60
La revue trimestrielle de l’ n°8 juin 2012 ul n’est aujourd’hui pleinement capable de mesurer la profon- deur des mutations que le développement d’internet engendre à travers le monde, dans les relations entre les indi- vidus, les entreprises et les Etats. Il est désormais commun de dire que le net abolit les frontières et les distances, produit à la fois foisonnement et uniformité, et constitue un espace autonome et dématérialisé tout en étant profondément ancré dans le quotidien de chacun. De multi- ples acteurs, allant de l’inter- naute - producteur occasionnel, mais croissant, de contenus - à des multinationales de l’internet qui s’appuient sur une clientèle potentielle de près d’un tiers de la population mondiale – la moitié d’ici 2015 –, participent à la croissance ininterrompue de cet écosystème. Ce nouveau numéro des cahiers de l’ARCEP est l’occasion de dresser un état des lieux de ce qui constitue l’un des vecteurs d’une nouvelle étape de la mondialisation. Dans cet espace sans frontière, les opérateurs de télécoms occu- pent une place à part, consti- tuant l’emprise matérielle de ces réseaux, un relais indispensable entre l’internaute et des contenus dont la masse croit chaque jour. Cet ancrage territo- rial rappelle, s’il en était besoin, que si, dans l’économie de l’im- matériel, certaines frontières se trouvent abolies, d’autres se dres- sent, dessinant une mondialisa- tion numérique à deux visages et appelant de nouveaux modes de gouvernance. Du point de vue de l’utilisa- teur, internet forme un conti- nuum dans lequel l’ensemble des contenus en ligne est aujourd’hui accessible autant depuis un accès fixe, à son domicile comme sur son lieu de travail, qu’en mobilité. Il est pourtant constitué d’une multitude de réseaux (de l’ordre de 40 000) et d’éléments d’infra- structure interconnectés. La clé de son développement tient ainsi à la généralisation de protocoles de communication normalisés, symbolisés par l’IP, rendant possible cet usage planétaire. Dans cet ensemble, les opéra- teurs de communications électro- niques jouent un rôle essentiel, formant l’ancrage local, territo- rialisé, de ce bien mondial. Leur qualité est donc déterminante pour la capacité de la population d’un pays à s’inscrire dans ce mouvement global et celle de son économie à en tirer les pleins bénéfices. En retour, le dévelop- pement des usages sur internet nourrit la demande des utilisa- teurs pour des réseaux de nouvelle génération qui assure- ront les revenus futurs de ces opérateurs. En amont, on assiste également à l’émergence de nouvelles dynamiques dans la production et l’hébergement de contenus, les « over-the-top » étant tentés de relocaliser à proxi- mité des utilisateurs leurs services et les données qu’ils véhiculent. Enfin, dans les strates intermé- diaires, la croissance des volumes transportés nécessite un redimen- sionnement des capacités d’inter- connexion et de transit et, plus généralement, de la connectivité mondiale. La reprise du déploie- ment des grands câbles interconti- nentaux pour lesquels la France dispose d’un savoir-faire reconnu en est une illustration. Considérer internet du point de vue de l’in- frastructure en donne ainsi une image moins uniforme, qu’illus- trent bien les contributions à ces Cahiers : espace de liberté sans frontière, internet prolonge cependant certaines inégalités et contribue, en l’absence d’initia- tive publique, à en forger de nouvelles. Le succès d’internet a reposé sur la liberté qu’il offrait à ses utilisateurs : liberté de trans- mettre et d’accéder à une infinité de contenus, liberté de parole et d’idées qui ont trouvé à s’incarner dans la sphère économique par une intensité d’innovation inégalée, dans la sphère politique La mondialisation est loin d’être un phénomène récent mais elle a pris une toute autre ampleur avec internet. Grâce au réseau des réseaux, l’économie est entrée dans un nouveau cycle de gain de productivité et de créatrion de richesse pour la planète. Tous les pays n’y ont pas encore accès, mais là où ils sont connectés, les individus ont déjà, grâce aux nouvelles technologies et à l’information disponible sur internet, fortement gagné en autonomie. Ce processus va-t-il s’accélérer ? Le numérique contribuera-t-il à réduire la fracture entre pays développés, émergents et en développement ? Internet sera-t-il partout un outil au service de la démocratie et des peuples ? Quelques réponses dans ces cahiers de l’ARCEP pour participer à un débat qui se poursuit. Numérique & mondialisation Dossier Suite page 2 N Jean-Ludovic Silicani Economie numérique et mondialisation : des vecteurs de croissance et de liberté ? président de l’Autorité L’éditorial

Economie numérique et mondialisation :

  • Upload
    letuyen

  • View
    243

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • La revue trimestrielle de l

    n8 juin 2012

    ul nest aujourdhuipleinement capablede mesurer la profon-deur des mutations

    que le dveloppement dinternetengendre travers le monde,dans les relations entre les indi-vidus, les entreprises et les Etats.Il est dsormais commun de direque le net abolit les frontires etles distances, produit la foisfoisonnement et uniformit, etconstitue un espace autonome etdmatrialis tout en tantprofondment ancr dans lequotidien de chacun. De multi-ples acteurs, allant de linter-naute - producteur occasionnel,mais croissant, de contenus - des multinationales de linternetqui sappuient sur une clientlepotentielle de prs dun tiers dela population mondiale lamoiti dici 2015 , participent la croissance ininterrompue decet cosystme. Ce nouveaunumro des cahiers de lARCEPest loccasion de dresser un tatdes lieux de ce qui constitue lundes vecteurs dune nouvelletape de la mondialisation.

    Dans cet espace sans frontire,les oprateurs de tlcoms occu-pent une place part, consti-tuant lemprise matrielle de cesrseaux, un relais indispensableentre linternaute et descontenus dont la masse croit

    chaque jour. Cet ancrage territo-rial rappelle, sil en tait besoin,que si, dans lconomie de lim-matriel, certaines frontires setrouvent abolies, dautres se dres-sent, dessinant une mondialisa-tion numrique deux visages etappelant de nouveaux modes degouvernance.

    Du point de vue de lutilisa-teur, internet forme un conti-nuum dans lequel lensemble descontenus en ligne est aujourdhui

    accessible autant depuis un accsfixe, son domicile comme surson lieu de travail, quen mobilit.Il est pourtant constitu dunemultitude de rseaux (de lordrede 40 000) et dlments dinfra-structure interconnects. La clde son dveloppement tient ainsi la gnralisation de protocolesde communication normaliss,symboliss par lIP, rendantpossible cet usage plantaire.Dans cet ensemble, les opra-teurs de communications lectro-niques jouent un rle essentiel,formant lancrage local, territo-rialis, de ce bien mondial. Leurqualit est donc dterminantepour la capacit de la populationdun pays sinscrire dans cemouvement global et celle de

    son conomie en tirer les pleinsbnfices. En retour, le dvelop-pement des usages sur internetnourrit la demande des utilisa-teurs pour des rseaux denouvelle gnration qui assure-ront les revenus futurs de cesoprateurs. En amont, on assistegalement lmergence denouvelles dynamiques dans laproduction et lhbergement decontenus, les over-the-top tant tents de relocaliser proxi-mit des utilisateurs leurs serviceset les donnes quils vhiculent.Enfin, dans les strates interm-diaires, la croissance des volumestransports ncessite un redimen-sionnement des capacits dinter-connexion et de transit et, plusgnralement, de la connectivitmondiale. La reprise du dploie-ment des grands cbles interconti-nentaux pour lesquels la Francedispose dun savoir-faire reconnuen est une illustration. Considrerinternet du point de vue de lin-frastructure en donne ainsi uneimage moins uniforme, quillus-trent bien les contributions cesCahiers : espace de libert sansfrontire, internet prolongecependant certaines ingalits etcontribue, en labsence dinitia-tive publique, en forger denouvelles.

    Le succs dinternet a repossur la libert quil offrait sesutilisateurs : libert de trans-mettre et daccder une infinitde contenus, libert de parole etdides qui ont trouv sincarnerdans la sphre conomique parune intensit dinnovationingale, dans lasphre politique

    La mondialisation est loin dtre un phnomne rcent maiselle a pris une toute autre ampleur avec internet. Grce aurseau des rseaux, lconomie est entre dans un nouveaucycle de gain de productivit et de cratrion de richesse pourla plante. Tous les pays ny ont pas encore accs, mais l o ils sont connects, les individus ont dj, grce aux nouvelles

    technologies et linformation disponible sur internet,fortement gagn en autonomie. Ce processus va-t-ilsacclrer ? Le numrique contribuera-t-il rduire la fractureentre pays dvelopps, mergents et en dveloppement ?Internet sera-t-il partout un outil au service de la dmocratieet des peuples ? Quelques rponses dans ces cahiers delARCEP pour participer un dbat qui se poursuit.

    Numrique & mondialisation

    Dossier

    Suite page 2

    NJean-Ludovic Silicani

    Economie numrique et mondialisation :

    des vecteurs de croissance et de libert ?

    prsident de lAutorit

    Lditorial

  • Dossier

    DossierEconomie numrique et mondialisation 1 54

    Sommaire

    ARCEP7, square Max Hymans - 75730 Paris Cedex 15www.arcep.fr - 01 40 47 70 00Abonnement : [email protected] : 2109-2540Responsable de la publication : Jean-Ludovic SilicaniDirecteur de la rdaction : Philippe Distler

    Rdaction : Ingrid Appenzeller et Jean-Franois Hernandez (quipecommunication de lARCEP).

    Ont contribu ce numro : Pascal Dagras, Maxime Forrest, Antoine Frenoy,Thibaud Furette, Christian Gunod, Maeva Jouglet et Yvan Vilafranca.

    Crdit photo : ARCEP (pages 18 et 19), Martin Labb et Ccile Barayre CNUCED (pages 40-41) et mPedigree (page 44).

    Maquette : Emmanuel Chastel Impression : Corlet Imprimeur Ralisation

    2x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    Suite de la page 1

    Les Cahiers de lARCEP sontimprims sur du papiercouch compos de 60 %de fibres recycles et de 40 % de fibres vierges.

    n Lditorial Jean-Ludovic Silicani ..................1

    n Points de vue........................................................3 Linternet et le politique, A. Jupp ................3

    Internet, lacclrateur dinterdpendance,J. Coutant (ARCEP) ........................................3

    La technologie transforme lconomie et lasocit, B. Vermayen (Alcatel Lucent) ........29

    n Le numrique dans le monde ............4 Panaroma de lconomie numrique

    mondiale, (ARCEP) ....................................4 - 5

    n Gopolitique de linternet ......................6Gostratgie : lespace numrique mondial,un territoire virtuel en mouvement,Y. Lavocat (Lepac) ................................6 - 7 - 8

    Gographie : les rseaux tlcoms faonnent-ils lorganisation du monde ?G. Dupuy (Paris I) ............................................9

    Histoire : la mondialisation, une dj longuehistoire, A. Beltran (CNRS)....................10 - 11

    Quelle gouvernance pour la toile ?M. Cosnard et C. Kirchner (INRIA) ..............12

    Droit : linternet est-il vraiment sans frontires ? B. de la Chapelle (ICANN)........13

    n Technologies ....................................................14 Les SATELLITES

    La guerre des positions orbitales, F. Rancy (UIT) ............................................14

    Les satellites au cur de lexploitation delespace, P. Achilleas (facult de Sceaux)..15

    La GESTION du TRAFIC INTERNET Flux internet et globalisation,

    D. Schaeffer (Cogent) ..............................16

    Le Cloud, W. Belmans et P. Ford (Cisco) ..17

    Les CABLES SOUS-MARINS Lconomie des cbles sous-marins,

    interview de M. Rouilleault(RLT Consult) ......................................18 - 19

    Reportage sur un navire cblier ........20 - 21

    Les BOUCLES LOCALES en AFRIQUE Le financement des dorsales terrestres,

    M. Rogy (Banque mondiale)......................22

    Lexprience du Liberia, A. Weeks (LTA)....................................23 - 24

    n Rgulation ..........................................................25Dveloppement et rgulation des tlcomsen Afrique, L. Gille (Tlcom Paris Tech)......25

    La formation BADGE, interview de M. Bako (ARCEP Burkina) ........25

    Les rgulateurs rflchissent au dploiement de la fibre en Afrique..26 - 27

    Fracture numrique : les rgulateurs se mobilisent, I. Hoballah (AREGNET) J. Bara (ARTAC) ............................................28

    n Stratgie des acteurs conomiques ........................................................30 Le Brsil comme relais de croissance,

    J.-B. Lvy (Vivendi) ......................................30

    Le dveloppement international comme axefort, E. Girard (France Tlcom-Orange) ....31

    Pays mergents : ces telcos qui partent lassaut du monde, D. Pouillot (Idate)..32 - 33

    Equipementiers : le grand chambardement,M. Feneyrol (consultant) ......................34 - 35

    n BRICs ........................................................................36Chine : un march colossal, une concurrenceencore restreinte, H. Wang, C. Roux, V. Huang (France Tlcom Beijing) ........36 - 37

    Russie : internet, une forte croissance,J . Nocetti (IFRI) ............................................38

    Inde : un march mobile hors-norme, S. Sud, S. Beyazian (Raymond JamesTelecoms Research) ......................................39

    Mexique : rformer le systme judiciaire et renforcer la rgulation, A. Diaz-Pines(OCDE) ..........................................................40

    n Usages......................................................................41 Ethnologie : les relations sociales lheure

    du village global , S. Broadbent (Collgeuniversitaire de Londres) ..............................41

    Les TIC stimulent lconomie et les usagesdes PVD, F. Fredriksson (CNUCED) ....42 - 43

    Usages innovants en Afrique, P. Parmentier (Journaliste) ..................44 - 45

    Tmoignages : Skype Madagascar / Mobileau Burkina..............................................44 - 45M-banking / Mdicaments contrefaits ........46

    Reverse innovation , interview de M. Toumi (Booz & Co) ............47

    n Questions conomiques ..........................48 Peering et net neutralit (ARCEP) ........48 - 49

    Roaming, A. Diaz-Pines (OCDE) ................50

    Cyber-scurit, A. Khaouja (ANRT Maroc)..51

    n Postal ........................................................................52 Les postes du XXIme sicle sont

    dans les pays mergents, F. Abdallah,P. Donohoe (UPU) ................................52 - 53

    Evolutions de trafic et mondialisation,J. Anson (UPU) ............................................54

    Nominations 56 - 57Actualits 55 - 58 - 59 - 60

    par la constitution de nouveauxespaces dmocratiques, hors ducontrle usuel des Etats.Cependant, en abolissantcertaines des frontires mat-rielles, politiques, voire lgales,qui lui prexistaient, internet ena constitu dautres, entre paysdu Nord et pays du Sud, entreurbains et ruraux, populationsaises et modestes, et, dans unecertaine mesure, entre gnra-tions. Ces ingalits tendenttoutefois se rduire et lon peutse montrer raisonnablementoptimiste : lAfrique, grandeoublie du net, voit sa connexionau rseau des rseaux sam-liorer. Des formes nouvellesdaccs sy dveloppent, vianotamment les services mobileset le numrique peut constituerlun des facteurs de rattrapagede ce continent ; un grandnombre dEtats travers lemonde ont aussi mis en uvredes politiques visant rduire lafracture territoriale et des poli-tiques cibles sur les usagescontribuent combler les inga-lits sociales et gnrationnelles.En France, les pouvoirs publicsont eu trs tt conscience de cettat de fait, et la couverture delensemble du territoire enrseaux fixes et mobiles constituelun des piliers des politiquespubliques et de la rgulation dusecteur. De nombreuses initia-tives, locales et nationales, contri-buent galement tendrelusage du numrique au sein dela population. Notre paysprsente ainsi un taux de pn-tration des services daccs internet parmi les plus levs(6me rang des pays de lOCDEpour les accs fixes en 2011) quicontinue de crotre. Cette int-gration pousse dans lespacenumrique mondial est gale-ment lune des conditions nces-saires, mais pas suffisante, pourque notre conomie sinsre dansun mouvement dchanges cultu-rels, conomiques et financiersqui sacclre.

    La double nature dinternet, la fois bien public mondial etespace de production de valeur,espace sans frontire mais dontles conditions daccs sont dter-

    mines par des spcificits natio-nales et locales, plaide galementpour la recherche de nouvellesformes de gouvernance. Car, siun consensus existe pour recon-natre que les formes tradition-nelles du multilatralismetatique se prtent mal cetobjet nouveau, un dialogue doitcependant se mettre en place, neserait-ce que pour assurer laprennit dinternet et la poursuite, dans les meilleuresconditions, de son extensiongographique. Pour les rgula-teurs, cette question se posepour le maintien de la neutralit,cest--dire la garantie d'un galaccs lensemble des contenuspour lensemble des utilisateurs.Une action au niveau nationalest ncessaire, et lARCEP ycontribue, que ce soit par sestravaux sur la qualit du servicede laccs internet ou sa capa-cit traiter les diffrends dontelle peut tre saisie entre four-nisseurs daccs internet etfournisseurs de contenus distri-bus en France, quelle que soit leur origine gographique.Cependant, ne nous y tromponspas : ces initiatives doiventgalement sinscrire dans desrflexions internationales, raisonpour laquelle lAutorit a tenu participer trs activement auxinitiatives europennes sur cesujet. Il en va ainsi dinternetcomme de toute chose, la libertne peut sexercer vritablementsans certaines formes de respon-sabilit.

    On le voit, ces Cahiers delARCEP abordent un objet dontlimportance na dgal que ladiversit des rflexions et desinterrogations quil suscite. Ilssoulignent galement que lac-tion du rgulateur sinscrit dansun contexte trs large, ds lorsquinternet et les rseaux decommunications lectroniques,comme avant eux le tlgrapheet le tlphone, constituent lundes instruments de louverture denotre pays au monde. w

    Par Jean-LudovicSILICANI

    prsident de lAutorit

  • Linternet et le politique

    n 2015, trois milliards et demi de personnes soit lamoiti de l'humanit auront accs internet : lav-nement de ce rseau mondial bouleverse nos cono-mies et nos socits.

    Le rle qua jou internet dans les printemps arabes accentue laprise de conscience des tats du monde entier : internet est aussi unoutil de dmocratie et de changement politique. Espace ouvert departage dinformations, il affranchit la parole citoyenne. Cest unechance pour la dmocratie, une dimension dsormais essentielle de lalibert dexpression. Voil pourquoi tant de dictatures sen mfient.

    Penser le numrique aujourdhui relve donc aussi du champ politique.Arriv au premier stade de sa maturit, il est vital de sassurer que ledveloppement dinternet respecte les principes fondamentaux du droit.Aujourdhui, les tats sinterrogent sur les politiques mettre en place etsur leur rle dans cette dynamique dont chacun sait quelle est dabordporte par le secteur priv et la socit civile. Il y va de leur prospritconomique, de leur rayonnement culturel, mais aussi de leur scurit.

    Diplomatie, coopration, gouvernance et scuritCest pourquoi le gouvernement franais, et notre diplomatie, sont

    pleinement engags dans la rflexion et les ngociations internationalessur la gouvernance dinternet. Les tats poursuivent actuellement ledialogue engag loccasion du Sommet mondial sur la socit de lin-

    formation (SMSI) pour faire merger une socit de linformation inclu-sive, au service du dveloppement humain et respectueuse de la diver-sit culturelle et des droits de chacun. Le caractre transfrontalier durseau et la convergence indite de logiques politiques et conomiquesdans le cyber-espace plaident aussi pour une coopration internationaleplus affirme.

    En 2011, pour la premire fois dans lhistoire du G8, la prsidencefranaise avait dcid de faire dinternet lobjet d'une discussion entre leschefs d'tat et de gouvernement. La dclaration finale reflte la vision quenous dfendons : un cyber-espace ouvert, respectant les mmes droits notamment la protection des droits dauteur ou le respect de la vieprive que ceux en vigueur dans le monde rel , au service de lacroissance, de la cration, de linnovation et de la dmocratie. Cettedclaration souligne galement lattention quil convient de porter lascurit des rseaux informatiques de communication. La prolifrationdes cyber-attaques, quelles visent les individus, les entreprises ou lestats, menace en effet de porter atteinte nos efforts pour promouvoirla libre circulation de linformation sur internet et laccs linformationpour tous. La dclaration de Deauville appelle les tats dvelopper desapproches communes dans le domaine de la cyber-scurit et adopterdes normes de comportement dans le cyber-espace. wN.B. : cet article a t rdig alors quAlain Jupp tait encore ministre

    des affaires trangres et europennes.

    EPar Alain JUPP, maire de Bordeaux,

    ancien Premier ministre et ancien ministre des affaires trangres et europennes

    Economie numrique et mondialisationPoints de vue

    LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012 x3

    Interview de Jrme COUTANT, membre du collge de lARCEP

    z Internet est-il devenu unbesoin primaire pour les treshumains ?Pour l'instant, la priorit restelaccs leau potable, aulogement, aux soins et lducation pour tous. La libert etla dignit humaine, a commencepar un toit, de quoi manger, etc.Mais je crois aussi que laccs internet va devenir une exigenceplantaire dici une dizainedannes. Observons simplementles chiffres : 250 millionsd'internautes en 2000, plus de 2milliards aujourdhui, alors quelinternet mobile dmarre peine.

    Plus frappant encore : 100000milliards de mails ont t changsl'anne dernire ! La vitesse depropagation de cette innovationtechnologique est sans prcdentdans lhistoire de lhumanit. Dureste, cela intrigue beaucoup lesbiologistes, qui font le parallleavec la vitesse de connexion dessynapses dans le cerveau desjeunes enfants.Mais ces chiffres expriment aussiautre chose : internet, ce nest passeulement un rseau et de latechnologie, cest dabord et avanttout un outil de relation, decommunication et dchanges, et

    mme dj un outil pourentreprendre et crer de la valeur.C'est pour cela qu'internet a unetelle force d'attraction au nord etau sud, et quen tre priv est unrel handicap.

    z Un droit fondamental est-ilen train de natre ?Cest vrai que certains Parlementsen Europe en Finlande, enEstonie ont dj qualifi laccs internet de droit fondamental. Dansla plupart des pays, internet estconsidr comme un moyendexercer certains droitsfondamentaux, en particulier la

    libert dexpression et decommunication, mais pas encorecomme un droit constitutionnel.Mais un glissement smantiqueintressant est en train desoprer ces dernires annes : le moyen devient une condition pour exercer cesdroits. La dcision du Conseilconstitutionnel franais sur la loiHadopi 1(1) est ainsi trs significative.

    (1) Hadopi 1 : loi n 2009-669 du 12 juin2009 favorisant la diffusion et la pro-tection de la cration sur internet.

    Internet,l'acclrateur d'interdpendance

    Suite page 29

  • Dossier

    conomie numrique irrigue dsormais, sur toutela plante, la vie des citoyens, des entreprises etdes services publics. Mais de quoi parle-t-on ?Lconomie numrique, ce sont, au del desservices et des quipements de tlcommunica-

    tions, lensemble des services en ligne, ainsi que les logiciels, lesservices et les matriels informatiques. Son dveloppement reposesur les quipementiers et les oprateurs qui construisent et exploitentles rseaux, ainsi que sur un cosystme de services, de produits etdacteurs qui utilisent et enrichissent ces rseaux.

    Limpact de linternet sur lconomie mondiale, cest--dire len-semble des activits bases sur linternet ou lies linternet, a testim prs de 4% du PIB (1) en 2010.

    En 2011, sur lensemble de la plante, prs dun individu sur troistait un utilisateur de linternet, rseaux fixes et mobiles confondus,deux fois plus quen 2006 (2). Ce taux de pntration moyen de lutili-sation de linternet masque toutefois de fortes disparits entre leszones conomiques. Les pays hauts revenus ont les taux de pn-tration les plus levs : prs de trois personnes sur quatre utilisentainsi linternet en Europe. Dans dautres pays qui connaissent une fortecroissance conomique, celle-ci saccompagne galement, le plussouvent, dun dveloppement rapide de lconomie numrique, travers notamment linternet. Cest ainsi quaujourdhui, prs dun inter-naute sur deux est asiatique. Cette forte dynamique de croissancepourrait porter 3 milliards le nombre dinternautes en 2016 (3).

    Cette croissance de laccs linternet sappuie aujourdhui large-ment sur les rseaux mobiles (4). Grce aux investissementsconsentis ces dernires annes, 45% de la population mondiale estdj couverte par les rseaux 3G.

    Laccs internet reprsente un quart du chiffredaffaires global des oprateurs

    Les oprateurs conoivent, dploient et exploitent des rseaux surlesquels ils proposent des services (tlphone, accs internet, tl-vision, etc.) qui ont gnr, en 2011, un chiffre daffaires mondialsuprieur 1100 milliards deuros (5), la moiti tant porte par lesservices mobiles (principalement la tlphonie), avec 5,9 milliardsdabonnements dans le monde en 2011 (6). Les revenus de laccs internet, fixe comme mobile, ne sont pas toujours clairement identi-fis par les oprateurs, ce service tant souvent coupl la tl-phonie ou la tlvision. On peut toutefois estimer quil reprsenteenviron un quart du chiffre daffaires global des oprateurs, soit prsde 300 milliards deuros.

    Pour former un maillage mondial, les rseaux des oprateurs sontinterconnects, ce qui donne naissance un march de gros delacheminement du trafic. En ce qui concerne linternet, les changesfinanciers lis au march de linterconnexion et de lacheminement dedonnes, qui comprend des prestations comme le transit et lepeering (7), mais galement lacheminement de donnes au travers deCDN (8), reprsentent des montants faibles par rapport aux montantspays par les utilisateurs pour bnficier dun accs linternet. Cetcart traduit le diffrentiel de cot entre les diffrents niveaux quicomposent le rseau internet. En 2011, les marchs mondiaux dutransit et des CDN ont gnr des revenus de lordre dune dizaine demilliards deuros seulement.

    Equipements : une croissance porte par les rseaux4G, FttH et les terminaux mobiles

    Les quipementiers tlcoms (cf pages 34-35) ont dgag en2011 un chiffre daffaires de lordre de 100 milliards deuros (9) au titredes quipements de rseaux vendus aux oprateurs, et prs de170 milliards deuros pour les quipements destins aux entrepriseset aux particuliers, notamment les terminaux mobiles. La croissancede ce march (environ 6% entre 2011 et 2012) est porte par ledploiement des rseaux de nouvelle gnration (FttX, LTE) et lesuccs des terminaux mobiles chez les utilisateurs qui les renouvellentfrquemment.

    Les quipements informatiques (PC, tablettes mais aussi serveurs)reprsentent un march denviron 340 milliards deuros (10). Ces chif-fres nincluent pas dautres quipements comme les tlviseurs, deplus en plus connects aux rseaux.

    Par ailleurs, la fourniture de services informatiques et de logiciels,essentiellement destination des entreprises, a gnr prs de720 milliards deuros dans le monde, en 2011 (11).

    Une multitude dacteurs et dactivits aux sources de revenus extrmement varies

    De manire schmatique, les utilisateurs de linternet peuvent treregroups en deux catgories : les fournisseurs de contenus et dapplications (FCA) qui proposent leurs services via le rseau ; lesutilisateurs rsidentiels et professionnels, gnralement appels inter-nautes, qui sont des personnes physiques ou morales qui accdent aurseau pour leurs propres besoins. Une mme personne peut appar-tenir aux deux catgories : un internaute consommateur de contenupeut en effet avoir des activits de FCA, lorsquil dite et met en lignedes contenus sur le rseau.

    Il existe une multitude de FCA, aux activits et aux sources derevenus extrmement varies, dont un grand nombre na pas dactivitmarchande (blogs, diteurs de logiciels libres). Une des principalesactivits rmunratrices sur linternet est le commerce en ligne (e-commerce), qui reprsente frquemment, dans les pays les plusdvelopps, 5 10% du commerce de dtail dans son ensemble (12),et connait une croissance soutenue. Les acteurs du ecommerce necaptent cependant quune faible part de la valeur des produits ou desservices qui sont ainsi vendus ; leur marge reste limite une dizainede milliards deuros lchelle mondiale (13).

    Certains acteurs peuvent chercher montiser les applications etcontenus quils proposent en rendant leur accs payant : par exemple,labonnement un service (comme les journaux en ligne) ou lutilisationdun logiciel dport dans le cloud (14). Dautres acteurs tirent leursrevenus de la publicit en ligne, limage dun grand nombre de sitesweb gratuits, tels que les moteurs de recherche. A lchelle mondiale,la publicit en ligne a dgag environ 50 milliards deuros de revenusen 2011 (15 (16).

    Chanes de tlvision via les bouquets des FAI etservices audiovisuels la demande en fortecroissance

    Les contenus audiovisuels, quils soient diffuss par des chanes detlvision ou dautres acteurs, prsentent la particularit dtre, defaon croissante, inclus dans lcosystme de linternet.

    L

    4x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    Panorama de lconomie

  • LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012 x5

    Les chanes de tlvision, dont les services gnrent 325 milliardsdeuros lchelle mondiale(17), reposent encore principalement sur desmodes de diffusion linaire classique : diffusion hertzienne terrestreanalogique ou numrique ou diffusion par satellite. Mais leur diffusion estde plus en plus assure par des services spcialiss, galement appels services grs , au sein desbouquets multiservices des four-nisseurs daccs lin-ternet (FAI). Ce mode derception, qui ne repr-sente que 3 % des foyersmondiaux, connat cepen-dant une croissance forteavec des disparits go-graphiques significatives:ainsi, 23% du temps detlvision consomm enFrance lest via un servicespcialis fourni par unoprateur ADSL(18). Cepourcentage atteint prsde 32% si lon intgregalement la diffusionpar les rseaux cbls,qui acheminent aussides services spcia-liss. Cette proportionne cesse de crotre.

    Paralllement la diffusion linaire, se dveloppe une large gammede services de mdias audiovisuels la demande (SMAD), quicomprend la tlvision de rattrapage ou la vido la demande, gratuiteou payante, lacte ou par abonnement. Ces services la demandefonctionnent selon des modles conomiques varis. Ils peuvent sap-puyer sur des services spcialiss proposs par les FAI ou sur une diffu-sion over the top (OTT), cest--dire depuis des sites web ou desplateformes disponibles via internet en dehors des FAI. Lmergencedes tlvisions connectes traduit la convergence croissante descontenus audiovisuels et de ceux de linternet.

    Le potentiel de dveloppement des SMAD est fort. Ainsi, pour ne citerque la France, la vido la demande progresse rapidement, avec unchiffre daffaires de 203 millions deuros en 2011(19). De mme, la tlvi-sion de rattrapage a un chiffre daffaires en croissance, estim une tren-taine de millions deuros en 2011(20). L'IDATE estime que le marchmondial des services de vido OTT sur tlviseur pourrait slever 2,4milliards deuros en 2015, valeur encore limite par rapport lensembledu march de la vido sur tlviseur en 2015, mais en forte progression.

    Internet contribue la croissance et lemploi,avec un dynamisme suprieur aux autres secteursde lconomie

    Au-del des revenus directement lis aux services, notamment audio-visuels, proposs sur les rseaux, linternet a des effets indirects bn-fiques sur la socit et sur lconomie en gnral.

    Les enqutes menes par les cabinets McKinsey en 2011 et BCG en2012 ont montr que lutilisation intensive, par les entreprises, des

    services rendus accessiblespar linternet, quil sagisse de prsence sur un site web, de publicit etde marketing en ligne, ou de recours aux solutions logicielles dportes,est corrle avec des taux de croissance plus levs et une capacit dex-portation plus importante.

    Mesurant limpact macroconomique de cetcosystme, McKinsey estime que linternet

    contribue significativement lacroissance et lemploi, avec undynamisme suprieur aux autressecteurs de lconomie. Linternetvoit sa contribution au PIBaugmenter au cours du temps(21) etaurait contribu au quart environ dela croissance franaise en 2010.

    Plus gnralement, et au-deldes aspects conomiques, le dve-loppement de lcosystme delinternet contribue modifierlorganisation de la socit et delconomie, faisant de la prserva-tion de son bon fonctionnement etde lencouragement de son dve-loppement une des priorits pourles acteurs privs et publics, auniveau local, national et interna-tional. w

    (1) BCG, estimation pour les pays du G20, en 2010. (2) UIT.(3) BCG.(4) Le BCG estime que 79% des accs pourraient tre mobiles en 2015. Cisco

    prvoit toutefois que le trafic reste encore trs majoritairement fixe (le traficmobile atteindrait en 2016 10,8 Exaoctets par mois, contre 90,9 Exaoctetspour le trafic internet global).

    (5) Pyramid Research, Gartner, Idate.(6) UIT.(7) Peering : change de trafic internet entre pairs(8) Un Content Delivery Network (CDN) est constitu dordinateurs relis en rseau

    travers internet et qui cooprent afin de mettre disposition du contenu ou desdonnes (gnralement du contenu multimdia volumineux) des utilisateurs

    (9) Gartner, Idate.(10) IDC, PAC, Gartner, Idate.(11) PAC, Idate.(12) BCG.(13) LIdate estime 7,5 milliards deuros la marge des acteurs de le-commerce sur

    le primtre des Etats-Unis, de lUnion europenne et du Japon en 2011.(14) Software as a Service (SaaS).(15) ZenithOptimedia.(16) Les acteurs de lcosystme de linternet, leurs modes de fonctionnement,

    individuels et collectifs, et leurs modles conomiques sont tudis par lARCEPdans son projet de rapport au Parlement et au Gouvernement sur la neutralit delinternet : http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/20120516-projet-rapport-neutralite-internet.pdf

    (17) Idate.(18) ARCEP-Mdiamtrie, 1er trimestre 2012.(19) GfK, NPA Conseil, CSA.(20) Les dossiers du CNC (n321, mars 2012). Ce chiffre daffaires tient

    uniquement compte de la publicit vido.(21) Mc Kinsey propose ainsi, pour la France, les estimations suivantes : 5,5 % du

    PIB en 2015 contre 3,2% en 2009.

    Lconomie numrique mondiale en quelques chiffres

    NB : les chiffres prsents dans ce tableau sont exprims et calculs partir d estimations, parfoisdivergentes, proposes par les cabinets dtudes et les administrations suivantes : IDC, PAC, Gartner,Idate, BCG, GfK, NPA Conseil, ZenithOptimedia, Mc Kinsey, Pyramid Reseach, ARCEP-Mdiamtrie, UIT,CSA et CNC.

    numrique mondiale

    Services tlcoms

    dont service daccs linternet,

    Equipements informatiques et terminaux tlcom

    Publicit en ligne

    Services audiovisuels

    Logiciels et services informatiques

    Economie numrique et mondialisationLes PRINCIPAUX CHIFFRES

    mill

    iard

    s d

    eur

    os

  • Dossier

    Par Yannig LAVOCAT, chercheur au Lpac, collaborateur du Dessous des cartes , mission cre et anime par Jean-

    es cyberattaques rcemment revendiques ouattribues au collectif Anonymous rappellentque les rapports de force entre les Etats, lesentreprises et les groupes dintrts ou dindi-vidus ont t modifis et quel point le rseau

    internet est au cur de nombreux enjeux. La carte des infrastruc-tures et des acteurs dinternet apporte des enseignements de poli-tique internationale, afin de mieux comprendre ce nouveauterritoire en mouvement.

    Les tats-Unis : du leadership historique la diplomatie Facebook

    Aussi difficile cerner et modliser soit-il, le cyberespace aune dimension physique avec ses infrastructures, ses rseaux etses acteurs nationaux et supranationaux. Lobservation des flux

    dchange de donnes, des nuds de cbles sous-marins oudes quantits de serveurs htes, montre combien les tats-Unisoccupent une place centrale sur la carte mondiale de linternet.

    Cette prdominance sexplique par son rle historique dans lin-vention et la construction du rseau. Linternet est dabord le fruitdes efforts de recherche de larme amricaine qui cherchait mettre en place un systme de communication rsistant uneattaque nuclaire dans les annes 1970. Son adoption par lemonde universitaire, puis par la socit civile dans le monde entier,na pas remis en cause le leadership des tats-Unis, bien aucontraire. Les rentes de situation compltes par la volont dinno-vation continue ont cr des sentiers de dpendance vertueux dontprofite encore lconomie numrique amricaine, moteur essentielde la croissance du pays. Selon le classement Global 2000 de

    L

    6x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    Gopolitique : lespace numrique

  • LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012 x7

    Christophe Victor sur Arte

    Forbes, 15 des 21 plus grandes entreprises mondiales dans lessecteurs cls de la filire IT sont amricaines. Cette suprmatieconomique est en outre complte par des atouts techniquesimportants puisque le territoire amricain hberge la majorit desserveurs racines et lassociation de droit californien ICANN gardetoute son importance dans la gestion des noms de domaine gn-rique (.com, .org, etc.) et dans lcosystme de la gouvernance delinternet.

    Forts de ses positions dominantes, les tats-Unis ont dcid decapitaliser sur leurs avantages pour faire de linternet un levier deleur politique trangre. Hilary Clinton a ainsi lanc linitiative 21stCentury Statecraft (discours du 21 janvier 2010 et du 15 fvrier2011) qui a pour objectif de promouvoir le droit la connexion, aurassemblement virtuel et la continuit de service. Lide est

    de favoriser et daccompagnerle dploiement du rseau, de ses services et outils pour permettreaux citoyens d exercer leurs droits la libert dexpression encontournant la censure politique . Cette politique profite autantaux objectifs stratgiques et dinfluence (soft power) du gouverne-ment amricain quaux entreprises nationales. La collusion dint-rts entre ltat et ses firmes trouve cependant des limites, car cesdernires gardent leur libert dentreprendre. En effet, si certainesjouent bien le jeu (le systme de microblogging Twitter a, parexemple, retard sa mise jour pendant les vnements en Iran en2009), dautres appliquent malgr tout leurs stratgies commer-ciales. Facebook tait ainsi filtr en Tunisie par une technologie dela socit amricaine Secure Computing.

    suite page 8

    Economie numrique et mondialisationGOPOLITIQUE de lINTERNET

    mondial, un territoire virtuel en mouvement

  • 8x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    Dossier

    suite de la page 7

    Une socit globale, mais pas entirement connecte

    Notre village global est encore loindtre compltement connect. Si laugmentation du nombre dinter-nautes est rapide et continue (le nombre dusagers de linternet aaugment de 528 % dans le monde entre 2000 et 2011), seul untiers de lhumanit utilise rgulirement ou occasionnellementlinternet en 2011.

    Lobservation de la carte nous permet de constater que lesdiffrentes zones du monde sont loin de bnficier des mmesniveaux de connexion et dintgration au rseau internet. Lesvilles hubs et les serveurs htes sont principalement concen-trs dans les pays du G20, la dorsale atlantique amricano-euro-penne tant la plus cble et la zone qui reoit et met lesplus gros flux de donnes, comme au temps des cbles tl-graphiques (la capacit des cbles sous-marins entre ces deuxzones est de 4 972 gigabits par seconde Gbps alors quelleest de 2 721 entre la zone nord-amricaine et la zone Asie-Pacifiqueen 2011, selon Telegeography).

    Si les distances entre les territoires ont t rduites, les ingalitspersistent. Le degr dintgration dans le commerce mondial, les capa-cits dinnovation, dorganisation et de financement des diffrents paysrestent des variables cls pour expliquer la distribution des rseaux. Lagographie de linternet se superpose donc celle de lconomie.

    LAfrique nest plus lcart de la rvolution mobile et internet

    Longtemps tenue lcart de la mondialisation des changes et dela rvolution internet, lAfrique est ainsi en train de rattraper son retardgrce la diffusion du tlphone portable et la multiplication descbles sous-marins.

    En 2007, Paul Kagam, prsident du Rwanda, soulignait dj, aucours du sommet Connect Africa, qu en dix ans, le tlphone mobile,qui tait un objet de luxe, est devenu un produit de base ncessaire enAfrique . La progression du nombre de connexions mobiles en Afriqueconnait en effet une augmentation importante et continue. Au coursdes dix dernires annes, le nombre de connexions a augment enmoyenne de 30 % par an et devrait atteindre 735 millions avant la fin2012, selon la GSMA.

    Si cest une bonne nouvelle pour toute la filire des tlcoms, cettediffusion apporte galement de nombreux bnfices ses usagersqui peuvent maintenant avoir accs des services autrefois coteux,longs obtenir ou inaccessibles tels que les services bancaires (trans-fert dargent, paiement en ligne ; lire p. 47) ou, pour les agriculteurs,la consultation distance des prix sur les marchs agricoles (lire p.44). Cest galement un des supports de dveloppement pour lin-ternet mobile, car la commercialisation des smartphones et la diffu-sion de rseaux sans fil adapts (3G, super3G/LTE ou Wimax) ont

    permis aux classes moyennes de dvelopper de nouveaux usages etde sauter le pas de lquipement classique (ligne de tlphone fixe,ordinateur, modem) pour se connecter linternet.

    Enfin, la multiplication des cbles sous-marins (Seacom, TEAMs,LION, EASSY, Main One, etc) depuis 2009 contribue pallier le manquede disponibilit de la bande passante ncessaire la ralisation deprojets denvergure en tlmdecine ou en formation distance.

    Grce ces facteurs, le continent est donc de plus en plusconnect au rseau mobile et internet. Fin 2011, 13,5 % de la popu-lation africaine tait usager de linternet (contre 8 % en 2010), soit6,2 % de la population mondiale des internautes.

    Ces indicateurs en progression sont-ils pour autant un facteur clde succs pour le continent ? Autrement dit, le dveloppement des TICest-il un facteur de dveloppement ? Selon les travaux de plusieursconomistes, corrls avec ceux de la Banque mondiale, il apparaitque limpact positif des tlcoms au sens large peut se faire ressentiravant que le pays ne soit dvelopp. L.Waverman, M.Meschi et M.Fussont ainsi dmontr en 2005 quun gain de 10 points en pntration detlphones mobiles entrainait une hausse additionnelle de 0,59 % duPIB par habitant (tude base sur un chantillon de 38 pays mer-gents, dont 18 tats africains).

    Un rseau sous la menace de coupuresLmergence dune socit mondiale de linformation nest toutefois

    pas une perspective rjouissante pour tout le monde. Plus un pays estconnect, plus sa vulnrabilit aux cyberattaques, la cybercrimi-nalit et la cyberdissidence est grande. Ds lors, comment scu-riser le cyberespace tout en prservant ses aspects fondateurs :libert, neutralit et interoprabilit ? En attendant de pouvoir rpondre

    cette question et, in fine, celle de la gouvernance desrseaux, certains tats ont dj dcid dagir en dve-loppant des outils et des pratiques de cybercensure :surveillance et filtrage des rseaux sociaux et des cour-riels, blocage de sites web, pressions contre les entre-prises, lois rpressives, pressions et arrestations,coupure ou ralentissement du rseau, propagande,cyber-attaques cibles, dveloppement doutils officielsou de rseaux restreints, encouragement la dlation,etc. Lventail des mesures est large et utilis autant pardes tats autoritaires que par certaines dmocraties

    dans leur lutte contre le terrorisme ou la pornographie. Derrire ces pratiques de censure et de rgulation du rseau se

    cachent videmment des enjeux et des rivalits de pouvoir entre destats et des organisations internationales qui ont intgr le cyber-espace dans leur raisonnement stratgique. Un espace au sein duquelles tats entendent retrouver une part de leur souverainet et de leursprrogatives rgaliennes. De nombreuses tensions politiques sur lesrseaux sont donc prvoir. w

    www.lepac.org

    Notre village global est encore loin dtrecompltement connect. Si laugmentation du nombredinternautes est rapide et continue, seul un tiers de lhumanit utilise rgulirement ou occasionnellement linternet en 2011 .

    Yannig LAVOCAT

    Plus un pays est connect, plus sa vulnrabilit aux cyberattaques, la cyber-criminalit

    et la cyberdissidence est grande. Ds lors,comment scuriser le cyberespace tout en prservant ses aspects fondateurs : libert,

    neutralit et interoprabilit ?

  • Internet abolit-il la gographie ?

    l est tentant de lier mondialisation et dveloppementdes tlcommunications. Lexemple mythique din-ternet est souvent cit pour montrer le caractredsormais global de lchange dinformations et las-socier au dveloppement dautres types dchanges

    internationaux : migrations, flux de marchandises, flux financiers.Parfois mme, on en vient tablir une relation de cause effet. Lesrseaux de communications faonneraient un nouveau monde, libr dela gographie, de ses distances, de ses limites et de ses frontires. Laralit invalide ou nuance beaucoup ces thories ds que lon prend lapeine de distinguer plusieurs aspects dans les volutions constates.

    Rseaux, usages et mondialisationPremier aspect : les infrastructures. Les rseaux de tlcommunica-tions ont certes acquis aujourdhui une porte mondiale. Mais faut-il yvoir la cause dune mondialisation rvle seulement dans les annes1980 ? Ce serait ignorer le dveloppement pass des rseaux.Rappelons que le premier cble tlgraphique sous-marin a timmerg au milieu du 19me sicle. Au 19me et au 20me sicles, bienavant quon ne parle de mondialisation, lextension des rseaux sous-marins a t un enjeu international, conomique et gopolitique, consi-drable. Le dploiement mondial des infrastructures detlcommunications est donc bien antrieur la mondialisation quelon constate aujourdhui.Deuxime aspect : les usages. Toutes les analyses convergent : lesusages des tlcommunications se conforment la gographie, aux fluxrels. On communique plus, on change plus avec son voisin, avec sonpays, quavec nimporte qui dautre. Les rseaux sociaux, les flux finan-ciers lectroniques sont toujours marqus par des tropismes rgionauxremarquables. Les informations conomiques suivent les dplacementsde marchandises, eux-mmes fortement dtermins par la proximit.

    Les 400 millions dinternautes chinois sont-ils malgr tout la preuve dunemondialisation galopante due la force des rseaux de tlcommunica-tions ? Les spcialistes de la Chine constatent que les pratiques de lin-ternet y sont trs particulires et surtout trs rgionales, quil sagissede la messagerie, du commerce en ligne ou des applications ludiques.La gographie des usages des tlcommunications invalide donc aussila thse du rle dterminant des rseaux dans le phnomne demondialisation.Troisime aspect : linformation. Le plus important ici est sans doutela normalisation internationale de cette information, entendue commemise en forme, transfrable partout dans le monde, des mots, des

    langages, des sons, des images fixes ou animes. Lessentiel estdans les standards et les formats. Internet ne serait rien sans lIP, leweb sans l HTML, les sons nauraient jamais circul aussi largementet facilement sans le format MP3, les images sans le JPEG, les critssans le PDF. Les formats sont ce point banaliss quon les oublieraitpresque sils ne rappelaient leurs limites qui tente de sen affran-chir : image de trs haute dfinition, musique en haute-fidlit, jeuxhyper-ractifs, scurisation, cryptage, transmission hyper rapide dor-dres boursiers pour la spculation, calculs parallles longuedistance en temps rel. Tous ces services sur mesure nentrent pasfacilement dans le formatage mondial actuel.

    Gouvernance et fractures numriquesLa normalisation nest pas nouvelle. LUIT a t fonde en 1934

    pour assurer la compatibilit technique des rseaux tlphoniques.Pourtant, cest partir du dbut des annes 1990 quune gouvernancemondiale originale a vu le jour. Sous lgide des tats-Unis, avec la parti-cipation trs active de multinationales de linformatique et des tlcom-munications, cette gouvernance a accompagn lavnement delinternet commercial, dans un contexte nouveau de libralisation deschanges et de concurrence. Dans ce cas, il y a bien concomitanceavec lessor de la mondialisation : cette gouvernance puissante a uvrdans le sens du dveloppement des changes internationaux engag aucours des quatre dcennies antrieures : fin des empires coloniaux,chute du communisme, libralisation des circulations financires,suppression des freins au commerce international (GATT puis OMC).

    Une vraie gouvernance mondiale sest donc employe la tcheardue de ce formatage qui allait de pair avec une standardisation desmatriels et logiciels. La tche se poursuit avec le passage au protocoleIPV6. Malgr quelques dommages collatraux (tels la mort du Minitelfranais ou les difficults des codages QR japonais), le succs de cette

    formidable entreprise de mondialisation est indniable.Le tableau est donc nuanc. Des rseaux de tlcom-

    munications se dploient depuis un sicle et demi dans lemonde, irrigant de plus en plus la plante. Ils vhiculentdes informations de plus en plus formates pour descirculations et des usages mondiaux. Cependant, laralit des usages reste trs fortement inscrite dans unegographie toujours faite de diffrences culturelles etdingalits conomiques et sociales. En rsultentpresque ncessairement de graves fractures numriques.

    Comment les rduire ? Poursuivre indfiniment lextension desrseaux se heurte aux ralits locales de la demande et donc desusages. Il faut bien alors se demander si la gouvernance qui a conduit des standards mondialiss sest assez soucie et se souciera assezde ces fractures. En Inde, en Afrique, en Amrique latine, et mme,bien qu un moindre degr, en Europe, la comparaison internet / tl-phone mobile laisse entrevoir les limites du formatage mondialis. Unpeu moins de normalisation, de standardisation de linformation nepermettrait-il pas une meilleure prise en compte des spcificitsgographiques, conomiques, sociales et culturelles dans unemondialisation dsormais controverse ? w

    IPar Gabriel DUPUY, gographe, professeur mrite lUniversit Paris 1 - Panthon Sorbonne

    Economie numrique et mondialisationGOPOLITIQUE de lINTERNET

    LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012 x9

    La ralit des usages reste trs fortement inscrite dans une gographie toujours faite de diffrences culturelles et dingalits conomiques et sociales.En rsultent presque ncessairement de graves fractures numriques .

  • La mondialisation : une dj

    10x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    Dossier

    l est commun de montrer que les phnomnesactuels ont des racines anciennes. Il serait toutaussi juste de dire qu contexte diffrent,ralits diffrentes. En consquence, si lonpeut trouver des similitudes entre prsent et

    pass, il ny a jamais identit. Il vaut mieux essayer de cernercomment des situations complexes ont volu en vitant lethme facile du nihil novi sub sole (1). La question de lamondialisation pourrait se prter aisment ces remarquesprliminaires. Par dfinition, les hommes ont communiquentre eux depuis trs longtemps, en gnral par voie paci-fique, souvent aussi par le biais de conqutes et doccupa-tions. Depuis longtemps, il a donc exist des espacescommuniquants, de taille variable, avec une vitesse dinfor-mation lie aux moyens techniques de lpoque.

    De lAntiquit aux grandes explorations

    LAntiquit nous en donnerait plusieurs exemples : lEgyptepharaonique lors de sa plus grande expansion diffusait sesvaleurs, ses dieux, son art, sa frule. Les Grecs dAlexandrecrrent un Empire (assez phmre) qui diffusait la civilisa-tion hellnistique aux peuples barbares (moins barbares,puisquils apprirent le grec). Lexemple le plus connu seraitcelui de la mare nostrum de la Rome triomphante. Voici unespace unifi par le conqurant, o simpose une langue, unEmpereur, un systme juridique Si lon estime que lesRomains voyaient leur monde laune de leurs conqutes, onpourrait voquer une forme primitive de mondialisation,limite certes par les menaces aux frontires et les rsis-tances locales, la faible vitesse de linformation et la difficult vaincre les distances.

    Pour que le monde soit monde, il fau drait que le monde aitcons cience de sa propre gographie. Un cueil doit donc trevit : la vision du monde et son apprhension doiventchapper leuropocentrisme mme si ce continent a jouun rle de premier plan pendant des sicles. Il a aussi existdes explorateurs arabes, chinois, japonais. Mais explorationne signifie pas colonisation : les Vikings ont peut-tre dcou-vert lAmrique avant Christophe Colomb mais ils nont pasfait souche (ou si peu). Le processus de mondialisation passe

    donc par la dcouverte du monde et depuis la fin du XVme

    sicle les Europens ont pris un avantage considrable maisaussi par loccupation des espaces neufs .

    Le canal de Suez ou la naissance duneconomie-monde

    La zone atlantique qui sappuie sur la Mditerrane lpoque de Philippe II dEspagne cre une conomie-monde selon lexpression de lhistorien Fernand Braudel.Lexploration se poursuit au XVIIIme sicle et le XIXme sicle,voit finalement les grandes puissances coloniser de vastesespaces dans un esprit de puissance rarement gal. Lesymbole de ce processus pourrait tre le canal de Suez(1869) : il relie trois continents, il ouvre lEurope auxrichesses de lInde et de lextrme Orient, il est dinitiative

    franaise mais profite surtout la premire puis-sance coloniale, la Grande-Bretagne.

    Sous lgide de lEurope, le monde est, pour lapremire fois, non pas unifi mais reli, resserr,interdpendant. Les moyens techniques le permet-tent comme le tlgraphe lectrique (omniprsentde Michel Strogoff au Tour du Monde en 80 jours),le tlphone, les cbles transatlantiques, le cheminde fer, les transports maritimes. Le commerceinternational connat une croissance inusite. Cestaussi lpoque des grands transferts de population

    vers les terres vides comme les Etas-Unis ou lArgentine. Leslangues des colonisateurs, leurs valeurs (quils sont souventles premiers ne pas respecter), leurs normes (denombreux congrs internationaux unifient les pratiques :brevets, units scientifiques, Union postale universelle, etc)simposent au monde limage du mridien de Greenwich oudu systme mtrique. Une certaine libert de circuler existeaussi : on peut traverser lEurope sans papiers officiels.Laissez-faire, laissez-passer : le credo libral est bien prsentsauf pour les jeunes puissances qui abusent du protection-nisme ducateur .

    Incontestablement, ce que nous entendons par mondialisa-tion ressemble la situation du monde entre 1850 et 1914.

    Des soubresauts du XXme sicle la mondialisation nouvelle

    Il reste que les processus sont rarement continus enHistoire mais que leur interruption ne signifie pas un retour la case dpart. Les acquis de cette mondialisation de laseconde moiti du XIXme sicle nont pas disparu et unecertaine nostalgie a flott dans lair lors des soubresauts duXXme sicle.

    Mais deux guerres mondiales, la grande dpression desannes trente et le recours au protectionnisme, la coupure dumonde aprs 1945 en blocs antagonistes ont bloqu les

    IPar Alain BELTRAN, historien, directeur de recherche au CNRS

    Si on estime que les Romains voyaient leur monde laune de leurs conqutes, on pourrait voquer une formeprimitive de mondialisation, limite certes par lesmenaces aux frontires et les rsistances locales,

    la faible vitesse de linformation et la difficult vaincre les distances .

  • longue histoire

    Economie numrique et mondialisationGOPOLITIQUE de lINTERNET

    facteurs qui pouvaient donner naissance une mondialisa-tion nouvelle. Des efforts rgionaux se sont bien dveloppsdont le plus connu est celui de lunit europenne. Et lesmoyens techniques se sont perfectionns pour une plusgrande intgration : laviation, les satellites de communica-tion, le cinma, la tlvision et rcemment internet.

    Le dveloppement des pays qui nappartiennent plus au tiers-monde comme la Chine, lInde ou le Brsil est venusajouter au rle de la triade (USA, Europe, Japon). La finde lURSS et de son empire, lunification allemande, largentdes ptrodollars (le premier choc ptrolier est aussi un tour-nant gopolitique), les grands accords (GATT, OMC,NAFTA) sont alls dans le mme sens : un mondeplus interdpendant, obissant aux mmes rglesconomiques (diffrentes formes du capitalisme),partageant linformation (les NTIC concourent la globalisation ). Le secteur le plus boulevers parces mutations fut sans doute celui de la finance dontles rgles ont profondment chang, qui est soumis des alas mondiaux dans des marchs qui ragissent la vitesse de lordinateur. Dans ce processus, lesEtats-Unis, un moment seule hyper-puissance, ont jou unrle essentiel (ne serait-ce quavec le dollar et langlais),conjuguant leur hard power (puissance militaire) et leur softpower (influence culturelle). Na-t-on parl (imprudemment)de fin de lhistoire ? En tout cas, une des formes de lamondialisation a t la prise de conscience des dangersplantaires lis la fin des ressources finies, leffet deserre et au rchauffement de la plante.

    Vers une deuxime phase de la mondialisation ?

    Ici aussi, il est ncessaire de raisonner par rapport auxvolutions historiques antrieures. La victoire ultime de ladmocratie et du capitalisme a ses propres limites. Dune

    part, les crises mondiales, si elles ne sont pas nouvelles, ontgagn en interdpendance : la monnaie thalandaise, la situa-tion de lArgentine, limmobilier amricain ou la quasi-faillitede la Grce viennent perturber des systmes financiersdconnects des solides ralits industrielles. La panique etla rumeur nont pas fini dagiter les bourses et les orga-nismes financiers qui sobservent les uns les autres. Peut-on

    dire de mme que lidal dmocratique laemport : le nombre de dictatures dans lemonde est encore notable. La thocratie estune ralit et les conflits religieux ne sont pas rangs dansle placard souvenirs. Le nationalisme ou le souverainismese rencontrent sur bien des continents. Ainsi a-t-on vu laquestion des frontires surgir plus dune fois (lEurope occi-dentale a constat quun pays proche delle, la Yougoslavie,pouvait clater dans de terribles soubresauts). Et combiende dmocraties sont-elles mines par la corruption et lesforces centrifuges ?

    Les ingalits de territoire (en termes de richesse, depeuplement, de rseaux dinfrastructure, de qualit de la vie,de cot du travail) sont un obstacle vident la globalisationde la richesse. Les crises conomiques ont soulign que lalibre main du march avait des hsitations et mme desrats. Les tats rgulateurs sont revenus sur le devant de lascne. Certains secteurs sont-ils compatibles avec la libre-concurrence comme la sant ou laccs aux besoins essen-tiels (par exemple lnergie) ? La croissance rapide desTrente Glorieuses a cd le pas une croissance modre(aprs tout semblable celle du XIXme sicle) sauf dans lespays mergents, dsquilibre qui, lui seul, est unelourde cause dinstabilit. Difficile de dire si lamondialisation (la seconde ?) est arrive au

    terme de son volution avant quunprocessus sculaire lui redonnevigueur dans quelques gnra-tions. Mais on constate de faonencore plus certaine, quendpit des progrs techniques etdun discours unificateur, denouvelles ralits locales,spirituelles, culturelles, voire

    conomiques ont affaibli sinonbloqu les espoirs mis dans leprocessus mondialisateur. La ralitest par dfinition complexe et rtiveaux vux simplistes. w

    (1) nihil novi sub sole : rien de nouveau sous le soleil.

    Incontestablement, ce que nous entendonspar mondialisation ressemble la situation du monde entre 1850 et 1914 .

    Une des formes de la mondialisation a t la prisede conscience des dangers plantaires lis la fin des

    ressources finies, leffet de serre et au rchauffement

    de la plante .

    LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012 x11

  • out comme la matire, linformation est un conceptcentral. Michel Serres lexplique parfaitement, touteentit, que ce soit nos neurones, une toile ou unavion, reoit, met, stocke ou traite de linformation.Ce rle fondamental de linformation explique le fait

    quau cours de lhistoire de lhumanit, chaque changement de supportsaccompagne dune rvolution majeure : de la cration de lcriture, celle de limprimerie et du numrique aujourdhui qui se caractrise parle fait que toute information se reprsente de manire absolumentuniforme. La rvolution numrique au cur de laquelle nous sommesnest donc pas un piphnomne courte porte, mais une transfor-mation profonde et durable de lhumanit. Elle pose des dfis scienti-fiques extraordinaires lensemble des disciplines et toutparticulirement aux sciences informatiques et mathmatiquesauxquels sattache lInria, Institut de recherche national.

    Les dfis de linternet Internet constitue lun de ces continents totalement nouveaux et insoup-

    onns jusqu la fin du 20e sicle. Il offre des champs de dveloppementextraordinaires et nous ne sommes quau tout dbut de son exploration.Devant les richesses tant humaines, sociales, conomiques etpolitiques des dcouvertes, les mmes questions se posent :quelle civilisation numrique souhaitons nous mettre en place etquel rle internet va-t-il jouer dans cette nouvelle civilisation ?

    Internet est un nom gnrique pour dsigner la fois lerseau dinterconnexion numrique mondial et les applica-tions qui lutilisent. Les changes dinformations y sontcentraux et tellement divers quil est parfois difficile deraliser quils sont rgis par les mmes principes. Ainsi,internet est le support de transactions boursires hautefrquence, des changes pair pair, de laffichage des cataloguescommerciaux et celui des rseaux sociaux, des changes scientifiquesdenses et des communications tlphoniques Dire quinternet est aucur de notre socit semble maintenant une banalit, mais peu depersonnes ralisent combien cela imprgne et modifie profondmentnotre civilisation.

    Les dfis pour le dveloppement de linternet du futur peuvent treclasss dans trois grandes familles. La premire concerne les capa-cits de communication, quil sagisse du cur du rseau pouraugmenter la qualit de service ou des rseaux locaux sans fils. Ladeuxime se concentre sur lmergence de linternet des objets, cons-quence de lapparition de capacits de communication intgres unemultitude dobjets de notre environnement. La troisime sadresse auxusages de ce futur internet. En particulier, disposer de systmes minia-turiss, intelligents et interconnects ouvre la voie lmergence delIntelligence Ambiante.

    Les dfis de la gouvernance Dans ce contexte, les dfis de la gouvernance dinternet sont multi-

    ples et interdpendants. Sans tre exhaustif, nous identifions leslments qui reposent sur le constat suivant : internet est un bienpublic mondial.

    Le principe de neutralitque nous prfrons identifiercomme un principe dquit :toutes les informations ne sont pas semblables, mais elles doiventtre traites quitablement par les oprateurs dinternet.

    Le rle du W3C doit tre raffirm et renforc pour superviser lesvolutions du web et des services associs et garantir linteropra-bilit dinternet.

    La comprhension dinternet, objet cr par lhomme mais dont lacomplexit nous chappe, ncessite la collecte de donnes dans unedmarche scientifique, ralise de faon rgulire, indpendante(notamment des milieux politiques ou conomiques) et en toute trans-parence : cela ncessite un vritable observatoire, qui emprunte la fois aux sciences du numrique et aux sciences humaines.

    Pour assurer la protection de la vie prive des internautes, lesEtats dfinissent des lois destines leurs citoyens. Cependant,celles-ci nont quune porte nationale alors quinternet est mondialis.Les internautes laissent de plus en plus dinformations personnellesdans le rseau. La principale explication est la mconnaissance parles internautes de ce quest internet.

    Lune des menaces les plus importantes aujourdhui sur internetreste celle des logiciels malicieux qui sont installs sur desmachines, soit pour voler les informations prives des utilisateurs,soit pour tre enrls dans un botnet.

    Les donnes publiques, produites ou collectes par un Etat ouune collectivit territoriale, devraient tre publies. Le sujet delouverture des donnes publiques est porteur de nombreuxenjeux et fait lobjet dune attention croissante de trs nombreuxtats.

    Le sujet du vote numrique est techniquement et socialementcomplexe. Il reste proposer des systmes offrant des compromisacceptables en termes de scurit et faisabilit et dvelopper destechniques pour analyser la scurit du vote numrique.

    La dmatrialisation des objets du numrique entraine une rvi-sion drastique des modalits lies la proprit intellectuelle.Initialement centre sur lquipement informatique, la fracture

    numrique sest dplace vers la sparation entre ceux qui compren-nent et les autres. Il parait crucial daccompagner le citoyen dans sacomprhension des changements importants que connaissent nossocits. Il faut donc garantir lenseignement de linformatique auplus grand nombre. w

    www.inria.fr

    12x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    T

    Les dfis poss par la gouvernance dinternet

    Dossier

    Initialement centre sur lquipement informatique, la fracture numrique sest dplace vers la sparation

    entre ceux qui comprennent et les autres.Il faut donc garantir lenseignement de

    linformatique au plus grand nombre .

    Par Michel COSNARD, prsident-directeur gnral, et Claude KIRCHNER, dlgu gnral la recherche et au transfert pour linnovation, INRIA

  • a nature techniquement sans frontires de l'internet alargement contribu la mondialisation et nourri la visiond'un monde unifi, aux frontires moins pertinentes. Lesmdias sociaux ont en outre transform l'internet en unespace global pleinement social et politique.

    Mais les cadres lgaux nationaux sont mal adapts au nouvel environne-ment numrique. Les Etats imposent difficilement leurs rgles et dcisionsjudiciaires aux acteurs hors de leurs frontires et craignent l'impact poten-tiel des lgislations dautres pays sur leurs propres citoyens et entreprises.Des proccupations croissantes de scurit, des visions trs diffrentes enmatire de libert d'expression, de droits d'auteur ou de protection desdonnes personnelles conduisent ainsi nombre de gouvernements tenterde raffirmer leurs frontires et leur souverainet juridictionnelle.

    Fractalisation de la souverainetComprhensible, cette tendance au rtablissement des frontires

    gographiques sur linternet comporte des risques importants :censure, surveillance et conflits de comptence, sans parlerd'une fragmentation possible de l'internet. Elle nglige en outreun facteur important.

    Les plateformes de mdias sociaux sont accessibles dans lemonde entier, et donc potentiellement soumises toutes les loisnationales. Toutefois, leur sige et leurs centres de donnessont situs dans des pays spcifiques et leurs conditions deservice (ToS) prcisent gnralement la juridiction applicable encas de litige. Les utilisateurs, indpendamment de leur localisa-tion physique, sont donc directement ou indirectement soumisaux lois de ces pays.

    Si la souverainet est l'exercice de l'autorit lgale sur unterritoire physique, cela quivaut une "fractalisation" de la souverainet :la comptence et le cadre juridique d'un pays deviennent de facto applica-bles sur le territoire d'un autre, tendant la porte du premier et rduisantla souverainet du second, en proportion des implantations respectivesdes acteurs internet.

    Les plus de deux milliards dutilisateurs de linternet reprsententaujourdhui une diversit culturelle, religieuse et politique considrable. Ledveloppement de rgles communes pour cet espace global quils partagentdevient indispensable, et cette diversit rend lexercice dautant plus difficile.

    Inventer de nouveaux outils Or, les instruments existants sont inadapts pour dvelopper les

    rgimes ncessaires : tabler sur les processus multilatraux traditionnelspour laborer par trait un rgime universel de l'internet serait une illu-sion ; de mme, multiplier une mosaque de lgislations nationalesincompatibles est une recette sre pour dtruire les avantages de la plusimportante infrastructure humaine. De nouveaux outils sont inventer.

    Le sommet mondial sur la socit de linformation (SMSI) a entrinen 2005 une dfinition de la gouvernance internet : llaboration et lap-plication par les Etats, le secteur priv et la socit civile, chacun selonson rle, de principes, normes, rgles, procdures de prise de dcisionet programmes propres modeler lvolution et lusage de linternet .Cette reconnaissance du principe de gouvernance multi-acteurs (multi-

    stakeholder governance), associant toutes les catgories dacteurs, aconduit la cration dun innovant Forum sur la gouvernance internet(FGI) ; lequel a permis, depuis six ans, un dialogue fructueux, ouvert tous les acteurs sur un pied dgalit.

    Mais une encore plus grande crativit est aujourdhui ncessaire. Eneffet, le choix se joue entre plus de gouvernance ou moins dinternet.Faute de nouveaux instruments et mcanismes internationaux conciliantresponsabilit des Etats et principe multi-acteurs, cest le caractreuniversel du rseau qui ptira, par la rimposition des frontires gogra-phiques.

    Une piste dexploration alternative est ici suggre. Les conditions deservice des grandes plateformes reprsentent une forme de droitinterne de l'espace social correspondant, spcifiant les rgles applica-bles en matire de donnes personnelles, de libert d'expression ou dedroit d'auteur. Tant qu'ils restent sur les serveurs de Facebook, ses plusde 800 millions de membres sont en pratique sur le territoire numriquede Facebook . Idem naturellement pour les autres plateformes.

    Vers des juridictions numriques propres ?Plus gnralement, le cyberespace via le Domain Name System (DNS),

    est organis en domaines , dont les rgles sont dfinies par l'oprateurdu site. Suivre un lien de google.com vers baidu.cn quivaut traverserune frontire numrique , et modifie les rgles de comportement accep-tables ainsi que la juridiction concerne. Cette rflexion pointerait-elle versl'mergence d'une nouvelle gographie du cyberespace, comportantnotamment des "territoires numriques" juridiction propre ?

    Comme lindiquait ds 2004 le secrtaire gnral des Nations-UniesKofi Annan : en matire de gouvernance internet, nous nous devons dtreau moins aussi cratifs que ceux qui inventrent ce rseau.

    Une analogie apparat ici utile. Dans le monde de la physique, la relati-vit ou la mcanique quantique sont ncessaires pour traiter des phno-mnes trs grande vitesse ou toute petite chelle, tandis que lamcanique classique demeure valide dans la vie courante. De manireanalogue, sans remettre en cause la validit des juridictions gogra-phiques pour les interactions principalement cantonnes un territoiredonn, peut-tre est-il ncessaire aujourdhui dexplorer de nouveaux typesde juridiction, correspondant aux communauts humaines virtuelles,lorsque celles-ci sont structurellement transfrontires. wNB : cet article reflte les positions personnelles de Bertrand de La Chapelle et noncelles des entits susnommes.

    www.internetjurisdiction.net

    Par Bertrand de La CHAPELLE, directeur du projet Internet & juridiction lAcadmie diplomatique internationale, membre du directoire de lICANN

    L

    Droit : linternet est-il vraiment sans frontires ?

    Tabler sur les processus multilatraux traditionnels pourlaborer par trait un rgime universel de l'internet serait

    une illusion ; de mme, multiplier une mosaque de lgislations nationales incompatibles

    est une recette sre pour dtruire les avantages de la plus importante

    infrastructure humaine .

    LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012 x13

    Economie numrique et mondialisationGOPOLITIQUE de lINTERNET

  • La guerre des positions orbitales

    14x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    Dossier

    Par Franois RANCY, directeur du bureau des radiocommunications de lUnion internationale des tlcommunications

    es systmes commerciaux de tlcommuni-cations par satellite sont pour la plupart posi-tionns sur lorbite des satellitesgostationnaires (OSG), qui est la seule permettre un satellite de rester fixe par

    rapport tout point de la terre. Les antennes paraboliques, grce leur pouvoir de concentration des ondes dans une directiondonne, permettent de rutiliser sans brouillage prjudiciable lesmmes frquences sur les mmes zones gographiques, pourvuque leur diamtre soit suffisant. Ainsi, les paraboles utilisescouramment pour la rception de tlvision par satellite permettent,avec un diamtre dune soixantaine de centimtres et auxfrquences 11-12 GHz (bande Ku) un espacement entre satellitesgostationnaires de lordre de 4. Aux frquences 20 GHz (bandeKa), cet espacement peut tre rduit de moiti, doublant ainsi lacapacit de lorbite. 360 dorbite permettent donc en thorie dac-cueillir environ 180 systmes en bande Ka ou 90 en bande Ku.

    La ressource orbite/spectre : une exploitation rforme en 2000

    Avec le dveloppement soutenu des tlcommunicationscommerciales par satellite depuis plusieurs dcennies, le nombrede satellites en orbite gostationnaire dpasse aujourdhui les 400dans ces bandes, et la ressource orbite/spectre, qui fait toujourslobjet dune demande croissante, se trouve proche de la saturation.

    Bien commun de tous les pays, cette ressource orbite/spectreest gre par lUnion internationale des tlcommunications (UIT),avec un objectif dutilisation rationnelle, efficace et quitable.Lorsquun des 193 Etats membres de lUIT souhaite acqurir desdroits pour exploiter cette ressource avec un systme satellite, illui suffit de communiquer les caractristiques de ce systme lUIT,qui en informe les autres Etats membres dont les systmesdclars antrieurement ce dernier pourraient tre brouills. Unefois men bien, le processus de coordination permettant de sas-surer que le fonctionnement pourra se faire avec un brouillageacceptable, le nouveau systme est enregistr par lUIT. Lessystmes dclars par les Etats membres sont pour la plupartexploits par des oprateurs privs, auxquels est accorde uneautorisation dutiliser les droits acquis par lEtat membre, charge lui de faire fonctionner le systme avec les caractristiques qui ontt coordonnes.

    Ce schma a fonctionn sans difficult depuis les annessoixante, chaque Etat membre pouvant acqurir gratuitement desdroits dusage de la ressource, la seule condition dinformer lUITde la mise en service de son systme dans les neuf ans suivant ledbut de la procdure. Vers 1995, la pression commerciale aconduit une explosion de la demande. Anticipant une saturation dela ressource, des mesures ont t prises au dbut des annes2000 pour y remdier : la rduction de neuf sept ans du dlai demise en service, lobligation de communiquer les informations sur leconstructeur du satellite et du lanceur, le recouvrement des cotsde traitement par lUIT.

    Des positions orbitalesdormantes causes de brouillage

    Ces mesures ont permis dobtenir des rsultats notables, maisdepuis deux ou trois ans, elles se rvlent insuffisantes. Le recouvre-ment des cots, non incitatif, ne reprsente, par exemple, quequelques dizaines de milliers deuros pour un systme qui dpassesouvent 200 millions. De plus, une disposition ancienne de la proc-dure visant assurer la prennit des systmes en cas de pannepermettait de conserver les droits dusage de la ressource pour peuque son utilisation ne soit pas suspendue pendant plus de deux ans.Lapplication sans vergogne de cette disposition donnait lieu, locca-sion de chaque lancement de satellite, une cascade de remises enservice de positions orbitales dormantes, suivie dune cascade denouvelles suspensions. De nombreux systmes fictifs se sont ainsiaccumuls sans pour autant correspondre des utilisations relles.

    En parallle, de nombreux nouveaux systmes, qui ne bnficiaientpas de ces ressources dormantes, se voyaient opposer une fin de non-recevoir, bafouant la fois le principe daccs quitable et celui dutili-sation efficace et rationnelle. Ces dernires annes, de nombreuxoprateurs de satellites ont ainsi t tent de passer outre lexistencedes satellites fictifs, en prenant le risque de devoir grer une situationde brouillage si le systme dormant venait se rveiller. Cest notam-ment le cas du fameux conflit qui perdure depuis 18 mois entreArabsat et Eutelsat.

    Les systmes fictifs dans la ligne de mire de lUITAfin dinflchir cette volution, le bureau des radiocommunications

    de lUIT, qui gre la procdure daccs la ressource orbite/spectre,a lanc depuis 2010 une campagne de reprage systmatique desutilisations fictives, avec un certain succs. Prs de deux centssystmes fictifs ont ainsi t supprims et les ressources correspon-dantes libres.

    En fvrier dernier, la Confrence mondiale des radiocommunica-tions de lUIT (CMR-12) a complt cette action en durcissant les dispo-sitions les plus laxistes de la procdure dobtention des droitsdutilisation : instauration dune dure minimale de trois mois de fonctionnement

    continu pour considrer quun systme est effectivement (re)mis enservice ;

    instruction au bureau des radiocommunications de lUIT de pour-suivre ses investigations, (pour viter les (re)mises en service encascade) laide du mme satellite ;

    titre dessai dici la CMR-2015, dans la bande des 22 GHz,adoption de dispositions permettant de tracer le liendans le temps entre droits dusage et satellites rels.Ces dcisions ont t salues par la trs grande majorit

    du secteur. On peut sattendre ce quelles soient durcies loccasion de la CMR-15, afin de satisfaire les objectifs dutili-sation rationnelle, efficace et quitable de cette ressourcecommune tous les pays que consituent lorbite des satellites gos-tationnaires et les frquences associes. w

    www.itu.int

    L

  • Les satellites au cur de lexploitation de lespace

    remire technologie saffranchir des frontirespolitiques, le satellite a rapidement t plac auservice de la circulation mondiale des informa-tions. Les systmes de tlvision directe dve-lopps ds les annes 1970 ont longtemps t le

    seul moyen de soutenir la libert dinformation sans ingrence gouver-nementale, telle que consacre par la dclaration universelle des droitsde lhomme. Par ailleurs, les Etats ont concentr leurs efforts sur lafourniture dun service universel des tlcommunications par satellitemondial ou rgional dans le cadre dorganisations internationales tellesquIntelsat (1971), Arabsat (1976) ou Eutelsat (1977). Aujourdhui, ledveloppement du cble et de la fibre optique a conduit un reposi-tionnement du rle du satellite dont la fonction principale reste lacouverture des zones nationales non desservies par les rseaux hautet trs haut dbit terrestres, participant ainsi au comblement de la frac-ture numrique. En outre, dans de nombreux pays, le satellite reste leseul moyen daccder des bouquets de chanes numriques, et lepremier moyen de diffusion de la TVHD.

    Des satellites pour une communication mondiale Malgr un recentrage des usages sur les besoins nationaux, les

    satellites fournissent toujours des services globaux comme la couver-ture mondiale des grands vnements ou les tlcommunications dur-gence, notamment dans les situations de catastrophes naturelles. Dansce domaine, les satellites dobservation qui surveillent en permanencenotre plante sont galement mis contribution, les systmes civils lesplus performants offrant des donnes dune rsolution de 50 cm. Onattend galement beaucoup des services de localisation et de posi-tionnement fournis par les constellations oprationnelles amricaine(GPS) et russe (GLONASS), et celles en dveloppement en Europe(Galileo), en Chine (Beidou) et en Inde (IRNSS).

    Concernant les services de tlcommunications, les orbitesbasses et moyennes sont utilises par des constellations desatellites ddies aux communications mobiles globalesmultimdias telles quIridium (66 satellites) et

    Globalsatar (48 satellites), lesquellesont connu des dbuts difficiles du faitdun march quasi inexistant. Ces orbites bnficient aujourdhui dunnouveau souffle avec le lancement dune seconde gnration de satellitesporte par les besoins militaires. Le projet O3b Network soutenu parun groupe dinvestisseurs parmi lesquels figurent Google, SES, HSBC,reste de loin le plus intressant car il repose sur les besoins dun marchcivil, en sadressant aux 3 milliards dindividus nayant pas daccs internet. Do le nom O3b , acronyme de Other 3 Billion .

    Un secteur stratgique pour lEurope Le revenu annuel total de lindustrie satellite (y compris les quipe-

    ments au sol et services valeur ajoute) reprsentait en 2011 environ168 milliards de dollars, soit seulement 4% des revenus du march destlcommunications, mais 61% des revenus de lindustrie spatiale (1). Cesont les satellites de tlcommunications domins par Intelsat (24% desparts de march), SES (21%) et Eutelsat (14%), qui portent aujourdhuile march spatial commercial. 56% des transpondeurs des systmescommerciaux sont utiliss pour des activits lies la tlvision enpermettant notamment la distribution de 31 120 chanes, tandis que les44% restants sont ddis au transport de la voix et des donnes . Surce march commercial, lEurope est bien positionne (2) avec ses entre-prises Astrium (EADS) et Thales Alenia Space pour la vente de satelliteset surtout Arianespace, leader sur le march du transport spatial. Ilsagit donc dun secteur particulirement stratgique pour lindpen-dance europenne, dont le secteur spatial souffre, contrairement celuides Etats-Unis, de la faiblesse des commandes publiques. La dimensionstratgique du march est renforce par les besoins croissants desservices de dfense dans la mesure o aucun Etat ne peut envisagerune intervention extrieure sans lappui des systmes spatiaux. Ce nest

    dailleurs pas un hasard si la plus grande flotte de satellites aumonde est sous le contrle du dpartement de la dfense

    amricain.

    Le droit de lespace, une nouvelle branche du droitSur le plan juridique, lessor des satellites a donn naissance une

    nouvelle branche du droit, le droit de lespace. Dvelopp dabord dansle cadre international des Nations-Unies avec une srie de traits dontle Trait de lespace en 1967, le droit de lespace est dsormaisintgr dans le droit interne des Etats. La loi franaise n 2008-518relative aux oprations spatiales du 3 juin 2008 reprsente certaine-ment lun des modles les plus aboutis. Le droit daccs lorbitegostationnaire et aux frquences associes, les conflits politiques etculturels lis la transmission des programmes ainsi que les nouvellescontraintes destines prvenir les dbris spatiaux, sont autant dequestions complexes que le juriste doit rsoudre pour assurer uneexploitation harmonieuse des satellites. w

    (1) Source : SIA(2) Source : Euroconsult

    www.idest-paris.org

    www.jm.u-psud.fr

    P

    Economie numrique et mondialisationTECHNOLOGIES

    LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012 x15

    En 2011, sur les 986 satellitesoprationnels, 37 % taient utiliss des fins de communicationscommerciales (source SIA). 405engins taient placs sur lorbitegostationnaire, situe 36 000km daltitude dont les propritspermettent de garder une position

    fixe par rapport la terre. A cettedistance, un rseau de trois satellites

    permet une couverture globale de la plante, lexception des ples.

    A 36 000 km daltitude

    Par Philippe ACHILLEAS, vice-doyen, directeur de lIDEST et du master droit des activits spatiales et des tlcommunications, facult Jean Monnet (Sceaux)

  • Flux internet et globalisation

    16x LES CAHIERS DE LARCEP JUIN 2012

    Dossier

    Par Dave SCHAEFFER, CEO, Cogent Communication

    rs dun tiers de la population mondiale utilise mainte-nant internet, une proportion qui augmente rapidement.Les flux internet rsultent de la demande de ces utili-sateurs : de lusage quils en font et de leur localisationgographique, mais aussi de linterconnexion des

    milliers de rseaux constituant linternet.Internet a t conu, lorigine, pour faciliter la communication entre

    utilisateurs, essentiellement symtrique et asynchrone. Au fil du temps,dautres applications sont apparues (e-commerce, tlphonie sur IP,rseaux sociaux) et des contenus (principalement vido) jusqualorsdiffuss par des rseaux hertziens, cbls ou satellitaires ont migr surinternet. Les flux sont ainsi devenus asymtriques et linternet sestprogressivement transform de rseau de communications interperson-nelles en tuyau de diffusion de contenus.

    Une globalisation croissanteLe volume des flux internet a cr exponentiellement sous leffet de multi-

    ples tendances convergentes : le nombre dinternautes, la pntration desaccs haut dbit et leur dbit daccs, le temps pass en ligne par les inter-nautes et la richesse des applications et contenus internet ont tousaugment de manire significative et simultane.

    Initie aux Etats-Unis (85% des adresses IP mondiales en lan 2000),cette croissance sest poursuivie durant la dernire dcennie, principale-ment dans les pays industrialiss dEurope et dAsie. Dsormais, 60% delinternet est localis hors des Etats-Unis, et son taux dadoption est enforte progression dans les pays mergents, o les barrires lentre selvent graduellement. Les perspectives daugmentation de productivit queprocure internet justifient les investissements dinfrastructure, tant danslaccs quau cur du rseau, o la fibre optique, sous-marine ou terrestre,remplace les liens satellitaires limits en bande passante.

    Il est intressant de noter que ce cercle vertueux de lutilisation et dudbit, ainsi que la globalisation croissante de linternet, nont eu que peudimpact sur la distance moyenne parcourue par les infor-mations (paquets IP) sur internet environ 4.300 km, constante sur ladernire dcennie. Ceci rsulte de plusieurs tendances convergentes, tech-nologiques, industrielles et culturelles.

    Des flux asymtriques entre Nord et SudInternet est un rseau de rseaux : les flux scoulent de leur origine

    leur destination le long de routes rsultant de linterconnexion de plusde 40.000 rseaux. Les fournisseurs daccs et les hbergeurs decontenus et dapplications sinterconnectent en gnral au travers dop-rateurs de transit comme Cogent, qui exploitent des rseaux mondiaux enfibre optique interconnects des milliers dautres rseaux, formant ainsiune plate-forme de routage des flux technologiquement et conomique-ment optimale.

    Linternet devenant un mdia de diffusion, les hbergeurs sont nan-moins tents de dcentraliser et de rpliquer leurs contenus au plus prsdes internautes, rduisant ainsi la distance parcourue par les paquets IP.Leur dfi est datteindre le juste quilibre entre les cots induits par la

    dcentralisation et la rplication (espace physique, puissance de calculet de capacit de stockage) et les cots de bande passante internet.

    Cependant, les contenus et applications en ligne plbiscites parles internautes restent hbergs majoritairement dans les pays les plusdvelopps, crant ainsi une asymtrie des flux entre Nord et Sud. Lesinvestissements en infrastructures de rseau et de data center dansles pays mergents, dans un contexte de dveloppement de contenuslocaux issus de spcificits culturelles ou linguistiques, favoriseront la

    relocalisation des flux internet dans ces rgions.Durant la dernire dcennie, internet a t un formidable vecteur de

    croissance pour les pays industrialiss, dans un contexte dconomieglobalise. Aujourdhui, internet est un lien dune importance croissanteentre Nord et Sud, matrialis par une augmentation rapide des flux inter-continentaux. Dans la prochaine dcennie, nous verrons internet atteindreune couverture rellement globale, et une croissance plus rapide des fluxdans les rgions mergentes. w

    www.cogentco.com

    P

    Dsormais, 60% de linternet est localis hors desEtats-Unis, et son taux dadoption est en forteprogression dans les pays mergents, o lesbarrires lentre se lvent graduellement .

    Nous sommes des aiguilleurs du Net z Vous vous dites aiguilleur du Net ;Pourquoi ?Notre mtier consiste amliorer le temps dechargement des contenus : laide dune sonde (enloccurrence un tag javascript) place sur les sites webou mobiles de nos clients diteurs de contenus, noustestons la qualit de service des diffuseurs(hbergeurs, CDN, Cloud) pour aiguiller en tempsrel le trafic vers le meilleur d'entre eux. A l'instard'une tour de contrle, nous dterminons le meilleurchemin, le meilleur prestataire utiliser pouratteindre l'utilisateur final en vitant les goulets

    dtranglement. Lorsqu'il navigue sur un site utilisantnotre "Radar", chaque internaute franais participe la mesure de la performance de la quasi-totalitdes CDN et fournisseurs de cloud. Bien entendu,nous ne captons aucune donne personnelle. Noussommes en quelque sorte au trafic internet ce queles aiguilleurs du ciel sont au trafic arien, car nouspermettons nos clients de prendre les meilleuresdcisions pour rpartir dynamiquement le trafic travers diffrents rseaux de diffusion. Nouscontribuons lever la qualit globale du traficinternet et, en quelque sorte, nous vendons de la

    transparence et de laneutralit aux diteurs de contenus.

    z Visualisez-vous le trafic dans le monde entier ? En effet, avec prs d'un milliard de mesuresquotidiennes, nous savons si la consultation dessites de nos clients est fluide ou non sur unezone donne, ou toute la plante. Ainsi parexemple, au moment du printemps arabe, nousavons pu suivre en temps rel le black-out du traficdans certains pays et sa remonte progressive. w

    www.cedexis.com/fr

    Interview de Julien Coulon,co-fondateur, Cedexis

  • e terme cloud computing dsigne la consommationdapplicatifs et de services d'infrastructure la manirede leau ou du gaz, avec facturation selon les quantitsconsommes. Linformatique en nuage ou cloud compu-ting est une volution majeure des TIC reposant en

    bonne partie sur la qualit des rseaux. Cette volution est plus prsenteencore dans les marchs mergents : les TIC y sont souvent si embryon-naires quil est envisageable de passer directement au cloud computing.

    Les pouvoirs publics ont pris conscience du rle du trs haut dbit dansle dveloppement conomique. Dans les pays en dveloppement, indiquela Banque mondiale, quand la pntration du haut dbit augmente de 10%,le PIB augmente en moyenne de 1,38%. Presque tous ces pays ont mis letrs haut dbit au coeur de leur politique de croissance. Beaucoup ontdonc massivement investi dans les rseaux tlcoms de base et d'accs.Ltude Broadband quality de Cisco constate dailleurs une amliorationtangible de la qualit des rseaux d'anne en anne.

    Les avantages du cloudPourtant, dans ces pays, le dveloppement conomique nest pas

    toujours au rendez-vous, sans doute par manque de contenus et deservices. Avec un modle en nuage , il est bien plus simple et conomiquede crer et distribuer des applications et des contenus, tant locaux quergionaux, ce qui a pour effet de dverrouiller le potentiel des rseaux.

    Quoique plus faibles quen Europe ou en Amrique du Nord, les dbitsdes marchs mergents sont suffisants pour des services cloud lmen-taires. Mesure par le Cisco cloud index , la vitesse moyenne de tl-chargement sur les lignes fixes rsidentielles au Moyen-Orient et enAfrique atteint 1.691 kbit/s en rception et 795 kbit/s en mission. Danscertains pays, les rseaux sont assez dvelopps pour faire fonctionnerdes applications cloud intermdiaires du type CRM, ERP et servicesde vidoconfrence ; l'gypte, lAfrique du Sud et les miratsarabes unis en sont de bons exemples.

    Diffusion rapide des ressources, paiement lacte, omnipr-sence des services et facilit dutilisation, tels sont les avantages duparadigme cloud. Les difficults spcifiques de lactivit cono-mique dans les marchs mergents font que le cloud y sera parti-culirement indiqu pour bon nombre dacteurs. Il aidera rsoudreles trois principaux problmes rencontrs par les grandes entre-prises : raret des comptences informatiques, insuffisance du capital etrisques scuritaires. En matire de scurit, nos changes rguliers avecles DSI montrent que la gestion des donnes hors site, dans le nuage,permet de mieux les scuriser.

    Dautres tudes de Cisco montrent que 12 % de la charge de travaildes entreprises internationales passeront par le cloud en 2013. Etdaprs ltude Connected world report , mene par le groupe auniveau mondial, les dirigeants dentreprise qui prvoient dutiliser le cloudsont plus nombreux dans les marchs mergents que dans les pays dve-lopps 50 % en Inde, 43 % au Brsil et 40 % au Mexique, contre 29 %en France et 25 % au Royaume-Uni.

    Beaucoup dadministrations des pays mergents comptent galementoffrir des services aux citoyens laide dapplications cloud, qui permettentla mise en uvre centralise de services nationaux standardiss. Ainsi, le

    cloud facilitera le dploiement de services dintrtgnral auprs des populations.

    Le cloud au service des TPE-P