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Chapitre 6 Construction du foncteur des chaînes singulières L’une des méthodes utilisées au début de la topologie algébrique pour dénir l’homologie des espaces topologiques était de les décomposer en cellules ou de voir les espaces comme des polyèdres. L’une comme l’autre de ces méthodes permet de voir un espace topologique X comme un assemblage de pièces élémentaires (des « cellules ») à partir duquel des invariants homotopiques, dont l’homologie, peuvent être dénis. Malheureusement, cette méthode a plusieurs inconvénients. Le premier est que l’homologie dite « cellulaire » ainsi dénie dépend a priori de la façon dont X est décomposé en cellules, et il y a un gros travail à faire pour montrer que ce n’est pas le cas. Un autre inconvénient est qu’une telle décomposition n’est pas fonctorielle, ce qui si- gnie que si f : X Y est une application continue entre deux espaces décomposés en cellules, il n’y aucune raison pour que f respecte la décom- position en cellules. Ceci amène de nombreuses complications, en particulier pour dénir ce que f induit sur l’homologie. On est amené à subdiviser une décomposition en cellules ou à déformer une telle décomposition (en la fai- sant « glisser » sur l’espace X ), toutes opérations nécessitant des choix dont on doit aussi éventuellement montrer qu’ils sont inessentiels. Tous ces désagréments ont été éliminés par Samuel Eilenberg vers 1944. Pour rendre les dénitions indépendantes du choix des cellules, il n’y a qu’à prendre toutes les cellules possibles. De cette façon, il n’y a plus aucun choix à faire. L’idée est audacieuse, car prendre toutes les cellules possibles conduit à un ensemble de cellules plutôt monstrueux (par la taille), qui bien entendu ne se prête pas à un calcul direct des invariants homotopiques. Toutefois, elle a l’avantage d’être parfaitement fonctorielle ce qui amène de nombreuses 229

Construction du foncteur des chaînes singulières

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Chapitre 6

Construction du foncteur deschaînes singulières

L’une des méthodes utilisées au début de la topologie algébrique pour définirl’homologie des espaces topologiques était de les décomposer en cellules ou devoir les espaces comme des polyèdres. L’une comme l’autre de ces méthodespermet de voir un espace topologique X comme un assemblage de piècesélémentaires (des « cellules ») à partir duquel des invariants homotopiques,dont l’homologie, peuvent être définis. Malheureusement, cette méthode aplusieurs inconvénients. Le premier est que l’homologie dite « cellulaire »ainsi définie dépend a priori de la façon dont X est décomposé en cellules,et il y a un gros travail à faire pour montrer que ce n’est pas le cas. Un autreinconvénient est qu’une telle décomposition n’est pas fonctorielle, ce qui si-gnifie que si f : X → Y est une application continue entre deux espacesdécomposés en cellules, il n’y aucune raison pour que f respecte la décom-position en cellules. Ceci amène de nombreuses complications, en particulierpour définir ce que f induit sur l’homologie. On est amené à subdiviser unedécomposition en cellules ou à déformer une telle décomposition (en la fai-sant « glisser » sur l’espace X), toutes opérations nécessitant des choix donton doit aussi éventuellement montrer qu’ils sont inessentiels.

Tous ces désagréments ont été éliminés par Samuel Eilenberg vers 1944.Pour rendre les définitions indépendantes du choix des cellules, il n’y a qu’àprendre toutes les cellules possibles. De cette façon, il n’y a plus aucun choixà faire. L’idée est audacieuse, car prendre toutes les cellules possibles conduità un ensemble de cellules plutôt monstrueux (par la taille), qui bien entendune se prête pas à un calcul direct des invariants homotopiques. Toutefois, ellea l’avantage d’être parfaitement fonctorielle ce qui amène de nombreuses

229

230 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

simplifications, en particulier concernant les définitions des invariants etles principaux théorèmes les concernant. Ces théorèmes (excision, Mayer-Vietoris, etc. . .) permettent par ailleurs de retrouver la manière cellulaireoriginelle de calculer sans qu’on ait besoin de justifier une quelconque indé-pendance vis-à-vis de la façon de décomposer l’espace en cellules. C’est cettethéorie d’Eilenberg, appelée « homologie singulière », qui est exposée ici.

6.1 Chaînes singulières d’un espace topologique

Les « modèles » de cellules que nous allons utiliser sont les suivants : un pointpour les cellules de dimension 0, un segment (homéomorphe à [0, 1]) pour lescellules de dimension 1, un triangle (plein) pour les cellules de dimension 2,un tétraèdre (plein) pour les cellules de dimension 3, etc. . . Précisément :

☞ 306 Définition. Pour tout n ∈ N, le « n-simplexe topologique standard »,Δn, est défini par :

Δn = {(t0, . . . , tn) ∈ [0, 1]n+1 |n�

i=0ti = 1}

Le point (t0, . . . , tn) tel que ti = 1 et tj = 0 pour j �= i est appelé le « iième

sommet » de Δn et noté i.

La figure ci-dessous représente Δ0, Δ1 et Δ2 ([0, 1]n+1 est figuré en poin-tillés) :

0 0

1

0

1

2

Il est important de noter que l’ensemble {0, . . . , n} des sommets de Δn esttotalement ordonné. Bien sûr, Δn est un espace compact et c’est l’enveloppeconvexe (dans l’espace affine Rn+1) de l’ensemble de ses sommets. Pour toutn ∈ N et tout entier i tel que 0 ≤ i ≤ n + 1, il existe une unique application

6.1. Chaînes singulières d’un espace topologique 231

affine δi : Δn → Δn+1 telle que�

δi(j) = j si j < iδi(j) = j + 1 si j ≥ i

L’application δi est appelée « iième face ». C’est en fait l’unique applicationaffine qui induit sur les ensembles ordonnés de sommets une applicationstrictement croissante dont l’image ne contient pas i. La figure ci-dessousreprésente le 2-simplexe Δ2, trois exemplaires de Δ1 et les trois applicationsδ0, δ1, δ2 : Δ1 → Δ2, trois exemplaires de Δ0 et trois fois les deux applicationsδ0, δ1 : Δ0 → Δ1.

0 1

2

0 1

δ2

0

1

δ1

0

1

δ0

0δ1

δ1

0δ1

δ0

0δ0 δ0

☞ 307 Définition. Un « n-simplexe singulier » d’un espace topologique X estune application continue x : Δn → X. L’ensemble des n-simplexes singuliersde X est noté Sn(X).

Pour tout anneau (commutatif unitaire) Λ, le Λ-module libre sur Sn(X) estnoté Cn(X) (où Cn(X; Λ) s’il est nécessaire de préciser Λ) et ses éléments sontappelés les « n-chaînes singulières de X (à coefficients dans Λ) ».

La figure ci-dessous représente un 2-simplexe singulier d’un espace X (letriangle déformé étant l’image de x).

Δ2

x

X

232 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

Sn(X) est évidemment en général un très gros ensemble, car, sauf dans descas bien particuliers, il y a beaucoup d’application continues de Δn versX. Noter que S0(X) s’identifie canoniquement à l’ensemble sous-jacent àX, et que S1(X) n’est autre que l’ensemble des chemins (standard) de X.Une n-chaîne singulière est donc « une combinaison linéaire formelle » den-simplexes singuliers.( 1)

☞ 308 Remarque. La notion d’application affine( 2) f : Δn → X a un sens pour toutespace affine (réel) X, et une telle application est complètement déterminée par les imagesqu’elle donne des sommets de Δn, lesquelles images peuvent être arbitraires. En effet, si pourtout i (0 ≤ i ≤ n), f(i) est donné dans X, l’application f est donnée par

(t0, . . . , tn) �→ t0f(0) + · · · + tnf(n)

ce qui est un barycentre bien défini dans X puisque t0 + · · · + tn = 1. De plus, comme lesti sont positifs ou nuls, les barycentres auxquels nous avons affaire sont des barycentres àcoefficients positifs. Il en résulte que si X est maintenant un sous-ensemble convexe d’unespace affine, tout ce qui précède reste valable.

On a donc, dans le cas où X est un sous-ensemble convexe d’un espace affine, la notion de « n-simplexe singulier affine », et le module Cn(X) a dans ce cas un sous-module des « n-chaînessingulières affines ». C’est le cas en particulier quand X = Δm, qui est un sous-ensembleconvexe de Rm+1.

Dans ce cas particulier, on peut aller un peu plus loin et considérer les applications affinesΔn → Δm qui sont injectives et envoient les sommets de Δn sur des sommets de Δm en res-pectant l’ordre, autrement-dit, restreinte aux sommets, une telle application est croissante.Elle est alors dite « simpliciale affine », et on a dans Cn(Δm) un sous-module des n-chaînessimpliciale affines, dont nous ferons usage plus loin.

Bien entendu, Sn est un foncteur, puisque c’est le foncteur X �→ Top(Δn, X).Les constructions Sn et Cn sont donc fonctorielles. Si f : X → Y est uneapplication continue, et si x : Δn → X est un n-simplexe singulier de X, lecomposé f ◦ x = Sn(f)(x) = f∗(x) : Δn → Y est un n-simplexe singulier de Y .

Δn

f∗(x) ��

x �� X

f

��Y

Bien sûr, Sn(f) détermine une unique application linéaire Cn(f) = f∗ :Cn(X) → Cn(Y ).

Par sa construction même, le foncteur Cn est représentable avec pour élé-ment universel l’application identique Δn → Δn, qui sera notée en, et appe-lée le « n-simplexe singulier universel ». En d’autres termes, le couple (Δn, en)

1. Rappelons qu’une combinaison linéaire fait toujours intervenir un nombre fini de vec-teurs.

2. Une application affine est une application qui préserve les barycentres.

6.2. Le complexes des chaînes singulières 233

est un classifiant de Sn, ce qui s’exprime par le fait que pour tout n-simplexesingulier x de n’importe quel espace X il existe une unique application conti-nue f : Δn → X telle que Sn(f)(en) = x. On a bien sûr x = x∗(en).

Δnx �� X

Δn

en

��

x∗(en)

��

Le lemme de Yoneda montre que toute transformation naturelle ϕ : Sn → Gest déterminée par l’élément ϕΔn(en) (qui appartient à G(Δn)). Par ailleurs,comme les n-simplexes singuliers de X forment une Λ-base de Cn(X), on voitque la donnée d’un élément quelconque a de G(Δn), dans le cas où G est unfoncteur à valeurs dans les Λ-modules, définit une unique transformationnaturelle ϕ : Cn → G. Il suffit en effet de la définir en posant pour tout n-simplexe singulier x de X, ϕX(x) = G(x)(a). Il s’agit bien sûr d’une varianteΛ-linéaire du lemme de Yoneda.

6.2 Le complexes des chaînes singulières

Nous allons maintenant définir une notion de « bord » pour les chaînes sin-gulières, et organiser les modules Cn(X) en un DG-module. On pose

C∗(X) =�

n∈NCn(X)

C∗(X) est donc un Λ-module (positivement) gradué, ses éléments homogènesde degré n étant ceux de Cn(X).

L’application iième face δi : Δn−1 → Δn induit (par transposition) une appli-cation δ∗

i : Sn(X) → Sn−1(X) pour tout espace X. On a bien sûr δ∗i (x) = x ◦ δi

(pour x ∈ Sn(X)). Cette application s’étend de manière unique en une appli-cation Λ-linéaire δ∗

i : Cn(X) → Cn−1(X)

0 1

2Δ2

x

X

0 1

δ2

Δ1 δ∗2(x)

234 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

Dans la figure ci-dessus, le côté tireté du 2-simplexe singulier x est le 1-simplexe singulier δ∗

2(x) = x ◦ δ2. Le « bord » d’un simplexe singulier est in-tuitivement composé de la réunion de ses faces. Nous allons donc le définirdans ce cadre algébrique comme la somme de ses faces, en faisant attention àintroduire les signes qui conviennent pour corriger les défauts d’orientationdes faces. La formule qui convient pour définir le bord de x ∈ Cn(X) est :

∂(x) =n�

i=0(−1)iδ∗

i (x)

Cette formule ne tombe pas complètement du ciel. Il suffit en effet de dessi-ner Δ2 et Δ3 pour être convaincu que la formule ci-dessus est la bonne. Dansle cas de Δ2, on voit sur la figure ci-dessous comment les trois côtés sontorientés, l’orientation étant déterminée par l’ordre des sommets.

0 1

2

On voit que le côté opposé à 1 est a une orientation incompatible avec cellesdes deux autres côtés. Il sera donc compté négativement, ce qui donnera

∂(x) = δ∗0(x) − δ∗

1(x) + δ∗2(x)

Dans le cas de Δ3, on a sur chaque face un sens de rotation qui est déterminépar l’ordre des trois sommets de cette face.

0 1

2

3

Si les faces étaient correctement orientées, en se plaçant au centre du sim-plexe, on devrait voir le même sens de rotation quand on regarde l’une quel-conque des quatre faces. Or, ce n’est pas le cas. Quand on regarde les faces

6.2. Le complexes des chaînes singulières 235

opposées à 0 et à 2, la rotation se fait vers la droite, alors qu’elle se fait versla gauche pour les faces opposées à 1 et à 3. En fait, ceci n’a rien d’étonnantpuisque si on considère deux triangles de même orientation ayant un côtécommun, on voit que les deux triangles induisent des orientations opposéessur ce côté commun :

Si les faces de Δ3 étaient d’emblée bien orientées, elles induiraient des orien-tations opposées sur les arêtes de Δ3, ce qui est bien sûr impossible puisquec’est l’ordre des sommets qui détermine l’orientation des arêtes.

Pour avoir des orientations cohérentes, il faut donc faire la somme alter-née des face. Bien entendu, les considérations ci-dessus ne démontrent rien.Elles servent juste de motivations pour la formule qui définit le bord.

Le bord ∂ : Cn(X) → Cn−1(X) défini par la formule ci-dessus est donc uneapplication Λ-linéaire, et c’est une transformation naturelle de Cn vers Cn−1.En effet, si f : X → Y est une application continue, on a, pour tout x ∈Cn(X), δ∗

i (f∗(x)) = f ◦x◦δi = f∗(δ∗i (x)), et donc ∂◦f∗ = f∗ ◦∂. En conséquence,

∂ : Cn → Cn−1 est complètement déterminé par l’élément ∂(en) ∈ Cn−1(Δn).

☞ 309 Lemme. Le bord ∂ défini ci-dessus est de carré nul (∂ ◦ ∂ = 0).

Démonstration. Pour montrer que ∂ ◦ ∂ = 0, il suffit de montrer que∂(∂(en)) = 0, car on aura alors, pour tout x ∈ Sn(X), ∂∂(x) = ∂∂(x∗(en)) =x∗(∂∂(en)) = 0.

∂∂(en) est une combinaison linéaire des (n−2)-simplexes simpliciaux affinesde Δn. Chacun de ces (n − 2)-simplexes est déterminé par ses n − 1 sommets.Dans le calcul de ∂∂(en), chacun est obtenu deux fois, puisqu’il y a deuxmanières de retirer successivement deux élements donnés de l’ensemble or-donné {0, . . . , n}. Si on a i < j, et qu’on retire d’abord le sommet j, puis lesommet i, le terme obtenu aura pour signe (−1)i(−1)j . Si au contraire on re-tire d’abord le sommet i, le rang du sommet j se trouve diminué de 1, et leterme obtenu aura pour signe (−1)i(−1)j−1, qui est opposé au précédent. Onvoit donc que chaque (n − 2)-simplexe est compté deux fois avec des signesopposés dans le calcul de ∂∂(en), et on a donc ∂∂(en) = 0. ❏

On a donc construit pour chaque espace topologique X un DG-module qu’on

236 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

notera C∗(X), et cette construction est fonctorielle en X.

On peut maintenant composer ce foncteur avec le foncteur homologie. On ob-tient ainsi un nouveau foncteur de la catégorie Top vers celle des Λ-modulesgradués. Ce foncteur est appelé l’« homologie singulière ». L’homologie singu-lière de X est notée H∗(X), ou H∗(X; Λ).

☞ 310 Définition. Un espace topologique X est dit « acyclique » (ou « Λ-acyclique ») si l’unique application X → {∗} induit un isomorphisme en ho-mologie.

On va montrer dans les sections qui suivent que le foncteur C∗ des chaînessingulières satisfait les axiomes (0) à (6) de la définition 247 (page 181). Maisd’ores et déjà :

☞ 311 Lemme. L’axiome (0) de la définition 247 est satisfait par le fonc-teur C∗. ❏

☞ 312 Lemme. Le foncteur C∗ des chaînes singulières satisfait l’axiome (1)de la définition 247.

Démonstration. Soit X un espace topologique, A et B deux parties de X.Pour tout n ∈ N, Sn(A) et Sn(B) sont des sous-ensembles de Sn(X), et leurintersection est Sn(A ∩ B). Il en résulte que C∗(A) et C∗(B) sont des sous-modules de C∗(X), et même bien sûr des sous-DG-modules, puisqu’ils sontclairement stables par les opérations de faces. En conséquence C∗(A ∩ B) estjuste l’intersection des sous-DG-modules C∗(A) et C∗(B) de C∗(X), et le carréde l’axiome (1) est cartésien. ❏

6.3 Le cas du point

Réexaminons les constructions précédentes dans le cas où l’espace X = {∗}est réduit à un seul point. Il y a bien sûr, pour tout n ∈ N une unique ap-plication (continue) Δn → {∗}. Par conséquent Sn({∗}) est un singleton, etCn({∗}) est de dimension 1, c’est-à-dire isomorphe à Λ. La suite :

0 C0(X)�� C1(X)∂�� C2(X)∂�� . . .∂��

. . . Cn(X)∂�� Cn+1(X)∂�� . . .∂��

se réduit alors à la suite :

0 Λ�� Λ0�� Λ1�� Λ0�� Λ1�� . . .��

6.3. Le cas du point 237

dans laquelle 0 est la flèche nulle et 1 la flèche identité. En effet, en no-tant xn l’unique vecteur de la base canonique de Cn({∗}), on a ∂(xn) =�n

i=0(−1)ixn−1, ce qui vaut 0 si n est impair et xn−1 si n est pair. Cette suiteest exacte sauf en degré 0. L’homologie de ce DG-module est donc telle queH0({∗}) � Λ et Hi({∗}) = 0 pour i �= 0. Par ailleurs, l’application linéaireη{∗} : Λ → C∗({∗}) qui envoie 1 sur le générateur canonique de C0({∗}) estclairement un quasi-isomorphisme. Ainsi :

☞ 313 Lemme. L’axiome (4) de la définition 247 est satisfait par le fonc-teur C∗. ❏

On définit l’« augmentation canonique » ε : C∗(X) → Λ en posant ε(x) =1 pour tout 0-simplexe singulier x de X et ε(x) = 0 pour tout les autressimplexes singuliers de X. Il est clair que ε ainsi défini coïncide avec celui dela définition 248 (page 183), pourvu que ε{∗} : C∗({∗}) → Λ soit ε : C∗({∗}) →Λ comme défini ci-dessus.

☞ 314 Lemme. L’axiome (3) de la définition 247 est satisfait par le fonc-teur C∗.

Démonstration. L’image d’un simplexe singulier x : Δn → X est une par-tie quasi-compacte de X, puisque Δn est compact et l’application x conti-nue. Il en est donc de même de la réunion des images des simplexes quiinterviennent dans une chaîne singulière, puisqu’ils sont en nombre fini. Enconséquence, C∗(X) est la réunion aussi bien des C∗(K) pour toutes les par-ties quasi-compactes de X, que des C∗(U) où U parcourt une famille filtranted’ouverts recouvrant X, ce qui démontre le lemme. ❏

☞ 315 Lemme. L’axiome (5) de la définition 247 est satisfait par le fonc-teur C∗. Plus généralement, pour tout sous-espace X de Rn étoilé en ∗, l’in-clusion i : {∗} → X induit un quasi-isomorphisme i∗ : C∗({∗}) → C∗(X).

Démonstration. Comme l’axiome (4) est satisfait, il suffit de montrer qu’ona un quasi-isomorphisme ε : C∗(X) → Λ. Notons η : Λ → C∗(X) l’uniquemorphisme qui envoie 1 sur le 0-simplexe ∗ ∈ C0(X) (déterminé par le point∗ de X).

À tout n-simplexe singulier x : Δn → X, on peut associer le (n + 1)-simplexe singulier h(x) : Δn+1 → X défini par h(x)(t0, . . . , tn+1) = t0 ∗ +(1 −t0)x(t1, . . . , tn+1). On a alors, pour n > 0, ∂0(h(x)) = x, et ∂i+1(h(x)) = h(∂i(x))pour 1 ≤ i ≤ n. Pour n = 0, on a ∂(x) = 0 et ∂(h(x)) = x − ∗ = x − η(1) =x − η(ε(x)). Dans tous les cas on a ∂h + h∂ = 1 − ηε. Comme par ailleursεη = 1, on voit que ε est une équivalence d’homotopie, donc un quasi-isomorphisme. ❏

238 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

On a donc montré que le foncteur C∗ satisfait les axiomes de la définition 247(page 181) à l’exception des axiomes (2) et (6), qui vont nous occuper dans lessections qui suivent.

6.4 Le théorème des modèles acycliques

La démonstration des axiomes (2) et (6) de la définition 247 pour le foncteurC∗ est plus difficile. On peut traiter ces questions d’une manière calculatoire,mais on peut aussi éviter les calculs en utilisant un outil très remarquable,le « théorème des modèles acycliques ». C’est comme cela que nous allonsprocéder.

Par définition, le module Cn(X) des n-chaînes singulières de X est un modulelibre. Sa « base canonique » Sn(X) est l’ensemble des n-simplexes singuliersde X. Si on veut définir une application linéaire de Cn(X) vers un moduleG, il suffit donc de définir les images de ces vecteurs de base. Mais en fait,on a beaucoup mieux que cela, car on peut définir une application linéaireϕX : Cn(X) → G(X) pour tous les espaces X (où on suppose maintenantque G est un foncteur parallèle à Cn), d’une manière naturelle en X, et cecien choisissant l’image d’un seul vecteur. En effet, si x : Δn → X est uneapplication continue, on devra avoir le diagramme commutatif

Cn(Δn)ϕΔn ��

x∗��

G(Δn)x∗��

Cn(X) ϕX

�� G(X)

et on aura ϕX(x∗(en)) = x∗(ϕΔn(en)), où en ∈ Cn(Δn) est le n-simplexe uni-versel de Δn, c’est-à-dire l’application identique en = 1Δn : Δn → Δn. Maisalors, on a x∗(en) = x ◦ en = x, et on voit que ϕX(x) = x∗(ϕΔn(en)). Commex est un vecteur arbitraire de la base canonique de Cn(X), ceci définit l’ap-plication linéaire ϕX pour tout espace X, et il est facile de vérifier qu’elleest naturelle en X. En résumé, il y a exatement autant de transformationsnaturelles (linéaires) Cn → G qu’il y a de choix pour ϕΔn(en), c’est-à-dired’éléments dans G(Δn).( 3)

Ainsi, l’introduction de la naturalité fait que Cn(X) est d’une certaine façon« naturellement libre sur une base faite d’un seul vecteur ». On peut mainte-

3. Le lecteur aura bien sûr remarqué que je viens juste de redémontrer le lemme de Yonedadans le cas particulier du foncteur représentable Sn, et je n’ai pas hésité à le faire car cetexemple concret permettra éventuellement d’améliorer son intuition à propos de ce lemme.

6.4. Le théorème des modèles acycliques 239

nant passer de Cn à C∗ (où C∗(X) sera juste vu comme un module gradué),ce qui ne change pas grand chose, puisque C∗(X) = �

n∈N Cn(X) est encorelibre comme somme directe de modules libres. Mais cette fois-ci le « vecteurde base » en doit être remplacé par la « famille de vecteurs de base » (en)n∈N.On aura autant de transformations naturelles linéaires de degré 0 C∗ → G(où cette fois G est un foncteur parallèle à C∗) que de manières de choisir unélément dans chaque Gn(Δn).

La situation se complique un peu si on demande maintenant que la catégo-rie cible de C∗ et G soit non plus celle des Λ-modules gradués, mais celle desDGA-Λ-modules, car notre transformation naturelle ϕ : C∗ → G va devoirrespecter les augmentations et commuter aux opérateurs bord ∂, et son exis-tence même n’est plus garantie. On s’en tire toutefois très bien en construi-sant ϕ degré par degré par récurrence sur le degré (et en faisant une hypo-thèse d’« acyclicité » qui sera précisée plus loin). Pour commencer, c’est-à-direpour construire ϕ : C0(X) → G0(X) en degré 0, la seule contrainte est de res-pecter les augmentations. Autrement-dit, on devra avoir εϕ = ε. Comme onl’a vu, la composante de degré 0 de ϕ est déterminée (pour tous les espacesX) par ϕΔ0(e0). Comme ε est surjectif, on peut choisir pour ϕΔ0(e0) un élé-ment tel que ε(ϕΔ0(e0)) = 1 = ε(e0), ce qui par naturalité entraînera εϕ = εpour tout espace X. Pour continuer, on suppose ϕ construit jusqu’au degrén−1, et on doit choisir convenablement ϕΔn(en). En fait, on doit juste le choi-sir tel que ∂(ϕΔn(en)) = ϕΔn(∂(en)), ce qui suffira, toujours par naturalité,à assurer que ϕ commute aux bords pour tout espace X. On remarque que∂(ϕΔn(∂(en))) = ϕΔn(∂(∂(en))) = 0. Noter que ces égalités ont un sens carϕΔn n’y intervient que sur des éléments de degré au plus n − 1.

C∗(Δn)ϕΔn

��

en❴

��

✤ ∂ �� ∂(en)❴

��

✤ ∂ �� ∂∂(en) = 0❴

��G(Δn) ϕΔn(en) ✤

∂�� ϕΔn(∂(en)) ✤

∂�� 0

Si maintenant on suppose que G(Δn) est un DGA-module acyclique, on voitque ϕΔn(∂(en)) est dans l’image de ∂ : Gn(Δn) → Gn−1(Δn), et qu’il est doncpossible de choisir ϕΔn(en)) satisfaisant l’égalité ∂(ϕΔn(en)) = ϕΔn(∂(en)).On a ainsi construit une transformation naturelle ϕ : C∗ → G avec C∗ et G àvaleur dans les DGA-Λ-modules.

Ce qui précède est en réalité une démonstration (esquissée) du théorème desmodèles acycliques dans un cas particulier.( 4) Nous allons bien sûr énoncer

4. Les « modèles » en question sont dans l’exemple précédent les couples (Δn, en), et cesmodèles sont « acycliques » car G(Δn) est acyclique.

240 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

et prouver un théorème plus général, dans lequel le foncteur C∗ est remplacépar un foncteur F quelconque ayant certaines des propriétés de C∗, c’est-à-dire « libre sur une sous-catégorie » (définition 316 ci-dessous). On montrerade plus, par la même méthode, que si on a deux transformations naturelles deF vers G, elles sont naturellement homotopes. Enfin, pour pouvoir prouverdans certaines situations l’unicité de la transformation naturelle construitepar le théorème, on a besoin d’imposer aux éléments qui jouent le rôle quejouaient ci-dessus les ϕΔn(en) d’appartenir à un certain sous-module du mo-dule qui va jouer le rôle de G(Δn). C’est ce sous-module qui doit être acy-clique, et suffisamment naturel, pour que la construction puisse se faire.

☞ 316 Définition. Soit C une catégorie, M une petite sous-catégorie de C ,et F un foncteur (covariant) de C vers la catégorie des DGA-Λ-modules. Onse donne une famille e indéxée par l’ensemble des objets de M , telle que pourtout M ∈ Ob(M ), eM soit un élément homogène de F (M). On dit que « F estlibre sur (M , e) », si

(a) pour tout objet X de C le Λ-module F (X) admet la famille

(f∗(eM ))M∈Ob(M ),f∈C (M,X)

pour Λ-base,

(b) pour tout M ∈ Ob(M ), le sous-module de F (M) engendré par les f∗(eN )tels que N ∈ Ob(M ) et f ∈ M (N, M) est un sous-DGA-Λ-module de F (M).

La condition (b), que le module engendré par les éléments de la forme f∗(eN )avec f dans M soit un sous-DGA-Λ-module de F (M), se résume bien sûr àla stabilité de ce sous-module par ∂ et au fait que la restriction de ε à cesous-module soit surjective.( 5)

☞ 317 Remarque. L’élément eM lui-même appartient au sous-module de la condition(b), puisque 1M ∈ M (M, M). Cette condition implique donc que ∂(eM ) soit également dansce sous-module, donc de la forme :

∂(eM ) =�

k

λk(fk)∗(eNk )

avec Nk ∈ Ob(M ), |eNk | = |eM | − 1 et fk ∈ M (Nk, M).

☞ 318 Exemple. L’exemple fondamental de foncteur libre sur une sous-catégorie est biensûr le foncteur des chaînes singulières C∗ dont on a parlé ci-dessus. On prend donc pour C lacatégorie Top des espaces topologiques et applications continues et pour M n’importe quelle

5. La définition des foncteurs libres qu’on trouvera le plus souvent dans la littérature nefait pas mention de cette dernière condition, ni bien sûr des flèches de M , qui se résume alorsà un ensemble d’objets de C , qu’on appelle des « modèles ». La définition plus sophistiquéedonnée ici est utilisée pour démontrer le point (3) du théorème 319 ci-dessous.

6.4. Le théorème des modèles acycliques 241

sous-catégorie de Top dont les objets sont les simplexes topologiques standard Δn (n ∈ N), etdont les flèches comportent au moins les opérations de faces δi : Δn−1 → Δn. On prend poureΔn (qu’on notera plutôt en) le simplexe universel en = 1Δn : Δn → Δn.

Pour tout espace topologique X, et tout n ∈ N, Cn(X) est bien, de par sa définition même, unmodule libre sur les f∗(en) (où f parcourt Top(Δn, X)). De plus, pour tout élément de Cp(Δn)de la forme f∗(ep) où f : Δp → Δn est une flèche de M , ∂(f∗(ep)), qui s’écrit encore f∗(∂(ep))est une combinaison linéaire de simplexes de la forme f∗(δq), où les δq : Δp−1 → Δp sont lesopérations de faces. Les composés f ◦ δq étant dans M , on voit que le sous-module engendrépar les éléments de la forme f∗(ep) avec f dans M , est stable par ∂. Il est de même stable parε, puisque ε(en) = 1.

Cet exemple admet des variations comme celle qui consiste à prendre pour C la catégorieTop × Top des paires d’espaces topologiques et pour F le foncteur (X, Y ) �→ C∗(X) ⊗ C∗(Y ).Dans ce cas, on prend pour M une catégorie dont les objets sont les (Δn, Δm) ((n, m) ∈ N×N),et dont les flèches contiennent au moins les couples de faces. L’élément e(Δn,Δm) est alors letenseur en ⊗ em (toujours avec en = 1Δn ). On raisonne de même que ci-dessus.

☞ 319 Théorème. (Théorème des modèles acycliques) Soit C une catégorie,F et G des foncteurs C → DGA- ModΛ. Soit M une petite sous-catégorie deC . On suppose que F est libre sur (M , e) et qu’on a un foncteur A : M →DGA- ModΛ tel que A(M) soit un sous-DGA-Λ-module acyclique de G(M),naturel en M .( 6) Alors :

• (1) il existe une transformation naturelle ϕ : F → G telle que pour toutM ∈ Ob(M ), ϕ(eM ) ∈ A(M),

• (2) entre deux telles transformations naturelles il existe une homotopienaturelle h telle que pour tout M ∈ Ob(M ), h(eM ) ∈ A(M).

• (3) si pour tout M ∈ Ob(M ), A|eM |+1(M) = 0, la transformation dontl’existence est affirmée par (1) est unique.

De plus, si M est une sous-catégorie pleine de C et si A(M) = G(M), il n’estpas nécessaire que F satisfasse la condition (b) de la définition 316 (page240).

☞ 320 Remarque. Le cas où M est une sous-catégorie pleine de C et où A(M) =G(M) correspond à l’énoncé « classique » du théorème des modèles acycliques. La versionprésentée ici est bien sûr un peu plus compliquée à énoncer que la version classique à causede la présence de la sous-catégorie M et du foncteur A. La raison de cette variation estqu’elle permet d’énoncer le point (3) du théorème. C’est la suite logique de ce qui est proposédans [20] et [21]. Cette variation ne complique que fort peu la démonstration. On noteraenfin que l’introduction du sous-module A(M) nous évite d’avoir à considérer des ensemblessimpliciaux et nous évite aussi le recours aux chaînes normalisées, dont on avait besoin dans[20] et [21].

Notons, avant de commencer la démonstration, que le fait qu’il s’agisse ici de DGA-modules

6. Autrement-dit, pour toute flèche f : M → N de M , f∗ : G(M) → G(N) envoie A(M)dans A(N).

242 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

et non pas de DG-modules est essentiel. En effet, en l’absence d’augmentations surjectivesε : F0(X) → Λ et ε : G0(X) → Λ, la transformation nulle 0 : F → G ferait l’affaire et lepoint (1) du théorème serait sans intérêt. À cause de la présence de ces augmentations, ondoit avoir le triangle commutatif

F0(X)

ϕX

��

ε

�� Λ

G0(X)ε

��

et le fait que ε : F0(X) → Λ soit surjective interdit ϕX = 0.

Démonstration. (1) Pour tout entier i, on notera Ob(M )i l’ensemble desobjets M de M tels que |eM | = i. Pour ne pas refaire pour i > 0 unedémonstration presque identique à celle qu’on ferait pour i = 0, on poseF−1(X) = G−1(X) = A−1(X) = Λ, on renomme ε en ∂, et on définitϕX : F−1(X) → G−1(X) comme l’identité de Λ. On a donc amorcé une ré-currence commençant à i = −1, et on peut maintenant supposer i ≥ 0. Noterque par hypothèse la suite :

321 . . .∂ �� Ai(M) ∂ �� . . .

∂ �� A0(M) ∂ �� A−1(M) �� 0

est exacte pour tout M ∈ Ob(M ).

On suppose donc maintenant i ≥ 0, et la transformation naturelle ϕconstruite pour tous les degrés strictement inférieurs à i. Précisément, notrehypothèse de récurrence est que pour tout j < i :

• ϕX : Fj(X) → Gj(X) est défini, linéaire et naturel en X,

• ϕX∂ = ∂ϕX : Fj(X) → Gj−1(X),• ϕN (eN ) ∈ Aj(N) pour tout N ∈ Ob(M )j .

Il en résulte, pour tout M ∈ Ob(M )i, qu’on a ϕM (∂(eM )) ∈ Ai−1(M).( 7) Eneffet, comme F est libre sur (M , e) (definition 316 (page 240)), ∂(eM ) s’écritcomme une somme finie (voir la remarque 317 (page 240)) :

322 ∂(eM ) = �k λk(fk)∗(eNk

)

avec Nk ∈ Ob(M )i−1 et fk ∈ M (Nk, M) (et non pas seulement fk ∈C (Nk, M) ! Noter que c’est ici le seul point où on utilise la condition (b) dela définition 316 (page 240), et que cette condition est inutile si M est une

7. Le raisonnement qui consisterait à dire que ceci est vrai parce que ϕM (∂(eM )) =∂(ϕM (eM )) et parce que A(M) est stable par ∂ est évidemment incorrect, puisqu’à ce stadeϕM (eM ) n’est pas encore défini.

6.4. Le théorème des modèles acycliques 243

sous-catégorie pleine de C et si A(M) = G(M)). On a donc

ϕM (∂(eM )) =�

k

λkϕM ((fk)∗(eNk)) =

k

λk(fk)∗(ϕNk(eNk

))

par naturalité de ϕ appliquée à fk : Nk → M . Mais ϕNk(eNk

) ∈ Ai−1(Nk) etcomme fk est une flèche de M , (fk)∗(ϕNk

(eNk)) ∈ Ai−1(M) (rappelons que A

est un foncteur défini sur M ).

Par linéarité, il suffit de définir ϕX(f∗(eM )) pour M ∈ Ob(M )i et f ∈C (M, X). Comme ϕ doit être naturelle, on doit avoir le diagramme commu-tatif

Fi(M) ϕM ��

f∗��

Gi(M)

f∗��

Fi(X) ϕX

�� Gi(X)

et on voit que ϕX(f∗(eM )) ne peut être que f∗(ϕM (eM )) et qu’il suffit donc dedéfinir ϕM (eM ). Comme on l’a vu ci-dessus, ϕM (∂(eM )) ∈ Ai−1(M). Commeon a ∂(ϕM (∂(eM ))) = ϕM (∂(∂(eM ))) = 0, et comme la suite 321 (page 242) estexacte, il existe un élément a (pas nécessairement unique) dans Ai(M) telque ∂(a) = ϕM (∂(eM )). Il suffit de poser ϕM (eM ) = a pour avoir ∂(ϕM (eM )) =ϕM (∂(eM )). On a donc défini ϕ en degré i, et la vérification du fait que ϕ :Fi → Gi ainsi définie est naturelle résulte (comme dans la démonstration dulemme de Yoneda) du calcul suivant (où g : X → Y est une flèche quelconquede C ) :

g∗(ϕX(f∗(eM )) = g∗(f∗(ϕM (eM ))) (définition de ϕX )= (g ◦ f)∗(ϕM (eM ))= ϕY ((g ◦ f)∗(eM )) (définition de ϕY )= ϕY (g∗(f∗(eM )))

Il reste juste pour compléter notre récurrence à vérifier que ϕX∂ = ∂ϕX :Fi(X) → Gi−1(X). Pour chaque M ∈ Ob(M )i, on a construit ϕM (eM ) de tellesorte que ∂(ϕM (eM )) = ϕM (∂(eM )). Pour toute flèche f : M → X, on a donc

∂ϕX(f∗(eM )) = ∂f∗(ϕM (eM )) (naturalité de ϕ)= f∗∂(ϕM (eM )) (f∗ morphisme de DGA-modules)= f∗ϕM (∂(eM )) (par construction de ϕM (eM ))= ϕX(f∗(∂(eM ))) (naturalité de ϕ)= ϕX(∂(f∗(eM ))) (f∗ morphisme de DGA-modules)

(2) Si ϕ et ψ sont deux transformations naturelles de F vers G telles queϕM (eM ) et ψM (eM ) soient dans A(M) pour tout objet M de M , on construit

244 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

une homotopie naturelle h de ϕ à ψ par récurrence sur le degré comme suit.h est bien sûr nulle en dimension −1. Soit donc i ≥ 0 et supposons h définiepour les degrés strictement inférieurs à i, précisément, supposons que pourtout j < i :

• hX : Fj(X) → Gj+1(X) est définie, linéaire et naturelle en X,

• ∂hX + hX∂ = ϕX − ψX : Fj(X) → Gj(X),• hN (eN ) ∈ Aj+1(N) pour tout N ∈ Ob(M )j .

Il résulte de ces hypothèses que pour tout M ∈ Ob(M )i, si on pose α =hM (∂(eM )) − ϕM (eM ) + ψM (eM ), on a α ∈ Ai(M), car en réécrivant ∂(eM )sous la forme 322 (page 242), on obtient

hM (∂(eM )) =�

k

λkf∗hNk(eNk

) ∈ Ai(M) (par hypothèse de récurrence)

Bien sûr, ϕM (eM ) et ψM (eM ) sont dans Ai(M) par hypothèse.

Comme pour (1), par linéarité et naturalité, il suffit de définir hM (eM ). Parhypothèse de récurrence, comme |∂(eM )| < i, on a

∂hM (∂(eM )) + hM (∂∂(eM )) = ϕM (∂(eM )) − ψM (∂(eM ))

c’est-à-dire ∂(α) = 0. Comme tout ceci se passe dans A(M) qui est acyclique,il existe un élément qu’on notera hM (eM ) dans Ai+1(M) tel que ∂(hM (eM )) =α. Les vérifications du fait que h est naturelle et que ∂h + h∂ = ϕ − ψ sontsimilaires à celle du point (1) et sont laissées au lecteur.

(3) Soient ϕ et ψ deux transformations naturelles de F vers G. Elles sontégales en degré −1. Supposons qu’elles soient égales jusqu’au degré i − 1 etsoit M un objet de M tel que |eM | = i. On a par hypothèse de récurrenceϕM (∂(eM )) = ψM (∂(eM )) puisque |∂(eM )| < i. Mais comme Ai+1(M) = 0, lasuite exacte 321 (page 242) montre que ∂ : Ai(M) → Ai−1(M) est injectif.Comme on a ∂(ϕM (eM )) = ϕM (∂(eM )) = ψM (∂(eM )) = ∂(ψM (eM )), on voitque ϕM (eM ) = ψM (eM ) pour tout M ∈ Ob(M )i et donc que ϕ = ψ jusqu’audegré i. ❏

6.5 Le théorème des petites chaînes

Nous utilisons maintenant le théorème des modèles acycliques pour démon-trer que la théorie des chaînes singulières satisfait l’axiome (2) de la défini-

6.5. Le théorème des petites chaînes 245

tion 247 (page 181).( 8) Ce résultat est connu sous le nom de « théorème despetites chaînes » ou « théorème des chaînes U -petites ».

Soit X un espace topologique et soit U = (Ui)i∈I une famille de parties deX dont les intérieurs recouvrent X. Un n-simplexe singulier x : Δn → X estdit « assujeti à U » s’il existe i ∈ I tel que l’image de x soit contenue dansl’intérieur de Ui. Une n-chaîne singulière

�j λjxj de X est dite « assujetie à

U » si tous les simplexes singuliers xj sont assujetis à U . On voit que leschaînes assujeties à U sont celles qui sont composées de simplexes « assezpetits ».( 9)

Les chaînes singulières de X assujeties à U à coefficients dans Λ formentun sous-Λ-module de C∗(X; Λ) qu’on notera CU

∗ (X) ou CU∗ (X; Λ). Le théo-

rème des petites chaînes (théorème 329 ci-dessous) nous dit que ces « petiteschaînes » suffisent pour calculer l’homologie de X.

Pour démontrer ce théorème, nous avons besoin de quelques résultats (plu-tôt élémentaires) de géométrie affine. On appelle « n-simplexe affine » l’enve-loppe convexe de n + 1 points s0, . . . , sn affinement indépendants (qu’on ap-pelle ses « sommets ») dans un espace euclidien.( 10) Si D est un n-simplexeaffine de sommets s0, . . . , sn, la face opposée à si est l’enveloppe convexe despoints s0, . . . , si−1, si+1, . . . , sn. Noter que les faces d’un n-simplexe affine sontdes (n−1)-simplexes affines. Le centre de gravité de tout n-simplexe affine Dsera noté G(D). Il est le barycentre des n + 1 sommets tous affectés du poids

1n+1 . Quand leur nom n’est pas précisé, les sommets d’un n-simplexe affinesont notés 0, . . . , n.

☞ 323 Lemme. Pour tout point x d’un n-simplexe affine D, le point de D leplus éloigné de x est l’un des sommets de D.

Démonstration. Notons s0, . . . , sn les sommets du n-simplexe affine D.Pour tout point y de D, on a y = �n

i=0 tisi (avec�n

i=0 ti = 1), donc :

�x − y� = �x − �ni=0 tisi�

= � �ni=0 ti(x − si)�

≤ �ni=0 ti�x − si�

≤ �ni=0 ti supi �x − si�

= supi �x − si�

8. On peut faire cette démonstration « à la main » sans utiliser les modèles acycliques. Voirpar exemple Hatcher [12].

9. Ce sont donc les « maillons » de la chaîne qui sont « petits » et non pas la chaîne elle-même.

10. On n’impose aucune condition métrique sur D, autrement-dit les distances entre sessommets sont quelconques.

246 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

et on voit que la distance de x à y est majorée par la distance de x à unsommet de D. ❏

☞ 324 Lemme. Le diamètre d’un n-simplexe affine D est le maximum desdistances entre deux de ses sommets.

Démonstration. Si x et y sont deux points de D, il existe d’après le lemmeprécédent un sommet si de D tel que �x − y� ≤ �x − si�, et de même unsommet sj de D tel que �x − si� ≤ �sj − si�. ❏

☞ 325 Lemme. Soit D un n-simplexe affine de diamètre d. La distance deG(D) à tout point de D est au plus nd

n+1 .

Démonstration. Il suffit d’après le lemme 323 de montrer que la distancede G(D) à tout sommet si de D est au plus nd

n+1 . Or on a

G(D) − si =�

�j

1n + 1 sj

�− si

=�

�j �=i

1n + 1 sj

�− n

n + 1 si

= 1n + 1

�j �=i(sj − si)

donc �G(D) − si� ≤ ndn+1 . ❏

☞ 326 Définition. Les « simplexes barycentriques » d’un n-simplexe affineD (ce sont des simplexes singuliers affines de D) sont définis de la façonsuivante par récurrence sur n :

• (1) G(D) est un 0-simplexe barycentrique de D,

• (2) tout simplexe barycentrique d’une face d’un simplexe affine D estun simplexe barycentrique de D,

• (3) pour tout p-simplexe barycentrique x d’une des faces d’un simplexeaffine D, l’unique simplexe singulier affine h(x) : Δp+1 → D tel queh(x)(0) = G(D) et ∂0(h(x)) = x est un simplexe barycentrique de D.

Il est immédiat par récurrence sur n, qu’un n-simplexe affine n’a aucun p-simplexe barycentrique pour p > n.

☞ 327 Lemme. Soit D un n-simplexe affine de diamètre d. Alors le diamètrede tout simplexe barycentrique de D est au plus dn

n+1 .

Démonstration. Par récurrence sur n. C’est immédiat pour n = 0 et pourtout n pour tous les simplexes barycentriques obtenus par la règle (1). Suppo-sons n > 0. Si x est obtenu par la règle (2), on a par hypothèse de récurrence

6.5. Le théorème des petites chaînes 247

diam(x) ≤ d(n−1)n < dn

n+1 . Enfin, si x est obtenu par la règle (3), on a le résultatd’après les lemmes 324 et 325 ci-dessus. ❏

☞ 328 Lemme. Pour tout n-simplexe affine D, le sous-module Bary∗(D) deC∗(D) ayant pour base les simplexes barycentriques de D est un sous-DG-module acyclique de C∗(D).

Démonstration. Si x est un simplexe barycentrique de D, il en est de mêmede toutes ses faces. C’est clair quand x a été construit par l’une des règles(1) ou (2) (par récurrence dans le cas de (2)). Dans le cas où x est construitpar la règle (3), c’est clair par construction pour la face opposée à 0. Quantaux autres faces, elles sont elles-mêmes obtenue par la règle (3), et on a∂i(h(x)) = h(∂i−1(x)) pour i > 0.

Il est immédiat que pour tout 0-simplexe barycentrique x de D, on a∂(h(x)) = x − G(D) = x − ηε(x) (où η : Λ → C∗(D) envoie 1 sur le 0-simplexeG(D)). Si x est un p-simplexe barycentrique de D pour p > 0, il est obtenusoit par la règle (2), soit par la règle (3). S’il est obtenu par la règle (2), on a∂h(x) + h(∂(x)) = x par hypothèse de récurrence. S’il est obtenu par la règle(3), on a ∂(h(x)) = x + �n

i=1(−1)i∂i(h(x)). Mais ∂i(h(x)) = h(∂i−1(x)). On adonc encore x = ∂(h(x)) + h(∂(x)). On a donc pour tout simplexe barycen-trique x de D, ∂(h(x)) + h(∂(x)) = x − ηε(x). ❏

☞ 329 Théorème. (Théorème des petites chaînes) Soit U = (Ui)i∈I unefamille de parties de X dont les intérieurs recouvrent X. Alors, pour tout an-neau Λ, l’inclusion canonique CU

∗ (X; Λ) → C∗(X; Λ) induit un isomorphismeen homologie.

Démonstration. Comme le foncteur X �→ C∗(X) est libre sur les modèles(Δn, en)n∈N et que le sous-DG-module Bary∗(Δn) des chaînes barycentriquesde Δn est acyclique, il existe (théorème 319 (page 241), point (1)) une trans-formation naturelle σ : C∗ → C∗ telle que σ(en) ∈ Baryn(Δn). Noter quecomme Baryn+1(Δn) = 0, cette transformation est unique d’après le point(3) du théorème 319. On l’appelle la « subdivision barycentrique ». D’après lepoint (2) du théorème 319, et parce que C∗(Δn) est acyclique, σ est naturelle-ment homotope à la transformation identique 1 : C∗ → C∗. Il en résulte quepour tout entier k, σk = σ ◦ · · · ◦ σ est naturellement homotope à 1.

Il suffit de montrer que l’homologie du quotient C∗(X)CU∗ (X) est nulle, c’est-à-dire

que toute n-chaîne singulière de X dont le bord est dans CU∗ (X) est un bord

modulo CU∗ (X). Soit x = �

j λjxj une telle chaîne. L’image réciproque deU par xj est une famille de parties de Δn dont les intérieurs recouvrentΔn. Comme ( n

n+1)k tend vers 0 quand k tend vers l’infini, il existe kj tel que

248 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

les simplexes de la chaîne σkj (en) soient assujetis à ce recouvrement. Il enrésulte que la chaîne σk(xj) est assujetie à U pour tout k ≥ kj .

Soit k un majorant des kj (qui sont en nombre fini). La chaîne σk(x) =�j λjσk(xj) est alors assujetie à U . Soit h une homotopie naturelle de σk

à 1. On a x − σk(x) = ∂h(x) + h(∂x). Comme ∂(x) ∈ CU∗ (X) et comme h est

naturelle, on a h(∂x) ∈ CU∗ (X). On voit donc que x = ∂h(x) modulo CU

∗ (X). ❏

6.6 La transformation d’Eilenberg-Mac Lane

Considérons deux espaces décomposés en cellules (c’est-à-dire des CW-complexes), par exemple (pour pouvoir faire un dessin simple) deux segmentsX et Y divisés respectivement en trois et deux 1-cellules (X a donc quatre0-cellules et Y a trois 0-cellules), et faisons leur produit cartésien.

X

YX × Y

On voit qu’on obtient un espace à nouveau décomposé en cellules, avec douze0-cellules, dix-sept 1-cellules et six 2-cellules. Chaque cellule de X × Y pro-vient d’un couple de cellules dont la première est dans X et la seconde dansY . Noter que si x est une n-cellule de X et y une m-cellule de Y , le couple(x, y) peut être interprété comme une (n + m)-cellule de X × Y . Par exemple,sur la figure ci-dessus, on voit des 0-cellules de X × Y qui sont des couples de0-cellules prises dans X et dans Y , mais on voit aussi des 1-cellules « verti-cales », qui sont des couples (x, y) où x est une 0-cellule de X et y une 1-cellulede Y , des 1-cellules « horizontales » qui sont des couples (x, y) où x est une1-cellule de X et Y une 0-cellule de Y , et des 2-cellules de X × Y qui sont descouples (x, y) où x est une 1-cellule de X et y une 1-cellule de Y ,

Comme le module libre sur Sn(X) × Sm(Y ) est isomorphe à Cn(X) ⊗ Cm(Y ),on peut penser que le module

�n+m=p Cn(X)⊗Cm(Y ) est un substitut conve-

6.6. La transformation d’Eilenberg-Mac Lane 249

nable pour Cp(X ×Y ). Dans le cas de l’homologie cellulaire, ces deux modulessont tout simplement isomorphes, mais dans le cas de l’homologie singulière,c’est loin d’être le cas. En effet, les tenseurs x ⊗ y où x ∈ Sn(X) et y ∈ Sm(Y )forment une base de Cn(X) ⊗ Cm(Y ), mais ne peuvent pas être interprétéscomme des (n + m)-simplexes singuliers de X × Y . Par exemple, si x et ysont des 1-cellules de X et Y dans la figure ci-dessus, qu’on peut voir commedes 1-simplexes, c’est-à-dire des « segments », x ⊗ y ne peut pas être inter-prété comme un « triangle », c’est-à-dire un 2-simplexe. Il est clair qu’il aau contraire la forme d’un « rectangle ». On peut toutefois subdiviser ce rec-tangle en deux triangles :

et on pourra interpréter x⊗y ∈ Cn(X)⊗Cm(Y ) non pas comme un 2-simplexesingulier de X × Y , mais comme une 2-chaîne singulière de X × Y , qui seraune combinaison linéaire formelle des simplexes qui triangulent le « rec-tangle » (qu’on peut identifier à Δ1 × Δ1) dont il a été question ci-dessus,et plus généralement l’« hyperprisme » Δn × Δm.( 11)

S’il est aisé de subdiviser Δ1 × Δ1 en deux triangles, il est beaucoup moinsévident de subdiviser Δn × Δm en une famille de (n + m)-simplexes. On vavoir toutefois qu’il existe une méthode simple (introduite dans [20]) qui per-met non seulement de construire cette subdivision sans calcul, mais aussi deprouver (toujours sans calcul) ses propriétés essentielles.

Il va en résulter des applications linéaires Cn(X) ⊗ Cm(Y ) → Cn+m(X × Y ),naturelles en X et Y , qui s’organisent en un morphisme de modules gra-dués C∗(X) ⊗ C∗(Y ) → C∗(X × Y ), en fait, un morphisme de DGA-modules,qu’on appelle la « transformation d’Eilenberg-Mac Lane », dont on va montrerqu’elle est une équivalence d’homotopie, ce qui permettra de calculer (dansune certaine mesure) l’homologie de X × Y à partir des homologies de X etY , mais qui permet aussi de définir certains des « produits » de la topologiealgébrique.

Il y a de nombreuses transformations naturelles de C∗(X) ⊗ C∗(Y ) versC∗(X × Y ), mais la transformation d’Eilenberg-Mac Lane est la seule qui sa-tisfait une certaine propriété dont l’énoncé requiert quelques préliminaires.

11. Le « prisme » au sens usuel étant Δ1 × Δ2.

250 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

Notons Ordf la catégorie dont les objets sont les ensembles ordonnés fi-nis et dont les flèches sont les applications croissantes. L’ensemble ordonné{0, . . . , n} sera noté [n]. Un « n-simplexe » d’un ensemble ordonné X est uneapplication croissante [n] → X. Si cette application est injective, on dit que cen-simplexe est « non dégénéré ». L’ensemble des simplexes non dégénérés deX est un polyèdre formel fini à sommets dans X au sens de la définition 546(page 427). Ainsi, tout ensemble ordonné fini a une réalisation géométriqueque nous noterons X.( 12) Tout n-simplexe σ : [n] → X de l’ensemble ordonnéX induit une application continue σ : [n] → X, et les simplexes de X peuventdonc être vus comme des simplexes singuliers de l’espace X. Ces simplexesseront dits « simpliciaux ».

Il est clair que toute face ∂i(x) d’un simplexe simplicial x de X est encore unsimplexe simplicial de X, et que ∂i(x) est non dégénéré si x est non dégénéré.Ainsi, les sous-modules A�

∗(X) et A∗(X) de C∗(X) engendrés respectivementpar les simplexes simpliciaux et par les simplexes simpliciaux non dégénérésde X sont-ils des sous-DGA-modules de C∗(X).

☞ 330 Remarque. Rappelons qu’un DGA-module est un DG-module M positivementgradué muni d’un morphisme surjectif (de degré 0) ε : M → Λ, où Λ est le DG-module réduità l’anneau Λ placé en degré 0 (et à différentielle nulle). Il y a plusieurs manières de montrerqu’un DGA-module est acyclique (c’est-à-dire que ε est un quasi-isomorphisme).

(1) Par surjectivité de ε, et comme Λ est un module libre, il existe un morphisme η : Λ → M(de degré 0) tel que εη = 1Λ. Pour montrer que M est acyclique, on peut exhiber une flècheh : M → M de degré +1 telle que ∂h + h∂ = 1 − ηε. Ceci montre en effet que η est un inversehomotopique pour ε, donc que ε est un quasi-isomorphisme.

(2) La suite exacte (scindée) :

0 �� Ker(ε) �� M ε �� Λ �� 0

montre que ε est un quasi-isomorphisme si et seulement si Ker(ε) est d’homologie nulle. Ilsuffit donc de montrer que H(Ker(ε)) = 0.

(3) Ayant choisi une section η de ε (ce qui revient à choisir un élément a de degré 0 dans Mtel que ε(a) = 1), et un supplémentaire N de Im(η) dans M , on voit que N est un sous-DG-module de M . En effet, pour tout x ∈ N , on a ε(∂(x)) = 0, ce qui implique que la composanteN → Im(η) de ∂ est nulle, donc la stabilité de N par ∂. Le DG-module M apparaît alorscomme une somme directe Λ ⊕ N de DG-modules, et il suffit de montrer que H(N) = 0.

Pour terminer cette remarque, notons que pour démontrer que H(N) = 0, on peut exhiberh : N → N de degré +1 tel que ∂h + h∂ = 1, mais on peut aussi décomposer N sous la formed’une somme directe N = A ⊕ B, où B est un sous-DG-module de N et où la composante de ∂qui envoie A dans B est un isomorphisme (lemme 226 (page 165)).

12. En fait, une telle réalisation géométrique existe aussi pour les ensembles ordonnés in-finis, mais nous n’en aurons pas besoin.

6.6. La transformation d’Eilenberg-Mac Lane 251

☞ 331 Lemme. Si l’ensemble ordonné X a un plus petit élément, A�∗(X) et

A∗(X) sont acycliques.

Démonstration. On emploie les méthodes rappelées dans la remarque 330.Notons a le plus petit élément de X. A∗(X) contient le sous-DG-module Λ[a]engendré par le 0-simplexe {a}, qui est isomorphe à Λ concentré en degré0. Il s’agit de montrer que B = A∗(X)/Λ[a] est d’homologie nulle. On peutdécomposer B en une somme directe B = B� ⊕ B��, où B� a pour base lessimplexes ayant a pour sommet (et nécessairement un autre sommet), et oùB�� a pour base les simplexes dont a n’est pas un sommet. B�� est clairementstable par ∂, et la composante B� → B�� de ∂ est clairement bijective, puis-qu’elle envoie un simplexe ayant a pour sommet et ayant au moins un autresommet sur le simplexe obtenu en retirant le sommet a. On en conclut queA∗(X) est acyclique en utilisant le lemme 226 (page 165).

Dans le cas de A�∗(X), on définit h : A�

∗(X) → A�∗(X) en envoyant chaque sim-

plexe affine sur le simplexe affine obtenu en lui ajoutant a comme premiersommet.( 13) L’application linéaire h est alors de degré +1 et il est facile devérifier qu’on a ∂h+h∂ = 1−ηε, où η : Λ → A�

∗(X) envoie 1 sur le 0 simplexe a.En effet, pour x de degré au moins 1 (c’est-à-dire ayant au moins 2 sommets),la face opposée au sommet numéro 0 de h(x) (c’est-à-dire a) est x, et sa faceopposée au sommet numéro i (i > 0) est l’image par h de ∂i−1(x). On a donc∂h(x) = x − h∂(x) (et ε(x) = 0). Dans le cas où x est de dégré 0, c’est-à-dire six est un 0-simplexe, on a ∂(x) = 0 et ∂h(x) = x − a = x − η(1) = x − ηε(x). ❏

☞ 332 Lemme. Il existe une et une seule transformation naturelle :

C∗(X) ⊗ C∗(Y ) ∇ �� C∗(X × Y )

telle que pour tous p et q de N, ∇(ep ⊗ eq) ∈ A∗([p] × [q]). Elle est appelée la« transformation d’Eilenberg-Mac Lane ».

Autrement-dit, la transformation d’Eilenberg-Mac Lane est la seule transformationnaturelle qui envoie les produits tensoriels de simplexes universels ep ⊗ eq sur descombinaisons linéaires de simplexes simpliciaux non dégénérés.

Démonstration. L’existence et l’unicité de la transformation d’Eilenberg-Mac Lane résultent aisément des points (1) et (3) du théorème des modèlesacycliques (théorème 319 (page 241)). La catégorie C dont il est question dansle théorème 319 est bien sûr Top × Top. La sous-catégorie M a pour objetsles couples ([p], [q]) et pour flèches les couples (f, g) où f : [p] → [p�] et g :[q] → [q�] sont induites par des applications injectives croissantes [p] → [p�] et

13. Notez qu’on n’aurait pas pu employer cette méthode pour A∗(X), car cette opérationpeut transformer un simplexe non dégénéré en un simplexe dégénéré.

252 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

[q] → [q�]. L’élément e([p],[q]) (requis par la définition 316 (page 240)) est ep ⊗ eq

(qui appartient comme il se doit à C∗([p]) ⊗ C∗([q])). Le foncteur (X, Y ) �→C∗(X)⊗C∗(Y ) est clairement libre sur (M , e), après qu’on ait remarqué que sif : [p] → [n] est un application injective croissante (i.e. une flèche de M ), lesfaces de f∗(ep) sont de la forme g∗(ep−1) pour une certaine flèche g : [p − 1] →[n] de M (en fait, g de la forme f ◦ δi).

On prend maintenant pour A([p], [q]) le sous-DG-module A∗([p] × [q]) deC∗([p] × [q]), qui est clairement naturel en ([p], [q]) (rappelons qu’il est dé-fini sur M et non pas sur Top × Top). On a Ai([p] × [q]) = 0 pour i > p + q caril n’existe pas dans [p]× [q] de simplexe simplicial non dégénéré de dimensionstrictement plus grande que p + q. Enfin, A∗([p] × [q]) est acyclique puisque(0, 0) est le plus petit élément de [p] × [q]. ❏

☞ 333 Lemme. Si X et Y sont des ensembles ordonnés, si x et y sont dessimplexes simpliciaux non dégénérés respectivement de X et Y , ∇(x ⊗ y)appartient à A∗(X × Y ).

Démonstration. Par naturalité de ∇, on a le diagramme commutatif :

C∗([p]) ⊗ C∗([q]) ∇ ��

x∗⊗y∗��

C∗([p] × [q])

(x×y)∗��

C∗(X) ⊗ C∗(Y ) ∇�� C∗(X × Y )

Il suffit donc de vérifier que (x × y)∗(z) ∈ A∗(X × Y ) pour tout simplexesimplicial non dégénéré z de [p] × [q]. Mais ceci résulte immédiatement dufait que x et y sont induits par des applications injectives croissantes [p] → Xet [q] → Y . ❏

☞ 334 Lemme. La transformation d’Eilenberg-Mac Lane vérifie les égali-tés :

∇ ◦ (∇ ⊗ 1) = ∇ ◦ (1 ⊗ ∇) (associativité)t∗ ◦ ∇ = ∇ ◦ T (commutativité)

p1∗ ◦ ∇ = 1 ⊗ εp2∗ ◦ ∇ = ε ⊗ 1

(où t(x, y) = (y, x) et T (x ⊗ y) = (−1)|x||y|y ⊗ x).

Ces égalités sous forme de diagrammes commutatifs :

C∗(X) ⊗ C∗(Y ) ⊗ C∗(Z)

∇⊗1��

1⊗∇�� C∗(X) ⊗ C∗(Y × Z)

∇��

C∗(X) ⊗ C∗(Y ) ∇ ��

T

��

C∗(X × Y )

t∗��

C∗(X × Y ) ⊗ C∗(Z) ∇�� C∗(X × Y × Z) C∗(Y ) ⊗ C∗(X) ∇

�� C∗(Y × X)

6.6. La transformation d’Eilenberg-Mac Lane 253

C∗(X) ⊗ C∗(Y ) ∇ ��

1⊗ε

��

C∗(X × Y )

p1∗��

C∗(X) ⊗ C∗(Y ) ∇ ��

ε⊗1��

C∗(X × Y )

p2∗��

C∗(X)1

�� C∗(X) C∗(Y )1

�� C∗(Y )

Démonstration. La transformation naturelle ∇ ⊗ 1 envoie ep ⊗ eq ⊗ er surune somme (finie) de tenseurs de la forme x⊗y, où x et y sont simplicaux nondégénérés. Il en est donc de même de ∇ ◦ (∇ ⊗ 1) d’après le lemme précédent.Le même raisonnement s’appliquant à ∇ ◦ (1 ⊗ ∇), et comme [p] × [q] × [r]est acyclique ([p] × [q] × [r] a (0, 0, 0) comme plus petit élément) et n’a pas desimplexe simplicial non dégénéré de dimension strictement plus grande quep+q+r, le point (3) du théorème des modèles acycliques montre que ∇◦(∇⊗1) = ∇ ◦ (1 ⊗ ∇). Comme T , t∗, ε ⊗ 1, 1 ⊗ ε, p1∗ et p2∗ préservent les simplexessimplicaux non dégénérés ou les envoient sur 0, les autres propriétés sontimmédiates par la même méthode. ❏

☞ 335 Théorème. (théorème d’Eilenberg-Zilber) Il existe une transforma-tion naturelle Ψ : C∗(X × Y ) → C∗(X) ⊗ C∗(Y ) et ∇ ◦ Ψ et Ψ ◦ ∇ sont naturel-lement homotopes aux identités respectives de C∗(X × Y ) et C∗(X) ⊗ C∗(Y ).

Démonstration. Pour construire un inverse homotopique à ∇ on utilise ànouveau le théorème des modèles acycliques. La catégorie C est toujoursTop × Top. Les objets de M sont maintenant les couples ([n], [n]), et lesflèches de M les couples de la forme (f, f) où f est induite par une ap-plication injective croissante [n] → [n�]. L’élément e([n],[n]) est le n-simplexe« diagonal » de ([n], [n]) (qui est simplicial non dégénéré), induit par l’appli-cation diagonale [n] → [n] × [n]. Si f : [p] → [n] est injective croissante, alorsf∗(e([p],[p])) est une face itérée de δ. Ainsi la dernière condition de la définition316 (page 240) est satisfaite et le foncteur (X, Y ) �→ C∗(X × Y ) est libre sur(M , e).

On prend maintenant pour A([n], [n]) le module C∗([n]) ⊗ C∗([n]) lui-même,qui est acyclique (lemme 218 (page 162)). Le point (1) du théorème desmodèles acycliques montre l’existence d’une transformation naturelle Ψ :C∗(X × Y ) → C∗(X) ⊗ C∗(Y ). Les composés Ψ ◦ ∇ et ∇ ◦ Ψ sont homotopesaux identités respectives par le point (2) du théorème. ❏

☞ 336 Lemme. Le foncteur C∗ des chaînes singulières satisfait l’axiome (6)de la définition 247 (page 181).

Démonstration. Ceci résulte immédiatement du lemme 334 et du théo-rème 335. ❏

254 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

Pour terminer cette section, nous proposons au lecteur une exploration plusexplicite de la transformation d’Eilenberg-Mac Lane, ce qui lui donnera uneidée intuitive (géométrique) de la façon dont cette transformation opère. Ilsuffit bien sûr de comprendre l’élément ∇(ep ⊗ eq) de C∗([p] × [q]). Cet élé-ment est une combinaison linéaire de simplexes simpliciaux non dégénérésde dimension p + q de [p] × [q]. En fait, il s’avère que tous les simplexes sim-pliciaux non dégénérés de dimension p + q de [p] × [q] interviennent dans lacombinaison linéaire ∇(ep ⊗ eq) avec pour coefficient +1 ou −1 suivant leur« orientation ».

Le dessin ci-dessous représente l’ensemble ordonné [5]×[2], et l’ordre (partiel)y est figuré par des flèches comme dans un diagramme de Hasse :

(0, 0)

(5, 2)

Appellons « simplexe fondamental » de [p] × [q] tout (p + q)-simplexe non dé-généré de cet ensemble ordonné. En fait, les simplexes fondamentaux sontles simplexes non dégénérés de dimension maximale dans cet ensemble or-donné. En effet, pour construire un sous-ensemble totalement ordonné leplus grand possible, il faut partir de (0, 0) (qui est le plus petit élément) etpasser d’un élément au suivant en l’augmentant le moins possible. Le suc-cesseur de (x, y) ne peut alors être que (x + 1, y) ou (x, y + 1). Après p + qopérations, on obtient (p, q) qui est le plus grand élement de l’ensemble.

Il est pratique de représenter les simplexes fondamentaux de [p] × [q] commedes « escaliers ». Par exemple,

représente le simplexe fondamental

{(0, 0), (0, 1), (1, 1), (2, 1), (3, 1), (3, 2), (4, 2), (5, 2)}

de [5] × [2].( 14) À chaque simplexe fondamental on associe un coefficient quiest +1 si le nombre de carrés en dessous de l’escalier est pair, −1 s’il est

14. On peut vérifier qu’il y a exactement (p+q)!p! q! simplexes fondamentaux dans [p] × [q].

6.6. La transformation d’Eilenberg-Mac Lane 255

impair. Par exemple, le coefficient du simplexe représenté ci-dessus est −1car il y a 7 carrés en dessous de l’escalier.

Enfin, on définit la « chaîne fondamentale » de [p] × [q], qu’on notera ep ×eq,( 15) comme la somme des simplexes fondamentaux (qui sont des simplexessimpliciaux non dégénérés de [p] × [q]) affectés de leur coefficient tel qu’il estdéfini ci-dessus. Par exemple, dans le cas de [2] × [1], la chaine fondamentaleest :

{(0, 0), (1, 0), (2, 0), (2, 1)} − {(0, 0), (1, 0), (1, 1), (2, 1)} + {(0, 0), (0, 1), (1, 1), (2, 1)}

c’est-à-dire :

− +

Tout ceci a une signification géométrique que nous examinons maintenantdans le cas de [2] × [1]. Les éléments de l’ensemble ordonné [2] × [1] peuventêtre vus comme les sommets d’un prisme, si on voit [2] comme un triangle et[1] comme un segment. La figure ci-dessous représente le « prisme » [2] × [1]décomposé en une réunion de trois de tétraèdres, qui ne sont rien d’autre queles trois 3-simplexes fondamentaux de [2] × [1] :

(0, 0)

(0, 1)

(1, 0)

(1, 1)

(2, 0)

(2, 1)

Le bord de la chaîne fondamentale est une somme de toutes les faces deces tétraèdres affectées de signes convenables. Les faces « intérieures » com-munes à deux tétraèdres sont les escaliers ayant un « segment oblique ».Comme on va le voir, elles se tuent deux à deux dans le calcul du bord dela chaîne fondamentale. Dans le cas de [2] × [1] il n’y a que deux faces inté-rieures qui sont les deux « escaliers » :

15. Cette notation est justifiée par le fait qu’il s’agit réellement du cross-produit des chaînesep et eq.

256 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

Il reste la face supérieure et la face inférieure qui forment e2 × ∂(e1), et les6 faces verticales tout autour du prisme qui forment ∂(e2) × e1. Ce qui vientd’être dit suggère donc que ∂(e2×e1) = ∂(e2)×e1+e2×∂(e1), donc que la trans-formation naturelle C∗(X)⊗C∗(Y ) → C∗(X ×Y ) décrite ici est un morphismede DG-modules. Si on prouve que c’est un morphisme de DGA-modules, onaura prouvé qu’il s’agit bien de la transformation d’Eilenberg-Mac Lanepuisque ep × eq est une combinaison linéaire de simplexes simpliciaux nondégénérés de [p] × [q].

L’augmentation de C∗(X) ⊗ C∗(Y ) est ε = ε ⊗ ε. On a donc ε(e0 ⊗ e0) = 1et ε(ep ⊗ eq) = 0 si p + q > 0. On a bien sûr ε(ep × eq) = 0 si p + q > 0 etε(e0 × e0) = 1 car e0 × e0 est constitué d’un seul simplexe de dimension 0affecté du signe +1 (zéro carré sous l’escalier).

Nous allons maintenant montrer que ∂(ep × eq) = ∂(ep)× eq + (−1)pep ×∂(eq).Pour obtenir une face d’un simplexe fondamental de [p] × [q], il suffit de luienlever un élément. Si cet élément est à un « coin » de l’escalier, on obtientun escalier avec une ligne oblique. Dans le dessin ci-dessous on a supprimél’élément (3, 1) du simplexe fondamental donné en exemple plus haut :

Un (p + q − 1)-simplexe avec une ligne oblique entre les points (x, y) et(x + 1, y + 1) est face d’exactement deux simplexes fondamentaux, ceux qu’onobtient en ajoutant soit le point (x + 1, y), soit le point (x, y + 1) :

et ces deux simplexes fondamentaux sont affectés de coefficients opposésdans la chaîne fondamentale, car il y a juste un seul carré qui est sous l’und’entre eux et au dessus de l’autre. Par contre, le sommet a retirer ((x + 1, y)ou (x, y + 1)) a le même rang dans les deux simplexes fondamentaux. Il enrésulte que dans le calcul de ∂(ep × eq) toutes les faces avec une ligne oblique

6.6. La transformation d’Eilenberg-Mac Lane 257

disparaîssent.( 16)

Il ne reste donc que les faces sans ligne oblique. Elles sont de deux sortes, carle point du simplexe fondamental qui est retiré (représenté ci-dessous par ◦)peut être traversé par l’escalier soit horizontalement (face de sorte H) :

soit verticalement (face de sorte V ) :

La chaîne ∂(ep)×eq est égale à�p

i=0(−1)i∂i(ep)×eq, et il est clair que les sim-plexes fondamentaux de ∂i(ep) × eq sont exactement les escaliers de sorte Hdont le sommet manquant se trouve dans la colonne d’abscisse i. Pour savoirquel est le coefficient affecté à un tel escalier dans la chaîne fondamentale de∂i(ep) × eq, il suffit de compter les carrés qui sont sous l’escalier en comptantpour un seul deux carrés qui ont un côté vertical commun d’abscisse i, oupour rien un carré qui a un coté vertical d’abscisse 0 si i = 0 ou d’abscissep si i = p. Si le point retiré est (i, j), on voit que le décompte des carrés estdiminué de j par rapport au décompte pour le simplexe fondamental dont onconsidère une face de sorte H. Soit maintenant a le nombre de carrés sousle simplexe fondamental dans la chaîne fondamentale de [p] × [q]. Alors lecoefficient de notre face dans le bord de cette chaîne est (−1)i+j(−1)a, et lecoefficient de ce même simplexe dans la chaîne fondamentale de ∂(ep) × eq

est (−1)i(−1)a−j , c’est-à-dire le même coefficient. En conclusion, les faces desorte H comptent exactement pour ∂(ep) × eq dans le calcul de ∂(ep × eq).

On fait un raisonnement analogue pour les faces de sorte V , mais cette fois,si le point retiré est (i, j), le nombre de carrés non comptés est p − i et nonpas j, et on voit que les faces de sorte V dans le calcul de ∂(ep × eq) comptentexactement pour (−1)pep × ∂(eq), ce qui achève de prouver que x ⊗ y �→ x × yest un morphisme de DGA-modules.

Comme on le voit, la transformation d’Eilenberg-Mac Lane, alias « cross-produit pour les chaînes singulières », consiste en une triangulation de l’hy-

16. Ces faces sont dites « intérieures » dans la triangulation de l’hyperprisme.

258 6. Construction du foncteur des chaînes singulières

perprisme [p] × [q]. Elle ne présente donc pas de mystère du point de vuegéométrique (voire visuel).