3
Architecture, rayon passementerie Six propositions pour le pavillon Seroussi par Richard Scoffier la Maison Rouge a présenté cet été à Paris les six pro- positions d'une consultation lancée par la galeriste Natalie Seroussi afin de concevoir un pavillon pour abri- ter sa collection d'art contemporain, ainsi qu'un appar- tement de deux chambres. Des réponses qui suscitent un certain nombre de questions. La construction est prévue à Meudon, dans l'ancienne propriété d'André Bloc, le légendaire fondateur de L'Architecture d'Aujourd'hui. Un personnage énigma- tique qui, dans les colonnes de sa revue, défendait une architecture aussi orthonormée que fonctionnelle, notamment les oeuvres de Mies van der Rohe et de Richard Neutra, pour s'adonner, dans son jardin, à la construction de sculptures-habitacles, opaques et inertes, évoquant des labyrinthes, des termitières ou encore des décors expressionnistes comme ceux du Cabinet du docteur Caligari. Cette manifestation reven- dique son parrainage posthume et trouve ses prémices dans le catalogue de l'exposition Architecture non- standard qui voyait dans le numérique non un simple outil mais l'expression d'un nouveau rapport au monde. rensemble des participants choisis par Élias Guenoun, l'organisateur de la consultation, pré- tendent emprunter le passage qui, à travers la dissé- mination généralisée de l'outil informatique, permet- trait d'aller directement de la conception à la produc- tion. Certains affirment même ne pas rester tribu- taires du réel et pensent pouvoir le manipuler directe- 40 D'ARCHITECTURES 167 - OCTOBRE 07 ment, à l'aide de leurs logarithmes et de leurs logiciels, en dupliquant ses modalités de régénérescence ... Les réponses sont très différentes. La proposition de Gramazio & Kéihler se détache très nettement par sa rigueur, tandis que les autres projets (notamment les lauréats, Dora et EZCT Architecture) semblent plutôt broder de manière plus ou moins virtuose à partir des expérimentations initiées, il y a plus de vingt ans, aux États-Unis. ROBOT Gramazio & Kéihler présentent un objet et un pro- cessus de fabrication hérités de recherches et de réali- sations antérieures. robjet est relativement classique, il pourrait être comparé sans mal au pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe. À l'organisation centrifuge et orthonormée des murs d'onyx, détermi- nant impérativement les parcours, se substitue un coeur centripète en brique, composé de parois hyper- boliques, inséré dans une enveloppe extérieure rec- tangulaire et uniformément vitrée. Les murs internes, parfois ajourés, déterminent deux types d'espaces. Au centre, le noyau servant supporte la toiture en béton, creusée et percée de multiples oculus, et rassemble, entre ses surfaces convexes, les circulations et les pièces fonctIOnnelles (cuisine, salle de bains, salle de projection). À la périphérie, se succèdent les espaces servis concaves, formant autant d'alcôves polyva- lentes ouvertes sur le paysage. Gramazio & Kôhler : un objet classique, qui n'est pas sans rappeler le pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe. /\ V Les sculptures-habitacles en plâtre d'André Bloc, dans son jardin de Meudon. V > Gramazio & Kôhler '.\ J > Les éléments sont mis en place avec précision par un robot, à l'aide de colle. V Xefirotarch : la perspective des circulations en écorché évoque le squelette d'un dinosaure. JURY : CLAUDE PARENT, TERI WEHN DAMISCH, ANDREA BRANZI, ALAIN BUBLEX, CHRISTI BENILAN, MARCEl BRIENT, NICCOLO BALDASSINI. CAlfNDRltR > SEPTEMBRE 2006 : PRÉSÉLECTION DES ARCHITECTES SUR DOSSIER (13 PRtStLEC 6 RETENUS). > DtCEMBRE 2006 ENVOI DU CAHIER DES CHARGES. ENVOI DES PROJETS EN DEUX PHASES : > 12 AVRIL 2007 : DESSINS EN FORMAT NUMÉRIQUE (POUR LA PUBLICATION DU CATALOGUE DE t'EXPOSITION). > 26 AVRIL 2007 : MAQUEDE ET VERSION PAPIER DES PLANCHES. > 30 MAI 2007 : RtUNION DU JURY > 31 MAI-16 SEPTEMBRE2007: EXPOSITION A LA MAISON ROUGE A PARIS. NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2007 (DATES À CONFIRMER) EXPOSITION A L'ARCHITECTI ASSOCIATION A LONDRES. V Biothing : une écume composée de bulles, rappelant une coque ( D'ARCHITECTURES 167 OCTOBRE

d'arcitecture natalie seroussi

Embed Size (px)

DESCRIPTION

article sur le concour à meudon

Citation preview

Page 1: d'arcitecture natalie seroussi

Architecture, rayon passementerie Six propositions pour le pavillon Seroussi par Richard Scoffier

la Maison Rouge a présenté cet été à Paris les six pro­positions d'une consultation lancée par la galeriste Natalie Seroussi afin de concevoir un pavillon pour abri­ter sa collection d'art contemporain, ainsi qu'un appar­tement de deux chambres. Des réponses qui suscitent un certain nombre de questions.

La construction est prévue à Meudon, dans l'ancienne propriété d'André Bloc, le légendaire fondateur de L'Architecture d'Aujourd'hui. Un personnage énigma­tique qui, dans les colonnes de sa revue, défendait une architecture aussi orthonormée que fonctionnelle, notamment les œuvres de Mies van der Rohe et de Richard Neutra, pour s'adonner, dans son jardin, à la construction de sculptures-habitacles, opaques et inertes, évoquant des labyrinthes, des termitières ou encore des décors expressionnistes comme ceux du Cabinet du docteur Caligari. Cette manifestation reven­dique son parrainage posthume et trouve ses prémices dans le catalogue de l'exposition Architecture non­standard qui voyait dans le numérique non un simple outil mais l'expression d'un nouveau rapport au monde. rensemble des participants choisis par Élias Guenoun, l'organisateur de la consultation, pré­tendent emprunter le passage qui, à travers la dissé­mination généralisée de l'outil informatique, permet­trait d'aller directement de la conception à la produc­tion. Certains affirment même ne pas rester tribu­taires du réel et pensent pouvoir le manipuler directe-

40 D'ARCHITECTURES 167 - OCTOBRE 07

ment, à l'aide de leurs logarithmes et de leurs logiciels, en dupliquant ses modalités de régénérescence ... Les réponses sont très différentes. La proposition de Gramazio & Kéihler se détache très nettement par sa rigueur, tandis que les autres projets (notamment les lauréats, Dora et EZCT Architecture) semblent plutôt broder de manière plus ou moins virtuose à partir des expérimentations initiées, il y a plus de vingt ans, aux États-Unis.

ROBOT

Gramazio & Kéihler présentent un objet et un pro­cessus de fabrication hérités de recherches et de réali­sations antérieures. robjet est relativement classique, il pourrait être comparé sans mal au pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe. À l'organisation centrifuge et orthonormée des murs d'onyx, détermi­nant impérativement les parcours, se substitue un cœur centripète en brique, composé de parois hyper­boliques, inséré dans une enveloppe extérieure rec­tangulaire et uniformément vitrée. Les murs internes, parfois ajourés, déterminent deux types d'espaces. Au centre, le noyau servant supporte la toiture en béton, creusée et percée de multiples oculus, et rassemble, entre ses surfaces convexes, les circulations et les pièces fonctIOnnelles (cuisine, salle de bains, salle de projection). À la périphérie, se succèdent les espaces servis concaves, formant autant d'alcôves polyva­lentes ouvertes sur le paysage.

Gramazio & Kôhler : un objet classique, qui n'est pas sans rappeler le pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe.

/\ V Les sculptures-habitacles en plâtre d'André Bloc, dans son jardin de Meudon.

V > Gramazio & Kôhler

'.\

~ ~ J

> Les éléments sont mis en place avec précision par un robot, à l'aide de colle.

V Xefirotarch : la perspective des circulations en écorché évoque le squelette d'un dinosaure.

JURY :

CLAUDE PARENT, TERI WEHN DAMISCH, ANDREA BRANZI, ALAIN BUBLEX, CHRISTI

BENILAN, MARCEl BRIENT, NICCOLO BALDASSINI.

CAlfNDRltR

> SEPTEMBRE 2006 : PRÉSÉLECTION DES ARCHITECTES SUR DOSSIER (13 PRtStLEC

6 RETENUS).

> DtCEMBRE 2006 ENVOI DU CAHIER DES CHARGES.

• ENVOI DES PROJETS EN DEUX PHASES :

> 12 AVRIL 2007 : DESSINS EN FORMAT NUMÉRIQUE (POUR LA PUBLICATION DU

CATALOGUE DE t'EXPOSITION).

> 26 AVRIL 2007 : MAQUEDE ET VERSION PAPIER DES PLANCHES.

> 30 MAI 2007 : RtUNION DU JURY

> 31 MAI-16 SEPTEMBRE2007: EXPOSITION A LA MAISON ROUGE A PARIS.

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2007 (DATES À CONFIRMER) EXPOSITION A L'ARCHITECTI

ASSOCIATION A LONDRES.

V Biothing : une écume composée de bulles, rappelant une coque (

D'ARCHITECTURES 167 OCTOBRE

Page 2: d'arcitecture natalie seroussi

MAGAZINE

> Dora, l'un des deux projets lauréats, des dispositifs renvoyant à l'embryogenèse des formes animales ou végétales.

S'adonner sans

entrave aux plaisirs

solitaires permls

par les processus

générateurs.

> CONCOURS

Mais la démarche est réellement fascinante en ce qu'elle s'attarde minutieusement sur chaque maillon

de la chaîne aSSOCiant la phase de conceptIOn au pro­tocole de mise en œuvre. Les parois intérieures en

brique ne sont pas dessinées pour être confiées, après un calepinage sommaire, à la main experte d'un ouvrier qualifié. Plus que de plans, il s'agit de véri­

tables partitions appelant une exécution qui ne sup­porterait aucune mterprétation. La mise en place de

chaque élément est précisée au millimètre près, sans

aucune relation au corps ni à la gestuelle du poseur, pour être effectuée par un robot, semblable à ceux

employés dans l'industrie automobile. Ce bras arti­culé, que les concepteurs ont déjà utilisé à plusieurs

reprises, notamment pour construire la façade des chais de Gantenbein à Flash, n'utilise pas de ciment

mais de la colle afin de produire des effets de frisson, d'horripilation de la peau de terre, totalement médits.

Il permet de repenser globalement l'un des modes de construction les plus anciens de l'humanité.

INSECTES ET OURSINS

Les autres équipes prennent plus de libertés avec le pro­gramme et l'usage, pourtant passionnant (combinant

logements et musée), comme avec les contraintes tech­niques minimales afférentes à n'importe quelle

construction architecturale, pour mieux s'adonner sans

entrave aux plaisirs solitaires permis par les processus générateurs. Ainsi, IJP-George L. Legendre, sans doute

le plus radical, se refuse même à toute simulation de sa

42 D'ARCHITECTURES 167 - OCTOBRE 07

propositIOn. Se réclamant d'un formalisme analytzque

ou confondant plus prosaïquement moyens et fins, il

présente un système de notation associant équations, épures de géométrie descriptive et fragment de maquette

pour invoquer un espace capable d'inflexions, de défor­

mations et de modifications périodiques. Xefirotarch, Biothing, Dora et EZCT expérimentent des dispositifs renvoyant à l'embryogenèse des formes

animales ou végétales et incluant accidents et muta­tions. Tests d'oursins, carapaces d'insectes, toile d'arai­

gnée ou corolle de fleur composent d'improbables chrysalides en attente d'un homme nouveau, dont par­

fOIS l'ombre vient hanter les perspectives. Xefirotarch annonce son ambition de manipuler le

code génétique de la maison, et donne des images

convaincantes de la transformation de sa structure, notamment l'écorché qUI présente une perspective des

circulations et évoque un squelette de dinosaure. Les marches de l'escalier sont assimilées à des écailles

osseuses qui s'affinent en fonction de la pente et appa­

raissent comme des mutations des dalles plus larges et statiques des planchers. Les pièces d'habitation conser­

vent cependant leurs génomes: CUIsine, salle de bains, chambres sont simplement déformées et reliées entre

elles par des galeries qui ressemblent à de longs cou­loirs. Le résultat rappelle le jeu d'enfant consistant à

arracher les ailes des msectes. Mais Ici, la morale est sauve. la mouche est VIrtuelle, ses yeux et ses pattes sont simplement samplés pour être mis en boucle, l'un

des procédés majeurs de la culture techno. Amusante >

Page 3: d'arcitecture natalie seroussi

MAGAZINE

1\ EZCT. l'autre lauréat· un univers pulsatile, une dentelle en 3D qui semble prendre en otage les toiles de Martial Raysse.

Objets cruels,

inaptes à accueillir

les usages en 'vigueur,

sans .lamazs

foire la preuve

de leur capacité

à en fovoriser

de nouveaux.

> CONCOURS

malS un peu vaine, cette propOSItion n'apporte rien

quant à la gestion de la complexité des rituels et des

usages de toute habitation, ce que permettaient pour­

tant les capsules zoomorphiques des Archigram et

autres Future Systems, il est vrai toujours obsédés par

la question de l'espace minimum des Modernes.

Le projet Biothing s'élabore à partir du positionnement

sur le site de plusieurs pôles magnétiques dont les

ondes s'organisent en corolle en jouant sur leurs effets

d'attraction et de répulSion, tout en tenant compte des

interférences produites par le relief du terrain. Ce dis­

positif génère une écume composée de bulles rappelant

des carapaces d'oursins à l'intérieur desquelles se

déploient des cocons internes. Les espaces définis par

un cœur et un entre-deux périphérique semblent assez

intéressants, mais rien n'en démontre l'habitabilité, ce

qui d'ailleurs ne semble pas vraiment gêner les concep­

teurs, plus préoccupés par la confection d'étoffes spa­

tiales comme par la manipulation des émissions méso­

niques et des interactions des champs d'attractivité.

DENTElLES ET BRODERIES (LAURÉATS)

Dora recouvre aléatoirement le site d'une matrice de

points selon une trame assez lâche qui se condense à l'emplacement prévu pour le pavillon, jusqu'à provo­

quer un foisonnement métastasique. Ces points sont

ensuite reliés par des lignes de manière à créer des

surfaces triangulées qui rendent possible l'émergence

d'une structure volumétrique.

Philippe Morel (EZcr Architecture) est très séduisant

quand il affirme, dans la vidéo demandée à chaque

éqUipe par le règlement du concours, que les mathé­

matiques sont aujourd'hui partout et l11terviennent

dans la fabncatlOn du moindre objet. Et le néophyte

pourrait s'attendre, en l'écoutant, à ce que sa

44 D'ARCHITECTURES 167 - OCTOBRE 07

proposition consiste à minutieusement paramétrer les

gestes et les postures des amateurs d'art afin d'élabo­

rer un espace du regard, un espace de la concentration

maximale, associé à un espace de vie. Le projet pré­

senté n'est en soi pas inintéressant: un univers pulsa­

tile dont les parois opaques provoquent le resserre­

ment d'un espace qui jaillit ensuite verticalement à travers ce que l'on suppose être une verrière, dont la

structure dessine de multiples arabesques. Il renvoie à l'une des sculptures-habitacles en plâtre d'André Bloc

et, trop narcissique, se donne lui-même comme une

œuvre dont l'aura vient interférer avec celle des pein­

tures strictement alignées qui recouvrent ses murs :

les toiles de Martial Raysse, visibles sur les perspec­

tIves, semblent prises en otage d'une dentelle en 3D

d'où coule une lumière fragmentée.

Sûrement très innovant au niveau des processus aléa­

toires qui ont permis son élaboration, cet espace, aux

parois à la convexité prononcée, est beaucoup moins

pertinent que celui conçu par Frederick Kiesler pour

la galerie de Peggy Guggenheim. Dans cet aménage­

ment, les cimaises concaves permettaient d'effacer la

frontière entre la spatialité des œuvres exposées et

celle du lieu d'exposition, afin de proposer un espa­

ce optique pur, où vision et réalité ne formaient pas

deux mondes séparés.

Sur la plupart de ces propositions, totalement sourdes

à toute anthropologie de l'habiter, plane l'ombre de

l'affaire de la Blue Gallery, l'installation créée par

Mark Goulthorpe (dECOi) à Londres en 1999 et détrui­

te, quelques jours après son mauguration, à la deman­

de de certains artistes qui refusaient d'y exposer. Objets

cruels ISSUS de savantes morphogenèses, elles semblent

inaptes à accueillir les usages en vigueur, sans jamaIS faire

la preuve de leur capacité à en favoriser de nouveaux . •