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AvertissementsDédicaceRemerciementsPrologueChapitre1Chapitre2Chapitre3Chapitre4Chapitre5Chapitre6Chapitre7Chapitre8Chapitre9Chapitre10Chapitre11Chapitre12Chapitre13Chapitre14Chapitre15Chapitre16Chapitre17Chapitre18Chapitre19Chapitre20Chapitre21ÉpilogueÀproposdel’AuteurRésumé
PubliéparJUNOPUBLISHING
2,rueBlanchealouette,95550BessancourtTel:0139607094
Siret:81915437800015Catégoriejuridique9220Associationdéclarée
http://juno-publishing.com/
EsclavedurythmeCopyrightdel’éditionfrançaise©2018JunoPublishingCopyrightdel’éditionanglaise©2016JaneHarvey-BerrickTitreoriginal:Slavetotherhythm2016JaneHarvey-BerrickTraduitdel’anglaisparRoseSegetRelecturefrançaiseparValérieDubar,JadeBaiser,RaphaëlRivière,MaïwennB.Conceptiongraphique:©TanyapourMoreThanWordsGraphicDesign
Toutdroitréservé.Aucunepartiedecetebooknepeutêtrereproduiteoutransféréed’aucunefaçonquecesoit ni par aucunmoyen, électronique ou physique sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans lesendroitsoùlaloilepermet.Celainclutlesphotocopies,lesenregistrementsettoutsystèmedestockageetderetraitd’information.Pourdemanderuneautorisation,etpourtouteautredemanded’information,mercidecontacterJunoPublishing:http://juno-publishing.com/
ISBN:978-2-37676-292-8Premièreéditionfrançaise:mai2018Premièreédition:mars2016
ÉditéenFrancemétropolitaine
TabledesmatièresAvertissementsDédicaceRemerciementsPrologueChapitre1Chapitre2Chapitre3Chapitre4Chapitre5Chapitre6Chapitre7Chapitre8Chapitre9Chapitre10Chapitre11Chapitre12Chapitre13Chapitre14Chapitre15Chapitre16Chapitre17Chapitre18Chapitre19Chapitre20
Chapitre21ÉpilogueÀproposdel’AuteurRésumé
AvertissementsCeciestuneœuvrede fiction.Lesnoms, lespersonnages, les lieuxet les faitsdécritsnesontque leproduitde l’imaginationde l’auteur,ouutilisésdefaçonfictive. Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existées,vivantes ou décédées, des établissements commerciaux ou des événements oudeslieuxneseraitquelefruitd’unecoïncidence.Cetebookcontientdes scènes sexuellementexplicitesetun langageadulte, cequipeutêtreconsidérécommeoffensantpourcertainslecteurs.Ilestdestinéàlaventeetaudivertissementpourdesadultesseulement,telsquedéfinisparlaloidupaysdanslequelvousavezeffectuévotreachat.Mercidestockervosfichiersdansunendroitoùilsneserontpasaccessiblesàdesmineurs.
Dédicace
Àtouslesartistesquiontsouriàtraverslesang,lasueuretleslarmes
hocfeci.
Remerciements
ÀKirstenOlsen,rédactrice,amie,confidente,aficionadoduchocolat.ÀTrinaMiciottapoursacorrectionetsonsoutienindéfectible.ÀHangLepoursabellecouvertureetsacréativitésansfin.ÀSheenaLumsdenpoursonamitiéettoutsontravaildanslescoulisses.ÀNedaAminipoursonexpertiseenmarketingetsonenthousiasmepourtoutcequiconcerneleslivres.ÀAlanaAlbertson,amieetauteure,quipartagemonamourde ladanseetdespaillettes,ets’estassuréequ’Ashsavaitfaireladifférenceentrelemamboetlasalsa.ÀLeaJerancicquiavérifiétoutesleschosesslovènespendantqu’ellevérifiaitAsh.ÀRhondaKoppenhaverquis’estassuréequemesréférencessurChicagoétaientexactes.ÀDinaFarndonEidingeretAudreyThunder–voussavezpourquoi;)ÀSelmaIbrahimpasic,SavannaPhillips,LelyanaTaufik,MelissaParnelletàSarahLintottpourm’avoirpermisd’exploitersansvergogneleursnoms.EtàFuñnySouisa,pouravoiraimél’idéedecettehistoiredepuisledébut.MercilesStalkingAngels.Voussavezcombienvouscomptezpourmoietvousnem’avezjamaislaisséetomber.TonyaBassAllen,NedaAmini,JennyAngell,LisaClementsBaker,NicolaBarton,JenBerg,MaryRoseBermundo,ReynaBorderbook,SarahBookhooked,MeganBurgad,KelseyBurns,GabriCanova,L.E.Chamberlain,TeraChastain,ElleChristopher,BeverleyCindy,PaolaCortes,NikkiCostello,EmmaDarch-Harris,MeganDavis,JadeDonaldson,DrizinhaDri,MaryDunne,DinaFarndonEidinger,JenniferEscobar,FátimaFigueira,KellyFindlay,AndreaFlaks,AndreaFlorkowski,MJFryer,RaquelGamez,EvelynGarcia,CarlyGrey,HelenRemyGrey,NycoleGriffin,RoseHogg,KimHowlett,SelmaIbrahimpasic,CarolinJache,AndreaJackson,JayneJohn,AshleyJones,HeidiKeil,RhondaKoppenhaver,HangLe,WendyLika,SarahLintott,SheenaLumsden,KathrinMagyar,TrinaMarie,SusanMarshall,SharonKallenbergerMarzola,MarieMason,BruninhaMazzali,AimeMetzner,NancySaundersMeyhoefer,SharonMills,KandaceMilostan,AnaMoraes,BarbaraMurray,BethanyNeeper,ClareNorton,LuizaOioli,CrystalOrdex-Hernandez,CeliaOttway,KirstenPapi,MelissaParnell,AnaCarinaPereira,SavannaPhillips,CoriPitts,VrshaProse,AnaKristinaRabacca,RosaritaReader,HeatherSulzerRegina,LisaSmithReid,CarolSales,GinaSanders, Rosa Sharon, Jacqueline Showdog, Johanna Nelson Seibert,SarahSimone,AdeleSloan,FuñnySouisa,ErinSpencer,DanaFioreStusse,LisaSylva,LelyanaTaufik,CandyRhyneThreatt,AudreyThunder,EllenTotten,NatalieTownson,AmélieWhiteVahlé,TamiWalker,Lily Maverick Wallis, Jo Webb, Krista Webber, Shirley Wilkinson, Emma Wynne Williams, CarolineYamashita,LisaG.MurrayZiegler.EtauxlecteursdeFanficquisontlàdepuisledébut.
EsclavedurythmeLerythme#1
JaneHarvey-Berrick
PrologueChaleuretbruit.Les basses qui pulsaient sourdement faisaient vibrer le sol, les tables et les
chaises;lesbouteillesvidesentremblaient.L’airhabituellementsecdudésertsemblaithumideàl’intérieurdecettepièce
sansouverturequinevoyaitjamaislalumièredujour.Lecasinoétaitouvertvingt-quatreheuressurvingt-quatre.Deshommesetdes
femmes aux yeux rougis par les longues heures passées devant les banditsmanchots étaient remplacés par des gens plus jeunes qui voulaient danserjusqu’auboutdelanuit.Leslumièresstroboscopiqueslaissaientdespartiesdelapièce dans l’obscurité, dissimulant les taches de sueur et les traces demaquillage.Mesamiesétaientsurlapiste,complètementabsorbéesparladanse.Ellesse
tortillaient, les bras en l’air et elles se frottaient les unes aux autres suivant lerythme hypnotique de lamusique. Des yeux suivaient tous leurs gestes, leursboucheslégèremententrouvertes,leurslèvreshumides.Une part de moi les enviait, celle qui avait toujours jalousé les gens qui
assumaient leur liberté,etsi l’affectionqueje leurportaisn’avaitpasétéaussigrande,l’envieauraitputournerauressentiment.Cette soirée était prévue depuis huit mois et si le timing s’était révélé
catastrophique,j’avaisrefusédenepasyparticiper.Malgrétout,celamefaisaitdubiendelesretrouver.Desamiesdelonguedatequim’avaientvuedansmesmeilleurs,maisaussimespiresmoments.Je jetai un regard envieux au bar, rêvant qu’un Mimosa apparaisse
magiquementsurlecomptoir.Maisaucunedesserveusestrèslégèrementvêtuesnem’avaitremarquée,assiseseuledansmoncoin.J’avaisl’habitudedelasolitude.Jetravaillaischezmoietjevoyaisrarement
d’autrespersonnes ; jen’avaispasdecollègueset celameconvenait trèsbienainsi. Mais c’est une chose de vouloir vivre seule, c’en est une autre de seretrouverisoléeaumilieud’unefoule.Jejetaiunnouveaucoupd’œilendirectiondelapistebondéeetjesourisen
remarquantuncowboycoifféd’unlargeStetson,quidansaitàcontretempsetquicommençaitàs’échaufferderrièreVanessa.Iltentaitd’attirersonattentionavec
desmouvementsdehanchesanarchiques,maispleinsdebonnevolonté.Je détournai les yeux, un peu gênée par son stylemaladroit etmes yeux se
posèrentalorssurunautrehomme.Ilmecoupalittéralementlesouffle.Il était entièrementvêtudenoir.Sa chemise à la coupe ajustée était rentrée
dansunpantalonhabilléde lamêmecouleur. Ildégageaituneaurad’élégancecommecelled’unpur-sangaumilieudechevauxdetrait.Ileffectuaitdesmouvementsd’ondulationsuggestifs,maisgracieux,tousles
gestes fluides s’enchaînant sans pause ni à-coups. Il dessinait des cerclessensuelsavecseshanches,sesjambessepliaientetsedépliaientsouplement,etsesbrasbougeaientenrythme,lesdoigtstendus.Ilsetenaittrèsdroit,lementontrèslégèrementinclinépourpouvoirobserversapartenaire,bienpluspetitequelui. Même à distance, je voyais son intense concentration, comme celle d’unanimalfixantsaproie.Ilavaitdesyeuxdefélin,légèrementenamande,mettantenvaleursespommettesanguleuses.Ilavaitappliquédugelsursescheveuxébourifféssurledevantetcoupésras
derrièrelatêteàlamanièredesmilitaires.Celamettaitenvaleursoncoulongetélégantetleslargesépaulesquiroulaientsoussachemiseàmanchescourtes.Ledébutd’untatouageenémergeait.Ilétaitgrandetsesvêtementsnoirsallongeaientencoresasilhouetteélancée.
Difficile de lui donner un âge. Son visage austère, rasé de près aurait pu êtreceluid’unhommeentrevingtettrenteans.Unmouvementde foule lecachabrièvementàmesyeuxet je tendis lecou
pouressayerdelesuivreduregard.Lafouleseséparaalorsetmoninsaisissabledanseurréapparut.J’aperçussa
partenairepour lapremière fois : une femmedepetite taille, râblée, auvisagedégoulinantdesueuretàlarobetropserrée.Ils n’allaient pas bien ensemble. Intriguée, je me calai sur mon siège pour
mieuxlesobserver.J’ai passé pasmal de temps sur la touche.Maviem’avait souventmise en
position d’observatrice. Je m’étais déjà livrée à des études de la beautémasculine sous toutes ses formes : le sportif, le comique, le gothique, ledragueur, le ténébreux. J’étais une spécialiste, si l’on peut dire, mais de loin.Peut-êtremêmequecelafaisaitdemoiunevoyeuse.Maiscethommen’entraitdansaucunecase.J’étaishypnotisée,perduedansla
contemplationdes lignesgracieusesdesoncorps,de lasymétrieparfaitedesasilhouette, de sa force subtile et de ses qualités évidentes de danseur. Il étaitmagnifique.
Etcelamerendaittriste.Sonregardintenseetsérieuxétaitconcentréuniquementsursacompagneet
l’envie commença à se réveiller en moi. J’essayai de la chasser, mais jen’arrivaispasàdétachermonregarddudanseur.Ilondulaitdeshanches,lecorpsfluide et souple, toujours en mouvement. S’il baisait comme il dansait, sacompagneétaitpartiepourunenuitinoubliable.Maissoudain, lespasde la jeunefemmeralentirentetellesedirigeavers le
borddelapiste,enprenantdegrandesgorgéesd’air,lesmainsplantéessurseslargeshanches.L’hommeluiemboîtalepas,luiposantvisiblementunequestion.Ellesecoua
négativement la tête, riant à moitié en prenant ses distances. Comme elles’éloignait,illasuivitimmédiatement,enroulantseslongsdoigtsautourdesonpoignet,lesyeuxétrécis.Jemepenchaiànouveauenavant,puisjeregardaiautourdemoipourvoirsi
lesgensavaientremarquélascènequisedéroulaitdevantnous.Ilsavaientl’airde se disputer et le visage rouge et en sueur de la femme semblait anxieux.L’homme leva alors les mains en signe de reddition, comme s’il relâchait saproie.Jeme laissai aller surmonsiège,presqueaussi soulagéeque lapetite jeune
femmequibattaitenretraiteendirectiondestoilettes.L’hommerestaplanté là, lasuivantduregard,et jedécouvris,étonnée,qu’il
avaitl’airfrustré.Cen’étaitpasdeladéceptionoudel’agacement,maisilavaitplutôt l’air vexé comme si son ego avait été blessé. Il semblait s’en vouloirpersonnellement.C’étaitbizarre.Riendansleurlangagecorporelneparaissaitindiquerqu’ilsse
connaissaient bien. On aurait dit qu’ils se draguaient. Mais pourquoi avait-ilchoisiquelqu’unquiétaitvisiblementloindeceàquoiilpouvaitprétendre?Uneidéemetraversaalorsl’esprit:c'étaitpeut-êtrel’undeceshommesdont
onparleàVegas,ungigoloquineditpassonnom.Celamefaisaitunpeudepeinedepenserqu’unhommedoiveutiliseruncorpsaussiparfaitàunetellefin.Jen’avaispasenvied’êtredéçuealorsquetoutlerestechezluiétaitsi…parfait.Ilpassasesmainsdanssescheveuxenscannantlapièce,sesyeuxpassanten
revue toutes les femmes sur lesquelles ils tombaient, comme s’il cochait unesortedelistedontluiseulconnaissaitlateneur.Etsoudain,sonregardtombasurmoi,sansdouteparcequejelefixaismoi-
même, et un large sourire s’épanouit sur ses lèvres – il était éclatant, maisn’atteignaitpas sesyeux–et lorsqu’ilcommençaà s’approcherdemoi, je fus
aussitôtsurmesgardes.—Salut,jem’appelleAsh.Tuestouteseule?Jen’enétaispascertaine,àcausedelamusiquetonitruante,maisilmesembla
qu’ilavaitunaccent.Peut-êtredel’estdel’Europe.Russe?Polonais?Je lui adressai un petit sourire poli, mais très froid, de ceux qui ne
communiquentaucunechaleur–celuiqu’onréserveauxserveurs troplentsouaux chauffeurs de taxi impolis. Celui que j’adressais aux hommes à qui je nefaisaispasconfiance.—Non.Jesuisavecdesamies.L’hommejetauncoupd’œilautourde luiethaussa lesépaulesdefaçonun
peuthéâtrale.—Jenelesvoispas.Tuveuxdanser?Etilmetenditlamaincommes’ilétaitévidentquej’accepterais.J’éclataiderire.—Non,jenedansepas.Sonvisageserembrunit.Samainétaittoujourstendueversmoi.—Maistuaimesça?Jecessaiimmédiatementderireetjeplantaimonregarddanslesien,troublé
etennuyé.—Qu’est-cequitefaitcroirequej’aimedanser?Ilhaussalesépaulesànouveauetlaissaretombersamain.—Tuesenboîteettuneboispas.Donctudoisêtrevenuepourdanser.Alors,
s’ilteplaît,viensdanseravecmoi.Il tendit à nouveau samain versmoi,mais je secouai négativement la tête
avecimpatience.—Vatetrouverquelqu’unquienaenvie.Ilécarquillalesyeuxdesurpriseavantdesepenchersurmatableensouriant,
plantantsonvisageàquelquescentimètresdumien.—Peut-êtrequec’estavectoiquej’aienviededanser.—Ehbien,j’espèrequetuespatient.Il inclina légèrement la tête, révélant ungrain de beauté en formede larme
juste sous son œil gauche : une parfaite imperfection. Maintenant que je levoyaisdeprès, jem’aperçusqu’ilétaitplus jeuneque je l’avaispensé. Il étaitsans doute en début de vingtaine.Mes yeux glissèrent vers ses lèvres puis sagorge.Jedistinguaiunefinechained’argentautourdesoncou.—Jedansebien,dit-il.Il semblaitpresqueblesséparmes refus répétés. Ilnementaitpas,maisma
colèrequicouvaitsouslasurfacedepuisunmomentéclatasoudain.—Jetedisquejenedansepas!— Mais tout le monde est ici pour ça, insista-t-il, le regard tellement
concentrésurmoiquec’enétaitdéstabilisant.—Pasmoi.Il commençait à m’angoisser et je jetai un coup d’œil en direction demes
amies.—Tuverras,tuaimerasça.—Jen’endoutepas,crachai-je,perdantpatience.Tadernièrepartenaireavait
l’airdes’éclatercommejamais.Ilviralentementàl’écarlateetdétournaleregard.Sa réaction me surprit. Je l’avais blessé, mais je ne savais pas exactement
pourquoi.—Peut-êtrequej’aienviededanseravecunejoliefillepourunefois,dit-il
doucement,enmejetantuncoupd’œilsousseslongscils.Ilétaitdifficilederésisteràsonregardintenseetsuppliant.Ilétaitdoué!Me
traiterdejoliefille,fairesemblantd’êtredéçuquejerefusededanseraveclui.Jeme sentais un peu coupable quandmême. Ce n’était pas facile de feindre unrougissement.J’étaisprêteàattribuercelaauxeffortsquenécessitaitladanse,maisjecroisai
alorssonregard,presquedésespéré.—Tunesaispascequetumanques.Jepinçaileslèvresetlasympathiequejecommençaisàressentirs’évanouit
immédiatement.—Laney,est-cequecethommet’importune?JepoussaiunsoupirdesoulagementlorsqueVanessaetJomerejoignirent,la
mâchoireserrée,lesyeuxmenaçants.Ash eut l’air soudainnerveux, son regardpassant demes amies auxvigiles
vers la sortie. Il commença à battre en retraite, les mains levées en signe dereddition.—Jeluidemandaissimplementsiellevoulaitdanser,c’esttout.Jen’airien
faitdemal.Jo lui lança un regard incrédule et se planta devant lui, les mains sur les
hanches.—Veux-turemonterdanslachambre?demandaVanessa.J’acquiesçai, me sentant soudain au bord des larmes. Jo continuait à le
foudroyerduregard.
Vanessapassaderrièremoipourprendrelepashminaquiétaitaccrochéàmondossier.Ensuite,elledesserralesfreinsdemonfauteuilroulantetm’éloignadelatable.Ashmeregarda,bouchebée.—Tupensestoujoursquejesuisjolie?demandai-je,lesyeuxembuésparles
larmes.
Chapitre1
ASHQuarantejoursplustôt—Nom?Cela faisait cinquanteminutes que j’attendais patiemment dans la file,mon
passeportàlamain.Cinquanteminutes,longuesetennuyeuses,d’uneattentequidevraitmepermettrederecommencermavieàzéro.J’avançai dans la file qui piétinait, partagé entre inquiétude et excitation.
J’avais l’impression que si quelque chose ne se produisait pas rapidement,j’allais exploser et toute cette énergie nerveuse que j’avais enfermée en moiallaitsedéverserpartout.Maisaumêmemoment,lafileavançadequelquespaset j’arrivai au niveau d’une fenêtre. J’aperçus le halo orangé des millions delumièresquiéclairaientLasVegas–celam’arrachaunsourireetfitmanquerunbattementàmoncœur.Bientôt.Jeseraisbientôtlà,chezmoi,àvivremonrêve,àenfinatteindremesbuts.—Votrenom?—AljažNovak.L’agentdel’immigrationfronçalessourcilsenregardantmonpasseport.—C’estécritlà-dessus:Al-Jazz.Quandjen’étaispasdansmonpays,celaarrivaitfréquemment.—ÇaseprononceAli-ash.Ilobservaànouveaumonpasseportavecunegrandeattention.—Quellessontlesraisonsdevotrevisite?Je ne pusm’empêcher deme redresser de toutema taille et je répondis, la
fiertéévidentedansmavoix:—Jevienspourtravailler.Jesuisdanseur.Ilneparutpasspécialement impressionnéquandjeproduisismonH-1B: le
visapourtravaillerauxÉtats-Unisentantqu’employéqualifié.Ilpassaenrevuemesdocumentsd’unairsceptiqueavantdemelesrendre.—Cela vous donne l’autorisation de travailler seulement pendant unmois,
dit-ilenmeregardantsévèrement.J’acquiesçai,enessayantdeluirendresonregardetluttantcontremonenvie
detouchermamédailledeSaintChristophe.
Puis ilme tenditmon passeportm’invitant à circuler. Je laissai échapper lesoufflequej’avaisretenu.Levisaque j’utilisaisétaitcelui réservéauxdanseursetauxmannequinsde
passageouquelquechosed’approchant.Monnouveaupatronm’avaitexpliquéque c’était plus simple de demander un visa pour un long séjour quand ontravaillaitdéjàsurplace.Le long couloir nu et blanc s’ouvrait sur un vaste espace où l'on pouvait
récupérerlesbagages.Ilfourmillaitdecentainesdepersonnesàlarecherchedeleursvalises.J’avaisattendutellementlongtempsàl’immigrationquemavaliseétaitdéjàsurletourniquetavecdesdouzainesd’autres.Monsacétaittrèslourd,lepoidsmaximaldevingtkilos.Ilcontenaittoutce
que je possédais. J’avais vendu la quasi-totalité de mes biens quand j’avaisappris que je quittais la Slovénie. En fait, je n’avais pas eu envie de gardergrand-chose–quelquestrophées,desphotos–etcequej’avaislaisséchezLukaavantqu’ilparteentournée.Laplupartdesaffairesquej’avaisemportéesconcernaientladanse:sixpaires
dechaussons,destenuespourlesrépétitions,despantalonsdedanselatine,destee-shirts…deschosescommeça.Jeposailourdementmavaliseparterrepuislatiraiderrièremoiendirectiondelasortiedel’immensehalld’arrivée.Ébloui,j’observaiautourdemoilesmouvementsdesgens–onauraitditdes
vagues. L’endroit dégageait une sorte d’énergie et fourmillait d’activité. Onentendaitlebruitdesmachinesàsousetunpetitgroupes’étaitrassembléautourd’unsosied’Elvis,certainschantantaveclui.J’avaisl’impressiond’êtrerentréàlamaison.Jescannailafouleenmedéplaçantlentementdanslevastehall.Enfin,jele
découvris.L’hommeétaitunevraiemontagnedemusclesépaisdontcertainsavaientété
remplacés par de la graisse. Il portait un costume mal taillé, tendu sur sesbourreletsàcertainsendroits.Sesyeuxfroidsdelézardpassèrentsurmoiavantde revenir en arrière et il baissa lentement le petit panneau qu’il tenait et quiportaitlasimplementionde«Novak».C’était unhomme impressionnant, pasdu tout celui auquel jem’attendais à
rencontrer. Mais je m’avançai vers lui avec assurance, la main tendue. Ilm’ignora,s’éloignantvivementdemoid’unpetitbondsoupleinattenduchezunhommedecettecorpulence.Ilavaitcertainementfaitdelaboxe,sil'onsefiaitàsonnezaplatietàlacicatricesursajoue.IlmerappelaitConanleBarbare,maisenmoinssympathique.
Je le suivisdehors jusqu’àunminivangarédevant. Il secontentad’unpetitmouvement de tête pourm’inviter àmonter puismarmonna quelque chose enrusse.Mon humeur s’améliora grandement quand je découvris quatre filles déjà
assisesàl’intérieur.Ellesavaienttoutesunevaliseaussigrossequelamienneetj’endéduisis qu’elles étaient aussi desdanseuses.Cellequi était assise juste àcôté de moi était vraiment canon. L’horizon se dégageait vraiment et monexcitationrevintenforce.—Salut,jem’appelleAsh.Je m’étais tourné vers la ravissante blonde en lui adressant mon plus beau
sourire.Elleavaitl’airravidemevoirégalementetmeréponditavecunaccenttrèsprononcé:— Salut, moi, c’est Yveta. Et voilà mon amie, Galina, ajouta-t-elle en
désignantlabruneassiseàcôtéd’elle.Etlarousse,là-bas,jecroisquesonnomestMarta.Ladernière,jenesaispasquic’est.Deux d’entre elles m’adressèrent un sourire un peu timide, mais quand la
dernièreseretourna,jefussurprisdevoiràquelpointellesemblaitjeune.EllemerappelaitlapetitesœurdeLukaetj’eusenviedeluidemandersielleallaitbien,maiselledétournaaussitôtleregardetseremitàregarderparlavitre.—Jecroisqu’elleneparlepasanglais,ditYvetaenhaussantlesépaules.Ni
russe.Jefourraimavalisedansleseulemplacementencorevideetm’installaisurun
siège.—VousvenezdeRussie?Ivetamesourit.Elleétaitvraimentmagnifique.—Moioui,commeGalina.Martavientd’Ukraine.Ettoi,d'oùviens-tu?—DeSlovénie.—Tuesdanseur?demanda-t-elleenmelançantuncoupd’œilappréciateur.
Destrip-tease?C’étaitçasonsensdel’humour?Jesecouainégativementlatête.—Non,dedanseslatinos,desalonoucontemporaines.Yvetapritunairamusé.—Jesupposequenousdanseronscequ’ilsveulent.Jeme demandai soudain si nous avions des problèmes de compréhension à
causedelatraduction.—Non,j’aiuncontrat.Conanchoisitcemomentpourgrimperdansleminivanetlesilencetombasur
notrepetitgroupe.Ilseretourna,nousjetantunregardsombre.—Vospasseports,grogna-t-il.J’hésitaiuninstant,letempsqu’ils’occuped’Yveta.Jen’avaisaucuneenvie
de lui confiermonpasseport,mais d’un autre côté, je nevoulais pasme faireremarquerlepremierjour.D'autantplusqu’ilavaitl’aircapabledem’écraserlecrâned’uneseulemain.Je ne suis pas petit du haut demonmètre quatre-vingt-huit et la danse, ça
muscle,surtoutquandvoussoulevezvotrepartenairetoutelajournée.Etquandjenedansaispas,jetravaillaissurdeschantiers.MaisConanavaitl’airdepeseraumoinscenttrentekilosetilnesemblaitguèrecompatissant,surtoutaveccettecicatricequidéfiguraitsonvisageetlerendaitencoreplusmenaçant.Jemedisqu’ilvoulaitcertainementmonpasseportpourfairelademandede
visa plus long nécessaire au bout d’un mois. Néanmoins, je n’étais pas trèscontent.Personnen’avaitenvied’argumenteraveclui.Touteslesfillesseserraientles
unescontrelesautresetéchangeaientdesregards.Puisellessetournèrentversmoiet jecomprisqu’ellesattendaientquejeprennelaparoleoufassequelquechose.Jehaussailesépaulesetluitendismonpasseport.Conanmel’arrachadesmainsetlefourradanslapochedesavesteavantde
collecterlesautres.Puis, il se glissa derrière le volant et lança le moteur. Yveta se renfrogna,
visiblement déçue avant de se perdre dans la contemplation du paysage. Ellem’ignora pendant tout le reste du trajet, me laissant avec une sensation demalaiseetd’agacement.Celacommençaitmal.Plus nous nous rapprochions du centre de Las Vegas, cette Mecque
étincelante,plusmonsourires’élargissait.LesRussesétaient taciturnes, tout lemondelesavait.Pascommechezmoi.Lesgensétaientdursàlatâche,honnêtesetpassionnés,etnotrepaysétaitsipetitquelablaguelaplusrépandueétaitdedirequetoutlemondeseconnaissait.Mesparentsétaientnésdansl’ex-Yougoslavie,maismamèreavaitétéélevée
àLondres.Ellen’était retournéeenSlovéniequ’aumomentde l’indépendanceen91.J’étaisnéneufmoisplustard.JepensequesondésirétaitderetournerunjouràLondres,maisellen’avait
jamais pu le réaliser. Elle avait veillé à ce que j’apprenne l’anglais, toutefois.Celafaisaitunbail.Elleadoraitdanser,jesupposequec’étaitd’ellequejetenaiscegoût,parcequejen’avaisaucunpointcommunavecmonpère.Dieumerci.LasVegasn’étaitqu’unetrainéelumineusequenoustraversionstrèsvite.De
maplace, jevoyais lesnomsexotiquesdeshôtels :LeMonte-Carlo, l’Aria, leBellagioetsesfameusesfontaines,leCaesarPalace,leMirage,lePalazzo…desnomsanciensenEuropedansunmondeàl’énergieélectriquetoutneuffaitdelumières aveuglantes qui fonctionnaient vingt-quatre sur vingt-quatre. J’étaischezmoi.Dumoins,c’étaitl’impressionquecelamedonnait.Conan finit par arrêter le minivan devant un affreux immeuble en ciment,
visiblement un des hôtels les plus lépreux de la ville. Cela douchaconsidérablementmonenthousiasme.Jenesouhaitaisplusqu’uneseulechose,c’était que leur salle de spectacle soit aussi bonne qu’ilsme l’avaient promis.C’esttoutcequicomptaitmaintenant.Conansegaradansunealléedeserviceoùsetrouvaientlespoubellesetdes
cartonsvides.Je voyais clairement la déception sur le visage des filles.Deux hommes en
tenue de cuisinier assistèrent à notre arrivée et ils éteignirent aussitôt lescigarettesqu’ilsétaienten traindefumeravantdes’engouffrerà l’intérieurdubâtiment,faisantclaquerderrièreeuxlalourdeportedescuisines.Onauraitditqu’ils ne voulaient pas que Conan les voie. Un mauvais pressentimentcommençaàpoindreenmoi.Conanextirpa sa lourdecarcasseduvéhiculeet sortit sansunmot.Yvetaet
Galina se lancèrent dans une conversation anxieuse lorsque plusieursminutess’écoulèrentsansqu’ilrevienne.—Quefaisons-nous?demandaYveta.—Ondiraitquenoussommesarrivés,répondis-jeenhaussantlesépaules,lui
adressantunsourirepleind’uneassurancequej’étaisloinderessentir.Les filles sedétendirentunpeuetme répondirentparunsourireégalement,
mêmecellequin’avaitpasencoreouvertlabouche.Lalumièreétaitfaibledanslevéhicule,maisjeremarquaiqu’ellesemblaitbienplusjeunequenous.Ellenedevaitpasavoirplusdequinzeouseizeans.C’étaitbienjeunepourêtresiloinde chez soi, dans un pays étranger. Cela arrivait bien sûr, surtout avec desdanseursquicommençaientleurcarrière,souventbrève,trèstôt.Je m’apprêtais à lui adresser la parole lorsqu’une porte de l’hôtel s’ouvrit,
illuminantl’allée.C’étaitlesignequenousdevionsnousbouger.J’ouvrislaportièreduminivanetsautaidemonsiège,heureuxdepouvoirme
dégourdirlesjambesaprèsvingt-quatreheuresdetrajet.L’airétaitchaudetsecetenlevantlatête,jepouvaisdistinguerlespremières
étoilesquinaissaientdansleciel.Conan revint vers nous, accompagné d’un autre homme en costume. Ce
derniervintjusqu’àmoi,lamaintendueetditavecunaccentrusseprononcé:—Bienvenueàl’hôtelRoyale.—Merci.Puis il se tourna vers les filles, le visage blafard dans la lumière pauvre de
l’allée.Ellesleregardaientdepuisleminivan.—Venez,mesdames,dit-ilenriant,nesoyezpastimides!Les quatre filles sortirent du véhicule et se plantèrent derrière moi, en
observantavecanxiéténotrenouveaupatron.—Avez-vous des téléphones portables ? demanda-t-il. Pouvez-vous avertir
vosfamillesquevousêtesarrivésàbonport,s’ilvousplaît?Pourdesraisonsdesécurité,jevaisprendrevosappareils,maisvouslesrécupérerezbientôt.Jem’interrompis,enpleinmessagepourLuka,mêmesijesavaisqu’ilneles
consultaitpasvraimentquandilétaitentournée.—Vousvouleznostéléphones?L’homme m’observa un bref moment avant de m’adresser un sourire très
froid.—Vouslerécupérerezdèsquenousl’auronsvérifié.D’abordmonpasseportetmaintenantmonportable?Jen’aimaispasça.Mais
jen’avaispasvraimentlechoix,doncjeterminaimonmailetleluitendis.Illebalança à Conan qui le plaça dans un sachet en plastique avec les autres.J’espéraisquel’écranétaitintact.C’étaitlenouveliPhone.Nouslessuivîmesàl’intérieur,dansunsilencetotal.C’étaitplutôtangoissant
et je sentis qu’Yveta me serrait de près. Je tendis la main derrière moi pourprendre la sienne. Elleme la donna aussitôt et accrocha auxmiens ses doigtsmoitesetfroids,malgréladouceurdelanuit.Nouspoursuivîmesnotreparcoursdansl’hôteldansunlabyrinthedecouloirs
de service avant d’arriver à un ascenseur déglingué dans lequel nous nousentassâmes. Je fus presque surpris lorsque la cabine entama son ascension ets’arrêtatroisétagesplushaut.Celaressemblaitàunpiège.Yvetasecramponnaitàmamain.J’avaisenviedelarassurer,mais…Quand les portes s’ouvrirent, deux grands costauds en costume nous
attendaient. Cela faisait beaucoup d’hommes musclés pour escorter cinqdanseurs.—Lesfemmes,parlà.Yvetahésitaavantdem’adresserunpetit signede lamainpeuenthousiaste,
puisellesuivitlesautres.Conanmefitunsignedetêtepourm’inviteràluiemboîterlepas.
J’espéraisvraimentquejenepasseraispasbeaucoupdetempsavecluiparcequ’il me fichait vraiment la trouille. Je m’attendais à rencontrer la directriceartistique, Elaine quelque chose. Avoir le regard de ce connard sur moi medonnaitl’impressionquedescentainesd’insectesparcouraientmapeau.Je le suivis dans de nouveaux couloirs avant de débarquer dans une grande
cuisine.Deuxhommes,visiblementd’origineasiatique,étaientassisàunetableetjouaientaupoker,maisquandilsaperçurentConan,ilslâchèrentleurscartesetdisparurent.C’étaitvraimenttrèsbizarre.Onauraitditqu’ilsavaientpeurdeluietcelamefitdresserlescheveuxsurlatête.Conanmedésignaunechaiseetquittalapièce.BienvenueauxÉtats-Unis.Auboutd’unmoment,commepersonnenesemblaitvenir,jecommençaiàme
promener dans la cuisine à la recherche de quelque chose àmanger, mais endehors d’une pomme et d’un peu de fromage, tout le reste nécessitait d’êtrecuisiné.Jedusm’endormirsurlatable,carcefutlebruitdetalonsclaquantsurlesol
quimeréveilla.—VousêtesbienmonsieurNovak?Jemeredressaietjetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépaule.Lafemmequisetenaitlàétaitminusculeetavaitunecinquantained’années.
Elleavaitdescheveuxblondplatineetportaitdefauxcilsbordésdepetitsstrassqui accrochaient la lumière.Mêmeà troismètres, jepercevais l’odeur âcredel’autobronzant dont elle s’était enduite et qu’elle essayait de cacher sous unlourdparfum.Ellerépétaensoufflantd’impatience:—VousêtesbienmonsieurNovak?—Oui,répondis-jeencoassantetenhochantlentementlatête.— Enfin ! Nous vous attendions. Vous deviez vous rendre à la salle de
spectacle.—Jenesavaispas,jesuisdésolé.C’estungrandtypeavecunecicatricequi
m’aditderesterlà.Lablondefrissonna.—Oleg!Beurk,nemeparlezpasdececinglé.Elledésignamavalisedumenton.—Allez,venez,maintenant.Jelasuivis,encoreaffaméetenpleinjetlag.— J’étais danseuse,me confia-t-elle sur un ton enjoué en avançant dans le
couloir. Strip-teaseuse – je suis trop petite pour une show-girl typique de LasVegas. Maintenant, je travaille en coulisses et je m’occupe des filles et desgarçons.—Çafaitlongtempsquevousêteslà?—Oui,celafaitunmoment,jem’appelleTrixieMorell.Enfait,monnomsur
monbulletindenaissanceestDorisWazacki,maiscen’estpastrèsshowbiz!Elleme guida jusqu’à une porte sansmention particulière dont dépassaient
destuyauxdeclimatisation.Elles’arrêtadevantunclavieretcomposauncode.—C’est l’aileréservéeaupersonnel,medit-elleenmeregardantpar-dessus
son épaule. Ceux qui restent longtemps ont leur propre logement, mais nousavons beaucoup de personnes qui ont des contrats très courts. C’est là où setrouventaussilesemployésd’entretienetdescuisines.C’estunendroitsécurisé.Sécurisé?Pourquoicelaétait-ilnécessaire?Aprèsavoirpasséunautrecouloir, elleouvrit laported’unepetitechambre
avec une minuscule salle de bain. Les murs de la moitié de la pièce étaientcouverts d’affiches d’icônes de Hollywood comme Greta Garbo ou JudyGarland,etundeslitsjumeauxétaitjonchédevêtementsdedansemasculins.Donc,j’allaislogeravecunautredanseur.— Je vous présenterai Gary plus tard, dit Trixie. Il a un grand sens de la
propriété,alorsn’empruntezpassesvêtementssansluidemanderlapermission.Enfait, ilvautmieuxquevousnetouchiezàrien.Ilpeutêtreunpeuagressif,maisvousvoushabituerez.Je réprimai un sourire. Après ma dernière bagarre avec mon père, cela ne
m’impressionnaitpastrop.—Laissezvosaffairesici.Oh,prenezvoschaussonsdedanse,quelquechose
pouruneaudition.—Uneaudition?Maisjepensaisquej’étaisdéjàengagé.Ellehaussalesépaules.—Elainem’aditquevousalliezpasseruneaudition.L’inquiétude me saisit. J’avais dépensé beaucoup d’argent pour mon billet
d’avionetjen’avaisjamaisétéavertid’unequelconqueaudition.Je posaima valise sur le lit libre et en sortis une paire de chaussons et un
pantalon de danse. Trixie ne me quitta pas du regard le temps que je medébarrassedemonjeanpourenfilermatenue.Ellenefitmêmepas l’effortdedétournerlesyeux.Jen’avaisaucunproblèmeàmontrermoncorps,maisc’étaittoutdemêmedésagréable.Jejetaiunderniercoupd’œilàlachambreavantdesuivreTrixie.Laportese
refermaderrièremoidansunpetitclaquementfeutré.Ellemeguidadanslescoulissesd’unegrandescènequisentaientlasueuret
les fards.J’entendais lessonsd’unerépétitionencoursaufuretàmesurequenousnousrapprochions.—C’estplutôtpasmal,hein?demandaTrixie,visiblementtrèsfière.J’étaisassezd’accord.Jen’avaisjamaisdansésurunescèneaussigrande.Elle
avaitétédécoréeparunprofessionneletlesolsoupleétaitneuf.J’étaisvenuicipourtrouvercegenred’équipement.—Ash!Une femme perchée sur des talons aiguilles et vêtue d’un justaucorps très
serréseprécipitaau-devantdemoi, lesseinsballottant.Elleportaitaussideuxénormesplumesd’autruchedanslescheveux.—Yveta?Jeluisourispendantqu’ellem’embrassaitsurlesdeuxjoues.Trixie nous sépara rapidement, les sourcils froncés, et intima à Yveta de
rejoindrelascène.—C’estunedevosamies?—Nousvenonsdenousrencontrer,répondis-jeenhaussantlesépaules.—Et?—Noussommesarrivésensemble.Trixiepinçaleslèvres,l’airmécontentsansquejesachecequiluidéplaisait.—Hum…Bon, je vais vous présenter Elaine, c’est la directrice artistique.
Elleseraraviedevousrencontrer.Illuimanqueundanseurdepuisqu’Erikest…Jelevailesyeuxpourvoircequ’ellevoulaitdire,maiselleneterminapassa
phrase.—Elaine,tonnouveaudanseurestarrivé.Enfin!La directrice artistique était grande, elle avait un corps de danseuse et un
visageauxtraitsquiauraientpuêtretaillésdanslegranit.Ellebalayamoncorpsdehautenbasd’unregardtrèsprofessionnel.—Tuasdel’expérience?— J’ai été deux fois finaliste dans la version slovène de All-Stars
InternationalTenDance,dis-jetrèsfort,plutôtfierdemoi.—Maisencore?Je clignai des yeux, un peu désarçonné par sonmanque d’intérêt. Je venais
d’exposer ce que j’avais fait de mieux dans une prestigieuse compétitioninternationale.—Jepeuxdansertoutcequevousvoulez.J’aicommencéàcinqans.
—Quelâgeas-tu?—Vingt-troisans.Elainesoupira.—D'accord,onvavoircequetusaisfaire.J’étaissurlepointd’éclaterderire.Jesouffraisdudécalagehoraire,jen’avais
presquerienavalédepuisdouzeheuresetpasdormidepuisprèsdevingt-quatre.Enplus,moncorpss’étaitraidiàcausedemapositionassisetoutelajournée.Jen’avaisaucunechorégraphieaupointet jene savaispasdu toutceque j’étaiscenséluiprésenter.Enfin,sijemefiaisàl’expressiondesonvisage,jel’agaçaisdéjàprodigieusement.Jen’avaisjamaisétéaussipeuaupointpouruneaudition.Elainecriaàuntechnicienquisetrouvaitderrièreletableaudemixage:—Joe,prépare-luiquelquechose.Puis,ellesetournaversmoi,l’airimpatient:—Qu’est-cequetuattends?Vat’échauffer!Je savais qu’elle ne me donnerait pas de seconde chance. Il fallait que je
réussissecetteaudition,sinonjen’enpasseraispasd’autresetj’ignoraiscequeseraientlesconséquences.Memettraient-ilsdansleprochainavionderetour?Jediscutairapidementavecletechnicienensentantl’impatienced’Elaineetje
courus me mettre en place, effectuant quelques étirements des bras, deséchauffements des hanches, des rotations du torse, des pas de rumba et despirouettes. J’échauffai progressivement mes muscles pour terminer par desexercicesd’équilibre.J’auraiseubesoind’unequinzainedeminutes,mais j’eneusmoinsdedix.Pourbiendanser, ilm’aurait fallubienplusdepréparationqueça,Elaine le
savait. Ce qui signifiait probablement qu’elle ne tenait pas àm’avoir dans satroupe.Je frottaimes tempesoùmonsangpulsaitdouloureusement.Jen’avaispasledroitderatercetteaudition.Jefisunpetitsignedetêteautechnicienpuisretiraimontee-shirt,letenantà
boutdebrascommeunmatadorprésentesacape.Jemarchaiverslemilieudelascène,decepasondulantcaractéristiqueduPasoDoble.Lesenceintesdecettecavernevidequ’étaitencemomentlasalledespectacle
diffusèrent du Florence and theMachine. Et j’entrai dans la danse. J’étais unmatador,enfacedesonimpitoyableennemi.SometimesIfeellikethrowingmyhandsupintheair…J’avançaienplantantmestalonssurlascène,fieretfort.Jelevaimesbrasau-
dessusdematêteenfaisanttournoyerletee-shirtavantdelejeterauloin.IknowIcancountonyou…
Unpasdeflamenco.Mes mouvements étaient rapides, saccadés et tranchaient l’air, ma poitrine
bombée,matêterelevée,lespiedsdansl’alignementdemoncorps.SometimesIfeellikesaying,«Lord,Ijustdon’tcare»…
1
Jevivais cette chanson, je lavivais entièrement.La colère, la frustration, ledramequ’ellesuggère:surplace
2,séparation,attaque,promenadesimple,ligne
espagnole… J’enchaînais les figures classiques avec aisance, avec émotion,possédéparlamusiqueettraverséparelle.Jelavivais.Jem’étaismisàdanseret le temps s’était arrêté. Toute ma douleur et mon amertume se dissolvaientdanslamusique.Je bondis en l’air,mon corps exprimant l’agressivité que je retenais enmoi
jusqu’alors.Mesmouvementsétaientfiersetforts.Puis la chanson changea brutalement et Rebel Without A Cause de Public
Enemyretentitdanslagrandesalle.Maposturesemodifiatotalement.Degrandetfier,jedevinscourbé,prochedusol,lesmembresmousetincontrôlés,viriletbrut,sansraffinement.Les subtiles transitions étaient suivies de conclusions brutales, mes bras se
tendant,mesyeuxs’emplissantdecolère.Jemelançaialorsdansunerouesansposer mes mains, retombant souplement sur mes genoux, avec une grandeexpressivité,avantdeterminercouchésurledos,tournoyantfollementsurlesol,ignorant délibérément le contact douloureux du bois du parquet. Puis je meredressaivivement,leregardnoir,posésurElaine.Lamusiquemourutdanslasallesilencieuseetjerestaideboutsurlascène,la
sueurdégoulinantlelongdemapoitrine.Yvetasemitàapplaudiretcrierdepuislescoulissesetjemetournaiverselle
en souriant. Elaine était impressionnée malgré elle. Elle fit un brusquemouvementdumenton.—Tusaisdanser.Elainemeconduisitverslerestedelatroupeetjeremarquaitoutdesuitequ’il
existaituneséparationclaireentrelesfilles,danseuseshabituellesdeLasVegas,et lesgenscommenous,quiavionsété intégrés récemment.Elaineallaitavoirunsacréboulotàfairesiellevoulaitquenousformionsunetroupehomogène.Lasallerénovéeouvraitdansquatresemaines,cequinefaisaitpasbeaucoup
de temps pour travailler un spectacle de deux heures. Il y avait aussi deschanteurs,unmagicienetune sortede typequi jonglait avecdifférentsobjets.Mais le cœur du spectacle reposait essentiellement sur des show-girls de LasVegas.
Elainemeprésentaàl’autredanseur,untypeplusâgéquemoiquimeregardalesyeuxétrécisdèsqu’ilmevit.—Gary,jeteprésenteAsh.C’estaussitonnouveaucolocataire.Donc il s’agissait de celui qui avait accroché ces posters aumur. Il n’avait
vraimentpasl’aircontentdemevoir.Ilmefoudroyaitduregard,lesmainssurleshanches,sansdireunmot.Elaineignorasafroideuretluidemandademedonnerlesgrandeslignesdes
rôlesmasculins.Nousn’étionsquedeuxetapparemment,nousservionssurtoutà « présenter » les filles, à les mettre en valeur. Elaine précisa qu’elle avaitl’intention de confier à l’un de nous deux un duo, ce qui serait bien plusintéressantqu’unsimplerôledanslecorpsdeballet.Jesupposaiqu’espérerunsolo relevait du domaine du rêve.Gary n’arrêtait pas deme jeter des regardsnoirsquejem’évertuaisàignorer.Jelevoulaisceduo.Les répétitions se terminèrent tard et il était près d’une heure du matin
lorsqu’Elaine nous libéra. Nous étions tous en sueur et épuisés. Gary et moiregagnâmesnotrechambre.—Alorsc’esttoilechouchou,cemois-ci.J’ignorai délibérément Gary. J’avais l’habitude des danseurs jaloux. Cela
faisait partie du métier. J’avais même connu un danseur qui sabotait leschaussonsdesautres.Cegenredeconneriesarrivaitparfois.—Jesuisnouveau,c’esttout.—Oui,ehbien,j’étaislàavant,nel’oubliepas,frimeur.Soncommentairemedéplutsouverainement.—Jenefrimepas.Garyétouffaunricanementironique.—Etmoi,jenesuispasunamideDorothy
3.
Je n’avais pas parlé anglais depuis quelques années et ilme fallut quelquessecondes avant de comprendre l’allusion. Je remarquai alors l’affiche de JudyGarlandsurlemurducôtédeGary.Jen’enavaisrienàfairequeGarysoitgay,maisjen’allaispasmelaissertraiterdefrimeurcommeça.— Je passais une audition, si je ne m’étais pas investi à fond, je repartais
directementchezmoi.Garysemblasedétendrelégèrement.—D'oùviens-tu?Tonanglaisestexcellent.—DeKoperenSlovénie.C’estàunecentainedekilomètresdeLjubljana.—Jenecomprendsrienàcequetudis,monjoli.Vingt-quatreheuresauparavant,cesurnomm’auraiténervé,maisaujourd’hui,
jem’enmoquaistotalement.Toutdépendaitdel’anglesouslequelonvoyaitleschoses.—LaSlovénie.EllefaisaitpartiedelaYougoslaviejusqu’en1991,dis-jeen
observantleregardd’incompréhensiondeGary.EnEurope.—D’accord.Vousavezunroietunereine?—Non,c’estunerépublique,répondis-jeensecouantlatête.Garymejetaunregarddéçu.—Pasdereine?C’estdommage.Bon,oùas-tuapprisl’anglais,alors?C’est
peut-êtrelalanguequevousparlez…delàoùtuviens?Jeleregardai,unsourcillevé.—Non,pasdereines.EtnousparlonsleslovèneenSlovénie.— Peu importe. Je vais aller prendre une douche et me coucher, reprit-il,
visiblementcomplètementindifférent.Jehochailatête.C’étaitunetrèsbonneidée,selonmoi.Jemeplaçaiàlafenêtrepouressayerd’admirerlesétoiles,maislaseulevue
possibleétaitcelledumurencimentjusteenface.
Chapitre2
ASHLa lumière de l’aube qui entrait par la fenêtre me réveilla après seulementquelquesheuresdesommeil.J’étaistoujoursfatiguéetdanslecirage.Jemetraînai jusqu’à lasalledebainetmeglissaisous le jet leplusbrûlant
possibledeladouche.Je profitai de ma première douche depuis deux jours et la tension quitta
partiellementmoncorps.Jevenaisàpeinedetermineretétaistoujoursplantédevantlemiroirembué
entraindemedemandersij’allaismeraseroupaslorsqueGarydébouladanslapièce.—Bordel!Tuportesseulementuneserviette!Nemeregardepascommeça,
beaugosse!Ilyaquelquesavantagesquandmêmeàpartagersachambreaveclastardelatroupe.—Rienàfoutredecequetudis,enfoiré.—Tuesentraindemetraiterdepetitesalope?Jeluilançaiunregardglacial,maisàmagrandesurprise,ilsemitàsourireet
mefitunclind’œil.Ilmechassaalorsdelasalledebainetlançaavantquejequittelapièce:—Supertatouage,d’ailleurs.Mon regard tombaautomatiquement sur ledessinquiornait lehautdemon
brasgauche.Leslignescompliquéesétaienttrèsdécorativesetn’avaientaucunesignificationparticulièresionnevouslesexpliquaitpas.Monpèredétestaitcetatouageentreautreschoseschezmoi.Pourlesgensd’âgemoyencommelui,untatouage était quelque chose de permanent qu’on finissait par regretter. Pourmoi,c’étaitcommeunecartedemavieetdesexpériencesquej’avaisvécues–mamémoiredansmapeau.Jerajouteraisbientôtquelquechose.Jenesavaispasquoiencore,maisjele
ferais…J’enfilai rapidement un tee-shirt propre et un vieux pantalon de jogging. Je
m’assissurlelitmedemandantcequelajournéeallaitm’apporter.Lorsquejelevailatête,jedécouvrisGaryquim’observait,l’airbizarre.—Pastropperturbéparledécalagehoraire?
—Celanem’empêcherapasdedanser,entoutcas.— Je te comprends tout à fait. J’ai dansé le rôle d’Arlequin dans Casse-
Noisetteavecunefractureaumétatarse.—Tuasfaitdeladanseclassique?—Depuis l’âgedequatre ans, réponditGaryenbombant le torse. J’attends
simplementqu’onreconnaissemontalent.Jebaissai lesyeux.Garyapprochait laquarantaine, iln’avaitaucunechance
de percer maintenant. La carrière d’un danseur était courte, surtout en danseclassique.Commedansl’athlétisme,onétaitàl’apogéedesontalenttrèsjeune.Après,ilétaitpossiblededevenirprofesseuroudeselancerdansquelquechosedecomplètementdifférentenrepensantavecnostalgieàsagrandeépoque.Garylesavaittrèsbien.—Ettoi,tufaisdeladansedesalon,poursuivitGary.Jehochailatête.—Commentunhommecommetoiselance-t-illà-dedans?—Unhommecommemoi?— Euh oui, tu sais… le mâle alpha, genre ténébreux et dégoulinant de
testostérones,cequejetrouvetrèsexcitantd’ailleurs,surtoutaveclesfessesquetutepaies.Je clignai des yeux, ayant toujours unpeudemal à suivre le flot rapide de
Gary.Unlargesourires’épanouitsurmonvisage.—Tuescinglé,mec!—Dinguedetoi!hurlaGaryensefrappantlapoitrine.Tunepeuxpassavoir
àquelpointçamefaitplaisirdevoirenfinunhomme,unvrai,dit-illavoixdeplusenplusgrave.Erikavaituneexpressionsurlevisagequisemblaittoujoursdire«donne-moiunefessée».Tuvoiscequejeveuxdire?—Euh,jecroyaisquej’étaislastardelatroupequifrimait?— Pfft ! Je suis passé à autre chose. Allez, viens, nous allons manger, je
meursdefaim.Jen’avaispresquerienavaléendeuxjours,maisjenedisrien.Lasalleàmangerdelatroupeétaitlapièceoùl'onm’avaitconduitlaveille.
Elle était petite et très simplement équipée de tablesmétalliques et de bancs.Maislanourrituresentait trèsbonetavait l’airdélicieuse:dubacon,desœufsbrouillésetuntrucbizarrequelesAméricainsappelaientbiscuit,desfruitsfraisetduyaourt.J’avaisenviedegoûteràtout,maisjesavaisquec’étaitlemeilleurmoyende
finir par vomir pendant les répétitions. À regret, je me contentai d’une petite
assiette sur laquelle j’empilai deux tranches de bacon, une cuillère d’œufsbrouillésetquelquesmorceauxdefruitsaccompagnésd’unverred’eau.Jegardaideuxbananessij’avaisbesoindemesustenterplustard.Garymeprésentadeuxautresfillesduspectaclequivivaientàl’hôtel:Grace
etHoney, deux amies qui venaient deCalifornie.Elles étaient toutes les deuxtrès jolies, avec une silhouette identique – très grandes et minces, avec unepoitrinedetaillemoyennequisemblaitnaturelle.Je flirtai un peu avec elle avant l’arrivée d’Yveta etGalina. Elles s’assirent
prèsdemoi,unedechaquecôtéavantdem’embrassersur les jouesà lamodeeuropéenne.—Dobroeutro!Biendormi?—SalutYvetaetGalina!Jevousprésentemoncolocatairedechambre,Gary,
dis-jeensouriant.—Nousavonsdéjàfaitconnaissance,répliquaGaryd’untonacerbe.Yveta acquiesça d’un petit mouvement sec de la tête et Galina l’ignora
complètement ; je me demandais ce qui s’était passé entre eux. Ils seconnaissaientàpeine.Les filles se levèrent pour prendre quelques fruits pour plus tard,mais leur
petit déjeuner consista en un verre d’eau chaude avec une rondelle de citrondedans. Elles étaient pourtant très minces et je me demandai si elles étaientanorexiques,cequiarrivaittrèsfréquemmentdanslemilieudeladanse–autantaux hommes qu’aux femmes. Yveta observa les autres manger d'un regardgourmand tout en buvant son verre d'eau chaude. D’autres membres dupersonnelde l’hôtelprenaientaussi leurpetitdéjeuner,mais ilsnesemêlèrentpas à nous.Après plusieurs cafés, nousprîmes tous la directionde la salle derépétitions.Lesautresdanseusesarrivèrent.Toutescellesquinevivaientpasàl’hôtelse
plaignirentqu’ilétaitbientroptôt.Garym’appritquelaplupartavaientunautreemploiettravaillaientjusqu’àdeuxoutroisheuresdumatin.CommenceràdixheuresàLasVegasétaittotalementinhabituel.L’assistant d’Elaine nous fit nous échauffer avec quelques mouvements
basiques, justedequoidétendrenosmuscles. Jedécouvrisque j’étais l’undesraresànepasavoiruneformationclassique.Cen’étaitpastrèsgrave,maiscelame fit penser quequelqu’und’autre qu’Elaine devait être responsable demonrecrutement.L’échauffementn’étaitpastrèsdifférentdeceluiauquelj’étaishabituéetjene
doutais pas d’être capable de faire le travail pour lequel j’avais été engagé.
J’avaisparfaitementréussimonaudition,jelesavais.Neal,l’assistant,demandaàGaryetàmoidefairequelquesmouvementsde
musculation, des pompes et des étirements pour renforcer notre dos et ne pasnousblesserquandnoussoulèverionslesfilles.Iln’yavaitpasdeportésdansladansedesalonetj’avaistoujoursadoréles
spectacles où certains étaient intégrés malgré tout. J’étais haut comme troispommesque jevoulaisdéjàêtreassezfortpourenfaire.J’étaisplutôtcostaudpour un danseur, mais même une fille qui faisait quarante-cinq kilos toutemouilléepouvaitvousbousillersivousn’entreteniezpasvotremusculatureetsivous n’aviez pas un équilibre parfait. La plupart des danseuses étaient plutôtgrandes, un mètre soixante-quinze environ, et si leur costume ne pesait pasgrand-chose puisqu’il était pratiquement inexistant, leur coiffe pouvait allerjusqu’àunedouzainedekilos.J’allaissouffrir.Jem’échauffaidurenessayantdecomprendredansquoij’étaistombé.Ceque
jecomprenaisparfaitement,c’étaitdanseretavoirl’airdetoutfairesanseffort.—Ash,repose-toicinqminutes,ordonnaNealenmelançantuneserviette.Surpris, je levai la tête et aperçus Trixie qui s’avançait versmoi, le visage
impassible.—Lebossveut tevoircesoir,avecGalinaetYveta,dit-elleenpointantun
doigtàl’onglepointudansnotredirection.—Oleg?demandai-jeenserrantlesdents.— Non, le grand patron, répliqua Trixie en levant une épaule délicate.
MonsieurVolkov veut vous voir dans sa suite ce soir, à vingt-deux heures. Jevousretrouveraidanslehallpourvousaccompagner.Elles’éloignarapidement,lançantpar-dessussonépaule:—Jolierobe!Yvetasetournaversmoietdemanda:—Quecrois-tuqu’ilveuille?—Rencontrerlesnouveauxmembresdelatroupe,jesuppose.— Peut-être qu’il nous rendra nos téléphones, dit-elle sur un ton plein
d’espoir.Cette nouvelleme remonta lemoral et je reprismon échauffement intensif,
puissuivislesinstructionsd’Elainepourpréparerlespectacle.Monrôleentantqu’undesdeuxhommesaumilieudesquatorzefemmesdela
troupe était simple : guider sept d’entre elles, c’est-à-dire les conduire à leuremplacementsurscèneafinqu’ellepuissefaireleurnuméro.Garys’occupaitdesseptautres.C’étaitfacile.Etennuyeux.
Toutcequ’Elainevoulait,c’étaitunepromenadedesamba.Jesavaisfaireceladepuisquej’avaissixans.MaisquandYvetas’approchademoiensouriant,jenepusm’empêcherdemelancerdansdeuxbotafogossexyquilafirentglousser.—Stop,stop,stop!hurlaElaine.Qu’est-cequetufais?Monsourires’évapora.Merde!Cen’étaitpaslemomentdedéconner.—Désolé,madameladirectrice,dis-jesolennellement.—Hum,enfaitj’aimebien,dit-elle,l’airsongeur.Refais-le,c’estprovocant.
Gary,faisunecontrabotafoga,avec…lanouvelle…Galina!Garyeut l’air très étonné,mais il prit lamaindeGalinaet laguidadans le
mouvementdedanse,enmeregardant,unsourcilarqué.Jesaiscequ’ilvoulaitdire:«Sitoitupeuxlefaire…»— Je crois que ça fonctionne, dit Elaine en se parlant visiblement à elle-
même.Ash,unesolospotvoltaavecuntouràl’envers,uncoupdefouetetunpaslatéral.Yveta,àtoi!EtYvetanousrejoignit.Àlafindelarépétition,nousnousétionslancésdans
unesortedebattledanslaquellechacundescouplesentraitencompétitionavecl’autre, ajoutant des pas de plus en plus compliqués. Elaine était ravie et lasituationnesemblaitplusaussisombrequ’auparavant.Moinsennuyeusequejel’auraiscraint.—Lepublicvaadorer.Félicitations!Lasueurfonçaitmontee-shirtgrisetlemaquillaged’Yvetaavaitcoulé,mais
nousaffichionsdelargessourires.MêmeGarynesemblaitpasmécontent,mêmes’iltrouvaquelquechosededésagréableàdire:—Çafaitquatreansquejesuislà,etjen’aijamaiseuledébutdelapromesse
d’unduooud’unsolojusqu’àcequetutepointesenremuanttonpetitcul.Jeluifisunclind’œiletildutdétournerlevisagepourdissimulerlesourire
quimenaçaitdes’épanouirsurseslèvres.Honeyserapprochaenessuyantlasueurquidégoulinaitsursapoitrine.—GraceetmoiallonsprendreunverreauVenetian.C’estlaHappyhour…la
pressionestàtroisdollarsetlesmargaritasàcinq.Çavousdit?—TuinvitestoutlemondeouseulementBeauGosseàcôtédemoi?lança
Gary,sarcastique.Honeysoupiraavantdesourirefranchement:—Toutlemonde,biensûr.—OK,j’arrive,dis-je,agréablementsurprisparcetteinvitation.
Après avoir pris une douche et déposé mon linge sale à la blanchisserie de
l’hôtel,jerejoignislesfillesavecGary.Apparemment,ellesavaientcommencésansnousetavaientplusieursmargaritasd’avance.Yvetas’installasurmesgenouxdèsquejefusassis,souslesregardsamusés
deHoneyetGrace.Garypoussaungrandsoupirenlevant lesyeuxauciel.Jedevais la tenir fermementpar leshanchespour l’empêcherde se frotter contremoi. Elle était sexy et son évident intérêt était loin d’être déplaisant, donc jem’amusaisbeaucoup.Lesrelationsentrepartenairesétaientfréquentes,mais jesavaisaussiquecelapouvaitinterférertrèsnégativementdansunetroupesileschosestournaientmal.Elaineavaitlaisséentendrequenouspourrionsavoirunrôle plus important à l’avenir. Pas question de foutre ça en l’air, simplementparcequej’avaisl’occasiondebaiser.Yvetasoufflacontremoncou,électrisantmapeau.Jesecouai la tête,enme
rappelantqueleschosesétaientdéjàbienassezcompliquées.Malheureusement, mon sexe ne s’occupait que de la jolie femme qui se
blottissaitcontremapoitrineetdontlacharmantepetitechattesepressaitcontremonentrejambe.Celafaisaitunmomentquejen’avaispasbaisé.JedéplaçaidélicatementYveta l’asseyant à côtédemoi et avalai avidement
unegorgéedebièreglacéequelaserveusevenaitdedéposerdevantmoi.—Parfait,grognaGary.Jetepaieunebière,BeauGosseetaprès,ceserale
tourdecesgarces.—C’esttoilapiredesgarces!plaisantaHoney.—Jeporteuntoastàcesbonnesparoles,répliquaGaryenlevantsonverre.C’était facile de passer du bon temps autour d’un verre à discuter de danse
commeça.L’heurepassaàtoutevitesse.Trèsvite,ilfuttempsd’allerretrouverVolkov.Mabonnehumeurs’évanouitquandYvetameditqu’enrusse,lenomduboss
voulaitdireloup.Garyarqualessourcils.— Je fais partie de la troupe depuis quatre ans et je n’ai rencontré le boss
qu’uneseulefois.Jemedemandecequ’ilteveut.Il me regarda avec circonspection, mais il y avait aussi une pointe
d’inquiétudedanssesyeux.Jehaussailesépaulesnégligemment,essayantdecacherquemonpoulss’était
accéléré.— Je n’en sais rien.Mais dumoment que je n’ai pas affaire à ce connard
d’Oleg,çameva.Ilmefichelatrouille.Garypressaleslèvressansriendiredeplus.
Yvetaavaitl’alcooljoyeux,maisellefaisaitpresqueunmètrequatre-vingtsetn’était pas facile à relever.Elle se calmaunpeuquandGalina lui rappelaquenous avions un rendez-vous, mais elle se remit à glousser sur le chemin duretour, tanguant dangereusement sur ses hauts talons. Je finis par entourer satailledemonbrasetjelatraînai,avecl’aidedeGalina,aumilieudelafoulequicommençaitàenvahirlestrottoirsencedébutdesoirée.Galina ne parlait pas aussi bien anglais qu’Yveta,mais elle parvint tout de
même àm’expliquer qu’elles s’étaient rencontrées dans une école de danse àSaint-Pétersbourg et qu’elles étaient devenues amies. Devenir danseuse à LasVegas,c’étaitlerêved’Yveta.Ellesetutetrepritenmejetantunregardtendu:—Jenemeplaispasici.Puis elle poursuivit en baissant la voix, même si nous étions dans une rue
bruyanteetpopuleuse.—Oùsontlesautresfilles,cellesquisontarrivéesenmêmetempsquenous?—Jen’ensaisrien.—Tunetrouvespasçabizarre?Je ne savais pas trop quoi lui répondre. Elle me regarda, les lèvres
tremblantes,commesielleétaitprêteàfondreenlarmes.Deretouràl’hôtel,j’attendisdevantlestoilettesdesdamesqueGalinaessaie
defairedessoulerunpeuplussonamie.Trixiem’aperçutalors,appuyécontre lemuretfonçadansmadirection,ses
hautstalonsclaquantsurlesolenmarbre.Elle jeta un coup d’œil inquisiteur àmon pantalon élégant etmon tee-shirt
blanctoutsimple,puisellemefitunbrefsignedetête.QuandYvetaetGalinasortirentdestoilettes,ellelesfixa,lessourcilsfroncés.Yveta se calma instantanément lorsqu’elle découvrit l’expression fermée de
Trixie.Ellejetaalorsuncoupd’œilencoinàGalinaquisemblaitsurlepointdes’évanouir. Sans un mot, nous emboîtâmes le pas à Trixie qui avait pris ladirectiondesascenseurs.Àl’intérieurdelacabine,elleentrauncodeprivéquiconduisaitaupenthouse.—Ne dites rien àmoins quemonsieurVolkov vous pose une question.Ne
répondezqueparouiouparnonetsurtout,souriez!Elleauraitétéuneformidablepom-pomgirl…Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent avec un son feutré et révélèrent deux
armoires à glace, en costume sombre, le visage impassible. Ils montaient lagardedechaquecôtéd’unedoubleporteenchênemassifetauxpoignéesornées.
IlsrestèrentsansréactionquandTrixieleuradressaunlargesourire.—MonsieurVolkovlesattend,dit-elleennousdésignantd’ungeste.Le garde du corps aux yeux clairs ouvrit la porte pour nous en autoriser
l’accès.Onauraitditlejumeaud’Oleg.Celan’auguraitriendebon.Jem’attendaisàentrerdansunbureau,maisau lieudeça,nousétionsdans
unesuiteluxueuse,décoréed’uneépaissemoquetteetàlalumièretamisée.Çaempestaitlafuméedecigareetl’herbe.Jeclignaidesyeuxpourdistinguerquioccupaitlapièceembrumée.J’aperçus
trois hommes et une femme, installés sur un large canapé en cuir. Ils avaientchacununecoupedechampagneàlamain.Undeshommesdétonaitdanslapièceluxueusementdécorée.Ilétaitcouvert
de tatouagesetavaitunebarbe fournie. Ilportaitunevesteencuir surun tee-shirtnoiretdegrossesbottesdemotards.Onapercevaitaussiungroscouteaudechassedansunfourreauaccrochéàsaceinture.Lesdeuxautreshommesétaientencostume. Jen’étaispasun spécialiste,mais ils avaient l’air coûteux.Yveta,qui se trouvait justeàcôtédemoi,poussaalorsunpetitcrid’exclamationquiattiramonattention.—Marta,murmura-t-elle.Lafemmeassisesurlecanapéportaitunhautaudécolletéplongeant,unejupe
trèscourteetdeschaussuresdestrip-teaseuse.Elleétaitégalement lourdementmaquillée.Jenel’auraisjamaisreconnuesiYvetan’avaitriendit.Aumêmemoment,lemotards’esclaffabruyammentetclaquasamainsurla
cuissedeMarta,lafaisantsursauteretrenversersonverre.Celal’amusaencoreplusetilresserrasaprisesursajambe.Lesourired’Yvetasefigeaetellemejetauncoupd’œilinquiet.—Ah,voilàmesjeunesdanseurs,s’exclamal’hommeaucentredelapièce.Paslapeined’êtredevinpoursavoirqu’ils’agissaitdeVolkov.Leloup.Ilportaitbiensonnomavecsesyeuxdorésetsescheveuxgrisquiformaient
uneépaissecrinièreautourdesonlargevisage.Ilétaitlongetefflanquécommeun loup,mais c’était surtout son aura de pouvoir quime confirma que c’étaitbienluileboss.—Asseyez-vous,dit-il,etcen’étaitpasuneinvitation,maisunordre.Je pris place sur le canapé, mais le plus loin possible de lui. J’essayai
d’ignorer son air amusé. Il attendit que les filles soient assises avant de noussouriredetoutessesdents.—Venezplusprès.Vousêtestellementloin,là-bas.Ilfallutquenousnousredressionstousetquenousnousfaufilionsplusprès
denotrehôte.—C’estmieux, rit-il.DesdanseusesdeVegas,etundanseur, timides?Qui
l’eutcru?Etiléclataànouveauderire.—Bon, tudoisêtreYveta, lança-t-il àGalina,mêmesi j’avais l’impression
qu’ilsavaitfortbienquiétaitqui.Ilss’amusaientavecnous.Jemesentisencoreplusmalàl’aiseàcettepensée.
Maisj’essayaidelecacher.Olegn’étaitpaslàaumoins.Maiscelanedurapas.—EttudoisêtreAljaž.Jecroisquetupréfèresqu’ont’appelleAsh.JehochailatêteetremerciaiMartaquimetendaitunverresansmeregarder.YvetaetGalinaétaientinquiètesetéchangeaientdesregardstendus.—Onm’aditbeaucoupdebiendetoi,lançaVolkovenbraquantsonregard
étrange sur moi. Elaine est très satisfaite des répétitions. Elle m’a dit que tuseraisunatout.Jemeforçaiàsourire,merappelantlesinjonctionsdeTrixie.—Merci.— Tu ne me présentes pas tes nouveaux amis, Andrei ? intervint l’autre
hommeencostumequiétaitrestésilencieuxjusqu’alors.Volkovhésitaunefractiondesecondeavantdesourirefroidement.— J’oublie les bonnesmanières. Yveta, Galina, Ash… je vous présente un
collègue,Sergei.C’estluiquiestresponsabledelasécurité.Sergeiselevapournousserrerlamain.Ilavaitlacinquantaine;sescheveux
étaient gris.Comme ses yeux. Ilme sourit, son regard se promenant surmoi,sansciller.—Celadoitêtremonjourdechance.Ouledestin.J’étaissurlepointdelâchersamainquandilresserrasapriseetmecaressale
poignet.Jemelibéraiprestement,lesoufflecoupé,maisilsecontentadesourireplus largement, sesyeuxmortsde requins continuant àdétaillermoncorpsdefaçondélibéréeetostensible.Ilsavaitd’ailleursqu’ilmemettaitmalàl’aise.Je suis danseur. J’ai l’habitude qu’on regarde mon corps. C’est mon
instrumentdetravail,aprèstout.Unoutilparticulièrementefficace.J’aimequ’onm’admire.Mais quand je danse. Pas quand onme regarde comme ça, enmebaisantdesyeuxcommececonnardétaitentraindelefaire.Beaucoupdegenspensent que les hommes qui dansent sont gay. Ce n’est pasmon cas. Je suishétéro.Jemefichedecequefontlesautres.Etsefairedraguerpardestypesfaitpartiedesrisquesdumétierlorsquevousêtesdanseur.Maislaplupartpassentàautrechosequandilscomprennentquevousn’êtespashomosexuel.Jen’aipas
devéritablesamisdanscemilieu,gayoupas ; je suis tropcompétitif.Àpart,Luka,mesvéritablesamisnesontpasdanslemilieudeladanse.Jediraisqu’environsixdanseurssurdixsontgay,quecesoitdansladansede
salon, le ballet classique ou contemporain. Cela fait qu’environ quatre sonthétéro.Jefaisdoncpartied’uneminorité.Celapermetàdestasdetypesquejeconnaisdebaiseravecautantdefillesqu’ilsveulent.Cesontdesloupsdéguisésenagneaux.Maiscen’estpasmoncas.Jenesuispasunmoinenonplusetj’aieu des petites amies.Mais en général, celame complique trop la vie, donc jerestecélibataire.Jepréfèrelescoupsd’unsoirquandlafillesaitaussibienquemoiàquois’entenir.Maismêmeça,cen’estpastropmontruc.Jesuistoujoursen traindedanser,desuivredescours.Sinon, je travaille.Les fillesne restentpassivousneleuraccordezpasassezd’attention.Maprofdedanse,Lelyana,medisaittoujoursquelespectacledevaitêtresur
scène, pas dans la vie personnelle des danseurs. J’avais plus envie de réussirdansmonmétierquedecoucheràdroiteetàgauche.MaisceSergei…J’avaisl’impressionqu’ilsemoquaitdesavoirsij’étaisgay
ou pas. Et cela pourrait rapidement devenir un problème, surtout si c’était unprochedeVolkov.Jereprismaplaceenessayantderelâcherlapressiondansmoncorps.Volkovnes’intéressaitdéjàplusàmoietavaitportésonattentionsurYvetaet
Galina.Ilsdiscutaientenrusse.JemedemandaicequisepassaitavecMarta.Etoùétaitl’autrefille?EllemerappelaittroplapetitesœurdeLuka–c’étaitsansdoutepourcelaque
j’avaisouvertmagrandebouche.—Ilyavaitunefilleàl’aéroport…Lesilencesefitimmédiatementdanslapièce,medonnantl’impressiond’être
en plein sous les projecteurs. La climatisation fonctionnait, pourtant la sueurdégoulinaitdansmondos.— Avec Oleg, balbutiai-je, la bouche sèche malgré le verre que je buvais
régulièrement.VolkovéclataderireetregardaSergei.—Oleg a une copine ? Pourquoi personne nem’a-t-il prévenu ? Faut-il se
préparerpourlemariage?Sonsourireétaitglacial.—Jemerenseignerai,dit-il,visiblementpeuintéressé.J’avais envie de continuer mes investigations, mais je n’étais pas à l’aise.
L’atmosphère s’était considérablement rafraîchie et ces curieux yeux dorés
étaientcommedeslampesetmedonnaientlasensationd’unebrûlureglaciale.Lemotards’agitasurlecanapé,samainsecrispanttellementsurlacuissede
Martaqu’ellepoussaunpetitcri.Sergei, lui, secontentademe fixer– sonvisageétaitcommeunmasquede
cire,sansexpression,totalementimpassible,pourtantcomplètementeffrayant.Monaudaces’évanouitcommeneigeausoleiletl’enviedefuirmesaisit.Le
fait de rester assis et de croiser son regard semblait maintenant exiger uneénormebravoure.
Chapitre3
ASHLa rencontre avec Volkov nous avait tous secoués. Il était évident queMartan’était pas là de son plein gré et elle avait l’air terrifiée. Lemotard était déjàassezeffrayant,maislesRusses…c’étaitlegenredepersonnesqu’onévitaitdetitiller.J’espéraisneplusjamaisavoiraffaireàeux.Trixienousattendaità l’extérieurde lasuite.Ellen’eutpas l’airétonnéede
voirnosvisageschoqués.— Qui sont ces hommes ? demandai-je discrètement, une fois dans
l’ascenseurquinousramenaitaurez-de-chaussée.Ellemeregarda,unsourirecrispéauxlèvres.—Tun’aspasencorecompris?Si,j’avaiscompris.Jerefusaissimplementd’ycroire.—C’estlaBratva.Lamafiarusse.C’étaitYvetaquiavaitparlé.Trixielafixa,sansrépondre.—Cen’estpassigrave.Ilsveulentsimplementfairedesaffaires,voussavez.Galinameprit lamain, la serrant très fort. Je la pressai en retour,même si
j’étaisaussiinquietqu’Yvetaetelle.—Enrevanche,Sergei…ditTrixieenfrissonnantetenréduisantsavoixàun
simple murmure. C’est un salaud, complètement cinglé. Heureusement, je nesuispassongenre,ajouta-t-elleavantdemelancerunregardapitoyé.EtOleg…illesaimejeunes.Trèsjeunes.Elledéglutitpéniblementetfixalesol.— Ils ne viennent pas en général dans la salle de spectacle. C’est la partie
légalede leursaffaires.Celadevraitbiensepasserpourvous.Fermez-laetnevousmêlez pas de leurs oignons.C’est lemeilleur conseil que je puisse vousdonner.C’estçaleshowbiz!ajouta-t-elleenaffichantunsourireforcé.Ildisparutquandellevitquejesecouaislatêtelentement.—Tuferascequ’ontedira,monpetit.Etenl’occurrence,çaveutdirerien.
Tufinirasparcomprendre.—Maisc’estcomplètementdingue!
—Évite cegenrede réflexion, c’est justement cequi risquede te coûter lavie,répliquasèchementTrixie,abandonnantlerôledelablondeidiote.Galina et Yveta avaient l’air d’avoir une conversation silencieuse, elles
semblaientaussiterroriséesl’unequel’autre.UnefoisqueTrixieeutquittélehall,jemetournaiverselles.—Non,maisvousycroyez,vous?Galinadevintencorepluslivideetvacillasursesjambes.—Ferme-la!sifflaYveta.—Mais…—Écoute, dit-elle enmeprenant par le bras pourme tirer endirectiondes
locauxdupersonnel.C’estlaBratva!Ilnefautpasleschercheroulesénerver.Passituveuxresterenvie!Galina déglutit péniblement, hochant la tête pour confirmer ce que disait
Yveta.—Alorsquefaisons-nous?—Cepourquoinoussommeslà:danser.EtYvetas’éloignaenentraînantGalina.Jelesregardaisansdireunmot,me
demandantsielleavaitraison.J’avais pris la décision de demander l’avis deGary.Mais lorsque je rentrai
dans notre chambre, elle était vide. J’attendis quelque temps avant de mesouvenirqu’ilavaitunrendez-vousavecunmusiciendel’orchestre.Tendu et dégoûté par ma lâcheté, je finis par tomber dans un sommeil
tourmenté. Ma dernière pensée fut que je n’avais toujours pas récupéré montéléphoneportable.Le lendemainmatin,Galina etYvetam’évitèrent au petit déjeuner.Honeymeregarda,enhaussantunsourcil:—Querelled’amoureux?—Hein?Elles’assitàcôtédemoi,plaçantdevantelleunboldefruitsetunyaourt.—Pourquoitesnobent-ellescematin?Jeprisunegorgéedecaféavantdedemander:—Qu’est-cequetusaissurVolkov?—Oh,dit-elled’unairentendu.Tuasentendulesrumeurs.Elleétaitaucourant.Ilsl’étaienttous.—Cenesontpasquedesrumeurs.Nousavonsvu…—ÉcouteAsh, jevisàVegasdepuisquelquesannéesetonentend toujours
destrucs.C’estmieuxdenepasyfaireattention.Ilvautmieuxnepasposerdequestions.—C’estcequeTrixiem’adit.—Tudevraissuivresonconseil.Jemefrottailefront.—Mais…Elleposasamainsurmonbrasetmeregarda,l’airsérieux.—Ash,ilvautmieuxnepasposerdequestions.Surcesmots,elleselevaets’éloigna.Del’autrecôtédelapièce,Yvetameregardait,maisellebaissarapidementles
yeuxetfixasatable.Elainenousfittravaillerdurtoutelajournée.Elleavaiteul’idéederajouterunedanselatineauspectacleetcommeseulementtroisd’entrenousconnaissaientlemambo et surtout la salsa, ce fut très long. Nous étions des danseursprofessionnels,malgré tout, c’étaitun rythme trèsdifficileàprendre.Lasalsa,c’est une danse de rue, sans règles particulières, qui ne s’embarrassait pas decompterlespas.Laplupartdesdanseursladétestaient,maismoi,j’adoraisça.Lorsquevouscommenciezàapprendre,lesprofesseursdisaientqu’ilnefallait
danserquetroisdesquatretemps,maiscen’étaitpastoutàfaitça.C’étaitunedansefluide,décontractéeetvousbougieztoutletemps.Ledéhanchementétaittrèsléger,détendu,subtilsurtoutpourl’hommeetl'on
faisait reposer son poids sur un genou partiellement plié. Contrairement àbeaucoupdedansesdesalon,cen’étaitpas le talonqui lançait lemouvement.On commençait la plante au sol, puis on posait le talon lorsqu’on avaitcomplètementfaitreposersonpoidssurlebonpied.Lapositiondesbrasdevaitresternaturelle,sinonc’étaitbizarreetl'ondonnait
l’impression d’être raide. Il fallait que les mouvements des bras suiventnaturellement ceux du corps, mais il fallait les placer un peu au-dessus de lataille.Onpouvaitégalementfairebeaucoupdeportésdanslasalsa.Elaineavaitdû
décider de nous tuer,Gary etmoi, parce qu’elle nous fit tester tous les portéspossibles,eneninventantquelquesautresaupassage.—Encore!cria-t-elle.Grace,bougeplusteshanches.Un,dos,tres.Unpasitopa’delante,Maria.LachansondeRickyMartinrésonnadanslesenceintespourlacentièmefois.
Encore.Etencore.Montee-shirtétaitcolléàmontorseetGaryétaitcramoisi.Lemaquillagedes
filles n’avait pas résisté à la sueur même si nous utilisons tous des fardswaterproof, justement pour cette raison. Mais nous avions répété toute lajournée,passimplementlesdeuxheuresduspectacle.Un,dos,tres.Unpasitopa’delante,Maria.—Etonsourit,rugitElaine.Toutlemondepritunairépanoui.Honeymelançaunregardd’excuselorsque
jemepréparaiunenouvellefoisàlasouleverpourunrollerblinddrop.Elleseplaquacontremoncôtédroitetjesaisislajambequ’ellesoulevaitde
monbraslibre.Jefisdeuxtourscompletssurmoi-même,puisagrippaisacuisseet la laissai tourner sur elle-même en direction du sol, en évitant qu’elle leheurte,biensûr.J’avaisdescrampesetlapeaudeHoneyétaitcouvertedesueur.J’avaisfailli
lafairetomberlesdeuxdernièresfois.Aumêmemoment,GarylaissaéchapperYveta qui chuta lourdement sur les fesses. Elle se mit à lui hurler dessus enrusse.ElaineordonnaàYvetad’allerchercherdelaglaceàmettresursonderrière.
Puiselle se tournaversnous.Nousétions toushaletants, soufflant commedeschevaux de course en plein effort. Nous devions lui faire pitié parce qu’ellefronçalessourcilsetnousannonçalafindelarépétitionpourlajournée.—Bonboulot,aujourd’hui,lesgars,dit-elleduboutdeslèvres.Jenepus retenirun sourire.Nousétions formidableset les spectateursn’en
reviendraient pas. Oui, nous transpirions. Oui, nous en bavions. Mais noussourionsmalgrétout.J’adoraismonboulot.JetapaidanslamaindeGary.Lechoclefittressaillir.— Ce n’est pas mon cul qui a besoin de glace, mais tout mon corps, se
plaignit-il.—J’ai déjà fait ça, répondis-je en faisant tournerma têtepourdétendre les
musclesdemoncou.— Oui, moi aussi. Nous ne pouvons pas faire ça ici, mais nous pouvons
essayerdenousfairemassersilesfillesnesontpasdéjàoccupéespardesclientsdel’hôtel.—C’estvrai?Ceseraitgénial!—J’appelleraiunefoisquenousseronsdouchésetjedemanderaisi…Garys’interrompitenouvrantlaportedenotrechambre.
—Qu’est-ceque…Je pénétrai dans la pièce derrière lui, découvrant à mon tour la chambre
dévastée.—Oh,monDieu,chuchotaGaryens’accrochantàmonbras.Nos vêtements jonchaient le sol et ils avaient été commedécoupés avec un
couteau.Enm’approchant,jedécouvrisquecen’étaitpaslesvêtementsdeGaryquiavaientétéréduitsàl’étatdelambeaux,maislesmiens.Toutcequejepossédaisavaitétédétruit,mêmemeschaussures.—Jevaisappelerlasécurité,murmura-t-il.Jehochailatête,incapabledeprononcerunmot.Jecommençaiàfouillerdans
lesrestesdemesvêtements,à larecherchedequelquechosequiauraitpuêtresauvé.Maisiln’yavaitrien.MoniPodavaitdisparu,ainsiquemonportefeuilleavecmacarted’identitéàl’intérieur–mêmemoneaudetoiletteavaitétévolée.Jem’assissur le lit,medemandantconfusémentpourquoi lesaffairesdeGaryn’avaientpasététouchées.Maisquand la sécuritéarrivadansnotrechambre,une sensation terribleme
submergea;j’avaiscompriscequisepassait.Sergeipénétradanslapièce,secouantlatêteendécouvrantledésordrequiy
régnait.—OhSeigneur,maisquidoncapufaireça?Entoutcas,j’aidelachance,
dit-iltoutsourire.Jevaispouvoirdécouvrirtachambre.Ilme jeta un regard ironique ;Oleg, quant à lui, resta planté et observa la
scène.Jedusserrerlespoingspourcontenirmacolère.—Nous allons chercher qui a fait ça et lui faire payer cher, bien entendu,
lança-t-il.En tantquechefde lasécurité, jemesensresponsable.Mais jesuisconvaincuquejepeuxtoutarranger.Ses yeux se posèrent sur mon tee-shirt toujours plaqué contre mon torse à
causedelasueuretilseléchaleslèvres.—Si tu ne te senspas en sécurité dans cette chambre, nous en fournissons
d’autresaupersonnelquisaitsemontrer loyal,ajouta-t-ilenmeprenantparlecoudeetenmefixantostensiblement.Ilfitglisserundoigtsurmonavant-brasetmeserralamain.Dégoûté,jefis
unpasenarrièreetheurtaimahanchecontrelelit.—Jenesuispashomo,dis-jevivement,espérantqueçasuffiraitàletenirà
distance.Ilmesouritcommes’ilnemecroyaitpas.Macolèremontaencored’uncran.
Cela me rappelait aussi mon père, c’est-à-dire la raison pour laquelle je me
trouvaisici.—Etalors?Tun’asqu’àvoirçacommeunefaçondefaireplaisiraupatron.Etilmesouritànouveau.Jenevoulaispasqu’ilsacheàquelpointilmeperturbait,alorsjecroisailes
brassurmapoitrine,essayantd’ignorersonregardposésurmonentrejambe.—Ah,Aljaž,tudevraisvraimentvérifierquisonttesamis.—Qu’allez-vousfaireàproposdetoutça?Toutestfoutu.Sergeihaussalesépaules,lesyeuxbrillants.—Quisait?Toutestaffairedechoix.Ilfautfairelesbons.Ils’interrompitetillaissatraînersonregardsurmoiavantd’éclaterd’unrire
sarcastique.Puisilsepenchaversmoientapotantseslèvresfinesd’undoigt.—Jepeux t’offrirunechambreplus…confortable?Plus luxueuse?Non?
Ehbien,c’estdommage.Nouspourrionsdevenirdetrèsbonsamis.Jetedonnelanuitpouryréfléchir.Préviens-moiquandtuauraschangéd’avis.Puisilquittaleslieux.Garypassaunemaintremblantesursonvisage;sapeauétaitverdâtre.—Cemecest…—Jesais.Ildéglutitavecdifficultéetregardalaporte.—Qu’est-cequetuvasfaire?— Je peux t’emprunter un truc ? J’ai un peu d’argent de côté, je pourrai
m’acheter…commençai-je avantde jurer. Ilsontprismescartesdecrédit ! Ilfautquejelesannule.Tupeuxmepassertontéléphone.Garyhochalatêteetmetenditsonappareil.Celamepritpasmaldetempsde
réglercetteaffaireetGaryenprofitapourrassemblermesvêtementsdéchiquetésdansdessacs-poubelle.Ilétaitprèsdedeuxheuresdumatinquandnouspûmesnouscoucher.Gary
coinçaunechaisesouslapoignéedelaporte.Cen’étaitpasgrand-chose,maisilsesentaitmieuxcommeça.Jecroisqu’aucundenousdeuxnefermal’œilcettenuit-là.Ilmeprêta le lendemaindesvêtementsdesport.Aumoins, ilmerestait les
chaussonsdedansequej’avaisauxpiedslaveille.C’étaitmieuxquerien,maisilfallaitquej’enachètepourlespectacle.Ainsiquetoutlereste.J’avaisdécidéd’allerfairedushoppingaprèsletravailavecGary.Ilm’avait
ditqu’ilconnaissaitplusieurssolderiesoùjepourraismeprocurer toutcedontj’avaisbesoin. Il acceptamêmedemeprêterde l’argent le tempsque je règlemonproblèmedecartesbancaires.
Mais lorsque nous nous rendîmes à la répétition, Sergei m’attendait encompagnied’Oleg.—J’aibesoindetel’emprunterquelquesheures,dit-ilensouriantàElaine.Ellen’avaitpas l’air trèscontente,maisellene fit rienpour s’yopposer. Je
n’avaispasd’autrechoixquedelesuivre.Ilmeconduisitvers l’entréedes locauxdupersonnel.AvoirOlegdansmon
dosmefichaitunetrouillebleue.Jemedemandaicequ’ilfaisaitavecnous.Jemedoutaisbienqu’iln’étaitpaslàsimplementpourfairejoli.Nousnousarrêtâmesdanslacuisine.Sergeidésignauncuisinierasiatiquedu
doigt.—C’estluiquis’estintroduitdanstachambre.L’hommeavait l’air terroriséet ilcommençaàparlerà toutevitessedanssa
langue en reculant. Quand il fit volte-face, prêt à s’enfuir en courant, Olegl’attrapaparlebrasetlejetacontrelemur.Etilcommençaàlebourrerdecoupsdepoing.Encoreetencore.Illefrappaméthodiquementjusqu’àtransformersonvisageenunebouilliedechairetd’os.Les autres cuisiniers avaient pris leurs jambes à leur cou et moi, je restais
plantélà,àregarderunhommeenbattreunautre,jusqu’àpresqueletuer.Sansrienfaire.Sansriendire.Jenepouvaisqueregarder,totalementpétrifié,gardantunsilencehorrifié.Oleg finit par laisser l’homme tomber par terre, comme la carcasse d’un
animaldansuneboucherie.Puisilselavatranquillementlesmains.Pour la première fois de ma vie, j’avais assisté à autre chose que la
méchancetéoulastupiditéqu’oncroisetouslesjours.Ilnousarrivededire:«jevaisletuer»,maisnousnelepensonspasvraiment.Pourlapremièrefoisdemavie,jedécouvraislemalpersonnifié.J’eusl’impressionquedesdoigtsglacésétreignaientmoncœurlorsqueSergei
feignitdepousserunsoupir.—CesCoréens, touslesmêmes…Ehbien,problèmerésolu.Bon,quefaire
pour tesvêtementsmaintenant?Mêmesi jepréfèrerais tevoirnu,dit-il avantd’éclaterderire.Horrifié, je fis un pas en arrière,maisConan se tenait juste derrièremoi et
passasonbrasépaisautourdemoncou,mecoupantlesouffleavecunerapiditéquirévélaitsonexpertisedanscedomaine.Lapressionexercéesurma trachéeaugmentadesecondeenseconde.Jeme
débattisdetoutesmesforcesenlefrappantavecmesbrasetmesjambes,mais
c’étaitcommesijem’attaquaisàunroc.— Tu n’es pas très gentil alors que je viens de te faire une sacrée faveur,
commentaSergeipendantquejeluttaispourrespirer.Ilsouritetattrapamonsexequ’ilserratrèsfort.—Jesuiscertainquenousallonsdeveniramistrèsvite,chuchota-t-ilàmon
oreille.Detrèsbonsamis.Unvoilenoirtombalentementdevantmesyeux.PuisConanmerelâchaetje
tombai à genoux, la respiration sifflante. Mon sang bouillonnait de rage etd’humiliation, mais la peur me calma rapidement. J’avais envie de tuer cesalaud,maisjenevoulaispasmourir.C’estuncauchemar!S’ilvousplaît,monDieu,faitesquejemeréveille!Lesémotionsextrêmesquej’éprouvaismedonnaientlevertige.Jesecouaila
têtepouressayerd’éclaircirmavisionetarrêterlesifflementdansmesoreilles.Marespiration redevenaitpeuàpeunormaleetConanmeredressa.Sergeimeregarda en souriant et il tapa dans ses mains comme un présentateur de jeutélévisé.—Allez,onvafairedushopping!J’étaistoujoursdanslecirage,maisenvoyantsonvisagehilare,unevaguede
fureurpuremesubmergea.Jeserrailesdentsenessayantdeconservermoncalme.Danserétaittoutpour
moietjenecomptaispluslesfoisoùjel’avaisfaitmalgréladouleur.C’étaitcequ’il fallait que je fasse maintenant, que je danse malgré la douleur. Poursurvivre.—Olegvanous trouveruneboutiquepour acheter cedont tu asbesoin. Je
seraisprêtàpayertrèscherpourtevoirdanser.J’aibeaucoupdechancequetule fasses pour nous, lança-t-il tout sourire. Oh, seigneur, tu vas me devoirbeaucoupd’argentunefoisquetuaurastesnouveauxvêtements.Commentvas-tumerembourser?Sesyeuxbrillaientdedésiretdemalice.Ledégoûtquiavaitdûapparaîtresur
monvisageleréjouitvisiblementbeaucoup.Jememordisl’intérieurdelajouejusqu’ausang.Jevaismetirerd’ici,medis-je.Jesurvivraiàça.Etcesalaudpaierapour
toutcequ’ilafait.Jelejure.—Oùallons-nous?demandai-jed’unevoixtotalementmonocorde.Jenesavaismêmepaspourquoijefaisaisça.Peut-êtrequejemedisaisquesi
jeparlaisnormalementàcepsychopathe, il…jenesaispas…secomporteraitnormalement?Jenevoulaispasmourirdanscettemisérablecuisine.
—Tuverrasbien,répondit-il,méprisant.Ilnousconduisitversl’extérieur,enjambantaupassagelecorpsimmobiledu
cuisinier,qu’ilignoratotalement,commesic’étaitlapoubelleàsortir.Jejetaiuncoupd’œil,maisjeneréussispasàvoirs’ilrespiraitencoreoupas.Dehors,Oleg prit le volant d’une limousine et pendant les deux heures qui
suivirent,nousfîmesdescourses.C’étaitunefaçondememontrersonpouvoirsurmoi,jelesavais.J’observai, levisagefermé,Sergeimefaireparaderdansplusieursboutiques
deluxe,choisissantpourmoilestenueslespluschères.Chaquefois,ilsoupiraitethaussaitlessourcils.—OhSeigneur.Tumedoisdéjàtellement.Maisnet’inquiètepas,jeseraiun
amitrèsgénéreux.Il passait alors sa langue sur ses lèvres lentement, de manière suggestive,
commes’illéchaituneglace…ouunequeue.Celamedonnaitenviedevomir.Partout, Oleg était là, une présence silencieuse qui nous suivait de près, le
regard fouillant continuellement autour de lui, la bosse sous son aissellerappelantqu’ilétaitarmé.Pendant cette tournée des magasins de luxe, mon esprit n’arrêtait pas de
tourner,des’agiter,decomploter,cherchantunmoyendem’échapper.Mais Oleg veillait, se plaçant stratégiquement devant les issues dans les
magasins. Je savais qu’il fallait que je m’échappe, mais je n’avais pas detéléphone,nid’argent,etplusdecarted’identité.Jeneconnaissaispersonneici,jen’avaisaucunamiversquimetournerpour
m’aiderdanscettefoutueville.Lukaétaitentournéeetmonpère…Ilavaitclairementfaitcomprendrequ’il
nevoulaitplusrienavoiraffaireavecmoi.Monpoulss’accéléraquandj’aperçusdeuxtypesenuniformedelapolicede
Las Vegas. Oleg dirigea alors sa main vers son arme, me faisant passer unmessage trèsclair.Sergeise rapprochademoi, soufflant sonhaleine fétidesurmajoue:— Ce ne serait pas très intelligent de faire ça, gloussa-t-il. Et ce serait
dommageablepourcesjoliesfillesavecquitudanses.Jemefigeai.JemesentaisdéjàcoupablepourcequiétaitarrivéauCoréen.Je
neprendraispasderisqueaveclesfilles.Jem’efforçaiàresterimmobile,maisintérieurement, jesuppliaislesflicsde
regarderdansmadirection.Quandilsdisparurentauloin,Sergeiéclatad’unriremoqueur.
—Tun’esvraimentpaslehérospourlequeltuteprends.Ilavaitraison.Jen’avaisrienfait.J’étaisunlâche.Mes épaules s’affaissèrent. Le téléphone d’Oleg semit alors à sonner et je
l’entendisprononcerlenomdeVolkovquandil tendit l’appareilàSergei.Ilsemit à parler rapidement en russe, mais ses petits yeux gourmands ne mequittaientpas.J’avaisl’impressionquec’étaitdemoiqu’onparlaits’ilcontinuaitdemefixercommeça.Jelaissaitombermatêtedansmesmains.Qu’est-cequejevaisfairemaintenant?Desgenssefaisaientbattrecommeplâtre,onenretenaitd’autresenotageset
nous,nousfaisionsdescourses.C’étaitécœurant.Sergeiraccrocha.Pendantquenousnousdirigionsversunenouvelleboutique,
il donna une tonne d’instructions à Oleg. Cette fois, c’était un magasin defournituresdedanse.Celameredonnaunpeulemoral.C’étaitunlieufamilieravecsesodeursdecuir,d’huiledecocopourlespieds.Celamerappelaitqu’ilyavaitquelquechoseau-delàducauchemarquej’étaisentraindevivre.Olegnenoussuivitpasàl’intérieur,maisrestasurleseuil,secontentantde
hocherlatêteàquelquechosequeSergeiluiavaitdit.Jenecomprenaispastrèsbiencequisepassait.C’étaitunesortedejeu,jele
savais,maiss’ilsavaientl’intentiondemetuer,pourquoicontinuercecirque?C’étaitunefaçondememanipuler,demeretournerlecerveau,demebriser.
JesavaisqueSergeivoulaitcoucheravecmoi.C’étaithorsdequestion.Plutôtmourir.Mêmes’ilétaitfortpossiblequ’ilappréciecetteexpérience.J’essayai d’ignorer la façon dont il me regardait et choisit une paire de
chaussons de danse latine avec le talon réglementaire de cinq centimètres ; jeprisaussideschaussuresverniesdedansedesalon.C’étaitmesoutilsàmoi.Les chaussures de danse de salon ressemblent à des pompes normales pour
hommesaufquelasemelleestendaimetqu’ellessontbienpluslégères,mêmeavec la tige centrale en métal pour les renforcer et le rembourragesupplémentaire.Jechoisislesmeilleuresparcequ’undanseurpeutseblessergravementavec
deschaussuresbonmarché.Mesderniersachatsobligatoiresétaientunpantalonde danse latine et un tee-shirt noir àmanches longues avec un sous-vêtementintégré.LesAméricains appellent ça desmantys, c’est-à-dire une culotte pourhomme.La fascination qu’exprimait le visage de Sergei alors que je choisissais ce
vêtementmeretournaànouveaul’estomac.Ilavaitleregardfixésurletee-shirt
etleslipintégré;celaressemblaitunpeuàunteddypourfemme.C’étaitunpeuétrange au départ lorsque vous enfiliez un. Nous en utilisions tous : celamaintenaitparfaitementlepénisettoutleresteetdonnaitunealluresansaucundéfautàlasilhouette–sanspandechemisequidépassaitlorsquevousdansiez.Mais il n’arrêtait pas de me regarder. Cela commençait à m’inquiéter
sérieusement.Une fois nos achats terminés dans la boutique de fournitures de danse, son
humeurchangea.L’ironie permanente, les sous-entendus, les allusions sexuelles furent
remplacésparquelquechosedebienplussombre.En tant que danseur professionnel, j’avais souvent été confronté à la
méchanceté. J’avais l’habitude des costumes déchirés, des chaussonsintrouvablesavantd’entrersurscène.J’avaisvudesgensdélibérémentcoincéspard’autresdansuncoindescènepourqu’ilsnepuissentpasdanserleurrôle.J’avais été témoin de toutes les formes demépris, de jalousie ou de coups depoignard dans le dos. Je croyais vraiment avoir tout vu.Mais plonger dans leregarddecethommec’étaitcommeavoirunaperçudel’enfer.OlegouvritlaportièredelalimousineetSergeiseglissasurledouilletsiège
encuirenpoussantunsoupirdesoulagement.Puis,iltapotalaplacelibreàsescôtés.J’écarquillailesyeux.—Vienst’asseoir,ordonna-t-il.Papaaenviedejouer.Ilécartalesjambesenm’adressantunlargesourire.Ohputain!Jerestaiplantésurplace,figéparledégoûtetlaterreur.Olegm’envoyaalors
unviolent coupdepoingdans les reins.Ladouleur aiguë sediffusadans toutmon corps. Je poussai un petit cri et jem’effondrai sur le siège arrière de lalimousine,monvisageàquelquescentimètresdel’entrejambedeSergei.—Parfait!Iléclataderireetplaçasamainsurmanuque,collantmonvisagecontresa
braguette.Ilbandaitetjeréprimaiunhaut-le-cœurenessayantdetournerlatête.—Quelpetitingrat!dit-ilenriantànouveau.J’entendisunpetitbruitmétalliqueetjesentisquelquechosedefroidvenirse
poseràlabasedemanuque.Jesavaisqu’ils’agissaitd’unearme,mêmesijenepouvaispaslavoir.Jemepétrifiai,lecœurbattantfollement.—Personnenepeuttevoiràtraverslesvitresteintées,dit-ilsurletondela
conversation.Onnet’entendpasnonplus.Etdevinequoi?Toutlemondes’enfoutraitdetoutefaçon.Tun’esqu’unautredecesinnombrablesetinsignifiants
migrantssansvisage.Ilappuyaencoreplusfermement lecanondesonrevolvercontremanuque,
l’enfonçantdansmachairalorsqu’ilcommençaitàlefaireglisserlelongdemacolonnevertébrale.—Et dire que je t’ai acheté tous ces beaux vêtements. Eh bien, il fautme
remercier convenablement maintenant, dit-il aimablement. Ce n’est pasbeaucoupdemander.Tunecroispas?Lapressionqu’ilexerçaitsurmanuqueserelâchaetjeparvinsàmeredresser.
Mesmusclesétaientbandés,prêtsàl’action,prêtsàfuir.Sergeisouritsournoisement.—Lesportièressontverrouillées,maistupeuxlevérifier,situveux.Oh,tu
trembles. Pauvre garçon ! Je vais le faire pour toi alors, poursuivit-il enactionnantlespoignéesdelavoiture.Tuvois,c’estfermé.Ils’appuyaànouveaucontreledossier,sonarmetoujoursàlamain,lesyeux
fixéssurmoi.Iladoraitchaquesecondedecetteconfrontation.C’étaitungrandmaladequiprenaitsonpieddanscespetitsjeuxdepouvoir.J’allaismourir.—Baissemabraguette.J’avais labouchesèche.J’avaisenviedecrier,mais jenepusémettrequ’un
faiblecoassement.—Vatefairefoutre!—Oui,c’estbiencequej’avaisentête.Onvacommencerparunepipe.
Chapitre4
ASHToutcequejepouvaisfaire,c’étaitlefoudroyerduregard,luimontrertoutelahaineetledégoûtqu’ilm’inspirait.Moncœurbattaitlachamadeettoutenmoimepoussaitàmebattreouàm’enfuir.Sergeipoussaunsoupird’agacement.Ils’emparademamainetlacoinçacontrelaportièreàl’aidedesonrevolver.—Sijedoistedemanderunenouvellefoisdebaissermabraguette,jetecasse
undoigtetjetecasserailesautresunparunjusqu’àcequetufassescequejetedis.Oualors je te casserai le pied.Tu esundanseur, tudois savoir ça,Aljaž,combienya-t-ild’osdansunpiedhumain?Jecroisqu’ilyenabeaucoup.Jesecouailatête,monsoufflebloquédansmagorge.—Vatefairefoutre!répétai-je,plusfortcettefois.Ilassénaungrandcoupdecrossederevolversurmonauriculaire,brisantles
os net. Une douleur fulgurante me traversa et je poussai un hurlement, enessayant de retirer ma main, mais il me frappa une seconde fois et le bruitécœurantdesosquiéclataientdansmonindexretentitdanslavoiture.—Jenesuispastrèspatientcommemec,grogna-t-il,enouvrantsafermeture
Éclairetensortantsonsexeenérection.Suce-moi!—Jevaisl’arracheravecmesdentsettelecracheràlagueule!criai-je,ma
vuetroubléeparl’intensitédeladouleur.Jeluttaipourresterconscient,enmeréfugiantdanslecoindelalimousine,les
yeuxbrûlantsdehaine.J’étaissurlepointdepéteruncâbleetdemejetersurcesalopard. C’est ce que j’aurais fait s’il ne m’avait pas tenu en joue avec sonrevolver.Jehaletai,larespirationhachée,etmeslèvress’étirèrentdansunrictusrageur. J’aurais voulu avoir une arme, j’aurais voulu le tuer et débarrasser lemondedesaprésencenuisible.Ilpoussaunautresoupiretappuyasurunbouton,entraînantladescentedela
vitrequiséparaitl’arrièredesplacesàl’avant.Surlesiègepassagerétaitassiselafillede l’aéroport, la très jeunefille,dont jeneconnaissaispas lenom.Sonvisageétaitmaculéparleslarmesetelleavaitunœilgonfléàmoitiéfermé.Lapeau de ses bras et de son cou étaitmeurtrie demarques violettes et ellemeregardait avec une expression suppliante, désespérée. Sa bouche semblaitarticulerdesmotssilencieux.
Instinctivement, jeme penchai vers elle,mais Sergeime balança une gifle,m’obligeantàreportermonattentionsurlui.—Suce-moietaveclesourire…oujelaisseOlegl’achevercettefois.Celui-cientouralecoudelajeunefilledesamainetcommençaàserrer.Ses
yeux semblaient exorbités et des petits vaisseaux sanguins explosèrent faisantrougir le blanc, mais ses pupilles continuaient à me fixer, à m’observer, mesuppliantdeluivenirenaide.Sespetitesmainsseplantèrentdanslesgrossespattesd’Oleg,maiscelalefit
rire.—Letempspasse…chantonnaSergei.—Enfoiré!Je donnai un grand coup de poing dans le dos du siège avant, totalement
impuissantetfouderage.—C’estcequemamèremedisait,dit-ildansunsourirequis’élargitencore
quand il eut jetéuncoupd’œil à la jeune fille.Oh,Seigneur, elle estdevenuetoutebleue.Jenepensepasqu’elletiendralecouplongtemps.Lecorpsdelajeunefilles’affaissadanslesmainsd’Oleg,maisilcontinuaà
maintenirlapression;sesénormesdoigtssecrispèrentencoreautourducoutrèsfinetdesspasmessecouèrentlecorpsdelafille.J’avais envie de vomir et l’odeurmusquée du sexe de Sergei empuantissait
l’atmosphèreconfinéeduvéhicule.Le corps de la jeune fille tressaillit à nouveau et je memis à hurler, mais
Sergeisecontentademesourireendésignantdesamainarméesonsexedressé.Jepressailespaupièrespourneplusvoirlafille.Deslarmesd’indignationme
brûlaientlesyeux.Jemepenchaietpris sonsexedansmabouche.Si jene regardaispas, cela
pourraitresterirréel.Mais jepouvais lesentirdansmabouche, le respirer, legoûter. Il s’enfonça
profondémententremeslèvresetjefusprisd’unhaut-le-cœur.Puisilm’arrachadescheveuxentirantbrutalementdessus.—Hmm,ondiraitquetuasdéjàfaitçaavant.Nefaispasdemalàlafille.Nefaispasdemalàlafille…Sonpetitsexecommençadesva-et-vientdansmabouche,mefaisantmonter
les larmesauxyeux. Ilprenait sonpied, je lesavais.Sonmembre tressaillitetquand il jouit dans un petit soupir, son sperme salé vint se répandre sur malangue.Jemereculaibrutalement,incapablederéprimermonhaut-le-cœurcettefois-
ci,etjevomissursesgenoux.Ilhurladerageetabattitbrutalementlacrossedesonarmecontrematempe.
Cegestemefitbasculerenarrièreetmatêtevintheurterlavitredelavoiture.Des étoiles dansaient devant mes yeux, j’étais à deux doigts de perdre
connaissance.—Tumelepaierastrèscher!glapit-il,puisilhurlaquelquechoseenrusse.Lalimousines’arrêtaquelquetempsplustardetlorsqu’Olegmetirahorsdela
voitureparmamainbrisée,ladouleurexplosaànouveau.Çayest.C’estlafin.J’enétaisabsolumentcertain.Jenepouvaispasdirepourquoi,maisdetoute
façon,c’étaitmieuxcommeça.Je tombai à genoux sur le sol en béton, certain que je prenaismon dernier
souffle.Jecrachaisurlespiedsd’Oleg.Dévoréd’unehaineviolente,jerelevailatête et plantai mes yeux dans les siens. Tout semblait tellement dérisoiremaintenant:mesrêves,toutcequej’avaisdéjàaccompli…Toutétaitréduitàuntasdecendresdevantmoi.J’allaismourirsurunsolenbéton.Unepairedechaussuresbrillantessurgitalorsdansmonchampdevisionetle
soncaractéristiqueducrandesûretéqu’ondéverrouillemefitreleverlatête.Jefixai le canon de l’arme de Sergei, attendant qu’il tire, attendant qu’uneexplosion de lumière se termine dans les ténèbres. Son doigt se crispa sur lagâchette aumoment où nos regards s’accrochèrent. Il fronça les sourcils et saphalange semit à trembler.Mon ventre se tordit, toujours dans l’attente de laballe.Maisellenevintjamais.Sergeifitdemi-touretquelquessecondesplustard, la limousinedémarra.Je
clignaidesyeux,choqué,soudaintotalementconscientdecequim’entourait.Lafille ! Je luttai pourme remettre debout, essayant devoir si elle était toujoursvivante,maislesvitresteintéesm’empêchèrentdevoiràl’intérieurduvéhiculeetjerestaiplantélà,àregarderlavoitureprendredelavitesseets’éloigner.Jem’effondrai ;monvisageetmesmainsentrèrentencontactaveclebéton
froid. J’étais trop fatigué pour bouger. Je fermai les yeux. J’étais de nouveauprochedel’inconscienceetjel’attendaisavecenvie–ceseraitunebénédiction.Mais les souvenirsdecequivenaitd’arriver commencèrent à remonter à la
surface et mon estomac se révolta à nouveau. Je crachai une gorgée de bileacide.Mavuesevoilaànouveau–jesentislesangcoulerdelablessureàlatêteprovoquée par le coup de crosse. De nouveaux haut-le-cœur secouèrent monestomac,maisjenepouvaisplusrienvomir.Jecrachaissimplementdelasalive.Mavisions’obscurcissaitrégulièrementetj’avaismalabsolumentpartout.Mes
doigtscassésressemblaientàdeuxbrindillestordues.Jem’assisavecprécaution.Jesuisvivant.J’éclataiderire.Puisjememisàpleurer.Jenesaispascombiendetempsje
restaiassiscommeça,auborddelacrisedenerfs.Quandjeparvinsenfinàmaîtrisermesnausées,jem’agenouillaientremblant
detousmesmembresetessayaid’observercequim’entouraitàlafaiblelumièredel’éclairaged’unparkingsouterrain.Lessacscontenanttousnosachatsétaientéparpillésautourdemoi.Jetouchaimablessureàlatêteavecmamainvalideetmesdoigtsrevinrentcouvertsdesang.Monautremainpulsaitsansrépitetjelatenaiscontremapoitrine. Jemedemandai si jepouvais trouverquelquechosequipourraitmeservird’attellesetavecquoijepourraislesattacher.Mes pensées volaient dans toutes les directions, je n’arrivais pas à me
concentrer sur quelque chose de précis ou pour agir en conséquence. Je mesentaissouilléetviolé,dégoûtéau-delàdecequiétaitpossible.J’avaistoujoursungoûtdevomissuredanslaboucheetjecrachaissurlesolrégulièrement.Moncorpstremblaitviolemmentsousl’effetduchoc,deladouleuretdel’adrénaline.Je fermai les yeux quand une nouvelle vague de nauséesm’assaillit. Jeme
penchaienavant,posantmamainvalidesurmongenouenessayantderégulermarespiration.Jevaism’ensortir.Jemerelevaienhurlant:—Jevaism’ensortir!—Ilyaquelqu’un?demandaunevoixdefemmequimefitfairevolte-face,
manquantdeperdrel’équilibre.—Oh,c’esttoi,Ash?Est-ceque j’étaisAsh?Jenesavaisplusvraiment. Jen’étaisplusceluiqui
étaitarrivéàLasVegas.Nimêmeceluiquis’étaitréveillécematin.LestalonsdeTrixieclaquèrentsurlesolenbétonquandelleserapprochade
moi.Elleportaitunpantalonrosevif.C’était totalement surréaliste que je sois planté là à la regarder comme un
imbécile.Jefrissonnaidefroid,encorenauséeux.Sesyeuxdérivèrentvers lesangquimaculaituncôtédemonvisageetvers
mesdoigtstordusquejeserraistoujourscontremapoitrine.—Oh,souffla-t-elle.C’estSergeiquit’afaitça?—Tulesavais?demandai-jeenlaregardantsoudaindanslesyeux.Ellehochalatête.
—Ilm’aappeléeafinquejeviennetechercher.Sontonétaitdevenutrèsprofessionneletfroid.Ellen’avaitpasl’airchoquée
dutout.—Jesuisdésolée.—Ilyavaitune jeune fille,dis-je, lavoixcasséeencore.C’estOlegqui la
garde…—Écoutecequejetedis,mecoupa-t-ellesèchement.Oublietoutcequetuas
vuetentendu.—Mais…—Tunem’écoutespas,siffla-t-elle.Tun’aseuqu’untoutpetitaperçudece
dontilssontcapables.Situtiensàlavie,oublietout!Ellesebaissapourramasserlessacsetcommençaàs’éloignerenmartelantle
soldesestalons.Jerestaisurplace.Jedevraisappelerlapolice–Seigneur,ilfallaitquejefasse
quelquechose.—Écoute,aboya-t-elle,enseretournant,leregardmauvais.Tuasunephoto
prouvantcequi t’estarrivé?Unevidéosur ton téléphone?Non,biensûrquenon.Tu n’as aucune preuve !Etmême si quelqu’un acceptait de t’écouter, tuseraismortavantquelejourselève.—Ill’atuée!Jelesais!Çanetefaitrien?—Cequimefaitquelquechose,c’estdenepasêtrelasuivante,répliqua-t-
elle,furieuse,àvoixbasse.—Alorsjemetire!Jevaispartiretallerenparleràquelqu’un.J’achèteraiun
billetenligneet…—Ilsvonttesurveiller…etjetedéconseilledefaireconfianceàlapolice.Tu
n’yarriverasjamais,coupa-t-elled’unevoixcassante.Elleme fixa, soutenantmon regard sans ciller. Jepassai unemain lasse sur
monvisage,frustré.Celaattirasonattentionsurmesdoigtsbrisés.—Jevaism’occuperdetoi.Jesecouailatête.—Ildoitbienyavoirunmoyendemetirerdelà!—Biensûr,monchéri.Lespiedsdevant,lança-t-elleavantdem’adresserun
petitsourire.Avecunpeudechance,Sergeit’oubliera.Puisquetuluiasdonnécequ’ilvoulait.—Jeneluiairiendonnédutout!crachai-je,lesyeuxétrécisparlacolèreet
larageauventre.—Oh,dit-elledoucement.
—Quoi?Dequoiparles-tu?Elleignoradélibérémentmaquestion.—Jemetireraid’ici.Ellehaussalesépaules,visiblementpeuimpressionnée.—C’estcequ’ilsdisenttous.Quandellefitdemi-touretcommençaàs’éloigner,jenesavaispastropquoi
faire.Jen’avaisaucunendroitoùaller.Alors,pourcettefois,jelasuivis.J’essayai de bien enregistrer la topographie des environs et d’oublier ma
douleur.Nousétionsdanslapénombre,ilyavaitpeudelampesallumées.Desvoitures
luxueuses étaient rangées dans des espaces numérotés : des Porsches, desFerraris,uneAstonMartinetdeuxcoupésJaguar.J’avais peur. J’avais beaucoup de chance d’être encore en vie. Mais si je
continuais à poser des questions à propos de la fille, je ne le resterais paslongtemps.Peut-êtrequesijetenaisàmavie,jeferaisbiendesuivrelesconseilsdeTrixieetmelafermer.Maispouvais-jefaireça?Jen’enétaispascertain.Etqu’arriverait-il à cette jeune fille si elle était toujours en vie ? Où allaient-ilsl’emmener? Il fallaitque j’enparleàquelqu’un,maisenquipouvais-jeavoirconfiance?Jebouillonnaisderageetdefrustration–ilnefaudraitpasgrand-choseafin
quej’explose.Etsitufaisça,tuesmort.J’étaisunputaindelâche.—Ondiraitquetut’estrouvédesfringuessympas,lançaTrixieenfouillant
danslessacs.Jelafixai,interloqué,lesangcontinuantàdégoulinerlelongdemonvisage.
Vingt minutes auparavant, je pensais que j’allais mourir et maintenant Trixiesouriait et faisait des blagues. Elle refusait de voir mon sang et mes doigtscassés–ellenevoulaitriensavoirdel’agression,voiredesdeuxmeurtres,dontj’avaisétéletémoin.Celan’avaitaucunsens.Jesecouailatête,complètementperdu.Jen’avaisplusconfianceenrien.Ellemeconduisitaupostedesecoursdelasalledespectacle.J’entendaisles
danseursquirépétaientsurlascèneetjesentaislesvibrationsdelamusique.Jeréalisaisoudainquecetteréalitécohabitaitaveclaviolencedontj’avaisété
témoincesdernièresheuresetquec’étaitlesmêmespersonnesquienétaientàl’origine.
Danser,enpublic,c’étaitmavie.Maistoutcelaavaitétésouillé.Trixie fronça lessourcilsen regardantmamainquiavaitdoublédevolume.
Les doigts que Sergei avait cassés avaient pris une teinte violette etressemblaientàdeuxsaucissesKranjska
4.
—Nousallonsmettredelaglace.Trixie me guida jusqu’à un tabouret et m’ordonna de m’asseoir pendant
qu’elleallait chercherdeuxpacksdeglacedans legros réfrigérateur. Jeplaçaimamainentrelesdeuxpacks,letempsqu’ellenettoielaplaiedematête.—Tuaurasunecicatrice,dit-elle.C’estcachépartescheveuxheureusement,
maistuauraiseubesoindepointsdesuture…Elles’interrompit.—Maisjen’enauraipas.—Voilà,tucommencesàcomprendre.Nousnousobservâmespendantplusieurslonguessecondes.CefutTrixiequi
détournaleregardlapremière.Lorsquemamaincommençaàdégonfler,ellemedébarrassadesdeuxpacks
deglacesansmedirecequ’elleallaitfaire.Elles’emparademesdoigtset lesredressad’unseulgeste.La douleur fut insupportable et des papillons noirs voletèrent devant mes
yeux.Jenesavaispassij’allaistomberdanslespommesouvomir.Finalement,jenefisnil’unnil’autre,maisjevacillaisurmonsiège.Pendant
cetemps,Trixieimmobilisamesdoigtsgrâceàdesattelles,commeunepro,etlesemmaillotadansungrospansement.Jesupposequ’ellenefaisaitpascelapourlapremièrefois.— Garde les attelles pendant sept jours. Après, il faudra que tu fasses
quelques exercices pour assouplir tes doigts.Et dans cinqou six semaines, ilsserontcommeneufs.J’acquiesçaid’unhochementdetête,maisjebouillaisderageàl’intérieur.Il
faudraitquejetrouveunmoyend’arrêtercessalauds.D’unemanièreoud’uneautre.—Tuferaismieuxd’allerrépéter.Jenebougeaipasdemonsiège,leregardfixésurelle.Ellehaussalesépaules
etquittalapièce.Jerestaiassisquelquesminutesàregardermesdoigtsbandés,puisjepris la
direction des coulisses. Elaine ouvrit la bouche en me voyant, elle semblaitfurieuse.Maisquandellevitlesangsurmontee-shirtetmamainpansée,elleneditrien.Jecrusmêmevoirunelueurd’émotiondanssonregard,maiscommece
futtrèsbref,jen’enétaispascertain.—Soisprêtdansdixminutes,lança-t-elle.Deux doigts cassés, un mal de tête tenace, une plaie au crâne qui aurait
nécessitédespointsdesuture,descôtesdouloureusesàcausedescoupsdepiedet…jenevoulaispaspenseraureste.Elainen’étaitpastrèscontentedemevoir.Peut-êtrecraignait-ellequeSergei
traîne plus dans les parages maintenant. Rien que de penser à ce que Trixiem’avaitdit,lenœuddansmonventresereforma.Quand les autres danseursmedécouvrirent, unbrouhaha choqué flotta dans
toutelapièce.Elainelesrepritvivementettoutlemonderetournaàsaplaceenmejetantdesregardsinterrogateursaupassage.Pendant un instant, je crus qu’Yveta allait dire quelque chose, mais elle se
morditleslèvresetsetut.L’expressiondeGarysetenditquandilvitlesangsurmonvisageetmamainenflée,maisilneprononçaaucunmotluinonplus.Onauraitdituneépidémiedesilence.Etj’étaisaussiaffectéquelesautresparcettemaladie.Jemeréveillaiavecl’impressionquej’étouffais,quelamaind’Olegétaitautourdemoncou.Jedonnaiuncoupdepiedinvolontaireetquelqu’uncria.—Aïe!Espèced’abruti!Haletant, les mains tremblantes, j’allumai la petite lampe de chevet et je
découvrisGaryaccroupiaupieddemon lit, lamainsur sonnezquipissait lesang.—Qu’est-cequinetournepasrondcheztoi?gémit-il,enprenantladirection
delasalledebain,lesanggouttantsurlamoquettebonmarché.Jerejetaibrusquementlescouverturesetjelesuivis.—Qu’est-cequetum’asfait?—Quoi?Qu’est-cequemoij’aifait?C’estmoiquiperdstoutmonsanglà!Savoixétaitétoufféeparlegantmouilléqu’ilpressaitsursonvisageetson
nez,quifaisaitdéjàledoubledesataillenormale.—Tuhurlais et tu te débattais dans ton sommeil. J’ai essayé de te secouer
pourteréveillerettuasfaillimecasserlenez!Oh,merde.Jepassaimamainvalidedansmescheveuxtrempésdesueur.J’avaisdûrêver.
Je croyais qu’Oleg revenait me chercher, qu’il allait essayer de me tuer,comme…Je ne voulais pas aller au bout de ma pensée, mais la sensation d’avoir le
soufflecoupé,d’avoir la trachéeécrasée…cette impressionsetortillaitcommeuneanguilleaufonddemoncrâne.Et ses yeux… les yeux de la jeune fille : je les voyais tout le temps, me
suppliantdel’aider,delasauver.—Jesuisdésolé,dis-jemaladroitement.Jefaisaisuncauchemar.—C’esttoilecauchemar!Jenepouvaispasluienvouloir.C’étaitchiantuncolocatairequisemettaità
hurlerlanuitetqui,quandtuessayaisdeleréveiller,tecollaituncoupdanslenez.Jem’emparaid’uneservietteetcommençaiàépongerlestachesdesangsurla
moquette.Garys’assitauboutdesonlit,leganthumidetoujoursplaquécontresonnez.Jerelevailatêteet jelesurprismeregardant,maisilsecontentadehausser
lesépaules.—Queveux-tuque je tedise ?Tues complètement à lamasse,mais tu es
supersexy.Apparemment,ilmepardonnait.JecommençaisàmerendrecomptequeGary
aboyaitplusqu’ilnemordait.Jefisungesteendirectiondesonnez.—Ilestcassé?—Non.Dieumerci.Monchirurgienplastiquepiqueraitunecrise.C’étaitquoi
cecauchemar?demanda-t-ilenmeregardant.—Oleg.Garyfrissonna.—Beurk,cemonstre.N’endispasplus.—Jerêvaisqu’ilmetuait…—NEDISRIEN!Jegrimaçaienentendantcesmots.— Personne ne veut rien savoir. Cet endroit est pourri. La peur ici c’est
comme…uncancerquiestàl’intérieurdechacun.Commentpeux-tusupporterça?—Cen’étaitpasàcepointavant,confessaGary.J’aipeur.Etc’estlecasde
toutlemondeaprèscequit’estarrivétoutàl’heure.Tusaiscequejevaisfaire?Riendutout.Jen’airienvu,rienentenduetjenedirairien.—Mais…LavoixdeGaryseréduisitàunmurmure:—Lesgensdisparaissentmystérieusement.Monprécédentcolocataire,Erik,
était comme toi. Il pensait pouvoir tout changer. Un jour, il n’était plus là.Officiellement,ilestrentréchezluienPologne.Officieusement,rienn’estmoinssûr.IlseditqueSergeiaenviededevenir lecheficietqu’avecl’aided’Oleg,celapourraitbienarriver.C’estuneluttedepouvoirenfait.Ettoi,monvieux,tut’esmisjusteaumilieuduchampdebataille.Garyabandonnalaservietteetserecoucha.—Cetteconversationestterminée.Etsituteremetsàcrierdanstonsommeil,
jetebalanceunverred’eauglacéedessus,c’estplussûr.Gary remonta la couverture sur lui et se coucha sur le côté, dos à moi en
soupirantostensiblement.JevenaisdemefaireengueulerparuntypeenpyjamaHelloKitty en colère. Mon cerveau était hyper actif après tout ce qui s’étaitpassé,maisj’avaismalpartout.Jerestaiallongédanslelitétroitenm’efforçantdemecalmer.J’allaisattendredecomprendrecomment toutfonctionnait icietaprès…—Hé,Gary!—Qu’est-ceque tuveuxencore?demanda-t-ild’unevoixparticulièrement
agacée.—Jepeuxt’empruntertontéléphone?Ilfautquej’envoieunmail.Garygrommelapendantquelquessecondesavantdemebalancersonappareil.—Je te le redisencoreune fois, faisattentionàqui tu impliquesdanscette
histoire.Ceshommessontdangereux.Jem’assis,letéléphonesurlesgenoux.J’écrivisunmailàLuka,luirésumant
rapidement ce que j’avais entendu et vu. Je nem’attendais pas à une réponserapide, il était en tournée,mais dans lesminutes qui suivirent, ilme répondit.Sonmessageétaitcourtetsansambiguïté:Vavoirlesflics.Jejetaiuncoupd’œilàGarydontlesronflementssonoresrésonnaientdansla
chambre;sonnezgonfléamplifiaitencorelebruit.C’estimpossible.Laréponsearrivaquelquestempsplustard:J’ai 1000 euros. Ils sont à toi, mon frère, si tu en as besoin. Je peux
achetertonbilletderetourquandtuveux.J’avais très envie de lui demander de se procurer ce billet, mais sans mes
papiers,c’étaitpeineperdue.Jefermailetéléphoneetm’étendisànouveau.Cependant,chaquefoisquejefermaislesyeux,jevoyaislevisagedelajeune
fille.J’avaisenvied’extirpercetteimagedemoncerveau.Auboutd’uneheurede cette torture, j’étais prêt à m’arracher mes propres yeux. Puis je finis par
glisserdansunsommeilpeupléderêveshorriblesetsombresquiaffleuraientàmaconscience;mapeauétaitparcouruedefrissonsglacés.Ma vie n’avait pas été qu’un champ de roses jusqu’à maintenant, mais je
n’avais jamais eu peur. Tout le monde finit par mourir. Tout le monde.Maisj’avaisvraimentcruquemadernièreheureétaitarrivée.Etjen’arrêtaispasd’ypenser.Jenesavaisplusvraimentquij’étais.Toutcequejevoulaismaintenant,c’étaitressentirautrechosequecettepeurparalysante.Deux mois auparavant, mon plus gros souci était que Jana rompe notre
partenariat.Aujourd’hui,un tueurde lamafiacomplètementcingléenvisageaitsoitdemebaisersoitdemetuer.Lelendemain,lavierepritsoncourscommesiderienn’était.LenezdeGaryétait encore vaguement enflé, mais il n’y fit pas allusion. À la table du petitdéjeuner, personne ne m’adressa la parole ou ne vint s’asseoir près de moi.MêmeGarygardaunsilenceinhabituel.Puis Trixie entra dans la pièce et les conversations étouffées s’éteignirent
complètement.—MonsieurVolkovveuttevoir,dit-elleenclaquantdesdoigts.Personne n’osaitme regarder,même si je vis queGaryme lançait un coup
d’œilinquietavantdesedétournerrapidement.Jen’auraismêmepaspudirecequejeressentais.Jenesavaismêmeplussij’espéraissurvivreàtoutça.Cettefois,TrixiemeconduisitaubureaudeVolkovoùiltrônaitcommeunroi
ensonroyaume.—CepetitmalentenduavecSergeiestregrettable,dit-ilensepenchantpour
voirmamain.Queveux-tu,ilnepeutpasrésisterquandilrepèreunejoliepetitegueule,mêmesijedoisbienavouerquetunemefaisaucuneffetàmoi…Neleprendspasmal.—Je leprends trèsbien, finis-jepargrogneraprèsune longuepausequi fit
froncerlessourcilsàVolkov.—Donc,nousn’enparlonsplus,d’accord?Si jevoulais l’ouvrir,c’étaitmaintenantou jamais,mais j’avais l’impression
quemalangueétaitparalysée.—Sergeim’aditquetunousdevaisdel’argent?Volkovparlait d’une voix égale, agréable, l’odeur de la violence dissimulée
parcelled’uneeaudetoilettecoûteuse.—Je…mesvêtementsontétévandalisés.—Peut-êtrepréfèrerais-tulerembourserdirectement?
Je comprenais trèsbien cequ’il suggérait et pendantun instant, je crusquej’allaisvomir.Jem’abstinsderépondre.—Oualors je lui remboursecequetu luidoiset toi, tumepaiesaprès.On
peutsefairedetrèsbonspourboiresentravaillantdanslaboîtedenuit.Jefronçailessourcils;jenecomprenaispas.—Despourboires…Entantquedanseur?Volkovsourit.—Vaprendreunverreaubaraprèslespectacle.Tuverras,lesfemmes,dans
lepublicvont tepayersansproblème.Tut’occupesd’elles, tu leurfaisplaisir.Tuvoisoùjeveuxenvenir?Ils’arrêta,lesyeuxfouillantlesmiens.—Jepensequecen’estpasdanstonintérêtdedevoirdel’argentàSergei.Ou
àmoi.Maisc’esttoiquivois.Maintenant,jecomprenais.J’étaisenenfer.
Chapitre5
LANEYTrente-sixjoursplustard—C’estridicule!Tun’espasenétatd’alleroùquecesoit!Collin était fou de rage. Il était là debout, soufflant comme un taureau en
colère,lestendonssaillantsursoncouépais,uneveinebattantsursonfront.—Partouslessaints,Laney!Appelleetannuletoutça.C’estLasVegas.Ce
n’estpassiimportantpourtoi.Jelefixai,leslèvrestremblantesdecolère.Jedétestaisavoirl’airfaiblequand
j’étaistellementénervée.—Non,cen’estpasimportant!Jelesaistrèsbien!C’estseulementmavie.
Mavienormale.—Nesoispasaussimélodramatique,semoquaCollin.—Jenelesuispas.Pasdutout,maisquelledifférencecelafera-t-ilsijereste
ici ? Je ne changerai pas, quel que soit l’endroit où je me trouve. Autantm’amuseralors.EtçafaithuitmoisquenouspréparonsçaavecVanessaetJo.J’aienvied’yaller.—C’estridicule,ditCollinànouveau,visiblementfurieuxquejenesuivepas
son avis. Je ne peux pas t’accompagner à Vegas. Je travaille. J’ai desresponsabilités.Prendredesrisquescommeçaavectasanté,c’estégoïste.Jeleregardai,bouchebée.—Tucroisvraimentquejesuiségoïste?Celamefaisaitdelapeinequ’ilpenseunechosepareille.Nemeconnaissait-il
doncpas?—Oui,toutàfait,jetetrouveégoïste.Jenepourraipasm’occuperdetoisitu
vaslà-baset…—Jenetedemandepasdet’occuperdemoi,jen’enaipasbesoin.—Biensûrquesi,aboya-t-il.Nous nous regardâmes par-dessus la table de la cuisine.Cemaudit fauteuil
roulant.Lesgensmeréduisaientàcelatropsouvent.Je pris une grande inspiration. Si je restais calme, cela le rassurerait ou du
moins,celadonneraitplusdepoidsàmonargumentation.Jedétestaisparlerdemonétatdesanté.C’étaittropennuyeux.
—Jenesuisplusuneenfant.Jepeuxtrèsbienmedébrouillerseule.Collinrejetacequejevenaisdedired’unreversdemain.—Comment?Commentvas-tut’yprendrepouremportertonfauteuiljusqu’à
l’aéroport?Ettesbagages?Est-cequetuyasmêmesongé?Jemesentaisinsultéequ’ilpuisseavoiruneaussimauvaiseopiniondemoiet
qu’ilcroiequejenepouvaisrienorganisersanssonaide.Collinsecoualatête.—Jemesouciedetoi,c’esttout,dit-ilsuruntonmoinsdur.—Alors, arrêted’essayerdemecontrôler et laisse-moivivremavie,dis-je
doucement.LesarticulationsdeCollindevenaientblanchestellementilserraitsatassede
café,commesic’étaitunebouéedesauvetage.—C’estcequetupenses?Quej’essaiedetecontrôler?—Parfois,oui.Jesaisquecen’estpascequetuentendsfaire…maisjeveux
alleràVegas.—Trèsbien, répondit-il sèchement, enposant sibrutalement sa tasse sur la
tablequeducaféserenversasursamain.Tuneveuxpasquejete«contrôle»?Ilmimalesguillemetsavecsesdoigts.—Pasdeproblème. J’enaiassez,Laney.Tellementmarre.Toutceque j’ai
essayédefaire,c’estdet’aideretchaquefois,jemefaisattaquer.Ilselevaetmetoisadesalargecarrure.—C’estfini,jenem’occupeplusdetoi.Puisils’emparadesavesteettournalestalons.J’entendis claquer la porte de mon appartement, me laissant seule, dans le
silence.—Maisjeneveuxpasquetut’occupesdemoi,dis-jeàlapiècevide.Laney la nulle, c’est comme cela qu’onm’appelait à l’école. Je voulais un
petitami,pasunenounou.Collinavaitraisonenpartie.Cen’étaitpasfaciledevoyageravecunfauteuil
roulant.Ilfallaitêtretrèsorganisé,envisagertoutesleséventualités.Combiendepersonnesvoyageaient avecdes rustines pour réparer unpneu crevé à part lescyclistes,biensûr?Ilavaitfalluquejepaieunmédecinpourmefaireuneautorisationconfirmant
quej’étaisapteàmedéplacerparcequ’ilfallaitquejem’adapteauxconditions.Je devais réserver un taxi capable de transporter mon fauteuil, équipé d’unerampe et d’un système de levage. Il fallait que je prévoie mon accueil àl’aéroport, en espérant qu’il n’y ait pas de problème sur le lieu et l’heure derendez-vous. J’aurais pu demander de l’aide àmes amis ouma famille, mais
justement, ce n’était pas le but. J’avais vingt-neuf ans et j’étais une femmeindépendante. Je ne voulais pas dépendre des autres sauf si je ne pouvais pasfaireautrement.Mais il fallait que je choisisse ma compagnie aérienne avec soin. Les
règlements et les lois n’étaient pas toujours bien adaptés, contrairement à cequ’ondisait.Labonnevolontéétaitaussiimportante,sinonplus.Je devais informer la compagnie aérienne du type de handicap dont je
souffraisetdumodèledemon fauteuil roulant.Ceuxquiétaientpropulsésparlesmainsétaientbienplussimplesquelesélectriques,dontlesbatteriesétaientun vrai casse-tête pour la compagnie. Chaque partie du fauteuil devait êtreétiquetée àmon nom, si une venait à disparaître. J’espérais pouvoir garder lecoussin avecmoi dans l’avion.Et je pouvais compter sur un embarquement àproximitédel’endroitoùmonfauteuilseraitrangéensoute.J’avaispassédeuxheuresàréorganisermesconditionsdevoyage.J’avaisfait
lagrimaceendécouvrantlafacture,mêmesiunepartieétaitpriseenchargeparmon assurance. Par expérience, je savais aussi qu’il ne fallait pas se fier auxmails. Avoir quelqu’un directement en ligne permettait d’obtenir demeilleursrésultatsengénéral.Maispastoujours.— Avez-vous la possibilité de vous déplacer sur une courte distance,
Madame?L’employéedelacompagnieaérienneparlaitpoliment,vérifiantchaquepoint
desalistedequestions.—Pasaujourd’hui,répondis-jeensoupirant.—Parfait,Madame,nousvousferonsembarqueravantlesautrespassagers.Il
faudrasimplementvousprésentertroisheuresavantl’heurededécollage.J’espéraisquelacompagniemesurclasserait.Celaarrivaitparfois.Maissice
n’était pas le cas, je demanderais un siège proche d'un hublot.Cela paraissaitplus simple d’avoir une place vers l’allée… jusqu’aumoment où la personneassiseprèsduhublotdevaitserendreauxtoilettesetvousenjamberpouryaller.La place près du hublot permettait dem’y appuyer lors de l’atterrissage en
plus.J’appelai enfin l’hôtel pour leur demander s’il disposait de chambres pour
handicapés.—Àl’étageleplusbas,s’ilvousplaît.Iln’yaplusd’ascenseurencasd’incendie.Et comme j’avais vraiment tout prévu, je demandai à l’hôtel quelle était la
largeurdesportesdeschambrespourhandicapés,ycompriscelledelasallede
bain.Pas lapeinede réserverunechambreetdedécouvrir surplacequemonfauteuilnepassaitpasl’entrée.Pourlemoment,toutallaitbien.Siladoucheétaitdeplain-pied,ilsn’étaientpascertainsqu’ilyaitunfauteuil
roulant adapté disponible. Je demandai poliment qu’ils se renseignent, maisfourraiplusieurssacs-poubelledansmavalise.S’illefallait,jepourraisprotégerlecoussindemonfauteuilainsi.Cen’étaitpaslameilleuresolution; lessacs-poubelle glissaient sous les fesses. C’était souvent le meilleur moyen de secasserlafigure.Enfin,j’emportaiunepairedegantspourpousserlefauteuil.C’étaitétonnant
lavitesseàlaquelleilss’usaient.Ma valise était déjà à moitié pleine, il fallait que je pense maintenant aux
vêtements qu’un voyage à Las Vegas exigeait. Je pensais prendre mon jeanskinnyfavori,maislesvêtementsamplesétaientbienplusconfortableslorsquenousétionsassistoutelajournée.C’estennuyantd’êtreaussiraisonnable.Jen’étaispasobligéed’utiliserunfauteuilroulanttoutletemps,seulementles
jours–ou lessemaines,voire lesmois–où j’étaisencrise.Jenepouvaispasmarcheralors.Mêmerespirerétaitdouloureux.Aujourd’hui,j’étaisdansunesituationintermédiaire:marchermefaisaitmal.
Mêmememettresurmespiedsmedemandaitplusieursminutesetm’arrachaitdes larmes. Je haletai péniblement, essayant d’éteindre l’incendie qui brûlaitdans mes articulations en priant afin que les médicaments fassent effet etcalmentlasouffranceaiguë.Certains jours,unesimplecannesuffisait,pourque jemedéplace lentement
comme une vieille dame, grimaçant de douleur à chaque pas, en essayant, envain,deredressermesépaulespouréviterdepasserpourunebossue.Maislesautresjours,laplupartenfait,j’étaiscommen’importequellefemme
devingt-neufans,maisunequiportaitdeschaussuresconfortablesetprenaitsesmédicamentsavecunerégularitéimpeccable.Assise à mon bureau ou à la table d’un restaurant, je me sentais presque
normale.J’avais prévu de danser avec Vanessa et Jo en baskets, celles avec des
semelles recouvertes d’un gel spécial. Il était inconcevable dans mon état deporterdestalonshauts,laplupartdutemps,maisceweek-end,jeseraiscapabled’enmettre.JejetaiunregardàmesLouboutinsabandonnéssouslachaisedelachambre
et je souris. Leurs semelles rouges peu discrètes me faisaient de l’œil. Je ne
pouvaispeut-êtrepasmarcher,mais jepouvais frimer avecmeschaussuresdeluxe.Etl’ironiedelasituationnem’échappaitpas.
Jeconstataissouventamèrementquelehandicapentraînaitunepertededignité.Ilyavaitlesportesquevousnepouviezpasatteindre,cellesquiétaienttrop
lourdesàouvrirenpositionassise, lesboutiquesoù ilétait impossibled’entreret, si vous y parveniez, la circulation était très difficile – n’oublions pas lesrampes trop inclinéesoumalpositionnées. II y avait également les regardsdepitiéouirritésdesgensquibutaientsurvous,ceuxquivoulaientbienfaire,maiss’y prenaient trèsmal en parlant avec toutes les personnes autour de vous envousévitantsoigneusement.Maislepiredanstoutcela,c’étaitlestoilettespourhandicapés.Isolées,salesetterribles.Ilyavaitcellesquidéfiaientl’entendement:avecdesescaliers,deuxrampes
inaccessibles, des portes qu’on ne pouvait pas ouvrir, assis dans son fauteuil,sans poignées où s’accrocher ou avec des poignées fixées trop haut, ou…J’auraispucontinuerainsiindéfiniment.Maiscelaavait-illemoindreintérêt?J’étais écarlate et je transpirais abondamment lorsque j’atteignis enfin ma
ported’embarquementàO’Hare.Lesmusclesdemesbrasétaienttétanisésparl’effort, mon cou et tout mon dos me faisaient mal. Je devais contrôler monbagage àmain, en équilibre instable surmes cuisses crispées. J’étais très prèsd’admettrequeCollinavaitraison,maisjerefusaisdereconnaîtremadéfaite.Quelquechoseenmoi restait convaincuquecelavalait lecoup :LasVegas
allaitêtreextraordinaire.—Voyagez-vousseule,Madame?L’hôtesseàlaported’embarquementnesemblaitpasoutrageusementinquiète,
maisunpeusurprisedemevoirnonaccompagnée.—Oui, souris-je, j’ai laissémon ami à lamaison.C’est unweek-end entre
filles.Ellemeréponditparunsourirepoli.—Jevaism’occuperdevotreembarquementenpriorité,Madame,sivousle
voulezbien.Alors qu’elle s’emparait de son téléphone, mon moral plongea
dramatiquement.Jedoutaisfortementd'avoirtoujoursuncompagnonenrentrantà lamaison. Collin était tellement en colère, plus que je ne l’avais vu depuislongtemps.Maisj’ignoraisquelleétaitlaraisondecettefureur.Pourquoicelale
gênait-ilautantquejevoyageseule?Voulait-ilquejerestedépendantedelui?N’aurait-ilpasdûseréjouirquejenebaissepaslesbras?J’étaisdugenre«çapasseouçacasse».N’aurait-ilpasdûêtrefierdemadétermination?Jesecouailatête.Peut-êtrequej’étaiségoïstedel’inquiéter.Maisquelrisque
prenais-jeenmerendantdansunhôteloùunecartebancaire résolvait tous lesproblèmes?Non,j’avaiseuraisonderestersurmespositions.Jedépendaisdéjàbeaucoup
d’autrespersonnes.J’avaisbesoindeceweek-end.Plusdifficilec’étaitdem’yrendre,plusimportantildevenait.Pour faire le premier pas, je lui envoyai un selfie pris devant la porte
d’embarquementavecuncourtmessage.J’ysuispresque.Jet’aime.Mon doigt plana au-dessus du bouton « envoyer ». Je relus deux fois le
messageeteffaçailestroisderniersmotsavantdel’envoyer.J’avais l’impression de courir un marathon, mais malgré mon angoisse, ou
peut-êtregrâceàmonorganisationminutieuse,lacompagnieaérienneassura.Trois heures plus tard, j’étais assise près d’un hublot, observant O’Hare
devenir minuscule au fur et à mesure que l’avion prenait de la hauteur.L’enchevêtrementplutôtlaiddebâtimentsenbétonetdepisteslaissalaplaceàdesnuagescotonneuxquisepressaientcontreleplexiglas.Quatreheuresetdeuxfilmsplustard,l’avionamorçasadescenteàtraversla
barrièredenuagesetlepaysagepâleetdésoléduNevadavintàmarencontre.Lesableetlapoussièreparsemésdepetitsespacesherbeuxlaissèrentlaplace
àdes routes rectilignespuisàdes immeubles trèsélevés.Labrumedechaleurtransformaitlesmontagnesentoiledefondfantomatique.Demonpetithublot, jevoyais lePyramidHotelqui scintillait sous le soleil
impitoyable,rappelantlafonctionpremièredecetteville.LasVegas.Cesimplenomfaisaitnaîtretoutunfaisceaud’espoirsmêlésdedramesetde
paillettes hollywoodiennes, et peut-être un peu d’obscurité, suggérée par desfilmsquiavaientromancélesaspectslesmoinsreluisantsetlesplussombresdelacité.Aujourd’hui, ce nom évoquait aussi un lieu accueillant pour le tourisme
familialetj’étaisvenueprofiterdessoinsauspaetdesbainsdesoleilauborddela piscine avec mes amies. J’en profiterais aussi pour aller voir quelquesspectaclesetoui,biensûr,dépenserquelquesdollarsauxmachinesàsous.J’étaistrèscontentederevoirVanessaetJo.Maisj’étaisfatiguée;autantde
m’êtrefaitdusouciquepourlevoyagelui-même.Etjen’étaispasencoredansmachambre.Unnœudseformaalorsdansmonestomac:montransfertjusqu’àl’hôtel était-il prêt ? Le changement de réservation avait-il déjà été fait ? Ceweek-endserait-illedésastrepréditparCollin?— Nous allons commencer notre descente sur l’aéroport international
McCarrandeLasVegas.Désastreoupas,j’allaisbientôtlesavoir.L’avion se posa dans un dernier soubresaut brutal et les passagers
commencèrent à se lever et à fouiller dans les compartiments à bagages au-dessusdeleursiège,impatientsquelesportess’ouvrent.Jelesobservai,attendanttranquillementjusqu’àcequejesoisladernièredans
l’appareil. En général, les gens en fauteuil roulant débarquaient les premiers,mais comme j’avais demandé une place près d’un hublot, c’était plus simpled’attendrejusqu’àcequetoutlemondesoitsorti.Unstewards’approchaavecunfauteuilroulantlégerquiallaitmepermettre
degagnerl’aéroportetderécupérerlemien,robuste,vieux,noiretfidèle.C’estlemomentquejecraignaisleplus.Jemedéplaçailentement,grimaçant
dedouleurquandmesarticulationsprotestèrentet tressaillantquandmespiedstouchèrentlesol.— Je peux vous aider ? demanda le steward, en observant ma pénible
progression.—Non,ilvautmieuxquejemedébrouilletouteseule,répondis-jesurunton
bref,lesdentsserréesparladouleur.Merci.Je soulevai les accoudoirs etglissaimaladroitementd’un siègeà l’autre, les
bras tremblants sous le poids de mon corps. Je laissai échapper une petiteexclamation et un soupir de soulagement enme laissant enfin tomber dans lefauteuil.Lestewardavaitl’airaussisoulagéquemoietnouséchangeâmesunsourire
complice.—BienvenueàLasVegas!
Lorsquelesgensvoientunfauteuilroulant,ilsvousregardentavecpitiéouavecdégoût.Une toute petite partie d’entre euxme traitaient comme n’importe qui : ils
étaientplutôtindifférents.Et il y avaitmes vieux amis qui avaient cessé depuis longtemps de voir le
fauteuiletnes’intéressaientqu’àmoi.
—Laney!Tout lemonde se retourna en entendant les cris perçants deVanessa qui se
dirigeaitversmoi,titubantsursestalonsdetreizecentimètres,lestéeparlepoidsconsidérabled’uneénormevalise.—OhmonDieu!Est-cequecesontdesLouboutins?Jesuistellementfière
de toi ! s’écria Vanessa, me serrant tellement fort contre elle que je ne pusréprimerunegrimacededouleur et un rire enmême temps.Etpourquoi es-tudansceVieuxTasdeTôle?ajouta-t-elleendonnantuncoupdepieddansunedemesroues.—Aucuneidée,cesontdeschosesquiarrivent,répondis-jeengrimaçant.—Tupourrasboireaumoins?—Biensûrqueoui!répondis-jeenriant.—Dieumerci!Nousavonsvraimentbesoindenouséclater!Envérité, jen’étaispascenséeboireavecmesmédicaments,maisceweek-
endétaitdédiéàladétenteetaulâcher-prise.Jeprendraisunoudeuxverresetjeferaisattention.Laplupartdutemps.Êtredansunfauteuilroulant,ivre,n’étaitpasuneexpériencequejesouhaitais
revivre,mêmesilesouvenirquej’enavaismefaisaitencoresourire.Vanessapensaitvisiblementàlamêmechose.—J’essaieraidenepas tepousserdansunefontainecette fois,dis-jeen lui
adressantunlargesourire.Jedevraispeut-êtreajouteruneceinturedesécuritéàcetruc.—Jepourraist’attacheraufauteuil,remarquaVanessa,enmefaisantunclin
d’œil.—Tupensesàuntruccoquin,Ness?—Non,tun’espasmongenre.Désolée,machérie!—Commentsefait-ilque tusoisà l’aéroport, jecroyaisque tonvoldepuis
Seattleavaitatterridepuisdeuxheures.Vanessalevalesyeuxauciel.— En effet, mais pas mes bagages. J’ai attendu le vol suivant. Enfin, peu
importe, j’ai tout récupérémaintenant.Même si celanem’aurait pasdépludedevoirrefairemagarde-robeici.Je souris. Vanessa avait une joie de vivre contagieuse. Rien ne ruinait son
moraltrèslongtemps.— Bon, par quoi commençons-nous ? Les machines à sous, le dîner ou
danser?LesouriredeVanessas’évanouitsoudain.
—Oh,désolée,j’avaisoubliéquetuétaisdanstonfauteuil.Jelaprisparlamain.—C’estunedeschosesque jepréfèrechez toi.Tunevoisquemoi,pas le
fauteuil. Et tu vas danser, crois-moi ! Je veux te voir secouer ton popotin ettravaillertondéhanché.Tun’ycouperaspas!Vanessas’agenouillaàcôtédemoisurlesolduretm’enveloppadélicatement
desesbras.—Nous allons nous éclater ! dit-elle avant deme jeter un petit coup d’œil
sournois.Etcommeondit :cequisepasseàLasVegas, resteàLasVegas. Ilfautquenoustetrouvionsunbeaugosse.J’éclataiderireendésignantmonfauteuil.—Jecroisquej’aipeudechancesqueçaarrive.Enplus,tun’oublieraispas
Collin,parhasard?Vanessaseredressabrusquement.—SaintCollin?Commentpourrais-jel’oublier?JelevailesyeuxaucielenentendantlesurnomqueVanessaluidonnait.—Ilestgentil!— C’est un rabat-joie. Chaque fois que je le rencontre, il me donne
l’impressiond’êtreunedélinquante.—Iln’apeut-êtrepastort,répliquai-jeenriant.Maisjesoupiraiaussienmerappelantnotredisputejusteavantquejeparte.—J’ail’impressionquenousavonsplusoumoinsrompu,pourlemoment.—Plusoumoins?Commentça?JeracontaiàVanessanotreéchangeetsesyeuxsemirentàbrillerdecolère.— Il a vraiment essayé de t’empêcher de partir alors qu’il savait que nous
serionslà?Jehaussailesépaulestristement.—Ilm’aditquej’étaiségoïste.—Quelcon!—Jenesaispas,Ness.Jemedisaisqu’ilavaitpeut-êtreraison.Ils’inquiète
beaucouppourmoiet…— Non, il se trompe, répliqua fermement Vanessa. Il devrait te soutenir
inconditionnellement.—C’estcequ’ilfait,c’estjusteque…—Non,Laney!Situavaisenviedefairedelachutelibre,ildevraitt’aiderà
réaliser ce rêve, pas te dire que c’est impossible ou trop dangereux, tout letemps.Cen’estpassavie,maislatienne.
—Jesais,mais…—Plusde«mais»,saufsic’estdanslaphrase«metslamainauxfessessexy
etmuscléesd’uncowboy!»Marchéconclu?Ellemetendit lamainet je laserrai,ensouriant.Ellearrivait toujoursàme
dérider.—Marchéconclu.Unedemi-heureplustard,nousétionsàl’hôteletjepusenfinmedétendre.Ma chambre était exactement comme je l’avais demandée et totalement
équipéepourleshandicapés.Ilsm’avaientmêmetrouvéunsiègepourladouche.Je donnai un pourboire à l’homme quim’avait conduite dansma chambre. Jedécidaiquesitoutcontinuaitsurcettelancée,j’écriraisàladirectiondel’hôtelpourlesremercier.—Ilétaittrèsmignon,constataVanessaendéfaisantmavalise.Tuveuxque
jet’aideàtepréparer?—Tuenasfaitassez,dis-je,reconnaissante.— Ce n’est pas ce que je te demande, répliqua Vanessa, en haussant un
sourcil.As-tubesoind’aide?—Çavaaller.Merci,madouce.Vanessa me fit un clin d’œil et m’envoya un baiser avant de prendre la
directiondesachambre.Jo serait bientôt là. Nous devions nous retrouver toutes les trois dans ma
chambre et après, nous irions prendre un verre avant de tester lesmachines àsous,dedîneretenfind’allerdanser.Ouplutôtdîneretresterassise.Cinqheuresplustard,jecommençaisàfatiguer.J’avaisgagnéseptdollarsà lamachineà sous–champagne !–puis j’avais
dégusté un délicieux homard au dîner. Nous étions ensuite revenues à l’hôtelpourprendreundernierverreetdanser.Vanessaet Jos’éclataientsur lapisteet j’étaisbiendécidéeànepasgâcher
leursoiréeenmeplaignantd’êtrefatiguée.—Allez,tun'espasunemauviette,marmonnai-je.Tuaurastoutlerestedeta
viepourtereposer,maislà,tuesàLasVegas,quandmême!Jejetaiuncoupd’œilendirectiondelapistededansebondée,cherchantmes
amiesduregardetsourisendécouvrantuncowboycoifféd’unlargeStetson,quidansait maladroitement, planté derrière Vanessa. Il essayait d’attirer sonattentionenagitantleshanchesdanstouslessens,complètementàcontretemps.C’étaitmignon,malgrétout.J’aperçusalorsunhommequicapturatoutemonattention.
C’étaitsansdouteleplusbelhommedelaboîte,mêmes’iln’étaitpasleplusgrandetleplusmusclé.Maisildansaitavecunegrâceélégantequiluidonnaitl’allured’unpur-sangaumilieudechevauxdetrait.MonDieu!Ilsaitdanser,lui!Jefussurprisededécouvrirsapartenaire:unefemmedepetitetaille,unpeu
ronde,écarlateetessoufflée.Ilétaitdifficiledelesimaginerencoupleetencoreplusqu’ilétaitentraindeladraguer.Pourtant,ilsnedansaientpascommeunfrèreetunesœur.Ouunemèreetson
fils.Monsourires’effaça,parcequ’iln’yavaitqu’uneseuleexplication.Ildevaitêtreundeceshommesdontj’avaisentenduparler,ungigolo,mêmesionnelesappelaitpluscommeça.C’étaitdéprimant.J’observailafemmes’arrêterdedanserclairementàboutdesouffleetaubout
desescompétences.Elleavaitenviedetoutlaissertomberetellecherchaituneéchappatoireduregard.Illasaisitparlebrasetmitplusieurssecondesàlarelâcher,visiblementavec
beaucoup de réticence. J’avais retenu mon souffle pendant toute cette petitescène.Jeprisunegrandeboufféed’air,sanslesquitterdesyeux,curieusedevoirce
quel’hommeallaitfaire.Ilsepassalamaindanslescheveuxenfouillantlapièceduregard.Ilpassait
enrevuelesfemmes,semblantcocherunelistementaledontluiseulconnaissaitlecontenu.Sonregardfinitpar tombersurmoietun largesourireétirases lèvres. Il se
dirigea d’un pas décidé vers moi et instinctivement, je m’enfonçai dans monfauteuiletjecroisailesbrassurmapoitrineensignededéfense.—Salut,jem’appelleAsh.Tuestouteseule?Jeluisourispoliment.—Non,jesuisavecdesamies.— Je ne les vois pas, remarqua-t-il en m’observant intensément. Tu veux
danser?Ilmetenditlamainetjeleregardai,lesyeuxécarquillés.Ilvoulaitmefaire
tournerdansmonfauteuilouquoi?Croyait-ilquej’étaisdésespéréeàcepoint?Sonculotmefitéclaterderire.—Non,jenedansepas.Ilfronçalessourcils,lamaintoujourstendueversmoi.—Maistuaimesdanser?Jelefixai,plongeantmonregarddanslesien.Ilavaitl’airsurpris,ennuyé.Il
n’apasvumonfauteuil?N’est-cepasprécisémentcequejevoulais?medemandai-je.Unhommequi
mevoit,moiaulieudemonfauteuil?Monregards’adoucitencroisantlesien,intenseetsombre.—Qu’est-cequitefaitcroirequej’aimedanser?—Tuesenboîte,tuneboispas.Tuesdoncprobablementvenuepourdanser.
Allez,viensdanser,s’ilteplaît.Ladéceptionmefitpousserungrandsoupir.Ilétaittrèsséduisant,maisilne
comprenaitpaslemotnon.J’avaisététrèsclairesurlefaitquejenevoulaispasdanser.Ilmetenditànouveaulamain,maisjesecouaiimpatiemmentlatête.—Vatetrouverquelqu’unquienaenvie.Ilmeregarda,lesyeuxécarquillésdesurprise,puisilsouritensepenchantsur
latable,levisageàquelquescentimètresdumien.—Peut-êtrequec’estavectoiquej’aienviededanser.—Ehbien,j’espèrequetuespatient,répliquai-je,avecunpetitrirefroid.Mais enmême temps, je ne pouvais pasm’empêcher d’admirer son visage
trop séduisant. Sa peau dorée était tendue sur des pommettes anguleuses ; seslèvres étaient pulpeuses et semblaient douces.Des sourcils noirs formaient unarcparfaitau-dessusdesesyeuxsombres.Jeremarquaialorsungraindebeautéenformedelarmesoussonœilgauche,uneparfaiteimperfection.—Jedansetrèsbien,lança-t-il,commes’ilétaitvexéparmonrefus.Soudain,jecraquai.C’étaitsansdoutelerésultatdelafatigue,demadispute
avecCollin, dema frustrationdeme retrouverdans cedamné fauteuil roulantalorsqueceweek-endreprésentaitbeaucouppourmoi.—Jen’aipasenviededanser!—Maistoutlemondeestlàpourça!—Ehbien,pasmoi!—Tut’amuseraiscertainement.—Jen’endoutepas,dis-je,sarcastique.Tadernièrepartenaireavait l’airde
s’éclatercommejamais.Ilpiquaunfardetdétournalesyeux.Saréactionmesurprit.Jel’avaisvexé.Jeme sentis alors coupable de passermes nerfs sur lui,mais, bon sang, ne
pouvait-ilpasmelaissertranquille?—Peut-êtrequej’aienviededanseravecunejoliefillepourunefois,lança-t-
ildoucementenmejetantunregardsousseslongscilssombres.
Jenelecroyaispas.Pasuneseconde.Jeluilançaiuncoupd’œildédaigneuxetdétournailatête.—Tunesaispascequetumanques,chuchota-t-il.Révulsée,jecrispailesmâchoires.—Laney,est-cequecethommet’importune?JepoussaiunsoupirdesoulagementlorsqueVanessaetJomerejoignirent,la
mâchoireserrée,lesyeuxmenaçants.Ash eut l’air soudainnerveux, son regardpassant demes amies auxvigiles
vers la sortie. Il commença à battre en retraite, les mains levées en signe dereddition.—Jeluidemandaissimplementsiellevoulaitdanser,c’esttout.Jen’airien
faitdemal.Jo lui lança un regard incrédule et se planta devant lui, les mains sur les
hanches.—Tuveuxremonterdanslachambre?demandaVanessa.J’acquiesçai, me sentant soudain au bord des larmes. Jo continuait à le
foudroyerduregard.Vanessa passa derrièremoi pour prendre le pashmina qui était accroché au
dossierdemonsiège.Ensuite,elledesserralesfreinsdemonfauteuilroulantetm’éloignadelatable.Ashmeregarda,bouchebée.—Tupensestoujoursquejesuisjolie?demandai-je,lesyeuxembuésparles
larmes.
Chapitre6
ASHJem’éloignaidelatable,choquéetbrûlantd’humiliation.Elle était vraiment jolie, la fille dans le fauteuil roulant. D’une beauté
naturelle,pasartificiellecommetantdefillesquej’avaiscroiséesàVegas.Elleavait des cheveuxd’une chaude couleurmiel qu’elle avait laissés libres et quitombaient en une vague lisse et brillante. Elle portait peu de maquillage,simplementunpeudemascaraetdugloss.Elle m’avait attiré même si je savais que je n’étais pas son type. Plus
maintenant.Celame fit penser au genre d’hommes que j’étais devenu.Un prostitué, ni
plusnimoins.Maisjepouvaiscontinueràdanser.Etcommesilasoiréen’étaitpasdéjàassezhorrible,j’aperçusSergeitraverser
lehallbondédansmadirection,Olegdanssonsillage.Jefisdemi-tour,disparaissantaumilieudestouristes.Deuxsemaines.C’est le tempsqu’ilm’avait fallupourcéderauxsirènesdu
fric.Jemedégoûtais.C’étaitarrivéunsoir,aprèslarépétition.Ilm’avaitenvoyéunautremessage,
exigeantdel’argentetquenousnousrencontrions.Jesavaiscequecelavoulaitdiresij’acceptais–ilavaittoujoursétéclairsur
lefaitqu’ilvoulaitmebaiserpourquejeremboursemessoi-disantdettes.Il avait commencé en faisant passer ses messages par Trixie ou Gary,
demandant que je lui rende son argent… ou proposant « un dîner avec sondanseurpréféré».Hors de question ! Mais l’argent que j’avais réussi à économiser de mon
modestesalairen’étaitqu’une infimepartiedeceque jedevais.Et lemontantaugmentaitchaquejour.C’étaitduracket.Maisjenepouvaisabsolumentrienyfaire. C’était tellement énervant de savoir que j’avais cinq mille euros quidormaient tranquillementdansunebanqueslovène,maisque jen’avaisencoretrouvéaucunmoyend’yaccéder.J’avaisévitéSergei,maisjen’avaistoujourspasd’argentetjecommençaisà
manquerdetemps.Garym’avaitproposéunprêt,maisenvoyantlapeurquisedessinait sur son visage, j’avais compris qu’il y aurait des rétorsions. J’avais
passédesheuresàtournertoutcelaencoreetencoredansmatête.Et puis, il y avait eu cette fois où j’étais allé dans un café pas très loin de
l’hôtel.Jecherchaissimplementunendroitpaisibleoùboireetoublier toutça.Maisjen’étaispasassisdepuistrèslongtempslorsqu’unefemmem’avaitrejointaubar.—Vousbuveztoutseul?J’avais levé les yeux, surpris quand j’avais compris que c’était bien à moi
qu’elles’adressait.—Oui,avais-jerépondu,leregardfixésurmabièredéjààmoitiévide.J’en aurais bien pris une autre,mais je n’avais pas lesmoyens, pas avec la
menacedeSergeiau-dessusdematête,commeuneépéedeDamoclès.La femme s’était installée sur le tabouret voisin du mien, faisant ainsi
remontersacourtejupesursescuisses.—Votrepetiteamievousaposéunlapin?J’avaissecouélatête.—Votrepetitamialors?J’avaisbrusquementrelevélatêteetl’avaisfoudroyéeduregard.—Non!Ellem’avait adressé un sourire de prédateur et avait presséma cuisse de la
main.—Jevoulaisjustesavoir.Vousprenezunwhiskey?Uneautrebière?Cettefois,jel’avaisregardéattentivement.Elleétaitséduisante,plusâgéequemoi.Peut-êtreunequarantained’années.
Maiselleétaitbienconservéeetsentaitbon.Jem’étaisalorssouvenudecequeVolkovm’avaitdit sur lemoyendeme fairedespourboires. J’avais fermé lesyeuxpouressayerdechassercesouveniretavaitprisunegrandeinspiration.Leparfum délicat de la femme avait envahi mes narines et lorsque j’avais ànouveausoulevélespaupières,ellemeregardaitenfronçantlessourcils.—Vousallezbien?Son inquiétude était touchante. Yveta et Gary évitaient de me poser des
questionscommeçaparcequ’ils avaientpeurque j’y répondeet leurdisedeschosesqu’ilsn’avaientpasenvied’entendre.Non, jen’allaispasbien.En fait, jen’allaispasbiendepuisquemonavion
s’étaitposésurcettepistequiallaittoutdroitenenfer.—Désolé.J’aipasséunemauvaisejournée,avais-jerépondu,enmeforçantà
luisourire,cequiavaitfaits’éclairersesyeux.Jem’appelleAsh.—Etmoi,Melissa.
NousnousétionsserréslamainetMelissaavaitindiquéd’ungesteaubarmanquenousvoulionsdeuxautreswhiskeys.—Auxnouveauxamis!avait-elleditenentrechoquantnosdeuxverres.Au
fait,tuasunaccenttrèsmignon.J’avaisdégustéunmoment le feuque lewhiskyallumaitdansmagorge,en
regardantmanouvelle«amie»sansluirépondre.Jenevoulaispasqu’ellemeposed’autresquestions.J’avaisalorsdécidédedétournerlaconversation.—Tuesenvacances?avais-jedemandépoliment.—MonDieu, non ! avait-elle dit en riant. Je suis en séminaire. Pourmes
affaires.Jeneviendraisjamaisicidemonproprechef,avait-ellecontinuéavantdemejeteruncoupd’œil.Désolée,cen’étaitpastrèscorrectdemapart.Maisjepréfèrelaplage.Ettoi?—Jetravailleici.—Vraiment?Quefais-tu?—Jesuisdanseur.Avant,j’étaisfierd’annoncercela,maisplusmaintenant.Mavoixétaitfroide,
sansémotion.—Oh, j’auraisdûm’endouter,avait souriMelissa,endétaillantmoncorps
sanssegêner,unelueurgourmandeombrantsonregard.Après,ilneluiavaitpasfallutrèslongtempspourm’inviteràl’accompagner
danssachambre«pourprendreunverretranquillement.»Celaavaitprismoinsde vingt minutes. Elle avait été directe, très femme d’affaires. Elle n’avaitavancéaucune raisonpourmedraguer.Peut-êtren’yavait-il rienàexpliquer :elleétaitcélibataire,elleramassaitun inconnudansunbarpourpasserunbonmomentensacompagnie,pasplus.J’avais dû faire un effort pour parler, prêt à lui demander de l’argent.Mais
j’avais hésité, pris d’un doute au dernier moment. Peut-être était-elle unepolicièresouscouverture?Garym’avaitditqu’ilsfaisaientça–ilsattendaientquelesmecsoulesnanas
demandentdufric.L’ironiedelasituationm’avaitfaitsourire.J’avaisjustementbesoind’unflic;
siellenel’étaitpas,celanechangeraitrien.Maisunefoisdans lachambre, j’avaisdécouvertqu’elleétait toutsaufsous
couverture.Dèsquelaportes’étaitrefermée,elleavaitretirésarobeetelleavaitla main sur la fermeture de mon pantalon avant même que la porte se soitentièrementrefermée.Melissa me plaisait, mais j’avais éprouvé une telle horreur à l’idée de me
prostituerquejen’étaispasarrivéàmaintenirmonérection.—Tu as beaucoup bu ? avait-elle soupiré enmassantmon sexe,mou sous
monboxer.Souslecoupdel’humiliationetdelacolère,j’avaisrepoussésamain.Pasassezpourcela,avais-jepensé.J’avaisrésolumentchassélesproblèmesdemonespritetjem’étaisconcentré
surlesouvenirdelanuitsuperchaudequej’avaispasséeavecYveta.Celaavaitété efficace etmon sexe avait commencé à se raidir. J’avaisposémamain encoupesurmonsexe,leregardfixésurMelissa.Elleavaitpassélalanguesurseslèvresets’étaitdirigéversmoitandisqueje
retiraismachemiseetque jemedébarrassaisdemonpantalonquiétaitdéjààmespieds.Lorsqu'elleavaitétéassezprèsdemoi,j’avaisdécrochésonsoutien-gorge et je l’avais jeté par terre. Je m’étais mis à jouer avec ses seins quim’avaientparuàpeuprèsnaturelsetquipesaientlourdementdansmesmains.Jel’avaisbaiséesurlelit,lesyeuxclos,essayantdefaireapparaîtrelevisage
d’Yvetaderrièremespaupières,d’imaginerseslonguesjambesmuscléesnouéesautourdema taillealorsque je laprenaisviolemmentdans lescoulissesaprèsquetoutlemondefutparti.J’avais juste gardé assez de conscience pourm’assurer queMelissa jouisse
avantquejefasseuntruccomplètementstupidecommel’appelerparlemauvaisprénom.Elleavaitfaitglissersesongleslelongdemacolonneenarquantledostout
entressaillantautourdemoi.Jem’étaisretirésur-le-champ,mêmesijen’avaispasencorejoui.Jenepense
pasqu’ellel’avaitremarqué.Elle m’avait adressé un sourire endormi. Elle était toute rouge et avait un
regardrepu.—Tupeuxyallersituveux,avait-elleditenbâillant.Tutrouverasdel’argent
surlatable.J’avaisbaissélatêteetjem’étaisrhabilléleplusvitepossible.J’avais trouvéunepetitepiledebillets sur la table. Je les avais ramassés et
j’avaisquittélapièceàtoutevitesse.J’avais compté l’argent dès que j’avais quitté l’hôtel. Il y avait 145 dollars.
Pluscinqbilletsd’undollar.Jesurvivrai,m’étais-jedit.Celaavaitétéplusfacileaprès.Jerepéraismieuxmesciblesetjenégociaisun
meilleurtarif.Troisouquatrefoisparsemaine,jesortaismetrouverunefemme.
Ce soir, j’avais commis l’erreur de me laisser aller à danser. J’avais ététellementconcentrésur lamusique,sur lerythme,quejen’avaispasremarquéquemapartenairen’arrivaitpasàmesuivre.Etj’avaisvuensuitecettefilleauxyeuxtristes.MonDieu,j’avaiseuenviede
danseravecelle,demesentirmoi-mêmeànouveau,dedanseravecunefemmesimplement pour le plaisir. Découvrir son fauteuil roulant avait été un grandchoc.Jen’étaispasconcentrécesoir.JesongeaiàSergei,àsesmessagesetsonimpatiencegrandissante.Mêmesila
nuitétaitsuffisammentchaudepourfairecoulerunfiletdesueurlelongdemonéchine,jefrissonnai.Jesavaiscequ’ilvoulaitvraiment.Ilnel’auraitpas.Jamais.Jesortisensoupirantdel’hôteletcommençaiàmarchersurleStrip.Il fallait que je trouve une autre femme. J’en avais la nausée rien qu'à y
penser. Je commençai à marcher dans la rue, évitant les touristes aux grandsyeuxémerveillés,monhumeurdeplusenplussombre.Parailleurs,jen’avaisrienapprisdeplusàproposdelajeunefille.Personne
nel’avaitvue.Personnen’étaitaucourantdequoiquecesoit.YvetaetGalinaavaientrefusétouteslesdeuxd’enparler.Nousn’évoquionspasplusMarta.Après la soirée avec Volkov, elles s’étaient prudemment tenues à distance
pendant deux jours. Mais rapidement, la situation était redevenue normale etYveta avait continué àme draguer. Elle était sexy et ce qu’ellem’offrait étaitagréable… d’où la partie de jambes en l’air dans les coulisses. Galina avaitacceptéd’évacuerleurchambrependantunmomentpourquenouspoursuivionslasoiréeensembleaulit.Pendantquelquesheures,j’avaispuoubliermessoucis.Lajouissanced’Yvetaavaitétéunefaçondemeconfirmermavirilité.J’étaisunhommeetj’avaisbesoindemesentircommetel.C’étaittellementpathétique...Mais je ne contrôlais rien du tout. J’avais besoin d’Yveta en cemoment et lafaçondont elle s’accrochait àmoi, son souffle chauddansmoncoumedisantqu’elleaussiavecbesoinde…moi…deça.Mais lespetitsmotsdeSergei, ses«cadeaux»avaientcommencéàarriver
plus fréquemment, parfois plusieurs fois par jour. Il me proposait toujours etencore de rembourserma dette en assistant à des « soirées privées » ou « endansantpourdesamis».Jelesignoraissystématiquement.Alorslesmenacesavaientcommencé.Quelesttondoigtpréféré?Ça,c’étaitarrivéhier.Bizarrement, la personne à qui je pouvais me confier, c’était Gary, mais il
refusaittoujoursdeparlerauxflicsoudem’aideràretrouverlagamine.Alors,jebaisaisdestouristespourquelquescentainesdedollars.Unevaguedehontemesubmergea.C’étaittellementminable.C’étaitceque
jeressentais,maisjelefaisaisencoreetencore.Garys’endoutait,maisnedisaitrien. Yveta n’en avait aucune idée et parlait d’organiser des « rencards » etenvisageaitl’aveniravecoptimisme.J’admiraileslumièresclignotantesdesenseignes–c’étaitlafaçontapageuse
deVegasdesouhaiterlabienvenueàsesvisiteurs.J’étais en plein milieu d’une ville américaine surpeuplée et je ne m’étais
jamaissentiaussiseul.Pourchaquepersonnequimefrôlait, jen’étaisqu’unsimple inconnuquise
promenaitetsouhaitaitsepayerdubontemps.MaisilyavaitunefacesombreàLas Vegas et cette partie me tenait par les couilles. Chaque jour qui passaitpouvaitêtreledernier…etjeseraispeut-êtrecontentquecesoitlecas.C’estàcemomentquej’aperçusunvisageperduaumilieudelafoule.—Marta!Décontenancée,elleclignadesyeux.Uneexpressionchoquée,puisd’espoiret
depeuràlafoisilluminasesyeuxternes.Jelavisobserverautourd’elle,levisagetendu,puisellebifurquarapidement
dansunealléeentreunmagasindevidéospouradultesetuneboutiqueélégante.—Marta?Sasilhouettedisparaissaitdansl’obscuritéetlaseulechosequiressortaitétait
sonvisagetrèspâleauxyeuxlourdementmaquillés.—Jemesouviensdetoi.—Oui!C’étaitlapremièrenuitàl’aéroport,tuétaisaveclapetitefille.—Tul’asrevue?Jehochailatêtelentement.—Oui.Unefois.—Est-cequ’ellevabien?—Jenesaispas,répondis-je,enmentantéhontément.Ettoi?— J’ai tellement peur, dit-elle, la voix tremblante. Je crois que je pourrais
mouriricietpersonnen’ensauraitjamaisrien.Elleagrippamonbras,sesyeuxmesuppliantdeluivenirenaide.—Ilsmedonnentde ladrogueetm’obligentàcoucheravec leursamis. Ils
disentquejeleurdoismonbilletd’avion,quesijem’enfuis,ilsmerattraperontetme tueront. Je crois que c’est vrai, ils ont des armes. Et des filles ont déjàdisparu.Deuxdepuismonarrivée.
C’étaitexactementcequejepensais,enpireprobablement.—Est-cequetupeuxprévenirlapolice?En posant la question, je connaissais déjà la réponse. Elle secoua
frénétiquement la têteet jetauncoupd’œilpar-dessus sonépauleendirectiondeslumièresdelarue.—J’aipeur,répéta-t-elle.Jeplongeailamaindansmapoche.—J’ai430dollars.Jepeuxtelesdonneret…Martasecouaànouveaulatête.Sesbrasfinstremblaientetelleclaquaitdes
dentstoutencontinuantàmeplantersesonglesdanslebras.—Ilsmerattraperont!Larageetlafrustrationquiétaientdevenuessifamilièresbouillonnèrentune
foisdeplusenmoi.Jefoudroyaiduregardlesjoyeuxtouristesquivoyaientplusles lumières que les ombres.Quel ne serait pas leur étonnement si j’allais lessupplierdem’aider!Je sais ce qu’ils diraient. Je sentais d’ici leur peur et leur confusion, leur
faussecompassion,leurréticenceàs’impliquer.C’était tellementplusfaciledecontinuersonchemin.Etc’estcequimerendaitleplusmalade;j’étaiscommeeux.Maisjesavaisaussiquesijem’étaisopposéàOlegcejour-là,jeseraismort.
Sergeiauraitappuyésurlagâchetteetjen’auraisétéqu’unimmigrantdeplusàdisparaître.Martafrissonnaittoujoursdansl’airchauddudésert;jecomprissoudainque
cen’étaitpasquelefroidquilafaisaittremblerainsi.Ilyavaitdesmarquesdepiqûresaucreuxdesonbras.Lecorpspleindevigueurdeladanseuse,quelquessemaines auparavant, était en train de s’étioler, de pourrir sur pied.Mais il yavait encore de l’espoir dans ses yeux, qui s’accrochaient aux miens, mesuppliantdelasauver.—Oùvis-tu?Ellesemorditlalèvre,leregardvolantsanscesseversl’entréedel’allée.— Ils me gardent dans une caravane, à environ trente minutes de la ville.
C’est épouvantable. Nous sommes quatre. Je suis supposée entraîner deshommesàl’hôtel.Jen’aipasbeaucoupdetemps,ilsmesurveillent.—Donne-moil’adresseet…Etqueferas-tu?Quevas-tubienpouvoirfairepourl’aider?LevisagedeMartaprituneexpressionencoreplusdésespérée.—Tuveuxvraimentm’aider?
—Jevaisessayer.Donne-moil’adresse.—C’estl’hôteldel’autrecôtédelarue,là-bas,maisaprèsqueleshommes…
ilsmereconduisentdanscethorribleendroit.Jenesaispasexactementoùc’est.C’est sec, poussiéreux, il fait très chaud. C’est près d’un ranch, je crois.J’entendslesvacheslanuit.Etlarouteestproche,peut-êtreàhuitcentsmètres.Ce n’était pas grand-chose, mais j’enregistrais tout avec la plus grande
attention.— Quand ils me ramènent là-bas, nous partons dans cette direction,
poursuivit-elleenmemontrant l’ouest.Endirectionducoucherdusoleil,maisunpeuplusaunord.Etc’esttoutdroitpendantenvironvingtminutes.Ellejetaànouveauuncoupd’œilendirectiondelarue.—Promets-moiquetuferasquelquechose.Jen’enpeuxplus.Jegrimaçaiensentantsesongless’enfoncerdansmonbras.—Jetelepromets.—S’ilteplaît!dit-elle,lesyeuxbrillantsdelarmes.S’ilteplaît!Puis,elledétalaetregagnalarueoùelleseperditdanslafoule.Jem’appuyaicontrelemur,lerevêtementrugueuxfrottantmondosàtravers
montee-shirt.Jen’enpouvaisplus.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrent,mespaumes
devinrentmoites.Jelespassaisurmonpantalonpourlesessuyeretjeprisunegrandeinspiration.Puis je rejoignismoiaussi le flot ininterrompudepersonnesquimarchaient
surleStrip,cherchantunpolicierdesyeux.Je commençai à marcher plus vite, bousculant les touristes qui flânaient.
Plusieurs semaines auparavant, j’avaismémorisé où était le poste de police leplus proche ; il était situé àmoins de deux kilomètres. J’avais conservé cetteinformationpourlemomentoùjeseraisprêt.Prêtàprendrelerisque.J’y étais presque, vraiment tout proche, quand une limousine aux vitres
teintéesralentitàmonniveau.Lavitredescenditdansundouxbruissement.—Ah, te voilà ! Je commençais à penser que tu n’avais pas envie de me
parler.J’allaismevexer.Sergeiétaittoutsourireetj’aperçusOlegsurlesiègeduconducteur.— J’ai 430 dollars, dis-je, sachant parfaitement que c’était loin d’être
suffisant.—OhAljaž!dit-ilenriant.Jevauxtellementplusqueça.Enplus,tumedois
4000dollars.— Les vêtements n’ont pas coûté si cher, c’est impossible, répliquai-je
furieusement.— N’oublie pas les intérêts, dit-il, moqueur. Et tu sais, papa en a assez
d’attendre.—Jevousdonnerailerestedemain.JedemanderaisàGarydemelesprêter.Jen’avaispluslechoixmêmesicela
medérangeaitdel’impliquerdansmesaffaires.Sergeisoupiraettapotasesdoigtssurleborddelavitre.—Monte.Je jurai en slovèneet luimontrai lemajeurde lamaindont ilm’avaitbrisé
deux doigts. Puis je fis volte-face et commençai à courir dans la directionopposée.Jevenaisd’énerverunhommevraimentdangereux.J’entendisalorsdesbruitsdeklaxonetenjetantuncoupd’œilpar-dessusmon
épaule,j’aperçusOlegquifaisaitdemi-tours’introduisantdeforcedansunefiledevoitures.Jememisàcourirplusvite,zigzagantaumilieudelafoule.Jem’éloignaisdu
postedepoliceetjemerapprochaisdel’hôtel.Jecalculaimentalementcombiendetempsilmefaudraitpourchangerdedirectionetmerendreaucommissariat.Maisunregardderrièremoimepermitdevoirquelalimousines’étaitarrachéeàlafiledevoituresetfonçaitversmoi.Jecouraisàpleinevitessequand j’arrivaiàproximitéde l’hôtel. J’escaladai
l’escalier de secours extérieur et rentrai dans ma chambre dont je claquai laporte.Garysursautaetpritunairtrèsétonnéenmedécouvrant.—Tum’asfoutuunepeurpaspossible,monjoli,s’écria-t-ilavantdedireen
voyantmonexpression:qu’est-cequis’estpassé?—Sergei.LevisagedeGaryperdittoutessescouleursquandjeprononçaicenom.—Maintenant, il dit que je lui dois 4000 dollars et j’ai essayé d’aller à la
police,mais ilm’a rejoint avant.Qu’est-ce que je peux fairemaintenant, bonsang!Jefaisaislescentpasdanslapièce,lesmainsdanslescheveux,aussieffrayé
quefrustré.—Seigneur,n’essaiemêmepas!ditGaryquiétaitlividemaintenant.—Alors quoi ? Je vais attendre ici jusqu’à ce qu’ilme trouve etme tue ?
Putain, non ! Jeme tire, ce soir. Je n’ai pas le choix. J’achèterai un billet debus…jeferaidustopjusqu’àlavillevoisine.Garysecoualatête.
—C’estimpossible.MaisjevaisappelerElaine.—Elaine?—Benoui!Elles’estcrevéeleculàmontercenouveauspectacle,elleneva
paslaisserSergeiemmerdersonétoilemontante.—Ilnel’écouterapas…Ilestcomplètementdingue,protestai-je.—Jesais,maisVolkovécouteElaine.Ilainvestipasmald’argentdanscette
salleetcespectacle.Calme-toi,Ash.Laisse-moil’appeler.Jehochaibrièvement la tête,maiscontinuai à aller etvenirdans lapièce le
tempsqu’ilsortesontéléphone.J’écoutailaconversationurgentequis’ensuivit,le cœur battant de plus en plus vite, m’attendant à voir Oleg surgir dans lachambre.Finalement,Garyraccrocha.—EllevaparleràVolkovtoutdesuite.Elleditd’attendreicisansbouger.Ne
sorspasd’ici.—C’esttout?Ellevajusteallerluiparler?—Tu t’attendais à quoi ? Tu croyais qu’elle lui collerait un flingue sur la
tempe?—Quelqu’undevraitlefaire.Garypoussaungrandsoupir,maisnemecontreditpas.
LANEYJemisplusdedeuxheureslelendemainmatinàmeprépareretàrejoindrelesautresaurestaurantdel’hôtelpourlepetitdéjeuner.J’avaispasséquarante-cinqminutesàchargermesphotosd’hiersurmapageFacebooketàliremesmails.J’étaistoujoursallongéedansmonlitenattendantquelesmédicamentsfassenteffet.Quand j’eus l’impression que j’avais assez patienté, j’obligeai mon corps
perclusdedouleursettoutraideàs’extrairedulit.Iln’yavait riendepluspéniblequedese réveiller lavessiepleine,maisde
devoirattendrepourallerauxtoilettes.SiCollinavaitétélà,ilm’auraitinstalléedansmonfauteuil.Maisjeneregrettaipaslongtempssonabsenceparceques’ilavaitétéici, il
m’auraitobligéeàretournerdansmachambrejusteaprèsledînerhiersoir.Etjen’auraispasvuVanessaetJos’éclatersurlapiste.Et je n’aurais pas rencontré cet homme superbe.Quel était son nom déjà ?
Ash?Il avait été tellement choqué de découvrir mon fauteuil. Je devais bien
reconnaîtreque j’éprouvaisuncertainplaisirqu’ilaitcommencéàmedraguersanssavoirquej’étaishandicapée,mêmes’ilétaitbienlegenred'hommesquejepensais.Celafaisaitlongtempsqueçanem’étaitpasarrivé.Même Collin n’avait jamais vraiment flirté avec moi. Nous nous étions
rencontrés à la faculté, nous appartenions au même groupe de travail. Nousavionscommencéàprendrelecaféensemble,puisàdînertouslesdeux,etavantquejeleréalisemoi-même,toutlemondeavaitpenséquenousétionsencouple.YcomprisCollin.C’étaitunhommebien.Ilpouvaitêtre incroyablementprévenant,maisaussi
totalementindélicat,meparlantdemontravailcommesic’étaitunpasse-tempsparce que je travaillais à la maison. Il avait toujours raison aussi. Ce quiimpliquaitquemoi,j’avaistoujourstort.Nousnousdisputionssouventàcausedeça.Etquandj’étaisencrise,ilm’étouffaitlittéralement.Jenem’enétaisjamais
vraiment rendu compte,maismaintenant que j’étais à LasVegas, je remettaiscertaineschosesenperspective.Vivre avec des douleurs chroniques est une leçon de patience, mais de
compréhensionaussi.Cequin’estpasassez,outrop,outropfréquent.Cequiestnécessaire,qu’ondoitlaissertomber.J’apprenaisprogressivementàpardonneràmoncorpsdenepasêtreenparfaitétatdemarche,d’êtreimparfait.Auboutducompte,ilfaudraitquejemepardonneàmoi-même,maisj’avaisencoredumal.Collinnem’avaitpasrenvoyédemessage,doncjesupposaiquenousavions
rompu.Celamerendaittriste,nousétionsamisdepuisprèsdedixans.J’avaismême
penséqu’unjour,nousnousmarierions,maisCollinnem’enavaitjamaisparléetjenelesouhaitaisplusvraiment.Jemedirigeaiseuleverslerestaurant.JedécouvrisVanessaquiétaitentrain
de draguer le serveur. Il était mignon et visiblement très intéressé. Je sourisintérieurementetjetaiuncoupd’œilàJoquiobservaitlascène,amusée.Leserveurmerepéraalorsetécarquillalesyeux.J’entendislesderniersmots
deVanessa:—Alorsonseretrouve,toi,avectesamisetmoi,aveclesmiennes,c’estbien
ça?Maisleserveursecoualatête,m’évitantsoigneusementduregard.—Ah,enfaitj’avaisoubliéquenousavionsdéjàprévuquelquechose.Çane
vapaslefaire.Désolé,ajouta-t-ilavantdesetournerversmoi,undemi-sourireauxlèvres.Quepuis-jevousservircommeboisson,Madame?
Quelsquesoientlesplansqu’ilavaitentête,ilsn’incluaientvisiblementpasunefemmeenfauteuilroulant.Magorgeseserra,maisjegardailatêtehauteetcommandaiducaféauserveurquis’éloignacommeunvoleur.—Quelconnard!lançaVanessaàhautevoix.Çava?—Biensûr.Net’inquiètepaspourça!—Bon,ditJo,changeantdélibérémentdesujet.Jepensequenousdevrions
aller au spa aujourd’hui, puis nous faire bronzer au bord de la piscine, puisdraguerlesemployésdelaplage,enfindîneretallervoirunspectacle.J’aiprisdes ticketspourceluiquia lieu ici.C’estmoitiéprixsivous logezà l’hôteletnousseronsaupremierrangpuisquenousavonsuneamieenfauteuil.Ellemefitunclind’œil.—Entoutcas,çaal’airformidableavecdevraiesshow-girlsd’ici.Çanous
donneradesidées.J’éclataiderire.—Jenemecollepasdesglandssurlestétons!—Moinonplus,grimaçaVanessa.Ladernièrefoisquej’aitentélecoup,j’ai
dûgratterlacolle.J’avaislesmamelonstoutirritéspendantdesjours.—Aïe!—Commetudis!
ASHJ’étaisdansunétatlamentable.Hypertendu,jen’avaispresquepasfermél’œilde la nuit. Nous venions de terminer une répétition et j’étais étendu sur unechaise longue alors qu’Yveta appliquait sur mon visage et ma poitrine del’autobronzant.Sespaumesavaientviréàl’orange.Ellem’envoulait,jelevoyaisbien.J’avaisrefusédeflirteravecelleetdela
rejoindreaprèslespectaclecesoir.Elaine était allée plaider ma cause auprès de Volkov et avait obtenu qu’il
interdise à Sergei de m’approcher. Il fallait espérer que cela suffirait à leconvaincre.J’avaisaussimismonorgueildecôtéetdemandéqueGarymeprêtedel’argent.Bon sang, j’espérais que la parole de Volkov valait quelque chose. Elaine
m’avaitditqu’ilassisteraitauspectaclecesoir,entoutcasc’étaitlarumeurquicourait. J’ycomptaisbien.Avec lepatrondans lesparages,Sergei se tiendraitcertainementàcarreau.J’étais dans un état de nerf pas possible. J’avais toujours le trac avant le
spectacle,mais c’était stimulant, un flotd’adrénalinequimeboostait.Mais ce
soir, j’avais l’estomac tellement noué que j’avais l’impression que j’allais êtreviolemmentmalade.Yvetaajoutaunpeudefardàjoues,untraitd’eye-lineretpoudraensuitemon
visageetmapoitrineavecunfardchatoyant.—Tuasfini?Jesavaisquejeluiparlaismal,commeunsalaudingrat.Yvetas’éloignapourterminersonpropremaquillage.Lalogeétaitminuscule
etiln’yavaitpasd’endroitspécifiquepourGaryetmoi.Nousétionscantonnésdansunpetitcoindelapièceetnousavionsordredenepasregarderquandlesfillesétaientnues.Garys’enmoquaitéperdumentetmoi,j’avaisvuplusdeseinsnusdansdeslogesquen’importequelhommeenverraitdanssavie.Jen’étaispastotalementindifférent,maiscesoir,ellespouvaientsecollerdesbrillantssurleursexenu,jem’enfichaiscommedemapremièredent.Jegardaisdifficilementmoncalmeetmesdoigtstambourinaientmescuisses.—Ohpour l’amour deDieu !Tune pourrais pas te calmer un peu ? siffla
Gary.Tumerendsnerveux.Nomd’unepipe!Est-cequejechangedepieddanslapremière?—Quoi?—Danslacontrabotafogo…Est-cequejechangedepied?Jehochailatêteenpensantàautrechose.—Oui,deuxchangementsdepiedenuntemps.Garysoupira.— Tu as entendu qu’Elaine envisage d’ajouter un numéro deWest Coast
Swing?Ils’interrompitetmelançaunboaenplumesdessus.—Tum’écoutes?Jeluijetaiunregardfurieuxetilreculad’unpas.—Désolé,marmonnai-je.— Seigneur Dieu ! Détends-toi, d’accord ? Fais des étirements, quelque
chose!Il avait raison, je sentais que j’étais prêt à faire n’importe quoi, comme
m’enfuir par exemple.Mais peut-être qu’Elaine avait raison. Peut-être que lepireétaitderrièremoi.Jecommençaiàétirermesmuscles,melançantdansl’échauffementhabituel.—Tuesvraimentsouple,lançaGaryquimeregardait,l’œilcritique.Jegrognai,enessayantdemeconcentrersurlesétirementsdemesépauleset
demondosplutôtquesurlesmilliersd’idéesquimetraversaientlatête.
—Plusquecinqminutes,lesgarçons,criaNeal.L’agitationaugmentad’uncoupetl’odeurdel’autobronzant,delasueuretdu
parfum se déploya enmême temps que les filles se rassemblaient. Elles nousdominaientlargementavecleurcoiffeenplumesd’autruche.Ellesn’étaientquefauxcils,paillettesetcostumesparsemésdepetitsbrillants.Yvetaétaittoujoursencolèreetj’enétaislacause.—Tuesmagnifique.Ellemeregarda,ravie.Lamusiqueselançaetquelquechoseexplosaenmoi,mêmesilerythmeme
calmait enmême temps. Je jaillis sur la scène, enprispossession, illuminédel’intérieur, sous les applaudissements et les hourras du public. Je conduisischaquefilleaucentredelascènepuisenchaînaisurnotredanseencoupleavecYveta,encompétitionavecGaryetGalina.Lepublicnoussoutenait,noustranscendait.C’étaitmonmomentdegloire!
LANEY—C’estlui!m’exclamai-je.—Qui, lui ? demanda Vanessa en observant les danseurs qui pirouettaient
devantnous.—Letypedel’autrenuit.Dansleclub.Waouh!Ilest…Waouh!—Tuasraison!lançaJo,toutexcitée.Ilnementaitpasquandiladitqu’il
savaitdanser.Ilestsupers-e-x-y!Ilnementaitpas.Cette idéemeréchauffalecœur.Ilétaitvraimentdanseur,
pasungigolo.Alorss’iln’avaitpasmentiàproposdeça,peut-êtrequ’ilpensaitvraimentquej’étaisjolie.Il portait la même tenue que l’autre soir, un pantalon noir ajusté et une
chemisenoireégalement,saufquecelle-ciétaitcoupéeàlatailleetcouvertedebrillantsetdepaillettesquiscintillaientsurletissusoyeux.Jesouris,ravie,etm’installaiplusconfortablementpourvoirlespectacle.Ils’appelaitAsh.Quand il était sur la scène, les lumières semblaient plus brillantes, la
chorégraphieplussexy, l’atmosphèreélectrique.Lasortedebattleavec l’autrehommeavait été fantastique, chacund’euxessayantde surpasser l’autre.Maispourmoi, iln’yavaitmêmepaseudecompétition.Ashdégageaituneauradesex appeal, sa poitrine musclée brillait sous les projecteurs et la testostéronecoulaitàflotsdanssonsangquandonlevoyaitbalancerseshanchesoucaresser
desdoigtslesbrasdesdanseuses.Je ressentis, àma grande surprise, une pointe d’envie.Comment pouvais-je
êtrejalousealorsquejen’avaisparléqu’uneseulefoisàcethomme?Jejetaiuncoupd’œilprudentautourdemoi,puissortismontéléphoneetpris
une photo. Cela me ferait un petit souvenir : le mec le plus sexy à m’avoirdraguée.Cetteidéemefitsourire.Je fus beaucoupmoins intéressée par le spectacle lorsque les deuxhommes
quittèrent la scène et que les filles formèrent une ligne pour danser le frenchcancan.Mavessiemerappelaalorsquej’avaisbutroisMimosas.—Ilfautquej’ailleauxtoilettes,murmurai-jeàl’oreilledeJo.—Tuveuxquejet’yconduise?Je sursautai intérieurement. Je détestais qu’onmedonne l’impressiond’être
enmaternelle,maisjesourisàJo.Cen’étaitpasdesafaute.—Non, pas de problème.Profite du spectacle.Tumediras tout ce que cet
hommeaurafaits’ilrevientpendantmonabsence.Joagitalessourcils.—Jedevraispeut-êtremerapprocherpourpouvoirfairesaconnaissanceavec
mesmains.Jefisunpetitgestedelatêteendirectiondelascèneetdis:—Situterapprochesencore,tuteretrouverasassisesursesgenoux.—Siseulement,soupiraJo.Allez,vas-y!Àtoutàl’heure!Jen’avaispasenviederaterlespectacle,maisjenesavaispasoùétaientles
toilettesetl’expériencem’avaitapprisqueceseraituneerreurd’attendrequeçadeviennetropurgent.L’ouvreusemedésignauneportequisetrouvaitverslasortiedesecoursetje
fisroulermonfauteuildanscettedirection.Enentendantlapulsationdesbasses,j’endéduisisquejenemetrouvaispastrèsloindescoulissesdelascène.Lecouloirétaitmaléclairéettrèslong.Jecommençaisàavoirmalauxbraset
jemedemandaiauboutd’unmomentsil’ouvreusenes’étaitpastrompée.Jefinisenfinparrepérerlepetitpanneauindiquantlestoilettes.Aumoins,je
seraisplustranquillequependantl’entracte.Maudissantlasueurquidégoulinaitdansmondosetsousmesbras,jepoussai
laporte.— Tu crois que tu peux m’échapper, pauvre merde ! hurlait une voix
d’homme. Je vais baiser ton cul tellement fort que de lamerde sortira de tesyeux.
Chapitre7
LANEYUne exclamation étouffée m’échappa et les quatre ou cinq hommes qui setrouvaientdanslapiècefirentvolte-face.Ilsmeregardèrenttellementfroidementquejerestaipétrifiée.J’étais figée sur place, incapable de bouger ; je contemplais la scènequi se
jouaitdevantmoi.Un homme était suspendu par deux autres. Ils tenaient ses bras dans une
poigne de fer, sa tête penchait sur le côté. Il était nu, ses vêtements déchirés,éparpillés par terre. Une chemise déchiquetée pendait toujours à l’une de sesépaules.Desmarques rougesmarquaient sescôtes, làoù leshommes l’avaientbourrédecoupsdepoing.Pireencore,ledosetlesfessesdel’hommeétaientlacérés.Unedesbrutesqui
l’entouraitavaitencoreàlamainuneceinturedecuirquiluiavaitpermisdeluiinfligercetteviolenteethumiliantepunition.Il baissa alors le bras et jeta un coup d’œil au cinquième homme attendant
visiblementdesordres.Je dus ravaler la bile quimontait dansma gorge quand le petit homme en
costumefourrasonsexeenérectiondanssonpantalon,uneexpressionderagefroidesepeignantsursestraits.Jevenaisd’interromprequelquechosedeterrible,d’horrible,auqueljen’étais
passupposéeassister.Latêtedel’hommenuserelevaetilmejetaunregardpar-dessussonépaule,
lesyeuxinjectésdesang.Avechorreur,jecomprisquic’était.—Ash!Son nom avait été comme arraché à ma bouche. Cet homme superbe, ce
danseur… le type sexy et sûr de lui avait disparu. Il ne restait plus à la placequ’unfantômefracasséetabimé.Sonregardétaitflouetsemblaitincapabledefairelepoint.—Va-t’en!coassa-t-ilavantderépéter,plusfort:va-t’endelà!Jerestaibouchebée…puisjememisenmouvement.Alorsquejefonçaiavecmonfauteuilverslaporte, lepetithommehurlaun
ordre.Jemepropulsaiaussivitequepossibledanslecouloir,lecœurbattantlachamadeetlesoufflecourt.J’entendisdespasprécipitésetjecommençaiàprier.Jevousensupplie,monDieu!Aidez-moi!Les pas étaient de plus en plus près, derrière moi. L’homme hurla alors
quelquechose.Jememisàprierencoreplusfrénétiquement,lesyeuxécarquillésparlapeur,
les muscles de mes bras tétanisés par l’effort que je devais produire pouraccélérerencoremonfauteuil,mesjambesinutilessousmoi.Je crois que Dieu dût m’entendre, car je vis soudain des personnes qui
avançaientdansmadirection.Ilsmarchaienttranquillementdanslecouloirmaléclairé.—Ahtevoilà!C’estunvéritablelabyrinthedanscecoin-là,ditVanessa.J’ai
penséqueceseraitmieuxquenousvenionsàtarencontre…OhmonDieu!Ques’est-ilpassé?Est-cequetuvasbien?— Voulez-vous que j’appelle un médecin, madame ? demanda, inquiète,
l’ouvreusequiavaitaccompagnéVanessa.—Ausecours!hurlai-je,lecœurbattantàtoutevitesse,mespoumonsluttant
pourseremplird’air.Ilyadeshommeslà-bas!Vanessaetl’ouvreuseregardèrentderrièremoietl’hommequis’étaitlancéà
mapoursuitehésita.—Ilestarmé!hurlaVanessa.Merde,appelezlapolice!Ellesortitalorssontéléphoneportable.L’hommefitdemi-touretsemitàcourirendirectiondestoilettes.—Merde !Merde !Merde ! soufflaVanessa. Jen’aipasde réseau.Tirons-
nousd’ici!L’ouvreuse était visiblementd’accord avec elle, elle semit aussitôt à courir
verslasalle,nousabandonnantànotretristesort.Vanessabalançasontéléphonesurmesgenouxetsecramponnaauxpoignéesdemonfauteuil.—Non,hurlai-jedésespérée.Ilestblessé!Ilfautquenousl’aidions!—Quiestblessé?criaVanessaàsontourenpoussantlefauteuildeplusen
plusvite.—Stop!braillai-jeànouveau,maisVanessaavaittroppeurpourm’écouter.
Stop!Je me jetai hors du fauteuil et j’atterris lourdement sur la moquette bon
marché,sentantchaquearticulations’enflammersouslechoc.C’étaittellementdouloureuxqueleslarmesmemontèrentauxyeux.
—Laney!Oh,monDieu,Laney!Vanessa essayait deme redresser,maismon corps était trop lourd dans son
inertie.—Vachercherdel’aide!bafouillai-je.Ness!Vachercherdel’aide!Elleétaitpartagéeentrel’enviedésespéréedem’aideretcelledes’enfuir.—Jenevaispas te laisser là ! cria-t-elle, lavoix suppliante.Aide-moià te
soulever,Laney!Aide-moi!—Non!Vachercherquelqu’un!Vite!dis-je lavoixaltéréepar ladouleur
brûlantequimetraversait.Levisagetorturéparl’angoisse,Vanessaseredressaetsemitàcourir.— Je reviens tout de suite ! hurla-t-elle une dernière fois, par-dessus son
épaule.Je restai étendue, la joue posée sur la moquette rugueuse. Les images
horrifiquesdelascèneàlaquellejevenaisd’assisterdéfilaientdansmatêteetjetremblaisdetousmesmembres.Cequej’aivu!OhmonDieu!Lecorpsmeurtrid’Ash, lesgrossesbrutes, l’hommequi tenaitsonsexeà la
main,l’aircomplètementcingléethurlantsurAsh.Ilsvoulaientlevioler.L’horriblevéritémebrisaitlecœuretjefusprisedesanglotsirrépressibles.La
rage,lechoc,lapaniqueetlasouffrance.C’étaitbeaucouptrop.Jepeinaisàrespirer,torturéeparlapeur,lechagrinetl’impuissance.Jehaletai
souslapaniquequimenaçaitdemesubmerger.Jesentisalorsdesmainsdoucesseposersurmesbras,mesépaules,mesoulevantdélicatementpourm’asseoir.—Tuvasbien?Ash.Savoixétaitrauqueetcassée,maissonregardétaitbienclair.Ilexaminamon
visage, ses yeux inquiets plongeant dans les miens puis fouillant le couloirderrièrenous.—Tuvasbien?demanda-t-ilànouveau.Tuveuxquejeteréinstalledanston
fauteuil?Jehochailatêtesansunmot,hoquetantenessuyantleslarmesetlamorvequi
mecoulaitdunez.Ashgrognalorsqu’ilmesoulevadanssesbrasetm’installadansmonfauteuil.Jevisqu’ilgrimaçaitquandils’éloigna.Lefaitdem’aideravaitdûluifaire
trèsmal.Jeposaiunemain tremblante sur sonbras,mesdoigts s’accrochant au tissu
lacéré.—Ettoi,commentvas-tu?bégayai-je.Ildéglutitetlançaunnouveaucoupd’œilderrièrelui.—Ilvautmieuxquenouspartions.Cen’estpassûrici.
ASHJ’avançais aussi vite que possible dans le corridor, poussant à toute vitesse lefauteuiletignorantladouleurquimedéchiraitlecorpsàchaquepas.Jesentaisdesboutsdetissuarrachésàmesvêtementsadhéreràmapeauàvifdansmondosetsurmesfesses.Lesangcoulaitdanscequ’ilmerestaitdetee-shirt.J’avaispeurdesecouercettefille.Elleavaitdéjàmal,maisjen’avaisguèrelechoix.JenesavaispascombiendetempsOlegmettraitànousrattraper.Sonarrivéem’avaitsauvélavie.Siellen’étaitpasentrée,Sergeiauraitlabourémonculjusqu’ausang.C’estce
qu’ilm’avaitpromisjusteaprèsavoiressayédebaisermaboucheetquej’avaismenacédevomirsurluiànouveau.Quand Oleg était revenu en disant qu’il y avait encore plus de témoins
potentiels dans le couloir, Sergei avait pointé son arme surma tête, bavant derage.MaisOleg lui avait hurlé dessus et l’avait entraîné hors des toilettes. Jen’arrivaispasàcroirequ’ilsm’avaientépargné.J’avaisrampéaveclapeauenfeuetj’avaisrécupérémesvêtementsdéchirés.
Jelesavaisenfiléssurmoncorpsensang,mefaisantgémirtellementladouleurétaitintense.J’avaisdéjàvomiune fois à causedu choc,maismaintenant j’étais dominé
parunepeurencoreplusintense.Elle avait vu leursvisages, elle avait été témoinde cequ’ilsm’avaient fait.
Elleétaitdoncendanger.—Oùesttachambre?chuchotai-je,labouchesiprèsdesescheveuxqu’une
boufféedesonshampooingàlanoixdecocoemplitmesnarines.—Surlagauche.C’estla113.Quandnoustraversâmeslehall,lesgensnousobservèrent,maisjelesignorai.Unefoisarrivésdevantlaportedesachambre,jeluiprisdoucementsonsac
desmainsetpartisàlarecherchedesacarte.Nous étions à peine entrés que son téléphone commença à sonner
furieusement.Cela sembla la sortir de sonhébétement.Elle répondit, les yeuxfixéssurmoi.Jel’observai,méfiant,lesoufflecourt.Quelques secondes plus tard, j’entendis des voix devant la porte de la
chambre.Je jetai un coup d’œil dans le judas en espérant que ce n’était pas l’autre
grossebrute.Mais je reconnus tout de suite les personnes que j’avais vues la soirée
précédente.—Cesonttesamies,murmurai-je,lesoulagementperceptibledansmonton.—Fais-lesentrer,s’ilteplaît,mesupplia-t-elle,lavoixbrisée.J’ouvrislebattantetdeuxfemmesmetombèrentpresquedanslesbras.—Laney!Laney!Est-cequetuvasbien?—Oui,toutvabien,dit-elle,leslarmesquicoulaientsursesjouesdémentant
sesparoles.Jevaisbien.Laney.Elles’appelleLaney.—Donne-moimontéléphone,demandalaplusgrandedesdeux,labrune.Je
vaisappelerlesflics.—Non,hurlai-jeenluiarrachantsonappareil.Elles se tournèrent toutes les troisversmoi, la peur,mais aussi la colère se
reflétantsurleursvisages.—Ilnefautpasappelerlapolice,répétai-je,lavoixferme.Cen’estpassûr.Labrunesecoualatêtefurieusement.—Cethommeaunearme!Monamieaétéagresséeet…—Ashaussi,ditLaneydoucement.Labrunetournalatêtesivitequ’ellemanquadesefaireuntorticolis.—Quoi?— J’ai tout vu dans les toilettes, reprit Laney, toujours aussi doucement.
Quatrehommes…ilsl’agressaient.— Alors, il faut appeler la police ! reprit la brune en haussant la voix
visiblementtrèsencolère.—Nousnepouvonspasleurfaireconfiance.Ellesmefirentfacetouteslestroisànouveau.Laneyrépliquavivement,vexée:— Mon père est agent de police ! C’est l’homme le plus honnête que je
connaisse!Commentoses-tu…—Nousnepouvonspasfaireconfianceauxflicsd’ici,lacoupai-je,moiaussi
trèsencolère.Jenepeuxfaireconfianceàpersonne!JeprisladirectiondelaporteenfoudroyantLaneyduregard.— Il t’a vue. Il faut que tu partes. Va voir ton père puisqu’il est policier.
Surtout,nerestepasicicettenuit!
Moi aussi, j’allais me tirer. Tenter ma chance de partir comme ça, c’étaittoujoursmieuxqued'êtrecoincédanscettenasse,ici.—Attends!Impatient,jemeretournaiversLaney.—Tuesblessé,dit-elle,lavoixplusdouce.Nouspouvonst’aider.—Ilvautmieuxquenousnenousmêlionspasdeça,Laney,protestalapetite
brune.Ellefoudroyasonamieduregard.—Tun’étaispaslà.Tun’aspasvucequ’ilsétaiententraindeluifairenice
qu’ilsenvisageaient.Ilfautquenousl’aidions,dit-elleavantdefaireunepause,letempsdechassersapeur.Enplus,jesuisdéjàmêléeàtoutça.Jelesaivus,commeill’afaitremarquer.Etilsm’ontvue.Lablondemeregardaenfronçantlessourcils.—Tuescouvertdesang,dit-elleens’approchantdemoi.Tesvêtementsen
sonttrempés.—Ilfautquej’yaille,dis-jeentremesdentsserrées.Ilfautquejemetire!Lablondem’ignoracomplètementettirasurundespansdéchirésdemontee-
shirt.Ellespoussèrenttouteslestroisuncrihorrifiéendécouvrantlestracesdesangsurmoncorps.— Tu n’iras nulle part dans cet état, dit la blonde sur un ton catégorique.
Vanessa,vamecherchermatroussedesecoursdansnotrechambreet…—Ilvameretrouveretilmetuera!grognai-jeenrepoussantsamain.Ilfaut
quejepartemaintenant.Laneysecoualatête.—Personnenesaitoùtues.Tuesensécurité…— Il t’a vue ! hurlai-je, énervé qu’elle ne comprenne pas le danger qu’elle
courait. Il a vuune fille dansun fauteuil roulant !Combiende temps crois-tuqu’illuifaudrapourtemettrelamaindessus?Sesyeuxs’écarquillèrentsouslapeur,maisellesecouaànouveaulatête.—Nousavonsquelquesminutesdevantnous.Ilnesaitpasquejelogedans
cethôtel.Un vertige me saisit soudain m’obligeant à m’agripper à la poignée de la
porte.Lablondeclaquadesdoigts.—Vanessa,vafairenosbagagesetramènetoutici!Vite!Laney,préparetout
ce que tu peux ici. Et toi, dit-elle en me désignant du doigt, enlève tous tesvêtements.
Uneboufféede colère échauffamonvisage,maisquandellemevit hésiter,elle tendit la main vers le bouton de mon pantalon. Je fis un saut en arrièrecommesiellem’avaitbrûlé.L’imagedeSergeiamorçantexactement lemêmegesteflottadevantmesyeux.Jedistinguailasoudainelueurdepitiédansleregarddelablonde.Elleavait
compris.Unflotd’humiliationm’envahitalorsetjefermailesyeux.—Jevaistesoigner,dit-ellecalmement.Jesuisinfirmière.Tupeuxallerdans
lasalledebain.Jehochailatête,jesavaisquej’avaisbesoind’aide.Jemeglissaidanslasalle
debain,éblouiparlavivelumière.
LANEYJodisparutavecAshdans la salledebainet j’entendis ladouchecouler.Monestomacsesoulevaenimaginantlesangd’Ashteinterl’eauderougeetcelle-cidisparaissantprogressivementdansl’évacuationdusiphon.Jerestaiassisedanscestupidefauteuil,inutileetterrifiée,incapabledefaire
quoiquecesoit.Quatreminutesplus tard,Vanessafrappaità laporte.Quandje l’ouvris,elle
étaitdéjàenjeanetballerinesetelletraînaitderrièreelledeuxvalisesàroulettesrebondies,visiblementbourréesdevêtementsmalpliés.Vanessasedirigeadroitverslelitetbalançatoutesmesaffairesdessus.—IlfautquenoustrouvionsdesvêtementspourAsh,lança-t-ellesoudain,en
réalisantquelessiensétaienttotalementinutilisables.C’estsonvrainom,Ash?Il n’a pas l’air d’être américain, poursuivit Vanessa, sur un ton distrait, enprenantmesvêtementsetenlesjetantdansmavalise.—Jenesaispasd’où ilvient.Ness,c’est toi laplusgrande…Aurais-tuun
pantalondesport,untee-shirtouunechosequ’ilpourraitporter?Vanessameregarda, lessourcilsfroncésavantdedénicherdanssavaliseun
tee-shirtimmenseetfroisséetunbasdejogginggris.—Jenesaispassiçaira…Ilestvraimentgrand.—Jepensequecen’estpaslesoucipourlemoment.—Tuasraison.ElleposalesvêtementsprèsdelaportedelasalledebainafinqueJopuisse
lestrouverfacilement.—Quisontceshommes?demanda-t-elle.Qu’est-cequ’ilsluiontfait?Je ne savais pas qui ils étaient, mais j’avais compris quelles étaient leurs
activités.
—Jecroisqu’ilsl’ontfouettéavecuneceinture.Vanessaeutunhoquethorrifiéetjenecontinuaipas,incapabledeluidécrire
lereste.Jenesavaispasenpluscequ’Ashenpenserait.Cen’étaitpasàmoideraconterça.Ildevaitêtretraumatiséparcequiétaitarrivé.Lascènepassaitenboucledansmatêteetjesentaisquejedevenaislivide.J’imaginaiscequiauraitpu se produire si ces brutes avaient eu le temps de terminer ce qu’ils avaientcommencé.Josortitdelasalledebain,enretirantsesgantsenlatex,tachésdesang.—J’aifaitcequej’aipu,dit-elle,suruntonprofessionnelsouslequelperçait
lacolère.Maisilaétévraimentviolemmentfrappéetlaboucledelaceinture…acauséd’autresblessures.Illuifaudraitdessoinsplusimportantsetdurepos.—Ilfautsurtoutqu’ilparted’ici,dis-jeavecfermeté.—Je crois quenousdevrions tout demêmeappeler la police,me contredit
Vanessa. Nous ne savons rien de cet homme. Il pourrait être un dangereuxcriminel.—Ouvrelesyeux,Ness!criai-je.C’estundanseur!Undanseur!Jem’en
fiche s’il a des dettes de jeu… ou si c’est un junkie… ou quoi que ce soitd’autre!Ilabesoindenous!Vanessamefixaensemordillantlalèvre.— En tout cas, reprit Jo, rien n’indique qu’il soit drogué. Et si c’est un
criminel, c’est toiqui asdes liens avec lapolice.Vavoir tonpère.Tudevraismêmel’appelertoutdesuite.Ilpourrait…—Sijefaisça,ilvacontacterlesflicsd’ici.Tulesaistrèsbien.Nousnousregardâmestouteslestroissansriendire.—EtAshalors?Nousnepouvonspasl’abandonnerici!Aumêmemoment,Ash sortit de la salledebaindansunnuagedebuée. Il
portaitlepantalondejoggingbeaucouptropcourtdeVanessa.Ilarrivaitbienau-dessusdeseschaussuresbrillantes,quipouvaientfairecroirequ’ilserendaitàunefête.Sesmouvementsétaientraidesetmanquaientdelagrâceélégantequim’avait
tellementpluquandjel’avaisvulapremièrefois.Sesyeuxsombrescroisèrentmesprunellesgrises.—Tudevraissuivreleconseildetesamies.Rentrezchezvous.Cen’estpas
sûrpourvousici.—Ettoi?Ilhaussalesépaules,cequilefitgrimacer.—Jevaistrouverunmoyendetransport.
—Tun’espasenétatdefairecela,dis-jeavecfermeté.Jevaisteprendreunbilletd’avion.Oùveux-tualler?Ashfronçalessourcils.—Jenepeuxpasprendrel’avion,répondit-ilfroidement.Ilsm’ontprismes
papiersetlesaéroportsnesontpassûrsnonplus.Lafrustrationmefitgrincerdesdents.—Etlebus?—Ilssurveillentlagareroutière.Ildoitdéjàêtreàmarecherchemaintenant.—Doncilvafalloirquenousprenionsunevoiture.Tusaisconduire?Ashhochalatête,l’airinquiet.—Oui,cependantjen’ainiargentnipapiers.—Moi,si.—Maistun’espasautopdetaforme,répliquaJo,sérieusementinquiète.— Je le sais bien, répondis-je avec le plus grand sérieux. Je vais louer la
voitureetAshconduira.—Jusqu’àChicago?Tuesfolle?Celavousprendratroisouquatrejours!— C’est la seule façon de lui permettre de quitter cette ville, dis-je plus
déterminéequejamais.Etnousn’avonspasdetempsàperdreàdiscuterdeçamaintenant.Là-dessus,nousétionstousd’accord.Jos’occupaderéglerlanotedel’hôtelpendantqueVanessaappelaituntaxi.Nous étions en train de nous entasser dans la voiture venue nous chercher
lorsqu’un véhicule de police se gara tranquillement le long du trottoir. Jecomprisquecelatourneraitmalsinousétionsdécouverts.Quitterunescènedecrimeetnepastémoignerdecequel’onavulorsqu’unhommeasortiunearmeenpublic…Celanedonneraitriendebon.Je quittai mes amies à l’aéroport, leur promettant de leur donner des
nouvelles. L’embarquement de l’avion de Vanessa pour Seattle commenceraitdansmoinsd’uneheure. Joprenait levoldenuitpourBoston.Elleavait louéégalementunevoiturepourAshetmoiavecsacartebancaire,enespérantqueçabrouilleraitlapistedelafemmeenfauteuilroulant.Àpeinetrenteminutesplustard,j’avaisprisplacesurlesiègepassagerd’une
Chrysler200queconduisaitAshdanslaplainesombreetdésertique.Lafatigues’abattitalorssurmoi,maisj’avaistoujoursaussipeuretmoncerveauturbinait,m’empêchantdedormir.Ashavaitlesépaulescourbéesetlesmâchoirescrispéesparlatension.—Jecomprendraistrèsbienquetun’aiespasenvied’enparler,commençai-
jeprudemmentenjetantuncoupd’œilàsonprofil.Maispourquoiceshommesvoulaient-ilstefairedumal?Ilgardalesilencesilongtempsquejecrusqu’ilnemerépondraitpas.Quand
ilparlaenfin,cefutsuruntonbasetcalme,maisfrémissantdecolèrecontenue.— Je suis venu à Las Vegas pour danser. J’ai vraiment cru que c’était la
chancedemavie,dit-il,dansunrireamer.Mais jemesuisvite renducomptequejetravaillaispourlaBratva.—Qui?—Lamafiarusse.—OhmonDieu!Lamafia.Cesimplemotfaisaitsurgirdansmonespritd’horriblesimages,et
aprèscequej’avaisvu…—Jesuislàdepuispresquesixsemaines,poursuivitAsh,d’unevoixtendue.
Ilsm’ont prismon passeport etmon téléphone en premier. Ilsm’ont prévenuensuitequelagareroutièreetl’aéroportétaientsoussurveillanceetquelapoliceétait corrompue.Tonpère est policier, c’est ça ?demanda-t-il enme jetant unregardencoin.—Oui,ilestcapitainedansle13èmedistrictdeChicago.Tuserasensécurité
là-bas.Ashsetournaversmoi,incrédule.—Iln’yaaucunendroitsûr!Il jura furieusement et ses jointures blanchirent tellement il serrait fort le
volant.Jemereculaiunpeufaceàcettecolère.Jeprisenfinconsciencedenotresituation.Jeneconnaissaispascethomme,
pourtant, toutenmoimepoussaità l’aider.Mais là, toutdesuite, ilmefaisaitpeur.—Ilsauraquoifaire,Ash.Ilfautjustequetumefassesconfiance.Ilgardalesilenceunmomentavantdemejeteruncoupd’œilrapide.—Tuconnaismonnom.Jeluisourisfaiblement.—Tumel’asdithiersoirquandnousnoussommesrencontrés.Ilhochalatête.—Jem’ensouviens.Maisàvoirsonregardassombri,cen’étaitpasunbonsouvenir.—Ettoi,c’estLaney.J’aientendutesamiest’appelerainsi.Ash frappabrutalement levolantattirantmesyeuxsur sesmains.Toutétait
parfaitchezcethomme.Lesgrossesbrutesavaientévitédefrappersonvisageau
moins.Jemedemandaisbienpourquoi.Je m’efforçai de contempler le paysage nocturne, en vain ; mon regard
revenait toujours sur Ash. Ses yeux formaient une fente étroite à cause de ladouleuretdelaconcentration.Unmuscletressautaitsursajoue.Regardercommeçadevaitêtretrèspénible.Jecherchaiunmoyendedissiper
unpeulatension,maiscefutAshquipritlaparolelepremier:—Çatedérangesijemetslaradio?—Pasdeproblème.Quelgenredemusiqueécoutes-tu?—J’aimetout,dit-ilenserelâchantunpeu.Toutcesurquoijepeuxdanser.—Oh,biensûr,murmurai-je.Ashmejetauncoupd’œilavantdetournerleboutondelaradio.Ilchercha
unestation,passantrapidementsurplusieursquidiffusaientdelacountrypours’arrêtersuruneautrebienplusrock.—DeCopacabanaàHotelCalifornia?Ashhaussalesépaules,l’ombredesonmagnifiquesourirequiavaitilluminé
lascènequelquesheuresauparavantnaissantsurseslèvres.— Oui, c’est un peu ça. J’ai beaucoup écouté de musique américaine en
grandissant.La relativenormalitédenotre conversation, après leshorreursdesdernières
heures,mesoulagea.—D'oùviens-tu?—DeSlovénie.Ilmejetauncoupd’œil,commes’illuisemblaitévidentquejeconnaissece
pays.J’étaismortifiéed’avouerquecelanemedisaitrien,maisjesupposaiqu’ilavait l’habitude de ce genre de réaction, car il continua en découvrant monexpression:—Celafaisaitpartiedel’ex-Yougoslavie.Noussommesindépendantsdepuis
1991.—Ondiraitqueturépètesçasouvent.—Oui,onpeutdireça,dit-ilenhochantlatête.—Waouh!Tuviensd’unpaysplusjeunequel’Amérique,lançai-je,taquine.—LaCarmineRotundaestuneéglisequiaétéconstruiteaudouzièmesiècle,
répliqua-t-ilenhaussantlessourcils.—Oh,dis-je,mesentantcomplètementignare.Ashhaussalesépaules.—C’estunpetitpaysdeseulementdeuxmillionsd’habitants.Unsilenceembarrassants’installaletempsquenoustrouvionsunautresujet
deconversation.Évidemment,nousreprîmeslaparoleenmêmetemps.—Vas-yenpremier,dis-je,gênée.Il me regarda du coin de l’œil et il humecta ses lèvres en s’agitant
nerveusementsursonsiège.—Ilyaunefille…Biensûr,pensai-jetristement.—Oui?—Elle a des problèmes, ditAsh rapidement, comme si plus il parlait vite,
plusceseraitfacileàannoncer.Jefronçailessourcils,enessayantdedonnerunsensàcesmots.—Elleestenceinte?Ashparutétonné.— Non, je ne crois pas. C’est possible, je ne sais pas, mais elle a des
problèmes.Onlaforceà…coucheravecdeshommes,tucomprends?—C’estune…prostituée?—Non.Oui.Enfin,elleneveutpasl’être.Elleestdanseuse,commemoi.Je
l’airencontréelejouroùjesuisarrivéetuneautrefoisseulement,hiersoir.Ilslaretiennentàl’extérieurdelaville.Jenesaispasoùexactement.Savoixavaitprisuntontendu,presquedésespéré,mesuppliantpresque.— C’est une ferme, je pense. Elle m’a dit qu’ils étaient armés, qu’ils la
surveillaient. Mais maintenant que nous avons la voiture, peut-être que nouspouvonslaretrouver?J’étaisparcourueparunflotd’émotions.J’avaishonte,maisjeressentaisdela
jalousiequ’Asheutunepetiteamie;j’étaisaussichoquéeparcequiétaitarrivéàcettepauvrefille,maisj’étaiségalementhorrifiéequ’Ashpuisseenvisagerquenousallionsdéfierdestypesdelamafiarusse,armésquiplusest.C’étaitunvraicauchemar.J’avaisenvieplusquejamaisd’appelermonpère.
J’avaisbesoinduréconfortdesesconseilsdanscemomentoùj’étaistellementàbout de nerfs. J’avais besoin de sa clarté d’esprit. Je louchai discrètement surmontéléphoneenluirépondant:—Euh,Ash,celanemeparaîtpasunetrèsbonneidée.Tuviensdemedire
qu’ils sont armés et qu’ils la surveillent. Jeme suis déjà retrouvée en face ducanond’unpistoletcesoiretj’entrembleencore.Jenesaispascommentnouspourrionsnousyprendre.Maissielleestretenuecontresongré,nousdevrionsprévenirlapolice.Bonsang!Jen’avaispasderéseau!—Comments’appelle-t-elle?
Ashsecoualatêteavecimpuissance.—Marta.Jen’ensaispasplus!Enfait,jenesaisriendutout!J’aiseulement
promisdel’aider!Etilfrappaànouveauviolemmentlevolant,mefaisantsursauter.J’enlâchai
montéléphone.Ash me jeta de nouveau un regard en coin avant de fixer à nouveau son
attentionsurlaroute.— Je suis désolé. Je… peux…Est-ce que ton père… peut… faire quelque
chose?Jetouchaidélicatementsonbras.— Quand tu feras sa connaissance, dis-lui tout. Il t’aidera. Je t’en fais le
serment.Ashfronçalessourcilsavantd’acquiescerd’unmouvementdetêtenerveux.Lerubansombreetveloutédelaroutesedéroulaitdevantnous,danslanuit.
Lesétoilesétaientcommedestêtesd’épingle,loinàl’horizon,tellementloin.Lalumièredesphares seperdaitdans l’obscurité et celadonnait l’impressionquenousétionsseulsaumonde.Un long silence s’installa à nouveau entre nous avant qu’Ash reprenne la
parole:—Merci.
Je ne me réveillai pas en remontant lentement à la surface, encore dans lesbrumesflouesd’unrêve,maisdansunegrandeinspirationbrutalequimedonnal’impression que mon corps brûlait. La sensation soudaine de douleur meréveillainstantanément.Les larmes me montèrent aux yeux et je pris une grande inspiration
laborieuse. Je n’ouvris les yeux que lorsque je fus capable de contrôler ladouleur. J’étais seule dans la voiture, l’aube commençant à dessiner des traitsplusclairsdansleciel.JetournaiprudemmentlatêteetdécouvrisAshàquelquespasdelavoiture,
penchésurlefosséentraindevomirviolemment.J’eus instinctivement envie de le rejoindre, mais mon corps s’y opposa,
m’obligeant à rester dans la voiture. J’attrapai mon sac d’où je sortis mesmédicaments. J’avalai les pilules en buvant une bouteille d’eau que j’avaisachetéeà l’aéroport. Ilvalaitmieuxnepas lesprendre l’estomacvide,mais jen’avaispasdutoutenviedemangerleSnickersquiétaitlaseulenourriturequej’avaissurmoi.
J’essayai de me redresser un peu, mais mes articulations protestèrent et jerestaibloquéedansunedouloureusepositionbancale.Lesminutess’égrenèrent,maisAshnerevenaitpas;ilétaittoujoursauborddufosséavec,maintenant,latêterenverséeenarrièreetilregardaitleciel.Labrumematinalesedissipaitetlesoleilavaitpeintlepaysageengriseten
brunquiviraitmaintenantaurougeetaudoréaufuretàmesurequ’ilmontaitsurl’horizon.Jedécouvris,horrifiée,queledosdutee-shirtd’Ashétaitcouvertdetachessombresquinepouvaientêtrequedusangséché.Ilfitenfindemi-touretpritladirectiondelavoiture;sonexpressionchangea
quandils’aperçutquej’étaisréveilléeetquejel’observais.Nouséchangeâmesunregardgêné.—Jesuisdésolésijet’airéveillée.—Non,pasdutout.Ilhaussalesépaules,cequiluiarrachaunegrimace.— La route se sépare en deux juste devant nous et je ne sais pas quelle
directionprendre.S’ilyavaituneautreraisonàsonarrêt,ilnevoulaitpasl’admettre.Jesortismontéléphoneetjefislagrimacequandjeconstataiqu’ilétaitmort
dechezmort.Jen’avaisplusdebatteriedepuislanuitdernièreaumoinsetjemesouvenais fort bien où j’avais laissémon chargeur dans la chambre d’hôtel laveille.Jelerangeaidansmonsac;jefouillaidanslaboîteàgantàlarecherchedela
cartefournieparl’agencedelocation.—Ilfautquenousprenionsla70.EllemèneàDenver.— Den-ver, répéta Ash en détachant les syllabes d’un nom qu’il ne
connaissaitvisiblementpas.D'accord.—Tuesenétatdeconduire?Tuasl’air…fatigué.—Pasdesouci.Jehochailatête,mêmesij’étaisloind’êtreconvaincue.—Euh…ilfautquej’ailleauxtoilettes,dis-je,trèsgênée.Lefrontd’Ashseplissad’inquiétude.—Biensûr,jesuisdésolé.—Non,non,pasdeproblème.Seulement… je… jenepeuxpas…faire, là
dehors,tucomprends?Ashm’adressaunpetitsourire.—Oui,jesais,c’estplusfacilepourunhomme.—Oui,onviseetontire,hein?
J’avais parlé sans réfléchir, mais l’idée qu’Ash avait probablement fait ça,avaittouchésonsexe,mefitrougird’embarras.—Jesuisdésolée!MaisAsheutunpetitsourireencoin.— Je crois que nous en avons assez vu tous les deux pour ne plus être
embarrassésparcegenrededétails.Jenesavaispastropquoiluirépondre,maisuneimageducorpsdégoulinant
desangetnud’Ashsuspenduentrelesdeuxbrutessurgitdevantmesyeux.—Jedevraisappelermonpère,dis-jeenbattantrapidementdescils.—Ilestencoretrèstôt,fitremarquerAsh.Ilétait5h47autableaudeborddelavoiture.—Ilestdéjàréveilléàcetteheure.Chicagoestsurunautrefuseauhoraire.Il
mefautuntéléphoneenrevanche,lemienn’aplusdebatterie.—Quevas-tuluidire?Je plantaimon regarddans le sien. Je nem’étais pas rendu compteque ses
yeuxétaientsiclairs,plusnoisettequechocolat…etmagnifiques.Jebafouillaiuneréponse:—Tout.Ash hocha la tête en silence. Il monta en voiture, grimaçant légèrement
lorsqu’ils’assitsurlesiègeconducteur.Puisilmitlecontactetdémarra.Jeluijetaiuncoupd’œil.—Tuasétémalade.Sesépaulesseraidirent.—Oui.Iln’avaitvisiblementpasenvied’enparler.Jen’enfisplusmention.Auboutd’unevingtainedeminutes, lanécessitédefaireunarrêtpipise fit
plus impérieuse.Mavessie était tellementpleinequemesbras,mes jambesetmesyeuxsecroisaient.Heureusement, l’effetdesmédicaments se faisait sentir et jepouvaisbouger
plusfacilement.Ashsegaradevantlepremierdînersurlaroute.Sansquej’aiebesoindeleluirappeler,ilallacherchermonfauteuiletleplaça
devant ma portière ouverte. Je m’installai lentement dans le fauteuil et jem’affalaiaufonddusiègeensoupirant, le tempsqu’Ashdéplie lescale-pieds.Fairequelquechosed’aussibasiquemecoûtaittellementd’efforts.Je ne pus retenir un sourire quand je vis Ash descendre son pantalon de
joggingleplusbaspossiblesurseshanches,pouréviterqu’ilneluiarrivetrophautsur lesmollets.Quand il leva lesyeux, ildécouvrit l’amusementsurmon
visage.—J’ail’airridicule,dit-ilenfaisantlamoue.Ondiraitunclown.J’éclataiderire,lepremierdepuiscequisemblaitêtreuneéternité.Il n’était pas aussi tiré à quatre épingles que d’habitude, c’était certain. Sa
barbenaissantefaisaituneombrenoiresursesjouesetsonmenton,luidonnantunairplusbrutdedécoffrage,trèsdifférentdeceluiquejeluiconnaissais,bienplussophistiqué.Unsourireléger,maisbienréelétiraseslèvres.Il fut soudainprisde frissonset je regrettaidenepas luiavoirprisquelque
chosedepluschaudquecefintee-shirt.Ilfaudraitquenousnousarrêtionstrèsvitepouracheterquelquechose.Il me poussa en direction du dîner. L’expression fermée de la serveuse
s’adoucitquandelleaperçutmonfauteuil.Etvoilà,c’étaitbiendelapitié.Ashmeconduisitjusqu’àlaportedestoilettesets’arrêta,hésitant.—Tupeux…—Oui,net’inquiètepas,jepeuxmedébrouiller,dis-jevivementenpoussant
laporteavecmonfauteuil.Mon Dieu, quel soulagement de pouvoir enfin relâcher la pression de ma
vessie.Leplaisird'urinerdansdevéritablestoilettesétaitvraimentsous-estimé.Ondevraitécriredespoèmesàcesujet.Ashétait toujours làquand je ressortis. Jem’attendaisà levoirdéjàattablé,
unetassedecafédanslesmains.Maisnon,ilmepoussajusqu’àunetabledansuncoinetpritplaceenfacedemoi.Il joua unmoment avec lemenu graisseux etme jeta un coup d’œil gêné,
refusantdecroisermonregard.—Commandecequitefaitplaisir,dis-je,l’airderien.Ashfermalemenuetcroisalesbrasenregardantparlafenêtre.—Jen’aipasfaim.Merci.—Écoute, dis-je enmepenchantvers lui, lamainposée sur son coude.Le
cheminjusqu’àChicagoesttrèslong;jecomptesurtoi.Jenepeuxpasconduiredanscetétat.J’aibesoindetoialors,s’ilteplaît,mangequelquechose.Illevalesyeuxsurmoietm’observaunmoment,sonregardfouillantlemien.
Puis, il hocha la tête. Il avait peut-être acceptéma proposition avec réticence,maisquandlaserveuseapportal’assiettedebacon,d’œufsetdepancakesquejeluiavaiscommandée,Ashdévoraletout.J’avaisunpeumal à l’estomacàcausedesmédicamentsque jen’avaispas
pris en même temps que mes repas. Je mangeai autant qu’il m’était possible
avantderepoussermonassiette.Ashlasuivitdesyeuxsansriendire.—Tuveuxterminer?Commeça,nousnegâcheronsrien.Ash sembla hésiter, puis la faim l’emporta. Il transféra tout ce que j’avais
laissédanssonassietteetl’avalarapidement.Jemedemandaicommentilpouvaitrestersiminces’ilmangeaittoutletemps
comme ça. Moi, il suffisait que je regarde un pancake pour le retrouver lelendemain,avecundesespetitsfrères,surmeshanches.Lavien’étaitpasjuste.Puislesouvenirdecequ’Ashavaitdûtraversermerevintenmémoire.Non,
lavien’étaitvraimentpasjuste.Ash conduisit pendant les huit heures qui suivirent. La route commençait à
s’élever dans les montagnes et le ciel devenait d’un bleu cristallin. Latempératurechutaitaussi,plusnousmontions.Nous ne parlions pas beaucoup : nous écoutions la radio, laissant les
kilomètresdéfileretnouséloignerdescriminelsquenousavionsaffrontés.Jecommençaisàmesentirplusensécurité,plusoptimistesurlefuturd’Ash
quirestaittrèssilencieux.Jeréussisàsomnolerunpeusousl’effetdelafatigueextrêmeetdesmédicaments,maisj’auraisdonnén’importequoipourunbonlit.NousnousarrêtâmesenfindansunSuper8prèsdeDenver.Ash dormait littéralement debout et,moi aussi, enfin l’équivalent quand on
étaitdansunfauteuilroulant.Nousétionscommedeuxzombiesrécemmentréanimés;Ashtrébuchadansle
halldumotelenmepoussantpéniblement.Labonnenouvelleétaitqu’ilyavaitune chambre libre ; la mauvaise était qu’il n’y en avait qu’une et que nousdevrionslapartager.J’étais tellement crevée que je m’en moquais éperdument. Quant à Ash, il
avaitl’aird’êtreincapabledemettreunpieddevantl’autre.Ilpoussalaportedelachambreetnouscontemplâmesleconfortableet très
grandlit.Iln’yavaitpasdedivan.Ashouvritlabouche,visiblementsurlepointde dire quelque chose, mais je coupai court à toute argumentation qu’ils’apprêtaitàdévelopperenagitantlamain.—Jem’enfiche,jeveuxjustedormir.Ashhocha la tête, l’airexténuéet lâchamonsacsuruncôtédu litavantde
s’effondrer,latêtedanslematelas,surl’autre.Quelques secondes à peine après, son souffle devint régulier et ses lèvres
sensuelless’entrouvrirent : ildormaitprofondément.Iln’avaitmêmepasretiréseschaussures.
J’hésitaiuninstantavantdefaireavancermonfauteuiletdem’approcherdeses pieds. Je dénouai prudemment ses lacets, puis retirai délicatement unechaussure puis l’autre. Ashmarmonna quelquesmots incompréhensibles dansson sommeil, ses longs doigts s’agitant sans cesse, puis il redevint totalementimmobile.Soulagéedenepasl’avoirréveillé,jemedirigeaiverslasalledebain.J’aurais adoré prendre une douche, mais c’était trop compliqué. Je me
contentaidemelaverlevisageetdemebrosserlesdents.Enrevenantdanslachambre,j’observaiAsh,toujoursprofondémentendormi.
Ilsemblaitplusjeunemalgrélabarbesombrequimangeaitsesjoues.Cette façon de dormir paisiblement évoquait la jeunesse. Peut-être que le
sommeil effacerait les horribles choses qu’il avait vécues, au moins pourquelquesheures.Je remarquai alors la chair de poule qui hérissait la peau de ses bras. Je
n’arriverais jamais à tirer le dessus de lit qui était coincé sous lui, sans leréveiller.Jedirigeai,àlaplace,monfauteuilversleplacard.Jepoussaiungrandsoupir endécouvrant la couverturede secours, soigneusementpliée,maishorsdeportéepourmoi.Jeme résignai alors à retirerma veste et à la placer sur ses épaules. Je ne
pouvaisrienfairedemieux.Jeréussisàm’extirperpéniblementdemonjeanet farfouillaisousmontee-
shirtpourdégrafermonsoutien-gorge.Jegardaitoutlereste.Puis,jem’installaisurlelitetessayaidemedétendre,allongéeàcôtédecet
étranger qui dormait à mes côtés. L’agréable chaleur de son corps étaitréconfortanteetjefinisparsombrerdansunsommeilprofondquimelibérademesdouleurs.
Chapitre8
ASHMon pouls s’emballa me tirant immédiatement du sommeil. Complètementalerte, j’observai autour de moi à la recherche d’une menace, mais tout étaitcalme.Lesbattementsdemoncœurcommencèrentàralentir,maisjetremblaisencore de tout mon corps – de froid, mais également à cause des imageshorriblesdemonderniercauchemar.Moncœurmanquaunbattementlorsquejeréalisaiquejen’étaispasseuldans
le lit.Mais je reconnus alors lamasse de cheveux blonds couleur demiel surl’oreiller et la jolie femme à qui ils appartenaient. La fille dans le fauteuilroulant.Je m’agrippai frénétiquement à sa veste en jean, toujours drapée sur mes
épaules.Elleavaitsonparfum,unmélangedenoixdecocoetdefleurs.C’étaitdélicat,commeelle.Jemelaissaipénétrerparlecalmeabsolujusqu’àcequelabouleaucreuxde
mapoitrinedisparaisse.Lesouvenirdemoncauchemarcommençaàs’évanouiretlalumièredujour
réactivadesréminiscencesplusagréables.J’observailafille–lafemme,enfait–allongéeprèsdemoi,vraimentpourlapremièrefois.Je remarquaiqu’elle avait des tachesde rousseur sur lenez et les jouesqui
avaientétédissimuléesparlemaquillagehier.Deslignesdélicatespartaientdeses yeux et venaient entourer sa bouche. Elle avait des poignets fins et sesépaules trèsminces pointaient sous son tee-shirt. Elle semblait avoir des brassolides, sansdouteà forcedepousser son fauteuil.Que luiétait-il arrivé?Unaccident,peut-être?Maisellemarchaitunpeu,jel’avaisvue,maisaveclenteuretavecbeaucoupdedifficultés.Laculpabilité renforçaencoremonmalde tête. J’auraisdû le luidemander.
J’étaistellementabsorbéparmespropresproblèmesquejen’yavaismêmepaspensé.Encore une raison de m’en vouloir. Après Marta, la fille, peut-être même
YvetaetGary.Ilauraitpuleurarrivern’importequoidepuismondépart.Jeme frottai les tempes en essayant de soulagermonmal de crâne. J’étais
déshydraté:j’avaisbutropdecaféetpasassezd’eau.
Je jetai ànouveauuncoupd’œil à cellequidormaitpaisiblement à côtédemoi.Laney.Elleétaitjolie.Jenem’étaispastrompélà-dessuslapremièrefois.Ellen’était
pastrèsbelle,pasdugenreàêtrerepéréedansunefoule,maismaintenantquejel’avaisremarquée,jeneparvenaispasàl’oublier.J’avaisrencontrébeaucoupdetrès belles femmes : des danseuses, des amies, des petites amies.La danse desalonétaitunmilieutrèsglamour,danslequel tout lemondesepréoccupaitdeson apparence. Courbes gracieuses, silhouette impeccable, mains élégantes,mouvements fluides, tout était soigné, quoi qu’il en coûte. Mais le glamourn’étaitquelafaçadequidissimulaituntravailtrèsdur.Laplupartdemespetitesamiesavaientétédesdanseuses.J’avaisessayéde
sortiravecdesfillesquin’étaientpasdecemilieu,maisellesfinissaienttoujourspar être jalousesdu tempsque jepassais à répéter avecmespartenaires.Ellesn’aimaient pas la promiscuité que cela impliquait avec les danseuses etdétestaientlesdanseslesplussensuelles,surtoutlarumba.Maissortiravecdesdanseusesn’étaitpasforcémentsimplenonplus.Quand
larelationamoureuses’arrêtait,lepartenariatdansladanseaussietcelafichaitenl’airdesmoisvoiredesannéesd’entraînement.C’estcequiétaitarrivéavecJana,ma dernière partenaire qui voulait que nous développions notre relation.Nousavionscommencéàsortirensembleetelleenavaitimmédiatementdéduitquenouspouvionspasseraustadesuivant,celuidevivreensemble.Cequejenevoulaispas.Alors ellem’avait larguépourun ancien championdumondequiavait le double de son âge. C’était une des raisons pour lesquelles j’avaisrépondu à cette annonce pour Las Vegas. Mais ce qui m’attirait chez Laney,c’étaitsachaleur,sadouceuretsaforce.Ellem’avaitpercéàjouraussi.Complètement.Quandj’étaisaufonddutrou.
Etellem’avaitaidé,sauvé.Ellecontinuaitàlefaire.Elleétaittellement,tellementcourageuse.Je m’assis prudemment. La peau de mon dos et de mes fesses n’était que
douleur incendiaire.Commesi l'onmeplantaitdescouteauxencoreet encore.J’avais très envie de prendre une douche,mais l’autre fille, l’infirmière, avaitposé des pansements sur les parties les plus lacérées et je ne pouvais pas lesatteindre.Je serrai les dents en repensant à la ceinture qui me flagellait, à la boucle
métalliquequimordaitmachair,auxgrognementsdeSergeiquisemasturbaitenregardant.
Jeluttaicontrelanauséeetlahontequimesubmergèrent.Jenevoulaisplusjamaisypenser.Jamais.J’abandonnaistoutçaàmescauchemars.Laneyavait faitpreuvede tellementdecouragequand toutcelaétait arrivé.
MonDieu, cela faisait-il seulement deux jours ? Elle ne s’était pas évanouie,n’avaitpascrié;elleavaitorganisénotrefuiteetprisdesdécisions,ellem’avaitaidéàmesauver.Unevaguedegratitudem’envahit.Lecorpsencoreraide,jeprisladirectiondelasalledebainpoursatisfaireun
besoinnaturel.JeregardaiavecenvielabrosseàdentsdeLaney,maisl’utilisermeparaissait
mal.Jefrottaimesdentsavecmondoigtetunpeudedentifriceàlaplace.Mon Dieu, j’avais vraiment besoin d’une douche, mais je refusais de
demanderàLaneydem’enlevermespansements,ceseraittrophumiliant.Jenevoulais pas qu’elle se souvienne à cette occasion dans quel état elle m’avaittrouvé–faibleetbrisé.Lorsquejerevinsdans lachambre,elleétaitassisesur le litetsefrottait les
yeux.—Salut,lançai-je.Elleécarquillalesyeuxettiraanxieusementledrapplushautsursapoitrine,
maispasassezvitepourquejenedistinguepaslacourbedesesseinsetdesestétons érigés sous son tee-shirt. Un éclair de chaleur me traversa et je dusdétournerleregard.—Salut,répondit-elleentirantencoreunpeuplussurledrap.Je cherchai quelque chose à dire pour briser le silence embarrassant qui
s’installait,maisriennemevintàl’esprit.Qu’étais-jesupposédireàlafemmequim'avaitsauvélavie,unefemmequejeconnaissaisàpeine,maisavecquijevenaisdepartagerunlit?—Je…Jem’arrêtai,incapabledecontinuer.Jehaussailesépaules.—Merci,finis-jeparbalbutier.—Pourquoi?demandaLaneyenfronçantlessourcils.Pourm’avoirsauvé lavie.Pourm’avoirépargné lesprojetssadiquesdece
cinglé.Pourmefaireconfiance.Maisjeneprononçaiaucundecesmots.Aulieudeça,jedésignaid’ungeste
delatêtesavesteenjeanpliéauboutdulit,làoùjel’avaislaissée.—Mercipourtaveste.—Jet’enprie,dit-ellegentiment.
Nousnousobservâmesencorequelques instantspuis jemontrai son fauteuildelamain.—Tuveuxquejet’aide?—Non,jepeuxmedébrouiller,merci.Jemesensmieuxenfaitaujourd’hui,
doncçadevraitêtreplusfacile;unpeuplusrapideaussi.Ellerit,maiscelasemblaitunpeuforcé.Jefronçailessourcilsàmontour.—Tun’enaspasbesointoutletemps?—Non.Enfait,pastrèssouvent.C’estjustelorsquejesuisencrise.—C’estquoitonproblème?Ilmefallutcinqbonnessecondesavantderéaliseràquelpointmaquestion
sonnaitmal.Laneyhaussaunsourcil.—Monpetitamiditqu’aimerBuffyestunproblèmeparcequec’estunesérie
pour ados et que j’ai vingt-neuf ans. Je ne suis pas d’accord : Buffy est unesacréedureà cuire.C’est ceque tuveuxdirequand tumedemandesquel estmonproblème?Jegrimaçaietbaissailatête.—Jesuisdésolé.Jevoulaisjuste…Laneym’adressaunpetitsourire.—Jesaiscequetuvoulaisdire.Etlaréponseestlapolyarthriterhumatoïde.Jereconnaissaislepremiermot.—Jecroyaisquec’étaitunemaladiequinetouchaitquelespersonnesâgées?
dis-jesuruntonhésitant.Jedevaisvraimentavoirl’airperdu,carLaneyenchaînarapidement:— Tu parles d’arthrose en fait. Les gens confondent souvent. C’est lié au
vieillissement,uneusuredesarticulations.Laformedontjesouffresedéclencheàn’importequelâge,parfoisdèslanaissancesitun’aspasdechanceousituesunique en ton genre, dit-elle en riant amèrement. Mes articulations peuvents’enflammeretdevenirtrèsdouloureuses,parmid’autressymptômes.J’aibesoindemonfauteuillesmauvaisjours,maisleplussouvent,jemesenssuffisammentbienpourm’enpasser.C’estunequestiondechance.—Iln’yapasdemédicaments?—Si,enfinçadépend.Onpeutlacontrôlerdansunecertainemesure,c’estun
traitement qu’on doit ajuster. Mais on n’en guérit pas, dit-elle avant dereprendre,unpetitsourireauxlèvres.Parfois,lemeilleurmédicament,c’estdefaire ce dont on a envie, histoire de se rappeler que c’est bon de vivre et que
c’estdéjàunsacrécadeau.Sonsourires’élargitcommesiellecroyaitvraimentàcequ’elledisaitetagita
samaindansmadirection.—Vas-y,posetesquestions,jevoisquetuenasencore.Jem’assisauborddulitetfixailefauteuilvide.—Tul’astoujourseue?—Cettemaladie?Depuisl’âgedeseptans.Jet’enprie,nemedispasquetu
esdésolé.Jeluijetaiunbrefcoupd’œil.—Tudétestesça,hein?—Tut’enesrenducompte?répliquaLaneyavecironie.—C’est de la façonque tu regardais la serveusehier dans ledîner. C’était
impressionnant.—Ohzut!J’essaied’éviterça,ritànouveauLaneyenfronçantlenez.Mais
parfois,jenem’enrendspascompte.Jesourisàmontour.— Je vois ce que tu veux dire !Les amis demon père ont toujours cet air
navré quand ils apprennent que je suis danseur. Ils pensent que… dis-je enm’interrompantletempsdetrouverlebonmotenanglais.Ilspensentquec’estefféminé,terminai-je,lesourires’effaçantsurmonvisage.Jelafixaiavecintensité,enessayantdeluifairecomprendrecequejevoulais
dire.—Jenesuispasgay.LerirebruyantdeLaneynoussurpritautantl’unquel’autre.—C’estvrai!m’écriai-jesurladéfensive.Quandjedisauxgensquejefais
deladansedesalon,ilsenconcluentforcémentquejesuishomosexuel.Chaquefois!—Lesgens adorent les stéréotypesparcequec’estprévisible, reprit-elle en
secouant la tête.Maispourquoipratiques-tucegenrededanse?Qu’est-cequit’aattiréverscestyleaudépart?—LePasoDoble,répondis-jeimmédiatement.C’estsiintense,siviril.C’est
l’hommeenfacedesespropresdémons,safaiblesse.Laneyarqualessourcils.Ellen’avaitvisiblementjamaisvuleschosesainsi,
maisellecomprenait.Pascommemoi,maisellelecomprenait.—N’importequellefemmedevineraitmêmeàunmillierdekilomètresquetu
n’espashomosexuel.Tuestellement…Elles’interrompitbrusquementet j’inclinai la têteenl’enjoignantà terminer
saphrase.—Jesuistellementquoi?—J’allaisdire:tellementmâle,marmonnaLaney,ens’éclaircissantlagorge.—Lesgayspeuventêtretrèsmâles.—Oui, jesais.Jevoulaissimplementdirequec’étaitévidentque tun’étais
pasgay.Oh,monDieu,jem’yprendstellementmal!Elle piqua un fard et ses yeux dérivèrent vers mon corps. Mes épaules se
décontractèrent et je lui souris largement, en me rapprochant d’elle, sans laquitterdesyeux.—Tucroisvraimentquec’estévidentquejenesuispasgay?Jepourraisêtre
encoreplusclairàcesujet…maistuasunpetitami.Jeluiadressaiunsouriretriomphantpuisprismesdistancesànouveau.Elleétrécit lesyeux.Puisellemepritcomplètementparsurprise lorsqu’elle
empoignaunoreiller etme le jetaà la figure. Je levai lesbrasparpur réflexeévitantainsidejustessedeleprendreenpleinetête.Une fois la surprise passée, je lui lançai un regard mauvais. Elle se mit à
hurlerquandellecompritquej’allaisluirenvoyerl’oreiller.Jemesouvinsalorsqu’elle était handicapée et que la lutte n’était pas très égale. Je laissai tomberl’oreillerenhaussantlesépaulesavecespièglerie.—Désolé.Son visage laissa transparaître une émotion entre agacement et tristesse. Je
comprisquej’avaisfaitlemauvaischoix.—Ilfautquej’ailleauxtoilettes,marmonna-t-elle.Je luiavaisfaitde lapeine ; jemeseraisbiendonnéungrandcoupdepied
aux fesses. Je n’avais jamais rencontré une personne handicapée. Je n’avaisaucuneidéedecequedevaitêtremonattitudeetlefaitquej’oublietoutletempsqu’elleétaitdansunfauteuilroulantm’étonnait.—Tunepourraispas regarderailleurs?demanda-t-elle. Jemesensunpeu
exposée,là.—Tun’asqu’àprétendrequejesuisgay.—Retourne-toi!Jepivotaisurmoi-même,lesmainssurleshanches,luiprésentantmondos.Lesilencesefitsoudainement.—Commentvas-tu?demanda-t-elleprécautionneusement.Tondos?Jemeraidis.—Çava,mentis-je.—Permets-moid’endouter,reprit-elledoucement.Tun’aspasàmecacherta
douleur,Ash.Surtoutàmoi.Accablé,jelaissaitombermatêtesurmapoitrine.Jejetaiunbrefcoupd’œil
par-dessusmon épaule et je découvris qu’ellem’observait avec attention, sonregardbalayantmondos, sonvisage exprimant toute la compassionque je luiinspirais.Elledevaitvoirlesangfraisquiimbibaitmontee-shirt.—C’estdouloureux,reconnus-je.J’aivraimentbesoind’unedouche.Il faut
juste…Pourrais-tum’aideràretirerlespansements?—Biensûr.Donne-moiseulement…unepetiteminute,d’accord?Elleglissadanssonfauteuil,enessayantdedissimulersessous-vêtements.Ellesemblaitpouvoirsedéplacerplusfacilement.Je n’entendis pas l’eau de la douche couler. Comment s’y prenait-elle pour
fairetoutça,surtoutquandelleavait…commentdisait-elle?Unecrise?Je retirai mon tee-shirt et regardai les traces de sang, les sourcils froncés.
C’étaitpirequecequejepensais.Quelquesminutesplustard,Laneyréapparut.Sesyeuxs’emplirentdelarmes
dèsqu’elleaperçutmondos.Jenevoulaispasqu’ellepleureàcausedecequeces enfoirésm’avaient fait.Elle semit alors à parler, s’efforçant à garder unevoixposée:—OK.Laisse-moivoir.Elleretiraunparunlesbandages.Jemedoutaisquej’avaisdéjàdesbleus.Un
coup d’œil dans lemiroirme le confirma :mon dos était un kaléidoscope decouleursallantdunoirauviolet.—Peux-tutemettreàgenouxafinquejepuisseatteindretesépaules?Jem’agenouillaidevantelle,lespiedssoussonfauteuiletlescuissespressées
contre ses genoux. Je sentais ses mains trembler légèrement contre mon dos.Mais même si elle demeurait très délicate dans ses gestes, je ne pouvais pasretenirmesgémissementsdedouleuretmesmusclestressaillaient.Jesavaisdéjàque jegarderaisdes traces indélébiles,que jeseraismarquéà
jamais.Jenepourraisjamaisoublierl’œuvred’Olegnilessouvenirshorribles.Sicela
restait très laid, j’aurais dumal à retrouver un travail dans la danse.Les gensviennentvoircesspectaclespoursedétendre,paspourvoirunenouvelleversiondeQuasimodo.JeneporteraissansdouteplustrèssouventdesgiletsdePasoDoble.Lacolèreetlafrustrationm’envahirentànouveau.Jen’échapperaisjamaisà
laBratva.JesentaislesmainsfraîchesdeLaneysurmapeaubrûlante.J’aimaislafaçon
dont elle me touchait, avec délicatesse, mais sans hésitation. Elle savait cequ’étaitlasouffranceetcelanel’effrayaitpas.Elleneselaissaitpasabattreparladouleur.Jeserrailesdents:j’étaispeut-êtremarquéàvie,maisjenelaisseraispasSergeigagner.D’amères imagesdevengeance envahirentmonesprit tourmenté. Jen’avais
jamaispossédéd’armesauparavant,maisj’enavaistrèsenviemaintenant.Sicemonstreseprésentaitdevantmoiàl’instant,j’appuieraissurladétente.
J’étaiscertainàcentpourcentquejeleferais.Etcelanemefaisait…rien.C’étaitcommesil’intensitédesémotionsquim’avaientbalayécesdernières
semainesm’avaitvidétotalement.Jemesentaisvide,jen’avaisplusrienenmoi.Jedevraispeut-êtrem’eninquiéter.Ladanseétaitmapassion,maisellevenait
demestripes.Sijen’avaisplusdepassion,quemerestait-il?Même cette idée n’était qu’une crainte lointaine et sans grande importance,
commesijeregardaiscetteviepourriedel’autrecôtéd’unpanneauvitré.Laneytouchaalorsunpointparticulièrementsensibleetjefrissonnai,retenant
monsoufflepournepasgémir.—Désolée,murmura-t-elle.Jemeraidisquandelletirasurlaceinturedemonpantalonpourdécouvrirla
partie supérieure de mes fesses afin de détacher un pansement. Puis, unesensationtrèsdifférentem’envahit.Merde!Pasmaintenant!Je posaimesmains surmon sexe, tentant de cacher la bossequi se formait
souslejogging.Laneyn’avaitpasbesoindevoirça.Ellemeprendraitpouruncingléquelasouffranceexcitait.Puis une question me traversa l’esprit : Pouvait-elle avoir des relations
sexuelles?Celaluiferait-ilmal?Enavait-elledéjàeues?Elleavaitunpetitami,maiscelasignifiait-ilque…Jerepoussaitoutescesidées,essayantdemeconcentrersurlespanneauxdu
plafondquejememisàcompter.Heureusement,jen’avaisplusd’érectionoupresquelorsqu’elletermina.Elleétaittouterougecependant.Avait-ellevuquelquechose?— Je vais aller prendrema douche, dis-je en désignant la salle de bain du
pouce.—Attends!Ilfaudrait…balbutiaLaney.Jedevraisprendreunephoto.Cela
feraunepreuve.Monvisagesefigea.—Tonamieenadéjàprisune.Etjeterappellequetun’asplusdebatterie.
Jefisalorsdemi-touretallaim’enfermerdanslasalledebain.J’étaisunebonneactionpourelle.Pasunhommedigned’elle.
LANEYJ’entendisl’eaucommenceràcouleretjem’enjoignismentalementàbouger.Ilavaitétéviolentéetabusé.Ilavaitpeut-êtreétéviolé,jen’ensavaisrien.Etpuisenplus,c’étaitdifficiled’êtreaussiprèsdelui,deletoucherdefaçon
aussiintime.Ashétaittellement…UnéclairdeculpabilitémetraversaenpensantàCollin.Plusoumoins.Nous
étionsséparés,non?Iln’avaitjamaisréponduàmonderniermessage.Enfin,ilmesemblait.Cequej’éprouvaispourAshétaitcompliqué.Jevoulaisl’aider,veillersurlui,
lesauvermême.Maisilm’attiraitaussi.Cequin’étaitpasmalensoisaufsijemelaissaisallerdanscettedirection.Jesoupirai.Noteàmoi-même:nesauverquedesmecsmocheslaprochainefois.Ashrestadans lasalledebain tellement longtempsque jecommençaiàme
demandercequ’ilfaisaitlà-dedans.Maisquandilémergeadelapiècequelquetemps plus tard avec seulement une serviette nouée autour de sa taille, il meprécisaqu’ilyétaitobligé.— J’ai lavé mes vêtements. Ils étaient pleins de sang. Je les ai mis sur le
sèche-serviette.Jepensequ’ilsserontàpeuprèssecsdanspeudetemps.Oupas.Il m’adressa un petit sourire me faisant comprendre que des vêtements
humidesétaientlecadetdesessoucis.Jeluirendissonsourireunpeudifficilement.— Il y a unWalmart tout près, dis-je,m’efforçant à conserver le ton banal
d’uneconversation.Jevaisallervoirsijepeuxtetrouverdesjeansetquelquestee-shirtsou…Ashlevaunemaininterrompantmesmotslaborieux.—Non,merci.Tuenasdéjàfaitbeaucoup.Jenepeuxpasprendre…—Ash,dis-jeenluicoupantlaparolegentiment.Tuneprendsrien,c’estmoi
quiteledonne.Noussommesuneéquipe.Ilfermalesyeuxetmarmonnaquelquechosedanssalangue.—Jeterembourserai.Tout.—Etquepenses-tudecette idée,c’estun trucauquel j’aipensécommeça,
proposai-jeprudemment.Jesuiscertainequetuvoiscequejeveuxdire:jefaisçaafinquetulefassestoiaussi.
Ashmejetaunregardinterloqué.—Jenecomprendspas.— Je t’ai aidé parce que je le pouvais et parce que je le voulais. Peut-être
qu’unjour,tuverrasquelqu’unquiabesoindetonassistance,ettuferascommemoi:tul’aiderasparcequetupourraslefaire.Etilsferontlamêmechoseaprès.Aiderlesautrespourqu’ilslerendentenfaisantlamêmechose,tucomprends?Ash déglutit et j’observai le mouvement subtil et érotique de sa pomme
d’Adam.—Tuesquelqu’undebien.Vraiment?Étais-jeunefillebien?Désirerunhommetraumatisépendantque
monpetitami–ex-petitami–estrestéàlamaison?Ashnemequittaitpasdesyeux.—Quelesttonnom?Tonnomdefamille?Je souris. Il voulait que nous ayons ce genre de conversation ? Pas de
problème.— Hennessey. Laney Hennessey. Nous sommes d’origine irlandaise et
Américainsdepuiscinqgénérations.Ettoi?—AljažNovak.Monpères’appelleJure.C’estcommeGeorgepourvous.J’attendisunpeu,maisiln’ajoutaplusrien.—Tun’aspasd’autrefamille?Ilsecoualatête.Pasdemère?Defrèreetsœur?Jetrouvaisçaincroyablementtriste.Jereprisenm’efforçantdegarderunton
enjoué:—Ehbien,si jedevais teparlerdelamienne,nousenaurionspourunbon
moment.Leslèvresd’Ashseretroussèrentdansundemi-sourire.—Mes vêtements sèchent et je ne peux aller nulle part avecma serviette.
Nousavonsletemps.Oui,j’étaisvraimentunefemmegénéreuse,jeprotégeaistouteslesautresde
cette planète en retenant cet homme vêtu simplement d’une serviette et auxabdosquejen’arrivaispasàcomptertellementilsétaientnombreux.—Hum,monpublicestcaptif !dis-jepour le taquiner.C’est toiqui l’auras
voulu.Monpères’appelleBrianet ilestcapitainedans lapolice,commetu lesais déjà.Ma mère, c’est Bridget, elle est femme au foyer. J’ai trois sœurs :Bernice,LindaetSylvia.EllessontmariéesrespectivementàAl,JoeetMarioetont à elles trois, sept enfants. Mon oncle Donald est pompier et sa femme
s’appelleCarmen.Ilsontquatreenfants,mescousins :Stephen,Paddy,EricetMichael.Lasœurdemamère,Lydia,estmariéeàmononclePauletilsontdeuxenfants,TrishaetAmelia.Çava?Pas tropperdu?Parcequ’ilyaencoreunetonnedepetitscousinsetd’amistellementprochesqu’ilsfontpresquepartiedelafamille.—Waouh!soufflaAshensecouantlatête.Çafaitdumonde!— C’est génial, la plupart du temps, dis-je en souriant. Mais parfois, une
grandefamille…Jesuislaplusjeunedetousmescousins,doncc’estcommesij’avaissixpairesdeparentsetunedouzainedefrèresetsœurs;ilssemêlentdemesaffairestoutletemps.TudevraisveniràlamaisonpourThanksgiving,c’estdelafolie,ajoutai-jeensecouantlatête.J’attendis qu’Ash enchaîne sur sa famille, mais il ne dit rien, gardant une
expressionlointainesurlevisage.Jesavaisdéjàqu’ilnes’entendaitpastrèsbienavecsonpèreetiln’avaitjamaisparlédesamère.Peut-êtreétait-ellemorte?Oupeut-êtrequeçanemeregardaitabsolumentpas.Jem’éclaircislagorge.—Pourquoinepasserais-tupasunecommandeàl’undesrestaurantsquiont
laissédesmenusdeplatsàemporter?Pendantquenousattendonslalivraison,j’iraifaireuntourauWalmartpourvoircequejepeuxytrouver?Ashjouaaveclereborddesaserviette,lestraitsfermés.Jepoussaiunsoupir.—Nousenavonsdéjàparlé,luirappelai-jegentiment.Tumerembourserasen
aidantlesautresplustard.Quelleesttapointuredechaussures?—46,marmonna-t-ilaprèsunmomentd’hésitation.—Pardon?demandai-jeenhaussantlessourcils,éberluée.Ashrelevalatêteenentendantlasurprisedansmavoix,puisilsecoualatête
commes’ils’éclaircissaitlesidées.—16entailleaméricaine.Excuse-moi.—J’aieupeuruninstant,dis-jeenriant.Je jetai un coup d’œil à ses pieds nus, réalisant soudain qu’un mâle
pratiquementnus’offraitàmavue.Mêmeassisauborddulitd’unmotel,ilétaitélégant.Sesmolletsmusclésétaientsurmontésdecuisseslargesetsolidesetau-dessus de la serviette apparaissait un ventre plat strié par ses abdos qui sesoulevaientàchaqueinspiration.Sapoitrineétaitsculptéeelleaussi,maissansexcès.Etpuis,ilyavaitlestracesdecoups.Jedétournaileregardavantdecroisersesyeux.Jenevoulaispasqu’ildevine
cequejepensais.—Tatailledepantalon?
—30detourdetailleet34d’entrejambe.—D’accord.Jerevienstrèsvite,dis-je,mavoixbientropjoyeusepourêtre
sincère.Commandecequetuveux,jemeursdefaim!Jelaissaiquelquesbilletssurlatablebasseenpassant.—Tun’aspasteschaussures,mefitremarquerAshsèchement.—Jen’enaipasbesoin, répondis-jeenomettantdepréciserqu’ilmeserait
impossibled’enfilermesLouboutinscematin.—Ilfaitfroiddehors,Laney.MonDieu,j’adoraislafaçondontilprononçaitmonprénom.J’avaisl’impressionquechaquefoisquejeleregardaisdanslesyeuxouque
jem’égaraisdans lacontemplationdesonmagnifiquecorpsmusclé, jeperdaisquelquespointsdeQI.—Teschaussures!ordonna-t-il.Mesbasketsétaientdansmavalise,maisjenepouvaispasatteindremespieds
pour enfiler des chaussettes ou lacer mes chaussures. Je m’en passeraisaujourd’hui.—Jen’enaipasbesoin,répliquai-jerefusantd’admettredevantluiquejene
pourraispaslesmettremoi-même.—Quelletêtedemule!Sa voix avait pris un ton légèrement amusé et il n’avait pas tort.Mais être
têtu,c’étaitutileparfois.C’étaitunefaçonderefuserlasouffrance,desesortirdulitalorsquemoncorpshurlaitqu’iln’enavaitpasenvie.Oui,j’étaisunetêtedemule.—Je…Jem’interrompis quand je vis qu’Ash n’attendait pas ma réponse, mais au
contraire allait fouiller dans ma valise dont il sortit une paire de chaussettesrouges.—Çava,ça?demanda-t-il,avecbeaucoupd’hésitation.Jehochai la têteensilence. Il revint s’agenouillerdevantmoietm’enfila la
première chaussette avec dextérité. Il agissait simplement, sans se poser dequestion,sansmiseenscène.Leslarmesmemontèrentauxyeuxetjecontemplailatêtebrunepenchéesur
moi.Sescheveuxétaientencorehumides.Ilplaçaensuitemespiedsgonflésdansmesbasketset les laçadefaçon très
lâche.Puisilmetenditmavesteetmonsacàmain.—Commeça,tun’auraspasfroid.—Merci,dis-je,lavoixfaible.
Ilouvrit laporteet je roulai sur le seuil.L’airvifquim’accueillitme fitdubienetjem’éloignaidumotel.Lagentillessed’Ashm’avaitbienplustouchéequejevoulaislereconnaître.
Jenecomprenaispastrèsbienpourquoi.
ASHUnefoisLaneypartie,jememisàfairelescentpasdanslapetitepièce.J’étaistourmentésansrelâcheparmessouvenirs.J’avaisenviedem’arracher
unepartieducerveaupourneplusmesouvenirderien.Maisc’étaitimpossible.Au contraire, ils me hantaient. En plus, je commençais à envisager ce qui sepasserait à Chicago. Peut-être qu’elle ne voudrait plus rien avoir à faire avecmoi. Il faudraitque j’avoue tout à sonpère si jevoulaisqu’onarrête etqu’onjugeSergeietOlegetqueVolkovsoitmishorsd’étatdenuire.Ilfaudraitalorsque je confesse àquelpoint j’avais été faible et naïf et avecquelle facilité ilsm’avaienttrompé.J'allaisaussidevoiravoueravoirvuOlegassassinerunefillesansquejeréagisse.Etlaisserpourmortuncuisiniercoréen.EtfairedeMartauneprostituée.J’avaistoutvu,jesavaistoutcela,maisjen’avaisrienfait.IlfaudraitaussiquejeconfiecequeSergeim’avaitfait.Deuxfois.Cesouvenirinsoutenablemedonnaunhaut-le-cœuretjefonçaiverslasalle
debainpourvomir.Jetombaiàgenouxdevantlestoilettesetpressaimapoitrinenuecontrelacuvette.Deslarmesbrûlantesdefureursepressèrentderrièremespaupièresetjelesessuyairageusement.Puis,jefrappaidetoutesmesforceslacuvetteenporcelaine.Cesenfoirésnegagneraientpascettefois.Jemerinçailaboucheetrevinsm’asseoirauborddulitpourcommanderle
petitdéjeuner.Jemeforceraisàmanger,àrésister.
LANEYLesgensmeregardaientaveccuriositéalorsquejedéambulaisdanslesrayonsduWalmart.Jen’étaispasétonnée.La plupart le faisaient en douce,mais quelques-uns ne se cachaient pas. Si
j’avais été naïve, j’aurais dit qu’ils étaient inquiets pour moi, mais non. Ilsétaientjustecurieux.Jem’appliquaiàchoisirdesvêtementspourAsh.J’avaisététellementpressée
de sortir de cette chambre qui me rendait claustrophobe. Ash avait une telleprésencequ’iloccupait tout l’espace. Ildébordaitdevirilité. Ilsedégageaitde
lui un flot de testostérone. Je pense qu’il ne s’en rendait même pas compte,cependant je l’avaissurprisàmatermesseinscematin,auréveil.Celan’avaitété qu’un petit coup d’œil, enfin deux, mais c’était bien ça. Que des genspuissentpenserqu’ilétaitgaymelaissaitpantoise.Maisvisiblement,celaneluiplaisaitpasdutout.Je suppose que penser qu’un danseur était forcément homosexuel, c’était
commedéduirequ’une femmeen fauteuilavait forcémentbesoind’aide.Nousétions tous les deux obligés de lutter contre les préjugés et cela durerait toutenotrevie.Aprèsnotreconversation,cettecomparaisonmeparaissait toutà faitjuste.J’achetaideuxjeans,destee-shirtsetunmanteauàAsh,ainsiquedesproduits
de toilette,de l’ibuprofène,desboxersetdeschaussettes. J’étaisunpeumalàl’aised’acheterdessous-vêtementsàunhommequejeconnaissaisàpeine,maisaprès tout ce que nous avions déjà traversé ensemble, c’était le cadet demessoucis.Heureusement, je trouvai également un chargeur de téléphone.Ce serait un
soulagementdepouvoirêtreencontactaveclerestedumonde.JemedemandaiàquelpointVanessaetJom’envoulaient.Jeretournaià l’hôtel,avec tellementdesacsempiléssurmesgenouxque je
voyais à peine où j’allais.C’était un peudangereux. Ils pouvaient dégringolern’importequand.Ilfaudraitalorsquejecomptesurlagentillessedespassants.Unefoisencore.Maisjefis lecheminduretoursansincidentetAshouvrit laportedèsqu’il
m’entenditarriver.—Desvêtementsetunchargeur,dis-je,endésignantdumentonlamontagne
desacs.La chambre sentait la nourriture. J’étais ravie que cela ait été livré pendant
mon absence. Nous avions tous les deux trop faim pour déballer mes achatsavantdemanger.Jebranchaimontéléphonependantquenousnouschargionsennourriturepourlajournée.Nousétionsassissurlelit,Ashenveloppédansunecouverture.Touteslesdeuxoutroissecondes,montéléphonevibraitannonçantunappel
manquéouunnouveaumessage.—Jecroisquelesgenss’inquiètentpourtoi.Jehochailatête,labouchepleined’œufsetdebacon.— Je suis certaine que Jo et Vanessa ont saturé ma messagerie. Je les
appelleraidèsquenousseronsdanslavoiture.
—Ettonpetitami?Jefislagrimace.—Jenesaispastrop.Peut-être.Nousnoussommesplusoumoinsséparés.Il
nevoulaitpasquejevienneàLasVegas.Jelâchaiunpetitriregêné.— Il semblerait qu’il avait raison, ceci dit, même s’il disait ça pour de
mauvaisesraisons.Ashbaissalatêteetsemitàfixersonassietteàmoitiévide.— Je ne pourrai jamais te dire à quel point je te suis reconnaissant d’être
venue.Je restai silencieuse et Ash leva lentement les yeux vers les miens. Nous
partagionsquelquechose,jelesentais.Il baissa ànouveau le regardet se remit àmanger.Cemoment spécial était
passé,mais je ne l’avais pas imaginé.En revanche, je ne savais pas commentl’interpréter.Manger notre petit déjeuner ainsi, côte à côte sur un lit, créait une étrange
intimité entre nous. Normalement, cela n’arrivait que lorsqu’on sortait avecquelqu’un,pasquand…onétaitcommenous,quoiquenoussoyons l’unpourl’autre.Ilétaitencoretroptôtpournousdireamis.JeconnaissaisàpeineAshetilnesavaitvraimentriendemoi.Aprèsavoirbunoscafés,jeluitendislessacsremplisdevêtements.— J’ai oublié de te demander ta taille de chemise, alors tu pourrais bien te
retrouveravectesvêtementsdeclownànouveau,dis-jeensouriantpouressayerd’adoucirmespropos.Ash sortit d’un sac un lot de trois boxers gris foncé. Il n’avait pas l’air de
savoircomment réagirnonplus ;une lueurd’émotion traversabrièvementsonregard.Jeluitournailedosetilenenfilaunrapidement.Le jeanne lui allait pas tropmal, il était seulementunpeu large à la taille,
maisletee-shirtàmancheslonguesluiconvenaitbienmieux.Ilyenavaitdeuxautresdanslesac:unbleumarineetunbleupâle.J’avaiségalementachetéungrosmanteaunoir,desgantsetunbonnetassortis
qui seraient indispensables àChicago. J’avais pris des baskets également.Deschaussettes.Unebrosseàdents.Maisj’avaisoubliéunrasoir.Ashterminades’habilleretsetournaversmoi.—Commentsuis-je?Jedusétouffermonsoupir.Àcouperlesouffle.C’étaitlapurevérité,maisje
répondisautrechose.
—Pasmal,maislaservietteaprouvéquelquechose.—Vraiment?demanda-t-ilenentrantdansmonjeu.Elleaprouvéquoi?Impossibledeluidirecequecettepetiteservietteétroitementnouéeautourde
satailleavaitfaitnaîtredansmatête.J’improvisai:—Hum…quetuaimesbientraînercommeça,décontracté…—Quoi?Celaveutdirequoi?Je souris. Son anglais était tellement bon qu’il était facile d’oublier que
certainesexpressionsluiéchappaient.—Çaveutdirequetuesquelqu’undedétendu…pastrèsimpliqué.Ashmejetaunregardirrité.—Non,maiscen’estpascequejevoulaisdire,ajoutai-jerapidement.C’était
uneblagueidiote.Excuse-moi.Ilhochalatêteavecraideur,enévitantmonregard.Ilcommençaàramasser
sesaffairesensilence,levisagefigé.Jepoussaiun soupir et prismon téléphone,passant en revue la longue liste
d’appelsmanquésetdemessagesnonlus.J’envoyaidebrefsmessagesàJoetVanessapourlesrassureretleurdirequenousserionsàlamaisoncesoir.Enfin,plutôt très tôt demain matin si Ash pouvait conduire pendant une quinzained’heures.Peut-êtrequejemesentiraisassezbienpourprendrelerelaispendantquelquesheures.Je fus très étonnée de découvrir plusieurs messages de Collin. Cela avait
commencé la nuit dernière. Il voulait savoir comment j’allais, mais il étaitimpossibledesavoirs’ilpensaitquenousétionsencoreencoupleoupas.Je lui envoyai un courtmessage rassurant à lui aussi. Je lui annonçaimon
retourlanuitprochaine.Ashétaittoujourssilencieuxquandilm’aidaàprendreplacedanslavoiture.
Mêmes’ilétaitencolère,safaçondes’occuperdemoi,délicateetrespectueuse,étaittoujourslamême.Jevoulaism’excuserunenouvelle foisdemaplaisanteriedouteuse,mais je
m’abstins.Ilétaitpeut-êtreplusmalindepasseràautrechose.Jepréféraifairedéfilermescontactspourpasserunnouvelappel.—Papa,c’estmoi.
Chapitre9
LANEYJe poussai un gémissement de frustration et balançaimon téléphone, les yeuxfermés. Lemoins qu’on puisse dire, c’est que la conversation avecmon pèreavaitétécompliquée.Selonlui,jeméritaisd’êtrearrêtéepouravoirfuilascèned’un crime, j’étais totalement irresponsable, je ne respectais pas mes devoirsciviques…Jemedemandaiss’ilnem’arrêteraitpaslui-mêmeàmonarrivée.Il ne m’avait pas écoutée quand je lui avais dit que je me rendrais au
commissariatavecAshdemainmatin.Ilvoulaitnousaccueilliravecunevoituredepatrouille.—Celaavaitl’airdifficile.Jejetaiuncoupd’œilàAsh,unsourirefatiguéétirantmeslèvres.—C’est lemoins qu’onpuisse dire. Papava nous rejoindre chezmoi cette
nuit. J’aiessayéde leconvaincred’attendredemain,maisvoilà, tusaiscequec’est,lesparents.—Est-ilaucourantdecequeditlapolicedeLasVegas?demandaAshavec
méfiance.Jegrimaçai.— Euh, eh bien, ils veulent nous interroger, répondit-je prudemment.
L’employédelasalleserappelleavoirvuunhommearmé.Ashécarquillalesyeuxetsetournabrièvementversmoi.—Ilspensentquec’estmoi?—Non!Non,cependantilsn’apprécientpastropquenousayonsfui.Ashcrispalesmainssurlevolantjusqu’àcequesesjointuresblanchissent.Il
étaitlividesoussonhâle.—Sitonpèremerenvoielà-bas,ilsmetueront.Jeposailamainsursonbrasenespérantquemoncontactlerassurerait.—Ilneferapascela,jetelejure.Ilme jetaunregard incrédulequi révélaitqu’ilnecroyaitpasque j’avais le
pouvoird’empêcherquoiquecesoit.J’avais très peur qu’il ait raison. Mais je ferais tout ce qui était en mon
pouvoirpourleprotéger.C’étaitagaçant.Monpèren’avaitpasécoutéunmotdecequej’avaisdit,ce
quin’auguraitriendebon.Maisjesavaiscommentlegérer:j’avaisobservémamère le fairependantdesannées ; elleavait étéunexcellentprofesseur.Alorsplutôt que d’essayer de le faire changer d’avis et l’entendre m’accabler dereproches,jereprismontéléphoneettapaitoutcedontjemesouvenaisdepuismonarrivéeàLasVegasjusqu’àmaintenant.JedemandaiàJodem’envoyerlaphotodudosd’Ashetl’ajoutaiàmondossier.Puis,j’envoyailetoutàmonpère.Avecunpeudechanceetdutemps,ilcomprendraitàquelpointilsetrompait.Nous étions dans le Nebraska, au milieu d’un paysage ondulé de collines,
quandnousreprîmesuneconversation:—Jemeposedesquestionssurtontatouage.Ducoindel’œil,jevisAshtressaillircommesijel’avaistiréd’uneréflexion
siprofondequ’ilm’avaittotalementoubliée.—A-t-ilunesignificationparticulière?Asheutl’airvexé.—Biensûr!Pourquoimarquerais-jemoncorpssansquecelaaitunsens?Jepensaiimmédiatementàsondoscouvertdecicatrices.—Jesuisdésolé,jesuis…commençaAshensoupirant.Ilneterminapassaphraseetjeleregardaiensecouantlatête.—Pasdesoucis.Maistusais,certainespersonnessefontfairedestatouages
parcequ’ilsaimentundessinoudesmots.Etpuistupeuxentrerdansunsalondetatouageetchoisirletiendansuncatalogue.—Tuen as, toi ?demandaAshen arquantun sourcil, une lueurmoqueuse
danslesyeux.Entoutcaspassurtesjambesousurtesbras.Pasdanstoncounonplus.MaisoùdoncLaneypourrait-elleavoiruntatouage?Jeluijetaiunregardd’avertissement,maisilsecontentadesourire.J’aimais
quandilétaitcommeça:joueuretsexy.—Non, jen’aiaucun tatouage. Jen’ai jamais trouvéquelquechosed’assez
importantpourlegraverdefaçonpermanentesurmapeau.Alors,letien?D’oùvient-il?Ashfronçalessourcils,sonexpressionamuséedisparaissantimmédiatement.— C’est une… carte, répondit-il avec hésitation, luttant pour exprimer ses
idées. Une carte de ma vie. Des trucs qui me sont arrivés. Des chosesimportantes.Quandilm’arrivequelquechosedenouveau,jerajouteundessin.Lepremier,jel’aifaitquandmamèreestdécédée,j’avaisseizeans.Je continuai à lui poser des questions après ça, mais plus légères. Nous
parlâmes demusique et de danse. Beaucoup de danse. J’étais fascinée par cemondetoutnouveaupourmoi.Lesyeuxd’Ashscintillaientetl’hommequiavait
dominélascènedeLasVegasfitsaréapparition.Nousparlâmesaussidemontravail:rédigerdesexercicesderédactionpour
lesétudiants,puisdeChicago.C’étaitcommeunesortedepremierrendez-vous,unedecesconversationsdugenre«dis-moitout».Etcontrairementàbeaucoupd’hommesquejeconnaissais,Ashsemblaitaussiintéresséparmoiquejel’étaisparlui.Il était pressé de découvrir la ville, stressé aussi, car la fin du voyage
signifiait…nousnesavionsnil’unnil’autrecequecelaimpliquerait.Au crépuscule, nous nous arrêtâmes quelque part aumilieu de l’Iowa.Ash
étaitépuiséetnousavionsfaimtouslesdeux.Ilsortitpéniblementdelavoiture,détendant sa grande silhouette en grimaçant. Alors qu’il était en train de sedirigerverslecoffredelavoiturepoursortirmonfauteuil,jelerappelai.—Jecroisquejepeuxyarriver.Avecunpeud’aide.—Biensûr,dit-ilenpivotantsurlui-mêmepourvenirm’ouvrirlaportière.Collin aurait discuté. Il aurait lancé un interrogatoire complet pour évaluer
monétatdesantéetensuite,ilseraitalléchercherlefauteuil.Parcequ’ilsavaitmieuxquemoicequimefallait.J’avais l’habitude de penser que lorsqu’il faisait ça, c’était sa manière de
prendre soin de moi. Mais c’était aussi une façon de me contrôler. Ash mecroyaitlorsquejedisaisquejepouvaismarcher.Sonbrasétaitchaudet jem’accrochaià lui. Ilposasonautremainsurmon
coudepour assurermonéquilibre.Seulsquelques centimètresnous séparaient.Lachaleurquedégageaitsoncorpsmeréchauffadansl’airfrais.Unefoisquejemetinsdebout,Ashpassasonbrasautourdematailleetnous
prîmesainsiladirectiondudîner.L’idéequ’onpouvaitnousprendrepouruncouple tellementamoureuxqu’il
nepouvaitpasseséparermetraversasoudainl’esprit.JemedemandaicequiarriveraitlorsquenousserionsàChicago.
ASH—Noussommesarrivés.JesentislapetitemaindeLaneyquiseposaitsurmacuisseetmesecouait.—Noussommesarrivés,répéta-t-elle.J’étais complètement shooté tellement j’avais dormi profondément,mais un
flotd’adrénalinemetraversaetjemeredressaisurmonsiège.Chicago!Nousavionsréussi.
Lapremièrechosequej’aperçusfutunevoituredepolicedanslalargeartère.Legyrophares’allumaquelquessecondesrévélantlestraitstirésdeLaney.—C’estmonpère.Elleavaitparlésuruntonrassurant.La portière de Laney s’ouvrit brusquement et un courant d’air froid
s’engouffradanslevéhicule,faisantvolerseslongscheveuxdevantsonvisage.Ilfaisaitquarantedegrésdemoinsquedansledésert,maisjepréféraisça.Jenevoulaisplusjamaissentircetairsec.Laneyétaitdéjàdanslesbrasdesonpère.Ill’inspectaitdelatêteauxpieds
commes’ilvoulaitvérifierqu’elleavaitencoretoussesbrasetsesjambes.Jedescendisdelavoitureavecraideur.Lesmainsdanslespoches,jeregardai
Laneyetsonpère.Il ne lui ressemblait pas du tout. Il était grand et lourd. Il avait un cou de
taureau,descheveuxrouxflamboyantetilétaitrubicondalorsquesafilleétaitpâleetpetite.Sesyeuxseposèrentsurmoi.—C’estlui?Son ton n’avait rien d’amical et Laney chuchota quelque chose, sur un ton
furieux.Ilserenfrognaencoreplus.Ilfitalorsunsignedetêteàunautreagentdepolicequisurgitdevantmoi.Instinctivement,jereculai,meplaquantcontrelaportière.Lechocprovoquaune telledouleurquemavision s’obscurcit. Jedevais lui
avoirfaitpeurparcequedanslasecondequisuivitjemeretrouvaiplaquésurlecapotdelavoiture,lapommetteécraséecontrelemétalglacé.Jejurai,maisjem’immobilisaitellementladouleurétaitintense.—BillyJenkins,arrêteçatoutdesuite,hurlaLaney.—Toutvabien,Billy,ditlepèredeLaney.Ilneferarien,iln’estpasassez
idiotpourça.Illâchamonbrasaussivitequ’ilmel’avaitpris.Jemeredressailentement,le
cœurbattantlachamade.J’étaisépuiséetfurieux,maislaréactiondeLaneymedonnait envie de sourire. Elle se tenait devant deux énormes flics, les poingsserrés.—Jen’arrivepasàycroire,gronda-t-elle,rageuse.Cen’estpasuncriminel!Puiselles’emparademamainetmarchaendirectiond’unimposantbâtiment
degrèsrouge.—Tuasbienméritédeporternossacsetmonfauteuil,BillyJenkins,cria-t-
elle.EtaprèstupourrasallerrendrelavoiturechezHertz.Elle ne prit même pas la peine d’attendre la réponse, mais me permit de
l’aideràmarchervers lebâtiment.Elleneralentitque lorsqu’ellecommençaàmonterlessixmarchesdel’escalierens’agrippantàlarampe.Jemedemandaicommentellefaisaitquandelleétaitenpleinecrise.Je jetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,maissonpèrenefit rienpour
nousarrêter.Ilavaitl’airunpeuagacéetdenepastoutcomprendre,cependantiln’avaitpasl’intentiondes’opposeràelle.Ilsecoualatêteenmefoudroyantdu regard. Je comprenais très bien lemessage : si tumerdes avecma fille, tuprendrascher.— Je suis désolée, dit Laney, la voix tendue alors que nous attendions
l’ascenseur.Elleignoradélibérémentlepetitreniflementironiquedesonpère.—Tuvasbien?Jehochailatêteenjetantuncoupd’œilfurtifànotregardeducorps.—Tuasbienpris tesmédicaments?demandalepèredeLaney,d’unevoix
grinçante.—Oui,papa.Nousgardâmeslesilencependantquel’ascenseurmontait.J’étaissurprisque
Laneynemelâchepaslamain.Sonpèreavaitremarquéluiaussi.—Tuaslumonmail?demanda-t-ellesuruntonautoritaire.—Oui.—Et?—Attendonsd’êtreàl’intérieurpourenparler.Jejetaiuncoupd’œilàLaneymedemandantcequecontenaitcemail,mais
ellemeréponditd’unbrefmouvementdetête.Son appartement était petit, mais très ordonné. Le divan occupait un large
espace, mais permettait tout de même de circuler avec un fauteuil roulant.L’autremeubletrèsimposantdelapièceétaitunegrandebibliothèqueoùétaientalignésdegrandsformats,deslivresdepoche,desverresàvodkaetdesphotosencadrées. Je reconnusLaney, plus jeune, entre ses deux amies ; il y en avaitd’autres, probablement avec desmembres de sa famille ; sur une dernière, untypecostaudavaitunbrassursonépaule.Pourquoigardait-elleunclichéavecsonex?Une porte-fenêtre s’ouvrait sur un tout petit balcon. Les rideaux étaient
ouverts;l’éclairagepublicilluminaitlachambred’unelueurorangée.Enlevantlesyeux,ondistinguaitunpetitboutdecielétoiléentredeuxgratte-ciel.Cetteenviedevoirplusdechoses,plusloinquel’horizonmeparlait.Laneyselaissatomberdansunfauteuilcapitonnéenlaissantainsiàsonpère
etmoi,lecanapé.Mais au lieu de s’asseoir, son père alla chercher une lourde chaise dans la
cuisineets’installajusteenfacedemoi.— Papa, dit Laney, d’une voix volontaire très contrôlée. Ce n’est pas un
suspect,c’estmonami.Je croisai son regard et elle m’adressa un petit sourire complice qui fit se
gonfleruneveinesurlefrontdesonpère.—Tuneconnaisriendecethomme,répliqua-t-ilvivement.—Nousavonspassé lescinquantedernièresheuresenviron,ensemble,dans
unesituationtrèscritique.Tum’astoujoursditqu’onenapprenaitbeaucoupsurlesgensdansdesmomentsextrêmes.LepèredeLaneyeutl’airtrèsagacéqu’onluirenvoieauvisagesespropres
mots.Maisiln’enavaitpasterminé.Enfait,j’étaisconvaincuquecen’étaitqueledébut.—Selonlesdonnéesdel’immigration,AljažNovakaquittécepaysilyaun
mois.Tunesaispasdutoutquiestcethomme.— Ilsm’ont prismon passeport, grognai-je en amorçant un geste pourme
relever.—Restezassis!aboyalepèredeLaneyavecagressivité.Elleluijetauncoupd’œilfurieux.—Papa,l’avertit-elle.Je la regardai à nouveau enme rasseyant.Mon sang bouillonnait dansmes
veines.Ces enfoirés !Dieu seul savait qui utilisaitmaintenantmonpasseport.Celapouvaitêtrepourn’importequoi:letraficdedrogue,d’armesoumêmedepersonnes.Cetteseuleidéemerendaitmalade.—Ilnepeutpasprouversonidentité,repritlepèredeLaney,toujoursaussi
furieux.— Mais si ! crachai-je. Allez voir sur le site de la fédération de danse
slovène;maphotoyest.Laney sortit son téléphone et lança rapidement une recherche. Un sourire
s’épanouitsursonvisagequandelletombaimmédiatementsurmaphotoetellelamontraàsonpère.—Eh bien, concéda-t-il, c’estmieux que rien.Nous allons vérifier le reste
avecvotreambassade.—Jenemenspas!Soudain, la porte s’ouvrit à la volée faisant sursauter tout le monde. Il
s’agissaitdel’hommedelaphotographie.Ilétaitplus imposantquemoi.Mais
s’il avait eudesmusclesun jour, ils étaientmaintenantnoyés sousunegrossebedaineetundoublementon.—Collin!s’exclamaLaney,trèssurprise.Quefais-tuici?Ils’arrêtabrusquementetlafoudroyaduregard.—Tuplaisantes?—Jeluiaidemandédepasser,ditlepèredeLaneyenregardantsafilleavec
étonnement.Ilnecomprenaitpassacolère.—Jesuisvenuparcequejetiensàtoi,répliquaCollinavecraideuravantde
poserleregardsurmoi.J’essayaidegarderuneexpressionneutre,maisc’étaitdifficile.Ilnem’avait
pasfalluplusdetroissecondespourconclurequecetypeétaitunsalecon.Lesoulagementauraitdûmettreàgenouxn’importequelhommedignedecenom.IlauraitdûdireàLaneycombienill’aimaitettueraitquiconqueluiavaitfaitdumal,qu’ilremueraitcieletterrepourvivreavecelle.Entoutcas,ilneseraitpasrestéplantédevantellecommes’ilavaitunbalaidanslecul.Abruti.J’adorais jurer dans une autre langue et mon vocabulaire s’était
considérablementdéveloppédepuisquejeconnaissaisGary.Têtedenœud.Facedecul.Abruti.Je m’appuyai contre le dossier du canapé, les bras croisés et je fixai cet
imbéciledepetitamideLaney.Ousonex-petitamiouquoiqu’ilsoit.Collinsetournaverselle.—J’aipenséqueçaseraitbienquejevienneaprèstoutcequetuastraversé.
Ilnefautpasqueturestesseule.—Jenelesuispas,répondit-ellefroidement.Ashestlà.LepèredeLaneyet leconnardcommencèrentàcrier tous lesdeuxpendant
quejemetournaisverselle,éberlué.Unefoisencore.—Maisoùcroyez-vousqu’ilallaitcoucher?demanda-t-elleavecimpatience
quandilseurentfinidebrailler.Ilnepeutpasallers’installerdansunhôtel.Ellesetournaalorsverssonpèrequ’ellefoudroyaduregard.—Etnemedispasquetuavaisenvisagédeluioffrirl’hospitalitédansl’une
detescellules,s’ilteplaît.—Jeneveuxpasqu’ilrestelà!—Pourtantc’estcequivaarriver!—Mais…—Cen’estpasnégociable,papa.
—AlorsheureusementqueCollinestlà,lançasonpère,lementonenavant.Tunesaispascequecethommepourrait…— Nous avons passé les deux derniers jours ensemble, répliqua Laney
brièvement.Ycomprislanuitdernière.JepensequejeconnaisAshassezbienmaintenant.Collinrestasilencieux,maissonvisageviraaurougebrique.—Ohpartouslessaints!Nousn’avonspascouchéensemble!Jem’agitaisurlecanapé,plutôtgêné,ettouslesregardsseposèrentsurmoi.— OK. Nous avons partagé un lit, mais c’est parce qu’il n’y avait plus
d’autreschambres,confessaLaney.C’esttout!—Jeresteici!grondaCollin.—Ashaussi,répliquaLaney.Sonpèreregardasamontreentoussotant.—Ilfautquevousvenieztouslesdeuxaupostepourfairevotredéclarationà
proposdecettefusillade…Je n’étais pas certain d’avoir une totale confiance en la police et ces mots
m’inquiétèrent.— Et il faut aussi que nous portions plainte pour ce qui est arrivé à Ash,
ajoutavivementLaney.—Trèsbien,ditsonpère,enmeregardant,lesyeuxétrécis.Présentez-vousà
neufheurespileauposteet…—Papa!Ilestdéjàdeuxheuresdumatin!Jevaisdormirtardetjeprendrai
ensuite un très long bain.Nous viendrons après le déjeuner et ce n’est pas lapeinedenousfaireenvoyerchercherparcequejen’ouvriraipaslaporte.Sonpèregrognaencorequelquessecondesavantdelaprendredanssesbraset
delaserrertrèsfortcontreluienluimurmurantquelquechoseàl’oreille.CelafitmonterleslarmesauxyeuxdeLaney.—Jet’aimeaussi,papa.Etnet’inquiètepas.Jevaisbien.Àdemain.Sonpèrepartit,nouslaissanttouslestroisseuls.Collincommençaàparler,maisLaneylevalamainpourl’interrompre.—Collin,jesuisfatiguéeetassezencolèrecontretoi.Jecroisqueladernière
chosequetum’aiesditeavantmondépartpourLasVegasétait«c’estfini».Voilà,celaconfirmaitcequejepensais:Collinétaitunabruti.—J’étaisencolère,marmonna-t-il.—J’avaiscompris.Puis,elleseradoucitetsefrottalesyeuxjusqu’àlesfairerougir.—Bon,nousparleronsdetoutcelaplustard.
—Jereste,répéta-t-ilenmefoudroyantduregard.—Je suis trop fatiguée pourmedisputer avec toi.D'accord, reste.Tupeux
aiderAshàpréparerlecanapé.Tusaisoùsetrouventlesdrapspropres.Ellemarchad’unpasdécidéversuneportequidevaitdonnersursachambre.Unefoisqu’ellefutàl’intérieur,Collinsetournaversmoi,leregardnoir.—Situtouchesmapetiteamie,je…—Elleaditquevousétiezséparés.Ils’interrompit,l’airfurieuxetmalàl’aiseàlafois.—C’étaitunmalentendu.—Pourelle,çaavaitl’airtrèsclair.—Laisse-latranquille,d’accord?Ilmelançaunregardmenaçant.Jesecouailatête,partagéentreincrédulitéet
amusement.—Lamafiarussem’atorturéetm’acolléunearmesurlatempe.Maistute
prendspourqui?Laneyaplusdecouillesquetoi.Oualorstuluiasdonnélestiennes.Reviensmeparlerquandtulesaurasretrouvées.LevisagedeCollinviraauvioletetunegrimacedéformasestraits,révélant
sesdents.Ilessayaitdemefairepeur.Enpureperte.Onauraitditunballonsurlepointd’exploser.—Espècedevoyou!Tucroisquejevaislaisserunfaux-culdanstongenre
s’introduiredanssavie?Tusaiscequejepense?Tuastoutinventé!Tun’asmêmepasunetracedecoup!J’éclataiderire.Impossibledemeretenir.Cetypeétaitpresquedrôle.Jeriais
d’ailleurstellementfortquejen’entendispasLaneyquirevenaitdanslapièce.—Quesepasse-t-il?—C’esttonami,sifflaCollin.Ilestunpeucinglé,jecrois.Monrires’éteignitaussitôt.—Espècedeconnard!— Ça suffit ! hurla Laney en se plantant entre nous deux, les bras levés.
Arrêteztoutdesuite!Jesuisfatiguéeetjenesuispasdutout,maisalorspasdutoutenétatdesupportercesconneriesd’adolescentsimmaturesetmachistes.EllepointaundoigtendirectiondeCollin.—Situcontinues,tuprendraslaportetellementvitequetunecomprendras
pascequi t’arrive.Et, toi,dit-ellemenaçante,ense tournantversmoi, juste…arrête!Ellemebalançaunoreillerquej’attrapaid’unemain.—Ilfauttraversermachambrepourallerdanslasalledebain,alorssituas
besoin de faire ta toilette ou je ne sais quoi, vas-ymaintenant. Sinon tu peuxpisserparlafenêtre,jem’enbalance!Jelançai l’oreillersur lecanapéetmedirigeaiverslachambredeLaney.Je
fronçailessourcilsendécouvrantsonlit.Jen’aimaispasdutoutl’idéequecetabrutiallaitdormiravecelle,surtoutavecmoijustedel’autrecôtédelaporte.Jeprismabrosseàdentsdansmonsacetfitunerapidetoilette.Jeretiraimon
tee-shirtetfaillisledéposerdanslacorbeilledelingesaleavantdemerappelerque je ne resterais pas longtemps ici. Je ne savais pas où je dormirais la nuitprochaine.Probablement dans une cellule si le père deLaney avait sonmot àdire.Jepassailamainsurmabarbedeplusenplusépaissesurmesjouesetmon
menton.Celacommençaitàmegratter.J’iraisacheterunrasoirdanslamatinée.Putain ! Il faudrait que j’empruntede l'argent àLaneypourmeprocurerun
rasoir jetable avantdepouvoirvirerde l’argentdemoncompte enbanque. Jen’avais aucune idée comment j’allaism’y prendre sans papier d’identité,maisj’étaistropcrevépourm’ensouciermaintenant.Je retraversai lachambredeLaney, foudroyantdu regard le litunenouvelle
fois. Jemedirigeaivers ledivan.LesyeuxdeCollin s’écarquillèrentquand ildécouvrit les traces noire, jaune et violette qui maculaient ma poitrine, monventreetmesbras.Jejetaiuncoupd’œilàLaneyquimeregardaitavecinquiétude.—Commentvatondos?—Çava.—Attends,jevaisregarder.Assieds-toisurlecanapé.Jevaistemettredela
crèmeantiseptique.—Çava.—Tais-toi.Assieds-toi.Etarrêtedemecontredire.Jeme laissai tomber sur le canapé, sans faire attention au cri d’horreur que
Collinpoussaenvoyantmondospourlapremièrefois.Ildevaitêtreaffreux.Ilmefaisaitunmaldechien.Collinquittalapièce.Jenesavaispassic’étaitparcequec’étaitundégonflé
ou parce qu’il n’aimait pas voir sa petite amie – peut-être – passant de lapommadedansledosd’unautrehomme.Sic’étaitlesdeux,c’étaittrèsbien.Entoutcas,elleétaitgentilleetc’étaitinattenduettrèsagréable.Touchante,même.Elleétaittotalementsincère,sansartifice.—Tuaimesça,hein?—Quoi?
—ÉnerverCollin.—C’estunabruti,dis-jesansprendrelapeinedelenier.—Iln’estpassimal…—Tum’avaisditquevousaviezrompu.—Techniquement,oui.—Alors,dis-luidepartir.—C’estimpossible.—Pourquoipas?Tuescheztoi.—D’abord,parcequ’ilappelleraitmonpère,reprit-elleensoupirant.—Non,maisquelcrétin!—Etd’autrepart,ilfautquenousparlions.—C’esttoutdemêmeunabruti.—Ash!Çasuffit!Je restaisilencieux.Savoixétaità la fois fatiguéeetstressée.Après toutce
qu’elleavaitfaitpourmoi,ilétaithorsdequestionquejeluifassedelapeine.Jenesavaisriendeleurrelationhormiscequ’ellem’enavaitditetcequejevenaisdevoir.Sesmainsquiétalaientlacrèmeétaientdélicatesetapaisantes–ellechassait
lasouffrance.Jenepusm’empêcherdemelaisserallercontreelle.Ellesentaittoujourslanoixdecoco,maisleparfumétaitplusfaiblemaintenant.Sesdoigtsdescendirent dans mon dos juste au-dessus de la ceinture de mon jean. Ilsmassaient,soulageaient.Soudain,sesmainsdisparurent.—Àdemain,dit-elle.Dorsbien.Je hochai la tête et même si j’étais éreinté, je savais déjà que dès que je
fermeraislesyeux,jeverraisceshorreurs.Laneyhésitauninstantpuissepenchaetdéposaunbaisersurmajoue.—Toutvas’arranger.Maisjenelacroyaispas.Jerestaiassissurlecanapé,latêteentrelesmainspendantlongtemps.
Chapitre10
ASHSi la situation avait été embarrassante pendant la nuit, elle fut encore pire aumatin. Le connard déambulait dans l’appartement comme s’il était chez lui etm’ignorait complètement. Je m’attendais plus oumoins à ce qu’il se mette àpissersurlesmurspourmarquersonterritoire.Il était bâti commeun lutteur,mais sesmuscles avaient ramolli et son gros
ventredébordaitpar-dessuslepantalondesonpyjama.Sapoitrineétaitcouverted’uneépaissetoisonquiallait jusqu’àsesépaulesetsonventre.Letypedevaitêtreallergiqueàlacire.Cen’étaitpasvraimentimportant:s’épilerétaitobligatoiredansmonmétier
pourmettre en valeur les pectoraux et les abdominaux. Certains d’entre nousrasaient aussi leurs aisselles parce que les costumes pour le PasoDoble et lespoilssouslesbrasétaientpeuappréciésdupublic.Quand Laney sortit de sa chambre, je dus réprimer un sourire. Elle était
adorable dans son pyjama des Minions, les cheveux ébouriffés et le visageencoreensommeillé.Ellesemblaitfatiguéeaussietjemedemandaisielleavaitpasséunebonnenuit.Elle répondait par monosyllabes aux questions de Collin et comme il ne
s’adressait qu’à elle, la conversation était plus que guindée. En dehors d’un«b’jour»marmonnéparLaney,aucundesdeuxnes’adressaitàmoi.Jem’assisdansuncoin,dressantmentalementune listedemotspourdécrireCollin.Elleétaitdansl’ordrealphabétique:çacommençaitpar«abruti».Jerestaisbloquésurlalettre«q».Iln’yenavaitpasdansmalangue.Collinpartitenfintravailler.J’enétaisunpeusurpris:siLaneyavaitétéma
petite amie, je l’aurais accompagnée chez les policiers, juste pour lui tenir lamain pendant qu’elle ferait sa déposition. Ce type était vraiment nul. Bon,qu’est-cequejepouvaisplacerdansmalisteaprès«pauvretype»?LaporteétaitàpeineferméederrièreluiqueLaneyseplantadevantmoi, le
regardnoir.—Arrêteçatoutdesuite!—Jen’airiendit!—Jet’entendspenser!
Jeréprimaiunsourirequimenaçaitdes’épanouirenungroséclatderire.Jem’installaiconfortablementcontreledossierducanapéetlaregardai,unsourcilrelevé.—Etjepensequoi?Laneyfronçalessourcilsetresserralaceinturedesarobedechambre.—Collinm’aime,affirma-t-elle.Ilessaiejustedemelaisserrespirer.Jenerépondispas.Jen’avaispasenviedemedisputeravecelle.Jefermailes
yeux,medemandantàquelpointaujourd’huiseraitunejournéedemerde.Jepassailamainsurmabarbeenmegrattantlementon.—Tuveuxteraser?demandaLaney.J’aidesrasoirsjetablessituasbesoin.Bonnenouvelle.Etj’adoraisqu’elledevinetoutcommeça.—Merci.Oui,çacommenceàmerendrefou.—OK.Pourquoin’irais-tupast’occuperdeçamaintenantparcequ’après,je
vaiscertainementpasseraumoinsuneheureàfairetrempette.— Je pourrais te frotter le dos pour te remercier de t’être occupé dumien,
répliquai-jeenplaisantantàmoitié.—Oh,c’est trèsgénéreuxdetapart,souritLaney.Mais jecroisquejevais
pouvoirm’ensortirseule.Allez,vatedoucher!Jeluiadressaiunsourireironiqueetmedirigeaiverslasalledebain.Taquiner
Laneyétaitdevenumonpasse-tempsfavori.Jeprisunedouche. Jemedélectaide l’eauchaudemêmesi elleprovoquait
unedouleuraiguëchaquefoisqu’elletouchaitmondosoumesfesses.Jerasaima barbe naissante et enfilai un des tee-shirts à manches longues que Laneyavaitachetés.J’auraisvouluêtredéjàaulendemain.L’angoisserecommençaitàme nouer le ventre,me traversant comme une spirale glaciale. Comment celaallait-ilsepassercetaprès-midi?Et si la police ne me croyait pas ? Ce serait déjà assez difficile de tout
raconter,maissienplus,ilsn’accordaientpasfoiàmesdéclarations…Jepressai lespaupières,m’efforçantde régulerma respiration.Quand je les
rouvris, je contemplai mon reflet fraichement rasé qui m’observait, le regardvide.Cevisagequelesautrestrouvaientséduisantetquejeméprisais.Jecrachaisurlemiroiretregardaimasalivedégouliner.Laneyfrappaalorsàlaporte.—Ash!Tueslà-dedansdepuisuntempsinfinietj’aitrèsenviedefairepipi!
Dépêche-toi!Jeprisunegrandeinspiration,essuyailemiroiretouvrislaporte.—Désolé!marmonnai-je.
LesouriredeLaneys’effaçaquandellem’aperçut.Jedevaisavoirl’airaussimalquejemesentais.—Tuvasbien?demanda-t-elleavantdepousserungrandsoupir.C’estune
questionstupide.Jet’ai…entendu,aumilieudelanuit.Tucriais.J’étaissurlepointdevenirtevoir,maisquandjesuisarrivéeàlaporte,ças’estarrêté.—Désolé,répétai-jeenladépassant.Je détestais me sentir aussi faible. J’avais espéré que personne ne m’avait
entendu.—Ash,dit-ellegentiment.Tun’aspasàt’excuser.—Tucrois?J’avaisparléavecamertume.Jecroisailesbrassurmapoitrine.Jen’arrivais
pasàlaregarderdanslesyeux.—Définitivementnon.Jenerépondispas.Laneyrestaitplantéelàentortillantl’ourletdesarobedechambre.—Jevoudraisteparlerd’autrechose…Tusais,personnenet’accusedequoi
quecesoit.Tunevaspasêtrearrêté…Je gardai le silence. Qu’aurais-je pu dire ? Reconnaître que j’étaismort de
peur?—Maisjepensequetudevraisprendreunavocat.Monsoufflesebloquadansmapoitrine.— Elle s’appelle Angela, c’est une amie à moi. Nous nous sommes
rencontrées à la fac. Je l’ai appelée tôt ce matin et elle va nous rejoindre aucommissariat.Çateva?Elleesttrèsgentille.Jehochailatêtesansrépondre.J’enétaisincapable.Laneysoupiraunenouvellefoisetmelaissam’éloigner.Jememisàfairelescentpasdanslesalon.Jemesentaisoppressé,maisjene
savaispasoùaller.Laparanoïacommençaitàmeguetter,faisantsehérissermapeau,medonnantl’impressionquej’étaisauborddel’explosion.Jemedétestaisd’avoir tellement peur de sortir de chez Laney. Je voyais les hommes de laBratvapartout.Moncœurbattaitlachamade,monpoulsressemblaitàceluid’unchevalaugalop.Iln’yavaitqu’uneseulechosequimecalmaitàtouslescoups.Ilfallaitqueje
danse.JeprisletéléphonedeLaneyetfouillaidanssesplaylists.L’espace était exigu,mais ce n’était pas grave.Mon public était dansmon
autre vie, celle d’avant. Je dansai parce que c’était nécessaire, parce qu’à cet
instant,j’avaistoutperdusaufça.C’était le jazz, la danse de salon, la salsa, le hip-hop. C’était tout et rien.
C’étaitpurementça.Jedansaisansquepersonneregarde.Parcequemoncorpsavaitbesoindebouger,plusqu’ilavaitbesoind’air.Plusvite.Tourner.Sepencher.Sejeterenavantdansunfuturhorsd’atteinte.Ce furentquelquesapplaudissementsqui firentéclater labulledans laquelle
j’étais. Je fis volte-face et découvrisLaney quim’observait, les yeux brillantsd’admiration.—C’était… je ne saismême pas comment définir ce que je viens de voir.
Maisc’étaitmerveilleux.Magnifique.Haletant,jelaissaimatêtetombersurmapoitrine,lesmainssurleshanches.Jen’avaispasprévuqu’ellemevoie.Jeneluirépondisdoncpas,pasplusque
jelaregardai.Laney dut se sentir gênée, comme si elle avait violé mon intimité, parce
qu’ellechangeaimmédiatementdesujet.—Tuappréhendescetaprès-midi?Je la regardai, les sourcils froncés, et hochai lentement la tête, refusant de
croisersesyeux.—C’estnormal.Maisn’oubliepas…Tuesunsurvivant.Tuassubibienplus
péniblequ’uninterrogatoirepardespoliciers,d’accord?Je fis lagrimaceet jem’apprêtais àdiscuterquand jeme retournai.Ellene
portaitqu’unefinerobedechambre.Ellepiquaunfardquandellevitquemesyeuxbalayaientsoncorpsdebasenhaut.Lesimplecontactdesamainsurmonbrasmefitfrissonneretcourirunbreféclaird’excitationdansmonsexe.Je repoussai vivement sa main en me maudissant, puis j’allai me planter
devantlafenêtre.—Bon,ditLaneyd’unevoixque je trouvai tendue.Nousallonsbruncher :
petitdéjeuner-pizza!C’estunetraditionici.Jemeforçaiàsourire.—D’accord,çaal’air…Horrible.J’avais d’épouvantables nausées et l’image de Sergei pointant son arme sur
moi,sesyeuxdecinglémepromettantunemortcertainetournaitenboucledansmatête.MonDieu,çamedonnaitenviedem’arracherlesyeux.— Puis-je utiliser ton téléphone ? demandai-je brusquement. Il faut que
j’appelle…chezmoi.
—Oh,biensûr!Jesuisdésolée,j’auraisdûypenserplustôt.Vas-y.—Merci.—Jevaism’habillerpendantcetemps-là.C’était lemilieu de l’après-midi enEurope de l’Est et il y avait de bonnes
chances que Luka soit occupé. Mais il répondit au bout de deux sonneriesseulement.—Bonsang,Ash!Jemesuis faitunulcèreà forcedemedemanderoù tu
étais!Tun’aspasréponduàmesmails.Commentvas-tu?Oùes-tu?Quandjeluiracontaicequim’étaitarrivé,ilfuttrèschoqué,maissoulagéque
j’aiequittéLasVegas.C’étaitunvraiplaisirdeparlermaproprelangue,maisaubout de quelques minutes, je commençai à m’inquiéter du coût de cetteconversation.Enplus,ilmeposaittropdequestionssurLaney.Jeraccrochaienpromettantdeleteniraucourantrégulièrementmaintenant.QuandLaneyrevintdanslesalon,elleportaitunjean,untee-shirtetpasune
trace de maquillage. C’était étonnant de la voir marcher. Cela me rabaissaitencore.Aumoins quand elle était dans son fauteuil, je pouvais l’aider. Jemesentisencoreplusbêtedepenseruntrucpareil.—Toutvabien?demanda-t-elle,l’airinquiet.Jeluirépondisparunpetitsourire.—Jecrois.Ceseradifficilecommejen’aipasdepapiersd’identité.Tonpère
m’aditqu’ilappelleraitl’ambassade,mais…—Illefera,répliqua-t-ellesèchement.— Parce que ça l’intéresse ? demandai-je amèrement. Encore de la main
d’œuvre pas chère venant d’Europe de l’Est. Je n’ai encore jamais croisé unAméricainquiadéjàentenduparlerdelaSlovénie.Elledétournaleregard,l’aircoupableetjepoussaiungrandsoupir.J’étaisen
traind’insultersonpère,sonpays,jelamettaismalàl’aisealorsqu’elleessayaitdem’aider.Jechangeaidesujet.—Tumarchestrèsbienaujourd’hui.Laneym’adressaunsourireradieuxetdespetitesridesapparurentaucoinde
sesyeux.—Jesais!Quelsoulagement!Lescrisessontcourteschezmoi,engénéral,
maisparfoisellesdurentunequinzainedejours.Je voulais en savoir plus sur sa maladie, mais Laney ne m’en laissa pas
l’opportunité.—Allez,viens,nousallonsprendrenotrepetitdéjeuner.Ouunbrunch.C’est
moiquipaie.—Jeterembourseraidèsquepossible,marmonnai-je.Laneypoussaunsoupir.—Ash,tuasnouémeslacets.—Teslacets?demandai-je,déconcerté.— Tum’as enfilé mes chaussettes et tu as attaché mes lacets quand je ne
pouvaispas…simplementparcequetunevoulaispasquejesortepiedsnus.—Oui.Etalors?—Merci.—Pourdes…chaussettes?—Pouravoirremarquéquej’enavaisbesoin.—Jenecomprendspas.Laneym’adressaunpetitsourire.—Jesais.Maistum’asaidéealorsquej’enavaisbesoinetmoijeterendsla
pareille.Je ne mangeai pas grand-chose de ma pizza du petit déjeuner.Mon angoissedevait être contagieuse, car Laney finit par demander à la serveuse de nousprépareruneboîtepouremporternotrenourriture.Enarrivantauniveaudelavoiture,jedevaisavoirl’airsurlepointdepéter
uncâble,carLaneypritmamainetlaserra.Seigneur,çafaisaitmal!Jegrognaietluiarrachaimamain.—Désolée!s’exclamaLaney,horrifiée.Jesecouai la têteenserrantmamaincontremapoitrineenattendantque la
douleurs’estompe.—Qu’est-ceque…j’aifait?Jegrimaçai.—Jemesuiscassélesdoigtsiln’yapaslongtemps.Ilsmefontencoremal
parfois.—Quet’est-ilarrivé?JenerépondispasetLaneypâlitencomprenantcequiavaitdûsepasser.—Oh,dit-elledoucement,l’airpeiné.Letrajetjusqu’aupostedepolicesefitensilence.Jem’envoulaisdeluiavoir
faitdelapeine.Encoreunefois.Toutcequ’ellevoulait,c’étaitmeréconforter.Mêmepourça,jen’arrivaispasàmecomportercorrectement.Je fus parcouru d’un frisson en découvrant le commissariat. C’était un
bâtiment en béton, affreux, bas et trapu, avec des fenêtres banales. Je medébattaisdéjàcontrel’idéed’êtreenfermélà-dedans.Jen’avaisjamaisaimélesespacesconfinés,maisdepuisque j’avais été retenudans lavoituredeSergei,cettedétestationétaitdevenuedelapanique.Mesmains semirent à trembler et je déglutis plusieurs fois en essayant de
contrôlermanausée.—Toutvabiensepasser,ditLaneyensegarantsurleparking.Jelaregardai;j’avaisterriblementenviedelacroire.—Ash,dit-elledoucementencaressantmajoue.Toutirabien.Je clignai des yeux et pris une grande inspiration tremblante. Puis je
m’appuyaicontre samain.Nous restâmesainsiquelque temps, sans rompre lecontact,lesyeuxfermés.Lorsquenousentrâmesdanslebâtiment,elles’emparademonautremain.LepèredeLaneynousrejoignitdèsquel’agentàl’accueilleprévint.—Bonjour,mapuce!Ilfronçalessourcilsquandilremarquanosmainsjointesetilpritaussitôtun
tonprofessionnel.—Noussommesprêts.Laney,cesontMarketLuisquis’occuperontdetoi.
MonsieurNovak,vousirezaveclesinspecteursPetronellietRamos.EtAngelaPinto,quevoici,seravotreavocate.Une femme grande et aux formes épanouies nous sourit et serra Laney
brièvementcontreelle.—Angie!Jeteremerciedeprendrenotreaffaireenmain.—Jet’enprie,Laney.Jesuisravie.—Jeteprésentemonami,Ash.Angela jetaunregard inquisiteuràLaneyavantdese tournerversmoipour
me serrer la main. Je marmonnai quelques mots inintelligibles et me laissaiguiderdanslescouloirs.Onaurait cruque jemarchaisdans le couloirde lamort.Laneym’offritun
sourired’encouragement,quejenepuspasluirendre.—Avez-vousbesoind’uninterprète,monsieurNovak?—Ash?insistaLaneycommejenerépondaispas.—Hein?Euh,non.Merci.—Ehbien,sivousenêtescertain…Je hochai brièvement la tête. Il était inconcevable de rallonger encore cette
épreuvemêmesij’avaisenviedevomir.Oudem’enfuir.La salle d’interrogatoire était brillamment éclairée et plutôt spacieuse,mais
sans aucune ouverture. Une vague de panique inattendue menaçait de mesubmerger. Soudain, je m’imaginais enfermé ici avec Oleg et je luttai pourreprendrema respiration comme si j’étais en train deme noyer. Je fermai lesyeuxetessayaidecontrôlermonsouffle.Jen’arrivais pas à empêchermoncorpsde sepréparer à sedéfendre contre
une menace qui n’était probablement même pas réelle. Pourtant il pouvait sepasserdeschosesterriblesdansunpostedepolice,non?Jememisàtremblerdefaçonincontrôlable.—Est-cequ’onpourraitdonnerunverred’eauàmonsieurNovak,s’ilvous
plaît?J’entendis la voix d’Angela, mais il me fallut plusieurs minutes pour me
calmeretàcemoment-là,unagentdepolicerevenaitavecungobeletd’eau.Jelefixaienmedemandantsijeseraiscapabledeleprendresanslerenverser.Jeréussisàboireunegorgéeavantquel’eaucommenceàdéborder.—Nouspouvonsreportercetentretienàplustard,ditAngela,cequiluivalut
unregardirritédelapartd’undesagentsprésents.—Non,répondis-je,lavoixrauque.Jeveuxenfinirauplusvite.—EntretienavecAljažNovak.SontprésentslesinspecteursDerekPetronelli,
OscarRamoset l’avocatedemonsieurNovak,AngelaPinto.MonsieurNovak,pouvez-vousnous donner votre nomcomplet, votre date de naissance et votreadresse,pourcetenregistrement.—AljažNovak.Jesuisnéle15mars1992.—Quelleestvotreadresse?Pourcetenregistrement.—Jevivaischezunami,LukaKokotdansmonpays.C’estcetteadresseque
vousvoulez?Celaneleurseraitpastrèsutilepuisqu’ilétaitentournée.—Pouvez-vousnousdireoùvousavezrencontrémademoiselleHennessey.—ÀLasVegas.Elleétaitdansuneboîtedenuitdansunhôtelavecsesamies.
Nousavonsparléseulementquelquesminutes.—Et?—Elleestretournéedanssachambre.Etmoij’aicontinuéàchercherunefillepourlasoirée.—Jenel’aipasrevueavant…quandtoutestarrivé.Maréponsefutaccueillieparunpetitsilence.Quandjelevailesyeux,jeles
viséchangerdesregardslourdsdesignification.— Pouvez-vous nous dire quelles ont été les circonstances qui vous ont
conduitàLasVegas?
Jeprisunegrandeinspirationpourtenterdemaîtrisermesnerfs.— J’étais à la recherche d’une nouvelle partenaire sur un site que j’utilise
régulièrement…—Unepartenairesexuelle,vousvoulezdire?mecoupal’inspecteurRamos.Quoi?Jelevailesyeux,étonné.Puisjecompriscequ’ilsous-entendait.—Non,non,unepartenairededanse.Jefaisdeladansedesalon.Jemesuis
séparédemadernièrepartenaireetj’étaisàlarecherched’unenouvellecapabledeparticiperàdescompétitions.Cen’estpasévidentdetrouverquelqu’unavecqui on est compatible. J’ai cliqué sur un lien proposant des partenairesdisponiblesetcelam’aconduitsurunsiteoffrantdesemploisàLasVegas.—VousétiezdéjàdanseurenSlovénieàcetteépoque?—Non,celanepermetpasdevivrelà-bas.—Quelétaitvotreemploialors?—Jetravaillaisdanslebâtiment.Etjedétestaisça.—OK.Ques’est-ilpasséensuite?—J’ai envoyéparmailmonCVet ilsm’ont répondudès le lendemain. Ils
m’ont dit que j’étais exactement la personne qu’ils recherchaient et qu’ilsallaients’occuperdemonvisa.Jen’avaisquemonbilletd’avionàacheter.Touts’estfaittrèsvite.—Celavousa-t-ilétonné?—Pasvraiment.J’avaisobtenuleurnomsurcesitespécialisédansladanse;
j’aicruquetoutétaitnormal.—Continuez.—Enrevanche,quandjesuisarrivé,jemesuisditqu’ilyavaitunproblème.—Pourquoi?—Un type,Oleg, est venume chercher à l’aéroport dans unminivan. Il y
avaitquatrefillesàl’intérieurquisemblaientêtredesdanseuses.—Quevoulez-vousdire?—Ellesétaientminces,muscléesetellesontunecertaineposture.Sexy.Vous
voyez?DerekPetronelliétaituntypeénormequiavaitl’airdugenreàaimerunpeu
troplesdonuts,maissijemefiaisàl’expressiondesonvisage,ilavaittrèsenviederencontrerdesfillesquiressemblaientàdesdanseuses.—Ques’est-ilpassé?Jemefrottailesyeux.Celamesemblaiténormemaintenant.J’avaisétéd’une
tellenaïveté;maisj’avaistellementd’espoircesoir-là.
—Ilyavaitdeuxfilles,YvetaetsonamieGalina.DeuxRusses.Etpuis,ilyavait Marta, une Ukrainienne, d’après Yveta. Je n’ai jamais su le nom de laquatrièmefille.Nousavonspenséqu’elleneparlaitpasanglais…nirusse.Elleétaitjeune.Danslesseizeans,jepense.Olegnousaprisnospasseports.Celanem’apasplu,maisjenevoulaispasfaired’histoiredèslepremiersoir.Lorsquenoussommesarrivésàl’hôtel,ilsnousontditdeprévenirnosfamillesquenousétions bien arrivés, puis ils nous ont pris nos téléphones. J’avais vraiment unmauvaispressentiment,maisjenesavaispasquoifaire.Puis,lejoursuivant,j’airencontréSergei.—Quelestsonnomdefamille?—Jene saispas.On l’appelait justeSergei.Le seulnomde familleque je
connaisse,c’estceluidugrandpatron,Volkov.Petronelliregardasoncollèguepuisfixadenouveausonattentionsurmoi.—Pourriez-vousidentifiercespersonnessinousvousmontrionsdesphotos?Jeserrailesdentsethochailatête.—Jen’oublieraijamaisleurvisage.—D'accord. Nous essaierons ça. Que s’est-il passé après qu’on a pris vos
téléphones?Je poursuivis mon récit en évoquant notamment le Coréen et ma certitude
qu’ilavaitétébattuàmort.—Maisvousn’enêtespascertain?Lespolicierséchangèrentunnouveauregardentenduetjememisàtranspirer.
Ilsnemecroyaientpas,jen’avaisaucunepreuvedecequej’avançais.J’arrivaisaumomentoùilfaudraitquejeparledelajeunefille…etdecequej’avaissubi.Monpoulss’accéléraquandj’eusterminédeparlerdenotreséanceshopping.—Sergeiestalorsmontédanslalimousineetiladit:«Papaveutjouer.»Je
savaiscequ’ilvoulaitdire.Jeluiaiditque…Je jetai un coup d’œil à Angela qui hocha la tête, le visage sérieux en
m’enjoignantàcontinuer.—Je luiaiditd’allerse faire foutre. Ila ri,ditque justementc’était l’idée.
PuisOlegm’afrappépar-derrièreetjesuistombédanslavoiture.Sergeiaalorssortiunearme.Ilmel’acolléesurlanuque.Jesentaislemétalfroidcontremoncou. Jemesouvinsavoirpenséque s’ilme tiraitdessus, ilprendraituneballedanslescouilles.Jeprisunegorgéed’eauenessayantd’ignorerletremblementdemesmains.—Iln’apasarrêtédemerépéterqu’ilfallaitquejelesuce,maisjerefusais.
Jenesuispasunhomo!
Jefixailesdeuxinspecteurs,maisilsmeregardaient,impassibles.— Je ne suis pas gay, répétai-je en abattant violemment mon poing sur la
table.—C’estbon.Nousallonsfaireunepetitepause,ditAngelacalmement.J’agrippai le rebord de la table et me forçai à continuer. Si je m’arrêtais
maintenant,jen’étaispascertaindepouvoirterminermontémoignage.—Il a coincémamaincontre laporte etm’a frappéavec sonarme. Ilm’a
brisé ce doigt.Comme je ne voulais toujours pas le sucer, ilm’en a cassé unautre.J’avaispeurdem’évanouir,maisjesuisrestéconscient.J’étaistellementencolère,plusqu’effrayéenfait.Ilm’ademandécombienilyavaitd’osdansmonpied,parcequ’ilallaittousmelesbriser.Jeluiaiditquejeluiarracheraislaqueueavecmesdentsetquejelacracherais.Je ressentais exactement le même sentiment d’humiliation et je ne pouvais
plusregarderpersonneenface.—Ilaalorsappuyésurunboutonetlavitreentrelessiègesavantetarrière
s’estbaissée.Oleg…ilétaitaveclafille…laplusjeune.Ellepleuraitetj’aivuqu’on l’avait battue. Oleg a commencé à l’étrangler. Je n’avais jamais vu lesyeuxdequelqu’unsortirdeleurorbitecommeça.Ilssontdevenustoutrouges,lapartieblancheenfait,etjemesuisdit:«monDieu,touteslesveinesdesesyeuxsontentraind’exploser!»Ellenem’apasquittéduregardpendanttoutcetemps.Seslèvressontdevenuesbleuesetellegriffaitlesmainsd’Oleg,maisilriait.EtSergei…aussi.Iladitqu’ellen’enavaitpluspourlongtemps.Et…et…jenevoulaispasqu’ellemeure.Soudain,ellen’aplusbougé.Ilallaitvraimentlatuer.Ilaimaitça.Sergeiaussi.Cesdeuxsalaudscomplètementcinglés…J’enfouismonvisagedansmesmains.—Alorsjel’aifait.Cequ’ilvoulait.OlegriaittoujoursetSergei…J’eusunhaut-le-cœur,maisréussisàmeretenirdevomirenravalant labile
quiremontaitdansmagorgeetmenaçaitdem’humilierencoredavantage.—Quand il a terminé…celam’a rendumaladeet j’aivomi sur lui. Il était
tellement en colère qu’il m’a hurlé dessus et m’a frappé sur la tête avec sonarme. J’ai vraiment cru qu’il allait m’abattre, mais il a simplement ouvert laportièreetm’ajetédehors.Ilalevésonarmeetl’apointéesurmoi.Jecroyaisquec’étaitlafin.Maisjen’enavaisplusrienàfaire.Jerelevailatête,maisjenevoyaispluslapièce.—Lafille…jecroisqu’ill’atuéedevantmoietjen’airienfait!Les derniersmots sortirent dans un hurlement etAngela posa gentiment sa
mainsurmonbras.Cesimplecontactmefitexploseretjerenversailachaiseen
melevantbrusquementenfaisantunbondenarrière.Un silence consterné s’établit dans la pièce. Angela me regarda avec
inquiétude.—Nousallonsfaireunepausemaintenant,ditPetronelli.Angelaacquiesçaetfermasoncarnet.—Entretiensuspenduà15h24.—Jesuisdésolé.Maisjenesavaisplustrèsbienàquijem’adressais.
Troisheuresplustard,j’étaisseuldanslasalle.J’étaiséreintésansplusaucunesensation, hormis celle, sourde, de honte. J’étais trop épuisé pour en avoirquelquechoseàfaire.Ilsm’avaientposédescentainesdequestions:quij’avaisvu,cequiavaitété
dit,quiétaitlemotard,sij’avaisaperçudeladrogue,sionm’enavaitdonné,cequeVolkovavaitdit,oùétaitMartaquandjel’avaisvue,cequ’elleavaitdit,oùétait le bordel où elle était retenue, comment j’espérais rembourser Sergei,combiendefoisj’avaiscouchéavecdesfemmescontredel’argent,pourquoijen’étais pas allé trouver la police quand j’en avais eu la possibilité. Et j’avaisrevécu cette horrible nuit au cours de laquelle Oleg m’avait fouetté avec sapropreceinturependantqueSergeisemasturbait.Puis ils avaient pris des photos de mon dos et de mes fesses, échangeant
tranquillementdescommentairessurlesmarques.Le pire était sans doute que tout cela se passait sous les yeux de l'amie de
Laney.C’était une erreur d’avoir accepté qu’elle soit là. Elle avait eu un
comportementtrèsprofessionnel,maismaintenant,ellesavait.Ellesavaitetellemejugeait,qu’elleleveuilleounon.MaisjesupposequeLaneyauraitfiniparapprendretoutcelad’unemanière
oud’uneautre.Sicen’étaitpasparAngela,ceseraitparsonpère.Justement, l’avocaterevenait.Elleposaunetassedecafénoirdevantmoiet
pritplaceenfacedemoi.Jen’aimaispaslecafésanssucreetsanscrème,maisj’appréciaideserrerunetassechaudedansmesmains.—Commentallez-vous?JefailliséclaterderireetAngelam’adressaunsouriretriste.—C’estnormalquevousvoussentiezmal,maisvousvousenêtestrèsbien
sorti. Ils ont recueilli beaucoup d’informations sur lesquelles enquêter et ilspourrontlescommuniqueràlapolicedeLasVegas.
Jelaregardai,lessourcilsarqués.—Jesaiscequ’onvousadit,mais ilyadebonspoliciers là-bas,quivont
menerl’enquête.L’affaireneserapasenterrée.Jerestaisilencieux.Jevoulaisqu’onrendejusticeàlajeunefille,àMartaetà
touslesautres.Mais la sentencequeméritaitSergeietOleg,c’étaitd’être fusilléoupendu,
pasunprocèsetdelapaperassebienpropre.—Nousavonscontactévotreambassadeetilsvontvousenvoyerunnouveau
passeport.Cela risquedeprendreunpetitmoment,d'autantplusqueceluiquevous aviez a été utilisé illégalement. Ils sont prêts à vous délivrer des papiersd’identité provisoires afin que vous puissiez avoir accès à votre compte enbanqueenSlovénieetquevouspuissiezvousfairerefairevotrecartebancaire.Maiscelaprendraunequinzainedejours,nesoyezpasétonné.Jevaisfairedemonmieuxpourqu’ilsaccélèrentleprocessus…Malheureusement,celasignifieque vous ne pourrez pas prendre un avion tout de suite. En plus, à cause del’enquête en cours, ils préfèreraient que vous restiez un peu. Mais votreambassadem’aaccordé lapermissiondevousdonnerdeuxcentsdollars etdevous trouver un hôtel. Laney m’a dit que vous étiez le bienvenu chez elle,termina-t-elleensouriant.Stupéfait,jelevailatête.—Elleaccepteraitquejerestechezelle?—Oui.Jecroisaileregardd’Angelaetluslemessagesilencieuxqu’ellem’adressait.
Jesecouailatête.—Sonpèreneserapasd’accord.Angelasemitàriredoucement.—SivouscroyezquelepèredeLaneypeutluiinterdirequoiquecesoitune
foisqu’elleaprisunedécision,vousnelaconnaissezpastrèsbien.—Etleco…soncopain?— La réponse est la même, répondit Angela, toujours souriante et
parfaitementconscientedecequej’avaisfaillidire.Ellesortituneliassedebilletsetmelestendit.—Ellevousattenddehors.Je me levai lentement. Laney m’attendait. Je n’avais pas eu conscience
commej’avaisbesoind’entendrecesmots,desavoirquemonsortpréoccupaitquelqu’un,quejen’étaispasseul.J’ouvrislaporteetdèsqu’ellemevit,ellesejetadansmesbras.
Je ne m’attendais pas à cela et je reculai d’un pas, mon dos heurtantdouloureusementlemur.Laneymeserradetoutessesforces.Unefoislasurprisepassée,jem’autorisaiàgoûteràlachaleuretàladouceur
de ce petit corps pressé contre le mien. J’enroulai mes bras autour d’elle enl’étreignantdélicatementetjelaissaimonfronttomberdanslecreuxdesoncoucommesij’avaisfaitçatoutemavie.Laney était toute rose quand elle prit un peu de recul. Je m’attendais à ce
qu’ellemebombardedequestions,maiselles’enabstint.Dieumerci,elles’enabstint.—Viens,dit-elle.Sortonsd’ici.JehochailatêtelaissantLaneymetirerparlebras.—Jesaisoùnousallonsfêterça.Jelaregardai,lessourcilsfroncés.—Quefêtons-nous?Laneylevalesbrasauciel.—Lavie!Nousallonsfêterlefaitquenoussommesvivants!
Chapitre11
LANEYAngelanousrejoignitdansunbarquejeconnaissaisquisetrouvaitàunpâtédemaisonsducommissariat.Ash insistapourpayerpuisqu’il avait enfinde l’argent,mêmesinousne le
voulionsnil’unenil’autre,maisargumentersurcesujetauraitrenduleschosesencoreplusinconfortables.C’étaitunesoiréedefêtesilencieuse,avecunAshmutique,quin’ouvrait la
bouchequepourrépondreauxquestionsqu’onluiadressaitdirectement.Jemedoutaisquerevivrecequ’ilavaitvécuavaitdûêtretraumatisant.Mais
j’étais totalementsincèrequandj’avaisditque jevoulaiscélébrer lefaitd’êtrevivants.Etilavaitlaviedevantlui.Lefaitqu’Angelasemblaitelleaussi tenduen’arrangeait rien.Elle jetaitdes
coupsd’œilinquietsàAsh,plongédanslacontemplationintensedesabouteilledebièredontilarrachaitpetitboutparpetitboutl’étiquette.—Bon,ilfautvraimentquejerentre,lançaAngela.Laney,tuveuxbienme
raccompagner?AshselevapolimentenmêmetempsquenousetfitunsignedetêteàAngela
enmarmonnantunpetit«merci»entresesdents.Ilévitaitsonregardetjemedemandais’ilss’étaientdisputésd’unefaçonoud’uneautre.—Laney, ditAngela, une fois à l’extérieur dans la fraîcheur de la nuit. Je
t’aime comme une sœur, donc je vaisme comporter de façon totalement peuprofessionnelleettedirequecetypem’inquiètebeaucoup.—Ash?Pourquoi?—Tusaisquejenepeuxpasteledire,maisjeveuxjusteque…tudoisrester
loindelui.Jesuistrèssérieuse.L’extérieurestmagnifique,jereconnais,maisilestterriblementblesséàl’intérieur.Situt’impliquesunpeuplus,ilt’entraîneradanssachute.J’aidéjàvuça.Jesaisquetuadoressauverlesgens,maisdanscecasprécis,laissetomber.—Queveux-tudire,par,j’aimesauverlesgens?— Enfin, Laney ! Tu le sais très bien. Tu as essayé d’empêcher Collin de
devenirunparfaitconnardennuyeuxdepuisdixansetregardecommeçaabienmarché!
—Tunecomprendspas!dis-je,sèchement,tellementj’étaisfrustrée.—Alors,explique-moi!Prouve-le-moi.Parcequecequetufaispourcetype
vabienau-delàdecequ’onfaitpourunétrangernormalement.J’auraisvoulumefâcher,maisAngieétaitseulementinquiètepourmoi.—Je…C’estdifficileàexpliquer.Maissituavaisétélà…quandtuassistesà
unescènepareille,tunepeuxpast’empêcherdevouloirfairequelquechose.Ilétaittellementmal.Jen’avaispaslechoix.Ellen’étaitpasconvaincue,c’étaitévident.Peut-êtreavait-elle l’habitudeen
tantqu’avocatedejugersurdesfaitsetàpartirdepreuves.Oupeut-êtreétait-ceparcequenousétionsamiesdepuisdixansetqu’ellenem'avaitjamaisvuagirainsiauparavant.Ellepoussaunsoupiretmepritdanssesbras.—Réfléchisbien,d’accord?Elledisparutdanslanuitavantquejepuisserépondre.Cequ’ellem’avaitditm’avaitmisehorsdemoi.Qu’elle soupçonnequ’il y
avaitquelquechoseentreAshetmoiétaittrèsloindelaréalité.Deplus,Collins’étaitexcusédesoncomportementavantmondépartpourVegas.Jepenseque le faitque j’étais trèsprèsd’êtregrièvementblesséeoumême
tuéeavaitétéunchocpourtouslesdeux.Nousn’allionspasjeteràlapoubelleunerelationdedixansaprèsuneseuledispute.Il n’était pas très content qu’Ash dorme sur mon canapé pour un temps
indéfini,maiscen’étaitpasnégociable.Quoiqu’Angelapense,jen’essayaispasdesauverAsh.Ilétaitcertespassépardesexpériencestrèstraumatisantes,maisj’avaisdéjàdiscernéchezluidestracesdel’hommequ’ilétaitavant:amusant,gentiletsexy.Dans une quinzaine de jours, il disposerait d’un nouveau passeport et il
pourraitrentrerchezlui.Iln’étaitpasquestionquejelelaisses’installerdansunhôtelanonymeoùilneconnaîtraitpersonne.Jeme retournai pour aller le chercher,mais jedécouvris avec surprisequ’il
m’avaitsuivieetqu’ilétaitappuyécontrelemur,unecigaretteauxlèvres.Je détestais la fumée de cigarette. J’avais obligé Collin à arrêter dès notre
second rendez-vous. Je n’étais pas certaine que j’aurais encore cette influenceaujourd’hui.—Maiscommentpeux-tufumer?demandai-jeenlefoudroyantduregard.Tu
esdanseur,bonsang.—Iln’yarienquetuaimes,quin’estpasforcémentbonpourtoi?Ashlerigoloétaitderetour.J’étaisraviequ’ilfassesaréapparition,maiscela
nesuffiraitpasafinquejelâchel’affaire.—Oùas-tutrouvécettecigarette?—Unefemmemel’adonnée,marmonna-t-il,lacigarettetoujoursauxlèvres.Ilprituneprofondeinspirationetlâchalafuméedansl’airnocturne.—Biensûr,dis-je,enhaussantlesyeuxauciel.—Pourquoi«biensûr»?—Commesi tunesavaispascedont jeparle !Unseulsourireetelleétait
prêteàtout,jeparie.Seslèvress’étirèrentetilserapprochademoienéloignantsacigarette.—Çamarcheavectoi?Oh,monDieu,situsavais!—Je suis totalement immunisée, dis-je en relevant lementon. J’ai un petit
ami.Ashserenfrogna.—Tut’esremiseavecleconnard.—Arrêtedel’appelercommeça!—L’abruti?Letrouduc?L’enfoiré?Hé,aufait,tuconnaisunsynonymequi
commencepar«q»?Il fit une pirouette pour éviter le coup que jem’apprêtais à lui asséner sur
l’épaule.—Arrêtedetecomportercommeunidiot!—J’avaisdéjàle«i»,medit-il,unlargesourireauxlèvres.AshleJoyeuxétaitadorable,mêmes’ilétaittrèsénervant.Jeposaimesmains
surmeshanches.—Excuse-toi!Toutdesuite!Ash joignit lesmains commepour une prière, la cigarette coincée entre ses
lèvresboudeuses.—Jesuisdésolé,dit-iltoujourshilare.Jerentraidanslebaretbutunelargerasadebienméritéedebièrepouressayer
deme calmer. Ash s’arrêta en chemin pour parler à une femme aux cheveuxteintsenroux.Ilavaitl’airdelaremercier,j’endéduisisquec’étaitellequiluiavaitoffertunecigarette.Jen’avaispasàm’inquiéterpour lui. Il trouverait sansdoute toutcedont il
avait besoin en demandant aux femmes qu’il croiserait.Mais je me rappelaisaussi son expression ravagée, le sang dans son dos, ses hurlements quand ilm’avaitdemandédequittercestoilettesàVegas.Jemesouvenaisaussidesonexpression de terreur sur le chemin du poste de police, son désespoir et son
épuisementaprèssonentretien.Ashmerejoignitetmepritlamain.—DanseavecmoiLaney.—Quoi?Ici?Jejetaiunregardaffoléautourdemoietremarquaiquedeuxcouplesavaient
pris place sur la minuscule piste de danse et s’agitaient en rythme sur unemusiquerapide.—C’estimpossible.—Pourquoi?demanda-t-ilenmetirantendirectiondelapiste.—Je…je…jen’aimepasdanser.Ashfitvolte-faceetmefixa.—Mais…toutlemondeaimedanser.Sonexpressionchoquéemefitrire.—Ehbien,non.Pasmoi.Il me jeta un regard entendu, plaça mes deux mains autour de son cou et
rapprochanoscorps.Ilpoussaunecuissefermeentrelesmiennespuissepenchaversmoi,mecaressantlajouedesonhaleinequisentaitlacigarette.—Net’inquiètepas.Mêmesitunesaispasdanser,avecmoi,çaneseverra
pas.Non,maisquelpetitconprétentieux!Ilvenaitdememettrelenezdansmesproblèmesdecoordinationquifaisait
quej’étaisincapabledetapermesmainsenrythmeetdedanser.Sesmains étaient posées surmes hanches et il utilisait tout son corps pour
contrôlerlemien.Letempodelamusiquecommençaitàprendrepossessiondemoi, toutcomme lachaleurdesesdoigtset la lueurdecontentementdanssesyeux.Pourlapremièrefoisdemavie,jedansaisetj’aimaisça.—Détends-toi,murmura-t-il.Ondiraitquetuasunbalaidanslecul.J’explosaiderire.—Maistuestellementgrossier!—Tutrouves?Maistuvois,çaamarché,n'est-cepas?Etilfittournerseshanchesenmeforçantàépousersesmouvements.Jejetaiuncoupd’œilsurl’endroitoùnoscorpsétaientréunisetremarquaiun
léger tressaillementàsonentrejambe;unpetitmouvement justesuffisant,afinquejelevoie.Je m’empourprai et je fus soudain incapable de le regarder dans les yeux.
Mais je continuai à danser, à bouger en rythmemonpetit corps trop raide.Etj’adoraisça.
Maissoudain,jemedemandaicequeCollindiraits’ilnousvoyaitcommeça,messeinspresséscontrelapoitrined’Ash,sesmainssurmeshanches.Jeralentispeu à peu et je me frottai le front – les deux prochaines semaines seraientlongues.Ashécartamesmainsdematêteetsemitàmemasserlestempes,seslongs
doigtsdessinantdescerclessurmapeaubrûlante.Puisilmefitmeretourner,plaquantmondoscontresapoitrinemuscléeetses
mains glissèrent dans mon cou. Ses pouces s’enfoncèrent dans mes musclestendusm’arrachantungémissement.—OhmonDieu!Tuasdesmainsmagiques.J’avaisparlésansréfléchir.Jem’attendaisàcequ’Ashfasseuneblague,me
disantqu’illesavaitdéjàtrèsbien,maisquandjeluijetaiuncoupd’œilfurtif,jevisquesonvisageaffichaitunairsérieuxetqu’unpetitpliavaitprisplaceentresessourcilstellementilseconcentraitsursesgestes.— Tes muscles sont très noués, dit-il, sur un ton grondeur. Tu aurais bien
besoind’unmassage.Celat’aiderait.Ses pouces s’enfoncèrent à nouveau, provoquant une douleur délicieuse qui
m’arrachaunnouveausoupir.—J’enfaisparfois,maissansdoutepasassezsouvent.C’estenfonctionde
mesrevenus.Ashsortitlesbilletsqu’Angelaluiavaitdonnésetlesplaçadansmonsac.—Voilà,çadevraitsuffirepourunmassage,murmura-t-il.—Ash,non!Ilfitcommes’ilnem’avaitpasentendu.Jesortisalorslesbilletsetlesfourrai
danssamain,reculantpourqu’ilnemelesdonnepasànouveau.—C’estleseulargentquetuas!Nelefichepasenl’aircommeçapourun
massage!—Alorsc’estmoiquileferai.Jem’yconnaisenmusclesnouésoucoincés,
crois-moi.Plusquejelevoudraisparfois,ajouta-t-ildansunpetitrire.C’étaittrèstentant,mais…—S’ilteplaît,Laney,dit-il,lavoixbasseetrévélantsonémotion.Jen’airien
d’autreàt’offrir.—Ash…—S’ilteplaît.Jenepouvaispasrefuser.J’avaisdûboireplusque je lepensais. J’avaisprobablementvoulunoyer la
légère inquiétude que la présence d’Angela avait créée. Quand je tentai de
m’éloignerdelui,jevacillai.Ashm’aidaàmettremonmanteau,passaunbrassurmesépaulesetnousmarchâmesainsijusqu’àlamaison.C’étaitagréable.Jemesentaisensécurité.Maisunefoisdansl’appartement,l’impressiondegênerevintdeplusbelle.Ashsedirigeaversleréfrigérateuretensortitdeuxbouteillesd’eau.Celamit
enévidencesondélicieuxderrièremoulédanssonjean.Jesecouailatête.Jenepouvaismêmepasm’empêcherdelemangerdesyeuxdèsqu’ilsepenchaitpourprendre un truc dans le réfrigérateur. Comment allais-je faire pour vivre aveclui?Il me tendit une bouteille, puis me demanda d’aller dans ma chambre. Il
m’ordonnadememettreenpyjamaetdemecouchersurleventre.Une fois que je fus prête, il entra dans ma chambre. Il monta sur le lit et
s’installa à califourchon sur moi, me prenant totalement au dépourvu. Sescuissesétreignaientmeshanches.Puis il se pencha en avant et je sentis son souffle chaud contremon cou le
tempsqu’ilprenneuntubedecrèmeetqu’ils’enmettesurlesmains.L’odeur de Jacinthe Sauvage imprégna rapidement l’air et il enfonça ses
doigts dansmesmuscles. Bon sang, ça faisait du bien ! Il savait vraiment cequ’ilfaisait.Jemerépétaisenbouclequecelan’avaitriend’érotique–tuparles,oui!Ses
mainsglissèrentsousmontopafinqu’ilpuissemassermapeaunue.J’étaistrèsexcitée,maisjeluttaicontrecedésirtotalementinapproprié.J’aiunpetitami,psalmodiai-jesilencieusement.J’aiunpetitami.Pendanttrenteminutes,ilmassamoncou,mesépaules,mondos,mesbraset
mesjambesjusqu’àcequesesdoigtsmagiquesmetransformentenunemassedechairsansplusaucunetension.Je sentis ses lèvres effleurer furtivement mes cheveux lorsqu’il me couvrit
d’unplaid.Enquelquessecondes,j’étaisendormie.Jeme réveillai, assoiffée,peuaprèsminuit. Jen’avaisbuquequelquesbières,pasassezpourqu’unepersonnenormaleait lagueuledebois.Maismoncorpsneréagissaitjamaiscommeceluidetoutlemonde.Jetraversailesalonsurlapointedespiedspourprendredeuxcookies,histoire
que je n’avale pas mes cachets d’ibuprofène l’estomac vide. Je remarquaiqu’Ash avait laissé les rideaux ouverts, ce qui me permit de contempler sonvisagemagnifique,quiparaissaitplusjeunedanslesommeil.Maisilnedormaitpasetjemefigeaisurplace.
Il était étendu sur le canapé, la poitrine nue presque lumineuse grâce àl’éclairagedanslarue.Unemainétaitposéelà,maisl’autre…Ledrapfinétaitrepoussésursescuissesetilsecaressait.Seslongsdoigtsqui
avaientmassémon corps si consciencieusement plus tôt dans la soirée étaientreferméssursonsexeérigéetallaientetvenaient,sonpoucevenantessuyersonlargegland.Sesyeuxétaient clos, saboucheentrouverteet sa respirationétaitessoufflée.Jesavaisquej’auraisdûm’enallertoutdesuite,lelaisserdansl’intimité,ne
pas le mater comme une voyeuse perverse. Mais c’était impossible. J’étaishypnotisée par la vision d’Ash en train de se donner du plaisir, sa mainaccélérantprogressivementsesgestes,sapoitrinemuscléesesoulevantdeplusenplusrapidement.Ilmarmonna quelque chose dans sa langue et à l’expression crispée de son
visage, je me doutais qu’il était proche de l’orgasme. Et Seigneur, c’était lachose la plus sexy qu’il m’avait été donnée de voir. Je sentis ma propreexcitation alors que je continuais à l’observer, à me gorger de cette vision,imaginantbienplusdechosesquej’auraisdû:moi,aveclui.Lui,enmoi.Ses hanches commencèrent à se soulever rythmiquement et il jouit, des
gouttesopalescentestombantsursonventre.Ilcriaalorsmonprénom,lesyeuxgrandsouverts,fixéssurmoi.Mortifiéed’avoir étéprise en flagrantdélit devoyeurisme, jebafouillai une
excuseetm’enfuisversmachambre,oubliantmasoifetmonmaldetête.Ladernièrechoseque jevis,ce futsonregard intensequimesuivaitetson
sexed’unpourpreencoretrèsfoncéquireposaitsursonventremusclé.
ASHElle avait détalé comme une biche effrayée. Mais elle m’avait observé, je lesavais.Si elle avait été si choquéedemedécouvrir en train dememasturber,pourquoin’avait-ellepasquittélapiècetoutdesuite?J’empoignaimontee-shirtsaleetl’utilisaipourmenettoyer,puisjeremontai
monboxer.Unepartiedemoiétaitheureusequ’elleaitassistéàcela,àquelquechosequi
mettait en évidence ma masculinité et non pas mon statut de pauvre petitevictimequ’elleavaitenviedeplaindre.Maisuneautrepartie le regrettait.Ellememettraitcertainementàlaportedemainmatin.Je mis du temps à m’endormir après ça, mais quand je sombrai dans le
sommeil,jenefispasdecauchemarscettefois-ci,maisj’entendisdelamusique
etjerêvaideLaney.Le lendemain, je compris qu’elle était toujours très gênée, car elle mit un
tempsinfiniàémergerdesachambre.J’avais trèsenvied’allerauxtoilettesetj’envisageais sérieusement deme soulager dans l’évier si elle ne se dépêchaitpas.Elle finit par se traîner dans le salon enmarmonnant un « bonjour » et en
évitantsoigneusementmonregard.Aprèsmadouche,elleétaittoujoursaussibizarre.—Jesuisdésolépourlanuitdernière,commençai-je.—Ohnon,c’estmoiquisuisnavrée,bafouilla-t-elle.—Tuveuxquejem’enaille?Ellemeregardaalors.—Non!Pourquoidis-tuça?—Jetemetsmalàl’aise.— Non, pas du tout, mentit-elle en resserrant la ceinture de sa robe de
chambre.Jelaregardai,unsourcilarquéetelles’empourpra.—Sincèrement,riennet’obligeàpartir,dit-elle.J’aisimplementoubliéque
ta chambre est dans mon salon. J’aurais dû frapper ou m’annoncer d’unemanièreoud’uneautre.—Jenecroispasquejet’auraisrépondu.Elleétaitsiécarlatemaintenantquejemedemandais jusqu’àquelpointelle
pouvaitrougir.—Oublionstoutça,bougonna-t-elleenmetournantledospourfouillerdans
leréfrigétaur.Tuveuxdesgaufres?—Non,merci.Jevaisyaller.Ellefitvolte-face,unairdedétressesurlevisage.—Mais ce n’est pas la peine que tu partes ! Je viens de te le dire ! Je le
pensaisvraiment!—Maisnon!J’aienviederesterjusqu’à…Jusqu’àquandenfait?—…unpeupluslongtemps.Jevoulaisjustedirequej’allaissortirvoirsije
peuxmefaireunpeud’argent.Ellemeregardaenhaussantlessourcils.—Enfaisantquoi?Jeluilançaiunregardnoir.— Je sais faire beaucoup de choses. Serveur, vendeur, employé dans le
bâtiment…Elleposaunemainapaisantesurmonbras.—Jevoulaisdirequeçaseraitdifficilesanspapierd’identitéouvisa.— Oh, répondis-je en haussant les épaules. On trouve toujours des
employeursquiteproposentdebosseraunoir.Tutefaistropdesoucis,Laney.Àplustard.—Attends!appela-t-elle,enfouillantdanssonsac.Voilàmonadressesitute
perds,etprendsça.Ellemetenditunbilletdevingtdollars.—Jenepeuxpascontinueràacceptertonargentcommeça,dis-jesèchement.Ellesoupiraavantd’avancerd’unpasetdefourrerlebilletdanslapochede
monjean.—C’estletien!Tuasmistoustesbilletsdansmonsac.Iltefautdel’argent
pourmangeretpourtonticketdebus.Jet’enprie,prends-le.Jemesentiraiplustranquille.— Tu es encore en train de voler à mon secours, Laney ?murmurai-je en
prenantladirectiondelaporte.Cenefutpasaussifacilequejel’espérais.Jevisitaicinqsitesdeconstructionetchaque fois, onmedemandamacarted’identité. J’étais prèsd’abandonner. Jen’aimaispasceboulotenplus.Alors que je m’apprêtais à quitter le dernier chantier, un homme avec un
casquesurlatêtemefitunsignedetêtepourmefairecomprendrequ’ilvoulaitmeparler.Jelesuivisjusqu’àunendroitoùlecontremaîtrenepouvaitpasnousvoir.—Tuesrusse,polonais?—Slovène.—Tuasdéjàtravaillésurdeschantiers?— Oui, j’ai bossé avec un charpentier, des plaquistes, des peintres, des
maçonsetdesplombiers.—OK,OK,trèsbien.Vasurlesiteàl’angledeWashburneetSouthRacine.
C’estdansUniversityVillage.DemandeViktor.—Merci,vieux!—Dis-luiqu’ildoitvingtdollarsàBrunopour lui avoir trouvéde lamain-
d’œuvre.Jehochailatête,mémorisail’adresseetdécampai.C’était un chantier de rénovation ; on transformait une ancienne école en
immeuble d’habitations. On me donna un casque, un marteau-piqueur en merecommandantdenepaslelaissertombersurmesbasketsparcequejeneseraispas assuré, puis on me désigna mon poste de travail. C’était surtout de ladémolition.C’était ennuyeux, épuisant et salissant. Les plaques de plâtre qui
s’effondraient dégageaient une poussière épaisse. Elle pénétrait partout, dansmesyeux,mesnarines,mes cheveuxetmesvêtements.Mais çame faisait dubiendefairefonctionnermesmuscles.J’étaistoutraideàforced’êtrerestéassissi longtemps en voiture ou ailleurs. J’avais toujoursmal aux côtes là oùOlegm’avait frappé et la peau demon dosme tiraillait, mais ça valait mieux queresterchezLaneyetlavoirdépenserencoreplusd’argentpourmoi.Pendantque j’utilisais lemarteau-piqueur, jemedemandai siGaryetYveta
allaientbien.J’espéraisqu’ilsn’avaientpaseud’ennuisàcausedemoi. Iln’yavaitaucuneraison; leshommesdeSergeidevaientrechercherLaney.Àcetteidée,jemerembrunis.J’aurais voulu entrer en contact avecmes amis,mais c’était trop dangereux
poureuxcommepourmoi.Je déplaçai le marteau-piqueur une nouvelle fois, sentant mes muscles qui
n’avaientplusl’habitudedetanttravaillersetendre.J’imaginaisquejefrappaisle visage d’Oleg avec cet engin. Ses dents sauteraient de sa mâchoire etvoleraientenl’airdansunbrouillardsanguinolent.—Ehmec!Vas-yplusdoucement!Jeposai lemarteau-piqueurpar terreenhaletant. Je jetaiuncoupd’œil aux
troishommesquimeregardaient,interloqués.—Tu attaques le boulot plutôt agressivement,mec, lança un type de petite
taillequiétaitmusclécommeunculturiste.—J’aijusteenvied’avoirencoreduboulotdemain.Il haussa les sourcils et m’indiqua que c’était l’heure de la pause déjeuner
avantdes’éloigner,accompagnédesesamis.Cinqheuresplustard,quandjeprislecheminduretour,messourcilsétaient
blancsàcausedelapoussièreetj’avaislevisagegrisâtre.J’avaisunesaletêteetmalpartout,maiscinquantedollarsenpoche. J’avais l’impressiond’être le roidumonde.Laney actionna le bouton d’entrée quand je sonnai à sa porte. Lorsqu’elle
m’aperçut,elleenrestabouchebée.—Ques’est-ilpassé?Ondiraitquetut’esroulédansdelafarine!— J’ai trouvé un boulot. C’est un truc d’ouvrier, mais ils veulent que je
reviennedemain.Je sortis l’argentet leglissaidans lapochede son jean,exactementcomme
elleavaitfaitcematinavecmoi.Laneyéclataderireetfitminedemefrappersurl’épaulecommejepassaisà
côtéd’elle.Maislorsqu’ellesortitlescinqbilletsdedixdollarsdesapoche,sonvisagesedécomposa.—MonDieu!Tuastravaillétoutelajournéepourcinquantedollars!C’est
del’esclavage!Uneflambéedecolères’allumaalorsenmoi.—Maisjesuisunesclave!hurlai-je.C’étaitlecasàLasVegas,çal’estici.
Lesgenssefoutentdesavoircommentonconstruitleursmaisons,lesfemmessemoquent de savoir comment on nettoie leurs intérieurs ou qu’on importe desfillespourbaiseravecleursmaris.EttoutlemondesefoutquedesgenscommeVolkovaientpignonsurruelajournéedanslemondedesaffaires.Onarrivelà-basetondisparaîtdansunpuitssansfond.CequiarriveàVegas,resteàVegas,n’est-cepas?Jen’airien!Pasmêmemonnom.Jenesuisrien!Personne!Jeluiprislesbilletsdesmainsetlesjetaienl’airavantdesortirenclaquantla
portesifortquecelaébranlatoutl’immeuble.Jel’entendisquimerappelait,maisjedégringolailesescaliers,tropencolère
pourattendrel’ascenseur.J’avaisfaitcinquantemètresdanslaruequandjel’entendiscrierdedouleur.Complètementpaniqué,terrifiédecequej’allaisdécouvrir,jepiquaiunsprint
danslarue,bousculantdesgensquirentraientchezeuxdansl’airglacédusoir.Laneyétait allongée aupieddes escaliers très raidesqui conduisaient à son
palier.Ellefrissonnait,simplementcouverted’unfintee-shirtetellesetenaitlajambedroiteàdeuxmains.J’arrivaiendérapantdevantelleetm’accroupis.—C’estmacheville,cria-t-elle,leslarmesperlantaucoindesesyeux.Jelasoulevaietlaserraicontremapoitrine.—Jesuisdésolé!MonDieu,pardon!Elleneréponditpas,maiselleenfouitsatêtedanslecreuxdemoncouqu’elle
entouradesesbras,frissonnantdefroidetdedouleur.Je laportai jusquedansl’appartementet l’allongeaisur lecanapé.Jerelevai
doucementlajambedroitedesonpantalon,maiselletressaillitdedouleur.—N’ytouchepas!—Laisse-moiregarder,Laney.—Non,cejeanesttropserré.Tunepourraspas…Aide-moiàallerjusqu’àla
salledebain,s’ilteplaît.Ellecommençaàseredresser,maispoussauncrietjelarattrapaiauvol.Jela
portaicettefoisjusqu’àsonlitetl’allongeaiavecprécaution.—Ilfautquej’enlèvemonjean.—OK.Je lui tournai le dos le temps qu’elle fasse descendre son pantalon, en
gémissant.Sachevilleétaittoutegonflée,etlaculpabilitémesubmergea.—Jevaistechercherdelaglace,marmonnai-je.Ellen’enavaitpasdanslecongélateur,maisjetrouvaiunsacdepetitspois.Je
l’enveloppaidansuneservietteetvinsleplacersursacheville.Jem’assisprèsd’ellesurlelitetessuyaileslarmesquiavaientcoulésurses
joues.—Jenevoulaispast’insulter,dit-elleentredeuxhoquets.Jesuisdésoléede
t’avoirfaitdelapeine.—Laney,s’ilteplaît.Jemesuiscomportécommeungroscon.Onauraitdit
tonpetitami.Cela la fit sourire et elleme regarda.Des larmes restaient accrochées à ses
cils.—Quesepasse-t-ilici?Nousn’avionsentendunil’unnil’autrelaportes’ouvrir.Collinse tenaitsur leseuilde lachambreetnousfoudroyaitduregard.Nos
cuissessetouchaientetnousétionstrèsprèsl’undel’autre.—Collin.Jenet’attendaispas,murmura-t-ellesuruntonlas.—Est-cequetucouchesaveclui?tonna-t-il.Jemerelevaid’unbond,lespoingsserrés,maisLaneyinterrompitcequiétait
surlepointd’arriver,quoiquecesoit.—Nesoispasridicule!JemesuisblesséeàlachevilleetAshestentrainde
m’aider.Collinnousjetaunregardsuspicieuxavantdefixersonattentionsurlepied
deLaney.—Ondiraitqu’ilestfoulé.Ques’est-ildoncpassé?— J’ai glissé dans l’escalier, répondit-elle tranquillement en le regardant
quitterlapièce.—Seigneur,Laney!Tuestellementmaladroite!Combiendefoist'ai-jedit
quetunedevraispasvivredansunappartementoùiladesescaliers?Çadevaitarriver!Inévitablement!Quandest-cequetuécouteraslesconseils?
ÉcouterCollin disputerLaney était insupportable. Il ne pouvait pas prendresoind’elle,toutsimplement?Jefilaidanslacuisineetremplislabouilloire.Puisjefouillaidanslesplacards.Jenel’avaisvuboirequeducafé,maisilvaudraitmieuxuncalmantmaintenant.Je finis par dégotter une boîte de sachets de camomille.Une demes ex ne
jurait que par ça et vantait ses propriétés apaisantes. Cela ne l’avait pasempêchéedemebalancerunmugàlatêtequandj’avaisrompuavecelle,maisc’étaituneautrehistoire.Je plaçai le sachet dans l’eau fumante et le retirai quand cela me sembla
approprié.Onauraitditdufoinàl’odeuretj’espéraiqu’elleaimerait.Je revinsdans la chambre, lemugà lamain ;Collingrognait encore.Cette
fois,ilparlaitdedéménagerdansunappartementadapté.Laneyfixaitlemur,levisagefigé.—Jet’aiapportéuneinfusion,dis-jeendéposantlemugdevantelle.Bois-la
pendantquec’estchaud.MonretourfittaireCollinquiessayadem’intimiderenmelançantunregard
incendiaire.Jehaussailesépaulesetprisladirectiondelasalledebain.
LANEYHeureusement,machevillen’étaitquelégèrementfoulée.Elleavaitcommencéàdégonfler dès qu’Ash avait posé le sac de petits pois congelés dessus. Jen’écoutaipasunmotdusermondeCollin,c’étaitcommeunbruitdefond.Ilfinitparremarquerquejene luiprêtaisaucuneattention.Jem’attendaisà
medisputeraveclui,maisils’adoucitaucontraire.Celamerappelapourquoijerestais avec lui. Je parvins même à presque oublier qu’il m’avait accusé decoucheravecAsh.Presque.Honnêtement,c’étaitnormalquecelaparaissebizarreauxyeuxdesautres.Je
partageaismonappartementquinedisposaitqued’unechambreavecunhommequejeconnaissaisàpeine.JesortaisavecCollindepuisunedizained’annéesetnousn’avionsjamaisvécuensembleetmaintenant,Ashs’installaitchezmoi.Etpourallervraimentaufonddeschoses,jenetrouvaispassifaciledevivre
avec quelqu’un,même siAsh faisait son possible pourm’aider et être le plusdiscret possible. C’était voué à l’échec. Avoir un danseur de plus d’unmètrequatre-vingt-cinq dans son salon n’était pas facile à ignorer. Il avait une telleprésence–mêmequandilsecontentaitderespirer.JepensequeCollinsesentaitunpeucoupabledem’avoiraccuséedecoucher
avecAsh,cependantilnem’échappaitpasqu’ilnes’étaitpasexcusé.
IlavaitmêmeréussiàêtreaimableavecAshpendantquenousmangionsdesplatschinoisquej’avaisfaitlivrer.Ashétaittrèspoliluiaussi,maisfroid,répondantauxquestionssansinstaurer
aucuneconversation.Auboutd’unverredevin,j’étaisprêteàallermecoucheretCollinm’aidaà
regagnermachambre.Ilmefitclairementcomprendrequ’ilvoulaitarrangerleschoses entre nous et nous finîmes par coucher ensemble. C’était sympa, celafaisaitunmomentquecen’étaitpasarrivé.J’entendis laportedel’appartementclaqueràunmoment.Jefus légèrement
distraite à la pensée que je n’avais pas donné de clé de l’appartement àAsh.Peut-êtreavait-ilprislamienne?Il avait dû revenir,même si je ne l’avaispas entendu, car lorsqueCollin se
réveillalelendemain,Ashn’étaitpluslàetlaliterieétaitsoigneusementpliéeàcôtéducanapé;ilyavaitunetassesaledansl’évier.Je travaillai toute la journée surde très ennuyeuxguidespour les étudiants,
sanscesserdepenserunesecondeàAsh.Commentallait-il?L’inspecteurPetronelli téléphonaplus tard dans la journée et demanda à lui
parler;jedusmentiretluidirequ’ilétaitsortiprendrel’air.—Quand il rentrera, pouvez-vous lui demander de passer au poste ?Nous
avonsquelquesquestionsàluiposer.—Biensûr,répondis-je.Nousviendronsdèsquepossible.Avez-vousprévenu
sonavocate?— Je crois, dit-il en s’éclaircissant la gorge. Votre présence n’est pas
nécessaire,MademoiselleHennessey.—Nousviendronstoutàl’heure,répétai-jeetjeraccrochai.QuandAshrevintàlamaison, ilgardalamêmedistanceglacialequ’ilavait
affichéelaveille.J’étaisunpeuvexéequ’ilsecomporteainsi,surtoutaprèstoutce que nous avions traversé ensemble. Mais quand il sortit de la douche enfinissant d’enfiler son tee-shirt, j’aperçus des griffures toutes fraîches sur sapoitrine.Jecompriscommentilavaitpassélanuit.Il écarquilla les yeux quand je lui dis que l’inspecteur Petronelli voulait lui
parler.Iln’avaitpasl’airravi,maisnediscutapas.Ilsortitdelapochedesonjeanuneliassedebillets.—Voilàcentdollars,dit-il.J’aibossétoutelajournée,cettefois.—Jeneveuxpasdetonargent,Ash.—Etjeneveuxpasdutien,cracha-t-il.Jeteremboursepourlesvêtements,
l’hôtel,lalocationdelavoitureetlabouffe!
Puis il marcha à grandes enjambées en direction de la buanderie. Je restaifigéesurplace,choquéeettriste.Jenevoulaispasqu’ilaitl’impressionqu’ilmedevaitquelquechose.Quelstupideorgueilmasculin!Vingtminutesplustard,ilseglissaitsurlesiègepassagerdemaMiniCooper,
pliantseslonguesjambespours’installerdansl’espaceexigu.—Désolé,marmonna-t-il.—C’estbon.Letrajetjusqu’aupostedepolicefutsilencieuxjusqu’àcequ’ilmedemande
s’ilpouvaitmettrelaradio.J’auraisdûypenser.Lamusiquel’apaisait.L’inspecteurPetronellinousrejoignitdèsqu’ilsutquenousétionsarrivés.Il
melançaunregardpeuaimableconfirmantqu’ilauraitpréféréquejenesoispaslà.—Mercid’êtrevenu,MonsieurNovak.Nousavonsjustequelquesquestions
supplémentaires à vous poser. Veuillez me suivre jusqu’à la salled’interrogatoire. Mademoiselle Hennessey, vous pouvez vous asseoir dans lasalled’attente.—Non,merci,Derek, répliquai-je en lui adressant un sourire hypocrite. Je
vaisresteravecAsh.Celui-cimejetauncoupd’œilsurpris,maisneditrien.L’inspecteur,quantà
lui,cachamalsonagacement.—MademoisellePintonousattendlà-bas.Maisjepréfèrevousprévenirque
votrepèreserafurieuxcontremoidevousavoirlaisséassisteràcetteentrevue.Quandnousarrivâmes,l’autreinspecteur,OscarRamosdiscutaitavecAngie.
Lorsqu’ilm’aperçut, il lançaunregardinterrogateuràPetronelliquihaussalesépaules.—Salut,Angie,mercid’êtrevenue.—C’estnaturel,répondit-elle.Ellemeserrabrièvementdanssesbrasavantd’ajouter:—BonjourAsh.Il hocha la tête sans répondrepuis s’assit sur l’unedes chaises enplastique
dur;sesjambesétaientagitéesettressautaientnerveusement.— Merci d’être venu, Monsieur Novak. Nous avons quelques questions
supplémentairesàvousposer,surtoutsurvoscollèguesàLasVegas.Angiefronçalessourcilsetdemanda:—Sescollègues?—Monsieur Novak a parlé d’une femme nommée Marta que nous avons
depuisidentifiéecommeMartaBabiak,précisa-t-ilavantdesetournerversAsh.
Faisait-ellepartieduréseaudeprostitutiondontvousnousavezparlé?—C’estcequ’ellem’adit,réponditAsh,l’airtendu.Vouslesavezça.—EtYvetaKuznetsetGalinaBely?Étaient-elles,commevous,obligéesde
seprostituer?Jepoussaiunpetitcrid’exclamation.Ashs’étaitprostitué?Ilmejetauncoup
d’œilavantdepresserlespaupières,levisagetorduparunegrimace,commes’ilsouffrait.Angieplongeaostensiblementlenezdanssesnotes.Ellesavaitdéjà.OhmonDieu.Ashavaitdûseprostituer.C’étaitcequej’avaiscrulanuitde
notrerencontre,maisc’étaitterribledevoirquemessoupçonsétaientconfirmés.Avait-ilencorebeaucoupdesecrets?—Non,ellesfaisaientpartieduspectacle,c’esttout,réponditcalmementAsh,
enévitantmonregard.Cesontdesdanseuses.—D’aprèslesservicesdel’immigration,MartaBabiakaquittélesÉtats-Unis
ilyatroissemaines.AshfixaPetronelli,lestraitsdéformésparunrictusamer.—Vousycroyezvraiment?Petronelliignorasaquestion.— Nous voudrions vous soumettre quelques photos, dit-il en me jetant un
coup d’œil furtif. Ce matin, le corps d’une femme d’origine caucasienne,d’environvingt-cinqansaétéretrouvédansledésertprèsdeLasVegas.Ohnon,jenem’attendaispasàceladutout.—Etvouspensezquec’estMarta?demandaAsh,lavoixrauque.— Nous aimerions éliminer cette possibilité, dit Petronelli en me jetant à
nouveauuncoupd’œil. Ilvaudraitpeut-êtremieuxquevousne regardiezpas,MademoiselleHennessey.Jepréféraisuivresonconseilsansdiscuteretfermailesyeuxenm’adossantà
machaise.Auboutd’unmoment,Ashditd’unevoixétouffée:—Cen’estpasMarta.—Vousêtescertain,monsieurNovak?—Jenel’aijamaisvue.Un lourdsilences’installaetquand je rouvris lesyeux, jedécouvrisAsh, la
têteentrelesmains.—Vousenêtescertain?Parcequed’aprèsvosdéclarations,vousne l’avez
vuequetroisfoisettrèsbrièvement,dontdeuxfoislanuit.—Monclientvousadéjàrépondu.
— J’en suis certain, affirmaAsh, sans lever la tête et les deux inspecteurséchangèrentunregardquimontraitqu’ilslecroyaientcettefois.Quand Petronelli glissa les photos dans un dossier, j’aperçus brièvement le
corps nu d’une femme, dans un paysage désertique, lesmembres tordus à desanglesbizarres.J’eusunhaut-le-cœur.—Entretienterminéà…Ash le coupa en prononçant alors sur un tonmonocorde quelquesmots qui
révélaientsonstress:—VouspouvezensavoirplussurYvetaetGary?S’ilssonttoujoursdansle
spectacle,çava.EtilyaGalinaaussi.J’aimerais…Ilfautquejesache.—Nousallonsnousrenseigner,assuraPetronelli.Ashfermalesyeuxànouveau.— Encore une petite chose, monsieur Novak. L’inspectrice Susan Watson
aimerait vous parler. Elle a déjà travaillé avec des victimes de viol et vouspourriez…Ash releva brusquement la tête, son agacement et sa colère parfaitement
visibles.—Non!Jen’aipas…Ilsnem’ontpasviolé!—Maiscen’estpasseulement…—NON!Jenesuispasunevictime!Ilselevad’unbondetsortitentrombedelapièce.Je jetai un coup d’œil gêné àAngie et aux deux inspecteurs, puis je suivis
Ash.Il n’était pas dans le hall et je me demandai un instant s’il n’avait pas
carrémentquittéleslieux,avantdel’apercevoirjustedevantlaporteprincipale,entraindefairelescentpascommeunlionencage.Quandilsetournaversmoi,jelusdanssesyeuxtoutelahonte,laculpabilité
et la peur qu’il ressentait. Sesmains tremblaient unpeu alors qu’il les passaitdanssescheveux.—Ilssontpeut-êtremorts.Àcausedemoi.Commecettefille.Cequ’ilslui
ontfait…Ilfrissonnaetdéglutisàplusieursreprises.—Tun’ensaisrien.—Si.Sij’avaisditàquelqu’un…—Tuseraiscertainementmort.Cesgenssontlemalincarné.Cen’estpasde
tafaute.Ilnepritmêmepaslapeinedemecontredire,maisjesavaisbienqu’ilneme
croyaitpas.Àpeinerentrédansmonappartement,Ashmeditqu’ilallaitfaireuntour.Je
n’essayaipasdeleretenir.Jeluiconfiaiundoubledesclésetundesbilletsdevingtdollarsqu’ilm’avaitdonnés.Ilnediscutapascettefois,maisilopinaduchefetouvritlabouche,pourla
refermeraussitôtensecouantlatête.Jelesuivisdesyeuxlorsqu’ilempruntaletrottoir,marchantàgrandspasjusqu’àcequ’ildisparaisse.Nousnousinstallâmesdansunbienétrangeménageàtrois:Ashétaitsilencieuxetdistant,Collinparlaitsanscesseetdefaçoncondescendante.C’étaitépuisant.IlauraitétéplusfacilededireàAshdepartir,maisjen’en
avaispaslecourage.Un jour, mon père m’invita à déjeuner dans un restaurant italien près du
commissariat.Celan’arrivaitpastrèssouvent,doncjemedoutaisbienquecelaavaitunrapportavecAsh.Jen’avaismêmepaseuletempsdefinirmapremièrebouchéedegressinque
l’interrogatoirecommença.—CommentvaCollin?—Trèsbien,merci.Ilesttrèsoccupé,commed’habitude.—Ettoninvité?—Çava.—Pasdesoucisparticuliers?—Dequelgenre?—CommentCollinprendlefaitqu’ilyaunautrehommequivitcheztoi?
demandamonpèred’unairlas.— Il n’est pas trop fan,mais ce n’est pas à lui d’en décider. Pourquoime
demandes-tuça,enfait?—Jem’inquiètedetesavoirseulaveclui.Tuneleconnaispas.—Ilnemeferaaucunmal,papa.C’estimpossible.—Tunesaispascedontilestcapable.—Jeleconnaismieuxquetoi.—Laney!Réveille-toi ! Ila trempédansdesaffaires très louchesavecdes
gensdangereux.— Ce n’est pas de sa faute ! Il était juste au mauvais endroit au mauvais
moment.Ashestunhommebien.—Pourquoil’aides-tucommeça?Pourquoilelaisses-tuvivreauprèsdetoi?
Pourquoitesens-turesponsabledelui?Parcequecen’estpaslecas!Tuenas
déjàbientropfait.Monpèren’avaitpascomplètementtort.Jemesentaisresponsabled’Ash.Je
l’avaisramenéiciàChicagoetl’avaisimpliquédansmavie.J’avaissimplementvoulul’aideraudépart.Jevoulaisêtrecharitable,jepense.Saufquelesactesdecharitésontsouventimpersonnels:onfaitundon,onrédigeunchèqueetc’esttout.MaisavecAsh,c’étaitdifférent.J’avaisvusonvisageetj’avaisassisté,auxpremièresloges,àcequ’ilavaitsubi.C’étaittrèspersonnel.Et puis maintenant que nous partagions mon appartement et du temps
ensemble,j’avaiscommencéàapprécierl’hommequ’ilétaitouceluiqu’iltentaitd’être.Il était gentil et attentionné. Il m’aidait sans m’étouffer. C’était un homme
bienetrespectable.Jedétestaislevoiraussiaccablé,alorschaquesourirequ’ilm’adressaitétaitcommeunepetitevictoirepersonnelle.Jepris unegrande inspiration et essayaide fournir des explications lesplus
rationnellespossible,cequin’étaitpasfacile,parcequ’encequiconcernaitAsh,jen’étaispascertainedepouvoirfairepreuvederaisonetdelogique.—Parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse.Moi, je le peux. Parce que
depuisqu’ilestdanscepays,savieaexplosé,ici,auxÉtats-Unis,lepaysdelaliberté.Onafaitdeluiunesclavesurnotreterritoire!C’estlavérité,papa!Etjepensequecequ’Ashnousaditn’estquelesommetdel’iceberg.Jemesuisrenseignéesurlesujet:tusaiscombienilyad’esclavesici,aujourd’hui?Là,àChicago?Des centaines !Desmilliers !Desdizainesdemilliers dans tout lepayschaqueannée.Desesclaves liésau traficdedrogues,à laprostitution,autravailforcé.C’esttoileflic,papa,jenet’apprendsrien.Sonvisageauxtraitsdurss’adoucit.—Jesais,Laney,machérie.Cequejetedemandec’estpourquoi,lui.—Jeviensdeteledire,répondis-jeenrougissant.—C’estbiencequejepensais,soupirapapaensecouantlatête.Nousterminâmesnotrerepassansplusévoquerlenomd’Ash.
Ashrentratardcesoir-là.Dèsqu’ileutfranchileseuil,ilfonçadanslasalledebain et commença à se laver les mains. Il était bien plus morose depuisl’entrevueaveclesinspecteurs.Chaquenouveaujourquipassaitsansluidonnerdenouvellesdesesamisleplongeaitdavantagedansladépression.Ilavaitl’airfatigué en permanence et je savais qu’il ne dormait pas bien parce que jel’entendaischaquenuit.Ilavaitaussichangéphysiquemententroissemaines.Sasilhouetteélancéeétaitplusmusclée,sesbicepsplusdéveloppés.Jesupposeque
c’était logique puisqu’il travaillait dans le bâtiment. Je n’avais jamais vuquelqu’und’aussibienbâti,hormisàlatélévision.Lorsqu’il se fut lavé les mains quatre fois, il les sécha avec soin. Elles
devenaientcalleuses.Jesourisenlevoyantprendreunpeudemacrèmeàlarosepourlesmains.—Ash semet des trucs de filles, chantonnai-je sans réfléchir pour essayer
d’allégerl’atmosphère.Une étrange expression traversa son regard et ses yeux se mirent à briller
d’unelueurinquiétante.Puisilsedétournademoietsortitdelapièce.Oh,oh.Jelerejoignis;ilétaitassissurlecanapé,latêteentrelesmains.—Ash…—Jene suispasune fille, grogna-t-il.Mais jene suispasunhommeà tes
yeux.—Hein?—Tumenourris,tum’offresuntoit,unendroitoùdormir.Maisjenepeux
pasteremboursersuffisamment.Jenepeuxpastravaillersansrisque.Jenepeuxmêmepasdanser.Jenesuisrien!Ilselevad’unbondetsortitdanslanuit.Non,maisquelleidiotej’étais!
J’étaisassisesurmonlitet j’essayaisdetrouver lecouragedeplanter lapetiteaiguille dansma cuisse. Cela ne faisait pasmal,mais ça picotait. Je détestaisvraimentça,c’esttout.Leslarmesmemontèrentauxyeuxetjemaudismafaiblesse,cecorpsstupide
qui avait besoin d’être bourré de produits chimiques pour fonctionnernormalement.Jedétestaisêtreaussidépendante.J’entendisAshquirentraitetmeconcentraisurlesbruitsétouffésqu’ilfaisait
danslacuisine:l’eauquicoulaitdansl’évier,lamachineàcafé.Lebruitsourdde ses lourdes bottes tombant par terre. Je l’entendaismoinsmaintenant qu’ils’étaitdéchausséetqu’ilmarchaitenchaussettes.Puisj’entendislamusique;ilavaittrouvémoniPhoneetécoutaitBrunoMars.Ilfrappaàmaporteetpassalatêtedansl’entrebâillement.—Laney,est-cequejepeux…Ils’interrompitquandilmevit.Jepiquaiunfardetcachaimesjambesnues,
mêmes’ilslesavaientdéjàvuesauparavant.—Quefais-tu?demanda-t-il,lavoixplusaiguëqued’habitude.
—Jesuisunedroguée,tutesouviens?répondis-jedansunriregêné.Sesyeuxs’écarquillèrentetilmefitunbrefsignedetêtequandilcompritce
quejevoulaisdire.—Cesonttesmédicaments.—Oui, et là j’essaie juste de rassembler mon courage. Je fais pourtant ça
touteslessemaines,maisjesuis…idiote,tusais.Ils’avançad’unpasdanslachambre.—Çatefaitmal?—Non,pasvraiment,soupirai-je.C’estplusl’idéequimefaitpeur.Jet’aidit,
c’estidiot.Ils’assitsurlelittoutàcôtédemoi;ilirradiaitlachaleuretleréconfort.—Jepeuxlefairepourtoi…situveux.J’étaistellementétonnéequej’avaisl’impressionquemesyeuxjaillissaientde
matête.Dèsquej’agitaisuneseringuedevantlesyeuxdeCollin,ilmanquaitdes’évanouir.— Je l’ai déjà fait, dit-il en haussant les épaules.Mamère était diabétique,
j’avaisl’habitudedel’aider.—Jenesaispas.— Je ne te ferai pas mal, affirma-t-il, en se penchant vers moi pour me
prendredoucementlaseringuedesmains.Avant que j’aie le temps de protester, il pressa l’aiguille contre ma peau,
appuyasurlepiston.C’étaitdéjàfini.Ilreplaçalecapuchonenplastiquesurl’aiguilleetlaposasurmatabledenuit
sansunmot.Nousvenionsdepartagerunmomentétrangementintime.
Chapitre12
LANEYLaportes’ouvritàlavolée,mefaisantsursauter.Jelaissaitomberlecouteauqueje tenaisà lamain, soulagéedenepasm’êtrecoupéundoigtenéminçantdesoignons.Je jetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,prêteàdire tout lemalquejepensaisdeluiàAsh,maislesourireépanouiquiilluminaitsonvisagemecoupadansmonélan.J’avaistellementl’habitudedelevoirimpassiblequemoncœurfitunbondde
joiedansmapoitrineetqu’unesensationdechaleurm’envahit.Sesyeuxsombresétincelaientetlesfossettesdanssesjouesavaientfait leur
réapparition après une longue absence.Bien trop longue. Ilmarcha à pas vifsdansmadirection,lebonheurirradiantlittéralementdelui.Sans s’arrêter, il me prit dans ses bras et me fit tournoyer, me donnant
l’impressiond’êtreàlafoisgracieuseetétourdie.—Quesepasse-t-il?m’exclamai-jeenriantàmoitié.— Nous avons quelque chose à fêter ! cria-t-il en valsant dans ma petite
cuisine,mespiedsflottantau-dessusdusol.Sajoieétaitcontagieuseet jememisàrireetàglapirenmêmetempsalors
qu’ilcontinuaitànousfairetourner.—Pourquoirions-nous?demandai-jeenhoquetant.—J’aiuneaudition,cria-t-il.Unevéritableauditiondansunevéritablesalle
despectacles.Pourunrôlededanseur!—OhmonDieu!Commentest-cearrivé?Quand?Où?Comment?Est-ce
que je t’ai déjà demandé quand ? Qu’est-ce que c’est ? Ash, pose-moi, jen’arrivepasàrespirer!Jeglissai le longdesapoitrine, rougissantau furetàmesureque jesentais
chaqueplat etméplatde soncorpsmusclé. Je finisparme retrouver levisagepressécontresoncœur.J’écoutaisesbattementsfrénétiquesquicommençaientàse calmer maintenant qu’il me berçait tendrement contre lui, ses hanchesondulantsouplementaurythmed’unelenterumba.— C’est ce que j’attendais depuis un moment, murmura-t-il, son souffle
venantcaressermoncouquandilenfouitsonvisagedansmescheveux.Allonsfêterçaquelquepart,oùtuveux,delamanièredonttuveux.
Jem’apprêtaisàluirappelerqu’iléconomisaitdel’argentetquejen’avaispaslesmoyensdepayernonplus,maisjemeretins.Ashétaitunhommefier,etluirappelerqu’iln’avaitpasgrand-choseleblesserait.Jenevoulaispasgâchercemomentdebonheur.—Bonneidée!Ashmepritparlamainetmetiraendirectiondelaporte.—Attends!dis-jeenriant.J’aibesoindequelquesminutespourmechanger
ettuestoujoursentenuedetravail.Ashjetauncoupd’œilàsonjeansaleetàsesbottesauboutrenforcéavantde
mesouriretristement.—Jedevraisprendreunedouche,jecrois.Ilsebaissapourdélacerseschaussuresdesécuritéetnemejetezpaslapierre,
maisjenepusm’empêcherdematersesfesses.Jesavaisquejen’auraispasdû,maissonderrièreétaitmagnifique:musclé,rondetdonnantenviedelepincertellementilremplissaitparfaitementsonjean.Lorsqu’ilseredressa,jedétournairapidementleregard.—Oh, j’ai oublié de te dire : tu as du courrier, dis-je en désignant la table
bassedusalon.Ash fronça les sourcils et jetaun regardnoirà l’enveloppebrunecommesi
elleétaitdangereuse.—Celavientdel’ambassade.Illadéchiraetensortitplusieursfeuillesdepapierpuisilpoussaunjuronen
slovène.—Qu’est-cequinevapas?— Ils ne veulent pas m’envoyer mon passeport encore. L’enquête n’est
toujourspasterminée.Moncœurmanquaunbattement.—J’aidespapiersd’identité temporairesenrevanche,maisjenesaispassi
celaserasuffisantafinquejepuisseaccéderàmoncomptebancaire,ajouta-t-ilenserenfrognantencoreplus.— Nous nous occuperons de ça demain, lançai-je vivement. Ce soir, nous
avonsunechoseàfêter,tutesouviens?Ashsourit,sabonnehumeurrevenantimmédiatement.Ilpritladirectiondela
douche,dansmachambre,abandonnantsesvêtementssurlechemin.—Tumetsunepagaillepaspossible ! lançai-jeà sondos,maiscelaneme
préoccupaitpasvraiment.Etilfautquetumeracontestonauditionenentier!Il me répondit d’un rire joyeux et je me surpris à regarder la porte dema
chambre en souriant bêtement. Ash le bienheureux était beau à voir. Et celafaisaitlongtempsquejenel’avaispasvuainsi.Nous avions fini par trouver unmodus vivendi pour le partage de l’espace
exigudemonappartement.Lorsqu’undenousdeuxétaitdanslasalledebain,celainterdisaitàl’autred’êtredanslachambre.Celafonctionnait,plusoumoinsetnousévitaitdesmomentsembarrassantsàvoirlanuditédel’autre.Mais commeAsh était pressé de sortir, je profitai de sa douche pour entrer
dansmachambreafindemetrouverquelquechoseàporterdansmondressing.J’étaisentraindesortirunjeanskinnyetuntopensoiequandlaportedela
salle debain s’ouvrit.Entouréd’unnuagedevapeur,Ash entradans la pièce,complètementnuavecsaservietteàlamain.Ilmefallutplusieurssecondesavantquejeretrouvemesespritsetquejeme
détourne alors qu’Ash s’empressait de nouer la serviette autour de sa taille,dissimulant ainsi à ma vue ce dont la nature l’avait généreusement pourvu.J’avaisparfaitementpum’enfaireuneidée,mêmeaurepos.—Excuse-moi,marmonnai-je.Je…hum…jevaist’attendredanslesalon.Jemeprécipitaihorsdelachambre,lesjouesécarlates.Peudetempsaprès,laportedemachambres’ouvritetAshsortit,vêtud’un
jeanpropreetentraind’enfileruntee-shirtnoirtoutsimple.Ilportaitdelatêteaux pieds des vêtements qui sortaient du supermarché et pourtant il avaitl’éléganced’unmannequin.Je passai à toute vitesse à côté de lui et il me jeta un regard amusé et
interrogateur.—J’enaipourdeuxminutes.Ilm’enfallutvingt,maisjepris letempsd’utiliserleferàfriseretàcoiffer
mes ternes cheveux raides. Cela me permit également de me remettre de magêne.Lorsquejerevinsdanslesalon,Ashavaitrangésesvêtementssalesetnettoyé
lacuisine.L’oignonàmoitiéémincéétaitdansunesortedeTupperware.Ilavaitétéhabituéàfaireça.Lapointedejalousiequimetraversamesurprit.—Allons-y, lança-t-il enme jetantmon épaisse veste en duvet à travers la
pièce.Ilportaitunmanteauquiprovenaitdessurplusdel’arméeluiarrivantaux
chevillesetunbonnetenlainequidescendaitsursonfront.Ilétaittellementdifférentded’habitudequejeclignaidesyeuxenl’admirant.Ilavaitunpetitairdangereux,celuiqu’ontlestypesquevousn’avezpasenviedecroiserdansune
alléemaléclairée.Maisilétaitsuperbe.Emmitouflés tous les deux, nous avançâmes avec difficulté dans les rues
glacées. Nous étions à cinq semaines de Thanksgiving, les magasins étaientbrillammentilluminésetbourrésdeclients.Leventglacialfaisaitvolermescheveuxdevantmesyeuxetjeglissaisurle
trottoir verglacé. Ash passa son bras sur mes épaules et m’attira contre lui.J’entouraialorssataille,m’envoulantdetrouvercelatellementagréable.Collinavait-ilraison?Était-cevraimentimpossiblequ’unhommeetunefemmesoientamis?Ouétait-cesimplementimpossiblepourAshetmoi?Sansmêmeavoirbesoindenousconcerter,nousprîmesladirectiond’unpetit
pubirlandaisfamilialquiétaitauborddulac.Lanourritureétaitbonmarchéetl’atmosphèreétaitchaleureuseetdécontractée.Nousétionsunvendredisoir, ilyavaitdoncbeaucoupdemonde,maisAsh
réussit à nous trouver deux tabourets bas près du feu. Je transpirais à grossegoutte quand je retiraimonmanteau. C’était bien la peine d’avoir fait de telseffortspourêtreprésentable!Ashôtaluiaussisonmanteauetattiraimmédiatementl’attentiondeplusieurs
femmesetmêmededeuxgays.Ill’avaitpeut-êtreremarqué,maisnelemontrapas.Ilsedirigeaverslecomptoir.Laserveuseavaitdéjàprismacommande,deuxSheperdPies, leplat favori
d’Ash,quandilrevintavecdespintesdebière.Collinauraitachetéunebouteilledechampagneetauraitinsistépourquenous
allionsdansunrestaurantfrançaissinousfêtionsquelquechose.—Santé!—Nazdravje!—Bon,tuvastoutmeracontermaintenant?demandai-jeavecimpatienceen
cognantmonverrecontrelesien.L’excitationd’Ashétait contagieuseet à la finde son récit, j’étais assiseau
borddemonsiège,surlepointderenversermonverre.—Demain!Tonauditionestdemain?Maistunedevraispas,jenesaispas…
Tepréparer?Ashsourit.—J’ypense.J’aibesoindetoniPhone.Tupeuxmeleprêter?—Biensûr.Quellemusiquevas-tuutiliser?—Jenesuispasencorecertain.Jepeuxtel’empruntercettenuitpourécouter
pendantquetudors?
ASHJ’allaismanquerleboulotpouralleràcetteaudition,cequisignifiaitquej’allaisêtreviré.J’avaisl’impressionqueViktorconnaissaitpasmaldemonde,cequimecompliqueraitlatâchepourretrouverdutravaildanscesecteur.Jem’enmoquais.Jedétestaiscejobettouslesjours,celamerappelaitàquelpointlesangquicoulaitdansmesveines–celuidemonpère–étaitmisérable.Jepassaisdevantcevieuxthéâtretouslesjoursenrentrantàlamaison…je
veuxdirechezLaney.Engénéral, ilétaitfermé,maisunsoir, je l’avais trouvébrillammentéclairéetuneafficheà l’extérieursignalaitqu’ilsorganisaientdesauditions. Au départ, je n’avais pas pensé à m’arrêter, je croyais qu’ilscherchaient des acteurs. Puis, j’ai vu une fille arriver avec un gros sac et unepairedechaussuresdesalsaàlamain.C’était comme si je voyais un arc-en-ciel ou si je buvais un café tout frais.
C’était comme croiser une jolie femme, sentir son parfum favori et le suivreaveuglément,parcequ’ilétaitimpossibledefaireautrement.J’étaisentréderrièreladanseuse,effrayantaupassagelafemmequicontrôlait
lesentrées.—Puis-jevousaider?avait-elledemandéavecdédainenmedétaillantdela
têteauxpieds.Jedevaisavoirl’airridiculeavecmonmanteauquiprovenaitdessurplusde
l’armée,meschaussuresdesécuritéetmonjeanbaggycouvertdepoussière.Jeressemblaisàtoutsaufàundanseur.—L’auditionest-elleouverteauxdanseurs?—Oui, et nous avonsbeaucoupde travail, avait-ellegrogné en essayantde
mechasserd’unmouvementdemain.Elledevaitavoiraumoinsquatre-vingtsans,nedevaitpasdépasserlemètre
cinquanteetfairelamoitiédemonpoids.Maisjenel’intimidaispasdutout,jel’agaçais.C’étaitplutôtamusant.—Desgarçonsaussiouseulementdesfilles?—Jeunehomme,noussommesvraimenttrèsoccupés!—Jesuisdanseur,avais-jediten luiadressantmonplusbeausourire,celui
quifonctionnaitengénéraltrèsbienaveclesfemmes.—NousnesommespasdansunesortedeclubdeHipHop,avait-elleaboyé.
Nousrecherchonsdesdanseursexpérimentés.— Oui, madame, je comprends. J’ai été deux fois finaliste du All-Stars
InternationalTenDance…dansmonpays.
Elleavaitclignédesyeuxpuisavait tapotésonépaisdossieravecsonstylo.Ellem’avaitregardé,lesyeuxplissés.— Hum, très bien. Alors, dites-moi dans quelle danse peut-on voir une
syncopatedseparation?J’avaissouri.—DanslePasoDoble,madansepréférée.Elle avait haussé un sourcil et je lui avais souri alors qu’elle cherchait une
autrequestionàmeposer.—Bien,trèsbienmême!Etqu’est-cequ’unocho?—C’est un pas de tango, le tango argentin. Ce nom vient d’une figure en
formedehuitquefontlesfemmesdanscettedanse.Je lui avais fait une petite démonstration. Difficile avecmes chaussures de
sécurité!Elleavaitesquisséunpetitsourire.—Quelestvotrenom?—AshNovak.—Ehbien,monsieurNovak,nousn’avonsplusdeplacepourlesauditionsde
cesoir…Mon visage avait dû refléter l’intensité de ma déception, car sa propre
expressions’étaitadoucie.—Maisjevousproposedevenirdemainmatinàdixheures.Venezavecvotre
musiqueetpréparezunepetitechorégraphie.Ets’ilvousplaît,neportezpasauxpiedscetypedemonstruosités.Jem’étaispenchépourdéposerunpetitbaisersursapeauparcheminée.—Biensûr,madame!J’avaiscourutoutleresteducheminjusqu’àlamaison.CelledeLaney.Jepassaiunegrandepartiedelanuitàécouterdelamusiqueetàréfléchirà
une chorégraphie. Je rejetai plusieurs idées dont j’étais seulement à moitiésatisfait puis je pris deux heures d’un sommeil peu reposant jusqu’à ce quej’entendeLaneys’activerdanssachambre.Elleouvritlaporteavecprudenceetjetauncoupd’œilméfiantdanslesalon.
Ellefaisaitçadepuisqu’ellem’avaitsurprismemasturbant.—Tuastrouvécequetuallaisdanser?Pas même un « bonjour » comme d’habitude, ni un « salut ». Elle s’était
réveilléeavecmonauditionentête.Commemoi.Jelaprisdansmesbrasetlafistourner.—Oui,jecrois!
Elleéclataderireettirasurmontee-shirtafinquejelarepose.—Tuaschoisitamusique?—SoitRaiseYourGlassdePinkpouruncombocha-chaetPaso,oubien…—Oubien?répéta-t-elle,toutexcitée.—HunterdePharellWilliams.C’estunmash-updesambaetdehip-hop.Lajoiesursonvisagepâlitunpeu.—Quoi?Tun’aimespas?J’étais tellement sûr demoi. La réactionmitigée de Laneym’affectait bien
plusquejelesouhaitais.—Non,çaal’airbien,dit-elleensouriantfaiblement.—Laney!Dis-moicequinevapas,s’ilteplaît.—Jenesuispasuneexperteendanse,Ash.—Maistuascertainementuneopinion!—Bon, d’accord, mais si c’est unemauvaise idée, promets-moi que tu ne
ferasriendestupide.Jeluilançaiunregardimpatientetellepoursuivit:—Tudevraisdanserunerumba.Jenerépondispasetellemefixaensemordillantlalèvre.—Etpourquoidevrais-jedanserunerumba?C’est…pastrèstape-à-l’œil.—Justement!—ChaquefoisquejeregardeDanseaveclesStars,c’esttoujourscequeles
célébritésinvitéesdansentmal.Maistuestellement…Jen’étaispascertaindebienlacomprendre.Qu’est-cequecetteémissionde
téléavecdesdanseursamateursavaitàvoiravec…toutça?—Jesuistellement…?—Macho!lança-t-elleenrougissant.Saréponsefitnaîtreunlargesouriresurmeslèvres.—Merci,répondis-jeenluifaisantunclind’œil.—Arrête!dit-elleenriant.Jesuis trèssérieuse.Unerumbasupermachiste
serait…sexy.Elleétait rouge tomatecette foiset j’étaiscertainquesi je touchaissa joue,
elleseraitbrûlante.Elleclaquadesdoigts.—JamesBay,Letitgo.—Vas-y,mets-la.Elle brancha son iPhone et chercha dans sa playlist. J’attendis avec
impatience. Soudain, j’entendis les premiers accords de guitare et je sus
immédiatementqu’elleavaitraison.JustletitbeWhydon’tyoubeyouAndI’llbeme
5
J’avaisdéjàentête lafaçondont jebougerais, lesémotionsqueje laisseraisfiltrersurmonvisage,lapositiondemesbras,duboutdemesdoigts.—C’estparfait,Laney!Merci!Jeprissonvisageencoupeetdéposaiunbaisersurseslèvrespulpeuses.Ellepoussaunpetitcrid’exclamationettanguasursesjambes.—Çava?—Euhoui,dit-elleenhochantlatête,toutessoufflée.— Je vais aller prendre une douche, dis-je en me dirigeant à grandes
enjambéesverslachambre.Aprèsilfaudraquejerépète.—Ash!—Oui?—Neterasepas!Jemeretournaipourlaregarder.—C’estque…lafemme,hier…Elleapenséquetuétaisunouvriersurun
chantier,n’est-cepas?—Oui,jesuppose.— Tu te souviens ce que nous avons dit sur les stéréotypes ? Un mec du
bâtimentquidanseunerumba…Ilssesouviendrontdetoi.Jehaussailessourcils,étonné,etjeluisouris.—Jenemeraseraipas.L’heuresuivante,j’utilisailesalondeLaneycommesallederépétition.Je luidemandaimêmedeme filmeravec son téléphone. J’étaishabituéaux
sallesdedanseavecdesmiroirsafinque jepuissevérifierma technique.Celamedérangeaitdenepasvoircequeçadonnait.Regardersavidéom’aiderait.J’avais hâte d’être au théâtre. Je passai en revuedansma tête la liste de ce
qu’il me fallait : une grande bouteille d’eau, OK ; une serviette, OK ; meschaussons,OK;desbananes,j’enachèteraisquelques-unessurlechemin.Laneyavait tapé unCVpourmoi et ellem’avait pris en photo.Une fois qu’elle eutterminé,ceCVavaitl’airtrèspro.Jen’avaispasdegenouillères,dechaussonsde danse latine ou de partitions. J’espérais qu’ils seraient indulgents sur cespoints.Ilfallaitseulementquejelesépatetotalementavecmaprestation.Lorsquejesortisdeladouche,Laneyétaitassisesurledivan.D’habitude,elle
était dans la cuisine en train de préparer le petit déjeuner ou déjà en train de
travaillersursonordinateur.—Tuvasbien?—Justeunpeuraide.Çava.Jelafixaiavecattention.Ellesesentaitbiendepuisplusieurssemaines.—Ash,toutvabien!Vas-y!Sinontuvasêtreenretard.Elle fit un geste de lamain pourme chasser, j’en profitai pour la saisir et
déposerunbaisersursesdoigts.—Souhaite-moibonnechance!— De la chance ! dit-elle en riant. Mais tu n’en as pas besoin. Tu es
extraordinaire!—Mojsonček!—Qu’est-cequecelaveutdire?demanda-t-ellealorsquejecouraisdéjàvers
laporte.Je ne répondis pas. Je savais que ça allait l’agacer prodigieusement.Et elle
était tellement adorable quand elle était énervée. Son sourire parvenait àilluminerlestréfondsdemonâme.Jen’avaispasprisdepetitdéjeuner, j’étais troptendu.C’étaitunemauvaise
idée,lajournéepouvaitêtretrèslongue;onpouvaitmerappelerjusqu’àquatrefois.Jem’arrêtaidansuneépiceriepourachetersixbananespresquetropmûres:
dusucrelentetdusucrerapide.Lemeilleurcocktail.La file devant le théâtre était aussi longue qu’hier, ce qui était un peu
déprimant.Quelquespersonnesétaientvenuesensemble ; sixgarçons faisaientdesfiguresdestreet-danceaussi.Ilsétaientplutôtbons,maiss’ilsn’avaientpasplusde technique, ilsneseraientprobablementpaspris.Sans technique,onseblesse et aucunmaître de ballet ne voulait de danseur blessé quand on a huitspectaclesparsemaine.Jeportaisuntee-shirttrèsserré,histoiredemettreenévidencemespectoraux
etmesabdominauxquemontravailsurlechantieravaitcontribuéàaméliorer.Le théâtreétait chauffé,mais je conservaimonsweat-shirt enm’échauffant.
Nouspassionspargroupedetrente;lascèneseraitchargée.Enfin, on appelamon nom.Mais tout lemonde avait eu lamême idée que
moi : se placer devant pour voir ce que la chorégraphe voulait et pour que ledirecteurdecastingvousvoie.Desfillesplutôtpetitessefrayèrentuncheminendonnantdescoupsdecoude.Ehoui,ladanseétaitunmondecompétitif.Jerestaiderrièreenmedoutantqu’ilsferaientalternerleslignesàunmoment
ouàunautre,justementpourvoirtoutlemonde.J’étaisgrand,cen’étaitpasun
problèmepourmoi.Je retiraimon sweat que je jetai sur le côté.Ça y était. Il fallait que jeme
concentre maintenant. Être très attentif, écouter, regarder, apprendre lachorégraphie, montrer à la chorégraphe que l'on comprenait son style, doncqu’onpourraits’intégrerauspectacle,quelqu’ilsoit.Ledébutétaitunmash-updedifférentesdanses latinesavecunpeude jazz.
Onremarquaittoutdesuitequiétaitentraînéetquinel’étaitpas,mêmesijeneprenais pas beaucoup de temps à regarder autour de moi. C’était le meilleurmoyenpourseplanter.Enplus,sivousnepensezpasàlamusiqueouàladanse,votrevisagedevientinexpressif.Quatredesgarçonsquifaisaientdelastreet-dancen’avaientaucuneidéedes
pasàsuivre.Lesautresnes’ensortaientpasmal,maisjenepensaispasqu’onles garderait. J’étais le seul garçon dansmon groupe à faire toute la premièrechorégraphie.Onnes’arrêtait jamaisenaudition,mêmequandonétaitpaumé.Que feriez-vous dans un vrai spectacle ?Vous sortiriez de scène ?Non, vouscontinueriez,saufsivousenétiezincapablephysiquement.JemesouvinsdeGaryquim’avaitditqu’ilavaitdanséavecunpiedcassé.
Celamefitperdremaconcentration;jemedemandaicommentilallait,cequimevalutunfroncementdesourcilsdelapartdelachorégraphe.Malgrécela,onappelamonnomàlafindecepremiertour.Jerestais.Pourle
moment.Àmonavis,ilyauraitencoretroistours.Ceneseraitpasfacile.J’avaisvingtminutespourmangeretm’hydrateravant lesecond tour.Cette
fois,c’étaitunemusiqueplusethniqueavecunstylehip-hop,etlegarçonàcôtédemoiquis’enétait trèsbiensorti le tourd’avantgalérait. Ildevaitavoiruneformation classique et avait certainement plus demal avec ce style bien plusmoderneoùl'ondevaitêtretrèssouplesursesjambesetoùl'onpliaitbeaucouples genoux.Malgré tous ses efforts, il était trop raide, il avait les jambes troptendues.Ilnepassapascetour.Àcestade,jetranspiraisabondammentetlesautresgarçonsavaientretiréleur
tee-shirt.Celam’étaitimpossible.Leslacérationsdansmondoscommençaientàcicatriser,maislesmarquesétaientfraîchesetjenevoulaispasavoiràrépondreàdesquestions.Jevoulaisseulementoublier.Quand la femmeque j’avais rencontrée aupubm’avait griffé la poitrine, je
l’avais presque assommée en la repoussant violemment. Les souvenirs étaienttroppéniblesafinque je laissequelqu’und’autrememarquer.Ellen’avaitpasapprécié.De toute façon,ellenemeplaisaitpasplusqueça.J’étais revenuau
pubetj’yétaisrestéjusqu’àlafermeture.C’étaitcequejefaisaisdèsquececonnardvenait.Jenevoulaispasl’entendre
quandilétaitavecLaney.Celanedurait jamaistrèslongtemps,c’étaitdéjàça.Pourquoirestait-elleaveccetypequinetenaitpasuneminute?Pour le troisième tour, nous passions en couple. Ils nous testèrent avec
différentspartenaires.Lamusiqueétaitdelasalsaetilfallaitdansercollé-serréavecunepersonnequ’onvenaitderencontrer.Uneminusculeblondesefrottaittoutcontremoi.Mesamisquinedansaientpasmedemandaient toujours si çam’excitait de
faireça,maisquandvouslefaitestoutletemps,ilyapeuderisquesd’avoiruneérection intempestive.Celaavaitpeut-êtreété le casunmoment,quand j’étaisencoreadolescent,maisladansevousprendtellementd’énergiequevousn’enavezplusassezaprèspourpenserausexe.C’estcommecourirunsprintavantunmarathonsanscesserdesourireeten faisantvotrepossiblepourqueçaaitl’air de ne demander aucun effort. En plus, elle transpirait, vous aussi, celadonnait deux personnes suantes, puantes, glissantes, haletantes dont le travaildépendaitl’undel’autre.Donc, oui, cela pouvait arriver, surtout aux danseurs peu expérimentés ou
quand votre partenaire était toute nouvelle. La plupart des professionnels secontrôlaienttrèsbien.Unegrandedanseuseasiatiqueremplaçalaprécédente.Elleétaitpluslourde,
mais bien meilleure. Si j’avais recherché une partenaire pro, j’aurais pu êtreintéressé. Si je n’étais pas pris à l’issue de cette audition, je lui demanderaispeut-êtresiellenevoulaitpasparticiperavecmoiàdescompétitions.Maisjefussélectionnépourletoursuivant.Etcettefois,c’étaitlemomentde
fairemonshow.J’étaisfatigué,j’avaismalpartout,maisjepensaisàLaney.Lapremièrefois
quejel’avaisvue,assise,seuleàcettetable, jen’avaispasdevinéqu’elleétaitdansunfauteuilroulant.J’avaiseuenviededanseravecelleetDieuseulsavaitquec’étaittoujourslecas.Maiselleétaitavecleconnardetmoi,jedansaistoutseul.FromnervoustouchandgettingdrunkTostayingupandwakingupwithyou.
6
C’étaitexactementcequejeressentaisetjemeperdisdanslamusique.J’étaischezmoi.
LANEYJ’attendais son retour anxieusement. J’espérais vraiment que cette auditions’étaitpasséecommeill’espérait.Ilétaitenretard,etjenesavaispassic’étaitbonsigneoupas.Jeneconnaissaisrienàsonmonde,hormisquelorsqu’ilétaitparticematin,ilétaitplusheureuxquejel’avaisvudetoutemavie.Ilétaitplusdedix-huitheures,bienplustardquejenel’attendais,quandAsh
franchitleseuildemonappartement,l’airépuisé.—Alors?Unsouriremagnifiques’épanouitsursonvisage.—Jel’aieu!hurla-t-il.—OhmonDieu!OhmonDieu!Ilmesouleva,meserranttrèsfortcontreluipourmefairetournoyercomme
unepoupée.—C’était génial ! dit-il, la bouche enfouiedansmes cheveux. Jeveuxdire
quej’aitoutdéchiré.Ilsedirigeaverslecanapéoùils’effondraenmeserranttoujoursétroitement.
Instinctivement,sonbrasentouramesépaulesetsatêteroulasurledossier.Il me parla de Rosa, la chorégraphe ; de Mark, le metteur en scène ; de
Dalano, le producteur ; et de différents membres de la troupe et du stafftechnique.Ilme racontait toujours sa journée avec animation lorsqu’il se pencha pour
ouvrirlemodestesacdesportquejeluiavaisprêtéetilensortitseschaussonsetsesvêtementsdedansetrempésdesueur.—Jevais lancerunemachine,medit-il.Tuasquelquechoseàlaverdeton
côté?Unegrosseenveloppebourréedepapierstombasurlesol.—Qu’est-cequec’est?Ashhaussalesépaules.—Moncontrat.Jedoislerempliret leramenerlundi.Çatedérangeraitd’y
jeteruncoupd’œilavecmoi?Jedétestelirecestrucs,surtoutenanglais,dit-ilavantdesemettreàsourire.Jemesuisachetéunnouveautéléphone,tupourrasm’envoyerdesmessagescommeça.Puisildisparutverslesous-solavecsesaffairesdedanseàlaveretmapropre
lessivedelasemaine.Je souriais moi aussi quand je ramassai la liasse de papiers et quand je
commençai à lire le contrat. Il serait payé huit cent cinquante dollars par
semaine,cequim’impressionna.Mais ilmefallutseulementquelquesminutesde lecture pour réaliser qu’Ash allait avoir un gros problème. J’avais ététellementexcitéeparsonsuccèsquej’enavaisoubliédespetitsdétailscommeunvisadetravailetunnumérodesécuritésociale.C’étaitfiniavantmêmedecommencer:jamaisilsn’accepteraientqu’ildanse
dans ces conditions. Un contremaître sur un chantier de construction pouvaitprendrelerisquepourunouvrierpayéàlajournéemême,ici,àChicagooùtoutétaittrèsencadré.Maislethéâtren’accepteraitjamaisqu’ildansesansavoirdespapiersenrègle.Depuisqu’ilétaitrentréhier,Ashétaitunautrehomme:heureux,sûrdelui,
amusant. Il avait réussi à obtenir un visa temporaire auparavant, il pouvaitcertainementyparvenirunenouvellefois.Cen’étaitpasmissionimpossible.J’ouvrismonordinateuretcommençaifrénétiquementàlancerdesrecherches.
De quel genre de visa a-t-il besoin ? Comment peut-il se le procurer ? Encombiendetemps?Lesréponsesétaienttrèsclaires.Ashétaitactuellementsanspapieretparconséquent,unmigrantillégal.Mais
commequelqu’unavaitutilisésonpasseportpoursortirdesÉtats-Unis,iln’étaitplusdanscepaysnonplus.Mon cerveau turbinait à plein régime. Il devait bien y avoir un moyen de
l’aider, une dispense spéciale quelconque. Le pape avait-il le bras assez longpourdispenserdesvisasdetravail?Probablementpas.MaisqueDieumepardonne,c’estcommecelaquej’eusuneidée.Parcequec’estjusteaumomentoùjepensaisçaquejelusunephrasequime
stoppanetdansmesrecherches:ilestpossibled’obtenirunecartevertegrâceaumariageavecuncitoyenaméricainsivousn’avezplusunvisaencoursdevalidité.Unfrissonmeparcourutcommeledébutd’unesolution.Non,c’étaituneidée
idiote.Non.Je parcourus tout le site Internet, persuadée qu’il devait y avoir une autre
solution.ToutdépenddevotrecapacitéàprouverquevousêtesentréauxÉtats-Unis
légalement.C’étaitsoncas.Ilfaudraaussiprouverquevotremariageestréeletpasunsimplemoyende
détourner les lois de l’immigration aux États-Unis. Cela peut être fait enfournissant des preuves comme des photos, un certificat de mariage, des
justificatifs de domicile, des relevés bancaires, une attestation d’assurance ouunequittancede loyerà votrenometà celuide votre conjoint(e), citoyen(ne)américain(e).Aprèstoutcequ’Ashavaittraversé,aprèstoutcequemonmerveilleuxpays
luiavaitapporté,n’avait-ilpasdroitàcettechance?Jepouvaisl’aider.Laseulechosequej’avaisàfaire,c’étaitépouserAsh.
Chapitre13
LANEYJecommençaisàtranspireràgrossesgouttes.Maisoùavais-jelatête?J’étaislafille d’un agent de police et j’envisageais de contourner la loi. Et Collin ?Comment allait-il réagir ? Il était déjà jaloux d’Ash. Peut-être que si je luiexpliquais,ilcomprendrait?Mais,oui,biensûr.Lavoixd’Ashmefitsursauter.—Qu’enpenses-tu,Laney?Çafaitunbeaupaquetd'argent,n'est-cepas?Il
faudraquetuviennespourlapremière.Jet’achèteraiunenouvellerobe,untruchautdelagamme,euh,hautdegamme,tuvois?SurMichiganAvenue.Ashétaitunpeuessoufflé ; il avait remontéencourant lesquatrevoléesde
marches qui nous séparaient du sous-sol, mais il avait toujours un sourireépanouiauxlèvres.Celuiquejeluiadressaiétaitbienpluspâle.Ilcompritimmédiatementquequelquechosen’allaitpas.—Qu’est-cequinevapas?Tuasl’airmalade.—Écoute…assieds-toiuninstant.Ilfautquejetedisequelquechose.—Tuesenceinte.—Non!Biensûrquenon!—Tuveuxquejeparte?—Non!Bonsang!Laisse-moiparler!Nosregardss’accrochèrentetAshserraleslèvresdecolère.—Jenesuispasenceinte,monDieu,non!Etjenetedemandepasdet’en
aller, m’exclamai-je avant de faire une pause et de continuer en prenant unegrandeinspiration.Ilyaunsouciavectoncontrat.Ilcourbaunpeulesépaulesetl’inquiétudeluifitfroncerlessourcils.—Quelsouci?—Tun’aspasdevisa,répondis-jeensoupirant.Ilhaussalesépaules,visiblementpeuimpressionné.—Jevaisendemanderun.J’enaidéjàeu.—Cen’estpassifacile.Sanstonpasseport,tun’existespas.Etmêmequand
cette histoire sera tirée au clair, ce qui pourrait prendre des semaines, tu n’asaucunegarantiequ’ont’accorderaunautrevisa.Tuserasunsans-papier.—Unsans…quoi?
—Unsans-papier.Unimmigrantillégal.—Mais…—Jesuisdésolée.—Tupensesqu’ilfaudradessemaines?Non,jepensequ’ilsneteledonnerontpas.Ashselevaetcommençaàfairelescentpas.Puisilmarchaàgrandspasvers
lebalcon,ouvritlaporte-fenêtreàlavolée.Uncourantd’airglacials’engouffradanslapièce.Ilagrippalarambardemétalliquedetoutessesforcesetsepenchaenavant.
Dangereusementenavant.—Ash!Enentendantmoncripaniqué,ilmejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.
Son regard était totalement vide. Il secoua la tête et rentra précipitamment enfermant la porte derrière lui,mais l’air froid stagna dans le salon. Il se laissatombersurlecanapéetsatêtevintheurterlemurderrièrelui.—C’estfini,hein?LaBratvaagagné.Jevaisrentrerchezmoilaqueueentre
lesjambes.—Tuvas…quoi?Ilagitalamainavecimpatience.—Commeun chien.La queue entre les jambes.Qu’est-ce qu’ilme reste à
faire?—Tupourraistemarieravecmoi.Je marmonnai ces mots tellement doucement que je n’étais pas vraiment
certained’avoirenviequ’ilslesentendent.Pourtant,c’estcequ’ilsepassa.Lechocpétrifialestraitsdesonvisage.—Oublieçatoutdesuite.C’estuneidéeidiote.Jemelevaietfilaidanslacuisinepourallercachermonembarras.Ash me suivit et s’appuya contre le mur pendant que je fouillais dans le
réfrigérateur à la recherche de jus de fruit. À l’ananas.Pourquoi est-ce qu’ilachètetoujoursceluiàl’ananas?Le silence était insupportable. J’entendais mon pouls battre dans mes
oreilles–lerugissementdel’humiliation.—Tuaccepteraisdem’épouser?Ilavaitparléaussidoucementquemoi,maisjel’entendistrèsclairementmoi
aussi.Est-cequejel’épouserais?
Je fermai la porte du réfrigérateur et me tournai vers lui. Son beau visagen’exprimaitrienetsavoixétaitmonocorde.—Commeça,tupourraisobtenirtacarteverte.—EtCollin?—Nousdivorcerionsauboutdedeuxans.Uneexpressionque jeneparvinspasà interpréterpassabrièvementsurson
visage.—Ceseraitunmariageblanc?—Ehbien…oui.Ilavaitpenséquejevoulaisquelquechosed’autre?—Ettuferaisça?Pourmoi?Jehaussailesépaules,trèsmalàl’aisesoussonregardintense.— Nous sommes amis. Je veux t’aider. Mais, euh, nous devrions
probablementn’enparleràpersonne.Sonfrontseplissaquandilfronçalessourcils.—Tuashontedemoi?—Mais non,Ash ! Bien sûr que non. C’est juste qu’unmariage blanc est
illégal.Ilpoussaungrandsoupiretfermalesyeux.—Jeneveuxpastecréerdesennuis,Laney.—Jen’enauraipas.Àconditionquenoussoyonsdiscrets.
ASHJen’arrivaispasàdormir.Peuimportelenombredefoisoùjem’étaisretournésurlecanapéinconfortableenessayantdemeviderlatête, jen’arrêtaispasdepenseràLaney.Quandelleavaitsuggérélapremièrefoisquenouspourrionsnousmarier,cela
m’avaitcoupélesouffle.Jen’avaisjamaisrencontréunefemmequinem’avaitne serait-ce que donné l’idée du mariage. Le seul engagement que j’avaisenvisagé,c’étaitàmonart,ladanse.MaisépouserLaney…Jenedétestaispascetteidée.Jen’arrivaispasàcroire
qu’ellepourrait fairecegestepourmoi :mettresavieensuspens,une foisdeplus,afinquejepuisseavoirmachance.Cettefemmeétaittellementaltruiste.Mais…Je ne pouvais pas accepter. C’était illégal, avait-elle dit, mais en plus, cela
ficheraitsarelationavecleconnardenl’air.Jem’enmoquaisdelui,maisjenevoulaispasluifairedemalàelle.Elleneméritaitpasça.
Je luiavaisditque lanuitnousporteraitconseil,parceque jenesavaispasquoidired’autre.J’en eus vite assez deme tourner etme retourner tout seul dans ce quime
servaitdelit.JevérifiaiquelaportedelachambredeLaneyétaitfermée,puisjefisletour
du petit salon en déplaçant les meubles pour dégager un espace pour danser.Cettenuit,j’avaisbesoindequelquechosequimecalmeetmepermettedemerecentrer.Lesgenspensentquelarumbaestladansedel’amour,maispourmoi,c’est
plutôtcelledelapassion.Ellepeutexprimerlacolère,latristesse,l’égoïsme,ledrame,lajalousie;elleestàlafoiscathartiqueetl’amour…Touteslesémotionsfortes.Jepréfèreaussilarumbaflamencoàsacousinesage,larumbadesalon.Cettedanseestunmixderumba,dePasoetdeFlamenco.Elleestd’unegrandeintensité. Il faut être pleinement concentré pour bien la danser.Exactement cedontj’aibesointoutdesuite.Laney a laissé son iPhone dans la cuisine, je n’ai qu’à le brancher sur la
stationd’accueiletréglerlevolumeavantquelamélodiedeTakeMeToChurchdeHoziersediffusedoucementdanslapièce.C’était ce que mon corps connaissait : la musique et le mouvement, la
concentrationexclusivequiprovenaitdufaitqu’onétaitportéparlamusique,lesparoles,cettesynergieparfaitequis’instauraitentreladanseetlachanson.Jedansai jusqu’à cequemoncorpsdégoulinede sueur et quemesmuscles
crientgrâce.Maisc’étaitsurtoutmonespritquiavaitbesoind’évasion,defuirmes pensées qui s’agitaient comme des abeilles furieuses et dont le dard mepiquaitprofondémentetmepoussaitàl’honnêteté.Tunepeuxpaslalaisserfaireça.Maiselleveutt’aider.C’estunegrosseerreur.Tulesais.Empêche-ladefaireça.Tais-toi!Laisse-moitranquille!Celanesignifieriendeparticulier.Tunepourrasjamaisêtreavecelle.Elle
appartientàunautrehomme.C’estunconnard.Ellel’aime.Jenecroispas.Ons’enfoutdecequetucrois,ellen’estpasàtoi.Arrête!—Ash?Qu’est-cequinevapas?
Laney était sur le seuil de sa chambre, frottant ses yeux encore pleins desommeil.Jefisvolte-face,regrettantdel’avoirréveilléeavecmesdélires.—Excuse-moi.Jecoupailamusique.—Tupeuxcontinuer,jesaisquelamusiqueetladanset’aident.—Pascesoir,répondis-jeensoupirant.—Tun’arrêtespasd’ypenser,hein?demanda-t-elleenhochantlentementla
tête.Aumariage.Avecmoi.—Oui.Personnen’ajamais…—Ash,nemedispasnon.Laisse-moifaireçapourtoi.—Tuasdéjàfaitbeaucoup.Jenepeuxpastelaisserenfreindrelaloicomme
ça,repris-jeavantderireamèrement.Tonpèremetueras’illesait.— Je veux que tu réussisses, Ash. Tu es si heureux depuis cette audition.
Lorsqueje tevoisainsi…C’est tavocation.Enplus, tuapporterasduplaisiràtellementdegens.Peut-êtrequ’auxyeuxdesautres,cen’estpasbien,maiscen’estpascequejepense.Lemonden’estquemorositéetgrisaille.Jerefusequecesoittonseulhorizon.—Maisunmariage…—Etpeut-êtrequec’estaussiunpeuunefaçondemerebeller,reprit-elleen
souriant.—Terebellercontrequoi?Ellepoussaungrandsoupiretsonsourires’effaça.—Mamaladiesurtout.Lesgenspensentquelorsquetueshandicapé,quetu
souffresd’unproblèmechronique,tuesunesortedesainte:«Regardezcommeelleestcourageuse.Tellement jeuneetdéjàen fauteuil…»bla,bla,bla. Jenesuispasparfaite,jesuisjustemoi.Peut-êtrequec’estunefaçondemerévoltercontrecequ’onattenddemoi.Est-cequetucomprendscequejeveuxdire?Jem’effondraisurlecanapé.Jecomprenaisbienl’idéederejeterlecheminle
plusévidentqu’onvoulaitquevousempruntiez.Jenecomprenaisquetropbien.Elleme rejoignit sur le divan et s’assit près demoi,mais sansme toucher.
Puisellemepritlamain,sespetitsdoigtscaressantmesphalanges.—Peut-êtrequ’unjour,jepourraitevoirsurunescèneàBroadway.— C’est de la folie, dis-je en riant doucement, observant ses doigts qui
dessinaientparesseusementdeslettressurledosdemamain.Sacaressemefitfrémir.—Ash,c’estpeut-êtrelachancedetavie!
Elleétaittellementpassionnée,tellementpleinedevie.J’admiraistoutenelle.Saufpeut-êtrelefaitqu’elleavaitdeuxpiedsgauchesetqu’ellenesauraitjamaisdanser,mêmesisavieendépendait.Ellemefaisaitsourire.—Ettoi,quegagnes-tulà-dedans?Elleclignadesyeux,lacolèreetl’incompréhensionsepeignanttouràtoursur
sestraits.—Moi?Ehbien…—Tun’asrienàgagnerdanscemariage,Laney.Celan’aaucunsenspourtoi.—Tu te trompes, répliqua-t-elleensecouant la tête. Je teverrai réaliser ton
rêve.Etça…çareprésenteénormémentpourmoi.Maispourquoi?—Jetedoisdéjàtellement.—Non,pasdutout,parcequetuferas…—Lamêmechoseàquelqu’und’autre.Jesais.Ellesoupira.—Tusaiscequ’ondit,Ash:«Situveuxvraimentquelquechose,tupeuxy
arriver.»Noussavonstouslesdeuxquec’estunebelleconnerie.Jepeuxvouloirle reste dema vie devenir championne olympique de gymnastique,mais celan’arriverapas.Jepeuxaussimeroulerparterreenhurlantquejenelaisseraipasmamaladie impacterma vie, mais je sais bien qu’il faudra que j’adaptemesrêvesàcetteréalité.Maistoi, tuasencorelapossibilitédesaisirtachance.Tudevraislefairepourtousceuxquiattendentcettechanceetnel’aurontjamais.Jesecouailatête.—Tuprésentesçacommesicelan’avaitriend’égoïste,maissi j’accepte ta
proposition,jeleferaipourmoi.Etceseradetrèsloinladécisionlapluségoïstedemavie.—Voilà,tucommencesàcomprendre,dit-elleensouriant.—Tuescomplètementfolle,maisc’estcequej’aimecheztoi.Elleentrouvritlaboucheetpendantuninstant,jeregrettaimesparoles,mais
ellesecontentadesourireencorepluslargement.—Doncnousallonslefaire?Jem’agenouillaisurlecanapéetm’emparaidesesmains.—LaneyKathleenHennessey,meferiez-vousl’insignehonneurd’accepterde
m’épouser?Elleéclataderireetj’embrassaisamain.—Oui,monmarisecret!J’accepted’êtrevotreépousesecrètepourlesdeux
ansàvenir.
Jemelevai;j’avaisl’impressiond’êtreunidiotetLaneymelançaunregardattendri.—Jesuisdésolé,jenem’attendaispasàcequetufassesça.—Bon,quefaisons-nousmaintenant?Soudain,Laneyavaitl’airdenepluspenserqu’auxdétailspratiques.—C’est très rapidedesemarierauMarriageandCivilUnionCourt. Nous
allonschercherlecertificatlaveille;c’estpayantetnoussignonstout,après.Ilfautseulementquetufassespatienterlethéâtrepourquelquesjours.—Cen’estpaspluscompliquéqueça?—Espéronsquenon!Biensûrquecenefutpasaussisimple.Justeaprèsquenousayonsdécidéde
nousmarier,elletombamalade.
—Ash!Ash!ASH!Jemeréveillaiensursaut, lecœurbattant lachamadeet je faillis tomberdu
divan.Maispourunefois,cen’étaitpasàcaused’uncauchemar.—Ash!Laneym’appelaitenhurlant,lavoixrauque.Jecourusjusqu’àsachambre,ouvrantlaporteavecunetelleviolencequ’elle
vintfrapperlemur.Jefouillaifrénétiquementlapièceduregardm’attendantàytrouverSergei,ouOleg,unemenacequelconque.Maiselleétaittouteseule;soncorpsétaitétendusur le litdansunepositionbizarre,unbrascoincésouselle,commesielleavaitessayédeseleversansyparvenir.Sonvisageétaitmouilléde larmes et elle sanglotait tellement que son corps était secoué et tremblaitviolemment.—Laney!Quesepasse-t-il?Oùas-tumal?—Par…Partout!Jem’agenouillaiàmoitiésurlelitetessayaidepasserlesbrasautourdeson
corps,maisellehurladedouleur.—Nemetouchepas!Son pouls battait sousmamain à une telle vitesse que j’avais peur qu’elle
fasseunecrisecardiaque.Jen’avaisjamaissentiuntrucpareiletmoninquiétudedevintpanique.—J’appelleuneambulance,dis-jeensautantdulit.—Non!Mesmédicaments!J’aibesoindemesmédicaments!Sranje!Quelsmédicaments?Oùsont-ils?—D’accord,jevaisteleschercher.Oùsont-ils?demandai-jeenm’efforçant
aucalme.Ellesanglotaittellementfortquejen’arrivaispasàcomprendrecequ’elleme
disait. Et lorsque j’arrivais à capter quelque chose, le nom du médicamentcompliquéettrèslongnemedisaitrien.—Lesjaunes!supplia-t-elle.Salledebain!Jeretournaileplacarddelasalledebainjusqu’àcequejemettelamainsur
despilulesjaunepâle,sesanti-inflammatoires.—C’estça?—Oui…Ilfallaitquejel’asseyepourqu’ellepuisselesavaleravecunpeud’eau,mais
chaquefoisquej’essayaisdelatoucheroudelabouger,ellesemettaitàhurler.—Çamebrûle!gémit-elleensanglotant.Jenesavaispasquoifaire.Ilmefallaitdel’aide,maisellem’avaitsuppliéde
nepasappelerd’ambulance. J’avaismêmepensécontacter leconnard. Il avaitdéjà dû la voir en crise, il saurait certainement quoi faire. Mais dès que jem’éloignaisneserait-cequed’uncentimètre,ellesemettaitàcrierdeplusbelle.—Nemelaissepas!Ash!Ash!Jem’allongeaiàcôtéd’elleenessayantdeglissermoncorpssouslesienpour
pouvoirl’asseoirenmeredressant.Maiscelanefonctionnaitpas.Jefinisparlaprendredansmesbrasetl’appuyercontrelatêtedelitengrimaçantenentendantses hurlements perçants. C’était comme si elle me donnait des coups depoignard.Je pris une des grosses pilules et la plaçai dans sa bouche. Elle faillit me
mordreledoigtquejeretiraientoutehâte.Elleessayadeporterleverred’eauàsabouche,maiselletremblaittellement
qu’elle en renversa une grande partie sur elle et sur le lit. Puis, elle semit àtousseretàcracherquandelleavaladetravers.Auboutdetroistentatives,elleréussitàavalerlapiluleetjelarallongeai,lafaisantcrierpresqueaussifortquelorsquejel’avaisredressée.Auboutdequinze longues et terrifiantesminutes, elle commençaà respirer
plus calmement et à moins paniquer. Après encore trente minutes, elle puts’asseoirnormalementaulieuderestertorduecommesielleétaittombéed’unegrandehauteur.Jeluicaressaigentimentlebras,pouressayerdelaréconforter.Jenepouvais
pasfairegrand-chosed’autre.—Nemequittepas,supplia-t-elleencore,lavoixtremblante.Moncœurseserraenentendantledésespoiretlapeurdanssavoix.
—Jenevaisnullepart,jetelepromets.—Resteavecmoi.Net’envapas.—Jesuislà,Laney.Je me couchai à ses côtés, avec beaucoup de précautions pour ne pas la
bousculer.Puisjenousrecouvristouslesdeuxd’unplaid.Ellepritmamainetlaserracontresonventre.—Net’envapas.Quandjemeréveillai le lendemain, j’étaisunpeuperdu.Lapièceétaitplus
sombrequed’habitude.Jenefermaisjamaislesrideauxdelafenêtredusalon,donc elle aurait dû être éclairée soit par la lumière du jour, soit par leslampadaires dans la rue. Je roulai sur moi-même et j’entendis alors une voixféminine qui poussait un petit gémissement. La mémoire me revintinstantanément.—Laney!Est-cequetu…Commenttesens-tu?Jet’aifaitmal?Elletournalentementlatêtedansmadirection.—Jevaisbien.Désoléepourlanuitdernière.Jem’assisprudemmentenlaregardantavecattention.—C’étaitterrifiant.Tutesensvraimentmieux?Elleesquissaunsouriretriste.—Jenepeuxpasbouger,maisçava.—Tu…nepeuxpasbouger?—Unpeuseulement,maiscelafaitmal.Peux-tumedonnerunautrecachet,
s’ilteplaît?Je me levai rapidement et me dirigeai vers la salle de bain, m’arrêtant
simplementpourouvrirlesrideaux.Puisjeluirapportaiunepilulejaune.Elle gloussa soudain en regardant mon boxer. J’étais trop inquiet pour me
formaliser du fait quemon sexe était au garde-à-vous pour saluer lematin etjusteauniveaudesesyeuxenplus.—Tupeuxt’asseoir?— Non. Il faudrait juste me redresser un peu. Je pourrai prendre le
médicamentcommeça.Elle enroula les bras autour de mon cou et grimaça quand je la soulevai
légèrement.Elle laissa échapper des soupirs crispés comme si elle essayait deprendredepetitesinspirations.Elleavalalapiluleenbuvantplusieursgorgéesd’eau.—Tupeuxmerecouchermaintenant,dit-elleàvoixbasse.Elle grimaçait toujours alors que j’essayais de la bouger le plus doucement
possible.Ilfallutplusieurssecondesafinquesestraitssedétendentenfin.—Celat’arrivesouvent?— Non, rarement, répondit-elle, l’air exaspéré. Une seule fois depuis
longtempsenfait.Pourquoifaut-ilqueçarecommencemaintenant?—Tuasfaitunecrisedepanique.—Jesais,dit-elleenfermantlesyeux.Ladouleurétaitinsupportable.J’avais
l’impression que tout mon corps brûlait. C’est venu d’un coup et je me suisréveilléedanscetétat.C’estcelaquim’afaitpaniquer.Ellemesouritgentiment.—Tuasétégénial.Merci.Jemerallongeaisurlelitàcôtéd’elle.—J’avaistellementpeurquej’aifailliappelerleco…Collin.Ellemedonnauncoupdecoudedanslescôtesquimefitsursauter.—Nel’appellepascommeça!Cen’estpasdesafautesi…—C’estunconnard?—Ash!De toute façon, jepréfèreque tune l’aiespascontacté.C’estbien
plussympademeréveilleràtescôtés.NeledispasàCollin!Ellesemitàrirejoyeusement.Jesecouailatête,époustoufléparcettefemmeextraordinaire.Ellenepouvait
bougerquelatêteetlesbrassanssefairetropmaletpourtantelleriaitavecmoi.Soudain,ellefronçalessourcilsetdit:—Tum’asl’airbiensérieux.Àquoipenses-tu?Jepréféraimentir.— Je me disais que je devrais aller prendre une douche en cas où Collin
décidedenousfaireunepetitevisitedominicaleetnoustrouveaulit.—Tuasraison.Aumoins,lemonstredanstonboxerestretournésecacher.—Lemonstre?dis-jeenmanquantdem’étranglerderire.Ellepiquaunfard.—Va.Te.Doucher.Jemedirigeaiverslasalledebainenriantàgorgedéployée.—Jen’arrivepasàcroirequej’aiditça,marmonna-t-elle.Maissous ladouche,monhumeurs’assombrit. Jemedemandaissi lestress
n’était pas responsable de cette nouvelle attaque de la maladie et sa crise depanique m’avait fichu une trouille de tous les diables. Elle allait peut-êtrereconsidérercetteidéedemariage.Jepersistaisàpenserqu’ellen’avaitrienàygagner quoiqu’elle en dise. C’était moi le grand gagnant et je serais un gros
égoïstedelalaisseragir.Jedécidaitoutenmeséchantquej’allaislapersuaderdechangerd’avis.Mais
quand je revins dans la chambre, elle consultait son téléphone, couchée sur ledos.Ellemeregarda,rayonnante.—Adjugé,vendu!—Pardon?— Les documents sont simples à remplir. La pièce d’identité fournie par
l’ambassade sera suffisante,mais ilme faudra une copie de ton visa d’entrée.Puisilfaudraallerdansleslocauxdel’étatcivil,prendreunnuméroetattendre.Nouspourrionsypasserunmatinsurlecheminduthéâtre.Donc…Quepenses-tudevendrediaprès-midipournotremariage?—Laney,jenesaispas…—Ash,stop!Jesaiscequetuvasmedire,maisjet’enprie,non.—Nousvenionsàpeinededéciderdeceplanmerdiquequetuaseuunecrise
depanique,sanscompter…ça!dis-jebrusquementenmontrantdupoucesoncorpsimmobilesurlelit.Sestraitss’adoucirentunpeu.—C’estsansrapport.—Forcémentquesi!—Jesaismieuxcequisepassedansmoncorpsquetoi.Trèsénervé,jepassailesmainsdansmescheveuxmouillés.—Tuneveuxpasdecemariage?—Passiçaterendmalade.—C’esttoutcequit’inquiète?—Non.Queva-t-ilsepassersitafamillel’apprend?Ouleconnard?Ousi
quelqu’unréalisequec’estunfauxmariage?Àquelgenred’ennuist’exposes-tu?Moi,jesupposequ’onmeraccompagneraàlafrontière.— C’est ça ton problème ? demanda-t-elle en riant. Il faut vivre
dangereusementAsh!
LANEYMacrisen’étaittoujourspasterminéelejeudi,cequiétaitplutôtgênant.MonDieu,leregardqu’onnouslançalorsquejedisquenousétionslàpour
avoiruncertificatdemariage!Je traversai tout ça dans un brouillard de colère. Je ne crois pas qu’Ash
remarquaquoiquecesoit,ilétaittropoccupéàseconvaincred’allerauboutde
notreprojet.J’auraisvouluparveniràlepersuaderquec’étaitl’uniquesolution.Pourtant, le vendredi après-midi, alors que nous attendions de nous marier
pourdebon, jemesentaisnerveuseetagitée.L’idéeque jepouvaisrencontrerunepersonnedemaconnaissancequiseraitlégitimementcurieusedesavoircequejefaisais làmetraversa l’esprit.Eneffet, jeportaisunerobeà laplacedemon jean habituel et j’attendais assise à côté demon supposé colocataire, uncanonquetouteslesfemmesremarquaient,danslasalled’attentedelapièceoùl'oncélébraitlesmariages.Ash débordait de confiance ce matin et avait immédiatement écarté mes
inquiétudes.—Tunepeuxpaspasserlerestedetavieàt’interrogersurles«etsi».On
finittousparmangerlessaladesparlaracine.—Tuveuxdirelespissenlits?—Lessalades,lespissenlits,onfinittoussixpiedssousterre,non?«Ets'il
pleut?»Jetetrouveraiunparapluie!Maismaintenant,ilavaitl’airauborddelanausée.Il faisait chaud à l’intérieur du bâtiment, le vieux système de chauffage
crachant un air brûlant et la foule qui s’entassait là augmentait encore latempérature.Jemesentaismaletmoite.Malgré cela, Ash était impeccable et élégant dans son pantalon noir et sa
chemiseblanchequ’ilavaitparfaitementrepasséelui-mêmecematin.Ilportaitaussiunecravatebleumarine.Letoutavaitétéachetédansunefriperie.Laseulechose, c'est que son teint mat habituel virait plutôt au vert. J’espérai qu’iltiendrait jusqu’à la fin de la cérémonie avant de vomir.Mais bon, je supposaiquepasmaldefutursmariésstressaientjusteavantlacérémonie.Commeilavaitinsistéafinquenoussoyonsélégants,j’avaisvoululuiacheter
quelquechosedeneuf,maisilavaitrefusé.Ai-jedéjàditqu’ilétaittêtu?J’avais prévu demettre une jolie petite robe noire qui n’attendait que cette
occasion dansmon dressing. Enfin, pas unmariage secret, évidemment, maisunecérémoniequelconque.MaisAshavaitditquenousavionsl’airdegensserendantàunenterrement,
pasàunmariage,quepersonnenecroiraitennotresincérité,alorsàladernièreminute, j’avais mis une robe d’été jaune citron qu’Ash avait approuvée d’unsignedetête.Cen’étaitpasdutoutadaptéàunjourd’octobreàChicago,maiselleluiplaisait.Lorsqu'onappelanosnoms,Ashfits’écartertoutlemondesurnotrechemin
enpoussantmonfauteuil,ignorantlesregardscompatissantsqu’onnouslançait
et lesbruyantesmanifestationsdes invitésdevraismariages. Jepenseque lesgens étaient désolés qu’Ash épouse une femme en fauteuil, qui n’avaitvisiblementrienpourelle.J’avaisbeaumerépéterquejemoquaisdeleuravis,cen’étaitpastoutàfait
vrai.Ashneditrien.Ce n’était pas comme ça que j’avais imaginé le jour de mon mariage. Je
n’étais pas ce genre de femme qui avait tout prévu depuis la robe jusqu’à lanourriture en passant par la liste des invités, attendant impatiemment derencontrer l’homme qui complèterait ce tableau. Mais j’aurais pensé qu’aumoinsmafamilleseraitlà.Et tout cela n’était que mensonge : nous n’étions pas passionnément
amoureux,nousnenousétionspasdéclarénotre flamme, jen’avais jamaisditquejel’aimais.Mais… je pouvais jurer que cela avait commencé par une simple envie de
l’aider,maissagentillessenaturelle,sasensibilité,sonheureuxcaractèreavaientfiniparsefrayeruncheminjusqu’àmoncœur.Etcontretouteraison,malgrélaréalité, j’étaisen trainde tomberamoureusedecethommebrisé, traumatiséetmagnifique. Pourquoi prenais-je tellement soin dema santé et si peu demoncœur?LacérémoniefutcourteetAshmesurpritenm’offrantunanneauenortout
simplequiavaitdû luicoûter jusqu’auderniercentimequ’ilavaitpéniblementgagné en travaillant sur ce chantier de construction qu’il détestait. Puis nousentendîmes les célèbresmots : «Vous pouvez embrasser lamariée » et je luitendismajoue.Maisilpréféras’agenouillerdevantmonfauteuiletprendredélicatementmon
visageentre sesmains,commes’il tenaitun joyauprécieux. Ilposases lèvressur lesmiennes,doucementd’abord,puisde façondeplus enpluspassionnéejusqu’àcequejepousseunpetitcri,lesjouesenflammées.Le flash d’un appareil photo nous éblouit et l’officiant nous regarda en
souriant.— Celle-là, il ne faudra peut-être pas la montrer à vos petits-enfants,
plaisanta-t-il.Mon appareil muni d’une nouvelle photo de notre baiser passionné, nous
sortîmesdubâtimentdanslesoleilrayonnantd’automne.—C’étaitquoiça?demandai-je,dèsquenousfûmessuffisammentéloignés
afinquepersonnenenousentende.Ashéclataderire,bienplusdétenduquetouscesderniersjours.
—Qu’est-cequec’étaitquequoi?demanda-t-ilenfaisantsemblantdenepascomprendre.—Ce…cebaiser!—Ilfallaitquecelafassevrai,répondit-ilavecdésinvolture.Cequiétaitparfaitementlogique,maismesemblaitinexactpourtant.Il avait quitté tôt les répétitions aujourd’hui en disant au metteur en scène
qu’ilavaitunrendez-vousimportant.Maintenant que la cérémonie était terminée, nous commencions notre
premièresoiréeentantquemarietfemme.—Oùpourrions-nousallerfêterça,madameNovak?—Nem’appellepascommeça,répondis-jeenriantetensecouantlatête.—Pourquoipas?J’aiunpapierdansmapochequiconfirmequetuesbien
monépouse.—Tuestrèsdrôle!—Lemariageestsacré,celan’ariend’amusant!dit-ilensepenchantpour
embrasserlesommetdemoncrâne.—Tunedevraispasplaisantersurcesujetavecunecatholique.—Maismoi,jesuisunboncatholique.—Vraiment?—Mais,oui!Pourquoies-tusisurprise?—Jen’ensaisrien.Tuvasàl’égliseparfois?—J’yallaisavecmamère,pourtouteslesgrandesfêtesreligieuses,Pâques,
Noël…Ellem’avaitdonnéunSaintChristophepourmonhuitièmeanniversaire.Jeleportaisensouvenird’elle,maisjenel’aiplus.J’étaissurprisequ’ilparledesamère,celan’arrivaitpassouvent.—Tuesproched’elle?— Je l’étais, répondit-il, la voix basse. Mais elle est morte quand j’avais
quinzeans.—Oh,Ash.Ilneditriendeplusetjenevouluspaslepousseràlaconfidence,maiscela
mebrisaitlecœur.— Nous ne sommes pas loin du théâtre, dit-il, son humeur s’améliorant
aussitôt.Ilyaunrestauranthollandaisdepancakes.Çateditd’yaller?—Jecroyaisquevous, lesdanseurs,vouscontentiezdebananesetd’eauet
quevousmangiezsainement,unrégimericheenprotéinesetsanssucre.Il sepenchasurmon fauteuil jusqu’àcequesonsoufflechaudeffleuremes
jouesfroides.
—Jecrèved’enviedemangerdespancakesnoyéssousdusiropd’érableetdesvermicellesauchocolatquelesHollandaismettentsurlepain.Allez,viens,nousallonsnousencanaillertouslesdeux,madameNovak.—Tunedevraisvraimentpasm’appelerainsi,dis-jesoudaintrèssérieuse.Tu
risquesdelesortirquandilnelefaudrapas.—J’aimebienlaconsonancedecesdeuxmots,dit-il,cequifitmanquerun
battementàmonpauvrecœur.Je n’arrivais pas à oublier ce baiser.Non seulement il avait eu l’air réel de
l’extérieur,maisdel’intérieuraussi.Ashétait-ildoncunaussibonacteur?En vérité, j’avais beaucoup aimé ce baiser. Et si je me laissais aller à le
reconnaître, j’étais sur une pente savonneuse. Dans un premier temps, j’avaisessayédemeconvaincrequel’attirancequejeressentaisétaitsuperficielleetnereposaitquesur sabeauténaturelleetexotique.Puis, jem’étaisditquec’étaitplutôt l’intensité dramatique de notre rencontre et la sensation du danger quenousavionsaffrontéensemble,lefaitquenousayonssurvécuàtoutcela.Enfin, jem’étais persuadée que si j’éprouvais une quelconque attirance, ce
n’étaitpassoncas.J’avais changé d’opinion surAsh si souvent que j’étais une vraie girouette.
Mais ce baiser m’avait excitée bien plus que tous ceux de Collin, au lit etailleurs.Maintenant,aumoins,jesavaisàquoim’entenir.— Nous y sommes, lança Ash en serrant mon épaule. Il faudra que nous
commandionsduchampagne.— Euh, Ash, je ne sais pas à quel genre de restaurant de pancakes tu es
habitué,maisengénéral,ilsneserventpasd’alcool.Ileutl’airtrèschoquécommesicelaluisemblaitinconcevable.—Si tuveuxboireuncoup, ilvautmieuxquenousallionsdanscet italien
prèsdecheznous.—Doncpasdevermicellesauchocolat?demanda-t-ilensoupirant.—Quedirais-tud’uneassietteénormedepâtesetd’untiramisuàlaplace?—Marchéconclu!Ilfitroulermonfauteuildansl’étroiteentréedurestaurantitalien,ignorantle
visagecrispédelaserveusequidutfaireseleverunedouzainedeconvivesafinquejepuisseallerjusqu’ànotretable.Jedétestaisquandcelasepassaitainsietj’étaisàdeuxdoigtsdedemanderà
Ashquenousfassionsdemi-tour,quandj’entendisqu’onl’appelait.—Ash!Hé,viensparlà!Ungroupedefemmestrèsmincesagitaientlesmainsdanssadirection,nous
regardanttouràtour.Ashjuradanssabarbe.—C’estdesfillesquifontpartieduspectacle.—Nousdevrionsnousenaller.Ashapprouvamasuggestionengrognant,maisildit:—Jedevraisallerlessaluer,peut-être.Unedesfemmesétaitdéjàdeboutentraindesefrayeruncheminjusqu’ànous
danslerestaurantbondécevendredisoir.—Ash,monchéri!lança-t-elled’unevoixsonoreàl’accentanglais.Tut’es
sauvé très tôtalorsqu’onsecrevait leculàdansercesoir.Salut, jem’appelleSarahetjesupposequetueslacopined’Ash…Puisellerepéral’anneauenorquejen’avaispaseul’opportunitéderetirer.—Oh!Ashnenousavaitpasditqu’ilétaitmarié,petitcachottier!Merde!merde!merde!J’aperçus un éclair de panique dans les yeux d’Ash,mais il se contenta de
hausserlesépaules.—Oui,jeteprésentemadélicieuseépouse,Laney.—Petiteveinarde,réponditSarah,ensouriantetenpressantlajouecontrela
mienne.Nousbavions toutesdevant tonmari,mais je te rassure, il n’a jamaisposé un doigt sur aucuned’entre nous, enfin sauf quand leFührer hurle de lefaire.C’estbiendommage.Puis, elle se mit à hurler à plein poumon qu’on dégage le passage et elle
s’emparadespoignéesdemonfauteuiletavançadanslafoule.Ashluiemboîtalepas,hilare.— Hé, les filles, voilà la beauté qui est mariée avec Ash. Elle s’appelle
Laney;maismoijel’appellelapetiteveinarde.Ehbien,nousquivoulionsgarderprofilbas…Jeleuradressaiunpetitsignetimidedelamainpendantqu’Ashs’installaitsur
unechaisequ’ilavaitposéedansl’espaceexiguàcôtédemoi.—Etpourquoies-tusurtontrenteetun,superélégantcommeça?demanda
Sarah,toujoursaussibruyanteetaussitrèscurieuse.Toutlemondesemitànousregarder.Ashmepritlamainenm’adressantun
sourire.—C’estunjourparticulierpournous.—Oh,monDieu,ilestécœuranttellementilestromantique,gémitSarah.Il
mefautunautreLager.Jenepusmeretenird’éclaterderire.EllemefaisaitpenseràVanessa.Ellese
fichaitdecequ’onpensaitd’elle etprenaitmon fauteuildans son sillage sanss’enpréoccuperplusqueça.—Tufaisquoi,Laney?J’imaginequetun’espasdanseuse.Jeclignaidesyeux,complètementdésarçonnée.Ashlafoudroyaduregardet
passaunbrassurmesépaules.—Oh,ditSarah,enprenantunairnavré.J’aiété très impolie.Désolée,ma
mèreme dit toujours que je n’ai pas de filtre.Mais, peu importe, ça me faitgagnerdutemps.—Non,jenesuispasdanseusedutout.J’écris.—C’estvrai?Super!Commentvousêtes-vousrencontrés?Nousn’avionspasencoreeuletempsdenousmettred’accordsurlafableque
nouspourrionsraconter,maisAshluiréponditd’unsourire.—C’étaitdansuneboîteetjel’aiinvitéeàdanser.—Quoi?—Jen’avaispasremarquésonfauteuil.—Ah!jevois,sabeautét’aaveuglé.Ahlala.C’estbonAsh,tuestellement
parfaitquejen’arrivepascroirequetuexistes.Non,attends!Laney,dis-nousuntrucàproposdelui.Untrucbiendégoûtantquejepuissem’endormircesoir.Jerisenvoyantsonexpressionsévère.— Euh… Je ne crois pas… Eh bien, ce n’est pas dégoûtant, mais
désagréable… Il appelle mon cop… mon meilleur ami, Collin, le connard,terminai-jeenbafouillant.— Et c’en est un ? demanda Sarah en enfournant une énorme bouchée de
pâtes.—Oui,ditAshaumêmemomentoùjerépondis:Non.Sarah éclata de rire et cracha involontairement des morceaux de pâtes sur
toutelatable.Celafitreculertouteslesautresfemmesquiluijetèrentunregarddégoûté.—Ildoitcraindre laconcurrence,ajoutaSarah, l’airentendu,en lançantun
regard acéré à Ash. Même des connards. Mais tu as raison, cela n’a rien dedégoûtant.—Enrevanche,lafaçondonttumanges,si,marmonnaunedesconvivesque
Sarahignoraroyalement.Aumêmemoment, la serveuse arriva à notre table, en adressant un sourire
éclatantàAsh.—Elleveutunmenu?demanda-t-ellesansmêmemeregarder.—Pourquoineluiposez-vouspaslaquestion?réponditAshfroidement.
Ellesemblatroublée,etpourapaiserleschoses,jeluidemandaigentimentunmenuetelles’éloignarapidement.Toutlemondenousregardait.Commetoujours.Les collègues d’Ash étaient très sympas et parlaient avec animation des
répétitions. Mais il fallait bien reconnaître que c’était difficile d’être attabléeavecdesfillesquiétaienttoutesdescanons.Etpasdutouthandicapées.
ASHQuellejournéebizarredécidément!J’étaistellementcertainqu’onallaitm’arrêteretmereconduireàlafrontière
quej’avaislanausée.Etenplus,n’oublionspasquejem’étaismarié.Àunefemmequim’aimaitbien,maisnem’aimaitpastoutcourt.Afinqueje
puisseresterdansunpaysquim’avaitdéjàenvoyéenenfer,pourdanserdansunspectaclesurlequeljecommençaisàavoirdesérieuxdoutes.Celaauraitfaitperdrelatêteàplusd’un.Jeprisunnouveauverre,sentantla
chaleurqueprocuraitl’alcoolserépandredansmoncorps.LevisagedeLaneyétaitcramoisiàcausedelachaleurdanslerestaurantetdu
verredechampagnequ’elleavaitbu.Elleétaitentrainderireàquelquechoseque Sarah venait de lui dire. Elle avait basculé la tête en arrière et ses yeuxétincelaient.Elleavaitl’airheureuse.Ellesurpritalorsmonregardetsonvisageprituneexpressionattendrie.Ellesepenchaversmoi.—Toutvabiensepasser,chuchota-t-elle.Je voulais à nouveau l’embrasser.En fait, je voulais bienplus que ça,mais
c’était impossible.Ellene levoudrait pas. J’avaisprisun risque à la finde lacérémonie, mais ça semblait la chose à faire à ce moment-là. Et quand ellem’avaitrendumonbaiser,j’avaiseuenvied’elle.Terriblement.C’étaitmonamie.Lameilleure.Peut-êtrequejemetrompais,maisj’avaisl’impressionqu’ilyavaitquelque
chosedeplusentrenous.C’étaitperturbant.Jemesouvinsalorsqu’elleétaittropbienpourunhommecommemoi,quine
sesentiraitplusjamaispur.J’avaisfailliavoirunecrisecardiaquequandSarahavaitremarquél’alliance.
Maisfinalement,çan’avaitpasétéaussigravequejelepensais.
LANEY
Les collègues d’Ash étaient très gentilles et tolérantes. Elles avaient admisdevantmoiqu’ellesletrouvaienttrèsséduisant,maisaucuned’ellesnelevoyaitautrementquecommeunami.Ashsemblaitdetrèsbonnehumeurquandsoudainsonvisages’assombrit.Je
me demandai à quoi il pensait. Quelque temps plus tard, il était de nouveaujoyeuxetdétendu,maisjevoyaisbienquec’étaitforcé.Ilavaitlesourirequ’ilportaitsurscène.Nousrestâmessuffisammentlongtempspournousbourrerdepanacotta,puis
Ashannonçaquenousallionsrentrer.Il me ramena à la maison, me prépara une infusion à la camomille et
m’apportamesmédicaments.Enfin,ilmeportadansmachambre.Jepassaimanuit denoces seuledansmon lit, àmedemander siAsh allait
reveniretensouhaitantqu’illefasse.Unechoseétaitmaintenantcertainepourmoi:jedevaisrompreavecCollin.
C’étaitcruelpourtouslesdeuxdecontinuer.Malheureusement, Collin était en déplacement professionnel pour deux
semaines.Jenepouvaispasmettreuntermeàdixansderelationpartéléphone.Maisl’attenteétaitpénible.Nous passâmes les deux semaines qui suivirent comme avant, en tant que
colocataires. Notre certificat de mariage était caché au fond du tiroir de macommode.Ilenenvoyadesphotocopiespourobtenirsacarteverteetjeneportaipasmabague.Il n’essaya pas non plus dem’embrasser à nouveau,mais je surprenais son
regardsurmoiparfois.J’avaisenviedelui,maisilfallaitquecesoitréciproque.Pour le moment, son regard était perplexe, incertain. Quand nos yeux secroisaientàcesmoments-là,ilsouriaitetsedétournaitrapidement.Jel’entendaischaquenuitaussi,oupresque.Celacommençaitpardesphrases
courtes qu’il marmonnait en slovène. Il bougeait tellement que le canapégrinçait.Ilélevaitalorslavoixetfinissaitparcrier.Celaleréveillaitetilselevait.Ilallaitparfoisboiredanslacuisine.Etparfois,
ilmettaitlamusiquedoucementetjesavaisalorsqu’ilsemettaitàdanser.J’avaisenviedelerejoindre,d’êtrecellequiletiredesescauchemarsouau
moinsluifairecomprendrequ’iln’étaitpasseul,maisjen’osaispas.Etpuisladanse,cettedansenocturne,c’étaitsonmomentàlui.Ilpassalesquinzejoursauthéâtre,rentrantàlamaisonpours’effondrersurle
canapé,devantlatélévision,tellementilétaitfatigué.Ilmeproposadeuxfoisdesortirencompagniedesautresdanseursaprèsletravail,maisjerefusai.
C’estalorsquel’impensableseproduisit.Collinmedemandaenmariage.LejourdesonretouràChicago,ilmesurpritendébarquantavecunbouquet
defleurs.Il me fit sa proposition alors que j’étais étendue sur le divan en train de
regarder la télévisionetqu’Ashfaisaitsemblantdebatailleravec lamachineàcafédanslacuisine.J’étaisàboutdenerfset j’auraisvouluqu’Ashcomprennequ’il fallaitqu’il
nouslaisseetsorteprendrel’air.Mais il ignoratouslessignesqueje luifisetrestaavecnous.Ducoindel’œil,jelevoyaisouvriretrefermerenlesclaquantlestiroirsetles
portesdesplacards,enmedisantqueCollinallaitfinirparcomprendrequ’ilsepassaitquelquechosedebizarre.Maisilavaittellementl’habituded’ignorerAshquejenecroismêmepasqu’ilremarquaquoiquecesoit.J’étaistoujoursentraindemedemandersij’avaisprislabonnedécisionetsi
je ne faisais pas une grosse erreur à cause de mes sentiments pour Ash. Jepensaisavoirraison,maisonnejettepasàlapoubellecommeça,unerelationdedixans.Lorsque je dis que Collin me demanda de l’épouser, n’imaginez pas une
proposition très romantique, iln’étaitpascommeça.Audépart, ilmesuggéraquej’aillehabiterchezlui.—Collin,ilfautquejeteparlede…—Jesais.Moiaussi. J’aibeaucoupréfléchidurantcevoyage.Nousferions
des économies en vivant ensemble, poursuivit-il. Et cet appartement n’est pasadaptéàtesproblèmesdesanté,mêmesituestroptêtuepourlereconnaître.Jeluilançaiunregardmauvaispendantqu’ilcontinuaitsesâneries.— Mon appartement est bien plus pratique et comme nous ferons des
économies,nouspourronsenvisagerd’acheterquelquechosebienplusvite.—Collin,jenecroispas…—Puis,nousnousmarierons,Laney,continua-t-ilavecenthousiasme.Donc,
nous aurons un logement équipé pour les handicapés et tout ce dont tu aurasbesoin. Jesais, jesais, tun’enaspasencorebesoinmaintenant,maisça finirapararriver.Ilfautquel’undenousdeuxprévoiel’avenir.Quandnousauronsdesenfants,nouspourrons…Sesmotsm’arrachèrentàmastupeur.—Non.Ilmeregarda,visiblementirrité.—Non?Commentça?Non,quoi?
—Jeneveuxpasd’enfants.—Jesais,mais…—Jamais.—Maistuadoreslesenfants,poursuivit-il,déconcerté.Jedéglutispéniblementetbaissailesyeux.—Jen’excluspasd’adopterunenfantunjour.— Pourquoi ferions-nous cela, bon sang ? s’exclama Collin, le visage
rubicond.—Àcausedemoi,répondis-jeenplantantmonregarddanslesien.Ils’adoucitunpeu.— Ma chérie, si tu es malade, nous nous en sortirons, nous prendrons
quelqu’un pour nous aider. Une nounou ou une infirmière… Tout ce dont tuaurasbesoin.Je fermai lesyeux. Ilpouvaitêtre trèsgentilparfois.Totalement inconscient
demessentiments,maistrèsgentil.Maiscelan’empêchaitpasqu’ilnerespectaitpasdu toutmesdésirs.C’estcequ’il faisaitdepuis toujourset jene l’enavaisjamaisempêché.Jusqu’àaujourd’hui.—Non,Collin. Jeneveuxpasavoird’enfantsbiologiques,parceque jene
veux pas qu’ils héritent de mes gènes. Je ne supporterais pas de voir un desmienssouffrirensachantquej’ensuisresponsable.Ilyabeaucoupd’enfantsquiattendentqu’onlesaime,detrouverunefamille.Jepourraiadopter.LevisagedeCollinsefigea.—Etmoi?Sijeneveuxpas?Imaginequejenesouhaitepasm’occuperde
l’enfantd’unautrehomme?Jeveuxquenousayonsunbébé,ànous,pasceluid’uneautrepersonne.Bordel!Collin ne jurait jamais. Il disait que cela soulignait simplement qu’on
manquait de vocabulaire. Il fallait qu’il soit très en colère pour le fairemaintenant.—Celanedevraitpast’étonner,repris-jegentiment.Tusaisdepuisledébut
quejeneveuxpasd’enfants.—Jen’avaispascomprisquec’étaitunnondéfinitif!hurla-t-il.—Tu aurais dû faire plus attention, alors, criai-je àmon tour, incapable de
contenir la colère qui montait en moi. Nous en avons parlé lors de notretroisièmerendez-vous!—Maistouteslesfemmesdisentça!rugit-il.Personnenelescroit!—Moi,jelepensaisvraimentetc’esttoujourslecas,répondis-jeenbaissant
leton.
Collinsepassalesmainssurlevisage.—Laney,machérie, la science faitdesprogrèschaque jour.Tamaladieest
souscontrôle.—Oui!lecoupai-jerageusement.Grâceauxmédicamentsdontjemebourre,
cesdroguesauxeffetssecondairesredoutablesquejedevraisarrêtersijetombeenceinte. Le risque, c’est que je perde le peu de mobilité qu’il me reste.Définitivement.Ilfitmarchearrièreimmédiatement.—Jenevoulaispasdireça.Tudéformesmespropos.Tufaistoujoursça.J’essayaidemecalmer;chaquemotquejeprononçaisleblessait.—Jevaisêtretrèsclaire,ainsiiln’yauraaucunmalentendu.Jeneveuxpas
être enceinte. Jamais. Ni avoir d’enfants biologiques. Jamais. Je ne peux pasprendrecegenrederisques.Collins’adossaàsonsiège.—Etjen’aipasmonmotàdiredanscettedécision?Jesecouailatête,ensachantparfaitementquec’étaitlafindenotrerelation.
Mêmesij’avaisvouluvivreavecCollin,iln’auraitpasacceptémadécision.Paslongtempsentoutcas.Magorgeseserra.—Non,tun’aspastonmotàdire.—Waouh,lançaCollinensefrottantlestempes.Waouh.C’esttout?Pasde
discussion possible ? Pas de compromis ? Laney a pris une décision donc onarrêtelà?—Jenepeuxpasfairedecompromisàcesujet,murmurai-je.Etjenepeux
pasmemarieravectoi.Ilselevalentement,lesoufflecourt.—J’auraispuavoirn’importequellefemme,dit-ilsèchement.Maisc’esttoi
que jevoulais.Etmêmequand tum’asdit ceque tu…étais…çanem’apasarrêté.Jet’auraistrouvélesmeilleursmédecins,lesmeilleursthérapeutes…—Jen’aipasbesoind’uneinfirmière,dis-jeàvoixbasse.—Maiscelapourraitêtrelecasdanslefutur!cria-t-il,élevantànouveaule
ton.—Collin,répondis-jeensoupirant,lavoixbrisée.Tunevoisenmoiqu’une
personnequetuveuxfaireallermieux.Jen’irai jamaismieux.Jeresteraidanscetétat.—Maistun’ensaisrien!—Si,jelesais.Etjenepeuxpaspartagermavieavecquelqu’unquiveutme
changer.
—Maiscen’estpasça!Jeveuxjustequetusois…—Mieux.Ilfermalesyeuxetlaissatombersatêtesursapoitrine.Moncœurseserraen
découvrantlapeineetlalueurdedéfaitedanssonregard.Il fit le tour de la table et se pencha surmoi comme pourm’embrasser. Il
s’arrêtajusteàtempsetseredressa.—Salut,Laney.Prendssoindetoi.—Jesuisdésolée,ajoutai-jedoucement,lavoixcassée.Ilhochalatêteetl’instantd’après,ilsortit.Jem’adossaiàmonsiègeetlaissaileslarmesdévalermesjoues.Collinétait
unhommebienetjedétestaisluifairedelapeine.—Çava,Laney?Lavoixdouced’Ashmesortitdemestristespensées.—Non.Ils’assitenfacedemoidanslesiègequeCollinvenaitdequitter.Ilmepritla
main, simplement, en silence. Ses doigts chauds pressèrent ma paume puisvinrentsenouerauxmiens,sonpoucecaressantdoucementmapeau.—Tuastoutentendu?demandai-je,frappéesoudaind’unesortedetorpeur
écœurante.—Oui,répondit-ilsimplement,sesyeuxsombresimpénétrables.—Tucroisquej’aibienfait?Lapressionqu’ilexerçaitsurmesdoigtsaugmenta.—Unoiseaudansunecageestàl’abridel’aigle,maisnepeutpasvolertrès
loin.J’émisunpeupetitsonmoqueurplutôtdisgracieux.—C’estunproverbeslovène?Ashmesourit.—Non,c’estundictonàlaAljaž.—Jenesuispascertainequ’ilvaresterdanslesannales.—Dommage,ilmeplaîtbien.—Àmoiaussi,soupirai-je,latristessereprenantledessus.Jememisalorsàpleurervraiment:pourmoi,pourCollin,pourcesdixans
d’amitiéquiétaientpartisenfumée.Ashserapprochademoietmepritdanssesbrasenmeberçanttendrement.Nousrestâmesainsilongtemps.
Plus tard, quand je repensai à tout cela, je réalisai que jamais Collin n’avait
déclaréqu’ilm’aimait.Celavoulaittoutdire.
Chapitre14ASH
Lesmensongess’empilaientlesunssurlesautres.Difficiledes’yretrouver.Laplupartdutemps,Laneyetmoiprétendionsêtredesamis,saufquandnous
rencontrionslesautresdanseurs,oùnousdevionsjouerlecouplemarié.Au théâtre, ilsme posaient des questions sur elle, sur nous, alors qu’il n’y
avaitpasde«nous».Nousétionsamis,jelarespectais:lafaçondontellegéraitsamaladieforçaitmonadmiration.Maisiln’yavaitpasqueça:elletravaillaitduretétaitd’uneloyautéàtouteépreuveaveclesgensqu’elleaimait.Jefaisaiscommesimacarteverteallaitarrivertrèsbientôtalorsqu’enréalité,
jen’ensavaisriendutout.Le connard avait disparu du paysage, mais Laney ne semblait pas plus
heureuseetjemedemandaissielleregrettaitsaruptureetnotrefauxmariage.Lapolicen’avaitaucunenouvelledelaBratvaettouteslespromessesqu’ils
m’avaient faitescomme le faitque la justice serait renduesemblaientvidesdesens.Personnenem’avaitditsilajeunefemmeretrouvéeavaitétéidentifiée.Jevoyaissesyeuxvideschaquenuitdansmescauchemarsetjedevenaisdeplusenplusamorphe.Aucune nouvelle d’Yveta ou deGary non plus.Onm’avait juste dit que la
police de Las Vegas n’avait pas été capable de retrouver l’endroit décrit parMarta.Unautrecul-de-sac,unautreéchec.J’agaçaislachorégraphe,Rosa.Ellem’avaitprisàpartpourmedirequemon
travailmanquait de passion. J’étais en train de perdre la seule chose qui avaittoujoursétémabase.Lesrépétitionsnesepassaientpasbienetpasseulementàcausedemoi,maisjenepouvaispasenparleràLaney,pasaprèscequ’elleavaitdéjà perdu à cause de moi. Alors quand elle me posait des questions, jerépondaistoujoursquetoutallaitbien.Ladanseetmontempspasséauthéâtren’auraientpasdûêtreaussipénibles.C’est alors que Rosa démissionna après plusieurs engueulades mémorables
avec le producteur. Les idées de Dalano étaient sans aucune originalité etdépassées.Jedoutaisqu’ilaitinventéquelquechosedeneufdepuis42ndStreet
7.
Mark,lemetteurenscèneétaitlepetitamideDalano,doncilfaisaittoutcequ’illui disait. Après le départ de Rosa, la moindre étincelle d’originalité et decréativitédisparutcomplètement.Jen’avaisplusbesoindepassionmaintenant:
toutcequeMarkvoulait,c’étaitunmannequinencarton,copiedudanseurqu’ilétaittrenteansauparavant.Lapremièreduspectacleétaitprévuepourlapremièresemainededécembre.
Bientôt,ilfallutessayerlescostumes.Jefixaiavecdésespoirlepantalonenlamédoré, la veste queue-de-pie et le chapeau haut de forme assorti que je devaisporter.Cespectacleallaitêtreunecatastrophemémorable.Laney savait que quelque chose n’allait pas, mais elle avait accepté ce
mariageafinquejepuisseparticiperàceshow.Commentaurais-jepuluidirelavérité?Comme lorsqu’une tempête se profile à l’horizon et que la pression chute
brutalement,quelquechoseallaitcraquer.Lespectaclecommençaitlepremierweek-enddedécembreetseraitterminé,
je pense, aux alentours duNouvelAn.Après, je ne savais pas trop ce que jeferais.—Qu’est-ce qui ne va pas ?me demanda Laney pour la centième fois au
moins.—Rien…—Rien,vraiment?Tuvasbien.TuesOK.Iln’yaaucunproblème.C’estce
que tumerépètes tous les jours.Jemedemandepourquoi je teposeencore laquestion.Ellepoussaunsoupiragacépuissedirigeaverslacuisine.Toutdesuiteaprès,
j’entendislesondelamachineàcafé.Je me laissai tomber sur le canapé, les yeux fermés. Ces petites disputes
constantesétaientusantes.Parfois,j’avaisl’impressiond’êtremariépourdebon.Sauf que je ne couchais pas avec ma femme. Enfin, d’après ce que disaientcertainshommes,cen’étaitpasinhabituelnonplus.J’avaisvingt-troisansetjen’avaispascouchéavecunefilledepuis…Yveta.Monhumeurs’assombritencoreplus.Lapolicenel’avaitpaslocalisée.Jene
savais pas s’ils avaient vraiment cherché oumême s’il y avait eu lamoindreenquête.L’ignorancemetuaitlentement.J’essayaisdenepasypenser,maisdetempsentemps…Je sentis qu’on s’asseyait à côté de moi et j’ouvris un œil pour découvrir
Laneyquimetendaitunetassedecafé.—Onfaitlapaix?J’acquiesçaietprislatasse.—Tupeuxmeparler, tusais.Tupeux toutmedire,Ash.Quelquechose te
contrarie.Dis-moisimplementcequec’est.Jen’arrêtepasdemedemanderdequoiils’agit.Noussommesamis,tutesouviens?—Laney,jet’enprie…—Non, Ash. Je ne céderai pas cette fois. Dis-moi ce qui te rend grognon
commeça,insista-t-elleenserrantleslèvres.C’estmoi?—Non,cen’estpastoi,répondis-jeensoupirant,lesyeuxfixéssurlesol.—Alors,quoi?S’ilteplaît,nousn’allonspasjouerauxdevinettes.Jeposaimatassesurlatablebasse.—C’estlespectacle,finis-jeparlâcher.C’estnul.—Queveux-tudire?demanda-t-elleenfronçantlessourcils.—C’estdelamerde.Chiant.Aucunspectateurquiatoutesaraisonnevoudra
le voir. Ça m’étonnerait énormément qu’il reste un mois à l’affiche. Nous lesavons tous. Depuis que Rosa est partie, personne n’ose s’opposer à Dalano.Nous avons tous essayé de lui dire,mais il répète chaque fois que si nous nesommespascontents,laporteestouverte.Enfait,aucundenousn’avraimentlechoixdepartir,terminai-jeengrimaçant.—C’estçaquit’inquiète?Laneyavaitl’airpresquesoulagée,cequim’agaçaprodigieusement.—Oui,criai-je,c’estçaquim’inquiète!Tuastoutsacrifiépourmoietpour
un spectacle demerde qui ne durera pas unmois.Alors, désolé, si çame faitgravechier!—Nemecriepasdessus!hurla-t-elleàsontour,levisagerougedecolèreet
lesyeuxétincelants.Lesilences’abattitentrenousetj’euspresquel’impressiond’entendrebattre
soncœur.Elleme foudroya du regard, les yeux gris assombris. J’étais certain qu’elle
allaitmegifler.Jemecrispaidansl’attenteducoup,maiselleéclataderire.—Aumoins, tunedisplusque« toutvabien» !dit-elleensourianteten
enfonçant un doigt dans ma poitrine. Je comprends très bien la raison pourlaquelletunevoulaispasteconfieràmoietjesuisdésoléequecespectaclenesoitpasfinalementcequetuattendais,maisjenesuispasunefleurdeserre…jepeuxtoutentendre.—Jeneconnaisrienauxfleursdeserre,maistuesplutôtpetite.—Faisattentionàcequetudis!Jesaisissamainqu’elleessayaitd’enfoncerànouveaudansmapoitrine.—Jesuisdésolé,dis-jeplussérieusement.Tuessolide,jelesais.Ellemesourit,lesyeuxbrillants.Uneenviesoudainedel’embrassermesaisit
etjelaissaimesyeuxseposersurseslèvres.Elles’éclaircitlagorgeets’écartaunpeu,lesjouescramoisies.—Tusaisquec’estThanksgiving,cettesemaine?—Jecroisquej’avaisremarqué,oui,répondis-jeenhaussantlesyeuxauciel.IlauraitfalluêtreaveugleetsourdpourignorerquelesAméricainsentraient
dans la période des fêtes de fin d’année. Je ne comprenais pas bien ce qui sepassait, on aurait dit une répétition avant de fêter Noël.Mais cela impliquaitdeuxjoursderepos,cequimeferaitdubien.—Demoncôté,c’estunefêtefamiliale,cetteannée,c’estchezmatante…—Laney,toutiratrèsbien.Jemereposerai,jeferaimalessiveetjeregarderai
unpeulatélévision.C’estellequihaussaalorslesyeuxauciel.— Mais tu es invité, espèce d’idiot ! Ma famille meurt d’envie de te
rencontrer,surtoutmamère.—Vraiment?dit-ilenfronçantlessourcils.—Évidemment,j’aiunmystérieuxcolocataireslovène.—Ettonpère?—Ilseralàaussi,maiscelaneleregardepasquiestinvitéàThanksgiving,
c’estuneaffairedefemmes.Jeluijetaiuncoupd’œilsceptique.—Jet’assure,toutsepasserabien.Ilyaurabeaucoupdegens…etbeaucoup
de nourriture, ajouta-t-elle en me jetant un regard en coin. Ma tante Lydiacuisine trèsbien :de ladindefarcieà lasauceà lacanneberge,de lapuréedepommesdeterre,delatarteaupotiron.Jem’empiffretellementcejour-làquejesuisobligéededéboutonnermonpantalon.Çaneserefusepas!Monventregrondarienqu'àypenseretLaneyéclataderire.—Aumoins,unepartiedetoiadéjàaccepté.Bon,c’estdécidé.Apparemment,j’allaisfairelaconnaissancedemabelle-famille.
LANEYJe donnai rendez-vous àAsh à la sortie du théâtre.De là, nous prendrions laroutejusquechezmononclePauletmatanteLydiaquihabitaientàenvironuneheuredeChicago.Laplupartdesmagasinsetdesentreprises libéraient très tôtleurpersonnellaveilledeThanksgiving,maiscelanefonctionnaitpaspourlesrépétitionsetd’aprèsAsh,lemetteurenscèneleurenviaitleurlongweek-end.Ilyavaitbeaucoupdemondeautourdelasalledespectacleetjedusmegarer
plus loin. Les gens étaient déjà enmode vacances et il y avait foule dans les
magasins,desclientspressésquivenaientfaireleursachatsdedernièreminute.Ash m’avait donné le code de l’entrée des artistes, mais j’hésitais à
m’immiscerdanssonmonde.Mon haleine formait une petite brume dans l’air froid à chaque fois
respiration. J’avais du mal à me décider, mais l’allée sombre sur le côté duthéâtrefaisaitunpeupeur,cequiemportamadécision.Aumomentoùj’allaiscomposerlecode,laportes’ouvritd’uncoupetSarah
sortit,suiviedeplusieursdanseuses.— Laney ! Où te cachais-tu, bon sang ? hurla-t-elle à plein poumon. J’ai
demandé aumoins unmillion de fois à Ash que tu nous rejoignes. Oh, monDieu!—Quoi?Elle était tellement stupéfaite que je jetai un coup d’œil par-dessus mon
épaule,maisnon,cesyeuxétaientfixéssurmoi.—Mais…tumarches!— Euh, oui… dis-je en riant un peu gênée. Je n’utilise mon fauteuil que
lorsquej’aitrèsmal.Laplupartdutemps,jepeuxparfaitementmarcher.Ellemefixasansriendire,puiselleclignadesyeuxavantdesereprendre.—Waouh!Jeveuxdire…waouh!SarahétaittoujoursentraindemecontemplerquandAshsortitduthéâtre.Il
eutunbrefmomentd’hésitationennousvoyantensemble,maisilpassaunbrasautourdema taille etm’attira à luipourm’embrasser, faisant couriruneondebrûlantedematêteàmespieds.Jenecroispasquedesamismettentlalanguequandilss’embrassent,maisje
supposequec’étaitpourdonnerlechangeàsescollègues.Il sentait le gel douche à la menthe qu’il utilisait au théâtre, mais aussi la
cigarette.Jeluidemanderaisd’ailleursd’oùcelaprovenaittoutàl’heure.—Bonjour, chère épouse, dit-il, un large sourire aux lèvres enme laissant
glissercontrelui.—Salut,répondis-jed’unevoixsuraiguë.— Ah la la, vous deux… dit Sarah en secouant la tête. Laney, il faut
absolument que nous prenions un verre la semaine prochaine.Et cette fois-ci,pasquestionderefuser,mapetite!Elles’éloignaàgrandesenjambéesenagitantlamainau-dessusdesatête.—Elleesttoujourscommeça?—Oui,jel’aimebeaucoup,réponditAshenhaussantlesépaules.—Moiaussi.
Jemarquaiuntempsd’arrêt,remarquantpourlapremièrefoisqu’ilportaitlemêmepantalonquelejourdenotremariage,ainsiquesongrandmanteauqu’ilavaitlaisséouvert.—Tuesprêtàfaireconnaissancedelabelle-famille?—Lesmèresm’adorent,répliqua-t-ilenclignantdel’œil.—Tuenconnaisbeaucoup?Ilhaussalesépaulesavecnonchalance.— Les parents de toutes mes partenaires, répondit-il en souriant avant
d’ajouter:Mespartenairesdedanse,jeveuxdire.—Ettoi,tun’asjamaisamenécheztoiunepetiteamiepourlaprésenteràtes
parents,enfin,àtonpère?—Non,répliqua-t-il,levisagesombre.Bravo,tuasencoreréussiàluifaireperdresabonnehumeurenmoinsdedix
secondes.Troishommesdéboulèrentalorssurletrottoirmanquantdenousrenverser.Ils
empestaientl’alcoolettitubaient.Ashlâchasonsacdedansepourmerattraperquand je commençai à chanceler. Il ouvrit la bouche pour les appeler, maisquelquechoseattirasonattention.C’estmoiquimemisàcrierducoup:—Hé!Ilsfirentvolte-faceetl’und’euxlançaenmedésignantdudoigt:—Désolé,lanaine.Jet’avaispasvue!—Connard,marmonnai-je.Ash ne disait toujours rien, mais il les fixait avec une grande attention et
j’avaispeurqueçatournemalsinousrestionstroplongtemps.Jetiraisamancheetchuchotaisonnom.Il avait l’air ailleurs. Il finit par secouer la tête et ramassa son sac, se
détournantdugrouped’hommes.—Pédé!crial’und’entreeuxàAshetilséclatèrenttousderire.Jelesentissefigeràmescôtés,maisilcontinuaàmarchersansseretourner.—Quellepetitepédale!Ashhaussalesyeuxaucielenmarmonnantquelquechosequejenecompris
pas.J’espéraisjustequenousnousétionssuffisammentéloignésafinquecelanedégénèrepas.Maisleurchefrepritlaparole:—Ouais,ilpourraitmesucerlaqueue!JevisAshsetransformer:ils’assombritenuneseconde.Ilfitalorsdemi-tour
en lâchant son sac et seprécipitavers legrouped’hommes. Ils eurent l’airunpeusurpris,maisilsétaienttropivrespourbouger.
J’assistai,horrifiée,àlacoursefolled’Ashquipiladevantlepremierhommeetluibalançasonpoingdanslafiguresanssommation.Bam!Bam!Bam!Lesangjaillitdunezdutypeetilsemitàfairedesmoulinetsavecsesbras
avantdebasculerenarrièrecommeauralenti.L’éclairage jaunâtre de la rue créait des ombres bizarres autour de cette
horrible scène. Le visage d’Ash ressemblait à celui d’un démon alors qu’ilcontinuait à cogner.Cela se passa si vite, que seul le second homme tenta derépliquerenaccrochantlemanteaud’Ash.Lesdeuxautresgisaientsur le trottoirglacial, leursouffleformantunebuée
blanche comme celle des chevaux. Leurs traits révélaient leur douleur et leursurprise.Letroisièmeregardaitlascène,interloqué,soncerveauembruméparl’alcool
peinantàcomprendrecequivenaitd’arriver.J’étais totalement immobile, je n’avais pasbougéunmuscle,maisquand je
visAshs’emparerdudernieralorsqu’iln’essayaitmêmepasdel’attaqueretlefrapperencoreetencore jusqu’àcequ’il semetteàvomiret tombededans, jehurlai.—Ash,arrête!J’entendisalorslebruitsinistred’unecôtequisebrisequandAshluimitun
derniercoupdepied.Puis, ilhésitaet se tourna lentementversmoi.De l’autrecôtéde la rue, les
genscriaientetdeuxd’entreeuxavaientsortileurtéléphone,probablementpourappeler la police. Il fallait que nous filions vite d’ici sinon Ash allait passerThanksgivingdansunecellule.Etcettefois,jen’étaispascertainequemonpèrel’aiderait.Ash baissa son pied et sembla reprendre ses esprits. Il courut vers moi,
ramassasonsacetmepritparlamain,metirantderrièreluijusqu’àtourneraucoindelaruepourquenousnevoyonsplusleshommes.Mesdoigtsgourdsfouillèrentmonsacàlarecherchedemesclésdevoiture.
Ashmelespritcalmementdemesmainstremblantes,ouvritlaportièrepassageretm’aidaàm’asseoir.Puis il s’installa à la place du conducteur et démarra, le visage tendu, les
mainsagrippéesauvolant. Jen’avais rienvud’aussi…brutal auparavant.Cesivrognes n’avaient pas euune seule chance. Je ne suis pas certaine qu’Ash seseraitarrêtédelui-mêmesijenel’avaispasappelé.Ques’était-ilpassé?Nousétions en train de nous en aller. Qu’est-ce qui lui avait fait péter un câble ?
J’essayaisdemesouvenirdecemoment,maisjen’yparvenaispas.—Tuasvu?demandaAshbrusquement.—Oui!Je…monDieu,Ash!Ceshommes!C’était…Delafolie.Horrible.L’incompréhension se peignit sur le visage d’Ash avant qu’il se fige à
nouveau.—C’étaientdesconnards.—Oui,mais…—Tuesencolèrecontremoi?Leflotd’émotionscontradictoiresquim’envahissaitnepouvaitserésumeren
unmotoumêmeunephrase,jen’essayaimêmepas.—Tuasdusangsurtachemise.—Tuesencolèrecontremoi,dit-ilsimplement,lesdentsserrées.—Onauraitput’arrêterpouragression.—Jepeux rentrerà lamaison, si tuneveuxpasque j’ailledans tagentille
petitefamille,répliqua-t-ilsuruntonsarcastique.Maisilyavaitaussiunevulnérabilitédanssavoix,quimedonnaitenviedele
protéger.Pourtant,envoyantcommentilavaitrégléleurcompteàtroishommes,certesivres,maisquandmême,iln’avaitpasbesoindemoipoursedéfendre.—Non, c’est terminé.Mais… je n’arrive pas à croire… tu étais tellement
impitoyable.Le reste du trajet se passa en silence hormis quand je lui indiquai les
directionsàprendreenquittantlaville,directionsud.Cela ressemblait beaucoup à ce qui s’était passé lors de notre fuite de Las
Vegas.Ilyavaitlamêmetensiondansl’airentrenous,cettemêmeatmosphèrededoute.Jefinisparmerappelercequifonctionnaitàtouslescoupsaveclui:jemislaradio.Une tristechansoncountry résonnadans lavoitureavantqu’Ash trouveune
autrestationdejazzdeChicago.Sur la route, nous traversâmes la jolie petite ville deCanaryville où j’avais
grandi.Chaqueartèremerappelaitquelquechose;jereconnaissaiscesruesbienentretenues,cesarbrescentenairesetlarueSaint-Gabrielquiconcentraittoutelavieculturelledelacité.Mamèreallaitadorerqu’Ashsoitcatholique.J’étaiscertainequ’àNoël,elle
allaitletraîneràlamessedeminuit.Aussitôtquecette idéeme traversa l’esprit, je réalisaiqu’Ashne faisaitpas
partie de ma famille, même si un petit bout de papier disait le contraire. Ilpourrait trèsbien,maintenantqu’il avait de l’argent, aller passerNoël avec safamille,surtoutsilespectacles’arrêtaittrèstôtcommeillecraignait.Ladouleurquimetraversalapoitrinefutsivivequejepressailamainentre
mes seins. Et le frisson qui suivit n’avait rien à voir avec la froidure denovembre.Montéléphonesonnaalors,affichantlenomdemoncousinPaddy.—SalutPaddy!—Salut,gamine!Vousarrivezbientôt?—Oui,dansdixouquinzeminutes.Pourquoi?—Net’affolepas,maisCollinestici.—Collin?Ashmelançaunregardinterrogateurenentendantceprénom.—Oui,etilabu…—Ilneboitjamais.—Aujourd’hui,si.Tuferaisbiendetedépêcher,Laney.Parceque,euh…Ila
racontédestrucs.—Quoi?Qu’est-cequ’iladit,Paddy?—Dépêche-toi,Laney,secontenta-t-ilderépéteravantderaccrocher.—C’étaitbizarre.—Toutvabien?demandaAsh.— Je ne sais pas. Apparemment, Collin est chezma tante. Ça va être très
gênant.Quefait-illà-bas?Ashtapotad’undoigtlevolant.—Ilveutterécupérer.—Non,pasaprèslafaçondonttouts’estterminé.Tuasentenducequ’iladit.Ashne répondit pas et je passai lesdixminutes suivantes àmeposermille
questions.Juste avant d’arriver à Kankakee, je lui indiquai où il devait tourner et les
routesquenousempruntionsdevinrentdeplusenplusétroites.Nousfinîmespararriver devant unemaison d’un étage avec un porche blanc et entourée d’unebarrièreenbois.Celaluidonnaitunairdemaisondusudmalgrélefroidvifquiannonçaitlaneige.Je décrochaima ceinture de sécurité,maisAshme retint avant que j’aie le
tempsdedescendre.—Toutestbonentrenous,Laney?Jesavaiscequ’ilvoulaitsavoir,maisj’eusdumalàleregarderdanslesyeux.
Lasoudaineviolencedontilavaitfaitpreuvem’avaitdéstabilisée.Surtoutlefaitqu’il n’arrive pas à arrêter de frapper cet homme. Cela me poussait àm’interroger : connaissais-je vraiment Ash ? Je me souvenais très bien desparolesdemonpère.—Oui,répondis-jelentement.Maiss’ilteplaît,nefaisjamaisplusunechose
pareille.—Jenepeuxrientepromettre,répondit-ilensecouantlatête.Que se passait-il ? Qu’est-ce que signifiait ce regard inexpressif qu’il me
lançait?J’auraisvouluqu’ilseconfieàmoi,maiscen’étaitpaslemoment.— Juste… D’accord… mais laisse-moi m’occuper de Collin. En fait, je
préfèreraisquetumelaissesparler.Tuesd’accord?Ilsecoualatêteànouveau.Bonsang,Thanksgivings’annonçaittrèsdifficile
cetteannée.Je ne voulais pas rester. Pour essayer deme calmer, je passais en revue les
endroits horribles et cauchemardesques où je préfèrerais me trouver, mais jedécouvrisquemesdixdoigtsnesuffisaientpas.Dommagequejenepuissepascontinueravecmesorteils.Ash sortit les bagages du coffre ainsi que les sacs de nourriture. J’espérais
qu’ilauraitletempsdechangerdechemiseavantdevoirmesparents.Rassemblantmoncourage,jemontailesmarchesduperron,maisavantmême
que je puisse appuyer sur la sonnette, la porte s’ouvrit à la volée et unCollinrubicondettitubantsurgitdevantmoi.—Lavoilà!siffla-t-il.Lajeunemariéeeffarouchée.Ohnon!UnemainapparutderrièreluietPaddyempoignasachemisepourletireren
arrière.Jejetaiuncoupd’œilàAshdontl’expressionstupéfaitedevaitressembleràla
mienne.Mamèreetmatanteapparurentà leur touretm’invitèrentàentrerenm’étouffantdebaisersetdequestions.Ashmesuivitprudemmentetj’entendisqu’ildéposaitlessacssurleparquet.—Qu’est-cequec’estqueceshistoires,Laney?demandamamèreavantque
j’aiepuouvrirlabouche.C’estvrai?—Laisse-laentrer,tuveux?grondamatanteLydia.—Noussommesdanslacuisine.Mamèreme foudroya du regard avant demarcher d’un pas décidé vers la
cuisinequisetrouvaitaufonddelamaison.Jejetaiuncoupd’œilàAshquihaussalesépaules.Ilmepritparlamainetje
serraisesdoigtsaprèsuncourtmomentd’hésitation.Une délicieuse odeur, chaleureuse et épicée, se dégageait de la cuisine, des
arômesdecidrechaudetdecannelle.Jeprisunegrandeinspiration,megorgeantdecetteodeurfamilièredemonenfance.MonpèreavaitdéjàprisplaceàtableavecmononclePaul.Ilstenaienttous
lesdeuxunverredebière.Collins’écroulasurunechaise,unsouriremenaçantauxlèvresetleregardaccusateuretblessé.—Tuvasnieravoirépousécetype?—Ashestmonmari,oui.Toutes les personnes dans la pièce me regardèrent, interloquées, y compris
Ash.Maisilsereprittrèsviteetaffichaunsourirefieravantdepasserunbrasautourdemesépaules.—J’aibeaucoupdechance,affirma-t-ilavecuneconvictionétonnante.Jem’assis en face de Collin, mes genoux cédant soudain sousmoi et Ash
s’installa sur la chaise voisine. Tout le mondeme fixait et la pièce me parutd’une chaleur étouffante. Je défis quelques boutons de mon manteau en medemandant si nous ne ferions pas mieux de faire demi-tour et de rentrer àChicago.Ash me prit la main sous la table. Je lui lançai un bref regard, mais il ne
quittaitpasdesyeuxmonex.Collin souleva son verre et nous porta un toast en renversant la moitié du
liquidequisetrouvaitdedans.—Auxjeunesmariés!Paddyluipritsonverredesmainsetversalabièredansl’évier.—Tuasassezbu,mec.Collinn’étaitpasassezivrepoursedisputeravecPaddyqui,commetousles
hommesdemafamille,étaitunhommecostaud,pompierdesonmétier.—Laney?demandamamèreenmeregardant,lesyeuxécarquillés.—Euh…ehbien…Jem’éclaircislagorgenerveusement;j’avaisl’impressiond’avoirtreizeans
etpaspratiquementtrente.Collinéclatad’unriretonitruant.— Il s’est marié avec elle pour avoir une carte verte. Quelle pourrait être
l’autreraison?Jepiquaiunfard.La main d’Ash serra la mienne encore plus fort et il me jeta un regard
interrogateur, attendant que je réponde.Mais je ne savais pas quoi dire. Je lui
avaisdemandédegarderlesilence,maisjenetrouvaispasmesmots.Ashlevamamainjusqu’àseslèvresetdéposaunpetitbaisersurmesdoigts.—Laneyestmonrayondesoleil,dit-ilsimplementavantd’affichercesourire
éclatantdontilavaitlesecret.Cela suffit à conquérir toutes les femmes de la pièce, mais pas mon père,
évidemment.—Laney,àquoipensais-tu?Lafraudeàl’immigrationestpunieparlaloi.Lamain d’Ash écrasa violemment lamienne etma bouche s’assécha.Mon
pèremeregardaitavecuneexpressionpleinededésappointement.—Je…Jen’arrivaistoujourspasàtrouverlesmots.—Jesaisquejenesuispaslegendredontvousaviezrêvé,intervintAsh,le
regarddécidé.MaisjetiensbeaucoupàLaneyetjeprendraisoind’elle.Monpèreluilançaunregardfurieux;iln’avaitplusrienduflic,maistoutdu
pèrefouderage.Ilclignadesyeuxetdétournaleregard,l’airabattu.—J’auraisdûm’endouter,marmonna-t-il.— Quand… depuis combien de temps… êtes-vous vraiment mariés ?
demandamamère,toujoursaussiméduséeetblessée.Jehochailatête.—LepèrePatricknenousariendit!—C’étaitunmariagecivil,maman.Ellesecoualatêteetserraleslèvres.—Quand?répétamonpère.Jepassaimalanguesurmeslèvresetjetaiuncoupd’œilàCollin.—Ilyatroissemaines.Ladouleurqu’exprimasonvisageétaitinsupportable.— Il y a trois semaines ? Mais il y a deux semaines, je t’ai demandé de
m’épouser!Tunem’asriendit!Maispourquoi?Pourquoi?—Jesuisdésolée.MonDieu,celasemblaittellementinadéquatdedireça.—Etvouscouchiezensembledepuisledébut?Lapièceexplosalittéralement.Ashrenversasachaiseenselevantd’unbond
avantdefaireletourdelatableàtoutevitessepouratteindreCollin.MaisPaddyledevançaetlesoulevaparlecoldesachemise,quicédasouslapression.Onentendit le son qu’il fit en se déchirant.Collin retomba sur la table, envoyantvalserlesverresetlesassiettes.TanteLydiahurlaetmonpèresemitàbrailler.Letoutsedérouladansuneatmosphèrededésordreindescriptible.
LesfrèresdePaddy,StephenetEricretenaientAsh,enbloquantsesbrasdansson dos ; celui-ci se débattait commeun forcené. Il hurlait en slovène, ce quiressemblait à des insultes. Oncle Donald déboula dans la cuisine pour venirprêter main-forte à mon père et Oncle Paul qui sortaient Collin de la pièce,mêmes’ilneluttaitplusvraiment.Ash n’arrêta pas de crier sur Collin pendant tout le temps qu’il fallut pour
l’éloigner.—Ash,non!Pourlasecondefoiscesoir,jedevaisessayerdecontrôlerAsh.Ilétaitencore
dominépar la fureur,mais reprenaitprogressivement soncalme. Il arracha sesbrasauxmainsquileretenaientetsortitdelapièce.Paddymeregardaensouriant:—Ehbien,ças’estbienpassé!—Tais-toi.—Sérieux,Laney,tut’esmariéeaveccetype?—Sérieux,oui.Paddyhaussalesépaules.—Aumoins,tun’aspaschoisileconnard.— Pourquoi tout le monde l’appelle-t-il comme ça ? Collin n’est pas un
connard.Ilestjuste…—Unconnard,lancèrentStephenetEricenchœur.—Ilestblesséetencolèreetjenepeuxpasluienvouloir,dis-jeensoupirant.—Ilt’aréellementdemandédet’épouser?—Oui.OhmonDieu!Jesuistellementnulle!Paddypassasonbrasautourdemesépaules.—Mais non.Mais bon, tu as réussi à animer la soirée de façon imprévue.
Allez,viens.Jeveuxfairelaconnaissancedel’hommequiaréussiàtepasserlabagueaudoigt.—Ondiraitquej’étaisunevieillefille.Paddymefitunclind’œil.—C’esttoiquiledis!Jeluifisundoigtd’honneurquidéclenchasonhilarité.Ashétaitassissurleperronetregardaitlesétoiles,unecigaretteauxlèvres.—Jesuistellementdésolé,Lan.Quand il aperçut mon cousin qui m’accompagnait, il s’interrompit et se
redressad’uncoup,écrasantsacigaretteetprenantuneattitudedéfensive.—Bienvenuedanscettefamille,ditPaddyensouriantetenluidonnantune
tape sur l’épaule. Tu as un sacré mauvais caractère. Tu n’as pas du sangirlandais,parhasard?Ashsecoualatêteetmejetauncoupd’œil.JedonnaiunpetitcoupàPaddyetfis lesprésentations,puisnousrentrâmes
danslamaison.—Ehbien,dittanteLydiaenavançantdanslecouloir.Collinestentrainde
cuverdansunedeschambresd’amis,donc…commevousêtesmariés,jevousaiinstallésensemble.Suivez-moi.Ellenousconduisitjusqu’àl’unedespluspetiteschambres.— Je suis désolée, Laney, lança-t-elle alors que nous nous serrions dans
l’espaceexiguenregardantlelittrèsétroit.Jepensaisquetudormiraisici,seule.JevoulaismettreAshdansl’autrechambre,mais…—C’esttrèsbien,tanteLydia,dis-jedoucement.—Jevouslaissevousinstaller,dit-elleenjetantuncoupd’œilàAsh.Après,
j’espèrequenouspourronsfairelaconnaissancedetonmaridansdemeilleuresconditions.Ellefermalaportederrièreelleetjem’effondraisurlelit.—Quelcauchemar!gémis-je.JesentislematelassecreuserquandAshs’assitprèsdemoi.—C’estpeut-êtremieuxcommeça.Jemetournaiversluienlefoudroyantduregard.—Jenevoispasenquoi.—Nousneseronsplusobligésdementir.— Tu plaisantes ? Bien sûr que nous allonsmentir. Tu ne connais pasma
famille!Ilsvontnousposerdesmilliersdequestions.Mamèrevainsisterpourqu’ilyaitaumoinsunebénédictionàl’égliseetnousseronslesujetfavoridediscussionpoureuxpendantaumoinsdixans!—Ilspasserontviteàautrechose,ditAshenhaussantlesépaules.Jeleregardai,lesyeuxécarquillés.— Dans deux ans, nous serons divorcés, n’est-ce pas ? Donc ce sera vite
passé.—C’estvrai.Ilémitunpetitriresansjoieetmetournaledos.Jedéboutonnaimonmanteauetlejetaisurlepetitlit.—Jevaisdescendreetessayerdecalmerlejeu,jenesaispas…Enrevanche,
prépare-toiàentendrebeaucoupdequestions.Jeposaimamainsursajoueetajoutai:
—Jesuisdésolée.Ilmesurpritenappuyantsajouecontremamain,lesyeuxclos.—C’estmoiqui devraism’excuser,Laney. Je suis tellementdésolé…pour
tout.Je soupirai et caressai la barbe naissante sur sa joue. Puis la petite bulle
d’intimitéquinousentouraitéclataetils’écarta.Jem’apprêtaisàsortirquandjem’arrêtaidevantlaporte.—N’oubliepasdechangertachemise.Ashregardalesangquimaculaitlecotonblancethochalatête.
Chapitre15ASH
Celan’auraitpaspuêtrepire.Engénéral, les parents demes copinesm’appréciaient : lesmères adoraient
quejesoisdanseur,lespèresaimaientquejetravailledanslebâtiment–c’étaitun travail d’homme stable. La famille de Laney devait me détester depuis ledébut pour l’avoir mise en danger. Dieu seul savait ce qu’ils pensaientmaintenant.Leconnardauraitàmefournirquelquesexplicationsquandilauraitdessoulé.Maiscen’étaitpasleplusgrave.J’avaispétéuncâblepuisunsecondcesoir.
J’étais un homme plutôt sympa à la base. J’étais compétitif, j’aimais gagner,mais je n’avais jamais été violent. Mais cela avait bien changé. J’avais euvraiment envie de défoncer ces types dans la rue, de leur faire mal. De lesachever.Je regardaimesphalangesenflées, frottant le sangséché.MonDieu, j’avais
presque tué ce type. Si Laney ne m’avait pas arrêté, c’était ce qui aurait puarriver.Quandilm’avaitditdelesucer,j’avaisentendulavoixdeSergei,j’avaisvu
sonvisageetjen’avaispaspum’empêcherdelefrapper.Dansmonesprit,c’estSergeiquejedéfonçais.Jevoyaissonexpressionperversequandilm’avaittenuenjoue,quandilsemasturbait,quandilavaitfourrésonsexedansmabouche.J’avaisenviedevomir.Jemedébarrassaidemonmanteauetempruntai lecouloir jusqu’àceque je
trouveunepetitesalledebain. Jevomisdans les toilettes, l’estomac tordupard’épouvantableshaut-le-cœur.Jenemesentirais sansdoutepasdifféremment tantque je sauraisquecette
ordurevivaittranquillementquelquepart,prêtàruinerlavied’autrespersonnes.Jem’essuyailevisageavecmamanchepuisretiraimachemiseetm’enservis
comme serviette. Il y en avait une dans la chambre, mais je n’avais pas lecouragederetournerlachercher.Jemedonnaiunpeudetempsafindelaissermonestomacsecalmer.La salle de bain était jolie, accueillante avec une baignoire sur pieds à
l’ancienneetdesplacardsenpin.Jen’avaisrienàfairedanscedécor.Quandjesortis,ungamindetreizeouquatorzeansattendaitdanslecouloir,
appuyécontrelemurentraindejouersursontéléphone.Ilnem’adressapaslaparolequandilmecontournapourentrerdanslasalle
de bain ; je me contentai de lui faire un signe de tête. Mais soudain, ils’exclama:—Ehmec!Qu’est-cequiestarrivéàtondos?Jebalançaimachemisesurmonépaule,dissimulantainsiquelquescicatrices.—J’aieuunaccident.—Waouh ! C’est horrible ! Super ! lança-t-il avant de regarder encore et
d’ajouter:Ondiraitquetuasreçuaumoinsunecentainedecoupsdecouteau.—Oui,c’étaituntruccommeça.Ilhochalatête,l’airentendu.—Génial.TueslemaridetanteLaney.Toutlemondeparledetoi.Ilfermalaporteetj’entendisleverroutourner.—Génial,confirmai-je.Jeregagnailapetitechambreetenfilaiuntee-shirtproprequejetrouvaidans
monsac.Jen’avaisqu’uneseuleautrechemiseetjelagardaispourdemain.Puisjem’aperçusque j’avaisdes tachesdebière surmonpantalon.Cela remontaitsansdouteaumomentoùleconnardavaitsecouésonverre.J’enfilaimon jean à la place et revins dans la salle de bain à nouveau vide
pournettoyermonpantalon.Celamerappelaitmescompétitionsdedansequandjecouchaisdansdeshôtelsminables.Jen’avaisquetrèspeudechosesavecmoi.Jeprisenfinunegranderespirationavantderedescendre:show-time!Lamaisonétaitbondée.J’eusbeaucoupdemalàtrouverLaneyparmitousces
hommesrouxquiétaientselontouteévidencedelafamilledesonpère.Ilyavaitbiensûrlacouleurdecheveux,maislafaçondontilsmeregardaient,commesij’étais un suspect, était très révélatrice. Laney m’avait dit qu’ils étaient touspompiers, mais on aurait plutôt dit des policiers. Je me demandai ce qu’ilssavaientexactement.MonDieu,tout,peut-être.Je finis par découvrir Laney dans une pièce qui jouxtait la cuisine. Elle
épluchaitdeslégumes,maisellesemblaitsurtoutsubiruninterrogatoireàmonpropos de la part des femmes qui étaient assises autour d’elle. Je posai mesmainssursesépaulesetembrassai lesommetdesoncrâne.Cen’étaitpasquepourlagalerie,jevoulaism’excuseraussi.—Mojsonček,chuchotai-jequandellemeregardaensouriant.—Tumedirasunjourcequeçaveutdire?—Non.
Je réalisai alors que la pièce était devenue silencieuse et que tout lemondenous observait. Laney me lança un regard de conspirateur et reprit sonépluchage.Legaminquej’avaiscroiséplustôtsefithurlerdessusquandilvolaundes
cookiesquisortaientdufour.J’auraisprobablementfaitlamêmechosesij’avaispenséquejepouvaisnepasmefairerepérer.—Jem’ennuie,lançalegamin.PersonneneveutjoueravecmoiàBlackOps
III.— C’est normal, Nolan, personne ne veut jouer à ces horribles jeux. Va
regarderlatélévision.—Jevaisjoueravectoi.Laneyrelevabrusquementlatête.—Quoi?—Jenesavaispasquetuaimaiscestrucsdegeek.—Cen’estpasuntrucdegeek!C’estcool!semoquaNolan.Je lui fis un clin d’œil et suivis le gamin qui louchait à nouveau sur les
cookies.Laney eut pitié de lui et nous donna deux gâteaux chacun en ignorant les
protestationsdesautresfemmes.—Alleztirersurdesbestioles!dit-elleenriant.Letempsd’uninstant,monhumeurs’assombrit;sij’avaiseuunearmequand
j’étaissousladominationdeSergei…Samèrem’arrêtaalorsquejecroquaisdanslebiscuit.—Laneynousaditquevousétiezdanseur,Ash.Jemâchaietavalaitrèsvite.—Oui,madame,toutàfait.—Jesupposequ’onpeutdirequecen’estpasuneprofessionquigarantitun
emploirégulier.—Eneffet,madame.—Alorscommentallez-vousfairepourentretenirmafille?—Maman ! s’exclamaLaney. Jem’entretiens très bien toute seule.Depuis
longtemps.— Dieu du ciel, Laney ! Pas la peine de me sauter à la gorge ! J’essaie
simplementdefaireconnaissanceavectonépoux.— Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez, Madame
Hennessey.—Non,maman,tunepeuxpas,répliquasèchementLaney.
Un silencegêné s’abattit dans la pièce. Je décidai alors d’emboîter le pas àNolan.
LANEY—Iljoueencoreauxjeuxvidéo?Maisquelâgea-t-il?demandatanteLydiaenarquantlessourcils.—Beaucoupdegensaimentça,maispuisquetuposeslaquestion,ilavingt-
troisans.—Ilfaitplusjeune.Parfois,c’étaitvrai, surtoutquand ilvenaitdese raser,mais l’expressionde
sesyeuxétaitcelled’unhommebienplusâgé.Ilsavaientvubientropdechoses,surtoutdesmauvaises.—Laneyfaitplusjeune,elleaussi,intervintmasœurBereniceenmefaisant
unclind’œil.Jedoisreconnaîtrequec’estunsacrébeauspécimen.Bonchoix,sœurette.—Vraiment,Bernie!Iln’yapasdequoirire,gémitmamère.Puisellereportasonattentionsurmoi.—Ettuconnaissafamille?Ilenabienune?Quepense-t-elledecemariage
secret?Àmoinsqu’euxsoientaucourant.Mamèreparlaitdefaçontrèsagressive.Jel’avaisblessée,jelesavais,doncje
meretinsderépliquervertementetrépondiscalmement:—Samèreestmortelorsqu’ilavaitquinzeanset iln’estpastrèsprochede
sonpère.Ashaquittésafamillequandilavaitdix-huitansettravailledepuiscemoment-làdanslebâtiment.—Bon,jesupposequec’estdéjàquelquechose,grommela-t-elleàregret.—Sapassion,c’estladanse.Ilagagnédescompétitionsdanssonpays,mais
ilvoulaitélargirsonhorizon.—Etils’estretrouvémêléàdesombresaffairesàLasVegas,ajoutamamère.
Ilyadesgenscommeçaquiattirentlesennuis.Jeposaibrutalementmoncouteausurlatableetmelevaid’unbond.—Depuis son arrivée dans ce pays, il n’a connu que des agressions et des
abus.J’attendaisdemafamillequ’elletraitemonmaribienmieuxqueça.Jesortisentrombedelacuisine.Enrèglegénérale,jen’étaispasdugenreà
m’en aller en furie ainsi, mais ma mère me cherchait depuis longtempsmaintenant.Ehbien,elleavaitfiniparmetrouveretjerefusaisqu’ellefasselamêmechoseavecAsh.Mesonclesetmescousinsétaient tousdans lesalonen trainderegarderun
filmd’actionavecmonpère. Ilyavaitdesenfants,excitésetbourrésdesucrepartout. J’aidai Lottie à tresser ses cheveux et intervins pour séparer James etKevinquisedisputaient.Desbruitsd’explosionsetdetirsmeguidèrentverslebureaud’onclePauloùjetrouvaiAsh,lesyeuxplissésparlaconcentration,assisà côté de Nolan. Je les observai un moment avant qu’Ash finisse parm’apercevoir.—Toutvabien,Laney?—Biensûr,dis-jeenriant.Quepourrait-ilsepasserdemal?Ilm’adressaunsourireironique,maisc’estNolanquirépondit:—Papyetmamienesontpascontentsparcequ’ilspensentqu’ils’estmarié
avec toipour resteràChicago.OnclePaddyditqueçanenous regardepasettanteCarmenquetuauraisdûtemarieravecCollin.Maisjenel’aimepas…Ilnem’adresse jamais la parole. J’aurais bien voulu te voir te disputer avec lui.TrishaetAmeliadisentqu’ilestmignon,maisellessontnulles.LadiarrhéeverbaledeNolanstupéfiaAsh.Nolansouffraitd’uneformelégère
d’autismeetavaitparfoisdumalàrespecterlesrèglessocialeshabituelles.Maiscommeça,noussavionsaumoinscequetoutlemondepensait.—D’accoooord!Jevaisallerm’allongerunpeu,Ash.Rejoins-moiquandtu
aurasterminé.Ilacquiesçaaumêmemomentoùuntrucexplosaitsurl’écran.Jelelaissaise
débrouilleravecça.J’avaisespérééchapperàmafamilledecettefaçon,maisjevenaisàpeinede
m’asseoirsurmonlitquemamèrefrappaàlaporteetentrasansattendremonautorisation.—Maman,je…—Tuvasm’écouter,LaneyKathleenHennessey.—Pourquoi?Tuasclairementexprimétonavisd’oresetdéjà,doncpourquoi
t’écouterais-jeencore?—Parcequejesuistamère,reprit-elleaprèsunmomentd’hésitation.—EtAshestmonmari,doncfaistrèsattentionàcequetudis.Elleécarquillalesyeuxetchangeavisiblementsaquestion:—Tuaimescegarçon?—Cen’estpasungarçon,répliquai-jeavantdefermerlesyeuxetdeprendre
une grande inspiration. Il est extraordinaire, maman. Et tu le verrais si tu luilaissaisunechancedetelemontrer.Ilestgentiletdoux,trèsdrôle.Il travailleduretabeaucoupdetalent.Jesuistrèsfièredelui.Elles’assitsurlelitprèsdemoietpassasonbrassurmesépaules.
—Tul’aimes?Ashétaitentrédansmavie,auréolédeviolenceetderage,maischaquefois
que je le voyais, il me faisait sourire ; quand il entrait dans une pièce, ill’illuminait. Les deux fois où il m’avait embrassée, ses caresses m’avaientenflammée.Maisjenepouvaispasmentiràmamère.J’essayaidetrouverlesmotsjustes
etdéglutisnerveusement.Mamèreobservamonvisagepuisellem’embrassasurlajoue.—C’esttoutcequej’avaisbesoindesavoir.Hein?Aprèssondépart,jem’allongeaisurlelit,meremémorantnotreconversation
etmedemandantcequ’elleavaitvouludire.Qu’avait-ellevusurmonvisagequil’avaitfaitsourirecommeça?Jemeréveillaiquandlaportes’ouvrit,laissantfiltrerlalumièreducouloir.—Lan?—Jesuisréveillée,toussotai-je,lavoixrauque.Ashs’assitsurlelit,lacuissepresséecontrelamienneetilfrottadoucement
monépaule.—Ledînerestprêt.—Déjà?Je jetai un coup d’œil à ma montre et découvris avec surprise que j’avais
dormiplusd’uneheure.—Waouh, jenevoulaispasfaireunesiesteaussi longue.Jesuisdésoléede
t’avoirlaissétoutseul.Ças’estbienpassé?Ilritdoucement.—Tafamilleestsympa.Cenesont toutdemêmepasdesmonstres,Laney.
Toutvabien.—Jesais,maisilssontlourdsparfois.Nous descendîmes l’escalier ensemble. En bas, Ash prit ma main et
l’embrassa.Jejetaiuncoupd’œilautourdemoi,croyantquej’allaisapercevoirquelqu’un,maisnon,iln’yavaitquenous.Moncœur,unpeuperplexe,manquaun battement. Je lui lançai un regard interrogateur, mais il se contentad’esquisserunsourire.J’avaisenviedeluidemandercequecebaisersignifiait.Jenecomprenaisplusriencesoir.J’entendisqu’onnousappelaitetnousentrâmesdanslacageauxlions.Celasepassamieuxquejem’yattendais.Mapetitecolèrede toutà l’heure
avait porté ses fruits, sansdoute.C’était çaou alorsmamère avait donnédesinstructions à tout le monde. Les gens étaient gentils, même si mon pèrecontinuaitàlancerdesregardsmenaçantsàAsh.Mais ils n’arrêtaient pasdenous regarder.SurtoutAsh. Ils lui lançaient des
petits regards en douce, comme s’il était un flamant rose qui s’était posé parerreurdansunemareauxcanards–unspécimenétrangeetfascinanthorsdesonmilieu.Ilétait tellementdifférentdeshommesdema famille. Il étaitplusmat,plus
exotique.Ilparlaitavecunaccentunpeutraînantquifaisaitqu’ilneséparaitpasbienlesmots,surtoutquandilparlaitvite.Maistoutlemondefaisaitdesonmieux.Eric et Ash commencèrent à parler de football à ma grande surprise. Ash
révélaqu’ilétaitungrandsupporterd’uneéquipedeBarcelone.Jedemandais’ilyavaitdecélèbreséquipesdefootenSlovénie,maisAshetEricéclatèrenttousles deux de rire devantmon ignorance évidente de ce sport et je préféraimetaire.Ashs’ensortaittrèsbienentoutcas.JecommençaiàmedétendredepuisqueCollinavaitouvertsagrandebouche.
Je pensais avoir compris comment il avait tout découvert : un de ses amisd’universitétravaillaitaubureaudelamairieoùnousnousétionsmariés.Jenesavaispasqu’ilsétaientaussiproches,mais je supposaisque lescirconstancesétaient assez inhabituelles pour qu’Andy en touche un mot à Collin. Cela nechangeaitpasgrand-chosedetoutefaçon.Ashavaitraisonsurunpoint:j’étaissoulagéequemafamillesoitaucourant.
Je l’observai alors qu’il parlait avec animation, débordant littéralementd’énergie ; ilétait tellementdifférentde l’hommeencolère,prêtàexploserdetoutàl’heure.Celamerappelaitaussiquejeneleconnaissaispastrèsbien,monmari.J’auraisletempsdeledécouvrirmêmesinotremariageseterminaitdansdeuxans.Après avoir ingurgité autant d’alcool et de nourriture, Ash avait les joues
rougesetleregardbrillant.Ilmesouritetsepenchapourm’embrasserdanslecou.Malgrélachaleurdanslacuisinesurpeuplée,unpetitfrissonmeparcourut.Était-il un si bon acteur ? Ça avait l’air tellement vrai, mais est-ce que ça
l’étaitvraiment?Soudain,onentenditenprovenancedusalon,lespremiersaccordsdemusique
celtique.—Allez,rigolaPaddy,montronsàAshcequec’estquevraimentdanser!Mafamilleétaitirlandaisejusqu’auboutdesongles:lamusique,ladanse,la
Guiness.J’étaisvraiment l’intrusechezmoi : j’étais laseuleànepasavoirhéritédes
gènesdelagrandetailleetdescheveuxrouxdelafamille;j’étaislaseuleànepasavoirlemoindresensdurythmeetquinebuvaitpasunegouttedeGuiness.Ash suivit la bande qui se dirigeait vers le salon, puis réalisa que je ne le
suivaispas.Ilfitdemi-touretm’obligeaàquitterlatable.—Viens!—Ash,non!dis-jeenriant.Il me tira à sa suite dans le salon, ignorant les sourires moqueurs. Tout le
monde savait que j’étais nulle, incapable de danser deux pas. Mais Ash mesoulevaetmefittourbillonner;jenetouchaismêmepluslesol.J’accrochaimesbrasà soncou, riant auxéclats envoyant son sourire espiègle.Nousdansionstoutautourdelapièce,mespiedssebalançantauniveaudeseschevilles.Nousdansionstouslesdeux,parfaitementenharmonie,parcequejesuivais
sonrythme.Sesbrasmusclésétaientenroulésautourdematailleetmajoueétaitposéecontrelasienne.AvecAsh,jesavaisdanser.Nouspassâmeslafindelasoiréeavecmafamilleetcefut trèsagréable.Ils
avaientencoredesquestionsànousposer,maisilsnouslaissèrenttranquilles.Lasituationsecorsaunpeuaumomentducoucher.Aprèstout,cen’étaitpas
lapremière foisqu’Ashetmoipartagionsun lit,mais celui-lànenous laissaitpasbeaucoupd’espace.Jemetenaistoutaubord,prêteàbasculerdanslevide,cependant,quellequesoitlafaçondontjem’allongeais,unepartiedemoncorpstouchaitAsh.Au bout de plusieursminutes à lutter pour trouver une positionconfortable,Ashémitunpetitsonagacéetmeforçaàmecouchersurlecôtéetcollasoncorpscontremondos.—Dors!ordonna-t-il,sonhaleinechaudecaressantmanuque.
C’estlecouded’Ashquivintcognerdansmescôtesquimetiradusommeil.Ilsemit à crier. Puis il balbutia quelquesmots incompréhensibles et poussa unlonggémissementpendantquesoncorpstressautaitviolemment.Jeluttaipourmelibérerdesesbrasetroulaisurlecôté.Jevisalorsqueses
yeux étaient fermés et qu’une fine pellicule de sueur brillait sur son visagefaiblementéclairéparlalune.—Ash,réveille-toi!Ilhurlaànouveaupuiss’assitd’uncoup, lesyeuxobscurcisparunvoilede
panique.Saréactionfutrapide,maistotalementinattendue.
Ilabattitsabouchesurlamienneavecunetelleforcequ’ilécrasameslèvreset je poussai un petit cri lorsque son corpsme plaqua sur lematelas. Sous lechoc,jepoussaidetoutesmesforcessursesépaules,maisilnesedéplaçaqu’unpetitpeupourpouvoirdéposerdesmotsdansmoncou,sesmainsplaquéessurmataille.—Laney,marmonna-t-ild’unevoixétranglée.Mafemme.Était-ceunétatdefait?Unequestionouuneinvitation?Jen’ensavaisrien,maisjeperçusparfaitementledésirdanssavoixetquand
samaineffleuraunedemeshanches,moncorpscéda.Cela faisait des semaines que je niais que j’avais envie de lui. Cela faisait
deuxmois que nous ignorions notre attirancemutuelle. Cet homme avait faitirruptiondansmavieetl’avaitilluminée.Ilétaitlapiècequejecherchais.—Ash,jeveux…—Laney,j’aibesoin…Nousavionsparléenmêmetemps,maissaboucheglissasurmagorge,puis
maclaviculeets’ilavaitd’autreschosesàdire,ilneterminapas.Puissesdentsse refermèrentà traversmonpyjamasurmon tétonérigéet jepoussaiunpetitcri.Ils’agenouilla,arrachantsontee-shirthumidependantquemesmainsavides
faisaient glisser son boxer sur ses hanches et ses fesses. Il s’en débarrassarapidement.Pendantunbrefinstant,soncorpsfinetélancéapparutdanstoutesagloire:sescuissessolides,sonsexeenérection.Ilseplaçaau-dessusdemoietremontamon tee-shirt avec lesdentspendantqued’une seulemain, ilbaissaitmonpantalon.Unesecondeaprès,ilétaitenmoi,alorsquej’étaisàpeineprête.Je criai quand il m’obligea à remonter mes genoux pour s’enfoncer plus
profondément encore et cette fois, un éclair de plaisir courut le long de macolonnevertébralepourtermineraucreuxdemonventre.Ilavaitlesyeuxfermés,lefrontplissé,latêtebaissée.Il enfouit le visage au creux de mon cou en allant et venant en moi si
brutalement que le lit tremblait et grinçait. J’avais raison : il faisait l’amourcommeildansait,avecintensitéetpassion,avecuneconcentrationtotale.Je me sentais indispensable, nécessaire, totalement femme, désirable et
désirée.C’étaitsisoudain,sifurieuxeturgent;celacomblaitunintensebesoindontje
n’étaismêmepasconsciente–c’étaitsisurprenant,sichoquant,sigrisant.Ilavaitsuffid’unefoispourquejesoisaccro.
Jem’accrochaiàsesépaulesalorsqu’ilmemartelait,enessayantd’enroulermes jambes autour de sa taille, mais il allait et venait avec une telle vigueurerratiquequejen’yarrivaispas.Toutcequejeparvenaisàfaire,c’étaitleserrercontremoi.Lasueurcollaitsapoitrineàlamienne;ilécrasaitmesseinsdefaçonpresque
douloureuse.Iljouitbrusquementengrognantetlasensationdesonspermechaudenmoi
mefitcrier.—Ash!Quandilentenditmavoix,ilsefigeaetrelevalatête,meregardantlesyeux
écarquillésetinterrogateurs.—Laney?Ilmefixait,incréduleetchoqué.Jepoussaiunnouveaupetitcri,monclitoris
envoyantdespetitesétincellesdeplaisirdanstoutmoncorps.—Jerêvais,murmura-t-il.Jecroyaisquejerêvais.—Celam’asemblétrèsréel,chuchotai-je,enrelâchantmonétreintesurses
épaules.Il se retira brutalement,me faisant tressaillir et couler son sperme dans les
draps.Lagênes’installa,pénible,entrenousdeux.Ils’assitsurleborddulit,latêteentrelesmains.—Merde, je suisdésolé,Lan,dit-il, lecorps tremblant.Mojsonček, je suis
tellementdésolé.Jenesavaispasquoidire.Moncorpsétaitchaudetapaisé,maismoncerveau
turbinaitàmilleàl’heure.—Je…euh…devraisallerfaireunepetitetoilette,marmonnai-je.Jeprismarobedechambrequigisaitsurlesoletmarchairapidementjusqu’à
lasalledebain.Lasensationhumidedesonspermequicoulait le longdemacuisseétaitdésagréable.Je me lavai rapidement et pris une grande inspiration en essayant de
comprendrecequivenaitdesepasser,ouplutôtcequecelaimpliquaitpourAshetmoi.Il le regrettait de façon évidente ; je devrais aussi…monDieu, il ne savait
mêmepasquec’étaitmoi,àcemoment-là,n’est-cepas?Maisjen’arrivaispasàledéplorer.J’avaiseuenviedelui.Dèsnotrepremièrerencontre,notreattirancemutuelleavaitétépuissante,maisils’étaitpassétellementdechosesdepuis.Lavieavaitétécruelle.Quandj’ouvrislaportedelachambre,ilrelevalatête.Ilétaittoujoursdansla
mêmeposition,assisauborddulit.—Jet’aifaitmal.Sespommettessaillantesjetaientdesombressursesjouesetilavaitleregard
assombri.—Non,tum’assurprise,dis-jedoucementenm’asseyantàcôtédelui.Ilfouillamonvisagepoursavoirsijedisaisvrai;ilparutsoulagéquandjele
regardaitranquillementsansdétournerlesyeux.—Jesuisdésolé,répéta-t-ildoucement,enfixantsesmainsvides.—Dequoi?Ilrelevalatête,lesyeuxinterrogateurs.—Jepensequej’aiunpeuperdulespédales,dit-il,lesmotssebousculantsur
seslèvres,lecorpssecouédefrissons.—Nous les avons perdues tous les deux, repris-je en saisissant une de ses
mains.Nosdoigtss’entrelacèrentetillesfixaavantdereprendre:—Tuvasbien,c’estvrai?—Ash,situm’achetaisdesmargueritesàlaplacedetulipes,jetementiraiset
jetediraisquejelesadore;situmangeaislederniercookieetlaissaislaboîtevide, jementirais et dirais que je n’ai plus faim ; si tu portais des chaussettesavectessandales,jementiraisetjetediraisquejem’enmoque,maisjetejurequejenementiraispasàproposdeça.Jeme penchai et déposai un baiser sur son épaule nue. Sa peau était aussi
douceetfraîchequedusatin.—Tuasfroid.Revienstecoucher.Ilsoupiraetilredressaunpeulesépaulescommesijevenaisdeluiretirerun
grandpoids.Ilétaittoujoursnu,maistotalementàl’aise.Pasmoi.Mêmeaprèscequenousvenionsdefaire,jeremismonpyjamaavantdeme
coucher.Il m’attira immédiatement contre lui, frissonnant un peu quand nos jambes
s’entremêlèrentsouslacouvertureetquemespiedsglacésvinrentseposersursesmollets.Ilsursautasoudain,trèstendu.—Laney,dit-il,lavoixhésitante.Jen’aipasmisdepréservatif.— C’est bon, répondis-je calmement. J’ai un stérilet. Aucun risque que je
tombeenceinte.Unlongsilences’installa.Puis,ilm’entouraànouveaudesesbras.—Laney,je…
Jecaressaisesbrasetdis:—Pasmaintenant,Ash.Quandilferajour…nousparleronsdetoutça.Pour
lemoment,dansl’obscurité,noussommesbiendanslesbrasl’undel’autre.Cesoir,jeveuxcroireaucontedefées.Ilrelâchaunpeulapressiondesesbrasetvintembrassermescheveux.Tousnossoucisetnospeurss’évanouirentdanslecalmedelachambredema
tante,unenuitfroideàChicago.Quand jeme réveillai, la lumière filtrait à travers les fins rideaux. Je réalisaiimmédiatementqu’uncorpsmasculinmusclé se trouvait justederrièremoi,neserait-ce qu’à cause de lamain qui enserrait un demes seins et de l’érectionpresséecontremesfesses.À la lumière du jour, ce qui s’était passé cette nuit semblait un peu
embarrassant.Jem’apprêtaisàmeglisserhorsdulitsansleréveillerquandleslongsdoigts
d’Ashbougèrentsignalantqueluiaussis’éveillait.Ilserragentimentmonsein,mefaisantpousserunpetitcri.Ilsemitàcaresserlapointetendueetbougealeshanches,adoptantunmouvementcirculaire.Jemeretournaidanssesbraset ilpoussaungrandsoupir,lespaupièrescloses.Quandillessoulevaànouveau,ilmeregardaavecunegrandeattentiontoutenglissantlamainsousmontee-shirt.Il caressa l’espace entre mes deux seins menus puis referma la main sur machair.Je gémis de plaisir, l’excitation montant en moi. Cela enflamma le désir
d’Ash.— C’est allé trop vite cette nuit, murmura-t-il, la voix rauque dans mon
oreille.Jeveuxtefairel’amour.
ASHJen’avaisjamaisutiliséunefemmecommejel’avaisfait lanuitdernière.J’enavaishonte.Celan’avaitétéqu’unmoyendebaiser,demeprouverquejen’étaispasceluiquecetenfoiréavaitvoulufairedemoi.Jen’étaislaputedepersonne.J’auraispréférémourir.Etjedisaiscelaausenspropre:j’auraiscolléunearmesurmatempeetj’auraisappuyésurlagâchette.Maismêmedansmonétatdesemi-conscience,celan’avaitpasétéunebaise
urgente,unecourseversunplaisirbrutal,commeavecYveta.C’étaitdéjàplus.Jenesavaispaspourquoietsic’étaitbeaucoupplus.Cen’étaitpaslogique,et
pourtantçal’était.Nousn’allionspasbienensemble,maisd’unecertainefaçon,si.Nousn’étionspasamoureux,maisnousétionsmariés.Jelarespectais,jel’admiraisetelleméritaitbienmieuxqu’unebaisetorride
dansl’obscuritéaprèsuncauchemar.Etsijenepouvaisluioffrirquemoncorpsdans lequel ne battait plus qu’un cœur de pierre, je ferais en sorte que ça envaillelecoup.J’embrassaisonépauleetsonbrasetlafisseretournerdetellefaçonqu’elle
soitcouchéesurledosetqu’ellepuissemevoir.Lasurprisequereflétaientsesyeuxsetransformaendésiretsespupillessevoilèrent.Ellepritmamainet lapressaentresesjambes.Sesyeuxgrisnemequittaientpastandisquemamainglissaitdelaceinturedesonpyjama,jusqu’aucotondouxdesaculotte.Elleétaitdéjàhumide.—S’ilteplaît,murmura-t-elle,lavoixbasseeturgente.—Dequoiaenviemamerveilleuseépouse?demandai-je, endéposantdes
baisersdanssoncou, la faisantsecambrer jusqu’àécrasersesseinscontremapoitrinenue.Jem’arrêtaietplantaimonregarddanslesien.Ellerougit,gênée.—Dutruchabituel,tuvois?répondit-elledansunrireembarrassé.—Hum…cematin,jevaisfairedetoncorpsnotreterraindejeu,d’accord?
Et tum’arrêtes si tuneveuxpasque je fassequelquechose. Jen’aiquemoncorps à te proposer. J’aime baiser, je suis doué pour ça. La nuit dernière, cen’étaitpas…jeveuxquetuéprouvesduplaisir.Et je n’ai rien d’autre à t’offrir. Parce que le sexe te fait te sentir vivante.
Parcequetuestellementsexyettunet’enrendsmêmepascompte,parcequetues à tomber, tellement courageuse et parce que je sais que nous seronsincroyablesensemble.—C’estpourtoi,cettefois,Laney.— J’ai beaucoup aimé lemassage que tum’as fait, dit-elle en souriant, les
jouestoutesrouges.—Oui,pourtantcelat’afaitdormir!rétorquai-je,unpeuétonné.—Avant,çam’avaitbeaucoupexcitée.Jemesouvinscommentcettenuits’étaitterminée:jem’étaismasturbédevant
elle.Je ladéshabillai lentement,ensouriant.Elleétaitbien tropcouvertepource
quej’avaisentête.Puisjelafisseretournerpourqu’elles’allongesurleventre.Jeversaisurmesmainssacrèmefavoritepourlecorpsetlaréchauffaiavantdedéposerunepetitegouttesurchaquetachederousseurquiparsemaitsondos.
—Que fais-tu ? demanda-t-elle en essayant de voir ce que je faisais par-dessussonépaule.—Jem’amuse,répondis-je.Jevaisjoindrelespoints.Jemedemandeceque
celavafaireapparaîtrecommeimage.Hum…ondiraitunefemmesexy.Elleémitunrirerauquequifittressaillirmonsexe.Ilétaitpresséd’allerplus
loin,ilfaudraitqu’ilattendeunpeu.LaprioritéétaitàLaney.Jenepusrésisteràl’envied’écrireaveclacrème,«MadameNovak»aussi
puérilquecesoit.Puis jecommençaiàmassersesépaules,étirant lesmusclesnoués et la faisant gémir encore et encore. J’avais du mal à me concentrertellementjebandais.Monsexeétaitcommeuntroisièmepartenairedanslelit;il se frottait contre sondos,glissantdans la crèmependantque jemassais sesépaules.Jepréféraimefaciliterlatâcheendescendantlelongdesoncorpsjusqu’àses
pieds. J’appuyai les pouces sur sa plante. Mais elle continuait à pousser desgémissementsdeplaisir, et ces sons, ainsique la chaudeodeurde sapeaumepoussaientauxlimitesdelafolie.Jejetaiuncoupd’œilàmonsexe,passurprislemoins dumonde de voir une goutte perler à la pointe. Je fermai les yeux,essayantd’oublieràquelpointj’avaisenviedelapénétreretdejouirenelle.Mespoucess’enfonçaientmaintenantdanslemuscledesonmollet.Ellegémit
ànouveauetmonsexetressaillitàl’unisson.Unefoisdeplus.C’est son petit derrière musclé qui me fit perdre la tête. Ces deux globes
parfaitsétaientplusqu’unhommefaitdechairetdesangpouvaitsupporter.Jelasoulevaiparleshanches,laprenantparsurpriseetl’obligeantàplantersonnezdans son oreiller. Ellemarmonna quelquesmots étouffés qui me ralentirent àpeineetj’enfonçailapointedemonauriculairedanssonpetittrouplissé.—Jen’aimepas ça ! s’exclama-t-elle, en sortant la tête de sonoreiller, les
jouestoutesrouges.Ellemefoudroyaitduregard.Jefisalleretvenirmondoigttoutdoucementenlaregardantunsourcilarqué.
Sabouches’entrouvrit,dessinantun«o»parfait.—Onjoue,chèreépouse,dis-jeenmepenchantpourembrassersoncou.Jen’arrivaispasàm’empêcherderépétercemot:«épouse».Ilm’intriguait,
commeunnouveaujouetdontjeneconnaissaispaslefonctionnement.—Ehbien,cherépoux,répliqua-t-elle,lavoixtrèsferme.Pasdesexeanal:il
nerentrerienparlà!Compris?J’éclataiderireetenfonçaimondoigtunpetitpeuplusloinencaressantson
clitorisenmêmetemps.
Cherépoux…Encoreplusintrigant…—Compris,monamour.Jejoue.Cen’estpasagréable?—Si,très.Maisjenesuispas…Monindexpénétraalorssonsexetrempéetsavoixs’éteignit.Elle se cambra encore davantage en secouant ses cheveux blond miel et
poussasesfessescontremamain,accentuantlapénétrationdemondoigt.Leparfumdenotreexcitationenvahissaitl’airetfaisaitmonterlatempérature
delapiècefraîche.Je voulais lui faire tellement de choses, pour lui plaire, pour lui donner du
plaisir.Jem’allongeaiàplatventreetcommençaiàléchersonsexepar-derrière.Elle
poussaunpetitcrid’exclamationalorsquejelagoûtaispourlapremièrefois,enplongeantmalangueenellepuisentitillantsonclitoris.Nousfûmesaussisurprisl’unetl’autrelorsqu’ellejouitimmédiatement.Son
corpsfrissonnadeplaisir,lesyeuxfermés.Essoufflée,elles’écroulasurleventrepuisellesemitàrire…C’étaitunson
absolumentmerveilleux.—C’était…inattendu!Jem’allongeaiàcôtéd’elleetattiraisoncorpschaudcontrelemienetlaissai
meslèvrescaressersonoreille.Mêmesijebandaisdepuisaumoinstrenteminutes,j’étaisbienlà,simplement
allongéauprèsd’elleetjetirailacouverturesurnous.J’étaispresquerendormiquandjesentisdeslèvreschaudesethumidesprèsde
mongland.—Non!Jelarepoussaibrutalementenappuyantsursesépaules.J’avaisétéarrachéen
quelquessecondesàmabienheureusesérénitéetpropulsédansunesalledebaindeLasVegas,avecSergeiagenouillédevantmoiessayantdemefairebander,envain,pendantqu’Olegmetenaitparlesbras.Je chassai la noirceur qui menaçait de m’engloutir et me dirigeai vers la
lumière…pourydécouvriruneLaneyterrorisée.—Lan,je…L’horreurdecequej’avaisfait,oupresque,decequ’onm’avaitfaitàmoime
souleva le cœur une nouvelle fois. Laney sauta d’un bond du lit et réussit àattraperjusteàtempsunepoubelle.J’agrippailesbordsfroidsenmétaletvidaimonestomac.Encoreetencore.Jel’entendisvaguementquitterlachambre,maisbientôt,ellerevintetpassa
ungantfraissurmonfront,mesjouesetmabouche.—Toutvabien,murmura-t-elle.Jesuisdésolée,tellementdésolée.J’essayaidesecouerlatêtepourdéniersespropos,parcequ’ellen’avaitpasà
s’excuser.C’étaitmoiquiétaiscinglé,paselle.Jamais.Jeme rallongeai sur le lit, épuisé et déprimé. J’avais simplement voulu lui
donnerduplaisir,mesentirunhommenormal,etmaintenant,c’étaitmillefoispire.Ellenequittapourtantpaslachambre,dégoûtéeparmoncomportement.Au
lieudecela,elletiralacouverturesurnousdeux,posasatêtesurmonbrasetsemitàcaresserdoucementmapoitrine.—Non,c’estdemafaute,dit-elledoucement.Jen’auraispasdûtesurprendre
commeça.Jelesaispourtant.Jenerecommenceraipas,promis,Ash.Jemelaissaisombrerdanslenuagenoirquiflottaittoujoursau-dessusdema
tête.Unhommedevraitpouvoirrecevoirunefellationd’unefemmeséduisantesanspéteruncâble.Jeplaçaiunbrassurmesyeux,l’humiliationm’envahissantànouveau.Latorturementaleavaitétébienpirequeladouleurphysiquequ’onm’avait
infligée.Jen’avaisplusaucunebarrièredeprotection,j’étaisécorchévif.Laneytiradoucementsurmonpoignet.—Je sais ceque tu es en trainde faire : tu te reproches cequivient de se
passer.Cen’estpaslapeine,ilfautjustequenousnousmettionsd’accordsurlafaçondontnousallonsfairetoutcela.Maintenantquenoussommesmariés.Jelalaissaidéplacermonbrasetdécouvrissonvisagequisouriaitdoucement
prèsdumien.Jen’avaispas lecourageni l’énergiede lui rendrecesourire.À laplace, je
fermailesyeuxenlaissantmafrustrationmesubmerger.—Pourquoifais-tutoutcela,Laney?Depuisquetum’asrencontré,rienne
vaplusdanstavie.Elleneréponditpas toutdesuite, réfléchissantsansdouteàcequ’elleallait
dire.— Non, c’est la vie. Et depuis que tu fais partie de la mienne, elle est
meilleure.Jesaisquecen’étaitpasvraimentprévu,maisjen’ypeuxrien.Cequiétaitprévu.Lemariagepourobtenirunboutdepapier,vivreensemble
pour tromper l’administration.MonDieu,quel imbécile j’étais ! Jepoussaiungrandsoupir:jem’étaisperdudanscesmensonges.—Moncorpsaeuenviedetoiavantquejelecomprenneintellectuellement.
Je n’ai rien ressenti pendant si longtemps. Tum’as ressuscité. Tum’as sauvé
encoreetencore.Ellemesourit.—Nousavonstoutfaitàl’envers:nousnoussommesrencontrés,nousnous
sommesmariés et nous avons couché ensemble. C’est comme ça, Ash. Je nechercheplusàcomprendre.Elledéposaunbaiseraucentredemapoitrine ; ses lèvresétaientdouceset
chaudes, etmon traitre de corps réagit immédiatement. Et cette fois, il fallaitqu’ellesoitàmoi.Toutevelléitédedouceuretdefinessedisparut.Nos regards s’accrochèrent et elle se jeta sur moi, en m’embrassant avec
violence.Pendantunedemi-seconde,jerestaipétrifiéparlasurprise,maisaprès,jeprislacommandedesopérations.J’avaispenséàl’embrasserchaqueheuredechaquejourdepuisnotremariage,
troissemainesauparavant.Celaavaitétéchaud,j’avaissentisapassioncejour-là,maisjenecroyaispasqu’elleavaitvraimentenviedemoi.Jel’avaisvumemater,mais elle n’était jamais allée plus loin.Après la répétition, l’autre jour,j’avaispriscommeprétextequeSarahetlesautresfillesnousregardaientpourfairecedontj’avaistellementenvie.Je n’arrêtais pas de penser alors qu’elle enfonçait ses ongles dansmon cuir
chevelu et quemon sexe se raidissait : c’est ma femme ! Je suis en train del’embrasser!Ce fut brutal, mais pas rapide. Intense, mais pas fiévreux. Mes bourses
claquaientcontresesfessesetelles’agrippaitàmoncorps,sesjambesenrouléesautourdemataille.C’étaitmoienelleetelleautourdemoi.Etlorsquenousatteignîmesl’orgasmetouslesdeux,c’étaitcommes’ilavait
unsensparticulier.Nousrestâmesunmomentétendus,lesoufflecourt.Sapoitrineétaitrosiepar
le plaisir et son cou et son visage l’étaient par le frottement de ma barbenaissante.Ellesetournasurlecôtépourmefaireface.—Ash,dit-ellegentimentencaressantmontorse.Jesavaisqu’ellepouvaitsentirlesbattementsfrénétiquesdemoncœuretcela
n’avait rien à voir avec ce que nous venions de faire. Elle m’avait pris parsurpriseetellelesavait.—Toutvabien,tuesensécurité.Tupeuxmeparlerdecedontturêvaistoutà
l’heureetl’autrenuitaussi?Jeluilançaiunregardhostile,refusantdeluiconfierquoiquecesoit.—Pourquoiveux-tuparlerdeça?
—Parcequejeveuxmieuxteconnaître.Toutsavoir.Lemeilleurcommelepire.—Non,répondis-jeensecouantlatête.—Pourquoinon?Jepoussaiungrandsoupiretfixaileplafond,enespérantquej’allaistrouver
magiquementlesbonsmots.Jeluijetaiuncoupd’œiletcroisailessiens.—Tumeregarderasdifféremment.—Jeneleferaipas,dit-elledoucement.—Tu le feras.Biensûrque tu le feras.Tudevrais le faire. Jen’aimepasy
penser–jamais.Jen’aipasenviequetuportescettenoirceur,toiaussi.Jebondissurmespiedsetcommençaiàfairelescentpasdansl’espaceexigu,
luttantcontrelasensationdeclaustrophobie.C’étaitcommecelaquejegéraismacolèreoumesémotions:ilfallaitqueje
bouge.Mais lui révéler à quel point j’étais fracassé intérieurement…Ellemeregardaitcommesijevenaisdeluibriserlecœur.—Hé,appela-t-ellegentimentenmetendantlamain.J’arrêtaimesalléesetvenuesetme tournaiverselle.Je la regardaidans les
yeuxespérantqu’elleliraitdanslesmienstoutmondésespoir,monchagrinetledégoûtquej’éprouvais.Jeluiprislamain,laserraidoucementdanslamienne.Lesarticulationsdeses
phalanges étaient un peu enflammées cematin, la peau était chaude sousmesdoigts.Mêmesinousvenionsde faire l’amouravecpassion, j’avaisbesoindem’occuperd’ellecommesielleétaitfragile,précieuse…jevoulaisqu’ellesachequejelatrouvaismagnifiqueetdésirable.Ellepiquaunfard.—Tueslapersonnelaplusfortequejeconnaisse,dit-ellesansmequitterdes
yeux.Vraiment.Tuastraversétellementdechosesettun’asjamaiscessédetebattre.Cequetuasfait,quoiquecesoit,c’étaitparcequetuyétaisobligé.Jenepouvaispluslaregarder.J’avaistrophonte.Elle posa gentiment, lentement, samain surma joue,m’obligeant à tourner
mon visage vers elle, afin que je puisse lire dans ses yeux toute la confiancequ’elleavaitenmoi.C’étaitcommeunmomentsuspendudansletemps.Ellemesurpritquandsoudainellesebaissaetfouillasouslelit.Ellefinitpar
ytrouveruneboîteàbijouxqu’elleposasurledessusdulitprèsdemoi.—JoyeuxThanksgiving,medit-elletendrement.—Oh,merde.OnsedonnedescadeauxàThanksgiving?Jesuisdésolé, je
l’ignorais.—Non, pas habituellement,mais…ehbien, tum’as offert unebaguedonc
j’aipensé…Bref,j’espèrequetuaimerascequej’aichoisi.J’ouvris la boîte et découvris une médaille de Saint Christophe en argent,
identiqueàcellequej’avaisperdue.—Lesaintpatrondesvoyageurs,dit-elleenprenantlemédaillondanslaboîte
etenl’accrochantàmoncou.Ettuasdéjàfaituntelvoyage,Ash…Jenetrouvaisplusmesmotsalors jepréférai l’embrasser, luimontrantavec
mesmainsetmoncorpscequececadeausignifiaitpourmoi.Mes mains caressèrent ses joues et son cou. Son pouls palpitait sous mes
doigts. Puis je descendis sur ses épaules, le long de ses bras, sa taille, seshanches,l’attirantcontremonsexeànouveauenérection.Elle rit tout contrema peau et ses lèvres chaudes se pressèrent contremon
torse.Lesjouesrosies,lesoufflecourt,ellemerepoussaunpeu.Jelalaissai,avecréticence,m’allongersurledos.Là,ellesemitàsuivredu
boutdesdoigtsmestatouages.—Tunem’asjamaisditquelleétaitleursignification.Qu’est-cequecelaveut
dire?Jen’avaispasbesoinderegarderpoursavoirduquelelleparlait.—C’estduserbo-croate,c’estécritencyrillique.Mongrand-pèreétaitserbe.
Celasignifie:«Népourdanser».Ellesemitàrire.—Évidemment.Quandl’as-tufaitfaire?—J’avaisseizeans.C’était lepremieretc’était illégal–c’est interditavant
dix-huitans.Mamèreétaitmortequelquesmoisavantetj’aiharcelél’employédusalondetatouagepourqu’ilmelefasse.Ilafiniparcéder.Ellehocha la tête et laissaglisser sesdoigtsdemonépauleversmesautres
tatouages.—Ettonpèreadétestécela.—Oui.Ellehésitaavantd’enchaîner:—Tuluiasparlédepuis…toutcequiestarrivé?Jesecouailatête.—Nonet,jeneleferaipas.—C’estimportantpourtantlafamille.—Mamèreétaitimportante.Lui,jen’enairienàfoutre.—Pourquoi?Qu’a-t-ilfait?
—Jen’aimepasparlerdelui.— Tu ne peux pas m’en dire plus après tout ce que nous avons traversé
ensemble?demanda-t-elle,savoixrévélantsadéception.—Cen’estpasleproblème.—Alorsc’estquoi?—C’est juste un connard. Il n’a jamais voulu demoi.Mes parents se sont
mariéssixmoisavantmanaissance.—Oh.—Oui.Cequiprouvequej’étaisunaccident.Jen’aiaucunsouvenirdeluien
traindes’amuseravecnous.Lorsqu’ilsortaitavecsesamis,oui,maispasavecnous.Ilnevoulaitpasêtrepère,jepense.—Etlefaitquetudanses?—C’étaituneidéedemamère.Elleadoraitdanser,ellem’adoncinscrittrès
jeuneàdescours.Monpèreaététrèsencolèrequandill’asu.Ilacruqueçapasserait.Ilattendencore,dis-jeenluiadressantunpetitsourire.— Il devait être fier de toi quand même quand tu as gagné toutes ces
compétitions?— Non, il était gêné quand mon nom était dans le journal. Ses amis lui
disaientquejedevaisêtregay.Celaluiasimplementdonnéuneautreraisondemedétester.C’étaitsupportablequandmamèreétaitencoreenvie,maisaprès…Jem’étirai sur le lit, les yeux fermés. Je souris en sentantLaney embrasser
doucementmapoitrine.—Ils’estditquec’étaitlebonmomentpourmefairearrêterladanseetm’a
obligéàtravaillerdanssonentreprisedeconstruction.Ilmedisait:«tuvisicietc’estmoiquitenourris.»Quandj’enaieuassez,jesuisparti.—Tantpispourlui,ditLaneydoucementeneffleurantmonventre.J’entendais,enbas,lesgensparler.Toutlemondeétaitréveillé.Ilallaitfalloir
sortirdenotrepetitebulle.Laneylesavaitaussiets’assitsurlelit.—Tumeraconteraslasuiteuneprochainefois,sourit-elle.Jevaisallervoirsi
ladoucheestlibre.Jet’inviteraisbienàveniravecmoi,maislasalledebaindesinvitésdetanteLydiaestunpeupetite,malheureusement.Ellemesouritgentimentetsortit,piedsnus.Desmilliersd’idéestournaientdansmatête.Ilyavaiteunotredéparthiersoir,danslestressetlaprécipitation.Etpuis,ily
avait ce qui venait de se passer. J’étais un hommenouveau depuis que j’étaisentrédanscettechambre.
J’avais vingt-trois ans et j’avais déjà vécu trois vies : il y avait la périodeavantLasVegas,celleoùj’avaisvéculà-bas,puiscelleavecLaney.Chacundecesmomentsm’avaitchangé,transformé.Jen’étaispascertaind’êtreunhommemeilleur,enrevanche.
LANEYAufuretàmesure, lespiècesdupuzzle trouvaient leurplaceetformaientuneimageplusclaired’Ash.CequiluiétaitarrivéàLasVegasétaitpirequecequejepensais.Maintenant,
àlatorture,jedevraissansdouteajouterlesabussexuels,mêmes’ilniaitavoirété violé. Cela allait dans le sens de mon père et d’Angie qui avait parlé dutraumatismed’Ash.Sesréactions,notammentquandj’avais tentéunefellation,en étaient la preuve. Et en repensant à sa violence incontrôlable contre leshommes,àlasortieduthéâtre,jemesouvenaisquecequiavaittoutdéclenchéavaitétéunephrasedel’undecestypesquiavaitcrié«Ilpourraitmesucerlaqueue!».Levoirsecomporterdefaçonaussibarbarem’avaiteffrayée.Jenetrouvais
pasd’autresmots.Unepartiedemoivoulaitensavoirplusparcequ’unefemmeavertieenvaut
deux, mais une autre partie n’avait pas envie de vivre avec cette horreur enmémoire.J’étaispeut-êtretroplâche,jenesaispas.MaisAshnevoulaitpasnonplusm’enparler–ouplutôtilnevoulaitpasquejelesache.Cela expliquait peut-être son attitude bizarre avec Angie ; sa réticence à
acceptersonamitié:ellesavait.Lesdernièresvingt-quatreheuresavaientétérichesd’enseignements.Collin,quin’avaitjamaismontréuneoncedepassionendixansderelation,
avait pris sa voiture et fait un trajet d’une heure pourm’obliger à lui dire lavérité. Je me sentais d’ailleurs très coupable. Nous aurions dû nous séparerdepuisdesannées,déjà.Etpuis,ilyavaitAsh.Iln’yavaitaucunmoyendesavoircequel’avenirnous
réservait et il fallaitque je règle lesproblèmesdemonpassé,de toute façon :uneconversationavecCollins’imposait.Je pris une douche rapide, bien consciente que de nombreuses personnes
attendaient laplace, et je revins rapidementversnotrechambre,maudissant lechauffage insuffisantdecettevieillemaison. Il fallait reconnaîtrequ’Ashavaitfaittoutcequ’ilpouvaitpourmetenirauchaud.Ilétaitcouchéquandjerevinsdanslachambre,l’édredonremontétellement
hautque jenevoyaisplusqu’une touffedecheveuxbrunsquidépassait. Je lelaissaidormir.IlrépétaitsixfoisparsemainepourBroadwayRevisited,cequinelui laissait que ledimanchepour faire lagrassematinée.Et comme il dormaitdansmonsalon,c’étaitdifficile.Enplus,sonsommeilétaitperturbé.Ilavaitdéjàl’airépuiséavantladébâcled’hieretlesrévélationsdecematin.J’enfilaiunjeanetuntop.J’étaiscontented’avoiramenélepullfantaisieque
m’avaitfaitmamèretroisansauparavant.Jesourisenvoyantl’airétonnédeladindequisetrouvaitaucentredutricot.Je complétai ma tenue très élégante par de grosses chaussettes et des
chaussons de tante Lydia. On ne s’habillait pas pour Thanksgiving chezmoi.C’étaitréservéàlamessedeminuit.Je dévalai l’escalier et tombai sur ma sœur Bernice avec son bébé qui
s’accrochaitàellecommeunoursonàsamère.—HeureuxThanksgiving,sœurette.Marie,disbonjouràtataLaney!Lapetitefilles’agitasursahanchepuissemitàpiaillersurlemodesirènedès
qu’elle aperçutMittens, le chat.Bernice laposa engrimaçant, et elle semit àsourireenvoyantsafilleprendreenchasselapauvrebêtesursespetitesjambespotelées.—Désolée,dit-elle.Noussommesentraind’essayerdeluifairecomprendre
qu’ellepeuts’exprimerautrement,maiscen’estpasencoreaupoint.Enfin, tut’enesrenducompte.—Oui,jem’ensuisrenducompte!—Tusemblesheureuse,dit-elleenhaussantunsourcil.Jesupposequecela
n’arienàvoiraveccemystérieuxmariquit’ahonoréetoutelamatinée.J’ouvrislabouche,écarlateetprêteànierfarouchement.Berniceéclataderire.—Tudevraisvoirtatête.Jesuisfolledejalousie,enfait.Quandtucouches
avecunbébédanslachambre,c’estbienpluscompliqué.Mais jedisça, jenedisrien,desœuràsœur:pourlesalutdemonmariageetdemasantémentale,écartelelitdumur.Ellemefitunclind’œiletmoi,jememisàchercheruntroudesourisoùme
cacher.J’auraisdûlesavoirpourtant ; iln’yavaitpasbeaucoupd’intimitéavecune
aussi grande famille. C’était même une des raisons pour laquelle j’avaisemménagédansmonpropreappartementdèsquej’avaispu.Maiscommecequise passait avecAsh était si nouveau et si impossible à définir, j’avais un peuhontequ’onnousaitentendus.
Il faisait délicieusement chaud dans la cuisine et de merveilleuses odeursémanaientdeladindedéjàaufour.Etpetitechanceusequej’étais,latotalitédemesoncles,tantesetmesparents
étaientinstallésautourdelatable.Ilparlaitdemoi,enplus,c’étaitévident,carlaconversationcessadèsquej’entrai.Jeprisun toast surunepile et commençai à le tartinerd’unbeurre épais et
crémeux.J’avaisvingt-neufansetj’étaisindépendante,jen’avaispasbesoindeleurbénédiction.—JoyeuxThanksgiving!lançai-jejoyeusement.—JoyeuxThanksgiving,mapuce,réponditaffectueusementmonpère.— Où est ton… mari ? demanda ma mère. Oh, Seigneur, c’est tellement
bizarrededireça.Àquiledis-tu,maman!—Ildortencore.Ilrépètetouslesjoursdulundiausamedidepuisunmoiset
celaduretoutelajournée.Lapremièreestdansunesemaine.—Sommes-nousinvitéscettefois-ci?demandafroidementmamère.Ouest-
cequec’estunepremièresecrète?J’adorais ma mère, mais elle avait la capacité de me donner l’impression
d’êtreabsolumentnullesansprononcerunseulmotetlà,elleavaitbeaucoupàdire.—Ehbien,dis-jeprudemment,Ashauraquatrebilletsgratuitspourlafamille
et les amis, mais il n’aime pas beaucoup ce spectacle. Il pense que ça ne sepasserapastrèsbien,doncilseraitpeut-êtrepréférable…—Nousviendrons,conclutmamèrefermement.J’aiassistépendantplusde
vingt-deuxansàdesspectaclesdefind’annéeàl’école,jenevaiscertainementpasmanquercelui-ci.Sil’onm’invitebiensûr.Jeretinsdifficilementungrandsoupir.—Tuesinvitée.Ettoiaussi,papa.Quelqu’und’autreveutvenir?Onattribua finalement lebillet restant àBernice,même simamère affirma
que toutes mes sœurs aimeraient être là aussi. Je ne savais pas ce qu’Ashpenseraitdetoutça,maisjenepouvaispasfairegrand-chose.Etcelamefaisaitplaisirquemafamillechercheàlesoutenir.Ànoussoutenir.—Bien,c’estdécidé,ditmaman.Bon, il fautque j’appelle lePèreMichael
maintenantafinquenousmettionsaupoint…enfin,jenesaispasquelnomnouspourrions donner à cela… Une bénédiction, peut-être ? Ash est-il d’uneconfessionparticulière?—Bridget,lagrondagentimentmonpère.
—Brian,c’estimportant.Jenesaispascequiatraversél’espritdeLaneydecontracterunmariagesecretcommeça,maisentantquemère,lemoinsquejepuisse faireestdem’occuperdusalutdesonâme,quellequesoit lapersonnequ’elleépouse.Lesparolesdemamèrefirentgrimacerlesgensetjelafoudroyaiduregard.— Ça suffit maman ! Nous sommes très satisfaits de notre mariage. Nous
n’avons pas besoin de plus. C’est d’ailleurs pour ça que nous avons procédéainsi.Quelgrosmensonge!Ellechangeaimmédiatementd’angled’attaque.—LePèreMichaelseradéçu.Jenesaispascequejevaispouvoir luidire.
C’est lui qui t’a baptisée et qui officiait lors de ta Confirmation et pour lemariagedetessœurs.Ilconvenait trèsbienalors.Cen’estpasparcequetuaschoisid’épouserquelqu’unhorsdenotrereligion…—Cen’estpaslecas.Jesavaisquejen’auraispasdûdireça,maiselles’illuminaimmédiatement.—Ashestcatholique?—Oui,cependantcelaneveutpasdireque…Au même moment, j’aperçus Collin par-dessus l’épaule de mon père qui
entrait,lesyeuxinjectésdesangetfatigués,lesjouesmarbréesdetachesrougessoussabarbenaissante.Toutlemondesetut,mêmemamèreetcejourdevintsoudainlepiredébutde
Thanksgivingdemavie.—BonjourCollin,dis-jedoucement.Veux-tuuncafé?Ilhochalatêteets’éclaircitlagorge.—Oui,bonneidée,merci.Jeluiversaiunetassepuisluisuggéraiqu’ilaillelaboiresouslavérandaavec
moi.Ilfaisaitfroiddehors,maisnousaurionsaumoinsunpeud’intimité.Jeluitendisunmanteauappartenantàl’undemesonclesetjem’enveloppai
dansuneétoleenlaine.—Commenttesens-tu?demandai-je,unefoisqu’ilfutdehors,latasseserrée
entresesmains.Ilréfléchitquelquesinstants.—Jenesaispas,Laney.Jesuisunpeuperdu,jesuppose.Pourquoias-tufait
ça?Pourquoil’as-tuépouséluietpasmoi?Jeluidevaisunetotalefranchise.—Jenepensaispasmemarieravectoietceladepuislongtemps.Jepensais
quetuneledésiraispasetj’étaisheureusedevivreseuledansmonappartement.Tun’enasjamaisparlé.—Auboutdedixans,jepensaisquecelatombaitsouslesens!—Ehbien,non.—Mais tu l’asépousé, lui.Dansmondos.Alorsquenoussortions toujours
ensemble!Il secoua la tête,apparemment toujours incréduleet faisant renaître lahonte
enmoi.—C’estarrivétrèsvite,tentai-jed’expliquer.Nousavionsbesoind’unecarte
vertepoursontravail.Ladanseesttrèsimportantepourlui,etaprèstoutcequ’ilavécuici,jevoulaisl’aider.—Ettoutcequenousavonsvécu,nous?répliquaCollin,enélevantlavoix.
Dixans,Laney!Dixans!Dixansàgérertescriseset…— Collin, dis-je en soupirant. Tu m’as toujours considérée comme un
problème à régler et tu continues…Cela ne fonctionne pas comme ça. Je neseraijamaisenbonnesanté.Jedoisvivreavecmamaladie.Chaquecrisefinirapar passer… ou pas. Je ne peux pas penser tout le temps à ce que cettepathologiemecoûte.Aucontraire,ilfautquejemeconcentresurcequejepeuxfaire,surcequejeferai.Et…Jen’aipasenvied’êtreundevoirpourtoi.Ilrestasilencieuxquelquesinstants.—Tureconnaisquevousvousêtesmariéspourqu’ilobtiennesacarteverte?—Ashestmonami.Jetiensbeaucoupàlui.Beaucoup.Maisquandjeluiai
proposélemariage…—C’étaittonidée?mecoupaCollin,stupéfait.—Ehbien,oui.—Waouh.Jen’arrivepasàycroire.—Notrehistoiremesemblaitbienfragile.Nousavionsdéjàrompuunefoiset
j’étaiscertainequecelasereproduirait.—Justementàcausedelui!—Non.Àcausedenous.Ilgardalesilenceunmomentetreprit,sansargumenterdavantage.—Tuallaismeprévenir?J’hésitaiunpeu,avantd’admettre:—Non,jenet’auraisrienditsurlemariagelui-même.Maisnousnel’aurions
annoncé à personne. En revanche, concernant toi et moi, notre relation, oui,j’allaisaborderlesujet; j’attendaissimplementquenoussoyonsentêteàtête.Cequivientfinalementd’arriver.
Je le vis grimacer quand je dis « nous » en parlant d’Ash et moi. Il étaittoujoursautantencolère.Jenepouvaisvraimentpasluienvouloir.—Tafamilleal’airdecroirequecemariageblancestréel,dit-ilamèrement.Je gardai mon regard fixé sur le givre qui recouvrait les champs et les
granges;toutavaitl’airsipuretsisimple.—Ehbien,commençai-jeprudemment.MessentimentspourAshontgrandi
etjecroisqueluiaussidesoncôtééprouvequelquechosepourmoi.Collinricana,l’airfurieux.—Tun’esquandmêmepasnaïveàcepoint-là?Ilteditexactementcequetu
asenvied’entendre.Dèsqu’ilaurasacarteverte,ildécampera.— C’est ton opinion, répondis-je sèchement. Je suis désolée que tu aies
découvertceladecettefaçon.Tuneméritaispasça.—Non,eneffet.Ilterminasoncaféalorsquenousrestionsassis,sanséchangerunmot.—J’aiencoreunequestion,reprit-ilenregardantsatasse,lessourcilsfroncés.—Vas-y.—Tucouchesaveclui?Jeluirépondis,leregardplantédanslesien:—Jeteprometsquejenet’aijamaistrompé.Ilnemecroyaitpas,maisjen’ypouvaisrien.J’enavaisfaitassez.Laportederrièrenouss’ouvritd’uncoupetAshdéboula,lesbrascroiséssur
lapoitrineetlessourcilsfroncés.Collinselevad’unbondetenpassantàcôtédelui,ilessayadelebousculer.—Trouducul,marmonnaCollinenrentrantdanslamaison.—Connard,réponditAsh,dutacautac.Etunelourdeodeurdetestostéroneflottadansl’air.
Chapitre16LANEY
Leretoursefitaprèsledîner.Mesparentsétaientdéçusquenousnerestionspaspluslongtemps,maisnousavionsbesoindeplusd’intimitépourparlerdecequis’étaitpassélanuitdernière.Enplus, je n’étais pas très à l’aise à l’idée de coucher de nouveau avec lui
avec mes parents à quelques pas seulement. Je ne savais même pas si nousallionsrecommencerpourtant.Etneserait-cepastrèsdommage?Parceque,franchement,celaavaitétéce
quej’avaisconnudemieuxjusqu’alors.Lesquestionssebousculaientdansmatêtealorsquejeroulaissurdesroutes
plongéesdans l’obscuritéavantde rejoindre l’autoroute.Étions-nousensembleou pas ? Allait-il retourner dormir sur le canapé ? S’attendait-il à ce que jel’invitedansmonlit?Et,lesouhaitais-je?Jeconnaissaisaumoinslaréponseàcettequestion.Lorsque nous nous retrouvâmes enfin devant la porte de mon… de notre
appartement, le sang battait àmes tempes. C’était un soulagement d’être à lamaison.Je m’affalai sur le canapé, soulagée de laisser Ash porter nos bagages et
rangerauréfrigérateurlesrestesquemamèreavaitinsistéquenousemportions.IlpritmoniPhonedansmonsacetlançaledernieralbumd’Adele.J’écoutaiAsh s’activer dans la cuisine, remplir la bouilloire et lamettre en
marche.Rapidement,l’odeurdecamomilleserépanditdanslapièce.J’entrouvris lesyeuxquand je le sentis tirer surmesbottes et commencerà
massermespiedsendoloris.—C’estbon,gémis-jeensentantsonpouces’enfoncerdansl’arcdemonpied
gauche.Ilneréponditpas,fredonnantlachanson,sansprononcerlesparoles.Sesdoigtsremontèrentsurmeschevilles,lesmassantavecsoin.Ilnepouvait
pasremonterplushaut,jeportaisunjeanskinny.Jedevraisporterplusdejupes!Lesmotss’échappèrentalorsdemabouche:—Quefaisons-nousmaintenant,Ash?Ilmeregarda,unsourcilarquésanschangerlerythmedesonmassage.—Cequetuveux,Laney.
Jefronçailessourcils,déçuequ’iléviteainsiderépondre.—Jeveuxsimplementsavoiroùnousensommes.—Jenesaispas.Ilallaitfalloirquejediseleschosesclairement.Jemepréparaimentalementà
entendrelaréponseàmaquestion:—Noussommesencouple,Ash?—Noussommesmariés,répliqua-t-il,lefrontplissé,commesicelaexpliquait
tout.C’étaitpeut-êtrelecaspourd’autrespersonnes,maispaspournous.—Nousnoussommesmariésafinquetuobtiennestacarteverte,poursuivis-
jeenessayantdegardermoncalme.Mais…lanuitdernièreet…cematin,nousavonscouchéensemble.Ilmesourit,lesyeuxbrillantsdedésir.—Oui.—Jenecouchepascommeçaavecn’importequi!m’écriai-jeensecouantla
tête.—Jesuistonmari!—Surlepapierseulement!Cen’estpasunvraimariage.Ilselevad’unbond,lesnarinesfrémissantdecolère.—Jenecomprendspascequetuveux!Jeprisunegrandeinspirationenm’efforçantaucalme.—Ilfautquenousmettionsquelquesrèglesenplace,lançai-je,lavoixfroide
etcrispée.Ilagitalesmainsdevantluidefaçonexagérée.—Alorsquellessontcesrègles?—Ehbien…Est-cequenous…désires-tu…quenouscouchionsensembleà
l’avenir?—Biensûr,répliqua-t-ilencillantdesurprise,sacolèrecommeenvoléepuis,
ils’assombritànouveau.Pourquoi?Pastoi?Jefailliséclaterderire.Queljeudefaux-semblants!Ilfallaitquejemecalme
etdomptemesémotions,sinonnousn’aboutirionsàrien.Etencoremoinsaulit.—Ash,vienst’asseoir.Ils’assitàmescôtés,trèscrispé.—Cequejeveuxdire…c’estquesitonbutestdesavoirquipréfèretaqueue
etqu’ilfautlapartager,ceserasansmoi.Ashfuttellementsurprisqu’ilfîtunbondenarrière.Oups.J’aipeut-êtreétéunpeubrutalesurcecoup-là.
—Iln’yapersonned’autredansmavie!—Pasmêmelafemmeavecquitupassestesnuits?Oupeut-êtredevrais-je
dire,lesfemmes?—Quellefemme?Iln’yapersonned’autre,s’exclamaAsh,interloqué.—Ash,jet’aivu!Tuavaisdesgriffuressurlapoitrine…ettoutescesnuits
oùtusortais.Seslèvrestremblèrentlégèrement.— Fallait-il que je reste à l’appartement pendant que tu baisais l’autre
connard?Oh,çan’allaitpasdutoutdansladirectionquejevoulais!—Non,biensûrquenon…—L’entendre…avectoi…çamerendaitmalade.Jenepouvaispasresterlà,
sansriendire.—Alors,oùallais-tu?—Aupub.—Oh!Pas…Tun’étaispasavecdesfemmes?Ilmeregardait,unsourcilarqué.—Non.—Maistapoitrine?Jen’aipasinventécesgriffures!Ilbaissalesyeux.—J’avaisenviedetrouverunefille.Tuétaisavecleconnard,doncjevoulais
faire la même chose. J’ai trouvé une femme disposée. Mais quand elle acommencé à me griffer… Je n’ai pas pu aller jusqu’au bout. Je n’avais pasvraimentenvied’elledetoutefaçon.Sonvisages’étaitferméetjecomprisàquelpointcelal’avaittouchédeporter
lestracesdequelqu’und’autresursoncorps.Moncœurseserra.—Notresituationestplutôtoriginale,dis-jeetc’étaituneuphémisme.Jene
sais pas trop ce qu’il y a entre nous,mais je ne peux pas dormir… avoir desrelations sexuelles avec quelqu’un qui envisage d’en avoir avec d’autrespersonnes.Jesaisquenousnesommespasuncoupledanslesens traditionnelduterme.Dansaucunsens,enfait,mais…Ilmepritlamainpourlaserrerentrelessiennes.—Tum’as épousé pourm’aider, je le sais.Mais je crois qu’il y a quelque
choseenplus,n’est-cepas?—Oui,jepense.—Jeneveuxpersonned’autrequemafemme,Lan.Ettoi?dit-ilencaressant
doucementmajoueduboutdesdoigts.
—Non,pasvraiment.Noussommesuncouple,alors?Réellement?Enposantcettequestion,jemesentaisunpeumalàl’aise.Sijedemandaisà
Ashd’entrerdansmonmonde,j’allaisdevenirsonfardeau.J’eussoudainenviedereprendremesmotsetdelesenfouirauplusprofonddemoi-même.Maisaulieudeça,Ashpritmamainetlaplaquacontresapoitrine.—Réellement.J’étudiai avec attention son visage, en essayant de deviner ce qu’il pensait.
L’expérience fut douce-amère. Ash me choisissait, excluant toute autrepossibilité.—J’espèrequetuneregretterasjamaiscechoix,dis-je,lavoixtremblante.Et
siunjour,tuneveuxplusdemoiparcequemoncorpsnefonctionneplus?—Etsi?Tun’asqueçaàlabouche!Tutecachesderrièrecesmotscomme
si c’était un bouclier. Et si tu es dans un fauteuil roulant ? Et si tu marchescommeunevieillefemme?—Hé,espècedesalaud!—Jesuisunsalaudparcequejetemetsdevantlaréalité?Jememoquede
toutça!Tuesmonrayondesoleilàmoi!Ma famille et Collin m’avaient toujours protégée des hauts et des bas de
l’existence.Maisnotrevieseraitfaiteaussid’extrêmesavecAsh.Ensemble.—Emmène-moidansnotrelit,Ash,demandai-jeenm’appuyantcontrelui.Sesyeuxétincelèrent,illuminésparlapassion.Ilpenchalatêteetembrassale
dosdemamain.C’était un geste démodé, gentil, en totale contradiction avec le désir que
j’avaisvu flamboyerdans son regardquibalayaitmoncorps, commes’il étaitincapabledechoisirentremesseinsetmabouche.Jel’aidaiàsedéciderenpassantlesbrasautourdesoncouetenl’attirantà
moipourposermeslèvressurlessiennes.Il lesentrouvritpourmedonnerlebaiserleplustorride, lepluslent, leplus
excitant que j’avais reçu de toute ma vie. C’était une façon de me fairecomprendre qu’il contrôlait la situation et qu’il allaitm’embrasser exactementcommeilenavaitenvie.Ashespiègle,Ashsérieux,Ashdragueur…Etj’étaisentraindemedireque
l’Ashsexyétaitceluiquejepréférais.Seshanchestournaientparesseusementdansunrythmelentquiauraitpuêtre
celui d’une danse ou tout simplement une bonne vieillemanière de se frottercontremoi.
Jeposai lamainentreses jambesetmassai labossequisedéveloppaitsoussonjean.Unlongfrissonsecouasoncorpsetilsepressaencorepluscontremamain.Je
mouraisd’enviedetouchersoncorpsnu.Jedéboutonnaimaladroitementsachemise, lesdoigtsgourds,à la recherche
desapeaunue.Ilritcontremaboucheetlevalesbraspourm’aideràpasserlachemisepar-dessussatête.Sa peau était comme de la soie chaude, douce et tendre, tendue sur des
musclessolides;mesdoigtsexploraientlesplatsetméplatsdesapoitrineetdeson ventre, puis vinrent caresser les cicatrices et les marques de coups quimaculaientsondos.Ilsoupiradesoulagementquandjebaissailafermeturedesonjean.Sonsexe
étaitdressécontrelemétalaupointquejemedemandaissiellenelaisseraitpasunetracepermanente.Je fis descendre sonpantalon, tentée de déposer unbaiser sur songlandoù
brillaitunegouttedeliquideséminal.Maisjem’abstins.Peut-êtrequ’unjour,jelepourrais,maisnousavionsletemps.Quelleidéemerveilleuse,d’ailleurs!Ash se débarrassa tout seul de ses chaussures et du reste de ses vêtements
avant de ramper jusqu’à moi. Ses yeux étaient si expressifs que j’entendispresquel’ordre«Déshabille-toi!Toutdesuite!»Jeluirépondisdelamêmefaçon:«Vas-y!Oblige-moi!»Il me souleva dans ses bras si vite que mon estomac chavira. Il me porta
jusqu’aulit–notrelit–enmeretirantmesvêtementsentredeuxbaiserslentsetlangoureux.Jefermailesyeuxpourmeprotégerdecevisagemagnifiqueetdessensations
quimenaçaientdemesubmergercomplètement.Ilétaitcommeunevaguedansl’océan, unemarée tiède et jeme noyais dedans – dans le bonheur et dans leplaisirphysique.Je soulevai les genoux, parcourue par un frisson d’anticipation quand il
s’arrêtapourdéposerunbaisersurmacuisse,prenantunegrandeinspirationeneffleurant du nez mon intimité. Il posa sa bouche chaude et humide sur meslèvres et il traça le contour de mon clitoris de la langue. Il me goûtait, metouchait, exploraitmon intimité. Puis, bientôt, il pressa ses hanches entremescuissesetsonsexe,magnifiqueetbrûlant,mepénétra.Nous restâmes ainsi sans bouger quelques secondes, essoufflés, le regard
plongédansceluidel’autre.C’étaitnotrefaçond’officialisernotrecouple,ànospropresyeux.
Puis,ilcommençaàbouger,memontrantexactementqueltyped’énergieundanseur professionnel pouvait déployer. C’était largement plus qu’un hommenormal.Illemontradeuxfois.Ashétaitdugenreperfectionniste.Etj’enadoraichaqueseconde.Puis lesommeilnoussaisit, tellementnousétionsépuisés,droguésparcette
sérénitéquisuitl’orgasme.Lebrasd’Ashs’enroulaautourdemoietilposalamainsurmonseingauche.C’étaitapparemmentsapositionfavoriteetellemeconvenaittrèsbien.Nousfîmeslagrassematinéelelendemain,c’étaitjusteparfait.Nousfinîmes
parémergerversmidi.Pasfaciled’annonceràmesamiesmonmariageavecAsh.PourVanessa,cefutparFaceTime et je serrai les dents quand ellemepassa un savonpour ne pasl’avoirinvitée.Elleme jura qu’elle avait tout de suite remarqué l’attirance qu’Ash et moi
partagions,mêmedansl’ambiancehorribledenotrerencontre.Jenelacontredispasetjeluipromisquenousluirendrionsvisiteleplustôtpossible.Jopritmieuxlanouvelle,affirmantquejen’avaisjamaisparuaussiheureuse
etqu’ellemouraitd’enviedenousvoirtouslesdeux.Puisjel’annonçaiàmescollègues,maisjeneduspasêtretrèsclairepuisque
jereçusunmessagedefélicitationsdemonchefnousfélicitantCollinetmoi.Jecorrigeaisonerreurlorsdenotreréunionmensuelle.Ma mère s’occupa de prévenir le reste de ma très grande famille et tous
exigèrentderencontrerAshauplusvite.Maismoiaussi,j’avaisenviedelevoir.Il ne fut pratiquement pas à lamaison le reste de la semaine. Il se traînait
jusqu’à l’appartement après les répétitions, totalement épuisé. Il n’avait quel’énergiedemangerunpeuetdes’écroulersurlelitpours’yendormiraussitôt.Etleseulsoirquenouspûmespasserensemble,nousnousdisputâmes.Cela commença à propos d’un détail sans aucun intérêt – enfin du moins,
c’étaitmonavis,maispasceluid’Ash.NousregardionsdesrediffusionsdeDanseaveclesStars.Quandjeluiavais
proposélapremièrefois,ilavaitétéplutôtméprisant,medisantqu’ils’agissaitd’amateursetquecelanel’intéressaitpas.Maisjusteaprèsdeuxdanses,ilavaitété complètement captivé (et assez pénible), commentant toute l’émission,m’expliquant ce que les danseurs professionnels montraient aux amateurs.J’avaismêmefiniparlemenacerdeluicollerduscotchsurlabouche.
Ilavaitlesyeuxtrèsfatiguésetnousregardionsl’émission,blottisl’uncontrel’autre,sousunecouverture.Ilétaitépuiséetd’humeurmaussade.Unedesstarsde l’émissionétait en traind’expliquer àquelpoint sonpère, décédéneuf ansplustôt,luimanquaitetqu’elleallaitdanserpourlui.Sesyeuxs’embuèrentdelarmesalors.Jemaugréaidansmoncoin.—Quoi?demandaAsh,lavoixsèche.—C’estdelamanipulationaffective!«Jesuistristeparcequemonpapaest
mort.Votezpourmoi!»Çam’énerve,c’esttout!Ashserralesmâchoires;unmuscletressautasoussonœil.—Cen’estpasdelamanipulation.Quandtudanses,turessensdesémotions.
C’est comme… une mémoire musculaire qui fait entrer de l’émotion dans ladanse.—Oh,s’ilteplaît!C’estjusteunmoyenassezminabled’obtenirlevotedu
jury.C’estmalsainetdemauvaisgoût.Ilselevasoudain,meprenantparsurprise.—Tunesaispasdequoituparles!Puis, il sortit de la pièce à grandes enjambées et j’entendis la porte de la
chambreclaquerderrièrelui.Je restaibouchebée.Que s’était-il passé ?Venions-nousdenousdisputer à
propos d’une émission de télévision ? C’était difficile d’éviter ses champs deminesémotionnelsquandjenesavaispasdutoutoùilsétaient.C’étaitépuisant.J’étaisépuisée.Il revint vingt minutes plus tard, encore humide de sa douche et prêt à
s’excuser.Sa façon de le faire fut deme faire l’amour à sa façon très énergique. Cet
homme était unemachine et s’il n’avait pas été aussi fatigué par les longuesséancesderépétition,jenesuispascertainequenousaurionsfermél’œildelanuit.Ashdormaitrarementbien.Cesnuitsétaientsouventagitées.Sesdémonsle
poursuivaientjusqu’aufonddesesrêves.Le jour de la première,Ash grésillait littéralement d’énergie,même s’il juraitqu’ilétaitcertainqueceseraitundésastre.Jetentaidelecalmer,maisilétaitbientropénervé.— Tu seras formidable sur scène, murmurai-je, sur un ton que seuls les
amantsutilisent.Ilappuyasonfrontcontrelemien.
—Jesuisextraordinairequandjesuisavectoi.Sanstoi…Je l’embrassai en posant mes mains sur ses mâchoires solides. C’était un
baiserdanslequeljedéversaitouteslesémotionsqu’ilm’inspirait,toutl’amourquej’éprouvaispourlui,toutel’admirationetl’étonnementquejeressentais.—Jet’aime,Ash.Nousnoussommestrouvés,nousnoussommesmariéset
nous sommes tombés amoureux. Nous avons tout fait à l’envers. Mais c’estcomme ça, c’est nous, notre histoire. Et maintenant, tu vas y aller et tureviendras.Parcequec’estnotrehistoireaussi.Pourmoi,leschosesnesesontjamaisdérouléescommepourlesautres:masanté,lesenfants,lacertitude…—Quoiqu’ilarrive,nousnoussoutenonstoujoursetnousavonsnotreamour
quinousrendplusrichesquedesrois.—Pourquoi restes-tu avecmoi, alors que je ne peuxpas t’offrir ça ? Je ne
peuxavoird’enfants.Ilmefixa,leregardsérieux.—Parcequejet’aime.Parcequejeneveuxpasdanserseul.Ilquittal’appartementaprèsunbaiserdévorantquim’enflammadelatêteaux
pieds.Unepromessedebienpluspourplustard.Jeretrouvaimamèreetmessœurspourboirequelquescocktailsdansunbar
toutprocheduthéâtre,quinouspermettraitd’yarrivertrèsvitemalgréleverglasquiavaitrecouvertlaville.Il y avait une petite foule devant la salle et j’espérais vraiment qu’Ash se
trompait en pensant que ce serait une catastrophe. Il était trop exigeant, sansdoute.Jeretiraimonmanteau,monécharpe,monbonnetetmesgantsetprisplace
surmonsiège.Nousavionsdetrèsbonnesplacesautroisièmerang,j’étaisassiseentremamèreetBernice.Monpèredevaitvenir,mais ilavaitétéappelépourremplacer quelqu’un. Du moins, c’est ce qu’il avait dit. Je préférais de toutefaçonqueseuleunepetitepartiedelafamillesoitlà.Je tapotai nerveusement l’accoudoir etmamère s’empara demamain et la
serradoucement.—Mercid’êtrevenue,maman,chuchotai-je.—Jen’auraismanquéçapourrienaumonde.JemedemandaicequeressentaitAshaufonddescoulisses.Jefisunepetite
prièrepourluisouhaiterquetoutaillebien.Quand les lumières s’éteignirent et que la musique se lança, j’étais pleine
d’espoir. Je sentis un flot d’adrénalinem’envahir ; cela ne devait être qu’unepâleversiondecequeressentaitAsh.Malgrétout,c’étaittrèsexcitant;j’allais
découvrir mon mari sur scène, pour la première fois depuis Las Vegas. Celaseraitforcémentspécial.J’étaistellementexcitéequejemetortillaissurmonsiègequandlesdanseurs
rentrèrentsurscène,maisaufildestableaux,monenthousiasmes’éteignit.Je ne voulais pas y croire au départ, mais Ash avait raison : Broadway
Revisited était épouvantable. C’était un méli-mélo mille fois vu sans aucunecohérence ni vraie intrigue.Celame faisaitmal pour les danseurs qui avaientbeaucoup travaillé. Le metteur en scène et le producteur semblaient toujourscroirequec’étaitlespectacledusiècle,maisiln’yavaitqu’euxpourpensercela.Lescritiquesseraientimplacables.Des applaudissements discrets saluèrent la performancedes danseurs. Il n’y
eut pas de rappel et la salle qui n’était qu’àmoitié pleine se vida rapidement.Nous étions censés aller boire quelque chose pour « fêter ça ». Pas sûr quebeaucoupsoientd’humeuràcélébrerquoiquecesoit.—Ashaététrèsbon,ditBernicegentiment.Cetteblondequidansaitaveclui
aussi.—Sarah.Elleesttrèssympa.—Ilsvontbienensemble. Ilsauraientdû leurpermettrede faireplusqu’un
tango.C’étaittrèschaud.Oui,voilà,c’étaitmonmari,l’hommequiétaitsuperchaudquandildansait.
Ouquandilsetenaittoutsimplementdebout.Ouassis.Etencoreplus,allongésurmonlit.Etilétaitàmoi.Celamefitsourire.Bernicesurpritmonexpressionethaussa
lessourcils.Pasgrave,jem’enfichais.Nousprîmesladirectiondupubleplusproche.Ashnenousrejoignitqu’une
vingtainedeminutesplustard,sortantvisiblementdeladouche,leteintpresqueorangesousl’éclairagepeuflatteur.Quandjevisqu’ilavaitpasséunbrassurlesépaulesdeSarahetqu’ilavaitla
têtepenchéeversellepourluiparler,unevaguebrûlantedejalousiemetraversa.Mais elle s’évanouit quand jem’aperçus qu’elle pleurait et que ses charmantsyeuxbleusétaientgonflésetinjectésdesang.Je me déplaçai sur la banquette pour lui faire de la place et elle se laissa
tomberàcôtédemoi.Ash m’adressa un petit sourire et salua ma famille de la tête pendant que
Sarahseprésentait.IlsedirigeaaprèsverslebaretrevintavecunebouteilledeHennesseyetsixverres.Noustrinquâmesetnousvidâmesculseclepremierverre.
—MonDieu, j’en avais besoin,marmonna Sarah. Je te jure, Laney, si tonhommen’étaitpaslà,j’auraisprislatangenteilyalongtemps.Ilesttellementcalmetoutletemps.Jenesaispascommentilfait.Moi non plus. J’étais persuadée qu’Ash était coléreux et susceptible. Ça
m’étonnait que d’autres pensent ça de lui. Un nouvel éclair de jalousie metraversa.Nous prîmes encore quelques verres et certains des autres danseurs nous
rejoignirent, mais l’esprit n’était pas à la fête. Nous quittâmes rapidement lasoirée.Quelsoulagementderegagnermonappartementetderetrouverdessensations
dansmesorteils et au bout demes doigts.Ashn’arrêtait pas de plier samaindroiteengrimaçant.Lesdoigtsquiavaientétébriséslefaisaientsouventsouffrir,maisc’étaitpirequandilfaisaitfroid.J’allais lui proposer de préparer un chocolat chaud, quand à ma grande
surprise, ilm’attira contre lui etm’embrassa avidement.Sonhaleine sentait lewhisky et la cigarette, mais j’étais trop excitée pour m’en plaindre sur lemoment.Ilplongealesdeuxmainsdansmonjeanetempoignamesfesses.—Ahhh!Tesmainssontgelées!Tumelepaieras!Iléclataderirecontremaboucheetjetiraisursaceinturependantquenous
nous dirigions en titubant vers notre chambre en éparpillant les vêtementspartout au fur et àmesure que nous les retirions.Nous chuchotions, détaillanttoutcequenousallionsnousfairedanslesminutesàvenir.JefrissonnaiquandAshm’attirasouslesdrapsfrais,avantd’êtresecouéepar
des frissons d’une autre nature quand il me réchauffa de la manière la plusanciennedumonde.Ashselevatrèstôtlelendemainmatin,enfilantrapidementsonjeanpouralleracheterlesjournauxdumatin.Nousnousattendionsàdemauvaisescritiques,maisnouspouvionstoujours
espérerunmiracle.Ash faisait les cent pas, le temps que je trouve la page spectacle dans le
journaletquejetrouvelescritiquesleconcernant.Jegrimaçaienlisantletitredel’article:UnedindedeNoëlàéviter.Aïe!—Vas-y,lis!medemanda-t-ildoucement.
BroadwayRevisitedestlegenredespectaclequiauraitdûresterauniveaudela mauvaise idée et ne jamais atteindre la scène. Mark Rumans est devenucélèbre grâce à son rôle dans « Forty Second Street » à Broadway, mais nesembleplusjamaisavoireudebonnesidéesdepuis.Desrumeursontfiltrésous-entendant qu’il était rentré en conflit avec Rosa Hart, la talentueusechorégraphe.Elleaquittél’équipe,ilyaunmois.Seuls,deuxnouveauxvenus,SarahLintortetAshNovak,sauventcespectacle
dudésastre.Le tango argentin de « Evita » qu’ils ont dansé était un chef-d’œuvre de
tensionsexuelle,d’harmonieaveclamusique,depassioncontenue.Cedivinduos’est affronté dans un duel formidable, seul moment qui sauve cette longuesoiréed’unennuimortel.UneétoiledoncpourLintortetNovak,maissinon,unspectacleàéviter.—Ilsontaimévotretango,murmurai-jebêtement.Ashhochalatêteetentradanslacuisine.Il s’appuya à l’évier, le regard perdu dans le petitmatin gris et couvert. Je
passaimesbras autour de sa taille et posaima tête contre sondos.Sesmainschaudesvinrentseposersurlesmiennesetilpoussaungrandsoupir.—JeseraiauchômageàNoël.Désolé.—Tun’aspasàt’excuser,tuasétémerveilleux.Mêmececritiquelepense.
Tutrouverasunautretravail,j’ensuiscertaine.Ilneréponditrien.Lorsqu’il partit pour le théâtre ce soir-là, j’avais le cœur serré. La journée
avaitétédifficile,iln’avaitpasditgrand-chose.Jecomprenaisbienàquelpointyretournercesoir,ensachantquec’étaittrèsmauvais,devaitêtrepénible,mêmesilecritiqueavaitremarquéqu’ildansaitbrillamment.Étant donné les étranges circonstances de notremariage et le fait que nous
devions divorcer dans deux ans,même si nous avions l’air trèsmariés quandnous étions dans lemême lit, je n’étais pas censée soutenirmon époux d’unemanièreoud’uneautre.Etpourtant,j’enavaisenvie.—Oh,continue,Ash!Continue!Ils’enfonçaencoreplusprofondémentenmoi,toutprèsdelajouissance,mais
jel’étaisencoreplusquelui.Audépart,jepensaiquelebruitquej’entendaisétaitceluiquefaisaitleliten
cognantlemur.Ashl’avaitrepoussédeuxfoisdéjà,mais,ilseretrouvaitcontre
laparoid’unemanièreoud’uneautre.Ilavaitmêmefaitsauterunpeudeplâtreàforce.Ashm’avaitpromisqu’ilrépareraitçadèsquepossible.Lejourcommençaittrèsbien,lesprémicesd’unorgasmepicotantlecreuxde
monventre.J’entendisalorsànouveaulebruit.—Ash!— Oui, mon amour ! souffla-t-il, les dents serrées, les hanches allant au-
devantdesmiennescommeunpiston.Il pressa avec son poucemon clitoris et bien que le bruitm’ait distraite, le
plaisir explosa enmoi, urgent, incontrôlable, faisant naître des éclairs derrièremespaupièresetm’obligeantàfermerlesyeux.J’entendisalorslesonpourlatroisièmefois.Ashapprochaitàtoutevitessedupointdenon-retour,sesmouvementsmoins
précis,plussauvages,adoptantunrythmepresquedésespéré.TOC-TOC-TOC!—MonsieurNovak?MadameNovak?JesuisRalphPhillipsdesServicesde
l’immigration.Ouvrezlaporte,s’ilvousplaît.—Oh,monDieu,Ash,arrête!Ilfautquenous…Nousdevons…Ashpoussaunjuron,décidéàallerdroitaubut.Ilsemitàmepilonner,dela
baisepureetsimple.—Ralph Phillips, des Services de l’Immigration des États-Unis. Je suis au
regretd’insister,maisouvrezlaporte.Ash juraànouveau,se retirabrusquementet sedirigeaàgrandspasvers la
porte,l’expressionorageuse.J’observai sa silhouette qui s’éloignait, son cul délicieux juste au niveau de
mesyeux.Ils’arrêtasimplementpourprendreuneserviette,bientroppetitepourdissimulercomplètementqu’ilétaitencoreenérection.J’enfilaimarobedechambreetjetaiuncoupd’œildiscretdanslesalon.Ash
ouvrit la porte à la volée, son souffle rapide soulevant sa poitrine, les jouesrougies.Un homme grand et mince portant des lunettes rondes était sur le seuil et
recula d’un pas quand il se retrouva en face d’un Slovène furieux de quatre-vingtskilosquilefusillaitduregard.—Ah!MonsieurAljažNovak?—Quoi?—J’aurais voulu savoir s’il était possible d’avoir un entretien avec vous et
madameNovak. Je suisRalphPhillipsdesServicesde l’Immigration. Je vousprésentemacollègueMoiraWalsh.
—Nousétionsoccupés,grognaAsh.Jevisl’hommebaissersubrepticementleregardsurlaservietted’Ashetvirer
aucramoisi.—Malgrétout,jemepermetsd’insister,reprit-ilvisiblementdéstabilisé.Jemedépêchaidesortirdemacachette,carj’avaispeurqu’Ashleurclaquela
porteaunez.—Jesuisdésolée,dis-jeenlissantmescheveux.Nous…J’allaisprendrema
douche.—Jesuisvraimentnavré.MadameNovak,jesuppose.—Biensûr,répondis-jesèchement.Ilsemblaitunpeugênéet,dissimulantunegrimace,jeluiouvrislaporte.Ashétait toujoursaussi furieuxet jecraignaisquesonsexesortedesous la
serviettepourserrerlamaindenosvisiteurs.Jeluiconseillaid’allerprendreunedouchependantquejepréparaisducaféetmonDieu,j’enavaisbienbesoin.Jesurprismonrefletdanslafenêtredelacuisineetdécouvris,horrifiée,quej’avaisdegrossesplaques rougessur lespommettes, lementon, lecouet lapoitrine ;quant à mes cheveux, ils étaient hirsutes… comme lorsqu’on vient de fairel’amour…Moncœurbattaitlachamadeetpassimplementàcausedeladernièredemi-
heure.LesServices de l’Immigration ne faisaient ce genre de visites-surprisesque lorsqu’ils suspectaient un mariage blanc. Je me demandai qui nous avaitdénoncés.Collinaurait-ilpuêtresuffisammentencolèrepourcela?Leschosesnes’étaientpasbienterminéesaveclui,maisjerefusaisdelecroirecapabledeça.L’homme,Phillips,m’observait, l’œilsuspicieux,maissacollègueavaitl’air
mieuxdisposée.Peut-êtrequ’iljouaitàleurpropreversiondegentilflic/méchantflic ou peut-être que son humeur s’était améliorée en voyant un Ash presquetotalementnu.Cela fonctionnait à tous les coupsavecmoi.Maintenant, jemereprochaisdenepasm’êtremised’accordavecAshsurlaversionàleurdonner.Quelleidiote!Jeservislecafé,avalantplusieursgrandesgorgéesduliquidebrûlantavantde
prendreladirectiondelasalledebain.Moiraobservaituntableauaccrochéaumur et je compris, trop tard, qu’elle m’avait retenue assez longtemps pourqu’Ashaitterminésadoucheetsoitcomplètementhabillé.Nousn’aurionspasletempsdediscuter.Elleluiadressaunsourirebienveillantquandilpassaàcôtéd’elle.Je me dépêchai d’aller prendre ma douche et je revins rapidement, vêtue
également.Ashétaitassisdanslesalon,l’airmaussadeetnerveux.—Etbiensûr,nousvousinterrogeronsséparément,conclutmonsieurPhillips
aprèsavoirexpliquéenquoiconsistaitcettevérification.Ashmelançauncoupd’œilrapide,maisquepouvais-jedire?MadameWalshm’escorta jusque dans la chambre alors qu’Ash restait avec
Phillips.—Quellecharmantechambre!s’exclama-t-ellealorsquejeprécipitaispour
refairesommairementlelit.Vousavezunevuemagnifique.—Oui,merci.C’estlaraisonpourlaquellej’aichoisicetappartement.—VousneconnaissiezpasAshàcemoment-là?—Non.—Depuiscombiendetempsvivez-vousici?—Sixans.—Etvousconnaissezvotremaridepuiscombiendetemps?—Troismois.Àpeine.Elletapotasonstylocontresonbloc-notes.—Lesfiançaillesontétérapides.Jeneluirépondispas.—Quepensevotrefamille?Jenesavaispascequejepouvaisdire,jedevaisêtreprudente.—IlsaimentbeaucoupAsh,maisilsauraientpréféréquenousorganisionsun
grandmariageavectoutemafamille.—Maiscen’estpascequevousavezchoisi?—Non.—Puis-jevousdemanderpourquoi?— J’ai trois sœurs aînées. Pour chacune d’entre elles, ma mère a été
insupportable aumomentde leurmariage. Jenevoulaispasde ça etAshnonplus.—Commentvousêtes-vousrencontrés?Je pris une grande inspiration et me jetai à l’eau. Quand j’eus terminé, les
sourcilsdemadameWalshétaienttellementarquésqu’ilsdisparaissaientsoussafrange.—Incroyable!marmonna-t-elle.C’esttotalementincroyable.J’étaisassezd’accordavecellesurcepoint.Jepensaisqu’elleenavaitterminéavecsesquestions,maisjemetrompais.—Est-cequ’ilvousdonneunpetitsurnom?
Jecillai,priseparsurprise.—Ehbien,oui.Çaseprononceunpeucomme«moïsonchèque»,maisjene
saispascequeçaveutdire.Ilneveutpasmeletraduire.Ellepritcedétailennote,lessourcilsfroncés.L’entretien devint de plus en plus personnel : quelle était la couleur de la
brosse à dents d’Ash ? De quel côté du lit dormait-il ? Est-ce qu’il préféraitgarder la lumière allumée en faisant l’amour ou pas ?Quelle était sa positionpréférée?Lesquestionsétaient tellement intimesque lacolèrecommençaàmonteren
moi.Onauraitditqu’onm’infligeaitdéjàunepeine.Mongouvernementavait-ilvraimentbesoindesavoirtoutça?—MadameNovak,pourriez-vousmerépondre,s’ilvousplaît?medemanda
madameWalshgentiment,maisfermement.—Il couche sur le côtégauchedu lit, répondis-je froidement.Parfois, nous
laissons la lumière allumée, d’autres non. Et nous adorons toutes sortes depositions.J’étaiscramoisie.Elleprittoutennote,medonnantl’impressiond’êtresaleet
qu’onavaitviolémonintimité.
ASHLes questions qu’il me posait étaient bizarres. Il voulait savoir qui sortait lapoubelle,quifaisaitlescourses,quifaisaitleménage,passaitl’aspirateur.Ileutl’airunpeuagacéquandjerépondisàpresquetout:—Touslesdeux.Maisc’étaitlapurevérité.—Avez-vousdeslampesdanslachambre?—IlyenaunesurlatabledenuitdeLaney.—Maispassurlavôtre.—Non.—Pourquoidonc?—Jenelispasbeaucoup.Lireenanglaisestdifficilepourmoi.Ileutunpetitriresec:—Vousnelisezpasalorsquesonmétier,c’estd’écriredeslivres.Etellene
dansepasalorsquec’estvotreprofession.Qu’avez-vousvraimentencommunavecvotreépouse,monsieurNovak?Je ne savais pas quoi lui répondre. Sur le papier, nous ne partagions
strictementrien.Pourtant,nousnemanquionsjamaisdesujetsdeconversation.Il n’y avait jamais de silences pénibles entre nous. Au contraire, ils étaientagréablesetpaisibles.—Elleaimeécouterdelamusique,répondis-je,faiblement.—Hum.Dequelcôtédulitdortvotreépouse?Hein?Bordel!Jeprisunegrandeinspiration.—Ducôtédroit.Ilgriffonnaquelquesmotssursonformulaire.—Lorsdevosrapportssexuels,préfère-t-ellelaisserlalumièreoupas?Jecroisailesbrassurmapoitrine.—Çanevousregardepas!Ilmejetauncoupd’œilpar-dessusseslunettes.—Vouscomprenezbien,monsieurNovak,quenousavonstouteslesraisons
de penser que votremariage avecmademoiselleHennessey ne vous sert qu’àobtenirlacitoyennetéaméricaine?Lescirconstancesétrangesquiontconduitàcetteunion,dontvousnousavezvous-mêmesparlé,larapiditédecemariage…Toutcelajustifiecesquestions.Sivousnepouvezpasyrépondre,nousseronsobligés d’en tirer les conclusions qui s’imposent. C’est dans votre intérêt, etceluidevotreépouse,denousfournirdesréponsesdirectes.Jememisàfixerleplafond,furieuxetimpuissant.IlétaitcommeSergei,mais
sanslaviolencepsychotiquedececinglé.Leslunettesenplus.—Lalumièreéteinte.Laney n’aimait pas son corps. Elle se trouvait trop mince, sans forme
féminine.Maispourmoi,elleétaitl’incarnationdelaféminité.—Quellepositionaffectionne-t-elle?Jeserrailesdentsetrefusaiderépondre.—C’estmadernièrequestion,monsieurNovak,précisa-t-il.—Toutes!grognai-je.Jemelevaietmedirigeaiàgrandesenjambéesdanslacuisine.Jenepouvais
pasregardersapetitetêtesatisfaitesansavoirenviedeluicasserlafigure.Au même moment, Laney sortit de la chambre, pâle et visiblement
bouleversée.Jelaprisdansmesbrassansriendire.Sesdoigtsagrippèrentmontee-shirtetelleposasatêtecontremapoitrine.—Nousvouscontacterons,lançaPhillips,justeavantdepartir.JememisàjureralorsqueLaneys’effondraitsurlecanapé,levisageenfoui
danssesmains.
Lesjoursquisuivirent,nousfûmestouslesdeuxdevraiesboulesdenerfs.Nousnous attendions à un appel, à une lettre ou à une autre visite des sbires del’Immigration–c’étaitmonnouveaumotfavoriquej’avaisapprisenregardantdesrediffusionsdeBreakingBad.Etchaquesoir,jedevaisallerauthéâtrepouressayerdedistraireuneassistancequisemblaitseréduireunpeuplusàchaquereprésentation.Nous attendions tous la sentence. C’est pourquoi, lorsque Dalano et Mark
nous demandèrent de venir dix minutes plus tôt, je savais à peu près à quoim’attendre.Nousnousrassemblâmesencerclesurlascènevide;Sarahs’appuyaitcontre
monépaule.Dalanonousfittaireets’éclaircitlagorge:—Mercid’êtrevenusplustôtaujourd’hui.J’aiunemauvaisenouvelleàvous
annoncer. La vente de tickets n’est pas très bonne. Ces idiots de critiques nesaventcequ’estlaclasse.Markafaitunboulotincroyabledechorégraphie,dit-iltristementensetournantverssonpetitami.MaiscommencerlespectaclejusteavantNoël,cequin’étaitpasdenotrefait,ajouécontrenous.Ilvafalloirquenousarrêtionslespectacle.Ladernièresedérouleralevingt-quatredécembre.Jesais que c’est un gros choc pour vous, et je déteste devoir vous annoncer uneaussi mauvaise nouvelle, mais je vous promets que ce n’est pas la fin deBroadwayRevisitedetqueceshowrenaîtradesescendrestellephénix.Ilpritunegrandeinspiration,sousnosregardshostiles.— Votre implication et votre affection me touchent au cœur ce soir et
j’aimerais vous remercier d’avoir pris part à cette formidable aventure. Noussommes simplement en avance sur notre temps, ajouta-t-il dans un petit rire.J’espèrequevousdonnerezvotremaximumcesoir,histoiredefairementirlescritiques.Merde!Personnen’applaudit,maisDalanoetMarkne semblèrentpas le remarquer,
leursregardssoudésl’unàl’autre.Nousnousdirigeâmestousverslesvestiairesetaprèsm’êtrerasé,jem’assis
prèsdeSarahquiavaitcommencéàappliquersesfards.Monmaquillagenemeprenaitquetroisminutes:del’eye-liner,dufonddeteint,del’autobronzantetdelapoudre,unpeudemascaraetdugloss.Cen’estpascequejepréféraisdansladanse,maisjefaisaisceladepuisdesannéesetçanemedérangeaitpas.Celadit,jenepensaispasçaàquatorzeans.— J’ai pris un billet pour Londres, il y a une semaine, me dit Sarah en
appliquantdel’anticerne.
—Ahoui?Ettureviensiciaprès?—Probablementpas.J’iraioùl’onvoudrademoi.Unedemesamiesavecqui
j’aiétudiétravailleàl’opéradeSydney,etellemedemandedepuislongtempsdela rejoindre. J’iraipeut-être.Trouverdusoleilenhiver,çapeutêtre sympa.Ettoi?— Je vais chercher un autre travail moi aussi, répondis-je en haussant les
épaules.—TudevraisalleràLondres,Ash,continua-t-elleenétalantsonfonddeteint.
MonamiePaulam’aditqueplusieursshowsrecherchaientdesdanseurspourleNouvelAn.Tun’aspasbesoindevisapuisquelaSlovénieappartientàl’Unioneuropéenne.Laneypourraityalleravectoi.Elletravailledechezelle,jecrois?Jenepusretenirunéclatderire.Sarahmeregarda,interloquée.Quelle ironie d’avoir épousé Laney pour obtenir une carte verte et aller
travaillerenEuropeoùlasituationseraitrenversée:ellepourraittravaillerdelà-basgrâceànotreunion.—Tuesvraimentbizarre,meditSarahenmelançantunpinceauàlatête.Elle avait certainement raison,mais ce qu’elle venait de direme donnait à
penser.CelachangeaitdemoninquiétudesurmonavenirauxÉtats-Unis.Lepublic tombaàunecinquantainedepersonnesdansunesallequipouvait
enaccueillircinqcents.Iln’yavaitriendepirequededanserjusqu’às’enfaireexploserlecœurpournerecevoirquequelquesmaigresapplaudissements.Maiscelanenousempêchapasdelefaireaveclesourire.Nousaffichionsceputaindesouriretouslessoirsetnousdansionsjusqu’ànousenfairesaignerlespieds.Le matin du réveillon de Noël, une drôle d’impression me saisit dès mon
réveil,unmauvaispressentiment, commeavantune tempête, commesionmecoupaitlesouffle.Moncœurbattaitlachamade,maistoutsemblaitparfaitementnormal.Laneydormaitàcôtédemoi.Jeme levaiaussi silencieusementquepossibleetme rendisdans la sallede
bain. Je fixai mon regard dans le miroir en me demandant ce que la vie meréservait.J’essayais de compartimenter ma vie, d’oublier ce qui s’était passé à Las
Vegas, d’oublier Sergei et même mes amis. Cela fonctionnait parfois, mais àd’autres moments, j’avais l’impression de devenir fou et que les différentespartiesquimecomposaientallaientsecassercommeduverre.La femme qui dormait àmes côtésm’avait tellement aidé. Je lui en serais
éternellementreconnaissant.C’estgrâceàellequejetenaislecoupetquejenemedispersaispasenmillemorceaux.Jenesavaismêmepaspourquoi.
JevoulaisluioffrirunmerveilleuxcadeaudeNoël.J’avaispenséàunebaguedefiançaillesassortieàsonalliance,maisjenepensaispasquec’étaitunebonneidéeetjen’étaispascertainqu’elleenavaitenvie.J’avaisachetéàlaplaceunecentainedemeschansonspréféréesetjelesavais
téléchargéessursontéléphone.Ellesavaienttoutesunesignificationpourmoietj’espéraisqu’ellesenprendraientunepourelle.Jem’aspergeaid’eaufroideenévitantdemeregarderdanslemiroir.C’était
plusfacileainsi.Laney dormait toujours quand je revins dans notre chambre. J’observai son
visagequ’ellefronçaitunpeu.Elleboitaitdepuisdeuxjoursetnoussavionstouslesdeuxqu’elleallaitdéclencherunecrise.Ellerefusaitdel’admettrecependant.Ouplutôt,ellerefusaitquecelagênesavieenquoiquecesoit.Ellevivaitavecdenombreuseslimitations;ellenepouvaitpasfairecertaines
choses,ouellenepouvaitpasessayerdelesfaire.Certainesresteraientàjamaisimpossibles, mais elle avait le cœur le plus généreux du monde. Elle étaitremarquabledebiendesmanières,maisellenes’enrendaitpascompte.Ellem’avait laisséentrerchezellealorsqu’ellemeconnaissaitàpeine.Elle
m’avait toujours fait confiance et ellem’avait tendu lamain alors que tout lemondel’endissuadait,l’encourageaitàseméfierdemoi.Dans unmonde où il était bien plus facile de regarder ailleurs, elle s’était
intéresséeàquelquechosed’autrequ’àelle-même.Ellem’avaitsauvéetjelaremerciaisenessayantdeneplusmepréoccuperde
mes amis et de reprendre le cours dema vie. Je n’avais rien fait pourYveta,Marta, Galina ou Gary. Et pour cette fille, celle dont j’ignorais le nom, quihantaitmes rêves et disparaissait pendant la journée, je n’avais rien tenté nonplus.Jepouvaisfairesemblantquetoutallaitbien,laseulepersonnequej’avaissauvée,c’étaitmoi.J’étais en train de préparer le café quand j’entendis frapper à la porte. Je
pensai toutd’abordquelessbiresdel’Immigrationétaientderetouravecleursquestionsindiscrètesetdébiles.Mais jeme trompais.Qu’est-ce que j’avais fait auBonDieu ?C’était bien
pirequel’Immigration.J’enfilairapidementunjeanetallaiouvrirlaporte.Unpolicierenuniformesetenaitsurleseuil.—MonsieurNovak?Jesuisl’agentJenkins.—Oui,jemesouviensdevous.C’était le connard qui m’avait écrasé la tête sur le capot de sa voiture de
patrouille,lanuitdemonarrivéeàChicago.Jen’étaispasprèsdel’oublier.—Noussouhaiterionsvousinterrogeraucommissariat.JesentisLaneyquise tenaitderrièremoi ;elleposaunemainapaisantesur
monépaule.C’étaitàlafoisunavertissementetungestederéconfort.—Encoredesquestions,Billy?Faut-ilquejecontacteAngela?Letyperougitetdéglutitnerveusement.—Votrepère,enfin,leCapitaineHennesseym’ademandédeleconduireau
poste.Iln’estpasenétatd’arrestation.—J’espèrebien!s’exclama-t-elle.C’estàproposdequoicettefois?—Jenesaispas,oudumoins,jenesuispascertain.Jetejurequec’estvrai,
Laney.Il la suppliait presque cequim’aurait bien amusé si je n’étais pas si tendu.
Laneymejetauncoupd’œil.—Nousdevrionsyaller.L’agenteutl’airtrèssoulagé.Moi,pasvraiment.Je finis dem’habiller, le visage fermé. J’attrapaimonmanteau et les suivis
dehors.Le voyage jusqu’au poste de police se déroula dans le silence. Il était peu
probablequelesflicssoientautorisésàécouterMixouKissFM.Instinctivement, jemesaisisdelamaindeLaney.Sic’étaitfini,si jedevais
rentrer chezmoi, il fallait que pendant nos derniersmoments ensemble, je luifassecomprendrequ’elleseraittoujoursmonamie,que…Elle tourna son regard gris vers moi. Ses yeux exprimaient toute sa
compassion,sonamourpourmoi.Laprisedeconsciencefutbrutale.Jen’avaisrienvuarriver,jen’avaispassu
interpréter lessignes, jemementaisdepuissi longtemps…maisàunmoment,l’amitiéetl’admirationétaientdevenuesdel’amour.J’étaistellementamoureuxd’ellequenousnefaisionsplusqu’un,jenesavaisplusoùellecommençaitetoùjem’arrêtais.J’en eus le souffle coupé à tel point que celame fitmal de respirer. Je ne
savais pas que l’amour pouvait vous faire perdre ce réflexe. Faire l’amour àLaneyétaittrèshautdanslalistedeschosesquim’étaientindispensables,justeaprès l’air, mais avant la nourriture et à égalité avec la danse. Non, plusmaintenant.Laneym’étaitplusnécessairequel’oxygène.Mojsonček,monrayondesoleil.—Nousysommes,dit-elledoucement.J’avais à peine entendu ce qu’elle disait. Jeme penchai vers elle et pressai
mes lèvres sur les siennes, en prenant son visage entre mes mains. Puis jel’embrassaicommesic’étaitlapremièrefois.Ouladernière.—Jet’aime,dis-je,monsouffleeffleurantsapeau.Tuesmonrayondesoleil,
LaneyNovak.Jet’aimetellement.Elle cilla, stupéfaite, et soudain un sourire magnifique s’épanouit sur son
visage,l’illuminantcommelerayondesoleilqu’elleétait.—Ilt’enafalludutemps!Jet’aimedepuislepremierjouroùjet’aivu.J’éclatai de rire, surpris, et nous restâmes comme deux idiots amoureux
jusqu’àcequel’agentDuconouvrelaportière.LesouriredeLaneys’évanouit.—Quoiqu’ilarrive,Ash,tun’espasseul,d’accord?Ellemeserraànouveau
lamainetjehochailatête,labouchesoudainsèche.LeCapitaineHennesseynousattendait,maiscettefois,iln’essayapasdenous
sépareretne fit aucuncommentaire sur la façondontLaneysecramponnait àmoi.Ouplutôtsurlamanièredontjemecramponnaisàelle,commeunhommeentraindesenoyer,agrippeunebranche.Il nous conduisit à une salle d’interrogatoire où Petronelli et Ramos se
tenaientdéjà,demêmequel’amiedeLaney,Angela,etunhommeencostumequejeneconnaissaispas.—Angie!Quesepasse-t-il?demandaLaney,ens’éloignantdemoipourse
dirigerverssonamie.— J’attends encore qu’on me le dise, dit-elle en me regardant les sourcils
froncésavantdemeserrer lamain.Mais j’ai appris labonnenouvelle.Toutesmesfélicitations.Laneyhochalatêteetluisourit.—Merci.—Tusemblesheureuse,ditAngela,demauvaisegrâce.—Oui,nouslesommes,répliquaLaneyenmeprenantlamain.Son père ferma la porte, signalant ainsi que les choses sérieuses
commençaient.Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je détestais être dans desespacesexigusetfermés.CelamerappelaittropavoirétécoincédanslavoitureavecSergei.Jememisàtranspireret j’essayaidemecalmer.Laneyserraitmesdoigtssi
fortquejedusréprimerunegrimacededouleur.—Désolée,chuchota-t-elleenmelâchantsur-le-champ.—Mercid’êtrevenu,Ash,lançasonpère.—Nous…— Je vais prendre les choses en main à partir de maintenant, Capitaine
Hennessey,lecoupal’hommeencostumesansmêmeleregarder.—Ashestmongendre,dit-ilvisiblementunpeuvexé.Àcesmots,jetournaibrusquementlatêteverslui.Personneneparlapendantquelquessecondes.— Je comprends, reprit l’homme calmement. Je suis l’agent spécial John
Parker, du service des alcools, du tabac, des armes à feu et explosifs. NousenquêtonssurvotreamiVolkovetsesconnexionsaveclesOutlaws,ungangdemotards, responsable de cinquante-cinq pour cent de l’activité criminelle auNevada.Nousn’ensavonspasbeaucoupplus.Ilmeregardaalorsdirectement.— Grâce aux informations que vous nous avez fournies, nous avons pu
localiserlecentrenévralgiquequicoordonnetousleurstraficsd’êtreshumainsetleursréseauxdeprostitution.LepèredeLaneyjetaunregardirritéàl’homme.—Ilsonttrouvétesamis,Ash.YvetaKuznetsetGaryBenson.Les doigts de Laney étreignirent à nouveau les miens, mais cette fois, la
douleurétaitlabienvenue.—Est-cequ’ilsvontbien?—Dansunavenirproche,oui.Jenecomprenaispascequeçavoulaitdire.—EtMarta?Galina?—Nous n’avons pas réussi à localiserMarta Babiak, répondit Parker. Une
femmeporteuse de son passeport a quitté lesÉtats-Unis, il y a unmois,maisaprèscela,nousperdonssapiste.—Galina?— Nous avons toutes les raisons de penser que Galina Bely a été tuée le
quinzedécembreouauxalentoursdecettedate.Pendantquejedansaisdansunspectaclenul.OhmonDieu!— Monsieur Novak, dit Parker, grâce aux éléments que vous nous avez
fournis, nous avons pu sauver 137 femmes et 27 hommes répartis dans unedouzainedelieuxdanscepays.Etcen’estpasterminé.Nousavonségalementarrêté 33 membres des Outlaws et nous aimerions que vous nous aidiez àidentifierceluiquevousavezvu.Volkovaromputoutlienaveceuxetilaperduplusieursdeseshommeslorsdefusillades.NouspensonsqueVolkovestentraindefaireleménage.Ilvaabandonnercertainesdesesactivités.Envousenfuyant,vousavezsauvélavied’autrespersonnes.JesentislesmainsfraîchesdeLaneysurmesjouesetjecomprisqu’elleétait
entraind’essuyermeslarmes—Tuasfaituntrucformidable,monchéri,murmura-t-elle.Jesuistellement
fièredetoi.Jen’avaisrienfaitàpartsauvermaproprepeau.—Deplus,repritParker,nousavonsdécouvert,euh, lesrestesd’unhomme
blanc,entretrenteetcinquanteans.Nouspensonsqu’ils’agitd’OlegIvanowski,le bras droit de Sergei Boykov. Nous aimerions que vous l’identifiiez, sipossible.—Quevoulez-vousdirequandvousdites«lesrestes»,agentspécialParker?
demandaAngela.Monclientn’estpasmédecinlégiste.L’hommelafixaetréponditfroidement:—Nousavonsunetête,MadamePinto.LevisagedeLaneydevintlivideetsesmainsmoites.—Est-cequ’ilestobligédefaireça?—Celanousseraitd’unegrandeaide,MadameNovak.—Jeleferai,dis-je,lavoixblanche.Ilhocha la têteet attenditqueLaneydétourne la têteavantdeposerdevant
moi une photo en noir et blanc. L’image révéla une forme boursouflée, quiressemblait plus ou moins à une citrouille. Cela n’avait rien d’humain. Lescheveux coupés très courts évoquaient ceux d’Oleg,mais cela ne suffisait paspourconclurequec’étaitlui.—Jenesaispas.Çapourraitêtrelui.Il…Oleg…aunelonguecicatricesurla
jouedroiteetilaeulenezcassé.MaréponsesemblaplaireàParker.C’étaitbizarrede regarder laphotode la têted’Oleg.Celanecorrespondait
pasàl’impressiondedanger,demenacequ’ildégageait.Là,iln’étaitplusrien.J’espérais que son corps était en train de nourrir des asticots, qu’il avait
souffertquandilsl’avaienttuéetqu’ilavaitsentichacundescoupsdecouteauqu’ilavaitpeut-êtrereçus,chaqueballe.J’espéraisqu’ilavaitcriéenagonisant.J’espéraisqu’ilétaitmortlentement.Etj’étaisheureuxqu’ilsoitmort.Lemondenes’enportaitquemieux.—EtSergei?demandai-jeenm’étranglantpresqueenprononçantsonnom.Parkerhaussalesépaules.—Volkovfaittrèsbiensontravail.IlesttrèsprobablequeBoykovsoitdéjà
mort ou en passe de l’être. Nous avons eu de la chance pour Ivanowski. Lepropriétaired’unranchl’a trouvéeninspectant les limitesdesondomaine.Onpensequedescoyotes…bref,celan’aplusd’importancemaintenant.
Jenevomispasmêmesimonestomacsesoulevaunpeu.Laneypoussaunepetiteexclamationetjel’entouraiinstinctivementdemonbras.—VousallezarrêterVolkov?—Noussommesencoreentraind’accumulerdespreuvescontrelui.Nousne
voulons pas que lui, mais tous ses contacts. Nous sommes en liaison avecInterpol.Jenepeuxpasvousendireplusaujourd’hui.Jenesavaispasquoipenser.C’étaitterminé,aprèstoutcetemps?J’auraisdû
me sentir soulagé. Je ne ressentais rien de spécial, pourtant j’aurais voulu.J’avais l’impressiondeflotterdansunesorted’eaufroidequianesthésiait tout.MêmeLaney,blottietoutcontremoinemefaisaitrien.C’étaitbizarre.Cematin,j’avaisdécouvertquejel’aimaisetmaintenantjene
ressentais plus rien. Je savais que j’étais toujours amoureux, du moins je lepensais,maisjen’éprouvaisriendespécial.Sonpèrem’observait,lesyeuxétrécis.Jeluirendissonregardjusqu’àcequ’il
sedétourne.—EtYvetaetGary?demandai-jeàParker.—Nous lesavonsconduits ici.MademoiselleKuznetsachoiside lesuivre.
MonsieurBensonadelafamilleàKenosha.Ilétaitravidesavoirquevousétieziciaussi.—Oùlesavez-voustrouvés?Parkermeregardalonguement,prenantletempsdelaréflexion.—IlsontétéretrouvésdansunedesplanquesdesOutlawsprèsdeBoise.Ils
avaientétédéplacésplusieursfoisavant.—Jepeuxlesvoir?—Nouspouvonsarrangerunerencontre.IlssontàMercy.Jenecomprenaispascequ’ilvoulaitdireparlà.Laneyprécisa:—C’estlenomd’unhôpital.Sa voix semblait venir de très loin, comme si lemur vitré entre le reste du
mondeetmois’épaississaitetsetroublaitchaqueseconde.Matêtecommençaàmefairesouffrir.—Pourquoisont-ilsàl’hôpital?L’expressiondeParkerdemeuraitimpassible,maisjesentaisqu’ilmecachait
quelquechose.—Ilsétaientdéshydratésprincipalement.QuandlesOutlawsontcommencéà
avoir quelques problèmes avec Volkov, ils les ont abandonnés. Ils sont restésprobablementtroisouquatrejourssansnourriturenieau.Jememassailestempes,essayantd’atténuerladouleurpulsatile.
Laneymerepritlamainetl’étreignitdoucement.—Ilsne lesauraientpas laissésvenir jusqu’ici s’ilsavaientété tropmalen
point,dit-ellepourmerassurer.—Sivousn’avezpasd’autresquestions,jepensequemonclientenaassez
faitpouraujourd’hui,ditAngela,lavoixferme.—Iln’yaplusquelesphotosetj’enauraiterminé.Ilsortituneparune,unesériedephotographies.Certainesétaientdesphotos
de la police, d’autres semblaient avoir été prises à distance, probablement pardescamérasdesurveillance.Jecrusreconnaîtrelemotard,maissanscertitude.Parkersemblaunpeudéçu.Jen’étaispascertain,parcequecetypeétaitaussiexpressifqu’unmur.Cetteattitudemeparlaitd’ailleurs.IlfinitpardireàAngela:— C’est fini pour moi. Merci, Mademoiselle Pinto, Monsieur Novak,
MadameNovak.Toutlemondeseleva,maisj’avaisencoreunequestionàposer.—EtsiVolkovnetrouvepasSergei?Parker serra les dents et pendant un instant, je crus qu’il allait refuser de
répondre,maisilfinitparsecouerlatêteetdire:— Il a traversé la frontière vers leMexique. Nous pensons savoir où il se
rend. La question est de savoir si c’est nous ou Volkov qui le trouverons lespremiers.J’espérais que ce seraitVolkov.Qu’il le trouverait, le castrerait avant de le
tuer.
Chapitre17ASH
Je n’avais pas envie de faire face à Gary. En entrant dans sa chambre,brillammentéclairée,àl’hôpital,jenesavaispasàquoim’attendrenimêmes’ildésiraitmevoir.Tout cequi lui était arrivé– et je ne savais toujours pasquoi exactement –
étaitdemafaute.Garyétaitassisdanssonlit,latélévisionalluméeaveclesontrèsbas,maisil
regardait par la fenêtre, perdu dans ses pensées. Quand il entendit la portes’ouvrir, ilsetournadanscettedirection,levisagerenfrogné.Lorsqu’ilmevit,unlargesourires’épanouitsursonvisage,etjegrimaçaiendécouvrantlestracesdecoupsjaunâtresquicommençaientàs’effacersursonvisage.— J’ai une tête à faire peur, je sais. Toi en revanche, tu es superbe.Allez,
viensm’embrasser,petitcon.Ilmesouritenagitantlesmainspourm’inciteràlerejoindre.Jeleprisdansmesbras.Unfrissonleparcourutetilmeserratrèsfortcontre
lui.—Jesuistellementcontentquetut’ensoissorti,putain,murmura-t-il.Jem’écartaiunpeudelui,surpris.Jem’attendaisàdesreproches,pasà…ça.—Bonsang,çafaitplaisirdetevoir.Iln’yapasunseulcharmantmédecin
danslesparages,dit-ilentrelerireetleslarmes.Commentvas-tu?—Je…Jenesaispasquoidire.Pourquoinemecries-tupasdessus?Garyparuttrèsétonné.—Ehbien,jesuiscontentdehurlermajoieenvoyanttabellepetitegueule,
maisjenecroispasmetromperenpensantquecen’estpasàçaquetufaisaisallusion?—Mais…toutcequit’estarrivéestdemafaute!Garysecoualatêteénergiquement.—Non,non.Tutetrompes.Tuasessayédemefaireréagir,d’enparler,mais
jenevoulaispassavoir.Mêmequandilst’ontfrappéetquetuétaisauboutdurouleau…J’auraisdût’aideràcemoment-là.Maisjenel’aipasfait.Ildésignasonvisageettoutsoncorps.—Toutcelaestdemafaute.Jesuistellementcontentquetut’ensoissorti.Je
ne sais pas du tout comment en revanche. J’ai cru qu’il t’avait tué dans un
premiertemps,maisquandilsontcommencéàmequestionnerpoursavoiroùtuétais,sijesavaiscommenttuavaisfait,jemesuisréjoui.J’auraisétéencorepluscontents’ilsavaientarrêtédemetaperdessus,maisendehorsdeça…—Ilst’ontbattu?Justeça?Gary jeta un coup d’œil à ses mains et c’est là que je découvris la peau
arrachéeauniveaudesespoignets.Ilavaitétéattachéoumenotté.Ilseforçaàrire,lesjouesécarlates.—Ehbien, ilafalluquejesucequelquesqueues,maiscen’estpasuntruc
nouveaupourmoi.Maisquandilrelevalesyeuxversmoi,jevisdanssonregardqu’ilétaithanté
parça.Toutcommemoi.—Tuasfaitcequ’ilfallaitpoursurvivre,dis-je.—Toiaussi?demanda-t-il,lesyeuxécarquillésparlasurprise.Jehochailatête.—Sergei?—Oui.—Commentluias-tuéchappé?Onnet’ajamaisrevu…Tun’espasrevenu
aprèsl’entracte.JefisunegrimaceetGaryrepritens’excusant:—Tun’espasobligédemeledire.—Si,justement.Jeretiraimonmanteau,monpulletmontee-shirtdevantunGarysilencieux.
Puis je lui tournai le dos pour exposer mes blessures. Au bout de quelquessecondes,jemeretournai.Ilmeregardait,lestraitsgraves,commevieillis.—Unefemmeestarrivéeavantqu’ilspuissentallerjusqu’aubout.C’étaitune
touriste.Elles’estenfuieetçam’adonnéuneopportunitédeleuréchapper.J’aifuimoiaussi.Jesuisdésolé.Jen’aipaseuletempsdet’avertir.Ilrestasilencieux,perdudanssespensées,pendantquejemerhabillais.—Nousavons tousnosdémons,Ash. Jevaism’ensortir.Mesparents sont
venusmerendrevisite.Ilsétaientbouleverséscommetupeuxt’endouter,maisilssontvenus.Doncoui,jevaism’ensortir.Ilfaudradutemps,c’esttout.Ilfautsimplementquejemefasserefairelesdents.J’ailatêted’unplouc,cen’estpaspossible !Mais comment as-tu atterri àChicago ? Je n’arrivais pas à y croirequandilsm’ontditquetuétaisici.Jem’éclaircislagorge;pasfaciled’expliquercequis’étaitpasséavecLaney.Jecommençaimonrécit,suivantl’évolutiondesespenséessursonvisage:de
la surprise, il passa à l’incrédulité, pour terminer avec une expression plus
réservée.—Jesupposequejedoisteféliciter,dit-il,enseforçantàsourire.—Merci.Maissonsourires’effaçarapidement.—TuasdéjàvuYveta?—Non,jesuisvenuverstoidirectement.—TusaisqueGalinaaététuée?Jedéglutispéniblement.—Lapolicem’aditqu’elleétaitmorte,mais…—Ilsl’onttuéedevantnous.AprèsqueSergeiaitlaissésescopainsmotards
s’amuseravecelle.MonDieu,Ash,jen’aijamaisvu…dit-il,lavoixtremblanteet il dut avaler sa salive plusieurs fois avant de continuer. C’était pourtantévident que nous ne savions rien. Bon sang, jeme suis fait dessus dès qu’ilsm’ont regardé. Je supposequec’estpourçaqu’ilsm’ont foutu lapaix. J’étaisrépugnant.PourYveta,çaaétépire.Bienpire.Elle…ellen’estpasbien,Ash.J’assimilaistoujourslacolèreàunesensationdechaleurbrutale,maisceque
je ressentais maintenant, c’était une sorte de lente submersion dans l’eauglaciale.Monsangsefigeadansmesveines,danschaqueartère,jusqu’àcequemoncœursoitcommeprisdanslesglaces.— Tu devrais aller la voir, dit-il en posant la main sur la mienne et en la
serrantdoucement.Net’attendspasàgrand-chose.Essaiedenepaslafixertroplongtemps…elledétesteça.Et…neluiparlepasdetafemme.Pastoutdesuite.—Mais…—Jesuissérieux,Ash.Unechoseàlafois.Aprèsceténigmatiqueavertissement,jemelevai.—Jereviendrai.—Merci,ditGary,enessayantdesourire.Çameferaitplaisir.Laneym’attendait,anxieuse.Jeneparvinspasàluidirequoiquecesoit.Je
fisjusteunpetitsignedetêteaupolicierenfactiondevantlaportedelachambred’Yvetaetilmelaissaentrer.La seule lumière provenait du soleil couchant et la pièce était plongéedans
l’obscurité.—Salut,c’estAsh,lançai-jedoucement,pournepasluifairepeur.Elletournalentementlatêtedansmadirection,maisellenem’adressapasla
paroleetsesyeuxmeregardèrent,sansvie.Lecoingauchedesaboucheétaitrelevé par une longue cicatrice plissée. Elle était encore très fraîche et malrefermée.Elleremontaitjusqu’àlaracinedesescheveux.
—Puis-jem’asseoir?Elleneréponditpas.Jeprisplace,prudemment,surlebordd’unechaisequi
se trouvait à côté du lit. Je ne savaismême pas si ellem’avait reconnu. Ellen’étaitpeut-êtrepas très lucideàcausedesmédicaments.J’espéraisquec’étaitçaetqu’ilslabourraientdedrogues.Jenesavaispasquoiluidire.Jeprisdélicatement samaindans lamienne.Sesdoigtsétaientgelés. Je les
frottai doucement. Je lui racontai, à voix basse, tout ce qui s’était passé, oupresque,etjeluidisencoreetencorequej’étaisdésolé.Quandj’eusterminé,jelevailatête.Elleavaitlesyeuxclos,maisleslarmestrempaientsesjoues.Jenesavaispassiellepleuraitpourmoi,oupourelle,àmoinsqueçasoitpournousdeux. J’en avais envie moi aussi, mais mes larmes étaient comme gelées,bloquéesenmoi.Jemedemandaisijeressentiraisànouveaudesémotionspleinement.Jerestaiassisprèsd’ellependantuneheure,sansriendire,jusqu’àcequ’une
infirmièremedemandedepartir.—Jereviendrai,annonçai-je,répétantcequej’avaisditàGary.Jenesaispassiellem’entendit.Laney m’attendait dehors et pour je ne sais quelle raison, cela m’agaça.
J’avaisenvied’êtreseulavecmesidéesnoires.Laneyétaitunrayondesoleiletsabrillancem’étaitinsupportablepourlemoment.Elledutlesentir,carellen’essayapasdemetoucher,mêmesijevoyaisbien
qu’elleenavaitenvie.Maisellevoulaitmeposerdesquestions,cequiétaitbienpire.—Tum’enparlerasunjour?DeSergei?Pourquoia-t-ilétéaussicruel?Jehaussailesépaules,malàl’aise.J’étaissurmesgardes.Elles’emparademamainetj’avançailentementdanslecouloirdel’hôpital.
Je me surpris à frotter mes côtes comme si seul le contact physique pouvaitapaiserladouleurquejeressentaisàl’intérieur.Je ne lui avais toujours pas répondu. Je cherchais à contrôler la panique et
l’horreur, oubliant presquequeLaney était là, attendant patiemmentque je luiracontemonhistoire.LagentilleLaney,bienveillanteetdouce.Jelafixaietdis:—Jenepeuxpast’enparler.Sa déception fut si intense que j’eus l’impression qu’on me plantait un
couteaudansleventreetjemedétournaibrusquement.—Jepeuxtoutentendre,jet’ai…
Alorsj’explosai;toutemarageetmafrustrationsefocalisèrentsurLaney.Jene voulais pas penser à toute cettemerde. Pourquoi insistait-elle comme ça ?C’étaitterminé!Fini!Pourquoinelâchait-ellepasl’affaire?—J’aisurvécu!hurlai-je.
LANEYJesursautaiquandilabattitsonpoingsurlemuretqu’ilsemitàcourir.Bientôt,jen’entendisplusquesacourseprécipitéedanslecouloir.Leslarmesmemontèrentauxyeuxetjelesessuyaifurieusement.—Quelleidiote,marmonnai-je.Non,maisquelleidiote!Avais-jebesoindeconnaîtretouslesdétailssordides,desavoirtoutcequ’Ash
avaitétépousséàfairepardésespoir?J’avais vu ce que Sergei s’apprêtait à lui faire.Demes propres yeux.Mais
quelque part, je savais qu’Ash n’avait pas encore accepté ce qui s’était passé.S’ilnepouvaitpasm’enparler,peut-êtrefallait-ilqu’ils’adresseàunthérapeute.Pournousdeux.Je savais déjà qu’Ash était complètement fermé à tout par moment, qu’il
gérait ce qui lui était arrivé en compartimentant ses souvenirs.Mais peut-êtreque la meilleure thérapie, c’était d’être dans les bras l’un de l’autre, des’accrocheràl’autrecommedeuxsurvivantsd’unnaufrage.Je le découvris à l’extérieur de l’hôpital, en train de fumer, le front plissé,
complètementabsorbédanssespensées.—J’aiappeléun taxi,dis-je. Il sera làdansquelquesminutes.À lamaison,
nouspourrons…—J’aiunereprésentationcesoir.—Ash,cen’estpaslapeinede…—Si,biensûr!hurla-t-il.Biensûrquesi!Pourquoinelecomprends-tupas?Une infirmière qui passait par là me jeta un regard inquiet, hésitant à
interveniroupas.Ellefinitpars’éloigner,encontinuantànousjeterdesregardsanxieux par-dessus son épaule. Les membres du personnel devaient avoirl’habitudedevoirdesgensdérangés.Letrajetdansletaxisedéroulaensilencejusqu’àcequ’Ashmesuggèrede
rentreràlamaison.—Non,jeresteavectoi.Ilmeregardaavecsuspicionetjesentismoncœurseserrer.Maisjedécidai
del’ignorer.Lechauffeurnouslaissaaucoindelarueconduisantàl’entréedesartisteset
jesuivisAshàl’intérieur.Jesavaisqu’ilauraitpréféréêtreseul,maislethéâtren’ouvraitpasaupublicavantuneheureetilfaisaitfroiddehors.Jepensaisqu’ilavaitvraimentbesoindemoi,mêmes’iln’avaitpasl’aird’accord.Ash était le dernier à arriver et le metteur en scène ne semblait pas très
content.Mais,étantdonnéquec’étaitlejourdeladernièrereprésentation,ilneditrien.—C’estsympad’êtrevenu,ironisaSarah.OhsalutLaney!Tuesvenuenous
voirpartirendansantdanslesoleilcouchant?—Oui,enquelquesorte,répondis-jeensouriantfaiblement.—Quesepasse-t-il?Ondiraitquevousrevenezd’unenterrement.Oh,mon
Dieu,c’estvraimentlecas?— Nous avons passé une très mauvaise journée, c’est tout, répondis-je
calmement.Jet’enparleraiplustard.— D’accooooord, dit Sarah visiblement peu convaincue. Ash, tu préfères
mettretoncostumed’abordouquejetemaquille?—Jepeuxm’enoccuper,situveux,proposai-je.Ashsecoualatête.—Non,tunesaispast’yprendre.C’était blessant, mais il le savait. Sarah posa les mains sur les hanches et
lança:—Tuesvraimentunconnardparmoment,tulesais?Jem’installaidansuncointranquilleletempsqu’Ashseraseetsechange.Je
leregardaissansriendire,maisjesentaisàquelpointilauraitvouluquejesoisloind’ici.Quand il eut terminé, il rejoignit un groupe de danseurs dans la salle
d’échauffementetjemarmonnaiquenousnousretrouverionsplustard.—Non, mais tu as vu comment tu te comportes avec Laney ? entendis-je
Sarahdirealorsqu’ilscommençaientàs’étirer.Vousvousêtesdisputés?
ASHJefailliséclaterderire.Quelleétaitlapirechosequ’ellepouvaitimaginer?Dèsque cette idée me traversa l’esprit, j’eus un peu honte. Est-ce que je voulaisvraiment que quelqu’un comme Sarah sache qu’il y avait des personnes aussinuisiblesdanscemondepourqu’ellelevoiecommemoi?Non.Yveta,quiétaitsexyetsouriante,quipassaitsontempsàflirter,étaitdevenue
l’ombred’elle-même.Un petit morceau de la glace qui entourait mon cœur se brisa alors et je
poussaiungrandsoupirenregardantSarah.—Non,c’estjusteunejournéedemerde.Maisvraimentdemerde.Ellemeregarda,latêtepenchée.—Nousenavonstous,répondit-ellevaguement.Jedétournaileregardenétirantmonischio-jambier.— Je suis allée à l’hôpital pour voir des amis. Ils… ont été grièvement
blessés.Sarahportalamainàsabouche.—Oh,monDieu,jesuistellementdésolée.Ilsonteuunaccidentdevoiture.
Jedétesteconduiredanscetteville,lacirculationestépouvantableet…—Non,ilsn’ontpaseuunaccidentdevoiture.Quelqu’unleurafaitdumal.Sarah eut l’air encore plus choquée, mais au mêmemoment, l’assistant du
metteur en scène nous avertit qu’il ne nous restait que cinqminutes avant ledébutduspectacle.Ilyavaiteuunemini-ruéed’achatsdetickets.Nousenavionsvenduaumoins
soixante-dix. C’était le nombre de spectateurs le plus important de toute lasemaine.Je prismaplacedans les coulisses obscures pour écouter le public respirer,
murmurer,froisserdespapiersdebonbonouautre.Jepouvaissentirlapoussièrequivolaitdanslalumièredesprojecteurs,l’odeurdesfards,latranspirationdesdanseursquisetenaientprèsdemoi.Etquandlamusiquedémarra,laglacedansmapoitrinefonditencoreunpeuplus.Moncœurcommençaàbattreplusvite.Ce n’était pas possible de voir les sièges au-delà des projecteurs, mais je
m’imaginaiquelasalleétaitpleineetjemedisquetoutcequicomptait,c’étaitça:danseretdonnerduplaisirauxgensendansant.Parcequelavieétaitdure,lemondecruel…etquenousavionstousbesoind’unpetitrayondesoleildansnotreexistence.Laneyétaitcerayondesoleil,alorsceseraitpourellequejedanserais.Toute la troupe déboula sur la scène en même temps, une chorus line
chatoyante.On entendit quelques applaudissements timides et épars,mais desapplaudissementsquandmême.Jememisàdansercommeonmel’avaitapprisetjegardailesourire.Commeonmel’avaitappris.Assisedansl’obscurité,ellemeregardait.Jelesavaisparcequejelesentaiset
unpetitéclairdechaleurmontaenmoi.Quand je revins sur scène une seconde fois pourmon tango avec Sarah, je
dansai pour Laney. Le tango racontait une histoire d’amour et de haine entre
deuxpersonnesquisedisputaient,quinefaisaientqu’unavec lamusique.Quinefaisaientqu’un,toutcourt.C’était difficile d’expliquer cela avec des mots, il fallait le vivre pour
comprendre,cettealternanced’attiranceetderépulsion,l’intensitédesémotionsquerecélaitcettedanse.Jeplongeaienavant,mamainterminantlemouvementdansungestebrefet
rapidedelamain.Unbruitquirappelaitceluiduclaquementd’unfouetrésonnaalorsdanslasalleetmesdoigtsdevinrentbrûlants.Stupéfait,jefixaimamain,interrompantmonmouvement,cequifittrébucher
Sarahqui elle, avait continuédedanser. Jen’étaisplus làpour la tenir. J’étaiscommehypnotiséparlesangquidégoulinaitsurmonpoignet.Quelqu’uncriaalorsetlasallenefutplusquechaos.Onm’avaittirédessus,putain!Je fixaimamain,découvrantque ladernièrephalangedemon indexn’était
pluslà.L’adrénaline me fouetta alors et je me laissai tomber par terre, protégé
partiellementparlalignedeprojecteursauborddelascène.Jeserraimamaincontremapoitrine.Toutlemondecriait.—Ilaunearme,hurlaquelqu’un.Tout revint d’un coup : la douleur, la peur, la certitude que Sergei était là
quelquepartetquej’allaismourir.Maisuneidéetransperçalebrouillarddepaniquequimenaçaitdem’envahir:
Laney!Jesautaiouplutôt tombaidanslafossed’orchestre.Lasalleelle-mêmeétait
toujoursplongéedansl’obscurité,maisunelumièrejauneprovenantdescouloirsentrait quand les gens en train de fuir ouvraient les portes. Je priai afin queLaneyfassecommeeux,maisquelquechosemedisaitquecen’étaitpaslecas.LanuitavantThanksgiving,j’avaisaperçuSergei.J’avaiscrualorsquec’était
monimaginationquimejouaitdestours,maisilétaitbienlà.J’enétaiscertainmaintenant.Justeavantmabagarreaveclesivrognes,jel’avaisvuquim’observait...qui
nousobservait.IlconnaissaitLaney.EtVolkovnes’étaitpasdébarrassédelui,pasplusqu’il
n’était auMexique. Il était bien réel et ici. Il me poursuivait, moi. Et Laneyaussi.Lasimpleidéequ’ilposesespattesdetarésurellemerendaitmalade.Quelqu’un avait arrêté lamusique et l’on entendait plusmaintenant que les
crisdeterreur.Unautrecoupdefeuretentitalors;j’étaisplusprèsdesasourcemaintenant.—Sorsdetacachette,sorsdetacachette,Aljaž!chantonnaSergei.Jetiensta
petiteépouse!Papaattendsonvilainpetitgarçon!J’aperçus alors la large silhouette massive à deux rangs devant moi. Mon
estomacremontadansmagorge.IlavaitLaney.Etil tenaitunearmecontresatempe.
LANEYAsh était tombé de la scène. Je hurlai.Une peur irrépressible, paralysantemesaisit.Ash !Mon amour,monmari,ma vie.Monmonde allait s’arrêter alorsqu’ilcommençaitàpeine.L’espoir,lajoie,touslespursplaisirsterrestresétaientdétruits.Mesgenouxcédèrentsousmonpoidsetlemonstredutmeretenirdetomber.
L’odeurenvahissantedesoneaudetoilettemêléeàcelledelasueurmedonnaitenviedevomir.J’avaisdevinéquiilétaitàlasecondeoùils’étaitglisséàlaplacevideàcôté
delamienneaudébutdutango.Etj’avaisvitecomprisaussiquelemétalfroidquisepressaitcontremonventreétaitlecanond’unpistolet.—Jevousaiobservés,chuchota-t-il,sonhaleinefétidemesoulevantlecœur.
MadameNovak.Ha!Cegaminestplusmalinquejenelepensais.Ils’estmariéavecunepetite souris grise pour avoir une carte verte.Ehbien, il ne faut pasqu’iloubliequ’ilmedoitdel’argentetquejemefaistoujoursrembourser.Il baissa ensuite les lunettes de soleil qu’il portait sur le bout de sonnez et
m’observad’unseulœil.L’autreavaitétéretirédesonorbite.—Œilpourœil,c’estjuste,hein?C’estunloupquiaprislemien,jepense
qu’il peutme donner le sien. C’est presque dommage, il a de si beaux yeux,hein?D’unesijoliecouleur,commedel’ambresurtoutquandilsefaitdessustellementilapeur.—Monpèreestpolicier,lâchai-je.—Jesais,murmura-t-ilencaressantmajoueavecungantdecuir.Puis il s’en servit pour me gifler. Le coup était cinglant, mais il ne
recommençapas.—C’estvousSergei.Ilsourit;sonorbitevidesemblaitfaireunclind’œil.—Oh,ilvousaparlédemoi?—Ohoui,ilm’aditquevousétiezunenfoirécomplètementcinglé!
Àmagrandesurprise,sonegosemblaencoreenfler. Ilétaitvisiblement trèscontent.—C’estunbon résumé, je crois, dit-il en riant.Bienqu’ilme semblequ’il
appréciait bien quand l’enfoiré cinglé le baisait. Oh oui, ma chère, j’ai déjàressenti le plaisir d’avoir cette jolie bouche autour de ma queue. Il était trèsdoué.J’aiprisbeaucoupdeplaisir.Sonuniqueœilbrillaitd’unelueurmalveillante.—Menteur!Ilmeritlittéralementaunezpuiscriad’unevoixchantante:—Sorsdetacachette,sorsdetacachette,Aljaž!Je tienstapetiteépouse!
Papaattendsonvilainpetitgarçon!Puis il fixa de nouveau son attention sur moi et reprit sur le ton de la
conversation.— Pourquoi mentirais-je ? Je vais te tuer de toute façon, alors quel est le
problème?Jeveuxjustequetumeuresensachantque…maisj’aichangéd’avisfinalement.Peut-êtrequeje te laisserairegarderquandjebaiseraisonjolipetitcul…Etaprès,jetetuerai.Cefutsoudainirrépressible:jevomissurseschaussures.Sonvisageexprimatoutesarévulsion,illevasonarmeetabattitlecanonsur
moi.Instinctivement,jelevailesmainsafindeprotégermonvisageetentendisclairementl’osdemonpoignetsebriserenmêmetempsqu’uneterribledouleurme coupait littéralement en deux. Je poussai un cri et tombai par terre, englissantdansmonproprevomi.Je roulai sous les sièges et commençai à ramper dans le noir. Je l’entendis
vociférer,furieuxd’avoirperdumatrace.Je tressaillis en entendant deux nouveaux tirs. Je priais pour qu’Ash ait eu
assezdebonsenspourrestercaché,loindesprojecteurspuissantsdelascèneoùilseraituneciblefacile.Il fallaitsimplementquenoustenionslecoupjusqu’àl’arrivée de la police. J’étais certaine que toutes les personnes de l’assistanceavaientdéjàcomposéle911.Ilfallaitsimplementquenoustenionslecoup…Etc’estalorsquetoutesleslumièresserallumèrent.Sergeitournaitdanstouslessens,àmarecherche.Ilsouritjusqu’auxoreilles
quand ilme vit. Il braqua son arme surmoi. J’en aurais crié de frustration sij’avaiseuencoreunpeudesouffle.Je vis alorsAsh se précipiter versmoi et se jeter sur Sergei. J’entendis un
nouveaucoupdefeuetSergeititubadanslerangoùjemetrouvais.Ilréussitàne pas tomber. Il surprit alorsmon regard choqué quand je visAsh tomber à
genoux, en tenant sa main ensanglantée contre sa poitrine. Il s’effondralentementparterre.Sergeisouritetpointasonarmesurmatête.Ash!Oh,monDieu,non!Monmondes’effondra.
ASHOnditquevotreviepassedevantvosyeuxquandvousallezmourir.Sergeisouritencorepuisappuyasurladétente.J’avais l’impression d’être statufié et je baissai les yeux vers l’endroit que
l’armevisaitmaintenant :moncœur.Cefut levisage terrifiédeLaneyquimerevintenmémoireetmepoussaàl’action.Jeressentaisunbesoininstinctifdelaprotéger, de détruire tout ce qui la menaçait et je commençai à bouger. Aumoment où je bandais mes muscles pour me propulser vers l’avant, je sentisl’impactdelaballequimecoupacomplètementlesouffle.Jevisalorsleflashdel’explosionetj’entendislesondutiraprès.Cequimedérangeait,c’étaitquecelan’auraitpasdûsepasserdanscetordre.Jebasculaiànouveaudanslafossed’orchestreettombaisurdesinstruments
depercussionprovoquantunvacarmedesonsdiscordants.Je restai allongé par terre, incapable de respirer, totalement immobile et
presque inconscient. Je fixaimon regard sur le plafond.Lesprojecteurs sur lascène dessinaient l’ombre maléfique d’un Sergei triomphant. Mais quand iltournasonarmeendirectiondeLaney,letempss’arrêta.C’étaitcommeaccepterl’anéantissementdetoutespoirdefutur.Etça,c’étaitimpossible.J’emplisenfind’oxygènemespoumonsetmavisions’éclaircit.Mais j’étaisbien trop lent.Mêmesi jeparvinsàmeredresser,àmejeteren
avant,sentantl’airfouettermonvisage,j’étaistroplent.Sergeitiraetcettefois-ci,c’estLaneyquitombaparterre.Justeaprès,moncorpsrenversaceluideSergeietnoustombâmesentredeux
rangées de sièges, la partie assise relevée se pressant contre mes côtesdouloureuses.— Tu ne veux vraiment pas mourir, hein ? Pas de problème, Aljaž, j’ai
toujoursrêvédet’avoirau-dessusdemoi,balbutiaSergeialorsquejelefrappaisencoreetencore.Lapeaudemesphalangesavaitdéjàexploséetunedententaillaundemes
doigts.Ilcrachaunjetdesaliveensanglantésanscesserdeparler.Jemefichaisdece
qu’ilracontait.Chacunedesesidées,chacunedesesrespirationsétaitmarquée
parsadépravation.Laneyétaitmonrayondesoleiletilmel’avaitpris.J’entendisauloindessirènesdepolicepuisdeshurlements.Sergei poussa un soupir théâtral et me sourit, découvrant ses dents
sanguinolentes.—Jeserailibérédèsdemainmatin.Etjereviendraitechercher.—Pascettefois,répliquai-jeensecouantlatête.Lediablenerepartiraitpassanssonsuppôtcettefois.Je pris l’arme qu’il tenait encore à lamain etm’agenouillai. Quelque part,
j’entendisderrièremoiquelqu’unmecrierde lâchermonarme.Mais il fallaitque je fasse quelque chose avant. Je pointai l’arme en direction du visage deSergei, ignorant son nez qui pissait le sang et sa bouche tordue. J’enfonçai lecanondupistoletdanssonorbitevide.Iléclataderire.Cettefois,j’appuyaisurladétente.Soncorpstressauta,unefois,etjesentisl’odeurpuissanteetdésagréabledela
cordite.Desmainsmesaisirentpar-derrière,metordantlesbras,m’obligeantàlâcher
lepistolet.Je baissai les yeux, découvrant les débris répugnants qui maculaient ma
poitrine:jenesavaisplusdequiilsprovenaient.Je regardai avec fascination le sang et un liquide plus épais composé de
morceauxdecerveauetd’osbrisés,serépandreautourdesatête.Jen’éprouvaispasplusd’émotionsqu’unboucherquiregarderaitunmorceau
de bœuf. Rien. En revanche, je me sentais satisfait. Soulagé aussi. Coupable,non.J’avaisbonneconscience.Ladouleurdansmapoitrines’intensifialorsqu’onmebloqualesmainsdans
ledospourlesmenotter.Jesentaislemétalfroidautourdemespoignets.J’aperçusalorsLaney,immobileetsilencieuse,uncôtédesatêtecouvertde
sang.Toutesmesémotionsréapparurentd’uncoup,commesionavaitouvertlesvannesàunflotdechagrinetdeterreur.—Laney!Je continuai à crier sonnomenmedébattant pour la rejoindre,mais j’étais
totalementimmobilisé.—Laney!criai-jeànouveau.J’essayaiencoredemejeterdanssadirection,maisquelqu’untirafortement
sur les menottes et la douleur que cela provoqua dans ma poitrine fut siinsupportable que ma vision se brouilla et que je crus que j’allais perdreconnaissance.
—C’estsonmari!Laissez-le!Billyétaitjusteàcôtédemoi.Ilhurlait:—Enlevez-luilesmenottes.Toutdesuite!Merde,onluiatirédessus,bande
d’abrutis.Oùsontlessecours?Ah,merde,Laney!
LANEYJerêvais,flottantentredeuxmondes.J’étaisbien.Nousétionscouchésl’unprèsdel’autre.C’étaitdoux,commeêtreallongéssurdesnuages,ousurunocéan,unété.Oui,c’estça,nousétionsétendussur laplage, lesvaguesvenantmourirànospieds.—Turêves,Laney?Certainement.Àquoirêves-tu?Ashétaittorsenu,sapeauhâlée,sespupillesdelacouleurd’unvieuxwhisky.
Le Ash de mes rêves était incroyablement beau. Sa silhouette élancée,parfaitementdéfinie,sescuissesétaientmusclées,sontorsesculpté.Ilscintillaitlittéralementsouslechaudsoleil.Ilétaittellementbeau.LeAshdemesrêvesmesouritencore.Ilétaitplusdétenduquejel’avaisvu
detoutemavie,sesyeuxdépourvusdetoutstress.—Mesrêveséveilléssont trèsdifférentsdeceuxquejefais lanuit.Jerêve
alors que je vole, mais pas dans un avion, moi toute seule, ajoutai-je engloussant.C’estfacileàcomprendre.Ettoiàquoirêves-tu?—Dansmesrêveséveillés?Celaachangé.Jerêvequejedansepartoutdans
lemonde,quejeracontecommeçadeshistoires,quej’apportedubonheurauxgens.Lanuit,j’avaisl’habitudederêverquejemetenaissouslesprojecteurs,etsi ce n’était pas un cauchemar, je me voyais commencer à danser quand lamusique se lançait. Au départ, cela ressemblait à une danse normale puis, aubout d’unmoment, je faisais des sauts gigantesques et je commençais à volercommetoi.—Tunefaispluscerêve?—Non,pasdernièrement,je…—Iln’yaaucunsecretentrenous,luirappelai-jeenluidonnantunpetitcoup
decoude.Lesoleilétaittropintense,alorsjefermailesyeux,meconcentrantsurlavoix
d’Ash,avecsonlégeraccent.—Jerêvetoujoursquejesuissouslesprojecteurs,maisquandmamusique
commence, mon corps ne bouge pas. Je suis comme pétrifié. J’essaie de melancer,maisc’estimpossible.Etensuite…Sergeiestlà,parfoisOlegaussietilsrient,rient…certainesfois,lafilleestlàelleaussietilslamenacentd’unearme
avantdelapointersurmoi,ensedemandantquiilsvonttuerenpremier.Je commençai à pleurer et je rouvris les yeux pour découvrir Ash qui me
fixait,lesjouesbaignéesdelarmeségalement.—Tunedoisjamaisabandonnertesrêves.Paspourcesmonstres.Jamais.Etjenesavaispasvraimentlequeldenousdeuxavaitparlé.
Chapitre18ASH
J’étaisassisàcôtédulitdeLaneyetj’observaissapoitrinemonteretdescendre.Ilyavaitencoredestracesdesangséchédanssescheveux.Elleallaitdétesterça.Lapartiegauchedesatêteétaitrecouverted’unbandageblancetundesesavant-brasportaitunlourdplâtrebleu.Elleavaiteudelachance,avaient-ilsdit.Laballeavaitseulementlacéréson
cuir chevelu. Cela l’avait assommée. Mais c’était sans gravité. Elle allaitreprendreconnaissancetrèsvite.Moi aussi, j’avais eu de la chance. Plus que je le méritais. Mon Saint
Christophes’étaitpliéendeuxsousl’impactdelaballedeSergei.Laradioavaitconfirmé que j’avais le sternum cassé ce qui rendait chaque respirationdouloureuse.Mapoitrineétaitmarbréedebleuetdenoiretilssurveillaientmonrythme cardiaque. C’était normal apparemment, en cas de choc sur le thorax.Maisjem’enfichais.Sapoitrinemontait,puisdescendait.Montait,puisdescendait.Depuisdesheures,jeregardaisLaneyrespirer.Jelaregardaisvivre.Etjen’en
avaispasencoreassez.J’avaismalà lamaingauche, elle aussibandée soigneusement.Sergei avait
tirésurmamain,amputantleboutdemonindex.Ilsnel’avaientpasretrouvé,ildevaittoujoursêtredanslasalle.Jeplaignaislapersonnequifaisaitleménageetquiallait tomberdessus.Ramasserdespapiersdebonbons, c’étaitunechose ;trouverdusangetdesboutsdecorpshumainsnedevaitcertainementpasfigurerdansleurcontrat.Sapoitrinemontait,puisdescendait.Montait,puisdescendait.Lapolice était venuem’interroger alors que je n’étaismêmepas sorti de la
salle d’examen. Je n’arrivais pas àme concentrer sur leurs questions. Jem’enmoquaisroyalement.Le père de Laney m’avait dit qu’Angela s’en occupait. Mais cela ne
m’importaitpasdetoutefaçon.Uneseulechosecomptait:Laney.Sonpèreavaitprisplacedel’autrecôtédulitetiln’arrêtaitpasdejeterdes
coups d’œil vers la porte.Nous attendions son épouse d’unmoment à l’autre.ElleétaitpartieaveclessœursdeLaneyquandtoutétaitarrivé.Ellesétaientsurlecheminduretour.
Ils’éclaircitlagorge.— Nous avons un témoin. Une des ouvreuses t’a vu te jeter, sans aucune
arme,devantcetenfoiré.Jerelevaibrusquementlatête,étonnéqu’ilm’adresselaparole.Jem’attendais
toujoursplusoumoinsàcequ’ilmefassejeterenprisonàcausedelablessuredeLaney.Sesjouesétaientrougesetsesyeuxhumideslorsqu’ilmefixa.—Tuluiassauvélavie.J’inclinailatête,évaluantlesmotsqu’ilvenaitdeprononcer.Ilétaitsincère,
maisilsetrompaittotalement.—SergeiétaitàChicagoàcausedemoi.Laneyn’auraitjamaisétéendanger
sinon.—Jesaisquetun’espaslegenred’hommesàchercherlesennuis,fiston.Le
monderegorgedecinglésetmalheureusement,ilarrivedestrucsbienàdesalestypes. Pourquoi, je ne sais pas et personne ne te donnera d’explications ; mafemmeditqueDieuseullesait.Ehbien,tantmieuxpourlui,parcequemoi,jenevois pas du tout.Mais si je suis certain d’une chose, c’est quema fille esttoujoursenviegrâceàtoi.Ilselevaalorspourmeserrerlamain.—Bienvenuedanslafamille,fiston.Jenem’yattendaistellementpasquejerestai,bouchebée,àlefixercomme
uncrétin.Jemelevaipéniblementauboutd’unmomentenessayantdenepasprendredegrandesinspirationsetjeluiserrailamain.Quelquesinstantsplustard,laportes’ouvritengrandetlamèredeLaneyet
ses sœursdébarquèrentdans lachambre.Ellescommencèrentàmebombarderdequestions.Jen’arrivaisplusàmeconcentrer.Heureusement,lepèredeLaneyétaithabituévisiblementetréponditàchacuned’entreellesjusqu’àcequ’ellessoientcertainesquelaviedeLaneyn’étaitplusmenacée.—Etlegrandpatron?demandaBernice.Celuidelamafia?LepèredeLaneyfitlagrimace.—Nous pensons que c’est à cause de lui queBoykov est venu àChicago.
Volkovestentraindefaireleménagechezlui.Apparemment, ils’est lassédubordel que son second laissait derrière lui. Si Ash ne l’avait pas tué, Volkovl’auraitfait.Ellessetournèrenttoutesversmoi,lesyeuxécarquillés.—IlasauvénotreLaney.Cettefois,jemeretrouvaiécrasédanslesbrasdechacuned’entreelles,cequi
m’arrachadesgémissementsdedouleur.LepèredeLaneydutlesécarteruneparune, en leur expliquant que j’avais été blessé aussi. Elles se mirent alors àtournerautourdemoi, toutesaffolées. J’avaisenviede leschassercommedesmoineaux en faisant de grandsmoulinets. C’était gentil,mais être assailli partoutescesfemmesmestressaitépouvantablement.Jemepenchai en avant,me concentrant sur le visagedeLaney et quand je
relevailatête,bienplustard,ellesétaienttoutesparties.Lejourselevait.C’étaitenfinlematin.JesavaisbienquelespèresFouettard
nedisparaissaientpasavec le leverdu jour,mais le faitque lesoleil fassesonapparitionmemettaitdemeilleurehumeur.Lesinfirmièresavaientessayédemefairepartir,mais lepèredeLaneyleur
avait parlé et depuis, ellesme laissaient tranquille.Une étaitmême venuemeproposerunecouverture.J’étaisdoncrestédanslefauteuilprèsdulitdeLaney,àl’observer.Laportes’ouvritdoucementetjedécouvrisGarysurleseuil.Ilavaitl’airtrès
nerveux.—Jepeuxentrer?Jehochailatêteetilavançad’unpas.—C’estelle?—Oui,c’estmafemme.Ilentrasansfairedebruitetlacontempla.—Mec,jen’arrivepasàcroirequetut’esmarié.Unsourireamuséétirameslèvres.—JefaisdixmillekilomètrespourmefaireenleverparlaBratva,jemefais
fouetterparuntaréquivoulaitmesodomiser,jetraverselesÉtats-Unispourluiéchapper,maisilmeretrouveetessaiedemetuer…Etcequiteparaîtlemoinscrédible,c’estquejesoismarié?Ilmedonnauncoupsurl’épaule,m’arrachantunpetitcridedouleur.—Désolé,dit-il.Maisc’estunehistoiredefou.Elleestmignonne.—Non,c’estlaplusbelleetlaplusextraordinairefemmedumonde.Ilmejetaunregardducoindel’œil.—J’aimeraisbienqu’unjourunhommemeregardeainsi.—Jepensequetuesextraordinaireaussi,luidis-jeavecsincérité.Garymesourit.—Oh,mon chéri, tu es adorable !Mais non, je ne veux pas coucher avec
toi…mêmesi tumesuppliesàgenoux.Enfin,si tumesupplies, jediraipeut-
êtreoui.Puis,ilrepritsonsérieux.—Euh,j’aimemieuxteprévenir…Yvetan’apastrèsbienprisleschoses.—Ellen’apasbienprisquoi?—Tonmariage.—Mais…Jenesavaispasquoidire.J’avaiscouchéavecYvetaplusieursfois.Jen’avais
jamais pensé une seconde que cela avait lamoindre signification pour elle oupourmoi.C’étaitjusteunefaçondesatisfaireunbesoinmutuel,riendesérieux.Garyagitalamain.—Je sais, je sais.Maisquandnousétions là-bas, ellen’arrêtait pasdedire
quesituavaisput’échapper,nouslepouvionsaussi.Etquelorsquenousserionsdehors, elle partirait à ta recherche. Que tu étais comme une sorte de porte-bonheur,l’espoirdetempsmeilleurs.Elleavraimentpétéuncâblequandelleaapprisquetuétaismarié.Ilsontdûluidonnerdescalmants.Jesuisdésolé,Ash,termina-t-ilensecouantlatête.Il posaunemain réconfortante surmonépaule et sepenchapour embrasser
majoue.—JoyeuxNoël,dit-ilgentimentavantdepartir.Del’espoir.Unpetitmottoutsimple.C’étaitlamêmechosedansmalangue:
upanje.Unpetitmotquicausaitpourtantdegrandesémotions, lesplus fortes.Enavoirtroppouvaitvousdétruiresivosrêvess’avéraientirréalisables.Laneyétaitlesoleil,lemien.Ellemeréchauffait,m’éblouissait.Ellemontrait
lechemincommeunphare.MaisYvetan’avaitpasdeLaneyetjenesavaispasquoifairepourl’aider.—Ash?Etcequejerêve?Les paupières de Laney papillonnèrent et le roc qui pesait sur ma poitrine
s’évanouitd’uncoup.—Non,monamour.Tuesréveillée,maintenant.Ellefronçalessourcils.—Ilt’atué.Jel’aivutetirerdessus!Jemepenchaipourdéposerunbaisersursajoueavantd’enfouirmonvisage
danssoncou.—Sergeinepeutplusnousfairedemal.Ilestparti.Ellefermalespaupières.—Ets’ilrevenait.—Ilnereviendrajamais.
Ellesouritetjeprissamaindanslamienne,letempsqu’elleserendorme.—JoyeuxNoël,monamour.
Les parents de Gary vinrent le chercher, heureux et solennels, ravis qu’ilreviennedansleurvieettrèsétonnésdeletrouvermaindanslamainavecYvetaqu’ils invitèrent à passer Noël et le Nouvel An avec eux. Elle accepta bienvolontiers.Gary me dit qu’ils espéraient toujours que leur fils soit hétéro, mais j’en
doutais.Yvetaavaitété trèsclairesur le faitqu’ellenevoulaitpasmevoir,cequim’obligeaàexpliquerpourquoiàLaney.Nousétionsdéjàépuisésparlestressdesdernièresvingt-quatreheuresetnous
prenionstouslesdeuxdesmédicamentscontreladouleur.Ellefitpreuved’unerésignationlasse.Elleessayatoutdemêmed’enplaisanter.— J’espérais que nous pourrions faire l’amour sous le sapin deNoël,mais
t’avoiràmoitouteseule,cen’estpasmalaussi.—Tuneperdsrienpourattendre!Ses parents nous invitèrent à passer Noël avec eux. Je ne dis rien,mais la
simple idée d’être entouré de nombreuses personnes m’insupportait.Heureusement,Laneyrefusa,affirmantqu’ellevoulait rentrerà lamaison.Elleleurpromitquenousleurrendrionsvisitetrèsvite.Un taxi nous ramena à l’appartement et nous montâmes les six marches
péniblement,Laneys’appuyantsurmonbras.Jeramassailecourrierenpassantetjedécouvris,surpris,unelettreémanant
desservicesdel’Immigrationquinousétaitadresséeàtouslesdeux.J’ouvris l’enveloppe dans un état second et en retirai une simple feuille de
papier. Ilme fallutquelquesminutespourdéchiffrer l’anglais,mais troismotsressortaientnettement:Enquêtesanssuite.Je pris unegrande inspiration. Ils nepourraient pasm’éloigner deLaney et
j’avaisunpapierpourleprouver.
LANEYJ’étaistellementheureusederentreràlamaison.Mêmesijenemerappelaispastrèsbiencequiétaitarrivé,desflashsdecettehorreurcontinuaientdemehanter.C’étaitnormalquandonavaitétéassomméparuneballedecalibre32d’après
cequem’avaientditlesmédecins.Ashavaitmalluiaussi.Onluiavaitdonnédesantidouleursàlacodéinepour
sonsternumcassé;monpoignetbrisémefaisaitsouffriraussietj’avaisunmaldetêtepersistantquipulsaitdansmestempes.Nous passâmes Noël blottis sur le canapé, sous l’édredon de mon lit, à
mâchonnerdelapizza,deschipsettoutelanourriturelamoinssainepossibleenregardant des films de Noël débiles. Puis nous nous traînâmes jusqu’au lit etnousendormîmes,lesdoigtsentrelacés.La sonnerie demon téléphoneme réveilla le lendemain.Ash jura, encore à
moitiéendormi,alorsque je regardaisquinousdérangeaitaussi tôt.C’étaitunnuméro inconnu. Je refusai l’appel et jetai l’appareil sur la tabledenuit,maisquelquessecondesplustard,ilsonnaitànouveau.Sic’étaitunvendeur,j’allaislerecevoircommeilfaut.—Allô?—Bonjour,MadameNovak.MonnomestPhilNikeasduChicagoTribune.
Jenevousdérangepas?Ilmefallutquelquessecondespourretrouvermesesprits.D’abord,jen’avais
pasl’habitudequ’onm’appelleparmonnomd’épouseetensuite:C’étaitquoicebordel?—Commentavez-vouseumonnuméro?—C’estAngelaPinto quime l’a donné.Nous sommes amis et nous avons
travaillé ensembleplusieurs fois.Elle apenséque si nous entrions en contact,celapourraitconsidérablementaiderl’affairedevotremari.Sonaffaire?J’essayai de comprendre de quoi il parlait. Comme je restais silencieuse, il
poursuivit:— J’aimerais vraiment connaître votre version des faits avant l’enquête
officielle.Lamafiarusse,cen’estpasrien.Jeneseraipasleseuljournalisteàvous contacter,mais je suis journaliste judiciaire, pas un salopard de vautour.Angie m’a dit qu’elle vous préviendrait de mon appel. Peut-être avez-vousbesoin d’un peu de temps pour en parler avec votre mari ? D’accord, vouspouvezmerappeleraunuméroquis’estaffiché.Quandvousvoulez.Jemarmonnaiquelquesmotsavantderaccrocher.Ashétaitassissurlelit,le
regardinquisiteur.—C’étaitunjournalisteduTribune.Ilveutteparler,àmoiaussi,deSergei,je
crois.Ashsecouaitdéjàlatêteensignededénégation.—Iladitqueçaaideraittonaffaire.Qu’est-cequecelasignifie?Ashhaussalesépaulescequiluiarrachaunegrimaceavantdeseréinstaller
contresonoreiller.Sapoitrineétaitunvéritablearc-en-cielnoir,violetetjaune,quicommençaitaucentredesontorse.—Ash,dequelleaffaires’agit-il?—Lemeurtre,jesuppose.Moncœurmanquaunbattement.—Quelmeurtre?Ilcroisabrièvementmonregardavantderépondre:—Parcequej’aitirésurSergei.—Toi?Jepensaisquec’étaitlapolicequil’avaitabattu!—Ehbien,non,dit-ildansundemi-sourire.Aprèsqu’ilatirésurtoi, jeme
suisbattuaveclui.Jeluiaiprissonarmeetj’aitiré.—C’étaitdelalégitimedéfense,donc,dis-je,soulagée.Ashacquiesça.—Dieumerci.J’aipensépendantunmoment…enfin,jenesaispastrop.Il
avaitl’airdepenserquetuseraispoursuivi.—Ilsm’enontparléàl’hôpital,maistonpèreaditquejerestaisavectoi.Unmaldetêtecommençaitàpoindrederrièremesyeux.—Ash,dis-moiexactementcequelapoliceadit.—Ilsm’ontdonnédespapiers,répondit-ilenfronçantlessourcils.Il se leva avec beaucoup plus de raideur que d’habitude. Il était en général
tellementgracieuxetdébordantd’énergie.Ilfouilladanssonjeanqu’ilavaitabandonnésurlesoletensortituneliasse
depapiersqu’ilbalançasurl’édredon,puisilserassitsurlelitsansmequitterdesyeux.Jedépliailapremièrefeuilleetcommençaiàlire.Peuàpeu,jesentislesang
quittermonvisage.—Cepapierditqu’ilvayavoiruneenquête,Ash.Ilssontentrainderéunir
des témoignages et tu seras interrogé officiellement dans quelque temps.Moiaussi,d’ailleurs.Jenecomprendsmêmepascommentilspeuventpenserquetuesresponsabledequoiquecesoit,c’estridicule.Ashnesemblaitpasinquietlemoinsdumonde.—TonamieAngiealaisséunmessagesurmonportable.Elleveutmeparler.—Oui,c’estbien.Jel’appelleraidanscinqminutes,mais…Jenesaispas…
Pourquoicejournalistea-t-ilparléd’uneaffaire?Iln’yapasd’affaire.— Je l’ai tué. Peu importe la façon dont ils appellent ça, cracha Ash, la
mâchoirecrispée.J’entendaislessirènesdelapoliceetleursvoix.Sergeiriaitetme disait qu’il serait sorti de prison dès le lendemain matin et qu’il nous
retrouverait.Alorsjeluiaicollél’armesurlatêteetj’aitiré.Ilneriaitplusalors.Etj’airecommencé.Undespoliciersm’aprisl’arme.J’allais tomber dans les pommes. Il ne s’agissait pas d’un simple cas de
légitimedéfense.Est-cequeçapouvaitêtrequalifiédemeurtre?Jerefusaisd’ycroire.Lapoliceallaitenquêterpuistransmettreledossierauprocureuretc’étaitlui
décideraitdeschargeséventuelles.Oh,monDieu,non.C’étaitdelalégitimedéfense.—IlfautquetuparlesàAngie,Ash.Dèsquepossible.C’esttrèssérieux.—J’aifaitcequejedevaisfaire!hurla-t-il.Ilpartits’enfermerdanslasalledebain.Unesecondeaprès,j’entendisl’eau
coulerdansladouche.Ilferaitmieuxd’enprendreunefroide,ilavaitbesoindesecalmer.Iln’avaitpasl’airderéaliseràquelpointlasituationétaitgrave.J’appelaiAngiesur-le-champ.—Enfin!dit-elleendécrochantàlapremièresonnerie.Jen’aipasarrêtéde
t’appeler!Jet’ailaissédestonnesdemessages.— Nous venons seulement d’apprendre tout ça. Oh, mon Dieu, Angie.
Qu’allons-nousfaire?— En premier lieu, ne pas paniquer. Il faut que je parle à Ash, mais en
quelquesmots,voilàcequenoussavons:despoliciersarméssontentrésdanslethéâtre.Boykovétaitausol,Ashlefrappaitàmainsnues.Ilsnelesvoyaientpastrès bien, car ils étaient entre deux rangées de sièges. Puis ils ont entendu uncoupdefeu.BoykovaétéretrouvémortetAsh,l’armeàlamain.MaisleRusseavait déjà tiré sur vous deux. Je pense qu’il y a peu de risques qu’ils lepoursuivent.J’avaisdumalàrespirer.—Maisilyaunrisquetoutdemême?—Laney,calme-toi. Ilyaplusieursélémentsennotrefaveur.Toutd’abord,
mêmesilesagentsontcriéàAshdelâchersonarme,ilnelesaapparemmentpasentendus.Tusaiscommentçasepasselorsqu’onentendunbruitsoudain,onsetournedansladirectiond’oùilprovient.Ashn’amêmepasamorcéungeste,cequiprouveraitqu’iln’apasentenduleurordre.Ensuite,personned’autren’avucequis’estproduit.—Mais…—Ne me dis pas quelque chose que je n’ai pas envie d’entendre, Laney,
m’avertit-elle. En dernier lieu, lors des précédents entretiens qu’il a eus aveceux, les flics ont soupçonné qu’Ash souffrait de stress post-traumatique. Cela
joueensafaveur.—D’accord,dis-jedoucementenessayantde tout intégrer.Et le journaliste
alors?Pourquoiluias-tudonnémonnuméro?—C’estuntypebien,Laney.J’aidéjàtravailléaveclui.Ilvadroitaubut.Ila
travaillé sur plusieurs affaires où la mafia et des trafiquants d’êtres humainsétaientimpliqués.IlsaurasemontrerjusteetAshvaavoirbesoind’unebonneimage…Celamettral’opinionpubliquedesoncôté.Lefaitqu’ilsoitunétrangeretqu’ilt’aitépousésivitevadanslesensd’unmariagearrangépourobtenirunecarteverte.Etjefaisl’avocatdudiableici,cen’estpascequejepense!Jepoussaiungrandsoupir,mêmesicequ’elledisaitavaitétévrai.Maiscela
nel’étaitplusmaintenant.— Il va falloir qu’il fasse de son mieux pour mettre tous ceux qu’il
rencontreramaintenant dans sa poche. Parle à Phil. Je vais brieferAsh sur cequ’ildoitdireoupas.D’accord?—D’accord.Aprèsunlongsilence,ellereprit:—Jeferaitoutcequiestenmonpouvoir.Nousraccrochâmesaprèsquejeluiaipromisquejeparleraisàsonami.Mais
ilfallaitdéjàquejediscutedetoutcelaavecAsh.Il sortit enfinde la salledebain, l’airpluscalme,mêmesi ses traitsétaient
encoretendus.—Ilfautquenousparlions.Pendant un bref instant, je crus qu’il allait refuser, mais ses épaules se
voutèrentetils’assitsurlelitsansunmot.Je lui expliquai tout ce qu’Angiem’avait dit et la raison pour laquelle elle
pensaitqu’ilfallaitquenousrencontrionslejournaliste.Siaudépart,ilétaitplusqueréticent,ilfinitparcéder.Je lui rappelai qu’il fallait qu’il se mette d’accord avec Angie sur ce qu’il
devait dire pendant que je contactais le journaliste. Mais Angie l’avait déjàprévenuquenousacceptionsdelevoiretilétaitenroute.Cela ne me laissa pas beaucoup de temps pour prendre une douche et
m’habiller,surtoutavecmonpoignetcassé.Ashrangeal’appartement,cequifutrapideparcequetoutétaitdéjààpeuprès
enordre.Iln’avaitpasétésouventà lamaisoncestemps-ci.Puis je l’entendislancerlamachineàcafé.Jen’avaismêmepaseuletempsd’enboireunegorgéequandnotrevisiteursonna.PhilNikeas était un homme séduisant, aux cheveux blonds qui devait avoir
environ trente-cinq ans. Bizarrement, je m’attendais à un homme plus âgé,grisonnant.— Je vous remercie de prendre le temps de me recevoir, Madame Novak.
MonsieurNovak.—Ehbien,Angienousaditleplusgrandbiendevous,alors…Ilsouritcequilerajeunitconsidérablement.—MadamePintoestunefemmeintelligente.Oh,d’accord.Iltrouvaitmonamietrèssympathique.Intéressant.Jemesentissoudainbienmieux.Ashenrevancheétaitméfiantetanxieux.Il
semblaitcherchern’importequelmoyenpouréchapperàcetentretienetilétaitprêtàendécoudre.—Puis-jevousenregistrer?demandaPhileninstallantsontéléphonedevant
lui.Ashmejetauncoupd’œiletjehochailatête.—Donc,MonsieurNovak,pouvez-vousrevenirsur lesraisonsquivousont
conduitauxÉtats-Unis?Leslèvresd’Ashseplissèrent,révélantlepeud’enviequ’ilavaitdeparlerde
cela.Jeluiserrailamainpourleréconforter.Jecroisquecelamerassuraitmoiaussi.—C’estdifficilepourmoid’enparler,ditAshsèchement.J’essaiedelaisser
toutceladerrièremoi.—Jecomprends,maisavec tout le respectque jevousdois, jenecroispas
queceserapossible.—Jeveuxsimplementpouvoirvivretranquillement,grognaAsh.Vivreavec
mafemmeetdanser.Cen’estpasgrand-chose.Quandilétaitbouleversé,sonaccentétaittoujoursplusprononcé.—Pourcela,lameilleurechoseàfaireestdedonnervotreversiondesfaits.
Angieestuneavocatepénalistedetalentetellenevousauraitjamaissuggérédemeparlersiellenepensaitpasquecelapourraitvousêtrebénéfique.Ashlaissatombersatêtesursapoitrineetfixanosdoigtsentrelacés.—D’accord.— Si cela peut vous rassurer, j’ai déjà parlé à monsieur Benson et
mademoiselleKuznets…Ilsn’onteuquedescommentairespositifsàfairesurvous.—Vouslesavezvus?Commentvont-ils?Philprituneexpressioncompatissante.—Vousaveztraversédesmomentstrèsdifficiles.LaBratvaestimpitoyable,
cruelle.Maiselleesthabileaussi.Surtoutquand il fautbrouiller lespistes.Entoutcas,Volkovsait trèsbien s’yprendre.Sergei, c’estdifférent. Il sembleraitqu’ilaitétéincontrôlabledepuisdenombreuxmoisetqueVolkovbrûlaitdesedébarrasserdelui.Vousluiavezprobablementrenduservice.—C’étaitunmonstre,jesuisheureuxdel’avoirtué.Jeserrai lamaind’Ash, l’avertissantsilencieusementdenepas tropendire.
Oui,cejournalisteétaitdenotrecôté,maisilnefallaitpasoublierqu’ilétaitlàaussipourvendredesjournaux.Ilfallaitquenoussoyonsprudents.Ashpritunegrandeinspirationavantdeselancerdanslerécitdesonépopée,
encommençantparladécouverted’uneannonceproposantunrôlededanseuràLasVegas.J’intervinsquelquesfoispourdonnerdesdétailssurnotrefuite : lamémoired’Ashétaitflouesurcetteépoque.J’auraisdûmedouterqu’ilétaitenétat de choc alors, mais j’avais été trop terrorisée de mon côté pour lecomprendre.AshrefusaderegarderquandjemontraiàPhilunephotodesondoslacéré.
Mais il accepta de luimontrer son état actuel.En réalité, les cicatrices étaientbienpiresàl’intérieur.Ash se leva et enleva son tee-shirt dans notre petit salon, ravalant son
humiliationquandPhilpritplusieursphotos.Nousparlâmesensuitedenotre relation, et je reconnusmêmeque je sortais
avec quelqu’un d’autre aumoment de notre rencontre. J’essayai deminimisercelaaumaximum.Jen’étaispasfièredemoncomportementavecCollin.EtcommePhilétaitdouépourcequ’ilfaisait,ilréussitànousfaireadmettre
qu’Ashavaittrouvéuntravailauthéâtreavantd’avoirsacarteverte.L’idéequecette information serait également révélée lors d’un éventuel procès me fitfrissonner.—AshestentréauxÉtats-UnisavecunvisaH-1B.Ilétaitparfaitementlégal
etilpensaitqu’ilétaittoujoursvalide.Nousétionsdéjàmariésquandilaréaliséqu’ilavaitexpiré.Nousétionsdebonnefoi.Je ne suis pas certaine qu’il me crut, mais il ne chercha pas à en savoir
davantagesurcepoint.Finalement, il invita Ash à raconter ce qui s’était passé dans le théâtre. Il
commençasuruntoncalme,maisrapidementilélevalavoixetsemitàfairelescentpasdanslesalon,ensetirantlescheveux.Je lui lançai un regard d’avertissement, mais il était trop pris dans ses
souvenirs.— J’ai vuLaney tomber et là…monmonde s’est arrêté. Je voulaismourir
avecelle,maissurtoutjevoulaisqueluimeured’abord.Alorsjel’aitué,ajouta-t-ilensoupirantdesoulagement.Oh,Ash.Philhaussalessourcils.— Euh… Il faudrait peut-être que vous réfléchissiez à la réponse à cette
questionavantquelapolicevouslapose.— Mais qui pourrait m’en vouloir ? hurla-t-il. C’était un monstre ! Un
meurtrier!Ilaimaittorturerlesgens.Quiceladérange-t-ilqu’ilsoitmort?IlaessayédetuerLaney!Jeleferaisencoreetencore!—Ash!dis-jeenluitendantmabonnemain.Ilsejetaàmespiedsetentouramatailledesesbras,sesgenouxheurtantle
canapé.Soncorpsentierétaitsecouédesanglotssecs.—Je t’aime,murmurai-je, les larmesauxyeuxen le serrant très fortcontre
moi.Jet’aime.Jevis,ducoindel’œil,Philselever.—Jetrouverailaportetoutseul,dit-ildoucement.
ASHJe n’avais plus un brin d’ego enmoi, plus aucune estime demoi-même.Toutm’avaitétéarraché,volé.Etj’étaiscomplètementnudevantelle.Sansrien.Justeavecsesbrasautourdemoi.Nous restâmes longtemps ainsi, ses doigts caressant doucement mon dos,
lissantmescheveux,m’apaisant,ensilence.Mes genoux finirent par protester après ce longmoment en contact avec le
parquet dur et je me redressai maladroitement, en m’essuyant les yeux, tropépuisépourêtregênéd’avoircraquédevantlejournaliste.J’avaisperdu tout le reste.L’ultimeperte,celledemadignité,neme tuerait
pas.Cequiétaitironiqueaprèstoutcequis’étaitpassé.Mais jemetrompais, jen’avaispas toutperdu,puisqueLaneyétait toujours
là.Quand j’osai enfin lever les yeux vers les siens, je découvris qu’elle me
regardaitgentiment,avecdouceur.C’étaitundecesmomentssubtils,lorsquelesmotssontinutilespourexprimerlaprofondeurdenossentiments.Nousétionsensemble,pourlemeilleuretpourlepire.Etjecomprisenfin.À
quoiservait-ild’avoiruncœurquibattaitdansvotrepoitrinesivousnesaviezpaspourquoiilbattait?Oupourqui.—Jet’aimeaussi,murmurai-je.
Chapitre19LANEY
L’article dePhilNikeasparut le vingt-huit décembre, lematinmêmedenotreentretien avec la police. Angie m’avait prévenue. Ash alla l’acheter, il avaitbesoindesortirdetoutefaçon.Malgrésafracturedusternum,ildevenaitdingueà force d’inaction. Il n’aimait pas lire en anglais et la télévision l’ennuyait. Ilpassait laplusgrandepartiedeson tempsàsurfersur lenetetàécouterde lamusiqueouàfairedel’exercicephysique,certainementplusqu’ilnel’auraitdû,d’ailleurs.Il revint dixminutes plus tard, les joues rougies par le froid et des flocons
accrochésàseslongscils.Il jeta le journal sur mon bureau et se rendit dans la cuisine à grandes
enjambées.Jelefeuilletaietjetombaisurl’articledePhilenquatrièmepageseulement.Lesesclavesdusystème.Meurtre,viol,traficdedrogueetd’êtreshumains,guerred’usure.Etcen’est
pas dans un lointain califat au Moyen-Orient ; c’est ici, aux États-Unis, icimême, à Chicago. Le journaliste spécialisé dans les affaires judiciaires, PhilNikeasarencontrétroisvictimesdudéveloppementdelanouvellemafiarusse,quionttoutessurvécuàuneterribleoppressionetàl’esclavagemoderne.Ilyavaitunegrandephotoennoiretblancd’Ashentraindedanser,leregard
intense,sonphysiqueparfaitenévidence.Jereconnussoncostume,lepantalonnoir et la chemise argentée coupée à la taille. C’était la tenue du tango deBroadwayRevisited.IlsavaientenlevéSarahdelaphoto.Elleseraitfurieuse.Maisjemesouvins
qu’elleétaitàdesmilliersdekilomètresd’ici,àLondres.L’articledélivraitunmessagepuissant,dénonçantlecrimeorganiséetlafaçon
dont des failles dans les lois étaient utilisées par des criminels. Puis, d’undiscours général, on passait au particulier avec l’exemple de l’histoire d’Ash,YvetaetGary.Montéléphonesonnaetlenomd’Angies’affichasurl’écran.—Tul’aslu?—Jesuisentrain.C’esttrèsbon.
— Je te l’avais dit. Je pense que ça aidera beaucoup Ash. Phil veut fairepressionsurlesautoritésicietauNevada.Iladespreuvescommequoid’autresaffaires ont été étouffées. Les victimes sont tout simplement renvoyées enEuropeouenAfrique,quelquesoit lepaysd’oùellesproviennent.MaispourAsh,c’estdevenupublicmaintenant.C’estcedontnousavionsbesoin.Sontonexcitémehérissa.—Ashestunhomme,paslehérosd’unehistoire!—Je sais, je suisdésolée,dit-elle aussitôt, visiblementnavrée.Mais siPhil
parvient à garder l’affaire d’Ash en haut de l’affiche, cela peut aider d’autrespersonnes.Ilnefautpasquetul’oublies.—Oui,jenel’oubliepas,maisjevoisaussilestressquecelainduitpourlui.—C’estnormal.Nousnousretrouvonsaucommissariat.—Oui.—Toutvabiensepasser,Laney.—Biensûr.Nouspassâmespourlaquatrièmefoisdepuisquej’avaisfaitlaconnaissance
d’Ash,l’après-midiauposte,àrépondreauxquestionsdelapolice.Jen’avaispasétéautoriséeàresteravecluiniàentendrecequ’ildisait,mais
Angiemeditqu’ils’enétaitbiensortietqu’iln’avaitpasperdusoncalme.Maintenant,ilnenousrestaitplusqu’àattendre.—Lemeilleurconseilquejepuissevousdonnerestdetournerlapage,dit-
elle.C’estleNouvelAndansquelquesjours.Vousdevriezsortir,fêterça.Vousêtescertainementlespersonnesquiontleplushâtedechangerd’année.J’eusunpetitrireforcé.—Oui, tuasraison.LePremierdel’an,nousdéjeunonsavecGaryetYveta
chezlesparentsdeGary.IlsviventàKenosha.Nousn’avonspasvraimentenvied’autrechosedanslesjoursàvenirendehorsdenousreposerettenircompagnieàlatélévision.Ducalme,c’estcequenousvoulonstouslesdeux.Nousnousséparâmesaveclapromessedenousretrouverbientôtetdemettre
aupointdesstratégiesdecommunicationnouvelles.Toutcelaserait-ilvraimentderrièrenousunjour?Lesoleildescenditetsecachaderrièrelesimmeubles,lesnuagespassèrentdu
violet à un grismenaçant annonciateur de neige, le soir du réveillon.Nous lepassâmesseuls,maistouslesdeux.—Quelleannée…Ash enroula un bras autour dema taille en se blottissant contremoi sur le
canapé,latêtesurmonépaule.Ilbougeaunpeu,justeassezpourmevoir.
—Turegrettes?medemanda-t-ilprudemment.—Oui,beaucoupdechoses,répondis-jeavechonnêteté.Jen’auraisjamaisdû
laisserleschosestraînercommeçaavecCollin.Jen’aimepasdutoutlafaçondontiladécouvertlavérité.C’estunhommegentil…Ilneméritaitpasça.Maistoi aussi, tu es gentil, Ash. Je regrette la façon dont nous nous sommesrencontrés.Jedétestetoutcequit’estarrivé,maisjeneregretteraijamaisd’avoirfaittaconnaissanceninotremariage.Notrecouplen’aaucunsens,nousn’allonspasbienensemble,pourtantcelafonctionne!Ilsourit,sesyeuxchocolatbrillantsous lafaible lumièrequirégnaitdans la
pièce,sespommettessaillantescréantdesombressursesjoues.—Tueslapersonnelaplusfortequej’airencontréedetoutemavie,Laney.
Jesuiscomplètementenadmirationdevanttoi,monamour.Jesecouailatête.—Jen’enméritepastant.Maisjepeuxtedireunechose:jesuisplusforte
avectoi.C’estcomme…Jeluttaipourtrouverunmotquipourraitexprimertoutcequejeressentais.—C’estlasyzygie,dis-jefinalement.—Jeneconnaispascemot,ditAsh,lefrontplissé.C’estdupolonais?—Non,çavientdugrecancien.LepsychanalysteCarl Jung l’utilisaitpour
qualifierl’uniondedeuxopposés.Enastronomie,c’estletermequ’onemploiepour parler de l’alignement du soleil, de la Terre et de la lune, trois objetscélestes.L’idéeluiplaisait,jelevoyais.Ilm’attiracontreluienmeserranttrèsfort.—Monrayondesoleil.— Je voudrais vraiment faire l’amour maintenant, mais je suis tellement
fatiguéeetj’aimalpartout.Ilrestasilencieuxquelquesinstants.—Peut-êtrequejepourraistefairedubiensansquenousbaisions?—Oh,quec’estcharmant!Arrête,tum’excites,répondis-je,pince-sans-rire.Asheutunpetitriregênéetm’embrassalecou.—Çaveutdireoui,alors?Ses doigts effleurèrentmes flancs,me faisant frissonner et faisant naître un
feuau creuxdemonventre. Jemepenchaivers luipour l’embrasser, cognantaccidentellementsapoitrineavecmonplâtre.Nousgémîmestouslesdeux.—Peut-êtrequenonfinalement,dis-jeensoutenantmonpoignetcassé.Sonregardexprimaittoutesadéception,maisiln’ajoutarien.Ilpritmamainvalideetl’embrassaendisant:
—Bonneetheureuseannée,monamour.Unenouvelleannée.Çameplaisait.
Il avait neigé cette nuit, transformant la ville en un paysage de carte postale.Seulsquelquesvoituresetcamionsavaient roulédans lesruesenneigéeset lestrottoirs étaient recouverts d’une poudre immaculée. La fonte et latransformationdecetteblancheurenbouenoirâtren’étaientpasloin,maispourlemoment,jepouvaisenprofiter,deboutsurlebalconàrespirerprofondémentl’airfroidetpur.J’avaisl’impressiond’unerenaissance.Ashavaitétéravidel’invitationdeGaryetj’avaisdistinguéuneétincelleen
lui.Puisilm’avaitditcequ’ilavaitentête,lesplansquesonincroyablecerveauétait en traindemonter. J’étais stupéfaite.Et tellement fièrede lui.Maispourcela,ilavaitbesoindeGary.Etd’Yveta.Nousarrivâmesunpeuenretard.Garydevaitnousguetter,cardèsquenous
nous garâmes devant lamaison, il en sortit en courant, chaussé de pantouflesridiculesenformedelapins.Ilnousfitunlargesourireetj’essayaidecachermaréactionhorrifiéequandildévoilaainsisaboucheoùilmanquaitplusieursdents.Il ouvrit la portière du conducteur et prit Ash dans ses bras, murmurant
quelquechosequilefitsourire.—Bienvenue dansmamodeste demeure, familleNovak ! chantonnaGary.
Entrezetvenezfairelaconnaissancedeshabitantsdeceslieux.Nousavonsvul’articledanslejournal,ajouta-t-il,d’unevoixplusbasse.—Qu’enas-tupensé?—C’estunarticlehonnête,maisjenesaispassiçachangeraquoiquecesoit.—CommentvaYveta?demandaAsh.Garysoupira.—Elleadeshautsetdesbas.L’ambassaderusseluiaproposédelarapatrier,
mais elle n’a plus aucune famille ni d’amis proches là-bas. Je ne sais pascombien de temps elle aura le droit de rester… Je devrais peut-être l’épouser,lança-t-ilenmeregardant.Ashluidonnauncoupdepoingdansl’épauleetGaryéclataderire.Puisilfit
le tourduvéhiculepourvenirm’aider.Ilglissasonbrassouslemienpourmeguiderdansl’alléejusqu’àlaporte.C’étaitunemaisonconstruite sur lemodèledes anciennes fermes,mais il y
avaitd’autresbâtimentsautour.Les parents deGary, Judith etHenry, auraient pu poser pour un tableau de
GrantWood. Ils étaient très dignes, réservés ; leur accueil fut presque froid.
Commentpouvait-ilavoirengendréunfilsaussiflamboyant?Jesavaisqu’Ashen voulait beaucoup à son père qui pensait que la danse n’était pas pour leshommes.J’essayaid’imaginercequel’enfancedeGaryavaitdûêtreici.En entrant dans lamaison, une odeur délicieuse assaillit mes narines. Cela
sentaitlepainchaud,unparfumquimerappelamonenfanceetunepériodeplussimpledemavie.Yvetaétaitblottiesurunfauteuildanslesalon.Lesrideauxétaienttirésetla
pièceétaitplongéedanslapénombre.— Oh bor… Dieu du ciel ! cria Gary. On dirait la maison de la famille
Addams.Ouvrecesput…rideaux!Il les écarta d’un geste brusque, nous éblouissant tous. Je découvris alors
Yvetapourlapremièrefois.Monregardfutimmédiatementattiréparl’affreusecicatrice plissée, en forme de bouton, qui ornait sa joue.Cela lui donnait unesorte de rictus ironique permanent. C’était peut-être sa réelle expressiond’ailleurs.Elle était grande et très fine, avec d’épais cheveux blonds décoiffés qui
tombaientdechaquecôtédesonvisage.Ashsedirigeaverselleetl’embrassasurlesdeuxjouesenluisouriant.Illui
prit les deuxmains. Les yeux inexpressifs d’Yveta s’embuèrent et elle se jetadanssesbras.Seslarmesmebrisèrentlecœur.Unsilencegênants’installadans lapièce.Je les regardai,nesachantpasoù
posermesyeuxjusqu’àcequeGarymedonneunpetitcoupdecoude.—Tuveuxuncafé?Jehochailatêteetjelesuivisdanslacuisineoùlatableavaitétémiseparses
parents.Ilsfirentcommes’iln’étaitpaslàetillesimita.—Ellefaitçatoutletemps,dit-iltristement.Jecroisqu’ellevamieuxquand
même.Elleestpluscalme.Maissurlelongterme…Ilpoussaungrandsoupiretchangeadeconversation.—Alors,parle-moidemadameNovak.Jemeursd’envied’ensavoirplussur
lafemmequiaséduitledanseurleplustalentueuxdelaville.— Je suis certaine qu’Ash t’a déjà raconté comment nous nous étions
rencontrés.—C’estunhomme.J’aimeraisavoiruneconversationdefilles.—Tuadoreraisvenirchezmesparentsalors:quatrefillesàlamaison!Mon
pèren’apaslaloi!— Ça donne envie ! Et en parlant de ça, apprécient-ils l’exotisme de ton
mari?
—Ilsontétésurpris,maisilscommencentàsefaireàl’idée.Monpèreetluisontdevenuslesmeilleursamisdumondedepuisqu’Ashm’asauvélavie.Garymeregarda,l’airsérieux.—Ildoitvraimentêtreamoureuxdetoi.—Moiaussi.Nous entendîmes alors la porte d’entrée claquer et deux secondes plus tard,
nousaperçûmesAshetYvetamarcherdanslaneigegelée.Ilsavançaient, têtesbaissées,lebrasd’Ashautourdelatailledelajeunefemme.Garymejetauncoupd’œilrapide.—Ilsonttraversébeaucoupdechosesensemble.—C’estlecasdenoustousdanscettehistoire,dis-jedoucement.
ASHNousmarchions lentementdans laneige.Ellecraquaitsousnosbottesetnotrehaleinedessinaitunhalodevapeurdevantnous. J’avaismal auxmains :mondoigtamputémefaisaitsouffrircommeceuxquiavaientétécassés.Le silence était agréable etmalgré tout, j’étais heureux d’être en dehors de
Chicago.Jerespiraismieux.—Celamerappelleunpeuchezmoi,ditYvetaaprèsquelquesminutes.Mais
il fait tout de même plus doux ici. J’ai grandi en Sibérie, ajouta-t-elle aprèsm’avoiradresséunpetitsourire.CommeGalina.Jenelaconnaissaispasalors.Nousnous sommes rencontrés àSaint-Pétersbourgquand j’avaisquatorzeans.Nousn’avionspasgrand-chose,c’étaitdifficile,tusais?Noushabitionsdansunancienimmeubleenbétonquidataitdel’UnionSoviétiqueaveccinquanteautresfamilles. Tu t’en sortais uniquement si tu travaillais énormément : la danseclassique,leséchecs,lesmathématiques,lagymnastique.Jerépétaispendantdesheureschaquejour,avantetaprèsl’école.J’aitoujoursvoulufaireça.Elleémitunpetitricanementamer.—Maisquivavouloird’unedanseusedéfigurée?Personne.Je ne la contredis pas parce que je savais qu’elle avait raison.Mes propres
cicatricesétaientmoinsvisibles.—Tuaspenséàlachirurgieesthétique?—Pourquoipas?Sij’avaislesmoyens.Ellesetournaalorsversmoietmefixa.—Tul’aimes?Ouc’estseulementpourlacarteverte?Jem’attendaisàcettequestion.—Audépart,c’étaitpourlespapiers.Maisplusmaintenant.Jel’aime.
Ellem’observaavecattentioncommesielledoutaitdecequejevenaisdeluidire.—Nousdevrionsrentrer.—Tuveuxretrouvertafemme?demanda-t-elle,sarcastique.J’ignoraisaremarqueetrebroussaichemin.Au bout de quelques minutes, je sentis qu’elle tirait ma manche et je la
regardai.Ellelevaitversmoidesyeuxnavrés.Jereprissonbrasdetellefaçonquenouspuissionsmarchercôteàcôte.— Je pensais à toi tout le temps quand nous étions dans cet endroit
abominable,dit-elle,lavoixtrèsbasse.Quandceshommes…Jelesairepoussésaufonddemonesprit.Aulieudeça,jepensaisàdanseravectoi,commenousétionsheureuxquandnousdansionsenduo:toietmoi,GaryetGalina.Ondiraitquecelas’estpasséilyauneéternité.JecroisquejesuismorteenmêmetempsqueGalinalà-bas.C’étaitmameilleureamie.Maisc’estmoiquiaivoulualleràLasVegas.Elleseraittoujoursenviesi…Jemedéteste.Jenesaisplusdutoutquiestcettehorriblepersonnequejesuisdevenue.—Tun’espashorrible,lacoupai-je.Ellesemitàrire,sansjoie.—Nemenspas,Aljaž.Jesuisunmonstre.Personnenevoudrajamaismevoir
surunescène.Personnen’accepteraquejedonnedesleçonsàleursgosses…Ilsauraientpeur.Mavieestfinie.J’arrêtaidemarcheretl’obligeaiàmefaireface.Jepassaidélicatementmon
doigtsursacicatrice,puislevaisonmentonalorsqu’elleessayaitdesedérober.—Tuasunecicatrice,maistuestoujourstoiettuesmagnifique,Yveta.Leslarmesbrillèrentdanssesyeux,maisunsouriretremblantnaquitsurses
lèvres.—Je voulais vous parler de quelque chose, dis-je, en regardant tour à tour
GaryetYveta.JetenaislamaindeLaneysouslatableetellelaserrapourm’encourager.—Aprèsavoirtoutracontéàcejournaliste,j’aipenséqueçanesuffisaitpas.
LeFBIs’occupederemonterleréseaudeVolkov,pourlemoment.Maisnous,nouspouvonsfaireplus.Moi,j’enaibesoin.—Tunevaspasnousannoncerquetut’esenrôlédanslesMarines?demanda
Gary,pince-sans-rire.—Jeveuxraconternotrehistoire.Commenoussavonslefaire.—C’estàdire?demandaGary,visiblementsceptique.
— En dansant, répliquai-je en m’adossant à mon siège sans le quitter desyeux.Unlongsilences’installadanslapièce,puisGarysecoualatête.—Jolieidée,beaugosse,maisçanemarcherapas.—Pourquoi?—Parce que les gens vont voir un spectacle pour se détendre, pas pour se
saperlemoral.Jehaussailessourcils.—Dansmonsouvenir,onneritpasbeaucoupdansRomeoetJuliet,nidans
LaTraviata.Gary prit un air songeur,mais ne répliqua pas. Jeme penchai vers eux. Je
voulais…non,j’avaisbesoinqu’ilscomprennent.— Nous pouvons y arriver ! Nous allons raconter notre histoire, celle de
chacun :Galina,Marta, la fille.Nouspourronsmontrercequinousestarrivé,commentnousavonssurvécu.Yveta avait l’air intriguée. Pour la première fois depuis notre arrivée, une
lueurdeviebrillaitdanssesyeux.Garysecoualatête.— Nous n’aurons aucun sponsor. Ce sont les spectacles déjà éprouvés qui
obtiennentlessubventions.Onn’ajamaisfaituntruccommeçaauparavant.—Ouietnon,répondis-jeensouriant.Lesgensvontvoirdesballetsdedanse
classique, n’est-ce pas ? Eh bien, ils iront voir de la danse de salon. Il fautsimplementtrouverquelqu’unquiseraitintéresséàfinancertoutça.Maisvoussavezquoi?Unjournalisteestprêtànousaider.—Etcomments’appellecedélireàbasedesang,desueuretdedanse?—Esclave,unelovestory.Garyapplaudit,lesourireauxlèvres.—Alorsnousallonslesfairepleurerdansleurpopcornavecun«toutestbien
qui finit bien » ?Hum…ça a de la gueule,mon chéri.Mais tu as pensé à lamusique?Etlesautresdanseurs?Lasallepourlesrépétitions?Unthéâtre?—Pourlamusique,nouspouvonsutiliserunmixdeclassiquesdeladansede
salon,de rocketdepop.Lepublicenconnaîtra forcémentcertaines.Pas tous.Nousconnaissonsungroupequipeutfairedescovers…—Waouh,waouh…Ceneserapasdelamusiqueenregistrée?Jesecouailatête.—Non, il faut les épater.Ce seraducentpour centdirect. Jeveuxque les
gens vivent la musique, vivent la danse. Je veux qu’ils sentent ce que c’est
vraiment.—Tuveuxvraimentquenousracontions toutaupublic?demandaGary, le
visageassombri.—Non,maismoi, j’enaibesoin.Celan’arienàvoiravecSergeioumême
Volkov.C’estpourlesdouzaines,voirelescentainesdefillescommeGalina,ouMarta.Ouencorelesmillierscommecettefilledontjen’aijamaissuleprénom.Onnelesentendjamais,maisaveccespectacle,nousaurionslemoyendeparleren leurnom,deraconter leurhistoire.Sinousyarrivons, laBratvan’aurapasgagné.Gary, silencieux, jetaun coupd’œil àYveta.Elle avait le regard fixé sur la
tabledelacuisinecouvertedepetitstrous,detracesdecouteau.Laneyhochalatête,lesyeuxbrillants,medonnantainsisonapprobation.Garyfronçalessourcils.—Tucroisvraimentquetupeuxmonterça?—Jenesaispas,honnêtement.Maisilfautquejetentelecoup.—Tupeuxcomptersurmoi,lançaGaryenprenantunegrandeinspiration.Et
toi,Yvie?—C’estbon,jevoussuis,lança-t-ellesansleverlatête.
Chapitre20LANEY
J’étaistellementfièredelui.Tellement.Aprèstoutcequ’ilavaitsubi,ilavaituncœur tellement large et plein d’amour. Il avait un sacré défi à relever,mais jeferaistoutcequiétaitpossiblepourl’aider.Yveta,Gary,Ash…etmoi.Est-cequ’ungroupedepersonnesbriséespouvait
construirequelquechosedebeau?Phil adora l’idée. Il nous retrouva dans notre café préféré et écouta la
présentationd’Ash.—Quellehistoireformidable!dit-ilenfaisant tournoyersonstyloentreses
doigts. J’écrirai un truc la semaine prochaine. Je pourrai toujours préciser quevouscherchezdessponsorsetj’entoucheraiunmotàChrisJones,notrecritiquethéâtral.Ilconnaîtpeut-êtredumonde.Dequoiavez-vousbesoin?—Detout,réponditAshenhaussantlesépaules.D’unthéâtre,peut-êtred’un
enbanlieueaussi,dedanseurs,dechanteursetdemusiciens,d’unesallepourlesrépétitions,decostumes,demaquillage,depublicité,desgenspours’occuperdela vente des tickets, de dessins, d’affiches, de personnes qui bosseront encoulisse, d’autresqui assureront la sécurité, des techniciens lumière, son,d’unproducteur…Ilme jetauncoupd’œil,découragépar la liste sans find’élémentsà réunir
pouravoirunechancedemontercespectacle.Phil était très optimiste et il prit quelques photos d’Ash, qui fonctionnaient
bien.Ilyenavaituneoùilétaitdeboutdanslaneige,lesmainssurleshanchesdansuneattitudededéfi,samainbandéefaisantuncontrastesaisissantsursonmanteaunoir.Quand nous rentrâmes à la maison, il débordait d’énergie alors que je
n’attendaisqu’unechose :mangerunepizzaenveloppéedansunplaidet allermecoucher.Je l’observai faire les centpas,visiblementplongédans sespensées.Puis il
sortitsoniPhone–soncadeaudeNoël–etconnectasesécouteurs.Ilseperditdansl’écoutedelamusique,lefrontplisséparlaconcentration.Ilétaitentrainde réfléchir à sonnouveau spectacle, c’était évident.Parmoment, il faisait ungrand geste du bras ou plongeait vers l’avant. Il fronçait alors les sourcils ethochaitlatêteoulasecouait.Levoirtravaillerétaitfascinant.J’abandonnaitrès
vitemonidéedelire,préférantl’observer,sigracieuxetsipleind’énergie.Parfois, jeparvenaisàidentifierlestyledeladansegrâceàcertainspastrès
spécifiques;àd’autresmoments,c’étaitplusrelâché,moinsdansedesalon,plusAsh.L’après-midi passa ainsi, et peu à peu, le ciel s’obscurcit, l’éclairageurbain
illuminant trompeusement les rues d’une lumière jaunequi semblait promettredelachaleur.Maislesjoursd’hiverétaientcourtsetlesnuitslongues.Jedusm’endormirfinalement,carlorsquejemeréveillai,Ashétaitassisprès
demoietmetendaitunetassedecamomille.—Lukavavenirnousrejoindre,dit-il,toutexcité.—Qui?—Mon ami, Luka. Il vient de m’envoyer un texto. Il était en tournée en
Allemagne,mais il termine bientôt. Il va venir nous rejoindre.Tu es d’accordpourqu’ildormeici?Jemefrottailefront.—Tuluiasoffertuntravail,Ash?— C’est un danseur génial, dit-il, sur la défensive, sans répondre à ma
question.—Jen’endoutepas.Maisiln’apasdetravailnidevisa.Nousn’avonspas
lesmoyensdelepayeretnousnesavonsmêmepassinousarriveronsàmontercespectacle.Ilbonditducanapé,l’airfurieux.—Turépètestoujoursqu’ilfauttoutessayeretfairedesonmieux,nejamais
abandonner.Etlà,tuvoudraislaissertomberavantmêmedecommencer?—Jen’aipasditça!Jefaisaisjusteremarquer…—Quoi?Queçavaêtredifficile?Qu’il faudraescaladerdesmontagnes?
Mes amis ont été violés, deux filles ont été assassinées, mais ça, c’est tropdifficilepourtoi?—Tuesinjuste,Ash!—Lavien’estpasjuste!—Arrêtedemecrierdessus!Jesuistonalliée!Il se leva et vint se planter devant moi, les poings serrés, les narines
frémissantes.— Ash, tout ce que je dis, c’est qu’il va y avoir un travail monstrueux à
abattreavantquenouspuissionsproposeràLukadetravaillerpournous.Jenesuispasexpertedanscedomaine, jene saispas si jepeuxvousapportermonaidedanslaproductiondecespectacle.Etjeneveuxpasvousdécevoir.
Ils’affalasurlecanapéetlaissatombersatêtesurledossier.—Decombiend’argentavons-nousbesoin?demanda-t-ilengardantlesyeux
clos.—Ehbien,sijemebasesurcequetuétaispayépourBroadwayRevisited,et
quejeparssurvingtdanseurs,douzemusiciens,sixtechnicienspourlalumière,le son et dans les coulisses, deux administrateurs à huit cents dollars parsemaine… je dirais… Combien de temps te faut-il pour les répétitions ? Unmois?—Auminimum.—Celafaitcentvingt-huitmilledollarsauxquelsilfaudraajouterdeuxmilles
environ pour une location de salle pour les répétitions.Aumieux, il te faudracenttrente-cinqmilledollarspourlesquatrepremièressemainesderépétition.—Putain!— Et si nous prenons une salle de cinq cents places avec des billets à
quarante-cinq dollars et un taux de remplissage de soixante-quinze pour cent,nousgagnonsseizemillehuitcentsoixante-quinzedollarsparsoirée.Lethéâtreprend la moitié des recettes, il faudra payer les employés pour desreprésentationssurtroissemaines…Je pris une grande inspiration et je grimaçai en délivrant la mauvaise
nouvelle:—Ilfaudraitvendredixmillecinqcentsbilletspourêtreàl’équilibre.Ashmeregarda,effondré.—Dixmille?J’acquiesçai.Ilseleva,plongeantlesmainsdanssescheveuxetseremettantàfairelescent
pas.—Dixmille?—Oui.—Pizda!—Pardon?—Putain!Putain!PUTAIN!Ashempoignasonmanteauetsortitentrombedel’appartement.Envérité, ilnous fallaitpratiquementdeuxcentcinquantemilledollarsafin
quecespectacleaitunechanced’exister.
ASHJemarchaisàgrandesenjambéesdanslarue;jebouillonnaisdecolèreetj’avais
chaudmalgréleventfroidquimordaitmesjoues.Je n’en voulais pas à Laney, je comprenais pourquoi elle était si inquiète.
C’étaitmoi, l’abruti naïf et rêveur.Comment avais-je pupasser à côtéde toutça?J’avaiscréédesespoirsfousquejenepourraispasréaliser.Jeme souvins alors du visage d’Yveta, de l’éclair de vie qu’il avait révélé
quandj’avaisparléduspectacleetdereprendrelecontrôledenosviesetcequinousavaitétévolé.Ilfallaitquejetrouvecetargentparn’importequelmoyen.Jeralentiset levai lesyeuxvers leciel.Onnevoyaitpaslesétoilescachées
derrièredelourdsnuagesquiannonçaientencoredelaneige.Jesentais tout lepoidsquipesaitsurmesépaules.Jesavaiscequ’ilmerestaitàfaire.
LANEYAsh revintunedemi-heureplus tard,gelé, levisagecontrit. Ilnemecriaplusdessus.Aucontraire, il était très calmeet jemedemandai cequ’ilmijotait. Ilaffichaituneexpressiondureetdéterminée.—Ya-t-ilunmaireàChicago?—Oui,pourquoi?—Bon,nousallonscommencerpar le sommetalors.Tupeuxme faireune
liste des cent personnes les plus influentes à Chicago : dans la politique, lesaffaires,lesmédias,lapolice…Tousceuxàquitupenses.Jecillai,surpriseparsasuggestion.J’esquissaiunsourire.—Tuneveuxpasrenoncer.—Jenepeuxpas.
Lesdeuxsemainessuivantesfurentunvéritabletourbillon.L’articleétaitsortietnous l’exploitâmes autant que possible. Ash se révéla excellent dans lerelationneldèsquenouseûmesdesinterviewsavecdeschaînesdetélévisionetdesstationsde radio.Le faitqu’il soit si séduisantetcharismatiquenegâchaitrien, évidemment. L’argent commençait à s’accumuler. Pas de façontraditionnelle;celaauraitpristropdetempsetnécessitétropdepaperasse.Non,c’étaitlepublicquiaidaitànousfinancer.Notre demande de financement participatif avait déjà récolté treize mille
dollars.Ilnousrestaitencorebeaucoupdecheminàparcourir,maisnousétionssurlabonnevoie.Ashétaitenpassederemportersonpari.Un collègue d’Angie accepta de s’occuper des contrats bénévolement.Mon
père était en train d’arranger une conférence de presse/séance photo avec lecommissairedepolice.EtlemieuxétaitquelasalledesportlocaleavaitoffertàAsh,YvetaetGary
descartesgratuitesdemembre.Celaleurpermettaitd’utiliserlestudiodedanselorsqu’ilétaitlibre.Ashdisaitqu’ilavaitbesoindeseremettreenforme.Croyez-moi,jevérifiais
souventetpourmoi,ilétaitdéjàtrèsenforme.Maisc’étaitgénialpourluietilpassaitdelonguesheuresànager,faireduyogaetleverdelafonte.J’avaisétéétonnée, je ne pensais pas que les danseurs avaient besoin de muscles aussiapparents.—Cen’estpascequejerecherche,avait-ilprécisé.Je lèveuniquementdes
poids légers pour étirer mes muscles, pas les faire gonfler. Les danseurs ontbesoind’êtrerésistants.Pourlegenrededansequejepratique,cen’estpastrèsnécessaire,maissitudoisfairedesportés,celapeutserévélerutile.—Tuvasenfairebeaucoup?Desportés?Ashmelançaunregardquejenesuspasinterpréterethochalatête.
ASHJejetaiuncoupd’œilàLaney.Sonvisageexprimaitsonstressetjedétestaisenêtrelacause.Elleavaitmalmêmesiellen’endisaitrien.Ellem’avaitrejointaustudioaujourd’huiparcequej’avaistravaillétardavecGary.Nousallionsdînerensembleaprès.Jeneluiavaispasconfiélesidéesquej’avaispourlespectacleetquandnous
commencerionslesrépétitions–ouplutôtsinouslescommencionsunjour–,jedevrais la tenir éloignée. Ce serait difficile de lui faire comprendre pourquoipuisquejenepouvaisrienluidirepourlemoment.Laney m’observait, les traits tirés et inquiets. Je l’embrassai encore,
découvrantuncoupled’amoureuxquisedémultipliaitàl’infinidanslesmiroirs.Jedéposaiundernierbaiser,appuyantlonguementmeslèvressurlessiennes,
luipromettantpluspourplustard.Jeprisensuiteladirectiondesdouches.Garyétait déjà en train de s’habiller, matant discrètement quelques hommes quej’avaisdéjàvus,souleverdelafonte.Ilmesouritenclignantdel’œilquandjepassaiàcôtédelui.Jeluirendisson
regard,lessourcilsarqués.—Hé,beaugosse!Tontéléphonesonnedanstonplacarddepuisdixminutes.
Laneydoits’impatienter.—Non,jeviensdelavoirdanslestudio.Ellenousattendàlasortie.
— Bon, tu as quelqu’un qui te colle au cul alors et je comprends cettepersonne.Jem’assis sur le banc et sortitmon téléphone demon vestiaire. Je vis que
j’avaisreçuunappeld’unnumérolocaletqu’onavaitlaisséunmessagevocal.Jel’écoutaiaveclaplusgrandeattention.Bonjour,MonsieurNovak.MonnomestSelmaPasicetjesuisladirectricedu
théâtre Savannah Phillips. J’ai entendu parler de vous et de votre projet despectacle.Nousavonsuncréneaulibrelesdeuxdernièressemainesdemarsetnous serions ravis que vous acceptiez de vous produire chez nous. Si maproposition vous intéresse, rappelez-moi dès que possible afin que nous nousmettionsd’accord.JefisécouterlemessageàGaryquimejetauncoupd’œil,stupéfait.—Putain,nousavonsunesalle!Je rappelai immédiatement, mais je tombai sur la boîte vocale. Je balançai
montéléphoneàGary.—Jeprendsmadouche.Sielle rappelle,prendsun rendez-vous.N’importe
quand.Toutdesuite,sielleveut.Troisminutesplus tard, je luttaispourenfilermesvêtements surmoncorps
encorehumideetGarys’agitaitprèsdemoi,toutexcité.—Ellea l’air trèssympa,s’exclama-t-il.Elleadore l’idée.Oh,neboutonne
pasdechemisejusqu’enhaut.—Hein?— C’est une femme. Faite de chair et de sang. Laisse ta chemise un peu
ouverte.—N’importequoi.Noussommesenjanvieretilfaitunfroiddegueux.—Écoute-moi,beaugosse!Lafemmequivientdetéléphonerestentrainde
teproposerderéaliser tonrêve.Alors, tufaisunpetiteffort.Tachemise, tu lalaissesouverte!J’obtempérai en maugréant. On ne verrait rien avant que j’enlève mon
manteau.J’avaisl’impressiond’êtreunparfaitabruti.DèsqueGaryvitLaney,ilselançadansunrapportcompletsurl’appel,puisil
s’emparadespoignéesdesonfauteuiletcommençaàlapousser.Jeluidonnaiuncoupdecoude.—C’estmontravail,ça.—J’adoretafemme,maisjesuistoujourshomo.Tupeuxtedétendre.—C’estmontravail!
LaneysemitàglousseretGarymeplantaledoigtdanslescôtesmefaisantsursauter.Nous progressâmes lentement sur le trottoir glissant avecGary devant nous
quiécartaitlesgensdenotrechemincommesinousétionsunconvoiroyal.—Ilesttoujourscommeça?demandadoucementLaney.—Non,ilestpire.—Jet’entends!braillaGary.Laneyenfouitsonvisagedanssonécharpepourcachersonrire.MonDieu,jetombaisamoureuxd’elleunpeupluschaquejour.C’était commeune chute au ralenti, comme ladescented’uncorps éthéré à
traversdesnuages.Unechutepaisible,lesoleildanslesyeux,réchauffantmonvisage.C’étaittoutcequ’ellefaisait,deschosesbanalesquepersonned’autreneremarquerait : la façon dont elle marquait le rythme d’une chanson àcontretemps, lamanièredont elleme regardait quand j’entraisdansunepièce,toujourspareil:mesyeux,meslèvres,moncorpsetpuis,retourversmesyeux.Saforcem’éblouissait.Lesexeavecelleétaitlemeilleurquej’avaisconnudansmavie.Jenesavais
même pas pourquoi. Elle n’était pas la plus sportive des filles que j’avaisconnues, bien évidemment. Elle n’était pas non plus la plus audacieuse et ilm’avait fallu du temps pour la convaincre de tenter des trucs nouveaux.Maiselleme donnait un plaisir extraordinaire chaque fois.Mes orgasmes étaient sipuissants et si fréquents que j’avais l’impression que c’était le dernier chaquefois.Jemourraisheureux.Peut-êtrequec’étaitl’amourquifaisaittouteladifférence.Nous fîmes une pause devant un théâtre défraîchi, mais orné d’affiches
récentesprésentantdesspectaclesintéressants.—Jedevraispeut-êtrevousattendredansuncafé,ditLaney,hésitante.—Maispourquoi,madouce?demandaGary,justeavantquejeposelamême
question.—Elles’attendàrencontrerdesdanseurs,pasmoi.J’ouvrislaporteengrandetlapoussaiàl’intérieur.Jemepenchaiverselleet
glissaidanssonoreille:—Etoùenserions-noussansnotreproductrice?— En plus, lança Gary, à nous trois, nous représentons la diversité de ce
monde:ungay,unmigrant,unehandicapée.Ilfitunepause,lessourcilsfroncés,avantdereprendre:—Tupourraisfairesemblantd’êtreunelesbiennenoire?
—N’importequoi!semit-elleàrire.Unesuperbefemmeauxlongscheveuxbrunsarrivaalorspournousaccueillir.—MonsieurNovak?demanda-t-elle,sesyeuxpassantdeGaryàmoiavant
deseposersurLaney.—Oui,répondis-jeenluiserrantlamainetenignorantlemurmuredeGary
qui me demandait d’ouvrir encore davantagema chemise. Vous êtes madamePasic?—Appelez-moiSelma.— Ash, répondis-je en souriant. Et je vous présente mon épouse, Laney
Novakquiestaussinotreproductriceetl’autredanseurleader,GaryBenson.Iltravailleaussisurlachorégraphieavecmoi.Elle nous conduisit jusqu’à un petit bureau encombré, écartant une tête de
chevalpourpermettreaufauteuildeLaneydepasser.—Donc,commejevousl’aidit,unespacededeuxsemainess’estlibéréde
façon inattendue en mars. Puisque nous vous prévenons si tard, nous neprendrons que quarante pour cent de la recette et vous fournirons tous lesservices d’affichage ainsi que les techniciens son et lumière. Je vous laisse enrevanche toute la production du spectacle lui-même, ce qui inclut toutes lesautorisationsd’utilisationdelamusiqueetlesassurances.Nousnousoccuperonsde la vente de billets et dumarketing, mais nous avons besoin de vous pourcommuniquerauprèsdesmédias.Alors,quepensez-vousdecetteproposition?J’avaishoché la têtependant toutsonpetitdiscours, raviqu’enfin, toutaille
danslabonnedirection.JesentisalorsLaneyposersamainsurmonbras.— Cela me paraît très bien, Selma. Si vous pouviez me faire parvenir les
contrats,jepourraislestransmettreànotreservicejuridique.Nousavonsunservicejuridiquemaintenant?Trenteminutesplustard,noussortionsaveclescontratstypesenpoche.
LANEY—Ilfautquejedonneunnomàmacompagnie.— Tu pourrais l’appelerNovak. Tu m’as dit que ça voulait dire « Nouvel
homme»,celamesembleparfaitementconvenir.—Non,celaveutdirenouvelhomme,maisplutôtdanslegenre,débutant.J’ai
besoind’untitrequiexpliquecequenoussommes,enplus.Jenesavaispasvraimentcequ’ilvoulaitdireparlà:parlait-ildesdanseurs?
Del’histoire?Deluietmoi?—EtSyzigie?L’uniondescontraires,unalignementmystique?
Sonvisages’éclairad’unlargesourire.—Maisc’estparfait,monintelligenteépouse.Plus tard, jeme demandai si c’était ça l’amour : une conversation sans fin
avecunhommequivousintéresseetvousexcitetoutevotrevie.Le lendemain, je m’assis avec un bloc et une calculatrice. Au bout d’une
demi-heure, j’avais envie de pleurer. Quelle que soit la manière dont je m’yprenais,quellesquesoientleséconomiesquej’envisageais,leschiffresnenousétaientpasfavorables.Ilnousmanquaitquatre-vingtmilledollars.Mais…sinousvendionslamoitiédesplaceschaquesoir,lebudgetseraiten
équilibre.Sinousallionsau-delà,nousserionsbénéficiaires.Ilyavaitunrisque.Maisvivreétaitunrisque.N’est-cepas?Jedécrochaimontéléphoneetappelaimabanque.—Bonjour,j’aimeraisavoirdesrenseignementspourunprêt,s’ilvousplaît.
QuandAshappritceque j’avais fait, ilpiquaunecrise–unedeses fameusescrises,bruyantesetdramatiques.—Notreplusgrosdéfiétaitdetrouverunesalle.Nousl’avonsetjesaisque
pour tout ce qui concerne le spectacle tu vas t’en sortir. Alors où est leproblème?—Le problème ! hurla-t-il, le regard furieux. J’en ai quatre-vingtmille de
problèmes!Putaindebordeldemerde,Laney!Quatre-vingtmilledollars!Ilfonditsurmoietplantasonvisagedevantlemien,lesmainsappuyéessur
lespoignéesdemonfauteuil.—Non!Jenepeuxpastelaisserfaireça!—Troptard,c’estfait!—Rendsl’argent!Disquetuaschangéd’avis.—Jepaiedéjàdesintérêtssurceprêtdoncnon,jen’ytienspastrop.Tun’as
qu’àcréerunspectacleextraordinaireettumerembourseras.Faistontruc.— Faire mon truc ? Mon truc ! C’est des heures de boulot, Laney ! La
musique,lachorégraphie,lescostumes.Merde,jenesaispas!—Et je ne t’ai pas dit,mais j’ai parlé avec Selma et je lui ai renvoyé les
contrats signés. Elle est d’accord pour que nous organisions des auditions authéâtrelesamedisansfraissupplémentaire.J’aimisdesannoncesdansplusieursjournauxetsurdessitesenligne.J’aiappeléunedouzainedestudiosdedanseenvillepour lesavertirquenous recrutions.Tudevraisavoirpasmaldegenstalentueuxquivontseprésenter.
Ilmeregarda,bouchebée,lesyeuxécarquillés.Puis,ilm’embrassa.Ilpritmonvisageentresesmainsetsaboucheravageala
mienneavectellementdepassionetd’intensitéquecelamecoupalesouffle.Quelque temps plus tard, alors que nous étions allongés, repus et qu’Ash
caressaitmacuissemachinalement,ilrevintsurlesujet.—Noussommesmariés,hein?Uneéquipe?—Biensûr.—Maistuastoutdécidétouteseule.—Euh,oui,maistuauraisrefusé.—Oui,toutàfait.—C’estpourçaquejen’airiendit.Nouspouvonslefaire.Tupeuxlefaire.—Est-cequetuauraisétéencolèresij’avaisprisuneaussigrossedécision
sanst’enparler?demanda-t-ilenprenantunpeudereculpourmevoir.—J’auraisétéfurieuse.Maistuauraisrefusépourdemauvaisesraisons.Tu
auraisditnonpourmeprotéger,maisen fait, tum’auraisempêchéede tevoirheureux,detevoirréussir…denouscréerunavenir.Ilsefrottalefrontd’unairlas.—Tuestropdouéeaveclesmotspourmoi.—Toiaussi,tuesdouéaveclesmots,maisjepréfèrelorsquetuesdouéavec
toncorps,répliquai-jeendéposantunnouveaubaisersursontorse.Unriresilencieuxlesecoua.—Je tecomprends, tuasraisondem’envouloir,mais je t’enprie, fais-moi
confiance,Ash.J’aifaitcequ’ilfallait.—Jetefaisconfiance.Totalement.Deuxjoursplustard,Lukaarriva.IlressemblaitàAsh,ilavaitlemêmegenre
de silhouette avecunemèchedecheveuxblondsquidépassaitd’unbonnet enlaine.Sesyeuxétaientd’unbleusombreétonnant.Ilétaittrèsséduisantetillesavait.Jecomprisviteàlafaçondontilsetenaitetauregardévaluateurqu’ilmelançaqu’ilavaitl’habitudequelesfemmessejettentàsatête.—Luka,jeteprésentemonépouse,Laney.Ilmepritlamainetlaportaàseslèvrespourl’embrasser.—Jesuisabsolumentenchanté,madame,dit-ilsuruntoncharmeur.Sonaccentétaitplusprononcéqueceluid’Ash.—Raviedefairetaconnaissanceégalement,dis-jeenluiretirantmamain.Lukamefitungrandsourireavantdeplacersonbrassurlesépaulesd’Ash.Il
semitàluiparlertrèsrapidementenslovèneetAshéclataderire.Lukaeutàpeineletempsdeposersavalisequ’Ashl’entraînaitpourtravailler.
JerappelaiàAshquenousdevionsretrouverYvetaetGarydansunpetitdînerdu coin ce soir.Yveta était trèsmal à l’aise en public et préférait les endroitsdiscrets.Jedécidaid’utilisermonfauteuil,carmêmesijemesentaisrelativementbien,
jeme fatiguais rapidement.QuandLukaaperçutmonVieuxTasdeTôle, il semitàparlerenslovène.Ashfronçalessourcilsetluiréponditrapidement.Puisilsetournaversmoi,
lesourireauxlèvres:—J’aioubliédeleprévenir.Ilméritaitunbaiserpourçaparcequemonmari,monhomme,voyaittoujours
lafemmeenmoi,etpasunepersonnedontilfallaits’occuper.Quandnotrebaiserdevintunpeu troppassionnéenpublic,Lukase racla la
gorge,l’airamuséetilrepritdansunanglaislaborieux.—Peut-êtrequejedevraisallermangertoutseulouest-cequ’uneminutete
suffitcommeautrefois,Aljaž?Ashluicollaunepetiteclaquederrièrelatêteetmarmonnaquelquesmotsqui
semblaientfortgrossiers.—Monmeilleur ami est amoureux ! Je n’aurais jamais cru voir une chose
pareille,ditLukaensouriant.Ash lui réponditde lamêmefaçon,etmefitunclind’œilenresserrantson
étreinte autour dema taille. J’adorais quand il me regardait comme ça, je nem’enlasseraisjamais.Ashavaitpeut-êtreoubliéaussideprévenirLukadelasituationd’Yveta.—Euh,Luka,quandtuverrasYveta,faisattentionànepasfixersacicatrice,
d’accord?Ilme jeta un regardmontrant sa compréhension alors qu’Ash soutenaitma
remarqued’unsignedetête.MaisquandYvetaetGaryarrivèrent,Lukarestaleregardfixésurlajeunefemme.Ashluicollauncoupdepiedsouslatable.Il dit quelque chose àYveta en russe et elle piquaun fard sans pour autant
croisersonregard.—Qu’a-t-ildit?demandai-jeàAsh.—Jecroisqu’iladitqu’elleétaittrèsbelle,réponditAshensouriant.—Oui,c’estça,confirmaLuka.J’aipréciséquejeregardecommeçatoutes
lesbellesfemmes.Garyétaittoujoursdebout,setenanttoutprèsd’Yvetadansuneattitudede
protection.MaisquandilentenditLuka,ilhaussalesyeuxaucieletselaissatombersurunechaise.
—Unautrebeaugosseslovèneavecplusdecharmequ’iln’enfaut.Ilsvousfabriquentàlachaînechezvous?Jevaisallerypasserdesvacances,moi.LukalançaunregardcharmeuràGaryetsepenchavers luienluiposant la
mainsurlacuisse.—Jesuisdéjàenvacances.Je jetai un coup d’œil interrogateur à Ash pendant que Gary s’éventait
ostensiblement.—Lukaestbisexuel.—Tout à fait, confirmaLuka en souriant avant de lancerquelque chose en
slovènequifitrireAsh.Troisvoixcrièrentàl’unisson:—Qu’est-cequ’iladit?Lukalevalesmainsensignededéfenseetsecoualatête.—Excusez-moi,monanglaisn’estpastrèsbon.J’aiditquej’offreautantde
chancesauxhommesetauxfemmesdebaiseravecmoi.Jefaillism’étoufferàcesmots,etGaryéclataderire.Yvetaavaitl’airdene
passavoirs’ilfallaitrireoupleurer,maiselleluiadressaunsouriretimide.Lukaluiréponditdelamêmefaçon,lestraitsadoucis.Jeme laissai aller surmon fauteuil enbuvantunegorgéed’eau.Leschoses
allaientdevenirtrèsintéressantesetjevoulaisdireparlàqu’ellesseraientsurtoutcompliquées.Maisbon,nousavionssurvécuàbienpire.Alors…
Lelendemainétaitlejourdesauditions.C’étaitGaryetAshquilesdirigeaient,maisYvetaetLukaétaientlà,euxaussi,etprenaientdesnotesenéchangeantàvoixbasse.Selma était venue également. Je l’aimais bien et j’appréciais sa façon de
prendre les choses en main, mais elle était du genre fonceuse. Il n’était pasimpossiblequ’ellevouspassesurlecorpstellementelleétaitenthousiaste.—Tuappréciestonrôledeproductrice?Jeluijetaiuncoupd’œil.Ellen’étaitpasdugenreàdireçasansraison.—J’apprendstoutdoucement.—Jetedisça,neleprendspasmal,maisc’estunsacréboulotquandonne
saitpasdansquoionmetlespieds.—Jesais,maisnousn’avonspaslesmoyensd’embaucherquelqu’un.Nous
nousensortonsdéjààpeinecommeça.Jeneluidisrienduprêténormequej’avaiscontractéetquimefaisaitfaire
descauchemars.—J’aiunepropositionàtefaire,dit-elleensepenchantversmoi,m’offrant
unevueexceptionnellesursondécolletéqui tranchaitunpeuavecsonair trèssérieux.Jeveuxbienm’occuperdetoutcequiestenrapportaveclaproduction.Sansfrais,évidemment.Jeprendraiplutôtunpourcentagedesbénéfices.Jem’adossaiàmonsiège,réfléchissantàtouteslesoptions.—Ilpourraitn’yavoiraucunbénéfice.Selmamesourit.—Jecroisenceprojet.Et si çamarcheaussibienque je lepense, je serai
largementrécompenséedemesefforts.Jelaregardaiavecattention.—Ceque fait tonmari, j’enavaisenviedepuisunmoment.C’estnouveau,
innovant. Pour le moment, je conserve mon emploi dans ce théâtre, mais siEsclave marche aussi bien que je l’espère, ce sera un pas énorme dans ladirection vers laquelle je veux aller : devenir un producteur à temps complet.Danscetteaffaire,c’estdugagnantgagnant.—TuenasparléàAsh?—C’esttoiquiproduis,mabelle.Lui,c’estundanseur.J’éclataiderireetellemefitunclind’œil.—Jet’enreparletrèsvite.Lukalevalamaindèsqu’ilmevitetjeprisplaceàcôtédeluienessayantde
faireabstractiond’Yvetaquim’ignoraitostensiblement.Unefoisdeplus.—Commentçasepasse?—Bien, trèsbien.Tuvoisce typed’uncertainâge, lepetit sur lagauche?
C’estOliver.IlferaituntrèsbonSergei.Rienqued’entendresonnom,jefrissonnai.Lukamejetaunregardapitoyé.— C’est très gentil à toi d’être venu. D’autant plus que c’était loin d’être
acquis.Lukaeutsoudainl’airgêné.—C’étaitlemoinsquejepuissefaire.Jen’aipaspul’aideravant…Ilsetournaànouveauverslascène.Ashétaitlà,vêtud’unmarcelnoir,d’un
pantalondejogginggrisetdeseschaussonsdedanse.Garyetluimontraientauxdanseurslachorégraphie.Ilavaituneexpressionconcentréeetréfléchie,unpetitpliridaitsonfront.Je jetai un coup d’œil à Luka qui suivait Ash du regard avec un peu
d’étonnement.—Ilachangé,Aljaž,jeveuxdire.C’étaitungamin.Pasvraimentimmature,
mais…iljouaittoutletemps,ilplaisantait,faisaitdesblagues.Maintenant…Ilesttellementsérieux.Mon cœur se serra en pensant à cet Ash disparu, celui qui n’avait pas le
moindresoucietquiétaitheureuxetjoueur.—Tu lui fais du bien, poursuivit Luka doucement. Je ne pensais pas qu’il
pourraitvivreavecquelqu’unquinedansepas,maiscelafonctionnevousdeux,hein?Je hochai la tête brièvement, un peu déstabilisée par ce compliment qui
ressemblaitàunreproche.—Jepense,oui.Aumêmemoment,Yvetaselevaets’éloigna.Lukalasuivitdesyeux.—Ellenem’aimepas.—Ellenetedétestepas.Çaluipassera.Lorsqu’ellerencontreralapersonne
desesrêves,jepense.—Tutevoisbiendanscerôle?Il secoua la tête et pendant un bref instant, je crus apercevoir une intense
émotiondanssonregard,maisilsetournaensuiteversmoi,ungrandsourireauxlèvres.—Jesuislerêvedepersonne.
ASHJ’adorais que Laney soit là pendant les auditions, qu’elle puisse voir ce dontj’étaiscapable.À la fin de la journée, la troupe était complète. C’était effrayant,mais très
excitant aussi. Ce qui me terrifiait le plus, c’était de payer le salaire de mesdanseurs avec l’emprunt de Laney. Je n’avais pas encore vraiment accepté lafaçondontelles’yétaitprise,maisjesavaisaussiqu’iln’yavaitpasmoyenderevenirenarrière.Laneymerejoignitetmeserradanssesbras,cedontj’avaistrèsenvie.—Beurk,dit-ellequandellem’étreignit.Tuesensueur.—Tuveuxtranspirertoiaussi?demandai-jeenembrassantsoncou.—Oui,maispas ici. J’adore lemouvementque tu leurasmontré.Avec les
bras.Jetrouvequeçarendencoreplusefficaceleurspas.Jen’arrivepasàcroirequ’unsipetitdétailchangeleschosesàcepoint.Commentas-tueucetteidée?—Jenesaispas.J’aijusteécoutél’accentdelamusique.—L’accent?—Ilyaquelquechosed’accentué,plussonoreouplusdramatique.Maisc’est
assezsubtil.—Àquoipenses-tuquandtudanses?Jepouvaisexpliquercelaplusfacilement.—À lamusique. Jemeperdsdedans.C’est pour çaque je faisais un aussi
mauvais gigolo, murmura-t-il à mon oreille. Quand je dansais avec unepartenaire, j’oubliais que je devais la séduire. Ce n’était pas bon pour mesaffaires.Ellerougitetjetauncoupd’œilauxalentours.—Tunedevraispasdiredeschosespareilles.—Laney,c’estunepartiedecequejesuis.Elles’écartaunpeudemoi,lesbrascroiséssurlapoitrine,l’airsongeuse.—Montre-moiencorecetrucaveclesbras.Jevoudraiscomprendrepourquoi
çachangetout.J’étudiaisonvisage,latêteunpeuinclinée.Sielleavaitbesoindetempspour
penseràtoutça,àcequej’avaisditetàtoutcequejenedisaispas,pasdesouci.J’exécutailasériedepasdontelleparlait,lesyeuxplantésdanslessiens.—Destrucscommeça,c’estexcellentsurscèneetçacaptivelepublic.Mais
ilfautbeaucouplesrépéterparcequesilapersonneavecquijedanselefaitsansprévenir,celamesurprendra.Celaal’airnaturel,maisc’esttrèsartificielenfait,saufavectoi.Jelaprisdansmesbrasetlaserraicontremapoitrine—Jenesaispasdanser.—Maissi.Jevaist’apprendre,répliquai-jeenpressantseshanchescontreles
miennes,avantdereculerunpeu.Tuvois,jet’invitedansmesbrasetpourcela,jem’écarteunpeu.Maintenant,tuvasmerejoindre.Elle essaya de suivre mes pas pendant quelques mesures, manquant me
flanquersongenoudanslespartiesenmemarchantsurlepied.Elleavaitpeut-êtreraison:ellenesauraitjamaisdanser.—Ilfautquejeteparledequelquechose.—Çam’al’airtrèssérieux,soudain.—Un peu, cependant c’est une bonne nouvelle. Et j’ai adoré te voir faire
passerdesauditionsaujourd’hui,tuesdifférent.Jeprismaservietteetlaplaçaisurmoncou.—Ahoui?Enquoi?—C’étaittoilepatron.Jenet’avaisjamaisvucommeçaavant.—Euh…c’estmoilepatronaulit.Chaquefois.Ellemedonnaunpetitcoupsurleventre.
—Jeneplaisantepas!Onauraitdit…unautrehomme!Celam’arrivait parfois d’avoir l’impression d’être un autre homme. J’avais
des flashs d’avant, de l’Ash que j’étais à peu près aujourd’hui. Mais jecomprenaiscequ’ellevoulaitdire.—J’aideuxfaces.Cellequiestpublique,lechorégrapheouledanseur,ici.—Etl’autre?—Jenesuispascertaindebienlaconnaître.Était-celavérité?Jenesavaisplus.Maisjenevoulaispasparlerdemoncôté
sombre.Pasàmonrayondesoleil.—Quevoulais-tumedireaufait?Elle me lança un regard qui montrait qu’elle avait bien compris que je
changeaisdesujet.Ellenesavaitpaspourquoi,maisellen’insistapas.—Selmam’afaitunepropositionintéressante…
Deux joursplus tard,nousrépétâmesavecGary,LukaetOliver.Celasepassagénialement bien. C’était un peu effrayant demontrer à Oliver ce que devaitfaireSergeisurscène,maisc’étaituntypesympa.Ilfallaitquejepasseau-delà,maisj’avaisdumal.Etj’avaisraisonaussiàproposdeSarah.Elleseraitgéniale.J’avaisunmillierd’idéesentête.Garyaussi.—Oh,monDieu,cria-t-il.Tuavaisraison.Ilyadumatérielpourlasoulever
ici?Ondevraitluimettreunharnaispourqu’ellevoleau-dessusdelascène.Sarahavaitdûl’entendre,carelles’approchadenous,lesyeuxécarquillés.—Pasquestion,bonsang!Onnemeharnachepas!Gary lui lança un regard mauvais et bientôt ils se disputaient avec
acharnement. Difficile de savoir qui aurait gain de cause. Au départ, j’avaispenséqu’ilssedétestaient,maisaprèsunejournéederépétition,jediraisplutôtque c’était leur façon de communiquer. En tout cas, cela fonctionnait et denombreusesidéesfusaientdansleurséchanges.Jen’avais jamais travaillé aussi durde toutemavie.Comme j’avais le rôle
principal, j’étais dans toutes les scènes sauf une, et mon corps criait grâce :musclesfroissés,contusions,épaulesbloquées,bainglacéetétirements.Toutçapourleplaisirvertigineuxd’espéreravoirunestandingovation,pour
l’espoir insensé de ne pas s’attirer le mépris des chroniqueurs, les mauvaisescritiques.Jemesentaisbrisé,autantémotionnellementquephysiquement.Mêmeaprès
unbainglacéetunlongmassage,jemarchaiscommeunvieilhomme.
Maisleplaisiretl’excitationquejeressentais,deboutsurcettescène,devantLaney,étaientlesecondmomentdontj’étaisleplusfierdemavie.Aumoins,jen’avaispaslespiedsensangcommecertainesdanseuses.Bien
sûr,lesampoulesetlespiedsencompotefaisaientpartiedumétier,maisdanserentalonshautspendantdesheures,jen’osaismêmepasypenser.Ellesmettaientduwhitespiritsurleurspiedspourlesendurcir.Cen’étaitpastrèsglamour,maissinousatteignionsnotrebut,ceseraitgénial.Dumoins,jel’espérais.
LANEYIlétaitplusdevingt-troisheuresquandj’arrivaiaustudiodedanse.Legardientapotasamontremefaisantcomprendrequ’Ashavaitdixminutespourévacuerleslieux.J’entendais encore la musique, un tango si je me fiais au tempo. Ash était
deboutaumilieudustudio,lescheveuxdégoulinantdesueur.Je poussai la porte et il releva brusquement la tête. Il dut essayer de me
sourire,maisilesquissacequiressemblaitplutôtàunegrimace.—Hé,ilesttard.Tuesprêtàrentreràlamaison?—Bientôt,marmonna-t-ilensebaissantpourm’embrasser.—Ilfautquecesoitmaintenant.Legardienattendpourfermer.Enplus,tuas
l’aird’avoirmalpartout.—Jedanseavecladouleur,commed’habitude.—Tudisçapourtelajoueroutulepensesvraiment?—Lesdeux,répondit-ilensouriant,cependantilavaitl’airépuisé.—J’aisoulevétoutelajournée.—Despoids?Ilavaitlesyeuxfermés,maisilsourit.—Non,desfilles,enfindesdanseuses.Un éclair de jalousie me transperça. C’était tellement idiot de ressentir ça,
tellementinutile,maissiintenseaussi.Ilpritmamainetdéposaunbaisersurmonpoignet.—Rentrons,monamour.Demain,toutlemondeserasurscène.Jetapotaidoucementsonfront.—Alors,arrêtedefairetourbillonnertoutescesidéesdanstatête.—Jeconnaisunbonmoyenpourça.
ASHLapremièrefoisquetouslesdanseursseretrouvèrentsurscènefutdifficile.Jenesavaismêmepassic’étaitbien.IlfallaitquecesoitextraordinaireouLaneyseraitruinée.Jemefrottailestempesensentantlapressionmonterànouveau.J’aperçus alors Gary, une expression étrange sur le visage. Sans unmot, il
m’attira dans ses bras et àma grande surprise, je sentis son corps trembler. Ilpleurait.—Merci,bafouilla-t-il.Ilneditriendeplus.L’hommequin’étaitjamaisàcourtdemotssetut.Maisjecomprenaiscequ’ilvoulaitdire.Cen’étaitpasunevengeance,c’était
unefaçonderendrejustice.—Gary!Non,maisquellepetitegarce tu fais,hurlaSarahen interrompant
notre moment d’émotion. Ce pauvre Ash… Tu ne perds jamais une occasiond’essayerdeletripoter.Tun’asaucunedignité,hein?— Oh, mais regardez qui va là… Ça te va bien de parler des gens en
chaleur…Sarah lui tira la langue avant de le prendre dans ses bras. Elle essuya ses
larmesdupouce.Puiscefutautourd’Yvetades’approcher.Elleglissasamaindanslamienne
et me regarda dans les yeux. Elle ne faisait plus jamais ça. J’étais donc trèssurpris.— Gary a raison, dit-elle doucement. C’est incroyable. Nous serons
incroyables.Merci.
Chapitre21LANEY
Jeprismaplace,celleréservéeauxhandicapés,enboutderang.Mamèreétaitassiseàcôtédemoietmeserraittrèsfortlamainpendantquejeretenaismonsouffle.Mon père avait pris place aux côtés demamère, puis il y avaitmessœurs et leurs maris.Mes cousins étaient presque tous là également. Le clanHennessey était présent en force. Mes cousins pompiers à la carrureimpressionnantedétonaientsurlespetitssièges,danstoutceveloursrouge,cesstucsblancrococoetleschandeliersdorésdecepetitthéâtreaucharmesuranné.Maisilsétaientvenuspourmesoutenir.Ashsurtout.LesparentsdeGaryétaientlàaussi,silencieuxetdignesdansleurshabitsdu
dimanche.Angieétait accompagnéedePhil et sonami, chroniqueurà laTribune, était
présent également. Nous avions envoyé trente-cinq billets pour la presse etpresquetouslesinvitésétaientvenus,cequiétaittrèsrareapparemment.Il y avait Vanessa et Jo aussi, assises juste derrière moi avec plusieurs
collèguesdetravail.Les forces de police étaient là en nombre étant donné ce qui était arrivé la
dernièrefoisqu’Ashétaitsurscène.L’autreraisonétaitquelemaireétaitvenuavec lecommissairedepolice ; ilsétaient tous lesdeuxaccompagnésde leursépouses.Avec lapublicitéqu’Ashavaitactivementmiseenplace, lesplacespour les
deux semaines de spectacle étaient presque toutes vendues et si les critiquesétaientbonnes,ilyauraitcertainementd’autressallesdespectaclesintéressées.Je le souhaitais ardemment parce qu’Ash et moi avions contracté de lourdesdettes.Chaquefoisquej’ypensais,jegrimaçais.J’avais tellement envie que cette soirée soit exceptionnelle. Ash m’avait
interdit d’assister aux répétitions donc je ne savais vraiment pas à quoim’attendre.J’avaistrèsvolontiersabandonnémesfonctionsdeproductriceàSelma,mais
maintenant,jemesentaisencoreplusperdue.Ashrentraitàlamaisontouslessoirs,épuiséetmutique.Lesseulespersonnes
àqui ilparlaitvraiment–et encore, seulementau téléphoneet àvoixbasse–étaient sesdanseurs.OuLuka,biensûr,doncenslovène. J’étais jaloused’eux
tous,c’étaitcommes’ilsmevolaientAsh.Maisfinalement,après,toutcechagrin,touscesefforts,cesang,cettesueuret
ceslarmes,nousyétions.Ma mère m’écrasa les doigts quand les lumières s’éteignirent
progressivement. Elle se signa de l’autre main. Les derniers bruissements dupublics’évanouirentenattendantlalevéederideau.Lesspectateurspatientaientensilence.L’anticipationsemblaitfairetremblerlethéâtretoutentier.Le son cristallin d’un clavecin monta alors de la fosse d’orchestre, à ma
grande surprise et aussi à cellede tout lemonde, si jeme fiais auxmurmuresétonnés.Puis le rideau s’ouvrit sur lenoir total.Soudain, la scène s’illumina ;des lumières la balayèrent, montèrent avant de redescendre, de toutes lescouleurs;lalueurdesprojecteurstraversalascènedanstouslessensaumêmemomentoùlamusiquedeBadRomancesecommençait.IwantyouruglyIwantyourdisease
8
Enguisededécor,onapercevaitunesortedegratte-cielàmoitiéterminédansunevilleeuropéenne inconnuequidevaitêtreLjubljana. Ilyavaitsixouvriersdubâtiment sur scène.Ashétait là,vêtudebottes,d’unbleude travail,d’uneceinturepourportersesoutilsetd’uncasque.Celaluidonnaitunairdemacho.Ilsecambrait,sesbrasbattaientl’airautourdeluicommeledanseurlefaitdanslePasoDoble,imitantlegestedutoreroetfrappantlesoldutalon.Iltraversalascèneenpromenadeetcontrepromenade,l’airhautain.Silehautdesonbleudetravailcouvraitsapoitrine,ilavaitlesbrasnusetles
projecteurssoulignaientlapuissancedesesbiceps.Unebâchedevintlacapedumatador ; les hommes arpentaient la scène dans une série de pasimpressionnants,parfaitementsynchronisés.Je doutais qu’on ait déjà vu une danse de salon aussi agressive, si
outrageusementvirileetsportive.Etcertainementpasavecdesdanseurscoiffésdecasques.—OhmonDieu!soufflamamère.Lukas’introduisitalorssubrepticementsurlascène,sescheveuxébourifféset
seslentillesjaunesluiconférantuneforcesauvagequis’accordaitparfaitementàsadémarchedeloup.C’était Volkov, dans toute sa cruauté, et quand il sourit, ses lèvres se
retroussèrentdansunrictusdécouvrantdesdentsacérées.Jereprisdifficilementmonsouffle.Jesavaisqu’ils’agissaitdeLuka,jesavais
qu’il interprétaitun rôle,mais c’était terrifiantde levoir se rapprocherd’Ash,
dansl’ombre.Lamusique changea soudain et je souris en voyant Ash imiter Elvis en se
déhanchantausondeBossaNovaBaby,puisilpassaàunjiverapide,rejointparlesautresdanseurs,unparun.Lasilhouetted’unavionsedessinadans ledécoravantque lascènechange
totalementetqueLasVegasdenuit,danstoutesagloire,apparaisse.Ash se débarrassa de son casque et de ses outils ; il arracha le haut de sa
salopettedetravail,restanttorsenu,sesabdominauxparfaitementdessinéstrèsvisibles. Un large sourire se peignit sur son visage quand surgirent huitdanseusesdeLasVegasquidansaient surHankyPanky.Elles affichaient ellesaussi un large sourire et portaient de superbes coiffes.Yvetamenait la troupe.Uneépaissecouchedemaquillagedissimulaitsacicatrice,maisseulementtantqu’elle souriait. Dès qu’elle arrêtait, elle était très visible. Comme c’étaitironique.Garyarrivaensetortillant,interprétantundesjivelesplusgayquej’avaisvus
detoutemavie.Lepubliccommençaàrire.AshetGarydansaientcôteàcôte,leursjambesexécutant lespassivitequej’enavais lesoufflecoupé.PuisAshbondit par-dessus Gary en grand écart et retomba parfaitement sur ses pieds.Garypassaentrelesjambesd’Ashenadressantunclind’œilaupublic.Deux danseuses avancèrent sur la scène et le jive devint de plus en plus
athlétiquequandellesselancèrentsurGaryetAshquilessoulevèrentdansunesérie de portés impressionnants qui évoquaient le Lindy Hop. Le publicapplauditvivement.Le personnage du loup était toujours dans l’ombre, au fond, regardant
silencieusementcequisepassait,arpentantlascène.Uneprésencemenaçante.Ilseléchaitparfoisleslèvres.Terrifiant.Mamère serramamain et jeme penchai vers elle pour écouter ce qu’elle
voulaitmedire.—Ashestextraordinaire!C’estfantastique!—Jetel’avaisdit,murmurai-jeenluiadressantunlargesourire.Le jive continua, grimpant encore en intensité alorsqu’Ashquittait la scène
poursonpremierchangementdecostume.Quelquesinstantsplustard,ledécorchangeaànouveau:onétaitmaintenant
dans une luxueuse chambre d’hôtel avec deux filles portant la versiondévergondéed’ununiformescolaire.Ellesétaientassisessurundivan.Avecunpeudechance,iln’yavaitpasd’écolièresdanslepublic.Oliverdéboulaalorssur lascène.Mêmesi jesavaisqu’iln’étaitpas levrai
Sergei,ilmefichaitlatrouilleavecsoncostumetrois-piècesetsaperruquegriseparfaitementcoiffée.Volkovluitournaautouretilstraversèrentlascènetouslesdeuxdansunlentfox-trotsurlesaccordsduPetitChaperonrougedeSamtheSham.YvetaetAshrevinrentalorssurscène,setenantparlamainetl’aireffrayés.
Yvetaportaitunerobedebalrosepâledesannées50etAshunechemiseajustéeécarlate,attachéeàsonpantalonnoirétroitquimettaitenvaleursataillefine,seshanchesétroitesetsesfessesdélicieusementmusclées.La musique était glaçante, très évocatrice de l’histoire de ces deux âmes
innocentes,quisepromenaientdanslesboisencompagniedesloups.Hé,PetitChaperonRouge,Tuesvraimenttrèsjolie,Toutcequ’ungrandméchantloupaime.La sinistremusique continua alors que le plus effrayant des beaux parleurs
s’avançaitsurlascène.AshdansaitavecYvetaquandsoudainSergeileurtombadessus.Jemanquaim’étoufferenvoyantOlivercaresserlapoitrineetlesfessesd’Ash.Est-cequeceladérangeaitAsh?Est-cequeçaluirappelaitbeaucoupdemauvais souvenirs ? Je fus encore plus choquée quand Oliver/Sergei posa lamainsurlesexed’Ash.Desexclamationshorrifiéesrésonnèrentau-dessusdelamusiquesensuellequandlepublicréalisaquel’histoirechangeaitdeton.Lesdeuxécolièresdansaientensemble,leursmouvementstellementérotiques
que je commençai à transpirer un peu et que je vismon père s’agiter sur sonsiège, un peu gêné. La danse de salon n’avait jamais été aussi belle etperturbante.JefaillisvomirenvoyantSergeisortiruncouteauetlepassersurlagorgedes
filles, remplissant un verre de leur sang. Il le but alors que les deux filless’écroulaient,lesyeuxgrandsouvertsetsansvie.C’était tellement choquant et inattendu. Une brillante métaphore de ce qui
s’étaitvraimentpassé.—C’esttrop,murmuramamère,incapablederegarder.Ellen’étaitpaslaseule.—C’estlavérité.—C’esttropprochedelavérité.J’étaisassezd’accordavecelle,j’enavaismalauventre.Denouveau,leslumièresdiminuèrentetlamusiquechangea,pourcellequ’on
entendenclub.Ledécorétaitfamilier…
Vanessametapasurl’épaule.—Laney,cen’estpaslaboîteoùnoussommesallées?Si, c’était bien ça. Ash avait reconstitué le club où nous nous étions
rencontrés.Etildansaitdefaçontrèssuggestiveavecsixfemmesquiglissaientdesbilletsdanslaceinturedesonpantalon.Lajalousie,violenteetbrutalejaillitenmoi.Ilsnefaisaientquedanser.Maisc’étaitbienplusenfait:Ashcriaitaumonde
entierqu’il s’était prostitué àLasVegas et jene savaispas tropcequeçamefaisait.Je luiavaisdemandéun jour s’ilavaitessayédemesoutirerde l’argent.Sa
réponseavaitétéénigmatique.—Quandjedanse,jemelaisseallertotalementdanslamusique.Cen’estpas
bonpourmesaffaires.Quepouvais-jerépondreàça?Unedes filles déchira sa chemise et l’envie de lui briser les doigts un à un
montaenmoicommeunelamedefond.C’estseulementladanse,merépétai-je.Hébébé,quelesttonnom?Jebrûlepourtoietjenesaispasbienpourquoi.J’avaisdumalàregarderjusqu’àcequelecharmeetlafouguedecechachaà
lasaucecubaine,sexyetpleindecharmefinissentparmeconquérir.Lascènetournaitàlafête,presqueàl’orgie.Ashdansaitavecchacunedesfemmesettousles autres danseurs étaient sur scène, se déhanchant impudiquement. Leshommes avaient tous des ventres plats, luisants comme un bronze grec. Leurtailleétaitétroite,leurscuissessolidesetleursfessesmusclées.Les femmes jouaient le rôle des voyeuses, elles étaient là pour faire leur
marchédebeauxet jeuneshommes. Je lecomprenais, je savaiscequec’était,mais mon sang bouillonnait quand la partenaire d’Ash le regardait, les yeuxbrûlantsdedésir.EtmonDieu,onauraitditqu’Ashressentaitlamêmechose.C’estunspectacle,unspectaclemagnifique.Mais Volkov et Sergei continuaient à rôder dans l’ombre, marionnettistes
diaboliques. Ils apparaissaient furtivement entre les danseurs, de telle façonqu’on pouvait se demander si on les avait vraiment vus ou si nous étionsparanos.Etjesavaisquec’étaitainsiqu’Ashl’avaitvécu.La musique décrut progressivement et on n’entendit plus que le battement
d’uncœuralorsquedeuxprojecteurséclairaientlascèned’unelumièreblanche
etpure.Sarah,assise,seuleàunetable,portaitunesimplerobejaunequicaptaitlalumière,lecorsagebrillantdeminusculescristaux.Ellesemblaittellementvulnérable,tellementbelleetAshétaitperdudanssa
contemplation, comme hypnotisé. Un autre éclair de jalousieme fit serrer lespoings.Lerythmelentd’unenouvellemusique,àl’unissondubattementd’uncœur,
s’élevaetjereconnusunedeschansonsd’Adelequ’Ashadorait.Ilavaitunpeualtérélesparoles.J’aiapprisquetuétaisencoupleQuetuavaistrouvéunhommeetquetun’étaispluslibre.Ashluitenditlamaincommepourl’inviteràdanseretjepoussaiunpetitcri
d’exclamation.C’étaitmoi!Sarahjouaitmonrôle!C’étaitnotrerencontre.Lafaçondontil
m’avait vue, ce qu’il ressentait quand il pensait àmoi. Les larmes perlèrent àmespaupièresetjelesessuyairageusement.Soudain,latables’écartaetlepublicdécouvritSarah,assisedansunfauteuil
roulant.Unbruissements’élevadanslasalle.Je vis le choc qu’avait éprouvé Ash, son incrédulité. Je vis la douleur de
Sarah,sonhumiliationetsondésespoir.Monhumiliationetmondésespoir.Lamaindemamèreserefermasurlamienne.AshsoulevaalorsSarahdesonsiègeetlasoulevaàquelquescentimètresdu
sol.Lespiedsdelajeunefemmedessinaientdetrèsjolispasderumba.J’étaisenadmirationdevantlabeautédecettedanse,parlaforcedéployéepar
Ash qui portait une danseuse de plus de cinquante kilos apparemment sanseffort.Je comprenais maintenant pourquoi il m’avait interdit d’assister aux
répétitions.Parcequec’étaituncadeauqu’ilm’offrait,ladansequenousn’avionsjamais
eue.Je ne pus retenirmes larmes cette fois.Chaque pas, chaque regard, chaque
geste qu’il faisait vers elle, c’était à moi qu’il l’adressait. Il la porta pendanttouteladanse.Jenepouvaisqueluipardonnerd’êtreaussitêtuetsecret.D’êtreaussiintense
et motivé. De me crier dessus quand il était stressé et fatigué. Je pardonnaichaquefoisoùilm’avaittenueàl’écartouignorée,parcequ’ilétaitentraindememontrer dans chaque pas, chaquemouvement que j’étais aimée, désirée et
quecequinousunissaitétaitréel.Nousétionsréels.À la finde ladanse, lepublic se levaet applaudit à tout rompre.Saufmoi,
biensûrparcequecommelorsdenotrepremièrerencontre,j’enétaisincapable.Les lumières se rallumèrent, mais les applaudissements durèrent encore
plusieursminutes.Les gens, autour de moi, souriaient tout en essuyant leurs larmes. L’ami
journalisted’Angiegribouillaitfurieusementsursoncarnet.—Oh,monDieu ! s’écriaVanessa, lavoixà la fois choquéeet admirative.
C’étaitvous!C’estvotrehistoire.Iladansécommeçapourtoi!Avectoi!—Oui,dis-je,dansunfiletdevoix.Mamèremejetaunregardinquietavantdepoussermonfauteuilendirection
duminusculebarduthéâtre.Lesgenschuchotaientetmemontraientdudoigtenvoyantmonfauteuil.Un
couple pritmême une photo sans se cacher. J’étais un peu agacée,mais deuxjournalistes approchèrent, leur téléphone à la main et me proposèrent uneinterviewimpromptue.Jemereprisetmeforçaiàsourire,répondantàleursquestionsaussibienque
jelepus.MaisquandSelmaarrivapourmeprêtermain-forte, jenecachaipasmon soulagement. Elle accepta d’organiser des interviews avec les principauxdanseursdanslesjoursàvenir.—Lescritiquesvontêtrebonnes,Laney,dit-elle,dèsquenousfûmesseules.Jeluisouristristement,sachanttrèsbienoùellevoulaitenvenir.—Des théâtres de partout dans le pays vont vouloir ce spectacle. Je pense
qu’ilvafalloirorganiserunetournéenationale.—Jesais.— Tu ne pourras pas venir, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, son visage
changeantd’expression.Jebaissailatête.—Non.Moncorpsabeaucoupchangécesdernierstemps,jepensequetul’as
remarqué. Je ne vais pas très bien… Cela arrive parfois dans ma pathologie.Pendant des mois, des années, il n’y a pas d’évolution, mais soudain lesmédicamentsnefontpluseffet.Monmédecinveutquej’augmentelesdosesdechimiothérapiequejeprends,quejetestedenouvellesmolécules.Et…Jepenseque ça se passera d’autantmieux que je ne bougerai pas.Que je resterai à lamaison.Ellehochalentementlatête.
—Ashest-ilaucourant?Jesecouailatête.—Non,pasencore.Jevoulaisqu’ilpuissevivrecettesoirée…commeça.—Ilvaêtredévasté.— Je sais. Mais je ne pourrai jamais faire partie de son monde. C’est
impossiblepourmoi.Etjenecroispasqu’ilpuisses’enpasser.—Tuenescertaine,Laney?Parcequejecroisplutôtqu’ilnepeutpasvivre
sanstoi.Jenesavaiscommentrépondreàcettequestion,maisheureusement,jen’eus
pas à le faire parce qu’aumêmemoment, le maire et son épouse vinrent meserrer la main et me dire à quel point ils étaient heureux que ce « travailmémorable»aitcommencé,ici,àChicago.Ensuite,lapresselespritenphoto,toutsourire,alorsqu’ilssetenaientprèsde
lafemmeenfauteuilroulant.Lecommissairevintluiaussimesalueretéchangerquelquesmotsavecmon
pèreetmamère.Ilmesouritetdisparutdanslafoule.Ilyavaituneexcitationfiévreusedanslebar.Toutlemondesedemandaitce
queseraitlasecondepartieduspectacle,mêmesilaplupartd’entreeuxavaientlul’histoired’Ashdanslesjournaux.— C’est comme ça que ça s’est passé ? demanda Vanessa. Ce Sergei a
vraimentbulesangd’unefemme?LamentiondeceprénommefitfrissonneretJoluidonnauncoupdecoude.—Quoi?Ohpardon!dit-elleaprèsavoirvumonexpression.—Jecroisquec’estunemétaphore,répondis-je,lavoixcrispée.Dumoins,jel’espérais.MoncousinPaddys’approchadenousenjetantunregardappréciateuràmes
amies.—Sacréspectacle,dit-ilpensivementenmetendantunverredewhiskey.—Qu’est-cequetuenpenses?—C’esttotalementdéglingué,maisladanseestsupersexy.Bienvu,cousine,
termina-t-ilens’éloignantaprèsavoiradresséunclind’œilàVanessa.—Est-il…?—Totalementintouchable.Ellemeregardalamoueboudeuse.Joéclataderire.—Fais-moi confiance. Il a couché avec lamoitiédeChicagoet il a l’autre
moitiédanssalistedecontacts.N’ypensemêmepas.
JegémisenapercevantlalueurdedéfidansleregarddeVanessa.Jel’avaisavertie,àelledevoir.Lesspectateursreprenaientleurplacepourlasecondepartie;j’avaislesnerfs
enpelote.Jesavaisquelespectacleétaitbonetlesgensavaientl’aird’apprécier.Maisjen’étaispasobjectivedutout,alorsjenesavaispas.Quandlascènes’illuminadecouleursviolentesetcoloréesausondeVivaLas
Vegas,jenepusréprimerunsourire.Ash arriva en dansant sur la scène, tout en noir, mais avec des paillettes
scintillantes sur sa chemise ; il me semblait même qu’il avait de la poudrebrillantesur lapeau.Ileffectuaitunmouvementsensuelavecseshanchespuisenchaînait sur des pas de samba en pressant son entrejambe contre les fessesd’Yveta.Jegrimaçai,malà l’aisedevoirmonmarisefrotterainsiàuneautrefemme, surtout qu’il avait couché avec elle. Elle lui jetait des coups d’œiléloquents quand elle pensait que personne ne la regardait et elle m’ignoraittotalement.SergeietVolkoverraientdenouveausurlascène,unprojecteurrougesangles
suivantpartout.Leurfaçondesedéplacer,commes’ilschassaient,glissantsurlesolétaitsinistre;onauraitditdesfantômesàunfunestebanquet.Je ne pus retenir une petite exclamation quand ils fondirent sur Ash
l’arrachantauxautresdanseurs.Personnenesemblaleremarqueretjemeretinsdecrierpourlesavertir,mêmesijesavaisquecen’étaitqu’unspectacle.AlorsquelesautresdansaientunquickstepausondeTuVuoFal’Americano,
leursvisagesdéformésparunsouriredeclownetbaignésd’uneglauquelumièreverte, Volkov entraînait Ash dans une parodie de Paso. Deux danseurs seprécipitèrent sur lui,bloquant sesbras.AlorsVolkov lui arracha sachemiseetSergei déchira son pantalon de la taille aux chevilles. Ash semblaitcomplètementnu,mêmesicen’étaitévidemmentpaslecas,sondosenfacedupublic.Levoirainsi,exposéétaithorriblepourmoi.EtquandVolkovtenditunfouet
àSergei,jedétournaileregard.Decrishorrifiéss’élevèrentdanslepublicpar-dessuslerythmenerveuxdela
musique et j’entendis le son caractéristique du fouet qui fendait l’air. Sergeisemblaitrire,samainferméesursonsexe.Vanessa,derrièremoi,juraquandAshs’effondraausol.La musique mourut lentement et il resta dans une flaque de lumière, seul,
battu et nu, exactement comme je l’avais vu, cette horrible nuit. Je portaimamainàmabouche,lesyeuxpleinsdelarmes.
Pendantun instant, le silence futcompletavantqu’unson,unebrise légère,envahisse le petit théâtre et Sarah, descendit du plafond, comme un ange,toujoursvêtuedesarobejaune.Leslumièrescréaientunesortedehaloautourd’elle.Quandelleatteintlesol, leslumièress’éteignirentetuncoupdetonnerrefit
sursautertoutlemonde.Ilyavaitunetoursolitairegrisonnantdanslamerettudevinslalumièrede
moncôtésombre.OnamenaYvetaetGaryaucentredelascènependantqueVolkovetSergei
dansaientunesortedevalseobscènesurlesparolesenvoûtantesdeSeal.Je regardai la scèneà traversmesdoigts.Desdanseursdéguisésenmotards
les battaient. C’était horrible, grotesque et lemoment où un couteau défiguraYvetaétaitpresqueinsoutenable.Encontrepointdecettescèned’horreur,AshrevintsurscèneavecSarah,en
tournoyantaudouxsond’unevalseviennoise.Ashportaitunjeanetunlargetee-shirtblancalorsqueSarahavaittoujourssa
ravissanterobejaune.Jeneme sentais pas très bien.Notre amour s’était-il développé auprixdes
souffrances de ses amis ?Oupeut-être que c’était ce qu’Ash pensait,mais entoutcas,jevoulaisquecelacesse.Mais non.Cela dura, encore et encore jusqu’à ce queGary etYveta soient
arrachés de la scène, en sang et contusionnés. Je ne devais pas être la seule àressentirunimmensesoulagementquecettescènedetortures’arrêteenfintoutenressentantunprofondsentimentdeculpabilitédenepasvouloiraffronterlaréalité.C’étaittropdur.Desaccordsdeviolon,légers,résonnèrentalorsetjeretinsmarespirationme
demandantcequiallaitsuivre.JemesouvinssoudaincequelarobejaunedeSarahmerappelait:marobede
mariage.Unfrissonmesecouaetjereconnuslachanson:WithYouI’mBornAgain.Donne-moitadouceur.Ash l’installa surunechaiseet tournoyaensuite sur scène, seul.Lentement,
les jambes apparemment tremblantes, Sarah se dressa. Et elle commença à
danser,imitantsespasjusqu’àcequ’ilsdansentensembleunevalseàlabeautébouleversante. Jen’avais jamaisvucet aspectd’Ash, àquelpoint sa façondedanserétaitpassionnée,pleined’émotion. Ilavaitditqu’iln’avait rienressentipendant si longtemps,mais il se trompait.Tout était là,ungouffred’émotionsque seule la danse permettait d’exprimer. La danse, et moi, du moins jel’espérais.Les larmes me montèrent aux yeux ; j’imaginais ce que ce devait être de
danseraveclui,commeça,d’êtreemportée,deflotter,deglisser,decaressersapeau,debougeravecluiaurythmedelamusiquequilehantait.Lamusiqueétaitdans son cœur, dans son âme et à cet instant, je comprenais que je devais lelibérer.Cespectacleseraitunimmensesuccès.Jel’avaisespéré,voulu,maisj’avais
eu peur d’y croire. Maintenant, j’en avais la certitude, je le sentais au plusprofonddemoi.Les deux semaines dans ce petit théâtre ne seraient qu’un début. Les
propositionsallaientpleuvoiretilfaudraitalorsquejelelaissepartir.Sansmoi.Réconforte-moidanstoutecettefolie.Etjel’avaisréconfortédanscettefolie.Jel’avaisaidéetsoutenu,etpendant
untrèsbrefmoment,nousnousétionssoutenusmutuellement,maismaintenant,commeonrendaitsalibertéàunanimalsauvage,jedevaislelaisserpartir.Jerenaisavectoi.Leslarmesglissèrentsurmesjouesparcequej’allais leperdre,maisavait-il
seulementétéàmoi?Jedevaislefairemêmesicelamebrisaitlecœur.Àreposerici,allongéprèsdetoi,jerenais.Je pleurais parce que c’était vrai. Ash m’avait rendue forte et courageuse.
Danssesbras,jepouvaisaffrontern’importequoi,saufqu’ilmequitte.J’étaisépuisée,vidéeémotionnellement,maislespectaclen’étaitpasterminé.VolkovetSergeicontinuaientàarpenterlascène,chassantlesdeuxdanseurs
qui tournoyaient dans la lumière, si amoureux l’un de l’autre qu’ils neremarquaientrien.L’âpre tangodeRoxanne remplaça la valse.Lesdeuxmonstresméprisables
dansèrent un tango argentin magnifique et perturbant, joue contre joue.Sergei/Olivereffectuad’extraordinairessautsassistésparVolkov/Luka.
Puiscefutl’enganche:lesdeuxhommesétaienttouràtourlemeneuretl’unenroulaitsajambeautourdesonpartenaire,quidéplaçaitsonpieddel’intérieur.Ashm’avaitditunefoisqueletangoargentinavaitétécréépourdeshommes
au départ. Les gauchos qui chevauchaient les prairies, des migrants issus dequartierspauvresquivoulaientimpressionnerlesfemmes.—Jalousie!hurlaVolkovenagrippantlescheveuxd’Ashetenl’obligeantà
s’agenouiller.—Désir ! cria Sergei en dégainant une arme et en la pointant sur Volkov
d’abordpuissurAsh.Volkov disparut dans les ombres de la scène pendant que Sergei tirait
tranquillement sur Sarah. Le son de la déflagration faillit me faire tomber demonsiège.Elles’effondradansuneflaquedesatinjaune.Mamèreenfonçasesonglesdansmonbrasetellemeditquelquechose,mais
jenepouvaispasrépondre.Jen’avaisplusdevoix.Labagarre…lafusilladequis’étaitdérouléedansun théâtrepassidifférent
deceluioùnousétionsétaitpénibleàregarder.C’étaitunduo,undueletquandAshfinitpars’emparerdel’armeetàlaplaquersurlevisagedeSergei,lesiendéforméparlahaine,jenepusreteniruncri.D’autrespersonnescrièrentdansl’assistanceetjemerecroquevillai.Mamère
serramamainencoreplusfort.—Toutvabien.Tuesensécuritéici,mechuchota-t-elle.Une autre déflagration retentit et lamusique s’éteignit sur quelques accords
discordants.Des danseurs du corps de ballet vêtus en policier revinrent sur lascènealorsquedessirènesretentissaient.AshsoulevaSarah,laserrantcontresapoitrine,lechaosautourd’eux.Elle«repritconnaissance»,sionpouvaitemployercemot,dansunprofond
etsoudainsilencequimedonnal’impressiond’êtredevenuesourde.Unepleineluneéclairalascène.Ehbien,c’estunenuitmerveilleusepourdanserauclairdeluneAveclesétoilesquisereflètentdanstesyeux.C’était un fox-trotAmericanSmooth, dansé avec une grâce et une élégance
extraordinaire, profondément touchant et poétique. Et très désagréable àregarder,carAshfaisaitl’amouràquelqu’und’autre.Et soudain… Il sortit une petite boîte de sa poche, un écrin et au lieu de
l’offriràSarah,ilsautadanslasalle.Lamusiques’éteignitettouslesdanseurs
segroupèrentauborddelascène,toussouriantsetfrémissantsd’excitation.Ilsavaientattenducemoment.LebrouhahasetutquandAshs’approchademoi,l’écrinàlamain.Ilseplantadevantmoietselaissatombersurungenou.—Laney,tuesmonrayondesoleil,mojsonček.Je t’aimais avant même de le savoir. Et bien que tu sois déjà ma femme,
aujourd’hui, jemetiensàgenouxdevanttoipourtedemanderdedevenirmonépousepour toujours,danscettevieet laprochaine.Nemequitteplus jamais,monamour.Ilouvritlaboîte,révélantunebaguedefiançailles,unsuperbediamantjaune
quis’accordaitsuperbementaveclapetiterobedenotremariage.Jeluitendislamain,totalementsouslechoc.—Tubrillestellement,murmurai-je.—C’esttoiquirayonnes,mojsonček.—Aumoins,jesaiscequeçasignifiemaintenant,dis-jeenriant.Petitmalin.Ashm’adressa ce souriremerveilleux dont il avait le secret etme passa la
bague au doigt, puis me donna un baiser brûlant de passion qui brisa unecentainedecœurs,aumoins,dontlemien.—Jesuistellementfièredetoi,dis-jeenprenantsonvisagedansmesmains.
Net’arrêtepas.Dansecommesilemondeteregardait.Mamèresemitàtoussoteretquandjeluijetaiuncoupd’œil,jevisqu’elle
essuyaitunelarme.Ashseredressa,m’adressaunderniersourireetunclind’œil.Puis,ilremonta
sur scène d’un bond alors que l’orchestre entonnaitCrazyde Beyoncé et quecommençaitlecha-chaleplusfou,leplusdéchaîné,leplusvivantquej’aivudetoutemavie.Toutelatroupeétaitsurscène,sedonnantentièrementàladanse,criantquelavietriomphetoujours,l’amouraussietquelemalnegagnejamais.Jemeredressaipéniblement,mespiedsaffreusementdouloureux.—Quefais-tu?demandamamère.Ilfallaitquejelefasse.Mesbrasetmesjambestremblaientsousl’effort,mais
jemelevaiaveclerestedupublic,applaudissantdetoutesmesforces,commeles autres, faisant trembler tout le petit théâtre. Je sanglotais enmême temps,ruinantcomplètementmonmaquillage.Enfin, les danseurs se rassemblèrent sur la scène pour saluer, essoufflés, la
sueurdégoulinant sur leursvisages, sur leursbras. Ils arboraient tousun largesourire.Et puis, il y avait Ash,mon amour,monmari qui brillait si fort aumilieu
d’eux.—Jet’aime,murmurai-je.Illutmesmotssurmeslèvresetportasamainabiméeàsoncœur.Jet’aimeaussi.Torturé,horrifiantetterrifiant.Je pensais tout connaître des moyens avec lesquels on peut manipuler les
émotionsd’unpublic.J’aivuunRoi-Leardanslequelonavaitutilisédevraisyeuxdeporc;j’aiassistéàunereprésentationdeCoriolanussigorequ’ilafallufournir des vêtements imperméables aux personnes des premiers rangs, maishier soir j’ai été profondément bouleversé par le spectacle le plusincroyablementfortethonnêtequ’ilm’aitétédonnédevoir.Esclave,unehistoired’amourd’AshNovakn’étaitpasmonpremierchoixde
spectaclepourcettesoirée.Ladansedesalonn’estquepaillettesetsouriresdecirconstance,maiscechorégrapheetdanseuracomplètementfaitexplosermespréjugés dans une représentation bouleversante,magique, qui a profondémentchangé mes conceptions. Chaque pas construisait une épouvantable histoired’esclavagemoderne,detraficshumainsetdecrimeorganisé.Si vousavezuncœur, ce spectacle lebrisera sansaucundoute.Ledanseur
principaln’afaitaucunfauxpas,soutenuencelaparunetroupeextraordinaire,dontSarahLintort,YvetaKuznets,GaryBensonetLukaKokot.Un spectacle à nemanquer sous aucun prétexte si vous résidez àChicago.
Fonceztoutdesuite,carlesplacesserontdifficilesàtrouver.
ÉpilogueLANEY
CinqmoisplustardLaportes’ouvrità lavoléemefaisantsursauter. Jedécouvris, lecœurbattant,Ash,savaliseposéeàsespieds,sesclésàlamain.—Quefais-tuici?m’exclamai-je,unseulbrasenfilédansmonmanteau.—Latournéeestterminéeetj’aiprisunavionàDallas.—Oui,maisquefais-tuici,toutdesuite?Ilmeregardauninstant,latêtepenchée.—JesuisrentréàlamaisonJe lui rendis son regard, complètement hypnotisée. Il avait l’air d’être le
même,maisdifférentenmêmetemps.Lasilhouetteélancée,sescheveuxacajouet ses yeux de félin couleur whiskey étaient les mêmes. Les pommettessaillantes,lamâchoiresolideetmalraséeétaientaussiidentiques.Maisilyavaitunenouvelleassurancedanssafaçondesetenir,lacertitudequ’ilfaisaitcequ’ildevait,qu’iloccupaitlaplacequiétaitlasienne.—Jedevaisteretrouveràl’aéroport.—Tun’avaispasenviedemevoir,dit-ild’unevoixéteinte.—Tuesdingueouquoi?m’exclamai-je.Tum’astellementmanqué!Je me jetai à son cou. Ash recula de quelques pas jusqu’à heurter le mur
derrière lui,mais ilm’attrapa, enroulantmes cuisses autour de sa taille et seslèvress’abattirentsurmoncou,suçantmapeaupendantquejem’attaquaisàsaceinture.— Nous n’avons pas le temps, marmonnai-je en arrachant sa chemise et
découvrantsontorse.Lesboutonsvolèrentdanstouteslesdirections.—Noussommesinvitésàmangerchezmesparents.— Dans quel monde je n’ai pas le temps de faire l’amour à ma femme ?
demanda-t-il, sa voix se transformant en un gémissement quand j’enroulai lesdoigtssursonsexeérigéetbrûlant.Oui,dansquelmonde?Jen’avaispasderéponse.Cetuniverstourbillonnait
autourdenousàuneallurevertigineuse,nosviesn’étaientplusqu’unemasseconfusedemoments,avecdeshautsetdesbas,desjoiesetdesmalheurs.Ilpritmesmainsdanslessiennes,enriantdupurplaisirqu’étaitcemoment.
Ilmeportaensuitedansnotrechambre.Nousn’étionsplusqu’unemasseuniquequis’agitaitsansfinesse,sefrottant
l’uncontrel’autreàlapoursuitedelajouissance,gémissantdanslabouchedel’autre.Ilm’épinglaaulitetmefitl’amourjusqu’àcequej’explosedeplaisir.Ilfrissonna tout contre moi, les yeux fermés. Il se retira alors, en grognant deplaisiravantdes’allongeràmescôtés.—Bonsang!J’éclataid’unrirefragile,mélangededésir,de joieetde larmes,quej’avais
besoind’exprimer.—Nousallonsêtretellementenretard,murmurai-jealorsqu’ilessuyaitmes
larmesdupouce.—Jem’enmoque.—Moiaussi.Il m’adressa son grand sourire radieux qui m’avait tellement manqué et se
laissaretombersurledosenm’attirantcontrelui,encaressantmesépaules.Nousfîmesl’amourencoreunefoiset j’embrassaichacunedescicatricesde
sondos,apaisantainsicellesquenousavionségalementàl’intérieur.Jedéposaidespetitsbaiserssursespaupièresfrémissantes,admirant lepetit
sourirequ’ilesquissait.—Jenepeuxpascontinuercommeça,dit-ilsoudain.—Quoi?Sonriregrondadanssapoitrine.—Ohça…Jerecommencerai,c’estsûr.Jeveuxdirequejenerepartiraipas
entournéesanstoi.—Ash…—Non,Lan,j’yairéfléchi.Celanevautpaslecoup.Rienneméritequeje
metienneloindemonrayondesoleil.SelmaveutquenouspartionsentournéeenEurope,l’annéeprochaine.Viensavecmoi,monamour.—Jenecroispasque…—C’esttonproblèmeça,dit-ilentapotantmonfront.Turéfléchistrop.Nous
verronscequiarriveraetnousaviseronsàcemoment-là.Viensavecmoi,Laney.Ceseranotreprochaineaventure.—C’esttrèstentant,mais…laisse-moiréfléchir.—Biensûr,dit-ilense redressantetensedébarrassantdes lambeauxdesa
chemise.Maistufiniraspardireoui.—Jenesaispassi…— Tu viendras, affirma-t-il à nouveau avec assurance et en m’embrassant
pourmeréduireausilence.Lorsqu’ilseredressa,ilsouriaitetilajustasonsexedéjààmoitiéenérection
dans son pantalon.Heureusement que jeme sentais bien cette semaine, parcequesijemefiaisàsonsourire,jenedormiraispasbeaucoupcettenuit.J’admirai soncorpsquime semblaitunpeuplusminceque ladernière fois
quejel’avaisvu.J’aperçussoudainquelquechose.—Tut’esfaitfaireunnouveautatouage?Ilhochalatête,sesyeuxseplantantdanslesmiens.Jemepenchaipourmieuxvoirlesarabesquesdessinéessursapeau.C’était un soleil qui apparaissait derrière des nuages. Au-dessus, dans une
écritureélégante,ilyavaitmonprénom.—Monrayondesoleil,murmura-t-il,leregardtendre.J’enroulai mes bras autour de son cou et caressai sa peau douce. Je
l’embrassai. Pour le remercier. D’être mon mari, de vivre avec moi. D’êtrel’amourdemavie.D’êtrelui.Plus tard, je me demandai si notre amour s’était construit comme de finescouchesdepapier, instantpar instant, jourpar jour. Jeposai laquestionàAshune fois : quand était-il tombé amoureux de moi ? Sa réponse avait été trèsénigmatique,commesouventaveclui.—Quandj’aisentimoncœurbattreànouveau.
Àproposdel’Auteur
Ne confondez pas la gentillesse avec la faiblesse – c’est l’un demes dictonspréférés.Onmedemandesouventd’oùviennentmesidées-ellesviennentdepartout.Depromenades avecmon chien sur la plage, de conversations entendues dans lespubsetlesmagasins,oùjemecacheavecmoncarnet,inaperçue.Etbiensûr,j’aimeregarderladansedesalonàlatélé.J’aiessayéd’apprendrelasalsa une fois. Mon partenaire m’a dit : « Arrête de marcher et arrête deconduire!Tuescenséavoirl’airsexy».Jevaisdoncmecontenterd’écriresurladanseàlaplace.Twitter:https://twitter.com/jharveyberrickFacebook:https://www.facebook.com/JHBWrites/Instagram:https://www.instagram.com/jharveyberrick/
RésuméDANSE.Armes.MUSIQUE.Balles.RYTHME.Douleur.Musiquedansmatête,dansedansmoncorps,lerythmedemoncœur.Jusqu’où peut-on tomber en seulement un mois ? À quelle vitesse l’esprithumainpeut-ilêtrebrisé?Oùpeutsecacherledémonenpleinjour?Ashveutdanser.Ilenabesoin.Pourlaisserderrièreluiuneviefaited’attenteetdedevoir,pourlibérersonesprit.Maislavien’estjamaisaussisimple.Chaquepasestunvoyagesurunenouvelleroute.Pourchaqueaction,ilyauneréaction.Chaquedécisionauneconséquence.Etquandvousrencontrezlamauvaisepersonne,quisaitcequipeutarriver.Laney tolère ses limites, elle les repousse doucement. Mais quand Ash faitirruption dans son monde à travers la violence et la rage, cela entraîne uneréactionenchaîneàlaquelleaucund’euxnes'attendait.
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Notes
[←1]FlorenceandTheMachine,You’veGotTheLove.Lestroisextraitscitéssignifient,dansl’ordre:
«Parfoisj’aienviedelevermesbrasenl’air»,«Jesaisquejepeuxcomptersurtoi»,«Parfoisj’aienviededire:Seigneur,jem’enmoque».
[←2]Enfrançaisdansletexte.
[←3]AllusionauMagiciend’Oz.LepersonnagefémininestjouéparJudyGarlandquiestdevenueune
icônegay,carDorothydanslefilmacceptetouteslesdifférences.
[←4]Spécialité de saucisses de la petite station demontagne de Kransjska dans le nord-ouest de la
Slovénie.
[←5]Laisse-toialler,pourquoin’es-tupastoutsimplementtoi,jeseraisimplementmoi.
[←6]Decaressetimideetd’ivresseàresterprèsdetoietmeréveilleràtescôtés.
[←7]ComédiemusicalejouéepourlapremièrefoisàBroadwayen1980.
[←8]Jeveuxtonhorreur,Jeveuxtamaladie.