Daudet Alphonse - Sapho

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  • BIBEBOOK

    ALPHONSE DAUDET

    SAPHO

  • ALPHONSE DAUDET

    SAPHO

    1881

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-0100-4

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Sources : Charpentier Bibliothque lectronique dubec

    Ont contribu cee dition : Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • P quand ils auront vingt ans.n

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  • CHAPITRE I

    Regardez-moi, voyons. . . Jaime la couleur de vos yeux. . . Commentvous appelez-vous ?

    Jean. Jean tout court ? Jean Gaussin. Du Midi, jentends a. . . el ge ? Vingt et un ans. Artiste ? Non, madame. Ah ! tant mieux. . .Ces bouts de phrases, presque inintelligibles au milieu des cris, des

    rires, des airs de danse dune fte travestie, schangeaient une nuit dejuin entre un pieraro et une femme fellah dans la serre de palmiers, defougres arborescentes, qui faisait le fond de latelier de Dchelee.

    Au pressant interrogatoire de lgyptienne, le pieraro rpondait avec

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  • Sapho Chapitre I

    lingnuit de son ge tendre, labandon, le soulagement dun Mridionalrest longtemps sans parler. tranger tout ce monde de peintres, desculpteurs, perdu ds en entrant dans le bal par lami qui lavait amen,il se morfondait depuis deux heures, promenant sa jolie gure de blondhl et dor par le soleil, les cheveux en frisons serrs et courts comme lapeau de mouton de son costume ; et un succs, dont il ne se doutait gure,se levait et chuchotait autour de lui.

    Des paules de danseurs le bousculaient brusquement, des rires de ra-pins blaguaient la cornemuse quil portait tout de travers et sa dfroquede montagne, lourde et gnante dans cee nuit dt. Une Japonaise auxyeux de faubourg, des couteaux dacier tenant son chignon remont, fre-donnait en lagaant : Ah ! quil est beau, quil est beau, le postillon. . .(1) ;tandis quune novio espagnole en blanches dentelles de soie, passant aubras dun chef apache, lui fourrait violemment sous le nez son bouquetde jasmins blancs.

    Il ne comprenait rien ces avances, se croyait extrmement ridiculeet se rfugiait dans lombre frache de la galerie vitre, borde dun largedivan sous les verdures. Tout de suite cee femme tait venue sasseoirprs de lui.

    Jeune, belle ? Il naurait su le dire. . . Du long fourreau de lainage bleuo sa taille pleine ondulait, sortaient deux bras, ronds et ns, nus jusqulpaule ; et ses petites mains charges de bagues, ses yeux gris largesouverts et grandis par les bizarres ornements de fer lui tombant du front,composaient un ensemble harmonieux.

    Une actrice, sans doute. Il en venait beaucoup chez Dchelee ; etcee pense ntait pas pour le mere laise, ce genre de personneslui faisant trs peur. Elle lui parlait de tout prs, un coude au genou, latte appuye sur la main, avec une douceur grave, un peu lasse. . . DuMidi vraiment ?. . . Et des cheveux de ce blond-l !. . . Voil une chose ex-traordinaire.

    Et elle voulait savoir depuis combien de temps il habitait Paris, si c-tait trs dicile cet examen pour les consulats quil prparait, sil connais-sait beaucoup de monde et comment il se trouvait la soire de Dche-lee, rue de Rome, si loin de son quartier Latin.

    and il dit le nom de ltudiant qui lavait amen. . . La Gournerie. . .

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  • Sapho Chapitre I

    un parent de lcrivain. . . elle connaissait sans doute. . . lexpression dece visage de femme changea, sassombrit subitement ; mais il ny prit pasgarde, ayant lge o les yeux brillent sans rien voir. La Gournerie luiavait promis que son cousin serait l, quil le prsenterait. Jaime tantses vers. . . je serais si heureux de le connatre. . .

    Elle eut un sourire de piti pour sa candeur, un joli resserrement d-paules, en mme temps quelle cartait de sa main les feuilles lgres dunbambou et regardait dans le bal si elle ne lui dcouvrirait pas son grandhomme.

    La fte ce moment tincelait et roulait comme une apothose deferie. Latelier, le hall plutt, car on ny travaillait gure, dvelopp danstoute la hauteur de lhtel et nen faisant quune pice immense, rece-vait sur ses tentures claires, lgres, estivales, ses stores de paille neou de gaze, ses paravents de laque, ses verreries multicolores, et sur lebuisson de roses jaunes garnissant le foyer dune haute chemine Re-naissance, lclairage vari et bizarre dinnombrables lanternes chinoises,persanes, mauresques, japonaises, les unes en fer ajour, dcoupes do-gives comme une porte de mosque, dautres en papier de couleur pa-reilles des fruits, dautres dployes en ventail, ayant des formes deeurs, dibis, de serpents ; et tout coup de grands jets lectriques, ra-pides et bleutres, faisaient plir ces mille lumires et givraient dun clairde lune les visages et les paules nues, toute la fantasmagorie dtoes, deplumes, de paillons, de rubans qui se froissaient dans le bal, stageaientsur lescalier hollandais large rampemenant aux galeries du premier quedpassaient les manches des contrebasses et la mesure frntique dunbton de chef dorchestre.

    De sa place, le jeune homme voyait cela travers un rseau debranches vertes, de lianes euries qui se mlaient au dcor, lencadraientet, par une illusion doptique, jetaient au va-et-vient de la danse des guir-landes de glycine sur la trane dargent dune robe de princesse, coiaientdune feuille de dracna un minois de bergre pompadour ; et pour luimaintenant lintrt du spectacle se doublait du plaisir dapprendre parson gyptienne les noms, tous glorieux, tous connus, que cachaient cestravestis dune varit, dune fantaisie si amusantes.

    Ce valet de chiens, son fouet court en bandoulire, ctait Jadin ; tandis

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  • Sapho Chapitre I

    quun peu plus loin cee soutane lime de cur de campagne dguisaitle vieil Isabey, grandi par un jeu de cartes dans ses souliers boucles.Le pre Corot souriait sous lnorme visire dune casquee dinvalide.On lui montrait aussi omas Couture en bouledogue, Jundt en argousin,Cham en oiseau des les.

    Et quelques costumes historiques et graves, un Murat empanach, unprince Eugne, un Charles I, ports par de tout jeunes peintres, mar-quaient bien la dirence entre les deux gnrations dartistes ; les der-niers venus, srieux, froids, des ttes de gens de bourse vieillis de cesrides particulires que creusent les proccupations dargent, les autresbien plus gamins, rapins, bruyants, dbrids.

    Malgr ses cinquante-cinq ans et les palmes de lInstitut, le sculpteurCaoudal en hussard de baraque, les bras nus, ses biceps dhercule, unepalee de peintre baant ses longues jambes en guise de sabretache, tor-tillait un cavalier seul du temps de la Grande Chaumire en face du mu-sicien de Poer, en muezzin qui fait la fte, le turban de travers, mimantla danse du ventre et piaillant le la Allah, il Allah dune voix suraigu.

    On entourait ces joyeux illustres dun large cercle qui reposait les dan-seurs ; et au premier rang, Dchelee, le matre du logis, fronait sous unhaut bonnet persan ses petits yeux, son nez kalmouck, sa barbe grison-nante, heureux de la gaiet des autres et samusant perdument, sans quily part.

    Lingnieur Dchelee, une gure du Paris artiste dil y a dix ou douzeans, trs bon, trs riche, avec des vellits dart et cee libre allure, cempris de lopinion que donnent la vie de voyage et le clibat, avait alorslentreprise dune ligne ferre de Tauris Thran ; et chaque anne, pourse remere de dix mois de fatigues, de nuits sous la tente, de galopadesvreuses travers sables et marais, il venait passer les grandes chaleursdans cet htel de la rue de Rome, construit sur ses dessins, meubl enpalais dt, o il runissait des gens desprit et de jolies lles, demandant la civilisation de lui donner en quelques semaines lessence de ce quellea de montant et de savoureux.

    Dchelee est arriv. Ctait la nouvelle des ateliers, sitt quonavait vu se lever comme un rideau de thtre limmense store de coutilsur la faade vitre de lhtel. Cela voulait dire que la fte commenait

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  • Sapho Chapitre I

    et quon allait en avoir pour deux mois de musiques et festins, danses etbombances, tranchant sur la torpeur silencieuse du quartier de lEurope cee poque des villgiatures et des bains de mer.

    Personnellement, Dchelee ntait pour rien dans le bacchanal quigrondait chez lui nuit et jour. Ce noceur infatigable apportait au plaisirune frnsie froid, un regard vague, souriant, comme hatschisch, maisdune tranquillit, dune lucidit imperturbables. Trs dle ami, donnantsans compter, il avait pour les femmes un mpris dhomme dOrient, faitdindulgence et de politesse ; et de celles qui venaient l, aires par sagrande fortune et la fantaisie joyeuse du milieu, pas une ne pouvait sevanter davoir t sa matresse plus dun jour.

    Un bon homme tout de mme. . . ajouta lgyptienne qui donnait Gaussin ces renseignements. Sinterrompant tout coup :

    Voil votre pote. . . O donc ? Devant vous. . . en mari de village. . .Le jeune homme eut un Oh ! dsappoint. Son pote ! Ce gros

    homme, suant, luisant, talant des grces lourdes dans le faux-col deuxpointes et le gilet euri de Jeannot. . . Les grands cris dsesprs du Livrede lAmour lui venaient la mmoire, du livre quil ne lisait jamais sansun petit baement de vre ; et tout haut, machinalement, il murmurait :

    Pour animer le marbre orgueilleux de ton corps, Sapho, jai donn tout le sang de mes veines. . .Elle se retourna vivement, avec le cliquetis de sa parure barbare :e dites-vous l ?Ctaient des vers de La Gournerie ; il stonnait quelle ne les connt

    pas. Je naime pas les vers. . . t-elle dun ton bref ; et elle restait debout,

    le sourcil fronc, regardant la danse et froissant nerveusement les bellesgrappes lilas qui pendaient devant elle. Puis, avec leort dune dcisionqui lui cotait : Bonsoir. . . et elle disparut.

    Le pauvre pieraro resta tout saisi. est-ce quelle a ?. . . e luiai-je dit ?. . . Il chercha, ne trouva rien, sinon quil ferait bien daller secoucher. Il ramassa mlancoliquement sa cornemuse et rentra dans le bal,

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  • Sapho Chapitre I

    moins troubl du dpart de lgyptienne que de toute cee foule quildevait traverser pour gagner la porte.

    Le sentiment de son obscurit parmi tant dillustrations le rendait plustimide encore. Maintenant on ne dansait plus ; quelques couples et l,acharns aux dernires mesures dune valse qui mourait, et parmi euxCaoudal, superbe et gigantesque, tourbillonnant la tte haute avec unepetite tricoteuse, coie au vent, quil enlevait sur ses bras roux.

    Par le grand vitrage du fond large ouvert, entraient des boues dairmatinales et blanchissantes, agitant les feuilles des palmiers, couchantles ammes des bougies comme pour les teindre. Une lanterne en papierprit feu, des bobches clatrent, et tout autour de la salle, les domestiquesinstallaient des petites tables rondes comme aux terrasses des cafs. Onsoupait toujours ainsi par quatre ou cinq chez Dchelee ; et les sympa-thies en ce moment se cherchaient, se groupaient.

    Ctaient des cris, des appels froces, le Pil. . . ouit du faubourgrpondant au You you you you en crcelle des lles dOrient, et descolloques voix basse, et des rires voluptueux de femmes quon entranaitdune caresse.

    Gaussin protait du tumulte pour se glisser vers la sortie, quand sonami ltudiant larrta, ruisselant, les yeux en boule, une bouteille souschaque bras : Mais o tes-vous donc ?. . . Je vous cherche partout. . . jaiune table, des femmes, la petite Bachellery des Boues. . . En Japonaise,savez bien. . . Elle menvoie vous chercher. Venez vite. . . et il repartit encourant.

    Le pieraro avait soif ; puis livresse du bal le tentait, et le minois dela petite actrice qui de loin lui faisait des signes. Mais une voix srieuseet douce murmura prs de son oreille : Ny va pas. . .

    Celle de tout lheure tait l, tout contre lui, lentranant dehors, etil la suivit sans hsiter. Pourquoi ? Ce ntait pas larait de cee femme ;il lavait peine regarde, et lautre l-bas qui lappelait, dressant les cou-teaux dacier de sa chevelure, lui plaisait bien davantage. Mais il obissait une volont suprieure la sienne, la violence imptueuse dun dsir.

    Ny va pas !. . .Et subitement ils se trouvrent tous deux sur le trooir de la rue de

    Rome. Des acres aendaient dans le matin blme. Des balayeurs, des

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  • Sapho Chapitre I

    ouvriers allant au travail regardaient cee maison de fte grondante etdbordante, ce couple travesti, un Mardi Gras en plein t.

    Chez vous, ou chez moi ?. . . demanda-t-elle. Sans bien sexpliquerpourquoi, il pensa que chez lui ce serait mieux, donna son adresse loin-taine au cocher ; et pendant la route qui fut longue ils parlrent peu. Seule-ment elle tenait une de ses mains entre les siennes quil sentait trs petiteset glaces ; et, sans le froid de cee treinte nerveuse, il aurait pu croirequelle dormait, renverse au fond du acre, avec le reet glissant du storebleu sur la gure.

    On sarrta rue Jacob, devant un htel dtudiants. atre tages monter, ctait haut et dur. Voulez-vous que je vous porte ?. . . dit-il enriant, mais tout bas, cause de la maison endormie. Elle lenveloppa dunlent regard, mprisant et tendre, un regard dexprience qui le jaugeait etclairement disait : Pauvre petit. . .

    Alors lui, dun bel lan, bien de son ge et de son Midi, la prit, lem-porta comme un enfant, car il tait solide et dcoupl avec sa peau blondede demoiselle, et il monta le premier tage dune haleine, heureux de cepoids que deux beaux bras, frais et nus, lui nouaient au cou.

    Le second tage fut plus long, sans agrment. La femme sabandon-nait, se faisait plus lourde mesure. Le fer de ses pendeloques, qui dabordle caressait dun chatouillement, entrait peu peu et cruellement dans sachair.

    Au troisime, il rlait comme un dmnageur de piano ; le soue luimanquait, pendant quelle murmurait, ravie, la paupire allonge : Oh !mami, que cest bon. . . quon est bien. . . Et les dernires marches, quilgrimpait une une, lui semblaient dun escalier gant dont les murs, larampe, les troites fentres tournaient en une interminable spirale. Centait plus une femme quil portait, mais quelque chose de lourd, dhor-rible, qui ltouait, et qu tout moment il tait tent de lcher, de jeteravec colre, au risque dun crasement brutal.

    Arrivs sur ltroit palier : Dj. . . dit-elle en ouvrant les yeux. Luipensait : Enn !. . . mais naurait pu le dire, trs ple, les deux mainssur sa poitrine qui clatait.

    Toute leur histoire, cee monte descalier dans la grise tristesse dumatin.

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  • Sapho Chapitre I

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  • CHAPITRE II

    I deux jours ; puis elle partit, lui laissant une impressionde peau douce et de linge n. Pas dautre renseignement sur elleque son nom, son adresse et ceci : and vous me voudrez,appelez-moi. . . je serai toujours prte. . .

    La toute petite carte, lgante, odorante, portait :Fanny Legrand6, rue de lArcadeIl la mit sa glace entre une invitation au dernier bal des Aaires

    trangres et le programme enlumin et fantaisiste de la soire de D-chelee, ses deux seules sorties mondaines de lanne ; et le souvenir dela femme, rest quelques jours autour de la chemine dans ce dlicat et l-ger parfum, svapora en mme temps que lui, sans que Gaussin, srieux,travailleur, se mant par-dessus tout des entranements de Paris, et eula fantaisie de renouveler cee amouree dun soir.

    Lexamenministriel aurait lieu en novembre. Il ne lui restait que trois

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  • Sapho Chapitre II

    mois pour le prparer. Aprs, viendrait un stage de trois ou quatre ansdans les bureaux du service consulaire ; puis il sen irait quelque part,trs loin. Cee ide dexil ne lerayait pas ; car une tradition chez lesGaussin dArmandy, vieille famille avignonnaise, voulait que lan desls suivt ce quon appelle la carrire, avec lexemple, lencouragement etla protection morale de ceux qui ly avaient prcd. Pour ce provincial,Paris ntait que la premire escale dune trs longue traverse, ce quilempchait de nouer aucune liaison srieuse en amour comme en amiti.

    Une semaine ou deux aprs le bal de Dchelee, un soir que Gaussin,la lampe allume, ses livres prpars sur la table, se meait au travail,on frappa timidement ; et, la porte ouverte, une femme apparut en toi-lee lgante et claire. Il la reconnut seulement quand elle eut relev savoilee.

    Vous voyez, cest moi. . . je reviens. . .Puis surprenant le regard inquiet, gn, quil jetait sur la besogne en

    train : Oh ! je ne vous drangerai pas. . . je sais ce que cest. . .Elle dt son chapeau, prit une livraison du Tour du monde, sinstalla

    et ne bougea plus, absorbe en apparence par sa lecture ; mais, chaquefois quil levait les yeux, il rencontrait son regard.

    Et vraiment il lui fallait du courage pour ne pas la prendre tout de suiteentre ses bras, car elle tait bien tentante et dun grand charme avec satoute petite tte au front bas, au nez court, la lvre sensuelle et bonne,et la maturit souple de sa taille dans cee robe dune correction touteparisienne, moins erayante pour lui que sa dfroque de lle dgypte.

    Partie le lendemain de bonne heure, elle revint plusieurs fois dans lasemaine, et toujours elle entrait avec la mme pleur, les mmes mainsfroides et moites, la mme voix serre dmotion.

    Oh ! je sais bien que je tennuie, lui disait-elle, que je te fatigue. Jedevrais tre plus re. . . Si tu crois !. . . Tous les matins en men allant dechez toi, je jure de ne plus venir ; puis a me reprend, le soir, comme unefolie.

    Il la regardait, amus, surpris dans son ddain de la femme, par ceepersistance amoureuse. Celles quil avait connues jusque-l, des lles debrasserie ou de skating, quelquefois jeunes et jolies, lui laissaient toujours

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  • Sapho Chapitre II

    le dgot de leur rire bte, de leurs mains de cuisinires, dune grossi-ret dinstincts et de propos qui lui faisait ouvrir la fentre derrire elles.Dans sa croyance dinnocent, il pensait toutes les lles de plaisir pareilles.Aussi stonnait-il de trouver en Fanny une douceur, une rserve vrai-ment femme, avec cee supriorit sur les bourgeoises quil rencon-trait en province chez sa mre dun frois dart, dune connaissance detoutes choses, qui rendaient les causeries intressantes et varies.

    Puis elle tait musicienne, saccompagnait au piano et chantait, dunevoix de contralto un peu fatigue, ingale, mais exerce, quelque romancede Chopin ou de Schumann, des chansons de pays, des airs berrichons,bourguignons ou picards dont elle avait tout un rpertoire.

    Gaussin, fou de musique, cet art de paresse et de plein air o seplaisent ceux de son pays, sexaltait par le son aux heures de travail, enberait son repos dlicieusement. Et de Fanny, cela surtout le ravissait. Ilstonnait quelle ne ft pas dans un thtre, et apprit ainsi quelle avaitchant au Lyrique.

    Mais pas longtemps. . . Je mennuyais trop. . .En elle eectivement rien de ltudi, du convenu de la femme de

    thtre ; pas lombre de vanit ni de mensonge. Seulement un certainmystre sur sa vie au-dehors, mystre gard mme aux heures de pas-sion, et que son amant nessayait pas de pntrer, ne se sentant ni jalouxni curieux, la laissant arriver lheure dite sans mme regarder la pen-dule, ignorant encore la sensation de laente, ces grands coups pleinepoitrine qui sonnent le dsir et limpatience.

    De temps en temps, lt tant trs beau cee anne-l, ils sen allaient la dcouverte de tous ces jolis coins des environs de Paris dont elle savaitla carte prcise et dtaille. Ils se mlaient aux dparts nombreux, turbu-lents, des gares de banlieue, djeunaient dans quelque cabaret la lisiredes bois ou des eaux, vitant seulement certains endroits trop courus. Unjour quil lui proposait daller aux Vaux-de-Cernay. . .

    Non, non. . . pas l. . . il y a trop de peintres. . .Et cee antipathie des artistes, il se rappela quelle avait t linitiation

    de leur amour. Comme il en demandait la raison : Ce sont, dit-elle, des dtraqus, des compliqus qui racontent tou-

    jours plus de choses quil ny en a. . . Ils mont fait beaucoup de mal. . .

    12

  • Sapho Chapitre II

    Lui protestait : Pourtant, lart, cest beau. . . Rien de tel pour embellir, largir la vie. Vois-tu, mami, ce qui est beau, cest dtre simple et droit comme

    toi, davoir vingt ans et de bien saimer. . .Vingt ans ! on ne lui et pas donn davantage, la voir si vivante,

    toujours prte, riant tout, trouvant tout bon.Un soir, Saint-Clair, dans la valle de Chevreuse, ils arrivrent la

    veille de la fte et ne trouvrent pas de chambre. Il tait tard, il fallait unelieue de bois dans la nuit pour rejoindre le prochain village. Enn on leurorit un lit de sangle, rest libre au bout dune grange o dormaient desmaons.

    Allons-y, dit-elle en riant. . . a me rappellera mon temps de misre.Elle avait donc connu la misre.Ils se glissrent ttons entre les lits occups dans la grande salle

    crpie la chaux, o fumait une veilleuse au fond dune niche sur la mu-raille ; et toute la nuit serrs lun contre lautre, ils touaient leurs baiserset leurs rires, en entendant roner, geindre de fatigue ces compagnons,dont les bourgerons, les lourdes chaussures de travail tranaient tout prsde la robe de soie et des nes boes de la Parisienne.

    Au petit jour, une chatire souvrit au bas du large portail, un rai delumire blanche frla la sangle des lits, la terre baue, pendant quunevoix enroue criait : Oh ! la coterie. . . Puis il se t, dans la grangeredevenue obscure, un remue-mnage pnible et lent, des billes, destirements, de grosses toux, les tristes bruits humains dune chambrequi sveille ; et lourds, silencieux, les Limousins sen allrent, un par un,sans se douter quils avaient dormi prs dune belle lle.

    Derrire eux, elle se leva, mit sa robe ttons, tordit ses cheveux enhte : Reste l. . . je reviens. . . Elle rentrait au bout dun moment avecune norme brasse de eurs des champs inondes de rose. Maintenantdormons. . . dit-elle en parpillant sur le lit cee odorante fracheur dela ore matinale qui ravivait latmosphre autour deux. Et jamais elle nelui avait paru si jolie qu cee entre de grange, riant dans le petit jour,avec ses lgers cheveux tout envols et ses herbes folles.

    Une autre fois, ils djeunaient Ville-dAvray devant ltang. Un ma-tin dautomne enveloppait de brume leau calme, la rouille des bois en

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  • Sapho Chapitre II

    face deux ; et seuls dans le petit jardin du restaurant, ils sembrassaienten mangeant des ablees. Tout coup, dun pavillon rustique branchdans le platane au pied duquel leur table tait mise, une voix forte et nar-quoise appela : Dites donc, les autres, quand vous aurez ni de vousbcoter. . . Et la face de lion, la moustache rousse du sculpteur Caoudalse penchait dans lembrasure en rondins du chalet.

    Jai bien envie de descendre djeuner avec vous. . . Je mennuiecomme un hibou dans mon arbre. . .

    Fanny ne rpondait pas, visiblement gne de la rencontre ; lui, aucontraire, accepta bien vite, curieux de lartiste clbre, a de lavoir sa table.

    Caoudal, trs coquet dans une apparence nglige, mais o tout taitcalcul depuis la cravate en crpe de chine blanc pour claircir un teintsabr de rides et de couperoses, jusquau veston serr sur la taille encoresvelte et les muscles en saillie, Caoudal lui parut plus vieux quau bal deDchelee.

    Mais ce qui le surprit et mme lembarrassait un peu, ce fut le tondintimit du sculpteur avec sa matresse. Il lappelait Fanny, la tutoyait.

    Tu sais, lui disait-il en installant son couvert sur leur nappe, je suisveuf depuis quinze jours. Maria est partie avec Morateur. a ma laissassez tranquille les premiers temps. . . Mais ce matin, en entrant latelier,je me suis senti faignant comme tout. . . Impossible de travailler. . . Alorsjai lch mon groupe et je suis venu djeuner la campagne. Fichue ide,quand on est seul. . . Un peu plus je larmoyais dans ma gibeloe. . .

    Puis regardant le Provenal dont la barbe follee et les cheveux bou-cls avaient le ton du sauterne dans les verres :

    Est-ce beau, la jeunesse !. . . Pas de danger quon le lche, celui-l. . .Et ce quil y a de plus fort, cest que a se gagne. . . Elle a lair aussi jeuneque lui. . .

    Malhonnte !. . . t-elle en riant ; et son rire sonnait bien la sductionsans ge, la jeunesse de la femme qui aime et veut se faire aimer.

    tonnante. . . tonnante. . . murmurait Caoudal, qui lexaminaittout en mangeant, avec un pli de tristesse et denvie grimaant au coin desa bouche.

    Dis donc, Fanny, te rappelles-tu un djeuner ici. . . cest loin, dam !. . .

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  • Sapho Chapitre II

    nous tions Ezano, Dejoie, toute la bande. . . tu es tombe dans ltang.On ta habille en homme, avec la tunique du garde-pche. a tallaitrichement bien. . .

    Rappelle plus. . . t-elle froidement, et sansmentir ; car ces cratureschangeantes et de hasard ne sont jamais qu lheure prsente de leuramour. Nulle mmoire de ce qui prcda, nulle crainte de ce qui peutvenir.

    Caoudal, au contraire, tout au pass, dvidait coups de sauterneses exploits de robuste jeunesse, damour et de beuverie, parties de cam-pagne, bals lOpra, charges datelier, batailles et conqutes. Mais, en setournant vers eux avec lclair remont ses yeux de toutes les ammesquil remuait, il saperut quils ne lcoutaient gure, occups grenerdes raisins aux lvres lun de lautre.

    Est-ce assez rasant ce que je vous raconte l. . . Mais si, mais si, jevous assomme. . . Ah ! nom dun chien. . . Cest bte dtre vieux. . .

    Il se leva, jeta sa serviee Pour moi, le djeuner, pre Langlois. . . cria-t-il vers le restaurant.Il sloigna tristement, tranant les pieds, comme rong dun mal in-

    curable. Longtemps les amoureux suivirent sa longue taille qui se votaitsous les feuilles couleur dor.

    Pauvre Caoudal !. . . cest vrai quil se tasse. . . murmura Fanny dunton de douce commisration ; et commeGaussin sindignait que ceeMa-ria, une lle, un modle, pt samuser des sourances dun Caoudal etprfrer au grand artiste. . . qui ?. . . Morateur, un petit peintre sans talent,nayant pour lui que sa jeunesse, elle se mit rire : Ah ! innocent. . . in-nocent. . . et lui renversant la tte deux mains sur ses genoux, elle lehumait, le respirait, dans les yeux, dans les cheveux, partout, comme unbouquet.

    Le soir de ce jour-l, Jean pour la premire fois coucha chez sa ma-tresse qui le tourmentait ce sujet depuis trois mois :

    Mais enn, pourquoi ne veux-tu pas ? Je ne sais. . . a me gne. Puisque je te dis que je suis libre, que je suis seule. . .Et la fatigue de la partie de campagne aidant, elle lentrana rue de

    lArcade, tout prs de la gare. lentresol dune maison bourgeoise dap-

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  • Sapho Chapitre II

    parence honnte et cossue, une vieille servante en bonnet paysan, lairrevche, vint leur ouvrir.

    Cest Machaume. . . Bonjour Machaume. . . dit Fanny lui sautant aucou. Tu sais, le voil mon aim, mon roi. . . je lamne. . . Vite, allume tout,fais la maison belle. . .

    Jean resta seul dans un tout petit salon aux fentres cintres et basses,drapes de la mme soie bleue banale qui couvrait les divans et quelquesmeubles laqus. Aux murs trois ou quatre paysages gayaient et araientltoe ; tous portaient un mot de ddicace : Fanny Legrand , machre Fanny. . . .

    Sur la chemine, un marbre demi-grandeur de la Sapho de Caoudal,dont le bronze est partout, et que Gaussin ds sa petite enfance avait vudans le cabinet de travail de son pre. Et la lueur de lunique bougiepose prs du socle, il saperut de la ressemblance, ane et commerajeunissante, de cee uvre dart avec sa matresse. Ces lignes du prol,ce mouvement de taille sous la draperie, cee rondeur lante des brasnous autour des genoux lui taient connus, intimes ; sonil les savouraitavec le souvenir de sensations plus tendres.

    Fanny, le trouvant en contemplation devant le marbre, lui dit dun airdgag : Il y a quelque chose de moi, nest ce pas ?. . . le modle de Caou-dal me ressemblait. . . Et tout de suite elle lemmena dans sa chambre, oMachaume en rechignant installait deux couverts sur un guridon ; tousles ambeaux allums, jusquaux bras de larmoire glace, un beau feude bois, gai comme un premier feu, ambant sous le pare-tincelles, lachambre dune femme qui shabille pour le bal.

    Jai voulu souper l, dit-elle en riant. . . nous serons plus vite au lit.Jamais Jean navait vu dameublement aussi coquet. Les lampes Louis

    XVI, les mousselines claires des chambres de sa mre et de ses surs nedonnaient pas la moindre ide de ce nid ouat, capitonn, o les boiseriesse cachaient sous des satins tendres, o le lit ntait quun divan plus largeque les autres, tal au fond sur des fourrures blanches.

    Dlicieuse, cee caresse de lumire, de chaleur, de reets bleus allon-gs dans les glaces biseautes, aprs leur course travers champs, londequils avaient reue, la boue des chemins creux sous le jour qui tombait.Mais ce qui lempchait de dguster en vrai provincial ce confort de ren-

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  • Sapho Chapitre II

    contre, ctait la mauvaise humeur de la servante, le regard souponneuxdont elle le xait, au point que Fanny la renvoya dun mot : Laisse-nous Machaume. . . nous nous servirons. . . Et comme la paysanne jetaitla porte en sen allant : Ny fais pas aention, elle men veut de troptaimer. . . Elle dit que je perds ma vie. . . ces gens de campagne, cest sirapace !. . . Sa cuisine, par exemple, vaut mieux quelle. . . gote-moi ceeterrine de livre.

    Elle dcoupait le pt, dbouchait le champagne, oubliait de se servirpour le regarder manger, faisant chaque geste remonter jusqu lpauleles manches dune gandoura dAlger, de laine souple et blanche, quelleportait toujours la maison. Elle lui rappelait ainsi leur premire ren-contre chez Dchelee ; et serrs sur le mme fauteuil, mangeant dans lamme assiee, ils parlaient de cee soire.

    Oh ! moi, disait-elle, ds que je tai vu entrer, jai eu envie de toi. . .Jaurais voulu te prendre, temmener tout de suite, pour que les autres netaient pas. . . Et toi, quest-ce que tu pensais, quand tu mas vue ?. . .

    Dabord elle lui avait fait peur ; puis il stait senti plein de conance,en intimit complte avec elle.

    Au fait, ajouta-t-il, je ne tai jamais demand. . . Pourquoi tes-tufche ?. . . Pour deux vers de La Gournerie ?. . .

    Elle eut le mme froncement de sourcils quau bal, puis un geste dette :

    Des btises !. . . nen parlons plus. . .Et les bras autour de lui : Cest que javais un peu peur, moi aussi. . . jessayais de me sauver,

    de me reprendre. . . mais je nai pas pu, je ne pourrai jamais. . . Oh ! jamais. Tu verras.Il se contenta de rpondre avec le sourire sceptique de son ge, sans

    sarrter laccent passionn, presque menaant, dont lui fut jet ce tuverras. . . . Cee treinte de femme tait si douce, si soumise ; il croyaitfermement navoir quun geste faire pour se dgager. . .

    Mme, quoi bon se dgager ?. . . Il tait si bien dans le dorlotement decee chambre voluptueuse, si dlicieusement tourdi par cee haleine encaresse sur ses paupires qui baaient, lourdes de sommeil, pleines de vi-

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  • Sapho Chapitre II

    sions fuyantes, bois rouills, prs, meules ruisselantes, toute leur journedamour la campagne. . .

    Au matin, il fut rveill en sursaut par la voix de Machaume criant aupied du lit, sans le moindre mystre :

    Il est l. . . il veut vous parler. . . Comment ! il veut ?. . . Je ne suis donc plus chez moi !. . . tu las donc

    laiss entrer. . .Furieuse, elle bondit, schappa de la chambre, moiti nue, la batiste

    ouverte : Ne bouge pas, mami. . . je reviens. . .Mais il ne laendit pas et se sentit tranquille que lorsquil fut lev

    son tour, et vtu, ses pieds solides dans ses boes.Tout en ramassant ses vtements dans la chambre hermtiquement

    close o la veilleuse clairait encore le dsordre du petit souper, il enten-dait le bruit dun dbat terrible, tou par les tentures du salon. Une voixdhomme, irrite dabord, puis implorante, dont les clats scrasaient ensanglots, en larmoyantes faiblesses, alternait avec une autre voix quil nereconnut pas tout de suite, dure et rauque, charge de haine et de motsignobles arrivant jusqu lui comme dune dispute de brasserie de lles.

    Tout ce luxe amoureux en tait souill, dgrad dun claboussementde taches sur de la soie ; et la femme salie aussi, au niveau dautres quilavait mprises auparavant.

    Elle rentra haletante, tordant dun beau geste sa chevelure rpandue : Est-ce bte un homme qui pleure !. . .Puis le voyant debout, habill, elle eut un cri de rage : Tu tes lev !. . . recouche-toi. . . tout de suite. . . Je le veux. . .Subitement radoucie, et lenlaant du geste et de la voix : Non, non. . . ne pars pas. . . tu ne peux pas ten aller comme a. . .

    Dabord je suis sre que tu ne reviendrais plus. Mais si. . . Pourquoi donc ?. . . Jure que tu nes pas fch, que tu viendras encore. . . oh ! cest que

    je te connais.Il jura ce quelle voulut, mais ne se recoucha pas malgr ses supplica-

    tions et lassurance ritre quelle tait chez elle, libre de sa vie, de ses

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  • Sapho Chapitre II

    actes. la n elle sembla se rsigner le voir partir, et laccompagna jus-qu la porte, nayant plus rien de la faunesse en dlire, bien humble aucontraire, cherchant se faire pardonner.

    Une longue et profonde caresse dadieu les retint dans lantichambre. Alors. . . quand ?. . . lui demandait-elle, les yeux tout au fond des

    yeux. Il allait rpondre, mentir sans doute, dans sa hte dtre dehors,quand un coup de sonnee larrta. Machaume sortit de sa cuisine, maisFanny lui t signe : Non. . . nouvre pas. . . Et ils restaient l, tous lestrois, immobiles, sans parler.

    On entendit une plainte toue, puis le froissement dune lere glis-se sous la porte, et des pas qui descendaient lentement.

    and je te disais que jtais libre. . . tiens !. . .Elle passa son amant la lere quelle venait douvrir, une pauvre

    lere damour, bien basse, bien lche, crayonne en hte sur une tablede caf et dans laquelle le malheureux demandait grce pour sa folie dumatin, reconnaissait navoir aucun droit sur elle que celui quelle voudraitbien lui laisser, priait deuxmains jointes quon ne lexilt pas sans retour,promeant daccepter tout, rsign tout. . . mais ne pas la perdre, monDieu ! ne pas la perdre. . .

    Crois-tu !. . . dit-elle avec un mauvais rire ; et ce rire acheva de luibarrer le cur quelle voulait conqurir. Jean la trouva cruelle. Il ne savaitpas encore que la femme qui aime na dentrailles que pour son amour,toutes ses forces vives de charit, de bont, de piti, de dvouement ab-sorbes au prot dun tre, dun seul.

    Tu as bien tort de te moquer. . . cee lere est horriblement belle etnavrante. . . et tout bas, dune voix grave, en lui tenant les mains :

    Voyons. . . pourquoi le chasses-tu ?. . . Je nen veux plus. . . Je ne laime pas. Pourtant ctait ton amant. . . Il ta fait ce luxe o tu vis, o tu as

    toujours vcu, qui test ncessaire.Mami, dit-elle avec son accent de franchise, quand je ne te connais-

    sais pas, je trouvais tout cela trs bien. . . Maintenant cest une fatigue, unehonte ; jen avais le cur qui me levait. . . Oh ! je sais, tu vas me dire quetoi ce nest pas srieux, que tu ne maimes pas. . . Mais a, jen fais monaaire. . . e tu le veuilles ou non, je te forcerai bien de maimer.

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  • Sapho Chapitre II

    Il ne rpondit pas, convint dun rendez-vous pour le lendemain, etse sauva, laissant quelques louis Machaume, le fond de sa bourse d-tudiant, en paiement de la terrine. Pour lui, ctait ni maintenant. Dequel droit troubler cee existence de femme, et que pouvait-il lui oriren change de ce quil lui faisait perdre ?

    Il lui crivit cela, le jour mme, aussi doucement, aussi sincrementquil put, mais sans lui avouer que de leur liaison, de ce caprice lger etaimable, il avait senti se dgager tout coup quelque chose de violent, demalsain, en entendant aprs sa nuit damour ces sanglots damant trompqui alternaient avec son rire elle et ses jurons de blanchisseuse.

    Dans ce grand garon, pouss loin de Paris, en pleine garrigue pro-venale, il y avait un peu de la rudesse paternelle, et toutes les dlica-tesses, toutes les nervosits de sa mre laquelle il ressemblait commeun portrait. Et pour le dfendre contre les entranements du plaisir sa-joutait encore lexemple dun frre de son pre, dont les dsordres, lesfolies avaient demi ruin leur famille et mis lhonneur du nom en pril.

    Loncle Csaire ! Rien quavec ces deux mots et le drame intime quilsvoquaient, on pouvait exiger de Jean des sacrices autrement terriblesque celui de cee amouree laquelle il navait jamais donn dimpor-tance. Pourtant ce fut plus dur rompre quil ne se limaginait.

    Formellement congdie, elle revint sans se dcourager de ses refusde la voir, de la porte ferme, des consignes inexorables. Je nai pasdamour-propre. . . lui crivait-elle. Elle gueait lheure de ses repas aurestaurant, laendait devant le caf o il lisait ses journaux. Et pas delarmes, ni de scnes. Sil tait en compagnie, elle se contentait de le suivre,dpier le moment o il restait seul.

    Veux-tu de moi, ce soir ?. . . Non ?. . . Alors ce sera pour une autrefois. Et elle sen allait avec la douceur rsigne du forain qui reboucle saballe, lui laissant le remords de ses durets et lhumiliation du mensongequil balbutiait chaque rencontre. Lexamen tout proche. . . le temps quimanquait. . . Aprs, plus tard, si a la tenait encore. . . De fait, il comptait,sitt reu, prendre un mois de vacances dans le Midi et quelle loublieraitpendant ce temps-l.

    Malheureusement, lexamen pass, Jean tomba malade. Une angine,gagne dans un couloir de ministre, et qui, nglige, senvenima. Il ne

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  • Sapho Chapitre II

    connaissait personne Paris, part quelques tudiants de sa province,que son exigeante liaison avait loigns et disperss. Dailleurs il fallaitici plus quun dvouement ordinaire, et ds le premier soir ce fut FannyLegrand qui sinstalla prs de son lit, ne le quiant de dix jours, le soignantsans fatigue, sans peur ni dgot, adroite comme une sur de garde, avecdes clineries tendres, qui parfois, aux heures de vre, le reportaient une grosse maladie denfance, lui faisaient appeler sa tante Divonne, dire merci, Divonne , quand il sentait les mains de Fanny sur la moiteur deson front.

    Ce nest pas Divonne. . . cest moi. . . je te veille. . .Elle le sauvait des soins mercenaires, des feux teints maladroitement,

    des tisanes fabriques dans une loge de concierge ; et Jean nen revenaitpas de ce quil y avait dalerte, dingnieux, dexpditif, dans ces mainsdindolence et de volupt. La nuit elle dormait deux heures sur le divan, un divan dhtel du artier, moelleux comme la planche dun poste depolice.

    Mais, ma pauvre Fanny, tu ne vas donc jamais chez toi ?. . . luidemandait-il un jour. . . Je suis mieux prsent. . . Il faudrait rassurer Ma-chaume.

    Elle se mit rire. Beau temps quelle courait, Machaume, et toute lamaison avec. On avait tout vendu, les meubles, la dfroque, mme la li-terie. Il lui restait la robe quelle avait sur le dos et un peu de linge n,sauv par sa bonne. . . Maintenant sil la renvoyait, elle serait la rue.

    n

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  • CHAPITRE III

    Cee fois, je crois que jai trouv. . . Rue dAmsterdam, vis--vis lagare. . . Trois pices, et un grand balcon. . . Si tu veux, nous irons voir, aprston ministre. . . cest haut, cinq tages. . . mais tu me porteras. Ctait sibon, tu te rappelles. . . Et tout amuse de ce souvenir, elle se frlait, seroulait dans son cou, cherchait lancienne place, sa place.

    deux, dans leur garni dhtel, avec les murs du quartier, ces tra-neries par lescalier de lles en lets et en savates, ces cloisons de papierderrire lesquelles grouillaient dautres mnages, cee promiscuit descls, des bougeoirs, des boines, la vie devenait intolrable. Non pas elle certes ; avec Jean, le toit, la cave, mme lgout, tout lui tait bon pournicher. Mais la dlicatesse de lamant searouchait de certains contacts,auxquels, garon, il ne pensait gure. Ces mnages dune nuit le gnaient,dshonoraient le sien, lui causaient un peu la tristesse et le dgot dela cage des singes au Jardin des Plantes, grimaant tous les gestes et lesexpressions de lamour humain. Le restaurant aussi lennuyait, ce repas

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  • Sapho Chapitre III

    quil fallait aller chercher deux fois par jour au boulevard Saint-Michel,dans une grande salle encombre dtudiants, dlves des Beaux-Arts,peintres, architectes, qui sans le connatre avaient lhabitude de sa gure,depuis un an quil mangeait l.

    Il rougissait en poussant la porte de tous ces yeux tourns versFanny, entrait avec la gne agressive des tout jeunes gens qui accom-pagnent une femme ; et il craignait aussi la rencontre dun de ses chefsdu ministre ou de quelquun de son pays. Puis la question dconomie.

    e cest cher !. . . disait-elle chaque fois, emportant et commentantla petite note du dner. . . Si nous tions chez nous, jaurais fait marcher lamaison trois jours pour ce prix-l.

    Eh bien, qui nous empche ?. . .Et lon se mit en qute dune installation.Cest le pige. Tous y sont pris, les meilleurs, les plus honntes, par cet

    instinct de propret, ce got du home quont mis en eux lducationfamiliale et la tideur du foyer.

    Lappartement de la rue dAmsterdam fut lou tout de suite et trouvcharmant, malgr ses pices en enlade qui ouvraient la cuisine et lasalle sur une arrire-cour moisie o montaient dune taverne anglaisedes odeurs de rinure et de chlore, la chambre sur la rue en pente etbruyante, secoue jour et nuit aux cahots des fourgons, camions, acres,omnibus, aux siets darrive et de dpart, tout le vacarme de la gare delOuest dveloppant en face ses toitures en vitrage couleur deau sale. La-vantage, ctait de savoir le train sa porte, et Saint-Cloud, Ville-dAvray,Saint-Germain, les vertes stations des bords de la Seine presque sous leurterrasse. Car ils avaient une terrasse, large et commode, qui gardait dela municence des anciens locataires une tente de zinc peinte en coutilray, ruisselante et triste sous le crpitement des pluies dhiver, mais olon serait trs bien lt pour dner au bon air, comme dans un chalet demontagne.

    On soccupa des meubles. Jean ayant fait part chez lui de son pro-jet dinstallation, tante Divonne, qui tait comme lintendante de la mai-son, envoya largent ncessaire ; et sa lere annonait en mme temps leprochain arrivage dune armoire, dune commode, et dun grand fauteuilcann, tirs de la Chambre du vent lintention du Parisien.

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  • Sapho Chapitre III

    Cee chambre, quil revoyait au fond dun couloir de Castelet, tou-jours inhabite, les volets clos aachs dune barre, la porte ferme auverrou, tait condamne, par son exposition aux coups du mistral qui lafaisaient craquer comme une chambre de phare. On y entassait des vieille-ries, ce que chaque gnration dhabitants relguait au pass devant lesacquisitions nouvelles.

    Ah ! si Divonne avait su quelles singulires siestes servirait le fau-teuil cann, et que des jupons de surah, des pantalons manchees em-pliraient les tiroirs de la commode Empire. . . Mais le remords de Gaussin ce sujet se trouvait perdu dans les mille petites joies de linstallation.

    Ctait si amusant, aprs le bureau, entre chien et loup, de partir engrandes courses, serrs au bras lun de lautre, et de sen aller dans quelquerue de faubourg choisir une salle manger, le buet, la table et sixchaises, ou des rideaux de cretonne eurs pour la croise et le lit. Luiacceptait tout, les yeux ferms ; mais Fanny regardait pour deux, essayaitles chaises, faisait glisser les baants de la table, montrait une expriencemarchandeuse.

    Elle connaissait les maisons o lon avait prix de fabrique une bat-terie de cuisine complte pour petit mnage, les quatre casseroles en fer,la cinquime maille pour le chocolat du matin ; jamais de cuivre, cesttrop long neoyer. Six couverts demtal avec la cuillre potage et deuxdouzaines dassiees en faence anglaise, solide et gaie, tout cela compt,prpar, emball comme une dnee de poupe. Pour les draps, serviees,linges de toilee et de table, elle connaissait un marchand, le reprsentantdune grande fabrique de Roubaix, chez qui on payait tant par mois ; ettoujours gueer les devantures, en qute de ces liquidations, de ces d-bris de naufrage que Paris amne continuellement dans lcume de sesbords, elle dcouvrait au boulevard de Clichy loccasion dun lit superbe,presque neuf, et large y coucher en rang les sept demoiselles de logre.

    Lui aussi, en revenant du bureau, essayait des acquisitions ; mais ilne sentendait rien, ne sachant dire non, ni sen aller les mains vides.Entr chez un brocanteur pour acheter un huilier ancien quelle lui avaitsignal, il rapportait en guise de lobjet dj vendu un lustre de salon pendeloques, bien inutile puisquils navaient pas de salon.

    Nous le merons dans la vranda. . . disait Fanny pour le consoler.

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  • Sapho Chapitre III

    Et le bonheur de prendre des mesures, les discussions sur la place dunmeuble ; et les cris, les rires fous, les bras perdus au plafond quand on sa-percevait que malgr toutes les prcautions, malgr la liste trs compltedes achats indispensables, il y avait toujours quelque chose doubli.

    Ainsi la rpe sucre. Conoit-on quils allaient se mere en mnagesans rpe sucre !. . ..

    Puis, tout achet et mis en place, les rideaux pendus, une mche la lampe neuve, quelle bonne soire que celle de linstallation, la revueminutieuse des trois pices avant de se coucher, et comme elle riait enlclairant pendant quil verrouillait la porte :

    Encore un tour, encore. . . ferme bien. . . Soyons bien chez nous. . .Alors ce fut une vie nouvelle, dlicieuse. En quiant son travail, il ren-

    trait vite, press dtre arriv, en pantoues au coin de leur feu. Et dans lenoir pataugeage de la rue, il se gurait leur chambre allume et chaude,gaye de ses vieux meubles provinciaux que Fanny traitait par avance dedbarras et qui staient trouvs de fort jolies anciennes choses ; larmoiresurtout, un bijou Louis XVI, avec ses panneaux peints, reprsentant desftes provenales, des bergers en jaquees euries, des danses au galoubetet au tambourin. La prsence, familire ses yeux denfant, de ces vieille-ries dmodes lui rappelait la maison paternelle, consacrait son nouvelintrieur dont il tait goter le bien-tre.

    Ds son coup de sonnee, Fanny arrivait, soigne, coquee, sur lepont , comme elle disait. Sa robe de laine noire, trs unie, mais taille surun patron de bon faiseur, une simplicit de femme qui a eu de la toilee,les manches retrousses, un grand tablier blanc ; car elle faisait elle-mmeleur cuisine et se contentait dune femme de mnage pour les grossesbesognes qui gercent les mains ou les dforment.

    Elle sy entendait mme trs bien, savait une foule de recees, platsdu Nord ou du Midi, varis comme son rpertoire de chansons populairesque, le dner ni, le tablier blanc accroch derrire la porte referme dela cuisine, elle entonnait de sa voix de contralto, meurtrie et passionne.

    En bas la rue grondait, roulait en torrent. La pluie froide tintait sur lezinc de la vranda ; et Gaussin, les pieds au feu, tal dans son fauteuil,regardait en face les vitres de la gare et les employs courbs crire sousla lumire blanche de grands recteurs.

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  • Sapho Chapitre III

    Il tait bien, se laissait bercer. Amoureux ? Non ; mais reconnaissantde lamour dont on lenveloppait, de cee tendresse toujours gale. Com-ment avait-il pu se priver si longtemps de ce bonheur, dans la crainte dont il riait maintenant dun acoquinement, dune entrave quelconque ?Est-ce que sa vie ntait pas plus propre que lorsquil allait de lle en lle,risquant sa sant ?

    Aucun danger pour plus tard. Dans trois ans, quand il partirait, labrisure se ferait toute seule et sans secousse. Fanny tait prvenue ; ilsen parlaient ensemble, comme de la mort, dune fatalit lointaine, maisinluctable. Restait le grand chagrin quils auraient chez lui en apprenantquil ne vivait pas seul, la colre de son pre si rigide et si prompt.

    Mais comment pourraient-ils savoir ? Jean ne voyait personne Paris.Son pre, le consul comme on disait l-bas, tait retenu toute lannepar la surveillance du domaine trs considrable quil faisait valoir et sesrudes batailles avec la vigne. La mre, impotente, ne pouvait faire sansaide un pas ni un geste, laissant Divonne la direction de la maison, lesoin des deux petites surs jumelles, Marthe et Marie, dont la doublenaissance en surprise avait tout jamais emport ses forces actives.ant loncle Csaire, le mari de Divonne, ctait un grand enfant quon nelaissait pas voyager seul.

    Et Fanny maintenant connaissait toute la famille. Lorsquil recevaitune lere de Castelet, au bas de laquelle les bessonnes avaient misquelques lignes de leur grosse criture petits doigts, elle la lisait par-dessus son paule, saendrissait avec lui. De son existence elle il nesavait rien, ne sinformait pas. Il avait le bel gosme inconscient de sajeunesse, aucune jalousie, aucune inquitude. Plein de sa propre vie, il lalaissait dborder, pensait tout haut, se livrait, pendant que lautre restaitmuee.

    Ainsi les jours, les semaines sen allaient dans une heureuse quitudeun moment trouble par une circonstance qui les mut beaucoup, maisdiversement. Elle se crut enceinte et le lui apprit avec une joie telle quil neput que la partager. Au fond, il avait peur. Un enfant, son ge !. . . enferait-il ?. . . Devait-il le reconnatre ?. . . Et quel gage entre cee femme etlui, quelle complication davenir !

    Soudainement, la chane lui apparut, lourde, froide et scelle. La nuit,

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  • Sapho Chapitre III

    il ne dormait pas plus quelle ; et cte cte dans leur grand lit, ils rvaient,les yeux ouverts, mille lieues lun de lautre.

    Par bonheur, cee fausse alerte ne se renouvela plus, et ils reprirentleur train de vie paisible, exquisement close. Puis lhiver ni, le vrai soleilenn revenu, leur case sembellissait encore, agrandie de la terrasse et dela tente. Le soir, ils dnaient l sous le ciel teint de vert, que rayait lesiement en coup dongle des hirondelles.

    La rue envoyait ses boues chaudes et tous les bruits des maisonsvoisines ; mais le moindre soue dair tait pour eux, et ils soubliaientdes heures, leurs genoux enlacs, ny voyant plus. Jean se rappelait desnuits semblables au bord du Rhne, rvait de consulats lointains dans despays trs chauds, de ponts de navires en partance o la brise aurait ceehaleine longue dont frmissait le rideau de la tente. Et lorsquune caresseinvisible murmurait sur ses lvres : maimes-tu ?. . . il revenait toujoursde trs loin pour rpondre : oh ! oui, je taime. . . Voil ce que cest deles prendre si jeunes ; ils ont trop de choses dans la tte.

    Sur le mme balcon, spar deux par une grille en fer enguirlandede eurs grimpantes, un autre couple roucoulait, M. et M Hema, desgens maris, trs gros, dont les baisers claquaient comme des gies. Mer-veilleusement appareills, dans une conformit dge, de got, de lourdestournures, ctait touchant dentendre ces amoureux n de jeunessechanter en duo tout bas, en sappuyant la balustrade, de vieilles ro-mances sentimentales. . .

    Mais je lentends qui soupire dans lombreCest un beau rve, ah ! laissez-moi dormir.Ils plaisaient Fanny, elle aurait voulu les connatre. elquefois

    mme la voisine et elle changeaient par-dessus le fer noirci de la rampeun sourire de femmes amoureuses et heureuses ; mais les hommes commetoujours se tenaient plus raides et lon ne se parlait pas.

    Jean revenait du quai dOrsay, une aprs-midi, quand il sentendit ap-peler au coin de la rue Royale. Il faisait un jour admirable, une lumirechaude o Paris spanouissait ce tournant du boulevard qui par un beaucouchant, vers lheure du Bois, na pas son pareil au monde.

    Meez-vous l, belle jeunesse, et buvez quelque chose. . . a ma-muse les yeux de vous regarder.

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  • Sapho Chapitre III

    Deux grands bras lavaient happ, assis sous la tente dun caf en-vahissant le trooir de ses trois rangs de tables. Il se laissait faire, adentendre autour de lui ce public de provinciaux, dtrangers, jaqueesrayes et chapeaux ronds, chuchoter curieusement le nom de Caoudal.

    Le sculpteur, aabl devant une absinthe qui allait avec sa taille mili-taire et sa rosee docier, avait auprs de lui lingnieur Dchelee ar-riv de la veille, toujours le mme, hl et jaune, ses pommees en saillieremontant ses petits yeux bons, sa narine gourmande qui reniait Paris.Ds que le jeune homme fut assis, Caoudal, le montrant avec une fureurcomique :

    Est-il beau, cet animal-l. . . Dire que jai eu cet ge et que je frisaiscomme a. . . Oh ! la jeunesse, la jeunesse. . .

    Toujours donc ? t Dchelee saluant dun sourire la toquade deson ami.

    Mon cher, ne riez pas. . . Tout ce que jai, ce que je suis, les mdailles,les croix, lInstitut, le tremblement, je le donnerais pour ces cheveux-l etce teint de soleil. . .

    Puis revenant Gaussin avec sa brusque allure : Et Sapho, quest-ce que vous en faites ?. . . On ne la voit plus.Jean arrondissait les yeux, sans comprendre. Vous ntes donc plus avec elle ?Et devant son ahurissement, Caoudal ajouta sur un ton dimpatience : Sapho, voyons. . . Fanny Legrand. . . Ville-dAvray. . . Oh ! cest ni, il y a longtemps. . .Comment lui vint ce mensonge ? Par une sorte de honte, de malaise,

    ce nom de Sapho donn sa matresse ; la gne de parler delle avecdautres hommes, peut-tre aussi le dsir dapprendre des choses quonne lui aurait pas dites sans cela.

    Tiens ! Sapho. . . Elle roule encore ? demanda Dchelee distrait,tout livresse de revoir lescalier de la Madeleine, le march aux eurs,la longue enlade des boulevards entre deux rangs de bouquets verts.

    Vous ne vous la rappelez donc pas, chez vous, lanne dernire !. . .Elle tait superbe dans sa tunique de fellah. . . Et le matin de cet automne,o je lai trouve djeunant avec ce joli garon chez Langlois, vous auriezdit une marie de quinze jours.

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  • Sapho Chapitre III

    el ge a-t-elle donc ?. . . Depuis le temps quon la connat. . .Caoudal leva la tte pour chercher : el ge ?. . .. quel ge ?. . .

    Voyons, dix-sept ans en 53, quand elle me posait ma gure. . . noussommes en 73. Ainsi, comptez. Tout coup ses yeux sallumrent : Ah !si vous laviez vue, il y a vingt ans. . . longue, ne, la bouche en arc, le frontsolide. . . Des bras, des paules encore un peumaigres, mais cela allait bien la brlure de Sapho. . . Et la femme, la matresse !. . . Ce quil y avait danscee chair plaisir, ce quon tirait de cee pierre feu, de ce clavier o nemanquait pas une note. . . Toute la lyre !. . . comme disait La Gournerie.

    Jean, trs ple, demanda : Est-ce quil a t son amant, aussi celui-l ?. . . La Gournerie ?. . . Je crois bien, jen ai assez souert. . . atre ans

    que nous vivions ensemble comme mari et femme, quatre ans que je lacouvais, que je mpuisais pour sure tous ses caprices. . . matres dechant, de piano, de cheval, est-ce que je sais ?. . . Et quand je lai eu bienpolie, patine, taille en pierre ne, sortie du ruisseau o je lavais ra-masse une nuit, devant le bal Ragache, ce belltre astiqueur de rimesest venu me la prendre chez moi, la table amie o il sasseyait tous lesdimanches !

    Il soua trs fort, comme pour chasser cee vieille rancune damourqui vibrait encore dans sa voix, puis il reprit, plus calme :

    Dailleurs, sa canaillerie ne lui a pas prot. . . Leurs trois ans de m-nage, a t lenfer. Ce pote aux airs clins tait rat, mchant, maniaque.Ils se peignaient, fallait voir !. . . and on allait chez eux, on la trouvaitun bandeau sur lil, lui la gure sabre de gries. . . Mais le beau, cestlorsquil a voulu la quier. Elle saccrochait comme une teigne, le suivait,crevait sa porte, laendait couche en travers de son paillasson. Une nuit,en plein hiver, elle est reste cinq heures en bas de chez la Farcy o ilstaient monts toute la bande. . . Une piti !. . . Mais le pote lgiaque de-meurait implacable, jusquau jour o pour sen dbarrasser il a fait mar-cher la police. Ah ! un joli monsieur. . . Et comme n nale, remerciement cee belle lle qui lui avait donn le meilleur de sa jeunesse, de sonintelligence et de sa chair, il lui a vid sur la tte un volume de vers hai-neux, baveux, dimprcations, de lamentations, le Livre de lAmour, sonplus beau livre. . .

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  • Sapho Chapitre III

    Immobile, le dos tendu, Gaussin coutait, aspirant tout petits coupspar une longue paille la boisson glace servie devant lui.elque poison,bien sr, quon lui avait vers l, et qui le gelait du cur aux entrailles.

    Il greloait malgr lheure splendide, voyait dans une recule blafardedes ombres qui allaient et venaient, un tonneau darrosage arrt devantla Madeleine, et cet entrecroisement de voitures roulant sur la terre mollesilencieusement comme sur de la ouate. Plus de bruit dans Paris, plus rienque ce qui se disait cee table. Maintenant Dchelee parlait, cest luiqui versait le poison :

    elle atroce chose que ces ruptures. . .Et sa voix tranquille et railleuse prenait une expression de douceur,

    de piti innie. . . On a vcu des annes ensemble, dormi lun contre lautre, confondu

    ses rves, sa sueur. On sest tout dit, tout donn. On a pris des habitudes,des faons dtre, de parler, mme des traits lun de lautre. On se tientde la tte aux pieds. . . Le collage enn !. . . Puis brusquement on se quie,on sarrache. . . Comment font-ils ? Comment a-t-on ce courage ?. . . Moi,jamais je ne pourrais. . . Oui, tromp, outrag, sali de ridicule et de boue,la femme pleurerait, me dirait : Reste. . . Je ne men irais pas. . . Etvoil pourquoi, quand jen prends une, ce nest jamais qu la nuit. . . Pasde lendemain, comme disait la vieille France. . . ou alors le mariage. Cestdnitif et plus propre.

    Pas de lendemain. . . pas de lendemain. . . Vous en parlez votre aise.Il y a des femmes quon ne garde pas quune nuit. . . Celle-l par exemple. . .

    Je ne lui ai pas donn une minute de grce. . . t Dchelee avec unplacide sourire que le pauvre amant trouva hideux.

    Alors cest que vous ntiez pas son type, sans quoi. . . Cest une lle,quand elle aime, elle se cramponne. . . Elle a le got du mnage. . . Du reste,pas de chance dans ses installations. Elle se met avec Dejoie, le roman-cier ; il meurt. . . Elle passe Ezano, il se marie. . . Aprs, est venu le beauFlamant, le graveur, lancien modle, car elle a toujours eu le bguin dutalent ou de la beaut, et vous savez son pouvantable aventure. . .

    elle aventure ?. . . demanda Gaussin, la voix trangle ; et il seremit tirer sur sa paille, en coutant le drame damour, qui passionnaParis, il y a quelques annes.

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  • Sapho Chapitre III

    Le graveur tait pauvre, fou de cee femme ; et de peur dtre lch,pour lui maintenir son luxe, il t de faux billets de banque. Dcouvertpresque aussitt, cor avec sa matresse, il en fut quie pour dix ansde rclusion, elle six mois de prvention Saint-Lazare, la preuve de soninnocence ayant t faite.

    Et Caoudal rappelait Dchelee, qui avait suivi le procs, commeelle tait jolie sous son petit bonnet de Saint Lazare, et crne, pas gei-gnarde, dle son homme jusquau bout. . . Et sa rponse ce vieux cor-nichon de prsident, et le baiser quelle envoyait Flamant par-dessus lestricornes des gendarmes, en lui criant dune voix aendrir les pierres : Tennuie pas, mami. . . Les beaux jours reviendront, nous nous aime-rons encore !. . . Tout de mme, a lavait un peu dgote du mnage,la pauvre lle.

    Depuis, lance dans le monde chic, elle a pris des amants au mois, la semaine, et jamais dartistes. . . Oh ! les artistes, elle en a une peur. . .Jtais le seul, je crois bien, quelle et continu voir. . . De loin en loin ellevenait fumer sa cigaree latelier. Puis jai pass des mois sans entendreparler delle, jusquau jour o je lai retrouve en train de djeuner avecce bel enfant et lui mangeant des raisins sur la bouche. Je me suis dit :voil ma Sapho repince.

    Jean ne put en entendre davantage. Il se sentait mourir de tout cepoison absorb. Aprs le froid de tout lheure, une brlure lui tordaitla poitrine, montait sa tte bourdonnante et prs dclater comme unetle chaue blanc. Il traversa la chausse, en chancelant sous les rouesdes voitures. Des cochers criaient. qui en avaient-ils, ces imbciles ?

    En passant sur le march de la Madeleine, il fut troubl par une odeurdhliotrope, lodeur prfre de sa matresse. Il pressa le pas pour la fuir,et furieux, dchir, il pensait tout haut : ma matresse !. . . oui, une belleordure. . . Sapho, Sapho. . . Dire que jai vcu un an avec a !. . . Il rptaitle nom avec rage, se rappelant lavoir vu sur les petits journaux parmidautres sobriquets de lles, dans le grotesque Almanach-Gotha de la ga-lanterie : Sapho, Cora, Caro, Phryn, Jeanne de Poitiers, le Phoque. . .

    Et avec les cinq leres de son nom abominable, toute la vie de ceefemme lui passait en fuite dgout sous les yeux. . . Latelier de Caoudal, lestrpignes chez LaGournerie, les factions de nuit devant les bouges ou sur

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  • Sapho Chapitre III

    le paillasson du pote. . . Puis le beau graveur, les faux, la cour dassises. . .et le petit bonnet du bagne qui lui allait si bien, et le baiser jet sonfaussaire : Tennuie pas, mami. . . Mami ! le mme nom, la mmecaresse que pour lui. . . elle honte ! Ah ! il allait joliment te balayer cessalets-l. . . Et toujours cee odeur dhliotrope qui le poursuivait dansun crpuscule du mme lilas ple que la toute petite eur.

    Tout coup, il saperut quil tait encore arpenter le march commeun pont de bateau. Il reprit sa course, arriva dune traite rue dAmster-dam, bien dcid chasser cee femme de chez lui, la jeter sur lescaliersans explication, en lui crachant linjure de son nom dans le dos. laporte il hsita, rchit, t quelques pas encore. Elle allait crier, sanglo-ter, lcher par la maison tout son vocabulaire du trooir, comme l-bas,rue de lArcade. . .

    crire ?. . . oui, cest cela, il valait mieux crire, lui rgler son compteen quatre mots, bien froces. Il entra dans une taverne anglaise, dserteet morne sous le gaz quon allumait, sassit une table empoisse, prs delunique consommateur, une lle tte de mort qui dvorait du saumonfum, sans boire. Il demanda une pinte dale, ny toucha pas et commenaune lere.Mais trop demots se pressaient dans sa tte, qui voulaient sortir la fois, et que lencre dcompose et grumeleuse traait lentement songr.

    Il dchirait deux ou trois commencements, sen allait enn sans crire,quand tout bas prs de lui une bouche pleine et vorace demanda timide-ment : Vous ne buvez pas ?. . . on peut ?. . . Il t signe que oui. La llese jeta sur la pinte et la vida dune goule violente qui rvlait la dtressede cee malheureuse, ayant tout juste dans sa poche de quoi rassasier safaim sans larroser dun peu de bire. Une piti lui vint, qui lapaisa, l-claira subitement sur les misres dune vie de femme ; et il se mit jugerplus humainement, raisonner son malheur.

    Aprs tout, elle ne lui avait pas menti ; et sil ne savait rien de savie, cest quil ne sen tait jamais souci. e lui reprochait-il ?. . . Sontemps Saint-Lazare ?. . . Mais puisquon lavait acquie, porte presqueen triomphe la sortie. . . Alors, quoi ? Dautres hommes avant lui ?. . . Est-ce quil ne le savait pas ?. . . elle raison de lui en vouloir davantage,parce que les noms de ces amants taient connus, clbres, quil pou-

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  • Sapho Chapitre III

    vait les rencontrer, leur parler, regarder leurs portraits aux devantures ?Devait-il lui faire un crime davoir prfr ceux-l ?

    Et tout au fond de son tre, se levait une ert mauvaise, inavouable,de la partager avec ces grands artistes, de se dire quils lavaient trouvebelle. son ge on nest jamais sr, on ne sait pas bien. On aime la femme,lamour ; mais les yeux et lexprience manquent, et le jeune amant quivous montre un portrait de sa matresse, cherche un regard, une appro-bation qui le rassurent. La gure de Sapho lui semblait grandie, aurole,depuis quil la savait chante par La Gournerie, xe par Caoudal dans lemarbre et le bronze.

    Mais brusquement repris de rage, il quiait le banc o sa mditationlavait jet sur un boulevard extrieur, au milieu des cris denfants, descommrages de femmes douvriers dans la poudreuse soire de juin ; et ilse remeait marcher, parler tout haut, furieusement. . . Joli, le bronzede Sapho. . . du bronze de commerce, qui a tran partout, banal commeun air dorgue, comme ce mot de Sapho qui force de rouler les siclessest encrass de lgendes immondes sur sa grce premire, et dun nomde desse est devenu ltiquee dune maladie. . . el dgot que toutcela, mon Dieu !. . .

    Il sen allait ainsi, tour tour apais ou furieux, ce remous dides, desentiments contraires. Le boulevard sassombrissait, devenait dsert. Unefadeur cre tranait dans lair chaud ; et il reconnaissait la porte du grandcimetire o il tait venu lanne davant assister avec toute la jeunesse linauguration dun buste de Caoudal sur la tombe de Dejoie, le romancierdu quartier Latin, lauteur de Cenderinee. Dejoie, Caoudal ! Ltrangeaccent que ces noms prenaient pour lui depuis deux heures ! et commeelle lui semblait menteuse et lugubre, lhistoire de ltudiante et de sonpetit mnage, maintenant quil en savait les tristes dessous, quil avaitappris par Dchelee lareux surnom donn ces mariages du trooir.

    Toute cee ombre, plus noire du voisinage de la mort, lerayait. Il re-vint sur ses pas, frlant des blouses qui rdaient, silencieuses comme desailes de nuit, des jupes sordides la porte de bouges dont les vitres dpo-lies dcoupaient de grandes lumires de lanterne magique o des couplespassaient, sembrassaient. . . elle heure ?. . . Il se sentait bris, commeune recrue la n de ltape ; et de sa douleur assourdie, tombe dans ses

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  • Sapho Chapitre III

    jambes, il ne lui restait que la courbature. Oh ! se coucher, dormir. . . Puisau rveil, froidement, sans colre, il dirait la femme : Voil. . . je saisqui tu es. . . Ce nest pas ta faute ni la mienne ; mais nous ne pouvons plusvivre ensemble. Sparons-nous. . . Et pour se mere labri de ses pour-suites, il irait embrasser sa mre et ses surs, secouer au vent du Rhne,au libre et viviant mistral, les souillures et leroi de son mauvais rve.

    Elle stait couche, lasse daendre, et dormait en plein sous la lampe,un livre ouvert sur le drap devant elle. Son approche ne lveilla pas ; etdebout prs du lit, il la regardait curieusement comme une femme nou-velle, une trangre quil aurait trouve l.

    Belle, oh ! belle, les bras, la gorge, les paules, dun ambre n, solide,sans tache ni flure. Mais sur ces paupires rougies, peut-tre le romanquelle lisait, peut-tre linquitude, laente, sur ces traits dtendusdans le repos et que ne soutenait plus lpre dsir de la femme qui veuttre aime, quelle lassitude, quels aveux ! Son ge, son histoire, ses bor-des, ses caprices, ses collages, et Saint-Lazare, les coups, les larmes, lesterreurs, tout se voyait, stalait ; et les meurtrissures violees du plaisiret de linsomnie, et le pli de dgot aaissant la lvre infrieure, use,fatigue comme une margelle o tout le communal est venu boire, et laboussure commenante qui dlie les chairs pour les rides de la vieillesse.

    Cee trahison du sommeil, le silence de mort enveloppant cela, ctaitgrand, ctait sinistre ; un champ de bataille la nuit, avec toute lhorreurqui se montre et celle quon devine aux vagues mouvements de lombre.

    Et tout coup il vint au pauvre enfant une grosse, une touante enviede pleurer.

    n

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  • CHAPITRE IV

    I dner, la fentre ouverte, au long siement deshirondelles saluant la tombe de la lumire. Jean ne parlait pas,mais il allait parler et toujours de la mme cruelle chose qui lehantait, et dont il torturait Fanny, depuis la rencontre avec Caoudal. Elle,voyant ses yeux baisss, lair faussement indirent quil prenait pour denouvelles questions, devina et le prvint :

    coute, je sais ce que tu vas me dire. . . pargne-nous, je ten prie. . .on spuise la n. . . puisque cest mort, tout a, que je naime que toi,quil ny a plus que toi au monde. . .

    Si ctait mort comme tu dis, tout ce pass. . .Et il la regardait au fond de ses beaux yeux dun gris frissonnant et

    changeant chaque impression : . . . Tu ne garderais pas des choses qui te le rappellent. . . oui, l-haut

    dans larmoire. . .Le gris se velouta dun noir dombre :

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  • Sapho Chapitre IV

    Tu sais donc ?Tout ce fatras de leres damour, de portraits, ces archives galantes et

    glorieuses sauves de tant de dbcles, il allait donc falloir sen dfaire ! Au moins me croiras-tu aprs ?Et sur un sourire incrdule qui la dait, elle courut chercher le coret

    de laque dont les ferrures ciseles entre les piles dlicates de son lingeavaient si fort intrigu son amant depuis quelques jours.

    Brle, dchire, cest toi. . .Mais il ne se pressait pas de tourner la petite clef, regardait les ceri-

    siers fruits de nacre rose et les vols de cigognes incrusts sur le couverclequil t sauter brusquement. . . Tous les formats, toutes les critures, pa-piers de couleur aux en-ttes dors, vieux billets jaunis casss aux pliures,grionnages au crayon sur des feuilles de carnet, des cartes de visite, entas, sans ordre, comme en un tiroir souvent fouill et bouscul o lui-mme enfonait maintenant ses mains tremblantes. . .

    Passe-les-moi. Je les brlerai sous tes yeux.Elle parlait vreusement, accroupie devant la chemine, une bougie

    allume par terre, ct delle. Donne. . .Mais lui : Non. . . aends. . .Et plus bas, comme honteux : Je voudrais lire. . . Pourquoi ? tu vas te faire mal encore. . .Elle ne songeait qu sa sourance et non lindlicatesse de livrer

    ainsi les secrets de passion, la confession sur loreiller de tous ces hommesqui lavaient aime ; et se rapprochant, toujours genoux, elle lisait enmme temps que lui, lpiait du coin de lil.

    Dix pages, signes La Gournerie, 1861, dune criture longue et f-line, dans lesquelles le pote, envoy en Algrie pour le compte-renduociel et lyrique du voyage de lempereur et de limpratrice, faisait samatresse une description blouissante des ftes.

    Alger dbordant et grouillant, vraie Bagdad des Mille et Une Nuits ;toute lAfrique accourue, entasse autour de la ville, baant ses portes les rompre, comme un simoun. Caravanes de ngres et de chameaux

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  • Sapho Chapitre IV

    chargs de gomme, tentes de poil dresses, une odeur de musc humainsur toute cee singerie qui bivouaquait au bord de la mer, dansait la nuitautour de grands feux, scartait chaque matin devant larrive des chefsdu Sud pareils des Rois Mages avec la pompe orientale, les musiques dis-cordantes, tes de roseau, petits tambours rauques, le goum entourantltendard du Prophte aux trois couleurs ; et derrire, mens en laisse pardes ngres, les chevaux destins en prsent lEmberour, vtus de soie,caparaonns dargent, secouant chaque pas des grelots et des brode-ries. . .

    Le gnie du pote rendait tout cela vivant et prsent ; les motsbrillaient sur la page, comme ces pierres sans monture que jugent lesjoailliers sur du papier. Vraiment elle pouvait tre re, la femme aux ge-noux de qui lon jetait ces richesses. Fallait-il quelle ft aime, puisque,malgr la curiosit de ces ftes, le pote ne songeait qu elle, mourait dene pas la voir :

    Oh ! cee nuit, jtais avec toi sur le grand divan de la rue de lAr-cade. Tu tais nue, tu tais folle, tu criais de joie sous mes caresses, quandjeme suis rveill en sursaut roul dans un tapis sur ma terrasse, en pleinenuit dtoiles. Le cri du muezzin montait dun minaret voisin en claire etlimpide fuse voluptueuse plutt que priante, et cest toi que jentendaisencore en sortant de mon rve. . .

    elle force mauvaise le poussait donc continuer sa lecture mal-gr lhorrible jalousie qui blanchissait ses lvres, contractait ses mains ?Doucement, clinement, Fanny essayait de lui reprendre la lere ; mais illa lut jusquau bout, et aprs celle-l une autre, puis une autre, les lais-sant tomber au fur et mesure avec un dtachement de mpris, din-dirence, sans regarder la amme qui savivait dans la chemine auxeusions lyriques et passionnes du grand pote. Et quelquefois, dans ledbordement de cet amour exagr la temprature africaine, le lyrismede lamant sentachait de quelque grosse obscnit de corps de garde dontauraient t surprises et scandalises les lectrices mondaines du Livre delAmour, dun spiritualisme ran, immacul comme la corne dargentde la Yungfrau.

    Misres du cur ! cest ces passages surtout que Jean sarrtait, ces souillures de la page, sans se douter des tressauts nerveux qui chaque

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  • Sapho Chapitre IV

    fois agitaient sa gure. Mme il eut le courage de ricaner ce post-scriptum qui suivait le rcit blouissant dune fte dAssaouas : Je relisma lere. . . il y a vraiment des choses pas mal ; mets-la-moi de ct, jepourrai men servir. . .

    Un monsieur qui ne laissait rien traner ! t-il en passant un autrefeuillet de la mme criture o, sur un ton glac dhomme daaires, LaGournerie rclamait un recueil de chansons arabes et une paire de ba-bouches en paille de riz. Ctait la liquidation de leur amour. Ah ! il avaitsu sen aller, il tait fort, celui-l. . .

    Et sans sarrter, Jean continuait drainer ce marcage do montaitune haleine chaude et malsaine. La nuit venue, il avait mis la bougie surla table, et parcourait des billets trs courts, illisiblement tracs commeau poinon par de trop gros doigts qui tous moments, dans une brus-querie de dsir ou de colre, trouaient et dchiraient le papier. Les pre-miers temps dune liaison avec Caoudal, rendez-vous, soupers, parties decampagne, puis des brouilles, de suppliants retours, des cris, des injuresignobles et basses douvrier, coupes tout coup de drleries, de motscocasses, de reproches sanglots, toute la faiblesse mise nu du grandartiste devant la rupture et labandon.

    Le feu prenait cela, allongeait de grands jets rouges o fumaient et gr-sillaient la chair, le sang, les larmes dun homme de gnie ; mais quim-portait Fanny, toute au jeune amant quelle surveillait, dont lardentevre la brlait travers leurs vtements. Il venait de trouver un portrait la plume sign Gavarni, avec cee ddicace : mon amie Fanny Le-grand, dans une auberge de Dampierre, un jour quil pleuvait. Une tteintelligente et douloureuse, aux yeux caves, quelque chose damer et deravag.

    i est-ce ? Andr Dejoie. . . Jy tenais cause de la signature. . .Il eut un Garde-le, tu es libre , si contraint, si malheureux, quelle

    prit le dessin, le jeta au feu en chion, pendant que lui sabmait dans lacorrespondance du romancier, une suite navrante, date de plages dhi-ver, de villes deaux, o lcrivain envoy pour sa sant se dsesprait desa dtresse physique et morale, se forant le crne pour y trouver une ideloin de Paris, et mlait des demandes de potions, dordonnances, des

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  • Sapho Chapitre IV

    inquitudes dargent ou de mtier, envois dpreuves, de billets renouve-ls, toujours le mme cri de dsir et dadoration vers ce beau corps deSapho que les mdecins lui dfendaient.

    Jean murmurait, enrag et candide : Mais quest-ce quils avaient donc tous pour tre aprs toi comme

    a ?. . .Ctait pour lui la seule signication de ces leres dsoles, confessant

    le dsarroi dune de ces existences glorieuses quenvient les jeunes gens etdont rvent les femmes romanesques. . . Oui, quavaient-ils donc tous ? Etque leur faisait-elle boire ?. . . Il prouvait la sourance atroce dun hommequi, garro, verrait outrager devant lui la femme quil aime ; et, pourtant,il ne pouvait se dcider vider dun coup, les yeux ferms, ce fond debote.

    prsent, venait le tour du graveur qui, misrable, inconnu, sansautre clbrit que celle de la Gazee des Tribunaux, ne devait sa placedans le reliquaire quau grand amour quon avait eu pour lui. Dsho-norantes, ces leres dates de Mazas, et niaises, gauches, sentimentalescomme celles du troupier sa payse. Mais on y sentait, travers les pon-cifs de romance, un accent de sincrit dans la passion, un respect dela femme, un oubli de soi-mme qui le distinguait des autres, ce forat ;ainsi, quand il demandait pardon Fanny du crime de lavoir trop aime,ou quand du gree du Palais de Justice, tout de suite aprs sa condam-nation, il crivait sa joie de savoir sa matresse acquie et libre. Il ne seplaignait de rien ; il avait eu prs delle, grce elle, deux ans dun bon-heur si plein, si profond, que le souvenir en surait pour remplir sa vie,adoucir lhorreur de son sort, et il terminait par la demande dun service :

    Tu sais que jai un enfant au pays, dont la mre est morte depuislongtemps ; il vit chez une vieille parente, dans un coin si perdu quonny saura jamais rien de mon aaire. Largent qui me restait, je le leur aienvoy, disant que je partais trs loin, en voyage, et cest sur toi que jecompte, ma bonne Nini, pour tinformer de temps en temps de ce petitmalheureux et menvoyer de ses nouvelles. . .

    Comme preuve de lintrt de Fanny, suivait une lere de remercie-ments et une autre, toute rcente, ayant peine six mois de date : Oh !tu es bonne dtre venue. . . e tu tais belle, comme tu sentais bon, en

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  • Sapho Chapitre IV

    face de ma veste de prisonnier dont javais si grand-honte !. . . Et Jeansinterrompait, furieux :

    Tu as donc continu le voir ? De loin en loin, par charit. . . Mme depuis que nous sommes ensemble ? Oui, une fois, une seule, au parloir. . . on ne les voit que l. Ah ! tu es une bonne lle. . .Cee ide que, malgr leur liaison, elle visitait ce faussaire, lexasp-

    rait plus que tout. Il tait trop er pour le dire ; mais un paquet de leres,le dernier, nou dune faveur bleue sur des petits caractres ns et pen-chs, une criture de femme, dchana toute sa colre.

    Je change de tunique aprs la course des chars. . . viens dans maloge. . .

    Non, non. . . ne lis pas a. . .Elle sautait sur lui, arrachait et jetait au feu toute la liasse, sans quil

    et compris dabord mme en la voyant ses genoux, empourpre dureet de la amme et de la honte de son aveu :

    Jtais jeune, cest Caoudal. . . ce grand fou. . . Je faisais ce quil vou-lait.

    Alors seulement il comprit, devint trs ple. Ah ! oui. . . Sapho. . . toute la lyre. . .Et la repoussant du pied, comme une bte immonde : Laisse-moi, ne me touche pas, tu me soulves le cur. . .Son cri se perdit dans un eroyable grondement de tonnerre, tout

    proche et prolong, enmme temps quune lueur vive clairait la chambre. . .Le feu !. . . Elle se dressa pouvante, prit machinalement la carafe restesur la table, la vida sur cet amas de papiers dont la amme embrasait lessuies du dernier hiver, puis le pot leau, les cruches, et se voyant impuis-sante, des ammches voletant jusquau milieu de la chambre, elle courutau balcon en criant :

    Au feu ! au feu !Les Hema arrivrent les premiers, ensuite le concierge, les sergents

    de ville. On criait : Baissez la plaque !. . . montez sur le toit !. . . De leau, de leau !. . . non,

    une couverture !. . .

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  • Sapho Chapitre IV

    Aerrs, ils regardaient leur intrieur envahi et souill ; puis, lalertenie, le feu teint, quand le noir aroupement en bas, sous le gaz de larue, se fut dissip, les voisins rassurs, rentrs chez eux, les deux amantsau milieu de ce gchis deau, de suie en boue, de meubles renverss etruisselants, se sentirent curs et lches, sans force pour reprendre laquerelle ni faire la chambre propre autour deux. elque chose de si-nistre et de bas venait dentrer dans leur vie ; et, ce soir-l, oubliant leursrpugnances anciennes, ils allrent coucher lhtel.

    Le sacrice de Fanny ne devait servir rien. De ces leres disparues,brles, des phrases entires retenues par cur hantaient la mmoire delamoureux, lui montaient au visage en coups de sang comme certainspassages de mauvais livres. Et ces anciens amants de sa matresse taientpresque tous des hommes clbres. Les morts se survivaient ; les vivants,on voyait leurs portraits et leurs noms partout, on parlait deux devantlui, et chaque fois il prouvait une gne, comme dun lien de famille dou-loureusement rompu.

    Le mal lui anant lesprit et les yeux, il arrivait bientt retrouverchez Fanny la trace des inuences premires, et les mots, les ides, leshabitudes quelle en avait gards. Cee faon davancer le pouce commepour faonner, ptrir lobjet dont elle parlait avec un Tu vois a dici. . . appartenait au sculpteur. Dejoie, elle avait pris la manie des queues demots, et les chansons populaires dont il avait publi un recueil, clbre tous les coins de la France ; La Gournerie, son intonation hautaine etmprisante, la svrit de ses jugements sur la lirature moderne.

    Elle stait assimil tout cela, superposant les disparates, par ce mmephnomne de stratication qui permet de connatre lge et les rvo-lutions de la terre ses direntes couches gologiques ; et, peut-tre,ntait-elle pas aussi intelligente quelle lui avait sembl dabord. Mais ilsagissait bien dintelligence ; soe comme pas une, vulgaire et de dix ansplus vieille encore, elle let tenu par la force de son pass, par cee ja-lousie basse qui le rongeait et dont il ne taisait plus les irritations ni lesrancurs, clatant tout propos contre lun et lautre.

    Les romans de Dejoie ne se vendaient plus, toute ldition tranaitle quai vingt-cinq centimes. Et ce vieux fou de Caoudal senttant lamour son ge. . .

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  • Sapho Chapitre IV

    Tu sais quil na plus de dents. . . Je le regardais ce djeuner deVille dAvray. . . Il mange comme les chvres, sur le devant de la bouche.Fini aussi le talent. el four, sa Faunesse du dernier Salon ! a ne tenaitpas. . .

    Un mot qui lui venait delle, a ne tenait pas. . . et quelle-mmegardait du sculpteur. and il entreprenait ainsi un de ses rivaux dutemps pass, Fanny faisait chorus pour lui plaire ; et lon aurait entendu cegamin ignorant de lart, de la vie, de tout, et cee lle supercielle, froedun peu desprit ces artistes fameux, les juger de haut, les condamnerdoctoralement.

    Mais lennemi intime de Gaussin, ctait Flamant le graveur. De celui-l, il savait seulement quil tait trs beau, blond comme lui, quon luidisait mami , quon allait le voir en cachee, et que lorsquil laa-quait comme les autres, lappelant le Forat sentimental ou le Jolirclusionnaire , Fanny dtournait la tte sans un mot. Bientt il accusasa matresse de garder une indulgence pour ce bandit, et elle dut sen ex-pliquer doucement, mais avec une certaine fermet.

    Tu sais bien que je ne laime plus, Jean, puisque je taime. . . Je nevais plus l-bas, je ne rponds pas ses leres ; mais tu ne me feras jamaisdire du mal de lhomme qui ma adore jusqu la folie, jusquau crime. . .

    cet accent de franchise, ce quil y avait de meilleur en elle, Jean neprotestait pas, mais il sourait dune haine jalouse, aiguise dinquitude,qui le ramenait parfois rue dAmsterdam en surprise, au milieu du jour. Si elle tait alle le voir !

    Il la trouvait toujours l, casanire, inactive dans leur petit logiscomme une femme dOrient, ou bien au piano, donnant une leon dechant leur grosse voisine, madame Hema. On stait li depuis lesoir du feu avec ces bonnes gens, placides et plthoriques, vivant dansun perptuel courant dair, portes et fentres ouvertes.

    Le mari, dessinateur au Muse dartillerie, apportait de la besognechez lui, et chaque soir de la semaine, le dimanche toute la journe, onle voyait pench sur sa large table trteaux, suant, souant, en brasde chemise, secouant ses manches pour y faire circuler lair, de la barbejusque dans les yeux. Prs de lui, sa grosse femme en camisole svapo-rait aussi, quoiquelle ne ft jamais rien ; et, pour se rafrachir le sang, ils

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  • Sapho Chapitre IV

    entamaient de temps en temps un de leurs duos favoris.Lintimit stablit vite entre les deux mnages. Le matin, vers dix

    heures, la forte voix dHema criait devant la porte : Y tes-vous,Gaussin ? Et leurs bureaux se trouvant du mme ct, ils faisaient routeensemble. Bien lourd, bien vulgaire, de quelques degrs sociaux plus basque son jeune compagnon, le dessinateur parlait peu, bredouillait commesil avait eu autant de barbe dans la bouche que sur les joues ; mais onle sentait brave homme, et le dsarroi moral de Jean avait besoin de cecontact-l. Il y tenait surtout cause de sa matresse vivant dans une so-litude peuple de souvenirs et de regrets plus dangereux peut-tre queles relations auxquelles elle avait volontairement renonc, et qui trouvaitdansmadameHema, sans cesse proccupe de son homme, et de la sur-prise gourmande quelle lui ferait pour dner, et de la romance nouvellequelle lui chanterait au dessert, une relation honnte et saine.

    Pourtant, quand lamiti se resserra jusqu des invitations rci-proques, un scrupule lui vint. Ces gens devaient les croire maris, saconscience se refusait au mensonge, et il chargea Fanny de prvenir lavoisine, pour quil ny et pas de malentendu. Cela la t beaucoup rire. . .Pauvre bb ! il ny avait que lui pour des navets pareilles. . .

    Mais ils ne lont pas cru une minute que nous tions maris. . . Et cequils sen moquent !. . . Si tu savais o il a t prendre sa femme. . . Tout ceque jai fait, moi, cest de la Saint-Jean ct. Il ne la pouse que pourlavoir lui tout seul, et tu vois que le pass ne le gne gure. . .

    Il nen revenait pas. Une ancienne, cee bonne mre aux yeux clairs,au petit rire denfant sur des traits de chair tendre, aux provincialismestranards, et pour qui les romances ntaient jamais assez sentimentales,ni les mots trop distingus ; et lui, lhomme, si tranquille, si sr dans sonbien-tre amoureux ! Il le regardait marcher son ct, la pipe aux dents,avec de petits soues de batitude, pendant que lui-mme songeait tou-jours, se dvorait de rage impuissante.

    a te passera, mami. . . lui disait doucement Fanny aux heures olon se dit tout ; et elle lapaisait, tendre et charmante comme au premierjour, mais avec quelque chose dabandonn, que Jean ne savait dnir.

    Ctait lallure plus libre et la faon de sexprimer, une conscience deson pouvoir, des condences bizarres et quil ne lui demandait pas sur sa

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  • Sapho Chapitre IV

    vie passe, ses dbauches anciennes, ses folies de curiosit. Elle ne se pri-vait plus de fumer maintenant, roulant entre ses doigts, posant sur tousles meubles lternelle cigaree qui aveulit la journe des lles, et dansleurs discussions elle meait sur la vie, linfamie des hommes, la coqui-nerie des femmes, les thories les plus cyniques. Jusqu ses yeux, dontlexpression changeait, alourdis dune bue deau dormante, o passaitlclair dun rire libertin.

    Et lintimit de leur tendresse se transformait aussi. Dabord rserveavec la jeunesse de son amant dont elle respectait lillusion premire, lafemme ne se gnait plus aprs avoir vu leet, sur cet enfant, de son passde dbauche brusquement dcouvert, la vre de marcage dont elle luiavait allum le sang. Et les caresses perverses si longtemps retenues, tousces mots de dlire que ses dents serres arrtaient au passage, elle les l-chait prsent, stalait, se livrait dans son plein de courtisane amoureuseet savante, dans toute la gloire horrible de Sapho.

    Pudeur, rserve, quoi bon ? Les hommes sont tous pareils, enragsde vice et de corruption, ce petit-l comme les autres. Les appter avec cequils aiment, cest encore le meilleur moyen de les tenir. Et ce quelle sa-vait, ces dpravations du plaisir quon lui avait inocules, Jean les appre-nait son tour pour les passer dautres. Ainsi le poison va, se propage,brlure de corps et dme, semblable ces ambeaux dont parle le potelatin, et qui couraient de main en main par le stade.

    n

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  • CHAPITRE V

    D , ct dun beau portrait de Fanny par JamesTissot, une pave des anciennes splendeurs de la lle, il y avaitun paysage duMidi, tout noir et blanc, grossirement rendu sousle s