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RJF 10/19OCTOBRE
2019
872>1000
Men
suel
ISSN
243
1-76
16
PAGES
Quand le juge fiscal se met au travailChronique par Vincent VILLETTE, MaĂźtre des requĂȘtes au Conseil dâĂtat
Ă la suite dâune dĂ©cision du Conseil constitutionnel, le juge administratif, pour apprĂ©cier le traitement fiscal Ă rĂ©server aux indemnitĂ©s de licenciement versĂ©es par des voies non contentieuses, a dĂ» sâimproviser juge du travail. Quatre dĂ©cisions rendues par le Conseil dâĂtat au cours de la derniĂšre annĂ©e permettent de mieux apprĂ©hender le rĂŽle exact imparti au juge de lâimpĂŽt en cette matiĂšre. 1185
> Retenue Ă la source sur les bĂ©nĂ©fices des sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres :incompatibilitĂ© avec le droit de lâUE 1225
> La majoration de la base dâimposition de certains revenusmobiliers est constitutionnelle 1267
> Plafonnement ISF-IFI : les bénéfices réalisés par une SCInon répartis sont pris en compte 1288
Assiette de la retenue à la source sur les bénéfices des sociétés étrangÚres : bénéfices réputés distribués ou distributions effectives ? Emmanuelle CORTOT-BOUCHER 1319
Recours pour excĂšs de pouvoir contre le refus par lâadministration dâune option pour la constitution dâun groupe intĂ©grĂ© ? Romain VICTOR 1347
DOCTRINE
DĂCISIONS
CONCLUSIONS
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SAS au capital de 241 608 âŹPPrinrPpa prrnnrp : Ăditions Francis Lefebvre Sarrut
PPprrdeit et drPenteuP de ap Pubarnptrni : Renaud LEFEBVREPerPnirpbae de ap Pubarnptrni : Dominique GAILLARD
NumĂ©ro Commission paritaire : 1020 T 79965Imprimerie Chirat - 744 rue de Sainte Colombe - 42540 Saint Just la PendueDĂ©pĂŽt lĂ©gal : octobre 2019Conception graphique : LâAtelier Martine FichterPublication mensuelle Prix de lâabonnement 2019 : 765,76 ⏠Prix au numĂ©ro : 81,68 ⏠Reliure pour les numĂ©ros de lâannĂ©e : 35,74 âŹ
Caractéristiques environnementales : SuÚde ; sans fibres recyclées ; certification PEFC ; eutrophisation : 30 g/t
© Ăditions Francis Lefebvre 2019Reproduction, mĂȘme partielle, interdite sans autorisation
42, rue de Villiers92532 Levallois-Perret Cedex
TĂ©l.: 01 41 05 22 00Fax : 01 41 05 22 30
http://www.ef.fr
RJF 10/19
872 >1000
SOMMAIRE PAGES
LâESSENTIEL 1182
DOCTRINE
CHRONIQUEQuand le juge fiscal se met au travailVincent Villette 1185
DĂCISIONS
Sommaire détaillé des décisions 1195ImpÎt sur le revenu global 1196Bénéfices industriels et commerciaux 1196ImpÎt sur les sociétés 1206Taxe sur la valeur ajoutée 1215ImpÎts divers à la charge des entreprises 1216Bénéfices non commerciaux 1218Traitements et salaires 1219Revenus de capitaux mobiliers 1224Fiscalité immobiliÚre 1230Fiscalité locale 1236RÚgles communes à divers impÎts 1250Contentieux 1267Peines correctionnelles 1285Recouvrement 1285Enregistrement, IFI, ISF, timbre et droits assimilés 1288Taxes et prélÚvements divers 1289Droit européen 1302
CONCLUSIONS
Sommaire détaillé des conclusions 1307
ABRĂVIATIONS 1355TABLE CHRONOLOGIQUE DES DĂCISIONS 3 de couverture
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RJF 10/19
1182 © Ăditions Francis Lefebvre
LâESSENTIEL
La plus-value de cession dâun fonds par lâabsorbĂ©e pendant la pĂ©riode intercalaire peut ĂȘtre exonĂ©rĂ©eSe fondant sur le caractĂšre intercalaire des fusions placĂ©es sous le rĂ©gime spĂ©cial, la cour de Lyon autorise une sociĂ©tĂ© absorbante Ă demander lâexonĂ©ration de la plus-value rĂ©ali-sĂ©e par la sociĂ©tĂ© absorbĂ©e Ă lâoccasion de la cession de son fonds de commerce Ă un tiers intervenue pendant la pĂ©riode de rĂ©troactivitĂ©.CAA Lyon 29-1-2019 no 17LY00789, StĂ© Arverne Participations
ExpatriĂ©s : la durĂ©e dâactivitĂ© Ă lâĂ©tranger comprend les congĂ©s placĂ©s sur un compte Ă©pargne-tempsLes congĂ©s de rĂ©cupĂ©ration sont pris en compte pour le calcul de la durĂ©e totale dâactivitĂ© dâun salariĂ© envoyĂ© Ă lâĂ©tranger par son employeur, y compris lorsquâils sont placĂ©s sur un compte Ă©pargne-temps.CE 3e-8e ch. 24-6-2019 no 419679
Retenue Ă la source sur les bĂ©nĂ©fices des sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres : lâassiette est limitĂ©e Ă la base lĂ©galeLa retenue Ă la source sur les bĂ©nĂ©fices rĂ©alisĂ©s en France par une sociĂ©tĂ© Ă©trangĂšre est calculĂ©e sur les bĂ©nĂ©fices rĂ©putĂ©s distribuĂ©s au sens de lâarticle 115 quinquies du CGI. Lâadministration ne peut retenir une assiette supĂ©rieure Ă cette base lĂ©gale.CE 3e-8e ch. 24-6-2019 no 413156, StĂ© Estienne dâOrves
Retenue Ă la source sur les bĂ©nĂ©fices des sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres : incompatibilitĂ© avec le droit de lâUELe mode de calcul de la retenue Ă la source due par les sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres qui rĂ©alisent des bĂ©nĂ©fices en France via un Ă©tablissement stable constitue une entrave Ă la libertĂ© dâĂ©tablissement.CE 9e-10e ch. 10-7-2019 no 412581, StĂ© Cofinimmo
La majoration de la base dâimposition de certains revenus mobiliers est constitutionnelleLe Conseil constitutionnel juge conforme Ă la Constitution la majoration de 25 % de la base dâimposition des distributions occultes ou des revenus rĂ©putĂ©s distribuĂ©s.Cons. const. 28-6-2019 no 2019-793 QPC
BĂNĂFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUXBĂNĂFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX
DĂ©cisions >875Conclusions @ C 875
TRAITEMENTS ET SALAIRESTRAITEMENTS ET SALAIRES
DĂ©cisions >903Conclusions @ C 903
REVENUS DE CAPITAUX MOBILIERSREVENUS DE CAPITAUX MOBILIERS
DĂ©cisions >905Conclusions C 905
DĂ©cisions >906Conclusions C 906
DĂ©cisions >951
10/19 RJF
1183© Ăditions Francis Lefebvre
La cotisation minimum de CFE est Ă©tablie au lieu oĂč lâactivitĂ© sâexerce Ă titre principalLa cotisation minimum de CFE doit ĂȘtre Ă©tablie dans la commune oĂč lâentreprise exerce son activitĂ© Ă titre principal, qui nâest pas nĂ©cessairement celle oĂč se situe son siĂšge social.CE 9e-10e ch. 10-7-2019 no 413947, StĂ© RhĂŽne-Alpes Papiers PeintsCE 9e-10e ch. 10-7-2019 no 413946, StĂ© Coloralp
Une vĂ©rification de comptabilitĂ© peut emporter rectification de taxes postĂ©rieures Ă la pĂ©riode visĂ©eLe Conseil dâĂtat continue dâĂ©toffer sa jurisprudence relative aux conditions dans les-quelles une taxe peut ĂȘtre Ă©tablie, Ă lâissue dâune vĂ©rification de comptabilitĂ©, au titre dâune pĂ©riode nâincluant pas celle indiquĂ©e dans lâavis de vĂ©rification.CE 9e-10e ch. 19-6-2019 no 413276, SNC Parkings du Polygone
Une exception sous condition Ă lâobligation de communication de documents obtenus de tiersSous certaines conditions, le Conseil dâĂtat dispense lâadministration de transmettre les documents obtenus dâune sociĂ©tĂ© dont le reprĂ©sentant lĂ©gal lui demande ensuite la com-munication dans le cadre du contrĂŽle de son foyer fiscal.CE 10e-9e ch. 27-6-2019 no 421373, min. c/ A.
Le refus dâaccĂšs au rĂ©gime de groupe peut faire lâobjet dâun recours pour excĂšs de pouvoirLe refus opposĂ© par lâadministration, pour dĂ©faut de respect des conditions dâapplica-tion, Ă lâoption pour la constitution dâun groupe intĂ©grĂ© qui lui a Ă©tĂ© notifiĂ©e peut faire lâobjet dâun recours pour excĂšs de pouvoir.CE 8e-3e ch. 1-7-2019 no 421460, StĂ© Biomnis
Plafonnement ISF-IFI : les bĂ©nĂ©fices rĂ©alisĂ©s par une SCI non rĂ©partis sont pris en comptePour le calcul du plafonnement de lâimpĂŽt sur la fortune dont est redevable un associĂ© dâune sociĂ©tĂ© de personnes, la quote-part de bĂ©nĂ©fices sociaux lui revenant doit ĂȘtre prise en compte, mĂȘme si ces bĂ©nĂ©fices nâont pas Ă©tĂ© distribuĂ©s.Cass. com. 28-3-2019 no 17-23.671 FS-PB
FISCALITĂ LOCALEFISCALITĂ LOCALE
DĂ©cisions >924Conclusions @ C 924
RĂGLES COMMUNES Ă DIVERS IMPĂTSRĂGLES COMMUNES Ă DIVERS IMPĂTS
DĂ©cisions >940Conclusions C 940
DĂ©cisions >942Conclusions C 942 et 975
CONTENTIEUXCONTENTIEUX
DĂ©cisions >965Conclusions C 965
ENREGISTREMENT, IFI, ISF, TIMBRE ET DROITS ASSIMILĂSENREGISTREMENT, IFI, ISF, TIMBRE ET DROITS ASSIMILĂS
DĂ©cisions >983
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1185© Ăditions Francis Lefebvre
CHRONIQUECHRONIQUE
Quand le juge fiscal se met au travail
Vincent VILLETTEMaĂźtre des requĂȘtes au Conseil dâĂtat
Ă la suite dâune dĂ©cision du Conseil constitutionnel, le juge administratif, pour apprĂ©cier le traitement fiscal Ă rĂ©server aux indemnitĂ©s de licenciement versĂ©es par des voies non contentieuses, a dĂ» sâimproviser juge du travail. Quatre dĂ©cisions rendues par le Conseil dâĂtat au cours de la derniĂšre annĂ©e permettent de mieux apprĂ©hender le rĂŽle exact imparti au juge de lâimpĂŽt en cette matiĂšre.
> CE 5-7-2018 no 401157 : RJF 11/18 no 1100, concl. Vincent Daumas p. 1488 (C 1100) ;
> CE 30-1-2019 no 414136 : RJF 4/19 no 333, concl. Aurélie Bretonneau p. 524 (C 333) ;
> CE 13-3-2019 no 408498 : RJF 6/19 no 539, concl. Laurent Cytermann @ (C 539) ;
> CE 7-6-2019 no 419455 : RJF 8-9/19 no 782, concl. Anne Iljic p. 1163 (C 782).
Si le juge de lâimpĂŽt est peu habituĂ© aux subtilitĂ©s du droit du travail, il a Ă©tĂ© amenĂ©, incidemment, Ă en connaĂźtre au travers du sort fiscal Ă rĂ©server aux indemnitĂ©s de licenciement. Depuis juillet 2018, le Conseil dâĂtat a ainsi rendu quatre dĂ©cisions qui prĂ©cisent les contours de lâoffice du juge en cette matiĂšre. Les explorer permet de mesurer, Ă lâaune tant des principes fixĂ©s que des solutions dâespĂšce retenues, la singularitĂ© du rĂŽle ici dĂ©volu au juge administratif.
Dâune casuistique subtile du juge administratif aux catĂ©gorisations lĂ©gislatives Mais avant dâen venir Ă ces dĂ©cisions rĂ©centes, deux sĂ©ries de rap-pels semblent nĂ©cessaires.
En premier lieu, il convient de revenir briĂšvement sur lâĂ©volution du cadre juridique pertinent. En lâabsence de dispositions lĂ©gis-latives, câest la jurisprudence du Conseil dâĂtat qui a longtemps façonnĂ© le traitement fiscal des indemnitĂ©s de licenciement. Pour faire Ă©cho Ă lâanalyse quâen proposait lâun de nos prĂ©dĂ©cesseurs(1) au dĂ©but des annĂ©es 1990, cette construction prĂ©torienne Ă©tait alors traversĂ©e par deux tendances fortes et divergentes. Dâune part, en thĂ©orie, un principe clairement fixĂ© : lâindemnitĂ© Ă©tait imposĂ©e en tant quâelle rĂ©parait la perte de salaire subie, et non imposĂ©e en tant quâelle recouvrait des prĂ©judices autres que pĂ©cu-niaires. Ainsi que lâexpliquait C. Legras dans ses conclusions sur la dĂ©cision M. G.(2), cette approche traduisait en quelque sorte le fait que lâindemnitĂ© Ă©tait, dans sa premiĂšre facette, un substi-tut de revenu et, dans la seconde, une compensation de la perte en capital humain. Dâautre part, et en pratique, une casuistique fine â en fonction des circonstances de chaque espĂšce et sans critĂšres juridiques positifs clairs â qui conduisait en dĂ©finitive le Conseil dâĂtat Ă se muer en « juge de paix » lorsquâil qualifiait les
(1) IndemnitĂ©s de licenciement : quand le Conseil dâĂtat se fait juge de paix, J. Turot, RJF 4/91 p. 235.
(2) CE 24-6-2013 no 365253, M. G. : RJF 10/13 no 963.
indemnitĂ©s en litige, au dĂ©triment de la cohĂ©rence dâensemble de sa jurisprudence.
Câest pour remĂ©dier Ă cette imprĂ©visibilitĂ©(3) que le lĂ©gislateur a souhaitĂ© intervenir en 1999. Sâil a posĂ©, par la loi(4) de finances pour 2000, le principe dâune imposition de « toute indemnitĂ© versĂ©e Ă lâoccasion de la rupture du contrat de travail », celui-ci a Ă©tĂ© immĂ©diatement assorti dâun certain nombre dâexceptions. Lâarticle 80 duodecies du CGI a ainsi prĂ©vu un systĂšme com-plexe, voire byzantin(5), dâexonĂ©rations â qui reprĂ©senteraient une dĂ©pense fiscale globale de lâordre de 300 millions dâeuros(6). A dâabord Ă©tĂ© instaurĂ©e une exonĂ©ration totale Ă hauteur de la fraction correspondant au montant prĂ©vu par la convention collective de branche, lâaccord professionnel ou, Ă dĂ©faut, par la loi. Pour le surplus, une exonĂ©ration supplĂ©mentaire a Ă©galement Ă©tĂ© instituĂ©e Ă hauteur de la plus grande de deux rĂ©fĂ©rences(7). Enfin, dâune part, un montant en valeur absolue a Ă©tĂ© fixĂ© au-delĂ duquel â en toute hypothĂšse â lâindemnitĂ© se voit forcĂ©ment taxĂ©e ; dâautre part, certaines indemnitĂ©s ont Ă©tĂ© par principe
(3) Dont on trouve un Ă©cho plus saillant encore dans les dĂ©bats houleux qui ont longtemps agitĂ© la doctrine privatiste quant Ă la nature des indemnitĂ©s de licenciement (salariale, indemnitaire, compensatoire) â Voir sur ce point Propos hĂ©tĂ©rodoxes sur lâindemnitĂ© de licenciement, J. Icard, JCP S 2014, act. 393.
(4) Loi 99-1172 du 30 dĂ©cembre 1999 de finances pour 2000.(5) Pour reprendre lâexpression retenue par L. Stankiewicz dans la Revue
française de droit constitutionnel (2014/1 no 97), dans le commentaire consacré à la décision Cons. const. 20-9-2013 no 2013-340 QPC.
(6) Avec une marge dâerreur non nĂ©gligeable compte tenu du caractĂšre clairsemĂ© des donnĂ©es publiques disponibles. Voir nĂ©anmoins : le chif-frage rĂ©alisĂ© par lâinspection gĂ©nĂ©rale des finances (IGF), dans le rap-port du comitĂ© dâĂ©valuation des dĂ©penses fiscales et des niches sociales (juin 2011) et le montant chiffrĂ© dans le projet de loi de finances pour 2016 (285 MâŹ) Ă©voquĂ© dans le rĂ©fĂ©rĂ© de la Cour des comptes du 11 oc-tobre 2016, relatif au rĂ©gime fiscal et social des indemnitĂ©s de licencie-ment et de rupture conventionnelle du contrat de travail.
(7) Le double de la rĂ©munĂ©ration brute perçue lâannĂ©e prĂ©cĂ©dant la rup-ture du contrat, ou la moitiĂ© des indemnitĂ©s de licenciement versĂ©es.
DOCTRINE
RJF 10/19 DOCTRINE
1186 © Ăditions Francis Lefebvre
exonĂ©rĂ©es au motif, soit quâelles venaient rĂ©parer un prĂ©judice important subi par le salariĂ© (le licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse ou le licenciement entachĂ© de nullitĂ© Ă raison de har-cĂšlement, par exemple), soit quâelles se rattachaient Ă un com-portement que le Parlement souhaitait encourager (par exemple les dĂ©parts volontaires dans le cadre dâune rupture convention-nelle collective ou dâun plan social, en ce quâils permettent dâĂ©vi-ter les dĂ©parts contraints). Au total, ce traitement fiscal nuancĂ© traduisait le souci du lĂ©gislateur, non pas tant de contrebattre la jurisprudence du Conseil dâĂtat(8) que de la formaliser pour amĂ©liorer la sĂ©curitĂ© juridique, afin que le salariĂ© soit en mesure de dĂ©terminer la somme dont il aurait effectivement la jouis-sance au moment de la nĂ©gociation du montant de son indem-nitĂ© de rupture.
Mais ces dispositions lĂ©gislatives ont, Ă leur tour, Ă©tĂ© sous le feu des critiques en raison de leur manque de lisibilitĂ© et dâĂ©quitĂ©(9). La Cour des comptes a notamment suggĂ©rĂ©, en 2016(10), de mettre fin à « lâopacitĂ© de ce dispositif complexe », en alignant et en abaissant le plafond dâexonĂ©ration pour toutes les indem-nitĂ©s de licenciement. Pour autant, si plusieurs lois ultĂ©rieures ont modifiĂ© certains paramĂštres de ce rĂ©gime fiscal â en rĂ©ac-tion notamment Ă des Ă©volutions plus gĂ©nĂ©rales du droit du travail (introduction des ruptures conventionnelles(11), etc.) â, son Ă©conomie gĂ©nĂ©rale nâa pas Ă©tĂ© significativement bouleversĂ©e depuis lors.
En second lieu, quelques statistiques permettent de mieux apprĂ©-hender lâampleur du sujet. Si le nombre total de licenciements ne fait pas, Ă notre connaissance, lâobjet de statistiques officielles(12), il peut ĂȘtre reconstituĂ© Ă partir des statistiques de la Dares : il se serait ainsi Ă©levĂ© Ă un peu plus dâun million en 2017, dont environ 75 000 pour motif Ă©conomique (contre environ 420 000 ruptures conventionnelles(13)). Les licenciements comptaient ce faisant pour 21,7 % des ruptures anticipĂ©es du contrat (contre prĂšs de 40 % pour les dĂ©missions(14), et 9 % pour les ruptures conventionnelles), soit 16,6 points de moins quâen 1993. Enfin, la judiciarisation des licenciements reste mesurĂ©e puisque le taux de contestation des licenciements individuels, proche de celui de lâAllemagne, oscille entre 25 et 30 %, tandis quâil chute Ă 3 % pour les licenciements Ă©conomiques(15).
(8) La part des indemnitĂ©s censĂ©e reflĂ©ter la rĂ©paration dâun prĂ©judice autre que la perte de salaires se retrouvant encore peu ou prou exonĂ©-rĂ©e.
(9) Cf. le rapport prĂ©citĂ© de juin 2011 du comitĂ© dâĂ©valuation des dĂ©penses fiscales et des niches sociales.
(10) Référé du 11 octobre 2016, relatif au régime fiscal et social des indem-nités de licenciement et de rupture conventionnelle du contrat de tra-vail.
(11) Ces ruptures, dont la loi prĂ©cise quâelles sont « exclusives du licencie-ment ou de la dĂ©mission » (art. L 1237-11 du Code du travail) font lâobjet dâun traitement fiscal propre au 6o du 1 de lâarticle 80 duodecies, et ne sont donc pas concernĂ©es par les dĂ©veloppements de la prĂ©sente chronique.
(12) MĂȘme sâil peut ĂȘtre dĂ©terminĂ© approximativement Ă partir des motifs dâinscription Ă PĂŽle emploi, dont les chiffres sont publiĂ©s chaque tri-mestre.
(13) https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2019-008.pdf.(14) https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2018-026v2.pdf.(15) Voir « Déjudiciariser les licenciements : des économistes au légis-
lateur », T. Kirat, ReVoir TraVoir 2019.242. Pour des chiffres infé-rieurs quoique proches (respectivement autour de 20 et 2 %, Voir « La rupture conventionnelle : objets officiels versus enjeux implicites », N. Berta, Camille Signoretto et J. Valentin, Revue française de socio-économie, 2012/1 no 9, p. 191-208).
Des catégorisations législatives à une casuistique subtile du juge constitutionnel
Tirant toutes les consĂ©quences de lâesprit comme de la lettre de ces nouvelles dispositions lĂ©gislatives, le Conseil dâĂtat a logiquement jugĂ© que toute indemnitĂ© perçue Ă lâoccasion de la rupture du contrat de travail est imposable, sauf si elle correspond Ă lâune des indemnitĂ©s exonĂ©rĂ©es par dĂ©termination de la loi(16). En quelque sorte le lĂ©gislateur, en formalisant le rĂ©gime applicable aux indem-nitĂ©s de licenciement, a dans le mĂȘme mouvement pĂ©trifiĂ© la marge de manĆuvre du juge, de sorte que les ruptures nâentrant pas dans les clous des dĂ©rogations prĂ©vues Ă lâarticle 80 duodecies se retrou-vaient nĂ©cessairement soumises Ă lâimpĂŽt. Câest ainsi que, dans le silence des textes, les indemnitĂ©s versĂ©es Ă la suite dâune transac-tion (le cas Ă©chĂ©ant aprĂšs prise dâacte) ou dâune sentence rendue par un arbitre intervenant en tant quâamiable compositeur se sont vues destinĂ©es Ă la taxation systĂ©matique(17), lĂ oĂč auparavant le juge se dĂ©terminait en fonction de ce que lâindemnitĂ© litigieuse avait vocation Ă rĂ©parer, indĂ©pendamment de son origine(18).
En rĂ©action, des contribuables nâont pas tardĂ© Ă contester cette taxation systĂ©matique nouvelle au regard du principe dâĂ©galitĂ©, par le biais dâune QPC(19). Le Conseil constitutionnel, dĂ©celant oppor-tunĂ©ment dans lâanalyse, pourtant littĂ©rale, du Conseil dâĂtat un changement de circonstance de droit de nature Ă justifier un rĂ©exa-men de lâarticle 80 duodecies quâil avait eu Ă connaĂźtre dans le cadre de son contrĂŽle a priori, a Ă©tendu la portĂ©e de cet article par le biais dâune rĂ©serve dâinterprĂ©tation constructive. Il a en effet jugĂ©(20) que les dispositions de lâarticle 80 duodecies « ne sauraient, sans instituer une diffĂ©rence de traitement sans rapport avec lâobjet de la loi, conduire Ă ce que le bĂ©nĂ©fice [des exonĂ©rations prĂ©vues par cet article] varie selon que lâindemnitĂ© a Ă©tĂ© allouĂ©e en vertu dâun jugement, dâune sentence arbitrale ou dâune transaction ; quâen particulier, en cas de transaction, il appartient Ă lâadministra-tion et, lorsquâil est saisi, au juge de lâimpĂŽt de rechercher la quali-fication Ă donner aux sommes objet de la transaction ».
Cette solution revenait donc Ă inviter lâadministration, et Ă sa suite le juge, Ă se dĂ©terminer en fonction du motif sous-jacent de lâin-demnitĂ© litigieuse, en neutralisant les modalitĂ©s de son allocation. Par cette dĂ©cision, il est probable que le Conseil constitutionnel a Ă©tĂ© sensible au fait que lâinterprĂ©tation littĂ©rale « en arrivait Ă ce paradoxe que le salariĂ© qui prĂ©fĂ©rait composer pour Ă©viter de traĂźner son employeur devant les prudâhommes Ă©tait rĂ©compensĂ© par une sanction fiscale » (21). Il a, ce faisant, voulu Ă©viter quâun double standard fiscal freine « les tendances actuelles [du droit du
(16) Voir notamment : CE 5-5-2010 no 309803, Arribart : RJF 7/10 no 677, concl. P. Collin BDCF 7/10 no 77.
(17) Voir par une lecture a contrario de la dĂ©cision CE 20-6-2012 no 345120, min. c/ Lavannant : RJF 10/12 no 914, Ă©clairĂ©e par les conclusions de V. Daumas BDCF 10/12 no 113, qui admet de tenir compte, pour lâap-plication de lâarticle 80 duodecies, dâune sentence arbitrale seulement parce quâelle a Ă©tĂ© rendue conformĂ©ment Ă lâarticle L 122-14-4 du Code du travail.
(18) Voir, Ă propos dâune indemnitĂ© transactionnelle, CE 6-1-1984 no 32528, Banque de lâUnion europĂ©enne : RJF 3/84 no 287 ou en-core CE 27-10-2010 no 315056, Scherrer : RJF 1/11 no 67. Ă propos dâune sentence arbitrale : CE 15-10-1982 no 29057, StĂ© X : RJF 12/82 no 1106.
(19) CE 24-6-2013 no 365253 : RJF 10/13 no 963.(20) Cons. const. 20-9-2013 no 2013-340 QPC : RJF 12/13 no 1162.(21) Le sort fiscal des indemnités de licenciement abusif en cas de rupture
négociée du contrat de travail : retour vers le futur, JP. Looten, Les nouvelles fiscales, no 1161, 1-9-2015.
DOCTRINE 10/19 RJF
1187© Ăditions Francis Lefebvre
travail], libĂ©rant la volontĂ© du travailleur et privilĂ©giant les alterna-tives aux voies contentieuses » (22), ce dâautant plus que la justice du travail est confrontĂ©e Ă des difficultĂ©s persistantes, tenant notam-ment Ă lâimprĂ©visibilitĂ© de ses dĂ©cisions(23), Ă dâimportants dĂ©lais de jugement (16,3 mois en moyenne en 2018) et Ă un taux dâappel extrĂȘmement fort (66,7 % en 2016 contre 5,7 % pour les tribunaux dâinstance ou 21,6 % pour les tribunaux de grande instance(24)). Pour autant une telle rĂ©serve dâinterprĂ©tation, quoique assise sur de solides considĂ©rations dâopportunitĂ©, a aussi emportĂ©, Ă lâusage, deux inconvĂ©nients. Dâune part, elle recrĂ©e une imprĂ©visibilitĂ© Ă laquelle le lĂ©gislateur avait prĂ©cisĂ©ment entendu remĂ©dier. Dâautre part, elle conduit le juge administratif de lâimpĂŽt Ă endosser les habits prudâhomaux, pour ensuite tirer les consĂ©quences fiscales de la qualification quâil aura retenue au regard dâun droit du travail dont il nâest pas le juge naturel. Ce sont ces nouveaux dĂ©fis que les dĂ©cisions commentĂ©es se sont efforcĂ©es de relever.
Le Conseil dâĂtat retient un rĂ©gime de preuve objective
En sâĂ©mancipant de la stricte application de la loi, le Conseil consti-tutionnel a donc ouvert la voie Ă un dĂ©bat sur la qualification des indemnitĂ©s allouĂ©es par des voies non contentieuses. Le Conseil dâĂtat a dâemblĂ©e marquĂ© sa vigilance sur le sujet, puisquâil a choi-si dâexercer en cassation un contrĂŽle de qualification juridique tant sur la notion de rupture de contrat revĂȘtant le caractĂšre dâun licenciement(25) que sur la cause du licenciement(26).
Sâest rapidement posĂ©e la question du rĂ©gime de preuve appli-cable Ă ce nouveau dĂ©bat contentieux, sâagissant en particulier du point de savoir si une indemnitĂ© allouĂ©e Ă la suite dâune tran-saction pouvait ĂȘtre regardĂ©e comme une indemnitĂ© pour licen-ciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse, Ă ce titre totalement exo-nĂ©rĂ©e. Par une dĂ©cision du 5 juillet 2018(27), le Conseil dâĂtat a tranchĂ© cette premiĂšre interrogation en optant pour un rĂ©gime de preuve objective.
Ă la lumiĂšre des conclusions du rapporteur public V. Daumas, ce choix semble tout autant le fruit dâun raisonnement par Ă©li-mination que dâun raisonnement par choix(28). Par Ă©limina-tion dâabord. Exiger du contribuable quâil dĂ©montre que son
(22) La transaction en droit du travail : quelle autonomie au regard du droit commun ?, J. Mouly, RJS 7/19 p. 499.
(23) Voir Déjudiciariser les licenciements : des économistes au législateur, T. Kirat, RD Trav. 2019 p. 242.
(24) Les chiffres citĂ©s sont issus de : Sur la justice prudâhomale, Rapport dâinformation sĂ©natorial no 653, https://www.senat.fr/rap/r18-653/r18-653_mono.html#toc116.
(25) CE 24-1-2014 no 352949, Jarnoux : RJF 4/14 no 335, concl. C. Legras BDCF 4/14 no 42.
(26) CE 13-3-2019 no 408498 : RJF 6/19 no 539, concl. L. Cytermann @ (C 539).(27) CE 5-7-2018 no 401157 : RJF 11/18 no 1100, concl. V. Daumas p. 1488
(C 1100).(28) Ă la lumiĂšre de ces considĂ©rations, il est logique quâun rĂ©gime de
preuve diffĂ©rent ait Ă©tĂ© retenu en cas de prise dâacte. En effet, dans cette hypothĂšse, la rupture du contrat de travail est Ă lâinitiative du salariĂ©, et lâalternative se prĂ©sente alors en deux branches : soit ce sala-riĂ© dĂ©montre quâune telle rupture est en rĂ©alitĂ©, compte tenu de lâatti-tude de son employeur, assimilable Ă un licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse, soit il nây parvient pas et alors cette rupture est regardĂ©e comme une dĂ©mission. Suivant la Cour de cassation (Cass. soc. 28-11-2006 no 05-43.901 D), le Conseil dâĂtat a dĂ©duit de cette configuration particuliĂšre que la charge de la preuve pesait en ce cas sur le salariĂ© (CE 1-4-2015 no 365253 : RJF 6/15 no 487, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon BDCF 6/15 no 69).
employeur « nâavait aucune bonne raison de le licencier » serait revenu Ă faire peser sur lui une charge de la preuve nĂ©gative, voie dans laquelle le juge ne sâengage quâavec rĂ©ticences. Ă lâinverse, exiger ce premier pas de lâadministration nâaurait pas Ă©tĂ© rĂ©aliste, compte tenu de son faible niveau dâinformations quant aux cir-constances entourant la rupture du contrat. Par choix, ensuite. Outre la rĂ©daction mĂȘme de la rĂ©serve dâinterprĂ©tation, qui plai-dait plutĂŽt pour un rĂ©gime objectif, la solution ici retenue cor-respond Ă lâesprit dans lequel le Conseil dâĂtat sâest « rĂ©solument orientĂ© » (29) dĂšs lors quâest discutĂ©e lâapplication dâun rĂ©gime dâexonĂ©ration(30). Au surplus, ce rĂ©gime de preuve correspond aussi Ă celui en vigueur devant le juge du travail : depuis la loi(31) du 13 juillet 1973 qui a tirĂ© les consĂ©quences du caractĂšre inĂ©ga-litaire du droit du travail(32), la charge de la preuve nâincombe plus spĂ©cialement Ă lâune des parties â câest-Ă -dire, pour reprendre le mot du prĂ©sident Laroque(33), quâ« elle incombe au juge » (34).
Ce cadre probatoire a depuis Ă©tĂ© confirmĂ© par une seconde dĂ©cision du 30 janvier dernier(35) sous lâempire dâune version de lâarticle 80 duodecies ultĂ©rieure Ă celle ayant fait lâobjet de la rĂ©serve dâinterprĂ©tation. DĂšs lors que ces dispositions Ă©taient en substance identiques, le Conseil dâĂtat a sans surprise repris la solution dĂ©gagĂ©e Ă propos de lâancien texte mais sans pour au-tant se fonder explicitement sur la dĂ©cision QPC. Ce faisant, il a confirmĂ© sa jurisprudence de section Lesourd(36) qui, tout en en reprenant la substance, se refuse formellement Ă Ă©tendre « par ricochet » (37), Ă des dispositions analogues postĂ©rieures(38), lâauto-ritĂ© absolue(39) de chose jugĂ©e attachĂ©e aux rĂ©serves dâinterprĂ©-tation du Conseil constitutionnel. On notera toutefois que dans cette dĂ©cision, Ă dĂ©faut dâun franc coup de chapeau Ă son voi-sin de la rue de Montpensier, le Conseil dâĂtat lui adresse une Ćillade complice en mentionnant la Constitution dans les visas des textes.
(29) Pour reprendre les mots du président Goulard dans ses conclusions sur CE 26-2-2003 nos 223092-223293, Sté Pierre de Reynal et Cie : RJF 5/03 no 607 avec concl. G. Goulard p. 403.
(30) Voir par exemple : CE 27-7-2005 nos 273619 et 273620, Sté Fauba France : RJF 11/05 no 1173, concl. L. Olléon BDCF 11/05 no 129.
(31) Loi 73-680 portant modification du Code du travail en ce qui concerne la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée.
(32) Auparavant, le contrat de travail, qui sâappelait « contrat de louage de service », Ă©tait rĂ©gi par les principes civilistes en vertu desquels « cha-cune des parties au contrat disposait du droit de rĂ©silier unilatĂ©rale-ment le contrat pour un motif qui lui Ă©tait propre, en respectant les rĂšgles de procĂ©dure prĂ©vues au contrat, sauf Ă rĂ©pondre des abus de ce droit devant la justice » (conclusions dâE. Prada-Bordenave sur CE sect. 21-12-2001 no 224605 : RJS 3/02 no 304). Il incombait alors au salariĂ© qui estimait ĂȘtre victime dâune rupture abusive de son contrat de travail de prouver devant le juge lâabus commis par lâemployeur dans lâexercice de son droit de licenciement.
(33) Ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation.(34) La preuve en droit du travail. Contestation du licenciement, convic-
tion et doute du juge prudâhomal, L. Gamet, in La preuve : regards croisĂ©s, Dalloz, 2015, p. 29 s.
(35) CE 30-1-2019 no 414136 : RJF 4/19 no 333, concl. A. Bretonneau p. 524 (C 333).
(36) CE 22-6-2007 no 228206, Lesourd, p. 253.(37) Les rĂ©serves dâinterprĂ©tation « par ricochet » : retour sur lâĂ©tendue
de lâautoritĂ© de chose jugĂ©e des dĂ©cisions du Conseil constitutionnel, J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau, AJDA 2007.2130.
(38) Cette solution ne vaut pas sâagissant de dispositions antĂ©rieures : CE 28-1-2019 no 407421 : RJF 4/19 no 348, concl. Ă. Bokdam-Tognetti p. 531 (C 348).
(39) Sur lâautoritĂ© absolue sâagissant de rĂ©serves Ă©mises Ă lâoccasion dâune QPC : CE 26-3-2012 no 340466 : RJF 6/12 no 553.
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Les rĂšgles du jeu Ă©tant ainsi posĂ©es, restait alors le point le plus Ă©pineux, consistant pour le juge administratif de lâimpĂŽt Ă apprĂ©-cier la cause du licenciement lorsque lâindemnitĂ© est versĂ©e Ă lâissue dâune transaction(40). La difficultĂ© Ă©tait double.
En premier lieu, on lâa dit, si lâindemnitĂ© a Ă©tĂ© versĂ©e Ă lâissue dâune transaction, câest par construction que le juge du tra-vail nâa pas eu Ă connaĂźtre du litige. Certes, il est vrai que les dĂ©cisions de ce juge ne peuvent ĂȘtre (Ă la diffĂ©rence de celles du juge pĂ©nal(41)) revĂȘtues de lâautoritĂ© absolue de chose jugĂ©e et que leur autoritĂ© relative ne trouve pas davantage Ă jouer en matiĂšre fiscale, faute dâidentitĂ© dâobjet. Par ailleurs, on sait aussi quâen principe le juge de lâimpĂŽt ne se sent pas liĂ© par la qualification donnĂ©e par le juge judiciaire Ă une indemnitĂ© al-louĂ©e au contribuable(42). Pour autant, dans le cas particulier de lâarticle 80 duodecies du CGI oĂč les exonĂ©rations sont dĂ©finies par simple renvoi au Code du travail, le juge de lâimpĂŽt â en pratique sinon en pur droit â se sent liĂ© par lâautoritĂ© persuasive de la qualification retenue par le juge naturellement compĂ©tent, ainsi quâen tĂ©moigne la dĂ©cision M. et Mme D(43) Ă©clairĂ©e par les conclusions dâE. Cortot-Boucher. En sens inverse, on relĂšvera dâailleurs que, dans lâhypothĂšse oĂč le juge administratif annule une autorisation de licenciement dâun salariĂ© protĂ©gĂ© au mo-tif que les faits fautifs invoquĂ©s soit ne sont pas Ă©tablis, soit ne justifient pas la mesure de licenciement, la Cour de cassation, pour « assurer la cohĂ©rence du statut du salariĂ© protĂ©gĂ© et celle des dĂ©cisions administratives et judiciaires(44) » juge que cette dĂ©cision juridictionnelle « sâoppose Ă ce que le juge judiciaire, apprĂ©ciant les mĂȘmes faits, dĂ©cide quâils constituent une cause rĂ©elle et sĂ©rieuse de licenciement » (45). Au total, sans dĂ©cision judiciaire, le juge administratif se retrouve donc privĂ© dâun re-pĂšre prĂ©cieux.
En second lieu, les spĂ©cificitĂ©s de la transaction accentuent encore cette premiĂšre difficultĂ©. DĂ©finie Ă lâarticle 2044 du Code civil comme « un contrat par lequel les parties ter-minent une contestation nĂ©e ou prĂ©viennent une contestation Ă naĂźtre », la transaction est nĂ©cessairement postĂ©rieure Ă la rupture du contrat de travail(46). Sa validitĂ© suppose lâexistence de concessions rĂ©ciproques(47), sur la suffisance desquelles la Cour de cassation exerce dâailleurs un « contrĂŽle approfondi » (48) pour sâassurer « quâaucun des protagonistes ne perde la face et sâincline seul » (49). Or cet Ă©quilibre qui doit se dĂ©gager du contrat, sâil est un « vĂ©ritable vecteur de pacification entre
(40) Ătant entendu que la difficultĂ©, qui ne sâest pas encore prĂ©sentĂ©e au contentieux, sera Ă©quivalente lorsque le juge aura Ă se confronter Ă une sentence rendue par un arbitre intervenant en qualitĂ© dâamiable compositeur.
(41) Pour une rĂ©affirmation rĂ©cente, Voir CE sect. 16-2-2018 no 395371 : RJF 5/18 no 536, concl. Ă. CrĂ©pey p. 730 (C 536).
(42) Voir en ce sens CE 30-7-2003 no 221005, min. c/ Emmanuelli : RJF 11/03 no 1213, concl. C. Maugué BDCF 11/03 no 133.
(43) CE 22-5-2017 no 395440 : RJF 8-9/17 no 800, concl. E. Cortot- Boucher p. 1183 (C 800).
(44) C. Cass., rapport annuel 2007, p. 364.(45) Cass. soc. 30-6-2016 no 15-11.424 FS-PB : RJS 10/16 no 641.(46) Cass. soc. 16-5-2000 no 98-44.629 FS-D.(47) Voir, parmi de nombreux exemples, Cass. soc. 20-12-2017 no 16-
23.026.(48) La transaction en droit du travail : quelle autonomie au regard
du droit commun ?, J. Mouly, RJS 7/19 p. 499. Pour un exemple : Cass. soc. 25-6-1995 no 92-40.194 : RJS 8-9/95 no 889.
(49) Les concessions réciproques dans la transaction, C. Jarrosson, Recueil Dalloz 1997.267.
litigants » (50), miroite avec lâapprĂ©ciation que doit porter le juge de lâimpĂŽt sur lâexistence dâun licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse, qui elle repose davantage sur une logique mani-chĂ©enne â Ă tout le moins binaire. Par ailleurs, la transaction nâĂ©tant encadrĂ©e par aucun formalisme prĂ©cis quant Ă son contenu, lâemployeur et le salariĂ© sont libres de lui donner la forme quâils souhaitent : elle peut notamment ĂȘtre rĂ©digĂ©e en des termes relativement vagues ou ambigus, ce qui rend alors dâautant plus dĂ©licate lâapprĂ©hension fine de la rĂ©alitĂ© sous-ja-cente. Du reste, il nâest pas non plus exclu que lâemployeur et le salariĂ©, dans le cadre de leurs nĂ©gociations, sâaccordent pour en biaiser la rĂ©daction Ă des fins fiscales. En somme, le juge doit donc se fonder sur un document auquel il ne peut pas vraiment se fier(51).
Le Conseil dâĂtat endosse son bleu de travailCâest cet univers incertain et peu familier que le Conseil dâĂtat a commencĂ© de dĂ©fricher par la rĂ©solution de deux cas dâespĂšce as-sez emblĂ©matiques, et Ă ce titre riches de plusieurs enseignements.
Avant de dĂ©tailler ces dĂ©cisions, rappelons en quelques mots les contours de la notion juridique autour de laquelle elles tour-neront pour lâessentiel : la cause rĂ©elle et sĂ©rieuse. Pour quâun licenciement fondĂ© sur un motif personnel soit rĂ©gulier au fond, il faut a minima quâune telle cause soit caractĂ©risĂ©e. Celle-ci, ap-prĂ©ciĂ©e Ă la date du licenciement, repose en substance sur deux conditions cumulatives : sa rĂ©alitĂ©, ce qui revient Ă exiger que la cause invoquĂ©e se traduise, de façon prĂ©cise, « par des manifes-tations extĂ©rieures, susceptibles de vĂ©rification » (52), et son carac-tĂšre sĂ©rieux, qui suppose « une certaine gravitĂ©, [rendant] impos-sible sans dommage pour lâentreprise la continuation du travail » (53). La caractĂ©risation dâune cause rĂ©elle et sĂ©rieuse nâest Ă©videm-ment pas subordonnĂ©e Ă lâexistence dâune faute grave ou lourde : la Cour de cassation juge ainsi quâelle peut exister « mĂȘme en lâabsence de faute grave, dâĂ©lĂ©ment intentionnel du grief et malgrĂ© son caractĂšre isolĂ© » (54). Elle peut, par exemple, prendre les traits dâune insuffisance professionnelle ou de rĂ©sultats.
Par la dĂ©cision du 5 juillet 2018 dĂ©jĂ Ă©voquĂ©e, le Conseil dâĂtat avait tout dâabord Ă connaĂźtre du cas dâun cadre, directeur de recherche dâun groupe pharmaceutique, qui avait Ă©tĂ© licenciĂ© pour faute par son entreprise pour sâĂȘtre opposĂ© Ă une rĂ©or-ganisation. LâintĂ©ressĂ© avait dans un premier temps saisi les prudâhommes, avant quâune transaction ne mette fin au litige. Le contentieux fiscal sâĂ©tait ensuite nouĂ© autour de la remise en
(50) La transaction en droit du travail : quelle place pour la liberté contrac-tuelle ?, C. Fourcade, Droit social 2007.166.
(51) PrĂ©cisons sur ce point que, dans son silence la rĂ©serve du Conseil constitutionnel nous paraĂźt couvrir toutes les transactions, quâelles aient ou non Ă©tĂ© conclues aprĂšs saisine du juge du travail. Et, dans lâhypothĂšse oĂč la transaction a mis fin Ă un litige prudâhomal, il ne nous semble pas que le fait que lâex-salariĂ© eut dĂ©jĂ soutenu devant le juge du travail que son licenciement Ă©tait dĂ©pourvu de cause rĂ©elle et sĂ©rieuse puisse ĂȘtre pris en compte, ensuite, comme un indice par le juge de lâimpĂŽt au moment de qualifier les indemnitĂ©s rĂ©sultant de cette transaction. Cette derniĂšre fait en quelque sorte Ă©cran : câest seu-lement Ă lâaune de lâĂ©quilibre rĂ©sultant de la transaction que le juge doit se dĂ©terminer.
(52) Droit du travail, J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, 21e édition, 2002, Précis Dalloz, no 412 p. 519.
(53) Pour reprendre les mots du ministre du travail G. Gorse Ă lâAssemblĂ©e nationale (AN 30-5-1973 p. 1699).
(54) Cass. soc. 25-4-1985 no 83-40-766 : Bull. civ. V no 261.
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cause, par lâadministration, du caractĂšre non imposable de ces indemnitĂ©s, au motif que le licenciement procĂ©dait bien dâune cause rĂ©elle et sĂ©rieuse.
Pour porter cette apprĂ©ciation, le Conseil dâĂtat â statuant comme juge dâappel â sâest fondĂ© sur la jurisprudence de la Cour de cassation, ainsi dâailleurs que le fait ressortir sa motivation (qui sâadosse explicitement à « une jurisprudence Ă©tablie du juge du travail »). En lâoccurrence, le litige renvoyait Ă la distinction â subtile car casuistique â entre la modification des conditions de travail, que lâemployeur a Ă sa main (le refus du salariĂ© Ă©tant alors constitutif dâune faute de nature Ă justifier un licenciement), et la modification du contrat de travail, qui elle ne peut ĂȘtre dĂ©ci-dĂ©e unilatĂ©ralement. Le requĂ©rant avait en lâespĂšce pris ombrage dâune recomposition dâorganigramme qui sâĂ©tait traduite par la crĂ©ation dâun Ă©chelon intermĂ©diaire dans la hiĂ©rarchie. Câest cette opposition rĂ©solue qui, pour lâessentiel, avait justifiĂ© le licencie-ment. Lâex-salariĂ© faisait pour sa part valoir que les indemnitĂ©s litigieuses traduisaient in fine la prise de conscience, tardive, de la part de son employeur que cette rĂ©organisation sâassimilait en rĂ©alitĂ© Ă un changement indu de son contrat de travail.
Lâargumentation du requĂ©rant nâa toutefois pas prospĂ©rĂ©. Le juge du travail apprĂ©cie en effet de façon assez stricte la modification du contrat de travail, en exigeant quâun de ses Ă©lĂ©ments essen-tiels soit affectĂ© (les missions confiĂ©es, la rĂ©munĂ©ration, le lien de subordination). Les exemples jurisprudentiels de cette approche stricte sont assez Ă©loquents, la Cour de cassation ayant acceptĂ© que le salariĂ© puisse perdre â Ă la suite dâune reconfiguration de son poste â la responsabilitĂ© dâun ou plusieurs services dont il avait la charge(55), ou encore voir son autonomie financiĂšre et bud-gĂ©taire significativement rĂ©duite(56). Sâagissant plus prĂ©cisĂ©ment du positionnement hiĂ©rarchique, la jurisprudence paraĂźt plus ambiguĂ«, car asymĂ©trique : si une rĂ©trogradation hiĂ©rarchique traduit une modification du contrat de travail(57), tel nâest pas le cas, en soi, de lâinstauration dâun nouveau maillon dans la chaĂźne hiĂ©rarchique(58). Certes, ce double standard peut ne pas corres-pondre au sentiment de dĂ©classement Ă©prouvĂ©, dans les deux cas, par le salariĂ©(59). Pour autant, la solution retenue par le juge judiciaire a le mĂ©rite de la clartĂ©, et a dĂ©terminĂ© le Conseil dâĂtat Ă regarder, sans hĂ©sitation, ces indemnitĂ©s comme imposables.
PrĂ©cisons au passage que la qualification ainsi retenue au regard du droit interne a aussi eu des rĂ©percussions conventionnelles. En effet, le requĂ©rant Ă©tait devenu rĂ©sident britannique au cours de lâannĂ©e de perception des indemnitĂ©s litigieuses de la part de son entreprise française. Se posait dĂšs lors la question de savoir si les stipulations de la convention fiscale franco-britannique fai-saient ou non obstacle Ă lâimposition en France de ces sommes. En lâoccurrence, lâadministration fiscale prĂ©tendait rattacher les revenus aux stipulations de lâarticle 15 relatives aux « salaires, traitements et autres rĂ©munĂ©rations similaires » pour donner compĂ©tence Ă lâĂtat dâexercice de lâemploi, tandis que le contri-buable les raccrochait, par dĂ©faut, Ă lâarticle 22 relatif aux revenus
(55) Cass. soc. 14-11-2005 no 03-47.593 F-D.(56) Cass. soc. 24-1-2007 no 05-42.980 F-D.(57) Cass. soc. 23-1-2001 no 99-40.129 F-P : RJS 5/01 no 563.(58) Cass. soc. 15-5-2009 no 07-44.898 F-D ; Cass. soc. 21-3-2012 no 10-
12.068 FS-PB : RJS 6/12 no 525.(59) Ă cet Ă©gard, la distinction plus subjective et concrĂšte auparavant rete-
nue avant lâarrĂȘt « Le Berre » (Cass. soc. 10-7-1996 no 93-40.966 P : RJS 8-9/96 no 900) par le juge judiciaire, selon que les modifications du contrat de travail Ă©taient ou non substantielles, faisait sĂ»rement davantage Ă©cho Ă ce ressenti.
innommĂ©s â ce qui emportait alors la compĂ©tence de lâĂtat de rĂ©sidence. Faute de dĂ©finition conventionnelle, le Conseil dâĂtat a appliquĂ© la mĂ©thode dâinterprĂ©tation subsidiaire prescrite par ces conventions(60), qui veut que les expressions soient interprĂ©tĂ©es par dĂ©faut Ă la lumiĂšre du droit national. Une fois cette mĂ©thode retenue, la solution nâĂ©tait plus guĂšre douteuse : dâune part, lâar-ticle 80 duodecies qualifie clairement les indemnitĂ©s non exonĂ©-rĂ©es de « rĂ©munĂ©ration imposable » et, dâautre part, il est Ă©vident que ces indemnitĂ©s se rattachent Ă lâexercice dâun emploi salariĂ©. En cette matiĂšre, il apparaĂźt donc que le dĂ©bat interne dĂ©termine et Ă©puise le dĂ©bat conventionnel.
Par une seconde dĂ©cision lue le 13 mars 2019(61), le Conseil dâĂtat â restant cette fois dans ses habits classiques de juge de cassation â a connu dâun autre licenciement. Le requĂ©rant avait Ă©tĂ© limogĂ© Ă la suite dâun diffĂ©rend avec son employeur sur la stratĂ©gie suivie, et câest encore le traitement fiscal Ă rĂ©server aux indemnitĂ©s ayant permis de clore le litige qui cristallisait toutes les attentions. La solution retenue nous semble intĂ©ressante Ă deux titres : pour lâespĂšce, et pour la question de droit quâelle tan-gente sans la trancher.
Dâune part, en lâespĂšce, le requĂ©rant reprochait Ă la cour admi-nistrative dâappel dâavoir suivi lâadministration fiscale en estimant que le licenciement procĂ©dait dâune cause rĂ©elle et sĂ©rieuse au seul motif, subjectif, dâune perte de confiance de lâentreprise envers son salariĂ©. En thĂ©orie, une telle argumentation pouvait prospĂ©rer : il est en effet de jurisprudence constante, depuis le revirement amorcĂ© par la Cour de cassation dans son arrĂȘt Mme Fretray de 1990(62), quâun licenciement pour motif person-nel doit ĂȘtre fondĂ© sur des Ă©lĂ©ments objectifs et que la perte de confiance Ă lâĂ©gard du salariĂ© ne constitue pas, par elle-mĂȘme, un motif de licenciement(63). Pour la rendre acceptable, il faut quâune telle perte de confiance se fonde sur des Ă©lĂ©ments tangibles im-putables au salariĂ©(64) qui peuvent trouver leur source soit dans un manquement Ă une obligation de son contrat de travail(65), soit dans des faits personnels qui ont causĂ© un trouble objectif caractĂ©risĂ© Ă lâentreprise(66). Cette solution, dâailleurs reprise par le Conseil dâĂtat sâagissant des contentieux du licenciement des sa-lariĂ©s protĂ©gĂ©s(67) et des ruptures de contrat des agents publics(68), sâexplique par un souci dâobjectivation de la cause du licenciement, Ă rebours dâapproches plus floues reposant sur la psychologie des parties prenantes. Mais en lâoccurrence, contrairement Ă ce quâal-lĂ©guait la requĂ©rante, les piĂšces du dossier laissaient Ă voir que la perte de confiance nâavait pas jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans le licenciement, qui sâexpliquait â dans les faits â par son « opposi-tion systĂ©matique » et son « refus dâappliquer les consignes de la direction », qui avaient en outre « portĂ© atteinte Ă lâimage de la
(60) Pour un autre exemple jurisprudentiel récent en ce sens : CE 4-6-2019 no 415959, min. c/ Z : RJF 8-9/19 no 834.
(61) CE 13-3-2019 no 408498 : RJF 6/19 no 539, concl. L. Cytermann @ (C 539).
(62) Cass. soc. 29-11-1990 no 87-40.184 : Bull. civ. V no 597 ; revirement par rapport Ă lâarrĂȘt Voisin (Cass. soc. 26-6-1980 no 79-40.859 : Bull. civ. V no 573).
(63) Sur lâanalyse de la portĂ©e exacte de ce revirement, Voir Le licenciement pour perte de confiance F. Gaudu, Droit social 1992.32.
(64) Voir pour un autre exemple : Cass. soc. 29-5-2001 no 98-46.341 FS-P : RJS 8-9/01 no 999.
(65) Pour un exemple de maniement de ce critĂšre : Cass. soc. 8-12-2009 no 08-42.097 F-D : RJS 3/10 no 236.
(66) Cass. soc. 22-1-1992 no 90-42.517 PF : RJS 3/92 no 247.(67) CE sect. 21-12-2001 no 224605, Baumgarth : RJS 3/02 no 304.(68) CE 6-4-2001 no 207685, Lavenu : Lebon T. p. 1025.
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sociĂ©tĂ© Ă lâĂ©gard des tiers ». Or, autant la mĂ©fiance dâun employeur Ă lâĂ©gard de son employĂ© ne saurait suffire, autant ces Ă©lĂ©ments rĂ©unis caractĂ©risaient bien une cause rĂ©elle et sĂ©rieuse.
Dâautre part, la requĂ©rante se prĂ©valait du dernier alinĂ©a de lâar-ticle L 1235-1 du Code du travail, aux termes duquel « si un doute subsiste, il profite au salariĂ© ». Elle en dĂ©duisait que, compte tenu de lâincertitude planant sur le dossier, le juge dâappel aurait dĂ» lui accorder le bĂ©nĂ©fice du doute. Le Conseil dâĂtat a Ă©cartĂ© au fond ce moyen, prĂ©sentĂ© sous lâangle de lâerreur de droit, en en rĂ©servant lâopĂ©rance par un « en tout Ă©tat de cause ». Explicitons ces deux temps.
Câest la loi(69) du 2 aoĂ»t 1989 qui a ajoutĂ© ce dernier alinĂ©a Ă lâarticle L 1235-1 pour guider la main du juge du travail lorsque le dossier ne le mettait pas Ă mĂȘme de trancher. Ainsi que lâexplicitait trĂšs clairement le Conseil constitutionnel dans sa dĂ©cision sur cette loi : « câest dans le cas oĂč le juge sera dans lâimpossibilitĂ© au terme dâune instruction contradictoire de former avec certitude sa conviction sur lâexistence dâune cause rĂ©elle et sĂ©rieuse justifiant le licenciement quâil sera conduit Ă faire application du principe selon lequel le doute profite au salariĂ© » (70). En dâautres termes, le doute dont il est ici fait mention, « ce nâest pas lâignorance, mais un stade supĂ©rieur de la connaissance, auquel seul peut accĂ©der celui qui sâest mis en quĂȘte de la vĂ©ritĂ© » (71). Dans ce contexte, dĂšs lors que le bĂ©nĂ©fice du doute prĂ©vu par le code du travail est conçu comme un ultime recours, il Ă©tait clair quâil nâavait pas vocation Ă jouer dans ce litige â les divers Ă©lĂ©ments prĂ©sents au dossier convergeant, on lâa dit, vers la caractĂ©risation nette dâune cause rĂ©elle et sĂ©rieuse.
Mais plus radicalement, câest lâapplicabilitĂ© mĂȘme de ces dispo-sitions qui nous semble douteuse, mĂȘme si la dĂ©cision commen-tĂ©e a fait le choix de ne pas prendre parti sur cette question. En effet, en 1989, le lĂ©gislateur a souhaitĂ© Ă©viter que, dans le doute, le risque de la preuve pĂšse sur le salariĂ©(72) ; il a en quelque sorte « adaptĂ© les rĂšgles au degrĂ© dâinĂ©galitĂ© des parties » (73), ce quâil a dâailleurs fait explicitement dans dâautres contentieux Ă©galement marquĂ©s par une forte asymĂ©trie(74) ou par la difficultĂ© Ă apporter une preuve dĂ©finitive(75). Au prisme de cette intention(76), comme pour le rapporteur public L. Cytermann, il nây aurait Ă nos yeux rien dâĂ©vident Ă translater de façon prĂ©torienne ce rĂ©gime spĂ©-cifique Ă un contentieux distinct (le fiscal) voyant sâaffronter des parties diffĂ©rentes (lâintĂ©ressĂ© en sa qualitĂ© de contribuable, contre lâadministration). En ce sens, on notera par exemple quâen cas de relaxe « au bĂ©nĂ©fice du doute », le juge fiscal qui a Ă
(69) Loi 89-459 du 2-8-1989 modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la reconversion.
(70) Cons. const. 25-7-1989 no 89-257 DC, § 19.(71) « Administration de la preuve. LâĂ©quitable dans la preuve », A. Supiot,
Sem. Soc. Lamy 1988, suppl. no 410, D. 62.(72) Pour une mise en Ćuvre de ce principe par la Cour de cassation, voir
Cass. soc. 16-6-1993 no 91-45.462 : Bull. civ. V no 169.(73) A. Supiot, prĂ©citĂ©.(74) Voir par exemple, sâagissant des litiges relatifs aux mesures discrimina-
toires Ă raison de la grossesse (art. L 122-25 du Code du travail).(75) Voir par exemple lâarticle 102 de la loi 2002-303 du 4-3-2002 relatif Ă
la preuve de lâimputabilitĂ© dâune contamination par le virus de lâhĂ©pa-tite C Ă une transfusion de produits sanguins labiles ou Ă une injection de mĂ©dicaments dĂ©rivĂ©s du sang, qui prĂ©voit quâin fine le doute profite au demandeur (pour une illustration contentieuse, CE 10-10-2003 no 249416, Mme Tato et autres : Lebon p. 393).
(76) Dont le Conseil dâĂtat a ensuite tirĂ© toutes les consĂ©quences dans le contentieux des salariĂ©s protĂ©gĂ©s (Voir CE 22-3-2010 no 324398, StĂ© CTP prĂȘt Ă partir : Lebon T. p. 928-933-1004).
connaĂźtre des mĂȘmes faits nâimporte pas pour autant la mĂ©thode probatoire suivie par la juridiction pĂ©nale(77). Surtout, le rĂ©gime objectif de la preuve nous semble reposer tout entier sur la conviction quâĂ la lumiĂšre du dossier, et au besoin grĂące Ă des mesures dâinstruction, la balance finira par pencher en faveur de lâune ou lâautre des parties sans quâil soit besoin dâinstaurer des prĂ©somptions, fussent-elles de dernier recours. Enfin, deux arguments dâopportunitĂ© nous semblent Ă©galement peser dans le sens de lâinopĂ©rance. Dâune part, Ă lâheure oĂč la complexitĂ© des rĂ©gimes de preuve devant le juge fiscal est souvent regrettĂ©e(78), il nous paraĂźtrait inopportun de sophistiquer Ă lâexcĂšs les rĂšgles applicables en cette matiĂšre en prĂ©voyant de nouveaux Ăźlots dĂ©ro-gatoires. Dâautre part, compte tenu des informations incomplĂštes dont dispose lâadministration fiscale, le salariĂ© risquerait dâĂȘtre incitĂ© Ă rester dans une forme de « passivitĂ© probatoire » (79) pour in fine bĂ©nĂ©ficier du doute.
Reste quâen tout Ă©tat de cause, il ne faut pas exagĂ©rer lâenjeu pra-tique de cette question : Ă supposer mĂȘme que cet alinĂ©a sâavĂšre applicable, il nâaurait de toute façon vocation Ă jouer que dans des hypothĂšses rĂ©siduelles oĂč le doute demeure dâune intensitĂ© telle que le juge se sent incapable, sans cette bĂ©quille normative, de forger sa conviction.
Le juge administratif de lâimpĂŽt, un vrai conseiller prudâhomal ? (80)
Les deux décisions commentées appellent trois observations plus transversales.
En premier lieu, sur le plan de la méthode, ces décisions sont marquées par une volonté de sécurité juridique.
Les solutions retenues rĂ©vĂšlent en effet lâimportance accordĂ©e par le juge au contenu littĂ©ral de la transaction, dâailleurs repris in extenso dans la motivation. Il sâen dĂ©duit que, « si le contribuable entend bĂ©nĂ©ficier dâune exonĂ©ration totale, la transaction devra faire Ă©tat des Ă©lĂ©ments factuels de nature Ă justifier du caractĂšre irrĂ©gulier ou abusif du licenciement » (81).
Par ailleurs, ces décisions illustrent le souci du juge administratif de se caler sur la jurisprudence du juge judiciaire. à cette aune, contrairement à ce que redoutaient certains commentateurs(82), il est donc peu probable que la réserve du Conseil constitutionnel
(77) CE 23-2-1979 no 7307, SARL Rena : Lebon T. p. 688-724.(78) Pour reprendre les mots, souvent cités, du président Goulard dans ses
conclusions sur SociĂ©tĂ© Pierre de Reynal et Cie (dĂ©jĂ mentionnĂ©e) : « les questions de charge de la preuve revĂȘtent en effet dans le conten-tieux fiscal une importance extrĂȘme, et selon nous excessive. Car leur complexitĂ© est telle quâun contribuable doit le plus souvent renoncer, lorsquâil engage un contentieux, Ă savoir qui, de lâadministration ou de lui-mĂȘme, va devoir convaincre le juge. LâinconvĂ©nient qui en rĂ©sulte pour lui est attĂ©nuĂ© par le fait quâil appartient au juge lui-mĂȘme de dĂ©terminer, en fonction de lâobjet du redressement et du dĂ©roulement de la procĂ©dure dâimposition, le rĂ©gime de dĂ©volution de la charge de la preuve applicable au litige qui lui est soumis (CE 5-3-1999 no 140779, ValĂ©ri : RJF 4/99 no 452, concl. F. Loloum BDCF 4/99 no 43). Encore faut-il que le juge lui-mĂȘme puisse connaĂźtre la totalitĂ© des rĂšgles ap-plicables. Pour notre part, nous nâavons pas cette prĂ©tention ».
(79) Pour reprendre lâexpression dâA. Chirez et J. Labignette dans leur ar-ticle : La place du doute dans le contentieux de la relation de travail, Droit social 1997.669.
(80) Pour reprendre lâheureux titre de lâarticle de B. Lacombe Ă la Gazette du Palais (2-7-2015, no 183, p. 7).
(81) Article de B. Lacombe, prĂ©citĂ©.(82) Voir lâarticle de B. Lacombe, prĂ©citĂ©.
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ait pour effet de voir se dĂ©velopper, sur ces notions centrales de droit du travail, une approche fiscale autonome(83). Cet aligne-ment nous semble en tout point opportun. On peut noter dâail-leurs quâil est loin dâĂȘtre inĂ©dit. Dâune part, le juge du droit de la sĂ©curitĂ© sociale, qui nâest pas non plus le juge naturel du travail, raisonne de maniĂšre analogue lorsquâil a Ă connaĂźtre dâun litige tenant au point de savoir si les indemnitĂ©s de rupture versĂ©es par une entreprise doivent ĂȘtre incluses dans lâassiette de calcul de ses cotisations. Ainsi que lâexpliquait R. Decout-Paolini dans de rĂ©centes conclusions(84), la Cour de cassation a en effet fait Ă©vo-luer sa jurisprudence(85), qui alignait auparavant le rĂ©gime social des indemnitĂ©s sur la stricte lettre de lâarticle 80 duodecies(86), pour juger dĂ©sormais que lâemployeur peut ĂȘtre exonĂ©rĂ© de coti-sations sociales au titre de sommes versĂ©es au salariĂ©, « mĂȘme si ces sommes ne sont pas au nombre de celles limitativement Ă©numĂ©rĂ©es Ă lâarticle 80 duodecies, dĂšs lors que lesdites sommes sont destinĂ©es Ă compenser un prĂ©judice [distinct de la simple perte de rĂ©munĂ©ration] et ont donc un fondement exclusive-ment indemnitaire ». Pour ces juges aussi, il nây a donc plus lieu de tenir compte du mode de rupture du contrat de travail, mais « simplement de rechercher, au cas par cas, la nature juridique de la somme accordĂ©e aux intĂ©ressĂ©s » (87). Dâautre part, dans le contentieux de lâautorisation (ou du refus dâautorisation) du li-cenciement des salariĂ©s protĂ©gĂ©s, le Conseil dâĂtat est aussi ame-nĂ© Ă manier la jurisprudence de la Cour de cassation(88) sans que de significatives divergences de fond aient Ă©tĂ© relevĂ©es entre le Quai de lâhorloge et le Palais-Royal. Du reste, rappelons ici que si dâaventure lâinterprĂ©tation dâune transaction soulevait une dif-ficultĂ© inĂ©dite, il nâest pas exclu que le juge administratif saisisse le juge judiciaire par la voie dâune question prĂ©judicielle en inter-prĂ©tation pour Ă©viter toute polyphonie(89).
Enfin, lâampleur de ce contentieux a vocation Ă ĂȘtre dâautant plus forte que les saisines du juge prudhommal ont subi une baisse de 43 % entre 2005 et 2018 (de 208 396 Ă 119 491 affaires(90), cette attrition Ă©tant concentrĂ©e sur les annĂ©es rĂ©centes). En effet, une telle Ă©volution â si elle reflĂšte avant tout lâessor de la rupture conventionnelle et un renoncement au recours(91) â traduit aus-si un dĂ©port certain vers les voies non-contentieuses, et accroĂźt donc indirectement le vivier potentiel des litiges fiscaux relatifs
(83) Comme lâexpliquait le prĂ©sident Fouquet, « le fiscaliste, quâil soit juge, agent des impĂŽts ou conseil doit ĂȘtre capable de comprendre les autres droits en se refusant Ă leur donner une interprĂ©tation fiscale auto-nome » (in. Le rĂ©gime fiscal des indemnitĂ©s de licenciement versĂ©es aux cadres supĂ©rieurs, O. Fouquet, RTD com 2018.813).
(84) CE 13-6-2018 no 404485, CCI France : Lebon T. p. 592-655-670-814-927.
(85) Par deux arrĂȘts du mĂȘme jour : Cass. 2e civ. 15-3-2018 no 17-10.325 et no 17-11.336 : RJS 5/18 no 363.
(86) Voir pour une dĂ©cision excluant quâune indemnitĂ© transactionnelle puisse ĂȘtre exclue dans lâassiette des cotisations, Cass. 2e civ. 7-10-2010 no 09-12-404 : RJS 12/10 no 983.
(87) Voir le commentaire de T. Tauran sur les deux arrĂȘts citĂ©s Ă la note prĂ©cĂ©dente, publiĂ© Ă la RDSS 2018.556.
(88) Notamment celle relative Ă lâexistence de changements du contrat de travail. Voir par exemple : CE 10-3-1997 no 170114, Vincent : RJS 5/97 no 567.
(89) Pour un exemple Ă propos de lâinterprĂ©tation dâune convention collec-tive : CE 21-5-2008 no 291115, SNRH et SORMAR : Lebon T. p. 652-950.
(90) Sur la justice prudâhomale, Rapport dâinformation sĂ©natorial no 653, https://www.senat.fr/rap/r18-653/r18-653_mono.html#toc116.
(91) La baisse du contentieux est-elle le signe dâune pacification de la rela-tion de travail ? E. Serverin et C. Vigneau, Rev. Trav. 2019.227.
aux indemnitĂ©s transactionnelles. Dans ces conditions, lâincer-titude juridique initialement redoutĂ©e Ă la suite de cette rĂ©serve gagne Ă ĂȘtre nuancĂ©e puisquâil est probable que, dans un futur proche, se constitue un corpus jurisprudentiel significatif en cette matiĂšre, ce qui permettra au Conseil dâĂtat de stabiliser rapide-ment une grille de lecture robuste.
En deuxiĂšme lieu, ces dĂ©cisions illustrent Ă quel point le dĂ©bat est dĂ©centrĂ© par rapport Ă un litige fiscal classique : si lâadminis-tration dĂ©fend Ă©videmment le redressement quâelle a infligĂ©, le cĆur de la discussion se noue en rĂ©alitĂ© autour de lâinterprĂ©tation de la transaction, conclue par le contribuable avec son ancien employeur. Dans ces conditions, le dĂ©bat sera forcĂ©ment biaisĂ© par lâinterprĂ©tation univoque que donne lâun de ses signataires dâun acte pourtant synallagmatique. Ă nos yeux, deux mĂ©thodes peuvent permettre de pallier cette asymĂ©trie.
En amont, lâadministration peut faire jouer son droit de com-munication pour prendre connaissance de documents dĂ©tenus par lâex-employeur. On sait en effet que la loi(92) de finances rec-tificative pour 2014 a Ă©largi ce droit, sâagissant des sociĂ©tĂ©s in-dustrielles ou commerciales, à « tous documents relatifs Ă leur activitĂ© » (93). Il nous semble que cette accroche, dĂ©libĂ©rĂ©ment large(94), pourrait ĂȘtre mobilisĂ©e par lâadministration pour obtenir communication de piĂšces se rattachant Ă la relation de travail nouĂ©e avec le contribuable en cause. Dans cet esprit, on relĂšvera que, dans la dĂ©cision du 13 mars dĂ©jĂ Ă©voquĂ©e, ce sont les docu-ments transmis aux services fiscaux par la chambre rĂ©gionale des comptes(95) en application de lâarticle R 241-24 du Code des juri-dictions financiĂšres qui ont permis Ă lâadministration de fonder le redressement et de convaincre ensuite le juge de son bien-fondĂ©.
En aval, dans des situations exceptionnelles, lorsquâune telle asy-mĂ©trie lâempĂȘcherait de se faire une idĂ©e claire du litige Ă trancher, il nâest â Ă nos yeux â pas totalement exclu que le juge de lâimpĂŽt mette en cause pour observations lâex-employeur(96). Cet appel en cause, assez rare en plein contentieux, peut ĂȘtre fait Ă lâĂ©gard
(92) Loi 2014-1655 du 29-12-2014.(93) Le Conseil dâĂtat avait dĂ©jĂ contribuĂ© Ă Ă©largir le champ des docu-
ments concernĂ©s, notamment par sa dĂ©cision M. S. (CE 11-4-2014 no 354314 : RJF 7/14 no 705, concl. F. Aladjidi BDCF 7/14 no 69) qui juge quâen relĂšvent les documents comptables et financiers, « mais aussi les documents de toute nature pouvant justifier le montant des recettes et dĂ©penses ».
(94) Voir Le rapport no 2408 de V. Rabault Ă lâAssemblĂ©e nationale, p. 177 : « sâagissant de lâarticle L 85, lâĂ©tendue des documents susceptibles dâĂȘtre communiquĂ©s Ă lâadministration serait clarifiĂ©e. Ainsi, pourraient dĂ©-sormais ĂȘtre concernĂ©s tous les « documents relatifs Ă [lâ]activitĂ© » pro-fessionnelle dâune personne exerçant une activitĂ© commerciale, et non plus les seuls livres, registres ou rapports comptables dont la loi rend la tenue obligatoire. / Lâintention du lĂ©gislateur est bien ici dâĂ©tendre le champ des documents susceptibles de faire lâobjet du droit de commu-nication, et non de supprimer de ce champ tel ou tel type particulier de document, dont la communication serait actuellement possible. Ainsi, cette mention gĂ©nĂ©rale (âŠ) et ne devrait pas faire lâobjet dâinterprĂ©ta-tions restrictives par la jurisprudence administrative en cas de conten-tieux sur cette question. »
(95) La CRC dâĂle de France aprĂšs avoir contrĂŽlĂ© la SADEV dont le requĂ©-rant Ă©tait lâancien directeur, avait transmis copies de lâaccord transac-tionnel, de la lettre de licenciement, du courrier du requĂ©rant contes-tant les motifs de son licenciement.
(96) Voir, pour des prĂ©cisions sur lâappel en cause pour observations : Droit du contentieux administratif, R. Chapus Montchrestien, 13e Ă©dition, § 895 et s.
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dâune personne privĂ©e(97), sans pour autant avoir pour effet de lui confĂ©rer la qualitĂ© de partie Ă lâinstance. Reste cependant Ă voir si, en pratique, lâentreprise ainsi sollicitĂ©e aura envie de sâimpliquer dans un litige qui ne la concerne pas directement, et au risque de raviver chez son ancien salariĂ© la flamme contentieuse quâelle avait prĂ©cisĂ©ment voulu Ă©teindre par la transaction. Surtout, si elle sâimplique, force est dâadmettre que son intĂ©rĂȘt bien compris serait plutĂŽt dâabonder dans le sens de son ex-employĂ©âŠ
En dernier lieu, et Ă titre exploratoire, il nous semble intĂ©ressant de rĂ©flĂ©chir Ă lâincidence, sur lâoffice du juge de lâimpĂŽt, du rĂ©cent encadrement par la loi(98) des indemnitĂ©s susceptibles dâĂȘtre ver-sĂ©es par les juges prudhommaux Ă la suite dâun licenciement pour une cause qui nâest pas rĂ©elle et sĂ©rieuse. Ce dispositif(99), dont la conventionnalitĂ© au regard de la convention no 158 de lâOIT a Ă©tĂ© rĂ©cemment validĂ©e par la Cour de cassation(100), borne les indem-nitĂ©s susceptibles dâĂȘtre allouĂ©es en raison dâun licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse en prĂ©voyant, en fonction de lâanciennetĂ© du salariĂ© et de la taille de lâentreprise, un plancher et un plafond. La question est alors de savoir si le juge de lâimpĂŽt pourrait sâins-pirer dâun tel barĂšme, conçu comme un « mĂ©diateur entre la loi et le cas » (101), pour dĂ©terminer, au regard du montant de lâin-demnitĂ© transactionnelle dont il a Ă connaĂźtre, si celle-ci procĂšde dâune cause rĂ©elle et sĂ©rieuse. Ă nos yeux, la rĂ©ponse ne peut ĂȘtre automatique : le juge de lâimpĂŽt ne saurait se borner Ă calquer le rĂ©fĂ©rentiel imposĂ© au juge du travail pour apprĂ©hender lâindem-nitĂ© transactionnelle, laquelle est le fruit dâune dynamique de nĂ©-gociations entre deux parties et intĂšgre des considĂ©rations extra-juridiques (tenant notamment Ă la prĂ©fĂ©rence pour le prĂ©sent et Ă une aversion Ă lâalĂ©a juridictionnel). Pour autant, il nous semble que ces barĂšmes pourraient en pratique ĂȘtre pris en compte, dans la rĂ©flexion du juge plus que dans sa motivation. En effet, sâil apparaĂźt que le montant de lâindemnitĂ© transactionnelle versĂ©e par une entreprise est significativement supĂ©rieur Ă celui quâun juge aurait pu la contraindre Ă verser en cas de licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse, il y aura fort Ă parier que le licenciement en litige Ă©tait bel et bien dĂ©pourvu dâune telle cause. Ă lâinverse, si lâindemnitĂ© est bien infĂ©rieure au plancher indemnitaire dĂ©fini par le lĂ©gislateur, cette circonstance conduira plus facilement le juge de lâimpĂŽt Ă penser que le salariĂ© nâĂ©tait pas nĂ©cessairement convaincu de la soliditĂ© de ses prĂ©tentions, et quâil a prĂ©fĂ©rĂ© un accord certain Ă un procĂšs risquĂ©.
La voie du juste milieu La dĂ©cision du 7 juin dernier(102), la plus rĂ©cente rendue Ă pro-pos de lâarticle 80 duoedecies, a apportĂ© un dernier Ă©clairage utile sur la maniĂšre dâapprĂ©hender la transaction. Les faits se nouent autour du licenciement dâun directeur commercial, suivi de la conclusion dâune transaction assortie dâindemnitĂ©s. Comme Ă lâaccoutumĂ©e câest lâadministration fiscale qui, Ă lâoccasion dâun
(97) CE 26-3-1958 no 32819, Syndicat intercommunal des eaux de la Lo-magne : Lebon p. 198.
(98) Sur les motivations de cette barĂ©misation, introduites par lâordonnance no 2017-1387 du 22-9-2017, voir en particulier : La tentation du ba-rĂšme, G. Bargain et T. Sachs, Rev. Trav. 2016.251 et aussi Des barĂšmes et des juges, I. Sayn, Droit social 2019.293.
(99) Figurant Ă lâarticle L 1235-3 du Code du travail.(100) Cass. ass. plĂ©n. avis 17-7-2019 no 19-70.011 : RJS 6/19 no 346.(101) La « barĂ©misation » comme technique de gouvernement, T. Boccon-
Gibot, Droit social 2019.285.(102) CE 7-6-2019 no 419455 : RJF 8-9/19 no 782, concl. Anne Iljic p. 1163
(C 782).
contrĂŽle, a remis en cause lâexonĂ©ration totale dâimpĂŽt sur le revenu dont le contribuable pensait pouvoir bĂ©nĂ©ficier sur ces sommes, ce qui a dĂ©clenchĂ© le contentieux devant le juge de lâim-pĂŽt. Les juges du fond ayant, en premiĂšre instance puis en appel, rejetĂ© la demande en dĂ©charge du contribuable, ce dernier a saisi en cassation le Conseil dâĂtat.
La question principale du litige ne portait pas, cette fois, sur la caractĂ©risation dâun motif rĂ©el et sĂ©rieux de licenciement. Elle Ă©tait dâordre mĂ©thodologique et revenait Ă dĂ©terminer comment le juge de lâimpĂŽt devait raisonner lorsque lâinstruction rĂ©vĂ©lait que lâindemnitĂ© transactionnelle litigieuse, versĂ©e Ă la suite du licenciement, Ă©tait aussi destinĂ©e Ă rĂ©parer des prĂ©judices dis-tincts. En lâoccurrence, il ressortait du protocole transactionnel que les indemnitĂ©s versĂ©es couvraient aussi un prĂ©judice liĂ© au refus opposĂ© par la caisse primaire dâassurance maladie (CPAM) de prendre en charge un arrĂȘt de travail. ConfrontĂ©e Ă cette question, la cour administrative dâappel avait privilĂ©giĂ© un rai-sonnement globalisant en jugeant que, malgrĂ© lâabsence de cause rĂ©elle et sĂ©rieuse, le contribuable ne pouvait prĂ©tendre Ă ĂȘtre exo-nĂ©rĂ© dâimpĂŽt sur le revenu au titre de ces indemnitĂ©s, au motif que celles-ci nâavaient pas pour unique objet dâindemniser le licenciement mais quâelles portaient Ă©galement sur la rĂ©paration dâautres prĂ©judices.
Le Conseil dâĂtat a censurĂ© cette lecture sous le timbre de lâerreur de droit. Il Ă©tait en effet illogique de priver du bĂ©nĂ©fice de lâexo-nĂ©ration les indemnitĂ©s relatives au licenciement au seul motif quâelles avaient Ă©tĂ© versĂ©es en mĂȘme temps que dâautres sommes imposables. Cela aurait conduit Ă pĂ©naliser le contribuable pour avoir privilĂ©giĂ©, avec son ancien employeur, un vĂ©hicule contrac-tuel unique. Ă lâinverse, la solution dĂ©fendue Ă titre principal par le pourvoi ne pouvait pas davantage prospĂ©rer : pour des raisons symĂ©triques, il aurait Ă©tĂ© tout aussi inenvisageable de ne pas sou-mettre Ă lâimpĂŽt lâensemble des indemnitĂ©s, par pur effet dâau-baine, au seul motif quâune fraction dâentre elles correspondait Ă des sommes exonĂ©rĂ©es. Le Conseil dâĂtat a donc retenu une lec-ture mĂ©diane, en jugeant quâ« il appartient Ă lâadministration et, lorsquâil est saisi, au juge de lâimpĂŽt, au vu de lâinstruction, de rechercher la qualification Ă donner aux sommes objet de la tran-saction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delĂ des indemnitĂ©s accordĂ©es au titre du licenciement, la rĂ©paration de prĂ©judices distincts, afin de dĂ©terminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles dâĂȘtre exonĂ©rĂ©es ».
Cette solution nous semble implacable dans son principe. On remarquera dâailleurs que dans le contentieux voisin du rĂ©gime social applicable aux indemnitĂ©s transactionnelles(103), le juge judiciaire, lorsque la transaction rĂšgle un litige mixte (rupture et exĂ©cution du contrat, crĂ©ances salariales, etc.), retient une ap-proche semblable. La cour dâappel de Versailles a ainsi jugĂ© quâil appartenait dans pareil cas « au juge du contentieux de la sĂ©curitĂ© sociale, (âŠ) de rechercher la qualification Ă donner [aux sommes versĂ©es en application de la transaction] et de vĂ©rifier si indĂ©pen-damment de la qualification retenue par les parties la transaction comprend ou non des Ă©lĂ©ments de rĂ©munĂ©ration soumis Ă coti-sation » (104). Pour autant, cette solution sâavĂ©rera probablement dĂ©licate Ă manier dans ses implications. Aussi, en vue dâen Ă©clai-rer les consĂ©quences pratiques, deux prĂ©cisions nous semblent devoir ĂȘtre apportĂ©es.
(103) Pour un panorama, voir Le délicat exercice de la transaction en droit du travail, C. Ventejou, AJ contrat 2018 p. 158.
(104) CA Versailles 18-1-2018 no 15/03354.
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1193© Ăditions Francis Lefebvre
En premier lieu, la solution retenue couvre uniquement les cas oĂč le protocole transactionnel laisse indubitablement Ă voir que lâindemnitĂ© versĂ©e couvre aussi des prĂ©judices distincts. Il ne sâagit donc pas pour lâadministration, et pour le juge Ă sa suite, dâaller lire entre les lignes pour fragmenter lâindemnitĂ© versĂ©e lorsquâune telle segmentation nâaurait pas Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e par les par-ties elles-mĂȘmes.
En second lieu, lorsquâil apparaĂźtra que lâemployeur et le salariĂ© ont entendu couvrir des prĂ©judices distincts, lâadministration et le juge seront alors confrontĂ©s Ă la tĂąche Ă©pineuse consistant Ă rĂ©-partir la somme totale entre les diffĂ©rents postes indemnitaires. En effet, la solution retenue nâest pas subordonnĂ©e Ă la condition que les parties aient chiffrĂ©, dans le protocole, le montant allouĂ© Ă chacun des prĂ©judices ; en lâespĂšce, ce nâĂ©tait dâailleurs pas le cas. Ă nos yeux, face Ă cette difficultĂ© supplĂ©mentaire, le juge gagne-rait Ă raisonner en deux temps. Dâabord, il a Ă se prononcer sur la cause rĂ©elle et sĂ©rieuse du licenciement. Lâangle dâattaque doit, ensuite, varier selon la rĂ©ponse apportĂ©e Ă la premiĂšre question. Si le juge aboutit Ă la conclusion que le licenciement nâest pas dĂ©pourvu de cause rĂ©elle et sĂ©rieuse, il peut alors aisĂ©ment cal-culer la seule fraction exonĂ©rĂ©e en se dĂ©terminant par rapport aux diffĂ©rents plafonds lĂ©gaux prĂ©vus par lâarticle 80 duodecies, dĂ©jĂ Ă©voquĂ©s au dĂ©but de cette chronique. Si en revanche le licen-ciement est dĂ©pourvu dâune telle cause, il devient dĂ©licat pour le juge dâidentifier la part indemnitaire associĂ©e puisque son mon-tant ne rĂ©sulte pas de lâapplication de la loi mais dâune nĂ©gocia-tion entre les parties. Dans cette hypothĂšse, il nous semble donc que le juge devrait plutĂŽt partir des indemnitĂ©s consacrĂ©es aux prĂ©judices distincts, en gĂ©nĂ©ral mieux Ă©valuables, en arrĂȘter le montant et soustraire celui-ci au total pour obtenir la fraction exonĂ©rĂ©e. Ăvidemment, le degrĂ© de prĂ©cision dans ce travail de
dĂ©coupage sera fonction de la qualitĂ© du dĂ©bat contradictoireâŠĂ notre sens dâailleurs, tant que la mĂ©thodologie retenue par les juges du fond est bonne, le juge de cassation â conscient de la difficultĂ© dâune telle rĂ©partition â laissera cette question Ă leur apprĂ©ciation souveraine(105).
âĂ rebours des intentions simplificatrices ciblĂ©es du lĂ©gislateur, la dĂ©cision du Conseil constitutionnel a privilĂ©giĂ© une cohĂ©rence dâensemble, en alignant le traitement fiscal des indemnitĂ©s de licenciement sur un droit du travail oĂč, dĂ©sormais, « lâalternative licenciement-dĂ©mission a laissĂ© la place Ă une logique de la plu-ralitĂ© » (106). Ce choix a complexifiĂ© la tĂąche du juge de lâimpĂŽt, en en faisant un inhabituel juge du travail. Les dĂ©cisions commen-tĂ©es ont toutefois permis de dessiner les contours de son office, et de rĂ©vĂ©ler son souci de sâinscrire dans les pas de la jurispru-dence judiciaire. Ce faisant, le Conseil dâĂtat apporte sa pierre Ă lâambition qui sous-tend les rĂ©formes successives du droit du travail engagĂ©es ces derniĂšres annĂ©es : assurer la prĂ©visibilitĂ© des dĂ©cisions de justice pour permettre aux acteurs Ă©conomiques, salariĂ©s comme employeurs, dâanticiper leurs droits et, par suite, de se dĂ©terminer en toute connaissance de cause.
(105) Par analogie, on remarquera que câest ce degrĂ© de contrĂŽle quâexercele Conseil dâĂtat sur le montant de la provision allouĂ©e par le juge durĂ©fĂ©rĂ©-provision Ă hauteur de la fraction de lâobligation lui paraissantnon sĂ©rieusement contestable (CE 6-12-2013 no 363290, ThĂ©venot : Lebon p. 309).
(106) La transaction en droit du travail, quelle place pour la liberté contrac-tuelle ?, C. Fourcade, Droit social 2007.166.