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N°91 SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2015 78 MANAGEMENT Détecter et contrer les pervers narcissiques Dans le cadre professionnel, repérer les personnalités per- verses narcissiques qui font du mal aux autres pour se faire du bien à elles-mêmes n’est pas tou- jours évident, et encore moins de mettre fin à leur harcèlement. Avocats, psychothérapeutes et victimes donnent des cartes pour contrer leur jeu. F ace à des brimades répétées, se replier sur soi-même en atten- dant que cela s’arrête n’est pas la solution. Si le (la) supérieur(e) hiérar- chique, souvent le (la) responsable direct(e), plus rarement un(e) collègue, est pervers narcissique, cela conti- nuera de plus belle. Pour ne plus être le faire-valoir du plaisir ou de l’au- torité de quelqu’un, il faut détec- ter et déjouer ses manœuvres. L’incertitude économique exacerbe les comportements narcissiques Le ou la pervers(e) narcis- sique (PN) « structurellement accompli(e) » utilise le lien professionnel pour assujettir l’autre, selon Jean-Charles Bouchoux, Psychanalyste et Psychothérapeute dans Les pervers narcissiques (éd. Eyrolles). Il rappelle que « Nous sommes tous amenés à certains moments à des com- portements pervers narcissiques ». Claude de Scorraille, Cofondatrice de La Clinique du Travail (LACT), cabinet spé- cialisé dans la régulation des troubles individuels ou collectifs et la préven- tion des risques psychosociaux, sou- ligne : « Dans le modèle moins hiérar- chisé de l’entreprise aujourd’hui, le chef a plus de mal à mesurer son contrôle sur des personnes dont il n’a pas les compétences. Le climat d’incertitude économique renforce la pression. Un tel environnement exacerbe les comporte- ments narcissiques. Il altère le senti- ment de plaisir au travail. Certains recherchent le plaisir là où c’est possi- ble, y compris de manière perverse ». Des comportements répétés portant atteinte à l’intégrité d’un collaborateur sont souvent le fait de personnalités perverses narcissiques. Une main frêle dans un gant de fer Le ou la PN cache une faille. Il ou elle a une faible estime de soi mais une haute idée de son image qu’il (elle) Un appui extérieur est nécessaire ; consulter un psychothérapeute peut faire du bien (la salle d’attente du cabinet de Sigmund Freud à Vienne)

Détecter et contrer les pervers narcissiquessupplychainmagazine.fr/TOUTE-INFO/Archives/SCM091/MANAGEMEN… · l’autre, selon Jean-Charles Bouchoux, Psychanalyste et Psychothérapeute

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N°91 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 201578

MANAGEMENT

Détecter et contrerles pervers narcissiques

Dans le cadre professionnel,repérer les personnalités per-verses narcissiques qui font dumal aux autres pour se faire dubien à elles-mêmes n’est pas tou-jours évident, et encore moins demettre fin à leur harcèlement.Avocats, psychothérapeutes etvictimes donnent des cartes pourcontrer leur jeu.

Face à des brimades répétées, sereplier sur soi-même en atten-dant que cela s’arrête n’est pas la

solution. Si le (la) supérieur(e) hiérar-chique, souvent le (la) responsabledirect(e), plus rarement un(e) collègue,est pervers narcissique, cela conti-nuera de plus belle. Pour ne plus être

le faire-valoir du plaisir ou de l’au-torité de quelqu’un, il faut détec-

ter et déjouer ses manœuvres.

L’incertitude économique exacerbeles comportementsnarcissiquesLe ou la pervers(e) narcis-sique (PN) « structurellementaccompli(e) » utilise le lienprofessionnel pour assujettirl’autre, selon Jean-CharlesBouchoux, Psychanalyste etPsychothérapeute dans Les

pervers narcissiques (éd.Eyrolles). Il rappelle que

« Nous sommes tous amenésà certains moments à des com-

portements pervers narcissiques ».Claude de Scorraille, Cofondatrice de LaClinique du Travail (LACT), cabinet spé-cialisé dans la régulation des troublesindividuels ou collectifs et la préven-tion des risques psychosociaux, sou-ligne : « Dans le modèle moins hiérar-chisé de l’entreprise aujourd’hui, le chefa plus de mal à mesurer son contrôlesur des personnes dont il n’a pas lescompétences. Le climat d’incertitudeéconomique renforce la pression. Un telenvironnement exacerbe les comporte-ments narcissiques. Il altère le senti-ment de plaisir au travail. Certainsrecherchent le plaisir là où c’est possi-ble, y compris de manière perverse ».Des comportements répétés portantatteinte à l’intégrité d’un collaborateursont souvent le fait de personnalitésperverses narcissiques.

Une main frêle dans un gant de ferLe ou la PN cache une faille. Il ou ellea une faible estime de soi mais unehaute idée de son image qu’il (elle)

Un appui extérieur est nécessaire ; consulter un psychothérapeute peut faire du bien (la salle d’attente du cabinet de Sigmund Freud à Vienne)

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cherche à maintenir à tout prix. Pourse revaloriser, il (elle) rabaisse sa cible.Cette dernière peut tenter de se défen-dre, mais ses arguments se voientimmanquablement laminés par le (la)PN. Dans le cadre professionnel, lesprofils pervers narcissiques peuventmanipuler des membres d’une équipe,voire isoler leur cible pour ne plus lalâcher. Maniant bien le verbe, ilsséduisent, promettent, félicitent par-fois, pour instaurer une relation deproximité, de confiance et de dépen-dance. La cible baisse ainsi la garde ;les premiers coups de bâtons arriventd’autant plus violemment qu’ils sonthumiliants. Puis les PN vont soufflerle chaud et le froid, distribuant bons etmauvais points.Claude de Scorraille, Psychologue du travail, précise qu’il faut faireattention à ne pas aller trop vite enbesogne : « Derrière le terme de per-vers narcissique, des personnes perverses recherchent du plaisir àjouer au chat et à la souris, aimant lavoir se débattre, tandis que des personnalités narcissiques, autocen-trées, manquent de confiance en elles.Elles se sentent en déficit d’autorité etcherchent à se rassurer en dominantles autres, cas le plus fréquent enentreprise ».

Des proies faciles Les PN repèrent une proie facile pour lasoumettre à leur emprise, comme unnouvel embauché qui doit faire sespreuves, par exemple. Ils se servent dechaque erreur de leur proie pour la cul-pabiliser. Ils projettent leurs manque-ments sur l’autre. Ils manipulent leurvictime en les perdant dans un dédaled’informations contradictoires et d’in-jonctions paradoxales. Elle perd sesrepères et sa confiance en elle. Plusl’autre va mal, plus ils se sentent bien.Il faut donc être vigilant et ferme dèsles premières tentatives d’emprise etde dévalorisation. Il faut couper courtà toute discussion : « De quel droit mejugez-vous ainsi ? » Mais l’appel à laraison peut s’avérer inefficace face àun(e) pervers(e) narcissique accom-pli(e). Si la victime tente de montrerqu’elle est compétente, elle est perçuecomme une menace et donc renforcele contrôle du narcissique sur elle, qui

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Jeanne Haymart, Assistante Styliste « On me disait que son comportement était normal

dans le milieu du prêt-à-porter » Son bac+2 en stylisme modélisme en poche, Jeanne Hay-mart est embauchée comme Assistante Styliste en CDI chezun fabricant de prêt-à-porter, qui emploie cinq salariés. Poly-valente, elle gère les stocks, les commandes, les fournitures,fait de la manutention, nettoie le showroom. Elle est sub-mergée d’ordres contradictoires sur les tâches à réaliser. « Lepatron était aussi odieux avec ses employés que chaleureuxavec les clients. Les insultes pleuvaient : « conne », « lente », « tuas un problème psychologique », « ma fille de quatre ans faitmieux ». Il insinuait que j’étais un défaut de fabrication commesur un vêtement. On me disait que son comportement était

normal dans le milieu, avec la concurrence féroce et les délocalisations, qu’il ne fal-lait pas compter son temps de travail ». Elle se tait car se sent faible, par manque d’ex-périence et de confiance en elle. Elle s’interroge sur comment s’améliorer, puis unjour, abattue, renonce à tenter de progresser. Le chef d’entreprise licencie sa super-viseuse, qui lui tient tête, pour faute professionnelle. Alors elle utilise sans le savoirune solution de défense paradoxale : « puisque je suis incompétente, montrez-moicomment faire ». En 2013, l’entreprise ferme. Aujourd’hui, Jeanne Haymart confie :« J’ai découvert le mécanisme de perversion narcissique dans un reportage. A pos-teriori, c’est de la maltraitance psychologique, on n’a pas le droit d’être traité commeun chien. Je n’ai plus envie de vivre ça ». En 2015, elle lance son entreprise de créa-tion de vêtements et de costumes. ■

a peur qu’on dévoile l’écart entre sonimage et ce qu’il est. Si elle esquive,le narcissique la disqualifie d’autantplus pour prouver son autorité. Sipoussée à bout elle s’emporte, il ren-versera la situation pour se poser envictime vis-à-vis des autres.

Sortir du cercle vicieuxLa victime doit arrêter de se justifier,renoncer à chercher à comprendre ceque dit le (la) pervers(e). Il faut mettrede la distance, rester sourd aux appelsdu prédateur qui cherche à se rappro-cher en se montrant sous son meilleur

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Claude de Scorraille, Cofondatrice de La Clinique du Travail Alexandre Retamal, Avocat à la Cour

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jour. Il est recommandé d’en parler etde s’en remettre à un tiers, une per-sonne bienveillante et neutre, doncplutôt pas le supérieur du harceleurqui risque de se sentir remis en cause,plutôt les Ressources Humaines, ouquelqu’un en externe, médecin du tra-vail, thérapeute ou ami. Il faut oserdétester, c’est-à-dire exprimer ses sen-timents négatifs. S’ils sont réprimés,ils risquent de conduire au déni et àretourner sa haine contre soi-même,donc à pousser à la dépression.

Neutraliser le serpent avec son propre veninClaude de Scoraille aide la victimepour « réguler la situation et se sentirassez forte et vigoureuse pour ne plusêtre la gazelle fragile, pour saisirl’arme qu’on lui présente ». Ces armessont les solutions paradoxales del’école de Palo Alto :■ saboter le plaisir du pervers : la vic-time dit au pervers que ses actes et sesparoles font d’elle un meilleur colla-borateur ; ■ rassurer autrement le narcissique :elle « sur-sollicite » son autorité en luidemandant de l’aide pour de petiteschoses puisqu’elle est incompétentealors que lui, « le chef », sait. Elle uti-

lise ses reproches comme un levierhorripilant pour qu’enfin il souhaitemettre de la distance.

Des solutions juridiquesUn comportement abusif et répétédénote le harcèlement, qui fait partiedes risques psychosociaux (voirSCMag N°53), avec le stress, les vio-lences, le « burn out » (voir SCMagN°85) et le suicide. Marie-France Hiri-goyen, Psychiatre et Auteure de LeHarcèlement Moral : la violence per-verse au quotidien et de Malaise dansle travail, harcèlement moral, démêlerle vrai du faux (éd. La Découverte &Syros) définit le harcèlement moral autravail comme « toute conduite abu-sive (geste, parole, comportement,attitude...) qui porte atteinte par sarépétition ou sa systématisation à ladignité ou à l’intégrité psychique ouphysique d’une personne, mettant enpéril l’emploi de celle-ci ou dégradantle climat de travail ».Pour que le harcèlement soit reconnuau plan juridique, il faut collecter deséléments de preuve. A l’audience, onne se penche pas sur la perversité duharceleur, mais sur l’existence de vio-lences psychologiques et/ou de harcè-lement comme définies par la loi du 9 juillet 2010 et le Code du Travail. Larécurrence des agissements (menaces,appels téléphoniques répétés malveil-lants, ordres contradictoires, humilia-tions...) est à démontrer. AlexandreRetamal, Avocat à la Cour, précise : « Il est indispensable d’établir un faisceau d’indices concordants et depreuves (attestation de collègues, dif-

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ficiles à obtenir par peur de retombées,de médecin sur l’impact sur la santémentale et ou physique) d’autant queles juges des Prud’hommes reçoiventle dossier le jour même. Le harcèle-ment est une qualification juridique.On peut vivre une situation commeharcelante sans que la qualification nepuisse être établie. A traitement égalet pression engendrant du stress, deuxpersonnes le vivront plus ou moinsbien. L’avocat cherche le comporte-ment fautif de l’employeur, même s’ilne constitue pas un harcèlement ausens juridique ». Le harcèlement moralest un délit puni de deux ans d’empri-sonnement et de 30.000 € d’amende.L’auteur de harcèlement moral peutdevoir verser à sa victime des dom-mages et intérêts. La responsabilité del’employeur est engagée. En cas demanquements suffisamment graves, lesalarié est fondé à rompre le contrat,notamment pour harcèlement ou vio-lences commises à son encontre sur le lieu de travail. Il peut saisir lesPrud’hommes pour demander unerésiliation judiciaire du contrat, res-tant à son poste dans l’attente de ladécision. Ou il fait une prise d’acte,faisant cesser immédiatement lecontrat de travail pour saisir ensuitele conseil des Prud’hommes. Dans lesdeux cas, si le conseil des Prud’hom-mes donne raison au salarié, la rup-ture produit les effets d’un licencie-ment sans cause réelle et sérieuse.

Rompre les liensEtre reconnu comme victime est unepetite victoire, mais pas toujours valo-risante puisque le « bourreau » va biensûr crier à l’injustice. « Il est impor-tant de réagir très vite. Plus la situa-tion de harcèlement perdure, plus lesconséquences en seront traumatiqueset profondes, et plus la victime auradu mal à s’en remettre », expliqueConstance Ambroselli, Avocate à laCour. Alexandre Retamal prévient,pragmatique face à la souffrance autravail : « Il est dans l’intérêt du clientde passer à autre chose le plus rapide-ment possible. Partir, fuir, couper lesponts. On ne change pas un managerpervers, surtout dans une petite entre-prise. Je leur dis pour élargir l’hori-zon : ok, vous voulez faire condamner

Julie Béré, Conductrice de travaux « Il ne faut pas minimiser les blessures de l’âme »

Ingénieure, Julie Béré devient Conductricede travaux en 2007, son premier CDI dansune entreprise d’aménagement d’espacesprofessionnels. Elle gère les chantiers desous-traitants du BTP avec son supérieur,David. A deux dans le service, il instaureune complicité malsaine : « Lui qui n’a pasfini ses études, disait m’avoir tout appris. En

cas de problème sur un chantier, c’était toujours de ma faute. J’étais sa chose. Jeprenais mon mal en patience ». En sus de blagues sexistes et racistes qui heurtentses valeurs, il profite de déjeuners pour la harceler sexuellement et ne démentpas des rumeurs de liaison. « Le jour où il déclare quitter l’entreprise, il annoncequ’il va négocier une rupture conventionnelle pour moi. Je veux rester dans l’en-treprise. Les mois suivants seront un enfer, car l’entreprise l’a augmenté pour qu’ilreste ». Le harcèlement devient moral : dénigrement, ordres absurdes pour lasurcharger, comme la vérification des vis sur toutes les portes d’un chantier àreporter sur un tableur. Elle prévient la direction, mais celle-ci laisse faire. Elle sebat, contre-attaque, ce qui lui demande beaucoup d’énergie. Finalement, ellepart en 2010 avec un chèque confortable. Si c’est le prix de ce qu’elle a subi, ellele ressent comme le prix du silence. Elle met du temps à se reconstruire psy-chologiquement et ne travaille plus pendant un an. Elle conseille ce qu’elle n’apas fait à l’époque : « Il ne faut pas minimiser les blessures de l’âme. Il faut que celasorte, en parler, se faire conseiller par quelqu’un d’extérieur pour désamorcer lasituation avant qu’elle ne s’envenime ». ■

Barbara Lebol, Professeure « D’abord souriant et mielleux, il a vite soufflé le chaud et le froid »

Barbara Lebol est Professeure depuis 20 ans dans une école quiforme aux métiers de l’artisanat. « Le nouveau directeur est arrivéil y a deux ans et demi, se présentant comme le sauveur de l’école.D’abord souriant et mielleux, il a vite soufflé le chaud et le froid. Ila d’ailleurs le tic de se frotter les mains : or, le terme manipulervient du latin manus, la main». En avril 2014, après trois mois oùelle est consultante pour une émission télévisée historique en susde ses cours, elle ne participe pas au week-end portes ouvertesde l’école pour se reposer. Convoquée, le ton alterne entre poli-tesse et menace : « Trois personnes veulent votre place ». Barbara

Lebol critique la gestion de l’école, car les retards de paiement de salaire se multiplient.Alors qu’elle est arrêtée à l’automne après une intervention chirurgicale, il l’appellesur son portable à l’hôpital, puis chez elle pour demander des contacts. Lorsqu’ildemande une énième note écrite, alors qu’elle retravaille, la main bandée, malgré descomplications dues à son opération, excédée, elle hausse le ton. Elle reçoit une lettrelui reprochant ses propos, qui sont déformés. « Depuis qu’il est directeur, travailler àl’école pèse sur mon moral. Je prends du poids. Il ne supporte pas que j’ai d’autres acti-vités». Elle contacte l’inspection du Travail et un avocat. Début 2015, le médecin dutravail la déclare « inapte définitif à tout poste dans cette entreprise ». ■

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votre supérieur aux Prud’hommes ? Lesdélais sont longs, 18 mois ou plus s’ily a appel. On peut chercher une trans-action. Et surtout, quel est votre projetprofessionnel ? ». Faire preuve de rési-

lience et se reconstruire est ensuite unlong chemin… ■ CHRISTINE CALAIS

NB : dans les encadrés, les prénoms et nomssont modifiés à la demande des témoins.

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Mes news Ressources Humaines

Le compte pénibilité bien laborieux

Depuis le 1er janvier 2015 est instauré le compte personnel de prévention de la pénibilité, prévu par la loi du 20 janvier2014, garantissant l’avenir et l’équité du système des retraites. Grâce aux points acquis au titre de la pénibilité, les sala-

riés exposés ont droit à des formations, à une réduction du temps de travail ou à un départ à la retraite anticipé. Aujourd’hui,quatre facteurs de pénibilité sur dix sont pris en compte : travail de nuit, en équipes successives alternantes, répétitif et en milieu hyperbare. Six seront ajoutés en2016. Christian Ploton, DRH de RenaultFrance, souligne comme beaucoup d’au-tres lors d’un colloque tenu en décem-bre 2014 « la complexité de mise enœuvre de ce compte personnel ». D’au-tres, comme Agnès Martineau, Médecindu travail, déplorent « l’absence de pré-vention efficace, y compris sur les risquespsycho-sociaux (RPS) ». Car la pénibilitévécue au travail peut se traduire par unesouffrance physique mais égalementpsychique. Le cabinet d’évaluation et deprévention des risques professionnelsTechnologia propose 11 pistes de sim-plification, dont la suppression de lanotion de points sans renoncer aucompte personnel. ■ CC

Promouvoir les métiers Transport-Logistique

Afin de rendre les entreprises du secteur Transport-Logistique plus attractives auprès des jeunes, étudiants, salariés et deman-deurs d’emploi, les structures régionales Carif (Centre d’animation, de ressources et d’information sur la formation) et Oref

(Observatoire régional emploi formation) ont signé le 22 janvier 2015 avec l’Association pour le développement de la Forma-tion dans les Transports (AFT) une convention de partenariat de trois ans, renouvelable. Les délégations régionales AFT appor-teront leurs connaissances de l’offre de formation Transport-Logistique aux conseillers des Carif-Oref et y assureront despermanences. Les partenaires s’engagent aussi à réaliser notamment des portraits statistiques et qualitatifs de la branche. ■ CC

Facteurs de pénibilité et seuils d’exposition

Fanny Hillé entre comme Factrice àLa Poste à Paris, il y a plus de 20 ans,après divers emplois dans le com-merce ou les services. Au fil desréorganisations, les conditions detravail se dégradent. Les tournées

sont de plus en plus chargées ; suite à un lumbago, elledevient Agent de tri à la cabine des recommandés. Ellese sent harcelée par la Responsable du service, Françoise,qui « ne pense qu’à elle et pointe les erreurs ». Elle va à laconsultation souffrance au travail d’un hôpital qui lui faitdu bien. Françoise part. Fanny Hillé remarque par hasarddes insultes sur un réseau social par le chef d’équipeavant qu’il ne les retire. Puis une de ses collègues, qui bri-guait le poste de ce dernier à son départ, devient agres-sive. Elle ne la respecte pas, la critique, l’insulte dans son

dos. « Elle me faisait culpabiliser sur mon travail, mon phy-sique. Tous ces petits coups d’épingle, ça piquait ! ». Quandelle se plaint, la Responsable du service lui demande si« elle fait de la délation ». Elle s’adresse à un numéro vertinterne à La Poste, dédié aux souffrances psychologiques.Elle analyse et met en cause « la privatisation de la Posteà marche forcée qui a dégradé largement les rapportsentre les gens. Des pressions ont été faites sur nos chefsqui les ont reproduites sur leurs agents. A la Poste, c’estcomme à France Telecom, des facteurs se suicident autravail ». Elle souhaite travailler dans un autre centre. Orpeu de postes se libèrent car les départs ne sont pasremplacés. Actuellement en arrêt maladie pour une ten-dinite, elle décide de faire jouer, étant épileptique, le sta-tut de travailleur handicapé – qu’elle n’a jamais utilisé –pour faciliter sa mutation. ■

Fanny Hillé, Agent de tri, La Poste « Des pressions ont été faites sur nos chefs qui les ont reproduites sur leurs agents »

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Barbara Jouin a démarré sa carrière en tant qu’Affréteurchez Calberson, puis Kookaï, avant d’entrer chez Unileveren tant que Coordinatrice Logistique, puis chez Sanofiaux mêmes fonctions en 2000. Après avoir géré les pré-visions, puis la planification, elle est revenue au transporten tant que Directrice Transport du groupe Sanofi.

Supply Chain Magazine : Que vous ont apportévos différents postes avant de rejoindre le groupe Sanofi ?Barbara Jouin : J’ai commencé ma carrière dans le trans-port en 1994 en tant qu’Affréteur chez Calberson (Geodis) ;rien n’est plus formateur que l’expérience du terrain. Puisj’ai exercé mon métier d’Affréteur en1999 chez Kookaï : mission délicatedans le textile avec ses différents char-gements destinés aux boutiques, et sesspécificités saisonnières, où il faut jon-gler avec de multiples références detailles diverses, et des articles trans-portés pliés ou suspendus. Pour finir,j’ai rejoint le groupe Unilever commeCoordinatrice Logistique, ce qui m’afait découvrir l’univers de la logistiquede grande distribution où il faut faireen sorte que les produits arrivent dansles bons rayons, au bon moment, enoptimisant les coûts. Cette mobilitéexterne m’a permis de gagner en com-pétences et en savoir-faire.

SCMag : Quelle a été ensuite votre progression au sein du groupe Sanofi ?B.J. : Particulièrement attirée par lachaîne logistique relativement com-plexe de l’industrie pharmaceutique,j’ai intégré en tant que CoordinatriceLogistique le groupe Sanofi en 2000.Au sein de la filiale commercialeFrance, je me suis spécialisée dans les prévisions de ventes.J’ai ainsi participé à la mise en œuvre de différents outilsde prévisions, au développement et à l’animation de pro-cessus collaboratifs de prévisions de ventes. J’ai poursuivima carrière vers un poste de Supply Chain Manager oùj’avais la responsabilité de la gestion de la prévision desventes et de l’approvisionnement amont. Depuis deux ans,j’occupe le poste de Directrice Transport pour le groupeSanofi, ce qui correspondait à ma volonté d’occuper unposte central, international et orienté vers la Supply Chainaval. L’une de mes principales missions consiste à définirla stratégie transport monde, de la décliner au sein duGroupe Sanofi et de déployer les bonnes pratiques.

SCMag : Quelle est votre vision de la SC au sein de Sanofi ?B.J. : Acteur mondial du secteur pharmaceutique, la mis-sion du Groupe Sanofi est d’apporter des solutions théra-peutiques adaptées aux patients, pour contribuer à sauverdes vies et à améliorer le confort de vie. Le patient est placéau centre de la Supply Chain, c’est pourquoi au quotidiennotre rôle est de comprendre les besoins des patients pourleur délivrer des traitements adaptés au bon moment. Danscette perspective, Sanofi a développé une logistique mon-diale, basée sur un réseau de plates-formes de distributionréparties par région dans le monde (Amérique, Europe,

Moyen Orient et Asie). Chaque plate-forme consolide les produits et lesrépartit sur leurs zones. Sanofi trans-porte majoritairement les médicamentspar voie maritime (90 % des flux), letransport aérien étant réservé aux fai-bles volumes et aux urgences.

SCMag : Quelle est votre vision du management ?B.J. : Après avoir géré une équipe de12 personnes dans la filiale française,mon management est aujourd’huitransversal. J’apprécie toujours autantle fait de manager. J’applique unmanagement collaboratif avec unedémarche d’amélioration continue,afin de réfléchir ensemble aux solu-tions à adopter face à certains pro-blèmes.

SCMag : En tant que femme, quel regard portez-vous sur le mondeprofessionnel ?B.J. : En début de carrière, être unefemme affréteur n’était pas très cou-

rant. J’ai su m’imposer et relever ce défi. Dans le groupeSanofi, j’ai gravi les échelons par mes compétences, mesvaleurs et mon savoir-faire, adaptés aux postes occupés.Les femmes représentent 45 % des 110.000 salariés, 39 % des managers et 25 % du Board. Dans le cadre de la politique diversité et de la promotion de la mixité, ilexiste notamment plusieurs réseaux féminins dans legroupe. Je suis moi-même ouverte aux réseaux profes-sionnels et j’ai rejoint Fapics, Association Française de Supply Chain Management. ■

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTINE CALAIS

JANVIER-FÉVRIER 2015 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°91 83

Les Ailes de la Supply Chain (en partenariat avec Fapics)

Barbara Jouin, Directrice Transport du groupe Sanofi1

« Je définis la stratégie transport monde et la décline au sein du Groupe Sanofi

« Le patient est placé aucentre de la Supply Chain,

c’est pourquoi au quotidiennotre rôle est de

comprendre les besoins... »©

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1. Sanofi et Aventis ont fusionné en 2004 pour devenir le groupe Sanofi-Aventis, rebap-tisé groupe Sanofi en 2011