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CONDUIRE UN PROJET EXPÉRIMENTAL EN DIRECTION DES JEUNES DE QUARTIERS POPULAIRES Recherche-action | Phase 2 JEUNES DE QUARTIERS POPULAIRES ET POLITIQUES DE JEUNESSE SEPTEMBRE 2012

CONDUIRE UN PROJET EXPÉRIMENTAL EN DIRECTION DES JEUNES DE QUARTIERS POPULAIRES · 2019. 12. 12. · DANS LES QUARTIERS POPULAIRES RésO Villes, centre de ressources politique de

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CONDUIRE UN PROJET EXPÉRIMENTAL

EN DIRECTION DES JEUNES

DE QUARTIERS POPULAIRES

Recherche-action | Phase 2 JEUNES DE QUARTIERS POPULAIRES ET POLITIQUES DE JEUNESSE

SEPTEMBRE 2012

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REPENSER L’ACTION PUBLIQUE EN DIRECTION DES JEUNES DANS LES QUARTIERS POPULAIRES n LA PREMIÈRE PHASE DE LA RECHERCHE-ACTION ............................... P. 6

n UNE SECONDE PHASE DE LA RECHERCHE-ACTION, PLUS EXPÉRIMENTALE ............................................................................ P. 7

n LA RESTITUTION DES TRAVAUX : MODE D’EMPLOI DE LA PUBLICATION .................................................. P. 12

D’UNE SOCIOLOGIE DE LA JEUNESSE VERS LA MISE EN ŒUVRE D’UN DISPOSITIF EXPÉRIMENTALn DES POLITIQUES POUR QUELLE JEUNESSE ?

MUTATIONS DES FORMES D’ACCÈS À L’ÂGE ADULTE ET ACTION PUBLIQUE par Régis Cortesero ....................................................................P. 14

La jeunesse est un travail productif .............................................................. P. 14 L’espace du politique ........................................................................................ P. 18

n JEUNES DE QUARTIERS POPULAIRES : REFONDER LES POLITIQUES DE JEUNESSE par Chafik Hbila ...........................P. 24

La diversité de la jeunesse dans les quartiers populaires : quatre « idéaux-types » .................................................................................... P. 25

Les politiques de jeunesse à l’épreuve des quartiers populaires ............ P. 26 Une posture politique :

des principes à rappeler et des risques à prendre ...................................... P. 34

PROJETS DE TERRITOIRE ET DYNAMIQUES DE RÉSEAU n L’ÉLABORATION COLLECTIVE D’UN OUTIL D’ANALYSE DES PROJETS :

VERS UN QUESTIONNEMENT PARTAGÉ .............................................. P. 38 Les préliminaires à l’élaboration de la grille.................................................. P. 33 La grille d’analyse ................................................................................................ P. 39

n CONTEXTES TERRITORIAUX ET PROJETS D’EXPÉRIMENTATION ....... P. 44 Angers .................................................................................................................... P. 44 Brest ........................................................................................................................ P. 48 Lorient .................................................................................................................... P. 51 Nantes .................................................................................................................... P. 54 Quimper ................................................................................................................. P. 58 Rennes .................................................................................................................... P. 59 Saint-Nazaire ........................................................................................................ P. 63

n DÉMARCHE DE RÉSEAU ET DYNAMIQUES DES VILLES ....................... P. 66 Une volonté de poursuivre ............................................................................... P. 66 Un format différent ............................................................................................. P. 66 Une grille de lecture peu réappropriée en dehors des temps

de RésO Villes ....................................................................................................... P. 66 Une dynamique de réseau qui semble avoir fonctionné ........................... P. 67

Des états d’avancement différents ................................................................. P. 67

Sommaire5

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QUATRE RÉFÉRENTIELS D’ACTION PUBLIQUE À L’ÉPREUVEn L’ACCOMPAGNEMENT ............................................................................ P. 70 L’accompagnement : enjeux socio-politiques et méthodologie ............. P. 70

par Maëla Paul.

Le projet d’Angers (Local jeunes de Monplaisir) à l’épreuve de l’accompagnement .................................................................. P. 76

Le projet de Rennes (Jeunes et créneaux sportifs) à l’épreuve de l’accompagnement .................................................................. P. 78

n LE PARTENARIAT ..................................................................................... P. 80 Le partenariat : référentiel ou outil de politique publique ? .................... P. 80

par Bernard Bier

Le projet de Brest (La Fourmilière) à l’épreuve du partenariat ................. P. 84 Le projet de Nantes (Création d’espaces d’accompagnement

des projets et initiatives des jeunes sur le territoire Breil-Dervallières) à l’épreuve du partenariat ................................................................................. P. 86

Le partenariat en débat, par René Jarry ........................................................... P. 88

n LA PARTICIPATION .................................................................................. P. 90 La participation, un référentiel polémique et… qui doit le rester .......... P. 90

par Bernard Bier

Le projet de Lorient (Co-construction d’un projet jeunesse de territoire à Kervénanec) à l’épreuve de la participation ............................................. P. 97

Le projet de Nantes (Création d’espaces d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes sur le territoire Breil-Dervallières) à l’épreuve de la participation .......................................................................... P. 99

Le projet de Saint-Nazaire (Paroles de jeunesses) à l’épreuve de la participation .......................................................................... P. 100

La participation en débat par Régis Cortesero ................................................ P. 102

n L’EXPÉRIMENTATION............................................................................... P. 110 De quoi l’expérimentation d’État est-elle le nom ? par Bernard Bier ......... P. 110 Des Villes aux prises avec l’expérimentation par Bernard Bier .................... P. 119

MÉTHODOLOGIE DE L’EXPÉRIMENTATION ET PARTICIPATION DES JEUNES : DEUX CHANTIERS À POURSUIVRE ?n L’EXPÉRIMENTATION : UNE NOTION À OUTILLER ............................... P. 130 Une question : et si la démarche avait été plus expérimentale ? ............. P. 130 Pour une évaluation dynamique et participative ........................................ P. 130

n LA PARTICIPATION DES JEUNES : UNE MÉTHODOLOGIE À RE-DÉFINIR .................................................... P. 132

Une présence effective dans les projets mais moins dans les temps institutionnels ................................................... P. 132

Les difficultés des professionnels à mobiliser les jeunes dans la dynamique de réseau ........................................................................... P. 132

Et une manière de poser la question qui est peut-être à renouveler...... P. 132

n VERS UNE TROISIÈME PHASE DE LA DÉMARCHE ? .............................. P. 134

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REPENSER L’ACTION PUBLIQUE EN DIRECTION DES JEUNES

DANS LES QUARTIERS POPULAIRES

RésO Villes, centre de ressources politique de la ville des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire, a animé durant les années 2009 et 2010 une première recherche-action sur les politiques de jeunesse adressées aux jeunes des quartiers populaires.

Ce travail, mené dans le cadre d’un partenariat avec l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP), les Directions Régionales de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS) de Bretagne et des Pays-de-la-Loire, et les Villes1 d’Angers, Brest, Lorient, Nantes, Quimper, Rennes et Saint-Nazaire, avait pour objectif de tenter d’apporter des réponses aux problématiques suivantes : – les jeunes des quartiers populaires, notamment ceux des grandes villes de l’Ouest, consti-

tuent-ils une composante singulière de la jeunesse française contemporaine ?– si spécificité il y a, appelle-t-elle en retour une prise en compte spécifique dans les politiques

publiques de la jeunesse, notamment celles menées à l’échelle locale dans les territoires ? Et sous quelle forme ?

1 L’écriture de Ville avec une majuscule désigne l’entité politique municipale.

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n LA PREMIÈRE PHASE DE LA RECHERCHE-ACTION

Cette démarche a vu se concrétiser, durant cette période, les travaux suivants :

Sept journées de réflexion

Pour répondre aux interrogations formulées, un groupe de travail – issu des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire – avait été constitué pour participer à sept journées de réflexion (réunissant entre 40 et 60 personnes chacune). Lors de celles-ci, les thématiques soumises au débat avaient été construites de façon à permettre à tous les acteurs et professionnels du groupe de travail, mais aussi de la ville concernée, au-delà des clivages institutionnels, de se retrouver côte à côte afin de débattre du sujet, chacun à partir de son inscription professionnelle.

Lors de chacune de ces journées, le matin, nous échangions sur :– la politique menée localement avec une présentation des orientations et des préoccupations

de la Ville en matière d’action jeunesse ; – la restitution de l’enquête de terrain menée par RésO Villes dans un ou plusieurs quartiers

de la ville ;– deux ou trois témoignages d’expériences « originales » (actions, projets…) menées dans

la ville.L’après-midi était consacrée à un débat plus approfondi sur une thématique particulière avec un chercheur spécialiste de la question.

Un réseau d’élus en charge des thématiques de jeunesse

Nous avions dans le même temps constitué, dans la même perspective, un groupe de travail des élus en charge des politiques de jeunesse dans les sept Villes. Ce groupe s’est réuni lors de trois journées et a ainsi pu exprimer ses opinions et ses remarques sur le travail engagé et les thématiques abordées.

Six enquêtes socio-ethnographiques

Six enquêtes socio-ethnographiques sur les jeunes des quartiers populaires et les politiques jeunesse ont également été réalisées par Chafik Hbila, à l’époque doctorant en CIFRE2 à RésO Villes. Elles se sont appuyées essentiellement sur 122 entretiens sociologiques individuels semi-directifs (dont la moitié réalisée avec des jeunes âgés de 16 à 30 ans).

Un forum final

Pour clore la recherche-action menée durant ces deux années, les partenaires pilotes de ce travail ont organisé un événement, conviant les principaux acteurs concernés par la démarche à réagir et à formuler des préconisations pour l’action publique dans les quartiers. Pour ce faire, il avait été demandé à chacune des sept Villes d’organiser une délégation com-posée de dix jeunes, dix professionnels de jeunesse et cinq élus. Plutôt que d’envisager un rendez-vous « classique » avec des conférences et des tables rondes d’experts, nous avions fait le choix du débat dans le cadre d’une démarche participative.

Un ouvrage a rendu compte de cette première recherche-action : Jeunes de quartiers populaires et politiques de jeunesse. L’expérience du grand Ouest de Chafik Hbila (Cahiers de l’action, n°32, 2011, INJEP).

2 Convention industrielle de formation par la recherche : il s’agit d’un dispositif géré par l’association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), qui subventionne toute entreprise de droit français qui embauche un doctorant pour le placer au cœur d’une collaboration de recherche avec un laboratoire public.

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n UNE SECONDE PHASE DE LA RECHERCHE-ACTION, PLUS EXPÉRIMENTALE

Les sept Villes partenaires de la recherche-action – Angers, Brest, Lorient, Nantes, Quimper, Rennes et Saint-Nazaire –, par la voix de leurs élus réunis en comité de pilotage le 25 novembre 2010 à Brest, ont exprimé le souhait d’éprouver les référentiels et les préconisations produits dans la première phase en s’engageant dans la poursuite de la démarche. Pour ce faire, elles ont choisi, soit la mise en œuvre d’un nouveau projet, soit la ré-interrogation d’un projet en cours, soumettant cette expérience à l’expertise des six autres et des partenaires, dans le but de l’améliorer, de l’évaluer et de la capitaliser.

Les Conseils régionaux de Bretagne et des Pays-de-la-Loire ont alors rejoint la démarche. En effet les élus de ces deux collectivités ont fortement axé, à l’issue des élections régionales de 2010, leur mandat sur la jeunesse, qu’ils envisageaient comme un enjeu-clé de leurs poli-tiques respectives. Ainsi, les compétences et champs d’action qu’ils se sont attribués en matière de politique de jeunesse sont sensiblement les mêmes que ceux investis par la recherche-action, à savoir une action construite en direction des « 16-25 ans » et centrée sur :– l’accès des jeunes à l’autonomie : soutien aux initiatives, formation professionnelle, etc. ;– l’accès des jeunes à l’indépendance : insertion socioprofessionnelle, logement, transport, etc.Ils ont ainsi contribué à la démarche dans un rôle complémentaire à celui de l’État.

Cette seconde phase a également obtenu le soutien financier de l’Europe. La cohésion sociale est un objectif important de l’Union Européenne. C’est au titre de son action en faveur de la promotion d’une « bonne gouvernance territoriale », favorisant notamment un meilleur accompagnement vers la formation, l’emploi et l’inclusion sociale des jeunes, que RésO Villes émarge au Fonds Social Européen en Pays-de-la-Loire.

Les objectifs généraux de la seconde phase de la recherche-action

Cette deuxième phase de la recherche-action s’est voulu une démarche d’expérimentation, autour des objectifs suivants :– renforcer la prise en compte des spécificités des jeunes des quartiers populaires dans

les politiques de jeunesse et les autres politiques sectorielles ;– renforcer l’articulation entre la politique de jeunesse et la politique de la ville ; – garantir l’accessibilité des jeunes des quartiers populaires à l’offre développée au titre

d’une politique de jeunesse ;– expérimenter et évaluer des projets innovants ;– produire, capitaliser et diffuser de nouvelles connaissances sur l’action publique en direction

des jeunes des quartiers populaires.

L’animation de la recherche-action

Durant la première phase, un comité de pilotage de la démarche a été instauré. Il est composé d’une part, pour chacune des villes, des élus en charge de la jeunesse, souvent accompagnés des élus en charge de la politique de la ville, et d’autre part, de représentants des partenaires institutionnels.

Son rôle consiste à :– définir et valider les objectifs de la recherche-action ;– prendre connaissance et débattre des résultats des travaux.

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Ont participé à ce comité de pilotage :

Administration/collectivité Représentant(s)

DRJSCS de Bretagne Pascale Petit-Sénéchal, responsable de la Mission Observation, Appui et Expertise

DRJSCS des Pays-de-la-Loire Anne Fabry, adjointe au directeur, coordinatrice du Pôle cohésion sociale

INJEP Jean-Claude Richez, coordonnateur de la mission observation et évaluation

Conseil régional de Bretagne Sylvie Robert, vice-présidente en charge la jeunesse

Conseil régional des Pays-de-la-Loire Frédéric Béatse, vice-président

Ville d’Angers Silvia Camara-Tombini, adjointe au Maire en charge de la jeunesse

Brest Métropole Océane Allain Jouis, vice-président en charge de la politique de la ville

Ville de Brest Rebecca Fagot-Oukkache, adjointe au Maire en charge de la jeunesse

Ville de Lorient Nolwen Delalée, conseillère municipale déléguée à l’animation sportive et aux loisirs

Ville de Nantes Johanna Rolland, adjointe au Maire de Nantes en charge de la jeunesse et de l’éducation

Ville de Quimper Armelle Huruguen, adjointe au Maire de Quimper en charge de la cohésion sociale et vice-présidente de Quimper Communauté chargée de la jeunesse

Rennes Métropole Alain Thomas, vice-président en charge de la jeunesse

Ville de Rennes Glenn Jegou, conseiller municipal délégué à la jeunesse auprès du Maire de Rennes

Ville de Saint-Nazaire Christophe Cotta, conseiller municipal délégué à la jeunesse

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Un comité technique de la recherche-action est chargé quant à lui de mettre en œuvre les orientations du comité de pilotage. Son rôle est, plus précisément, de :– définir les objectifs opérationnels de la recherche-action ;– définir les contenus des temps de rencontre ;– construire la méthodologie d’intervention et les outils ;– assurer le suivi de la démarche.

Ont participé à ce comité technique :

Administration/collectivité Représentant(s)

DRJSCS de Bretagne Jean-Philippe Croissant, chargé de mission

DRJSCS des Pays-de-la-Loire Luc Primard, conseiller pédagogique et technique à la DDCS de Loire-Atlantique

INJEP Régis Cortesero, chargé d’études et de recherche « Pratiques et politiques éducatives »

Conseil régional de Bretagne Olivier Lepivert, chargé de mission

Estelle Scolan, chargée de mission

Conseil régional des Pays-de-la-Loire Magali Brichet, chargée de mission

Ville d’Angers Frédérique Coquelet, responsable de la mission cohésion sociale

Josiane Jousset, chargée de mission jeunesse

Brest Métropole Océane Loïc Frenay, chargé de mission Développement social urbain (DSU)

Ville de Brest Erwan Héré, responsable de la coordination jeunesse

Ville de Lorient Mona Melsa, responsable de la mission jeunesse

Ville de Nantes Eric Gutcknecht, directeur du service enfance-jeunesse Thierry Pifteau, chef de projet insertion sociale

et professionnelle des jeunes

Quimper communauté Marie-Gaëlle Bernard, responsable de la mission jeunesse

Ville de Quimper André Plouzennec, chef de projet CUCS

Rennes Métropole Nolwenn Le Boulch, chargée de mission jeunesse

Ville de Rennes Julie Guyomard, responsable de la mission jeunesse

Ville de Saint-Nazaire Nathalie Jan, chargée de mission politiques éducatives et jeunesse

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La participation des jeunes au projet d’expérimentation

La participation des jeunes à la démarche était posée au départ comme une condition de sa réussite : ils devaient être pleinement associés aux différentes étapes du processus initié.

Le 9 octobre 2010, une cinquantaine de jeunes avait participé au forum qui avait clôturé la première phase de la recherche-action. Il apparaissait donc nécessaire qu’ils puissent être associés à la suite du projet.

Leur rôle et leur présence devaient se concrétiser par :– la participation active de certains d’entre eux aux équipes-projets dans les villes ;– une participation aux différentes rencontres à venir dans le cadre du projet ;– des entretiens collectifs ou individuels pour solliciter leurs avis sur les projets en cours.

Les faits ne confirmèrent pas cette intention, leur présence ne fut pas effective. Dans la partie consacrée à la participation (pp 132.) et dans la conclusion (pp. 132), nous reviendrons sur ce sujet.

La mise en œuvre du projet d’expérimentation

La méthodologie élaborée par le comité technique a consisté à créer les conditions des échanges entre les différents projets menés dans les villes, tout en les accompagnant de manière plus individualisée.Pour ce faire, les Villes, à partir de leur expérimentation, ont organisé chacune une équipe-projet de huit membres maximum. Ces équipes-projet étaient constituées de professionnels de la jeunesse et, pour certaines Villes, d’élus. Elles se sont retrouvées lors de divers temps d’échange, aussi bien dans le cadre du réseau que dans un cadre indépendant (sur leur site). La démarche s’est déroulée sur une temporalité de dix-huit mois combinant deux séminaires coopératifs et des accompagnements individuels.

• Les séminaires coopératifsLa coopération inter-sites est une ambition forte de la démarche. Bien plus qu’une simple présentation et mise en débat des projets d’expérimentation, l’objectif était de créer des espaces d’échange visant à amener les acteurs (professionnels et élus) à enrichir de leur exper-tise l’expérience de chaque site. Dans le cadre d’une réciprocité, la Ville faisait profiter le réseau de son projet et se voyait, en retour, alimentée de questionnements et de pistes de réflexion, voire même de préconisations.

Deux séminaires coopératifs ont ainsi représenté des temps forts où les équipes-projet des sept Villes ont été amenées à se rencontrer et à échanger sur leurs pratiques.Les rencontres ont eu lieu les 1er mars à Lorient et 18 juin 2012 à Nantes.Le premier séminaire coopératif avait pour objectif de :– resituer le cadre de la recherche-action, en redonnant aux participants les éléments

de compréhension : historique, finalités et méthode ;– proposer une analyse des « enjeux de la jeunesse et des politiques locales » afin d’éclairer

les acteurs sur le contexte dans lequel s’inscrivent les expérimentations des Villes ;– présenter la grille d’analyse des projets construite par le comité technique ;– mettre en débat, au travers des projets d’expérimentation d’Angers, Brest, Nantes et Rennes

les « enjeux de l’accompagnement des jeunes et du partenariat entre acteurs ».

Aussi, s’agissant de la première rencontre réunissant l’ensemble des équipes-projet, il fallait au préalable présenter chacune des expérimentations afin que les participants puissent se les approprier. Pour ce faire, plutôt que d’organiser une succession de présentations à la tribune, c’est sous la forme d’un « marché des projets » que les sept Villes ont été invitées à

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présenter, par le biais de différents supports : affiches, vidéo, documentation, etc., leur expé-rimentation, mais aussi la politique de jeunesse dans laquelle elle s’inscrit. Les participants ont défilé entre les stands, munis d’un carnet de voyage, afin de prendre connaissance des projets et d’y noter leurs remarques et questionnements quant aux deux thématiques du jour : partenariat et accompagnement. Ils y ont par ailleurs trouvé des infor-mations diverses concernant l’action jeunesse des Villes.

Le second séminaire coopératif, quant à lui, avait pour objectif, après avoir travaillé sur la question de l’accompagnement des jeunes et celle du partenariat entre acteurs, de s’inté-resser à la participation des jeunes. Ainsi, les participants ont réfléchi aux finalités de la participation (pourquoi ?), aux formes qu’elle prenait (comment ?), aux jeunes qu’elle visait (qui ?) et aux différentes façons de les mobiliser, etc.Pour ce faire, des éclairages d’experts ont été proposés et trois ateliers ont été consacrés à l’analyse des projets de Lorient, Nantes et Saint-Nazaire. L’objectif a été de débattre et d’échanger à partir de deux ou trois questionnements spécifiques à chacun de ces projets.

Par cette démarche, les échanges ont influé sur le cours des projets. Le regard extérieur des acteurs sur les expérimentations, dans un cadre propice à une analyse distanciée, aura permis d’apporter des éclairages aux porteurs de projet. « J’y vois plus clair pour la suite », affirmait un professionnel à l’issue d’un atelier consacré au projet de sa ville.Ces échanges très riches nous aurons permis d’extraire de précieux matériaux pour l’analyse.

• Les accompagnements individualisés des projets Dans les interstices de ces séminaires coopératifs, RésO Villes s’est rendu sur le terrain pour accompagner les équipes-projet dans leur réflexion. Cet accompagnement a pris des formes diverses :

• Des rencontres sur sitesAfin de mobiliser les acteurs de terrain (professionnels et élu(e)s), de leur présenter la démarche et de préparer avec eux les rencontres inter-sites, des journées et demi-journées de travail ont été organisées dans chacune des villes :– Angers le 11 octobre 2011 et le 26 juin 2012– Lorient le 5 décembre 2011– Rennes le 9 décembre 2011– Nantes les 17 janvier et 3 février 2012– Brest le 2 février 2012– Quimper le 13 juin 2012.

• Des temps d’échange inter-sites– Jeudi 15 septembre 2011 à Quimper : journée de réflexion sur le partenariat entre acteurs

d’un territoire avec les Villes de Brest, Nantes et Quimper. Les équipes-projet de ces trois Villes se sont retrouvées afin d’échanger sur la question du

partenariat entre acteurs dans un projet jeunesse de territoire : qu’est-ce qui le caractérise ? Quels sont ses finalités ? Comment le construit-on ? Quels sont les écueils à éviter ?

René Jarry, sociologue, a été le grand témoin de la journée.

– Vendredi 16 septembre 2011 à Rennes : journée de réflexion sur l’accompagnement des jeunes avec les Villes d’Angers, Lorient, Rennes et Saint-Nazaire.

Les équipes-projet de ces quatre Villes se sont retrouvées afin d’échanger sur leurs pratiques d’accompagnement : que signifie accompagner au regard des projets que l’on mène en direction des jeunes adultes ?

Maëla Paul, docteure en sciences de l’éducation, est intervenue au cours de cette journée afin d’enrichir les travaux.

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n LA RESTITUTION DES TRAVAUX : MODE D’EMPLOI DE LA PUBLICATION

La présente publication vise à restituer les travaux de cette deuxième phase de la recherche-action, en reprenant les interventions théoriques faites lors des séminaires, complétées par d’autres contributions, et en s’appuyant sur les textes des professionnels eux-mêmes, de façon à poursuivre la confrontation et l’enrichissement réciproque qui ont été au cœur de la démarche engagée depuis 2009.

• La première partie, « D’une sociologie de la jeunesse à la mise en œuvre d’un dispositif expérimental », revient, dans un premier temps, sur la définition sociologique de la jeunesse contemporaine. Il s’agit plus précisément d’une analyse des mutations des formes d’accès à l’âge adulte et des enjeux qu’elles soulèvent quant à l’action publique.

Elle revient ensuite sur les grands enseignements des travaux de la première phase de la recherche-action.

• La deuxième partie, « Projets de territoire et dynamique de réseau », s’attache à présenter les projets d’expérimentation proposés par les Villes ainsi que les outils construits en vue de leur analyse : notamment les questionnements du réseau et la grille de lecture.

Ces expérimentations s’inscrivent dans les politiques de jeunesse des sept municipalités. Nous présentons successivement une synthèse de chaque projet municipal afin de mettre en évidence les priorités et les axes stratégiques de son action en direction de la jeunesse, puis le projet choisi, reprenant ses finalités, ses méthodes et son organisation.

Enfin, quelques éléments de réflexion transversale portent sur l’articulation du travail de réseau avec les dynamiques propres à chaque Ville.

• La troisième partie, « Quatre référentiels d’action publique à l’épreuve », s’organise autour de trois entrées structurantes : l’accompagnement des jeunes, le partenariat entre acteurs et la participation. Chacune fait l’objet d’un cadrage théorique afin de confronter ces notions à leur mise en pratique dans les expérimentations de quelques projets expérimentaux – ana-lyse réalisée à partir des principaux questionnements de la grille de lecture (présentée dans la deuxième partie).

Pour terminer, c’est la notion même d’expérimentation qui est assez longuement interrogée. En effet, la première phase de la recherche-action avait mis en tension la sociologie des jeunes de quartiers populaires, les pratiques des professionnels et les politiques de jeunesse des sept municipalités concernées. On aurait donc pu penser qu’au terme de cette démarche, l’action publique locale aurait été ou précisée ou ré-orientée. Or c’est le choix de l’expéri-mentation qui, d’un même mouvement, a été fait.

Si les questions de partenariat et de participation, et plus récemment d’accompagnement, ont donné lieu à de nombreux travaux tant professionnels que de recherche, il n’en est pas de même de la notion d’expérimentation dans le champ des politiques publiques. Celle-ci, d’usage récent, mais de plus en plus invoquée, reste encore une « boîte noire ». Aussi nous a-t-il semblé utile de tenter de clarifier d’un point de vue théorique cette notion, le contexte et le sens de son émergence, afin d’en dégager un modèle, qui a été ensuite confronté à ce que les sept Villes de l’Ouest en ont fait dans le cadre de cette recherche-action. Y a-t-il un modèle unique ? Quel est-il ? Que signifie pour les Villes expérimenter ? S’agit-il d’une modalité permanente des politiques de jeunesse ? Des politiques de jeunesse dans les quartiers popu-laires ? De toute politique publique ? Ou d’un passage transitoire préalable à la décision de mise en œuvre d’une politique stabilisée ?

Les deux articles consacrés à l’expérimentation se veulent donc une contribution exploratoire à la réflexion collective sur ce qui semble bien devenir un nouveau régime de l’action publique, visant à ouvrir un débat, appelant de nouvelles recherches.

• Une brève conclusion se propose de dégager quelques enseignements prospectifs suite à cette seconde phase.

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D’UNE SOCIOLOGIE DE LA JEUNESSE VERS LA MISE EN ŒUVRE

D’UN DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL

Avant de nous intéresser aux spécificités des parcours de vie des jeunes des quartiers popu-laires, un préalable s’impose : qu’est-ce que la jeunesse aujourd’hui ? En quoi est-elle différente des jeunesses du passé ?

Afin d’éclairer cette question, Régis Cortesero, sociologue, chargé de recherche à l’INJEP, revient sur la définition sociologique de la jeunesse contemporaine. Il analyse ainsi les mutations des formes d’accès à l’âge adulte et leurs enjeux pour l’action publique.

Cette définition de la jeunesse une fois posée, il est alors possible de se focaliser plus particu-lièrement sur les jeunes des quartiers populaires. Pour ce faire, Chafik Hbila revient de manière synthétique sur les grands enseignements des travaux de la première phase de la recherche-action.

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n DES POLITIQUES POUR QUELLE JEUNESSE ? MUTATIONS DES FORMES D’ACCÈS À L’ÂGE ADULTE ET ACTION PUBLIQUE

Régis Cortesero, sociologue Intervention réalisée lors du premier séminaire coopératif le 1er mars 2012 à Lorient.

Une des questions les plus fondamentales en matière de politique de jeunesse (comme pour toute politique publique) est celle du référentiel, c’est-à-dire de la théorie sous-jacente, implicite ou explicite, du problème à traiter, qui fonde l’orientation et la conception d’une politique. Un référentiel, c’est une théorie implicite ou explicite qui permet aux décideurs et à ceux qui mettent en œuvre l’action de répondre à trois questions : quelle image retient-on de « la question à traiter », ici de la question de jeunesse ? En quoi cette question peut-elle faire l’objet d’une action publique ? En quoi peut-elle être la cible d’une politique publique ?

Il existe deux façons de répondre à cette question du référentiel lorsqu’on est sociologue, qui constituent également deux types d’apports que l’on peut essayer de mobiliser à desti-nation des acteurs publics, décideurs/techniciens/élus :

– première façon : chercher à identifier, dans le panel des actions et des politiques existantes, les présupposés qui fondent l’action. Quels sont les référentiels à l’œuvre aujourd’hui dans les politiques de jeunesse et les politiques éducatives ?

– seconde façon : dégager les éléments de réponse des référentiels dans les acquis des sciences sociales elles-mêmes. Comment les sociologues abordent-ils la question de la jeunesse et comment circonscrivent-ils sa dimension politique ?

Évidemment, les deux options sont complémentaires, puisque les présupposés des politiques de jeunesse existantes sont largement nourris des travaux des sciences sociales. Et en retour, les travaux des sociologues et des spécialistes de la jeunesse offrent un socle critique solide et fiable pour juger et évaluer les présupposés de l’action publique. Les sciences sociales sont certes des sciences molles et éminemment politiques ; elles reposent malgré tout sur des principes de validation et sur des techniques d’observation qui rendent leurs propositions plus fiables que les intuitions du sens commun. Je choisis la seconde option et vais présenter ce qui constitue à mes yeux la proposition cen-trale sur laquelle débouche la recherche récente en sciences sociales de la jeunesse : la jeu-nesse n’est ni un problème, ni un danger, ni un temps mort, ni une crise, c’est une activité productive. C’est le temps socialement nécessaire à l’individu pour qu’il élabore son identité et sa personnalité adulte. Essayons d’expliciter cette proposition, avant d’en mesurer les impli-cations pour les politiques de jeunesse et pour l’éducation populaire.

La jeunesse est un travail productif

On peut schématiquement opposer deux grandes figures historiques de la jeunesse, deux grandes configurations sociétales où mécanismes d’accès à l’âge adulte et dispositifs politiques et institutionnels d‘encadrement et d’éducation doivent être saisis ensemble.

1. La socialisation comme intériorisation d’un rôle social

Historiquement, et traditionnellement, c’est la notion de « socialisation » qui constitue la réponse commune des sciences sociales et des institutions (éducative, d’encadrement) à la question de la formation des sujets adultes.

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Chez les sociologues classiques, cette notion désigne le processus par lequel l’individu inté-riorise des normes et des valeurs qui lui permettront d’occuper un statut et de remplir son rôle social. Durant le temps de la socialisation, qui s’étend de la petite enfance à l’entrée dans l’âge adulte, l’individu acquiert une personnalité et une identité sociale stables et durables, conformes aux exigences de bon fonctionnement de la société. La socialisation, c’est l’opéra-tion que réalise une société pour fabriquer les individus dont elle a besoin pour assurer son fonctionnement optimal et garantir sa stabilité.

Cette opération est assurée par des institutions : l’école, la famille et l’église. Ces institutions opèrent selon un modèle vertical et asymétrique : l’adulte (le père, le maître, le prêtre) est dépositaire d’un savoir supérieur, qui lui confère une autorité reconnue comme « juste », « légi-time », « incontestable ». Cette autorité peut être fondée sur la tradition, sur la raison, sur la « révélation » (religion). L’éducation, c’est la transmission de ce savoir à l’enfant ou au jeune au travers de différents types de disciplines (les apprentissages scolaires, la prière, le respect de l’autorité du père, etc.). La socialisation, c’est l’accès du jeune à ce savoir supérieur qui le rend à la fois libre et conforme aux attentes de l’ordre social.

Historiquement, l’action publique, particulièrement en France, reflète et se réfère à cette conception au point qu’on peut dire que cette représentation est à la fois une représentation sociologique et un référentiel d’action publique.

Et c’est à l’école que la République confie de façon centrale, voire monopolistique, la charge de l’édification des individus. Dans le sillage de la Révolution française, la troisième République se donne pour tâche d’instituer un État-nation radicalement nouveau, fondé sur les Lumières et la raison, en rupture avec une tradition conçue comme obscurantiste. C’est à l’école qu’est confiée la charge d’œuvrer à l’éradication des patois, de détourner les enfants du peuple de l’influence de la religion et de l’église, de l’élever au-dessus de ses particularismes, de son milieu social, de ses intérêts particuliers, et de le faire accéder à l’intérêt général.

Ce modèle est bien sûr totalement vertical : le maître est investi d’une sorte d’autorité suprême conférée par la « raison » dont il est le dépositaire et par l’intérêt général, par l’intérêt supérieur de la nation qu’il est censé représenter.

Il est également très largement monopolistique et hégémonique. Il est animé d’une logique de conquête : arracher les enfants à l’obscurantisme de la tradition et de la religion. Et l’école doit donc fonctionner comme une sorte de digue placée devant des influences éducatives jugées néfastes et dont il faut contrer l’effet : la famille, le milieu et le territoire local, les églises, sont tenus à distance de l’école, etc. Elle est un sanctuaire qui doit instituer la société, et à la limite, sa vocation est d’occuper l’ensemble de l’espace éducatif, d’annexer les territoires qui tendent à lui échapper (comme la famille, objet de l’intervention des médecins et des travailleurs sociaux), afin qu’elle « seconde » l’action éducative de l’école. C’est un modèle qui tend vers une sorte d’utopie d’une « école totale ».

Conséquence lourde dans l’espace public français : historiquement la question scolaire avale ou satellise l’ensemble des questions éducatives et de jeunesse ; en gros il n’y a pas de politique de jeunesse en France avant la Ve république, et, jusqu’à une période récente, l’ensemble des initiatives politiques prises en direction de la jeunesse sont référées à la sphère scolaire.

L’éducation populaire est totalement intégrée à cet édifice. Historiquement, les mouvements d’éducation populaire se donnent pour vocation de redoubler l’action de l’école hors de sa sphère d’intervention. Les réseaux de l’éducation Populaire, qui commencent à se développer dans la deuxième moitié du XIXe siècle, visaient à émanciper le peuple en diffusant les Lumières et la raison dans des espaces extrascolaires, sur les temps de loisirs ou encore sur des

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populations ayant un faible accès à la scolarisation (à l’origine, l’éducation populaire s’adresse à toutes les classes d’âge).

2. La socialisation en mutation

Ce modèle classique de la socialisation et de l’institution, qui fonde aussi un référentiel « classique » d’action publique, est aujourd’hui fragilisé.

Deux grandes évolutions concourent à cette fragilisation :• le recul des fixités sociales : L’image classique de la socialisation s’adosse à celle d’un monde où les trajectoires des indi-vidus sont stables et prévisibles, où les situations personnelles acquises au sortir de l’adoles-cence sont durables, voire définitives.

Cette image est aujourd’hui remise en cause :

– les trajectoires de vie de chacun sont soumises à des changements de plus en plus fréquents. Les situations familiales sont plus instables avec des unions qui se défont plus facilement et des recompositions familiales plus fréquentes ; les trajectoires professionnelles sont affectées par la montée de la flexibilité dans l’emploi, par le recul de l’emploi stable au profit du CDD, par les incertitudes économiques et l’obsolescence technologique qui appellent un renou-vellement permanent de ses compétences… : il devient plus rare de faire le même métier toute une vie ;

– les contextes de vie changent également : nos environnements techniques et culturels changent à un rythme accéléré (pensons aux interfaces de nos ordinateurs individuels qui changent tout le temps et qui nous contraignent à un ré-apprentissage permanent) ; les valeurs morales et les principes esthétiques sont l’objet d’un travail de subversion et de renouvellement incessant : pensons par exemple aux bouleversements profonds qui ont affecté les normes qui régissent les relations entre les hommes et les femmes, ou encore à l’image de l’homosexualité ces dix dernières années : les polémiques autour du PACS semblent appartenir à la préhistoire et plus personne n’oserait défendre raisonnablement l’idée que l’inégalité des tâches ménagères entre les hommes et les femmes est légitime.

Autrement dit, nous vivons dans un monde où les principaux repères de l’existence sont bousculés en permanence.

Ce recul des fixités met à mal le processus « classique » de socialisation parce que celui-ci s’adossait à des modèles d’identité stables et durables. La formation de la personnalité sociale au sein de l’école de la troisième République, de l’église ou de la famille traditionnelle consistait à faire correspondre des identités personnelles à des « personnages sociaux » clairement réfé-rencés dans le paysage et l’imaginaire social : chacun savait ce qu’est un bon père, un bon avocat, un bon employé ou un bon mari. Et chacun pouvait endosser ces rôles « clé en main » sans risque particulier, puisque leur définition était relativement stable dans le temps.

Avec la fragilisation de ces modèles et de ces repères, c’est la signification même de l’identité personnelle qui se modifie. L’identité est de moins en moins quelque chose que l’on reçoit, que l’on acquiert par transmission. On assiste à un déplacement de la charge de construire et de définir son identité, qui, de plus en plus, incombe désormais à l’individu lui-même. L’identité personnelle devient une quête sans fin, un travail remis sur le métier en permanence et dont l’issue reste ouverte. Il est devenu difficile d’être père comme le père qu’on a eu, d’être mère comme la mère comme qu’on a eue : parce que les normes et les conceptions de l’enfance et de l’éducation ont changé, parce que les investissements éducatifs pertinents hier (par exemple telle filière scolaire) ne le sont plus aujourd’hui… Et comme les jeunes eux-mêmes

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appréhendent leur « rôle » de fils ou fille d’une façon toujours plus imprévisible (parce que eux aussi doivent construire une identité qu’ils ne reçoivent plus « clé en main », parce qu’ils se réfèrent à des codes culturels qui n’existaient pas trente ans auparavant et qui modifient la manière de « vivre et passer sa jeunesse » - qui connaît la différence entre « emo » et « gothique » ?), l’identité de père ou de mère que j’endosse est toujours mise à l’épreuve et réquisitionnée… Je risque toujours d’être mis en demeure de m’amender et de réviser mes options éducatives.

• La perte des monopoles institutionnels :L’image classique de la socialisation adosse la formation des individus à des institutions dépo-sitaires d’un savoir « sacré » qu’elles transmettent de manière verticale en l’instillant directe-ment dans la personnalité des individus.

La situation actuelle est celle d’une perte du monopole de ces institutions – qu’on s’en inquiète ou qu’on s’en réjouisse, mais c’est un fait. Et celle-ci est, pour une large part, liée à une crise de légitimité des savoirs dont elles se réclament :

– le cas de la religion est un bon analyseur : dans un monde laïcisé, personne ne pense sérieu-sement que le prêtre a « absolument raison ». « Croire » devient une décision subjective, et est de plus en plus vécue comme telle : de plus en plus, les gens « puisent » dans la formation religieuse des éléments qui répondent à des questions de vie particulière, et personnelle, liées à leur expérience propre ; ils se construisent des « religions à la carte » : je prends tel dogme et je délaisse tel autre, sans aucun souci de « cohérence » théologique.

– la culture et le savoir scolaires affrontent à la fois la « crise de la raison » et la concurrence des cultures alternatives et de sources de savoirs qui transitent par le monde des médias, internet et les réseaux sociaux. Le savoir scolaire est historiquement fondé sur la foi dans le progrès et la croyance que le raisonnement scientifique est le fondement du progrès indi-viduel et collectif ; cette croyance, qui est au fondement de la première modernité, n’est pas ressortie indemne des deux guerres mondiales du XXe siècle, des camps de la mort, de Hiroshima, du réchauffement climatique et de la montée des périls écologiques, de Tchernobyl et plus récemment encore de la catastrophe de Fukushima au Japon.

– la cellule familiale se réfère moins aujourd’hui à une tradition qu’à une renégociation conti-nue des rôles de chacun. Elle est vécue comme un espace affectif « démocratique », dont les formes et les règles doivent être fondées sur l’assentiment de tous.

Conséquence de cette perte de monopole : les individus abordent les institutions de sociali-sation de façon plus instrumentale, sans exclusive ni hiérarchie tranchée. Ils les traitent comme des « sources formatrices » diversifiées, dont, à la limite, ils devraient pouvoir disposer selon leurs projets et leurs besoins. Les jeunes et leurs familles ont « désacralisé » les institutions ; et ils s’adressent aux maîtres ou aux églises avec des demandes individualisées et très « pro-saïques ». Ils veulent être bien préparés à l’entrée sur le marché du travail. Ils espèrent recevoir soutien et affection dans leur famille. Ils cherchent un regard bienveillant et des conseils de vie chez ceux qui les guident, afin de mieux devenir « eux-mêmes », afin d’apprendre à affronter le monde appareillés d’une personnalité plus personnelle et plus « authentique ».

3. Auto-socialisation et arbitrage entre espaces formatifs multiples

De façon plus générale, les évolutions mentionnées à l’instant témoignent d’une mutation plus globale à la fois des mécanismes de socialisation, du fonctionnement des institutions de transmission et des « types d’identité » et de personnalité qui sont visés et se construisent au travers de ces mécanismes.

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Trois caractéristiques singularisent aujourd’hui les processus de socialisation par rapport aux périodes antérieures :

– l’importance des apprentissages auto-initiés : les jeunes choisissent de se doter d’expériences formatrices de façon délibérée. Ils décident de voyager, de s’inscrire dans tel club sportif ou de s’adonner à tel loisir…, en espérant accéder à des expériences et des compétences nouvelles, en espérant acquérir des vertus et des aptitudes qu’ils jugent nécessaires à l’ac-complissement de leurs projets (professionnel, de vie, de personnalité et d’identité…). Ils se comportent comme des sujets, des « managers » de leur propre socialisation. Les méca-nismes d’apprentissages sociaux sont de plus en plus auto-initiés et la socialisation tend à devenir un processus d’auto-socialisation ;

– le polycentrisme et la fin du monopole scolaire : dans l’esprit de la plupart des jeunes, l’école n’est plus qu’une instance parmi d’autres, procurant des expériences formatives au même titre que la famille, les médias, les groupes des pairs, la culture adolescente ou les sociabilités juvéniles… Ce travail d’auto-socialisation devient « polycentrique ». Il ne s’adosse pas à une institution qui serait dotée a priori d’une légitimité supérieure. Et il prend du même coup l’aspect d’un travail de gestion et d’arbitrage entre des sphères d’influence qui procurent des expériences formatives différentes. Très schématiquement aujourd’hui, les jeunes se construisent en gérant et en arbitrant les trois sphères d’influence que sont l’école, la famille et l’espace de liberté du temps libre consacré aux loisirs et aux sociabilités juvéniles ;

– l’importance de l’expérimentation : l’identité n’est plus donnée ou héritée et il revient au jeune de se doter, par lui-même, d’une identité personnelle. Se construire, donner un contenu à son « moi », accéder à une définition et une image positive de soi-même, voilà sans doute ce qui constitue l’enjeu central de la jeunesse aujourd’hui : la jeunesse est une quête iden-titaire. Mais comme le résultat de cette quête n’est pas donné a priori, il oblige le jeune à définir progressivement son identité, ses goûts, ses orientations fondamentales, en tâtonnant et en expérimentant. La quête identitaire fonctionne par essai/erreur : pour savoir ce que j’aime, il me faut l’essayer, tenter telle aventure, expérimenter telle activité, en me donnant la possibilité de faire machine arrière si l’expérience s’avère peu concluante. D’où l’importance prise aujourd’hui par ce que certains sociologues appellent la « période moratoire » : un temps de mise en suspens des engagements durables et définitifs au profit d’expérimen-tations multiples : travail « à l’essai », vie conjugale « à l’essai », expérience de décohabitation familiale « réversible », engagements associatifs et loisirs « temporaires », partiels, multiples, conduits selon le modèle du « zapping », etc.

Au total, aujourd’hui, la jeunesse se présente comme une activité en soi : elle correspond au temps que consacre l’individu à la production de son identité d’adulte. C’est un temps positif et productif, où l’individu s’active à se construire à partir des supports multiples qu’il trouve dans son environnement.

En conséquence, la question politique fondamentale devient celle du soutien qu’on apporte à ce travail qui incombe au jeune : comment aider les jeunes à se construire de façon auto-nome ? Si la jeunesse est un « travail », un temps positif de production de soi, comment offre-t-on les meilleures conditions possibles à l’accomplissement de ce travail ?

L’espace du politique

En quoi ces transformations interrogent-elles l’action publique et en quoi l’affectent-t-elles ?

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1. Les référentiels en débats

Comme dit en introduction, les sciences sociales permettent de porter un regard interrogateur sur les présupposés et les fondements de l’action publique en direction de la jeunesse.En particulier, ces apports permettent de pointer la faiblesse de trois présupposés qui traversent la plupart des politiques de jeunesse aujourd’hui : le familialisme, le contrôle social et le scolaro-centrisme.

Dès lors que l’espace scolaire n’est plus le lieu par excellence de la socialisation, les politiques éducatives et de jeunesse doivent investir d’autres espaces (ce qu’elles font déjà massivement). Or, très souvent, les politiques de jeunesse des collectivités territoriales restent référées aux problématiques scolaires : l’offre de loisirs doit tendre vers des loisirs scolairement utiles, vers l’accès « ludique » à la culture « savante » qui est celle de l’école, vers l’acquisition des « vertus » et des comportements permettant de mieux investir le « métier d’élève »… Les équipes des PRE (Programmes de Réussite Éducative) sont directement installées dans les écoles, etc.

Le familialisme consiste à reporter l’essentiel de la responsabilité éducative sur la famille ; c’est le postulat qui fonde le seuil d’âge pour l’accès aux minima sociaux. Il est problématique à deux titres :– les inégalités sociales entre les familles sont telles que certains jeunes trouveront auprès

de leurs familles les ressources pour gérer leur précarité dans l’accès à l’emploi, ou encore leurs éventuelles erreurs d’orientation scolaire, d’autres non. Et pour les seconds, l’entrée dans la vie active devient totalement contrainte par la nécessité vitale de trouver des res-sources, et empêche toute logique d’expérimentation dans la formation ou l’accès à l’emploi : impossible de faire machine arrière si la filière de formation choisie ne plaît pas ; impossible de démissionner ; impossible de « refuser » un emploi qui ne répond pas à ses aspirations, etc. La logique d’auto-construction « par l’expérience » d’une identité professionnelle s’en trouve fortement entravée ;

– la prise de distance avec la famille est une des conditions de la construction de l’identité : pour construire un rapport positif à soi, il faut se reconnaître dans ses propres choix. Prendre ses distances avec ses parents, pour les jeunes, c’est prendre ses distances avec les projets et les choix que les parents font pour eux. D’où l’investissement de l’espace de la « chambre d’ado. », où on trouve écrit « entrée interdite» sur la porte ; d’où l’importance de la sphère de sociabilité entre pairs. Dans les deux cas, il s’agit de faire une expérience de soi à la première personne du singulier, à l’abri de la « commande » institutionnelle (parents et école), non pas nécessairement pour s’opposer à cette « commande », mais pour affirmer une autonomie subjective. La nuance est fondamentale : il ne s’agit pas de permettre au jeune de « rompre » avec ses parents ou l’école, mais de lui permettre de ré-investir ces sphères en plein accord avec lui-même, depuis une position vécue comme autonome et authentique. Ce qui suppose un « détour » par une prise de distance. Des politiques de jeunesse fondées sur un présupposé familialiste ou scolaro-centriste ont toutes les chances de négliger cette nécessité, de ne pas chercher à aménager les possibilités de ce détour .

Le présupposé du contrôle social est omniprésent dans les politiques de jeunesse, notamment envers les jeunes de quartiers que l’on perçoit comme une « jeunesse dangereuse », pour elle-même et pour autrui. Un programme comme Ville Vie Vacances, par exemple, est fondamen-talement orienté vers cette visée de contrôle social : il s’agit d’occuper les jeunes afin de prévenir les passages à l’acte délinquant. Cette visée ne doit pas être discréditée, et il n’est pas question de faire de l’angélisme, mais de pointer les dangers de politiques de jeunesse qui ne viseraient que la contention d’un risque incivil ou délinquant :

– le premier a trait aux modalités d’encadrement : l’apprentissage de la « discipline » nécessaire à la vie en société est au cœur de la commande politique souvent adressée aux structures

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d’animation et d’encadrement : aux encadrants de « civiliser les mœurs adolescentes ». Si la discipline est nécessaire, elle risque de heurter une attente fondamentale des jeunes qui est celle de la souplesse d’un encadrement qui les reconnaît comme des personnes responsables et autonomes. L’autorité de l’adulte doit avoir ses limites et être négociée. Là encore, il en va de la nécessité d’être reconnu comme un sujet de choix dans une dyna-mique d’auto-socialisation. Pour construire son identité, il faut avoir le sentiment de contrôler son activité et son action. Les « excès » de l’encadrement risquent à tout moment de faire obstacle au projet d’épanouissement personnel du jeune, et de constituer une sorte de « double peine » pour les jeunes des milieux les plus populaires et les plus défavorisés : en plus d’être pauvres et stigmatisés, ils se voient offrir des activités dont le potentiel d’épa-nouissement est grevé par une exigence excessive de contrôle et d’éducation aux règles du « civisme » ;

– le second a trait au risque de confusion entre citoyenneté et civilité. L’éducation à la citoyen-neté est au cœur de la commande politique en matière de politique de jeunesse. Mais s’agissant de la jeunesse des quartiers populaires, elle se traduit souvent par des dispositifs « d’apprentissage » des « disciplines » nécessaires à la vie en société. Il s’agit de leur faire « prendre conscience qu’ils ont des devoirs » et qu’ils doivent les respecter. Le jeune est moins défini comme un sujet de droit ou comme une « voix » qui demanderait à être entendu, mais comme un déviant potentiel à socialiser, ce qui est fondamentalement disqualifiant, et n’offre aucun espace à l’expression du sentiment de révolte. Difficile de construire un rapport positif à soi lorsqu’on se sent nié dans sa subjectivité, ni écouté ni entendu… C’est ce qu’expriment aujourd’hui les jeunes émeutiers britanniques, et qu’exprimaient en 2005 ceux qui ont mis le feu aux banlieues françaises.

Ces questions conduisent à s’interroger sur la possibilité d’une politique de reconnaissance dans le cadre des politiques de jeunesse, en lieu et place, ou tout au moins en parallèle, des politiques de contrôle social, de prévention, voire de contention. Comment reconnaître les compétences civiques et politiques de ceux qui sont assimilés à une nouvelle classe dan-gereuse ? Comment écouter leur parole et faire droit à leurs demandes ? Comment faire droit au conflit politique dont ils sont porteurs, plutôt que de l’étouffer en n’y voyant qu’incivilité ? Comment rendre ce conflit « productif » ? Comment en faire un moteur de démocratie ?

2. Quels défis pour les collectivités territoriales?

Par delà la critique des référentiels, l’apport des sciences sociales permet de re-préciser les enjeux des politiques. Comment ces enjeux se présentent-ils à l’échelon des collectivités territoriales ?

– Elles sont les mieux placées pour accompagner les mutations en cours. En particulier la sortie du scolaro-centrisme et la reconnaissance de la multiplicité des espaces de la formation. Du fait même de la pluralité de leurs compétences, elles sont contraintes de se poser la question des articulations entre les espaces des loisirs, de la formation, de la culture, de l’emploi et de l’insertion, de la régulation des désordres, etc. De fait, les villes sont de véri-tables laboratoires où s’expérimentent avec un bonheur inégal, diverses tentatives de coor-dination et d’articulation de ces différentes sphères. Par exemple, le PRE conduit à placer le jeune et sa famille au centre de l’action et à chercher des agencements pour que chaque famille d’intervenants, chaque famille de métiers puisse agir auprès d’elle de façon coordon-née (les équipes pluridisciplinaires comme laboratoire pour l’élaboration d’ajustements au cas par cas entre professionnalités). Ce qui peut faire défaut aux acteurs et décideurs au niveau des territoires, c’est une représentation d’ensemble du processus éducatif tel qu’il se déroule aujourd’hui, c’est-à-dire de ce « puzzle » que constitue l’ensemble des espaces et des intervenants qui opèrent dans ce processus. D’où la nécessité de prendre note des

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acquis des sciences sociales tels qu’évoqués à l’instant : précisément, ils nous renseignent aujourd’hui sur le caractère polycentrique des processus de socialisation et sur la part active prise par le jeune lui-même dans sa propre structuration.

– Le territoire est un échelon d’action particulièrement pertinent parce qu’il constitue le « cadre » concret de ce travail. C’est l’espace où les jeunes « vivent » leur expérience de jeune. Les opportunités formatives qu’il offre sont celles que les jeunes vont mobiliser pour se structurer. Et parler des opportunités d’expérience formatrice, c’est les considérer dans leur diversité et leur étendue, très au-delà de ce qui est spontanément conçu comme relevant de la sphère de l’éducatif.

– De façon générale, lorsque les jeunes se structurent en faisant des expériences, le potentiel éducatif d’un territoire se définit par la richesse et la diversité des possibilités d’expérience qu’il renferme et rend possible… Cette richesse concerne la qualité des équipements de formation, de loisir, d’accès à la culture… Les possibilités de distractions, de mobilités, d’expériences en tout genre qu’il renferme ; mais aussi la façon dont il accueille et autorise les sociabilités jeunes et adolescentes plutôt que de chercher à les entraver en raison des périls qu’ils semblent renfermer… : la façon, par exemple, dont il offre un cadre et dont il sécurise les activités nocturnes et festives des jeunes…

– Le territoire est un niveau d’action pertinent parce qu’il joue un rôle actif dans la formation des inégalités entre jeunes.

• Bien sûr, les inégalités sociales « classiques » jouent à plein : il est plus facile de se structurer et de construire son identité, de bâtir un rapport à soi-même et à son avenir lorsqu’on appartient à un milieu social favorisé : le jeu de l’héritage culturel fait qu’on a davantage de chance de réussir à l’école et de choisir son orientation, le libéralisme éducatif des familles des classes moyennes laisse davantage de place à l’autonomie et l’épanouissement personnel, etc.

• Mais ces inégalités se reflètent et sont renforcées par des inégalités territoriales : c’est le clivage entre les jeunes des cités d’habitat social (et les rurbains) et les autres. L’offre scolaire y est de moins bonne qualité ; les opportunités d’emploi y sont plus faibles (faiblesse des réseaux) ; les risques d’être victime de racisme et de discrimina-tions y sont plus importants ; les normes de comportement, à la fois au sein de la famille et dans les groupes de pairs, y sont plus autoritaires ; une culture « fataliste » de l’échec pèse sur la vision que les jeunes se font de leur avenir et risque toujours de les décou-rager, etc.

Ces inégalités de territoires fonctionnent donc comme une inégalité des chances de bâtir son identité. D’où la question politique d’une intervention correctrice de cette inégalité : comment offrir les mêmes horizons d’expériences positives et formatrices pour tous les jeunes ?

– De manière générale, au niveau du territoire, l’enjeu est celui d’un renouvellement de la logique d’intervention des pouvoirs publics en direction des jeunes lorsque les modèles verticaux de la socialisation s’essoufflent. Comment sortir d’une intervention guidée par les seules préoccupations du contrôle social, de la gestion des risques d’une jeunesse dan-gereuse et du comblement des déficits socioculturels ? C’est-à-dire comment bâtir une logique d’action respectueuse de l’autonomie et des compétences des jeunes, sachant qu’ils ne « grandissent » véritablement qu’en faisant usage de ces compétences et de cette autonomie ?

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3. L’éducation populaire à la croisée des chemins

Le monde de l’éducation populaire est l’un des partenaires principaux autant de l’État que des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des politiques éducatives et de jeunesse aujourd’hui. Mais dans quelle mesure a-t-il pris en compte les mutations qui ont affecté les dynamiques éducatives ces trente dernières années, et dans quelle mesure développe-t-il une logique « en phase » avec les nouvelles logiques de socialisation et les aspirations mani-festées par les jeunes ?

Pour répondre à cette question, il faut faire un rapide retour sur l’histoire de l’éducation popu-laire qui comporte essentiellement trois temps :

– à la fin du 19e siècle, il s’agit d’un projet d’émancipation du peuple par un redoublement de l’action de l’école hors de la sphère scolaire ;

– dans l’entre-deux guerres, cet objectif est enrichi d’un projet de participation sociale : il s’agit de permettre aux jeunes de milieux populaires d’accéder aux loisirs et à la culture : c’est l’invention du temps libre symbolisé par l’épisode du Front populaire ;

– dans l’après-deuxième guerre et plus particulièrement durant le « tournant » des années 70, une troisième « strate » vient s’ajouter aux deux autres au travers d’un projet d’expérimen-tation et de promotion des pédagogies nouvelles : ce sont des pédagogies inductives ins-pirées d’auteurs comme Freinet ou Montessori, qui privilégient la mise en situation et l’expé-rience plutôt que l’apport « vertical » de contenu et la négociation de la règle plutôt que l’affirmation d’une autorité a priori, d’une autorité fondée sur le seul statut de l’encadrant. Elles assument une rupture avec les logiques de socialisation qui sont au cœur de l’école et des institutions traditionnelles. Et ces options pédagogiques se répercutent directement sur les pratiques : le type de « professionnalité » développé par les animateurs : par exemple, le fait de favoriser les pratiques d’auto-encadrement des jeunes ; le fait, pour l’animateur encadrant, de favoriser le dialogue et les échanges, de viser la prise d’autonomie des jeunes dans les activités, le plaisir de la découverte, l’horizontalité et l’amicalité dans l’exercice de l’autorité…

Cette histoire est complexe et paradoxale : née comme une sorte d’excroissance de l’école, l’éducation populaire s’est ensuite développée comme une sorte d’avant-garde pédagogique, censée tour à tour éclairer le monde scolaire et se constituer comme une sphère de formation alternative à l’école. De fait, les pédagogies inductives ont finalement échoué à alimenter véritablement les pratiques enseignantes (en tout cas dans le secondaire), ce qui fait de l’édu-cation populaire, lorsqu’elle assume son « tournant inductif », une sorte de contre-monde éducatif.

Mais le projet initial, celui d’édifier des citoyens de façon verticale et normative, ce projet demeure. D’où une grande ambivalence de ces acteurs, qui peuvent, selon les cas, osciller entre deux attitudes :

– l’une, d’ouverture et d’innovation, consiste à poursuivre ce projet de rénovation pédagogique dans une offre d’activités qui place en son cœur l’épanouissement du jeune et le dévelop-pement de ses potentialités ;

– l’autre, renouant avec une version durcie de la tradition d’origine, vise l’éducation morale d’une jeunesse réputée défaillante et sans repère, par la pédagogie de la règle et par le développement d’activités support d’un apprentissage du « civisme » (ex. : le sport comme lieu d’apprentissage du respect des règles de la vie commune).

Évidemment, dans ce dernier cas, les jeunes développent des attitudes instrumentales à l’égard des loisirs offerts : ils « prennent » l’activité, mais pas le discours pédagogique qui l’accompagne.

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Ils se plient de bonne grâce aux « exercices civiques » et aux leçons de morale pour peu que ceux-ci leur permettent de partir en séjours ou de participer à des activités attractives. En réalité, les animateurs connaissent bien cette duplicité, et s’en tiennent à l’offre de loisirs : le discours sur la citoyenneté n’est mobilisé qu’à destination des financeurs et des tutelles.

Autrement dit, l’éducation populaire peut constituer un levier de renouvellement des dispo-sitifs d’encadrement de la jeunesse à condition de l’utiliser à bon escient. Mais en même temps, la tradition dont elle découle lui permet ainsi de répondre à une commande politique essen-tiellement organisée par une visée de contrôle social et de contention morale de la jeunesse dangereuse. Et elle administre alors une action qui n’est plus qu’un simulacre pédagogique. Ce qui, sans aucun doute, appellerait à reconsidérer la commande politique qui produit ce résultat paradoxal, et les représentations de la jeunesse qui fondent cette commande…

Peut-être, mon propos d’aujourd’hui sur les mutations des formes de socialisation, ouvre-t-il quelques pistes dans le sens d’une telle reconsidération.

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n JEUNES DE QUARTIERS POPULAIRES : REFONDER LES POLITIQUES DE JEUNESSE

par Chafik Hbila Synthèse de la première phase de la recherche-action

Le but de la recherche-action engagée en 2009 et 2010 était d’interroger l’offre politique en direction des jeunes des quartiers afin, d’une part, d’en apprécier la pertinence et, d’autre part, de mettre en avant les faisceaux de représentations, de faits et d’enjeux à partir desquels elle se construit3. La réflexion engagée à partir des premiers constats réalisés par les Villes engagées dans la démarche nous avait conduits à axer la recherche sur le public des jeunes adultes en raison de leurs préoccupations, qui nécessitent une prise en compte spécifique dans le cadre des politiques publiques.

En effet, nous partions du présupposé qu’aux alentours de 16 ans4, âge qui correspond à la fin de la scolarité obligatoire, les jeunes deviennent de plus en plus autonomes et que l’action éducative encadrée ne constitue plus une forme d’intervention exclusive pour ce public de jeunes. Les besoins exprimés par les jeunes de cette tranche d’âge sont la recon-naissance sociale et l’indépendance matérielle et financière dans le but de s’épanouir dans cette nouvelle forme d’autonomie. Ainsi, à partir de 16 ans - même s’il est évident que l’âge ne saurait représenter un critère pertinent d’un point de vue scientifique - les jeunes s’ins-crivent davantage dans une demande d’accompagnement vers les attributs de l’âge adulte (emploi, logement…). En ce sens, ils interpellent toutes les dimensions de l’action publique et obligent les acteurs des politiques publiques à rendre lisible leur action, qui trop souvent, à l’échelle d’une ville, paraît morcelée et opaque.

C’est pourtant bien ici qu’une politique de jeunesse prend forme et sens. Elle vise aujourd’hui l’accompagnement des jeunes dans cette période de la vie où, d’une part, comme le rappelle supra Régis Cortesero, ils expérimentent, et, d’autre part, ils cherchent à entrer pleinement dans l’âge adulte. Elle s’impose d’autant plus que la jeunesse tend à se précariser et s’allonger pour trois raisons essentielles : déclin des rites de passage vers l’âge adulte (symboliques comme institutionnels) ; entrée dans la vie active difficile, de plus en plus tardive et incertaine en raison de conjonctures économiques défavorables aux jeunes (taux de chômage des jeunes supérieur de 7 % à la moyenne nationale) ; et allongement des études.

Dès lors, comment penser une politique de jeunesse qui favorise l’égalité de traitement entre tous les jeunes en permettant à chacun de trouver sa place dans la société ?

Dans cette perspective, la réflexion de RésO Villes devait nous amener à une meilleure connais-sance des jeunes des quartiers populaires âgés de 16 à 25/30 ans en tentant d’apporter des éléments de réponse aux questionnements suivants :-– comment traversent-ils cet âge de la vie ? – constituent-ils une composante singulière de la jeunesse contemporaine, et pourquoi ?– l’action publique doit-elle envisager ces jeunes de manière spécifique, et comment ?

Les pages qui suivent constituent une synthèse des grands enseignements de la première phase de la recherche-action (2009-2010). Après une première partie consacrée à la sociologie de la jeunesse des quartiers populaires, une deuxième partie analyse la structuration des

3 La démarche fut construite tout au long de l’année 2008 avec des professionnels, en lien avec la thématique jeunesse issus des villes précitées (directeurs de services de la mairie, chefs de projet CUCS, chargés de mission…).

4 Si les travaux réalisés en sociologie de la jeunesse s’accordent quasi-unanimement à considérer que l’âge ne constitue jamais le bon critère pour définir le passage d’une génération à une autre (adolescence vers jeunesse, jeunesse vers âge adulte, etc.), les décideurs publics, de leur côté, estiment nécessaire de dessiner des frontières générationnelles pour construire l’action publique en direction d’un public. D’où les 16 ans ici.

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politiques de jeunesse autour de trois enjeux qui se sont imposés aux acteurs de la recherche-action : le rapport des jeunes aux institutions ; l’insertion sociale et professionnelle ; et enfin la question des jeunes et de l’espace public. Une troisième partie rappelle les conclusions auxquelles les acteurs impliqués dans la démarche ont abouti.

La diversité de la jeunesse dans les quartiers populaires : quatre « idéaux-types »

Pour connaître la jeunesse des quartiers populaires, nous avons procédé à des entretiens relatifs à leurs parcours de vie5, ce qui a permis de dégager une diversité de processus d’agré-gation, et de dégager quatre « idéaux-types »6.Certes cette typologie ne concerne pas simplement les jeunes des quartiers populaires, et elle peut aussi bien s’appliquer à l’ensemble de la jeunesse contemporaine. La différence réside en fait dans la sur-représentation des jeunes dans les deux dernières catégories évoquées ci-dessous.

• Les jeunes insérés socialement7 Ce sont ceux qui jouissent d’une situation socioéconomique stable (CDI, études supérieures valorisantes…). Leur principale force est d’avoir su se projeter dans l’avenir et d’investir assez tôt pour celui-ci.

• Les jeunes en voie d’insertion sociale Ils se projettent dans l’avenir avec la capacité d’élaborer un projet de vie. Etudiants, jeunes en formation, ils font partie des jeunes qui savent où ils vont et ce qu’ils feront. Il ne leur reste plus qu’à conquérir leur indépendance financière et matérielle. Dans l’attente, ils vivent encore chez leurs parents et peuvent être amenés à s’inscrire dans l’offre de loisirs proposée dans le quartier et, plus largement, dans la ville.

• Les jeunes victimes de la précarité Ce public renvoie à une grande partie des jeunes dans un quartier. De très faible niveau scolaire (niveau IV ou niveau V), voire sans qualification pour beaucoup, ils peinent à trouver la stabilité sociale et professionnelle qui leur permettrait de devenir adultes et indépendants (en sachant que ce statut est aujourd’hui rarement acquis de manière définitive8). Les jeunes victimes de la précarité parviennent difficilement, sinon pas du tout, à se projeter dans l’avenir. Leurs demandes s’inscrivent très souvent dans l’immédiateté et l’urgence. Ces jeunes sont fortement dépendants du travail en intérim ou des opportunités du moment offertes par la conjoncture économique. Lorsque le tissu industriel de la région se porte bien, ils se voient embauchés massivement dans le cadre de missions d’intérim. À l’inverse, dans une conjoncture écono-mique morose, telle la crise que nous traversons, ils deviennent les premières victimes.

• Les jeunes « galériens »9 Ce sont ceux qui vivent une rupture sociale douloureuse. Incapables de se projeter dans l’avenir, ils sont aussi fortement enclavés dans le quartier. Il s’agit de jeunes qui ont échoué à l’école et qui ne disposent pas du capital social et culturel requis pour s’insérer selon les normes dominantes dans la société.

5 À cet égard, ce sont les analyses ethnographiques des récits de vie de chacun des jeunes interrogés qui nous permettent de mettre en exergue les caractéristiques spécifiques des jeunes des quartiers.

6 Un idéal-type est un concept sociologique défini par Max Weber. Il renvoie à des modèles abstraits qui permettent de rendre intelligible la réalité. Cf. Weber M., Essais sur la théorie de la science, 1992, Pocket Agora.

7 À partir de la définition que nous en donnons, on pourrait nous objecter que ces jeunes sont en réalité des adultes à part entière.

8 Patricia Loncle parle de « trajectoires yoyo ». Loncle P., Politiques de jeunesse. Les défis majeurs de l’intégration, 2010, PUR.

9 Dubet F., La galère, jeunes en survie, 1987, Fayard.

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Ces « idéaux-types » sont des tendances qui se sont dégagées de l’observation et des entretiens effectués dans les villes, et constituent en quelque sorte des invariants sociologiques que nous avons retrouvés dans toutes les villes impliquées dans la recherche-action.

Cependant les situations ne sont jamais figées. Il ne s’agit en aucun cas d’enfermer les jeunes dans l’une ou l’autre de ces figures sociologiques. Il n’existe aucun groupe pré-établi et il importe de penser les situations des jeunes prises dans des processus. Les jeunes « naviguent » entre plusieurs de ces situations au gré des étapes de leurs parcours de vie, du bas vers le haut comme du haut vers le bas. À travers ces situations sociales restituées sous forme « idéales-typiques », c’est la question de l’intégration durable du jeune dans la société qui est posée.

Les politiques de jeunesse à l’épreuve des quartiers populaires

1. Lisibilité et visibilité des politiques de jeunesse

En quoi ces réalités sociologiques interpellent-elles les politiques de jeunesse ? L’offre institu-tionnelle rencontre-t-elle les préoccupations et les aspirations des jeunes ? Plus largement, existe-t-il dans les villes un référentiel politique guidant l’élaboration de l’action jeunesse, lisible et reconnu de tous ?

Rappelons qu’aujourd’hui, une politique de jeunesse doit être envisagée comme une politique d’accompagnement des jeunes à la fois dans leur expérimentation et dans leur conquête des attributs de l’âge adulte. En ce sens, elle concerne l’ensemble des dimensions de l’action publique : emploi, logement, loisirs…

La première question qui se pose est de savoir si les acteurs reconnaissent et perçoivent des priorités de la part des pouvoirs publics locaux - collectivités territoriales et État – dans le traitement de ces situations, dont ils sont censés être les opérateurs.

Nos travaux ont démontré que si les professionnels reconnaissent pleinement la volonté des Villes de proposer une offre d’action ambitieuse pour les jeunes adultes, beaucoup ont le sentiment que celle-ci n’est pas conduite par des orientations pensées dans le long terme. Pour beaucoup, ces dernières varieraient au gré des opportunités du moment et des diagnos-tics territoriaux. En outre, la politique de jeunesse de nombre de Villes n’est pas lisible dans son ensemble par les acteurs de terrain pour un certain nombre de raisons :– une forte tradition de délégation de l’action jeunesse au tissu associatif, susceptible parfois

de diluer le message politique ; – une politique appréhendée et jugée au travers des dispositifs les plus visibles : fonds d’aide

aux jeunes, etc. ;– une politique vécue à l’échelle de micro-territoires, et non à l’échelle de la ville ;– une politique vécue dans les nombreux petits réseaux qui foisonnent dans les quartiers.

Un autre élément, pour les acteurs et les jeunes des quartiers, vient brouiller les cartes : le sentiment d’une politique trop ciblée sur le public étudiant, indicateur du dynamisme et de l’attractivité d’une ville.

Ainsi, même si les Villes de l’Ouest affichent une volonté de plus en plus forte de travailler sur la question des « jeunes adultes », il n’en reste pas moins que cette préoccupation est récente. En d’autres termes, les Villes sont souvent dans une tension majeure entre politique éducative – encadrement éducatif des jeunes de moins de 16 ans – et politique de jeunesse comme politique d’accompagnement des jeunes vers l’accès à l’autonomie et à l’indépendance. En outre, souvent, le public des jeunes de moins de 16 ans est la priorité de la Ville et de ses partenaires, ce qui constitue un premier barrage dans la construction d’une politique pour

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les jeunes des quartiers, la réflexion relative à ces derniers étant largement tournée vers les « problèmes » posés par certains groupes (les mineurs qui restent dehors jusqu’à 22 h, etc.).

L’action en direction des moins de 16 ans relève d’un encadrement et d’un appui aux familles ; les équipements de quartiers s’en occupent largement. Passé cet âge, pour les raisons évo-quées supra, les jeunes, guidés par d’autres préoccupations, désertent peu à peu les activités traditionnelles de ces structures, faute d’y trouver leur place.

La manière de concevoir l’accompagnement des parcours de vie des jeunes adultes impose alors une nouvelle organisation, y compris des missions de chacun des professionnels. Ainsi aujourd’hui, la frontière entre les animateurs socioculturels, les éducateurs et les conseillers de Mission locale devient de plus en plus poreuse. Chaque structure peut être amenée à proposer une offre d’intervention déjà construite par ailleurs. Se pose alors la question de l’articulation de ces missions.

Trois préoccupations s’imposent maintenant aux Villes comme de réels enjeux dans les poli-tiques de jeunesse, que nous allons aborder.

2. La citoyenneté des jeunes des quartiers populaires

Sans trop nous y attarder (cf. dans ce volume les textes de Bernard Bier p. 90 et de Régis Cortesero p. 102), nous pouvons néanmoins rappeler brièvement qu’il s’agit de mettre les jeunes au cœur de la vie de la Cité, de les amener à apporter leur pierre à l’édifice. Encore faut-il pour cela qu’ils participent à la vie et à la construction du projet de leur territoire !

Les professionnels que nous avons rencontrés tiennent parfois des discours assez durs à l’égard des jeunes qui ne s’engagent pas assez selon eux. Les jeunes investissent en effet très peu les instances de débat organisées localement, notamment dans les différentes structures.

Pour autant, ce manque d’engagement effectif ne va pas de pair avec un désintérêt pour la vie de la Cité. Les jeunes s’intéressent et identifient ce qui se passe autour d’eux ; même si, bien souvent, leurs attitudes peuvent être qualifiées d’« indignation stérile » dans la mesure où ils ne la transforment pas en une participation au changement social.

À cela plusieurs raisons dont la principale tient au fait que les jeunes ne croient pas ou plus en leur capacité et en celle des professionnels qui les entourent à changer leur vie en profondeur. Beaucoup de jeunes participent à des débats ou des échanges organisés ; mais qu’en ressort-il dans l’immédiat ? Le temps que leur parole trouve un certain écho du côté politique et se traduise par les mesures institutionnelles, les voilà sur de nouvelles préoccupations. Cela pose clairement la question du rapport entre deux logiques : le temps de vie institutionnel et poli-tique d’un côté et le temps de vie des jeunes. Par exemple, lorsque des jeunes formulent des demandes de locaux pour se retrouver : le temps que celles-ci soient ré-appropriées politique-ment et trouvent une issue institutionnelle, les jeunes ont « déjà déserté le champ de négocia-tion », selon les propos d’un animateur socioculturel.

De plus, « donner un sens à sa vie » est le premier acte d’une insertion sociale, selon nombre de jeunes rencontrés durant la démarche. Or, nombreux sont ceux qui peinent à le faire, à se projeter dans l’avenir. Dès lors, comment et pourquoi s’investir pour la collectivité ?

Enfin, l’écrasante majorité des jeunes que nous avons rencontrés ne croient plus en la politique comme levier pour changer leur vie. L’action de l’État et des collectivités territoriales leur paraît parfois relever d’un autre monde10. De surcroît, de manière générale, dans les villes enquêtées,

10 Par exemple, sur la dizaine de jeunes rencontrés dans un quartier de Rennes, à peine la moitié fut capable de nous citer le nom de Daniel Delaveau comme Maire de Rennes ; et, au moment des élections régionales, aucun jeune ne connaissait le nom du Président de Région (Jean-Yves Le Drian). C’est dire à quel point beaucoup de jeunes sont loin des institutions et de leurs représentants politiques.

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les jeunes monteraient, selon les professionnels, de moins en moins d’associations depuis une dizaine d’années et seraient davantage portés à la consommation d’activités « toutes faites » (« comme l’ensemble de la jeunesse », nuancent toutefois certains).

Mais ces constats, souvent très pessimistes, ne doivent pas en occulter un autre : la vitalité citoyenne qui existe chez certains jeunes et leur soif de changement se matérialise aussi par la création d’associations revendicatives. Ces dernières constituent bien souvent les initiatives les plus abouties émanant des jeunes des quartiers populaires sur le plan de la citoyenneté. À l’origine, ces associations se bâtissent sur un manque. Elles naissent d’une volonté politique des jeunes de pouvoir, à un moment donné, « casser les barrières » et « monter au créneau » pour relayer des revendications et des doléances auprès de l’institution.

L’objectif pour les jeunes impliqués dans ce type d’actions est d’abord de pouvoir accéder à la capacité de décision, d’être partie prenante du changement. Le besoin d’un outil pour faire accéder les jeunes aux décisions cruciales les concernant se fait donc fortement ressentir. Les jeunes de ces associations sont généralement très revendicatifs et tentent de « bousculer les lignes » (parfois de manière brutale, diront certains professionnels…) pour se frayer un passage dans la construction de l’offre existante. Les revendications sont aussi identitaires. Ces jeunes sont assoiffés de reconnaissance sociale, de reconnaissance de leur double-culture (lorsqu’ils sont issus de l’immigration), et d’une plus forte prise en charge de la thématique jeunesse des quartiers dans les politiques publiques. Ces associations entendent bien se faire entendre et accompagner les jeunes du quartier.

L’exemple de ces initiatives est intéressant en ce sens qu’il nous montre à quel point il est difficile de faire « bouger les lignes » (expression souvent utilisée par les élus et les profession-nels) dans les quartiers. Beaucoup de professionnels émettent en effet des inquiétudes quant à l’action trop revendicative de ces jeunes. Cela pose inéluctablement la question des limites du discours sur la participation des jeunes. Les professionnels ne dressent-ils pas trop rapide-ment des « systèmes de défense » face à des jeunes perçus comme trop contestataires ? Ainsi, la question qui se pose pour la Ville et ses partenaires traditionnels est de savoir jusqu’où ils sont prêts à aller avec des associations de jeunes de ce type.

L’enjeu ici est de faire reconnaître que les jeunes ne sont pas seulement les produits d’un « système » qui les instrumentaliserait, mais qu’ils en sont aussi les acteurs. Face à des jeunes qui vivent une fracture préoccupante avec les institutions politiques, les acteurs publics locaux (élus et professionnels) réalisent qu’il est plus que jamais nécessaire de mobiliser les jeunes dans des processus participatifs. Cela passe, selon eux, par des apprentissages dynamiques de la citoyenneté : construction de projets à vivre (culturels, humanitaires…) ; contribution des jeunes au débat démocratique ; accès à des formations citoyennes ; prise de responsabilités dans la vie de la Cité (animer des groupes d’enfants…) ; etc.

Pour résumer : comment inciter les jeunes à devenir acteurs à part entière de la vie de la Cité ? Comment valoriser les pratiques citoyennes (culturelles…) des jeunes ? Doit-on fixer des limites à la participation des jeunes ? Telles sont les interrogations qui ont émergé dans les villes.

3. L’insertion sociale et professionnelle

La question de l’insertion professionnelle des jeunes relève sans aucun doute de l’une des problématiques les plus compliquées aux yeux des acteurs publics. Parce que lorsque l’emploi manque, les jeunes se voient assignés à un statut d’attente. En outre, la structuration du milieu professionnel de l’insertion sociale et professionnelle est tout autant complexe.

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À partir des observations réalisées dans le cadre de ce travail, il nous apparaît clairement que cette question doit s’inscrire dans une animation territoriale de l’emploi, cohérente et stratégique.

Souvent, les structures d’accompagnement ne manquent pas dans les territoires. Les jeunes n’hésitent d’ailleurs pas à jouer de la multiplicité des acteurs et des stratégies institutionnelles en les mettant en concurrence - ce que les professionnels de terrain dénoncent comme un « phénomène du zapping ».

Pour nombre de ces jeunes, l’emploi représente un moyen et non une fin, ce qui impacte leur démarche et doit être pris en compte dans l’analyse. Leur recherche d’emploi sera moins orientée vers la recherche d’un épanouissement personnel et d’un accomplissement de soi au travers d’un projet construit et voulu sur le long terme que par un désir de revenus en vue d’une indépendance financière, et d’un besoin, constatent les professionnels, « d’intégrer la société de consommation ». La conséquence directe de ce rapport au revenu est « l’immé-diateté des jeunes ». Les professionnels de l’insertion observent des jeunes beaucoup moins patients dans la recherche d’emploi. Leur désir d’investir un emploi tout de suite est grand et a des effets sur toute démarche d’accompagnement. Lorsque le professionnel ou la structure ne répond pas à ce souhait dans les plus brefs délais, les jeunes abandonnent l’accompagne-ment qui leur est proposé.

Pour résumer : cette question de l’insertion professionnelle des jeunes, notamment des jeunes des quartiers, n’a jamais fait réellement l’objet d’un traitement spécifique dans les politiques de jeunesse municipales. Aujourd’hui, les sept Villes, en ces temps de crise, se posent la ques-tion de savoir comment favoriser une insertion professionnelle stable et durable pour tous les jeunes de leur territoire ? Et ce d’autant plus que la politique méritocratique actuelle ne reconnaît que peu les « handicaps supplémentaires » des jeunes ayant vécu et résidant dans les quartiers populaires.

4. Les jeunes et l’espace public

Les conditions de regroupement des jeunes dépendent surtout des intérêts communs et de finalités communes. Ceux qui peinent à trouver du travail ou qui attendent que des places se libèrent patientent en passant l’essentiel de leur temps dans le quartier. Souvent les plus visibles dans les espaces publics, ils sont perçus comme les plus fragiles socialement et éco-nomiquement. Ceux qui ont accédé aux réseaux sociaux en dehors du quartier et à l’emploi stable ne s’y attardent pas. S’ils sont minoritaires au regard de la population jeune du quartier, il n’en demeure pas moins que ce sont souvent eux qui focalisent l’attention des pouvoirs publics. Toute une imagerie leur est associée.

Les espaces publics représentent également des lieux de rencontre entre les « grands » et les « petits » dans le quartier. Les enfants les utilisent également comme lieux de vie où ils jouent, discutent, mangent, se reposent, s’ennuient… Loin du contrôle parental, ils forment des petits groupes de copains allant de deux à une demi-douzaine d’individus, puis plus tard des groupes plus grands pouvant atteindre une vingtaine d’individus.

C’est dans la rue, sur les places centrales ou dans les halls d’immeubles, que les enfants ren-contrent leurs aînés et leurs pratiques. Ces derniers leurs attribuent des surnoms, les mettent à l’épreuve, les conseillent et les utilisent pour de petites corvées comme aller leur acheter un paquet de cigarettes au tabac du coin. En échange de leur coopération et de leur obéis-sance, les « petits » se voient récompensés par des gestes affectueux, des bonbons, des balades en scooter, etc.

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Les espaces publics sont majoritairement masculins dans les quartiers. Ils deviennent rapide-ment les lieux de la transmission de pratiques spécifiques et de la « mise du pied à l’étrier » pour les jeunes qui s’engagent - même momentanément - dans la délinquance.

Pour résumer : ces espaces peuvent tantôt être des espaces de convivialité, des espaces de relégation sociale et/ou des espaces de transmission entre « petits » et « grands ». Prenant en considération ces constats, les Villes s’interrogent sur les façons d’accompagner la présence des jeunes sur l’espace public : quelle(s) alternative(s) proposer aux situations difficiles ? Comment se positionner entre contrôle social et accompagnement à la socialisation auto-nome ? Quelle part de risque la municipalité est-elle prête à prendre ?

5. Synthèse des quatre axes d’analyse

LISIBILITÉ ET APPROPRIATION DE LA POLITIQUE JEUNESSE

Rappel des constats

• Des professionnels qui ne parviennent pas à faire ressortir de référentiel en matière d’action jeunesse.

• Un public jeunes (16-25/30 ans) « non captif » concerné par toutes les dimensions de l’action publique.

• Des politiques souvent insuffisamment définies et validées par les conseils municipaux.

• Des politiques largement déléguées au tissu associatif et aux opérateurs, ce qui dilue le message politique.

• Des politiques vécues et appropriées dans les micro-territoires.

Enrichissements d’experts pour la compréhension

Les référentiels de l’action jeunesse, par Jean-Claude Richez Familialiste : la jeunesse ne relève pas du politique, mais de la responsabilité de la sphère familiale.

Contrôle social : on doit surveiller les jeunes, au besoin les punir. Les jeunes sont un danger, ils sont suspects, voire menaçants.

Insertion économique et sociale : le jeune est un problème, car il présente des déficits personnels (échec scolaire, inadaptation au travail…). L’origine sociale des difficultés est minimisée au bénéfice d’un traitement individuel des carences.

Scolaro-éducatif : la jeunesse n’est qu’une question d’éducation et il n’existe pas de véritable espace éducatif en dehors de l’école, et du service public de l’éducation.

Développement local : le jeune est perçu comme une ressource, un potentiel indispensable à la survie des territoires. Pour conserver les jeunes, il faut leur offrir des services publics et un temps libre de qualité.

Autonomie : modèle récent et progressiste où le jeune est considéré comme un véritable acteur impliqué dans la construction de son parcours, un citoyen en puissance qui peut s’exprimer, participer à la vie publique, s’engager.

La combinaison de ces référentiels deux par deux donne trois modèles de représentation des jeunes :

Famille/éducation : le jeune est un mineur, à élever, à éduquer.

Contrôle/insertion : le jeune est en difficulté ou dangereux.

Développement local/autonomie : le jeune est une ressource.

Questionnements

Comment afficher son référentiel politique ? Comment le faire vivre même au sein des services municipaux et/ou des structures associatives agissant en direction de ce public ? Comment combiner affichage d’un référentiel et soutien des initiatives associatives sur le champ de la jeunesse ? Quels sont les enjeux d’une politique jeunesse partagée et appropriée ?

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CITOYENNETÉ, PARTICIPATION ET RAPPORT JEUNES ET INSTITUTIONS

Rappel des constats

• Des professionnels qui jugent que les jeunes ne participent pas suffisamment à la vie de la Cité.

• Des jeunes qui se disent plus déçus que désintéressés par la vie de la Cité.

• Des jeunes qui ont le sentiment de se faire manipuler par les politiques à l’occasion des échéances électorales.

• Des jeunes qui estiment que la politique jeunesse valorise plus les étudiants ;

• Des associations de jeunes à caractère très revendicatif.

• Des pratiques culturelles et sportives stigmatisées « quartier » (hip-hop ou graff…).

Enrichissements d’experts pour la compréhension

Jeunes de quartiers populaires et institutions par Bernard Bier, sociologue, INJEP (en 2009-2010)• Soutenir et reconnaître les « communautés », les solidarités « naturelles »

(les regroupements affinitaires renvoient aussi bien à une histoire commune qu’à des projections ou passions partagées), comme lieu de lien social, d’institution de collectifs et de sujets, sachant que nous participons de (ou à) plusieurs communautés.

• Faire vivre des « institutions bienveillantes » : retisser du lien avec les institutions voire transformer les institutions, afin qu’elles soient conformes aux principes républicains qu’elles sont censées défendre en tant qu’organisations porteuses de valeurs et ayant une visée plus générale que les intérêts particuliers, afin qu’elles n’humilient plus : l’expérience que nombre de jeunes des quartiers font de l’école, de la police est bien celle de l’humiliation, qui ne peut qu’engendrer du ressentiment voire de la violence.

• Mettre en place « une politique de reconnaissance », qui pense la place des jeunes dans l’« espace public » (au double sens de l’urbain et du politique), la reconnaissance du « droit de cité » comme préalable à la citoyenneté, d’un jeune perçu comme ressource plus que comme danger.

C’est le passage obligé pour (re)mettre ces jeunes dans une logique d’empowerment (acquisition de pouvoir sur soi et sur le monde), pour qu’ils rentrent dans les logiques, indissolublement liées, de construction de soi comme sujet et de participation à la construction du collectif.

• Multiplier les micro-institutions, dispositifs, agencements, qui permettent de recréer du cadre et du tiers. Ces micro-institutions peuvent s’étendre à des périmètres très différents : la rue, le centre de loisirs, une activité, le quartier, la cité…

Questionnements Comment élus et institutions suscitent et accompagnent la citoyenneté des jeunes ?

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PARCOURS D’INSERTION

Rappel des constats

• Des jeunes variables d’ajustement des conjonctures économiques.

• Des jeunes au capital scolaire et culturel faible (qualification, formation, culture de l’entreprise…) et donc handicapant pour l’insertion.

• Des jeunes discriminés à l’embauche en raison de leur origine ethnique et géographique ;

• La domination de la politique actuelle de méritocratie qui ne reconnaît que peu les « handicaps supplémentaires » des jeunes ayant vécu et résidants dans les quartiers populaires.

• Une certaine peur de l’extérieur et un refuge dans les groupes de pairs.

• Les parcours résidentiels des jeunes qui s’en sortent passent par la sortie du quartier.

Enrichissements d’experts pour la compréhension

Le modèle français d’insertion professionnelle des jeunes, par Léa Lima du CNAMLe temps de la primo-insertion • Génération 1998 : temps de stabilisation en emploi = 3 ans.

• Accélération des interruptions d’emplois pour les jeunes salariés.

• Développement de formes particulières d’emploi dont les jeunes sont les premières victimes.

Les différenciations selon le niveau de diplôme • Creusement des inégalités.

• Taux d’emploi des non diplômés systématiquement inférieur entre 12 et 14 points par rapport à l’ensemble de la génération.

• Soumis aux aléas de la conjoncture.

• Le syndrome du déclassement pour les jeunes diplômés.

La différenciation selon le sexe • Filles plus diplômées que les garçons.

• À diplôme égal, les filles connaissent plus de difficultés d’insertion que les garçons.

• Deux fois plus représentées dans le groupe des jeunes en « non emploi chronique ».

• Plus exposées au temps partiel subi.

• Toutefois retournement de tendance plausible dû aux choix d’orientation des filles dans des secteurs porteurs.

Différenciation selon l’origine ethnique :• Inégalités d’origine sociale et de capital scolaire.

• Effet propre de l’origine surtout pour les jeunes d’origine maghrébine.

• Peu d’évolution dans le temps.

L’institutionnalisation de l’âge d’insertion :Quelles réponses à la précarisation des trajectoires ? :

• Expansion des politiques de l’emploi.

• Organisation de la transition professionnelle : le temps de la professionnalisation.

• Une protection incertaine des risques liés à la primo-insertion.

Questionnements

Comment favoriser une insertion professionnelle stable et durable pour tous les jeunes ?Cette question relève-t-elle du champ des politiques publiques municipales ? Que fait-on dans les villes pour lutter contre les discriminations en tout genre ?Comment les politiques publiques reconnaissent-elles le temps de la primo insertion et sa protection ?

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ESPACES PUBLICS

Rappel des constats

• Des jeunes stigmatisés en raison de pratiques jugées « déviantes » sur l’espace public.

• Les espaces publics comme lieux « d’accueil » des jeunes en rupture sociale ou en recherche d’emploi.

• Les espaces publics sont des lieux de socialisation pour les jeunes.

• Les espaces publics sont des lieux de transmission entre « grands » et « petits » dans les quartiers.

Enrichissements d’experts pour la compréhension

« L’expérimentation » par Alain Vulbeau, sociologue, Université Paris Ouest Nanterre• L’expulsion des jeunes se fait dans beaucoup d’endroits où l’on estime

qu’ils n’ont rien à faire. Par exemple, c’est le cas des projets urbains qui ne laissent la possibilité d’aucun arrêt : inconsciemment, il existe cette idée que l’arrêt incarne l’immobilisme social et les incivilités.

• Passer à l’espace public au singulier comme espace symbolique de la confrontation, de la discussion et du débat par le biais des espaces concrets matériels (café, journal, etc.). L’espace public au singulier est ce qui permet de faire se rencontrer ceux pour qui cela pose problème.

• L’espace public ne signifie pas seulement « place physique ». Bien plus que cela, c’est le lieu de la co-présence et de la co-existence qui se traduit par son accessibilité, tant dans l’entrée que dans la sortie. Ainsi, l’espace public renvoie à la capacité de se tenir avec les autres groupes sociaux et met en avant la question de la « civilité » et des « sociabilités ».

• L’expérimentation est fondamentale à l’heure où nous vivons avec des schémas qui ne fonctionnent plus (crise de la société industrielle, etc.). Elle consiste à penser que les jeunes en savent autant que les autres dans un contexte où il faut inventer et innover. Les jeunes sont ainsi tiraillés entre une expérimentation nécessaire et une expérience introuvable.

S’agissant des jeunes, il est possible de construire l’espace public à partir de deux critères : la civilité (c’est-à-dire les sociabilités devenues civilités comme l’expression du hip hop) ; et l’offre de participation (les dispositifs qui viennent des institutions).

• À travers ces deux critères se pose la question de la façon dont on intègre les activités des jeunes. Il s’agit là de reconstruire une sécurité symbolique et culturelle liée à l’aménagement des espaces.

Questionnements

Comment se co-construisent les places des jeunes ?Comment accompagner la présence des jeunes sur l’espace public ?Quelle(s) alternative(s) proposer aux situations difficiles ?Osciller entre contrôle social et aide à une socialisation autonome : quelle est la part de risque que la Ville est prête à prendre ?

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Une posture politique : des principes à rappeler et des risques à prendre

Soumis au débat lors du forum de clôture de la première phase de la recherche-action réunissant jeunes, élus et professionnels, les questionnements qui apparaissent dans les tableaux synoptiques ci-dessus ont permis aux participants d’esquisser des pistes pour construire l’action publique en direction des jeunes dans les quartiers populaires. Il s’agit d’une posture à adopter mêlant principes et risques à prendre.

1. Reconnaître la place des jeunes comme acteurs de la vie de la Cité et donner du sens à l’action

Parce que l’on a trop longtemps oublié ou ignoré la citoyenneté des jeunes et le potentiel qui estle leur pour bâtir la Cité, qu’on a cherché à faire à leur place ou à les éviter, il convient aujourd’hui de reconnaître leur place comme citoyens. Cela consiste à leur céder une place dans les processus décisionnels tout en acceptant d’eux un engagement et des modes d’ex-pression différents de ceux qui ont habituellement cours dans l’univers politique et institu-tionnel, et en leur donnant les clés de compréhension de la vie démocratique et administrative. On ne peut envisager la jeunesse des quartiers comme population spécifique et attendre des jeunes, dans le même temps, qu’ils reproduisent les mêmes schémas et adoptent les mêmes codes que les nôtres dans leur engagement.

Les jeunes, les professionnels et les élus s’accordent à penser que l’action en direction de la jeunesse passe par la construction d’un projet politique qui fait sens : autrement dit, une ambition affirmée et affichée pour les jeunes. Celle-ci conditionnera la qualité de tout projet. Or, à ce jour, faute d’orientations suffisamment claires dans les instances politiques, la technicité semble avoir pris le dessus.

Comme nous n’avons eu de cesse de le souligner tout au long de ces deux années de recherche-action, le public des 16-30 ans relève de toutes les dimensions de l’action publique : insertion sociale et professionnelle, formation, culture, etc., ce qui ne facilite pas la lisibilité d’une poli-tique de jeunesse. Or, dans chaque politique sectorielle, il existe des volets consacrés à la jeunesse et des dispositifs qui permettent d’agir. Les élus, les professionnels et les jeunes réunis dans le forum revendiquent aussi de s’inscrire moins dans une volonté quantitative (« toujours plus ») que qualitative (« toujours mieux »). Il s’agit de redonner aux dispositifs le rôle d’instruments au service d’un projet politique. Il s’agit là d’un premier enseignement, qui n’est certes pas nouveau, mais qu’élus, profession-nels et jeunes ne font que confirmer en le remettant au centre de leurs préoccupations.

Le second enseignement, quant à lui, concerne le sens politique et les méthodes mobilisées pour construire et conduire une politique de jeunesse. En d’autres termes, quels risques est-on prêt à prendre avec les jeunes ?

2. « Expérimentation », « prise de risques » et « frottements » comme conditions de réussite d’une politique de jeunesse

Trois notions-clés sont apparues dans les discours des jeunes, des élus et des professionnels.

Tout d’abord, pour bâtir un projet pertinent et efficace en direction de la jeunesse, il est nécessaire de ne pas rester figé sur des acquis et des schémas anciens. Il convient de sans cesse s’interroger et de réactualiser les paradigmes de référence. Une politique de jeunesse se doit aujourd’hui d’expérimenter de nouveaux projets et de nouvelles formes d’intervention auprès des jeunes et avec eux.

Ensuite, il est important de prendre des risques. L’expérimentation ne va pas forcément de pair avec une prise de risque. Cependant, pour qu’une phase expérimentale soit la plus créative

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possible, il faut s’autoriser à tenter des projets, organiser le tâtonnement pour faire progresser l’action publique dans les quartiers. Cela signifie que les élus et les professionnels acceptent de ne pas avoir la main sur l’ensemble d’une démarche et qu’un projet puisse leur échapper.

Enfin, dans la construction d’une politique de jeunesse, un troisième paramètre paraît incon-tournable : la création d’espaces de « rencontre » entre jeunes d’un côté et adultes et institu-tions/entreprises de l’autre. Il s’agit de lieux d’échanges inter-générationnels dans lesquels chacun peut échanger son point de vue sans craindre le conflit, car celui-ci est structurant pour la construction et la conduite d’un projet. C’est bien de la confrontation des points de vue et des idées que peut naître un projet qui unit tout le monde au final.

Pour résumer : l’expérimentation, la prise de risques et les espaces de « frottements » consti-tuent une sorte de « triangle politique » dont chaque terme est indissociable des autres.

3. Une démarche d’expérimentation

Comment mettre à profit l’ensemble de ces éléments de réflexion dans le cadre d’une expé-rimentation de projet ? C’est l’objet de la seconde phase de la recherche-action.

Chacune des Villes s’est alors engagée à mettre en œuvre un projet en direction de la jeunesse des quartiers populaires : soit un projet nouveau, soit un projet en cours pour le ré-interroger. Ceux-ci ne relevaient pas forcément de la même thématique d’action et pouvaient viser des objectifs différents (par exemple : favoriser l’insertion professionnelle, soutenir les initiatives, promouvoir l’accès à la culture, informer sur les dispositifs existants, etc.), mais ils se sont tous inscrits dans un même cadre d’analyse. La démarche était donc commune, tout en tenant compte des spécificités de chaque projet et de son environnement contextuel.

Ce sera l’objet du chapitre suivant.

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PROJETS DE TERRITOIRE ET DYNAMIQUES DE RÉSEAU

Dans cette seconde partie, nous présentons dans un premier temps l’outil d’analyse élaboré collectivement, à la fois aide à la problématisation (au travers de ses questionnements) et outil visant ensuite à lire et évaluer les expérimentations mises en œuvre.

Les expérimentations de chaque Ville s’inscrivant dans sa politique de jeunesse, nous propo-sons pour chacune d’entre elles une synthèse de ce projet politique, afin de mettre en évidence les priorités et les axes stratégiques de son action, suivie du projet expérimental en reprenant notamment ses finalités, ses méthodes et son organisation.

Enfin, le dernier chapitre tente de dégager quelques éléments de réflexion transversale relatifs à l’articulation de la démarche de réseau et des dynamiques des Villes.

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n L’ÉLABORATION COLLECTIVE D’UN OUTIL D’ANALYSE DES PROJETS : VERS UN QUESTIONNEMENT PARTAGÉ

Les préliminaires à l’élaboration de la grille

Afin de procéder à une analyse des projets d’expérimentation et d’en tirer des enseignements pour la capitalisation, l’importance d’un socle solide pour bâtir une démarche de suivi perti-nente des projets s’est imposée comme une nécessité. S’il a été admis au sein du réseau qu’il appartenait aux équipes-projet de chacune des Villes de se mobiliser dans le cadre de l’analyse de son projet, il a fallu cependant penser un « fil conducteur » commun.

Ainsi, dans un premier temps, les acteurs des sept Villes et les partenaires de la recherche-action, ont souhaité fonder cet outil d’analyse sur le « triangle politique » ressorti de la première phase de la recherche-action : « expérimentation », « prise de risques » et « frottements ».

Toutefois, très vite, la question s’est posée de la façon de « faire passer le message » dans les exécutifs municipaux ; il n’est jamais aisé, dans ces instances, de parler de « prise de risques ». Les acteurs du réseau étaient cependant convaincus de la nécessité de faire évoluer les pra-tiques, les réponses actuelles, formulées dans le cadre des politiques publiques en direction des jeunes, ne correspondant plus aux besoins et aux attentes des jeunes. C’est la raison pour laquelle l’expérimentation, et son corollaire obligé la prise de risque, apparaissaient comme une démarche potentiellement porteuse.

Cela nécessitait, d’une part, de bien expliciter le terme de « prise de risques » auprès des élus et des partenaires, et, d’autre part, de l’assumer avec les acteurs de terrain au contact des jeunes.

Cela impliquait aussi pour les Villes inscrites dans la démarche de faire évoluer les pratiques et de mobiliser de nouveaux acteurs, au risque de désorganiser le paysage institutionnel, notamment en ré-interrogeant parfois les conventions et contrat de délégation de service public (DSP) aux associations. Selon les élus municipaux, l’affichage d’une volonté politique de travailler autrement (par exemple : légitimer une association de jeunes comme opérateur direct) conduisait à repenser les cadres institués jusque-là et pouvait remettre en cause le lien exclusif des professionnels aux jeunes.

De même, les élus et les chefs de projet jeunesse reconnaissaient que changer de paradigmes politiques et de méthode de travail pouvait amener les acteurs politiques à s’exposer à une illisibilité provisoire de l’offre avant que soient stabilisées les réponses.

La question de l’implication des jeunes dans le projet a aussi été abordée. La crainte d’inviter les jeunes à s’inscrire dans des schémas déjà pensés sans eux était grande. Les élus ont rappelé que la prise de risques valait tout autant pour les jeunes : se retrouver dans l’interaction avec les pouvoirs publics et prendre des responsabilités pouvaient potentiellement les mettre en difficulté face à leurs pairs.

La question de l’accompagnement et des espaces de « frottements » représentait donc une question cruciale à mettre en débat avec les équipes-projet. Il y avait là une réflexion à engager sur la nature de l’implication des jeunes dans le projet, en lien avec le degré de participation : consultation, concertation, co-gestion, co-construction, etc. Le choix de la méthode détermi-nait largement le niveau de prise de risques.

Élus et techniciens ont aussi largement abordé la question des compétences, des profils, des métiers, qui devaient, selon eux, être ré-interrogés. Il fallait une évolution des postures et

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pratiques professionnelles, de sorte à ce qu’elles soient plus en phase avec les enjeux de la jeunesse contemporaine des quartiers populaires.

En somme, élus et techniciens admettaient qu’une politique de jeunesse ne pouvait plus être pensée dans des cadres habituels. Il fallait donc, selon eux, recentrer la grille d’analyse sur la manière dont on innove, et particulièrement sur le « triangle politique » issu de la première phase de la recherche-action, autour de quelques questions :

– sur l’expérimentation : comment permet-elle de positionner autrement les politiques de jeunesse ? Comment permet-elle de répondre à la nouvelle donne ?

– sur la prise de risques : comment fait-elle place aux jeunes ? En quoi leur ouvre-t-elle une place ? Comment positionner les jeunes comme acteurs afin de passer d’une logique d’ani-mation à une logique d’accompagnement ?

– sur le « frottement », c’est-à-dire les espaces de confrontation et d’échanges : en quoi per-mettent-ils de faire place à un nouveau rapport jeunes-élus-techniciens ?

Ces questionnements ont été enrichis des axes thématiques de la première phase (citoyenneté et participation, insertion sociale et professionnelle, et accès aux espaces publics), ainsi que des questionnements liés spécifiquement aux pratiques professionnelles, aux politiques publiques et aux organisations.

La grille d’analyse ci-dessous est le résultat de ce cheminement.

La grille d’analyse

1. Présentation du projet expérimental Intitulé du projet

Constats de départ : pourquoi ce projet ?

Objectifs du projet : pour quoi faire ?

Porteur du projet ?

Partenaires du projet : qualifier le partenariat entre acteurs

Présentation de l’équipe du projet

•Élus

•Professionnels

•Jeunes

Modalités de constitution : comment avez-vous constitué l’équipe-projet ? À partir de quels critères ?

•Rôle(s)etmission(s)dechaquemembredel’équipe?

Territoire de référence ?

Publics jeunes ciblés ?

Descriptionsuccincteduprojet(10-15lignes).

Quiestàl’origineduprojetetsousquelleformedeparticipation?

•Quelleaétélaplacedesélusdansladéfinitionduprojet?

•Quelleaétélaplacedesprofessionnelsdansladéfinitionduprojet?

•Quelleaétélaplacedesjeunesdansladéfinitionduprojet?

Quelleestlatemporalitéduprojetaulancementdelaphase2delarecherche-action?

•Encoursdedéfinition

•Déjàengagé

•Àvenir

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Préciserlesdifférentesétapesduprojetdanslapériodedelaphase2delarecherche-action

Quelle est la temporalité du projet ?

Enquoiceprojetrevêt-iluncaractèreexpérimental?

2. Présentation du contexteDonnéesgénérales

•Apportsdelapremièrephasedelarecherche-action

•Donnéesdeterritoires:population,structures,dispositifs,etc.

•Passerellesentrelapolitiquedelavilleetlapolitiquedejeunesse?

•Diagnosticdel’offreexistantepotentiellementsemblable(voireconcurrentielle)duprojet

Dans le territoire du projet ?

Dans le quartier ?

Dans la ville ?

Questionnementsspécifiquesparrapportàlathématiqueduprojet

•Citoyenneté

Lesjeunesparticipent-ilsàlaviedelaCitéenprenantdesinitiativescitoyennes danslequartierouendehors?Commentetdansquelbut?

Existe-t-ildesmodesdeparticipationdesjeunesdanslequartierfavorisant la « transitionnalité » vers d’autres espaces de participation dans la ville (instances,associations,dispositifs,etc.)?

Existe-t-ildesespacesde«frottements»organisésoùlesjeunespeuventrencontrerlesélusetreprésentantsd’autresinstitutions(horslesprofessionnelsjeunesse)? Oùsontorganiséscesespaces:quartierouhorsquartier?

•Insertionsocialeetprofessionnelle

Existe-t-ildesdispositifsspécifiquesd’accompagnementdesjeunesdanslequartier à l’insertion sociale et professionnelle ?

Existe-t-ildesdispositifsvisantàfaciliterl’accèsdesjeunesàl’offredéveloppéeautitre des politiques d’emploi de droit commun ?

Existe-t-ildesespacesde«frottements»organisésoùlesjeunespeuventrencontrer des représentants d’entreprises ? Oùsontorganiséscesespaces:quartierouhorsquartier?

•Espacespublics

Existe-t-ildesespacesde«frottements»entrejeuneset«adultes»/«altérité» danslesespacespublics(espacesphysiques)?Préciserlanature: conflictuelle,choisieousubie,etc.).

Existe-t-ildescontactsinstitutionnelsaveclesjeunesdanslesespacespublics?

3. La construction des indicateurs de l’activité réalisée ou en cours de réalisationCesindicateursvisentàsuivrel’action,àrendrecomptedesdifférentesétapesfranchiesdansleprojetentermedefaitsetd’actesposésparrapportàsesfinalités.Ilspeuventaussiservirdesupportàl’analysequalitativedesrésultatsetdeseffetsenpermettantdemesurerl’activitéencours.

Àcetégard,lagrillederecueildesdonnées,formaliséeentableaudebord,estàconstruireenfonction desobjectifsetspécificitésdechaqueprojet.

Letableausuivantdonneàvoirlesindicateursàconstruireenfonctiondesobjectifsetdesthématiquesdesprojets.

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Accessibilité à l’offre de

droit commun

Insertion sociale et

professionnelleEspaces publics Politique

Organisations Institutions

Pratiques professionnelles

Indicateurs de suivi de l’action en novembre 2011

Délibération votée au conseil municipal de X

Lancement du comité de suivi X

Indicateurs de suivi de l’action en janvier 2012

Nombre de jeunes à avoir sollicité le dispositif Y

Nombre de jeunes qui ont trouvé un emploi

Prise de parole de l’élu X au sujet du projet dans le but de …

Formation engagéepour tels professionnels

Indicateurs de suivi de l’action en juin 2012

Nombre de jeunes à avoir intégré le projet X

Rencontre des acteurs X avec les jeunes à telle fin

Création de l’instance Y

4. Les effetsEffetssurlesjeunes

•Analysedesenseignementsdeladémarched’expérimentation:

Enquoilecaractèreexpérimentalduprojeta-t-ileuuneffetmobilisateur sur les jeunes ?

La mise en projet a-t-elle constitué une prise de risque pour les jeunes ?

•Citoyennetéetparticipationdesjeunes

Enquoileprojeta-t-ilpermisd’expérimenterdenouvellesformesdeparticipation des jeunes à la vie de la Cité ?

Enquoiladémarchemiseenœuvrea-t-ellepermisdeprendreencompte lesspécificitésdesjeunesdanslesdifférentsmodesdeparticipationcitoyennedéveloppés dans la ville et le territoire ?

Ladémarchemiseenœuvrea-t-ellepermisauxjeunesd’intégrerdesespaces de participation développés dans la ville ou le territoire ?

Le projet a-t-il amené les jeunes concernés à participer à la construction de l’offre dedroitcommun?Àquelniveaud’implication?Informés,consultés,concertés,co-constructeurs ?

•Insertionsocialeetprofessionnelledesjeunes

Ladémarchemiseenœuvrea-t-ellepermisauxjeunesd’intégrerlesdiversdispositifsd’insertion professionnelle de la ville développés au titre des politiques d’emploi de droit commun ?

Leprojeta-t-ilpermisauxjeunes:

–emploi/formation

de construire un projet professionnel ?

dese«rapprocherdel’emploi»?

desefaireembaucher?

–logement:d’accéderaulogement?

–santé:demieuxprendreencomptelesdifférentsaspectsdeleursanté?

– autres ?

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•Placedanslesespacespublics

Enquoileprojeta-t-ilpermisauxjeunesd’expérimenterdenouveauxusages des espaces publics ?

Leprojeta-t-ilpermisauxjeunesdes’approprierdenouveauxespacesdanslaville ou dans le quartier ?

Y a-t-il eu une évolution de la reconnaissance des jeunes dans les espaces publics ?

Leprojeta-t-ilproduitdelarencontreetdeséchangesentrelesjeunesetd’autrespublics/acteurssurlesespacespublics?

Leprojeta-t-ilpermisuneaméliorationdesrelationssocialesdanslesespacespublics,notammententregénérations?

Effetssurlesinstitutions

•Lespolitiquespubliques

Analysedesenseignementsdeladémarched’expérimentation:

–enquoilecaractèreexpérimentalduprojeta-t-ilfavorisél’élaboration, lamiseenœuvreetlaréussiteduprojet?

–enquoilamiseenœuvreduprojeta-t-elleconstituéuneprisederisque pourlesinstitutions,notammentlaVille?

–enquoilecaractèreexpérimentalduprojeta-t-ilpuavoiruneffetdelevier sur la politique de jeunesse du territoire ?

Enquoileprojets’est-ilappuyésurlesspécificitésdesjeunesdans:

–leursusagesdesespacespublics

– leurs parcours d’insertion sociale et professionnelle

–leursexercicesdelacitoyenneté

– autres ?

Enquoileprojeta-t-ilcontribuéàunemeilleurelisibilitéetappropriationde la politique de jeunesse par :

– les élus

– les acteurs professionnels

– les jeunes

Le projet a-t-il entraîné une meilleure articulation entre politique de la ville et politique de jeunesse ?

La mise en lien des jeunes et des acteurs politiques et institutionnels a-t-elle produit uneactionpubliqueplusenphaseaveclesattentesexpriméesparlesjeunes des quartiers ?

Leprojeta-t-ilfaitémergerdenouveauxbesoinsentermed’offre de politique publique ?

•Lesorganisations

Enquoileprojeta-t-ilré-interrogélefonctionnementde:

– la structure porteuse ?

–l’organisationmunicipale?

–lesystèmed’acteursduterritoireconcernésparleprojet?

Leprojeta-t-ilparticipéàl’émergencedenouveauxacteursdansleterritoire?

Le projet a-t-il fait évoluer le partenariat entre acteurs d’un territoire ? Sous quelle forme ?

–quelestlerôledelaVilledanslepartenariat?Animateur,co-animateur, garantdelaconstructiond’unprojetdeterritoire,etc.

–laVilles’inscrit-t-elledansunerelationd’égalàégalaveclespartenaires du projet ?

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–lespartenairessont-ilségauxdansleprojet?

– qui a la responsabilité de quoi ?

•Lespratiquesprofessionnelles

Enquoileprojeta-t-ilcontribuéàfaireévoluerlespratiquesprofessionnelles?

Enquoileprojeta-t-ilpermisd’expérimenterdenouvellesformesd’accompagnementdesjeunes ?

Enquoileprojeta-t-ilpermisdedévelopperdulienetdescontactsentrelesjeunesetlesinstitutions/entreprisesetd’autresacteurs?

Enquoileprojeta-t-ilfaitévoluerdesmissionsetdesprofilsdeposte de professionnels ?

Enquoileprojeta-t-ilfaitémergerdenouveauxbesoinsentermedeformation/qualification des professionnels ?

5. Suite et capitalisation Leprojetexpérimentalvoussemble-t-ildestinéàêtregénéralisé?

Leprojetappelle-t-ildenouvellesexpérimentations?Lesquelles?

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n CONTEXTES TERRITORIAUX ET PROJETS D’EXPÉRIMENTATION

Tous les projets de la seconde phase de la recherche-action s’inscrivent dans le cadre de la politique de jeunesse de leur municipalité. C’est pourquoi nous présentons cette dernière de manière synthétique, notamment en mettant en évidence ses axes stratégiques, avant de la faire suivre de son projet d’expérimentation présenté par les professionnels des Villes. Ces éléments ont été partagés lors du premier séminaire coopératif, notamment dans le cadre du « marché des projets » (cf. introduction).

ANGERS

1. Le projet politique

Le processus de construction de la politique de jeunesse2009 : un enjeu global de clarification du cadre politique en direction de la jeunesse est iden-tifié, suivi d’une redéfinition collective des priorités en direction des 15-30 ans et de la rédac-tion d’un document de cadrage public.2009-2010 : la Ville engage un travail de redéfinition globale des priorités de sa politique de jeunesse, dont celle menée en direction des quartiers et îlots sensibles :– via deux recherches-actions « ciblées quartiers sensibles » (dont l’une avec RésO Villes) ;– via un travail de consultation de l’ensemble des élus thématiques et de leurs directions ; – via la consultation des jeunes (en amont lors des recherches-actions, puis, plus en aval,

lorsque les axes politiques commençaient à se dessiner). La délibération a été votée au conseil municipal extraordinaire du 12 octobre 2011.

Les enjeux stratégiques du projetIl s’agit de mettre en oeuvre une politique pour l’ensemble des jeunes, quels que soient leur statut, difficultés, lieu de vie…, mais avec des modalités d’intervention différenciées et des actions adaptées (notamment en direction des territoires sensibles), visant l’aide à l’auto-nomie et à l’insertion des jeunes, affichant fortement la jeunesse comme richesse et misant sur ses potentiels. Cette politique se veut transversale à l’ensemble des services et aux acteurs jeunesse. Les axes d’intervention prioritaires de la Ville pour les prochaines années sont :

Les jeunes et l’emploi : favorisons leur parcours !– Lever les freins à l’insertion et soutenir les « expériences de vie » favorisant le parcours

vers l’emploi.– La Ville d’Angers, entreprise citoyenne.

L’insertion sociale des jeunes : soyons solidaires !– Soutenir les jeunes les plus démunis.– Faciliter l’accès au logement et accompagner la gestion du budget.– Sensibiliser, prévenir et agir pour la santé des jeunes.– Permettre l’accès des jeunes aux loisirs.

Les talents et engagements des jeunes : valorisons-les !– Permettre aux jeunes de se rendre utile, de s’engager, de se (re)mobiliser, de soutenir

leurs projets et leurs initiatives.– Valoriser l’image des jeunes.– Soutenir les cultures de tous.– Permettre aux jeunes d’être écoutés et entendus.

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Les jeunes dans la ville et les espaces publics : donnons-leur une place !– Penser la place des jeunes lors des aménagements urbains.– Adapter l’offre de loisirs en direction des jeunes.– Réfléchir à la vie et au rythme du centre ville et renforcer l’appartenance des jeunes à la ville.

L’information et la communication : adaptons-nous !– Des modes de communication à adapter et une relation au virtuel à apprivoiser.– Le Centre Information Jeunesse, espace central.– Un réseau de partenaires et d’acteurs locaux à associer.

2. Le projet d’expérimentation : « le local jeunes de Monplaisir »

Porteur du projet : la Ville d’Angers et la Maison Pour Tous (MPT) de Monplaisir

Constats de départ : pourquoi ce projet ?– L’engagement du Maire vis-à-vis de jeunes qui avaient fait valoir leur souhait d’avoir des

lieux pour se retrouver.– Le manque de lisibilité de la volonté municipale sur ce sujet.

2006 : une première réflexion portée par le Conseil Consultatif de Quartier (CCQ) de la Roseraie qui avait estimé que le local jeunes n’était pas souhaitable et devait être attaché à la Maison de Quartier.

2007 : une réflexion globale avec différents acteurs jeunesse de la ville : pourquoi un local jeunes ? (Pour qui ? À quels besoins répond-il ? Facteurs de réussites et facteurs d’échecs ?).

La position de la MPT était davantage celle du pluralisme des lieux en direction de la jeunesse que de l’unicité d’un lieu : gymnases, local… La MPT insistait sur le pluralisme des acteurs, nécessaire selon elle pour réfléchir à des propositions, mais aussi sur la nécessité que les familles puissent accompagner la participation et l’engagement des jeunes dans ces lieux, afin de s’assurer que le local réponde aux attentes de tous.

2008 : malgré les risques et freins existants, le Maire a exprimé sa volonté d’expérimenter un local sur un quartier, mais en tenant compte de certaines préconisations : un animateur dans le local et un gestionnaire acteur du quartier.

2009 : dans un premier temps, un appel à projet a été lancé par la mairie à une mauvaise période (été 2009) pour une réponse à la rentrée de septembre avec un ciblage des deux quartiers Roseraie et Monplaisir. L’appel a été infructueux.

Pour autant, l’élu de quartier de Monplaisir a maintenu sa volonté de développer l’expérimen-tation. Ainsi, un travail en amont a eu lieu entre techniciens de la Ville et élus (Jeunesse et territoire) pour proposer un cadre général.

À partir de celui-ci, une réflexion a été élaborée en partenariat avant le lancement d’un nouvel appel à projet pour Monplaisir. Depuis l’ouverture du lieu, cette réflexion et la maturation du partenariat sont plus importantes.

Objectifs du projet : pour quoi faire ? – créer un espace pour les 16/25 ans ;– ouvert aux différentes jeunesses ;– situé au cœur du quartier ;– adapté aux temps des jeunes et leur permettant de se retrouver de manière informelle.

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Partenaires du projet Ont participé à la réflexion tous les acteurs intéressés par les questions de jeunesse : Les éducateurs de prévention spécialisée de l’Association de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence (ASEA), la Régie de quartier, l’association des habitants de Monplaisir (AHM), la MPT, la Ville, la Mission locale angevine (MLA), le collège du quartier, SOPHOS, la Compagnie MAP.

Puis s’est constitué un comité technique de manière volontaire pour ceux qui acceptaient de s’impliquer de manière concrète dans le suivi quotidien du local jeunes : SOPHOS, la Régie de Quartier, l’AHM, la MPT, la Ville, MLA, l’ASEA.

Méthodologie – Co-construction avec les acteurs de jeunesse du quartier du projet à partir du cadre donné

par la Ville.– Mise en place d’un groupe de pilotage (Élus municipaux et associatifs, et techniciens). – Mise en place d’un comité technique (acteurs jeunesse du territoire et Mission Jeunesse).– Réunion d’information générale pour les habitants du quartier dont les jeunes.

Rôle(s) et mission(s) de chaque membre de l’équipe. Modalités de constitution et description succincte du projet– La place des élus : le projet est porté et construit par l’élue à la jeunesse et l’élu de quartier

en lien avec l’élu politique de la ville et des quartiers. Implication forte des élus dans la définition des quatre objectifs : ils ont organisé des réunions dans le quartier pour expli-quer la position de la mairie vis-à-vis de ce projet.

– La place des professionnels : le projet a été construit par les professionnels à partir des attentes et des objectifs des élus municipaux, en cohérence avec les différentes pratiques et connaissances des publics. Le cadre général a été défini par le chef de projet et la Mission Jeunesse, et le projet co-construit à partir des éléments non négociables de la Ville et des acteurs jeunesse du quartier.

– La place des jeunes : ils ont été consultés en amont de l’ouverture du local sur la manière dont ils verraient ce dernier.

– La mobilisation des jeunes pour la réunion avec l’élue jeunesse et l’élu de quartier s’est faite par le bouche à oreilles, via les partenaires du comité de suivi, par invitation papier de la MPT à partir de son fichier. Une dizaine de jeunes de 16-25 ans furent présents, dont une majorité de garçons. (Observation : des jeunes voyant certains de leurs pairs qui sou-haitaient participer à ces temps de rencontre ne sont pas allés jusqu’à la salle, car ils ne voulaient pas les rencontrer).

– Une grille de questions commune a été construite entre partenaires pour recueillir la parole des jeunes sur les attendus de ce local jeunes, et utilisée par les partenaires lors de leurs rencontres avec eux.

– Des soirées pizza ont été organisées avec la MPT pour les jeunes et les adultes, puis unique-ment avec les jeunes sur leurs attentes vis-à-vis du local jeune.

Temporalité du projet au lancement de la phase 2 de la recherche-action Le local jeunes a ouvert en novembre 2010 pour un fonctionnement d’un an. Il a été reconduit dans sa phase expérimentale jusqu’en décembre 2012. Entre la première année d’expérimentation (novembre 2010 et décembre 2011) et la seconde, la mise en place d’un partenariat d’acteurs plus construit autour de ce local jeunes a permis que la fiche de poste de l’animateur soit revue, et qu’en cas de « coup dur », une mobilisation de l’ensemble des partenaires du comité technique permette une réflexion et une action commune autour du projet.

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État des lieux de l’offre existante potentiellement semblable au projet Chaque quartier est doté d’un lieu d’accueil des jeunes qui s’adresse aussi aux 16-25 ans, porté par une association. Le souhait de la municipalité de proposer ce local jeunes est perçu (dans un premier temps) comme une contestation de ce qui se fait déjà.

Questionnements spécifiques par rapport à la thématique du projet– Citoyenneté : Les jeunes participent-ils à la vie de la Cité en prenant des initiatives citoyennes

dans le quartier ou en dehors ? Comment et dans quel but ?

Des instances de participation des jeunes à la politique municipale existent comme le conseil des jeunes angevins qui réalise chaque année une journée de valorisation des initiatives (la JOVA). Les jeunes peuvent participer au conseil d’administration des associations organi-satrices des espaces jeunesse de la ville. Mais dans la pratique, cela ne se fait pas ou très peu.

– Insertion sociale et professionnelle : existe-t-il des dispositifs spécifiques d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes dans le quartier?

La MLA est localisée dans les Maisons de quartiers ; des dispositifs de mise à l’emploi directe sont initiés dans le cadre de la politique de la ville comme ressources pour la MLA ou les autres partenaires associatifs du quartier.

En quoi ce projet revêt-il un caractère expérimental ?– Le projet associe des acteurs jeunesse d’un territoire pour une définition partagée d’un

même projet. – La volonté du conseil municipal est extrêmement ferme sur la mise en place de ce projet

comme réponse à une parole politique donnée à des jeunes. – Cet espace :

– est une offre en plus de l’espace jeunes de la maison de quartier alors que sur tous les autres quartiers, la seule offre soutenue par la Ville est celle proposée au sein de la maison de quartier ;

– prévoit une participation des jeunes à l’évolution de sa gouvernance ;– est financé par un appel d’offre là où les autres équipements d’offre socioculturelle en

direction de la jeunesse sont subventionnés ;– est accompagné dans son quotidien par un comité technique composé par l’ensemble

des acteurs de la jeunesse du quartier ;– est situé au cœur du quartier.

3. État d’avancement du projet et les suites

Un bilan sera tiré en décembre 2012. Il appartiendra alors à l’issue de cette phase :– de poursuivre la démarche, de l’ajuster ou de l’arrêter sur le quartier de Monplaisir ; – d’en tirer des enseignements pour d’éventuels développements sur d’autres quartiers.

Le projet expérimental vous semble-t-il destiné à être généralisé ?

Posée ainsi, la question appelle une réponse négative. Une réflexion est en cours au sein du quartier de La Roseraie, en partenariat avec les acteurs de la jeunesse du dit quartier, sur une autre forme d’accueil des jeunesses du territoire qui peut être un autre local jeune ou autre chose, sur ce quartier.La question qui se pose du point de vue politique porte sur la prise en compte d’une partie de la jeunesse qui ne fréquente pas l’offre existante.

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1. Le projet politique

Processus de construction de la politique de jeunesseL’évolution des modes de vie, les nouvelles attentes, la place aujourd’hui faite aux jeunes, à Brest comme ailleurs, nous ont conduits dans le cadre du Contrat Urbain de Cohésion Sociale de l’agglomération brestoise, dont la jeunesse est une thématique forte, à réaliser un état des lieux des nombreux dispositifs et actions existants. Cela nous a permis, avec toutes celles et ceux qui œuvrent à Brest sur ces questions, de définir quatre enjeux pour les jeunes et notre territoire, de mieux comprendre nos atouts, mais aussi de mettre en évidence les sujets qui nous restent à travailler ensemble.

La délibération a été votée au conseil municipal du18 juin 2010.

Les enjeux stratégiques du projetLa Ville de Brest a pour volonté centrale de construire des politiques publiques innovantes, permettant la promotion sociale des jeunes, leur accès à l’autonomie et leur liberté de choix et d’expression. Les politiques destinées aux jeunes constituent un des enjeux essentiels de la cohésion sociale de la ville.

Faire de Brest une ville encore plus agréable et attractive pour les jeunes– Bien accueillir tous les jeunes afin de montrer aux nouveaux venus qu’ils sont les bienvenus

dans notre ville.– Mieux informer les jeunes pour favoriser leur accès aux ressources locales et aux dispositifs

de droit commun.– Valoriser l’offre existante auprès du public jeune en développant des outils de communica-

tion à leur attention.– Créer quatre temps forts d’animation répartis dans l’année.

Reconnaître les jeunes comme citoyens et soutenir leur citoyenneté du local à l’international– Soutenir, accompagner et valoriser l’engagement des jeunes par des soutiens financiers

aux associations et groupes de jeunes.– Ouvrir les horizons : construire une politique de développement de la citoyenneté euro-

péenne et favoriser la mobilité internationale.– Soutenir l’expression des jeunes et favoriser la participation des jeunes à la démocratie locale.

Accompagner les jeunes vers l’autonomie– Rendre les jeunes acteurs en leur proposant un parcours vers l’autonomie et l’insertion

sociale et professionnelle. – Favoriser l’accès au logement.– Améliorer l’adéquation entre le temps de la ville et le temps des jeunes.– Développer l’appropriation des usages du numérique.– Sensibiliser tous les jeunes à leur bien-être physique, mental et social en leur donnant

les moyens de devenir acteurs de leur santé.

Consolider les ingrédients du « mieux vivre ensemble »– Rendre accessible l’offre de loisirs éducatifs, sportifs et culturels.– Conforter sur les territoires une offre de loisirs adaptée pour tous les âges.– Favoriser les démarches de cohésion sociale grâce à une pratique sportive et culturelle

adaptée aux publics brestois fragilisés.– Intégrer une dimension de mixité dans tous les projets. – Prolonger la réflexion sur les co-usages de l’espace public et travailler à une meilleure coor-

dination et connaissance des acteurs intervenant auprès de la jeunesse.

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2. Le projet d’expérimentation : La Fourmilière

Porteur du projet : un collectif de professionnels

Constats de départ : pourquoi ce projet ?– Une offre éducative inégalement répartie sur le territoire.– L’étendue du territoire.– Une volonté collective de mutualiser des outils, des compétences et d’expérimenter sur un

territoire d’intervention commune.

Territoire de référence : les Quatre Moulins sur la rive droite de la ville de Brest.

Objectifs du projet : pour quoi faire ? – sur le plan professionnel : expérimenter de nouvelles pratiques professionnelles.– sur le plan territorial : travailler autour du vivre ensemble et de l’intergénérationnel.

Les liens se font avec l’ensemble des habitants dans une démarche de proximité en allant vers et en recueillant la parole de tous ceux qui veulent s’exprimer sur leur quotidien, sur la vie de leur quartier, sur les changements qu’ils souhaiteraient apporter. Il s’agit d’un travail avec les habitants avec une attention particulière concernant les publics jeunes du territoire.

Qui est à l’origine du projet et sous quelle forme de participation ? Des professionnels du territoire se sont mis autour d’une table et ont formalisé un collectif engagé depuis pleinement dans la construction et l’animation du projet. Un groupe d’appui constitué de la coordinatrice jeunesse de la ville auxquels se sont joints les élus de proximité ont suivi le déroulement de cette phase de construction du projet. Le projet a été présenté et partagé par le collectif avec l’ensemble des équipements et structures associatives du territoire ainsi qu’aux élus et institutions (Ville de Brest ; CUCS) qui ont validé unanimement la démarche (février 2011).

Il n’y a pas eu de jeunes présents dans la définition du projet.

Partenaires du projet ?Des professionnels intervenant sur un territoire commun dont les espaces de travail ont permis une reconnaissance mutuelle des pratiques, des habitudes de travail et une volonté de faire autrement.

Il s’agit d’un collectif de professionnels composé d’une équipe d’animateurs socioculturels, d’une animatrice sociale, d’une équipe d’animateurs « hors les murs », d’une bibliothécaire, d’un éducateur sportif, d’un animateur « arts du cirque », d’une référente santé, d’une agent de développement, d’un coordinateur jeunesse.

Les difficultés rencontrées par le collectif sont de trois ordres :– en termes d’organisation et de logistique (transport du matériel notamment) ;– en termes de mouvement de professionnels et d’engagement ;– en terme de définition des rôles de chacun (administration ; logistique ; sens du projet).

Modalités de constitution et description succincte du projet : rôle(s) et mission(s) de chaque membre de l’équipeLe projet s’est construit à partir de compétences multiples, sur une entrée jeunesse et sur un territoire commun.

L’idée originelle du projet reposait initialement sur une intervention de différents profession-nels en proximité sur un espace public avec un véhicule et un barnum identifiés à cet effet. L’idée consiste à se mettre en lien avec des habitants, apporter de la ressource (des informa-tions sur l’actualité du quartier ou sur des initiatives à prendre ; accès au multimédia ; une

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bibliothèque de rue ; pratique des arts du cirque ou des waves), autour de moments d’échanges, de convivialité (autour d’un salon-café ou d’un barbecue), et d’accompagnement de projets d’habitants…

Concrètement, c’est à partir d’un diagnostic - notamment en terme de repérage des espaces publics, de leurs usages et des besoins identifiés – que l’on a défini trois territoires cibles à partir desquels nous avons établi une organisation des interventions (automne 2010). La mise en place d’un calendrier permettait alors de les décider selon les disponibilités de chacun, en étant attentif à la régularité et à l‘équilibre des interventions sur les trois territoires (Pâques 2011). Afin de garder le sens de ce travail d’animation de proximité, il a été défini qu’il fallait, dans la mesure du possible, des professionnels venant de trois structures associatives ou équipe-ment différents. La démarche consiste alors à venir sur l’espace public à des moments qui nous paraissent « opportuns » afin que la rencontre se fasse en proximité avec les habitants. Des flyers ont été distribués aux habitants rencontrés permettant d’identifier notre démarche et de repérer notre intervention à partir d’un calendrier établi sur l’ensemble des vacances (été 2011).

Nous avons construit au préalable une grille d’évaluation permettant de rendre compte des personnes rencontrées, des besoins ou des problématiques identifiées selon les territoires cibles, et les dynamiques ou difficultés rencontrées dans notre organisation lors de nos inter-ventions respectives.

Temporalité du projet au lancement de la phase 2 de la recherche-action L’écriture du projet s’est faite entre septembre et décembre 2010 à raison d’une fois par mois.Le projet a été validé par les élus en février 2011.L’expérimentation s’est faite dans un premier temps sur trois mois à raison d’une fois par semaine et sur trois territoires (de Pâques à août 2011).Puis un recentrage s’est fait sur un territoire entre octobre et décembre 2011 et ce, sur trois mois à raison de cinq jours pleins.

En quoi ce projet revêt-il un caractère expérimental ?L’objet de l’expérimentation : faire le pari que la rencontre entre d’une part, des professionnels de diverses institutions décidant d’agir conjointement sur l’espace public et d’autre part, des habitants (jeunes mais pas seulement) était féconde pour penser différemment la dynamique éducative d’un territoire insuffisamment couvert.

Les objectifs étaient de deux ordres :– sur le plan professionnel : expérimenter de nouvelles pratiques professionnelles ;– sur le plan territorial : travailler autour du vivre ensemble et de l’intergénérationnel.

L’animation d’un territoire est facteur de régulation entre les groupes sociaux qui le composent et facilite l’acceptation de l’idée d’un espace partagé. La recherche de solution procède d’abord de la rencontre entre les différents protagonistes. L’espace public est cet espace approprié.C’est dans l’opérationnalité par une inscription et une présence régulière sur les territoires que nous sommes allés chercher de nouveaux outils d’animation, toujours dans un souci de se mettre en lien avec des habitants afin notamment de leur permettre d’« investir l’espace public » et de « libérer les paroles ». L’expérimentation consiste aussi pour chaque professionnel investi dans ce projet à sortir de son propre cadre de référence.

Présentation du contexte : données généralesPasserelle entre la politique de la ville et la politique de jeunesse ? La passerelle s’est véritablement « établie » lors de la validation de ce projet auprès des élus en février 2011.

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Diagnostic de l’offre existante potentiellement semblable au projet ? Les professionnels investis dans ce projet interviennent déjà sur le territoire dans le cadre de leurs missions initiales mais il n’en demeure pas moins que l’offre éducative demeure inéga-lement répartie sur ce territoire.

Questionnements spécifiques par rapport à la thématique du projetCitoyenneté et espaces publics. De notre point de vue, les thématiques associées à la citoyenneté et aux espaces publics sont intimement liées : la vie dans la Cité passe par des lieux de rencontres, d’échanges et de confrontations de points de vue, de réalisations dans l’intérêt général et pour un « meilleur vivre ensemble ». Il ne faut pas nier pour autant que les espaces publics sont aussi des espaces de « frottements » où les sources de conflits généralement « subis » relèvent souvent de pro-blèmes de communication, de reconnaissance de l’autre (références aux codes de sociabilités entre générations par exemple).

Les contacts institutionnels avec les habitants dans les espaces publics se font principalement avec l’élu du territoire et Brest Métropole Habitat.

3. L’état d’avancement du projet et les suites

Le bilan de l’action est en cours et sera restitué à la rentrée en septembre.

D’ores et déjà, le collectif pointe les éléments suivants :– Le projet a bousculé les pratiques professionnelles. Le faire ensemble ne va pas de soi. L’envie

d’agir de concert est réaffirmée par les partenaires.– L’intervention hors les murs dilue les frontières des territoires d’intervention et accorde aux

acteurs des espaces de liberté pour penser différemment leur action en commun. Le projet est sous tension. Il a connu des à-coups notamment quand les tensions économiques pesant sur certains partenaires les ont contraints à se recentrer sur leur objet.

– La nécessité de restituer ce travail aux institutions et d’identifier un espace de pilotage pour inscrire ce projet dans une commande publique, inexistante au départ. Le projet ne peut pas résulter du seul souhait, aussi légitime soit-il, des professionnels.

– Le mode d’animation du projet est à observer. Le choix du collectif de ne pas reconnaître un leader mais de valoriser une démarche coopérative (à l’horizontale) a sans aucun doute facilité le partage du projet mais a créé du flottement quant aux décisions à prendre.

La place des jeunes dans le projet est un chantier à ouvrir.

LORIENT

1. Le projet politique

Processus de construction de la politique de jeunesseLe pari de la jeunesse nécessite d’en définir la place face aux enjeux sociologiques et écono-miques générés par le vieillissement de la population et la crise.

Une politique de jeunesse s’inscrit dans la transversalité, c’est pourquoi elle est traitée à différents niveaux du projet municipal présenté aux lorientais en mars 2008. Elle s’affiche dans la volonté d’accompagner le développement universitaire en apportant aux étudiants l’envi-ronnement propice à la réussite de leurs études. Dans un même temps, par souci d’équité, le projet politique décline la nécessité d’accompagner les jeunes qui sortent précocement du système scolaire, soit parce qu’ils choisissent la voie de l’apprentissage et de l’alternance, soit parce qu’ils se retrouvent en échec scolaire, ce qui nécessite d’entreprendre une démarche d’insertion sociale et professionnelle articulée avec le secteur économique.

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Considérer les jeunes comme ressources, comme facteurs de dynamisme et de changement pour une ville nécessite obligatoirement de créer les conditions de leur insertion territoriale. C’est pourquoi Lorient considère qu’une politique de jeunesse doit se construire avec eux dans une logique participative en s’appuyant sur deux référentiels politiques, le jeune comme ressources et l’insertion sociale et professionnelle, afin d’encourager toutes les initiatives et les projets des jeunes dans des domaines aussi divers que l’environnement, les nouvelles technologies, le sport ou la culture…

La délibération a été votée au conseil municipal du 19 novembre 2011.

Trois enjeux stratégiques ont été repérés :– l’émancipation citoyenne ;– l’épanouissement personnel ;– l’accès à la culture (dans la définition large du terme).

Dans un souci d’équilibre et de manière spécifique une attention particulière est portée aux publics jeunes des quartiers prioritaires et jeunes étudiants.

Les objectifs stratégiques sont ainsi les suivants :– favoriser et accompagner la mise en œuvre des projets des jeunes dans les quartiers

populaires ;– repérer les initiatives et les projets en émergence susceptibles de valoriser les jeunes ;– repérer les jeunes présentant des difficultés afin d’engager un suivi collectif ;– à moyen terme, engager avec les jeunes une consultation sur des thématiques spécifiques

les concernant.

2. Le projet d’expérimentation : la co-construction d’un projet jeunesse de territoire à Kervénanec

Porteur du projet : la Ville de Lorient

Constats de départ : pourquoi ce projet ?

Le centre commercial du quartier de Kervénanec positionné au cœur des tours et des barres d’immeubles représente un lieu d’activités privilégié aux côtés de l’équipement socioculturel et de la bibliothèque municipale. Chaque après-midi, à partir de 14 h généralement, ce centre commercial voit son entrée et son espace central, autour desquels sont positionnés les diffé-rents commerces (supermarché, boulangerie, presse, etc.), occupés par quelques groupes de jeunes âgés de 12 à plus de 30 ans. Si la population qui compose ce groupe de jeunes est plurielle, il n’en reste pas moins que celle des jeunes « sans emploi », ayant souvent échoué à l’école, reste largement majoritaire.

Le Maire et les élus, pleinement conscients des difficultés d’insertion sociale et professionnelle rencontrées par une grande partie de ces jeunes du quartier, ont souhaité mettre en œuvre un plan d’accompagnement en phase avec les objectifs de la politique de jeunesse. L’idée a consisté à construire une démarche participative avec un groupe de jeunes du quartier de Kervénanec dans le but de produire un projet qui tienne compte des attentes de l’ensemble des jeunes du quartier. La question qui se posait au départ était de savoir comment impliquer les acteurs de terrain et comment les amener à entendre les demandes des jeunes.

Objectifs du projet : pour quoi faire ? – Co-construire avec les jeunes un projet jeunesse de territoire qui corresponde aux attentes

des jeunes adultes du quartier ;– Créer une offre de services nouvelle visant l’accompagnement des jeunes vers l’insertion

sociale et professionnelle ;

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– Offrir aux jeunes des ressources qu’ils ne pourraient pas mobiliser sans l’appui de la Ville de Lorient et de ses partenaires.

Partenaires du projet Ce projet repose sur le triptyque élus-jeunes-professionnels. Une quinzaine de jeunes est investie dans le projet. Ils sont accompagnés par les professionnels suivants :– services de la Ville de Lorient : Mission jeunesse, service culture et service proximité ;– maison pour tous, centre social ;– Mission locale ;– foyer culturel omnisports laïque Lorient Ouest, club du quartier.

Modalités de constitution et description succincte du projet : rôle(s) et mission(s) de chaque membre de l’équipeL’appel à participation des jeunes a été réalisé via des courriers envoyés à ceux dont la mairie disposait de l’adresse. Les professionnels, préalablement sensibilisés à la démarche et informés de ces objectifs, ont été invités à relayer cet appel auprès des jeunes qu’ils côtoyaient.

C’est ainsi qu’une quinzaine de jeunes s’est présentée lors de la première réunion à laquelle assistait le Maire pour présenter les objectifs de la Ville, en février 2011. Ces jeunes ont accepté de se constituer en groupe afin d’étudier les possibilités de projets répondant à leurs attentes.

Dans le cheminement, les travaux des jeunes se sont déclinés en trois thématiques : – accès à l’emploi ;– accès à la culture ; – accès aux pratiques sportives.

Les élus, quant à eux, sont sollicités en fonction de leur délégation et ont pour mission de travailler avec les jeunes sur la faisabilité de leurs propositions.Les professionnels, enfin, sont dans une posture de retrait avec l’objectif d’écouter les jeunes et d’apporter une expertise à leurs demandes.

Temporalité du projet au lancement de la phase 2 de la recherche-action Le projet a officiellement démarré en février 2011. Les jeunes, qui se sont donnés une année de réflexion pour faire aboutir le projet, ont pu alors exprimer leur souhait de voir un lieu destiné aux jeunes adultes prendre forme, le foyer du centre social étant quant à lui destiné aux publics des pré-adolescents, tout en faisant savoir au Maire que leur préoccupation pre-mière restait l’emploi.

En quoi ce projet revêt-il un caractère expérimental ?S’agissant du quartier de Kervénanec, et de la ville en général, le pari a été fait de tout baser sur la parole des jeunes. C’est à ces derniers qu’est revenu le soin de formuler des propositions d’actions répondant à leurs attentes.

Questionnements spécifiques par rapport à la thématique du projet Citoyenneté : Les jeunes participent-ils à la vie de la Cité en prenant des initiatives citoyennes dans le quartier ou en dehors ? Comment et dans quel but ?Si des associations de jeunes ont pu exister par le passé dans le quartier de Kervénanec, ces dernières années ont été caractérisées par une forte absence des jeunes de la vie associa-tive et des espaces de débats publics.

Par ailleurs, il n’existait aucun espace de « frottements » organisés où les jeunes pouvaient rencontrer les élus et représentants d’autres institutions (hors professionnels jeunesse). La démarche a donc permis de les construire.

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3. L’état d’avancement du projet et les suites

Forte de cette démarche participative, la municipalité envisage à présent la création d’un espace-ressources d’aide à la recherche d’emploi qui englobera également un lieu de socia-bilité pour les jeunes adultes. Les questions relatives au sport et à la culture trouveront leurs réponses dans la densité de l’offre proposée dans la ville et que les jeunes ont pu explorer via ce projet.

NANTES

1. Le projet politique

Le processus de construction de la politique de jeunesseDans le cadre de sa politique publique enfance-jeunesse, la Ville de Nantes entend porter une attention aux jeunes de16/25 ans en encourageant et accompagnant les initiatives indivi-duelles et collectives.

Il s’agit de signifier l’attention portée à ces jeunes, de les inciter à participer à la vie publique, et ainsi de reconnaître leur rôle et leur place comme acteurs de la cité. Conformément aux orientations politiques, le nouveau contrat de délégation de service public confié à l’associa-tion Accoord s’adresse aux 3/15 ans. Ces orientations s’appuient sur la politique « éducation - temps libre » faisant du « loisir » un acte éducatif à part entière, complémentaire à l’école et à la famille.

Les enjeux stratégiques du projetIntervenir en direction des 16/25 ans, c’est « soutenir l’élaboration d’une identité citoyenne par l’expérience et proposer un parcours de citoyenneté active » (extrait de la politique publique enfance jeunesse). Dans ce contexte, la volonté de la Ville sera de positionner le jeune en acteur de son parcours de citoyenneté et de positionner les professionnels en « accompagnement » du jeune. Cette volonté doit passer par un nouveau mode de relation aux jeunes : gagner leur confiance, les reconnaître comme des acteurs de la ville.

L’enjeu est donc de déterminer un cadre/projet qui propose de nouvelles modalités d’actions opératoires : repenser les finalités, les méthodes et les modalités d’accompagnement, cela afin de répondre davantage aux besoins « d’accompagnement et de soutien des initiatives» des 16/25 ans.

• Accompagner les jeunes vers l’autonomie– Soutenir la mise en œuvre d’un parcours de découverte des métiers.– Construire des actions alternatives d’insertion destinées à remettre en lien les jeunes éloignés

de l’emploi et l’offre d’accompagnement de droit commun.– Améliorer l’accès à l’emploi et au logement.– Lutter contre toutes les formes de discrimination.

•  Soutenir l’élaboration d’une identité citoyenne par l’expérience, l’expression et la coopération

– Proposer un parcours de citoyenneté active : formation du « futur citoyen » et participation à la « vie de la cité » comme enjeux majeurs.

– Reconnaître et stimuler les talents et l’innovation en accompagnant les pratiques festives.– Aller au devant des pratiques des jeunes.– Favoriser la mobilité et la citoyenneté européenne.– Prendre en compte les co-usages de l’espace public.

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• Développer et promouvoir la qualité de vie étudiante– Améliorer la vie des étudiants dans la cité (axe de cohésion sociale).– Faire de la présence étudiante une richesse pour la ville (axe d’attractivité par

les étudiants).– Maintenir la présence étudiante sur le territoire (axe d’attractivité pour les étudiants).

2. Le projet d’expérimentation : la création d’espaces d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes sur le territoire Breil-Dervallières

Porteur du projet : la direction Enfance-Jeunesse de la Ville de Nantes

Constats de départ : pourquoi ce projet ?L’offre publique en direction des 16/25 ans ne répond pas toujours ou mal aux enjeux et problématiques que ces jeunes rencontrent. Des acteurs existent et agissent sur des champs très spécifiques (Mission locale : emploi et insertion). Mais au-delà, peu d’interlocuteurs se mobilisent pour écouter, accueillir, soutenir et accompagner les 16/25 ans et leurs projets ; aujourd’hui l’offre publique n’est pas lisible.

Aussi et sans généraliser, on constate un regain de tension entre des jeunes, particulièrement des quartiers populaires, et les acteurs institutionnels : stigmatisation, perte de confiance, méconnaissance, absence de relais. Un risque de fracture existe.

Territoire de référence et cible du projetLa Ville de Nantes a divisé la commune en cinq « territoires-projets » pour l’implantation de cinq espaces distincts d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes ; on retrouve les grands territoires de vie des jeunes nantais : Nantes Nord, Nantes Est, Centre-Sud et Nantes Ouest (découpé lui-même en deux périmètres : Breil-Dervallières et Bellevue).

Sur ces cinq territoires-projets, on retrouve des quartiers populaires, classés ZUS ou prioritaires, et aussi des quartiers dits « intermédiaires », voire plus aisés. L’ambition est de porter une attention particulière aux jeunes des quartiers prioritaires, mais également d’attirer les jeunes des quartiers proches, dans une recherche de mixité sociale et d’expérience. En ce sens, les publics ciblés par les espaces d’accompagnements des projets et des initiatives sont l’en-semble des jeunes nantais.

Objectifs du projet : pour quoi faire ? Dans ce contexte et dans le cadre de sa politique publique enfance-jeunesse, la Ville de Nantes entend porter une attention aux jeunes 16/25 ans en encourageant et accompagnant les initiatives individuelles et collectives.

Il s’agit donc de signifier l’attention portée aux jeunes, de les inciter à participer à la vie publique et ainsi reconnaître leur rôle et leur place comme acteurs de la Cité. Pour ce faire, la Ville propose d’implanter des espaces d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes sur cinq territoires à l’échelle de la commune, dont un sur le territoire Breil-Dervallières.

Quels « profils » de jeunes ?Les espaces d’accompagnement 16/25 ans s’adressent à l’ensemble des jeunes du territoire, mais avec une attention particulière sur les jeunes les plus fragiles.

Les professionnels de jeunesse parviennent à décrire précisément les « jeunes victimes de la précarité et en grande difficulté » ; les « jeunes en voie d’insertion sociale » et « ceux insérés socialement » semblent moins visibles ou moins connus des acteurs. Ils définissent les deux dernières catégories de manière contradictoire, donnant le sentiment d’une vision plus pes-simiste que la réalité. Néanmoins ils manifestent un intérêt majeur pour aller à la rencontre des jeunes, dans leur diversité de profil, de situation et d’expériences du quartier.

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Partenaires du projet Le réseau « élargi » jeunesse Breil-Dervallières est composé :– d’institutions diverses telles que les animateurs et responsables d’équipement Accoord,

les conseillers en insertion de la Mission locale, les travailleurs sociaux du Conseil général (assistants de service social, agents de développement), les éducateurs de rue de l’équipe de prévention spécialisée, les médiateurs de rue d’Optima, les agents des autres directions de la Ville (en premier lieu les «équipes de quartier » de la Mission CITE).

– d’associations locales telles que « les deux rives » (accompagnement à la scolarité et décou-verte des métiers), D’clic (cyber espace du quartier Dervallières, labellisé « espace régional numérique »), les associations sportives et culturelles (Rapacité, Tak après, ACSD, Fêtes le mur, Olympique Derville, etc.).

– de RésO Villes.

Une équipe-projet représentant le réseau élargi (dix professionnels) a été constituée sur la base du volontariat pendant le séminaire jeunesse « Breil-Dervallières » du 3 février 2012 qui a rassemblé 35 professionnels d’institutions et d’associations de ces deux quartiers.

Temporalité du projet au lancement de la phase 2 de la recherche-action Au lancement de la seconde phase de la recherche action, le projet en est à son démarrage, tout au moins dans le contexte d’une réflexion partagée sur le périmètre géographique Breil-Dervallières.

Des groupes de travail ad hoc propres à chaque quartier avaient néanmoins déjà amorcé un partage de constats et d’analyse sur la situation des jeunes 16-25 ans dès 2010/11. Deux études préalables avaient été également menées, l’une aux Dervallières par Chafik Hbila dans le cadre de l’étape 1 de la démarche RésO Villes, l’autre sur le quartier du Breil par une mission précise confiée à un étudiant dans le cadre de son stage de fin d’étude. Ces deux démarches ont notamment mis en évidence la réalité du territoire de vie et d’expérience des jeunes au péri-mètre commun Dervallières-Breil.– 2010/11 : démarrage de la réflexion sur Dervallières et Breil.– juin 2011 : journée RésO Villes à Dervallières : restitution de l’enquête de Chafik Hbila.– juillet 2011 : validation par les élus nantais de la démarche générale d’amplification de

l’accompagnement des jeunes 16-25 ans.– février 2012 : séminaire inter-quartiers Dervallières-Breil et constitution de l’équipe projet.– 1er mars 2012 : séminaire coopératif Résovilles. – fin mars 2012 : validation du référentiel « professionnels jeunesse ».– 31 mai 2012 : séminaire des professionnels, accompagné par RésO Villes. Une méthodologie

de travail et une grille d’entretien ont été co-construites en vue d’aller recueillir les propos des jeunes relativement à leur expérience du quartier, à leurs critiques et demandes.

– juin 2012: passation des entretiens avec les jeunes, réalisée par les professionnels.– 13 juillet 2012 : séminaire entre professionnels : restitution et analyse du contenu des entre-

tiens, mise en perspective avec les travaux des professionnels, et élaboration d’une série de préconisations à destination de la Ville.

3. L’état d’avancement du projet et les suites

La démarche entreprise a été plutôt bien accueillie par les jeunes rencontrés malgré leur scepticisme sur les suites.L’adhésion et l’implication des professionnels ont été importantes : reconnaissance de leurs compétences, opportunité de se rencontrer et d’échanger, meilleure connaissance du territoire et de ses acteurs, demande de poursuivre la démarche.La Ville en animant cette dynamique de territoire a renforcé sa légitimité, mais a suscité aussi des attentes de la part des partenaires (associations et jeunes) qu’elle a la responsabilité de ne pas décevoir.

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Ce projet a pu faire émerger quelques leçons quant aux attentes des jeunes à l’égard des professionnels et de la Ville :– un accompagnement vers la première expérience professionnelle, l’emploi, la formation et

l’insertion professionnelle en général - avec des réponses concrètes, des actions utiles (permis de conduire, CV, mise en réseau, contacts avec les entreprises) ;

– une évolution de l’attitude des professionnels : aller vers, être à l’écoute, être plus disponible, avoir un regard positif, développer la confiance (« qu’ils puissent avoir confiance en nous et que nous ayons confiance en eux ! »), respecter les engagements… ;

– une offre d’activités plus large et des lieux de rencontres ; une reconnaissance de leur place dans l’espace public ;

– plus de lisibilité sur ce que chaque professionnel fait ou peut faire ; amélioration de l’accueil et l’information.

Des convergences ont pu être notées dans les constats des jeunes et des professionnels :– ils s’accordent sur le constat de l’absence d’une offre pour les 16-25 ans sur le quartier Breil-

Dervallières, ce qui légitime le choix municipal d’en avoir fait une de ses priorités dans le cadre plus global de sa politique enfance-jeunesse ;

– la question emploi-formation-information-orientation est identifiée par l’ensemble des acteurs comme prioritaire. Le volontarisme à ce sujet, le souci de trouver des solutions pertinentes se heurtent néanmoins à une conjoncture économique difficile ;

– la demande forte d’accompagnement personnalisé émanant des jeunes rencontre les évo-lutions des représentations des professionnels relativement à leurs pratiques profession-nelles. Néanmoins, il semble que cette culture émergente de l’accompagnement doive être renforcée : les jeunes reconnaissent le rôle des professionnels comme interlocuteurs légi-times et aides de fait dans nombre de circonstances, mais ils souhaitent encore manifeste-ment des améliorations dans les conditions et la qualité de l’accueil et du suivi ;

– les représentations des deux groupes d’acteurs sollicités (professionnels et jeunes) sont parfois négatives les uns à l’égard des autres : le regard porté sur les jeunes est souvent déficitaire et ressenti par ces derniers comme tel ; de mêmes certaines catégories de profes-sionnels ou structures ont une image plus négative que d’autres auprès des jeunes ;

– les jeunes les plus précarisés ont plus que d’autres le sentiment qu’il n’y a rien pour eux sur le territoire (en opposition à ce que constatent d’autres jeunes et les professionnels). Comment lire ce sentiment – et comment y répondre ? On peut y voir aussi une stratégie de défense des jeunes face à une image négative d’eux-mêmes et un sentiment d’impuis-sance. Travailler sur la seule amélioration de l’information (peut-être nécessaire) risque de ne guère faire avancer les choses ;

– la question de la place des filles et des rapports entre garçons et filles est identifiée de part et d’autre comme un axe de travail.

Quant aux perspectives, telles qu’élaborées le 13 juillet 2012, elles se présentent selon trois temporalités :– il s’agira donc de faire un retour rapide aux jeunes sur les résultats de la démarche entreprise,

et de leur donner des premiers signes très concrets. À cet égard, et si la Ville prendra natu-rellement sa part, les suites sont aussi de la responsabilité de chacun des partenaires engagés dans la démarche. La mise en œuvre de rencontres souples entre professionnels et jeunes, là où sont ces derniers, sera systématisée permettant les échanges plus fréquents, afin de pouvoir garder le contact et d’être plus réactifs quant aux besoins du territoire ;

– à moyen terme, un travail sera fait sur la visibilité et la lisibilité de l’offre et le soutien à des micro-projets ;

– enfin, à plus long terme, une des hypothèses soulevées, en réponse à une demande forte et convergente, serait la mise en place d’une structure ressource polyvalente identifiée 16-25 ans : accueil, information, orientation, aide aux projets, accompagnement, espace de rencontres et d’expression, lieu culturel, université populaire (Univers-Cité), espaces

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conviviaux, temps de rencontres-débats thématiques (style café philo), avec des perma-nences tournantes de différents professionnels. Les spécificités de cette structure sont désor-mais à préciser en continuant le travail d’élaboration partenariale.

QUIMPER

1. Le projet politique

Processus de construction de la politique de jeunesseAvec la création de la compétence « jeunesse » effective au 1er Janvier 2011, le conseil de Quimper Communauté décidait de porter solidairement un projet global en direction des 16-30 ans de son territoire. Courant 2011, il se dotait pour y parvenir d’un poste de chargé de mission (recrutement en avril) et structurait un comité d’orientations pour affirmer la gou-vernance et le pilotage des questions (juin) relevant de sa compétence dans les domaines suivants : formation (à partir du lycée) et enseignement supérieur, formation continue, inser-tion, emploi, logement, transport et mobilité, engagement et initiatives, information et accès aux droits.

Dès lors, sur la base des thématiques inscrites à la délibération et en écho aux résultats des études préalablement menées, un processus d’écriture du projet stratégique se mettait en place, associant l’ensemble des élus du territoire (délégués communautaires, élus munici-paux), des acteurs du territoire (institutionnels et associatifs) et des collaborateurs territoriaux en charge des dossiers thématiques.

Un schéma directeur a été proposé au bureau communautaire du 15 décembre 2011.

Les enjeux stratégiques du projetLe schéma directeur 16-30 ans vient ainsi s’articuler autour de quatre grands objectifs :– Renforcer la qualité d’accueil et d’intégration des populations jeunes de Quimper

Communauté.– Consolider l’accès à l’autonomie à toutes les étapes de la construction du jeune, dans

un continuum éducatif avec les PEL des communes.– Proposer des actions innovantes répondant aux besoins des publics et faisant de Quimper

Communauté un territoire d’expérimentations en matière de politique de jeunesse.– Donner de la lisibilité à la politique publique.

Autour de ces derniers, des axes stratégiques ont été identifiés et inscrits au schéma directeur. Ce dernier vise à les détailler précisément, et doit en outre préciser les modalités opération-nelles, financières que la collectivité compte mobiliser pour répondre à ses objectifs. Sur la base des éléments recueillis, et devant la nécessité de devoir poser des priorités sur l’orga-nisation du déploiement à venir des différentes actions concernant les 16-30 ans, quatre projets apparaissent de manière saillante et font écho à des besoins exprimés dans les diffé-rentes thématiques inscrites à la création de la compétence. Par ailleurs, la transversalité qui les caractérise est également un point essentiel, chacun d’entre eux a la particularité de pouvoir apporter un segment de réponse sur l’ensemble des thématiques inscrites à la compétence.

– La fonction d’observation et de veille sur les publics jeunes Cette fonction d’observation vise à servir prioritairement le service des jeunes adultes. La caractéristique principale de cet observatoire est sa fonction transversale qui représentera un projet stratégique prioritaire.

– La structuration d’un travail en réseauxLa structuration de ces différents réseaux doit permettre à Quimper Communauté de créer en s’appuyant sur différents niveaux hiérarchiques, et sur différents domaines, un « canevas »

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des acteurs locaux permettant une vue d’ensemble du territoire et des stratégies à mettre en œuvre en matière de jeunesse.

– La prise en compte des besoins en information L’absence d’une structure d’information pour les jeunes représente une « anomalie » du terri-toire quimpérois. L’objectif est d’ouvrir une plate-forme dédiée à l’information pour tous les jeunes du territoire.

– La définition d’outils de communication répondant aux besoins des jeunes.À l’heure du tout numérique, les 16-30 ans de Quimper Communauté se sont exprimés clai-rement sur l’absence de l’accompagnement humain qui leur est proposé. Quimper Communauté souhaite s’appuyer sur la pluralité des réseaux en vue d’organiser la circulation des informations.

Compte-tenu de l’agenda propre à Quimper Communauté, le projet expérimental envisagé n’a pu intégrer la dynamique de RésO Villes.

RENNES

1. Le projet politique

Le processus de construction de la politique de jeunesseEn novembre 2005, les événements survenus dans certains quartiers sensibles de grandes villes de France et à Rennes ont mis en évidence le fait que les conditions d’accès d’une partie des jeunes (et notamment des plus de 16-18 ans) au statut de citoyen autonome n’étaient pas satisfaisantes. Depuis lors, la Ville de Rennes a entamé une réflexion et mis en place des expé-rimentations dans l’objectif de questionner ses propres engagements et dispositifs à destina-tion des jeunes adultes et d’identifier, pour elle-même et pour ses partenaires, des pistes possibles d’amélioration.

Lors du lancement de la démarche de renouvellement des conventions avec les associations gestionnaires des équipements de quartier (fin 2008), un objectif d’animation stratégique de la politique municipale de la jeunesse, à l’échelle des quartiers, a été fixé à la Mission jeunesse. Il s’agissait notamment de renforcer la lisibilité de cette politique municipale et de réaffirmer la Ville dans son rôle de co-conception, avec les associations, de sa politique de jeunesse. Au cours des trois dernières années, cinq réseaux jeunesse de territoire ont été mis en place afin de promouvoir entre les acteurs jeunesse d’un même territoire la complémen-tarité, l’innovation, et une vigilance s’agissant de l’impact des propositions sur les jeunes les plus fragiles.

Les enjeux stratégiques du projetLa politique municipale de la jeunesse s’adresse à tous les jeunes. Pour autant, une attention particulière est constamment portée à l’accessibilité de son message et de son contenu aux jeunes socialement plus fragiles, ou dont « l’adhésion » à l’institution est moins naturelle. Cet objectif prend la forme d’un partenariat étroit avec les directions de Quartiers, notamment les agents de la politique de la ville.

Les quatre axes structurant l’action municipale au titre de sa politique de jeunesse reposent sur l’idée que les jeunes peuvent contribuer positivement à la vie de la Cité :– Soutenir et promouvoir la parole des jeunes.– Reconnaître aux jeunes une place d’acteurs dans la ville.– Favoriser leur accès à l’autonomie.– Favoriser l’accès de tous les jeunes aux droits et ressources disponibles.

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Les objectifsLa ville s’appuie traditionnellement sur la richesse du tissu associatif local et sur les partenaires de l’éducation populaire pour développer des propositions adaptées pour les jeunes. Le conventionnement 2010-2016 avec les équipements de quartier repose sur la continuité de ce principe et énonce cinq objectifs généraux :– La promotion de l’épanouissement personnel du jeune par l’accès à des pratiques culturelles,

sportives, artistiques et de loisirs innovantes et diversifiées. – La promotion de l’autonomie et de l’intégration sociale et citoyenne par l’acquisition de

connaissances et de compétences nouvelles, l’encouragement des initiatives.– La promotion des mixités sociale, culturelle et sexuelle des publics. – L’implication volontaire des jeunes dans la définition de l’offre déployée par les équipements

à leur intention et dans le fonctionnement associatif.– L’adaptation des temps d’ouverture et de réponse des institutions et des équipements aux

rythmes et temps de vie des jeunes, ainsi qu’à leur présence, plus significative que les autres catégories de populations, sur les espaces publics.

2. Le projet d’expérimentation : Jeunes et créneaux sportifs

Porteur du projet : Ville de Rennes (direction Vie Associative Jeunesse, direction des Sports, direction Quartiers Nord Ouest).

Constats de départ : pourquoi ce projet ?

Certains jeunes ne pratiquent pas d’activités sportives dans les cadres existants : notamment ceux qui, au terme de l’adolescence (16-17 ans), n’ont jamais trouvé le chemin des clubs ou y ont vécu une expérience négative, et interpellent les agents de la Ville pour mettre en place par eux-mêmes des activités sportives répondant à leur envie (pas de régularité, pratique autonome, futsal ou sports de combats très souvent…). Or, en l’état des procédures actuelles d’accès aux équipements sportifs municipaux, seule une réponse bricolée peut parfois leur être proposée. Un sentiment de déconsidération (souvent déjà présent) en découle. La dis-tance s’accroît avec la pratique d’une activité sportive…

Objectifs du projet : pour quoi faire ?

Objectif sportif : « l’accès » Permettre l’accès de jeunes non touchés à une pratique sportive. On est sur une proposition « à la marge », qui ne nie en rien l’ampleur et la qualité des propositions développées par ailleurs. Le public cible n’est pas l’ensemble des jeunes adultes, mais ceux que ne touche pas le restant des offres des clubs sportifs et la Ville (pour différentes raisons). De ce fait, l’absence d’effet « boule de neige » de l’expérimentation n’est pas à considérer comme un échec.

Objectif éducatif ou citoyen : « la transitionnalité » L’accompagnement de ces projets permet de promouvoir l’accès à la citoyenneté des jeunes qui en sont les porteurs. Le sport est conçu ici comme un levier de reconnaissance de leur volonté d’engagement, et non comme une fin en soi. Ils permettent également l’amélioration du rapport entre les jeunes et les institutions. De ce fait, le constat, au terme de deux années, que l’accompagnement n’aboutit pas à la création d’une association en bonne et due forme, n’est pas, là encore, à considérer comme un échec.

Objectif social : « faire accéder ».Les projets (pour certains) relèvent du champ socio-sportif, puisqu’ils portent, au bénéfice des autres jeunes du quartier, sur le développement de propositions sportives axées sur le loisir, le vivre-ensemble, et non plus principalement sur la performance et la compétition.

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Les porteurs du projet : les services municipaux

– La direction Vie Associative Jeunesse, à l’initiative du cadre expérimental (notamment la Mission jeunesse).

– La direction des Sports, service sectoriel gestionnaire du cadre d’intervention municipale de droit commun, notamment les référents territorialisés de cette direction.

– Les directions de quartiers, services référents de la proximité avec les acteurs de terrain, et notamment les chargés de mission politique de la ville.

Les partenaires du projet – Les jeunes porteurs de projets (au départ : deux groupes et une association), dont le rôle

est principalement circonscrit à la mise en œuvre de leur projet. Invités aux rencontres du comité technique, ils ne sont pas venus.

– Les animateurs jeunesse des structures de quartiers : repérés comme « référents éducatifs » des porteurs de projets, c’est-à-dire comme interlocuteurs quotidiens des jeunes (quotidiens, mais non comme interlocuteurs unique chargés de se substituer aux autres).

– Les référents territoriaux de la direction des Sports : lien entre l’actualité des projets et les procédures de la direction des Sports. Conseil sur la pratique, articulation avec les acteurs du secteur sportif « traditionnel ».

– L’Office des Sports : chargé par convention avec la Ville de Rennes de gérer l’attribution des subventions au titre de la politique sportive, et de connaître et suivre les associations du secteur sportif, et notamment un chargé de mission.

Un comité technique est mis en place composé de : DVAJ/DS/DQ/Mission Lutte contre les discriminations/Mission Politique de la ville/Office des Sports/associations ou jeunes béné-voles porteurs de projet /référents éducatifs.

Le comité technique a été composé d’acteurs de deux catégories : d’une part les acteurs directement impliqués dans le suivi opérationnel de l’occupation des créneaux sportifs par les projets (jeunes, animateurs et services municipaux) ; d’autre part les représentants d’orga-nismes ou de services repérés comme ressources de par leur expertise et/ou comme cible des résultats de la réflexion de par leur responsabilité dans la définition des critères de reconnais-sance des projets sportifs sur le territoire de Rennes.

Temporalité du projet au lancement de la phase 2 de la recherche-action – Février-juin 2010 : repérage des projets et initiatives sportives portées par des jeunes

et demeurées à ce jour « à la porte des équipements » faute de place, faute de lisibilité, ou du fait d’une inadéquation avec la procédure d’accès. Repérage de créneaux « poire pour la soif » devant rester libres à l’année afin de permettre une réponse rapide et réactive aux projets émergents en cours d’année.

– Septembre 2010 : présentation sur le quartier de Villejean (seul quartier où des projets en émergence sont repérés) de la démarche.

– Septembre 2010- juin 2012 : structuration des accompagnements, mobilisation de la vigi-lance collective dans le cadre des groupes de suivi jeunes adultes sur les quartiers concernés.

– Novembre 2011 : bilan interne à la Ville à mi-parcours.– Perspectives : printemps 2012 : réunion du comité technique en présence des élus rennais.

Présentation des suites que la ville souhaite donner à l’expérimentation.

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En quoi ce projet revêt-il un caractère expérimental ?– Mise entre parenthèses provisoire de la procédure de droit commun pour permettre l’exis-

tence de projets « hors cadre », afin de se donner le temps de déterminer ce qu’ils produisent, en quoi ils nous interpellent, et ce que cette parenthèse génère comme dynamique.

– … impliquant une prise de risque pour les jeunesLes groupes de jeunes acceptant d’accéder à un créneau sportif municipal en autonomie ont dû identifier en leur sein un ou des responsables comme interlocuteurs des animateurs de terrain et des services municipaux dans la relation de réservation des horaires, de discussion à propos du matériel, des éventuelles difficultés…

Cette entrée en relation avec l’institution, l’acceptation de ce rôle parfois d’intermédiaire, en charge de relayer des informations, d’expliciter les échéances, de mobiliser les usagers des créneaux sur des dates… constitue pour les jeunes un risque de mise en cause de leur crédibilité, de leur légitimité aux yeux de leurs pairs …

– … impliquant une prise de risque pour la VilleLa prise de risque pour la Ville a essentiellement porté sur la question de la responsabilité juridique, parfois indéterminée dans le cas de groupes non constitués en associations, dans certains créneaux ou espaces informels. Un intermédiaire associatif a le plus souvent été recherché, mais pas systématiquement.

3. L’état d’avancement et les suites

Effets sur les jeunesIls sont positifs lorsque l’accompagnement s’est bien déroulé et que les projets ont pu être menés à bien. Ils sont plus nuancés lorsque des incompréhensions ou des difficultés « insur-montables» ont été rencontrées, et que l’inscription des projets dans le cadre de l’expérimen-tation a constitué un frein plus qu’un soutien à leur développement.

De manière générale, néanmoins, et à l’échelle de la Ville, la prise en compte de la pratique du futsal et la démarche d’ouverture des équipements à des projets nouveaux sont aujourd’hui repérées.

Du point de vue de chaque porteur de projet, l’inscription dans la démarche a représenté de nombreuses occasions d’entrée en relation avec l’institution en général, l’administration en particulier et les élus. Le « chemin » parcouru par certains atteste d’un réel enrichissement réciproque et de progrès dans la reconnaissance mutuelle.

Effets sur les institutionsL’organisation de la Direction des Sports a dû être revue pour répondre à la volonté d’ouvrir les équipements à des groupements hors des repères habituels. Le recours à une personne référente pour chaque projet, à des fins de précisions, de modifications ou de fonctionnement a été acté. Un tel traitement des projets (inhabituel car spécifique) a rendu nécessaire une démarche pédagogique auprès des associations historiques, soit vers leur représentant, l’Office des Sports, ainsi que vers les agents de terrain.

Le principe d’une rencontre régulière des différents services municipaux et des acteurs de terrain impliqués auprès des jeunes a été acté (pérennisation des groupes de Suivi Jeunes Adultes sur ces enjeux). Les intérêts convergents ont engagé les uns et les autres à se rencon-trer et échanger. À tous les niveaux de la mise en œuvre, la nécessité d’un partage d’informa-tions, de précisions, a obligé à des temps de rencontre. Ces croisements ont contribué à faire évoluer la perception de l’autre.

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L’expérimentationL’expérimentation a concerné des groupes masculins uniquement. L’absence de revendication féminine interroge et toute généralisation devrait tenir compte de cette vigilance à avoir, afin de promouvoir l’émergence de projets alternatifs qui touchent les jeunes filles.

La généralisation de l’accueil des nouvelles initiatives ne peut se faire de manière systéma-tique. L’effet de seuil de notre capacité d’accueil, ainsi que le lien à faire entre des propositions parfois redondantes (nouvelles ou historiques) nous empêche de conclure à la légitimité de toutes les nouvelles propositions et d’accueillir tout nouveau projet indépendamment des critères sportifs.

Demeurent la démarche et la structuration d’un travail collectif, inter-secteurs et interprofes-sionnel, de veille et d’analyse des propositions émergentes qui ont montré leur pertinence et doivent se pérenniser, au regard :– de la plus-value de ce processus sur le rapport des jeunes à l’institution municipale.– de l’intérêt de mettre en question régulièrement nos procédures afin de leur permettre

d’évoluer et de reconnaître des initiatives novatrices.

SAINT-NAZAIRE

1. Le projet politique

Processus de construction de la politique de jeunesseUn premier Projet Éducatif Local a été formalisé en 2002. Au regard de l’évolution des besoins des enfants et des jeunes, des transformations de l’offre et des structures éducatives sur la commune, des modifications intervenues dans l’environnement local, il est apparu néces-saire d’actualiser ce projet.Pour conduire cette démarche, la Ville de Saint-Nazaire a fait le choix d’impulser une très large concertation entre l’ensemble des acteurs éducatifs, dont elle a assuré le pilotage, l’organisa-tion et la coordination.De juin à décembre 2009, six ateliers de réflexion ont réuni 120 personnes, représentants d’une association ou d’une institution, professionnels ou bénévoles, cadres et acteurs de terrain. Avec le nouveau PEL, sont définis les domaines dans lesquels les acteurs éducatifs souhaitent collectivement développer une action.

Les enjeux stratégiques du projetLa ville de Saint-Nazaire a confiance dans sa jeunesse. Les actions au plan local ont vocation à prendre en compte l’ensemble des facettes de la vie des jeunes. La politique de jeunesse, par nature transversale, dépasse de ce fait le strict cadre de l’action éducative.

– Favoriser l’expression des jeunes et leur participation à la vie de la cité. Il s’agit notamment de prendre en compte les capacités des jeunes à agir sur leur environne-ment, de leur permettre de faire l’expérience d’une implication citoyenne.

– Marquer les transitions depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Il s’agit d’imaginer de nouveaux « rites de passage », favorisant l’agrégation et donnant sens aux grands rythmes de la vie. Ces rites doivent permettre d’apporter une reconnaissance sociale et civique, de renforcer le sentiment d’appartenance à la collectivité et de valoriser symboliquement la place à prendre dans la société.

– Permettre aux jeunes de découvrir la diversité culturelle et de faire l’expérience de l’altérité.

Les opérations qui permettent de découvrir d’autres territoires, qui favorisent la mixité, la circulation entre les quartiers et dans la ville, le développement de séjours internationaux

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ou de projets de relations internationales, et plus largement les départs en vacances, consti-tuent des orientations concrètes d’action.

– Renforcer l’accès des jeunes à l’information et accompagner leur capacité d’engagement. Il convient notamment de soutenir leur capacité d’engagement dans la vie associative ou l’émergence et la structuration d’organisations collectives dans des formes diverses.

– Favoriser l’accès à l’autonomie des jeunes, en termes de formation, emploi, logement, mobi-lité, santé…

Les jeunes les plus démunis doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement adapté aux difficultés qu’ils rencontrent.

2. Le projet d’expérimentation : « Paroles de Jeunesses »

Porteur du projet : Ville de Saint-Nazaire

Constats de départ : pourquoi ce projet ?Dans la démarche de co-construction du PEL, il semblait important de construire avec tous les acteurs (élus, jeunes et professionnels en lien avec la jeunesse) le projet Jeunesse de la Ville. Nous avons souhaité partir de la parole des jeunes au départ.

Objectifs du projet : pour quoi faire ? « Paroles de jeunesses » est un programme d’échanges, de discussions et de rencontres proposé aux 12-25 ans par la Ville de Saint-Nazaire, lancé en juin 2011. Plusieurs temps forts sont organisés jusqu’à décembre 2011, dans le but de présenter des propositions aux élus muni-cipaux fin 2011.

« Paroles de Jeunesses » a pour objectif de recueillir l’expression des jeunes âgés de 12 à 25 ans (étudiants, lycéens, collégiens, jeunes actifs ou en recherche d’emploi…) autour de trois thématiques : – « vivre bien » : santé, sports et loisirs, prévention des conduites à risques, pratiques artistiques

et culturelles…– « vivre ensemble » : expression et participation des jeunes à la vie de la cité, lutte contre

les discriminations, lieux de vie…– « vivre autonome » : logement, transports, emploi, formation, information/ communication…

Des temps forts de juin à décembre 2011– Rencontres de proximité : 27 groupes se sont retrouvés lors des rencontres de proximité soit

au total 345 jeunes âgés de 12 à 25 ans.– « Paroles de jeunesses » aux grands rendez-vous festifs.

L’opération s’est également déclinée lors de trois événements majeurs ; près d’une centaine de jeunes y a été sensibilisée à la démarche de concertation.

Une cinquantaine de jeunes a participé à l’Agora Jeunesse : réunis en ateliers thématiques, ils ont présenté et partagé les réflexions menées au cours des rencontres précédentes ; ils ont affiné leur réflexion en vue des Assises de la jeunesse où ils ont présenté aux élus et aux par-tenaires la synthèse des travaux (150 participants).

Équipe-projet – Élus : le Maire-adjoint Solidarités citoyenneté et le délégué à la jeunesse.– Professionnels : Association nazairienne de prévention spécialisée (ANPS), Office municipal

de la Jeunesse, Fédération des Maisons de quartier, service Politiques éducatives et Jeunesse de la Ville.

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Description succincte du processus de « Paroles de jeunesses »– Co-construction et rencontres de proximité : ce sont les professionnels qui ont sollicité

les jeunes.– Agora jeunesse et Assises de la jeunesse.– Ateliers contributifs.– Synthèse pour l’écriture du projet Jeunesse.

Des conditions d’organisation permettant d’allier mobilisation, échanges et convivialité :– Rencontres organisées « là où sont les jeunes », au plus près de leurs lieux de vie en s’appuyant

sur les espaces d’échanges déjà existants.– Animation de ces espaces avec et par les acteurs locaux mobilisés dans la démarche.– Accompagnement tout au long de la démarche, appui apporté aux acteurs pour l’organisa-

tion et l’animation des rencontres.– Des outils communs : « guide pratique » permettant de donner un cadre commun à

la réflexion– Mobilisation des jeunes pour participer aux Assises de la jeunesse début novembre.

Rôle(s) et mission(s) de chaque membre de l’équipe– La place des élus : ils ont porté le projet (volonté politique) : 50 % des élus du Conseil muni-

cipal ont participé aux Assises. – La place des professionnels : ils ont participé à tous les temps.– La place des jeunes : ils ont fait la synthèse de leurs contributions, l’ont présenté eux-mêmes

lors des Assises aux élus et professionnels, et ont contribué au même titre que les profes-sionnels sur un dernier temps.

Temporalité du projet au lancement de la phase 2 de la recherche-action Démarrage juin 2011 pour un aboutissement en mai 2012.– Juillet-novembre : rencontres de proximité.– À partir de juillet : prise de contact avec les acteurs et présentation des outils. – Octobre : trois cafés pédagogiques et une conférence.– 13 octobre : point d’étape avec les acteurs et partenaires locaux.– Samedi 19 novembre : Agora jeunesse.– Samedi 10 décembre : Assises de la jeunesse.– Mars : synthèse et rédaction du document final.

En quoi ce projet revêt-il un caractère expérimental ?– Une approche de la jeunesse, des jeunesses…– Diversité des situations de vie des jeunes, des problématiques ;– Une concertation structurée autour de trois champs : « vivre bien », « vivre ensemble »,

« vivre autonome ».– Une démarche participative : – auprès d’un large public, – qui s’appuie sur les acteurs et partenaires locaux, – en cohérence et en complémentarité avec les actions du Conseil régional

et Conseil général.

3. L’état d’avancement et les suites du projet

Le projet, on l’a vu, est considéré comme achevé. La Ville va se saisir des propositions des jeunes afin de produire un nouveau projet.

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n DÉMARCHE DE RÉSEAU ET DYNAMIQUES DES VILLES

Une volonté commune de poursuivre

D’emblée les Villes ont été partantes pour se réinvestir dans cette seconde phase de la recherche-action, perçue comme le prolongement et l’opportunité de mise en œuvre des acquis de la première phase : à la fois volonté politique des élus de poursuivre la réflexion, et intérêt des professionnels qui y voyaient la possibilité d’« éprouver » les acquis antérieurs, tout en conti-nuant à bénéficier des regards croisés de leurs pairs et du travail de mutualisation.Cela témoigne une fois de plus du besoin d’échange des acteurs de politiques de jeunesse, lesquelles ne peuvent se satisfaire de certitudes et nécessitent, sinon de l’expérimentation, du moins de l’invention et de la réactivité permanentes.

Un format différent

Cette seconde phase de la recherche-action a été différente dans sa forme de la première phase : elle s’est caractérisée par une forte logique d’autonomisation des Villes, lesquelles se sont saisies du travail de réseau pour s’acheminer vers la construction de projets singuliers.

Lors de la première phase, il s’agissait de produire de la connaissance sur les jeunes et les politiques, avec une intervention forte de RésO Villes : sur chaque terrain, un travail d’entre-tiens avec les jeunes et les professionnels a été mené, et des restitutions locales, mobilisant l’ensemble du réseau, ont été organisées.

Dans ce second temps, chaque Ville, tout en s’inscrivant dans la démarche collective du réseau, expérimente le projet de son choix, sous la forme qui lui semble la plus pertinente. RésO Villes change de rôle ; celui-ci consiste à créer les conditions de la mutualisation, à en fournir les outils, entre autres par l’animation des temps collectifs et par la sollicitation d’apports extérieurs. Le matériau de l’analyse est bâti sur la production des acteurs. Passer d’une logique à « moteur unique » à une logique de « dynamiques autonomes » (pro-duction de connaissances par une expérimentation plurielle de projets singuliers) rend le partage plus complexe compte-tenu des rythmes d’avancement différents d’une ville à l’autre.

Une grille de lecture peu réappropriée en dehors des temps de RésO Villes

La grille d’analyse élaborée collectivement, qui se voulait aide à l’élaboration du projet expé-rimental, outil de suivi et d’évaluation, n’a jamais été appliquée jusqu’au bout dans les sites durant la temporalité de la recherche-action, ce qui soulève trois questionnements en guise d’hypothèses :– Les techniciens peuvent-ils se positionner comme « juge et partie » d’un projet ?– Les techniciens n’ont-ils pas envisagé cette grille davantage comme une série de question-

nements mobilisables si besoin durant le projet que comme un véritable outil rigoureux, répondant à des règles strictes quant aux méthodes d’observation et d’évaluation ?

– Les techniciens ont-ils du temps à consacrer à l’utilisation de ce type d’outil qui ne fait pas encore partie, dans cette forme, de leur culture institutionnelle ?

Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questionnements.

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Une dynamique de réseau qui semble avoir fonctionné

La participation des équipes-projet fut relativement constante lors des rencontres et des échanges.

Compte-tenu du temps imparti pour la recherche-action, le comité technique a décidé de retenir trois thématiques, prises dans la grille d’analyse co-construite, car elles permettaient d’échanger à la fois sur les finalités d’un projet politique, les pratiques professionnelles et la mobilisation des jeunes : le partenariat, l’accompagnement et la participation. La mise en tension de l’expertise des professionnels et des apports de la recherche sur ces thèmes s’est révélée souvent fructueuse, a permis de problématiser et, de ce fait, d’interroger les politiques publiques et les pratiques des acteurs. D’un bout à l’autre, l’intérêt ne s’est pas démenti.

Quant à la présence des jeunes dans la démarche de la recherche-action, elle fut probléma-tique. Tous les professionnels s’accordent sur le fait qu’il est regrettable de parler des jeunes en leur absence dans une dynamique qui prétend faire écho à leurs besoins … tout en demeu-rant impuissants à les mobiliser dans ce type de démarche !Devant le constat de la difficulté réelle à mobiliser les jeunes dans des dispositifs qui restent, malgré les intentions des protagonistes, des dispositifs institutionnels – et perçus comme tels –, les acteurs ont préféré différer dans un premier temps cette coopération avant de renoncer.

Les modalités d’organisation retenues (un comité de pilotage au démarrage de l’expérimen-tation et un second à son terme) n’ont pas permis de mobiliser totalement les élus, pourtant demandeurs de cette réflexion collective.

Enfin, le degré de conscience sur ce que pourrait apporter une dynamique d’accompagnement variait toutefois selon les acteurs des équipes-projet : pour certains, la logique d’action n’appelle pas de réflexion particulière. Les attentes à l’égard du réseau étaient aussi hétérogènes. Les Villes n’étant pas au même stade d’avancement du projet, la nature et le niveau d’accompagnement sollicité étaient différents : demande d’accompagnement et d’expertise lors d’un projet en définition ; demande d’évaluation pour un projet en cours ; pas de sollicitation particulière pour un projet dont la mise en œuvre apparaissait comme compliquée...

Des états d’avancement différents

Trois séminaires coopératifs étaient initialement prévus, deux au final se sont tenus. Le temps de réflexion préalable à la mise en œuvre de la recherche-action (définition du cadre, construc-tion de la grille d’analyse, choix des thématiques à soumettre à la réflexion des acteurs, etc.) ayant occupé un tiers du calendrier, la constitution des équipes-projet sur le terrain a été quelque peu tardive par rapport au calendrier initialement envisagé par le comité technique. De plus, la mobilisation des acteurs s’est effectuée sur des rythmes variables d’un territoire à l’autre compte-tenu des contextes. À quoi s’est ajouté le temps nécessaire à l’appropriation collective de la démarche par les acteurs concernés. Cela fait ressortir la nécessaire prise en compte des temps de maturation propres à chaque territoire et à chaque projet, de l’histoire et des logiques d’acteurs propres à chaque territoire.C’est incontestablement une des leçons de cette expérimentation collective, leçon qui est transférable à toute politique publique.

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QUATRE RÉFÉRENTIELS D’ACTION PUBLIQUE

À L’ÉPREUVE

Cette troisième et dernière partie sera consacrée à une approche thématique des projets réalisée à partir des principaux questionnements de la grille de lecture (présentée dans la deuxième partie), en croisant regards de chercheurs et regards d’acteurs dans leur complé-mentarité et dans leurs tensions.

Dans un premier temps, un texte de cadrage de Maëla Paul, docteure en sciences de l’éduca-tion, éclaire la notion d’accompagnement dans ce qu’elle implique comme changement de modalités de l’action publique et de nouvelles postures des professionnels - tout en montrant toutes les ambivalences, et les pièges de cette notion. À partir de ses questionnements, les projets de Rennes et d’Angers sont mis en perspective.

Dans un second temps, Bernard Bier, sociologue, propose un éclairage sur le partenariat, nouvel « impératif catégorique » des politiques publiques, pour en montrer les enjeux, les limites, et définir en quelque sorte une méthodologie pour en faire un outil pertinent. Ce point de vue est ensuite confronté aux apports des projets de Nantes et de Brest, avant que René Jarry, sociologue, ne revienne sur quelques aspects problématiques du partenariat et de la posture du technicien.

Dans un troisième temps, Bernard Bier revient sur le référentiel émergent de la participation, l’inscrit dans une histoire, des mutations et des enjeux idéologiques, et déplace la question vers celle de la reconnaissance d’un droit de cité des jeunes de quartiers populaires dans l’espace public. Régis Cortesero, dans sa continuité, et après l’exposé des projets de Lorient, Saint-Nazaire et de Nantes, nous incite à poser de manière assez radicalement différente la question de la participation : la logique devient moins celle de l’incitation à… que la création d’un cadre permettant le « pouvoir d’agir ».

Pour clore cette dernière partie de la publication, Bernard Bier tente de questionner la notion même d’expérimentation. D’abord en abordant de manière exploratoire ce référentiel, nouveau régime des politiques d’État, dans ses logiques et ses premiers effets. Ensuite en interrogeant les projets des Villes engagées dans la démarche, où l’expérimentation s’est vou-lue structurante et réponse à des difficultés jusque là peu prises en charge – ou mal – par les pouvoirs publics : quelles figures de l’expérimentation et quelles pistes pour l’action publique permettent-ils de dégager ?

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n L’ACCOMPAGNEMENT

L’accompagnement : enjeux sociopolitiques et méthodologie,par Maëla Paul, docteure en sciences de l’éducation Intervention réalisée lors d’une journée de réflexion ayant mobilisé les équipes-projet d’Angers, Lorient, Rennes et Saint-Nazaire le 15 septembre 2012 à Rennes.

1. Des repères pour comprendre ce qu’accompagner veut dire :

La Fonction renvoie à une politique, une commande sociale, une institution, un cadre, une mis-sion, un projet institutionnel :

– comment fonctionne-t-on avec le cadre ? ;– comment nos actions ré-interrogent-elles le cadre ?;– la fonction est attribuée à un professionnel par une institution;– le professionnel est « conseiller », mais la fonction d’accompagnement qu’on lui confie

l’amène à passer du « donneur de conseils » au « tenir conseil ensemble » : chercher ensemble, délibérer pour agir, en vue d’exercer un pouvoir d’agir, autrement dit être acteur, exercer ce pouvoir sur un territoire donné11.

La posture renvoie à une attitude, une disposition, une manière d’être et d’agir, de se tenir soi-même en face d’un autre dans un environnement donné. Elle ne peut qu’être prise par le professionnel;

– elle résulte d’un questionnement éthique sur le regard que je porte sur l’autre et sur le « pour qui je me prends » en face de lui;

– elle est fluide, dynamique, ajustée à chaque personne et à chaque moment du parcours;

– elle résulte d’un positionnement par rapport à quelqu’un ou quelque chose, d’un questionnement sur qui est en face de moi (avec ses envies, ses objectifs).

La posture d’accompagnement est :– une posture d’écoute ;– une posture de non savoir ;– une posture de non violence : la première violence est de se substituer à autrui ; – une posture bienveillante : accueil, ouverture, disponibilité.

11 L’Hotellier A., Tenir conseil. Délibérer pour agir, 2001, Éditions Sedi Arslan.

Fonction

Posture

DémarcheAller vers

RelationÊtre avec

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La relation est « professionnelle » :– définie dans le temps ;– liée à des objectifs partagés ;– contextualisée ;– elle articule parité et disparité (symétrie et dissymétrie) ;– relation de confiance ;– relation d’équité ;– relation de réciprocité.

La démarche est double : elle doit à la fois produire des résultats (au regard de la commande) et participer de la construction de la personne :

• elle désigne un cheminement qui se déroule en s’adaptant à la personne « à la carte », « chemin faisant » ;

– elle répond à une visée : rendre l’autre acteur ;– elle est constituée d’étapes ;– elle renvoie à des outils : écoute, entretien, re-formulation, questionnement,

dialogue… ;– elle est non linéaire, co-construite.

2. L’accompagnement comme dispositif

On remarquera que l’accompagnement est mis en place au sein de dispositifs. Comme le montrait le philosophe Michel Foucault12, une société met en place des dispositifs pour lutter contre ce qui, pour elle, fait problème. On ne s’étonnera pas alors de constater à quel public les dispositifs d’accompagnement sont dédiés ni de l’ampleur du phénomène en une vingtaine d’années.

On peut naturellement s’interroger sur ce souci politique d’autonomisation et sur cette solli-citude soudaine pour « les jeunes ». À qui profite-t-elle ? Il faut donc s’interroger sur ce que ce phénomène signifie. Peut-on accorder le statut d’accompagnement à tous ces dispositifs qui fleurissent un peu partout ? Quelle est la réalité des pratiques que le mot désigne ? La tentation est d’autant plus aisée que le mot est presque partout accolé à un caractère de positivité.

Cela oblige à un regard critique sur l’attribution de dispositifs d’accompagnement à des « publics cibles ». Pourquoi, par exemple, la jeunesse est-elle un « public cible » ? Et, à ses côtés, les personnes âgées, les personnes en fin de vie, les personnes en situation de handicap, les personnes en voie de marginalisation, les gens du voyage, les élèves en échec scolaire, les sans-emploi, les sans-abri, les sans-papiers ? Pourquoi ces publics sont-ils une cible pour les politiques ? S’agit-il de créer les conditions de leur participation, de prendre en compte leur parole, leur demande (ou leur non demande) – ou bien de créer des dispositifs pour « éteindre le feu » et pour que tout ce monde émarge aux mêmes règles, se soumette aux mêmes normes ?

L’enjeu est de considérer que l’accompagnement peut être le lieu d’un retournement : relevant certes d’une commande sociale, il peut être le lieu où il est proposé comme ressource (et non comme aide ou soutien) à des personnes en projet (et non « en difficulté »). Il marque le passage du travail pour ou sur l’autre au travail avec l’autre.

12 Agamben G., Qu’est-ce qu’un dispositif ?, 2007, Payot rivages.

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3. Dans l’accompagnement, la relation est première

Mais dans toute relation, interviennent, imbriqués comme le yin et le yang, deux éléments : rapport/lien ; institué/instituant ; domination/coopération.

RELATION

RAPPORT LIEN

Institué Instituant

Parole prise au nom des places instituéesParolepriseaunomd’undialogueentredeuxpersonnes, deuxsujets

Poselecadre,lesrèglesdujeu,informe Privilégielaréflexion,ledialogue,leséchanges

Favorise la distance et le respect Favoriselaproximitéetl’attention,laprésence,l’ouverture

Renvoieàlasocialitésecondairedetypemarchand,échangeéconomique=sphèreprofessionnelle

Renvoieàlasocialitéprimairedetypevoisinage:échange surlabased’affinités,goûtspartagés,passionscommunes, à la base des relations d’amitié

Lesrôlessontdonnés(institués): vendeur/client,médecin/malade,professeur/élève…

Lesrôlessontinterchangeables:chacunàsontourestémetteurourécepteur,permetledialogue,leséchanges de personne à personne

Institué Instituant

Cadreinstitutionnel,structuresocialedanslaquelles’inscritl’acteprofessionnel:limiteetprotège

–setraduitendroitsetdevoirs,enobligationspour le professionnel

– sentiment de contrainte

Placedechacundanslesystème Placedechacundansl’interlocution:«écoutant/parlant»

Cadre = constantes Processus=prendencompteles«variantes»(singularité)

Primat de la procédure Primatdu/desprocessus

Attente(s) Demande(s)

Ouverture Accueil

Logiquededomination Pourvivre,j’écarte,j’éliminel’autre. Attitudedeconflitoudedomination

Logiquedecoopération Pourvivre,jem’associeàl’autre. J’aibesoinqu’ils’épanouisse,qu’ils’émancipe ets’autonomiseaussi.

Deux modalités essentielles pour se lier politiquement les uns aux autres :

Domination Coopération

Pouvoir surPouvoir avec

Mise en commun

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4. Penser la question des limites

Il y aurait le choix entre :

– une posture qui persisterait dans la toute-puissance d’un vouloir sur l’autre – voire d’un vouloir pour l’autre – posture volontariste, directive (se traduisant par la formulation de conseils, de prescriptions, de préconisations ou recommandations, d’une impulsion à trouver et donner la solution à ce qui fait problème, par la tentation de persuader et placer sous injonction) ;

– et une attitude où le professionnel opterait pour une posture contemplative, totalement non directive et béate du développement toujours possible d’un potentiel (se traduisant par un « tu es seul à savoir ce que tu dois choisir »).

Ces deux attitudes extrêmes sont probablement aussi irresponsables l’une que l’autre car aussi dé-responsabilisantes.Mais, entre un volontarisme autoritaire (qui croit qu’il suffit de décider pour l’autre pour que « le problème soit réglé ») et un spontanéisme béat (qui refuse d’imposer quoi que ce soit au nom de la liberté de l’autre), le champ possible d’une posture d’accompagnement est en quelque sorte « balisé ».

Ces deux attitudes bien que contradictoires sont en fait nécessaires l’une à l’autre : chacune est là pour faire barrage aux débordements de l’autre. Elles sont nécessaires comme les berges du fleuve sont la condition pour que le fleuve coule. Loin de se figer sur une conception arrêtée a priori de ce qui est conforme, elles laissent à la posture toute latitude d’être en prise avec ce qui se joue au moment où cela se joue.

Mais cela exige que nous nous sachions capables des deux. Parce qu’il se sait capable de l’une comme de l’autre, le professionnel peut tout aussi bien être capable d’empathie que d’inter-pellation. Capable des deux, il sait aussi bien s’engager que se retirer, dire ou retenir, proposer ou imposer, soutenir ou confronter, inciter ou se tenir en retrait. C’est la situation relationnelle qui dicte la pertinence de sa conduite. Parce qu’il ne s’est pas engagé dans un projet clos avant d’être initié, il accueille tout ce qui se présente.Ne se donnant pas de point de vue fixe, il évolue avec l’autre et avec le cours des choses.Il s’inscrit dans une logique du cheminement, une logique du déroulement, dont le milieu est l’espace ouvert d’un extrême à l’autre. À l’encontre de toute immobilisation, il se soumet ainsi à la logique du réel et à ce qui se passe au moment où cela se passe. C’est ainsi qu’il garde les possibles ouverts.

Il y a là un paradoxe : être sans position, s’adapter aux circonstances, accueillir ce qui se pré-sente, n’est pas se laisser entraîner et être sans consistance. La disponibilité suppose au contraire une rigueur intérieure, suppose d’être doté de fermeté. Ce n’est être ni passif ni faible. C’est être consistant. Or on prétend souvent être consistant alors que l’on se contente d’être résistant. La consistance vient d’être en pouvoir – sans prendre le pouvoir.

Accompagner quelqu’un serait alors :– le laisser libre – mais sans renoncer à le solliciter, à l’interpeller ;– ne pas le laisser sur place – mais aller au-devant de lui et aller de l’avant avec lui ;– le laisser choisir – mais en dialoguant avec lui.

5. L’accompagnement comme ressource et pratique émancipatrice

L’accompagnement commence par donner la parole aux autres, cela ne peut pas être autre-ment. Il faut laisser les gens s’exprimer sur leur situation et les laisser évaluer leur progression.

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On envisage trop ces gens comme des « sans » (sans-papiers, sans-logement, etc.) et on occulte leur « capacité à ».

Ce qu’on attend des personnes est qu’elles soient autonomes : pas l’autonomie juridique, mais l’autonomie éducative ; la première n’est qu’une injonction à la responsabilité. Il ne faut donc pas réduire l’autonomie à cela, on ne peut pas faire autrement que de partir des personnes.

L’accompagnement comme ressource vise à permettre à une personne de mener à bien un projet qui soit, en même temps, acquisition et développement des compétences.

Naturellement, il y a une méthodologie du recueil de la parole de l’autre. Sur un fond d’écoute attentive, d’accueil sans jugement de la parole, d’une validation de ce qui est dit, la parole est sollicitée en vue d’une clarification, d’une explicitation. Elle est au début d’une problématisation.

L’accompagnement est fortement lié à la notion d’acteur dans un territoire, porteur d’inno-vation. Être acteur signifie exercer un pouvoir d’agir, nécessairement dans un territoire dont il mobilise les ressources. Etre acteur n’est pas seulement « utiliser » les ressources mais se comprendre comme ressource pour un territoire.

L’émancipation13 cimente la construction des rapports sociaux et constitue la pierre angulaire de toute proposition stratégique de changement. Une notion de « dialogue » et de « conscien-tisation » lui est associée.

Première qualité du dialogue : l’écoute.

L’essence de ce dialogue est la prise de parole. L’apprentissage du dialogue par le dialogue participe à la construction d’une relation qui questionne, construit le problème et rejette tout fatalisme, toute impuissance.

La seule motivation pour changer la réalité sociale est insuffisante pour réaliser le changement souhaité : la conscientisation sans action crée une illusion de changement qui renforce le statu quo. La vraie conscientisation est dynamique, collective comme individuelle.

C’est de la situation présente, existentielle, concrète qu’il faut partir. Établir une relation par le dialogue donne la possibilité d’apprendre autrement parce que le savoir devient un moyen d’action pour transformer la réalité.

La démarche de problématisation répond à un principe : tout est discutable.

La problématisation consiste à chercher à formuler ce qui fait question, construire un problème conduisant à l’action. C’est une méthode qui privilégie l’apprentissage comme processus : – nommer la réalité de la situation : quel est le problème ? ;– réflexion et analyse : comment la vivez-vous ? ;– propositions d’action : que faire ? Quelles sont nos possibilités pour intervenir ? Avec quelles

stratégies ?

Une démarche

• Comprendre et expliciter les besoins, les intérêts et les activités du groupe, comprendre le langage des participants : faire un inventaire de l’univers verbal des membres du groupe (entretiens informels, conversations spontanées), découvrir les mots-clés porteurs d’une signification, les expressions typiques. Rechercher ensemble les mots qui révèlent des désirs, des frustrations, des méfiances, des espérances, le désir de participation.

13 Garibay F., Séguier M. (coord.), Pratiques émancipatrices. Actualités de Paulo Freire, 2009, Institut de Recherches de la FSU et Éditions Syllepse, Éditions Nouveaux Regards.

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• Identifier les situations que tous reconnaissent comme typiques et composées d’éléments reflétant leurs intérêts et préoccupations réels. Les membres du groupe identifient une situa-tion typique en faisant une sorte d’arrêt sur image. Par le dialogue, ils arrivent à définir le problème qu’ils veulent « nommer », les éléments-clés qui constituent ce problème, comment ce problème se manifeste dans leur vie. Cela amène les participants à se comprendre comme des acteurs culturels.

• Élaborer un projet : par l’analyse de la situation, la capacité du groupe à questionner, inter-préter, évaluer les forces, se crée la base des actions correspondant à leurs objectifs.

Bénéfices de l’action collective émancipatrice : vaincre sa timidité, sortir de son isolement, savoir expliquer, gagner en sécurité et en assurance pour aller vers les autres, apprendre à partager, s’encourager réciproquement, s’écouter, travailler ensemble, identifier des valeurs communes…

L’exercice du pouvoir d’agir

« Je peux » = je suis capable (sortir de l’incapacité, de l’incompétence, de l’enfermement dans une représentation sociale d’incapacité).

« Je peux » = c’est possible et cela est possible pour moi. Renvoie à la possibilité, à la liberté, au droit, à la permission, autorisation, facilitation ≠ impossibilité, interdiction, inhibition, obs-tacles, accablement...

« Je peux » = j’en ai la puissance. Renvoie à la force, l’énergie, le courage, le désir ≠ impuissance, faiblesse, cynisme.

« Je peux » = je décide. Renvoie à la décision, la responsabilité, l’autonomie, le choix, au « pou-voir de » (verbe suivi d’un autre verbe) : pouvoir d’imaginer, d’exprimer, de délibérer, de négo-cier, de choisir, d’évaluer ≠ domination, exploitation, soumission, peur, humiliation, fatalisme, servitude, dépendance, irresponsabilité...

« Je peux » versus acceptation de notre vulnérabilité, de notre besoin des autres, de la conscience des interdépendances.

La mise en situation de réussite permet de briser l’enfermement, le regard sur soi. Reconnaître sa propre utilité sociale permet d’affronter le regard des autres.

6. La mise en œuvre d’une démarche

Les pré-requis • Avoir conscience d’un changement nécessaire.• Considérer chacun comme détenteur de savoirs.• Ne pas être seul (si l’expérience n’est pas reliée à un groupe social ou professionnel, elle reste

fragile).• Se placer ensemble dans une position de recherche.

Les conditions de mise en œuvre • Présence effective des personnes concernées.• Établir un espace de confiance et de sécurité.• Garantir les conditions d’échange et de rigueur.• Ne pas se substituer aux personnes : créer les conditions pour prendre du recul, identifier

leur situations, leurs ressources, soutenir la démarche de compréhension, accompagner en amont et en aval des rencontres.

• Animer : faire en sorte que chacun s’exprime, respecte les temps de parole, l’écoute ;

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La mise en œuvre d’une méthodologie• Fondements de la méthodologie : l’expérience de chacun et la parole sur cette expérience.

Le récit de l’expérience de chacun permet de mettre les participants sur le même pied. Les récits portent sur les situations vécues.

• Rythme et durée : chacun doit pouvoir respecter son propre rythme de compréhension et d’expression. Respecter les temps de silence. Permettre à chacun d’aller au bout de ce qu’il veut dire, comprendre ensemble le sens des mots. Savoir prendre du recul quand surgissent des tensions. La durée est nécessaire pour l’approfondissement, créer la confiance, asseoir le dialogue, analyser les récits, comprendre ce que veut dire l’autre, préparer ses propres interventions.

• Construction collective : le but recherché doit être connu de tous (améliorer les interactions entre la personne et la réalité d’une situation). Identifier les éléments de désaccord (sinon pas de construction collective). Confronter réellement les points de vue et s’engager mutuel-lement. S’exposer à l’expérience de l’autre.

• Convivialité : faire et se faire une place les uns les autres.• Citoyenneté : prendre conscience que l’on est partie prenante d’institutions, d’un pays,

d’un territoire...

Les outils • Le dialogue et l’écoute.• Les échanges de savoirs, forums, construction d’alternatives à partir de projets concrets,

création de réseaux (articulation entre divers acteurs), organisation de moments de rencontre...

Toute démarche émancipatrice doit viser la relation paritaire, la curiosité vis-à-vis d’autres points de vue, le développement de la responsabilité et le pouvoir de décider. Elle doit développer, renforcer l’interaction entre besoin/vouloir/savoir/pouvoir, impulser une responsabilité sociale, une participation active menant à une transformation sociale.

Le projet d’Angers (« le local jeunes de Monplaisir ») à l’épreuve de l’accompagnement

Texte issu d’un atelier du premier séminaire coopératif, animé par Mona Melsa, Lorient, et rapporté par Jean-Philippe Croissant, DRJSCS de Bretagne.

Le projet est né en 2008 d’une volonté du Maire d’apporter une réponse aux jeunes qui l’avaient interpellé pendant la campagne électorale.

Cette réponse s’est concrétisée par un projet de création d’un local jeunes sur le quartier de Monplaisir, dont la mise en œuvre a été confiée à la Maison Pour Tous dans le cadre d’un marché public. Pour concevoir le projet, six mois de travail entre les personnels de la maison de quartier, les éducateurs de prévention spécialisée, les animateurs sportifs, les conseillers de la Mission locale, etc. furent nécessaires.

La volonté politique, à l’origine du local, comportait trois objectifs : disposer au sein du quartier d’un lieu relais pour les 16-25 ans, aux horaires adaptés (17h-22h), ouvert à toutes les jeunesses et complémentaire à l’Espace Jeunes de la maison de quartier (pour les pré-ados). En définitive, ce local était principalement destiné aux jeunes de 18-20 ans qui « occupaient » l’espace public.

Deux animateurs, référents du lieu, sont en charge de l’accompagnement des jeunes usagers. L’accueil informel fait du local un lieu relais, notamment vers les conseillers de la Mission locale qui assurent une permanence au sein de la maison de quartier. Les animateurs, quant à eux, réalisent à la demande l’accompagnement des projets des jeunes (séjours ski…).

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Le comité de suivi du projet est composé de conseillers de la Mission locale, d’éducateurs de prévention spécialisée et d’agents de la Ville et de la maison de quartier. Car il s’agit bien d’une expérimentation, avec mise à l’épreuve d’une formule un peu originale qui comporte une certaine prise de risque de la part du politique : cet espace voué à l’accueil informel des jeunes adultes et implanté près du cœur du quartier n’a pas recueilli d’emblée la faveur des habitants, bien au contraire… ; il est le résultat d’un contact direct des jeunes avec le Maire alors candidat : le « frottement » a bien eu lieu, et le local lui-même est un espace qui permet une forme de contact intermédiaire entre les jeunes et les institutions. Nous retrouvons donc les trois dimen-sions du « triangle politique » défini dans la première phase de la recherche- action.

Après quelques temps de fonctionnement, des éléments de bilan peuvent être tirés, à l’aune des objectifs atteints ou non atteints :

• Le local est repéré et reconnu par un certain nombre de jeunes, comme un lieu d’accueil, d’écoute, d’information, de détente, de jeu et de convivialité, pour lequel ils ressentent un certain attachement. Mais ce lieu ne profite pas à « toutes les jeunesses », seulement à quelques groupes de jeunes, identifiés comme étant « d’origine maghrébine et turque », essentiellement des garçons, car les filles n’y trouvent pas leur place : elles en sont venues à demander des temps réservés.

• Si le local est bien un lieu de revendication, d’interpellation et de rencontre, c’est aussi un peu un squatt qui permet quelques transgressions, un cocon où les jeunes se sentent à leur aise, et le local devient vite un « bocal ». Vite saturé, il n’offre pas d’espaces de confidentialité et le principe d’accueil informel ne permet que peu de construction de projets avec les jeunes.

• S’ils travaillent en équipe avec leurs homologues de la maison de quartier, les animateurs ont un rôle difficile et le turn-over est important. Pour être en mesure d’assurer leur fonction d’accompagnement, de relais, il leur faut un bon niveau de professionnalité : la réussite du projet est en grande partie conditionnée par cet aspect, l’autre partie étant la définition précise et pertinente du projet pédagogique.

De ce bilan, et de la nécessité de penser le projet pédagogique, naît un questionnement :

• Le local est-il réellement un lieu d’accompagnement ? Uniquement collectif ou également individuel ? Permettant la mixité entre garçons et filles ? Entre différents groupes de jeunes ? Entre différents âges ?

• Si le besoin est avéré d’espaces distincts pour les plus de 16 ans et les moins de 16 ans, pour les garçons et les filles, pour l’individuel et le collectif, les limites du concept de local jeunes apparaissent… Faut-il vraiment un lieu dédié ? Spécialisé ou diversifié ? Pour accompagner les jeunes vers quoi ?

De cette expérience et de ce questionnement, des enseignements peuvent être tirés sur la manière d’envisager l’accompagnement :

• Du côté des professionnels, la fonction relais vers la Mission locale, vers le centre information jeunesse n’est qu’une première étape ou un préalable à l’accompagnement. Les animateurs ne sont pas suffisamment disponibles pour faire émerger et accompagner les projets des jeunes…, lesquels n’ont pas l’obligation de s’inscrire dans une logique de projet.

Cette limite interroge leur professionnalité : comment dans ces conditions et avec leurs com-pétences passer de l’encadrement à l’animation, et de l’animation à l’accompagnement ?

• Du côté des jeunes, le local offre la possibilité d’entrer en relation avec des adultes, d’enrichir leur réseau de connaissances. Ils sont incités à aller au-delà du quartier, au-delà de ce et

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de ceux qu’ils connaissent déjà. Le lieu lui-même permet l’émergence de paroles et d’idées. En revanche, pour l’émergence de projets, les idées sont souvent confuses : quelles activités, quels supports, etc. ? Les espaces multisports rencontrent un grand succès auprès des jeunes de cet âge, mais peut-on se contenter d’une logique de consommation d’activités, sans accompagnement vers autre chose ?

Repréciser la fonction et les finalités du local jeunes s’impose donc : en tant qu’espace-relais, il vise la mise en relation avec d’autres personnes ressources, avec d’autres lieux qui proposent d’autres formes d’accompagnement. Il vise donc aussi la mise en mouvement des jeunes, dans une logique de projet qui ne doit ou ne peut, peut-être pas, naître que d’eux-mêmes.

Le local jeunes a donc pour but premier de rapprocher les jeunes et les institutions, en pro-posant une phase intermédiaire propre à faire évoluer dans le temps les relations des jeunes avec les autres professionnels intervenant sur le quartier.

Si, à la demande de certains habitués, l’autogestion par un groupe de jeunes constitué en association a pu être envisagée, l’idée a ensuite été écartée. Pour autant, une formule qui implique davantage de responsabilité et d’autonomie des jeunes est toujours recherchée, elle devra permettre aussi un partage du lieu entre les groupes et les générations. Car la conception de l’accompagnement qui guide l’expérience exclut la simple prise en charge et la logique « consumériste ». Il s’agit davantage de permettre aux jeunes de faire eux-mêmes leurs projets, leurs parcours, en les renseignant, en les orientant, etc. En somme, de les amener à exprimer leurs attentes et à se faire une idée plus précise de leurs besoins véritables.

Cependant, en phase de définition du projet du local et de ses finalités, les multiples étapes de rencontre et de concertation avec les jeunes n’ont pas été très fructueuses… Mais ont-ils été consultés ou associés à la construction du projet et à la délibération qui mène aux prises de décision ? Force est de constater que la manière d’envisager la participation des publics/usagers/bénéficiaires a un impact sur la pertinence et la réussite d’un tel projet.

En matière d’accompagnement, la difficulté inhérente au principe de l’accueil collectif est qu’il ne permet pas, ou pas toujours, que se crée et se développe la relation duale entre l’accom-pagné et l’accompagnant : le dialogue en toute confiance suppose la confidentialité, le che-minement dans une relation équilibrée suppose que le professionnel soit bien au clair sur sa mission, sa fonction, sa démarche et sa posture.

Le projet de Rennes (Jeunes et créneaux sportif) à l’épreuve de l’accompagnement

Texte issu d’un atelier du premier séminaire coopératif, animé par Nathalie Jan, Saint-Nazaire, et rapporté par Régis Cortesero, INJEP.

L’idée du projet est de permettre à des jeunes « éloignés » des fonctionnements institutionnels, mais qui manifestent le souhait de développer un projet sportif, d’accéder à un équipement municipal.

La démarche de projet est privilégiée. La sollicitation par les jeunes est perçue comme un mode d’engagement citoyen, et le projet réside dans la structuration des interventions res-pectives (associations de terrain, Office des sports, direction des sports, services municipaux de proximité…) autour du processus de consolidation du projet qui peut (mais ce n’est pas l’objectif ) aboutir à la constitution du groupe de jeunes en association.

La synthèse des échanges a été arrêtée avec le groupe. Les points qui ressortent sont les suivants :

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– le type d’accompagnement mobilisé dans la démarche est particulier : il s’agit d’un accom-pagnement au montage d’un projet avec un groupe. Dans ce type d’accompagnement, l’apport de ressources, notamment cognitives (ex. : qu’est-ce qu’une association ? comment cela marche ? etc.), est important ;

– l’accompagnement permet la prise d’autonomie progressive par l’acquisition de compé-tences par les jeunes ;

– la posture de l’accompagnant : une des ambitions du projet est de faire progresser les profes-sionnalités, de faire en sorte que l’accompagnement devienne une posture institutionnelle.

La posture est celle d’un « suivi » de l’évolution du projet des jeunes. Faire avec plutôt que faire pour. Par exemple, il a fallu plusieurs mois pour que les jeunes fassent les démarches néces-saires à l’ouverture d’un compte en banque pour leur association. Pour les accompagnants, il a fallu « résister » à la tentation de faire les démarches eux-mêmes.

L’apport de Maëla Paul a été aidant dans la mesure où il a permis à l’équipe de préciser et de conceptualiser la nécessité d’un juste équilibre dans le travail d’accompagnant. Équilibre entre :– la logique ascendante et d’autonomie : ce qui appartient aux jeunes, leur propre définition

de leurs objectifs, leur prise d’autonomie dans la mise en œuvre et la nécessaire liberté qu’il faut leur concéder. Il faut savoir respecter le rythme du groupe, s’inscrire dans une égalité, une sorte de symétrie des positions entre professionnels et jeunes ;

– la logique descendante de l’équipe, qui est aussi celle de l’institution. Il faut savoir rester « descendant » sur ce qui relève des exigences légitimes des professionnels et des institutions. Par exemple, en matière de respect de la réglementation, en matière de souscription à des assurances.

Deux limites sont soulignées :– la première est une interrogation sur le caractère effectif et surtout pérenne de l’évolution

des pratiques professionnelles. La vertu de l’expérimentation est de permettre aux profes-sionnels de se « poser des questions » et de s’y confronter en pratique. Mais quelle pérennité et quelle transférabilité des nouvelles compétences acquises ?

– la seconde concerne le faible nombre de jeunes concernés par l’expérimentation, ce qui soulève un problème d’équité : et les autres ?

Pour les participants, trois dimensions ont une résonance particulière au regard de leur expé-rience dans d’autres villes et sur d’autres expérimentations : – l’intérêt et la nécessité d’aménager un « espace institutionnel » pour des pratiques sportives

informelles sont soulignés.– la question de savoir « comment on ouvre » des équipements, dont le fonctionnement est

régi par des procédures assez « bureaucratiques », à de telles pratiques informelles est pertinente : comment construit-on de l’accessibilité ?

– la question de la « défense » de ce type de démarche auprès des politiques est posée : comment on argumente ? S’agit-il de discrimination positive ? Etc.

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n LE PARTENARIAT

Le partenariat : référentiel ou outil de politique publique ?par Bernard Bier, sociologue

« Partenariat », ce terme appartient à la rhétorique obligée de l’action publique depuis le début des années 1980, avec d’autres termes qui constituent en quelque sorte l’outillage mental de base de tout acteur de politiques publiques : diagnostic, projet, évaluation, participation. On a même pu parler de « dictature du partenariat »14. Un des signes de cette nouveauté est le fait que le « partenariat » apparaît pour la première fois dans le dictionnaire de l’Académie en 1984. Le mot partenaire est lui plus ancien : emprunté au XVIIIe siècle à l’anglais partner, il évoque l’associé dans le jeu, la danse, le sport, puis le sexe. Pour le dictionnaire Robert (éd. 1966) ses antonymes sont : adversaire, rival, compétiteur. Au XXe siècle, l’entreprise, le monde des affaires et de la banque vont se l’approprier, avant qu’il devienne langage com-mun aux politiques et aux professionnels, inséparable du tournant néo-libéral des politiques publiques15. Comment lire l’émergence de cette notion au cœur de l’action publique depuis trente ans ? Comment sortir de la confusion théorique et opérationnelle, de manière à en faire moins une contrainte qu’un outil au service de l’action publique, c’est-à-dire au service des citoyens ?

1. Le contexte d’émergence d’une notion

L’apparition de la notion de partenariat puis du mot dans l’action publique s’inscrit dans une triple histoire :

La rationalisation des choix budgétaires (RCB)Le partenariat peut être lu comme un prolongement et une conséquence de la logique de rationalisation des choix budgétaires qui va devenir un axe structurant des politiques publiques (dans les années 1970-1984), qui a pour but une meilleure maîtrise des finances publiques, l’évitement des doublons de financements… Cette logique se prolongera plus récemment dans la Loi d’Orientation relative à la Loi de Finances (LOLF) en 2001 et la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) en 2007. La RCB est aussi une des sources de l’évaluation des politiques publiques.Cette approche, qui a sa légitimité, est néanmoins un point de vue « d’en haut », de l’État. Rappelons qu’il en est de même de la mise en place plus ancienne de la statistique comme outil de connaissance et de contrôle – l’étymologie du terme même renvoyant à l’État.

La décentralisation Jusqu’à la mise en place à l’aube des années 1980 des lois de décentralisation, en France, l’État, prescripteur, définit et incarne l’intérêt général. Avec cette révolution politico-administrative (la décentralisation a pour but, à l’instar de l’évaluation des politiques publiques, de rapprocher le pouvoir du citoyen, et d’aller vers plus de transparence et de débat démocratique !!!), divers acteurs, sur un même territoire, avec chacun leur légitimité, et avec un registre de compétences plus ou moins vagues, sont obligés de travailler ensemble.Qui définit alors l’intérêt général ? La question devient et demeure polémique entre tenants du primat de l’État et ceux pour qui la pluralité des pouvoirs est une avancée incontestable – ce débat traverse la droite comme la gauche. C’est dans ce contexte que le terme de « gou-vernance » s’impose – terme d’ailleurs aussi flou que les autres.

14 Damon J. , « La dictature du partenariat. Vers de nouveaux modes de management public ? », Futuribles, n° 273, 2002.

15 Jobert B. (dir.), Le tournant néo-libéral en France : idées et recettes dans les pratiques gouvernementales, 1994, L’Harmattan.

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Les politiques des années de crise (après 1980) Il s’agit de passer d’un référentiel d’égalité à un référentiel d’équité, donc à un traitement différencié (pour rétablir l’égalité) au profit de territoires ou de publics définis essentiellement à partir de critères sociaux. La solution aux difficultés rencontrées ne peut plus venir exclusi-vement d’en haut, mais doit mobiliser le niveau local, avec la participation des habitants ou des publics concernés, et en tenant compte des spécificités territoriales.La politique des Zones d’éducation prioritaires (ZEP) mise en place par Alain Savary, les poli-tiques de prévention de la délinquance, d’insertion sociale et professionnelle, et de la ville (suite aux rapports de Gilbert Bonnemaison, Bertrand Schwarz, Hubert Dubedout - pour deux d’entre eux élus locaux) appellent toutes au partenariat et à la participation des familles, des habitants… Il s’agit de politiques interministérielles et partenariales, « territorialisées » (c’est-à-dire définies par l’État et déclinées au niveau des territoires), qui appellent donc la mise en œuvre de mul-tiples partenariats, entre services de l’État, entre niveaux de collectivités, entre État, collecti-vités, associations voire acteurs du secteur privé marchand, dans le cadre d’un projet élaboré au terme d’un diagnostic partagé (selon la formulation courante).L’on passe ainsi de « l’État instituteur »16 à un État dont le rôle devient plus problématique, et que les premières évaluations de la politique de la ville ont défini comme « État animateur »17. Il ne peut plus être dans la seule injonction, le contrôle, la définition du sens. Il doit se légitimer en permanence – d’où le rôle du diagnostic, du projet, de l’évaluation. La complexité des pouvoirs et compétences, le chevauchement des dispositifs… posent la question de la cohérence d’ensemble, donc du pilotage local. Ils supposent aussi des pro-fessionnels capables de faciliter la mise en réseau des partenaires. Ce sont les métiers nouveaux de la ville – chefs de projets, coordonnateurs, médiateurs –, qui sont aussi des « métiers flous » (Gilles Jeannot)18, qui ne rentrent pas dans un cadre prescrit, mais s’inventent au fur et à mesure que s’invente la politique du territoire.

Parallèlement à ces politiques, la « montée du local » se traduit aussi par des « politiques terri-toriales » (c’est-à-dire émanant du territoire lui-même), qui s’appuient de la même manière sur le partenariat.

2. Sortir de la confusion sémantique… et opérationnelle

Le partenariat toujours invoqué, présenté comme le sésame ou du moins la condition de la réussite des dispositifs, le plus souvent comme un de leurs objectifs, est dans le même temps considéré comme difficile à mettre en œuvre, lourd, chronophage, se heurtant aux territoires et cultures professionnelles hétérogènes…

On pourrait, faute de définition empirique, le considérer, avec Fabrice Dhume, comme un « idéal type », et comme « une méthode d’action coopérative fondée sur un engagement libre, mutuel et contractuel d’acteurs différents mais égaux, qui constituent un acteur collectif dans la perspective d’un changement des modalités de l’action… sur un objet commun »19.

Mais la réalité est éloignée de ce modèle, et plus complexe. Le partenariat si souvent invoqué renvoie à des réalités fort variées et qu’il est difficile d’assimiler :– des acteurs de nature, d’importance et de légitimité fort différentes : institutions d’État

(elles-mêmes très inégalitaires entre elles), collectivités, associations, entreprises… Certains y associent (ou souhaitent le faire) les destinataires (« bénéficiaires » supposés), familles et jeunes ;

16 Rosanvallon P., L’État en France de 1789 à nos jours, 1990, Le Seuil.17 Donzelot J., Estèbe P., L’État animateur : essai sur la politique de la ville, 1994, Esprit.18 Jeannot G., Les métiers flous. Travail et action publique. 2005, Octarès.19 Dhume F., Du travail social au travail ensemble, le partenariat dans le champ des politiques sociales,

2001, ASH.

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– des niveaux de partenariat hétérogènes qu’il importe de distinguer : partenariat de finan-cement, partenariat de projet, partenariat d’action ;

– des pratiques qui, en dépit de l’étymologie, oscillent entre le « partenaire-adversaire » qu’il faut assujettir à son propre projet et le « partenaire co-équipier » avec qui l’on co-construit et sans lequel on ne peut rien faire.

D’une certaine manière le terme partenariat a une fonction performative : il vise à faire vivre une réalité encore à naître et prétend abolir ce qui s’y joue en termes de rapports de pouvoirs, d’antagonismes, de dissymétries, d’éventuelles manipulations (cf. texte de René Jarry, dans ce volume « Le partenariat en débat » p. 88). Le destinataire des politiques n’est pas nécessai-rement convaincu de la pertinence des dispositifs dans lesquels on prétend l’inscrire et qu’on lui impose. Le pouvoir du financeur-prescripteur n’est pas équivalent à celui de l’acteur chargé de mettre en œuvre…, et ce n’est que par abus de langage ou confusion sémantique qu’on utilise le même mot. Et dans tous les cas, c’est celui qui a le pouvoir qui définit les catégories, le cadre de l’action et ses orientations.On pourrait dans le même ordre d’idées s’interroger sur l’usage abusif du terme « contrat » avec les familles ou les jeunes, si prisé dans le « partenariat » et dans certains dispositifs d’accompagnement (cf. dans ce volume, le texte de Maëla Paul p. 70 « L’accompagnement : enjeux sociopolitiques et méthodologie »), qui témoigne de ces rapports inégalitaires voire de domination, et qui peut apparaître comme une violence subie pour ceux qui n’ont d’autre issue qu’accepter les injonctions des institutions.

Trois décennies de politiques publiques ont néanmoins permis aux acteurs de construire les bases d’une culture du partenariat (comme du diagnostic et de l’évaluation). Ceci malgré le brouillage du discours institutionnel sur ce qu’est l’évaluation, la confusion entre bilan et évaluation, l’incapacité séculaire pour la haute administration de sortir de la culture du contrôle et des logiques technocratiques dont elle reste imprégnée, et des résistances multiformes émanant du « terrain ». Peu à peu les professionnels ont appris à se connaître et se reconnaître, à travailler ensemble. Dans nombre de territoires, l’amélioration des partenariats est un acquis. Mais le risque est que le partenariat devienne sa propre finalité. Les indicateurs d’évaluation de certains dispositifs portent (parfois de manière dominante) sur le partenariat (nombre de réunions, nombre de partenaires…), présupposant que ce partenariat a automatiquement des effets positifs sur les publics ou les territoires sur lesquels portent l’action politique – hypo-thèse qui reste à démontrer.

D’ailleurs le partenariat est-il vraiment un référentiel, comme le laisserait penser l’inclusion du présent article dans une partie de l’ouvrage consacrée aux référentiels ? Un référentiel est une « représentation de la réalité sur laquelle on veut intervenir, une image cognitive, qui organise […] la perception d’un problème »20, un système de valeurs que l’on s’efforce d’at-teindre. Si le partenariat est un cadre de compréhension de la réalité, un impératif catégo-rique, modèle et objectif de politique publique, le terme est pertinent. Mais force est alors de constater que dans ce cas l’outil devient finalité, le moyen la fin, et in fine l’organisation administrative ou politique son propre objet. Face à cette approche, il semble nécessaire d’affirmer que le partenariat n’est qu’un outil dont on peut se servir si besoin – la mission essentielle de l’action publique étant la transformation des territoires et des situations des populations. Se trouve ici posée l’opposition entre des logiques qui privilégient le centre, l’institution (logiques anciennes, auto-reproductrices) et celles qui pensent les institutions comme étant au service des populations, des territoires.

20 Muller P., Les politiques publiques, 1990, Que sais-je ?, PUF.

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Un autre questionnement est lié aux évolutions des politiques publiques. Si les années 1980 ont constitué une rupture entre des logiques top down21, pour laisser place à des négociations entre acteurs, à des politiques élaborées à partir des territoires (bottom up), les évolutions des politiques publiques (en particulier mais non exclusivement dans le cadre de la politique de la ville) font apparaître une re-concentration de l’État22, qui se traduit entre autres et de plus en plus par des agences, des appels à projets, dans lequel l’État se retrouve en situation de juge et partie. Que devient alors le partenariat ? Sûrement pas une association contractuelle à égalité.

3. Pour une méthodologie rigoureuse du partenariat comme outil

Néanmoins les difficultés et questions soulevées supra n’invalident pas le principe du parte-nariat comme outil, ni la possibilité qu’il soit un vecteur de transformation sociale et politique. À condition de mettre en place et de suivre une méthodologie rigoureuse.

Nous en dégagerons quelques étapes :

• La déconstruction préalable de la notion même de partenariat, des représentations afférentes des acteurs sollicités, et une interrogation sur les raisons qui pourraient inciter à la mise en place d’un partenariat : pourquoi ? Et pour quoi faire ? En quoi peut-il constituer une plus-value ? Et pour qui ?

• La co-construction préalable du cadre même d’un dispositif partenarial égalitaire : penser la scénographie des réunions (la symbolique de la table ronde ; une organisation démocra-tique des tours de parole), l’organisation des séances (leur lieu, les échéanciers, la commu-nication sur les travaux à l’interne à l’externe, les retours et échanges avec les politiques d’une part, les populations bénéficiaires d’autre part)…Néanmoins il ne suffit pas de donner un temps de parole égal à chacun dans une réunion pour que l’égalité entre tous soit respectée : il faudra travailler collectivement à la mise en place préalable d’un cadre où des registres ou des modalités d’expression différentes pour-ront se faire entendre à égalité.

• Une identification collective des acteurs impliqués, de leur place et rôle, de leur territoire, du périmètre, de la force et des limites de leur intervention - ceci afin d’éviter la confusion des rôles qui a parfois été le commun du partenariat et la cause de son échec.

• Une identification claire des places et rôles respectifs du pilote et du coordonnateur ou chef de projet (et de leur légitimité).

• Un diagnostic partagé et une clarification du projet ; ceux-ci imposent la définition d’un vocabulaire commun et une réelle mise en débat sur les enjeux, le référentiel et les formes de l’action : autrement dit, la sortie du consensus à tout prix qui est souvent l’ordinaire des partenariats institutionnels et une des causes de leur peu de prise sur la réalité à transformer, et l’acceptation du conflit à la fois comme condition et comme fin du fonctionnement démo-cratique (cf. les textes de Bernard Bier p. 90 et Régis Cortesero p. 102 sur la participation).

• Une centration sur le projet qui permet de sortir de la dérive du partenariat comme finalité, et du face-à-face entre les acteurs et ses effets négatifs (lutte de pouvoirs et de territoires, heurts et incompréhension entre cultures professionnelles), en le posant uniquement comme un outil au service des populations et des territoires. Autrement dit, le partenariat n’a de sens que dans le projet, et c’est le projet qui doit structurer le partenariat – et non l’inverse.

21 Top down = descendant ; et bottom up = horizontal et ascendant.22 Epstein R. , « Gouverner à distance. Quand l’Etat se retire des territoires », Esprit, novembre 2005.

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• L’inscription dans des temporalités négociées qui ne sont pas que celles du politique (les échéances électorales), des administrations (les temporalités budgétaires), mais aussi celles des processus liés aux territoires et aux populations.

4. Les habitants et les jeunes : partenaires ou acteurs-citoyens de politique publique ?

La place laissée aux bénéficiaires comme partenaires est souvent un leurre : ils sont invités à acquiescer ou adhérer à des dispositifs qu’ils n’ont pas choisis et qui leur sont peu ou prou imposés. Ils vont alors développer des stratégies diversifiées, identifiées par le politologue Albert O. Hirschman23 : soit ils acceptent de se conformer au nom de bénéfices possibles (loyalty), soit ils développent des comportements de refus critique, prenant la parole sous des formes pas toujours considérées comme légitimes (voice), soit ils s’absentent tout simplement d’une scène où ils n’ont rien à gagner (exit).

Ne faut-il pas alors changer de posture, cesser de se référer à ce simulacre de partenariat, mais plutôt être dans l’écoute et dans l’acceptation de cette parole extérieure aux institutions, de cette voix comme garde-fous, porteuse d’une « expertise d’usager », d’une « contre-exper-tise citoyenne » ? Seul ce contre-pouvoir sera le garant que le dispositif ne devient pas son propre objet. Cette place doit être pensée en amont au travers entre autres des retours réguliers, d’une publicisation des travaux, de la mise en débats, et de l’association des citoyens tant au dia-gnostic qu’à l’évaluation, comme citoyens, pas comme partenaires – ce terme étant laissé aux opérateurs de politique publique.

L’enjeu est donc aujourd’hui de savoir si l’action publique est le fait des seuls pouvoirs publics (dans une tradition encore fortement prégnante en France, et que la décentralisation n’a pas vraiment modifié) ou si elle s’appuie aussi sur l’action autonome de la société civile, les initia-tives de citoyens, les mobilisations communautaires, à l’instar d’autres modèles politiques24.

Cette double démarche collective qu’il importe de dissocier (le partenariat, la mobilisation du territoire) devient alors le lieu de la connaissance et de la reconnaissance réciproques. Il est un lieu de partage et de co-construction des savoirs, un lieu de conflictualité démocratique, d’apprentissage permanent, et de l’émergence d’un « territoire apprenant ».Seule cette dernière approche peut être la condition du développement territorial, de la trans-formation sociale et politique.

Le projet de Brest (La Fourmilière) à l’épreuve du partenariatTexte issu d’un atelier du premier séminaire coopératif, animé par Claudine Picherie, RésO Villes, et rapporté par Luc Primard, DDCS de Loire Atlantique.

La Fourmilière est un projet porté par un collectif de professionnels – ce qui est à différencier d’un projet issu d’un partenariat institutionnel émanant des décideurs.

Dans ce projet, différentes caractéristiques fondatrices de cette démarche collective ont été soulignées :– un constat partagé entre acteurs (besoin d’offre éducative, lecture du territoire…) ;– le territoire de référence : même si celui-ci évolue en fonction des impératifs du projet,

et en fonction des enjeux liés à l’aménagement de la ville et des dynamiques de territoires sur lesquels le projet n’a pas de prise ;

23 Hirschman A. O., Défection et prise de parole, 1995, Fayard.24 Donzelot J. (rapport rédigé par), Banlieues et quartiers populaires. Remettre les gens en mouvement, 2012, http://

www.tnova.fr/content/contribution-n-27-banlieues-et-quartiers-populaires-remettre-les-gens-en-mouvement.

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– des objectifs partagés : changer les modalités d’intervention et expérimenter de nouvelles pratiques professionnelles, favoriser le vivre ensemble… ;

– la diversité des membres du collectif : professionnels d’horizon divers (animation sociocul-turelle, social, santé, sport…), employés par la Ville ou des associations, volontaires (libre adhésion), avec l’accord de leur structure d’appartenance ;

– la validation : les élus et les différentes structures participant à ce collectif ont validé ce projet. Le collectif a dû convaincre les décideurs. La validation a permis de rendre public le projet ;

– les moyens : ce projet n’est pas né à cause de la baisse des moyens, mais le collectif est conscient qu’ils ne sont pas extensibles ;

– le fonctionnement du collectif : absence de leadership, répartition des tâches en fonction des compétences, et des domaines d’intervention. Ce collectif est aussi une histoire de per-sonnes avec des personnalités qui se connaissent et ont envie de faire ensemble.

Sur ces points, des échanges dans l’atelier portent autour de l’implication et des conséquences pour les différentes structures des membres du collectif. Cette initiative engage ces structures : dégager du temps dédié, questionner les modalités d’intervention et la capacité à faire évoluer leurs pratiques internes, interroger les capacités à établir des coopérations. Certains acteurs du territoire restent à l’écart de ce collectif par craintes « d’être dilués » et de « perdre une part de leur identité professionnelle ».

Par ailleurs l’absence de leadership a été débattue. Pour la pérennité et l’identité du projet, la désignation d’un porteur de projet référent ou coordonnateur n’est-elle pas souhaitable ? Quel est le niveau de « portage » par les institutions de cette initiative ?

Dans ce projet collectif des ajustements sont nécessaires au fur et à mesure :• Le territoire a dû être redéfini.• Deux membres ont quitté le collectif, et la nécessité d’accueillir d’autres professionnels est

soulignée afin de faire évoluer les pratiques professionnelles et les modalités d’intervention.

• La rencontre avec les habitants sur l’espace public est aléatoire et non établie à l’avance.• Des moyens (acquisition d’un mini bus) sont encore en attente, ce qui nécessite des solutions

provisoires et des capacités d’adaptation.• Parmi les collectifs, certains, moins à l’aise, peuvent avoir quelques hésitations et questions

liées à leur posture professionnelle. Ce projet implique non pas une addition des pratiques de chacun mais une évolution de certaines pratiques et postures professionnelles, sans déna-turer les compétences et le rôle de chacun.

Lors de l’atelier sont également questionnés le rôle de la controverse et la place laissée aux désaccords. Il est nécessaire que les divergences de points de vue s’expriment. La controverse et la recherche de compromis font partie de la démarche. La recherche de compromis ne se fait pas sur les valeurs intrinsèques de chacun, mais davantage sur l’action elle-même : ses objectifs et ses déclinaisons pratiques (outils, modalités…). Le compromis nécessite de se décentrer de sa pratique professionnelle pour prendre en compte l’intervention de « l’autre ».

Par ailleurs le risque existe, dans ce type de démarche, de créer un « fossé » entre les profes-sionnels du territoire : d’un côté ceux qui font partie du collectif et de l’autre ceux qui n’en font pas partie. Il est important que ce collectif ait des stratégies en direction d’acteurs qui sont des partenaires tout en n’étant pas membres de ce collectif. Il y a la nécessité d’expliciter et de convaincre au-delà de ses propres structures.

Lors de cet atelier ont aussi été questionnés le rôle et la place du public dans le projet : l’un des objectifs de ce projet est de recréer du lien entre les habitants (dont les jeunes) avec une dimension intergénérationnelle. Un échange se déroule sur la place des jeunes dans le projet : en sont-ils le public ou les acteurs ? Au stade actuel du projet, la difficulté d’associer les jeunes

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au pilotage existe. Par ailleurs les professionnels ont souhaité eux-mêmes s’harmoniser entre eux : « besoin d’avoir un espace entre professionnels ». À l’avenir la perspective de construire avec les habitants leur place dans le projet est envisagée comme piste d’innovation.

Enfin un échange a eu lieu sur ce que le projet a déjà pu produire ;

– il a déjà eu des effets, notamment sur les liens entre habitants. Par ailleurs, il est constaté que l’arrivée d’une structure mobile et la mobilisation du collectif créent de l’envie auprès des habitants et n’est pas source de conflit sur le territoire. Une réduction des tensions générationnelles peut être observée. ;

– au sein du collectif il y a une meilleure prise en compte des positionnements professionnels et des caractéristiques de l’intervention de chacun avec le développement d’une culture commune. Le fait de travailler sur des outils communs a permis de faire évoluer les pratiques professionnelles dans l’intérêt de l’action collective et des habitants.

Le projet de Nantes (Création d’espaces d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes sur le territoire Breil-Dervallières) à l’épreuve du partenariat

Texte issu d’un atelier du premier séminaire coopératif, animé par Loïc Frenay, Brest Métropole Océane, et rapporté par Chafik Hbila, RésO Villes.

Le territoire de Breil-Dervallières est peuplé d’environ 9 000 habitants, dont 18 % de jeunes âgés de 15 à 24 ans, et composé de 80 à 90% de logements sociaux. Des démarches d’analyse du public « jeunes » ont été initiées.

La Ville de Nantes a souhaité mettre autour de la table les acteurs de ces deux périmètres, Breil et Dervallières, qui constituent à la base deux territoires administratifs différents, dans le but de définir un projet jeunesse en phase avec ses orientations politiques.

Il s’agissait dans un premier temps, pour les professionnels, de se ré-interroger sur leurs pratiques en direction des jeunes. Ce fut l’objet de nombreux temps de rencontres ponctués par un séminaire le 3 février 2012.

Le quartier est composé d’un tissu partenarial avec des acteurs emblématiques du territoire. Ces partenaires ont déjà conçu ensemble des actions par le passé. Aujourd’hui, ils cherchent à affiner le partenariat dans l’accompagnement des jeunes du territoire. Plusieurs interroga-tions sont régulièrement soulevées, entre autres sur l’adoption de pratiques professionnelles « non excluantes », qui intègrent les associations et d’autres types d’acteurs : « on veut travailler ensemble, mais on ne sait pas comment faire », et « finalement, on ne sait pas si on travaille vraiment ensemble ».

Dans les temps de réflexion revenait l’idée qu’« il faut que l’on soit là au bon moment pour les jeunes ». Cela suppose d’une part, de se connaître et de proposer une nouvelle offre de services et, d’autre part, de faire des jeunes les partenaires du projet.

Les réactions des participants à la présentation du projet ?

Les participants ont été répartis en deux sous-groupes par l’animateur suite à la première présentation du projet. Il leur a été demandé de soumettre leurs questionnements quant à leur compréhension du projet :

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Sur la démarche • Qu’est-ce qu’a produit la démarche actuelle ?• Quel est l’objet de la démarche partenariale ? Êtes-vous partis d’une feuille blanche ?

Envisagez-vous la gestion collective d’un service ?• Comment ont été identifiés les partenaires investis dans la démarche ?• Qui est le pilote ?

• La réflexion a-t-elle été menée avec les familles ?• Pourquoi ne pas s’adresser aux jeunes ?• Est-ce que les professionnels relaient la parole des jeunes ou parlent du positionnement

de leur institution ?• Quelle concertation avec les jeunes ?• Le nombre des partenaires n’est-il pas trop important ?• Quelles sont les perspectives de production sur les deux quartiers ?

Sur le sens de l’action • Difficulté à repérer l’objet même du cadre. • Interpellation de départ : d’où vient-elle ? Qui pilote ? Quel est l’objet qui rassemble

les partenaires ?

Sur ce que la démarche a déjà produit, le chef de projet insertion sociale et professionnelle à la direction enfance-jeunesse de la Ville a apporté les éclairages suivants :• Une révision du périmètre géographique.• Un partage de points de vue sur les jeunes. Cela a permis de valider un diagnostic commun

sur les jeunes, comprenant ses parts de divergences et de contradictions : « on ne pense pas tous la même chose », expliquent les acteurs présents. Il reste maintenant à le « décadrer » en allant demander aux jeunes leurs points de vue.

• Une vraie mobilisation des acteurs qui cherchent à mieux se connaître afin de coopérer davantage. Ainsi, depuis le début de la démarche, les membres du groupe ont décidé de se retrouver régulièrement pour des petits déjeuners où il s’agit d’échanger spontanément sur n’importe quel sujet.

L’objet, quant à lui, se base sur une commande politique explicite. Les perspectives tracées par les acteurs sont l’objet même de ce qui les réunit dans ce partenariat.

La démarche vise à prendre en compte les jeunes adultes au travers du soutien aux initiatives. « On peut avoir l’impression que la feuille est écrite par avance, mais elle ne l’est aucunement », poursuit le représentant de la Ville.

Il s’agit de rechercher ensemble les pistes qui pourraient mener à un nouveau projet, conforme aux attentes des jeunes et pertinent au regard des enjeux de territoire : « il n’y avait pas rien dans le quartier, on ne démarre pas de zéro, donc il s’agit aussi de prendre en compte tout ce qui a été fait, précise le même, et d’ajouter : mais il y a néanmoins une forme d’usure des acteurs de terrain, par rapport à cela la Ville ne pouvait pas surenchérir en décrétant un schéma de son côté, cela aurait forcément généré du conflit ». Un acteur partenaire du projet abonde en ce sens : « l’usure des acteurs fait que c’est difficile qu’une nouvelle dynamique vienne de l’un d’entre nous, il nous fallait quelqu’un d’extérieur et de légitime pour impulser la démarche ».

Ainsi, la première résistance des acteurs, née à l’annonce de la commande politique de la ville, a pu être levée par une stratégie de cheminement collectif, incluant calendrier et accompa-gnement d’experts, notamment par l’intermédiaire de la recherche-action de RésO Villes.« Si le projet n’est pas figé à l’avance, il est néanmoins orienté, il s’agit de trouver la forme ensemble », constate un participant à l’atelier. « Ce qui me paraît clair et ambitieux, c’est le positionnement de la Ville de Nantes », remarque un autre.

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« Et si les jeunes ne font rien remonter ou s’opposent à la démarche ? », s’interroge un participant.

Le partenariat constitue donc, dans le projet de Nantes, une alternative à l’usure, ce qui fait dire aux participants qu’il n’est pas construit sur de la carence de l’offre institutionnelle. Face au manque de posture collective devant la problématique des jeunes adultes, le parte-nariat représente ici un moyen de penser le changement de paradigme d’intervention auprès de ce public. Aussi, il apparaît que le décloisonnement des pratiques professionnelles dans le territoire de Breil-Dervallières, nécessaire aux yeux des acteurs pour adopter une nouvelle posture plus en phase avec les exigences d’intervention du public « jeunes adultes », ne pouvait être impulsé que par la légitimité des élus de la Ville dans le cadre d’une nouvelle explicitation des enjeux et d’un redéploiement des moyens.

De plus, il est constaté que dans les autres villes la question des moyens alloués aux projets recrée de l’asymétrie entre les partenaires, ce qui entraîne des rapports de force et des évite-ments. Ici, le fait que la Ville de Nantes ait d’emblée évacué la question des moyens en s’impo-sant comme le financeur et animateur de la démarche facilite l’implication de tous les acteurs.

En somme, la commande politique paraît lisible, claire, équilibrée et se voit renforcée dans ses orientations par les marges de manœuvre qu’elle laisse aux acteurs du territoire afin de se la réapproprier, le but étant de lui donner davantage de sens et de figuration en terme de contenu.

Il s’agit désormais pour la Ville de Nantes d’assurer les garanties nécessaires à la mise en œuvre de ce projet, notamment en ce qui concerne les moyens humains. Il appartiendra aussi aux acteurs de favoriser un lien futur entre les jeunes et les élus de la Ville en se gardant de jouer un rôle de « filtre ».

Le partenariat en débatpar René Jarry, sociologue Intervention réalisée lors d’une journée de réflexion mobilisant les équipes-projet de Brest, Quimper et Nantes le 15 septembre 2012 à Quimper

1. Les dimensions contradictoires du partenariat

Le partenariat est constitué par nature de plusieurs dimensions potentiellement contradic-toires. C’est une relation, par nature, complexe. Pour reprendre les mots d’Edgar Morin, une relation est dite complexe lorsque les « éléments du système sont à la fois antagonistes, com-plémentaires et concurrentiels ». Le partenariat semble cumuler ces trois types de relation :

• Une fonction d’occultation des rapports de dépendance (complémentarité déséquilibrée) :le partenariat peut parfois s’apparenter à du paternalisme (exemple des relations entre les Églises du Nord et celles du Sud après la décolonisation).

• Une fonction d’occultation des rapports de pouvoir antagonistes : à l’initiative d’un acteur particulièrement puissant, un partenariat peut être engagé. L’acteur subalterne ou plus faible (institutionnel ou autre), flatté de la sollicitude, ne peut refuser. Il signe du même coup sa neutralisation et la fin de son indépendance.

• Une fonction d’occultation des rapports de concurrence :les stratégies partenariales ont-elles pour but de réduire ou même de faire disparaître la concurrence en augmentant la sécurité de tous les protagonistes par la

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stabilisation de l’environnement ? Elles participeraient alors de la même intention que le recours hyper-moderne au projet, le projet étant entre autre, une tentative de réduction de l’incertitude dans un univers en crise...

Ces stratégies correspondraient alors à une nouvelle forme de concurrence dans laquelle le but ultime est d’affaiblir ou de piéger le partenaire, d’aboutir à une domination en le neutra-lisant. Le partenariat est porteur de l’illusion qu’il va permettre de résoudre des conflits, des problèmes.

Ainsi, le partenariat est-il toujours menacé d’éclatement car il met en tension des pôles contraires avec lesquels il lui faut composer. Il n’a d’autre avenir que l’auto-institution constante. Toute assise ou prétention universaliste le condamne à l’ignorance du complexe. Mais à l’in-verse, le renoncement à toute mise en ordre le livre à l’éclatement et à l’inefficacité…

2. Le rôle du technicien

Le technicien a un double rôle : l’assistance à maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre.

Le technicien est dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage politique, car il aide l’élu à construire son expertise et son savoir pour valider et s’engager. La constitution d’une conduite politique collective constitue l’élément premier et déterminant de la démarche de projet.

Cependant il y a nécessité de revisiter la logique mise en œuvre lorsqu’on est dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage : il convient de bien distinguer les rôles respectifs de la conduite politique et de la conduite opérationnelle. Il y a bien, d’une part, un rôle de commandement avec la définition précise des orientations politiques et, d’autre part, un rôle d’exécutant, avec la mise en place des actions et/ou opérations.

Il arrive pourtant bien souvent qu’il y ait confusion des rôles, en particulier quand la conduite politique n’est pas constituée, consolidée ou n’est qu’apparente, c’est-à-dire qu’elle n’a pas rempli sa fonction de définition précise des orientations, en ne donnant que des lignes floues ou polysémiques, (comme, par exemple, développer la « mixité », mettre en place de la « par-ticipation », etc.).

Comme assistant à maîtrise d’ouvrage et maître d’œuvre, le technicien est alors livré à lui-même et agit sans commande politique véritable, ce qui peut parfois apparaître comme confortable mais est toujours à terme source de conflit, et d’affaiblissement ou de dépéris-sement de l’objet.

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n LA PARTICIPATION

La participation, un référentiel polémique… et qui doit le resterpar Bernard Bier, Intervention réalisée lors du second séminaire coopératif le 18 juin 2012.

Parler de participation renvoie à la fois à un référentiel normatif de politique publique, à des pratiques variées et au périmètre flou, et à l’action des institutions et des professionnels en direction des jeunes ou avec eux.

1. Un référentiel normatif de politique publique

Un référentiel récent La référence (voire l’injonction) à la participation relève aujourd’hui d’une rhétorique obligée dans l’action publique à destination des jeunes, sous des formulations variées et fluctuantes – qu’il faudrait aussi interroger dans leur contexte d’occurrence – : participation, engagement, projet, citoyenneté, initiatives…

Même si elle semble constitutive de l’imaginaire politique et professionnel contemporain, et pour la plupart marquée du sceau de l’évidence, la référence à la participation est pourtant fort récente. À titre d’exemple, François Missoffe, ministre de la Jeunesse et des Sports de 1966 à 1968, commande un rapport afin de comprendre les évolutions d’une jeunesse dont les pratiques et les aspirations semblent opaques, et de plus en plus éloignée des attentes des politiques et professionnels : le « Livre blanc de la jeunesse » (1967) n’invoque quasiment pas la participation des jeunes.

Il importe d’abord de faire un retour par l’histoire à fin d’intelligibilité. Le modèle politique de citoyenneté « à la française » qui s’est construit au moment de la Révolution est national, capacitaire et surtout délégataire, en aucun cas participatif (hormis sous la forme de la parti-cipation électorale). Entre l’État, garant de la souveraineté nationale et de l’intérêt général, et le citoyen (à distinguer de l’individu), il n’y a rien. Les corps intermédiaires (cf. la loi Le Chapelier 1791), susceptibles d’introduire de la division dans la République, sont mis à l’écart et, malgré la reconnaissance tardive de la liberté d’association (1901), toujours suspects.

De ce fait témoigne aussi la méfiance persistante à l’égard de tout ce qui peut s’apparenter au « communautaire » (toujours soupçonné de dérive et assimilé abusivement au « commu-nautarisme »), à l’opposé de ce qui se passe en d’autres pays. Il suffit de comparer la « politique des quartiers » en France et aux États-Unis : d’un côté le recours à l’État, de l’autre la mobilisa-tion des habitants25.

En ce qui concerne les enfants et les jeunes, le phénomène est encore plus marqué, malgré quelques avancées liées aux évolutions de la législation (âge de la majorité, droit familial, Convention Internationale des Droits de l’Enfants ratifiée par la France en 1990…). Dans l’ima-ginaire collectif républicain, l’éducation et l’acquisition de capacités sont un préalable à toute participation (même minime) dans l’espace public : l’apprentissage de la citoyenneté précède son exercice. Ce modèle fortement lié à l’école a été largement partagé, y compris dans le champ de l’éducation populaire, à tel point qu’une historienne, Françoise Tétard, a pu dégager dans l’histoire récente deux modèles quasi antagonistes : le modèle éducatif (qui diffère la participation) et le modèle politique (qui souvent oublie l’éducatif )26.

25 Donzelot J. (avec Mevel C. et Wyvekens A.), « Faire société ». La politique de la ville aux États Unis et en France, 2003, Le Seuil.

26 Tétard F., La jeunesse et les sports face « à la participation des jeunes » : dialogue ininterrompu entre un ministère et une utopie, Rapport 1997, DJVA-MJS.

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Ce n’est que marginalement que certains mouvements d’éducation populaire ou de pédago-gies nouvelles ont pu penser des formes de participation au sein des structures de loisirs ou de la classe, mais il s’agissait majoritairement de pédagogies par le faire, de pédagogie active. Rares sont ceux, qui, à l’instar de la pédagogie institutionnelle, ont pensé la classe par exemple comme un espace politique.

Les conseils d’enfants et de jeunes qui se développent à partir des années 1980 s’inscrivent dans cette logique éducative, même si progressivement – et modérément ! – la question du pouvoir des jeunes va y être posée.

L’histoire des deux derniers siècles nous montre que les tentatives de prise de parole (sous les formes les plus hétérogènes) et d’exercice de l’autonomie de la part des jeunes vont tou-jours se heurter à l’incompréhension, au rejet, – quand ce n’est pas à la répression –, aussi bien dans les sphères conservatrices que progressistes.

C’est dans ce contexte que le référentiel de la participation apparaît à l’agenda de l’action publique dans les années 1980, dans le cadre des politiques de prévention de la délinquance, d’insertion sociale et professionnelle des jeunes, puis de la politique de la ville.

Un changement de paradigmesCette émergence récente témoigne d’un changement de paradigmes :

• Dans la socialisation avec le passage du paradigme de l’intégration au paradigme de l’autonomie et de la construc-tion de soi, dans un contexte de déclin des institutions, ou pour le dire autrement le passage du modèle durkheimien d’incorporation de normes au modèle de l’expérimentation et des interactions (cf. dans ce volume, le texte de Régis Cortesero p. 14, « Des politiques pour quelle jeunesse ? Mutations des formes d’accès à l’âge adulte et action publique »).Dans le contexte ancien, devenir adulte, c’était entrer, s’intégrer dans des rôles et des identités prescrits, déjà là ; dans le contexte nouveau, devenir adulte, c’est construire son identité, trou-ver sa place, se construire.

• Dans l’action publiqueavec le passage du paradigme de l’éducation au paradigme du projet et de l’autonomie.

• Dans l’intervention professionnelleavec le passage du paradigme de la transmission et de l’encadrement (traduit en offre d’équi-pements et d’activités, qui a pendant plusieurs décennies été la forme majoritaire de l’action publique en direction de la jeunesse) au paradigme de l’accompagnement, de l’aide au projet (cf. dans ce volume, le texte de Maëla Paul p. 70 , « L’accompagnement : enjeux sociopolitiques et méthodologie»).

Une notion problématique et polémique Mais l’analyse des usages de cette notion depuis trente ans en montre toutes les ambiguïtés et en fait un objet polémique, qu’il importe d’autant plus de mettre à jour que la recherche du consensus à tout prix fait que le plus souvent on se contente du recours incantatoire à la participation.

• Les définitions et le périmètre de la participation Parle-t-on d’information ? de consultation ? de concertation ? d’implication ? d’un « faire avec » ? de l’acceptation d’espaces de pouvoir autonome (avec éventuellement des budgets dédiés)… ?S’agit-il d’une participation quasi obligatoire (les régimes totalitaires étaient, à leur manière, participatifs !) ?

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D’une participation « instrumentalisée » (les politiques de « discrimination positive » des années 1980 font de la participation un gage de leur réussite et un outil de mobilisation des habitants, des jeunes…) ? D’une participation comme prise de parole et de pouvoir, qui s’exprime aussi dans des actes, voire sous des formes plus « spontanées « (manifs, raves..) ?

• Le public-cibleLe discours de la participation (parfois aussi décliné en référence à une citoyenneté aussi floue qu’incantatoire) est inséparable des politiques des années 1980 et suivantes, et dont elles constituent un des référentiels : il « cible » avant tout les publics des quartiers populaires (habi-tants, immigrés, jeunes…), tous pensés en référence à des problèmes, des difficultés… quand ils ne sont pas eux-mêmes la difficulté, le problème, et conséquemment sur le mode du déficit. Même si progressivement un autre discours va se faire entendre (celui des savoirs, des com-pétences des habitants qu’il faudrait prendre en compte), il n’efface guère le précédent, avec lequel il va co-exister : schizophrénie des acteurs et des politiques ?Une trace parmi d’autres de cette ambiguïté : lorsqu’en 1997, le gouvernement Jospin organise à Villepinte un colloque sur la violence dans les quartiers (« Des villes sûres pour des citoyens libres »), il en sort… une relance de l’éducation à la citoyenneté. La citoyenneté pour « civiliser le sauvageon » ? La question peut être posée.

• Les principes de justification Parler de la participation des jeunes peut renvoyer à des problématiques diversifiées :– juridiques : reconnaître le droit des mineurs ; permettre l’exercice d’une citoyenneté pleine

et entière (par l’accès aux droits)… ; – politiques : réactiver le pacte politique ; retisser le lien avec le monde politique institutionnel

qui traverse une crise de confiance dont l’absentéisme électoral est un des signes ; renforcer le modèle délégataire par la participation des habitants ; promouvoir un autre mode de démo-cratie où chaque composante de la société peut avoir accès à la parole, voire des marges d’initiatives autonomes… ;

– sociologiques : réactiver un lien social mis à mal ; prévenir les ruptures entre jeunes et ins-titutions ; s’appuyer sur les initiatives de certains groupes ou individus… ;

– psychopédagogiques : permettre la socialisation, la construction de soi, les apprentissages par le faire...

La clarification de ce que l’on choisit de mettre derrière le mot participation s’avère nécessaire d’un point de vue intellectuel d’abord, mais aussi parce que la non-élucidation collective au moment de l’élaboration du projet se révèle toujours ensuite in fine un obstacle à l’action.

Des points d’interrogation et de vigilance Dans le prolongement de ce qui précède, quelques difficultés nous semblent devoir être soulignées.

La référence à l’autonomie est assez ancienne dans le vocabulaire philosophique, dans celui de la philosophie politique en particulier. Elle est entendue comme capacité à exercer un « libre jugement ». Pour Kant et les penseurs des Lumières, elle est la condition et la finalité de la citoyenneté.Mais dans le vocabulaire de l’action publique contemporaine, le sens est quelque peu diffé-rent : l’autonomie renvoie à la capacité de chacun à construire son identité et à trouver sa place dans la société adulte.

Un premier paradoxe est que cette injonction récurrente à l’autonomie se fait dans un contexte de dépendance croissante et prolongée des jeunes des subsides publics ou familiaux. Autrement dit, si le processus d’autonomisation des jeunes est de plus en plus précoce, il ne

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peut trouver son plein exercice lié à l’état d’indépendance que de plus en plus tard. C’est particulièrement vrai pour les jeunes les plus fragilisés et précarisés, pour qui les condi-tions de l’indépendance s’avèrent absentes.

La valeur attribuée à l’autonomie est le propre d’une « société des individus ». Elle fait porter à chacun la responsabilité de sa réussite et de son échec. Si cela peut-être gratifiant quand il y a réussite, cela renforce l’invalidation, la disqualification de ceux qui se retrouvent en situation d’échec (face à l’emploi, à la réussite scolaire, aux difficultés quotidiennes…). Comment alors vivre avec cette image négative de soi ? Comme l’ont montré les sociologies interactionnistes, les comportements de victimisation (« C’est de la faute à.. », « c’est parce qu’il n’y a rien pour moi ») sont une réponse pour « ne pas perdre la face », « pour garder l’estime de soi ».

Appeler à l’autonomie (c’est-à-dire à définir sa propre loi, à ne dépendre que de soi) devient paradoxal quand, dans le même temps, les institutions et leurs représentants prétendent définir des formes et les contenus ad hoc et recevables de cette autonomie : « Sois autonome… comme je le veux ! ». Ce double bind, cette injonction paradoxale, au-delà de sa faible lisibilité, est, comme l’a montré l’école de Palo Alto, génératrice de troubles psychiques27.

La participation se doit d’être collective, insiste-t-on, en réaction contre l’individualisme domi-nant présumé et au nom d’un intérêt général invoqué de manière récurrente (alors même que l’on en appelle par ailleurs à l’autonomie individuelle). Or l’expérience vécue par les jeunes témoigne de réalités, qui ne peuvent être perçues que comme double discours des institutions. Quelques exemples :– en 1994, en réaction contre un projet gouvernemental qui les concerne ô combien (le Contrat

d’Insertion Professionnelle), des dizaines de milliers de jeunes descendent dans la rue. Outre le fait d’être immédiatement accusés d’être manipulés, d’être incompétents…, ils sont ren-voyés chez eux et appelés par le gouvernement Balladur à répondre à un questionnaire… individuel28 ;

– plus récemment, face à un projet du gouvernement Fillon-Sarkozy relatif à l’allongement de la retraite, de très nombreux jeunes manifestent avec d’autres générations. Outre les reproches habituels, on s’étonne et on allègue que leur participation aux manifestations n’a pas lieu d’être, que cela ne les concerne pas vu leur âge (sic !) ;

– à maintes reprises, on a pu observer comment dans les conseils d’enfants et de jeunes, qui se veulent lieu d’éducation à la citoyenneté, ces derniers étaient assignés à des « sujets de jeunes » ;

– plus localement, des jeunes de l’association Al Andalus à Saint-Nazaire, mobilisés autour de revendications communautaires (et donc perçues comme non citoyennes), se heurtent aux réticences des institutions devant ces mobilisations non conformes29 ;

– Last but not least, on pourrait interroger certaines démarches prétendument évaluatives visant à mesurer le degré de satisfaction individuelle des usagers-clients des équipements ou dispositifs et visant la fidélisation des publics, à l’opposé donc du processus d’autono-misation (qui devrait conduire très logiquement à se déprendre de l’autorité, à se détacher des lieux imposés), et plus proches des logiques du monde marchand que des exigences citoyennes.

Liste bien sûr non limitative !

27 Bateson G., Vers une écologie de l’esprit, tome 2, 1980, Le Seuil.28 Mauger G., « La consultation nationale des jeunes contribution à une théorie de l’illusionnisme social » ,

Genèses, 1996. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1996_num_25_1_1417

29 Hbila C., Jeunes de quartiers populaires et politiques de jeunesse, L’expérience du Grand Ouest, 2011, Cahiers de l’action, INJEP. p. 64-66.

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Enfin, l’outillage lexical institutionnel est lui-même soumis à des évolutions qui font que les mots sont piégés, leur sens brouillé. Des termes qui appartenaient au vocabulaire d’un certain progressisme (politique, social, éducatif ) comme autonomie, innovation, projet… deviennent ceux du néolibéralisme. Les mots qui renvoyaient à une émancipation individuelle et collective, inséparables du référentiel de l’égalité et de la construction d’une offre pour ce faire, reviennent donc dans la logique inégalitaire d’un certain ordre social et politique, où chacun doit trouver sa place, avec le modèle d’un individu autonome et mobile, toujours en mouvement, sans enracinements ni liens forts, désaffilié. D’où bien des ambiguïtés, dont témoigne aujourd’hui le succès du référentiel de « l’égalité des chances » - expression qui peut renvoyer à des conceptions politiques antagonistes - et fait jouer à plein les mécanismes de la « sélection naturelle » (sous couvert du mérite : en fait la reproduction sociale !), et auquel on pourrait opposer le référentiel de « l’égalité des droits »30.En réponse à ce brouillage sémantique, il est nécessaire, pour reprendre les propos du poète, de « redonner sens aux mots de la tribu ». Faute de quoi, tout projet politique est condamné à l’inefficacité.

2. Quelles modalités d’intervention de l’action publique (ou la rencontre difficile de l’institutionnel et des pratiques et sociabilités juvéniles) ?

Sortir de l’institutionnalisation du déficit

Comme montré plus haut, l’envers de cette injonction normative à la participation, particu-lièrement adressée aux jeunes des quartiers populaires, est le constat de l’écart entre les jeunes, destinataires, bénéficiaires, publics « ciblés » des dispositifs, et les attentes et représentations des politiques et des professionnels, soucieux « par essence » du bien commun, et porteurs de normes sociales « universelles ». Les jeunes sont alors perçus nolens volens sur le seul mode du déficit, d’un regard négatif qu’ils intègrent, qui participe de leur construction identitaire, qui les empêche d’avoir confiance en eux, en leur capacité à aller de l’avant, mais qui contribue aussi à forger une image des professionnels, des institutions, de l’environnement, perçus comme hostiles, coupables (ou complices) de leur invalidation et de leur échec. Ce phénomène est particulièrement prégnant chez ceux qui sont victimes du racisme, des discriminations, mais peut-être étendu à toutes les formes de rejet des jeunes. C’est pourquoi la volonté d’une ré-activation du lien entre les jeunes et les institutions, celle de les « mettre en projet » passe d’abord par un travail visant à leur ré-assurance, et ce qui est intrinsèquement lié, à changer le regard des institutions elles-mêmes sur eux. Une société décente, nous dit le philosophe Avishaï Margalit31 , est « une société où les institutions n’humilient pas ».

Cela nous conduit aussi à interroger « l’injonction projective » (Jean-Pierre Boutinet) qui consti-tue un des axes majeurs quand ce n’est pas l’axe unique de nombre de politiques de jeunesse. Le préalable du projet ou du désir de projet pour accompagner des jeunes peut vite se révéler contre-productif, les jeunes les plus précarisés étant les plus éloignés de cette démarche, et contribuer à les reléguer encore plus. (Sur l’opposition entre la conception procédurale du projet et l’approche processuelle, voir dans ce volume p. 110 le texte de Bernard Bier « De quoi l’expérimentation d’État est-elle le nom ? »).

Lire les comportements et les propos des jeunes

Sortir du regard stigmatisant passe aussi par une nécessaire interrogation sur la manière dont on lit leurs discours et leurs pratiques. C’est une question à la fois épistémologique, politique, éthique… et opérationnelle.

Les jeunes des quartiers populaires (la question concerne bien sûr plus largement bien d’autres publics, dont leurs parents, les adultes) (ne) sont-ils (que) des êtres en déficit d’éducation,

30 Rosanvallon P., La société des égaux, 2011, Le Seuil.31 Margalit A. , La société décente, 1999, Climats.

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sauvages ou « sauvageons », barbares, incapables d’accéder à la parole et aux savoirs, aux actes et comportement littéralement in-sensés, et donc à éduquer, socialiser, civiliser ? Ou sont-il aussi des sujets de savoirs, dont le discours renvoie aussi (dans sa forme comme dans ses contenus) à une réalité vécue, et capables de développer, si on en crée les conditions, une expertise d’usage ?

Les jeunes des quartiers (ne) sont-ils, à l’instar d’autres populations, (que) des populations dominées, et à ce titre incapables de véhiculer d’autres catégories que celles des dominants (le marché par exemple) ? Ou, même dominés, sont-ils aussi capables de développer des stratégies, des résistances, des contournements et de promouvoir des formes adaptées d’orga-nisation ? D’où l’intérêt de mobiliser d’autres catégories de compréhension, telle celle d’« acteurs faibles », promue par certains sociologues32 , permettant de penser à la fois leur vécu (domination, ségrégation, disqualification, manques) et leur capacité à agir.

Comprendre les formes et les pratiques juvéniles dans leurs dynamiques et comme processus

Le discours d’injonction à la participation se heurte à la réalité des pratiques juvéniles. Le terme même de participation (comme celui d’engagement, de projet) appartient à la rhé-torique institutionnelle, pas à celle des jeunes qui « font »… (sauf pour les jeunes, mieux dotés, qui ont acquis les compétences pour instrumentaliser le langage des institutions à leurs propres fins).

Nous ne développerons pas ici les caractéristiques des processus de mobilisations juvéniles. De nombreux travaux existent à ce sujet.

Il faut certes éviter le discours généraliste qui fait abstraction de l’existence même d’une grande diversité et des inégalités au sein de la jeunesse (différences générationnelle, sociale, culturelle, économique, scolaire, géographique, de genre) comme d’ailleurs de typologies figées qui peuvent se révéler « enfermantes » (elles ne permettent pas de voir les passages et la plasticité des comportements des individus et des groupes selon les champs, les contextes). De même, de nombreux travaux existent sur le lien entre le capital socioculturel et scolaire et l’investissement dans les formes les plus instituées de la participation (associative et politique).

Néanmoins il apparaît que, au-delà des différences, des transversalités s’observent : le départ d’une mobilisation juvénile est toujours affinitaire, partant d’un groupe restreint, autour de valeurs d’intérêt, de plaisir et de convivialité. C’est dans le processus que l’initiative se structure, élargit son périmètre géographique et humain… La participation ne se fait pas en référence à une idéologie ou des valeurs préalables, mais « par l’action »33 . Ce phénomène touche des jeunes qui peuvent être considérés comme marginaux34 aussi bien que des jeunes inscrits dans des dispositifs plus officiels35 .

Réhabiliter le conflit comme vecteur de lien social et de démocratie

Au rebours des formes anciennes ou institutionnelles de la participation, nous sommes passés d’un « engagement transcendance à un engagement-recherche »36 , réalité expérientielle inséparable de la construction de soi et du collectif, dans le tâtonnement et l’incertitude.

32 Payet J.-P. , Giulani F., Laforgue D. (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, 2008, PUR.33 Mirales J.-F., Joanny J., Gaillat E., Andrique O., Les jeunes dans la vie locale : la participation par l’action, 2006,

Cahiers de l’action, INJEP34 Gratacap O. , Bier B., Vivre et faire vivre son territoire, rapport d’études, 2011,

http://www.injep.fr/IMG/pdf/vivre_et_faire_vivre_son_territoire_DEF.pdf35 Becquet V ; (dir.), L’expérience du service civil volontaire à Unis-Cités : quels enseignements pour le service civique ?,

2011, Cahiers de l’action, INJEP.36 Benasayag M., Del Rey A., De l’engagement dans une époque obscure, 2011, Le passager clandestin.

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L’enjeu pour les politiques et les professionnels ayant saisi ces réalités et enjeux n’est plus tant de donner des cadres à habiter (cf. le modèle ancien d’intégration, l’offre d’activités et d’équi-pements) que de favoriser la co-construction de cadres pour qu’émergent des dynamiques.

Cette posture appelle, outre les clarifications évoquées supra, de sortir des approches de la participation en termes de consensus, et d’affirmer les vertus du conflit comme vecteur de construction de paroles autonomes, individuelles et collectives, de lien social et politique, et de démocratisation37 – ce que Chantal Mouffe appelle une « démocratie agonistique »38. Le conflit est relation, et c’est précisément son refoulement qui entraîne la violence. En ce qui concerne les jeunes des quartiers populaires, l’enjeu est de permettre l’émergence d’une parole collective « autonome », qui leur soit propre, celle de « contre-publics subalternes »39. Cette parole n’est ni la parole conforme attendue par les institutions, ni une parole spontanée, mais le résultat de la lente élaboration par les jeunes eux-mêmes d’une « contre-expertise citoyenne » (Yves Sintomer). C’est en débattant, en faisant de manière autonome et parfois dans le conflit, qu’on participe à la création des possibilités d’un espace public commun.

Reconnaître l’espace public comme espace du politique

La présence dans la rue des jeunes de quartiers populaires est souvent, on l’a vu dans le pre-mier temps de la recherche-action40, perçue comme problématique. Réduite à cela, la question jeune devient une question d’ordre public Et nombre d’actions à destination d’une « jeunesse dangereuse » ont alors pour fonction de pacifier, de sécuriser l’espace public.

Cette présence, parfois excluante des autres (auquel cas, l’espace cesse d’être public !), a pour-tant du sens. Une approche compréhensive permettrait de lister dans certaines pratiques juvéniles ordinaires (le stationnement sous les abribus par exemple) comme dans les mani-festations qui, en 2005, ont agité certains quartiers autre chose que l’expression de l’ennui (ce peut-être aussi cela !) ou de formes délictueuses (même remarque !), mais aussi comme la revendication du droit à être légitimement dans l’espace public, à être reconnu pour ce que l’on est. Parler d’« espace public » ne relève plus alors de la seule sociologie de l’urbain, mais aussi de la philosophie politique, interrogeant l’organisation et les choix de la Cité, non pas sous la forme du seul débat intellectuel (comme l’avaient défini Hannah Arendt et Jürgen Habermas), mais aussi en actes, in situ, et via des pratiques.

Cette reconnaissance d’un « droit de cité » légitime des jeunes des quartiers populaires, de jeunes souvent victimes de discriminations multiples et renvoyés à leur « illégitimité » (Abdelmalek Sayad) est la condition d’une implication plus active, et aussi de leur reconnais-sance d’un « espace public » comme lieu de la co-présence, préalable à celui d’un « espace public » comme co-construction.

Pour résumer, prendre au sérieux la question de la participation des jeunes appelle :– la mise en œuvre d’une « politique de la reconnaissance », à condition qu’elle ne soit pas que

symbolique ou encore assignation à origine41 ;– des institutions qui se pensent autant comme garantes de l’institué, du déjà-là, qu’en charge

de faire aussi émerger de la nouveauté, de l’imprévu, des dynamiques instituantes, ou de laisser, de permettre leur émergence…, en acceptant la prise de risque nécessaire, d’abandon-ner le fantasme de la maîtrise, et de travailler dans le « consensus conflictuel » (Paul Ricoeur) ;

37 Benasayag M. , Del Rey A., Éloge du conflit, 2007, La Découverte.38 Mouffe C., La politique et ses enjeux. Pour une démocratie plurielle, 1994, La Découverte/Mauss.39 Fraser N., Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, 2005, La Découverte.40 Hbila C., op. cit.41 Bier B., « La “politique de reconnaissance”, une catégorie d’analyse des politiques publiques »,

2007, Pensée plurielle n° 14. http://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2007-1-page-53.htm

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- le retour à l’étymologie latine du terme de participation : participare au XIIIe siècle signifie « faire participer », « partager », « avoir sa part ». Est-on prêt à partager avec l’ensemble des jeunes, à les laisser prendre leur part ? Et si l’appel à participation n’avait si peu d’échos auprès de certains jeunes, que faute de sens, que parce qu’on leur demande sans réciprocité ?

Pensées sous cet angle, acceptant de se confronter à ces enjeux, les politiques de jeunesse peuvent se révéler un laboratoire du politique.

Le projet de Lorient (Co-construction d’un projet jeunesse de territoire à Kervénanec) à l’épreuve de la participation.

Fiche préparatoire à l’atelier du second séminaire coopératif.

1. Les finalités de la participation des jeunes dans le projet

• Co-construire avec les jeunes un projet jeunesse de territoire qui corresponde aux attentes des jeunes adultes du quartier ;

• Créer une offre de services nouvelle visant prioritairement l’accompagnement renforcé des jeunes vers l’insertion sociale et professionnelle ;

• Offrir aux jeunes des ressources qu’ils ne pourraient mobiliser sans l’appui de la Ville de Lorient et de ses partenaires.

2. Les jeunes ciblés par la démarche

Ce sont prioritairement les jeunes de 16 à 30 ans du quartier de Kervénanec, qui occupent régulièrement à partir de 14 h le centre commercial, positionné au cœur des tours et des barres d’immeubles, qui représente un lieu d’activités privilégié aux côtés de l’équipement socioculturel et de la bibliothèque municipale.Si la population qui compose ce groupe de jeunes est plurielle, il n’en reste pas moins que celle des jeunes « sans emploi », ayant souvent échoué à l’école, reste largement majoritaire.L’idée générale est de mobiliser ensuite plus largement, au-delà de ce groupe « visible », par une offre de service répondant aux attentes (les filles sont notamment moins visibles sur l’espace public, mais participent volontiers, pour peu que l’on « aille les chercher »).

3. La méthode employée

L’idée a consisté à construire une démarche participative avec un groupe de jeunes du quartier de Kervénanec dans le but de produire un projet qui tienne compte des attentes de l’ensemble des jeunes du quartier.

L’appel à participation des jeunes a été réalisé, via des courriers envoyés à ceux dont la mairie disposait de l’adresse, via le bouche-à-oreille, puis également via un blog élaboré avec eux. Aussi, les professionnels, préalablement sensibilisés à la démarche et informés de ces objectifs, ont été invités à relayer cet appel auprès des jeunes qu’ils côtoyaient. C’est ainsi qu’une quinzaine de jeunes s’est présentée lors de la première réunion à laquelle assistait le Maire pour présenter les objectifs de la Ville, en février 2011. Ces jeunes ont accepté de se constituer en groupe afin d’étudier les possibilités de projets répondant à leurs attentes autour de trois thématiques :

– accès à l’emploi ; – accès à la culture ;– accès aux pratiques sportives.

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Les élus, quant à eux, sont sollicités en fonction de leur délégation et ont pour mission de travailler avec les jeunes sur la faisabilité de leurs propositions.Les professionnels, enfin, sont dans une posture de retrait, avec l’objectif d’écouter les jeunes et d’apporter une expertise à leurs demandes.

Pour ce qui concerne les sports, il a été admis que les questions trouvaient leurs réponses dans la densité de l’offre municipale et associative.

Pour ce qui concerne le questionnement sur la culture, le pont a été rapidement fait avec une démarche participative plus globale à destination des habitants : une dynamique de réflexion et d’action sur le projet culturel de quartier mise en œuvre en amont de l’ouverture d’un nouvel espace culturel de proximité (fin 2012).

Si l’idée d’un lieu spécifique pour les jeunes a été rapidement évoquée, il a été décidé collec-tivement que sa finalité principale serait de constituer un espace ressources et d’accompa-gnement renforcé vers la formation et l’emploi. Accessoirement cet espace sera aussi un espace de convivialité en lien avec les associations du quartier.

Le projet a officiellement démarré en février 2011. Les jeunes, qui se sont donnés une année de réflexion pour le faire aboutir, ont pu alors exprimer leur souhait de voir un lieu destiné aux jeunes adultes prendre forme, le foyer du centre social étant quant à lui destiné au public des pré-adolescents, tout en faisant savoir au Maire que leur préoccupation première restait l’emploi.

4. Les éventuels écarts déjà observés par le représentant du projet entre la commande initiale et la mise en œuvre

Partant d’une position très ouverte au départ du projet, l’expression directe, la parole collectée, les attentes exprimées ne trouvent bien sûr pas toutes des réponses. Il est difficile de partager dans une concertation le passage d’attentes exprimées à la réponse à des besoins réels. Le choix de créer un espace spécifique très orienté sur l’intégration socioprofessionnelle ne répond (volontairement) que très partiellement à la dimension « espace de convivialité » fortement présente dans les demandes des jeunes. C’est pourquoi le projet s’oriente sur un fonctionnement misant sur des synergies avec la médiathèque de quartier (espace multimédia commun mais avec des créneaux horaires différenciés pour le tout public et parfois réservé au public jeune). L’espace devra intégrer une volonté de « porosité » de l’espace multimédia. Un espace plus « privatif » pourra permettre de développer les sociabilités sur certains créneaux du soir.

5. Trois questionnements spécifiques au projet par rapport à la participation des jeunes

• Comment faire en sorte que les jeunes impliqués dans la démarche prennent conscience qu’à partir de leurs intérêts particuliers ils travaillent à une réflexion sur l’intérêt général ?

• Comment articuler les temporalités des jeunes (et de leurs attentes) avec les temporalités politico-administratives ? Et comment entretenir une motivation et une implication dans ce contexte ?

• Comment intégrer une démarche participative générationnelle avec une démarche partici-pative plus globale sur le territoire ?

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Le projet de Nantes (Création d’espaces d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes sur le territoire Breil-Dervallières) à l’épreuve de la participation

Fiche préparatoire à l’atelier du second séminaire coopératif.

1. Les finalités de la participation des jeunes dans le projet

Faire participer les jeunes de 16-25 ans à la co-élaboration d’une redéfinition des modalités d’intervention sur le territoire Breil-Dervallières, dans le cadre d’un projet d’implantation d’espaces d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes.

Il s’agit aussi de signifier aux jeunes l’attention qui leur est portée et de les inciter à participer à la vie publique, et ainsi de reconnaître leur rôle et leur place comme acteurs de la cité.

2. Les jeunes ciblés par la démarche

L’ensemble des jeunes de 16 à 25 ans du territoire (sans exclure ceux qui fréquentent le terri-toire mais n’y résident pas). Une attention particulière mais non exclusive est portée aux jeunes « hors-circuit » (galériens) minoritaires, aux jeunes victimes de la précarité et en grande difficulté, aux jeunes en voie d’insertion sociale mais dont la situation reste fragile, aux jeunes insérés en demande de ressources et d’information.

3. La méthode employée

Dans un premier temps, des groupes de travail réunissant des acteurs du territoire ont permis de faire émerger les représentations et questionnements des professionnels.Dans un deuxième temps, ces derniers, accompagnés par RésO Villes, ont élaboré une métho-dologie et une grille d’entretiens pour rencontrer des jeunes des deux quartiers ou les fré-quentant durant le mois de juin 2012. Au terme de cette démarche, 77 jeunes ont été rencontrés individuellement ou en groupe, dans des structures ou dans des lieux plus informels, en s’appuyant aussi sur l’opportunité de manifestations (fêtes de quartiers) ou en les suscitant (lieu de rassemblement espace Perron, sorties de bus, kebabs, déambulation dans le quartier). Les entretiens ont porté sur les besoins du territoire, entre autres autour des questions d’insertion-formation, de mobilité, de place des jeunes et d’aide à leurs projets… Il s’agissait de faire émerger l’expertise d’usage des jeunes et de les conduire à produire analyse et préconisations.Dans un dernier temps, à partir de l’ensemble du matériau recueilli, le groupe des profession-nels a synthétisé les préconisations des jeunes, identifié ce qui pouvait rapprocher ou distin-guer les points de vue des jeunes et ceux des acteurs, et enfin dégagé une série de préconi-sations à visée opérationnelle à destination de la Ville, et sur des temporalités plus ou moins longues. Dans cette dernière phase, il a été décidé de rester entre professionnels, sans associer des jeunes, ce qui aurait été pourtant souhaitable. Cependant une participation des jeunes, sans préparation sur la durée, sans équilibre numérique entre jeunes et professionnels, sans mise en place d’un protocole complexe pour que les jeunes ne se trouvent pas privés de la parole, aurait pu se révéler contre-productive en les décourageant, en les mettant dans une position minoritaire ou d’alibi. Par contre, cette absence des jeunes dans ce temps obligera la Ville à être encore plus vigilante quant à la restitution et à la manière dont elle sera capable de leur laisser une place dans la suite.

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4. Les éventuels écarts déjà observés par le représentant du projet entre la commande initiale et la mise en œuvre

Les jeunes ont incontestablement la capacité à faire des préconisations, qui, dans nombre de cas, peuvent croiser les constats et préconisations des professionnels.Mais ils n’ont pas l’habitude qu’on leur demande un avis quelque peu construit ; leurs propos relèvent plus de l’impression, de la réaction spontanée que d’une parole élaborée, une « exper-tise d’usage », voire d’une « contre-expertise citoyenne ».De même les professionnels ne sont pas tous dans la logique de cette démarche d’aller où sont les jeunes, de recueillir leurs desiderata et de les conduire à formuler des propositions.

La nécessité de travailler dans un délai court en direction des jeunes a été en partie une difficulté du fait de l’urgence. Mais elle a permis, en obligeant à s’adapter aux circonstances, de rencontrer des jeunes de manière impromptue, plus informelle, y compris des jeunes qu’on n’aurait pas pu rencontrer dans un dispositif plus lourd ; elle a peut-être aussi ouvert des voies à certains professionnels pour sortir du rapport institutionnel qui est le leur traditionnellement.

5. Deux questionnements spécifiques au projet par rapport à la participation des jeunes

• Comment permettre l’émergence de la parole de jeunes qui ne la prennent pas voire qui ne veulent pas la prendre dans le cadre proposé par les institutions ?

• On ne peut interroger les jeunes sans leur faire un retour. Comment l’envisager en sachant que les formes traditionnelles de communication n’ont pas d’efficacité (et de pertinence) auprès d’eux ?

Le projet de Saint-Nazaire (Paroles de jeunesses) à l’épreuve de la participation

Fiche préparatoire à l’atelier du second séminaire coopératif.

1. Les finalités de la participation des jeunes dans le projet

Partir de l’expertise d’usage des jeunes (en termes de constats et de propositions) pour co-construire avec eux (ainsi qu’avec les autres acteurs et les élus) le projet municipal de jeunesse.

2. Les jeunes ciblés par la démarche

Les jeunes 12-25 ans (étudiants, lycéens, collégiens, jeunes actifs ou en recherche d’emploi…).

3. La méthode employée

Une démarche participative– auprès d’un large public ;– qui s’appuie sur les acteurs et partenaires locaux ;– en cohérence et en complémentarité avec les actions du Conseil régional et Conseil

général.Une démarche limitée dans le temps pour tenir compte de la temporalité des jeunes.

Des temps forts de juin à décembre 2011• Rencontres de proximité (« là où sont les jeunes », au plus près de leurs lieux de vie en s’ap-

puyant sur les espaces d’échanges déjà existants, avec animation de ces espaces avec et par les acteurs locaux mobilisés dans la démarche ») : 27 groupes se sont retrouvés lors des rencontres de proximité, soit au total 345 jeunes âgés de 12 à 25 ans.

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• Mobilisation des jeunes pour participer aux Assises de la jeunesse début novembre. Ainsi, une cinquantaine de jeunes ont participé à l’Agora Jeunesse. Réunis en atelier thématique, les jeunes ont présenté et partagé les réflexions menées au cours des rencontres précédentes. Ils ont affiné leurs travaux en vue des Assises de la jeunesse où ils ont présenté aux élus et aux partenaires la synthèse des travaux (150 participants).

• « Paroles de jeunesses » aux grands rendez-vous festifs : l’opération s’est également déclinée lors de trois événements majeurs . Près d’une centaine de jeunes y a été sensibilisée sur la démarche de concertation.

Recueil de leurs propos autour de trois thématiques • « Vivre bien » : santé, sports et loisirs, prévention des conduites à risques, pratiques artistiques

et culturelles…• « Vivre ensemble » : expression et participation des jeunes à la vie de la cité, lutte contre les

discriminations, lieux de vie…• « Vivre autonome » : logement, transports, emploi, formation, information/

communication…

Mise en place d’un dispositif de suivi :• Un comité de pilotage: élus des différents pôles, techniciens.• Un comité de pôle: élus du pôle Solidarités-citoyenneté, directions.• Un comité de suivi (tous les quinze jours) : élus référents, Mission politiques éducatives et

Jeunesse de la Ville de Saint-Nazaire, Francas/CEMEA.• Des temps de régulation avec les jeunes et professionnels (préparation des Assises, points

d’étape).• Des synthèses après chaque temps fort.

4. Les éventuels écarts déjà observés par le représentant du projet entre la commande initiale et la mise en œuvre :

• La question de la représentativité des jeunes ayant participé (population étudiante sous-représentée).

• La temporalité de la démarche n’avait pas été justement estimée (plus longue que prévu).• Alors que les jeunes se sont engagés sans problème dans la démarche, des résistances ont

été observées du côté des professionnels de la Ville (peur d’être remis en question).

5. Deux questionnements spécifiques au projet par rapport à la participation des jeunes

• Comment faire en sorte que les professionnels de la jeunesse s’approprient la démarche et s’y engagent sans réticence ?

• Comment poursuivre la dynamique engagée dans la phase d’élaboration avec les jeunes lors de la mise en œuvre du projet (après le vote municipal en juin 2012) ?

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La participation en débatpar Régis Cortesero Régis Cortesero a joué un rôle de grand témoin à l’issue des ateliers du second séminaire coopératif.

Les débats tenus en ateliers ont principalement tourné autour deux questions, qu’il faut sépa-rer analytiquement, mais qui sont toujours mêlées dans la réalité : – la question de la « demande » de participation : pourquoi les jeunes participeraient-ils ?

Comment décrire et analyser l’attitude des jeunes face à la participation ?– la question de « l’offre » : comment les dispositifs participatifs doivent-ils être aménagés ?

Qu’est-ce qui, dans l’architecture de ces dispositifs, est nécessaire, superflu, souhaitable ?

Je vous propose, dans un premier temps, de détailler ces deux points de réflexion, puis, dans un deuxième temps, d’adopter une posture plus critique, et de chercher quels écueils, quelles difficultés manifestent les échanges que vous avez eus en atelier.

1. Concernant la « demande »

Les discussions ont largement tourné autour de deux questions.

La première renvoie au problème de la légitimité de la parole des jeunes : pourquoi, au nom de quoi faudrait-il « faire parler » les jeunes, les écouter ?Cette légitimité semble ne pas aller de soi : les jeunes ne sont pas toujours « majeurs » du point de vue de la citoyenneté et des droits politiques ; s’agissant de petits groupes, ils ne peuvent pas non plus se revendiquer d’une quelconque « représentativité » : la parole d’un jeune n’est pas la parole des jeunes, et cette réserve vaut d’autant plus que beaucoup de dispositifs ciblent des catégories particulières de jeunes, comme ceux dits « à faibles ressources ».Par ailleurs, nous sommes tous plus ou moins porteurs d’une vision de l’espace public en tant qu’espace de représentation, où opèrent des élus censés « porter » la voix de ceux qui les ont élus et, plus largement, incarner les principaux clivages qui opposent les groupes sociaux. Dans ce modèle, la source de la légitimité se situe dans le vote et la délibération d’assemblées représentatives42. D’où la question lancinante : pourquoi faire participer des jeunes qui ne sont ni « majeurs », ni élus ? Cela ne va pas de soi.

Deux réponses se sont dessinées dans les échanges– L’intérêt général. Très souvent, la parole des jeunes est jugée légitime à partir du moment

où elle dépasse les intérêts particuliers, immédiats, du groupe concerné. Le « droit » de par-ticiper semble lié à l’objet auquel se réfère la participation, et cet objet doit d’emblée se situer au plus haut niveau de généralité : il doit concerner la collectivité toute entière, et doit être recevable par tout un chacun, être fondé « en généralité ». Le projet participatif a pour objectif, et souvent pour vocation, de conduire les jeunes à se saisir d’un intérêt supérieur à leurs « petits » intérêts particuliers, à changer d’échelle pour se comporter comme des « vrais citoyens », visant l’universalité d’un « bien commun ».

– La représentativité. Cette forme de légitimation est en quelque sorte symétrique à la pre-mière : elle vise les mêmes objectifs avec des moyens différents. Ici, on cherche la généralité dans la procédure de consultation. On se donne une contrainte de « représentativité ». La « parole » recueillie ne semble légitime que si elle s’applique à « tous » les jeunes, qu’elle englobe et transcende l’ensemble des intérêts des jeunes. Le questionnement, du coup, se fait technique : comment obtenir autre chose que la parole d’un sous-groupe ? Doit-on faire des entretiens individuels, collectifs ? Combien faut-il en faire ? etc.

Autrement dit, et c’est ce qui identifie ces deux figures l’une à l’autre, la parole des jeunes est tenue pour légitime dès lors qu’elle parvient à se dégager des intérêts les plus particuliers et

42 Manin B., Principes du gouvernement représentatif, 1996, Flammarion.

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qu’elle peut se revendiquer d’une forme de généralité qui l’inscrit dans la perspective d’un bien commun.

Bien sûr, il y a les exemples de vos expérimentations, mais au-delà, ce « réflexe », ou ce principe, traverse la plupart des scènes ou des dispositifs participatifs. Par exemple, très classiquement, on va discréditer des actes participatifs lorsqu’ils en appellent à des revendications religieuses, car on estime que « la religion n’a pas droit de cité dans l’espace public », que la religion relève du privé, donc de l’intérêt privé43.De manière plus générale, les travaux sur la participation montrent que celle-ci est régie par plusieurs « langages » civiques et politiques, qui définissent les conditions de recevabilité des thèmes et des arguments échangés sur une « scène » délibérative, et qui permettent, du même coup, d’exclure du cercle ceux qui ne se plient pas à la « discipline » argumentative imposée par chacun de ces langages44.

De fait, les « scènes » délibératives sont toujours des espaces de lutte et de conflit autour du « langage » à adopter, des principes de recevabilité à retenir pour circonscrire le cercle des interlocuteurs légitimes et en faire sortir ou en refuser l’accès aux importuns. Le langage « civique », celui de l’intérêt général, est le plus fréquemment retenu, et il permet de discréditer les participants en les renvoyant à leur intérêt particulier. C’est par exemple « depuis » ce lan-gage que l’étiquette « NIMBY » (not in my backyard – « pas dans mon jardin ») est infamante et excluante. Elle consiste à caricaturer une personne qui s’oppose à un projet d’infrastructure pour protéger son cadre de vie immédiat, et par extension, tous ceux qui s’opposent ou reven-diquent à partir de préoccupations autocentrées à courte vue. De fait renvoyer les gens à leur intérêt privé correspond à une forme classique de délégimitation que l’on observe dans toutes les scènes délibératives.

Les échanges en atelier, fortement articulés à cette idée d’une légitimité de la participation acquise à condition que les thèmes et les arguments pointent vers l’horizon d’un intérêt général, attestent de la force de cette perspective « civique » dans l’esprit et les pratiques des professionnels. Sans doute la « jeunesse » comme cible d’action suscite-t-elle en partie la mobi-lisation de ce référentiel « civique », car celui-ci implique une démarche éducative et la logique d’une « éducation morale ». Selon cette perspective, il convient d’enseigner la citoyenneté, et, à cette fin, d’accompagner le jeune vers une capacité à se saisir de thèmes et de causes plus larges et plus lointaines que son univers immédiat. Il faut lui apprendre à élargir le cercle de ses préoccupations : de son immeuble à son quartier, de son quartier à sa ville, de sa classe d’âge à la classe générationnelle… Il convient néanmoins de rappeler les questions propre-ment politiques que pose cette vision « civique » de la jeunesse comme temps d’un égoïsme à contrecarrer au moyen d’une « éducation morale » : celle-ci s’inscrit aussi dans une logique de contrôle social face à l’image de la « jeunesse dangereuse », en plaçant le jeune en position de débiteur dans l’échange social ; en le définissant comme un être de devoir avant de le concevoir comme un sujet de droit45. De la sorte, ses revendications propres deviennent inaudibles, frappées d’une sorte d’irrecevabilité a priori.

La seconde question qui a fortement émaillée vos discussions concerne la formation et l’émer-gence de la demande sociale. Comment une « envie » en vient-elle à être verbalisée et formalisée ?

43 Pour des exemples cf. Cortesero R., Les centres sociaux entre participation et cohésion sociale, rapport pour le compte de la CNAF, à paraître dans la collection des Dossiers d’Etudes de la CNAF, 2012. Il est à noter cependant que cette exclusion de la religion de l’espace public repose sur une interprétation erronée de la laïcité et de la loi 1905. Cf. sur ce point Baubérot J., La laïcité falsifiée, 2012, La Découverte.

44 Rui S., La démocratie en débat. Les citoyens face à l’action publique, 2004, Armand Colin.45 Cf. Bier B., « Jeunesse comme danger ou jeunesse comme ressource ? L’analyseur Villepinte », in Bier B.,

Politiques de jeunesse et politiques éducatives. Citoyenneté/éducation/altérité, 2010, INJEP/l’Harmattan,

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Dans vos échanges, il y a l’idée que la demande sociale n’est pas un « objet trouvé » : il faut la susciter, il faut l’accompagner, ce qui suppose de la part des professionnels une attitude proactive, qui consiste à « aller vers », qui suppose de l’implication, de la conviction, et un certain nombre de savoir-faire.

À ce sujet, on peut reprendre le concept de « contre-public subalterne » proposé par Nancy Fraser46, et qu’a rappelé ce matin Bernard Bier. Fraser reprend à Habermas et à la tradition philosophique l’idée que la délibération et le débat constituent les modalités les plus à même de permettre l’émergence d’une volonté collective et d’une conscience collective, parce qu’ils permettent de « mettre en commun » et de « socialiser » les expériences vécues individuelle-ment, mais aussi parce qu’ils imposent aux participants des contraintes de recevabilité qui les placent d’emblée dans la perspective d’un débat démocratique, où les arguments et les posi-tions doivent être justifiables. L’espace public permet à ce titre de faire émerger une conscience et une volonté proprement politiques. Mais Fraser prend note des critiques adressées à la « fiction » d’un espace public neutre : tout espace de discussion est traversé de rapports de pouvoir et de domination qui conduisent à la censure ou à l’autocensure des plus faibles et permettent, au final, aux dominants, d’imposer leurs intérêts particuliers en les drapant sous l’illusion d’un consentement rationnel. Concrètement, les faibles ne prennent pas la parole, car ils sont sous l’emprise de la force rhétorique des dominants, parce qu’ils ne par-viennent pas à se défaire des catégories et des langages qu’ils imposent et qui fonctionnent à leur avantage, ou tout simplement parce qu’ils ont peur des risques d’humiliation, et des représailles qu’ils pourraient avoir à subir s’ils adoptent une attitude critique47. Il faut donc à leur endroit inventer des espaces publics protégés ; il faut permettre une délibération sous-traite au regard du dominant au sein d’un entre-soi. Imaginons une réunion d’ouvriers pendant un piquet de grève : tout le monde sent bien que la teneur des débats y sera très différente s’il n’y a que les ouvriers ou si l’on inclut le DRH ou la direction elle-même.Le « contre public subalterne », c’est un public qui se forme à l’abri, et souvent contre les regards et le jugement du dominant ; c’est un public qui parvient à formuler de manière réflexive un certain nombre de souhaits, de besoins, d’aspirations qu’il ne parviendrait pas à formuler sous le regard et la contradiction que lui apporterait le dominant.L’emprise du dominant sur les échanges horizontaux et entre pairs n’est pas la seule « bride » qui limite l’émergence d’une demande. On sait aussi que les gens s’adaptent à leur condition : ils ne revendiquent que ce à quoi ils pensent pouvoir accéder. C’est d’ailleurs un lieu commun de la sociologie : les gens « font de nécessité vertu », ils font « le choix du nécessaire », et déve-loppent des aspirations cohérentes par rapport à leur chances effectives de réalisation. Et la position sociale détermine le sentiment de pouvoir peser sur le cours des choses. Plus vous êtes « en bas », moins vous avez le sentiment de disposer d’un pouvoir social effectif, de pouvoir influer sur votre environnement social et votre destin personnel. Un des grands théoriciens de la participation, Saul Alinsky, expliquait que donner du pouvoir aux gens doit être un préalable48. Il faut commencer par donner du pouvoir plutôt que d’at-tendre que les gens aient conçu un « projet » pour leur apporter les moyens de le réaliser. Son idée peut être formulée très simplement : « ne demandez pas aux gens ce qu’ils veulent, ils vous répondront toujours des choses décevantes. Donnez-leur d’abord du pouvoir, et ils trou-veront quel usage en faire une fois qu’ils prendront la mesure de leur pouvoir d’agir ». Les sciences humaines montrent que le pouvoir précède le « vouloir », que l’expérience précède la pensée, que l’action précède le projet49. Par conséquent, le travail de celui qui essaie de mettre en mouvement des minorités doit consister à ouvrir préalablement des perspectives et des horizons d’action, ce qui contredit radicalement la classique approche par projet, qui

46 Fraser N., Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et distribution, 2005, La Découverte.47 Scott J., La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, 2009,

Éditions Amsterdam.48 Alinsky S., Manuel de l’animateur social, 1976, Le Seuil.49 Joas H., La créativité de l’agir, 1992, Editions du Cerf.

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obéit à une logique linéaire, « cartésienne », où la pensée précède l’action, où l’élaboration d’un plan d’action doit intervenir en amont, et où l’action est conçue comme la mise en œuvre de ce plan préétabli.

Dans le travail au sein des groupes, tel qu’il a été relaté par les rapporteurs, il semble que ce problème des conditions d’émergence de la demande sociale a également souvent été traité comme un problème technique : doit-on faire des sondages, des quotas, des entretiens collectifs, individuels, avec des professionnels ou pas ?

Par rapport à ce qui vient d’être dit, ce questionnement pose deux problèmes.On en revient à une vision de la demande sociale comme préexistante à l’action. Le « travail » du professionnel consisterait à chercher le meilleur outil d’enregistrement de cette demande, celui qui induirait le moins de distorsion, de déformation. Raisonner en termes de sondages, de quotas, d’entretiens non directifs ou semi-directifs, c’est chercher un outil « neutre », per-mettant de recueillir une expression « telle qu’elle est », en dehors du travail d’observation, indépendamment de l’intervention. « L’image » du bon outil entre donc en contradiction avec l’image de la « bonne pratique » : il faut susciter la formation d’une demande, mais on se donne des outils qui fonctionnent selon le principe de l’appareil photo ou de l’enregistreur audio ou vidéo : enregistrer le plus fidèlement possible « ce qui est », en limitant les effets induits par l’observation. D’un côté, il faut se pencher pour ramasser la demande rencontrée au cours de l’action, de l’autre on affirme que la demande n’est pas un objet trouvé… Ce questionnement « technique » semble sous tendu par l’exigence « civique » évoquée au début. On cherche à dépasser les intérêts particuliers en se dotant d’outils capables de sonder « objectivement » les aspirations du plus grand nombre. L’outil acquiert le statut politique du représentant dans le modèle de la démocratie représentative : il doit permettre de présenter ce qui existe déjà - re-présenter. Du même coup, l’outil doit répondre à une contrainte de représentativité : représenter tout le monde.

On peut donc faire l’hypothèse que la conception dominante de la légitimité civique de la parole des jeunes vient perturber la mise en pratique de la participation des jeunes. Pour le dire simplement, les professionnels mettent en œuvre des dispositifs participatifs avec une conception « représentative » de la démocratie. D’où l’écrasement de la demande par « l’injonc-tion à l’intérêt général » : il est attendu des jeunes qu’ils servent la collectivité tout entière en entrant dans la participation. Ils ne peuvent s’exprimer « en tant qu’eux-mêmes » mais au nom de quelque chose qui les dépasse, tout comme le représentant élu, qui doit parler non pas au nom de lui-même mais au nom de ceux qu’il représente. Du coup, il leur faut énoncer des projets préalablement à l’action, projet qui devront recevoir un « brevet de généralité » avant toute mise en œuvre, brevet décerné par une sorte de magistrature de la généralité (composé d’élus ou de professionnels).En d’autres termes, la parole des jeunes est légitime si elle dépasse l’intérêt des jeunes. La participation n’est pas au service des jeunes, mais au service du lien social, de l’utilité col-lective. Il a été souligné par certains groupes que l’impulsion initiale de l’expérimentation relevait d’une visée politique de tranquillité publique. L’action entreprise est au service d’autres intérêts que celui des jeunes…

Or, démocratie participative et démocratie représentative sont deux choses différentes. La démocratie participative n’exige pas forcément la représentativité, ou l’intervention au seul nom d’un intérêt général abstrait et détaché de l’expérience locale. Une minorité qui estime avoir droit à quelque chose n’a pas à être représentative d’autre chose que d’elle-même pour investir l’espace public. C’est même le contraire qui est vrai : c’est parce que cette minorité n’est pas représentée qu’elle investit l’espace public et fait entendre sa voix, ses exigences, ses intérêts propres contre son invisibilisation au nom de l’intérêt général. Quel est l’intérêt

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des jeunes, celui qui entre en tension avec la tranquillité [de l’autre] publi[c]que [« non-jeune »] ? Il y a quelque ironie à vouloir faire participer les jeunes en estimant qu’ils ne sont pas assez représentés, pas assez pris en compte dans l’action publique, et à leur demander dans le même temps de ne pas être égoïstes, de ne pas penser qu’à eux, d’accepter que soit différée leur satisfaction au nom des contraintes de l’action publique qui, elle, doit compter avec tous, obéit à sa propre temporalité, etc.

Cette « participation au service de l’utilité collective » ou de « l’intérêt général » n’est pas sans arrière plan idéologique. Elle dessine une certaine vision du social, celle où « personne n’est victime », c’est-à-dire la vision libérale50. Elle participe de la vision actuelle de la « cohésion sociale » qui irrigue aujourd’hui les référentiels d’action publique à partir d’organismes tels que l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International (FMI), et dont l’idée centrale est que la stabilité de la société repose sur l’attitude des personnes et non sur les structures51. La participation devient l’engagement actif de tout un chacun dans la promotion de sa propre « utilité sociale », dans une représentation générale où c’est à l’individu de résoudre ses propres problèmes. C’est ce terrain que Bernard Bier a commencé à baliser ce matin, celle d’une bivalence des grandes catégories d’action publique comme « autonomie », « participation », « empowerment », « cohésion sociale ». Toutes ces notions ont été utilisées à des fins émancipatoires, mais elles font aussi aujourd’hui partie du vocabulaire du libéralisme52. Dans cette perspective, ce sont les individus, par leur mobilisation personnelle, qui assurent la cohésion sociale. La société ne précède pas les individus53. D’où l’exigence d’un recul critique lorsqu’on utilise ces notions, et plus encore lorsqu’on les mobilise pour mettre en œuvre de l’action publique : que fabrique-t-on au travers des projets participatifs que l’ont promeut ? Est-ce qu’on fabrique du politique, ou du « non politique » ?

Fabriquer du « non politique », c’est placer les individus en situation de responsabilité par rapport aux problèmes qu’ils rencontrent. C’est travailler « comme si » ces problèmes rele-vaient de leurs propres compétences, non pas d’une compétence tierce, donc sociale et poli-tique. C’est faire opérer la face « libérale » du principe de participation (ou de responsabilité, de cohésion, de projet etc.), plutôt que sa face « émancipatoire ».

2. Concernant l’offre

Les échanges font ressortir un premier constat autour des réticences et des craintes que semble inspirer l’idée même de construire une offre de participation en direction des jeunes. Réticences et craintes du côté des élus bien sûr, mais aussi du côté des professionnels, qui peuvent être mal à l’aise avec cette idée. D’où les cas fréquents où les jeunes ne sont même pas consultés, sauf pour gérer des situations de crise, comme à la suite des émeutes de novembre et décembre 2005.Une réponse semble se dessiner dans les esprits des uns et des autres : la formation. Il faudrait mieux former élus et professionnels pour qu’ils soient plus à l’aise avec une logique d’action publique bottom up, avec un mode d’action publique qui part des désirs et des aspirations exprimés par les personnes.

Mais il conviendrait sans doute de prendre la mesure de la nature des blocages que suscitent ces logiques. La participation remet en cause le monopole du professionnel sur l’identification

50 Ewald F., Histoire de l’état providence. Les origines de la solidarité, 1996, Grasset.51 Astier I., Les nouvelles règles du social, 2007, PUF.52 Cf. de façon plus transversale, comment le « nouvel esprit du capitalisme » a réinscrit dans ses propres

principes de fonctionnement les éléments critiques naguères utilisés pour le combattre : Boltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, 1999, Gallimard.

53 Helly D., « Les limites de la notion de cohésion sociale », The Tocqueville Review/La Revue Tocqueville, vol. 23, no 1, p. 73-101, 2002.

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et la définition des besoins, donc la définition de son rôle. Or, chez les « professionnels du travail sur autrui », l’expertise dans la définition et l’orientation de l’action constitue précisé-ment l’une des marques de la professionnalité. Le professionnel est comme un prêtre ou un médecin : il revendique un savoir « supérieur » à partir duquel il estime être en position d’« émanciper » les gens. Il agit au nom de la République, de la Science, de l’Intérêt général, de la Raison. La « demande » des personnes n’a pas de légitimité en elle-même. Elle peut même faire figure de symptôme, marquer leur distance à la Raison, à l’Intérêt général etc., et l’action se veut éducative et correctrice54.L’échec de la police de proximité impulsée sous Jospin constitue un bon exemple de ce méca-nisme de blocage55. La police de proximité suppose de faire droit à l’expertise d’usage des usagers. Sa mise en œuvre revient à dire aux policiers : « vous allez faire de la police à partir du besoin des gens ». Or les policiers se considèrent comme des commis de l’État au service de l’intérêt général. Ils estiment devoir « faire la police » au nom d’une rationalité « supérieure » à celle exprimée par la demande sociale. Leur professionnalité repose sur leur capacité à produire une définition « experte » de la sécurité, expertise qui se réclame de l’universalité de l’État régalien, et non pas des communautés avec leurs intérêts particuliers et leurs com-mandes particulières. Massivement, les policiers ont vécu l’introduction de la logique de la proximité comme un dévoiement de leur mission et comme une attaque contre leur pro-fessionnalité et leur expertise.

Si donc on estime qu’il y a nécessité à introduire de la participation face à la définition experte des besoins (logique top down), il nous faut penser à ce que cela implique en terme de dépla-cement des lignes des cultures professionnelles, de nouvelles perspectives, et des réticences que ces reformulations de périmètres de mission risquent d’inspirer.

Enfin, second point et il est absolument central, on peut se demander si l’offre est suffisamment mobilisatrice. Effectivement, en matière de participation, l’offre commande largement la demande, et non l’inverse. Certaines personnes ayant fait l’expérience de la participation ont constaté que l’on ne cherchait que leur consentement pour un projet déjà ficelé. Fort du constat « rationnel » que l’on s’était moqué d’eux, ils vont cesser de jouer le jeu. Dans ce sens, l’offre commande la demande, car si elle est suffisamment attractive, il y a de fortes chances que les gens s’en emparent. Si la participation renvoie à la question du pouvoir, elle ressort également de celui de la reconnaissance56. Concéder un droit à la parole et garantir que ce droit ne soit pas purement formel, mais qu’il touche au fonctionnement effectif des institutions, c’est reconnaître l’autre comme un égal, lui accorder le statut de digne membre de la « com-munauté des citoyens ». L’inverse correspond alors à un déni de reconnaissance et est vécu comme tel.C’est un aspect que les enquêtes de terrain sur les scènes participatives confirment, et c’est aussi quelque chose que vous constatez, d’où un certain nombre d’interrogations sur la nature du « retour » : « quel doit être le retour pour que l’offre reste mobilisatrice ? » Que fait-on, après avoir demandé aux jeunes de s’exprimer, de participer, pour qu’ils ne se sentent pas floués ? Là encore, on peut convoquer la philosophe et politiste Nancy Fraser qui propose de répondre à cette question par un concept, celui de parité de participation. Il faut, estime-t-elle, que les partenaires d’une scène délibérative se voient garantir la possibilité de « participer en tant que pairs » ; « il faut déclarer injuste, écrit-elle, le fait que des individus et de groupes se voient dénier le statut de partenaire à part entière à l’interaction sociale »57.

54 Dubet F., Le déclin de l’institution, 2002, Le Seuil.55 Cf. Malochet V., « La police au défi de la proximité », in Cortesero R. (dir.),

La banlieue change ! Inégalités, justice sociale et action publique dans les quartiers populaires, 2012 (à paraître), Les Éditions du Bord de l’Eau.

56 Fraser N., Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit57 Ibid.

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Le dernier point concerne le caractère collectif ou individuel de la participation. L’offre de participation, la nature de la consultation peuvent être collectives ou, inversement, peuvent être individualisantes. Lorsque, par exemple, l’expérimentation entend proposer un accom-pagnement à l’insertion, le « produit fini » n’est pas collectif. Ce n’est pas un collectif jeune qui va s’emparer du problème de l’emploi et aller faire un tour des entreprises de la région en expliquant qu’il faut employer les jeunes de quartier. Le problème est d’emblée pré-constitué comme individuel, comme celui de chacun d’entre eux séparément. Il y a une mise en tension entre une logique de participation qui est une logique d’action collective, pour aboutir à des réponses qui elles seront individualisantes. Même observation concernant le recours à des entretiens individuels : n’est-on pas à nouveau dans une individualisation à outrance ?

3. Au final, quatre interrogations critiques ressortent des échanges et de l’analyse

• Comment faire émerger les aspirations ? Comment faire émerger une demande sociale de participation ? Cela nécessite un savoir-faire, des formes de professionnalités particulières.

• La participation, c’est la constitution d’une minorité se questionnant sur sa condition sociale. Quel sens donner au recours à des pratiques participatives dans la perspective d’un traite-ment individualisé des problèmes sociaux ? Ne sommes-nous pas face à un dévoiement du principe de la participation ?

• Le caractère écrasant de l’intérêt général. La participation et l’idée d’intérêt général cohabitent difficilement. Faire de la participation en ne visant qu’à produire de l’intérêt général revient à mettre la participation au service de la production du consentement et du consensus. Car l’idée d’intérêt général s’oppose à toute idée de conflit. L’intérêt général suppose le consentement de tous, et exclut l’idée de conflits d’intérêts, d’opposition structurelle, de division ou d’antagonisme.

À cette vision, on peut opposer la vision « agonistique » de la démocratie défendue par Chantal Mouffe58. Celle-ci s’oppose à une vision du politique comme lieu d’élaboration du consensus et de l’agir en commun en arguant que les décisions politiques comportent toujours une part d’arbitraire et ne peuvent jamais être réduites à un point de vue strictement rationnel. Les positions en présence sont donc toujours l’expression d’intérêts particuliers et d’orien-tations culturelles ou morales qu’aucune « raison supérieure » ne peut réconcilier. L’objet du politique ne peut, par conséquent, consister dans la production d’un consensus. Il consiste au contraire à favoriser l’expression des antagonismes dans un cadre où chaque point de vue est considéré comme légitime. Le conflit, dans cette représentation, n’est pas une menace pour la démocratie mais sa condition même de possibilité. Car le consensus n’est, au final, rien d’autre que la position du plus fort sédimentée dans un ordre dont l’origine est occultée par le discours hégémonique du dominant. L’ordre social pacifié, vécu comme « naturel » et routinier, est toujours « l’expression particulière de relations de pouvoir, d’où son caractère politique »59. Les pratiques participatives conçues comme des « procédures » de construction du consensus, relèvent non plus, dans la présente perspective, d’une pratique démocratique, mais de l’extorsion du consentement - plus ou moins feint ou sincère - à ceux qui disposent des ressources sociales et cognitives les plus faibles pour faire valoir leur point de vue sur la scène publique. Cette approche « ne parvient pas à reconnaître la nature hégémonique de toute forme de consensus ainsi que le caractère indéracinable de l’antagonisme », écrit Mouffe60.

58 Mouffe C., « Politique et agonisme », Rue Descartes, 2010/1.59 Ibid.60 Ibid.

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• À propos du positionnement du professionnel, je suis surpris qu’à aucun moment l’idée d’un professionnel opérant en intermédiaire/ interface, ne soit ressortie dans vos échanges. Pourtant, les jeunes dont vous vous occupez sont définis par la faiblesse de leurs ressources (ressources rhétoriques, cognitives, sociales, politiques etc.) pour accéder à l’espace public. Pour qu’ils y accèdent, il faut bien que quelqu’un les aide et les accompagne. Cette figure de l’animateur a été théorisée par Jean-Claude Gillet en tant que « médiacteur ». Le profes-sionnel, dans cette figure, est à la charnière des univers, il a un rôle d’interface, il peut traduire les attentes et les demandes des uns et des autres. Gillet insiste sur le fait qu’il ne porte aucune orientation propre. Il n’est qu’un « facilitateur ». Il aide le groupe à définir son unité et ses objectifs. Et il apporte une compétence tactique et stratégique, mais il s’abstient de toute interférence idéologique. Il traduit les attentes dans un langage, et le langage d’un acteur vers celui d’un autre acteur, mais n’apporte aucun contenu propre. « Il favorise la négociation, mais ne la maîtrise pas »61.

61 Augustin J.-P., Gillet J.-C., L’animation professionnelle. Histoire, acteurs, enjeux, 2000, INJEP/L’Harmattan.

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n L’EXPÉRIMENTATION

La notion d’expérimentation apparaît dans cette recherche-action (et dans ce volume) sous trois figures :

• Comme une nouvelle donne des modes de socialisation juvéniles contemporains, inséparable des « mutations des formes d’accès à l’âge adulte » évoquées par Régis Cortesero p. 14. À ce titre, les politiques publiques se doivent de prendre en compte ce phénomène et de mettre en place un cadre favorisant ces processus d’expérimentation, faute de quoi d’une part, elles ne répondraient pas aux nouveaux enjeux, d’autre part, au-delà des intentions, elles se condamneraient à ne jamais rencontrer les jeunes – ou marginalement.

• Comme une volonté des Villes et du centre de ressources RésO Villes, pour répondre à un certain nombre d’enjeux et de pistes esquissées lors du forum final de la première phase de la recherche-action (cf. « Élaboration collective d’un outil d’analyse des projets » p. 38). L’expérimentation permettrait à la fois « de positionner autrement les politiques de jeunesse », de « répondre à la nouvelle donne », et de mettre à l’épreuve un « triangle politique », fondé sur l’expérimentation elle-même, « la prise de risques », et le « frottement » nécessaire entre jeunes-élus-techniciens, constitutifs de la mise en oeuvre d’une politique de jeunesse (en particulier dans sa volonté de prendre en compte les jeunes des quartiers populaires).

• Et « en creux », comme un nouveau référentiel et un nouveau régime de l’action publique d’État. En creux, parce que les Villes, dans cette seconde phase de la recherche-action, ne répondent pas à un appel à projets, ne s’inscrivent pas dans la logique des expérimentations d’État, mais parce qu’il nous semble – c’est une hypothèse – que ce recours rhétorique à l’expérimentation par les Villes est entre autres (mais pas seulement !) une contamination terminologique de ce nouveau modèle.

C’est pourquoi dans un premier temps nous essaierons de caractériser ce nouveau régime d’action de l’État, avant de mettre au travail ce qui s’est dit et fait sur les territoires des « projets expérimentaux », de voir en quoi cela peut permettre de dégager une ou plusieurs figures de l’expérimentation, et son (ou leur ) rapport à l’expérimentation d’État.

De quoi l’expérimentation d’État est-elle le nom ?par Bernard Bier

L’expérimentation semble être devenue un nouveau régime de l’action publique, tant ce terme est sollicité aujourd’hui, au niveau de l’État comme de l’Europe. Son usage y est pourtant récent : les dictionnaires et manuels de sciences politiques consultés, nouvellement parus, n’en font pas mention.Cet article se focalise uniquement sur un usage de l’expérimentation, celui des politiques d’État : à quoi correspond cet usage ? À quelles modalités de fonctionnement renvoie-t-il ? Que dit ce changement de référentiel des évolutions en cours ? Ce phénomène engage les collectivités et les associations dans la mesure où certaines répondent aux appels à expérimentation, ou bien les reproduisent en leur sein. Et s’il est étranger à la démarche engagée depuis 2009 par les sept collectivités avec RésO Villes, on pourra néanmoins tenter ultérieurement de lire la seconde phase de cette recherche-action, qui se veut phase d’« expérimentation », à l’aune du modèle étatique.

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1. L’émergence récente de l’expérimentation dans le champ des politiques publiques

Les politiques publiques au tournant des années 1980, au croisement des politiques de décen-tralisation et de discrimination positive (zones d’éducation prioritaires, politique de la ville…) ne mobilisaient guère ce terme d’expérimentation. Il était surtout question de projets de territoires. Il s’agissait de substituer au modèle centralisé s’imposant à l’identique sur l’en-semble du territoire national une déclinaison locale des orientations d’État adaptée à la réalité du terrain (au terme d’un diagnostic et de l’élaboration d’un projet) et dans une logique compensatoire (« donner plus à ceux qui ont moins ») –ceci au nom du principe d’égalité qui reste la finalité du projet politique républicain.

Nombre d’auteurs datent l’ouverture du droit public à l’expérimentation à la loi Veil du 17 jan-vier 1975 relative à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Il s’agissait de mettre à l’épreuve pendant cinq ans une « expérience » pour juger de sa pertinence : « Il est proposé au Parlement d’adopter des dispositions valables pour cinq années seulement et de se donner ainsi rendez-vous à lui-même au terme de cette période. Le législateur tirera alors les enseignements de l’application de la loi nouvelle et, tenant compte de la leçon des faits, notamment sur le plan médical, familial, social et démographique, confirmera ou modifiera cette loi »62. Les dispositions de cette loi ont été pérennisées par la loi Pelletier en 197963.

On peut mentionner quelques traces de ce recours de plus en plus fréquent à l’expérimentation dans le champ de préoccupation qui est celui des acteurs de cette recherche-action :

• En 1995, la relance par le gouvernement (et plus précisément par le ministère de la Jeunesse et des Sports) d’une politique d’aménagement des rythmes scolaires (ARS) est présentée comme une « expérimentation » pour laquelle un Comité d’évaluation et de suivi est mis en place64.

• La réforme constitutionnelle de 2003 (dite acte II de la décentralisation) introduit le principe d’expérimentation, à double titre :

• L’article 37-1 autorise la loi ou le règlement à comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. Cet article est une reconnaissance, dans la Constitution, des pratiques de l’expérimentation par l’État.

• Par ailleurs le quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution précise que les collectivités peuvent désormais élaborer la norme en s’affranchissant des normes générales. Il incombe au législateur ou au pouvoir réglementaire d’autoriser la dérogation. Cette autorisation n’est donnée que dans l’objectif d’une généralisation et ne peut avoir qu’un objet et une durée limités. Afin d’établir une procédure identique à toutes les expérimentations, le texte consti-tutionnel renvoie à une loi organique les modalités d’expérimentation par les collectivités locales65.

• Dans le prolongement de la réforme constitutionnelle de 2003, l’article 34 de la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programmation pour l’avenir de l’école du Ministère de l’Éducation nationale promeut l’expérimentation en éducation ; et au sein de la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) est créé en 2010 un département recherche-développe-ment, innovation et expérimentation (DRDIE) 66.

62 Projet de loi n°1297, J. O. Assemblée Nationale, 1975, p. 2.63 Massieu V., « L’expérimentation comme exemple de transposition d’une méthode scientifique

hors de son cadre d’origine », intervention 8e congrès de droit constitutionnel, 2011, Nancy, http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN3/massieurT3.pdf.

64 Labadie F., « L’aménagement du temps de l’enfant, un « analyseur » de l’évolution de l’action publique », Agora Débats Jeunesse n°17, 1999.

65 http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/decentralisation/reforme-constitutionnelle/66 Robert B., Teillard J., « L’expérimentation comme instrument d’action publique en éducation »,

Éducation et formation n°81, mars 2012.

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• Dans le champ de la jeunesse, en 2009, l’arrivée de Martin Hirsch à la tête du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Solidarités Actives s’accompagne du lancement d’un « Fonds d’expéri-mentation pour la Jeunesse » (FEJ) qui est « doté de contributions de l’État et de toute personne morale de droit public ou privé qui s’associent pour définir, financer ou piloter un ou plusieurs programmes expérimentaux visant à améliorer l’insertion sociale et profession-nelle des jeunes de seize à vingt cinq ans » (voir plus loin sur la démarche). Les budgets consacrés à ce programme d’expérimentation vont constituer une part importante des crédits d’intervention de ce département ministériel, et de fait constituer sa seule politique, témoi-gnant de la montée en puissance de cette logique d’expérimentation.

• Et à sa suite, en 2010, Marc-Philippe Daubresse, ministre de la Jeunesse et des Solidarités Actives, lance « à titre expérimental » sur huit départements, des « laboratoires territoriaux d’expérimentation pour la jeunesse.

• En 2011, Maurice Leroy, ministre de la Ville, avant toute réorientation de l’action de son département ministériel, lance des CUCS (Contrats Urbains de Cohésion Sociale) expérimen-taux sur 33 sites, autour de trois priorités : l’éducation, l’emploi, la sécurité67.

Ces deux derniers exemples semblent préfigurer un nouveau modus operandi de l’État sur les territoires.

• Last but not least, en septembre 2011, une conférence de la Commission européenne consa-crée aux réponses innovantes face aux implications sociales de la crise fait la promotion de l’expérimentation comme moyen d’améliorer « la qualité et l’efficience économique des poli-tiques sociales ».

2. Des sciences dures à l’action publique : les usages d’une notion

D’un usage récent dans le champ politique, le terme a une certaine ancienneté dans le monde scientifique.

L’émergence du terme dans le champ des « sciences dures »Apparue au XVIIe siècle dans le champ des sciences de la matière (la physique), la notion d’expérimentation est théorisée au XIXème siècle par Claude Bernard, qui va la transposer dans le champ des sciences du vivant et en définir les fondements épistémologiques et métho-dologiques (1865)68. Cette méthode scientifique consiste à partir de l’observation ou d’un questionnement, à poser des hypothèses, qui seront vérifiées au travers d’expériences répétées menées par des chercheurs (extérieurs à leur objet) qui construiront des situations ad hoc pour ce faire. La recherche médicale utilise cette méthode expérimentale avec la pratique du double aveugle (dit encore groupe témoin ou groupe de contrôle) : certains malades ou volontaires expérimentant un traitement en cours de validation, d’autres non.

Cette démarche se retrouvera très vite dans le champ industriel avec la conception du modèle « balistique » : la recherche conduit à la construction d’un prototype. Une fois validé, celui-ci pourra être reproduit en série.

Un modèle pour les sciences sociales ?Ce modèle va inspirer les sciences sociales à leur début. Elles vont se constituer comme telles dans la fascination de ce paradigme et de quelques uns de ses traits : le fait social est vu comme une chose et connaissable comme tel ; l’objet est extérieur à celui qui l’observe ; on peut mesurer le social (la vérification ne se fait plus par le fait, mais par la statistique)…

67 http://ressources-ville.org/images/stories/19%20avril%202011%20-%20CP%20Lancement%20des%20CUCS%20exp%C3%A9rimentaux.pdf )

68 Bernard C., Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1966, Garnier-Flammarion.

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La sociologie se remettra vite de cette illusion sans perdre de vue son exigence de rigueur et certains de ses acquis : la réalité est une construction sociale ; le regard du chercheur modifie son objet ; l‘approche qualitative doit mobiliser les représentations de ceux-là même qui sont et font la société ; l’interprétation des faits humains ou sociaux est plurielle…

Néanmoins certains chercheurs (par exemple dans le domaine de la psychologie du dévelop-pement ou de la psychologie sociale) fondent leur travail sur cette méthodologie expérimen-tale : des tests réalisés auprès d’un nombre significatif d’individus permettent de dégager des quasi lois de comportement.

Mais notre propos n’est pas de faire ici une histoire des sciences sociales…

Force est pourtant de constater la persistance d’un esprit « scientiste » qui ne verra la science que dans l’expérimentation, la quantification, l’élaboration de modèles mathématiques… et s’en prendra aux « sciences molles », perçues comme approximatives, empreintes de subjec-tivité…, et donc peu fiables.

Une référence et un outil pour l’action publiquePlus récemment ce modèle va impacter les sciences politiques. Sur quoi fonder la décision politique ? Quelles sont les rationalités à l’œuvre dans l’action publique ? On sait que la prétention à fonder scientifiquement l’organisation sociale va conduire certains courants à partir de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours (de Saint-Simon à Comte jusqu’à Galbraith) à revendiquer un pouvoir des « technocrates », contre les errances diverses des pouvoirs politiques ou des lobbies. On pourrait en voir un héritage dans le primat aujourd’hui des « experts économiques » et des statisticiens, la science du chiffre étant par définition perçue comme le modèle de la rigueur, en occultant tout débat sur la nature même de leur expertise et les soubassements idéologiques de leur discours. C’est de cette logique que vont naître aussi dans les années 1970-1984 la rationalisation des choix budgétaires (RCB), l’évaluation des politiques publiques (et plus récemment, le primat d’une certaine conception de l’évaluation). L’importance accordée aujourd’hui au modèle expérimental, propre aux sciences dures, participe de cette approche « scientiste » du politique.

3. Modalités et ambiguïtés de l’expérimentation

Quelques traits de la démarche expérimentaleRevenons sur quelques caractéristiques de ce dispositif expérimental, à partir de la manière dont il a été posé par Martin Hirsch et son équipe.L’expérimentation est définie comme une « innovation de politique sociale initiée dans un premier temps à une échelle limitée, compte tenu des incertitudes existantes sur ses effets, et mise en œuvre dans les conditions qui permettent d’en évaluer les effets dans l’optique d’une généralisation »69.

Chacun de ces termes permet d’en identifier les étapes :– dans un premier temps il s’agit de définir des thématiques que le pouvoir met à l’agenda

politique, les considérant comme prioritaires. Ainsi certains axes ont été définis dès le début comme les priorités sur lesquelles devait porter l’expérimentation : l’insertion professionnelle, le décrochage scolaire… La culture n’est venue que plus tardivement au terme d’une mobi-lisation de certains acteurs ;

– des critères préalables sont définis afin que l’expérimentation soit significative ; ainsi, par exemple, il est nécessaire que « le groupe des bénéficiaires ait atteint une taille critique » et que « ces bénéficiaires soient comparables à un groupe de non-bénéficiaires » ;

69 http://www.jeunes.gouv.fr/ministere-1001/actions/fonds-d-experimentation-pour-la-1038/#top

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– le porteur de l’expérimentation doit s’associer dès le départ un évaluateur, qui pourra juger de sa validité au terme de la démarche : l’évaluation est constitutive de l’expérimentation ;

– un jury décide quels sont les projets éligibles ;– à l’issue de l’expérimentation, si elle a été probante, c’est-à-dire si elle a répondu à ces critères

d’efficacité (si elle a réalisé les objectifs fixés) et d’efficience (si le rapport entre l’investisse-ment et le coût est acceptable), elle sera « généralisée ».

Son corollaire obligé est la notion de « bonnes pratiques », très répandue dans nombre d’admi-nistrations françaises ou européennes.

Cette approche de l’expérimentation relève explicitement du modèle médical, comme le revendique une des théoriciennes de référence des expérimentateurs, Esther Duflo, écono-miste du développement. Ce modèle du choix aléatoire des publics cibles (la randomisation) et du double aveugle est pour elle la méthode quasi exclusive pour juger d’une politique, quel que soit le domaine (formation, éducation…)70.

Dans le monde du social, de l’éducatif, de la jeunesse : quelle pertinence ?Le problème est que ce qui relève et peut avoir du sens dans le monde de la mécanique ou du vivant – au sens biologique du terme – n’a guère de sens appliqué au monde psycho-socio-pédagogique et à celui du politique. En effet l’action des individus et des collectifs dans ces domaines relève aussi des représentations, des interactions, des histoires singulières et collectives, mais aussi du hasard, de la liberté, de la création, elles mobilisent aussi des valeurs…

Le terme même d’expérimentation n’apparaît d’ailleurs pas comme entrée dans les diction-naires de l’éducation, de la formation et de la pédagogie, du travail social, que nous avons consultés.Et quand dans certains de ces champs, les acteurs revendiquent l’expérimentation, c’est dans le sens du tâtonnement, de l’essai-erreur, et dans la réponse singulière à une situation singu-lière. Et si cela peut ou doit mobiliser de l’évaluation, c’est d’un autre modèle évaluatif qu’il s’agit, un modèle où les acteurs impliqués peuvent participer à la construction de la problé-matique, des indicateurs, où leurs interprétations participent de l’évaluation, une évaluation qui appelle le débat, tant dans la méthode (il n’y a pas de méthode neutre !) que dans ses résultats (il y a souvent problème d’interprétation). De même la démarche de recherche-action, qui a aussi une dimension évaluative, qui vise à une conscientisation individuelle et collective, à de l’empowerment, et à de la transformation sociale, est à l’opposé de cette approche de surplomb d’experts expérimentateurs-évaluateurs.

Force est pourtant de reconnaître qu’un modèle renouant avec les sciences dures dans le champ de l’humain trouve aujourd’hui ses défenseurs. Il y a même une montée, sous couvert de sciences, de telles approches, qui nous semblent dessiner un nouveau paysage idéologique. C’est le cas par exemple des théories behaviouristes ou comportementalistes, qui expliquent tout par les interactions de l’individu avec son environnement. On travaillera alors sur le dépis-tage précoce, mais aussi sur l’encadrement et la répression, et non sur la compréhension du sujet en référence à son histoire personnelle et psychique. Le travail éducatif qui prend du temps et n’est pas évaluable sur le court terme sera minoré voire rejeté comme une billevesée idéologique – les débats sur l’ordonnance de 1945 relatif à la délinquance des mineurs en témoignent. C’est le cas aussi du cognitivisme et des sciences neuronales71, qui connaissent un incontestable succès dans certains milieux, et qui peuvent participer à un retour à la natu-ralisation de la difficulté scolaire (« certains sont capables, d’autres non »), et qui en consé-quence minimisent le rôle et les effets de la pédagogie dans les apprentissages. Au nom donc d’une certaine conception de « la » science, on occulte les enjeux à la fois scien-tifique (et le débat scientifique), éthique et politique des choix.

70 Duflo E., « Les leçons de l’expérimentation », Sciences Humaines, numéro 200, janvier 2009, http://www.scienceshumaines.com/les-lecons-de-l-experimentation-enretien-avec-esther-duflo_fr_23119.html

71 Meirieu P., « Sur l’hégémonie du cognitivisme », http://www.meirieu.com/ARTICLES/surlecognitivisme.pdf

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Une nécessaire clarification : expérimentation et innovationUn autre point est celui de savoir si l’expérimentation est inséparable de l’innovation, voire si ces deux termes sont synonymes. L’innovation peut ne pas être accompagnée d’un dispositif d’évaluation, peut ne pas prétendre à être étendue, et ne se veut que réponse singulière à une situation particulière.Il serait intéressant de rappeler que le mot d’innovation vient à la fois du monde des orga-nisations, de l‘entreprise libérale, et du monde des sciences sociales. S’adapter à des contraintes nouvelles, aller de l’avant pour ouvrir de nouveaux marchés et stimuler la pro-duction, et être dans la créativité ne renvoient pas aux mêmes mondes et ne s’appuient pas sur les mêmes valeurs. De même, l’expérimentation n’est pas nécessairement associée à l’innovation – malgré le fait qu’elle s’en réclame fortement – , participant ainsi à un brouillage sémantique. Il n’y a pas d’innovation en soi (à l’inverse de l’invention, de la création), mais par rapport à une situation particulière. Or l’expérimentation pose l’innovation comme un objet général (la démarche se veut « innovante », et de surcroît généralisable), occultant la spécificité des situations.

On en arrive alors parfois à des situations paradoxales. Témoin la fameuse « mallette des parents » initiée par le recteur de l’Académie de Créteil, financée par le Fonds d’Expé-rimentation pour la Jeunesse dans le cadre de la lutte contre le décrochage scolaire, et présentée… comme une innovation. La démarche consistait à faire venir dans un établissement scolaire les parents de milieux populaires pour leur présenter le fonc-tionnement de l’école, les attentes des enseignants… Or de multiples expériences existent partout en France de coopération entre l’école et les familles, fortement inven-tives, adaptées à la spécificité de leur territoire et refusant précisément la logique du « partenariat » ( !) dissymétrique, à sens unique, invalidant in fine pour les parents, et dont une très abondante littérature scientifique a montré les effets pernicieux (cf. dans ce volume le chapitre sur le partenariat p. 80). Mais l’École d’Économie de Paris qui fut chargée de l’évaluation ne connaissait rien à la problématique en question, ni à la « littérature grise » afférente, et n’a aucunement cherché à combler ses incompétences à ce sujet72… Et voilà comment une expérimentation peut être parfaitement régressive dans son principe et sur nombre de territoires plus avancés !

L’innovation est-elle d’ailleurs le sésame absolu, la solution-miracle à toutes les difficultés ? Cela peut être le cas parfois - à condition d’en préciser la définition, les tenants et les aboutis-sants. Mais cela peut être aussi le signe d’une fuite en avant, d’un « bougisme », d’un « mou-vementisme », d’un « présentisme » généralisés qui caractérisent nos sociétés tournées vers un « futur sans avenir », produit « de la mondialisation techno-marchande »73. Et avec le risque de sacrifier l’histoire, la mémoire de ce qui a pu être des acquis et peut l’être encore. Quelles sont les expériences qui ont fait leur preuve dans le passé, et dont on pourrait reprendre certains acquis ?

4. Comment lire cette émergence aujourd’hui de l’expérimentation ?

Quelques hypothèses explicatives

• L’expérimentation est d’abord une tentative de trouver des réponses à des problèmes qui semblent perdurer, malgré parfois la mise en œuvre en amont de nombreux dispositifs de politique publique qui ne semblent pas avoir fait leur preuve, ou qui ne répondent plus aux nouveaux enjeux politiques, sociaux, éducatifs… Il s’agit d’un nouveau mode de production et de pilotage de l’action publique.

72 lire sur le site de l’OZP, le compte rendu d’une séance consacrée à ce travail et les débats afférents, le 10 mars 2010 : http://www.ozp.fr/IMG/pdf/Impliquer_les_parents_definitif__Guyon_.pdf On peut lire aussi le rapport d’évaluation lui-même : http://www.parisschoolofeconomics.eu/IMG/pdf/Synthese-36p-MALLETTE-PSE.pdf

73 « Taguieff P.-A., L’effacement de l’avenir, 2000, Galilée.

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• Comme nous avons tenté de le montrer précédemment, la transposition du modèle des sciences dures à un champ qui n’est pas le sien, l’approche en termes économiste et statistique (même si la référence au qualitatif y est de rigueur) sont inséparables d’une vision du monde, d’une idéologie : le modèle néo-libéral et managérial montant (ou triomphant ?). La recherche scientifique y laisse place à l’expert, l’évidence du chiffre et de « la » science y remplace le débat public.

Par analogie, et dans un souci de contextualisation, on pourrait ici se permettre une digres-sion à propos de l’usage récurrent du terme projet74 par les politiques et les professionnels. Ce terme apparaît dans deux champs distincts :• Celui de la technique : l’architecture (au XVe siècle), puis plus tard le monde industriel.

L’approche est mécaniste, et renvoie souvent à une logique de prototype à reproduire de manière manufacturée. Il appartient à la culture de l’ingénieur ; on parle d’ailleurs d’ingénierie de projet. On est du côté de la procédure ;

• Celui de la psychosociologie et de la psychopédagogie (qui connaissent un fort dévelop-pement dans les années 1960) : le projet repose sur le présupposé de la liberté d’un individu ou d’un groupe, et implique une intentionnalité tournée vers la réalisation d’un dessein : on est du côté du processus.

Or, dans les années 1970-80, ce terme est mobilisé dans le champ politique. Et force est de constater que l’usage dominant dans les politiques publiques est plutôt celui d’un « projet-programme » (sur le modèle industriel : conception abstraite en amont ; établissement d’un échéancier et de procédures, d’indicateurs de performances quantifiés…) et non pas du « projet-visée » (s’appuyant sur des processus aux temporalités variées, au caractère erratique, où le projet se forge en avançant…). Une approche en terme de processus conduirait par exemple à prendre en compte la diversité des temporalités juvéniles, à ne pas s’inscrire dans le pré-alable et la « dictature » du projet… Le terme « projet » est d’ailleurs aujourd’hui (avec le terme « réseau ») un des maîtres mots des ouvrages de management des entreprises capitalistes75.

• Une troisième hypothèse explicative nous semble devoir être évoquée : celle de la re-concen-tration de l’État. Les années 1980 ont vu la sortie du paradigme de l’État centralisé, imposant aux territoires un modèle top down, et la mise en place de politiques territorialisées, parte-nariales, où à partir d’un diagnostic un projet de territoire visant à proposer des réponses singulières, adaptées, pouvait être élaboré, dans une logique bottom up, un projet qui serait ensuite évalué, modifié. Les acteurs devaient y être associés, selon la rhétorique en usage. Une nouvelle culture politique naissait, en rupture avec deux siècles de centralisme et avec la culture des politiques et des professionnels, qu’il allait falloir progressivement s’approprier. L’État devenait un acteur parmi d’autres, qui avait pour mission de fixer des orientations nationales, de contribuer aux initiatives sur les territoires, mais devait se (re)légitimer en permanence.

L’aube des années 2000 vit, ainsi que le montre Renaud Epstein76, le retrait de l’État des ter-ritoires, et une nouvelle logique se mettre en place : l’État n’est plus dans la négociation au niveau du territoire, mais gouverne, à l’instar de nombre de pays européens, par agences, appels d’offres, à projets, à expérimentations, au travers de projets-pilotes. Ainsi il reprend la main et peut imposer sa volonté.

Ce phénomène était déjà identifié par Francine Labadie à propos de l’expérimentation de l’ARS : « Le Ministère de la Jeunesse et des Sports s’est trouvé dans une position stratégique dès le départ, il était en effet l’offreur de négociation. Il a pu fermer ou ouvrir le jeu partenarial,

74 Boutinet J.-P., Anthropologie du projet, 1990, PUF.75 Boltanski L. , Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, 2000, Gallimard.76 Epstein R. , « Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires », Esprit, novembre 2005.

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il a donc identifié et choisi les acteurs qu’il estimait légitime pour coopérer avec lui »77. Mais contrairement à cette auteure, nous ne voyons pas là « la possibilité d’un retour du politique », mais bien au contraire son effacement.

En outre, ce retour de l’État, loin d’être incompatible avec le modèle néo-libéral dominant, en est au contraire le corollaire et le complément obligé. L’expérimentation peut apparaître alors dans ce cadre comme une critique en actes du principe d’égalité et comme une stratégie pour accélérer les évolutions institutionnelles.

Quelques éléments critiques

• À l’application du modèle médical et industriel au champ du politique, de l’éducatif, du social, il faut opposer des modèles complexes, compréhensifs, mobilisant l’analyse complémentaire et contradictoire des acteurs, dans des mobilisations collectives, qui permettent de déve-lopper conscientisation et pouvoir d’agir, et d’autres formes d’évaluation. Le modèle des « bonnes pratiques », tel que défendu par certaines administrations et politiques publiques, se heurte au caractère irréductiblement spécifique de chaque territoire, à sa sociologie, à son histoire, à ses jeux d’acteurs…, et à qui l’on ne peut appliquer un modèle d’intervention unique. Le transfert d’un modèle d’intervention partout semblable est un non sens tant d’un point de vue théorique qu’opérationnel, et condamné à l’échec – ce que les professionnels vérifient régulièrement face à des modèles qui leur sont imposés bureaucratiquement. Ce qui peut se transférer, ce sont des questionnements et des méthodologies.

• Au pouvoir prétendu neutre des « experts », il faut, d’une part, opposer les travaux scienti-fiques et leur diffusion et appropriation, ainsi que les savoirs des citoyens, des profession-nels…, et d’autre part, réintroduire le débat éthique et politique à propos des choix dans la société et la Cité : aussi bien en amont pour construire l’objet de travail et sa pertinence, qu’en aval pour l’évaluer. À l’opposé donc de la logique de l’expertise qui est celle de l’auto-légitimation, des constats présentés comme des évidences donc indiscutables et qui occulte toute question politique comme non avenue.

Un exemple encore, à propos d’un projet sélectionné et soutenu par le FEJ, qui serait passé inaperçu, si des citoyens et des médias ne s’en étaient emparés et ne l’avaient porté sur la place publique : la « cagnotte des lycéens »Dans le cadre de la lutte contre le décrochage scolaire, l’expérimentation proposait d’attri-buer une somme à des lycéens d’établissements professionnels (dont on sait qu’ils sont fortement touchés par l’absentéisme), somme dont le montant variait en fonction de la présence des élèves, et qui pourrait financer les projets de groupe. Est-il besoin de préciser à quel modèle social et politique, à quelle vision du monde renvoie une telle expérimen-tation ? Cela permettait-il de s’attaquer aux sources multiples et complexes du problème ? Cela constituait-il une démarche de sensibilisation des jeunes aux apprentissages ? Ou cela relevait-il des logiques comportementalistes évoquées plus haut ?L’affaire fit grand bruit, souleva des protestations nombreuses, parfois des réserves, ouvrit un débat qui aurait dû avoir lieu en amont sur ce qui n’était pas qu’une mesure technique mais qui précisément posait des questions de fonds sur l’éducation et les valeurs de réfé-rence. Il y eut même des défenseurs, tel le recteur de l’Académie qui parla d’une mesure visant à « responsabiliser les jeunes ». Encore un terme très usité dans le discours politico-médiatique à propos des classes populaires, enfants et parents, et qu’il faudrait déconstruire, dans ce qu’il dit des représentations dominantes et de ceux qui s’en font les porte-parole !

• Cette logique dominante, dans un contexte de raréfaction généralisée des moyens, a d’autres effets pervers. Il conduit certains acteurs pourtant critiques avec la démarche à s’y inscrire

77 Labadie F., op. cit.

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pour avoir des financements, d’autres à maquiller des projets pour qu’ils soient conformes aux normes d’éligibilité, d’autres enfin, trop faibles pour monter ces expérimentations, ou en désaccord avec la méthode, ou porteurs de projets vraiment innovants mais peu conformes avec les modèles dominants, à se trouver privés des soutiens publics. Les subsides publics ne vont qu’aux riches, qu’à ceux qui font allégeance ; des territoires et des populations en souffrent ; et la démocratie y perd.

En fait l’expérimentation joue bien comme un dispositif : non pas un outil technique, neutre, non politique – donc indiscutable –, non pas seulement « une réponse « à une urgence », – ce qu’il est aussi –, mais comme le notait Michel Foucault78, une réalité de nature « essentiel-lement stratégique, ce qui suppose qu’il s’agit là d’une certaine manipulation de rapports de force, […] une intervention rationnelle et concertée dans ces rapports de force, soit pour les développer dans telle direction, soit pour les bloquer, ou pour les stabiliser, les utiliser. Le dispositif, donc, est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes de savoir qui en naissent, mais, tout autant, le conditionnent. ». Et Giorgio Agamben prolonge cette réflexion : « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants… »79.

Pour les deux philosophes, le dispositif participe d’un processus de subjectivation collectif. Interroger les dispositifs, les mettre au cœur du débat public, cesser de les voir comme des allants-de-soi, c’est donc sortir des mots ou formules toutes faites voire incantatoires (cf. aussi l’accompagnement, le partenariat, la participation, comme on l’a vu supra), qui sont de véri-tables freins à la pensée et à l’action. Cela revient in fine à re-politiser le politique en s’inter-rogeant sur ses finalités et ses formes.

Faut-il alors refuser l’expérimentation ?

Des lignes qui précèdent, faut-il tirer une condamnation de l’expérimentation dans le champ des politiques publiques ? Nos propos renvoient à une démarche spécifique qui tend à devenir le modèle dominant de l’action publique d’État. Et les exemples pris dans cet article, dont il faudrait vérifier s’ils sont l’exception ou la règle, sont néanmoins pour nous des analyseurs des évolutions en cours, et des dérives qu’elles peuvent porter.

Le triptyque diagnostic-projet-évaluation (qui fut celui des politiques territorialisées, partena-riales et contractualisées des années 1980 et suivantes), avec incitation à une démarche parti-cipative, – sans vouloir l’idéaliser, sans nier ses limites et ses faiblesses, dont sa difficulté à devenir une véritable culture partagée –, nous semble néanmoins préférable au diptyque expérimentation-généralisation.

Ce modèle monopolistique d’État, en se généralisant, interroge bien évidemment le sens que peut encore avoir, dans ce contexte, l’injonction à faire de l’« accompagnement », à construire des « partenariats », à appeler à la « participation » des acteurs (voir les chapitres sur ce sujet dans cette publication).

Paradoxalement, l’expérimentation, qui répond à la volonté légitime de sortir des solutions répétitives inefficaces, nous propose le triomphe du même. Nous y opposons une autre méthode : le nécessaire travail de formalisation des expériences ou des « expérimentations locales » par leurs protagonistes, la pratique systématique d’une évaluation partagée, et une entreprise généralisée de mutualisation des acquis et des fai-blesses, mobilisant aussi l’ensemble des acteurs concernés, à fin de qualification et de trans-formation sociale. Autrement dit : la préférence donnée aux co-constructions par les acteurs

78 Foucault M., Dits et écrits, Tome 3, 1994, Gallimard.79 Agamben G., Qu’est-ce qu’un dispositif ?, 2007, Payot rivages.

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eux-mêmes plutôt qu’à l’imposition d’un modèle par en haut. C’est un peu le sens du travail des sept Villes impliquées dans la recherche-action avec RésO Villes. Mais cette culture de l’évaluation est encore à naître, et on peut faire l’hypothèse qu’une des faiblesses des très nombreuses innovations ou expériences (ou expérimentations) locales, leur difficulté depuis trente ans à se transmettre comme objet collectif de réflexion, propice à un transfert de métho-dologie, tient précisément à leur déficit en ce domaine. Une culture de l’évaluation qui ne saurait en rien coïncider avec le fétichisme d’une évaluation réifiée, technocratique. Mais une évaluation plurielle, démocratique, donc inséparable du débat public80.

Il serait aussi urgent et utile de mettre au travail des chercheurs81, d’appliquer un regard extérieur, loin des bilans internes82, à l’évaluation des expérimentations d’État. Et d’engager, au rebours de l’assurance des experts, un débat politique à ce sujet.

Il semble donc intéressant de voir comment des collectivités ont mis en œuvre une démarche d’expérimentation : se sont-elles appropriées le modèle étatique ? Ont-elles réconcilié in situ le triptyque diagnostic-projet-évaluation avec le diptyque expérimentation-généralisation ? Ont-elles défini d’autres figures de l’évaluation ? C’est l’objet du chapitre suivant.

Des Villes à l’épreuve de l’expérimentation par Bernard Bier

À la fin de la première phase de la recherche-action, suite aux préconisations en termes de principes et de méthode de travail relatives à l’action publique en direction de toute la jeunesse du territoire, et en particulier des jeunes des quartiers populaires, il a été décidé de poursuivre la démarche collective : chacune des Villes devait s’engager dans un projet « expérimental » (voir supra).En guise d’accompagnement à l’élaboration du projet, à son suivi et en vue de l’évaluation finale, une grille d’analyse commune à tous les territoires a été élaborée. Trois questions por-taient spécifiquement sur l’expérimentation, l’une à rédiger en amont (« En quoi ce projet revêt-il un caractère expérimental ? »), les deux autres devant être informées au terme, sinon du projet, du moins de la seconde phase de la recherche-action (« Le projet expérimental vous semble-t-il destiné à être généralisé ? » ; « Le projet appelle-t-il de nouvelles expérimentations ? Lesquelles ? »).Le présent chapitre se veut une synthèse élaborée à partir des écrits fournis par chacune des Villes, mise en perspective avec le modèle d’expérimentation identifié au chapitre précédent.

I. Un postulat : le projet se doit d’être expérimental

Le collectif des Villes associées à RésO Villes pose d’emblée l’expérimentation comme un pos-tulat : « Une politique de jeunesse se doit aujourd’hui d’expérimenter de nouveaux projets et de nouvelles formes d’intervention auprès des jeunes et avec eux ».

Cette nécessité est fondée sur :– les évolutions de la jeunesse, de ses modes de socialisation, de ses pratiques et de ses

sociabilités ;– les effets des mutations sociales et économiques, renforcés par la crise et qui touchent

particulièrement les jeunes ;

80 Zarka Y. C. « L’idéologie de l’évaluation. La grande imposture », Cités 37/2009 ; Abelhauser A., Gori R., Sauret M. J., La folie évaluation, 2011, Mille et une nuits ; Martuccelli D., « Pourquoi croyons-nous à l’évaluation », Diversité, n°169, juillet 2012.

81 À l’instar du travail de Virginie Massieu cité supra.82 Rapport d’activité du Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse, 2012,

http://www.jeunes.gouv.fr/IMG/pdf/FEJ_RA_20092011_CorpsRapport.pdf

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– le constat que certains jeunes sont de plus en plus précarisés et fragilisés, restent à l’écart des dispositifs en cours, et que la fracture entre ces jeunes et les institutions se creuse ;

– un contexte politico administratif en reconfiguration avec des moyens de plus en plus contraints… ;

– le caractère obsolète et inopérant des anciennes réponses en termes d’offres d’activités et d’équipements.

Liste non limitative, mais dont un dénominateur commun serait « l’accélération du temps »83. Dans ce contexte, les solutions anciennes ont montré leurs limites, il n’y a plus de certitudes sur les réponses à apporter, et dégager de nouvelles réponses devient une urgence politique et sociale.

D’où la définition de l’expérimentation dans ce texte programmatique de la seconde phase, qui reste d’ailleurs vague : on est sur le modèle du test, de l’essai-erreur.« Pour qu’une phase expérimentale soit la plus créative possible, il faut s’autoriser à tenter des projets, organiser le tâtonnement pour faire progresser l’action publique dans les quartiers ».

Un élément est corrélé à l’expérimentation, sans entrer stricto sensu dans sa définition : la prise de risques : « L’expérimentation ne va pas forcément de pair avec une prise de risques », est-il affirmé ; [cependant] « la prise de risques et les espaces de « frottements » constituent une sorte de « triangle politique » dont chaque terme est indissociable des autres ». Et une des conditions de l’expérimentation est bien « que les élus et les professionnels acceptent de ne pas avoir la main sur l’ensemble d’une démarche et qu’un projet puisse leur échapper ».Telle quelle, cette approche marque déjà une rupture avec les formes traditionnelles de l’action publique.

Le choix de la situation-problème et du projet d’expérimentation est laissé au choix de chaque Ville : « Les projets qui ont été proposés par les Villes ne relevaient pas forcément de la même thématique d’action et pouvaient viser des objectifs différents (par exemple : favoriser l’inser-tion professionnelle, soutenir les initiatives, promouvoir l’accès à la culture, informer sur les dispositifs existants, etc.), mais ils se sont tous inscrits dans ce même cadre d’analyse. La démarche était donc commune, tout en tenant compte des spécificités de chaque projet et de son environnement contextuel ». Si nous sommes dans la liberté de choix quant aux thématiques, celles-ci sont néanmoins circonscrites, non par l’État (comme dans le modèle étatique évoqué supra), mais par les problématiques structurantes de la recherche-action. Et il n’y a pas d’instance de validation extérieure.

Le choix de l’objet de l’expérimentation reste aussi libre : « soit la mise en œuvre d’un nouveau projet », soit « la ré-interrogation d’un projet en cours ».

Quant à la nécessité d’une évaluation, elle est affirmée sans que les modalités en soient précisées (qui en sera porteur ? quelle méthodologie?). Il est cependant évident que le choix de réinterroger un projet en cours (sauf si un dispositif évaluatif a été mis en place en amont) ne peut permettre qu’une évaluation ex post, donc éloignée du protocole d’évaluation des expérimentations d’État.

Enfin, sur les suites et conséquences de l’expérimentation, la formulation qui est ici proposée, au travers des trois questions, n’est pas dénuée d’ambiguïtés :• L’expérimentation est-elle un outil pour trouver la formule d’une meilleure action publique,

avant sa stabilisation ?• Une politique de jeunesse est-elle une expérimentation permanente ? • Un projet expérimental a-t-il pour but de faire émerger d’autres problématiques, d’autres

pistes de travail, qui à leur tour seraient soumises à expérimentation ?

83 Rosa H., Accélération. Une critique sociale du temps, 2010, La Découverte.

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Ces trois propositions sont-elles d’ailleurs alternatives ? Ou peuvent-elles être complémentaires ?La généralisation est évoquée, mais uniquement comme une possibilité. Elle ne semble mani-festement concerner que le territoire du projet, et rien ne dit que le travail de mutualisation au cœur de la recherche-action aurait cette fonction d’exportation vers d’autres territoires. Celle-ci semble plutôt l’opportunité d’un regard critique et d’un échange permanent, d’une aide à la réflexivité des expérimentateurs sur eux-mêmes.

2. Les Villes expérimentent

Comment chacune des Villes impliquées s’est-elle saisie de ce cadre collectif pour entrer dans son projet expérimental ?

L’objet de l’expérimentation

Qu’une situation-problème fasse l’objet, une fois mise à l’agenda, d’une politique traduite en projet, actions, dispositifs n’est pas en soi le propre de l’expérimentation, c’est la définition même d’une politique publique84. Ce qui semble caractériser plus précisément les expérimen-tations (d’État et des collectivités impliquées), c’est plutôt de s’inscrire dans les failles de poli-tiques déjà existantes mais qui ont montré leurs limites (faible efficacité relativement au projet, incapacité à répondre à de nouveaux enjeux, décalage entre investissement lourd et résul-tats…). D’où l’intérêt alors d’explorer, de tester de nouvelles réponses.À noter que l’ensemble des expérimentations porte de fait sur l’aide à l’émergence d’une parole des jeunes de manière à mettre en place une offre plus adaptée à leurs attentes, pratiques et sociabilités, ce qui reste la boîte noire des politiques menées depuis plus de trente ans, qui pourtant faisaient de la participation des habitants et des jeunes un axe majeur.

Il s’agit donc d’innover, c’est-à-dire de trouver une solution encore inédite, dans son contenu ou sa forme. Mais contrairement aux logiques développées dans l’expérimentation d’État, il n’y a pas d’innovation en soi, mais relative à chaque territoire : le projet n’est pas nécessai-rement original, mais il n’a jamais été mis en œuvre ou testé sur telle ville, tel quartier.

Une expérimentation aux contours flous

Mais de quoi les Villes parlent-elles en revendiquant l’expérimentation ?

En fait, une fois évoqué le terme au début, et après la tentative d’une définition comme demandé, la plupart d’entre elles ne reviennent pas sur le terme, ou accessoirement, utilisant les termes de projet, expérience, démarche… Or le projet, l’expérience, la démarche ne sont pas des notions nécessairement liées à l’expérimentation. De même, les « évaluations-bilans » des Villes portent généralement sur le projet mais sans évoquer, à de très rares exceptions, ce qui concerne plus spécifiquement la logique d’expérimentation, sa plus-value ou ses fai-blesses. Enfin, un questionnaire de relance à la fin de la seconde phase n’a eu que deux réponses. Comme si le projet, la démarche étaient importants, et leur caractère expérimental secondaire ou accessoire !

Relativement à la définition, les réponses sont pour le moins hétérogènes. Il nous semble néanmoins important de reprendre ces différents éléments pour ce qu’ils nous disent des représentations des professionnels et du caractère flou que revêt pour eux la notion d’expérimentation.

84 Muller P., Les politiques publiques, 1990, Que sais-je ?, PUF.

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Trois figures de l’expérimentation peuvent être dégagées :

• Première figure : le modèle hérité des années 80

Celui-ci se définit d’abord par une méthodologie qui vise à faire de la politique en mobilisant plus le territoire et ses acteurs au rebours du modèle centralisé.

• Une démarche participative

« Le projet associe des acteurs jeunesse d’un territoire pour une définition partagée d’un même projet…, prévoit une participation des jeunes à l’évolution de sa gouver-nance… Il est accompagné dans son quotidien par un comité technique composé par l’ensemble des acteurs de la jeunesse du quartier » (Angers).« S’agissant du quartier de Kervénanec, et de la ville en général, le pari a été fait de tout baser sur la parole des jeunes. C’est à ces derniers qu’est revenu le soin de formuler des propositions d’actions répondant à leurs attentes » (Lorient).« L’animation d’un territoire est facteur de régulation entre les groupes sociaux qui le composent et facilite l’acceptation de l’idée d’un espace partagé. La recherche de solution procède d’abord de la rencontre entre les différents protagonistes. L’espace public est cet espace approprié » (Brest).

• Une démarche partenariale

« Le pari que la rencontre entre d’une part, des professionnels de diverses institutions décidant d’agir conjointement sur l’espace public et d’autre part, des habitants (jeunes mais pas seulement) était féconde pour penser différemment la dynamique éducative d’un territoire insuffisamment couvert » (Brest).« Il s’appuie sur les acteurs et partenaires locaux, en cohérence et en complémentarité avec les actions du Conseil régional et Conseil général » (Saint Nazaire).

• Une démarche d’ouverture et de diversification de l’offre

« Cet espace est une offre en plus de l’espace jeunes de la maison de quartier alors que sur tous les autres quartiers, la seule offre soutenue par la Ville est celle proposée au sein de la maison de quartier »« Une approche de la jeunesse, des jeunesses… Diversité des situations de vie des jeunes, des problématiques » (Saint-Nazaire).

• Une démarche de mise en synergie d’une offre plus adaptée

« Il s’agit de signifier notre attention à ces jeunes et de les inciter à participer à la vie publique et ainsi reconnaître leur rôle et leur place comme acteurs de la cité. Pour ce faire, la Ville propose d’implanter des espaces d’accompagnement des projets et initiatives des jeunes sur cinq territoires à l’échelle de la commune, dont un sur le ter-ritoire Breil-Dervallières » (Nantes).

• Une démarche inscrite dans la proximité du territoire

« Le lieu est situé au cœur du quartier » (Angers).« C’est dans l’opérationnalité par une inscription et une présence régulière sur les terri-toires que nous sommes allés chercher de nouveaux outils d’animation et de mise en lien, toujours dans un souci de se mettre en lien avec des habitants afin notamment de leur permettre d’« investir l’espace public » et de « libérer les paroles» » (Brest).

Qu’est-ce qui relève réellement de l’expérimentation dans cette énumération ? Cette démarche est présente depuis la mise en place des politiques des années 80, puis de la politique de la

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ville. Elle en constitue même le cœur et la marque. Il faudrait alors considérer qu’elle reste pertinente, mais qu’elle n’a pas montré toute son efficace, et qu’il importe donc de la réactiver. Le recours au terme expérimentation peut être une concession au langage politico-adminis-tratif d’aujourd’hui. Mais il est peut-être aussi affirmation que cette méthodologie des années 1980-90 n’a de sens que dans une ré-interrogation permanente, qui éviterait à l’action publique de se scléroser.

• Deuxième figure : le modèle procédural

• Un dispositif dérogatoire

Seule la Ville de Rennes donne une définition précise – et conforme au modèle étudié dans le chapitre précédent –, présentant l’expérimentation comme un dispositif déro-gatoire :

« Mise entre parenthèses provisoire de la procédure de droit commun pour permettre l’existence de projets « hors cadre », afin de se donner le temps de déterminer ce qu’ils produisent, en quoi ils nous interpellent, et ce que cette parenthèse génère comme dynamique ».

• Un dispositif exploratoire d’aide à la décision

D’autres Villes insistent sur le caractère exploratoire, visant à éclairer la décision politique au terme de la démarche :

« La Ville a entamé une réflexion et mis en place des expérimentations dans l’objectif de questionner ses propres engagements et dispositifs à destination des jeunes adultes et d’identifier, pour elle-même et pour ses partenaires, des pistes possibles d’amélioration » (Rennes).

« Il s’agit bien d’une expérimentation, avec mise à l’épreuve d’une formule un peu ori-ginale » (Angers).

• Un autre mode de gouvernance

« Cette action est financée par un appel d’offre là où les autres équipements d’offre socioculturelle en direction de la jeunesse sont subventionnés » (Angers).

Ce modèle est semblable au modèle défini dans le chapitre précédent : la mise en place d’une procédure exceptionnelle et transitoire au service de l’élaboration d’une politique de jeunesse.

• Troisième figure : le modèle de la rupture

• Une prise de risques

« – …impliquant une prise de risques pour les jeunes

Les groupes de jeunes acceptant d’accéder à un créneau sportif municipal en auto-nomie ont dû identifier en leur sein un ou des responsables, qui serai-en-t les inter-locuteurs des animateurs de terrains et des services municipaux dans la relation de réservation des horaires, de discussion à propos du matériel, des éventuelles difficultés,…Cette entrée en relation avec l’institution, l’acceptation de ce rôle parfois d’intermé-diaire, en charge de relayer des informations, d’expliciter les échéances, de mobiliser les usagers des créneaux sur des dates… constituent pour les jeunes un risque de mise en cause de leur crédibilité, de leur légitimité aux yeux de leurs pairs…

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– …impliquant une prise de risques pour la Ville

La prise de risques pour la Ville a essentiellement porté sur la question de la respon-sabilité juridique, parfois indéterminée dans le cas de groupes non constitués en associations, dans certains créneaux ou espaces informels. Un intermédiaire asso-ciatif a le plus souvent été recherché, mais pas systématiquement » (Rennes).« Il s’agit bien d’une expérimentation, avec mise à l’épreuve d’une formule un peu originale qui comporte une certaine prise de risque de la part du politique......Le frottement » a bien eu lieu, et le local lui-même est un espace qui permet une forme de contact intermédiaire entre les jeunes et les institutions. Nous retrouvons donc les trois dimensions du « triangle politique » défini dans la première phase de la recherche-action » (Angers).

• L’opportunité de faire émerger de nouvelles pratiques professionnelles

« Expérimenter de nouvelles pratiques professionnelles… L’expérimentation consiste aussi pour chaque professionnel investi dans ce projet à sortir de son propre cadre de référence » (Brest).

Cette figure de l’expérimentation pourrait s’apparenter à une rupture avec les concep-tions et pratiques professionnelles technicistes ou procédurales traditionnelles, en ce qu’elle est capable de prendre en compte dans son fonctionnement quotidien et dans la durée des processus liés aux pratiques et sociabilités juvéniles, et de se laisser interpeller par les bénéficiaires de politiques publiques. Elle se traduit entre autres par le fait d’aller où sont les jeunes, de s’inscrire dans leurs temporalités.

Dans certains cas, la démarche d’investigation elle-même préfigure ce qui pourrait être un axe des modalités d’interventions ultérieures en direction des jeunes des quartiers populaires. C’est le cas à Nantes, où les rencontres de professionnels avec les jeunes, sur leurs territoires, dans leurs temporalités ou lors d’événements locaux, pour recueillir leurs propositions, vont être institués comme un des modes d’agir permanents sur le territoire Breil-Dervallières.

L’évaluation, l’arlésienne de l’expérimentation dans les Villes

L’expérimentation, on l’a vu, tant dans le champ scientifique que dans celui des politiques publiques, est indissociable d’un protocole d’évaluation extrêmement rigoureux qui seul peut lui donner sens, puisqu’il permettra de valider l’hypothèse de départ.

Dans les expérimentations des Villes, on est loin de ce cas de figure. Seule la Ville de Brest a mis en place « une grille d’évaluation permettant de rendre compte des personnes rencontrées, des besoins ou des problématiques identifiées selon les territoires cibles, et les dynamiques ou difficultés ». Force est de constater que la grille proposée au départ par le collectif autour de RésO Villes (voir supra p. 39) n’a été que peu utilisée ou marginalement. L’évaluation (ou ce qui en tient lieu) est en fait portée par les professionnels eux-mêmes, de manière empirique, et ne porte que très exceptionnellement sur le caractère expérimental du dispositif lui-même.

Ce que les acteurs du territoire ont pu vérifier, c’est que leur projet était possible, qu’il pouvait produire quelques effets, voire que persistaient malgré tout quelques difficultés, sans que soit explicité (en réponse à la troisième question du questionnaire) s’il s’agissait de s’engager dans une nouvelle expérimentation :

« La place des jeunes dans le projet est un chantier à ouvrir » (Brest).

« L’expérimentation a concerné des groupes masculins uniquement » (Rennes).

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Au terme de l’expérimentation : la validation d’une expérimentation plus que la généralisation

En conséquence de ce qui précède, il semblerait difficile pour les acteurs de la jeunesse de s’inscrire dans le processus de validation-généralisation propre au modèle expérimentalAinsi, assez catégoriquement, la Ville d’Angers répond :

« Posée ainsi, la question appelle une réponse négative ».

D’autres prennent force précautions à l’idée d’une généralisation qui ne saurait être, si envi-sagée, tout à fait à l’identique :

« L’absence de revendication féminine interroge et toute généralisation devrait tenir compte de cette vigilance à avoir, afin de promouvoir l’émergence de projets alternatifs qui touchent les jeunes filles » (Rennes).

Ce qui ressort plus nettement c’est que l’expérience (peut-on encore parler d’expérimenta-tion ?) a montré sa faisabilité, elle est donc validée par les faits et attend la validation du politique.

« Forte de cette démarche participative, la municipalité envisage à présent la création d’un espace-ressources d’aide à la recherche d’emploi qui englobera également un lieu de sociabilité pour les jeunes adultes. Les questions relatives au sport et à la culture trouveront leurs réponses dans la densité de l’offre proposée dans la ville et que les jeunes ont pu explorer via ce projet » (Lorient).« Le bilan de l’action est en cours et sera restitué à la rentrée en septembre… La nécessité de restituer ce travail aux institutions et d’identifier un espace de pilotage pour inscrire ce projet dans une commande publique, inexistante au départ. Le projet ne peut pas résulter du seul souhait, aussi légitime soit-il, des professionnels » (Brest).

Il ne s’agit en aucun cas de transférer des « bonnes pratiques », mais de s’inspirer d’une démarche, d’une méthodologie pour faire autre chose, adaptée à la spécificité d’un autre territoire :

« Une réflexion est en cours au sein du quartier de La Roseraie, en partenariat avec les acteurs de la jeunesse du dit quartier, sur une autre forme d’accueil des jeunesses du territoire qui peut être un autre local jeune ou autre chose, sur ce quartier » (Angers).« La généralisation de l’accueil des nouvelles initiatives ne peut se faire de manière systématique. L’effet de seuil de notre capacité d’accueil, ainsi que le lien à faire entre des propositions parfois redondantes (nouvelles ou historiques) nous empêche de conclure à la légitimité de toutes les nouvelles propositions et d’accueillir tout nouveau projet indépendamment des critères sportifs.Demeurent la démarche et la structuration d’un travail collectif, inter-secteurs et inter-professionnel, de veille et d’analyse des propositions émergentes qui ont montré leur pertinence et doivent se pérenniser, au regard :– de la plus value de ce processus sur le rapport des jeunes à l’institution municipale.– de l’intérêt de mettre en question régulièrement nos procédures afin de leur permettre

d’évoluer et de reconnaître des initiatives novatrices » (Rennes).

De même la démarche entreprise sur plusieurs quartiers de Nantes pour mettre en place des pépinières d’accompagnement d’initiatives ou de projets ne pouvait inspirer le modèle à mettre en place sur le quartier Breil-Dervalllières : il fallait trouver la forme la plus pertinente.

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Mais il reste aussi intéressant de noter l’interrogation de Rennes sur les limites ou les obstacles constitués par la démarche d’expérimentation elle-même, seule tentative de retour sur cet aspect du projet :

« Les effets sur les jeunes sont positifs lorsque l’accompagnement s’est bien déroulé et que les projets ont pu être menés à bien. Ils sont plus nuancés lorsque des incompré-hensions ou des difficultés « insurmontables» ont été rencontrées, et que l’inscription des projets dans le cadre de l’expérimentation a constitué un frein plus qu’un soutien à leur développement ».

On aurait aimé en savoir plus !

3. Quelles conclusions ?

Une tension entre le modèle traditionnel hérité des années 80 et la recherche d’un autre mode d’action

Il est clair que les professionnels s’inscrivent dans l’héritage des politiques mises en place dans les années 80 et suivantes, qui malgré des évolutions parfois significatives (c’est le cas des politiques de cohésion sociale, tant dans leurs principes que dans leurs modalités), par-ticipent durablement d’un imaginaire et d’une culture professionnels partagés. Néanmoins ces mêmes professionnels constatent les limites de ces politiques et la nécessité de trouver autre chose : le recours à la terminologie de l’expérimentation, au-delà des effets de conformité (chaque époque a ses modes et ses mots), est aussi le signe de ces interrogations.

Pour reprendre le diptyque qui concluait le chapitre précédent, peut-être pourrions-nous oser l’hypothèse que les professionnels sont dans la tension entre le triptyque diagnostic-projet-évaluation et le diptyque expérimentation-généralisation, et dans la recherche d’une nouvelle formule.Avec la revendication au droit à l’expérimentation (conçu comme test, essai-erreur), à sa mise à l’épreuve sur des micro-territoires, ou sur le territoire municipal avant validation. Et l’accep-tation de l’entrée dans l’incertitude : il n’y a pas le bon modèle, il faut chercher, tester avant de stabiliser une réponse… (provisoire ?).

Le processus plus que la procédure

Incontestablement, on est ici en rupture avec le modèle procédural de l’expérimentation, rupture affirmée, rupture revendiquée, et qui doit conduire les politiques publiques entre autres dans le champ de la jeunesse et des « quartiers ». Il s’agit précisément de sortir des cadres rigides, des temporalités strictes, des modèles verticaux-descendants…, pour leur opposer une logique qui s’appuie sur des dynamiques horizontales ou verticales ascen-dantes, et sur les processus propres à chaque territoire.

On peut expliquer ces choix par des effets de positions :– au sens sociologique du terme : une sociologie comparée des membres de l’équipe

qui entourait Martin Hirsch et des professionnels de jeunesse serait instructive : d’un côté ceux qu’en d’autres temps on appelait la « techno-structure » ou que Bourdieu nommait « la noblesse d’État », de l’autre des acteurs dont le parcours et la formation sont liés à « l’expé-rience du terrain » et à sa réflexivité ;

– parce que les acteurs ont à la fois une expertise de la jeunesse et du territoire, en com-prennent les dynamiques et les processus, mais aussi parce qu’ils sont dans l’interface entre la décision et les jeunes qu’ils sont censés accompagner, des « médiacteurs » pour reprendre le terme de J.-C. Gillet85.

85 Cité supra par Régis Cortesero

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Une terminologie stratégique pour permettre la prise de risque

Si ce que l’ensemble des Villes a mis en place ne correspond pas stricto sensu à une certaine idée de l’expérimentation, le recours à cette terminologie peut participer d’une stratégie : en présentant une démarche qui peut paraître déconcertante, incertaine, ou difficile à com-muniquer comme provisoire et devant faire ses preuves, en se parant de l’alibi scientifique, la démarche devient acceptable voire défendable.Les professionnels d’Angers en témoignent :

« Il s’agit bien d’une expérimentation, avec mise à l’épreuve d’une formule un peu originale qui comporte une certaine prise de risque de la part du politique : cet espace voué à l’accueil informel des jeunes adultes et implanté près du cœur du quartier n’a pas recueilli d’emblée la faveur des habitants, bien au contraire… ; il est le résultat d’un contact direct des jeunes avec le Maire alors candidat. La volonté du conseil municipal est extrêmement ferme sur la mise en place de ce projet comme réponse à une parole politique donnée à des jeunes ».

La population recevra mieux un projet présentant certaines garanties. Cette ruse peut être aussi celle du professionnel à l’égard du politique, moyen de faire passer dans un premier temps une innovation, dont on espère qu’elle se révèlera probante et emportera la conviction. Ou à l’inverse, la ruse du politique pour amener les acteurs à entrer dans des dynamiques innovantes et d’autres pratiques professionnelles.

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MÉTHODOLOGIE DE L’EXPÉRIMENTATION ET PARTICIPATION DES JEUNES :

DEUX CHANTIERS À POURSUIVRE ?

Au terme du travail de restitution et d’analyse que nous avons tenté dans les pages précé-dentes, et à partir des retours des Villes, deux axes nous semblent ressortir fortement et nous interroger, qui pourraient constituer le socle d’un acte III de la démarche entreprise par les sept Villes de l’Ouest avec RésO Villes : le premier autour de la méthodologie de l’expéri-mentation, le second autour de la problématique récurrente de la participation des jeunes.

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n L’EXPÉRIMENTATION : UNE NOTION À OUTILLER

Une question : et si la démarche avait été plus expérimentale ?

On l’a vu, les Villes ont expérimenté à leur manière, non pas en respectant les formes cano-niques d’une expérimentation d’État issue du modèle des « sciences dures », mais en « brico-lant » entre héritage de trente ans de démarche de politiques publiques territorialisées et tâtonnement, essai-erreur. « Bricolage » ne saurait être entendu comme péjoratif, mais en reprenant les catégories de Claude Lévi-Strauss86, comme ingéniosité du bricoleur à faire avec les « objets hétéroclites qui constituent [son] trésor » : Il « est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais à la différence de l’ingénieur il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est toujours de s’arranger avec « les moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus... ».

On peut alors se poser une question : mis à part le principe de la généralisation par rapport auquel les Villes, en fin de démarche, font preuve de la plus grande prudence – à juste titre –, que serait-il arrivé si la démarche avait été plus respectueuse de la procédure expérimentale, tant dans la mise en place du projet que dans l’établissement d’un protocole strict d’évaluation ? Le projet aurait-il été plus fiable, et par là-même plus à même de remporter l’adhésion de tous sur le territoire (politiques, techniciens, bénéficiaires-citoyens) ? Ou au contraire, cette démarche aurait-elle perdu en force et aurait-elle in fine invalidé le projet ?L’expérimentation a-t-elle d’ailleurs pour but de valider un projet, ou plutôt de l’interroger pour le faire évoluer ?

On ne peut s’empêcher de penser à la lecture de trente ans de politiques publiques « sur le terrain » et d’observation d’expériences souvent innovantes, pertinentes et ayant montré localement leur efficacité, et qui de surcroît ne se revendiquent pas de l’expérimentation, qu’une de leur faiblesse – leur difficulté à entrer dans des processus de mutualisation et à faire vraiment réseau – est précisément liée à l’absence d’un dispositif d’évaluation à la fois rigou-reux et souple, approprié et partagé sur le territoire.

Pour une évaluation dynamique et participative

En fait, l’évaluation des acteurs fut empirique. La grille d’analyse collectivement élaborée ne fut que peu utilisée et toujours partiellement, alors qu’elle se voulait aide à l’élaboration du projet et outil de suivi et d’évaluation. Chacun des projets municipaux ne s’est pas construit en définissant conjointement une méthodologie d’évaluation quantitative et qualitative, des indicateurs, des critères... Et en conséquence, il n’a pas pu y avoir d’évaluation concomitante à la mise en œuvre de l’expérimentation.

Faut-il voir dans ce fait le refus (plus ou moins conscient) des acteurs de répondre à l’injonction des politiques publiques à un modèle d’évaluation normé ? Ou le sentiment que cela corres-pondrait à une charge de travail supplémentaire, lourde et chronophage plus qu’à une aide à l’action ? Ou un manque d’outillage propre à cette démarche ?

En fait, cette faible mobilisation de l’évaluation est peut-être aussi le fruit d’une méprise sur ce qu’elle est (méprise souvent encouragée par le brouillage institutionnel et la confusion bilan-évaluation) : moins un instrument de contrôle pour décider si l’action a été ou non

86 Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, 1962, Plon.

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réalisée (sa dimension normative), qu’un outil qui permet de comprendre les processus à l’œuvre et de faire évoluer les modalités de l’action, quitte parfois aussi à ré-interroger le projet lui-même. C’est précisément quand l’avancement de l’action ne correspond pas à ce qu’on attendait, que l’évaluation est le plus utile –comme outil d’intelligibilité et de pilotage.

Dans le même temps, les jeunes, bénéficiaires de l’action, n’ont pas été associés à ce qui aurait pu être une autre forme d’évaluation, plus souple et participative. On peut oser l’hypothèse qu’il eût fallu un tiers qui s’en chargeât, non pas dans une démarche technocratique de surplomb, mais dans une logique de mobilisation des jeunes.

On pourrait faire des réflexions semblables sur la conduite du projet. On a évoqué l’articulation entre la démarche de réseau et celles des Villes : comment dans l’avenir tirer leçon de ce qui a pu être perçu comme difficultés, améliorer les dynamiques tant locales que réticulaires ?

La question dépasse bien sûr le cas particulier de la recherche-action et concerne l’ensemble des acteurs de l’action publique. Comment éviter les dérives technocratiques, souvent d’ailleurs diffusées par maintes formations à « la méthodologie de projet », qui consistent à penser intellectuellement le projet, puis à le mettre en œuvre (dans la logique du modèle industriel), pour ensuite en vérifier le résultat ? Comment comprendre que lorsqu’il s’agit de dynamiques de territoires ou de groupes, de développement local, la construction du projet vient toujours quand un processus est déjà enclenché, parce qu’il est enclenché, et que le projet doit être pensé et repensé en permanence comme évolutif, dans ses formes comme parfois dans son objet... ? D’où la nécessité d’un regard évaluatif et partagé permanent.

C’est là un des paradoxes de toute démarche participative : la volonté de prendre en compte l’informel, de faciliter l’émergence de paroles et de pratiques instituantes appelle une métho-dologie extrêmement contraignante du côté de ceux qui l’organisent - aux antipodes donc de l’improvisation et de tout spontanéisme. Et un des enjeux de l’action en direction de la jeunesse aujourd’hui, pour les politiques comme pour les techniciens, est précisément de réussir à travailler dans la tension permanente (et en ne sacrifiant aucun des termes de cette tension) entre rigueur et souplesse, technicité forte et capacité à accueillir l’inattendu, respect et dynamisation de l’institué et aide à l’émergence de l’instituant.

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n LA PARTICIPATION DES JEUNES : UNE MÉTHODOLOGIE À RE-DÉFINIR

Cette difficulté se retrouve quand on évoque la question de la participation des jeunes à la décision.

Une présence effective dans les projets mais moins dans les temps institutionnels

Les jeunes étaient présents dans les projets. Il y eut même de nombreuses occasions de ren-contres qui furent bien accueillies de part et d’autre. Comme nous l’avons vu dans les pages précédentes, cette participation a pu prendre différentes formes :– une posture « politique » avec affirmation et revendication d’une place, de droits (entendus

comme « droit de.... ») ;– une posture de « consommateurs », plus liée aux pratiques, à la demande de diversification

de l’offre, et à l’affirmation d’un « droit à... » ;– et tout l’éventail des postures intermédiaires.

Mais force est de constater que les jeunes ont été le plus souvent absents au moment de la phase de conception, et plus encore dans les temps du réseau. Cet objectif, rappelé de manière récurrente tout au long de trente ans de discours des politiques de la ville et de cohésion sociale, avait pourtant constitué une des préconisations de la première phase de la recherche-action, et était un des principes affichés au départ de cette seconde phase.

Les difficultés des professionnels à mobiliser les jeunes dans la dynamique de réseau

Cette absence a été maintes fois rappelée par les professionnels, qui à la fois le regrettaient, mais aussi faisaient part de leur difficulté à ce sujet : comment faire ?

Peut-être pouvons-nous émettre quelques hypothèses explicatives (et qui peuvent être cumulatives) :Peut-être s’agit-il d’une question de (manque de) temps ? Ou de déficit de méthodologie ? On ne peut pas non plus exclure l’ambivalence des professionnels (ou de certains profession-nels ?) à ce sujet – certains l’évoquent dans ce volume – : donner la parole (ou une place) aux jeunes, au nom même d’une certaine éthique ou d’une certaine professionnalité, au nom du diagnostic partagé des nouveaux enjeux des socialisations juvéniles et des politiques de jeu-nesse, vient nécessairement à un moment ou à un autre, les déposséder de leur rôle et de leur expertise, d’autant plus quand les jeunes ne s’inscrivent pas dans les postures ou les demandes que ces professionnels considèrent comme celles qui devraient être (pour le bien des jeunes !). D’où des réticences qu’on gagnerait à ne pas voir comme conjoncturelles mais comme struc-turelles ! (cf. le texte de Régis Cortesero p. 102).

Et une manière de poser la question qui est peut-être à renouveler

Mais peut-être pourrait-on oser une autre hypothèse, énoncée d’une manière un peu brusque : pourquoi persiste-t-on, à vouloir associer les jeunes dès le départ, envers et contre tout, dans des discussions formelles et procédurales, et des formes de partenariat qui restent le plus souvent dissymétriques (cf. les textes de Bernard Bier p. 80, René Jarry p. 88 sur le partenariat et de Bernard Bier p. 90 et Régis Cortesero p. 102 sur la participation), en dépit du succès très relatif de l’injonction à ce modèle?

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Dans quelle mesure ce discours sur la participation des jeunes, sous cette forme, n’a-t-il pas un caractère magique, incantatoire, qui peut in fine rassurer le professionnel et l’élu, faire porter sur les jeunes leur déficit de participation, et appeler à une démarche toujours plus éducative et de toujours aussi faible efficacité, démarche sans fin... ?Ne faut-il pas changer de posture et prendre le problème autrement, en tenant compte de ce que nous apporte la recherche en sciences sociales, à savoir que :– les mobilisations et initiatives des jeunes passent par le faire plus que par des discours en

amont ; – l es jeunes n’ont aucune raison de se mobiliser s’ils n’y trouvent pas leur intérêt, s’ils n’en

voient pas les effets immédiats ;– l es mobilisations des jeunes (et des autres) ne se font que sur des questions par lesquelles

ils se sentent concernés ; En conséquence, le problème n’est pas de leur demander ce qu’ils veulent, mais de créer un cadre ou de leur permettre de créer un cadre où ils auront le pouvoir de faire, conformément aux propos de Saul Alinski87 : « ne demandez pas aux gens ce qu’ils veulent, ils vous répondront toujours des choses décevantes. Donnez-leur d’abord du pouvoir, et ils trouveront quel usage en faire une fois qu’ils prendront la mesure de leur pouvoir d’agir ».

C’était déjà le propos de fin de la première phase de la recherche-action, c’était le point de départ de la seconde phase : accepter les espaces de frottements comme positifs, accepter de se déposséder... Le chantier, on le voit, reste entier.

87 cité par Régis Cortesero p. 104.

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n VERS UNE TROISIÈME PHASE DE LA DÉMARCHE ?

Ainsi, la dynamique engagée par les sept Villes et RésO Villes autour de cette phase expérimen-tale, a-t-elle eu le mérite, aussi « bricolée » soit-elle, de nous permettre de poser cet ensemble de questions. À ce titre, elle a joué comme un laboratoire de formes émergentes de gouver-nance et de politiques publiques. En cela, elle a peut-être aussi été expérimentale.

Dans cette perspective, l’espace tiers apporté par RésO Villes aux professionnels et aux élus en charge des politiques publiques de jeunesse apparaît utile pour mettre en mots, partager et analyser les difficultés qu’ils rencontrent et les solutions qu’ils développent. Les membres du réseau expriment unanimement leur intérêt pour la dynamique qu’il consti-tue. Une nouvelle étape peut donc maintenant s’ouvrir, à la fois consolidation des acquis et renouvellement des formes et contenus.

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Directrice de publication : Emmanuelle Soumeur-Méreau, directrice de RésO Villes

Rédaction : Chafik Hbila, chargé de mission à RésO Villes, Bernard Bier, sociologue

Conception et réalisation graphique : Emmanuel C. , collectif akt3 (akt3.net) Impression : ICI

Suivi : Soazig Barré, chargée des ressources documentaires et des outils de communication à RésO Villes

Septembre 2012 ISBN : 2-9521709-7-5

UNION EUROPÉENNE

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23, rue des Renards 44300 Nantes

Téléphone 02 40 58 02 03 Fax 02 40 58 03 32

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www.resovilles.com

Centre de ressources politique de la ville Bretagne Pays-de-la-Loire