprise obligatoireLrsquoeacutepargne retraite est quant agrave elle encourageacuteeagrave grand coup drsquoincitations fiscales (baissesdrsquoimpocirct) et drsquoexoneacuteration de cotisationssociales (pour les plans retraite drsquoentreprise)

Cette mutation est profonde Elle modifie lrsquoar-chitecture de la protection sociale en substi-tuant de la protection priveacutee agrave la protectionpublique Elle conduit donc agrave augmenter ladeacutepense sociale priveacutee Elle consolide le rocircledes entreprises dans les politiques sociales etdeacuteveloppe le marcheacute des assurances santeacute etretraite qui sont des secteurs lucratifs pourles groupes financiers Si les opeacuterateurs priveacutessont plus coucircteux que lrsquoopeacuterateur public (dufait de multiples coucircts pour payer les commer-ciaux les actuaires les gestionnaires de risqueou les avocats) leur chiffre drsquoaffaires aug-mente avec le retrait de lrsquoassurance publiqueEn deacuteveloppant lrsquoespace de libre preacutevoyanceles protections sociales srsquoindividualisent et sedeacuteconnectent des solidariteacutes collectives

La deacuteleacutegation de politique sociale agrave des opeacute-rateurs priveacutes se manifeste eacutegalement parun soutien agrave la consommation des meacutenagessous forme de chegraveque service ou drsquoincitationsfiscales Cette subvention de consommationsociale est particuliegraverement deacuteveloppeacutee dansla petite enfance et la perte drsquoautonomie despersonnes acircgeacutees Mais ces mesures beacuteneacutefi-cient avant tout aux cateacutegories aiseacutees de lapopulation qui peuvent srsquooffrir un service agrave

la personne et beacuteneacuteficier de la niche fiscaleCette strateacutegie alimente aussi la preacutecariteacutede lrsquoemploi Ainsi les travailleurs (en fait lestravailleuses) de la deacutependance qui viennentaider les personnes acircgeacutees pour les actes dela vie quotidienne sont bien souvent dansdes situations preacutecaires mal payeacutes parfoisau quart drsquoheure avec une tregraves grande ampli-tude horaire ils doivent aussi faire face auxattentes eacutemotionnelles de la famille

Des politiques sociales seacutelectives

Une solidariteacutede plus en plus cibleacutee

Le transfert de charge du public vers le priveacuteest fonciegraverement ineacutegalitaire Lrsquoeacutepargneretraite suppose un revenu suffisant Le relegrave-vement des barriegraveres drsquoacircge (agrave 62 ans) peacutenaliseles cateacutegories les plus modestes car lrsquoespeacute-rance de vie agrave la retraite reste tregraves ineacutequitableAffirmer que le temps gagneacute sur la mort doitecirctre du temps de travail meacuterite deacutebat quandlrsquoespeacuterance de vie en bonne santeacute est de 63 ansen moyenne Les compleacutementaires santeacute sontquant agrave elles ineacutegalement reacuteparties Certainspatients en sont deacutepourvus et tous nrsquoont pasaccegraves agrave une compleacutementaire de qualiteacute Cesont les plus malades qui ont par deacutefinition leplus besoin de soins qui ont les compleacutemen-taires les moins couvrantes Le renoncementaux soins essentiels les retards de soins etles reports vers lrsquohocircpital qui srsquoensuivent sontalors plus coucircteux pour la collectiviteacute9

Avec le transfert vers la libre preacutevoyance lespolitiques sociales ne combattent plus lesineacutegaliteacutes mais les creusent Les pouvoirspublics sont alors ameneacutes agrave mettre en placedes mesures correctives visant agrave eacutepargnercertains beacuteneacuteficiaires des dispositifs infli-geacutes aux autres Ainsi les nouvelles regravegles enmatiegravere de retraite sont valables pour toussauf pour ceux qui ont commenceacute agrave travail-ler tocirct qui ont eacuteleveacute trois enfants qui ontun meacutetier peacutenible (agrave deacutefinir) ou qui ont eacuteteacutereconnus comme laquo invalides raquo En proteacutegeant

[9] Cf Revuedu MAUSS ndeg 41

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 92

les plus fragiles on espegravere leacutegitimer lrsquoeffortdemandeacute agrave tous les autres

Dans la mecircme perspective lrsquoaggravationdes ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves aux soins a conduitagrave installer ou deacutevelopper des meacutecanismesprotecteurs pour certains soins etou cer-tains patients qui se voient exoneacutereacutes de lacontribution financiegravere qui est demandeacutee auxautres Il en va ainsi des dispositifs destineacutesaux plus pauvres (la CMUC en France les pla-fonds annuels de deacutepenses ailleurs un meil-leur remboursement pour les beacuteneacuteficiairesde lrsquointervention majoreacutee selon le revenuen Belgique Medicaid aux Eacutetats-Unis etc)aux plus malades (un plafond speacutecifique enAllemagne le dispositif laquo affection de longuedureacutee raquo en France la prise en charge deslaquo frais exceptionnels de maladie raquo aux Pays-Bas etc) ou aux plus acircgeacutes (Medicare auxEacutetats-Unis remboursement majoreacute pour lespersonnes acircgeacutees deacutependantes en Belgiqueexoneacuteration de reste agrave charge pour les moinsde 18 ans et plus de 60 ans au Royaume-Uni)Ces dispositifs de solidariteacute cibleacutee sont coucirc-teux et activent des deacutepenses nouvelles Ilssont aussi agrave lrsquoorigine drsquoineacutegaliteacutes suppleacutemen-taires lieacutees aux effets de seuils (financiers oude maladie) agrave la stigmatisation dont peuventecirctre victimes les beacuteneacuteficiaires et agrave lrsquoexistencedrsquoun non-recours important

Cette solidariteacute cibleacutee induite eacutegalement unefragmentation des droits sociaux La segmen-tation des beacuteneacuteficiaires paraicirct souvent insuf-fisante pour ceux qui beacuteneacuteficient du ciblagecar par exemple il existe toujours des restesagrave charge eacuteleveacutes pour les patients en ALD Ellepeut paraicirctre en outre insupportable aussipour les autres assureacutes qui nrsquoen beacuteneacuteficientpas et qui restent soumis agrave la dureteacute desreacuteformes En deacutelaissant le droit commun leciblage conduit agrave une deacutefiance envers les ins-titutions qui prennent en charge les politiquessociales Cette deacutefiance est alimenteacutee parlrsquohostiliteacute vis-agrave-vis des personnes proteacutegeacuteeset des plus pauvres en particulier que nourritla meacutediatisation de la theacutematique des frau-deurs aux prestations sociales Les cateacutegories

non proteacutegeacutees par le ciblage ne voient pas oumoins lrsquointeacuterecirct de payer pour la solidariteacute cequi peut conduire agrave un risque de seacutecessionsociale et fragiliser grandement les politiquessociales

Quel investissement social

En justifiant les choix la notion drsquoinvestis-sement social constitue alors un horizonpossible des politiques sociales en quecircte deleacutegitimiteacute Ce nouveau paradigme met enavant la preacuteparation de lrsquoavenir axeacutee sur lrsquoeacuteco-nomie de la connaissance et permettant agrave unemain-drsquoœuvre qualifieacutee et flexible de srsquoadapteragrave un environnement mouvant Des individusdavantage proteacutegeacutes sont moins reacutetifs au chan-gement Un tel investissement social peut ecirctrelu dans les termes du neacuteolibeacuteralisme et avoirpour objectif de rendre la flexibiliteacute moins preacute-caire et plus acceptable On peut en avoir unelecture diffeacuterente qui met en avant une poli-tique sociale productive reacuteconciliant les butseacuteconomiques et sociaux La politique socialeest alors moins un coucirct qursquoune faccedilon de preacute-parer efficacement lrsquoavenir (Morel et al 2013)Dans cette optique lrsquoinvestissement dans lrsquoen-fant (dans sa santeacute dans les deacutepenses drsquoeacutedu-cation dans les places en cregraveche etc) apparaicirctdeacuteterminant Il permet de minimiser le risquede transmission de la pauvreteacute tout en cher-chant agrave augmenter la possibiliteacute de transmis-sion intergeacuteneacuterationnelle du savoir ce qui estsource de croissance eacuteconomique

En cherchant agrave reacuteconcilier lrsquoefficaciteacute eacutecono-mique et lrsquoeacutequiteacute sociale la notion drsquoinves-tissement social peut contribuer agrave sortir lespolitiques sociales du deacutenigrement dont ellesfont lrsquoobjet Cependant le risque est grandque cette notion soit instrumentaliseacutee pouropposer les beacuteneacuteficiaires entre eux en nour-rissant le discours ambiant drsquoune guerredes geacuteneacuterations qursquoauraient deacuteveloppeacutees lespolitiques sociales La vision drsquoune horde deretraiteacutes qui va plomber les comptes sociauxsrsquoest solidement installeacutee En accordant tou-jours plus de deacutepenses aux plus acircgeacutes sousforme de pension de retraite de prestations

LES POLITIQUES SOCIALES QUEL AVENIR 93

pour la perte drsquoautonomie ou de deacutepenses desanteacute pour la fin de vie les jeunes geacuteneacuterationsauraient eacuteteacute sacrifieacutees et devraient de pluspayer la dette sociale leacutegueacutee par les anciensCette vision est caricaturale en effet le paie-ment de la dette sociale se traduit davantagepar un transfert au sein drsquoune mecircme geacuteneacutera-tion de la collectiviteacute vers les rentiers que parun transfert intergeacuteneacuterationnel Opposer lescregraveches aux EHPAD (eacutetablissement drsquoheacuteber-gement des personnes acircgeacutees deacutependantes)est tout aussi steacuterile En allant agrave lrsquoencontre delrsquouniversalisation des droits la seacutelection delrsquoinvestissement nourrit la crise de leacutegitimiteacute

des politiques sociales Enfin investir pourdemain dans lrsquoenfant peut aussi conduire agrave unrisque de pauvreteacute aujourdrsquohui srsquoil srsquoagit drsquounpreacutetexte pour supprimer les deacutepenses socialespubliques Pour investir dans lrsquoenfant demainil est neacutecessaire de soutenir les megraveres dans lepreacutesent y compris en leur permettant de geacutererla deacutependance de leurs parents aussi bien surle plan financier qursquoorganisationnel Crsquoest lrsquoin-vestissement social tout au long de la vie qursquoilconvient de valoriser

BARBIER C (2012) laquo Quelle destineacutee pourla politique sociale delrsquoUnion europeacuteenne Dela strateacutegie de Lisbonne agravelrsquoEurope 2020 eacutevolution dudiscours politique raquo Revueinternationale du travail vol 5 ndeg 4

CASTEL R (1995) Les meacutetamorphosesde la question sociale

Une chronique du salariatParis Folio essais

CASTEL R (2003) Lrsquoinseacutecuriteacutesociale Qursquoest ce qursquoecirctreproteacutegeacute Paris Le SeuilLa Reacutepublique des ideacutees

REVUE DU MAUSS Ndeg 41Marchandiser le soin nuitgravement agrave la santeacute ParisLa DeacutecouverteMAUSS 2013

MOREL N PALIER Bet PALME J (2013) laquo The Long Road towards aSocial Investment WelfareState raquo in Hasmath R etSmyth P (eds) InclusiveGrowth Welfare andDevelopment Policy A Critical Assessment

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 94

RETRAITES LES PROPOSITIONSDU RAPPORT MOREAULa Commission pour lrsquoavenir des retraites

preacutesideacutee par Yannick Moreau a preacutesenteacute

ses pistes de reacuteforme le 14 juin 2013 Ce

rapport reacutepond agrave la neacutecessiteacute de reacuteeacutequilibrer

la branche vieillesse des comptes de la

protection sociale qui preacutesenterait selon le

Conseil drsquoorientation des retraites (COR) un

besoin de financement de 20 milliards drsquoeuros

drsquoici 2020 Ses propositions doivent nourrir

la concertation entre le gouvernement et

les partenaires sociaux durant lrsquoeacuteteacute 2013 et

deacuteboucher en septembre sur un projet de loi

Les propositions de la Commission reposent

sur deux grands sceacutenarios

ndash le premier reacutepartit les efforts agrave hauteur de

deux tiers pour les actifs et drsquoun tiers pour les

retraiteacutes

ndash le second les reacutepartit agrave parts eacutegales

Ces diffeacuterents sceacutenarios combinent dans

des proportions variables des mesures

correspondant agrave trois leviers drsquoaction la

creacuteation de nouvelles recettes la reacuteduction

des deacutepenses et lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier

drsquoallongement de la dureacutee de cotisation

Outre la voie classique de la hausse des

cotisations le rapport met en avant pour

augmenter les recettes une reacuteforme de la

fiscaliteacute qui srsquoapplique aux retraiteacutes Ceux-

ci beacuteneacuteficient en effet drsquoavantages fiscaux

abattement de 10 pour frais professionnels

alors qursquoils ne supportent plus ce type de

deacutepense majoration de pension pour les

personnes ayant eacuteleveacute au moins trois enfants

taux de CSG reacuteduithellip En 2012 la Cour des

Comptes avait eacutevalueacute le coucirct pour les finances

publiques de ces dispositifs deacuterogatoires agrave

12 milliards drsquoeuros par an Cette piste de

reacuteforme srsquoappuie en outre sur le fait que les

retraiteacutes ont deacutesormais un niveau de vie moyen

tregraves proche voire leacutegegraverement supeacuterieur agrave celui

de lrsquoensemble des Franccedilais En 2009 les plus

de 65 ans avaient ainsi un niveau de vie moyen

de 22 530 euros contre 22 470 pour lrsquoensemble

de la population Pour les 65-74 ans celui-ci

srsquoeacutelevait mecircme agrave 23 860 euros Le niveau de vie

meacutedian des 65 ans et plus reste en revanche

infeacuterieur de 64 agrave celui des personnes drsquoacircge

actif (1)

La reacuteduction des deacutepenses pourrait prendre la

forme drsquoune baisse du niveau des pensions via

les regravegles de revalorisation des pensions ou de

calcul des salaires de reacutefeacuterence (meacutecanismes

de deacutesindexation)

Lrsquoacceacuteleacuteration du calendrier drsquoallongement de

la dureacutee de cotisation (nombre de trimestres

requis pour une retraite agrave taux plein) mis en

place en 2003 ne serait pour sa part possible

qursquoagrave partir de 2018 Il est en effet fixeacute par

deacutecret pour les geacuteneacuterations qui partiront avant

cette date

La Commission eacutenonce en outre un certain

nombre de recommandations destineacutees agrave

ameacuteliorer lrsquoeacutequiteacute et la lisibiliteacute du systegraveme

ainsi qursquoagrave assurer sa viabiliteacute agrave long terme

ndash mieux prendre en compte la peacutenibiliteacute de

certains meacutetiers

ndash ameacuteliorer la situation des polypensionneacutes et

des personnes (notamment les femmes) aux

carriegraveres morceleacutees

ndash aligner les regravegles de calcul des pensions des

reacutegimes de la fonction publique sur celles du

reacutegime geacuteneacuteral

ndash conserver au-delagrave de 2020 la regravegle de

lrsquoallongement de la dureacutee de cotisation en

fonction de lrsquoaccroissement de lrsquoespeacuterance de

vie Instaureacutee par la reacuteforme des retraites de

2003 cette regravegle preacuteconise de partager le gain

de longeacuteviteacute entre le maintien en activiteacute (pour

deux tiers) et la retraite (pour un tiers)

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

(1) INSEE (2013) Les revenus et les patrimoines

des meacutenages ndash Eacutedition 2013 avril

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES95

CHRISTINE ERHEL

Maicirctre de confeacuterences en eacuteconomie agrave lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon-Sorbonne

Directrice de lrsquouniteacute de recherche POPEM (Politiques publiques et emploi) au Centre drsquoeacutetudes de lrsquoemploi

Destineacutees agrave maintenir le niveau de revenu des chocircmeurs reacuteduire le chocircmage et augmen-ter le taux drsquoemploi de la population les politiques de lrsquoemploi sont particuliegraverement mises agrave lrsquoeacutepreuve en peacuteriode de crise Au cours des cinq derniegraveres anneacutees les pays avanceacutes ont eacutelaboreacute de nouveaux dispositifs ndash dont certains sont temporaires ndash afin de faire face agrave la forte progression du chocircmage Christine Erhel rappelle la pluraliteacute des objectifs des politiques de lrsquoemploi ainsi que la varieacuteteacute des traditions nationales en la matiegravere avant de faire le point sur leurs grandes orientations depuis 2008 Si le contexte de crise creacutee de nouveaux besoins la mise en place de mesures drsquoenvergure est limiteacutee par lrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de lrsquoemploi des objectifs multiples

Face agrave un chocircmage record les politiques delrsquoemploi sont au cœur de lrsquoactualiteacute franccedilaiseavec la creacuteation de nouveaux dispositifs en2012-2013 (emplois drsquoavenir contrats de geacuteneacute-ration) Elles semblent eacutegalement retrouverune place dans le deacutebat europeacuteen avec le lan-cement de projets drsquointerventions en faveurde lrsquoemploi des jeunes (laquo paquet en faveur delrsquoemploi des jeunes raquo lanceacute par la Commissionen deacutecembre 2012 initiative franco-alle-mande annonceacutee le 28 mai 2013) De maniegravereplus geacuteneacuterale elles ont eacuteteacute fortement mobi-liseacutees depuis la crise de 2008 mecircme si lesmesures de rigueur particuliegraverement seacutevegraveres

depuis 2010 conduisent dans certains paysagrave des restrictions dans lrsquoassurance chocircmagevoire dans les services de soutien et drsquoaide agravela recherche drsquoemploi

Lrsquoanalyse de ces politiques est complexe quece soit dans une perspective historique (du faitde la multipliciteacute des reacuteformes observablesdepuis les anneacutees 1990) comparative (lesmodegraveles nationaux de politique de lrsquoemploisont tregraves divers) ou dans une optique drsquoeacutevalua-tionEn effet il est essentiel de tenir compte dela multipliciteacute des objectifs tant eacuteconomiquesque sociaux des politiques de lrsquoemploi Deplus elles srsquoarticulent avec drsquoautres sphegraveresde la politique eacuteconomique qui ont eacutegalementdes effets sur lrsquoemploi les politiques macroeacute-conomiques et industrielles en particulier

Une diversiteacute drsquoobjectifsDans une perspective eacuteconomique les poli-tiques de lrsquoemploi visent tout drsquoabord agrave

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 96

ameacuteliorer le fonctionnement du marcheacute dutravail ndash et notamment les deacutelais drsquoappa-riement entre chocircmeurs et employeurs ndash agravereacuteduire le chocircmage et agrave augmenter le niveaudrsquoemploi Toutefois elles peuvent eacutegalementpoursuivre drsquoautres objectifs corriger lesineacutegaliteacutes entre groupes sociaux en encoura-geant lrsquoemploi des plus fragiles (jeunes sansqualifications chocircmeurs de longue dureacutee)anticiper les besoins en matiegravere drsquoemploi etde compeacutetences (par la formation des sala-rieacutes) ou encore atteacutenuer un choc conjonctu-rel via le soutien aux revenus des chocircmeursElles jouent eacutegalement un rocircle social impor-tant en termes de lutte contre la pauvreteacutemais eacutegalement drsquoinsertion dont lrsquoaccegraves agravelrsquoemploi constitue une dimension fondamen-tale Cette diversiteacute drsquoobjectifs rend difficilelrsquoeacutevaluation des mesures dont le succegraves oulrsquoeacutechec ne peut ecirctre reacuteduit au seul critegravere dunombre drsquoemplois creacuteeacutes

Dans les analyses des politiques de lrsquoem-ploi il est courant de distinguer entre lesmesures laquo actives raquo et laquo passives raquo agrave partir dela nomenclature eacutetablie par lrsquoOCDE (Erhel2009) Les mesures actives ont pour objectif

de remettre les chocircmeurs en emploi et drsquoaug-menter le niveau drsquoemploi dans lrsquoeacuteconomiesoit de maniegravere directe (creacuteation drsquoemploispublics temporaires subventions agrave lrsquoem-bauche) soit de maniegravere indirecte (forma-tion) Les mesures passives comprennentpour leur part lrsquoindemnisation du chocircmageet les dispositifs de cessation anticipeacuteedrsquoactiviteacute dont lrsquoobjectif est drsquoatteacutenuer lesconseacutequences du chocircmage Cette cateacutegori-sation conventionnelle si elle est utile agrave laproduction de statistiques harmoniseacutees nedoit pas ecirctre entendue comme une frontiegraverestricte entre deux types de dispositifs Parmiles mesures laquo passives raquo certaines ont unobjectif de maintien de lrsquoemploi en peacuteriodede ralentissement eacuteconomique (chocircmagepartiel) tandis que lrsquoassurance-chocircmagesoutient non seulement les revenus des chocirc-meurs mais aussi leur recherche drsquoemploi (ycompris par des mesures de sanctions le caseacutecheacuteant) Agrave lrsquoinverse du cocircteacute des politiqueslaquo actives raquo les mesures drsquoemploi aideacute voirecertains dispositifs de formation reacutemuneacutereacuteecomportent eacutegalement une dimension de sou-tien du revenu des chocircmeurs

1 Les deacutepenses pour lrsquoemploi en 2010 (en du PIB)

-

050

100

150

200

250

300

350

400

450

Royaum

e-Uni

Australi

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Eacutetats-

Unis

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Suegravede

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Deacutepenses actives

Deacutepenses passives

Source OCDE 2012

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 97

La diversiteacute des modegravelesde politiques de lrsquoemploiLa multipliciteacute des objectifs et des leviers despolitiques de lrsquoemploi apparaicirct eacutegalementdans les comparaisons internationales quimontrent des choix varieacutes drsquoun pays agrave lrsquoautreAu-delagrave des variations lieacutees agrave la conjonctureou au cycle politique les prioriteacutes nationalesapparaissent relativement stables dans letemps en lien avec lrsquohistoire des politiquesde lrsquoemploi (et les conditions de leur articula-tion avec les politiques sociales les politiquesindustrielles ou les politiques macroeacuteco-nomiques) mais aussi avec les dispositifsinstitutionnels mis en place (financementgouvernancehellip) Les diffeacuterences internatio-nales en matiegravere de politiques de lrsquoemploi setraduisent dans lrsquoeffort budgeacutetaire qui leurest consacreacute et le type de mesures privileacutegieacutees(graphique 1 et tableau 1) Si lrsquoon eacutecarte lespays eacutemergents ou reacutecemment industrialiseacutes(Mexique Coreacutee) et les nouveaux membresde lrsquoUnion europeacuteenne (UE) dont les poli-tiques de lrsquoemploi sont encore balbutianteson peut distinguer trois groupes principauxde pays au sein de lrsquoOCDE coiumlncidant avecles modegraveles de protection sociale tels qursquoilssont analyseacutes par les travaux comparatifs(Esping-Andersen 1990)

Le modegravele nordique les politiques actives privileacutegieacuteesLes pays sociaux-deacutemocrates ou laquo nor-diques raquo (Danemark Suegravede Finlande) consti-tuent un modegravele bien identifieacute de politiquesde lrsquoemploi qui se caracteacuterise par un niveaude deacutepense supeacuterieur agrave la moyenne sur longuepeacuteriode et par des niveaux drsquoindemnisationdu chocircmage geacuteneacutereux Toutefois la Suegravedesrsquoeacutecarte du modegravele traditionnel depuis lesanneacutees 2000 des reacuteformes restrictives ontcontribueacute agrave reacuteduire le niveau de la deacutepensepour lrsquoemploi et la geacuteneacuterositeacute de lrsquoassurance-chocircmage Ces pays consacrent en outre unepart importante des deacutepenses pour lrsquoemploiaux mesures actives avec un effort particu-lier envers les dispositifs de formation pourles chocircmeurs et de soutien agrave lrsquoemploi deshandicapeacutes (tableau 1) Ceci nrsquoexclut pastout recours aux dispositifs de retrait drsquoacti-viteacute et en particulier aux preacuteretraites bienqursquoelles aient eacuteteacute totalement supprimeacutees enSuegravede celles-ci subsistent au Danemark pre-nant principalement la forme de cessationsprogressives drsquoactiviteacute

Cet ensemble correspond agrave une traditionbien ancreacutee drsquointervention par des mesuresfavorisant lrsquoaccegraves agrave lrsquoemploi (mecircme tempo-raire et subventionneacute) plutocirct que lrsquoindem-nisation du chocircmage (Erhel 2009) Cette

1 La reacutepartition des deacutepenses de politique de lrsquoemploi en 2010 (en )

Danemark France Allemagne Royaume-Uni Eacutetats-Unis

Service public de lrsquoemploiet administration

146 116 17 48 5

Formation 12 147 135 4 45

Incitations agrave lrsquoemploi 92 42 43 1 1

Soutien agrave lrsquoemploi des handicapeacutes 19 27 13 1 35

Creacuteations directes drsquoemploi ndash 85 21 ndash 1

Subventions agrave la creacuteationdrsquoentreprises

ndash 2 36 ndash ndash

Maintien du revenu 346 56 56 46 85

Preacute-retraites 106 03 22 ndash ndash

Source OCDE 2012

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 98

tradition srsquoest constitueacutee en Suegravede ougrave degraves1914 une commission composeacutee de syndi-cats et drsquoemployeurs (Commission Myrdal)propose la creacuteation drsquoun systegraveme drsquoemploispublics subventionneacutes en compleacutement delrsquoassurance chocircmage Cette proposition srsquoap-puyait sur lrsquoideacutee qursquoil eacutetait preacutefeacuterable pour lasocieacuteteacute de financer des emplois publics tem-poraires plutocirct que des allocations chocircmageCes orientations ont eacuteteacute mises en œuvre dansles anneacutees 1930 puis dans les anneacutees 1950par des gouvernements sociaux-deacutemocratessoit pour limiter les effets drsquoune monteacutee duchocircmage conjoncturel soit de maniegravere plusstructurelle pour accompagner les restruc-turations industrielles des anneacutees 1950 et1960 En parallegravele la Suegravede et plus encore leDanemark ont deacuteveloppeacute des dispositifs deformation importants et un accompagnementintensif des chocircmeurs dans les agences pourlrsquoemploi La politique de lrsquoemploi peut ecirctreconsideacutereacutee dans ces pays comme un instru-ment de seacutecurisation des parcours de tellesorte qursquoelle constitue lrsquoun des piliers de lalaquo flexicuriteacute raquo danoise (associant flexibiliteacutedu contrat de travail et seacutecuriteacute des parcoursprofessionnels) mise en avant depuis lesanneacutees 2000)

Le modegravele libeacuteral une intervention centreacuteesur la recherche drsquoemploi

Dans les pays laquo libeacuteraux raquo (Eacutetats-UnisRoyaume-Uni Australie) lrsquoeffort de politiquede lrsquoemploi repreacutesente au contraire moins de1 du PIB (graphique 1) et se concentre surlrsquoindemnisation du chocircmage (avec des tauxde remplacement faibles) et sur lrsquoaide agrave larecherche drsquoemploi Ces deux postes repreacute-sentent lrsquoessentiel des deacutepenses dans cespays (tableau 1) Il srsquoagit drsquoun modegravele drsquointer-vention minimale ougrave le rocircle de la politique delrsquoemploi se limite agrave lrsquoameacutelioration du fonc-tionnement du marcheacute du travail (informa-tion mobiliteacute eacuteventuellement adeacutequation desformations) La lutte contre le chocircmage relegraveve

plutocirct des politiques macroeacuteconomiques(moneacutetaire et budgeacutetaire)

Ces pays ont toutefois deacuteveloppeacute en margedes politiques de lrsquoemploi cibleacutees drsquoimpor-tants dispositifs drsquoincitations agrave lrsquoemploi parle biais de lrsquoimpocirct neacutegatif (Earned Income TaxCredit aux Eacutetats-Unis et Working FamiliesTax Credit au Royaume-Uni) qui vient com-pleacuteter les revenus du travail les plus faiblespar une reacuteduction ou un creacutedit drsquoimpocirct Cesdeacutepenses ne sont pas comptabiliseacutees dans ladeacutepense pour lrsquoemploi calculeacutee par lrsquoOCDEmais elles repreacutesentent un outil important delutte contre la pauvreteacute et drsquointervention surlrsquooffre de travail

Le modegravele continental des interventions heacuteteacuterogegravenesavec une focalisation sur le coucirctdu travail

Les pays drsquoEurope continentale (FranceAllemagne Belgique Pays-Bas Italiehellip)connaissent une situation tregraves diffeacuterente desdeux groupes preacuteceacutedents Les politiques delrsquoemploi y sont en grande partie financeacuteespar des cotisations sociales (en particulierlrsquoindemnisation du chocircmage) et leur deacutevelop-pement apparaicirct relativement reacutecent en com-paraison du modegravele nordique Les principalesinstitutions chargeacutees drsquoameacuteliorer le fonction-nement du marcheacute du travail et accompagnerles restructurations remontent aux laquo TrenteGlorieuses raquo Ainsi en France lrsquoAgence natio-nale pour lrsquoemploi ndash ANPE ndash est creacuteeacutee en 1967Toutefois crsquoest surtout avec la deacutegradationprogressive de la situation de lrsquoemploi dansles anneacutees 1970-1980 que se deacuteveloppentdes politiques actives de lrsquoemploi La logiquelaquo sectorielle raquo initiale est peu agrave peu rempla-ceacutee par une logique laquo seacutelective raquo ciblant lesmesures sur les jeunes puis les chocircmeurs delongue dureacutee

Ces pays ont eu massivement recours auxpolitiques de retrait drsquoactiviteacute (preacuteretraitesen particulier) dans les anneacutees 1980 afinde lutter contre le chocircmage Outre leur coucircteacuteleveacute pour les finances publiques elles ont

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 99

conduit agrave une baisse des taux drsquoemploi desseniors Depuis les anneacutees 1990 les entreacuteesdans ces dispositifs ont eacuteteacute fortement limi-teacutees et des mesures en faveur de lrsquoemploi decette population ont eacuteteacute prises (incitationsagrave la prolongation drsquoactiviteacute via les reacuteformesdes retraites contrats speacutecifiques pour lesseniors plans seniorshellip) Par ailleurs face aupoids des cotisations sociales dans le coucirct dutravail ces pays de tradition bismarckiennese sont fortement appuyeacutes sur des mesuresde baisse du coucirct du travail soit cibleacutees (enparticulier sur les jeunes mais aussi sur leschocircmeurs de longue dureacutee comme dans lecas de lrsquoAllemagne depuis les lois Hartz de2004) soit geacuteneacuterales (comme les exoneacuterationsde charges en France au niveau du SMIC agravepartir de 1993 ou en Allemagne avec les dis-positifs de mini jobs qui eacutechappent aux coti-sations sociales)

Quelles prioriteacutesen peacuteriode de crise Face agrave la crise les deacutepenses pour lrsquoemploiont augmenteacute dans les pays de lrsquoOCDE (gra-phique 2) Toutefois cette hausse fait suite agraveplusieurs anneacutees de reacuteduction des deacutepenseset la dynamique contra-cyclique apparaicirctrelativement limiteacutee compte tenu de lrsquoam-pleur de la hausse du chocircmage Des analysessur donneacutees OCDE depuis les anneacutees 1980montrent une baisse de la reacuteactiviteacute des poli-tiques de lrsquoemploi (Erhel et Levionnois 2013)en particulier pour les deacutepenses actives

Mecircme si les politiques nationales sont heacuteteacute-rogegravenes on relegraveve trois grands axes drsquointer-vention pour limiter les conseacutequences de lacrise sur le marcheacute du travail le soutien auxrevenus des chocircmeurs le maintien en emploiet le soutien agrave lrsquoemploi ou agrave la formation desdemandeurs drsquoemploi

2 Les deacutepenses pour lrsquoemploi entre 2004 et 2010 (en du PIB)

0

05

1

15

2

25

3

35

4

45

5

2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

DK FR ALL IR PB PT ES SE RU US

DK = Danemark FR = France ALL = Allemagne PB = Pays-Bas PT = Portugal ES = Espagne SE = Suegravede RU = Royaume-Uni US = Eacutetats-Unis

Source OCDE

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 100

Le soutien aux revenusdes chocircmeurs

Lorsque le chocircmage augmente une par-tie de la reacuteaction des politiques de lrsquoemploiest automatique notamment sous lrsquoeffetde lrsquoaugmentation du montant des alloca-tions-chocircmage verseacutees Toutefois lors de lacrise de 2007-2008 un certain nombre depays sont alleacutes au-delagrave de ces ajustementsautomatiques et ont pris des mesures tem-poraires visant agrave ameacuteliorer lrsquoindemnisationdu chocircmage dans une optique de soutien aurevenu et de lutte contre la pauvreteacute (assou-plissement des critegraveres drsquoaccegraves agrave lrsquoassurance-chocircmage notamment pour les personnes enemploi temporaire ou encore augmentationde la dureacutee drsquoindemnisation) Ce type drsquoin-tervention est surtout marqueacute dans les paysougrave les allocations chocircmages sont peu geacuteneacute-reuses ainsi aux Eacutetats-Unis la dureacutee drsquoin-demnisation a eacuteteacute augmenteacutee en 2009 de 26 agrave99 semaines La France a maintenu sa dureacuteedrsquoindemnisation mais a adopteacute en 2010 desmesures temporaires ameacuteliorant la prise encharge des chocircmeurs en fin de droits

Le maintien en emploi

Un second type drsquointerventions a eu pourobjectif de faciliter le maintien en emploi desalarieacutes menaceacutes Le principal instrumentdont disposent les politiques de lrsquoemploidans cette perspective est le chocircmage partielqui permet de reacuteduire la dureacutee du travail encas de baisse drsquoactiviteacute pour lrsquoentreprise Cedispositif a fait lrsquoobjet drsquoune mobilisationspectaculaire en Allemagne ougrave il concer-nait 15 million de salarieacutes en juin 20091 EnFrance le dispositif de chocircmage partiel a eacuteteacutereacuteformeacute en janvier 2009 de maniegravere agrave eacutetendrela peacuteriode et le niveau drsquoindemnisation (Cala-vrezo et al 2009) mais son usage demeurelimiteacute Plus largement on notera que ce typedrsquooutil est essentiellement deacuteveloppeacute dansles pays drsquoEurope continentale mecircme si lenombre de salarieacutes concerneacutes est en pratiquefortement variable drsquoun pays agrave lrsquoautre selonlrsquoOCDE (OCDE 2010) le stock annuel moyen

de beacuteneacuteficiaires en 2009 varie entre 004 des personnes en emploi en Pologne et 56 en Belgique la France se situant agrave 08 etlrsquoAllemagne agrave 317

Ces mesures relevant de la politique publiquede lrsquoemploi srsquoaccompagnent parfois drsquoajus-tements neacutegocieacutes des salaires ou du tempsde travail internes aux entreprises quisrsquoappuient tout drsquoabord sur les partenairessociaux mais peuvent ecirctre encourageacutes par lespouvoirs publics comme en Allemagne ou auxPays-Bas avec les laquo pactes pour lrsquoemploi raquo EnFrance le projet de loi sur la seacutecurisation delrsquoemploi du 14 mai 2013 comporte ce type dedisposition favorisant la flexibiliteacute interneAu cas ougrave lrsquoentreprise rencontre de graves dif-ficulteacutes conjoncturelles un employeur pourraconclure pendant deux ans maximum unaccord avec des syndicats repreacutesentant plusde 50 des salarieacutes pour ameacutenager le tempsde travail et la reacutemuneacuteration (sans diminuerles salaires infeacuterieurs agrave 12 SMIC)

Les politiques actives

Mecircme si le recours aux politiques activescibleacutees apparaicirct globalement en retrait parrapport aux crises anteacuterieures (deacutebut desanneacutees 1990 par exemple) elles jouent un rocirclecontracyclique important Les emplois aideacutespermettent en effet drsquoeacuteviter lrsquoenfermementdans des trajectoires de chocircmage de longuedureacutee ou drsquoinactiviteacute prolongeacutees en Franceleur relance srsquoest principalement appuyeacutee surle secteur non marchand (CUI-CAE emploisdrsquoavenir depuis octobre 2012) Dans la plu-part des pays les mesures centreacutees sur lesjeunes (en particulier les non-diplocircmeacutes)occupent une place importante (Young Per-sonrsquos Guarantee au Royaume-Uni emploislaquo nouveau deacutepart raquo en Suegravede) ainsi que lesdispositifs drsquoaccompagnement des transi-tions professionnelles dans les restructura-tions industrielles qui concernent cependantdes effectifs beaucoup plus limiteacutes (contrat detransition professionnelle en France centresde mobiliteacute aux Pays-Bas) En parallegravele de cesdispositifs les reacuteformes engageacutees avant 2008

[1] Chiffres duministegravere du Travail

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 101

en matiegravere drsquoaccompagnement des chocircmeursse sont poursuivies (creacuteation de Pocircle emploien France ndash cf encadreacute ndash regroupements desservices au Danemark au niveau communalen 2009) ainsi que le deacuteveloppement des dis-positifs drsquoapprentissage pour les jeunes

Les politiques de rigueur meneacutees depuis 2010entrent en contradiction avec un recours plusimportant aux politiques de lrsquoemploi ellesse traduisent en particulier par des restric-tions de la dureacutee de lrsquoassurance-chocircmagey compris dans des pays de tradition geacuteneacute-reuse (passage de la dureacutee drsquoindemnisationde quatre agrave deux ans au Danemark) ainsi quepar des contraintes budgeacutetaires fortes pourles politiques actives

Les politiques de lrsquoemploi poursuivent desobjectifs multiples et parfois contradictoires par exemple lrsquoacquisition drsquoune formationqualifiante pour un chocircmeur peut retarderson retour agrave lrsquoemploi Toutefois elle favoriseen principe lrsquoaccegraves agrave des emplois plus stableset de meilleure qualiteacute et contribue donc pluslargement la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie

De fait lrsquoeacutevaluation des mesures est com-plexe surtout en peacuteriode de crise Selon uneeacutetude reacutecente il semblerait toutefois que les

dispositifs apportant un contenu en quali-fication aient des effets plus favorables enpeacuteriode de reacutecession dans la mesure ougrave ilspermettent lrsquoaccegraves agrave de meilleurs emploislors de la reprise alors que la probabiliteacute deretrouver un emploi immeacutediatement est faible(Forslund et al 2011) De mecircme bien que lebilan en termes de creacuteations nettes drsquoemploisoit mitigeacute les dispositifs drsquoemplois aideacutespeuvent eacuteviter les conseacutequences neacutegatives duchocircmage Ainsi les emplois jeunes de 1997semblent avoir bien joueacute leur rocircle drsquoinsertiondes jeunes agrave court terme sans peacutenaliteacute surleurs trajectoires drsquoemploi ulteacuterieures (mal-greacute un deacutesavantage salarial) Leurs effets surles trajectoires ulteacuterieures des beacuteneacuteficiairesdeacutependent toutefois du type drsquoemployeurs etde leurs strateacutegies vis-agrave-vis des beacuteneacuteficiairesce qui conduit agrave recommander un accompa-gnement par le service de lrsquoemploi afin depreacuteparer la sortie des dispositifs (Gomel etLopez 2012)

Cependant lrsquoaccompagnement et la reacuteflexionsur la qualiteacute des trajectoires se heurtentdans la plupart des pays agrave la restriction desdeacutepenses publiques qui limite les moyensdisponibles

CALAVREZO O DUHAUTOISR etWALKOWIAK E (2009) laquo Chocircmage partiel etlicenciements eacuteconomiques raquoConnaissance de lrsquoemploi mars ndeg 63

ERHEL C (2009) Les politiques de lrsquoemploi Paris PUF coll laquo Que sais-je raquo

ERHEL C et LEVIONNOISC (2013) laquo Les politiques

de lrsquoemploi et la laquo GrandeDeacutepression raquo du XXIe siegravecle raquoin Spieser C (ed) Lrsquoemploien temps de crise Liaisonssociales

ESPING-ANDERSEN G (1990) Les trois mondes de lrsquoEacutetat-providence Paris PUF

FORSLUND A FREDRIKSSONP etVIKSTROumlM J (2011) laquo WhatActive Labour Market Policy

Works in a Recession raquo IFAU Working Paper

GOMEL B et LOPEZ A(2012) laquo Effets des emplois-jeunes sur les trajectoiresprofessionnelles raquoConnaissance de lrsquoemploindeg 94 juillet

OCDE (2010) Perspectivesde lrsquoemploi Paris OCDE

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 102

POcircLE EMPLOIPocircle emploi est neacute le 19 deacutecembre 2009

de la fusion entre lrsquoAgence nationale

pour lrsquoemploi (ANPE) et les ASSEDIC Il

srsquoagit drsquoun eacutetablissement public dont les

missions principales sont lrsquoindemnisation

et le placement des demandeurs drsquoemploi

ainsi que lrsquoaide aux entreprises pour leurs

recrutements Pocircle emploi employait 45 418

personnes en eacutequivalent temps plein en 2008

Cette fusion ne concerne pas lrsquoUNEDIC qui

demeure un organisme indeacutependant geacutereacute par

les partenaires sociaux et responsable de la

gestion des fonds de lrsquoassurance-chocircmage et

des regravegles drsquoindemnisation

Lrsquoideacutee drsquoune telle fusion des fonctions

drsquoindemnisation et de placement nrsquoest pas

nouvelle mais diffeacuterents rapports consacreacutes

agrave cette question de lrsquoorganisation des services

aux chocircmeurs (rapport IGAS de 1994 rapport

Marimbert de 2004) avaient plutocirct souligneacute les

difficulteacutes de sa mise en œuvre notamment

du fait des statuts diffeacuterencieacutes des personnels

(droit priveacute cocircteacute ASSEDIC et fonctionnaires

ou droit public agrave lrsquoANPE) Elle srsquoinscrit dans

la continuiteacute de reacuteformes meneacutees ailleurs

en Europe en premier lieu au Royaume-Uni

degraves les anneacutees 1990 (avec la creacuteation des

Jobcentres puis des Jobcentres + en 2002) et

aboutissant agrave la mise en place de laquo guichets

uniques raquo pour les chocircmeurs Les objectifs

de ce type de reacuteforme institutionnelle sont

multiples simplifier les deacutemarches des

demandeurs drsquoemploi ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute

de leur suivi en liant indemnisation et aide agrave

la recherche drsquoemploi deacutegager des moyens

humains suppleacutementaires pour lrsquoaide agrave la

recherche drsquoemploi gracircce agrave la reacuteorganisation

etou reacuteduire les deacutepenses publiques pour

lrsquoemploi

Dans le cas franccedilais un certain nombre

de choix ont eacuteteacute faits pour cette nouvelle

institution Bien que Pocircle emploi soit un

eacutetablissement public son personnel est reacutegi

par le droit du travail et par une convention

collective speacutecifique Toutefois il a eacuteteacute laisseacute le

choix aux personnels de lrsquoANPE de conserver

leur statut de fonctionnaire ou drsquoadopter le

nouveau statut (en pratique en 2011 80

du personnel eacutetait sous statut priveacute) La

gouvernance de Pocircle emploi est tripartite

impliquant lrsquoEacutetat et les partenaires sociaux

et se traduisant par une convention tripartite

pluri-annuelle (la premiegravere concernait la

peacuteriode 2009-2011 la seconde 2012-2014)

Lrsquoorganisation est reacutegionaliseacutee avec des

directions reacutegionales responsables du suivi

de lrsquoactiviteacute dans la reacutegion participant agrave la

coordination des politiques de lrsquoemploi avec le

Preacutefet de reacutegion (et les DIRECCTES services

deacuteconcentreacutes du ministegravere du Travail) Une

reacuteorganisation territoriale est mise en œuvre

agrave partir des anciennes agences locales

de lrsquoANPE et des ASSEDIC aboutissant agrave

un millier drsquoagences preacutesentes sur tout le

territoire Le financement provient aux deux

tiers de lrsquoUNEDIC et le solde de lrsquoEacutetat En 2011

le budget srsquoeacutelevait agrave 4618 milliards drsquoeuros

Les missions de Pocircle emploi sont les

suivantes

ndash prospecter le marcheacute du travail afin

drsquoidentifier et de preacutevoir les eacutevolutions de

lrsquoemploi

ndash accueillir informer et accompagner les

demandeurs drsquoemploi

ndash inscrire les chocircmeurs sur la liste des

demandeurs drsquoemploi et controcircler leur

recherche drsquoemploi en appliquant des

sanctions le cas eacutecheacuteant

ndash assurer le versement des prestations

(allocation drsquoaide au retour agrave lrsquoemploi ndash ARE ndash

allocation de solidariteacute speacutecifique ndash ASS ndash)

Trois ans apregraves la reacuteforme le bilan semble

positif deux chocircmeurs sur trois se deacuteclaraient

satisfaits des services de Pocircle emploi en

2010 La mise en œuvre en peacuteriode de crise

a toutefois eacuteteacute difficile Degraves janvier 2009 Pocircle

emploi a ducirc faire face agrave une augmentation

journaliegravere de 3000 demandeurs drsquoemploi

alors qursquoil venait drsquoecirctre creacuteeacute Ceci a conduit agrave

une grande deacutesorganisation notamment pour

COMPLEacuteMENT

LES POLITIQUES DE LrsquoEMPLOI DES OBJECTIFS MULTIPLES 103

les contacts par les chocircmeurs mais eacutegalement

pour les deacutelais de traitement des demandes

drsquoinscription Du point de vue des salarieacutes de

Pocircle emploi il en a eacutegalement reacutesulteacute une

forte augmentation de leur charge de travail

conduisant agrave une monteacutee des risques psycho-

sociaux drsquoautant que la reacuteforme avait sous-

estimeacute la diffeacuterence entre les deux meacutetiers de

lrsquoindemnisation et du placement De maniegravere

plus structurelle la reacuteforme ne reacutesout pas

lrsquoinsuffisance des moyens en personnel du

service public de lrsquoemploi franccedilais souligneacutee

par les comparaisons internationales Un

rapport de lrsquoIGF de 2010 pointe ainsi un ratio

drsquoencadrement des demandeurs drsquoemploi

de 215 pour 10000 eacutequivalents temps plein

en France contre 221 au Royaume-Uni et

420 en Allemagne (il srsquoagit drsquoune deacutefinition

large incluant lrsquoensemble des personnels

intervenant dans lrsquoaide aux chocircmeurs y

compris les CAF en France qui prennent en

charge les beacuteneacuteficiaires du RSA) En ce qui

concerne la mission de services aupregraves des

employeurs les ratios sont plus favorables

pour la France avec 22 eacutequivalents temps

plein pour 10 000 chocircmeurs contre 10 au

Royaume-Uni et 18 en Allemagne

La modernisation des services se poursuit

dans le cadre de la convention tripartite 2012-

2014 et du plan strateacutegique 2015 Elle preacutevoit

notamment une personnalisation de lrsquoaide agrave

la recherche drsquoemploi en fonction des profils

des chocircmeurs et une territorialisation accrue

donnant plus drsquoautonomie agrave lrsquoeacutechelon reacutegional

Christine Erhel

SourcesRapport drsquoactiviteacute de Pocircle emploi 2011

IGF (2010) Eacutetude comparative des effectifs des

services publics de lrsquoemploi en France

en Allemagne et au Royaume-Uni

Seacutenat (2011) Rapport de la mission

drsquoinformation relative agrave Pocircle emploi ndeg 713

juillet

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 104

Embleacutematique des Trente Glorieuses sous la forme drsquoun soutien public aux laquo champions natio-naux raquo la politique industrielle a eacuteteacute abandonneacutee dans les anneacutees 1980 dans les pays deacuteve-loppeacutes au profit drsquointerventions plus transversales favorisant lrsquoenvironnement institutionnel et notamment la concurrence La laquo deacutesindustrialisation raquo dont souffrent les eacuteconomies avanceacutees avec la monteacutee en puissance des pays eacutemergents qui srsquoest renforceacutee depuis la crise lrsquoa tou-tefois replaceacutee parmi les prioriteacutes des gouvernements Apregraves un rappel des fondements de la politique industrielle Pierre-Noeumll Giraud fait le point sur son eacutevolution en insistant plus parti-culiegraverement sur les enjeux contemporains

Problegravemes eacuteconomiques

La politique industrielle au cœur des enjeux franccedilais et europeacuteens

Des politiques industriellespour quoi faire Pourquoi faudrait-il des politiques indus-trielles De maniegravere geacuteneacuterale on reconnaicirctdeux motifs agrave lrsquoaction eacuteconomique de lrsquoEacutetat

ndash corriger les imperfections des marcheacutes ndashagrave condition que les interventions publiquesne soient pas encore plus inefficaces que desmarcheacutes mecircme imparfaits ndash

ndash modifier une reacutepartition des revenus jugeacuteeineacutequitable

Ce dernier cas ne concerne pas les politiquessectorielles La question de la leacutegitimiteacute eacuteco-nomique des politiques industrielles est donccelle de lrsquoexistence drsquoimperfections de marcheacutesqui seraient speacutecifiques agrave lrsquoindustrie Les acti-viteacutes polluantes nombreuses dans ce secteuren constituent une premiegravere source Lrsquoagricul-ture et certains services sont toutefois aussiconcerneacutes Corriger ces imperfections relegraveve

des politiques de protection de lrsquoenvironne-ment qui nrsquoont pas de speacutecificiteacute industrielleAinsi les politiques de lutte contre le change-ment climatique concernent tous les secteursde lrsquoeacuteconomie Il en est de mecircme des rende-ments croissants qui conduisent agrave des mono-poles naturels Lrsquoindustrie preacutesente nombre desituations de ce type mais elles sont traiteacuteespar les politiques geacuteneacuterales de concurrence etpar la reacuteglementation des monopoles naturelsque sont par exemple les grandes infrastruc-tures de transports drsquoeacutelectriciteacute de gaz drsquoeauet ferroviaires Ici encore pas de speacutecificiteacuteproprement industrielle Les politiques deprotection de la proprieacuteteacute intellectuelle sontcruciales pour stimuler lrsquoinnovation danslrsquoindustrie mais pas seulement et elles ne luisont pas speacutecifiques

PIERRE-NOEumlL GIRAUD

Mines ParisTech et Universiteacute Paris-Dauphine

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS105

Existe-t-il alors des interventions publiquesleacutegitimes qursquoon puisse regrouper sous leterme de laquo politique industrielle raquo Dans lespays les plus riches la reacuteponse de la plu-part des eacuteconomistes et des gouvernementsdepuis une trentaine drsquoanneacutees a eacuteteacute neacutegativeLrsquoEacutetat doit se contenter de creacuteer un environ-nement geacuteneacuteral favorable agrave lrsquoensemble desactiviteacutes eacuteconomiques quel que soit le sec-teur primaire secondaire ou tertiaire Celapasse par un Eacutetat de droit et une bonnelaquo gouvernance raquo publique une fiscaliteacute stableet preacutevisible une politique de concurrenceune politique de protection de la proprieacuteteacuteintellectuelle et enfin la fourniture drsquoun cer-tain nombre de biens publics protectionde lrsquoenvironnement eacuteducation et recherchefondamentale Et surtout lrsquoEacutetat doit se gar-der de creacuteer des entreprises publiques dansle domaine de la production de biens et ser-vices pour des marcheacutes concurrentiels cardans ce domaine une bureaucratie publiqueest censeacutee ecirctre toujours moins efficace quela mise en concurrence des entreprises pri-veacutees motiveacutees par la recherche du profit Agrave larigueur des monopoles naturels tels que lesgrands reacuteseaux peuvent ecirctre geacutereacutes par desentreprises publiques Mais ces derniegraveresdeacutecennies la deacuteleacutegation de la gestion de cesmonopoles agrave des firmes priveacutees eacutetroitementreacuteglementeacutees ce qursquoon a appeleacute un laquo parte-nariat public-priveacute raquo fut dans ces domainesaussi consideacutereacutee comme plus efficace

Et pourtant les politiques industrielles onteacuteteacute omnipreacutesentes et massives dans les pro-cessus de rattrapage de la puissance eacutecono-mique et politique dominante par des Eacutetatsinitialement en retard industriel depuisqursquoau milieu du XIXe siegravecle Friedrich List ajustifieacute la laquo protection des industries nais-santes raquo Crsquoest encore le cas aujourdrsquohui dansles pays dits eacutemergents comme la ChinelrsquoInde ou le Breacutesil

Dans une premiegravere section nous eacutevoquonsces politiques de rattrapage leurs justifica-tions leurs succegraves et leurs eacutechecs Le fait nou-veau est qursquoaujourdrsquohui dans certains pays

drsquoEurope dont la France ougrave la deacutesindustria-lisation finit par creuser drsquoinquieacutetants deacutefi-cits exteacuterieurs les politiques industriellesreviennent agrave lrsquoordre du jour Nous explique-rons leur retour et les deacutecrirons dans uneseconde section

Les politiques industriellesdans les pays en rattrapage creacuteer des laquo champions nationaux raquo

laquo Proteacuteger les industriesnaissantes raquo les exemplesallemand franccedilais et ameacutericainagrave la fin du XIXe siegravecle

La justification de la protection des indus-tries naissantes est fondeacutee sur lrsquoexistencedans nombre drsquoindustries de rendementsdrsquoeacutechelle croissants et drsquoeffets drsquoapprentis-sage Supposons que dans un pays une entre-prise ait pris vingt ans drsquoavance dans uneactiviteacute ougrave existent des eacuteconomies drsquoeacutechellendash plus la production annuelle est importanteplus le coucirct unitaire est bas ndash et des eacutecono-mies drsquoapprentissage ndash les coucircts diminuentavec la production cumuleacutee donc avec lrsquoan-cienneteacute de la production ndash Une entreprisequi voudrait deacutevelopper cette industrie dansun autre pays (et drsquoailleurs aussi bien dansle pays pionnier) produirait neacutecessairementagrave des coucircts plus eacuteleveacutes Drsquoabord parce qursquoaudeacutepart au moins elle produirait des quan-titeacutes plus faibles et parce qursquoelle nrsquoauraitpas encore accumuleacute assez drsquoexpeacuterience Ensituation de libre eacutechange elle nrsquoaurait doncaucune chance face agrave lrsquoentreprise pionniegraverealors que proteacutegeacutee pendant les anneacutees de samonteacutee en puissance et en expeacuterience ellepourrait ensuite faire jeu eacutegal avec elle

Au milieu du XIXe siegravecle alors que la Grande-Bretagne puissance dominanteavait pris une avance consideacuterable dans lrsquoindustrie et procircnait le libre eacutechange sui-vant en cela les recommandations de David

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 106

Ricardo formuleacutees degraves 1820 lrsquoeacuteconomiste allemand Friedrich List consideacuterant qursquoune industrie moderne est indispensable agrave la puissance drsquoune nation preacuteconisait au contraire la protection des industries nais-santes par des barriegraveres douaniegraveres mais aussi par des aides publiques directesdes marcheacutes publics reacuteserveacutes et drsquoautres mesures de soutien Crsquoest ce que feront avec succegraves lrsquoAllemagne la France les Eacutetats-Unis agrave la fin du XIXe siegravecle et au deacutebut du XXe En revanche certains pays drsquoAmeacuterique latine connaicirctront dans les anneacutees 1930 des eacutechecs cuisants avec ces mecircmes politiquesLes industries initialement proteacutegeacutees ne parviendront jamais agrave rattraper celles des pays pionniers mais deviendront des bou-lets pour le budget de lrsquoEacutetat et finiront par sombrer sans doute parce que le marcheacute inteacuterieur eacutetait trop eacutetroit pour que les indus-tries naissantes connaissent une vive com-peacutetition interne indispensable substitut agrave la compeacutetition internationale dont elles eacutetaient proteacutegeacutees Ces politiques nrsquoont fait que creacuteer des rentes au profit de monopoles locaux et au deacutetriment des consommateurs et des contribuables

Le soutien aux laquo championsnationaux raquo dans les paysindustrialiseacutes au coursdes Trente Glorieuses

Apregraves la Seconde Guerre mondiale la puis-sance eacuteconomique des Eacutetats-Unis est sansrivale Le Japon reconstruit alors son indus-trie en la proteacutegeant Le ceacutelegravebre MITI leministegravere de lrsquoindustrie et du commerce exteacute-rieur seacutelectionne deux ou trois laquo championsnationaux raquo par branche organise entre euxune feacuteroce compeacutetition sur le marcheacute inteacute-rieur les aide en matiegravere de recherche etdrsquoinnovation puis quand ils sont suffisam-ment compeacutetitifs les autorise agrave se lancer agravela conquecircte des marcheacutes mondiaux ce qursquoilsferont avec le succegraves que lrsquoon sait eacutebranlantdans les anneacutees 1980 la supeacuterioriteacute indus-trielle ameacutericaineAvec vingt ans de deacutecalage

les laquo tigres raquo du Sud-Est asiatique la Coreacuteedu Sud et Taiwan adopteront le mecircme type depolitique industrielle

En France les gouvernements du Geacuteneacuteralde Gaulle et de Georges Pompidou megravenentune politique active de soutien agrave des entre-prises priveacutees pour en faire des championsnationaux creacuteent ex nihilo des entreprisespubliques dans des secteurs jugeacutes indis-pensables agrave la puissance et lrsquoindeacutependancede la nation tels que la deacutefense et lrsquoeacutenergie(peacutetrole nucleacuteaire) et participent activementagrave la creacuteation drsquoune industrie europeacuteenne delrsquoaeacuteronautique (Airbus) et de lrsquoespace (ArianeEspace) qui feront bientocirct jeu eacutegal avec lrsquoin-dustrie ameacutericaine

Les Eacutetats-Unis ne sont pas de reste Bien quele terme de laquo politique industrielle raquo ait fortmauvaise reacuteputation dans un pays ougrave lrsquoideacuteo-logie eacuteconomique officielle est que le gouver-nement ne doit pas se mecircler du laquo business raquo ille fait cependant en particulier en proteacutegeantdes acquisitions eacutetrangegraveres les secteurs jugeacuteslaquo strateacutegiques raquo par lrsquointermeacutediaire drsquoimpor-tants contrats de recherche et deacuteveloppement(RampD) lieacutes aux activiteacutes militaires et par lefinancement public de la recherche (le deacuteve-loppement du protocole internet a eacuteteacute financeacutepar des subventions militaires)

Des politiques propres aux payseacutemergents depuis les anneacutees 1980

Cependant agrave partir des anneacutees 1980 lesanciens champions nationaux de la laquo triade raquo(Eacutetats Unis Europe Japon) deviennent desfirmes laquo globales raquo qui investissent partoutdans le monde et relacircchent leurs relationsprivileacutegieacutees avec leur territoire drsquoorigine etson gouvernement Dans ces pays commeon lrsquoa dit les politiques industrielles secto-rielles et le soutien aux champions tendent agravedisparaicirctre et agrave se dissoudre dans des poli-tiques laquo horizontales raquo drsquoenvironnement favo-rable aux activiteacutes eacuteconomiques dans leurensemble

Il nrsquoen est rien cependant dans les grands payseacutemergents qui entament leur rattrapage la

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS107

Chine lrsquoInde le Breacutesil et mecircme la Russie Ilsmettent en œuvre des politiques industriellestregraves actives visant agrave faire eacutemerger des firmesinternationalement compeacutetitives dans pra-tiquement tous les secteurs industriels enutilisant toutes les armes agrave leur disposition protection de leur marcheacute inteacuterieur incita-tions aux investissements directs des firmesglobales et aux laquo joint ventures raquo avec lesfirmes locales pour transfeacuterer les savoirs et lessavoir-faire irrespect des normes eacutetrangegraveresconcernant la proprieacuteteacute intellectuelle subven-tions financement bancaire privileacutegieacutehellip

Le retour de la politiqueindustrielle en Europe

La politique de compeacutetitiviteacuteallemande et ses conseacutequences

Sans employer le terme de politique indus-trielle lrsquoAllemagne a ouvert en Europe unenouvelle peacuteriode avec les lois Hartz adopteacuteesen 2003-2005 sous le gouvernement social-deacutemocrate-vert de Gerhard Schroumlder Ces loislonguement neacutegocieacutees avec les syndicatsreacuteforment en profondeur certains aspects dulaquo modegravele social raquo allemand Elles visent enabaissant le coucirct du travail et en deacuteveloppantsa laquo flexibiliteacute raquo agrave augmenter la compeacutetitiviteacuteinternationale des entreprises exportatricesqui en Allemagne sont pour lrsquoessentiel desentreprises industrielles

Conseacutequence la compeacutetitiviteacute relative desautres pays drsquoEurope srsquoeacuterode Certainscomme la France traditionnellement exporta-teurs nets de biens manufactureacutes deviennentdeacuteficitaires En dix ans le solde de la balancecommerciale des biens manufactureacutes estpasseacute drsquoun exceacutedent drsquoenviron 25 milliardsdrsquoeuros agrave un deacuteficit du mecircme montant Quantau deacuteficit en eacutenergie et matiegraveres premiegraveresil oscille autour de 50 milliards drsquoeuros Lafinance globale permet certes agrave un pays devivre quelques anneacutees en deacuteficit commercialen srsquoendettant agrave lrsquoeacutetranger Mais on ne peut

srsquoendetter indeacutefiniment et il faut donc trouverles moyens de reacuteduire le deacuteficit commercial

Les services et lrsquoindustriede haute technologie insuffisantspour combler le deacuteficit exteacuterieur

Or en la matiegravere nous devons nous deacutefaireau plus vite de deux illusions encore tenacesLa premiegravere est que les exportations de ser-vices pourraient combler les deacuteficits indus-triels Les services ne repreacutesentent que 20 du commerce mondial une part stable depuisdix ans En 2010 le solde positif des eacutechangesde services de tourisme un secteur ougrave pour-tant la France excelle srsquoeacutelevait agrave 53 milliardsdrsquoeuros Dans le mecircme temps les autres ser-vices affichaient un deacuteficit de 12 milliarddrsquoeuros Espegravere-t-on que leur deacuteveloppementcomblera le deacuteficit industriel

La seconde illusion est qursquoil suffirait de conforter nos points forts dans les indus-tries de haute technologie (aeacuteronautiquepharmacie eacutelectronique deacutefense) ou de marques (luxe une partie de lrsquoagroalimen-taire etc) Ces deux secteurs ne repreacutesen-tent que 18 de la valeur ajouteacutee et 12 de lrsquoemploi industriel en France Depuis cinq ans ils ont agrave peine reacuteussi agrave mainte-nir le nombre de leurs emplois tandis que des secteurs repreacutesentant 40 des emplois industriels sont menaceacutes de disparition si les tendances actuelles agrave la deacutesindustriali-sation se poursuivent1

En reacutealiteacute les distinctions entre industrieset services ou entre haute et basse technolo-gie sont deacutepasseacutees Lrsquoindustrie et les servicesforment deacutesormais un systegraveme inteacutegreacute Pasde services sans infrastructures de reacuteseauxsans biens drsquoeacutequipement et de consomma-tion Pas drsquoindustrie sans de nombreux ser-vices drsquoailleurs souvent externaliseacutes Il estpar ailleurs absurde drsquoimaginer une divisioninternationale du travail entre pays laquo intel-lectuels raquo concepteurs et creacuteateurs et payslaquo manuels raquo fabricants et exeacutecutants On nepeut en effet innover durablement loin desusines et des consommateurs

[1] Chiffres extraitsdrsquoune eacutetude du

McKinsey GlobalInstitute posteacutee sur sonsite en 2011 Reproduits

dans Giraud P-Net Weil T (2013)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 108

Emplois nomadesemplois seacutedentaires

Pour mieux analyser la dynamique de la glo-balisation il faut deacutesormais distinguer lesemplois laquo nomades raquo et laquo seacutedentaires raquo2 Lespremiers sont les emplois directement expo-seacutes agrave la compeacutetition internationale car ilsproduisent des biens et des services eacutechan-geables internationalement Ce sont lesemplois de lrsquoindustrie manufacturiegravere maisaussi de lrsquoagriculture et de certains servicescomme le tourisme ainsi que de maniegraverecroissante les services qui peuvent ecirctre ren-dus agrave distance gracircce agrave internet certains ser-vices aux entreprises services financiers deconseil de comptabiliteacute les laquo call centers raquo etchellip Ces emplois sont par nature laquo deacuteloca-lisables raquo degraves qursquoils perdent leur compeacutetiti-viteacute dans un pays donneacute ils reacuteapparaissentmais dans un autre Les emplois seacutedentairesquand agrave eux produisent exclusivement desbiens et services consommeacutes localement Lagrande majoriteacute sont des emplois de service santeacute eacuteducation administration publiqueservices agrave la personne commerce de deacutetailtransports nationaux mais pas seulement Lebacirctiment et les travaux publics les industriesde mateacuteriaux de construction qui voyagentpeu comme le ciment la production et ladistribution drsquoeau drsquoeacutelectriciteacute offrent desemplois seacutedentaires

Dans chaque pays les travailleurs laquo seacuteden-taires raquo ont tout inteacuterecirct agrave ce que les emploislaquo nomades raquo localiseacutes sur leur territoire soientnombreux et tregraves bien payeacutes car dans ce casils achegravetent en plus grande quantiteacute les bienslocaux que les seacutedentaires produisent et ilsles laquo tirent raquo ainsi vers le haut En revancheles travailleurs laquo nomades raquo ont inteacuterecirct agrave ceque leurs laquo seacutedentaires raquo soient pauvres afinqursquoils leur fournissent des biens et serviceslocaux agrave bas prix dont certains sont des fac-teurs de production Ainsi un informaticienindien formeacute agrave Stanford et rentreacute agrave Banga-lore aura un salaire bien infeacuterieur agrave celui deson collegravegue resteacute en Californie Il sera doncagrave compeacutetence eacutegale plus compeacutetitif que lui

dans lrsquoaregravene mondiale des services infor-matiques Cependant il vivra mieux avec cesalaire agrave Bangalore qursquoagrave Palo Alto En effeten Inde on peut srsquooffrir une tregraves belle maisonet trois domestiques pour beaucoup moinsdrsquoargent qursquoen Californie les ouvriers dubacirctiment et les fournisseurs de services agrave lapersonne y eacutetant encore tregraves pauvres

Cette divergence drsquointeacuterecircts entre emploisnomades et seacutedentaires au sein drsquoun mecircmeterritoire signe la fin de la solidariteacute eacutecono-mique objective du modegravele des Trente Glo-rieuses On assiste au contraire agrave lrsquoextensiondu laquo modegravele indien raquo ougrave des icirclots de prospeacute-riteacute peupleacutes de travailleurs nomades globa-liseacutes peu nombreux mais tregraves riches flottentsur un oceacutean de seacutedentaires pauvres Or lesEacutetats-Unis dans une moindre mesure lrsquoAlle-magne et mecircme la France se rapprochentde ce modegravele tregraves ineacutegalitaire En 2008 lenombre drsquoemplois nomades nrsquoest plus que de11 aux Eacutetats Unis 15 en France et 21 en Allemagne Dans ces deux derniers paysil a diminueacute de pregraves drsquoun tiers en vingt ansLa valeur ajouteacutee par emploi nomade est auxEacutetats Unis de 43 supeacuterieure agrave la valeurajouteacutee par emploi seacutedentaire de 15 enAllemagne Les eacutecarts de revenus salariauxentre les nomades et les seacutedentaires se sontaccrus de 30 en Allemagne Ce pays estdeacutesormais confronteacute agrave un nombre significatifde laquo travailleurs pauvres raquo essentiellementdans les secteurs seacutedentaires avec en 201071 des actifs gagnant moins de 940 eurospar mois et 75 millions drsquoemployeacutes avec unsalaire horaire infeacuterieur agrave 926 euros bruts

Quelle politique industrielleen France et en Europe Pour inverser cette tendance et maintenircreacuteer et attirer en France beaucoup plusdrsquoemplois nomades il faut absolument deacuteve-lopper lrsquoindustrie manufacturiegravere et lesservices nomades Cela exige drsquoagir agrave troisniveaux ougrave se deacutecline donc un programme

[2] Sur ces conceptset leur usagecf Giraud P-N (2012)La mondialisationEacutemergences etfragmentations AuxerreSciences HumainesEacuteditions

LA POLITIQUE INDUSTRIELLE AU CŒUR DES ENJEUX FRANCcedilAIS ET EUROPEacuteENS109

de politique industrielle pour la France etlrsquoEurope aujourdrsquohui

Premier niveau laquo balayer devant notre porte raquo

Il est impeacuteratif drsquoagir au niveau national pourcombler lrsquoeacutecart de compeacutetitiviteacute qui srsquoestcreuseacute avec les meilleurs Europeacuteens lrsquoAlle-magne et la Suegravede Les raisons du deacutecrochagede lrsquoindustrie franccedilaise sont bien identifieacuteesLa plupart de nos faiblesses relegravevent drsquoundeacuteficit de laquo capital social raquo de confiance entreles nombreuses parties prenantes Les effortsagrave fournir concernent notamment la formationinitiale et permanente les relations socialesla gouvernance et le financement des entre-prises une fiscaliteacute non peacutenalisante lisible etstable un financement des transferts sociauxqui pegravese moins sur le travail plus de solida-riteacute et de relations entre les acteurs pour deacuteve-lopper des synergies territoriales et au seindes filiegraveres une simplification des rapportsaux administrations Tout cela au servicedrsquoune indispensable laquo monteacutee en gamme raquopermettant de reconstituer les marges desentreprises et de retrouver une compeacutetitiviteacutecomparable agrave celle des meilleurs EuropeacuteensLrsquoessentiel de cet effort repose sur les entre-prises elles-mecircmes et leur parties prenantesMais lrsquoEacutetat peut et doit les soutenir Le rap-port Gallois (2013) deacutecrit en deacutetail ces actionsde politique eacuteconomique dont lrsquoessentielsont horizontales srsquoadressant au tissu pro-ductif dans son ensemble et non agrave tel secteuren particulier

Deuxiegraveme niveau lrsquoEurope

Agrave lrsquoeacutechelon europeacuteen la prioriteacute est drsquoeacutevi-ter que la concurrence entre pays membrespousse chacun au moins-disant social et fiscaldans une course suicidaire Il srsquoagit ensuitede reconnaicirctre qursquoil est impossible que lrsquoEu-rope du Nord ndash avec son hinterland lrsquoEuropede lrsquoEst ndash se speacutecialise seule dans lrsquoindustrieQue lui vendront alors les pays drsquoEurope duSud Du tourisme De lrsquohuile drsquoolive et duvin Il faut donc eacutelaborer et mettre en œuvre

une politique industrielle strateacutegique euro-peacuteenne qui favorise une meilleure reacutepartitionde lrsquoindustrie au sein des territoires et contri-bue ainsi agrave la convergence des eacuteconomies despays de lrsquoUnion

Troisiegraveme niveau le monde

LrsquoEurope si elle srsquoengage dans la voie duregraveglement de ses problegravemes internes quisont consideacuterables doit aussi neacutegocier avecles pays eacutemergents la question de la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie En raison degigantesques imperfections de marcheacute et dedeacutefauts manifestes de coopeacuteration la reacutepar-tition mondiale de lrsquoindustrie est aujourdrsquohuifortement sous-optimale Il y en a dramati-quement trop peu en Afrique le geacuteant deacutemo-graphique de demain Il y en a deacutesormaistrop peu en Europe et en Ameacuterique du NordEn Asie agrave lrsquoinverse elle est trop extravertieIl serait eacutevidemment dans lrsquointeacuterecirct collectifque les firmes des pays asiatiques eacutemergentsmais aussi du Breacutesil investissent encore plusmassivement dans lrsquoindustrie manufactu-riegravere en Afrique que les pays eacutemergents serecentrent sur leur marcheacute inteacuterieur et sefixent comme objectif de reacuteduire les immensesineacutegaliteacutes qui se sont creuseacutees ou persistenten leur sein et qursquoenfin lrsquoEurope cesse de sedeacutesindustrialiser en deacutetruisant de maniegraveremassive un capital humain et social qursquoil seratregraves difficile voire impossible de reconstituerlorsque les pays eacutemergents auront perdu leurcompeacutetitiviteacute dans des segments entiers deschaicircnes de valeur ougrave ils excellent aujourdrsquohui

Pour parvenir agrave une meilleure reacutepartition agravelong terme fort beacuteneacutefique agrave tous de lrsquoindus-trie mondiale il est indispensable de privileacute-gier la neacutegociation et la coopeacuteration avec lespays eacutemergents Une combinaison neacutegocieacuteede politiques macro-eacuteconomiques de changeet industrielles est certainement le meilleurmoyen drsquoatteindre les objectifs de reacuteeacutequili-brage de lrsquoindustrie-services dans le mondeMais dans toute neacutegociation il faut disposerdrsquoun plan B Nous avons proposeacute qursquoen casdrsquoimpossibiliteacute de neacutegocier lrsquoEurope impose

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 110

dans certaines industries des normes devaleur ajouteacutee locale minimale pour avoiraccegraves au marcheacute europeacuteen agrave lrsquoimage de ceque font les pays eacutemergents comme la Chineainsi que des standards environnementauxplus strict et eacutequivalents agrave ceux qursquoelle srsquoim-pose agrave elle-mecircme Le maicirctre mot est ici laquo reacuteci-prociteacute raquo avec des pays qui sont deacutesormaissur le plan technologique des eacutegaux

En France ce qui est essentiel aujourdrsquohuiest de prendre conscience de lrsquoimportance deces enjeux de lrsquourgence drsquoavancer simultaneacute-ment sur les trois fronts qui viennent drsquoecirctreeacutevoqueacutes et de se remettre agrave laquo aimer notreindustrie raquo3

GALLOIS L (2013) laquo Pactepour la compeacutetitiviteacute delrsquoindustrie franccedilaise raquo rapportau Premier Ministre ParisLa Documentation franccedilaise

GIRAUD P-N etWEIL T(2013) Lrsquoindustrie franccedilaisedeacutecroche-t-elle ParisLa Documentation franccedilaisecoll laquo Docrsquoen poche raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

[3] Ces analyses etces propositions sontdeacuteveloppeacutees dans Giraud P-N et WeilThierry (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION111

MICHEL RAINELLI

Universiteacute Nice Sophia Antipolis

Lrsquoobjectif de la politique commerciale est de modifier les flux des eacutechanges commerciaux dans un sens favorable agrave la nation geacuteneacuteralement en augmentant les exportations et en diminuant les importations dans le but de favoriser les entreprises domestiques et de sauvegarder des emplois Depuis lrsquoapregraves-guerre la politique commerciale des pays industrialiseacutes est largement orienteacutee par la libeacuteralisation multilateacuterale des eacutechanges orchestreacutee par le GATT puis lrsquoOMC Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances dans le cadre de la mondialisation a toutefois consideacute-rablement accru la concurrence internationale pour les pays avanceacutes ce qui a fait ressurgir la tentation protectionniste et exacerbeacute les tensions Nord-Sud La crise nrsquoa fait qursquoaggraver la situation Le blocage du cycle de Doha pour le deacuteveloppement patent depuis 2005 lrsquoatteste Selon Michel Rainelli il ne faudrait toutefois pas en conclure agrave une fin des accords de libre-eacutechange et de lrsquoinfluence de lrsquoOMC celle-ci reste essentielle sur le plan de la gestion des diffeacuterends commerciaux et de nombreux accords bilateacuteraux pallient en partie les faiblesses actuelles du multilateacuteralisme

Problegravemes eacuteconomiques

La politique commerciale agrave lrsquoheure de la mondialisation

Lrsquoobjectif de la politique commerciale estdrsquoinfluencer les flux des eacutechanges interna-tionaux les nations cherchant agrave deacutevelop-per leurs exportations agrave restreindre leursimportations ou encore agrave jouer simultaneacute-ment sur les deux Sans cette intervention leseacutechanges entre les pays srsquoexpliqueraient parles diffeacuterents deacuteterminants eacutetudieacutes par lestheacuteories du commerce international commepar exemple les avantages comparatifs lesrendements drsquoeacutechelle croissants la diffeacute-renciation des produits mais aussi par les

obstacles geacuteographiques les coucircts du trans-port des marchandises etc1

La politique commerciale a donc pour butde modifier la speacutecialisation internationalelaquo spontaneacutee raquo Lrsquoobjectif principal est drsquoaug-menter par une baisse des importations ouune promotion des exportations le niveaudrsquoactiviteacute de lrsquoeacuteconomie du pays principa-lement pour agir sur le niveau de lrsquoemploiLes gouvernements disposent drsquoune gammedrsquoinstruments importante lorsqursquoil srsquoagitdrsquoinfluencer leurs importations alors quelrsquoaction sur les exportations repose sur desvariables moins nombreuses et surtout plusindirectes La politique commerciale effecti-vement mise œuvre par les gouvernementsest tregraves deacutependante de lrsquoenvironnement[1] Voir Rainelli M (2009)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 112

eacuteconomique geacuteneacuteral et de la conjoncture lespeacuteriodes de crise eacutetant caracteacuteriseacutees par destensions protectionnistes tandis que la crois-sance favorise le libre-eacutechange Mais la poli-tique commerciale deacutepend aussi fortementdes caracteacuteristiques du commerce internatio-nal et de lrsquoexistence drsquoorganisations interna-tionales deacutedieacutees agrave la reacutegulation des eacutechanges

Les instrumentsde la politique commercialeAgir sur les importationsIl existe de nombreuses possibiliteacutes permet-tant de rencheacuterir les prix des biens et ser-vices importeacutes ou agrave lrsquoextrecircme drsquointerdireleur accegraves au marcheacute

Lrsquoinstrument classique est lrsquoinstauration drsquoundroit de douane qui augmente le prix du biensur le marcheacute national et assure de surcroicirctdes recettes fiscales Crsquoest la forme la plusancienne du protectionnisme connue sousle nom de barriegraveres tarifaires Il existe parailleurs un ensemble de mesures regroupeacuteessous le nom de barriegraveres non tarifaires quirecouvrent des instruments divers comme lerecours agrave des limitations quantitatives drsquoac-cegraves au marcheacute avec des quotas (les importa-tions ne peuvent concerner qursquoun contingentdu marcheacute national) lrsquoinstauration de normestechniques ou sanitaires qui empecirccherontdes produits eacutetrangers ne les satisfaisantpas drsquoecirctre vendus dans le pays ou encore desreacuteglementations diverses Dans tous les cassoit via une augmentation des prix soit viaune restriction de lrsquoaccegraves au marcheacute lrsquoins-tauration de barriegraveres tarifaires ou non tari-faires permet de proteacuteger les producteursnationaux de la concurrence eacutetrangegravere

Agir sur les exportationsLorsqursquoune nation veut promouvoir ses expor-tations elle cherche agrave diminuer les coucircts pourles entreprises preacutesentes agrave lrsquointernationaldonc agrave abaisser leurs prix sur le marcheacute mon-dial lrsquooutil le plus eacutevident est alors celui de

subventions agrave la production ou la diminu-tion des charges pesant sur les entreprisesexportatrices Les pouvoirs publics peuventaussi jouer sur drsquoautres paramegravetres influantla speacutecialisation internationale en favori-sant les innovations par des subventions agrave larecherche et deacuteveloppement (RampD) en faci-litant les transferts entre recherche publiqueet recherche priveacutee Ils peuvent eacutegalementdeacutevelopper une politique drsquoattraction drsquoen-treprises eacutetrangegraveres qui exporteront agrave par-tir de leur nouveau territoire drsquoimplantationPour lrsquoessentiel ces diffeacuterentes interventionsrelegravevent de la politique industrielle2 Uneautre option est en preacutesence de barriegraveres aucommerce international drsquoentrer dans desneacutegociations avec drsquoautres nations afin delibeacuteraliser les eacutechanges

Les actions sur le taux de changeUne autre politique publique a un impact surles flux commerciaux mecircme si ce nrsquoest pasneacutecessairement sa fonction premiegravere il srsquoagitde la politique moneacutetaire qui peut influencerle taux de change Ainsi une politique moneacute-taire expansive conduit agrave une deacutepreacuteciation dela monnaie nationale qui diminue le prix desexportations et augmente celui des impor-tations Lrsquoexemple japonais entre la fin 2012et le deacutebut 2013 en est une parfaite illustra-tion lrsquoinjection massive de liquiditeacutes par laBanque centrale du Japon avec un objectifde doublement de la quantiteacute de monnaie encirculation dans un deacutelai de deux ans a pourobjectif premier de sortir le pays de la deacutefla-tion en favorisant lrsquoinflation Mais cette poli-tique a un effet secondaire conduisant entrenovembre 2012 et mars 2013 agrave une baisse deplus de 20 du taux de change du yen parrapport au dollar Cependant les premiersreacutesultats indiquent que les importations ontcrucirc plus rapidement que les exportations etdonc que le deacuteficit commercial srsquoest dans unpremier temps creuseacute Le pari des autoriteacutesjaponaises est que le mouvement srsquoinverseradans un deuxiegraveme temps et que la deacutepreacutecia-tion du yen va contribuer agrave lrsquoaccroissementdes exportations (cf zoom)

[2] Sur la politiqueindustrielle voir dansce mecircme numeacuterolrsquoarticle de P-N Giraudpp 104-110

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 113

Le recours par un gouvernement aux instru-ments de la politique commerciale deacutependde la croyance dans ses effets sur lrsquoeacuteconomienationale et du contexte geacuteneacuteral

Les orientations de la politiquecommercialeLes controverses de lrsquoanalyseeacuteconomiqueLes preacuteconisations de lrsquoanalyse eacuteconomiqueen matiegravere de politique commerciale sontcontroverseacutees Il existe une opposition degravesle XIXe siegravecle entre les deacutefenseurs du libre-eacutechange David Ricardo eacutetant le plus ceacutelegravebreagrave cette eacutepoque et drsquoautres qui considegraverentagrave lrsquoinstar de Frederich List qursquoune protec-tion temporaire de la nation est un preacute-alable indispensable au deacuteveloppementeacuteconomique Le deacutebat entre ces deux thegravesesest constant les deacuteveloppements de lrsquoanalyseeacuteconomique conduisant agrave des reformulations

et agrave de nouveaux arguments comme cela aeacuteteacute le cas dans les anneacutees 1980 avec la theacuteoriede la politique commerciale strateacutegique deacuteve-loppeacutee par Paul Krugman3 La politique com-merciale adopteacutee deacutepend donc de lrsquoadheacutesiondu gouvernement en place agrave la supeacuterioriteacute dulibre-eacutechange sur le protectionnisme maisaussi de la capaciteacute des groupes de pressionagrave traduire la deacutefense de leurs inteacuterecircts dansles options de lrsquoaction publique En effet lecommerce international toutes choses eacutegalespar ailleurs a un impact positif sur les sec-teurs exportateurs et neacutegatif sur les secteursconcurrenceacutes par les importations principa-lement par lrsquoaction de la concurrence interna-tionale sur les prix Les agents eacuteconomiquessalarieacutes et capitalistes affecteacutes par la concur-rence internationale sont donc tregraves inciteacutes agravedeacutefendre une politique protectionniste quiles proteacutegera et eacutevitera une remise en causede leurs emplois ou de leurs profits Dans lemecircme temps les agents qui beacuteneacuteficient dudeacuteveloppement des exportations seront pous-seacutes agrave deacutefendre le libre-eacutechange par crainte de

TTAAUX DE CHANGEUX DE CHANGEET SOET SOLLDE CDE COMMEROMMERCIACIALLSelSelon la theacuteorie eacutecon la theacuteorie eacuteconomique lonomique lrsquoameacuteliorrsquoameacuteliorationation

du solde cdu solde commerommercial qui peut ecirctrcial qui peut ecirctre atte attendueendue

drsquoune deacuteprdrsquoune deacutepreacuteciation du teacuteciation du taux de change nrsquoesaux de change nrsquoestt

ni immeacutediatni immeacutediate ni aute ni automatique Ellomatique Elle deacutepende deacutepend

de cde certertaines caines conditions et surtonditions et surtout ellout elle nee ne

se prse produit en geacuteneacuteroduit en geacuteneacuteral qursquoapral qursquoapregraves un tegraves un tempsemps

drsquoajusdrsquoajusttementement

Dans lDans le ce cas las le plus clase plus classique lsique le soldee solde

ccommerommercial suit une laquocial suit une laquo ccourbe en Jourbe en J raquoraquo

la deacuteprla deacutepreacuteciation de la monnaie nationaleacuteciation de la monnaie nationalee

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En effEn effet crsquoeset crsquoest dans un prt dans un premier temier temps lemps lrsquo laquorsquo laquo effeffet-et-

prixprix raquo qui domineraquo qui domine la bais la baisse du changese du change

rrencheacuterit lencheacuterit les biens importes biens importeacutes reacutes relativelativementement

aux biens eaux biens exportxporteacutes Si leacutes Si les ves volumes eacutechangeacutesolumes eacutechangeacutes

rresesttent lent les mecircmes les mecircmes le solde ce solde commerommercial secial se

crcreuse auteuse automatiquement Dans un secomatiquement Dans un secondond

ttemps lemps les quantites quantiteacutes seacutes srsquoadaptrsquoadaptent au nouvent au nouveaueau

prix ndash theacuteoriquement lprix ndash theacuteoriquement les quantites quantiteacutes eeacutes exportxporteacuteeseacutees

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vvolumeolume raquo lraquo lrsquoemportrsquoemporte geacuteneacutere geacuteneacuteralalement dans unement dans un

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deacutepend des eacutelasdeacutepend des eacutelasticitticiteacutes-prix des eeacutes-prix des exportxportationsations

et des importet des importations crsquoesations crsquoest-agrave-dirt-agrave-dire de lae de la

laquolaquo rreacuteactiviteacuteactiviteacuteeacute raquo des quantitraquo des quantiteacutes importeacutes importeacutees eteacutees et

eexportxporteacutees aux veacutees aux variations de prix En lariations de prix En lrsquoabsencrsquoabsencee

de subsde substituts la demande de biens importtituts la demande de biens importeacuteseacutes

diminuerdiminuera peu mecircme si la peu mecircme si les prix augmentes prix augmententent

Quand aux quantitQuand aux quantiteacutes eeacutes exportxporteacutees elleacutees elles nees ne

pourrpourront augmentont augmenter que si ler que si les entres entrepriseseprises

sont en mesursont en mesure drsquoace drsquoaccrcroicirctroicirctre le leur preur production etoduction et

qursquoil ne sqursquoil ne srsquoagit pas drsquoun sectrsquoagit pas drsquoun secteur dans leur dans lequel laequel la

demande esdemande est saturt satureacuteeeacutee

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

[3] Voir Rainelli M (2003)

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 114

repreacutesailles eacutemanant des nations toucheacuteespar lrsquoinstauration du protectionnisme

Les politiques commercialesdans une perspective historique

Dans une perspective drsquohistoire eacuteconomiqueon note que le libre-eacutechange a de grandesdifficulteacutes agrave srsquoimposer et que les phases decrise sont marqueacutees par un retour du pro-tectionnisme le cas de la crise de 1929 eacutetantlrsquoexemple le plus net de lrsquoenchaicircnement quipeut srsquoinstaurer sous la forme drsquoune guerrecommerciale Lorsqursquoune nation confronteacuteeagrave une reacutecession prend lrsquoinitiative de mesuresprotectionnistes pour tenter de relancer soneacuteconomie elle deacuteclenche des contre-mesuresdes pays dont les exportations sont affecteacuteesdans une escalade protectionniste qui a glo-balement pour effet drsquoaggraver la crise LesEacutetats-Unis qui ont pris lrsquoinitiative en 1930drsquoune hausse tregraves significative de leur tarifdouanier ont ainsi deacuteclencheacute une guerre com-merciale en raison des reacutetorsions des grandespuissances europeacuteennes Cette escalade a eacuteteacutele facteur essentiel expliquant lrsquoeffondrementdu commerce mondial entre 1930 et 1935

Agrave la sortie de la Seconde Guerre mondialecette expeacuterience historique conduite agrave lacreacuteation en 1947 du GATT (General Agree-ment on Tariffs and Trade) auquel succeacute-dera en 1995 lrsquoOrganisation mondiale ducommerce (OMC)4 LrsquoOMC qui compte en 2013159 nations a deux fonctions compleacutemen-taires reprises de celles du GATT eacutelaborerdes regravegles qui limitent fortement le recoursau protectionnisme et organiser des cyclesde neacutegociations commerciales multilateacuteralesayant pour but de libeacuteraliser les eacutechangesinternationaux La politique commercialesrsquoinscrit donc pour les nations membres delrsquoOMC qui reacutealisent environ 95 du com-merce mondial dans un cadre contraint parles regravegles de lrsquoorganisation Certains outils dela politique commerciale sont prohibeacutes pourles membres de lrsquoOMC comme les subven-tions agrave lrsquoexportation pour les marchandises

drsquoautres sont tregraves eacutetroitement limiteacutes commeles restrictions quantitatives

La politique commercialedans le nouveau contexteeacuteconomique international

La mondialisation commerciale contempo-raine srsquoinscrit donc dans un contexte institu-tionnel qui contraint la politique commercialeMais la progression de la mondialisationchange le contexte dans lequel les nationssont confronteacutees agrave la concurrence internatio-nale et a un impact sur les politiques misesen œuvre Si lrsquoon considegravere la mondialisationreacutecente uniquement dans sa dimension com-merciale une tendance de fond eacutemerge

On assiste agrave une redistribution geacuteographiquede la place des nations dans les eacutechangesinternationaux avec la monteacutee de lrsquoAsie et aupremier chef de la Chine Drsquoapregraves les donneacuteesde lrsquoOMC entre 1993 et 2011 la part de lrsquoAsiedans les exportations mondiales de marchan-dises est passeacutee de 261 agrave 311 (celle dela Chine devenue premier exportateur mon-dial passe de 25 agrave 107 celle de lrsquoInde de06 agrave 17 pendant que le Japon passe de 99agrave 46 ) alors que les Eacutetats-Unis reacutegressentde 126 agrave 83 la France de 6 agrave 33 leRoyaume-Uni de 49 agrave 27 lrsquoAllemagne de103 agrave 83 5 La conseacutequence immeacutediate estque la question de la politique commercialedes grands pays du Nord se pose de plus enplus agrave lrsquoeacutegard des nations du Sud mecircme sidans certains secteurs lrsquoopposition entre lesEacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne (UE) esttoujours drsquoactualiteacute comme le deacutemontrentles diffeacuterends commerciaux entre Airbus etBoeing pour lrsquoaeacuteronautique ou sur le recoursaux organismes geacuteneacutetiquement modifieacutes(OGM) dans lrsquoagriculture

La nouvelle donne geacuteographique a une conseacute-quence significative sur la politique com-merciale en raison de la concurrence exerceacuteesur les marcheacutes des pays du Nord par desmarchandises en provenance de nationscaracteacuteriseacutees par un environnement socialet reacuteglementaire reposant sur des normes

[4] Voir Rainelli M (2011)

[5] OMC (2012)Statistiques ducommerce mondialhttpwtoorgfrenchres_fstatis_fits2012_fits12_world_trade_dev_fpdfTab I5 p 24 et TabI7 p 26

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 115

beaucoup moins contraignantes Ces diffeacute-rences de normes sont agrave lrsquoorigine drsquoaccusa-tions de concurrence deacuteloyale qui nourrissentdes demandes reacutepeacuteteacutees de mesures protec-tionnistes en Europe comme aux Eacutetats-Unissoit de maniegravere geacuteneacuteraliseacutee les produitsprovenant de pays drsquoAsie devant faire lrsquoobjetde mesures correctrices aux frontiegraveres parlrsquoimposition de droits de douane significatifssoit plus ponctuellement avec des justifica-tions diverses selon les secteurs concerneacutes

Une bonne indication des politiques commer-ciales speacutecifiques est donneacutee par les diffeacute-rends commerciaux soumis agrave lrsquoORD (Organedes regraveglements des diffeacuterends) de lrsquoOMCLorsqursquoun membre de lrsquoOMC considegravere qursquounautre membre viole une de ses obligations ilpeut soumettre ce diffeacuterend agrave lrsquoORD lrsquoexa-men des plaintes deacuteposeacutees permet de mettreen perspective la nature des conflits com-merciaux6 Les diffeacuterends les plus reacutecentsrelegravevent dans leur tregraves grande majoriteacute deplaintes de pays du Nord contre des pays du

Sud qui sont accuseacutes de ne pas respecter desnormes sanitaires ou de pratiquer du dum-ping par exemple en subventionnant desentreprises exportatrices ce qui leur permetde vendre agrave un prix infeacuterieur au coucirct de pro-duction (cf Zoom) Si le dumping est eacutetabli lanation leacuteseacutee est autoriseacutee agrave instaurer un droitde douane compensant lrsquoavantage indu

Les demandes de protection geacuteneacuteraliseacuteecontre les importations en provenance de cer-tains pays du Sud sont justifieacutees par les dif-feacuterences tregraves importantes dans les domainesdes droits sociaux des travailleurs parlrsquoinexistence de reacuteglementation environne-mentale par la sous-eacutevaluation de la monnaienationale (dans le cas de la Chine le taux dechange du yuan nrsquoest pas fixeacute sur le marcheacutecar la monnaie nrsquoest pas convertible) Il srsquoagitdrsquoune nouvelle formulation des arguments enfaveur du protectionnisme qui nrsquoest plus fon-deacutee comme chez List par la neacutecessiteacute de per-mettre agrave un pays de se deacutevelopper mais surlrsquoideacutee que le commerce international met en

[6] La liste des diffeacuterendscommerciaux est

disponible sur le siteinternet de lrsquoOMC

httpwtoorgfrenchtratop_fdispu_fdispu_

status_fhtm

LES PLES PANNEAANNEAUXUXPHOPHOTTOOVVOOLLTTAIumlQUES CHINOISAIumlQUES CHINOISUN EXEMPUN EXEMPLLE DE DIFFEacuteRENDE DE DIFFEacuteRENDCCOMMEROMMERCIACIALLLe cLe cas des panneaux photas des panneaux photoovvoltoltaiumlques chinoisaiumlques chinois

esest une illust une illustrtration drsquoune politique cation drsquoune politique commerommercialcialee

agragresessivsive Le gouve Le gouvernement chinois dans lernement chinois dans lee

ccadradre de sa politique induse de sa politique industrielltrielle a fe a favavoriseacuteoriseacute

lle deacutee deacutevveleloppement drsquoentroppement drsquoentreprises preprises produisantoduisant

des panneaux photdes panneaux photoovvoltoltaiumlques graiumlques gracirccacircce agrave dese agrave des

aides publiques principalaides publiques principalement sous fement sous formeorme

de prde precircts bancecircts bancairaires La ces La capacitapaciteacute de preacute de productionoduction

des entrdes entreprises chinoises a reprises chinoises a rapidement capidement connuonnu

une crune croisoissancsance ce consideacuteronsideacuterablable qui fe qui fait drsquoellait drsquoelles les leses

prpremieremiers prs productoducteureurs mondiaux avs mondiaux avec 65ec 65 de de

la prla production mondialoduction mondiale Le mare Le marcheacute eurcheacute europeacuteenopeacuteen

esest lt le pre premier maremier marcheacute agrave lcheacute agrave lrsquoersquoexportxportation de cation de ceses

firmesfirmes 80 80 des e des exportxportations chinoisesations chinoises

sont agrave dessont agrave destination de ltination de lrsquoUE pour une vrsquoUE pour une valaleureur

de 21de 21 milliarmilliards drsquoeurds drsquoeuros EU Pros EU Pro Sun uno Sun un

rregregroupement drsquoentroupement drsquoentreprises eureprises europeacuteennes duopeacuteennes du

sectsecteureur a deacuteposeacute une plaint a deacuteposeacute une plainte en juille en juilletet 20122012

ffondeacutee sur londeacutee sur lrsquoersquoexisxisttencence drsquoune drsquoun dumpingdumping et sur let sur lee

prpreacutejudiceacutejudice qui en re qui en reacutesulteacutesulte pour le pour les entres entrepriseseprises

eureuropeacuteennes (1)opeacuteennes (1) EU Pr EU Pro Sun a eacuteto Sun a eacutetabli une lisabli une listtee

de 45 entrde 45 entreprises eureprises europeacuteennes qui ont arropeacuteennes qui ont arrecirctecircteacuteeacute

la prla production ou ont supprimeacute des emploduction ou ont supprimeacute des emploisois

depuis 2010 en rdepuis 2010 en raison de caison de cettette ce concurroncurrencencee

deacuteldeacutelooyyalale (2) Le (2) Lrsquoinsrsquoinstruction de la plainttruction de la plainte ae a

ccommencommenceacute en septeacute en septembrembree 2012 et en mai2012 et en mai 20132013

lle ce commisommissairsaire eure europeacuteen au Commeropeacuteen au Commercce ae a

prproposeacute drsquoeacutetoposeacute drsquoeacutetablir une tablir une taxaxe de 47e de 47 sur l sur leses

importimportations de panneaux solairations de panneaux solaires chinoises chinois

Michel RainelliMichel Rainelli

(1)(1) VVoir httpeuroir httpeuropaeuropaeurapidprapidpress-ress-release MEMO-elease_MEMO-12-647 fr12-647_frhtmhtm

(2)(2) VVoir httpwwwoir httpwwwprprosunorosunorgfrla-concurrgfrla-concurrence-ence-loloyyaleune-situaaleune-situation-prtion-preoccupantehtmleoccupantehtml

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 116

concurrence des espaces eacuteconomiques forte-ment diffeacuterencieacutes et que srsquoinstaurerait ainsiune concurrence deacuteloyale entre les nationsneacutecessitant un correctif Si cette thegravese ren-contre un certain succegraves dans les syndicats agravela fois patronaux et de salarieacutes elle nrsquoa qursquounfaible eacutecho chez les eacuteconomistes et les partispolitiques au pouvoir dans les pays du Nord

La politique commerciale et lrsquoOMCLes nations membres de lrsquoOMC se sont enga-geacutees drsquoune part agrave respecter des accordscontraignant leurs politiques commercialesdans des domaines varieacutes et drsquoautre part agraveentrer dans des neacutegociations pour libeacuterali-ser le commerce mondial Alors que le GATTsrsquoest acheveacute par le cycle de lrsquoUruguay concluen 1993 qui a marqueacute une nouvelle eacutetape dansle mouvement de libeacuteralisation commenceacute en1947 lrsquoOMC devait organiser un nouveau cyclede neacutegociations selon les conclusions acquisesen 1993 en raison de problegravemes non reacutesolusnotamment dans lrsquoagriculture Lrsquoouverture deces neacutegociations inscrite agrave lrsquoagenda de lrsquoOMCa donneacute lieu agrave des oppositions marqueacutees lespays les moins deacuteveloppeacutes consideacuterant queles engagements du cycle de lrsquoUruguay devantleur profiter nrsquoeacutetaient pas tenus par les nationsdu Nord Ce nrsquoest qursquoen 2002 que les membresde lrsquoOMC ont engageacute le cycle de neacutegociationsbaptiseacute Programme de Doha pour le deacutevelop-pement La fin des neacutegociations eacutetait planifieacuteepour feacutevrier 2005 mais degraves le deacutebut les affron-tements Nord-Sud ont conduit agrave un blocageEneffet une des originaliteacutes de lrsquoOMC reprise desprincipes gouvernant le GATT est que chaquenation a un poids identique et que lrsquounanimiteacuteest neacutecessaire pour obtenir un accord Les paysdu Sud ont pour la premiegravere fois depuis 1947saisi la possibiliteacute qui leur eacutetait offerte drsquoem-pecirccher un accord qui ne leur convenait pas

Alors que le Programme de Doha pour le deacuteve-loppement a mis au premier plan le rocircle ducommerce international pour le deacuteveloppe-ment des nations les pays du Sud ont refuseacutedrsquoabaisser les protections de leurs marcheacutesnationaux dans lrsquoagriculture drsquoadopter une

politique nationale de la concurrence etc Lesconfeacuterences ministeacuterielles de lrsquoOMC qui per-mettent theacuteoriquement tous les deux ans defaire le point sur les avancements des neacutegocia-tions nrsquoont jamais permis de faire eacutemerger uneconvergence des points de vue Au contraireles nations du Sud se sont coaliseacutees derriegraverele Breacutesil la Chine et lrsquoInde pour srsquoopposer auxdemandes de libeacuteralisation des pays du Norden consideacuterant que les concessions offertesen eacutechange eacutetaient insuffisantes En deacutepit denombreuses tentatives pour relancer les neacutego-ciations leur aboutissement semble impos-sible mecircme si en mai 2013 elles ne sont pasofficiellement abandonneacutees

Cela implique-t-il que lrsquoOMC soit devenue uneinstitution qui nrsquoa plus drsquoobjet La reacuteponse agravecette question doit ecirctre nuanceacuteeTout drsquoabordles accords de lrsquoOMC jouent un rocircle de reacutegula-tion des politiques commerciales en permet-tant gracircce agrave lrsquoORD de sanctionner les mesuresqui sont contraires aux accords Il existe unegamme drsquointerventions publiques possiblesen particulier dans le cas de lrsquoanti-dumping mecircme si celles-ci srsquoexercent sous le controcircle delrsquoOMC lorsqursquoun diffeacuterend est soumis agrave lrsquoORDEnsuite la crise reacutecente a constitueacute un contre-exemple aux reacuteactions des Eacutetats lors de lacrise de 1929 Les nations du G20 se sont enga-geacutees en novembre 2008 lors de leur reacuteunion agraveWashington agrave ne pas recourir au protection-nisme engagement confirmeacute lors des reacuteunionssuivantes et agrave mettre en place un observa-toire gracircce agrave la collaboration de lrsquoOMC de laCNUCED et de lrsquoOCDE des mesures affectantles eacutechanges internationaux (Rainelli 2011)Le reacutesultat des recensements montre que lerecours au protectionnisme a eacuteteacute tregraves diversLa nation la plus active est lrsquoInde suivie parles Eacutetats-Unis LrsquoUE est beaucoup moinsconcerneacutee Le volume du commerce affecteacuterepreacutesente 18 des importations des pays duG20 soit 14 des importations mondiales Ladiffeacuterence de reacuteponse agrave la crise entre 1929 et lapeacuteriode actuelle reacuteside donc dans lrsquoexistenceaujourdrsquohui de lrsquoOMC comme le note PaulKrugman (2013)

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 117

Mais le blocage des neacutegociations commercialesqui signifie lrsquoeacutechec du Programme de Dohapour le deacuteveloppement ne signe pas neacutecessai-rement la fin de la libeacuteralisation des eacutechangesinternationaux en raison du deacuteveloppementdrsquoaccords bilateacuteraux de libre-eacutechange

Le renouveau des accordsbilateacuteraux de libre-eacutechangeLe GATT puis lrsquoOMC reposent sur le prin-cipe du multilateacuteralisme crsquoest-agrave-dire que lesavantages commerciaux consentis dans lesneacutegociations beacuteneacuteficient agrave tous les membresde lrsquoorganisation Le blocage du Programmede Doha a conduit les principaux acteurs ducommerce mondial souhaitant libeacuteraliser leseacutechanges agrave changer drsquoapproche en passant desaccords bilateacuteraux en dehors de lrsquoOMC bienqursquoils doivent theacuteoriquement obtenir son aval

Cette deacutemarche est suivie de maniegravere parallegravelepar les Eacutetats-Unis et lrsquoUnion europeacuteenne quiont conclu des accords de libre-eacutechange avecde nombreux pays toutes les neacutegociationsnrsquoayant pas encore abouti La justification decette deacutemarche est exposeacutee par lrsquoUE si lrsquoen-semble des accords en cours de neacutegociationdevait aboutir le PIB de lrsquoUE augmenterait de22 et 22 millions drsquoemplois seraient creacuteeacutes7 Crsquoest ainsi qursquoapregraves lrsquoaccord avec la Coreacutee duSud entreacute en vigueur le 1er juillet 2011 lrsquoUEdoit encore finaliser les neacutegociations entre-prises avec lrsquoInde (commenceacutees en 2007) et leCanada (commenceacutees en 2009) La justificationde cette deacutemarche bilateacuterale outre le blocage

des neacutegociations de lrsquoOMC reacuteside dans la priseen compte de lrsquoensemble des barriegraveres auxeacutechanges entre les deux partenaires tarifaireset non tarifaires ainsi que dans lrsquoeacutetablisse-ment drsquoinstances permettant de veiller agrave labonne application de lrsquoaccord8

La rencontre des deacutemarches entreprises desdeux cocircteacutes de lrsquoAtlantique srsquoest produite enmars 2013 avec la deacutecision de la Commissioneuropeacuteenne drsquoapprouver le mandat de neacutego-ciation drsquoun accord de libre-eacutechange avec lesEacutetats-Unis qui selon des estimations devraitconduire agrave des gains de 119 milliards drsquoeurospar an une fois lrsquoaccord pleinement mis enœuvre

Au delagrave de la pertinence des estimations degains de ces accords qui peut ecirctre mise endoute le point important est lrsquoengagement versle libre-eacutechange que prennent lrsquoUnion euro-peacuteenne et les Eacutetats-Unis seacutepareacutement (les deuxpuissances ont ainsi conclu un accord avec laCoreacutee du Sud) et entre elles Lrsquoeacutechec du Pro-gramme de Doha pour le deacuteveloppement estainsi en train de conduire les nations les plusdeacuteveloppeacutees agrave eacutetablir des espaces de libre-eacutechange avec lrsquoambition de supprimer presquetoutes les barriegraveres au commerce entre ellesLa politique commerciale agrave lrsquoheure de la mon-dialisation qui se reacutevegravele au fil du temps estainsi celle drsquoune recherche drsquoune libeacuteralisa-tion seacutelective entre nations de mecircme niveaude deacuteveloppement qui serait porteuse de gainsde croissance En revanche les relations com-merciales avec les autres nations ne font pasjusqursquoagrave preacutesent lrsquoobjet drsquoune telle politique

[7] Voir httptradeeceuropaeudoclib

docs2012novembertradoc_150129pdf[11]

[8] Voir le bilan delrsquoapplication de lrsquoaccord

apregraves un an httpeuropaeurapidpress-

release_IP-12-708_frhtm

KRUGMAN P (2013) laquo The Protectionist Non-Surge raquo httpkrugmanblogsnytimescom20130429the-protectionist-non-surge

RAINELLI M (2003) La nouvelle theacuteorie du

commerce international ParisLa Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2009) Le commerce international Paris La Deacutecouvertecoll laquo Repegraveres raquo

RAINELLI M (2011) LrsquoOrganisation mondialedu commerce Paris LaDeacutecouverte coll laquo Repegraveres raquo

POUR EN SAVOIR PLUS

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 118

UNION EUROPEacuteENNE-EacuteTATS-UNIS LES ENJEUXDrsquoUN ACCORDDepuis dix ans la carte du commerce mondial

a eacuteteacute chambouleacutee sous lrsquoimpulsion de deux

pheacutenomegravenes la reacutegionalisation des eacutechanges

entraicircneacutee par la signature de multiples accords

bilateacuteraux et lrsquoirreacutesistible deacuteplacement du

centre strateacutegique de la production et des

eacutechanges vers lrsquoAsie et le Pacifique aux deacutepens

de lrsquoEurope et des Eacutetats-Unis Le laquo partenariat

transatlantique pour le commerce et

lrsquoinvestissement raquo entre lrsquoUnion europeacuteenne

(UE) et les Eacutetats-Unis (EU) pourrait-il changer

cette dynamique mondiale Bien qursquoeacutetant

bilateacuteral un accord UE-EU serait un pas vers

un retour agrave une reconnaissance de la primauteacute

des regravegles commerciales multilateacuterales

Cette primauteacute a eacuteteacute affaiblie par la multitude

drsquoaccords preacutefeacuterentiels conclus agrave ce jour (pregraves

de 400) qui discriminent les pays exclus de ces

accords et contredisent le principe de non-

discrimination un des piliers des regravegles de

lrsquoOMC

Raviver la flamme multilateacuterale

Lrsquoaccord de libre-eacutechange Nord-ameacutericain

(ALENA) qui lie depuis vingt ans les Eacutetats-Unis

au Canada et au Mexique peacutenalise les pays

de lrsquoUE Quant agrave lrsquoUnion europeacuteenne plus

inteacutegreacutee (puisqursquoelle est une union douaniegravere

doteacutee drsquoun tarif exteacuterieur commun) elle

impose en moyenne des tarifs relativement

faibles sur les importations ameacutericaines mais

pourtant toujours plus eacuteleveacutes que ceux fixeacutes

par les Eacutetats-Unis Cette heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute est

flagrante par exemple pour les veacutehicules agrave

moteur (tarif huit fois plus eacuteleveacute pour lrsquoUE)

et lrsquoagroalimentaire (146 contre 33 )

Lrsquoaccord UE-EU creacuteant en 2015 la plus vaste

zone de libre-eacutechange au monde repreacutesentant

un tiers du commerce international et la

moitieacute du PIB mondial ouvrirait agrave nouveau la

voie agrave un systegraveme commercial multilateacuteral

solide Une telle zone ne pourrait en effet

qursquoinciter les pays tiers agrave se rapprocher de ses

preacuteceptes

Pourquoi se reacutejouir drsquoun retour agrave des regravegles

multilateacuterales Parce que de nombreux

problegravemes drsquoordre systeacutemique ne peuvent

ecirctre reacutesolus par des accords bilateacuteraux Crsquoest

le cas par exemple des regravegles drsquoorigine des

mesures anti-dumping ou des subventions

Comme le disait volontiers le directeur

geacuteneacuteral de lrsquoOMC Pascal Lamy laquo Un eacuteleveur

ou un pecirccheur lsquobilateacuteralrsquo des poulets ou des

poissons lsquobilateacuterauxrsquo cela nrsquoexiste pas raquo

Un gigantesque marcheacute transatlantique

ne sonnerait pas le glas de lrsquoOMC

contrairement agrave ce que pensent certains

mais raviverait la flamme multilateacuterale

Pour Jose Manuel Barroso preacutesident de la

commission europeacuteenne laquo il fixera la norme

non seulement pour le commerce et les

investissements transatlantiques mais aussi

pour le deacuteveloppement du commerce agrave travers

le monde raquo

Lrsquoaccord UE-EU est-il de nature agrave freiner

la perte de leadership des eacuteconomies de

lrsquoOuest Il comporte deux volets un volet

commerce des biens et services et un volet

investissements directs agrave lrsquoeacutetranger Dans

ces deux domaines les eacutechanges sont deacutejagrave

importants le commerce de biens entre

les deux continents repreacutesente plus de

670 milliards de dollars et les investissements

reacuteciproques UE - Eacutetats-Unis se chiffrent agrave

plus de 1 000 milliards de dollars Les Eacutetats-

Unis sont le premier client de lrsquoUE (17 des

exportations europeacuteennes) et son troisiegraveme

fournisseur (11 des importations totales de

lrsquoUE) apregraves la Chine et la Russie la balance

commerciale eacutetant en faveur de lrsquoEurope avec

un exceacutedent de 73 milliards drsquoeuros Lrsquoampleur

du commerce EU-EU et lrsquoimportance des

deux eacuteconomies dans le monde font que

toute reacuteduction des obstacles aux eacutechanges

entre ces deux poids lourds aurait des effets

significatifs sur leurs eacuteconomies

COMPLEacuteMENT

LA POLITIQUE COMMERCIALE Agrave LrsquoHEURE DE LA MONDIALISATION 119

Barriegraveres tarifaires

Les obstacles sont de deux types les tarifs

agrave lrsquoimportation et les barriegraveres non-tarifaires

(BNT) qui sont encore tregraves eacuteleveacutees

Une nouvelle baisse des tarifs dont on a dit

qursquoen moyenne ils eacutetaient modeacutereacutes aura un

faible impact sur les eacutechanges agrave lrsquoexception

des quelques secteurs ougrave la protection

actuelle est encore eacuteleveacutee Crsquoest donc la

diminution des BNT qui pourra entraicircner un

veacuteritable boom des eacutechanges UE-EU Ces

BNT (quotas drsquoimportations mais surtout

diffeacuterentes regraveglementations normes

nationales regravegles des marcheacutes publics

certifications contradictoires) accroissent

le coucirct des exportations eacutetrangegraveres aussi

sucircrement qursquoun tarif et limitent lrsquoaccegraves au

marcheacute domestique garantissant des rentes

aux firmes nationales Ces BNT sont par

nature difficiles agrave mesurer Une eacutetude reacutecente

estime qursquoen moyenne les BNT sont moins

eacuteleveacutees pour les services que pour les biens

Elles eacutequivalent agrave un tarif sur les exportations

europeacuteennes vers les Eacutetats-Unis variant selon

les secteurs entre 20 (pour les technologies

de lrsquoinformation et de la communication ndash TIC)

et 56 (pour lrsquoaeacuteronautique et le spatial) Cet

eacutequivalent-tarif des BNT pour les importations

europeacuteennes en provenance des Eacutetats-Unis

srsquoeacutechelonne entre 176 (pour les services de

tourisme) et 551 (encore pour lrsquoindustrie

aeacuteronautique et spatiale) Crsquoest donc lagrave que

sont les enjeuxhellip mais aussi les difficulteacutes Les

barriegraveres non tarifaires ne peuvent pas ecirctre

supprimeacutees comme par magie elles reflegravetent

des preacutefeacuterences socioculturelles historiques

des reacutealiteacutes geacuteographiques linguistiques

parfois mecircme constitutionnelles Leur totale

suppression est irreacutealiste

On voit bien quels seront les dossiers

laquo chauds raquo agriculture OGM proprieacuteteacute

intellectuelle Deacutejagrave le Parlement europeacuteen a

exclu du mandat de neacutegociation la culture et

lrsquoaudiovisuel Ce ne sera pas facile mais il faut

essayer

Une eacutetude du CEPR2 preacutevoit selon le sceacutenario

envisageacute (sceacutenario modeacutereacute ou ambitieux

avec 10 ou 25 de baisse des BNT) un

accroissement annuel du PIB europeacuteen

jusqursquoen 2027 de 68 ou 119 milliards drsquoeuros

Lrsquoaccroissement aux Eacutetats-Unis serait de 50

ou 95 milliards Le projet drsquoune libeacuteralisation

des eacutechanges EU-EU tombe agrave pic en pleine

crise voire reacutecession la perspective drsquoun

gain suppleacutementaire annuel de 04 agrave 07 point

du PIB europeacuteen est alleacutechante Mais lrsquoenjeu

principal on lrsquoa compris est lrsquoopportuniteacute pour

lrsquoOccident de reacutepondre aux reacutealignements

historiques qui se dessinent dans le monde ()

Marie-Franccediloise Calmette

Professeur drsquoeacuteconomie agrave la Toulouse

School of Economics

() Article choisi par la reacutedaction des hors-

seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques publieacute par

Le Mondefr 5 juin 2013

copy Le Monde

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 120

Agrave lrsquoimage de ce qui srsquoest produit dans les principales eacuteconomies avanceacutees les institutions de Bretton Woods ndash Fonds moneacutetaire international et Banque mondiale ndash ont connu dans les anneacutees 1980 un tournant libeacuteral Face aux deacuteseacutequilibres des pays en deacuteveloppement ndash inflation dettes publique et exteacuterieure ndash elles recommandaient la mise en œuvre de reacuteformes structu-relles alliant libeacuteralisation des structures productives et des systegravemes financiers ouverture commerciale et reacuteduction des deacutepenses publiques Si ces mesures qui refleacutetaient le laquo consen-sus de Washington raquo ont dans un premier temps porteacute leurs fruits sur le plan du reacutetablissement des eacutequilibres macroeacuteconomiques elles ont eu par la suite des effets neacutefastes en termes de croissance de pauvreteacute et drsquoineacutegaliteacutesPhilippe Hugon montre qursquoune penseacutee laquo post-ajustement raquo a eacutemergeacute degraves la fin des anneacutees 1990 re-leacutegitimant le rocircle des pouvoirs publics et accordant plus de place aux contextes institution-nels propres agrave chaque pays Lrsquoeacutemergence de nouvelles puissances et la monteacutee de la question environnementale ont eacutegalement contribueacute agrave redeacutefinir les politiques de deacuteveloppement

Problegravemes eacuteconomiques

Les politiques de deacuteveloppement apregraves le consensus de WashingtonAu deacutebut des anneacutees 1980 les deacuteseacutequilibresfinanciers et lrsquoendettement des pays en deacuteve-loppement (PED) avaient conduit agrave la mise enplace de politiques libeacuterales et drsquoajustementaux nouvelles donnes mondiales inspireacuteesde ce qursquoon appelait alors le laquo consensus deWashington raquo (cf Zoom) Impulseacutees par leFonds moneacutetaire international (FMI) et laBanque mondiale ces politiques inversaientles mesures interventionnistes des deacutecenniesdrsquoapregraves-guerre

Ces prescriptions ayant montreacute leurs limitesnotamment en Ameacuterique latine ougrave ellesavaient eacuteteacute les plus fidegravelement appliqueacuteesla question du post-consensus de Washing-ton srsquoest poseacutee degraves la fin des anneacutees 1990 Lacrise a acceacuteleacutereacute ce questionnement

Avec la financiarisation des relations et ladiversification des partenaires et des rela-tions SudSud lrsquoeacuteconomie des pays en deacuteve-loppement (PED) eacutevolue dans un contextemondial (Hugon et Michalet 2006) Le respectde regravegles financiegraveres reacutepond aux pouvoir desinstitutions financiegraveres et des agences denotation ainsi qursquoagrave la politique drsquoattractiviteacutedes investissements Mais un des enjeux desPED est aujourdrsquohui de re-leacutegitimer lrsquoEacutetatdans ses fonctions collectives et reacutegaliennes

PHILIPPE HUGONProfesseur eacutemeacuterite agrave lrsquoUniversiteacute Paris-Ouest

Nanterre-La Deacutefense

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON121

et comme creacuteateur drsquoun cadre strateacutegiquefavorable agrave lrsquoentreprenariat priveacute Il srsquoagit decreacuteer un environnement institutionnel favo-rable agrave la prise de risque et aux horizonslongs des deacutecideurs eacuteconomiques Lrsquoexten-sion du marcheacute suppose une reacuteduction desineacutegaliteacutes et une relance de la demande pardes deacutepenses publiques permettant le jeudu multiplicateur keyneacutesien En outre lesquestions environnementales remettent enquestion le modegravele dominant de deacuteveloppe-ment eacuteconomique et les objectifs du deacuteve-loppement durable (ODD) post-2015 doiventcompleacuteter les objectifs du milleacutenaire du deacuteve-loppement (OMD)

Nous rappellerons les limites du consensusde Washington avant de voir sur quelles basesse redeacutefinissent certains axes communs auxnouvelles politiques des PED

Les limites du consensusde WashingtonLes limites des politiquesde stabilisation et drsquoajustementVingt ans apregraves le deacutebut de la mise en œuvredes politiques inspireacutees du consensus deWashington on notait dans lrsquoensemble uneameacutelioration des eacutequilibres financiers (reacuteduc-tion de lrsquoinflation des deacuteficits budgeacutetairesdes deacuteficits de la balance courante etc) unmeilleur cadre institutionnel et une meilleureinteacutegration agrave lrsquoeacuteconomie mondiale Certainssecteurs innovants ont eacutemergeacute dans les ser-vices et les nouvelles technologies Mais leplus souvent ces politiques de stabilisationont eacuteteacute reacutecessionnistes les anneacutees 1980 ont

LE CLE CONSENSUSONSENSUSDE WDE WAASHINGSHINGTTONONDans lDans les anneacutees 1980-1990 les anneacutees 1980-1990 les pays enes pays en

deacutedeacutevveleloppement ont eacutetoppement ont eacuteteacute ceacute confronfrontonteacutes agrave deseacutes agrave des

crises rcrises reacutecurreacutecurrententes de la dettes de la dette ee extxteacuterieureacuterieure ete et

des financdes finances publiques Sous la pres publiques Sous la presessionsion

des bailldes bailleureurs de fs de fonds intonds internationaux ilsernationaux ils

changegraverchangegraverent de modegravelent de modegraveles de deacutees de deacutevveleloppementoppement

abandonnant labandonnant les ses strtratateacutegies de laquo subseacutegies de laquo substitutiontitution

aux importaux importations raquo au prations raquo au profit de rofit de reacutefeacuteformesormes

ffavavorisant lorisant les meacuteces meacutecanismes de maranismes de marcheacutecheacute

LLrsquoensemblrsquoensemble de ce de ces res reacutefeacuteformes sormes structurtructurellelleses

soutsoutenu par lenu par le te tournant libeacuterournant libeacuteral qursquoa cal qursquoa connuonnu

la theacuteorie eacutecla theacuteorie eacuteconomique dans lonomique dans les anneacuteeses anneacutees

1970-1980 f1970-1980 formait cormait ce que John Williamsone que John Williamson

a theacuteoriseacute ca theacuteoriseacute comme eacutetomme eacutetant lant le laquo ce laquo consensus deonsensus de

WWashingtashington raquo Ce con raquo Ce corpus de rorpus de rececommandationsommandations

sur lsur lequel sequel srsquoappuyrsquoappuyaient laient le FMI et la Banquee FMI et la Banque

mondialmondiale dans le dans les anneacutees 1990 se deacuteclinait enes anneacutees 1990 se deacuteclinait en

dix prdix propositions opositions

- une s- une stricttricte discipline budgeacutete discipline budgeacutetairaire e

- un r- un redeacutepledeacuteploiement des deacutepenses publiquesoiement des deacutepenses publiques

vverers des affs des affectectations offrations offrant agrave la fant agrave la fois un fois un fortort

rrendement eacutecendement eacuteconomique et la posonomique et la possibilitsibiliteacute deeacute de

diminuer ldiminuer les ineacutegalites ineacutegaliteacutes de reacutes de reevvenu (soinsenu (soins

meacutedicmeacutedicaux de base eacuteducaux de base eacuteducation primairation primairee

deacutepenses drsquoinfrdeacutepenses drsquoinfrasastructurtructure) e)

- une r- une reacutefeacuteforme fiscorme fiscalale (eacutelare (eacutelargisgissement desement de

llrsquoasrsquoassiettsiette fisce fiscalale diminution des te diminution des tauxaux

marmarginaux) ginaux)

- la libeacuter- la libeacuteralisation financiegraveralisation financiegravere e

- un t- un taux de change unique et caux de change unique et concurroncurrentiel entiel

- la libeacuter- la libeacuteralisation du calisation du commerommercce ee extxteacuterieur eacuterieur

- l- lrsquoeacutelimination des rrsquoeacutelimination des resestrictions auxtrictions aux

invinvesestistissements dirsements directs eacutetrects eacutetrangerangers s

- la priv- la privatisation des entratisation des entreprises publiques eprises publiques

- la deacuter- la deacutereacutegleacuteglementementation des maration des marcheacutescheacutes

- la gar- la garantie des drantie des droits de proits de proprieacutetoprieacuteteacuteeacute

Problegravemes eacuteconomiqueseacuteconomiques

ZOOM

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 122

[1] La multipliciteacute destests eacuteconomeacutetriquesrendus possibles parlrsquoameacutelioration tregravesrapide des techniquesconduit in fine agrave relativiser la plupart desrelations robustes enintroduisant un nombreimportant de variables

ainsi constitueacute une laquo deacutecennie perdue raquo pourlrsquoAmeacuterique latine avec des crises de la detteLes eacuteconomies africaines ont globalementstagneacute entre 1980 et 2000 et ont eacuteteacute prisesdans une spirale drsquoendettement permanentAgrave deacutefaut drsquoune reprise de lrsquooffre (augmenta-tion des recettes publiques des exportationset de lrsquoeacutepargne) on a observeacute le plus souventune baisse de la demande (importationsdeacutepenses budgeacutetaires investissement)

Lrsquoattractiviteacute des investisseurs est res-teacutee limiteacutee hors peacutetrole dans un contextedrsquoinstabiliteacute de risque et de faiblesse desinfrastructures physiques et sociales Laproductiviteacute globale des facteurs a peu pro-gresseacute Le poids de la dette exteacuterieure quireacutetroagit sur la dette publique inteacuterieurecontinuait agrave peser lourdement

Une penseacutee post-ajustement

De nombreuses failles sont ainsi apparuesdans ce modegravele et une penseacutee du post-ajus-tement (Ben Hammouda 1999) ou du postconsensus de Washington (Stiglitz 1998) aeacutemergeacute Les nouvelles analyses laquo structura-listes raquo prennent en compte dans la traditionde lrsquoeacuteconomie du deacuteveloppement les asymeacute-tries internationales les blocages et les han-dicaps structurels les liens entre reacutepartitionet accumulation ou la nature des biens etservices eacutechangeacutes (biens salariaux et biensde luxe) Mais elles raisonnent en eacuteconomieouverte (contrainte de compeacutetitiviteacute rocircle delrsquoattractiviteacute des capitaux et des techniques)et elles lient la stabilisation financiegravere decourt terme avec le long terme Les liens entreineacutegaliteacutes de revenus et croissance sont fonc-tion des contextes internes et internationauxet du rocircle deacutecisif des politiques eacuteconomiqueset sociales

Le comparatisme analytique et empiriquepermet de contextualiser les theacuteories etles theacuterapies1 Le cadre analytique retenuest celui de la concurrence imparfaite desasymeacutetries drsquoinformation des rendementsdrsquoeacutechelle des externaliteacutes et des effets drsquoag-glomeacuteration (Krugman 2008) Le contexte est

celui drsquoun univers incertain et drsquoun mondeinstable ougrave les acteurs ont des pouvoirsasymeacutetriques Des effets de seuil lieacutes agrave destrappes agrave pauvreteacute apparaissent de maniegraveresignificative pour les pays les moins avanceacutes(Guillaumont 2009 Sachs 2005) Degraves lors lesrecettes preacuteconiseacutees se font davantage au caspar cas ou par grand type de cateacutegories depays Les laquo bonnes politiques raquo se jugent expost sur leurs reacutesultats

La fin du modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels

Par ailleurs les modegraveles de deacuteveloppementont eacuteteacute affecteacutes par la monteacutee des questionsenvironnementales Le modegravele de reacutefeacuterencedes pays industriels eacutenergivore carboneacutefinanciariseacute et caracteacuteriseacute par lrsquoobsolescencedes produits manufactureacutes nrsquoest pas suppor-table pour la planegravete Il conduit en outre agravelrsquoexclusion du plus grand nombre Les enjeuxenvironnementaux ont un impact deacutecisif surles politiques de deacuteveloppement que ce soientles changements climatiques la pollutionurbaine la gestion durable des ressourcesnaturelles ou la preacutevention des catastrophesDegraves lors il importe de prendre en compte lesinterdeacutependances asymeacutetriques et les enjeuxtransnationaux qui impliquent de mettre enœuvre des politiques de gouvernance et dereacutegulation mondiales au-delagrave de la juxtapo-sition de politiques nationales

Les politiques de deacuteveloppementpost-ajustementLe basculement du mondeet les relations SudSud

La mondialisation et lrsquoeacutemergencede nouvelles puissancesLa mondialisation remet en question certainsparadigmes qui fondaient lrsquoeacuteconomie dudeacuteveloppement notamment celle du clivageNordSud et drsquoune divergence des eacuteconomiescelle des ineacutegaliteacutes entre le Nord et le Sud

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON123

lrsquoemportant sur les ineacutegaliteacutes internes auxeacuteconomies Le basculement du monde et lamonteacutee en puissance des eacutemergents ainsi queles relations croissantes SudSud ont modifieacutela donne au niveau des politiques preacuteconiseacuteesmais eacutegalement des moyens de les mettre enœuvre Le laquo consensus de Peacutekin raquo srsquoest poseacute enconcurrent de celui de Washington

Selon certains flexibiliteacute adaptabiliteacute attrac-tiviteacute des capitaux et des savoirs auraientrendues obsolegravetes les politiques publiquesOn peut au contraire consideacuterer que la mon-dialisation a re-leacutegitimeacute les politiques etreacutegulations publiques Les ineacutegaliteacutes intra-nationales tendent agrave lrsquoemporter sur les ineacutega-liteacutes internationales (Bourguignon 2012) Lesinstitutions de Bretton Woods reconnaissentque les politiques budgeacutetaires moneacutetaires etde change demeurent centrales pour srsquoinseacutererpositivement dans la mondialisation geacutererles instabiliteacutes compenser les deacuteseacutequilibrescommerciaux et financiers et attirer les capi-taux mais elles doivent srsquoaccompagner depolitiques industrielles et sociales

La croissance des pays en deacuteveloppementet la diversification des trajectoires

Les trajectoires des eacuteconomies asiatiqueslatino-ameacutericaines et africaines divergent Agravelrsquointeacuterieur de chaque continent on observeagrave la fois des eacuteconomies stagnantes et deseacuteconomies eacutemergentes Les politiques dedeacuteveloppement diffegraverent eacutevidemment selonles types de pays les eacuteconomies rentiegraverespeacutetroliegraveres peuvent mettre en œuvre des poli-tiques redistributives (Moyen-Orient Algeacuterieou Venezuela) les petits pays se speacutecialisentsur des segments de compeacutetitiviteacute quantaux grands pays en pleine industrialisationcomme la Chine ou lrsquoInde ou les pays pri-maires ils diversifient leurs exportations

Les PED partagent neacuteanmoins un certainnombre de traits communs les effets des prixdes matiegraveres premiegraveres la financiarisationde lrsquoeacuteconomie le rocircle des firmes multinatio-nales dans les segments localiseacutes des chaicircnesde valeur lrsquoenrichissement de la classemoyenne ou la croissance des ineacutegaliteacutes la

diversification de leurs partenaires commer-ciaux et souvent de leurs speacutecialisations dufait de la mondialisation et enfin plusieursdeacutefis auxquels ils sont tous plus ou moinsconfronteacutees la reconquecircte du marcheacute inteacute-rieur la mise en place drsquoun systegraveme de pro-tection sociale et de politiques industriellescombinant des politiques de substitution auximportations et de croissance tireacutee par lesexportations

Le rocircle des relations SudSud

Les pays pauvres fournisseurs de ressourcesnaturelles beacuteneacuteficient de lrsquoameacutelioration destermes de lrsquoeacutechange et sont plutocirct beacuteneacutefi-ciaires de la mondialisation qui se substi-tue aux relations post coloniales Ils sontconvoiteacutes courtiseacutes pour leurs ressourcesleur marcheacute est interconnecteacute au mondepar leur diaspora et leur eacuteconomie a diver-sifieacute ses partenaires commerciaux2 Les dif-feacuterents tests montrent la deacutependance de lacroissance africaine asiatique et latino-ameacute-ricaine vis-agrave-vis de la croissance mondiale(FMI 2010) ou de la Chine Les pays pauvresont dans lrsquoensemble eacuteteacute peu toucheacutes par lacrise financiegravere venant des pays de lrsquoOCDEet lrsquoon note un relatif deacutecouplage NordSud(Hugon et Salama 2010) La laquo reprimarisa-tion raquo des eacuteconomies beacuteneacuteficiant du prix desmatiegraveres premiegraveres et subissant la concur-rence des grands eacutemergents pose toutefois laquestion du blocage industriel pour les paysles plus en retard

Quelques axes des nouvellespolitiques de deacuteveloppement

Lrsquoinsertion positive dans la mondialisation

Les enseignements de la nouvelle eacuteconomiegeacuteographique (Krugman 2008) et les reacuteus-sites de certains pays eacutemergents ont conduitagrave la prescription de politiques actives deconstruction des avantages compeacutetitifs Laprotection par les normes sociales environ-nementales ou phyto-sanitaires est devenueplus importante que celle effectueacutee via lesdroits de douane La question du taux de

[2] Le commerce SudSudpegravese pour pregraves de 40

du commerce exteacuterieurafricain contre 27

en 1990 (FMI 2010) Lesrelations commerciales

avec la Chine srsquoeacutelegravevent agraveplus de 200 milliards de

dollars celles avec lrsquoIndeagrave plus de 50 milliards et

avec le Breacutesil agrave plus de20 milliards

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 124

change et de lrsquoancrage agrave des monnaies oupanier de monnaies combinant compeacutetitiviteacuteet creacutedibiliteacute est devenue strateacutegique Lesnouvelles recommandations pour les PEDreposent sur un meacutelange entre des politiquesdrsquoeacutequilibrages macroeacuteconomiques et finan-ciers des politiques industrielles des pro-tections flexibles et des mesures destineacutees agraveattirer les investissements ndash et donc les tech-nologies ndash eacutetrangers La prioriteacute est de sortirdes laquo speacutecialisations appauvrissantes raquo lieacuteesagrave la laquo reprimarisation raquo des eacuteconomies et agrave lamaleacutediction des ressources naturelles

Les effets des liaisons intersectorielles

Avec la mondialisation le deacutebat sur les effetsdrsquoentraicircnement des secteurs amont et avalet des insertions dans les filiegraveres ou chaicircnesde valeur a eacuteteacute reacuteactualiseacute La monteacutee engamme de produits et la diversification desproductions supposent agrave la fois des pocircles decompeacutetitiviteacute autour des territoires et desinsertions dans les segments inteacutegreacutes auxprocessus productifs mondiaux notammentpar le biais des firmes multinationales Pourexercer des effets drsquoentraicircnement et nondrsquoenclave ces insertions doivent srsquoarticulerau tissu productif local Le deacutebat initieacute parAlbert Hirschmann entre la prioriteacute agrave accor-der aux investissements productifs et auxinfrastructures a resurgi Sous le double effetdes goulets drsquoeacutetranglement lieacutes aux manquesdrsquoinfrastructures et de la prioriteacute que leuraccordent les pays eacutemergents agrave commen-cer par la Chine les politiques appuyeacutees parles Eacutetats et les bailleurs de fonds mettentaujourdrsquohui lrsquoaccent sur les barrages lesreacuteseaux routiers et ferroviaires ou portuairesle cacircblage drsquointernet ou du teacuteleacutephone

La mise en œuvre de politiques bud-geacutetaires contracycliques un retour aukeyneacutesianisme

La combinaison des aides et annulations dedettes drsquoune part et de politiques financiegraveresplus rigoureuses drsquoautre part a permis dereacuteduire lrsquoinflation et de retrouver un eacutequilibreau niveau de la balance des paiements et desfinances publiques aussi bien en Afrique(tableau 1) qursquoen Ameacuterique latine

Les effets des mesures drsquoassainissementfinancier ont permis aux Eacutetats de mener despolitiques contracycliques durant le choc de2008-2009 Les concours internationaux auxpays les moins avanceacutes (PMA) ont doubleacute etles outils drsquointervention se sont diversifieacutes Sipeu de pays pauvres ont reacutealiseacute une transitionfiscale sur la base drsquoune fiscaliteacute progressiveet assise sur la valeur ajouteacutee en revancheles politiques de deacutepenses publiques onteacuteteacute rationaliseacutees Elles font deacutesormais jouerle multiplicateur keyneacutesien les ressourcesanciennement affecteacutees sont globaliseacutees ausein du budget les ressources anciennementaffecteacutees par projets ou secteurs sont globali-seacutees des cadres de deacutepenses de moyen termeet des programmes de deacutepenses pluriannuelsagrave horizon mobile sont mis en place Lrsquoefficaciteacutede la deacutepense publique est eacutevalueacutee agrave lrsquoaunedrsquoindicateurs de reacutesultats Les donateurs ontdeacuteveloppeacute en Afrique agrave la diffeacuterence des aidesprojets des formes de soutien globaliseacutes etfongibles notamment lrsquoaide budgeacutetaire glo-bale qui abonde les budgets nationaux

La lutte contre la pauvreteacute et le chocircmage

Les tests montrent que paradoxalement lacroissance eacuteconomique coiumlncide souvent avec

1 Les eacutequilibres financiers de lrsquoAfrique

Fin deacutecennie 1990 Fin deacutecennie 2000 Variation (en )

Inflation (en ) 220 80 ndash 64

Dette publique (en du PIB) 819 590 ndash 28

Solde budgeacutetaire (en du PIB) ndash 46 ndash 18 + 60

Source Jacquemot (2013)

LES POLITIQUES DE DEacuteVELOPPEMENT APREgraveS LE CONSENSUS DE WASHINGTON125

une monteacutee de la pauvreteacute du chocircmage etde lrsquoeacuteconomie informelle Les politiques propauvres ont mis lrsquoaccent sur la reacuteduction dela pauvreteacute Les cadres strateacutegiques de reacuteduc-tion de la pauvreteacute (CSRP) ont eacuteteacute inteacutegreacutesaux OMD de Monterray donnant une prioriteacuteagrave la scolarisation et agrave lrsquoeacutegaliteacute par genre agrave lasanteacute de base agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoeau potable Au-delagrave se pose la question de lrsquoeacutelaboration desystegravemes de protection sociale permettantdrsquoeacutelargir la demande inteacuterieure (Cling et al 2003)

Une des questions prioritaires est celle deslimites de lrsquoemploi salarieacute face agrave lrsquooffre detravail des jeunes elle reacutesulte principale-ment de la combinaison de la croissancedeacutemographique et urbaine des ineacutegaliteacutesintra-nationales en hausse et des gains deproductiviteacute des technologies mondialiseacuteesFaut-il privileacutegier le secteur formel formali-ser lrsquoinformel et srsquoappuyer sur le segment leplus dynamique en capitalisant les pratiquesinnovantes (thegravese dualiste) Privileacutegier lespolitiques de redistribution de protectionsociale minimale et de soutien aux segmentsles plus vulneacuterables (thegravese sociale) Reacuteduireet simplifier les regraveglementations du secteurlaquo formel raquo (thegravese libeacuterale) ou au contraire lesfaire appliquer pour reacuteduire lrsquoemploi infor-mel dans les grandes uniteacutes Faut-il agir surlrsquooffre des petites uniteacutes par le creacutedit la for-mation professionnelle et lrsquoappui technique Ou sur leur environnement par exemple enreacuteduisant les instabiliteacutes des marcheacutes et lesdivers risques (thegravese structuraliste) Si lrsquoeacuteco-nomie informelle est durable et structurellela prioriteacute est de creacuteer des systegravemes de pro-tection sociale et de formation de reacuteduire lesineacutegaliteacutes et de combiner des technologies agraveforte intensiteacute capitalistique et des techno-logies intensives en travail en favorisant lesliens entre uniteacutes les plus productives et lespetites uniteacutes (sous-traitance)

Une nouvelle prioriteacute accordeacuteeagrave lrsquoeacuteconomie verteLes pays pauvres disposent drsquoun capitalnaturel eacuteleveacute estimeacute en Afrique agrave 23 de la

richesse contre 2 pour les pays de lrsquoOCDELa lutte contre la pauvreteacute ne peut ecirctre diffeacute-rencieacutee de la question environnementale (eauforecirct ressources halieutiques biodiversiteacutehellip)Les eacutenergies renouvelables la reacutesilience faceaux chocs naturels lrsquoutilisation des meacuteca-nismes de deacuteveloppement propres (MDP)la lutte contre la deacutesertification et le stresshydrique la pollution urbaine ou la deacutefores-tation sont autant de projets prioritaires

Les politiques liant seacutecuriteacuteet deacuteveloppementLa cateacutegorie drsquolaquo Eacutetats fragiles raquo a eacuteteacute forgeacuteepour speacutecifier les prioriteacutes des politiques agravemettre en œuvre pour des Eacutetats en conflit oupost conflit etou en faillite La question de laseacutecuriteacute des biens et des personnes ne peutecirctre dissocieacutee de celle du deacuteveloppement Lesvulneacuterabiliteacutes et handicaps structurels lespreacuteventions des conflits conduisent agrave privi-leacutegier la seacutecuriteacute et les fonctions reacutegaliennesde lrsquoEacutetat aux eacutequilibres financiers et agrave la luttecontre la corruption Dans un monde en voiede globalisation et drsquoexclusion drsquointerdeacutepen-dances et de replis identitaires les mafiaspolitiques les trafics de drogue et les diffeacute-rentes formes de criminaliteacute accompagnentla pauvreteacute Dans laquo un monde sans loi raquo lesreacutegulations socio-politiques et les encadre-ments normatifs deviennent des questionscentrales tant de la part des Eacutetats que de lacommunauteacute internationale

Des politiques de reacuteformesstructurelles souvent en attenteLes programmes drsquoajustement niaient le poli-tique (les conflits les compromis) dans lediscours mais le placcedilaient dans la pratiqueau cœur des objectifs et des moyens Lesquestions de corruption de clienteacutelisme depatrimonialisme de criminaliteacute de lrsquoEacutetat oudes mafias sont devenues des sujets centrauxqui relativisent les frontiegraveres entre lrsquoEacutetat etle marcheacute entre la chose publique et la chosepriveacutee Les facteurs sociaux institutionnelset politiques sont deacuteterminants pour expli-quer lrsquoeacutechec ou les reacuteussites des politiques

Problegravemes eacuteconomiques SEPTEMBRE 2013 126

eacuteconomiques Il y a un relatif consensus pourmobiliser diffeacuterents acteurs et mener despolitiques agrave plusieurs eacutechelles territoriales

Lrsquoeacuteconomie de rente la preacutefeacuterence pour lecourt terme les comportements patrimoniauxlrsquoabsence de contre-pouvoirs et de socieacute-teacutes civiles fortes ainsi que la deacuteliquescencede lrsquoEacutetat demeurent souvent des facteursstructurels essentiels bloquant lrsquointeacutegra-tion positive des pays pauvres agrave lrsquoeacuteconomiemondiale par un changement de speacutecialisa-tion et une remonteacutee en gamme de produitsdans la chaicircne de valeur internationale Lespays pauvres restent globalement dans unelogique de reacuteservoirs comme exportateurs deproduits primaires et de deacuteversoirs commeimportateurs de produits transformeacutes Leurcommerce exteacuterieur dynamique leur permetdrsquoimporter du monde entier les produits les

moins chers et drsquoameacuteliorer ainsi le niveaude consommation des populations mais ilsne parviennent pas pour autant agrave construireune veacuteritable base industrielle et drsquoaccumu-lation (Hugon 2013) Comment des agricul-tures paysannes peuvent-elles concurrencerdes agricultures soutenues par des politiquespubliques de la part des pays industriels oueacutemergents Comment des artisans et desentreprises industrielles peuvent-ils entreren compeacutetition avec des entreprises dis-posant drsquoavances technologique de vastesmarcheacutes et drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle Commentdes socieacuteteacutes et des populations peuvent-ellesconstruire la moderniteacute et deacutevelopper leurspotentialiteacutes et laquo capabiliteacutes raquo par des trajec-toires plurielles

BEN HAMMOUDA H (1999) Lrsquoeacuteconomie politique du post-ajustement Paris Karthala

BOURGUIGNON F (2012)La mondialisation delrsquoineacutegaliteacute Paris Seuil

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GUILLAUMONT P (2009) Caught in a trap Identifyingthe least developed countriesParis Economica

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HUGON PH et SALAMA P (eds)(2010) Les Suds dansla crise Paris Armand Colincoll laquo Revue Tiers Monde raquo

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KRUGMAN P (2008) Pourquoiles crises reviennent toujours Paris Le Seuil

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SACHS J D (2005) TheEnd of Poverty EconomicPossibilities for Our TimeNew York Penguin Press HC

STIGLITZ J (1998) laquo Towardsa New Paradigm forDevelopment StrategiesPolicies and ProcessesGenegraveve Prebisch Lectures atUNCTAD

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Imprimeacute en France par la DILADeacutepocirct leacutegal 75059 septembre 2013DF 2PE32760 ISSN 0032-9304CPPAP ndeg 0513B05932

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HORS-SEacuteRIESEPTEMBRE 2013 NUMEacuteRO 4

comprendreLES POLITIQUES EacuteCONOMIQUESLa crise a jeteacute un nouveau regard sur les politiques eacuteconomiquesElle a notamment remis en question le consensus drsquoinspiration libeacuterale qui guidait lrsquoaction publique depuis une trentaine drsquoanneacuteesUne reacuteorientation est-elle agrave lrsquoœuvre depuis 2008

Ce numeacutero hors-seacuterie de Problegravemes eacuteconomiques rappelle les fondements des politiques eacuteconomiques et passe en revue les diffeacuterents instruments et objectifs en insistant sur les eacutevolutions les plus reacutecentes

Prochain numeacutero agrave paraicirctre Comprendre le capitalisme

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