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Voyage en France De Palavas à Cancale, du Touquet à Chamonix, les coups de cœur de la presse étrangère N° 1187-1188-1189 du 1 er au 21 août 2013 courrierinternational.com SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 1187-1188-1189, NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPAREMENT

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Courrier International du 2 août 2013 : Voyage en France

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Voyage en France

De Palavas à Cancale,

du Touquet à Chamonix,

les coups de cœurde la presse

étrangère

N° 1187-1188-1189 du 1er au 21 août 2013courrierinternational.com

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II. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013

La nationale 7 de délice en déliceMYTHIQUE. Dans son enfance, la journaliste genevoise Sylvie Bigar empruntait tous les étés avec ses parents la plus légendaire des routes de France pour se rendre au cap d’Antibes. Vingt ans plus tard, elle revisite cet itinérairegourmand avec ses enfants.

Photos Patrick Bard/Signatures

Mer • Palavas-les-Flots,Collioure, Saint-Tropez, Le Touquet, Cancale, Biarritz .....................VII

Villes • Toulouse, Lens, Metz,Avignon, Reims, Brest .........XV

Montagne • Le col du Tourmalet, le Mont-Blanc, le pic du Midi,la vallée de la Têt, le Haut-Couserans ...........XXI

Campagne • Les villages français,la Bourgogne, le lin,bistrots ..................XXVII

“Qui étais-je ? Un Anglais ? Ah ! un Irlandais, alors ?— Non, dis-je, un Ecossais.Un Ecossais ? Ah ! il n’avait jamais vu d’Ecossaisauparavant. Et il m’examina de haut en bas, sa bonnegrosse figure honnête avivée d’intérêt, comme un gamin pourrait regarder un lion ou un caïman.”Dans son Voyage avec un âne dans lesCévennes (1879), l’écrivain Robert Louis Stevensonraconte avec humour la façon dont il est accueillidans les auberges et les monastères, et toutes les aventures qui lui arrivent au cours d’un périplede douze jours accompli en septembre 1878 pour relier les 220 kilomètres qui séparent Le Monastier-sur-Gazeille de Saint-Jean-du-Gard.C’est dans le même esprit que nous avons conçuce voyage en France, avec des étapes de mer, de ville, de campagne et de montagne. Des journalistes russes, sud-africains, britanniquesou espagnols revisitent le patrimoine français,exhumant leurs souvenirs de reportages ou de vacances. Du lit dans lequel a dormi Nelson Mandela au château de Rambouillet aux réminiscences gourmandes de la nationale 7, la presse internationale s’attarde sur des petitstrésors bien de chez nous. Bon voyage !

—Eric Chol

Explorations

ÉDITORIAL

SOMMAIRE

RÉALISATIONDirecteur de la rédaction Eric CholCoordination éditorialeIsabelle lauze, Caroline Marcelin, Chloé PayeDirection artistique Sophie-Anne DelhommeMaquetteNathalie Le DréauIconographieStéphanie SaindonColorisation Hano BaumfelderPhotogravureDenis Scudeller et Jonnathan Renaud-Badet

Et toute l’équipe de Courrier international

↓ “Route des vacances, qui traverse la Bourgogne et la Provence, qui fait d’Paris un p’tit faubourg d’Valence et la banlieue d’Saint-Paul-de-Vence”, chantait CharlesTrenet en 1955. Ici, la route nationale 7 (RN 7) dans les environs de Montargis.

Couverture et illustrations de Miguel Gallardo, Espagne,pour Courrier international

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Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 III

—Saveur New York

Tous les étés, mes grands-parentslouaient un château près du capd’Antibes, une péninsule préservée

dominant la Méditerranée, entre Nice etCannes. Je n’ai pas de souvenirs de la pre-mière fois où, toute petite fille, j’ai fait letrajet de Genève, où je suis née, à La Garoupe,comme nous appelions toute cette zonequi comprenait des plages, un phare et unevieille chapelle. Nous étions dans les années1960 et j’allais passer là les dix étés suivantsavec ma mère, mon père et mes trois sœurs.

Le site était incomparable, avec des esca-liers raides en marbre descendant du parcà la mer ourlée de galets, mais ce que je pré-férais, c’était le voyage jusque là-bas. Nousnous entassions dans notre Citroën DS de1969 et quittions notre domicile genevoispour le midi de la France. Nous serions arri-vés plus vite à destination si nous avionspris l’autoroute du Soleil, le nouvel axe quipermettait de rejoindre la Côte d’Azur enmoins d’une journée, mais mon père insis-tait pour la pittoresque nationale 7.

La nationale 7, ou RN 7, était à la Francece qu’est la Route 66 aux Etats-Unis, uneroute mythique qui a été synonyme d’étépour des générations de vacanciers, dontmoi. Cet axe sinueux, long de près de1 000 kilomètres, serpente de Paris à Menton,une petite ville à la frontière italienne. D’aprèsl’historien Thierry Dubois, auteur de C’étaitla nationale 7 (éd. Paquet, 2012), elle est sou-vent surnommée “la colonne vertébrale de laFrance” car elle relie le Nord et ses frimasau Sud ensoleillé, traversant le Val de Loire,franchissant le Rhône et pénétrant enProvence avant de finir sur la Côte d’Azur.Elle a existé sous une dénomination ou uneautre depuis l’époque romaine (on peut

encore voir des vestiges tout du long) et apris le nom de route nationale 7 en 1871.

A son apogée dans les années 1950 et 1960,elle était surnommée “la route des vacances”.L’octroi aux travailleurs français de congéspayés supplémentaires, associé à la pro-duction de deux nouvelles automobiles àun prix abordable, la Renault 4 CV et laCitroën 2 CV, inaugure une ère de bouchonsoccasionnés par toutes ces familles qui des-cendent dans le Midi avec une barque surle toit de la voiture. Les habitants d’un vil-lage provençal plaisantent en disant qu’àcette période chargée de l’année, même lepastis sent l’essence. Emprunter cette routeétait un rite de passage. Le chanteur fran-çais Charles Trenet lui dédia même [en1955] une chanson, Route nationale 7.

Calissons d’Aix. Les restaurateurs s’em-pressèrent d’ouvrir des établissements oùles familles pouvaient se sustenter. Il y enavait pour toutes les bourses. Mon père pro-grammait nos haltes en fonction des déli-cieux produits que nous dégusterions. Chaqueété, nous attrapions la nationale 7 à Lyon,la capitale gastronomique située à mi-trajetentre Paris et Menton. “Trois rivières coulentà Lyon”, plaisantait mon père : “Le Rhône, laSaône et le Beaujolais !” Il faisait allusion auxvignobles des environs… Nous délaissionsles bouchons, ces petits restaurants qui fontla célébrité de Lyon, au profit d’établisse-ments plus chics, comme la Mère Brazier,l’un des premiers restaurants gratifiés detrois étoiles au Michelin, ou l’excellenteBrasserie Georges, où je suis devenue uneadepte du steak tartare tandis que mes parentsdégustaient des fromages locaux bien faits,comme le crémeux saint-marcellin.

Lorsque la faim nous assaillait, nous pouvions aussi compter sur les petits

restaurants de bord de route qui nourris-saient aussi bien les voyageurs que les chauf-feurs routiers sillonnant la nationale 7 toutel’année. Je me revois devant leurs généreuxbuffets, emplissant mon assiette d’autantde gigot ou d’entrecôte que j’en avais envie.Après avoir passé une nuit dans un hôtel ouun autre, il arrivait parfois à mon père dedire : “Et si nous poussions jusqu’à Roanne ?”Il avait en tête le restaurant mythique desfrères Troisgros et son fameux saumon àl’oseille. Ou alors nous nous arrêtions aurestaurant La Pyramide à Vienne. Mes grands-parents aimaient se souvenir de son fonda-teur, l’épicurien Fernand Point, décédé en1955, et me parlaient de son rire, de sonimpressionnant tour de taille et du magnumde champagne qu’il descendait chaque jour.

Ainsi se déroulait le trajet, mes sœurs etmoi entassées avec les jouets de plage, lesvieilles valises et les épuisettes tout entortillées,mon père tenant le volant avec ses gantsHermès usés jusqu’à la trame, le Guide Michelinsur le tableau de bord. Nous zigzaguions des

charcuteries de Lyon aux calissons d’Aix-en-Provence en passant par les melons deCavaillon, dont le parfum musqué embau-mait la voiture. Les délices qui bordaient lanationale 7 étaient d’aussi bons indicateursque les bornes, ces jalons rouge et blanc enciment qui marquaient le passage des kilo-mètres. Les saveurs changeaient au fur et àmesure que nous descendions vers le sud :les riches tripes de Lyon cédaient la place àValence au gratin de queues d’écrevisses,plus léger, puis à la pissaladière parseméed’olives qui annonçait notre entrée dans laProvence baignée de soleil. J’attendais avecplus d’impatience chaque été nos festinsdans les restaurants étoilés, nos repas dansles relais routiers, nos pique-niques impromp-tus et nos détours pour goûter aux spécia-lités locales. On a donné de nombreuxsurnoms à cette route, “route des vacances”,“route bleue”, mais pour moi elle a toujoursété la route gourmande.

Vingt ans ont passé. Aujourd’hui je vis àNew York avec mon mari, Stephen, et

Cet axe sinueux, long de près de 1 000 kilomètres,

serpente de Paris à Menton, une petite ville

à la frontière italienne

J’attendais avec plusd’impatience chaque été

nos festins dans les restaurants étoilés,

nos repas dans les relaisroutiers, nos pique-niques

impromptus

↓ Depuis 1990, la nationale a son musée : celui-ci a été ouvert à Piolenc, dans le Vaucluse, par desbénévoles passionnés d’histoire et d’automobile.

↓ Les 200 Bornes, à Pouilly-sur-Loire (Nièvre).

RN 7.

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nos deux enfants, Sébastien, 8 ans, etSophie, 10 ans, soit à peu près l’âge que j’avaislorsque nous faisions ces voyages épiques.Beaucoup de choses ont changé depuis.Depuis 2006, la route ne s’appelle plus natio-nale 7 mais départementale 6007 [dans saportion des Alpes-Maritimes], une sorte derétrogradation qui indique son statut d’axesecondaire : il y a des façons beaucoup plusrapides pour gagner le Midi depuis Paris.Mon père est décédé en 2003 et depuis,chaque été, j’ai senti me démanger l’enviede retracer nos pas sur la nationale 7. Enhommage à mon père, j’ai décidé d’organi-ser un voyage avec ma famille à l’été 2011,afin de revisiter nos endroits préférés maisaussi d’instaurer de nouvelles traditions.

“Quand est-ce qu’on arrive ? J’ai faim !”geint mon fils Sébastien. Petit instant depanique. Nous n’avons parcouru que quelqueskilomètres et ce qui se passe sur la banquettearrière est beaucoup moins idyllique que ceque j’avais imaginé. “Arrête de me donner descoups de pied !” hurle Sophie. Heureusementnotre première halte, la pâtisserie Gâteaux

IV. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013

Labully, à Saint-Genix-sur-Guiers, n’est qu’àune heure de route ( je me demande main-tenant si ce n’est pas la raison pour laquellemes parents en ont toujours fait notre pre-mier arrêt). Nous y allons pour manger ungâteau Labully, une spécialité de la régionRhône-Alpes. C’est une brioche parfumée àla fleur d’oranger et fourrée à la praline rose.L’intérieur de la boulangerie n’a pas changé :la vitrine est telle que dans mon souvenir,remplie de pâtisseries. L’odeur aussi est lamême, des effluves de levure et de sucre.Aussitôt sortis de la boutique, nous nousasseyons dehors et mangeons sans dire unmot : la brioche est moelleuse, parfumée etles pralines croustillent sous la dent.

“J’ai faim.” De retour dans la voiture, jedéplie la carte Michelin sur mes genouxcomme une nappe. Prochaine étape : Lyon.Comme mon père, j’ai un faible pour laBrasserie Georges, une institution convivialequi existe depuis 1836. Mon aventureuseSophie commande son premier steak tartareet, les yeux écarquillés, regarde une serveuseefficace mélanger les câpres, les oignons, lescornichons, l’œuf et le bœuf crus avec unetelle rapidité qu’aucun “J’aime pas” n’a letemps de sortir de sa bouche. Sophie plongesa fourchette et laisse échapper ce qui, à mongrand soulagement, va devenir le refrain denotre voyage : “Mmm !” Je lui fais écho, enattaquant d’épaisses rondelles de saucissonpistaché, une autre spécialité lyonnaise.

Le lendemain, alors que nous roulonsdans les vignobles des côtes-du-rhône lelong des berges escarpées du fleuve, j’aper-çois la première borne kilométrique denotre voyage. Je suis submergée par l’émo-tion. Voir ce symbole après tant d’annéesramène beaucoup de souvenirs à mamémoire. Je dissimule mes larmes alors

que nous ralentissons à l’entrée de Tain-l’Hermitage, où je me souviens d’avoir connucertains des pires embouteillages, pour undétour plus que nécessaire par la chocola-terie Valrhona, qui transforme des fèves decacao en tablettes de chocolat depuis 1922.Nous visitons la boutique, où les enfantsfont un stock de bonbons au chocolat suffi-sant pour plusieurs mois.

Mais avant de les laisser plonger dans lesachet, nous devons déjeuner. J’avise à proxi-mité un relais routiers nommé La Mule blanche.Nous entrons dans un établissement sansprétention, signalé par l’autocollant rond,bleu et rouge “Les Routiers” signifiant qu’ilest estampillé par le magazine du mêmenom. J’observe les accents régionaux, lesvisages roses, les tables en bois, les énormesbouteilles de vin que l’on nous apporte àtable à peine assis, et le buffet à volonté quicomprend des carottes râpées, des pâtés faitsmaison et une salade niçoise généreusementgarnie d’olives, de thon, d’anchois, d’œufsdurs et j’en passe. C’est une nourriture simple,joyeuse. J’observe mes enfants américains,

complètement à l’aise, plaisanter en fran-çais avec la serveuse et je ne peux m’empê-cher de sourire béatement.

J’ai beau chercher à nous créer nos propresrituels, je souhaite prendre le temps d’allerdans l’un des endroits préférés de mesgrands-parents : la Maison Pic. L’établissement,qui a commencé comme café en 1891 à Saint-Péray, s’est agrandi pour devenir un hôtel,un restaurant gastronomique, qui ont étépar la suite transférés à Valence. A leur têtese trouve Anne-Sophie Pic, issue de troisgénérations de grands chefs et seule femmeen France à posséder trois macarons auMichelin. Près de l’entrée, une collection devieux guides Michelin nous rappelle le lieninextricable entre l’évolution de la cuisinefrançaise et la route. Valence est la ported’entrée de la Provence, et l’assiette que leserveur a placée devant nous est une célé-bration de la cuisine locale : nous nous réga-lons d’un pan-bagnat déconstruit, une saladeniçoise servie dans un sandwich ouvert etsurmontée d’anchois très légèrement frits.La daurade de Méditerranée est présentéesur un lit de ratatouille et la somptueuseroulade de veau s’accompagne d’une tapenade confectionnée avec les olives d’un producteur local.

Pour le dessert, nous visitons Montélimar,berceau de ce nougat aux amandes et pis-taches à peine collant qui est une friandiseemblématique de la nationale 7. J’ai entendudire que des automobilistes coincés dansles embouteillages sortaient de leur véhi-cule et couraient acheter du nougat afin decalmer les enfants. Lorsque nous nous arrê-tons devant le musée du nougat Arnaud-Soubeyran, la sensation du nougat collantà mes dents me revient à la mémoire.

Nous mastiquons bruyamment nossucreries quand nous passons devant

Nous y allons pour mangerun gâteau Labully,

une spécialité de la régionRhône-Alpes.

C’est une brioche parfuméeà la fleur d’oranger

Valence est la porte d’entréede la Provence, et l’assiette

que le serveur a placée devantnous est une célébration

de la cuisine locale

↓ Souvenirs et dépliants de la RN7, surnommée la “route bleue” par une association de professionnels du tourisme dans les années 1930 (pour son tronçon Roanne-Menton).

↓ Anne-Sophie Pic en 2003 au restaurant gastronomique la Maison Pic (trois étoilesau Guide Michelin), créé par son grand-père André en 1936. A l’époque, l’essor del’automobile avait amené ce dernier à s’installer à Valence, au bord de la nationale 7.

RN 7

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MOTOCROSSCHAMPIONNAT DE BELGIQUE

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VI. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013

l’Arc de triomphe d’Orange, un magni-fique vestige de l’époque romaine, avantd’entrer quelques kilomètres plus loin dansla région de l’appellation châteauneuf-du-pape. Stephen, mon mari, qui est amateurde vin, a insisté pour que nous visitions undomaine viticole. Et comme la nationale 7traverse le Val de Loire, la vallée du Rhône,Châteauneuf-du-Pape puis les terres desrosés de Provence, nous n’avions que l’em-barras du choix. Nous nous rendons auChâteau Simian, chez Jean-Pierre Serguier,héritier de trois générations de vigneronset producteur de vins bio. Il nous sert unverre de son délicieux châteauneuf-du-papeLes Grandes Grenachières, issu de vignesplantées en 1880, et nous raconte ses sou-venirs d’enfance, du temps où il vendait duvin dans une cabane au bord de la route quitraverse son domaine. Nous sommes fin aoûtet les vendanges viennent tout juste de com-mencer. “Enfin un vin qui me plaît”, apprécieSébastien en sirotant du jus de raisin frais,convaincu qu’il a découvert le rosé.

Il est difficile de croire que nous puissionsà nouveau avoir faim le lendemain, mais des

cris s’élèvent de la banquette arrière : “J’aifaim !” Après Aix-en-Provence, où nous avonsfait un arrêt rapide pour acheter mes cherscalissons au marché de la place des Prêcheurs,nous nous arrêtons à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume au restaurant Côté Jardin. Jem’attends à un simple steak frites mais, aulieu de cela, je suis impressionnée par unesucculente pintade farcie aux morilles et despissaladières dorées, les meilleures que j’aiejamais mangées, couronnées de deux sar-dines chatoyantes. Je suis ravie de voir quela nationale 7 réserve encore de délicieusessurprises [le restaurant est actuellementfermé et à vendre].

Des platanes aux palmiers. Deux heuresplus tard, nous quittons la nationale 7 pourentrer dans la cour luxuriante de notre hôtelau cap d’Antibes, qui est situé un peu plushaut sur la côte que La Garoupe, le châteauoù j’ai passé les étés de mon enfance. Jemarche sur la plage à la recherche de notreancienne location et finis par apercevoir lecap rocheux que je connais si bien. Le cheminqui mène à la maison est désormais protégépar un mur épais mais le jardin, envahi parla végétation, est difficile à contenir, toutcomme mes souvenirs.

Sur la Côte d’Azur, les platanes du Nordcèdent la place aux palmiers le long de lanationale 7. Au marché couvert d’Antibes,nous nous repaissons de socca, une savou-reuse galette à base de farine de pois chichecuite au four à bois. Je suis un parfum debeurre jusqu’à la boulangerie La Belle Epoque,où nous attendent des madeleines tout justesorties du four. Puis nous goûtons une tape-nade d’olives noires bien relevée chez unproducteur. C’est la haute saison et les tomatesbien mûres, les abricots charnus et les bou-quets de lavande évoquent le paradis.

Il nous raconte ses souvenirsd’enfance, du temps où ilvendait du vin dans une

cabane au bord de la routequi traverse son domaine

Au marché couvert d’Antibes,nous nous repaissons de

socca, une savoureuse galetteà base de farine de pois

chiche cuite au four à bois

SAVEURNew York, Etats-UnisMensuel, 329 000 ex.saveur. com“La cuisine est l’un des modesd’expression humaine les plusbeaux et les plus universels” :c’est fort de ce constat queSaveur initie depuis 1994 ses lecteurs aux cuisines et vinsdu monde entier. Recettes,reportages, récits de voyage et portraits de chefs figurent au sommaire de ce magazinerichement illustré qui a étéplusieurs fois primé. Saveurappartient au groupe Bonnier, qui possède une trentaine de titres de presse loisir aux Etats-Unis.

SOURCE

En traversant Nice, puis en passant au-dessus d’Eze, un village accroché à la falaisequi offre un point de vue spectaculaire surla mer, la pensée que notre voyage touche àsa fin m’emplit de tristesse. Notre destinationfinale, ce sont les cultures de citronniers deMenton. Nous visitons La Citronneraie, pro-priété de François Mazet, un ancien coureurautomobile qui s’est reconverti dans la cul-ture des agrumes. Il vend sa production àMenton même et compte parmi ses clientscertains des chefs les plus subtils de France.Mazet coupe un citron pour me le fairegoûter. Je me prépare à un choc acide maisle fruit dégage des notes de fraise sucrée etd’orange amère. Je savoure à nouveau cesnuances dans un restaurant local, Les Saveursd’Eléonore, où je déguste une tarte confec-tionnée avec ces mêmes citrons. La saveuraigre-douce est une fin parfaite pour cevoyage. J’ai découvert de nouveaux repaireset regretté la disparition d’autres, mais ilest temps de faire demi-tour. Nous sommes arrivés au bout de la route.

—Sylvie BigarPublié dans le numéro de juin-juillet 2012

↓ Entre les années 1950 et 1970, les bouchons sur la nationale 7 à Montélimar laissaient le temps aux vendeuses de nougat de passerentre les voitures, assurant la renommée de leurs produits.

↓ Au début du XXe siècle, le Touring Club de France crée une route côtière pourcontourner le massif de l’Esterel : celle-ci devient un tronçon de la nationale 7,jusqu’en 1934, date à laquelle la Corniche d’or est déclassée et rebaptisée RN 98.

RN 7

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—The Sunday Times (extraits) Londres

Je ne compte pas beaucoup de personnesarrogantes parmi mes connaissances fran-çaises, mais il y en a tout de même quelques-

unes. “Palavas-les-Flots !” s’est exclamée l’uned’entre elles, un banquier, en faisant la grimace. Ilvit à 16 kilomètres de là. “Nous n’y allons jamais”,a-t-il précisé. “C’est précisément pour cela que j’aimePalavas”, ai-je répliqué. Il a mis cela sur le comptede l’“humour britannique”. Loin de là : c’était unevérité britannique. Si vous voulez échapper à labonne société française, alors Palavas, sur la côtelanguedocienne, est l’endroit qu’il vous faut.

Palavas est essentiellement un port de pêcheadossé à des canaux. A partir des années 1960,sans trop y croire, il a diversifié ses activités pourdevenir également une station balnéaire. Desimmeubles et des hôtels y ont été construits,avec des rêves d’argent facile en guise de stylearchitectural. Les enseignes lumineuses jauneset les moules-frites sont omniprésentes. Palavasest la capitale mondiale des objets en coquillagesornés de mouettes. Personne ne lui trouve de

← Tremulus rures suffragaritumbraculi.tremulus ruressuffragarit umbraculi.tremulusrures suffragarit umbraculi. Photo Nom Prénom/Agence mer

Palavas-les-Flots,pas snobpour un souVACANCIERS. Les stations languedociennessont l’idéal pour qui aime les plaisirs simples,explique Anthony Peregrine, journaliste devoyages réputé et grand connaisseur de la France.

charme particulier, mais, du printemps à la finde l’automne, il peut se prévaloir de distillerautant de bonheur au mètre carré que n’importequelle autre station balnéaire d’Europe.

Les petites rues, avec leurs machines à glaces àl’italienne et leurs boutiques de robes d’été débor-dant sur les trottoirs, grouillent de Français quireviennent tous les ans au même camping. Cesamateurs de pastis et de pétanque n’ont pas hontede passer des vacances simples sous le ciel immenseet sur la plage tout aussi immense de Palavas – oùaccessoirement l’on ne trouve ni “club privé” nilits de plage à louer pour 35 euros la journée.

Contrairement à la Côte d’Azur et au littoralprovençal, les côtes languedociennes possèdentpeu de rochers et de criques. Le Languedoc estplat, âpre, sauvage. La mer s’enfonce vers l’in-térieur des terres pour créer des lagunes, adap-tées à la fois aux flamants roses et aux parcs àhuîtres. La terre et l’eau s’y mêlent inextrica-blement et, jusqu’à il y a cinquante ans, presquepersonne n’y venait, car il n’y avait rien en dehorsde quelques pêcheurs et de beaucoup de mous-tiques. Puis le général de Gaulle a décidé de

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 VII

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MER

promouvoir le tourisme dans le Languedocafin de dissuader les familles françaises modestesde passer leurs vacances sur les côtes espagnoles.Des localités comme Palavas et Carnon ont com-mencé à s’étendre comme des villes de pionniers.Et de nouvelles stations balnéaires ont été bâtiesà partir de rien, comme ce site spectaculairequ’est La Grande-Motte, sur la côte en venantde Palavas.

La profusion d’arbres et de verdure que l’ontrouve à La Grande-Motte détonne avec le Suddesséché. D’une part, on a 10 kilomètres deplage, ainsi qu’un port de plaisance de la tailledu Wash [estuaire britannique sur la mer duNord] ; de l’autre, la station balnéaire la plusfarfelue d’Europe, faite presque entièrement de ziggourats et de pyramides tronquées, commesi quelqu’un avait réinterprété une ville pré -colombienne en plein XXe siècle. Et c’est d’ailleursle cas  : l’architecte s’est inspiré du site deTeotihuacán, près de Mexico.

Les gens chics se moquent de La Grande-Motte.Qu’à cela ne tienne ! La vitalité et l’ambitionmême de la station – un formidable résumé del’avenir tel que l’envisageait la génération desannées 1960 – sont contagieuses. Et voulez-vousvraiment insulter toutes ces familles (y comprisla mienne) qui se répandent sur la plage, dansles parcs et, chaque soir, de nouveau dans lescafés du port ?

Barbus en tongs. Mais l’essentiel du Languedoc,c’est que ces stations ne font que ponctuer unecôte par ailleurs intacte. En août, je me suisrendu à la pointe de l’Espiguette, un massif dedunes de 10 kilomètres de long, au-delà duGrau-du-Roi, à la limite avec la Camargue – lais-sant derrière moi les joyeux bronzés au boutde quelques centaines de mètres. Cette pointeest un territoire vierge, si bien que je peux yadmirer en solitaire l’immensité hypnotiquedes éléments.

Palavas lui-même se termine par une longuelangue de côte entièrement déserte. Comme c’estsouvent le cas dans le Languedoc, cette bandesablonneuse sépare la mer d’un grand maraisdont les flamants filtrent les fonds vaseux. Noussommes vraiment aux limites insoumises de laFrance. Ici, bien souvent, les lois de la Républiquene s’appliquent plus. Il suffit de quitter les sen-tiers battus pour se retrouver dans les brous-sailles et les marécages, où l’on découvre tout àcoup des vignobles et des cabanes isolées, occu-pées par des barbus en tongs, sans grand respectpour l’ordre établi.

Puis me voici à Bouzigues, un port minusculesur l’étang de Thau. Les rues, à peine assez largespour laisser passer de front deux poissonnièresbien en chair, s’enchevêtrent pour enfin débou-cher sur une mer intérieure, recouverte de tablesostréicoles qui évoquent des rangées de bargesde débarquement.

Plus loin vers l’ouest, Portiragnes-Plage etSérignan-Plage font partie de mes endroitsfavoris. Ce sont deux petits points sur une côtequi s’étire à perte de vue sur des kilomètresde chaque côté. Si l’on marche suffisammentlongtemps, on finit par ne plus laisser que sespropres empreintes dans le sable. Derrière, deséquipements un peu délabrés satisfont lesbesoins en camping, minigolf et consomma-tion de pizzas – le tout disparaissant quandarrive le mois d’octobre. La plage ne fera mêmepas la différence.

—Anthony PeregrinePublié dans CI n° 1183, du 4 juillet 2013

—The Guardian Londres

Collioure pourrait facilement perdre sonidentité. Après tout, ce village de pêcheursméditerranéen proche de la frontière espa-

gnole est un véritable Cliché-sur-Mer. Les seulschalutiers amarrés au quai aujourd’hui sont despièces de musée aux couleurs vives. Mais, commeles anchois que l’on pêchait ici traditionnellement,le village possède une saveur qui n’a pas disparudans la grande salade niçoise du tourisme.

La première chose que l’on aperçoit sur le portfortifié est un clocher d’église rose et phallique.J’ai essayé un jour de le peindre à l’aquarelle,mais j’ai fini par dissimuler mon carnet de cro-quis à la vue des passants. Tout le monde n’a pasété aussi timide. Collioure est le berceau du fau-visme, né à l’époque où Matisse et Derain, quiavaient apparemment oublié leurs tubes de pein-ture noire, s’y sont installés, en 1905. Ils y ontpeint 242 toiles, ce qui a fait de l’église de Colliourel’un des sujets les plus représentés en France,avec le Moulin-Rouge, les nénuphars de Monetet les cuisses de Mme Renoir.

Aujourd’hui, les rues escarpées de Colliouresont tachetées de reproductions de toiles fau-vistes peintes in situ, et il est réconfortant de voirqu’à part le ciel, qui n’est pas rouge vif, peu dechoses ont changé. Près du port, la plupart desmaisons sont devenues des restaurants ou desboutiques de souvenirs, mais il suffit de gravir lesruelles du village pour se trouver au milieu decitronniers, de maisons en pierre et de vignes.Un autre atout de Collioure est son centre d’en-

traînement commando. Même si la base militairen’a en elle-même rien de très attrayant, les com-mandos français qui y sont entraînés se condui-sent comme une équipe de natation synchronisée.Ils se promènent dans le village en combinaisonsmoulantes et partent en reconnaissance dans labaie, sans doute en prévision du jour où la Francedevra repousser une invasion de bars.

Plage de galets. Les activités sous-marinessont la principale raison qui me pousse à reve-nir à Collioure, généralement au printemps ouà l’automne, quand il y a moins de monde. Il suffitde s’éloigner un peu de la plage de galets pourvoir à travers son masque une véritable bouilla-baisse. Mulets et daurades, ainsi que diversesespèces locales, tournent autour de vous commesi vous étiez l’un des leurs. J’ai même aperçu despoulpes cachés entre les rochers.

On éprouve toujours un certain sentiment deculpabilité lorsqu’on s’assied dans un restaurantdes quais et qu’on commande une daurade. Maisqui ne se sentirait pas coupable face au plaisirde se prélasser au soleil en buvant un excellentrosé mis en bouteille à quelques mètres de là,tout en contemplant le plus gros symbole phal-lique du littoral français ?

—Stephen Clarke*Publié dans CI n° 1183, du 4 juillet 2013

* Ecrivain britannique, auteur d’une série de best-sellershumoristiques sur les relations d’amour-haine entreFrançais et Anglais. 1 000 Ans de mésentente cordiale(NiL, 2012) est son dernier livre.

VIII. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013

Collioure la fauve

AQUARELLE. Stephen Clarke, l’auteur du roman à succèsGod Save la France, s’est épris de ce village de pêcheurs et de son clocher phallique.

THE SUNDAY TIMESLondres, Royaume-UniHebdomadaire1 200 000 ex.www.sunday-times.co.uk

L’enfant chéri de Rupert Murdoch est aujourd’hui l’un desmeilleurs journaux dudimanche britanniques.Moins centré surl’actualité à chaud queThe Times, avec lequelil a fusionné en 1967,il accorde une grandeplace aux enquêtes de fond et à des articlesplus légers.

SOURCE

↑ La plage de Collioureet son église, Notre-Dame desAnges. Photo MarkMawson/Robert HardingWorld Imagery/Corbis

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VOYAGES DE LA LIBRE

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ROUTE 66 & GRANDS PARCS AMERICAINSAU GUIDON D’UNE HARLEY OU AU VOLANT D’UNE MUSTANG

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LES POINTS FORTS DE CE CIRCUIT La Route 66 dans sa traversée de l’Arizona : Oatman (un ancien village minier quisent encore bon le Farwest), Kingman (toujours traversée par la célèbre compagniede chemin de fer « Santa Fe »), Seligman , Williams , Holbrook (aux rues parseméesde voitures américaines anciennes et colorées), Hackberry (et son « General Store»,où stationne toujours une splendide corvette rouge…)Les grands parcs américains (le Grand Canyon aux paysages gigantesques, PetrifiestForest, le Canyon de Chelly, Monument Valley, Lake Powell, Bryce Canyon, Zion …) Sans oublier la ville mythique de Las Vegas d’où nous partirons pour ce voyage encore chargé d’histoires de la « Conquête de l’Ouest » et où nous terminerons notrepériple sur son célèbre « Strip ».

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Ce prix comprend : Les vols a/r et taxes d’aéroport de Bruxelles à Bruxelles / Les logements en chambres doubles (en motels) dont certains comprennent le petit déjeuner continental / Les entrées dans les parcs visités / La location d’uneHarley (selon modèle disponible) ou d’une Ford Mustang pour la durée du circuit/ Un véhicule d’assistance « bagages » conduit à tour de rôle par les participantsne conduisant pas d’autre véhicule / Le carburant des véhicules / Le road book /Le guide accompagnateur. Ne comprend pas : Les repas (sauf petits déjeunersmentionnés) / Les boissons / Les dépenses à caractère personnel / L’assurance « moto » à régler sur place en fonction de l’assurance choisie par le pilote.

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NOOPUR TIWARI, correspondantepour l’Europe de la chaîne de télévision indienne NDTV.

L’insoutenablelégèreté de la Riviera● Il y a dix ans, je quittais Paris pour mespremières “vacances” sur la Côte d’Azur.Tous les Parisiens abandonnaient la capitale pour aller s’adonner au farnientedans de lointaines stations balnéaires plus ou moins chics. “Comment peuvent-ils faire marcher un pays de cettefaçon ? Comment faire si un événementimportant se produisait pendant monabsence ?” se demandait l’Indienne en moi.En effet, nombreux sont mes compatriotesqui considèrent comme quelque peuimprudent de prendre des congés. Ils sonttendus rien que d’y penser. Les Indiensdonnent la priorité absolue au travail. A moins que les vacances ne soientl’occasion d’un “grand voyage*”. Parce quealors on fait quelque chose qui compte“vraiment”. Aussi, l’obsession inverse desFrançais pour les vacances oisives au bordde la mer représentait à mes yeux unphénomène incroyablement “futile”.Un jour sur la plage, vêtue d’un maillot de bain une pièce, je m’avançais lentementdans la chaleur, mes devoirs de françaissous le bras, mon lourd appareil photo dans un sac. Je donnais un spectacleinsolite, comme un éléphant indien sur laCôte d’Azur. L’air profondément préoccupé,l’amie qui m’accompagnait m’a demandé sij’avais un problème d’“image de mon corps”et si j’étais une “accro au travail”. J’ai mis un moment à comprendre. Curieusement,je me suis alors sentie gênée de meretrouver “trop couverte” dans cettejoyeuse ambiance de semi-nudité collective,qui était nouvelle pour moi. Sur les plagesindiennes, même les tee-shirts et les pantalons roulés ne détonnent pas.Maintenant, je me fonds dans la foule sur la plage et accorde dûment au “repos*”l’importance qu’il mérite. Au fil des ans, j’ai même appris à apprécier les joies du Bikini. Mais, aujourd’hui encore, à la plage, les sentiments que j’éprouvaislors de mes premières vacancesresurgissent du plus profond de mon âmeindienne. “Mais que diable suis-je en train de faire, étendue là, à laisser mes cheveux se décolorer au soleil, au lieu de… eh bien, de faire quelque chose d’utile ? Ce n’est pascomme si j’avais besoin de bronzer…”

* En français dans le texte.

X. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013MER

—Corriere della Sera Milan

La Côte d’Azur, avec ses trois cents jours desoleil par an, est le littoral le plus mondainde la planète. Elle plaît à tout le monde

depuis l’époque où, dans les années 1960, BrigitteBardot faisait ses premiers pas dans la jet-set inter-nationale sur les plages de Saint-Tropez, une desdestinations préférées des célébrités. Mais à quelquesminutes en voiture des lieux les plus courus nousparviennent les parfums de lavande et de maquisd’une douce France moins tape-à-l’œil et plusauthentique. De nombreux habitués se sont d’ailleursconvertis à la quiétude de la campagne, à deux pasde la mer. Comme le multimilliardaire FrançoisPinault, pour ne citer que lui : il possède une maisonà l’abri de la route des Plages, qui relie Saint-Tropez

à Pampelonne, réputéepour ses plages fréquen-tées par les célébrités depassage et les magnatsrusses en goguette. On peutleur préférer la plage desJumeaux et les Bronzés,

moins à la mode, ou un bout de la plage publiquede l’Escalet, où l’on peut pique-niquer.

C’est la tendance du moment : emporter à laplage ou dans les vignes un beau panier rempli defruits et de sandwichs, mais aussi de délicieuxplats préparés par des chefs étoilés. Certains hôtelsproposent déjà des paniers pique-nique, et lesmaisons d’hôtes veulent leur emboîter le pas.

Le Clos des Vignes, non loin de Pampelonne, y réfléchit. Cette belle demeure se dresse au boutd’un chemin entre les vignes et les cyprès. La plagela plus proche est celle des Bronzés. Au restau-rant Les Bronzés, laissez-vous tenter par la friturede fruits de mer et le succulent tartare asiatique,aromatisé au gingembre frais, à la coriandre, auxéchalotes et aux câpres. La Villa d’Andrea, avec sesdeux jardins, ses deux piscines et ses vingt-troischambres à la déco bohème chic, embaume le pinet le romarin. Un soir par semaine, un barbecueest organisé au bord de la piscine.

De là, en cinq minutes de voiture à peine, onatteint l’Escalet, une des plages publiques lesplus belles et les plus sauvages. Ramatuelle n’estpas loin. Ce village médiéval enchanteur décou-vert par David Hamilton, le photographe anglaisqui a connu son heure de gloire dans lesannées 1970 avec ses portraits de jeunes filles enfleur, accueille les visiteurs dans son dédale deruelles étroites pavées de pierres, bordées devieilles maisons enfouies sous la glycine et lesbougainvilliers. C’est là qu’habite DominiqueLapierre, quand il n’est pas en Inde. Ne manquezpas le Festival de musique et de théâtre deRamatuelle (du 31 juillet au 11 août). Mieux vautéviter les échoppes de souvenirs, qui appâtentles touristes avec leurs objets provençaux fabri-qués en série et faire un tour à la boutique Le 26,un bric-à-brac où l’on peut dénicher des collec-tions de flacons à liqueur (à partir de 40 euros)et des sacs de voyage vintage.

La Côte d’Azur loin des foules

PIQUE-NIQUE. Criques sauvages, plages méconnues,maisons d’hôtes de l’arrière-pays : une sélection d’adressespour savourer Saint-Tropez et ses environs.

Laissez-vous tenter par la friture de fruits de mer et le succulenttartare asiatique

→ La presqu’île de Saint-Tropez,entre jet-set et douce France. Photo BertrandGardel /hemis.fr

POSTALECARTE

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MER.Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XI

La terrasse avec vue panoramique sur la baiede Pampelonne, avec le cap Camarat au fond,est le principal attrait du Manoah Beach, l’éta-blissement qui a pris la suite du Liberty, emblèmede la plage naturiste chic pendant vingt ans. Ony mange sur des tables en bois défraîchi dres-sées avec élégance. La cuisine du chef tropézienRobert Serge est parfumée d’épices qui donnentune touche fusion au menu. La salade de lan-gouste à la vinaigrette de mangue et le tartarede poisson au caviar de citron valent le détour.En doublant le cap Camarat, entre l’Escalet etLa Croix-Valmer, les plages publiques du capTaillat sont à une demi-heure de marche par lesentier du littoral qui longe la mer à travers lescactus et les bosquets, dans un calme que seulvient troubler le chant des cigales : mer turquoise,sable blanc et rochers. Les plages préférées desnaturistes. Et le vieux sentier des douaniers sertde voie d’accès au site protégé par le Conservatoiredu littoral. Pour arriver à la grande plage deGigaro, il faut poursuivre vers La Croix-Valmer,le long de la route qui serpente entre la mer etl’arrière-pays. On peut faire un petit détour parle Château de Chausse, pour s’approvisionneren côtes-de-provence.

Movida tropézienne. Une fois passé le domainede la Madrague, on arrive à Gigaro : une longuelangue de sable blanc idéale pour un pique-nique.Comme celui préparé par l’hôtel Souleias, qui sur-plombe la plage et prépare à la demande un panierde fruits, de sandwichs et tartes salées (à partir de15 euros par personne). Le restaurant CouleursJardin est une bonne adresse qui offre un excel-lent rapport qualité/prix. Des plats alléchants sor-tent des cuisines : salade de homard en moussede fenouil et vinaigrette à la truffe, poulpe et gambasgrillés, carpaccio d’artichauts. A la maison d’hôtesLes 3 Iles, l’éclat du paysage de La Croix-Valmerest rehaussé par la vue spectaculaire sur les îlesde Porquerolles, de Port-Cros et du Levant. Cetétablissement raffiné doté d’une piscine à débor-dement se situe dans le quartier résidentiel duVergeron, une hauteur parsemée de villas et dejardins à pic sur la mer. L’hôtel écologique Muse,au luxe discret, ravira ceux qui recherchent le calmede la campagne. C’est l’adresse préférée de l’ac-teur australien Hugh Jackman. Le Muse préparelui aussi le pique-nique : des sandwichs classiquesou végétariens, des fromages, des légumes du pota-ger, un dessert et une bouteille de rosé dans unpanier vintage avec tout le nécessaire. A dégustersur l’une des plages publiques de Pampelonne,accessibles en deux coups de pédale avec les vélosmis à disposition par l’hôtel.

Saint-Tropez est à deux pas. Il est toujoursagréable de flâner au hasard de ses ruelles à larecherche des dernières nouveautés. Il est indis-pensable aussi de faire un tour au marché (lesmardis et samedis matin) parmi les sacs vintageLouis Vuitton, les vêtements et les spécialitésculinaires. On quitte la place des Lices, où setient le marché, pour rejoindre en une poignéede minutes la Villa La Begude par la route quimène aux Salins, une plage loin du chaos de lamovida tropézienne, à l’extrémité de la pénin-sule. Malheureusement, les places sont chères :l’hôtel ne compte que cinq chambres. En atten-dant, pour un dîner aux étoiles, rien de mieuxque la cuisine provençale des Salins, un petit res-taurant les pieds dans l’eau sur la plage du mêmenom. Un petit coin de paradis à quelques minutesde la Villa La Begude.

—Maria Broletti Dal LagoPublié le 31 juillet 2012

—The New York Times (extraits) New York

Lors d’un dîner à Saint-Germain-des-Prés,la conversation a porté sur les destinationsidéales pour passer un week-end à la mer

près de Paris. Un architecte de Los Angeles a pro-posé Deauville, ce qui a soulevé un chœur de pro-testations. “Deauville, c’est trop bling-bling !” aexpliqué notre hôtesse. Cadaqués, sur la CostaBrava, a été évoqué avant d’être finalement rejeté :pour y passer un week-end, il faut prendre l’avionet louer une voiture. Belle-Ile-en-Mer, en Bretagne,a suscité un certain intérêt, mais pas pour unweek-end, vu la distance.

Il y a eu également des avis très favorables surHonfleur, mais il faut aussi louer un véhicule… Endernier ressort, nous sommes convenus que l’endroitidéal devait être accessible en train. “Et vous,Alexandre ?” m’a demandé l’aristocrate assise à côtéde moi. “J’adore Le Touquet”, ai-je répondu. Unange est passé. “Comment se fait-il que vous con-naissiez Le Touquet ?” a-t-elle riposté, soutenuepar les hochements de tête de plusieurs convives.Je savais qu’ils allaient réagir comme ça. La Franceest le pays le plus visité du monde et il n’est doncpas étonnant que les Français préfèrent garder certains endroits pour eux.

Cela fait vingt ans que je fréquente cette petitestation balnéaire de la Manche située à deux heureset demie de Paris en train (on descend à Etapleset on prend un taxi pour rejoindre Le Touquet).Une forêt majestueuse s’invite au cœur de la ville,où des rangées de villas donnent une idée de l’évo-lution des goûts architecturaux de la bourgeoisiefrançaise depuis 1874. La ville abrite également unmerveilleux marché d’art moderne et l’imposanthôtel Westminster, un bel édifice des années 1930en brique rouge familièrement appelé “le West”.L’hôtel est doté d’un ascenseur Otis d’époque, dechambres confortables, d’un bar très agréable etd’un excellent restaurant. Le fait qu’il se trouve àcinq minutes à pied de la très belle et vaste plagede la ville importe peu à ses clients.

“Les Américains n’aimeraient pas Le Touquet”,a insisté, plein d’espoir, un autre invité. “C’est troptranquille, trop bon enfant, trop, euh, français !”

C’est vrai, Le Touquet n’est pas le genre d’endroitoù l’on risque de croiser [le rappeur] P. Diddy entrain de faire du ski nautique. Au Touquet, on trouvebeaucoup de Parisiens plutôt jeunes, très fashionand design, sirotant un whisky au bar du Westminsterou dégustant une bisque de homard chez Pérard,le célèbre restaurant de poissons où tout le mondecontinue d’aller tout en se plaignant des prix et duservice inégal. En réalité, nombre d’Américainsapprécieraient les tons légèrement sépia de cettestation balnéaire aux allures vieille France.

Mauvais tournant. Un jour, au bar du West,un cadre de chez Chanel ayant vécu à New York pendant des années m’a confié : “La différenceentre Le Touquet et des stations comme Deauvilleou Trouville est la même qu’entre les côtes nordet sud de Long Island. On va sur la côte nord pour s’échapper de Manhattan comme on va au Touquetpour fuir Paris. Au Touquet, on croise des vieuxvélos et des breaks Peugeot, alors que Deauville etTrouville regorgent de Porsche Cayenne. Le para-doxe du Touquet, c’est que ses déboires desannées 1970 l’ont probablement sauvé.”

Les “déboires” dont il parlait, c’est le mauvaistournant architectural pris par la ville durant lesTrente Glorieuses, les trois décennies de prospéritépresque ininterrompue qu’a connues la Franceentre 1945 et 1975. Pendant les années 1970, avantque le pays n’adopte une loi de protection du littoral,les promoteurs ont fait sauter beaucoup de vieillesvillas du front de mer et ont bâti à la place desimmeubles modernes sans charme. Heureusement,le plan conçu en 1878 par Hippolyte de Villemessant(alors patron du Figaro) demeure intact, à l’instardes extraordinaires villas de l’arrière-pays, qui donnent tout leur cachet à la station.

Et si les maharajas et les têtes couronnées quifirent du Touquet un endroit à la mode dans lesannées 1920 ont depuis longtemps déserté larégion, l’atmosphère est toujours imprégnée dela présence de plusieurs générations de la bour-geoisie du nord de la France, dont l’affection pourla ville n’a jamais faibli.

—Alexander LobranoPublié dans CI n° 1178, du 30 mai 2013

Ah bon, vous connaissez Le Touquet ?BOURGEOISIE. Les Français préfèrent envoyer les étrangersà Deauville ou à Honfleur et garder pour eux la petite stationdu Pas-de-Calais, à en croire l’éditeur du guide Zagat.

CORRIERE DELLA SERAMilan, ItalieQuotidien, 485 000 ex.www.corriere.it

Fondé en 1876, le premier quotidienitalien s’est affirmé dès sa naissancecomme le porte-parolede la bourgeoisieindustrielle du Nord. Il a su traverser les vicissitudespolitiques en gardantson indépendance,mais sans sedémarquer d’une lignequelque peuprogouvernementale.

SOURCE

↑ Le Touquet-Paris-Plage a célébré son100e anniversaire en 2012. Photo Michel Le Moine/Divergence

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MER

ancienne, qui remonte peut-être à l’époque où lesautorités cherchaient à protéger les huîtres en eninterdisant le ramassage durant le printemps etl’été afin de les laisser se reproduire. Cette fois, jesuis allée au marché sur le port, où des étals pro-posent des huîtres sur des tapis d’algues, triées ettarifées selon leur taille. Une vendeuse à peu prèsaussi avenante qu’un mollusque m’a choisi unedouzaine de n° 2, les a ouvertes à l’aide d’un cou-teau à lame courte et aiguisée, puis me les a ser-vies sur une assiette en plastique : la douzaine lamoins chère que j’aie jamais vue, à 5,50 euros, avecun citron, mais pas de serviette. La ripaille quisuivit, surveillée de près par les passants, m’écla-boussa la chemise, les mains et la figure d’eau salée.

Les mois sans “r”. L’huître bretonne d’originea été victime de la surconsommation, mais ausside la maladie, des hivers rigoureux et de préda-teurs comme l’étoile de mer, encore plus voracesque l’homme. A la fin du XIXe siècle, l’huître étaiten voie de disparition quand survinrent deux heu-reux événements. Victor Coste, un scientifiquefrançais, trouva un moyen de cultiver le naissainen le disposant sur des lits de tuiles pour que lesbébés huîtres s’y accrochent. Cette techniquen’en altérait pas le goût, puisque les huîtres sontsédentaires ; elles sont délicieuses qu’elles soientsauvages ou d’élevage. Le second événement eutlieu en 1868, année où un bateau transportantdes huîtres du Portugal dut s’abriter de l’orageet se délester de sa cargaison près de l’estuairede la Gironde, dans le sud-ouest de la France.Etonnamment, les huîtres portugaises se sontplu sur place et ont fini par remonter la côte jus-qu’en Bretagne, repeuplant les parcs occupésautrefois par les huîtres plates autochtones.

Au déjeuner, dans un café de la pointe du Grouin,qui domine un chapelet d’îlots rocheux fréquentéspar les marins et les oiseaux, j’ai commis un sacri-lège. J’ai mangé une montagne de moules mari-nières. Elles étaient très bonnes, mais c’estdécidément le coquillage du pauvre, comparéà l’aristocratique huître.

J’ai quitté Cancale pour longer la Côted’Emeraude en direction de la vieille ville fortifiée

de Saint-Malo, puis j’ai traversé la Bretagne dunord au sud, ce qui m’a pris presque aussi long-temps que pour venir de Paris la veille – c’estgrand, la Bretagne. Ma destination finale était lebourg de Locmariaquer, à l’embouchure du golfedu Morbihan. La région produit des huîtresparmi les meilleures de France, dont celles deLocmariaquer. Elles sont plus souples que cellesde Cancale, mais il faut se rendre sur place pourcomprendre ; elles ont le goût du golfe sublimeoù elles sont élevées.

J’ai passé plusieurs journées à faire du vélo surla presqu’île de Locmariaquer, m’arrêtant çà etlà chez des ostréiculteurs pour profiter de dégus-tations gratuites. J’ai fait un tour en bateau jus-qu’à l’Ile-aux-Moines. Cet îlot long et étroit estun lieu de villégiature idéal pour l’été, avec unsentier de randonnée le long du littoral. En le suivant, je suis tombée sur les établissementsMartin, un petit producteur qui approvisionneprincipalement l’île. Les huîtres des établisse-ments Martin ont un goût étrangement sucré quej’ai savouré, sachant que je n’aurais sans doutejamais l’occasion de le retrouver ailleurs.

En sillonnant les alentours de Locmariaquer, j’aicroisé plusieurs fois une camionnette bleu et jaunearborant le logo des huîtres Erwan Frick. J’ai finipar la suivre jusqu’à un parc ostréicole à l’exté-rieur du bourg, où j’ai rencontré le producteur, unjeune homme aux joues rouges et aux cheveuxbruns et bouclés, qui m’a fait déguster quelques-unes de ses excellentes huîtres. Il m’a aussi apprisà ouvrir une huître en sectionnant le muscle adduc-teur qui maintient la coquille fermée – un savoir-faire des plus utiles, puisque j’avais décidé derapporter à Paris des huîtres Erwan Frick.

Le lendemain, elles étaient posées sur le siègeà côté de moi, bien emballées dans une bourricheavec des algues. Une fois arrivée à la capitale, j’aiapporté les huîtres chez un ami, où nous les avonsdévorées. Nous n’avons laissé qu’un tas de coquilles,preuve que deux personnes peuvent très bienmanger quatre douzaines d’huîtres bretonnes unmois sans “r” et être encore en vie.

—Susan SpanoPublié dans CI n° 1133, du 19 juillet 2012

—Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

Cancale et Locmariaquer sont des points dulittoral breton. Ce sont aussi des localitésqui produisent mon mets préféré : les huîtres.

Servies crues dans leur moitié de coquille, avec unsimple filet de citron, elles ont un parfum intenseet, pour les connaisseurs, elles sont plus précieusesque des perles.

Le roi Henri IV pouvait en avaler vingt dou-zaines en un repas. Diderot, Voltaire et Rousseaus’en régalaient pour nourrir leur inspiration, toutcomme Napoléon Bonaparte avant de livrer unebataille. Je pourrais disserter avec lyrisme surl’attrait des huîtres, mais je sais que je ne convain-crais jamais ceux qui sont dégoûtés à l’idée deles manger crues. Après tout, le goût pour leshuîtres est peut-être affaire d’instinct. “Evidemment,quand on n’aime pas la vie, on ne peut pas savourerune huître”, écrit Eleanor Clark dans Les Huîtresde Locmariaquer [éd. Cheminements, 2001]. Lefait est que, même aujourd’hui, alors que lesostréiculteurs transplantent des variétés d’unendroit à un autre, les huîtres ne sont pas toutespareilles. Leur goût, comme celui du vin, est fonc-tion de leur origine.

J’ai découvert la supériorité des huîtres bre-tonnes il y a dix ans, au cours d’une randonnée detrois jours entre Saint-Malo et l’abbaye du Mont-Saint-Michel. En cours de route, j’avais fait halteà Cancale, où tous les restaurants de bord de merproposent des menus huîtres. J’ai laissé la pre-mière huître reposer sur ma langue, m’imprégnantd’une saveur océane forte en iode, avant de l’ava-ler, expérience sensorielle unique en son genre.Le plateau dévoré, je suis restée assise à contem-pler le large et la baie paisible, puis j’ai commandéune douzaine d’huîtres supplémentaire. J’auraispu en manger davantage, mais peut-être pas autantque cet Anglais du XIXe siècle qui battit vraisem-blablement un record en en engloutissant douzedouzaines, accompagnées de douze verres dechampagne, tandis que l’horloge sonnait douzecoups, comme le raconte M. F. K. Fisher dans sonpetit classique de 1941, Biographie sentimentalede l’huître [éd. du Rocher, 2002].

Au printemps 2010, je suis retournée à Cancale,et je me suis aussi rendue dans une autre régioncélèbre pour ses huîtres, le golfe du Morbihan,dans le sud de la Bretagne. J’avais prévu de visiterdes parcs à huîtres, de discuter avec des produc-teurs et de manger des huîtres matin, midi et soir,même si nous étions au mois de mai, un mois sans“r”, où l’on dit qu’il est déconseillé d’en manger.Mais cette règle des mois en “r” est une croyance

XII. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013

Huîtres deBretagne…CRUSTACÉS. Après avoirparcouru le littoral breton du nord au sud, cettejournaliste américaine en est convaincue : rien ne vaut les huîtres de la région.

↑ Victime de surconsommationet de maladie, l’huître bretonne a failli disparaître au XIXe siècle. Photo PatrickBard/Signatures

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SOURCE

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MASSIMO NAVA, correspondant à Paris du quotidien milanais Corrieredella Sera.

“La Normandie,comme dans un film de Lelouch”● Je vis à Paris depuis dix ans et, comme de nombreux Parisiens, j’ai passé des vacances et des week-ends dans le “XXIe arrondissement” de la capitale,Deauville et la Normandie. Tant de chosesm’ont fait aimer cette terre ! En Normandie, tout est plus calme, plus serein. Même les huîtres, les fromages, la viande et le poisson sont plus authentiques, plus frais ! Et comme les Parisiens sont différents quand ils sont en vacances ! Ils deviennent de vrais Français, c’est-à-dire les Françaisque l’étranger aime et apprécie le plus :détendus, bons vivants, gais, au moinsjusqu’au moment où ils font la queue pour rentrer à la maison. C’est si bon de se trouver en leur compagnie !Je crois qu’en Normandie le journalisteétranger comprend mieux que ce pays est très différent de la façon dont nous, les observateurs étrangers, avons tendance à le décrire à travers le prisme exclusivementparisien. Ces longues bandes côtières où la mer lèche les prés d’un vert lumineux,peuplés de vaches et de chevaux, nous disentcombien l’esprit populaire est lié à la terre, à la campagne, à la résidence secondaire(luxueuse ou modeste), à condition d’être loin de Paris !Le grand amour qu’on peut éprouver pour la région s’explique aussi autrement :c’est la dimension culturelle, historique,artistique de chaque pierre, de chaque brèchede mer et de lumière. Il est impossible, en se promenant le long des côtes, de ne pas penser à une page de Proust ou de Maupassant, de ne pas se souvenird’une peinture impressionniste ou de ne pas revoir une scène du débarquement des marines. Ce sont des émotions continuellement reflétées dans le paysage, renvoyées par un arbre ou une plage, une cathédrale, l’architecturedes villas et des hôtels, une procession de chevaux le long de la mer, un vol de mouettes. Même le ciel, aussi pluvieuxsoit-il, suscite des sensations agréables,comme la poignante nostalgie d’une chansonde Brel ou d’un film de Lelouch.

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XIII

Biarritz, la reine des plagesROULEAUX. Accueillante, animée, élégante… Comment ne passuccomber au charme de la grande station de la côte basque ?

—Il Giornale Milan

Coupes à la garçonne, regards qui tuent ombréspar un maquillage raffiné et voyant, chapeauxcloches, robes fluides au genou, longs fume-

cigarettes en ivoire. A côté, des lévriers élancés,tenus par de précieuses laisses. Hommes d’uneélégance impeccable, lin blanc et écru, borsalinosur la tête, chaussures à guêtres… En arrière-plan,une enfilade de cabines parasols pour se protégerdu vent, sable fin, mer magnifique hérissée devagues, palais Art nouveau, incomparables palaceset casinos. Fabuleuses Années folles à Biarritz !Mais son histoire faite de luxe, de bon goût, d’aris-tocratie, de sceptres et de couronnes a commencébien auparavant, dans la seconde moitié du XIXe siècle.Posée sur la côte basque française, Biarritz (sonnom basque est Miarritze) délimite avec soncap Saint-Martin la côte sablonneuse au nord, quicontinue sur des centaines de kilomètres jusqu’àla Gironde, et le littoral rocheux au sud. Ainsi, lebord de mer de cette cité balnéaire raffinée comprendde grandes plages de sable et d’autres plantées derochers découverts par les marées et le vent. Devant,le bleu de l’océan ; derrière, le vert intense des collines.

Depuis quelques décennies, Biarritz, dont leblason arbore une baleine, animal aujourd’huiencore symbole de la ville, s’est épinglé une autremédaille sur la poitrine : ses vagues océaniquessont, à en croire les spécialistes, parmi les plusparfaites qui existent dans la nature. Elles attirentdes centaines de surfeurs venus du monde entier,aussi bien amateurs que sportifs de haut niveau.Tout a commencé de manière fortuite : alors quese déroulait le tournage d’un film [Le Soleil se lèveaussi, tiré du roman éponyme d’Ernest Hemingway],les habitants ont découvert la planche de surf uti-lisée dans quelques scènes. Certains s’y sont inté-ressés et se sont mis à jouer avec les rouleaux.C’est ainsi que l’endroit s’est forgé sa réputation.

Le moindre recoin de cette ville accueillante,animée, chic, exhale les parfums d’une histoire quia débuté officiellement avec l’arrivée de l’empereur

Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. A partirdu milieu du XIXe siècle, ils venaient y passer l’été,entraînant dans leur sillage une cour de nobles etde grands bourgeois originaires des quatre coinsde l’Europe. Depuis, Biarritz est devenue “la reinedes plages et la plage des rois”. C’est de cette époqueque date l’aménagement du rocher de la Vierge,une formation rocheuse que l’empereur a fait percerpour la construction d’un port à usage militaire.En 1865, une statue de la Vierge y a été installée.La vieille passerelle en bois quireliait l’îlot à la terre ferme a dis-paru en 1887 pour laisser place àun nouvel ouvrage sorti des ate-liers Eiffel. Du haut de ce formi-dable rocher, on peut embrasserdu regard toute la côte, la GrandePlage et l’Hôtel du Palais. Ce dernier, un édifice sin-gulier, exubérant, appelé jadis Villa Eugénie, a étéérigé sur l’ordre de Napoléon III pour servir derésidence d’été au couple impérial. De nos jours,c’est un hôtel de luxe, qui a conservé intacte sonempreinte impériale. Authentiques meublesd’époque, vue panoramique incomparable sont lestraits communs à toutes les chambres et les suites.

Parmi les joyaux à admirer à Biarritz figurent lecasino de style Art déco (rénové en 1990) qui bordela Grande Plage ; le phare du cap Saint-Martin,érigé en 1834, l’un des plus visibles depuis la merdans le golfe de Gascogne ; le célèbre hippodrome,immortalisé sur de nombreuses toiles avec despersonnages de la noblesse et de la haute bour-geoisie occupés à suivre les courses ; la villa Belza,construite entre 1880 et 1895 par l’architecteAlphonse Bertrand sur le rocher du Cachaous,d’abord résidence privée, puis cabaret et restau-rant de luxe jusqu’à la Première Guerre mondiale– elle est maintenant divisée en appartements. Ici,même les terrains de golf font partie du paysage,au premier chef le golf du Phare, commandépar des Anglais de noble extraction en 1888.

—Veronica GrimaldiPublié dans CI n° 1132, du 12 juillet 2012

Cela a débuté avecl’arrivée de l’empereurNapoléon III et de l’impératrice Eugénie

MER.

POSTALECARTE

↙ En septembre 1957,le journal de Biarritzpublie le premierarticle sur le surf. Photo GuillaumeAtger/Divergence

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DH Music y était, ou y sera, cette année avec vous ...

DH Music Tour 2013

on the roadDH Music, sponsor des plus plus grands concerts et festivals de Belgique,

vous emmène toute l’année on stage.

À suivre,

avec ...

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Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XV

—La Presse Montréal

Toutes choses étant relatives, Toulouse estune ville assez petite. On lui trouve uneatmosphère presque villageoise, en tout

cas bon enfant. En marchant sans but dans sesrues étroites, on finit invariablement par reve-nir à son point de départ. C’est délicieux parcequ’à chaque fois on découvre quelque chosequ’on n’avait pas remarqué auparavant. Délicieuxaussi parce que, à proprement parler, ce qu’ondécouvre met constamment l’eau à la bouche.Ici, ce qui est si joliment appelé les “marchés deplein vent” (c’est-à-dire en plein air) dispute lapalme du produit frais aux marchés couverts.Le dimanche, autour des églises, les éventairesenvahissent la place, et l’on peut aisément croirequ’ils attirent plus d’adorateurs que la messe.Ainsi, pour repérer le marché Saint-Aubin, quis’installe tous les dimanches jusqu’à 13 heuresau pied de l’église du même nom, nul besoin deplan : il suffit, en partant du centre-ville, d’allerà contre-courant des gens qui en reviennent,leurs cabas remplis de victuailles.

Bientôt, les parfums d’épices et de poulet grillévous happent et, soudain, dans l’air rempli ducaquètement des volailles et du jeu enfiévré d’unduo d’accordéonistes, encore étourdi(e) par ledécalage horaire, vous voilà errant comme unzombie entre les étals des petits producteurs.Figues violettes à 2 euros la livre, fleurs coupées,fines herbes, piles de cochonnailles, pain fraisau bon parfum de levain… La foule se presse sanshâte dans cette atmosphère de fête foraine ; onn’a pas assez d’yeux pour tout embrasser.

Du côté des “couverts”, le marché Victor-Hugoest peut-être le roi (celui des Carmes, un peumoins cher, se bat vaillamment pour le titre).Tous les jours (sauf le lundi), on y trouve lesmeilleurs produits dans une abondance qui frisele délire. Là, à travers cette débauche de parfumset de couleurs, il faut absolument goûter au jabugo,jambon cru d’Espagne, qu’un garçon vous détailleen fins copeaux à l’aide d’un instrument plusproche de la machette que du simple couteau.On aura pour 6 ou 8 euros quelques grammesd’une viande si fine, si délicate et si fondantequ’on la laisse se dissoudre en bouche comme

← Tremulus rures suffragaritumbraculi.tremulus ruressuffragarit umbraculi.tremulusrures suffragarit umbraculi. Photo Nom Prénom/Agenceville

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XV

Dans le ventre de Toulouse

FRINGALE. A peine débarquée dans la Ville rose, une journaliste québécoise faitle tour des marchés et cède aux tentationsque procure la gastronomie locale.

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—Die Zeit (extraits) Hambourg

Lens, c’est Bottrop [petite ville de la Ruhr]en version réduite : une modeste cité minièrede 30 000 âmes, non loin de Lille, humi-

liée, désargentée et tellement engourdie qu’unemaisonnette de brique sur deux a les volets ferméspendant la journée. De loin, on aperçoit deuxénormes terrils parsemés de bouleaux. Longtemps,il n’y a rien eu de plus exaltant à voir dans le voi-sinage. Mais ça, c’était avant le Louvre : le muséede renommée internationale a débarqué en pro-vince dans un bâtiment neuf dû aux JaponaisKazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, deux des meilleursarchitectes du moment. Le tout pour 150 millionsd’euros, sur 28 000 mètres carrés.

Pour Lens, qui, depuis des années voyait fermermine sur mine, commerce après commerce, c’estune nouvelle page qui s’ouvre. Et, pour le Louvre,ce vénérable reliquaire, ce n’est rien de moinsqu’un bouleversement. Fini l’écrin dans lequel leschoses sont comme elles ont toujours été. Le muséeparticipe désormais d’un monde où rien ne doitêtre immuable. A première vue, cela peut fairepenser aux mouvements d’éveil à la culture desannées 1990. A l’époque flottait sur les ruines del’ère industrielle l’espoir que l’art et les médiasseraient les sources de revenus de demain. Le touristedevait remplacer le mineur, et les musées étaientconsidérés comme les moteurs du changement.

A Lens aussi, on caresse ce rêve, et 700 000 visi-teurs sont attendus la première année. Les deuxarchitectes n’ont pas donné dans le clinquant. Al’emplacement de la fosse numéro 9 des mines deLens, à un quart d’heure à pied de la gare, ils ontérigé ce qui doit être la plus vaste “chimère” del’histoire de l’architecture – une chimère d’unebeauté éblouissante. De près, au pied des façadesen aluminium brossé, on croirait regarder à traversdes lunettes couvertes de buée. Le visiteur se reflètedans les parois de l’édifice, mais c’est un miroirterni. On peut aussi bien arpenter le hall d’accueilde verre – et s’émerveiller devant ce projet fara-mineux. Le hall est si vaste que plusieurs muséesy entreraient sans peine. On pourrait égalementdire qu’il suscite de grandes attentes.

Le simple fait que le Louvre se soit séparé dequelques œuvres majeures est assurément unepetite révolution, même si nombre d’entre ellesreprendront le chemin de Paris au bout d’un an.Pour l’heure, elles contribuent à ébranler l’indé-boulonnable centralisme français. Et à réinter-préter le musée comme un lieu qui parle tout autantde l’avenir que du passé. Pourquoi un coin deFrance aussi perdu que Lens ne pourrait-il pasrepartir à la conquête du monde ?

—Hanno RauterbergPublié dans CI n° 1178, du 30 mai 2013

une hostie, en remerciant le Créateur. Amen !Que dire des kilomètres de saucisses qui pendentpartout, de ce boudin noir serti de gras qui semblesi crémeux, des abats qu’on n’ose même pas ima-giner, de ces fromages disposés comme des bijouxprécieux… ? Oh, sortons, sortons avant de défaillir.Mais dans les rues ce n’est guère mieux. Juste là,au coin de la rue de Rémusat, l’épicerie fine Busquetstient boutique depuis des lustres. On y trouve lesarmagnacs les plus fins et des vins dont le prixdérisoire fera monter les larmes aux yeux auQuébécois moyen.

Quinquina maison. Plus loin, rue des Tourneurs,on se laissera charmer par la vitrine du Paradisgourmand, qui porte à des sommets l’art de la confi-serie : macarons multicolores, chocolats pralinés,violettes givrées au sucre… Même si l’on n’a pas,comme disent nos amis anglais, la “dent sucrée”,impossible de résister ! La patronne, toute gen-tille, vous dira d’aller faire aussi un tour à son autreParadis, gourmet celui-là, où l’on trouvera tous lesproduits fins (et régionaux) imaginables, des hari-cots tarbais au foie gras, en passant, bien sûr, parle cassoulet.

Car comment venir à Toulouse sans en dégus-ter un ? Quoi ? Il est 7 heures du matin à Montréal ?Et alors ? Ici, il est midi passé. Il faut bien manger… !Et un cassoulet, un ! Avec un verre de rouge, s’ilvous plaît. Ça se mange sans faim, comme ils disent !

Tout de même, pour digérer, allons marcher unpeu, malgré ce vent d’apocalypse. C’est le ventd’autan (mot provençal, du latin altanus, “vent dela haute mer”), qui souffle si souvent et si fort àToulouse que des panneaux ont été installés à l’en-trée des parcs : “Attention, fort vent, chute de branches”.

Et ne faites pas aux Toulousains l’affront deconfondre “leur” vent d’autan avec le mistral oula tramontane. Ce n’est pas du tout pareil !

Se perdre dans ces rues aux noms si évocateurs(du Canard, de Perchepinte, des Quêteurs, desCouteliers…) est un vrai bonheur. Au couchant, laVille rose s’anime soudain et porte mieux quejamais son surnom. Piétons, vélos, scooters et voi-tures se partagent le pavé en bonne intelligence,les terrasses se remplissent pour l’apéro…

Justement, au hasard de la promenade, rue desTourneurs, comment ne pas remarquer Au PèreLouis ? Ce minuscule estaminet n’a apparemmentpas changé depuis son apparition, en 1889. Au zinc(un vrai de vrai !), il n’y a que cinq tabourets. Patrick,le patron, s’affaire du bar à la cuisine, d’où il rap-porte des tartines de confit d’oie et des assiettesde jambon cru.

Hélène, sa complice, sert le quinquina maison(un vin apéritif fait d’une écorce amère aux propriétéstoniques et fébrifuges, fournie par diverses espècesd’arbustes du genre Cinchona – merci Le Petit Robert !)dans de toutes petites coupes qu’elle remplit à rasbord. Peut-être est-ce pour que le client, s’il enrenverse en portant le verre à sa bouche, com-prenne qu’il a assez bu ? “Non, dit le patron. C’estqu’il faut hurluper.” “Hurluper”, c’est boire à mêmele verre posé sur le comptoir, comme la vache vaà l’abreuvoir.

Et Hélène d’ajouter, avec ce bel accent enso-leillé : “Au Péreu Louis, on rammplit bieng les ver-reus, parceu queu, dang la vie, le plésir, y a queu çadeu vré !”

Ah, ces Toulousaings !—Fabienne Couturier

Publié dans CI n° 1126, du 31 mai 2012

XVI. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013VILLE

Lens à la conquêtedu mondeRÉVEIL. Grâce au Louvre, la cité minière du Nord se rêve ville d’avenir.

LA PRESSEMontréal, CanadaQuotidien, 210 000 ex.www.cyberpresse.ca

Ce journal montréalaisse targue d’être “le plus grand quotidienfrançais d’Amérique”.Détenu par le groupede presse Gesca, qui appartient à l’influent homme d’affaires Paul Desmarais Sr., il se montre favorableau maintien d’un Canada uni.

SOURCE

← Promenade sur les rives de la Garonne, à Toulouse, face à l’hôpital La Grave fondé au XIIe siècle.Photo GunnarKnechtel/Laif/RÉA

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—The Guardian (extraits) Londres

Metz – prononcez “mess” – est si chaleu-reuse qu’elle me rappelle Dublin, où lesgens sourient à s’en décrocher la mâchoire.

Tout le monde vous arrête pour papoter avecvous. “Ne parlez pas de Bilbao”, bougonne Michel,qui entame une conversation avec moi à un feurouge. Bilbao, la capitale portuaire et industrielledu Pays basque, a été transformée en destina-tion majeure par le musée Guggenheim. Cesdeux villes ont beau être de taille comparable,elles ne pourraient être plus différentes.

Malgré les préjugés de certains Français quivoient en elle un lieu “sinistre, là-haut, dans lenord-est”, Metz n’est pas une ville industrielle.C’est une belle cité marchande au confluent dedeux rivières, la Seille et la Moselle, où une

superbe lumière met en valeur des bâtimentsanciens à la pierre couleur de miel. Sa turbu-lente histoire de ville-frontière constammentassiégée lui a conféré une double identité fasci-nante. Bien que Metz ait été au cœur des deuxguerres mondiales, aucune bombe n’est tombéesur le centre, et son architecture est intacte.C’est aussi l’une des villes les plus vertes deFrance, avec 25 mètres carrés d’espaces vertspar habitant.

Metz offre des kilomètres de rues et de bergesà explorer à pied. La marche contrebalanceral’autre attrait de la ville, les vins de Moselle et sagastronomie : gâteaux à la crème monumentauxservis dans les salons de thé, quiches lorraineset tartes aux mirabelles.

—Angelique ChrisafisPublié dans CI n° 1126, du 31 mai 2012

↓ Le musée conçupar l’architectejaponais ShigeruBan associé au Français Jean de Gastines a été inauguré le 12 mai 2010. Photo Rollinger-Ana/Onlyfrance.fr

SIMON KUPER, chroniqueur au Financial Times et auteur de plusieurs livres sur le sport*.

Vivre comme Dieu en Provence● J’ai toujours la photo. Elle est datée du 3 juillet 1998 et on y voit quatrejournalistes (tous terriblement jeunes)en train de déjeuner dans le jardinensoleillé du restaurant La Colombe d’or,à Saint-Paul-de-Vence. Sur notre table,un panier de légumes de Provence et un pichet de vin. A l’intérieur du restaurant, il y a la célèbre collectiondes tableaux avec lesquels Picasso,Matisse et Chagall auraient réglé leursdéjeuners. Mes amis et moi menions la vie que les Néerlandais et les Allemandsrésument par cette expression : “Vivrecomme Dieu en France”.Bien sûr, comme nombre d’endroits de la France profonde, La Colombe d’orétait devenue un authentique fac-similéde l’idéal rural français : elle étaittellement parfaite qu’elle était presqueréservée aux riches étrangers. Mais nousavions de l’argent à l’époque ; en 1998, on allouait encore aux journalistes desfrais de déplacement dignes de ce nom.Nous étions tous les quatre en Francepour couvrir la Coupe du monde de football. Durant ce mois de juillet, j’ai appris à vivre comme Dieu en France,à manger de la bouillabaisse au bordd’une piscine à Marseille ou à dégusterune andouillette sur une petite place de Lyon. Ce sont peut-être des clichés,mais ils étaient si séduisants que,lorsque j’ai retrouvé mon bureau à Londres après les deux buts de Zidane, je ne l’ai pas supporté. Un mois plus tard, je démissionnais. En 2001, j’achetais un appartement à Paris et, en 2002, je goûtais à la vie parisienne. J’y suis toujours. C’est là que j’écris cet article et que mes enfants sont nés etvont à l’école. La France a changé ma vie.

* Notamment Les attaquants les plus chers ne sontpas ceux qui marquent le plus. Et autres mystères du football décryptés, De Boeck éditions, 2012.

Metz, la Bilbaofrançaise

VILLE-FRONTIÈRE. La recette basque a fait ses preuves en Lorraine. Avec 1,2 million de visiteurs en deux ans, le Centre Pompidou-Metz donne un formidable coup de fouet à l’économie locale.

VILLE.Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XVII

POSTALECARTE

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—The Spectator (extraits) Londres

Ah ! les interminables voyages de monenfance vers Avignon, ma sœur et moiserrées à l’arrière de la Mini. La sempi-

ternelle question : “On arrive bientôt ?” alors qu’onn’était qu’à Dijon. Les œufs durs et les saucissesdans un sac en plastique. Le moment déprimant,quand mes parents arrêtaient la voiture pour

quelques heures afin de faire une“petite sieste”. La béatitude d’uneglace achetée à la station Elf.Même une fois passé le tunnelde Lyon, nous étions encore loinde notre destination. Encoredeux heures de route, au moins.Aujourd’hui, si vous prenez

l’Eurostar de 7 h 17 le samedi matin à la gare deSaint-Pancras, à Londres, vous pourrez déjeunersur la place centrale d’Avignon à 14 heures. Mêmeavec l’heure de décalage. C’est un miracle.

A la fin des années 1960, mon père a achetéun petit appartement dans la rue des Teinturiers.Ce qui le rendait irrésistible à ses yeux, c’estqu’on pouvait accéder par une échelle à un toit-terrasse avec vue sur le palais des Papes.Quarante-trois ans plus tard, nous avons tou-jours l’appartement, et la même vieille boîte decassoulet sert toujours de butoir.

A l’époque, les eaux usées s’écoulaient directement dans la gouttière, et les égouts sedéversaient dans le canal qui longeait la rue, oùle tout était brassé par les roues à aubes. A midi,on entendait les incessants coups de klaxon desconducteurs impatients de rentrer chez eux pourdéjeuner. Aujourd’hui, la rue des Teinturiers estpiétonne et pourvue de bornes escamotables.Des panneaux indiquent aux touristes le cheminpour se rendre dans cette adorable ruelle pavéeoù les roues à aubes continuent à tourner sousles platanes.

L’avantage, avec l’Eurostar du samedi matin,c’est qu’il arrive à la gare d’Avignon-Centre, etnon à la gare d’Avignon-TGV [située à 6 kilo-mètres du centre-ville]. Lorsque vous sortez dutrain, la chaleur provençale s’abat sur vous, vousenlevez une ou deux couches de vos étouffantsvêtements anglais, vous pénétrez à l’intérieurdes remparts et vous remontez la rue de laRépublique jusqu’à la place de l’Horloge pourprendre un déjeuner tardif.

La place de l’Horloge est une place carrée, trèsagréable. Les enfants l’adorent pour ses statuesvivantes badigeonnées de doré, ses pigeons, sonmanège et les petits personnages qui sortenttoutes les heures de la tour de l’Horloge. Pourvotre premier jour, vous devez déjeuner dansl’un des nombreux restaurants qui bordent la

place, sous les arbres. Mais lequel ? Avec le sentiment de bien-être que procure cette villefortifiée, vous prenez un pichet de vin rosé pouraccompagner un repas simple (vous avez déjàmangé des steaks meilleurs, il faut bien l’avouer…),et la serveuse énumère ensuite pour vous uneliste de desserts commençant tous par la lettre“f” : “flan, fruits, fromage !” Puis vous gravissezen titubant le rocher des Doms.

Pourriez-vous citer une autre ville fortifiée quipossède un éperon rocheux surplombant d’unetelle hauteur un fleuve enjambé par un pontmédiéval qui a inspiré une chanson célèbre ? Pourse rendre au rocher, il faut emprunter une ruellequi part du bout de la place et conduit à l’impo-sant palais des Papes. Les papes n’ont résidé àAvignon que pendant soixante-dix  ans, auXIVe siècle, mais ils en ont profité pour construirecette forteresse gothique, très austère d’appa-rence. Une visite s’impose au cours du séjour,mais pas le premier jour. Réjouissez-vous de neplus être guidé par cet homme qui ressassait àchaque fois les mêmes plaisanteries éculées surles papes : nous sommes à l’âge des audioguides.L’endroit est idéal pour se rafraîchir les jours degrande chaleur, et les fresques de la chambre dupape sont divines : les oiseaux, qui se sont échap-pés de leurs cages, volent dans les feuillages.

La neige de Sisley. Dans les années 1960 et 1970,époque de grande effervescence, le parvis dupalais était un gigantesque parking. Depuis, celui-ci a été remplacé, avec une témérité typiquementfrançaise, par un parc de stationnement souter-rain à cinq niveaux, et la place du Palais est deve-nue un immense espace recouvert de pavés. Toutau bout se trouve le musée du Petit Palais, avecsa collection de peintures de la Renaissance.Mieux vaut le réserver pour un autre jour, ainsique le charmant musée Calvet, avec ses deuxdéfenses de narval, et le musée Angladon – autrelieu appréciable pour sa fraîcheur –, avec sonpaysage de neige peint par Sisley.

Maintenant, il faut grimper. Etes-vous d’hu-meur à emprunter la rampe, l’escalier ou bien lepetit train pour touristes paresseux ? Vous avezle choix entre ces trois  modes d’ascension.Personnellement, je préfère la rampe. Sur la terredesséchée, on aperçoit des lézards. Après bien destours et des détours apparaissent, loin en contre-bas, le Rhône et le pont avec les quatre arches quilui restent sur les vingt-deux qu’il comptait à l’ori-gine. De l’autre côté du fleuve se dressent les toursjumelles du fort Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon. Vous vous asseyez sur un mur bas etcontemplez le paysage dans l’air chaud empreintde senteurs de thym. Vous êtes à présent au sommet,dans un jardin avec son gravier qui vous abîme leschaussures, ses jouets à roues pour enfants, soncadran solaire et sa vue panoramique qui témoignede l’excellente situation d’Avignon. De gauche àdroite se succèdent les Dentelles de Montmirail,le mont Ventoux, le plateau du Vaucluse, le Luberon,les Alpilles et l’adorable Montagnette. Autant d’occasions d’excursions.

Une fois de retour en bas par la rampe ou l’es-calier, vous recherchez la fraîcheur des ruesombragées. Si vous tournez tout de suite à gaucheaprès le palais, vous déboucherez dans une ruelletrès encaissée où vous verrez comment cet impo-sant monument s’inscrit dans le rocher. Vouspasserez ensuite devant la jolie église Saint-Pierre,qui date du Moyen Age, et vous aurez envie deprendre un thé sur la place paisible.

—Ysenda Maxtone GrahamPublié dans CI n° 1131, du 5 juillet 2012

XVIII. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013VILLE

Le miracle AvignonBIEN-ÊTRE. La cité des papes n’a plus de mystères pour cette journaliste britannique, qui arpente ses rues et ses places depuis sa plus tendre enfance.

Etes-vous d’humeur à emprunter la rampe,l’escalier ou le petit trainpour touristes paresseux ?

↑ Le pont Saint-Bénézet, plus connu commele pont d’Avignon,est classé au patrimoinemondial de l’Unesco. Photo GuillaumeAtger/Divergence

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—Ogoniok Moscou

On trouve facilement à Reims ce qui manqueà Paris : la France des livres et des films denotre enfance. Ici vivent de jolies demoi-

selles, des dames élégantes et des messieurs cour-tois. Ici, dans les boutiques, les vendeurs s’adressentà vous comme si vous étiez un vieil ami. Et, dansles rues piétonnes, on entend des airs d’opéra, etnon de la variété. C’est tout simplement incroyable.

Les trains pour Reims ne partent pas, à Paris,de l’ultramoderne gare du Nord, d’où l’on gagneLondres presque plus rapidement que l’autrebout de la capitale, mais de la provinciale gare del’Est. Au-dessus des guichets, les tableaux repré-sentant des trains à vapeur sont tout à fait dansl’esprit des lieux.

Reims est la ville la plus pétillante de laChampagne (quoique certainement pas aux yeuxdes habitants de la ville voisine d’Epernay). Reimsmonte légèrement à la tête et met de bonnehumeur. Les touristes curieux vont à Reims nonpar nostalgie de la bonne vieille France, naturel-lement, mais pour ses deux puissants symboles :la cathédrale et le champagne.

Il fut un temps où vivaient à Reims les comtesde Champagne. La demeure où vécurent ces aristocrates au nom pétillant est toujours debout,bien qu’elle ait subi les outrages du temps. Cettevieille bâtisse de style gothique se trouve rue deTambour. Elle abrite aujourd’hui une des nom-breuses maisons de champagne de la ville. Chacunefait mine d’ignorer ses concurrentes, mais ellesorganisent quasiment toutes des circuits qui seressemblent comme deux gouttes d’eau, avec visitedes caves et dégustation à la fin.

La beauté de la cathédrale de Reims, où denombreux rois de France se sont fait couronner,peut vous faire tourner la tête sans même quevous ayez bu une coupe de champagne. On pour-rait croire que ce chef-d’œuvre de l’art gothique,avec ses gargouilles et ses sculptures virtuoses,quoique abîmées elles aussi par les siècles, s’estfourvoyé dans le temps.

Reims est une ville très ancienne. Selon certains,elle aurait été fondée par Remus (le frère de Romulus,les fils de la louve romaine). Une thèse plus vrai-semblable suggère une origine celte : la ville for-tifiée de Durocorter, édifiée par les Rèmes et évoquéedans la Guerre des Gaules de Jules César sous lenom romain de Durocortorum. Plus tard, la villedevient la capitale de la province romaine deBelgique. Des témoignages de la présence romainesubsistent, comme les vestiges du forum et la porteMars, l’arc de triomphe dédié au dieu Mars.

A la fin du Ve siècle survient un événement quichange le destin de la France. Remi (Remigius),évêque de Reims, baptise Clovis, roi des Francs.Rapidement, la cathédrale est bâtie sur le lieu dubaptême. La plupart des rois de France, de Louis

Reims àl’heure russeDÉCOUVERTE. Les touristesconnaissent sa cathédrale etses maisons de champagne.Mais la cité des sacres a aussi accueilli des tsars.

ERIC MIYENI, chroniqueur sud-africain et réalisateur du documentaire Mining for Change.

Une rue à Rambouillet● Mes amis les Levenez m’ont invité à partager un délicieux déjeuner chez eux, à Rambouillet, en 2007. Nous avons mangé, parlé et bu un brutrosé. Quoique n’étant pas un grandamateur de champagne, j’ai découvertque j’adorais cette version rose. Plustard, nous avons fait une promenadedans cette commune des environs de Paris et j’ai appris que NelsonMandela, lors de sa visite en France, en 1990, avait séjourné au château de Rambouillet, la résidence à temps partiel traditionnelle des présidents français – hormis pendantle bref règne de Sarkozy, qui préféraitVersailles. La visite du château m’a émud’une certaine manière parce qu’il y avaità l’intérieur l’un des tout premiers litsconfortables où Mandela ait dormi en vingt-sept ans. Il se trouve que, ce jour-là, un couple de jeunes mariésprenait des photos sur fond d’arbresgéants, alors que Mandela avait divorcéde Winnie, l’épouse qu’il avait amenéeavec lui lors de cette visite historique.Mais, finalement, le souvenir que je garde de Rambouillet, c’est… la rue du Bourg ? Non. La rue de la Liberté ? Non. Napoléon ? Non. Royale ? Non.Nationale ? Non. Impériale ? Non.Nationale ? Non, non, non ! Je veux direla rue du Général-de-Gaulle…

le Pieux (816) à Charles X (1825), y ont été cou-ronnés. A vingt minutes à pied de la cathédrale setrouve l’ancienne abbaye Saint-Remi. Sa partie laplus ancienne est constituée par la basilique Saint-Remi, de style roman auquel se mêlent quelqueséléments gothiques. Les moines en ont été chas-sés pendant la Révolution française. Ensuite, lebâtiment a été utilisé comme hôpital militairerusse à l’époque napoléonienne, puis comme asilepour vieillards, puis de nouveau comme hôpital.A présent, il abrite le musée Saint-Remi. On peuty voir le portrait d’un jeune homme en uniformemilitaire. Il s’agit du prince Sergueï Volkonski,cousin issu de germain du célèbre décembriste*,qui fut gouverneur militaire de la ville de Reimsen 1814 [après la bataille entre les troupes napo-léoniennes et les troupes russes et prussiennes,durant la campagne de France].

Corps expéditionnaire. Plusieurs tsars ont étéreçus à Reims en invités d’honneur : d’abord legrand voyageur Pierre le Grand [1682-1725], puisAlexandre Ier [1801-1825], commandant de l’ar-mée russe pendant de la campagne de 1813-1814,et enfin Nicolas II [1894-1917], lors de son voyageen France en 1901. Et, dans un passé très lointain[en 1051], la cathédrale de Reims a vu le mariagedu roi Henri Ier de France avec Anne de Kiev, filledu roi Iaroslav le Sage.

Un peu à l’écart du circuit touristique, dans lenord-est de la ville, se trouve le cimetière, où l’onpeut voir un monument à la mémoire des officiersrusses tombés lors de la bataille pour la ville, en1814. A l’autre extrémité de la ville, dans le fort dela Pompelle, un autre monument a été érigé récem-ment à la mémoire des soldats et officiers du corpsexpéditionnaire russe qui ont défendu la ville durantla Première Guerre mondiale.

P.-S. : Je n’ai pas envie de quitter Reims. Je n’aicroisé ni fontaine ni rivière où jeter un centimed’euro et faire le vœu de revenir un jour. Alors,dans le premier magasin venu, j’achète ce que l’ontrouve partout dans la ville. Et comme on ne vendpas de gobelet en plastique, je m’assieds sur unbanc, dans le square en face de la gare, et je boisau goulot un quart de bouteille de Veuve Clicquot.Mais voilà qu’arrive le train pour Paris.

—Lev KorolevPublié le 20 mai 2013

* Sergueï Grigorevitch Volkonski (1788-1865), grand généralrusse, a participé au mouvement insurrectionnel des décembristes, orchestré par des officiers de l’arméeimpériale qui tentèrent de renverser le tsar en décembre 1825.

VILLE.Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XIX

↓ La cathédrale de Reims. Elle areçu en septembre1901 la visite du tsar Nicolas II. Photo GérardRondeau/VU

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“La Petite Flamme” a été le reflet de la vieculturelle soviétiquedans les années 1970 et 1980, puis estdevenueune des vitrines de la perestroïka, ce qui lui a donné une seconde vie. C’est aujourd’hui un magazined’informationsgénérales et de reportagesrichement illustrés.

SOURCE

POSTALECARTE

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—The Daily Telegraph Londres

Tous les quatre ans, Brest organise l’une desplus grandes et des plus belles fêtes mari-times d’Europe [les Tonnerres]. Lors de

l’édition 2012, plus de 1 000 bateaux d’époques etde nationalités différentes avaient rendez-vousdans la rade, qui se trouve être l’une des plus

grandes baies de France : grandsvoiliers vénérables, mais aussicotres, navires de guerre ouencore yachts et pirogues.

Pendant une semaine, Brestdevient la capitale de la navi-gation. C’est un moyen pour le

port de revendiquer son histoire, car la ville n’estpas d’une beauté éclatante. La grisaille des rues,tracées au cordeau, est plutôt démoralisante et,les jours de mauvais temps, les espaces battus parle vent semblent trop grands pour des humainsde taille normale. Moi qui viens de la région indus-trielle du Lancashire [dans le nord-ouest del’Angleterre], je sais pertinemment qu’une villen’a pas besoin d’être majestueuse, ni même jolie,pour être intéressante. Mais la plupart des vacan-ciers britanniques que l’on y croise ne sont là quepour la journée, ayant choisi pour villégiature desvilles de Bretagne plus pittoresques.

Ce qui fait l’intérêt de Brest, c’est sa force etson histoire, et c’est cela qui donne tout leur

charme aux Tonnerres de Brest. Cette fête est unhommage au patrimoine maritime. Tout le mondevient admirer les bateaux, le grand large, les marinsde tous les continents ; chacun profite de la nour-riture, de la boisson et, donc, de la ville de Bresten elle-même. C’est bien normal, étant donné sasituation. A l’extrême ouest de la Bretagne (escalesuivante : New York !), le port occupe une posi-tion stratégique sur une côte découpée, bordéede falaises, de rochers et de mers celtiques. Sesvastes rades accueillent des navires depuis l’époqueromaine et des bâtiments de guerre françaisdepuis le XVIIe siècle. La marine nationale occupeencore aujourd’hui l’estuaire de la Penfeld, quicoupe la ville en deux.

Durant la Seconde Guerre mondiale, cette posi-tion stratégique de Brest a constitué un atout évi-dent pour la flotte allemande – beaucoup moinspour ses habitants. La ville a été réduite à néantpar les bombardements des Alliés et par un siègede quarante-deux jours. Fin 1944, seuls 10 % desbâtiments étaient encore debout.

Brest a été rapidement reconstruite selon unplan en damier. Les urbanistes, soucieux de net-toyer cette ville qui avait un côté sordide avantguerre, ont opté pour des lignes droites et degrands espaces, alignant des immeubles d’appar-tements de trois ou quatre étages le long de ruesaustères. Résultat : même en plein centre, on al’impression de se trouver en banlieue. Tout bien

considéré, l’ensemble dégage tout de même unecertaine puissance. “C’est plus facile pour une villed’être pittoresque quand elle n’a pas été réduite enmiettes”, commente un Brestois sourire aux lèvres.

Mais le vrai pouvoir de Brest, c’est la mer.Indifférent aux mues de la ville, l’océan est tou-jours là, vaste et immuable. Les ports de com-merce et de plaisance, tout comme l’arsenal,incarnent des possibles qui vont au-delà de l’ho-rizon. L’enchevêtrement complexe de quais, d’en-trepôts, de navires, de grues et de conteneursévoque des traversées périlleuses et des mondeslointains. C’est de cela que se nourrit Brest depuisdes siècles. “Nous sommes bretons, mais pas tantque ça, souligne mon Brestois. Notre véritablepatrie, c’est le vaste monde.” Il est donc naturelque, tous les quatre ans, le vaste monde arrive enmasse aux Tonnerres.

Penn-an-bed. Fête ou pas fête, la ville mérited’être explorée. Commencez donc par le château,perché au-dessus de la mer et de l’estuaire de laPenfeld. Cette vieille forteresse, construite surdes fondations romaines, trône aujourd’hui commeun arrière-grand-père au milieu d’une bande d’ado-lescents. Elle a survécu à la Seconde Guerre mon-diale, elle a vu la ville s’effondrer à ses pieds. Ledonjon abrite un intéressant musée de la Marine.De là vous jouirez d’un point de vue privilégié surl’imposant pont de Recouvrance et l’estuaire dela Penfeld. Ensuite, en partant du château, remon-tez le cours Dajot pour une promenade arborée au-dessus du port de commerce. A mi-chemin, unmonument phallique a été érigé pour commémo-rer l’amitié entre Brestois et Américains au coursde la Grande Guerre [de 1914-1918]. Huit cent mille soldats américains avaient débarqué ici, apportantavec eux le jazz et l’optimisme.

Après quoi, je vous recommande de quitter lapromenade et de sauter dans le tramway toutneuf qui remonte la rue de Siam (reconstruiteaprès guerre, elle est toute droite et très large)avant de prendre, au choix, deux bus. Le premierlonge le port pour vous conduire à Océanopolis,l’un des deux plus beaux aquariums de France.Sachant que Brest a un don pour l’océanogra-phie, vous y passerez une après-midi passion-nante. La visite terminée, poussez jusqu’au portde plaisance du Moulin blanc, pour prendre unverre au Tour du monde. Situé sur le port, ce bardont Olivier de Kersauson, le célèbre navigateurfrançais, est l’un des propriétaires propose éga-lement du fish and chips.

Le second bus vous mènera au vallon du Stang-Alar, un parc situé en ville qui abrite un conser-vatoire botanique d’envergure internationale. Lesserres regorgeant de plantes en voie d’extinctionsont réellement fascinantes. Rien ne vous empêcheensuite de pousser plus loin. Ce qui est bien àBrest, c’est que le “loin” est à portée de main. Aquelques minutes du centre, vous vous trouverezsur une côte sauvage et déchiquetée, en route pourla pointe Saint-Mathieu et son abbaye gothiqueen ruine du “bout du monde” (penn-ar-bed enbreton). La péninsule de Crozon, au sud, et le paysdes Abers, au nord, sont à un saut de puce. C’estdans ces contrées que la terre se termine et queles légendes commencent.

Au bout du monde, on prend l’hospitalité ausérieux. “On est bien obligés !” argumente monnouvel ami brestois. “Personne n’arrive ici parhasard. On ne peut pas ‘passer par’ Brest, puisqu’iln’y a rien au-delà. Il faut que les gens se sentent bienaccueillis. Allez, vous boirez bien une bière…”

—Anthony PeregrinePublié dans CI n° 1133, du 19 juillet 2012

XX. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013VILLE

Brest, c’est du tonnerre !TRAVERSÉE. Une ville n’a pas besoin d’être majestueuse, ni même jolie, pour être intéressante. Le journalistebritannique Anthony Peregrine en a eu la confirmationdans le grand port du Finistère.

↑ L’édition 2012des fêtes maritimesbrestoises a accueilli un millierde bateaux et plus de700 000 visiteurs.Photo AlainJoccard/AFP

La ville a été réduite à néantpar les bombardements des Alliés et par un siège dequarante-deux jours

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MONTAGNE.Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXI

—ABC Madrid

Cent éditions après sa naissance, le Tourreste fidèle à sa nature. Hommes et enginsse lancent à la conquête de territoires, de

vallées et de montagnes inexplorés. Surtout demontagnes. Les noms des cols ne changent pas.Ce sont ceux qui donnèrent au Tour une aurad’aventure et de risque lorsqu’ils furent repéréspar des baroudeurs ou des journalistes en quêtede gloire. Le Tour est indissociable de la mon-tagne. Des cols, des sommets, des colosses dissé-minés dans les Alpes, les Pyrénées, le Jura, lesVosges et le Massif central qui ne cessent de han-ter nos mémoires. Le Tourmalet, le Galibier, lemont Ventoux, l’Alpe d’Huez… sont autant delieux de pèlerinage.

Les cols du Tour symbolisent la démesure dela course. Ils propagent les histoires les plus fas-cinantes des héros de la pédale, leurs grandeurset leurs misères. Des géants solitaires, enclavésdans le relief particulier de la France, dans lesPyrénées sauvages ou dans la chaîne de mon-tagnes par excellence, les Alpes.

La montagne est présente dans le Tour depuis1905 [sa troisième édition], année où les cou-reurs escaladent le premier sommet, le ballond’Alsace. Mais c’est avec l’apparition duTourmalet, en 1910, qu’elle entre dans la légende.Ce col des Pyrénées centrales est resté coupéde la civilisation jusqu’en 1910. Cette année-là,Alphonse Steinès, un journaliste de L’Auto (l’an-cêtre de L’Equipe), s’aventure sur ce territoired’ours, de loups et de vaches dont l’existencen’était guère rythmée que par le dégel de l’été.Steinès monte par la route avec son chauffeurjusqu’à ce que la neige les empêche de pour-suivre. Le chauffeur refuse d’aller plus loin etle journaliste continue le chemin à pied. Le len-demain, il passe la tête de l’autre côté de la mon-tagne. A Barèges, un merveilleux village que lecol du Tourmalet sépare en deux moitiés sur leversant ouest, il envoie un télégramme à sonchef, l’organisateur du Tour, Henri Desgrange.“Passé Tourmalet. Stop. Très bonne route. Stop.Parfaitement praticable. Stop.” Ce jour-là, le Tourentre dans l’âge adulte. Pour l’édition de 1910,le parcours du Tour inclura quatre colosses

← Tremulus rures suffragaritumbraculi.tremulus ruressuffragarit umbraculi.tremulusrures suffragarit umbraculi. Photo Nom Prénom/Agencemontagne

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXI

A l’assautdes cols du Tour de FrancePIGNONS. La Grande Boucle ne serait pas ce qu’elle est sans le Tourmalet, le Galibier, le Ventoux, l’Alpe d’Huez et tant d’autres.Retour sur les lieux où s’est bâtie la légende.

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—The Guardian Londres

V ingt-sept heures après le départ de lacourse à pied la plus dure du monde, leschoses commencent à devenir vraiment

intéressantes. L’épreuve physique, je m’y étaispréparé, mais les tourments mentaux me prennent par surprise. A minuit, tandis que jegrimpe un sentier forestier, ma torche frontalefait apparaître des formes reptiliennes qui secontorsionnent, des visages menaçants et… despersonnages de dessin animé. Devant moi, uncoureur qui monte en traînant les pieds fait desmouvements de surprise comiques, manifeste-ment en pleine hallucination lui aussi. Lorsqueje m’approche, sa lampe éclaire à notre gaucheun buisson bas et épais, et comme un seulhomme nous bondissons de l’autre côté. Im-possible de se méprendre  : assis là, dans unmanteau bleu vif, c’est Pluto. Bienvenue dans lemonde de folie de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc !Est-ce réellement la course à pied la plus dure du

XXII. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013MONTAGNE

168 kilomètres autour du Mont-BlancDÉFI. L’Ultra-Trail du Mont-Blanc est l’épreuve suprêmede la course à pied. En 2009, le journaliste Duncan Craig a tenté l’aventure avec deux amis. Il raconte.

qui sont encore aujourd’hui le décor magiquedes batailles cyclistes : les cols d’Aubisque (cetteestafilade sinueuse), de Peyresourde, d’Aspinet du Tourmalet.

Dans le sud-est de la France se dressent desmontagnes majestueuses. Le mont Ventoux estle géant de la Provence. Sa cime pelée caracté-ristique aux allures de cratère lunaire a vu mourirTom Simpson, leader du Tour 1967, sous l’effetdes amphétamines et de l’alcool. Plus à l’est sedresse le Galibier, phare du Tour et des Alpes.Depuis Valloire, ce sont 50 kilomètres dans lemonde des marmottes, des aigles et du vent vio-lent. La Madeleine, la Colombière et d’autrescols reliant entre elles les vallées des Alpes sontautant de succédanés du Galibier.

Ces montagnes évoquent un cyclisme couleursépia. La modernité a un autre sanctuaire, l’Alped’Huez. Les coureurs l’ont escaladée pour la pre-mière fois en 1952, et pour ladeuxième en 1976. Plus de400 000 personnes se don-nent rendez-vous chaque étéle long de ses fameux vingt etun lacets, 13 kilomètres débor-dant de couleur et de vie àpartir du Bourg-d’Oisans. Les aficionados doi-vent prendre place dès la veille du passage dupeloton, et il leur faut une bonne dose de patiencepour redescendre ensuite du sommet. Il faut pasmoins de quatre ou cinq heures pour arriver auvillage. Un petit désagrément qui ne fait qu’ac-croître l’enthousiasme pour le Tour.

—José Carlos J. CarabiasPublié le 26 juin

“Passé Tourmalet. Stop.Très bonne route. Stop.Parfaitement praticable. Stop”

↑ La montée de l’Alpe d’Huez et ses légendaireslacets (Tour 2011). Photo Mons/Presse Sports

monde ? En tout cas, cette orgie annuelle de maso-chisme en fait voir de toutes les couleurs à ceuxqui y participent. Le parcours fait le tour du massifdominé par le sommet le plus élevé d’Europe ; iltraverse trois pays sur 168 kilomètres de long et9 600 mètres de dénivelé positif, le tout dans unétat de manque de sommeil chronique et par destempératures allant de – 10 °C à 30 °C. Une épreuvequi promet de faire mal.

Alors pourquoi s’y risquer ? Ni Blake ni Cal, lesdeux amis qui ont eu cette idée folle, ni moi-mêmene sommes des coureurs au sens strict. Avant, nousn’avions jamais parlé de temps intermédiaires, niporté de Lycra, à moins que ce fût absolumentnécessaire. Mais, mus par la même vague envie denous lancer dans ce défi qui allait nous mener dansles Alpes, nous avons participé à plusieurs mara-thons et courses à étapes, qui nous ont rapportésuffisamment de points pour participer à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc.

Une atmosphère de fête nous accueille àChamonix, point de départ et d’arrivée de la course.

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LOUISE CORRADINI,correspondante du quotidienargentin La Nación.

Gardiens d’Auvergne● C’est l’une des plus anciennes et plusbelles routes historiques de France, et pourtant on a l’impression que lesFrançais l’ont délaissée pour lui préférerd’autres lieux plus mondains.Dommage, car la route des châteauxd’Auvergne est un fascinant fleuron des différentes périodes architecturaleseuropéennes. Témoin de l’Histoire,gardien de trésors et d’œuvres d’art,chacun d’eux constitue un symboleparticulier et unique de la laborieuseconstruction de la “nation France”.Souvent perchés sur leur éperonrocheux, ils dominent fièrement lesvallées et offrent de superbes panoramassur des alentours d’une beautéépoustouflante. Parfois installés juste en plaine, ils sont encore vivants,entretenus par l’effort quotidien de nouveaux propriétaires arrivés de loin, attirés par le rêve planétaire de devenir un jour châtelain.Si vous êtes tenté, n’hésitez pas : passezpar Moulins, dans l’Allier. La cathédraleabrite le plus beau chef-d’œuvreauvergnat : un triptyque dont la grâce n’a d’égal que le mystère. Les spécialistesy voient un tournant dans l’histoire de l’art, entre le Moyen Age et laRenaissance. Mais c’est plus que cela :vous y verrez la beauté à l’état pur.

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXIIIMONTAGNE.

A sa septième année d’existence [en 2009], l’évé-nement, déjà gigantesque, domine le dernier week-end d’août. Des participants sveltes et au visageburiné arpentent la ville avec leurs vêtements techniques et leurs barres vitaminées. Nous avonsle sentiment d’être des imposteurs. Nous allonsparticiper à la reine des courses longue distance,et tout notre matériel ou presque porte encore l’étiquette du prix.

Vendredi, en fin de journée, toute la ville convergevers la place pour nous encourager – 2 600 cou-reurs entourés d’une foule animée, dix fois plusnombreuse, agitant des cloches de vache.Impressionné par cette ferveur, qui semble pro-portionnelle à ce qui nous attend, j’ai l’estomacqui se noue. Puis, au son des Chariots de feu deVangelis, nous partons. Les premiers kilomètressont plats, faciles et marrants, mais personne nese fait d’illusions. C’est certain, la première montéen’est pas très loin.

Désintégration mentale. Saint-Gervais, à1 000 mètres en contrebas du sommet, est unbon endroit pour observer la course et les ribam-belles de torches frontales qui descendent la mon-tagne telles des guirlandes lumineuses. Nousarrivons à notre premier point de ravitaillement :on nous distribue gâteaux, biscuits, soupe, Cocaet fromage. Nous nous gavons, notre énergieremonte, notre moral aussi.

Aux Contamines, 11 kilomètres plus loin, nousattend la première barrière horaire, un des douzepoints de disqualification des coureurs hors délai.Mon souvenir d’une grande partie de ce qui suitest obscurci par l’épuisement. Je me souviens del’aube pointant tandis que nous courons à traversle brouillard au col de la Seigne, à 2 530 mètresd’altitude. Il révèle une vue époustouflante sur lemassif, le mont Blanc couronné de neige, entouréde sa garde de pics dentelés. A mi-parcours,Courmayeur est aussi exceptionnel. D’abord parla chaleur qui nous accable à la descente vers cettemagnifique localité italienne, ensuite par les pointsde ravitaillement installés dans des gymnases, quiressemblent à des abris d’urgence improvisés aprèsune catastrophe naturelle.

Le processus de désintégration mentale s’en-clenche lors de l’interminable descente du grandcol Ferret. Puis viennent les hallucinations. Nousdevons nous reposer. Avec un plaisir pervers, à

l’agonie, nous accélérons, puis, à Champex-Lac,quatre heures plus tard, nous avons suffisammentd’avance pour nous accorder un somme de vingtminutes. Marchant maladroitement, sur la pointedes pieds, entre les rangées de coureurs endormis,nous trouvons trois matelas libres. Après ce quim’a semblé durer vingt secondes, mon réveil sonne,la tente est vide. Rassemblant tout ce qu’il nousreste de volonté, nous retournons clopin-clopantdans la froide forêt. Il est 2 h 51 du matin – nouséchappons de neuf minutes à la disqualification.

L’aube nous trouve en train de courir dans l’al-page de Bovine, profitant d’une vague inespéréed’adrénaline. Nous avançons, nous nous shootonsau sucre, nos réserves s’épuisent. Trient, Catogne,Vallorcine. Près d’Argentière, nous croisons la routede la vallée : 8 kilomètres de plat jusqu’à Chamonix.Mais les organisateurs de la course ont eu une autreidée : loin au-dessus de nous, nous apercevons desmyriades de points lumineuxgravissant le versant à pic ducol des Montets. Nous couronsdepuis quarante et une heures,mais ils n’en ont pas encore finiavec nous.

Dans mon esprit, la descentefinale devait être une proces-sion triomphale. En fait, lapanique s’empare de nous et nous faisons un effortsurhumain pour atteindre la ligne d’arrivée, àChamonix, avant 16 h 30. Un échec à ce stade seraittrop horrible. Nous sortons des bois pour nousretrouver à la lisière de la ville. Et là, la plus doucedes musiques : une horloge lointaine sonne non-chalamment 16 heures. Nous allons y arriver.

Le centre-ville est tel que nous l’avons quitté,noir de monde, bruyant, profondément absorbépar le spectacle en cours. Les concurrents étantdispersés et décimés (la moitié d’entre eux ne ter-mineront pas), nous sommes sous les feux de larampe. La foule se masse autour de nous pouracclamer nos exploits, dans un vacarme de clochesde vaches, de mégaphones et de pancartes publi-citaires que l’on martèle. Nous répondons par unsprint, oublieux de la douleur, des larmes plein lesyeux, pas tout à fait certains que la ligne d’arrivéesoit réelle, qu’il ne s’agisse pas d’une nouvelle hal-lucination, que nous ayons réussi.

—Duncan CraigPublié dans CI n° 1111, du 16 février 2012

← Col de la Youlaz(2 661 mètres), au-dessus de Courmayeur(Italie). Photo PascalTournaire/Ultra-Trail du Mont-Blanc

Les premiers kilomètressont plats, faciles etmarrants, mais personnene se fait d’illusions. C’est certain, la premièremontée n’est pas très loin

POSTALECARTE

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SANTIAGO ROSERO,photojournaliste équatorienindépendant, il travailleactuellement à Paris pour RFI.

Olargues commedans un contefantastique● La nuit tombait et la sobriété rustiquedu village prenait peu à peu des airs defête. Sur les façades de pierre rugueuses,des villageois avaient installé des guirlandes de papier et des fanionsqui claquaient au vent. La scène montéesur la place principale était prête pour le début du festival de musique, qui durerait trois jours. Dans la nuitdu 10 au 11 août 2009, le décor médiévald’Olargues, une petite commune perchéeau sommet d’une colline rocheuse dudépartement de l’Hérault, dans la régionLanguedoc-Roussillon, semblait habitépar un esprit fantastique. Les dizaines de hippies voyageurs qui avaient garéleur camping-car sur les rives du Jaur, la rivière qui cerne presque entièrementle village, se sont lancés dans une sériede tours d’adresse et se sont mis à cracher du feu comme dans un rituelsauvage d’hypnotisme collectif.La nuit s’est poursuivie avec le vacarmedes feux d’artifice et la fanfare, quidonnaient envie de s’abandonner à la fièvre ambiante. Comme une partiedes 600 habitants d’Olargues et plusieurs dizaines d’autres touristes, je me suis retrouvé, à l’aube, à respirer la brise tiède du Jaur. Avec la sensation d’avoir vécu un moment digne d’un récit de Tolkien.

dissipent. A l’aide d’un faisceau laser aussi finqu’une aiguille, Patrick perce l’obscurité pour indi-quer les constellations : la Grande Ourse, la PetiteOurse, le Sagittaire avec sa solide ceinture, le Lionallongé, le Grand Chien tenu en laisse. Il nousmontre un foyer où bientôt naîtront des étoiles.Nous observons l’étoile Polaire, les cheveux deBérénice, une galaxie qui chavire et une sorte desombrero contenant 500 000 étoiles.

La présence d’êtres humains sur le pic du Midiest tout aussi extraordinaire. L’aventure commenceen 1870, avec le comte Charles Champion deNansouty, général français dégradé après avoirrefusé, à Toulouse, de faire tirer sur des manifestants[des insurgés de la Commune de 1871]. Avec l’in-génieur Xavier Vaussenat, il forme le projet d’ins-taller une station météorologique sur le pic duMidi. Des hommes de la vallée montent des pierressur leur dos pour la construction de ce premierobservatoire primitif. C’est le début de ce qui setransforme peu à peu en un château dans le ciel.Bien plus tard arriveront de grandes antennes pourla téléphonie mobile, la télévision et les commu-nications militaires. Les dix coupoles des télescopesse dressent sur le plateau comme autant de tourellescuirassées. Dans les années 1950 et 1960 a été ins-tallé un télescope de 1 mètre de diamètre, qui apermis à la Nasa de préparer le premier alunissage.Depuis, tout cela est devenu est un jeu d’enfant.

Chambres impeccables. Il y a cinquante ans,le gouvernement – qui, avec l’université de Toulouse,était propriétaire de l’observatoire – a envisagé dele fermer. A l’instar de notre petite équipe de 18 per-sonnes, les centaines de milliers de visiteurs quiviennent chaque année ont permis de sauver cesite magnifique. A l’issue d’une rénovation qui acoûté 40 millions d’euros, le pic a été ouvert auxtouristes en l’an 2000. La plupart des visiteurs viennent dans la journée pour profiter de la vue et visiter le musée le plus haut d’Europe. Mais, depuis2006, le Pic peut aussi héberger chaque nuit quelquesheureux. Les chambres sont impeccables même si,de toute façon, on n’arrive pas à dormir.

Le lendemain matin, sur le grand pont d’obser-vation, nous assistons à un lever de soleil inoubliable.Au loin, un grand trait rouge chasse les dernièresétoiles. Les sommets sortent de leur sommeil, lescouleurs reviennent.

—Ariejan KortewegPublié dans CI n° 1130, du 28 juin 2012

XXIV. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013MONTAGNE

Un châteaudans le ciel

INFINI. Depuis 2006, il est possible de passer la nuitau pic du Midi de Bigorrepour contempler les étoileset la chaîne des Pyrénées.Une expérience inoubliable.

DE VOLKSKRANT Amsterdam, Pays-BasQuotidien, 230 000 ex.www.volkskrant.nl

Né catholique militanten 1919, “Le Journal du peuple” défendaujourd’hui une ligneprogressiste, bien quebeaucoup se plaignentde sa “dérive”populiste. Sur le web, il a su créer une vraiecommunautéd’internautes via des blogs ouverts à tout le monde.

SOURCE

→ A presque3 000 mètresd’altitude,l’observatoire du pic du Midi doit sa réputation à la qualité de son ciel.Photo AlexandreGelebart/RÉA

—De Volkskrant Amsterdam

Ce soir, nous sommes dix-huit dans levaisseau des étoiles, l’effectif maximalautorisé à passer la nuit au pic du Midi

(2 877 mètres). Il y a une heure, dans le téléphé-rique suspendu à un câble d’acier 350 mètres au-dessus du vide, nous regardions approcher dansun silence stupéfait cette curieuse bâtisse, im-mense château dans le ciel qui coiffe ce sommetpelé des Pyrénées. Il y a encore de la tension dansl’air, le pic est impressionnant. Patrick, notreguide, demande à chaque instant si tout le mondese sent bien. Ici, le mal des hauteurs est un phé-nomène fréquent. Sur le badge que nous devonsporter est inscrit un numéro d’urgence, au cas où.“Il y a 30 % d’oxygène en moins dans l’air, dit-il.Vous n’allez sans doute pas bien dormir cette nuit.Ça tombe bien, nous allons regarder les étoiles.”

Au sommet du pic du Midi, il peut faire jusqu’à– 30 °C. Mais ce soir il fait seulement – 5 °C. Lescimes blanches des montagnes brillent sous lesétoiles. En contrebas scintillent les lumières jaunesde Bagnères-de-Bigorre et, bien plus loin, de Tarbes.Le bruit des vallées ne monte pas jusqu’ici. Patrickbraque le télescope sur la première cible, au basdu ciel, à l’est. Tour à tour, nous observons Saturne,élégamment drapée dans son large anneau. Cesera la première des nombreuses images mer-veilleuses qui se dévoileront sous nos yeux cettenuit. Comme par enchantement, les nuages se

POSTALECARTE

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“Mais il y a aussi des gens qui viennent en train pourfaire du ski”, précise Martin. On vient les cherchercomme jadis, en traîneau à cheval. Il y a des confé-rences Kipling et des festivals Casals. La région aretrouvé sa fierté et le Train jaune en est l’enseigne.Il devrait bientôt être inscrit au patrimoine cul-turel mondial par l’Unesco. Beaucoup d’honneurpour ce petit train de la SNCF qui rapporte ungrand prestige, mais pas de bénéfices.

Les passagers s’en moquent. Ils sont fascinéspar cette ligne, l’une des plus spectaculaires d’Europe.Les appareils photo crépitent lorsqu’on passe surle pont Séjourné, l’aqueduc de pierre. Les voya-geurs regardent en frissonnant le fond de la valléede la Têt quand on franchit le pont Gisclard, unpont suspendu. Après Font-Romeu, Luc Bresse n’a plusgrand-chose à faire. Le hautplateau de la Cerdagne estencadré par les imposants som-mets des Pyrénées, mais il n’ya pratiquement plus personneà bord pour les contempler.

Josiane Vila est installée à Bourg-Madame, peuavant le terminus. Elle vend des billets pour leTrain jaune, qui s’arrête quatre fois par jour dansle bourg. Aucun autre train n’a jamais roulé surcette voie étroite. Ce doit être d’un ennui mortel,non ? “Mais non !” répond en riant Mme Vila, unedame toute ronde. Elle vend des billets pour toutela France, explique-t-elle. Si on veut aller à Paris,on doit commencer par partir d’ici pour rejoindrela grande gare la plus proche. Le Train jaune estdonc aussi une porte sur le monde.

—Sven WenigerPublié dans CI n° 1130, du 28 juin 2012

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXVMONTAGNE.

—Süddeutsche Zeitung Munich

Le jogging de Luc Bresse commence à Olette.L’avertisseur du train hurle. C’est le départ.Luc Bresse bondit sur le quai en pente et

se met à courir. “Mesdames, messieurs, par ici !”lance-t-il au groupe de randonneurs qui veutmonter dans la dernière voiture, cent mètres plusloin. “Tout est plein en queue de train, devant il y aencore de la place, explique-t-il. Et il n’est pas pos-sible de changer de voiture quand le train roule.” Ildirige le groupe vers l’avant. Puis il referme lesportes de la voiture, vérifie si elles sont toutesbien fermées, remonte à nouveau le quai, lesouffle déjà un peu court, et donne un coup de sif-flet. Attention au départ ! Luc Bresse, le contrô-leur, regarde encore une fois en arrière – tout vabien, le quai est vide. Il se hisse à nouveau dans lalocomotive. Alain Poitou, le conducteur, actionneà nouveau l’avertisseur. 14 h 10, on repart.

Les moments de frénésie comme celui-ci sontrares avec le petit Train jaune. Ils n’arrivent quequand le train s’arrête dans une de ces minusculesgares surgissant brusquement au détour d’un rocherde granit des Pyrénées, et seulement quand unpassager l’a demandé en embarquant à Villefranche-de-Conflent ou s’il y a des gens qui attendent. Lesarrêts fixes, il n’y en a qu’une poignée sur les deuxdouzaines de gares que compte la ligne. A cemoment-là, Luc Bresse doit vendre les billets,contrôler les voitures, assurer la sécurité des voya-geurs. Un seul homme pour tout faire.

Le Train jaune est un train tranquille. Lorsqu’ilse lance, pour son ascension de 1 000 mètres, àl’assaut de la montagne à partir de Villefranche,on dirait de loin un ver étincelant se faufilant mol-lement dans la verte vallée de la Têt. Six voiturescouleur canari à bandes rouges, l’une d’entre ellesdécouverte comme une calèche, se hissent au-dessus de la rivière à travers les forêts du Roussillon– rarement à plus de 30 km/h. Le Train jaune mettrois heures pour parcourir les 63 kilomètres quimènent au terminus, à la frontière espagnole.

Le Train jaune est un phénomène : c’est le trainle plus haut perché de France. Il a cent ans. Exploittechnique d’une importance vitale pour la régionà ses débuts, puis relique dépassée présumée morte,il est aujourd’hui incontournable, synonyme del’histoire de toute la contrée.

Au milieu du XIXe siècle, le commerce de la laineet les mines battaient de l’aile dans les Pyrénées-Orientales. Il fallait trouver une activité de rem-placement. Cette région montagneuse pauvrecomptait certes des thermes depuis l’époqueromaine, mais seuls les plus riches pouvaient sepermettre de dépenser du temps et de l’argent

pour leur santé. De plus, le voyage depuisla côte méditerranéenne était pénible. Ilfallait plusieurs jours de train pour gagnerVillefranche à partir de Perpignan et, unefois arrivés, les curistes devaient encorecahoter par monts et par vaux pendantdes heures pour parvenir finalement auxeaux bénéfiques de Vernet-les-Bains,voire de Font-Romeu, là-haut dans laCerdagne, où l’air cristallin et l’enso-leillement appelaient au thermalismeet aux sports d’hiver. Seule la construc-tion d’une ligne de chemin de fer à travers ce territoire inaccessible pro-mettait une solution. C’est la pers-pective d’attirer des étrangers dans larégion qui mit le train sur les rails, audébut des années 1920.

L’historienne Martine Boher s’identifie commetout le monde au Train jaune – qu’elle a rebaptisé“le métro des Pyrénées”. Elle a étudié l’impact dece moyen de transport, qui présentait à l’époqueune authentique “technologie d’avant-garde”, etelle souligne : “Ce train a donné naissance à deuxgrands hôtels de luxe, l’un à Vernet-les-Bains, l’autreà Font-Romeu.” Cela a fait venir des voyageurs detoute l’Europe, ils grimpaient dans les montagnespar le Train jaune, puis se faisaient conduire entraîneaux tirés par des chevaux jusqu’à leur rési-dence. Cela n’a pas tardé à se savoir.

“Le vice-roi d’Egypte a passé de bons momentsici”, raconte l’historienne. Des écrivains commeRudyard Kipling et Hans Christian Andersen ontaussi séjourné dans la région. [Le musicien] PabloCasals est venu s’y réfugier pour fuir la guerre civileespagnole. L’élan économique fut suivi d’un élanculturel, et les gens furent à nouveau fiers de leurCatalogne, qu’ils voyaient passer tous les jours. Letrain arbore en effet depuis le début les couleursde la Catalogne, qui s’étendait jadis loin à l’inté-rieur de la France.

Pas de bénéfices. “La Seconde Guerre mondialea failli tuer le Train jaune”, poursuit Martine Boher.Les touristes ne venaient pas, on avait d’autressoucis. La ligne faillit être supprimée. Ce sont lespaysans de la Cerdagne qui l’ont sauvée : ils pre-naient le train pour aller au marché aux bestiauxde Saillagouse et pour descendre dans la vallée enhiver, quand tous les chemins étaient enneigés.

“Depuis qu’il y a des routes modernes, la plupartdes gares sont désaffectées”, explique Frank Martin,qui récupère des passagers à Font-Romeu, où ilorganise des randonnées. Presque tous les voya-geurs descendent ici. La ville attire les randon-neurs et les amateurs de VTT en été et en automne.

Les Pyrénées catalanes à bord du petit Train jaunePERCHÉ. C’est l’une des lignes les plus spectaculairesd’Europe. Empruntée aujourd’hui essentiellement par les randonneurs, elle a contribué par le passé à désenclaver la vallée encaissée de la Têt.

De loin, on dirait un ver étincellant qui se faufile mollement dans la vallée

↑ Le Train jaune,surnommé le Canari, a récemment célébréson centenaire. Photo RaymondRoig/AFP

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—El País Madrid

Sur le versant français des Pyrénées, leHaut-Couserans, dans l’ouest de l’Ariège,conserve la trace de nombreuses légendes

se rapportant à l’ours brun. Il y a quelques dé-cennies encore, dans les villages, les anciens enseignaient aux enfants quoi faire s’ils se trou-vaient nez à nez avec un ours. Approchez-vousde l’animal avec respect et courtoisie, leurconseillaient-ils, car, c’est bien connu, l’ours est levieux roi des montagnes, très sensible au proto-cole et aux bonnes manières. S’adresser à lui avecpolitesse, sans hurlements ni simagrées (et a fortiorisans lui jeter des pierres ni s’enfuir en courant, cequi l’offenserait), était censé être la seule façon desortir indemne d’une pareille rencontre.

Mais tout cela, c’était à une époque où la coha-bitation entre l’homme et cette fabuleuse bêtesauvage était encore relativement harmonieuse.En moins d’un siècle, à force d’être sans cesserepoussés hors de leur habitat naturel et chasséssans retenue, les ours bruns autochtones se sontretrouvés au bord de l’extinction. Dans ces régionsde haute montagne aux confins de l’Espagne, dela France et de l’Andorre, il ne reste aujourd’huiqu’une vingtaine d’individus. S’ils n’ont pas tota-lement disparu, c’est parce que l’Etat français

s’est attaché, entre 1996 et 2006, à réintroduireplusieurs ours venus de Slovénie. Une mesurecontroversée à l’époque, et encore aujourd’hui,qui oppose les éleveurs et les agriculteurs auxassociations de protection de l’animal.

Un peu partout, des Abruzzes aux montsCantabriques en passant par les Pyrénées, depetits musées ruraux entretiennent le souvenirde l’ours brun tel qu’il vivait avant que les acti-vités humaines ne le repoussent dans les zonesles plus reculées de son royaume. L’un de cesmusées, et sans doute le plus pittoresque de tous,dans le village d’Ercé, en Ariège, ouvre ses portespendant la saison touristique. Sa visite est l’undes nombreux attraits qu’offre ce petit coin pri-vilégié des Pyrénées. Les paysages, dans l’ombredu mont Valier et du versant nord des Pyrénées,méritent à eux seuls le voyage, mais il y a aussiles châteaux et les villages médiévaux, les ves-tiges de l’épopée cathare, les villes thermales, lessports d’aventure, les grottes ornées de peinturesrupestres de la préhistoire, l’artisanat et l’exquisecuisine traditionnelle. L’Ariège est une région oùil fait bon se perdre, pleine de magie et de carac-tère, marquée par une conception bien particu-lière du temps qui passe.

Au XIXe siècle, ces vallées étaient bien plus peu-plées qu’aujourd’hui. La rudesse de la vie avait

stimulé l’ingéniosité des Ariégeois, qui n’hési-taient pas à exercer des métiers périlleux, telcelui de porteur à travers les hauts cols pyrénéens.Une autre profession singulière était celle d’orsalhèr– “montreur d’ours” en occitan. La capture, ledressage et l’exhibition de l’ours brun c onstituentune activité qui remonte au Moyen Age et unelointaine tradition chez les Tsiganes d’Europede l’Est. Comme nous le montre le musée d’Ercé,des habitants de la vallée de l’Alet, autour d’Ustou,et plus tard ceux des vallées du Garbet et duHaut-Salat, poussés par la nécessité, se mirentà la recherche des tanières d’ours pour capturerdes oursons. Une fois dans les villages, les petitsétaient soumis à un apprentissage long et ardupar leurs maîtres, qui, plus tard, allaient les exhiber sur les foires et les marchés des deuxcôtés de la frontière. “Que l’ours danse !” criait-onpour encourager ces artistes itinérants. L’oursse mettait debout sur ses pattes arrière, dansaitau rythme des tambourins, adoptait des attitudespresque humaines, stupéfiant ou ravissant les spectateurs, qui récompensaient souvent le duode quelques pièces.

De l’Ariège à New York. Fait étonnant, nonseulement cette activité fut prospère au pointde donner naissance à Ercé à une authentiqueécole des ours, mais les exhibitions s’exportè-rent vers d’autres pays d’Europe, et même enAmérique au début du XXe siècle. Des orsalhèrsariégeois transformèrent leurs exhibitions iti-nérantes en véritables spectacles qui leur valu-rent de se produire dans les plus grands cirquesdes Etats-Unis ; et peu à peu un flux migratoires’organisa entre cette vallée perdue des Pyrénéeset New York. Il y a même dans Central Park un“roc d’Ercé”, où se retrouvaient les émigrés venusdu Garbet. Plus tard, le déclin des grands cirquesles conduisit à abandonner leur métier pour tra-vailler dans la restauration et l’hôtellerie.Aujourd’hui, à New York, plusieurs restaurantsrenommés appartiennent encore à des descen-dants d’émigrés ariégeois.

Dans les offices du tourisme de ces vallées pyré-néennes, en même temps que les brochures etles cartes utiles pour organiser sa randonnée enhaute montagne, on vous remet un dépliant com-portant les instructions à suivre en cas de ren-contre inopinée avec un ours – éventualité peuprobable étant donné le faible nombre d’oursbruns et leur timidité naturelle. Mais la possibi-lité d’une telle rencontre existe bel et bien. Elleest là, tapie au coin du bois, et les conseils donnésautrefois aux enfants n’ont rien perdu de leur bonsens et de leur sagesse : ne pas avoir peur, ne pascrier ni courir, ne pas se mettre sur le chemin del’ours, qui, le plus souvent, nous repère à l’odeuret cherchera à nous éviter. Mieux vaut lui parlercalmement, ou bien chanter, ou siffler un air.

J’ai essayé… Je me suis imaginé en balade dansune de ces forêts denses tout droit sorties d’unconte, me retrouvant face à un ours brun dressésur ses pattes arrière de toute sa taille imposante,et je vous jure qu’aucune chanson ne m’est venueà l’esprit. Je ne suis même pas sûr que j’arrive-rais à articuler le moindre petit sifflement apai-sant. Dans cette scène, je me vois muet, paralysé,sans autre réaction que l’espoir que le roi auraenvers nous la magnanimité et la compassionque nous n’avons pas eues pour lui.

—Juan Miñana*Publié dans CI n° 1130, du 28 juin 2012

* Romancier espagnol, auteur de Des nouvelles du monde réel (Calmann-Lévy, 2007).

XXVI. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013MONTAGNE

Au pays des montreurs d’ours

TRADITION. A Ercé, dans l’Ariège, un petit musée évoque le temps où l’homme et le plantigrade cohabitaientharmonieusement dans les Pyrénées. Visite commentée par l’écrivain espagnol Juan Miñana.

EL PAÍSMadrid, EspagneQuotidien, 370 000 ex.www.elpais.com

Considéré comme une institution, ce grand quotidienproche des idéessocialistes traverse une crise qui a poussévers la porte132 journalistes, soit presque le tiers de la rédaction, dont certaines de ses grandes plumes.

SOURCE

↑ Dans les Pyrénéesen 1910. La populationd’ours ne compte plusaujourd’hui qu’unevingtaine d’individus.Photo Jean-FrédéricIttel/AFP

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Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXVIIcampagne.

—De Volkskrant Amsterdam

Quiconque a traversé la France en voitureconnaît ce spectacle : des villages appa-remment désertés, tous volets fermés ; la

vitrine du boulanger est vide, le Café des Sports està vendre, l’enseigne de la pharmacie est éteintedepuis longtemps. Un chat se faufile entre les mau-vaises herbes, et en dehors de lui pas âme qui vive.Y a-t-il encore des gens ici et, si oui, où vivent-ils ?

La France, qui est quatre fois plus peuplée queles Pays-Bas, est recouverte d’un fin maillage decollectivités : elle compte 36 568 communes, alorsque les Pays-Bas n’en ont plus que 408. La cam-pagne française est piquetée de villages et dehameaux qui ont chacun leur mairie et leur poste.Le colza s’agite dans la brise printanière, les vachespaissent sous les arbres. Derrière cette façade pai-sible, une lutte impitoyable : celle de la survie dansla campagne française. “Finalement, c’est une ques-tion de qualité de vie”, explique le maire, GillesBossebœuf, en trempant son filet de poisson dansla sauce au curry. “Avec un restaurant dans le village,il y a de l’activité. L’épicier est plus tenté de rester, le

garagiste aussi. Les gens ont moins envie de déména-ger, et pour les nouveaux arrivants c’est plus attirant.”

Nous sommes assis dans la toute nouvelle sallede restaurant de L’Hortense, à Champagné-Saint-Hilaire, un village d’à peine un millier d’habitantsà mi-chemin entre Poitiers et Angoulême. La cou-leur verte choisie pour le décor forme un contrastejoyeux avec les vieilles pierres, les nappes des tablessont de couleurs vives, et dans le coin réservé auxenfants on joue. Manifestement ça se sait : onmange bien à L’Hortense ; alors que loin à la rondetout semble à l’abandon, l’établissement est bondé.La gérante du restaurant, Delphine Bouderaoui,30 ans, ne cesse d’aller et venir. Son mari, Halim,43 ans, est en cuisine. Il trouve tout juste le tempsde venir nous demander si tout va bien.

Le maire Gilles Bossebœuf, 65 ans, a fait toutesa carrière professionnelle dans de grandes entre-prises : Philips, Bull, Michelin, Kleber. Quand il apris sa retraite, en 2008, il s’est installé dans le vil-lage de sa jeunesse. Il a été élu maire, il a rénovéla mairie et la bibliothèque, fait construire un espaced’exposition, fait installer le Wi-Fi sur la place duvillage et commandé une centrale électrique

← Tremulus rures suffragaritumbraculi.tremulus ruressuffragarit umbraculi.tremulusrures suffragarit umbraculi. Photo Nom Prénom/Agencecampagne

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXVII

Il faut sauver le “Café des Sports” !DÉSERTIFICATION. Dans certainescommunes rurales, le maire et sesadministrés s’organisent pour empêcher ledernier commerce de disparaître. Reportageen Poitou-Charentes et en région Centre.

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CAMPAGNEXXVIII. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013

DouceursbourguignonnesPROMENADE. D’Auxerre à Cluny, un journaliste espagnol a écumé la Bourgogne et savouré ses multiples nourrituresterrestres et spirituelles.

solaire. Pendant ce temps, il voyait d’un regardattristé vivoter le Café des Sports, sur la place duPuits, juste en face de la mairie. “Les propriétairesavaient des problèmes de santé, raconte-t-il. La der-nière année, le chiffre d’affaires était inférieur à8 000 euros.” Ils se sont montrés disposés à céderleur gigantesque local à prix d’ami à la municipa-lité. C’est ainsi que Champagné-Saint-Hilaire estdevenu propriétaire d’un café-restaurant.

Mais où trouver des gérants qui ont envie dereprendre un restaurant sans clientèle à la cam-pagne ? Un appel lancé lors d’un SOS Villages, uneémission télévisée très suivie sur TF1, consacréeà la désertification des zones rurales, a apportéune solution. Les Bouderaoui, un couple de LaRochelle, se sont avérés être les meilleurs candidats.“Un couple tout à fait charmant”, estime le maire.

Allure citadine.“On travaille très dur, mon mariet moi”, confie Delphine Bouderaoui, une fois quele dernier client du déjeuner est parti. “Souvent,on ne termine qu’à 3 heures du matin. Mais ça marche,les gens viennent de partout. Nous avons été très attentifsau décor. C’est pour cela que le restaurant ne s’appellepas Chez Delphine ou ce genre de nom de la cam-pagne. Il lui faut une allure citadine. Les gens sont trèsexigeants ici. On n’a pas droit à une deuxième chance.”

“Je considère cette expérience comme un tremplin”,dit Halim, qui était cuisinier à La Rochelle et aime-rait monter sa propre affaire. “Si ça marche bien ici,nous voulons ouvrir une deuxième affaire ailleurs. Lechiffre d’affaires des trois premières semaines est supé-rieur à ce qui était réalisé auparavant en un an.”

Champagné-Saint-Hilaire n’est pas un cas isolé.Dans de nombreux villages, la municipalité sedémène pour garder le dernier commerçant. Uneréponse typiquement française au dépeuplementdes zones rurales : ce n’est possible que dans unpays où le citoyen a l’habitude que les pouvoirspublics trouvent une solution à tout.

Les choses ne se passent pas toujours facile-ment. A Loché-sur-Indrois, près de Tours, le café-restaurant Chez Maria, au bord de la rivière, est àvendre depuis deux ans. Maria elle-même, péru-vienne de naissance, est trop malade pour servirau bar. Son mari, Joël Hamelin, 64 ans, fait en sorteque le café continue de tourner. “J’ai voyagé par-tout dans le monde pour mon travail chez Alcatel”,raconte-t-il en essuyant les verres. “Alors vous pouvezvous imaginer qu’on se sente prisonnier ici. En été, çava. Nous avons la foire aux escargots, et le jeudi il y ale marché. Mais l’hiver c’est mort. Si je suis ici, c’estpar devoir conjugal.”

Loché-sur-Indrois, 512 habitants, ne veut pasperdre son café. L’an dernier, une pétition a étélancée pour demander à la municipalité d’acqué-rir Chez Maria. “Nous envisageons d’en faire un mul-tiservices”, dit le premier adjoint, Nil Jensch. “Avecune épicerie, Internet, des services. Le local coûte envi-ron 100 000 euros, et il faudra le rénover. C’est beau-coup d’argent, mais parfois les impôts servent à deschoses moins nobles. Un village sans commerce est unvillage qui meurt.” Une petite dame avec une canneentre chez Maria et commande un diabolo menthe.“Nous sommes encore là”, dit-elle, satisfaite. Dansle coin repas, un client se plaint de n’avoir quetrois œufs dans son omelette au lieu de quatre.“Nous restons ouverts jusqu’à ce que la vente soitconclue”, dit Hamelin, après avoir apporté un œufsupplémentaire au client. “C’est ce qui a été convenu.S’il n’y a plus de commerce ici, le prix des maisons vachuter. Ils disent que la désertification peut entraînerune baisse de 40 %. […] Mais, dès que le café sera vendu,je mettrai la clé sous la porte.”

—Ariejan KortewegPublié le 12 juin 2013

—El País Madrid

Mâcon, sur la rive occidentale de la Saône– ce cours d’eau large et paresseux dontJules César disait dans ses Commentaires

sur la Guerre des Gaules qu’on ne savait pas dansquel sens il coulait ! –, exhale encore des effluvesde Méditerranée. Lorsque, après avoir traversétoute la Bourgogne, on arrivera à Joigny, on sen-tira sur le visage l’air gris du nord. La Bourgogneest une terre de transition. L’Europe n’a pas derégion plus unificatrice : au fil des siècles, celle-cia su réconcilier le Nord et le Sud, bien qu’elle y aitlaissé son indépendance et le pouvoir dont ellejouissait à l’époque du grand duché, du Moyen Age

au XVIe siècle.D’aucuns, pensant à ses bonnes

tables et à ses vins sublimes,entrent en Bourgogne comme ilsentreraient au paradis. Sans plusde préliminaires, ils se dirigentvers Vonnas, charmant villagefleuri à l’est de Mâcon, et pous-sent la porte du restaurant Georges

Blanc pour se délecter de son pot-au-feu aux troisvolailles de Bresse parfumé à l’huile de truffe – unerecette glorieuse de ce chef qui a repris l’aubergefamiliale connue depuis un siècle sous le nom desa grand-mère, La Mère Blanc.

D’autres, plus attirés par les nourritures spiri-tuelles, prendront la direction inverse, vers Cluny.On traverse alors le Charolais et ses paysages degrasses prairies vallonnées où paissent des bœufsà robe blanche. Ils ont l’air tout en muscles, maisleur viande rouge fond en bouche comme du beurre.Les villages sont des ensembles de pierres grisessurmontées de tuiles ocre auxquelles s’accrochela mousse, tandis que les façades se parent de vignevierge. Au centre se détache le clocher de l’égliseromane, héritage des moines bénédictins et

cisterciens qui firent de la Bourgogne le centre deleur rayonnement.

“Si vous vous intéressez aux vaches, allez donc faireun tour demain jeudi au marché aux bestiaux de Saint-Christophe.” Le paysan s’est approché jusqu’à laclôture qui sépare ses champs de la route.

“Les humains nous intéressent davantage. On peutvous prendre en photo ?”

La question le prend au dépourvu. Il ajuste sonbéret sur son front et ôte la gitane qui pend soussa moustache jaunâtre. Un éclat de joie brille dansses petits yeux. “Bah, vous êtes des journalistes. Vousêtes sans doute venus goûter le vin.

— Oui, mais pour l’instant, nous allons à Cluny.— Il paraît que c’était très riche avant. Toutes ces

terres appartenaient aux moines. Maintenant, ellessont à nous. Même si Bruxelles nous casse les pieds, onsait se défendre. On a toujours une belle côte de bœufet une bonne bouteille de vin de côté. Si vous aimez lesvieilles pierres, vous aurez de quoi faire par ici.”

“Mère de la civilisation occidentale”, “lumière dumonde”,Cluny évoque l’esprit du Moyen Age. Aux XIe

et XIIe siècles, elle fut le centre de l’Eglise catho-lique. “Partout où le vent vente, l’abbé de Cluny arente”, disait-on. Avec son église, la plus grande dela chrétienté, ses cloîtres et ses palais constituaientune ville monastique sans égale où les abbés et lesprêtres vivaient comme des princes.

Condamnée par la Révolution, dévastée sousl’Empire… Il faut aujourd’hui interroger ses ves-tiges pour imaginer son passé. De l’église il ne resteque la croisée sud du transept, couronnée par sonclocher octogonal de 63 mètres de haut. Cela nereprésente qu’un dixième de l’église rasée, maisdonne une idée de ses dimensions impression-nantes. Deux palais et le cellier gothique – où lesmoines entreposaient le grain et le vin – sont encoreintacts, et l’on y expose aujourd’hui une collectionde chapiteaux et de pierres tombales.

A la paix clunisienne succédèrent des siècles deconflits féodaux. Des forteresses avec leurs donjonsévoquent des gloires éphémères, des sièges et descharges de cavalerie. Au cours de notre voyage,nous rencontrons celles de Berzé, de Sercy, deCouches et de Rully, devenues des jouets médié-vaux que n’assaillent plus que les vignes. Le châ-teau de Cormatin, en revanche, est un exempleparfait de palais nobiliaire du XVIIe siècle. Il pos-sède l’un des plus beaux intérieurs de France. Il ya quelques années, c’était une ruine. Aujourd’hui,grâce au travail acharné de Marc Simonet-Lenglartet de ses deux associés, qui l’ont acheté en 1980,il a repris vie – il se visite et accueille des concertset des expositions – et a retrouvé ses éblouissantsdécors polychromes, les seuls de l’époque Louis XIIIqui subsistent en France.

Plus au nord, la flèche de pierre de la cathédraled’Autun nous attire comme elle attira jadis tantde pèlerins. La perfection romane de sa nef faitpâle figure devant ses chapiteaux sculptés et soncélèbre tympan. Ce dernier est une leçon biblique

“Même si Bruxelles nouscasse les pieds, on sait se défendre. On a toujoursune belle côte de bœuf et une bonne bouteille de vin de côté”

↓ Oies sur le chemin de halagedu canal de Bourgogne, dans l’Yonne. Photo EmmanuelleThiercelin/Divergence

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CAMPAGNE.

ses haines et ses vanités, ses rêves et ses décep-tions, représentés dans une série désopilante detableaux et de portraits de rois, favorites, dameset chevaliers de l’époque, agrémentés de com-mentaires savoureux sur leurs attributs physiqueset leurs talents amoureux.

Une promenade entre les édifices nus de l’abbayede Fontenay, exemple parfait de monastère cistercienmédiéval, éveille des sentiments bien différents.“Faut-il, pour que vous voyiez clair, que la lumière soitplacée dans un chandelier d’or ?” avait demandé saintBernard aux abbés cossus de Cluny. Le chant desoiseaux et le murmure d’une rivière coulant entredes arbres plusieurs fois centenaires accompa-gnent l’austérité harmonieuse de l’église, du cloîtreet des autres dépendances.

Eblouissement. Nous voici à Dijon, capitale dela Bourgogne et l’une des villes les plus accueillantesde France. Son centre historique donne l’impres-sion d’être toujours en fête. Des enseignes multi-colores ornent les boutiques et les portails, lamusique accompagne les passants dans les ruespiétonnes, avec l’arôme de fleurs fraîches et descroissants tout juste sortis du four. La petite placequi ouvre sur le marché coloré, bordée de vieillesmaisons à colombages, est dominée par une fon-taine ornée d’une statue de vendangeur. En sep-tembre, pendant les fêtes, ce n’est plus de l’eaumais du vin rouge qui en jaillit.

La ville compte plusieurs jolies églises et d’in-nombrables hôtels particuliers des  XVIIe etXVIIIesiècles, mais la principale attraction est sonmusée des Beaux-Arts, logé dans l’ancien palaisdes ducs de Bourgogne. Nous trouvons ses trésorsles plus précieux dans la splendide salle des Gardes :les tombeaux de Philippe le Hardi, de Jean sansPeur et de son épouse, Marguerite de Bavière, faitsde marbre noir et d’albâtre, et ornés de sculpturespolychromes.

Entre châteaux et abbayes, entre forêts, champset bonnes tables, nous arrivons dans les vignobles.Nous sommes en Côte-d’Or, région bénie des dieuxet célébrée par les gourmets car c’est celle qui pro-duit les vins les plus fins et les plus célèbres dumonde. Et aussi les plus chers. De Dijon à Chagny,en passant par Beaune, la nationale 74 sépare lescoteaux de la plaine, le bon grain de l’ivraie, lesgrands crus des crus ordinaires, car, même avec

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXIX

un cépage et des procédés de vinification iden-tiques, l’exposition et la nature du sol sont déter-minantes pour la qualité.

Il est révolu le temps où les moines de Cîteaux,brandissant le crucifix d’une main et poussant lacharrue de l’autre, se partageaient ces terres géné-reuses avec le duc de Bourgogne et d’autres grandsseigneurs. Aujourd’hui, c’est une mosaïque depetites parcelles qui valent autant que si ses caillouxétaient de l’or. Gevrey-chambertin, clos-vougeot,vosne-romanée, pommard, volnay… Autant denoms de légende sur cette route triomphale.

Notre itinéraire s’achève à Beaune, siège desdomaines les plus spectaculaires et du monumentemblématique de la Bourgogne : les Hospices deBeaune, l’ancien Hôtel-Dieu. Fondé en 1443 parNicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne, ilnous est parvenu dans son état originel et a été unhôpital jusqu’en 1958. La façade extérieure est aus-tère ; l’entrée, lugubre. Ce n’en est que mieux. Onaccède à la cour sans attendre grand-chose et, là,c’est l’éblouissement. Les fines colonnettes de ladouble galerie soutiennent l’im-mense toiture ornée de lucarneset de tourelles pointues. Les tuilesvernissées formant des motifsgéométriques multicoloresbrillent, tandis que le vieux puitspréside à cette gravure depuiscinq cents ans.

Les superbes salles où l’on soignait les maladesn’ont pas changé non plus. Dans la salle princi-pale, sous une charpente de châtaignier en coquede bateau renversée, s’alignent deux rangées delits. Surmontés d’une croix et fermés par desrideaux rouges, on dirait une succession de confes-sionnaux d’évêque. Jusqu’au XXe siècle, chaque litétait occupé par deux malades, afin que ceux-cise tiennent chaud.

A une extrémité se trouve la chapelle, autre-fois dominée par le célèbre polyptyque du Jugementdernier de Rogier van der Weyden. Ce tableau estaujourd’hui exposé dans une salle spéciale. Cette“maison des pauvres”, qui ressemble plutôt à unerésidence princière, est la merveille de l’archi-tecture bourguignonne et clôt magnifiquementnotre parcours.

—Francisco Po EgeaPublié le 12 février 2011

que les esthètes du XVIIIe siècle trouvaient vul-gaire et choisirent de plâtrer. Il fut redécouvert auXIXe siècle, mais la sensuelle Tentation d’Eve reste“séquestrée” dans le musée voisin. La ville est tou-jours ancrée dans le passé. Avec ses rues silen-cieuses et ses hôtels particuliers n’ouvrant que surleurs jardins intérieurs, elle évoque mieux quetoute autre la société fermée traditionnelle de laFrance profonde.

D’autres leçons d’art nous attendent à la basi-lique de Vézelay, la “colline inspirée”, point de départde l’un des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.Il faut arriver à l’heure magique du crépusculepour assister à la cérémonie émouvante, presquesecrète, des moines et des moniales vêtus detuniques blanches et de voiles, parmi les volutesd’encens et les chants éthérés.

Au pied de la colline, un autre temple, gastro-nomique celui-ci, mais portant un nom de vertu,L’Espérance, du non moins vertueux Marc Meneau.Un enfant du pays pour qui la cuisine est une fête,un cuisinier autodidacte et inventeur de recettesaudacieuses : huîtres en gelée d’eau de mer, galetsde pommes de terre, crème de caviar ou filet deveau au caramel amer.

Notre itinéraire se poursuit par Auxerre, cou-chée sur l’Yonne – une carte postale parfaite avecsa cathédrale et son église Saint-Germain, toutesdeux gothiques, qui surplombent les vieilles mai-sons du centre historique. Il ne faut pas manquerles cryptes du XIe siècle de l’église, où l’on peutadmirer des fresques de l’époque carolingienne.Après une promenade dans les vignobles et lesdomaines de Chablis, berceau de blancs veloutés,les amateurs de châteaux iront visiter Tanlay etAncy-le-Franc, mais surtout Bussy-Rabutin. Il y ades châteaux plus beaux et des pièces ornées defresques de meilleure facture, mais il n’est rien deplus amusant que les peintures qui décorent ce“temple de l’impertinence”, comme on l’a baptisé.Son auteur, le comte de Bussy-Rabutin, était unpersonnage excentrique, un soldat qui livra d’innombrables batailles d’alcôve et écrivit unechronique très satirique des aventures galantes dela cour de Louis XIV sous le titre Histoire amou-reuse des Gaules [Gallimard, coll. “Folio”, 1993]. Cetouvrage lui valut d’être incarcéré à la Bastille, puisexilé sur ses terres. Ce fut pendant cette périodequ’il s’amusa à raconter sur les murs de son palais

↓ L’abbaye de Cluny, symboledu renouveaumonastique en Occident. Il ne resteaujourd’hui qu’un dixième de l’édifice initial. Photo BertrandRieger/Hemis.fr

Aujourd’hui, c’est unemosaïque de petites parcellesqui valent autant que si ses cailloux étaient de l’or

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Le dernier livre du journaliste et écrivain STEPHEN CLARKE,1 000 Years of Annoying the French(Mille ans de mésentente cordiale),doit être prochainement traduit en français.

La Corrèze, si moderne● La Corrèze, c’est la France profondedans toute sa splendeur. Au nord deBrive, les piverts se prélassent au milieude la route et défient les automobilistesen ne s’envolant qu’au tout derniermoment, pour aller se cogner contre un marronnier. Les champs de blé et de maïs suffisent à peine à faire unemiche de pain ou un paquet de pop-corn. Les villages semblent déserts, avec leursmaisons dorées comme une baguettebien cuite et leurs toits en ardoise luisantau soleil. Mais les habitants sont bien là :un vieil homme en maillot de corpsremplit une brouette de courgettes et une petite femme en tablier paraîtenchevêtrée dans les rosiers plantés à côté de sa maison.Il règne une atmosphère médiévale.Mais, en réalité, il n’y a pas plus moderneque la Corrèze. Un ami corrézien m’a expliqué que ces paysans qui semblent être d’une autre époquesont en fait les meilleurs comptablesd’Europe. Ils obtiennent des subventionsde l’Union européenne les récompensantde ne pas utiliser d’engrais chimiques– qu’ils n’avaient de toute façon aucune intention d’utiliser. Ils reçoivent des aides de l’UE pour arracher leurs pommiers, et d’autres encore pour les replanter. Ces paysans ont peut-être l’air pauvres, mais ils s’ensortent bien par rapport aux urbains.Les Britanniques se plaignent souvent que l’argent de l’Union européenne soitenglouti dans le gouffre sans fond queserait la France profonde. Mais moi, je dis merci à l’Europe. Si c’est le prix à payer pour préserver la campagne et les piverts, c’est de l’argent bien dépensé.

—Die Tageszeitung (extraits) Berlin

De mi-juin à début juillet, des milliers defleurs couleur lavande se balancent ausommet de longues tiges : le lin est en fleur.

La fleur de lin symbolise l’éphémère : née à l’aube,elle se fane dans la chaleur de l’après-midi. Chaquejour, d’innombrables fleurs se succèdent ainsi.

Cette marée bleue dure de deux à trois semaines,et c’est à bicyclette que l’on en profite le mieux.Sur les petites routes bordées de haies d’aubépine,nous longeons les parcelles de lin, qui alternentavec des champs d’avoine et de blé mûrs. Tachetéesde noir et de blanc, des vaches paissent dans les

prairies grasses, exhibant descroupes imposantes. Dès la findes semis, l’office du tourismed’Hondschoote [département duNord], le chef-lieu de canton, pro-pose un nouvel itinéraire pour leRallye bleu. De juin à septembre,

ce circuit d’une quarantaine de kilomètres empruntechaque année un nouveau tracé, de bourg en bourg.Quaëdypre, Rexpoëde, Oost-Cappel, Hondschoote…des noms qui rappellent que la région fut ratta-chée jusqu’au XVIIe siècle au comté de Flandre.

Située entre la mer du Nord et la frontière belge,au sud de Dunkerque, cette région parsemée demaisons de brique sombre est le berceau françaisde la fibre de lin. Jusqu’au XIXe siècle, le lin était,avec le chanvre et la laine, l’unique fibre textiledisponible en Europe – on n’importait pas encorede coton. De cette matière résistante à l’eau et auxtaches, les hommes ont fait non seulement desvêtements, du linge et des sacs, mais aussi des

voiles de navire et même la voilure des premiersavions. Dans les années 1960, le bleu s’est fait raredans le paysage – le synthétique triomphait. Maisrécemment la demande de lin a doublé : cette fibrenaturelle, si agréable à porter par temps chaud, està nouveau à la mode. Son retour en grâce est lié àdes hommes comme M. Li. En effet, la puissanteindustrie textile chinoise achète plus de 80 % dulin français, avant de le réexpédier en Europe sousforme de pantalons, chemises, vestes, draps oupapier peint. En France, on ne file presque plus.

C’est dimanche, mais les affaires sont les affaires.C’est pourquoi Arnaud Van Robaeys, producteurde fibres de lin, accompagne M. Li dans son hangar.Conditionnées sous la forme de balles ou de rubansde couleur gris argenté, plusieurs tonnes de linpeigné attendent preneur pour être filées. On secroirait dans Rumpelstilzchen [Le Nain Tracassin ouLa Fileuse d’or, en français], le conte de fées alle-mand dans lequel la fille d’un meunier doit chan-ger une montagne de paille en or en la filant. D’unœil expert, le négociant chinois teste quelquesbrins entre ses doigts et hoche la tête d’un airapprobateur. Bien sûr, ce sont aujourd’hui desmachines qui récoltent, décortiquent et peignentle lin, mais celui-ci demeure un produit dont laqualité dépend du vent, du soleil et de la pluie.Après la récolte, au mois d’août, les bottes de linrestent jusqu’à huit semaines dans les champs.Lors de ce processus de décomposition, les fibresse séparent de l’écorce.

Arnaud Van Robaeys est aussi fier de son linqu’un vigneron de ses ceps. “Notre atout, c’est le ter-roir, confie-t-il. Le sol argileux et le climat maritimeproduisent des fibres à la fois fines et résistantes.”

XXX. Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013

Sur la route du linRALLYE. Dans l’arrière-pays dunkerquois, un circuit à vélo permet de découvrir la culture et la transformationde cette vieille fibre textile revenue au goût du jour.

↓ Opération de teillage de lin.Récemment, la demande pour cette fibrenaturelle a doublé. Photo PhilippeHouze/Light Motiv

CAMPAGNE

Cette marée bleue dure de deux à trois semaines, et c’est à bicyclette que l’on en profite le mieux

POSTALECARTE

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—The Daily Telegraph Londres

On pardonnera à ceux qui ont lu Une annéeen Provence de Peter Mayle [Seuil, coll.“Points”, 1996] de penser que la vie d’ex-

patrié en France consiste à enchaîner les repassucculents. S’ils venaient dans ma région, ils auraientun choc. Celui qui a dit que “manger au restaurantdans la France rurale est à chaque fois un crève-cœur”aurait pu parler du Poitou-Charentes. La régionest réputée pour ses fromages de chèvre, ses melonset son beurre d’Echiré. La grande spécialité estnéanmoins le chou farci, ce qui est déjà un indice.

Parmi les nombreux crimes de lèse-gastrono-mie auxquels j’ai assisté depuis que je me suis ins-tallée ici, je citerai les sauces au beurre plombantes– même les frites en sont recouvertes – et les piècesde viande coriaces comme de la semelle qui vouspèsent sur l’estomac comme des barres de com-bustible nucléaire usagé.

En fait de poisson, on vous sert invariablementun pavé informe sorti du congélateur et passé aumicro-ondes ; et, en guise de dessert, une part detarte industrielle avec une boule de graisse hydro-génée, euh, pardon, de glace tout aussi industrielle.Et, pour finir, un café si amer et si âcre qu’il pour-rait attaquer le métal.

Je suis parfois tentée d’aller en cuisine flan-quer une baffe au chef. Ravie un jour de voir desrœstis au menu, j’ai osé imaginer une délicieusegalette de pommes de terre fraîchement râpéeset bien dorées. Ce sont des galettes surgelées quel’on m’a servies. Quant aux légumes frais, il ne

faut même pas y songer : les cuisiniers ici envi-sagent les légumes verts avec la même moue dedégoût que les gamins.

Je rêve de trouver enfin des ingrédients fraiset de qualité préparés simplement. Or les cuisi-niers français préfèrent jouer avec les alimentsjusqu’à les rendre méconnaissables. Je soupirelorsque je vois un jus ou un coulis au menu, car,en général, il faut s’attendre à un tas d’ingrédientsartistiquement présentés sur l’assiette mais absolument immangeables.

Maltraités. Les menus ne changent pas pendantsix mois ou même des années, et l’on a parfois l’im-pression que les plats ont été préparés aussi long-temps à l’avance. On est rarement surpris ouenchanté. On sort plutôt avec l’estomac lourd etle cœur encore plus lourd.

Un ami artiste qui habite dans la très éléganteet clinquante ville de Biarritz dit éprouver la mêmedéception là-bas. “Lorsqu’on s’installe en France,on arrive avec l’espoir que les bistrots de village ser-viront le plat du jour parfait… et on finit par se deman-der comment ils arrivent à rater même les recettesles plus simples.”

Pour ce qui est de la fameuse atmosphère fran-çaise, la plupart des restaurants de campagne ontle charme et la chaleur d’une salle d’opération,avec leur éclairage aux néons blafards plutôt qu’auxchandelles. On me dit que c’est pour que les per-sonnes âgées puissent voir ce qu’elles mangent ;en réalité, cette lumière fait paraître les convivesencore plus verts qu’ils ne le sont déjà.

Et puis il y a la partie de bras de fer qui tient lieude service en France. Du fait de la paperasserie etdes charges sociales ridiculement élevées que lesentreprises doivent acquitter pour leurs salariés,nombre de restaurants sont en sous-effectif chro-nique. Les serveurs sont donc passés maîtres dansl’art de traiter les clients comme des importuns.

Dans l’un des restaurants les plus fréquentés dePoitiers, nous avons attendu, mon amie et moi,plus d’une demi-heure avant que le garçon nedaigne nous apporter la carte des vins et prendrenotre commande. Comme tant d’autres employésde la restauration, il pratiquait l’art d’ignorer lesclients tant qu’il n’était pas prêt à les servir. Quandje me suis plainte, il a haussé les épaules en disant :“C’est comme ça. Vous pouvez toujours partir.”

Malheureusement, mon amie – française, donchabituée à se faire maltraiter – a voulu rester, entreautres parce que nous n’avions pas la garantie d’êtremieux traitées ailleurs. Vivre en France a beau-coup de bons côtés, mais la cuisine n’en est cer-tainement pas un.

—Karen WheelerPublié le 13 juin 2012

Comme pour le vin, il y a de bonnes années etd’autres moins bonnes. Ainsi, 2008 a été uneannée exceptionnelle, dont la production a garniles portants des boutiques de mode à l’été 2010.Quand la qualité faiblit, le lin trouve quand mêmeun emploi – par exemple, dans l’industrie auto-mobile ou dans l’aéronautique, où ses propriétéssurpassent celles de la fibre de verre. En pressantles graines, on obtient de l’huile. Avec le lin, onpeut même faire de la bière – que nous dégus-tons dans la boutique de l’exploitation d’EricVantorre, à Rexpoëde.

Nous poursuivons notre circuit à bicyclette, fran-chissons la frontière belge et arrivons dans la petitebourgade d’Izenberge. Dans le musée de plein airBachten de Kupe, des outils anciens permettentde comprendre comment on extrayait les fibresdu lin avant l’ère industrielle, à grand renfort d’huilede coude – le moulin flamand, par exemple, actionnéà l’aide de pédales, qui servait à “briser” le lin.

La promenade est plaisante – la région est aussiplate que si le Créateur l’avait nivelée au rouleauà pâtisserie. Les champs bleus et ondoyants se suc-cèdent. Dans le ciel, bleu aussi, passent d’énormesnuages que l’on jurerait sortis des toiles des maîtresflamands. La plus haute éminence visible est lebeffroi de Bergues – il culmine à 47 mètres. Ceinted’un rempart qui date du Moyen Age, la petite citéa servi de décor au film Bienvenue chez les Ch’tis. Lefilm n’est peut-être qu’un inventaire de clichés,mais, lorsque midi sonne et que les voix de cin-quante cloches se mêlent pour tisser une mélodie,on comprend pourquoi le réalisateur s’est inspiréde ce carillon pour une chanson d’amour.

Bobines multicolores. Notre dernière haltenous amène à Killem, au Bon Coin, un café situéjuste en face de l’usine d’Arnaud Van Robaeys. Ils’agit d’un “café rando”, ce qui veut dire que, commedans les Biergarten [brasseries en plein air] alle-mands, on peut amener son casse-croûte, maisqu’il faut commander quelque chose à boire. Lamesse dominicale est finie et des habitués tapentle carton. Deux d’entre eux interrompent leurconversation en flamand pour s’adresser à nousen français : “Vous êtes allemands ? Ce n’est pas sou-vent qu’on en voit par chez nous !” Moins de deuxminutes plus tard, la guerre est sur le tapis. La pre-mière, s’entend, la Grande Guerre, qui a eu lieuvoilà près de cent ans, mais dont le souvenir estresté vivace dans la mémoire collective. Aucunehostilité, pourtant, dans la voix de nos interlocu-teurs. Plutôt la joie de voir que nos pas nous ontmenés au “pays du lin”. “Il est pour nous ce que lalavande est à la Provence !” Par-dessus le comptoir,le barman nous tend un verre de menthe à l’eaud’un vert électrique. “C’est pour la maison !”

Au terme de notre périple, nous faisons connais-sance avec une tisserande. Pas dans la campagne,mais à la préfecture. C’est à Lille, au 10, rue del’Hôpital-Militaire, que Valérie Maniglier a son ate-lier. N’importe qui peut y jeter un coup d’œil àcondition de ne pas la déranger trop longtemps.Dans la pièce basse de plafond, Valérie actionne lestouches et les pédales de son métier à tisser avecl’énergie d’un organiste. Elle tisse de lourdes etsplendides étoffes. “J’ai récupéré ce métier à tisserdans une fabrique désaffectée”, raconte-t-elle. Nousrestons ébahis devant les bobines de toutes les cou-leurs qui pénètrent dans un système complexe d’uncôté du métier pour en sortir de l’autre sous laforme d’un tapis multicolore. Il n’y a pas si long-temps, ce violet, ce rouge et ce jaune n’étaient quede simples fleurs bleues au bout de tiges vert pomme.

—Margarete MoulinPublié dans CI n° 1178, du 30 mai 2013

→ Le charme et la chaleur d’unesalle d’opération.Photo NathalieDesserme/Picturetank

THE DAILYTELEGRAPHLondres, Royaume-UniQuotidien, 840 000 ex.www.telegraph.co

Atlantiste et antieuropéen sur le fond, pugnace etengagé sur la forme,c’est le journalconservateur deréférence. Il est ledernier des quotidiensde qualité à ne pasavoir abandonné legrand format. Dans sarubrique Court Circular,il présente tous les jours les activités de la famille royale.

SOURCE

Courrier international — no 1187 du 1er au 21 août 2013 XXXIcampagne.

Les bistrots decampagne ?A éviter !ATMOSPHÈRE. Plats surgelés,desserts industriels,personnel débordé. La journaliste britanniqueKaren Wheeler a étésurprise de découvrir à quel point on mangeaitmal dans la France rurale.

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