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8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Oswald Ducrot/ Tzvetan Todorov
Dictionnaire
encyclopdique
des sciences
du langage
www.facebook.com/Psyebook
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Anthropologie
Sciences humaines
Dictionnaire encyclopdique des sciences du langage
Ce dictionnaire ne se limite pas la linguistique stricto
sensu;
y figurent aussi les concepts fondateurs, comme celui
de signe, et, symtriquement, on y a pris en considration
les productions de la langue (d'o la place accorde la
potique).
Quatre grandes parties : les coles (depuis le xvn
e
sicle
jusqu' Chomsky), les domaines (y compris psycho et socio-
linguistique), les concepts mthodologiques (du plus fon-
damental le signe au plus driv les genres litt-
raires), les concepts descriptifs (du plus simple les units
non significatives aux plus com plexes du langage et de
l'action). Cinquante-sept articles l'intrieur desquels sont
donnes quelque huit cents dfinitions, faciles reprer
grce l'index final, doubl d'un index des auteurs. Un
irremplaable expos et un trs commode instrument de
travail.
782 2 53495
Seuil, 27 r. Jacob, Paris 6
ISBN 2.02.005349-7 / Imp. en France 11.79.5
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Dictionnaire encyclopdique
des sciences du langage
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Oswald Ducrot
Tzvetan Todorov
Dictionnaire
encyclopdique
des sciences
du langage
ditions du Seuil
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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I S B N2-02-005349-7
( I S B N
2-02-002709-7,
V
e
publication)
DITIONSDUSEUIL,1972
La
loi du 11
mars 1957 interdit
tes
copies
ou
reproductionsdestines
une utilisation collective.Toute reprsentation
ou
reproductionintgrale
ou partielle faitepar quelque procd que ce soit sans le consentement de
l auteurou de ses ayants cause
est
fhdtc
et
constitue
une
contrefaon
sanctionnepar
les
articles 425
et
suivants du Code pnal.
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Introduction
Le titre de cet ouvrage comporte deux particularits, qui
rpondent deux options fondamentales et que nous nous devons
d'expliquer ici : le pluriel de sciences, le singulier de langage.
Nous avons choisi de donner au mot langagele sens restreint
et banal de langue naturelle : non celui, fort rpandu
de ru tours, de systme de signes . Il ne sera donc question ici
ni (tes langues documentaires, ni des diffrents arts considrs
comme langages, ni de la science prise pour une langue bien ou
mal faite, ni du langage animal, gestuel, etc. Les raisons de cette
restriction sont multiples. D'abord, en quittant le terrain du
verbal, nous aurions t obligs de traiter d'un objet dont les
limites sont difficiles axer et qui risque, de par son indtermi-
nation mme, de concider avec celui de toutes les sciences humaines
et sociales sinon de toutes les sciences en gnral. Si tout est
signe dans le comportement humain, la prsence d'un langage ,
en ce sens large, ne permet plus de dlimiter un objet de connais*
sance parmi d'autres. De surcrot, les institutions sociales, les
structures psychiques, les formes artistiques, les dcoupages des
sciences n'ont t envisags comme des systmes de signes qu'en
un temps rcent, et, pour en parler, nous aurions t amens
souvent crer une science beaucoup plus qu' en rendre compte
ce qui ne correspondait ni nos buts ni nos possibilits.
Enfin, une telle extension du mot langage aurait impliqu
l'affirmation d'une identit principielle entre les diffrents systmes
de signes; nous nous sommes refuss riger d'emble cette
hypothse au rang de postulat L'tude de ces systmes pourra
faire l'objet d'autres ouvrages venir.
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des sciences du langage
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Dictionnaire
encyclopdique
des sciences
du langage
ditions du Seuil
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I S B N2-02-005349-7
( I S B N
2-02-002709-7,
V
e
publication)
DITIONS
DU
SEUIL,
1972
Laloi du 11mars 1957 interditlescopiesoureproductionsdestines
une utilisation collective.Toute reprsentationoureproductionintgrale
ou partielle faite par
quelque procd que ce soit sans le consentementde
l auteur
ou de ses
ayants cause
est
fltcite
et
constitue
une
contrefaon
sanctionnepar
les
articles 425
et
suivants du Code pnal.
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Introduction
Le titre de cet ouvrage comporte deux particularits, qui
rpondent deux options fondamentales et que nous nous devons
d'expliquer ici : le pluriel de sciences, le singulier de langage.
Nous avons choisi de donner au mot langagele sens restreint
et banal de langue naturelle : non celui, fort rpandu
de
IK.
tours, de systme de signes . Il ne sera donc question ici
ni ries langues documentaires, ni des diffrents arts considrs
comme langages, ni de la science prise pour une langue bien ou
mal faite, ni du langage animal, gestuel, etc. Les raisons de cette
restriction sont multiples. D'abord, en quittant le terrain du
verbal, nous aurions t obligs de traiter d'un objet dont les
limites sont difficiles fixer et qui risque, de par son indtermi-
nation mme, de concider avec celui de toutes les sciences humaines
et sociales sinon de toutes les sciences en gnral. Si tout est
signe dans le comportement humain, la prsence d'un langage ,
en ce sens large, ne permet plus de dlimiter un objet de connais-
sance parmi d'autres. De surcrot, les institutions sociales, les
structures psychiques, les formes artistiques, les dcoupages des
sciences n'ont t envisags comme des systmes de signes qu'en
un temps rcent, et, pour en parler, nous aurions t amens
souvent crer une science beaucoup plus qu' en rendre compte
ce qui ne correspondait ni nos buts ni nos possibilits.
Enfin, une telle extension du mot langage aurait impliqu
l'affirmation d'une identit principielle entre les diffrents systmes
de signes; nous nous sommes refuss riger d'emble cette
hypothse au rang de postulat L'tude de ces systmes pourra
foire l'objet d'autres ouvrages venir.
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8 Introduction
Si l t m ot langage est donc pris ici en un sens restrictif, le
pluriel desciencesmarque, au contraire, notre dsir d'ouverture.
N ous n'avons voulu, aucun mom ent, sparer l'tude de la langue
de celle de sesproductions entendant par l la fois sa mise en
fonctionnement (d'o la place accorde renonciation, aux actes
linguistiques, au langage en situation) et les squencesdiscursives
qui en rsultent, et dont l'organisation n'est (dus directement
rgie par le seul mcanisme de la langue (d'o les nombreux
articles consacrs aux questions de littrature : le discours litt-
raire tant, de tous, le mieux tudi). Toute tentative d'isolerl'tude de la langue de celle du discours se rvle, tt ou tard,
nfaste l'une et l'autre. En les rapprochant, nous ne faisons
d'ailleurs que renouer avec une longue tradition, celle de la
philologie, qui ne concevait pas la description d'une langue
sans une description des uvres. On trouvera donc reprsentes
ici, outre la linguistique au sens troit, la potique, la rhtorique,
la stylistique, la psycho-, la socio- et la golinguistique, voire
certaines recherches de smiotique et de philosophie du langage.
Nous souscrivons par l au credo nonc nagure par l'un des
matres de la linguistique moderne :
Linguiste sum : Itnguistid
nihi a me aiienum puto.
Bien que nous n'intervenions ici comme tenants d'aucune
cole, nous avons t amens, plus souvent qu'il n'est d'usage
dans ce genre d'ouvrages, prendre une position personnelle,
et mme prsenter, ici ou l, des recherches originales, si incom-
pltes et provisoires que nous les sachions. Plutt qu'un bilan
des opinions, dont l'idal illusoire serait l'impartialit, nous avons
cherch donner une vue d'ensemble cohrente des problmes
ce qui exige toujours le choix d'un point de vue. Indiquons-le
brivement
Pour tudier les problmes du langage, nous avons choisi de
les envisager dans une perspective essentiellement smantique.
Les problmes de la signification, de ses niveaux, de ses modes
de manifestation sont au centre de tout l'ouvrage. Cette im-
portance accorde la signification, entrane plusieurs cons-
quences :
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Introduction 9
1.
Noua avons prsent en dtail la thorie gnrative et trans-
formationnele de Chomsky, qui a contribu, plus qu'aucune
autre, lever la mfiance dont les questions smantiques ont
longtemps t l'objet de la part des linguistiques scientifiques
(ce qui rous a amens d'ailleurs signaler certaines difficults
qu'elle rencontre, et qui expliquent son volution actuelle).
2. De mme, nous avons donn une place importante l'histoire
des sciences du langage (en la faisant commencer bien avant
le xix
e
sicle) : c'est que les dbats qui l'occupent tournent, eux
aussi, en dernire analyse, autour des rapports entre la langue
et la signification : mm e le dbat entre Saussure et la linguistique
historique du xrx* sicle, qui se cristallise autour de questions
techniques prcises, met en jeu, en fin de compte, deux conceptions
diffrentes de l'acte de signifier.
3. N ous exposons, propos de divers problmes la rfrence,
la modalit, par exemple , le point de vue de certains logiciens.
U est assez frquent, aujourd'hui, de dclarer ce point de vue
linguistiquement non-pertinent (une expression que nous
n'aimons gure), sous prtexte que les logiciens ne s'occupent
pas de dcrire la langue, mais d'noncer des rgles concernant
son utilisation. H nous semble cependant que les recherches
logiques peuvent tre fort rvlatrices pour le linguiste; car les
difficults que le logicien rencontre pour noncer les lois du
raisonnement font apparatre, par contraste, la spcificit des
langues naturelles.
4.
Des questions purement littraires ctoient parfois
l'examen des catgories linguistiques : ainsi la discussion du
personnage suit celle des parties du discours et des fonc-
tions syntaxiques . H en rsulte l'occasion une certaine ingalit
dans le niveau de rigueur atteint ici et l : ingalit que nous
esprons provisoire et qui reflte le rythme irrgulier dans le
dveloppement des sciences. Nous avons adopt ce parti parce
que nous croyons au rapport authentique qui relie catgories
linguistiques et catgories discursives, parce que nous croyons
au profit que peuvent tirer l'une et l'autre science de leur tude
conjugue.
5. En contrepartie, il tait invitable de faire une part plus
restreinte aux problmes de l'expression phonique et de la parent
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10 Introduction
historique des langues; nous avons essay cependant de prsenter,
concernant ces thmes, les notions qui sont devenues le bien
commun et la rfrence constante des linguistes, et qui sont
indispensables pour comprendre les travaux actuels sur le langage*.
D y a une certaine tmrit prsenter, en quatre cents pages,
une vue d'ensemble sur les sciences du langage, tant donn leur
extraordinaire dveloppement, depuis une cinquantaine d'annes
surtout; tant donn aussi leur aspect la fois systmatique
chaque notion doit se comprendre par rapport une multitude
d'autres , et chaotique on ne trouve ni principes ni term ino-
logie fixes. Pour faire face ces difficults, nous avons procd
de la manire que voici
Le livre est organis non selon une liste de mots, mais selon
un dcoupage conceptueldu domaine tudi. La solution inverse
(qui tait encore possible l'poque du
Lexique de la
terminologie
linguistique
de J. Marouzeau) aurait entran, aujourd'hui, ou des
redites innombrables, trop coteuses en place, ou des kyrielles
de renvois, exigeant des lecteurs une patience draisonnable.
Nous avons donc crit une cinquantaine ^articlesdont chacun,
consacr unthmebien dlimit, constitue un tout, et peut tre
l'objet d'une lecture suivie. A l'intrieur de ces articles, un certain
nombre de termes (environ huit cents) sont dfinis : un index,
plac la fin de l'ouvrage, donne la liste alphabtiquede ces
termes, avec une rfrence et une seule au passage du livre
o se trouve la dfinition. Par ailleurs, le lecteur qui cherche des
renseignements sur une doctrine particulire, trouvera unindex
des auteurs,
avec renvoi aux passages o se trouvent des dvelop-
pements les concernant (nous avons laiss de ct, dans ces
renvois, les remarques purement aUusives ou bibliographiques
dont les mmes auteurs peuvent tre l'objet ici et l).
Enfin, lorsqu'il a t ncessaire, dans le courant mme des
articles, d'utiliser des termes ou de faire allusion des thmes
Pour une tude approfondie de ces problmes, nous renvoyons au
Guide alphabtique de la linguistique ralis sous la direction d'A. Martinet
(Paris, 1969), ouvrage peu prs symtrique du ntre, en sens qu'il prend
pour centraux les problmes que nous traitons de faon marginale et
JaveraerneriL
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Introduction 11
prsents affleurs, des numros entra crochets indiquent fai
page o ces termes on thmes sont expliqus.
Les articles se suivent selon un ordreanalytiqueet non alphab-
tique. En voici le principe.
La premire section, Les coles, suit tes principales tendances
dont l'enchanement constitueVMstoirede lalinguistiquemoderne
(grammaires gnrales, linguistique historique gossmatique,
etc.).
La seconde, Les domaines, dcrit Vensemble des disciplines
dont le langage constitue Vobjet
: tes diffrentes parties de la lin-
guistique, la potique, la stylistique, la psycholinguistique, la
philosophie du langage...
Les deux autres sections sont consacres la descriptiondes
principaux concepts utiliss. D'abord,
Les concepts mthodolo-
giques;
on entend par l tes concepts les plus gnraux, comme
ceux de signe, syntagme et paradigme, langue et parole, etc.;
l'intrieur mme de cette section, l'ordre suivi vise aller
autant que possible, et sans prtendre une hirarchie stricte
du fondamental au driv.
Ensuite, dans la dernire section, on
traite de concepts plus particuliers, dits
descriptifs
: par exemple
ceux de phonme, partie du discours, sens et rfrence, style;
ils s'chelonnent du simple au complexe, en partant du trait dis-
tinctif phonique, pour arriver aux actes linguistiques globaux.
Ainsi construit, l'ouvrage nous semble susceptible d'une double
lecture : fl peut s'utiliser comme dictionnaire on comme encyclo-
pdie, n est donc destin aussi bien aux spcialistes qu'aux dbu-
tants, dans chacun de ces domaines qui vont de la linguistique
aux tudes littraires.
La langue dans laquelle les articles sont crits vise tre aussi
peu technique que possible. La linguistique et, plus encore, les
autres disciplines reprsentes i c i n e possde pas de terminologie
unifie. Si nous utilisions un langage technique, nous devions
donc, ou bien mlanger des terminologies diverses, on bien choisir
l'une d'entre elles, ce qui quivalait privilgier
a priori
la doctrine
qui l'a construite. Nous avons prfr utiliser le langage le moins
spcialis, et, l'aide de ce langage commun, donner la dfinition
des termes techniques. Par exemple, tout en proposant, pour les
termes
signification, langue, langage,
des dfinitions troites et
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12 Introduction
restrictives, nous utilisonscestermes, danslecoursdel'ouvrage,
selon l'acception plus lche qu'ils
ont
dans
le
langage ordinaire.
Lorsque, cependant,
il
nous
est
ncessaire d'employer une expres-sion technique,
ou
d'employer
une
expression dans
un
sens
technique, nous renvoyons,par unchiffre imprim ct d'elle,
lapageol'on trouvesadfinition.
Lesbibliographiesdonnesl'intrieurdesarticles, lafin
de chaque dveloppement nevisentpas l'exhaustivit, mais
seulement indiquer ou bien quelques textes historiquement
marquants,
ou
bien quelques travaux dont nous garantissons
l'intrt
.
Pour certains articles, nous avons demandle secours d'autres
collaborateurs savoir M
mM
Maria-Scania de Schonen et
Marie-Christine Hazacl-Massieux
et M.
Franois Wahl. Nous
tenons
les
remercier
ici. Le nom de
l'auteur
de
chaque article
est indiqu dans
le
sommaire.
O8wald DUCROT
Tzvetan
TODOROV
* Nous avons adopt, enplusdesconventions gnrales,tes abrviations
suivantes
:
lorsqu'il
s agitd un
article publi dans
un
recueil
collectif, le
titredurecueilestprcdpar un Ai et,ventuellement, par le nom du res-
ponsable
ou du
prsentateur
du
recu eil suivi
de la
mention (&/).
Si
l article
est publi dans
un
recueil
de
l auteurmmo,
le
titre
du
recueil prcde celui
de l'article. Lorsque lechiffre derenvoi une autre page estsuivi de *.,
la page dsigne
est la
premire
d une
suite
laquelle
0
faut
se
rfrer.
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Les coles
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Grammaires gnrales
Aprs
avoir rdig diverses grammaires (grecque, latine espa-
gnole), un professeur des Petites coles de Port-Royal des
Champs, Claude Lancelot, crivit en 1660, en collaboration avec
Antoine Araauld, une
Gram maire gnrale et rationne,
appele
souvent par la suite
Gram maire de Port-Royal.
La grammaire
gnrale vise noncer certains principes auxquels obissent
toutes les langues, et qui donnent l'explication profonde de leurs
usages; il s'agit donc de dfinir
le langage
dont les langues particu-
lires sont des cas particuliers. L'exemple de Port-Royal a t
suivi par un grand nombre de grammairiens, surtout franais, du
xvm
e
sicle, qui estiment que, si on ne se fonde pas sur une gram-
maire gnrale, l'apprentissage des langues particulires se rduit
un exercice purement mcanique, o n'entrent en jeu que la
mmoire et l'habitude.
Si toutes les langues ont un fondement commun, c'est qu'elles
ont toutes pour but de permettre aux hommes de se signifier ,
de se faire connatre les uns aux autres leurs penses. Or Lancelot
et Arnauld admettent implicitement, et certains grammairiens
postrieurs (comme Beauze) affirment explicitement, que la
communication de la pense par la parole exige que celle-ci soit
une sorte de tableau , d' imitation , de la pense. Quand ils
disent que la langue a pour fonction la reprsentation de la pense,
ce mot doit donc tre pris dans son sens le plus for t II ne s'agt
pas seulement de dire que la parole est signe, mais qu'elle est
miroir, qu'elle comporte une analogie interne avec le contenu
qu'elle vhicule. Comment se fait-il, maintenant, que ces mots,
qui n'ont rien de semblable avec ce qui se passe dans notre
esprit, puissent p en da nt imiter l es divers mouvements de notre
me ?
Il ne s'agit pas pour les auteurs de grammaires gnrales, de
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16
Les coles
chercher dans la matrialit du mot, une imitation de la chose
ou de Tide (bien que la croyance la valeur imitative des sons du
langage se retrouve toutes les poques de la rflexion linguistique,
et, au xvn* sicle mme, dans certains textes de Leibniz). C'est
seulement l'organisation des mots dans l'nonc, qui, pour eux,
a un pouvoir reprsentatif. Mais comment est-il possible juste-
ment qu'un assemblage de mots spars puisse reprsenter une
pense dont la caractristique premire est Y indivisibilit
(terme employ par Beauze)? Est-ce que le morcellement impos
par la nature matrielle de la parole ne contredit pas l'unit
essentielle de l'esprit? Pour rpondre cette question (la mme qui,
au xix
e
sicle, guide la rflexion de Humboldt sur l'expression
linguistique de la relation), il faut remarquer qu'il existe une
analyse de la pense qui, tout en la dcomposant, respecte son
unit : c'est l'analyse opre par les logiciens. En distinguant
dans une proposition un sujet et un prdicat (ce dont on affirme
quelque chose, et ce qu'on en affirme), on ne brise pas son unit,
puisque chacun de ces termes doit tre dfini par rapport l'autre,
puisque le sujet n'est tel que par rapport une prdication possible,
et que le prdicat ne se suffit pas lui-mme, mais comporte une
ide confuse du sujet dont il est affirm. Par consquent,
la parole pourra laisser transparatre l'indivisibilit de l'acte
intellectuel, si le morcellement en mots reproduit l'analyse logique
de la pense. C'est ainsi que l'art d'analyser la pense est le
premier fondement de l'art de parler, ou, en d'autres termes,qu'une saine logique est le fondement de l'art de la grammaire
(Beauze). De l'ide que le langage est reprsentation, on passe
ainsi l'ide qu'il est reprsentation de la pense logique. Du
mme coup, on comprend qu'il puisse y avoir une grammaire
gnrale : comme on ne met gure en doute, l'poque,
que la logique soit universelle, il semble naturel qu'il y ait des
principes, galement universels, que toutes les langues doivent
respecter lorsqu'elles s'efforcent de rendre visible, travers les
contraintes de la communication crite ou orale, la structure
de la pense logique. On comprend aussi que la connaissance
de ces principes puisse tre obtenue de faon raisonne (et non
pas inductive), partir d'une rflexion sur les oprations logiques
de l'esprit et sur les ncessits de la communication. On voit
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Grammaires gnrales
17
enfin que cette grammaire gnrale et raisonne permet, son
tour, de rendre raison des usages observs dans les diffrentes
langues : il s'agit alors d* appliquer aux principes immuables
et gnraux de la parole prononce ou crite, les institutions
arbitraires et usuelles des *angues particulires.
QU ELQU ES EX EMP LES.
Les principales catgories de mots correspondent aux moments
fondamentaux de la pense logique. Le jugement consistant
attribuer une proprit (prdicat) une chose, les langues compor-
tent des mots pour dsigner les choses (substantifs), pour dsigner
les proprits (adjectifs), et pour dsigner l'acte mme d'attribu-
tion (le verbe
tre;
les autres verbes reprsentent, selon Port-
Royal, un amalgame du verbe
tre
et d'un adjectif : le chien
court = le chien est courant ). D'autres catgories, tout en
tant, elles aussi, lies l'exercice de la pense logique, sont
dtermines de plus par les conditions de la communication.
Ainsi l'impossibilit d'avoir un nom pour chaque chose impose
le recours des noms comm uns dont l'extension est ensuite limite
par des articles ou par des dmonstratifs. On noncera de mme,
en combinant principes logiques et contraintes de communication,
certaines rgles prsentes comme universelles. Par exemple
l'accord entre le nom et l'adjectif qui le dtermine, accord nces-
saire pour la clart de la communication (il permet de savoir
de quel nom dpend l'adjectif) doit tre une concordance (identit
du nombre, du genre et du cas) parce que, selon leur nature logique,
l'adjectif et le nom se rapportent une seule et mme chose.
(Port-Royal va jusqu' rendre raison de l'accord du participe en
franais.) Ou encore, il y a un ordre des mots (celui qui place le
nom avant l'adjectif pithte, et le sujet avant le verbe) qui est
naturel et universel, parce que, pour comprendre l'attribution
d'une proprit un objet, il faut d'abord se reprsenter l'objet :
ensuite seulement il est possible d'affirmer quelque chose de lui
Cette dernire rgle dans la mesure o les contre-exemples
apparaissent aussitt (le latin et l'allemand ne respectent gure cet
ordre naturel ) fait comprendre qu'une thorie des figures
est indispensable toutes les grammaires gnrales. Une figure
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18
Les coles
de rhtorique [349] est conue l'poque comme une faon de
parler artificielle et impropre,
substitue
volontairement, pour des
raisons d'lgance ou d'expressivit, une faon de parler natu-
relle,qui doit tre r. .abiie pour que la signification de la phrase
soit comprise. Selon les grammaires gnrales on trouve de telles
figures, non seulement dans la littrature, mais dans la langue
elle-mme : elles tiennent ce que la langue, destine primiti-
vement reprsenter la pense logique, se trouve en fait mise au
service des passions. Celles-ci imposent par exemple des abrvia-
tions (on sous-entend les lments logiquement ncessaires, mais
affectivement neutres), et, trs frquemment, un renversement
de l'ordre naturel (on met en tte, non le sujet logique, mais le
mot important). Dans tous ces cas, les mots sous-entendus et
l'ordre naturel avaient d'abord t prsents l'esprit du locuteur,
et doivent tre rtablis par l'auditeur (te romain qui entendait
Venit Petrus
tait oblig, pour comprendre, de reconstruire en
lui-mme
Petrus venit).
C'est pourquoi le latin ou l'allemand
sont appels langues transpositives : elles renversent un ordre
d'abord reconnu. L'existence de figures, bien loin de contredire
les principes gnraux, en constitue donc plutt la confirmation :
elles ne remplacent pas les rgles, mais se superposent elles.
Quelques textes essentiels : A. Arnauld, C. Lancelot, Grammaire
gnraleet raisonne,Paris, 1660, rdite Paris, 1969, accompagne
d'une prface de M. Foucault; N . Beauze,Grammairegnrale, Paris,
1767;
C Chesneau du Marsais,
Logique et principes de grammaire,
Paris,
1769. Nombreux renseignements dans G. Harnois,
Les
Thories
dulangageenFrancede16601821,Paris 1929; G . Sahlin,CsarChes-
neau du M arsais et son rle dans rvolution de lagrammairegnrale,
Paris,1928; N . Chomsky,Cartesian
Unguistics,
New York, 1966 (trad.
franaise LaLinguistiquecartsienne
y
Paris, 1969); R. Donz,LaGratta
maire gnraleetraisonnedePort-Royal,Berne, 1967; J.-C Chevalier,
Histoire de la syntaxe, Genve, 1968; P. Julliard,PhihsophiesofLan-
guageinEghteenth Century
France,
La Haye, 1970.
Quelle est l'importance historique de la grammaire gnrale?
D'abord, elle marque, en intention au moins, la fin du privilge
reconnu, aux sicles prcdents, la grammaire latine, dont on
avait tendance faire le m odle de toute grammaire : la grammaire
gnrale n'est pas p lus latine qu'elle n'est franaise ou allemande,
mais elle transcende toutes les langues. On comprend que ce soit
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
24/479
Grammaires gnrales 19
devenu, au xvm* sicle, un lieu commun (rpt dans beaucoup
d'articles linguistiques de VEncyclopdie) de condamner les
grammairiens qui ne savent voir une langue qu' travers une autre
(ou,
comme dira, au xx sicle, O. Jespersen, qui parlent d'une
langue en louchant sur une autre). D'autre part, la grammaire
gnrale vite le dilemme, qui semblait jusque-l insurmontable,
de la grammaire purement philosophique et de la grammaire
purement empirique. Les nombreux traits
De modis significandi
au Moyen Age se consacraient une rflexion gnrale sur l'acte
de signifier. D'un autre ct, la grammaire, telle que l'entendait
Vaugelas, n'tait qu'un enregistrement des usages, ou plutt
des bons usages , la qualit de l'usage tant juge surtout la
qualit de l'usager. La grammaire gnrale, elle, cherche donner
une explication des usages particuliers partir de rgles gnrales
dduites. Si ces rgles peuvent prtendre un tel pouvoir expli-
catif,
c'est que, tout en tant fondes sur la logique, elles ne
se contentent pas de la rpter : elles expriment sa transpa-
rence possible travers tes conditions matrielles de la commu-
nication humaine.
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Linguistique historique
au
XIX
e
sicle
NAISSANCB DE LA UNGUISTQUB HISTORIQUE.
Bien qu'il soit facile de constater (ne serait-ce qu'en comparant
des textes) que les langues se transforment avec le temps, c'est
seulement vers la fin du XVII
6
sicle que cette transformation
est devenue l'objet d'une science particulire. Deux
ides
semblent
lies cette attitude nouvelle.
a) Le changement des langues n'est pas d seulem ent la
volont consciente des hom mes
(efifort d'un groupe pour se faire
comprendre d'trangers, dcision des grammairiens qui purent
le langage, cration de mots nouveaux pour dsigner des ides
nouvelles),
mais aussi une ncessit
interne.La langue n'est pas
seulement transforme, mais elle se transforme (Turgot, dans
l'article tymologie de VEncyclopdie, parie d'un principe
interne de changement). Cette thse est devenue explicite lorsque
les linguistes ont commenc distinguer deux relations possibles
entre un mot
a
d'une poque
A,
et un mot
b,
analogue, d'une
poqueBultrieure. U y a emprunt siba t consciemm ent form
sur le modle de a, qu'on est all exhumer d'un tat de langue
pass : ainsi
hpital
a t fabriqu, une poque dtermine, par
imitation du latin hospitale (plus exactement, on a fabriqu, trs
anciennement hospital, devenu depuis hpital).Il y a hritage en
revanche lorsque le passage de
a
b
est inconscient, et que leur diff-
rence, s'il y en a une, tient une progressive transformation de
a (htel
est le produit d'une srie de modifications successives subies
par
hospitale).
Dire qu'un mot peut venir, par hritage, d'un mot
diffrent, c'est donc admettre qu'il y a des causes naturelles au
changement linguistique. De l dcoule une consquence impor-
tante : la filiation de deux langues
A et B
n'implique pas leur
ressemblance. B peut tre radicalement diffrente de A, et venir
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
26/479
Linguistique historique auXIX
e
sicle 21
pourtant deA .Auparavant, au contraire, la recherche des filiations
linguistiques ne faisait qu'un avec la recherche des ressemblances,
et, l'inverse, on se servait des diffrences pour combattre l'hypo-
thse d'une filiation. La croyance au changement naturel va au
contraire amener rechercher l'intrieur mme des diffrences,
la preuve de la parent.
b) Le
changement linguistique
est rgulier, et respecte
V organisa-
tion interne des langues.Comment prouver la filiation de deux
langues, si on renonce prendre pour critre la ressemblance?
En d'autres termes, sur quoi se fonder pour dcider que les diff-
rences entre elles sont le produit de changements et non de substi-
tutions?(N.B.C'est l la face linguistique d'un problme trs gnral,
que rencontre toute tude du changement; la physique et la chimie
le rsolvent, vers la mme poque, en donnant pour critre au chan-
gement, qu' travers lui quelque chose se conserve ). La solution
vers laquelle on se dirige la fin duXVIII*sicle, et dont l'acceptation
explicite constituera la linguistique historique comme science,
consiste ne considrer une diffrence comme un changement
que si elle manifeste une certaine rgularit l'intrieur de la
langue. Comme la croyance la conservation de la matire fait
passer de l'alchimie la chimie, le principe de la rgularit du
changement linguistique marque la naissance de la linguistique
partir de ce qu'on appelait alors tymologie. Celle-ci, mme
lorsqu'elle se prsentait comme historique (ce qui n'tait pas
toujours le cas [170]), et qu'elle expliquait un mot en trouvant,
dans un tat antrieur,le m ot dont il provient, tudiait chaque
mot sparment, en en faisant un problme isol. Cette dmarche
rendait trs difficile de trouver des critres, car il est frquent que
diffrentes tymologies semblent possibles pour un mme mot
Et, dans ce cas, comment choisir? La linguistique historique,
en revanche, n'explique un mot b par un mot a prcdent que si
le passage de
a
b
est le cas particulier d'une rgle gnrale valable
pour bien d'autres mots, et fait comprendre aussi que
a'
soit devenu
b'
t
a", devenu 6", etc. Cette rgularit implique que la diffrence
entre a et b tient tel ou tel de leurs constituants, et que, dans
tous les autres mots o ce constituant apparat, il soit affect
par le mme changement. On peut tirer de l deux consquences :
bi) On peut exiger que l'explication d'un mot s'appuie sur une
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
27/479
22
Les
coles
analyse grammaticale de ce mot, et explique sparment les diff-
rentes units signifiantes (morphmes [259]) dont il est compos.
C'est pourquoi Turgot refuse, par exemple, l'explication du latin
britamica
(t britannique ) par l'hbreu
baratanac
( pays de
l'tain ), avec l'argument que le mot latin est compos de deux
units
(britan,
et la terminaison
ica)
: il faut donc les expliquer
sparment, tandis que l'tymologie allgue expliquait le mot
dans sa totalit (voir, ici mme, un autre exemple, pris Adelung,
p. 257). Pour que le changement linguistique possde cette rgu-
larit qui est sa seule garantie possible, il semble donc ncessairequ'il respecte l'organisation grammaticale de la langue, et ne
concerne le mot qu' travers sa structure interne (on voit comment
l'article de Turgot, consacr la recherche de critres pour l'tymo-
logie, est amen dpasser l'tymologie).
bi)
On peut aller plus loin encore dans l'analyse du mot, et
chercher la rgularit non seulement au niveau des composants
grammaticaux, mais celui des composants phontiques. C'est
dans cette tche que la linguistique historique a obtenu, au xrx
6
si-
cle,ses plus beaux succs, en arrivant tablir des lois phontiques.
noncer une loi phontique concernant deux langues (ou tats
d'une mme langue)
A
et
B
t
c'est
montrer qu' tout mot de
A
comportant, dans ose position dtermine, un certain son lmen-
taire x, correspond un mot deB ox est remplac par x \ Ainsi,
lors du passage du latin au franais, les mots latins contenant
un
c
suivi d'un
a
ont vu le
c
chang en
ch
:
campus
->
champ,
cahus -+chauve, casa chez, etc.N.B.a) Use peut que
JC*
z r o ,
et que le changement soit une suppression,
b)
II serait difficile de
prciser le terme correspond employ plus haut : gnralement,
le mot deBn'a plus le mme sens que celui deA car la signi-
fication, elle aussi, volue , et il en diffre matriellement par
autre chose que par la substitution de a*
x
car d'autres lois
phontiques relient
A
et B.
c)
Les lois phontiques ne concernent
que les changements lis un hritage, et non les emprunts :
l'emprunt
calvitie
a t directement calqu sur le latin
calvities.
Un chantillon amusant d'histoire pr-linguistique des langues:
Discours historique sur l'origine de la langue franaise ,
Le M ercure
ds
France*juin-juillet 1757.
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Linguistique historique auXIX
e
sicle
23
L A G R AM M AE R B C O M P A R E ( O U C O M P A R A T I S M E ) .
Malgr certaines intuitions de Turgot ou de Adelung, on donne
d'habitude comme date de naissance la linguistique historique
un ouvrage de l'Allemand F. Bopp sur le
Systme de
conjugaison
de la langue sanscrite, compar celui deslangues grecque, latine
%
persaneet germarique(Francfort-sur-le-Main, 1816). Pour dsigner
les recherches analogues menes, en Allemagne surtout, pendant
la premire moiti du xrx
e
sicle, on emploie souvent l'expression
grammaire compare ou comparatisme : en font partie notam-
ment les travaux de Bopp, des frres A. W. et F. von Schlegel, de
J. L. C. Grimm, de A. Schleicher, ceux enfin souvent prcur-
seurs, mais qui ont eu peu d'audience du Danois R. Rask. Us
ont en commun les caractres suivants :
1.Suscits par la dcouverte, la fin du xvm
e
sicle, de l'ana-
logie existant entre le sanscrit, langue sacre de l'Inde ancienne,
et la plupart des langues europennes anciennes et modernes,
ils sont essentiellement consacrs cet ensemble de langues,
appeles soit indo-europennes, soit indo-germaniques.
2.
Ils partent de l'ide qu'il y a, entre ces langues, non seulement
des ressemblances, m ais une parent : ils les prsentent donc
comme des transformations naturelles (par hritage) d'une mme
langue-mre, l'indo-europen, qui n'est pas directement connue,
mais dont on fait la reconstruction (Schleicher a mme cru pouvoir
crire des fables en indo-europen). N.B. Les premiers compara-
tistes ne se dfendaient pas toujours contre l'ide que le sanscrit
est
la langue mre.
3. Leur mthode est comparative, en ce sens qu'ils essaient
avant tout d'tablir des correspondances entre langues : pour cela
ils les comparent (quelle que soit leur distance dans le temps),
et cherchent quel lmentx de l'une tient la place de l'lment V
de l'autre. Mais ils ne s'intressent gure rtablir, stade par
stade, le dtail de l'volution qui a men de la langue-mre aux
langues modernes. Tout au plus sont-ils amens, pour les besoins
de la comparaison, tracer les grandes lignes de cette volution :
si l'on a comparer le franais et l'allemand, on arrive des rsul-
tats beaucoup plus clairs en procdant de faon indirecte, en
comparant d'abord le franais au latin et l'allemand au germa-
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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24 Les coles
nique, puis le latin au germanique : d'o l'ide que la langue-
mre
s est
subdivise en quelques grandes langues (italique,
germanique, slave, etc.), dont chacune
s est
ensuite subdivise,
donnant naissance une famille (avec, encore, des subdivisions
pour la plupart des lments de ces familles).
4. La comparaison de deux langues est avant tout comparaison
de leurs lments grammaticaux. Dj Turgot avait prsent
comme une garantie ncessaire pour l'tymologiste, qu'il ne tente
pas d'expliquer les mots pris globalement, mais leurs lments
constitutifs (cf. ici mme, p. 22). De ces lments, maintenant,
lesquels sont les plus intressants? Ceux qui dsignent des notions
(aim dans aimeront, troupedans attroupement), et qu'on appelle
souvent radicaux ou lments lexicaux), ou bien les lments
grammaticaux dont les premiers sont entours, et qui sont censs
indiquer les rapports ou points de vue selon lesquels la notion
est considre? La discussion sur ce point a commenc ds la fin
du xvin
6
sicle, dirige par l'ide qu'il faut liminer de la compa-
raison tout ce qui risque d'avoir t emprunt par une langue
une autre (et qui ne peut donc servir prouver une volution
naturelle). Or les lments grammaticaux ne prsentent gure
ce risque, puisqu'ils constituent, dans chaque langue, des systmes
cohrents (systme des temps, des cas, des personnes, etc.). Vu
leur solidarit rciproque, on ne peut pas emprunter un lment
grammatical isol, mais seulement tout un systme, et le boulever-
sement qui en rsulterait rend la chose peu vraisemblable. C'est
pourquoi la comparaison des langues a t considre essentielle-
ment, au dbut du xxx
6
sicle, comme comparaison de leurs
lments grammaticaux.
LA THSE DU DCLIN DES LANGUES.
Le projet de la linguistique historique tait li l'ide d'une
double conservation lors du changement (ici mme p. 21 s.).
Conservation de l'organisation grammaticale : il faut que l'on
puisse soumettre les mots de l'tat A et de l'tat ultrieurB la
mme dcomposition en radical et lments grammaticaux (sinon
la comparaison doit prendre les mots globalement, mthode
dont on connaissait l'incertitude). Conservation aussi de l'organi-
sation phontique, pour que des lois phontiques puissent faire
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30/479
Linguistique historique au
XIX*
sicle
25
correspondre les sons lmentaires de
A
et de
B,
et montrer com-
ment varie la forme phonique des composants des mots. Mais
les faits ont rendu difficile le maintien de cette double permanence.
Car les comparatistes ont cru dcouvrir que les lois phontiques
dtruisent progressivement par une sorte d'rosion l'organi-
sation grammaticale de la langue qui leur est soumise. Ainsi elles
peuvent amener la confusion, dans l'tat
B
%
d'lments grammati-
caux distincts en
A,
amener mme la disparition de certains
lments (la disparition des cas latins en franais tiendrait
rvolution phontique qui a entran la chute de la partie finale
des mots latins, partie o apparaissent les marques de cas); enfin
la sparation, dans le m ot, entre radical et lments grammaticaux
(sparation dont la nettet en sanscrit merveillait les premiers
comparatistes) s'attnue souvent du fait des changements phon-
tiques.
D'o le pessimisme de la plupart des comparatistes ( l'excep-
tion de Humboldt) : l'historien des langues ne trouve retracer
que leur dclin amorc dj dans les langues de l'Antiquit ,
et Bopp se plaint souvent de travailler dans un champ de ruines.
Mais ce pessimisme a des commodits : il permet de comparer
un mot moderne avec un mot ancien dont la structure est apparem-
ment fort diffrente, tout en maintenant que la comparaison
doit respecter les organisations grammaticales. Il suffit et Bopp
ne s'en prive pas de supposer que les deux mots ont une struc-
ture analogue en profondeur, et, plus gnralement, de considrer
l'tat ancien comme la vrit grammaticale de l'tat nouveau :
n'est-il pas raisonnable, pour l'archologue qui fait le plan d'un
champ de ruines, d'essayer d'y retrouver le trac de la ville an-
cienne? Ce que le comparatisme ne pouvait pas, en revanche,
sans abandonner ses principes mthodologiques fondamentaux,
c'tait croire que les langues, en se transformant, crent des
organisations grammaticales nouvelles.
Comment expliquer ce dclin des langues au cours de l'histoire?
La plupart des comparatistes B opp et Schleicher notamment
l'attribuent l'attitude de l'homme historique vis--vis de la
langue, qui est une attitude d'utilisateur : il traite la langue comm e
un simple moyen, comme un instrument de communication dont
l'utilisation doit tre rendue aussi commode et conomique qu*
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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26 Les coles
possible. Les lois phontiques auraient Justement pour cause
cette tendance au moindre effort, qui sacrifie l'organisation
grammaticale au dsir d'une communication bon march.
S'il y a eu une priode positive dans l'histoire des langues,
11faut donc la rechercher dans la prhistoire de l'hum anit. A lors,
la langue n'tait pas un moyen, mais une fin : l'esprit humain
la faonnait comme une uvre d'art, o il cherchait se
repr
senter
lui-mme. A cette poque, jamais rvolue, l'histoire
des langues a t celle d'une cration. Mais c'est seulement par
dduction que nous pouvons nous en imaginer les tapes. Pour
Schleicher, par exemple, les langues humaines ont d successivement
prendre les trois principales formes que fait apparatre une clas-
sification des langues actuelles fonde sur leur structure interne
( typologie). D'abord, elles ont toutes t Isolantes ( les mots
sont des units inanalysables, o on ne peut mme pas distinguer
un radical et des lments grammaticaux : c'est ainsi qu'on se
reprsente, au xrx sicle, le chinois). Puis certaines sont devenues
agglutinantes (comportant des mots avec radical et marques
grammaticales, mais sans qu'il y ait de rgles prcises pour la
formation du mot. Survivance actuelle de cet tat : les langues
amrindiennes). Enfin, parmi les langues agglutinantes, se sont
dveloppes des langues fiexfonnelles, o des rgles prcises,
celles de la morphologie [71], commandent l'organisation
interne du mot : ce sont essentiellement les langues indo-euro*
pennes. Dans ce dernier cas seulement, l'esprit est vritablement
reprsent : l'unit du radical et des marques grammaticales
dans le mot, cimente par les rgles morphologiques, reprsente
l'unit du donn empirique et des formesa priori dans l'acte de
pense. Malheureusement cette russite parfaite, attribue gnra-
lement la langue-mre indo-europenne, a t remise en cause,
ds l'Antiquit classique, lorsque l'homme, proccup de faire
l'histoire, n'a plus considr la langue que comme un instrument
de la vie sociale. Mise au service de la communication, la langue
n'a plus cess de dtruire sa propre organisation.
Quelques grands traits de grammaire compare : F. Bopp, Gram-
maire comparedeslangues indo-europennes,trad franc., Paris, 1885;
J.L. C .Grimm,Deutsche Grammatik,Gttingen, 1822-1837;A .Schlei-
cher, Compendtomdervergleichenden Grammatik der indogermanschen
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Linguistique historique
au
XIX* sicle 2 7
Sprachen,
Wcimar, 1866. Sur le
dclin
des
langues,voir
par
exemple
:
F. Bopp, VocaUsmus,
Berlin,
1836; A. Schleicher, Zurvergeichenden
Sprachgeschickte,Bonn,
1848. Ce
dclin
est mis en
question
par W. von
Humboldt, par exemple dans
De Forigine des formes grammaticales
et de leur influence sur le dveloppement des ides,
trad. franc., Paris,
1859, rdite Bordeaux, 1969 (pour un commentaire de Humboldt,
O. Ducrot, dans Ducrot et aL,
Qu'est-ce que le structuralisme?,
Paris
1968,p. 23-29). Un exemple de recherche moderne en grammaire compa-
re : B. Benveniste,
Hittite et Indo-europen,
Paris, 1962.
LES NO-GRAMMAIRIENS.
Dans la deuxime moiti du XIX
e
sicle, un groupe de linguistes,
surtout allemands, a tent d'introduire dans la linguistique histo-
rique les principes positivistes qui triomphaient dans la science
et dans la philosophie contemporaines. Esprant ainsi renouveler
la grammaire compare, ils se sont nomms eux-mmes no-
grammairiens. Leurs principales thses sont les suivantes :
1.
La linguistique historique doit tre explicative. H ne s'agit
pas seulement de constater et de dcrire des changements, mais
de trouver leurs causes (proccupation que n'avait gure Bopp).
2 . Cette explication doit tre de type positif. On se mfiera de
ces vastes explications philosophiques o Schleicher (grand lecteur
de Hegel) se complaisait Les seules causes vrifiables sont
chercher dans l'activit des sujets parlants, qui transforment
la langue en l'utilisant
3 . Pour mener bien cette recherche des causes, on doit tudier
de prfrence les changements qui s'tendent sur une dure
HittftA* Ait lieu de comparer des tats de langue trs distants,
on prendra pour objet le passage d'un tat celui qui le suit.
4 .
Un premier type de cause est d'ordre articulatoire. Les
c lo is phontiques son t en effet justiciables d'u ne explication
physiologique. Aussi leur action est-elle abso lument mcan ique
( aveugle ) : lorsqu'un changement s'opre l'intrieur d'un
tat, aucun mot ne peut lui chapper, quelle que soit sa situation
smantique ou grammaticale propre, et les exceptions (que Schlei-
cher se contentait d'enregistrer) sont, pour un no-grammairien,
l'indice d'une loi encore inconnue.
5. Un deuxime type de cause est psychologique. C'est la
tendance l'analogie, fonde sur les lois de l'association des ides.
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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28
Les coles
Les locuteurs ont tendance :
a)
grouper les mots et les phrases
en classes, dont les lments se ressemblent la fois par le son
et par le sens;
b)
crer des mots ou des phrases nouvelles suscep-
tibles d'enrichir ces classes. D'o, par exemple, la cration de
solutionner et actionner , sur le modle de fonctionner ,
ou de Je me rappelle de , sur le modle de Je me souviens de .
6. Non seulement l'histoire des langues doit tre explicative,
mais il n'y a pas d'autre explication linguistique qu'historique.
Ainsi, parler du sens fondamental sous-jacent aux diffrentes
acceptions d'un mot, cela n'est explicatif que si ce sens se trouvetre le sens chronologiquement premier. De mme on n'a le droit
de parler d'une drivation (de dire qu'un mot est tir d'un autre,
que maisonnette vient de maison ), que si on peut montrer
que le mot source ( maison ) pr-existe au mot driv ( mai-
sonnette ).
Le matre dont se rclament la plupart des no-grammairiens est
O. Curtius
{Grundzge der griechischen Etymologie,
Leipzig, 1858-
1868). Le principal thoricien est H. Paul (Princlpien der Sprach-
geschichte.
H alle, 1880). La recherche systmatique des lois phontiques
apparat particulirement dans K . B rugmann, Gru ndrlss der verglei*
chenden Gram matik der indogermanischen Sprachen, Strasbourg, 1886-
1900.
Un recueil de textes, traduits en anglais, de comparatistes et de
no-grammairiens : W. P. Lehmann, A reader in nineteenth-century
historical indo-european linguistics, Londres-Indiana University Press,
1967.
Une tentative pour situer les no-grammairiens dans l 'histoire
de la l inguistique : K ur t
R .
Jankowsky,
The neogrammarlans :
a
rva-
luation
of their place in the development of
Hnguistic
science, La Haye,
1972.
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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Saussurianisme
Aprs avoir crit, 21 ans, un M moire sur le systme primitif
des voyelles
indo-europennes
(Paris, 1878), uvre qui compte
parmi les russites de l'cole no-grammairienne [27], le linguiste
suisse Ferdinand de Saussure abandonne presque totalement
les recherches de linguistique historique, trouvant leur fondement
incertain, et pensant qu'elles doivent tre suspendues jusqu'
une refonte d'ensemble de la linguistique. Ayant lui-mme tent
cette refonte, il prsente les rsultats de ses travaux dans trois
cours professs Genve entre 1906 et 1911, et qui ont t publis,
trois ans aprs sa mort, par quelques-uns de ses lves, sous le
titre C ours de linguistique gnrale (Paris, 1916).
Pour une comparaison entre tes notes manuscrites de Saussure,
celles prises par les tudiants, et le Cours publi voir R. Oodel,Les
Sources manuscritesduCoursdelinguistique gnrale de F . de Saus-
sure,Genve-Paris, 1957. Une dition critique duCours par R. Engler
est en cours de publication depuis 1967 (Wiesbaden).
La pratique comparatiste avait pour fondement thorique ta
croyance la dsorganisation progressive des langues sous l'in-
fluence des lois phontiques elles-mmes lies l'activit de
communication [25]. Cette thse, qui autorise lire en filigrane,
dans l'tat prsent, la grammaire de l'tat pass, permet en effet
d'identifier, pour les comparer, des lments grammaticaux
anciens avec des lments de l'tat ultrieur, mme si ceux-ci
ont un statut grammatical apparemment fort diffrent. Mais
c'est justement la thse que Saussure met en question.
D'abord pour une raison gnrale, et qui n'apparat qu'impli-
citement dans le Cours : la langue, selon Saussure, est fondamen-
talement (et non pas par accident ou par dpravation) un instru-
8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage
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30 Les coles
ment de communication. On ne trouve jamais chez Saussure
l'ide que la langue doit reprsenter une structure de la pense
qui existerait indpendamment de toute mise en forme linguistique
(que cette reprsentation soit conue, la manire des compara-
tistcs, comme fonction fondamentale, ou, la manire de Port-
Royal, comme le moyen ncessaire de la communication). C'est
ce qui ressort notamment de la thse saussurienne selon laquelle
il existe un arbitraire linguistique fondamental [175] distinguer
de l'arbitraire de chaque signe isol [171] : il tient ce que la
pense, considre avant la langue, est comm e une masse
amorphe , comme une nbuleuse
(Cours,
chap. rv, 1), qui
se prte toutes les analyses possibles, sans privilgier l'une par
rapport aux autres, sans imposer de considrer telle et telle nuance
de sens comme deux aspects d'une mme notion, et de sparer
telle et telle autre, comme relevant de deux notions diffrentes
(pour les grammaires gnrales au contraire, il existe une analyse
logique de la pense qui s'impose de plein droit, et que le langage
doit imiter sa faon; et, de mme, pour les comparatistes,
l'unit du radical et des lments grammaticaux dans le mot,
reprsente l'unit de l'acte intellectuel soumettant l'exprience
aux formes
a priori
de l'esprit [258]). Si donc, pour Saussure,
chaque langue, chaque moment de son existence, prsente une
certaine forme d'organisation, ce n'est certainement pas l'effet
d'une fonction prexistant sa fonction de comm unication :
car la langue ne peut pas avoir d'autre fonction que de comm uni-
cation.
Cet argument trs gnral, fond sur l'ide de fonction du
langage, est renforc si l'on examine en dtail le rle effectif do
l'activit linguistique dans l'volution des langues. Car il n'est
pas vrai, selon Saussure, que lefonctionnementdu langage son
utilisation par les sujets parlants pour les besoins de la communi-
cation soit une cause de dsorganisation, qu'il aboutisse ce
nivellement grammatical dplor par Bopp. Tout en maintenant,
comme les no-grammairiens [27], que l'utilisation du code
linguistique par les sujets parlants c'est--dire, selon la termi-
nologie du
Cours ,
la parole [155 s.] est une des causes essen-
tielles des changements linguistiques, Saussure nie que les change-
ments ainsi introduits puissent concerner l'organisation mme do
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Saussurianisme
31
la langue. La cration analogique [27], par exemple, qui est un
des effets les plus clairs de la parole, ne fait jamais qu'tendre
enrichir, une catgorie dont elle prsuppose l'existence. La cration
de solutionner partir de solution , ne fait qu'ajouter un
couple supplmentaire dans la srie o se trouvent dj addition
additionner , fonction fonctionner , etc. Ainsi
l'analogie, selon Saussure, renforce plus qu'elle ne dtruit, les
classifications linguistiques. Les lois phontiques n'ont pas
davantage l'effet anarchique que les comparatistes leur attri-
buaient Un exemple clbre, donn par Saussure, est celui de
l'expression du pluriel en allemand. Dans un tat ancien, il tait
marqu par l'adjonction d'un / :
Gast
( hte )
Gasti
( htes ),H
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32
Les coles
d'une unit prsupposent que cette unit soit mise en rapport
avec les autres, et replace l'intrieur d'une organisation d'en-
semble. Et c'est l ce que les saussuriens entendent en parlant
de systme ou de structure de la langue : les lments lirjuistiques
n'ont aucune ralit indpendamment de leur relation au tout.
C'est encore la mme ide que Saussure exprime en disant que
l'unit linguistique est une vaknr. En disant qu'un objet, une pice
de m onnaie par exemple, est une valeur, on pose en effet : (a) qu'il
peut tre chang contre un objet de nature diffrente (une mar-
chandise), et surtout (b) que son pouvoir d'change est condi-
tionn par des rapports fixes existant entre lui et des objets de
mme nature (le taux de change entre la pice de monnaie et les
autres monnaies du mme pays et des pays trangers). I l en est de
mme de l'lment linguistique. Cet lment, pour Saussure,
c'est le signe, c'est--dire l'association d'une image acoustique
(signifiant) et d'un concept (signifi), ce qui fait qu'il rpond la
condition (a): son pouvoir d'change, c'est de servir dsigner
une ralit linguistique qui lui est trangre (ralit atteinte par
l'intermdiaire de son signifi, mais qui n'est pas son signifi, cf. ici
mme, p. 317 s.). Mais le signe rpend aussi la condition (b), car
ce pouvoir significatif qui le constitue, est strictement conditionn
par les rapports l'unissant aux autres signes de la langue, de sorte
qu'on ne peut pas le saisir sans le replacer dans un rseau de
relations intra-linguistiques. N.B. Cette notion de valeur interdit
de faire entrer, la manire des comparatistes, les lments de
l'tat
B
dans l'organisation de l'tat
A
antrieur : car, ou bien
B
n'a plus d'organisation propre, et il n*a plus alors d'lments,
ou bien il a des lments, mais il faut les situer dans l'organisation
propre B, qui, seule, leur donne ralit.
D'une faon plus concrte, Saussure montre que l'activit
effective qui permet au linguiste de dterminer les lments de la
langue (les signes) exige que l'on fasse apparatre en mme temps
le systme qui leur confre leur valeur. C'est que, malgr les
apparences, la dtermination des signes est une opration compli-
que et indirecte, qui demande bien plus que l'intuition, que le
sentiment linguistique immdiat (Cours, 2 partie, chap. n, 3).
Mme leur simple reprage fait dj difficult, dans la mesure
o ils n'ont pas toujours de manifestation matrielle nettement
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Saussuriattisme
3 3
dlimite. C'est le cas, par exemple, lorsque le signifiant d'un signe
est seulement une alternance (c'est--dire une modification du
radical), sans addition au radical d'un lment supplmentaire
(cf. le pluriel, dans
chevaux,
cf. aussi les verbes irrguliers
anglais o la marque du pass est constitue par une simple
modification de la voyelle radicale : /bind, j'attache , /
bound,
j'attachais ). Ici le signifiant n'a rien de positif , c'est la
simple diffrence entre bind et bound,entre cheval et chevaux.
Dans ces cas, qui, pour Saussure, illustrent seulement une situation
gnrale, le signe prsent n'a de ralit que par rapport au
signe pass , )e signe singulier que par rapport au signe
pluriel , de sorte qu'il est impossible de reconnatre un signe,
sans,
du mme coup, le classer parmi ses concurrents.
Il en est de mme pour une seconde opration, la dlimitation
des units, c'est--dire la segmentation de la chane, opration
qui consiste dcouvrir les signes minimaux, et, par exemple,
chercher si les verbes
dfaire, dcider, dlayer
doivent tre
dcomposs ou considrs comme des signes lmentaires. Dans
ce cas, assez simple, on sent que la bonne solution est d'ana-
lyser
d-faire
et lui seul. Mais la justification de cette solution
ne peut pas tre d'ordre intuitif, car les trois verbes possdent
le mme lment phonique
d,
et il est toujours accompagn d'une
certaine ide de destruction, de suppression, ce qui peut suggrer
d'admettre un signe d- prsent en eux. On est donc oblig
de faire intervenir des faits beaucoup plus complexes. On remar-
quera par exemple que
le d de dcider
ne peut pas tre supprim
(il n'y a pas de verbecider,alors qu'il yafaire), ni remplac par un
prfixe diffrent (il n'y a pas
reclder,
alors qu'il y a
refaire)
;
dcider
n'appartient donc pas une srie du type
(/aire, dfaire,
refaire}. Pour justifier de ne pas dcomposer dlayer, alors qu'il
y a un couple (dlayer, relayer), il faudrait faire intervenir
d'ailleurs un classement plus complexe, et noter que le couple
(dfaire, refaire}
fait partie d'un ensemble de couples {
(dlier,
relier}, (dplacer\replacer}.,. } , qui comportent la mm e diffrence
de sens entre les deux termes, mais que ce n'est pas le cas pour
(dlayer, relayer}.
On retiendra de cet exemple que la simple
segmentation
d-faire
exige que l'on reconnaisse dans ce verbe
un schma combinatoire gnral en franais, ou ce qui revient
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34 L e s c o le s
au mme, qu'on le replace dans une classification d'ensemble des
verbes franais : reconnatre les signes qui le composent, ce n'est
rien d'autre que le situer dans cette classification.
Une dernire tche indispensable pour la dtermination des
units, c'est l'identification, c'est--dire la reconnaissance d'un
seul et mme lment travers ses multiples emplois (dans des
contextes et dans des situations diffrentes). Pourquoi admettre
qu'il y a la mme unit adopter dans adopter une mode
et adopter un enfant ? Et, lorsqu'un orateur rptecM essieurs,
Messieurs , avec des nuances diffrentes, aussi bien dans la
prononciation que dans le sens, pourquoi dit-on qu'il utilise
deux fois le mme mot?
(C ours,
2
e
partie, chap. m ). Le problme
devient plus aigu, si on remarque que les diffrentes nuances
de sens que prend Messieurs (ou adopter ) sont souvent
aussi loignes l'une de l'autre qu'elles ne le sont de certaines
significations de Mes amis (ou de accepter ). Alors pourquoi
dcide-t-on de runir telle et telle nuance de sens en les attribuant
un mme signe? L encore, la rponse saussurienne est que
l'identification renvoie l'ensemble de la langue. Si une certaine
acception smantique doit tre attribue au signe adopter ,
mme si elle est trs loigne du sens habituel de ce mot, c'est
seulement dans la mesure o aucun des signes coexistants ( accep-
ter , prendre ,...) ne se trouve tre compatible avec cette nuance.
Elle n'appartient adopter que parce qu'elle n'appartient
pas un autre signe. Aussi Saussure dclare-t-il que la plus
exacte caractristique des signes est d'tre ce que les autres ne sont
pas . U ne forme faible et plus facile dfendre de ce prin-
cipe, consiste prciser que l'unit est, non pas tout ce que les
autres ne sont pas, mais qu'elle n'est rien de plus que ce que les
autres ne sont pas. Autrement dit, elle ne se dfinit que par ses
diffrences (d 'o son caractre diffrentiel ) , elle n'est fonde
sur rien d'autre que sur sa non-concidence avec le reste (C ours,
2
e
partie, chap. rv, 3). On obtient alors le principe d'oppositirit,
selon lequel on ne doit attribuer un signe que tes lments
(phoniques ou smantiques) par lesquels il se distingue d'au moins
un autre signe.
Cette conclusion n'est pas exactement celle qui ressortait
l'examen des oprations de reprage et de dlimitation. Tout
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Saussuriamsme 3 5
l'heure l'unit apparaissait com me purement
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Glossmatique
labore par le linguiste danois L. Hjelmslcv, la thorie glos-
omatiqiie se prsente comme l'explicitation des intuitions pro-
fondes de Saussure. Mais cette fidlit fondamentale lui fait
abandonner d'une part certaines thses de Saussure, juges super-
ficielles, et, d'autre part l'interprtation fonctionnaliste, notam-
ment phonologique, de la doctrine saussurienne qui serait
un travestissement. Hjelmslev retient avant tout, du
Cours,
deux
affirmations : 1) La langue n'est pas substance, mais forme.
2) Toute langue est la fois expression et contenu.
Ces deux thses s'unissent, pour Saussure, dans la thorie du
signe.
Si chaque langue doit tre caractrise non seulement sur le
plan de l'expression (par les sons qu'elle choisit pour transmettre
la signification), mais aussi sur le plan du contenu (par la faon
dont elle prsente la signification), c'est que lessignesd'une langue
ont rarement des quivalents smantiques exacts (des synonymes)
dans une autre : l'allemand
schtzen,
que l'on traduit d'habitude
par
estimer,
comporte en fait des nuances trangres au mot
franais. On ne saurait donc rduire une langue un jeu d'ti-
quettes servant dsigner des choses ou des concepts pr-existants,
on ne saurait donc la considrer comme une nomenclature ce qui
revient dire qu'il faut la dcrire aussi sur le plan du contenu.
C'est encore une rflexion sur le
signe
qui amne Saussure
dclarer que la langue est avant tout forme, et non substance.
En quoi consiste en effet, du point de vue smantique, la diffrence
entre deux langues? Certainement pas dans les significations
qu'elles permettent d'exprimer, puisqu'on arrive les traduire :
rien n'empche de dsigner en franais cette nuance qui se trouve
dans
schtzen
et non dans
estimer.
Ce qui fait la diffrence, c'est
que telle et telle nuances qui, dans l'une, s'expriment par le mme
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Glossmatique 3 7
signe, doivent tre, dans l'autre, exprimes par des signes diff-
rents. Ainsi s'introduit, dans la ralit smantique objective
( = substantielle), un dcoupage original, issu directement du
systme des signes, configuration que Saussure appelle parfois la
forme de la langue (Cours, 2* partie, chap. VT). On voit alors
que le primat donn cette forme dcoule directement du principe
d'oppositivit [34]. Dire en effet qu'un signe se caractrise
seulement par ce qui le distingue des autres, par ce en quoi il est
diffrent, c'est dire notamment que les frontires de sa significa-
tion constituent un fait premier, imprvisible, impossible dduire
d'une connaissance de la nature ou de la pense, c'est donc consi-
drer la forme de la langue comme l'objet d'une science auto-
nome et irrductible. (N.B. Ce qui a t montr ici propos de
l'aspect smantique du signe est galement applicable, selon
Saussure, son aspect phonique : ce qui constitue la valeur
phonique d'un signe, c'est ce qui le distingue des autres, de sorte
que les signes d'une langue projettent aussi dans le domaine du
son une configuration originale, qui relve de la forme de cette
langue.)
Si Hjelmslev approuve l'intention qui guide l'opposition saus-
surienne de la forme et de la substance, il veut aller, dans cette
distinction, plus loin que Saussure. A coup sr, les units linguis-
tiques introduisent un dcoupage original dans le monde du son
et de la signification. Mais, pour pouvoir le faire, il faut qu'elles
soient autre chose que ce dcoupage, autre chose que ces rgions
du sens et de la sonorit qu'elles se trouvent investir. Pour qu'elles
puissent se projeter dans la ralit, il faut qu'elles existent indpen-
damment de cette ralit. Mais comment le linguiste va-t-il les
dfinir, s'il impose de faire abstraction de leur ralisation, tant
intellectuelle que sensible? Certainement pas en recourant au
principe d'oppositivit (recours que nous appellerons la concep-
tion 1 de Saussure), puisque ce principe amne toujours carac-
triser l'unit d'une faon positive, et demande seulement qu'on la
limite
ce en quoi
elle diffre des autres.
La solution hjelmslevienne est de dvelopper l'extrme une
autre conception saussurienne (conception 2), selon laquelle
l'unit, purement ngative et relationnelle, ne peut pas se dfinir
en elle-mme la seule chose importante, c'est
le simple fait
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38 Les coles
qu'elle soit diffrente des autres
mais seulement par tes
rapports qui la relient aux autres units de la langue : de mme,
on ne demande aux symboles d'un systme formel que d'tre
distincts les uns des autres, et relis entre eux par des lois de fonc-
tionnement explicites (on fait donc abstraction la fois de leur
signification et de leur manifestation perceptible). Si la langue
est forme et non substance, ce n'est donc plus en tant qu'elle
introduit un dcoupage original, mais en tant que ses units doivent
se dfinir par les rgles selon lesquelles on peut les combiner,
par le jeu qu'elles autorisent D'o l'ide qu'une langue peut
rester fondamentalement identique elle-mme, lorsqu'on modifie
la fois les significations qu'elle exprime et les moyens matriels
dont elle se sert (par exemple, lorsqu'on transforme une langue
parle en langue crite, gestuelle, dessine, en un systme de
signaux par pavillons, etc.).
Bien que cette thse s'appuie sur certains passages de Saussure
(Cours,2
e
partie, chap. rv, 4X Hjelmslev pense tre le premier
a l'avoir explicite, et surtout labore (on trouvera ici mme,
p.143 s., la dfinition des relations constitutives de toute langue
selon Hjelmslev). Elle amne distinguer trois niveaux, l o
Saussure n'en voyait que deux. La substance saussurienne, c'est-
-dire la ralit smantique ou phonique, considre indpendam-
ment de toute utilisation linguistique, Hjelmslev l'appelle matire
(anglais:
purport;
la traduction franaise des Prolgomnes
parle, non sans hardiesse, de sens ). La forme, dans la concep-tion 1 de S aussure, entendue donc comme dcoupage, configu-
ration Hjelmslev l'appelle substance et il rserve le terme de
forme pour le rseau relationnel dfinissant tes units (=* la forme
dans la conception 2 de Saussure). Pour relier les trois niveaux,
la glossmatique utilise la notion de manifestation : la substance
est la manifestation de la forme dans la matire).
Cette rinterprtation du principe saussurien La langue est
forme et non substance , amne en mme temps Hjelmslev
rinterprter l'affirmation que les langues se caractrisent la fois
sur te plan de l'expression et sur celui du contenu. Cette affirma-
tion signifie, pour Saussure, que la faon dont les signes d'une
langue se rpartissent entre eux la signification, introduit dans
celle-ci un dcoupage original, aussi original que celui qui est
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Glossmatique 3 9
instaur dans le domaine phonique. Mais supposons maintenant
que l'on fasse abstraction de ces dcoupages (considrs comme
des faits de substance), pour ne plus considrer que les relations
combinatoires entre units, c'est--dire la forme authentique selon
Hjelmslev. I l faut alors renoncer distinguer expression et contenu,
puisque leur forme est identique : les rapports combinatoires
reliant les signes, relient aussi bien leurs significations que leurs
ralisations phoniques. Pour sauver la distinction de l'expression
et du contenu, Hjelmslev doit donc abandonner l'ide que l'unit
linguistique fondamentale est le signe. La tche lui est d'ailleurs
facilite par le fait que les phonologues ont mis en vidence
grce la commutation [43] des units linguistiques plus
petites que le signe, les phonmes [221] (I
e
signe veaucomprend
les deux phonmes /v/ et /o/). La mme mthode, mais applique
au contenu, permet de distinguer, dans ce signe, au moins les
trois lments smantiques (dits parfois smes [339]) /bovin/,
/mle/, /jeune/. Or il est clair que les units smantiques et phoni-
ques ainsi repres peuvent tre distingues du point de vue formel :
les lois combinatoires concernant les phonmes d'une langue
et celles qui concernent les smes ne sauraient tre m ises en corres-
pondance, c'est ce que Hjelmslev exprime en disant que les deux
plans ne sont pas conformes, (N.B. Cette absence de conformit
n'empche pas qu'il y ait isomorphisme entre eux, c'est--dire que
Ton retrouve des deux cts
le mme type
de relations combina-
toires.) Matire, substance et forme se ddoublent donc selon
qu'il est question de l'expression ou du contenu, ce qui donne
finalement six niveaux linguistiques fondamentaux. On notera
particulirement que Hjelmslev parle d'une forme du contenu.
Son formalisme, contrairement celui des distributionalistes [49 s.] ,
n'implique donc pas un refus de considrer le sens, mais la vo lont
de donner une description formelle aux faits de signification.
(C'est ce que A. Culioli appelle smantique formelle .)
K.B.
S i Hjelmslev utilise la mthode phonologique de commutation
pour combattre le primat du signe, il la soumet cependant la
mme critique qu'il adresse au principe d'oppositivit dont
elle dcoule. Car, pour lui, la commutation sert seulement reprer
les lments linguistiques infrieurs au signe, mais elle ne permet
pas de dire ce qu'ils sont : alors que le phonologue dfinit chaque
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40 Les coles
phonme par ce en quoi il se distingue des autres, Hjelmslev ne
dfinit les lments que par leurs relations combinatoires (voir,
ici-mme, sa distinction du schma et de la norme, p. 164). Pour
bien marquer cette diffrence avec la phonologie, Hjelmslev
a cr une terminologie particulire. L'lment linguistique mis
au jour par la commutation, mais dfini formellement, est appel
glossme; les glossmes de l'expression (correspondant respec-
tivement aux traits prosodiques et aux phonmes) sont appels
prosodmes et cnmes; ceux du contenu (correspondant respec-
tivement aux signifis des lments grammaticaux et lexicaux)
sont les morphmes et les plrmes. (La notion de taxme, utilise
de faon sporadique seulement, fournit un correspondant formel
au trait distinctif [224].)
Dans la mesure o la glossmatique donne un rle central
la forme, pure de toute ralit smantique ou phoni-
que, elle relgue ncessairement au second plan la fonc-
tion, notamment le rle de la langue dans la communication
(car ce rle est li la substance). Mais cette abstraction permet
du mme coup de rapprocher les langues naturelles d'une multi-
tude d'autres langages fonctionnellement et matriellement fort
diffrents. Si elle est mene d'une faon suffisamment abstraite,
Ttude des langues naturelles dbouche donc, comme le voulait
Saussure, sur une tude gnrale des langages (smiologie).
Hjelmslev propose ainsi une typologie d'ensemble des langages,
fonde sur leurs seules proprits formelles. Si on dfinit un langage
par l'existence de deux plans, on parlera de langue conforme
lorsque les deux plans ont exactement la mme organisation
formelle, et ne diffrent que par la substance (ce serait le cas des
langues naturelles, si leurs units fondamentales taient les
signes; c'est le cas des systmes formels des mathmaticiens, dans
l'image que s'en fait Hjelmslev, pour qui leurs lments et leurs
relations sont toujours en correspondance bi-univoque avec ceux
de leurs interprtations smantiques). Parmi les langues non-
conformes, on parlera de langue dnotative lorsque aucun des
deux plans n'est lui-mme un langage (exemple : les langues
naturelles, dans leur usage habituel). Lorsque le plan du contenu
est, par lui-mme, un langage, on se trouve en prsence d'une
mtalangoe (exemple : la langue technique utilise pour la descrip-
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Glossmatique 41
tion des langues naturelles). Enfin, si c'est le plan de l'expression
qui est dj un langage, il s'agit d'une langue connotative. Il y a
connotation en effet, pour Hjelmslev, lorsque l'lment signifiant
est le fait mme d'employer telle ou telle langue. Lorsque Stendhal
emploie un mot italien, le signifiant, ce n'est pas seulement le
terme utilis, mais le fait que, pour exprimer une certaine ide,
l'auteur ait dcid de recourir l'italien, et ce recours a pour signifi
une certaine ide de passion et de libert, lie, dans le monde
stendhalien, l'Italie. Les langues naturelles, dans leur usage
littraire, fournissent un exemple constant de langage connotatif :
c'est que, dans cet usage, le signifiant est moins le mot choisi
que le fait de l'avoir choisi. L'effort d'abstraction que s'impose
Hjelmslev, a ainsi pour contrepartie un considrable largis-
sement du champ linguistique, dont a profit toute la smiologie
moderne.
Principaux ouvrages de HQelmslev :Prolgomnes
une thorie du
langage(Copenhague, 1943), trad. franc., Paris, 1968; Le Langage
(Copenhague, 1963), trad. franc., Paris, 1966;
Essais linguistiques
(recueil
d'articles crits en franais), Copenhague, 1959. Un essai d'application
de la glossmatique (quelque peu mlange de distributionalisme [49 s.] :
K. Togeby,
Structure imm anente de la langue franaise,
Copenhague,
1951 ; Paris, 1967. Com mentaires importants : A . Martinet, Au sujet
des fondements de la thorie linguistique de L. Hjdmslev ,Bulletin
de la socit de linguistique,
1946, p. 19-42; B. Sierstema,
A study of
Glossematics, La Haye, 1953; P. L. Carvin, Compte rendu de la tra-
duction anglaise des Prolgomnes, Language, 1954, p. 69-96. L'oppo-
sition de la forme et de la substance a t au centre de nombreusesdiscussions linguistiques jusqu' 1960; parmi les textes les plus intres-
sants :C E. BazriULinguisticForm , Istamboul, 1953.
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Fonctionnalisme
Une des innovations de la linguistique de Saussure est de dclarer
essentiel la langue son rle d'instrument de communication,
rle que les comparatistes considraient au contraire comme une
cause de dgnrescence. Partant de l, certains successeurs de
Saussure, que l'on appelle souvent fonctionnalistes, considrent
l'tude d'une langue comme la recherche des fonctions joues
par les lments les classes et les mcanismes qui interviennent
en elle. (N .B . La considration de la fonction amne l'ide
que l'tude d'un tat de langue, indpendamment de toute consi-
dration historique, peut avoir valeur explicative, et pas seulement
descriptive.)
Cette tendance apparat particulirement dans la mthode d'in-
vestigation des phnomnes phoniques dfinie d'abord, sous le
nom de phonologie, par N. S. Troubetzkoy, et dveloppe notam-
ment par A. Martinet, R. Jakobson et l'cole dite de Prague.
(Sur les divergences entre Martinet et Jakobson, voir ici-mme,
p.
224s .) Quelle est la fonction essentielle, dans la comm unication,
des sons lmentaires dont la combinaison constitue la chane
parle? Us ne sont pas eux-mmesporteurs designification (le son
[a] debasn'a, pris isolment, aucun sens) bien qu'ils puissent,
l'occasion, le devenir (cf. le [a] de la prposition
).
Leur fonc-
tion est donc, avant tout, de permettre de distinguer des units
qui, elles, sont pourvues de sens : le [a] debaspermet de distinguer
ce mot de
buy
beau,
boue*
etc., et il n'a t choisi que pour rendrepossibles ces distinctions. Cette remarque, lmentaire, est de
consquence. Car elle fournit au linguistexm principe
d'abstraction
:
les caractres physiques qui apparaissent lors d'une prononciation
de [a] n'ont pas tous en effet cette valeur distinctive (=* leur choix
n'est pas toujours guid par une intention de communication).
Que l'on prononce le [a] long ou court, en avant ou en arrire de
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Fonctionnalisme 4 3
la cavit buccale ( = antrieur ou postrieur), n se trouve, en fran-
ais contemporain, que cela ne change pas l'identit du mol
o ce [a] apparat (il en tait autrement autrefois, o l'on distin-guait couramment, par la prononciation du [a],
bas
et
bt).
D'autre
part le voisinage de [b] impose au [a] certains traits (qu 'on retrouva
dans le [u] de
bu),
et qui, tant obligatoires, en franais au m oins,
ne rpondent pas une intention de communication. Le fonction-
nalisme conduit donc isoler, parmi les traits phontiques
phy-
siquement
prsents dans une prononciation donne, ceux qui
ont une valeur distinctive, c'est--dire, qui sont choisis pour
permettre la communication d'une information. Eux seuls sont
considrs commephonologiquement
pertinents.
Pour leur dtermination, les phonologues ont mis au point
la mthode dite de commutation. Soit tudier le [a] franais.
On part d'une prononciation particulire d'un des mots o inter-
vient le [a] (une prononciation de
bas
par exemple). Puis on fait
varier dans toutes les directions phontiques possibles le son qui
a t prononc dans ce mot Certains changements n'entranent
pas de confusion avec un autre mot : on dit que les sons alors
substitus la prononciation initiale ne
commutent
pas avec elle
(ni, par suite, entre eux); commutent, au contraire, avec elle ceux
dont l'introduction entrane la perception des signes
beau, bu,
etc.
On rpte ensuite l'opration sur les autres signes contenant [a]
{table, car,
etc.), et l'on remarque ce qui n'tait pas prvisible,