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Didier Anzieu LA FIÈVRE ATLANTIQUE

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Didier Anzieu CONTES À REBOURS Michel Bernard UNE AMOUREUSE Hélène Cixous UN K INCOMPRÉHENSIBLE: PIERRE GOLDMAN Alain Guérin NOTES CONFIÉES À ÉLISABETH W. Jean-Yves Haberer LA FIÈVRE ATLANTIQUE Gilbert Lascault UN MONDE MINÉ

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FIN DE SECTION

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GUY HOCQUENGHEM

FIN DE SECTION

CHRISTIAN BOURGOIS EDITEUR 8, rue Garancière

Paris 6

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© Christian Bourgois éditeur, 1975.

ISBN 2-267-00002-4

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Une brume légère à la surface froide et bril- lante gomme les contours sont-ce des yeux brouillés de larmes qui se reflètent là-bas et luisent liquides Elle s'abîme sans ciller silen- cieuse attendant sans respirer que l'image se précise pâle fantôme dans tout le blanc du plâtre torturé Un frisson rapide a glissé sur le verre mais quand ses yeux inquiets ont voulu le suivre l'indistinct quelque chose s'est fau- filé derrière le cadre là où la moulure grasse vient mordre la rive lisse Des heures sans doute ont passé elle guette souhaitant que revienne le frisson les deux petits esprits noirs qui courent d'un bord à l'autre des iris vert d'eau Elle a perçu un infime mouvement quel- que part à la périphérie il revient il ne faut pas bouger Une incarnation rosit la peau

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tendue et fatiguée La lueur d'une bougie que cache un écran renvoyée par un fond lointain monte vers elle Elle se penche sans bruit extasiée vers ce foyer invisible qui éclaire ses traits tirés vers l'intérieur Voici que reviennent les sautillements imperceptibles les petits rats malins rongeurs qui passent leur museau pointu à la frontière du visible et vite se retirent pas assez vite cette fois La chaleur monte dans les murs de la pièce qui vire du rose chaud à l'orange de fournaise ardente qui lui brûle la face Ça vient elle le sait elle le sent elle voudrait tout faire cesser il est trop tard l'embrasement se communique aux volutes du bord qui se tordent leur blancheur tra- versée de fuliginations gerbes d'éclairs qu'ar- rête à peine la paroi de verre Au centre gon- flé par une pression gigantesque une explosion silencieuse vient d'ouvrir un trou étoilé d'où jaillit un souffle de sirocco d'encens et de musique Les deux petits rats sautent jusqu'au bord du cratère et il n'y en a plus qu'un ils se sont fondus quand elle a accommodé elle dis- tinguait le reflet dédoublé au fond de son propre regard de ce qui s'abritait derrière le cadre Elle se penche encore cri rauque la glace brisée ma demoiselle.

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Pour parvenir à l'hôpital de Maison-Blanche, l'autobus longe des grilles, des arbres, de grandes bâtisses de briques aux coins de pierre grise. Le front à la portière s'aperçoivent des vieux en robe de chambre élimée le long des prairies. Ils tournent vers le bus des visages fripés aux yeux babillards surpris toujours dans leur intimité. Maison-Blanche, dernier arrêt dans ce pays à l'est de Paris, aux confins des banlieues bétonnées et des échangeurs rutilants. Je n'avais jamais traversé cette contrée de tris- tes châteaux à zombis où « se concentrent les trois plus grands hôpitaux psychiatriques de la région parisienne ».

Nous sommes sortis du RER dans un froid piquant et clair avec le sentiment de partir en excursion dans une principauté déchue.

Seule une ligne d'autobus à trois chiffres parcourt l'interminable avenue rectiligne qu'ar- pentent les infirmières en rupture de ser- vice et de rares parents. En face de moi un jeune homme à lunettes ouvre le bulletin syn- dical des élèves psychiatres. Yves me le désigne d'un sourire en coin. De passage à Paris en pleines vacances de Toussaint, j'étais venu le voir, bien que le connaissant assez peu, dois-je le regretter ? La veille de ma visite le nom de Rosemonde n'aurait suscité en moi que le louche intérêt mitigé de mépris que j'éprouvais pour ce cercle d'entraîneuses underground et

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de filles à pédés où lui se vautrait quotidien- nement.

Aussi mon premier mouvement quand, le téléphone décroché, la voix de Rosemonde me parvint grésillant son propre nom, fut de me diriger vers la porte en faisant à Yves des adieux silencieux. Un geste m'en- joignit de rester. Il avait interrompu le flot des banalités d'usage. A Maison-Blanche, répétait-il en me désignant l'écouteur, quelle maison blanche ? Rosemonde semblait inca- pable de rien expliquer, ni où elle se trouvait, ni comment elle y était venue. Elle reprenait sans trêve le fil d'une histoire allusive — dont il paraissait clair qu'elle la jugeait connue de tous. Cela débutait chez elle, devant sa coif- feuse, qu'elle tenait pour largement respon- sable de ses malheurs présents. Une soirée avec du drôle de monde, un strip-tease dans la rue, un car de flics. Nous ne pûmes rien lui tirer d'autre.

Mais bien sûr, était-ce bête : cet endroit où des inconnus la retenaient prisonnière, l'empêchant de se maquiller, où des vieilles femmes hostiles lui volaient ses bas, ne pou- vait être qu'un asile de fous — c'en était bien un en effet.

Lors de son dernier passage chez Yves, Rosemonde avait abandonné un petit carnet noir fatigué, son book, son annuaire, son répertoire, et son premier souci, en voulant

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revenir à la réalité, était de compulser la liste de ses amants. Elle nous supplia : pouvions- nous le feuilleter et « prévenir les gens pour qu'ils fassent quelque chose » ? (Un quelque chose qui hésitait entre lui apporter des oranges et la faire évader.) Comme il se doit tous ceux que nous pûmes joindre étaient jus- tement sur le point de partir en week-end, et aucun n'envisageait de retarder son départ pour un internement désolant mais qu'en leur for intérieur ils jugeaient depuis longtemps inévitable, nous firent-ils froidement com- prendre.

Rosemonde, s'appelait en fait Jeanine. Elle était née à Arras, son alias de cliché lui venait des agences de photos. Ses amants : tout un monde. Elle eût dérogé en menant une relation ordinaire et sans histoires. Elle les insultait, les mettait en demeure de l'entretenir — accès de revendicative naïveté. Nous tenions pour certain de l'entendre une fois le mois venir se plaindre à nous qui n'y pouvions mais de n'être que désirée, jamais aimée. Son mépris les cravachait quelques instants, mais le froid bon sens de ces fils de famille faisait vite les comptes, ne comprenant pas qu'on prît un tel plaisir à se gâcher une existence que l'épicerie en gros et l'électro- ménager organisaient si bien. Rosemonde se retrouvait à la rue, ramassait un caillou pour le jeter dans leurs carreaux, puis laissait tom-

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ber, confortée une fois de plus dans l'idée que tous les mecs sont des ordures y compris le prochain.

Entre les petits salauds en tweed qu'elle fréquentait et moi, il y avait évidemment un monde d'incompréhension. J'en finissais tout juste avec mon dernier avatar — un comité philarabe où j'avais fait la connaissance d'Yves. Pourquoi est-ce à nous que Rosemonde s'adressait ? Elle devait nous imaginer très différents de ses amants fêtards ; et le peu qu'elle savait de nos activités lui permettait de broder à notre propos, nous parant des charmes délicats de la lutte contre l'injustice. Nous passions à ses yeux pour des amis de la libération de la femme. Entourée de brutes positives et ébahies contre lesquelles son éner- gie créatrice s'épuisait en vain à sauvegarder la plage du rêve, elle prenait plus au sérieux que nous-mêmes nos déclarations d'intention, incapable de soupçonner le mal sous les grands mots, heureuse simplement qu'il existât quel- que part, par-delà les somnifères, le sexe et l'argent et l'alcool, une église d'un nouveau genre, le germe têtu d'un monde plus noble, plus amical.

On me pique tout. J'ai une sale tête, je le sais — me retirer ma trousse à maquillage, c'est

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vache, ça m'empêche de vivre. Ma peau est grasse, j'ai des points noirs, des cernes, je suis tellement blanche que j'en suis verte... C'est mauvais pour moi toutes ces vieilles, c'est triste. Il y a une gâteuse qui hurle tous les soirs en appelant son fils, il est mort, c'est fou, non ? Il faut que je m'en aille, que je prenne un bain, que je m'habille, que je sorte. Ils m'ont mise au pavillon des vieilles. Peut- être qu'il n'y en a pas d'autre pavillon de femmes. Et personne n'est venu, personne, pourtant je n'ai pas un sou, je ne peux pas sortir comme ça, je ne suis même pas coiffée, il n'y a pas une glace ici. Où est ma coiffeuse ? Je crois qu'elle est cassée, il faut que j'envoie quelqu'un là-bas. Le réfectoire me dégoûte. Je veux une chambre pour moi seule. Est-ce qu'ils ont le droit de me garder longtemps ? Je ne veux pas retourner là-bas, je ne veux pas les revoir. Il faudrait que je trouve un endroit où faire mettre ma coiffeuse. J'ai oublié de lui dire de m'apporter mon carnet. Il faut que je me refasse une santé, je ne peux pas sortir avec cette tête. Ils m'ont mise à l'hôpital pour la coupure. J'ai une coupure au bras gauche. La grosse infirmière qui me déteste dit qu'elle m'a soigné pour ça. J'ai dû casser un verre. J'étais en peignoir dans la rue, je me rappelle le car de Police-secours. Je ne retournerai jamais chez lui. Si en plus je dois me taper les réflexions de sa grand-mère. Je

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GUY HOCQUENGHEM FIN DE SECTION Foutu. Malik, aux yeux de gazelle, frissonna en refermant son cahier. Jamais il ne tournerait la vingt-cin- quième page. Ils étaient pourtant bien partis pour se rencontrer. Lui, Selky, Anna et d'autres. C'était même précisément mon boulot d'arranger ça. Et on aurait évité au moins deux ou trois décès au pied de la blanche inter- calaire. Et j'aurai revu Rosemonde. Mais voilà: ils ne dépassent jamais la fin de section. Vous voyez le genre... GUY HOCQUENGHEM, né en 1946. A publié le Désir homosexuel (1972) et l'Après-Mai des Faunes (1974). [Grasset.]

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