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Compilation des nouvelles et réalisation du recueil
par la Bibliothèque de Blainville.
15 avril 2016
Les textes ont été soumis à une correction orthographique.
GAGNANT 2015-2016
Volet jeunesse
Pour l’édition 2015-2016 du concours de création littéraire En toutes lettres,
le texte Un silence trop lourd de Marianne Dubé
s’est mérité le premier prix.
Félicitations !
MEMBRES DU JURY
Volet jeunesse
Julie Champagne Auteure
Gabrielle English Chef de section bibliothèque
Manon Richer Professeure de littérature jeunesse
Le texte Chienne de vie! de Mathieu Tremblay
s’est mérité le deuxième prix
Félicitations!
Le texte Charlotte et Bergamotte d’Émilie Scotto
s’est mérité le prix « Coup de cœur »
Félicitations!
GAGNANTS 2015-2016
Volet adulte
MEMBRES DU JURY
Volet adulte
Pour l’édition 2015-2016 du concours de création littéraire En toutes lettres,
le texte Les faits du hasard de Robert Delorme
s’est mérité le premier prix.
Félicitations!
Claudine Cabay Chatel Auteure
Isabelle Lauzon Auteure
Johanne Thibodeau Chef de section bibliothèque
Recueil de nouvelles des participants Table des matières
1. Un silence trop lourd, Marianne Dubé
2. Les faits du hasard, Robert Delorme
3. Chienne de vie!, Mathieu Tremblay
4. Charlotte et Bergamotte, Émilie Scotto
5. Matière grise Jean-Philippe Auclair
6. Théo, l’explorateur, Nadyne Bienvenue
7. Ad vitam, Xavier Bonhomme
8. Septembre, Alexandra Charron
9. Une rupture malentendue, Meiliana Chassé
10. Une vie impossible, Shaelynne Chassé
11. Retrouvailles, Sébastien Clément
12. Mon amour de Grispet, Diane Croteau
13. Enfermé, Gabrielle Dussault
14. Voile rouge, Samuel Gagnon
15. Enfant, peut-être…, Mélissa Gasse
16. L’homme de feu, Élisabeth Gaudreault
17. Le dévoilement des vérités, Charles-Alexandre Gaumond
18. La chute des mondes, Alexis Havard-Trépanier
19. De touristes aux Imbattables, Patty-Isabelle Jean Baptiste
20. Confidence, Winnie Fred Julien
21. Le départ, Marie-Anne Keable
22. Le joyau, Line Lécuyer
23. 67 et moi, Nancy Morin
24. Ma fin de semaine d’enfer, Zackary Morin
25. L’épreuve, Chantal Pepin
26. La dernière balade, Benoit Proulx
27. Le dilemme du saut, Mélanie Rodi
28. Amour d’enfance, Alexane Roy
Recueil de nouvelles des participants Table des matières
MARIANNE DUBÉ
Natasha, je ne sais par où commencer. Peut-être tout d’abord par ce que je fais! Eh bien, je te parle. Sans
doute pour oublier ma peine, pour repenser à tous ces bons moments passés. Parce que j’ai l’impression
d’avoir tout perdu! Es-tu bien où tu es? Maintenant, le geste posé, le regrettes-tu? En voyant tous ces gens
pleurer, ne penses-tu pas que tu as posé le geste trop vite? As-tu pensé à la peine que tu me ferais? Moi, je
ne suis rien sans toi! On a passé toute notre vie à partager toutes nos peines et nos bons moments. Qu’est-
ce que je vais faire, moi? Comment vais-je réussir? Te rappelles-tu, Natasha, de cette fois en canot où l’on
avait chaviré? Et de celle où l’on était partie sans le dire pour aller dans le parc? Te rappelles-tu lorsque,
dans nos têtes, tout était rose, que les problèmes n’existaient pas? Te souviens-tu lorsque je t’avais em-
prunté ton ours en peluche pour une nuit et que je te l’avais rendu avec une cape de super-héros que
j’avais fabriquée pour toi le matin même et que tu avais décrété que les super-héros c’était pour les nuls?
Tu ne m’avais plus parlé pendant une semaine, car tu croyais qu’en te l’offrant j’avais voulu t’insulter! Je
t’avais écrit une longue lettre d’excuses. Tu l’as encore, ce toutou! Il est sur la plus haute tablette de ton
armoire car, une fois, alors que Jules avait 4 ans, il l’avait pris et lancé du haut des marches pour le faire
voler, tu as eu peur qu’il le brise alors tu lui as arraché des mains et lui a crié après! Tu y tenais, à ton petit
toutou! Dommage que tu ne puisses l’emporter avec toi.
Natasha, je t’en prie, reviens, je suis sûre que tu m’entends, que c’est une mauvaise blague, que tu vas te
réveiller avec ton joli sourire et rire de moi. Mais ça ne me dérangerait même pas puisque tu serais de nou-
veau avec moi. Je pense à tellement de choses en même temps que je ne sais plus par où continuer! Oh
oui! Comment passer par-dessus cette excursion de camping qui avait mal tourné! Tu te souviens de cette
merveilleuse journée ensoleillée où l’on avait enfermé trois grenouilles dans ta glacière? Ta mère nous
avait tellement chicanées! Aussi, la fois où l’on avait écrit au crayon permanent sur ton cabanon: Natasha +
Jennifer = amies pour la vie! Peut-être amies toute ta vie mais, moi, je devrai la passer sans toi…
Ta mère est venue! Elle venait porter le toutou super-héros! Elle l’a mis sur la table à côté de ton cercueil.
Est-il confortable, ce lit? Mais en tout cas, elle a dit en me regardant droit dans les yeux : « Elle aimerait
sans doute l’emporter avec elle! » Puis elle a ajouté tout doucement, d’une voix mêlée de tristesse et de
remords : « La cérémonie commence dans 30 minutes, Jennifer. » Puis elle est partie sans rien ajouter. J’ai
Un silence trop lourd
Un silence trop lourd
1
encore gardé un peu le silence. En ce moment, même un seul mot me vient en tête : POURQUOI? J’ai mille
et une questions qui commencent par ce mot!
Oh là là! T’imagines-tu? Douze ans, on se connait depuis 12 ans! Ton petit frère Jules n’en a même pas au-
tant! 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12. Douze fleurs dans le vase à côté de toi, de nous. Douze fleurs comme
12 ans de connaissance, ça doit être un signe! Es-tu prête à tout abandonner? Quelle meilleure amie indigne
suis-je! Je ne l’avais même pas vu venir!! Je n’avais pas remarqué que tu n’allais pas bien! Attends. Je vais
t’expliquer ce qui s’est passé. Comment j’ai appris la nouvelle. Il était 19 h lorsque le téléphone a sonné. Lors-
que j’ai décroché, il n’y a pas eu de réponse. Je me suis dit que ça devait être un faux numéro. Je suis retour-
née à mon travail d’histoire, celui pour le lendemain. Environ cinq minutes et deux questions plus tard, on a
sonné à la porte. Ma mère est allée ouvrir, je l’ai entendue parler mais je ne savais pas qui était son interlocu-
teur. Après un bref silence, j’ai entendu des pas grimper l’escalier, ma mère est arrivée et a ouvert la porte
sans frapper alors qu’elle sait que je hais quand elle fait ça! J’allais ouvrir la bouche pour protester quand j’ai
vu son air grave. Je me suis dit que pour une fois je devais me la fermer! En se tassant un peu, elle m’a laissée
entrevoir qui avait, quelques minutes plus tôt, sonné à notre porte. C’était ta mère qui était là, l’air aussi
grave que celui qu’affichait ma mère. Ma mère a parlé la première : nous avons quelque chose de grave à
t’annoncer, je ne sais pas par où commencer.
Et voilà! Tu imagines le choc? Lorsqu’elle m’a dit ça, je m’attendais au pire! Mais ce à quoi je ne m’attendais
pas était que le pire soit si pire! Je ne m’imaginais pas du tout une nouvelle dans ce genre! J’ai pleuré toute la
soirée et je ne suis pas allée à l’école le lendemain, trop chamboulée pour y aller. Tant pis pour le devoir
d’histoire! Je n’ai pas non plus eu le courage d’aller te voir! Mais aujourd’hui, je me sentais d’attaque et c’est
pourquoi me voilà, ici, dimanche le 15 septembre 2009. Moi qui n’ai jamais été superstitieuse, plus jamais au
grand jamais je ne penserai que les vendredis 13 ne portent pas malheur. As-tu fait exprès?
Cinq minutes avant le début de la cérémonie. Oh non! Cinq minutes! Le temps passe tellement vite lorsque
je suis avec toi. Serait-ce la dernière fois où j’aurais l’impression qu’il file si vite? Je crois que je prendrai ces
cinq minutes pour faire une petite visite en face. Commission personnelle de papiers mouchoir car j’en aurai
besoin! Je t’ai parlé 50 minutes. Probablement les 50 dernières…
Marianne Dubé
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
ROBERT DELORME
Les faits du hasard
2
Les Smarties et le Bingo font parfois un curieux mélange qu’il faut consommer avec modération.
C’est au cours de ma visite hebdomadaire dans le temple du jeu de hasard, du plaisir kitch et ringard que je
l’ai appris à mes dépens. Toutes les semaines, chaque mercredi, j’accompagne ma chère vieille mère de 96
ans pratiquer son loisir préféré : la conjugaison des chiffres et des lettres dont l’activité mène à quelques
gains monétaires ou de petits lots en prix de consolation, le BINGO!
L’activité se tient dans une immense salle au décor suranné, sous un éclairage éblouissant au néon, quelque-
fois dans un centre communautaire, mais plus souvent au sous-sol de l’église. Parmi une foule bigarrée, ja-
cassant et bon enfant, nous nous installons avec le même rituel calculé pour ne pas bousculer nos habitudes
et brouiller l’effet des ondes positives sur nos chances de gagner. Ma mère aura bien évidemment apporté
son unique porte-bonheur, un affreux petit éléphant rose, sans queue ni trompe. Dans chacun de nos gobe-
lets, des petites rondelles de plastique rouge qui nous serviront à couvrir sur nos cartes les chiffres annoncés.
Sur la table, nous disposons d’une dizaine de cartes, quadrillées de chiffres pêle-mêle dont chacune est cou-
ronnée du titre tant convoité :
B – I – N – G – O.
Dominant la salle, sur une large scène, trône l’animatrice du jeu, la tireuse de boules chanceuses. Avant
qu’elle ne débute son annonce monocorde, je me précipite vers les machines distributrices à friandises pour
y acheter les grignotines et bonbons qui s’ajouteront au petit plaisir du jeu : fondant au caramel et pépites de
réglisse pour ma mère.
Quant à moi, je me gâterai avec une jolie boîte de Smarties dont je me réserve les rouges pour la fin! Ces
petites dragées de couleurs vives représentent, depuis ma tendre enfance, une douceur sucrée qui, à
l’époque, récompensait mes bonnes performances scolaires. Parfois, elles apportaient la consolation et
l’apaisement lors d’un chagrin passager ou d’une blessure bénigne. En toutes circonstances, les Smarties
étaient mon plaisir solitaire, sans partage, pour un moment unique de jouissance gustative.
Mais attention, on annonce déjà le début du premier jeu. J’accours reprendre ma place, remettre les sucre-
ries à ma mère et faire de l’ordre autour de mes cartes à jouer. Je souris à ma voisine de gauche qui reste
Les faits du hasard
imperturbable, dans l’attente des premiers numéros. Assise droite sur sa chaise, tout son visage semble figé,
tel un masque de cire. Seuls ses doigts pianotant d’impatience sur la table donnent vie à cette femme au
profil amorphe pour ne pas dire inerte.
Le premier écho résonne dans la grande salle : B-27. Maman me sourit, nous marquons mutuellement cette
case sur nos cartes. Mon regard est cependant vite attiré par ma voisine qui allonge le bras et tend la main
pour picorer quelques Smarties dans ma boîte. Étonnement et surprise! Son geste sûrement involontaire
est tout excusé.
Trop concentré à surveiller mon propre jeu, je ne lui fais pas de commentaires. Cet incident agaçant ne doit
pas interférer avec mon attention toute dédiée à mes cartes.
Au rythme des combinaisons annoncées, B-31, G-14, O-49, N-34, ma carte se remplit de pastilles marquant
les chiffres gagnants. La chance me sourit mais pas pour longtemps. La joueuse solitaire allonge à nouveau
le bras innocemment vers ma boîte de Smarties pour en saisir une autre poignée et les engouffrer avidement
d’un seul coup.
Stupeur et impatience! À peine les avait-elle avalés, voilà qu’elle en remet. Les yeux bien fixés sur ses cartes,
sa main droite se dirige sans hésitation vers ma boîte de bonbons préférés et capture une nouvelle portion
de mes précieux bonheurs sucrés.
Mon sang ne fait qu’un tour. Je suis insulté. On me vole mes petits morceaux de jeunesse sucrés. Sans lui
dire un seul mot, je saisis ma boîte pour la rapprocher de moi et la mettre hors de sa portée. C’est à ce mo-
ment qu’elle me fusille de ses yeux hargneux et pleins de rancœur. Quel culot de sa part! Nos regards se
croisent. Mon langage non verbal suffira à lui signifier ma désapprobation et du coup lui faire savoir mon in-
dignation face à sa malveillante intrusion.
Les chiffres et les lettres dévoilés me réconcilient avec mon jeu. Je constate avec joie l’avancée de mes je-
tons sur mes cartes. Du coin de l’œil, j’aperçois ma voisine déballer un joli sac rempli de jujubes multicolores
et les déposer entre nous.
Voilà une occasion tombée du ciel pour lui faire goûter à sa propre médecine. Sans un mot, avec une atti-
tude débonnaire, j’étends le bras doucement vers l’amoncellement de pépites gélatineuses colorées pour en
attraper une dizaine dans le creux de ma main.
Surprise de mon geste, elle jette dans ma direction un regard offusqué et glacial. D’un air moqueur et triom-
phant, je lui fais un clin d’œil guilleret, sourire en coin tout en enfilant un à un ses délicieux jujubes. Juste
retour d’ascenseur qui vaut bien toutes les récriminations à l’égard de ses assauts répétés.
Simultanément, je tends l’oreille aux numéros récités en cascade : B-33, N-57, I-21, O-56. Plusieurs seront
marqués sur mes cartes à jouer. J’anticipe cette progression vers un possible dénouement heureux.
Au même moment, ma sombre voisine au comportement bizarre regroupe ses effets dans son énorme sac
fourre-tout, se lève brusquement et quitte prestement sa place.
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Les faits du hasard
Manifestement, je décèle dans son attitude une certaine forme de nervosité et d’anxiété. Cette joueuse
malcommode a sûrement réalisé que son geste était grossier et impoli. Mon flegme a sûrement réduit ses
ardeurs à vouloir profiter du bien des autres.
La joyeuse cadence des numéros se poursuit au son de la voix monotone sortant des haut-parleurs. Sur mes
cartes, plusieurs rangées et colonnes attendent un seul chiffre pour se transformer en victoire.
Au loin, j’aperçois à une autre table ma traqueuse de friandises bien installée et suivant scrupuleusement le
jeu. Ses voisins seront malheureusement les prochaines victimes de ses astuces malveillantes.
N-39, distinctement bien épelé, se fait entendre dans l’immense salle silencieuse, dans l’attente d’un cri an-
nonçant la fin du jeu.
Par magie, il apparaît bien clairement sur ma carte. C’est celui qui manquait pour compléter la suite d’une
colonne. Nerveusement, j’y dépose mon dernier jeton à la suite duquel je pourrai crier BINGO pour le dé-
plaisir de tous les autres participants.
En une fraction de seconde, j’essuie machinalement mes mains moites sur mes cuisses avant de triompher
en me levant les bras. En un éclair éblouissant, un soupçon, un doute, une inquiétude m’envahit. Dans une
de mes poches, une forme m’interpelle. J’y glisse la main pour tâter l’inattendu.
Ma mère me lance, tout excitée : « Mon chéri, regarde, tu as le N-39. Ta colonne est pleine. Allez, vite, crie
BINGO. »
Je suis figé par le déshonneur. Je suis un gagnant honteux. En retirant ma main de la poche coupable, entre
mes doigts crispés : une boîte de Smarties toute neuve…
Au même moment, à quelques tables de nous, retentit la voix d’une gagnante plus rapide : « BINGO !!!». Ma
voisine chipeuse de bonbons se lève victorieuse. Elle se dirige, la carte gagnante à la main, vers la tribune
pour aller réclamer son prix. En passant devant notre table, elle se tourne vers moi et me lance un regard
ravi sur lequel clignote un clin d’œil narquois. Mon ego en prend un coup et fond à la vitesse d’un chocolat
mou.
Pour me consoler de cette double frustration, je saisis ma boîte de Smarties pour l’ouvrir et y grappiller tous
les rouges qui calmeront mon état d’âme. D’un air étonné, ma mère me regarde enfiler mes friandises une à
une sans trop d’enthousiasme.
Dorénavant, mes Smarties garderont un léger goût amer dans le rappel de mes souvenirs.
Robert Delorme
Chienne de vie!
MATHIEU TREMBLAY
Tu te réveilles un matin avec le projet saugrenu d’enfourcher la balustrade et de te jeter à la rencontre du
trottoir, tout en bas, juste pour voir si tu t’en sortirais. Néanmoins fidèle à tes habitudes, tu allumes plutôt
la télévision pour écouter les chroniques insipides des animateurs qui détaillent tantôt la météo, tantôt les
dernières nouvelles locales. Tu mets la cafetière en marche et tu entreprends de te préparer un expresso
bien tassé, question d’y voir un peu plus clair. Tu sais que tu es déjà en retard, mais tu sors tout de même
sur ton balcon pour griller une cigarette. Alors qu’elle se consume entre tes doigts, tu te redis pour la
ixième fois que tu devrais arrêter de t’encrasser les poumons avec une telle régularité. L’heure tourne. Tu
prends une douche et enfiles prestement tes vêtements. Cinq minutes plus tard, bien calé derrière le vo-
lant mais avant même d’avoir embrayé la première vitesse, tu appréhendes le trafic qui t’attend sur le che-
min du travail. Tu voudrais peser sur l’accélérateur afin d’en finir avec ce trajet que tu connais sur le bout
des doigts mais tu dois au contraire appuyer sur les freins, car tes semblables sont beaucoup trop nom-
breux pour ce boulevard qui, te paraît-il, est en réparation depuis la nuit des temps. Provoquant l’engorge-
ment, des cônes orange alignés de biais et au cordeau coupent en effet deux voies afin de laisser place à un
chantier désert où nul travailleur n’a peut-être jamais travaillé. Pourtant, un trou béant dans la chaussée
atteste qu’on y a un jour amené une excavatrice que des hommes ont manipulée. Tu te dis que, dans cette
ville, on s’amuse à torturer les honnêtes travailleurs dont tu fais partie, alors tu commences à rédiger men-
talement une lettre assaisonnée d’insultes dont le maire serait le malheureux destinataire. Le boulevard
est devenu un véritable stationnement. Tu baisses ta vitre et tu t’allumes une deuxième cigarette pour
tuer le temps. Sur les ondes, on essaie de t’égayer en te racontant mille et une inepties. À ton avis, la bê-
tise humaine n’a pas de limites. Soudain, alors que tu croyais ne jamais ressortir des limbes de cet embou-
teillage, devant toi les automobiles se remettent à bouger. Peut-être qu’au demeurant tu ne mourras pas
d’ennui ou d’inanition dans ta voiture, peut-être que les forces de la vie peuvent finalement avoir gain de
cause sur l’absurdité de cette halte que tu pensais définitive. Tu quittes la bande FM et te retrouves sur
une fréquence AM à écouter les fines analyses sportives d’auditeurs enthousiastes qui désirent apporter
de l’eau au moulin du débat entourant la dernière défaite de ton équipe favorite : les Canadiens de Mon-
tréal. Les commentaires sont enflammés, ce qui est tout à fait normal car le hockey est une religion bien
plus populaire que le catholicisme de tes parents, aïeux et bisaïeux. Tu n’as jamais joué au hockey et pour-
Chienne de vie!
3
tant tu en as la fibre, tu sens et tu sais que la vie est injuste et que tes Canadiens méritaient meilleur sort. Tu
te permets même d’énoncer à haute voix quelques mots d’église qui font le sel de ta langue maternelle et
cela te rassérène pour un instant. Comme par miracle, il ne te reste que deux coins de rues à franchir et tu
pourras te dire que tu as accompli quelque chose de valable.
* * *
Ton retard a beau frôler la demi-heure, tu en es quitte pour un blâme sévère de ton patron qui n’omet pas de
te le fournir avec tout le drame dont il est capable. Ton poste n’est cependant pas remis en question, surtout
au salaire qu’on te paye. Sachant que les minutes de cette journée banale au bureau s’égrèneront molle-
ment, tu vas de suite descendre une tasse de café bon marché au local des employés, espérant que tes neu-
rones et synapses s’activent. Ton ordinateur ronronne comme en attente d’une première caresse et bientôt
les colonnes de chiffres qui s’affichent à l’écran te paraissent aussi compréhensibles que de la prose sumé-
rienne. Tous ces codes de programmation qui, hier encore, te parlaient un tant soit peu sont aujourd’hui au-
tant d’énigmes à résoudre, autant de charades alambiquées qui te mystifient. Sans le vouloir, tes yeux glis-
sent sur les uns et les autres sans s’y accrocher vraiment. L’angoisse brouille ton estomac et serre ta gorge.
Tu cliques et recliques sur des icones, tu ouvres et fermes des programmes, tu te perds dans le dédale du ré-
seau informatique qui constitue pourtant le nid de tes compétences et l’intégralité de ton gagne-pain. Tu
traverses le désert de la matinée avec un goût amer dans la bouche et les impératifs de ton après-midi for-
ment un cortège d’épreuves pénibles à venir. À quinze heures, on t’apporte un avis te convoquant à une réu-
nion extraordinaire des membres de ton secteur d’activité, une embellie au milieu des tourments de tes
tâches actuelles. Au moment convenu, tu entres dans la salle de réunion et te laisse choir sur une chaise. La
discussion prend son envol, c’est-à-dire que les acteurs de celle-ci semblent vite planer dans les sphères
éthérées des concepts abstraits du monde virtuel. Normalement, tu aurais participé, tu aurais proposé
quelques idées novatrices, tenté d’influencer à ta façon les conclusions et décisions finales. Mais aujourd’hui
peu t’importe comment évoluera la mêlée, tu assistes aux débats comme s’il s’agissait d’un spectacle bur-
lesque. Bref, tu n’es qu’un pion qui attend de connaître la direction de son prochain déplacement.
* * *
Tu conduis toujours plus agressivement sur le chemin du retour, comme si ton patron te poursuivait de ses
assiduités professionnelles une fois traversée la ligne qui te séparait de tes fonctions rémunérées. Outrepas-
ser les limites de vitesse ne t’apparaît plus comme un acte fautif. La difficulté de trouver une place de station-
nement te fait croire à la fatalité d’être le jouet d’une force supérieure particulièrement malicieuse. Tu
marches d’un pas lent en direction de ton appartement où t’attend une bonne dose de solitude que tu avale-
ras cul sec tel un shooter de vodka. Peut-être bien que nettoyer la vaisselle lavera du même coup ton cerveau
de ses plus sombres obsessions? Peut-être que classer tes vieux disques en vinyle chassera pour une heure
le poids de cette méchante journée? Au-dessus de ta tête, on dirait que le plafond singulièrement bas du ciel
veut se déchirer d’un éclair qui te fendrait en deux, aussi allonges-tu le pas et montes-tu quatre à quatre les
degrés de ton escalier extérieur en colimaçon. En insérant ta clé dans le barillet de la serrure, ton cœur bat la
chamade. Et si par miracle de l’autre côté de la porte un événement significatif t’attendait au lieu de la plus
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Chienne de vie!
plate banalité de revoir simplement tes meubles endormis ?
* * *
Lorsque tu tournes ta clé d’un mouvement vif du poignet, tu ne sens pas le frottement habituel du pêne
sur la gâche. Aurais-tu oublié de barrer ta porte ce matin dans ta précipitation? Tu entres chez toi avec ap-
préhension. Dans le vestibule, rien d’anormal. Mais le salon a été le théâtre d’un joyeux cambriolage.
Coussins éventrés, bibelots fracassés, tiroirs vidés : une véritable scène de film dans laquelle tu joues le
rôle du gars tétanisé par la surprise. L’univers en général et ta vie en particulier te paraissent à cet instant
incroyablement risibles, aussi te laisses-tu aller au plus grand fou rire de ton existence, une vague d’hilarité
sans égale que tu adresses aux dieux facétieux qui doivent te regarder d’en haut et se réjouir de leurs mau-
vais coups dont tu as été, tout au long de la journée, la malheureuse victime. Tu pleures littéralement de
rire et, lorsque les bienfaits de cette réaction soudaine s’estompent, tu ne peux t’empêcher de t’écrier :
«Chienne de vie!»
Mathieu Tremblay
Charlotte et Bergamotte
La lune pointait le bout de son nez et les étoiles commençaient à scintiller. Pour nos petits amis, il était maintenant l’heure d’aller au lit.
Mais dans la maisonnette d’un petit quartier très chouette, une fillette était effrayée à l’idée d’aller se cou-cher.
« Je suis capable d’avancer toute seule dans la noirceur, parce que je n’ai pas peur! Je suis capable d’avan-cer toute seule dans la noirceur, non, non et non, je n’ai même pas peur! » essaie de se rassurer la petite Charlotte.
Dans le noir, à l’entrée du corridor, Charlotte tremblote. Elle fait deux pas sur le côté et un petit pas chassé. Mais cela n’est pas très concluant, car sa chambre est encore très loin devant! Elle se retourne pour voir la lumière du salon qui l’éclaire... Elle rebrousse aussitôt chemin en faisant cinq pas en arrière!« Houuu… Ces ombres qui se dessinent sur le mur sont peut-être celles d’affreuses créa-tures! » se met à penser Charlotte. Elle se demande comment font les grands pour ne pas trouver le noir aussi inquiétant!! Elle se rappelle alors les douces paroles de Maman : «Tu es capable, mon petit cœur, tu n’as pas de raison d’avoir peur... Les fantômes et les monstres terrifiants, ce ne sont que des histoires qu’on raconte aux enfants. Et puis tu sais, les Machpoilus, avec leurs très longs poils, leur mauvaise haleine, leurs petits pieds et leurs énormes orteils, ont tous disparu.» Charlotte sourit. Elle prend une grande inspiration et file aussi vite qu’un avion à réaction! « Bravo, j’ai ré-ussi!» s’exclame une Charlotte ravie d’être arrivée dans sa chambre sans soucis. Dans son lit douillet, la couverture remontée jusqu’au nez, Charlotte se blottit contre son lapin Biscotte en espérant dormir comme une marmotte. C’est alors qu’elle entend de GRANDS pas qui s’approchent : « CLAP-CLAP, CLAP-CLAP ». « Mais qui donc marche d’un si grand pas? Est-ce que ce serait Papa? » espère Charlotte, enfouie sous ses draps. La porte s’ouvre dans un « CRIIIIIIIIIII – IIIIIII » à en faire pâlir les souris. Oui! C’est bien lui! Il se penche sur son lit pour lui souhaiter une bonne nuit. Charlotte peut dormir sur ses deux oreilles et sombre dans un profond sommeil.
ÉMILIE SCOTTO
Charlotte et Bergamotte
12 4
Mais au beau milieu de la nuit, un inquiétant RRRrrrrrr gruik-gruik-gruik, RRRRRRrrr gruik-gruik-gruik réveille Charlotte qui entrouvre un œil en entendant ce drôle de bruit. « Est-ce que c’est toi, Diabolo-Menthe? » de-mande Charlotte d’une voix chevrotante. Elle aurait bien voulu entendre son chat miauler mais elle entend une nouvelle fois ronfler. RRRrrrrrr gruik-gruik-gruik, RRRRRRrrr gruik-gruik-gruik!!!
Charlotte s’enfonce tout au fond de son lit. « Rrooh, je n’aime vraiment pas ce bruit!!! » Paralysée, elle ne peut plus bouger. Après de très, très longues minutes, Charlotte prend son courage à deux mains et son petit lapin. Elle se glisse sous son lit, très doucement… sans faire de bruit. De son nouveau poste d’observation, elle peut mener l’investigation. Ses yeux sont maintenant bien habitués au noir. Elle balaie la chambre du regard. Charlotte ne voit ni gros, ni petits pieds. Ni chats ni rats et encore moins de fantômes ou de gnomes. « C’est bizarre, les fenêtres sont bien fermées… Alors qui donc a bien pu rentrer? » se demande Charlotte. C’est alors qu’un nouveau ronflement résonne comme une note de trombone! « Nom d’un nénuphar, d’un gros cafard et de machins bizarres! Le bruit semble provenir du placard!! »
Charlotte attrape son abat-jour pour se le mettre sur la tête afin de tromper la drôle de bête. Déguisée en lampe de chevet, devant la porte du placard, elle se met à toquer, avant de s’immobiliser. « Toc, toc, toc » Le ronflement se fait soudainement plus rauque comme un GNOUOC GNOUOC GNOUOC Charlotte tremble comme une poule mouillée. Elle veut crier mais la porte du placard se met à bouger. C’est alors qu’elle entrevoit une grosse patte pleine de drôles d’écailles… Elle remarque aussi un tout petit pied avec de gros orteils… Elle se retrouve nez à nez avec …. « Un… un… un… MACHPOILU!!!! hurle Charlotte comme une hurluberlue. - AAAHH Où ça un MACHPOILU? hurle à son tour le Machpoilu pas poilu. - LÀ! pointe Charlotte de son doigt. - OÙ ÇA LÀ? s’écrie le Machpoilu pas poilu qui se retourne vers le placard. - CHUUUuuut! Pas si fort, on va t’entendre jusque dehors! »
Charlotte, le cœur battant fortement, s’arrête un instant. Elle regarde attentivement le drôle de Machpoilu. C’est alors qu’elle se met à rire aux éclats. « HAHAHA! HAHAHA!! - Ben oui, c’est ça! Moque-toi de moi, lance le Machpoilu en se mettant la tête dans les bras. C’est toujours pareil! Tout le monde rit de mon apparence! Sans poils de Machpoilu, c’est difficile de trouver une ressem-blance. Et en plus, je ne fais pas peur… Ce qui fait que, pour les autres, je ne suis pas à la hauteur… » Le Machpoilu semble attristé et de drôles de larmes commencent à couler de ses gros yeux globuleux. Charlotte est vraiment très surprise. Elle ne pensait pas du tout faire une bêtise. Et elle ne savait pas que les monstres pouvaient être peinés au point de pleurer. Elle l’interroge. « Mais que fais-tu dans mon placard? Car il est vraiment TRÈS tard? - Je me suis enfui au milieu de la nuit... Et je suis venu me cacher pour ne plus être embêté! Maintenant laisse-moi tranquille, petit cafard, et ferme la porte de ce placard! »
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Charlotte et Bergamotte
Et CLAC! La porte du placard se referme sur le nez de Charlotte qui sursaute. « Mais… je ne riais pas de toi… dit doucement Charlotte. C’est que, d’habitude, moi, j’ai peur de tout… on me surnomme même « Charlotte La Chocotte »… Je n’aime pas ce nom … Et toi, tu as un nom? - Bergamotte. - Eh bien, Bergamotte… je m’excuse si je t’ai fait de la peine. C’est vrai que tu ne fais pas très peur avec tes drôles d’écailles de toutes les couleurs. Mais j’étais simplement heureuse de ne pas avoir eu de grosse frayeur. Est-ce que je peux faire quelque chose pour arranger les choses? - Non. » Charlotte réfléchit. Elle aimerait bien faire quelque chose pour lui. « Je t’entends encore pleurer dans le noir. Veux-tu un mouchoir? - Non, répond Bergamotte grognon. » Charlotte se gratte la tête… « Nous sommes au beau milieu de la nuit, mais aimerais-tu un biscuit peut-être? - Non! continue Bergamotte encore plus grognon. Charlotte soupire… « Je sais lire! Veux-tu que je te raconte une histoire? - NON!! dit-il en ouvrant la gueule à s’en décrocher la mâchoire. - Veux-tu être mon ami? - Non!! Jamais de la vie GROOARRR! rugit-il. »
Oh là là! Charlotte est désemparée et n’a plus d’idée… « Oh! je sais ce dont tu as besoin! D’un GROS CÂ-LIN!! » Bergamotte ouvre la porte du placard. Il questionne Charlotte du regard. « C’est quoi ça, un C-Â-L-I-N? demande-t-il en essuyant une larme du dos de la main. Charlotte ouvre grand ses bras pour lui en offrir un. - Un câlin, c’est ce que font parfois les humains quand quelqu’un a du chagrin. »
Bergamotte hésite un peu. Il accepte, heureux. « Moi, je te trouve beau avec tes belles couleurs, même si tu ne fais pas peur, dit-elle. Mais tu sais, ce qui est important, c’est que tu t’aimes toi-même! Et aussi, que tu sois entouré de gens qui t’aiment comme tu es! »
Sur ces paroles, les deux nouveaux amis restent blottis ainsi au milieu de la nuit. Depuis, Bergamotte a suivi le conseil de Charlotte en appréciant sa différence, qui, trouvait -il, lui donnait une certaine élégance. Et notre petite Charlotte, s’endormit, chaque soir, heureuse d’être finalement si courageuse d’avoir réussi à affronter ses peurs. Et toi, t’arrive-t-il d’avoir peur?
Émilie Scotto
JEAN-PHILIPPE AUCLAIR
Hubert Forget était chercheur pour divers instituts et avait déjà publié un grand nombre d’articles dans la
communauté scientifique. Il était très respecté et réputé pour ses méthodes et pratiques peu orthodoxes
afin d’aller au fond des choses.
Il avait déjà largement dépassé l’âge conventionnel de la retraite, mais ne semblait pas pouvoir s’arrêter.
Toutefois, il freinait tranquillement son élan et s’arrêtait sur des sujets plus légers. À soixante-quatorze
ans, la tête bourrée d’un bagage intellectuel démesuré, Hubert Forget entama sa dernière étude. Le sujet
était d’une simplicité: suis-je heureux ?
Il conçut un test qu’il nomma secrètement « le détecteur d’abrutis ». C’était un questionnaire qui jumelait
les connaissances générales et le quotient intellectuel. Il voulait mesurer le degré de facilité d’être heureux
chez les moins instruits.
Sa grande notoriété lui permit de trouver facilement plus de deux-mille bénévoles issus de différents mi-
lieux socioéconomiques. Contrairement à un questionnaire conventionnel, le « détecteur d’abrutis » ser-
vait à cibler les moins malins.
Dans les jours qui suivirent, Hubert convoqua les dix sujets qui avaient obtenu les pires résultats. Une
somme de deux mille dollars sera remise à chacun d’entre eux au terme de l’étude. Tous acceptèrent sans
hésiter.
Hubert avait aménagé une table de conférence dans le bureau de sa maison, lieu à partir duquel il avait
tant réfléchi. La pièce était immense et le plafond très haut. Les murs étaient ornés de tablettes remplies
de livres. Il y en avait des milliers. Toutes les études du scientifique y étaient, ainsi que tous les documents
qui lui avaient servi au cours de sa carrière. La pièce était majestueuse et transpirait le savoir. Elle en était
imbibée, à l’image de son propriétaire.
Les « abrutis » arrivèrent à tour de rôle. La majorité d’entre eux s’étaient fait accompagner jusqu’à la porte
d’entrée par un proche.
En entrant, tous furent intensément impressionnés par la majestueuse pièce.
- Wow! Regardez-moi tous ces livres, dit l’un d’entre eux. Tu dois connaitre beaucoup d’histoires, mon-
sieur!
Matière grise
12 5
Matière grise
- Ça sent le papier comme dans le magasin de livres, lança un autre.
Hubert sourit et observa ses convives. Tous avaient les mêmes regards vides, mais allumés. Légèrement en
manque de lucidité, mais tout de même émerveillés par sa pièce. Ces personnes semblaient vivre le moment
présent, sans plus. Ils savaient habilement ne pas se poser de questions.
Hubert Forget remarqua que l’un de ses invités avait déjà pris place à la table de conférence. Il avait une
mine sérieuse, les sourcils légèrement froncés et il observait étrangement les lieux. Alors que les autres conti-
nuèrent d’être en extase devant les nombreux ouvrages, Hubert s’approcha de son invité le plus sage. Il dut
se faufiler à travers la foule de joyeux lurons.
Il s’assit face à l’homme qui l’intriguait.
- Bonjour monsieur, dit-il.
- Allo …
- Vous allez bien aujourd’hui? continua Hubert.
L’homme semblait sur ses gardes et darda le savant du regard. Hubert remarqua qu’il gardait sa main droite
dans sa poche et qu’il semblait y tenir quelque chose.
- Quel est votre nom? demanda Hubert
- Je suis Jacques.
- Alors Jacques, que tenez-vous dans votre poche?
Les pupilles de Jacques s’allumèrent. Comme s’il avait été démasqué.
- C’est ma loupe, avoua-t-il.
Il sortit une loupe de sa poche.
- C’est ma loupe de détective.
- Oh! Vous êtes détective?
- Mon frère m’a dit que je venais ici pour une étude spéciale. Que c’était une sorte d’enquête, un genre de
recherche. Alors j’ai apporté ma loupe de détective pour vous aider dans votre enquête.
Puis il se remit à observer les alentours sans dire un mot.
Hubert invita les sujets à prendre place autour de la table. Après de longues minutes, chacun s’était trouvé
une place. Hubert commença.
- Donc, je vous ai convoqué ici parce que vous êtes les dix personnes qui ont obtenu les pires résultats au
questionnaire que je vous ai fait remplir la semaine passée. Vous êtes les personnes les plus ignorantes que
j’ai pu dénicher.
On le dévisageait sans rien comprendre. Certains d’entre eux souriaient.
- Vous êtes ici avec moi, dans le but de savoir qui, des ignorants ou des instruits, sont les plus heureux. Sans
vouloir me vanter ni vous vexer, j’ai acquis au cours de ma vie un niveau de connaissances extrêmement su-
périeur. J’ai appris de nombreuses notions, de grands principes et une multitude de phénomènes. J’ai un sen-
timent d’accomplissement énorme vis-à-vis ma carrière et j’ai réalisé plusieurs avancées dans différents do-
maines scientifiques. J’ai travaillé très fort et j’ai réussi. Je me déclare heureux et satisfait.
La sélection d’abrutis ne semblait même pas écouter le discours du scientifique. Certains d’entre eux avaient
même commencé à rigoler ensemble et à se faire des grimaces.
Hubert fut subjugué. Il était impressionné par la vitesse avec laquelle ces êtres étaient devenus complices et
s’étaient liés d’amitié. Le bonheur leur était accessible dans les moindres petits détails insignifiants. Peut-être
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
avait-il eu tort et que le vrai bonheur était dans l’ignorance? Seul un de ces sujets semblait ne pas s’amuser.
Le détective Jacques faisait tournoyer sa loupe dans ses mains en se donnant un petit air important et supé-
rieur.
- Donc, dit Jacques. Tu nous as fait venir ici pour rire de nous?
Les neuf autres élus se turent.
- Loin de là, répliqua Hubert, amusé.
- Pourquoi alors?
- Pour discuter avec vous de votre notion du bonheur, savoir ce qui vous rend heureux dans la vie.
- Moi, c’est des cornets aux pépites! coupa une femme
- Moi, c’est mon chien Pirouette! ajouta un homme avec un tendre sourire franc.
- ARRÊTEZ! cria Jacques. Ce gars-là nous a fait venir ici pour rire de nous parce qu’il nous trouve stupides! Il
veut nous montrer tous ses livres et nous raconter qu’il est intelligent et que nous, on est stupides!
Hubert recula d’un pas par nervosité. Tous les ignorants présents avaient maintenant un regard haineux bra-
qué sur lui.
- Détrompez-vous! Revenez à la raison! Il s’agit d’une simple étude sur le bonheur. Je veux seulement déter-
miner qui a le plus de facilité à atteindre le bonheur dans cet amalgame d’individus qu’est la société.
- Il rit de nous! hurla Jacques en pointant Hubert. Il utilise des mots qui n’existent même pas!
Il était rouge de colère au point qu’il en échappa sa loupe sur la table. La lentille éclata. Tous étaient indignés
Jacques se leva d’un bond.
- Suivez-moi, mes amis! Allons raconter tout ça à la police!
Puis il partit en tête de file. Étonnamment, tous les autres le suivirent. Tous disparurent. Le savant baissa la
tête, déçu.
Ce soir-là, Hubert réfléchit longtemps dans sa douche et arriva à une conclusion. L’ignorance ne l’emportera
jamais sur la connaissance. Les ignorants sont heureux très rapidement, mais ils ne savent pas pourquoi. Les
fondations de leur bonheur sont de porcelaine. Alors que les plus instruits qui atteignent le bonheur l’ont bâti
sur des bases solides.
Hubert s’esclaffa de rire en se lavant le visage. Il aimait beaucoup mieux être du côté des savants. Les igno-
rants doivent être en train de se laver le derrière avant le visage à même la savonnette sans comprendre quoi
que ce soit. Il sourit.
Le lendemain matin, une merveilleuse journée ensoleillée s’installa. Le soleil plombait à gros rayons sur le
monde. Un rayon traversa la porte d’entrée de Hubert Forget. Il traversa le corridor et se rendit dans sa ma-
jestueuse pièce pleine de bouquins. Le rayon dévia sur un éclat de la loupe du détective Jacques et vint finir
sa course sur La théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. La pièce prit moins de 15 minutes à se con-
sumer.
Cette journée-là, l’ignorance l’emporta haut la main. Elle réduisit le savoir et la connaissance en cendres,
cette matière grise qui n’a rien de cérébral.
Jean-Philippe Auclair
Matière grise
Théo, l’explorateur
Par une froide nuit d’hiver, où le vent faisait virevolter les flocons de neige entre les maisons, où la lune ne
montrait qu’une mince partie d’elle-même, comme une jambe sortie d’une robe de chambre, Théo, lui,
s’inquiétait. Bien au chaud dans la salle d’attente, entassé parmi des milliers comme lui, ou plutôt, des mil-
liers différents de lui, Théo ne pouvait que refaire les mêmes gestes, encore et encore. Billet. Casque. Billet.
Casque. Son billet, il l’avait déjà montré au gardien de sécurité qui laissait entrer les voyageurs. Et ils étaient
nombreux. Ils avaient tous le même rêve : partir vers un nouveau monde. Telle la conquête de l’Ouest au
19e siècle, faire la conquête de cet univers sans nom.
Des milliers, différents et semblables tout à la fois, billet en main et casque sur la tête, attendaient pour
avoir le privilège de scruter à la loupe, eux aussi, cet environnement encore vierge. Plusieurs vagues de
voyageurs étaient déjà parties mais encore aucun n’était revenu. Ces territoires devaient être vastes et pro-
fonds. Théo comptait bien les défricher en entier. Il en rêvait depuis qu’il était né. Comme s’il savait,
quelque part à l’intérieur de lui, que toute sa vie le mènerait à ce moment et qu’il serait celui qui découvri-
rait les plus beaux trésors en ces terres inexplorées.
Mais voilà que, plus il sentait le moment du départ approcher, plus il était anxieux. Billet. Casque. Billet.
Casque. Il avait bien vu partir les premières cohortes d’explorateurs mais, chaque fois, il reculait d’un pas,
prétextant qu’il n’était pas tout à fait prêt. Quelque chose le retenait. Il attendrait la prochaine envolée. Le
prochain lancement. Son ami Phil commençait à s’énerver. Ils avaient promis d’y aller ensemble. Ils ont pas-
sé des heures à prévoir tous les scénarios possibles, plus beaux et grandioses les uns que les autres, avec
toutes les trouvailles qu’ils feraient. Mais la patience avait ses limites.
« Mais qu’est-ce qui se passe, Théo? Tu ne veux plus y aller? demanda Phil à son prétendu complice de
voyage.
— Ce n’est pas le moment encore, balbutia-t-il.
— Pas le moment encore? répéta Phil, à bout de nerfs. Et ce sera quand, le bon moment selon toi ? » visi-
blement irrité.
Théo, l’explorateur
12 NADYNE BIENVENUE 6
Théo resta silencieux et s’éloigna un peu.
C’était pourtant le rêve de sa courte vie, mais il s’inventait une bordée d’excuses pour repousser la réalisa-
tion de sa destinée. Ce jeune voyageur était-il, en fait, peureux? Avait-il peur de l’inconnu? Peur de ne rien
découvrir? Pourquoi attachait-t-il autant d’importance à cette vision de grandeur? Se mettait-il trop de pres-
sion avant même d’entreprendre ce qui sera probablement le plus beau voyage de sa vie?
Une voix se fit entendre à travers le flot de ses pensées confuses :
« Les voyageurs qui désirent partir sont priés de se rendre au quai d’embarquement. »
On entendait les moteurs ronronner déjà. Son ami le tira par le bras et Théo n’a eu d’autres choix que de le
suivre. C’était le chaos. Tant d’explorateurs réunis dans un si petit espace, la fébrilité rayonnant de partout,
les bousculades et, en même temps, l’anxiété, la peur et le manque de courage. Théo prit une grande inspira-
tion, oublia de vérifier son billet et son casque et s’engouffra dans le vaisseau avec Phil et tous les autres.
Puis, un sourire béat illumina son visage. C’était enfin le bon moment. Il le ressentait dans tout son corps,
comme un grand frisson. Il allait accomplir son destin.
Les moteurs se faisaient de plus en plus bruyants durant le voyage vers ce nouveau monde et les turbulences
de plus en plus fréquentes. Mais l’excitation des explorateurs camouflait presque ce tapage, tous les yeux
espérant seulement arriver à bon port. Puis, dans un vacarme très aigu et une secousse violente, plus rien. Le
silence. Et la porte s’ouvrit enfin sur ce territoire sombre et florissant de promesses. Maintenant, c’est cha-
cun pour soi!
C’est au tour de Théo d’entraîner Phil à travers les herbes qui se balancent comme des algues en pleine mer.
Ici, c’est une nuit chaude et sans lune où la plus douce des brises lui chuchote un hymne de bienvenue.
« Tu entends, Phil? cria-t-il à plein poumons.
— Le son de ta course effrénée? se moqua-t-il.
— Mais non, idiot, la brise. Elle nous invite. » poursuivit-il en augmentant la cadence.
Mais Phil ne l’entendait plus. Théo avait déployé toute la force de ses membres inférieurs pour quintupler sa
vitesse laissant son ami loin derrière, sans même s’en apercevoir. L’urgence d’avancer était devenue trop
grande. L’envie d’arriver quelque part, une obsession.
Au bout de quelques jours de cette forêt dense, il aboutit enfin dans une grande clairière où flotte une faible
incandescence. Plusieurs voyageurs s’y trouvaient déjà. Il n’avait donc pas été le plus rapide et cela le déce-
vait beaucoup. Peut-être était-ce des explorateurs des premières cohortes? Peu importe, maintenant qu’il
était arrivé, il explora tout de même cette plaine pour y découvrir une maison, seule, au milieu du vide.
Quelques curieux fouillaient des yeux les fenêtres pour voir si elle était habitée par des extraterrestres ou, du
moins, des êtres vivants comparables à eux. Les plus impétueux tentaient d’ouvrir les portes mais elles sem-
blaient toutes barrées à double tour. Théo s’approcha lentement. Il avait une impression de déjà-vu. Comme
s’il était déjà venu ici, bien que cela soit totalement impossible. Puis, la voix se fit entendre à nouveau, la
même que dans la brise chaude d’il y a quelques jours.
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
« Je t’attendais, Théo, dit-elle, rassurante. Je suis Léah. Approche, je vais t’ouvrir. » insista-t-elle.
Théo, hypnotisé, s’exécuta sans dire un mot. La voix. D’où venait-elle? Phil ne l’avait pas entendue, lui. Ses
compatriotes ne semblaient pas y prêter attention non plus. Était-il devenu fou? Serait-il en train de rêver?
Tout ça était bien étrange. La découverte d’univers inconnus comporte bien sa part de mystère.
La porte s’ouvrit et il entra à l’intérieur. Puis, Léah continua :
« Bienvenue, Théo. Tu es ici chez toi à présent. Nous allons débuter le processus de subdivision.
— Mais, mais, mais… paniqué, où êtes-vous et c’est quoi cette histoire de subdivision? demanda-t-il en tour-
nant sur lui-même et cherchant en vain un visage, un corps, quelque chose.
— Tu ne sais pas qui tu es, Théo? demanda-t-elle à son tour.
— Je suis un explorateur de nouveaux univers, répondit-il confiant, se gonflant le torse.
Elle pouffa de rire, sourit, attendrie, et lui révéla :
« Tu es bien plus qu’un explorateur, Théo, tu es un bâtisseur, une cellule reproductive. Et toi et moi, en-
semble, comme le yin et le yang, nous allons créer la vie.»
Nadyne Bienvenue
Théo, l’explorateur
Il a eu une expérience de mort imminente?
Mais nous en avons tous! Cela s’appelle « Vivre »…
Terry Pratchett (1948-2015)
XAVIER BONHOMME
La soirée du 31 octobre s’écoulait, morne comme il se doit, après le traditionnel défilé de morveux pathé-
tiques dont les parents auraient pourtant dû savoir qu’un costume de Bad-Mart devient méconnaissable
après dix minutes sous la pluie battante. Alors, imaginez le désastre quand celle-ci fit place à la grêle vers dix-
huit heures! Il me restait donc un surplus de calories en sachets, de rouleaux de plastique chinois aromatisé.
Aussi déplorai-je l’impossibilité de redorer pour l’année ma bonne conscience de leurs « Merci! » méca-
niques et bafouillés.
20:57
Cela devait faire vingt minutes que la dernière Reine des Neiges, délavée et plus gelée que nature, avait déta-
lé vers le carrosse parental clignotant, sous mon regard chargé d’additifs de bienveillance artificielle. Enfin! Je
me frottai les mains et m’apprêtais à savourer les quelques mois de silence qui me séparaient du retour du
chant des tondeuses.
20:58
On frappa lourdement trois coups à ma porte. Agacé que l'on puisse ignorer ainsi l’existence de mon carillon
flambant neuf, j'ouvris...
Une longue silhouette se tenait à mon huis, rigide et solennelle, drapée d’une sorte de toge antique, sombre
et ample. Elle me parut singulièrement grande, sentiment accru par l’arc de son bras levé, brandissant un
splendide et éblouissant fanal, probablement déniché au rayon « déco » chez Ikeo. Quel sens du déguise-
ment! Une voix féminine résonna depuis l’ombre infinie du capuchon que je ne vous avais pas encore men-
tionné, afin d’en réserver l’effet inquiétant. Vous n’en serez pas surpris : c’est mon nom qu’elle énonça, si
impérieusement qu’on l’aurait cru clamé en majuscules, suivies de points d’interrogation tout aussi impres-
sionnants. Du pas de la porte, elle étendit interminablement son autre maigre bras vers le bol de bonbons
que je tenais bêtement, figé à l’abri de mon vestibule; ses doigts pâles y farfouillaient en cercles, comme on
brasse une marmite, alors que son regard – probable – aussi impatient qu’invisible, paraissait attendre une
confirmation de mon visage médusé.
J’eus l’impression qu’avant même le « i » de mon « Oui? », elle était entrée! Ayant reculé devant cette intru-
sion et pathétiquement trébuché à la renverse, c’est depuis mon séant que je découvris, une fois son capu-
Ad vitam
Ad vitam
12 7
chon affalé sur ses épaules, sa raide chevelure de jais, ses traits émaciés et pourtant empreints d’une grâce
étrange et sans âge. Elle me toisait d’un ironique regard de charbon.... Au bout de ses doigts, l’emballage re-
connaissable d’un Toffee Trips. Elle sourit en mâchonnant : « Mes favoris, cela faisait si longtemps… Vous
avez du bon café? » Si, au passage, j’avais pu remarquer la siccité impeccable de son déguisement, je me se-
rais peut-être méfié. Mais elle avait filé si vite vers le salon! Ainsi, n’ayant d’autre choix que de l’accueillir, il
ne me restait qu’à endurer l’embarras de ce qui serait ma première erreur. Je me relevai donc maladroite-
ment et tentai de talonner son pas vif et décidé, dans un sillage aux effluves de pot-pourri… Presque es-
soufflé, je la retrouvai narquoise, déjà à l’aise dans MON fauteuil. « Ne me fixez pas ainsi et détendez-vous…
Vous êtes bien blême! Auriez-vous d’autres Toffee Trips? »
21:04
Intimidé, voire hypnotisé – allez savoir – je l’avais acceptée dans mon antre, ignorant son but, et voilà que je
lui improvisais une sorte de collation nocturne et, comble d’abnégation, j’étais astreint à me contenter du
pouf du chien! En fait, je me demande si ce n’est pas son insolente assurance qui m’avait impressionné et
poussé à une hospitalité contrainte, avec l’espoir calculé qu’elle quitte mon logis sans trop s’attarder. Peut-
être faisait-elle une tournée du voisinage après tout?
Malgré le désordre, le décor de mon salon, flanqué d’empilements de recueils, dont juste deux et demi por-
taient mon pseudonyme, devenait presque chaleureux en présence de rares visites. Ma curieuse invitée avait
entamé la conversation d’un ton badin, comme une vieille connaissance. Cependant, je pense qu’elle feignait
de s’intéresser à mes constats sarcastiques sur le défilé du soir et me jaugeait surtout de son regard inson-
dable. C’est au moment du premier café que je commis ma seconde erreur. De sa main frêle, elle avait tendu
une flasque, me proposant d’agrémenter mon moka d’une liqueur qu’assurément j’allais adorer. Quel ni-
gaud! Je ne m’interrogeai que fugacement sur l’origine du nectar, qui avait le goût des voyages périlleux et
souffla en bourrasques en mon cerveau.
23:58
Trois heures plus tard, je ne savais toujours ni son nom, ni son origine ou son âge. Par contre, la méfiance
avait fait place à la connivence, sinon à l’admiration. Je me souviens avoir été accompagné sur le récit de ma
vie morose, lui avoir ouvert des pensées jamais lues, car jamais rédigées. Le destin avait étouffé mes suppo-
sés dons, les échecs avaient bridé mon imagination et le 21e siècle avait scellé ma résignation. Journaleux,
j’étais devenu à l’écriture ce que le bûcheron est à l’ébénisterie. « Je suis sans talent et, de plus, je me sais
depuis peu gravement malade... » lui avais-je lancé. « Justement, c’est pour cela que je suis venue. C’était
inéluctable, non? »
Bientôt, je perdis le fil de la conversation. J’étais médusé par sa coiffure pourtant sage, la frange bien séparée
à l’hémistiche. La grâce qu’elle révélait n’avait nul besoin d’artifices. Probablement point de suspension à ses
courbes et peu ou point d’exclamation en mon esprit transi : juste une espèce rare d’abandon fatal. Elle con-
tait, riant et tonnant, en ouvrant les bras comme de larges parenthèses. Elle clamait des odes à la gloire de
continents anciens, mimait la saga d’un titan anonyme, vantait les talents des neuf filles de Zeus. Elle récitait
des haïkus inouïs, parfois séduisants, souvent déroutants… Aussi, ne m’inquiétai-je que peu de ses longs si-
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
lences, de son regard tour à tour intense ou distant.
Jusqu’au moment où l’horloge comtoise entonna son alexandrin fatal… Je me souviens encore ainsi de ma
résignation :
Douze coups! Mon cœur bat la chamade.
Tissant de vers une toile malade,
elle se rapproche.
Elle me captive,
étend les bras pour l’ultime accolade…
Un baiser glacial, apogée d’un rite.
Je succombe sans combat, puis ressuscite!
Seul au matin,
sur le qui-vive,
je trouve au final ma mort bien petite.
20:58... Un an plus tard.
La couverture étoilée est depuis longtemps tirée, quelque part, loin, sous le menton du pôle. Et il me faut moi
-même tourner la page d’une mémorable soirée d’Halloween. Le temps a certes été frais, mais sec, comme il
se doit, et le petit peuple bigarré des fées et des ninjas a traversé en lumière ma première tentative de décor,
dépouillant dans la joie mon imposant stock de sucreries et de rires. Ma porte se referme sur une année tré-
pidante, au soir de « l’an Un » de mon nouveau calendrier! La psychiatrie n’avait pas fait fortune avec mon
cas. Rien de chronique, en fait, rien qu’une intoxication alimentaire, m’avait-on doctement expliqué, cause
d’une fulgurante hallucination… Si je n’ai même pas frôlé la Mort, je sais cependant le nom de ma visiteuse!
En effet, l’hiver dernier a été paradoxalement le temps d’une production frénétique. Mon premier enfant
pèse quelque 500 pages et semble avoir suscité beaucoup d’émotions cet été, en librairie, malgré son curieux
titre : Le Titan Anonyme. D’autres rejetons suivirent, ou s’étirent encore tranquillement sur le fatras de mon
bureau, comme celui-ci, dont je vais peaufiner la conclusion…
20:59
Trois coups soudains font trembler ma porte. Ma prudence? Le Diable l’emporte! Car de nouveau ma raison
s’éclipse et, comme je suis joueur, un rien m’amuse : je vais donc surprendre mon intruse! Mes mains se
jettent, fébriles, se crispent sur un plateau garni de Toffee Trips : c’est l’offrande gourmande que je dois à...
ma Muse!
… et son nom grec est Érato.
Xavier Bonhomme
Ad vitam
Septembre
ALEXANDRA CHARRON
Vendredi, 4 septembre. C’est l’anniversaire de mon aînée. Malgré l’épreuve que tu traverses présente-
ment, tu as trouvé la force d’être présente en cette date signifiante; je ne t’en remercierai jamais assez! Je
sais pertinemment que tu es là en raison de l’importance capitale que tu accordes à ce petit trésor dans ta
vie. Sache que, pour elle aussi, tu es irremplaçable! Par contre, cette année, à la lecture de ton prénom et
du petit mot d’amour que tu as griffonnés dans sa carte d’anniversaire, je sens beaucoup de faiblesse;
voire d’impuissance. Étonnamment, je ne m’en inquiète plus. La journée a suivi son cours puis, nous nous
sommes quittées, cet après-midi-là, de façon plutôt anodine : «Bye ma grande. » Ce sont les mots que tu
m’as murmurés; furtivement. Puis, dans le calme et l’obscurité de la nuit, détonnant avec ce jour tumul-
tueux, c’est comme si, tout à coup, septembre avait tout balayé.
La venue d’octobre m’entraîne dans l’action et le tournoiement des obligations familiales; mes pensées
ont peu le temps de vagabonder. À la brunante, en sustentant tout doucement mon bébé, c’est enfin là, la
gorge fréquemment nouée par l’émoi, que je marque une pause pour te faire le récit du fil de ma journée.
Dans tout mon essoufflement, je te confie également mes petites et grandes angoisses maternelles. Tu es
là; attentive, rassurante et toujours prête à me rappeler à l’esprit le grand privilège que j’ai d’avoir mis au
monde ces deux petites merveilles!
La grisaille et la fraîcheur de novembre rendent les jours qui s’écoulent plus monotones… Aisément, il
m’arrive alors de divaguer; je suis sujette aux débordements émotifs. Heureusement, à mon retour à la
maison, ta voix douce et mélodieuse, enregistrée sur mon répondeur tel un hymne à l’amour, parvient à
me faire craquer la joue et à déposer un baume sur mon cœur meurtri : «Bye ma grande!» répètes-tu en-
core. Quelquefois, lorsque mon corps et mon esprit sont en proie à la fatigue infligée par la vie de maman,
je réclame ton soutien. À cet instant, comme une bénédiction, tu prends tout doucement mon bébé et le
berce avec tendresse en fredonnant. Je ferme alors les yeux et m’abandonne, moi aussi, dans la chaleur de
ta voix, à la douceur des jours et des souvenirs.
Septembre
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Décembre…temps de réjouissances et de traditions! Cette année, comme pour t’offrir un répit, je m’attelle à
mes fourneaux et c’est moi qui cuisine les plats traditionnels. J’ai aussi concocté ces beignes savoureux que
l’on aime tant et, qu’année après année, on te réclame…tu sais ceux saupoudrés de sucre? Dans la cohue du
magasinage, j’ai déniché un joli foulard au tissu doux et riche, comme tu les aimes. Au réveillon, si certains
n’avaient visiblement pas le cœur à la fête, toi, tu souriais, admirant les jeux de mes filles, joyeuses et can-
dides. Dans ton regard, je lisais la fierté mais aussi une certaine rancœur envers la vie; je ne peux nier que ta
présence, contrairement à tes habitudes, se faisait beaucoup plus silencieuse.
Inévitablement, janvier, février et mars ont défilé…l’hiver! Dans la douce solitude de mon congé de materni-
té, sous le couvert des souvenirs, tu m’as refait avec bonheur le récit de ma petite enfance. Gorgée d’amour
mais le cœur empreint de nostalgie, j’ai eu le goût d’hiberner avec mes sentiments, de geler mes émotions,
d’étouffer ma culpabilité sous le poids de la neige. Heureusement, dans toute ta bienveillance, tu as apprêté
pour moi et ma petite famille quelques-uns de tes plats réconfortants que j’ai pu réchauffer. C’est ainsi que
ta soupe aux légumes et quelques gâteries sucrées furent un pur ravissement dans cet hiver rigoureux pour
l’âme. En les savourant d’une façon toute particulière, j’ai ressenti beaucoup de tristesse; la vie ne m’avait
pas fait don de tes compétences culinaires; ni même de l’immense satisfaction que tu retirais à cuisiner sans
relâche pour ceux que tu aimes. Qu’importe… la vie m’a tant choyée!!
Puis, comme pour me rappeler l’empressement du temps et des jours qui fuient, avril a surgi. Je me devais à
présent de tirer un trait sur les jours douillets passés seule avec mon bébé et… avec toi. Cet instant en était
un que je redoutais. Mon esprit était-il prêt à réintégrer le monde? Afin de vivre harmonieusement ce nou-
veau passage, j’aurais une fois encore besoin de toi et de tes paroles rassurantes. Puis, pour m’enrober de
confiance, tu m’as murmuré, comme seule toi pouvais le faire : « Vas-y…Bye ma grande! »
Mai; mois du muguet. Ce matin, j’ai coupé une tige fraîche de ces délicates clochettes odorantes afin
d’égayer ma maison. Ce geste, c’est toi qui me l’as inculqué! Ce doux bourgeon n’était pas sans me rappeler
la venue très prochaine de ton anniversaire. Pour l’occasion, c’est avec amour que ma fille t’a griffonné un
joli dessin aux couleurs vives. Comme elle manifestait vivement son envie de te l’offrir, j’ai décidé de l’ame-
ner te rendre visite. Bizarrement, j’ai réalisé que, malgré l’attachement et la complicité qui vous liaient, elle
et toi, elle ne m’avait jamais encore accompagnée dans ta nouvelle demeure. Le froid de l’hiver m’avait peut
-être dissuadée ou serait-ce plutôt ton nouveau logis que je trouvais moins chaleureux, avec tous ces occu-
pants silencieux et leurs visiteurs au regard humide? Tout cela te ressemblait tellement peu!
En juin, ce fut l’émergence des pivoines qui, cette fois, me ramena à toi. Ces fleurs duveteuses étaient celles
de ton mariage; quarante années à se bâtir tant de souvenirs! Cette journée-là, je ne pus m’empêcher d’ac-
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
courir pour t’en offrir un énorme bouquet. Je fus satisfaite de constater que si ces pétales généreux parfu-
maient ton espace, ils personnalisaient également l’endroit qui, alors, s’apparentait davantage à toi.
Les mois d’été, porteurs de vacances et de rassemblements familiaux furent plus doux. En ce temps estival, à
la tombée de la nuit, portant mon regard vers le ciel étoilé, je fus plus qu’à l’habitude frappée par l’immensité
de la vie, par l’amour sous toutes ses formes. Pourtant, j’appréhendais encore septembre qui approchait, à la
fois symbole de renouveau mais aussi de déchirement.
Puis, alors qu’il fut véritablement de retour, septembre força la trêve. À ce moment, je ressentis plus que
jamais le besoin d’aller vers toi. Ainsi, un matin, je me suis retrouvée en ta résidence, les pieds dans l’herbe
fraîche, sous un rayon de soleil qui cherchait à percer la brume; annonciatrice de l’automne. Là, le cœur
lourd et les yeux mouillés, je me suis agenouillée dans la rosée, tout prêt de l’endroit où, il y a déjà une an-
née, j’avais, avec tes cendres, déposé un petit mot d’amour qui t’était adressé. « Maman, tu nous manques
tellement! Nous t’aimons très fort, accompagne-nous au quotidien. » Après quelques minutes de recueille-
ment, c’est en te tournant le dos que, dans un ultime au revoir, j’ai entendu tes paroles : « Bye ma grande! »
Alexandra Charron
Septembre
MEILIANA CHASSÉ
Une rupture malentendue
Salut! Je m'appelle Katherine et j'ai 17 ans. J'ai une meilleure amie qui se nomme Ariana et j'ai une «ennemie» qui s'appelle Alyssa. Elle n'est pas vraiment une «ennemie»... C'est juste que je ne l'aime pas et elle aussi ne m'aime pas... c'est une fille superficielle, égoïste et elle fait tout pour me taper sur les nerfs. Ah oui! J'ai aussi un copain! Il s'appelle Louis et il a le même âge que moi. Je suis chanceuse de l'avoir, car il prend ma défense lorsque je dois faire face à Alyssa, mais aussi parce qu'il est une personne magnifique.
Je suis à l'école en ce moment et c'est l'heure du dîner. Ariana est en face de moi et nous mangeons tran-quillement. Je regarde un peu partout dans la cafétéria, mais je ne vois pas Louis. Mais où peut-il bien être? Nous étions ensemble ce matin, alors il doit être à l'école.
- Hey, ça va? me demande Ariana en me brisant de mes pensées.
- Oui, oui. Ça va très bien, lui répondis-je en souriant.
- T'es sûre? Tu as l'air distraite par quelque chose.
- Non, non. Tout va bien.
- C'est Louis, n'est-ce pas?
Je soupire et la regarde dans les yeux. Elle a tout à fait raison.
- Oui... Je ne le vois pas... lui répondis-je en donnant un coup d'œil derrière moi.
- Il est peut-être en récupération pour une matière... dit Ariana en prenant une bouchée de son sandwich.
- Peut-être... Je vais voir aux casiers.
- Pourquoi serait-il là?
- Je n'ai aucune idée, mais on ne sait jamais.
- D'accord. Je t'attendrai devant la classe du prochain cours avant que la cloche sonne. Alors, dans envi-ron... trente minutes.
- Oui, c'est bon! Bye!
- Bye!
Un fois arrivée au casier de Louis, je le vois accoté sur ce dernier. Je marche plus vite avec le sourire le plus gros au monde quand je m'arrête brusquement lorsque je vois qu'il parle avec Alyssa. Mais qu'est-ce qu'il fait avec elle?! Je décide donc de me "cacher" derrière une autre rangée de casiers et je les observe. Ils
Une rupture malentendue
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parlent de je-ne-sais-quoi et je n'aime pas ça. Ils ont l'air de rire, mais... Oh non! Attends... Dis-moi pas que... Non! Elle va l'embrasser?! Leurs visages s'approchent de plus en plus et au moment où leurs lèvres touchent, je me retourne le plus vite possible et je m'enfuis. Je sens des larmes me monter aux yeux, mais je les retiens pour ne pas pleurer en public. Non, mais il l'a même pas repoussée! Ça ne se peut pas! Mais je ne peux pas avoir imaginé cela! Ok, je n'en peux plus... Je sors dehors en courant et je m'assois sur le banc le plus proche. Puis, je laisse tout sortir. Je sens des larmes chaudes me couler le long des joues et je mets mon visage dans mes mains.
Quelques instants plus tard, j'entends quelqu'un crier mon nom. C'est Louis... Eh oui! Au moment où je ne veux pas le voir! Quelle chance!
Il s'assoit à côté de moi et il met sa main sur mon épaule. J'ai envie d'enlever sa main, mais je n'ai pas de force pour le faire.
- Hey, ça va? me demande Louis avec de l'inquiétude dans sa voix.
- Est-ce-que tu penses vraiment que ça va?! lui répondis-je en décollant mes mains de mon visage et en me levant brusquement.
- Katherine, calme-toi et dis-moi ce qui se passe, me dit-il en prenant ma main dans la sienne, mais je la retire aussitôt.
- Non, lâche-moi, Louis!
- Kat, qu'est-ce qu'il se passe? Pourquoi as-tu pleuré?
Ah, il a réalisé que j'ai versé des larmes...
- Pourquoi ai-je pleuré?! Tu le sais pourquoi!
- Non, j'en ai aucune idée!
- D'accord. Alors explique-moi pourquoi je t'ai vu embrasser Alyssa?!
- Quoi?! Non, mais de quoi parles-tu?!
- Oh, mais tu sais exactement de quoi je parle, Louis! Je t'ai vu avec Alyssa dans les casiers!
- Attends... Quoi?! Tu as vu ça?!
- Eh oui! C'est vrai?!
Après quelques secondes d'hésitation, il hoche la tête et regarde au sol. Je sens des larmes me monter aux yeux, mais j'empêche celles-ci de couler. Je ne veux pas donner l'impression d'être faible devant Louis.
- Tu sais quoi, Louis? Je ne savais pas que tu étais comme ça. Je pensais que tu ne m'aurais jamais trahie, mais je réalise que je me suis trompée, lui dis-je en mâchouillant ma lèvre pour ne pas pleurer. Mais j'échoue, car après quelques secondes, je sens des larmes chaudes couler le long de mon visage. Je me re-tourne pour rentrer dans l'école, mais Louis m'attrape le poignet.
- Katherine... Je peux expliquer!
- Non, Louis! Il y a rien à expliquer! Tu as fait ce que tu as fait et ce n'est pas réversible.
- Je suis désolé... Ce n'est pas comme tu penses que c'est...
- Non, il n’y a pas d'excuses! C'est fini! Notre couple est fini. Au revoir, Louis.
Puis je pars. Je me retourne une dernière fois avant de rentrer dans l'école et je vois Louis complètement rempli de désespoir. Je ne peux pas le pardonner. Il m'a trompée avec la fille que je hais et je ne peux rien faire. Je suis officiellement célibataire.
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Deux semaines plus tard...
Ça fait deux semaines que je ne suis plus avec Louis. Je ne lui parle plus et lui aussi. Ah non, c'est vrai, des fois il essaye de me parler, car il veut expliquer ce qui s'est passé avec Alyssa, mais je ne le laisse pas.
C'est vendredi et je suis encore dans la cafétéria pour dîner. Je parle à Ariana pendant qu'elle mange tranquil-lement. Elle me demande souvent si je vais bien et si je me sens bien. Je lui dis oui même si je suis complète-ment détruite.
Quelques instants plus tard, je lui dis que je vais prendre l'air dehors et elle me demande si je veux qu'elle m'accompagne. Je lui réponds que ça ira et je pars.
Une fois sortie, je m'assois sur un banc et prends de grandes respirations. Je suis complètement dans mes pensées que je fais un saut quand je sens une main me toucher l'épaule. Je me retourne et je vois Louis, ses yeux remplis d'inquiétude.
- Non, je ne veux pas te parler, lui dis-je brusquement.
- Kat, s'il te plaît, juste cinq minutes.
Ça me prend un bon dix minutes avant de finalement accepter.
- Bon. Tu m'écoutes maintenant? me demande-t-il en me regardant.
Je hoche la tête.
- D'accord. Donc, depuis mon enfance, Alyssa et moi étions de très bons amis. Nous faisions tout ensemble et tout se passait toujours à merveille quand elle était présente avec moi. Il y a environ deux ans, je lui avais de-mandé si elle voulait sortir avec moi et elle a accepté. Nous étions en couple pendant presque un an lors-qu'un jour elle a dû partir en voyage avec ses parents pendant un mois, Puis le lendemain, elle m'a laissé sans aucune raison. Une de ses ex-amies m'avait dit qu'apparemment deux jours après sa rupture avec moi, elle sortait avec un autre garçon. Depuis ce temps-là, j'ai toujours détesté Alyssa, me raconte-t-il avec des larmes qui commencent à couler.
Je pose mon regard sur lui et j'ai envie de pleurer juste en le voyant le faire aussi.
- Alors, me crois-tu lorsque je dis que j'ai essayé de la repousser quand elle m'embrassait? me demande-t-il en séchant ses larmes.
Je hoche la tête et je le prends dans mes bras.
- Oui, je te crois. Je suis tellement désolé de ne pas t'avoir écouté alors que tu voulais m'expliquer ce qui s'est vraiment passé entre Alyssa et toi. Je suis aussi désolé de ce qu'Alyssa t'a fait. ce n'est pas bien, lui répondis-je en me retirant de lui.
- Je suis désolé aussi.
Je m'approche de son visage et pose mes lèvres sur les siennes.
Comment n'ai-je jamais remarqué qu'Alyssa est l'ex-copine de Louis?
Meiliana Chassé
Une rupture malentendue
Une vie impossible
SHAELYNNE CHASSÉ
Il y a toujours un moment dans notre vie où nous voulons juste nous réfugier dans une cachette, isolés du monde. Par contre, moi, ce n’est pas juste une fois, c’est à tous les jours. Je vis huit heures d’école en peur. J’ai peur d’eux, de lui, de leurs mots qui tuent. Même rendue dans la sécurité de ma maison, je reçois leurs insultes comme un couteau qui s’enfonce dans mon corps. Chaque matin, je me force à me lever et rentrer dans un monde qui va finir par me tuer.
Jour 140. 50 jours restants. Je sors de mon lit, regardant mon calendrier. Mercredi. J’attache mes cheveux en queue de cheval. Je marche à la porte et j’enfile mon manteau. En marchant vers l’arrêt d’autobus, je mets ma capuche sur ma tête. Je vois le transport jaune au loin et je me prépare à les affronter. J’entre dans l’autobus, la tête en bas.
- Oups! dit une voix familière avec un ton sarcastique, en me faisant trébucher. Je ne t’avais pas vue là, toi! continue-t-il.
Je continue mon chemin jusqu’à temps que je trouve une place vide. Soudainement, je reçois une boule de papier. Je ne l’ouvre pas et je la lance par terre.
- C’est pas bien faire ça! dit un de ses acolytes.
Je ne réponds pas.
- Pourquoi tu m’ignores? demande-t-il.
L’autobus arrête finalement à l’école, je prends mes affaires rapidement et je sors, marchant vers l’école.
Quand le groupe passe à côté de moi, j’entends des ricanements. Qu’est-ce qu’ils ont fait? Je sens la pa-nique qui monte. J’arrive aux casiers et je vois des étudiants qui chuchotent et qui rient quand je passe. Je les ignore et j’ouvre ma case. Je me rends en classe.
Tous les regards se posent sur moi. Je cherche une place et j’en vois une à côté d’une fille. Je me dirige vers le bureau et je vois une autre fille, son amie, lui dire :
- Viens ici, elle a une maladie.
Elle change de place et je m’assoie, toute seule.
La classe est finalement finie et je me dirige vers mon prochain cours. Je vais à la toilette et j’entends des
Une vie impossible
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voix familières. Je tourne l’autre bord pour ressortir mais elles me voient.
- Salut, virus, dit-elle.
Je la regarde, confuse.
- Pas vrai?! dit-elle, étonnée. Tu ne sais pas de quoi je parle? continue-t-elle, avec un sourire moqueur.
- Quoi? dis-je, timidement.
Elles commencent à rire. Je ne comprends pas.
- Toute l’école sait sauf toi? dit la blonde, Naomi.
- Quoi? dis-je, plus fort.
La rousse, Marie, me fixe avec ses grands yeux verts.
- Tu as une maladie contagieuse et tu es répugnante, comme toujours, donc tu as intérêt à te tenir loin de nous, dit-elle, en partant vers la sortie, suivie des autres.
La brunette, Mégane, se retourne avant de sortir.
- Oh, et si tu penses vraiment que Liam voudrait de toi, il n’y a aucune chance, dit-elle.
Puis, elle sort. Je sens les larmes qui menacent de couler. Ce n’est même pas vrai, ce qu’elles disent, mais ça fait tellement mal.
Je sens les chaudes larmes qui coulent sur mon visage. Je me réfugie dans une cabine et je reste là jusqu’au son de la cloche qui annonce le dîner. Le temps de sortir de ma cachette temporaire est arrivé. Je sors de la salle de bain, en baissant ma tête.
J’entends des personnes qui m’appellent des noms et qui se moquent de moi. Je m’empêche de pleurer en-core. Je reste dans une classe en mangeant mon dîner.
***
Une semaine est passée. La rumeur est encore là. Je ne veux pas affronter les regards, les insultes.
Ding. Mon téléphone sonne.
Je regarde l’écran. Quelqu’un a publié une vidéo avec une personne qui se moque de moi. Elle est déguisée et ça ne prend pas un expert pour déterminer que c’est moi.
- Je suis Melissa Leblanc, dit la fille, en prenant mon nom. Je vous avertis, je suis dégueulasse, je n’ai pas d’amis, car je suis contagieuse. Tenez-vous loin de moi! P.S. Je t’aime trop, Liam, même si je n’ai aucune chance, finit-elle, en soufflant un baiser.
Je regarde les commentaires, c’est plus fort que moi.
Naomi : HAHAHAHAHA!! Oh mon dieu! Je roule par terre.
James : Melissa Leblanc Tu vois? Tu ne feras jamais partie de nous. Tu es un mouton noir, tu es rejet. C’est pour ça que tu n’as pas d’amis! Tu devrais juste partir d’ici. Ça ferait du bien à tout le monde. N’essaye pas de rentrer ici, tu ne réussiras jamais. JAMAIS.
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Je commence à sentir les larmes. Un autre message rentre.
Marie : Qui est d’accord avec James? Moi, OUI!
Amélie : Oui!!
Je ferme mon téléphone. Je pleure. Je me couche et je reste là, mon corps qui se décompose lentement.
***
Je n’en peux plus. Je ne veux plus être ici, pour toujours. Je devrais juste faire ce qu’ils disent. Partir. Je n’ai pas d’amis pour me protéger, ma famille n’est jamais là. Je n’ai plus de raison pour vivre.
Je publie un message qui dit :
Adieu, je pars. Pour toujours. Contents?
Je pars dans la salle de bain et je cherche dans le tiroir. Je sors une bouteille de pilules à ma mère et j’en verse plein. Je les mets dans ma bouche, puis je bois de l’eau. Je devrais mourir sur le choc.
Adieu, monde cruel.
Puis tout est noir.
Je me réveille et tout est blanc. Est-ce que c’est le paradis?
Non, c’est une chambre d’hôpital. Je vois ma mère.
- Oh, chérie. Nous pensions que tu étais morte. Il y a des personnes qui sont venues tout à l’heure, mais elles sont reparties, dit ma mère.
Pourquoi ne suis-je pas morte?
- Il faut que tu nous parles. On a toujours le temps pour toi. On peut chercher de l’aide.
Je vois qu’ils m’aiment, qu’il y a d’autres personnes qui m’aiment. J’acquiesce.
Pourrait-il y avoir de l’espoir? Je vais essayer. Je réalise que j’ai une vie dure, mais pas impossible.
Shaelynne Chassé
Une vie impossible
Retrouvailles
François était heureux, il était en route pour la campagne rejoindre les deux femmes de sa vie : sa con-
jointe France et leur fille Annie. L’automne était bien installé et les arbres recouvraient les montagnes d’un
magnifique manteau multicolore. Le soleil couchant ajoutait à la beauté du paysage. Cela faisait longtemps
qu’il ne les avait pas vues, son travail l’ayant gardé plusieurs semaines en ville.
Fils unique, il avait hérité du chalet voilà une dizaine d’années, à la mort de ses parents. Ils étaient morts
quelques années après avoir pris leur retraite. Sa mère d’un cancer du sein et son père d’une longue dé-
pression suite à la mort de cette dernière. François était le petit miracle de ses parents qui avaient, pen-
dant des années, essayé d’avoir un enfant. Après de nombreux échecs et à l’approche de la quarantaine,
ses parents s’étaient résignés à ne jamais en avoir… c’est alors que le miracle se produisit. Il avait eu une
enfance relativement heureuse, il n’avait jamais manqué de rien et avait fréquenté les meilleures écoles.
À la sortie d’une courbe, il aperçut la rivière au loin : il était presque arrivé. Le chalet, il y avait passé tous
ses étés et la majorité de ses fins de semaine durant sa jeunesse, jusqu’à ce qu’il commence à travailler.
Ensuite, aussitôt que son travail le lui permettait, il y venait question de recharger ses batteries. Homme
de la ville, il aimait ce contact avec la nature et avait découvert avec le temps que c’était devenu nécessaire
à son équilibre. Depuis la naissance d’Annie, le chalet était devenu leur résidence principale. François fai-
sait du télétravail et n’allait en ville que lorsque son travail l’exigeait. Il avait fait ce trajet des centaines de
fois, il le connaissait par cœur. Une nouvelle courbe, il accéléra, il y était presque.
France, l’amour de sa vie, la seule femme qu’il n’ait jamais connue. Ils s’étaient rencontrés en secondaire
quatre, lors d’une fête chez un ami commun. Ils avaient discuté ensemble une bonne partie de la soirée et
s’étaient découvert de nombreux points en commun. À la fin de la soirée, ils avaient convenu d’un rendez-
vous la fin de semaine suivante. Et, à part une courte période à l’université, ils ne s’étaient jamais quittés.
Sans être une beauté fatale, France avait tout de suite attiré son regard. De grandeur moyenne, les che-
SÉBASTIEN CLÉMENT
Retrouvailles
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veux bruns et bouclés, de beaux grands yeux bruns pétillants d’intelligence. Sa curiosité et son esprit vif
l’avaient immédiatement séduit. Mais ce qui avait fait fondre François, c’était son sourire radieux auquel il
n’avait pu résister... Annie avait heureusement hérité de la beauté et du charme naturel de sa maman.
Ensemble, ils avaient réussi sur tous les plans : leurs études, leurs carrières et leur vie de couple qui avait cul-
miné voilà cinq ans par la naissance de la petite Annie, leur petit trésor, leur plus grande fierté. Une magni-
fique fillette qu’ils adoraient et qui était depuis devenue le centre de leur univers. D’un commun accord,
France avait mis sa carrière en veilleuse pour s’occuper de la petite à temps plein jusqu’à ce qu’elle débute
l’école. Ensuite, elle retournerait travailler à temps partiel. François gagnait un bon salaire et ils avaient choisi
ce mode de vie pour leur jeune famille.
Les dernières semaines avaient été un tourbillon pour François. Il avait été impliqué dans un des procès le
plus médiatisé de l’histoire. Travaillant de la ville, il n’avait pu leur rendre visite. Il avait fait partie de l’équipe
ayant épaulé le procureur. Il s’était dévoué corps et âme à cette cause. Toutes les nuits blanches, les cernes,
les doutes et les nombreuses heures de travail pour contrecarrer la défense avaient finalement rapporté : le
verdict du jury avait été unanime... coupable... Michel Labrosse avait ensuite été condamné par le juge à la
prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant dix-sept ans.
À la suite de la condamnation, François avait passé quelques journées à accorder des entrevues aux nom-
breux médias. On parlait ici d’un procès qui allait passer à l’histoire. Un accident qui avait choqué la popula-
tion et qui avait forcé la main des politiciens à modifier les lois afin de les rendre plus sévères. François avait
déploré le fait qu’il fallait attendre des drames humains pour que les choses changent. Il s’était assuré que
son message soit propagé par les journalistes et les médias sociaux. Il avait ensuite réglé quelques dossiers
qu’il avait négligés, mangé avec quelques amis et, finalement, il avait pris la route en ce début d’après -midi
pour pouvoir être avec les filles en début de soirée.
Il vit le pont à la sortie d’une nouvelle courbe. Il accéléra. La rivière délimitait l’entrée du village. Le chalet se
trouvait à l’autre bout du village sur la rue de la montagne. Depuis toujours, le pont était le symbole qui lui
signifiait qu’il était presque arrivé. Perdu dans ses pensées, il frappa la glissière de sécurité de plein fouet. Le
choc fut d’une violence inouïe, la voiture effectua de nombreux tonneaux avant de terminer sa course une
vingtaine de mètres plus bas dans les eaux troubles de la rivière et sombra lentement. François perdit con-
naissance dès le déploiement des coussins gonflables. Le contact avec l’eau glaciale lui fit reprendre lente-
ment conscience. L’eau montait rapidement dans l’habitacle, et lui arrivait à la poitrine... Tout était sombre.
EN TOUTES LETTRES 2015-206
Sous le choc, étourdi et désorienté, il bougea ses jambes et ses bras. Douloureux, mais rien ne semblait cassé.
Encore sous le choc, il ferma les yeux et prit de grandes respirations pour se calmer et éviter de paniquer. Les
bruits dus à la pression que l’eau exerçait sur la voiture lui rappelaient un film de guerre où les soldats étaient
prisonniers d’un sous-marin qui sombrait.
Une fois détendu, il ouvrit lentement les yeux. L’eau lui arrivait maintenant aux épaules et engourdissait ses
membres rapidement. S’il voulait survivre, il devait sortir maintenant... C’est alors qu’un point lumineux per-
ça les ténèbres et grossit lentement. Il revit alors les moments marquants de sa vie : Sa jeunesse heureuse...
Sa rencontre avec France... La mort de ses parents... Sa graduation... Sa première cause... La naissance d’An-
nie... Les policiers à sa porte... L’annonce de la tragédie... Les funérailles... Le vide... Le procès... La condam-
nation de celui qui avait détruit son monde: Michel Labrosse qui, en état d’ébriété, avait provoqué l’accident
et la mort des filles... La sérénité…
Il ne fit aucun effort pour se libérer. François cligna des yeux, elles étaient là, dans la lumière, elles lui sou-
riaient et le saluaient de la main. La lumière grossit encore et l’enveloppa. La chaleur effaça la douleur et le
froid. Il était heureux, il les avait enfin retrouvées.
Sébastien Clément
Retrouvailles
Mon amour de Grispet
DIANE CROTEAU
Je suis émue chaque fois que je regarde sa photo. Elle me rappelle tant de beaux et douloureux souvenirs.
Je venais de terminer mon cours d’agent immobilier et ma sœur m’avait confié la vente de son condo. Elle avait deux jeunes minous qui étaient seuls toute la journée et qui démontraient beaucoup d’affection lors-que quelqu’un entrait.
Je faisais visiter le condo à un papa avec ses deux jeunes enfants. Ce n’était pas une place pour eux : troi-sième étage, pas de cour, pas de parc à proximité. La petite fille d’environ six ans avec le mignon petit chat gris blotti dans ses bras dit à son papa : Papa, j’aimerais habiter ici.
Pauvre enfant, elle me brise le cœur. Elle croyait que ce petit chat affectueux venait avec l’appartement. Les enfants sont repartis avec leur père vers de meilleurs choix.
Le petit minet resta près de la porte sans comprendre que sa nouvelle amie ne reviendrait pas. Il était si mignon. Il possédait un charme hors du commun. Je l’aimais déjà et il obsédait mes pensées.
Ma sœur m’avise qu’elle gardera un seul chat lors de son déménagement. Il n’en fallait pas plus pour que je décide de l’adopter.
La photo que j’ai prise au moment de l’adoption démontre si bien ma grande joie et l’étonnement naïf de ce chaton que je nomme « Grispet ».
Grispet n’avait que quatre mois lorsque nous habitions à la campagne au pied d’une montagne. Deux pe-tits lacs et la forêt étaient à proximité. Malgré les risques, je faisais confiance à mon jeune minou. Les chats sont très intelligents, débrouillards et intuitifs.
Un beau jour, en fin d’après-midi, nous rentions tous pour le souper : Michel, moi et Charlot (notre gros chien Griffon), sauf Grispet. Il manque à l’appel. J’ai beau m’époumoner, pas de Grispet.
Je pars à sa recherche avec Charlot. Nous ratissons les bois environnants. Rien. Désespérée, je rentre à la maison avant la noirceur. Je suis consciente des dangers réels qui entourent notre maison : renard, loup, ours, aigle-pêcheur dont les ailes déployées ont une envergure de six pieds. Toutes ces bêtes n’en feraient qu’une bouchée. Je ne dors pas de la nuit, me levant régulièrement pour vérifier à la porte si Grispet serait de retour.
Au petit jour, abattue pas le chagrin, je sirote mon café au salon. Puis, j’entends miauler faiblement. Est-ce une illusion ? D’où viennent ces miaulements ? La cave !
Nous avions fermé les portes de la cave comme d’habitude en fin de journée, et Grispet n’avait pas le droit
Mon amour de Grispet
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d’y aller car le plancher était humide et sale. J’ouvre et l’entends de plus bel. Il est là juché sur une pile de bois et il est incapable de descendre. Je grimpe, l’agrippe et l’inonde de mes larmes.
«Petit-pou, j’ai eu peur de te perdre mais je ne te priverai jamais de ta liberté de sortir à l’extérieur et d’ex-plorer le monde, juste pour soulager mes craintes. Je t’offre le gîte, la nourriture et les soins dont tu as be-soin et la liberté de faire ta vie de chat.»
Je lui offre la liberté mais ce n’est pas au détriment de mon attachement quasi maternel pour cette petite bête que je désigne parfois comme mon enfant.
Avec le temps, Grispet est devenu plus avisé. Il est très débrouillard et je n’ai plus à le surveiller à tout mo-ment lorsqu’il est à l’extérieur, car il connait son territoire et ses limites. Je lui fais confiance. Il a une nature douce et il est très sociable avec les gens et très tolérant avec les animaux du voisinage: chats, chiens ou écu-reuils.
Grispet a deux ans lorsque nous déménageons en banlieue. Le train de vie ici est très différent de la cam-pagne mais il comporte aussi ses inconvénients.
Tous les matins au lever, Grispet réclame ses gourmandises. Je lui donne une à une jusqu’à six croquettes. Il se lève sur ses pattes arrière et vient chercher avec sa bouche chacune d’elle avec délice.
« Mimi, c’est tellement bon des Temptations ».
Avec un peu de gêne et de retenue, il me dit : « Toi, mimi, tu ne peux pas savoir comme c’est bon, parce que toi (pause) tu n’es pas vraiment un minou ». Je reste surprise de constater qu’il sait bien au fond que je suis sa mère adoptive.
Ce rituel se répète invariablement à tous les jours.
Après le petit déjeuner, Grispet demande la porte.
- Où vas-tu ?
- Je vais faire ma « surveillance de quartier »
- Tu es un bon minou. À ton retour, je te donnerai tes récompenses.
Quelque temps plus tard, je marche à l’extérieur et j’appelle avec insistance mon Grispet qui s’est éloigné un peu trop en dehors de son territoire.
Une, deux, trois voisines constatent que je suis la mère de Grispet.
- Ha ! C’est à vous le chat gris. Il vient tous les matins chercher des gâteries. Il est si mignon, on ne peut ré-sister à son charme.
Et je constate pourquoi mon Grispet est si zélé.
J’ai su que Grispet avait atteint l’adolescence lorsque j’ai remarqué des changements dans son caractère. Il est devenu plus revendicateur, plus audacieux. Il était aussi plus combatif avec certains chats du voisinage dont le Petit Barnabé. Des voisins l’avaient trouvé dans la forêt. C’était un chat sauvage et il était très agres-sif.
Grispet avait eu quelques années de paix à patrouiller le quartier mais, là, c’était la confrontation continuelle. Combien de fois Grispet est arrivé à la maison en courant, le Petit Barnabé à ses trousses. Ce climat de ter-reur a duré plus de trois ans. Dure, dure la vie de chat.
Contrarié à l’extérieur, Grispet est devenu moins docile à la maison. Il faisait ses griffes sur les sofas, au point tel que j’ai dû abandonner la confrontation avec lui. Malgré son poteau et le tapis, je lui ai concédé la ber-gère dont j’avais l’intention de refaire le recouvrement un de ces jours. C’était son sofa. Il dormait sur le
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haut du dossier, dominant ainsi toute activité dans la pièce.
Suite aux nombreux assauts du Petit Barnabé, j’ai décidé de faire un abri à Grispet sur notre balcon. Sous le barbecue, il y a un espace idéal pour mon projet. J’installe autour de la base une toile ajourée. Je couvre le plancher en métal avec une épaisse fausse fourrure, et un panier recouvert de la même fourrure le gardera au chaud. L’hiver, l’épaisse toile noire qui recouvre le barbecue le met à l’abri du vent et de la neige. Seul Grispet connait l’entrée de son bunker.
L’été, Grispet dit qu’il a la clim dans son condo. En effet, la toile ajourée permet une aération idéale et aussi une vue de l’intérieur sur tout intrus qui pourrait se présenter sur le balcon. Et ça marche.
De ma porte patio je peux surveiller à distance. J’ai bel et bien observé la visite du Petit Barnabé. Ne voyant personne sur le balcon, il est retourné chez lui, bredouille.
«Hi, hi, hi»! Nous l’avons déjoué! Pour le moment…
Un beau matin, Grispet demande la porte comme d’habitude mais sans réclamer ses gourmandises cette fois-ci. Je suis surprise. Je l’observe par la fenêtre. Il est calme, il se met en boule sur l’étroite rampe du balcon à trente pieds au-dessus du sol. Soudain, le Petit Barnabé se pointe sur notre galerie et Grispet, effrayé encore une fois, saute dans le vide. Mon cœur s’arrête. Je n’en crois pas mes yeux. En quelques secondes, tout a basculé. Non! Non!
J’aurais dû me douter à quel point ce harcèlement quotidien pouvait l’affecter. Il faut être vigilant avec les ados. Grispet a sûrement très mal supporté les assauts constants du Petit Barnabé.
Diane Croteau
Mon amour de Grispet
Enfermé
D'aussi loin que ma mémoire remonte, j'ai passé le majeure partie de mon existence ici, dans cette petite
pièce carrée.
Parfois, de vagues images de moments lointains me reviennent, dominées par des couleurs vives et
chaudes. Maintenant, tout ce qui m'entoure est d'un blanc glacial qui fait mal aux yeux.
Mon espace de vie étant très serré, je n'ai pas de place pour bouger, alors je passe mes journées à regarder
le seul mur transparent de ma cellule derrière lequel des créatures étranges passent et me narguent conti-
nuellement. Aujourd'hui, j'y suis habitué mais, au moment de mon arrivée, ces vagues silhouettes gigan-
tesques me terrifiaient. Toujours différentes, elles s'installent devant moi, m'observent et appuient leurs
visages sur le verre pour mieux m'examiner.
De l'autre côté de la pièce se trouve un autre mur, blanc cette fois-ci, qui s'ouvre de temps en temps pour
qu'on me donne à manger. Je ne sais pas si c'est toujours le même être qui me donne à manger, car je n'en
vois que la main. Derrière les autres murs se trouvent probablement d'autres prisonniers comme moi. Ne
les ayant jamais vus, je ne peux en dire plus. Les seules preuves que j'ai de leur existence sont les sons oc-
casionnels et sans aucune fréquence particulière qui me proviennent d'au-delà des parois de la pièce. Je
ne sais pas qui ils sont, ou ce qu'ils sont et quelle est la raison de leur présence. De toute façon, je ne
pense pas qu'ils le sachent eux-mêmes, puisque je ne le sais pas moi non plus.
Je ne suis sorti de la pièce qu'une seule fois durant toute la durée de mon séjour. C'est un moment confus
et effrayant dans mon esprit, puisque je ne savais pas ce qui allait m'arriver.
Ce jour fatidique, la main qui me nourrissait d'habitude s'est présentée mais sans nourriture. Curieux et
GABRIELLE DUSSAULT
Enfermé
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sans me méfier, je me suis approché. D'un vif mouvement, la main m'empoigna fermement, me souleva et,
alors que la confusion et la panique commençaient à m'envahir, me déposa doucement par terre. La pièce
était grande et toute grise et le sol était fait d'un matériau différent, plus dur et plus froid. Trois grandes sil-
houettes se tenaient devant moi, dont mon capteur, me dominant de toute leur grandeur. Les deux créa-
tures que je n'avais jamais vues avant s'agenouillèrent devant moi et m'appelèrent à eux d'un ton mielleux.
Intimidé et méfiant, ma seule réaction de reculer. Que me voulaient-ils? L'un des deux fit une tentative pour
m'approcher, me faisant sursauter. Voyant ma réaction, ce même individu dit quelques mots à mon garde,
qui, trop doucement, tendit une main pour m'attraper. Effrayé, je me mis à bondir dans tous les sens pour
éviter la main qui me poursuivait sans relâche. Malheureusement, j'avais été ralenti et épuisé rapidement
par mon manque d'exercice des derniers temps et je finis par abandonner. À bout de forces, je n'avais plus
aucune énergie pour me débattre alors je ne pus que fermer les yeux, attendre et espérer que le moment
passe vite lorsque les deux inconnus se mirent à me tâter de tous les côtés. Heureusement, cela ne dura que
quelques brefs moments. Ils échangèrent encore quelques mots entre eux, puis quittèrent la pièce par une
porte que je n'avais pas remarquée.
Cette expérience, quoique peu dramatique, m'a laissé nerveux et encore plus paranoïaque qu'avant. Le
moindre bruit me fait sursauter et je me tasse dans le coin de ma cellule dès qu'on m'apporte de la nourri-
ture. Je me méfie de tout, je ne dors plus, je ne mange presque plus... Mes jours me paraissent encore plus
glauques et mornes qu'auparavant.
Grâce à mes nouvelles habitudes, mon état se détériore de jour en jour. De toute façon, pourquoi devrais -je
m'en occuper? Je n'ai aucun espoir de sortir vivant de cet endroit, alors il ne mène à rien de faire des efforts.
Je ne mange seulement que parce que la faim devient si intense que j'en souffre assez pour n'avoir aucune
retenue.
Il y a maintenant plusieurs jours que je ne fais que survivre. Je ne sais plus quoi faire; si je dois vraiment tout
abandonner. La seule différence entre chaque journée est que, depuis quelque temps, je vois le même
couple de créatures passant devant ma cellule. Tous les jours ils viennent, me regardent et repartent. Je m'en
soucie peu, malgré que ce soit la première fois que cela arrive.
Un matin en particulier, je sens que quelque chose a changé. Ce même couple est arrivé, comme à leur habi-
tude, mais m'a regardé de façon étrange cette fois-ci. Ils m'ont souri, puis se sont retournés vers quelqu'un
hors de ma vue en me pointant du doigt. Confus, je me levai péniblement. Rien ne se passa pendant
quelques instants, puis j'entendis la porte derrière moi s'ouvrir. D'horribles souvenirs en tête, je me suis re-
croquevillé sur moi-même dans un coin. Comme je m'y attendais, la main surgit de derrière la porte et, trop
vite pour que j'aie la chance de bouger, me saisit fermement. Alors que je sentais la panique me gagner, je
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
me débattis de toutes les maigres forces qui me restaient, mais sans résultat. On me tenait trop fermement.
Trop tôt à mon goût, je me retrouvai encore une fois dans la grande pièce grise, dans laquelle se trouvait le
couple qui m'observait tout à l'heure. Cette fois-ci, à la place d'être déposé directement par terre, on me dé-
posa dans une sorte de petite cage, plus serrée que ma cellule. Dans ma stupeur, je ne réagis pas lorsqu'on
ferma le couvercle et que je me retrouvai dans l'obscurité, seul.
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Il s'est passé beaucoup de temps depuis ces évènements. Lorsque je suis sorti de la cage, j'étais dans une
grande maison pleine de meubles à grimper. La première chose que j'avais aperçue en sortant était le couple
qui m'avait pointé quand j'étais encore dans ma cellule. Alors que j'ai commencé en étant méfiant et effrayé
par eux, j'ai appris à les connaître avec le temps. Ils me sont très bons, ils me nourrissent bien et me laissent
libre de faire ce que je veux. J'ai tout l'espace que je pourrais désirer, de quoi manger à volonté et même
d'autres comme moi! Je ne sais toujours pas pourquoi on m'avait enfermé auparavant, mais je crois que je
pourrais être très heureux ici. Je ne connais pas ce que l'avenir me réserve mais, de toute façon, qui le sait?
Après tout, je ne suis qu'un simple chat.
Gabrielle Dussault
Enfermé
SAMUEL GAGNON
Voile rouge
Tom Murray était un homme respectable qui, chaque matin, se rendait à la banque chiader à son bureau
de directeur. Le soir, il rentrait chez lui vers 17 h 45 pour aller rejoindre sa merveilleuse femme Daphné.
Celle-ci l’attendait sur le porche de la maison, tous les soirs de la semaine, à cette heure précise avec son
remontant préféré, un bon verre de whisky. Tom adorait sa femme et celle-ci le lui rendait bien, ensemble
il formait le couple le plus indéfectible du quartier. Tout le monde le disait. Mais, comme tous les couples
ordinaires, ils avaient leurs secrets sibyllins.
Aujourd’hui, il avait travaillé beaucoup plus tard qu’à son habitude. Il détestait cela puisque ces situations
venaient briser sa routine quotidienne. Et pourquoi avait-il terminé en retard? À cause de cette satanée
entreprise qui cherchait à le poursuivre pour détournement de fonds. Comment cette compagnie osait-elle
le traiter, lui, d’escroc? Toute sa vie, il avait joué franc jeu, à tout coup, et n’avait jamais menti à personne.
La situation le mettait hors de lui. Plus qu’il ne l’avait jamais été d’ailleurs. Tom voyait rouge. Il n’arrivait
plus à contenir toute la colère qu’il avait ressentie plus tôt alors que l’avocat des Instituts Boucher inc. lui
énonçait les chefs d’accusation qui pesaient contre lui. Quatorze millions de dollars et des poussières. Une
somme raisonnable, avait répondu l'avocat. Comment cela pouvait-il être raisonnable alors qu’il n’avait
même pas commis ce crime? Bien sûr, soutirer de l’argent du compte d’une entreprise était plutôt facile
pour lui, puisqu’il avait accès aux comptes bancaires de presque tous les habitants n’importe où et n’im-
porte quand. Tant qu’il avait son ordinateur portable avec le programme spécialement conçu à cette fin, il
pouvait aller prendre de l’argent dans n’importe quel compte. Le programme avait été conçu pour qu’il
puisse régler de grosses transactions pour des entreprises internationales. Jamais il ne l’aurait utilisé pour
son propre bénéfice. Il se trouvait déjà bien assez fortuné comme il l’était et ne voyait pas pourquoi il au-
rait volé les fonds d’une entreprise qui avait fait confiance à sa banque pour gérer ses finances.
Quand il entra chez lui, presque toutes les lumières étaient éteintes, sauf celle de la cuisine. Tom soupçon-
na Daphné d’être partie se coucher il y a un moment déjà. Sur la cuisinière, elle avait eu l’amabilité de lui
laisser à manger. Tom apprécia l’attention et alla se délecter du repas. Avant de se coucher, il vérifia les
Voile rouge
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comptes de la banque pour voir si tout était en ordre. Il le faisait rarement, mais Tom s’était dit que, cette
fois, avec la poursuite et les accusations, il ferait bien de regarder rapidement. Voyant que tout semblait nor-
mal, il rangea son ordinateur portable dans sa sacoche de bureau et alla s’étendre près de sa femme. Il s’en-
dormit, rassuré de n’avoir rien détecté de suspect dans les dossiers dans son entreprise, et en se disant que
demain serait une meilleure journée.
L’alarme de son réveille-matin le sortit du sommeil, le lendemain matin, à 7 h 30 précises. Subtilement, Tom
sortit de son lit en prenant bien soin de ne pas faire de bruit, pour ne pas réveiller son amour encore entre
les bras de Morphée. Étrangement, le même pressentiment que la veille et l’avant-veille le reprit, lorsqu’il
alla préparer son café après une douche bien froide. Celui de n’avoir pas toutes ces heures de sommeil.
Qu’est-ce qui pouvait bien clocher? Tom n’en fit pas de cas. C’était probablement dû au fait qu’il travaillait
plus ces temps-ci et qu’il avait besoin de plus de sommeil. C’était plutôt logique. Peu importe, rien ne vien-
drait bouleverser son horaire de vie, pas même la fatigue. Après un café et un copieux déjeuner, il s’habilla
pour se rendre au bureau. En allant chercher son ordinateur, il se rendit compte que celui-ci était toujours
branché sur le bureau du salon, alors qu’il se rappelait très bien l’avoir rangé la veille, avant de se coucher…
En regardant de plus près, il s’aperçut qu’il était connecté au programme de la banque sur le compte des Ins-
tituts Boucher. Une transaction avait été effectuée. À 3 h 47 du matin, quatre millions de dollars avaient été
transférés vers son compte personnel. Il se retrouva soudain aussi blême qu’un cadavre. Tom se rendit dans
l’historique des transactions, redoutant ce qu’il s’apprêtait à y trouver. Ses doutes furent confirmés rapide-
ment, quatre millions de dollars avaient déjà été transférés vers son compte personnel, la veille, ainsi que
l’avant-veille. Comment était-ce possible, puisqu’il n’avait jamais effectué ces transactions? Quelqu’un cher-
chait-il à l’envoyer en prison? Mais pourquoi donc? Beaucoup de questions se bousculaient dans sa tête,
quand un doute s’insinua dans son esprit parmi toutes ces interrogations. Daphné! Il se rappela alors de
toutes les disputes qu’ils avaient eues à propos de son problème de jeu excessif qui avait failli les mettre sur
la paille quelques années plus tôt. Elle lui avait promis d’arrêter et maintenant elle avait recommencé et
cherchait de l’argent pour rembourser, sans que leurs comptes en banque en soient souffrants. Mis à part
Tom, elle seule connaissait les mots de passe du programme de la banque. Comme la veille en revenant du
travail, sa vision s’emplit de rouge. Incapable de se contrôler, il serra la mâchoire et les poings. La voix endor-
mie de sa femme au pied de l’escalier fut la goutte qui fit déborder le vase : Tu n’es pas encore parti, mon
chéri? Entendre la voix mielleuse de cette femme qui avait recommencé à lui mentir après tant d’années
d’abstinence lui fit complètement perdre les pédales. Il se précipita vers Daphné, et la prit à la gorge d’une
poigne de fer. Surprise et en proie à une terreur sans nom, celle-ci écarquilla les yeux et lâcha un petit cri, qui
ressemblait plutôt à un gémissement.
- Tu m’avais promis que ça ne se reproduirait plus! Tu m’as menti! Encore une foi! Sale menteuse, lui cria
Tom en la jetant au sol
- De quoi parles-tu? essaya de souffler Daphné, entre ses larmes et la recherche de sa respiration.
- Tu sais très bien de quoi je parle, cria de plus bel Tom en rabrouant sa femme de coups de poing
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- Ce que tu as fait va m’envoyer en prison, tu te rends compte! Tu as gâché ma vie encore une fois!
Incapable de souffler un mot pour sa défense, Daphné essayait toujours de retrouver sa respiration, pendant
que Tom se rendait à la cuisine prendre un couteau.
- Tu vas détruire ce qu’il me reste de vie en m’envoyant en prison. Alors je vais anéantir la tienne!
Sur ces mots, il se jeta sur son épouse et abattit son arme sur la pauvre femme. Il continua même lorsqu’elle
eut fini de bouger. Jusqu'à ce que le rouge se dissipe.
En relevant la tête, après avoir fini son macabre travail, il aperçut la caméra de surveillance qu’il avait instal-
lée, quelques années plus tôt, dans le coin de la pièce au plafond après s’être fait cambrioler. Tom allait pou-
voir voir sa femme en plein délit puis jeter la cassette qui venait de le filmer dans sa tombe. Il alla prendre la
caméra et la brancha dans son ordinateur portable. Il remonta la vidéo quelques minutes avant le méfait et
attendit. Il aperçut la silhouette qui descendait les marches. Dans la noirceur et avec la mauvaise qualité de
l’image, il avait du mal à la discerner. Il aurait pu arrêter la vidéo, mais il souhaitait voir sa femme en plein
délit pour la haïr encore plus.
C’est quand la lumière de l’ordinateur portable éclaira le visage du malfrat que Tom faillit s’évanouir… C’était
lui… Il était somnambule.
Samuel Gagnon
Voile rouge
MÉLISSA GASSE
Un tout petit homme, debout dans les décombres, hurlant au milieu de tout le chaos qu'est devenue sa
vie. L'innocence et la pureté, tuées à grands coups de détonations assourdissantes, chacune t'enfonçant de
plus en plus dans le désespoir... Sous le bruit des immenses engins verdâtres qui volent dans les nuages, tu
pries pour le silence. Tu donnerais la totalité de tes maigres avoirs pour entendre encore, au début de la
nuit, la douce mélopée que fredonnait ta mère pour t’aider à t’assoupir, au lieu des fracas incessants qui
t’entourent à présent. Tes oreilles sifflent, trop pleines de l'horreur des hommes... une cacophonie, qui se
poursuit inlassablement depuis des jours.
Tu fermes tes grands yeux noirs, tentant de chasser en vain les images de cauchemars devant toi. C'est laid
tout cela, n'est-ce pas? Et tu ne comprends pas, tout était si beau avant les grands bruits. Les arbres d’un
vert presque émeraude qui tendaient leurs bras de géant jusqu’au ciel. Les petits jardins aux mille couleurs,
toutes si différentes les unes des autres, mais se côtoyant dans un équilibre quasi parfait… Maintenant, le
paysage est angoissant. Le vert n’existe plus, le jaune a cédé sa place au gris, le noir est omniprésent. Ne
reste que du rouge, partout autour, de grandes taches écarlates au sol et sur les murs, comme de la pein-
ture fraîche… Toute cette destruction, les débris, ce qui reste de ta maison... Là où tu devrais voir la beauté
des fleurs, des papillons et des vers de terre, il n'y a que démolition, cris et saleté. Six ans et déjà tellement
vieux. Contraint de grandir si vite, la folie a brisé ton enfance...
Tu es blessé, petit homme, bien plus que ne le laissent entrevoir toutes les entailles qui lacèrent ton corps.
C'est ton âme qui a été endommagée, à tout jamais. Tu te recroquevilles, essayant de retrouver une cer-
taine sécurité, de ramasser les petits morceaux de toi éclatés, perdus, comme tant d’autres choses. Et tu
te consoles toi-même, puisque plus personne n'est là pour le faire. Où sont tes parents? Et ta sœur? Tu as
bien essayé de réveiller ta maman, qui dormait au milieu de la rue il y a trois jours, avec plein d'autres gens
inconnus, endormis eux aussi. Tout doucement d’abord, tu lui as flatté les cheveux, répétant les tendres
gestes qu'elle posait à ton endroit lorsque le chagrin gagnait ton cœur. Puis, tes minuscules poings ont pris
Enfant, peut-être...
Enfant, peut-être...
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le relais... Et tu as frappé fort, avec toute l'énergie de ton désespoir. Réveille-toi, maman, réveille-toi donc...
Mais, pour la première fois, son sommeil était plus profond que ta peine.
Ton père, quant à lui, ne dormait pas quand on l’a emmené de force, il y a des jours de cela. Des hommes
méchants sont entrés, avec des regards effrayants... Ils criaient des mots que tu ne comprenais pas. Il a lutté,
tendu les bras vers toi, dans un dernier espoir de te toucher. On te l’a arraché, et tes petits bras se referment
sur le vide à présent. Tu as pleuré, comme on en a le droit quand on perd ce qu'on aime. Pendant des heures,
inconsolable, inconsolé. Et quelque chose a craqué en toi...
Trois jours que tu es seul, livré à toi-même... Une vieille dame est venue te porter de quoi manger hier, un
petit bout de pain rassis, avant de se sauver en souriant tristement. Tu l'as englouti rapidement pour calmer
la douleur qui grondait dans ton ventre, pensant bien revoir ta bienfaitrice. Elle sentait la suie et la sueur, elle
empestait la mort mais elle était là, bien vivante, l’image même du réconfort. Le dernier sourire humain qu’il
t’a été donné de voir. Ce n’est vraiment plus joyeux quand tout ce qui nous reste est le désir de sentir à nou-
veau cette odeur rance. Peut-être qu’à son retour, elle aurait un geste tendre pour toi, une accolade, une
main sur une épaule, une caresse furtive dans tes cheveux… N’importe quoi de beau… Mais la dame n'est
plus revenue, elle doit s'être endormie elle aussi. Étrange comme tout le village est si fatigué soudainement...
Pourquoi, toi, tu n’arrives pas à dormir?
La colère s'insinue lentement dans ta tête, sournoise, remplaçant la crainte... Ton regard est désormais chan-
gé. D'où viennent les gros objets qui tombent du ciel et qui cassent tout? Qui les a mis là? Tu prépares des
plans de vengeance, comme lorsque ta grande sœur te volait tes jouets. Tu arpentes les rues, dérobant au
hasard des morceaux de ce qui deviendra ton bouclier. Comme dans les films des grands... Sauf que c'est toi
le héros maintenant. Plus de peur dans tes yeux, mais une haine adulte devant la somme de tout ce que tu as
perdu. Toi aussi, tu prendras les armes... Petit soldat qui partira en guerre avec ton épée de bois, les poings
serrés, la rage dans ton petit cœur, sans vraiment comprendre tout ce que cela implique. Prêt à rendre tous
les coups reçus.
Tu as marché longtemps, et encore, encore... Poursuivi sans relâche par ce vacarme qui a fait vibrer la terre
sous tes pieds à maintes reprises. L'épuisement t’a fait trébucher plusieurs fois, ravivant chacune des bles-
sures du passé. Tu allais où, que cherchais-tu dans cette grande plaine désolée? Que reste-t-il quand on a
tout perdu, quand on va, au gré du vent, le cœur vide? Que souhaite-t-on quand on est si petit devant tant
d’infamie?
Le sol a tremblé, un grondement sourd... Tu es tombé, à bout de forces et de souffle. Tes idées se sont em-
plies d’une brume épaisse et laiteuse, ton cœur s'est affolé... Et ce mal insupportable... Tu as appelé ton père,
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Enfant, peut-être...
récité toutes les prières qu'on t'avait apprises, crié aussi fort que les bombes, pleuré silencieusement, sans
réponse… Un adulte se serait résigné mais, à six ans, l’immobilité est impensable, tu devais bouger, te lever
de là…
Mais comment on se relève de cela? On ne peut plus espérer la candeur de l’enfance quand toutes les cou-
leurs ont disparu, quand les oiseaux ne chantent plus au petit matin, quand le bruit de la mort prend toute
la place… Tu as repris ton bouclier qui, miraculeusement, a tenu le coup. Peut-être était-ce la dernière étin-
celle de magie, le fait que tu aies placé toute ton espérance en lui? Dernière petite parcelle de naïveté…
Chassée rapidement par la conscience de ce qui subsiste après avoir survécu à tant de bestialité. Tu ne con-
naîtras plus de repos tant et aussi longtemps que tu n’auras pas fait cesser le tapage dans ta tête. La peur
au ventre, tu as quitté cet endroit décimé, bien résolu à appliquer ta propre loi du talion. On t’avait appris à
pardonner, plus de place pour cela désormais… Rien ne compte plus que rester en vie, pour venger ta
mère, honorer sa mémoire.
Tu es parti en essayant de t'expliquer ce qui s’est passé. Mais impossible de nommer l'horreur quand on a
six ans. Même à trente ans, petit bonhomme, les mots ne viennent pas toujours. On ne veut pas les dire,
de peur que ça rende les choses encore plus réelles. Devant l’évidence, on préfère se taire, sans quoi on
risque de perdre l'équilibre. Peut-être aussi qu'il n'existe pas vraiment de mots, que ça va bien au-delà de
ce qu'on peut concevoir. La honte muselle, parfois...
Qui es-tu, petit garçon? Qu’a-t-on fait de toi? Qui pourra justifier cela, qui t'expliquera la raison de ta
souffrance? C'est bien plus qu'un être innocent qu'on a détruit ce jour-là dans ce petit village... C'est notre
humanité. On t’a laissé la rancune et l’hostilité en héritage. Peut-être n’as-tu pas succombé à tes blessures
ce matin-là, mais il y a irrémédiablement quelque chose qui est mort en toi.
Partout où l'on déposera des bombes, il y aura toujours un enfant...
Mélissa Gasse
ÉLISABETH GAUDREAULT
Un énorme feu ravage la ville de Londres à cet instant précis. Il dévore sans pitié les maisons une à une
obligeant la pauvre population de partir se retrouvant ainsi sans-abri. Ayant déniché sa chance dans une
boulangerie de la rue de Pudding Lane, le 2 septembre 1666, le feu ne se priva pas d’engloutir les loge-
ments de quelque 70 000 résidents qui se retrouvèrent ainsi à la rue. Involontairement, le pâtissier, déten-
teur du nom de famille Farynor, avait été très maladroit quant à l’utilisation de son four. Il ne croyait pro-
bablement pas que la cuisson d’une simple baguette de pain amènerait la disparition de la capitale de la
Grande-Bretagne. Les maisons étaient construites essentiellement de bois et les rues, quant à elles, très
étroites. Voilà pourquoi elles prirent feu rapidement sous les yeux tendres de la ville elle-même qui ne
pouvait pas réagir. Plusieurs ont sous-estimé les flammes et auraient dû agir le moment venu, mais il est
maintenant trop tard. Les bourgeois se moquaient de ce simple incendie, mais celui-ci s’est tellement pro-
pagé rapidement que les autorités n’ont rien pu faire pour sauver les maisons et les bâtiments.
Mon nom à moi est Hubert Roy, je vis sur Cheapside non loin de la cathédrale Saint-Paul et j’écris cette
lettre pour mon bien-être personnel puisqu’elle périra dans les flammes avec moi. Il ne me reste pas
moins d’une heure à vivre et je ne veux, sous aucun prétexte, me faire expulser de mon logis chéri. Toute
ma vie, j’ai vécu à Londres et je sais que c’est ici, dans ma maison de la rue Cheapside, que je vais mourir.
Je n’ai jamais eu d’enfant et de famille, mais je sais que mon réel amour est et a toujours été destiné à
cette ville superbe et incroyable. En d’autres mots, Londres est ma maison. Elle m’a offert un travail de cor-
donnier respectable, elle m’a offert de la nourriture pour que je puisse subvenir à mes besoins, elle m’a
offert un toit pour me loger et ne pas avoir froid l’hiver et, par-dessus toute espérance, m’a accueilli en son
antre dès le premier jour. Voilà pourquoi il m’est impossible de la laisser derrière. Je ne peux pas fuir
comme la plupart des Londoniens qui vont ou qui ont déjà quitté le navire à cette heure-ci, leurs bagages
en mains, avec leurs familles et leurs amis, laissant tout leur passé derrière eux. À l’extérieur de ma fe-
nêtre, j’entends les chiens et chats hurler à l’approche de leur mort qui sera causée par le feu.
C’est en ayant la fenêtre ouverte que j’écris ces lignes et je peux vous certifier qu’une forte odeur de
cendre et de brûlé flotte autour de mes narines. Cette senteur me fait peur, car elle me permet de ressen-
tir d’une manière intense la mort qui frappera bientôt à ma porte. Malgré cette angoisse, je sais que mon
L’homme de feu
L’homme de feu
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décès sera pour le mieux et n’aura pas été vain. Il me permet justement de me démontrer que je suis coura-
geux et fidèle envers ma mère la ville. Autrement, que va-t-il arriver après la fin de l’incendie? J’ai bien peur
que la ville et son nom meurent à jamais ; c’est un adieu et non un au revoir. J’irai rejoindre les pères fonda-
teurs de Londres et peut-être pourront-ils me raconter son histoire ?
De ma fenêtre, j’aperçois les flammes qui ont déjà atteint la hauteur du ciel à environ quatre maisons de chez
moi. L’odeur me brûle maintenant les narines et la chaleur devient accablante. Je sens la sueur me monter au
front et l’angoisse me monter à la tête. Peut-être n’aurais-je pas le temps de rédiger l’entièreté de ma lettre,
mais je ferai mon possible. Dans mes plus beaux souvenirs, j’imagine les rives de la Tamise, accompagnée de
son unique fraicheur, qui avait l’habile habitude d’entourer mon corps tout entier sous un magnifique cou-
cher de soleil d’été. Je me rappelle aussi l’odeur sublime du bon pain que ma mère faisait cuire dans le four
chaque semaine de ma jeunesse jusqu’à tôt précédemment. Moi et mon frère courions vers la cuisine avec
une telle excitation que le plancher tremblait. Cependant, en 1665, l’épidémie de peste, qui en avait déjà tué
plusieurs, s’en était prise violemment au corps de ma mère qui mourut le 5 mars 1665 sans crier gare. Je suis
persuadé que je vais rapidement la rejoindre au paradis et qu’elle sera fière de ce que j’aurai accompli. Pour
ce qui est de mon père, il y en a moins à dire. Il est parti ou, pour ma part, s’est sauvé de ses responsabilités
paternelles à ma naissance. Ma mère n’a jamais voulu mon montrer une seule photo de son visage puis-
qu’elle le haïssait et n’a jamais accepté un tel départ précipité. Mais elle m’a confié, un bon jour, dans ma
maison de la rue Cheapside, que mon père était un noble banquier qui ne pensait qu’au bienfait de l’argent.
J’avais aussi un frère, mais celui-ci est parti à Paris, il y a de nombreuses années, pour y faire des études en
peinture et en sculpture. Il m’a souvent envoyé des cartes postales qui racontaient son périple en France.
C’est justement dans ce pays qu’il rencontra son âme sœur avec laquelle il est encore aujourd’hui. Malgré
avoir passé l’ensemble de ma vie au même endroit, pour ma part, je n’y aurai jamais rencontré l’amour de
ma vie.
Pour le reste, je crois maintenant qu’il est venu le temps de mon départ. Le feu lèche le mur de droite et
maintenant le plafond à une vitesse vertigineuse. J’éprouve de la difficulté à respirer et mes poumons brû-
lent.
Merci Londres pour la vie extraordinaire que tu m’as offerte, je ne t’oublierai jamais. C’est pourquoi tu péris
avec moi aujourd’hui. Je suis un homme fidèle à ses convictions, à ses valeurs patriotiques et à mon nationa-
lisme. J’aurai passé la meilleure des vies en ton antre.
Sincèrement,
Hubert Roy
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
MÉDIAGRAPHIE
Sites internet :
DOS SANTOS, Gwendoline. LEWINO, Frédéric. 2 septembre 1666. Un incendie né dans une boulangerie cal-cine la quasi-totalité de Londres, [En ligne], le 9 février 2014, [http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/2-septembre-1666-un-incendie-reduit-londres-en-cendres-le-coupable-est-forcement-francais-01-09-2012-1501607_494.php] (page consultée le 10 février 2014)
HERODOTE. Londres en flammes, [En ligne], le 11 août 2014, [http://www.herodote.net/2_septembre_1666-evenement-16660902.php] (page consultée le 10 février 2014)
« La Cité de Londres en 1666 » sur le site de Wikipédia [En ligne], le 7 juillet 2007, http://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_incendie_de_Londres#mediaviewer/File:Great_fire_of_london_map-fr.jpg (page consultée le 10 février 2014)
Élisabeth Gaudreault
L’homme de feu
Le dévoilement des vérités
CHARLES ALEXANDRE GAUMOND
2050, USA, 1er janvier, 12 h 00
L’ADS (Agence des départements secrets) a terminé de régler tous les cas pour la première fois dans l’his-
toire de l’humanité. La population devenait de plus en plus en paix. De ce monde, il n’y avait plus de vio-
lence (ou presque). Les habitants avaient une routine très stricte pour le matin. Se lever, s’habiller, se bros-
ser les dents et prendre une orange.
Pourquoi une orange ? C’est très confidentiel, mais je vais vous l’expliquer. Ceci est un projet lancé par le
président en 2045. Il disait que l’orange contenait tous les bienfaits dont l’humain avait besoin pour vivre.
La vérité était que le président avait acheté toutes les plantations d’oranges du monde pour les modifier et
y insérer un produit chimique qui réduisait de 90% le taux de violence dans le corps humain. Pour sauver le
monde des nombreux dangers, les agents de l’ADS ne prenaient pas cette «orange».
1er janvier, 20 h 30
L’agence avait organisé une fête regroupant tous les agents pour célébrer l’événement. Tout se déroulait
bien et le directeur avait l’air heureux. Plus tard dans la soirée, quand c’était le moment des remercie-
ments, avant de commencer il y eut un moment de silence. C’est à cet instant que tout l’édifice a été plon-
gé dans une noirceur totale. Puis, le grand écran dans la salle où ils étaient s’alluma. Une personne avec un
masque annonça que d’ici une semaine (7 jours), il allait déclarer à la population tous les meurtres inutiles
faits par l’ADS. Quand l’écran s’éteignit, l’édifice redevint illuminé comme il l’était quelques minutes aupa-
ravant.
Les gens de L’ADS étaient tous sous le choc. Ils n’avaient pas l’intention de laisser passer une chose pa-
reille. Certaines personnes suaient, d’autres se disaient qu’ils allaient le trouver et l’enfermer en prison.
Le directeur dit à tout le monde de s’en aller chez eux pour qu’ils prennent un bon congé de repos et il gar-
da avec lui un petit groupe et leur dit qu’ils étaient les meilleurs de l’agence et qu’avec eux ils réussiraient à
trouver cette personne masquée avant la fin de la semaine qu’il leur laissait.
Ils commencèrent par le plus simple : essayer de déchiffrer d’où venait cette vidéo.
Le dévoilement des vérités
17
Évidemment, ils avaient affaire à un hacker de haut niveau. Celui-ci avait créé son propre logiciel. Il leur fau-
drait plusieurs jours à le cracker et il les mènerait peut-être à une fausse route. Ils ne pouvaient prendre le
risque pareil dans une situation de cette ampleur.
Plus tard dans leurs recherches, le téléphone de Jordan Black sonna. Sa femme qui s’inquiétait? Non! C’était
quelqu’un avec une voie brouillée qui elle aussi aurait été trop longue à décrypter. Il disait que le monde sau-
rait enfin la vérité et plein de choses du genre. Durant cet appel, le hacker du groupe d’agents a pu découvrir
les points précis d’où venait cet appel. Il le faisait passer par quatre continents, question de ne pas se faire
trouver de sitôt.
Jour 2 avant le dévoilement :
Le groupe était déjà au premier point, en Amérique du Nord en route vers la Colombie-Britannique sur une
ile très éloignée d’autres et surtout très éloignée du monde moderne. C’était Warren Island. Quand ils arrivè-
rent au point indiqué, il n’y avait qu’un terrain vert qui se perdait dans la brume au loin. Ils cherchèrent des
indices le reste de la journée, mais rien.
Jour 3 avant le dévoilement :
Leur deuxième point était au plein cœur de Brasilia, Brésil. Ils arrivèrent par avion vers 2 h 00 PM. Le temps
d’interroger les passants, quatre heures passèrent et rien de nouveau. Il leur restait un e heure pour inspec-
ter par eux-mêmes puis ils partaient pour l’Europe. Rien de suspect n’avait été aperçu dans leur dernière
heure.
Jour 4 avant le dévoilement :
Arrivé à Colobrzeg, leur point se situait directement sur une plage publique très salle et polluée. Elle était
pleine d’algues et d’insectes. Certains morts et d’autres vivants. En général, la plage la moins attirante de
toute cette journée-là, ils n’avaient rien trouvé.
Jour 5 avant le dévoilement :
Arrivée en Afrique, l’équipe essayait de voir la dernière destination positivement. Ils étaient au beau milieu
d’un désert brûlant. À quelques kilomètres de là se trouvait une mine d’or et une usine qui transformait les
minerais en lingots. Ils interrogèrent les employés, mais rien. Découragée, l’équipe se préparait à repartir
pour l’aéroport quand le téléphone portable de Jordan Black devint bizarre. Il comprit tout de suite qu’il se
faisait hacker. Sûrement par la personne qu’ils recherchaient depuis le début de la semaine. Il eut le temps
de prendre une courte vidéo de son téléphone puis de le détruire.
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Le dévoilement des vérités
Jour 6 avant le dévoilement :
Le groupe examina les vidéos demi-seconde par demi-seconde et découvrit le logo du hacker. C’était un
dessin jaune et bleu. Un peu comme le désert et le ciel. Finalement, ils remarquèrent que le dessin conti-
nuait sous terre. C’est là qu’ils comprirent tout.
Jour 7, jour du dévoilement :
Le hacker était censé dévoiler les vérités à 12 h 00 PM. Le moyen le plus tôt d’y arriver était le jet de l’ar-
mée hyperblinder. Ils avaient emmené une escouade avec eux au cas où ils le trouveraient. C’est en arri-
vant sur les lieux qu’ils se mirent tous à creuser. Quelqu’un toucha le métal. Le chef de l’escouade prit la
perceuse et fit un grand trou.
L’infiltration était de type silencieux, les agents étaient divisés en deux escouades : les éclaireurs et les dé-
fensifs. Il faisait noir. Seule, au fond de la pièce, une petite lueur floue paraissait. C’est en arrivant à la lueur
qu’ils virent que c’était l’ordinateur du hacker. Celui-ci était assis dans la chaise. On aurait pu croire que
c’était un gros pouf, mais c’était bien lui.
Il fut arrêté et interrogé. L’homme ne voulait pas dire pourquoi il allait faire ça. C’est seulement en le pre-
nant par les sentiments qu’il réagit. Il était persuadé que sa mère était morte à cause d’un des agents. C’est
quand il dit le nom que Jordan Black sut exactement de qui il parlait. Elle était un otage d’un des plus dan-
gereux criminels et fut tuée par le criminel. Sur la caméra surveillance, le hacker avait cru voir un agent de
l’ADS, ce qui n’était pas le cas ! Après avoir expliqué la situation au hacker, celui-ci se calma. Maintenant,
tout ce qu’il voulait, c’était anéantir le vrai meurtrier avec l’aide de l’ADS.
Charles Alexandre Gaumond
La chute des mondes
Voilà maintenant plusieurs décennies que les Asteraces ont maîtrisé le voyage dans l’espace. Considérant
qu’Asteracia est devenue trop encombrée par sa trop grande population et intoxiquée par la pollution, les
gouvernements de la planète ont jugé la nécessité de coloniser de nouveaux mondes. C’est ainsi que le pro-
jet Taraxacum est né. Cinquante ans après la conception du projet, des centaines de voiles solaires, des vais-
seaux spatiaux utilisant des voiles pour voyager, quittèrent la planète avec des milliers de passagers à leur
bord à la recherche d’un nouveau monde.
Heureusement pour les voyageurs, leur recherche rapporta le succès tant désiré. Un à un, tous les vaisseaux
trouvèrent une nouvelle planète et de nouvelles colonies se formèrent. Les Asteraces se sont étendus à des
milliards et des milliards de lieux, grandissant ainsi l’immense empire asterace. Un gouvernement galac-
tique, l’Union, fut formé pour réunir toutes les colonies sous un seul État. Évidemment, chaque colonie avait
son gouvernement propre pour assouvir un sentiment d’indépendance. On compta des centaines d’endroits
qui ont accueilli les Asteraces. À mesure que les vaisseaux du projet Taraxacum s’aventuraient plus loin, de
nouveaux mondes étaient découverts. Sans attendre, on forma de nouvelles expéditions. Grâce à ces coloni-
sations, Asteracia devint de nouveau vivable. L’espace gagné permit la création de nouvelles terres agri-
coles, la pollution a drastiquement diminué et les taux de naissance remontaient en flèche. Tous les objec-
tifs principaux de Taraxacum ont été complétés avec succès.
Pendant des centaines de cycles, les différents mondes vécurent en harmonie. Pour la préserver, l’Union
forma une alliance avec la Guilde, une force commerciale qui a pour objectif d’offrir les ressources indispen-
sables pour la vie asterace dans chacune des colonies en échange d’énergie, indispensable pour le maintien
de leurs activités. La Guilde assurait donc le transport de matières à bord de leurs immenses vaisseaux noirs
et jaunes. La richesse fleurissait et la vie s’améliorait sur tous les mondes. Rien ne semblait pouvoir boule-
verser cette harmonie.
Malgré les précautions et l’honnêteté de l’Union, des conflits prirent naissance entre les différentes colonies
qui concernaient l’accès aux ressources indispensables pour leur société. Par chance, la Guilde finissait par
calmer les ardeurs en transportant les produits demandés. Avec elle, cette paix fragile était maintenue, mal-
gré les hostilités entre les colonies qui ne cessaient de s’intensifier par les propos de leur gouvernement.
ALEXIS HAVARD-TRÉPANIER
LA CHUTE DES MONDES
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Puis, le malheur frappa : la Guilde s’est effondrée. Une rumeur circulait : tous ses membres seraient morts et
leurs vaisseaux disparus à cause d’un virus provenant d’un lieu qu’ils auraient découvert. L’Union forma des
expéditions de recherches pour retrouver les disparus. Il faudra attendre cinq cycles pour qu’un vaisseau de
recherche découvre les ruines d’un vaisseau jaune et noir flottant à la dérive dans un coin reculé. Les causes
de la mort des commerçants sont demeurées nébuleuses, mais cette découverte confirma l’anéantissement
de cette organisation commerciale.
L’absence de la Guilde poussa les planètes à revenir sur leurs anciennes rancunes. Sans cette force commer-
ciale, les ressources de certaines colonies se faisaient rares et les plus désespérées réclamaient de l’aide aux
colonies cousines. Plus préoccupées par leur sort, les colonies les plus aisées ignorèrent ces appels et conti-
nuèrent à vivre dans leur luxe. L’Union tenta de calmer le jeu, en vain. La situation dérapa et les colonies se
déclarèrent la guerre. Toutes voulurent s’approprier les ressources les plus indispensables : l’eau, la terre, la
nourriture, les minéraux et l’énergie. La lutte fit rage et il y eut des milliers de morts dans tous les camps. Cer-
taines colonies les plus démunies ont fini même par être anéanties. Totalement dépassé par les évènements,
le gouvernement central demeura impuissant et ne parvint pas à calmer les ardeurs des belligérants. Il tenta
de ressusciter la Guilde dans l’espoir que cela puisse régler le problème. Malheureusement, ce projet ne cal-
ma nullement les combattants, mais provoqua une méfiance des colonies à l’égard de l’Union. L’unification
du monde asterace ne tenait qu’à un fil, et les dirigeants de l’Union n’osaient pas trop s’aventurer par peur
de voir le système politique s’écrouler.
Alors que la lutte atteignait son paroxysme, un des vaisseaux d’une des colonies arriva sur Asteracia. Le capi-
taine demanda doléance à l’Union en prétextant une urgence. Le gouvernement accepta sa demande et le
capitaine raconta que sa planète a été attaquée par un vaisseau étranger en forme de tuyau et que toute la
population a été anéantie, excepté l’équipage de son vaisseau. L’Union jugea la situation grave et informa les
autres colonies de la menace qui planait. Les colonies, trop préoccupées par leur guerre, ne prirent pas ces
avertissements au sérieux et continuèrent leur guerre comme si rien n’avait changé. Puis, une après une, les
colonies furent victimes de ces attaques venues d’ailleurs. Certaines ont été détruites par ces vaisseaux en
forme de tuyau, d’autres par un énorme appareil qui aspergeait dans l’atmosphère un gaz mortellement
toxique. Au bout de quelques jours, toutes les colonies ont été anéanties. Les vaisseaux inconnus prirent
alors la route en direction d’Asteracia. L’Union envoya une force de frappe pour les anéantir, mais la mission
se solda par un échec et aucun des vaisseaux ne revint à la maison.
Comprenant que rien ne pourra empêcher la fin, l’Union ordonna l’évacuation de la population asterace vers
des lieux plus lointains. Un second Taraxacum fut élaboré en toute vitesse. Rapidement, des centaines de
voiles solaires furent construites. Contrairement aux estimations des génies militaires, les vaisseaux destruc-
teurs arrivèrent plus tôt que prévu dans leur zone. Sans attendre, des milliers d’individus furent embarqués,
même parfois contre leur gré, dans les vaisseaux d’évacuation. Tous les appareils quittèrent la planète mère
et les Asteraces demeurés sur la planète assistèrent à la destruction de leur monde par un de ces vaisseaux
en forme de tuyau. La puissance asterace et de l’Union fut sonnée. Les vestiges de cette civilisation, si puis-
sante, n’existaient plus.
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Les vaisseaux d’évacuation s’éloignèrent de leur monde à la recherche d’un endroit sécuritaire où ces vais-
seaux destructeurs d’origine inconnue ne les retrouveront pas. C'est ainsi que ces centaines d’aigrettes d’un
pissenlit voyagèrent au gré du vent, laissant derrière elles leur maison se faire arracher du sol par un tourne-
vis tenu par un ancien apiculteur qui a vendu ses dernières ruches après que plusieurs de ses petites bêtes
soient mortes sans raison. Le vieil homme, maintenant retraité, s’est mis à la tâche d’exterminer ces mau-
vaises herbes de sa pelouse qui étaient, à ses yeux, une véritable calamité.
Alexis Havard-Trépanier
La chute des mondes
Depuis sa tendre enfance, Jessica rêvait de visiter la Grèce pour pouvoir admirer l’incroyable architecture et
voir d’elle-même les endroits qu’elle n’avait vu qu’en photos dans d’innombrables bouquins. Voilà que ses
parents exauçaient son rêve le plus cher pour son dix-huitième anniversaire et, comme si ce n’était pas assez
merveilleux, elle serait accompagnée de ses trois meilleurs amis Jasmine, Sabrina et Benjamin durant les
deux semaines de vacances.
Le voyage avait été long, mais ils étaient enfin arrivés à destination. Sabrina, ne pouvant plus contenir sa joie,
se mit à chantonner une chanson qu’elle avait entendue à plusieurs reprises dans l’avion. La mélodie était si
entrainante que les trois autres embarquèrent. Ils ne se rendirent compte qu’ils chantaient à voix haute que
lorsque de nombreuses personnes applaudirent à la fin. Ensuite, un homme se dirigeait droit vers eux, il s’ap-
pelait Williams et, après s’être présenté, il s’empressa de leur donner une carte et un énorme paquet de
feuilles en leur disant :
- Nous organisons des auditions bientôt et vous êtes exactement ce qu’il nous faut!
Après de longues réflexions, le groupe était venu à la conclusion qu’il passerait l’audition uniquement pour
s’amuser.
Le lendemain, le groupe se rendit à l’endroit indiqué sur la carte d’affaire de Williams et remit le paquet de
feuilles à la réceptionniste.
- Vous êtes en avance, les auditions ne commencent que dans quatre heures.
Ils faillirent tous tomber à la renverse.
- Vous voulez dire aujourd’hui, bafouilla Jessica.
Ils s’empressèrent de reprendre un air normal.
- Alors, nous vous reverrons bientôt, lança Jessica d’un ton qui la surprit elle-même.
Une fois à l’extérieur, la panique prit le dessus.
De touristes aux Imbattables
PATTY ISABELLE JEAN-BAPTISTE
De touristes aux Imbattables
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- Qu’allons-nous faire?!?! Nous n’avons rien préparé! s’écria Jessica.
- Nous pourrions séparer les tâches pour économiser un peu plus de temps, proposa Benjamin.
Tous acquiescèrent.
- J’ai vu une boutique dans laquelle nous pourrions trouver de magnifiques costumes, s’empressa de déclarer
Sabrina.
- Et j’ai une toute nouvelle chorégraphie assez simple, ajouta Jasmine…
Quarante-cinq minutes plus tard, après panique, hystérie et réflexion, ils avaient tout ce qu’il leur fallait pour
passer l’audition. Évidement, les trois autres heures leur seront bénéfiques pour qu’ils puissent apprendre
par cœur la chanson de Jessica et la danse de Jasmine. Même si le délai était restreint, Jessica et ses amis
avaient l’habitude, dès leur jeune âge, d’apprendre des chansons et des danses pour les réaliser le soir même
afin d’animer les fêtes de famille. Donc, ils se sentaient prêts pour l’audition et le plaisir était définitivement
au rendez-vous. Et puis, qu’avaient-ils à perdre?
Il y avait des caméras et des journalistes devant toutes les entrées questionnant tous les candidats et, quand
Jasmine comprit qu’ils allaient passer à la télévision, elle commença à paniquer.
- Nous devrions renoncer avant de nous humilier devant toutes ces…
Jessica l’interrompit avant que l’angoisse ne la gagne complètement et Jasmine eut droit à un magnifique dis-
cours très émouvant dont Jessica était la seule à trouver des paroles aussi optimistes et remplies de sagesse
dans un moment si paniquant et affolant. Malgré le fait que le discours était destiné à Jasmine, toute l’équipe
devenait un peu moins nerveuse voire plus excitée. Jessica ajouta :
- Les Imbattables vont briser la baraque!
Ce n’était pas le nom le plus original, mais ils devaient trouver quelque chose dans l’immédiat et c’était tout
ce à quoi ils avaient pensé.
- Pour terminer, accueillez chaleureusement les Imbattables!!!
Sur la scène, Sabrina commença à chanter les premières notes. Dès que Benjamin prit la relève, la foule était
déchainée. On tapait des mains, on sifflait et, à la fin de la performance, ils ont eu droit à une ovation.
- Peu importe ce que décideront les juges, nous avons été exceptionnels! dit Sabrina tout essoufflée.
Ils se prirent tous dans les bras l’un l’autre et écoutèrent attentivement l’animateur.
- Les cinq équipes qui passeront à la prochaine étape sont : Les Filles Exotiques, Les Meilleurs des Meilleurs,
Les Stars dès Naissance, MDS et les Imbattables!!!
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Ils ne pouvaient pas en croire leurs oreilles, mais se rendirent néanmoins sur scène.
- Félicitations, nous vous reverrons dans deux semaines à Athènes où la vraie compétition commencera!
Merci également à tous les spectateurs et à la prochaine sur Future Super Star en Direct!
Une fois dans les coulisses, Benjamin fut le premier à réaliser l’inévitable.
- Nos parents ne nous laisseront pas rester aussi longtemps en Grèce.
Juste à ce moment-là, leurs téléphones sonnèrent. Tout ce que les parents disaient ne signifiait qu’une
chose :
- Nous allons à Athènes!
Jessica et ses amis n’avaient peut-être pas eu le temps de visiter toutes les places qu’ils avaient prévu, mais
après s’être rendus jusqu’à la finale de l’émission la plus visionnée dans le continent, plusieurs compagnies
de musique leur avaient proposé de signer des contrats. Le groupe avait finalement accepté une compagnie
très célèbre. On dirait que la chance était avec eux depuis le début du voyage en Grèce, mais jusqu’à quand…
Patty Isabelle Jean-Baptiste
De touristes aux Imbattables
Chance ou malchance, joie ou tristesse, bonheur ou malheur, espoir ou désespoir!
Faudrait-il persévérer dans cette voie? Quand va-t-il être le moment d’arrêter ce jeu de mots? Vouloir ne si-
gnifie pas toujours pouvoir. Le temps n’est pas toujours le meilleur remède contre les maux et les
souffrances. Au contraire, plus le temps passait, les heures, pour elle, équivalaient à des années, les minutes
à des heures et les secondes, elles, n’existaient même plus. Comment s’est-elle retrouvée à vivre une telle
situation?
Lutter contre ses sentiments, c’est les intensifier; les chasser, c’est leur permettre de revenir en force. Ce fut
un amour si beau, si vivant, si réel, si sincère, si sensuel, si précieux, si palpable. Un amour interdit, voué à
l’échec, mais merveilleux, envié de tous, malgré tout. L’amour se lisait dans les yeux de l’un et de l’autre. La
flamme de leur amour pouvait brûler quelqu’un. Ce fut un amour de rêve que tout un chacun devrait vivre
dans sa vie.
Malheureusement, même l’amour le plus réel se termine un jour. Elle s’est confiée à moi en me demandant
de n’en parler à personne, mais je pense que tu mérites d’être informé de ses sentiments, ses déboires afin
de mieux la comprendre. Qui sait, à la suite de cette confidence, tu pourrais l’aimer davantage ou du moins la
haïr tout aussi bien, mais je pense agir dans ses intérêts parce que tu mérites de savoir.
Pendant que toi, tu essayais, quoique difficilement, de prendre tes distances pour limiter les dégâts, elle, elle
se demandait où elle allait pouvoir puiser le courage nécessaire pour arriver à t’oublier…
La première chose qu’elle a eu à me confier est qu’elle n’a jamais cru en l’existence de ce genre d’hommes,
car elle pensait qu’ils existaient seulement dans les romans à l’eau de rose, ou dans les rêves de jeunes filles.
C’est à se demander si tu n’es pas tout droit sorti d’un roman Harlequin ou si tu n’es pas juste le fruit d’une
imagination fertile. Encore et toujours elle voulait que je la pince pour être sûre qu’elle ne rêvait pas.
Elle dit exister à travers toi et pour toi, tu fus celui qui lui apportait la paix, la joie, l’amour, l’affection, l’atten-
tion, la tendresse, tu la faisais se sentir femme. Tes petites marques d’attention n’ont point eu d’égales, tes
Confidence
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Confidence
WINNIE FRED JULIEN
mots doux lui chatouillaient l’ouïe, embellissaient et lui hydrataient le cœur, ils sortaient de ta bouche de fa-
çon si naturelle qu’on aurait dit l’eau de source sortant de terre.
Ce qui l’enchantait surtout, c’est le temps que tu investissais dans cette relation. Elle te sentait présent, ac-
cessible, disponible jusqu'à tout récemment où elle a commencé à constater une sorte de relâchement et
surtout un manque d’intérêt à lui parler. C’est donc vrai que, dans tout bon rêve, même les plus merveilleux,
il y a un moment où il faut se réveiller.
Elle dit tellement souffrir à cause des hommes qu’elle veut les fuir comme la peste. Elle répète souvent
qu’elle préfère être en peine pour quelque chose qu’elle n’a pas, au lieu de la posséder et de ne pas pouvoir
en profiter pleinement.
Elle se rappelle la dernière fois où vous vous êtes vus, tu as voulu savoir si tout allait bien et pourquoi ce si-
lence inhabituel. Surtout, ne va pas penser que le fait de se taire, de ne pas donner signe de vie veut dire
qu’elle a oublié. Elle avait tellement de choses à te dire, qu’à la fin, rien ne pouvait sortir de sa bouche. Tout
se mélangeait dans sa tête. Ses yeux avaient cette expression de deuil. Tu sais que, dans les moments de tris-
tesse, elle a beaucoup de mal à exprimer ce qu’elle ressent. Son cœur saignait au point d’avoir mal. C’est
malsain et douloureux d’aimer quelqu’un pareillement.
Elle dit que son amour va au-delà de l’imaginable, beaucoup plus qu’une personne peut l’imaginer, mais elle
a préféré souffrir de ton absence au lieu de se languir d’un appel, un message, une visite qui n’arriveront ja-
mais. Elle reste à l’affût de tout signe, toute manifestation de ta présence, mais aucun espoir, rien du tout.
Elle passe la journée à essayer d’imaginer ce que tu fais, si tu penses à elle, si tu l’aimes toujours ou si tu l’as
déjà remplacée par une autre. Oui, elle en est rendue là! Si jamais elle connaissait les raisons de ce revire-
ment…
Heureusement que tu lui as permis de se constituer tout un album de toi, c’est sa seule consolation, elle
pleure sur tes photos, les embrasse et leur parle. Celle sur laquelle tu portais le chandail jaune sur lequel
était écrit « Je t’aime » en trois langues différentes, tu pointais les trois «je t’aime» et lui souriait, ce sourire
maintenant est comme une lame de couteau de chef, c’est-à-dire très aiguisée et s’enfonçant profondément
dans son cœur déjà meurtri. Elle a même tenté une fois de se confier à l’une de tes photos, tu n’avais pas l’air
de trop comprendre non plus. Hélas, désespoir et tristesse sont donc synonymes de folie!
Certaines personnes disent que pleurer sur un amour perdu soulage le cœur et le libère, faut croire que ce
n’est pas valable pour tout le monde.
J’ai essayé de la consoler du mieux que j’ai pu, mais elle me répète que le fait de vouloir l’aider à noyer sa
peine est une perte de temps, elle affirme et y croit de toutes ses forces que les gens comme toi sont inou-
bliables et que le vide qu’ils laissent ne sera jamais comblé.
Tu m’excuseras si je me mêle de votre relation, mais je pense que tu mérites de connaitre toute la souffrance
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
qu’elle endure à cause de cette séparation. Je tenais à ce que tu saches qu’elle t’aime tellement et qu’elle est
en train de subir l’enfer à cause de ce choix.
Maintenant que tu es au courant de ses raisons, libre à toi de décider ce que tu choisis d’en faire mais, une
chose est certaine, si tu ne peux pas continuer à l’aimer, si du moins tu choisis de la détester, ou de ne plus
jamais lui parler, elle est capable de t’aimer pour deux et pour toujours.
Winnie Fred Julien
Confidence
Les yeux fermés, face à la rivière, je savoure les rayons chauds du soleil d’automne sur mon visage. Je me
sens à des années-lumière de tout, comme déconnectée de la réalité. Mes pensées défilent pêle-mêle à un
rythme effréné, mais je les laisse aller. Je crois que c’est ce dont j’ai besoin en ce moment, laisser les choses
aller pour que tout puisse reprendre son cours normal, lorsque je les rouvrirai. C’est trop pour ma tête ces
temps-ci, pour mon cœur surtout… Des pas derrière moi font craquer les feuilles mortes qui jonchent le sol.
L’odeur qui chatouille mes narines change peu à peu. À celle des feuilles sèches et de la rivière vient se mê-
ler une odeur douce de savon frais, de café puis un parfum plus soutenu, plus masculin. Les bruits de pas
s’arrêtent à côté de moi et, les yeux toujours clos, je savoure ce bouquet de fragrances.
- Philippe.
Ma voix me semble sourde. Je soulève une paupière et me tourne vers lui. Il me regarde. Il me semble diffé-
rent ces derniers jours, soudain las, fatigué. Des cernes se creusent sous ses magnifiques yeux bleu tur-
quoise. Deux cafés trônent dans ses mains, il m’en tend un.
- Deux laits un sucre.
Il s’assoit, se tourne vers la rivière et ferme les yeux à son tour.
Mon gobelet de café réchauffe mes mains que le vent de cette fin d'octobre avait quelque peu refroidies. Il
me réconforte et je sens que, sans ce petit brin de chaleur, je serais déjà partie à la dérive. Il est comme une
ancre dans la tempête que je sens sur le point d’éclater en moi. Je respire un grand coup avant de prendre la
parole.
- Philippe, qu’est-ce que tu fais ici?
- George m’a dit que tu étais assise au bord de l’eau. Il te voit de sa fenêtre. Le café aussi était son idée, il
m’a dit que ça te remonterait le moral. Il m’a aussi dit quoi mettre dedans. Probablement une de vos nom-
breuses conversations que je ne comprendrai jamais. Lui qui était si discret, si renfermé. Je ne le reconnais
plus. Il te livre tant de secrets que j’ai parfois de la difficulté à comprendre votre relation. Tu le connais de-
puis quoi, quatre, cinq mois? Moi, il ne sait toujours pas ce que je mets dans mon café, même après 34 ans.
Il connait plus de choses sur ta vie, de détails de ton quotidien, que sur le mien, son propre fils.
Le départ
21 Marie-Anne Keable
Le départ
Au début, quand il me parlait de toi, ça me faisait de la peine. Le voir si proche, si attentionné avec une in-
connue, quand il a toujours été si distant et secret avec moi.
Philippe marque une pause qui me semble durer une éternité, fixant la rivière devant lui. De légères ridules
affinent son regard, et je me doute qu’il doit aimer rire. Sa barbe est naissante, ses lèvres pulpeuses. Je ne
connais pas cet homme à côté de moi. Je l'ai croisé régulièrement, mais c’est la première fois que l’on
échange plus que des bonjours polis. Et pourtant, j’ai l’impression de le connaître par cœur. George ne fait
que parler de lui, «son fils». Comment il trouve qu’il est fort et solide dans la vie et à quel point il est fier de
lui. Il m'a conté son enfance, ses erreurs, ses errances, ses bons et ses mauvais côté, ses forces et ses vulné-
rabilités. Il m'a souvent répété qu'il se sentira toujours coupable de l’avoir abandonné petit. Il aurait tant ai-
mé avoir été présent à ses anniversaires et aux autres moments qui sont si importants pour les enfants. Il a
essayé par la suite, sans relâche, de se racheter... À travers lui, j’ai appris à connaitre Philippe et à l’aimer moi
aussi, bien malgré moi... Quand je l’ai croisé la première fois, il y a quelques semaines, j’étais troublée. Il
était un reflet de George, 30 ans plus jeune.
J’étais encore perdue dans mes pensées lorsque Philippe a repris la parole. Sa voix tremblait légèrement
cette fois.
- Nadine, en fait, je ne veux pas qu’il parte. J’ai besoin de lui, tu comprends. J’ai, aujourd’hui plus que jamais,
besoin de mon père à mes côté.
Il se tourne vers moi et, cette fois, les larmes roulent sur ses joues comme un trop-plein trop longtemps rete-
nu. Ses yeux sont rougis par la peine, par la peur. Ma main droite quitte mon gobelet de café et atterrit sur
sa cuisse. Sa main gauche se pose sur la mienne et c’est dans mes yeux que les larmes affluent, car je com-
prends pourquoi George m’a guidée ces derniers mois. Je me rends compte que les conseils qu’il m’a donnés
ne m’étaient pas seulement adressés, il parlait à Philippe à travers moi. Les obstacles qui se dressent entre le
bonheur et moi sont malheureusement les mêmes que les siens. Ce que je dois lui dire me bouleverse tout
autant, car j’ai encore de la difficulté à assimiler tous les conseils que son père m’a légués, petit à petit, au fils
de nos conversations.
- Il aimerait que tu ne refasses pas ses erreurs. Que tu te vois, tel que lui te voit, fort à travers tes faiblesses,
beau malgré toutes tes cicatrices. Que tu fonces dans la vie, tête baissée, en savourant tout ce qui passe, tes
bons comme tes mauvais coups. Que tu vives tes rêves même s’ils te semblent irréalisables et que tu ac-
ceptes que, tout ce qui compte, c’est ton bonheur, peu importe ce que les gens en pensent. Enfin, le plus
simple et pourtant le plus difficile à mes yeux, d’être heureux, tout simplement.
Nous pleurons quelques instants en silence. Lorsque je reprends la parole, c’est avec douceur.
- Tu sais, si tu veux qu’il sache ce que tu prends dans ton café, tu n’as qu’à le lui dire. Apprendre de nouvelles
choses l’un de l’autre, en emmagasiner le plus de parcelles possible avant son départ serait un beau cadeau
pour toi comme pour lui. Question d’avoir de quoi rêver durant son dernier voyage. Oui, je connais ton père
de mieux en mieux, parce que c’est un homme bon et tendre avec qui il est facile de discuter. Aussi parce
que, en le connaissant mieux, j’apprends comment rendre son voyage plus doux. En observant son regard, je
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
décèle plus facilement sa douleur, sa peur. Souvent, pour qu’il me livre ses secrets, j’ai dû lui en livrer un peu
des miens. J’ai compris qu’avec ton père, c’est donnant-donnant. Je suis infirmière depuis plusieurs années
maintenant, mais c’est la première fois que je me prends au jeu de me rapprocher au-delà de l’empathie.
Que je m’attache au point que, moi aussi, j'ai peur du vide qui suivra quand cet être unique et merveilleux
disparaitra pour toujours. C’est ce qui arrive parfois quand on côtoie la mort de près et que les barrières
tombent.
Nous restons en silence, quelques instants, nos mains toujours entremêlées.
- J’ai vécu une belle aventure avec George, elle m’habitera pour toujours. Ton père m’a fait grandir plus qu’il
ne le pense. Maintenant, c’est l’heure d’aller lui dire au revoir.
Ses doigts desserrent doucement leur étreinte, et c’est à regret et je me lève, mon heure de diner tire à sa
fin. Philippe reste assis fixant toujours la rivière devant lui. Une délicate aura l’encadre et je le trouve magni-
fique dans cette douce lumière d’automne. Je lève les yeux vers la fenêtre de George, il nous observe, proba-
blement depuis le tout début. Il hoche tendrement la tête avec son éternel sourire en coin et il me semble
entendre sa voix plutôt avec celle de Philippe lorsque celui-ci murmure…
- Merci.
Marie-Anne Keable
Le départ
Le sommeil ne viendra pas cette nuit et ce n’est pas seulement à cause de l’humidité inconfortable des draps
beiges. Non… Si je suis si agité, c’est à cause d’elle, cette sublime tentatrice qui m’obsède à m’en ramollir la
raison.
Ignorant la tourmente qui me ronge l’intérieur, Julia, mon épouse, pose une main aux ongles écarlates sur
ma cuisse et la glisse jusqu’à mon entrejambe. Ennuyé et ne partageant pas du tout le même état d’esprit, je
simule un sommeil profond poussant même l’audace jusqu’à émettre un léger ronflement. Mais je suis si
crispé, mes paupières tressautent et rendent tout subterfuge inutile. Ignorant mon manque d’enthousiasme,
Julia se colle davantage sur moi, emboîte ses longues jambes aux miennes et m’enveloppe de son indésirable
moiteur. Son souffle est saccadé dans mon cou, sa main insistante... Heureusement, ma froideur la dissuade
rapidement et elle s’éloigne de l’autre côté du lit, inassouvie.
Malgré l’obscurité de la pièce, je sens son regard d’ébène me fouiller, soupçonneux. Les ombres grises s’al-
longent autour de nous, l’atmosphère s’alourdit…
Penaud, j’enfonce ma tête dans l’oreiller. Si seulement nous étions restés chez nous!
***
C’était le lendemain de notre arrivée. Hier en fait. C’était hier…
Julia étant une lève-tard, j’avais décidé de me rendre seul au restaurant de l’hôtel. Nous étions arrivés pen-
dant la nuit et ce n’est qu’en m’installant sur la terrasse pour y déjeuner que j’avais découvert toute la ma-
gnificence du site qui nous hébergeait. Les bâtiments d’un blanc immaculé et coiffés de pignons vermillon
contrastaient sur l’azur du ciel. La végétation luxuriante me faisait penser à de gros bouquets d’émeraudes
et d’innombrables fleurs offraient, à celui qui savait en apprécier les nuances, un savoureux mélange de
pourpre et de fuchsia. Un peu plus loin, près du bar, des femmes aux rires cristallins vendaient des bijoux et
des boissons aux saveurs locales. Leur visage radieux faisait plaisir à voir et la journée s’annonçait plaisante,
chaude et ensoleillée. Ce décor riche en couleurs flattait mes pupilles et me rendait heureux.
Je venais à peine de tremper mes lèvres dans mon café deux crèmes lorsque mon attention avait été attirée
par un éclat de couleur derrière les femmes près du bar. Une robe à la teinte particulière, unique, que mon
LINE LÉCUYER
Le joyau
22 Le joyau
œil de peintre aurait captée n’importe où. Cette nuance qui avait toujours fasciné l’artiste en moi de par sa
difficulté à reproduire…
Incapable de résister au désir de l’admirer de plus près, je m’étais mis en marche, affectant une nonchalance
que j’étais loin de ressentir. En réalité, j’étais fébrile, comme chaque fois que je flairais un bon sujet. Et je
l’avais trouvée... À demi dissimulée derrière la végétation, elle se déhanchait au rythme d’une musique
qu’elle seule semblait entendre. Sa robe était magnifique et, bien que ce soit l’une des plus belles créations
que j’aie vues, rien ne pouvait rivaliser avec la fougue de celle qui l’habitait!
J’étais resté de longues minutes à la dévorer des yeux, bien à l’abri derrière un arbre, me réjouissant en si-
lence d’un tel spectacle. Scintillant sous le soleil comme le plus beau des joyaux, sa robe ondoyait au rythme
de chacun de ses mouvements et inondait mon iris d’un subtil jeu d’ombre et de lumière. Son déhanche-
ment, empreint d’une sensualité à la limite du respectable, me semblait une invitation à la rejoindre et ja-
mais mes pinceaux ne m’avaient autant manqués!
Elle était la volupté incarnée.
Je tentais d’immortaliser cette scène dans ma mémoire lorsque deux hommes étaient apparus de nulle part
et s’en était approché d’une démarche qui n’augurait rien de bon. L’un des deux, un bedonnant poilu à la
peau rougie par le soleil, l’avait abordée sans gêne tandis que l’autre, un grand blond aux cheveux filasse,
était demeuré en retrait à scruter les alentours. Puis, semblant rassuré, ce dernier avait enlevé son short et
rejoint son comparse d’un pas de fauve. Sous mes yeux incrédules, ils s’étaient unis tous les trois, sans au-
cune pudeur. Elle s’était offerte sans retenue à l’un, puis à l’autre, accordant sans hésiter son déhanchement
à celui des deux individus. Puis, d’autres personnes étaient apparues et s’étaient greffées au trio, me plon-
geant dans un tourbillon d’émotions aussi ambigües les unes que les autres. Pendant presqu’une heure
j’avais assisté à cette parade de peaux nues, à la fois choqué et excité face à ce déploiement de plaisirs au
grand air.
Partagé entre la fascination et le dégoût, je m’étais ensuite précipité à l’hôtel l’esprit en proie à une grande
tourmente. Et c’est là, dans la grisaille de notre chambre, que j’avais tenté d’oublier ce dont je venais d’être
témoin.
En vain…
***
Cinq heures du matin.
La chaleur de la chambre s’est intensifiée et les battements de mon cœur font écho au cadran. Je fixe sans
les voir les ombres du plafond, mes pensées toujours tournées vers ce bar et ce que j’y ai vu.
Mortifié, je me retourne sur le côté pour faire face au mur et contemple le papier peint d’un œil morne. Au
fond de moi, quelque chose d’insoupçonné a germé... Le désir fou de me joindre à eux. Comment peut-on
être à la fois dégoûté et obsédé par une chose à ce point? Et alors que je crois que la situation ne peut être
pire, la main chaude de Julia remonte à nouveau le long de ma cuisse…
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Six heures quarante…
Sans faire de bruit, je me lève, m’habille et sors de la chambre. Je me dirige lentement vers le restaurant et
m’assois à la même table qu’hier. Je commande un café et des crêpes, mais le cœur n’y est pas. Le décor qui
m’avait tant enchanté la veille me laisse indifférent. Tout est fade, comme si un filtre s’était posé sur mes
pupilles durant la nuit.
J’absorbe mon café à petites gorgées, tentant d’ignorer ce qui se passe derrière le bar un peu plus loin, mais
c’est peine perdue. J’ai tellement envie de la revoir! Incapable de refouler mon désir fulgurant, je capitule et
abandonne mes crêpes sans remords afin de la rejoindre. Ma déesse… En seulement quelques minutes, je
retrouve mon poste d’observation de la veille et, dès que mon regard s’y pose, le filtre sur mes pupilles s’es-
tompe. La vie reprend une teinte normale.
Elle est si belle! J’ai l’impression de revivre!
Mais, déjà, quelqu’un approche… Une silhouette filiforme, d’une blancheur à faire peur. Un peu contrarié, je
décide d’ignorer le corps qui se dénude et focalise sur mon joyau, laissant mon regard s’attarder avec ravisse-
ment sur mon envoutante obsession. Encore une fois, je me laisse enivrer par sa danse et sa façon de bou-
ger… Jusqu’à ce que l’intrus s’avance, prêt à s’unir à elle, me laissant pantois de jalousie.
Irrité, j’observe d’un œil mauvais les longues jambes de l’inconnu et ses hanches étroites. Il a une tache de
naissance en forme de virgule sur l’épaule gauche. Je sursaute en réalisant mon erreur. Ce n’est pas un
homme! C’est ma Julia!
Sans réfléchir, je sors de ma cachette et l’interpelle bêtement. Alors que je crois voir la gêne se peindre sur
son visage, elle me surprend par un sourire et m’invite à les rejoindre d’un mouvement du menton!
Stupéfait, je ne sais quoi penser. Cette situation est déroutante…
Mon regard va de gauche à droite, inspectant les alentours comme l’homme aux cheveux filasse l’avait fait la
veille et un combat intérieur s’enclenche. De courte durée.
Conscient que, d’ici quelques minutes, cette plage réservée aux naturistes sera bondée, j’enlève vivement
mon short et cours retrouver Julia. Complètement nus, nous avançons vers cette sublime création de Dieu,
souillant avec un certain embarras ce joyau à l’incomparable robe turquoise, la mer des Caraïbes.
Line Lécuyer
Le joyau
Vous pensiez que j’allais parler de l’année 1967? Je préfère d’emblée vous confirmer que c’est bien
du chiffre 67 dont il est question. Pour plusieurs, 67 évoque les paroles d’une chanson populaire de Beau
Dommage : « En ‘67 tout était beau! C’était l’année de l’amour, c’était l’année de l’Expo…». En ce qui me
concerne, le chiffre 67 représente plutôt un mystère à élucider. Avant de juger si je suis un drôle de numéro,
voici mon histoire.
Je suis né le 6e jour du 7e mois, de l’année 1967. Heure de naissance : 6 h 07 du matin. Mes fiers pa-
rents, bien qu’empressés d’annoncer à leur entourage la bonne nouvelle, admettent également l’étrangeté
du fait que leur fils soit né entouré de ces deux chiffres, soit le 6 et le 7, et toujours dans le même ordre. Par
chance, il n’y a pas 67 heures dans une journée ou 67 minutes dans une heure car je serais LA personne ve-
nue au monde exactement à ce moment-là! 67 avait choisi sa victime. Non, je ne suis pas devenu un mé-
dium ou un astrologue qui cherche le 67 partout dans le ciel, les astres, les cartes ou dans les signes chinois
et je ne crois pas plus aux prophéties. Le 67 se charge de révéler sa présence, quotidiennement, de façon
bien autonome. Il me traque, me prend en filature, me fait penser que je vais devenir fou ou que je vais
mourir et il me fait même questionner tout ce que j’entreprends. Je dois l’avouer, parfois, il me fait presque
croire qu’une chose extraordinaire va m’arriver! Je vous rassure encore, j’ai toute ma tête. Je suis né dans
une famille normale et, même si je voulais vous raconter tout ce qui s’est déroulé entre le jour où j’ai appris à
parler et le moment où j’ai finalement pris conscience que 67 faisait partie de ma vie, ma mémoire en a mal-
heureusement décidé autrement… Voici d’où part, approximativement, l’énigme que j’aimerais tant éluci-
der.
Vers 6 ou 7 ans, mes parents m’ont inscrit dans une équipe de soccer. Cette année-là, j’ai réalisé que
quelque chose se passait. Le coach avait pris soin d’aviser mes parents qu’avec mon petit corps frêle, je
n’irais pas loin dans ce sport. Ils l’ont cru jusqu’à ce qu’il me remette ce que tout jeune attend : son chandail
de l’équipe avec, l’espère-t-il, son chiffre préféré ou celui de son idole du moment. Je ne m’y connaissais pas
assez en soccer pour avoir des idoles. N’empêche, j’avais un chiffre préféré, le #1, et je le voulais à tout prix!
J’attendais patiemment mon tour. Enfin, le coach m’appelle puis je vois le chandail sortir tranquillement de
67 ET MOI
23 NANCY MORIN
67 et moi
la boîte derrière lui. Ça y est! MON numéro est LE… 67? Quoi? Depuis quand y a-t-il des numéros si élevés
sur les chandails? Courageusement, je m’approche du coach : « Puis-je avoir le numéro 1?» « Voyons, le nu-
méro 1, c’est pour les meilleurs. Tu verras, le 67 te portera chance!» Grrrr je hais le 67. Les 6 ou 7 années
suivantes à jouer au soccer me prouveront (et au coach aussi) que 67 était le bon numéro. Tellement que,
lorsque je passais d’un niveau inférieur à un niveau supérieur, 67 demeurait disponible. On me le réservait.
J’étais devenu le meilleur compteur dans les pires équipes de la ligue! J’y mettais tout mon cœur! Aucune-
ment superstitieux, si je me comparais aux autres joueurs, mais 67 devait être dans mon dos, sur mon chan-
dail, pour me supporter.
Je vous épargne mon adolescence un peu rock n’roll pour nous diriger à la période où 67 a décidé de
se faire plus insistant. À peine à l’âge adulte, ayant constaté qu’il ne lâcherait pas prise si facilement, j’ai con-
sidéré que c’était peut-être un « signe ». Que voulait-il me faire comprendre? J’ai quitté le domicile familial
le jour où l’on m’a dit « Tu es un adulte maintenant, tu dois prouver ce dont tu es capable »! Notre premier
enfant allait naître peu après alors voilà l’occasion de le démontrer. Le premier numéro de téléphone que
l’on m’attribue se termine inévitablement par 67. Le 2e appartement, parfait pour notre famille grandis-
sante, est situé au 67 de la 67e Avenue! En êtes-vous surpris? Comme c’était près de l’ancien domicile, je
dois conserver le numéro de téléphone se terminant par 67. Bon ou mauvais présage? Va savoir! J’avoue
que là, j’ai spéculé sur les raisons derrière ces signes. Était-ce un lieu qui m’assurerait du bonheur ou le plus
grand des malheurs? Il y aura des deux au fil des années passées à cette adresse.
Pendant cette période, j’ai obtenu l’emploi qui deviendrait le point tournant de ma carrière. Je me
souviens du premier jour. Nous étions tous fébriles à l’idée de recevoir notre numéro d’employé, celui nous
liant à l’entreprise pour laquelle nous espérions passer les prochaines 20 à 30 années de notre vie! Je ne fus
donc pas surpris qu’il se termine par le chiffre 67. Sur les milliers de possibilités (numéros d’employés à 6
chiffres), il a trouvé le moyen de se faufiler. Dans l’emploi précédent, mon numéro d’employé commençait
par ce fichu 67. Pourquoi lui encore dans un moment aussi intense et joyeux? Je me posais de plus en plus
de questions en voyant le 67 s’exposer dans de si nombreuses situations inattendues.
Curieusement, ma relation avec 67 est restée secrète fort longtemps. Par crainte qu’on me juge,
qu’on rie de moi ou pire encore, qu’on détruise ce qu’il y avait entre lui et moi? La dévoiler risquait-il de me
nuire, de fissurer ce dôme qu’il avait bâti autour de ma personne? Et si 67 existait pour me protéger? Il était
devenu une caractéristique de ma personnalité, l’ami imaginaire un peu épeurant mais parfois sécurisant.
Malgré moi, il devenait subtilement l’acteur ayant le premier rôle dans ma vie. Le pire souvenir fut mon pre-
mier voyage de couple sans nos enfants. J’avais tout préparé pour surprendre ma femme. Enfin seuls pour
retrouver notre amour d’antan… Tout s’annonçait à merveille jusqu’à ce que l’agent de voyage me remette
les billets d’avion. Numéro de vol : 6767. Là, j’ai paniqué. Avec ce qui se passait dans le monde, l’attentat de
2001, les alertes à la bombe, j’étais à l’aube du désespoir. Je comprenais enfin les signes! J’allais mourir
dans un écrasement d’avion, avec la mère de mes enfants qui seraient désormais orphelins. C’est alors que
j’ai décidé d’en parler à ma femme. Ma crainte était fondée, elle a ri de moi… aux larmes! « Voyons mon
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
amour, c’est de la folie, ton histoire de 67! C’est juste un hasard. Tu ne vas quand même pas ruiner nos va-
cances pour cette histoire ridicule? » Je l’ai pris ce fichu vol… Avec des pilules pour dormir et beaucoup d’al-
cool pour ne rien sentir lorsque je mourrais en me rendant à cette MAUDITE destination! Rien de drama-
tique n’est arrivé. Sauf pour moi. Le 67 s’est dit qu’il serait davantage présent dans ma vie, puisque son zèle
semblait avoir un si grand impact sur mes émotions! Au lieu d’une fois par jour, il s’est mis à s’exhiber dans
toutes les occasions. Sur le manteau du client devant moi, sur ma facture d’épicerie à 67 dollars piles (67,00$
ça n’arrive jamais) et, comme c’est si rare, la caissière me suggère de prendre un billet de loterie! Gros lot :
67 millions... Oui. Ça me laisse complètement indifférent, si vous voulez mon avis. Rendu où j’en suis… Devi-
nez quand sera le tirage? Demain, jour de ma fête.
Mon nom est Émile, j’ai 66 ans et demain j’en aurai 67, le 6e jour du 7e mois, dès 6 h 07 du matin. 67 aura-t-il
eu raison de moi? Les signes, l’énigme, le mystère sont-ils que 67 représente le jour et l’heure de ma mort?
Qui vivra verra, j’imagine…
Nancy Morin
67 et moi
Ma fin de semaine d’enfer
24
1. Le tournoi
Bonjour! Je me nomme Guillaume et j'ai 7 ans et 3/4. Bref, disons que je suis le plus petit de ma famille. Tout
le monde est plus grand que moi comme par exemple, mon père, 47 ans, ma mère, 45 ans, mon frère 13 ans
et finalement ma sœur, 15 ans. Elle passe ses journées sur son téléphone à envoyer des tonnes de messages
à ses amies. Mon frère, lui, passe ses journées à jouer au base-ball avec ses amis donc, moi, je me retrouve
tout seul car mes amis vont tous au camp de jour. Ce n'est pas toujours facile d'être le plus jeune d'une fa-
mille. Comme par exemple, en fin de semaine, j'étais complètement épuisé! Attendez, je vais tout vous ra-
conter…
Aujourd'hui, en ce samedi 25 juin ensoleillé, c'est la journée du tournoi de base-ball de mon frère Mathieu et
je suis obligé d'y aller. C'est vraiment poche! C'est maintenant l'heure du départ quand soudain un cri reten-
tit à l'étage supérieur. Je me dépêche de m'y rendre pour pouvoir analyser la situation. Mon frère est rouge
de colère car il ne trouve pas son équipement de base-ball. Moi je sais qui est derrière tout ça: Cookie, mon
chien! C'est la seule personne ou plutôt le seul animal qui me comprend et que je sais que je peux lui faire
confiance. Il a remarqué que je ne voulais pas aller au tournoi donc, il a caché l'équipement de base-ball de
mon frère. Tout un coquin, ce Cookie! Je sais où il se cache. Au sous-sol, ma plus grande peur! C'est un en-
droit sombre où l'on range toute sorte de choses. Par contre, je ne peux pas empêcher mon frère de partici-
per à son tournoi, car je sais que ça compte vraiment pour lui. Je vais donc prendre mon courage à deux
mains et je vais surmonter ma peur du sous-sol. Je m'approche de la porte, je tends la main avec difficulté. La
main tremblante, j’agrippe la poignée et la tourne. Enfin! J'ai réussi à ouvrir la porte comme un vrai cham-
pion! Il fait vraiment noir là-dedans, je ne vois absolument rien. Soudain, j’entends du bruit venant du fond
de la grande pièce. Oh non! C'est sûrement un méchant monstre mangeur de cervelles de petits garçons
comme moi! Fiou! Heureusement ce n'était que Cookie. J'ai failli mourir d'une crise cardiaque. J'ouvre enfin
la lumière. Wow! Il y a plein de belles choses ici. Je dois venir dans cet endroit beaucoup plus souvent. Je vi-
site les alentours, je croyais me perdre tellement que c'est grand. Tout à coup, plus loin, j'aperçois l'équipe-
ment que je cherchais. Je me dépêche de le prendre et de l'apporter à mon frère. Je lui ai tout raconté que
c'était le chien qui l'avait caché mais, comme d'habitude, il ne me croit pas et il est en colère contre moi car il
est convaincu que c'est moi qui l'ai caché. Par contre, il était vraiment soulagé. On a enfin pu partir à son
Ma fin de semaine d’enfer
ZACHARY MORIN
tournoi. Mathieu a tellement hâte et il est convaincu de gagner. En chemin, tout allait bien jusqu'à temps
qu'on tombe sur un immense trafic. Heureusement que mon père connaît un autre chemin par lequel on
peut passer car sinon c'est assuré qu'on va être en retard. On a pu éviter le bouchon de circulation et arriver
à temps pour le fameux tournoi. Cool, le frère d'un des gars dans l'équipe de mon frère est là. C'est un de
mes amis. Il amène toujours son ballon et on joue au soccer pendant toute la partie de Mathieu. Aujourd'hui,
il a eu un nouveau ballon. Il est super cool! Il est orange fluo et noir. On a joué tout le long du tournoi pen-
dant que mes parents encourageaient l'équipe.
2. L'accident
Le tournoi est enfin terminé et c'est l'heure de retourner à la maison. Heureusement, cette fois il n'y a pas de
trafic sur la route. Oups! J'ai parlé un peu trop vite, un gros bouchon de circulation se dresse devant nous et
cette fois, il n'y a aucune issue. Nous sommes pris au piège! Soudain, tout s'arrête d'un coup, on freine sec
quand tout à coup… BOOM! Une voiture nous percute de plein fouet! Mon père est en colère. Il est sorti de-
hors pour constater les dégâts sur notre ERI (engin, roulant, identifié), c'est ma propre invention. Notre ERI
est tout démoli. Mon père part pour aller parler au monsieur dans l'autre voiture. En arrivant, mon père a pu
constater que l'homme est inconscient. Heureusement que mon père a toujours son cellulaire avec lui, il a
donc pu appeler les services d'urgences de la ville. Moins de cinq minutes plus tard, ils arrivèrent. Le pauvre
monsieur est parti à l’hôpital en ambulance...Chanceux! J'ai toujours rêvé de faire un tour en ambulance. Par
la suite, on était pris au garage pendant une éternité avec rien à faire. J'ai vraiment hâte de retourner à la
maison. Au moins, ils nous ont prêté une autre voiture, en attendant que l'autre soit réparée...ils auraient pu
nous la prêter plus tôt!
3. Le «tsunami»
Enfin de retour à la maison! Après cette journée épuisante, j'ai vraiment soif, je me dirige donc vers la salle
de bain, car le lavabo de la cuisine est trop haut pour moi et ma mère ne veut pas que je prenne les bou-
teilles d'eau car je les gaspille. Lorsque j'ai ouvert la porte, une quantité incroyable d'eau s'en échappa. Le
bain est bouché et le robinet ouvert donc plein d'eau s'accumula et coula. Soudain, je me suis mis à crier: Pa-
pa! Maman! Au secours il y a un tsunami dans la maison! Mes parents sont venus en courant tout en se de-
mandant: un tsunami?!? Bien sûr, ils se sont mis à crier lorsqu'ils ont vu toute l'eau. C'est la catastrophe!
Heureusement que mon père est un grand génie. Il a eu la superbe idée de mettre en place des planches de
bois pour empêcher l'eau de se propager ailleurs dans la maison mais avant, il a bien sûr commencé par fer-
mer le robinet! Ensuite, on a dû tout éponger le lac afin de retrouver le plancher. Pendant deux heures, nous
avons dû éponger. J'ai aidé mes parents pour pouvoir finir plus rapidement. Ensuite, mon père a débouché le
drain du bain et, maintenant, tout va beaucoup mieux.
4. Le souper
Ma mère a enfin préparé le souper. C'est du poulet mais, pendant que je m'amusais, que Mathieu était de-
hors avec ses amis, que ma sœur textait avec ses amies, comme d'habitude, et que mon père était à l'ordina-
teur, on a tous entendu l'alarme de feu sonner. Le poulet a totalement pris feu. Du bon poulet brûlé pour
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
souper! Mes parents étaient complètement découragés alors ils ont décidé de commander de la bonne pizza
afin de remplacer le poulet. De plus, la pizza est mon repas favori. On a dû attendre plus d'une heure avant
que le livreur arrive. Enfin! Elle est arrivée! Le jeune homme n'arrêtait pas de donner plein d'excuses pour
nous faire oublier son retard. Rendu à la table, je croquai très fort dans ma pizza mais elle est rendue toute
froide, sèche et dure. J'ai quasiment l'impression de croquer dans un pop sicle. J'aimerais mieux manger le
poulet brûlé de ma mère. Avec un peu de force, j'ai fini par réussir à manger ma pointe de pizza.
5. La panne
Pour finir cette journée bizarre, mon père a décidé de partir un bon film drôle de mon acteur préféré. Tout à
coup...ZOOP! Plus d'électricité. Mon dieu que j'ai hâte d'aller me coucher pour que demain soit une meilleure
journée. Malheureusement, aujourd'hui est une soirée froide, donc pendant la nuit, je portais un pyjama,
une veste, une robe de chambre, deux couvertes et, pourtant, j'avais encore froid. J'aurais bien aimé avoir un
foyer, mais j'ai quand même réussi à trouver le sommeil après des heures et des heures à tourner en rond
dans mon lit!
6. Le rêve
Toute la nuit, j'ai fait plein de cauchemars de ma terrible journée. Dans l'un deux, il y avait une grosse tor-
nade qui soufflait tellement fort que toutes les maisons et les arbres s'envolaient. Tout à coup, je me suis ré-
veillé en sursaut après avoir entendu un gros boom suivi du hurlement de mon voisin en colère! Je me suis
précipité vers la fenêtre pour constater que l'arbre de mon voisin est tombé sur sa belle voiture toute neuve.
Je me suis dépêché d'avertir mes parents, mais ils étaient déjà dehors en train d'aider notre voisin.
Mon père a appelé SGD (Secours, Gros, Dégâts). Plus tard, ils sont arrivés avec une sorte de grue bizarre. En
plus, elle est rose et mauve. Ils ont finalement soulevé l'arbre pendant que Martin, notre voisin, contactait
ses assurances. Plus tard, la remorqueuse arriva et au même moment je remarquai qu'il y a une cinquantaine
de personnes autour de nous. La plupart sont mes amis que j'ai appelés qui sont venus observer la scène
avec curiosité. Enfin, cette histoire de rêve exagéré qui s'est transformée en réalité est terminée! Je rentre
enfin dans la maison après avoir dit au revoir à tous mes amis. Pour le déjeuner, j’envisageais me faire une
«toast», mais l'électricité n'est toujours pas revenue. Alors, je me suis donc préparé un bol de céréales.
7. Le centre commercial
À chaque fin de semaine, mon père organise un concours de jeu de sport sur notre nouvelle «kinect». Étant
donné qu'il n'y a pas d'électricité, on doit se trouver autres choses à faire. Mon père nous a donc proposé
d'aller faire un tour au centre commercial. En arrivant là-bas, nous sommes allés à mon magasin de sport fa-
vori. Avant d'entrer, l'alarme s'est mise à hurler au moment où un grand monsieur chauve aux yeux bleus est
sorti, à la main un grand sac rempli d'articles de ce magasin. Il est sorti en courant et, derrière lui, un employé
appelait à l'aide. Un homme plus loin a réussi à intercepter le voleur chauve. Ils ont ensuite contacté la po-
lice. Cet homme a essayé de s'emparer du nouveau soulier orange de la grande marque SuperSport que je
désirais m'acheter en venant ici aujourd'hui. Ils sont d'un orange éclatant rayé de lignes noires. Tout le
monde les veut. Par contre, ils sont très chers. En arrivant dans le coin de la boutique où les souliers sont
Ma fin de semaine d’enfer
rangés, je les cherche partout, mais je n'en trouve aucune paire. Mon père m'a donc proposé de demander à
un vendeur s'il en reste dans ma grandeur dans l'arrière-boutique. Après avoir demandé au vendeur, je le
vois maintenant revenir bredouille. Catastrophe! Cela veut donc dire qu'il n'y a plus aucune paire de ma
taille. On va maintenant tenter notre chance dans d'autres boutiques.
8. Le repas
C'est maintenant l'heure du dîner. Nous sommes allés dans le grand «coin resto» du centre commercial.
Comme je suis amateur de nourriture thaï, je me suis automatiquement dirigé vers le restaurant thaï du coin.
En commandant, je précisai que je voulais de la sauce douce, car je ne suis pas un amateur de sauce pi-
quante. Mon repas est enfin prêt et, comme je suis affamé, je me suis dépêché de prendre la plus grande des
bouchées que l'on arrive à s'imaginer. AH!!! Ça brûle! Le monsieur a dû mettre de la sauce piquante plus ta-
basco*. De plus, je n'ai rien à boire pour arrêter la brûlure. Je me suis immédiatement dirigé vers les salles de
bain en courant pour aller boire de l'eau. Tellement que je suis pressé, j'ai foncé dans un homme tout en ren-
versant son dîner qu'il venait tout juste d'acheter. Mais je n'ai pas le temps de m'excuser! Je poursuis donc
ma route vers la salle de bain. En entrant dans les toilettes, j'étais tellement pressé que je n'avais même pas
remarqué que le plancher venait tout juste d'être nettoyé. Je me suis donc mis à glisser dans tous les sens
pour finir contre le sol. Bang! Je ne suis plus capable de me relever.
Au même moment, ma mère est entrée avec un grand verre d’eau à la main et je me suis tout de suite dépê-
ché de boire. Enfin! Ça ne brûle plus. Ma mère m'a dit de ne pas bouger et de rester calme. Elle a ensuite ap-
pelé le «911»! Plus tard, des ambulanciers sont arrivés et ils m'ont emmené en civière. C'est super, j'ai pu
faire un tour en ambulance. À mon arrivée à l'hôpital, les ambulanciers m'ont transporté dans une salle d'hô-
pital. Ils m'ont ensuite fait faire pleins de tests. Je ne comprenais pas ce qui se passait jusqu'au moment où ils
m'annoncèrent que j'avais fait une commotion cérébrale en tombant sur la tête au restaurant. Ensuite, je
suis retourné chez moi avec mes parents. C’est pourri, mes parents m'ont obligé d'aller me coucher. Un peu
plus tard, j'étais bien reposé et c'était l'heure du souper. J'avais un peu peur de manger pour ne pas me brû-
ler à nouveau. Finalement, le souper était parfait. Au moment où j'allais me coucher pour la nuit, ma mère
est venue m'annoncer que je n'irai pas à l'école pour la semaine car je devrai me reposer. Oh non! Que va-t-il
m'arriver encore cette semaine?
Zackary Morin
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Non, c'est insensé! Pincez-moi que je me réveille! Moi, la battante!
Isabelle revoit les dernières heures écoulées. Elle qui était blottie confortablement dans son divan en train de
revoir ses émissions préférées. Je dois vraiment ralentir mon entraînement, se dit-elle. Ouf, mes cuisses me
font souffrir! La physiothérapeute m'a dit de me passer un rouleau de pâtisserie sur les jambes pour masser
et aider la douleur musculaire. Son truc ne fonctionne pas. Mais que se passe-t-il enfin? J'ai vraiment très mal
à mes cuisses. Me lever devient une chose assez ardue. Je dois tout de même aller porter mon assiette sur le
comptoir. Oh et puis tantôt! Vive le plancher qui, temporairement, me sert de table et de comptoir. Je ra-
masserai plus tard, quand ça ira mieux...
Aie, ma tête, mais qu'est-ce qui se passe? Elle va exploser. Non, ce n'est pas normal. J'ai mal. Dites-leur que
j'ai mal. Qu'ils arrêtent ce mal!
L'infirmière entre dans ma chambre et vient prendre mes signes vitaux. J'ai chaud et ça ne va pas du tout.
Mes jambes sont vraiment lourdes. Me lever, je n'y pense même pas. Ils se parlent, mais je n'entends pas
très bien. Quoi? Parlez plus fort enfin! Arrêtez de chuchoter, je n'y comprends rien. Je suis quand même ras-
surée que ma cousine médecin m'accompagne. Elle n'a pas hésité une seconde quand elle m'a vu arriver hier
à sa clinique en taxi et que j’avais de la difficulté à sortir de la voiture et à me déplacer. Quelques heures plus
tard, je suis alitée à l’hôpital. On me pose toutes sortes de questions. Avez-vous voyagé à l'extérieur du pays
récemment? Un voyage dans le sud tout compris, est-ce que ça compte? Avez-vous eu des relations sexuelles
non protégées? J'ai eu en effet du plaisir avec le sexe opposé, mais je suis une bonne fille et, oui, je me pro-
tège. Consommez-vous des drogues? Non, pour qui me prenez-vous? Je mange bien. Je fais du sport. J'ai un
travail. Mais pourquoi toutes ces questions? Avez-vous été mordue par un animal? Non! Arrêtez toutes ces
questions. Soignez-moi à la place! J'ai peur. Ça l'air vraiment sérieux. Non, je n'ai rien fait de particulier. Une
vie normale! Je suis une personne ordinaire qui est douce, généreuse, souriante. Je vous le jure!
L’épreuve
CHANTAL PEPIN
L’épreuve
25
Quoi? Qui est là? Que dites-vous? Je veux savoir.
Enfin, des membres de ma famille que je reconnais. Mes yeux s'emplissent de larmes. Mes sœurs, comme je
vous aime. Je n'entends plus très bien. J'ai tellement mal à la tête. J'ai chaud. Mais pourquoi ces tenues? On
m'a transférée de chambre. Je suis en isolation totale. Chaque personne qui entre dans ma chambre doit
mettre une jaquette, un masque, des gants et des pantoufles. Je suis condamnée. Mais pourquoi moi? On me
punit mais pour quelle raison? Je ne mène pas assez une bonne vie. J’aimerais voir mes parents, mais ils sont
à l'extérieur de la ville. Je n'arrive plus à me lever pour aller aux toilettes. J'ai peur! Moi la fille active qui s'en-
traîne, qui aime la vie, qui est policière. Ça y est. C'est un complot! On essaie de me faire du tort. Qui ai -je
arrêté ces derniers jours? A-t-on mis un truc dans ma nourriture? Quelqu'un est venu m'injecter du poison
pendant mon sommeil. Qui m'en veut?
Non, je ne veux pas!
Mais arrêtez de m'injecter ces liquides. Vous ne m'aidez pas. Ce n'est pas normal, mon corps ne répond plus.
Je ne peux plus bouger. Parlez plus fort, je n'entends plus. Qui est là? Je ne vois plus très bien. Ma vision se
trouble. Baissez le chauffage. J'ai chaud! J'ai mal. Ma bouche ne répond plus. Que faites -vous? Pourquoi ce
tuyau dans mon ventre? Non, je veux continuer de vivre. Je veux manger comme tout le monde. Je veux crier
et me sauver de cette chambre. Mais ma voix ne sort plus. Ma respiration est lente et pénible. Non, arrêtez!
Maman, papa, enfin!
Non, ne pleure pas, maman! Ta voix est si douce à mes oreilles. Je me revois encore une enfant et tout
l'amour donné. Quel formidable souvenir. Ma jeunesse était parfaite. Papa pleure aussi! Arrêtez, vous êtes
censés me réconforter. Dites-moi que c’est un mauvais rêve! Que je ne suis pas réellement prisonnière de
mon corps. Je veux me lever et quitter cet horrible endroit qui sent la mort...
C'est la nuit qu'ils viennent me visiter...
Ils parlent de moi. Je les vois comploter dans mon dos. Je le sais, moi la détective, la policière, l'investigatrice.
C'est mon travail! Mais je suis leur cobaye. Leur rat de laboratoire! Pourquoi personne ne m'écoute? Je ne
peux plus me défendre. Je ne peux plus transmettre mes observations.
Ça y est, c'est la fin!
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Je suis en phase terminale. Mon cas est sérieux. Tout mon corps ne répond plus, sauf ma tête. Et cette tête
me fait tellement souffrir que j'aimerais qu'on me l'arrache. J'ai quelque chose dans la bouche, c'est inconfor-
table. Ils parlent d'un tube. Je ne vois plus. Mes paupières ne se ferment plus et je vois embrouillé et double.
Je suis affreuse. Alitée dans ce lit depuis trois semaines, les cheveux gras et mêlés, les poils qui repoussent,
les yeux croches, un masque dans le visage, branchée de partout. Encore ce poison dans les veines! Je ne
peux même pas riposter. Ils me piquent. Ce qu'ils me font ne m'aide pas du tout. Depuis que je suis arrivée,
mon cas empire. C'est à cause d'eux. Je les vois la nuit. Ils arrivent masqués et sur emballés pour ne pas se
contaminer eux-mêmes avec leur poison. C'est ça! Ils mettent des gants, des vêtements protecteurs, des
masques. Pas question d'être en contact avec le cobaye...
Ah non, ma famille aussi fait partie de leur clan!
Mes proches aussi portent ces tenues. Sont-ils rendus leurs complices? Non, je ne peux y croire. Je me con-
vaincs du contraire. J'hallucine. C'est ma famille et elle m'aime. J'ai confiance en eux. Aidez-moi! J'ai telle-
ment peur. Restez avec moi, s'il vous plait. C'est tellement long sans vous. Ces heures qui se transforment en
journées. Ces minutes qui n'en finissent plus. Ce tic tac qui m'angoisse...
Des médecins, tous plus spécialisés les uns que les autres, viennent me voir. On écoute mon histoire, on me
repose mille et une questions. On recommence le processus du début. On ajoute une autre substance mor-
telle à ma liste... Dites-moi combien de temps je devrai supporter ce calvaire. On ne me répond pas. Je veux
une réponse! C'est vous les spécialistes. Je commence à douter. L'espoir est faible. Combien de temps? Je ne
sais plus. Est-ce que je veux le savoir? Je ne sais pas. Je ne veux plus...
Je sais enfin. Je suis un cas unique. Une chance sur un million de gagner ce jack -pot empoisonné. Pourquoi
parler de chance? Je dirais plutôt quelle malchance. J'ai remporté le prix Nobel d'une maladie nommée syn-
drome de Guillain-Barré. Je comprends la signification du mot barré parce que cela implique d'être embarrée
dans son corps. D'être barrée de toute liberté, de toute autonomie, de toute sa vie. Tu parles d'une chance!
Chantal Pepin
L’épreuve
Francine Fernandez gesticulait nerveusement, et jaspinait des mots mal digérés et aussi limpides que les
prédictions d'un astrologue. Devant elle, l'inspecteur tentait de percevoir, à travers la prose hyperactive, les
détails pertinents à l'histoire sous enquête. Il présenta la paume de sa main à Mme Fernandez pour appeler
le silence, mais ce dernier ne répondit pas. L'inspecteur dut se résigner à ajouter les mots « un instant » sur
un ton grave mais empathique.
Le silence sortit finalement de sa torpeur et enveloppa la pièce chaude et ensoleillée, où régnait un dou-
teux mélange de bois humide et de café gris. L’inspecteur put enfin s’exprimer.
- Madame, mon calepin va s'enflammer sous le frottement du plomb de mon crayon. Pouvez-vous re-
prendre votre récit depuis votre arrivée au parc régional?
La dame prit une grande inspiration et expulsa lentement le gaz carbonique par sa bouche, pour plus de
cohérence cardiaque.
Elle raconta qu'elle avait organisé une journée en plein air au parc régional de Blainbriand pour sa famille –
formée de quatre marmillons, de son conjoint Gaétan Goyer et d'elle-même. Randonnée, pique-nique et bai-
gnade devaient se succéder.
À l'arrivée sur le site, Gaétan s'en était allé au guichet d'accueil pour s'approprier quelques informations. À
peine une minute s'écoula avant que Gaétan sorte, en furie, suivi de près par Hubert Hélie, un des préposés
du parc. Hubert était aussi en colère, lançant à Gaétan des imprécations, argumentant qu'il avait manqué de
respect et que des excuses étaient de mise.
Gaétan n'en fit rien et s'engouffra, avec le reste de son groupe, dans un sentier à proximité. Bordé d'arbres
densément feuillus, le sentier formait une déchirure dans la canopée voluptueuse et pentue, menant vers un
plateau, à 200 mètres de distance, où une aire de pique-nique les attendait.
C'est durant la montée que Gaétan grommela à Francine comment l'incompétence de l'employé l'avait fait
sortir de ses gonds. Un regard benoit, un langage infantilisant, un propos décousu : il s'était senti ridiculisé.
Francine poursuivit son récit en expliquant que le pique-nique n'avait pas réussi à calmer totalement Gaé-
tan, de sorte que le couple décida de quitter les lieux, proposant de remettre à un autre jour (et un autre
lieu) leur journée en plein air. Or, en route vers le stationnement, Gaétan s'arrêta, fouillant en vain ses
La dernière balade
26 BENOIT PROULX
La dernière balade
poches à la recherche de ses clés. Croyant les avoir laissées à l'aire de pique-nique, il s'en alla à leur ren-
contre, en solitaire pour plus de rapidité.
Francine exposa, somme toute calmement et avec beaucoup de détails, comment l'inquiétude grimpa en
elle quand, 15 minutes après s'être de nouveau engouffré dans le sentier d'à peine 200 mètres, son époux
manquait toujours à l'appel.
L'inspecteur nota dans son calepin comment la dame, selon ses dires, questionnait les randonneurs qui
descendaient du sentier, jusqu'à voir Hubert le préposé, arrivant en courant, radio à la main, vêtements
d'aspect loqueteux, sales et déchirés. Francine le questionna à son tour, et la réponse lui glaça le sang : il
avait bien vu Gaétan, qui s'aventurait dans les bois tout près d'une falaise. Il l'avait ensuite perdu de vue à
travers le feuillage d'été, puis il s'était résigné à chercher de l'aide.
Francine s'empressa de souligner à l'inspecteur le caractère louche d'Hubert – ses vêtements délabrés, sa
connaissance du prénom de Gaétan - d'autant plus que, en arrivant au bas du sentier, les clés de Gaétan
étaient sorties des poches d'Hubert pour tomber aux pieds de Francine.
L'inspecteur présenta de nouveau la paume de sa main à Francine qui, cette fois, se recula sur sa chaise,
sans dire un mot.
L'inspecteur se leva et se dirigea dans la pièce voisine, où Hubert attendait le moment d'exprimer les faits.
Le calepin fut ouvert, le crayon placé sur la première ligne d'une page vierge, et Hubert s'élança dans son ex-
plication.
Il énonça comment Gaétan s'était montré impoli et irrespectueux envers son collègue cacochyme et légè-
rement déficient, nommé Ivain Isidore. En entrant dans la boutique, Gaétan semblait nerveux, disant
craindre pour sa sécurité et voulant s'acheter un couteau. Ivain avait balbutié « pas pour vous, pas ici »,
puisque l'article n'était pas disponible dans la boutique. Gaétan s’était mis à morigéner Ivain, lui criant, de
façon étouffée pour ne pas alerter les autres clients, qu'il devait l'aider sinon on le retrouverait mort dans
l'heure. Ivain ne savait quoi répondre et Gaétan le bouscula avant de sortir précipitamment. Hubert, témoin
de la scène, prit instinctivement la défense de son collègue et voulut faire entendre raison au client.
Lorsque l'inspecteur l'interrogea sur ses vêtements déchirés, Hubert répondit sans hésiter que c'est en ten-
tant d'aller avertir Gaétan, aperçu dans un secteur dangereux sur la bordure de la falaise, que ses vêtements
s'étaient accrochés sur des branches. Malheureusement, Hubert avait dû quitter Gaétan des yeux pour éviter
de trébucher sur les nombreux accidents du terrain hors sentier. En arrivant à peu près à l'endroit où il l'avait
vu la dernière fois, Hubert ne vit rien ni personne, ni en haut, ni en bas de la falaise.
- Et comment expliquer que les clés de Gaétan étaient dans vos poches au moment de l'événement? de-
manda l'inspecteur en fixant Hubert dans les yeux.
Reconnaissant ce que cela pouvait laisser paraître, Hubert jura qu'il n'en était rien. Il avait trouvé les clés à
l'aire de pique-nique sans savoir à qui elles appartenaient, avec comme dessein de les rapporter à l'accueil en
attente de leur propriétaire. C'est en amorçant sa descente qu'il avait aperçu l'homme profondément dans
les boisés.
Malgré les habiles explications d'Hubert, l'inspecteur jugea le personnage louche et, dubitatif, il estima
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
adéquat de s'entretenir avec Ivain, qu'on fit entrer.
Ivain débordait d'inconfort face à son collègue. Peu facond, Ivain se limitait à des réponses comme « sait
pas », « Hubert bonne personne », « veut me protéger », « monsieur client est mauvaise personne ». Hubert
suggéra alors à Ivain de ne rien dire, mais il poursuivit en disant « il faut me protéger des mauvaises per-
sonnes ».
C'en fut assez. Hubert fut menotté.
- Monsieur Héliot, vous êtes en état d'arrestation, annonça solennellement l'inspecteur.
Tandis qu'Hubert était placé dans la voiture des policiers, Ivain fut pris d'un excès de tristesse. Comme re-
mède, il eut le réflexe de courir dans le premier sentier disponible, celui menant à l'aire de pique-nique. Il
s'engouffra dans la forêt en se répétant « me protéger des mauvaises personnes... me protéger des mau-
vaises personnes! ».
Arrivé au ras de la falaise, il tomba à genou, les larmes pleuvant sur le sol froid. Son regard, valsant entre la
falaise et la forêt qui l'englobait, croisa un rayon de soleil se reflétant sur un objet brillant qui lui appartenait.
Il cessa de sangloter, prit l'objet à moitié caché sous un tas de feuilles, essuya la lame rougie et le plaça
dans le fourreau à sa ceinture.
Avant de quitter, il prit soin de placer un peu de fourrage sur une main inerte faisant irruption sur le sol.
Benoit Proulx
La dernière balade
Je me tiens sur la pointe des pieds sur cette petite dalle de deux pieds par deux pieds prête à perdre le mien.
Je ne sais pas ce que j’attends pour sauter, mais quelque chose me retient. Je suis prise entre mon grand ap-
pétit de voler et ma crainte de ne plus être pour voir où je tomberai. Fais-je bien le bon choix? Est-ce que ça
m’éclairera? Je n’en sais rien, voilà ce qui me retient.
Je pense.
«Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.» Rien n’est si triste, rien n’est si beau, tout se conforme
et se réforme. Je me désole de plus en plus de voir de moins en moins de gens heureux, de jeunes comme de
vieux qui attendent et qui ne s’entendent pas. Ça me déboussole de voir la guerre et les génocides, l’hiver et
les étés humides, les gens qui se voient, mais qui ne se regardent pas.
J’ai le mal des transports à force de voir évoluer la technologie à la vitesse des avions alors que les hommes
ne voient pas leur autodestruction. Je crois que le pire dans tout ça, c’est que mon confort, je ne m’en passe-
rais pas. J’ai tort, n’est-ce pas? Ça non plus, je ne le sais pas.
Un pied près du bord, je pense encore.
Notre intellect est hermétique, on enferme tout dans des petits pots. Sur un comptoir, ça fait plus beau. On
sépare les chats en races, les brassées de blancs des brassées de gris. On classe les hôtels en étoiles, les voi-
tures en catégories. C’est trop morose de nommer rose ce qui est rose. Pourtant, rien n’est plus normal, en-
fin je suppose.
Rien ne sert d’en rajouter, je crois m’être faite assez claire. Je suis une femme tourmentée par l’injustice sur
la Terre. Il ne me reste plus qu’une chose à faire et j’y songe depuis longtemps : virer mon monde à l’envers
et voir ce qui reste collé dedans. Prendre la porte, perdre le pas et pendre mes pieds, voici mon plan.
Le dilemme du saut
MÉLANIE RODI
27 Le dilemme du saut
Trop près du bord, maintenant je doute.
J’ai encore peur de sentir le ciel se figer sous mes pas et ma tête continuer à flotter dans les nuages. Je veux
laisser mes souvenirs et mes blessures comme des mirages. J’ai été menée par cette idée maintenant plus
forte que moi. Je n’en veux plus de cette vie-là.
J’ai choisi de ne plus me mentir et de mentir à mes proches pour ne plus les frustrer. Je ne leur ai rien dit, car
je savais qu’ils n’allaient jamais l’accepter. Je ne voulais pas les affoler et les déranger dans leur routine de
journaux du dimanche, de poutines et de vidanges du mercredi. Je ne leur ai pas dit que je comptais faire le
grand saut qui libérerait mon esprit. Je ne voulais pas entendre leurs réprimandes et leur jalousie. Je sais très
bien ce qu’ils auraient dit :
«Quelle arrogante qui s’accorde, d’une simple corde, le droit de montrer l’exemple et de jouer à la béate!»
«Quelle fraiche qui ne cherche que le regard de ceux qui rêveraient d’enfin sentir leur cœur arrêter de
battre!»
Je veux voir mon cœur arrêter le temps pour briser la colonie d’aiguilles qui tournent toutes en même temps.
On dit souvent que la vie est courte, mais qu'avons-nous connu de plus long? Je crois avoir trouvé ma route
sur un chemin peut-être plus prompt. Je ne veux ni plaire ni impressionner, je veux seulement voir clair dans
ce monde embrouillé.
Je n’ai plus peur de la mort, je commence à savoir.
J’ai les mains de plus en plus moites, je les essuie, mais je ne recule pas. C’est peut-être pour ça que je n’ai
pas laissé d’indice : pour ne pas qu’on me persuade de suivre mon appendice qui se noue et qui déjoue mon
désir de sauter.
Je suis sur cette petite dalle de deux pieds par deux pieds prête à perdre le mien. Je ne sais pas ce que
j’attends pour sauter, mais quelque chose me retient. Je repense à ma famille et j’aurai aimé qu’elle voie
cette falaise sublime qui s’étend devant moi. Ce paysage est le visage de ce que devrait être le monde sous
son vrai jour. Ici, on oublie tout ce qu’il y a de plus immonde autour. J’aurais aimé que mes proches voient
cela, mais ces choses-là ne se partagent pas.
Le soleil m’aveugle alors je ferme les yeux juste avant de sauter pour tout de même écouter l’océan agité.
Une seconde, j'entends la mer pousser ses chants de joie. La seconde, j'entends le vent crier sur tous les
toits. Mélangée par les rêves de l'ouïe, j’ouvre les yeux sous le même soleil qu’avant. La nature sait quoi ra-
conter à mes dilemmes avec un seul et unique chant, c’est rassurant.
Je saute.
Me voilà si haut, je vole, je saute. Mon corps ne touche à rien et mon cœur bas dans mes mains avant de se
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
figer pour ensuite accélérer. Je n’ai jamais rien vécu de tel, je me vois en chute libre et la seule chose que je
me rappelle, c’est de ma peau qui vibre et de mon souffle qui bourdonne et je m’étonne de mes joues qui
deviennent glacées. Mes yeux doivent se fermer et je ne sais pas si c’est la faute du vent ou du temps qui
s’est arrêté. Je n’ai qu’une envie, c’est de remonter pour ressauter et ressentir ce délire qui a pu satisfaire
mon besoin de taire mon manque de voix. Je dicterai mon avenir, naviguerai sur les mers ou chanterai des
opéras. Peu importe mes choix, je n’ai plus peur des grands sauts et je sais que la vie est plus belle vue d’en
haut. Peu importe si je tombe, je sais qu’on me retiendra grâce à cet élastique qui m’a tenue cette fois.
Je remonte en haut sur la dalle de métal et mon moniteur dit : «C’était phénoménal!» Il détache mon harnais
et me demande : «Ça t’a plu?» Je lui réponds : «Bien entendu! J’aurais dû sauter avant, si seulement j’avais
su.» Sur le chemin du retour, je repense à ma chute. La prochaine fois, ce sera le parachute!
Mélanie Rodi
Le dilemme du saut
ALEXANE ROY
Amour d’enfance
Doux ami,
C’est aujourd’hui que je me décide enfin. Pendant plusieurs années, j’ai tenté d’éviter le sujet, de repousser
ce moment en pensant à nous deux, mais je ne veux plus vivre comme ça... Je crois qu’il vaut mieux que je
me libère de ce poids avant qu’il ne soit trop tard… Je te jure que j’aurais voulu que tout se passe autrement.
Si tu savais combien je me trouve misérable et lâche de te déclarer cela ainsi… Crois-moi, j’ai tout fait pour
empêcher ce qui arrive mais, aussitôt que tu te retrouves face à moi, je suis incapable de me contenir. Quoi
que je fasse, tu restes de glace! Tu me mets tellement hors de moi… C’est à se demander comment il nous a
été possible de coexister pendant tout ce temps!
Hier soir, après avoir pris le temps de te ramasser (encore une fois!), je me suis rappelé notre première ren-
contre… C’était un jour de canicule. Mes parents m’avaient promis que si j’étais sage durant notre prome-
nade quotidienne, j’aurais droit à une surprise… Quelle chaleur! La bouche pâteuse, je continuais de patien-
ter silencieusement espérant que ma surprise en vaudrait la peine. Mon front dégoulinait de sueur à présent,
mais il fallait que je résiste. Au loin, je distinguai le coin d’une rue qui me semblait familier. Se pouvait-il que
mon supplice achève? Plus nous avancions, plus je sentais que nous approchions du but... J’étais tout excitée
rien que d’y penser! Malheureusement, mon plaisir fut de courte durée car, après avoir chuchoté à l’oreille
de maman, papa emprunta un petit sentier que je ne connaissais pas encore et ma mère le suivit. La mine
totalement déconfite, je luttai pour ne pas montrer mon agacement. Où diable allions-nous? À ce moment,
j’ignorais que ce qui allait suivre allait changer ma vie à tout jamais…
Soudain, nous nous arrêtâmes. C’est alors que je distinguai un drôle de petit camion juste devant nous. Ce
n’était pas un camion ordinaire comme celui de papa. Celui-ci paraissait plus grand. Par contre, c’était loin
d’être un camion de pompiers! Que faisait ce véhicule garé sur le sens de la longueur? Était-il en panne? Pla-
cée à la queue leu leu, une grande file de gens me cachait la scène. Toutefois, aucune panique ne se lisait sur
leur visage. On aurait dit qu’ils attendaient tous quelque chose… Au-devant de la ligne, un peu en retrait, un
homme faisait face à la foule. Il était assez ridicule dans son costume d’Halloween, mais personne, hormis
moi, ne semblait trouver cela bizarre, même en plein mois de juillet. Maman me fit signe de la suivre pendant
que papa restait là, debout coincé entre deux gros colosses. Au bout d’un moment, je vis mon père, mainte-
Amour d'enfance
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nant en tête de file, s’adresser à l’homme à la tenue particulière. Ce dernier le pria de patienter et lui tourna
le dos. Sans s’offusquer, papa se tassa d’un brin pour permettre au deuxième colosse de prendre sa place.
Alors que nous attendions que papa revienne, maman me félicita pour ma patience et m’affirma que j’avais
mérité ma récompense. C’est vrai, je l’avais presque oubliée, celle-là! Maintenant qu’elle en parlait, je sentis
l’excitation me gagner d’un coup. Quelle était donc cette mystérieuse douceur pour laquelle je m’étais donné
tant de mal?
Tout à coup, le temps s’arrêta. Tout en voyant mon père se diriger tranquillement vers nous, je t’aperçus.
D’un seul regard, je te vis aussi petit que tu étais. Jamais je n’avais vu plus désirable que toi. Tu semblais si
fragile que j’hésitais à te tendre la main lorsque tu t’approchas de moi. Malgré tout, ta fière allure m’encou-
ragea à t’étreindre avec un enthousiasme excessif. Depuis le temps que tu habitais mes songes, il fallait bien
que je te savoure des yeux… mmmm... Pour un coup de foudre, on peut dire que c’en était tout un!
Dès lors, notre relation ne fit que grandir avec nous. Nous étions inséparables, tu te souviens? Chaque fois
que mes parents se décidaient à emprunter le chemin qui m’avait conduit jusqu’à toi, j’étais certaine que tu
m’attendrais au bout de la route tellement nous étions connectés… Cette année-là, je me promis de ne ja-
mais plus passer un jour sans te voir…
Puis, j’ai vieilli. J’ai commencé à travailler. Chaque fois que tu le pouvais, tu me raccompagnais sur le chemin
du retour. Parfois, juste le fait de savoir que tu serais là à la fin de ma journée m’aidait à oublier que, contrai-
rement à tout le monde, je n’avais pas d’amis… Mais, je t’avais, toi. Quel gars aurait accepté de me servir de
« bouche-trou » pour assouvir un manque lorsque j’avais les hormones dans le tapis? Qui aurait écouté des
films romantiques sans jamais protester, prêt à intervenir en cas de crise émotionnelle intense… Tu es le seul
capable d’une telle chose. Pourtant, il semble que, malgré tout, tu ne pouvais être sans vices…
Pourquoi? Pourquoi agir ainsi? Toi qui es si bon, pourquoi prends-tu plaisir à me nuire à ce point. Si, au
moins, tu avais la capacité de te fondre dans la masse sans éveiller les soupçons… Au début, c’était facile de
jeter le blâme sur quelqu’un d’autre… mais là, j’en ai assez! Je ne veux plus vivre dans le mensonge… Regarde
ce que je suis devenue au fil des ans! Je ne me reconnais plus… Séduisant comme tu es, je ne tarderai pas à
me sentir laide à tes côtés…
N’essaie pas de comprendre, mais… Je crois qu’il est temps que tu sortes de ma vie. Je t’aime mais, vois-tu,
c’est ça ton plus gros défaut : tu es trop adorable! Je ne peux me résoudre à te garder avec moi sans éprou-
ver l’envie de te supprimer à la moindre occasion…
Je te remercie pour toutes ces années de bonheur que nous avons vécues. Ta fidélité me touche beaucoup,
mais je dois poursuivre mon chemin, seule, si je veux avoir une chance de réussir cette fois...
J’espère t’oublier vite, mon cher Häagen-Dazs,
Signé une régulière consommatrice désormais au régime
Alexane Roy
EN TOUTES LETTRES 2015-2016
Soirée de dévoilement
17 mars 2016
Rangée du bas, de gauche à droite :
Zackary Morin, Meiliana Chassé, Émilie Scotto, Gabrielle Dussault, Mélissa Gasse, Samuel Gagnon,
Patty Isabelle Jean-Baptiste, Alexane Roy
Rangée du milieu, de gauche à droite :
Winnie Fred Julien, Mathieu Tremblay, Julie Champagne, Claudine Cabay Chatel, Isabelle Lauzon, Marianne Dubé,
Nadyne Bienvenue, Diane Croteau, Alexandra Charron, Shaelynne Chassé,
Rangée du haut, de gauche à droite :
Chantal Pepin, Gabrielle English, Johanne Thibodeau, Alexis Havard-Trépanier, Jean-Philippe Auclair,
Xavier Bonhomme, Robert Delorme, Benoit Proulx, Nancy Morin, Mélanie St-Laurent, Line Lécuyer,
Marie-Anne Keable, Élisabeth Gaudreault, Marie-Claude Collin