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  • DANS LE SILENCE

    DE L'INSONDABLE

    au del de tous les dogmes

  • Salim Michal est galement l'auteur de:

    -S'VEILLER, UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT (2002)

    -LES FRUITS DU CHEMIN DE L'VEIL (1997)

    -LES OBSTACLES L'ILLUMINATION ET LA LIBRATION (1993)

    -LA QU~TE SUPRME (1991)

    -PRATIQUE SPIRITUELLE ET VEIL INTRIEUR (1990)

    - LA VOIE DE LA VIGILANCE INTRIEURE (1983-1998 4me dition)

    ainsi que de :

    -LUMIRES DANS LA NUIT - 27 contes symboliques et spirituels (1985 puis)

    Et aussi, en collaboration avec Michle Michal, traduction de l'anglais

    du clbre texte bouddhique : LE DHAMMAPADA

    Aprs avoir recueilli ses souvenirs et ses rflexions, sa femme Michle Michal a

    rdig sa biographie sous le titre : LE JEU D'UN TRANGE DESTIN (1994)

    Tous ces ouvrages sont publis aux Editions Guy Trdaniel.

    site internet : salim-michael.org

    GUY TRDANIEL DITEUR - 2006

    Tous droits de reproduction, traduction ou adaptation, rservs pour tout pays

    tredaniel-courrier .corn [email protected]

    ISBN: 2-84445-677-4

  • Salim Michal

    DANS LE SILENCE

    DE L'INSONDABLE

    au del de tous les dogmes

    Prface de Michel Cazenave

    Guy Trdaniel diteur

    19 rue Saint Sverin 75005 Paris

  • Salim Michal 2001,

  • SOMMAIRE

    Prface de Michel Cazenave............................................. 9

    Introduction . .. . . . .. . . . .. . . . .. . .. . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. . . . .. .. . . . . .. . . . . .. . . . . . . 17

    Avant-propos avec un conte spirituel de l'auteur.. ........... 27

    1 - Les diffrents niveaux de conscience dont l'homme ignore l'existence...................................... 39 Histoire bouddhiste de l'anneau du roi..................... 45

    2 - L'appel et le rappel......................................... ........... 59 Comprendre l'importance de l'appel . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. .. . 64 La raison d'tre de la Cration ................................. 69 L'importance de l'aspect fminin de la Cration....... 72 Le Pcheur Divin............... ....................................... 75 Comment rpondre l'appel intrieur .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . 80

    3 - Centre de gravit et obissance . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. 85 L'influence grandissante et adverse des machines.... 90 Deux erreurs importantes viter .. . . ... .. .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . 93 Histoire indienne de la ppite d'or............................ 96 L'importance du sentiment dvotionnel . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. 99

    4 - La passivit intrieure . . . .. . . . . .. . . . . . .. .. . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. .. 103 Histoire indienne de l'arbre souhaits ..................... 107

    5 - Le problme des penses tenaces qui harclent l'aspirant. ................................................................... 109 Histoire indienne du singe, du martin-pcheur et du lapin ...................................................... ............ 110 Histoire bouddhiste des quatre moines ...................... 116

  • 6 - Le but . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . .. .. . . . . . .. . .. .. . . . .. .. . .. ... . . . .. . . . .. . . 121 Conscience de soi et rappel du But sont insparables .......................................... 129

    7- Le rappel de l'impermanence comme pratique spirituelle... ....... ..... ....... ..... ...................................... 137 Conscience Lumineuse ne signifie pas lumire tangible... ....... .... ... ..... ..... ...... .. .................. ....... ......... . 143

    8- La mmoire.............................................................. 147 L'obstacle de la mmoire ordinaire . . . . . . . . . . .. . . . . . . .. . .. .. . 150 Histoire soufie du lion .............................................. 153 La mmoire de l'Univers en l'tre humain .............. 156 Il existe un autre type de mmoire......... .................. 160

    9 - Potentialits et scurit intrieure .. ... .. .. . .. . .. .. . .. . . . .. 165 Le mystre des potentialits infinies dans la cration musicale . .. . . . . . .. .. . .. .. . . . .. . .. .. .. ... .. . .. .. . .. .. ... .... 167 Histoire indienne du roi et du premier ministre ........ 174 Dtente physique et don de soi .................................. 177 Le danger de l'apathie et de la routine ... . ...... ....... ..... 180 Scurit intrieure .................................................... 183

    10- La mort...... ....... .. .................................................... 193 L'nigme de l'apparition de la Cration . . . . . . .. . .. . .. .. . .. 200 Pourquoi 1' aspirant a le choix de faire ou non des efforts . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. . .. .. . .. .. . . . .. . .. ... ... . 203

    11 - Karma et souffrance . .. .. . . . .. . . . . . .. . . . . . .. . .. .. . . . .. . .. ... . . . ... 207 La grandeur de Gandhi . .. .. ... .. .. . .. .. ... .. ... .. .. . .. ..... ... ..... 210 Interdpendance . . . . .. .. . . . . . .. . .. .. . . . .. .. . .. .. . .. .. .. . .. ... .. ... .. . . 214 Pourquoi la souffrance?......... ........................... ........ 219

    12 - Le prsent . . . . . . .. . . . . . .. . . . .. .. . . . .. .. . . . .. .. . .. ... .. .. ... .. . .. ... ...... 223 Le don inconditionnel de soi dans le prsent ........... 225 Histoire bouddhiste des deux moines....................... 231 Partager les fruits spirituels acquis ........................... 233

  • 13- L'aspirant et le mystre de l'existence phnomnale................................................... ....... 237 Histoire soufie des lphants volants .................... 242 Le danger de se fier aux sens . .. .. .. . . . .. .. . .. .. .. . . . . . . . . .. .. 24 7

    14- L'empchement majeur la libration...... ......... 249 De quoi doit-on se librer?...................... .............. 254 L'identification au corps ......................................... 259 Histoire soufie du scorpion . . . . . . . . . . .. .. .. . . . .. .. . . . . .. . . .. ... 262

    15 - Causes et conditions de la rcurrence . . . . . . . . . . . .. . . . 267 Le poids de l'habitude et la rcurrence .................. 275

    En guise de conclusion avec un conte spirituel de 1' auteur........................................................ ......... 279

    Instructions pour aider un mourant au moment critique de son dpart de ce monde ............................... 295

  • Michle,

    ma femme bien aime

  • PREFACE de Michel Cazenave

    Je le dis humblement, mais avec toute la certitude dont je suis habit : c'est un privilge dans sa vie que d'avoir rencontr Salim Michal. Non que j'aie t de ses lves ou, comme il aime les appeler, de ces aspirants spirituels qui suivaient ses enseignements ; non que je sois en tout d'accord avec l'expression de sa pense ou certaines de ses assertions qui sont, volens nolens, de nature mtaphysique, ou mieux : thologique - mais parce qu'ayant eu la chance de pouvoir converser avec lui et de le frquenter durant de longs aprs-midi, j'ai pu me convaincre de l'vidente vrit de ce que j'avais ressenti devant lui ds la premire minute : je me trouvais en face d'un matre spirituel absolument authentique.

    Il faut pourtant, sur ces mots, s'expliquer sur le champ.

    Dans un Occident plong dans le plus profond des dsarrois, soumis aux tentations conjugues, et souvent complmentaires, d'un nihilisme inavou et d'un consumrisme tout va, on sait comme les gourous se sont multiplis depuis quelques annes. Guides autoproclams de personnes la drive, parfois mme (cela arrive !), lamas, moines bouddhistes ou mditants indiens qui bradent leurs traditions et cdent si facilement aux prestiges invents de notre socit actuelle : amour immodr du pouvoir- ft-ce un pouvoir spirituel, et plus gnralement purement psychique fascination de 1' argent et d'une gloire bon compte ; piges d'une sexualit dans

  • 10 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    lesquels se font prendre tant de pseudo-disciples en croyant emprunter 1' une des voies de 1' extase ! (Dira-t-on jamais assez les ravages qu'a pu faire un tantrisme mal compris, dtach de son contexte, et malgr toutes les protestations de bonne foi, en fin de compte lacis sous les oripeaux religieux ou mystiques dont on veut le recouvrir ?).

    De fait, et voici plus d'un sicle que cela dure, on voit bien comment nous avons si souvent construit un Orient imaginaire, fruit de nos fantasmes et de nos compensations psychologiques, pour pallier les carences, les abmes vidents, les faillites d'une culture qui nous entrane inluctablement, sous couleur de l'exaltation de l'individu et de la loi du march, dans un dsert spirituel o nous mourons de soif, vers un nant des consciences o le moi disparat - non pas en se dpassant, non pas en faisant advenir 1 'exprience de sa profonde relativit et peut-tre, en dernire analyse, de son caractre illusoire ; mais dans une rgression collective o s'impose peu peu un NOUS totalitaire, et o les seules apptences de 1' ego se concentrent aux satisfactions imm-diates, aux plaisirs passagers, des jouissances phmres dont le vertigineux kalidoscope nous fait perdre la tte !

    En plein milieu du XIXme sicle, ce merveilleux pote et ce grand humoriste qu'tait la fois Henri Heine (mais l'humour n'est-il pas une vertu spirituelle ? ll faudrait relire sur ce point certaines des plus belles pages de Saint Franois de Sales), ce romantique lucide qu'tait donc Henri Heine crivait: "Nous sommes partis la conqute des Indes matrielles, et nous avons dcouvert l'Amrique. Aujourd'hui, nous partons la dcouverte de l'Inde spirituelle - qu'allons-nous donc trouver ?"

    Hlas ! On dirait que le bateau de 1' esprit s'est drout malgr lui, et qu'au lieu d'une Amrique qui existait relle-ment, nous avons plutt accost un pays de rves o nous croyons nous soigner de nos blessures ontologiques ...

  • PRFACE 11

    Pourtant, il est vrai que nous avons aussi exhum la Kena ou la Mundaka Upanishad, accompagnes des commentaires de Sankaraarya, nous avons dcouvert l'ultime prdication de la Chandogya Upanishad ("Ainsi, mon cher, tu ne vois pas l'Etre. Il est l cependant, il est cette essence subtile. Et l'univers tout entier s'identifie elle, qui n'est autre que l'Ame ! Et toi aussi, tu es Cela, Shvtaktu !"), nous avons dcouvert la protestation radicale du gautama Bouddha contre le brahmanisme de son temps, y compris la ngation de 1' me et l'appel un nirvana, une vacuit qui n'est certes pas nant, mais tat indicible, irreprsentable, impensable, au-del de l'opposition mme de l'tre et du non-tre ; nous avons dcouvert les mandalas et les techniques de visualisation du bouddhisme tibtain dans ses diffrentes traditions ; nous avons dcouvert le shingon et les satori du zen, ces illuminations de l'instant que traduisent les ha-kus, et qu'ont si parfaitement illustrs, aprs les mditations de Dogen ou de Kuka, des potes comme Issa, comme Buson, comme Basho - sans parler de Ryokan et de sa folle errance (de 1' errance de sa folie?), au moment que s'affirme l'aube du Japon mdival ...

    Bien entendu, tous ces trsors sont l, porte de notre main pour peu que nous voulions rellement les chercher - et combien d'autres encore, qui dorment toujours dans les temples de l'Inde, de Ceylan, de la Chine, du Tibet, du Japon?

    Mais combien d'entre nous les recherchent vraiment ? Et combien d'entre nous, en en ayant pris connaissance, se rendent compte quel point un Sankara, si souvent, est proche de Plotin ? Certains traits du bouddhisme, de la Dit de matre Eckhart - ou certaines considrations de l' Advata-Vedanta, de mystiques musulmans comme le grand Ibn' Arabi, comme Ruzbehan Baqli ou comme Abu Ya'qub Sejestani?

    Comme si l'Orient, d'une certaine faon, nous renvoyait nos propres traditions que nous ignorons aujourd'hui si

  • 12 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    superbement - (je parle bien entendu de l'Orient rel et de nos traditions relles) - tant il est patent que la structure de 1' humain est partout fondamentalement la mme et que l'approche du divin au-del de tout concept, de toute image idoltre, doit se ressembler elle-mme dans son exprience assume.

    Non point d'ailleurs, que je veuille ici me livrer un syncrtisme facile, ou cder aux tentations d'une philosophia perennis qui gommerait les diffrences : que nous le regrettions ou que nous nous en rjouissions, nous sommes aussi des tres incarns, et nous devons assumer le poids de notre enracinement sans en devenir pour autant les prisonniers consentants. Alors, je sais bien que Nagarjuna pense que l'me est un mot vide de sens quand matre Eckhart, au contraire, la pose comme incre dans sa partie la plus haute ; je sais bien que Saigyo vit un intense sentiment de la nature quand le Theravada la considre au contraire comme une pure illusion : et il resterait faire venir jour les influences secrtes des premiers chamanismes sur les plus hautes expressions des spiritualits orientales (que ce soit le culte des kamis dans l'sotrisme japonais, que ce soit la circulation des souffles dans les coles de yoga ou de 1' alchimie taoste, la religion bon dans le Vajrayana ou le surmonde des esprits dans les soufismes ouzbek ou kazakh) ...

    Or, ce qui frappe l'instant chez Salim Michal - peut-tre est-ce parce qu'il est anglo-indien d'origine?- c'est qu'il ne cde aucun fantasme, aucune illusion sur un Orient habit, et par contre-coup idalis de toutes les frustrations que nous projetons sur lui, en lui demandant en retour de bien vouloir les soigner.

    En vrit, si je voulais caractriser Salim Michal, ce serait par ces trois mots, ou ces trois expressions : une rigueur toujours en veil, une exigence insatiable, une exprience

  • PRFACE 13

    intrieure indubitable, et sans doute mene jusqu'aux limites de l'humainement supportable. Car vouloir s'approcher du divin que nous sommes en l'ayant oubli, ou qui nous fonde au plus profond, ou qui nous a crs dans son incomprhensible gratuit (je laisse le soin chacun de choisir selon ses convic-tions, sa croyance ou sa foi), on ne peut barguigner : il ne peut y avoir sur ce chemin de demi-mesure, d 'abandon, de ngligence ou mme d'inattention - et la leon que Salim Michal rappelle inlassablement, c'est qu'il s'agit du trajet de toute une vie, que la tideur n'y a pas sa place, et que c'est dj trahir sa qute que de ne pas tendre de tout soi vers ce qu'elle s'est ordonne.

    L-dessus, il n'y a pas de ngociation possible, et j'en connais qui se sont enfuis tant la voie escarpe leur semblait difficile. Est-ce un signe des temps? Qu'on me permette sur ce point une mtaphore facile : pour gagner le sommet du Mont Blanc, ce n'est pas du tout la mme chose de s'encorder et de gravir ses pentes, ou de louer un hlicoptre et de se faire dposer tranquillement tout en haut ... De stages spirituels bcls en un week-end (gnralement trs chers), des sessions de mditation qui mnagent des haltes dans notre vie quotidienne, combien d'hommes et de femmes ne rsistent pas aujourd'hui au vol de l'hlicoptre ! Quand Salim Michal invite prendre le chemin, savoir viter les congres ou les moraines, et grimper peu peu les versants o, de se purifier et de s' allger mesure, 1' air se rarfie d'autant ...

    Car il y a, chez Salim, une force d'vidence: il n'invite rien qu'il n'ait d'abord expriment lui-mme- et quand on le voit assis en lotus devant soi, tout ptri de concentration et d'une attention soutenue au plus petit des dtails, quand on voit comme il hsite quelquefois sur le mot qu'il lui faut prononcer tant il a peur de le mal choisir, de trahir ainsi le

  • 14 DANS LE SIT..ENCE DE L'INSONDABLE

    fond de son message et de vous induire malgr lui sur la voie de 1' erreur, on ne doute pas un instant de ces moments d' enstase qu'il rapporte avoir vcus. Moments qui lui crent un devoir, la plus imprieuse des obligations : guider avec rigueur - ce qui ne veut pas dire sans compassion - chacun de ses lves sur ce royal chemin qu'il a lui-mme balis.

    Alors, qu'importe en vrit qu'on ne soit pas toujours d'accord avec lui ? Je ne comprends certainement pas de la mme faon que lui, par exemple, la figure de Jsus-Christ. Mais, qu'importe vraiment? De Jsus de Nazareth, il a bien senti quelle tait l'immense exigence de tout amour divin, et quelle brlure il y avait s'accorder la Providence ! Il a bien senti qu'il se situait un autre plan que les grands matres bouddhistes - et il en parle de telle faon qu'un pont peut s'tablir entre l'Orient et l'Occident ; qu'un bouddhiste, peut-tre, peut comprendre quel est le sens de cet amour universel, de cette agap que prche Jsus ; et qu'un chrtien peut comprendre, au-del des diffrences par ailleurs ind-niables, dans ce que j'appellerai la psychologie mtaphysique du bouddhisme, la part de vrit, 1' authenticit de l'attitude qui n'est pas si loin, parfois, de nos Pres du dsert .. . Or, c'est cela qui compte : cette dmarche assure, si souvent prilleuse, la fois hroque et d'une absolue confiance, dans cet insondable dernier qui sous-tend l'univers.

    Au fond, les dogmes n'intressent pas Salim Michal. Non point qu'il les rejette par haine de la pense (le canon pali du bouddhisme reprsente, aprs tout, l'un des sommets de la puissance logique et rationnelle de l'homme !), mais qu'il veut les dpasser comme autant d'expressions limites-parce que cataphatiques - de ce divin tellement pur que le silence peut seul en rendre compte ; ou si nous voulons en communiquer la moindre ide, le seul usage rpt de la

  • PRFACE 15

    ngation qui a au moins l'avantage de nous faire pressentir le mystre.

    Sur ce point, je ne peux m'empcher de me souvenir tout d'un coup des Noms divins de Denys l' Aropagyte : "Dieu est connu la fois par mode de connaissance et par mode d'inconnaissance ( ... ) Il n'est rien de ce qui est et on ne peut donc le connatre travers rien de ce qui est, et il est pourtant tout en tout. Il n'est rien en rien et il est pourtant connu par tout en tout, en mme temps qu'il n'est connu par rien en rien."

    A quoi rpondait, on le sait, deux sicles auparavant : "Ce qui est saisi (de Dieu) chaque instant est certes beaucoup plus grand que ce qui 1' avait t auparavant, mais comme ce qui est cherch ne comporte pas de limite, le terme de ce qui a t dcouvert devient pour ceux qui montent le point de dpart pour la dcouverte de ralits plus leves. Ainsi, celui qui monte ne s'arrte jamais, allant de commencement en commencement par des commencements qui n'ont jamais de fin. Jamais celui qui monte n'arrte son dsir ce qu'il connat dj, mais s'levant par un dsir plus grand un autre suprieur encore, il poursuit sa route dans l'infini par des ascensions toujours plus hautes." (Saint Grgoire de Nysse, Huitime homlie sur le Cantique des Cantiques).

    Il resterait simplement rappeler que l'abme a deux sens en franais : 1' abme des profondeurs o 1' on plonge, et l'abme des hauteurs o l'on s'envole. Avec cette lancinante question : la transcendance n'est-elle pas immanente nos coeurs, et plonger jusqu' plus profond que soi, ne se retrouve-t-on pas dans ce ciel dont la caractristique vidente est qu'il n'est pas le ciel sensible ? Extase, enstase : deux faons de dsigner l'exprience authentique de l'au-del de tout.

  • 16 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    Et je voudrais ajouter cette remarque (apparemment) incongrue : Salim Michal a t en son temps un trs grand musicien. Cela me rassure infiniment. Car sans doute la musique est la seule traduction possible de ce silence essentiel d'o nous sommes issus. Et pour revenir dans la tradition chrtienne, il me plat de penser que 1' ange gardien de Salim est un ange musicien.

    Michel Cazenave

  • INTRODUCTION

    de Michle Michal

    Ce livre est rellement un miracle, car il a vu le jour dans des conditions impensables. Dj, son ouvrage prcdent* avait t crit alors que Salim souffrait le martyre pour un cancer du clon non diagnostiqu. Ce calvaire a dur plus de quatre ans avant qu'il ne soit opr en urgence lorsqu'il en fut arriv l'occlusion totale. Quelques mois plus tard, il lui fallut subir une seconde intervention. Deux anesthsies gnrales, un corps prouv au del du supportable, un tat de faiblesse inimaginable reprsentaient, l'ge de quatre-vingt-deux ans, une telle preuve, et cela aprs une existence tellement dure, qu'il paraissait impossible d'envisager une perspective autre qu'une dlivrance finale de ce corps qui tait une telle source de souffrance.

    Malgr de graves complications qui lui rendent extrme-ment pnible la vie au quotidien, Salim a nanmoins russi trouver la force de rdiger de nouveaux textes destins ses lves, des textes qui, au fil des mois, ont progressivement constitu le livre qui suit. Aussi, pour moi qui 1' ai vu natre, je peux vraiment affirmer que ce dernier ouvrage est un miracle, un miracle de volont et de force intrieure puises ailleurs que dans les capacits humaines ordinaires.

    Que ce soit en Occident ou en Inde, o il a sjourn sept ans, Salim a rencontr, du fait qu'il tait continuellement

    *S'veiller, une question de vie ou de mort (d. Guy Trdaniel)

  • 18 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    malade, tant d'incomprhension autour de lui. Toute sa vie, il a t afflig d'une grave allergie au gluten, identifie trs tardivement, alors qu'il avait prs de soixante-dix ans, et qui a t la cause du cancer de l'intestin qui l'a frapp ces dernires annes. Il est arriv que des personnes qui le voyaient trs malade lui dclarent avec dsinvolture et avec un manque de rflexion qu'elles avaient pourtant entendu dire qu'il suffisait de raliser le Soi, autrement dit d'atteindre l'illumination, pour ne plus tre malade et ne plus souffrir de son enveloppe chamelle.

    Or, Ramana Maharshi est mort d'un cancer qui l'a atroce-ment fait souffrir. D'ailleurs, les dernires images que l'on possde de lui le montrent courb et terriblement diminu physiquement. Quant au Karmapa, le grand matre tibtain, lui aussi est dcd la suite d'une longue et douloureuse maladie. Bien entendu, le degr de ralisation spirituelle de ces deux grands tres ne peut tre mis en question.

    Le Bouddha disait que l'homme non illumin, le disciple inexpriment, subit la douleur de deux dards, tandis que le disciple expriment, illumin, n'est touch que par une seule flche. Les deux dards sont l'esprit et le corps, et l'unique flche est le corps. En d'autres termes, contrairement ce que l'on aimerait croire, quel que soit l'avancement spiri-tuel auquel on est parvenu, on reste toujours tributaire des besoins du corps et on continue de subir l'accablement de la maladie et de la vieillesse. Le Bouddha historique - et non lgendaire- tomba lui-mme malade plusieurs reprises au long des annes o il enseigna, jusqu'au moment o il finit par contracter une grave dysenterie qui 1' emporta.

    C'est un mythe auquel on aime accorder crdit - et qui n'a d'autre fondement que la force de nos propres dsirs -que de croire qu'un tre avanc spirituellement n'est plus soumis aux lois physiologiques qui gouvernent tous les tres

  • INTRODUCfiON 19

    incarns. Il existe toutes sortes de contes merveilleux, qui fascinent notre imaginaire, sur des matres dtachs de toutes les contraintes du corps et affranchis du poids de la maladie et de la vieillesse, ou, en tout cas, passs au del de la souffrance corporelle, et qui meurent en quittant leur enveloppe chamelle selon leur propre volont, sans difficult ni douleur.

    Ainsi, entend-on des gens affirmer avec conviction que l'homme libr est au del de toute peur, y compris la crainte de la souffrance physique. Ne faut-il pas alors se souvenir de la prire du Christ dans le Jardin des Oliviers, prire dans laquelle Il demandait tre pargn* du supplice qui l'attendait ? - car, contrairement un individu ordinaire, Il savait ce qui allait lui arriver. Or, on ne peut certainement pas dire que le Christ n'tait pas un tre libr ! Pourtant, mme Lui a prouv de la peur devant la terrible preuve de la crucifixion qui tait une mort infamante, abominablement longue et douloureuse.

    Comme mon mari le rappelle dans tous ses livres, nous sommes tous tragiquement humains ; face la duret de l'existence, il est toujours tentant d'imaginer des mythes qui satisferaient nos dsirs. Au lieu de nourrir des fables qui nous dtournent de la ralit, il est prfrable et mme ncessaire d'ouvrir les yeux et de comprendre que la souffrance constitue une motivation essentielle pour se lancer dans une voie spiri-tuelle, et que la possibilit d'y chapper ne relve pas du tangible.

    * * *

    * Dans l'vangile selon St Matthieu, le Christ dit :

  • 20 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    Ainsi, malgr ses douleurs physiques qui ne lui laissent aucun rpit, Salim a crit ces nouveaux textes l'intention de ses lves et de toute autre personne qui cherche et qui est ouverte son enseignement. Il reprend ici quelques thmes dj abords dans ses autres ouvrages, mais avec un clairage supplmentaire et de nouveaux dveloppements.

    Pour lui, tout est toujours neuf, car ille vit dans le prsent, au moment mme o il le formule. Il expose avec simplicit, force et clart les vrits spirituelles qu'il exprimente et qui sont le fruit de plus de cinquante annes de pratique spirituelle intensive.

    Parce qu'il tait musicien dans l'me, Salim a toujours t un tre exceptionnellement intrioris. De par son mtier de compositeur de musique symphonique (auquel il renona il y a une trentaine d'annes, pour se consacrer entirement son travail spirituel), il connaissait dj des sentiments d'lvation propres l'artiste, qui se situent au del de ce que peut ressentir le commun des mortels ; aussi, lorsqu'il se lana dans sa qute l'ge de vingt-neuf ans, aid par la concentration dveloppe la faveur de la cration musicale et par une sensibilit extrme, il prouva rapidement de puissantes expriences spirituelles et, par la suite, sans jamais les chercher, de nombreuses expriences phnomnales des plus troublantes qui lui ont apport des comprhensions et une vision du monde qu'il lui est trs difficile de faire partager des personnes encore largement tournes - mme si elles souhaitent le contraire - vers des proccupations terrestres. C'est pourquoi il faut que Salim trouve encore et encore de nouvelles manires de transmettre l'incommunicable.

    A maintes reprises dans le pass, il a eu 1' occasion de constater que ses lves revenaient le voir en ayant soit dform, soit oubli l'essentiel ; gnralement, on ne comprend que ce que 1' on veut, ou plutt, que ce que 1' on

  • INTRODUCfiON 21

    peut comprendre, et, de toute faon, emport dans cet tat d'absence intrieure qui est la condition habituelle de l'tre humain, on l'oublie, d'o la ncessit vitale des rptitions dans un enseignement et, par consquent, dans le prsent ouvrage.

    D'ailleurs, mme si l'on connat intellectuellement certaines vrits spirituelles, on ne les a, le plus souvent, pas suffisam-ment saisies en profondeur pour avoir la force de les mettre en pratique comme ille faudrait, d'o, nouveau, l'importance d'entendre l'essentiel rpt de multiples fois, de manire quelque peu diffrente, pour arriver traverser 1' paisseur de l'oubli.

    * * * Depuis sa jeunesse, Salim Michal a toujours t fascin

    par le mystre du Cosmos et par celui de l'existence ; c'est toujours une surprise douloureuse pour lui de voir que la plupart des gens ne s'interrogent sur rien. L'exigence qui 1' anime 1' a constamment pouss tout mettre en question, aussi bien en lui qu'autour de lui. Des circonstances difficiles l'ont plac, ds l'enfance, la frontire de l'Orient et de 1' Occident, sans religion ni langue maternelle ; il ne lui a en outre pas t possible d'aller l'cole. N'ayant pas de culture livresque, il n'a pas pu chercher dans des crits les rponses aux questions primordiales qu'il se posait. D'ailleurs, il n'a jamais accept de croire quoi que ce soit, mais il a toujours voulu dcouvrir par exprience les rponses aux interroga-tions mtaphysiques qui le hantaient, afin de trouver une vrit au del des dogmes, une vrit que 1' on ne peut pas perdre*.

    * > Simone Weil (Attente de Dieu)

  • 22 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    Par son constant questionnement sur le monde existentiel, le sens de la vie, de la souffrance et de la mort, Salim est un vritable penseur, un penseur qui veut inciter ses lecteurs penser. Il a toujours refus l'attitude passive gnralement admise, consistant se dire que, de toute faon, il est inutile de chercher puisqu'il est impossible d'obtenir des rponses satisfaisantes pareilles nigmes.

    Et, parce qu'il s'appuie sur ses propres expriences et non sur un conditionnement religieux, il a la libert de reconnatre l'authenticit des tmoignages mystiques prsents dans toutes les traditions religieuses ; c'est pourquoi il cite aussi bien les vangiles, le Dhammapada, la Bhagavad Gt ou des mystiques soufis. En effet, ce n'est qu' travers une exprience personnelle directe de la Transcendance que 1' on peut dpasser les diffrences de dogmes et parvenir la vritable tolrance.

    * * * C'est justement parce que les religieux restent le plus

    souvent au niveau des croyances et des rituels au lieu de viser 1' exprience intrieure directe que, lors des nombreuses rencontres interconfessionnelles organises en vue de faire natre plus de comprhension, ils affectent une sympathie les uns pour les autres, mais chacun dans son cur demeure persuad non seulement de la supriorit de sa religion, mais aussi de 1' garement des autres.

    Ainsi, entre christianisme et bouddhisme, l'existence d'un Dieu Crateur, la rincarnation, la notion du moi sont des sujets qui dressent des barrires apparemment infranchissables entre les pratiquants.

    Les bouddhistes insistent avant tout sur la matrise de 1' esprit, sans s'appuyer sur la dvotion envers une puissance suprieure ; or, on ne peut nier les sommets spirituels atteints par certains grands mystiques chrtiens, soufis ou hindous pratiquant exclusivement la voie de la dvotion.

  • INTRODUCTION 23

    D'ailleurs, un chrtien pieux qui a connu des moments de lumire intrieure et d'lvation se sentira tranger aux formulations bouddhistes de type apparemment purement psychologique sur le fonctionnement de 1' esprit, qui semblent ignorer la Transcendance et le Sacr.

    Le christianisme demande ses fidles un changement intrieur, mais sans mettre en cause les racines mmes de la croyance en un moi individuel, autonome et permanent, tandis que le bouddhisme insiste avec force sur l'irralit de ce que l'on appelle ordinairement le moi .

    Par ailleurs, un bouddhiste familiaris avec le phnomne des tulkus et qui s'intresse aux recherches menes de faon scientifique depuis quelques dizaines d'annes sur les enfants se souvenant de vies antrieures* ne peut que regarder comme irraliste le refus du christianisme de considrer la possibilit de la rincarnation.

    Ainsi, chacun reste sur ses positions, sans arriver rel-lement comprendre le cheminement spirituel de 1' autre. Or, notre poque, beaucoup de personnes en recherche ne veulent pas se laisser enfermer dans les positions doctrinales des uns et des autres; c'est en cela que l'approche de Salim Michal rpond tout particulirement aux besoins de notre temps.

    Comme dit prcdemment, son destin 1' a prserv des conditionnements religieux ; aussi, a-t-il emprunt une voie fonde sur la reconnaissance exprimentale d'un autre tat d'tre en soi-mme. C'est ce qui fait la spcificit de son enseignement et qui lui permet de dpasser les approches dogmatiques qui sparent les diffrentes religions.

    * Travaux mens par un psychiatre amricain, lan Stevenson, qui a publi de nombreux ouvrages, dont, traduits en franais : Les enfants qui se souviennent aux ditions Sand et Rincarnation et Biologie aux ditions Dervy. Voir galement le livre de Jean-Pierre Schnetzler De la Mort la Vie aux ditions Dervy.

  • 24 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    Salim met avant toute chose 1' accent sur la ncessit de parvenir, par des exercices de concentration spcifiques, faire clairement la distinction entre les longs moments o 1' on est englouti dans un tat qu'il qualifie de sommeil diurne et les brefs instants o l'on russit se dcoller de ce que l'on est habituellement et tre conscient de soi-mme d'une manire tout autre que celle qui est ordinairement la ntre. Tant que l'on n'a pas nettement senti cette diffrence, cet autre tat d'tre, on ttonne.

    Avoir distinctement reconnu cette diffrence et savoir comment retrouver cet tat reprsentent des cls essentielles qui raccourcissent le chemin du chercheur.

    Salim fournit encore une autre cl vitale : ce retour soi, c'est le tout dbut du retour l'Inconditionn, qu'on l'appelle sa Nature-de-Bouddha, l'Infini ou Dieu ; il s'agit l d'un mystre qui donne le vertige et qu'il faut arriver saisir par soi-mme, comme rsultat de sa propre pratique.

    Si, par une concentration rigoureuse et soutenue durant la mditation, on parvient se dtacher des proccupations extrieures, et que 1' on russit demeurer dans cet autre tat d'tre et de conscience, il est possible d'arriver connatre au moins un aperu de ce que Salim appelle une immense tendue d'tret-Conscience Impersonnelle, autrement dit, de l'Absolu, de l'Infini en soi. Alors, la question du moi* et du non-moi (anatta) ne se pose plus, elle est rsolue par l'exprience directe. Dans le silence de l'Insondable, on saisit le langage des grands mystiques de toutes les religions et les barrires de 1' incomprhension et de la division tombent.

    * * *

    * Dieu doit tre si prs de moi, et moi si prs de Lui, que ce moi et ce Lui ne fassent qu'un seul, car tant que ce Lui et ce moi, c'est--dire Dieu et l'me, ne sont pas unique ici et maintenant, le moi ne pourra jamais oprer ni devenir un avec Lui. Matre Eckhart

  • INTRODUCTION 25

    Lorsque 1' on s'engage dans une voie spirituelle, on est au dpart port par 1' enthousiasme de la nouveaut, un enthou-siasme qui, tt ou tard, finit par se faner ; on se retrouve alors confront la difficult de ne pas se dcourager et de toujours recommencer, avec davantage de comprhension et de dtermination. C'est pourquoi il est tellement ncessaire de re-stimuler notre pratique par la lecture d'crits spirituels inspirants.

    Au sujet de cette difficult immense de poursuivre le chemin avec la tnacit ncessaire, Tenzin Palmo, une trs remarquable enseignante dans la tradition du bouddhisme tibtain, crit* :

    tre conscient pendant quelques minutes, c'est dj beaucoup. Si "vigilance" est synonyme de "se souvenir", il en rsulte que l'ennemi de la conscience veille est l'oubli, la distraction. On est capable d'tre conscient pendant quelques brefs instants, puis on oublie. Comment se souvenir d'tre conscient ? C'est l tout le problme. Car nous avons cette colossale inertie. Nous n'avons tout simplement pas l'habitude d'tre conscients. (. .. )

    Le problme de fond, c'est qu'on veut et qu'on ne veut pas l'veil. La peur et la lthargie nous arrtent. ( ... ) En dpit de toutes nos allgations de vouloir parvenir l'veil afin d'aider les tres, on ne le veut pas vraiment. On aime surtout rver.

    Salim Michal, qui a compris avec une telle acuit le drame de ce sommeil diurne dans lequel on passe gnrale-ment sa vie sans le savoir, nous livre, avec une immense compassion, dans ce nouvel ouvrage, dans ce testament spirituel, des moyens, des indications, des incitations et des

    * dans sa biographie crite par Vickie Mackenzie, parue sous le titre " Un ermitage dans la neige aux ditions Nil.

  • 26 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    rflexions afin de nous aider aller au del de notre inertie. Il ne peut que nous montrer la voie : aprs, c'est chacun de trouver en lui-mme les ressources requises pour s'y engager.

    notre poque, o l'on pense pouvoir tout obtenir rapide-ment et sans effort, son enseignement peut paratre rigoureux et svre. Or, il ne propose jamais des chercheurs quelque chose qu'il n'ait d'abord pratiqu lui-mme ; et c'est cette exigence qui lui a permis de connatre des expriences spirituelles dterminantes qui lui ont apport une connaissance directe des plus prcieuses dans un domaine o il est si courant de s'garer dans des dogmes ou de simples spcula-tions intellectuelles. C'est cette mme exigence qui se retrouve dans les grands textes mystiques des diffrentes traditions du monde, textes qui ont nourri des gnrations d'aspirants en qute d'une paix et d'une sagesse qui ne passent pas. Et c'est bien sous cet angle qu'il faut lire cet ouvrage, en le considrant comme une nourriture, en vue de faire crotre en soi "le grain de snev*", de dcouvrir le sens de la vie et de trouver la force d'affronter les turbulences de notre socit devenue tellement matrialiste.

    * "Il dit encore: quoi le Royaume de Dieu est-il semblable, et quoi le comparerai-je? Il est semblable un grain de snev qu'un homme a pris et plant dans son jardin; il pousse, devient un arbre, et les oiseaux du ciel habitent dans ses branches." vangile selon Saint Luc, 13,18-2.

  • AVANT-PROPOS

    Il est inhabituel de commencer un livre consacr un enseignement spirituel par une histoire - qui est en fait un conte symbolique que j'ai crit l'intention de mes lves. La raison pour laquelle j'ai dcid de placer ce rcit au dbut de cet ouvrage est que j'ai constat, non seulement chez mes lves, mais aussi chez d'autres personnes venues me voir, une incomprhension au sujet du sacrifice intrieur auquel il faut consentir afin de pouvoir atteindre le Nirvna ou ce que le Christ appelait le Royaume des Cieux . On veut rester tel que l'on est habituellement, avec tous les bagages de dsirs et de penchants indsirables que l'on porte en soi-mme, et tre tout de mme admis dans des Territoires Sacrs Invisibles - ce qui est irraliste !

    Ce conte, intitul Damma et la Montagne Sacre, qui, comme je viens de le dire, a t originellement invent pour aider mes lves, illustre la ncessit de ce sacrifice ; et, comme j'ai pens que les symboles qu'il contient peuvent tre utiles d'autres chercheurs sur la Voie, je 1' ai finalement incorpor dans ce livre.

    Le thme en est donc une transformation trs particulire qui doit s'effectuer en 1' aspirant, mais qui semble gnrale-ment inacceptable, car elle implique de passer par une mort intrieure pour se dfaire de ce que 1' on croit possder comme individualit - une mort intrieure sans laquelle on ne peut parvenir une vritable illumination, et laquelle j'ai fait rfrence dans quasiment chaque chapitre de cet ouvrage.

    Le renoncement, dont le Bouddha ne cesse de parler dans le Dhammapada, en tant que condition pralable pour atteindre le Nirvna, implique ncessairement cette mort

  • 28 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    intrieure. Et, lorsque le Christ parle de renatre pour entrer dans le Royaume des Cieux, cette renaissance ne signifie-t-elle pas galement qu'il faut mourir ce que 1' on est ordinairement pour pouvoir tre admis dans le Royaume?

    Le dsert figurant dans ce conte symbolise le monde mani-fest, dans lequel l'unique intrt de la majorit des hommes et des femmes est centr l'extrieur d'eux-mmes. Sans en avoir conscience, ils sont dvors par leurs soucis, leurs dsirs irralistes et leurs tourments, et ne se proccupent jamais du sens de leur existence ; leur vie se passe dans ce que, du point de vue spirituel, on peut appeler un dsert. Or, lorsque l'heure incontournable de la mort survient, qu'y a-t-il de plus drama-tique pour un tre humain que de partir sans avoir connu la raison de son incarnation dans cette forme d'existence ni apprhend la finalit, qui demeure gnralement obscure, de cette gigantesque manifestation de vie et de cration dans l'Univers !

    Les enseignements spirituels traditionnels ont toujours fait rfrence, soit directement, soit indirectement, cette mort soi-mme. Un noyau de datte peut servir pour illustrer la ncessit de cette mort particulire travers laquelle il faut passer. En effet, ce n'est que lorsqu'il est plant et meurt son individualit en tant que noyau qu'il peut tre transmut en un magnifique palmier qui, chaque anne, produira des centaines de dattes contenant chacune un noyau ; et, si l'on plante ces noyaux, ceux-ci donneront leur tour naissance une multitude d'autres palmiers qui, eux aussi, produiront un nombre incalculable de fruits, et ce, l'infini ! On ne peut qu'tre stupfait lorsque l'on considre ce qu'un seul noyau recle en lui comme potentialits - qui demeureront non ralises s'il ne passe pas par cette mort lui-mme. Il en est de mme pour le chercheur. La Lumire spirituelle qu'il peut atteindre en lui la suite de cette mort intrieure reprsente une nourriture cleste qu'il pourra apporter d'autres et qui

  • AVANT-PROPOS 29

    est d'un tout autre niveau que ce que le monde leur offre comme richesses matrielles qui, elles, ne peuvent qu'tre phmres, les laissant par la suite toujours insatisfaits et affams.

    Je me dois de prciser, pour les personnes qui ne connais-sent pas mes ouvrages prcdents, que, bien que n en Angleterre, j'ai pass toute mon enfance en Orient, et que les continuels dplacements de mon pre dans diffrents pays de cette rgion du globe en vue de trouver du travail ne m'ont pas permis d'aller l'cole, en consquence de quoi, l'ge de dix-neuf ans, je ne savais ni lire ni crire. De surcrot, toujours cause des incessantes prgrinations subies par ma famille, je ne possde mme pas de langue maternelle ; je n'ai appris le franais que d'oreille. En raison de mon manque d'instruction, j'prouve les plus grandes difficults lire; en fait, part le Dhammapada, la Bhagavad-Gt et les vangiles, je n'ai lu que trs peu d'ouvrages durant toute ma vie et, souvent mme, sans pouvoir les terminer, ce qui fait que je n'ai aucune culture livresque. Je ne me considre nullement comme un crivain et, comme je ne suis que trop conscient de mes limites, je prie mes lecteurs de me pardonner toutes les imperfections qu'ils pourront trouver dans mes textes.

    J'aimerais ajouter que le fait que ma grand-mre maternelle tait originaire de l'Inde peut expliquer mon intrt pour ce pays et pour le bouddhisme.

    Je me trouve dans la ncessit d'expliquer que les rptitions existant dans les diffrents chapitres de cet ouvrage sont malheureusement invitables. En effet, on est, notre poque, tellement conditionn par des influences qui ne cessent d'en-vahir le monde de partout, et qui se rvlent adverses toute qute spirituelle, qu' il est devenu presque impossible pour des personnes qui abordent ce travail de saisir ce que signifie une prsence soi-mme trs particulire et une conscience

  • 30 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    de soi tout autre que celle que 1 'on connat habituellement, et qui sont vitales pour le But qu'elles cherchent atteindre. Il leur faut du temps et des exercices spcifiques, tels que ceux que j'ai donns dans plusieurs de mes ouvrages*, pour qu'elles arrivent comprendre 1' importance capitale de cette prsence et de cette conscience de soi inaccoutume - si elles esprent parvenir un jour une illumination relle et non pas se contenter d'une simple connaissance intellectuelle propos d'une exprience si difficile apprhender ordinairement.

    Je ne peux jamais suffisamment remercier ma bien-aime femme Michle pour ses encouragements continuels et pour avoir, avec patience, corrig mes erreurs de grammaire, mes tournures de phrases incorrectes et mes fautes d'orthographe, ce qu'elle a fait avec grands scrupules pour ne pas dformer ma pense. Elle a t tmoin de ma difficult pour coucher sur le papier ce qui appartient un domaine au del du langage ordinaire, et de ma douleur pour tre aussi exact et rigoureux que possible pour viter d'garer les autres. Mes lecteurs ne sauront jamais quel point ils lui sont redevables pour le texte qu'ils vont dcouvrir ici ainsi que pour tous mes autres ouvrages.

    Je remercie aussi Jacques Godet qui, avec fidlit, a consa-cr du temps relire ces crits et me faire des suggestions en vue d'amliorer mon style et mon vocabulaire, ce pourquoi je lui suis trs reconnaissant.

    Je laisse prsent mes lecteurs avec Damma et la Montagne Sacre , qui constitue une sorte d'introduction aux chapitres qui suivent.

    Salim Michal

    * La Voie de la Vigilance intrieure, Pratique spirituelle et Eveil intrieur, La Qute Suprme, Les obstacles l'Illumination et la Libration.

  • DAMMA ET LA MONTAGNE SACRE

    Il tait une fois, en des jours trs anciens, une belle rivire dnomme Damma. Elle avait beaucoup voyag, parcourant d'normes distances et luttant souvent contre toutes sortes d'obstacles qui se dressaient sur sa route et qu'il lui fallait franchir avec difficult ou contourner pour pouvoir poursuivre son chemin.

    Ici et l, des ruisseaux qu'elle rencontrait sur son passage voulaient, en raison de sa beaut, se fondre en elle avec allgresse, ce qui lui faisait trs plaisir, car cela la rendait encore plus imposante et plus belle. Parfois, elle arrivait face d'immenses ravins qui, curieusement, ne 1' effrayaient nullement ; au contraire, elle prouvait mme une grande joie chuter librement dans le vide, ses eaux se jetant en cascade sur les rochers dans un grand tourbillonnement d'cume blanche. C'tait pour Damma des jeux dont elle ne se lassait pas, car, outre le plaisir qu'elle prenait dans le surgissement continu des vagues qui s'lanaient sans cesse les unes contre les autres, elle tait tout fait consciente de susciter l'admi-ration de tout le monde, tandis que ses flots se prcipitaient de faon grandiose de ces falaises abruptes.

    Elle poursuivait rsolument sa route qui, en vertu de l'implacable loi de la pesanteur, la menait toujours plus bas jusqu'au jour o elle se trouva, sa surprise et sa grande consternation, face un immense dsert dnu de toute trace de vie et qui s'tendait perte de vue !

    Devant ce vaste espace inhospitalier qui se prsentait elle, dont la scheresse lui paraissait si menaante, Damma ne savait pour quelle raison elle prouvait un trange sentiment de malaise, qu'elle ne pouvait carter.

  • 32 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    Tandis qu'elle continuait contempler 1' immensit dnude qui s'talait aussi loin que pouvait porter le regard, une ten-due dsertique qui lui donnait l'impression d'une effroyable solitude inquitante, elle prit tout coup conscience de la prsence lointaine, l'autre extrmit de ce dsert, d'une mystrieuse montagne qui se dressait majestueusement l'horizon, aurole d'une Lumire Surnaturelle, et d'une beaut si clatante qu'elle en demeura fige de stupeur et d'merveillement!

    Alors qu'elle fixait son regard sur cette montagne dont la splendeur ne cessait de la fasciner, Damma eut soudain la sensation troublante, qu'elle ne pouvait expliquer, que la montagne l'appelait elle et que, d'une manire incomprhen-sible, son destin se trouvait li cette montagne nigmatique. De surcrot, elle devint consciente d'un pressentiment des plus inexprimables qui se manifestait en elle, comme si elle voulait se rappeler de quelque chose qui avait un rapport avec cette montagne mystrieuse, mais qui demeurait insaisissable. Des motions, trop obscures pour qu'elle puisse apprhender leur signification, 1' envahissaient avec une telle insistance, comme pour l'inciter dcouvrir ce que cette montagne recelait si nigmatiquement, quelque chose dont il lui fallait se souvenir. Damma fut tout coup frappe par une trange pense : tait-il possible que cette montagne porte en elle le secret de son origine, qu'illui fallait dvoiler?

    Aprs un moment d'hsitation, elle prit sa dcision et fona dans le dsert en direction de la montagne. Mais, horreur ! sa stupfaction, d'une faon inattendue, elle commena s'enfoncer dans les sables et tre dvore par le dsert ! Terrorise, la rivire appela les dieux son secours. Elle les invoqua dsesprment, avec une telle intensit que, soudain, elle entendit une voix extraordinai-rement belle et pleine de compassion, qui lui demanda ce

  • AVANT-PROPOS 33

    qu'elle voulait. Soulage, Damma rpondit qu'elle dsirait rejoindre la montagne qui se trouvait l'autre bout du dsert, mais qu'aussitt qu'elle s'y aventurait, le sable se mettait l'avaler; et elle ajouta qu'elle ralisait, avec un sentiment de profonde tristesse, qu' moins d'avoir le moyen de vaincre ce monstre, jamais elle ne pourrait parvenir cette prcieuse montagne pour laquelle elle ressentait un attrait irrsistible. Elle supplia la voix de lui expliquer comment faire pour se rapprocher de la montagne sans devenir la victime de cette implacable crature.

    La Divinit fut tellement touche par l'ardeur et la sinc-rit de Damma qu'Elle reprit la parole pour lui indiquer comment, sans tre dtruite en route par le dsert, atteindre son objectif qui, lui dclara-t-Elle, tait effectivement une Montagne Sacre.

    En percevant cette voix surnaturelle - qui, de la manire la plus surprenante et inexplicable ordinairement, rsonnait directement en elle, sans aucun son extrieur audible -, Damma ralisa qu'en raison de la particularit de sa Nature, la Divinit ne pouvait ni se faire entendre, ni se rvler elle de faon tangible !

    Aprs un moment de silence, la Divinit reprit la parole pour lui dire que la Montagne Sainte tait en toute vrit la Source d'o elle avait originellement surgi et qu'Elle compre-nait son dsir de La rejoindre, mais que la seule possibilit pour elle d'accomplir son souhait consistait accepter au pralable de perdre son individualit en tant que rivire pour tre transforme en quelque chose de beaucoup plus fin qui, seul, pourrait traverser ce dsert sans tre dvor par lui. Parmi ses innombrables fidles serviteurs, il y en avait deux, le Soleil et le Vent, qui, justement, possdaient les pouvoirs ncessaires pour aider Damma raliser son vu.

  • 34 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    Elle lui expliqua qu'Elle pouvait donner au Soleil l'ordre d'augmenter le feu de ses rayons au point que la chaleur dgage l'vapore compltement ; puis, Elle ordonnerait au Vent de souffler avec vigueur afin qu'il la transporte sur la Montagne Sacre.

    Mais, quand Damma apprit qu'il lui fallait perdre son individualit en tant que rivire et tre transmute en simple vapeur, elle fut saisie de terreur, car la perte de son individua-lit signifiait pour elle une vritable mort, la mort de ce qu'elle prenait pour tre elle-mme ! De plus, si elle se laissait consumer par cette terrible chaleur, pareille celle d'une fournaise, pour tre mtamorphose en vapeur, comment pourrait-elle se reconnatre par la suite ? Cette interrogation ajoutait son effroi de passer par une preuve aussi redoutable ! Elle essaya alors d'expliquer la Divinit l'horrible peur qu'elle ressentait, lui disant qu'elle voulait rester telle qu'elle tait, sans subir ce qui lui paraissait la mort de son tre et qui lui semblait inacceptable, et tout de mme atteindre la Sainte Montagne pour laquelle elle prouvait un si fort attrait.

    La Divinit l'couta avec beaucoup de compassion, puis, aprs quelques instants, Elle reprit la parole et, d'une voix douce, pleine de bienveillance pour Damma, Elle lui dit qu'Elle comprenait son dilemme et, surtout, sa crainte de l'inconnu, mais que, dans ce cas, Elle se trouvait dans l'impossibilit de 1' aider. Aprs une pause qui sembla trs longue Damma, la Divinit prit cong d'elle. En n'entendant plus sa voix, elle eut le sentiment douloureux d'tre abandonne. Elle resta ainsi seule, profondment abattue, ne sachant que faire !

    Tout le temps qu'elle regardait le dsert, elle avait 1' trange impression que lui aussi l'observait, mais avec un air narquois, comme pour la dfier de le traverser. Il lui semblait tellement immense et incroyablement hostile et menaant. Elle apercevait

  • AVANT-PROPOS 35

    l'horizon la silhouette lumineuse de la Sainte Montagne qui, prcisment parce qu'Elle lui paraissait si difficile atteindre, en tait devenue d'autant plus attirante et chre ses yeux.

    Chaque fois que son regard se posait sur cette Montagne, sa vue faisait surgir en elle le sentiment indfinissable d'un curieux souvenir silencieux qui lui semblait li un pass inscrutable, et pour lequel elle ne pouvait trouver aucune explication. Elle resta encore quelque temps face au dsert qu'elle regardait comme un ennemi sur sa route vers cette Montagne l'apparence si mystrieuse et pourtant trangement familire!

    Comme elle ne voulait pas mourir son identit en tant que rivire, identit laquelle elle tait trs attache, elle dcida d'effectuer une nouvelle tentative pour traverser l'immensit dsertique qui s'tendait devant elle. Mais, peine et-elle commenc s'avancer qu'elle se retrouva nouveau engloutie par ce monstre. Elle reconnut alors son incapacit rejoindre la Montagne par ses propres moyens. Accable par sa dfaite, elle finit par raliser que, si elle voulait atteindre son but, elle n'avait d'autre alternative que d'accepter ce que la Divinit lui avait propos. Elle Lui lana alors un cri dsespr, La suppliant de venir son secours et Lui demandant de la pardonner de ne pas avoir compris la sagesse de sa proposition.

    Aprs ce qui lui sembla tre une assez longue attente, Damma sentit soudain un mystrieux remous dans l'air envi-ronnant et, presque simultanment, elle entendit la voix divine qui s'adressait elle, comme prcdemment, directement dans son esprit.

    Sans hsitation, Damma lui dclara qu'elle avait pris conscience que son dsir de rejoindre la Montagne tait plus grand que la peur qu'elle prouvait l'ide de mourir son

  • 36 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    individualit. Elle avait vu l'impossibilit pour elle de vaincre le dsert, et le tourment qui 1' affligeait de ne pouvoir le franchir lui tait devenu intolrable ; elle implora la Divinit de faire le ncessaire pour 1' aider raliser son vu.

    La Divinit couta Damma avec beaucoup d'intrt et d'amour compatissant, et, de sa douce et belle voix, Elle lui assura que son souhait de rejoindre la Montagne serait exauc, qu'elle ne devait pas craindre la mtamorphose qu'il lui fallait subir pralablement, et que ce n'tait pas si effroyable qu'elle se l'imaginait.

    Un changement impressionnant se produisit alors dans la voix de la Divinit. Elle appela avec une autorit majestueuse le Soleil qui Elle donna l'ordre d'augmenter l'intensit de son feu jusqu'au degr ncessaire pour vaporer compltement Damma, laquelle, ralisant qu'elle allait tre transforme en quelque chose qui la rendrait mconnaissable, ne put viter d'tre saisie d'apprhension.

    Le Soleil, heureux de l'opportunit d'tre utile, se mit immdiatement 1' uvre ; il brilla avec une telle force qu'en peu de temps, Damma fut totalement transmute en vapeur, ce qui ne lui fut possible qu'au prix d'une certaine souffrance - qu'elle accepta sans regimber, puisqu'il s'agissait d'atteindre son but, devenu tellement vital pour elle.

    Puis, la Divinit convoqua le Vent, qui Elle ordonna d'emporter ce que Damma tait devenue, par del le dsert, jusqu' la Montagne. Trs content de l'occasion qui lui tait offerte de rendre ce service, le Vent se mit souffler avec une telle ardeur qu'il ne fallut pas longtemps pour que Damma se retrouve sur la Montagne Sainte, qu'elle reconnut alors, avec une joie inexprimable, comme tant la Source mme d'o elle avait originellement surgi.

  • AVANT-PROPOS 37

    Elle fut tout coup saisie par un sentiment de reconnais-sance si profond lorsqu'elle ralisa qu'au fond, non seulement elle n'avait rien perdu en mourant son individualit, mais, tout au contraire, elle avait, en change de cette perte, gagn le trsor le plus sublime qui soit : elle s'tait retrouve ; en d'autres termes, elle avait retrouv son Origine Primordiale, qui est Divine !

    Oh miracle, Oh merveille incomparable ! Elle se sentit comble par la Lumire blouissante de sa Vritable Nature, de sa Nature-de-Bouddha, que rien jamais ne pouvait plus lui drober!

  • I l existe, disciples, un non-n, non-produit, non-cr, non-form.

    S'il n'y avait pas, disciples, ce non-n, non-produit, non-cr, non-form, il n'y aurait pas d'issue pour le n, le produit, le cr, le form.

    Mais, puisque, disciples, il existe un non-n, non-produit, non-cr, non-form, cause de cela, il existe une issue pour le n, le produit, le cr, le form.

    (Udhna, VIII).

  • CHAPITRE 1

    LES DIFFRENTS NIVEAUX DE

    CONSCIENCE

    DONT L'HOMME IGNORE L'EXISTENCE

    En dpit de toutes les investigations que les tres humains effectuent sur le Cosmos et la Cration, comme ils ne cherchent gnralement pas se connatre, c'est--dire, se connatre du point de vue spirituel, ils ne peuvent que demeurer tels qu'ils sont habituellement, avec leur regard tourn uniquement vers l'extrieur, vers ce que leurs organes sensoriels (pourtant trs limits) leur transmettent - et qu'ils considrent comme tant la seule ralit existante. Aussi, le fonctionnement de leur psych n'est, en raison mme de son vidence, pas mis en question, alors que c'est justement le changement de cet aspect de leur nature qui constitue le moyen par lequel il leur est possible d'voluer un plan d'tre tout autre que celui qui est le leur d'ordinaire.

    En fait, l'homme ne semble pas raliser que sa possibilit d'volution se situe non pas, comme ille pense communment, sur un plan purement physique, mais sur un plan psychique qui est hors du temps et du tangible, et qui est li au change-ment de la qualit de sa conscience.

    C'est la raison pour laquelle 1 'tude des diffrents niveaux de conscience possibles l'tre humain se rvle vitale pour

  • 40 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    le chercheur, s'il en saisit les implications relles pour le travail spirituel qu'il tente d'accomplir sur lui-mme.

    Il s'avre indispensable pour lui de savoir qu' part la forme de conscience dans laquelle 1 'homme ordinaire passe sa vie et que, dans son ignorance, il prend pour tre la seule concevable, il existe toute une gamme de diffrents niveaux de conscience qui s'lvent jusqu' la Conscience Suprme, autrement dit, Divine, une Conscience Inconditionne, des plus Pures, qui est en fait sa vraie nature, sa Nature-de-Bouddha - qu'il lui faut arriver reconnatre et dans laquelle il lui est ncessaire d'apprendre se tenir pour tre en mesure d'affronter sa mort de la manire dont il doit le faire le jour o il sera appel quitter ce monde.

    Il lui est possible, suite une pratique srieuse de la mditation, de rejoindre cette Pure Conscience Lumineuse sur laquelle repose son espoir de libration et grce laquelle il peut commencer percevoir, avec suffisamment de clart, le drame du labyrinthe mental dans lequel il se trouve pig - labyrinthe qu' son insu, il a lui-mme bti avec ses penses indisciplines qui ne cessent de tournoyer dans son esprit, sans but dfini.

    L'aspirant doit comprendre que, dans certaines circons-tances, il peut arriver un homme de toucher un tat de conscience plus lev que celui dans lequel il vit habituelle-ment ; toutefois, mme s'ille remarque, du fait qu'il ne saisit pas la signification pour lui de cette transformation dans la qualit de sa conscience - et qui est en fait un appel de sa Nature Suprieure -, il n'est pas mme d'en apprcier la valeur. Et, pareillement, il peut se produire, durant la pratique de mditation du chercheur, une lgre ou, parfois, une assez grande modification de sa conscience, mais, le plus souvent, ce changement dans sa conscience lui chappe ou, mme s'il s'en rend compte, il n'est, gnralement, pas suffisamment

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    prt pour en apprhender 1' importance pour ce qu'il tente d'atteindre spirituellement.

    Normalement, 1 'tre humain ne connat que deux sortes de consciences, l'une lorsqu'il dort la nuit et l'autre ds qu'il s'veille le matin. Lorsqu'il sombre dans son sommeil nocturne, la qualit de sa conscience change, elle subit une modification significative. En effet, elle est rduite au point que le dormeur n'a aucun contrle ni sur son esprit, ni sur les diffrents rves qui surgissent continuellement en lui, sa conscience prenant la forme mme de chacune des images qui se succdent dans son mental. De plus, ce que l'on appelle communment la conscience de soi - qui existe en 1 'tre humain, mais que 1' animal ne possde pas - se trouve alors quasiment oblitre.

    Tel qu'il est d'ordinaire, en raison d'un trs curieux tat d'absence lui-mme dans lequel se droule gnralement sa vie, il est impossible l'homme de souponner que, lorsqu'il sort de son sommeil nocturne, il continue pourtant de dormir, mais d'une autre manire, qui lui chappe.

    En effet, tout comme sa conscience subit d'incessants changements au cours de ses rves nocturnes (selon les sortes de penses et d'imaginations qui s'lvent et s'vanouissent en lui sans contrle de sa part), de mme, durant la journe, il est, son insu, la proie de processus mentaux tout aussi incontrls et dsordonns ; toutefois, comme il vient d'tre dit, en raison de son tat coutumier d'absence lui-mme, il n'en est pas conscient. Et c'est prcisment cause de ce dramatique tat de sommeil diurne dans lequel vit l'homme du commun que 1 'humanit se trouve plonge dans un tel chaos et subit tant de souffrances.

    Quand quelqu'un est perdu dans son sommeil nocturne, il ne sait pas qu'il dort ! Ce n'est qu' son rveil qu'il peut

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    prendre conscience du fait qu'il tait endormi l'instant d'avant. Il en est de mme pour le chercheur ; ce n'est que lorsqu'il arrive, grce un exercice de concentration spcifique*, se dcoller un peu de son tat habituel d'absence intrieure qu'il peut se rendre compte qu'il tait effectivement endormi en lui-mme le moment prcdent.

    C'est justement le fait d'avoir clairement vu la diffrence existant entre son tat coutumier d'absence intrieure, ou, en d'autres termes, de sommeil diurne, dans lequel il tait enseveli le moment d'avant, et le court instant o il est parvenu s'veiller un peu qui constitue le pas dcisif et 1' essence mme de tout le travail spirituel qu'il doit accomplir sur lui-mme.

    Il s'avre ncessaire de rappeler l'aspirant qu'il est de la plus haute importance pour le but qu'il cherche atteindre spirituellement de comprendre que, comme mentionn ci-dessus, une fois qu'il est emport dans son sommeil nocturne, il lui est impossible de savoir qu'il dort ; de mme, tout le temps au cours duquel il est englouti dans son sommeil diurne, il ne peut pas, non plus, raliser qu'il dort. Ce n'est que s'il lui arrive soudainement de s'veiller intrieurement qu'il peut se rendre compte, avec surprise, qu'il tait en train de dormir en lui-mme l'instant prcdent.

    L'crasante majorit des chercheurs semblent ignorer ce problme - qui est 1 'obstacle principal leur fermant la porte la Lumire dont ils ont un besoin imprieux pour leur mancipation.

    On entend souvent des aspirants dirent que leur but est de devenir un Bouddha. Mais le mot Bouddha ne signifie-t-il pas un "veill" ? Et si l'on parle de quelqu'un d'veill, n'est-ce pas parce qu'il est le contraire d'un endormi ? C'est une

    *comme ceux que j'ai donns dans plusieurs de mes ouvrages.

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    question qui doit fortement interpeller le chercheur, au point de lui faire sentir 1 'urgence de ce qui est en jeu pour lui dans une qute spirituelle et, ainsi, de lui faire mieux saisir la sorte d'efforts - qui n'ont aucun rapport avec ceux que 1 'on est habitu fournir dans la vie ordinaire - qu'illui faut effectuer s'il veut parvenir un jour tre un Bouddha, en d'autres termes, un veill !

    * * * Ds qu'un nouveau-n ouvre les yeux au monde phnom-

    nal, moins qu'il n'ait la chance de natre dans une famille hautement veille spirituellement - ce qui est de 1 'ordre du rarissime -, il subit une terrible pression, quasi irrsistible, de son entourage et finit rapidement par oublier la Source Mystrieuse d'o il a merg l'instant de sa naissance. On ne peut qu'tre saisi d'une profonde compassion en constatant qu'au fur et mesure qu'il grandit, en raison de son extrme vulnrabilit, il est impossible l'enfant d'chapper l'influence prgnante de ses ans ; aussi imite-t-il son dtriment tout ce qu'ils font dans la vie ainsi que leur manire d'tre avec les autres. De cette faon, son destin se trouve dj tragiquement scell : il devient, comme eux, un endormi !

    Une fois qu'il a sombr dans ce pitoyable tat, il est trs difficile un tre humain d'en sortir, car la force de la pesan-teur et de l'habitude en lui est telle qu'il ne peut viter de s'attacher toujours davantage cet tat d'tre particulier, qui lui est devenu coutumier et dans lequel il se trouve son insu continuellement berc - comme un enfant est berc pour qu'il s'endorme. En outre, les plaisirs sensoriels ne font que renforcer son attachement ce qu'il regarde dsormais comme tant lui-mme, le maintenant ainsi prisonnier dans ce dramatique sommeil diurne o il ne peut qu'tre la proie de n'importe quelle pense ou de n'importe quel dsir s'levant en lui, ou encore la victime de situations dplaisantes ou

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    mme dramatiques - qu'il aurait peut-tre pu viter s'il avait t plus prsent lui-mme.

    Si une personne qui, grce aux efforts spirituels qu'elle a fournis, a russi sortir de ce tragique tat de sommeil intrieur cherche, par compassion, aider ses semblables s'en veiller, ceux-ci rejettent, avec parfois mme de l'hosti-lit ouverte, tout ce qui peut dranger la tranquillit de leur sommeil diurne, tout comme quelqu'un qui dort la nuit, non seulement ne veut pas qu'on le rveille, mais encore se fche contre celui qui persiste oser le faire !

    Tant que l'homme demeure tel qu'il est habituellement, avec son regard tourn uniquement vers le monde des sens qui accapare toute son attention et retient tout son intrt, il ne peut que rester un endormi et, par consquent, un tre tragiquement inachev ! Il ne sera jamais en mesure de raliser que beaucoup de ses problmes dans la vie - qu'il subit souvent avec impuissance - ainsi que son ignorance du sens de 1 'existence phnomnale sont dus la qualit de sa conscience coutumire qui est beaucoup trop limite pour pouvoir dissoudre les paisses tnbres de son moi profane afin que la Lumire qu'il porte dans le trfonds de son tre puisse surgir la surface de lui-mme et l'clairer.

    Aussi, ne peut-il, dans son aveuglement, que continuer se traner misrablement dans la vie, cherchant en vain en dehors de lui-mme des solutions tout ce qui le tracasse et le fait souffrir, sans jamais comprendre que tout ce qui se trouve soumis au mouvement du temps ne peut que fatalement changer d'un instant l'autre ; ainsi, il se fait systmatiquement drober le petit bonheur qu'il croyait avoir trouv un moment donn et dont il esprait, navement, qu'il dure ternellement.

    Il est trs difficile pour un homme non illumin de com-prendre que, dans sa grande sagesse, la Nature ne permet

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    absolument pas que quoi que ce soit dans la Cration demeure statique. En effet, si une rivire cesse de couler, son eau stagne invitablement ; c'est la raison pour laquelle rien dans le courant de la vie manifeste ne peut rester immobile, tout doit tre en continuel mouvement et en perptuel changement. Par consquent, le bonheur qu'un tre humain peut parfois goter ne peut, lui non plus, en vertu de cette mme loi, tre permanent, -pas plus d'ailleurs que son malheur, son corps, ni mme la plante sur laquelle il vit. C'est une vrit dont le chercheur doit se rappeler toute l'importance, comme l'ensei-gne 1 'histoire bouddhiste qui suit :

    Histoire bouddhiste de 1 'anneau du roi :

    Il tait une fois, en des temps trs reculs, un jeune roi qui avait d endosser trop tt le fardeau du pouvoir. Il tait accabl par les problmes qu'il lui fallait continuellement rsoudre et ne trouvait un peu de tranquillit et de paix que pour quelques moments qui ne duraient pas. Il n'arrivait pas comprendre pourquoi la vie est si imprvisible et si difficile assumer. Un jour, il apprit que, non loin de son palais, vivait un vieux sage qui gagnait sa vie comme orfvre. Comme on lui en avait dit beaucoup de bien, il dcida d'aller le voir et fut trs impressionn par la srnit rayonnante qui se dgageait de sa personne.

    Il lui expliqua sa perplexit face l'existence et lui demanda s'il daignerait inscrire sur son anneau quelques mots propres le soutenir en toutes circonstances.

    C'est bien, Sire, dit le vieux sage, revenez demain, je vous aurai grav ce qu'il faut pour rpondre votre besoin.

    Le jeune roi, tout heureux, passa la nuit dans l'impa-tience de dcouvrir ce que le sage allait crire sur sa bague pour l'aider affronter ce que chaque jour lui apporterait comme difficults.

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    Le lendemain, lorsque le vieil orfvre lui remit son anneau, le souverain s'empressa d'y lire l'inscription. Il s'attendait quelque citation rudite et profonde, mais quelle ne fut pas sa surprise de trouver simplement les mots : cela va passer.

    Mais, qu'est-ce que cela veut dire ? demanda-t-il, dsappoint.

    C'est trs simple, Majest, lorsque vous rencon-trerez l'adversit, ne dsesprez pas. Lire ce qui est inscrit sur votre bague vous rappellera que, si difficile que cela vous paraisse sur le moment, cela passera ; et, quand vous serez dans la prosprit, cette maxime vous permettra de ne pas oublier que cela aussi passera, que tout est phmre et impermanent dans cette existence. tre conscient de cette loi incontournable vous aidera vous tablir dans l'tat d'esprit le plus souhaitable qui soit : l'quanimit, en laquelle seule vous pourrez trouver la paix.

    Et le jeune monarque ralisa alors qu'il avait reu du vieux sage un trsor dont la valeur se situait au del de toutes les richesses que la vie pouvait lui offrir.

    * * * Afin que le travail spirituel que l'aspirant effectue sur lui-

    mme demeure vivant, il faut qu'il se souvienne constamment que ce n'est que lorsque son esprit s'veille de sa torpeur coutumire et devient activement prsent qu'une modifica-tion dans la qualit de sa conscience peut se produire. Ce changement dans sa conscience peut, au commencement de sa manifestation en lui, passer inaperu, ou, mme s'il l'a remarqu, il peut ne pas en apprhender l'importance capitale pour son mancipation ni raliser quel point il en a besoin pour pouvoir sortir de la prison mentale dans laquelle - sans qu'en gnral, il ne s'en rende compte -il se trouve cruelle-ment enferm et perdu lui-mme.

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    S'il est suffisamment avis et assez attentif, il ne peut manquer de remarquer que, chaque fois que ce changement se produit dans la qualit de sa conscience, celui-ci s'accompagne d'un changement du sentiment qu'il a de lui-mme. En outre, il constatera que ce changement dans la qualit de sa cons-cience est non seulement accompagn d'un autre sentiment et d'un autre got de lui-mme qui lui sont inhabituels, mais aussi d'une expansion de sa conscience. Il est vital pour lui de comprendre le rle que cette expansion de sa conscience ainsi que cet autre sentiment et cet autre got de lui-mme qui lui sont associs jouent pour son illumination et son veil Intrieur.

    Il est trs difficile pour 1 'homme du commun de concevoir qu'en dpit du fait que le niveau de sa conscience soit suprieur celui d'un animal, il se situe nanmoins en bas d'une chelle comportant, comme dit auparavant, toute une gamme de diffrents niveaux de conscience, jusqu'au degr le plus lev : la Conscience Suprme - qu'il est possible un chercheur de rejoindre s'il se donne la peine de s'engager avec le srieux requis dans une pratique de mditation.

    En fait, entre sa conscience ordinaire et cet tat de Conscience Suprieur, il y a tout un ventail de niveaux de conscience dont 1 'homme de la rue ignore totalement 1 'existence, quand bien mme il lui arrive, dans des circons-tances trs particulires de sa vie, d'en exprimenter certains un degr plus ou moins lev ; mais, moins qu'il ne se trouve ses cts quelqu'un de plus veill que lui pour lui expliquer le rle que cette transformation dans sa conscience joue pour son volution un autre plan d'tre, il passe gn-ralement par ces expriences sans les comprendre.

    Ainsi, s'il se trouve soudainement plac dans une situation prilleuse qui le force demeurer dans le prsent d'une

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    faon qui lui est tout fait inhabituelle, il touche par l mme un autre tat de conscience que celui dans lequel il est gnralement quand il est perdu dans son sommeil diurne ; nanmoins, comme il n'en reconnat pas la valeur, ds que le danger est cart, il glisse nouveau, avec soulagement mme, dans son tat d'inertie intrieure coutumire - qui, pour lui, reprsente un terrain familier, donc un terrain sr, dans lequel il peut recommencer dormir en lui-mme et rvasser en toute tranquillit.

    En d'autres occasions, il se peut qu'un auditeur qui coute un chef-d'uvre musical vienne goter, s'il est suffisamment rceptif, un sentiment si exalt que, sans ncessairement en percevoir la raison, il cherche, malgr lui, r-couter continuellement cette musique afin de retrouver ce sentiment - qui est en fait li un autre niveau d'tre et de conscience -qui l'a lev et qu'il a tant aim!

    En outre, il arrive de rares grands compositeurs ou peintres de connatre, au plus fort de leur processus de cration, de trs hauts niveaux de conscience (comme c'tait le cas pour Mozart), des niveaux de conscience extrmement levs qui sont tout fait hors de porte de l'homme du commun; c'est galement vrai, mais dans une moindre mesure, pour certains scientifiques, alors qu'ils sont concentrs sur leurs travaux.

    Par ailleurs, il se peut aussi qu'un aspirant prouve, durant ses sances de mditation, des tats qui, bien que n'tant pas encore le degr le plus lev de la conscience, se situent nanmoins au-dessus du niveau de sa conscience coutumire.

    On peut ainsi constater qu'il est possible l'homme de toucher, des moments privilgis, des tats de conscience suprieurs celui qu'il connat habituellement, mais, malheureusement, en raison du fait que, d'ordinaire, il n'accorde d'importance qu'au tangible, la valeur de cette

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    subtile lvation de sa conscience n'est pas du tout comprise et, par consquent, il ne cherche pas la cultiver.

    * * * Il faut revenir sur la question de cette Conscience Sup-

    rieure - grce laquelle seule 1 'tre humain peut voluer un plan d'tre tout autre que le plan physique avec lequel il est familiaris -, une Conscience Inconditionne, des plus immacules, qu'il est possible au chercheur de rejoindre et au sujet de laquelle il s'avre ncessaire de lui apporter quelques claircissements supplmentaires afin de 1' aider mieux trouver son chemin dans des territoires inconnus de son tre, qui, en raison de leur invisibilit, sont tellement difficiles apprhender.

    A part les deux sortes de consciences que 1 'homme de ce monde connat communment, c'est--dire celle de son tat diurne et celle qu'il exprimente au cours de son sommeil nocturne, il existe, comme dit auparavant, une tout autre forme de conscience, dont l'existence est gnralement totalement ignore de l'humanit, une conscience suprieure aussi diffrente et loigne de la conscience habituelle que cette dernire 1 'est de 1 'tat de sommeil nocturne.

    Afin de parvenir un jour exprimenter cette autre conscience qui, en raison mme de sa Nature Inconditionne, est libre de tout ce qui est li au temporel, c'est--dire la naissance et la mort, il faut que l'aspirant fasse preuve d'une sincrit extrme. Il doit, avant tout, prendre garde ne pas simplement s'imaginer avoir atteint une telle ralisation, ce qui reviendrait prendre ses dsirs pour des ralits ou, comme on dit en anglais : to have wishjul thinking

    Il doit comprendre que c'est seulement dans la mesure o il sera rellement arriv reconnatre l'Infini en lui que l'Infini le reconnatra en retour. Et, afin qu'un pareil vnement,

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    tellement hors de 1 'ordinaire, puisse avoir lieu, il faut qu'un changement radical s'effectue dans la qualit et le niveau de sa conscience. Il lui est ncessaire de raliser quel point la conscience joue un rle prpondrant pour 1' lever au dessus de la condition humaine !

    D'ailleurs, ce n'est que lorsqu'il commence tre conscient de lui-mme d'une manire tout autre que celle dont il l'est habituellement qu'il peut commencer sentir la Prsence Divine, la fois en lui-mme ainsi qu'autour de lui*.

    Ce n'est que par une pratique assidue de mditation - laquelle s'ajoutent divers exercices de concentration qu'il doit, malgr le refus qu'il va rencontrer en lui, consentir effectuer dans le mouvement mme de sa vie active - qu'il lui est possible d'aller au del de lui-mme et de toucher cette autre forme de conscience dont on ignore d'ordinaire 1 'existence, une tendue de Conscience Immacule par rapport laquelle sa conscience coutumire, qu'il prenait jusqu'alors pour tre la seule concevable, peut tre compare celle d'un simple insecte ou, au mieux, celle d'un singe !

    S'il est vraiment parvenu exprimenter en lui cette Conscience Lumineuse - qui, jusqu'alors, demeurait dans la pnombre, dissimule par les brumes de son moi profane -, il se produira alors en son tre et dans sa vie un renversement tel que tout ce qu'il considrait dans le pass comme tant si important et cher ses yeux, et qui accaparait tout son tre et toute son attention, sera dsormais envisag sous un autre clairage et perdra du coup son emprise sur sa psych. Mais, comme consquence de ce bouleversement en lui, il se sentira soudainement comme un tranger dans ce monde, incompris de ses proches et de ses amis. Toutefois, en

    * Dieu est l, prsent qui peut le toucher, absent pour qui en est incapable. Plotin

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    compensation de la solitude qu'il subira extrieurement, il ne sera plus seul intrieurement.

    Il s'avre nanmoins ncessaire de prciser qu'avant d'accder une telle ralisation, il peut arriver un aspirant de toucher, durant les efforts qu'il fournit pour demeurer concentr, un avant-got de cette autre qualit de conscience, un avant-got qui, s'il n'est pas assez avis, peut lui faire croire qu'il a atteint le but de sa qute - ce qui, d'ailleurs, est, pour de nombreux chercheurs, 1' origine de bien des illusions et la cause d'garements. En effet, ce n'est pas parce qu'il a pu goter un petit changement de conscience qui 1 'a lev que l'aspirant peut s'autoriser le prendre pour un fait accompli et s'installer sur ce qu'il pense avoir acquis.

    Cette modification de sa conscience, si vitale pour lui permettre de dcouvrir qui il est rellement - c'est--dire de connatre sa Vritable Nature-, ne peut se produire en lui avant qu'au moins un certain degr d'unification ne s'opre entre son esprit, son sentiment et son corps, une trinit qui, d'ordinaire, se trouve pitoyablement dsunie en l'homme, chaque partie vivant dans le monde qui lui est propre et, d'une certaine manire, ignorant mme l'existence des deux autres!

    Afin que cette unification des trois constituants de son tre puisse se raliser, c'est prcisment l'esprit qui doit d'abord s'veiller de sa torpeur coutumire et commencer devenir activement prsent - alors que, gnralement, il n'est que passivement prsent-, car ce n'est que lorsque l'esprit est devenu suffisamment veill et activement prsent qu'il peut se relier avec le sentiment. Or, comme la plupart de ses semblables, le chercheur vit trop dans sa tte et, par cons-quent, il est coup de son sentiment, alors qu'il en a un besoin impratif pour 1' lever et le soutenir dans les efforts qu'il lui faut ncessairement exercer sur lui-mme s'il espre

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    pouvoir un jour dcouvrir ce qui se trouve enfoui au fond de son tre, sa Nature-de-Bouddha, qui est en ralit l'Infini en lui.

    Il a en outre un besoin imprieux de la troisime partie de cette trinit qui compose son tre, savoir son corps ! Car c'est effectivement sur la sensation corporelle - qui, chez l'homme du commun, est dramatiquement absente - que l'aspirant doit s'appuyer pour tre aid, non seulement durant sa mditation, mais aussi lorsqu'il tente de mettre en pratique l'un des divers exercices de concentration qu'il lui faut sans faute effectuer dans la vie active.

    En outre, la sensation globale du corps reprsente un support inestimable pour lui permettre de commencer sentir qu'il existe, et cela, indpendamment des stimulations extrieures dont il est habituellement tributaire pour avoir le sentiment de lui-mme.

    * * * Il arrive souvent qu'au dbut de leur engagement dans une

    voie spirituelle, les chercheurs ne se rendent pas compte des difficults qu'ils devront affronter pour rester concentrs, surtout durant leurs sances de mditation. Ils ont l'impression que, puisqu'ils sont motivs, en peu de temps et avec peu d'efforts, l'illumination leur sera accorde. Mais, lorsque des obstacles auxquels ils ne s'attendaient pas - et avec lesquels il leur faudra obligatoirement lutter - commencent se manifester, ils se dcouragent, sans raliser que, dans une telle entreprise, qui n'a aucun rapport avec ce qu'ils connaissent ordinairement dans la vie, il leur faut continuellement r-alimenter, re-stimuler et ranimer leur intrt afin qu'il reste suffisamment vivant pour leur donner la force dont ils ont besoin. Ils ne voient pas que, sans qu'ils n'en aient conscience, c'est principalement leur intrt qui s'est affaibli et que c'est

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    cet affaiblissement de leur intrt qui constitue le cur du problme qu'ils doivent rsoudre pour pouvoir progresser. Il leur faut en effet comprendre que, dans ce domaine, si on cesse d'avancer, on retombe en arrire.

    A ce propos, il existe dans la nature un phnomne trs frappant, obissant une loi qui a son quivalent sur le plan psychique de l'tre humain, savoir que, si un paysan ne s'vertue pas travailler son champ en y plantant de bonnes semences, en 1' arrosant et en le soignant quotidiennement, ce seront alors les mauvaises herbes qui, invitablement, envahiront sa terre et en prendront possession ; et, une fois installes, il lui sera trs difficile de les arracher par la suite ! Il en est de mme pour le chercheur, mais, dans ce cas, il s'agit du domaine de 1 'esprit.

    S'il ne s'applique pas avec zle semer dans le champ invisible de son tre des graines de valeurs spirituelles et s'il n'en prend pas continuellement soin, ce seront alors des penses sans intrt, d'interminables bavardages intrieurs ainsi que la soif inextinguible pour les plaisirs des sens qui prendront possession de lui et causeront leurs ravages dans ce qui doit tre la chose la plus importante dans sa vie : sa pratique spirituelle ; et, tout comme les mauvaises herbes qui ont enfonc leurs racines dans le sol, une fois ces penses, ces bavardages intrieurs et ces dsirs installs en lui, il lui sera extrmement difficile de s'en dbarrasser. Aussi, tant qu'il n'aura pas acquis une certaine matrise de son mental, il ne pourra que rester la merci de toutes ces entraves qui lui barreront la route menant sa Patrie Cleste dans laquelle, sans le savoir, il a un besoin douloureux de se rfugier.

    En fait, 1' obstacle majeur qui comprend tous les autres est ce qui constitue dsormais son individualit coutumire, une identit secondaire qui, ds sa naissance, a commenc

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    crotre, se forgeant petit petit au contact du monde extrieur jusqu' devenir un voile pais recouvrant sa Vritable Identit - qui est Divine -,au point qu'il considre dornavant son moi ordinaire comme tant lui-mme, avec pour consquence qu'il oublie compltement l'Aspect Suprieur de sa double nature. Et c'est prcisment avec cette individualit illusoire, qui lui est devenue habituelle, que le chercheur devra lutter toute sa vie si ncessaire, car il lui faut faire ce qui lui semble au premier abord inacceptable, la sacrifier ou, en d'autres termes, mourir elle pour laisser la place libre dans 1 'espace intrieur de son tre, afin que celle-ci soit occupe par l'Infini - qui ne peut coexister avec l'aspect infrieur de lui-mme. Or, son individualit coutumire est si tenace qu' peine croit-il s'en tre libr qu' son grand chagrin, elle relve la tte, car elle ne veut ni mourir, ni cder la place la Lumire Sainte dont l'clat lui est insupportable ; et, pourtant, ce sacrifice s ' avre indispensable pour 1 'mancipation de 1 'aspirant.

    Et, justement, un pige qui le guette - et dans lequel il arrive frquemment que les chercheurs tombent - consiste croire que, parce qu'il a got quelques moments d'lvation qui 1 'ont bloui, il a atteint le but de sa qute, qu'il a, une fois pour toutes, compris l'essence de ce qu'il voulait connatre, qu'il n'a plus rien questionner ni chercher. Et, vu la ten-dance 1' inertie intrieure inhrente la nature humaine (et dont 1 'aspirant ne peut se considrer exempt), il commence s'installer sur ce qu'il pense avoir acquis comme connais-sance spirituelle, avec pour rsultat qu'en peu de temps, cette connaissance se transforme en un simple savoir intellectuel automatique - inutile pour lui et pour toute personne qui il voudrait le transmettre !

    C'est trange comment l'tre humain oublie quel point il est microscopique et insignifiant dans l'immensit vertigineuse

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    du Cosmos et que, dans tout ce qui relve du domaine de 1 'Infini, il y a toujours plus dcouvrir et plus comprendre !

    Aussi, le chercheur doit-il chaque jour re-dcouvrir, re-reconnatre et re-comprendre ce qu'il a dcouvert, reconnu et compris la veille, et cela pour le reste de sa vie. Il ne lui faut pas laisser ce qu'il a pu gagner comme connaissance spirituelle sombrer dans 1 'automatisme. En effet, cause de la force quasi irrsistible de la pesanteur, tout ce que 1 'homme du commun apprend devient aussitt machinal ; aussi, ce qu'il fait dans la vie - marcher, parler, manger, se laver, etc. - est, sans que jamais il ne le ralise, effectu de faon automatique, dans ce triste tat de passivit intrieure et d'inertie qui le caractrise, ce qui lui vite d'avoir faire l'effort de rflchir ce qu'il fait chaque instant ainsi qu' son comportement avec ses semblables.

    Si l'aspirant souhaite tre un chercheur dans le vrai sens du terme, il lui faut constamment veiller ce qu'aucune de ses activits quotidiennes ne soit, par inertie ou par paresse, excute dans un tat de passivit et d'automatisme incons-cient, car cela lui fermerait la porte tout ce qu'il espre atteindre spirituellement ; et, par consquent, des Territoires Sacrs Invisibles lui resteraient interdits.

    * * * Il est ncessaire de revenir sur la question des penses

    incontrles qui, si le chercheur n'a pas acquis une certaine matrise de son esprit, continueront le harceler, aussi bien durant ses sances de mditation que dans sa vie de tous les jours. S'il veut se donner la peine de s'tudier avec srieux, il ne manquera pas d'tre constern en constatant son impuis-sance face son mental et toutes les penses qui ne cessent de s'lever et de s'vanouir en lui - des penses qui sont le plus souvent sans valeur, et parfois mme stupides ! Il verra

  • 56 DANS LE SILENCE DE L'INSONDABLE

    qu' peine une pense a-t-elle surgi dans son esprit, qu'elle se trouve, sans mme parvenir au bout de son discours, renverse par une autre qui rgne sa place un moment avant d'tre, son tour, limine par une autre, et cela, indfiniment. S'il veut tre rellement sincre avec lui-mme, il ne peut qu'tre profondment chagrin en ralisant le drame de la situation dans laquelle il est plac, une situation dans laquelle, moins qu'il ne dcide de s'engager dans la pratique de certains exercices de concentration spci-fiques, il passera le reste de sa vie, avec pour consquence, de se retrouver non prpar quand il lui faudra affronter 1 'vnement invitable de son dpart de ce monde et lcher tout ce dont - dans son ignorance de quelque chose de plus lev qu'il porte en lui - il tait devenu dpendant pour avoir le sentiment de son existence.

    Afin que 1' aspirant arrive mieux saisir ce qui lui est demand dans un domaine qui dpasse l'ordinaire, il est important pour lui de comprendre que l'volution de la conscience en 1 'tre humain, telle qu'on la connat habituel-lement, n'est que le rsultat d'un processus automatique que la Grande Nature a mis en uvre sans participation consciente de sa part et qui s'avre trs limit, car le